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CENTRE D'ÉTUDES SUPÉRIEURES DE LA RENAISSANCE Université François-Rabelais de Tours - Centre National de la Recherche Scientifique
Collection « Études Renaissantes » Dirigée par Philippe Vendrix
Dans la même collection : Frédérique Lemerle La Renaissance et les antiquités de la Gaule, 2005 Jean-Pierre Bordier & André Lascombes (éds) Dieu et les dieux dans le théâtre de la Renaissance, 2006 Chiara Lastraioli (éd.) Réforme et Contre-Réforme, 2008 Pierre Aquilon & Thierry Claerr (éds) Le berceau du livre imprimé : autour des incunables, 2010 Maurice Brock, Francesco Furlan & Frank La Brasca (éds) La Bibliothèque de Pétrarque. Livres et auteurs autour d'un humaniste, 2011 Sabine Rommevaux, Philippe Vendrix & Vasco Zara (éds) Proportions. Science, musique, peinture & architecture, 2012 Maurice Brock, Marion Boudon-Machuel & Pascale Charron (éds.) Aux limites de la couleur. Monochromie & polychromie dans les arts (1300-1600), 2012 Maxime Deurbergue The Visual Liturgy: Altarpiece Painting and Valencian Culture (1442-1519), 2012 Magali Bélime-Droguet, Véronique Gély, Lorraine Mailho-Daboussi & Philippe Vendrix (éds) Psyché à la Renaissance, 2013 Juan Carlos Garrot Zambrana Judíos y conversos en el Corpus Christi. La dramaturgia calderoniana, 2013 Frédérique Lemerle & Yves Pauwels Architectures de papier. La France et l'Europe (xvie-xviie siècles), 2013 Albrecht Fuess & Bernard Heyberger (éds) La frontière méditerranéenne du xve au xviie siècle. Échanges, circulations et affrontements, 2013
Textes réunis et édités par
Anne Rolet et Stéphane Rolet
2013
En couverture : droit et revers d’une médaille en hommage à Alciat réalisée par Jean Second en 1532-1533 (reproduite avec la courtoisie de Jean ELSEN & ses Fils s.a. – Numismates – Bruxelles)
Conception graphique & mise en page Alice Nué
© Brepols Publishers, 13 ISBN 978-2-503-55021-3 D/2013/0095/157 All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in may form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, whithout the prior permission of the publisher. Printed in the E.U. on acid-free paper
À la mémoire de Roberto Abbondanza, qui fit tant pour les études alciatiques
Remerciements
Ce livre est issu d'un colloque international qui s'est tenu à Tours, au Centre d'Études Supérieures de la Renaissance les 30 novembre, 1er et 2 décembre 2010. Alison Adams (U. de Glasgow), Paulette Choné (U. de Dijon), Marie-Luce Demonet (U. de Tours / CESR, IUF) et Perrine Galand (EPHE), ainsi que Christian Bouzy (U. de Clermont-Ferrand), JeanLouis Charlet (U. d'Aix), Philip Ford [†] (Clare College, Cambridge) et D. Russel (U. de Pittsburgh) en ont constitué le comité scientifique. Nous adressons nos plus vifs remerciements aux institutions et aux personnes qui ont permis la réalisation de ce projet : le Centre National de la Recherche Scientifique, le Conseil Régional de la Région Centre, l'Institut Universitaire de France, l'Université de Nantes, l'Université de Paris 8, l'Université de Tours. Nous tenons en particulier à dire toute notre reconnaissance au Centre d'Études Supérieures de la Renaissance et à son directeur, Philippe Vendrix, pour l'accueil très bienveillant et le solide soutien financier qu'ils ont réservés à cette manifestation. Nous voulons aussi remercier chaleureusement Perrine Galand (GDR 2837 / CNRS) et Bernard Pouderon (U. de Tours, CESR/ Groupe Plantin, IUF) pour leur généreuse contribution. Que la responsable administrative en charge des manifestations scientifiques du CESR, Marie-Christine Jossec, trouve également ici le témoignage de notre gratitude pour son aide indispensable et sa constante patience. Nous n’aurons garde d’oublier la responsable de la cellule édition du CESR, Alice Nué, dont la gentillesse et la disponibilité ont considérablement allégé la charge de rassembler ce volume. Nous tenons également à exprimer tous nos remerciements aux sociétés A.H. Balwin & Sons Ltd. – Numismatics – London, et Jean Elsen & ses Fils s.a. – Numismates – Bruxelles, qui ont gracieusement mis à notre disposition des clichés importants.
Alciat, entre ombre et lumière Anne Rolet - EA 4276 L'Antique, le Moderne -Université de Nantes - IUF Stéphane Rolet - EA 1579 Littérature et histoires - Université de Paris VIII - Saint-Denis - EPHE
Après avoir ébauché dans sa jeunesse une histoire en latin de sa patrie, collecté ses inscriptions antiques, et passé un double doctorat en droit civil et canon, quelles raisons un avocat milanais du début du xvie siècle pouvait-il avoir d’éditer et d’annoter Tacite, de traduire en latin des épigrammes grecques de l’Anthologie de Planude, de composer une comédie inspirée d’Aristophane, de rédiger un traité sur le duel, de produire un petit opuscule traitant des poids et mesures, de signer un recueil d’épigrammes latines illustrées portant le titre jusqu’alors inédit d’Emblemata – véritable best-seller du temps – et, tout en établissant un lexique de Plaute, de s’intéresser à la continuité de l’idée d’empire en projetant un gros ouvrage prévu pour suivre une progression historique depuis la constitution impériale romaine d’Auguste jusqu’à Charles Quint1 ? Cet inventaire « à sauts et à gambades » donne en lui-même une idée assez juste de la polymathia qui a caractérisé le juriste André Alciat (1492-1550). Sans compter que les œuvres évoquées sont composées parallèlement à d’autres travaux très spécialisés davantage attendus de la part d’un juriste, et comme en marge (d’où le titre de Parerga donné à l’une d’entre elles2). Ces travaux, consacrés en particulier à l’interprétation, à l’annotation ou à la restitution philologique de passages du Digeste ou du Code, des Annotationes in tres posteriores codicis libros au composite De uerborum significatione, en passant par les Paradoxa, les Praetermissa et les Dispunctiones, rejoignent parfois le ton plus libre et l’organisation plus diffuse des miscellanées humanistes. Bien des objets juridiques étudiés dans ces ouvrages plus techniques font également l’objet de cours universitaires donnés par notre avocat devenu professeur en Avignon, à Milan, Bourges, Pavie et Ferrare. Une part non négligeable de l’œuvre alciatique, diverse et foisonnante, est restée manuscrite, malgré la publication d’Opera omnia toujours plus abondants d’Isingrin à Bâle, entre 1543 et 1547, jusqu’à Zetzner à Francfort en 1617. D’autres publications posthumes viendront encore enrichir ces collections. La critique d’aujourd’hui, à l’instar des contemporains d’Alciat, s’est montrée sensible au caractère novateur des méthodes et des écrits de cet humaniste3. Elle a également mis en valeur la
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L’ouvrage ne vit d’ailleurs jamais le jour comme tel. Le De constitutione imperii, annoncé par Alciat à Francesco Calvo en janvier 1532, ne dépassera pas le stade de deux opuscules, l’un intitulé De magistratibus ciuilibusque et militaribus officiis, publié en tête de l’édition princeps partielle de la Notitia dignitatum (Lyon, Gryphe, 1530), l’autre intitulé De formula Romani Imperii, jamais terminé, et dont la partie rédigée fut publiée de manière posthume en 1559 par Jean Oporin. Voir P.-É Viard, André Alciat (14921555), Paris, 1926, p. 181-189 et l’article de Juan Carlos d’Amico dans le présent ouvrage. Voir l’étude d’Olivier Guerrier dans le présent volume. Voir P.-É Viard, André Alciat (note 1), p. 139 sq., IIe partie : « L’ esprit novateur dans l’œuvre d’André Alciat ».
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puissante cohérence de sa production, où les œuvres se nourrissent mutuellement, où certaines en préparent d’autres, avec le cas particulier des Emblemata, miroir où se concentrent de manière frappante les intérêts, voire les obsessions intellectuelles de l’humaniste4 et sans doute son livre le plus personnel5. Comment expliquer la place à part réservée dès la Renaissance à cet humaniste ? 4
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Sur ce constat, voir P.-É Viard, André Alciat (note 1), p. 165-167. À titre d’exemple, le travail de traduction latine de pièces de l’Anthologie de Planude joue un rôle considérable dans la genèse des emblèmes, qui se présentent sous la forme d’un recueil d’épigrammes particulières, à sujet symbolique. Sur la question d’Alciat et de l’Anthologie grecque, voir l’article de Jean-Louis Charlet dans ce volume et les études de James Hutton, The Greek Anthology in Italy to the Year 1800, Ithaca / New York, 1935, p. 195-208 ; Alison Saunders, « Alciati and the Greek Anthology », Journal of Medieval and Renaissance Studies, 12, 1982, p. 1-18 ; Mason Tung, « Revisiting Alciato and the Greek Anthology : a documentary note », Emblematica, 14, 2005, p. 327-348. Sur l’importance de l’épigramme gréco-latine dans la genèse du recueil d’emblèmes, voir Hessel Miedema, « The term emblema in Alciati », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1968, 31, p. 234-250 ; Id., « Alciati’s Emblema Once again », Emblematica, 7/2, 1993 p. 365-367 ; Claudie Balavoine, « Archéologie de l’emblème littéraire : la dédicace à C. Peutinger des Emblemata d’A. Alciat » dans M.-T. Jones-Davies, Emblèmes et devises au temps de la Renaissance, Paris, 1981, p. 9-21 ; Ead., « Les Emblèmes d’Alciat : sens et contre-sens », dans Y. Giraud (dir.), L’Emblème à la Renaissance, Paris, 1982, p. 49-59 ; Virginia Woods Callahan, « Uses of Planudean Anthology : Thomas More and Andreas Alciati », in R. J. Schoeck (dir.) : Acta conuentus Neo-Latini Bononiensis, Binghamton / New-York, 1985, p. 399-412 ; Pierre Laurens, L’abeille dans l’ambre. Célébration de l’épigramme de l’époque hellénistique à la fin de la Renaissance, Paris, 1985, p. 420-460 ; Denis L. Drysdall, « Alciat et le modèle de l’emblème », dans C. Balavoine, J. Lafond, P. Laurens (dir.), Le modèle à la Renaissance, Paris, 1986, p. 169-179 ; Id., « Préhistoire de l’emblème : commentaires et emplois du terme avant Alciat », Nouvelle Revue du Seizième siècle, 6, 1988, p. 29-44 ; Bernard Scholz, « Libellum composui epigrammmaton cui titulum feci Emblemata : Alciatus’ Use of Expression Emblema Once Again », Emblematica, 1/2, 1986, p. 213-226 ; Id., « The 1531 Augsburg Edition of Alciati’s Emblemata : A Survey for Research », Emblematica, 5/2, 1991, p. 213-254. On pourra également consulter J. Köhler, Der Emblematum liber von Andreas Alciatus (1492-1550). Eine Untersuchung zur Entstehung, Formung antiker Quellen und pädagogischen Wirkung im 16. Jahrhundert, Hildesheim, 1986 ; A. Saunders, The Seventeenth-Century French Emblem. A Study in Diversity, Genève, 2000, ch. 8 : « Theory and Practice of Emblems and devices ». Sur la question des gravures du recueil emblématique d’Alciat, largement abordée par les articles de H. Miedema et C. Balavoine, on renverra également à Elisabeth Klecker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs : les Emblemata d’Alciat et l’emblématique » dans S. Rolet (dir.), L’emblème littéraire : théories et pratiques, Littérature, 145, mars 2007, p. 23-52. Par ailleurs, Virginia Wood Callahan a montré, dans son article « An Interpretation of Four of Alciatos Latin Emblems », Emblematica, 5, 1991, p. 255-270, tout ce que certains emblèmes doivent aux travaux juridiques d’Alciat. Valérie Hayaert, dans Mens Emblematica et humanisme juridique : le cas du Pegma cum narrationibus philosophicis de Pierre Coustau (1555), Genève, 2008, p. 149-279, avance l’hypothèse que la pratique emblématique, fortement marquée par la culture légale, constitue un otium de juriste, en particulier chez Alciat et chez Cousteau. Corinne Leveleux-Texeira et Marie Bassano, dans leur article « Alciat, le De uerborum significatione et la morphologie du droit » dans S. Geonget (dir.), Bourges à la Renaissance. Hommes de lettres, hommes de loi, Paris, 2011, p. 293-309, en particulier p. 288, suggèrent d’autre part des rapprochements structurels et des symétries formelles entre la rédaction du De uerborum significatione et celle des emblèmes. Sur le De uerborum significatione, voir l’article de Bruno Méniel dans le présent volume. Enfin, pour la reprise, comme sujets d’invention de certains emblèmes, de monuments archéologiques décrits par Alciat épigraphiste dans son recueil d’antiquités milanaises, voir P. Laurens, Florence Vuilleumier-Laurens, L’âge de l’inscription. La rhétorique du monument en Europe du xveau xviiesiècle, Paris, 2010, ch. 4 : « L’invention de l’emblème par André Alciat et le modèle épigraphique ». Sur la culture épigraphique d’Alciat, voir Antonio Ferrua, « Andrea Alciato e l’epigrafia paleocristiana », Archivio della Società Romana di Storia Patria, 112, 1989, 249-268 ; Id., « Andrea Alciato e l’epigrafia pagana », ibid., 113, 1990, p. 209-233 ; Id., « Andrea Alciato (1492-1551) e l’epigrafia antica del Lazio », ibid., 114, 1991, p. 101-116 ; Antonio Sartori, « L’Alciato e le epigrafi : tractauimus subsciuis horis huiusmodi naenias », Periodico della società storica comense, 61, 1999, p. 53-82 ; Ida Calabi Limentani, « L’approccio dell’Alciato all’epigrafia », ibid., p. 151-184. C. Balavoine, « L’emblème selon Alciat : lieu paradoxal et privilégié de l’expression de soi », Humanistica, 5/2, 2010, p. 35-41.
Le droit, l’histoire, la langue
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Cet aspect a été très bien mis en valeur dans l’ouvrage de P.-É.Viard, André Alciat (note 1), qui demeure encore indispensable. Voir également Pierre Mesnard, « Alciato y el nacimiento del humanismo juridico », Revista de estudios politicos, 53, 1950, p. 123-129 ; Vincenzo Piano Mortari, Diritto, logica, metodo nel xvi secolo, Naples, 1978, p. 349-366 ; Ennio Cortese, Il diritto nella storia medievale, Rome, 1995, t. 2 : Il basso Medioevo, p. 453-485 ; Id., Le grandi linee della storia giuridica medievale, Rome, 2000, p. 402-406 ; Douglas Osler, « Andreas Alciatus (1492-1550) as philologist », in D. Maffei, I. Birocchi, M. Caravale, E. Conte. U. Petronio (dir.), A Ennio Cortese, Rome, 2001, t. 3, p. 1-7 ; Annalisa Belloni, « L’insegnamento giuridico in Italia e in Francia nei primi decenni del Cinquecento et l’emigrazione di Andrea Alciato » in A. Romano (dir.), Università in Europa. Le istituzioni universitarie dal Medio Evo ai nostri giorni. Strutture, organizzazione, funzionamento, Messine, 1995, p. 137-158 ; Ead., « Andrea Alciato e l’eredità culturale sforzesca » ; « Gli Alciati e Alzate », Periodico della società storica Comense, 61, 1999, respectivement p. 9-25 et 101-114 ; Ead., « Contributi dell’Alciato all’interpretazione del diritto romano e alla sua storia » in L. Gargan, M. P. Mussini Sacchi (dir.), I classici e l’Università umanistica, Messine, 2006, p. 113-160. 7 Voir le tableau très éclairant des liens académiques entre les principaux auteurs cités par Alciat dans le De uerborum significatione proposé par C. Leveleux-Texeira et M. Bassano, « Alciat, le De uerborum significatione et la morphologie du droit » (note 4), p. 309. 8 Pro, contra, solutio. Voir l’exposé d’E. Schneider au début de son article, « Le statut du docteur chez Bartole de Saxoferrato », Droit et cultures, hors-série, 2010, p. 91-136, en particulier p. 92-93. 9 Voir les études de Giovanni Rossi et de Nicolas Warembourg dans le présent volume. 10 P.-É.Viard, André Alciat (note 1), p. 164. 11 ibid., p. 116. 12 Voir Paolo Prodi, Una storia della giustizia. Dal pluralismo medievale dei fori al moderno dualismo tra coscienza e diritto positivo, Bologne, 2000, p. 155-217 ; Diego Quaglioni, « Diritto e teologia nel Tractatus
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Comme l’a très bien montré Paul-Émile Viard, la double formation d’Alciat, humaniste et juridique, le place au confluent de trois domaines essentiels : le droit, l’histoire et les studia humanitatis, ce programme de formation intellectuelle de l’homme de la Renaissance par la fréquentation et l’interprétation des textes de l’Antiquité, dont les savants Eugenio Garin et Paul-Oskar Kristeller ont souligné les implications philologiques et philosophiques. C’est précisément la conscience de la perméabilité entre ces disciplines et le refus d’accorder à l’une d’entre elles une suprématie sur les autres qui amorcent une véritable révolution dans la manière de concevoir le droit6, celle du mos Gallicus, dont l’Italien Alciat, si familier des routes de France, est l’un des instigateurs : cette alliance n’avait en effet rien d’évident à une époque où la manière de pratiquer les sciences et les formations universitaires qui en diffusaient les principes restaient encore, pour l’essentiel, étanches. Formé, comme son contemporain Philippe Decius, à l’école de Bartole par l’intermédiaire de Balde, Paul de Castro, Carlo Ruini ou Jason de Mayne7, Alciat avocat et enseignant du droit a été confronté aux exigences techniques du praticien et à la nécessité de la réactualisation du droit à partir des cadres antiques proposé par le Corpus iuris ciuilis. Cette réactualisation avait été menée bien avant lui par les postglossateurs de l’École d’Orléans, puis Bartole et ses successeurs, représentants du mos Italicus, par l’application de la méthode scolastique8. Alciat reste d’ailleurs largement tributaire de ses prédécesseurs9 et il « étudie encore le droit romain comme une législation dont il doit enseigner les conclusions à ses étudiants10 ». Or ce souci d’établir une « législation vivante11 », tout en faisant les preuves de son extrême efficacité, suscitait trois conséquences essentielles, largement reprochées aux praticiens bartolistes : la conception des textes de lois romains comme source immuable d’autorité législative et théologico-philosophique12, mais non comme un
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ensemble sélectif en mutation, progressivement défait, élagué puis réorganisé13 de manière autoritaire par les compilateurs byzantins à l’époque justinienne ; l’ensevelissement de ces textes et de leurs sources sous l’appareil formaliste de la glose ; l’indifférence à la qualité de la langue employée. On connaît les imprécations de Rabelais contre la Glose d’Accurse, les vigoureuses récriminations des humanistes tels que Boccace, Ambrogio Traversari, Francesco Filelfo, Pietro Crinito et bien d’autres contre le caractère oiseux des discussions juridiques des glossateurs ou contre la rugosité, l’incorrection et l’obscurité de leur latin. On rappellera aussi les tentatives de Léon Battista Alberti ou Lorenzo Valla, sur un ton plus ou moins polémique à l’encontre des jurisconsultes, de fonder philosophiquement et linguistiquement le savoir juridique sur d’autres bases que la science du droit médiévale14. Or parallèlement à ce discrédit et à cette méfiance qui frappe le Code Justinien, on note la tentative de certains humanistes (dont Alciat), forts de leurs compétences philologiques et animés du désir d’exhumer l’Antiquité selon les critères d’une science historique et archéologique naissante15, pour reconsidérer le Corpus iuris ciuilis. En découvrant la stratification temporelle de cette compilation et le caractère autoritairement démembré de ses sources à l’instigation de Tribonien afin de produire une loi unifiée et homogène, ces humanistes découvrent la possibilité de le considérer non plus seulement comme un ensemble normatif, mais bien comme une source précieuse pour tenter de restituer patiemment le contenu des écrits des divers juristes pré-justiniens, pour éclairer l’étude des institutions romaines et reconstituer, au moins partiellement, l’histoire de la Rome antique. La compilation peut alors devenir la cible d’un travail critique d’inventaire, de reconstitution des sources et d’établissement du texte, bref, d’une entreprise philologique. On citera, avant Alciat, les exemples de Pietro Crinito, Pomponio Laeto et surtout Ange Politien, qui reçoit l’aide de Bartolomeo Socino pour s’atteler à l’édition critique des Pandectes d’après le manuscrit florentin de la Litera Pisana ou Florentina16, et, bien sûr, Guillaume Budé. Avec Alciat, c’est
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testimoniorum bartoliano » in Id., Ciuilis sapientia. Dottrine giuridiche e dottrine politiche tra medioevo ed età moderna. Saggi per la storia del pensiero giuridico moderno, Rimini, 1989, p. 107-125. Pour la relation entre l’emblème littéraire et la technique de la composition du Corpus iuris ciuilis comme une « mosaïque » d’autorités antérieures que l’on recompose et réécrit souvent, avec une inscriptio et une subscriptio, voir V. Hayaert, Mens emblematica (note 4), p. 113-119. Voir les travaux fondamentaux de Giovanni Rossi sur la question, en particulier « Un umanista di fronte al diritto : a proposito del De iure di Leon Battista Alberti », Rivista di storia del diritto italiano, 72, 1999, p. 77-154 ; « Intorno al De iure di Leon Battista Alberti », Albertiana, 3, 2000, p. 221-248 ; « Alberti e la scienza giuridica quattrocentesca : il ripudio di un paradigma culturale », in R. Cardini, M. Regoliosi (dir.), Alberti e la cultura del Quattrocento, Florence, 2007, t. 1, p. 59-121 ; « Valla e il diritto : l’Epistola contra Bartolum e le Elegantiae. Percorsi di ricerca e proposte interpretative » in M. Regoliosi (dir.), Pubblicare il Valla, 2008, p. 507-599. Voir également la contribution de Bruno Méniel dans ce volume. Pour la postérité du paradigme alciatique, voir G. Rossi, « Le Orationes di Marc-Antoine Muret : humanae litterae e iurisprudentia a confronto nella Roma del Cinquecento » in R. Schnur (dir.), Acta Conventus Neo-Latini Bonnensis. Proceedings of the Twelfth International Congress of Neo-Latin Studies, 2006, Tempe (Arizona), p. 697-705. Sur l’émergence du paradigme historique, voir E. Garin, « Leggi, diritto e storia nelle discussioni dei secoli xv e xvi » in Id., L’età nuova. Ricerche di storia della cultura dal xii al xvi secolo, Naples, 1969, p. 237-260. Ce travail, dont témoigne la correspondance de Politien, ne sera malheureusement jamais achevé. Il en subsiste des lambeaux dans les Miscellanea et il faut attendre 1553 pour que paraisse à Florence, chez
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Lorenzo Torrentino, la première édition des Pandectes à l’instigation du jurisconsulte Lelio Torelli. Voir Giovanni Gualandi, « Per la storia della editio princeps delle Pandette Fiorentinae di Lelio Torelli », in E. Spagnesi (dir.), Le Pandette di Giustiniano. Storia e fortuna di un codice illustre, Florence, 1986, p. 143198 ; Jean-Louis Ferrary (éd.), Correspondance de Lelio Torelli avec Antonio Agustín et Jean Matal (15421553), Côme, 1992. C. Leveleux-Texeira et M. Bassano, « Alciat, le De uerborum significatione et la morphologie du droit » (note 4), ici p. 307, qui détaillent ces points et leurs conséquences. Voir l’article de Lucie Claire dans le présent volume. Voir l’article de Ian Maclean dans le présent volume.
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la forme même du commentaire juridique qui change, ne serait-ce que parce que le latin employé s’est purifié et clarifié. De plus, dans un texte comme le De uerborum significatione, c’est toute l’économie des usages référentiels qui se transforme : refus d’accumuler les arguments en remontant au-delà des auteurs pré-bartoliens ; résumé et reformulation de certaines démonstrations de ces prédécesseurs pour n’en reprendre que l’esprit ; mais citation in extenso des auteurs littéraires antiques, « rédigés dans ce latin optimal qu’Alciat cherche à promouvoir dans le champ juridique17 ». En même temps qu’il étudie, pratique puis enseigne le droit, Alciat se passionne pour l’histoire et les littératures antiques, qui font partie de sa formation classique, et cet intérêt explique en partie la singularité de sa trajectoire méthodologique : vers 1506, poussé par Janus Parrhasius, il ébauche la rédaction d’une histoire de sa patrie (Rerum patriae libri), en même temps qu’il s’attaque à la traduction d’épigrammes grecques ; à partir de 1507 au plus tard, il collecte les inscriptions antiques de sa région, publie en 1517 ses annotations sur Tacite18, pense vers 1523 à son De constitutione Romani Imperii, au moment où il dit avoir terminé de composer en latin son epigrammaton libellus. Dès 1515, lors de la publication de son premier ouvrage à caractère juridique, les Annotationes in tres posteriores codicis libros19, ce double intérêt apparaît de manière frappante : Alciat prend en compte la dimension historique, restitue un panorama de l’organisation administrative de l’empire, mais éclaire également la terminologie spécifique pour désigner les fonctionnaires romains et corrige l’orthographe des mots. Il se montre parfaitement conscient que les cadres du droit romain ont évolué avec le temps et que l’obscurité de certains passages juridiques ou littéraires s’expliquent par l’abolition des législations ou des constitutions dans lesquels il s’inscrivent et dont il faut retrouver trace. Ce qui induit une véritable mutation épistémologique face au Code Justinien, qui devient lui-même un objet archéologique qu’il faut exhumer et reconstituer avec méthode et non plus seulement le prétexte à des applications contemporaines. La révolution philologique qu’Alciat mène, en étroite association avec l’émergence d’une conception historique du corpus juridique romain, est assurément induite par la fascination qu’exerce sur lui la langue latine, agent principal de la coordination entre droit, histoire et humanae litterae. La richesse polymorphe du latin, servie par des mutations diachroniques et des altérations géographiques, se lit tout spécialement dans le vocabulaire et les passages techniques, juridiques et législatifs qui abondent chez les auteurs latins. Ce latin spécialisé constitue le vecteur privilégié d’aspects peu connus de la civilisation gréco-
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romaine disparue et le témoin de pratiques et de realia qui se sont obscurcis au point de devenir parfois inintelligibles avec le temps, mais qu’il s’agit de redécouvrir, voire d’utiliser à nouveau, quels qu’en soient les supports. Or, en complément du matériel juridico-législatif, épigraphique, architectural, plastique ou numismatique qu’elle contribue à éclairer, la littérature antique constitue à son tour une immense pourvoyeuse d’informations et une école de l’art oratoire dont les humanistes reprochaient à Accurse et Balde d’être si totalement dépourvus. Au-delà de l’éclatement des formes-sources antiques livrées par l’archéologie, c’est bien le latin, à la fois comme matériau fossile témoin du passé, mais aussi comme instrument ductile, efficace et rénové, servant au plus près la pensée du commentateur humaniste, qui assure la perméabilité entre les savoirs et la circulation entre les disciplines. Aux yeux d’Alciat, considérer de manière indépendante la littérature, l’histoire ou le droit antiques reviendrait à imaginer que les hommes qui ont écrit les textes littéraires anciens vivaient séparés des cadres politiques, militaires, juridiques et législatifs de leur temps, bref en dehors de leur propre monde, ou que les auteurs des constitutions impériales et des textes de lois n’avaient jamais lu Homère ni Virgile, ni ne possédaient de notion des usages littéraires de la langue et des ambiguïtés qu’ils génèrent. En annotant Tacite ou Aristophane, en consultant Varron, Festus Pompée ou les poètes latins, en relevant in situ le texte d’une stèle antique ou d’une inscription, en rassemblant des notes sur les passages techniques de Quintilien et d’Aulu-Gelle, ou sur les exposés législatifs et juridiques de Tite-Live, en établissant un lexique de Plaute, Alciat collecte une masse considérable d’informations sur les mœurs des Romains, sur les pratiques religieuses, sur les institutions politiques, sur leur droit public ou sur l’origine étymologique de certains mots qui éclairent leur utilisation, avec la certitude toutefois de leur évolution dans le temps. Ces notes, relevés et inventaires, qui peuvent se compléter, s’éclairer ou se contester mutuellement, en un mouvement permanent de renouvellement qui se déploie au fur et à mesure des lectures, ouvrent la possibilité méthodologique d’interpréter correctement certains passages difficiles du Corpus iuris ciuilis à l’expression trop laconique ou ambiguë, d’en restituer ou d’en corriger certaines leçons, de proposer d’autres sources législatives passées sous silence par les compilateurs. Mais l’inverse est vrai, et le Code peut à son tour jeter une lumière nouvelle sur les textes littéraires et les passages demeurés incompréhensibles car trop techniques. Notons d’ailleurs qu’en retour, cet intérêt encyclopédique pour la littérature et le droit antique ne demeure pas hiératiquement isolé des préoccupations pratiques, ni imperméable aux exigences législatives contemporaines d’Alciat. Car, si ce qui fait la force d’une loi, c’est d’abord la précision de son énoncé et la délimitation exacte de sa portée et de ses implications, alors la clarté linguistique et l’identification philologique des mots favorisent des solutions juridiques plus cohérentes ou plus efficaces à des problèmes concrets soumis à la sagacité du jurisconsulte20.
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Alciat cependant ne blâme pas le latin obscur des anciens jurisconsultes au nom de l’efficacité sanctionnée par l’usage de leur expression. Voir C. Leveleux-Texeira et M. Bassano, « Alciat, le De uerborum significatione et la morphologie du droit » (note 4), p. 295.
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Sur cette superposition des propositions qui ne s’annulent pas les unes les autres dans le système d’interprétation d’Alciat, voir D. Osler « Alciat as Philologist » (note 6).
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De cette interférence permanente des savoirs et de ses conséquences, sous la bannière de la langue, nous donnerons un exemple parmi bien d’autres, anecdotique certes, mais révélateur. La lecture d’un passage de Pline l’Ancien, en éclairant le sens botanique exact du mot grec xylon, permet à Alciat de justifier la correction des formes corrompues sous laquelle un composé de ce mot est donné (erioxylon), ou de remplir le blanc qu’on lui a substitué dans un passage du Digeste. On peut du même coup rectifier la signification incohérente que lui avaient conférée les éditions antérieures et leurs gloses. Ainsi, dans les Praetermissa, livre 2, (Bâle, Guarino, 1582, t. IV, p. 272 F), Alciat commente un passage de la loi 32, §9 du livre 32 du Digeste intitulé De legatis et fideicommissis (l’exemple est cité de manière un peu laconique par P.-É. Viard, André Alciat (note 1), p. 275). La loi se propose d’examiner la proposition : Si cui lana legetur, id legatum uidetur quod tinctum non est, sed autofues, « Si l’on fait un legs de laine à quelqu’un, ce legs concerne un produit qui n’a pas été teint mais demeure à l’état brut ». La question va en réalité porter non seulement sur la teinture, mais également sur le fait que la laine a été filée, tissée ou constitue déjà un vêtement. Il faut également savoir quel type de produit l’on désigne sous l’appellation « laine » et la loi répond au § 9 (nous citons dans la version du Digeste donnée par Alciat) : Lana legata, etiam leporinam lanam, et anserinam, et caprinam credo contineri, et de lino [ligno Mommsen] quoniam ἔριον et Graeci lanam uocant [quam ἐριόξυλον id est, lanam ligneam, appellant Mommsen] que l’on peut traduire mot-à-mot : « la laine qui fait l’objet d’un legs comprend aussi, je crois, le poil de lièvre, le duvet d’oie, le poil de chèvre et la substance tirée du lin [Mommsen : bois], puisque les Grecs appellent la laine erion [Mommsen : que l’on appelle erioxylon c’est-à-dire la laine ligneuse] ». Comme le rappelle P.-É. Viard, les éditions du Digeste dont pouvait disposer Alciat, pour le mot grec erion, laissent un blanc ou proposent soit un amas informe de lettres grecs soit le mot grec ἔριον. P.-É. Viard note de plus que l’Infortiat vénitien de B. de Tortis (1495) comporte la leçon : quam eppuo Graeci liqueam lanam uocant, avec une mauvaise translittération du grec sous la forme eppuo et une mélecture de ligneam en liqueam (terme qui disparaît d’ailleurs dans la version retenue par Alciat). Alciat constate que le mot ἔριον est juste, car il est générique (ἔριον uero et caetera compraehendit) et s’applique donc au contexte général de la loi où il est employé. Mais, tout en concédant ce point, il déclare avoir lu dans des antiquioribus codicibus la leçon : et de ligno quam Graeci ἐριόξυλον uocant. Or c’est à Pline (NH, 19, 14) qu’Alciat renvoie pour confirmer cette lecture qu’il préfère visiblement aux autres21. Si l’on se reporte au passage plinien, on ne peut que constater la pertinence du rapprochement : le naturaliste antique déclare en effet qu’en Égypte du Nord, du côté de l’Arabie, pousse un arbrisseau appelé gossypion mais que la plupart des gens nomment xylon, « bois », et qui désigne en réalité le cotonnier, dont on fait des vêtements (xylina), car Pline précise que l’intérieur de son fruit donne une substance lanugineuse (lanugo) que l’on peut filer. La laine ligneuse ou erioxylon dont parle le texte du Digeste est donc tout simplement le coton. Mais on notera
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un point supplémentaire, sur lequel Alciat ne fait cependant aucune remarque tant le fait lui semble évident : dans la version de la loi citée par les Praetermissa, Alciat donne la leçon de lino « la substance qu’on tire du lin » et non de ligno, « la substance qu’on tire du bois / coton ». Or c’est précisément dans le même passage de Pline cité plus haut qu’on peut trouver une justification de cette leçon conservée par Alciat : pour Pline, le gossypion n’est qu’une des variétés du lin égyptien et il explique d’ailleurs que les xylina, les vêtements de coton, appartiennent à la catégorie plus vaste des lina, des vêtements de lin. Au terme de cette enquête philologique minutieuse, Alciat ne s’est nullement perdu dans un lointain Orient, mais il a permis de délimiter avec précision le champ d’application de la loi, puisqu’il appert que coton et lin relèvent également de la catégorie de ce que l’article du Digeste nomme lana et qu’à ce titre, ils doivent aussi être pris en compte dans le type de legs prévu : on mesure aisément que les conséquences économiques potentielles en étaient tout à fait considérables. Cette préoccupation constante pour l’exactitude linguistique et la conscience très claire des enjeux et des dangers de la polysémie permettent également de considérer comme complémentaires des pratiques littéraires ou intellectuelles d’Alciat qui pourraient apparaître opposées voire contradictoires, et qui constituent en réalité les deux manifestations d’une même modalité de pensée. Ainsi, alors que le De uerborum significatione tente d’établir les conditions d’une transparence maximale du processus linguistique au sein de la loi et, à cette fin, cherche à lever les ambiguïtés que le langage génère par ses impropriétés ou ses figures de style, rendant incertaines les intentions du locuteur et difficile l’interprétation que peut en faire le destinataire, la technique de l’emblème, en particulier lorsqu’il traite de manière sous-jacente de questions juridiques22, est au contraire de jouer sur la densité polysémique des termes ou des énoncés en la laissant intacte, et en l’associant aux ressources figuratives d’un objet symbolique. Le symbole draine en lui les résultats souvent complexes d’enquêtes minutieuses réalisées dans des champs scientifiques très différents (épigraphie, numismatique, philologie, histoire, étymologie, etc.) et qui trouvent dans l’image mentale, dans l’« iconique » un support qui assure leur congruence inédite. Cette épaisseur sémantique, favorisée par l’usage d’une langue poétique et d’une forme brève – l’épigramme –, préserve les différentes strates du sens et, dans un esprit souvent ludique, permet d’égarer les tentatives herméneutiques du lecteur. Aux antipodes du commentaire ou de l’annotation érudits qui déploient le sens (et qui ne manqueront pas de se développer autour de chaque emblème, dans de volumineuses éditions ou traductions du recueil), l’épigramme alciatique le resserre autour de la figure symbolique23, qu’elle décrit et interprète de manière allusive : en jouant sur l’ambiguïté intrinsèque du signe allégorique dont les sens pluriels ne s’épuisent jamais totalement, le texte emblématique, serti de multiples intertextes, parie sur la sagacité du lecteur exégète partageant une culture pluridisciplinaire et visuelle avec l’inuentor pour son décryptage complet. Nous prendrons pour exemple
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Voir les travaux de V. Wood Callahan et V. Hayaert cités note 4. Il ne s'agit pas de la gravure, mais bien de la composition symbolique (statue, peinture, geste, parole, objet) qui suscite l'épigramme et que la gravure reproduit parfois partiellement ou imparfaitement.
24 V. Hayaert, Mens emblematica (note 4), p. 151-152. 25 Parua lacerta, atris stellatus corpora guttis, / Stellio, qui latebras et caua busta colit, / Inuidiae prauique doli fert symbola pictus, / Heu, nimium nuribus cognita zelotypis. / Nam turpi obtegitur faciem lentigine quisquis / Sit quibus immersus stellio uina bibat. / Hinc uindicta frequens decepta pellice uino / Quam formae amisso flore relinquit amans (notre traduction rythmée) : « Petit lézard au corps constellé par de noires gouttes, / Le stellion, hôte des recoins et tombes creuses, / Offre, s’il est peint, un signe de haine et ruse fourbe, / Lui, hélas, trop connu des épouses jalouses. / Car de vilaines taches couvrent la face de quiconque / Consomme le vin où s’est noyé un stellion. / C’est là souvent vengeance : le vin a trompé la rivale, / Sa beauté s’est fanée et son amant la quitte ». 26 NH, 30, 89 : obseruant cubile eius aestatibus ; est autem in loricis ostiorum fenestrarumque aut camaris sepulchrisue. 27 NH, 29, 90 : est enim hic plenus lentigine. 28 NH, 29, 73 : fit enim e stelionibus malum medicamentum ; nam cum inmortuus est uino, faciem eorum qui biberint lentigine obduci. 29 Contrairement à ce que laisse entendre Alciat, Parerga, 1, 46 (Crimen stellionatus unde appellationem sumpserit) in Opera, Bâle, Guarino, 1582, t. IV, col. 314-315 : [quod animal male apud ueteres audiit] siue quod ex eo malum medicamentum fiat, quo mulieres decipiuntur : nam cum immortuus est in uino, faciem eorum, qui biberint, lentigine obducit ; ob hoc in unguento eum necant, si quae mulieres pellicum formae insidiantur, ut libro xxix. capite quarto idem [Plinius] attestatur. 30 ibid., col. 315 : An quia id animal uersus sit (ut canit Ouidius Metamorphoseon lib. v.) duri puer oris et
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l’emblème In fraudulentos, dont l’intérêt a été récemment souligné par Valérie Hayaert pour son lien avec le droit24. Nous nous intéresserons en particulier à l’extraordinaire concaténation symbolique qu’il suscite à travers des phénomènes linguistiques. La pièce évoque le stellion, petit lézard venimeux couvert de taches noires qui aime à vivre dans les cachettes et les creux des tombeaux. De la peinture de l’animal qui porte ces taches, Alciat fait le symbole de la haine et de la fourberie des épouses (nuribus) jalouses de la beauté des autres (zelotypis) car, rappelle-t-il, le stellion noyé dans du vin fait apparaître des taches sur le visage du buveur : offert à une rivale, le breuvage fane sa beauté et suscite le départ de son amant25. Le terme stellio est, bien entendu, au cœur du texte, où il apparaît deux fois. De manière attendue, les détails de la description de l’animal ou des usages qui en sont faits renvoient directement à Pline : sa vie dans les endroits sombres, lieux voûtés et tombeaux26, les taches de sa peau (comme suscitées par la noirceur des lieux qu’il habite)27 et celles que provoque par analogie sur la peau humaine l’ingestion du vin où il a été immergé28. Les termes lentigine et obtegitur sont empruntés au passage où Pline (NH, 29, 73) évoque le breuvage maléfique (malum medicamentum), bien que le naturaliste ne précise pas que ce sont les épouses jalouses qui réussissent par ruse à le faire absorber à leurs rivales pour les défigurer29. Mais la dimension phonétique même du mot a son importance et ouvre à l’intérieur du texte tout un système d’assonances avec d’autres vocables, qui crée une fausse parenté étymologique. Ainsi, stellio est mis en relation avec l’adjectif stellatus, « étoilé ». Associé à la formule atris guttis, le terme stellatus est une allusion directe à un intertexte ovidien (Met., 5, 461 : aptumque colori / Nomen habet uariis stellatus corpora guttis), qui sert d’étiologie, de caution onomastique et qu’Alciat cite dans ses Parerga : Déméter, raconte Ovide, offensée par un enfant qui se moquait de sa gloutonnerie alors qu’elle buvait du vin mêlé d’orge, lui aurait lancé la liqueur qui l’aurait marqué sur tout le corps, avant de le transformer en lézard30. Mais dans stellatus, on entend aussi le terme stella, astre lumineux :
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devenu ici tache sombre, il renvoie à l’univers oxymorique de la magie noire. L’épouse, transformée en sorcière aux vindicatifs desseins, règne sur un univers conjugal déréglé qu’elle veut ramener à la norme par un breuvage magique, qui réussira à éloigner l’époux de sa maîtresse (et, par conséquent, à le ramener auprès de sa femme légitime). La concaténation symbolique, parfaitement arbitraire, s’appuie donc sur un réseau de transpositions et d’analogies visuelles, phonétiques et sémantiques : le vin jeté par Déméter offensée et le venin du lézard deviennent le vin empoisonné versé par l’épouse jalouse ; les taches noires du lézard (atris a remplacé le uariis ovidien) fonctionnent bien sûr comme un signe mnémonique analogique de la uindicta (les taches suscitées sur la peau de la maîtresse), mais l’important est ici la couleur noire, qui, associée au caractère cavernicole de l’animal, transcrit allégoriquement le double trait de cette uindicta : la noirceur des sentiments qui l’inspirent (l’inuidia31) et la ruse dissimulatrice qu’elle suppose (prauus dolus), puisque le stellion se dissimule dans les anfractuosités. Or ce sont ces deux aspects (haine et dissimulation), qui font basculer l’emblème du côté juridique, par l’intermédiaire d’un troisième paronyme, qui vient compléter la séquence stellio / stellatus, et, de manière plus lâche, stella : comme Valérie Hayaert l’a judicieusement rappelé32, le commentaire de Claude Mignault fait référence à un chapitre précis des Parerga (1, 46), où Alciat décrit le crimen stellionatus d’après Ulpien (Dig., 47, 20 ; Cod. 9, 34) : il s’agit d’un crime qui consiste à vendre ou engager frauduleusement quelque chose qui ne nous appartient pas ou qui est déjà hypothéqué, mais également « tous les faits d’escroquerie et d’abus de confiance qui ne tombent pas sous l’application d’une disposition positive et précise du droit pénal »33. Toutefois, le propos de Mignault reste imprécis et il faut saisir ce qui se cache derrière le crimen stellionatus. L’emblème, croyons-nous, renvoie non pas à la première mais à la deuxième catégorie d’actes tombant sous le coup du stellionat : l’abus de confiance conduisant par ruse à la mise en danger, voire à la mort de la personne trompée (mort à laquelle nous préparent les caua busta où erre le stellion). C'est exactement le crime dont se rend coupable l'épouse délaissée lorsqu'elle fomente la ruse qui doit perdre la maîtresse qui lui a été préférée. L'épigramme emblématique nous en propose une imago agens, une image de mémoire. À travers le portrait peint (pictus) du lézard venimeux, à la peau constellée et qui audax ? Vnde et impudentiae est symbolum, Graeceque dicitur ἀσκάλαϐης, quia sit ἀσκελὴς τῆς ἀφῆς id est contactu asper et durus. 31 Le stellion est d’ailleurs appelé par Pline inuidus « plein de haine » (NH, 30, 89), car il dévore la peau de sa mue, la soustrayant à l’usage médical que l’homme peut en faire pour traiter l’épilepsie. Voir Alciat, Parerga (note 29), 1, 46, col. 315 : [quod animal male apud ueteres audiit] siue quia inuidum (cum enim eodem quo anguis modo pellem exuat, eam confestim deuorat, tanquam utilem esse pro comitialis morbi remedio norit, idcircoque hominibus praeripiat, ut Plin. lib. viii cap. xxxi attestatur). 32 V. Hayaert, Mens emblematica (note 4), p. 152-153 33 L. Beauchet, art. « stellionatus » dans Ch. Daremberg et E. Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Paris, 1877-1919, t. IV-2, p. 1507. Voir Alciat, Parerga (note 29), 1, 46, col. 314 : Stellionatus […] conceditur ubicunque titulus criminis deficit, ut sicut cum ciuiliter agimus, ob fraudem uel calliditatem quamcunque, de dolo actione experimur, ita criminaliter stellionatus iudicium nobis succurritur, « L’accusation de stellionat […] est accordée chaque fois que le titre d’accusation n’existe pas ; par exemple, de même que lorsque nous intentons un procès civil, suite à une quelconque fraude ou à une ruse, nous pouvons faire valoir nos droits grâce à la procédure sur le dol, de même, en matière criminelle, le jugement de stellionat vient à notre rescousse ».
Motifs encomiastiques : l’exemple de Jean Second et d’Achille Bocchi Que ses contemporains aient eu conscience de la rupture que constituaient les méthodes d’Alciat, on ne saurait douter : il n’est qu’à lire la longue liste des éloges qui lui sont consacrés et qui le célèbrent comme juriste, comme poète (comme auteur des Emblemata et traducteur de l’Anthologie), ou comme les deux à la fois35. En matière d’usage et d’invention symbolique, Alciat fait également figure d’autorité aux yeux de ses lecteurs, dans la mesure où les Emblemata réitèrent de manière exemplaire, et sous une forme éditoriale ressentie comme nouvelle, des pratiques allégoriques empruntées à la culture antique et en harmonie avec l’engoûment pour le langage dit « hiéroglyphique » à la Renaissance. On citera l’exemple de Francesco Calvo, l’éditeur milanais du Pro sacerdotum barbis de Pierio Valeriano en 1531, qui rédige pour la parution de ce volume une épître dédicatoire à Alciat (la première édition des Emblemata a lieu en février 1531). L’épître de Calvo a sans aucun doute pour but d’attirer l’attention de l’auteur des Emblemata sur le travail encyclopédique d’inventaire du savoir symbolique antique que mène alors Valeriano dans ses Hieroglyphica : l’éditeur se montre pleinement conscient de la parenté profonde qui unit, sous la bannière de l’allégorie, ces genres en apparence opposés que constituent le recueil poétique de brèves épigrammes ecphrastiques et la copieuse miscellanée en prose. Or cela n’est guère étonnant. Calvo en effet connaît parfaitement le projet emblématique alciatique dès 1523, comme le montre une lettre devenue fameuse, datée du 9 janvier36, qu’Alciat lui
34 Alciat, Parerga (note 29), 1, 46, col. 315 : Qua ex causa uerisimile est, primo proditum id iudicium, « selon toute vraisemblance, c’est pour cette raison (défiguration de la maîtresse par un stellion macéré dans du vin versé par l’épouse jalouse) que, pour la première fois, cet arrêt concernant le stellionat passa à la postérité ». Voir l’article de George Hugo Tucker dans le présent volume. 35 36 Voir Roberto Abbondanza, « A propositio dell’epistolario dell’Alciato », Annali di storia del diritto, 1957, p. 467-500 (ici p. 481), corrige avec raison la date du 9 janvier 1522 donnée par Barni : « La quale pertanto va con ogni probabilità datata 9 gennaio 1523 ».
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vit caché, véritable support allégorique, Alciat décline et agrège tout un univers cohérent construit de manière très efficace par le langage, ses imprécisions, ses symétries illusoires : les étoiles sombres de la magie noire et du poison ; la vision pessimiste du mariage qui suscite adultère et haines vindicatives ; la vision hideuse d’un visage féminin défiguré. Face à tant de noirceur, le cadre juridique qui décrit ces débordements, par la seule lumière de la dénomination (stellionat), les font sortir du secret où ils prospèrent et en circonscrivent les effets négatifs. De plus, du cœur de cet univers fantasque surgit l’Histoire, de l’aveu même d’Alciat : car, nous dit-il ailleurs, dans un passage des Parerga qui constitue un précieux mais indirect commentaire à l’emblème, c’est précisément l’empoisonnement de la maîtresse du mari par une épouse légitime qui a sans doute constitué le premier cas historique d’application du jugement de stellionat34 et on ne saurait oublier que notre avocat eut à connaître d’un cas de sorcellerie dans l’un de ses premiers procès.
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adresse, et où le juriste lui explique la nature particulière du recueil d’épigrammes qu’il a composé37. Les pièces sont « allégoriques », au sens large de l’hyponoia antique38, c’est-à-dire qu’elles associent, par le biais de l’énoncé poétique, l’évocation d’un motif iconique offert à la représentation (aliquid describo), tiré de l’histoire ou de la nature (ex historia uel ex rebus naturalibus39), et la suggestion d’un contenu mental, d’une signification cachée et raffinée s’harmonisant heureusement, bien qu’arbitrairement, avec la configuration visuelle de ce motif-support (aliquid elegans significet). Mais l’emblème comme genre littéraire se voit aussitôt assigner par Alciat une finalité à la fois technique, esthétique et sociale40, à travers deux rapprochements significatifs. La mention de scuta, d’« écussons » et d’insignia, d’« insignes »41, place l’épigramme emblématique en rapport avec l’art de l’incrustation ornementale (emblema désigne une pièce de marquetterie, une incrustation ou une greffe,
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G. L. Barni (éd.) : Le Lettere di Andrea Alciato giureconsulto, Florence, 1965, no24, p. 46 (nous traduisons) : His saturnalibus, ut illustri Ambrosio Vicecomiti morem gererem, libellum composui epigrammaton, cui titulum feci Emblemata : singulis enim epigrammmatibus aliquid describo quod ex historia uel ex rebus naturalibus aliquid elegans significet, unde pictores, aurifices, fusores id genus conficere possint quae scuta appellamus et petasis figimus, uel pro insignibus gestamus, qualis anchora Aldi, columba Frobenii et Calui elephas tam diu parturiens, nihil pariens, « Au cours des Saturnales, pour faire plaisir à l’illustre Ambrogio Visconti, j’ai rédigé un petit recueil d’épigrammes auquel j’ai attribué le nom d’Emblèmes : car, dans chacune des épigrammes, je décris un motif qui, tiré de l’histoire ou bien de la nature, soit capable de livrer un sens raffiné, et d’où les peintres, les orfèvres et les fondeurs puissent fabriquer ces sortes d’objets que nous appelons écussons et que nous fixons à nos couvre-chefs, ou bien que nous portons en guise d’insignes, comme l’ancre d’Alde, la colombe de Froben et l’éléphant de Calvo, dont la gestation est si longue mais qui n’accouche de rien ». Sur ce texte, voir les analyses citées note 4 de H. Miedema, « The term emblema in Alciati » ; Id., « Alciati’s Emblema Once again » ; C. Balavoine, « Archéologie de l’emblème littéraire » ; Ead., « Les Emblèmes d’Alciat : sens et contre-sens » ; Bernard Scholz, « Libellum composui epigrammmaton cui titulum feci Emblemata ». Voir également P. Laurens, « L’invention de l’emblème par André Alciat et le modèle épigraphique : le point sur la recherche », Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles lettres, 149/2, 2005, p. 883-910, en particulier p. 885-886. Sur ce terme, voir l’étude toujours incontournable de J. Pépin, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, 1976 (19581), p. 85. C’est-à-dire à la fois les productions de la nature (plantes, animaux, minéraux, phénomènes naturels, éléments, etc.) mais aussi les « récits » tirés de l’histoire et rapportant des situations, des faits, des gestes, des paroles, des objets, des monuments et artefacts, etc. Peut-être ne faut-il pas prendre entièrement au pied de la lettre cette profession de foi finaliste et utilitariste et, dans ce cas, on pourrait plutôt y voir un artifice rhétorique de captatio beneuolentiae, qui permettrait à un auteur qui a terminé son recueil de préparer son lectorat à la singularité de ce qu’il va découvrir, et d’anticiper sur ses réactions en donnant l’impression qu’il fait quelque concession à une mode très en vogue, celle de la devise : si le livre ne suscite pas le plaisir et l’étonnement attendus, il aura au moins le mérite de servir à fabriquer autre chose. Voir C. Balavoine, « Les Emblèmes d’Alciat : sens et contre-sens » (note 4), p. 143 (discussion à propos du terme scuta) : « Pour moi, c’est une concession à la mode des imprese, une “ retombée ” : en plus, on pourra se servir de l’emblème pour telle ou telle chose, mais je ne suis pas du tout persuadée qu’Alciat ait écrit ses emblèmes dans cette perspective. Il travaille sur des sources littéraires : c’est un travail typique d’humaniste ». Dans la dédicace en cinq distiques du recueil d’emblèmes de 1531 adressée à Conrad Peutinger, Alciat reprend l’idée d’une finalité artisanale et ornementale de l’emblème (préparée par la métaphore traditionnelle de l’écriture poétique comme travail métallurgique : cf. v. 3 : Emblemata cudimus) d’où l’on pourrait tirer les signes à mettre sur les vêtements (uestibus) et sur les chapeaux (petasis). On pense aussi à l’art de la médaille. Mais à nouveau, il associe implicitement cet objectif concret à l’art répandu de la devise et à son langage symbolique : Et [ut] ualeat tacitis scribere quisquis notis, « afin que chacun réussisse à écrire des messages grâce à des signes silencieux ». Voir C. Balavoine, « Archéologie de l’emblème littéraire : la dédicace à C. Peutinger » (note 4).
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H. Miedema, « The term emblema in Alciati » (note 4), en part. p. 239-241, rappelle que le terme emblema désigne, dans l’Antiquité, deux réalités très différentes. L’une, concrète, signifie le tesson de mosaïque qui sert à dessiner une figure d’ensemble, ou la pièce de métal ou la pierre précieuse que l’on ajoute pour décorer un vase et que l’on peut retirer à sa guise pour la placer ailleurs. Un sens encore plus technique est celui de la greffe, par laquelle on insère ce qui est urbanum, cultivé, dans ce qui est siluestrum, sauvage. Le second sens, métaphorique et dérivé du premier, appartient à l’art oratoire et désigne la couleur bigarrée (uermiculatum, à l’instar d’une mosaïque) que prête au discours l’insertion d’ornamenta qui amplifient la portée et la valeur des propos principaux, et les font briller et scintiller (ou au contraire rendent la ligne de parole discontinue et confuse). D’où la définition que donne Miedema de l’emblème (p. 241) : « An emblem is an epigram in which something specific is described in such a way as to give an additional meaning (significet) to a pleasant, but fortuitous fact or phenomenon ; or : in such a way that what is described comes to indicate something else and thereby itself acquires a pleasing moral ». Voir aussi D. L. Drysdall, « Préhistoire de l’emblème » (note 4), qui insiste en particulier sur le sens juridique d’emblemata, c’est-à-dire les gloses insérées dans le corpus principal ; et V. Hayaert, Mens emblematica (note 4), p. 111-148. Sur ce lien, voir C. Balavoine, « Les Emblèmes d’Alciat : sens et contre-sens » (note 4), p. 54. ibid., p. 54. C. Balavoine, ibid., p. 53, rappelle qu’Alciat se sert d’un adage d’Érasme pour inventer cette marque et stigmatiser ainsi la lenteur de son éditeur. Le rapprochement est suggéré par C. Balavoine, ibid., p. 54.
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au sens plastique, botanique et rhétorique42) d’où elle tire étymologiquement son nom (l’emblème comme pièce poétique qui décrit des emblemata). L’épigramme emblématique est également associée, sur le modèle très en vogue de la devise43, à la présence implicite d’un porteur dont elle propose de dire ingénieusement – par l’intermédiaire d’un signe symbolique plus ou moins complexe – une qualité essentielle ou au contraire une propriété accidentelle44. Prenant l’exemple de l’ancre d’Alde, de la colombe de Froben et, bien sûr, de l’éléphant de Calvo (dont il évoque malicieusement la lente gestation mais l’accouchement infructueux45), Alciat semble donner à son recueil le rôle d’être une sorte de répertoire ou de catalogue de signes symboliques et de leurs possibles significations, tirés essentiellement de l’Antiquité et qui s’adresse aux peintres, orfèvres ou fondeurs, afin qu’ils puissent en garnir les écussons à chapeau et en faire des insignes qui se portent et s’exhibent : en offrant à la curiosité d’autrui le spectacle d’un objet figuré, le porteur révèle un aspect de soi sur le mode de l’énigme et du cryptage, vérifie que son interlocuteur partage avec lui une culture intellectuelle commune et lui permet le plaisir de la découverte. N’est-ce pas précisément la trajectoire qu’Alciat entend offrir aux lecteurs de ses textes ? Valeriano ne procède guère différemment46 lorsque, par le biais de l’épître dédicatoire qui ouvre chacun des livres des Hieroglyphica, il place l’animal, la plante ou l’artefact, dont le livre examine en premier les sens symboliques, sous la protection d’un destinataire pour qui l’objet peut évoquer un trait de la personnalité, un évènement biographique, une prédilection ou tout simplement le nom de famille, trouvant là une sorte d’ingénieuse application particulière, en relation avec l’histoire : la colombe pour Vittoria Colonna (livre 22) pour faire l’éloge de son veuvage et de sa piété évangélique ; une tortue et des crustacés pour Livio Podocatharo (livre 28), parce qu’il est archevêque de Nicosie, capitale de l’île de Chypre, qui vit naître Vénus, et que le prélat est très gourmand ; les mains pour le médecin Giovanni Manardo (livre 35), car – étymologiquement – la caractéristique du « chir-urgien » est précisément de
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se servir de la main (cheir en grec) pour soigner ; des poissons pour Paolo Giovio (livre 30), qui vient de publier un traité sur les poissons de l’Antiquité ; l’abeille et le miel (mel) pour Pietro Mellini (livre 26), qui se flatte de surcroît d’être poète ; le chêne (robur) pour Girolamo della Rovere (livre 51), qui en porte un dans les armes familiales ; le cœur (cor) pour Sebastiano Corrado (livre 34), à cause de son nom qui, en latin, signifie « je purifie mon cœur », etc. Cette cohérence flagrante des pratiques n’avaient pas échappé à Calvo. Au-delà de l’appareil épidictique, il est intéressant d’observer qu’au sein de l’œuvre d’un même auteur ou, plus largement, d’un auteur à l’autre, certains points invariants ou d’évidentes continuités thématiques persistent pour dire, souvent à travers le mythe et ses images, la réalité essentielle de cette nouvelle façon d’appréhender le droit, la littérature et l’Antiquité que proposait le juriste milanais et l’autorité qu’elle lui conférait de facto. Nous prendrons là encore quelques exemples significatifs, mais d’autres seraient possibles. Dans l’une de ses épigrammes datée de 1532 et adressée à Alciat (il lui dédiera également les élégies 3, 6 et 3, 9), le poète néo-latin Jean Second (1511-1536)47 recourt à la mise en scène de personnifications mythologiques, si courantes à la Renaissance, et imagine que l’université de Bourges, pendant les cours d’Alciat, devient un temple réservé à deux divinités, Mercure et Astrée. Variante originale de l’Hermathéna cicéronienne qui manifestait l’association entre Éloquence et Sagesse, les deux dieux qui composent cette Hermastrée sont ici unis par les liens du mariage, comme l’avait imaginé Martianus Capella pour Mercure et Philologie : le malicieux Mercure se fait de manière attendue le dieu du logos et de l’oratio, patron de l’éloquence nourri aux meilleurs sources littéraires, tandis que la sévère Astrée, déesse de la Iustitia liée à la constellation de la Vierge, vient rétablir l’ordre des lois et fait refleurir, dans cette enclave privilégiée de l’université de Bourges, échappée aux tourments de l’Âge de fer, les privilèges de l’Âge d’or. Les domaines d’influence de chacun des deux dieux se complètent et se limitent : Astrée perd son austérité pour goûter aux joies de la festiuitas rhétorique, tandis que Mercure est invité, par la présence à ses côtés de la gardienne de la justice et de la loi, à dépouiller ses pensées et son langage des ruses trompeuses dont il sait faire preuve lorsqu’il est le protecteur des mar-
47 Voir Epigr. 1 : In scholam Bituricensem in qua Andreas Alciatus leges ciuileis interpretabatur dans Jean Second, Opera, Utrecht, 1541, H. Borculoüs (rééd. Nieuwkoop, B. de Graaf, 1969), sans pagination (notre traduction) : « Qui donc siège en ce temple ? Dieu ? Déesse ? Le dieu du Cynthe / Ébranle alors mon âme d’un respect inconnu ! / Et voici que des vers, sans mal, surgissent sur mes lèvres. / Qui loge ici, dieu ou déesse, est bien divin ! / Une déesse, un dieu puissants gardent ce sanctuaire. / La déesse ? Mais celle qui, du ciel, revient tard / Et qui pèse un prix juste aux bons, point injuste aux méchants. / Le dieu ? Celui qui d’un pied ailé prend la route, / L’Arcadien, fils d’Atlas, descendant du grand Jupiter : / Son pouce chantant fait sonner l’ivoire souple. / La déesse juste a pu quitter le ciel pour fouler / À nouveau les routes ensanglantées du monde ? / Celle qui, jadis, par peur, a fui le berceau des crimes, / S’attaque maintenant, hardie, aux maux anciens ? / La vierge a bien laissé le ciel, mais à la condition / Qu’elle puisse voyager guidée par Mercure. / Elle partit, fixa d’abord ici ses pas timides / Où elle règne, unie à son guide fort disert : / Sur un mode nouveau, les décrets de son âme austère / Se parent des dons d’une éloquence enjouée ». Voir aussi, pour cette épigramme et celle que nous citons infra, nos analyses dans Anne Rolet, Stéphane Rolet, Werner Gelderblom (éd.) : J. Second, Epigrammata, dans Perrine Galand et Max Van der Poel (dir.) : Jean Second, Œuvres complètes, à paraître chez Droz. Voir aussi Anne Rolet, Stéphane Rolet, s. v. « Second, Jean » dans B. Méniel (dir.), Écrivains juristes et juristes écrivains, du Moyen Âge au siècle des Lumières, à paraître chez Klincksieck.
48 Voir Epigr. 58 : In laudem Andreae Alciati, cum urbem Bituricensem procul adueniens primum adspiceret (notre traduction) : « Tours de Bourges et vous, remparts consacrés aux Camènes, / Salut ! D’un autre monde au loin, à vous, je suis venu, / Là où le grand Alciat, après tant d’années, le premier, / Les décrets de son art austère, à la lyre des Muses, / Accorde, et l’antique Solon à la vie ressuscite ». 49 Voir Epigr. 48 : Ad Marcantonium Caimum (notre traduction) : « Courage, jeunes âmes, c’est ainsi qu’on s’élève au ciel ! / Digne de sa demeure, admis à bon droit au sanctuaire / Secret du grand Alciat, tu seras la seconde gloire / D’une glorieuse école, tant là où le soleil, hors des eaux, / Tire son char que là où il plonge ses rênes fumantes. / Avance donc, disert Caimo, sur les voies qui sont tiennes, Et veille au nouvel exemple d’un maître prestigieux : / Dans le parler de Rome, il restaura les lois de Rome, / Qui avaient presque oublié leur langue ancestrale (ô crime !). / Le premier, il les ramena d’une contrée lointaine /— Où elles endurèrent mille ans l’exil de leur patrie / Dans une ignoble barbarie —, jusqu’en leur sol natal, / Dans l’antique Latium, et en leur Ville souveraine ».
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chands et des voleurs. L’amour qui unit les deux divinités signale la réconciliation des disciplines qu’ils patronnent et qu’Alciat enseigne alors, inspiré par le couple divin qui veille sur lui et dont il est, en quelque sorte, l’enfant ou le protégé. L’association entre deux dieux dont les pouvoirs s’harmonisent ou se corrigent mutuellement, traditionnelle en Grèce et à Rome sur les autels ou à l’entrée des gymnases, rend en outre ici hommage à la configuration symbolique qu’Alciat choisit pour l’emblème Illicitum non sperandum (voir aussi In simulacrum Spei) : la présence conjugée de Spes et de Némésis (proche d’Astrée), empruntée à une épigramme anonyme de l’Anthologie grecque (9, 146 = Plan., Ia, 24, 3) invite à maintenir ses espoirs (et désirs) dans la limite de ce qui est permis par la déesse de Rhamnonte. Dans une autre épigramme où Second rend un épique hommage en hexamètres dactyliques aux tours de Bourges, qu’il aperçoit de loin au moment de son arrivée48, la mythologie se mêle à l’histoire pour chanter, une nouvelle fois, la réconciliation des disciplines : Alciat est célébré pour avoir réussi à associer l’austérité du droit à la lyre des Muses et devient lui-même un autre Solon, juriste modèle qui, en son temps, avait uni harmonieusement activités législatives et expression poétique. Dans l’épigramme 48, adressée à Marcantonio Caimo49, originaire de Milan, élève d’Alciat et condisciple de Second pendant son séjour à Bourges, Second loue Caimo d’être la seconde gloire de l’université – il prendra d’ailleurs la succession d’Alciat à Bourges – et l’invite à suivre l’exemple de son maître Alciat qui a restauré les lois de Rome dans la langue de Rome. À la complémentarité disciplinaire, Second ajoute le motif géographique et politique de la translatio studiorum entre la France et l’Italie : la science juridique romaine, en exil en France, terre barbare, va enfin pouvoir revenir dans son berceau ancestral, dès qu’Alciat, enseignant à Bourges, regagnera sa patrie italienne. Mais le motif de l’Âge d’or est à nouveau discrètement suggéré. L’évocation métonymique de Rome et du Latium pour renvoyer à l’Italie rappelle le lieu commun étymologique qui fait du Latium le lieu exclusif où l’Âge d’or se serait perpétué : Saturne, exilé après que Jupiter l’eut destitué du trône des Olympiens, aurait fait subsister cet âge florissant en cette contrée, pour remercier les habitants de lui avoir permis de s’y cacher (latere) afin d’échapper à la vindicte de son fils (cf. Virg., Énéide, 8, 322-323). Dans le poème de Second, l’université de Bourges devient une sorte de Latium d’exil, où Alciat-Saturne a maintenu un âge d’or des lois justiniennes, avant de leur permettre de revenir dans le véritable Latium, c’est-à-dire l’Italie tout entière. Enfin, l’épigramme 23 de
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Second, dédiée elle aussi à Alciat50, raconte comment, en février 1533, au moment du carnaval, Second et son frère Hadrianus Marius se rendent en pleine nuit chez Alciat, déguisés en Lune et en Soleil, pour fêter l’obtention de leur licence. Cette visite nocturne s’apparente à une mise en scène à l’antique de l’immortalité astrale pour célébrer leur maître, puisque l’apparition conjointe des deux astres constitue, chez Horapollon comme sur les sarcophages romains, un symbole d’éternité51. Or cette mise en scène cosmique et astrologique trouve un singulier corrolaire dans l’emblème 40 qu’Achille Bocchi dédie à Alciat, qualifié d’optimus amicorum, dans ses Symbolicae Quaestiones, parues en 1555 avec des gravures dues à Giulio Bonasone52 : un magnifique soleil apparaît sur la gravure de la pièce en question. Bocchi, rappelons-le, est lecteur de grec au Studio de Bologne depuis 1508. Alciat, son cadet de quatre ans, se trouve dans la ville entre 1511 et 1514, années durant lesquelles il suit, entre autres, les cours du juriste Carlo Ruini, à qui Bocchi dédie le Symbolum 146. C’est probablement à ce moment là que Bocchi compose ce poème de compliments qui rappelle le ton d’un liber amicorum, et qui prendra plus tard la forme d’un emblème. Dans cette pièce, un narrateur pose la quaestio suivante : « Pourquoi les hommes sont-il possédés par l’amour du Beau ? ». C’est Aristote qui permet d’apporter la réponse : « c’est une question d’aveugle »53, signifiant que l’évidence lumineuse de la beauté échappe au raisonnement et s’impose aux yeux. Le narrateur s’adresse alors à Alciat et confirme l’expérience sous la forme dialogique, mais en l’appliquant aux talents intellectuels du dédicataire : « Pourquoi l’amour de ta vertu me possède-t-il tant ? / Qui le demandera, sera, pour moi, aveugle ». Pour illustrer le propos, la gravure (fig. 1), réalisée par Giulio Bonasone, montre deux personnages. Celui de droite, appuyé sur un bâton, les yeux fermés, le dos tourné à la lumière, incarne le caecus, celui qui ne fait pas usage de ses yeux pour regarder la beauté et la comprendre. Face à lui, sur la gauche de l’image, le personnage d’Aristote tente de traduire sous forme de gestes le contenu de sa pensée : les deux doigts de sa main droite désignent les yeux clos de son compagnon, pour signaler leur cécité, tandis que l’index de sa main gauche pointe vers le haut et vers l’immense soleil qui jette ses rayons dans la partie supérieure de l’image, métaphore du bien, du beau et de la vertu, que l’on ne peut voir qu’avec les yeux de l’âme ou de l’intellect. Une citation de Properce (2, 15, 12 : « les yeux sont guides en amour ») vient faire écho à celle d’Aristote. Comment dire plus joliment, avec Aristote, Properce, et en arrière-plan, Platon et Ficin, la fascination que le talent d’Alciat (cette uirtus-virtù propre au uir, à l’homme d’exception, au héros) exerçait sur ses contempo-
50 Voir Epigr. 23 : Ad Andream Alciatum cum ipse et Hadrianus Marius frater personati, figura Solis ac Lunae, noctu ad eum uenissent (notre traduction) : « Voici Phébus doré, voici sa sœur d’argent, Phébé, / Joignant leurs feux divers dans la nuit silencieuse. / Les dieux de la clarté t’accordent cet honneur, Alciat, / Dont l’honneur vivra dans l’éternelle clarté. / Tu t’étonnes, par nuit noire, que Phébus vienne à toi ? / Aux antipodes, il entendit tes louanges ! ». 51 Horapollon, Hieroglyphica, 1, 1 : « Pour représenter l’éternité, ils écrivent le soleil et la lune, car ce sont là les principes éternels » ; F. Cumont, Le Symbolisme funéraire des Romains, Paris, 1966, en particulier ch. 1, « Les deux hémisphères et les Dioscures ». 52 Sur ce recueil, voir la liste en ligne des études publiées par A. Rolet (http://lamo.univ-nantes.fr/CVAnne-Rolet) et surtout, son édition du texte à paraître chez Brépols, ainsi qu’E. See Watson, Achille Bocchi and the Emblem Book as Symbolic Form, Cambridge, 1996. 53 cf. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, 5, 120.
Fig. 1. - Achille Bocchi, Symbolicarum quaestionum… libri quinque, Bologne, 1555, symb. 40. Glasgow University Library.
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rains, comme une sorte d’évidence incoercible de l’intelligence (le soleil du beau !) ? Cette évidence, chacun, nous dit Bocchi, pouvait la constater au contact du génie alciatique, du moins si les yeux de son âme ou de son intellect étaient capables de lui en rendre compte. On saisira l’abîme qui sépare cette glorieuse célébration du récit que Giacomo Mandello, un collègue d’Alciat à Pavie, fit à Boniface Amerbach de la mort du juriste dans la nuit du 11 au 12 janvier, après moult excès de table en tout genre, au milieu d’une grave crise de sa foi religieuse et des atteintes de ce qui a tout l’air d’une profonde dépression. Ce récit est surprenant, même si l’on connaît par ailleurs les inquiétudes souvent fondées qu’ont pu susciter à Alciat, pendant toute sa vie et sa carrière professionnelle, la jalousie de ses concurrents, l’obsession de sa rémunération, les lieux de son recrutement et ses démêlés avec le pouvoir, l’édition de ses œuvres, autorisée ou non : Je ne tairai pas le fait qu’Alciat est mort non pas, comme dit l’adage, en donnant le meilleur de lui à la fin, mais bien le pire. Oui, cet homme, dans ses dernières années, était tenu par une passion si forte de boire et de manger que, faisant fi de toute mesure, il affirmait que tout ce qui lui faisait vraiment plaisir lui était en même temps permis. Ce qui eut pour résultat qu’à force de gloutonnerie et de goinfrerie non seulement il se fit mourir, mais qu’il donna même l’impression d’avoir décidé depuis longtemps qu’il le ferait. De plus, ce qui aggrave la situation, c’est qu’au moment de quitter le monde des vivants, il donna des signes fort clairs qu’il était étranger à la foi chrétienne54.
* La célébrité d’Alciat a été suivie d’une longue période d’éclipse, à laquelle l’enquête magistrale d’Henry Green met un terme au début des années 1870, lançant les études alciatiques modernes. On constatera toutefois que, malgré la vitalité des études emblématiques contemporaines qui lui sont consacrées et l’intérêt que lui ont porté les historiens du droit de notre temps, Alciat est longtemps demeuré moins familier du public non spécialiste que certains de ses illustres correspondants, tels Érasme ou Budé. Remettant en pleine lumière cette figure importante de l’humanisme, un colloque international spécifiquement consacré à Andrea Alciato, umanista europeo, s’est tenu du 7 au 9 mai 1993 à Alzate Brianza (hôtel Villa Odescalchi) et à Côme (bibliothèque communale), en l’honneur du cinquième centenaire de sa naissance, tandis que Monika Grünberg-Dröge avait organisé une exposition sur le même sujet à Bonn en 199255. Le colloque d’Alzate s’était organisé en cinq sessions thématiques (droit, philologie, épigraphie, histoire européenne, emblématique) afin
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Voir Alfred Harmann, Beat Rudolf Jenny (éd.), Die Amerbachkorrespondenz, Bâle, 1542-, t. IX /1, no3665, l. 52-60 (notre traduction) : Illud unum minime reticebo, decessisse Alciatum non (ut in Adagio est [cf. Érasme, Adagia, 1, 3, 38) posterioribus melioribus, sed plane deterioribus. Is siquidem prostremis aetatis suae annis tanto edendi bibendique desiderio tenebatur, ut nulla ratione adhibita quicquid ualde libuisset, idem sibi licere assereret. Quo factum est, ut ea edacitate atque ingluuie non tantum sibi mortem consciuerit, sed et se ita facturum longe pridem statuisse uisus sit. Deinde illud grauis, quod e uiuis excessurus non mediocriter se a Christiana religione alienum esse indicauit. Le passage est cité par B. R. Jenny, « Andrea Alciato e Bonifacio Amerbach : nascita, culmine e declino di un’amicizia fra giureconsulti », Periodico della società storica Comense, 61, 1999, p. 83-99, ici p. 99. Voir Monika Grünberg-Dröge, 500 Jahre Andreas Alciatus (1492-1550), Jurist, Humanist, Emblematiker (catalogue de l’exposition, 8/5-15/8 1992), Bonn, Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität, 1992.
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Consultable en ligne à l’adresse suivante : . Voir les bibliographies en ligne mentionnées infra dans notre mise au point sur la vie et les œuvres d’Alciat.
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de montrer les facettes et les compétences multiples d’Alciat, ainsi que l’influence considérable qu’il a exercée sur ses contemporains, parallèlement au succès du Liber Emblematum. Une partie des communications, éditée par Denys Drysdall dans le numéro 9/2 de la revue Emblematica de 1995, s’est intéressée non seulement aux emblèmes, mais aussi à d’autres textes d’Alciat moins connus, le De singulari certamine, le Contra uitam monasticam, le De uerborum significatione, et s’était penchée également sur les relations entre Érasme et Alciat ou Aurelio Albuzio et Alciat. Une autre partie cohérente, qui s’organisait en particulier autour d’un noyau épigraphique, en relation avec les pratiques culturelles et historiques du Milan des Sforza, a été publiée dans le numéro 61 du Periodico della Società Storica Comense de 1999. Enfin, Francesco di Ciaccia a publié sa conférence « Il pensiero teologico di Andrea Alciato » dans la revue en ligne Literacy, 6, 201256. C’est dans la filiation de cette manifestation pluridisciplinaire fondatrice que, vingt années plus tard, nous souhaiterions inscrire le présent ouvrage, avec l’espoir qu’il constituera à son tour le modeste prélude à d’autres manifestations et volumes collectifs à venir sur cet auteur de première importance. Il n’était pas possible, dans les limites imposées par un seul ouvrage, d’embrasser l’ensemble de la production alciatique ni de rendre compte de toutes les pistes denses et fructueuses ouvertes par la recherche contemporaine sur Alciat57. Ce livre s’articule autour de l’idée essentielle de concaténation des savoirs, en relation avec la notion de mobilité géographique et intellectuelle à travers toute l’Europe qui caractérise beaucoup d’humanistes de la première moitié du xvie siècle et qu’Alciat illustre de manière exemplaire. Les textes que nous proposons ici se sont regroupés de manière naturelle en cinq thématiques générales. La première partie, intitulée « Les premières œuvres : permanence et adaptation des modèles antiques » rend compte des travaux, des centres d’intérêt et de la mise en place d’une méthode de travail spécifique chez l’Alciat de la jeunesse et du début de la maturité, fasciné par l’héritage antique. Denys Drysdall analyse la contribution savoureuse d’Alciat adolescent, alors qu’il ne connaît pas encore le grec, à la composition d’un recueil collectif de vers satiriques latins contre son ancien maître d’école, un certain Giovanni Biffi, accusé de pédérastie ; à sa suite Stéphane Rolet se penche sur la réponse de Biffi et les moyens retors mis en œuvre pour se défendre. Ian Maclean examine la rédaction des premiers ouvrages à teneur juridique concernant le Code Justinien et le Digeste (les Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani et l’Opusculum quo graecae dictiones fere ubique in Digestis restituuntur), où se dessinent déjà les principales caractéristiques de la lecture philologique d’Alciat, et s’interroge sur les raisons de la parution de ces textes chez un éditeur strasbourgeois, Johann Schott. Lucie Claire, après avoir retracé l’histoire mouvementée de la publication en 1517 des In Cornelium Tacitum annotationes, montre qu’elles constituent une étape majeure de la compréhension de Tacite à la Renaissance et proposent un aperçu des centres d’intérêt multiples d’Alciat et de la cohérence de sa conception historique. Jean-
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Louis Charlet revient sur la traduction latine qu’Alciat a proposée d’un ensemble d’épigrammes grecques de l’Anthogie de Planude. À travers un examen approfondi de l’intégralité de ce corpus, il aborde les questions complexes que génère ce type de travail, qui relève souvent davantage de la transposition et de l’imitatio que de la simple traduction : sources, adaptation métrique et culturelle, fusion, contamination, développement ou réduction des modèles originaux, jeux avec l’actualité, interprétation et recherches d’équivalence pour les termes grecs techniques ou l’onomastique. La seconde partie, « Le continent du droit : méthode, pratiques, genres » se propose d’éclairer les modalités selon lesquelles s’effectue, chez Alciat, la fécondation entre technique juridique et science philologique, et analyse comment l’établissement de principes méthodologiques novateurs induisent inéluctablement des changements formels et génériques dans l’écriture même des œuvres. Nicolas Warembourg démontre comment la science historique d’Alciat et sa connaissance profonde du droit romain, nourries par une impressionnante culture humaniste, ne peut toutefois s’appliquer aux réalités contemporaines que grâce au filtre que constituent les méthodes scolastiques de l’école de Bartole, dont Alciat demeure l’héritier à maints points de vue. Bruno Méniel éclaire les liens profonds qui unissent les deux parties du De uerborum significatione, entre la praelectio et le commentaire du titre du Digeste proprement dit, et suggère des pistes d’interprétation sur l’usage important qu’Alciat fait des jurisconsultes qui l’ont précédé, tels Accurse, Bartole ou Balde, sur fond de polémique avec Lorenzo Valla. Giovanni Rossi, à partir des Parerga, se propose d’étudier les interférences entre les mutations profondes de la société de la Renaissance et l’exigence de rénovation du droit, inspirée par l’apport des savoirs humanistes, en particulier la philologie et l’histoire : cette ouverture disciplinaire, véritable mutation épistémologique, vient renforcer l’efficacité des instruments traditionnels et de la formation technique des jurisconsultes. Les Parerga fournissent également à Olivier Guerrier un matériau précieux pour définir la notion de « fictions juridiques », c’est-à-dire le moment où la loi bascule sur le mode du « comme si » et choisit l’image analogique pour définir des actes juridiques, par exemple quand elle conçoit l’émancipation du fils à la façon d’une vente fictive, avec versement d’un prix symbolique. Des questions essentielles se posent alors au juriste et à l’homme de lettres : quelle relation entretiennent ces fictions avec l’univers de la fable et de la poésie ? Comment se distinguent-elles des énoncés frauduleux ? Synthèse du droit et de l’histoire, le De formula Romani Imperii, souligne Juan Carlos d’Amico, est l’occasion pour Alciat de réfléchir sur la permanence de l’idée d’Empire et sur ses mutations historiques (translatio ou restauratio) ; articulant l’héritage antique et les exigences idéologiques du présent, en particulier religieuses et politiques, Alciat tente d’y définir, non sans idéalisme, les relations complexes entre pape, empereur et communauté des chrétiens. Enfin, Anne Rolet se consacre à l’analyse de l'emblème consacré à la figure épico-historique du roi étrusque Mézence, célèbre pour un affreux supplice qu’il avait inventé contre ses ennemis ; elle montre comment, à travers un riche intertexte, de Virgile à Érasme en passant par Fracastor, l’usage du symbole et de l’allégorie, à l’œuvre dans l’épigramme et dans les images gravées, permet à un motif antique de se mettre au service d’une actualité juridique et médicale.
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La troisième partie : « Alciat et ses contemporains : admiratio, aemulatio, inuidia », tente de saisir les relations complexes qui unissent Alciat à ses contemporains : amitié, haine, confiance, défiance, admiration, émulation jalonnent les routes géographiques et intellectuelles suivies par Alciat. Christine Bénévent revient sur la lettre-traité d’Alciat intitulée Contra uitam monasticam, essentielle pour comprendre les relations entre Alciat, Érasme et Boniface Amerbach. Le petit traité connut bien des tribulations et suscita beaucoup d’angoisse à son auteur : mais l’appellation d’ouvrage « érasmien » qui lui est généralement attaché mérite d’être entièrement reconsidérée. Richard Cooper analyse les conditions historiques, intellectuelles et sociales qui ont amenées Alciat à se partager entre l’Italie et la France pour prodiguer son enseignement de juriste, et dresse un tableau de la constellation d’humanistes et de personnages historiques célèbres avec lesquels il est entré en relation. Raphaële Mouren rend compte de la riche contribution des éditeurs lyonnais à la diffusion des ouvrages alciatiques afin de mettre en évidence l’existence d’une stratégie éditoriale offensive qui visait à satisfaire certaines exigences du juriste milanais. Olivier Millet étudie les parallèles troublants qui existent entre certains aspects de la production alciatique et l’œuvre de Geoffroy Tory, et s’interroge sur les raisons de ces intérêts partagés autour de l’emblème et et du symbole entre deux personnages qui ne se sont pourtant jamais rencontrés directement. À travers l’examen de deux éloges posthumes d’Alciat, celui de François le Douaren et celui de Giovanni Matteo Toscano, George Hugo Tucker montre l’importance et la permanence de la figure vertueuse et vagabonde d’Hercule, à la fois in biuio et homo uiator, qu’Alciat avait lui même promue comme référence idéale de l’homme de lettres dans ses Emblemata, et dont il constituera à son tour un avatar sous la plume de ses admirateurs. La quatrième partie, « Alciat et les arts » propose une approche esthétique et symbolique en s’intéressant non seulement aux relations d’Alciat avec la culture plastique de son temps, mais également à la postérité d’une partie de sa production dans les arts visuels. Stéphane Rolet propose de nouvelles sources iconographiques pour la genèse, l’invention et les illustrations successives de l’emblème Virtuti Fortuna comes et son enquête nous conduit de Ludovic le More et sa cour milanaise à une médaille de Jean Second en passant par des dessins de Léonard de Vinci. Paulette Choné se livre à une étude inédite sur la présence et les rôles de la couleur chez Alciat, étude paradoxale puisque les emblèmes se lisent et sont composés en noir et blanc, mais qui livre une moisson éblouissante et insoupçonnée. Michel Bath parcourt enfin la riche postérité visuelle de certains emblèmes qui envahissent les arts décoratifs et constituent pour nous un témoignage précieux sur les interprétations possibles de ces pièces et l’évolution des goûts. Dans la cinquième et dernière partie, intitulée « Alciatus tralatus : le voyage européen des Emblemata », les études s’attachent plus spécifiquement à l’évolution éditoriale des Emblemata, à leur diffusion et à leur postérité européenne. Le problème de la traduction et de l’interprétation s’y pose de manière essentielle. Mino Gabriele s’intéresse à la concaténation des sens entre les différentes parties de l’emblème et voit dans leur capacité à s’inscrire dans la mémoire une des raisons du succès considérable des Emblemata et du genre emblématique. David Graham, à travers la figure privilégié de l’Alcide gaulois,
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véritable paradigme épistémologique mis en valeur par Alciat lui-même, suit le parcours complexe des mutations génériques dont l’emblème a fait l’objet en France et souligne la nécessité d’adapter les outils critiques et le discours théorique à cette évolution formelle et historique. Alison Saunders révèle les richesses d’un manuscrit inédit et partiellement colorié, datant de la fin du xvie siècle et du début du xviie siècle, et qui comporte une traduction anglaise inédite d’emblèmes alciatiques. Offrant un contre-point à la communication d’Anne Rolet, Alison Adams parcourt les différentes traductions vernaculaires de l’emblème sur Mézence, Nupta contagioso, et montre comment le processus de traduction / transposition, tout en garantissant la vitalité de la transmission, s’accompagne d’inévitables phénomènes de déperdition, voire de contre-sens. Enfin, Gloria Bossé-Truche présente la dernière traduction commentée espagnole des Emblemata par Diego López de Valencia et éclaire la stratégie de composition de ce recueil en l’insérant dans le contexte idéologique et spirituel dense de l’Espagne du début du xviie siècle.
André alciat (1492-1550) : quelques repères bio-bibliograhiques Anne Rolet - Stéphane Rolet
Ce bref compendium de la vie et de l’œuvre d’Alciat est destiné à fournir un cadre chronologique commode permettant une lecture plus aisée des contributions qui suivent. Une nouvelle biographie d’Alciat reste à écrire et constituerait un instrument très précieux. Notre présentation est entièrement tributaire des travaux de référence sur la bio-bibliographie d’Alciat, au premier rang desquels les articles de Roberto Abbondanza qui, sur de nombreux points, corrigent Henry Green, Paul-Émile Viard et surtout Gian Luigi Barni (en particulier sur la fable de la femme d’Alciat et sur la date de la lettre à Calvo à propos de la première rédaction des Emblemata). Ces travaux constituent encore la base des études biographiques modernes sur Alciat1. Concernant la biographie d’André Alciat, les dates que nous produisons sont parfois conjecturales et reflètent autant que possible le dernier état des recherches – qui n’est pas consensuel en tout point. Pour ce qui est des œuvres d’Alciat, les péripéties autour de leur publication pourraient fournir matière, on le sait bien, à des ouvrages entiers : de manière générale, nous nous sommes donc limités à donner ici la date, le lieu et l’éditeur de l’édition princeps et, dans la mesure du possible, quelques indications sur les rééditions augmentées. Les Emblemata font exception en raison de leur lente maturation et du phénomène éditorial complexe qui leur est lié : nous mentionnons ici les éditions « historiques » pour ainsi dire, qui comprennent aussi les traductions. Dans nos notes, nous avons indiqué uniquement les articles du présent volume, et parmi eux, ceux apportant une information nouvelle qui nous a servi ; en revanche, nous avons choisi de renvoyer en annexe la bibliographie réellement utilisée ici. Celle-ci ne saurait pourtant être considérée comme « la » bibliographie de référence, même si nous espérons qu’elle puisse aider le lecteur curieux comme elle nous a aidés. Nous avons également fait le choix de ne pas donner de bibliographie spécifique sur les œuvres, car la tâche eût de très loin excédé le projet qui est le nôtre, tout particulièrement pour les Emblemata où
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Signalons, en préparation, Denis Drysdall et Valérie Hayaert, An Intellectual Biography of Italian Lawyer Andrea Alciato, Turnhout, Brepols, coll. « Nugæ humanisticæ ».
les publications sont pléthore. Pour cette dernière œuvre, la plus célèbre d’Alciat, nous renvoyons cependant aux bibliographies suivantes, déjà constituées ou in progress : quelques repères bio-bibliographiques
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Alison Adams, Stephen Rawles et Alison Saunders, A Bibliography of French Emblem Books of the Sixteenth and Seventeenth Century, Genève, Droz, THR no 331, 1999, vol. 1, s. v. « Alciato, Andrea », p. 1-117 ; Laurence Grove et Daniel Russell, The French Emblem, Bibliography of Secondary Sources, Genève, Droz, THR no 342, 2000.
En ligne : Site de La Corogne (Sagrario Lopez Poza) • http://www.bidiso.es/emblematica/ediciones.html • http://www.bidiso.es/emblematica/novedades.html • http://www.bidiso.es/emblematica/estudios.html Site de Glasgow (Alison Adams, Brian Aitken, Graeme Cannon, Stephen Rawles) • http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/alciato/index.php Site de Newfoundland (William Barker, Mark Feltham, Jean Guthrie, Allan Farrell) • http://www.mun.ca/alciato/bibl2.html Site d'Utrecht (nombreuse équipe internationale) • http://emblems.let.uu.nl/biblio.html?item=names
Événements biographiques Œuvres, publications, activités littéraires 35
André Alciat (désormais AA) – Giovanni Andrea Alciato (plutôt qu’Alciati) – naît vraisemblablement à Alzate Brianza, petit bourg situé non loin de Côme, ou peut-être à Milan. Son père, Ambrogio Alciato, est un marchand prospère et appartient à une famille influente – mais pas noble – originaire d’Alzate ; il a été au moins une fois ambassadeur (decurione) de Milan pour les Sforza auprès de la République de Venise. Par sa mère, Margherita Landriani, en revanche, AA descend d’une famille puissante de la vieille noblesse milanaise.
ca. 1497-1506 Le jeune André passe son enfance à Milan où il commence à étudier les rudiments du latin (ca. 1497-1498 ?) sous la direction de Giovanni Vincenzo Biffi (1464-1516) – dont AA fait la satire dans plusieurs pièces du mince recueil collectif In Bifum, s.l.n.d. [Milan, Alessandro Pelizzoni, 1506-1507]2. Puis il se perfectionne en latin et apprend le grec sous la conduite d’Aulo Giano Parrasio (ca. 1504-1506 ?) grâce à qui il acquiert une parfaite maîtrise philologique et une profonde connaissance des classiques grecs et latins. Il reçoit aussi des leçons de Jean Lascaris et Démétrios Calchondylas. C’est pendant ces années d’études à Milan qu’il fait la rencontre de son ami Francesco Calvo, le futur imprimeur et éditeur établi à Pavie, puis à Rome. Des années 1504-1505, date aussi l’ébauche d’une histoire de Milan, des origines à l’empereur Valentinien avec qui elle s’interrompt3. Reprise dans les années 1530, elle ne sera publiée, de manière posthume, qu’en 1625 sous le titre : Rerum patriae libri IV (Milan, Giovanni Battista Bidelli).
1507 AA part pour l’université de Pavie où il poursuit des études de droit sous la direction de Jason de Mayne, Philippe Decius et Paolo Pico da Montepico qu’il n’apprécie guère.
1508 AA commence (?) à composer un recueil d’inscriptions antiques (Monumentorum ueterumque inscriptionum quae cum Mediolani, tum in eius agro adhuc extant collectanea li-
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Voir Denis Drysdall et Stéphane Rolet. Voir Juan d’Amico.
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8 mai 1492
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bri duo), souvent désigné sous le nom de Collectanea ou d’Antiquitates Mediolanenses, en accompagnant chaque inscription (commentée) d’un dessin. Il ne cherche pas à relever toutes les inscriptions possibles, mais il innove en privilégiant au contraire un territoire, à savoir le Milanais (qui correspond en partie à la province romaine de Gaule Cisalpine), et en faisant aussi une place aux inscriptions latines chrétiennes. Le manuscrit le plus complet qui en est conservé à la bibliothèque de Dresde (Ms. HS F. 82b) et qu’AA a gardé toute sa vie en sa possession, porte la mention autographe de 1508 comme étant son début, même s’il est avéré qu’AA avait déjà rassemblé une partie de sa matière dès 1506. Cette œuvre, qui se retrouve en de nombreux autres manuscrits, constitue un jalon important dans l’histoire de l’épigraphie, mais elle est restée inédite, peut-être en raison du coût qu’aurait entraîné la taille des gravures prévues pour accompagner les textes.
1511-1514 AA quitte Pavie pour Bologne où il suit, en particulier, les leçons du juriste Carlo Ruini qu’il n’a pas beaucoup apprécié.
1514-1515 AA partage ses activités entre Bologne et Milan. Parution en 1515, à Strasbourg chez Jean Schott, du premier ouvrage d’AA : les Annotationes in tres posteriores libros Codicis Iustiniani. Le livre, qui porte la date du 5 janvier 15144, à Bologne, s’ouvre par une dédicace à Filippo Sauli (1492-1531), camarade d’études à Bologne et évêque de Brugnato en Ligurie depuis 1512 : AA y proclame « qu’on peut associer la connaissance des lois et celle des studia humanitatis ». Dans ce livre, AA utilise les historiens du Bas-Empire, mais aussi des manuscrits d’autres textes tardifs comme le Graecus legum interpres et la Notitia Dignitatum. De ce dernier texte alors inédit, dont il perçoit immédiatement l’intérêt pour le droit public romain, il ne connaît alors que la première partie consacrée à l’Orient, contenue dans un manuscrit que Sauli lui a fait connaître. AA est le premier éditeur de la Notitia, d’abord de la partie orientale, elle-même incomplète en 1529, puis du texte entier qu’il a pu récupérer auprès de Beatus Rhenanus pour l’édition de ses œuvres complètes de 1549 (mais le texte est incertain et les illustrations que contient aussi la Notitia sont ignorées par AA : elles ne seront pas reproduites avant l’édition princeps complète [Bâle, Jérôme Froben et Nicolas Bischoff, 1552]). Parution de l’Opusculum quo Graece dictiones fere ubique in Digestis restituuntur (Strasbourg, Jean Schott, 1515) dédié à Giacomo Antonio Visconti et daté du 3 septembre 1514 à Milan. Ces ouvrages ont en commun un usage extensif de la critique philologique des textes, dans la lignée de Politien et Budé.
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Voir Ian Maclean.
1516 Le 18 mars, AA reçoit le titre de docteur en droit civil et canon à Ferrare, bien qu’il n’ait pas étudié à l’université des Este.
AA fait profession d’avocat et s’occupe en particulier d’un procès en sorcellerie. Âgé de seulement 25 ans, AA entre dans le très fermé Collège des Jurisconsultes milanais après dérogation en raison de son âge. Des pourparlers sont menés avec la commune d’Avignon, sous l’égide de Gian Giacomo Trivulzio (1441-1518), ancien gouverneur de Milan et maréchal de France, pour l’engagement d’Alciat comme professeur de droit à l’université. Publication à Milan par Alessandro Minuziano d’une édition des Annales de Tacite accompagnée d’Annotationes d’AA et d’une épître dédicatoire à Galeazzo Visconti, plusieurs fois réimprimée ensuite sous le titre d’Encomium Historiae, où AA fait l’éloge de l’histoire alliée à la philologie comme sources du droit, et où il se livre également à une revalorisation de Tacite face à Tite-Live5.
1518-1522 - Avignon 1518
À l’automne, AA commence son premier séjour et son enseignement à l’université d’Avignon6. Son salaire annuel de 500 écus est considérable pour un aussi jeune professeur : il a tout juste 26 ans. À Milan, Minuziano publie un important recueil d’AA comprenant : - les Paradoxa iuris ciuilis en six livres, dédiés à Antoine Duprat, chancelier de France : AA y donne des solutions inédites, brèves et claires à des problèmes absurdes nés de textes incorrects. - les Dispunctiones en quatre livres, dédiés à Jean de Selve, ancien premier président au Parlement de Bordeaux, vice-chancelier de Milan et bientôt premier président du Parlement de Paris : AA se sert de la philologie pour proposer la restitution du texte grec omis dans le Corpus iuris ciuilis ainsi que des leçons nouvelles pour certains textes latins. - les Praetermissa en deux livres, dédiés à Giacomo Minuzio : le premier livre élucide 80 mots difficiles sous la forme d’un lexique (le second livre est une republication de l’Opusculum de 1514). - une réédition avec des modifications mineures des Annotationes aux trois derniers livres du Code. - un traité juridique : De eo quod interest (dédié à G. B. Appiani).
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Voir Lucie Claire. Voir Richard Cooper.
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1517
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quelques repères bio-bibliographiques
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- une Declamatio (dédiée à Giacomo Minuzio) : exemple de dispute légale dans le style de Sénèque. Ce gros recueil rencontre un énorme succès et sera souvent republié : en 1523, une deuxième édition revue par l’auteur paraît à Bâle, puis à Lyon (réimprimée en 1529), puis en 1525 à Venise, et en 1531, une troisième édition voit le jour à Bâle. Ulrich Zasius surnomme Alciat « le nouveau Papinien ». AA rédige également cette année-là une traduction restée manuscrite des Nuées d’Aristophane. Ami d’AA, Francesco Calvo, éditeur établi à Rome et proche de la Réforme, fait parvenir à Érasme une lettre d’AA : Contra uitam monasticam ad Bernardinum Mattium epistola (composée avant 1517 ?), où l’auteur se livre à une critique de la vie monastique. Craignant pour sa réputation, AA cherche à la récupérer auprès d’Érasme et à la détruire. Érasme promet de garder le secret (c’est le début de leur relation épisolaire), mais ne détruit pas la lettre. Publiée seulement en 1685 et mise aussitôt à l’Index, elle apparaît comme ayant subi l’influence de la littérature humaniste anti-monastique, du Pogge et d’Érasme lui-même7. La réputation d’Alciat est déjà telle que Claude Chansonnette (Cantiuncula) évoque pour AA et ses aînés de plus de trente ans, Budé et Zasius, un triumvirat juridique (scuola culta). En outre, AA écrit lui-même à Amerbach qu’il enseigne en Avignon devant 700 auditeurs. Cependant il essaie en coulisses d’être recruté à Padoue avec l’aide de Calvo, sans succès.
1519 AA poursuit son enseignement en Avignon, puis revient en août à Milan et reprend ses cours en Avignon à l’automne : • commentaire du titre du Digeste : De Praesumptionibus (Vincent de Portonariis le publiera en 1538) et le titre : De uulgari et pupillari substitutione ; • Repetitio de droit canonique. - publication à Lyon chez Jacques Sacon et Vincent de Portonariis8 de la Lectura sur le titre du Digeste : De uerborum obligationibus correspondant à la fin de l’année universitaire 1518-1519.
1520
AA rencontre en Avignon Boniface Amerbach (1495-1562), ami d’Érasme et élève de Zasius à Fribourg, avec qui il était en relation épistolaire et qui était venu suivre ses cours : c’est le début d’une amitié interrompue seulement par la mort d’AA. Le discours inaugural de l’année est un éloge : In laudem iuris ciuilis (dédié à Léopold Dick lors de sa publication).
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Ce point est fortement nuancé par Christine Bénévent. Concernant toutes les éditions lyonnaises, nous sommes largement redevables à Raphaële Mouren (voir en particulier son annexe).
1521
Grâce à Francesco Calvo et à Jacques Sadolet, AA est nommé « comte palatin » par Léon X, titre qui comporte le privilège de créer des docteurs et sera cause d’âpres disputes entre AA et ses employeurs avignonnais. Pour sa troisième année de cours en Avignon, AA commente les titres suivants du Digeste : De operis noui nunciatione et De uerborum significatione. En février, la peste sévit en Avignon, l’année universitaire est interrompue et AA s’en retourne à Milan.
1522
AA rejoint Avignon pour une quatrième année de cours. Au printemps, une nouvelle épidémie de peste se déclare et AA se réfugie à nouveau à Milan. À l’automne, AA fait un bref passage en Avignon, mais il est en désaccord avec la commune qui veut réduire son traitement. La rupture paraît consommée et AA ne reviendra pas en Avignon avant 1527. Les efforts de son ami Calvo pour lui trouver une chaire à Padoue, Ferrare ou Bologne n’aboutissent pas et il va exercer à nouveau comme avocat. Pendant ce premier séjour avignonnais, AA a entrepris le commentaire à l’avant-dernier titre du Digeste : De uerborum obligationibus, destiné à devenir la deuxième partie du De uerborum significatione publié en 1530. AA est aussi devenu le correspondant de Zasius, Érasme, Chansonnette, Budé, Longueval… D’autres juristes français ont aussi compté pour AA, parmi lesquels Jean Pyrrhus d’Angleberme (Recteur de l’université d’Orléans en 1510 et membre du Sénat de Milan en 1515, où il aurait rencontré AA), auteur d’un commentaire aux Tres posteriores libros Codicis, précédé d’un De Romanis magistratibus, publié en 1518 ; et Nicolas Béraud, ami de d’Angleberme, qui donne un cours public de droit à Orléans, entre 1510 et 1512, sur le principe philologique des Annotationes de Budé.
1522-1527 - Milan AA exerce comme avocat à Milan. De Milan où il est revenu s’établir, AA écrit une lettre fameuse à Francesco Calvo où il lui annonce le 9 janvier 1523 (et non 1522) : « J’ai achevé un petit livre d’épigrammes que j’ai intitulé Emblemata », libellum composui epigrammaton, cui titulum feci ‘Emblemata’. Il faudra attendre encore huit ans pour que la première édition, controversée, voie le jour. Entre 1523 et 1525, il subit de graves pertes matérielles, dues à la guerre entre François Ier et Charles Quint.
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AA rencontre Budé et se dispute brièvement avec lui : les relations s’apaisent, mais d’autres brouilles surviendront. Il fait mine de chercher encore à obtenir une chaire à Padoue ou à Bologne, mais se sert en réalité de ces tractations pour demander et obtenir une augmentation de son salaire à 600 écus annuels.
quelques repères bio-bibliographiques
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- publication non autorisée de onze traductions latines par AA d’épigrammes grecques de l’Anthologie de Planude qui ont été insérées dans le recueil de traductions latines intitulé Epigrammata aliquot graeca de Johannes Soter, Cologne, 1525 (republié à Cologne en 1528). - il compose une comédie, le Philargyrus, « l’Argentophile », qui est imitée d’Aristophane et restera inédite : on y trouve un éloge des règlements à l’amiable et une satire dénonçant la rapacité des juges, des avocats (!), des ecclésiastiques et des médecins. - il rédige le De formula Romani imperii, ouvrage de politique, d’histoire et de droit, publié de manière posthume par Jean Oporin à Bâle en 1559 ; AA y propose une reconstitution de l’histoire et des transformations de la Forma imperii, depuis la chute de l’Empire jusqu’à Charles Quint, et il y mène une réflexion sur la continuité de l’idée impériale et la primauté de l’autorité pontificale.
1527-1529 - Avignon Retour en Avignon et début du second séjour d’AA qui se plaint de conditions de salaire moins favorables (500 écus annuels). D’où des tractations dans l’ombre avec l’université de Bourges. À l’automne 1528, AA rédige le traité intitulé De uerborum significatione9 composé de quatre parties sur : 1. le sens propre des mots ; 2. les sens « impropres » des mots ; 3. le sens des mots dans les testaments et les contrats ; 4. le sens des mots dans les figures de style et les tropes. Ce traité doit servir d’introduction à la lecture du commentaire sur l’avantdernier titre du Digeste qu’il a rédigé lors de son premier séjour en Avignon : traité et commentaire constituent les deux parties principales de l’ouvrage qui portera comme titre général De uerborum significatione lors de sa publication en 1530. - publication, avec l’assentiment d’AA cette fois, de 160 traductions latines (dont les onze publiées en 1525) qu’AA a réalisées plus ou plus moins librement (dès 1504 ?) à partir de 168 épigrammes grecques10 choisies dans l’Anthologie de Planude : le volume intitulé Selecta epigrammata graeca latine uersa que rassemble Janus Cornarius en 1529 (Bâle, Bebel) contient aussi des traductions dues à d’autres auteurs. Trente traductions d’AA seront pourvues d’un titre et reprises en 1531 dans la première édition des Emblemata.
1529-1533 - Bourges 1529
Réclamé par l’université de Bourges, AA se laisse convaincre par le salaire11 mirobolant (600 écus au soleil par an, plus une gratification de 40 francs) qui lui est offert.
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Voir Bruno Méniel. Voir Jean-Louis Charlet. Pour les détails de son évolution, voir Richard Cooper.
1530
Augmentation des émoluments d’AA de 600 à 900 écus par décision de François Ier luimême suite à une intervention du cardinal de Tournon : eu égard à son âge, 37 ans, AA est le professeur de droit le mieux payé du royaume. - publication à Lyon chez Gryphe d’un recueil procurant : • la dispute publique inaugurale de Bourges, qui est contenue dans le De quinque pedum praescriptione et dédiée au chancelier Guillaume de Cambray ; • le De magistratibus ciuilibusque et militaribus officiis dédié à Jean Pelorda, sénateur et conservateur de Bourges ; • le texte de la partie orientale de la Notitia Dignitatum. - publication à Lyon chez Sébastien Gryphe du De uerborum significatione libri quatuor, en prologue au commentaire aux 246 lois du titre homonyme du Digeste : la dédicace à François de Tournon, archevêque de Bourges et membre du Conseil du roi, date symboliquement des « calendes de mai 1529 », soit juste après le début des premiers cours d’AA à Bourges : l’ouvrage connaît de nombreuses rééditions. - publication à Lyon, chez Gryphe, d’un autre recueil contenant : • les Commentarii ad rescripta principum (dédiés au cardinal Emilio Cesi), dont la matière provient des cours de Bourges (1529-1530) sur six titres du Code, respectivement :
41 anne rolet - stéphane rolet
Il doit se soumettre à une dispute publique et, en avril, il assure le début des cours en prenant pour sujet le titre : De uerborum obligationibus du livre XLV du Digeste : par prudence, il y adopte d’abord la méthode scolastique et se voit alors rabroué par le public étudiant qui exige qu’il emploie la technique humaniste dont il est l’un des promoteurs. Son succès est alors considérable et va aller croissant, au point qu’on afflue à ses cours depuis l’Europe entière. À une date incertaine, François Ier vient assister en personne à ses cours et le place ouvertement sous sa protection ; le dauphin lui fait également cadeau d’une médaille d’une valeur de 400 écus. - composition de la dédicace à François Ier d’un traité sur le duel, De singulari certamine seu duelli tractatus, achevé au printemps 1528 : ce traité place Alciat dans une position très inconfortable, parce que le duel est un sujet de discorde entre Charles Quint, nouvellement élu empereur, et le roi François Ier qui, contestant les traités qu’il a dû signer sous la contrainte pendant son emprisonnement en Espagne après le désastre de Pavie en 1525, voudrait régler ce litige par un duel de chevaliers. AA craignant, à juste titre, que son traité ne déplaise à Charles Quint, il faudra attendre 1541 pour voir ce texte publié pour la première fois, de surcroît dans une édition non autorisée, à Paris, chez Jacques Kerver. - parution à Bâle, chez Jérôme Froben, d’un plaidoyer : Aurelii Albutii… in Stellam et Longoualium… defensio, où, sous le nom de son ancien élève d’Avignon, Aurelio Albuzio, Alciat répond aux attaques de Pierre de l’Estoile, professeur à Orléans, de Jean Longueval, avocat à Paris, et de François Ripa, ancien collègue d’Avignon : y répond l’Antapologia aduersus Aurelii Albucii defensionem pro Andrea Alciato (Paris, Gérard Morr, 1531) composée par Nicolas Duchemin en 1529 pour défendre son maître Pierre de l’Estoile, et pourvue d’une préface de Jean Calvin, illustre auditeur d’Alciat à Bourges.
quelques repères bio-bibliographiques
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De Summa Trinitate et fide catholica ; De sacrosanctis ecclesiis ; De edendo ; De in ius uocando ; De pactis ; De transactionibus ; • une réédition du De quinque pedum praescriptione. - publication contre la volonté de l’auteur du Libellus de ponderibus et mensuris (Haguenau, Johann Secer) composé plus tôt lors du séjour à Milan (1522-1527) entre les deux engagements à Avignon. AA craignait une nouvelle dispute avec Budé, qui n’eut pas lieu.
1531-1533
Renouvellement pour deux ans du contrat d’enseignement à Bourges avec un salaire doublé de 1200 ducats de traitement annuel. – en 1531, est publiée l’édition princeps de la première « centurie » (104 emblèmes en fait) des Emblemata, chez Heinrich Steyner à Augsbourg, avec une dédicace (déjà composée dès 1517) à Conrad Peutinger (1465-1547), très proche conseiller de l’empereur Maximilien Ier. Que l’édition en soit pirate ou non, ou seulement dans une certaine mesure, la publication de ce petit livre illustré par Jörg Breu l’Ancien (ca. 1475-1537) sanctionne l’invention d’un genre poétique nouveau, l’emblème littéraire, formé d’une épigramme descriptive sur un sujet symbolique, accompagnée d’un titre et d’une gravure. Il apporte à Alciat une gloire littéraire aussi définitive qu’inattendue, et jouit d’une postérité extraordinaire : il connaît en effet 39 éditions avant 1551 et plus de 170 avant la fin du xviiie siècle, dont des traductions12 complètes en français, allemand et espagnol… Bataille d’AA avec ses collègues concernant le privilège attaché à son titre de comte palatin de délivrer aussi des titres de docteur en théologie : AA est obligé d’y renoncer. Les problèmes de trésorerie de la ville de Bourges contraignent AA à en appeler au roi et l’amènent aussi à chercher plus sérieusement un poste en Italie. Des pourparlers avec la république de Venise sont activement menés par Pietro Bembo pour qu’Alciat puisse aller enseigner à l’université de Padoue : Milan l’emporte cependant pour l’université de Pavie. Les fortes pressions du duc de Milan, Francesco II Sforza – qui menace Alciat de fortes amendes tout en le promouvant en même temps au titre de Sénateur – ont accéléré son retour en Lombardie. À Bourges, AA aura eu, entre autres, pour élèves ou auditeurs Théodore de Bèze, Jacques Amyot, Janus Everaerts plus connu sous le nom de Jean Second13 et son frère Hadrianus Marius Everaerts, Melchior Wolmar, Jean Calvin, Conrad Gesner, Viglius van Zwychem van Aytta…
1533-1537 - Pavie Alciat enseigne à Pavie où il se plaint continûment de l’indiscipline des étudiants et de la modestie de sa chaire. Avant les guerres qui recommencent en 1535, il a encore 600 étudiants. Il demande en vain à Pietro Bembo de le soutenir pour obtenir une chaire à Padoue. 12 13
Concernant le cas anglais, voir Alison Saunders. Voir Stéphane Rolet et l'introduction du présent volume.
1537-1541 - Bologne Pendant toute la durée du séjour, les Réformateurs vont devoir lutter (jusqu’à en appeler au pape Paul III) pour éviter qu’AA ne soit obligé d’obéir au nouveau gouverneur de Milan, Alphonse d’Avalos, et de rentrer en Lombardie. A Bologne, la réputation d’AA est tout à fait considérable. Parmi ses élèves et auditeurs, on compte Giorgio Vasari et Antonio Agustín. - publication en 1538, à Lyon : • commentaires sur une rubrique du Digeste à partir de ses cours : Andreae Alciati in Digestorum seu Pandectarum librum XII : un in-folio par Vincent de Portonariis et un in-8o par Jean Barbou pour Jean et François Frellon ; • un traité de droit canon intitulé : Commentaria in Rubri. iuris canonici et peut-être publié sans autorisation chez deux éditeurs, respectivement par Jean Moylin pour Vincent de Portonariis, et par Jacopo Giunta ; • un commentaire, commencé en 1519, d’un titre du Digeste : le Praesumptionum tractatus chez Vincent de Portonariis.
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Voir Raphaële Mouren.
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- édition corrigée et augmentée de la première « centurie » des Emblemata (113 emblèmes) par Chrétien Wechel (Paris, 1534) sous le titre Emblematum libellus (illustrations par Mercure Jollat) : c’est la première à avoir été autorisée, semble-t-il, par AA. C’est la première également à présenter la disposition qui va s’imposer ensuite dans la plupart des livres d’emblèmes : une même page porte successivement le titre, la gravure et l’épigramme emblématiques. En 1535, AA achève deux opuscules sur Plaute : le De Plautinorum carminum ratione libellus et le Lexicon quo totus Plautus explicatur qui seront publiés à Bâle, chez Nicolas Bischoff (Episcopio), seulement en 1568. - première traduction française par Jean Lefèvre dans la première édition bilingue des Emblemata par Chrétien Wechel : l’ouvrage est intitulé Livret des emblemes (Paris, 1536). - publication, en volume indépendant, chez Vincent de Portonariis et Jacopo Giunta d’un Index locupletissimus aux commentaires du Code et aux Rescripta et d’Elenchi dictionum au De uerborum significatione. - publication d’un ouvrage apocryphe : Iudiciarii processu compendium, Cologne, Melchior von Neuß, 1535, puis, à Lyon, en 1536, par François Juste pour Vincent de Portonariis, et en 1537 par Jacopo Giunta14. Attribué à tort à AA, l’ouvrage ne manquera pas de succès. En 1537, les Réformateurs de Bologne offrent à AA un poste pour succéder à Pietro Paolo Parisio avec un salaire de 1200 ducats. Le gouverneur de Milan fait des difficultés et ne veut pas le laisser partir de Pavie, puis finit par céder.
quelques repères bio-bibliographiques
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- publication des Parerga (1538-1554)15 dédiés au cardinal d’Augsbourg, Otto Truchsses von Waltburg : • livres I-III : Bâle, Johann Herwagen, 1538 (et 2 éditions lyonnaises la même année : Sébastien Gryphe et Jean Barbou pour les héritiers de Simon Vincent). • livres IV-X : Lyon, Sébastien Gryphe, 1543-1544. • livres XI-XII (publication posthume) : Lyon, Sébastien Gryphe, 1554. - publication en 1541, chez Johann Herwagen, à Bâle, d’une édition du Digeste avec une restitution par AA des textes grecs tirés de Modestin au titre : De excusationibus. - publication à l’insu de l’auteur en 1541, à Paris, chez Jacques Kerver, du De singulari certamine seu duelli tractatus (dédié à François Ier dès 1529) : une édition autorisée suit à Lyon, en 1543, par Jean et François Frellon pour Antoine Vincent (traduction en italien par Mariano Soncino [Venise, Baldassar di Constantini, 1544] et en français [Paris, Jacques André, 1550]). En 1541, AA est finalement contraint de retrouver sa chaire de Pavie, où il se plaint que son salaire ne lui est pas versé régulièrement.
1542-1546 - Ferrare Avec la guerre, en 1542, AA est autorisé à accepter un autre poste et il part pour Ferrare, invité par le duc Hercule II d’Este avec un salaire annuel de 1350 ducats : il y rencontre un très grand succès. Décidé à rester à Ferrare, AA refuse trois invitations de Côme de Médicis pour l’académie de Pise récemment ouverte, ainsi que de nouvelles propositions des Padouans. - première traduction allemande par Wolfgang Hunger dans une édition bilingue latin/ allemand chez Chrétien Wechel, intitulée Emblematum libellus (Paris, 1542) : comme l’édition latine unilingue du même éditeur et de la même année, elle comporte deux emblèmes supplémentaires (soit 115 en tout). - Relation épistolaire avec Boniface Amerbach, Aonio Paleario, Paolo et Benedetto Giovio, deux amis d’enfance (la dernière lettre d’Alciat à Paolo est publié en tête des Historiae sui temporis de Giovio)…
1546-1550 - Pavie Retour d’AA à Pavie par décision impériale et suite aux pressions du gouverneur de Milan, Ferrante Gonzaga. Il souffre gravement de la goutte, est en butte à l’agitation étudiante, mais il a l’honneur de recevoir en présent une chaîne d’or de la part du futur Philippe II venu écouter ses cours. AA a, entre autres, pour collègue Jérôme Cardan. Proposé pour la pourpre cardinalice par Paul III (1546), AA se contente du titre de protonotaire apostolique et est invité comme consultant au Concile de Trente : il ne s’y
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Voir Raphaële Mouren.
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Voir Stéphane Rolet.
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déplace pas, mais en 1548, il fait part à Charles Quint de son opinion sur le transfert du Concile à Bologne. - 1546 : parution de l’édition princeps d’un nouvel Emblematum libellus, la seconde « centurie », en fait 86 nouveaux emblèmes (dont deux déjà publiés auparavant) chez Paul Manuce à Venise (illustrateur anonyme). - 1547 : à Lyon chez Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, parution de la première édition à rassembler en un seul volume (199 pièces) les deux livraisons principales des Emblemata, suivant l’édition Wechel de 1534 (113 emblèmes seulement) et l’aldine de 1546 (86 pièces) : la première partie est illustrée par Bernard Salomon, la seconde ne comporte pas de gravure. - entre 1543 et 1549, Michaël Isingrin publie à Bâle les Opera omnia d’AA en quatre volumes, sous la surveillance de Boniface Amerbach (Le volume IV contenant les Emblemata date de 1549 et ils n’y sont pas illustrés) : les différents volumes sont régulièrement réédités dès 1548, 1549, 1550, 1551, 1558. - 1549 : parution à Lyon, chez Macé Bonhomme pour Guillaume Rouille : • d’une première édition commentée des Emblemes (201 pièces), ici par Barthélémy Aneau qui est aussi le traducteur (le texte latin n’est pas fourni, les illustrations sont dues à Pierre Eskrich ou Vase) ; • d’une première traduction italienne par Giovanni Marquale sous le titre Diverse imprese : elle contient seulement 136 emblèmes, tous illustrés (sans texte latin). • d’une première traduction espagnole par Bernardino Daza de 210 emblèmes, soit les 115 du premier livre et 95 du second (dont 10 ne sont pas illustrés). De plus, 10 emblèmes sont inédits alors, même en latin : Daza affirme avoir travaillé sur une copie latine complète d’Alciat lui-même. - 1550 : à Lyon, chez Macé Bonhomme pour Guillaume Rouille paraît la première édition complète (à l’emblème scatologique près) des Emblemata qui comptent alors 211 pièces, toutes illustrées (réédition en 1551). AA meurt à Pavie dans la nuit du 11 au 12 janvier 1550. Dans les dernières années de sa vie, il est en proie à une profonde crise religieuse et il connaît une grave dépression : bien qu’il souffre alors cruellement de la goutte, il multiplie tellement les excès de table et de boisson qu’il semble avoir ainsi volontairement hâté son trépas, et sa mort à pas même 58 ans ne surprend pas son entourage immédiat. Son éloge funèbre est prononcé par Alexandre Grimani et publié à Pavie peu après. N’ayant ni femme (une erreur de lecture a pu, à tort, faire douter les modernes de son célibat) ni enfant, AA a légué tous ses biens à son petit-neveu, le futur cardinal Francesco Alciato. Dans l’église San Epifanio de Pavie, ce dernier fait élever à AA un tombeau surmonté de sa statue et orné, en particulier, de deux bas-reliefs reprenant les illustrations des devises μηδεν αναβαλλομενος (= Nunquam procrastinandum) et ανδρος δικαιου καρπος ουκ απολλυται (variante de Virtuti fortuna comes)16. À la fin du xviiie siècle, l’église est détruite, mais ce monument est déplacé à l’Ateneo de l’université de Pavie où il se trouve encore.
Après 1550
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Publications posthumes : - en 1556, à Lyon, chez Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, première édition des Emblemata (113 + 86 emblèmes) présentant un commentaire latin pour chaque emblème, ici par Sebastian Stockhammer. - en 1559, à Bâle, chez Oporin, De formula Romani imperii. - en 1561, à Lyon, chez Fradin : • Responsa en 9 livres publiés par les soins de Francesco Alciato. • Opera omnia en six volumes (les Emblemata apparaissent avec gravures dans le volume VI). - en 1565, alors que, depuis l’édition Wechel de 1534, toutes les éditions des Emblemata, traductions comprises, sont publiées en France, à Paris ou à Lyon (à l’exception de l’aldine de 1546 à Venise et de celle d’Isingrin à Bâle en 1549), Christophe Plantin en propose une nouvelle édition à Anvers, accompagnée des commentaires de Stockhammer : elle jouit d’un grand succès. - en 1568, à Bâle, chez Nicolas Bischoff, deux opuscules sur Plaute : De Plautinorum carminum ratione libellus et Lexicon quo totus Plautus explicatur. - en 1571, à Bâle, chez Thomas Guarino, le gendre et héritier d’Isingrin, publication des Opera omnia en six volumes (dans le volume VI, les Emblemata ne sont pas illustrés) ; à Paris, chez Denis du Pré, publication des Emblemata avec la première version du commentaire de Claude Mignault. - en 1573, à Lyon, chez Guillaume Rouille, édition des Emblemata avec l’important commentaire latin de Francisco Sanchez de las Brozas. - en 1582, à Bâle, chez Thomas Guarino, paraît une nouvelle édition – la meilleure – des Opera omnia, cette fois en quatre volumes (dans le volume IV, les Emblemata apparaissent avec les illustrations de l’édition Fradin, 1561). - en 1602, à Paris, chez Jean Richer, François Gueffier et Étienne Valet, paraît l’édition des Emblemata avec la version la plus développée du commentaire dû à Claude Mignault. - en 1615, à Nájera, chez Juan de Mongaston, paraît la Declaración magistral sobre los Emblemas de Alciato de Diego López de Valencia : dernière traduction complète et derniers commentaires espagnols des Emblemata. - en 1617, à Francfort, chez Lazare Zetzner, paraissent les quatre tomes d’une nouvelle édition des Opera omnia d’AA : malgré leur annonce dans l’Elenchus, les Emblemata n’y figurent pas. - en 1621, à Padoue, chez Pietro Paolo Tozzi, paraît la première édition vraiment complète des 212 emblèmes (avec l’emblème scatologique Aduersus naturam peccantes) composant le recueil d’Emblemata d’AA. En outre, elle est accompagnée d’un commentaire latin organisé par Johannes Thuilius qui rassemble la somme des annotations précédemment publiées par Claude Mignault, Francisco de las Brozas, Lorenzo Pignoria et Frédéric Morel, en leur adjoignant les siennes propres. Elle sera souvent reprise par la suite. - en 1625, à Milan, chez Giovanni Battista Bidelli, paraissent les Rerum patriae libri IV.
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- en 1781, à Madrid, chez Pantaleon Aznar, paraît la dernière édition recensée des Emblemata d’Alciat. - au milieu du xixe siècle, Theodor Mommsen et ses aides font l’inventaire des manuscrits subsistant des Antiquitates Mediolanenses et les utilisent comme sources, en particulier, du volume V, 2 du Corpus Inscriptionum Latinarum consacré aux Inscriptiones Galliae Cisalpinae (Berlin, Reimer, 1877). - il faut attendre le début des années 1870 pour qu’Henry Green fasse paraître un premier volume d’études intitulé : Andreae Alciati Emblematum fontes quatuor (Manchester / London, A. Brothers / Trübner & co, 1870) procurant les fac-similés des éditions princeps de 1531, Wechel de 1534 et aldine de 1546, puis Andreae Alciati flumen abundans (= Alciat’s Emblems in their full stream), Manchester, A. Brothers, 1871, qui donne le fac-similé de l’édition Macé Bonhomme de 1551, et enfin sa synthèse : Alciat and His Book of Emblems, A Biographical and Bibliographical Study, Londres, Trübner, 1872. Ces trois ouvrages marquent le véritable début des études emblématiques modernes.
Bibliographie de travail
quelques repères bio-bibliographiques
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Abbondanza Roberto, « La vie et les œuvres d’André Alciat » et « Premières considérations sur la méthodologie d’Alciat » dans P. Ménard (dir.), Pédagogues et juristes (Congrès du CESR de Tours, été 1960), Paris, Vrin, 1963, respectivement p. 93-106 et 107-118 ; —, « Alciato (Alciati) Andrea », Dizionario biografico degli Italiani, 2, 1960-1961, p. 69-77 ; —, « Un ‘inedita’ prolusione bolognese di Andrea Alciato » ; « Tentativi medicei di chiamare l’Alciati allo studio di Pisa (1542-1547) » ; « A proposito dell’epistolario dell’Alciato », Annali di storia del diritto, 1957, respectivement p. 3-14, 361-403 et 467-500 ; Adams Alison, Rawles Stephen, Saunders Alison, A Bibliography of French Emblem Books of the Sixteenth and Seventeenth Century, Genève, Droz, THR no 331, 1999, vol. 1, s. v. « Alciato, Andrea », p. 1-117 ; Aguzzi-Bargagli Danilo, « Francesco Giulio Calvo » in P. G. Bietenholz (dir.), Contemporaries of Erasmus, A Biographical Register of the Renaissance and Reformation, Toronto-BuffaloLondon, University of Toronto Press, 1985, vol. 1, p. 245-246. Balavoine Claudie, « Archéologie de l’emblème littéraire : la dédicace à Conrad Peutinger des Emblemata d’André Alciat » dans M.T. Jones-Davies, Emblèmes et devises au temps de la Renaissance, Paris, Touzot, 1981, p. 9-21 ; Barni Gian Luigi (éd.) : Andrea Alciato, Le Lettere, Florence, Felice Le Monnier, 1953 ; Belloni Annalisa, « Andrea Alciato e l’eredità culturale sforzesca » et « Gli Alciati e Alzate », Periodico della società storica Comense, 61, 1999, respectivement p. 9-25 et 101-114 ; —, « L’insegnamento giuridico in Italia e in Francia nei primi decenni del Cinquecento e l’emigrazione di Andrea Alciato », in A. Romano (dir.), Università in Europa: le istituzioni universitarie dal Medio Evo ai nostri giorni. Strutture organizzazione funzionamento, Rubbettino, Soveria Mannelli, 1995, 137-158 ; —, « Tra simpatie luterane e opportunismo politico », in F. Forner (dir.), Margarita amicorum : studi di cultura europea per Agostino Sottile, Milano, Vita e Pensiero, 2005, p. 117-143 ; Bianchi Dante, « Vita di Andrea Alciato », Bollettino della società Pavese di storia patria, 12/2 (1912), p. 133-205 ; —, « L’opera letteraria e storica di Andrea Alciato », Archivio storico Lombardo, 40, 1913, p. 5-130 ; Calabi Limentani Ida, « L’approccio dell’Alciato all’epigrafia milanese », Periodico della società storica Comense, 61, 1999, p. 27-52 ; Callahan Virginia W., « Andrea Alciati » in P. G. Bietenholz (dir.), Contemporaries of Erasmus, A Biographical Register of the Renaissance and Reformation, Toronto-Buffalo-London, University of Toronto Press, 1985, vol. 1, p. 23-26 ; —, « The Erasmus-Alciati Friendship » in J. Ijsewijn et E. Kessler (dir.) Acta Conventus Neo-Latini Lovaniensis, Louvain-Münich, Fink, 1973, p. 133-141 ; De Giacomi Hans, Andreas Alciatus, Bâle, Oppermann, 1934 ; Drysdall Denis, « Andrea Alciato, In Bifum [Milan ? 1506-1507 ?] », Emblematica, 18, 2010, p. 241-270 ; —, « The Emblems in Two unnoticed Items of Alciato’s Correspondence », Emblematica, 11, 2001 ;
Duplessis Georges, Les Emblèmes d’Alciat, Paris, Librairie de l’Art, 1884 ; Enenkel Karl A.E., « Alciato’s Ideas on the Religious : The Letter to Bernardus Mattius », Emblematica, 9/2, 1995, p. 293-314 ;
Grünberg-Dröge Monika, « The De singulari certamine liber in the Context of its Time », Emblematica, 9/2, 1995, p. 315-342 ; —, 500 Jahre Andreas Alciatus (1492-1550), Jurist, Humanist, Emblematiker (catalogue de l’exposition, 8/5-15/8 1992), Bonn, Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität, 1992 ; Hutton James, The Greek Anthology in Italy to the Year 1800, Ithaca, Cornell University Press, 1935, s. v « Alciato, Andrea », p. 195-208 ; Jenny Beat Rudolf, « Andrea Alciato e Bonifacio Amerbach : nascita, culmine e declino di un’amicizia fra giureconsulti », Periodico della società storica Comense, 61, 1999, p. 83-99 ; Klecker Elisabeth, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs : les Emblemata d’Alciat et l’emblématique », Littérature, 145, 2007, p. 23-52 (numéro consacré à « L’emblème littéraire : théories et pratiques » [direction : S. Rolet]) ; Laurens Pierre et Vuilleumier-Laurens Florence, L’Âge de l’inscription, Paris, Belles Lettres, 2010, chap. IV « L’invention de l’emblème par André Alciat et le modèle épigraphique », p. 89-112 ; Leveleux-Texeira Corinne, Bassano Marie, « Alciat, le De verborum significatione et la morphologie du droit », dans S. Geonget (dir.), Bourges à la Renaissance, Hommes de lettres, hommes de lois, Paris, Klincksieck, Coll. « Jus & Litterae », 2011, p. 283-309 ; Maclean Ian, « Le séjour d’Alciat à Bourges, vu à travers sa correspondance et ses préfaces berruyères » dans S. Geonget (dir.), Bourges à la Renaissance, Hommes de lettres, hommes de lois, Paris, Klincksieck, Coll. « Jus & Litterae », 2011 ; Möller Ernst von, Andreas Alciat (1492-1550), Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte der modernen Jurisprudenz, Breslau, M. & H. Marcus, 1907 ; Raynal Louis, Histoire du Berry, depuis les temps les plus anciens jusqu’en 1789, Bourges, Vermeil, 1844-1847, t. 3, p. 367-371 ; Rossi Giovanni, « Diritto e letteratura in una commedia inedita di Andrea Alciato : il ‘Philargyrus’ », in M. P. Mittica (dir.), Diritto e narrazioni, Temi di diritto, letteratura e altre arti (Atti del secondo convegno internazionale, Bologna, 3-4 giugno 2010), 2011, p. 269-307 ; « Andrea Alciato » in L'enciclopedia italiana, « il contributo italiano alla storia del Pensiero : Diritto (2012) » : www.treccani.it/enciclopedia/andrea-alciato_(Il_Contributo_italiano_alla_storia_ del_Pensiero:_Diritto)/ Russell Daniel, « Alciato (Andrea) 1492-1550 » dans C. Nativel (dir.), Centuriae latinae, Cent-une figures humanistes de la Renaissance aux Lumières offertes à Jacques Chomarat, Genève, Droz, THR no 314, 1997, p. 51-55. Viard Paul-Émile, André Alciat, 1492-1550, Paris, Sirey, 1926 ; Vuilleumier-Laurens Florence, La raison des figures symboliques à la Renaissance et à l’âge classique, Genève, Droz, THR no 340, 2000, chap. IV « Claude Mignault éditeur et préfacier d’Alciat », p. 145-171.
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Green Henry, Alciat and His Book of Emblems, A Biographical and Bibliographical Study, Londres, Trübner, 1872 ;
Première partie
Les premières œuvres : permanence et adaptations des modèles antiques
L’humaniste en herbe : opuscules de jeunesse Denis L. Drysdall - University of Waikato, Hamilton, New Zealand
Il y a cinquante ans, et dans ce Centre d’Études Supérieures de la Renaissance de Tours, le regretté professeur Roberto Abbondanza donna deux communications qui sont restées des études fondamentales sur le grand juriste italien1. Je voudrais dédier en particulier ma communication à la mémoire de cet ami, qui partagea si généreusement avec moi et plus d’une fois les fruits de ses recherches. C’est un devoir dont je m’acquitte avec d’autant plus de satisfaction qu’il m’avait fait don, il y a quelques années, d’une copie xérox des pages d’un livret qu’il avait trouvé dans la Bibliothèque Municipale de Bergame et que je présente ici2. Il s’agit d’un petit imprimé in-quarto de huit feuillets, exemplaire unique semble-t-il, qui contient seul les opuscules que je décrirai. Il est sans lieu ni date de publication, et la reliure est d’une date postérieure. Étant donné pourtant la nature de l’ouvrage et l’identité du principal auteur, nous pouvons supposer que le livre fut imprimé à Milan ; les caractères gothiques suggèrent la première décade du seizième siècle3. Une allusion de l’auteur nous permet de proposer plus précisément 1506 ou 1507. L’ouvrage a pour titre tout simplement In Bifum. Il consiste en une anthologie de vers satiriques qui attaquent Giovanni Vincenzo Biffi, maître d’école élémentaire des auteurs, à ce qu’il semble. Une courte préface, fournie par un certain L. Pancharius Pudens4 nous apprend que l’œuvre principale du volume fut composée par Alzatus, forme du nom utilisée par Alciat dans ses années de jeunesse, que l’on retrouve dans plusieurs documents de
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« La Vie et les œuvres d’André Alciat » et « Premières considérations sur la méthodologie d’Alciat », dans Pédagogues et Juristes. Congrès du Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours : Eté 1960, Paris, 1963, p. 93-106 et 107-118. Biblioteca Civile Angelo Mai, Cinquecentina 3.430, 8 ff., 20 x 14 cm, 4º a [i] - b [iv]. Puisque je ne pouvais moi-même visiter la bibliothèque, je dois remercier aussi notre collègue Valérie Hayaert, qui a examiné le livre pour mon compte. Confirmé par Ennio Sandal, qui attribue le volume à l’imprimeur Milanais Alessandro Pelizzoni “après 1500”. (Editori et Tipografi a Milano nel Cinquecento, Baden Baden, 1977, 3 vols : I, 73). Je suis redevable de ce renseignement à Stéphane Rolet. Je n’ai rien trouvé sur Pancharius, mais je me demande si Pudens est un exemple de cette espèce de « nom de plume » faisant allusion aux personnages de l’Antiquité classique que les humanistes adoptaient volontiers. Dans ce cas, Pudens serait peut-être une allusion humoristique à un ami de Martial, Aulus Pudens, centurion en chef, mais aussi pédéraste notoire ; voir aussi la note 7.
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l’époque et une dernière fois dans le certificat de son doctorat de l’université de Ferrare5. Pancharius compare le talent d’Alciat à celui de Catulle et de Martial, ajoutant que, pour donner satisfaction à Alciat, il a inclus dans le volume d’autres épigrammes « d’un sentiment pareil » – c’est-à-dire, d’autres satires de Biffi. Le volume contient d’abord un poème de 151 vers qui a pour titre Bifiloedoría – que je traduis « Réprobation de Biffi »6 – suivi de treize épigrammes, d’une longueur de deux à treize vers, qui sont aussi d’Alciat7. Après ceux-ci on trouve sept épigrammes d’autres collaborateurs, dont deux par un certain Jacopo Landriani, probablement un parent de la mère d’Alciat. Le volume se termine par une « Idylle » de 90 vers d’un nommé Aurelio Buzio, qui est peut-être cet Aurelio Albuzio, auteur de l’emblème qui invite Alciat à fuir les troubles de l’Italie pour aller enseigner en France, et auteur prétendu de la Défense contre L’Estoile et Longueval8. Je n’ai pas pu identifier mieux ces collaborateurs : Pancharius les qualifie de « certains des meilleurs savants » – ce qui signifie probablement certains camarades de classe d’Alciat. Je suis d’avis que les épigrammes d’Alciat, qui ne manifestent aucune connaissance particulière du grec9, datent probablement de l’époque même de son éducation primaire sous la férule de Biffi, tandis que la Bifiloedoría, qui, elle, en donne une preuve visible, aurait été composée un peu plus tard. On sait qu’Alciat acquit sa maîtrise du grec sous la tutelle d’Aulo Giano Parrasio et qu’il assistait aussi aux classes de Jean Lascaris et de Démétrius Chalcondylas10. Ces études eurent lieu dans les années 1504-1506. L’apprentissage sous Biffi se serait donc déroulé dans la période précédente, peut-être à partir de 1497 ou 98. La carrière de Biffi est assez bien connue11. Né en 1464 dans le Milanais, il reçut jeune la prêtrise. L’origine illégitime, paysanne et appauvrie, qu’Alciat lui attribue par dérision,
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Roberto Abbondanza, « La Laurea di Andrea Alciato », Italia medievale e umanistica, 3, 1960, p. 325-8, à la page 327. 6 Le grec « loedoría » signifie « réprimande, reproche » : Alciato a peut-être appris le mot dans la Souda, Λ 753-5. 7 Le texte des poèmes d’Alciat, avec traduction anglaise, introduction et notes, paraît dans Emblematica, 18, 2010, p. 241-270. 8 Alciat, Emblemata cum commentariis, Padoue, Tozzi, 1621, no 143. Buzio aurait pu adopter par la suite, selon la coutume des humanistes, le nom de Titus Albutius, ami de Cicéron célébré pour son éloquence en grec et nommé dans la citation bien connue de Lucilius (Cicéron, Orator, 44, 149). Albuzio est décrit par Thuilius (p. 612, suivant Bonaventure Châtillon) comme Mediolanensis et, par Sánchez de las Brozas comme Iurisconsultus, Graeci et Latini sermonis peritus (Commentaria in Andreae Alciati emblemata, Lyon, G. Rouille, 1573, p. 414) ; voir aussi Johannes Köhler, « Alciato’s shadow : Aurelio Albuzio », Emblematica, 9/2, 1995, p. 343-67. 9 Ces épigrammes n’utilisent pas les images fabuleuses ou proverbiales qui sont un trait notable du poème long. 10 Roberto Abbondanza, « Alciato, Andrea » in Dizionario biografico degli Italiani (désormais DBI), II, p. 69-97. Pour Parrasio et son influence sur Alciat, voir Francesco Lo Parco, « Aulo Giano Parrasio e Andrea Alciato (con documenti inediti) », Archivio storico lombardo, série 4, XXXV, 1907, p. 160-197. 11 Renzo Negri, in DBI, IV, p. 383-5. Negri remarque : « S’ ignora per quanto tempo il B[iffi], forse già avviato al sacerdozio, si trattenesse a Roma, né soccorrono altre tracce autobiografiche nelle sue opere posteriori, all’ infuori dei cenni nelle dediche agli amici della corte di Lodovico il Moro, dai quali si apprende che divenne cappellano in S. Satiro, rettore di S. Maria a Mezzago, cappellano di S. Vittore e canonico di S. Nazaro a Milano, dove mori il 5 Iuglio 1516. […] II B[iffi] fu celebrato ai suoi tempi, e si
Nam bufo Bifus, bifututus buphonus, Conscribere in me gloriatur carmina.
Je traduis (tout en m’excusant du langage) : « Ce crapaud de Biffi, ce boucher deux fois foutu, se glorifie de composer contre moi des vers. » Le mot grec bouphonos signifie « celui qui abat des boeufs », mais aussi, bien entendu, « celui qui sacrifie, le prêtre »12. Bifututus bouphonus donc suggère un prêtre lascif, et fait pressentir l’une des allégations les plus sérieuses de l’auteur contre sa proie. Alciat donne ailleurs d’autres explications de l’épithète13, mais je fais remarquer ici qu’elle est la première indication, mis à part peut-être le titre, qui nous signale l’une des principales sources d’images utilisées par Alciat. Il s’agit de la Souda, ce dictionnaire encyclopédique byzantin du xe siècle, imprimé pour la première fois en 1499 précisément à Milan, où notre satiriste aurait trouvé l’idée du bouphonus dans l’article sur la bouphonía, fête célébrée annuellement à Athènes14. Alciat prétend d’abord ne pas daigner répondre à ces attaques, parce que, comme dit le proverbe, « l’éléphant indien ne fait guère attention à un moucheron »15. Mais Biffi a publié ses exécrables plaisanteries une deuxième fois. Alciat refuse de « manger les choux recuits16 », et invoque Rhamnusia pour l’aider à se venger. Voici une petite suite d’allusions qui nous donnent d’autres indications des sources qui inspirent Alciat. Ce sont des images
celebrò lui stesso, come prosatore e poeta latino fra i più insigni, operante nell’orbita della fastosa corte sforzesca, a contatto stretto con personalità letterarie […] alcuni da lui adulati con scarso ritegno, come faceva, in modo ancor più pesante, con gli uomini politici. » 12 Par exemple, Pausanias, 1, 28, 10 ; Aristophane, Les Nuées, 985. 13 Voir les lignes 55 et 91. 14 Souda Β 474-5. 15 Érasme, Adagia, 1, 10, 66 (966), Indus elephantus haud curat culicem. 16 Érasme, Adagia, 1, 5, 38 (438), Crambe bis posita mors.
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est contredite par le témoignage de ses propres lettres. À partir de la fin de 1483, il passa quelque temps à Rome. Rentré à Milan, il fréquentait la cour de Ludovic le More, se mettant en contact avec personnages littéraires et politiques qu’il flattait avec extravagance. Il enseignait dans l’école établie par les Visconti, où on peut supposer qu’Alciat était son élève. Selon l’une des épigrammes d’Alciat, il était ignorant du grec, bien qu’il affectât des allusions aux autorités grecques. Il occupait aussi plusieurs postes ecclésiastiques dans la cité, publiait une quantité de vers religieux et d’ouvrages pédagogiques et mettait un grand effort à l’auto-publicité. Il mourut en 1516. La Bifiloedoría prétend être une riposte à des vers déjà publiés par Biffi. La préface la décrit comme une retaliatio – terme qui semble servir pour Pancharius d’équivalent du grec loidoría. Mais la question de savoir qui aurait en réalité provoqué la guerre reste douteuse. J’ai déjà suggéré qu’Alciat aurait pu composer certaines épigrammes dans la période où il était toujours sous la férule de Biffi. Les cinquième et sixième vers de la Bifiloedoría parlent aussi d’assauts précédents :
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dont certaines peuvent faire penser à des emblèmes17, mais je ne suggère pas que ce soient déjà des anticipations d’emblèmes. L’intérêt de ces figures réside dans le fait qu’elles sont des témoignages de ses lectures et de la façon dont il composa cette satire de jeunesse. La deuxième catégorie de lectures que ces figures nous signalent, c’est la tradition parémiologique. Voici le proverbe de l’éléphant indien et celui des choux recuits qu’Alciat aurait pu trouver dans le Syntagma de proverbes grecs publié par Alde Manuce en 150518. Dans le même passage l’auteur se plaint du fait que Biffi lui aboie « comme un chien qui aboie à minuit à l’orbe étincelante de Phébé »19. Nous nous souvenons naturellement de l’emblème Inanis impetus, mais Alciat, au moment où il écrit ceci, se souvient plus probablement du hiéroglyphe de l’« oryx », animal qui était, selon Sánchez de las Brozas (p. 464), « une espèce de chien qui aboie à la lune levante »20. C’est une deuxième indication qu’Alciat a connu très tôt la publication d’Alde qui rassemblait dans le même volume, avec les Syntagma de proverbes, les fables d’Ésope en grec et en latin et les hiéroglyphes d’Horapollon. La suite d’allusions se termine avec les images des « cygnes » et des « corbeaux », images tirées toutes les deux de la Souda, dont la deuxième aurait rappelé pour les camarades d’Alciat le corvus de Juvénal ou de Martial, mot qui signifiait chez eux fellator21. Dans la suite du poème, les images ou les proverbes empruntés aux sources identifiables sont moins fréquents : Alciat se livre maintenant à des remarques sur le caractère physique et moral. D’abord Biffi n’est pas d’une taille si petite qu’il ne puisse pas « caresser les cheveux migrisonnants mi-noirs de Philonides. » Je n’ai pas pu identifier ce Philonides apparemment assez grand, mais l’expression d’Alciat suggère un contemporain. Il s’agit peut-être d’un sobriquet inventé par les étudiants pour un associé de Biffi, et basé sur le grec philóneos (amant de garçons), mot utilisé par Lucien22. Puis Biffi a « le cou long comme les cigognes ». Encore une fois nous pensons à un emblème, Gula, mais Alciat et ses jeunes lecteurs se souviendraient de « l’épicurien » (epikuréos) de l’Éthique à Nicomaque23 qui souhaitait avoir le cou long comme une cigogne pour prolonger le plaisir de goûter ce qu’il mangeait. La mention des épicuriens semble amener l’auteur à ajouter que Biffi a « les paupières surchargées de sourcils hérissés, comme Pronomus ou “les Épicure” ». Pronomus était célèbre pour sa barbe, non pour ses sourcils ; mais tant pis, c’est peut-être une erreur d’écolier. Le nom de Pronomus fait écho non
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Rhamnusia paraîtra plus tard dans les emblèmes Nec verbo nec facto quemquam laedendum (no 27) et dans In simulachrum Spei (no 44). Alde (ed.) : Habentur hoc volumine haec, videlicet. Vita et fabellae Aesopi […] Ori Apollinis Niliaci hieroglyphi[…] Syntagma proverbiorum Tarrhaei et Didymi […], Venise, Alde, 1505. Mihi hunc itaque latrare: uti media canis / Nocte ad micantem circulum Phoebes solet. L’expression a l’air d’un proverbe, mais elle ne se trouve pas dans la Souda, qui donne le mot oryx sans définition, ni dans le Syntagma d’Alde. Elle ne se trouve pas non plus dans le Corpus paroemiologorum graecorum ni dans A. Otto, Sprichwörter und sprichtwörtliche Redensarten der Römer, Hildesheim, 1962 ni dans ses Nachträge, Darmstadt, 1968. Le hiéroglyphe de l’oryx est le no 49 du premier livre des Hieroglyphica de 1505 (p. 131–2). Pour Sánchez de las Brozas, voir supra note 7. Souda, Κ 2655 and Κ 2006 (et peut-être aussi Κ 2492, κρώνειν). Pour le corbeau comme fellator, voir Juvénal, 2, 63 et Martial, 14, 74. Amores, 24. 3, 10.
Biffi est incapable de se moucher avec le doigt Parce qu’il a la main et plus petite et plus courte que le nez. Et il ne demande pas la bénédiction de Jupiter quand il éternue ; Son nez est tellement loin de ses oreilles qu’il n’entend rien.
Mais la Bifiloedoría renchérit : Son nez, plus grand que la trompe d’un éléphant, est courbé, couvert de protubérances et noir. Ce nez pourtant est venu en aide à un homme, car, quand il arriva par hasard qu’un incendie s’empara subitement de la maison d’un voisin, celui-ci, qui était resté à l’intérieur, ne trouvait pas moyen de fuir, l’entrée étant déjà en flammes. Le pauvre homme criait en pleurant à l’une des fenêtres. Mais voyant Biffi qui passait il sauta sur son nez et descendit rapidement comme sur une échelle. Voilà comment cet homme dégourdi s’échappa de la chaleur de l’incendie.
Après le nez et d’autres traits corporels répugnants (« Vous ne saurez distinguer facilement s’il respire ou s’il lâche un pet, parce qu’il a la même odeur en haut et en bas »), Alciat passe au caractère moral et intellectuel, à commencer par la généalogie de Biffi, son éducation et son arrivée à Milan : Un enfant engendré malhonnêtement par un père paysan, né dans la brousse et enveloppé de haillons et de feuilles d’if par une mère tellement pauvre qu’elle n’arrivait guère à le nourrir. Adulte, il devint berger et bouvier, un gardien de troupeau. Mais quand par hasard il tua un bœuf avec son aiguillon de fer, on l’appela Buphonus, c’està-dire ‘Tueur de bœuf ’. Il était donc obligé de quitter la campagne et les affreux lieux déserts du pays paternel. Après de longs vagabondages, il aborda à cette cité des Insubres, et pour éviter que l’histoire ne parvînt aux oreilles du propriétaire du bœuf, il raconta qu’il s’appelait Biffi, non Buphonus.
Pourquoi donc tolérer ce vagabond, ou permettre à ce fugitif d’injurier des adolescents innocents et de réciter ses vers fâcheux ? La lyre ne convient pas au choucas – selon le proverbe qu’Alciat aurait trouvé chez Aulu-Gelle. Il y a pire : il attire tous ses étudiants en les détournant des bons maîtres et se fait gloire de leur donner une meilleure instruction. Quand les pères trouveront que leurs fils ont été corrompus par ce vaurien, ils le contraindront à s’acquitter de ses obligations, tout comme les « plagiaires » sont punis sous la loi fla-
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Souda Π 2527. Aristophane, L’Assemblée des femmes, 102-3. Cf. Érasme, Adagia, 1, 2, 95 et 4, 2, 17 in Collected Work of Erasmus, Toronto, 1982, vol. 31 et 35, 195 et 3, 117 in Erasmus, Opera omnia, Amsterdam, Brill, 1993, II.1, qui note plusieurs exemples de plaisanteries concernant les barbes chez Lucien et chez Martial.
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seulement à la Souda, mais aussi à Aristophane24. « Épicures » signifierait ici simplement le stéréotype des philosophes, dépeints par Lucien, Martial et d’autres comme personnages qui cachaient leur manque de sagesse derrière une longue barbe. Alciat fait mention ensuite des oreilles qui donnent à Biffi l’apparence d’un âne, image qui atteindra plus tard toute son importance. Il ne s’y arrête pas pour le moment, mais passe au trait saillant : le nez. Ce nez est le sujet de trois des épigrammes brèves, dont je cite une qui, vous pouvez le penser, tend à exagérer :
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vienne (Alciat veut dire probablement « loi fabienne » – autre erreur d’écolier25), ou comme l’âne s’acquitta envers le lion. Il va de soi que, dans la fable d’Ésope qu’Alciat pouvait lire dans le volume d’Alde26, le lion tue l’âne. Biffi n’est pas maître d’école (paedagogus) mais proxénète (proagogus). Lui confier des garçons, c’est comme confier un mouton à un loup, une femme à un Sybarite, ou Ion à Cletorus. La troisième de ces comparaisons est obscure, mais, à l’examen, elle se montre utile. « Ion » est évident : c’est le héros éponyme de la tragédie d’Euripide, enfant engendré en secret par Apollon et élevé dans son sanctuaire en toute innocence. Le nom de Cletorus, au contraire, est une énigme. Il s’agit, paraît-il, d’un nom formé sur une lecture incorrecte d’un passage de Lucien. L’erreur est, selon Roger Mynors, le fait d’Érasme, dont le manuscrit divisait en deux le mot grec onomacletor (domestique qui criait le nom des clients ou des visiteurs). En raison d'un possible jeu de mots (cletor/clitoris), Érasme supposait que cletor était le nom d’un débauché proverbial27. Si, comme je suppose, l’erreur d’Érasme est la source du Cletorus d’Alciat, elle nous fournit une date probable pour la Bifiloedoría, puisque la première édition du Lucien d’Érasme est de 1506. Cela confirmerait que le poème d’Alciat se place, non dans la période où il était sous la férule de Biffi, mais dans celle de ses études sous Parrasio, de ses études de grec. Il demeurait à cette époque toujours à Milan, donc toujours dans la même société que Biffi, et ne se déplacerait que l’année suivante à Pavie pour commencer ses études de droit. La Bifiloedoría donc daterait de 1506 ou de la première partie de 1507. Les dernières touches du portrait de Biffi introduisent les accusations les plus sérieuses, donnant à entendre que ce maître mésusait de la pire façon de sa position : Si quelque garçon hésite, il lui ordonne de délier tout de suite ses bretelles, de descendre ses chaussses, comme si on allait l’étriller. Mais Biffi ne fait pas ceci pour le battre : c’est pour une autre raison que je ne veux pas dire maintenant. Quel crime abominable! – qu’un homme ignorant et “impudent devant et derrière” [c’est une expression empruntée à Cicéron] ose enseigner dans nos écoles, nourrir ces garçons de ses niaiseries et les renvoyer à leurs parents plus barbares de moitié qu’ils ne l’étaient quand il les avait reçus. Qu’est-ce que ce vaurien sait enseigner aux adolescents en dehors de l’impudicité et de la scélératesse ? Pour enseigner ces vices, il est le meilleur maître, car il connaît tout ce que disent les livres d’Éléphantide, les plaisanteries milésiennes d’Aristide et le livre efféminé de la Sybarite [Ce sont trois anthologies notoires de vers érotiques].
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Le latin lege Flavia est probablement une erreur pour lege Fabia, loi contre la corruption, le rapt d’enfant, le fait de traiter un homme libre comme un esclave, etc. Digeste, 48.15.1. Voir A. Berger, Encyclopedic Dictionary of Roman Law, [1953], 4th repr., Union, N.J. , 2002. 26 Leo, asinus et vulpes, p. 32 pour le grec, ou f. B [10r] pour le latin (il y a six feuilles non numérotées insérées après le quaternion sig. B du latin). 27 Lucien, De mercede conductis potentium familiaribus, 10. Voir Érasme, Adagia, 3, 2, 18 (2118), Κλιτοριάζειν, et la note de R.A.B. Mynors (CWE 34, p. 392). Pour le texte de la première édition de Lucien par Érasme, voir Opera omnia, ASD I-1, 558 note. La deuxième édition du Lucien d’Érasme (Venise, Alde, 1507) ne répète pas l’erreur, mais dans les Adagia de 1508 (ASD II-5, 117, ap. crit., ll. 272-3), l’erreur persiste. Érasme commente : [Adagium] Sumptum opinor a moribus κλήτορου cuiuspiam, cuius meminit Lucianus in libro de mercede servientibus : καὶ ὄνομα κλήτορι λιβυκῷ ταττόμενον, Et cum tibi nomen Cletori Libyco imponitur. Quo quidem ex loco satis apparet id nominis in proverbiale convitium abiisse. Le dernier vers de cette page de la Bifilœderia [a iii v] est difficile à lire. Je propose : Mandatque Cletoro ionem: atque mulierem / Sybaritico. nam clutus est adulescentiae / Inimicus.
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Il est probable qu’Alciat se souvient ici d’un proverbe – peut-être Asinus esuriens fustem negligit (Adagia, 2, 7, 48 [1648]), dont la source est Aristote, Éthique à Nicomaque, 3, 8, 11 – en le réunissant à un vers d’Horace (Epistolae 1, 20, 15) qu’Érasme prend pour proverbial : Asinum in rupes protrudere (Adagia, 4, 1, 76 [3076]). Souda M 987 Μὴ σύ γε μελαμπύγου τύχης. Souda, Κ 1610 ; Alde, Syntagma, col. 140. Il faut évidemment observer certaines précautions concernant la véracité d’Alciat. L’article de Negri, dans le DBI, montre que l’on ne doit pas ajouter trop de foi aux allégations les plus corsées. Au contraire il faut tenir compte d’un certain manque de mesure et de goût. D’autre part, on admettra que dans la Bifiloedoría et dans les autres épigrammes, on ressent une forte rancune. Biffi n’était peut-être pas le vaurien repréhensible et ignorant qu’Alciat dépeint, mais il était apparemment vain, un lécheur de bottes, et un objet des railleries de ses élèves.
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L’image qui conclut le poème est l’âne qu’Alciat a évoqué déjà deux fois : « Mais cessons de chasser avec nos bâtons cet âne ignorant28 ; mettons fin maintenant à nos vers, sans l’attaquer plus, car cet homme n’a qu’à rencontrer une fois un Melampygus ». Or Melampygus, nom qui signifie « Cul-noir », est une espèce de croque-mitaine. C’est encore une allusion à une expression proverbiale qu’Alciat aurait trouvée dans la Souda, « Attention que tu ne rencontres un Cul-noir », et que ce dictionnaire explique comme dirigée contre les criminels en les avertissant : « Attention que tu ne rencontres quelqu’un de fort et que tu ne payes la rançon29 ». Alciat conclut : «Qu’est-ce que ceci signifie? Personne ne doit douter que Biffi ne subisse en personne les châtiments qu’il mérite. Car Killikon aussi rencontra enfin son boucher ». L’histoire de Killikon est peu connue, mais l’allusion constitue un dernier témoignage des sources utilisées par Alciat. Elle se trouve et dans la Souda et dans le Syntagma d’Alde30. Killikon était un malfaiteur qui trahit non seulement la ville de Samos, mais aussi sa ville natale de Milet. Quand on lui demandait ce qu’il faisait, il répondait « Rien que du bien », mais en fait il volait des temples, et l’expression « “Rien que du bien”, comme disait Killikon » passa en proverbe. Il reçut ce qu’il méritait quand un homme de Milet, un boucher dont il voulait acheter de la viande, lui trancha la main en disant « Cette main ne trahira jamais une autre ville ». Et Alciat de se saisir d’autant plus allègrement de cette histoire, parce que le nom de Killikon peut être entendu comme un diminutif formé sur le grec killos, un âne. Et voilà pour Biffi31 ! Mais lui n’est pas le sujet de notre colloque. Ce que nous entrevoyons ici de plus intéressant, à travers la satire un peu adolescente, ce sont les débuts d’Alciat dans la littérature grecque. Il se sert à plusieurs reprises de deux ouvrages qui auraient été la joie des humanistes de l’époque : la Souda et le volume de fables, de hiéroglyphes et de proverbes publié par Alde. Je ne sais si Parrasio utilisait ces textes comme moyens d’instruction, mais il est clair que déjà en 1506 ou 1507 Alciat lisait le grec avec assez de compétence pour se servir de ce matériau. De la littérature grecque, il semble connaître aussi l’Éthique à Nicomaque d’Aristote et peut-être des pièces d’Aristophane et des oraisons d’Aristide, mais probablement de réputation seulement les ouvrages moins convenables qu’il nomme. Notre texte témoigne aussi, avec une connaissance de Lucien, en latin ou en grec, de la familiarité que l’on supposerait avec les grands auteurs latins : Cicéron,
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Virgile, Horace, Ovide, Aulu-Gelle et, pour la forme et le langage, ses principaux modèles, Catulle et Martial. Je ne saurais dire si son esprit égale celui de Catulle, comme prétend la préface, mais il me semble que comme poète Alciat a maîtrisé assez bien son instrument pour tracer le portrait et raconter les incidents avec une certaine facilité et avec l’économie que l’on célébrera plus tard ; de temps en temps aussi avec une aigreur bien marquée. L’emploi du volume d’Alde est aussi une indication assez convaincante qu’il connaissait les hiéroglyphes longtemps avant le séjour à Bologne où il aurait pu rencontrer Fasanini. Je voudrais conclure en ajoutant à ces témoignages de la formation humaniste du jeune Alciat deux poèmes restés jusqu’à maintenant peu connus. En 1511, il contribua par des vers élogieux à deux publications d’autres auteurs. Le premier poème, qui paraît dans les Memoralia de son camarade d’études Catelliano Cotta, compare l’auteur au juriste classique Papinien : Echo mihi aliquid loquere si placet ?– placet. Ego quis id operis fecerit nescio ? – scio. Dic ergo num Catelliani opus est ? – opus est. Humanitatis studia igitur sapit ? – sapit. Iurisperitus nonne etiam est bonus ? – bonus. Id esse dicas quomodo potest ? – potest. Num neminem scire haec duo referunt – ferunt. Papinianus alter an hic est? – hic est. Haec vera cum sint : credo nunc : vale ! – vale !32
– compliment que Zasius retournera plus tard à Alciat lui-même33. Le deuxième poème s’adresse à Giovanni Quinziano Stoa, auteur d’un manuel sur la quantité des syllabes, qu’il appelle le « Varron de notre époque » : Echo unde sit liber iste nescio. – scio. Dic igitur: an ne vatis est Stoae ? – Stoae. Erras. id erato fecit haud Stoa. – Stoa. Echo in poetas ista non cadunt. – cadunt. Prorso atque verso hic ore num valet ? – valet. Ergo poetis praestat omnibus. – omnibus. An Varro nostro tempore edepol est ? – pol est. Codex hic igitur omnia in se habet ? – habet.34
Les noms de Papinien, qui jouissait de la plus haute réputation parmi les juristes de l’Empire et les humanistes pour son érudition et ses connaisssances du grec, et de Varron, polygraphe encyclopédique et le mieux connu des philologues classiques, ne pouvaient indiquer plus clairement les modèles les plus admirés et le futur programme de notre jeune juriste.
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Andreae Alzati Victoris, in C. Catelliani Cottae Legum Scholastici Memoralia, Ticini, Iacobo a Burgofranco, 1511, f. [AA 1]v). BL, C.142.d.1. Pour Cotta, voir DBI vol. 30, p. 464-5. Voir aussi F. Lo Parco, « Aulo Giano Parrasio e Andrea Alciato (con documenti inediti) » (note 9), p. 183. Selon Paul-Émile Viard, André Alciat, 1492-1550, Paris, 1926, p. 49, n. 2, qui cite Zasius, Epistolae ad viros aetatis suae doctissimos, Ulm, 1774, p. 14 et 42. Andreae Alzati Victoris Mediolaniensis [sic] patricii in Quintianus Stoa, De syllabarum quantitate, Ticini, 1511, f. 137r, Bodleian, 4o M 20 Art.BS ; BL, 1568/3264. Voir Girolamo Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, Milan, 1833, IV, lib. 3, cap. XX et XXI, p. 293-5.
Règlement de comptes à milan : Giovanni Biffi versus Alciat et ses amis Stéphane Rolet - EA 1579 Littérature et histoires - Université de Paris VIII - Saint-Denis - EPHE
Roberti Abbondanzae in memoriam
Cette brève contribution a une histoire on ne peut plus liée à ce volume. Comme je rédigeais mon article sur la genèse de l’emblème Virtuti fortuna comes1 et la médaille de Jean Second pour Alciat, je suis tombé par hasard sur la devise au caducée de Ludovico Sforza dont il m’a paru qu’elle avait un lien manifeste avec l’emblème d’Alciat, lien qui paraissait avoir été totalement oublié et que j’ai tenté de restituer. Quand j’ai cherché pourquoi et comment, portant un caducée dans une de ses devises préférées, Ludovico pouvait se sentir lié à Mercure, subodorant l’argument astrologique, j’ai pensé que Giovanni Biffi (1464-1516)2 – personnage dont Denis Drysdall, guidé par Roberto Abbondanza, nous avait fait découvrir l’existence et le lien avec Alciat – pourrait peut-être apporter quelque information parce qu’il avait aussi commis un écrit au titre étrange : « Prophétie des Parques sur le jour de naissance de l’Illustrissime Prince Ludovico », Parcarum promantheusis in die natali Ill. Principis Ludovici, (Milan, A. Zaroto, s.d. [1484 ?]). Allant vérifier à la Bibliothèque nationale ce texte, décevant sous cet aspect, j’en ai profité pour parcourir d’autres opuscules de Biffi reliés avec la Promantheusis et, dans la dédicace de l’un d’eux à Ludovico Sforza, je suis tombé sur un vers plus que surprenant, mais bienvenu pour mon étude : Virtutis [sic] fortuna comes… appliqué à Ludovic le More dont Biffi est un thuriféraire patenté ! Continuant mes vérifications en août 2012, cette fois sur le lieu du crime pour ainsi dire, à Milan donc et à la Biblioteca Trivulziana3, j’ai alors découvert un bref poème encomiastique d’Alciat adressé à Biffi et publié par ce dernier, pièce qui, me semble-t-il, n’avait pas été remarquée. Ce serait là un des tout premiers textes du jeune Alciat à avoir été composé et imprimé. Bien que cet éloge soit publié en 1512, comme il est adressé à Biffi, il a par conséquent été rédigé avant le mordant In Bifum (ca. 1506-1507 ?). Il reste qu’à l’insu de son auteur, cette pièce a bien été donnée au public par Giovanni Biffi lui-même. Quelle raison avait donc le maître de publier un texte de son élève, alors même que ce dernier l’accuse ouvertement
1 Voir infra, p. 321-365.. 2 Sur Biffi, voir Renzo Negri, « Giovanni Vincenzo Biffi », DBI, 1968, vol. 10 (). 3 Je tiens à remercier le personnel de la Trivulziana, et, en particulier, la Dott.ssa Marzia Pontone pour sa constante disponibilité et pour son très sympathique accueil.
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de pédérastie dans les épigrammes de l’In Bifum révélées par Denis Drysdall. La virulence générale des attaques contenues dans ce recueil incite, en effet, à ne pas y voir qu’une insulte topique. Ainsi, depuis qu’Alciat a insulté Biffi de pareille manière, ce dernier n’a plus aucune raison de faire la promotion de son ancien élève, si brillant soit-il. Il faut donc supposer que cette surprenante publication est ici utilisée à contre-emploi, en quelque sorte, et qu’elle constitue en fait une forme de contre-attaque aux épigrammes acerbes de l’ancien disciple : notre travail se propose de fournir modestement un (provisoire) épilogue à la contribution pleine de nouveautés de Denis Drysdall, initiée quondam par Roberto Abbondanza – un maillon en quelque sorte de la longue catena Alciatea. L'éloge en question figure dans un recueil de Carmina de Biffi de 48 feuillets (Milan, Gottardo da Ponte, 14 VIII 1511-22 XI 1512), formé de huit parties4. La huitième de ces plaquettes – la plus importance et de loin – qui compte vingt feuillets5 est dédiée à un très puissant personnage, le cardinal-légat Matthias Schiner6, évêque de Sion, qui est l’un des chefs de la Sainte Ligue réunie par le pape Jules II contre les Français. En juin 1512, quelques mois avant la parution de cette plaquette, Schiner a été l’un des artisans du retour au pouvoir à Milan d’un Sforza, Massimiliano, le fils aîné du More, au profit de qui les Suisses de Schiner ont chassé les Français du Milanais. Comme contrepoint en quelque sorte, la dernière partie de cette plaquette pourtant assez brève porte encore une autre dédicace7, elle aussi à un personnage politique de premier plan, le cousin du nouveau duc Massimiliano, Ottaviano Maria Sforza Visconti8, évêque de Lodi, commissaire général de la Sainte Ligue, qui fait alors fonction de gouverneur de Milan. Dans ce cadre, à la toute fin de la huitième partie et de ce qui était initialement une section de dix pages publiée à Milan, par Gottardo da Ponte le 30 septembre 15129, Biffi fait prononcer son propre éloge par un brillant disciple, André Alciat lui-même. Il faut reconnaître que ce n’est pas tant le texte ampoulé et flagorneur prêté à Alciat qui, en soi, suscite le plus grand intérêt, mais plutôt, comme nous le verrons ensuite, la ma-
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Ennio Sandal, Editori e tipografi a Milano nel Cinquecento, Baden Baden, 1977, vol. 2, p. 75-76, no 311, décrit l’exemplaire de la Trivulziana (I. 1421/2-9) que j’ai examiné, ainsi qu’un exemplaire de la Bibliothèque nationale (Rés. Yc. 668/2-9) dont j’ai pu vérifier qu’il comportait un texte semblable. Cette partie est formée de sections dont certaines, portant un colophon, ont pu être diffusées de manière indépendante. « au père dans le Christ Matthias [Schiner], cardinal du titre de Santa Pudenziana de la Sainte Église Romaine, évêque de Sion, très respecté légat pontifical en Germanie et en Lombardie », In Christo patri Matheo tituli Sanctae Potentianae Sanctae Romanae Ecclesiae presbytero Cardinali Sedunensi episcopo, Germaniae et Longubardiae pontificali legato. Matthias Schiner (1465-1522), évêque de Sion depuis 1498, cardinal depuis 1511, a été « papabile » en 1522 à la mort de Léon X. « au révérendissime père dans le Christ Ottaviano Maria Sforza Visconti, évêque de Lodi, commissaire général de toute la Sainte Ligue et gouverneur de Milan », Ad reverendissimum in Christo patrem dono dedit Octauianum Sfortiam Vicecomitem episcopum Laudensem ac totius sanctae Confoederationis commissarium generalem ac Mediolani gubernatorem. Ottaviano Maria Sforza (1475-1545), fils illégitime de Galeazzo Maria Sforza, évêque de Lodi en 14971499, puis à partir de 1512 et jusqu’en 1519. Le 20 juin 1512, c’est lui qui prend le pouvoir au nom de Massimiliano, ce qui explique le titre de « gouverneur de Milan » que lui décerne Biffi, mais il n’a pas occupé ce poste stricto sensu. D’après les indications du colophon.
nière curieuse dont Biffi présente cet encomium de vingt-six vers en distiques élégiaques. En voici le texte et une traduction :
Sublime honneur des poètes, vénérable prêtre de Phébus, / Splendeur et honneur éternels de l’intégrité, / Dès que j’ai aimé tisser des mots en leur liant les pieds / Et toucher les cordes d’une lyre qui m’était inconnue, / Je n’avais nulle confiance pour monter les collines gorgonéennes et connaître la fontaine d’Aonie. / Toi, tu m’as dit quand j’hésitais : « Repousse la crainte ! », / Toi, tu m’avais mis, le premier, sur les voies de l’art, / Et le sublime Apollon a beau refuser des forces à mon talent, / Cependant on ne doit pas t’en faire grief. / Que de fois j’ai souhaité louer Biffi le poète / Et faire justement monter ton nom jusqu’aux astres ; / J’ai entrepris sur ton conseil de confier ces vers à mes tablettes / Et à rebours, un autre souffle me dit : / « Que fais-tu ? Tu t’égares ? Pareille charge, tes camènes / Ne peuvent les soutenir : tu largues tes voiles sur la vaste mer ? / Ignores-tu les extraordinaires éloges reçus par un si grand poète ? / Quel si grand charme venu de l’Antiquité demeure sur sa bouche ? / Ses poèmes à lui sont répandus aussi dans le monde entier ! / De qui sont dignes les couronnes que porte sa blonde chevelure ? ». Alors disparaît tout amour et tout goût pour la prudence / et
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in margine laeua : Discipulum se fatetur Ioannis Biffi. in margine laeua : Gorgoneae Aonii Fons. in margine laeua : Ioannis Biffi consilium. tuum] l’édition porte turini que la scansion suffirait à condamner ; il s’agit vraisemblablement d’une erreur de composition. in margine laeua : a modestia. in margine laeua : Ioannis Biffi laus. antiquo] l’exemplaire porte altiquo. in margine laeua : a dubio. in margine laeua : Respicit Andreas Alzatus. f. Eiii r-v.
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Grandis honos uatum, Phoebi uenerande sacerdos, Splendor et aeternus integritatis honos, Cum primum pedibus libuit mihi uerba ligatis10 Texere et ignotae tangere fila lyrae, Nullaque Gorgoneos fiducia scandere colles11 Esset et Aonii noscere fontis aquas, Tu mihi dixisti dubitanti : « pelle timorem12 ! », Tu dederas cytharae primus in arte uias, Et licet ingenio uires neget altus Apollo, Ascribenda tamen non ea noxa tibi est. Optaui quoties Biffum laudare poetam, Tollere et ex merito nomen in astra tuum13 Incepique animo mihi te suadente tabellis Mandare, et contra spiritus alter ait : « Quid facis ? exilies : non pondera tanta camoenae14 Ferre queunt : uasto das tua uela mari ? Tene latent tanti praeconia summa poetae15 ? Quantus ab antiquo16 manet ab ore lepos ? Illius et toto diffusa poemata mundo17 : Digna quibus flauae serta tulere comae ? » Tunc abit omnis amor pariter studiumque cauendi Et cecidit curuo cartha notata genu, Ast ubi pacato redierunt pectore uires18 Scripsimus haec : « Facili tu lege fronte precor, Viue memorque mei ! Vento tua uela sereno Semper eant, uatum Biffe columna ! Vale. » Andreas Alzatus.19
tombe le papier écrit sur le genou arrondi. / Mais quand, le cœur apaisé, mes forces me revinrent, / j’écrivis ces mots : « Avec indulgence, lis, toi, je t’en prie. / Vis et souvienstoi de moi, qu’un vent paisible pousse / Toujours tes voiles, Biffi, colonne des poètes ! Salut ». André Alciat.
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À en croire cette pièce composée avant les attaques de l’In Bifum, donc en 1506 au plus tard, Biffi mérite tous les éloges : comme poète d’abord, comme maître et guide, prodiguant tour à tour ses conseils et ses encouragements, toujours désintéressés, et suscitant un respect inaltérable… On le voit, à supposer que cette pièce soit due à Alciat – ce qui est vraisemblable, quand on sait la volonté d’arriver du personnage –, elle ne brille pas par l’inspiration, mais elle constitue néanmoins un document sur les relations entre le disciple et son maître bien oublié aujourd’hui, document d’autant plus appréciable que l’original que Biffi dit posséder ne nous a pas été conservé. Cependant, comme je l’ai dit, la manière dont Biffi a procédé à l’insertion de cette pièce d’Alciat dans sa plaquette prête à interrogation : [Eiii]r Quae sequuntur Andreae Alzati sunt qui nunc Papiae iuri Caesareo20 incumbit. exemplum in scriniis habeo ex eius propria manu nec ipse ibit inficias. eius enim carminibus et Andreae Roberti [marg. : An. Rob.] saepe limam adhibui. a tergo sic notatum est Ad d. presbyterum Ioannem biffum poetarum oratorumque clarissimum Interius Ad d. presbyterum Ioannem Biffum Andreas Alzatus. [marg. : Io. B. laus] Les vers qui suivent sont d’André Alciat qui, à Pavie, se consacre maintenant au droit romain ; dans mon cabinet, j’en ai une copie de sa propre main et lui-même n’ira pas le nier. En effet, j’ai souvent appliqué la lime sur ses poèmes et ceux d’Andrea Roberti ; au verso, il est écrit : « au révérend père Giovanni Biffi, le plus fameux des poètes et des orateurs » ; à l’intérieur : « Au révérend père Giovanni Biffi, André Alciat [en marge : éloge de Giovanni Biffi] ».
Dire qu’Alciat est allé étudier le droit à Pavie, université réputée, se comprend : il faut louer ce brillant disciple dont le mérite rejaillit sur son maître. Mais pourquoi Biffi devrait-il écrire et publier qu’il possède une copie du poème d’Alciat, en précisant le détail apparemment inutile qu’elle est autographe ? Plus encore, pourquoi déclarer qu’« [Alciat] lui-même n’ira pas le nier » ? Quelles raisons aurait-il donc de le nier ? Pourquoi enfin cette allusion à un Andrea Roberti qui n’est évoqué nulle part ailleurs dans tout le recueil ? Ce sont les questions pour lesquelles je voudrais proposer des éléments de réponse qui me paraissent éclairer la querelle entre Biffi et Alciat qui a été mise pour la première fois en évidence par Denis Drysdall qui examinait l’offensive du côté d’Alciat21. Comme en contrepoint de l’In Bifum, je pense que nous avons dans la plaquette de Biffi un aspect de la défense mise au point par le maître pour contrer les accusations portées contre lui, en particulier par d’anciens disciples – accusations qui ne seront pas précisées ici. Le vieux maître est certes excessivement plein de son importance, mais il ne mérite peut-être pas toutes les insultes que son disciple sans doute le plus brillant a déversées
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in margine : Andreas / Alzatus. Voir sa contribution dans ce volume ainsi que du même, « Andrea Alciato, In Bifum [Milan? 1506/7?] », Emblematica, 18, 2010, p. 241-270.
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Voir, par exemple, Anna Maranini, « Dispute tra vivi e morti : Plauto tra Bocchi, Pio e Pilade », Giornale italiano di filologia, 53/2, 2001, p. 315-330. Ennio Sandal, Editori e tipografi a Milano (note 4), vol. 1, p. 44, no 73, cite le nom d’Andrea Roberti comme étant l’un des coauteurs de l’In Bifum. Je tiens à remercier Denis Drysdall qui a eu l’amabilité de vérifier sur sa copie de l’exemplaire unique de l’In Bifum quels étaient les noms des coauteurs autour d’Alciat : Andrea Roberti y apparaît bien.
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sur lui dans l’In Bifum, très vite après être passé sous sa férule. En particulier, Biffi n’est pas aussi ignorant que le disciple, qui a certes rapidement dépassé le maître, voudrait le faire croire. Sa contre-attaque le fait même paraître assez habile manœuvrier. Plutôt que de répondre ici par des épigrammes – ce qu’il a peut-être fait ailleurs – il procède de manière beaucoup plus retorse et propose en fait une démonstration implicitement juridique. Il s’agit, croyons-nous, de donner une bonne leçon à l’étudiant en droit Alciat, qui est la figure centrale du « complot » tel qu’il apparaît dans l’In Bifum. Biffi entreprend donc de faire parler le jeune Alciat à son profit et de manière irréfutable, puisque c’est Alciat qui est censé être l’auteur des vers rapportés. Or, les éloges que celui-ci décerne à Biffi doivent frapper le lecteur par leur tonalité et lui prouver à quel point le disciple s’est ensuite révélé déloyal envers son maître qui avait poussé la bienveillance jusqu’à l’encourager dans la voie poétique, à le rassurer sur sa valeur et même à lui corriger ses premiers vers – comme d’ailleurs il l’aurait fait pour l’énigmatique Andrea Roberti. C’est d’ailleurs en raison de l’impéritie de son élève, dont les vers avaient besoin d’être corrigés, et non à quelque autre cause que Biffi prétend devoir posséder dans son cabinet un exemplaire autographe de l’auteur : ce témoignage n’est donc pas suspect d’avoir été extorqué et garde toute sa force. Si Biffi publie maintenant cet essai poétique de son élève, c’est pour sa propre défense, et il entend bien jouer de l’ironie du sort qui veut qu’il s’agisse de son propre éloge rédigé quelques années auparavant par un étudiant qui maintenant le calomnie – notons que l’accusation de pédérastie, certes topique dans les satires des pédagogues de cette époque22, mais explicite dans l’In Bifum, restera toujours de l’ordre du non-dit le plus absolu ici. Comme Biffi le déclare lui-même, l’étudiant en droit Alciat « n’ira pas nier », nec ipse ibit inficias (on note le futur de l’indicatif, mode du réel), la puissance de la preuve matérielle que Biffi détient en tout bien tout honneur, un manuscrit de la propre main d’Alciat dont les mots, supposés être ceux d’Alciat, incriminent en retour son ingratitude à l’égard de Biffi et décrédibilisent les accusations scabreuses de l’In Bifum – qui ne méritent donc pas même d’être évoquées, mais constituent l’arrière-plan sans lequel cette mise en scène est incompréhensible. Mais pourquoi donc, se demandera-t-on peut-être, Alciat irait-il nier avoir écrit ce que son maître lui fait l’insigne honneur de publier, fût-ce après correction ? Justement parce qu’il a aussi écrit contre lui – secondé entre autres par Andrea Roberti23, l’un des corédacteurs de l’In Bifum – ces fameuses épigrammes satiriques et gravement diffamatoires que Denis Drysdall nous fait connaître, et parce que le poème d’Alciat conservé par Biffi prouverait alors qu’Alciat avait auparavant une tout autre appréciation de son maître, vus les éloges enflammés qu’il lui adresse. La contradiction manifeste suffirait à valider l’ar-
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gumentation implicite de Biffi qui veut que, si son disciple a tant changé à son égard, ce n’est pas en raison des vices supposés du maître, mais à cause de l’envie que l’élève lui porte maintenant. La conclusion recherchée s’impose : Biffi est donc absolument innocent des attaques portées contre lui, en particulier dans l’In Bifum. La bizarrerie de l’introduction au poème prêté à Alciat m’a fait revenir sur les autres pièces de cette plaquette et j’y ai trouvé le phénomène répété seulement deux fois, juste avant et juste après le poème attribué à Alciat. Or, dans les autres parties du recueil, Biffi a l’habitude de mentionner souvent qu’il possède les originaux des lettres dont il cite la teneur, surtout quand il s’agit de personnages importants24. Aussi, avant d’aller plus loin, je propose de lire ces textes de la huitième et dernière partie du recueil – ces pièces dont Biffi justifie la provenance – comme un ensemble ouvert où il règle des comptes à fleuret plus ou moins moucheté, avec l’intention probable de mettre ainsi un terme à une querelle qui, sans doute, lui empoisonne la vie depuis trop longtemps. Voyons maintenant comment il procède pour les deux autres personnages évoqués dans cette plaquette avant et après Alciat. Apparaît d’abord un certain Iovithas Ravizius, grammaticus à Caravaggio en 1504 et à Bergame en 151225, et un personnage à peine moins obscur, Giovanni Battista Scaravaggi, prêtre de son état et également maître de grammaire, tout comme Biffi : Ravizius et Scaravaggi pourraient tous deux être originaires de Caravaggio, lieu qu’ils ont en commun à en croire notre texte. Bien qu’on ne les trouve pas cités dans l’In Bifum qui représente pour nous la partie émergée de l’iceberg dans cette querelle entre Biffi et le groupe formé autour d’Alciat, ce sont là des noms que je proposerais de retenir comme susceptibles d’appartenir aux anonymes acolytes26 d’Alciat dont certains seulement apparaissent nommément dans l’In Bifum. En effet, rappeler ici leur nom est particulièrement détonnant, parce que cette mention est unique dans tout le recueil et que ce ne sont donc pas les « amis » habituellement nommés par Biffi, et aussi parce qu’ils surgissent au milieu de personnages autrement considérables – évêques et cardinaux entre autres. La mention de ces deux inconnus ne se justifie en rien, sinon précisément par le 24
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Par exemple, au f. Ciii-r, dans la lettre dédicatoire à Claudio Biraghi où Biffi rappelle une autre lettre qu’il a conservée, qu’il résume pour partie pour montrer qu’il jouit depuis longtemps de la protection des Biraghi, ce qui lui permet ensuite de plastronner sur sa supposée familiarité avec Georges Supersaxo au sujet de qui il propose à son dédicataire de l’interroger : « La lettre susdite, je l’ai transcrite en copie à partir de l’original de l’exemplaire tout à fait authentique, afin que tu perçoives quelle amitié et quel dévouement j’ai autrefois montré à tes ancêtres, et quel respect maintenant je te porte. L’illustrissime Georges Supersaxo, je l’ai connu jadis dans la maison d’Ambrogio Ferrari, illustrissime commissaire du duc Ludovico Sforza et je l’ai observé avec attention. J’ai mangé avec lui familièrement, discuté de tout familièrement, et nous nous sommes promenés familièrement dans la ville. A son sujet, tu pourras me poser autant de questions qu’il est humainement possible », Epistolam praedictam ab origine exemplaris uerissimi in hoc exemplum traduxi ut perciperes quanto amore quantaque beneuolentia tuos maiores olim prosecutus fuerim : et quo obsequio te nunc ipsum complecter. Ill. d. Georgium de supersaxo olim in domo, d. Ambrosii ferrarii Ill. d.d. Ducis Ludouico Sfor. Commissarii : et noui et studiose obseruaui. Et cum eo familiariter cibos sumpsi : familiariter ad omnia collocutus. per urbem hanc familiariter deambulauimus. Ab eo de me si in humanis est sciscitare poteris. Ces indications sur Ravizius sont fournies par le seul Biffi. Toutes les pièces de l’In Bifum ne sont pas signées et nous ne savons pas jusqu’où s’étendent les attaques contre Biffi.
Iouitae Responsio sequitur ex litteris inclusis, exterius sic notatum est et eius manu propria interius subscriptum a tergo Reuerendo patri. d. Ioanni Biffo sacerdoti et poetae praecipuo amico honorando. Ad reuerendum sacerdotem Ioannem Biffum elegidium Iouitae Rauizii. Suit la « réponse de Iovitas » d’après la lettre citée, c’est ainsi que le titre apparaît à l’extérieur [de la lettre], et à l’intérieur, se trouve écrite de sa propre main une dédicace au verso [de la page] : « Au révérend père Giovanni Biffi, remarquable poète et honorable ami. Au révérend père Giovanni Biffi, une petite élégie de Iovitas Ravizius ».
Ces détails sont révélateurs de la volonté de paraître authentique. En apparence, ils sont aussi totalement inutiles et leur rappel ne se comprend, me semble-t-il, que si on les replace dans le contexte que précise l’introduction au poème d’Alciat qui suit. La multiplication de ces indications doit faire figure de preuves qui alimenteront la défense de Biffi contre une accusation jamais rappelée. Je ne citerai pas l’éloge ampoulé que Ravizius est censé adresser à Biffi, mais je note simplement qu’il est daté : « Caravaggio, 15 juillet 1504 », Carauagii, Idibus Iulii MDIIII (sic) [f. Eii-v]. La durée qu’elle révèle, huit ans entre 1504 et la publication de 1512, n’est pas sans importance, on peut en effet supposer qu’elle est censée souligner la malignité des anciens « disciples » ou amis de Biffi qui paraissent avoir longuement bénéficié de la bienveillance de leur maître et cela ne fait qu’augmenter l’opprobre de leur hypocrisie et de leur traîtrise à son égard. Mais ces huit ans qui séparent l’éloge de 1504 de sa publication en 1512 pourraient aussi révéler – pour nous modernes – la prudence, la paranoïa, la vanité ou la bonne fortune, c’est selon, de Biffi. La composition des vers prêtés à Alciat n’est malheureusement pas datée. Mais on sait que l’In Bifum est publié entre 1506 au plus tôt et 1511 au plus tard27, si bien que le poème d’Alciat qui remonte à un moment antérieur à la brouille et à son départ pour Pavie en 1508 – Biffi le mentionne –, doit être placé en 1506 ou avant. Quant à notre recueil, sa publication date de 1512. Le poème d’Alciat est inséré juste après la pièce de Ravizius à la citation de laquelle je me suis intéressé. À la suite du texte d’Alciat – qui est donc la figure centrale comme dans l’In Bifum – on trouve aussi un poème dû cette fois à un certain Giovanni
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contraste qu’ils offrent avec ces protecteurs de Biffi dont ce dernier se sert comme fairevaloir et dont il compte bien utiliser la protection comme un soutien de fait à sa cause. Juste avant l’insertion de la pièce d’Alciat, Biffi évoque donc un certain Iovitas Rauizius dont nous ne savons rien, sinon ce que Biffi nous en dit ici – il n’est pas cité ailleurs dans le recueil entier. Par rapport à Alciat, la seule variation dans la présentation de son poème tient à la nature du texte qu’il a écrit. Il s’agit en effet d’une réponse en remerciement à l’éloge que Biffi a fait de lui et que ce dernier ne résiste pas à l’envie de nous donner in extenso. Suit alors la réponse en vers que Ravizius est censé lui avoir dédiée en retour et qui est ainsi présentée par Biffi en personne :
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Battista Scaravaggi28, nettement plus âgé qu’Alciat – puisque 1495 est la date de composition donnée. Sa dédicace est ainsi rapportée : « Au révérend père dans le Christ Giovanni Biffi, poète non sans renom et illustre orateur, ce poème de Giovanni Battista Scaravaggi, le plus humble des professeurs de grammaire », Ad Reuerendum in Christo patrem dominum Ioannem Biffum poetam haud ignobilem et oratorem Illustrem Ioannis Baptistae scarauagii grammatices praeceptorum minimi carmen. Par son âge probable, Scaravaggi est peut-être aussi un ancien disciple de Biffi, à tout le moins en poésie, mais, en tant que précepteur, il en est aussi un concurrent de fait, davantage que Ravizius qui enseignait à Caravaggio, un bourg proche de Milan, et enseigne alors à Bergame en 1512. Comment Scaravaggi se retrouve-t-il dans la compagnie du jeune Alciat, il n’est pas possible de le dire d’après les maigres informations que nous donnent les textes. Reste aussi que les motivations de Scaravaggi sont inconnues. Je ne m’arrête pas sur le poème flagorneur de Scaravaggi où il loue Biffi pour ses épigrammes. Il est encore suivi de quelques lignes ampoulées où Biffi est aussi qualifié de « roi des épigrammes de notre temps », nostri temporis epigrammatum graphiarchos, et le tout est donc daté de « Caravaggio, 22 février 1495 », Carauagii, die xxii Februarii M.ccccxcv, et signées « Le même Giovanni Battista Scaravaggi avec la reconnaissance qu’il lui doit, etc. », Io. Baptista Scarauagius idem cum debita commendatione. etc. C’est alors que, sans transition, Biffi reprend la parole en ces termes : Ex tempore, et loco et persona, et exemplo per eum scripto29 propria30 manu quod scriptum est atque actum negari non potest. hoc opprimendae inuidiae gratia dictum sit hic nunc Io. B. rector ecclesie s. Stephani ubi dicitur ad burgundiam et uir celebris et summae integritatis et honestae uitae. nec id a me dictum est quod mutuo muli se scabunt31 sed ad filiam temporis.32 D’après la date, le lieu, la qualité de la personne, et l’exemplaire écrit par lui-même et de sa propre main, ce qui a été écrit et fait ne peut être nié : que cela soit dit pour écraser l’envie, le Giovanni Biffi qui est maintenant recteur de l’église San Stefano dite « in Borgogna »33 est un homme de renom, d’une intégrité parfaite et menant une vie honnête, et ce n’est pas moi qui le dis, parce « deux mulets se grattent l’un l’autre », mais en prenant à témoin la fille du Temps [= la Vérité].
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Filippo Argelati, Bibliotheca scriptorum Mediolaniensium, Milan, in Aedibus Palatinis, 1745, tome 2, 1re partie, col. 1302, évoque un prêtre portant ce nom, amateur de poésie métrique et ayant gravité dans l’entourage de Cesare Cesariano, le fameux éditeur de Vitruve (Milan, Gottardo da Ponte, 1521) : voir Maria Luisa Gatti Perer Alessandro Rovetta (dir.), Cesare Cesariano e il classicismo di primo Cinquecento (Atti del Seminario Studi tra Milano Como, Varenna, 7-9 ottobre 1994), Milan, 1996, p. 48, où les renseignements cités proviennent en fait tous d’Argelati. On note que Biffi est lui aussi en contact avec ce milieu, puisqu’il publie aussi chez Gottardo da Ponte, qu’il se prétend musicien et se trouve en relation avec Gaffurio. scripto] l’exemplaire porte scriptio. propria] l’exemplaire porte properia. Voir Varro, Men. fr. 322-325 et August Otto, Schprichwörter und schprichwörtlichen Redensarten der Römer, no1162, Hildesheim/Zűrich/New York, 1988 (18901) ; les sources de cet adage sont fournies par Érasme, Adagia, I, vii, 96 (3696), Mutuum muli se scabunt dans ASD, 1998, II, 2, p. 224-225. f. E[iiii]-r. (Nous soulignons). Église de Milan aujourd’hui disparue, à ne pas confondre avec la basilique San Stefano.
Tu itaque huius secundae editionis dux fidissimus et fortissimus fueris et clypeum et lanceam in obtrectatores, quorum copia ubique est, assumes et me tutissimum praestabis.35 C’est pourquoi, toi, tu as été le guide le plus sûr et le plus courageux de cette deuxième édition, et tu prendras bouclier et lance contre les calomniateurs qui sont partout légion, et tu m’assureras une totale sécurité.
D’une manière analogue, après le groupe de texte cités, il dédie encore une pièce, l’avantdernière de la plaquette, à Giovanni Battista Visconti et il indique ingénuement pour quelle raison, juste avant la mention de la date – Milan, 20 juin 1512 : Huius libri calcem uir grauissime tibi dedico ut tuo praesidio una cum Romani patronis praedictis scipionibus me ab inuidorum iniuria tutissimum ubique cum tua praeclarissima sobole praestes. Je te dédie la fin de ce livre, toi qui es un homme d’une très grande autorité, afin que grâce à ta protection et aux bâtons36 cités plus haut de mon protecteur romain, tu m’assures partout avec ta prestigieuse lignée une complète sécurité contre les menées des jaloux.
Cette hantise, cette hargne à l’égard des envieux et des calomniateurs est sensible dans les huit parties du recueil où ce motif récurrent devient un sujet d’épigrammes37. Outre le fait qu’il s’agit d’un topos du temps, cette présence ne fait certes pas de Biffi un coupable des allégations portées contre lui, mais la récurrence de ce souci, marquée aussi bien dans la prose des dédicaces que dans les pièces de ce recueil, est un indice suffisant, je crois, de la
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Il mentionne même souvent les anciens dédicataires, ce qui contribue aussi à les rendre plus nombreux. f. A[i]-v. Allusion aux faisceaux des licteurs de l’ancienne Rome : composés de verges et d’un fer de hache, ils étaient les armes des gardes du corps d’État préposés à la protection des hauts magistrats. 37 5e partie, f. A[iiii]-r et v, In quendam liuidum et In eundem ; 6e partie, f. A2-r et v, In quendam liuidum et maledicum et incitation faite à Biffi de résister aux envieux ; f. A[4]-v, In quendam inuidum ; 7e partie, f. A[1]-v, In quemdam inuidum cuius nomen tacetur ; f. A[3]v-f. A[4]r, Pro Iano Parrhasio Neapolitano in obtrectatores : cette dernière occurrence laisse penser que Biffi et Parrasio se connaissent ; faut-il penser que ce pourrait être Biffi qui a envoyé Alciat suivre les leçons de Parrasio ?
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Comme pour conclure un cycle, Biffi indique sèchement quel a été son objectif en insérant ces poèmes à sa gloire écrits par ses disciples : il s’agit d’« écraser l’envie ». On note là une volonté d’amplification par la mention d’un adage de portée générale sur les deux mulets qui se grattent, c'est-à-dire qui se flattent, et l’ébauche d’une scène allégorique s’achevant sur l’allusion à la Vérité comme « fille du Temps », parce qu’il est censé la découvrir. En citant ces éloges obtenus sur près de vingt ans, un temps propre à faire surgir la vérité, Biffi a l’intention de discréditer ceux-là même qui, selon lui, le calomnient maintenant, après l’avoir longtemps porté aux nues. L’Envie les motive. Enfin, face à ces « jeunes » disciples, Biffi pense porter une sorte d’estocade en mentionnant abondamment et en multipliant les dédicataires influents, aussi bien pour des pièces isolées que pour ses plaquettes dédiées bien souvent plusieurs fois et de façon parfaitement avouée34. Il s’adresse ainsi à Matthias Schiner au tout début de cette plaquette :
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manière dont les attaques d’Alciat et de son groupe d’amis ont pu longtemps constituer une source d’inquiétude pour le vieux maître de rhétorique. Il restera cependant à dessiner ultérieurement avec plus de précision les contours de ce premier cercle formé autour d’Alciat, et à discerner les motivations de cette querelle engagée contre un maître dont on mesure encore mal l’influence et le poids réels. Une remarque s’impose cependant à propos de Biffi, qui dans les années 1480-1490, revendiquait la protection de Gian Galeazzo et Ludovico Sforza : si Alciat est bien connu pour ses précoces sympathies pour la France, en 1512, Biffi a pour protecteurs avoués les hommes forts du moment, Matthäus Schiner et Ottaviano Maria Sforza. Or, comme il a été dit, ils sont des acteurs majeurs de la Sainte Ligue anti-française et apparaissent, en particulier, comme les artisans du retour au pouvoir dans la cité milanaise d’un Sforza, Massimiliano, le fils aîné du More, qui devait y entrer solennellement le 29 décembre 1512, mené par Schiner en personne. Dans cette période de transition du pouvoir, il semble bien que, par ce recueil opportunément publié à la fin de novembre 1512, Giovanni Biffi ait tenté d’attirer l’attention des tout nouveaux maîtres de Milan sur sa personne et que, dans le même temps, il en ait profité pour essayer de règler un vieux passif avec un disciple trop brillant, dont les sympathies allaient aux Français, les maîtres d’hier38. Pourtant, cela n’empêche nullement qu’un an plus tard – sans doute en 1514 –, quand il devient manifeste que Massimiliano n’a pas les qualités pour gouverner et conserver le duché, que les Français se font à nouveau menaçants, et que le duc ne répondra donc pas aux espoirs qu’il place en lui, Biffi cherche à gagner la faveur de Louis XII. De ce premier essai témoigne la préparation pour le roi d’un recueil factice39, aujourd’hui conservé à la BnF, composé d’œuvres déjà publiées entre 1484 et 1512, recueil auquel avaient été adjointes plusieurs pages manuscrites, dont une page de titre rehaussée de peinture et suivie de quatre feuillets de poèmes encomiastiques originaux. Cet exemplaire a fait partie de la bibliothèque royale de Blois et il est donc parvenu jusqu’à son destinataire, mais il ne semble pas que Biffi en ait retiré quelque avantage, ce qui peut laisser supposer que la mort soudaine de Louis XII le 1er janvier 1515 a empêché Biffi de profiter des fruits de son labeur. On remarque que, dans sa hâte à se faire bien voir, Biffi a vraisemblablement pris dans sa bibliothèque un exemplaire qui n’était pas prévu pour le roi. En effet, quelques textes qui y sont reliés à la fin ne sont pas de Biffi, de plus, ce dernier a corrigé son texte ici et là, comme sur un brouillon et sans soin particulier. Enfin il a lui-même signé à la fin d’une partie du recueil, d’une façon à la fois étrangement désinvolte et surtout très inhabituelle pour cette époque, où il n’est pas d’usage de signer soi-même un exemplaire destiné à être offert à un monarque : Ioannes Biffi sacerdos Mediolani manu / propria raptim subcripsit,
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Sur cette question, voir Richard Cooper dans ce volume. Il s’agit de l’exemplaire de la BnF conservé sous la cote Res M – YC – 665 dont la reliure originale « en damas blanc » n’a malheureusement pas été conservée ; au texte initialement destiné à Louis XII, sont bizarrement associés quelques textes sans rapport : voir Ursula Baurmeister, Marie-Pierre Laffitte (dir.), Des livres et des rois, La bibliothèque royale de Blois, Paris, 1992, no 45, p. 184 (nous remercions Mme Magali Vène, Conservateur de la Réserve de la BnF de nous avoir indiqué cette utile référence).
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Nous nous proposons de revenir très bientôt sur ces deux précieux exemplaires révélateurs des relations que cherchent à nouer les artistes avec les nouveaux maîtres français, et d’éditer les pièces manuscrites que Biffi destinait aux deux rois de France successifs et qu’il y a jointes. La dédicace est écrite sur une feuille de papier ajoutée et pliée intentionnellement en deux pour servir de page de garde au recueil et de page de fin surnuméraire : au recto et au verso de la page de garde, on peut lire la dédicace, au recto de la page de fin, un poème encomiastique à François Ier.
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« Giovanni Biffi prêtre de Milan, de sa propre main a signé à la hâte ». Louis XII mort, Biffi ne s’est pas découragé pour autant. Un an avant sa propre mort, dans une lettre manuscrite inédite reliée à un exemplaire ayant aussi appartenu à la bibliothèque royale de Blois et également conservé à la BnF, où il avait rassemblé des œuvres parues dans le courant de 1515 chez Bernardino de Castello, Biffi jette en effet sur le papier un brouillon de dédicace à François Ier pour cet exemplaire de ses nouvelles et anciennes publications. Cet exemplaire, dont l’exceptionnelle valeur historique paraît avoir été ignorée40, porte en effet une dédicace à François Ier datée du 15 septembre 1515 – soit le lendemain exact de la bataille de Marignan et l’avant-veille de l’entrée solennelle de François Ier à Milan. Rédigée à la hâte et placée avec le recueil dans une reliure sans prétention41, cette dédicace montre assez que, malgré son âge avancé, non seulement Biffi n’avait rien perdu de ses réflexes courtisans, mais qu’il souhaitait aussi continuer à jouer un rôle sur la nouvelle scène littéraire milanaise, quels qu’en soient les maîtres.
les premiers ouvrages d’alciat : Les Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani et l'Opusculum quo graecae dictiones fere ubique in Digestis restituuntur (1515) Ian Maclean - All Souls College, Oxford
Dès 1518, et en dépit de sa jeunesse, Alciat se voit associé aux plus grands juristes humanistes de son temps, Guillaume Budé et Ulrich Zasius ; tous les deux ont plus de trente ans de plus que lui, mais le reconnaissent bientôt comme leur égal1. Ce qui lui vaut cette reconnaissance, ce sont ses essais sur le droit romain, qui utilisent la philologie humaniste et l’histoire pour éclairer le texte des lois : les Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani in quibus obiter quamplurima aliorum authorum loca explanantur, l’Opusculum quo graecae dictiones fere ubique in Digestis restituuntur, les Paradoxa, les Dispunctiones et les Praetermissa, publiés tous les quatre pour la première fois entre 1515 et 1518 à Strasbourg et à Milan. En outre, il a produit une édition des œuvres de Tacite parue en 1517. Si on en croit la lettre par laquelle Alciat dédie ses Paradoxa à Antoine Duprat, Chancelier de France, son véritable ouvrage de jeunesse, ce ne sont pas les textes strasbourgeois dont je vais parler, mais les Paradoxa, qu’il prétend avoir composés juste après avoir quitté le gymnase2. Si on comprend par « gymnase » l’université où il a complété son cursus artium, Alciat aurait écrit ces textes en 1507 ou 1508 (donc à l’âge de quinze ou seize ans) ; mais on peut ne pas prendre cela au sérieux, pas plus que sa déclaration que les Annotationes de 1515 lui ont coûté quinze jours de travail : deux semaines (ou même moins) constituent alors un intervalle inspiré par une certaine rhétorique qu’emploie un auteur pour rendre ses lecteurs indulgents envers son ouvrage, si par hasard il s’y trouve des erreurs qui ont échappé à son œil3. Comment le jeune inconnu s’est-il fait éditer par Johann Schott à Strasbourg ? Pourquoi s’est-il interessé à ces deux thèmes, c’est-à-dire aux livres dix à douze du Code de Justinien, et
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C’est un juriste qui s’intéresse à l’argumentation légale, Claude Chansonnette (Cantiuncula), qui fait le rapprochement des trois hommes dans ses Topica, Bâle, Andreas Cratander, 1520, in-folio, sig. A2v : doctissimi huius aetatis censores literarii Alciatus, Zasius ac Budeus. Paradoxa, Lettre à Antoine du Prat, 1518, in Gian Luigi Barni (éd) : Alciato, Le Lettere, Florence, 1953 [désormais Alciat, Lettere], p. 228-30, lettre no 158 : illud (c’est-à-dire, la recherche d’un mécène) me tantum deterrebat, quod tyronem me, et de gymnasiis vix eductum, vererer ne tanta moliri, nimis temerarium existimaretur. Antoine Duprat était en Italie en 1515-6 pour négocier le Concordat de 1516 ; c’est peut-être lors de cette visite qu’Alciat l’a rencontré. Voir l’exemple d’Érasme cité par Nelson H. Minneh (éd.) : Erasme, Controversies (CWE 84), Toronto, 2005, « Introduction », p. lxiv.
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aux textes grecs omis des premières éditions incunables des Pandectes ? Qu’apprenons-nous de la méthode et des préoccupations intellectuelles d’Alciat à cette époque de sa vie ? Par ces ouvrages de jeunesse, quelle contribution à l’étude historique des textes de Justinien Alciat a-t-il apportée? Voilà les questions auxquelles je vais essayer de répondre. Rappelons pour commencer que le grand évènement en ce qui concerne la palingenèse du Corpus iuris civilis, c’est la publication des Pandectes florentines en 1553, trois ans après la mort d’Alciat ; avant cette date, seuls les Miscellanea d’Ange Politien, qui paraissent en 1489, citent les leçons de ce texte. Alciat s’inspire de l’ouvrage de Politien, aussi bien que des Annotationes de Guillaume Budé, publiées à Paris en 1508, dont il emprunte le titre ; nous aurons à évaluer si en quelque sorte il a dépassé les contributions de ces deux érudits à l’étude historique du texte de Justinien4. Au mois de janvier 1514, Alciat était toujours étudiant de droit à Bologne ; avant septembre de la même année, il a réintégré Milan, au moment de l’envoi du texte de ses Annotationes et de son Opusculum à Strasbourg. D’après Roberto Abbondanza, il reçoit le grade de docteur à l’université de Ferrare en 15165. Mais bien qu’il n’eût pas encore de notoriété dans le monde juridique en 1514, il reste possible que ses prouesses en tant qu’humaniste lui eussent déjà valu une certaine réputation en dehors des cercles étroits dans lesquels il évoluait. Il pratique le droit à Milan dès 1517, sinon avant, emploi qu’il n’abandonne qu’à son départ pour une chaire à l’université d’Avignon en 1518. Par manque de témoignages, tout ce qui concerne sa vie avant 1517 est conjectural, et je vais être forcé de multiplier les conjectures, car il me faut essayer d’expliquer pourquoi un Milanais bien placé pour se faire publier dans sa propre ville commence sa carrière d’écrivain chez un éditeur allemand habitant au-delà des Alpes. Il faut donc recourir aux rares indices qu’il nous a laissés, ou qui nous sont connus grâce aux détails matériels de son premier livre. Commençons par le titre, en rouge et noir, signe alors d’un contenu juridique. Le nom de l’auteur s’écrit Alzatus, épelé comme le village où il est né ; c’est l’unique fois qu’il utilise cette forme (à condition que ce soit lui, et non pas l’éditeur ou celui qui transmet son texte à Strasbourg). Suivent les titres des deux ouvrages, et l’adresse bibliographique de Johann Schott, dont on apprend aussi que le livre est protégé par un privilège impérial : cum gratia et privilegio Imperiali sicuti reliqua iuris recentiora. Ce privilège impérial – l’un des premiers qui soient connus – est sans doute celui qu’on trouve évoqué dans l’ouvrage intitulé Lectura aurea domini Abbatis super quinque libris Decretalium, sorti des presses de Johann Schott en 1510, aux dépens d’un juriste strasbourgeois nommé Georg Übelin ou Maxillus, qui en est le rédacteur, et qui obtient le privilège impérial de Maximilien Ier « pour empêcher dans les six ans qui viennent que quelqu’un abuse [le lecteur] d’une contrefaçon pestilentielle » (ne quis hinc per sexcennium pestifero sublinet fuco). Johann Schott publiera d’autres titres
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Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani, Strasbourg, Johann Schott, 1515, f. 28v, 30v, 343v. Les Annotationes de Budé s’inspirent à leur tour des Elegantiae linguae latinae de Lorenzo Valla. Dizionario biografico degli Italiani, Rome, 1960, t. 2, p. 68.
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D’après S. H. Scott, « The Schotts of Strassburg and their press », Transactions of the Bibliographical Society, 11, 1912, p. 165-188 (177) ; voir aussi Heinrich Grimm, « Die Buchführer des deutschen Kulturbereichs und ihre Niederlassungsorte in der Zeitspanne 1490 bis um 1550 », Archiv für Geschichte des Buchwesens, 7, 1967-9, p. 1153-1771 (1442-6). Sur Übelin, voir Victor Scholderer, « George Uebelin and his publications », in Bibliotheca docet : Festgabe für Carl Wehmer, Amsterdam, 1963, p. 111-116. Nachtigall se fait publier chez Johann Knoblouch, ami intime de Schott : voir S. H. Scott, « The Schotts of Strassburg and their press », (note 6), p. 177. Voir aussi Alciato, Lettere (note 2), p. 80 (lettre 45, à Boniface Amerbach, datée du 22 novembre 1528) , où il fait référence à l’édition de 1515 d’épigrammes grecques par Luscinius : quem quamvis eruditum hominem sciam, non tamen satis tenere rationem syllabarum arbitror. Sur Nachtigall, voir Peter G. Bietenholz et Thomas B. Deutscher (dir.), Contemporaries of Erasmus, Toronto, 1985-7, t. 3, p. 3-4. Voir H. Grimm, « Die Buchführer des deutschen Kulturbereichs » (note 6), p. 1443; sur les Alantsee, voir ibid., p. 1734-5. Ibid., p. 1448-50 ; Allgemeine Deutsche Biographie, 33, p. 84 sq. Il convient de noter que Pico a fait un séjour à Strasbourg en 1505, et reste en contact avec les imprimeurs de cette ville; mais il n’y a point de témoignages liant Alciat à Pico à cette date. Sur l’humanisme de Schürer, voir son Pline, Epistolarum libri decem, in quibus multae habentur epistolae non ante impressae. Tum Graeca correcta, et suis locis restituta, atque reiectis adulterinis, vera reposita, Strasbourg, Matthias Schürer, 1514. verso de la page de titre : Matthias Schurerius Conterraneus noster, qui bonos authores cottidie procudendo rem literariam mirum in modum adiuvat, epistolas Plinii Secundi nunc sub incude habet, quas fere ad umbilicum perduxit, summopere conatus, ne ab archetypo Aldino transversum, quod aiunt, digitum uspiam aberraret.
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pour son ami Übelin ; en tant que possesseur du privilège, on se serait attendu à ce qu’Übelin eût engagé Alciat à soumettre ses textes à son éditeur strasbourgeois ; mais rien ne nous permet de le confirmer6. Et Schott lui-même en est-il le promoteur? C’est un humaniste, élégant latiniste, éditeur d’ouvrages en grec, ami du poète strasbourgeois Ottmar Nachtigall dit Luscinius, qui, lui, est le correspondant d’Érasme et de Beatus Rhenanus, et le traducteur d’œuvres littéraires en grec qu’Alciat mentionnera plus tard dans une lettre de 15287. Mais il faut expliquer comment Schott, qui se rend, il est vrai, aux foires de Francfort comme le font certains éditeurs milanais, mais qui n’a pas de contacts directs avec l’Italie, a appris qu’un jeune philologue doué n’ayant pas encore obtenu le grade de docteur a composé deux ouvrages qui conjuguent jurisprudence et philologie humaniste. Schott imprime pour d’autres qui, eux, ont des liens en Italie, notamment, les frères viennois Lucas et Leonhard Alantsee (qui entretiennent aussi des contacts avec Nachtigall) ; peut-être est-ce par leur truchement que l’existence du jeune érudit a été annoncée, et par l’argent d’Übelin (qui connaît également les Alantsee) que les ouvrages sont financés et protégés d’un privilège8. Si Alciat s’est fait publier grâce à la filière humaniste à travers Nachtigall, il faut expliquer pourquoi un concurrent strasbourgeois, Matthias Schürer, qui imprime pour les Alantsee, et qui tient dans ce domaine le haut du pavé dans la ville alsacienne, ne s’est pas mis en avant pour être l’éditeur du jeune milanais9. À l’encontre de beaucoup de ses compatriotes de son époque, forts de la supériorité de la culture italienne, Alciat semble se montrer dès sa jeunesse plus ouvert à l’érudition cisalpine, notamment à celle de Guillaume Budé, dont les Annotationes in quatuor et viginti Pandectarum libros publiées à Paris par Josse Bade en 1508 dans un bel in-folio ont été l’une
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des inspirations de l’ouvrage d’Alciat sur le Code10. Plus tard, il exprimera son admiration pour les ouvrages de Zazius, d’Érasme, et de Beatus Rhenanus. Il se peut que la décision de publier son premier livre à Strasbourg, et son choix ultérieur de Bâle et de Lyon comme lieux d’édition, témoignent de cette reconnaissance de la valeur de l’humanisme septentrional. Alciat dira plus tard qu’en Italie les imprimeurs sentent la province11. À son ami de longue date, l’éditeur italien Francesco Calvo, il ne propose qu’un seul petit texte humaniste à éditer12 ; il accepte pourtant de faire imprimer la première édition de ses Paradoxa à Milan en 1517 et 1518, sachant peut-être qu’un bon nombre d’exemplaires seront mis en vente à la foire de Francfort, et qu’il aura par là une bonne diffusion au-delà des Alpes13 ; mais à ses yeux, ce sont les imprimeurs dynamiques d’abord de Strasbourg, plus tard de Bâle et de Lyon, qui comptent pour un humaniste et un juriste. Après la page de titre on trouve une liste de vingt-et-un textes dont le sens avait été radicalement modifié selon Alciat par suite de son travail philologique : les nouvelles interprétations sont des paradoxa dans le sens strict du mot (elles vont à l’encontre de l’opinio communis doctorum). On trouve aussi une liste de termes dont le sens a été établi, et une autre d’auteurs anciens dont se sert Alciat pour serrer de plus près ce qu’a voulu signifier le législateur. Pour entreprendre cela, il se sert non seulement de deux manuscrits que je vais mentionner bientôt, mais aussi des livres de référence usuels, par exemple la Souda et les nouveaux commentaires sur les textes de la latinité tardive comme celui d’Apulée rédigé par Filippo Beroaldo en 150014. Après ces pages, on trouve la première des deux dédicaces. Alciat s’y adresse à son ami et condisciple de Pavie, Filippo Sauli, dans les termes suivants (je cite la lettre en entier) : Pour te montrer quelle est mon amitié et le respect que j’ai pour toi, depuis longtemps j’avais formé le projet de t’offrir un petit cadeau ; voici seulement que s’en présente l’occasion. Ayant entrepris, sur les instances de divers amis, de corriger les trois derniers livres du Code de Justinien, je te dédie cet ouvrage, tant pour lui fournir, j’en suis sûr, une plus grande autorité que pour l’offrir au jurisconsulte le plus éloquent dans le Droit et dans les Lettres. Dans ces deux domaines, tu as réussi si parfaitement que tu peux y jouer un rôle de première importance. Accepte donc sous ton patronage cet opuscule, qui t’est destiné depuis longtemps, et pour cette raison principalement, que
10 Alciat, Lettere (note 2), p. 18-23, no 7. Budé semble par la suite avoir accusé son jeune collègue de plagiat. Alciat se défend de manière robuste de cette accusation dans une lettre écrite à Budé d’Avignon en décembre 1520, dans laquelle il exprime aussi son admiration pour le savant français. Ce n’est pas là le seul accrochage entre les deux hommes : en 1530 un étudiant d’Alciat qui s’appelle Leonard Dichius fait publier à Hagenau l’opuscule de son maître De ponderis et mensuris, qui contient une critique explicite de l’érudition du grand Budé ; édition dont Alciat se montre content au début, mais qu’il regrette par la suite de peur que Budé ne s’en offusque. Alciat, Lettere (note 2), p. 117, no 64, 247, no 164, p. 107, no 61, où il parle de la Leopoldi Dychii insania. 11 Alciat, Lettere (note 2), p. 242, no 163. 12 Ibid., Lettere (note 2), p. 112, no 62. Il s’agit de sa rédaction du texte cicéronien In Pisonem, qu’il récupère de Valterius Corbeta pour le livrer après à Johann Herwagen de Bâle : ibid., p. 132, no 74. 13 Rhenanus, Briefwechsel, p. 168, no. 120 (août 1518, à Calvo). 14 La Souda est publiée à Milan en 1499, la même année que l’Etymologicum magnum graecum paraît à Venise; mentionnons aussi le De verborum significatione de Pompeius Festus, paru à Milan en 1471. Alciat se réfère aussi au lexique médiéval d’Albericus de Rosate (Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani, f. 12v).
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Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani [Andreas Alçatus sacrosancto Antistiti Philippo Saulo, electo Brugnatensi S. P. D.]: Qui meus in te est amor summaque observantia, humanissime Saule, cum iam diu munusculo aliquo tibi ostendere decrevissem: nunquam tamen, nisi in praesentiarum, data est occasio. Nam cum precibus quorumdam adductus/ tris ultimos Codicis Iustiniani libros emendare conatus fuissem: crevissentque castigationes illae in opusculi formam: visus sum operae precium facturus, si hoc qualecunque est libelli, tibi nominatim dedicavissem, tumque inde non minimam operi authoritatem comparari videbam. tum etiam quod non alii magis quam eloquentissimo iurisconsulto opus dandum erat, quod ex iure civili, humanioribusque litteris constaret: quibus in studiis ita tu profecisti: ut cum summa laude possis in utroque primas partes sustinere. Accipe igitur sub patrocinio tuo eius authoris opusculum, quem iam diu tibi addictum habes: vel ex eo maxime, quod ex tu merito in huiusque gloriae partem debes admitti: qui non parum multam opem nobis attuleris, cum Scoti antiqui authoris de imaginibus magistratuum ad Theodosium Imperatorem, quod unicum extabat exemplar, mihi dono dedisti. quoniam eum ad hanc provinciam obeundam necessarium esse cognoveras. Vix cuiquam credibile fuerit quantum difficultatis nobis attulit eorum authorum inopia, qui tempore quo constitutiones hae/ quas emendare suscepimus, promulgatae sunt, fuere in praecio. Nam cum in his non admodum castigatum sit dicendi genus, dilabente latini sermonis elegantia: non Cicero, non Livius, non ex antiquioribus aliquis fuit adeundus: sed qui posteriori inter Theodosium et Iustinianum aetate floruerunt: quorum scripta rarissima extant. Quae res, uti arbitror, una deterruit alios, ut cum plures sint qui in Pandectas annotationes ediderunt: nemo tamen ausus est hoc oneris adsumere, quod nos non quidem aliis doctiores/ sed audaces fortasse magis sumus aggressi. Me adiuvit itaque tuus iste codex: nec minus legum interpres graecus aliique quidam recentiores, caeterorum manibus haud quaquam triti, vulgative: ut vel ob hoc non parvam gratiam
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tu dois partager pour moitié son prestige, toi qui m’as apporté une aide si grande en me donnant un exemplaire unique de l’ouvrage de Scotus sur les images des magistrats au temps de l’empereur Théodose, exemplaire que tu savais indispensable pour accéder à ce champ du savoir. Il est difficilement croyable combien de difficultés nous causa la disette d’auteurs de l’époque où furent promulguées les constitutions que nous étudions. Parce que le style n’en est pas châtié, le latin ayant perdu son élégance, il ne faut pas recourir à Cicéron ou à Tite-Live, ou d’autres auteurs de leur génération, mais à ceux qui ont fleuri à une époque postérieure, entre Théodose et Justinien, dont très peu d’écrits ont survécu. C’est là, je crois, la raison qui a dissuadé les autres d’agir. Ceux qui ont annoté le Digeste sont assez nombreux, mais personne n’a osé assumer la tâche à laquelle, sans être plus savant, certes, mais peut-être plus audacieux, nous nous sommes attaché. Aussi ton manuscrit du Code m’a-t-il apporté une aide précieuse, plus que le traducteur grec et plusieurs autres juristes récents peu experts ou publiés par la main des autres. De sorte que ce livre s’attend à une certaine gloire, parce qu’il contient des choses rares et que l’on ne connaît généralement pas. À notre époque, chacun s’habitue aux auteurs anciens et les ressasse nuit et jour ; aussi la connaissance des événements postérieurs est-elle presque nulle ; combien sont-ils, en effet, ceux qui étudient ou qui comprennent à la lecture les ouvrages des écrivains qui ont écrit la vie des empereurs après Suétone ? Et pourtant c’est là un travail de première utilité. Pour moi, bien que cet opuscule ait été composé très rapidement (je n’y ai pas travaillé, en effet, plus de quinze jours), j’ai apporte à sa rédaction un tel travail et un tel soin qu’ils ont compensé le manque de temps. Mais je devine, bien mieux, je vois, le grand nombre de « frelons » que je vais attirer sur ma tête quand j’aurai prouvé ce qu’ils nient souvent : que la connaissance des lois et celle des studia humanitatis peuvent s’allier. Mais toi-même, qui maîtrises les deux champs du savoir, tu peux les en convaincre. Sans parler de Francesco Accolti, expert en latin et en grec, et qui fut aussi selon leur propre jugement, un excellent juriste ; et nous avons été tous les deux les auditeurs de Jason de Maine, qui se connaissait en littérature latine. Mais c’est un trait de beaucoup de gens qu’ils médisent de ce qu’ils n’arrivent pas à suivre. Pour le reste, puisse-t-il y avoir là matière à apprendre pour tout le monde ! Et si, chemin faisant, l’occasion m’est offerte d’éclairer un passage de quelque auteur antique mal compris par d’autres, qu’on ne me fasse pas grief d’en faire l’annotation, afin d’être naturellement utile, de toutes les manières, aux gens d’étude. Et si par hasard ce qu’on trouve ici ne rencontre pas l’approbation, il sera assurément de ton devoir de défendre ton serviteur et de lui apporter ton soutien. Salut. À Bologne, le 5 janvier 151415.
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La date de cette lettre dans l’édition de 1515 est bien janvier 1514 : non seulement à Milan, mais aussi à Bologne, la nouvelle année commence avant le 1er janvier. Paul-Émile Viard et ceux qui le suivent font l’erreur de dater cette lettre du 5 janvier 1513, parce qu’ils se servent du texte de cette dédicace publié dans l’édition milanaise ou bâloise de 1518 et 1523 respectivement, où on trouve la date « M D XIII ». Notons que la seconde dédicace est datée du 3 septembre 1514. Il est peu probable qu’Alciat ait présidé comme correcteur à la production de ce texte, qu’il corrigera quelques années plus tard en 1518 : la formule Scoti antiqui auctoris – l’auteur ou le scribe à qui Alciat attribue l’ouvrage – devient : nescio qui antiqui auctoris par la suite ; op[us] de imaginibus magistratuum devient op[us] de palatinis officiis16. Dans son livre Graeca leguntur, Hans Erich Troje affirme qu’Alciat est l’auteur du colophon où on lit les mots suprema manu posita est 28 Augusti Anno Gratiae 1515, ce qui impliquerait qu’il était lui-même présent dans l’atelier du typographe, ou qu’on lui a envoyé des épreuves (ce qui n’était pas dans les habitudes des imprimeurs à cette époque pour des raisons pratiques). Je crois moi-même que ces mots ont été ajoutés au texte par l’imprimeur Schott17. Nous avons affaire ici selon moi à une édition à distance. Le dédicataire Filippo Sauli aurait certes pu être le mécène qui a financé l’impression. Il a à peu près le même âge qu’Alciat, étant né un an avant lui en 1491. Issu d’une famille de riches patriciens génois, il est nommé en 1512 administrateur apostolique et évêque de Brugnato. C’est un humaniste accompli, connu aussi pour sa riche bibliothèque qui fait partie aujourd’hui des fonds de la bibliothèque de Gênes18, et condisciple d’Alciat à Pavie entre 1507
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aucupetur hic liber: quod repertu rara, nec passim cognita contineat. Hac enim nostra tempestate, cum probabili certe consilio, se veteribus unusquisque familiarem praestet: eosque authores nocturna et diurna manu verset. Usu videmus: ut rerum posteriori tempore gestarum cognitio pene sit nulla. Quotus enim ille est, eorum scripta qui vitas Imperatorum post Tranquillum scripsere, qui perlegat: aut lectas intelligat? cum tamen in hac parte non parva sit utilitas.Quod ad me attinet: et si hoc opus brevi tempore a nobis absolutum sit (non enim plus dimidio mense in eo elaboravimus), maximo tamen studio continuaque cura ita usi sumus: ut quod propter tempus deesse potuit, sit repensum diligentia. Auguror tamen: quin potius video: quantos in meum caput crabrones excitem: quum exploratum mihi sit: increbuisse, eam inter recentiores iuris civilis sectatores opinionem: ut eiusdem esse negent, et leges scire et humanitatis studia profiteri. Sed hos, vel tu ipse potes convincere, qui utramque scientiam adprime calleas. Vt Aretinum omittam graece et latine disertissimum, qui tamen etiam ipsorum iudicio optimus fuit iurisconsultus. Nam et uterque nostrum, Iasonem audivit etiam in latinis litteris longe praestantem. Sed hoc natura plerisque datum est: ut quod ipsi assequi non possint/ maledictis deprimant. Caeterum, ut nemini hic non esset quod posset addiscere: si obiter alicuius antiquioris authoris. ab aliis male intellectum locum, data est occasio declarandi, nec hoc gravati sumus adscribere: ut quoquo modo videlicet studiosis proficerem. Quod et si quibusdam fortasse non probabitur: mancipiolum certe tuum, tui erit officii defendere: et iuvare suffragio. Vale. Bononiae. Nonis Ianuarum M D XIII. J’ai modifié et complété la traduction partielle qu’on trouve dans Paul-Émile Viard, André Alciat (1492-1550), Paris, 1926, p. 43-4. Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani (note 4), [A4v] La moitié de ses éditions de 1515 et de 1516 finissent avec un colophon, où il précise comme ici le jour même de l’achèvement de l’impression. Voir Hans Erich Troje, Graeca leguntur. Die Aneignung des byzantischen Rechts und die Entstehung eines humanistischen Corpus iuris civilis in der Jurisprudenz des 16. Jahrhunderts, Vienne, 1971, p. 219. Annaclara Cataldi Palau, Catalogo dei manoscritti greci della biblioteca Franzoniana, Rome, 1990-9, t. 1, p. 12-28 ; ead., « Filippo Sauli ed i suoi rapporti con umanisti contemporanei », Studi Umanistici Piceni, 7, 1987 ; ead, « Un gruppo di manoscritti greci del primo quarto del XVI appartenuti alla collezione di Filippo Sauli », Codices manuscripti, 12, 1986, p. 93-124
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Manuscrit dont on a depuis perdu la trace. Troje cite une lettre d’Amerbach comme preuve de son existence à laquelle Cujas ne croyait pas. Voir H. E. Troje, Humanistische Jurisprudenz : Studien zur europäischen Rechtswissenschaft unter dem Einfluss des Humanismus, Goldbach, 1993, 6, p. 559. 20 Voir P.-É. Viard, André Alciat (note 15), p. 306-10, qui démêle cette histoire compliquée. 21 J’ai parcouru les neuf volumes in-folio des commentaires sur le Corpus iuris civilis, publiés à Venise par les Junte en 1579, et surtout les indices. 22 Alciat, Lettere (note 6), p. 254, no 168. Ibid., Lettere (note 6), p. 221 no 154; cf. P.-É. Viard, André Alciat (note 15), p. 44, où Alciat met en valeur 23 les textes écrits après Suétone. 24 Ibid., Lettere (note 6), p. 237, no 161. Mais il ne se montre pas si tolérant après les manuels d’interprétation de la génération qui le précède : il déconsidère Bartholomaeus Caepolla (ibid., p. 237, no 161), et ne mentionne même pas Stephanus de Fredericis. Ses successeurs sont critiqués par la municipalité de Bourges parce qu’ils négligent les glossateurs, tandis qu’Alciat les utilisait dans son enseignement : voir Louis de Raynal, Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu'en 1789, Bourges, 1881, t.3, p. 391. 25 Ibid., Lettere, p. 254, no 168. 26 Ibid., Lettere, p. 238-9, no 161; p. 242, no 163; p. 254, no 168. 27 Ibid., Lettere, p. 110-11, no 62; p. 138, no 78.
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et 1511 sous la férule de Jason de Maine. Il reste en contact avec son ami, à qui il offre deux livres : le premier est un Code en grec, le Vetus Graecus Legum Interpres, sous forme d’une glossa nomica ou lexique alphabétique de termes19. Le second cadeau est un livre rare mais incomplet sur les offices du palais au temps de l’empereur Théodose connu sous le nom de Notitia dignitatum ; Alciat l’éditera plus tard, en 1529, avec le titre De magistratuum civilibus et militaribus officiis liber unus, et le complètera grâce au manuscrit que lui communiquera son ami Beatus Rhenanus par l’entremise de Boniface Amerbach en 154420. Notons dans cette dédicace qu’Alciat évoque les noms de deux juristes éminents qui ont combiné l’étude des lettres avec celle du droit : Francesco Accolti, connu sous le nom d’Arétin, mort vers 1483, qui a édité les lettres du tyran sicilien Phalaris, et son précepteur Jason de Maine, à qui Alciat attribue ici une connaissance approfondie des textes littéraires latins (on peut supposer que ce compliment est motivé plus par piété académique que par souci de vérité : je n’ai pu déceler que très peu de renvois à de tels textes dans les conférences de Jason publiées par ses disciples)21. Alciat ira encore plus loin qu’eux : il soumet le texte du droit à l’épreuve de la philologie, y ajoutant une analyse sémantique et historique22. Cette conjonction est annoncée, on a pu le constater, dans son épître dédicatoire à Filippo Sauli. Dans son commentaire sur Tacite qui paraît en 1517, Alciat va jusqu’à dire que l’histoire en tant que discipline l’emporte sur tous les autres arts libéraux23 ; mais plus tard à Bourges il tempèrera cette déclaration polémique, et exprimera son respect pour la tradition médiévale d’exégèse du droit24. Le mariage de l’humanisme avec le droit a pour conséquence l’usage de termes d’art et de formules syntaxiques souvent qualifiés de barbares par les puristes. En latiniste qu’on loue souvent pour l’élégance de son style25, Alciat se croira par la suite obligé de faire l’apologie de son emploi des termes de l’art juridique, soulignant le fait que le discours juridique l’exige de lui26. Notons en passant que cette double conjonction, d’une part celle de l’humanisme et du droit, et d’autre part celle du latin des humanistes et de celui des juristes, ne sera pas d’après Alciat bien reçue en Italie, où des adversaires traditionalistes lui font de l’opposition et bloquent sa candidature à des chaires prestigieuses27.
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Notons aussi que ce sont les trois derniers livres (10 à 12) du Code qu’il commente, ceux qui traitent de plusieurs aspects du droit public qui intéressent peu les juristes du Moyen Âge qui s’occupent surtout du droit privé28. Les livres 10 et 11 du Code traitent du système financier des Romains ; ses provisions semblent être de nature purement économique, et règlent surtout le système fiscal. Au cours du seizième siècle, ces provisions deviennent pertinentes pour les nations européennes ayant une jurisprudence basée sur les textes de Justinien en ce qu’elles révèlent comment les Romains organisaient le fermage des impôts29. Le livre 12 traite des offices militaires et civils. Au Moyen Âge, Bartole l’invoque pour établir la dignité et les privilèges des professeurs de droit, qui selon lui étaient plus extensifs que ceux dont jouissent les militaires romains selon le livre 12 du Code [12.15.1] : [L’empereur Valentinien] : Nous ordonnons que les grammairiens, tant grecs que latins, les logiciens et les professeurs de droit, exerçant leur profession dans cette ville royale, et ayant été admis dans le nombre statutaire, s’ils ont fait preuve d’une vie louable marquée par les bonnes mœurs, s’ils ont montré leurs talents comme enseignants, orateurs, interprètes subtils, argumentateurs, et s’il ont été jugés dignes de paraitre devant le Sénat, reçoivent, après vingt ans d’exercice ardu et de labeur consciencieux dans l’enseignement, les mêmes honneurs qui ont été attachés à la dignité de vice-préfet30.
Bartole prétend à partir de ce texte que les professeurs de droit de son temps devraient se voir accorder les mêmes dignités dont jouissent les administrateurs militaires de son temps : c’est donc ici un exemple de l’usus modernus Pandectarum. Alciat, qui exprime souvent son admiration pour Bartole31, ne s’intéresse pourtant pas à ces arguments d’ordre analogique : il s’occupe uniquement du sens des termes, et surtout de la signification précise des offices militaires et civils dont traite ce livre du Code. Le second ouvrage, intitulé l’Opusculum quo graecae dictiones fere ubique in Digestis restituuntur est dédié à un scion d’une très grande famille, les Visconti, maîtres de Milan jusqu’en 1486 : Mon cher Giacomo Antonio, les éminents talents de ton esprit et ton assiduité dans les études me paraissent dignes non seulement que je te favorise et que je te protège, mais aussi que je t’honore d’une plus grande admiration encore. Ce que j’avais décidé de te démontrer avec un autre petit don ; et ce petit livre dans lequel j’entreprends de restituer les mots grecs au Digeste m’a paru éminemment convenable à cette fin. Car, bien que tu ne te sois pas enrôlé dans l’armée des étudiants de droit, si grande est la
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Voir Gérard Giordanengo, « De l’usage du droit privé et du droit public au Moyen Âge », Cahiers des recherches médiévales et humanistes, 7, 2007 ; selon Hermann Lange, Römisches Recht im Mittelalter, I Die Glossatoren, Munich, 1997, p. 71, 76, 454, le peu d’intérêt montré par les glossateurs pour ces livres est « durch deren geringen praktische Relevanz zu erklären ». 29 Voir Francisco de Amaya, In tres posteriores libros Codicis [...] commentarii, Lyon, Jacques et Pierre Prost, 1629. 30 Grammaticos, tam graecos, quam latinos, sophistas, et jurisperitos in hac regia urbe professionem suam exercentes, et inter statutos connumeratos, si laudibilem in se probis moribus vitam esse monstraverint, si docendi peritiam, facundiam dicendi, interpretatione subtilitatem, copiamque disserendi se habere patefecerint, et coetus amplissimo judicante digni fuerunt aestimati ; cum ad viginti annos observationes jugi, se sedulo docendi labore pervenerint : placuit honorari, et his qui sunt ex vicaria dignitate, connumerati. 31 E.g. Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani, f. 2r.
Bientôt Alciat aura honte de cet opuscule, comme il l’avoue en 1518 à Giacomo Minuzio, administrateur milanais, mais il choisit de le faire rééditer quand même sous forme du second livre de ses Praetermissa : Reste cet autre petit livre, qui est indispensable à ceux qui conjuguent l’étude du droit civil et celle des belles-lettres, et qui s’exercent dans les deux professions, que j’ai moimême toujours étudiés diligemment ; d’ailleurs, ceux qui ont appris le droit civil en se servant uniquement des interprètes les plus vulgaires [c’est-à-dire les glossateurs de la versio vulgata des Pandectes] ne diffèrent pas de beaucoup de ceux qui possèdent une certaine fortune mais qui ignorent l’art d’en jouir. J’ai donc composé ce livre afin qu’on restitue dans leur propre ordre les phrases grecques qui sont éparpillées ça et là tout au long des réponses [responsa] des jurisconsultes et que les imprimeurs négligents ont omises dans les livres imprimés. Je n’exige pas que notre travail soit approuvé et loué, étant donné que je ne suis pas satisfait de ce petit ouvrage, que j’ai composé à toute vitesse et alors que j’étais encore très jeune, et qui m'a échappé avant même que que la dernière main y fût mise. Si j’avais voulu réviser ce travail par la suite, il aurait été question de refaire le tout, et non pas simplement d’ajouter quelques traits de rhétorique ; et mes occupations trop lourdes m’empêchaient, c’est certain, d’entreprendre cette tâche. Je préfère donc la publier de sorte que les rudiments de nos travaux puissent être reconnus publiquement. Mon cher Minutius, je sais quelle est ton humanité ; tu ne vas pas juger sévèrement ces scholies de peu de valeur, bien que je n’aie pas hésité, suivant l’exemple de plusieurs modernes, à insérer des observations sans grande importance dans ces livres d’annotations33.
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Lettre omise de l’édition Barni : Annotationes in tres posteriores Codicis, f.28r [Andreas Alçatus, Iacobo Antonio Vicecomiti S.] : Praeclara animi tui indoles, assiduaque in studiis opera, Iacobe Antoni, dignae mihi visae sunt : ut non te colam solum, observemque : sed et maiori quadam admiratione complectar. Quod cum aliquo tibi munusculo demonstrare decrevissem : hunc maxime libellum, quo graecas dictiones Pandectis restituere molior, idoneum existimavi. Nam cum vix inter iuris prudentiae studiosos nomen dederis: ea tui ingenii vis est, ut in his pene veteranus sis miles. Quam diligentiam in graecis quoque litteris maximam ostendisti : ut familiae vestrae haereditarium sit, et has scire, et earum cultores amore prosequi. Nam ut patrem tuum inter patritios primarium hominem, eundemque poetam et oratorem missum faciam : frater tibi est splendissimus eques Galeatius, virtute insignis, studiorumque commercio mihi perque charus. Accipe igitur tuo nomini dicatum opus : quod tibi gentique tuae mancipatum non sit. Vale. Mediolani. III. Nonas Sept. Anno. Christi M.D.XIII. Le frère aîné Galeazzo va être à son tour le dédicataire de l’édition de Tacite en 1517 : voir Alciato, Lettere (note 6), p. 220-224, no 154. Lettre omise de l’édition Barni : [...] Praetermissa, Bâle, Andreas Cratander, 1523, p. 296 [préface au livre 2] : Superest alius libellus, et ipse his necessarius, qui iuris civilis disciplinam, meta tes paidias iungunt: et in utranque professione se exercent. Quorum studium et diligentiam semper ipse probavi : cum alioquin qui solum ius civile ex vulgatissimis nostris interpretibus didicerit, non multum his sit dissimilis, qui divitias quidem aliquas possident, sed artem fruendi ignorant. Hunc igitur ita compegi, ut quae dictiones Graece sparsim per Digestorum varia responsa a Iurisconsultis referuntur, et impressorum incuria de impressis voluminibus sunt omissae, in suum ordinem restituantur. Non exigo hic, ut operam quisquam nostram aut probet, aut laudibus extollat ; quandoquidem nec mihi ipsi hoc in opusculo satisfaciam, quod summa cum celeritate a me, tum fere puero conditum mihi excidit, priusquam suprema illi apponeretur manus. Quod si nunc retractare voluissem, non aliqui colores addendi, sed novum plane corpus faciendum fuisset. Quam curam ne subirem, occupationibus certe nimiis prohibebar. Malui itaque sic edere, ut etiam
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force de ton génie que tu es presque un vétéran dans ces matières. Tu as fait montre d’une très grande diligence dans les lettres grecques ; c’est héréditaire dans votre famille, tout comme de s’y consacrer et d’honorer ceux qui les promeuvent. Je passe sous silence ton père, poète et orateur, le premier d’entre nos patriciens ; ton frère est Galeazzo Visconti, chevalier distingué, doté d’une rare vertu, qui m’est très cher à cause de sa fréquentation des érudits. Accepte donc en ton nom ce travail, qui doit t’être reconnaissant en ce qu’il ne s’y trouve rien qui ne soit pas ta possession et celle de ta famille. De Milan, le 3 septembre 151432 .
les premiers ouvrages d’alciat
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Alciat nous dit ici qu’il a fait des ajouts : plus tard, en 1547, le texte sera amplifié de nouveau. Parlons de la théorie sémantique qui sous-tend ces deux opuscules. Il s’agit tout d’abord de la signification des mots qu’on établit par l’usage courant à l’époque de leur énonciation : il y va de l’intention originale du législateur, non pas de ce que le même législateur dirait s’il vivait maintenant et pouvait prendre en compte un contexte historique nouveau. C’est pour cette raison que la Notitia dignitatum constitue pour Alciat un précieux témoignage des offices dont on parle dans le livre 12 du Code. Plus tard, cette approche philologique qui suppose une mémoire prodigieuse, de grandes connaissances linguistiques et un sens aigu de l’histoire constituera la base du mos gallicus, comme on l’apprend des remarques attribuées par Alciat à son auditoire berruyer en 1530, qui loue sa « science peu commune » et le grand pas en avant qu’il a accompli dans ses Paradoxa de 1518, dans lesquels il a commencé « à porter dans l’explication du droit les traditions d’une élégante latinité34 ». Le mos gallicus constitue une méthode d’enseignement beaucoup plus ardue que celle connue sous le nom de mos italicus et qui est pratiquée par ses précepteurs à Pavie et à Bologne. Encore une fois, c’est Alciat lui-même qui nous l’annonce : Combien ne me serait-il pas plus facile, en effet, de rassembler tout ce qui a été écrit sur n’importe quelle question par nos prédécesseurs en y ajoutant quelques remarques, d’employer ainsi l’heure entière de la leçon, que de serrer de près les textes, d’aller au but et de rechercher l’unique raison qui écarte à elle seule toutes les objections35.
Alciat renonce déjà ici, en 1514, à l’allégation de la communis opinio que le professeur construit à partir des commentaires existants, et qui n’est que « probable », dans le vieux sens du mot36 ; notre précoce étudiant du droit se donne la tâche de fixer le sens d’un mot
studiorum nostrorum rudimenta publicitus possint agnosci. Tu certe Minuti, quae humanitas est tua, scio, laudabilis, neque scholia haec qualiacunque pauci pendes : quamvis vel recentiorum quorundam exemplo etiam levissimas observationes non dubitaverim his annotationum libris inserere. 34 De Summa Trinitate et Fide Catholica […], (1530) « Ad lectorem », in Alciat, Le Lettere (note 2), p. 251, no 168 : nos ad nominis tui famam huc, Alciate, convolavimus, quod non vulgaris te doctrinae specimen dedisse, iamdiu ex editis a te operibus perspexeramus, nec enim nobis persuaderi poterat, te qui duodecimo ad hinc anno ius nostrum eleganter latineque tradere institueres, huiusque argumenti Paradoxa edideras, non longe meliora cultiora naturiore consilio nova quaque factura pariturum, […] Hosce nos uberes fructus in praesentia a te expectabamus, hacque fiducia fueramus, quae tamen spes nos hactenus (ut dicit) decolavit, quod eo nobis iniquius ferendum est, quo id te sponte et dedita opera peccare omnes scimus, qui quos in pectoris tui sinu thesauros habes […] supprimas, nec in apertum referre expromereque velis […] Nostrum non est rationem docendi prescribere, hacque in re tibi praeiri, scis enim ipse melius quid nobis utilissimum futurum sit […] De Bartoli verbis non admodum sis solicitus, fruatur ipse gloria sua apud alios et ad literam ab his ediscatur qui adeo infantes sunt, ut diversis eum verbis referre non possint, nobis satis erit, quid sentiat breviter admoneri clariore ordine quam ipse fecerit, non illius tantum sed et coeterorum sententias edoceri. 35 Alciat, Lettere (note 2), p. 255, no 168 : quanto enim facilius alicuius quaestionis omnia argumenta apud maiores nostros dispersa colligere, quibusdamque additis, integram ea recitando sic horam transigere, quam statum iugulum petere, solo scopo intendere, unicam rationem adducere, quae adversaria omnia summoveat ? Voir aussi ibid., p. 239, no 161 ; P.-É. Viard, André Alciat (note 15), p. 74. 36 Mais il utilise le mot dans un sens positif contre Accurse : Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani , f. 22v : plane quae Accursius et catera hic scribunt nec authoribus probabilia sunt : nec verbis sat videntur congruere.
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Ibid., p. 95-100 ; Denis Drysdall, « A lawyer’s language theory: Alciato’s De verborum significatione », Emblematica, 9, 1995, p. 269-92. 38 I. Maclean, Interpretation and Meaning in the Renaissance: the Case of Law, Cambridge, 1992, p. 79. 39 Ibid., p. 75-82. 40 Alciat, Lettere (note 2), p. 241, no 163 ; p. 232, no 159. 41 P.-É. Viard, André Alciat (note 15), p. 74; Alciat, Lettere (note 2), p. 243, no 163 : in dispunctionibus vero omnes omnino locos restituere potuissem quibus pandectae Florentinae, vel alii vetusti codices a vulgatis dissident, idque factu mihi facillimum fuisset, sed malui ea tantum recensere, quae probabilem in iure aliquam dubitationem faciunt, aut unde errori ansa praestari potuisset, ne viderer etiam librariorum ipsorum munus mihi praeripere et quod avari vinitores solent, ne racemationem quidem reliquam tenuioribus facere. 42 H. E. Troje, « Alciats Methode der Kommentierung des Corpus iuris civilis », in Id., Humanistische Jurisprudenz (note 19), 11, p. 50 « das methodische Ziel ist Textrekonstruktion durch Textkritik, Sinnrekonstruktion durch Dogmenkritik, Sinnrekonstruktion die, auf dem rekonstruierten Text fussend, die Bedeutung einzelner Wörter und den Bedeutungszusammenhang eines Textes durch philologische-historische Forschung aus dem historischen Kontext zu gewinnen sucht. »
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ou d’un passage une fois pour toutes, guidé par ses connaissances humanistes des textes littéraires du monde ancien, par les rares témoignages du latin de l’époque de Justinien, et par ses études historiques. Mais il est trop tôt pour parler de la sémantique nouvelle qu’il va développer au cours de ses lectures, et qui formera la base de son commentaire sur la signification des mots, étude sur laquelle il travaillera à partir de 1520, et qui paraîtra enfin en 1530 avec le titre De verborum significatione37. Un des éléments nécessaires à ce projet, c’est la topique nouvelle qu’on trouve dans l’Inventio dialectica du Frisien Rudolphe Agricola, qui prend pied dans le domaine juridique à partir de 1495 environ, avec l’ouvrage de Stephanus de Federicis de Brescia sur l’interprétation juridique38. Il est peu vraisemblable que les précepteurs d’Alciat aient connu cet ouvrage, et encore moins qu’ils s’en soient servi. C’est un des correspondants d’Alciat, Claude Chansonnette, qui mènera à bien sa codification des lieux d’argumentation pour les juristes dans son livre intitulé Topica de 1520, qui inspirera peut-être le projet d’Alciat de s’enquérir sur la signification des mots39. Mais on voit déjà dans les Annotationes de 1515 les origines de la poursuite par Alciat de la certitudo, soit sémantique, soit logique, et sa déconsidération des probabilia argumenta et de la communis opinio allégués par ses confrères40. Son but, c’est uniquement la signification authentique d’un texte, qu’on établit à partir d’une analyse historique et philologique41. Troje le résume ainsi : « le but méthodique est la reconstruction du texte par le moyen de la critique textuelle, et rétablissement du sens par la critique dogmatique : rétablissement qui, se servant du texte qu’on a reconstruit, essaie de fixer la signification des mots particuliers et du texte pris dans son ensemble grâce à la recherche philologique et historique du contexte »42. Par « critique dogmatique », Troje entend la tâche de montrer comment un texte juridique s’accorde avec la science générale du droit, autrement dit, la jurisprudence. Pour finir, je vais essayer de répondre aux questions que je me suis posées au début de cette enquête. Je n’ai pas pu expliquer comment Alciat s’est fait éditer par Johann Schott à Strasbourg ; il reste cependant plausible que Übelin et Schott y étaient pour quelque chose. Pourquoi s’est-il interessé à ces deux thèmes, c’est-à-dire aux livres dix à douze du Code de Justinien, et aux textes grecs omis des premières éditions incunables des Pandectes ? Il a été amené à le faire d’une part par ses études humanistes et d’autre part par le don de
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deux livres par Sauli qui lui permettent, respectivement, d’entamer l’étude historique du Corpus iuris cvilis, et de restituer au texte quelques passages grecs omis des incunables et de la versio vulgata. Qu’apprenons-nous de la méthode et des préoccupations intellectuelles d’Alciat à cette époque de sa vie ? Sans négliger le devoir principal d’un juriste – qui est d’interpréter subtilement selon les termes du Code – c’est-à-dire, de faire usage d’une finesse de compréhension pour dégager du texte justinien son véritable apport dogmatique, Alciat montre, dès le début de sa carrière, jusqu’à quel point un sens aigu des mots et des formules peut être employé pour situer un texte dans le contexte d’où il provient. Mais il faut admettre que la contribution durable à l’étude historique des textes de Justinien a été plutôt piètre dans ces ouvrages de jeunesse : leur vrai mérite, c’est de «mettre le bal en train », pour reprendre les mots de Troje, et surtout d’interroger le contexte historique du latin avec de nouveaux instruments de travail43. Certes, on voit dans ces textes la naissance même du mos gallicus et la déconsidération de la versio vulgata et de la glose d’Accurse : mais l’apport de cette méthode est compromis par les révisions souvent triviales et les fausses leçons que seule une étude de la littera florentina et d’autres textes découverts par la génération qui suit Alciat, surtout par Cujas, vont être à même de corriger.
43 H. E. Troje, Graeca leguntur (note 17) p. 23: « Alciat brachte den Stein im Rollen » ; ibid, p. 231, où Troje parle du « folgenreicher Eingriff in dem lateinischen Kontext » de notre auteur.
Les in cornelium tacitum annotationes d'André Alciat et leur fortune au xvie siècle Lucie Claire - École Pratique des Hautes Études
L’année 1517 est une date fondamentale dans l’histoire des études tacitéennes, puisqu’elle marque la publication du tout premier commentaire consacré à l’œuvre de l’historien latin. Rappelons en effet que le Moyen Âge est une époque noire pour Tacite : seuls trois manuscrits de son œuvre produits durant cette période sont connus1. À la différence de César, Salluste, Tite-Live ou Valère-Maxime, il n’existe même aucun commentaire qui prenne en considération les œuvres de Tacite. Cet oubli médiéval se double à l’époque humaniste d’une découverte tardive des manuscrits tacitéens : le Mediceus alter, contenant la fin des Annales et ce que nous connaissons des Histoires, ne refait surface à Florence qu’à l’automne 1427, date à laquelle il réapparaît dans la correspondance du Pogge et de Niccolò Niccoli2. Quant au manuscrit de Hersfeld, comprenant les œuvres mineures, il est apporté à Rome vers 1455 par Enoch d’Ascoli3. Enfin, le Mediceus prior, contenant les six premiers livres des Annales, est exhumé de l’abbaye de Corvey par les limiers du futur Léon X à la fin de la première décennie du xvie siècle. À cette découverte d’importance succède la parution en 1515 de la véritable édition princeps des Opera omnia de Tacite, procurée par Philippe Béroalde le Jeune4. Selon la volonté papale, le volume béroaldien était destiné à rester la seule édition complète des œuvres de Tacite pendant au moins dix ans, sous peine d’excommunication et d’une amende de deux cents ducats5. Mais deux ans plus tard, l’imprimeur et éditeur milanais Alessandro Minuziano brave cette interdiction en publiant sa
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Les deux manuscrits de la bibliothèque Laurentienne de Florence (Plut. 68.1 et 68.2) et le cahier médiéval (xe siècle) contenant un extrait du texte de l’Agricola compris dans le codex Aesinus (xve siècle), cahier ayant vraisemblablement appartenu au manuscrit de Hersfeld. Sur la question de la fortune manuscrite, voir l’article « Tacitus », in L.D. Reynolds (dir.), Texts and Transmission. A Survey of the Latin Classics, Oxford, 1983, p. 406-411. 2 Voir Helene Harth (éd.) : Poggio Bracciolini, Lettere I. Lettere a Niccolò Niccoli, Firenze, 1984, lettre 30, p. 83-84. 3 Thèse de Remigio Sabbadini, Storia e critica di testi latini. Cicerone, Donato, Tacito, Celso, Plauto, Plinio, Quintiliano, Livio e Sallustio, Commedia ignota, Padova, 1971 (1re édition 1914), p. 194-206. 4 Tacite, Libri quinque nouiter inuenti atque cum reliquis eius operibus editi, Romae, per Magistrum Stephanum Guillereti, 1515. 5 Les premiers privilèges pontificaux apparaissent avec Alexandre VI et concernent en majorité des textes officiels ; c’est Léon X qui augmentera considérablement le nombre de privilèges accordés à des œuvres littéraires. Voir à ce sujet Christopher L.C.E. Witcombe, Copyright in the Renaissance. Prints and the Privilegio in Sixteenth-Century Venice and Rome, Leiden-Boston, 2004, p. 45-52.
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propre version du texte tacitéen6, suivi des In Cornelium Tacitum annotationes de son ami7 André Alciat. Une première question vient donc aussitôt à l’esprit : comment le privilège a-t-il pu être violé, quand on pense à la véhémence péremptoire avec laquelle Léon X s’était réservé la possession exclusive du texte tacitéen pour les dix années à venir8 ? En outre, comme une provocation, Minuziano a conservé telle quelle au seuil de son édition la page de titre de l’édition de Béroalde, qui proclamait l’interdiction de publier le texte de Tacite. On a pu aller jusqu’à dire de cette édition milanaise qu’elle était « piratée9 ». En réalité, le terme paraît excessif, puisque l’impression et la publication de ce volume se sont finalement faites avec l’accord de la papauté, comme nous l’apprend le détail des textes liminaires. Il semble que Léon X se soit laissé fléchir par les prières10 (et peut-être l’argent11) de Minuziano et que l’autorisation ait été donnée à l’imprimeur milanais de poursuivre son travail d’édition de Tacite, ce qui permet au volume de sortir de ses presses en 1517. L’édition n’est donc pas « piratée » : si le projet de republier le texte de Tacite allait certes à l’encontre des dispositions prises par Léon X en 1515 et avait bel et bien été commencé dans l’illégalité, une fois le secret éventé, la publication de l’ouvrage s’est faite dans la plus grande transparence. Il y a peu à dire sur le texte même de Minuziano, qui se contente de reprendre l’édition béroaldienne à quelques détails près, y compris jusque dans les textes liminaires, mais en ne tenant malheureusement pas toujours compte des deux listes d’errata d’impression dressées par Béroalde12. Le texte de Minuziano n’est d’ailleurs pas non plus exempt de nouvelles coquilles, qui n’étaient pas présentes chez Béroalde, ce qui contribue à donner l’impression d’une édition brouillonne, préparée dans la précipitation. Par conséquent, si l’édition milanaise de 1517 a fait date dans les études tacitéennes, ce n’est pas en raison de son texte, mais de ce qui l’accompagnait, à l’intérieur comme à l’extérieur du volume : non seulement les circonstances agitées de sa publication, mais aussi le commentaire d’Alciat.
6 Tacite, Libri quinque nouiter inuenti atque cum reliquis eius operibus editi, Mediolani, ex officina Minutiana, 1517. Sur les liens qui unissaient les deux humanistes, voir Carlo Dionisotti, « Notizie di Alessandro 7 Minuziano », in Miscellanea Giovanni Mercati, vol. 4, Città del Vaticano, 1946, p. 352-361 (article intégralement repris in Tania Basile, Vincenzo Fera, Susanna Villari (éd.) : Carlo Dionisotti, Scritti di storia della letteratura italiana 1 : 1935-1962, Roma, 2008, p. 113-153). Comme souvent, des motivations économiques sont vraisemblablement à l’origine de ce privilège. Selon 8 David Landau et Peter Parshall, The Renaissance Print : 1470-1550, New Haven-London, 1994, p. 302, le manuscrit provenant de Corvey aurait été acquis par le futur Léon X pour la somme de cinq cents ducats. 9 Pierre Maréchaux, « Béroalde le Jeune », dans C. Nativel (dir.), Centuriae Latinae, Genève, 1997, p. 125. 10 Dans la supplique qu’il adresse à Léon X, Minuziano proteste de son ignorance absolue du privilège et explique son geste par le désir de fournir à ses auditeurs un nombre suffisant de textes de Tacite, puisque l’humaniste avait choisi d’étudier avec eux l’histoire de l’époque augustéenne. La véracité de telles affirmations est bien sûr difficile à évaluer ; quoi qu’il en soit, Léon X, par l’intermédiaire de son secrétaire Pietro Bembo, se laisse convaincre et autorise Minuziano à publier sans l’excommunier. 11 Hypothèse rapidement avancée par Elizabeth Armstrong, Before Copyright : the French Book-Privilege System 1498-1526, Cambridge, 1990, p. 13. 12 Minuziano ne le pouvait d’ailleurs pas, s’il reproduisait le texte au fur et à mesure que les feuillets lui arrivaient de Rome, conformément à l’hypothèse de C. Dionisotti, « Notizie di Alessandro Minuziano » (note 7), p. 357 et de D. Landau et P. Parshall, The Renaissance Print (note 8), p. 302.
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Le commentateur Marcus Vertranius Maurus sera le premier à distinguer les deux œuvres dans ses Ad P. Cornelii Taciti Annalium et Historiarum libros Notae, Lugduni, apud Antonium Gryphium, 1569. Cf. Robert W. Ulery Jr., « Cornelius Tacitus », in F. Edward Cranz (dir.), Catalogus translationum et commentariorum. Medieval and Renaissance Latin translations and commentaries. Annotated lists and guides, Washington D.C., 1986, vol. 6, p. 108-110. 14 Tacite, Historia augusta actionum diurnalium : additis quinque libris nouiter inuentis. Andreae Alciati Mediolanensis in eundem annotationes, apud inclytam Basileam, ex officina Io. Frobenii, 1519. 15 Tacite, Annales, 3, 25. 16 Ibid., 11, 5. Dans ses Annotationes, Alciat utilise la dénomination, erronée, de lex Titia. 17 Ibid., Annales, 12, 53. 18 Gaius, Institutes, 1, 84-86. 19 Tacite, Annales, 13, 32. 20 Digeste, 29, 5. À propos d’Histoires, 2, 14. En droit romain, on qualifie de pagani la population civile, par opposition aux 21 soldats. À propos d’Annales, 12, 26. 22 Ibid., Annales, 4, 16. Il s’agit d’un mariage rituel se déroulant devant le grand pontife et le flamen dialis. 23
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Pour ce qui est du texte, qu’elle a cependant contribué à diffuser, elle n’a apporté strictement aucune amélioration ni innovation. Le commentaire d’Alciat placé à la fin de ce volume in octavo occupe dix feuillets. Il est donc de dimensions modestes, mais se distingue par une bonne compréhension du texte tacitéen, fait suffisamment rare pour être remarqué. Il est concentré essentiellement sur l’œuvre historique de Tacite, puisque sur les soixante-huit notes de commentaire, variant de quelques lignes à une page, soixante-trois sont consacrées aux Annales et aux Histoires, non distinguées à l’époque13, tandis qu’une seule est réservée au Dialogue des orateurs, une à la Vie d’Agricola et trois à la Germanie. La tradition a donné à ce travail le titre d’In Cornelium Tacitum annotationes, bien qu’un tel intitulé n’apparaisse pas dans l’édition milanaise de 1517, mais seulement dans sa réimpression bâloise de 151914. Il sera cependant adopté par commodité pour désigner le commentaire d’Alciat dans la suite de cette étude, qui se propose de dégager les lignes de force et la fortune de ce petit ouvrage qu’Alciat composa alors qu’il venait tout juste d’obtenir son titre de docteur en droit civil et canon. À la lecture de ces Annotationes, on ne peut qu’être frappé par la prédominance des remarques d’ordre juridique. Le jeune diplômé se plaît à citer les écrits des prudents et à préciser le contenu d’une loi ou d’un sénatus-consulte mentionnés dans le texte tacitéen. Ainsi, Alciat s’attarde sur la valeur de la lex Papia Poppaea15 et de la lex Cincia16, lois que Tacite évoque mais sans en préciser la véritable portée. Les références de certains sénatus-consultes sont également mentionnées par Alciat : lorsque Tacite aborde le sénatusconsulte claudien sur la question du châtiment des femmes qui auraient commerce avec des esclaves (de poena feminarum quae seruis coniungerentur17), Alciat indique que le texte de ce sénatus-consulte se trouve dans les Institutes de Gaius18. Il procède de la même manière à propos du sénatus-consulte Pisonianum19, concernant le supplice des esclaves ayant tué leur maître, en renvoyant au titre du Digeste correspondant20. Parfois également, il précise des concepts juridiques du monde romain, comme la notion de pagani21, le problème de la transmission du nomen dans le cas d’une adoption22 ou le mariage par confarréation23,
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thème dont on sait bien l’intérêt qu’il suscita chez Alciat tout au long de sa vie. Cette focalisation sur le droit dans les Annotationes s’explique en premier lieu par les inclinations d’Alciat, mais aussi par la matière du texte qui est commenté. En effet, l’intérêt qu’éprouve Tacite lui-même pour le droit ne fait aucun doute et a déjà bien été mis en valeur24. La place qu’occupe cette discipline dans les écrits de l’historien prend des formes variées : histoire d’une institution, récit des débats au sénat ou des procès, digression sur l’histoire de la législation, etc. Il serait cependant faux de réduire l’opuscule alciatique à un commentaire exclusivement juridique. Les Annotationes peuvent même apparaître comme marquées du sceau de l’éclectisme et se trouvent incontestablement au confluent de différents savoirs, annonçant les préoccupations futures de l’humaniste à l’aube de sa carrière. À côté du droit, de nombreuses disciplines sont sollicitées par Alciat. Tout d’abord, les considérations pécuniaires et numismatiques occupent une place de choix dans le commentaire. Les passages du texte tacitéen où il est question d’argent font systématiquement l’objet d’une annotatio, souvent brève, dans laquelle Alciat estime la somme et la convertit en ducats milanais. L’onomastique retient également à plusieurs reprises l’attention de l’humaniste : c’est le cas du nom de la ville de Florence25, cité au premier livre des Annales et dont Alciat explique l’étymologie, ou encore du nom de différentes divinités et des légions. Alciat se révèle par ailleurs sensible aux particularités lexicales de l’œuvre qu’il commente et ne manque pas d’expliciter tel ou tel mot d’emploi rare, par exemple praeuaricatio au onzième livre des Annales26 ou encore la création tacitéenne clauarium au troisième livre des Histoires27. La géographie aussi est à l’honneur dans grand nombre d’annotationes alciatiques : l’opuscule est ponctué de plusieurs développements sur certains peuples (les Sicambres dans les Annales, les habitants de la Bohême et les Langobards dans la Germanie) et plus particulièrement sur leur localisation géographique. En outre, Alciat cherche à identifier la localisation de la Naua28, rivière de Germanie, et de la source du Danube29. Deux des annotationes les plus abondantes (plus d’une demi-page) traitent de questions géographiques autour des Alpes pour la première30, des provinces de Germanie et de Gaule pour la seconde31. À diverses reprises encore, la biographie retient l’attention d’Alciat, qui est notamment le premier à noter que le Curtius Rufus évoqué au onzième livre des Annales32 pourrait peut-être s’identifier à l’historien Quinte-Curce, question que la critique n’a toujours pas définitivement tranchée aujourd’hui. Enfin, Alciat ne s’interdit pas à l’occasion des annota-
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Michèle Ducos, « Les problèmes de droit dans l’œuvre de Tacite », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, 2.33.4, 1991, p. 3183-3259. 25 Tacite, Annales, 1, 79. 26 Ibid., Annales, 11, 5. 27 Tacite, Histoires, 3, 50. Littéralement, cet hapax signifie « indemnité de chaussures à clous ». Il s’agit en fait d’une donation faite par l’empereur aux soldats. 28 Ibid., Histoires, 4, 70. 29 Tacite, Germanie, 1. 30 À propos d’Annales, 15, 32. 31 À propos d’Histoires, 1, 53 et 58-59. 32 Tacite, Annales, 11, 20, 3.
Les régions qui ne possédaient pas le droit de cité romain étaient soumises à d’assez lourdes taxes. Selon la loi censitaire en effet, elles étaient contraintes de déclarer le nombre de têtes dans chaque famille, le nombre d’arpents de terre, le nombre d’esclaves possédés. Mais il fallait aussi payer un cens sur les bassins d’élevage de poissons, selon les jurisconsultes Ulpien et Paul, si bien que ce terme de census ne doit pas être simplement interprété comme le relevé du nombre de citoyens, d’où l’on peut déduire combien d’hommes doivent s’engager dans l’armée. De là viennent les appellations de censiti [soumis au cens] et censitores [commissaires répartiteurs]34.
Le mouvement de l’annotatio part d’un fait historique pour aller dans un deuxième temps vers des considérations juridiques et enfin aboutir à des justifications lexicales. Ce dialogue entre l’histoire et les autres champs du savoir donne leur identité aux Annotationes. De fait, Alciat légitime son commentaire sur l’histoire, puisque les outils qu’il utilise et sur lesquels il fonde sa méthode sont liés à cette discipline. L’humaniste ne se contente pas d’affirmer, il cherche la plupart du temps à étayer ses éléments de commentaire par des preuves, qui peuvent être de différente nature. Les inscriptions tout d’abord tiennent une place de choix dans le travail alciatique et ce fait est à mettre en relation avec la collection d’inscriptions entreprise par l’humaniste dès sa jeunesse. Il n’est pas surprenant non plus de constater que les témoignages d’auteurs anciens sont abondamment sollicités par le commentateur. Parmi ceux-ci, on peut distinguer ceux des prudents, des historiens (Dion Cassius, Suétone, Hérodote, Ammien Marcellin, Tite-Live), des géographes (Pausanias, Strabon), des comiques (Aristophane, Plaute) et des poètes (Horace, Anacréon, Virgile, Ausone, Martial). Enfin, Alciat en appelle parfois à l’autorité des manuscrits, mais, de façon étrange, il ne le fait pas lorsqu’il propose une correction textuelle. Ses commentaires philologiques restent purement conjecturaux, pratique du reste la plus généralement partagée chez les
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Ibid., Annales, 1, 31, 2. Quae regiones ius ciuitatis Romanae non habebant grauioribus tributis uexabantur. Censuali enim lege profiteri cogebantur : quot capita essent in qualibet familia : quot iugera terrae : quot seruos quis haberet. Sed & de lacubus piscatoris census soluendus erat Vlpiano Pauloque iureconsultis ut hic simpliciter accipiendus non sit census : cum numerus ciuium defertur unde agnosci possit qua militiae nomina dare debeant. Hinc censiti & censitores dicti.
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tiones d’ordre purement philologique et propose des conjectures là où il estime que le texte tacitéen a besoin d’être corrigé. Ce catalogue des champs disciplinaires abordés par Alciat ne doit nullement faire penser qu’aucune ligne de force n’existe dans ce commentaire et que ce dernier se réduise à une succession de remarques plus ou moins pertinentes, faites au gré de l’humeur de leur auteur. Au contraire, une véritable unité se dégage de cet ouvrage, marqué par une transcendance de l’histoire. La méthode historique, qui contribuera au renom de l’humaniste, est déjà en germe dans les Annotationes et adaptée à l’œuvre de Tacite. Pour fonder ses explications, Alciat fait toujours dialoguer l’histoire avec le droit, l’étymologie ou la géographie et préfère cet éclairage conjoint à la pure et simple glose. Ainsi, dans l’annotatio concernant la révolte des Germains au premier livre des Annales, Alciat note à propos du passage Germanicum agendo Galliarum censui tum intentum33 :
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éditeurs et commentateurs de Tacite jusqu’à ce que Juste Lipse instaure une rupture dans cette tradition et rénove le texte tacitéen dans le dernier quart du xvie siècle35. À cette occasion, signalons que les quatre corrections36 de type conjectural qu’Alciat propose au texte de Tacite dans son commentaire n’ont pas retenu l’attention des éditeurs modernes. Le nom de l’humaniste n’apparaît même qu’à une seule reprise dans l’apparat critique des éditions de la Collection des Universités de France et de la librairie Teubner37, pour une correction mineure qui n’a de surcroît pas été proposée dans ses Annotationes38. Les apports philologiques au texte de Tacite ne sont donc pas la qualité première des Annotationes, qui cependant marquent un grand pas dans la connaissance des œuvres de l’historien latin. Jusqu’à présent en effet, Tacite était mal connu. L’absence de commentaire médiéval a déjà été évoquée. Les témoignages sur l’historien latin que nous livrent les textes liminaires des trois principales éditions des œuvres tacitéennes qui ont précédé celle de Minuziano39 font voir que leurs éditeurs perçoivent de façon très approximative la spécificité du texte qui est entre leurs mains et voient en Tacite un biographe, héritiers d’une longue tradition inaugurée par Sicco Polenton au Quattrocento : Mais parmi ces hommes [les citoyens romains], à la suite de la décision de dresser la liste des ceux qui ont consacré leurs principaux travaux à la branche de l’historiographie qui traite des biographies des Césars, Tacite nous vient à l’esprit, avant les autres, un homme qui incontestablement abonde de qualités dans ce genre de travaux et un écrivain à la lime habile40.
Polenton possédait sans doute ou du moins avait accès facilement à un manuscrit de l’œuvre tacitéenne, car ses références à Tacite sont nombreuses et précises dans les Scriptorum Illustrium Latinae Linguae Libri. Il n’empêche que l’humaniste de Padoue qualifie ici notre historien de copiosus, lui que l’on associe si souvent à la breuitas, aux antipodes de l’abon-
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Sur la méthode de Lipse, voir l’étude, un peu vieillie mais toujours capitale, de José Ruysschaert, Juste Lipse et les Annales de Tacite. Une méthode de critique textuelle au xvie siècle, Louvain, 1949. Elles concernent Annales, 6, 37, 2 (le suouetaurilia du manuscrit est inutilement corrigé en solitaurilia) ; Histoires, 1, 25, 1 (Alciat propose une bonne conjecture en s’appuyant sur Modestinus et Ammien Marcellin : il remplace l’improbable Tesseranum par tesserarium, leçon donnée par le Mediceus) ; Histoires, 1, 76, 1 (le correct Iulius Cordus est vainement corrigé en Manilius Cordus d’après une inscription vue sur un tertre derrière l’église Saint-Pétrone de Bologne) ; Agricola, 36, 1 (caeteris justement corrigé en cetris, d’après l’usage de Virgile et des grammairiens). En réalité, le nom d’Alciat se lit deux fois dans l’édition Teubner, mais en raison d’une confusion entre les noms latins d’Alciatus et d’Acidalius en Annales, 3, 29, 4. L’allemand Valens Acidalius composa des Notae in C. Corn. Taciti opera quae exstant. Collectae a Christiano Acidalio Fratre, Hanoviae, apud Claudium Marnium et heredes Ioannis Aubrii, 1607. Il puisa généreusement pour ce travail dans les notes personnelles et posthumes de Marc-Antoine Muret. Les deux éditions lui attribuent la correction du nom Lucilianis en Lucullianis en Annales, 11, 37, 1. L’édition vénitienne de Vendelin de Spire vers 1470, l’édition milanaise de Francesco Puteolano (ou Dal Pozzo) vers 1482 et l’édition romaine de Philippe Béroalde en 1515. Les deux premières éditions ne contiennent pas bien sûr la première hexade des Annales. B.L. Ullman (éd.) : Sicco Polenton, Scriptorum Illustrium Latinae Linguae Libri XVIII, Rome, 1928, p. 208, l. 23-28 : Horum uero e numero, posteaquam recensere illos nunc libet qui sunt principali studio eam partem historiae scribendae amplexi quae memorandas ad uitas Caesarum pertineret, occurrit nobis ante alios Cornelius Tacitus, uir utique isto in genere studii ac uirtutis copiosus ac delimatus scriptor.
[…] quand il nous laisse instruits de nombreux préceptes par l’exemple d’hommes illustres, en nous montrant comment les crimes rejaillissent sur la tête de leurs auteurs, quelle grande renommée nous nous assurons à force de constance et de courage, à quel point il faut agir prudemment avec les mauvais princes, à quel point il convient d’être mesuré avec tous43.
L’une et l’autre de ces qualités poussent Alciat à placer Tacite sur le trône de l’historiographie, Tacite qui ainsi supplante le modèle absolu en ce premier xvie siècle, Tite-Live, dont la patauinitas et la lactea ubertas ne peuvent que susciter dégoût et écœurement chez le lec-
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Philippe Béroalde le Jeune (éd.) : Tacite, Libri quinque nouiter inuenti, f. 2v (note 4) : « En effet, alors que chez les autres historiens, les uns décrivent uniquement les événements de politique intérieure et extérieure – tel est le cas de Salluste, de Tite-Live – et que les autres se contentent de montrer les vies des souverains – tel est le cas de Suétone, de Plutarque –, lui seul a rempli l’une et l’autre de ces tâches avec éminence dans l’organisation, application dans le travail, grandeur dans le jugement, richesse dans le style. » Etenim cum ex reliquis Historicis alii res tantum domi forisque in Re publica gestas perscribant ut Sallustius ut Liuius. Alii principum uitas ostendisse contenti sint, ut Suetonius ut Plutarchus : Hic unus utrumque munus summo ordine, diligenti cura, magno iudicio, multa concinnitate complexus est. 42 Cicéron, De oratore, 2, 36. 43 […] cum ille clarorum uirorum exemplo plurimis nos praeceptis instructos dimittit quemadmodum in caput auctorum scelera uertantur, quantum nominis ex constantia animique fortitudine nobis quaeramus, quam caute cum malis principibus agendum, quam modestos cum omnibus esse conueniat.
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dance livienne, et assimile son œuvre historique au genre biographique, à l’instar des Vies de Suétone ou de l’Histoire Auguste. Ce jugement sur l’œuvre de Tacite n’est pas isolé au xve siècle et aura la vie dure, puisque Béroalde, dans son édition de 1515, proclame encore que le talent le plus méritoire de Tacite est d’avoir su associer la tradition historique de l’annalistique à celle de la biographie41. Avec son commentaire, Alciat introduit une véritable rupture dans cette doxa tacitéenne incertaine, qui peine à reconnaître la réelle nature de l’œuvre. Si les Annotationes signalent une bonne compréhension du texte commenté, l’Encomium historiae placé en tête de l’opuscule en fournit la preuve éclatante. Dans l’édition de Minuziano, les Annotationes sont en effet précédées d’une épître dédicatoire adressée à Galéas Visconti. Cette lettre connaîtra une grande fortune éditoriale et sera même imprimée à part sous le titre Encomium historiae par la suite. Comme le suggère ce titre, Alciat se livre dans cette lettre à l’exercice traditionnel qui consiste à louer l’auteur dont on présente les œuvres, ainsi que le domaine dans lequel ce dernier s’est illustré. Si l’éloge de la science historique que prodigue Alciat n’a rien de véritablement original, son jugement sur Tacite sait bien mettre en valeur et individualiser les qualités propres à l’écrivain. Après avoir passé en revue les défauts de différents historiens, Alciat en vient aux talents stylistiques de Tacite : grauitas, elegantia, breuitas. Chez lui en effet, écrit-il, « la gravité du style rivalise avec l’élégance et préfère abandonner certaines réflexions à l’esprit du lecteur plutôt que de le perdre sous le poids de longs récits », certat sermonis grauitas cum elegantia mauultque aliqua animo lectoris cogitanda relinquere quam longis eum narrationibus oneratum dimittere. À ses qualités littéraires, Tacite ajoute l’utilité morale de ses écrits, se conformant ainsi au précepte cicéronien de l’historia magistra uitae42,
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teur aux yeux d’Alciat — qui n’hésite pas à employer le terme de fastidium —, alors même que les œuvres de Tacite se voient qualifiées de la douce appellation virgilienne de « prairies verdoyantes », uirecta. La comparaison entre ces deux historiens est loin d’être fortuite et l’on ne saurait y voir un simple exercice lié aux topoi exigés par le genre de l’épître dédicatoire. Rappelons que Tite-Live est l’un des écrivains les plus lus44, mais surtout les plus appréciés des milieux scolaires et universitaires. Cette suprématie commencera à s’étioler légèrement à partir du xviie siècle seulement. La position d’Alciat a donc nécessairement quelque chose de polémique et d’audacieux quand il bouscule ainsi la hiérarchie convenue de l’historiographie et place à son sommet un historien que personne n’a jusque là imaginé capable de concurrencer sérieusement Tite-Live, à une époque où la mainmise des cicéroniens dans les universités italiennes est totale. De fait, l’Histoire donnera raison à Alciat, mais près d’un siècle plus tard, quand Tacite deviendra au xviie siècle le plus apprécié des historiens latins45. Dès lors, comment expliquer ce choix original d’auteur chez Alciat ? On sait que la redécouverte des qualités de l’œuvre de Tacite éclot dans le monde des juristes à la Renaissance46, ce qui s’explique aisément par les abondantes informations sur le fonctionnement des institutions romaines qui se lisent chez l’historien. Mais il ne suffit pas de s’intéresser au droit romain pour aimer Tacite ; Guillaume Budé par exemple ne manque pas de traiter ce dernier de « criminel », nefarius, et de lui reprocher son paganisme dans le De asse47, renouant ainsi avec les accusations de Tertullien48. Chez Alciat, si les préoccupations juridiques ont été sans doute à l’origine de la lecture de Tacite, elles ont donné naissance à un véritable goût pour l’historien latin. L’éloge de Tacite composé pour les Annotationes trouve en effet quelques échos dans d’autres écrits de l’humaniste. Ainsi, Alciat oppose l’autorité de Tacite aux affirmations de Valla dans le De uerborum significatione à propos d’une loi du titre homonyme du Digeste49. Du reste, s’il faut s’en remettre à l’autorité de Paul-Émile Viard, Tacite est l’auteur qui est le plus cité dans les travaux juridiques d’Alciat après l’incontournable Cicéron50. Les liens entre Tacite et Alciat ne peuvent donc se réduire aux Annotationes et ont durablement informé les écrits du jurisconsulte, qui a été l’un des premiers à reconnaître les qualités des Annales et des Histoires, à une époque où Tacite est loin de faire l’unanimité. Il est dès lors bien étrange de constater qu’Alciat a l’image d’un pourfendeur de Tacite dans certains textes du second xvie siècle. D’une part, les nombreuses réimpressions du
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Peter Burke, « A Survey of the Popularity of Ancient Historians. 1450-1700 », History and Theory. Studies on the Philosophy of History, 5, 1966, p. 137. 45 Ibid. 46 Michèle Ducos, « La réflexion sur le droit dans les Annales et son influence », dans R. Chevallier, R. Poignault (dir.), Présence de Tacite, Tours, 1992, p. 118-119 ; Kenneth C. Schellhase, Tacitus in Renaissance Political Thought, Chicago, 1976, p. 102-103. 47 Guillaume Budé, De asse et partibus ejus libri quinque, [Parisiis], in aedibus Ascensianis, 1514, f. 106r. 48 Tertullien, Apologétique, 16 ; Ad Nationes, 1, 11. 49 André Alciat, De uerborum significatione libri quatuor, Lugduni, Seb. Gryphius, 1530, p. 199 (à propos de Digeste, 50, 16, 157). 50 Paul-Émile Viard, André Alciat (1492-1550), Paris, 1926, p. 244.
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R.W. Ulery Jr., « Cornelius Tacitus », p. 99-102 (note 13). Dans cet article, est évoquée également une édition bâloise de 1520 contenant les Opera de Tacite et les Annotationes d’Alciat. L’auteur fonde cette affirmation sur The National Union Catalog. Pre-1956 Imprints, vol. 581, London, 1978, p. 149, où est effectivement recensé un (unique) exemplaire d’une telle édition, conservé par la Columbia University de New York. Après vérification, le catalogue actuel de la bibliothèque de la Columbia University ne mentionne pas d’édition bâloise pour 1520, mais parle seulement de celles de 1519 et de 1533. Par ailleurs, James Hirstein ne mentionne pas dans le catalogue des travaux de l’humaniste alsacien Beatus Rhenanus, curateur des éditions tacitéennes chez Froben, le moindre ouvrage de ce genre en 1520 : J. Hirstein, « Liste chronologique de livres auxquels le nom de Beatus Rhenanus est associé (titres abrégés) », dans J. Hirstein (dir.) Beatus Rhenanus (1485-1547) lecteur et éditeur de textes anciens, Turnhout, 2000, p. 491-511 Beatus Rhenanus (éd.) : Tacite, De moribus & populis Germaniae libellus cum commentariolo uetera Germaniæ populorum uocabula paucis explicante, Basileae, apud Ioannem Frobenium, mense maio 1519, p. 54. Ibid., p. 52. Emilio Ferretti, Annotatiunculae in Cornelii Taciti Annalium libros, Lugduni, apud Sebastianum Gryphium, 1541. La seule étude dont ce commentaire a retenu l’attention est l’article de William Kemp, « Les historiens latins chez Gryphe au début des années 1540 : Tite-Live, Tacite et l’humaniste Emilio Ferretti », in R. Mouren (dir.), Quid novi ? Sébastien Gryphe, à l’occasion du 450e anniversaire de sa mort, Villeurbanne, 2008, p. 341-356. J. Ruysschaert, dans Juste Lipse et les Annales de Tacite (note 35), n’évoque jamais une utilisation significative des travaux d’Alciat par Lipse.
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commentaire d’Alciat après 1517 peuvent laisser penser que cet opuscule était goûté des lecteurs du xvie siècle. Les Annotationes sont en effet jointes aux éditions des Opera de Tacite dans les éditions bâloises de 1519 et 1533, dans l’édition vénitienne de 1534, dans l’édition lyonnaise de 1542, dans l’édition bâloise de 1544, dans l’édition francfortoise de 1607 et enfin dans l’édition parisienne de 160851, soit un premier total de sept rééditions en un siècle, pour ne pas parler du succès de l’épître dédicatoire précédant les Annotationes, imprimée à part dès 1530 à Haguenau sous le titre Encomium historiae avec une réédition du De bello Neapolitano de Jacopo Bracelli et du De bello Hispano de Giovanni Pontano. En outre, les Annotationes sont imprimées avec d’autres œuvres d’Alciat, comme à Lyon en 1548, dans un volume contenant divers commentaires alciatiques, ainsi qu’avec les éditions des Opera omnia de Bâle en 1546-49 et en 1557-58, de Lyon en 1560, de Bâle en 1571 et 1582 et de Francfort en 1616-17. Le total des réimpressions s’élève donc à quatorze, pour une période de cent ans : l’ouvrage semble être une valeur plutôt sûre chez les libraires. Enfin, quant aux commentateurs de Tacite qui ont succédé à Alciat, Beatus Rhenanus qualifie son prédécesseur d’« homme incroyablement savant », uir impense doctus52, et voit en lui un « garant », autor53, dans son commentaire de la Germanie de 1519. Le titre même du commentaire des Annales réalisé par Emilio Ferretti en 1541 quand il était correcteur chez Gryphe, les Annotatiunculae54, comporte sans doute un hommage indirect à l’opuscule alciatique, bien qu’il s’agisse d’un ouvrage de nature exégétique et non historique comme celui d’Alciat et que le nom de ce dernier n’y soit jamais mentionné. D’autre part pourtant, les témoignages de certains humanistes de la seconde moitié du xvie siècle laissent perplexe quant à l’appréciation et à la fortune réelles de ces Annotationes. Celui que l’Histoire a baptisé le sauveur de Tacite, Juste Lipse, boude le nom d’Alciat dans ses abondants travaux tacitéens55. Mais d’autres vont plus loin que le silence :
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au quatrième chapitre de sa Méthode de l’histoire (1566), consacré au choix des historiens, Jean Bodin insère un éloge vibrant de Tacite et défend ce dernier contre diverses accusations. Or, la première critique qu’il avance et condamne tout à la fois est celle d’Alciat : Mais je suis tourmenté et tracassé par les objections de quelques auteurs qui n’auraient pas besoin d’être réfutés s’ils ne jouissaient d’une grande autorité. C’est ainsi qu’Alciat, dans sa lettre à Paul Jove, ose traiter de « ronciers » cette histoire presque divine : et en effet sa rudesse rebute ceux qui préfèrent les bagatelles plus frivoles des grammairiens aux récits les plus graves de ceux qui ont consumé leur vie au service de la république. Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi Alciat méprise un auteur capable de mériter la palme de l’éloquence […]56.
D’une manière générale, Bodin apprécie peu notre juriste et ne manque pas une occasion de le blâmer dans sa Méthode de l’histoire57 ; on pourrait donc voir dans cette critique du jugement tacitéen d’Alciat un élément supplémentaire s’inscrivant dans une tentative globale pour le discréditer. Or, ce point de vue n’est pas isolé et une quinzaine d’années plus tard, en novembre 1580, Marc-Antoine Muret reprend cette même accusation dans une leçon inaugurale consacrée aux Annales de Tacite, prononcée à l’université de Rome. Au moment de passer en revue les différentes accusations lancées contre Tacite, il avance lui aussi le nom d’Alciat et ne se prive pas de le railler : Même Alciat, qui fait l’éloge de son très cher ami Jove, n’a pas craint de qualifier les Histoires de Tacite de « ronciers ». Le même esprit a pu tout à fait louer Jove et blâmer Tacite. Rien ne diffère plus que ces deux hommes entre eux. Tacite ne pouvait pas ne pas déplaire à un individu qui pouvait approuver à ce point Jove. Et comment un homme aux pieds si tendres aurait pu parcourir une si grande distance à travers ces lieux pleins d’épines que sont les œuvres de Tacite ? Nous, tapissons plutôt le sol de tapis et de coussins remplis de roses et de violettes pour cet être délicat et raffiné ; et dans nos prières, demandons à Dieu de transformer en roses tout ce que cet homme foule du pied58.
Après lecture de ces deux témoignages, une question se pose : comment est-on passé des prairies verdoyantes aux ronciers, des uirecta aux senticeta ? En d’autres termes, comment
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Pierre Mesnard (éd. et trad.) : Jean Bodin, La Méthode de l’histoire, Paris, 1941, p. 55. Voir Jean Bodin, Methodus ad facilem historiarum cognitionem, Parisiis, apud Martinum Iuuenem, 1566, p. 74-75 : Sed me lacerat & conficit quorundam reprehensio, quae refutatione minus egeret, nisi auctoritate plurimum ualerent. Nam ausus est Alciatus historiam illam plane diuinam senticeta uocare, in ea epistola quam ad Iouium scripsit. & quidem propter asperum dicendi genus ab iis repudiari solet, qui leuiores Grammaticorum nugas malunt, quam grauissimas eorum narrationes qui totum uitae suae tempus in Republica gerenda consumpserunt. Quanquam non uideo cur Alciatus tantum uirum contemnere ; ipse de eloquentia triumphare debeat […]. 57 J. Bodin, Méthode de l’histoire, p. 125-126 et p. 162. 58 C.H. Frotscher (éd.) : Marc-Antoine Muret, Opera omnia, vol. 1, Genève, 1971 (1re édition 1834), p. 389 : Et Alciatus, amicum sibi hominem Iouium laudans, non est ueritus uocare historias Taciti senticeta. Eiusdem plane iudicii fuit laudare Iouium et Tacitum uituperare. Nihil tam dissimile quam inter se hi duo. Non displicere non poterat Tacitus, cui tanto opere Iouius probaretur. Quomodo autem potuit homo tam teneris pedibus tam multa spatia per Taciti uepreta conficere ? Nos uero huic molli ac delicato culcitam substernamus et puluinos rosae ac uiolae plenos ; eique a Deo precemur, ut quicquid calcauerit hic, rosa fiat. La fin de ce passage de Muret fait écho à un vers de Perse, Satires, 2, 38.
D’ailleurs, ceux qui se délectent de détails historiques et géographiques sans autoriser la recherche d’ornements ne te demanderont pas d’expliquer pourquoi tu n’as pas suivi l’abondance laiteuse de Tite-Live, après avoir rougi d’avoir imité la sobriété de Salluste et en avoir eu assez de cueillir d’une main ingénieuse de si rares fleurs aux buissons de Quinte-Curce, plus souvent qu’aux ronciers de Tacite60.
Si l’authenticité de cette lettre a été discutée dès sa parution61, il n’empêche qu’elle semble avoir fortement nui à son auteur supposé. Ainsi, chez un érudit comme Muret qui avait dans sa bibliothèque les Annotationes d’Alciat, le témoignage de cette lettre est capable d’annuler et de rendre caduque la part d’éloge contenue dans l’opuscule de jeunesse. Comme Bodin certes, Muret n’appréciait guère les travaux juridiques d’Alciat62, mais il reste pourtant bien difficile d’expliquer comment ce bon connaisseur de Tacite, qui possède un panorama extrêmement vaste et complet de l’information tacitéenne de son époque et qui n’a négligé
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Paul Jove, Historiarum sui temporis tomus primus, Florentiae, in officina Laurentii Torrentini, 1550. La lettre d’Alciat, premier texte liminaire du volume, est écrite de Pavie et datée du 7 octobre 1549. Illi porro qui rerum & locorum noticia gaudent, nec affectatas exornationes admittunt, non reposcent a te rationem cur lacteam Liuii ubertatem non sis assecutus ; postquam & te omnino piguerit Sallustii sobrietatem imitari, & satis tibi fuerit pauculos tantum flores ex Q. Curtii pratis, saepius quam ex Cor. Taciti senticetis, arguta manu decerpsisse. Dès sa publication en tête du Historiarum sui temporis tomus primus de Jove, la lettre d’Alciat a fait débat et son authenticité a été mise en doute par les contemporains, notamment par le neveu de l’humaniste, François Alciat. En vérité, le problème que cette lettre posait n’était pas tant l’éloge du style historique de Jove que les critiques émises à l’égard du pape Paul III, qui, selon la lettre d’Alciat, aurait dû confier l’évêché de Côme à Jove. Jove a lui-même reconnu dans une lettre adressée à Girolamo Angleria, datée du 19 septembre 1550 (in Giuseppe Guido Ferrero (éd.) : Paolo Giovio, Lettere, vol. 2, Roma, 1958, p. 173176), avoir transmis par erreur à son imprimeur la lettre d’Alciat. Aujourd’hui encore, la critique est partagée sur l’authenticité de cette lettre, en dépit de l’affirmation péremptoire de T.C. Price Zimmermann, Paolo Giovio. The Historian ant the Crisis of Sixteenth-Century Italy, Princeton, 1995, p. 235 : « recent scholarship has accepted it as genuine ». Vittorio Cian, « Lettere inedite di Andrea Alciato a Pietro Bembo. L’Alciato e Paolo Giovio », Archivio storico lombardo, 17, 1890, p. 828-844 expose l’histoire et les circonstances de cette lettre de façon très détaillée et conclut à son authenticité. Roberto Abbondanza, « A proposito dell’epistolario dell’Alciato », Annali di storia del diritto, 1, 1957, p. 500, se montre plus prudent et ne tranche pas la question. K.C. Schellhase, Tacitus in Renaissance Political Thought, p. 213, n. 54 (note 46), estime que la lettre d’Alciat est fausse. Voir par exemple ce qu’il dit d’Alciat dans ses Commentarii in quinque libros Annalium Cornelii Taciti, Ingolstadii, ex typographia Adami Sartorii, 1604, p. 256. N’oublions pas que Muret est généralement peu enclin à reconnaître et à apprécier les qualités de ses prédécesseurs ou contemporains.
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Alciat, l’un des précurseurs du goût pour Tacite qui explose en cette fin de xvie siècle, dans le cadre plus général d’une réhabilitation des écrivains de la latinité d’argent, est-il devenu son premier pourfendeur sous la plume de Bodin et de Muret ? La réponse se trouve en partie dans une lettre attribuée à Alciat, placée en tête de l’édition du Historiarum sui temporis tomus primus de Paul Jove59. Alciat y félicite notamment ce dernier de son ouvrage, dans lequel il fait honneur à l’histoire de son temps et au protecteur des lettres, le duc Cosme Ier de Médicis. À côté de quelques généralités sur l’écriture de l’histoire, Alciat loue abondamment les qualités stylistiques de Jove. Vers la fin de la lettre, on peut lire notamment cette phrase :
les in cornelium tacitum annotationes
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aucun des outils à sa disposition pour améliorer sa connaissance du texte des Annales, a pu se méprendre à ce point sur le premier commentateur de l’œuvre de Tacite. Le succès éditorial incontestable des Annotationes leur a cependant fait trouver des lecteurs moins cruels et injustes que Bodin et Muret. À l’opposé des jugements de ces deux humanistes, François Bauduin – passionné lui aussi de droit – apprécie en 1561 dans ses De institutione historiae uniuersae et eius cum iurisprudentia conjunctione prolegomenôn libri II les Annotationes d’Alciat et recommande la fréquentation des œuvres de Tacite à qui souhaite étudier le droit : Si les œuvres monumentales de Tite-Live et de Tacite étaient parvenues complètes, nous aurions un grand soutien dans notre discipline : et je les préférerais à toutes les autres pour étudier l’histoire de la toge, de la politique, de la ville de Rome. […] et je reconnais que ce n’est pas un hasard si les deux plus illustres commentateurs juridiques de notre époque, André Alciat et Emilio Ferretti, ont fait œuvre extrêmement utile en émendant et en expliquant les Annales de Tacite63.
Au cours d’une fortune contrastée au xvie siècle, il est donc arrivé que les Annotationes soient perçues à leur juste valeur. Qu’elles aient été critiquées ou louées, elles ont été connues des commentateurs de Tacite, à défaut d’être toujours bien comprises, et leur nombre de réimpressions montre qu’elles ont figuré dans bien des bibliothèques. Cette œuvre de jeunesse d’Alciat constitue, quoi qu’il en soit, un tournant dans le regard posé sur Tacite à la Renaissance, puisqu’elle a enfin offert à l’historien une légitimité, à double titre : grâce à Alciat, le texte devient digne d’être commenté et accède au statut de source d’information de première importance pour l’histoire romaine. La route vers la suprématie incontestée de Tacite à l’âge classique est encore longue et tortueuse, mais avec les Annotationes, Alciat pose l’un de ses premiers jalons.
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François Baudouin, De institutione historiae uniuersae et eius cum iurisprudentia conjunctione prolegomenôn libri II, Parisiis, apud Andream Wechelum, 1561, p. 116 : Si Liuii & Taciti monumenta integra extarent, multum in hoc genere subsidii haberemus : omnibusque aliis ea praeferrem, si togatam, ciuilem, urbanam historiam Romanam quis desideret. [...] neque temere factum esse profiteor, quod duo aetatis nostrae nobilissimi interpretes Iuris, And. Alciatus & Æmilius Ferrettus, in emendandis atque explicandis Taciti annalibus multum operae profuerint.
les épigrammes d’alciat traduites de l'Anthologie grecque (édition Cornarius, Bâle, Bebel, 1529) Jean-Louis Charlet - Université d'Aix-Marseille
Après la brève présentation de James Hutton1, Alison Saunders a proposé la seule étude d’ensemble du corpus d’épigrammes de l’Anthologie grecque traduites par Alciat2. Nous verrons que ce beau travail doit être rectifié sur certains points et complété sur d’autres. Mais il ne sera pas inutile, avant d’affiner la présentation d’ensemble de ce corpus et de lui adjoindre une étude métrique à connotations stylistiques, de rappeler rapidement, à partir des travaux d’Hutton et Saunders, les conditions d’élaboration de ce corpus. Vers 1520, alors qu’il se trouve encore en Avignon, Alciat autorise Boniface Amerbach à extraire de ses manuscrits3 un certain nombre de traductions latines en vers d’épigrammes de l’Anthologie grecque, alors connue par le seul recueil de Planude, et à porter à Bâle ces excerpta. En 1525, puis en 1528 (à Cologne), Johannes Soter publie ses Epigrammata Graeca qui contiennent quelques traductions d’Alciat4. Mais en 1529, à Bâle, Janus Cornarius, lui-même traducteur de l’Anthologie grecque, intègre à ses Selecta epigrammata Graeca Latine versa les excerpta d’Amerbach. Alciat est alors à Bourges. La copie d’Amerbach a été donnée à l’éditeur Bebel en 15285, ce qui ne plaît guère à Alciat. Amerbach lui répond par une lettre du 1er janvier 1529, soit six mois avant l’édition de Cornarius. Alciat ne semble pas satisfait de toutes ses traductions, mais n’est apparemment pas opposé à leur publication. Même s’il dit avoir honte d’être publié avec Teutonicis illis ineptiis6. Trente de ses traductions imprimées par Cornarius seront reprises presque sans changements, mais avec addition d’un titre, dans
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The Greek Anthology in Italy to the Year 1800, Ithaca, New York, 1935, p. 195-208. « Alciati and the Greek Anthology », Journal of Medieval and Renaissance Studies, 12, 1982, p. 1-18. Selon J. Hutton, The Greek Anthology in Italy (note 1), p. 196, n. 2, Argelati et Mazzuchelli attestent qu’à leur époque un manuscrit d’Alciat intitulé Epigrammatum libri V existait dans la bibliothèque des marquis Visconti à Milan ; Hutton suppose que ce manuscrit fut la source des excerpta d’Amerbach. 4 Selon J. Hutton, ibid., p. 197, 11 en 1525 ; selon A. Saunders (« Alciati and the Greek Anthology » [note 2], p. 3), 9 en 1528. 5 J. Hutton, The Greek Anthology in Italy (note 1), p. 197 et n. 3. Le manuscrit d’Amerbach donné à Bebel est encore à Bâle, dans la bibliothèque de l’université (Bc VI 77 : 8), vérification aimablement faite pour moi par Mme Harich-Schwarzbauer. 6 Dans une lettre à Calvo, de Rome, le 21 janvier 1531 (J. Hutton, The Greek Anthology in Italy [note 1], p. 198). C’est dans cette lettre qu’il indique comment il a laissé Amerbach prendre copie de son travail en Avignon.
les épigrammes d’alciat
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les 104 emblèmes de la première édition, en 15317. A. Saunders a centré son étude sur la thématique de ces traductions dans leurs rapports avec les Emblemata. Je commencerai par définir le corpus étudié : les traductions d’Alciat publiées par Cornarius en 15298. Certaines précisions ou mises au point sont en effet nécessaires. Puis j’étudierai le type, mais non le mode9, de traduction, le choix des mètres et la forme de distique élégiaque choisie pour l’immense majorité des épigrammes. Hutton parle de 154 traductions d’Alciat dans le recueil de Cornarius et Saunders tantôt de 153, tantôt de 154 épigrammes traduites par Alciat10. En fait, j’ai relevé et numéroté 160 épigrammes d’Alciat. Mais le nombre d’épigrammes de l’Anthologie grecque traduites doit être affiné. Car, d’une part, une même épigramme a fait l’objet à la fois d’une traduction et d’une adaptation libre d’Alciat (AP IX,146 et mes numéros 32-33) et une épigramme d’Alciat (mon numéro 85) reprend en les contaminant plusieurs pièces de l’Anthologie grecque sur le thème du nez (Grypus) déjà traduites individuellement ; Cornarius (p. 169, f. M 5r) note de façon significative : Alciatus. Imitatio ferè omnium huius tituli epigrammatum. Il faudrait donc retrancher deux unités aux 160 épigrammes d’Alciat. Mais, inversement, plusieurs pièces d’Alciat associent ou contaminent deux, voire trois, épigrammes grecques, ce que Cornarius ne signale pas toujours11. Nous reviendrons sur ce point. Anticipons seulement le résultat de ce compte d’apothicaire : il faut rajouter dix unités après en avoir retranché deux. Ce sont donc au total 168 épigrammes grecques qu’Alciat a traduites, parfois en les regroupant.
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A. Saunders, « Alciati and the Greek Anthology » (note 2), p. 3 ; J. Hutton, The Greek Anthology in Italy (note 1), p. 201, parle à tort de 18. 8 Janus Cornarius (Hagenbut), Selecta Epigrammata Graeca Latine versa, ex septem epigrammatum graecorum libris, Bâle, Bebel, 1529. J’ai collationné l’exemplaire de la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris (1328 Y 226) ; puis j’ai contrôlé cette collation et j’ai régulièrement vérifié sur l’exemplaire mis en ligne par la Bayerische Staatsbibliothek (). Je remercie A. et S. Rolet pour m’avoir communiqué cette référence en ligne. Il faut apporter au moins deux corrections au texte imprimé : 7,1 (p. 10) « quavis » (= 1531) ; 71,2 (p. 154) « dilacerare » au lieu de « dilacerate » et probablement « Nam » au lieu de « Nam » en 134,3 (voir plus loin n. 25). 9 Une étude détaillée du type de traduction mis en œuvre par Alciat dans ces épigrammes dépasserait le cadre d’un article. Pour la connaissance du grec par Alciat, voir M. W. Dickie, « Alciato’s Knowledge of Greek », Studi Umanistici Piceni, 13, 1993, p. 59-67, qui relativise la connaissance du grec que pouvait avoir Alciat et suppose qu’il lisait surtout des éditions bilingues. Il faudrait aussi tenter de déterminer à quelle(s) édition(s) ou manuscrit(s) de l’Anthologie de Planude Alciat a eu accès. Nous verrons plus loin que son travail est antérieur à la publication de l’édition aldine de 1521. Je n’ai pas pu non plus, dans le cadre d’un article, me livrer à une étude stylistique détaillée. J’observerai seulement que la series uerborum est très osée, à la manière de l’Horace des Odes, mais parfois avec plus de rudesse : très nombreuses ponctuations, souvent fortes, à l’intérieur de la clausule de l’hexamètre, qui créent des enjambements ou des rejets parfois un peu raides. Par exemple 25,9-10 : … Iupiter : an non /Legimus… ; 42,7-8 : … pignora, qui nec / Mortuus… ; 60,5-6 : … impellitur ; illum / Qui malus est... Sur l’enjambement dans le distique élégiaque, Joseph Veremans, « L’enjambement chez les poètes élégiaques : Tibulle, Properce, Ovide », Latomus, 55, 1996, p. 525-543. 10 J. Hutton, The Greek Anthology in Italy (note 1), 1935, p. 198 ; A. Saunders, « Alciati and the Greek Anthology » (note 2), respectivement p. 3 et 9. 11 Je n’ai bien sûr pas pris en compte de simples allusions (réminiscences intégrées à la traduction d’une épigramme précise), comme par exemple dans l’épigramme 97, p. 234-235.
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Pour le lecteur moderne, je donne le nombre de pièces par livre de l’Anthologie Palatine en indiquant la page de l’édition Cornarius : - V : 6 épigrammes (n. 155, p. 403 = V,222 [221] ; n. 156, p. 405 = V,302 [301] ; n. 157, p. 415 = V,69 [68] ; n. 158, p. 415-6 = V,70 [69] ; n. 159, p. 417 = V,94 [93] ; n. 160, p. 422 = V,127 [126]) ; - VI : 6 épigrammes (n. 44, p. 70 = VI,303 ; n. 61, p. 116 = VI,283 ; n. 151, p. 394 = VI,158 ; n. 152, p. 397 = VI,80 ; n. 153, p. 399 = VI,77 ; n. 154, p. 401 = VI,309) ; - VII : 17 épigrammes (n. 104, p. 250-251 = VII,161 ; n. 105, p. 254 = VII,73 ; n. 106, p. 257 = VII,433 ; n. 107, p. 259 = VII,233 ; n. 108, p. 261 = VII,357 ; n. 109, p. 262 = VII,704 ; n. 110, p. 264 = VII,335 ; n. 111, p. 278 = VII,396 ; n. 112, p. 279 = VII,145 ; n. 113, p. 280 = VII,152 ; n. 114, p. 283 = VII,172 ; n. 115, p. 283 = VII,216 ; n. 116, p. 286 = VII,266 ; n. 117, p. 286 = VII,288 ; n. 118, p. 288-289 = VII,383 ; n. 119, p. 290 = VII,574 ; n. 120, p. 303 = VII,89) ; - IX : 64 épigrammes (n. 1, p. 1 = IX,357 ; n. 2, p. 2-3 = IX,391 ; n. 3, p. 3 = IX,557 ; n. 5, p. 7 = IX,12 ; n. 7, p. 10 = IX,291 ; n. 8, p. 11 = IX,279 ; n. 9, p. 11 = IX,523 ; n. 10, p. 13 = IX,39 ; n. 11, p. 15 = IX,248 ; n. 14, p. 19 = IX,111 ; n. 15, p. 20 = IX,148 ; n. 18, p. 33 = IX,259 ; n. 19, p. 34 = IX,133 ; n. 20, p. 35 = IX,444 ; n. 22, p. 37 = IX,118 ; n. 23, p. 40 = IX,169+173 ; n. 24, p. 40 = IX,162 : n. 25, p. 42 = IX,165-166-167 ; n. 26, p. 43 = IX,115116 ; n. 27, p. 43-44 = IX,223+265,5-6 ; n. 28, p. 44-45 = IX,339 ; n. 29, p. 46 = IX,410 ; n. 30, p. 48 = IX,149 ; n. 31, p. 49 = IX,158 ; n. 32-33, p. 50-51 = IX,146 ; n. 34, p. 52 = IX,16 ; n. 35, p. 52 = IX,15 ; n. 36, p. 60 = IX,420 ; n. 37, p. 61 = IX,456 ; n. 38, p. 62 = IX,497 ; n. 39, p. 62 = IX,221 ; n. 40, p. 63 = IX,52 ; n. 41, p. 65 = IX,47 ; n. 42, p. 67 = IX,117 ; n. 43, p. 69 = IX,86 ; n. 46, p. 74 = IX,548 ; n. 48, p. 82 = IX,222 ; n. 49, p. 83 [par erreur 38] = IX,94 ; n. 50, p. 83 [non 38 !] = IX,308 ; n. 51, p. 84 = IX,515 ; n. 53, p. 90 = IX,141 ; n. 55, p. 96 = IX,42 ; n. 56, p. 98 = IX,31 ; n. 57, p. 103 = IX,122 ; n. 58, p. 105 = IX,394 ; n. 59, p. 109 = IX,26 ; n. 60, p. 114 = IX,379 ; n. 63, p. 121 = IX,132 ; n. 64, p. 124 = IX,74 ; n. 65, p. 138 = IX,95 ; n. 124, p. 319 = IX,713 ;
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Si l’on considère l’agencement du recueil de Planude en sept livres, le seul à prendre en compte, à l’époque d’Alciat, les excerpta d’Amerbach publiés par Cornarius (160 épigrammes) se répartissent ainsi : - livre I : 66 épigrammes (n. 1-66) ; - livre II : 37 épigrammes (n. 67-103) ; - livre III : 17 épigrammes (n. 104-120) ; - livre IV : 30 épigrammes (n. 121-150) ; - livre V : rien ; - livre VI : 4 épigrammes (n. 151-154) ; - livre VII : 6 épigrammes (n. 155-160). L’absence du livre V de Planude ne doit pas surprendre : c’est le livre II de l’Anthologie Palatine, les 408 (dans l’AP) ou 416 (chez Planude) hexamètres par lesquels Christodoros décrit les statues de Zeuxippe et, nous le verrons plus loin, les excerpta d’Amerbach ne contiennent aucune épigramme en hexamètres. Pour le reste, les épigrammes d’Alciat dans le recueil de Cornarius suivent presque toujours l’ordre de Planude et, si les traductions tirées des quatre premiers livres sont beaucoup plus nombreuses que celles tirées des livres 6 et 7, cela s’explique en grande partie par le volume respectif de chacun de ces livres. Les deux derniers correspondent chacun à peu près à huit folios du manuscrit de Planude, alors que les quatre premiers occupent respectivement 24 (19 + 5), 13 (9 + 4), 20 (13 + 7) et encore 20 (16 + 4) folios. On notera seulement, par rapport à l’importance relative de chaque livre, le grand nombre d’épigrammes tirées des livres I et surtout II, et, en contraste, le faible nombre des épigrammes tirées du livre III. Mais il est impossible de dire si ces préférences sont celles d’Alciat lui-même ou celles de l’excerpteur Amerbach12.
les épigrammes d’alciat
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Sans entrer dans le détail de la technique de traduction, on peut dire que 121 des 160 épigrammes d’Alciat, dont 12 sont qualifiées d’imitatio par Cornarius13, alors que pour trois autres Cornarius précise : Alciatus expressit au lieu du seul Alciatus14, doivent être considérées comme des traductions relativement fidèles, avec bien sûr des détails (adjectifs…) ajoutés ou supprimés, mais en conservant le type de mètre et le nombre de vers. Dans le cadre de cette communication, je me contenterai de noter que les traductions strictes, épousant la forme et la longueur du modèle grec, ne se limitent pas aux épigrammes brèves : par ex. le n. 156, p. 405 qui traduit AP V,302 [301], pièce de dix distiques. Alciat change parfois des noms propres, même quand la métrique ne l’impose pas : ainsi au n. 64,1 (p. 124) Ἀχαιμενίδου est remplacé par Aristogorae, nom de même valeur métrique qui vient d’une autre épigramme du même livre (AP IX,568). Certaines substitutions de noms propres anticipent sur des commentaires modernes : en 68,1 (p. 144), Aethiopem traduit Ἰνδικόν ; or, l’éditeur du volume dans la Collection des Universités de France aux Belles-Lettres15 note qu’on « préfèrerait αἰθίοπα à Ἰνδικόν ». Alciat interprète donc le texte grec avant de le traduire et son interprétation peut anticiper celle de commentateurs modernes. Pour clore quelques observations rapides, notons qu’Alciat s’inspire parfois des traductions latines antérieures de la même épigramme grecque. C’est le cas par exemple pour la pièce 92 (p. 207-208) qui reprend à Martial (source très probable d’Ammien, AP XI,226) le premier hémistiche de l’hexamètre et le dernier mot du pentamètre (Mart. 9,29,11-12) : Sit tibi terra leuis… / … canes ; et probablement pour la clausule du second hexamètre de la pièce 1 (p. 1) Archemorique, empruntée à Ausone (Ecl. 7,12 Green), dont Alciat avait écrit un commen-
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n. 125, p. 319 = IX,714 ; n. 126, p. 320 = IX,715 ; n. 127, p. 320 = IX,716 ; n. 128, p. 320 = IX,717 ; n. 129, p. 321 = IX,720 ; n. 130, p. 323 = IX,729 ; n. 131, p. 324 = IX,730 ; n. 150, p. 377 = IX,664) ; - X : 10 épigrammes (n. 12, p. 18 = X,26 ; n. 13, p. 18 = X,93 ; n. 16, p. 28 = X,58 ; n. 17, p. 30 = X,84 ; n. 45, p. 73 = X,88 ; n. 47, p. 75 = X,27 ; n. 52, p. 89 = X,48 ; n. 54, p. 94 = X,67 ; n. 62, p. 118 = X,98 ; n. 66, p. 142 = X,43) ; - XI : 39 épigrammes (n. 21, p. 36 = XI,50,1-4 ; n. 67, p. 144 = XI,431 ; n. 68, p. 144 = XI,428 ; n. 69, p. 147 = XI,272 ; n. 71, p. 154 = XI,369 ; n. 72, p. 155 = XI,70 ; n. 73, p. 156 = XI,256 ; n. 74, p. 159 = XI,278 ; n. 75, p. 160 = XI,381 ; n. 76, p. 161 = XI,76 ; n. 77 (et 85), p. 162 (et 169-170) = XI,203 (et al.) ; n. 78, p. 162-163 = XI,198+204 ; n. 79, p. 163 = XI,200 ; n. 80, p. 165 = XI,268 ; n. 81, p. 166-167 = XI,418 ; n. 82, p. 167 = XI,405,1-3 ; n. 83, p. 167 = XI,406 ; n. 84, p. 168-169 = XI,404 ; n. 86, p. 172 = XI,421 ; n. 87, p. 178 = XI,120 ; n. 88, p. 191 = XI,251 ; n. 89, p. 195 = XI,107 ; n. 90, p. 198-199 = XI,244 ; n. 91, p. 199 = XI,233-234 ; n. 92, p. 207-208 = XI,226 ; n. 93, p. 210-211 = XI,395 ; n. 94, p. 215 = XI,376 ; n. 95, p. 223 = XI,47-48 ; n. 96, p. 233 = XI,294 ; n. 97, p. 234-235 = XI,413 ; n. 98, p. 237 = XI,391 ; n. 99, p. 237-238 = XI,171 ; n. 100, p. 239 = XI,153 ; n. 101, p. 242 = XI,410 ; n. 102, p. 243 = XI,273 ; n. 103, p. 245 = XI,403) ; - XVI : 26 épigrammes (n. 4, p. 4 = XVI,3 ; n. 6, p. 9-10 = XVI,4 ; n. 70, p. 148 = XVI,19 ; n. 121, p. 316 = XVI,32b ; n. 122, p. 317 = XVI,60 ; n. 123, p. 318 = XVI,68 ; n. 132, p. 333 = XVI,107 ; n. 133, p. 334 = XVI,108 ; n. 134, p. 335 = XVI,115-116 ; n. 135, p. 335 = XVI,159 ; n. 136, p. 338 = XVI,146 ; n. 137, p. 338 = XVI,145 ; n. 138, p. 342 = XVI,152 ; n. 139, p. 348 = XVI,171 ; n. 140, p. 350 = XVI,174 ; n. 141, p. 359 = XVI,197 ; n. 142, p. 361 = XVI,201 ; n. 143, p. 362 = XVI,207 ; n. 144, p. 362 = XVI,209 ; n. 145, p. 365-366 = XVI,223-224 ; n. 146, p. 367 = XVI,247 ; n. 147, p. 367-368 = XVI,251 ; n. 148, p. 368 = XVI,250 ; n. 149, p. 375-376 = XVI,275). Mes n. 7, 8, 23, 77, 78, 79, 84, 85, 97, 101, 105, 152. Mes n. 25, 26 et 62. On notera que pour le n. 33, qui succède directement, sans rien d’intercalé, au n. 32, Cornarius se contente d’un Idem, alors que la liberté du développement d’Alciat aurait pu justifier la caractérisation d’imitatio. AP XI, 428, p. 224, n. 3.
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Cornarius transforme la première pièce (XVI,115) en trois monostiques hexamétriques, en gardant sa structure à XVI,116. Cette absence est un argument chronologique supplémentaire.
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taire, hélas !, perdu, même si cette particularité métrique est, comme nous le verrons plus loin, un décalque du grec. Pour les 39 autres épigrammes, on peut parler plutôt d’adaptations ou de transpositions car le texte est soumis à un changement de mètre, à une fusion ou à une contamination, à un développement ou à une abréviation (augmentation ou diminution du nombre de vers), parfois même à une véritable transposition, historique ou culturelle. Bien sûr plusieurs de ces types de transformations peuvent être conjoints. J’ai relevé : - trois transpositions métriques dans le respect approximatif de la longueur originelle : 9 (p. 11 : deux hexamètres rendus par un distique élégiaque) ; 69 (p. 147 : quatre hexamètres = deux distiques) et 82 (p. 167), où la transposition métrique, d’un genre particulier, sera étudiée à la page suivante avec l’ensemble de la métrique ; - quatre cas de contaminatio ou de fusion. La pièce 25 (p. 42, Alciatus expressit), en dix distiques, enchaîne trois épigrammes de Palladas : AP IX,165 (5 dist.) + 166 (3 dist.) + 167 (2 dist.). L’épigramme 91 (p. 199, 3 dist.) additionne deux pièces de Lucilius en uniformisant le nom du personnage en question (Phaedrus) : AP XI,233 (2 dist.) + 234 (monodistique). Au n. 134 (p. 335, 5 hexamètres), Alciat fusionne deux pièces de l’Anthologie de Planude (XVI,115-116, 3 + 2 hexamètres)16 en changeant, comme nous le verrons plus loin, le mètre. Fusion analogue des deux monodistiques XVI,223 et 224 pour donner une seule épigramme de deux distiques en 145 (p. 365-366) ; - onze cas d’abréviations avec parfois contamination. D’abord le cas particulier du n. 99 (p. 237-238) : l’Anthologie de Planude (= AP XI,171) n’a conservé que trois distiques et l’hexamètre du quatrième distique tronqué ; Cornarius donne un texte grec de quatre distiques en intégrant la restitution du dernier pentamètre proposée par l’édition aldine en 1521. Mais Alciat, qui écrit, comme nous l’avons dit au plus tard vers 1520, n’a pas dû connaître l’intégration aldine17 et a préféré ne pas traduire le quatrième hexamètre en se limitant à trois distiques. Ensuite, sept cas de suppression d’un distique (21 = AP XI,50,1-4, p. 36, où la référence à Épicure est supprimée ; 50 = AP IX,308, p. 83, avec la disparition des brigands qui ont jeté Arion à la mer ; 77 imitatio = AP XI,203, p. 162 ; 114 = AP VII,172, p. 283 ; 115 = VII,216 dont le deuxième distique n’a pas été traduit, p. 283 ; 135 = XVI,159, p. 335 ; 160 = AP V,127 [126], p. 422) et la suppression plus drastique de quatre distiques, soit la moitié de l’épigramme grecque, en 120, p. 303 (= AP VII,89). Le cas du n. 26 (p. 43 Alciatus expressit) est plus complexe, puisqu’Alciat y contamine deux épigrammes grecques (AP IX,115 et 116, mutilée chez Planude) en supprimant un vers de la seconde et en uniformisant en distiques élégiaques (voir infra n. 24). Enfin la pièce 27 (p. 43-44) contamine AP IX,223 (amputée d’un distique) et IX,265 (réduite à son dernier distique, v. 5-6) ; - treize cas de développements, dont deux avec changement de mètre (passage de l’hexamètre au distique élégiaque, voir plus loin) : par deux fois, à partir de deux hexamètres,
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Alciat écrit trois distiques : 6, p. 9-10, épigramme sur la guerre de Troie (XVI,4) et 37, p. 61 (AP IX,456,5-6 Pasiphaë). Onze autres cas : après avoir traduit le monostique d’AP IX,146 sur Spes et Nemesis (32, p. 50), Alciat se livre à une longue variation libre sur le même thème (33, p. 50-51, 8 dist.)18. Dans sept autres cas, Alciat augmente son modèle d’un distique : 60, p. 114 (3 dist. pour AP IX,379 de 2 dist.) ; 62, p. 118 (Cornarius : Alciatus expressit ; 2 dist. pour le monostique de Palladas AP X,98) ; 79, p. 163 (Imitatio ; 3 dist. pour les deux de Léonidas AP XI,200, avec changement du nom propre) ; 81, p. 166-167 (2 dist. pour le monostique de l’empereur Trajan AP XI,418) ; 118, p. 288-9 (5 dist. pour les 4 de Philippe AP VII,383 ; le quatrième distique du modèle grec a été doublé) ; 154, p. 401 (3 dist. pour les 2 de Léonidas AP VI,309). Dans la pièce 95 (p. 223), Alciat contamine les deux pièces anacréontiques d’AP XI,47 et 48 (10 et 11 dimètres iambiques catalectiques) en développant un peu la seconde (en tout, 23 dimètres au lieu de 21). Dans trois autres pièces, significativement appelées chacune Imitatio par Cornarius, le développement du modèle est si important qu’on est tout proche de la transposition : 78, p. 162-3, qui développe le monodistique de Théodoros (AP XI,198) en quatre distiques, avec contamination par un monodistique de Palladas (AP XI,204) ; 84, p. 168-9, qui double les trois distiques d’AP XI,404 ; 85, p. 169-170, qui, associant à une épigramme grecque de quatre distiques (AP XI,203) des éléments pris à d’autres épigrammes sur la même thématique du nez (Grypus) traduites de leur côté (AP XI,199-204…), aboutit à une composition de quatorze distiques ; - trois cas de transposition que je qualifierai de culturelle, avec actualisation et parfois contamination, dénommées toutes trois Imitatio par Cornarius : L’épigramme 23, p. 40 (6 dist.), contamine AP IX,169 (3 dist.)19 et IX,173 (4 dist.) en réduisant d’un distique et surtout en appliquant à l’Énéide ce que le modèle grec disait de l’Iliade. Dans la pièce 101 (p. 242-3, 5 dist.), Alciat ajoute un distique à l’épigramme de Lucien (AP XI,410, 4 dist.), mais aussi un nom propre qui transpose et actualise la pièce avec le remplacement de la vulve de truie, mets antique, par un poisson. En 152, p. 397, les trois distiques qui s’appliquaient aux neuf livres de Daphnias dédiés par Agathias à Aphrodite (AP VI,80) sont appliqués aux livres d’un de ses amis juriste, Albucius20 ; - enfin, cinq transpositions qu’on peut qualifier d’historiques : Alciat transpose l’épigramme à son époque ou dans l’histoire de son temps. D’abord quatre pièces, toutes désignées sous le nom d’Imitatio par Cornarius : 7, p. 10 (3 dist.), où ce que Crinagoras, sous Tibère, avait dit de la campagne d’Auguste contre les Germains (AP IX,291, 3 dist.) est appliqué à Charles Quint dans sa lutte contre les Turcs avec substitution du Danube au Rhin ; 8, p. 11, où l’éloge par Bassos des Spartiates de Léonidas morts aux Thermopyles est légèrement développé (4 dist. au lieu de 3) pour s’appliquer aux soldats suisses, renommés à l’époque d’Alciat ; 97, p. 234-5, où ce qu’Ammien disait d’un repas végétarien (AP XI,413, 3 dist.) est développé, peut-être par contamination (AP XI,313-314-325-371 ?), pour s’appli-
18 On notera qu’Alciat reprend un de ses propres pentamètres : 33,16 = 32,2. 19 Non indiquée comme source par Cornarius. 20 J. Hutton, The Greek Anthology in Italy (note 1), 1935, p. 200.
Du point de vue du choix des mètres21, le distique élégiaque est systématiquement conservé, de même que le trimètre iambique, beaucoup plus rare22, ou le dimètre iambique catalectique, exceptionnel, pour la double pièce anacréontique23. En revanche, Alciat n’a conservé aucun hexamètre dactylique : les épigrammes grecques en ce mètre ont été transposées en distiques élégiaques24 ou, exceptionnellement, en tétramètres trochaïques catalectiques25. Le cas de la pièce 82 (p. 167) est particulier : l’Anthologie de Planude ne donne que les trois premiers vers d’AP XI,405, soit un distique et un hexamètre, en laissant blanc l’espace d’un vers (on suppose un pentamètre). Curieusement, au lieu de traduire par des distiques élégiaques, Alciat choisit un mètre de grammairien très rare, le trimètre trochaïque hypercatalectique (quatre vers), que Perotti, recopiant le De centum metris de Servius26, nomme sapphicum. À la différence des autres mètres utilisés par Alciat dans ses traductions de l’Anthologie grecque, l’ensemble de ses distiques élégiaques (393 = 786 vers) constitue un corpus
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Du point de vue prosodique, on notera une synizèse en fin d’hexamètre (151,1 Thioneo) et quelques libertés dans les noms propres (scansion dactylique des trois premières syllabes de Iulianum en 121,1 et Daedalides en 133,1, où le a de caue doit être scandé long à moins de supposer un hiatus à la fin de ce mot) ; noter aussi le datif grec Pani avec i bref en 151,1. Cinq pièces : 38 (3v.) ; 109 (2 v.) ; 110 (6 v.) ; 122 (2 v.) et 138 (6 v.), soit au total 19 vers, nombre insuffisant pour se prêter à une étude métrique. Mais on observe qu’Alciat sait à peu près ce qu’est un vrai trimètre iambique (pieds pairs purs, iambe ou tribraque comme en 110,1 ; sauf en 138,1 anapeste 4, mais il s’agit de vers très particuliers avec un effet d’écho), avec possibilité de dactyle ou d’anapeste aux pieds impairs (122,1 anapeste 5 et 122,2, dactyle 1 ; 138,4 dactyle 1 avec hiatus de I initial et 5; 138,5 anapeste 3 ; 138,6 anapestes 3 et 5) ; mais 109,2 n’a pas de césure et on relève une élision très rude à l’initiale de 122,1 : « Quae haec… ». Pièce 95 (23 vers) : 95,4 tribraque 2 ; 95,6 tribraque 1 ; 95,14 anapeste 1 ; 95,23 allongement de –que devant profundo. Pièces 6 (XVI,4), 9 (AP IX,523), 37 (AP IX,456,5-6). De même, quand Alciat associe dans mon n. 26 AP IX,115 (deux distiques) et 116 (seulement cinq hexamètres dans l’Anthologie de Planude qui ne donne qu’AP IX,116,1 et 3 + 116 bis [trois hexamètres]), il traduit l’ensemble par 2 + 2 = 4 distiques élégiaques. Pièce 134 = XVI,115-116 (3 + 2 hexamètres, présentés sous forme de quatre épigrammes par Cornarius : trois monostiques et une épigramme de deux hexamètres) : 5 tétramètres trochaïques catalectiques qui respectent les pieds impairs purs (anapeste 4 au v. 1 ; dactyles 2 et 6 et tribraque 4 au v. 2). Au v. 3, je serais tenté de corriger le Nam initial en Namque plutôt que de supposer un Nam long en hiatus ! De metris, Bologne ( ?), 1471, f. 17r : Nona, sapphicum, constans trimetro hypercatalectico, ut ‘Splendet aurum, gemma fulget, forma sed placet’. Servius (Keil IV,456,29-30 [l. 22-23, sous le même nom, le trimètre brachycatalectique]) : De sapphico. S. constat t. h., ut est hoc ‘S. a., g. f., f. s. p.’.
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quer aux moines chartreux de Pavie (8 dist.). Dans l’épigramme 105 (p. 254, 3 dist.), Alciat transpose à Giovanni Galeazzo Visconti, duc de Milan, ce que Geminus avait fait dire à Thémistocle à propos de son tombeau (AP VII,73 ; 3 dist.), avec les adaptations géographiques et militaires qui s’imposent. C’est probablement dans la même catégorie, mais à titre personnel, qu’il faut classer un monodistique qui serait une simple traduction assez fidèle, n’était une actualisation de la pièce par l’introduction d’un prénom féminin italien et la mention d’une ville (51, p. 84 et AP IX,515) : Alciat semble se référer à une jeune femme en particulier, ou feindre de le faire, le prénom introduit, Laura, pouvant être réel… ou littéraire après Pétrarque. Aurait-il, au prétexte d’une traduction, chanté ou feint de chanter une belle de son entourage ?
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suffisant pour étudier sa pratique métrique ; par scrupule, j’ai dépouillé ce corpus centaine de vers par centaine de vers, même si sur un échantillon ainsi réduit les variations ne sont pas toujours significatives. C’est pourquoi, ce sont presque toujours les résultats d’ensemble qui seront commentés. Ne pouvant embrasser tous les aspects de cette métrique dans le cadre d’une communication, je traiterai successivement des schémas métriques et de la proportion des dactyles et des spondées ainsi que des césures dans l’hexamètre ; puis des élisions-synalèphes / aphérèses dans l’hexamètre et dans le pentamètre ; enfin, des clausules de l’hexamètre et de la forme verbale du second hémistiche du pentamètre. Pour les schémas métriques de l’hexamètre (tableau 1a)27, Alciat préfère, avec Stace et Valérius Flaccus, le schéma totalement alternant sur l’ensemble de l’hexamètre dsds28 13,74 %) que Lucain place presque à égalité avec dsss ; c’était globalement le deuxième schéma dans la poésie latine classique et le premier à l’époque tardive. On trouve ensuite à égalité trois schémas à 11,45 % : dsss, premier schéma à l’époque classique (en particulier dans le Virgile épique) et troisième, presque à égalité avec le second, dans la poésie tardive ; ddss, troisième schéma à l’époque classique (premier dans les Bucoliques et dans les Métamorphoses) et second à l’époque tardive ; sdss, quatrième schéma à l’époque classique (et chez le Virgile épique ; le deuxième chez Horace) ainsi qu’à l’époque tardive. Ces quatre premiers schémas représentent 48,09 % des hexamètres d’Alciat, proportion proche de celles des Géorgiques (48,93 %) ou des Métamorphoses (48,37 %). Il n’y a guère de commentaire à faire sur les trois schémas suivants (5 à 7, compris entre 6,5 et 8 %) : ddds (8,14 %), dssd (7,12 %) et ssds (6,62 %), sinon que le type ddds est un peu plus fréquent à partir d’Ovide, Stace et Valerius Flaccus, ainsi que certains poètes tardifs comme Sédulius, Dracontius, Arator et Venance Fortunat. Avec un certain écart, les types 8 à 11 se situent entre 4 et 5 % : dans l’ordre ddsd, ssss, sdds et dsdd. Les huit premiers types occupent les trois quarts des vers (75,31 %), ce qui signifie qu’Alciat recherche la variété un peu moins que Virgile (Georg. 73,30 % ; Aen. 72,67 %), mais un peu plus qu’Ovide dans les Métamorphoses (81,62 %). On trouve ensuite quatre schémas peu employés (entre 2 et 3 %) : dans l’ordre, dddd (entre la fréquence, plus faible, du Virgile épique [un peu plus de 2 %] et la fréquence, plus forte, des Bucoliques [4,22 %]), sddd et ssdd, sdsd. Le schéma le moins employé (16ème) est sssd (1,27 %), quatorzième à l’époque classique (2,42 %), mais seizième à l’époque tardive (1,86 %). Même si dans une certaine mesure l’usage des schémas métriques par Alciat se rapproche de celui des poètes latins de l’Antiquité tardive, il serait probablement imprudent de parler d’une véritable influence. Le problème des répétitions de schémas métriques ne se pose pas de la même façon dans les hexamètres κατὰ στίχον et dans les distiques élégiaques. Mais il faut noter que certaines épigrammes n’ont qu’un seul et même schéma pour leurs deux (35 : dsds ; 73 : dssd ; 76 : ddds ; 87 : sdss ; 143 : ddsd ; 158 : ddss, soit six cas) ou même, exceptionnellement, trois
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Pour les comparaisons, je me fonde sur les statistiques fournies par G.E. Duckworth, Vergil and Classical Hexameter Poetry. A Study in Metrical Variety, Ann Arbor, 1969 et L. Ceccarelli, Contributi per la storia dell’esametro latino, Roma, 2008 (t. II, p. 24-35 pour l’époque classique et p. 70-79 pour l’époque tardive). d = distique ; s = spondée.
En ce qui concerne les césures (tableau 2)29, on ne sera pas surpris que la penthémimère (P) se rencontre dans plus de 80 % des hexamètres d’Alciat, soit seule (23,66 %), soit couplée avec une trithémimère (T : 12,21 %) ou, plus fréquemment, une hephthémimère (H : 24,17 %), soit en triple coupe avec T et H (20,36 %). Ce pourcentage est comparable à celui des hexamètres élégiaques de Marulle (80,74 %)30, mais inférieur à celui d’Enea Silvio Piccolomini, notamment dans ses hexamètres élégiaques (97,04 % ; 91,12 pour l’ensemble de ses hexamètres)31. A la différence de Piccolomini, Alciat cherche moins à souligner par la césure P la correspondance entre le premier hémistiche de l’hexamètre et les hémistiches du pentamètre. On ne sera pas surpris non plus de la rareté de la trithémimère, une seule fois seule32, trois fois avec une trochaïque troisième (Tr)33, un peu plus souvent couplée avec H (7,12 %) et surtout en triple coupe avec Tr et H (8,40 %), proportion beaucoup plus forte que dans les hexamètres élégiaques de Piccolomini (2,46 %), mais beaucoup moins que chez Pétrarque, qui recherche cette césure34. La césure au trochée troisième ou trochaïque, si importante chez les Grecs, en l’occurrence modèles d’Alciat, est, comme chez tous les poètes hexamétriques latins compte tenu de la structure de la langue latine, marginalisée sauf, comme nous l’avons vu, dans la triple coupe T Tr H. La césure hephthémimère, nettement plus fréquente chez les Latins que chez les Grecs, est très rare seule (1,53 %)35 ou avec la trochaïque troisième (0,76 %)36, mais beaucoup plus fréquente en double ou en triple coupe. Au total, H apparaît dans 62,34 % des vers. Je n’ai relevé que trois vers sans césure nette selon les critères habituellement retenus :
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30 31 32 33 34 35 36
La détermination des césures comporte toujours une part de subjectivité, d’autant que les spécialistes discutent sur la nature et même l’existence de la ou des césures. J’ai expliqué ma manière de voir dans mes « Observations sur l’hexamètre d’Enea Silvio Piccolomini », Cahiers d'études italiennes, 13, 2011, Enea Silvio Piccolomini Pape Pie II, homme de lettres et homme d'église, p. 17-35, ici p. 23, n. 17. Contre 64,75 % seulement dans les Hymnes (voir « Quelques observations sur l’hexamètre de Marulle », Studi Umanistici Piceni, 32, 2012, p. 225-235). « Observations sur l’hexamètre d’E. S. Piccolomini » (note 29), p. 23-25. 59,5 (p. 109) : Terque decens Telesilla, Erinne et nobilis, et te (la P et l’H sont escamotées par synalèphe). 33,5 (p. 51) ; 111,5 (p. 278) ; 146,1 (p. 367). « Observations sur l’hexamètre d’E. S. Piccolomini » (note 29), p. 25, n. 23 ; I. Ruiz Arzalluz, El hexámetro de Petrarca, Florence – Vitoria, « Quaderni petrarcheschi » VIII – « Anejos de Veleia », series minor IV, 1999, p. 278-281. Six exemples : 24,5 (p. 40) ; 63,3 (p. 121) ; 97,7 (p. 234) ; 101,3 (p.242 ) ; 146,3 (p.367 ) ; 149,7 (p. 375). Trois exemples : 74,1 (p. 159, avec trois noms grecs dans le vers, dont un tétrasyllabe dans la clausule) ; 149,3 (p. 375) ; 156,3 (p. 405).
105 jean-louis charlet
(6 : ddss) hexamètres. Cependant, dans l’immense majorité des cas, c’est la diversité plus que la cohérence par la répétition que recherche Alciat. Pour la proportion et la place des dactyles dans les quatre premiers pieds (tableau 1b), avec une décroissance progressive des dactyles qui ne sont majoritaires qu’au premier pied et un nombre très faible de dactyles quatrièmes (27,74 %) et avec globalement un nombre de dactyles inférieur à celui des spondées (46,44 %), Alciat est plus proche de Virgile que d’Ovide.
les épigrammes d’alciat
106
- 22,1 (p. 37) Hei mihi pubertatis mortiferaeque senectae ; - 79,3 (p. 163) Ergo implorat opem et, Grypo accurrente, fenestra ; - 147,1 (p. 367) Aligerum aligeroque inimicum pinxit amori. Dans le deuxième exemple cité, on pourrait considérer qu’il y a une P « par suspension », comme dit J. Hellegouarc’h37, après le et sur lequel est venue s’écraser la finale –em. Dans le troisième, on pourrait aussi admettre une P après –ro (avec tmèse de que, souvent séparé du mot sur lequel il repose dans les manuscrits ?), même si la synalèphe de l’enclitique atténue la césure. Mais dans le premier, force est de constater l’absence de césure. Comme elle est isolée dans le corpus, on la mettra sur le compte d’une imperfection formelle, à moins de supposer qu’elle soit volontaire pour renforcer la charge affective du vers. Il n’y a pratiquement rien à dire sur la diérèse ou ponctuation bucolique au sens restreint où l’entendent les modernes, c’est-à-dire un intermot après une ponctuation forte à la fin du quatrième pied : le nombre en est négligeable et, dans trois des neuf cas relevés, elle suit un spondée quatrième, ce qui ne correspond pas aux normes habituellement reçues. Sur les six autres cas, après un dactyle quatrième, la liaison consonne – voyelle ne se rencontre qu’une fois sur deux. Cette rareté de la diérèse bucolique est d’autant plus surprenante qu’Alciat multiplie, comme nous l’avons déjà noté, les enjambements ou rejets entre l’hexamètre et le pentamètre. Mais il préfère placer la pause (qui correspond souvent à une ponctuation forte) au milieu du quatrième, mais aussi du cinquième et même du sixième pied. La réalité des césures chez Alciat est confirmée par la pratique, déjà présente chez les classiques et maintenue, voire amplifiée au Moyen Âge et à l’époque humaniste, de l’allongement à la césure38. Dans notre corpus d’épigrammes en distiques élégiaques, j’en ai relevé trois ou quatre exemples dans l’hexamètre : peut-être une fois à la trithémimère (57,3 Ac stridula stridulam), mais ici le groupe de consonnes à l’initiale du mot suivant pourrait suffire à expliquer l’allongement du –a ; trois fois à l’hephthémimère, pour une syllabe fermée par une consonne devant voyelle (39,3 teneat ; 78,3 gestat ; 118,3 caput). Et trois à la césure du pentamètre, toujours pour des syllabes fermées par une consonne devant voyelle (84,8 super ; 104,4 canis ; 123,2 similis)39. Enfin, on notera un hiatus avec allongement d’une finale en –m à la césure du pentamètre (113,2 Aiacem // Hectora)40. En ce qui concerne les élisions-synalèphes / aphérèses dans l’hexamètre (tableau 3a), on remarque leur fréquence : 55,22 % avec les aphérèses et 49,11 sans, c’est-à-dire environ une tous les deux vers. C’est une proportion très voisine de celle du Virgile épique (Georg. 49,29 % ; Aen. 53,21 %), mais beaucoup plus forte que celle des Métamorphoses d’Ovide (19,82 %) ou celle des hexamètres élégiaques de Properce (30,6 %) et surtout de Tibulle
37 38 39 40
J. Hellegouarc’h, « Sur un type de vers virgilien : Vela dabant laeti et spumas salis aere ruebant (Aen. I,35) », Revue des Études latines, 40, 1962, p. 236-250. Voir « Observations sur l’hexamètre d’Enea Silvio Piccolomini » (note 29), p. 25-26. Dans le premier et le troisième cas, le mot suivant commence par h (respectivement hernia et hospes) ; mais, comme dans le deuxième canis est suivi de ast, je ne pense pas qu’ici, à la différence de ce qui a pu se passer au Moyen Âge, la présence du h ait influée sur l’allongement de la syllabe précédente. Ici non plus (voir note précédente), je ne pense pas que la présence du h initial d’Hectora ait une influence.
Me : Te : Si : Qui : Tu :
41 42
5 (98,3 ; 116,1 ; 124,2 ; 126,1 ; 129,1) 4 (103,5 ; 119,3 ; 156,11 ; 159,3) 3 (21,3 ; 81,3 ; 120,7) 1 (69,2) 1 (160,3)
Voir Jean Soubiran, L’élision dans la poésie latine, Paris, 1966, p. 605. 48,86 % avec les aphérèses, 41,68 sans contre 62,18 / 60,99 dans les Hymnes (« Quelques observations sur l’hexamètre de Marulle », p. 231-233). 43 J. Soubiran, L’élision dans la poésie latine (note 41), p. 159, à partir de G. Schulte pour Ovide, C. Giarratano pour Martial. 44 Au Quattrocento, Marulle fait exception en élidant tout autant dans les deux hémistiches du pentamètre : J .-L. Charlet, « Le distique élégiaque d’Antonio Beccadelli, Enea Silvio Piccolomini, Cristoforo Landino, Giovanni Pontano, Michele Marullo et Pacifico Massimi », Studi Umanistici Piceni, 30, 2010, p. 259-277, en particulier le tableau p. 275. 45 Voir « Le distique élégiaque d’Antonio Beccadelli », tableau de la p. 277. 46 J. Soubiran, L’élision dans la poésie latine (note 41), p. 403. Pour ma part, à partir du tableau B de Soubiran (p. 405 : 175 cas) et en ajoutant le cas d’élision de la préposition de (Aen. 6,38) [pourquoi les prépositions et les monosyllabes de sens plein n’ont-ils pas été intégrés au tableau B ?], j’arrive à 176 ; mais cela ne change rien au résultat d’ensemble. 47 « Quelques observations sur l’hexamètre de Marulle » (note 30), p. 232-233. Quatre fois moins si l’on ne considère que les hexamètres. 48 J. Soubiran, L’élision dans la poésie latine (note 41), p. 400-407 et en particulier p. 405 (tableau B).
107 jean-louis charlet
(17,2 %)41, ou même celle de Marulle dans ses épigrammes42. En revanche, la proportion des aphérèses sur l’ensemble des rencontres vocaliques est plus faible que chez Ovide (rapport d’environ 3,5 à 1 : 4344 synalèphes pour 1628 aphérèses avec est et 25 avec es) et à plus forte raison que dans les distiques élégiaques des épigrammes de Martial (280 aphérèses de est pour 314 synalèphes)43. Dans les pentamètres (tableau 3b), les rencontres vocaliques sont un peu moins nombreuses que dans l’hexamètre (39,94 % pour les synalèphes seules ; 49,11 % avec les aphérèses), mais à un niveau élevé (presqu’une pour deux vers) compte tenu du fait que les poètes latins classiques ont tendance à moins élider dans le pentamètre que dans l’hexamètre, et nettement moins dans le second hémistiche du pentamètre que dans le premier, ce qui est aussi le cas chez Alciat44. Mais ce dernier élide plus souvent dans ses pentamètres que Pontano (34,94 %) et Marulle (32,20 %), et beaucoup plus encore que Beccadelli et E. S. Piccolomini (19,5 %), Pacifico Massimo (16,24 %) ou Landino (12,66 %)45. On peut donc conclure que, dans ses distiques élégiaques, Alciat n’éprouve aucun scrupule à pratiquer l’élision sous toutes ses formes, y compris pour des monosyllabes. En effet, j’ai relevé 18 synalèphes de monosyllabes dans ses hexamètres et 6 dans ses pentamètres (dont un cas dans le second hémistiche), ce qui est relativement important dans un corpus de 393 distiques (= 786 v) : 1 pour 32,75 vers, alors que chez Virgile, d’après J. Soubiran, on en relève 177 pour 4289 monosyllabes et 12 847 vers, soit une pour 72,58 vers46. Alciat en accepte donc plus de deux fois plus. Chez Marulle, on en relève seulement 18 pour 1676 v. (= 1 pour 93,11 v.), soit trois fois moins que chez Alciat47. Dans le détail des cas, en suivant l’ordre de fréquence des élisions de monosyllabes établi par J. Soubiran48, on relève :
Quae : Ne (final) : Tam : Nam : Qua : Spem :
les épigrammes d’alciat
108
5 (26,6 ; 59,3 ; 66,1 ; 120,3 ; 147,3) 1 (132,4) 1 (87,3) 1 (11,6) 1 (146,3) 1 (101,8).
Ce tableau établit qu’Alciat n’a pas de peine à élider les monosyllabes puisque, à côté des pronoms me et te, dont l’élision est la moins évitée, de si, des relatifs, de tu et de tam, dont on rencontre parfois l’élision, Alciat, dans un corpus très limité (786 v.), élide aussi la conjonction finale ne (deux cas seulement dans toute l’œuvre de Virgile et six dans l’ensemble des poètes dactyliques), nam (un seul exemple chez Virgile et dans l’ensemble des poètes dactyliques) et même, ce qui est rarissime, un monosyllabe de sens plein, spem. Soubiran ne relève quelques cas d’élision de monosyllabes de sens plein que chez Lucrèce et un seul chez Ovide ; il note même que Virgile place spe en hiatus (Aen. 4,235, à la P)49. C’est dire combien Alciat se sent libre d’élider, y compris toutes les sortes de monosyllabes. En ce qui concerne les clausules de l’hexamètre (tableau 4a), ce qui frappe, c’est la prééminence très nette du type 3-2 (57 %, sans prendre en compte les types phonétiquement apparentés comme [1+2]-2) par rapport à l’autre type très fortement présent chez les poètes latins, 2-3 (avec les types phonétiquement apparentés, moins de 34 %). J’ai noté que chez la plupart des élégiaques ce type 2-3 était privilégié pour éviter la monotonie d’une fin de vers dissyllabique et dans l’hexamètre et dans le pentamètre50. Mais, comme nous verrons qu’Alciat se distingue des poètes latins élégiaques à partir de Tibulle dans les pentamètres desquels dominent très fortement les fins de vers dissyllabiques, la clausule classique de type 3-2 n’a pas dû lui poser de problème et il l’a très fortement imposée. Pour le reste, on notera qu’Alciat ne répugne pas à placer parfois des monosyllabes en fin d’hexamètre, qu’il y ait aphérèse (16 cas au total) ou non, avec deux monosyllabes syntaxiquement liés (7 cas au total) ou non (10 cas au total, avec un certain goût pour le type 3-1-1, par exemple 156,17, p. 405 : foemina, tum quae). Les tétra- et pentasyllabes finaux sont très rares, et toujours des noms propres grecs qui viennent presque toujours du modèle : trois tétrasyllabes, dont aucun spondaïque (aucun hexamètre spondaïque dans notre corpus), précédés une fois d’un mot outil monosyllabique (123,1, p. 318 : uel Berenices) et deux fois de la fin d’un polysyllabe (74,1, p. 159 : raptum Ganymedis ; 136,1, p. 338 : contingas Ariadnen) ; et seulement deux pentasyllabes (1,3, p. 1 : Archemorique ; 90,1, p. 198 : Heliodore). La clausule Archemorique est pratiquement décalquée de la fin d’hexamètre du modèle grec (AP IX,357 Ἀρχεμόροιο)… comme Ausone l’avait fait avant Alciat (Ecl. 7,12 Green). Enfin, comme nous l’avons annoncé, la structure verbale du second hémistiche du pentamètre (tableau 4b) se libère du carcan imposé par les poètes élégiaques à partir de Tibulle et encore plus d’Ovide pour retrouver en partie la liberté des pentamètres grecs
49 50
Ibid., p. 402-403. « Observations sur l’hexamètre d’E. S. Piccolomini » (note 29), p. 19-23 ; c’est vrai aussi chez Marulle (« Quelques observations sur l’hexamètre de Marulle » [note 30]) : contraste entre les Hymnes (48,91 / 40,99) et les Épigrammes (37,13 / 42,91).
3,6 p. 3 stadio AP IX,557,6 σταδίῳ 36,4 p. 60 pelago AP IX,420,4 πελάγει 87,4 p. 178 canone AP XI,120,4 κακόνος 90,2 p. 198 Boreae AP XI,244,2 Βορέου 91,4 p. 199 apocham AP XI,233,4 ἀποχήν 118,2 p. 288 scopulis AP VII,383,2 σκοπέλων 146,4 p. 367 Satyrum XVI,247,4 Σάτυρος
Dans certains cas, l’équivalent latin n’est pas un décalque, mais un équivalent qui conserve le même nombre de syllabes :
51 52 53
Sur ce point, voir « Le distique élégiaque d’Antonio Beccadelli » (note 44), avec la bibliographie de la question. Ibid., p. 265-266 et 275 (tableau). Les trois pentasyllabes latins sont : adulterii (20,4, p. 35) ; aqualiculi (44,4, p. 70) ; supercilium (94,8, p. 215), qui, pour deux d’entre eux (adulterii et supercilium) prennent la place d’un pentamètre grec (voir le tableau qui suit.
109 jean-louis charlet
dont Catulle et Properce en sa première manière (I) ne s’étaient pas trop éloignés51. En effet, les cinq schémas canoniques depuis Tibulle (a, b, c, d et e) ne représentent ensemble qu’un peu plus de 70 % (70,48 %), alors qu’ils dépassent les 90 % chez Tibulle et Properce II et atteignent près de 94,5 % chez Ovide, avec un manque d’intérêt évident pour les types d et e. L’ensemble des seconds hémistiches à finale dissyllabique ne représente pas tout à fait les trois quarts des pentamètres (74,55 %) C’est manifestement de l’hellénisant Marulle (respectivement 71,56 et 75,67 %)52 qu’Alciat se rapproche, et non des plus classiques Landino ou Pontano. Comme Marulle, il inverse la préférence des poètes latins classiques qui, quand ils introduisent par exception des finales tri- ou tétrasyllabiques, préfèrent ces dernières : Alciat préfère les finales trisyllabiques (13,99 %) aux finales tétrasyllabiques (8,40 %). Mais, s’il accorde un certain intérêt pour la finale goûtée des Grecs de type f (3-4 = 5,34 %) qui domine nettement chez lui les autres finales tétrasyllabiques (1-2-4 : 1,78 % ; 2-1-4 : 1,27 %), il néglige l’autre type apprécié des Grecs : g (4-3 : seulement 1,02 %), auquel il préfère les finales de type 3-1-3 (2,04 %), 1-2-1-3 (2,29 %), 1-3-3 (2,80 %) et surtout 2-2-3 (5,60 %). Les finales monosyllabiques ne sont acceptées que dans de rares cas d’aphérèse (au total 1,27 %), ce qui est classique. Enfin, Alciat se permet quelques penta- (en tout 6 : 1,53 %) et un hexasyllabe final, sans aller, comme on le trouve parfois en grec, jusqu’à l’heptasyllabe couvrant tout le second hémistiche (AP IX,169,2 γραμματικευσαμένῳ ; Alciat 23,10 [p. 40] se limite au tétrasyllabe grammaticos !). La moitié des pentasyllabes (104,2 et 4, p. 251 Aristomenis / Aristomenes ; 150,2, p. 377 Hamadriades) et le seul hexasyllabe (106,2, p. 257 Lacedaemonius) sont des noms grecs53. Outre cela, la preuve de l’influence du modèle grec sur la structure du second hémistiche de pentamètre d’Alciat est apportée par le fait que ce dernier décalque parfois (quand il le peut ?) son modèle grec en conservant à la finale un tri- ou tétrasyllabe latin translittérant le grec. C’est vrai pour des noms propres (outre Archemorique, Heliodore, Aristomenis et Lacedaemonius déjà cités), mais aussi parfois pour des noms communs :
les épigrammes d’alciat
110
1,2 p. 1 coelitibus AP IX,357,2 ἀθανάτων 12,2 p. 18 opibus AP X,26,2 κτεάνων 20,4 p. 35 adulterii AP IX,444,4 μαχλοσύνη 30,6 p. 49 interitum AP IX,149,6 ἐκρέσαμεν 75,2 p. 160 tumulo AP XI,381 θανάτῳ 94,8 p. 215 supercilium AP XI,376,8 ἐπισκύνιον 99,6 p. 238 interiit AP XI,171,6 ἐξετάθη 105,6 p. 254 imposuit AP VII,73,6 ἐντίθετε 147,4 p. 368 lachrymat XVI,251,4 βελέων
Ou encore un polysyllabe latin prend la place d’un mot grec de même longueur : 11,4 p. 15 adpositè AP IX,248,4 μουσοπόλων 62,4 p. 118 Harpocratema AP X,98,2 αἰσχρότατον 64,2 p. 124 dominum AP IX,74,2 ἕτερον 67,2 p. 144 pedibus AP XI,431,2 στόματι 72,4 p. 155 sobole AP XI,70,4 στέρεται 76,4 p. 161 odio AP XI,76,4 θανάτου 136,2 p. 338 exiliat XVI,146,2 διζομένη 137,2 p. 338 expoliit XVI,145,2 κεκλιμέναν 139,4 p. 348 homines XVI,171,4 ἐπάγεις
En un cas, la traduction d’Alciat a permuté les trisyllabes : 59,2 p. 109 scopulus Pieriae Macedon et AP IX,26,2 Μακεδὼν Πιερίας σκόπελος. Enfin, en 150,2 (p. 377), Hamadriades adapte à la même place du vers AP IX,664,2 Ἁδρυάδες ou encore, en 158,2 (p. 416) Calliope est correspond à AP VII,125,2 Καλλιόπης. Pour conclure, Alciat présente tous les types de traduction : depuis la version presque littérale jusqu’à la transposition métrique, culturelle ou historique, en passant par de légères adaptations (ajouts ou suppressions), des contaminations, des abréviations ou de vastes développements. Du point de vue métrique, il a exclu l’hexamètre dactylique en stiques et privilégié le distique élégiaque, tout en conservant le trimètre iambique et le dimètre iambique catalectique et en introduisant le tétramètre trochaïque catalectique et l’exceptionnel trimètre trochaïque hypercatalectique. Dans le choix des schémas métriques de l’hexamètre, Alciat se rapproche plus des poètes de l’Antiquité tardive que des poètes classiques ; quelques-unes de ses épigrammes brèves n’offrent qu’un seul schéma métrique dans leurs hexamètres. Pour la proportion des dactyles et des spondées, Alciat se rapproche plus de Virgile que d’Ovide, de même que pour la fréquence des élisions, ce qui surprend un peu, puisque sur ce point Alciat se sépare des poètes élégiaques latins, y compris humanistes : il n’a aucun scrupule à élider dans ses distiques élégiaques, y compris des monosyllabes. En revanche, il n’est pas surprenant qu’Alciat donne une place très importante à la césure penthémimère (ce qui permet de souligner la correspondance rythmique entre le premier hémistiche de l’hexamètre et les hémistiches du pentamètre), alors que la césure au trochée troisième, selon l’usage latin qui s’oppose sur ce point à l’usage grec, est secondaire, même si elle n’est pas négligeable en triple A. Pour les clausules héroïques, Alciat privilégie très nettement le type 3-2, sans éviter quelques monosyllabes finaux, alors que les poètes élégiaques
Post scriptum : après remise du texte de ma communication, j’ai pris connaissance de l’article de Betty I. Knott, « Meters in Alciato’s Emblemata », Emblematica, 18, 2010, p. 273-277). Je n’ai rien à modifier à mon texte. Mais les indications données à la p. 276 de cet article à propos de l’emblème 11 (édition 1551 ; cf. mon n. 134 [A. G. 16,115-116]) laissent supposer qu’Alciat a changé de mètre par rapport à la traduction imprimée par Cornarius.
111 jean-louis charlet
ont plutôt tendance à privilégier l’autre clausule classique, 2-3. Cette singularité s’explique peut-être par le fait que, rompant avec la norme latine imposée à partir de Tibulle, Alciat privilégie beaucoup moins les fins de pentamètres dissyllabiques pour retrouver en partie, comme Catulle, le Properce première manière et l’hellénisant Marulle, la liberté des fins de pentamètres grecs. Sur ce point, le traducteur a sans conteste été influencé par ses modèles grecs, alors que sur d’autres les contraintes de la langue latine l’en ont écarté. Au total, avec quelques maladresses inévitables, Alciat montre une certaine originalité dans ses traductions en vers latins de l’Anthologie grecque.
Tableaux
les épigrammes d’alciat
112
1a Schémas métriques, tableau général
1-100
101-200
201-300
301-393
Total
2/4 dsss
8
13
13
11
45 (11,45 %)
1 dsds
15
13
13
13
54 (13,74 %)
2/4 sdss
7
13
12
13
45 (11,45 %)
2/4 ddss
17
12
8
8
45 (11,45 %)
7 ssds
9
6
8
3
26 (6,62 %)
10 sdds
4
4
4
6
18 (4,58 %)
9 ssss
4
3
5
7
19 (4,83 %)
6 dssd
7
6
12
3
28 (7,12 %)
15 sdsd
2
2
1
3
8 (2,04 %)
11 dsdd
7
6
2
2
17 (4,33 %)
5 ddds
4
9
8
11
32 (8,14 %)
8 ddsd
4
3
5
9
21 (5,34 %)
13/14 sddd
5
3
1
-
9 (2,29 %)
13/14 ssdd
3
1
3
2
9 (2,29 %)
16 sssd
1
2
2
-
5 (1,27 %)
12 dddd
3
4
3
3
12 (3,05 %)
Total des quatre premiers schémas : 48,09 % Total des huit premiers schémas : 75,31 %
1b Proportion des dactyles dans les quatre premiers pieds
Total d 1-4 :
d 1 :
254
64,63 %
d 2 :
190
48,35 %
d 3 :
177
45,04 %
d 4 :
109
27,74 %
730 sur 1572 pieds
46,44 %
2 Césures 113 101-200
201-300
301-393
Total
T
-
1
-
-
1 (0,25 %)
TTr
1
-
1
1
3 (0,76 %)
P
29
18
22
24
93 (23,66 %)
TP
12
15
8
13
48 (12,21 %)
PH
21
22
27
25
95 (24,17 %)
TPH
21
22
25
12
80 (20,36 %)
H
1
1
2
2
6 (1,53 %)
TH
9
7
6
6
28 (7,12 %)
T Tr H
5
12
9
7
33 (8,40 %)
Tr H
-
1
-
2
3 (0,76%)
?
1
1
-
1
3 (0,76%)
22,1 (p. 37) Hei mihi pubertatis mortiferaeque senectae
Diérèse bucolique 1-100
101-200
201-300
301-393
Total
Bd cv
1
-
1
1
3
Bd vc
-
1
2
-
3
Bs cv
-
-
-
1
1
Bs cc
1
-
1
-
2
Total B
-
1
4
1
9 (2,29 %)
Allongements à la césure H : 39,3 teneat ; 78,3 gestat ; 118,3 caput Allongements à la césure T ? : 57,3 stridula stridulam Allongements à la césure du pentamètre : 84,8 super hernia ; 100,4 canis ; ast ego ; 123,2 similis, hospes. Hiatus avec allongement à la césure du pentamètre : 113,2 Aiacem // Hectora.
jean-louis charlet
1-100
3a Élisions-synalèphes / aphérèses dans l’hexamètre les épigrammes d’alciat
114 1-100
101-200
201-300
301-393
Total
brève / -
10
9
12
17
48 (24,87 %)
brève / brève
6
4
3
6
19 (9,85 %)
- / brève
1
4
-
4
9 (4,66 %)
-/-
15
17
16
20
68 (35,23 %)
comm. / brève
2
1
1
1
5 (2,59 %)
comm. / -
2
-
1
1
4 (2,07 %)
(-m) / brève
2
1
-
1
4 (2,07 %)
(-m) / -
9
11
12
4
36 (18,65 %)
Total :
47
47
45
54
193 (49,11 %)
aph. est
7
8
4
5
24 (11,06 %)
Total général :
54
55
49
59
217 (55,22 %)
Monos. él. :
1
2
5
10
18
v. à 3 él. :
-
2
2
1
5
3b Élisions-synalèphes / aphérèses dans le pentamètre 1er hémistiche
2e hémistiche
Total
brève / -
9 + 4 + 8 + 7 = 28
3+0+1+1=5
33
brève / brève
5 + 2 + 3 + 6 = 16
1 + 9 + 6 + 4 = 20
36
- / brève
1 + 3 + 1 + 5 = 10
- - - 1=1
11
-/-
11+2 + 10+5 = 28
2 - - -=2
30
comm. / brève
0
2 - - -=2
2
comm. / -
0
(-m) / brève
2+3+1+0= 6
- - 1+2=3
9
(-m) / -
7 + 11 + 6 + 7 = 31
2+0+1+2=5
36
Total :
35+25+29+30 = 119
10+ 9 + 9+10 = 38
157 (39,94 pour 100 v.)
0
0
0
0
aph. est
2 + 3 + 2 + 4 = 11
- 2+2+1= 5
16
Total général :
130
43
173 (44,02 pour 100 v.)
Monos. él. :
1+1+1+2=5
1= 1
6
v. à 2 él. dans le second hémistiche : 11,6 v. à 3 él. :147,2 (premier hémistiche)
4a Clausules des hexamètres
3-2
1-100
101-200
201-300
301-393
Total
58
54
62
50
224
3( )2
57%
-
(1+2)+2
1
1
2
0,51%
2-3
27
29
24
30
110
27,99%
2( )3
-
-
-
1
1
0,25%
2+(1+2)
4
5
3
1
13
3,31%
1-2-2
2
-
1
1
4
1,02%
1( )2-2
-
-
1
-
1
0,25%
3-1-1
1
3
2
2
8
2,04%
3-1( )1
3
1
3
1
8
2,04%
3+(1+1)
2
1
1
2
6
1,53%
2+(1+1)-1
-
-
-
1
1
0,25%
2-2( )1
2
5
-
-
7
1,78%
(1+2)-1-1
-
-
-
1
1
0,25%
(1+2)+(1+1)
-
-
1
-
1
0,25%
2-1-1( )1
-
1
-
-
1
0,25%
()1-4
-
1
-
1
2
0,51%
1-4
-
-
-
1
1
0,25%
5
1
-
1
-
2
0,51%
P.-S. : aucun hexamètre spondaïque.
115 jean-louis charlet
aph. es
4b Second hémistiche du pentamètre : structure verbale les épigrammes d’alciat
116 1-100
101-200
201-300
301-393
Total
a 3-2-2 (+ a’)
37
33
37
31
138
b 2-3-2 (+ b’)
20
15
18
21
74
c 1-2-2-2 (+ c’)
10
8
13
12
43
d 5-2
3
2
2
2
9
e 1-4-2 (+ e’)
3
6
2
2
13
h 2-1-2-2 (+ h’)
3
3
3
4
13
1-1-3-2 (et él.)
-
1
1
-
2
1-1-1-2-2
-
-
1
-
1
g 4-3 (+ g’)
2
1
-
1
4
2-2-3 (et él.)
3
7
4
8
22
3-1-3 (et él.)
1
4
3
-
8
1-3-3 (et él.)
3
4
1
3
11
1-2-1-3 (et él.)
4
3
1
1
9
1-1-2-3 (et él.)
-
1
-
-
1
f 3-4 (+ f ’)
5
8
4
4
21
1-2-4 (et él.)
3
-
2
2
7
2-1-4 (et él.)
2
1
2
-
5
2-5 (et él.)
1
1
3
-
5
1( )1-5
-
-
-
1
1
1-6
-
-
1
-
1
deuxième partie
Le continent du droit : méthodes, pratiques, genres
andré alciat, pRAticien bartoliste Nicolas Warembourg - Université de Lille II
Désigner André Alciat comme un praticien bartoliste constitue une espèce de provocation. D’abord parce que le qualificatif de bartoliste, pour les humanistes de la Renaissance, n’est rien moins qu’une injure. Or, le mos gallicus jura docendi qu’Alciat a contribué à faire naître à Bourges est précisément regardé comme l’antithèse du mos italicus jura docendi 1 auquel est associé le nom de Bartolo de Sassoferrato († 1357). Associer le nom d’Alciat au bartolisme2 recèlerait donc à première vue quelque contradiction, d’autant plus que la qualité de praticien n’est pas celle que l’on reconnaît au premier abord à cet auteur. Alciat a en effet joué un rôle de « médiateur entre la philologie et le droit3 » et cette médiation a favorisé la naissance d’un véritable humanisme juridique caractérisé par une approche historico-critique du Corpus juris. Sous ce rapport, on peut dire que c’est Alciat qui a rendu possible Jacques Cujas († 1590) dont l’œuvre parachève les intuitions de son prédécesseur à Bourges4. Il est cependant périlleux d’apprécier la figure d’Alciat en ayant comme point focal l’œuvre de Cujas. Cette mise en perspective ferait d’abord peu de cas de ce que le mos gallicus doit à l’environnement juridique propre à la France du xvie siècle. Le catalyseur de la jurisprudence humaniste réside dans le fait que le droit romain n’est pas considéré comme un droit applicable ratione imperii, mais comme une source doctrinale reçue impe-
1
2
3
4
Pour une vue synthétique du mos italicus et du mos gallicus : Donald R. Kelley, « Civil Sciences in the Renaissance : Jurisprudence Italian Style », History, Law and the Human Science. Medieval and Renaissance Perspectives, Londres, 1984, étude VI ; id., « Civil Science in the Renaissance : Jurisprudence in the French Manner », ibid., étude VII. Francesco Calasso, Enciclopedia del diritto, s. v. « Bartolismo », Milan, tome V, 1959, p. 71-74. Sur les limites de l’opposition bartolistes/antibartolistes, voir l’étude classique de Pierre Legendre, « La France et Bartole », Bartolo de Sassoferrato : Studi e documenti per il VI. Centenario, tome I, Milan, 1961, p. 133172 = Écrits juridiques du Moyen Âge occidental, Londres, 1988, étude VII ; dernièrement, les remarques de Diego Quaglioni, « Tra bartolisti e antibartolisti, l’Umanesimo giuridico e la tradizione italiana nella Methodus di Matteo Gribaldi Mofa (1541) », dans F. Liotta (dir.), Studi di Storia del Diritto medioevale e moderno, Bologne, 1999, spécialement 185-190. Roberto Abbondanza, « Premières considérations sur la méthodologie d’Alciat », Pédagogues et juristes, Congrès du CESR de Tours (été 1960), Paris, 1963, p. 117. Sur l’approche scientifique du texte romain par Alciat, voir l’étude de Hans Erich Troje, « Alciats Methode der Kommentierung des Corpus iuris civilis », in Humanistische Jurisprudenz, Studien zur europäischen Rechtswissenschaft unter dem Einfluβ des Humanismus, Goldbach, 1993, p 215*-229*. Xavier Prévost, Jacques Cujas (1522-1590), le droit à l'épreuve de l'Humanisme, thèse univ. Paris 1, 2012.
andré alciat, praticien bartoliste
120
rio rationis. Le droit romain, en France, est le droit des Romains : cette conception relativiste expliquera la facilité pour les Français de considérer le Corpus juris comme un objet historique, en même temps qu’elle nourrira leurs préjugés nationalistes5. Dans l’Italie d’Alciat, il en va tout autrement : les leges y sont reçues et appliquées comme une législation universelle toujours vivante, nourrie par la réflexion doctrinale de générations de doctores legum. Avocat, saisi régulièrement de demande de consultations6, les préoccupations praticiennes d’Alciat devaient prendre une place notable dans son œuvre. Faut-il dire alors que préoccupations pratique et philologique sont restées indépendantes l’une de l’autre ? – Non. Charles Du Moulin († 1566) soupçonnait déjà Alciat de n’avoir pas su s’émanciper totalement d’une « emprise bartoliste ». L’historiographie a mis justement en avant l’« esprit de tradition » animant son œuvre7. Cette fidélité d’Alciat aux méthodes juridiques bartolistes doit-elle alors être considérée comme la rouille mal raclée des préjugés gothiques ? Comme l’accident superficiel d’une œuvre substantiellement humaniste ? Si l’on répond par l’affirmative, il faut alors admettre que l’idiosyncrasie d’Alciat se réduirait à un assemblage de deux tendances contradictoires. Cette double allégeance ne semble pas avoir été jugée incompatible à Alciat qui revendique hautement l’héritage de Bartole et de son école : Sine Bartolo aliisque quibusdam interpretibus, ius nostrum non consistere8. La fidélité d’Alciat à Bartole et à son École semble plutôt constitutive d’une personnalité intellectuelle qui ignore – et pour cause – les catégories arbitraires dans lesquelles l’historiographie aime à enfermer les caractères singuliers9. Si nous acceptons d’élargir notre point de vue, nous nous apercevons que la figure d’Alciat n’est pas une anomalie dans la science juridique italienne du début du xvie siècle : il inscrit en effet ses propres pas dans ceux de bartolistes incontestables, comme Barthélemy Socin († 1507), qui ont ouvert la voie aux méthodes nouvelles10. La science d’Alciat n’a pas un objet différent de celui de ses prédécesseurs, la quête de la ratio juris, afin de le faire servir à la société humaine. En dernière analyse, approche historico-critique et pratique traditionnelle ne se peuvent comprendre chez Alciat que référées l’une à l’autre, car son souci est d’enrichir l’interpretatio juris au moyen d’instruments herméneutiques originaux, et ainsi de régénérer les procédés
5 6 7 8 9
10
Jean-Louis Thireau, « Droit national et histoire nationale : les recherches érudites des fondateurs du droit français », Droits, 38, 2003, p. 37-51 ; D. R. Kelley, Foundations of Modern Historical Scholarship, New-York, 1970. Paul-Émile Viard, André Alciat, Paris, 1926, p. 45 sqq. Ces deux expressions sont de P.-É. Viard, André Alciat (note 6), p. xij-xiij ; 133-137 ; 163-164. Cf. J.-L. Thireau, Charles Du Moulin, Paris-Genève, 1980, p. 146. André Alciat, Commentaria in tit. De Verborum significatione, in Opera, Bâle, tome Ier, 1546, col. 461. À cet égard, sont valables pour Alciat les très pertinentes remarques formulées à propos de Tiraqueau par Giovanni Rossi, Incunaboli della modernità, Scienza giuridica e cultura umanistica in André Tiraqueau (1488-1558), Turin, 2007, p. 119-122. Cf. Jacques Brejon de Lavergnée, André Tiraqueau (1488-1558), Paris, 1937, p. 319-326. Barthélemy Socin et Philippe Decius sont qualifiés de subtiles viri par A. Alciat, Parerga, lib. XII, cap. 12, dans Opera, Bâle, 1582, tome IV, col. 580D. Au sujet de Socin et du pré-humanisme : Adriano Cavanna, Storia del diritto moderno in Europa, Milan, 2000, tome 1er, p. 172 ; Hermann Lange et Maximiliane Kriechbaum, Römisches Recht im Millelalter, 2 / Die Kommentatoren, Munich, 2007, p. 860-867.
classiques11. Représentant éminent de l’École, (I.) Alciat en maintient résolument l’orientation pratique (II.). 121
Lorsque le 23 avril 1529 André Alciat inaugura à Bourges ses lectures du titre De verborum significatione, il fut en butte à de vifs reproches. Les étudiants regrettaient une trop grande fidélité du maître aux procédés classiques, alors qu’ils espéraient retrouver dans ces leçons le style et la méthode caractéristiques de son ouvrage le plus connu alors, ses Paradoxa. Alciat se plia de bonnes grâces aux exigences de son public et au prix d’un énorme travail, il put proposer des commentaires répondant aux canons de l’humanisme naissant12. L’anecdote nous est rapportée par Alciat lui-même, car la postérité ne retint de son passage à Bourges que l’immense succès qu’il rencontra et la marque qu’il imprima à cette école. Ce fait peut être diversement interprété. En tout cas, il nous démontre que même en pays conquis – Bourges l’avait débauché à grands frais –, Alciat ne s’est pas départi de sa révérence à l’égard des doctores legum, même lorsque ses recherches humanistes soulignaient les limites de leur érudition (A.) Leur autorité reste cependant intacte quand il s’agit d’adapter les leges aux besoins de la pratique (B.).
A. On ne trouvera pas, chez Alciat, les injures que certains de ces contemporains adresseront aux plus dignes représentants de la scientia juris traditionnelle13. Aucune trace d’invective chez Alciat qui admet au contraire beaucoup d’entre eux non parva laude digni [sunt]14. Il se contente de relever en passant que Doctores Papienses sæpe disputant de lana caprina15. Il use aussi parfois d’un peu d’ironie lorsqu’il relève les difficultés qu’ont eues certains doctores legum. Il s’amuse de Raphaël Fulgosius († 1427) qui, pour sauver la cohérence d’un fragment du Digeste, existimativit Iurisconsultum ironice loqui. Alciat lui répond que, pour sa part, il estime que Raphaëlem […] ridicule [loqui]16. Ces erreurs de lecture commises par les anciens docteurs, Alciat les considère néanmoins avec une certaine indulgence. L’ignorance du grec par la plupart des doctores legum a permis à certains modernes de disqualifier l’œuvre de
11
12 13
14 15 16
Cf. Vincenzo Piano-Mortari, Ricerche sulla teoria dell’interpretazione del diritto nel secolo XVI, 1 / Le Premesse, Milan, 1956, p. 14 : « Lo scopo della sua dissertazione fu la resoluzione di problema giuridici pratici. […] [P]or l’Alciato, la cultura umanistica abbia rappresentato un mezzo di dimostrazione dell’interpretazione, già fissati dal pensiero giuridico tradizionale ». P.-É. Viard, André Alciat (note 6), p. 73. Guido Astuti, Mos italicus e mos gallicus nei dialoghi De juris interpretibus di Alberico Gentili, Bologne, 1917, p. 16-17. Domenico Maffei, Gli inizi del’umanesimo giuridico, Milan, 1956, p. 34, dresse consciencieusement une liste des injures les plus communément adressées aux bartolistes par certains représentants de la jurisprudence humaniste. Barni (éd.), Le lettere di Andrea Alciato giureconsulto, n. 168, l. 63 [s.l., 1530], Florence, 1953, p. 252. A. Alciat, Commentaria in Dig. tit. De jurisdict. omn. iudic., l. Ius dicentis, n. 38, tome Ier, col. 93B. A. Alciat, Paradoxa, lib. III, cap. 20, tome IV, col.84 F.
nicolas warembourg
I.
andré alciat, praticien bartoliste
122
leurs prédécesseurs17. Les recherches d’Alciat mettent en lumière les divagations de certains maîtres médiévaux mais le grand humaniste fait preuve de magnanimité à leur égard. Dans les Dispunctiones, il doit admettre qu’Accurse, en traduisant ἀντίχρησις par antiphona, a corrompu à la source toute l’interprétation de la loi Si pecuniam relative à l’action hypothécaire18. Il explique cependant que cette erreur grossière par le fait qu’Accurse († 1263) disposait vraisemblablement d’un manuscrit corrompu19. Dans le même traité, Alciat aborde la signification de la loi Archigerontes du Codex legum20. Le mandat des divins Arcadius et Honorius traite de certaines fonctions municipales : l’ἀρχιγέρον, le διοικητής et l’ἐργασιώτης. Cette terminologie hermétique a donné beaucoup de mal aux glossateurs médiévaux. Accurse en avait proposé une lecture pour le moins audacieuse : selon lui, ces termes correspondaient à des titres de la hiérarchie ecclésiastique21. Il fallait en conclure que le rescrit traitait de l’étendue des pouvoirs de juridiction de l’archevêque et de l’archiprêtre. Toute la romanistique s’y était laissée prendre. Alciat rétablit la signification exacte de la loi en question. Il ne cache pas qu’Accurse insigniter erraverit22, mais il ne tire pas partie de cette erreur pour agonir le maître. Il s’en prend plutôt aux railleries impudentes de certains Grammatici qui ont pris prétexte de la méprise d’Accurse. Il les rappelle aussitôt à un peu plus de modestie car eux aussi sont capables de confusions grossières : Ange Politien († 1494) n’ignorait-il pas la signification d’hæres sui ? Si Alciat se fait l’apologiste d’Accurse qu’il qualifie de doctrinæ columen23, c’est qu’il entend bien affermir l’édifice doctrinal bâtit sur la Grande Glose, au besoin au prix d’un sérieux replâtrage. Dans son ouvrage le plus subversif, les Paradoxa24, le lecteur ne trouvera aucune agressivité dans le ton. Même s’il les combat parfois, Alciat ne se départit pas du respect dû aux anciens docteurs. L’originalité de ce traité tient à ce qu’il cherche à corriger par l’histoire et par la philologie certaines erreurs de compréhension du Corpus juris, consacrées par la tradition de l’École. Le succès qu’a rencontré l’ouvrage n’a eu d’égal que le scandale qu’il a provoqué chez les auteurs les plus traditionalistes. Il faut concéder, avec le recul, que
17
François Rabelais, Pantagruel, ch. X, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, 1994, p. 252-253. Sur les progrès des études helléniques, H. E. Troje, Graeca leguntur, Die Aneignung des byzantinischen Rechts und die Enstehung eines humanistischen Corpus iuris civilis in der Jurisprudenz des 16. Jahrhunderts, CologneVienne, 1971. 18 D. 13. 7. 33 A. Alciat, Dispunctiones, lib. III, cap. 3, tome IV, col. 183B. 19 A. Alciat, ibid., lib. III, cap. 19, tome IV, col. 222-223. Il s’agit de C. 1. 4. 5 : Archigerontes et dioecetæ erga20 siotanorum non nisi christiani dirigantur. quod officium tuum sollicite observet excubiis. 21 Voir v. g. Gl. « Archigerontes » ad C. 1. 4. 5 : id est, archipresbyterii. Ad archos, quod est princeps, & geron, senex : quasi maiores, & seniores sacerdotes : qui sunt archipresbyterii. Alii dicunt, id est archiepiscopi. Vel dic, id est, minores sacerdotes. À décharge, archigerontes, dioecetæ et ergasiotani sont des hapax : Thesaurus Linguæ latinæ, s. v. « archigerontes », vol. II, col. 461-462 ; s. v. « dioecetes », vol. V, col. 1226 ; s. v. « ergasiotanus », vol. V, col. 755. Ces deux derniers termes ne connaissent une autre occurrence qu’en C. Th. 14. 27 ; on ne trouve par ailleurs dioecetes que chez Cic. Rabir. Post. 8, 22, 10, 28. Les glossateurs en étaient donc réduits à un travail d’exégèse assez sommaire, d’autant que les termes christiani, officium, sollicitudo donnaient une teinte canonique à la constitution. 22 A. Alciat, Dispunctiones, lib. III, cap. 19, tome IV, col. 222-223. A. Alciat, Paradoxa, lib. III, cap. 10, tome IV, col. 95. 23 H. E. Troje, Humanistische Jurisprudenz (note 3), p. 55* parle à cet égard d’un « aggressiver Titel ». 24
B. Les Paradoxa contiennent une singulière déclaration d’allégeance à Bartole, qua-
lifié de nostræ […] disciplinæ signifer & primipilus30. Alciat ne confesse pas ici son admiration pour la personne de Bartole31, il affirme littéralement militer sous ses drapeaux. De telles citations sont-elles seulement révérencielles ? Sont-elles les scories du mos italicus ? Ou encore un moyen d’atténuer le caractère subversif de son œuvre ? Certes non. La véné-
25 F. Rabelais, Pantagruel (note 17), ch. V, p. 231-232 : « Et disoit auculnesfois que les livres des loix luy sembloient une belle robbe d’or triumphante et preciause à merveilles, qui feust brodée de merde, “car disoitil, au monde il n’y a livres tant beaulx, tant aornés, tant elegans, comme sont les textes des Pandectes, mais la brodure d’iceulx, c’est assavoir la glose de Accurse est tant salle, tant infame, et punaise, que ce n’est que ordure et villenie”». Cf. ibid., ch. X, p. 252-253. 26 Cf. les expressions par lesquelles Alciat se réfère à la lecture des leges communément reçue : Paradoxa, lib. I, cap. 4, tome IV, col. 7-8 : ratio Bartoli eiusque sectatorum ; ibid., III, 19, col. 81 : nec in hoc Doctores ipsi dissentiunt ; ibid., IV, 13, col. 105B : Communis omnibus legum intrepretibus… ; ibid., IV, 16, col. 110F : Frequentissime tractata ea quæstio… ; ibid., V, 16, col. 134D : Solent nostri temporis Doctori. 27 Un bon exemple dans les Paradoxa, lib. VI, cap. 8, col. 147-151, où sont prises en comptes les opinions et les raisons de Martinus, Accurse, Bartole, Balde, Alexander Tartagnus, avant de les écarter au motif que interpretationes enim Doctorum calumniosæ sunt. (col. 151B). 28 V. Piano-Mortari, Ricerche sulla teoria (note 11), p. 14. 29 A. Alciat, Paradoxa, lib. V, cap. 16, tome IV, col. 134-137, où sont rapportées les opinions de quatorze auteurs. Il n’épargne même pas à son lecteur le recours à Barbatia (†1479) qui, même aux yeux des romanistes les plus patients, fait figure de hâbleur incorrigible (id., lib. V, cap. 19, col. 140F). 30 Paradoxa, lib. I, cap. 10, tome IV, col. 13 F. Cf. De eo quod interest, lib. IX, cap. 9, tome III, col. 552. Ce qu’il fait ailleurs, cf. P.-É. Viard, André Alciat (note 6), p. 147-148. 31
123 nicolas warembourg
la réception des Paradoxa a contribué à ruiner le développement homogène de la scientia juris en Europe, en opposant les gloses et commentaires consacrés par la tradition, au texte des leges – cette « belle robbe d’or […] brodée de merde », comme le dira fort élégamment Rabelais25. Il ne faut cependant pas prêter un tel projet à Alciat. Fondamentalement, celuici inscrit sa démarche critique à l’intérieur même de l’École, et non en rupture avec elle. Au point de départ comme au point d’arrivée de biens des chapitres des Paradoxa, l’on trouve souvent l’opinion des docteurs – Doctores nostri –, comme Alciat les désigne significativement. Ce sont les opinions des doctores legum qui posent souvent les données du problème26 et ce sont les opinions des doctores legum qu’Alciat suggère de corriger27. Si la présence d’une approche historico-critique constitue la nouveauté incontestable de l’œuvre d’Alciat, il ne faut cependant pas en exagérer l’importance dans la résolution des difficultés juridiques qui se posent à lui. Bien des difficultés de lectures se résolvent sans recours à l’érudition philologique, mais par une exégèse serrée du texte, conféré à d’autres fragments. Ce faisant, Alciat ne se distingue des autres romanistes que par sa virtuosité28. Et il est courant pour lui de solliciter pro et contra une foule de docteurs ayant suggéré une signification possible du fragment29. Les Paradoxa ne cristallisent donc pas une opposition irréconciliable entre une romanistique médiévale vermoulue et un humanisme plein de promesses. Les Paradoxa sont davantage significatifs de la volonté d’Alciat de réformer une tradition juridique par les outils nouveaux fournis par l’humanisme. Son propos n’est absolument pas de réduire à néant l’autorité des anciens maîtres mais plutôt de redéfinir le domaine de pertinence de leurs opinions.
andré alciat, praticien bartoliste
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ration d’Alciat pour Accurse, Bartole et l’École n’est pas feinte32. Seulement, l’irruption des méthodes humanistes oblige Alciat à réviser l’étendue de l’auctoritas traditionnellement reconnue aux anciens maîtres dans l’interpretatio juris. Cette notion a reçu une double acception : elle ne désigne pas seulement la declaratio verborum, le simple éclairage donné à la signification première de la loi ; l’interpretatio possède aussi une dimension « créatrice »33. Lorsque l’abstraction des énoncés juridiques est confrontée à la réalité du fait, s’imposent au juriste un travail sur les catégories légales et une adaptation des solutions contenues dans les textes aux besoins de la pratique34. Seule la maîtrise des belles lettres et de l’histoire permet de percer la signification historique d’un fragment. Et sous ce rapport, la scientia juris traditionnelle a montré ses limites. Mais quand il s’agit d’adapter les leges au commerce juridique quotidien, son autorité reste souveraine. Alciat peut donc encourager ses étudiants à prendre du temps pour étudier les commentaires de Bartole35. Il ne faut donc pas s’émouvoir de la référence fréquente d’Alciat à la communis opinio doctorum36. Traditionnellement, la commune opinion ne sert qu’à éclairer la résolution de questions contingentes, ce qui la prive bien sûr de toute autorité quand la philologie permet de percer la signification première du texte37. Aussi sa présence dans les travaux d’Alciat souligne-t-elle davantage encore ses préoccupations praticiennes. La communis opinio offre au juge une certitude morale dans des matières douteuses ; elle lui permet ainsi d’écarter l’accusation d’impéritie en cas de jugement contestable. Bartole définit la commune opinion
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Alciat exprime son point de vue dans sa correspondance, – correspondance où il fait montre d’une franchise parfois compromettante : G. L. Barni (éd.), Le lettere (note 14), n. 159, l. 81-83 [Milan, 1518], Florence, 1953, p. 234 : Intendi animum iamdiu, in diesque et horas hoc ipsum ago, ut Bartoli, cæterorumque sententia optime teneam… ; ibid.., n. 161, l. 61-64 [Bourges, 1er mars 1529], p. 236 : Fuerunt maximi iureconsulti Accursius, Bartolus id genus alii, qui etiam apud illos veteres locum suum tenere potuissent. Jacques Krynen, « Le problème et la querelle de l’interprétation de la loi, en France avant la Révolution, 33 Essai de rétrospective médiévale et moderne », Revue historique du Droit français et étranger, tome 86/2, Paris, 2008, p. 164. Albericus de Rosate, Dictionarium , s. v. « Interpretatio », Venise, 1581 [non paginé], qui retient cette double acception de l’interpretatio. 34 Gl. Interpretatione ad D. 38. 17. 1, In Infort., Lyon, 157, col. 2079 ; Bartolus, Comm. ad D. 1. 1. 9 n. 53, In 1am part. Dig. Vet., rééd., Rome, 1996, f. 13r. Sur l’interpretatio classique, voir Paulo Grossi, L’ordine giuridico medievale, Rome-Bari, 2e éd., 1996, p. 162 sq., passim [bibl. note 93] ; en outre V. Piano-Mortari, Ricerche sulla teoria (note 11), en particulier pp. 33-62 ; id., « Il problema dell’interpretatio juris nel commentatori », Annali di Storia del diritto, 2, 1958, p. 29-109. A. Alciat, Prælectio in vespertinas lectiones Iuris civilis anni tertii, tome IV, col. 1061-1062 : Professurus 35 sum hoc anno, in primam Digesti novi partem : utilesque aliquas materias interpretandas accipiam : sed ita, ut quæ dicturi sumus minima eorum pars sit, quæ ex hoc volumine deberemus addiscere : adeo diffusi sunt cum Veterum, tam Recentum commentatorij : & tam paucæ toto vertente anno lectiones occurrunt, ut quæ exposituri sumus, eorum quæ omittuntur, comparatione pro nihilo sunt. Oportet ergo, ut quibus diebus à publicis lectionibus vobis sunt feriæ, privato studio insignores quasque leges ipsi perspiciatis lectionibus, & adhibito uno interprete, puta Bartolo, rem ipsam delibetis. Francesco Calasso, Medio evo del Diritto, tome I, Milan, 1954, pp. 453-607; Luigi Lombardi, Saggio sul 36 diritto giurisprudenziale, Milan, 1967 p. 119-200 passim ; A. Cavanna, Storia del diritto (note 10), p. 152155 ; V. Crescenzi, « communis opinio doctorum », dans A. Iglesia-Ferreiros (dir.), El ius commune com a dret vigent, Barcelone, 1994, p. 675-698 ; Ennio Cortese, Il diritto nella storia medievale, 2 / Il Basso Medioevo, Rome, 1995, p. 460-461. L. Lombardi, Saggio, (note 36) p. 170. Voir Ian Maclean, Interpretation and Meaning in the Renaissace, The 37 Case of Law, Cambridge, 1992, p. 93 et son article « Les premiers ouvrages d’Alciat » dans le présent volume.
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Bartolo de Sassoferrato, Comm. ad C. 7. 49. 2, n. 5, Sup. 2am Part. Codicis (note 34), f. 76r : quandoque inter omnes opiniones est una, quæ ab omnibus communiter approbatur & communiter obseruatur… Sur les critiques adressées v. g. par Ulrich Zazius à la communis opinio, G. Rossi, « Del modo di deferire all’auctorità de’ dottori : scienza giuridica e communis opinio doctorum nel penserio di Giovan Battista De Luca », in D. Maffei (dir.), A Ennio Cortese, Rome, 2001, tome III, p. 184-186. Cité par H. Lange et M. Kriechbaum, Römisches Recht (note 10), p. 819. A. Alciat, De Præsumptionibus, reg. 1a , pr. 51a, n. 3, col. 751-752 : « [Communis opinio] quæ in dubio verior, ex quo est à pluribus approbata : & propterea in judicando judices non debent ab ea discedere : [X. 5. 40. 27]. Quod limita & declara ut per Doct. præsertim moder. [X. 1. 2. 1] Et intelligo communem opinionem illam esse, non quæ plures habeat auctores simpliciter, sed quæ plures grauiores habeat auctores [Decr. Grat. D. 19 c. 6 ; D. 37. 14. 17 ; C. 4. 5. 10]. Item intellige illud procedere, ubi tales auctores firmant illam opinionem, disputando & arguendo circa ipsius veritatem, & deinde se resoluendo, iuxta [D. 50. 4. 18. 26]. Nam quamvis dicant aliquid incidenter, forte ad colorem alicuius sui propositi, præsertim in consiliis, non propter hoc dicuntur talem opinio approbasse. Sicut in simili dicimus de confessione incidenter facta, vel quæ sit ad alium sine, quæ non præjudicat, ut est gl. [D. 50 c. 55] per Doct. [X. 2. 1. 4] dixi in l. [D. 45. 1. 129]. Item intellige, quando illa opinio grauiores habet auctoritates, & etiam communiter obseruatur in practica. Ita videtur intelligere Bart. [C. 7. 49. 2]. Sed illud potest procedere quo ad effectum, quod iudex faciat item [rem ?] suam, quia tunc requiritur dolus. dicta l. [C. 2. 49. 7] qui præsumitur concurrentibus duobus, & quod judicaverit contra opinionem communiter approbatam & etiam communiter observatam in practica : alias non putarem illam decisionem esse veram : quia auctoritas tenentium contra illam communem debet saltem excusare à dolo præsumpto, iuxta glo. [D. 47. 14. 1 ; 40. 12. 12]. Et illi Doctores grauiores dicuntur, quorum frequentiores sunt lecturæ & approbationes in scholis. arg. eorum quæ dicit Bartolus in [D. 12. 1. 1]. Cf. Biagio Brugi, « Sentenze di giudici antichi e opinioni comuni di dottori », Per la Storia della giurisprudenza e delle università italiane, Turin, 1921, p. 81-96.
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des docteurs comme ce qui ab omnibus communiter approbatur & communiter obseruatur38. Un tel recours fut donc regardé par les Humanistes comme une des expressions les plus évidentes du conformisme de l’ancienne École. Si André Alciat ne reprend pas à son compte cette acerbe rhétorique anti-scolastique39, il ne reprend pas non plus la définition bartolienne de la communis opinio. Il prend soin de la préciser, ou plutôt, de lui rendre sa signification originelle contre les déviations que lui avaient fait subir certains disciples de Bartole, parmi les plus médiocres. Ceux-ci se sont parfois contentés d’amasser les références aux opinions, sans exercer sur elles leur esprit critique. Non enumerare sed pondere 40 : c’était déjà le conseil donné par Paul de Castro († 1441) à ceux qui invoquent l’opinion des maîtres. Cette même exigence de vérité est présente chez Alciat qui insiste sur la nécessité d’apprécier l’autorité rationnelle d’une opinion, avant de faire le décompte de tous ceux qui la soutiennent. Sous sa plume, l’opinion commune n’est pas vraiment celle qui est la plus communément reçue, mais celle qui a été soutenue par les docteurs les plus graves41. Parmi ces auteurs, Alciat fait figurer ceux qui sont lus dans les écoles. Mais il prend soin de préciser que les doctores moderni peuvent naturellement prendre rang parmi ceux qui sont appelés à constituer la communis opinio. Il n’hésite pas non plus à associer dans ses travaux l’auctoritas prudentium et l’auctoritas doctorum à tous les témoignages de la sagesse des humanités classiques42. Il permet ainsi à la doctrine de régénérer ce concept de commune opinion en élargissant le point de vue des juristes. Alciat introduit-il une rupture dans la tradition juridique ? Oui, si l’on identifie cette tradition à une scolastique à bout de souffle. Mais à notre sens, Alciat ouvre plutôt la voie à un retour aux sources de la
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tradition bartoliste43. Cynus de Pistoie († ca. 1336) fut le fondateur de l’École à laquelle son disciple Bartole a attaché son nom. Omnia nova placent, a-t-on dit de Cynus, qui fut l’ami de Dante44. Bartole et Balde avaient donné toute sa place à la nouveauté de l’aristotélisme dans leur herméneutique45. Alciat renoue avec l’ouverture intellectuelle aux idées nouvelles qui avait caractérisé les premières générations de bartolistes. Il régénère une tradition à laquelle il appartient, et dont il maintient l’orientation pratique.
II. L’incident de Bourges ne fut pas le seul tourment de la vie du professeur Alciat. Les écoliers italiens semblent avoir moins goûté ses leçons que les Français. À Ferrare, il dut exciter le zèle studieux de ses étudiants en leur rappelant les honoraires pharamineux exigés par le grand Baldus de Ubaldi pour ses consultations en matière de droit des successions46. Les commentaires d’Alciat sur le Corpus juris et plusieurs de ses traités signalent la finalité pratique de son enseignement (A.). En dernière analyse, la connaissance du jus civile ne consiste pas tant à reconstruire le passé institutionnel des Romains qu’à nourrir la recherche de la solution juste, – id quod justum est. (B.)
A.
Il serait un peu artificiel de faire l’inventaire de ce qui relève chez Alciat, de la pratique juridique ou au contraire, de ce qui relève de la recherche érudite. Les Paradoxa, les commentaires sur les livres du Corpus juris ou les Parerga mêlent les approches historicocritiques et pratiques. Le commentaire des titres de verborum obligationum ou de verborum significatione sont des chefs-d’œuvre de philologie appliquée au droit, en même temps que de véritables lexiques à usage des praticiens. Certains ouvrages d’Alciat reçoivent de leur auteur une destination presque exclusivement pratique : le traité de eo quod interest, le Liber de verborum significatione ou le traité de præsumptionibus. S’agissant du De præsumptionibus, il constitue un ouvrage abordant une des questions les plus complexes du droit de la preuve. Afin d’en faciliter l’administration, le droit peut en effet réputer établi un fait en considération de l’existence d’un autre fait qui rend vraisemblable le premier. Non sans une certaine satisfaction, Alciat relève que personne avant lui ne s’était attaqué de façon systématique à cette matière délicate. Cynus de Pistoie avait tenté une brève synthèse47 mais tout travail de grande ampleur sur cette question avait été découragé a priori par Bartole. Pour celui-ci, il était impossible de tirer du droit de la présomption les règles générales sur
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F. Calasso, Enciclopedia (note 2), loc. cit. H. Lange et M. Kriechbaum, Römisches Recht (note 10), p. 632-657. Maximiliane Kriechbaum, « Philosophie und Jurisprudenz bei Baldus de Ubaldis, Philosophi legum imitati sunt philosophos naturæ », Ius commune, 27, 2000, p. 299-343 ; Andreas Errera, Il concetto di scientia iuris dal xii. al xiv. Secolo. Il ruolo della logica platonica e aristotelica nelle scuole giuridiche medievali, Milan, 2003. P.-É. Viard, André Alciat (note 6), p. 104. Cynus da Pistoia, Comm. in C. 4. 19. 16, nn. 5-6, In Cod. Lib.IX, Francfort, 1578, spéc., f. 212v.
48 Bartolo, Comm. in D. 4. 2. 23, n. 5, Sup. 1am Part. Dig. Vet., op. cit., f. 135r : Quaedam est presumptio nunquam tractavi istam materiam nec doctores nostri aliquid boni dicunt nisi Cy. in [C. 4. 19. 16] qui aliquid dicit casu. Et non est materia quae possit tractari, quia non possunt capi regulae. Sed magis secundum accidentiam factorum iudicatur. 49 A. Alciat, De præsumptionibus, 3a pars, n. 7, col. 691E : Sunt autem innumera, ut dicit Quintilianus. Et merito Bartol. [loc. cit., supra, note préc.] dicit quod ista materia non potest tractari, quia non possunt capi regulæ sed magis secundum accidentiam factorum iudicatur. Nos tamen quam plurima dicemus, quæ ut meliori ordine habeantur, congeremus sub certis regulis 50 Outre I. Maclean, Interpretation and Meaning (note 37), p. 138-142, voir id., « Legal Fictions a. Fictional Entities in Renaissance Jurisprudence », The Journal of Legal History, 20/3, 1999, p. 1-24, pour la doctrine moderne ; pour la jurisprudence médiévale, voir Yan Thomas, « Fictio legis, l’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales », Droits, 21, 1995, p. 17-63 ; et id., « Auctoritas legum non potest veritatem tollere : Rechtsfiktion u. Natur bei den Kommentatoren des Mittelalters », in Jean-François Kervegan et al. (dir.), Recht zwischen Natur u. Geschichte, Francfort, 1997, p. 1-32. En droit public, voir André Gouron, « Théorie des présomptions et pouvoir législatif chez les glossateurs », dans Jacques Krynen et Albert Rigaudière (dir.), Droits savants et pratiques françaises du pouvoir (xie –xve siècles), Bordeaux, 1992, p. 117-127 ; en droit des personnes et de la famille, voir Anne Lefebvre-Teillard, Autour de l’enfant, Du droit canonique et romain médiéval au Code civil de 1804, Leyde-Boston, 2008, spéc. chap. 3, 11-16 et 23. 51 A. Alciat, Comm. sur D. 41. 3. 15, In ff. tit. de usucapionibus, in rubr., tome Ier, fos 1491-1536. 52 A. Alciat, De præsumptionibus, 1a pars, n. 1, tome IV, col. 677B.
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lesquelles il reposait, car ce droit, plus qu’aucun autre, était dans l’étroite dépendance du fait48. Non sans forfanterie, Alciat lui répondait à près de deux siècles de distance. Lui – nos autem, dit-il – n’avait pas reculé devant la difficulté et avait entrepris de rechercher les grandes regulæ juris de la présomption49. Nous sommes à nouveau en face d’une belle illustration de la volonté d’Alciat de s’inscrire dans la tradition bartoliste tout en la dépassant. Ce traité est organisé en deux summæ divisiones. La première explore le concept de présomption comme genre ; la seconde en détaille les espèces. La première partie s’ouvre sur une vaste dissertation relative au système de la preuve savante, ce corps de doctrine que les romanistes et les canonistes ont dégagé patiemment de l’utrumque jus. Avec une maîtrise exceptionnelle de la matière – la clarté de son style le prouve –, Alciat passe en revue les combinaisons possibles de présomption avec les preuves simples ou parfaites, afin d’évaluer le niveau de certitude que les présomptions offrent au juge : il s’appuie ici sur toute la tradition romano-canonique du droit de la preuve. Alciat aborde une question délicate, celle de la fiction légale50. Comment admettre que le droit puisse réputer certain un fait que la réalité dément ? La première partie de ces développements s’ouvre sur une définition de la fictio juris. Alciat juge insuffisantes les définitions proposées par les docteurs et acceptées par les moderni51, au motif que ces définitions de facili impugnari possunt ; Alciat propose la sienne : [F]ictio, est legis aduersus veritatem in re possibili ex justa causa dispositio52. Il vérifie alors si, formellement, l’articulation logique des termes répond aux exigences de la définition essentielle. Il engage ensuite une disputatio très serrée pour éprouver chacune des propositions que sa définition contient. Interviennent alors en rangs compacts, pro et contra, les opinions des docteurs qu’il estime les plus pertinents. Quand les bases théoriques de son traité sont assurées, Alciat ouvre la seconde partie où il s’attache à classer les différentes présomptions légales en trois grandes rubriques. Les dizaines de présomptions contenues dans chacune d’elles sont autant de résolutions
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de difficultés pratiques, au moyen de la scientia juris traditionnelle. L’originalité de cette deuxième partie nous semble tenir au fait qu’Alciat rassemble ces présomptions sous trois regulæ juris. Hommage discret au plan des Institutes de Justinien ? Alciat propose trois règles majeures concernant les choses, les personnes et les actions53. L’utilisation de la notion romaine de regula juris comme mode d’exposition mériterait une étude en soi54 : disons simplement qu’Alciat se révèle ici héritier et novateur. Héritier, en ce qu’il reçoit de Philippe Decius († 1535) un intérêt soutenu pour cette notion un peu négligée par les romanistes médiévaux ; novateur en ce que s’opère chez lui un glissement perceptible de la notion de regula. Il ne comprend plus tout à fait la regula comme l’explicitation de la ratio commune à différents cas d’espèce ; elle devient aussi parfois, dans un sens plus moderne, la règle abstraite de laquelle se trouve déduite une série de cas concrets. Ce traité de praesumptionibus illustre à merveille tout le parti pratique que l’humaniste sait tirer de la tradition médiévale.
B.
Un des aspects du génie juridique d’Alciat tient au fait qu’il ne se laisse pas enfermer dans sa propre érudition. Il sait mettre à jour les incohérences de l’exégèse médiévale, sans oblitérer toute l’autorité de l’exégète. L’historien Alciat a compris mieux que quiconque la distance existant entre la société romaine qu’il étudie et celle dans laquelle il vit. Pour demeurer une législation vivante capable de se saisir de faits qu’elle n’avait pu prévoir, il faut que le droit romain puisse être adapté aux nécessités nouvelles. L’humanisme propose certes un outil exceptionnel de compréhension de la signification historique du jus civile mais c’est grâce aux méthodes d’interprétation de l’École de Bartole qu’Alciat peut encore conserver une efficacité juridique, grâce notamment à l’utilisation du raisonnement analogique. D’où ce balancement étonnant dans ses commentaires sur le Corpus juris, où se déploient à la fois sa prodigieuse maîtrise du texte romain, nourrie par sa formation humaniste et, en même temps, son exceptionnelle maîtrise de la méthode scolastique. Ainsi, à la signification première et historique d’un fragment, caractéristique de la démarche humaniste, peut se surajouter l’éclairage fourni par la résolution d’un cas pratique, conformément à la méthode traditionnelle. La finalité pratique de certains commentaires peut d’ailleurs entrer en conflit avec la rigueur de l’approche historico-critique. Entre autres exemples, citons l’utilisation par Alciat, en droit des obligations, de la théorie du vêtement systématisée par Balde. Le droit romain avait posé la règle ex nudo pactu obligatio non nascitur55, règle qui imposait en principe un
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Et non, étrangement, personæ, res, actiones, selon le plan des Institutes de Justinien. Sur l’influence de cette tripartition à la Renaissance, voir Donald R. Kelley, « Gaïus Noster : Substructures of Western Social Thought », The American Historical Review, 84, 1979, p. 619-648 (= History, Law and Human Science, Medieval and Renaissance Perspectives, Londres, 1984, 1re étude) ; V. Piano-Mortari, Diritto, logica, metodo nel secolo xvi, Naples, 1978. Voir la synthèse de Peter Stein, Regulæ juris, From Juristic Rules to Legal Maxims, Edimbourg, 1966 ; id., « The Digest Title, De Diversis Regulis Iuris Antiqui and The General Principles of Law », The Character and Influence of The Roman Civil Law, Historical Essays, Londres-Ronceverte, 1988, p. 53-72. Adage tiré d’Ulpien, D. 2. 14. 7.
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Emmanuelle Chevreau, Yves Mausen, Claire Bouglé, Introduction historique au droit des obligations, Paris, 2e éd., 2011, n. 73-74, p. 136-138 ; David Deroussin, Histoire du droit des obligations, Paris, 2007, p.156-158 ; Reinhard Zimmermann, The Law of Obligations, Roman Foundations of the Civilian Tradition, Cape Town-Wetton-Johannesburg, 1990, p. 538-545 ; Paul Ourliac et Jehan de Malafosse, Histoire du droit privé, 1 / Les Obligations, Paris, 2e éd., 1969, n. 69-71, p. 84-86. 57 G. Rossi, Incunaboli della modernità (note 9) ; J. Brejon de Lavergnée, André Tiraqueau (note 9). 58 J.-L. Thireau, Charles Du Moulin (note 7).
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certain formalisme en matière contractuelle. Balde, en particulier, avait contourné la difficulté en proposant de vêtir ce pacte nu, avec des vêtements juridiques plus ou moins chauds56. Cet expédient théorique dénaturait totalement la signification historique des textes romains ; il est pourtant totalement assumé par Alciat dans la mesure où cette théorie, perfectionnée par les doctores legum, facilitait la résolution de maintes difficultés en matière contractuelle. Ce genre de passage met en relief le fait que l’interprétation créatrice reçue de la scolastique ne peut être éludée si l’on veut que les solutions techniques du jus civile puissent encore servir au commerce juridique ordinaire. Il délimite ainsi les contours de la pertinence de l’étude historico-critique du droit romain : en droit, sa congruence suppose qu’elle soit subordonnée à l’objet propre de la science juridique, la connaissance du juste. Il est ainsi possible de rendre à Alciat une autre postérité inattendue : celle de ces praticiens innombrables qui, en France – pensons à André Tiraqueau († 1558)57, à Charles Du Moulin († 1566)58 –, ont fait servir certaines intuitions de l’humanisme à la croissance d’un droit enraciné dans une expérience juridique multiséculaire. Praticien, bartoliste et humaniste, Alciat propose une illustration étonnante d’une vérité profonde : « la vraie tradition est critique ».
la sémantique d’un juriste : la réflexion d'André Alciat sur le titre De uerborum significatione Bruno Méniel - Université de Rennes II - CELLAM
Dès l’Antiquité, les juristes ont accordé la plus haute importance à l’interpretatio uerborum, considérée comme un préalable à l’intelligence de la loi. À la Renaissance, dès lors que les textes du droit romain ne sont plus seulement lus avec une intention pratique et le souci de les adapter aux réalités contemporaines, mais que l’on pose sur eux un regard historique, l’interrogation sur les réalités concrètes et les notions abstraites auxquelles renvoient les mots latins prend plus d’importance. Si, dans un premier temps, l’intérêt d’humanistes comme Lorenzo Valla pour la philologie rejoint celui des juristes pour les questions de sémantique, dans un second temps, certains juristes érudits appliquent l’approche lexicographique des humanistes aux textes du droit romain. C’est en particulier le cas d ’André Alciat lorsqu’il commente le titre De verborum significatione du Digeste. L’ouvrage d’Alciat a deux particularités que la critique1 a depuis longtemps mises en évidence, mais qu’elle n’a pas, à notre connaissance, articulées entre elles : ce texte est composé de deux parties dont la relation n’est pas évidente et il comprend, au terme de la première, une attaque contre Lorenzo Valla. Le présent travail, en se concentrant sur ces deux caractéristiques et en s’efforçant d’établir entre elles un rapport, tente de définir l’entreprise d’Alciat, à partir de la forme de son livre.
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Les écrits d’André Alciat sur le titre De uerborum significatione ont déjà été étudiés en profondeur dans les textes critiques suivants : Paul-Émile Viard, André Alciat, 1492-1550, Paris, 1926 ; Denis L. Drysdall, « A Lawyer’s Language Theory : Alciato’s De uerborum significatione », Emblematica, 9/2, 1995, p. 269292 ; Annalisa Belloni, « Contributi dell’Alciato all’interpretazione del diritto romano e alla sua storia », in L. Gargan et M. P. Mussini Sacchi (dir.), I Classici e l’università umanistica, atti del convegno di Pavia, 22-24 novembre 2001, Centro interdipartimentale di studi umanistici, Messine, 2007 ; Rosalía Rodríguez López, « Andrea Alciato y el De Verborum significatione », Res publica litterarum. Suplemento monográfico « Tradición Clásica y Universidad », 2008-26, p. 3-13 ; Corinne Leveleux-Teixeira et Marie Bassano, « Alciat, le De verborum significatione et la morphologie du droit », dans S. Geonget (dir.), Bourges à la Renaissance, hommes de lettres, hommes de lois, Paris, 2011, p. 283-309. Le présent article doit beaucoup à ces travaux.
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Pour bien cerner le projet d’Alciat, il convient de décrire le dispositif de son œuvre. Le titre complet de l’ouvrage in-folio2 qu’il publie en 1530, à Lyon, chez Sébastien Gryphe3, De verborum significatione libri quatuor, eiusdem, in tractatum eius argumenti veterum iureconsultorum, commentaria, indique une double structure. La partie la plus traditionnelle et la plus simple à décrire est la seconde. Elle consiste en un commentaire sur le titre De uerborum significatione (Digeste 50.16). Alciat avait, semble-t-il, l’ambition de commenter l’ensemble du Digeste, et il n’y aurait pas de raison de s’interroger sur le choix qu’il fait de ce titre, s’il ne révélait les partis pris d’une époque. Ce titre est particulier, car c’est l’avant-dernier du Digeste, l’un des plus longs, et l’un dont les fragments sont les plus courts, les plus nombreux et les plus divers : il comprend 246 lois et 345 paragraphes. Or les commentateurs médiévaux avaient une prédilection pour le titre suivant, De regulis iuris (D. 50.17), qui fournissait des adages juridiques aux praticiens ; le titre De uerborum significatione a très rarement fait l’objet de commentaires ou de traités isolés avant le xvie siècle, le premier commentaire important relevé par les historiens du droit étant celui de Bartolomeo Cipolla, qui date des années 1460-14644. Ce titre aborde les questions de sémantique qui sont au cœur du débat sur le mos italicus et le mos gallicus. De plus, les définitions qu’il fournit ont retenu l’attention des lexicographes du xve siècle, notamment Lorenzo Valla, dont les Elegantiae bénéficient d’une immense faveur jusqu’au siècle suivant5, et Niccolò Perotti, dont le Cornu copiae rencontre aussi un vif succès jusque vers 15406. Le commentaire tel que le pratique Alciat est un genre ancien. Il peut être la transcription écrite de la lectio orale qu’un professeur d’université fait devant ses étudiants, en lisant un texte, en expliquant les mots qui éveillent son intérêt et en faisant à leur sujet toutes les remarques qui lui semblent utiles. Il se caractérise par sa diversité et sa discontinuité – puisque chaque mot commenté donne lieu à un commentaire indépendant. Le terme de « gloses » (glossemata) qu’Alciat emploie dans sa correspondance pour parler de son commentaire n’est pas approprié. En effet, la glose, en principe, consiste seulement en une définition et en une explication des mots, alors que le commentaire à la manière d’Alciat se développe de manière autonome, le mot commenté devenant l’occasion de considérations de quelque ampleur sur un thème qu’il introduit. Certaines scholies d’Alciat se bornent
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On sait qu’André Alciat souhaitait expressément que ses ouvrages fussent imprimés dans le format in-folio. Voir Ian Maclean, « Concurrence ou collaboration ? Sébastien Gryphe et ses confrères lyonnais (1528-1556) », dans R. Mouren (dir.), Quid novi ? Sébastien Gryphe, à l’occasion du 450e anniversaire de sa mort, Villeurbanne, 2008, p. 26. Cet ouvrage, dont des exemplaires sont notamment conservés dans les bibliothèques municipales d’Auxerre, du Mans, de Lyon, de Poitiers et de Rennes, a été numérisé et mis en ligne sur le site Gallica (Cote Numm-52760). Il existe deux états de l’édition de 1530. L’ouvrage a été réédité par Gryphe en 1535, 1537, 1542, 1548/49 (voir ibid., p. 26). Voir O. Ruffino, art. « Cipolla (Bartolomeo) », Dizionario biografico degli Italiani, t. XXV, Rome, 1981, p. 710. L’ouvrage a été édité au xvie siècle : Bartholomaeus Caepolla, In titulum de verborum et rerum significatione commentaria, Lyon, Senneton, 1551 (Adams, t. I, p. 218). Voir Josef Ijsewijn et Gilbert Tournoy, « Un primo censimento dei manoscritti e delle edizioni a stampa degli Elegantiarum linguae latinae libri sex di Lorenzo Valla », Humanistica Lovaniensia, 18, 1969, p. 2541, et 20 (1971), p. 1-3. Voir Jean-Louis Charlet, « La lexicographie latine du Quattrocento », dans J. F. Gilmont et A. Vanautgaerden (dir.), Les instruments de travail à la Renaissance, Turnhout, 2010, p. 37-66.
l’on ne peut comprendre correctement ce traité [sc. le titre De verborum significatione du Digeste] si l’on a les humanités en horreur, de même qu’à l’inverse celui qui professerait les seules belles lettres sans exceller aussi dans la discipline du droit civil perd son huile et son travail en essayant d’interpréter les consultations des juristes9.
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Voir A. Alciat, lettre (n° 47) à Boniface Amerbach du 3 février 1529, in Gian Luigi Barni (éd.) : Le Lettere di Andrea Alciato giureconsulto, Florence, 1953, p. 83 : Interim De verborum significatione libris et glossemata mitto. Eram indicem compositurus earum legum quae in eo opere praeter aliorum sententiam a me declararentur; sed nuntii festinatio non permisit, seb uerebarque, si distulissem in alias nundinas, id tu graviter ferres […], « En attendant, je t’adresse les livres De verborum significatione et les gloses. J’étais sur le point de constituer un index des lois n’appartenant pas à ce titre que j’élucide en plus dans cet ouvrage, mais la hâte du messager ne l’a pas permis, et j’appréhendais un peu, si j’avais différé à une autre foire, que tu ne le supportes mal ». André Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, Lyon, Sébastien Gryphe, 1548 (notre édition de référence), col. 410. Ibid., f. a2r : res ipsa plane ostendit, recte hunc tractatum ab eo percipi non posse, qui ab humanioribus studiis abhorreat : sicut nec uice uersa, qui hasce solas literas profiteatur, nisi idem iuris quoque ciuilis disciplina præcellat, oleum et operam hisce in responsis interpretandis perdit.
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à expliciter le sens des termes du Digeste, d’autres traitent une question, un thème ou un point de méthodologie, en faisant appel à une vaste culture juridique qui englobe non seulement les textes du droit romain, mais ceux du droit canon. Ce type d’ouvrage ne requiert pas une lecture continue : en fin de volume, des index permettent à chacun d’inventer un parcours de lecture. Dans l’édition de 1530, les index sont au nombre de cinq : un index des 246 lois, désignées par leurs premiers mots, selon l’usage (trois pages in-folio) ; un index des expressions expliquées (dix pages) ; un index des proverbes particuliers aux juristes (une page) ; un index des lois et passages de jurisconsultes extérieurs au titre De verborum significatione mentionnés dans le commentaire (deux colonnes) ; un index des auteurs de la littérature antique cités (une colonne). Alciat accordait à ces index une importance telle qu’il parle de l’un d’eux dans une lettre à Boniface Amerbach7. Il assigne au commentaire plusieurs fonctions. C’est une présentation de notions, de raisonnements, de principes et d’institutions du droit romain. C’est ensuite un manuel de latin pour juriste. Par exemple, le commentaire du titre De uerborum significatione comprend un très intéressant développement sur la signification à donner, dans les textes juridiques, à l’ablatif absolu, en fonction du temps du participe8. C’est un exposé sur des procédés de la rhétorique, en particulier ceux qui relèvent de l’expression figurée. C’est enfin un ouvrage sur les realia antiques, où Alciat met à profit ses amples lectures. Le lien entre ces différentes fonctions est clair : l’interprétation des textes du droit romain n’est dissociable ni d’une reconstitution précise du contexte historique qui les a produits, ni d’une connaissance approfondie des possibilités de la langue latine. La première partie de l’ouvrage porte un titre sobre, De verborum significatione libri quatuor, qui, sur la page de titre de l’édition originale, est composé en un corps plus fort que celui du commentaire. Ce titre pourrait être celui d’un traité. En effet, la première partie du livre d’Alciat est un ouvrage didactique écrit par un spécialiste dans un domaine précis du savoir. Dans l’épître dédicatoire à François de Tournon, archevêque de Bourges, Alciat adopte en apparence une attitude conciliante et ouverte, en ménageant à la fois les amateurs de belles lettres et les juristes :
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Cependant, peu après, il insiste sur la technicité de son propos : « chaque art a son propre territoire, et il existe entre eux de telles barrières que quelqu’un ne peut pas facilement sauter de l’un à l’autre »10. Il convient de donner à cette formule toute son importance : Alciat conçoit l’encyclopédie, la concaténation circulaire des savoirs qui s’interpénètrent et s’engendrent l’un l’autre, dont rêvaient Valla et Budé, comme un idéal auquel bien peu accèdent. Il estime qu’il n’est pas donné à tout homme cultivé de se mêler de questions juridiques. Si barrières il y a, lui se situe délibérément du côté du droit. Le genre du traité se caractérise par un haut degré de technicité, par un souci d’abstraction et de synthèse, par un effort d’argumentation, par un discours logiquement structuré, par un recours constant à l’intertextualité11. De fait, si le titre du Digeste et la première partie de l’ouvrage d’Alciat portent le même intitulé, De uerborum significatione, c’est au prix d’un glissement de sens. Dans le titre du Digeste, le propos n’est pas général : il ne s’agit pas de proposer une réflexion d'ensemble sur la signification des mots, sur la sémantique, mais de préciser l'acception de mots particuliers, en indiquant leur étymologie ou en opérant des distinctions, comme entre poena et multa, munus et donum. Ce titre du Digeste apparaît donc comme un pot-pourri de remarques n’ayant pas trouvé leur place ailleurs : il vise tantôt à définir des termes de droit, tantôt à déterminer l’extension à donner à des mots de la vie courante. Au contraire, la première partie de l’œuvre d’Alciat s’efforce de préciser des notions générales de sémantique qui fourniront aux juristes des éléments théoriques d’analyse permettant d’interpréter les lois : pour qu’un juge et un avocat se mettent d’accord sur le sens d’un terme, il leur serait utile d’établir si ce vocable est employé au sens propre ou au sens figuré ; au contraire, si une disposition comprend une contradiction interne, il serait bon d’établir qu’un mot a été employé improprement. Alciat passe donc en revue, dans les trois premiers livres, le sens propre (livre I du traité), le sens impropre (début du livre II), le sens d’usage (milieu du livre II12), le sens par interprétation (fin du livre II et livre III), et il consacre le livre IV au sens figuré. Alciat emprunte à Bartole l’idée que le sens propre est celui qui est donné par l’autorité des prudents, par une définition ou par l’étymologie13. Il est plus facile d’interpréter avec certitude les termes de la loi que ceux d’actes privés, tels que des contrats et des testaments, car la vérité de la loi ne réside pas tant dans sa lettre que dans sa ratio, son esprit, sa raison d'être profonde, son accord avec les principes de la justice ; au contraire les actes privés doivent être interprétés au plus prêt de la lettre, car personne ne peut connaître les mouvements incertains de l’esprit humain14. Un mot est employé dans un sens impropre
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Ibid. : unaquæque ars suos habet fines, et intra quos consistat cancellos, ut minime de altera in alteram desultare facile quis possit. 11 P. Villey, V.-L. Saulnier (éd.) : Montaigne, Essais, Paris, 1965, III, 12, p. 1056 : « Tel allegue Platon et Homere, qui ne les veid onques. Et moy ay prins des lieux assez ailleurs qu’en leur source. Sans peine et sans suffisance, ayant mille volumes de livres autour de moy en ce lieu où j’escris, j’emprunteray presentement s’il me plaist d’une douzaine de tels ravaudeurs, gens que je ne feuillette guiere, de quoy esmailler le traicté de la phisionomie » (nous soulignons). 12 De Ex usu accipiuntur verba (col. 50) à hodie in bonam ex usu accipiuntur (col. 53). 13 A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, col. 10. Cf. Bartole, l. omnes pop. De iustitia et iure. 14 ibid., col. 11 : lex semper de ratione legis certa est, facileque quænam illa sit, assequitur : at hominum incertos animi motus discernere nemo possit : unde et plerunque uidemus uerba legum uberiorem interpretationem
Le sens de la loi est défini par interprétation, lorsque la signification des mots ne l’indique pas, mais qu’elle appelle une extension de sens : il est en effet légitime que celui qui est en charge de rendre la justice procède du même au même et ainsi dise le droit21.
Comme l’a noté Ian Maclean, les étudiants de la Renaissance apprenaient les sciences nécessaires à l’encodage, grammaire, dialectique et logique, avant celles de l’interprétation22. Tout naturellement, les premières fournissent des instruments aux secondes. Alciat, pour déterminer comment s’exprime le législateur ou un testateur, se sert des notions forgées par la dialectique et la rhétorique.
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assumere, quam in contractibus vel testamentis fieri soleat [...], « la loi est toujours certaine quant à son esprit et il est facile de la comprendre, alors que personne ne peut connaître les mouvements incertains de l’esprit des hommes. C’est pourquoi les termes des lois reçoivent d’ordinaire une interprétation plus ferme que celle des contrats et des testaments [...] » (texte cité et traduit par C. Leveleux-Teixeira et M. Bassano, « Alciat, le De verborum significatione et la morphologie du droit » [note 1], p. 297). A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, col. 42: fratrem patruelem. Ibid.: lex Iulia quod adulterium est, stuprum dicit. Ibid., col. 44 : etsi uir imperitus quicquam dixerit, non proprie, sed crassa minerua accipiendum erit: quod maxime in his obseruandum, qui uulgari et simplici modo quicquid in buccam uenit, effutiunt. Ibid., col. 53 : olim enim boni principes sic nominabantur, quo sensu et Homerus et Virgilius usi sunt. Ibid., col. 70 : Unde cum lex municipalis sic scripta est: Non existentibus masculis, foeminae succedant, receptum est eis existentibus foeminas excludi. Ibid., col. 69 : Sic in Evangelio Matthaei : Et non cognouit eam, donec peperisset : non sequitur, postquam peperisset, cognouisse, se quidem est loquendi modus, qui ab affectatione dicitur. Ibid., col. 53 : Ex interpretatione sensus legis accipitur, cum uis uerborum id non significat, sed extensio inducit : de similibus enim ad similia, ei qui iurisdictioni praeest, procedere fas est, atque ita ius dicere. Ian Maclean, Interpretation and Meaning in the Renaissance, The Case of Law, Cambridge, 1992, p. 67.
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notamment lorsqu’il est associé à un autre, et que cette alliance est contraire à la logique ; par exemple lorsque l’on parle de « frère germain »15. Un mot a aussi un sens impropre lorsqu’il est employé pour un autre de sens plus étroit, comme lorsque la loi Julia parle de « stupre » au lieu d’« adultère »16. Il convient, en la matière, de prendre en compte la qualité du locuteur et de pencher pour un emploi impropre des mots si celui-ci est un ignorant17. Le sens d’usage est celui que les mots reçoivent du peuple, qui ne tient compte ni de l’avis des savants, ni des définitions, ni de l’étymologie. Ainsi le mot « tyran » servait jadis à désigner les bons princes, chez Homère et Virgile notamment, et il est devenu péjoratif18. Le sens d’une expression est donné par interprétation quand est nécessaire un raisonnement, comme le raisonnement a contrario. Ainsi, lorsque la loi municipale dit : « S’il ne reste pas d’hommes, les femmes héritent », cela sous-entend que s’il reste des hommes, les femmes sont exclues de la succession19. Alciat met en garde cependant contre la généralisation abusive de ce type de raisonnement, et il donne un contre-exemple : si l’Évangile selon saint Matthieu dit de Joseph qu’« il ne la [i.e. Marie] connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté » [Mt 1, 25], il ne s’ensuit pas qu’après qu’elle eut enfanté, il l’ait connue ; c’est simplement une mode d’expression recherché (affectatio)20. Enfin, le sens figuré est celui qui résulte de l’emploi des tropes. Dans l’ensemble, la réflexion sur le sens des mots sert à Alciat à déterminer les principes d’une herméneutique, ainsi que l’indiquent la phrase qui introduit la troisième partie :
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La première partie de l’ouvrage définit un cadre d’interprétation des énoncés, et à l’intérieur de ce cadre, fait un grand nombre d’observations particulières, souvent destinées au praticien. Si le quatrième livre, pour l’essentiel, s’attache à définir des figures de style ou des procédés d’écriture qui se rencontrent dans les textes de droit – l’hyperbole, l’anaphore, l’épanalepse, la périssologie23, etc. –, en manchette apparaît à chaque fois une référence au Corpus iuris ciuilis ou aux Décrétales, plus rarement à la glose ordinaire et encore plus rarement aux jurisconsultes médiévaux. Aucun ordre précis n’est discernable : Alciat a glané, au fil de ses recherches, des définitions qu’il rassemble en ce lieu ; il construit son ouvrage, comme de nombreux autres, en organisant ses notes de lecture. C’est sans doute pourquoi il n’emploie jamais le mot de tractatus que pour désigner le titre De verborum significatione du Digeste ; lorsqu’il évoque la première partie de son ouvrage, il lui préfère celui de libri. En effet, ce texte ne satisfait pas entièrement les exigences du genre du traité : il ne revendique aucune autonomie par rapport au commentaire, il ne prétend nullement à l’exhaustivité et il ne soumet pas la pensée à une disposition systématique. Alciat note que le plan de son développement n’est pas homogène. En effet, une même signification pourra figurer dans la dernière partie et dans l’une des quatre premières : une métaphore peut être propre ou impropre. Le secret de l’ouvrage ne peut donc nous être entièrement livré par l’examen de sa structure interne. Il convient de chercher ailleurs, en particulier dans la correspondance, des éléments d’information sur les intentions d’Alciat. Comme en témoignent ses lettres, Alciat, durant sa troisième année à l’université d’Avignon, en 1520-1521, a consacré une partie de son enseignement à l’explication du titre De uerborum significatione24. Il s’agissait sans doute d’un cours extraordinaire, auquel les étudiants assistaient facultativement25, car il n’était pas d’usage de faire porter l’enseignement ordinaire sur ce titre. En novembre 1522, Alciat a terminé de rédiger un commentaire de ce titre et il pense le faire imprimer26. Mais, alors qu’il a parfois publié des ouvrages émanant de ses cours très rapidement, comme dans le cas du De uerborum obligationibus, imprimé à Lyon dès la fin de l’année universitaire, en 1519, il ne publie son ouvrage sur le titre De uerborum significatione qu’en 1530. C’est qu’il a finalement décidé de faire précéder
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A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, col. 107-108. Voir G. L. Barni (éd.) : Le Lettere di Andrea Alciato (note 7), p. 12 : note de Barni : « Il De uerborum significatione è appunto un’opera dell’Alciato, ed è il titolo del Digesto che egli spiegò e commentò nel suo corso ad Avignone nell’anno 1520-1521. » Cf. P.-É. Viard, André Alciat (note 1), p. 61. A. Belloni, « Contributi dell’Alciato » (note 1), p. 158-159 : « Sappiamo [...] con certezza che ad Avignone, dove gli storici del diritto hanno sostenuto che l’Alciato ancor giovane fosse emigrato per poter insegnare giurisprudenza con metodo storico filologico, egli tenne effettivamente lezioni di natura storicofilologica sul tit. De uerborum significatione del Digesto (D.50.16), nell’ ambito del quale trattò anche le cariche municipali, ma sappiamo pure che si trattò di un corso di lezioni supplementari e facoltative per gli studenti. » G. L. Barni (éd.) : Le Lettere di Andrea Alciato (note 7), lettre (no 24) à Francisco Calvo du 9 décembre 1522, p. 46-47 : Ad haec sunt mihi in iure ciuili perfecta quamplurima opuscula ut in tractatum De uerborum significatione interpretationes, et In primum Codicis Iustiniani librum : haeque elegantes et latinae perstrictae. Eas edere in animo habeo.
Tabernæ. On dit taberna (boutique), parce que, selon l’interprétation de Festus, elle est constituée de planches (tabulae), et non pas seulement parce qu’elle serait close ; cependant tout édifice, bien qu’il ne soit pas constitué de planches, ni fermé, peut être appelé « boutique ». Et il apparaît de ce cas que l’argument par l’étymologie, même en le prenant négativement, n’est pas valable. Sur cet article on a discuté de façon presque inextricable. Mais j’ai pour ma part l’habitude de mettre fin à ce débat de la manière suivante. Quand l’étymologie a un pouvoir de définition, comme l’appelle Victorinus29, elle cerne l’objet de façon affirmative et négative ; par exemple, une donation (donatio) est don d’un présent (doni datio) ; la clause restrictive (exceptio) est exclusion d’une action (actionis exclusio) ; une pièce de procès (instrumentum) est ce qui permet d’instruire une cause (quod instruit causam)30.
Ainsi, c’est le commentaire qui paraît à Alciat l’essentiel. Les quatre livres de la première partie constituent seulement une préface formulant une doctrine herméneutique que le
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Ibid., Lettre d’Avignon, 22 novembre 1528, à Boniface Amerbach, p. 79 : « Lors des dernières vacances, j’ai composé quatre livres comme introduction à la rubrique De uerborum significatione, et l’intention n’est pas de les publier sans les commentaires sur ce traité ; ils sont cependant encore mal dégrossis, et n’ont pas reçu la marque finale, et pour cette raison il se fait que je diffère la publication jusqu’à la prochaine foire de Lyon [...]. » (Proximis vacationibus IIII libros composui ceu praelectionem rubricae De uerborum significatione, eos absque commentariis in eum tractatum edere consilium non est ; sunt tamen adhuc rudes, nec coronidem accepere, quo fit ut necessario omnem editionem differem in proximas nundinas Lugdunenses). Voir id., De verborum significatione Libri quatuor, épître dédicatoire à François de Tournon, archevêque de Bourges, f. a2r : « Aux récentes Vulcanales, à ce moment où nous sommes dans les vacances des cours à cause des vendanges, j’ai ajouté à ces commentaires quatre livres. » (Proximis enim Vulcanalibus, quo tempore publicis a lectionibus propter uindemias feriamur, quatuor illis [commentariis] libros adieci.) Voir Lucie Claire, « La praelectio, une forme de transmission du savoir à la Renaissance : l’exemple de la leçon d’introduction aux Annales de Tacite de Marc-Antoine Muret (1580) », Camenulae, 3, juin 2009, p. 2. T. Stangl (éd.) : Tulliana et Mario-Victoriniana (= Marius Victorinus, De Definitionibus liber), 1888, p. 15 : saepe verbum simplex purum nulla compositione conexum in definitione a nota ducitur, ubi est vis eius quam Graeci appellant ἐτυμολογίαν, at Cicero veriloquium. (texte publié en annexe de Pierre Hadot, Marius Victorinus : recherches sur sa vie et ses œuvres, Paris, 1971, p. 345) Ibid., col. 329 : Tabernæ. Taberna dicta est, quod tabulis, ut Festus interpretatur, conficeretur, non quod tantummodo clauderetur : omne tamen ædificium, licet tabulis non conficiatur, uel claudatur, taberna dici potest. Et hinc apparet, argumentum ab etymologia, etiam negatiue assumendo, non ualere. In quo articulo inextricabiliter fere disputatum est. Sed hanc rem ego sic finire soleo. Cum etymologia uim diffinitionis habet, quam Victorinus appellat, argumentum et affirmatiue et negatiue concludit : ut, donatio, est doni datio : exceptio, est actionis exclusio : intrumentum, quod instruit causam.
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son commentaire d’un autre texte. Il écrit à Boniface Amerbach, qui a été son élève à Avignon, qu’il a composé, pendant les vacances d’été de 1528, cet écrit comme une leçon d’introduction (praelectio) à la rubrique De uerborum significatione et qu’il ne conçoit pas de publier les deux textes séparément27. En effet, le terme technique de praelectio, dans l’un des sens que l’université lui donne à l’époque, renvoie à un discours prononcé en début de semestre pour introduire à l’explication ligne à ligne d’un texte28. En conséquence, même si cette première partie se présente comme un développement synthétique, elle n’est pas à lire comme un traité, mais simplement comme l’énoncé de principes généraux, que la seconde partie applique, mais aussi discute et réfute en partie. Par exemple, la valeur de l’étymologie affirmée dans la première partie se trouve relativisée dans le commentaire :
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commentaire met en œuvre, affine, nuance. Cet assujettissement de la théorie à la pratique conduit à contester l’opinion de Paul-Émile Viard, selon laquelle, dans son commentaire sur le titre De verborum significatione, Alciat se consacrerait à « la recherche historique pour elle-même31 ». Il apparaît au contraire qu’il n’attribue pas à son entreprise seulement une visée historique, ni même théorique. Si, dans ses ouvrages, par exemple dans l’épître dédicatoire du livre IV des Parerga32, il se présente avant tout comme professeur et jurisconsulte, il a aussi été un praticien. Il se montre sensible aux besoins de ceux qui ont été ses collègues, dont il souhaite satisfaire les attentes. Il convient de prendre au sérieux une déclaration de l’épître dédicatoire du De uerborum significatione : Comme, en effet, presque tous les procès tiennent à la signification des termes et aux conjectures de l’esprit, j’ai résolu de démêler cette question qu’aucun des Anciens n’avait traitée de manière convenable33.
Loin de rester dans l’abstraction, Alciat adopte une visée pragmatique : il entend être utile aux juges et aux avocats en leur fournissant les instruments intellectuels – notions, arguments, raisonnements – qui leur permettront de se mettre d’accord sur le sens d’un texte de loi ou d’un testament. Cette situation d’énonciation détermine le choix d’un langage correct, mais sans apprêt : Je me demande ce qu’ils [i.e. ceux qui ont « tous les jours dans les mains les Bartoles, les Baldes, les Alexandres et les auteurs de cette farine »] feraient si ces écrits en langage courant étaient composés en un style un peu plus élégant. Ils les rejetteraient comme des énigmes et les rangeraient avec les écrits ténébreux d’Héraclite et de Lycophron. Et ce reproche me serait fait à juste titre, si, m’étant proposé de publier les commentaires d’Ulpien et de Paul extrêmement clairs et composés sans aucune difficulté d’expression, je les transmettais plus obscurs que les auteurs eux-mêmes, et si moi-même j’avais besoin d’un traducteur, ou plutôt de quelque interprète de Délos. Dans la mesure où chaque art dispose de ses propres termes, nous devons nécessairement user des nôtres : même s’ils semblent confus et barbares à certains, il ne paraît pas opportun d’en forger de nouveaux, que personne ne comprendrait34.
31 P.-É. Viard, André Alciat (note 1), p. 137. 32 A. Alciat, Parergon Iuris Libri VII posteriores, Lyon, Sébastien Gryphe, 1554, p. 4 : Iurisconsulti, quam sustineo, persona, professoriumque munus. (le rôle de juriste et la charge de professeur que j’assume) (voir Denis L. Drysdall, « Alciato and the Grammarians : The Law and the Humanities in the Parergon iuris libri duodecim », Renaissance Quarterly, 56, 2003, p. 702 et 718). 33 A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, éd. cit. (note 8), f. a2 r° : Cum enim in significatione verborum, mentisque coniectura fere omnes lites versentur, extricandum hoc argumentum assumpsi quod veterum nullus condigne tractarat (Texte cité et traduit par C. Leveleux-Teixeira et M. Bassano, « Alciat, le De verborum significatione et la morphologie du droit » [note 1], p. 293) (cf. Quint., XII, 3, 7 : Omne ius, aut in uerborum interpretatione positum est, aut in aequi prauique discrimine.). 34 id., De verborum significatione Libri quatuor, épître dédicatoire à François de Tournon, archevêque de Bourges, f. a2 v : Quid hi quæso facerent, si paulo elegantiore stylo nostratia hæc constarent? abiicerent manibus tamquam ænigmata, et inter Heracliti et Lycophronis tenebras connumerarent. Nec immerito quidem id mihi accideret, qui cum Vlpiani, aut Pauli planissimos, et absque ullo sermonis scrupulo compositos commentarios declaraturum me profiterer, obscuriora ipsis autoribus tradidissem, interpreteque ipse, uel potius natatore aliquo Delio indigerem. […] Sed cum quælibet ars sua habeat vocabula, nobis necessario nostris utendum : quæ tametsi aliquibus Barbara et incondita videantur, non idcirco tamen nova effingi oportuit quæ nemo intelligeret.
Les mots sont en général compris dans leur sens général selon l’usage, dans toutes les matières, et même en droit pénal, puisque cet usage commun du langage prévaut sur la signification propre des mots, même si ceux-ci ont tiré leur autorité des prudents. S’il n’est pas douteux que la signification propre soit aussi déduite de l’autorité des prudents, Cicéron montre quelle puissance a cette autorité, lui qui tantôt dit que l’usage est le meilleur des maîtres37, tantôt affirme qu’il dépasse les préceptes des meilleurs maîtres38. Horace dit : « Beaucoup de mots renaîtront, qui maintenant sont tombés, beaucoup tomberont qui sont en vogue aujourd’hui, si l’usage le veut, l’usage auquel appartient, dans les langues, la souveraineté, le droit, la règle »39. Quintilien au livre I, chapitre 5 : « L’usage du discours l’emporte sur l’autorité », dit-il. Et plus loin : « L’usage du discours, c’est le nom que je donnerai à l’accord des savants »40. Sulpice Apollinaire chez Aulu-Gelle41 : « Non seulement les significations vraies et propres des mots communs changent à l’usage, mais aussi les commandements des lois ellesmêmes se périment par accord tacite »42.
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Jean Cousin (éd.) : Quint., I, 6, 1-3, Paris, 1975, t. I, p. 105-106. Carmen Codoñer Merino, « Elegantia y gramática », in Mariangela Regoliosi, Lorenzo Valla. La riforma della lingua e della logica, Atti del convegno del Comitato Nazionale VI centenario della nascita di Lorenzo Valla, Prato, 4-7 giugno 2008, Florence, 2010, p. 101. Voir également dans ce volume G. Rossi, p. 148 et note 10. André Boulanger (éd.) : Cicéron, Pro C. Rabirio Postumo, 9, Paris, 1949, p. 26 : usus magister est optimus. Edmond Courbaud (éd.) : Cicéron, De Oratore, I, 4, 15, Paris, 1985, p. 12 : usus frequens, qui omnium magistrorum praecepta superaret. François Villeneuve (éd.) : Horace, Ars poetica, 70-72, Paris, 1964, p. 206. En fait Quint., I, 6, 3 et 45 (note 35), p. 106 et 117. Cf. R. Marache (éd.) : Aulu-Gelle, XII, 13, 5, Paris, t. III, 1989, p. 55. A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, col. 50 : Ex usu accipiuntur uerba generaliter in quacunque materia, etiam pœnali : quoniam is communis loquendi usus proprietati quoque uerborum praeualet, dum tamen ex autoritate prudentium originem traxerit : nec enim dubium est, ex autoritate prudentium, propriam quoque significationem duci : quantaque eius uis sit, ostendit Cicero, qui quan-
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L’emploi de l’adjectif elegans n’est pas dénué d’intention : il marque l’écart qu’Alciat creuse entre Lorenzo Valla et lui-même, et il annonce l’attaque véhémente qu’il lance contre le philologue romain à la fin du dernier livre de la praelectio. Une telle violence, qui s’exprime en un endroit si remarquable, incite à s’interroger sur ce qu’elle révèle des affinités entre les deux auteurs et de la singularité du projet d’Alciat. D’une part, Alciat et Valla sont liés par leur référence à Quintilien. L’Institution oratoire, redécouverte par le Pogge en 1416, affirme que « le langage a pour base le raisonnement, l’ancienneté, l’autorité, l’usage », pour ajouter aussitôt que « l’usage, toutefois, est le maître le plus sûr du parler »35. Comme l’a montré Salvatore I. Camporeale, Valla élabore à partir de cette idée sa conception du langage fondée sur l’usage, et il développe dans les Elegantiae une étude sémantique du vocabulaire latin dans une perspective historique. Il admire la langue précise, en principe dénuée d’ambiguïté, des jurisconsultes romains36 et dans les trente (« vingt-neuf », selon Alciat) derniers chapitres des Elegantiae, il analyse et discute les définitions et les étymologies fournies par le Digeste, en particulier par le titre De verborum significatione. Alciat ne pouvait qu’être sensible à cet effort philologique pour retourner au sens originel des mots, en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés, et il développe lui-même l’idée qu’il faut accorder une grande attention à l’usage, et en particulier en droit :
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Alciat emprunte à Quintilien la plupart des termes de grammaire et de rhétorique dont il use dans son ouvrage. Il se sert de l’Institution oratoire pour préciser telle ou telle notion : « la définition est une explication particulière et brève de la substance des choses, qui est constituée par le genre, l’espèce, les caractères propres et les différences »43. Il va jusqu’à adopter la conception que Quintilien a du fonctionnement du langage, notamment en reprenant l’idée que « la propriété n’est pas relative au terme lui-même, mais à sa valeur sémantique, et ce n’est pas à l’oreille, mais à l’entendement d’en apprécier pleinement la valeur »44. D’autre part, l’intérêt pour la topique rapproche Alciat de Valla, qui dans ses Dialecticae Disputationes développe sa réflexion notamment à partir de Quintilien45. Par exemple, Alciat affirme dans le traité De praesumptionibus que l’on ne peut faire de présomptions sans se fonder sur des indices, qui constituent des lieux de l’argumentation46, et il consacre toute la dernière partie du traité à l’élaboration d’une telle topique. Dans le De uerborum significatione, il mentionne à plusieurs reprises les Topiques de Cicéron47. On sait que l’étude des lieux communs appartenait chez Aristote à la fois à la dialectique et à la rhétorique et que Cicéron la déplace vers la rhétorique, et plus particulièrement vers la rhétorique judiciaire48. Partant des Topiques d’Aristote, il répertorie et classe les procédés de l’argumentation dont l’avocat se servira pour composer sa plaidoirie. Ces lieux sont notamment la définition, l’énumération des parties, l’étymologie, les enchaînements, les genres, les espèces, la similitude, la différence, les contraires, les compléments, les antécédents, les conséquents, la contradiction, la cause, l’effet, la comparaison. Alciat, qui emploie volontiers le mot locus, utilise la plupart de ces lieux pour élucider le sens d’un mot ou la logique d’un raisonnement. Ainsi, l’introduction du De uerborum significatione, comme de nombreux exposés didactiques à la Renaissance, obéit au modèle de la topique : elle effectue un regroupement et un classement des cas considérés, afin de fournir un cadre de pensée applicable à tous les
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doque usum optimum magistrum appellat, quandoque omnium magistrorum praecepta superare asserit. Horatius quoque : Multa renascentur, quae iam cecidere, cadentque Quae nunc sunt in honore uocabula, si uolet usus, Quem penes arbitrium est, et ius, et norma loquendi. Quintilianus lib. I. cap. 5. Autoritatem inquit, sermonis consuetudo superat. Et inferius : Consuetudinem sermonis, uocabo consensum eruditorum. Sulpitius Apollinaris apud Aulum Gellium : Non solum verborum communium veræ et propriœ significationes usu mutantur, sed legum quoque ipsarum iussa tacito consensu obliterantur. Ibid., col. 10 : diffinitio sit propria et breviter comprænsa rerum substantiæ enarratio, quæ genere, specie, propriis et differentibus (Cf. Quint., V, 10, 55). A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, col. 9 : Proprietas igitur non ad nomen, sed ad uim significandi referenda, nec auditu, sed intellectu perpendenda est (Cf. Quint., VIII, 2, 6). Voir L. Valla, Dialecticae Disputationes, II, 20-23, in Opera, Bâle, Heinrich Petri, 1543, p. 719-731, et en particulier p. 723 (Cf. Quint., V, 10, 20). A. Alciat, De Praesumptionibus, in Opera, Bâle, Thomas Guarino, 1582, t. IV, col. 605: Apellamus autem ista praesupposita, signa : quia sicut argumenta habent sedes seu locos suos, unde oriuntur, ut dicunt Aritoteles et Cicero in Topicis, ita etiam praesumptiones oriuntur ex certis sedibus, quas sedes Hermogenes in rhetoricis signa appellat, « nous appelons ces présupposés des indices, parce que comme les arguments ont des lieux où ils trouvent leur origine, comme disent Aristote et Cicéron dans leurs Topiques, les présomptions aussi trouvent leur origine en certains lieux, et Hermogène, dans ses travaux rhétoriques, appelle ces lieux des indices ». Voir surtout col. 126, mais aussi col. 255. Voir A. Moss, Les recueils de lieux communs, Genève, 2002.
[...] je n’interprète pas les tropes et les figures de ce genre en me fondant totalement sur les affirmations des grammairiens ou des rhéteurs, mais avec plus de bon sens commun, ce qui plaît mieux au docteurs de notre pays, je l’ai remarqué ; [...] je vois qu’il me faut moi-même vivre un peu dans la compagnie des rhéteurs, mais il ne me plaît pas de le faire complètement. Si eux-mêmes se sont écartés sur ce sujet des traditions des grammairiens, ils doivent admettre sans peine que moi, un jurisconsulte, je ne les suive pas complètement, mais que j’aie cru devoir délibérément faire quelques innovations, qui, à mon avis, convenaient mieux à notre profession51.
Si Alciat s’intéresse aux modes d’expression, il se montre attentif à ceux qui prennent une signification particulière dans le discours juridique. Il évoque ainsi la δύναμις, une figure de rhétorique qui présente comme un fait réel ce qui est seulement en puissance. Ce procédé est
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Par exemple, dans un chapitre des Elegantiae (VI, 39, éd. cit. [note 45], p. 751-753), Valla s’en prenait à Accurse, Bartole et Balde, qui considéraient que donum était l’espèce et munus le genre. Alciat lui répond : De verborum significatione Libri quatuor, éd. cit., col. 338-339 : non aliud significat, quam sicut latior est generis quam speciei significatio, ita esse latiorem doni notationem quam muneris : nec enim proprie donum genus est, « cela ne veut pas dire autre chose que de même que la signification du genre est plus large que celle de l’espèce, de même la notion de “don” est plus large que celle de “présent” ; le fait est que “don” n’est pas à proprement parler un genre ». Santiago Lòpez Moreda (éd.) : L. Valla, De linguae latinae elegantia, Càceres, 1999, p. 60 : Qui enim summi philosophi fuerunt, summi oratores, summi iureconsulti, summi denique scriptores ? Nempe ii, qui bene loquendi studiosissimi. (« En effet, qui ont été les plus grands philosophes, les plus grands orateurs, les plus grands juristes, les plus grands écrivains, somme toute ? Assurément ceux qui ont été le plus appliqués à bien écrire »). A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, col. 101 : [sciant] me non omnino ex Grammaticorum aut Rhetorum declarationibus, sed crassiore Minerua, quod nostratibus doctoribus magis placere deprendi, huiusmodi schemata et tropos interpretari ; [...] ipsi mihi uideo Rhetoribus aliquantisper conuersandum placere, omnino haud placet ; quod si ipsi in hoc argumenta a Grammaticorum traditionibus recesserunt, æquo animo ferre debent, si Iureconsultus eos et ipse non omnino sequar, sed aliqua consulto innouanda duxerim, quæ huic nostræ professioni magis conducere existimaui.
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cas possibles. Elle réunit des principes généraux et les met à la disposition de tous : elle en fait des lieux communs. Elle ne propose pas seulement la somme d’un savoir, elle l’organise et fournit les instruments permettant de l’étendre. Ainsi, Alciat a parfaitement compris que Valla opère une mutation épistémologique, dont la science du droit peut bénéficier. Et pourtant, il l’attaque, au point de le reprendre sur vingt-neuf points49. Cette attitude s’explique d’abord par l’émulation intellectuelle qu’entretiennent entre eux les philologues humanistes : ils s’évertuent à surpasser, par l’étendue de leurs lectures et la subtilité de leurs raisonnements, non seulement leurs contemporains, mais leurs prédécesseurs, disparus depuis longtemps, et cette rivalité les entraîne inévitablement à adopter un ton polémique. Ensuite, Alciat défend les juristes contre les attaques de celui qui pensait que la philologie et la rhétorique subsumaient les disciplines spécialisées50 et que des connaissances en ces domaines l’autorisaient à aborder des questions de droit. Au contraire, même si Alciat est soucieux d’écrire correctement, il veille à se distinguer des grammairiens et des rhéteurs. Dans son travail sur le titre De verborum significatione comme dans d’autres ouvrages, il libelle avec précision ses références au droit romain, qu’il fait figurer en manchette, alors qu’il n’indique pas les textes littéraires auxquels il fait allusion. Il affirme avec force que sa démarche diffère de celle des rhéteurs :
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essentiel dans la pratique judiciaire, car il permet de formuler une présomption : par exemple, dire « un enfant né dans la maison au su des voisins est un fils » signifie « est présumé tel ». Alciat explique en effet que « la présomption est en droit considérée comme vérité »52. Lorenzo Valla, dans les trente derniers chapitres de ses Elegantiae, a contesté les étymologies des juristes romains contenues dans le Digeste et corrigé des erreurs des commentateurs médiévaux du Corpus iuris ciuilis53. Dans la préface du troisième livre des Elegantiae, il se montre particulièrement sévère avec ces derniers : Et quelle importance a l’interprétation des mots, les livres mêmes des jurisconsultes en apportent une preuve excellente, surtout quand ils travaillent en ce domaine. Puissent-ils être conservés intacts, ou puissent-ils ne pas exister, ceux qui ont pris leur place malgré l’interdiction de Justinien54. Leurs noms sont connus, et trop connus, de sorte qu’il serait inutile que je les recense, ceux qui comprennent à peine le cinquième du droit civil et qui pour dissimuler leur incompétence disent que les savants ne peuvent pas, en droit civil, s’appliquer à l’éloquence, comme si les grands jurisconsultes du passé s’étaient exprimés maladroitement, c’est-à-dire à la manière de ces misérables, ou qu’ils n’avaient pas acquis pleinement ce savoir. Pourquoi parler d’eux ? pour ma part, doté d’aptitudes et de connaissances littéraires moyennes, je me propose d’apprendre, à tous ceux qui interprètent le droit civil, leur propre science. Et si Cicéron dit que si, à lui qui est très occupé, on lui échauffait la bile, il deviendrait juriste en trois jours55, pourquoi n’oserai-je pas moi-même dire que, si les experts en droit (je ne veux pas dire les inexperts en droit) me donnaient de l’humeur, ou même sans humeur, je suis disposé à écrire en trois ans des gloses du Digeste bien plus utiles que celles d’Accurse56 ?
Tant de prétention appelait une réponse. Alciat ne peut admettre qu’en méprisant les commentaires d’Accurse et de ses successeurs à cause de leur latin raboteux, l’on passe sous silence leur souci de rigueur, de cohérence et d’utilité. Il entend défendre l’honneur de sa profession : Or, si Lorenzo Valla est un homme du plus grand savoir, il est aussi d’une audace qui dépasse ses forces, et il n’a en tout cas pas épargné les Jurisconsultes, et d’autant moins qu’il les citait à comparaître et qu’il les accusait, à propos de la signification de certains mots, de lèse-majesté latine ; les vingt-neuf chapitres de cette accusation, j’ai considéré pour ma part qu’il fallait brièvement les réfuter. Soit pour que je rabatte jusqu’à un
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A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, col. 111 : præsumptio pro ueritate in iure accipitur. L. Valla, De linguae latinae elegantia, VI, 35-64. Rappelons que, dans les préfaces au Digeste, l’empereur Justinien interdisait à quiconque d’annoter les textes du Corpus juris ciuilis. A. Boulanger (éd.) : Cicéron, Pro Murena, 13, 28, Paris, Les Belles lettres, 1967, p. 47. L. Valla, De linguae latinae elegantia, p. 290-292 : Et quantum momenti in uerborum interpretatione sit, ipsi Iurisconsultorum libri maxime testantur, in hac re praecipue laborantes. Utinamque integri forent, aut certi isti non forent, qui in locum illorum, etiam Iustiniano uetante successerunt. Nota sunt eorum, et nimis nota nomina, ut superuacuum sit a per me recenseri, qui uix quintam partem iuris ciuilis intelligunt, et ob imperitiae suae uelamentum aiunt non posse doctos euadere in iure ciuili facundiae studiosos, quasi iurisconsulti illi aut rustice locuti sint, id est, istorum more, aut huic scientiae non plane satisfecerint. Quid de illis loquor ? ego mediocri ingenio et mediocri literatura praeditus profiteor me omnes qui ius ciuile interpretantur, ipsorum scientiam edocturum. Quod si Cicero ait, sibi homini uehementer occupato, si stomachum moueant, triduo se Iurisconsultum fore, nonne et ipse audebo dicere, si Iurisperiti (nolo dicere Iuris imperiti) stomachum mihi moueant, aut etiam sine stomacho me glossas in Digesta triennio conscripturum, longe utiliores Accursianis ?
certain point son arrogance qui atteint des dimensions que j’ignore, du moins sa philautie, soit pour que ces petits littérateurs comprennent qu’il ne faut pas s’écarter de nous à la légère, que des vérités plus grandes sont transmises par les jurisconsultes, même sur d’autres professions, que par Valla lui-même dans ses commentaires, au demeurant le plus éminent des grammairiens, sur son propre art57.
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Alciat attaque donc Valla sur un plan moral avant de le faire sur un plan technique : en lui reprochant sa philautie, il l'accuse de ce qui est, pour l'humanisme érasmien qui domine alors, le péché suprême. Au terme de sa réfutation, il formule l’espoir que les grammairiens se montreront à l’avenir plus respectueux des juristes :
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Et certes ces éléments contre Lorenzo, qui vont au-delà de la pensée de mon esprit, moi qui suis très peu chicaneur ou querelleur, j’ai pensé qu’il fallait les rapporter, puisque dans cet exemple l’insolence de certains grammairiens avait à ce point enflé que dans leurs commentaires, ils imputaient en tout lieu quelque erreur à nos Jurisconsultes, sans doute parce qu’eux-mêmes ne les avaient pas perçues, ajoutant aussitôt à l’erreur. Or j’espère que, lorsqu’ils verront sur ce thème dans quelles ténèbres a été plongé Valla, leur premier soldat, ils seront plus modestes et plus prudents, grâce à l’exemple d’autrui58.
Il convient donc de percevoir sous le De uerborum significatione un dialogue polémique continu avec Lorenzo Valla. Après avoir maintes fois cité Accurse, Bartole, Balde et d’autres juristes médiévaux, Alciat insiste sur la complexité des textes du droit romain et sur l’impossibilité de les comprendre sans l’aide d’un commentaire : Justinien peut bien écrire autant qu’il voudra, et prétendre orgueilleusement que ses livres suffisent à décider de tout dans les procès et les affaires. La réalité le dément : il n’est personne de compétent en droit civil qui ne voie clairement que les faits font naître des doutes innombrables, et tels que nul homme, s’il n’est un Œdipe accompli, ne peut les résoudre d’après cette forêt de lois, si bien que sans Bartole et certains autres interprètes, je n’oserais pas donner pour sûr et certain que notre droit civil ait aucune consistance. De fait, mis à part ce qui relève de la culture littéraire, est-il un point que ces derniers n’aient étudié avec une extrême perspicacité, et exposé avec clarté, afin de dissiper devant nos yeux les ténèbres répandues par ces misérables Grecs ? Il est vrai, je l’avoue, que si les œuvres des jurisconsultes antiques subsistaient et si elles n’avaient pas été soumises à l’édit inique de Justinien, les travaux d’Accurse et de ses successeurs n’auraient pas été nécessaires59.
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A. Alciat, De verborum significatione Libri quatuor, col. 112 : Laurentius tamen Valla, ut maximæ uir doctrinæ, ita et supra uires suas audax, nec a Iureconsultis quidem temperauit, quo minus illis diem diceret, et de uerborum quorundam significatione, ceu Latinæ maiestatis læsæ, reos faceret : cuius accusationis nouem et uiginti capita breuiter ego confutanda duxi. tum ut tantam eius arrogantiam nescio, certe φιλαυτίαν, aliquatenus retunderem, tum ut hi literatores non esse temere a nostris recedendum cognoscerent, et ueriora a Iureconsultis, etiam in alienis professionibus tradi, quam ipsemet Valla, alioquin Grammaticorum præstantissimus, in propria arte commentari potuerit. Ibid., col. 120 : Et hæc quidem in Laurentium præter animi mei sententiam : ut qui minime litigator, aut φιλαίτιος sim, scribenda duxi : quoniam eius exemplo adeo excreuerat quorundam grammaticorum insolentia, ut in suis commentariis ubique errorem aliquem Iureconsultis nostris impingerent, nimirum quod ipsi non perceperant, errori statim adscribentes. Spero autem cum uiderint, quibus hoc in argumento ipsorum primipilus Valla tenebris offusus est, modestiores eos, et alieno exemplo cautiores fore. Ibid., col. 424 : Scribat Iustinianus quantum uelit, glorieturque suos hosce libros causarum negotiorumque decisionibus satis esse, res ipsa plane reclamat, nemoque ciuilis professionis eruditus est, qui apertissime non uideat innumerabiles dubitationes ex facto oriri, quas nisi omnino Œdipus is fit, ex harum legum sylua decidere nemo unus possit : ut plane sine Bartolo, aliisque quibusdam interpretibus, ius nostrum
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Alciat aboutit à ce paradoxe que ce sont les commentateurs qui donnent au droit romain sa consistance, car, en réunissant ce qui est épars, en rendant cohérent ce qui semble divergent, ils rendent lisible le Corpus iuris ciuilis. Le représentant par excellence de l’humanisme juridique révèle ici qu’il s’inscrit dans le prolongement du bartolisme60. Alciat ne mélange donc pas les genres. Il compose bien un ouvrage de droit, proposant d’une part le commentaire d’un titre important du Digeste, qui sera étudié par beaucoup d’autres professeurs après lui61, et d’autre part une introduction qui ne s’écarte guère des règles du genre, puisque la praelectio est un exercice rhétorique qui s’efforce de concilier l’intention de transmettre un savoir et celle de démontrer ses talents oratoires, et qui peut éventuellement prendre des accents polémiques62. Si Alciat est avant tout homme de doctrine, il n’est pas exclu qu’il donne à son travail une fonction pratique : en fournissant aux juristes de son temps des instruments intellectuels à partager, en particulier une topique, il s’efforce de constituer une communauté capable de se mettre d’accord sur l’interprétation des textes. La praelectio et le commentaire De uerborum significatione marquent un moment important de l’histoire de l’humanisme : les philologues comme Valla ou Budé ont critiqué le mauvais latin des juristes et soumis les textes du droit romain à un examen philologique. Les juristes reprennent désormais la main, en critiquant les philologues pour leur incompétence en matière de droit et en important dans l’herméneutique juridique la méthode et le vocabulaire de la rhétorique.
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non consistere affirmare ausim : quid enim, si bonarum literarum cognitionem excipies, illi aut acutissime non excogitarunt, aut clarissime non docuerunt, ut nostris oculis offusas per hosce Græculos tenebras aperirent ? Illud non diffiteor, si antiquorum Iurisconsultorum opera extarent, nec Iustiniani iniquissimo illo edicto sublata fuissent, Accursii, et qui post eum scripserunt, minime necessarias futuras fuisse lucubrationes. (cité et traduit par A. Tournon, Montaigne. La glose et l’essai, Paris, 2000, p. 167-168). Sur la relative continuité entre bartolisme et humanisme juridique, voir Jean-Louis Thireau « L’enseignement du droit et ses méthodes au xvie siècle. Continuité ou rupture ? », Annales d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2, 1985, p. 27-36. Notamment, Pierre Rebuffi a composé à partir de 1534 et publié en 1557 un ouvrage De verborum et rerum significatione. Voir I. Maclean, « Concurrence ou collaboration ? » (note 2), p. 279. Patrick Arabeyre a fait à l’IRHT, le 23 mars 2010, une conférence sur « Le commentaire de Pierre Rebuffi sur le titre ‘De verborum significatione’ du Digeste ». Barnabé Brisson a également commenté le titre « De verborum significatione ». Voir Jean-Marie Carbasse, « De Verborum significatione : quelques jalons pour une histoire des vocabulaires juridiques », Droits, 39 (« Naissance du droit français »), 2004, p. 3-16, ici p. 13. Voir Lucie Claire, « La praelectio » (note 8), p. 2.
La lezione metodologica di Andrea alciato : filologia, storia e diritto nei Parerga Giovanni Rossi - Università di Verona
Alciato giurista umanista Andrea Alciato è unanimemente riconosciuto dalla storiografia (sulla scorta in verità di un giudizio già formulato dai contemporanei) come il primo vero «giurista umanista1», capace cioè di coniugare una agguerrita conoscenza tecnica del diritto, fondata su una formazione universitaria di stampo tradizionale2, con la convinta condivisione del messaggio di rinnovamento culturale propugnato dagli umanisti italiani del Quattrocento. Applicato al diritto, ciò significa operare per rivitalizzare la scientia iuris mediante il confronto non più conflittuale con le discipline riconducibili alla nozione di humanae litterae, entro un progetto mirante ad inserire di nuovo lo studio del diritto in una formazione culturale completa e propriamente enciclopedica, in cui al dato giuridico ed al pensiero elaborato intorno ad esso spetti un posto autonomo e di rilievo ma non isolato né antagonista rispetto al sapere letterario-filosofico riportato in auge dall’umanesimo. In effetti, lungo il xv secolo, la scienza giuridica si è trovata sempre più prigioniera di un modello glorioso ma datato, identificabile con quello tipico della tradizione di ius commune, fondato su strumenti conoscitivi e categorie logiche di matrice squisitamente medievale e bollato come superato e scientificamente inattendibile dagli umanisti, paladini della elaborazione di un paradigma alternativo sia sotto il profilo del metodo che nei contenuti e severi censori della media aetas in tutte le sue manifestazioni. Dopo un lungo periodo di sordità reciproche e di solenni anatemi, scagliati da parte dei letterati, propugnatori di una svolta radicale, contro i doctores iuris e contro le loro posizioni culturali passatiste, alcuni giuristi hanno finalmente accettato la sfida e si sono
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Purtroppo non disponiamo di lavori d’insieme recenti ed aggiornati sulla figura di questo giureconsulto e sul carattere complessivo della sua opera (dovrebbe però essere prossimo alla stampa un grosso lavoro di Annalisa Belloni, consacrato allo studio da parte di Alciato del diritto pubblico romano); ancora importante resta peraltro Paul-Émile Viard, André Alciat. 1492-1550, Paris, 1926; si veda inoltre Roberto Abbondanza, «Alciato, Andrea», voce del Dizionario Biografico degli Italiani, II, Roma, 1960, p. 69-77, sintesi affidabile e buon punto di partenza per indagini specifiche. Egli compie gli studi a Pavia e Bologna, anche se si addottora a Ferrara, pur non avendovi mai studiato; sulla sua carriera universitaria e sui suoi professori, tra i quali troviamo nomi di primissimo piano quali Giason del Maino, Filippo Decio e Carlo Ruini, cf. P.-É. Viard, André Alciat (nota 1), p. 36-41.
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accollati il compito di aggiornare ed irrobustire la loro preparazione tecnica con il ricorso allo studio della filologia e della storia3, perseguendo una formazione veramente enciclopedica ed introducendo nel tessuto della argomentazione giuridica la citazione di testi letterari, filosofici, medici, storiografici, a supporto autorevole di dottrine che non potevano più fondare unicamente la loro legittimazione sul legame labile e sovente scopertamente strumentale con i testi normativi romani; testi di cui appariva problematico sostenere la vigenza in epoca moderna e che risultavano assai lontani in tutti i sensi dalla realtà dell’Europa protomoderna, nonostante l’intervento di una interpretatio ampiamente creativa. Ancor più di Guillaume Budé, che lo precede temporalmente ma che viene percepito ed apprezzato da molti più come filologo che come giurista, per un approccio ai testi sovente troppo erudito e poco tecnico, Alciato ha le qualità per far compiere alla scienza giuridica una svolta decisa, senza per questo vestire i panni dell’iconoclasta mosso da amore dissennato delle novità o, peggio, del letterato fornito di una cultura libresca, dell’erudito alieno dal mondo della prassi ed incapace di confrontarsi con esso. Peraltro, la sua opera non assume, né poteva essere diversamente in una fase così precoce, la forma di una complessiva riscrittura degli istituti privatistici o di una revisione della sistematica romana tramandata dal Digesto; gli scritti alciatei non si impongono all’attenzione del lettore per l’ampiezza del disegno riformatore o per la durezza delle critiche al mos italicus e la condanna in blocco dell’esperienza medievale, né per aver voltato le spalle al diritto giustinianeo a favore di ricerche erudite sul diritto romano arcaico ovvero su quello consuetudinario medievale4. Il ripensamento del ruolo del giurista nella cultura moderna si ricava chiarissimo dalla lettura delle sue opere più originali, ma esso è frutto di un approccio in apparenza «minimalista», che privilegia la riflessione intorno al vero significato delle singole parole, l’intervento filologico di restauro del testo originale delle leggi romane tramandate nelle compilazioni di Giustiniano, il confronto serrato tra fonti giuridiche e fonti antiquarie, storiche, letterarie su problemi interpretativi ben circoscritti, per lo scioglimento dei mille nodi rimasti insoluti o addirittura più gravemente ingarbugliati dopo secoli di glosse e di commenti ad opera dei giureconsulti medievali.
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Sui caratteri prevalenti della scienza legale nel XVI secolo, con l’affermazione oltralpe della scuola ‘culta’, si veda Donald R. Kelley, Foundations of Modern Historical Scholarship. Language, Law, and History in the French Renaissance, New York-London, 1970; Id., History, Law and the Human Sciences. Medieval and Renaissance Perspectives, London, 1984; in particolare sul ruolo dello studio della storia nell’umanesimo giuridico, cf. Riccardo Orestano, «Diritto e storia nel pensiero giuridico del secolo XVI», in La storia del diritto nel quadro delle scienze storiche. Atti del primo Congresso internazionale della Società Italiana di Storia del Diritto (Roma, dicembre 1963), Firenze, 1966, p. 389-415, ora in Id., ‘Diritto’. Incontri e scontri, Bologna, 1981, p. 349-377; Id., Introduzione allo studio del diritto romano, Bologna, 1987, specie p. 193-215 e 606-642. Si tratta di indirizzi che saranno poi in effetti tutti sviluppati, giungendo a risultati di grande rilievo, durante il xvi secolo, da parte di autori di prima fila del movimento ‘culto’ francese (utile, nonostante qualche eccessivo schematismo, Vincenzo Piano Mortari, Cinquecento giuridico francese, Napoli, 1990; spunti interessanti in tema si leggono in Italo Birocchi, Alla ricerca dell’ordine. Fonti e cultura giuridica nell’età moderna, Torino, 2002, p. 7-49).
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Per una verifica in concreto (purtroppo raramente compiuta dalla storiografia) di tale lavoro, cf. Annalisa Belloni, «Contributi dell’Alciato all’interpretazione del diritto romano e alla sua storia», in L. Gargan e M. P. Mussini Sacchi (a cura di), I classici e l’Università umanistica. Atti del convegno di Pavia, 22-24 novembre 2001, Messina, 2006, p. 113-160. Mette bene a fuoco il tema della intrinseca creatività della interpretatio prodotta a partire dai testi romani dalla scienza giuridica medievale Paolo Grossi, L’ordine giuridico medievale, Roma-Bari, 1995, specie p. 151-175 e 227-229. Per avere un’idea della vastità ed importanza del lavoro compiuto da Alciato sui testi giustinianei, con riguardo ai diversi istituti giuridici, si consultino le appendici pubblicate da Paul-Émile Viard (accurate ma certo suscettibili di molte integrazioni), recanti la Table des principaux textes du Digeste et du Code de Justinien e la Table des principales matières étudiées par André Alciat: P.-É. Viard, André Alciat (nota 1), p. 341-352 e 353-377.
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Alciato dà infatti avvio ad un lavoro puntuale e faticoso, che si rivelerà assai lungo ed impegnativo, volto alla verifica minuziosa ed alla correzione di larga parte dei contenuti che la scientia iuris medievale ha elaborato a partire dallo studio del diritto romano5 (contenuti frutto di un ripensamento originale delle categorie concettuali romanistiche, in piena autonomia dal modello antico, favorito certo anche da una oggettiva condizione di relativa ignoranza – ed indifferenza – della storia e delle istituzioni del mondo romano6): un lavoro che postula insieme piena confidenza con il patrimonio dottrinale della tradizione e profonda insoddisfazione per le sue carenze e sordità, che ne inficiano in radice l’attendibilità scientifica. In questa ottica, il problema della corretta comprensione dei testi romani, ottenuta calandoli nel loro peculiare contesto storico, non si esaurisce in una pur agguerrita e consapevole ricostruzione di taglio filologico, né tale analisi appare fine a sé stessa, volta solo ad appagare una generica passione antiquaria ed erudita. Ogni domanda che Alciato si pone, ogni dubbio per sciogliere il quale interroga i testi antichi, mettendo a confronto fonti giuridiche e letterarie, denotano uno sforzo costante e consapevole per raggiungere una più sicura e profonda conoscenza del mondo antico, rigettando le forzature, le semplificazioni ed i fraintendimenti che costellano le pagine degli interpreti medievali e ne inficiano la validità; al contempo, però, quelle domande e quei dubbi traggono origine dalla individuazione puntuale di problemi di natura squisitamente giuridica e questo spiega perché il metodo alciateo susciti tanto interesse e consenso presso i giuristi di tutta Europa (anche se in Italia permangono fortissime resistenze di segno passatista) e si collochi all’origine di un indirizzo dottrinale ‘culto’ che è parte integrante della storia del pensiero giuridico europeo7. L’allargamento delle conoscenze e l’irrobustimento della preparazione culturale dell’esperto di diritto non va infatti a scapito della sua specializzazione né adombra un rischio di annacquamento dei contenuti tecnici della scientia iuris: lo sguardo con cui Alciato osserva il mondo è pur sempre quello di un giurista, che ragiona ed opera come tale, ma egli inforca ora occhiali che gli permettono di vedere con più chiarezza e di mettere a fuoco con maggiore precisione gli oggetti che lo interessano (a cominciare dalle norme del Digesto e del Codex Iustinianus); fuor di metafora, l’apertura al sapere umanistico non produce nel giurista una crisi d’identità ed un ripudio della natura tecnica e specialistica delle sue conoscenze, bensì un affinamento ed un potenziamento degli strumenti d’indagi-
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ne impiegati, che gli consentono di giungere a risultati più corretti rispetto al passato ed in parte nuovi. Del resto, Andrea Alciato non dismette di colpo l’armamentario concettuale tramandatogli dalla autorevolissima tradizione nella quale egli stesso si è formato né condanna in toto ed in astratto lo ius commune, mostrando anzi rispetto e comprensione per i grandi autori che lo hanno preceduto; egli non recede però dall’intento di verificare di volta in volta in prima persona alla luce delle nuove consapevolezze umanistiche l’affidabilità e l’efficacia di quelle nozioni le cui fondamenta si sono rivelate assai fragili, per poter ricalibrare definizione e disciplina dei singoli istituti giuridici senza condizionamenti estrinseci e nel pieno esercizio di quella libertà intellettuale nella ricerca della verità che è il segno distintivo della scienza8.
I Parerga: erudizione umanistica e rinnovamento del metodo d’indagine Tra le opere nelle quali Alciato dà più chiara dimostrazione della originalità del suo metodo, sorretto da una inesausta tensione al superamento dei limiti della giurisprudenza medievale, dobbiamo senz’altro annoverare i Parerga. Leggendo i 337 capitoli nei quali sono ripartiti i dodici libri che compongono l’opera9, abbiamo la riprova dell’ampiezza degli interessi coltivati dal giurista milanese e della solidità e poliedricità della sua cultura, tale da rendere possibile l’impresa di acquisire finalmente una comprensione piena e salda del diritto romano giustinianeo nella sua interezza, colmando le lacune e rischiarando le molte zone d’ombra che ancora permanevano dopo secoli di un lavoro interpretativo fuorviante e mistificatorio, perché non sorretto da una sufficiente conoscenza della società romana e più in generale del mondo antico. Dall’impiego di nuovi e più efficaci strumenti d’indagine scaturisce una rilettura minuziosa dei testi antichi fondata in primo luogo su una attenta riconsiderazione del lessico tramandato dalle compilazioni giustinianee, indicata come via prioritaria per la riappropriazione integrale del patrimonio concettuale romano, facendo propria la lezione di Lorenzo Valla ed insieme dandole un significato in parte nuovo e diverso10. L’approccio prescelto in vista di una comprensione autentica ed integrale dei
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Sul metodo dell’Alciato cf. Roberto Abbondanza, «Jurisprudence: The Methodology of Andrea Alciato», in E. Cochrane (ed.), The Late Italian Renaissance, 1525-1630, New York, 1970, p. 72-90; Hans Erich Troje, «Alciats Methode der Kommentierung des “Corpus iuris civilis”», in A. Buck und O. Herding (hrsg. v.), Der Kommentar in der Renaissance, Boppard, 1975, p. 47-61; Marco Cavina, «Indagini sul mos respondendi di Andrea Alciato», Rivista di Storia del Diritto Italiano, 57, 1984, p. 207-251. Rispettivamente: 50 capp. nel I e nel II libro, 26 nel III, 27 nel IV e nel V, 29 nel VI, 27 nel VII, 25 nell’VIII, 26 nel IX, 25 nel X, 13 nell’XI, 12 nel XII ed ultimo. Alciato manifesta un atteggiamento ambivalente nei confronti del Valla; da un lato, infatti, egli fa propria con convinzione l’indicazione metodica valliana, volta a valorizzare la proprietà lessicale e la parallela precisione concettuale dei testi dei giureconsulti romani confluiti nel Digesto, ed al contempo mirante a ricostruirne il dettato originale nel modo più fedele possibile, con l’ausilio della filologia e di una agguerrita critica del testo; dall’altro lato, però, nel De verborum significatione svolge una intransigente difesa d’ufficio dei giuristi classici di fronte alle critiche puntuali (e spesso giustificate) rivolte loro da Valla, rimproverando in sostanza all’umanista di non aver compreso appieno il senso di quei testi a causa della sua carente preparazione tecnica. Su Valla e il diritto si vedano ora Dario Mantovani,
«“Per quotidianam lectionem Digestorum semper incolumis et in honore fuit lingua Romana”. L’elogio dei giuristi romani nel proemio al III libro delle Elegantiae di Lorenzo Valla», in E. Narducci, S. Audano, L. Fezzi (a cura di), Aspetti della fortuna dell’Antico nella cultura europea. Atti della III giornata di studi (Sestri Levante, 24 marzo 2006), Pisa, 2007, p. 99-148; Giovanni Rossi, «Valla e il diritto: l’“Epistola contra Bartolum” e le “Elegantiae”. Percorsi di ricerca e proposte interpretative», in M. Regoliosi (a cura di), Pubblicare il Valla, Firenze, 2008 (Edizione Nazionale delle opere di Lorenzo Valla. Strumenti, 1), p. 507-599 e in questo volume, B. Meniel.
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lemmi tecnici impiegati dai giureconsulti classici unisce un approfondito studio della storia ad una stringente critica testuale; in tal modo Alciato acquisisce elementi incontrovertibili che inficiano l’attendibilità di larga parte delle ricostruzioni proposte dai Medievali e perviene pertanto anche alla acclarata dimostrazione della insipienza tecnica di Glossatori e Commentatori, come diretta conseguenza della loro inadeguatezza culturale. Nell’economia complessiva della produzione alciatea l’importanza dei Parerga deriva poi, oltre che dal dato oggettivo della rilevante mole di nuove acquisizioni messe a disposizione dei contemporanei, dal fatto che quest’opera è stata composta nella piena maturità del Nostro, in tal modo dimostrando che Alciato ha continuato negli anni a nutrire incondizionata fiducia nel metodo che l’aveva imposto ancora assai giovane all’attenzione degli uomini di cultura di tutta Europa con l’edizione nel 1518, ad opera di Alessandro Minuziano, della miscellanea contenente opere quali i Paradoxa iuris civilis, le Dispunctiones, i Praetermissa, le Annotationes in tres posteriores libros Codicis Iustiniani (invero già pubblicate nel 1515), il trattato De eo quod interest. Quei primi precoci scritti, nei quali si testava l'utilità concreta per il giurista di valersi nella interpretazione dei libri legales della conoscenza del greco, non meno che della storia e della filologia, si erano subito fatti apprezzare per la pionieristica vocazione a ricongiungere sapere giuridico ed humanae litterae e contenevano una grande messe di puntuali interventi volti alla spiegazione di termini rimasti oscuri o palesemente fraintesi, alla integrazione dei testi della vulgata con i passi greci espunti nel Medioevo, alla restituzione di lezioni filologicamente plausibili e quindi allo scioglimento di molte questioni interpretative spinose, di cui la giurisprudenza medievale non era riuscita a venire a capo in maniera convincente. Questo modo di lavorare, minuzioso ed asistematico, dimostratosi così efficace e proficuo nella sua tensione a mettere appieno a fuoco ogni singolo dettaglio, si palesa già nei titoli non convenzionali degli scritti alciatei, che rimandano spesso alla fatica del filologo ed al recupero del testo nel suo dettato originale attraverso l'attenzione prestata ad aspetti di difficile comprensione ed interpretazione; in tale filone si colloca anche il ricorso al termine dotto e ricercato di Parergon, sinonimo di obiter dictum, che rimanda dunque intenzionalmente ad una raccolta alluvionale e disorganica di annotazioni puntuali ed erudite su aspetti in apparenza marginali, desunti dalla lettura delle compilazioni giustinianee. In effetti, in ciò si palesa la convinzione di Alciato di poter giungere al rinnovamento della scienza giuridica concentrandosi sul particolare, cioè anzitutto sulla soluzione dei numerosissimi problemi testuali rimasti aperti, rifuggendo da altisonanti discorsi sul metodo come da ogni teorizzazione generalizzante; tale approccio viene appunto confermato e portato a compimento, negli anni della maturità, con i Parerga, dove il giurista all'apice
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della fama e dell'autorevolezza torna a cimentarsi con specifici, minuti quesiti lessicali e filologici, dai quali non traspare nessun contenuto unificante, nessun disegno sistematico, nessuna tendenza ordinatrice, bensì una inesausta sete di indagare, chiarire, precisare, spiegare, a partire dalla concretezza del dato testuale. Per altro verso, la lezione metodologica che, pur non impartita apertis verbis, si ricava con evidenza dagli interventi di restauro del testo, dalla raffinata perizia lessicografica messa in campo, dalla comparazione di fonti della più disparata provenienza, dal ricorso ad una conoscenza storica basata anche sull'indagine epigrafica condotta in prima persona11, mira a colmare il solco tra sapere giuridico e sapere storico-letterario e ad integrare competenze diverse per dotare l'interprete di un bagaglio di conoscenze il più ampio possibile. Tale metodo di lavoro non pare tuttavia che debba risolversi nella fine dell'autonomia della scienza giuridica né in una sua conclamata ancillarità verso il sapere storico-letterario bensì, al contrario, in un suo irrobustimento ed in un oggettivo rilancio: nonostante tutto, per Alciato ciò che sembra contare davvero è la salvaguardia della specificità del lavoro da condurre sui testi giuridici, che induce a subordinare l'analisi storico-filologica a finalità esterne e superiori ad essa, conoscitive ed insieme operative, proprie della iurisprudentia, che è insieme scientia ed ars: finalità lontanissime pertanto dallo sfoggio di un'erudizione fine a sé stessa, elaborata in chiave antigiurisprudenziale. Di fronte alla condivisa acquisizione storiografica del significato dell’operazione di rinnovamento condotta da Alciato12, appare però necessario sottolineare come le opere più spiccatamente innovative e rappresentative del suo peculiare approccio metodico siano state studiate assai poco dalla storiografia moderna; tra esse sono stati trascurati in modo precipuo i Parerga, che attendono una aggiornata ed organica riconsiderazione13, ancora mancante probabilmente per la difficoltà dell'impresa, che postula un cumulo inusuale di
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Ancora utile la ricognizione compiuta da Viard sugli esiti dell’approccio storicistico alciateo: P.-É. Viard, André Alciat (nota 1), specie p. 177-209 e 301-310. Cf. pure A. Belloni, «Contributi dell’Alciato all’interpretazione del diritto romano» (nota 5), passim. Si vedano i sintetici ma ben motivati giudizi di Ennio Cortese: «Fu il campione dell’incontro tra filologia erudita e scienza del diritto, e fu comunque l’uomo che più contribuì alla diffusione del nuovo metodo in Europa [...] Quanto però ai problemi di metodo, va riconosciuto all’Alciato il merito di non aver cavalcato l’integralismo umanistico e di non essersi gettato nelle asprezze polemiche contro la barbarie dei giuristi» (Ennio Cortese, Il diritto nella storia medievale. II. Il basso Medioevo, Roma, 1995, p. 470-471) e di Antonio Padoa Schioppa: «Alciato [...] riuniva in sé le doti di profondo conoscitore delle fonti classiche, di cultore del metodo filologico e di giurista completo, teorico e pratico, capace non solo di interpretare i passi tecnicamente più complessi della Compilazione, ma anche di redigere corposi ed apprezzati pareri legali» (Antonio Padoa Schioppa, Storia del diritto in Europa. Dal medioevo all’età contemporanea, Bologna, 2007, p. 253). Al di là di qualche sporadico ed estemporaneo riferimento, facilmente reperibile nei lavori degli storici dell’umanesimo giuridico, da Kisch a Kelley, da Maffei ad Orestano, da Troje a Maclean, risalta l’assenza di studi dedicati direttamente ed esplicitamente all’analisi del contenuto dei Parerga, opera piuttosto negletta anche da coloro che si sono occupati specificamente ed a più riprese di Alciato come giurista (in proposito citiamo anzitutto Pietro Vaccari, Gian Luigi Barni, Roberto Abbondanza, Annalisa Belloni). Per una recente, pregevole ma isolata eccezione, cf. Denis L. Drysdall, «Alciato and the Grammarians: The Law and the Humanities in the “Parergon iuris libri duodecim”», Renaissance Quarterly, 56, 2003, p. 695-722, dove, tuttavia, il contenuto giuridico delle annotazioni alciatee rimane in ombra, dando una rappresentazione parziale dell’opera e del suo significato.
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Come risulta chiaro non solo per i disparati argomenti trattati, ma anche per la loro estrema brevità, che non consente di parlare di veri trattatelli in sedicesimo, come accade invece nei quasi coevi Dies geniales di Alessandro D’Alessandro, pubblicati per la prima volta a Roma, nel 1522. Si tratta di alcune lettere scritte da Bourges, del 27 e del 31 agosto 1529, del 3 e del 29 settembre 1530, del 5 gennaio e del 12 marzo 1531, tutte indirizzate a Bonifacio Amerbach, meno una, rivolta a Francesco Calvo (la terza dell’elenco); tali lettere, ben conosciute, sono state pubblicate sia nel monumentale epistolario dell’Amerbach (Alfred Hartmann [hrsg. v.], Die Amerbachkorrespondenz, Basel, 1943, n. 1372, 1374, 1467, 1486, 1508 ; manca ovviamente quella a Calvo) che nella raccolta delle lettere d’Alciato curata da Barni (Gian Luigi Barni, Le lettere di Andrea Alciato giureconsulto, Firenze, 1953, n. 54, 55, 62, 63, 66, 68). Due lettere, del 3 settembre 1537, da Pavia, e del 22 ottobre 1538, da Bologna, rivolte a Viglio van
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competenze insieme giuridiche, filologiche, letterarie e storiche, indispensabili per porsi sullo stesso piano della amplissima e polivalente cultura del giurista milanese. È verosimile ritenere che il modo di procedere tipico del nostro autore, concentrato nel raggiungimento della piena intelligenza critica del particolare e teso nello sforzo di venire a capo di ogni sia pur minima difficoltà di comprensione, abbia rappresentato una remora oggettiva all'analisi ravvicinata delle sue dense e ricchissime pagine. Lo storico odierno si trova infatti costretto a chinarsi con Alciato sui testi e a farsi anch'egli di volta in volta giurista di diritto comune, filologo, letterato umanista, storico di Roma antica, grecista, per mettere a fuoco appieno le infinite questioni interpretative, spiccatamente tecniche e sovente di circoscritta rilevanza, che appassionano Alciato. Egli è impegnato in una costante sfida che mette alla prova la sua cultura e la sua intelligenza critica, in un lavoro che non palesa alcuna reverenza aprioristica né verso le fonti classiche, né verso i nuovi «guru» dell'intellighenzia umanistica (come testimonia la polemica esemplare condotta nel De verborum significatione contro le critiche mosse da Valla ai giureconsulti romani negli ultimi capitoli del sesto libro delle Elegantiae), oltre che una totale autonomia di pensiero nei confronti della giurisprudenza tardo-medievale, che non si traduce però in sarcasmo sprezzante né in condanna aprioristica. Per cogliere appieno la «cifra» del paziente e certosino lavoro di recupero dei mille luoghi del Corpus iuris civilis fraintesi grossolanamente dai Medievali o addirittura trascurati per la loro irrimediabile oscurità si rende indispensabile un altrettanto paziente e lungo sforzo di lettura e decodifica della complessa e colta pagina alciatea, di cui troviamo infiniti esempi nei Parerga, vero deposito – allo stesso tempo – di sapienza legale e di curiosità umanistica. Come già accennato, le centinaia di capitoli che compongono l'opera sono il frutto di un lavoro di stesura e tesaurizzazione di «note a margine» e «schede14» sui più disparati temi protrattosi per molti anni, dato che in alcune lettere indirizzate a Bonifacio Amerbach e a Francesco Calvo, scritte da Bourges tra il 1529 e il 1531, Alciato riferisce di avere già pronti un centinaio di capitoli (ricordiamo che i primi tre libri, editi soltanto nel 1538, non erano molto più corposi, poiché constavano di 126 capitoli) e prospetta come imminente la loro pubblicazione, motivando poi il ritardo verificatosi nel dar corso al progetto con la necessità di disporre dell'intero materiale raccolto in precedenza, di cui una parte consistente era invece rimasta a Milano (Alciato tornerà in Italia solo nel 1533, per salire sulla cattedra di diritto civile a Pavia, restandovi fino al 1537)15. La secon-
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da parte dell'opera, costituita dai successivi sette libri (libri IV-X) sarà data alle stampe qualche anno dopo, nel 154316, mentre gli ultimi due libri (i più brevi) vedranno la luce postumi, per le cure del pronipote ed erede Francesco Alciato. In questa sede ragioni di spazio ci impediscono non solo di svolgere un’analisi ravvicinata dei molteplici temi presi in esame da Alciato nei dodici libri dello scritto che qui ci interessa ma anche di tentare semplicemente una rapida rassegna ragionata degli argomenti toccati dall’autore; dobbiamo perciò limitarci, in attesa di ritornare ad occuparci altrove con più agio di questa opera, a considerare soltanto alcuni capitoli, utili per osservare da vicino il tipo di approccio adottato dal giurista milanese e a trarre conferma delle linee interpretative complessive del suo lavoro sin qui sinteticamente tracciate. Due notazioni a mo’ di premessa ci sembrano comunque opportune: in primo luogo, i dodici libri dei Parerga presentano una impostazione sostanzialmente unitaria nell'approccio alla materia studiata, a dispetto del fatto di essere stati composti lungo un ampio arco di tempo e nonostante l'inevitabile frammentazione interna dovuta al fatto di essere stati pensati quale mero contenitore di centinaia e centinaia di interventi testuali ed approfondimenti lessicali in sé compiuti, completamente autonomi e slegati tra loro, dedicati ai più svariati argomenti; l'opera manca infatti di qualsiasi cornice unificante ed è addirittura priva di un proemio con funzione di presentazione-introduzione dell'opera, atto a dichiarare la metodologia adottata e l'intento perseguito, usualmente presente nei trattati di quest'epoca. Nonostante ciò, tra i capitoli più risalenti, composti con materiali raccolti negli anni Venti del Cinquecento, e quelli contenuti negli ultimi due libri, l'XI e il XII, apparsi postumi, non è possibile individuare una reale evoluzione metodica od un sostanziale cambiamento negli interessi di Alciato, così come non paiono mutare il tipo di approccio culturale ai problemi e lo stile espositivo. In secondo luogo, si pone il problema di tener conto di possibili rimaneggiamenti o riscritture apportati dall’autore su singoli punti tra una edizione e l’altra dei Parerga17, soprattutto con riguardo ai primi tre libri18; una ricognizione che non abbiamo ancora
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Zwichum, riferiscono dell’effettivo approntamento dell’edizione e delle prime positive reazioni all’uscita della nuova opera (ibid., n. 101 e 105). L’edizione di Basilea del 1543 comprendeva tutti e dieci i libri, mentre nel 1544 uscì comunque una edizione lionese del Griphius limitata ai nuovi 7 libri. I dati in proposito sono esposti in sintesi e con precisione da Hans Erich Troje, Graeca leguntur. Die Aneignung des byzantinischen Rechts und die Entstehung eines humanistischen Corpus iuris civilis in der Jurisprudenz des 16. Jahrhunderts, Köln-Wien, 1971, p. 3233; cf. da ultimo anche D.L. Drysdall, «Alciato and the Grammarians» (nota 13), p. 697-698. Nel presente lavoro abbiamo usato la seguente edizione: Andr. Alciati Iuriscon. Mediolan. Parergon iuris, seu obiter dictorum, liber primus, in D. Andreae Alciati Mediolanensis iureconsulti celeberrimi Operum Tomus IIII, quo Tractatus et Orationes continentur..., Basileae, apud Thomam Guarinum, anno 1582, col. 283-582. Abbiamo però tenuto presente anche il testo dell’edizione degli Opera omnia del 1617 (Francofurti, Sumptibus haeredum Lazari Zetzneri, col. 241-494) e quello rivisto dallo stesso autore, edito dall’Isingrin (ovviamente limitato ai primi 10 libri): D. Andreae Alciati Mediolanensis, Iureconsulti claris. Lucubrationum in ius civile tomus secundus, Basileae, per Mich. Isingrinium, 1546, col. 173-462; inoltre Andreae Alciati iurisconsulti Mediolanensis Parergon iuris libri III, Basileae, ex officina Nervagiana, 1538; Parergon iuris libri VII posteriores Andrea Alciato autore, Lugduni, apud S. Griphium, 1544. Come indica sin nel titolo l’edizione basileense del 1543: Parergon iuris libri X, partim nunc primum, partim multo quam antea emendati in lucem editi; è pur vero che simili formule sono sovente usate dagli
avuto modo di compiere ma che si prospetta senz’altro come necessaria, anche alla luce di quanto messo in rilievo per altri scritti alciatei19. 153
Già scorrendo gli argomenti dei capitoli dei primi libri (come abbiamo detto non dissimili in ciò dai successivi) è facile confermare la constatazione circa la curiosità onnivora e la cultura realmente enciclopedica del Nostro: davanti al lettore si presenta una variegata galleria di problemi filologici e storiografici, accanto ad altri di contenuto più strettamente tecnico-giuridico, usualmente affrontati a partire dalla analisi di una parola reperita nel Corpus iuris civilis di cui occorre chiarire il significato, correggendo l’interpretazione tradizionale offerta dai giuristi medievali. Non di rado questa operazione di «ripulitura» del testo giustinianeo dalle scorie fuorvianti di una esegesi spesso costretta involontariamente ed inconsapevolmente a lavorare di fantasia per colmare l’oggettiva ignoranza sugli usi e le istituzioni dell’antica Roma si traduce in un vero e proprio restauro testuale, operato non solo per via di congettura, ma spesso anche mediante il confronto, quando ciò sia possibile ed appaia proficuo, con testimoni manoscritti antichi, recanti sul punto una lezione diversa e migliore rispetto alla vulgata bononiensis, cioè al testo dei libri legales universalmente adottato come versione standard sulla base dell’uso invalso nella scuola di Bologna. Assai frequente è poi un allargamento di prospettiva che conduce Alciato dall’analisi di testi giuridici a quella di fonti letterarie di vario tipo, tanto poetiche quanto filosofiche o storiografiche, seguendo un percorso opposto rispetto a quello (pure talora adottato) che ci aspetteremmo da un giurista umanista: non solo l’uso dei testi letterari per comprendere il reale significato di locuzioni tecnico-giuridiche, bensì la messa a frutto di una corretta lettura del dettato di passi giurisprudenziali e legislativi antichi, tratti dal Digesto e dal Codex Iustinianus, per una migliore comprensione delle fonti atecniche, a dimostrazione del fatto che la cultura specialistica del giurista può interagire in modo fecondo e senza alcuna controindicazione con quella «generalista», anzitutto sulla scorta della intrinseca bontà del latino del diritto, secondo l’impostazione privilegiata dal Valla, che apprezzava la lingua dei giureconsulti romani soprattutto per la precisione e l'univocità del lessico e la considerava per tale motivo esemplare e degna di rinnovato studio. In altri casi Alciato, cedendo al gusto umanistico per lo sfoggio erudito di conoscenze tratte dai diversi campi del sapere, procede semplicemente giustapponendo proposte interpretative relative a testi giuridici e a testi letterari, accostati solo ratione materiae e per vicinanza di significato
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stampatori quali clausole di stile per sollecitare l'interesse dei potenziali acquirenti. Si veda in proposito Douglas J. Osler, «Developments in the Text of Alciatus’ Dispunctiones», Ius Commune, 19, 1992, p. 219-235, che documenta come Alciato in alcuni luoghi delle Dispunctiones abbia modificato la sua posizione e quindi rivisto di conseguenza il testo nel passaggio da una edizione a stampa all’altra. Nel nostro caso le diverse edizioni danno luogo se non altro ad un incremento del materiale raccolto, con l’aggiunta di nuovi libri.
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Filologia e storia: nuovi arnesi sul tavolo di lavoro del giurista culto
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ma in realtà indipendenti tra loro. Casi di tal genere sono molto numerosi: una cernita in merito (sia pure eseguita sulla semplice base dei titoli esplicativi premessi ai vari capitoli e dunque verosimilmente approssimata per difetto), ci ha consentito di individuare circa sessanta capitoli20 nei quali la restituzione del corretto significato di una parola o di una locuzione viene espressamente usata anche per correggere, spiegare e chiarire (emendare, explicare e declarare sono infatti i termini usati) molteplici luoghi reperibili in opere non giuridiche (gli autori richiamati sono i più disparati, a conferma della cultura vastissima dell'Alciato; tra i tanti, ricordiamo Virgilio, Ovidio, Persio, Gellio, Orazio, Marziale, Stazio, Giovenale, Seneca, Ennio, Tacito, Svetonio, Plinio, Cicerone, oltre all’amato ed onnipresente Plauto, senza peraltro dimenticare i Greci, sia pure in misura molto minore: tra questi Omero, Aristotele, Diogene Laerzio). Un simile dato non è evidentemente neutro, ma rappresenta la dimostrazione che la cultura alciatea non si riduce a mera erudizione fine a sé stessa, bensì fornisce elementi utili per l'interpretazione del mondo classico non meno che per elaborare una proposta culturale forte per l'Europa del xvi secolo: l'indicazione ricavabile dall'attento setaccio delle fonti antiche compiuto dal giurista umanista riguarda la centralità del sapere giuridico, che non rimane appartato negli scritti degli specialisti, ma che circola ampiamente nella cultura di Roma antica, rappresentando un elemento ben presente nella formazione delle classi colte, come rivela l'ampio impiego di lemmi e concetti tecnico-giuridici da parte di poeti, commediografi, storici, enciclopedisti, filosofi, che vi ricorrono nella convinzione di dare precisione e chiarezza al loro dettato, evidentemente confidando nella diffusa conoscenza di quel patrimonio lessicale e concettuale anche da parte del pubblico dei loro lettori. Potrà essere utile fornire rapidamente, in ordine sparso ed asistematico (così come procede l'autore stesso, senza seguire alcun filo logico evidente), qualche esempio di tali frequentissime sortite alciatee nel terreno di competenza dei letterati, peraltro talora operate senza una vera necessità, ma unicamente per il gusto di sciogliere, in virtù della propria dottrina, ambiguità semantiche e difficoltà interpretative fino a quel momento rimaste insolute. Ciò accade al cap. 30 del II libro21, dove Alciato propone di correggere il termine stemmata (nella locuzione stemmata cognationum) che apre il frammento di Paolo riportato in D.38,10,9, con schemata, parola di derivazione greca significante immagine, resa in latino con forma, a suo avviso desumibile dalla lettura dei codici antichi (legendum enim ex antiquis codicibus) e ben più adatta a designare l’arbor graduum recante le immagini delle diverse relazioni di parentela rispetto all’altra, che in greco vuol dire «corona» e che risulta del tutto fuori contesto (naturalmente per chi conosce il greco, in quanto latore di una cultura aggiornata ed ampliata rispetto a quella medievale: a sostegno si citano infatti passi di Omero e della prima lettera di Paolo ai Corinzi). Anche
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Ecco di seguito l’elenco, certo suscettibile d’integrazioni: I, 6; 16; 26; II, 6; 16; 30; IV, 4; 6; 13; 14; 16; 17; 18; 21; 26; 27; V, 4; 6; 8; 18; 21; 22; VI, 2; 3; 4; 5; 7; 11; 12; 21; 22; 23; VII, 4; 6; 12; 13; 16; 21; VIII, 4; 5; 8; 12; 13; 14; 21; 22; IX, 4; 6; 7; 17; 22; 24; X, 6; 10; 14; 23; 25; XI, 3. II, 30: Schemata cognationum, non stemmata dicendum esse: et Plauti in Amphitruone locus explicatus.
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VI, 7: Venter quot modis et a iureconsultis et a veteribus autoribus accipiatur et declaratum Plauti carmen. VII, 6: De iure asyli declaratae aliquot leges, tum Virgilii, Ciceronis, Aristotelis, Ovidii loca explicata et nonnulla de gladio Delphico. Si tratta di un istituto di grande rilevanza, pratica e teorica, sia nel Medioevo che nella Modernità: cf. in merito Carlotta Latini, Il privilegio dell’immunità. Diritto d’asilo e giurisdizione nell’ordine giuridico dell’età moderna, Milano, 2002.
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altri autori usano stemmata (Plinio, Svetonio, Giovenale) sed ego [sostiene Alciato] fere arbitror ubique corruptam a recentioribus eam vocem. Per pura associazione d’idee, il riferimento a schema nel significato di immagine induce il Nostro a richiamare un passo del prologo dell’Anfitrione (117) di Plauto (a proposito del quale polemizza con Donato sulla lezione corretta da adottare), che risulta chiaro solo a patto di conoscere il costume romano di esibire durante i funerali di personaggi illustri le raffigurazioni degli antenati (come attestato da Plinio e Tacito), in base ad uno ius imaginum spettante soltanto ai nobili, cioè a quelle famiglie i cui membri avevano ricoperto delle magistrature (cosicché Cicerone, di famiglia equestre, lo acquistò solo una volta divenuto edile). Verifichiamo dunque qui l’importanza della conoscenza della storia, unita a quella della lingua greca, per la comprensione dei testi antichi, siano essi giuridici o letterari. Ricordiamo pure il capitolo dedicato nel libro VI ai diversi significati del termine venter presso gli autori antichi e nelle compilazioni giustinianee22: anche qui si accostano fonti giuridiche e letterarie senza che possa scorgersi tra loro alcun rapporto diretto, ma solo per completezza di trattazione; si elencano infatti i diversi modi di usare il lemma categorizzandoli in base alle figure retoriche impiegate, passando dalle norme che usano ventre in senso metonimico come sinonimo di feto al frammento di Alfeno (D.8,5,17,pr.) che ricorrendo ad una metafora indica come venter la parete interna che separa due abitazioni, al luogo plautino del Trinummus (422-424) che impiega ventre per metalepsi, al posto di casa (poiché il figlio in assenza del padre aveva venduto la casa e si era mangiato il ricavato, il padre al ritorno avrebbe dovuto trovare riparo nel ventre del figlio), oppure al passo dell’Asinaria (51), per designare il luogo interno e riparato della nave dove i marinai possono riposare (anche se qui in verità Plauto ricorre a gasteria, cioè al calco della parola greca corrispondente a ventrale). Nel cap. 6 del settimo libro, dedicato al diritto d’asilo23, il collegamento contenutistico emerge stavolta con chiarezza, in chiave di comparazione tra scelte normative di epoche ed ordinamenti diversi: una novella di Giustiniano (Nov. XVII,7 = Coll. III,4) vieta di offrire asilo agli omicidi ed ordina ai governatori delle provincie di non concedere loro rifugio nei luoghi sacri e di non fornir loro alcun salvacondotto; il diritto canonico invece adotta una linea opposta (cfr. il cap. Inter alia, nel tit. De immunitate ecclesiarum: X,3,49,6) e prevede l'immunità per qualunque malfattore si rifugi in una chiesa (con pochissime eccezioni: publicis latronibus, aut nocturnis depopulatoribus exceptis), ritenendosi che la prescrizione del cap. XXI dell’Esodo si applichi soltanto ai delitti di omicidio aggravato24; nella convinzione che ciò offra esca alla commissione dei reati e precostituisca una comoda via di fuga per i criminali, molti giuristi si sono pronunciati contro i canoni pontifici, anche se, in verità,
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gli antichi Greci paiono aver adottato la stessa scelta fatta dalla Chiesa: si cita la storia di Oreste, rifugiatosi nel tempio di Apollo per sfuggire alle Furie, tramandata da Euripide e da Virgilio, ma anche quella di Pausania, accusato di tradimento e rifugiatosi nel tempio di Pallade, costretto alla morte per fame dopo che fu ostruita ogni uscita, secondo il racconto di Emilio Probo (alias Cornelio Nepote). Per associazione d’idee il capitolo contiene anche una digressione sul gladius Delphicus. Interessante appare anche il cap. 4 del libro VIII25, dedicato al chiarimento di un passo di Pomponio (D.34,2,21) nel titolo dedicato al legato di oggetti di particolare valore, De auro argento mundo ornamentis unguentis veste vel vestimentis et statuis legatis, dove in relazione al lascito di vasi d'argento atti alla preparazione delle bevande si esemplifica citando un non meglio precisato né conosciuto columnarium, identificato da Accursio con un tipo di vaso dal collo stretto a forma di colonna, da cui avrebbe potuto derivare la denominazione usata dal giurista romano. Appare tuttavia evidente che una simile forma non si adatta alla destinazione dichiarata (Accursius columnarium interpretatur engasteriam, quae collum simile columnae habet: sed huiusmodi vas potius ad bibendum, quam ad praeparationem bibendi pertinet) e ciò spinge Alciato, con puntiglio e pazienza, a riconsiderare il problema, pur di rilievo in fondo trascurabile, cominciando con il verificare la correttezza del testo tràdito; in effetti, i manoscritti più antichi (dunque presumibilmente anteriori almeno alla metà del XIII secolo, quando si fissa il testo della Glossa accursiana e di conseguenza anche il tenore dei frammenti romani ai quali le glosse si riferiscono) conservano una lezione molto diversa e verosimilmente più attendibile: Antiqui codices colum nivarium habent, ut puto castigatius (lezione in effetti poi adottata dal Mommsen per la sua edizione critica), anche se di non immediata intellegibilità. Si sarebbe trattato di contenitori d'argento destinati ad essere riempiti di neve e dotati di fori in modo che la neve sciogliendosi colasse sul vino e lo rinfrescasse, nei mesi estivi. Anche Plinio (Hist. nat. XIX,55) parla di questo tipo di vaso, denominandolo appunto colum nivarium e descrivendone la funzione. Dal canto suo Marziale (XIV,104) ci informa che i più poveri, non disponendo di recipienti d'argento, cercavano di supplire con sacchi di lino. Dopo aver notato che anche i nomi degli unguenti citati nel prosieguo del frammento appaiono distorti, l'attenzione dell'Alciato si appunta sul lemma aquinimarium, parimenti non chiaro, da intendersi a suo avviso come quasi aquae heminarium, laddove l’emina era un contenitore di grosse dimensioni26. Altrettanto rivelatore del metodo adottato risulta il cap. 12 dello stesso libro ottavo27, dedicato a restituire il vero senso del termine opinatores, impiegato in alcune costituzioni tramandate dal Codex (tra esse C.12,37,11); tale lemma indica, come risulta dal dettato della costituzione di Arcadio ed Onorio del 401 d.C., gli esattori dell’annona militare, i quali venivano inviati ad officium provinciale con il compito di stimare il fabbisogno dell'esercito.
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VIII, 4: Quid sit colum nivarium: quid aquaeminarium, lex Pomponii explicata, et Martialis carmen declaratum. Il dotto excursus elenca, oltre a Plinio e Marziale, Ateneo, Dioscoride, Nonio Marcello. VIII, 12: Opinatores in iure qui sint: qui dicantur opinati; declaratus Ennii locus, et a Gellii accusatione defensus.
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Il riferimento all’uso di manoscritti antichi, recanti lezioni diverse da quelle divenute canoniche nella vulgata bononiensis, è costante da parte di Alciato. Ciò ha indotto gli storici ad interrogarsi su quali potessero essere in concreto tali testi (Cf. e.g. H. E. Troje, Graeca leguntur [nota 16] p. 23-24), ma crediamo che la domanda sia destinata a rimanere senza risposta certa, allo stato delle nostre conoscenze. X, 14: Servi obsonatores qui sint, adversus Accursium et Plautus in Menaechmis declaratus. Le edizioni moderne (Cf. T. Macci Plauti Comoediae, recognovit brevique adnotatione critica instruxit W.M. Lindsay, Oxford, 1952) riportano invero una lezione diversa: Nunc opsonatu redeo.
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Venuta meno la comprensione dell'ufficio di tali funzionari, il testo originale nel tempo era però stato alterato, sino a sostituire ad opinatores la parola optiones, del tutto errata e fuori contesto, andando contro il dettato degli antichi manoscritti, ancora disponibili e positivamente visionati anche su questo punto dal Nostro (lectionem immutaverint [...] contra antiquorum codicum, quos ego viderim, fidem). La segnalazione della necessità di restaurare nel senso suddetto il testo del Codex, con la relativa spiegazione (che giunge alla verifica filologica sui testimoni più antichi ed affidabili28, ma parte dalla insoddisfazione del giurista/storico per il significato usualmente attribuito ai passi corrotti) dovrebbe chiudere il discorso; invece, inopinatamente, Alciato passa ad occuparsi di una questione contigua ma diversa, priva di qualsiasi contenuto giuridico, poiché la sua attenzione si sposta sul significato di opinari, cioè «valutare», «stimare», e quindi sul lemma opinatus, usato come sinonimo di stimato cioè, ove riferito ad una persona, di «uomo di grande autorità» (appellativo molto usato – come ci narra l’autore – dal suo antico precettore Aulo Giano Parrasio). Ciò gli offre il destro di riconsiderare un passo di Gellio (XI,4) nel quale si criticava un punto della traduzione di un passo dell’Ecuba di Euripide fornita da Ennio, dove l’erudito dell’età antonina leggeva erroneamente opulenti (contrapposto ad ignobiles), mentre la lezione enniana corretta, anche per stringenti ragioni di metrica, come rileva puntigliosamente il nostro giurista, era opinati: in tal modo viene stabilita la vera lezione del passo di Ennio e si possono rigettare le immotivate critiche di Gellio. Non meno significativo il pur brevissimo cap. 14 del libro X29, dove Alciato rimprovera Accursio per non aver compreso (in D.32,65,pr.) il significato di servi [...] obsonatores (ricondotto erroneamente dal glossatore a quegli schiavi che vegliano sul sonno del loro padrone, ovvero che suonano e cantano per il padrone intorno alla mensa). Tipico del metodo alciateo è il fatto che per confermare la corretta interpretazione del lemma (che rimanda al ruolo dello schiavo incaricato di acquistare i cibi per la cucina, in parallelo al cubicularius) l’autore citi un passo dei Menaechmi plautini (288), al contempo emendandolo, dato che la lezione corrente risulta priva di senso (est autem vulgo corruptum Plauti carmen, et pro “obsonator adeo” legitur: “ipsi naturae deo”)30: si ha così l’ennesima riprova della capacità e della volontà di applicare il medesimo metodo tanto ai testi giuridici quanto a quelli letterari, applicando di volta in volta gli esiti della lettura degli uni agli altri, con grande perizia e totale disinvoltura, postulando l’assenza di qualsiasi steccato divisorio tra fonti tanto diverse e lontane. Esempi minimi, relativi a passi di nessuna speciale rilevanza, sui quali Alciato si sofferma solo il tempo necessario, ma che ci rivelano nel modo più chiaro il tipo di approccio adottato ed il genere di risultati perseguiti.
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Anche i testi letterari vengono rivisti alla luce di quelli tecnici, per annotare all’occorrenza inesattezze e fraintendimenti, o anche soltanto per sottolineare il frequente impiego metaforico della terminologia giuridica; un esempio di ricava dal cap. 6 del libro X31, dove Alciato lamenta gli esiti non molto felici di tali imprestiti, eccettuata soltanto la prosa di Cicerone, citando a riprova la dubbia perspicuità del riferimento a ben precisi istituti processuali in un passo del libro IX dell’Asino d’oro di Apuleio (IX,27); in esso un marito si rivolge al giovane amante della moglie dichiarando di voler esperire l’actio communi dividundo per ottenere la divisione giudiziale della comunione e godere dunque anch’egli delle grazie del ragazzo, piuttosto che l’actio familiae erciscundae, volta a chieder la divisione dell’asse ereditario indiviso e quindi, fuor di metafora, a riottenere per sé in esclusiva la moglie; non meno significativo l’esempio dell’epigramma 92 di Ausonio, dedicato al giureconsulto che sposa un’adultera, nel quale si citano alcune leggi per riferirsi icasticamente al loro contenuto: egli apprezzerà la lex Papia (de maritandis ordinibus, promulgata sotto Augusto) ma purtroppo dovrà anche subire la lex Iulia (de adulteriis coërcendis, ugualmente voluta da Augusto per reprimere la piaga delle relazioni adulterine) e dovrà temere la lex Scatinia (destinata a sanzionare i rapporti omosessuali)32, ma il contestuale riferimento alla lex Titia, che vietava agli avvocati di ricevere doni, sembra inappropriato, poiché ad id argumentum non pertinet. Spigolando tra le pagine dei Parerga non è difficile, peraltro, trovare anche capitoli volti a chiarire questioni di un certo rilievo sotto il profilo strettamente giuridico. Si pensi al cap. 6 del primo libro33, dedicato a fissare la differenza tra fama e rumor. In proposito, Bartolo ha chiarito bene le due nozioni, contigue ma diverse: fama, inquit Bartolus, est communis opinio, voce manifestata, ex suspitione proveniens, rumorem vero communem non esse opinionem, sed variam quandam susurrationem; su questa base, i giuristi danno meno credito ed importanza al secondo, quale mera voce diffusa copertamente e priva di qualunque riscontro, rispetto alla prima, fondata su un sospetto preciso che ha preso corpo e che, passato di bocca in bocca, è divenuto opinione condivisa dai più. Alciato non si accontenta però della pur nitida posizione bartoliana e non può esimersi dal notare che le fonti romane non paiono fare molta differenza tra i due lemmi, distinti al massimo in base al fattore tempo, riconnettendo cioè la fama ad un’opinione radicatasi nel tempo ed il rumor ad una voce recente. Un altro esempio è dato dal cap. 16 del I libro nel quale analizza la distinzione tra liberti dedititii, altri che disponevano dello status di Latini e liberti che erano cives Romani34. Sulla scorta di testi tratti dalle Istituzioni di Gaio, dal Codice di Giustiniano, dal Codice Teodosiano, 31 32 33 34
X, 6: Quid sit apud Apuleium, non familiae erciscundae, sed communi dividundo agere et Ausonii epigramma declaratum. La legge risulta citata da Cicerone (fam. 8,12,3; 14,4), Svetonio (Domit. 8,3), Giovenale (2,43), Tertulliano (De monog. 12,3). I, 6: Quid sit fama, quid rumor. Et ut plerunque falsa haec sint, Vergilii Ovidiique carmen expositum. I, 16: Qui sint liberti dedititii, qui Latinae conditionis, qui item cives Romani; Persii, Plinii, Tacitique loca declarata.
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II, 15: Dominium in iure quot modis accipiatur. Giustamente R. Abbondanza, «Alciato, Andrea» (nota 1), p. 74 ha posto in rilievo il conseguimento di un solido «equilibrio tra ragione giuridica e ragione storico-filologica»; noi stessi abbiamo in passato sottolineato che nell’Alciato l’attività di riforma del metodo tradizionale mediante l’innesto del sapere umanistico era stata «[...] ispirata ad una idea di rinnovamento nella continuità, nel tentativo di conciliare le ragioni della filologia con quelle della giurisprudenza» (Giovanni Rossi, «Duplex est ususfructus». Ricerche sulla natura dell’usufrutto nel diritto comune. II. Da Baldo agli inizi dell’Umanesimo giuridico, Padova, 1996, p. 228). Dominium, inquit Bartolus, est ius de re corporali perfecte disponendi, nisi legis vel testatoris adsit prohibitio. Aliud autem est directum, aliud utile, quale est quod emphyteuta, vel perpetuarius cliens habet. Sed praeter hanc distinctionem in iure etiam alias species invenire est [...]: Parergon, II, 15. Di questo passo e della raffinata tecnica alciatea ci siamo già occupati: G. Rossi, «Duplex est ususfructus» (note 36), p. 243-249; cf. anche Paolo Grossi, «La categoria del dominio utile e gli homines novi del quadrivio cinquecentesco», Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, 19, 1990, p. 209-242, specie p. 227-229. Il tema in verità è di somma rilevanza per l’esperienza giuridica medievale
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dalle Pauli Sententiae, l’autore distingue i tre tipi di liberti anzitutto in base al modo in cui acquistano il loro diverso status, procedendo poi ad elencare i diversi contenuti nei quali si risolve la loro capacità d'agire (ad es. dedititii e Latini sono privati della testamenti factio attiva e passiva). Fissati tali presupposti, diventa semplice chiarire al meglio tre passi di Persio, Tacito e Plinio il Giovane nei quali ricorre a diverso titolo tale cangiante nozione. Il capitolo relativo alla ricognizione dei molteplici significati del lemma dominium reperibili nel Corpus iuris civilis (lib. II, cap. 1535) appare molto significativo per intendere come l’approccio filologicamente rigoroso ai testi classici perseguito da Alciato sia tuttavia accompagnato e smussato dalla precisa scelta di non adottare una linea di censura radicale del metodo dei giuristi medievali e degli esiti della loro interpretatio36. Di fronte alla costruzione medievale della teoria del dominio diviso, totalmente priva di basi testuali nel diritto romano, il Nostro non può esimersi dal denunciare tale mistificazione e l’eloquente silenzio delle fonti in proposito; egli è peraltro consapevole della portata potenzialmente dirompente della rimozione del concetto di un dominio scomponibile in species diverse e ripartibile in capo a soggetti diversi, titolari del dominio diretto ovvero di quello utile. La soluzione adottata è dunque quella di negare la fondatezza della teoria medievale, ma al contempo di diluire tale negazione nel riscontro sulle stesse fonti di una insospettata polisemia del dominium, utilizzato con significati distinti ai fini più disparati37; in tal modo quella partizione medievale viene implicitamente ma palesemente depotenziata e ridotta ad una tra le molte che hanno trovato accoglienza nel diritto romano. Abbiamo dunque il dominium in spe del presunto futuro erede (D.28,2,11), quello per anticipationem della moglie sulla propria dote (C.5,12,30,pr.), nell’eventualità non remota che ne giunga in possesso restando vedova, potendo vantare un diritto più forte rispetto a quello del filiusfamilias (D.2,8,15,3); quello imaginarium della vedova indicata nel testamento maritale dominam et usufructuariam (auth. Hoc locum, C.5,10), puramente virtuale poiché la consuetudine le impedisce di disporre dei beni del marito, quello di natura pubblicistica spettante al principe ovvero allo stato, che si identifica con la maestà sovrana (D.49,15,7,1). Un ventaglio ampio in cui il dominio utile perde fatalmente rilievo, diventando una tra le tante species previste38 e questa è la premessa necessaria che consentirà nel giro di pochi anni di conte-
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starne radicalmente la fondatezza e la configurabilità, ad opera di autori capaci di mettere a frutto originalmente la lezione alciatea, quali Jacques Cujas. Certamente, dal punto di vista quantitativo, sono prevalenti le numerosissime questioni di taglio dichiaratamente erudito-filologico, sempre originate tuttavia da un quesito di natura giuridica e senz’altro utili anche per il legista; possiamo ricordarne alcune, tratte e.g. dal libro II: il cap. 10 riguarda la nozione di reus e di reatus39; il chiarimento appare necessario perché, come nota Alciato, presso le fonti antiche (tecniche, come Pomponio (D.45,1,5,pr.), ovvero letterarie, come Cicerone nel De oratore) il termine reus viene impiegato nel significato generico e neutro di soggetto agente ed in particolare di soggetto che pone in essere un negozio giuridico, in ambito civilistico (ci si riferisce all’autore per via di convenzione di una stipulatio, ad es., ovvero di una promissio). Nondimeno, anche colui che viene incolpato di un crimine capitale si denomina reus ed è possibile citare una serie di luoghi dove ricorre l'accezione penalistica di reus e reatus. Il cap. 16 è dedicato alla ricerca di un criterio oggettivo per distinguere tra mentecaptus e furiosus40. Il punto di partenza è il disposto di una delle leggi delle XII tavole (Tab. 5.7a) che stabiliva che gli agnati e, in subordine, i membri della gens acquistassero la disponibilità del denaro di proprietà del furioso insieme alla potestas su di lui41, con il conseguente quesito posto dall'interprete circa l'applicabilità di tale disciplina anche al mentecatto, solo in parte risolto dal cap. 23 del I libro delle Institutiones di Giustiniano, che prevede anche per il secondo la necessità di un curator. Per dare una risposta adeguata occorre però anzitutto definire le due situazioni e capire in che cosa differiscano; la spiegazione corrente indica nell'uno un soggetto che tende a dare in escandescenze, dando così a vedere la sua malattia mentale, mentre l'altro si mostra sostanzialmente calmo e non fa trapelare dal suo comportamento alcun evidente segno esteriore di follia. Alciato però, insoddisfatto di una distinzione puramente sintomatica, ne propone una meno estrinseca, basata piuttosto su una più attenta analisi dei due stati mentali e della loro eziologia e fondata sulla rivisitazione dell'insegnamento di Galeno e di Plinio il Vecchio. Il mentecatto per Alciato sarebbe colui nel quale la parte razionale dell'anima è fortemente indebolita, talora anche in conseguenza di una malattia del corpo, come nel caso del frenetico, nel quale la patologia insorge a seguito di attacchi febbrili (qui, accantonate momentaneamente le fonti mediche e scientifiche, Alciato si affida ad Ulpiano, citando alla lettera il frammento riportato in D.21,1,1,9).
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e moderna ed Alciato torna su di esso anche altrove: cf. Andreae Alciati Commentaria in aliquot titulos et leges Digesti Novi, ad l. XV, Rem quae nobis, §. Differentia, ff. de acquirenda vel amittenda possessione, nn. 10-11-12, in Eiusd. Lucubrationum in ius civile et pontificium tomus VI..., Basileae, 1571. II, 10: Quid sit reus, quid reatus et aliqua responsa veterum explicata. II, 16: Quid mente captus a furioso distet, et locus Plinii emendatus. Il tema delle conseguenze giuridiche della malattia mentale è stato ampiamente studiato dai romanisti: basti qui citare Enzo Nardi, Squilibrio e deficienza mentale in diritto romano, Milano, 1983; Oliviero Diliberto, Studi sulle origini della ‘curia furiosi’, Napoli, 1984; Carlo Lanza, Ricerche su furiosus in diritto romano, Roma, 1990.
Alciato osservatore critico del mondo giuridico coevo Se la gran parte delle annotazioni alciatee è rivolta alla esplicazione di passi del Corpus iuris civilis ed al restauro testuale delle antiche leggi, con un’attenzione costante a valorizzare il significato propriamente giuridico di tale attività, i pur rari capitoli dedicati nei Parerga a temi più direttamente connessi all’attualità aprono squarci di grande interesse sulla professione giuridica del suo tempo e rivelano una spiccata capacità dell’Alciato di osservare con distacco critico il mondo di cui egli stesso fa parte, fornendo se del caso un giudizio molto severo su alcuni aspetti non marginali. Segnaliamo in particolare due capitoli, che danno conto della disincantata capacità di lettura dei suoi tempi esibita dal Nostro. Nel cap. 26 del V libro44 egli si sofferma sulla figura di Giason del Maino (1435-1519), professore e giurista di primo piano attivo tra la fine del ’400 e l’inizio del secolo successivo, maestro dello stesso Alciato a Pavia; nella pur breve trattazione il nostro autore non si concede a ricordi autobiografici né traccia un ritratto umano del grande legista, su cui pure in più occasioni si è espresso con parole lusinghiere bensì, dopo averlo indicato senza esitazioni quale potissimum interpretem ed aver respinto con fastidio le accuse di quanti considerano tale giudizio viziato da parzialità per la familiarità che lo aveva legato a Giasone, ci offre un’analisi spassionata circa l’oggettiva influenza esercitata da questi sulla scienza giuridica e soprattutto sulla professione legale della sua epoca. L’insigne giurista viene indicato come
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II, 49: Quis Nicostratus rhetor fuerit, cuius in Papiniani responso mentio est. L’edizione critica del Mommsen in effetti ha accolto la lezione della Florentina e reca Nicostratum rhetorem. V, 26: Quae tria maxima Iason studiosis praestiterit: et quaedam ad eius laudem pertinentia.
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Confermando il suo interesse per le istituzioni politiche ed il diritto pubblico di Roma antica manifestato in molte opere, Alciato si sofferma spesso anche su quesiti di ambito lato sensu pubblicistico, risolti in virtù della sua acribia filologica e della conoscenza della storia antica, come nel caso paradigmatico del cap. 49 del libro II42: un responso di Papiniano (D.39,5,27) reca memoria di un’epistola di Aquilio Regolo il Giovane nella quale ringrazia un non meglio identificato pretore Nicostrato, quoniam me eloquentia tua meliorem fecisti e gli preannuncia un dono. Mentre gli interpreti medievali hanno cercato di spiegare (in modo palesemente insoddisfacente, dato il divieto di compiere atti di liberalità posto in linea generale da una costituzione di Giustiniano: C.1,53,1) la liceità del donativo al presunto magistrato a titolo di remunerazione, il giurista umanista supera brillantemente la difficoltà congetturando la sostituzione di praetorem con praeceptorem oppure (come risulta nella littera Florentina) con rhetorem43. Alciato infatti è in grado di collocare con esattezza nel tempo e nello spazio un Nicostrato retore, di origine macedone, attivo sotto Caracalla e quindi al tempo di Papiniano, il quale insegnò con successo a Roma e fu autore di orazioni in lode dell’imperatore e di altre opere, come riporta la Suida, lessico enciclopedico di nuovo utilizzato dagli umanisti per trarne informazioni sull’Antichità.
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un personaggio di spartiacque ed Alciato esprime con efficacia e cognizione di causa l’idea di un «prima» e di un «dopo» determinati dalla sua opera sotto tre diversi profili (Praestitit certe Iason nobis omnibus tria maxima): egli ha saputo per un verso interpretare le esigenze della prassi coeva, svolgendo in merito ai vari istituti un’opera di ricognizione delle opinioni espresse dalla dottrina sui singoli punti controversi e giungendo ad una benemerita semplificazione fondata sul ricorso alla communis opinio doctorum45; per altro verso è stato capace, con la sua indiscussa autorevolezza, di accrescere in modo molto significativo la remunerazione dei giureconsulti, sia come professori che come estensori di consilia, a dimostrazione dell’importanza riconosciuta alla loro opera ed al loro ruolo. Ancor più significativo e certamente più noto46 è il contenuto del cap. 12 dell’ultimo libro47, pubblicato postumo nell’opera omnia alciatea; in esso l’autore si scaglia contro quei giureconsulti che raccolgono e danno alle stampe i propri consilia (o responsa, come ormai vengono indicati con termine umanistico), criticandone l’avidità e la spregiudicatezza che li induce a rendere un pessimo servizio alla scienza ed alla verità. Alciato rivendica infatti di non aver mai voluto accogliere le richieste rivoltegli con insistenza di pubblicare i propri pareri legali48, essendo pienamente consapevole che si tratta di scritti rivolti alla prassi, privi di dignità scientifica, che vengono stesi dai giuristi solo perché lautamente remunerati; una disamina obiettiva della materia non può che sfociare in una condanna senza appello per quanti prostituiscono il proprio sapere per sete di danaro e, a maggior
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Ante illum, si quis certam alicuius quaestionis definitionem scire desiderabat, eum oportebat, propter veterum confusionem, per multa volumina versari, plurimum temporis incassum conterere; ipse hoc nos taedio liberavit, summo ordine omnium sententiis in unum congestis, et communi opinione mira facilitate explicata. Il passo conferma e circostanzia il giudizio che la storiografia giuridica ha tradizionalmente formulato su Giasone, i cui scritti sono ritenuti importanti non tanto per l’originalità delle sue tesi, quanto per la completezza e l’affidabilità dell’informazione ordinatamente esibita sulle posizioni dottrinali di predecessori e contemporanei. La tesi sostenuta e gli argomenti usati per corroborarla fecero scalpore tra i contemporanei, in ragione dell’autorità di cui godeva Alciato; gli echi di tale polemica durarono a lungo, tanto da indurre qualche decennio dopo Tiberio Deciani, rispettato docente dello Studium patavino, a fornire nel 1579 una lunga ed argomentata risposta, la Apologia pro iurisprudentibus qui responsa sua edunt, nel mentre che si apprestava a sua volta ad editare i propri consilia. In proposito cf. Biagio Brugi, «Un biasimo e un’apologia dei pareri legali dei nostri antichi professori», in Id., Per la storia della giurisprudenza e delle università italiane. Nuovi saggi, Torino, 1921, p. 97-110; Gian Luigi Barni, «L’attività consulente dei giureconsulti in un’opinione di Andrea Alciato», in Studi in onore di Carlo Castiglioni prefetto dell’Ambrosiana, Milano, 1957, p. 31-45. Antonio Marongiu, «Tiberio Deciani (1509-1582), lettore di diritto, consulente, criminalista», Rivista di Storia del Diritto Italiano, 7, 1934, p. 135-202 e 312-387: 166-202; Friedrich Schaffstein, Zum rechtswissenschaftlichen Methodenstreit im 16. Jahrhundert. Die „Apologia pro iurisprudentibus qui responsa sua edunt“ des Tiberius Decianus (1953), ora in Id., Abhandlungen zur Strafrechtsgeschichte und zur Wissenschaftsgeschichte, Aalen, 1986, p. 227-246; da ultimo Giovanni Rossi, «Teoria e prassi nel maturo diritto comune: la giurisprudenza consulente nel pensiero di Tiberio Deciani», in M. Cavina (a cura di), Tiberio Deciani (1509-1582). Alle origini del pensiero giuridico moderno, Udine, 2004, p. 281-313. XII, 12: An publicae utilitati conducant iurisconsultorum responsa, quae vulgo consilia vocant, et Pauli Pici hac in re sententia, multorumque suggillati mores et duo prima Alexandri consilia confutata. Rogaverunt me non semel operae impressoriae, ut consiliorum meorum, quae vulgo consultoribus reddere soleo, copiam eis facerem, hacque in re Decii exemplum imitarer, qui constituto in folia certo pretio coacta in unum singulis lustris publicanda typographis tradebat. Respondi, gratis me id facturum, si ex re studiorum existimarem esse ut ea divulgarentur. Verum non satis adhuc mihi constare, quid conducibile atque ex usu esset.
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Alciato enumera tutti i metodi e gli espedienti usati dai vari giuristi per raggiungere il risultato di dar ragione ai clienti pur senza potersi fondare su solide basi legali, fino al punto di alterare i fatti della causa, accertati in giudizio, per farli collimare con la soluzione proposta, che risultava così de iure corretta, ma inadatta al caso sottoposto e quindi inutile: Sanazarius ne clientem absque responso dimitteret aliquid ex facti specie mutabat, satisque habebat, si consilium suum recte secundum ius procederet; nec multum curabat quod propter facti mutationem nil clienti prodesset (l’accusa è rivolta contro Gianfrancesco Sannazari della Ripa (1480 ca.-1535), rinomato professore seguace del mos italicus, collega di Alciato (e da questi invero poco stimato, come risulta dall’epistolario) ad Avignone e poi ancora a Pavia.
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ragione, per coloro che traggono ulteriori benefici economici con la diffusione a stampa di consilia che violano qualsiasi criterio di onestà scientifica e d’imparzialità, poiché sposano smaccatamente le tesi della parte che ha commissionato il parere e sostengono di volta in volta, di fronte a fattispecie in tutto analoghe49, soluzioni opposte a seconda dell’interesse del cliente nella causa in corso. La riflessione dell’Alciato, con il richiamo forte al rispetto di basilari regole deontologiche troppo spesso calpestate per il perseguimento del proprio tornaconto da avvocati e professori, si trasforma così in un j’accuse rivolto contro l’intero ceto giuridico, chiamando in causa esplicitamente alcuni dei suoi più autorevoli esponenti. Alessandro Tartagni (di cui si sofferma a dimostrare in fine l’erroneità delle tesi sostenute in due consilia, a definitiva riprova della fondatezza della sua censura), Pietro Paolo Parisio, Filippo Decio, Bartolomeo Socini, Carlo Ruini sono tutti accomunati in una condanna senza attenuanti, che coinvolge un milieu più sensibile al richiamo del denaro che alla ricerca senza compromessi della verità. Schierandosi apertamente contro il malcostume diffuso su un aspetto molto rilevante della professione legale Alciato dà prova di onestà intellettuale e di rigore morale non comuni, accettando in tal modo anche di rinunciare ad una notevole fonte di guadagno (nonostante sia stata spesso messa in rilievo – e sottoposta a critica – l’estrema attenzione da lui posta per la cura dei suoi interessi economici nelle trattative con le autorità accademiche, condotte con puntiglio per ottenere condizioni più vantaggiose e lauti compensi). In conclusione, Andrea Alciato, nei primi decenni del Cinquecento, traccia precocemente la strada del superamento di quella sorta di «splendido» isolamento – sempre più claustrofobico e somigliante ad una prigione, per quanto dorata – nel quale il giurista si era trincerato, nutrito di un immotivato senso di superiorità e di un’illusoria presunzione di autosufficienza rispetto al sapere «generalista» riproposto dagli umanisti, e si impegna nella dimostrazione puntuale dell’enorme giovamento che la comprensione delle norme romane (ma anche di quelle degli ordinamenti consuetudinari medievali) può trarre dall’allargamento di orizzonte determinato dallo studio delle humaniores litterae, con una sicura ricaduta positiva anche per il lavoro quotidiano del professore, del giudice, dell’avvocato, del funzionario. L’opera alciatea dimostra che la messa a punto di strumenti interpretativi più affinati e affidabili, l’elaborazione di teorie più solidamente fondate, la configurazione di istituti giuridici nuovi o rinnovati, adeguati ad una società in rapida trasformazione, sono obiettivi raggiungibili soltanto con la dismissione di quello che gli umanisti bollano apertamente come un anacronistico residuo del dogmatismo scolastico medievale e con l’abbandono di metodi d’indagine ormai esauriti e superati. La lettura con occhi nuovi
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delle vestigia del patrimonio classico da parte degli umanisti ha determinato un oggettivo arricchimento di conoscenze che non può lasciare indifferenti i giuristi ed indica la via di una riforma del loro sapere che promette di produrre un grande impatto ed effetti concreti rilevantissimi ove sia applicata al diritto ed in particolare allo studio del Corpus iuris civilis. La via è stata segnata, il metodo elaborato, il lavoro avviato: altri seguiranno quell’esempio e condurranno nel corso del xvi secolo la scienza giuridica fuori dalle secche di una imitazione irriflessa ed acritica del passato, irrobustendola e mettendola in condizione di esser pronta a dialogare con gli altri saperi con rinnovata vitalità e di fornire ancora una volta gli strumenti concettuali e pratici per comprendere e regolare la società della prima età moderna.
fantaisies et fictions juridiques dans les Parerga Olivier Guerrier - Université de Toulouse - IUF
En marge de ses cours et de ses commentaires proprement juridiques (les Paradoxa et les Dispunctiones), Alciat, fondateur du courant qui entreprend l’étude de la jurisprudence latine au moyen des lettres anciennes et des travaux des philologues, publie en 1536 les Parergôn Juris libri VI, suite de notes sur les textes de lois, qu’il assimile à des « grotesques » dans l’épître dédicatoire : Lorsque parmi mes cours j’avais laissé échapper des commentaires qui tiraient leur origine et leur agrément de mes études d’humaniste, j’avais coutume de les enfouir dans mes brouillons, craignant, bien sûr, de faire froncer le sourcil de notre sombre et austère discipline juridique. [...] Toutes ces notes, qui devaient rester cachées dans mes archives, je les publie sur tes incitations, et, sans choisir entre elles, je te les dédie. J’ai donné à cet ouvrage le titre de ‘Parergôn’, parce que j’avais tenu ces propos incidemment, à l’issue de mes cours, après m’être acquitté de ma tâche officielle. J’ai imité ainsi les anciens peintres, qui, lorsqu’ils peignaient quelque héros [...], ne se contentant pas du motif isolé, ajoutaient à titre d’ornement un bosquet, des oiseaux, un paysage et d’autres figures du même genre, ce qu’ils appelaient eux-mêmes parerga. De même, je soumets à ton jugement les notes élaborées à temps perdu que j’ai entassées à l’étroit dans ce volume, afin que tu décides en connaissance de cause s’il faut appliquer à mon travail le distique d’Agathon rapporté par Athénée : ‘Nous traitons l’accessoire comme devrait l’être le motif principal, et le motif principal comme un accessoire’1 .
Est clairement revendiquée l’extravagance de propos formulés en dehors des cadres officiels et de la « discipline ». La citation finale suggère cependant une révision paradoxale des repères, une valorisation des figures qui entourent le motif principal, dont le lecteur doit apprécier l’importance. Ce qui surprend le lecteur moderne dans ce recueil, c’est la part dévolue aux poètes de l’Antiquité. Cette dernière est beaucoup plus importante que dans les autres œuvres du juriste. Certains chapitres examinent ainsi des aspects de la législation ou des points de la loi à la lumière des vers des poètes. Ce peut être une défense de Virgile contre ses détracteurs, au nom d’une règle qui consiste à conjecturer le passé à partir du présent :
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Texte traduit par André Tournon d’après l’édition de Gryphe, Lyon, 1548, et cité dans La glose et l’essai, Saint-Étienne, 1981 (Paris, 2000), p. 149. Pour notre part, nous utiliserons tantôt le texte de la réédition Gryphe de 1552 tantôt celui des Opera omnia d’Alciat, Bâle, Thomas Guarino, 1582, Tome IV.
Comment on conjecture à rebours à partir du présent ; Virgile défendu en quelques passages contre les calomnies de Servius, Aulu-Gelle, et d’autres grammairiens. La règle de notre droit est très sûre, [qui consiste à] conjecturer le passé à partir du présent, de sorte que l’on s’imagine que ce qui existe aujourd’hui existait aussi jadis. On a rapporté qu’il y a matière à cela à propos des choses qui, vraisemblablement, ne supportent pas le danger que constitue un changement. De ce sujet nous avons traité non sans soin au deuxième livre des Présomptions, chapitre 26. Donc il y a aujourd’hui des fleuves, des montagnes qui, vraisemblablement, existaient depuis la création du monde, puisque la nature des choses est éternelle, bien qu’il ne soit pas certain que les villes fondées par les hommes aient existé avant leurs fondateurs, et je pense que personne ne sera embarrassé sur la question. C’est pourquoi je me ferai l’avocat de Virgile, le plus remarquable des poètes, contre certains grammairiens. Aulu-Gelle, livre X chapitre 16, écrit que Virgile a été critiqué par Hygin, pour avoir dit en faisant parler le personnage de Palinure, En te mettant en quête du port de Vélia Et pourtant, écrit-il, il est bien établi que la place forte de Vélia a été fondée des années après la mort de Palinure. Servius utilise aussi le même argument, quand Virgile fait dire à Énée : Apparaissent au loin Camarina, et les plaines de Géla Ensuite, voilà Agrigente haut perchée2 .
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Aulu-Gelle, dans le dixième livre des Nuits Attiques mentionne en effet Julius Hygin, grammairien du temps d’Auguste, qui relevait les erreurs du sixième chant de l’Énéide3. Même chose avec Servius, pour cette fois le chant III. Virgile est « le plus remarquable des
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Quomodo praesumatur ex praesenti tempore retro : & defensus aliquot locis Virgilius a Servii, Gellii, aliquorum Grammaticorum calumnia || Regia est iuris nostri certissima, Ex praesenti in praeteritum praesumi : ut scilicet, quod hodie est, & olim fuisse credatur : cui locum esse in iis tradiderunt, quae verisimiliter mutationis alicuius periculum non subeunt. Qua de re libro Praesumptionum II cap. XXVI. Non indiligenter scripsimus. Qui ergo fluvii montes nunc sunt, & a creato orbe verisimile est fuisse, quod natura rerum perpetua sit, licet urbes ab hominibus conditas ante eorum conditores certum sit non fuisse : nec puto hac in re quenquam haesitaturum. Qua ratione praestantissimi poetarum P. Virgilii adversus quosdam Grammaticos patrocinium ego suscipiam. Scribit A. Gellius lib. X cap. XVI repraensum a I. Hygino Virgilium, qui ex persona Palinuri loquens dixerit, ‘Portus require Velinos’ Atqui, inquit, constat Veliam oppidum post multos, quam Palinurus decesserat, annos conditum fuisse : eodem argumento & Servius utitur, cum Virgilius ex persona Aeneae, Apparet (inquit) Camerina procul, campique Geloi Arduus inde Acagra (édition Gryphe, 1552, V, 21). 3 Quos errores Iulius Hyginus in sexto Vergilii animaduerterit in Romana historia erratos. I. Reprehendit Hyginus Vergilium correcturumque eum fuisse existimat, quod in libro sexto scriptum est. II. Palinurus est apud inferos petens ab Aenea, ut suum corpus requirendum et sepeliendum curet. Is hoc dicit: eripe me his, inuicte, malis, aut tu mihi terram inice, namque potes, portusque require Velinos. III. Quo inquit modo aut Palinurus nouisse et nominare potuit portus Velinos aut Aeneas ex eo nomine locum inuenire, cum Velia oppidum, a quo portum, qui in eo loco est, Velinum dixit, Seruio Tullio Romae regnante post annum amplius sescentesimum, quam Aeneas in Italiam uenit, conditum in agro Lucano et eo nomine appellatum est (« Erreurs historiques relevées par Julius Hygin dans le sixième livre de l’Énéide. Hygin trouve dans le sixième livre de l’Énéide des erreurs que Virgile n’aurait pas manqué, dit-il, de corriger, si la mort ne l’eût surpris. Palinure, dans les Enfers, prie Énée de rechercher son corps et de lui donner la sépulture : Héros invincible, dit-il, arrache-moi à ce supplice ; jette sur moi un peu de terre, tu le peux ; retourne au port de Vélia. Comment, dit le critique, Palinure a-t-il pu connaître et nommer le port de Vélia ? Comment Énée a-t-il pu trouver l’endroit que lui désignait Palinure, puisque la ville de Vélia n’a été bâtie sur le rivage de Lucanie que plus de six cents ans après l’arrivée d’Énée en Italie, sous le règne de Servius Tullius ? »), Nuits Attiques, X, 16.
poètes », et le plus remarquable des témoins lorsqu’il s’agit de fonder un point de droit. Ce que confirme cet autre passage :
Les erreurs des poètes, véhicules des mythes et des légendes, attestent le pouvoir trompeur de l’opinion publique, expliquant que la loi se laisse également aller à suivre les rumeurs et autres croyances. Heureusement, le juge intervient lors des procès pour évaluer le crédit qu’il faut leur accorder. Le texte met ainsi en rapport la description d’une procédure judiciaire et la glose des extraits des Bucoliques (VI, 75-76) puis des Héroïdes (I, 15), à laquelle se livre Alciat en révélant le contenu fallacieux de ceux-ci. Conséquence : une symétrie, non seulement entre le « juge » et le locuteur, mais aussi entre la loi et la fiction des poètes, toutes deux abusées par les récits de l’opinion ou de la mémoire collective. Le discours jurisprudentiel et le commentaire de la Fable se combinent en une réflexion sur les assises du Droit et son application, faisant des ouvrages poétiques la caution des options prises par la loi. Les points peuvent être plus techniques. Les Parerga s’intéressent particulièrement aux questions d’héritages et de testaments, très importants en droit civil : Ce qu’est la substitution, ce qu’est la première ligne, ce qu’est la dernière, pourquoi on l’a appelée ‘deshéritage’ parmi toutes les autres. Des vers des satires d’Horace l’expliquent. La substitution est l’établissement du grade [être mentionné au rang] d’héritier second ou dernier. On l’appelle ainsi parce qu'il était écrit en dessous. En effet, autrefois, on avait pour habitude de commencer un héritage par la mention de l’héritier, et c’est pourquoi jadis il ne devait pas y avoir de legs ou de libéralités énoncés avant la mention de l’héritier. Comme le dit Justinien, la tête et le fondement des tablettes est
4 Quid sit fama, quid rumor et ut plerumque falsa haec sint, Vergilii Ovidiique carmen expositum. [...] Hinc est, quod lex alibi vel fama requirit, vel frequentem insinuationem : alibi acclamationem populi satis esse testatur. Sane quantum famae, vel hisce rumoribus fidei praestandum sit, plurimum in arbitrio iudicis versatur : plerumque enim reperiuntur hi rumusculi a vero abesse : quapropter Virgilius, Quid loquar? aut Scyllam Nysi, quam fama sequuta est, Candida succinctam latrantibus inguina monstris? cum Nysi filia haec Scylla non esset, sed Phorci. Verum poeta [...] famae servavit, quae plurimum ex falso solet trahere. Sic et apud Ovid. Penelope, Sive quis Antiolochum narrabat ab Hectore victum : cum a Mennone superatus sit [...] (édition Guarino, 1582, I, 6).
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Ce qu’est l’opinion publique, ce qu’est la rumeur, et qu’elles sont fausses la plupart du temps, d’après des vers de Virgile et d’Ovide. [...] De là vient que la loi tantôt requiert [pour garantie] l’opinion publique, ou des rapports concordants, tantôt elle déclare que la clameur publique suffit. Sans doute, le crédit qu’il faut accorder à l’opinion publique ou aux rumeurs est laissé pour une grande part à l’appréciation du juge : souvent en effet on constate que ces rumeurs sont loin de la vérité. C’est pourquoi Virgile écrit : Le dirai-je ? Scylla, fille de Nisus, celle que la renommée décrit Avec, ceignant sa blanche taille, des monstres hurlants? alors que cette même Scylla n’était pas la fille de Nysus, mais celle de Phorcius. Il est sûr que le poète a été l’esclave de l’opinion publique, qui a coutume de tirer le plus grand profit du mensonge. C’est ainsi également que chez Ovide, Pénélope dit : Était-ce Antiloque dont on m’a raconté qu’il avait été vaincu [par Hector ? alors que c’est Memnon qui a triomphé de lui [...] »4.
précisément la mention. De là le nom donné par Horace dans une satire du livre II à cette partie [du testament], ‘première ligne’ : De façon cependant que tu saisisses à la dérobée ce que dit la seconde ligne : De la première page pour voir d’un œil rapide Si tu es seul ou si tu as plusieurs cohéritiers. Le plus souvent un scribe retors, ex-quinquévir, Fera ouvrir pour rien le bec du corbeau ; le sens de ces vers ne semble pas avoir été bien perçu des glossateurs. Autrefois on avait l’habitude d’établir un testament per aes et libram. Pour cela on avait besoin de cinq témoins et il ne fallait pas que les témoins sachent quoi que ce soit de ce qui avait été écrit dans le testament. Il suffisait qu’ils soient présents et que les choses soient accomplies en leur présence. Les greffiers en revanche savaient nécessairement puisqu’ils avaient rédigé les tablettes de leurs propres mains5.
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Ici, le juriste propose une sorte de glose du texte d’Horace (Satires, II, 5, 48 sq.), suppléant l’ignorance des glossateurs en matière de droit. De tels rapprochements ou explications frisent parfois l’acrobatie. À vouloir tisser à tous prix des liens entre les domaines, on n’évite pas l’imprécision, comme à l’occasion de ces variations autour d’une réponse d’Ulpien, qui confrontent cette fois des sources directes, sans réinterprétation extérieure : Cas hypothétique dans une réponse d’Ulpien, présenté d’après une fable d’Ésope.[...] Si [les médecins] trompent un homme malade dans le cadre d’un quelconque contrat, selon le droit en vigueur chez nous, et par une intervention exceptionnelle, ce qui a été extorqué doit être restitué. ‘Un médecin, dit Ulpien, à qui un malade avait confié le soin de ses yeux, exposant celui-ci, par des remèdes contre-indiqués, au risque de les perdre, le força à lui céder ses propriétés : c’est une voie de fait, à réprimer par le magistrat, etc’. Or il semble que ce cas hypothétique ait tiré sa source d’une fable d’Ésope, selon laquelle une vieille femme dont les yeux étaient enflammés avait imploré l’intervention d’un médecin qui, toutes les fois qu’il la quittait après lui avoir appliqué les collyres, emportait en cachette avec lui une chose de la maison. Lorsqu’elle fut enfin convalescente et que le médecin l’importuna au sujet de ses honoraires, elle déclara : ‘Eh bien, ma vue est moins bonne à présent qu’autrefois : quand j’étais souffrante, j’apercevais en effet dans la maison une plus grande quantité de vaisselle et de mobilier que je ne le peux, maintenant que je suis guérie’6.
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Quid sit substitutum, quid Prima, quid ima cera, cur exharedatio inter caeteros dicta. Horatii carmen explicatum Satyr. Substitutio est secundi vel ulterioris gradus haeredis institutio : sic dicta, quod subtus describeretur : solebant enim Veteres testamentum ad haeredis institutione ordiri : & adeo olim legata, vel libertates ante haeredis institutionem scriptae, non debebantur : caput enim fundamentumque tabularum ipsa est institutio, ut Iustinianus ait. Hinc ea pars ad Horatii Saty. Lib. II Prima cera, dicitur. Sic tamen ut limus rapias, quid prima secundo Cera velit versu, solum multos ne coheres Veloci percurre oculo : plerumque recoctum Scriba ex quinque viro coruum deludet hiantem. Cujus carminis sensus non videtur ab interpretibus satis perceptus. Solebant Veteres testamentum per aes & libram condere : in eo quinque testes erant necessarii, nec oportebat testes eorum, quae testamento scripta erant, quicquam scire : satis erat, si adfuissent, & ipsis adhibitis res gesta esset. Scribae vero necessario sciebant, cum ipsi manu sua tabulas conficerent (édition Gryphe, 1552, IV, 6). 6 Hypothesis in Ulpiani responso ex Aesopi fabella apposita. [...] Quod si aegrum hominem contractu aliquo defraudent, iure nostro extraordinaria cognitione, quod extortum est restituitur. ‘Medicus, inquit Ulpianus, cui curandos oculos aeger commiserat, periculum amittendorum eorum per aduersa medicamenta inferendo, compulit ut ei possessiones venderet : in ciuile
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factum praeses provinciae cœrcerat, etc’. Videtur autem haec hypothesis ab Aesopi fabula emanasse, qua traditum est, lippientem anum medici operam implorasse, qui quoties ab ea impositis collyriis recederet, furto secum aliquid de domo auferebat : demum cum conualuisset, & de mercede a medico interpellaretur : ‘Atqui, inquit illa, minus in praesentia quam olim video : plura enim in domo vasa, instrumentaque lippiens conspiciebam, quam nunc sana conspicari possim’ (édition Guarino, 1582, II, 39). Dans la fable d’Ésope (« La vieille et le médecin », 87), c’est devant les magistrats que la vieille femme formule cette remarque, ce qui ne rend d’ailleurs pas le rapport beaucoup plus clair. Nous nous inspirons ici de « fictio legis – L’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales », contribution de Yan Thomas au numéro consacré à « La fiction » dans Droits. Revue française de théorie juridique, 21, 1995, p. 17-63. Voir un exemple de formulation proposé par Michel Villey, Le droit romain, Paris, 1945, p. 27-28.
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L’auteur intervient seulement pour suggérer l’origine fabuleuse du cas exposé par Ulpien. L’hypothèse est significative d’une tendance du droit à accepter dans le cadre de ses enquêtes les divers produits de l’« expérience » humaine, sans suspicion ni censure attachées à leur provenance. Toutefois, le rapport entre la manœuvre criminelle examinée par Ulpien, sous le coup de la justice alors que normalement les contrats entre particuliers n’y ressortissent pas, et le récit d’Ésope laisse perplexe. L’allusion commune aux yeux malades du patient ne suffit pas à le justifier. Toute analogie semble bonne pour hisser la fiction au rang de modèle, alors que la pénalité imposée au premier médecin n’a rien à voir avec la remarque ironique de la vieille femme qui conclut la fable ésopique7. La fiction, précisément, comme catégorie, préoccupe particulièrement Alciat, notamment les fictiones legis héritées du droit romain. Petit rappel sur ce point. Les fictiones legis procèdent de certaines transformations économiques et sociales du monde romain, auxquelles le droit dut faire face, et qui obligèrent les juristes classiques à retoucher les formules écrites reposant sur l’ancien droit civil, en leur apportant quelques additions ou modifications8. L’un des cas les plus immédiats concerne la prise en compte des pérégrins, ces étrangers à la cité romaine, venus peupler Rome à la suite des conquêtes, ou commerçant avec elle de part et d’autre de l’Empire. L’ancienne cité ne s’étant pas préoccupée de leur reconnaître des droits, il faut accommoder la loi à une situation nouvelle de litiges, grâce à la procédure formulaire. Un pérégrin réclame-t-il un droit de propriété autrefois réservé aux seuls citoyens ? Le préteur acceptera qu’il engage une instance judiciaire en rédigeant au juge une formule utilisant le mode du « comme si », qui se décline en une série d’expressions propres à l’équiparation fictive (ita... uti, ita ut... ita, perinde, proinde ac si, siremps atque si, quasi si, ou tout simplement si)9. Par souci d’équité, l’étranger jouit des prérogatives que le droit quirinaire garantit au citoyen grâce à une hypothèse qui instaure une fiction de citoyenneté. Mais si, dans le cas précédent, elle pose faussement la présence d’une qualité chez un sujet existant, il lui arrive d’altérer jusqu’aux données fondamentales de la vie humaine, les lois de la filiation ou les conditions de la naissance et de la mort. On décrète alors en plein écart avec la nature, en postulant une existence qui n’est pas advenue. Selon le Digeste de Celse (38, 16, 7 et 50, 16, 231), une fiction veut que l’enfant à naître soit déjà né, « ac si in rebus humanis esset », ce qui lui permet notamment d’être institué légataire avant sa venue au monde. Plus insolites encore sont les équivalents négatifs de ces formules, qui nient un
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fait qui existe, l’abolissent en connaissance de cause. La loi Cornelia sur le testament des citoyens morts en captivité comporte ainsi plusieurs versions, positive chez Paul, où tout se passe comme si ces derniers étaient morts à Rome. La technique consiste donc à tirer de la fausse supposition, ou de la négation, les conséquences qui s’attacheraient à la réalité que l’on feint si cette réalité était telle qu’on la feint. Ce n’est pas un mensonge, mais un effet délibéré d’institution, qui décide de produire sciemment une contre-vérité caractérisée et objective, de prendre le faux pour le vrai afin de permettre au droit de mieux s’adapter à une réalité nouvelle, quitte à enfreindre les lois naturelles. Or, c’est justement sur ce chapitre que vont achopper les glossateurs médiévaux. Les fictions entrent en effet en conflit avec une règle juridique connue depuis Aristote et répétée sans cesse par tant de philosophes et de juristes, comme Névizan en 1526, « ce qui est arrivé ne peut pas ne pas être arrivé » (Factum infectum fieri non potest). Conséquence : Balde et Bartole entre autres s’emploient à faire reculer l’empire de la fiction dans les limites de la loi naturelle, c’est-à-dire dans les limites de ce qu’ils considèrent comme biologiquement possible en dehors du miracle. Selon eux, la production du faux ne sauraient entraîner celle de l’invraisemblable, d’où une contestation de ces fictions qui heurtent trop brutalement les évidences de la nature, en mettant en cause les lois de la génération ou de la filiation. Cette mutation gnoséologique obéit à des exigences éthiques et théologiques inconnues du droit et du monde romains, soucieux avant tout d’assurer la conduite et les affaires du théâtre civil, sans considération pour une quelconque transcendance. La jurisprudence humaniste donne à la notion et à la méthode qu’elle implique une vigueur nouvelle. Dans un article récent, J. Bart note que « le concept antique retrouve son plein emploi après la seconde renaissance du droit romain, donc à partir du xvie siècle, alors que le droit se laïcise »10. Chez Alciat, une première série de remarques traite des fictions légales au sens strict. Il y retrouve la question de l’adoption et de l’héritage, génératrice de formulations fictives dans le droit prétorien. Après avoir assimilé l’adoption et l’émancipation à une vente du fils, par le père naturel, son propriétaire, au père adoptif11, il écrit : [...] l’émancipation est un acte de droit civil en vertu duquel celui qui est fils de quelqu’un est considéré comme n’étant pas son fils [per quem qui filius est, pro non filio habetur] : c’est donc à juste titre que cet acte est appelé ‘légitime’, c’est-à-dire produit uniquement par une fiction légale [sola legis fictione inductus]. Mais la fiction légale est une imitation de la nature. D’où il suit que, de même que selon la nature on ne peut avoir un fils à une date convenue, ni sous conditions, de même on ne peut ni l’émanciper ni l’adopter à une date convenue, ni sous conditions [Unde sicut naturaliter quis filium ad tempus habere non potest, nec sub conditione, ita nec emancipare eum, nec adoptare in diem sub conditioneve licet]12.
Une logique de filiation parallèle se crée ici, qui ne fait pas entorse à la nature mais imite cette dernière : de même que dans le processus naturel, l’enfant qui vient de naître est re-
10 « Fictio juris », Littératures classiques (« droit et littérature »), 40, Automne 2000, p. 26. 11 L’émancipation est l’acte par lequel on aliène son droit de chef de famille. 12 Édition Guarino, 1582, III, 4, « Pourquoi l’émancipation ne peut avoir lieu sous condition ou à une date convenue ».
Dans quelle mesure ce qui est imaginaire se distingue de ce qui est fictif et de ce qui est simulé, et de ce qui est accompli à des fins frauduleuses. Explication de la loi ‘Imaginaria...’,[dans le] De regulis juris. La loi dit : ‘La vente n’est pas imaginaire si elle comporte le paiement d’un prix’. Si nous prenions ‘imaginaire’ au sens de ‘simulé’, comme font les autres [juristes], le sens de la loi serait perdu, puisque même avec paiement, une transaction peut être tout autre en fait qu’en paroles. Mais il faut savoir que sont différents des actes effectués frauduleusement, des actes simulés, des actes fictifs, des actes imaginaires. Est frauduleuse la transaction effectivement conclue entre les partenaires, mais pour tromper quelqu’un, comme lorsqu’un père de famille aliène ses biens afin de frustrer ses fils de leur part légitime d’héritage ; ou lorsqu’un accusé aliène ses biens pour frustrer le fisc. Ces contrats ont leur valeur légale propre, bien qu’il appartienne de les faire casser à celui au détriment de qui ils ont été conclus. On dit qu’un acte est simulé lorsque nous procédons sans le dire à une transaction, et que verbalement nous en exprimons une autre, comme lorsqu’un usurier déguise un contrat de prêt sous les apparences d’une vente, auquel cas la vente est nulle en droit, parce qu’il n’y a pas accord sur le fond. En vertu de quoi il a été décidé par les Anciens que la transaction effective prévaut contre celle qui est simulée ; et on procède usuellement à une distinction, afin que cette décision ait son effet si la simulation est provoquée par un motif injuste ou faux, et que si au contraire elle est provoquée par un motif juste, il en soit autrement : comme lorsque je t’ai prêté cent pièces d’or selon un contrat légal, et que tu reconnais me devoir cette somme comme un dépôt, dans ta reconnaissance de dette13.
Tandis que la fraude obéit à une intention pernicieuse, que doit dévoiler celui qui en est victime en cassant le contrat, la « simulation » joue des apparences et de l’écart entre les mots et les choses pour faire prévaloir une transaction secrète, non prévue par le parti qui sera lésé. Ces cas d’escroquerie et de tromperie diffèrent de la fiction, qui n’a rien d’illicite,
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Quid distet imaginarium a ficto & simulato, & quod in fraudem factum fit : & declarata l. imaginaria. dereg.iur. Lex ait, ‘Imaginaria venditio non est pretio accedente’. Si imaginarium per simulato accipiamus, quod caeteri faciunt, labiefiet sensus legis, cum etiam accedente pretio possit aliud agi, aliud concipi. Sed sciendum, aliud esse in fraudem faum [factum?], aliud simulatum, aliud fictum, aliud imaginarium. In fraudem fit, quod vere inter partes agitur, sed alterius fraudandi causa : ut cum pater alienat bona causa filios in legitima portione defraudandi : vel reus, ut lucrum fisco diminuat : hujusmodique contractus ipso iure valent, licet ab eo, in cuius fraudem facti sunt, possint rescindi. Simulatum dicitur, cum tacite aliquid agimus, expressim aliud simulamus : ut cum fœnerator contractum mutui colore venditionis obscurat, quo casu venditio ipso iure est nulla, cum consensum non habeat. Unde definitum a maioribus est, plus valere quod agitur, quam quod simulate concipitur : soletque distingui, ut si simulatio ex causa iniusta, vel falsa proveniat, ei definitioni sit locus : si vero causa sit iusta, secus sit : ut quando centum tibi aureos legitimo contractu mutuaui, & tu ex causa depositi debere te instrumento fatearis (édition Guarino, 1582, III, 11).
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connu immédiatement par le père, de même le père adoptif ne peut émettre de conditions dilatoires (par exemple, le mariage du fils adoptif avec telle ou telle). Alciat, peut-être tributaire en cela de ses prédécesseurs, semble limiter l’effet de la fiction légale à ce qui diffère de la nature tout en restant conforme au modèle, sans le contrer et s’éloigner de ses cadres. Mais il ne se contente pas de ces commentaires ponctuels, soucieux des effets et des conséquences d’une situation réglementée par la fiction. Un peu plus loin, un chapitre « Dans quelle mesure ce qui est imaginaire se distingue de ce qui est fictif et de ce qui est simulé, et de ce qui est accompli à des fins frauduleuses » (III, 11) tente de préciser l’esprit et la spécificité de cette dernière, par comparaison avec des cas relevant de notions voisines :
qui est une procédure légale et consensuelle, comme le dit la suite du texte par retour final sur le texte du Digeste ou du Code cité dans les premières lignes : fantaisies et fictions juridiques dans les parerga
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La fiction ne concerne que la loi ; et des contractants ne peuvent recourir à aucune fiction, sinon à celles qu’autorise la loi : comme dans une stipulation selon la loi Aquilina et certains autres cas, où la loi feint une stipulation ou une hypothèque. On dit ‘imaginaire’ un acte effectué à l’image ou à la ressemblance d’un autre. D’où les termes de la loi : ‘Les testaments sont faits per aes et libram en cas d’émancipation habituelle, c’est-à-dire de vente imaginaire en présence de cinq témoins et d’un libripens, tous citoyens romains, et de celui qui était dit l’‘acheteur’, formalité que Boèce rapporte dans ses Topiques, et qui valait pour l’adoption comme pour l’émancipation. Gaius, dans les Institutes, au titre ‘Comment les fils s’exemptent de la puissance paternelle’ déclare : ‘L’émancipation, c’est-à-dire la remise [d’un fils] en mains, autrement dit au pouvoir [de quelqu’un d’autre] est assimilable à une vente, parce qu’outre le père réel est ajouté un autre père, dit “fiduciaire” ’, donc le père naturel émancipe son fils au bénéfice du père fiduciaire, autrement dit le lui remet entre les mains, et de ce père fiduciaire le père naturel reçoit un ou deux sesterces, simulant le prix [...] Si un juste prix était payé pour une ‘vente’ de ce genre, et non pas un seul sesterce, elle ne pourrait pas être dite ‘imaginaire’, et telle est la cause pour laquelle il est dit ‘n’est pas imaginaire ce qui comporte le paiement d’un prix’. Le ‘prix’ est en effet la valeur d’un bien, demandée au vendeur en remplacement de ce bien [...]14.
Le cadre de la fiction est strictement légal. Pour exemple, le testament effectué en cas d’émancipation, garanti par des témoins et en la présence de l’emptor familiae, acheteur simulé du fils d’un autre. Après quoi l’auteur revient sur les conditions de l’émancipation, vente imaginaire où le père naturel cède son fils moyennant un ou deux sesterces symboliques. L’imaginaire imite la vente par un échange fictif mais pleinement agréé cette fois, sans que soit versé le juste prix correspondant à la valeur du bien. La transaction feinte avec l’assentiment des partis apporte une sorte de caution économique à l’émancipation, qui établit une filiation. D’où les remarques terminologiques du début qui prévenaient le contresens sur la lettre de la loi : confondre « imaginaire » et « simulé », ce serait interpréter dans le sens de la tromperie ce qui concerne une procédure légale et consensuelle. Les commentaires se fondent, jusqu’ici, sur des extraits de la jurisprudence et des situations supposées par la loi en dépit du réel. Mais, dans d’autres développements, l’étude de la fiction et de son champ d’application donne lieu à nouveau à des échappées vers l’imaginaire littéraire ; ainsi dans le premier chapitre du sixième livre :
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Fictio ad solam legem pertinet : nec enim contrahentes fingere possunt, nisi lege permittente : ut Aquiliana stipulatione, & quibusdam aliis casibus, quibus lex stipulationem fingit, vel hypothecam. Imaginarium dicitur, quod ad imaginem, vel simulationem introductum est : unde lex ait, Testamenta per aes & libram fieri solita accedente emancipatione, id est, imaginaria venditione, coram quinque testibus & Libripende ciuibus Romanis, & eo qui familiae emptor dicebatur. cuius rei formam tradit Bœthius in Topicis : qua forma etiam adoptio fiebat, itemque emancipatio. Caius in Institutionibus, tit. quibus modis filii exeant de potestate,‘Emancipatio, inquit, id est, in manum seu potestatem traditio, quaedam similitudo venditionis est, quia praeter certum patrem, alius pater adhibetur, qui fiduciarius nominatur’ : ergo iste naturalis pater filium suum fiduciario patri emancipat, hoc est, manu tradit, a quo fiduciario naturalis unum aut duos numos quasi in similitudinem pretii accipit [...] Huiusmodi igitur venditionis si iusta merces accederet, non unus numus imaginariae dici non poterant, & hoc est quod dicitur, imaginarium non esse pretio accedente. Est autem pretium, valor rei a venditore in eius compensationem petitus, conuentusque [...], Idem.
À l’exigence de conformité au droit s’ajoute un impératif éthique et gnoséologique, fondé sur la possibilité et l’impossibilité naturelles. Une série de tournures négatives (nunquam extendi fictionem […], nec facile lex fictionem […], ne alias lex quicquam) traduit les précautions prises en vertu des lois naturelles, qui impliquent de considérer, à l’origine des cas les plus tangents, les facultés (habilitatem aptitudinemque) du sujet concerné par la fiction. Là, le propos bifurque en direction de l’exégèse homérique, sollicitée moins comme illustration que comme caution suprême d’une telle prudence (nec a Poetis quidem) : si le créateur de fables s’est abstenu d’introduire une invraisemblance, a fortiori le droit doit-il s’en garder. Évidemment, Alciat se réfère aux commentaires d’Homère soucieux ici de conférer à la fiction une vraisemblance interne en expliquant l’intervention de la fille de Cadmos, 15
Fictio quid sit, & impossibilia non fungi [fingi ?], nec a Poetis quidem. Fictio est legis adversus veritatem in re possibili ex iusta causa dispositio : etenim constat, nunquam extendi fictionem ad ea quae impossibilia sint, sive de iure, sive de facto id fieri nequeat : imitatur enim fictio naturam, nec facile lex fictionem aduersus fictionem [naturam?] inducit. Hincque receptum est in fictione translativa extremi, a quo incipit fictio, habilitatem aptitudinemque requiri, ne alias lex quicquam impossibile videatur inducere : quae omnia nos locis suis diligenter excussimus. Caeterum videmus & id quoque Poetis observatum esse, ne facile impossibilia inducant. Hinc traditum ab Homeri interpretibus est, cum naufragio facto descripturus esset Homerus Ulyssem per triduum in mari & fluctibus natantem, quod supra humanas vires id videretur, quae ei ‘kredemnon’, id est, reniam, seu fasciam pectori subiiciendam dederit, quo interim subleuaretur, ne mergi posset : [...] Hanc autem accipiens tendes sub pectore vittam Diuinam, neque ferre time mortisve potiri. At postquam appuleris, manibus cum littora tanges, Confestim egrediens in nigrum coniice pontum, Quam procul a terra. Idem videmus & inter praecepta Rhetorum fuisse traditum, ut scilicet impossibilia non dicerent : quo si omnino id faciendum esset, ut ea prius aliquo colore mollirent [...] (édition Guarino, 1582, VI, 1).
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Ce qu’est une fiction ; et que les choses impossibles ne peuvent être supposées à titre de fictions, pas même par les poètes. Une fiction est une disposition légale contraire à la vérité [du fait] pour un cas possible et en vertu d’une cause conforme au droit. Et en effet il est clair qu’une fiction ne peut être étendue à des cas qui seraient impossibles, soit que cela ne puisse se produire de droit, soit qu’il ne le puisse de fait. Car la fiction imite la nature, et la loi n’oppose pas facilement la fiction à la nature. En vertu de cela, est admis que dans une fiction poussée en ses ultimes conséquences, le point de départ requiert l’habilitation et les capacités nécessaires [des intéressés], de peur qu’autrement la loi ne paraisse faire rentrer en jeu quelque chose d’impossible : questions que nous avons traitées en tous les lieux appropriés. Du reste, nous constatons que les poètes aussi ont observé ce principe, de ne pas introduire sans scrupule des données impossibles. Les commentateurs d’Homère ont noté que, comme le poète devait décrire Ulysse nageant trois jours dans la houle après son naufrage, ce qui semble dépasser les forces humaines, il a ajouté que cela put se faire grâce à Leucothéa qui lui donna son kredemnon, c’est-à-dire son diadème ou son écharpe, à passer sous sa poitrine pour être soutenu à la surface de l’eau : […] Prends ce voile divin ; tends-le sur ta poitrine ; Avec lui, ne crains plus la douleur ni la mort. Mais lorsque, de tes mains, tu toucheras la rive Défais-le, jette-le dans la sombre mer, Au plus loin vers le large. La même règle est érigée en précepte par les rhéteurs, de ne pas alléguer un fait impossible : ou s’il fallait à tout prix le faire, de l’atténuer au préalable par quelque prétexte […]15.
fantaisies et fictions juridiques dans les parerga
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Ino, dans le chant V de l’Odyssée (v. 346-350), par les contraintes liées à la nature humaine d’Ulysse. Le parallèle se tient, du reste, puisque la Fable préserve ainsi son propre régime de fictionnalité, légendaire, tout en veillant à maintenir les actions du protagoniste dans la limite de ses capacités. Cependant, en alléguant l’interprétation de la poésie comme garante du respect que les fictions juridiques doivent aux lois naturelles, l’auteur confond dans un même raisonnement la disposition de la loi, qui a des répercussions immédiates sur la réalité, et les « fantasies » des glossateurs sur la légende, qui inventent un cas pour une toute autre cause. L’effet ne relève pas seulement des « similitudes », par juxtaposition de deux types de discours où la contamination du réel par le fictif obéit à des exigences homologues. En expliquant les réserves à observer dans le développement d’une fictio legis au moyen des remarques des exégètes, puis des règles des rhéteurs, le juriste, en dépit de sa rigueur professionnelle, témoigne d’une perméabilité entre fictions juridiques et fictions tout court, par critères d’acceptabilité interposés. Il accorde de la sorte à ces remarques et à ces règles une légitimité qu’elles n’ont pas ailleurs. Homère peut bien être une « pépinière » pour la philosophie ou la théologie, il peut bien fournir aux orateurs des exemples plausibles et convaincants : ni l’éloquence ni les sciences spéculatives ne sauraient utiliser la Fable pour justifier le bon fonctionnement des affaires humaines les plus concrètes, de transactions, de filiations ou de testaments. Il y eut des plaidoyers notoires en faveur de ce mélange des genres et des catégories, notamment en 1559, cette déclaration de Jean Bodin dans son Discours au sénat et au peuple de Toulouse : Il y a déjà longtemps qu’on a soutenu à Toulouse que la culture littéraire s’accordait assez mal avec la science du droit : mais cela revient à peu près à dire que nul ne peut être jurisconsulte à moins d’être reconnu pour un barbare et un sot. Ce qu’on aurait dû tenir pour un sanglant outrage envers les juristes, car les maîtres de leur science ont rempli leurs livres non seulement d’éloquence mais de philosophie et de toutes les grâces de l’humanisme, si bien que dépouillée de sa forme littéraire on rendrait cette discipline non seulement pénible, mais repoussante, non seulement ingrate mais incohérente. C’est justement cette souillure honteuse et dégradante attachée au nom de juriste que Budé a effacée, et après lui Alciat, Connan et bien d’autres […]16.
Les « grâces de l’humanisme » sont certes un agrément. Mais il y a va aussi de la cohérence des ouvrages des juristes, qui sans elles deviendraient ineptes (inepta). Toutefois, la tendance fut très vite de considérer cette bigarrure comme uniquement pittoresque et désuète,
16
Jampridem enim Tol. explosa est eorum sententia, qui elegantiores literas cum jure civili parum congruere putabant : quod perinde est ac si existimarent jurisconsultorum, qui insigniter barbarus ac ineptus non sit, esse neminem : quæ profecto contumelia in iurisconsultos, gravissima videri debuit ; cum ejus scientiae autores non eloquentia solum, sed etiam philosophia, & fragrantissimis humanorium literarum floribus suos libros ita resperserint, ut sine iis non modo insuavis, sed etiam putida ; non tantum ingrata, verumetiam inepta omnis illa scientia futura sit. Hanc itaque maculam fœdam & indecoram, quæ in jureconsultorum nomine insederat atque inveterarat, delevit Budaeus, delevit Alciatus, delevit Connanus, delerunt alii complures […], Oratio de instituenda in Repub. Juventute ad senatum populumque Tolosatem, Toulouse, G. Boudeville, 1559, p. 17, texte traduit par Pierre Mesnard, Corpus Général des Philosophes Français, Auteurs modernes, Paris, 1951, p. 47.
Les liures, & poëtes desquels [Les poetes, & livres desquels] sont propres pour des jeunes Gentil-hommes & Damoiselles, ou gens de loisir non occupez, ny destinez pour la Magistrature, sauf à quelques heures perdues, pour se relascher du trauail, au lieu de faire quelque autre exercice, & pour se donner du plaisir : car de se servir, ny alleguer ces Poëtes François ny aux examens, ny au jugement des procez, on se rendroit ridicule, comme aussi d’alleguer les Poëtes Latins […]. Pour trop d’allegations desquels Poëtes, au lieu de bonnes Loix, Canons, & Chapitres ; & nonobstant force autres discours, & allegations en Grec, un pourueu d’un estat de Conseillier fut renuoyé à mieux estudier en droict, en l’an 1568. Dequoy il fist bien apres proffit, & s’est rendu fort digne, & capable Conseillier, & apres President17.
Si les étudiants en droit peuvent toujours trouver un délassement dans la lecture des « Poëtes François », lors des procès, ces derniers ne sont plus de saison. La sanction infligée au prétendant à la charge de Conseiller, en 1568, est le prix à payer pour ceux qui restent influencés par une pratique apparemment surannée. À une époque où le secteur est beaucoup plus marqué par l’austérité de Cujas que par les fantaisies érudites d’un Alciat, La Roche Flavin enregistre le début d’un mouvement de désaffection qui ira jusqu’à Diderot – pourtant coutumier dans ses propres écrits des escapades et autres digressions – qui écrira dans l’article « Citation de droit » de l’Encyclopédie sur lequel nous finirons : [Les avocats de ce temps] citaient non seulement des textes de droit, mais aussi les historiens, les orateurs, les poètes, et la plupart de ces citations étaient souvent inutiles et déplacées. Les jurisconsultes du seizième siècle sont tombés dans le même excès par rapport aux citations ; leurs écrits en sont tellement chargés que l’on y perd de vue le fil du discours, et l’on y trouve beaucoup plus de citations que de raisonnement18.
17 18
Treze Livres des Parlemens de France, VI, XXX, IV, Bordeaux, Millanges, 1617, p. 364. Encyclopédie, « Citation de droit », Paris, Briasson, 1753, t. 3, p. 484-485.
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ce dont se fait l’écho La Roche Flavin dans le sixième des Treize livres des Parlemens de France (1617), où il entreprend un véritable travail d’« épuration » du champ juridique, en faisant un sort aux poètes dans le chapitre XXX. Il relègue leur magistère dans les époques les plus reculées de l’apprentissage du droit (VI, XXX, 1), peint l’histoire d’un discrédit progressif au moyen de toutes les autorités possibles, Platon, Plutarque, saint Augustin ou Isidore de Séville (2-3), et, revenu à son époque, leur accorde une place des plus limitées dans le secteur de la magistrature :
l’empire romain et la translatio imperii dans le De formula Romani Imperii d'André Alciat Juan Carlos D’Amico - Université de Caen
Debetur Carolo superatis laurea Poenis : uictrices ornent talia serta comas1.
L’humanisme de la Renaissance se manifeste dans le domaine du droit par une réforme des études juridiques qui a comme objectif d’établir une connaissance plus approfondie du droit romain et des institutions romaines. Les juristes humanistes cherchent à revenir au droit classique pour libérer le droit justinien des gloses médiévales et pouvoir ainsi résoudre les points obscurs du Corpus iuris. Pour atteindre cet objectif, l’ensemble des lois héritées de l’époque de Justinien est étudié avec l’aide des textes classiques et des connaissances historiques et philologiques. Admiré pour la pureté et l’érudition de son langage, pour l’élégance et la justesse de ses discours, André Alciat (1492-1550) est l’un des membres les plus éminents de l’école historique qui chercha à diffuser cette attitude scientifique. Sa formation d’humaniste et sa profonde connaissance de la littérature classique ont eu un rôle décisif dans cette réforme de l’étude du droit romain2. Alciat utilise la philologie, la littérature et l’histoire ancienne pour comprendre ou pour améliorer l’interprétation des textes juridiques. Pour lui, l’histoire est la science par excellence, car elle vise la gloire et toutes les autres matières scientifiques doivent s’incliner devant elle3.
1 2
3
André Alciat, Les Emblèmes (fac-simile de l’édition lyonnaise de 1551), Paris, 1997, p. 225 : « Une couronne de laurier est due à Charles après sa victoire sur les Carthaginois : de telles couronnes ornent les chevelures victorieuses ». C’est nous qui traduisons tous les passages cités dans cette étude. Sur Alciat voir, entre autres, Dante Bianchi, L’opera letteraria e storica d’Alciato, Archivio storico lombardo, 1913, Anno XL, fasc. XXXIX, p. 5-130 ; Robert Warrand Carlyle et Alexander James Carlyle, A History of Mediaeval Political Theory in the West, vol. 6, Political theory from 1300 to 1600, London, 1950, p. 298-304 ; l’article ad vocem signé par Roberto Abbondanza, in Dizionario Biografico Italiano, Rome, 1960, vol. II, p. 69-77 ; Roberto Abbondanza, « La vie et les œuvres d’Alciat », in Pédagogues et juristes, Paris, 1963, p. 93-118 ; Vincenzo Piano Mortari, Diritto, logica, metodo nel xvi secolo, Naples, 1978, p. 349366 et Marco Cavina, « Indagine intorno al “ mos respondendi ” di Andrea Alciato », Rivista di storia del diritto italiano, 57, 1984, p. 207-251. Voir l’Encomium historiae (appelé de façon erronée lettre dédicatoire à Galeazzo Visconti), in Jacobi Bracelli Genuensis Historici eruditissimi, libri quinque. Item Johannis Ioviani Pontani de bello neapolitano, libri sex. Una cum Historiae Encomio doctissimo Andrea Alciato authore. Haganoae, per J. Secerium, 1530.
l’empire romain et la translatio imperii
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Son premier ouvrage d’histoire, les Rerum patriae libri (1504-1505), remonte aux années de son adolescence. Il s’agit d’une étude sur les origines de Milan, qui arrive jusqu’à l’époque de l’empereur Valentinien (au ve siècle), dans laquelle le jeune Alciat est déjà à la recherche d’une méthode scientifique pour étudier l’histoire4. Il utilise comme sources Tite-Live, Jules César et Tacite, mais aussi l’archéologie et l’épigraphie. Cette œuvre a le mérite d’avoir tracé une nouvelle voie aux sciences historiques, même si on a reproché à Alciat d’avoir intégré dans son récit les légendes médiévales concernant la fondation de Milan, et de ne pas toujours garder un esprit critique ou une posture humaniste5. C’est un reproche légitime que, toutefois, l’on pourrait étendre à de nombreux historiens de cette époque, comme Machiavel et Guichardin, lesquels, face à l’absence de documents sur les fondations des villes, préféraient s’appuyer sur les mythes existants. Nous savons, d’après une lettre adressée à Francesco Calvo, en 1523, qu’Alciat est en train de travailler à un ouvrage qu’il intitule : De constitutione Romani Imperii, dans l’intention de reconstituer la forme de l’Empire romain. Il explique comment la connaissance de l’ensemble des lois qui organisèrent le pouvoir impérial romain est nécessaire pour améliorer la compréhension du premier livre du Digeste6. Dans cette lettre, il affirme aussi vouloir reconstruire l’histoire de l’Empire après l’avènement de Charlemagne et répondre ainsi aux théories des écrivains allemands comme Lupold von Bebenburg, le luthérien Franz Friedlieb ou Luther lui-même. Il a donc l’intention de réfuter des courants de pensées proimpériales et réformistes qui mettaient en doute la suprématie de l’autorité pontificale sur les empereurs du Saint-Empire romain germanique7. En réalité, il est très probable qu’Alciat n’accomplit jamais son projet de prolonger son travail jusqu’à l’époque contemporaine. Toutefois, si le programme initial fut aban-
4 5 6
Sur cet ouvrage, voir D. Bianchi, L’opera letteraria e storica d’Alciato (note 2), p. 35-46. Voir Arturo Graf, Roma nella memoria e nelle immaginazioni del medio evo, Turin, 1882, vol. 1, p. 28 et 80. Gian Luigi Barni (éd.) : Le lettere di Andrea Alciato giureconsulto, Florence, 1953, p. 51 : Habeo in manibus opusculum quoddam, cujus argumentum opinor tibi non displicebit : ex Dione, Strabone, Suida, aliisque graecis et latinis authoribus, Formulam Imperii ab Augusto constitutam collegi : quod jus Caesaris, quod Senatorum esset : in quas Provincias Praesides, in quas Proconsules destinarentur. Omnem denique Romani Imperii formam breviter et erudite doceo : rem a recentioribus omnibus, quorum edita sint opera, nondum perceptam et maxime primo Digestorum libro intelligendo necessariam ; quod videlicet usque ad Augustulum ea semper formula observata fuerit. 7 G. L. Barni, Ibid., p. 51 : Quod si tu suaseris, progrediar ulterius et recentium imperatorum, qui post Carolum Magnum rerum potiti sunt, ad nostra usque tempora, ius prosequar, hicque pontificiam auctoritatem adversus germanos scriptores tuebor et egregie defendam, ostendamque a Lupoldo, Irenico, Lutherio vanissima commenta publicari : sed ut id faciam volo abs te rogari. Scribe igitur, quae sententia sit tua. Lupold von Bebenburg (1297-1363) était un ecclésiastique qui avait étudié le droit canon à Bologne comme élève de Giovanni Andrea. En 1352, il avait été nommé évêque de Bamberg. Il était très proche de la doctrine gibeline, dans la même ligne que Dante. Dans son traité De iuribus regni et imperii (publié à Bâle en 1497), il affirmait que l’empereur avait été envoyé au monde pour protéger les bons et punir les mauvais et que sa tâche principale était de protéger l’Église et de réaliser l’Empire universel chrétien. Franz Friedlieb (1495-1575), plus connu comme Franciscus Irenicus, fut un historien réformateur bavarois qui s’était formé à l’Université de Tübingen et d’Heidelberg, où, en 1518, pendant une brève période, il fut Recteur du St. Katharinen-Contubernium. En 1521, il se convertit aux théories luthériennes et se consacra à l’étude de la théologie. Voir Franz Friedlieb, Germaniae exegeseos volumina duodecim a Francisco Irenico Ettelingiacensi exorata eiusdem oratio, Haganoae, T. Anshelmi, 1518.
8
Alessandro Visconti, « Sul De formula Romani Imperii di Andrea Alciato, in un manoscritto Braidense », in Per il XIV centenario delle Pandette, Pavia, 1933, p. 281. 9 Annalisa Belloni, « Tra simpatie luterane e opportunismo politico », in Fabio Forner (dir.), Margarita amicorum : studi di cultura europea per Agostino Sottile, Milano, 2005, p. 117-143 (140). 10 Voir De summa Trinitate et fide catholica, in A. Alciat, Opera Omnia, Bâle, Guarino, 1582, vol. III, col. 1 à 18. 11 Bonifacius Amerbach, Die Amerbachkorrespondenz, vol. III, Die Briefe aus den Jahren 1525-1530, Basel, 1947, no 1262. Voir aussi Emilio Costa, « Andrea Alciato e Bonifacio Amerbach », Archivio storico italiano, 35, 1905, p. 118-119. 12 G. L. Barni, Le lettere di Andrea Alciato (note 6), p. 73 : Habeo autem editioni paratos commentarios in tractatum de verborum significatione, item de formula Romani Imperii libros duos, quorum prior, quae ab Augusto hac de re constituta sunt quaeque Constantinus mutavit et adusque Augustulum observata sunt, recenset, sequens a Charolo Magno in nostra tempora descendit ; prior plus eruditionis, posterior plus historiae continet. 13 Voir Paul-Frédéric Girard, « Alciat et la Notitia dignitatum », in Studi in onore di Silvio Perozzi nel XL anno del suo insegnamento, Palerme, 1925, p. 59-87 et Paul-Émile Viard, André Alciat (1492-1550), Paris, 1926, p. 306-310.
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donné, comme l’a écrit Alessandro Visconti, le De magistratibus civilibusque et militaribus officiis liber et le De formula Romani Imperii sont deux fragments d’une œuvre inachevée8. L’objectif de notre intervention est de rappeler les étapes de ce projet et de retrouver dans ce dernier ouvrage des traces de la pensée d’Alciat concernant quelques points théoriques fondamentaux sur la continuité de l’idée impériale et sur les rapports entre la Papauté et le Saint-Empire romain germanique. D’après Annalisa Belloni, en mai 1524, les De constitutione Romani Imperii libri II étaient déjà prêts pour être imprimés9. Toutefois, selon son hypothèse, le texte aurait été mutilé par l’auteur lui-même, et cela pour deux raisons liées à l’évolution des contextes en Allemagne et en Italie. D’une part, Alciat avait probablement conçu le De formula Romani Imperii et le De summa Trinitate et fide catholica avec l’espoir d’obtenir un bénéfice ecclésiastique10. Une fois convaincu de l’impossibilité d’obtenir ce privilège, il aurait préféré ne pas s’exposer avec des affirmations qui auraient pu heurter la sensibilité de ses amis d’au-delà des Alpes. D’autre part, le climat politique et religieux favorable à la réforme luthérienne, qui désormais s’imposait en Allemagne, lui aurait procuré des ennuis. Voilà pourquoi, selon A. Belloni, Alciat aurait renoncé à publier le De formula Romani Imperii dans sa version intégrale, bien que son ami Boniface Amerbach eût manifesté sa disponibilité à le publier en décembre 1527 ou encore en mai 152811. Naturellement, il s’agit de conjectures, étant donné que seule la version inachevée de cet ouvrage est arrivée jusqu’à nous. Quoi qu’il en soit, en 1528, dans une lettre à Boniface Amerbach, en parlant du De formula Romani Imperii, Alciat semble avoir renoncé à une partie du projet concernant les rapports entre la Papauté et l’Empire12. L’année suivante, Alciat décide de faire publier un libellus qui était en sa possession. Il s’agit d’une partie de la Notitia Dignitatum, un catalogue officiel des dignités de l’Empire. Ce libellus concernait uniquement les dignités de la partie orientale de l’Empire et avait été rédigé vers le début du ve siècle13. Dans la publication, le libellus était précédé par un petit ouvrage intitulé : De magistratibus civilibusque et militaribus officiis liber qui doit être considéré comme la première partie du travail d’Alciat sur la reconstitution de la forme de
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l’Empire romain14. Son intention est d’utiliser comme sources les écrivains de l’Antiquité pour mieux faire connaître les institutions juridiques de l’Empire romain, et en particulier les magistratures romaines dont il est question dans le premier livre du Digeste (aux titres 9 et 22). Selon Alciat, les jurisconsultes contemporains, confrontés aux négligences des jurisconsultes anciens n’ont pas une connaissance complète de ces institutions juridiques et son petit ouvrage veut apporter des éclaircissements pour mieux comprendre l’histoire du droit public romain. Dans ce petit ouvrage, analysé par Paul-Émile Viard15, Alciat rappelle la fondation de Rome, les premières lois octroyées par Romulus, la naissance du Sénat, la création des tribuns de la plèbe et leurs accès aux magistratures, les guerres civiles et la naissance de l’Empire avec l’arrivée d’Auguste. Il analyse ensuite les pouvoirs réunis sous le titre d’Imperator. Pour lui, les pouvoirs d’Auguste étaient initialement temporaires et c’était le Sénat qui lui avait demandé, à plusieurs reprises, de prolonger son mandat. Ce même Sénat et le peuple romain lui avaient conféré le titre de Père de la Patrie. En tant qu’Imperator, Octave avait le droit de guerre et de paix ; comme censeur, il avait l’autorité sur les particuliers ; comme tribun, il possédait l’inviolabilité et, en tant que pontife, il était le chef de la religion. Ensuite, Alciat expose la manière dont Auguste avait organisé l’Empire avec les différentes provinces (proconsulares attribuées au Sénat, praetoriae attribuées au peuple, praesidales administrées par un légat de l’empereur). Ainsi, il arrive jusqu’au transfert de la capitale de l’Empire romain à Byzance par Constantin, qui sert d’introduction à la Notitia Dignitatum16. Pour retrouver les traces de la suite du travail d’Alciat sur l’histoire de l’Empire romain, il faut faire un saut de trente ans. En 1559, après la mort du juriste milanais, Jean Oporinus publie le petit ouvrage De formula Romani Imperii libellus qui peut être imaginé comme un fragment de la deuxième partie du projet initial. L’opuscule est publié avec d’autres ouvrages des xiiie et xive siècles, qui ont tous comme point commun les relations entre la Papauté et l’Empire et le principe de la translatio imperii17. Il s’agit de l’édition princeps du De Monarchia de Dante18, du De translatione Imperii libellus de Landolfo Colonna, chanoine de Chartres19 et de la chronique de Jordanus de Osnabrück, intitulée Qualiter Romanum Imperium traslatum sit ad Germanos20.
14 A. Alciat, Opera Omnia (note 10), vol. IV, col. 585 à 592. 15 P.-É. Viard, André Alciat (note 13), p. 185. 16 Sur l’histoire et les éditions de ce texte, voir Guido Clemente, La Notitia Dignitatum, Cagliari, 1968. 17 A. Alciat, De formula Romani Imperii Libellus, Bâle, Oporino, 1559. L’opuscule fut publié aussi par Melchior von Goldast, in Politica Imperalia, Francfort, J. Bringeri, 1614, p. 638-645. 18 Écrit entre les années 1313 et 1318, le De Monarchia fut considéré par l’Église comme un traité hérétique, il fut réfuté par Guido Vernani, brûlé publiquement par le cardinal Bertrando del Poggetto en 1329 et mis à l’Index au xvie siècle. 19 À la demande de Lambert du Châtel, professeur de droit à Paris, Landolfo Colonna, issu de la célèbre famille romaine, composa ce traité dans lequel il utilisa de longs passages des deux œuvres de Barthélemy de Lucques (De origine ac translacione et statu Romani Imperii et Historia ecclesiastica nova). Voir De statu et mutatione Romani Imperii, in Melchior Goldast, Monarchia S. Romani Imperii, t. II, Francfort, 1614, p. 88-95 et Claudine Billot, « Landolfo Colonna, chanoine de Chartres de 1290 à 1329 et le premier humanisme », dans J.-R. Armogathe (dir.), Monde médiéval et société chartraine, Paris, 1997, p. 301-307. 20 En réalité, Jordanus de Osnabrück est l’auteur uniquement du premier chapitre de ce traité. Le reste de l’ouvrage est l’œuvre d’Alexandre de Roes, chanoine de Sainte-Marie de Cologne, qui, en 1281, reprit
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l’écrit de Jordanus pour démontrer, en polémique avec le royaume de France, que tous ceux qui voulaient détruire l’Empire, les Romains, leurs évêques et les princes d’Allemagne, étaient des précurseurs de l’Antéchrist. Voir Alois Dempf, Sacrum Imperium. La filosofia della storia e dello stato nel Medioevo e nella Rinascenza politica, Firenze, 1988 (1933), p. 445-447. Voir Werner Goez, Translatio imperii. Ein Beitrag zur Geschichte des Geschichtsdenkens und der politischen Theorien im Mittelalter und in der frühen Neuzeit, Tübingen, 1958, p. 109-114. Ibid., p. 137-156. Marcel Pacaut, La théocratie. L’Église et le pouvoir au Moyen Âge, Paris, 1989 (1957), p. 55-155. Voir aussi Le gouvernement pontifical et l’Italie des villes au temps de la théocratie (fin xiie-mi-xive). Sources latines réunies, présentées et traduites par P. Gilli et J. Théry, Montpellier, 2010, p. 25-100 et passim.
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Avant d’aborder l’analyse du libellus d’Alciat, rappelons que l’expression translatio imperii fait référence à un ensemble de concepts juridiques, théologiques, historiques et philosophiques qui sont à la base d’une idée de continuité entre l’Empire romain et le Saint-Empire romain germanique. Cette théorie du transfert des pouvoirs des empereurs romains aux empereurs allemands, qui avait commencé à prendre forme au cours du xiie siècle (surtout avec le grand historien et théologien Otto de Freising) était le fondement de la légitimité du Saint-Empire romain germanique. Le passage de la suprématie mondiale d’un peuple à l’autre était strictement lié à l’interprétation que saint Jérôme avait fait du songe de Daniel : un rêve prophétique sur les quatre Empires qui devaient se succéder dans la domination du monde avant l’arrivée du règne céleste. Les quatre règnes successifs (assyro-babylonien, perse, macédonien et romain) étaient la mise en place d’un dessein de la providence et le dernier devait s’étendre jusqu’à la fin des temps, puisqu’il était le seul porteur de légitimité21. Mais qui avait l’autorité pour pouvoir déterminer un tel transfert ? Cette question était fondamentale pour déterminer l’ordre hiérarchique des pouvoirs, l’origine de la souveraineté impériale et le rôle du pape dans la naissance du Saint-Empire. Pour les défenseurs de la prééminence du pouvoir papal, le vrai auteur de la translatio était le pape car son pouvoir était d’origine divine et toute la force et la dignité de l’empereur émanaient du pontife22. Pour illustrer leur théorie, en se référant au psaume 135 de la Bible, ils comparaient le pape au soleil et l’empereur à la lune. Ils s’appuyaient aussi sur un postulat d’ordre philosophique : la suprématie de l’âme sur le corps, qui impliquait la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel et sur la métaphore des deux glaives (image du double pouvoir du pape, selon laquelle il déléguait son pouvoir temporel à une autorité politique). Parmi les défenseurs les plus acharnés du pouvoir de la papauté in temporalibus, nous trouvons des papes comme Grégoire VII, Alexandre III, Innocent III, Grégoire IX, Innocent IV, Boniface VIII et des théoriciens comme Barthélemy de Lucques, Gilles de Rome, Alvaro Pelagio ou Agostino Trionfo23. Ce dernier, par exemple, dans sa Summa de potestate Papae considère que le pouvoir souverain du pape est le seul qui dérive directement de Dieu et que le véritable droit d’élire l’empereur revient au pape puisque, selon Paul, l’empereur est Dei minister. Selon Trionfo, le pape pouvait non seulement changer les princes électeurs, mais aussi transformer la monarchie élective en monarchie héréditaire. Dans cet ouvrage, écrit en 1320 mais publié à plusieurs reprises au cours du xve siècle, le droit ecclésiastique
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est conçu de manière à légitimer les prétentions de la Papauté à former un système absolutiste que Luther combattra en le qualifiant d’anti-chrétien. Les juristes et théologiens favorables à l’empereur défendaient la thèse de l’équivalence des pouvoirs en rappelant que l’Empire avait précédé historiquement la naissance de l’Église et que les empereurs romains remplissaient déjà des fonctions sacerdotales avant l’avènement du christianisme. Otto Freising, par exemple, pensait que le véritable auteur de la translatio était l’empereur, par sa seule vertu24. Frédéric II avait affirmé que le peuple et le Sénat romains lui avaient transmis spontanément la dignité impériale divine et que, pour cette raison, le peuple avait le devoir de le soutenir25. Dans son traité De Monarchia, Dante avait affirmé que le pouvoir de l’empereur dépendait directement de Dieu et il estimait que le seul devoir du pape était de guider les âmes vers le salut éternel. Il mettait en parallèle les deux pouvoirs et, pour montrer l’indépendance de l’Empire, imaginait l’empereur comme l’un des duo luminaria magna de la Bible. Selon l’écrivain florentin, le peuple de Rome s’était approprié le droit à la monarchie et l’empereur recevait son autorité directement de Dieu et non pas du pape26. Dante était aussi en opposition avec les légistes de Philippe le Bel qui, au début du xive siècle, avaient réclamé l’autonomie du roi de France et s’étaient opposés aux idées théocratiques, jugeant qu’un roi est empereur dans son royaume. Il prônait la nécessité d’une dyarchie pour s’opposer aux théories hiérocratiques avancées par Boniface VIII. Dans le Tractatus de translatione Imperii, écrit entre 1317 et 1324, Landolfo Colonna attribuait directement au pape la paternité du transfert de l’Empire des Grecs aux Francs, montrant ainsi que le pouvoir impérial était sous la dépendance de l’autorité pontificale. Une fois connue l’existence de ce traité, Marsile de Padoue décida de critiquer l’ouvrage de Colonna en le suivant pas à pas. En ce qui concerne le pape et l’empereur, la théorie de la suprématie pontificale s’appuyait aussi sur le fait que l’église de Rome et l’église de Dieu correspondaient à la même entité. Or, pour Marsile, l’église de Rome n’a rien de sacré et l’empereur doit vénérer l’église de Dieu. Le Padouan niait l’origine divine de l’institution de l’Église, estimant que le pouvoir du pape dépendait de l’autorité d’un concile27. Marsile ne séparait pas le pouvoir temporel du pouvoir spirituel, mais il les déférait uniquement à l’autorité temporelle, se plaçant ainsi à l’opposé des défenseurs de la pleine puissance pontificale. Il croyait que le pouvoir impérial avait une double origine, l’une divine, l’autre populaire. Cette théorie affirmait que l’Empire était propriété inaliénable du peuple romain et donc que le véritable auteur de ce transfert était le peuple romain car il était le vrai dépositaire de ce droit (ius imperii romani). Probablement Alciat ne connaissait-il ni le Defensor pacis ni le De translatione imperii, puisque c’est seulement vers la moitié du xvie siècle que l’œuvre 24 25 26 27
W. Goez (note 21), Translatio imperii, p. 104-137. E. H. Kantorowicz, L’empereur Frédéric II, Mayenne, 1987, p. 411. Voir Dante, La Monarchie, Paris, 1993, p. 195, (liv. III, IV, 12) ; p. 209, (liv. III, IX, 1 et p. 241 (liv. III, XV, 16. Voir le chapitre XXVI du Defensor pacis et le traité De translatione imperii, in Colette Jeudy et Jeannine Quillet (éd.) : Marsile de Padoue, Defensor minor. De translatione imperii, Paris, 1979, p. 369-433. Contre le Defensor Pacis, l’Église organisa un procès qui se conclut par une condamnation. Voir Robert Folz, L’idée d’Empire en Occident du ve au xive siècle, Paris, 1956, p. 160.
L’Empire a été enlevé à l’empereur de Constantinople, le nom et le titre nous ont été attribués à nous, Allemands ; de ce fait nous sommes devenus esclaves du pape, et c’est maintenant un second Empire romain que le pape a édifié sur les Allemands, car l’autre, le premier, comme nous l’avons dit, il y a longtemps qu’il a disparu30.
Pour Luther, le droit canon est « tyrannie avouée, cupidité et pompe temporelle31 » fruit d’une volonté arbitraire qui a chassé de Rome l’empereur, le contraignant à porter le titre d’« Empereur des Romains » sans pourtant détenir la ville éternelle. […] alors que nous pensions devenir les maîtres, nous sommes devenus les esclaves des plus rusés d’entre les tyrans, nous portons le nom, le titre et les armes de l’Empire, mais le trésor de l’Empire, sa puissance, ses droits et ses libertés, c’est le pape qui les détient…32
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Voir Marco Cavina, Imperator Romanorum triplice corona coronatur. Studi sull’incoronazione imperiale nella scienza giuridica fra Tre e Cinquecento, Milano, 1991, p. 140-142. Voir « À la noblesse chrétienne de la nation Allemande », dans Martin Luther, Œuvres, Paris, 1999, p. 589-673 (p. 663). Ibid., p. 666. Ibid., p. 609. Ibid., p. 666.
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de Marsile sera exhumée par les réformateurs allemands qui le percevaient comme un précurseur de Luther. Lupold von Bebenburg, un prélat du xive siècle qu’Alciat avait l’intention de réfuter, s’était opposé aux prétentions papales d’intervenir directement dans le gouvernement du Saint-Empire. Dans le De iurisdictione, auctoritate et praeminentia imperiali, écrit vers 1340, il avait affirmé que l’empereur obtenait la plenitudo potestatis dans les territoires de l’Empire par la seule élection des sept électeurs, sans besoin de l’approbation du pape. Pour lui, il y a une différence entre l’Empire du Reich et l’Empire du monde. Alors que le couronnement romain donnait à l’empereur la pleine autorité sur le monde, l’élection allemande lui donnait la pleine autorité sur l’Allemagne28. De cette manière, Lupold préservait les territoires du Saint-Empire de l’intervention directe du pape, mais en même temps lui reconnaissait le pouvoir de conférer la dignité impériale à travers le couronnement romain qui donnait à l’Empereur des Romains un pouvoir sur l’ensemble du monde chrétien. Au xve siècle, plusieurs ouvrages allemands de droit civil suivaient le système théorisé par Lupold von Bebenburg. Dans son discours adressé à la noblesse chrétienne allemande en 1520, Luther s’était vigoureusement opposé à la tradition selon laquelle le pape avait pris le « Saint-Empire à l’empereur grec pour le donner aux Allemands »29. Pour lui, le véritable Empire romain, auquel faisait allusion Daniel, avait été détruit avec les invasions des Goths et il avait disparu pour toujours. Il considérait le principe de la translatio imperii comme une ruse de la part de l’Église pour obtenir la docilité du peuple allemand et pour justifier la tentative des papes de se placer arbitrairement au-dessus de toute autorité temporelle.
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Pour lui, la papauté n’était pas une institution de droit divin. Comme Marsile, il pensait que le pape n’était pas le chef de la chrétienté, mais seulement l’évêque de Rome. Dans sa polémique de plus en plus exacerbée contre l’Église de Rome, Luther, après son procès et son excommunication en 1521, accusait le pape d’être l’antéchrist inspiré par le diable et il demandait qu’il restitue Rome et tout ce qu’il détenait de l’Empire.
Couronnement de Charlemagne Revenons au De formula Romani Imperii. Après avoir décrit la forme de l’Empire à l’époque d’Auguste, Alciat voulait étudier l’évolution de l’Empire et notamment en ce qui concerne le droit et l’élection des empereurs récents (recentiorum Caesarum ius et electionem pertinent)33. Estimant que les historiens et les juristes du passé avaient négligé la réalité sur ces aspects et écrit des inepties, il avait cherché à combler cette lacune. Alciat commence son parcours historique par les invasions barbares, la destitution de Romulus Augustule, les campagnes militaires de Bélisaire et de Narsès pour le compte de Justinien et l’arrivée des Lombards, qui s’opposaient à la suprématie de Constantinople. Ensuite, il fait allusion aux dérives hérétiques des empereurs byzantins, comme, par exemple, Léon III qui, en 730, promulgua l’édit en faveur de l’iconoclasme préparant ainsi la rupture avec l’Église de Rome, et il arrive au couronnement de Charlemagne. Il est évident que, dans la logique d’une continuité de l’Empire, le couronnement de Charlemagne était un moment crucial de l’histoire du retour de l’Empire en Occident. Pour Alciat, le pape « détenait alors le très saint pouvoir dans le domaine spirituel » et sa décision de conférer le pouvoir à Charlemagne était due au fait qu’il jugeait honteux que la charge suprême de l’Empire fût exercée par la volonté d’une femme, l’impératrice Irène. Pour cette raison, Alciat considère comme légitime le transfert de l’Empire romain des Grecs aux Francs. Voici ce qu’il écrit à ce propos : Il (le pape Léon III) remit à Charles, qui reçut du peuple romain le titre d’Auguste, les infules et toutes les autres marques de la dignité suprême et lui donna l’onction au cours d’une cérémonie. C’est depuis ce temps-là que l’on considère que le siège apostolique dispose du droit de conférer l’empire romain : cette opinion admise par tous s’appuie aussi sur les raisons les plus élevées34.
Cette page est très importante pour comprendre la position d’Alciat par rapport à la nature du pouvoir impérial. Tout d’abord, Alciat établit la supériorité du pape par rapport à l’empereur puisqu’il accepte l’idée que c’est au siège apostolique que revient le droit de conférer
33 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 1-2. 34 Ibid., p. 6 : Carolum Augustum a pop. Rom. appellatum, infulis, caeterisque supremae maiestatis insignibus exornauit, et inter sacra inunxit. Ab eoque tempore existimatione hominum receptum est, Imperii Romani ius et arbitrium penes Apostolicam sedem esse : quae ab omnibus concepta opinio, summis quoque rationibus nititur.
le titre d’empereur. Toutefois, pour lui, le pouvoir suprême et la puissance impériale appartenaient au peuple romain.
Il s’agit du moment où le peuple romain transféra le pouvoir à Auguste par le biais de la lex regia36. Selon Alciat, le peuple romain était le vrai dépositaire de ce droit de transmettre le titre d’empereur et déjà, avant le couronnement de Charlemagne, en colère contre l’empereur Léon qui était le maître à Constantinople, il avait commencé à examiner le projet de nommer un nouvel empereur en Italie. Seules les prières du pontife Grégoire II l’en avaient dissuadé37. Comme l’avait fait déjà Marsile de Padoue, Alciat attache beaucoup d’importance à l’acclamation des Laudes Imperiales par le peuple. Dans la cérémonie de l’avènement impérial à Byzance, l’acclamation par le Sénat et l’armée était un acte constitutif pour la création du nouvel empereur. Le peuple romain avait gardé son pouvoir inaliénable de concéder directement la souveraineté à un prince de son choix. Probablement, pour Alciat, ce transfert était-il jusqu’à ce moment temporaire et révocable. Charlemagne avait été élu empereur de la même manière. C’est donc en se fondant sur tous ces précédents que le peuple acclama Charles en lui donnant le nom d’Auguste et que le Pontife lui donna l’onction, faisant sienne une coutume empruntée à l’histoire des Juifs chez lesquels la coutume voulait que les rois fussent oints38.
En réalité, Léon III avait devancé l’acclamation en couronnant Charles de ses propres mains, en tant que chef de l’Église romaine. L’acclamation se trouva ainsi réduite à un rôle secondaire et, par cette inversion du rituel, Léon III apparaissait comme le réel créateur de l’Empire39. Charles était ainsi le premier empereur à être couronné par un pape, ce qui fut un coup de génie politique de la part du pontife, car l’aide du roi des Francs lui permettait de se libérer à la fois des prétentions byzantines et des menaces lombardes et de mettre un frein aux conflits internes avec la noblesse laïque. En réalité, ce fut un acte illégal délibéré,
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Ibid., p. 7 : Nam ut supra a nobis traditum est, suprema rerum potestas, iusque Imperii omne, ad populum pertinuit, summaque eius fuit authoritas : cui etiam dictatorem subjici, exemplo L. Papirii, apud T. Livium constat. Sic Augustus tum demum supremam maiestatem consequutus est, cum in eum a Pop. Ro. ius omne translatum est. 36 Voir R. W. Carlyle et A. J. Carlyle, A History of Mediaeval Political Theory (note 2), vol. 6, p. 298. 37 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 7. 38 Ibid., p. 8 : Caeterorum ergo exemplo Carolum pop. Augustum acclamauit, pontifexque inunxit : idque accepto de Iudaeorum historia more, apud quos constat inungi a pont. Reges consueuisse. 39 Voir E. H. Kantorowicz, Laudes regiae, Berkeley, 1946 et Robert Folz, Le couronnement impérial de Charlemagne. 25 décembre 800, Paris, 2008 (1964), p. 186-189 et 281-282.
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En effet, comme nous l’avons rapporté plus haut, le pouvoir suprême et la puissance impériale appartenaient au peuple et c’est lui qui avait l’autorité suprême : c’est à lui que même un dictateur était soumis comme le prouve l’exemple de Lucius Papirius chez Tite-Live. C’est ainsi qu’Auguste obtint la dignité suprême seulement quand le Peuple Romain lui transmit tout pouvoir35.
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sans précédent et sans fondement juridique, contre la capitale de l’Empire. L’analyse de la cérémonie et notamment les acclamations rituelles de la foule portent à exclure son caractère improvisé et il est tout à fait probable que le couronnement ait aussi reçu le consentement de la noblesse romaine40. Toutefois, cette stratégie ambitieuse n’était pas exempte de risques pour les papes car la nouvelle institution impériale naissait dans l’ambiguïté. Selon la tradition, l’Empire était propriété inaliénable du peuple romain et Charlemagne était censé avoir reçu son pouvoir directement du peuple41. De plus, en remettant les clés du tombeau du prince des apôtres et l’étendard de la ville à Charlemagne, Léon III avait symboliquement reconnu son pouvoir politique sur Rome et son rôle de défenseur de l’Église42. Mais il est tout à fait probable que ni les protagonistes ni les spectateurs n’aient été vraiment conscients de l’importance de ce couronnement, qui fut lourd de conséquences pour l’histoire de l’Europe.
Naissance du Saint-Empire romain germanique En ce qui concerne l’élection des successeurs de Charlemagne, nous pouvons nous demander comment cette élection avait été transférée en Allemagne et pourquoi elle devait ensuite être confirmée par le pape. Un passage significatif du De formula Romani Imperii concerne la naissance du Saint-Empire romain germanique et l’élection de l’empereur par les sept princes électeurs. Alciat rappelle d’abord l’histoire d’Othon III, lequel, en 996, à l’âge de quinze ans, était arrivé à Rome et avait utilisé tout son pouvoir pour faire élire pape son chapelain et cousin, Brunon, âgé de vingt-trois ans43. Le nouveau pape, Grégoire V (996-999) fut le premier pape allemand dans l’histoire de l’Église romaine. Quelques jours plus tard, Othon avait reçu la couronne impériale des mains de son cousin, mettant ainsi fin au gouvernement citadin du patricius Crescentius. Alciat s’insurge contre un droit mensonger qui avait permis à un empereur élu de nommer un pape. Révoltés par cet abus, les Romains, avec à leur tête Crescentius, qu’ils distinguèrent par l’honneur du consulat, chassèrent Grégoire comme un usurpateur et élevèrent sur le siège apostolique Jean de Plaisance (antipape Jean XVI), renommé pour sa science et ses richesses44.
40 James Bryce, Le Saint Empire romain germanique et l’actuel Empire d’Allemagne, Paris, 1890, p. 74-77. 41 Voir Ferdinando Gregorovius, Storia della città di Roma nel Medioevo. Dal secolo v al xvi, Venise, 18721876, vol. II, p. 570-571. 42 Voir Louis Duchesne, Les premiers temps de l’État pontifical, Paris, 1904, p. 180 et Heinrich Fichtenau, L’Empire carolingien, Paris, 1981 (1958). 43 Sur la personnalité d’Otton Ier et sur son dépassement de la tradition carolingienne dans un sens autoritaire, voir Robert Folz, La naissance du Saint-Empire, Paris, 1967, p. 130-151 et Francis Rapp, Le Saint Empire romain germanique d’Otton le Grand à Charles Quint, Paris, 2000, p. 65-73. 44 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 22 : Ex his nepos, qui Otho tertius dictus est, commentitio iure, propriaque authoritate Gregorium quintum, origine Saxonem, Pontificem creauit : quam rem indigne ferentes Romani, Crescentio duce, quem consulatus honore insigniuerant, Gregorium ceu adulterinum ejiciunt : Ioannem Placentinum ad Apostolicae dignitatis culmen extollunt.
Cet épisode permet à l’écrivain milanais de rappeler le tort subi par le peuple romain dépossédé de son droit d’élire l’empereur. En effet, Alciat reprend l’histoire légendaire qui attribuait au pape Grégoire V la fondation du collège des sept électeurs allemands :
L’élection de l’empereur par les sept électeurs allemands décidée par Grégoire V apparaît à Alciat historiquement fondée. En réalité, c’est seulement en 1257, à l’époque du Grand Interrègne, que l’on voit apparaître pour la première fois le groupe des sept électeurs qui sera par la suite le seul autorisé à élire le Roi des Romains. Cette institution sera définitivement fixée par la Bulle d’Or publiée par Charles IV en 135646. En revanche, la reconstruction postérieure fictive aurait été formulée pour la première fois en 1280 dans la Determinatio compendiosa de Iurisdictione Imperii attribuée à Barthélemy de Lucques (1236-1326)47. Il s’agit d’un écrit polémique qui défend les thèses de la curie romaine. Selon l’auteur, le pape, avec son pouvoir spirituel et temporel, se trouve au-dessus de toute autorité et de tout gouvernement. En ce qui concerne la translatio imperii, Barthélemy de Lucques affirmait qu’il y en avait eu trois. La première était la Donation de Constantin quand le pape Silvestre avait récupéré l’Empire qui de iure revenait au Christ. La deuxième translation était celle des Grecs aux Francs et la troisième des Francs aux Allemands. La mythique constitutio de Grégoire V servait à montrer qu’au moment de la naissance du Saint-Empire romain germanique, l’Église avait prescrit les lois aux futurs empereurs et que les sept princes électeurs d’Allemagne détenaient uniquement du pape leur droit d’élection48. Au pape était en effet réservé le droit de nommer, de confirmer, d’approuver et de couronner l’empereur. Alciat, en suivant cette orientation idéologique, rappelle aussi les sept conditions que, traditionnellement, on jugeait nécessaires pour qu’un empereur obtienne sa légitimation à gouverner : la première était l’élection elle-même ; la deuxième était que le Pontife en soit informé ; la troisième que celui-ci fasse une enquête sur la vie et les mœurs de l’élu et qu’il se comporte en censeur, ensuite qu’il proclame publiquement celui qui devait être placé à
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Ibid., p. 23 : Gregorius, sive ut Romanos ulcisceretur, sive patriae suae plurimum tribuere volens, legem de Imperatorum comitiis tulit : ne ius eligendi penes pop. Rom. in posterum esset : sed uice populi, septem Germaniae proceres fungerentur. Voir J. Bryce, Le Saint Empire romain germanique et l’actuel Empire d’Allemagne (note 40), p. 389 ; Jean Schillinger, Le Saint-Empire, Paris, 2002, p. 66-74 et F. Rapp, Le Saint Empire romain germanique d’Otton le Grand à Charles Quint (note 43), p. 221-259. Disciple de Thomas d’Aquin, dont il avait repris et complété le De regimine principum, Barthélemy (Ptolomée) de Lucques est aussi l’auteur (entre 1313 et 1317) d’une Historia ecclesiastica nova et d’un Tractatus de origine ac translacione et statu Romani Imperii. Voir Tholomeo Lucensis, Determinatio compendiosa de Iurisdictione Imperii, Leipzig, 1909 et M. Cavina, Imperator Romanorum triplice corona coronatur (note 28), p. 71. Voir T. Lucensis, Determinatio compendiosa de Iurisdictione Imperii, chap. XIII, p. 29.
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Grégoire, soit pour se venger des Romains, soit qu’il voulût favoriser le plus possible sa patrie, présenta une loi sur les assemblées élisant les empereurs afin qu’à l’avenir ce droit ne soit plus détenu par le peuple romain. À la place du peuple, sept grands d’Allemagne s’acquitteraient de cette fonction45.
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la tête de l’Empire ; il fallait pour cela qu’il reçoive l’onction de l’archevêque et qu’il devienne ainsi un homme sacré ; la dernière était qu’il soit couronné49. Rappelons que, dans son Defensor pacis, Marsile revendiquait la suprématie de l’empereur sur le pape et jugeait parfaite son élection par les princes électeurs sans aucune intervention du pontife. Soucieux de donner à l’empereur élu sa pleine puissance et souveraineté, il avait résolu le problème du transfert en affirmant que le peuple romain avait transmis son pouvoir au Sénat et que celui-ci, grâce au principe de la translatio imperii, l’avait transféré à la Diète allemande de manière définitive et irrévocable. La Diète à son tour, en imitant le Sénat romain, l’avait transféré aux sept électeurs50.
Couronnes Impériales Selon la tradition médiévale, l’empereur, pour acquérir sa pleine maiestas, devait être sacré par trois couronnements, un en Allemagne et deux en terre d’Italie, avec trois couronnes différentes : une de fer, une d’argent et une d’or. Chaque couronnement avait une importance politique, mais aussi symbolique. La couronne de fer était un symbole de force. Par la couronne d’argent, l’empereur était censé recevoir les dons de pureté, d’honnêteté et de continence. La couronne d’or, que l’empereur recevait lors de son dernier couronnement à Rome, représentait la transmission de la connaissance et de la sagesse dans le corps de l’élu. Cette transmission était d’origine divine et lui donnait un statut de haute noblesse et de parfait garant de la justice sur terre. Pour les partisans de la suprématie papale, ceindre la couronne d’or était une condition nécessaire pour exercer le droit impérial. Mais dans la littérature juridique, à propos du couronnement impérial, on parlait aussi d’une couronne de paille. Pour Alciat, qui parle du premier couronnement à Monza à l’époque de Conrad III de Hohenstaufen (1094-1152), cette couronne était une invention des Milanais qui voulaient ainsi se moquer des habitants de la ville de Monza. Ceux-ci voulaient à tout prix que leur ville soit désignée comme le lieu du premier couronnement en Italie puisqu’ils gardaient la couronne de fer dans leur ville. Mais tous les sacres des xive et xve siècles s’étaient déroulés à Milan et cela causait l’hilarité des Milanais qui avaient pris l’habitude de se moquer de leurs adversaires en inventant l’histoire de la couronne de paille et de son couronnement fictif. Voici ce qu'écrit Alciat : Mais les Milanais, en raison de leur mépris pour ces couronnes, les appellent « couronnes de paille », expression très ancienne qui qualifie de « paille » une chose sans valeur, une chose de rien. De là vient qu’Aristophane aussi, dans une comédie antique, appela les étrangers hôtes de l’Attique une « paille » de citoyens51.
49 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 28. 50 Voir Marsile de Padoue, Defensor minor (note 27), p. 369-433. Contre le Defensor Pacis, l’Église organisa un procès qui se conclut par une condamnation. 51 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 26 : Sed Mediolanenses has coronas contemptus causa paleas uocant, prisco loquendi more, quo uilis res et nihili palea dicitur. Ex quo et Aristophanes, inquilinos Atticos paleam civium in antiqua comoedia appellauit.
Couronne de fer Selon une croyance très répandue à l’époque, le fil de fer qui entourait la partie intérieure de la couronne de fer avait été forgé avec un clou utilisé pour crucifier le Christ54. De cette couronne, Alciat donne une interprétation symbolique assez originale : Celle qui est remise à Milan est en fer, selon la coutume, puisque le règne de Rome, prédit chez le prophète Daniel, est représenté sous l’apparence du fer, parce que c’est par les armes que l’Italie parvint au sommet de sa puissance, laquelle est signifiée par le diadème d’or55.
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Reinhard Elze, « La corona imperiale di paglia », in Cultura e società nell’Italia medievale. Studi per Paolo Brezzi, Rome, 1988, vol. I, p. 337-344. 53 Nous nous permettons de renvoyer à Juan Carlos D’Amico, Trois couronnes en métal et une en paille : modification d’un mythe au service de la politique, in T. Pardi (dir.), Studi Medievali e Moderni no 2/99, Napoli, 2000, p. 5-26. 54 L’Église avait fini par accepter cette croyance qui sera réfutée, plus tard, par Muratori en désaccord avec Giusto Fontanini. Voir Lodovico Antonio Muratori, De corona ferrea qua Romanorum imperatores in Insubribus coronari solent commentarius, Milan, Malatesta, 1719 ; et Giusto Fontanini, Dissertatio de Corona Ferrea Longobardorum, Rome, F. Gonzaga, 1717. Voir aussi La corona ferrea nell’Europa degli Imperi, Milan, 1995, vol. I. 55 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 27 : Quae Mediolani datur, ferrea esse consueuit : quoniam Rom. regnum ferri figura, ut apud mysticum illum uatem Danielem praemonstratum est, ostenditur quia inde armis rem Italicam ad supremum culmen, quod aureum diadema significat peruenisse.
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Néanmoins, il est possible que cette interprétation ne soit qu’en partie vraie et que, dans le passé, un sacre impérial avec une couronne de paille ait vraiment existé52. Les vertus que les trois couronnes sont censées transmettre à l’empereur correspondent à trois des quatre vertus cardinales. Le fer est synonyme de force, l’argent de tempérance et l’or de justice. Il semble tout à fait logique de penser que si une quatrième couronne avait existé auparavant, elle pouvait symboliquement représenter la quatrième vertu cardinale : la prudence. En opposition aux trois vertus théologales, les quatre couronnes pouvaient ainsi être les symboles des quatre vertus cardinales transmises, de manière infuse, par le rite du couronnement. L’empereur était le seul homme sur la terre dépositaire de ces vertus et le seul qui les possédait entièrement. Une sorte de complémentarité entre les vertus divines et les vertus humaines lesquelles dépendaient des deux institutions majeures de l’Occident chrétien. Toutefois, plus que de complémentarité, il faut parler de subordination. En effet, le christianisme estimait les vertus cardinales comme subordonnées aux vertus théologales. Les quatre vertus cardinales, incarnées par la maiestas de l’empereur, étaient ainsi subordonnées aux trois vertus théologales, incarnées par le pape, vicaire du Christ sur la terre. Voilà qu’au niveau symbolique venait à se recréer une subordination du pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Les docteurs de l’Église avaient expliqué théoriquement cette dépendance par le fait que le pouvoir spirituel s’adressait à l’âme de l’homme et le pouvoir temporel à son corps. Cette dépendance pourrait aussi s’expliquer par la représentation hiérarchique des vertus que les chefs des deux institutions étaient censés symboliser53.
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Le fer représente le quatrième et dernier empire du songe de Daniel, l’Empire romain, parce que c’est par sa valeur guerrière que l’Italie était parvenue au sommet de sa puissance. La couronne de fer était un symbole de force que les empereurs acquéraient par les armes et les armées. Elle rappelait aussi à l’empereur son devoir de lutter contre les ennemis de l’Église. C’est probablement dans cette logique qu'Alciat célèbre dans un emblème la victoire de Charles Quint et la conquête de Tunis56. Sur le plan symbolique, il est évident que le couronnement lombard était jugé moins important que le sacre romain, le seul à conférer le titre de César Auguste. D’autre part, Alciat rappelle aussi que la royauté des Allemands est inférieure à la dignité d’Auguste : par la première on accédait au titre de Roi des Romains, par la seconde au titre d’Empereur des Romains et à la maiestas impériale. Celle qui est reçue à Milan d’après l’usage établi par Pépin signifie le gouvernement de l’Italie, tandis que celle qui est accordée par le pape à Rome signifie l’honneur de la charge suprême dans le domaine temporel, le sommet de la puissance57.
Ce passage me paraît aussi très important parce que la couronne d’or du couronnement romain représente pour Alciat l’honneur de la charge suprême dans le domaine temporel, le sommet de la puissance. Il y a un seul moment dans cet ouvrage où le juriste rappelle directement l’époque contemporaine, c’est à propos de Charles Quint : […] après Frédéric III et Maximilien, figure Charles Quint, le plus grand empereur de tous les siècles, qui, dans le temps présent, détient la souveraineté58.
Tout nous laisse donc penser qu’il différenciait le titre impérial de tous les autres titres royaux. Toutefois, Alciat, qui était plutôt favorable à François Ier dans la querelle avec son éternel rival, considérait le roi de France comme ayant le même degré de dignité que l’empereur et non pas comme son sujet59.
Liberté et respect de la loi Le parcours historique d’Alciat arrive ainsi à l’époque de la Paix de Constance. Il rappelle comment les empereurs disposaient du droit de demander de l’argent aux territoires du
56 Voir vers mise en exergue au début de cette étude. 57 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 27 : Quae vero Mediolani, ex Pipini instituto sumitur, moderatae Italiae argumentum esse : at quae Romae a Pontifice tribuitur, eam supremam rerum humanarum dignitatem, imperatoriumque culmen indicare. 58 Ibid., p. 46 : […] post Federicum III, Maximilianumque, Carolus V. maximus omnis aeui princeps, in presentia rerum potitur. 59 Voici ce qu’Alciat écrit dans le Liber de singulari certamine (Opera Omnia [note 10], vol. IV, col. 649) : Dignitatum autem nostri temporis varii sunt gradus, quarum maximus est Imperatoris, qui priusquam corona insignitus fuerit, Rex Romanorum simpliciter dicitur. Eodem gradu Francorum est Rex, qui nullo tempore Caesari fasces suos summisit, nec nunc eius maiestatem observat.
Les rois diffèrent des empereurs en ce que les rois exercent à fond leur pouvoir suprême tandis que les empereurs ne dirigent pas des cités libres autrement que par un juste gouvernement. Par exemple, en Allemagne, des villes unies par une alliance, que l’on appelle pour cette raison franches sont pour toujours gouvernées par l’empereur. De leur propre volonté, elles reconnaissent et reçoivent l’empereur en qualité d’Auguste, mais ne supportent pas le moins du monde d’être écrasées d’impôts, d’être rongées par les magistratures, d’être troublées par des menaces. Elles sont sous l’autorité d’un prince pour obéir à des ordres honnêtes et non pour être les esclaves d’un tyran avare et cruel61.
L’Empire romain sert donc comme exemple du bon gouvernement. L’empereur doit être un prince juste et non pas un tyran avare et cruel. Comme l’avaient fait les anciens Romains, l’empereur doit agir selon un droit juste et équitable. Alciat parle ensuite de la guerre, des constitutions des royaumes et des droits relatifs à la captivité. Encore une fois, il loue la pratique des Romains de donner des droits égaux aux peuples conquis et de sauvegarder leur liberté : Les Romains, eux, après avoir vaincu les Italiens par les armes, les adjoignirent d’abord à leurs propres forces et bientôt, ayant conclu avec eux une alliance, les invitèrent à former avec eux une seule communauté politique sur un pied d’égalité : les Italiens devinrent tous des citoyens romains62.
De cette manière, il revient sur la nature du pouvoir impérial. Le transfert du pouvoir du peuple romain à l’empereur par le biais de la lex regia n’impliquait ni le droit de vie et de mort sur les citoyens ni la liberté d’abuser de ce droit pour se transformer en tyran : Quand, selon la loi royale, le peuple romain accorda à Auguste tout droit et tout pouvoir, on ne peut constater qu’il lui ait transmis le pouvoir suprême de vie et de mort sur les citoyens et la pleine liberté d’établir à sa guise les lois réglant ce sommet du droit. Même les Quirites ne possédaient pas ce droit quand les Italiens étaient pour eux non des prisonniers qui s’étaient rendus sans condition mais des alliés, de sorte que ceux qui s’appellent Augustes et empereurs sont à juste titre tenus, eux aussi, par
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Sur le statut politique et juridique des villes libres en Allemagne qui relevaient directement de l’empereur, mais s’administraient par elles-mêmes, voir Bernard Vogler, Le monde germanique et helvétique à l’époque des réformes, Paris, 1981, vol. I, p. 222-230 et Michel Parisse, Allemagne et Empire au Moyen Âge, Paris, 2008, p. 177-186. 61 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 40-41 : Hocque differunt ab Imperatoribus Reges, quòd illi supremum ius in cives exequuntur : Imperatores liberis civitatibus non nisi iusto moderamine praesident. Quo exemplo in Germania foederatae urbes, quas ea ex causa Francas vocant, aeternum reguntur. Hae ut Augustalem libentibus animis agnoscunt, excipiuntque ita se tributis atteri, magistratibus arrodi, comminationibus concuti, minime patiuntur. Principi subsunt, ut honesta imperanti pareant, non ut avare crudeliterque agenti serviant. 62 Ibid., p. 42 : Sed Romani armis victos Italos, foedere prius suis opibus addiderunt : mox et societate inita, aequali eos conditione in civitatis quoque communionem vocaverunt : Italique omnes cives Romani effecti sunt.
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Nord de l’Italie (chez les Ligures, chez les Insubres et dans toute la Gaule cisalpine) considérés comme appartenant à l’Empire. Il établit tout d’abord une distinction entre le pouvoir d’un roi et le pouvoir impérial et lance une plaidoirie en faveur des villes allemandes libres, sur lesquelles les empereurs ont seulement un droit de bon gouvernement60.
ce droit. Du reste, d’après la loi divine aussi, il apparaît qu’un homme ne peut absolument pas être placé à la merci du pouvoir et de la domination d’un autre homme63.
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Plaidoirie pour la liberté de l’homme et pour le respect de ce droit par le pouvoir. Voilà ce qui explique que l’on puisse célébrer la mort de Jules César par une monnaie après la conjuration de Brutus, comme Alciat le rappelait dans un emblème64. Mais le tyran pouvait être aussi le pape. Dans l’histoire du contentieux entre l’Empire et la Papauté, certains papes et docteurs en droit canonique avaient poussé leur raisonnement jusqu’à théoriser un pouvoir théocratique. Ainsi, dans le Dictatus papae (1074-1075), Grégoire VII établit la totale indépendance des papes par rapport au pouvoir civil et la subordination de l’empereur au pouvoir spirituel. Dans les vingt-sept points du Dictatus, on pouvait lire que le pape possédait la sainteté, qu’il avait la supériorité sur les synodes et les conciles, qu’il détenait le pouvoir de déposer les empereurs, et que lui seul pouvait utiliser les insignes de l’Empire65. Plus tard, lors des pontificats d’Innocent III (1198-1216) et de Boniface VIII, la conception impériale de la Papauté ne cessa de s’accentuer. Ce dernier instaura par la bulle Unam Sanctam (novembre 1302) un système politique à caractère théocratique dans lequel la suprématie spirituelle et temporelle du pape s’élevait au-dessus de celle de tous les autres souverains66. Naturellement, Marsile de Padoue avait jugé le décret de Boniface comme une présomption ridicule de la part de l’évêque de Rome qui avait usurpé la potestas temporelle. La suprématie du pape n’impliquait pas nécessairement l’acceptation d’un modèle théocratique. Bien qu’Alciat, contrairement à Dante, Marsile de Padoue et Luther, accepte les arguments de droit canonique concernant la suprématie du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, il laisse apparaître très clairement son opposition à la théorie théocratique du pouvoir. En effet, nous nous trouvons face à une condamnation très ferme de l’attitude de Boniface VIII. Voici ce qu’écrit Alciat en rapportant l’avènement du fils de l’empereur Rodolphe Ier, Albert, élevé à la tête de l’Empire et l’attitude du pape qui ne veut pas confirmer cette élection : […] on raconte, d’après une tradition bien admise, que, comme les envoyés d’Albert étaient venus le trouver au sujet de cette affaire, le Pontife, ceint d’une épée et coiffé de la couronne impériale, s’écria avec l’orgueil d’un tyran : « C’est moi le César67 ! »
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Ibid., p. 43 : Cum igitur lege regia Romanus polulus Augusto ius omne, imperiumque concessit, supremam in cives vitae necisque potestatem, liberamque summi iuris arbitratu suo constituendi facultatem transtulisse non potest videre : quod nec ipsi quidem Quirites habebant, cum Itali non illis dediticii, sed foederati essent, ut merito qui se Augustos Imperatoresque appellant, hoc iure ipsi quoque teneantur : tametsi et divina lege appareat, hominem in hominis potestatem atque dominium minime adduci posse. 64 Voir Respublica liberata, dans A. Alciat, Les Emblèmes (note 1), p. 163. 65 M. Pacaut, La théocratie (note 23), p. 66. 66 Dans le De ecclesiastica potestate sive de summi pontificis, écrit par l’augustinien Egidio Romano (Gilles de Rome), à l’occasion de la lutte entre Boniface VIII et Philippe le Bel, le pontife romain était considéré au même niveau qu’un empereur et toutes les nations de la terre devaient lui obéir et lui prêter serment. Voir G. Boffito et G. Oxilia (éd.) : De ecclesiastica sive de summi pontificis potestate, 1908 et Dizionario Biografico degli Italiani, Rome, 1993, vol. XLII, p. 319-340, avec une vaste bibliographie. 67 A. Alciat, De formula Romani Imperii (note 17), p. 46 : [...] ut receptissima tum fama fuerit, cum hac de re ab Alberto ad eum legati venissent, ense accinctum Pontificem, coronaque Imperatoria ornatum, tyrannico spiritu exclamasse : « Ego sum Cesar ! ».
Monza devenait la capitale du royaume d’Italie. En effet, ils (les Milanais) avaient appris par l’expérience que cet honneur, si grand fût-il, se transformait toujours en une catastrophe pour la ville, parce que les soldats accueillis dans ses murs et les peuples sauvages que les empereurs avaient habituellement dans leur armée étaient incapables de s’abstenir de piller et de tuer…
Il ne faut pas oublier qu’à l’époque où Alciat écrivait, le duché de Milan était convoité par François Ier et Charles Quint et que la ville avait dû endurer les cruautés des troupes du connétable Charles de Bourbon. On reconnaît ici les traces d’un certain pacifisme qui animera toujours la pensée d’Alciat.
Conclusion Alciat nous propose dans cet ouvrage un aperçu de philosophie de l’Histoire dont le moteur évident est la tradition de l’Empire. L’importance qu’Alciat semble accorder au peuple romain comme seul et unique dépositaire du pouvoir nous fait penser que, pour lui, il ne pouvait y avoir pouvoir légitime sans le consensus de la communauté. Le pouvoir d’Auguste était légitime parce que le peuple romain était à l’origine de son pouvoir et il semble en être de même pour le pouvoir de Charlemagne et donc pour la légitimité de la restauratio imperii. Moins évidente semble être, pour Alciat, la légitimité de la translatio imperii aux Allemands, et par conséquent la légitimité historique de l’élection du nouvel empereur par sept princes électeurs, puisque née d’un droit mensonger et d’un transfert illégitime opéré par un pape allemand désireux de se venger du peuple romain (la mythique formula Gregorii). Toutefois, malgré cette usurpation des droits du peuple romain, Alciat considère l’empereur couronné par le pape comme le détenteur « de la charge suprême dans le domaine temporel, le sommet de la puissance » et Charles Quint comme « le plus grand empereur de tous les siècles, qui, dans le temps présent, détient la souveraineté ». En même temps, il établit aussi une distinction entre les pouvoirs royaux et le pouvoir impérial avec une préférence éthique et historique pour ce dernier, à condition que l’empereur s’éloigne d’une attitude tyrannique. Il donne aussi l’impression que tout pouvoir royal ne possède pas, dans l’absolu, une entière indépendance par rapport au pouvoir impérial, y compris la monarchie française à laquelle, néanmoins, Alciat accorde un degré de dignité semblable à celui du pape et de l’empereur. Toutefois, la fonction universelle de l’empereur comme chef temporel de la res publica christiana implique la paix et la justice dans le monde, mais ne concerne ni un pouvoir effectif sur les institutions particulières nées du droit médiéval ni la possibilité d’interférer dans la potestas des rois des autres pouvoirs nationaux. Comme l’a écrit Pierre Mesnard, cette anatomie politique qu’est le
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Un dernier passage important concerne encore la ville de Milan et il est probablement le fruit d’une amère constatation due à l’expérience directe des guerres d’Italie vécues par l’auteur. Milan avait renoncé à garder son titre de capitale du Royaume d’Italie parce qu’elle avait trop souffert des pillages des troupes impériales.
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De formula Romani Imperii n’avait d’autre finalité que celle de faciliter l’intuition d’un être juridique encore vivant : l’Empire68. Toutefois, le libellus laisse aussi apparaître chez Alciat une vision idéalisée du pouvoir romain présenté comme l’exemple d’un pouvoir juste qui venait du passé, dans lequel l’empereur était non seulement l’émanation d’un pouvoir issu du peuple, mais aussi le premier à respecter la loi dont il était le garant. Il est évident que dans les intentions d’Alciat, ce libellus voulait être une réponse à Luther et à tous ceux qui mettaient en doute le droit de la Papauté d’intervenir dans les affaires allemandes. La tournure prise en Allemagne par la Réforme, la mort de Léon X et l’arrivée d’Adrien VI avaient finalement incité l’auteur à ne pas poursuivre ce projet. Mais au-delà du parti pris en faveur de la suprématie papale, probablement, comme il a été dit, pour des raisons liées aux espoirs d’obtenir un bénéfice, ce libellus est aussi une plaidoirie en faveur de la liberté et du respect de la loi par les détenteurs du pouvoir.
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Pierre Mesnard, « Alciat et la naissance de l’humanisme juridique », Revista de estudios politicos, 53, 1950, p. 123-129 (p. 128).
les enjeux pluriels de l’écriture emblématique d’Alciat : le supplice de Mézence, entre littérature, droit et médecine* Anne Rolet - EA 4276 L'Antique, le Moderne - Université de Nantes - IUF
C’est dans la nouvelle livraison procurée par les fils d’Alde à Venise en 1546 (f. 27v) que l’emblème Nupta contagioso, « Mariée à un contagieux », apparaît pour la première fois dans le Liber emblematum alciatique. Cet emblème, qui met en scène la figure négative du roi Mézence, un héros virgilien, vient se placer de manière assez cohérente entre l’emblème Furor et rabies, qui évoque le lion sur le bouclier d’Agamemnon, et Consiliarii principum qui décrit le duplice Chiron, mi-homme mi-bête et précepteur d’Achille. Cette place, avec cet encadrement, nous permet de rester dans les ombres et les déchaînements de l’univers épique1. L’emblème Nupta contagioso où abondent, parmi d’autres, les références virgiliennes, manifeste de manière éclatante les ressorts et enjeux multiples de la pratique emblématique d’Alciat. Outre les ressources plurielles d’une écriture fondée sur la brièveté incisive et l’intensité d’une rhétorique des affects (une victime s’adresse à son bourreau, une fille à son père), la pièce fait montre d’un art consommé de l’allusion intertextuelle, qui draine dans le corps du poème les tonalités des contextes implicitement évoqués, tout en construisant une figura symbolique à travers le procédé littéraire de la parabole et de l’analogie métaphorique. Comme souvent chez Alciat, la res significans (le supplice inventé par Mézence) est un composé « hiéroglyphique » où chaque élément porteur de sens prend place au sein d’une syntaxe combinatoire, tandis que le signifié (la femme mariée à un contagieux) entretient avec son vecteur des liens d’analogie iconique profonde, malgré
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Cet article a été publié avec le soutien de l’Institut Universitaire de France. Je remercie Concetta Pennuto pour son aide précieuse sur certains points délicats de latin juridique. Sauf mention contraire, les traductions du latin sont nôtres. Cette situation sera également celle de l’édition lyonnaise de 1556 chez Stockhammer (no50, p. 203) ou de Padoue chez Tozzi en 1621 (no98, p. 842). On notera la disposition différente dans d’autres éditions. Par exemple, dans l’édition de Lyon de 1550 et 1551 chez Macé Bonhomme et Guillaume Rouille (p. 112), celle de Paris en 1584 chez Jean Richer (no197, p. 271v), celle de Leyde en 1591 sur les presses plantiniennes (no197, p. 235), notre emblème est placé entre la pièce intitulée In Pudoris statuam, elle aussi liée au contexte matrimonial (puisqu’elle évoque la statue de Pénélope érigée par son père Icarius et décrite par Pausanias, symbole de la femme qui préfère son époux à ses parents), et celle sur le cyprès (cupressus) qui ouvre la série des arbres ; dans l’édition de Frankfurt-am-Main de 1567 par Sigismund Feyerabend, l’emblème (no82, f. 55v) apparaît entre celui intitulé In foecunditatem sibi damnosam (sur le noyer détruit par le tir de ses propres noix) et celui intitulé Aduersus naturam peccantes (sur la chénice recevant des déjections).
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son décalage temporel évident. Véritable sigillum, le symbole choisi par Alciat, n’est pas simplement pure fantaisie d’érudit féru d’antiquité ; il s’insère dans une actualité médicale et juridique2, à laquelle il sert, en quelque sorte, de support mnémonique, et que je me propose d’éclaircir ici. Cette double actualité n’est sans doute pas étrangère à certains points de la biographie d’Alciat, notamment sa présence à Ferrare, appelé par Hercule II d’Este, et les cours sur l’Infortiat qu’il mène à ce moment-là.
Épigramme et virtuosité intertextuelle : les références virgiliennes Je commencerai par une traduction rythmée du texte, rédigé en distiques élégiaques, ici particulièrement adapté au registre de la plainte, de la déploration voire de l’épitaphe :
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NVpta contagioso – Di meliora piis, Mezenti ! – Cur, age, sic me Compellas ? – Emptus quòd tibi dote gener Gallica quem scabies dira et mentagra perurit. Hoc est quidnam aliud, dic mihi saeue pater, Corpora corporibus quàm iungere mortua uiuis Efferàque Etrusci facta nouare ducis ? MariÉe À un contagieux – Qu’aux preux les dieux confèrent meilleur sort, Mézence ! – Pourquoi M’apostropher ainsi ? – Car, par ma dot, un gendre Tu t’es acquis : dur mal français et mentagre le brûlent. Est-ce là autre chose, dis-moi, père cruel, Qu’attacher tout ensemble des corps morts et des corps vivants, Répétant les affreux crimes du chef étrusque ?
De quoi est-il question ici ? Comme le soulignent les commentateurs de la Renaissance eux-mêmes, nous entendons une jeune fille qui apostrophe vivement son père (ce statut n’est dévoilé que progressivement) sous le nom de Mézence3, pour protester par cette
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Sur l’actualité juridique des emblèmes d’Alciat, voir Virginia Woods Callahan, « An Interpretation of Four of Alciato’s Latin Emblems », Emblematica, 5, 1991, p. 255-270. Voir également Valérie Hayaert, Mens emblematica et humanisme juridique, Genève, 2008, p. 149-184, ch. 5 : « La permanence de la culture légale au sein de l’otium d’André Alciat ». L’édition padouane de Tozzi, parue en 1621 et qui recense les commentaires de Mignault, Sanchez, Pignorius et Thuilius, ne laisse aucun doute sur le fait que c’est bien la jeune fille qui s’exprime et apostrophe son interlocuteur. Au paragraphe II des Commentarii de l’emblème (p. 842), intitulé Puellae querela de patris inhumano, « Plaintes d’une jeune fille sur son père inhumain », les interprètes de cette édition proposent l’analyse suivante : Conqueritur hic puella ingenua de patre perquam difficili et inhumano, qui eam locauerat uiro cuidam turpiter inquinato ac misere foetenti, mentagra, morbo Gallico et alia simili lue consumpto, « Une innocente jeune fille se plaint ici d’un père particulièrement difficile et inhumain, qui l’avait livrée à un affreux malade, à l’odeur fétide, et rongé par la mentagre, le mal français et autre fléau du même genre ». Comme le souligne Alison Adams dans son article au sein du présent volume, c’est également le choix de Jeremias Held dans sa traduction allemande parue à Francfort en 1566 / 1567, ou encore de Claude Mignault dans sa traduction française parue 1584. Je me rallie à cette répartition des instances énonciatives, qui non seulement ouvre davantage de possibilités dramatiques et
affectives, conformes à la tradition funéraire de l’Anthologie de Planude (où ce sont souvent les morts et les victimes ou encore les tombeaux où ils reposent qui apostrophent les vivants) mais surtout, possède une réelle dimension juridique (voir infra), si c’est la jeune fille qui s’adresse directement à son père. On notera toutefois que certains traducteurs contemporains supposent que c’est un passant anonyme qui apostrophe le père-tyran pour lui faire des reproches (je remercie Alison Adams d’avoir attiré mon attention sur ce point). Voir par exemple Betty I. Knott (éd.) : Andrea Alciato, Emblemata, Lyon, 1550, Aldershot, 1996. 4 Voir Antonio La Penna, « Mezenzio », in Enciclopedia vergiliana, Rome, 1987, t. III, p. 510-515 ; Id., « Mezenzio : una tragedia della tirannia e del titanismo antico », Maia, 32, 1980, p. 3-30 ; Id., « Mezenzio, il tiranno dell’Eneide nelle recenti interpretazioni », Cultura e Scuola, 80, 1980, p. 23-29 ; Philip W. Basson, « Vergil’s Mezentius : a Pivotal Personality », Acta Classica, 27, 1984, p. 57-70 ; Gabriele Thome, Gestalt und Funktion des Mezentius bei Vergil – mit einem Ausblick auf die Schlußzene des Aeneis, Frankfurtam-Main, Berne, Las-Vegas, 1979 ; Dominique Briquel, « La fabrication d’un tyran : Mézence chez Virgile », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2, 1995, p. 172-185. 5 Arist., Protrep., fr. 107 Düring = 85 Ruch = Iambl., Protrept., 8 ; Cic., Hort., fr. 112 Grilli = Aug., In Iul., 4, 15, 78 ; Val. Max., 9, 2, 10 ; Serv., ad Aen., 8, 479 ; 8, 487 ; Clem. Alex., Protrept., 1, 7, 4. 6 Script. Hist. Aug., Vit. Macr., 12. 7 Verg., Aen., 7, 648 ; 8, 7. D. Briquel, « La fabrication d’un tyran » (note 4), p. 176. Voir également Dolorès Pralon-Julia, « Mézence, le contemptor diuum » dans G. Dorival, D. Pralon (dir.), Nier les dieux, nier Dieu, Aix-en-Provence, 2002, p. 93-107 ; Lea Kronenberg, « Mezentius the Epicurean », Transactions of the American Philological Association, 135 /2, 2005, p. 403-431. 8 Isid., Etym., 5, 27, 23-4 ; Serv., ad Aen., 12, 603 ; Plin., NH, 36, 107, cités par D. Briquel, « La fabrication d’un tyran » (note 4), p. 176, n. 7.
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antonomase contre le mariage qu’il lui impose de force, en échange du versement d’une dot, avec un homme atteint de manière visible de deux maladies contagieuses. Et la jeune femme d’expliquer son insulte par analogie : en condamnant son innocente fille à s’accoupler avec un malade qui la promet à une mort certaine, le pater familias, défiant toutes les règles de la pietas, reproduit le supplice horrible que le roi étrusque d’Agylla ou Caeré, Mézence4, évoqué par Virgile au chant 8 de l’Énéide, avait inventé pour punir ses ennemis. Ce supplice est décrit également dans le Protreptique d’Aristote et dans l’Hortensius de Cicéron, qui l’attribuent à des pirates tyrrhéniens5, tandis que certains empereurs romains n’ont pas manqué de lui redonner de l’actualité, par exemple Macrin dans l’Histoire Auguste6. Le supplice consistait, pour le tyran cérite, à faire lier ses ennemis bien vivants à des cadavres en putréfaction, ce qui les vouait à une agonie lente et inexorable. Virgile précise d’ailleurs que le fils de Mézence, Lausus, ne méritait pas un tel père, plein de superbia, de « démesure », et contemptor diuum, « impie »7. Dans le passionnant article qu’il consacre à cette figure, Dominique Briquel souligne que c’est Virgile qui fait de Mézence un tyrannus : le personnage virgilien concentre sur lui toute la saeuitia habituellement réservée au peuple étrusque, ce qui le rapproche de Tarquin le Superbe, lui aussi inventeur de supplices abominables8. Chez Alciat, l’analogie entre le trio familial et les personnages de la légende antique s’effectue sur une triple correspondance : le père tient le rôle du roi Mézence et impose le supplice ; la fille devient le corps supplicié de l’ennemi ; l’époux constitue le cadavrechâtiment qui, dans le supplice, est attaché à l’ennemi par des liens solides, métaphore ironique ici des liens du mariage. L’anomalie vient du fait que le mariage se transforme en supplice et que le père traite ici sa propre fille avec autant de cruauté qu’un souverain ses pires adversaires.
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La facture de la pièce épigrammatique, de forme dialogique, est ici particulièrement travaillée. La structure même du texte ne va pas sans surprise. La pièce compte trois distiques élégiaques, mais, contrairement aux usages qui font généralement du distique une unité autonome de sens, le découpage s’effectue ici par groupe de trois vers, divisant la pièce en deux parties distinctes. La première partie reproduit le vif dialogue entre la fille et son père, sous la forme d’une stichomythie où alternent les marques de la première et de la seconde personne (me, tibi, mihi). On notera la présence continue d’une rhétorique des affects, entre désespoir et indignation (des deux côtés) : elle se marque par l’exclamation au subjonctif de souhait de la jeune femme (qui ouvre le texte, lui donnant sa tonalité : Dii…, sous-entendu faciant), par l’apostrophe de celle-ci à son père (Mezenti, pater), par l’usage de l’interjection chez les deux interlocuteurs (age, v. 1 ; dic mihi, v. 4) ou encore, un peu plus loin, par les adjectifs dépréciatifs (saeue, v. 4 ; effera, v. 6). Outre l’effet d’indignation réciproque, l’enchaînement des répliques permet d’amorcer le processus herméneutique grâce au jeu de question / réponse réparti entre les locuteurs : « pourquoi (cur) ? », demande le père, « parce que (quod) ! », répond sa fille. Le support du travail allégorique est, dès le départ, amorcé avec le vocatif Mezenti au v. 1, comme suspendu à la coupe hephthémimère. Le terme introduit l’analogie entre le père et le tyran par le biais de l’antonomase : le père de la locutrice est un Mézence, et la suite va révéler le domaine où s’exerce la similitude, c’est-à-dire le mariage. On notera en outre les effets de retard, si importants dans une forme brève qui favorise par ailleurs la rapidité. Ainsi, on assiste au dévoilement progressif de l’identité des interlocuteurs, savamment différée : seuls les termes dote et gener permettent d’établir les liens entre les personnages à partir du vers 2, puis définitivement à partir du vers 4 (pater). De même, dans le vers 3, la relative qui révèle la double maladie du mari, fonctionne comme une sorte d’hyperbate surprise qui rend intolérable le vers 2, où l’on voyait pourtant déjà soulignés l’égoïsme du pater familias et la toute-puissance de la dot. Enfin, l’élucidation allégorique elle-même est différée : annoncée au vers 4, elle n’intervient réellement que dans les deux derniers vers de la pièce. Car c’est effectivement dans la seconde partie de la pièce que la jeune fille, dont on entend désormais la seule voix, développe l’analogie entre son père et Mézence, sous la forme syntaxique de la comparaison et de l’interrogation rhétorique : quidnam aliud… quam. Le rapprochement se construit sur la similitude entre les noces qui lui sont imposées avec un homme malade et le supplice de Mézence qui lie le corps de son ennemi à un cadavre. Alciat se livre à une véritable recomposition du texte virgilien qui lui sert de source9 : 481
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Hanc [= Agyllam] multos florentem annos rex deinde superbo Imperio et saeuis tenuit Mezentius armis. Quid memorem infandas caedes, quid facta tyranni Effera ? Di capiti ipsius generique reseruent ! Mortua quin etiam iungebat corpora uiuis Componens manibusque manus atque oribus ora, Tormenti genus, et sanie taboque fluentis Complexu in misero longa sic morte necabat.
9 Verg., Aen., 8, 481-488.
La mise en parallèle des deux textes, révèle un jeu virtuose d’allusions et d’omissions : - les saeuis armis du v. 482 chez Virgile trouvent leur écho dans le vocatif saeue pater du v. 4 chez Alciat ; - l’expression facta tyranni effera virgilienne se retrouve en clôture de l’épigramme alciatique, qui la transforme à peine en remplaçant tyranni par Etrusci ducis ; - Alciat condense les deux vers 485-486 dans le seul vers 4. Il conserve le iungebat virgilien, qui devient iungere, terme important puisqu’il est le lieu d’un transfert symbolique : corde ou filin dans le supplice de Mézence, il signifie abstraitement l’alliance matrimoniale contrainte dans le mariage-supplice qu’impose le père. Le jeu de polyptotes manibus manus, oribus ora du poète épique est transposé chez Alciat en un autre polyptote, corpora corporibus, doublet isolé avant la penthémimère et qui propose l’alliance rythmique d’un mot de trois syllabes avec un mot de quatre, tandis que Virgile proposait l’alternance trois plus deux syllabes. Cela permet en outre à l’emblématiste d’accoler mortua uiuis, « corps morts et corps vifs », là où Virgile les séparait, en début et fin de vers. Gardant trace de la musique des désinences virgiliennes, Alciat fait ici appel à la culture littéraire de son lecteur, chargé reconstituer les fragments de l’original antique. Car c’est précisément l’allusion aux mains jointes et aux bouches unies effectuée par l’Énéide qui permet de mesurer la parenté iconique qui associe le mariage forcé d’Alciat au supplice de Mézence décrit par Virgile10 : la dextrarum iunctio, « l’union des mains droites », est effectivement le symbole de l’union conjugale que vient sceller l’union des bouches dans le baiser, accord des âmes et topos par ailleurs non seulement des joies amoureuses licites dans le mariage, mais également des douceurs de la poésie érotique (voir la vogue des basia catulliens, en particulier chez Jean Second). Tout est ici bien sûr subverti en grotesque parodie : - l’allusion virgilienne explicite au pus et à la sanie (sanie taboque) est suggérée par les termes scabies et mentagra, sur lesquels je reviendrai ; - Alciat tait les termes virgiliens renvoyant à la mort de la victime (morte necabat), confiant, une fois de plus, leur restitution mentale à la sagacité érudite de son lecteur : l’issue fatale escamotée et passée sous silence n’en prend que plus de force. - enfin, on remarquera que l’intervention du narrateur virgilien au v. 483-484 de l’Énéide sous forme d’une exclamation (Di… reseruent) appelant à une malédiction divine
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On constate à quel point l’épigramme emblématique, par le biais d’éléments ecphrastiques, a ici l’entière capacité de fonctionner indépendamment de toute illustration gravée, pour privilégier au contraire les ressources de l’image mentale. Les points symboliques d’articulation sont fournis par Virgile lui-même.
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Cette ville qui fut maintes années florissante, Par la suite, le roi Mézence, sous son orgueilleuse Domination et ses armes cruelles la maintint. À quoi bon rappeler les crimes indicibles, les actes sauvages Du tyran ? Que les dieux en fassent retomber la faute sur sa tête et celle des siens ! Il allait jusqu’à unir des corps morts à des corps vifs, Joignant les mains aux mains et les bouches aux bouches, En guise de supplice, et, tout ruisselants de sanie et de pus, Dans cet atroce embrassement, il faisait périr les malheureux d’une mort lente.
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n’est pas directement reprise par Alciat, qui lui substitue une autre exclamation virgilienne, empruntée non à l’Énéide, mais à la troisième des Géorgiques (v. 513 : Di meliora piis erroremque hostibus illum), comme le rappellent les commentateurs d’Alciat. C’est d’ailleurs le contexte de la Géorgique qui permet de comprendre la substitution. Virgile y fait la description de la gale ovine nommée scabies (3, 441), des ulcères dont souffrent les animaux et qu’il faut enduire ou ouvrir (3, 448-456), avant de dresser un tableau effrayant de l’épizootie du Norique et de l’Iapydie qui décime les troupeaux et qu’engendrent les miasmes – corruption de l’air – suivant la tradition hippocratique11. Le texte de Virgile, qui évoque par ailleurs la contamination au sein du troupeau, se conclut sur la contagion animaux / hommes, et évoque l’état de ceux qui essaient de revêtir des tissus réalisés à partir des toisons d’animaux malades12 : ils se couvrent de « pustules ardentes » (ardentes papulae), une « sueur nauséabonde » (immundus sudor) couvre leurs membres, un « feu sacré » (sacer ignis) s’empare d’eux et les ronge (contactos artus). Le tableau clinique animal de la Géorgique sert de cadre implicite à l’évocation de la maladie humaine chez Alciat, celle qui attend la jeune mariée au contact de son époux malade, et permet à l’épigramme de conserver, grâce à l’intertexte, sa breuitas. Mais de quelle maladie Alciat veut-il parler ?
Mal ancien et mal moderne : de la mentagra au morbus Gallicus Les termes contagioso et Mezentius nous font entrer dans le contexte médical, qui se précise avec les expressions morbus Gallicus et mentagra. Quel lien entre Mézence et la médecine ? Alciat a sans doute été sensible à l’altération phonétique signalée par Priscien (2, 24, 6) qui, à côté de l’occurrence Mezentius, signale celle de Medentius, si proche de medens, -ntis, celui qui soigne, c’est-à-dire le medicus, qui fonctionnerait bien sûr ici comme une antiphrase. On se demandera par ailleurs si les Medici, les Médicis de Florence, ne seraient pas ici visés à travers un de leurs mariages, d’autant plus que l’insistance sur l’adjectif ethnique Etrusci, accolé à ducis dans le dernier vers, qui met en valeur l’appartenance toscane du tyran, pourrait s’accorder avec les tentatives contemporaines du Grand Duc Côme de rattacher les origines de Florence à des ascendances étrusques13.
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Voir Jacques Heurgon, « L’épizootie du Norique et l’histoire », Revue des Études Latines, 42, 1964, p. 231247 ; Everard Flintoff, « The Noric Cattle Plague », Quaderni Urbinati di Cultura Classica, 42, 1983, p. 85111 ; Jackie Pigeaud, « Quelques remarques sur l’épidémie (épizootie) du Norique dans les Géorgiques de Virgile (3, 478 sq.) », Littérature, Médecine, Société, 7, 1985, Epidémies, Fléaux, p. 1-18. 12 Verg., Georg., 3, 564-566. 13 Côme se prétendait en particulier descendant des rois lucumons, en particulier de Porsenna, souverain de Chiusi. Voir par exemple Yves Liébert, « Cosmogonie et mythes fondateurs étrusques : spéculations antiques et résurgences modernes », dans A. Le Berre (dir.), De Prométhée à la machine à vapeur. Cosmogonies et mythes fondateurs à travers le temps et l’espace, Limoges, 2004, p. 71-84, en particulier p. 79-80 ; Id., « Le modèle étrusque dans l’État culturel florentin à la Renaissance » dans S. CassagnesBrouquet, M. Yvernault (dir.), Poètes et artistes. La figure du créateur en Europe au Moyen Age et à la Renaissance, Limoges, 2007, p. 169-183 ; Giovanni Cipriani, Il mito etrusco nel Rinascimento fiorentino,
Florence, 1980 ; Marina Martelli, « Il mito etrusco nel principato mediceo : nacistà di una coscienza critica », in C. Adelson (dir.), Le arti del principato mediceo, Florence, 1980, p. 1-8. 14 Plin., NH, 26, 2 : Grauissimum ex iis lichenas appellauere Graeco nomine, Latine, quoniam a mento fere oriebatur, ioculari primum lasciuia, ut est procax multorum natura in alienis miseriis, mox et usurpato uocabulo mentagram, occupantem multis et latius totos utique uoltus, oculis tantum inmunibus, descendentem uero et in colla pectusque ac manus foedo cutis furfure. « La plus grave de ces maladies fut nommée lichen en grec et, comme elle débutait d’ordinaire au niveau du menton, elle reçut en latin, d’abord sous forme de plaisanterie (la nature de beaucoup d’individus est encline à cette attitude devant les malheurs d’autrui), mais bientôt selon un terme adopté par l’usage, l’appellation de mentagre : de manière plus large, elle occupe chez beaucoup l’ensemble du visage en général, mais elle s’étend même jusqu’au cou, à la poitrine et aux mains, avec d’affreuses écailles de peau ». Celse, Med., 6, 3, le décrit sous le nom de sycosis. 15 Voir J. Vons, F. Fouassier (dir.), Morbus Gallicus. Retour aux textes-sources médicaux, Actes de la journée d’études du 26 septembre 2008, CESR / Université de Tours, en ligne sur le site de la Société Française d’Histoire de la Dermatologie < http://www.bium.univ-paris5.fr/sfhd/morbus_gallicus_2008.htm > ; Jacqueline Vons, Danièle Gourevitch, Concetta Pennuto (éd.) : Jérôme Fracastor, La Syphilis ou le mal français, Paris, 2011, en particulier l’introduction. 16 Sur ce constat, voir Léon F. Halkin, Franck Bierlaire, René Hoven (éd.) : Érasme, Colloquia, « “Agamo~ gavmo~ siue coniugium impar », ASD, I-3, 1972, p. 590-600, ici p. 592, l. 54-55 : scabie, quae nondum suum habet nomen, quum ipsa tam multorum habeat nomina, « la vérole qui ne possède pas encore de nom qui lui soit propre, bien qu’elle reçoive celui de tant de peuples ». C’était également le constat de Niccolò Leoniceno dans son De epidemia quam Itali morbum Gallicum, Galli uero Neapolitanum uocant, Venise, 1497, f. 2r, cité par Ida Mastrorosa, « Girolamo Fracastoro e la tradizione epidemiologica antica sull’elephantiasis », in A. Pastore, E. Peruzzi (dir.), Girolamo Fracastoro. Fra medicine, filosofia e scienze della natura, Atti del convegno internazionale di studi in occasione del 450. anniversario della morte, VeronaPadova 9-11 ottobre 2003, Florence, 2006, p. 103-116 (p. 109, n. 18 ) : Huic tamen morbo nondum nostri temporis medici uerum nomen imposuere, sed uulgato nomine malum Gallicum uocant, quasi eius contagio a Gallis in Italiam importato, aut eodem tempore et morbo ipso et Gallorum armis Italia infestata. Voir D. Gourevitch, « Divagations philologiques sur les noms de la maladie » dans Morbus Gallicus (note 15), p. 4-7 ; et Ead., « La syphilis, une maladie aux noms multiples » dans J. Vons, D. Gourevitch, C. Pennuto (éd.) : Jérôme Fracastor, La Syphilis (note 15), p. XV-XXXVII. De même, Ulrich von Hutten, dans son De Guaiaci medicina et morbo Gallico liber unus, 1519, ch. 1 (De morbi Gallici ortu et nomine), signale
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Mais revenons à la maladie. L’époux est affecté de deux maux : d’un côté, la Gallica scabies ou Gallicus morbus, « mal français », une tréponématose plus connue sous le nom de syphilis depuis le poème éponyme de Jérôme Fracastor, paru en 1530 ; de l’autre, la mentagra ou lichen, c’est-à-dire l’ « impetigo » (folliculite pileuse suppurante affectant le menton et la barbe), dont Pline donne une description clinique précise14. Les origines de la maladie, telles qu’on les conçoit à la Renaissance, sont bien connues et ce n’est pas ici le lieu d’en discuter les détails15. J’en rappellerai simplement les aspects essentiels, sur lesquels s’accordent les contemporains des événements, et que relaient en partie les commentateurs d’Alciat. De Niccolò Leoniceno à Ulrich von Hutten en passant par Joseph Grünpeck ou Juan Almenar, tous s’entendent au départ pour donner au mal une origine française et situer son apparition au moment où Charles VIII, le roi de France, avait enrôlé parmi ses troupes des soldats espagnols pour encercler Naples. Ceux-ci étaient alors déjà contaminés par cette virulente maladie, dont certains pensaient qu’elle avait été ramenée d’Hispaniola par Christophe Colomb. La maladie se transforme en pandémie à partir de 1494. On attribue au mal le nom de morbus Gallicus, avant qu’il ne prenne d’autres adjectifs de nationalité (morbus Neapolitanus, Indicus, Hispanicus), qui laissent clairement voir que chaque peuple blâme le voisin16. Dans une atmosphère d’apocalypse millénariste, qui se conjugue
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à des spéculations astrologiques et s’accompagne d’une avalanche de catastrophes naturelles, on interprète le fléau comme une punition divine17. Lettrés et médecins, au sein d’une abondante littérature, se disputent également pour savoir si c’est un nouveau mal, ou si Hippocrate et Galien en avaient déjà évoqué les signes cliniques dans leurs traités, mais en identifiant la maladie sous un autre nom. Sous le concept d’infectio et de contagio, on se demande si l’épidémie est due à des occultae proprietates. On veut savoir si elle se transmet par contact entre individus, ou par l’intermédiaire d’objets vecteurs, ou encore par le fait qu’un sujet aux humeurs déjà fragilisées par un mauvais régime de vie inhale un air empoisonné de particules corrompues (théorie des miasmes galéniques ou spermata loimou18), en relation avec une conjoncture astrale défavorable19. Les deux maladies, syphilis et mentagre/ lichen, sont régulièrement mentionnées ensemble par nombre de prédécesseurs d’Alciat20, voire même confondues, comme le rappelle par exemple Niccolò Leoniceno21. Chez Alciat, l’association entre les deux maladies est probablement due à trois raisons. La première tient au fait qu’elles s’apparentent toutes les deux aux lues uenereae, les maladies vénériennes ou de Vénus, qui trouvaient un terrain propice dans les relations conjugales et/ou amoureuses. On savait très bien en effet que la syphilis profitaient des conditions de transmission
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que le terme morbus Gallicus est passé dans l’usage commun, qu’il convient de l’employer sous peine de n’être pas compris, et qu’il ne stigmatise pas un peuple en particulier. La même idée est formulée chez Grünpeck qui explique le choix du nom en fonction des conjonctures planétaires. Voir C. Pennuto, « Langage médical et grosse vérole à la Renaissance : Joseph Grünpeck » dans J. Vons, F. Fouassier (dir.), Morbus Gallicus (note 15). Pour ce tableau, voir Claude Quétel, Le mal de Naples, Histoire de la syphilis, Paris, 1986 ; Robert French, Jon Arrizabalaga, « Coping with the French disease : University Practitioners’ Strategies and Tactics in the Transition from the Fifteenth to the Sixteenth Century », in R. French, J. Arrizabalaga, A. Cunningham, L. García-Ballester (dir.), Medicine from the Black Death to the French Disease, Aldershot / Brookfield (USA) / Singapore / Sydney, 1998, p. 248-287. Voir également J. Arrizabalaga, J. Henderson, R. French (dir.), The great Pox : The French Disease in Renaissance Europe, Londres /New-Haven, 1997. Voir Vivian Nutton, « The Seeds of Disease : an Explanation of Contagion and Infection from the Greeks to the Renaissance », Medical History, 27, 1983, p. 3-15 ; Mirko Drazén Grmek, « Les vicissitudes des notions d’infection, de contagion et de germe dans la médecine antique », dans G. Sabbah (dir.), Textes médicaux latins antiques, Centre Jean Palerne (Mémoires V), Saint-Étienne, 1984, p. 53-70 ; Armelle Debru, « L’air nocif chez Lucrèce : causalité épicurienne, hippocratisme et modèle du poison » dans C. Deroux (dir.), Maladie et maladies dans les textes antiques et médiévaux, Bruxelles, 1998, p. 95104 ; Jacques Jouanna, « Air, miasme et contagion à l’époque d’Hippocrate et survivance des miasmes dans la médecine post-hippocratique (Rufus d’Ephèse, Galien et Palladios) », dans S. Bazin-Tacchella, D. Quéruel, É. Samama (dir.), Air, miasmes et contagion : les épidémies dans l’Antiquité et au Moyen Âge. Hommes et Textes en Champagne, Langres, 2001 Voir Paola Zambelli, « Giovanni Mainardi e la polemica sull’astrologia », in L’opera e il pensiero di Giovanni Pico della Mirandola nella storia dell’Umanesimo, Convegno internazionale, Mirandola, 15-18 settembre 1963, Florence, 1965, t. 2, p. 205-279. Elles sont associées déjà chez Ulrich von Hutten qui mentionne ensemble l’elephantiasis, la lepra et l’impetigo De Guaiaci medicina… (ch. 2 : De causis morbi eius). Voir aussi Érasme, « “Agamo~ gavmo~ », p. 593, 56-57 (note 16) : Superbissima scabies est, quae nec leprae nec elephantiasi nec lichenibus nec podagrae nec mentagrae cedat, si res ueniat in certamen. De epidemia (f. 26v, cité par I. Mastrorosa, « Girolamo Fracastoro et la tradizione epidemiologica », p. 110, n18) : Non defuere quidem qui eundem cum illo putauerint quem prisci elephantiasin nominarunt, sicuti alii morbum Gallicum esse antiquis lichenas, alii asaphati, alii prunam, siue carbonem, alii ignem Persicum, siue sacrum existimauerunt.
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cf. G. Fracastor, De Contagione et contagiosis morbis et curatione libri III, Venise (Giunta), 1546, 2, 12 cité dans Ch. Dussin (éd.) : Jérôme Fracastor, Syphilis siue morbus Gallicus, Paris, 2009, p. 47 n. 2 (notre traduction) : uerum non ex omni contactu neque prompte, sed tum solum, quum duo corpora contactu mutuo plurimum incaluissent, quod praecipue in coitu eueniebat, quo maxima mortalium pars infecta fuit, « toutefois l’infection s’effectuait, non point suite à n’importe quel contact ni rapidement, mais seulement parce que deux corps s’étaient fortement échauffés dans une étreinte mutuelle, phénomène qui se produisait surtout au cours du coït et fut la cause de l’infection d’une part très importante d’êtres humains ». Sur la recommandation d’abstinence sexuelle, voir Ch. Dussin (éd.) : Jérôme Fracastor, Syphilis 2, 113-115 (notre traduction) : Parce tamen Veneri, mollesque ante omnia uita / Concubitus ; nihil est nocuum magis : odit et ipsa / Pulchra Venus, tenerae contagem odere puellae, « Abstiens-toi de Vénus et surtout, évite les relations sexuelles amollissantes : la belle Vénus elle-même déteste la contagion, les tendres jeunes filles la détestent » ; sur les symptômes qui apparaissent sur les organes sexuels, cf. ibid., 1, 330-331 (notre traduction) : Paulatim caries foedis enata pudendis / Hinc atque hinc inuicta locos, aut inguen edebat, « Progressivement, une carie apparaissait sur les parties honteuses puis, ça et là, sans résistance, elle gangrenait les alentours ou l’aine ». 23 Plin., NH, 26, 3 : Non fuerat haec lues apud maiores patresque nostros et primum Ti. Claudii Caesaris principatu medio inrepsit in Italiam quodam Perusino equite Romano, quaestorio scriba, cum in Asia adparuisset, inde contagionem eius inportante. Nec sensere id malum feminae aut seruitia plebesque humilis aut media, sed proceres ueloci transitu osculi maxime, foediore multorum, qui perpeti medicinam tolerauerant, cicatrice quam morbo. Causticis namque curabatur, ni usque in ossa corpus exustum esset, rebellante taedio. 24 De Pestilentiali Scorra, siue mala de Franzos, Eulogium, 1496. 25 Cels., Med., 5, 28, 16 : Scabies est durior cutis rubicunda, ex qua pustulae oriuntur, quaedam humidiores, quaedam sicciores. Exit ex quibusdam sanies, fitque ex his continuata exulceratio pruriens. Sur tous ces aspects, voir Anne Fraisse, « Scabies dans les textes latins : problèmes d’identification et de traduction », Revue de Philologie, 79/1, 2005, p. 60-67. Voir A. Fraisse, « Scabies » (note 25), qui cite Virgile (Georg., 3, 469) et Columelle (7, 5, 6-7) pour la conta26 gion animale, Jérôme (Gal., 3, col. 430, l. 21) et Quinte-Curce (9, 10, 1) pour la contagion humaine.
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particulièrement favorables réunies lors du coït22, tandis que Pline nous précise que, dans ses origines mêmes, à l’époque de Claude, le lichen est une maladie qui affecte la caste aristocratique et qu’elle se transmet par le baiser (osculum)23. La deuxième raison est probablement à trouver dans le statut militaire de ceux qui passent pour introduire ou diffuser la maladie (et dont on reparlera avec Érasme), un chevalier de Pérouse revenu d’Asie pour le lichen dans l’Antiquité selon Pline, les soldats espagnols ou les lansquenets habsbourgeois pour la syphilis, comme le rappelle le cas d’Ulrich von Hutten lui-même. Enfin, l’autre nom de la Gallica scabies, utilisé en particulier par le médecin allemand Joseph Grünpeck (en dehors de scorra, que l’on trouve chez Sebastien Brant24) était mentulagra ou mentagora, dont la paronymie avec mentagra est frappante, induisant par l’onomastique une parenté générique. Si Alciat utilise le terme scabies (de scabo, « se gratter ») et non morbus, pestis ou lues, outre les raisons métriques, c’est non seulement qu’il s’agit là du terme virgilien pour décrire l’épizootie du Norique et que le mot renvoie en outre à la célèbre silve éponyme de Politien, mais également parce que le terme présente un caractère de description clinique plus précis que les appellations génériques, et propice à susciter le dégoût et la répulsion : il suppose des excroissances suppurantes et prurigineuses de la peau25, tout comme le lichen dont Pline précise bien qu’il marque la peau de croûtes farineuses ou écailleuses. Le mot scabies est également associé, depuis l’Antiquité, à l’idée de contagion, qu’elle soit animale ou humaine26. L’idée est indubitablement de montrer que la maladie est évidente – et
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donc que ni les parents ni la mariée ne peuvent l’ignorer –, qu’elle défigure, alliant aux inconvénients hygiéniques des désagréments inesthétiques et répugnants. Qu’il s’agisse de l’union des mains, de celle des bouches, et, bien sûr, de celle des sexes, implicitement à l’horizon, cette maladie trouve dans les échanges physiques au sein du couple marié un terrain de prolifération idéal dont la jeune femme ne pourra absolument pas se protéger.
Les textes-relais de Fracastor et d’Érasme : vers une première rédaction de l’emblème ? Les références virgiliennes à la maladie pouvaient trouver un écho dans un texte poétique qui les avaient réactualisées, la Syphilis siue morbus Gallicus de Fracastor, poème en hexamètres dactyliques paru en 1526 en deux livres, puis en 1530 sous la forme de trois livres, et dont le succès fut immense. Dans le livre 1, Fracastor développe un tableau clinique de la maladie chez l’homme (d’abord chez l’être humain en général, v. 302-381, puis dans le cas particulier d’un jeune patricien défiguré et soumis à une mort horrible, v. 382-420), qu’il fait précéder d’un morceau de bravoure imité directement du passage virgilien sur la peste du Norique, où il décrit les maladies qui s’abattent sur les troupeaux (v. 269-289). L’ensemble illustre l’idée antique de l’air nocif et explique la possibilité d’une contagion parallèle de l’animal et de l’homme. Cela dit, même si elle est probable, il n’est pas possible de pointer directement l’influence de tel ou tel passage de Fracastor dans l’épigramme alciatique, hormis la référence partagée à la Géorgique virgilienne. En revanche, l’allusion au Mézence virgilien, doublé de l’exemple de la jeune femme mariée à un contagieux sous la contrainte de ses parents, est plus que probablement lue par Alciat à travers deux textes érasmiens à peu près contemporains de celui de Fracastor. Ces textes d’Érasme manifestent la révolte de l’humaniste hollandais devant des pratiques matrimoniales que ne règlent aucune législation ni les « pouvoirs publics ». Ces intertextes nous permettront d’éclairer certaines allusions implicites dans le texte alciatique et de comprendre le dialogue formel, générique et sociologique qui s’établit entre tous ces témoignages. Dans sa Christiani matrimonii institutio de 1526, Érasme jette les bases d’une critique de ce type de mariage27, blâmant l’irresponsabilité de parents victimes des séductions du titre de chevalier et des avantages d’une pseudo-noblesse. De nombreux aspects de ce texte sont repris en 1529, lorsqu’Érasme publie son colloque Agamos Gamos siue coniugium impar, « Le mariage non-mariage ou le mariage mal assorti » qui met en scène ces thèmes avec beaucoup de verve et d’esprit. Il n’est pas impossible de supposer qu’Alciat a pensé, sinon commencé à 27
Anton G. Weiler (éd.) : Érasme, Christiani matrimonii institutio, ASD, V-6, 2008, p. 1-248. Érasme s’était déjà intéressé à la question du mariage chrétien en visant en particulier les partisans du monachisme et du célibat dans son Encomium matrimonii de 1518. Voir Jean-Claude Margolin (éd.) : Érasme, Christiani matrimonii encomium, ASD, I-5, 1975, p. 333-416. Plusieurs humanistes de grand renom publient à la même époque sur ce sujet, en particulier Martin Luther (Vom ehelichem Leben, 1522), Jean-Louis Vivès (De Institutione foeminae Christianae, 1523), Henri-Corneille Agrippa de Nettesheim (De nobilitate et praeccelentia foeminei sexus, 1529).
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Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 592, l. 36-37 : Petr. : Pruriginosas, opinor, nuptias dicis. Gabr. : Imo rubiginosas et purulentas. Ibid., p. 595, l. 142 : filiam unicam, puellam tali forma, tali indole, tam amabilibus moribus. 29 30 Ibid., p. 592, n. 49. 31 Ibid., p. 594, l. 114 : Nihil aliud quam gloriosum equitis nomen. 32 Ibid., p. 593, l. 56-57 : Gabr. : Superbissima scabies est, quae nec leprae nec elephantiasis nec lichenibus nec podagrae nec mentagrae cedat, si res ueniat in certamen. cf. p. 595, l. 133-136 : Petr. Quid igitur dotis hic Thraso conferet ad sponsam ? Gabr. Quid ? Maximam ! Petr. Qui maximam, decoctor ? Gabr. Sine me loqui : maximam, inquam, pessimamque scabiem. 33 Ibid., p. 594, l. 107-111 : Petr. Quae dos commendabat illis sponsum ? Praecellit arte quapiam ? Gabr. Permultis. Strenuus aleator, potator inuictus, scortator improbus, nugandi mentiendique artifex maximus, praedator non segnis, decoctor eximius, comessator perditus. Quid multis ? Quum scholae non profiteantur nisi septem artes liberales, hic habet plus quam decem illiberales. Sur la tour, voir ibid. p. 594-595, l. 116-119 : sed ex proteruia, quam fecit, nihil superest praeter unam turriculam, unde excurrere solet ad praedam, eamque tam belle instructam, ut nolis illic porcos tuos ali. 34 Plin., NH, 26, 5. Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 595, l. 121-131 : Petr. Clypeus quod habet symbolum ? Gabr. Tres 35 elephantos aureos in spacio phoeniceo. […] Petr. Neque enim ille color sanguinis est, sed meri, et aureus elephas indicat, quicquid auri nactus est, uino absumi. 36 Ibid., p. 592, l. 38-39 : Petr. Sed quid est, mi Gabriel, quod haec commemoratio tibi lachrymas etiam excutit ? cf. ibid., p. 395, l. 139-141 : Gabr. Hoc spectaculum si uidisses, dic mihi, tenuissesne lachrymas ? Petr. Qui potuissem, qui uix ista sine lachrymis audio ? 37 Ibid., p. 596, l. 161-163 : Petr. Quae igitur dementia est ultro filiam plus quam leproso tradere ? Gabr. Plus quam dementia est. Cf. Érasme, Christiani matrimonii institutio (LB 5, 667C) sur la folie des parents : Sed parentum quorumdam insaniam satis demirari non queo, qui puram ac sanam uirginem tradunt sponso lepra noua coruptissimo. […] Quid igitur sanae mentis habent qui scientes ac uolentes uirginem innocentem leprosi tradunt amplexibus ? Sur l’incohérence de leur démarche, au moment du choix d’un époux pour leur fille, qui prend en compte l’âge, l’agrément physique et le patrimoine du promis mais pas son état de santé, cf. ibid. : Numerantur anni, spectatur forma, supputatur dos, et corporis sanitas non uocatur ad calculum ?
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rédiger cet emblème après la lecture des textes de Fracastor et d’Érasme, entre 1526 et 1530, voire 1532, comme nous le verrons, renonçant peut-être à le publier pour des raisons morales. Le colloque érasmien se présente sous la forme d’un dialogue entre Gabriel et Petronius, qui devisent sur la célébration des « noces prurigineuses et purulentes »28 entre Iphigénie, la fille unique sacrifiée, belle et innocente29, et Pompilius Bleno, dont le nom promet d’ailleurs la blennorragie30. L’époux, un chevalier ruiné31, affligé de maux hideux qui le défigurent, et en particulier d’une superbissima scabies32, est en outre accablé de vices qui se révèlent progressivement à travers les questions ironiques de Petronius qui se demande ce que les parents ont bien pu lui trouver : fanfaron, menteur, voleur, buveur, joueur, propriétaire d’une méchante tour en ruines bonne à accueillir les cochons, et couvert de dettes33. C’est ce qu’indiquent les éléments de son blason, trois éléphants d’or sur champ de gueules, dont les interlocuteurs effectuent l’exégèse symbolique : le chevalier défiguré par l’elephantiasis (dont les premiers symptômes dermatologiques rappellent ceux de la gale et donc de la scabies34) devient métaphoriquement le pachyderme qui engloutit de sa trompe avide le vin (le fond rouge du blason) et la monnaie (couleur d’or de l’éléphant sur le même blason)35. Ce mariage suscite les larmes des interlocuteurs36, on y blame la folie, la cupidité et la sottise des parents37 séduits par le vain titre de chevalier, tandis qu’on excuse
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la crédulité de la jeune fille, dont l’innocence est soumise à l’autorité des parents et donne prise aux amis mauvais conseillers38. Mais quels sont les signes qui permettraient de tracer l’influence directe de ce colloque érasmien sur l’emblème d’Alciat ? Tout d’abord, la forme du dialogue érasmien est respectée mais transposée chez Alciat : aux deux amis qui pleurent la victime, critiquent les parents et moquent le fiancé chez Érasme, Alciat substitue l’indignation de la jeune fille elle-même qui prend son père à partie et l’invective, avant de faire le constat pathétique de sa condition. Les méandres du colloque d’Érasme sont remplacés ici par la brièveté de l’épigramme qui concentre la violence de l’échange dialogique. De surcroît, il est fort possible que l’épigramme alciatique, par sa forme inscriptionnelle, imagine l’epitaphios logos que Gabriel se propose d’écrire en lieu et place d’un épithalame, tout à la fin du dialogue d’Érasme39. Le texte alciatique ne va pas en effet sans rappeler l’inscription funéraire, et on peut imaginer que, gravé sur une pierre tombale, il pourrait relayer les propos que l’âme de la jeune fille défunte adresserait à son père en prenant le passant à témoin. Je rappellerai à cet égard une très belle épitaphe humaniste du xve siècle mise au jour par Jean-Pierre Callu et Wilfred Naar40. Cette épigramme funéraire, due au Padouan Antonio Capodilista (1420-1489), est inspirée par un fait divers horrible et fait entendre la voix de Christine, décapitée par son mari fou la nuit même de ces noces : la jeune femme elle-même invite les pères à se garder de choisir des gendres fous. La parenté avec le modèle funéraire dans l’épigramme alciatique n’en rend que plus dramatiques encore les reproches du texte : elle nous invite à comprendre que le père tyrannique ne va pas céder devant la menace ni les insultes, que sa fille va inéluctablement mourir et que le dialogue anticipe, voire constitue un epitaphios logos, comme celui de Christine. Il n’a de sens que comme discours d’avertissement (mais malheureusement peut-être post mortem) aux passants qui viendraient s’égarer là. De plus, le texte érasmien cite le passage virgilien qui fournit le symbolum et ses éléments, puis éclaire l’analogie entre le supplice antique et l’union conjugale mal assortie,
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Ibid. p. 594, l. 92 : Gabr. Habet puella quod excuset : autoritatem parentum, importunitatem amicorum, aetatis simplicitatem. Ibid., p. 600, l. 314-317 : Petronius : Quo nam hinc properas ? Gabriel : Recta in museum. P. : Quid facturus ? G. Pro epithalamio, quod postulant, scripturus epitaphium. Antonio Capodilista (1420-1489), Patav. CM 422 f. 129v (in L. Granata, I manoscritti medicei di Padova, Venezia, 2002, p. 63-64), cité par Jean-Pierre Callu et Wilfred Naar, « Furore ex zelotypia (sur une épitaphe humaniste interprétée par B. Arnigio) », Le Journal des savants, janvier-juin 2009, p. 103-152, ici p. 109, (notre traduction) : Immitis ferro secuit mea colla maritus / Dum propero niuei soluere uincla pedis, / Durus et ante thorum nuper quo nupta coiui, / Quo cecidit nostrae uirginitatis honos, / Nec culpam meruisse necem bona numina testor, / Sed iaceo fati sorte perempta mei. / Discite ab exemplo Christine, discite, patres, / Ne nubat fatuo filia uestra uiro. « D’un fer sauvage, mon époux trancha mon col, / Tandis que je me hâtais de dénouer les liens retenant mon pied de neige : / Quelle cruauté ! Et devant la couche où, unie à lui, je devins son épouse, / Où sombra la parure de ma virginité, / Par les dieux pleins de bonté, j’atteste que cette faute n’a point mérité la mort ; / Pourtant, me voilà étendue, anéantie par le cours de mon destin. / Apprenez par l’exemple de Christine, apprenez, pères, /À faire en sorte que votre fille n’épouse point un fou ! »
où l’époux malade joue le rôle du quasi-cadavre (le mot cadauer est répété de nombreuses fois dans le colloque41) :
En outre, le colloque érasmien, dont les arguments sont discutés de manière plus austère dans les passages concernés de la Christiani matrimonii institutio, sert de contexte implicite au dialogue alciatique, dont il développe les silences, explicite le contexte et éclaire les allusions en répondant aux questions que le lecteur ne manque pas de se poser. Là où Alciat se contente de nommer dira scabies et mentagra, Érasme peint un portrait détaillé du marié égrotant, sur le mode parodique de l’apparition divine, qui prélude au décompte de tous les vices et de tous les défauts moraux dont il est affligé : Interim prodiit nobis beatus ille sponsus, trunco naso, alteram trahens tibiam, sed minus feliciter quam solent Suiseri : manibus scabris, halitu graui, oculis languidis, capite obuincto, sanies et e naribus et ex auribus fluebat. Alii digitos habent anulatos, ille etiam in foemore gestat anulos43.
Tandis qu’Alciat suggère simplement l’assemblage des corps, renvoyant au contexte virgilien pour le baiser et l’union des mains, Érasme évoque de manière plus précise le supplice progressif de la mariée, privée des plaisirs ludiques de l’amour, baisers, étreintes, relations sexuelles : Gabr. Iam tu mihi cogita, Petroni, quid uoluptatis habitura sint illa suauia, illi complexus, illi nocturni lusus ac blanditiae ? Petr. […] Sed interim demiror tenerae uirginis audaciam. Solent enim tales puellae ad muris aut laruae conspectum tantum non exanimari. An haec audebit tale cadauer amplecti noctu44 ?
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Voir par exemple Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 595, l. 138-139 : Gabr. Imo hoc non est homini nubere, sed hominis cadaueri. Voir également p. 594, l. 91 : Petr. An haec audebit tale cadauer amplecti noctu ? p. 596, l. 187 : cum semiuiuo cadauere. Ibid., p. 593, l. 79-84 (note 16) : « Tu dis vrai. Ce comportement me paraît entièrement digne de Mézence qui, comme nous le dit Virgile, “ unissait des corps morts à des corps humains bien en vie, joignant les mains aux mains et les bouches aux bouches. ” À cette réserve près que même Mézence, si je ne m’abuse, n’était pas monstrueux au point d’unir une jeune femme si aimable à un cadavre : et il n’est point de cadavre auquel tu ne préfèrerais pas être uni plutôt qu’à ce cadavre décomposé. S’il est vrai, du moins, que son haleine est pur poison, ses paroles une peste ; son contact une mort ». Ibid., p. 593, l. 61-65 : « Et sur ce, voici qu’apparut le bienheureux fiancé, le nez amputé, traînant une jambe mais avec moins de grâce que ne le font habituellement les Suisses : les mains galeuses, l’haleine chargée, les yeux hagards, le crâne bandé ; la sanie lui coulait du nez et des oreilles. Les autres portent des anneaux aux doigts, mais lui en avait même à la jambe ». Ibid., p. 593, l. 85-86- p. 594, l. 89-91 : « Gabr. Imagine-toi donc, Pétronius, quel plaisir pourront procurer à la malheureuse ces baisers, ces étreintes, ces jeux et ces caresses nocturnes ? Petr. Mais j’admire cependant le courage audacieux de la tendre vierge ! De telles jeunes filles d’ordinaire réussissent seulement
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Petr. Vera praedicas. Mihi plane uidetur hoc factum Moezentio dignum, qui mortua, ut inquit Maro, iungebat corpora uiuis, componens manibusque manus atque oribus ora. Quanquam nec Moezentius, ni fallor, tam immanis erat, ut tam amabilem puellam cadaueri iungeret : nec ullum cadauer est, cui non iungi malis quam tam putido cadaueri. Si quidem hoc ipsum quod spirat, merum est uenenum ; quod loquitur, pestis est ; quod contingit, mors est42.
L’intensité de la colère de la jeune fille chez Alciat s’explique par le fait qu’elle est menacée de mort, ce qu’avait déjà détaillé Érasme en montrant l’issue fatale de la maladie : l’écriture emblématique d’alciat
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Gabr. At haec lues est omni lepra tum tetrior, tum nocentior. Nam citius serpit et subinde recurrit ac frequenter occidit, quum nonnumquam lepra sinat hominem ad extremam usque senectutem uiuere45.
Enfin, Érasme évoque les paradoxes incompréhensibles que soulève ce mariage, qui apparaît progressivement comme un jeu de dupes : l’union est évidemment une très mauvaise affaire pour la jeune fille, à qui elle sera fatale. Mais elle l’est aussi pour les parents. Ces derniers, loin d’être des victimes, apparaissent au contraire, aux yeux d’Érasme, comme les agents directs de leur malheur et de celui d’autrui. Indifférents à l’aspect physique de leur gendre, à sa maladie, à ses multiples vices, à sa pauvreté réelle, à son blason peu reluisant, ils ne voient que son titre de chevalier, lui-même fort douteux. Deux éléments sont plus graves encore : à cause de la maladie de l’époux qui pus habet pro semine et scabiem gignit pro liberis, « qui produit du pus à la place de la semence et engendre la vérole à la place d’enfants46 », c’est non seulement la mère qui sera affectée, mais les descendants euxmêmes, héritiers du patrimoine47, et, pour Érasme, on ferait plus attention en faisant se reproduire des bêtes de somme48 ou en achetant un cheval49 ; mais surtout, ces générations futures contaminées se verront interdire toute carrière politique valable qui, selon Érasme, ne peut s’effectuer de manière satisfaisante que sur la base de traits physiques acceptables et d’un esprit en pleine possession de ses moyens, toutes qualités que compromet ce genre de maladie50. On voit donc, grâce à au contexte érasmien implicite, que les protestations de la jeune fille qu’évoque Alciat dépassent les simples considérations personnelles pour devenir un véritable enjeu politique et social, dans la mesure où l’envergure du fléau compromet la perpétuation de la famille et l’équilibre de la vie civique tout entière.
à ne pas s’évanouir à la vue d’une souris ou à l’aspect d’un masque. Et celle-là va oser étreindre un tel cadavre la nuit ? » Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 594, l. 99-101 : « Gabr. Mais ce fléau est plus grave et plus viru45 lent que toute espèce de lèpre. Car il s’insinue plus rapidement, reprend souvent de plus belle et tue en nombre, alors que la lèpre parfois permet au malade de vivre jusqu’au terme de sa vieillesse ». 46 Érasme, Christiani matrimonii institutio (note 27), LB 5, 668B. Voir aussi 667F-668A : Nunc quum filia, nepotes ac pronepotes totaque posteritas proditur, quasi re bene gesta, saltatur et canitur in nuptiis. Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), l. 171-173 (note 16) : Nec interim referre putant quem admittant ad 47 filiam, et unde nascantur liberi, non tantum in haereditatem omnium facultatum successuri, uerum etiam rempublicam moderaturi. 48 Ibid., p. 596, l. 163-164 : Gabr. […] Si satrapas paret tollere catulos, quaeso num ad generosam foeminam admittet scabiosum et ignauum canem ? cf. l. 166-167 : Gabr. Et si dux augere uelit equitatum, num ad eximiam equam admitteret morbidum aut degenerem ? cf. l. 174-176 : Petr. Ne rusticus quidem quemuis taurum admittit ad iuuencam nec quemuis equum iungit equae nec quemuis porcum scrophae. 49 Érasme, Christiani matrimonii institutio, LB 668B : et minore cura paratur gener quam equus. 50 Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 595, l. 145-150 : Atqui facinus hoc, quo nihil inuenias nec immanius nec crudelius nec magis impium, hodie magnatum etiam ludus est, quum expediat eos, qui reipublicae tractandae nascuntur, esse quam prosperrima ualetudine. Corporis enim habitus animi uim afficit. Certe hic morbus quicquid est homini cerebri solet exhaurire. Ita fit, ut reipublicae praesideant, qui nec animo bene ualeant, nec corpore.
Les implications juridiques : liberté, autorité et consentement dans l’engagement matrimonial selon Érasme et Alciat On apprend, au cours du colloque d’Érasme, que les parents connaissent la maladie du fiancé avant même le mariage56, fiancé dont l’état physique ne laisse aucun doute sur l’état de santé. De surcroît, la mariée a visiblement donné son consentement à l’union, ce qui fait d’elle la responsable de son malheur, comme le mentionne Gabriel57. Or Érasme souligne un point fondamental, hérité du droit canon, et qui rend tragique la situation de ces épouses « dont les maris, dès le lendemain des noces, sont attaqués de lèpre ou du mal caduc58 » : le mariage est indissoluble, malgré la maladie grave d’un des conjoints, et ce cas
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Cf. Gian Luigi Barni (éd.), Le Lettere di Andrea Alciato giureconsulto, Florence, 1953, no144, à Viglio Van Zwichum (13 février 1547), p. 211, l. 17-20 : Nuperrime cum mense septembri Ferraria Mediolanum reuersus essem illustriss. Dn. Ferdinandus Gonzaga nomine Caesareae Maiestatis mihi imperauit ut condicionem Ferrariensem relinquerem et Pauiam profitendi causa irem. 52 Il s’agit de la seconde partie du Digeste ou Pandectes de Justinien, qui comprenait les livres 24 (à partir du troisième titre) à 38. Soutenue par une première et une troisième, cette partie centrale du Digeste se voyait en quelque sorte « renforcée » (Digestum in-fortiatum) par les deux autres. 53 P.-É. Viard, André Alciat (1492-1550), Paris, 1926. p. 104. 54 Ibid., p. 78. Pour la lettre, voir Barni, Le lettere (note 52), no72, p. 129, l. 14-17 : Hoc anno totus in secundo digestorum tomo sum, nunc “de uulgari substitutione”, superiobus mensibus “soluto matrimonio” explicaui, academia more solito sat frequens et plurimi adsunt ex Germania tua. 55 Voir Jean Gaudemet, Le mariage en Occident, Paris, 1987, p. 286-295. 56 Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 594, l. 102-103 : Petr. Forte latebat parentes sponsi morbus. Gabr. Imo pulchre nouerant. 57 Ibid., p. 597, l. 207-208 : Gabr. Quae sciens nubit morbido, fortasse digna est suo malo, quod asciuit ipsa sibi. 58 Ibid., p. 596, l. 158-150 : [Petr. Nonne deplorant earum infelicitatem] quarum coniuges post peractas nuptias in lepram aut morbum incidunt comitialem ? Cf. Érasme, Christiani matrimonii institutio (note 27), LB 5, 667B : Nullum est horum [morborum] tam atrox, quin ferendum sit in coniugio, si post initum matrimonium acciderit (est enim communis utriusque sors) eo quod nemo mortalium nouit, quid ipsi sit euenturum.
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Se dévoile alors une dimension essentielle du colloque érasmien : la question juridique de la validité d’un tel mariage, qui met en lumière la part écrasante de l’autorité familiale et parentale, face à laquelle la question de la liberté et du consentement de la fille est réduite à néant. Et c’est sur ce point, et son écho dans l’emblème alciatique qu’il faut désormais se pencher. Nous rappellerons qu’en juin 1546 (l’année de la parution de l’édition aldine, et donc de l’emblème « nupta contagioso »), Alciat est encore à Ferrare ; il sera en vacances à Milan en septembre et octobre, où il reçoit l’ordre de Ferrante Gonzaga de gagner Pavie51. Or, dans un discours qu’il a prononcé au début de ses cours à l’université de Ferrare en 1543, nous apprenons qu’il a expliqué à ses étudiants les parties de l’Infortiatum52 qui touche à la dot et aux successions53, en particulier le début sur le De soluto matrimonio, qui traite du divorce et qu’il avait déjà commencé à enseigner à Bourges dès mars 1532, comme en témoigne une lettre qu’il adresse à Boniface Amerbach datée du 25 mars54. N’oublions pas non plus qu’en 1545 s’est ouvert le Concile de Trente, pour lequel d’ailleurs Alciat a été sollicité par Paul III, et que la question du mariage y a été abondamment traitée55.
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se posait au Moyen Âge avec la lèpre59. À l’époque d’Érasme, il est possible – quoique très difficile – d’envisager des motifs pour la separatio corporalis c’est-à-dire le divorce, conçu à la fois comme dissension des âmes et comme rupture de la vie commune (tori, mensae et habitationis) afin de suivre des directions séparées60, mais sans briser le lien conjugal (manente uinculo). Mais il est en revanche (quasiment) impossible de dissoudre le sacrement du mariage et d’obtenir une separatio sacramentalis61 avec rupture du lien (dissolutio uinculi62). Quelle est l’attitude d’Érasme devant cette difficulté et quelle solution propose-til ? Il ne peut qu’insister sur la folie égoïste des parents, éblouis par les apparences d’un titre de noblesse, la qualifiant de uesania, dementia, ou phrenesis, et sur l’indifférence des autorités politiques63. Il souligne également les égarements d’un droit ressenti comme injuste voire insoutenable, et il rappelle que, malgré la pietas qu’elle nourrit envers sa famille en particulier, la jeune fille est bien mal récompensée et condamnée aux pires supplices que la Rome antique réservait aux grands criminels, en particulier aux empoisonneurs, aux sacrilèges64, aux parricides, condamnés à être cousus vifs dans un sac et jeté dans le Tibre, nous
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Le droit laïc au Moyen Âge autorisait le remariage du conjoint sain si le conjoint malade l’y autorisait. En revanche, la papauté s’y oppose résolument et une décrétale d’Alexandre III oblige le conjoint sain à reprendre la vie conjugale, même si c’est en léproserie et donc, à l’écart du monde. Voir J. Gaudemet, Le mariage (note 55), p. 258. Sur ces deux sens, cf. Digeste, 24, 2, 2 : dicitur diuortium a diuersitate mentium. uel quia hi qui matrimonium distrahunt in diuersas partes eunt. Voir les commentaires qu’en donne Alciat, De uerborum significatione libri IIII. Eiusdem in titulum XVI. Lib. L. Digestorum Commentarii, Lyon, Gryphe, 1562, p. 597, cité par Diego Quaglioni, « Diuortium a diuersitate mentium. La separazione personale dei coniugi nelle dottrine di dirrito comune » in S. Seidel-Menchi (dir.), Coniugi nemici : la separazione in Italia dal xii al xviii secolo, Bologne, 2000, p. 107. On renverra également à la différence étymologique entre diuortium et repudium traitée par Alciat dans le De uerborum significatione, Lex CXCI, Paulus lib. XXXV ad Edictum : Quod diuortium ex eo dictum est, quod in diuersas partes eunt qui discedunt. Les motifs en sont généralement l’adultère, l’hérésie ou l’apostasie, (la « fornication spirituelle », selon saint Augustin), l’entrée d’un conjoint dans les ordres ou la violence physique. Voir J. Gaudemet, Le mariage (note 56), p. 249. On peut y ajouter l’impuissance du mari ou sa condition servile (ibid., p. 254-255). Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 597, l. 212-213 : (Gabriel vient de dire que, s’il était pape, il annulerait un tel mariage) Petr. Quo colore ? Nam coniugium rite contractum ab homine non potest dirimi. Sur ces distinctions qui surgissent avec les sentences de Pierre Lombard, voir D. Quaglioni, « Diuortium a diuersitate mentium » (note 61), p. 104. Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 594, l. 93-96 : Gabr. […] ego parentum uesaniam satis mirari non possum. Quis enim filiam habet tam infelici forma, quam collocare uelit homini leproso ? Petr. Nullus, opinor, si modo uel unciolam habeat sanae mentis. « Gabr. Quant à moi, je ne peux m’empêcher de m’étonner de la folie des parents. Car qui a une fille si laide qu’il voudrait la placer avec un homme atteint de lèpre ? Petr. Personne, à mon avis, s’il possède ne serait-ce qu’une once d’esprit raisonnable. » Voir également p. 594, l. 106 : Profecto leuior fuisset insania ; p. 596, l.161 : Petr. Quae igitur dementia est ultro filiam plus quam leproso tradere ? Gabr. Plus quam dementia est ; p. 196, l. 189-193–p. 597, l. 198 : Petr. Vix hoc faciunt hostes puellis bello captis ; uix piratae faciunt scelere abductis ; et hoc faciunt parentes unicae filiae, nec illis datur a magistratu curatur ? Gabr. Quomodo medicus succurret phrenetico, si ipsum habeat phrenesis ? Petr. Atqui mirum est a principibus, quorum munus est prospicere reipublicae, duntaxat in his, quae ad corpus pertinent, quum in hoc genere nihil prius ac potius sit bona ualetudine, hic nullum excogitari remedium. Tanta pestis bonam orbis partem occupauit, et illi interim stertunt, quasi nihil ad rem pertineat. Ibid., p. 593, l. 71-74, : Petr. Si puella ueneno sustulisset ambos auos et auias, quod grauius supplicium de illa sumi poterat ? Gabr. Si minxisset in patrios cineres, satis poenarum datura fuerat tali monstro uel osculum dare coacta.
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Ibid., p. 594, l. 104-105 : Si tam male uolebant (parentes) filiae, quin potius insutam culleo proiecerunt in Scaldam. Cf. Cic., S. Rosc., 30. 66 Ibid., p. 593, l. 76-78 : Mihi sane factum hoc crudelius uidetur, quam si illam nudam obiecissent ursis aut leonibus aut crocodilis. Nam aut ferae pepercissent tam insigni formae aut subita mors finisset cruciatum. 67 Ibid., p. 597, l. 209-214, : Gabr. Caeterum si qua nupsisset huic obnoxio lui, qui se sanum mentitus esset, is qui mihi summum pontificium deleget, dirimerem hoc coniugium, etiamsi sexcentis tabulis sponsalibus contractum esset. 68 Ibid., p. 597, l. 215-216 : Gabr. Quid ? Tibi uidetur rite contractum, quod dolo malo contractum est ? 69 Ibid., p. 597, l. 215-218 : Non ualet contractus, si puella decepta seruo nupsit, quem putabat liberum. Hic cui nupsit seruus est miserrimae dominae psorae atque hoc infelicior est seruitus, quod illa neminem manumittit, ut seruitutis miseriam aliqua libertatis spes consolari possit. 70 Voir J. Gaudemet, Le mariage (note 55), p. 195-219. 71 Érasme, « “Agamo~ gavmo~ » (note 16), p. 600, l. 311-313 : Petr. Sed quid consulas interim infelici puellae ? Gabr. Quid ? Nisi ut libenter sit misera, quo sit minus misera, et suauio coniugis opponat manum, tum armata cum illo dormiat. 72 Vulg., Matth., 5, 32 : Quia omnis, qui dimiserit uxorem suam, excepta fornicationis causa, facit eam moechari : et qui dimissam duxerit, adulterat. Cf. aussi 19, 9 : Quia quicumque dimiserit uxorem suam, nisi ob fornicationem, et aliam duxerit, moechatur : et qui dimissam duxerit, moechatur. Sur les problèmes posés par ces textes, voir J. Gaudemet, Le mariage (note 55), p. 44-46.
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dit Cicéron, dans l’Escaut chez Érasme65, ou encore aux esclaves ou aux Chrétiens jetés aux bêtes sauvages66. Par la voix de Gabriel, Érasme espère, de manière ironique, donner à certains arguments le caractère d’empêchements absolus et dirimants (le mari a caché sa maladie67 et a agi par ruse68, il n’est pas de condition libre puisqu’esclave de Psora69) et d’empêchements relatifs (le mariage ne se conclut pas ici entre vivants, mais entre une vivante et un mort). On sait que la théorie des empêchements était régulièrement invoquée dans les cas de rupture (en plus du rapt et de la minorité, les motifs étaient en particulier l’impuissance, l’adultère, l’hérésie ou l’apostasie)70. Mais, comme le dit Petronius, ce ne sont là que des colores, « des arguments favorables », et au fond, Érasme invite la jeune femme à se résigner de manière philosophique71, les malades à se marier entre eux et la société à adopter quelques mesures prophylactiques : ces dernières vont des plus extrêmes (tuer les malades) à de plus humaines (les isoler, changer le linge de lit dans les auberges et interdire l’usage commun de la vaisselle), voire parodiques (éviter d’aller se faire couper la barbe chez le barbier ou s’affubler de lunettes, tablier hermétique et appareil respiratoire spécial). À l’instar d’Érasme, Alciat lui-même, dans ses commentaires aux Pandectes, comparant droit séculier et législation canonique, constate qu’à son époque (hodie), il n’existe aucun moyen légal de divorcer ni d’obtenir la dissolution du mariage, quand l’un des conjoints est atteint de maladie contagieuse, puique la règle est ici la loi chrétienne de l’Évangile, telle qu’elle est formulée par Matthieu (19, 6-7) : « que l’homme ne sépare pas ceux que Dieu a unis et qui ne forment qu’une seule chair ». Il existe quelques exceptions qu’Alciat mentionne (et qui existent d’ailleurs chez Matthieu, comme l’adultère et les noces avec une adultère72), mais ni la syphilis ni la lèpre du conjoint n’en font partie, y compris si elles sont postérieures au mariage et attestent donc de l’adultère, et si elles sont connues dès le départ. Alciat lui-même semble prôner la résignation et conseille à l’épouse de s’abstenir de relations physiques, autant qu’il est possible :
[MATRIMONIO] Soluebatur iure isto matrimonium tribus modis, morte, diuortio et seruitute. Hodie uerò morte duntaxat soluitur, quia in Euangelio dicitur, quos Deus coniunxit, homo non separet73 [= Matth. 19, 6-7] […] Dispensat tamen quandoque Romanus Pontifex, et ex causa coniugium nondum concubitu consummatum dirimit, rarissime si concubitu sit confirmatum, et fere non nisi regibus hoc indulget, quod haud sane posset si omnino uera esset Augustini sententia. Aduersus enim legem diuinam, uix est ut ulla sit relaxatio. Sanè iure nostro licet diuortio soluatur matrimonium, tamen non licet absque causa id facere, restrinxitque lex certos modos, quibus fieri impunè possit. Sed an hodie illi modi sufficiant separationi tori ? Et constat non sufficere, cùm sola causa fornicationis excepta sit, quae tamen exceptio latiùs accipitur, siue spiritualis sit74, i. e. haeresis et impietas in Deum, siue Venus praepostera ; ex hac enim causa receptius est esse separationi locum. Quod et à Siculo75 responsum est. Sed quid si maritus morbo Gallico, ut uocant, laborat ? Videt nec hoc quidem separationi sufficere, sicut nec lepra sufficeret76. Quod uerum, nisi ignorans mulier talem in uirum accepit, non acceptura, si sciuisset. Certum enim est saltem in foro conscientiae tutam eam esse, quamuis sui copiam illi facere detrectet. Si enim iudicio medicorum euidens contagionis periculum immineat, non erit ei tentandus Deus. Quod certius procederet, si post matrimonium contractum eo morbo uir laborare coepisset, cùm sui delicti et praesumptae fornicationis det poenas77.
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Selon le droit de cette époque, le mariage se rompait de trois manières : par la mort, le divorce ou l’esclavage. Mais de nos jours, c’est seulement par la mort qu’il se rompt, parce qu’il est dit dans l’Évangile que « ceux que Dieu a unis, l’homme ne doit pas les séparer ». […] Le pape romain cependant accorde parfois une dispense, si la cause en est que le mariage n’a pas encore été consommé charnellement, et rarement si la consommation a été effective. Et il ne va pas sans accorder cette indulgence aux rois, ce qu’il ne pourrait absolument pas faire si le propos d’Augustin était parfaitement vrai78. Et contre la loi divine, il n’est à peu près aucune échappatoire. Certes, on est autorisé à rompre le mariage par le divorce dans notre droit, mais il n’est pas possible de le faire sans raison et la loi restreint les modalités déterminées qui permettent de le faire sans être puni. Mais ces modalités sont-elles suffisantes aujourd’hui pour la séparation de corps ? On voit bien qu’elles ne suffisent pas, puisque seul le motif de fornication fait exception, exception qu’on entend toutefois dans un sens plus large ou spirituel, c’est-à-dire l’hérésie, l’impiété ou la sodomie ; en effet, pour ce motif, l’usage admet plus largement qu’il y a là une cause de séparation. Siculus apporte sa réponse sur ce point. Mais que se passe-t-il si le mari souffre de ce que l’on appelle mal français ? Il semble que même cet état ne suffise pas à la séparation, tout comme la lèpre ne suffisait pas non plus. Pourtant, seule l’ignorance de cette situation a fait qu’une femme a accepté un tel homme pour époux : elle n’en aurait fatalement pas voulu si elle avait eu connaissance de sa maladie. Ce qui est certain, c’est que, du moins pour ce qui est de sa consience, elle n’a rien à craindre, même si elle refuse de se donner à lui. En effet, si, selon le jugement du médecin, un péril évident de contagion menace, le mari ne devra pas mettre Dieu à l’épreuve. Cette réserve s’avèrerait plus incon-
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Alciat évoque le cas de l’église primitive qui autorise l’époux d’une femme répudiée pour adultère à en prendre une autre. 74 Sur ce concept de luxure spirituelle, voir M. Canévet, P. Adnès, W. Yeomans, A. Derville (dir.), Les sens spirituels, Paris, 1993, p. 171. Cf. Aug., Conf., 2, 6, 14 ; Ibid., Sent., 2, 39, 18 75 = Siculus Flaccus, agrimensor romain, iie s. 76 Voir supra, note 59. 77 Alciat, Commentaria in titulos Digestorum seu Pandectarum, Bâle, Guarino, 1582, 1, p. 480 [lib. 24, tit. 3 : soluto matrimonio dos quemadmodum petatur]. 78 Il s’agit du Ad Pollentium de adulterinis coniugiis, 2, 8, d’Augustin, qui, en se fondant sur la citation de Matthieu, interdit le remariage et les relations sexuelles à chacun des conjoints d’un couple divorcé, pour éviter l’adultère.
tournable encore si l’homme se mettait à souffrir de ce mal après avoir contracté le mariage, puisqu’il est châtié de son délit et de l’adultère dont il a été soupçonné.
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On notera, à l’instar des commentateurs d’Alciat, que tout le vers 2 est inspiré par un passage de Virgile (Georg., 1, 31), où le terme generum est synonyme de maritum : [uelis] Teque sibi generum Tethys emat omnibus undis. « Veux-tu [Virgile s’adresse à Octave-Auguste] que Téthys t’achète pour être son gendre, au prix de toutes ses ondes ? » Servius (ad loc.) explique effectivement que generum est, dans ce passage précis de Virgile, synonyme de maritum : c’est un époux et non un gendre que veut prendre Téthys. 80 Alciat, De verborum significatione, Bâle, Guarino, 1583, t. 2, p. 1096 [lex XLVI : Materfamilias] : Tribus modis olim uxor habebatur, usu, farre, emptione. Emptio quibusdam solemnitatibus peragebatur, et se coemendo inuicem interrogabant : uir an sibi mulier materfamilias, illa, an uir sibi paterfamilias esse uellet : respondebantque, inuicem, uelle, « On prend femme selon trois modes : l’usage, la confarréation, l’achat. L’achat se déroule selon des étapes solennelles et, en s’achetant, les époux s’interrogent mutuellement : l’homme demande à sa femme si elle veut bien devenir pour lui la mère de famille, et la femme demande à son époux s’il veut bien devenir pour elle le père de famille, et ils répondaient tour à tour qu'ils le voulaient ». On notera l’importance du terme uellet.
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Mais dans l’épigramme, Alciat adopte un point de vue plus radical et plus mordant : là où Érasme associe les parents, Alciat n’évoque que le père. Là où Érasme insiste sur la folie des parents, Alciat parle de la cruauté et de la sauvagerie (saeuus, effera) du père. Là où Érasme parle de dot, mais en renvoyant ironiquement au douaire de l’époux, c’est-à-dire à ses qualités morales, Alciat évoque la dot, mais au sens propre, comme moyen de troc dont profite le père. La vraie cible d’Alciat, c’est bien sûr la tyrannie et la cruauté des pères, figures perverties de l’autorité patriarcale. Munis de la dot, ils peuvent laisser libre cours à leur toute-puissance. Dans une Europe où le mariage des filles est conçu en général comme une modalité d’extension patrimoniale, d’alliances politiques, de stratégies familiales ou d’ascension sociale, on comprend l’ampleur de la question. Il n’y a pas, dans ce cas, de réciprocité de la pietas, ce que la présence de Mézence, contemptor diuum, laissait amplement supposer. Cette autorité paternelle abusive est particulièrement bien mise en évidence dans le vers 2 : emptus quod tibi dote gener, « parce que tu t’es acheté grâce ma dot un gendre ». Dans ce mariage, tout est fait pour le père, comme le souligne le datif d’intérêt tibi, qui vient se substituer au pronom mihi qu’on attendrait. De même, le terme gener, « gendre », évince celui de maritum ou uirum, lui aussi plus attendu, et, malgré la polysémie que gener a dans une source virgilienne où il signifie effectivement maritum79, il ne propose la relation instaurée par le mariage que par rapport au père. Enfin, comme l’expliquent les commentateurs d’Alciat, qui suivent en cela les passages des Topiques de Cicéron cités par Boèce et Servius, le terme emere (emptus) employé par Alciat ferait référence au rituel de la coemptio, la forme de mariage la plus connue à Rome, où mari et femme s’achetaient mutuellement et fictivement, donnant ainsi la preuve manifeste de leur volonté nuptiale : or ici, c’est le père qui, en se payant un gendre, dépouille sa fille du droit d’acheter fictivement son époux et de faire connaître sa volonté80. L’omniprésence du père constitue d’ailleurs le parti pris de la gravure de 1546 dans l’édition vénitienne, assez énigmatique au premier abord (fig. 1). On y voit un personnage barbu et solidement charpenté, vêtu de braies, tunique et couvre-chef. Il emporte sommai-
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Fig. 1 - Alciat, Emblematum libellus, Venise, Alde, 1546. Glasgow University Library.
rement sous son bras gauche un second personnage nu, affaissé sur lui-même, en apparence évanoui, voire mort. On pourrait penser qu’il s’agit là du fiancé malade, emportant chez lui sa fiancée évanouie d’horreur ou, comme le suggère Alison Rawles dans son étude dans le présent volume, l’un des prisonniers de Mézence que le tyran a fait lier à un cadavre (la ceinture du personnage debout semble effectivement assembler les deux corps). Mais cette disposition des deux corps contredit l’élément signifiant essentiel du texte virgilien, qui permet à l’emblème de faire passer du couple de suppliciés au couple matrimonial : l’union des mains et de la bouche (Verg., Aen., 8, 486 : Componens manibusque manus atque oribus ora). Chaque personnage tourne quasiment le dos à l’autre dans la gravure de 1546 et les mains ne se rejoignent pas. Il faut donc s’orienter vers une autre lecture. Selon nous, le personnage portant le second a un air vigoureux et énergique et une barbe respectable qui le désignent naturellement pour jouer le rôle du pater familias. Quant à la forme évanouie qu’il emporte sommairement, la musculature et les cheveux relativement courts identifient le fiancé vérolé, fort mal en point, voire déjà cadavre, et soulevé ici comme une triste dépouille : la référence est celle du monde épique où les héros vont chercher sur les champs de bataille la dépouille des compagnons qu’ils aiment. Ici les blessures du cadavre ne sont pas héroïques mais engendrées par une maladie contagieuse. Du reste, elles n’apparaissent pas sur l’image. Le geste du père, un doigt pointé vers le corps qu’il transporte, se comprend alors aisément : il désigne à sa fille hors champ, le prétendant qu’il lui a rapporté. Il est intéressant de noter que la jeune femme n’apparaît pas non plus sur l’image. Si l’on revient à l’épigramme, on remarquera qu’Alciat relie contexte épique et cruauté parternelle. À travers les références à l’univers épique, il essaie, me semble-t-il, de décrire
Le rôle juridique de l’épigramme : l’épouse et le droit de dire non. On se souvient qu’Érasme, dans son colloque sur le mariage qui n’en est pas un, utilise l’ironie à des fins polémiques et dénonciatrices. Chez Alciat, l’intention est tout autre. L’épigramme est, en quelque sorte, para-juridique, et invite l’épousée, même si c’est d’une manière quasi-désespérée puisque le texte est déjà une sorte d’épitaphe, à une forme d’opposition verbale prévue dans la loi même. Alciat revient aux fondamentaux du droit du mariage, tel qu’il s’exprime dans le livre 23 du Digeste, intitulé De sponsalibus, « Des fiançailles » : le mariage, comme les fiançailles, est fondé sur le consentement des époux, et de la mariée également. Sinon, il est nul et non avenu. L’article de Julianus précise en outre que le consentement peut être tacite, car qui ne dit mot consent. Il précise toutefois, avec Ulpien, que l’opposition de la fille ne peut se faire que sur des critères d’indignité morale du gendre et les marques évidentes qu’il peut en donner81. Les canonistes et les théologiens avaient d’ailleurs fait du consentement un principe fondamental, dans la mesure où le droit canon permettait en particulier de s’opposer aux pratiques courantes des familles nobles, où le pater familias entend surtout, par le mariage, conclure ou consolider des alliances, acquérir des titres ou des terres82. Le texte poétique alciatique refuse le consentement tacite et donne
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Digesta Iustiniani, 23.1.11 (Mommsen / Krueger) : Iulianus libro 16 Digestorum. Sponsalia sicut nuptiae consensu contrahentium fiunt : et ideo sicut nuptiis, ita sponsalibus filiam familias consentire oportet, « Les fiançailles, comme le mariage, se contractent par le consentement des parties ; par conséquent, de même que pour le mariage, le consentement de la fille de la famille est obligatoire » ; ibid., 23.1.12 : Vlpianus libro singulari de sponsalibus. Sed quae patris uoluntati non repugnat, consentire intellegitur. Tunc autem solum dissentiendi a patre licentia filiae conceditur, si indignum moribus uel turpem sponsum ei pater eligat, « Ulpien, dans son livre sur les fiançailles. Mais la fille qui ne résiste pas ouvertement à la volonté de son père est censée consentir. La résistance n’est permise à la fille que dans le cas où le fiancé que son père lui destine est d’une conduite déréglée ou noté d’infamie ». Voir J. Gaudemet, Le mariage (note 55), p. 178-179.
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la sauvagerie d’un monde pré-législatif, régi par la tyrannie, l’autorité d’un seul et donc l’injustice, puisque le châtiment intervient sans procès, sans faute ni sans défense possible pour l’accusé. Dans ce contexte, l’expression alciatique de renouare au vers 6, « réactiver », « ressusciter », qui caractérise l’action du père qui marie sa fille à un contagieux, est bien à lire dans une tonalité antiphrastique : renouare, c’est « rendre neuf », non pas au sens de moderniser un objet, ici des pratiques non codifiées par le droit, mais au sens de redonner une actualité à ce qui est périmé, faire ressurgir un passé arriéré, c’est-à-dire tout le contraire du progrès. Or, on le sait, à Bourges puis à Ferrare dix ans plus tard, Alciat, passionné par ses cours, entend justement abandonner des pratiques juridiques désuètes pour redonner de l’actualité au Digeste dont il voudrait que l’on redécouvre les principes. Toutefois, ni Alciat ni Érasme ne semblent bien optimistes quant aux possibles issues pour la jeune victime de ce drame. Mais, si tout est désespéré, quel est alors le rôle de l’épigramme alciatique ?
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la parole à la jeune femme qui, de manière virulente, apostrophe son bourreau qui lui a donné un mari indigne d’elle-même. Ce qui ne plaît guère au père, dont l’autorité est mise en question : cur me compellas ? Le verbe compello désigne à la fois le fait que l’on attribue un nom (Mézence), mais aussi que l’on prend ici à partie et qu'on insulte83. Cette voix qui monte et qui ne se tait pas exprime le cri de colère et de protestation d’une fille qui ne peut avoir un procès équitable face à son père. On sait bien que le mariage, fondé sur l’engagement sacramentel, ne peut être annulé. Le cri de la mariée, comme celui de Christine, a une fonction juridique, celle de refuser le consentement, mais, plus qu’une révolte effective, il fonctionne aussi comme avertissement et mise en garde prononcés pour ainsi dire outre-tombe à l’attention des pères et des futures épouses : au moment des fiançailles, il est encore temps pour la jeune femme de ne pas contracter l’alliance, en toute légalité, si elle a connaissance de la maladie de son promis84. Or, si l’on suppose, comme l’ont fait certains traducteurs contemporains, que c’est un passant ou un lecteur anonyme qui apostrophe le père, c’est toute la dimension juridique du consentement des époux et de la mariée en particulier qui disparaît, privant l’épigramme d’une de ses dimensions essentielles, en plus de son aspect médical. C’est d’ailleurs sur cette maladie et son symbole, le supplice de Mézence, que je voudrais maintenant revenir.
Le supplice de Mézence comme image de mémoire du « mal français » : une influence du traité de Fracastor de 1546 et du séjour ferrarais d’Alciat ? C’est en 1546, à Florence, que paraissent chez Giunta deux traités médicaux importants : le livre unique du De sympathia et antipathia rerum, suivi des trois livres du De contagione et contagiosis morbis et curatione de Fracastor. À cette date, Alciat est à Ferrare, où il enseigne le droit. Il n’est probablement pas resté étranger au bouillonnement intellectuel qu’offre la ville en matière de sciences et de médecine. Dans un tableau très éclairant, Vivian Nutton montre l’importance à Ferrare de l’enseignement médical de trois professeurs successifs, de 1464 à 1555 : il s’agit de Niccolò Leoniceno, le « Nestor » de la médecine humaniste, de Giovanni Manardi et d’Antonio Musa Brasavola85. Rappelons qu’en 1497, Hercule Ier d’Este avait orchestré un débat scientifique sur la syphilis entre Leoniceno, Sebastiano dall’Aquila et Coradino Gilino, le médecin-physicien officiel de la cour princière, pour tenter de comprendre les raisons de la pandémie dont le duc et son entourage lui-même étaient victimes86. Quant à Antonio Musa Brasavola, médecin personnel d’Hercule II d’Este (fils
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Sur ces aspects linguistiques, voir Ch. Henebry, « The Emblematum liber as a Handbook of Ornaments », Neophilologus, 87/2, 2003, p. 173-191, ici p. 183. Voir J. Gaudemet, Le mariage (note 55), p. 258, citant Urbain III. Voir V. Nutton, « The rise of medical humanism : Ferrara, 1464-1555 », Renaissance Studies, 11/1, 1997, p. 3-19. Tandis que D’all’Aquila soutenait qu’il s’agissait de l’elephantiasis galénique, Gilino, de l’ignis sacer ou Persicus décrit par Celse, Leoniceno rattachait la syphilis aux fléaux et miasmes galéniques, puisqu’elle trouvait dans la chaleur et l’humidité estivales un stimulateur de sa virulence. Voir R. French, J. Arrizabalaga, « Coping with the French Disease » (note 17), p. 265-267.
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Voir la lettre cité par P.-É. Viard, André Alciat (note 53), p. 101 (qui épelle mal le nom du personnage en Brasadoli). Voir G. Fracastoro, De contagione et contagiosis morbis et corum curatione, éd. W. Cave Wright, NewYork/Londres, 1930, I, 3, p. 8. Ibid., p. 10. Pour un tableau complet, voir C. Pennuto, « Pestilenze, contagi, epidemie » in A. Clericuzio, G. Ernst, M. Conforti (dir.), Il Rinascimento italiano et l’Europa, vol. 5 : Le scienze, Trévise / Vicence, 2008, p. 307-322 ; Ead., « La natura dei contagi in Fracastoro », in A. Pastore, E. Peruzzi (dir.), Girolamo Fracastoro. Fra medicina, filosofia e scienze della natura, Atti del Convegno internazionale di studi in occasione del 450o anniversario della morte Verona-Padova 9-11 ottobre 2003, Florence, 2006, p. 57-71 et surtout Ead., Simpatia, fantasia e contagio. Il pensiero medico e il pensiero filosofico di Girolamo Fracastoro, Rome, 2008, p. 405-433. Voir note précédente pour les références à C. Pennuto ; voir également H. Hirai, « Ficin, Fernel et Fracastor : autour du concept de semence : aspects platoniciens des seminaria », in A. Pastore, E. Peruzzi (dir.), Girolamo Fracastoro (note 93), p. 245-260. Voir également Vivian Nutton, « The Reception of Fracastoro’s Theory of Contagion : The Seed That Felle among Thorns », Osiris, 16, 1990, Renaissance Medical Learning : Evolution of a Tradition, p. 196-234 ; Charlotte Goddard, « Lucretius and Lucretian Science in the Works of Fracastoro », Respublica litterarum, 16, 1993, p. 185-192 ; Marco Beretta, « The Revival of Lucretian Atomism and Contagious Diseases during the Renaissance », Medicina nei Secoli, 15, 2003, p. 129-154.
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d’Alphonse et petit-fils d’Hercule Ier), commentateur et annotateur des aphorismes d’Hippocrate (Bâle, 1541), il est chargé dès 1542 par Hercule II de solliciter Alciat pour enseigner à Ferrare87. Il est donc plus que probable qu’Alciat ait entendu parler des débats médicaux de son époque, voire s’y soit intéressé dans le cas précis de cet emblème qui évoque la question des maladies contagieuses, trouvant peut-être dans ce contexte géographique et intellectuel une forme de cristallisation lors de l’ébauche de son épigramme esquissée entre 1526 et 1530. J’en donnerai ici quelques indices. Fracastor, réfutant la pertinence de l’évocation des causes obscures dans les maladies pestilentielles et celle de l’étiologie galénique, pose l’hypothèse d’une contagion par contact, et il en distingue trois : direct ; ou per fomitem, c’est-à-dire au moyen d’un objet comme un vêtement ou un morceau de bois ; ou à distance, grâce à des particules matérielles qui voyagent dans l’air. L’origine de la maladie est à rechercher dans les particulae insensibiles qui constituent le corps et qui, suite à un processus de putréfaction, engendré par une source de chaleur hétérogène, une aliena caliditas, se séparent et dissolvent l’agrégat qu’elles composaient88. Quittant le corps malade, elles pénètrent dans un second corps où elles vont porter l’infection en se réagrégeant à l’intérieur de lui. Ces petits agrégats constituent autant de seminaria contagionium, des foyers d’infection, qui trouvent dans le corps où ils s’installent affinité et analogie, bref un terrain sympathique, au sens médical du terme89. Fracastor rompt ici avec la théorie exogène des semences de la peste chez Galien, engendrées par l’air corrompu, et avec l’idée que ces semences réussissent à se propager dans le corps parce qu’elles y rencontrent un terrain fragilisé par une mauvaise diète de vie. Hiro Hirai et Concetta Pennuto ont admirablement montré que le concept de seminarium, tout en devant beaucoup à Lucrèce, à Ficin et aux conceptions aristotéliciennes, conserve une irréductible originalité, propre à Fracastor90. Ce qui me paraît ici frappant, c’est que le supplice de Mézence et sa signification matrimoniale propose une véritable image de mémoire de la théorie fracastorienne de la con-
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tagion, une sorte de cas d’école idéal mis en symboles mnémoniques et transposable à d’autres situations ou d’autres contextes que la référence matrimoniale, même si la brièveté poétique et l’art allusif de l’épigramme ne peuvent entrer dans le détail de la démonstration scientifique. Qu’on nous autorise ici à faire au préalable un petit détour par l’image. Le supplice antique, on l’a dit, tient lieu chez Alciat, de référent analogique à un acouplement contemporain, posé comme dangereux car mortifère au sein du mariage. Or signifiant et signifié se contaminent mutuellement de manière croisée : le cadavre du supplice virgilien devient implicitement l’époux de la jeune fille, tandis que l’accouplement entre époux finit par se superposer au couple masculin du supplice mézentien, ce que montrent bien les gravures, qu’on peut distinguer en deux groupes, indépendamment de l’illustration tout à fait à part de l’édition de 1546. Dans l’édition padouane de Tozzi en 1621 (fig. 2), comme dans la plantinienne de 1584 (fig. 3), qui partagent une composition, un décor et des personnages identiques, seule la res significans, c’est-à-dire le supplice antique, est représentée : un roi, assis sur un trône, à l’intérieur d’un palais dont on aperçoit une colonne, se penche vers ses deux serviteurs, leur intimant l’ordre, par son sceptre brandi, de lier les deux corps qui sont à ses pieds, ce qu’ils font avec d’épaisses cordes. Dans l’édition de 1621, le cadavre, masculin, est placé en dessous, mais c’est bien un homme, nu également, qui lui est superposé, comme le confirme Thuilius. Il n’y a là aucune allusion au mariage : seul le motto Nupta contagioso permet de faire le rapprochement avec le signifiant, selon un fonctionnement qui rappelle la devise. En revanche, dans l’édition de 1584, les rondeurs du corps placé au dessus du cadavre et la tresse de cheveux longs montrent un effort du graveur pour souligner la présence d’une jeune femme, suggérant derrière la res significans la res significata : de fait, le cadavre antique prend la place de l’époux de la jeune femme contemporaine d’Alciat, de la même manière que la jeune femme du couple de la Renaissance s’invite dans l’évocation virgilienne. On remarquera que, dans l’édition lyonnaise de Rouille en 1550 (fig. 4), où le châtiment se transforme en véritable spectacle, applaudi par une cour, le couple de suppliciés est masculin. Toutefois, le graveur s’est efforcé de rendre compte du domaine d’application du symbole à l’époque contemporaine en ouvrant une seconde scène sous forme de tableau dans le tableau, à l’arrière-plan de l’image, derrière le dais où siège le roi, qui n’est pas dans la même dimension chronologique : on aperçoit un couple en train de conclure une alliance matrimoniale par la dextrarum iunctio, que le père entérine en réunissant lui-même la main des deux promis. La relation entre les deux saynètes, chronologiquement séparées, se fait sur le mode de l’analogie symbolique. En tout cas, le symbole et sa signification ne cessent de se superposer. Comment fonctionnent-ils comme une image de mémoire des théories fracastoriennes ? Le cadavre du supplice de Mézence, dont Virgile évoque sans ambages la décomposition, sous forme de sanie et de pus, est un bon moyen de se rappeler que l’origine de la syphilis, et de tout autre maladie contagieuse, doit être recherchée, selon Fracastor, dans un corps corrompu et en état de putréfaction : c’est précisément le statut de l’époux, nommé cadauer par Érasme et qualifié de mortua corpora par Alciat. L’union des mains et l’union des bouches, explicites chez Virgile, suggérées chez Alciat et préludes euphémistiques à l’union charnelle, sont autant de pratiques propices à
Fig. 2 - Alciat, Emblemata, Padoue, Pietro Paolo Tozzi, 1621. Glasgow University Library.
Fig. 4 - Alciat, Emblemata, Lyon, Macé Bonhomme pour Guillaume Rouille, 1550. Glasgow University Library.
Fig. 3 - Alciat, Emblemata / Les Emblèmes, Paris, Jean Richer, 1584. Glasgow University Library.
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la transmission des particules mortifères décrites par Fracastor, en favorisant un contact direct très étroit et multiple entre les deux corps. L’alliance charnelle elle-même, extrapolation alciatique, tient lieu d’image (transposable à d’autres cas) pour faire comprendre comment les seminaria, nées de la pourriture et de l’aliena caliditas, suscitée par les échauffements dans l’acte amoureux et agent de causalité de la décomposition, viennent contaminer le corps sain et proliférer en lui, en suivant en quelque sorte la route du liquide séminal. Enfin, le fait qu’Alciat, à cause du sens matrimonial qu’il veut donner au symbole, substitue une association homme-femme là où le texte virgilien ne dit rien du tout, fait sens en termes fracastoriens : la jeune fille, qui n’a ni mené une vie dissolue ni adopté un mauvais régime de vie (explication galénique), appartient simplement au sexe féminin et constitue donc, par nature et sans rien y pouvoir, une cible d’élection, un réceptacle passif, un terrain de sympathie pour les particules émanant du mâle, selon une vieille idée d’Aristote91. Et cette sympatheia, si importante chez Fracastor parce que c’est elle qui explique la raison de l’adaptation des seminaria dans un corps-hôte, se voit matérialisée par la corde, les fers ou le filin que suppose obligatoirement le terme iungere, commun à Virgile et à Alciat. Ce lien de contrainte, signe d’un supplice, d’un mariage forcé, d’une complémentarité naturelle appelée sympathie se fait aussi le symbole nosologique de ce que signifie étymologiquement la sympathie : « souffrir avec ». Il est fort probable que cette pertinence n’a pas échappé à Alciat.
Conclusion D’Érasme à Fracastor, de l’épigramme au traité médical, de l’imitation poétique de Virgile au commentaire juridique, il est clair que cet emblème original se situe de manière virtuose à la croisée de nombreuses disciplines. Un épisode d’une histoire fabuleuse des temps épiques (le supplice de Mézence) se transforme en objet symbolique qui, étayé par les pouvoirs rhétoriques et poétiques de l’épigramme, devient à la fois support mnémonique de théories médicales et juridiques contemporaines (le mariage avec un contagieux et le mariage non consenti), mais aussi discours polémique voire pamphlet que les images gravées tentent d’illustrer, parfois maladroitement. Cet emblème semble épouser parfaitement la réflexion théorique que les humanistes mènent à la même époque sur le statut de la poésie et du poète : ils remplaçent le concept de furor par celui d’innutritio, de culture littéraire approfondie, et conseillent aux impétrants, à l’instar d’Horace, de féconder les dons de la natura et de l’ingenium par une somme considérable de labor, pratique et exercices. L’épigrammatiste qu’est Alciat, formé à la culture antique dont Virgile est l’un des joyaux, et féru de droit romain, trouve dans un contexte intellectuel, littéraire et scientifique (les publications d’Érasme et de Fracastor), dans une localisation géographique
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Sur les notions intriquées de « sympathie », « analogie », « antipathie » chez Fracastor, voir C. Pennuto, Simpatia, fantasia e contagio (note 88), p. 433-452.
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(Ferrare), dans une activité professionnelle (l’enseignement juridique) et dans un mécénat (celui d’Hercule II et de ses médecins) l’occasion propice au calor subitus, cette forme d’inspiration qui permet d’unir des compétences poétiques à une actualité extérieure qui les sollicite et leur permet de s’exprimer sur un sujet contraint. Comme chez Stace ou chez Politien, c’est la forme brève, mouvante et allusive de l’épigramme emblématique qui, combinée aux ressources de l’image mentale par le biais du symbole, semble la mieux à même de porter les fruits de cette riche mais fugace équation.
troisième partie
Alciat et ses contemporains : admiratio, aemulatio, inuidia
érasme, alciat et le Contra vitam monasticam Christine Bénévent - Université de Tours, Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
Évoquer les relations entre Érasme et Alciat, c’est s’engager sur des sentiers bien balisés, ces rapports ayant déjà fait l’objet de plusieurs études. Entre les Adagia d’Érasme et les Emblemata d’Alciat en particulier se tissent de nombreux jeux d’échos : Virginia Woods Callahan a mis l’accent sur la dette d’Alciat à l’égard d’Érasme et sur la façon dont cette dette serait affichée et comme remboursée par des hommages allusifs et répétés à Érasme, en particulier à travers la figure d’Hercule1. Le rapprochement entre Adagia et Emblemata ne date pas d’hier : les commentaires de Claude Mignault, qui furent publiés pour la première fois en 1571, sollicitent constamment les Adagia pour aborder les Emblemata, et nous incitent à comparer moins les adages et les emblèmes eux-mêmes que le commentaire qui en est fait, par Érasme d’une part, par Claude Mignault et consorts d’autre part2. Tels qu’en eux-mêmes, adages et emblèmes participent tous deux d’une forme de lieu commun, ce qui rend difficiles à interpréter les coïncidences qu’ils présentent. Si l’on peut vouloir, comme V. W. Callahan, traquer les indices d’un hommage continué, mais fatalement cryptique, d’Alciat à Érasme, on peut aussi analyser, en miroir, les hommages rendus par Érasme à Alciat, en particulier dans l’édition des Adages de 1526, mais aussi dans le Ciceronianus de 15283. Érasme et Alciat ont été liés par un autre biais, un autre texte, moins souvent exploré, connu sous le nom d’Epistola ad Bernardum Mattium ou (Tractatus) contra vitam
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Virginia Woods Callahan, « The mirror of princes. Erasmian echoes in Alciati’s Emblematum liber », in Acta Conventus Neo-latini Amstelodamensis, Münich, 1979, p. 183-196 ; « The Erasmus-Hercules Equation in the Emblems of Alciati » in K.-L. Selig, E. Sears (dir.), The Verbal and the Visual : Essays in Honor of William Sebastian Heckscher, New York, 1990, p. 41-57 ; « Andrea Alciati’s View of Erasmus : Prudent Cunctator and Bold Counselor », in Acta Conventus Neo-Latini Slanctaandreani, Binghampton, New York, 1986, p. 203-210 ; « Erasmus, An Emblematic Portrait by Andrea Alciati », Erasmus of Rotterdam Society Yearbook, 9, 1989, p. 73-91 ; « Erasmus’ Adages. A Pervasive Element in the Emblems of Alciato », Emblematica, 9/2, 1995, p. 241-256. Voir également Ead., « The Erasmus-Alciati Friendship », in Acta Conventus Neo-latini Lovaniensis, Münich, 1973, p. 163-181, et « Andrea Alciati of Milan, 8th May 1492-12th January 1550 », in P. G. Bietenholz (dir.), Contemporaries of Erasmus, Toronto, I, 1985, p. 23-26. Daniel Russel, « Claude Mignault, Erasmus and Simon Bouquet: The Function of the Commentaries on Alciato’s Emblems » in K. E. Enenkel, A. S. Q. Visser (dir.), Mundus Emblematicus, Turnhout, 2003, p. 1732. Voir en particulier p. 25. Jean-Claude Margolin, « Alciato, A Champion of Humanism in the Eyes of Erasmus », Emblematica, 9/2, 1995, p. 369-389.
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monasticam, « travail d’un intérêt considérable pour l’histoire des idées, qui présente de nombreuses conceptions originales, mais qui n’a pas été étudié ni discuté de façon systématique », comme le constatait Karl E. Enenkel en 19954. Ce texte, composé par un jeune Alciat plein de fougue antimonastique, fut remis à Érasme par l’entremise du libraire Francesco Calvo, ce qui valut à Alciat de lancinantes inquiétudes. Celles-ci s’expriment dans des lettres échangées avec Érasme, terrain d’enquête évident mais qu’il convient d’élargir à la volumineuse correspondance entretenue par chacun d’entre eux avec un troisième protagoniste qui joua souvent les intermédiaires, Boniface Amerbach5. Après avoir rappelé les tribulations de ce texte, j’en présenterai brièvement le contenu, souvent qualifié d’« érasmien ». Un tel qualificatif mérite cependant d’être interrogé puisque, en dépit de l’inspiration érasmienne que tant d’interprètes y ont vue, en dépit aussi des inquiétudes d’Alciat, il semble que ce texte n’ait guère éveillé d’intérêt chez l’auteur de l’Enchiridion.
Le Contra vitam monasticam de 1517 à 1695 : les tribulations d’un texte L’édition princeps de ce texte, Andreae Alciati Jurisconsulti, Mediolanensis, contra Vitam monasticam ad collegam olim suum, qui transierat ad Franciscanos, Bernardum Mattium Epistola, imprimée à Leyde chez Fredericus Haaring, date de 1695. Deux ans plus tard, la préface aux Gudii Epistolae6, où paraissent vingt-six lettres d’Alciat adressées à Calvo à l’exception de la dernière, revient sur cette édition due à Antonius Matthaeus. Le texte a été réimprimé en 1708 (Leyde, Henricus de Swart), puis en 1740 (La Hague, Gerardus Block). À ces versions imprimées s’ajoute un témoignage manuscrit, réalisé en 1553, puis annoté par Peter Scriverius7 : ce manuscrit, qui a sans doute servi de base pour l’édition de 1695, est
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Karl E. Enenkel, « Alciato’s Ideas on the Religious : The Letter to Bernardus Mattius », Emblematica, 9/2, 1995, p. 293-313, p. 293. Cet article constitue le point de départ et le point d’appui de l’étude ici présentée, qui lui doit beaucoup. Des échanges entre Érasme et Alciat, qui furent probablement plus nourris, il nous reste dix lettres au total, six d’Érasme et quatre d’Alciat. On peut les consulter dans Percy Stafford Allen (éd.) : Érasme, Opus Epistolarum, Oxford, 1906-1958 (désormais abrégé : Allen, ep., suivie des indications de volume, page, ligne), ou bien, pour celles d’Alciat, dans Gian Luigi Barni (éd.), Le Lettere di Andrea Alciato giureconsulto, Florence, 1965 (désormais abrégé : Barni, ep., suivie des indications de page et de ligne). Voir également Alfred Hartmann, Beat R. Jenny (éd.), Die Amerbachkorrespondenz, Bâle, 1942- (désormais abrégé Amerbachkorrespondenz, ep., suivie des indications de volume, page, ligne) : on dénombre, pour la période 1519-1540, pas moins de 110 lettres entre Alciat et Amerbach. À noter, pour les lettres d’Alciat, des différences parfois sensibles entre les versions de l’édition Barni et de l’Amerbachkorrespondenz. D’une manière générale, il faut contrôler le texte et les dates de Barni en les confrontant avec la riche recension de son édition effectuée par Roberto Abbondanza, « A proposito dell’epistolario dell’Alciato », Annali di storia del diritto, 1957, p. 467-500. Marquadi Gudii et doctorum virorum ad eum epistolae quibus accedunt ex Bibliotheca Gudiana clarissimorum et doctissimorum virorum… epistolae… Curante Petro Burmanno, Ultrajecti, apud Franciscum Halmam et Gulielmum vande Water, MDCXCVII, f. **3 v. Sur Peter Scriverius, qui détint également le Compendium Vitae Erasmi, voir Pierre Tuynman, « Petrus Scriverius, 12.1. 1576-30. 4. 1660 », Quaerendo, 7/1, 1977, p. 5-45.
Exanimasti me tuis literis, cum dubitare te refers Galeacii Vicecomitis antiquos libros Frobenius14 impressioni mandet, idque facillimum factu ais, si Erasmus eos miserit, qui
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Sous la cote V.F. 25, fols. 106r-134v. Exemplaire consulté et commenté par K. Enenkel, « The Letter to Bernardus Mattius » (note 4). Ibid., p. 295-297. La préface aux Gudii Epistolae affirme l’identité entre ce Bernardus Mattius et le frère mineur Mathias (Mathia Minorita), présenté comme connu. Les différences graphiques entre les deux noms seraient dues à une erreur dans la transcription de l’original. Je remercie Concetta Penutto pour son aide précieuse sur ce point et sur bien d’autres. Sur ce personnage qui mériterait sans doute d’être mieux connu, voir Contemporaries of Erasmus (note 1), p. 245-246. D’après Allen (note 5), ep. 1201, IV, 485, n. 15. Érasme évoque cette visite dans l’ep. 832, III, 303, 29-35. Dès avant, Calvo avait écrit à Froben pour lui proposer collaboration et échange de bons procédés (voir Allen (note 5), ep. 581 de Beatus Rhenanus, II, 558, 29-31 : Exemplum epistolae Francisci Iulii Calui bibliopolae Ticinensis ad Io. Frobennium his inclusum habes). Barni (note 5), ep. 3, p. 9, l. 140-145. Frobenium dans l’éd. Barni.
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conservé à la Bibliothèque universitaire d’Utrecht8. La lettre à Bernardus Mattius a été imprimée, dans une version souvent fautive, en annexe des Lettere d’Alciat éditées par Barni. Datée par celui-ci de 1514-1517, elle a été décalée, de façon convaincante, à la fin 1517, voire à la première moitié de 1518, par Enenkel9. Alciat prétend ne jamais avoir voulu publier ce texte, qu’il qualifie cependant lui-même d’oratio ou de declamatio, et qui ne présente guère les caractéristiques d’une lettre privée : longue de vingt-cinq pages dans l’édition de Barni, à la typographie serrée, elle offre une argumentation dense et organisée, soutenue par de nombreuses références et citations. Le fait que l’on ne sache du destinataire que ce qu’en dit la lettre accrédite l’hypothèse d’un morceau rhétorique destiné à une plus large audience10. Très rapidement, le libraire-imprimeur Francesco Calvo11, sans doute pour promouvoir son ami, mais peut-être aussi pour s’en servir comme monnaie d’échange auprès d’autres imprimeurs, aurait pris copie de cette lettre pour la montrer dans des cercles humanistes, jusqu’à l’apporter à Érasme, probablement à l’occasion de sa visite à Louvain le 24 avril 151812. Le scrupulus que cela fait naître chez Alciat se manifeste dans deux séries de lettres séparées par un intervalle de dix ans : il s’exprime une première fois à partir du dernier trimestre de 1520, avant de ressurgir en 1530. La première manifestation de cette inquiétude est lisible, le 26 septembre 1520, à la fin d’une longue épître à Francesco Calvo, dans laquelle Alciat détaille sa situation en Avignon, où sa notoriété est considérable. Parmi les instructions finales, il demande à Calvo de rendre des livres à Galeazzo Visconti – dédicataire de l’Encomion historiae qui ouvre ses Annotationes in Tacitum –, mais aussi d’arracher (reglutines) des mains – des griffes – d’Érasme (de unguibus Erasmi) son discours (orationem illam meam ad Matthiam Minoritam), de peur qu’il ne tombe entre les mains de chrétiens confits en dévotion (cinerarii), qui lui livreraient alors une guerre sans fin13. La demande est réitérée de façon plus pressante le 10 décembre 1520, dans une lettre assez brève, exclusivement consacrée à l’angoisse qui étreint Alciat, littéralement tué par la désinvolture de son ami :
ad te destinentur viderisque eidem aleae subiicere orationem meam (ita enim interpretor) quamuis amphibologice loquaris15.
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Si Froben n’imprime pas les livres fournis par Visconti, affirme donc Alciat, c’est parce qu’Érasme ne les a pas envoyés. S’il l’avait fait, ils seraient déjà sous presse, de même que, sans doute, la fameuse declamatio. Calvo ne comprend visiblement pas la gravité de la situation, que le jeune professeur d’Avignon dramatise lourdement, se voyant déjà mis au rang des hérétiques16. Accentuant le pathétique, il met en cause l’honnêteté de son ami (O improbum Calvum !), devenu un potentiel capitalem hostem et, faisant entendre la plainte de l’amitié trahie, il livre une version peu favorable à Calvo de l’itinéraire suivi par sa lettre : An haec est fides tua ? confidentissime de scriniis meis scripta ea surripere, quae ego amicus amico, tametsi futilia et inania, quicquid in buccam venisset, clam demandabam ; nec id satis ea doctis et indoctis ostendere, deinde in Germania penes eum derelinquere, qui nihil ultra curat, quam ut publicentur, ut videlicet hostes suos armis alienis ulciscatur : meque in eas compedes coniicere, de quibus eximere me nunquam possim. 17
Pour rattraper une telle faute, Calvo doit obéir aux prières pressantes d’Alciat. Il faut que cette lettre mortifère, ce « cancer » (eram orationem abhortivam et spuriam et studiorum meorum carcinoma), soit livrée à Vulcain. Que Calvo envoie à Érasme un messager qui s’en assurera. Toutefois, dix jours plus tard, le 19 décembre 1520, Alciat écrit à nouveau à Calvo, visiblement soulagé par des nouvelles que lui a communiquées Boniface Amerbach. Le plus jeune fils du célèbre imprimeur bâlois, après avoir suivi les cours d’Ulrich Zasius à Fribourg, était venu écouter Alciat en Avignon et les deux hommes avaient fait connaissance à la fin du printemps 1520. Grâce à Boniface, Alciat a appris que sa lettre, ou plutôt son délire (epistola, vel potius delirium), n’a pas été publiée chez Froben. Si cela le soulage, cela ne le débarrasse pas de toute inquiétude : Quid enim si aliunde exeat ? si Erasmus ipse alicui commodato tradat ? fiantque inde plura exemplaria. Calvo doit donc faire preuve de diligence calvina18… La prise en compte de la seule correspondance d’Alciat laisserait à penser que l’inquiétude ne ressurgit que le 5 septembre 1521, cette fois dans une lettre à Boniface Amerbach. Il n’en est rien, et la correspondance d’Amerbach en fournit une preuve éclatante et très révélatrice. Dans la première moitié de l’année 1521, à mots prudents et couverts, Amerbach écrit de la part d’Alciat à Beatus Rhenanus : que celui-ci interrompe la publication de tout écrit d’Alciat qui lui aurait été transmis par Érasme19. La confiance qu’Alciat accorde à
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Barni (note 5), ep. 4, p. 9. Ibid., ep. 4, p. 10 : « Lutherus, Picardi, Hussitae caeteraque haereticorum nomina, non ita infamia erunt, atque futurum est, si id sequatur, meum ». Ibid., ep. 4, p. 10, l. 19-25. Ibid., ep. 5, p. 11, l. 13-14. K. Enenkel, « The Letter to Bernardus Mattius » (note 4), ne mentionne pas cette lettre. Bâle MS. C. VIa. 73. 48. K. Enenkel (ibid.) ne mentionne pas cette lettre, signalée par Allen (note 5), ep. 1201, IV, 485, n. 15, qui la situe au printemps 1521. Elle est datée du 21 janvier 1521 par A. Hartmann (Amerbachkorrespondenz (note 5), ep. 767, II, 284). Nous y reviendrons infra.
Quod sollicite mones de Declamatione tua in literis ad Bonifacium, ipse caueram diligenter, adeo vt nec legendam cuiquam dederim, excepto vno amiculo, sed spectatissime fidei. Quare hac de re in vtramuis aurem dormias licebit22.
Si le propos était d’alarmer, Érasme ne pouvait mieux faire… Alimentant comme à plaisir le pire cauchemar d’Alciat lorsqu’il évoque les agissements des Allemands, il fait mine de considérer pour finir que le secret est une chose qu’on ne dit qu’à une personne à la fois… Dans une lettre à Amerbach et dans sa réponse, datée du 24 février 1522, Alciat se dit infiniment soulagé23. Quoique… : il remercie Érasme d’avoir gardé le secret mais lui demande
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Barni (note 5), ep. 15, p. 36, l. 26-29 : Illud te per Deum Maximum obtestor, ut cum eo agas, exoresque ut fide sua recipiat se epistolam eam meam, a Calvo sibi traditam, daturum flammis, nec permissurum in alicuius manus exire. Obsecro te, hoc me animi dolore liberes, qui ita me angit, ut ac causa vel amicissimo mihi Calvo, perpetuas inimicitias denuntiaverim. Allen (note 5), ep. 1201, IV, 485-486, 14-22 (Allen la datait de mai 1521), renumérotée ep. 1233 à la suite de la nouvelle datation proposée par Hartmann (note 5). Ibid., ep. 1250, IV, 612-613, 10-18. Ibid., ep. 1261, V, 25-26 / Barni (note 5), ep. 20, 41-42 ; il s’agit d’un extrait cité par B. Amerbach dans une lettre d’avril 1531. Pour la lettre à Amerbach, écrite le 23 février 1522, voir Ibid., ep. 19, 41, 16-20.
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Amerbach s’exprime nettement dans la lettre du 5 septembre20 : se prétendant trop pétrifié d’admiration pour écrire directement à Érasme, Alciat demande instamment à son ami de lui rappeler que sa lettre doit être brûlée et surtout ne pas circuler. Amerbach s’empresse d’envoyer à Érasme une lettre dont on n’a conservé que le brouillon21. Il y fait l’éloge d’Alciat, héraut de la cause érasmienne, avant d’en venir au vif du sujet et d’évoquer l’epistola seu paraenesis Alciati nescio ad quem (la même périphrase est reprise quelques lignes plus loin) que Calvo lui a confiée anteactis annis. Alciat a déjà sollicité Amerbach à ce sujet, sepius viua voce, nunc litteris ; il faut absolument éviter qu’elle ne tombe entre les mains de quiconque (ne traditam in alicuius manus exire sinas). Pour identifier cette epistola ou paraenesis sur laquelle Amerbach se garde bien de donner le moindre indice compréhensible par un non initié, il précise que c’est celle quam, ut sunt amicissimi, tum demum e bibliotheca sublectam resciuit, postquam ad te perlatam Caluus dixisset ; il est bien sûr que c’est la même (Vna certe est quam ille idem Alciatus praebuit). Outre les très prudentes précautions prises par Amerbach, on notera l’ambiguïté du statut de cette lettre, volée / confiée à l’ami Calvo. Le 14 décembre 1521, Érasme répond directement à Alciat – c’est donc leur premier échange interpersonnel. Après un éloge d’Amerbach, qui a lui-même fait l’éloge d’Alciat, il déplore la mort prématurée du juriste Jean Pyrrhus d’Angleberme, qui fut son élève à Paris et qui venait de rencontrer Alciat à Milan. Le défunt, précise-t-il au passage, lui avait écrit qu’il possédait certaines de ses nugae, qu’Érasme souhaite récupérer, rien que pour les détruire (vt abolerem), car certains Allemands, pour des motivations stupides, ont une fâcheuse tendance à tout divulguer, quel que soit le tort causé à la réputation de l’auteur (Nam Germani quidam stultissimo consilio nunc nihil non euulgant, quantumuis laedant hominis famam). À Alciat, il adresse pour finir ces paroles rassurantes :
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de l’assurer de façon plus radicale en détruisant la lettre (Sed ut beneficium accumules, dede, obsecro per Deum immortalem, eam flammis), car elle lui a été dérobée, à peine née, par Calvo (Surrepta enim de forulis a Calvo fuerat, uti a partu recens erat). Le discours d’Alciat penche résolument désormais vers la légende de la lettre volée, comme s’il n’était plus avouable de reconnaître qu’il en a, un temps, souhaité la publication24. Le 25 avril 1522, Érasme lui adresse une réponse dont le porteur, Beatus Rhenanus, doit sans doute compléter verbalement le contenu. La lettre, qui s’ouvre sur un éloge de Beatus et s’achève sur celui d’Amerbach, mêle un compliment pour l’épitaphe composée en hommage à Pyrrhus et des nouvelles diverses, concernant notamment l’édition de ses lettres et les soupçons de luthéranisme qui pèsent sur lui. Une seule ligne concerne l’affaire qui hante Alciat : De libello etiam atque etiam iubeo te esse securum25. S’ensuit une longue période au cours de laquelle il n’est plus question de ce texte entre Alciat et Amerbach ni entre Alciat et Érasme, bien que ces derniers échangent plusieurs lettres où ils rivalisent de conseils et de compliments26. Ce n’est que le 27 octobre 1530, trois semaines après avoir directement adressé à Érasme une longue lettre l’exhortant à ne plus répondre à ses détracteurs, qu’Alciat demande à nouveau à Amerbach une médiation27. L’impression non autorisée de son De monomachia lui rappelle fâcheusement les tribulations ineptae illius declamationis meae, quam puer ad Mattiam misseram. Certes, tout le monde lui dit d’avoir l’esprit tranquille mais nul ne l’a prévenu qu’elle a été brûlée (sed tamen adhuc admonitus non sum flammis esse traditam), et c’est la seule chose qu’il veut vraiment obtenir (hoc volebam). En post-scriptum, Alciat précise qu’il a écrit à Érasme mais qu’il compte sur Boniface pour le recommander lors d’une visite informelle. Alciat réitère les mêmes instructions inquiètes et pressantes le 8 février, puis le 12 mars 153128. De son côté,
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Sur le topos du manuscrit dérobé et livré à la publication sans l’aveu de son auteur, voir M. Furno & R. Mouren (dir.), Auteur, traducteur, collaborateur, imprimeur... Qui écrit ?, Paris, 2013, p. 267-300. Allen (note 5), ep. 1278, V, 55, 6-7. Ibid., ep. 1288, V, 71-72, d’Alciat à Érasme, env. 29 mai 1522 (note 5) ; ep. 1706, VI, 335-336, d’Érasme à Alciat (6 mai 1526, bien que datée de 1529 dans l’Opus Epistolarum de 1529) ; ep. 2051, VII, 499-501, d’Érasme à Alciat (16 septembre 1528) ; ep. 2276, VIII, 366-367, d’Alciat à Érasme (1er mars 1530, réponse à une lettre perdue du 2 septembre 1529) ; ep. 2329 d’Érasme à Alciat, VIII, 451-455 (vers le 24 juin 1530 : elle ne parvint pas à Alciat, à qui une copie fut renvoyée en septembre) ; ep. 2394, IX, 61-65 d’Alciat à Érasme (7 octobre 1530). Barni (note 5), ep. 65, p. 119, l. 45-49. D’après P. S. Allen (IV, p. 486), cette inquiétude s’exprimait dès décembre 1529, mais la datation du manuscrit (Basle MMS V. VIa 54. 56) a été repoussée d’un an dans l’Amerbachkorrespondenz (note 5). Ibid., ep. 67, p. 122, l. 34-42, 8 février 1531 : Cum viderim eum tot trichis implicari, eius exemplo fio prudentior, et ne mihi unquam quicquam negotii cum hisce cucullionibus esse possit, cupio flammis ab eo dedi declamationem illam meam a me adolescente et tum maxime nullius iudicii compositam. Inuident enim mihi plurimum, quod legali hac ex mea professione mille scutatos regios habeam, cum ipsi nullo sint in ordine, quo fit, ut erecti in omnem occasionem adstent, si fors ferat, ut uirulentia sua me quoque adspergant; sed ego egregie id cauero. Vides, quantum me intersit eam declamationem perire ; ep. 68, p. 123, l. 21-25 (12 mars 1531) : Sed age quaeso, ut schedas, quod curaturum te recepisti excutiat illamque meam declamationem flammis tradat, ne in eo opere mihi eueniat, quod in libello De ponderibus Hagenoe ab illo doctore militari Dychio expertus sum, in hoc enim grauius esset periculum: armant se omnes corui et uultures, ut Alciatum uorarent, et cum maxime hic regnent, cogerer γῆν πρὸ γῆς, si modo possem ἐκλίνισαι. Lettres non signalées par Enenkel (note 4).
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Allen (note 5), ep. 2464, IX, 203, c. 26 mars 1531. Ibid., ep. 2467, IX, 230-231, 30 mars 1531 : Quod mones de Alciato, iam olim factum est. Indicat hoc illius epistola, quam ad te mitto. Non memini quicquam de declamatione, et suspicor Alciatum falli memoria, aut eum cui commisit non reddidisse. Excussis omnibus schedis meis nihil tale comperio. Hic multa nouantur nescio quod euasura. Opus est serio consultare. Sed haec coram, si fieri possit. Ibid., ep. 2468, IX, 235, 192-202. Amerbachkorrespondenz (note 5), ep. 1523 (c. mi-avril 1531), IV, 41, l. 5-6, qui évoquent plusieurs lettres, dont une perdue, dans lesquelles Alciat répète la même chose, et l. 9-22, qui reviennent de façon assez détaillée sur l’histoire de cette declamatio, et 1524 (c. 21 avril 1531), IV, 42, 14-16 : Pro declamatione cum Erasmo coram egi. Constanter aut sibi non fuisse eam a Calvo redditam aut, si acceperit (quod satis meminisse non potest) te petente flammis traditam asseuerat. Il faudrait vérifier la chronologie de ces lettres. Barni (note 5), ep. 69, p. 125, l. 30-33. Ce message est transmis le 28 juin 1531 par Amerbach in Allen (note 5), ep. 2507, IX, 283. Amerbachkorrespondenz (note 5), ep. 1548, IV, 64, 23-25.
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Érasme prétend ne pas bien voir de quoi il s’agit, nisi forte sentit epistolam liberius scriptam, mais promet de fouiller dans ses papiers (Excutiam tamen schedas meas29). La fouille est rapide et ne donne officiellement rien, si ce n’est qu’Érasme souhaite en parler de vive voix à Boniface30. Le lendemain, le 31 mars 1531, il répond directement à la lettre envoyée par Alciat le 7 octobre 1530. Comme cette dernière, c’est une lettre d’apparat, qui sert autant à valoriser son interlocuteur qu’à se valoriser soi-même. Le dernier paragraphe aborde cependant, avec de bien moindres précautions que celles prises par Boniface Amerbach, l’obscur objet de scrupuli qui ont une fâcheuse tendance à repullulasse : obéissant à la volonté d’Alciat, Érasme l’aurait déjà informé, cinq ans auparavant, qu’il avait brûlé sa lettre (Ante annos quinque significaram eam declamatiunculam Vulcano traditam, quod tu ita iusseras) ; Alciat l’en aurait même remercié dans la lettre où il déplore la mort de Pyrrhus – ce qui renvoie aux échanges de 1521. Que son correspondant soit serein, il le répète, il n’entre pas dans ses intentions de nuire à sa réputation, praesertim admonitus tuae voluntatis31… Preuve de sa bonne volonté, Érasme annonce pour finir qu’il souhaite publier la lettre du 7 octobre 1530, mais qu’il y a renoncé pour l’instant en raison de quelques mots glissés çà et là (ob voces quasdam illic inspersas) à l’heure où un scorpion dort sous chaque pierre… Ce sera chose faite en 1536, dans le De Puritate Tabernaculi. Signalons cependant encore deux lettres contemporaines de Boniface Amerbach, où pointe un certain agacement et qui disent en substance la même chose que celle d’Érasme32. Le 15 juin 1531, Alciat se déclare enfin soulagé (De declamatione iam sum animo securo) mais il ne répond pas directement à Érasme : sa lettre à Amerbach montre qu’il a été sensible à l’ironie d’Érasme, palpable lorsque ce dernier faisait observer que, conformément au proverbe grec δειλὸς ὁ πλοῦτος, mille couronnes avaient réussi à rendre son correspondant craintif33… En août 1531, Amerbach met semble-t-il un point final à la discussion en déclarant : De declamatione scrupum tandem tibi exemptum esse gaudeo nec dubito Erasmum omnem rem ita confecisse, ne vnquam tibi fraudi esse queat34. Sauf erreur, il n’est plus question ensuite de la Declamatio dans les échanges entre les deux hommes. Quelles conclusions peut-on tirer de ce compte-rendu un peu fastidieux, mais qui a permis de signaler un certain nombre de pièces oubliées ? Alciat destinait sans doute sa
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lettre à Bernardus Mattius à un public élargi. Il s’est ensuite ravisé. Ce changement s’est opéré en un laps de temps restreint, entre 1518 et 1520. En 1518, Alciat a publié les Paradoxa, les Dispunctiones, les Praetermissa et le De eo quod interest liber, autant d’ouvrages qui lui confèrent une certaine célébrité et ont sans doute motivé l’offre qui lui est faite d’une chaire à l’Université d’Avignon : une telle réussite suscite jalousies et critiques, dont témoigne sa lettre de septembre 1520, et sans doute ne tenait-il pas à donner du grain à moudre à ses détracteurs. Le surgissement de Luther, qui a contraint les humanistes à prendre des positions fermes en faveur de l’orthodoxie, n’est pas non plus indifférent à cette soudaine prudence, d’autant qu’Alciat briguait alors un bénéfice ecclésiastique, et multipliait les démarches pour obtenir le titre envié de comte palatin35. Dans les mêmes années, il participe au débat sur un opuscule favorable au mariage des prêtres, attribué à… Érasme, ce dont témoigne une lettre à Amerbach exactement contemporaine des billets demandant la destruction de sa lettre36. Or son propre Tractatus développe un discours philogamique qu’on a rapproché des positions érasmiennes37. Ces éléments n’expliquent toutefois pas le resurgissement de l’inquiétude en 1530, alors qu’Alciat a obtenu une situation enviable à Bourges. Les problèmes liés aux publications intempestives ou non autorisées lui sont familiers, le De monomachia ne constituant qu’un exemple parmi d’autres, et les nombreux échanges concernant sa Defensio montrant combien il a conscience des enjeux liés à la publication. Peut-être faut-il en chercher les raisons du côté de l’Opus Epistolarum, publié par Érasme en août-septembre 1529. Ce volumineux recueil récapitulatif offre cent cinquante lettres inédites, dont quatre lettres d’Érasme à Alciat. Deux d’entre elles abordent explicitement le sujet controversé. Il s’agit de la lettre du 14 décembre 152138, dont c’est la seule version connue, et de celle du 25 avril 152239, dont il existe aussi une version manuscrite. La comparaison entre manuscrit et imprimé montre que la phrase évoquant le libellus d’Alciat n’a pas été modifiée, ni a fortiori supprimée, pour la publication. Peut-être les démarches un peu frénétiques de l’année 1531 sont-elles liées à la perspective des Epistolae floridae, où Érasme publie encore deux lettres adressées à Alciat, dont nous possédons à la fois la version imprimée et la version autographe40. Or, si plusieurs modifications sont à signaler pour la lettre du 31 mars 1531, le paragraphe concernant l’Epistola n’a fait l’objet d’aucun gommage particulier. Peut-être comprend-on mieux ainsi l’inquiétude d’Alciat : jouissant d’une position privilégiée, Érasme n’hésitait pas, généralement avec la bénédiction des intéressés, à publier des textes d’autrui, et n’exerçait pas sur ces textes toute la vigilance requise. C’est exactement ce que disait la lettre, déjà évoquée, de Boniface Amerbach à Beatus Rhenanus en 1521 :
35 Barni (note 5), ep. 5, p. 4-9. 36 Ibid., ep. 19, p. 41, l. 26-42. Je remercie Richard Cooper de m’avoir signalé cet élément. 37 Voir infra. 38 Allen (note 5), ep. 1250, lettre citée supra. 39 Ibid., ep. 1278, lettre citée supra. Ibid., ep. 2329 et 2468, lettres citées supra. 40
Quoniam tamen factum infectum fieri non potest, quo superest, ueretur, ne Erasmum, (non) tam candidus alienorum operum aestimator quam suorum acer et seuerus, haec excudenda Basileam mittat41.
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Un traité « érasmien » ? Alciat lui-même déclare vouloir suivre, en matière religieuse, la prudence d’Érasme43, et sans doute ce propos a-t-il encouragé les spécialistes à mettre l’accent sur les convergences existant entre le traité d’Alciat et certains textes de l’humaniste hollandais44. La démonstration la plus étayée de cette influence érasmienne se trouve sous la plume de Silvana Seidel Menchi qui, faisant fonds sur l’étude d’E. V. Telle, voit en Alciat le témoin le plus illustre
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Amerbachkorrespondenz (note 5), ep. 767, II, 284, 11-14. Allen (note 5), ep. 1206, IV, 498-502. Barni (note 5), ep. 42, p. 75, l. 110-113. Roberto Abbondanza (« Vie et œuvre d’André Alciat », Pédagogues et juristes de la Renaissance. Congrès du Centre d’Études Supérieures de la Renaissance de Tours (été 1960), Paris, 1963, p. 93-106, ici p. 96) écrit ainsi, à propos du Tractatus : « Les argumentations d’Alciat sont sur le modèle de la critique anti-monastique des humanistes, du Poggio par exemple, et vraisemblablement sous l’influence des écrits d’Érasme. Érasmienne peut en effet être définie la position d’Alciat en matière religieuse. ». Voir également PaulÉmile Viard, André Alciat, Paris, 1926, p. 134-136 ; G. Barni, « Andrea Alciato giureconsulto Milanese e l’idea della riforma protestante », Rivista di Storia del Diritto Italiano, 21, 1948, p. 169-210 (non consulté) ; A. C. Fiorato « Conflits et migrations universitaires à Pavie », dans M. Bideaux, M.-M. Fragonard (dir.), Les échanges entre les Universités européennes à la Renaissance, Genève, 2003, p. 244-245. K. E. Enenkel (« The Letter to Bernardus Mattius » (note 4)) se fonde sur le même présupposé.
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Or Rhenanus était alors, comme le détaille précisément la première lettre des Epistolae ad diuersos42, en train de préparer l’édition de cet important volume de lettres, avec la complicité d’Érasme, qui lui faisait parvenir de Louvain les textes retenus : Alciat n’a-t-il pas craint de voir apparaître soit sa Declamatio soit des épîtres qui en faisaient mention ? Certes, les lettres conservées ne font jamais état du lien que j’établis ainsi entre les inquiétudes d’Alciat et les recueils épistolaires érasmiens, mais il paraît peu probable qu’Alciat n’ait pas réagi à la publication de lettres exhibant l’estime en laquelle le tenait Érasme, alors même qu’il s’était confondu en remerciements pour les mentions faites de son nom dans les Adagia de 1526 et le Ciceronianus de 1528. Or de nombreuses lettres, dont l’existence est par ailleurs attestée, ne nous sont pas parvenues, en particulier au cours de ces années décisives de 1529-1531. Il est même tentant, à la lecture de la lettre adressée à Amerbach le 8 février 1531, de formuler l’hypothèse selon laquelle Alciat a conçu la lettre envoyée à Érasme en octobre 1530 comme une sorte de monnaie d’échange : puisque ce texte soigneusement élaboré prouvait le soutien d’Alciat à Érasme, celui-ci pourrait accepter de détruire ce carcinoma, ce péché de jeunesse si érasmien et qui risquait de valoir à son auteur les mêmes attaques que celles qui visaient son idole. Malgré les inquiétudes d’Alciat pourtant, Érasme ne semble guère avoir accordé d’importance à ce traité, ce qui est surprenant si, comme Alciat et ses commentateurs semblent le penser, il est à ce point érasmien.
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de l’écho que la « doctrine philogamique d’Érasme » a rencontré en Italie45. Dans ce traité audacieux, toutes les saillies antimonastiques dispersées çà et là par Érasme se trouveraient rassemblées et organisées, et ainsi radicalisées. Il est tentant en effet de mettre en relation les arguments d’Alciat avec les propos tenus dans l’Enchiridion militis christiani, publié une première fois dans les Lucubrationes de 1504 (et réédité en juillet 1518), dans l’Encomium moriae (1511) et la lettre à Martinus Dorpius qui la justifie (1515), dans les Annotationes et les textes consacrés à Jérôme (la Vita notamment, 1516), auxquelles il faut ajouter les Adagia et certaines lettres, parues en recueil ou isolément, en particulier la fameuse lettre à Servais Roger, qui aurait circulé dès 151546. D’autres textes posent des problèmes plus épineux : y a-t-il lieu d’invoquer la Querela Pacis (décembre 1517), l’Encomium matrimonii (mars 1518), ou encore le De contemptu mundi (1521) ? Ces deux derniers textes sont des œuvres de jeunesse, qui ont sans doute circulé sous forme manuscrite dès avant leur impression. Imitant le traité du même nom d’Eucher de Lyon (publié par Érasme en 1517) et qualifié par son auteur de laus vitae monasticae, hoc est, solitariae, le De contemptu mundi mériterait sans doute une confrontation systématique avec le texte d’Alciat, tous deux étant qualifiés de declamationes et tenant un discours a priori contradictoire47. Monachatus non est pietas sed vitae genus, pro suo cuique corporis ingeniique habitu vel utile, vel inutile : dans l’Enchiridion, Érasme démontre qu’une véritable vie chrétienne est possible dans les monastères certes, mais aussi ailleurs. Dans une perspective plus polémique, cette vie chrétienne engagée dans le siècle serait même plus valable, aux yeux de Dieu, que la piété obligée du moine, ce qui rendrait l’institution monastique superflue. Alciat n’hésite pas à soutenir explicitement une telle thèse. Au christianisme libre et spontané prôné par Érasme s’oppose la prétention des moines à incarner la vie chrétienne parfaite, sous couvert des règles purement extérieures auxquelles ils se soumettent – ce qu’Érasme qualifie de « judaïsme ». Il s’agit de déposséder les moines du pouvoir, des privilèges et de l’héritage qu’ils s’arrogent : ainsi les apôtres n’étaient-ils pas liés par le vœu de célibat ni obligés de se conformer à des règles alimentaires et vestimentaires. Les moines ne sont pas davantage héritiers du cénobitisme, libre et informel, décrit dans la Vita Hieronymi. De même qu’Érasme, dans le sillage de saint Paul, refuse les « surnoms de discorde » que constituent les spécifications sectaires, de même Alciat évoque en ces termes les premiers temps du christianisme : Omnes fratres erant solo nomine Christiani dicti48, et l’applique au
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Silvana Seidel Menchi, Érasme hérétique, Paris, 1996 (1987 1), p. 196-200. Allen (note 5), ep. 296, I, 564-573. Sur la proximité avec le texte d’Eucher de Lyon, voir Erika Rummel, « Quoting poetry instead of the Scripture : Erasmus and Eucherius on Contemptus mundi », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 45/3, 1983, p. 503-509. Pour une lecture à charge, voir E. V. Telle, Érasme de Rotterdam et le septième sacrement. Étude d’évangélisme matrimonial au xvie siècle et contribution à la biographie intellectuelle d’Érasme, Genève, 1954, p. 15-22. Son point de vue est discuté par Sem Dresden dans l’introduction à son édition du De contemptu mundi dans ASD, V, 1, 1977, p. 3-36. Barni (note 5), Appendice, p. 270, l. 296.
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Ibid., p. 289, l. 1225. Voir K. Enenkel, « The Letter to Bernardus Mattius » (note 4), p. 303-304. Barni (note 5), Appendice, p. 265, l. 1-16. Ibid., p. 284, l. 966 sq. Ibid., l. 972 sq. Voir K. Enenkel, « The Letter to Bernardus Mattius » (note 4), p. 310.
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monde contemporain en conclusion de sa lettre : Unum est baptisma omnium, et omnes Christiani sumus fratres49. Comme Érasme, Alciat reconnaît la valeur du travail manuel et critique l’idéal de pauvreté ; comme Érasme encore, il met l’accent sur les hautes valeurs de l’étude et de l’amitié, qu’il oppose aux valeurs monastiques50. La rupture entre les unes et les autres est mise en scène de façon vivante au début de la lettre : Alciat se décrit recevant la nouvelle de la conversion de son ami, puis l’annonçant à leur ami commun Calvo51. Tous deux, d’abord incrédules, comprennent que l’entrée au monastère signe la perte de Mattius pour les cercles humanistes, alors qu’il est idéalement fait pour l’amitié. Ce trait est d’autant plus sensible que la littérature du mépris du monde, qui se présente souvent sous forme de lettres, joue exactement sur les mêmes cordes et exalte l’amitié régnant dans les monastères. Tout se passe comme si Alciat s’amusait ici à inverser les motifs du contemptus mundi pour construire une dignitas mundi. Bernardus devra abandonner ses études humanistes au profit de la dialectique et des vaines spéculations théologiques52. Cette critique de la méthode scolastique, traditionnelle depuis Pétrarque, se double d’une attaque spécifique contre les Franciscains. Alciat les critique en général et attaque nommément certains d’entre eux, démontrant que leur rapport au langage, qui les fait traiter seulement avec les mots, les rend incapables d’offrir une éducation morale. Dans le programme d’études que l’humaniste développe par contraste, il ne donne cependant pas la palme aux auteurs païens mais à la Bible et aux pères de l’Église : Jérôme, Augustin, Ambroise, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome, Origène, Basile le Grand et Sidoine Apollinaire ont si bien absorbé les auteurs de l’Antiquité que ceux-ci brillent à travers eux53. On reconnaît indéniablement des traits érasmiens dans ce propos, et ce n’est pas par hasard que Calvo l’a porté prioritairement à la connaissance d’Érasme. Celui-ci est d’ailleurs le seul, dans l’état actuel de nos connaissances, à l’égard de qui Alciat entreprend des démarches, même si l’on ignore si le manuscrit finalement recopié en 1553 provenait des coffres d’Érasme. Sans doute n’est-il pas nécessaire de poursuivre trop longuement la démonstration : je souhaiterais insister davantage ici sur ce qui rend la filiation entre Érasme et Alciat moins évidente qu’il n’y paraît. En tout premier lieu, bien d’autres sources que les textes érasmiens pourraient être convoquées : outre l’écho avec de nombreux écrits de Pétrarque, des ressemblances troublantes rapprochent le Tractatus d’Alciat du Contra hypocritas de Poggio Bracciolini54, et sans doute Alciat est-il plus proche de ces humanistes italiens que d’Érasme lui-même, la critique antimonastique ne constituant nullement, loin s’en faut, l’apanage de ce dernier. Ce constat permet de mieux tenir compte d’une apparente
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contradiction : si ce traité était à ce point érasmien, comment expliquer qu’Érasme, non seulement n’en ait fait (presque) aucun usage ni cherché à le publier, mais encore qu’il n’en livre aucun commentaire, fasse mine de ne plus savoir où il est ni de quoi il s’agit ?
Des divergences profondes Il s’avère que ce texte présente, à côté de convergences indéniables, des divergences non négligeables par rapport aux positions érasmiennes : à la différence d’Alciat par exemple, Érasme a grand soin de recommander la lecture directe des auteurs païens, du moins dans les années qui nous occupent. Le temps a manqué pour confronter en détail les textes, aussi cette dernière partie ne présente-t-elle que des esquisses demandant à être complétées. L’une de ces divergences tient au statut même d’Alciat, qui se présente comme un juriste engagé dans la vie de la cité, et affirme sa préférence pour la vie active sur la vie contemplative, son estime pour l’engagement politique et la reconnaissance de la richesse matérielle comme moralement défendable, dans la continuité de ce que Hans Baron a appelé « l’humanisme civique ». Explicitement adressée à un ancien juriste, sa lettre repose sur la comparaison de deux modes de vie, entre lesquels la hiérarchie est nettement établie puisque Alciat place au sommet de la société les magistrats, tandis que la position la plus basse est occupée par les moines55. La position d’Érasme à l’égard du monachisme est plus nuancée et plus complexe, dans la mesure où il tente d’inventer un statut nouveau, propre à l’homme de lettres, et qui pourrait constituer une sorte de monachisme laïque56. C’est sans doute ce qui le conduit à réinvestir, en les laïcisant, de nombreux préceptes inhérents au contemptus mundi : dans l’Enchiridion, il se garde bien de louer trop ouvertement l’ambition, mentionnée avec la libido, l’auaritio, la cupiditas parmi les vices qu’il faut combattre dans les Remedia contra specialia quaedam vitia57, alors qu’Alciat ne voit aucune honte à rechercher la gloria ou la fama, gloire terrestre qui rend possibles l’influence publique et le propos éducatif. Ce serait une honte de garder pour soi son potentiel et de ne pas le mettre au service de la communauté. Puisque la tâche de chacun est d’aider les autres, les ordres mendiants, et en particulier les Franciscains, sont condamnés en tant que disciples d’Épicure, adeptes du précepte « vivons cachés » dont Épicure lui-même a démontré, par son influence, l’inanité. Le rapport qu’Érasme entretient avec Épicure est, là aussi, infiniment plus complexe58.
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Barni (note 5), p. 281, l. 835 sq. Je me permets de renvoyer à ma thèse (La Correspondance d’Érasme entre République des Lettres et lettres secrètes, thèse révisée, à paraître aux éditions Droz) et à « Quelle place pour l’homme de lettres dans la cité ? Le témoignage de la correspondance d’Érasme » dans C. Lévy, P. Galand-Hallyn (dir.), Vivre pour soi, vivre dans la cité, Paris, 2006, p. 151-167. Sur un mode beaucoup plus polémique, E. V. Telle aboutit à une conclusion similaire dans Érasme et le septième sacrement (note 47). 57 Érasme, Enchiridion militis christiani, trad. A. J. Festugière, Paris, 1971, p. 208. 58 Barni (note 5), p. 278, l. 635 sq. Sur la position d’Érasme à l’égard d’Épicure, voir (entre autres) les travaux de Robert Bultot et, pour un état récent de la question, P. G. Bietenholz, « Felicitas (eudaimonia) ou les promenades d’Érasme dans le jardin d’Épicure », Renaissance et Réforme, 30, 1, hiver 2006, p. 37-86.
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Voir Marie Barral-Baron, L’Enfer d’Érasme. L’humaniste chrétien face à l’Histoire, Thèse Université Paris IV, 2009. 60 Barni (note 5), Appendice, p. 273, l. 412-414. 61 Ibid., p. 269, l. 235 sq. 62 Ibid., l. 239 sq. 63 Voir supra. 64 Voir Érasme, Enchiridion, (note 57), p. 85-86. Érasme défendait cependant déjà ce point de vue dans la Vita Hieronymi par exemple.
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Un second point de disjonction pourrait résider dans le rapport que les deux hommes entretiennent avec l’histoire. On sait l’importance qu’Alciat a accordée à celle-ci, dont la place et le statut chez Érasme sont ambigus59. Dans la lettre à Bernardus Mattius, Alciat, non content d’affirmer que la chrétienté originale n’accordait pas place au monachisme, fait du Christ un champion de la vie active, qui a voué sa vie au bénéfice des autres gens et a même gagné sa vie comme charpentier60. Quel peut être le statut de la vie contemplative dans une telle configuration ? Alciat en propose une explication historique qui ne manque pas de sel : les deux plus importants fondateurs du monachisme occidental, saint Benoît et François d’Assise, n’auraient nullement essayé de fonder des ordres, leur retraite ne s’expliquerait que par la situation troublée de leur époque – la guerre entre les Goths et Bélisaire pour le premier, la guerre civile entre Guelfes et Gibelins pour le second61. Ainsi les ordres bénédictin et franciscain seraient-ils, d’une certaine manière, le produit des envahisseurs barbares et auraient été fondés à la suite d’un malentendu62. La figure sainte du « fondateur », qui ne souhaitait pas une institutionnalisation, est séparée du reste de son ordre. Sur ce tout dernier point, la convergence entre Alciat et Érasme est indéniable, par exemple dans la lettre à Paul Volz, datée du 14 août 1518 et qui sert de préface à la nouvelle édition de l’Enchiridion. Un passage ajouté dans l’Opus Epistolarum de 1529, qui voit la parution de plusieurs lettres potentiellement compromettantes pour Alciat63, renforce la proximité entre le texte de ce dernier et les propos tenus par Érasme, qui ne retient toutefois pas l’argument historique des guerres64. Ce passage pourrait inviter à considérer au moins l’éventualité que l’influence n’ait pas joué dans le sens habituellement retenu, mais qu’Érasme ait pu s’inspirer de certains arguments avancés par Alciat, réactivant les inquiétudes de ce dernier. Toutefois, le trait le plus original de ce traité, par ailleurs en résonance étroite avec ce que l’on peut généralement lire dans la littérature antimonastique, réside peut-être dans la valorisation des Esséniens et de leur mode de vie, présenté par Alciat comme un exemple frappant de la façon dont les Chrétiens devraient vivre. Il insiste en particulier sur l’idée qu’ils n’étaient pas hostiles au mariage. K. Enenkel y a vu « l’une des premières descriptions du mode de vie essénien dans les temps modernes » et a surtout confronté la perception qu’en avait Alciat aux découvertes issues des manuscrits découverts à Qumran, près de la Mer Morte. Or la question des Esséniens s’avère, au xvie siècle, problématique et polémique, en particulier chez Érasme.
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Les témoignages antiques sur les Esséniens sont relativement rares65, mais ils ont été amplement copiés et transmis par les Pères de l’Église66. On pourrait s’attendre à ce qu’Érasme se conforme à la tradition patristique sur ce point. Or il n’en est rien. Bien que relativement peu nombreuses ou développées chez lui, les mentions qu’il en fait vont toutes dans le même sens. Dans ses annotations au texte de la célèbre épître de Jérôme à Eustochius (1516), il montre que la lecture esse nos résulte d’une corruption et qu’il faut lire Essenos. Cette correction ouvre sur une définition des Esséniens, dans laquelle Érasme indique également ses sources : Esseni populus est interioris Iudeae, uergentis ad occidentem : nouum philosophorum genus. Cum foeminis nullum commertium, palmulis uictitant, pecuniam spernunt, conuenarum affluxu, propagatur populus. Nemo tamen admittitur, ullius culpae, vel leuissimae sibi conscius. Haec ferme Plinius. Nec admodum diuersa tradunt Iosephus & Philo67.
À cette mention relativement neutre, qui indique donc trois sources principales, font pendant des mentions beaucoup plus polémiques, contemporaines ou de peu postérieures au Tractatus d’Alciat. Deux occurrences s’en trouvent dans l’Encomium matrimonii68. La première sert précisément à critiquer l’obligation de célibat, que les Esséniens auraient perpétuée alors qu’il ne s’agissait à l’origine que d’une concession de courte durée, accordée aux Apôtres pour leur permettre de répandre la Bonne Nouvelle : Sit istud sacerdotum ac monachorum priuilegium, quos apparet in Essenorum institutum successisse69. La seconde mention sous la plume d’Érasme va dans le même sens que la première, en l’aggravant : et nos celibatum miramur, coniugium fugimus ? Nisi forte placet Essenorum institutum, aut Dulopolitarum, quorum gentem facinosorum nunquam deficiens numerositas propagat70.
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On trouve des témoignages sur les Esséniens dans l’Histoire naturelle de Pline (5. 15, 73 et 104) ; l’Apologie de Philon d’Alexandrie, qu’Érasme connaît indirectement par Eusèbe, Praeparatio evangelica, 8, 11 ; les ouvrages de Josèphe Flavius, Les Antiquités juives (18, 21) et La Guerre des Juifs, qui comporte un long développement sur les Esséniens (II, 119-160) ; le De abstinentia ab esu animalium de Porphyre (IV, 1112), qui serait la principale source d’Alciat. D’après André Paul, Qumran et les esséniens. L’éclatement d’un dogme, Paris, 2008. Omnium Operum Diui Eusebii Hieronymi Stridonensis, tomus primus, Bâle, Froben, 1516, f. 61v. Traduction anglaise dans James F. Brady and John C. Olin (éd.) : Erasmus, The Edition of Jerome, Collected Works of Erasmus, 61, 1992, p. 191 : « The Essenes were a people of the interior of Judaea situated toward the west. They were a new school od philosophers; they had no association with women, they lived on dates, they had contempt for money. Their numbers grew with the influx of refugees. No one was admitted, however, who was conscious of any fault, even the slighest. This is pretty much what Pliny has to say, and it is also the description of Josephus and Philo ». J.-C. Margolin (éd.) : Érasme, Encomium matrimonii, ASD, I-5, 1975, p. 400-402, l. 207-208 (repris dans le De conscribendis epistolis, ASD, I-2, 416, 4-5). Ibid. : « Laisse cette loi exceptionnelle aux prêtres et moines qui suivent en cette matière la règle de vie des Esséniens » (trad. E. V. Telle, Érasme de Rotterdam et le septième sacrement (note 47), p. 167. Ibid., p. 414, l. 375-377 : « comment admirer le célibat et fuir le mariage? A moins que tu ne trouves peutêtre à ton goût le genre de vie des Esséniens et des Doulopolitiens dont le nombre qui ne diminue jamais propage une race de malfaiteurs ? » (trad. E. V. Telle, Érasme et le septième sacrement (note 47), p. 174).
Est et in Aegypto regio quaedam Δουλωπόλις appellata, teste Olympianico. Plutarchus in Collectaneis proverbiorum, ostendit dici solitum de raris inventu effertque ad hunc modum Οὐκ ἔστι δούλων πόλις, id est Non est servorum civitas. Non dissimile quod Plinius narrat de gente Hessenorum in Syria, ad quos fugitant usquequaque nocentes. Quae sola toto in orbe sine ulla foemina vivit, omni venere abdicata, socia palmarum. In diem ex aequo convenarum turba renascitur, longe frequentantibus quos vita fessos ad mores eorum fortunae fluctus agitat73.
Le rapprochement entre Doulopolitiens et Esséniens est justifié par le mode commun d’accroissement démographique : puisque ce sont des communautés sans femmes, cet accroissement n’est pas dû à une procréation naturelle mais à l’afflux de migrants. Le point de vue sur les Esséniens est ici délibérément critique et polémique. La lettre à Paul Volz permet d’expliciter une autre assimilation effectuée par Érasme : Iam vero non est quod metuant ne non propagetur Essenorum genus, in tanta ingeniorum et animorum varietate ; qua fit vt nihil etiam sit usquam tam absurdum quod non expetatur a multis74.
Ici, le terme « Esséniens » suggère à nouveau l’idée d’un accroissement démographique contraire à la nature procréatrice de l’homme, mais il est clairement donné comme un synonyme de moines. « Dans la bouche d’Érasme, le terme équivalait à une grave insulte puisque les Esséniens, en vertu de leur adhérence aveugle à la lettre de la Loi, passaient pour les plus que juifs de tous les Juifs75 ». C’est un point que ne manque d’ailleurs pas de relever Alberto Pio dans sa polémique avec Érasme76.
71 Voir infra. 72 E. V. Telle avait bien identifié la source antique, mais non l’adage, qui n’est pas non plus signalé dans l’annotation de l’édition ASD. 73 Felix Heinimann, Emanuel Kienzle (éd.) : Erasmus, Adagiorum Chiliades secunda, ASD, II-4, 1987, p. 229230 (adage 1822). Je n’aurais pas pu identifier cette occurrence sans la mise en ligne des Adages sur le site du GRAC (, lien vérifié le 30/06/2011). Il s’agirait de la seule occurrence du terme dans les Adages. 74 Allen (note 5), ep. 858, III, 374, 489-491 : « vu la grande variété des tempéraments, les moines n’ont pas lieu de craindre de ne pas voir se propager la race des Esséniens : il n’est en effet rien de si absurde qui ne fasse des adeptes » (traduction d’E. V. Telle, « L’île des Alliances (Quart Livre, chap. IX), ou l’antiThélème », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 12, 1952, p. 159-175). 75 E. V. Telle, Érasme et le septième sacrement (note 47), p. 121, n. 39. 76 Outre la controverse avec Alberto Pio, enterré dans la robe des Franciscains et dont la mort inspire le terrible colloque « Funérailles », on pourra consulter d’autres références aux Esséniens à partir de l’identification qu’Érasme propose dans les Paraphrases à Timothée. Voir en particulier John J. Bateman
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À la différence de l’annotation à Jérôme, Érasme assimile ici, par rapprochement avec les Doulopolitiens, les Esséniens à des malfaiteurs. Outre le rapprochement, déjà opéré par E. V. Telle, avec une phrase qui figure dans la lettre à Paul Volz71, on soulignera que la première occurrence du terme sous la plume d’Érasme se trouve en fait dans une addition aux Adages de 1515, qui permet d’éclairer le terme de « Doulopolitiens72 ». Dans l’adage Servorum civitas, traduction du grec Δούλων πόλις, Érasme évoque le témoignage de Plutarque, puis celui de Pline en ces termes :
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La position d’Érasme à l’égard des Esséniens est, si l’on en croit E. V. Telle, la position dominante au xvie siècle : on y voit une secte rigoriste, que les critiques anti-monastiques aiment comparer aux religieux, en particuliers aux Prêcheurs, Dominicains et surtout Franciscains, de la plus stricte observance. Il entrait dans la stratégie des ennemis du monachisme de faire remonter l’origine de l’institution monastique aux traditions juives, pour lui ôter tout prestige et jusqu’à sa raison d’être. Cette institution ne serait, ainsi, qu’un retour à de vaines simagrées et pratiques condamnées par saint Paul77. On mesure mieux ici l’étonnant parti pris d’Alciat, qui a préféré mettre l’accent, au rebours de ses contemporains, sur la seconde catégorie d’Esséniens, auxquels Josèphe n’accordait qu’un court développement à la fin de la longue description lisible dans la Guerre des Juifs : Il existe aussi un second ordre d’Esséniens, qui s’accordent avec les autres pour le régime, les coutumes et les règles, mais qui s’en séparent sur la question du mariage. Ils considèrent que ceux qui n’acceptent pas le mariage amputent la vie de ce qui en est l’essentiel, la propagation de l’espèce et, plus grave encore, que si tout le monde adoptait la même manière de voir qu’eux, ce serait bientôt la disparition du genre humain78. (…)
Par un renversement provocateur et paradoxal, en s’appuyant sur une source négligée par ses contemporains, Alciat fait des Esséniens non pas un synonyme de moines, comme Érasme et la plupart de ses collègues, mais – si l’on peut risquer ce mauvais jeu de mots – des antimoines. On peut ainsi mesurer, au-delà de l’opinion communément admise de son inspiration érasmienne, combien le parti pris d’Alciat, à côté d’arguments anti-monastiques très répandus et habituels, était surprenant et original. On comprend peut-être mieux, à cette lumière, à la fois la panique qui le saisissait à l’idée de le voir publier et le caractère infondé de cette panique. Qui, parmi ses contemporains, aurait pris la responsabilité de publier un tel texte ? S’il devait y en avoir un, ce ne pouvait sûrement pas être Érasme.
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(éd.) : Erasmus, Paraphrases on Timothy…, in Collected Works of Erasmus, 44, University of Toronto Press, 1993, p. 273-274 : la note, très riche, procure la plupart des références citées ici (le recensement n’étant pas exhaustif). Voir Hilmar Pabel, « Exegesis and mariage in Erasmus Paraphrases on the New Testament », in M. Vessey, H. Pabel (dir.), Holy Scripture speaks: the production and reception of Erasmus’ Paraphrases, Toronto, 2002, p. 175-209. E. V. Telle, « L’île des Alliances » (note 74).Voir aussi, du même auteur, « Marriage and Divorce on the Isle of Utopia - Utopian Reverberations with Erasmus of Rotterdam », Erasmus of Rotterdam Society Yearbook, 8, 1988, p. 91-118. Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, II, 160, trad. A. Pelletier, Paris, 1980, p. 38.
Alciat entre l’Italie et la France Richard Cooper - Brasenose College, Oxford
Si nous célébrons le 460e anniversaire de la mort d’Alciat, ici à Tours dans l’une des universités où il n’a ni enseigné, ni touché un traitement faramineux, ni mangé à l’excès jusqu’à l’indigestion, ni dansé dans les cauponis1, il n’empêche que notre juriste reste encore ce qu’il était en 1550, un personnage controversé. Pierre Bayle ne mâchait pas ses mots en le traitant de « fort avare » : C’est assurément mettre son érudition à l’encan, à faire savoir au public qu’on ne se livrera qu’au plus offrant et qu’au dernier enchérisseur.
Et il paraît peu convaincu de l’apologie proposée par Alciat à Ferrare de son caractère de vadrouilleur : « quand on loue les étoiles fixes, on n’a pas dessein de condamner les planettes »2. Mais comme l’a bien montré Gian Luigi Barni, Alciat naît dans la controverse, du fait que le Milan de sa jeunesse est l’objet de toutes les convoitises, disputé par la France, les Sforza et l’Empire, emporté la craie à la main par les Valois. L’occupation française divisa les Milanais, pourtant habitués à ces incursions barbares. Barni se demande si Alciat prit parti pendant ces années 1515-183, et c’est cette question qui servira d’entrée en matière pour aborder la position de notre juriste entre la France et l’Italie. Il est manifeste que l’avocat débutant coudoyait la nomenklatura franco-milanaise, depuis le président du Sénat, Jean de Selve, jusqu’aux membres italiens du Sénat établi par la France, Jacopo Minuzio, Galeazzo Visconti, Giovanni Battista Appiani, sans oublier le procurateur fiscal, Jean Bourdelot, et le trésorier Jean Grolier. Alciat s’identifie étroitement à ce Sénat, en dédiant à ces sénateurs l’abondant fruit de ses premières élucubrations : à Jean de Selve, élu Président du Parlement de Paris, il dédie ses Dispunctiones4 ; à Galeazzo Visconti, ex-ambassadeur de Ludovico Sforza, son commentaire sur Tacite5 ; à Appiani, son De eo quod interest6 ; Minuzio, futur président des Parlements de Bordeaux et de Toulouse, et grand ami
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Voir plus bas sur son séjour en Avignon. Pierre Bayle, Dictionnaire, I, col. 138. Gian Luigi Barni, « La situazione politico-giuridico Milanese nella formazione di Andrea Alciato », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 22, 1960, p. 32. Gian Luigi Barni (éd.) : Alciato, Le Lettere di Andrea Alciato giureconsulto (désormais : Alciat, Lettere), Florence, 1953, no 159, p. 231. Ibid., no 154, p. 221. Ibid., no 156, p. 226-8.
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de Boyssonné, reçoit les deux volumes des Praetermissorum libri7, dont le deuxième met en scène deux humanistes français, Nicolas Béraud et Jean Pyrrhus d ’Engleberme8. Quant à Grolier, il est nommé dans une lettre à Calvo comme éventuel dédicataire d’un ouvrage9 ; et l’exemplaire d’Alciat des poèmes d’Ausone, avec son commentaire manuscrit, portait l’exlibris Andreae Alzati liber est et amicorum eius, carrément imité de celui de Grolier10. La plupart de ces amis, Minuzio, Bourdelot, Pyrrhus, Béraud, ainsi qu’Aurelio Albuzio et Gualterio Corbeta, participent à une declamatio signée par Alciat11. Et un autre nom figure dans ces échanges, celui du chancelier et premier magistrat de la France, Antoine Duprat12, qui aura droit à sa propre dédicace, celle des Paradoxa, où ne manqueront ni les éloges du chancelier, ni le désir d’être admis au cercle des ses clientes13. Toute la production scientifique de notre juriste à Milan sort, sans exception, sous l’égide du régime français. On objectera qu’il n’avait pas le choix, conclusion qui ne s’impose pas, mais il allait récolter les bénéfices de son dévouement. S’il est nommé professeur en Avignon très jeune, cum nunquam ad eam diem cathedram ascendissem14, ce n’est pas à cause de la guerre comme il le prétend (belli calamitatibus eiectus), guerre qui ne sévit pas en 1518, mais c’est grâce à l’appui de, et à un contrat dressé par, Gian Giacomo Trivulzio, condottiere des Sforza passé au service de François Ier 15, contrat dressé juste avant la mort de Trivulzio le 5 décembre 1518. Et Alciat n’est pas chiche de compliments à l’égard de son protecteur, qu’il traite dans le livre sur le duel de « tresprudent et tressçavant capitaine en l’art militaire »16. Je pense que Barni a vu juste en suggérant qu’Alciat a pu pencher pour la France pendant ces années milanaises, et que ses concitoyens ont pu, après le retour des Sforza, le regarder avec soupçon, avec toutes ces dédicaces, et avec son long séjour en France. Qu’il était conscient de cette gêne ressort de son intérêt pour le péril du frère, Andrea, et pour celui de son ami Francesco Calvo, accusé de trafic d’armes et d’avoir vendu aux Français « plus de quarante énormes chargements d’armes », ultra quadraginta ingentes sarcinas armorum17. Son attitude envers l’histoire de la Gaule cisalpine n’est pas non plus très catholique. Les apologistes de l’invasion française du Milanais, Symphorien Champier en tête18, s’ingé-
7 Ibid., no 155, p. 224. 8 Ibid., no 158, p. 230-31. 9 Ibid., no 3, p. 7 : Decrevi enim per epistolam Crolierio inscribere et dicare. 10 Ibid., p. 7, note 7. 11 Alciat, Opera omnia, Bâle, Guarino, 1582, IV, p. 1069-78. 12 Alciat, Lettere (note 4), no 155, p. 224. 13 Ibid., no 157, p. 228. 14 In celeberrimo Ticinensi Gymnasio publice profitentis, Oratio, Paris, Ch. Wechel, 1536, f. b2v-3. 15 Marcel Fournier, « Alciat à Avignon et le recrutement des professeurs de droit à Avignon au xvie siècle, » Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 16, 1892, p. 602. 16 Alciat, Le Livre du Duel, Paris, J. André, 1550, f. 30v, 35 ; cf. Barni, « La situazione politico-giuridico » (note 3), p. 32. 17 Alciat, Lettere (note 4), no 30, p. 56, 9 avril 1523 ; no 34, p. 62, 28 nov. 1523. 18 Alciat se moque de plusieurs Mali o historici mali poetae dans un poème inséré dans une lettre à Calvo du 19 déc. 1520, ibid., no 5, p. 14, dont divers écrivains français : Marsi, Camperii, Rubri, Caquini, / Qui tantam historiae luem creastis, / Prorsim scribere, prorsus imperiti. Camperii est Champier ; est-ce que Caquini est Gaguin?
La France (comme est raisonnable d’ainsi le croire) a eu des roys fort excellens tant en armes qu’en prudence. Et neantmoins n’est d’eulx memoire, ni de leurs faictz et sagesse. La cause si est qu’ilz n’ont point eu d’escrivains25.
Il prend fait et cause pour ces belliqueux Gaulois26, qui faisaient peur aux Romains27, mais qui étaient très pieux, et vénéraient en Italie leurs propres divinités – Mercure, Hercule, Mars, Vulcain, et surtout Minerve28. Ce culte de Minerve est à l’honneur dans l’emblème Mediolanum, qui figure déjà dans le recueil d’inscriptions conservé à Dresde, et qui date d’avant 1518, et donc d’avant son premier séjour en France : Bituricis vervex Heduis dat sucula signum. His populis patriae debita origo meae est, Quam Mediolanum Sacram dixere puellae, Terram : nam vetus hoc gallica lingua sonat. Culta Minerva fuit, nunc est, ubi numine Thecla (v. 1-5).
L’allusion à Bourges et à Autun n’a donc rien à voir avec son futur poste à Bourges. Ces deux tribus, Bituriges et Héduens, auraient participé avec Bellovesus à la conquête par les Gaulois de l’Italie du nord, et à la fondation de Milan, qui tirerait son nom de l’appellation
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Voir Richard Cooper, « Symphorien Champier e l’Italia, » in D. Cecchetti, L. Sozzi & L. Terreaux (éd.), L’Aube de la Renaissance : rapports et échanges entre France et Italie, Genève, 1991, p. 233-45 ; repris dans nos Litteræ in tempore belli : Études sur les relations littéraires italo-françaises pendant les guerres d’Italie, Genève, 1997. 20 Alciat, Lettere (note 4), no 11, p. 30, 6 mai 1521. 21 Alciat, Rerum patriae libri, Milan, G.B. Bidelli, 1625, p. 4. 22 Ibid., p. 10-12. 23 Ibid., p. 18. 24 Ibid., p. 12, 19. 25 Le Livre du Duel, 1550, f. A4. 26 Rerum patriae (note 21), p. 51-52, 66-67. 27 Ibid., p. 23-25. 28 Ibid., p. 16.
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nient à présenter tout le nord de l’Italie comme un territoire gallo-celtique : le roi de France, en occupant la vallée du Pô, ne faisait que reprendre le sien19. Cette propagande toucha la corde sensible chez un patriote lombard tel qu’Alciat, qui tenait à faire valoir l’autonomie de sa patrie et à circonscrire l’hégémonie romaine. Pour tant d’humanistes intéressés à l’histoire locale, les fabrications d’Annius de Viterbe constituaient une véritable aubaine, même si, dans une lettre de 1521 à Calvo, Alciat reconnaît qu’il s’agit de documents faux, omnia fictis titulis20. Mais dans les Rerum patriae, resté inédit jusqu’en 1625, l’Alciat cite Annius/Bérose sur l’origine fabuleuse de Milan, fondé par Noé = Janus21, et se lance dans le livre I dans une longue dissertation sur les impérissables hauts faits des Gaulois en Italie, sous la conduite d’abord de Bellovesus22, de Singovesus23, et de Brennus24. Il déplore, comme tant d’apologistes des Galloceltes, le manque total de documents historiques :
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gauloise de Minerve, dont le culte aurait cédé la place à celui de la Vierge Marie. Alciat ne conteste rien : en célébrant sa ville natale, il célèbre son origine gauloise29. Même son de cloche dans son De formula Romani Imperii, publié à Bâle par Oporin. Il y attire l’attention de son lecteur sur le rôle des Francs (à qui il attribue une origine troyenne30) dans la défense de l’Église, quand ils répondent à l’appel du pape : a Francis, quorum arma longe lateque tum in Europa pollebant, auxilium implorasse31. Il met l’accent sur l’importance accordée par Pépin à la ville de Milan : Instituit Pipinus, ut Italiae regia Mediolanum esset, quod ea urbs Galliae transpadanae princeps et […] metropolis semper fuit : quodque velut specula et arx totius Italiae, Galliae et Germaniae haberetur32.
Plus important encore, dans ses annotations sur Tacite, où il fait preuve d’un certain intérêt pour la topographie alpine33, il exulte de la défaite des mercenaires suisses à la bataille de Marignan et de la victoire de Francois Ier, qui se rend maître du Milanais : Quod deletis cohortibus dedecus subierant, frequentibus nunc victoriis recuperavêre, nisi quod nuperrime memorabilia praelio in suburbanis Mediolani a Francisco Francorum rege caesi, superbos titulos deponere rursus coacti sint34.
Nul ne saurait pourtant nier l’attachement de notre juriste pour sa ville natale, et même après son départ pour Avignon, son élève Albuzio continue à lui envoyer des nouvelles en vers de la ville, des rigueurs de l’hiver, du carnaval, de la reprise de la guerre, et de l’arrivée de François Ier pour mater la révolte des Gênois35. Alciat est témoin de la guerre, et se veut victime de la guerre ; mais quand il quitte Milan pour Avignon, le Milanais est stable, et quant à la prochaine étape dans sa carrière, il n’a que l’embarras du choix, comme il l’explique à Budé : Atqui a Ferrariensibus idem honorarium cum mihi, Francisco Calvo internuncio, oblatum esset, malui Avenione esse, Gallorumque studia excolere36.
L’emblème attribué à son élève Albuzio, mais peut-être écrit par Alciat lui-même, pousse le jeune professeur à profiter de cette occasion pour sortir de tumultibus Italicis, soit politiques, soit universitaires, et in Gallia profiteatur. L’image de la transplantation fait valoir la plus-value intellectuelle – translatu facta est melior – et prévoit pour Alciat en France des lendemains qui chantent : Tu procul a patria in pretio es maiore futurus. Alciat a devant les
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Dante Bianchi, « L’Opera letteraria e storica di Andrea Alciato », Archivio storico Lombardo, 19, 1913, p. 51. 30 Alciat, De formula romani imperii, Bâle, J. Oporin, 1559, p. 20. 31 Ibid., p. 5. 32 Ibid., p. 9. 33 Alciat, Opera Omnia (note 11), p. 1089. 34 Ibid., IV, p. 1091. 35 Bianchi, « L’Opera letteraria » (note 29), p. 24. 36 Alciat, Lettere (note 4), no 7, p. 21, 31 déc. 1520.
Neque ego unquam id genus scriptorium probavi, qui provinciarum studia simul conferunt in nationesque invehuntur, ideoque aliquorum iudicium reprobant, quia alienigenae sint. Ex quibus ut in coeteris nationibus quosdam reperire est, ita et in Gallia sunt aliqui etiam (si diis placet) religioni Christianae autoritati cucullatique, qui nunc Insubribus avaritiam, nunc Venetis malevolentiam superbiamque et huius generis vitia exprobant41.
D’où la fierté dont il fait preuve dans sa lettre à Budé, fierté de son traitement, ainsi que de l’importance de son public de 70042, puis 80043, et bientôt 1000 personnes, dont un parent de Budé et un ami commun, François Deloynes : in quibus et sanguine coniuncti tibi quidam adsunt ; ab his scire poteris an fideliter doceam, an tunc maxime gaudeam, interque felicitatem meam hoc praesertim reponam, si viderim eos proficere44.
Dans une lettre à Calvo, il s’enorgueillit de la qualité de son public cosmopolite, Atque in his auditoribus cum episcopi, abbates, comites aliique proceres sunt, tum et de remotissimis nationibus quam plurimi, qui illuc non Gymnasii fama adducti, non Italiae visendae gratia, sed ob solius Alciati nomen confluxerunt45,
et fait part de sa résolution de rester en Avignon, et de résister au chant des sirènes padouanes : etiam si auri montes offerrentur, non sum recessurus46. Il n’empêche qu’il a exploité l’influence de Calvo auprès des universités de Padoue ou de Bologne comme levier pour augmenter son traitement en Avignon : non quod in has academias venturus sim, sed quod Avenionenses, si sciverint ab aliis quoque me solicitari, ne eos deseram, timebunt et augebunt stipendia47.
37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47
Ibid., no 62, p. 108, 3 sept. 1530 ; no 65, p. 118, 27 oct. 1530. Ibid., no 62, p. 109, 3 sept 1530 : Agebat sexagesimum Jason, priusquam huc pertingere potuit. In celeberrimo Ticinensi Gymnasio publice profitentis, Oratio, Paris, Ch. Wechel, 1536, f. B3. Ibid., p. xlii. Ibid., no 7, p. 22, 31 déc. 1520. Ibid., no 2, p. 3-4, 13 déc. 1518. Ibid., no 3, p. 5, 26 sept. 1520. Ibid., no 7, p. 21, 31 déc. 1520. Ibid., no 3, p. 6, 26 sept. 1520. Ibid., no 3, p. 6, 26 sept. 1520. Il ajoute que Nec enim multi ipse fecero in Italia magis, quam Avenione esse. Ibid., no 3, p. 8, 26 sept. 1520.
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yeux l’exemple du grand succès dans l’hexagone de ses maîtres, Philippe Decius et Jason de Mayne, et surtout du second37. Il se fait fort d’avoir dépassé tout jeune le traitement que touchait Jason à soixante ans38 : Et aetate longe impar, senioribus tamen aequarer39. Et le cachet de 500 ou 600 écus pèse lourd dans son jugement, car il estime que l’honorarium est un honneur fait au mérite du professeur40, et que, à la différence des pingres Italiens, les Français sont prêts à payer le prix fort pour attirer les nouveaux talents de toutes les nations :
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Les années qu’il passe en Avignon paraissent avoir été heureuses, et Antonio Arena nous le dépeint en joyeuse compagnie à danser dans les cabarets avec son collègue italien Francesco Ripa : De Ripa : Alciatus legum magnique magistri Quos de dansando vincere nemo potest48,
ainsi qu’avec ses amis Jean de Montaigne, Bragardus dominus doctor Montagna Valentius, et Jean de Boyssonné, Bragardus doctor Boyssonus noster amicus49. Il y fait la connaissance de Budé, et malgré une courte prise de bec en 1520, vite apaisée, concernant une suggestion de plagiat50, Alciat se réjouit de la bonne opinion qu’exprime de lui dans ses lettres le grand philologue : in his aliquae sunt sane quam honorificam de me mentionem facientes ; sed, inter caeteras, una est quam ad Longolium misit, quo tempore is Venetiis agebat, ea et prolixa et fere tota de me est51.
Il est entouré d’amis et d’élèves, dont Amerbach, Jean de Montaigne52, et l’archidiacre d’Avignon, Bernardo Castellano53, qui est le vicaire de Sadolet à Carpentras, absent auprès de Léon X à Rome. Alciat est peut-être déjà en relations avec Sadolet, comme il le sera à partir de 152754 ; mais en la personne de Castellano, il trouve l’âme sœur pour l’étude des antiquités romaines : vir doctus, harum rerum observator et mihi amicus55, à qui il a promis de donner une copie de son recueil d’inscriptions milanaises, volumen antiquitatum, dont il existe deux manuscrits à Milan et à Dresde, et qu’il avait porté avec lui en Avignon (in praesentia penes me hic est). Il explique à Calvo qu’il a pensé un moment à la publication de ce manuscrit, mais qu’il y a renoncé à cause du coût des gravures sur bois, et du sujet peu vendable – solis curiosis placeat56. Le cercle d’Alciat a pourtant dû s’occuper des antiquités romaines en Provence, à en juger par deux lettres écrites à Amerbach et à Montaigne après le retour à Milan, où il réclame à Montaigne le dessin promis du mausolée de Saint-Rémy : quod pictorem accersiveris monimenti Remigiensis delineandi causa, supersit ut cum opus perfecerit, ad me chartulam mittas57.
48 Antonio Arena, De bragardissima villa de Soleriis, [Lyon], P. de Sainte Lucie, 1538, f. F. 49 Ibid, f. Fv. 50 Alciat, Lettere (note 4), no 5, p. 13 & 17, 19 déc. 1520. 51 Ibid., no 6, p. 16-18, 31 déc. 1520 ; Bianchi, « L’Opera letteraria » (note 29), p. 15 ; Paul-Émile Viard, André Alciat, 1492-1550, Paris, 1926, p. 49, 53, 171. 52 Alciat, Lettere (note 4), no 19, p. 40, 23 févr. 1522 ; no 89, p. 152, 12 mai 1534 ; no 106, p. 172. 53 Nommés dans les lettres 40, 42, 45, 47, 56. 54 Ibid., no 47, p. 83, av. le 3 févr. 1529 ; cf. no 45, p. 81, 22 nov. 1528. 55 Ibid., no 5, p. 12, 19 déc. 1520. 56 Ibid., no 5, p. 12-13, 19 déc. 1520. 57 Ibid., no 28, p. 52, 1 mars 1523 ; cf. p. 60, 11 juill. 1523.
et quoniam in Sequanis bello flagrare omnia audiebamus, laetabamurque, quod illuc potius quam apud nos decerneretur, voluit infelix Italiae fatum, ut diutius non gauderemus. Repente enim Romanus Pontifex cum Imperatore sentiens etiam cum magna exulum manu, intulit Gallis bellum, qua improvisa denuntiatione nos fere exanimati sumus ; ad haec nobilium in Galliam Transalpinam relegationes, militum temeritas et, quod peior est bello […] metus ipse belli59.
Si la guerre est loin, la peste est là qui guette, et à plusieurs reprises en 1520, il craint de devoir plier bagage propter contagii metum60, puis de nouveau en 1521-2261. Mais finalement la situation tourne mal pour Alciat, quand la municipalité, à court d’argent à cause d’une baisse des inscriptions, ainsi que de ces épidémies de peste, lui propose de diminuer son traitement, ce qu’il refuse, préférant rester à Milan après les vacances d’été de 152262. En fait, il mijotait quelque chose depuis plusieurs mois, ayant été nommé comte palatin en février 1521, avec un bref de Léon X signé par Sadolet ; et en mai 1522, il soulevait avec Calvo la perspective d’une pension papale, qui lui permettrait de fignoler certain commentaire sur le droit, peut-être, De summa trinitate et fide catholica commentarius, lex Inter claras63, 64
pensiunculam honestam […] ut otium benignius suppeteret, quo huic operi vacarem ;
et il confesse avoir espéré que le chancelier Duprat, à qui il avait dédié ses Paradoxa, lui donnerait quelque chose, mais il fait chou blanc : a magno enim Franciae Cancellario nihil praeter verba aeruscare possum65.
Le choix un peu cynique du verbe aeruscare est éloquent, employé pour les tours de passepasse d’un jongleur, ou pour un philosophe mendiant. Il prie donc Calvo de tâter de nouveau le terrain à Padoue66 :
58 59 60 61 62 63 64 65 66
Ibid., p. 40, 23 févr. 1522. Ibid., p. 34, 13 juill. 1521. Ibid., no 5, p. 12, 19 déc. 1520 ; no 8, p. 23-25, 5 févr. 1521 ; no 10, p. 29, 24 avril 1521. Ibid., no 15, p. 35, 5 sept. 1521 ; no 18, p. 39 ; no 21, p. 43, 18 avril 1522. Ibid., no 24, p. 45-46, 9 janvier 1523 (et non 9 déc. 1522) selon la correction de Roberto Abbondanza, « A proposito dell’epistolario dell’Alciato », Annali di storia del diritto, 1957, p. 467-500, ici p. 481. Ibid., no 13, p. 32-33, 31 mai 1521 ; no 166, p. 248. Ibid., no 11, p. 31, le 5 (et non le 6) mai 1521, selon la correction de R. Abbondanza, « A proposito dell’epistolario dell’Alciato » (note 62), p. 479. Ibid., no 11, p. 31, 5 mai 1521. Ibid., no 23, p. 44, 5 nov. 1522 ; no 26, p. 48-49, 20-21 janv. 1523 selon la correction de R. Abbondanza, « A proposito dell’epistolario dell’Alciato » (note 62), p. 481.
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Ses rapports sont excellents avec le légat, François de Clermont-Lodève, avec qui il a un échange amusant concernant le livre attribué à Érasme sur le mariage des prêtres58. En Avignon, il est à l’abri de la réouverture des hostilités en Italie du nord pendant l’été de 1521, suite à l’alliance entre Léon X et Charles Quint contre la France :
Si Veneti dignum me stipendium offerrant, nemo est cui libentius inserviam67,
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même s’il exprime une opinion peu flatteuse sur certaines universités italiennes en réponse à une question d’Amerbach : Quod rogas ut te moneam in quod gymnasium Italiae proximo anno te conferas, consilium in promptu non habeo, nisi quod hoc certo scio, Papiae te male, Taurini pexime, aliquanto melius Bononiae vel Patavii68.
Quand Alciat rentrera en Avignon, la situation aura radicalement changé depuis 1517. Milan ne lui a pas plu, surtout la curia – A curia abhorreo, quod in ea nemo est qui sciat literas69, mais s’agit-il du tribunal ou de la cour de Sforza ? Lors d’un futur séjour à Milan en 1532 il écrira : Mediolano autem cum ibi essem displicuit ut quaelibet hora annus mihi esset70.
La guerre a repris en Lombardie, et les soldats français ont détruit sa villa : Combusserunt mihi Galli villam, destruxerunt omnia ; nihil est reliquum praeter solum71.
La ville est occupée par les soldats espagnols, dont certains sont cantonnés chez lui : Habeo enim domi hospites “ἱβήρους mercenarios, ventre conductos, qui nihil absportari e bibliotheca sinunt, omnia quae in aedibus sunt ceu τροφήματος pignus custodientes. Dolebis, scio, miseriam nostram ; ego eam rideo quoque, sed σαρδωνικῶς72.
Dans ses poésies inédites, il fait allusion aux extorsions imposées aux Milanais par le caesareus miles, qui prétend être nourri gratuitement ; si quelqu’un refuse, […] statim Saliunt in eius tecta, et aedes proruunt. Euge Imperator! haec tua sunt stipendia73.
Il critique la brutalité des Impériaux protestants lors du Sac de Rome, qui […] per vim et dolum Vincire pontificem, spoliare altaria, necare sacerdotes, reliquias in Tybrim Proicere sanctorum, deoque oppedere Ipsi omnibusque caelitibus74.
Mais c’est l’invasion de sa maison par les soldats qui le décide à décamper :
67 68 69 70 71 72 73 74
Ibid., no 29, p. 54, 20 mars 1523. Ibid., no 33, p. 60, 11 juill. 1523. Ibid., no 34, p. 62, 28 nov. 1523. Ibid., no 71, p. 128, 5 janv. 1532. Ibid., no 34, p. 62, 28 nov. 1523. Ibid., no 38, p. 65, 12 juill. 1526. Bianchi, « L’Opera letteraria » (note 29), p. 113. Ibid., p. 104, 112.
Cum in aedes meas Agareni prorupissent […] in metata Germanorum confugi75,
75 Alciat, Lettere (note 4), no 44, p. 77, 23 août 1528. 76 Ibid., no 39, p. 39, 30 oct. 1527 : R. Abbondanza, « A proposito dell’epistolario dell’Alciato » (note 62), p. 482 fait un sort à la fable de l’existence d’une épouse d’Alciat, due en fait à une erreur de lecture de Burman (uxorem à la place de matrem !) reprise et amplifiée par Barni qui rédigea même un article sur le sujet : « Il problema del matrimonio di Andrea Alciato », Archivio giuridico, 130, 1943, p. 61-75. 77 Ibid., no 40, p. 67, 26 déc. 1527. 78 Ibid., no 44, p. 77, 23 août 1528. 79 Ibid., no 41, p. 71, 18 févr. 1528. 80 Ibid., no 40, p. 40-41, 26 déc. 1527, p. 40-41. 81 Ibid., no 42, p. 73, 28 mai 1528. 82 Ibid., no 49, p. 86-88, 1 mars 1529 ; ibid., no 51, p. 89-90, 7 mai 1529 ; ibid., no 62, p. 108-09, 3 sept. 1530. 83 Ibid., no 49, p. 86-88, 1 mars 1529. 84 Ibid., no 51, p. 89-90, 7 mai 1529 ; ibid., no 62, p. 108-09, 3 sept. 1530.
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laissant une bonne partie de ses livres et papiers et sa famille76 regagnant ses pénates avignonnais, non sans lancer quelques flèches du Parthe contre les pilleurs impériaux, dans un poème qui commence ainsi : Ite alio, ventres, nihil hic fur liquit Hiberus77. Deux lettres à Amerbach de 1528 posent un problème d’interprétation politique, car il s’agit d’allusions aux mercenaires suisses envoyés en Italie par François Ier. Dans l’une, Alciat fait état de la difficulté des communications entre Avignon et Bâle, dues à la présence effrayante de tant de mercenaires suisses, pour lesquels il use du mot grec Κᾶρες78. Dans l’autre il se demande si le roi enverra en Italie des renforts de Suisses, novas τῶν Kαρεῶν catervas εἰς Ἰτάλιαν missurus ; mais il qualifie le roi d’une fameuse citation du début de l’Iliade (1, 7), ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεύς, mais en remplaçant Achille par Agamemnon. Est-ce la sincère louange d’un roi victorieux, ou un exemple d’ironie79 ? Alciat reçoit l’offre d’un contrat à l’université de Valence, mais compte sur le cardinal-légat de Clermont-Lodève pour rester en Avignon80. Il y enseigne jusqu’au printemps de 1529, noue d’excellentes relations avec les libraires lyonnais, et Gryphius en particulier ; il met la dernière main à divers écrits, dont le De singulari certamine, qu’il aurait composé à l’intention du beau-frère du légat (Antonio Onorato d’Oraison), mais qu’il ne compte pas encore publier, du fait que le sujet risque de donner lieu à controverse entre la France et l’Empire81. Mais il se brouille bientôt avec la municipalité, qui lui propose moins d’argent, et même avec le légat, accusant les deux de mauvaise foi et d’avarice82. À quelque chose malheur est bon, et les relations qu’il a entretenues avec les personnalités de la cour, et notamment avec le cardinal François de Tournon, lui valent un contrat à Bourges, dont Tournon est l’archevêque et le chancelier de l’université. Alciat se révèle calculateur. Il espère toucher à Bourges non seulement un traitement en or de 500 écus, mais aliquid quoque ab Rege ipso83, en l’occurrence 100 écus de la duchesse de Berry, Marguerite de Navarre84 ; pour remercier le cardinal, il va lui dédier son chef-d’œuvre, le De verborum significatione, qu’il munit d’une dédicace très flatteuse, qui fait également l’éloge de Marguerite, heroinae illus-
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trissimae regiae sorori85. Il décide de dédier au roi, à grands coups d’encensoir, son livre sur le duel86, qui allait connaître un succès européen. Mais pour préparer son transfert à Bourges, il cherche à prévenir toute possibilité de querelles, controversias aliquas in eorum patria, ipse exterus87. Si en Avignon il s’était amusé à chicaner avec Budé88, maintenant il intervient pour différer la publication de son De ponderibus et mensuris, et il explique ses motifs : quod ideo faciebam ne hospes in aliena terra crabrones excitarem89. Il continue à insister auprès d’Amerbach, pour que l’étranger qu’il est ne paraisse pas manquer de respect envers l’idole des Français90 : ne περὶ μέτρων καὶ σταθμῶν edi sineres, quoniam subverebar ἀντιβουδαίζειν ; confice quaeso rem ex sententia mea, ne mihi quicquam sit cum eo homine tricharum91.
Il dévoile son jeu tout cynique. S’il est en poste à Bourges, plurimum mea interest amicum habere Budaeum, quod ei tantum hi Galli deferant, ut solum praedicent qui sciat literas. Vide in quas trichas me temporum conditio coniecerit. Necessario is mihi amicus conservandus est, ne et ipse aemulorum meorum partibus accedat aliquidque regi vel proceribus obganniat, unde existimatio mea elevatur92.
Il en est de même pour la riposte qu’il avait composée, sous le nom de son élève Albuzio, aux critiques de l’Estoille et de Longueval93, dont il avait été averti par Boyssonné94, et dont il tient maintenant à différer la publication95. Il avait d’abord pensé se cacher derrière le nom de son ami, Jean de Montaigne, mais il a préféré celui de l’Italien Albuzio, sur qui il peut rejeter toute la responsabilité en cas de scandale, voulant éviter à Montaigne une accusation de manque de patriotisme : nec aequum erat pro me eum suspicere ullam controversiam, praesertim cum suis Gallis96.
Pourtant il calcule que sa riposte mettra le feu aux poudres, et que la controverse stimulera les ventes et justifiera un tirage plus important97 ; de même, à la sortie du livre beaucoup de nouveaux étudiants afflueront vers les cours d’Alciat à Bourges, ce dont il se réjouit98.
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Ibid., no 161, p. 236, 1 mai 1529. Ibid., no 160, 1 mars 1529 . Ibid., no 50, p. 88, 28 mars 1529. Ibid., no 40, p. 69-70 ; ibid., no 42, p. 73, 28 mai 1528 ; ibid., no 51, p. 89-90, 7 mai 1529. Ibid., no 51, p. 89-90, 7 mai 1529. Ibid., no 49, p. 87, 1 mars 1529. Ibid., no 54, p. 95, 27 août 1529. Ibid., no 49, p. 86-88, 1 mars 1529. Aurelius Albutius, Andreae Alciati ... in Stellam & Longouallium ... defensio, Bâle, Froben, 1529 (Bodl., 8o C 371 Linc). 94 Ibid., f. A2. 95 Alciat, Lettere (note 4), no 47, p. 83, 3 févr. 1529. p. 83 ; ibid., no 48, p. 85, 13 févr. 1529. 96 Ibid., no 48, p. 85, 13 févr. 1529. 97 Ibid., no 48, p. 86, 13 févr. 1529. 98 Ibid., no 56, p. 98-99, 31 déc. 1529.
orationem prolixam, qua Gallos homines ad sidera extollebam, quantum in studiis valuerint ab antiquissimis temporibus usque ante Romanum Imperium, ex graecis latinisque auctoribus repetebam102.
Les braves citoyens de Bourges se déclarent satisfaits de ce morceau de flagornerie, estiment que le traitement princier est bien mérité, et lui accordent une majoration. Alciat se félicite d’une comoedia bien jouée. Il consolide sa position en dédiant ses nouveaux ouvrages aux personnalités de la ville103, et en se rapprochant non seulement de Tournon, qui a lu au roi le livre sur le duel104, mais du poète de cour et traducteur, Jacques Colin, abbé de Saint-Ambroise, bien conscient du besoin de cultiver les courtisans pour rester bien en cour105. Malgré son succès, il joue un moment avec l’idée d’aller enseigner à Bologne, où Clément VII lui offrirait 700 écus106. Mais, au cours de l’année 1530, on lui augmente son traitement, mille écus, mieux que Jason de Mayne : Rarum est, et nescio an nostra tempestate cuiquam contigerit, ut iureconsulto vix trigesimum et septimum annum attingenti, tantum honoraria conferretur107, plus une pension de 300, et l’espoir d’un poste de maître des requêtes108. Le roi, qui s’est montré généreux envers d’autres Italiens – Gualtiero Corbetta, Agazio Guidacerio109, Giulio Camillo110 – considère Alciat comme maximo [...] ornamento Galliae suae esse et à conserver en France à tout prix ; et Alciat d’abandonner, pour le moment du moins, son amour du vagabondage, et d’expliquer à Calvo qu’il n’a plus envie de rentrer en Italie111, mais de profiter du mécénat royal : idque maximum in Gallia, in qua soleant professores etiam celeberrimi aventitio illo regentiae lucro contenti esse112,
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Ibid., no 51, p. 89-90, 7 mai 1529. Ibid., no 56, p. 98-99, 31 déc. 1529. Ibid., no 59, p. 105, 1 mars 1530. Ibid., no 51, p. 91, 7 mai 1529. Ibid., no 162, p. 239, à Guillaume de Cambray, 5 août 1529 ; ibid., no 165, p. 247, à Jean Pelorda. Ibid., no 62, p. 108-09, 3 sept. 1530. Ibid., no 58, p. 103-04, 21 janv. 1530 : Non dubito quin aulam tu istam noscas, utque soleant Galli erga absentes incuriosi esse. Ibid., no 58, p. 102-04, 21 janv. 1530. Ibid., no 62, p. 108-09, 3 sept. 1530 ; ibid., no 65, p. 119-20, 27 oct. 1530, p. 119-20 : si promissis stetur, nec me spes decipiat, millenis aureis profitebor. Ibid., no 62, p. 108-09, 3 sept. 1530. p. 108-9 : quod existimaret maximo me ornamento Galliae suae esse : si magistri libellorum munus aveam, libentissime se illud concessurum. Ibid., no 39, p. 39, 30 oct. 1527. Ibid., no 62, p. 112, 3 sept. 1530. Ibid., no 62, p. 108-09, 3 sept. 1530. Ibid., no 62, p. 109, 3 sept. 1530.
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La lettre est archiconnue dans laquelle il décrit son entrée triomphale à Bourges, et le succès de son allocution et de ses cours99, malgré les faux bruits de la peste disséminés par des universités rivales100. Il en dit de même à Érasme101. Et ses lettres sont plus révélatrices que la version officielle du discours ronflant sur les gloires de la France, car il confesse à Amerbach avoir tenu une
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ainsi que de la pax augusta qui règne en France, in tutissimo loco agam vel potius profundissimo in pacis gremio113. Ses cours font salle comble, et parmi ses auditeurs figurent le dauphin François et le roi lui-même. Dans le discours prononcé lors de la visite royale114, notre juriste développe le thème abordé dans le livre sur le duel, celui du rayonnement de la gloire royale – at tu, Rex maxime, nullam regni tui partem oculo tuo non perlustras – et de la promotion des humanités, quas adeo in honore apud te esse vident, et il en tire une conclusion qui s’accorde avec la propagande des Valois : Cum igitur haec studia adeo tibi curae sint, quis non auream aetatem hanc esse credit, in qua et philosophi regnant, et reges philosophentur ?
Et il termine son discours sur une citation très appropriée d’Ausone, poète gaulois qu’Alciat est réputé avoir commenté115, mais adaptée pour l’occasion. Ausone (1, 4) avait écrit pour Théodose : Non habeo ingenium, Caesar sed iussit. Habebo : Cur me posse negem, posse quod ille putat.
Alciat remplace tout simplement César par Princeps, et accepte modestement le commandement du Roi, qui insiste sur le génie de son hôte milanais. Dans ses lettres à Calvo, il revient constamment sur les bonnes conditions dont il jouit dans cette celeberrima Biturigum Gallorum Academia116, se demandant s’il en pourrait trouver de semblables en Italie117, et sur la méthode qu’il peut appliquer ici à l’enseignement du droit, sans être contesté. Il dit sa pensée dans une lettre de septembre 1530 : adeo Galli isti bonarum litterarum latinitatisque amantes sunt, ut quantumvis maximum doctorem fastidiant, nisi et idem eloquentiae suae studiis praemineat. Vereor si in Italia eum morem servare vellem, ut per imperitorum querimonias mihi liceret. At hic omnes uno ore hunc methodum vulgatae, quo iam aliquos menses docueram, praetulerunt. Quae causa est ut et libentius hic doceam et magis ex animo studia haec pertractem118.
Jusqu’à un certain point, il suit le mos gallicus de Budé, soutient que humaniores litteras legali disciplinae iunctas esse, nec recte absque illis hanc teneri posse119, et quand il rentrera à Pavie, il se verra contesté120.
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Ibid., no 62, p. 109, 3 sept. 1530. Oratiuncula cum Christianissimus Gallorum rex Franciscus Valesius lectioni suae adesset habita, in Opera omnia, 1582, IV, p. 1067. 115 Henry Green, Andrea Alciati and his book of emblems, Londres, 1872, p. 11. 116 Alciat, Lettere (note 4), no 166, p. 248, 1 sept. 1530. 117 Ibid., no 58, p. 103, 21 janv. 1530 : Nescio si in Italia profitetur an obtineri id possit ut eo modo, potius quam vulgari posset. 118 Ibid., no 62, p. 111, 3 sept. 1530. 119 Ibid., no 79, p. 136, 10 sept. 1532. 120 Ibid., p. xxxv-vi.
Nec hac in re a Transalpinis vinci se patiantur, mirum est quantum hoc nomine me Rex Franciscus laudaverit, amaverit, foverit : verum ego coeli huius gallici horrorem ferre non possum ; quae res plurimum me adigit ut Italiae conditiones sequar136.
121 Ibid., no 168, p. 250-52. 122 P.-É. Viard, André Alciat (note 51), p. 73-74 ; Alciat, Lettere (note 4), p. xxxiv-xxxv. 123 Oratio Bononiae habita, in Opera omnia, Lyon, Fradin, 1560, VI, f. 320v. 124 Alciat, Lettere (note 4), p. xli, citant Paradoxa, III, 10. 125 Musée Condé, ms. 245. 126 Bianchi, « L'Opera letteraria » (note 29), p. 23-24, note 1, qui cite le recueil de la Bibl. Trivulziana, ms. 1623. 127 Melk, Stiftsbibliothek, ms. 1641, f. 28v, In pictam Regis Franciae imaginem, In Bedam exulem. 128 Alciat, Lettere (note 4), no 83, p. 144. 129 Ibid., no 62, p. 113, 3 sept. 1530. 130 Ibid., no 47, p. 83, 3 févr. 1529 ; Paris, BnF, ms. n.a.l. 2070,f. 107v « De Budeo, Alciato et Zasio. » 131 Voir Henri Jacoubet, « Alciat et Boyssoné », Revue du Seizième Siècle, 13, 1926, p. 231-42. 132 Philippe Hémon, Adversaria in Pandectas (1539-44), Paris, Bibl. Ste. Geneviève, ms. 1739, f. 718. 133 Alciat, Lettere (note 4), no 81, lettre à Christian Wechel, 30 janv. 1529, conservée à New York, Pierpoint Morgan, MA 1346, no 3. 134 Ibid., no 43, p. 76, 19 juill. 1528. 135 Ibid., no 55, 31 août 1529 ; ibid., no 62, p. 111, 3 sept. 1530 ; ibid., no 66, p. 121, 5 janv. 1531. 136 Ibid., no 79, p. 137, 10 sept. 1532.
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Mais il faut nuancer, car il fut contesté à Bourges aussi. Il décrit lui-même, dans la préface à son De summa Trinitate121, comment les étudiants de Bourges, trouvant sa méthode vieux jeu, désertaient l’amphithéâtre122. Il est acquis qu’Alciat était moins hostile que Budé et les apôtres du mos gallicus aux glossateurs italiens tels Accurse, Balde et Bartole, coeterique glossematici doctores123 ; il ne rejetait pas leur apport, mais cherchait à l’améliorer, même celui de la cible des risées en France, Accurse, qu’Alciat qualifiait de huius doctrinae columen124. Mireille Huchon a suggéré que le passage dans le chapitre cinq du Pantagruel, avec la visite du géant à Bourges, correspond à la période de l’enseignement d’Alciat : et c’est dans ce passage que Rabelais attaque les commentaires d’Accurse. Étant donné le succès de ses cours subséquents à Bourges, dont témoignent les notes d’un étudiant conservées à Chantilly125, on peut supposer qu’il modifia quelque peu sa méthode. Pendant son séjour à Bourges, Alciat suivait les grands événements, qui sont reflétés dans ses poèmes et ses lettres. On trouve un poème inédit sur la mort de Louise de Savoie126, sur un portrait du roi, sur l’exil de Noël Beda127, ainsi qu’une mention de la découverte du prétendu tombeau de Laure et du poème retrouvé là-dedans128 ; il note l’envoi au roi par Renzo de Ceri d’une statue de Vénus, et les nombreux poèmes composés à cette occasion129. Et il est en relation avec plusieurs poètes en France, dont Jean Binet130, Jean de Boyssonné131, et le jurisconsulte Philippe Hémon132. D’autres parlent dans ce volume de ses relations avec les imprimeurs et libraires lyonnais et parisiens, notamment Wechel133, Parmentier134, et Gryphius, qu’il commence à préférer à hos haereticos à Bâle, et qui permettent une meilleure distribution en Italie135. Malgré cette aisance, malgré ces honneurs, il est tenté par d’autres offres. Bembo sert d’intermédiaire avec Venise pour l’attirer à Padoue, mais il perdrait 400 écus au change, et il est choyé par le roi :
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Comme on le sait, Francesco II Sforza finira par l’obliger à rentrer à Milan, tout en lui proposant moins d’argent137, mais en ajoutant le statut de Sénateur. Alciat explique à Bembo qu’il aurait pu obtenir de François Ier tout ce qu’il voulait, mais qu’il n’avait pas pu résister à la pression du duc138. Il rechigne à rentrer dans cette ville, d’où il a été chassé par la guerre139, et ses cours à Pavie lui donnent peu de satisfaction : minus mihi hic auditorum quam in Gallia, minus honoraria, minus et honoris est140.
Il fait part à Boyssonné de sa réticence à quitter Bourges : et id ipsum mihi acerbissimum fuisse. […] Invitus ego et reluctans Bituriges deserui141,
et de ses problèmes avec ses collègues à Pavie, in quo mihi plurimae controversiae cum symmystis, sed atrocissimae cum osoribus bonarum litterarum142.
Cette réticence est confirmée dans une épigramme pleine de nostalgie sur les cinq bonnes années passées dans la ville dont les armories arborent des moutons : Urbs Biturix invitus amans te desero amantem Quinque per aestates terra habita mihi : Non opus ad vitulos est a vervecibus ire Ergo vale, et felix sit tibi lanicium.
Cette nostalgie va s’accentuer avec la reprise des combats en Italie en 1536. Il a horreur de la guerre, dont la clameur trouble son otium intellectuel, et dont la peur éloigne les étudiants143. Pourquoi doit-il se trouver à Pavie au milieu des armes : Quid enim ego moliri possum dignum laude aliqua inter bucinas et tympana, quae mentem alienant et semper aliud me agere cogunt144 ?
Et pour une fois, c’est le roi de France qui doit en endosser la responsablité : lorsqu’Alciat demande son transfert à Bologne, loin des combats, il en précise la cause, increbescente tumultu ob adventum regis Francorum145. Et sa position politique paraît changer. Dans l’emblème Firmissima convelli non posse, il avait déjà loué l’Empereur pour avoir résisté au barbare Turca ; maintenant il ajoute aux Emblemata le poème Laurus qui fait l’éloge de Charles
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Ibid., no 84, p. 145-46, 17 avril 1533. Ibid., no 86, p. 147-48, 7 oct. 1533 : Alioquin nisi id de Duce obtinere sperassem, facillimum mihi fuisset illud a rege Francisco impetrare, ut ducem exoraret ne mihi manum iniiceret, sed apud se signeret. Ibid., no 82, p. 142, 18 mars 1533 : Nec enim ego aliter unquam sensi, nisi quod me turbulentus ille Mavors invitum repugnantemque patria domoque eiecit, ad quam recolendam novissime litteris Ducis revocatus sum. Ibid., no 88, p, 150, 13 avril 1534. Ibid., no 91, p. 155, 22 août 1534. Ibid., no 91, p. 155, 22 août 1534. Ibid., no 97, p. 161, 6 avr. 1536 ; ibid., no 98, 24 janv. 1537. Ibid., no 97, p. 161, 6 avr. 1536 et p. xxxv. Ibid., no 103, p. 168-69, 1 janv. 1538.
146 Ibid., no 105, p. 171, 22 oct. 1538. 147 Ibid., no 108, p. 174, 18 juill. 1539 ; et sur le problème du célibat d'Alciat, voir supra, note 76. 148 Alciat, Le Livre du Duel, 1550, f. A4 : « Mais toy Sire fais bien autrement, qui pour la grandeur de ton courage, estant à comparer à ces anciens demidieux, cherchées bruit et renommée […] par ars, moyens et sciences qui sont beaucoup plus grandes : quand tu desires de faire paix au monde Chrestien. Quand tu tasches et t’efforces de remettre en son accoustumée dignité la republique chrestienne agitée et batue de tant de calamitez et miseres. » 149 Ibid., f. 5r-v. 150 Ibid., f. 2v, 23, 28, 29v, 36, 44v. 151 Ibid., f. 41. 152 Ibid., f. 32v-33 ; cf. f. 34 : « avec lesquelz j’estime devoit estre mis le Roy de France, ayant son royaulme egal à la dignité imperialle, ne le reverant en son royaume en chose du monde. » 153 Ibid., f. 32v. 154 Opera omnia (note 11), p. 196D, Dispunctionum, lib 2.
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Quint pour sa victoire à Tunis. Et il paraît avoir des réserves sur l’alliance de François Ier avec le Turc, à en juger par l’emblème Ex damno alterius, alterius utilitas. En sûreté à Bologne in qua omnia sunt quietissima146, il refuse de rentrer à Pavie après la Trêve de Nice (1538), faisant appel à Paul III, et faisant valoir les cours qu’il a donnés en droit canon in tua urbe Avenionensi et son statut de clerc et de célibataire147. Ironie du sort, il finira sa carrière universitaire à Pavie, ville ruinée et appauvrie par la guerre. Si dans ses lettres et ses poèmes, il s’avère hostile à la guerre, et un fervent partisan de la paix, qu’il appelle de tous ses vœux, témoin l’emblème Ex Bello pax, écrit peut-être après la Paix des Dames quelle est sa position dans ses écrits juridiques et historiques ? Dans son livre sur le duel, il fait l’éloge du roi, qui se sert des armes pour imposer la paix148. Dans le même livre, il cite avec approbation la stricte réglementation des duels en France selon la constitution de Philippe le Bel, à la différence de l’Italie, où les « glorieux souldars » estiment que c’est le seul moyen pour défendre leur honneur, et où les seigneurs donnent trop à la légère la permission pour les duels sur leurs terres149. Parmi les divers exemples de duels impliquant un Français150, il cite, toujours avec approbation, celui de Bayard contre le Milanais Giacinto Simoneta, qui perd pour s’être trop préoccupé d’« estre mignonnement acoustrez et trop serrez, » et sa défaite peut être considérée comme « presage manifeste de la ruine des Sforza151 ». Le chapitre le plus favorable à la France dans ce traité est certainement le ch. 33 (f.. 32v), « Des dignitez de nostre temps », qui prend prétexte de la question de duels entre personnages de rang différent pour aborder celle de la préséance entre le Roi et l’Empereur. Or Alciat, écrivant vers 1527-28, trouve un passage chez Procope, qui fait état d’un accord entre Justinien et le roi Lothaire (ou Theudibert), selon lequel, si les Francs ne viennent pas en aide aux Goths, que Justinien veut chasser d’Italie, ce dernier reconnaît que « l’Empereur Romain n’eut droit aucun en Gaule152. » Si le Pape et l’Empereur règnent en maître, ce nonobstant, « Au mesme degree est le Roy de France, lequel jamais ne fut subjet à l’Empereur, ny du present revere, ny honore l’imperialle majesté153. » Alciat revient à la charge dans ses écrits juridiques, dans lesquels il s’intéresse à l’origine des Francs154, et à la dignité de leur roi. Il estime, avec Balde, que le roi de France
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est nobilior aliis Regibus, et est super alios, Item super regem Francorum nemo praesumat honorem155. Pour ce qui est du pape, il estime qu’un sujet français n’a aucun droit d’appel au pape contre une décision du roi156. Quant à la préséance entre le Roi et l’Empereur, il conclut hodie Imperator et Rex aequiparantur157. On pourrait alléguer, avec Bartole, que l’empereur lui est supérieur de iure, et que par conséquent le roi ne saurait faire la guerre sans le consentement de l’empereur158. Toujours est-il que, de facto, Rex Franciae non recognoscat Imperatorem superiorem159 ; et Alciat conclut, pace Bartole : Sed ego puto, quod dato etiam, quod subsit illi, tamen non requiritur licentia, ut supra dixi160.
En principe donc, François Ier est dans son bon droit s’il fait la guerre en Italie contre l’empereur, ces guerres, justes ou injustes161, qu’Alciat haïssait tant, et qui imposèrent à notre jurisconsulte ambulant une vie de vagabondages, avec bien quatorze années passées loin de la patrie, comblé d’honneurs, de gloire, et d’écus.
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Ibid., III, p. 818, 1-3. Ibid., III, p. 818, 1-3 : non subditus eius possit ab iniusta sententia Regis Francorum appellare ad Papam. Ibid., III, p. 818, 1-3. Ibid., I, p. 11, 39. Ibid., I, p. 9, 36. Ibid., I, p. 11, 3. Gian Luigi Barni, « Bellum iustum e bellum iniustum nel pensiero del giureconsulto Andrea Alciati, » in Mélanges Augustin Renaudet, Genève, 1952, p. 219-34.
andré alciat et les imprimeurs lyonnais* Raphaële Mouren - Université de Lyon École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques Centre Guillaume Budé, E.A. Rome et ses renaissances
Menant sa carrière de professeur entre l’Italie et la France, André Alciat a vu ses œuvres souvent imprimées en France, essentiellement à Lyon. Rappelons qu’il a enseigné à Avignon jusqu’en 1522, puis a été avocat à Milan de 1522 à 1527 avant de revenir enseigner à Avignon. À partir de 1529, il fut professeur à Bourges pour quatre ans. Les rapports d’Alciat avec ses imprimeurs de langue allemande ont été étudiés : Elisabeth Klecker, Virginia Callahan, Beat Rudolf Jenny en particulier ont travaillé sur ses rapports avec Amerbach1. Le grand incunabuliste américain Curt Bühler, de la Pierpont Morgan Library de New York, avait autrefois étudié ses rapports avec Christian Wechel2. Pour ce qui est des imprimeurs et libraires lyonnais, Ian Maclean s’est déjà penché sur la question3. Ses travaux sont complétés ici par l’étude de plusieurs aspects de cette production lyonnaise, tout particulièrement la stratégie des imprimeurs-libraires vis-à-vis de la production juridique d’Alciat : il s’agit de regarder quelles œuvres sont éditées, à quel moment, et quelle est la place d’Alciat dans la production de ces libraires.
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abréviations utilisées : Edit16 = Censimento nazionale delle edizioni italiane del xvi secolo : . VD16 = Verzeichnis der im deutschen Sprachbereich erschienenen Drucke des 16. Jahrhunderts : . Je remercie Ian Maclean pour ses précieux conseils ainsi que Thomas Penguilly pour sa relecture et les nombreuses informations qu’il m’a transmises. Beat Rudolf Jenny, « Andrea Alciato und Bonifacius Amerbach : Anfang, Höhepunkte und Ende einer Juristenfreundschaft », in U. Dill, R. Jenny (dir.), Aus der Werkstatt der Amerbach-Edition. Christoph Vischer zum 90. Geburtstag, Basel, 2000, p. 54-76 ; traduction italienne, « Andrea Alciato e Bonifacio Amerbach : nascita, culmine e declino di un’amicizia fra giureconsulti », Periodico della società storica comense, 69, 1999, p. 83-99. Virginia Woods Callahan, « Andreas Alciatus and Boniface Amerbach : The chronicle of a Renaissance friendship », in S. P. Revard, F. Rädle, M. A. Di Cesare (éd.), Acta conventus Neo-Latini Guelpherbytani, Binghamton, 1988, p. 193-200. Elisabeth Klecker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs : les Emblemata d’Alciat et l’emblématique », Littérature, 145, mars 2007 : S. Rolet (dir.), L’emblème littéraire : théories et pratique, p. 23-52. Curt F. Bühler, « A Letter Written by Andrea Alciati to Christian Wechel [1533 ?] », The Library, 5/16, 1961, p. 201-205. Ian Maclean, « Le séjour d’Alciat à Bourges, vu à travers sa correspondance et ses préfaces berruyères », dans Stéphan Geonget (dir.), Bourges à la Renaissance : hommes de lettres, hommes de loi, Paris, 2011, p. 263-281.
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L’œuvre juridique d’Alciat avait tout pour intéresser les imprimeurs-libraires lyonnais, spécialisés dès le début du seizième siècle dans l’édition juridique et organisés pour ce faire en une Grande Compagnie des libraires à partir de 15204 : son maître de Pavie, Giasone del Maino, est très édité à Lyon. Mais les éditeurs lyonnais proposent aussi très tôt des ouvrages destinés à un public fort différent : aux romans médiévaux et modernes s’ajoutent plus tard tout naturellement les livres d’emblèmes et bibles illustrées. Les textes humanistes ne sont pas non plus si absents de Lyon qu’on pourrait le croire, comme le montre le succès jamais démenti, tout au long du siècle, des commentaires humanistes des contemporains et immédiats successeurs d’Alciat : rappelons les commentaires du Florentin Piero Vettori (né en 1499) aux agronomes latins ou aux lettres de Cicéron, qui sont imprimés à Lyon (entre 1540 et 1541) et non pas en Italie ; rappelons aussi le succès des commentaires nouveaux à Cicéron que, jusqu’à la fin du siècle, les imprimeurs-libraires commandent à des humanistes, ainsi que celui de ces volumes mélangeant les commentaires de plusieurs humanistes. Par ailleurs, les imprimeurs lyonnais avaient accès à d’autres marchés que les Bâlois et pouvaient obtenir des privilèges pour le royaume de France. Alciat lui-même pensait qu’imprimer à Lyon faciliterait la diffusion de ses ouvrages en Italie, par la foire de Lyon5. Il privilégia Lyon pour imprimer ses commentaires juridiques, réservant ses œuvres humanistes aux imprimeurs bâlois6. Très tôt, Alciat est suffisamment connu et respecté pour pouvoir choisir ses imprimeurs. Boniface Amerbach, l’éditeur bâlois, lui donne accès aux imprimeurs bâlois. Il est en contact avec Chrétien Wechel dès 15297. Bien entendu, il se plaint parfois de ses imprimeurs : il n’est pas totalement content du travail de Gryphe à Lyon, de Bebel à Bâle. Il préfère Cratander, son éditeur bâlois, à Gryphe8. Mais se plaindre de son imprimeur est, depuis plus de cinq siècles, d’une grand banalité. Sébastien Gryphe est d’ailleurs plutôt habile pour éviter les fâcheries avec les auteurs. Le premier livre d’Alciat qu’il publie en 1529 a donc pu convaincre ce dernier de lui confier d’autres livres. Les raisons religieuses ne sont peut-être pas étrangères au choix de Lyon, au choix de Gryphe plutôt que Cratander9.
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Voir sur le sujet Jeanne-Marie Dureau-Lapeyssonie, « Recherches sur les grandes compagnies de libraires lyonnais au xvie siècle », dans R. Chartier, L. Desgraves, J.-M. Dureau-Lapeyssonie, et al., Nouvelles études lyonnaises, Paris, 1969, p. 5-63. Ian Maclean, « Concurrence ou collaboration ? Sébastien Gryphe et ses confrères lyonnais (1528-1556) », dans Raphaële Mouren (éd.), Quid novi ? Sébastien Gryphe à l’occasion du 450e anniversaire de sa mort, Villeurbanne, 2008, p. 30. E. Klecker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs » (note 2). I. Maclean, « Le séjour d’Alciat à Bourges » (note 3), p. 274, à partir d’[Andrea Alciato], Gianluigi Barni (éd.), Le lettere di Andrea Alciato giureconsulto, Firenze, 1953, p. 81, no 46. I. Maclean, « Concurrence ou collaboration » (note 5), p. 29 ; E. Kleker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs » (note 2), p. 26. G. Barni (éd.), Le lettere (note 7), p. 126, no 70 (le 24 juillet 1531) ; p. 129, no 72 ( le 25 mars 1532) : Accepi Cratandrum perfecisse editionem operum meorum, fueruntque mihi nuper transmissa ab amico Paradoxa. Laudo diligentiam, characteres, chartam, omnia. Satisfecit egregie expectationi meae Cratander, quo fit ut Gryphio iratus sim, qui de eius exemplo confestim et ipse illa edidit, me inconsulto. Adde quod insigniter in ipsa prima epistola bis errauit, ut ab hoc possim depraendere, nec pari quidem cura eum usum esse. Alciat
C’est en effet Alciat qui envoie directement à l’imprimeur-libraire Sébastien Gryphe le Ad rescripta, « coactus spe quadam praepropera », de Bourges, le 27 octobre 1530, en échange de la promesse qu’il le publiera avant le 1er novembre.
Alciat est imprimé très tôt à Lyon : alors qu’entre 1515 et 1518, ses trois premiers livres ont été imprimés à Milan et Strasbourg, dès 1519 l’imprimeur Jacques Sacon imprime à Lyon la Lectura super secunda parte ff. noui in titulo de uerborum obligationibus pour le libraire Vincent de Portonariis10. Ce type d’ouvrage, commentaire au titre XLV, 1 du Digeste est commun : Bartolus Saxoferrato en a écrit un, souvent réédité, de même que Baldo degli Ubaldi et plusieurs autres juristes. Sacon a imprimé la Lectura de Baldo degli Ubaldi l’année précédente. Toutefois la Lectura d’Alciat n’a été éditée, durant la vie de l’auteur, qu’à Lyon11, par Vincent de Portonariis et Jacopo Giunta, deux éditeurs italiens qui mettent l’œuvre juridique d’Alciat, leur compatriote, à leur catalogue. Il n’a pas intéressé les imprimeurslibraires étrangers, sans doute à cause de l’originalité de son contenu : Alciat en effet, jeune professeur cherchant à se faire connaître, professe un cours différent des habituels commentaires au De uerborum obligationibus. Il ne s’agissait pas d’un livre qui serait lu dans toutes les universités de droit, car ne correspondant pas au canon des cours sur le sujet. Ce livre est en effet l’édition du cours donné par Alciat à Avignon la même année, imprimé sur le champ à Lyon12. Rien de surprenant, en 1518-1519, que d’Avignon on s’adresse à Lyon pour imprimer un livre. À plusieurs reprises, c’est la (relative) proximité géographique qui, très certainement, est à l’origine de l’édition de livres d’Alciat à Lyon. Mais les choses ne sont pas si simples, car une autre œuvre d’Alciat, est éditée la même année à Milan, dans sa ville d’origine, avec laquelle il est resté en contact13. Les chemins qui mènent d’un auteur à un éditeur sont tortueux, et souvent liés au hasard. Le manque de
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se plaint aussi du fait que Gryphe n’envoie pas ses livres à un de ses amis, comme il a promis de le faire (ibid., p. 131, no 73, 20 avril 1532). Mais il loue Gryphe à son ami Calvo (ibid., p. 111, no 62). Les éditions lyonnaises d’Alciat citées sont décrites en annexe, par ordre chronologique. Sur Jacques Sacon voir Henri Baudrier et al., Bibliographie lyonnaise : recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon au xvie siècle, Lyon, 1895-1921, vol. 12 p. 306-361 ; Marion Chalvin, Jacques Sacon, imprimeur lyonnais du seizième siècle (1497-1529), mémoire de master 1 Cultures de l’écrit et de l’image, Université de Lyon-Université Lyon 2, enssib, 2010 ; ead., Jacques Sacon, imprimeur-libraire lyonnais du seizième siècle (1497-1529), mémoire de master 2 Cultures de l’écrit et de l’image, Université de Lyon-Université Lyon 2, enssib, 2011. À l’exception peut-être des œuvres complètes éditées en 1549 à Bâle par Isingrin (VD16 A 1634). D’après une lettre inédite d’Alciat à Ulrich Zasius, c’est un étudiant d’Alciat, Jean Montaigne, qui a fait publier la Lectura sans son accord. Dans cette lettre, Alciat condamne cette édition (informations données par Th.Penguilly). Paradoxorum ad Pratum lib. VI. Dispunctionum lib. IIII. In treis lib. Cod. lib. III., [Milano, Alessandro Minuziano, s.d.], 2o, CXLII, [6] f. Edit16 no CNCE 835. Sur cette édition voir Carlo Dionisotti, « Notizie di Alessandro Minuziano », in Miscellanea Giovanni Mercati, vol. 4, Cité du Vatican, 1946 (Studi e testi, 126), p. 327-372 ; rééd. in Carlo Dionisotti, Scritti di storia della letteratura italiana, vol. 1, Roma, 2008 (Storia e letteratura, 238), p. 113-154.
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Premières éditions, premiers éditeurs
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sources rend difficile la recherche des motifs de tels choix. L’explication se trouve peut-être dans l’intervention d’un ou deux intermédiaires qui auraient facilité une édition milanaise : Alciat, ayant commencé sa carrière dans cette ville, y avait probablement gardé des contacts, en particulier avec l’éditeur de ce livre, Minuziano, mais un intermédiaire pour suivre la préparation du livre jour après jour a pu intervenir. Portonariis et Giunta éditent à nouveau tous les deux la Lectura en 1538, et le second la réédite en 154614. L’édition de 1538 est une édition partagée : les deux imprimeurs italiens sont associés pour publier des livres de droit. L’œuvre connaît donc trois impressions lyonnaises, entre 1519 et 1546, chez deux imprimeurs-libraires simplement : ce n’est pas beaucoup, même si l’absence d’édition ailleurs est sans doute moins le signe d’un manque de succès des éditions que d’une absence d’intérêt commercial de ce livre pour les imprimeurs-libraires étrangers.
Portonariis et Giunta Vincent de Portonariis est un éditeur venu d’Italie, spécialisé dans le livre juridique. Sur une production totale d’environ quatre cents livres, il édite, pendant sa longue carrière (de 1506 à 1547), plus d’une centaine de livres juridiques, parmi lesquels sept livres d’Alciat, entre 1519 et 1538. En 1523, il est le premier à imprimer à Lyon les Paradoxa ad pratum, sortis en 1518 à Milan. L’édition de 1523, signalée par le président Baudrier, n’était pas absolument attestée jusqu’ici, bien qu’une édition lyonnaise sans nom d’éditeur soit décrite par le catalogue de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich et que Roberto Abbondanza, dont l’autorité dans le domaine ne fait pas de doute, la cite dans un de ses articles15. Un exemplaire, conservé à la bibliothèque municipale de Grenoble, atteste bien de son existence16. Il s’agirait d’une reprise de l’édition proposée par Cratander à Bâle la même année 152317. Les Paradoxa ad pratum sont réédités par Portonariis en 1529, puis en 1537 dans une édition partagée avec Giunta incluant la dédicace au lecteur d’Alciat datée de 1529 ; Sébastien Gryphe en revanche indique, dans son édition de 1532, qu’il reprend l’édition corrigée par l’auteur sortie à Bâle en 1531. Il peut donc paraître étonnant que cinq ans plus tard, Portonariis et Giunta choisissent de proposer une version plus ancienne et censément moins bonne. Jacopo Giunta fait partie de la famille d’imprimeurs florentins installés depuis le xve siècle à Venise et Florence. Il participe, avec Portonariis, à la Compagnie des libraires
14 Nous ne connaissons aucun exemplaire portant la marque de Vincent de Portonariis. 15 H. Baudrier et al., Bibliographie lyonnaise (note 10), vol. 5, p. 423. La Bayerische Staatsbibliothek conserve un exemplaire imprimé à Lyon à cette date mais sans nom d’éditeur (exemplaire mutilé ?). Roberto Abbondanza, « La vie et les œuvres d’André Alciat », dans Pédagogues et juristes, actes du 4e colloque international d’études humanistes, Paris, 1963 (De Pétrarque à Descartes), p. 93-106 (93). 16 Voir la description en annexe p. 271. 17 I. Maclean, « Le séjour d’Alciat à Bourges » (note 3), p. 274. L’édition bâloise est datée au colophon de février 1523.
Sébastien Gryphe Un autre imprimeur-libraire lyonnais édite beaucoup André Alciat : il s’agit de Sébastien Gryphe. Gryphe est un des imprimeurs lyonnais du seizième siècle dont la production est la plus importante : il édite plus de mille livres en trente ans, entre 1525 environ et 1556. Il commence par imprimer des livres inédits d’Alciat : tout d’abord, en 1529-1530, il édite à deux reprises le De quinque pedum praescriptione. Il s’agit de la dispute publique par laquelle Alciat, appointé à partir de cette année-là comme professeur à Bourges, a introduit son cours. Elle est précédée d’une épître adressée par l’auteur à Guillaume de Cambrai, chancelier de l’université et du chapitre cathédral, datée de Bourges, 5 août 1529 et d’un petit texte, une oratiuncula ad adstantes omnium facultum doctores, adressée comme souvent dans ce type d’ouvrage à ses auditeurs. Alciat y indique qu’il a été chargé de le diffuser au moment où il a obtenu son poste de professeur à Bourges20. Le livre contient plusieurs textes : à la dispute, à laquelle ont participé plusieurs personnes, dont Pierre du Chastel, s’ajoutent le De magistratibus, ciuilibusque et militaribus officiis liber, accompagné d’une dédicace non datée d’Alciat à Jean Pelourde, notable (senatori conseruatorique) de Bourges et conservateur des privilèges royaux de l’Université. Le livre est imprimé au format in-octavo, avec une police de caractères de grande taille, ce qui le rend très aisé à lire. Il est suivi d’un index et d’un erratum, comme c’est presque
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Ugo Rozzo, « Filippo Tinghi editore tipografo e libraio tra Firenze Lione e Ginevra », La bibliofilia, 109, 3, 2007, p. 239-270. Roberto Abbondanza, « La vie et les œuvres d’André Alciat » (note 15), p. 103. Voir la lettre d’Alciat à Bonifacius Amerbach, Pavie, 24 janvier 1573, in, G. Barni (éd.), Le lettere (note 7), n. 99 p. 163-164. f. a1v-2 : Caeterum cum qui aderant omnes, factum sibi satis non arbitrarentur, nisi quæ tradideram excipientibus dictarem : malui potius per Chalcotyporum formulas ea publicare, ut quæ tum in academia solis auditoribus disserueram, in omni omnium professorum theatro possent innotescere. Quod me hercle non a me idcirco factum est, quod dignas hasce nostras inuentiones arbitrer, quæ per doctissimorum manus uersentur, & quod dici solet, Mineruæ in arce collocentur sed ut qualicunque meo & exceptorem labori consulerem, & quod magis me trahebat, ut Biturigum magistratuum erga me merita omnibus testatissima facerem. Sur les choix de dédicace d’Alciat et le contenu de ces lettres voir Th.Penguilly, « Allégeances politiques et stratégies polémiques dans les épîtres dédicatoires d’André Alciat », dans J. -C. Juhle (dir.), Pratiques latines de la dédicace, Paris, à paraître.
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de Lyon, spécialisée dans l’édition juridique, puis s’associe avec lui pour l’édition d’ouvrages de droit. Il publie à Lyon deux cent trente-sept livres entre 1519 et 1548. Après sa mort en 1546, ses héritiers, Guillaume Regnault puis Filippo Tinghi à partir de 1557, associé à Béraud entre 1572 et 1576, éditent deux cent vint-et-un livres18. En 1536 et 1537, Portonariis et Giunta éditent quatre œuvres d’Alciat, dont le Iudiciarii processus compendium à deux reprises : œuvre apocryphe dont Alciat n’est pas l’auteur19, et dont la première édition était sortie l’année précédente à Cologne. Ils accompagnent certaines de ces éditions d’index, proposés avec une page de titre propre.
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toujours le cas dans les livres d’Alciat édités par Gryphe. Le livre ne porte aucune mention de privilège. En 1530 toujours, Gryphe édite deux autres livres inédits d’Alciat : le De uerborum significatione et les Commentarii ad rescripta principum. Alciat avait peut-être terminé le De uerborum significatione dès 1522, mais la première édition est celle de Gryphe, en 1530. C’est un très bel in-folio, à la page de titre très illustrée comme sait le faire Gryphe parfois, enrichi d’index et errata. Publié cum Gratia & Privilegio Regio (malheureusement le privilège n’est pas imprimé dans le livre), il est dédicacé par Alciat à l’archevêque de Bourges, François de Tournon, le 1er mai 1529. Le livre n’était pourtant pas destiné à paraître à Lyon. Alciat a confié le manuscrit à Michel Parmentier, libraire à l’Écu de Bâle à Lyon, qui l’a entre les mains à la fin du mois d’août 153121. D’après l’étude qu’en a faite Ian Maclean à l’occasion du colloque consacré à Sébastien Gryphe en 2006, Alciat transmet son manuscrit à Parmentier afin qu’il l’envoie à Bâle pour être imprimé par Andreas Cratander, imprimeur avec lequel il a déjà travaillé, mais il « craint que Parmentier ne se soit déjà associé avec Sébastien Gryphe pour le faire imprimer à Lyon »22. À la lecture de la lettre envoyée par Alciat à Bâle à l’éditeur Boniface Amerbach, on comprend que le livre a bien été confié à Parmentier pour être envoyé à Bâle, mais qu’Alciat a demandé à l’éditeur lyonnais de retarder l’envoi à Bâle tant qu’il n’était pas sûr qu’Amerbach était bien à Bâle pour recevoir le manuscrit. Dans l’intervalle, sans qu’il sache comment, écrit-il, et sans son accord, le manuscrit a été confié à Gryphe. Parmentier est à Lyon celui qui, au moins à partir de 1528, à l’époque où Alciat est à Avignon, transmet les lettres échangées entre ce dernier et Boniface Amerbach. Il est donc naturel qu’on lui ait confié un paquet pour Bâle, en l’occurrence un manuscrit. Bien entendu, on comprend bien qu’il n’y a pas réellement eu malentendu entre les deux hommes, mais on peut imaginer que, à la suite de la demande d’Alciat de bloquer momentanément le livre à Lyon, Parmentier ait pensé, assez naturellement, qu’il n’avait peut être pas besoin d’aller chercher un imprimeur à Bâle. L’intérêt d’Alciat était d’ailleurs, certainement, d’imprimer le livre rapidement, comme le rappelle Ian Maclean : « conscient du fait que ses élèves souvent commettent des erreurs de transcription et que ces dictées se dégradent encore plus à force d’être recopiées par d’autres, il annonce qu’il les fera imprimer le plus promptement possible ; il ne veut pas que sa réputation soit endommagée par des textes vicieux émis sous son nom »23. Ainsi, si Alciat ne maîtrise pas les circuits qui conduisent à l’édition d’un livre, et s’inquiète du choix de Gryphe, Michel Parmentier est loin de lui porter tort en choisissant de faire imprimer le livre sur place, ce qui était certainement beaucoup plus rapide.
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André Alciat à Boniface Amerbach, 31 août 1529, in G. Barni (éd.), Le lettere (note 7), n. 5 p. 96-98 ; citée par I. Maclean, « Concurrence ou collaboration » (note 5), p. 21. Ibid. p. 21. I. Maclean, « Le séjour d’Alciat à Bourges » (note 3), p. 271. André Alciat, dédicace au lecteur, De summa Trinitate et Dide Catholica, [1530], in G. Barni (éd.), Le lettere (note 7), n. 168 p. 255.
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Voir dans ce volume l’article de Bruno Meniel, « La rhétorique d’un juriste : la réflexion d’André Alciat sur le titre De uerborum significatione (1578) ». Th.Penguilly relève qu’Alciat ne publie rien quand il n’est pas en poste à l’université, or c’est le cas entre 1522 et 1527, pendant son séjour à Milan au cours duquel sa maison est occupée par les Espagnols et il a du mal à accéder à sa bibliothèque. Ian Maclean, « Concurrence ou collaboration » (note 5), p. 19-22. Ibid., p. 26.
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Pourquoi Alciat n’a-t-il pas fait éditer ce livre plus tôt ? D’après Bruno Meniel dans ce volume, ce n’est pas, comme cela a été écrit parfois, parce qu’il a eu du mal à trouver un imprimeur, mais parce qu’il a décidé dans un deuxième temps, en 1528, de rédiger une introduction à son commentaire au De uerborum significatione24. Cette explication laisse malgré tout un laps de temps assez long, entre 1522, où le commentaire est terminé, et 1528 ou 153025. Gryphe aurait-il pu le publier plus tôt ? Comme l’a montré Ian Maclean, il est clair que les années 1529-1530 sont une période charnière dans la carrière de Gryphe : c’est le moment où il prend son autonomie après avoir travaillé pour la Compagnie des libraires26. Depuis ses débuts en 1524, il a imprimé des ouvrages de droit, et plus spécialement les commentaires des juristes de la fin du Moyen Âge : droit canon en premier lieu, avec une réédition du commentaire sur les décrétales de Niccolò Tedeschi (1386-1445), puis, dans les années qui suivent, de Giovanni Bertachini (n. 1448), Johannes de Imola (m. 1436), Giasone del Maino (1435-1519), Alessandro Tartagni (1424-1477), Bartolus de Saxoferrato (1314 ?-1357), Paolo da Castro (1360 ?-1441) sur le digeste, l’auteur le plus récent étant Guillaume Benoît (1455-1516). Il ne commence à publier des livres non-juridiques qu’en 1528 : saint Athanase traduit par Politien, saint Cyprien édité par Érasme, plusieurs ouvrages d’Érasme, Jacopo Sadoleto, Dionysius Cato… Gryphe réédite le livre en 1535, annonçant une édition corrigée, ex ultima autoris recognitione. Le livre reste imprimé au format in-folio, respectant en cela la volonté de l’auteur : ce sont Portonariis et Giunta qui, à partir de 1536, l’impriment en un format beaucoup plus petit, in-octavo27. En 1529, la publication du De quinque pedum praescriptione, accompagné du De magistratibus, ciuilibus & militaribus officiis, s’insère parfaitement dans la nouvelle direction donnée par Sébastien Gryphe à son catalogue. Il publie en effet cette année-là vingt-et-un livres, dans lesquels on retrouve ses choix précédents, ouvrages de droit, textes d’Érasme, mais aussi des nouveautés : le dictionnaire hébreu de Sante Pagnini et Salluste. En 1530, dans l’ensemble de quarante-deux livres publiés (deux fois plus que l’année précédente), les types d’ouvrages que l’on trouve sont les mêmes. Une fois encore, la réputation de l’imprimerie lyonnaise, censée être spécialisée dans la réédition, est mise à mal. Le De uerborum significatione est loin d’être le seul livre d’érudition qui voit sa première édition à Lyon. Il est réédité de nombreuses fois dans la même ville au cours du xvie siècle, ce qui indique son succès : par Gryphe lui-même puis par son fils Antoine, en 1530, 1535, 1537, 1542, 1546, 1548, 1565, 1572, 1581. L’édition d’Antoine Gryphe de 1565 porte une nouvelle épître dédicatoire, datée du 1er juin 1565 à Lyon, annonçant une version corrigée. Rappelons qu’après les deux premières éditions de Gryphe (en 1530 et 1535), le De uerborum significatione est édité par Vincent de Portonariis
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en 1536. Jacopo Giunta le réédite à son tour en 1548 puis 1549. À la toute fin du siècle, il est réimprimé seul ou mélangé à d’autres textes par l’imprimeur Faber, en 1589. Toujours en 1530, Gryphe publie un troisième livre d’Alciat, les Commentarii ad rescripta principum. Le livre est précédé d’une courte dédicace de l’auteur au cardinal Emilio Cesi, datée de Bourges, 1er septembre 1530, ainsi que d’une dédicace au lecteur, et complété par un index : à nouveau, ce livre se rattache directement à l’activité d’Alciat comme enseignant à Bourges, il le précise dès le début de l’épître liminaire28. Gryphe réédite ces Commentarii à plusieurs reprises : dès 1532, puis à nouveau en 1535 (année où il réédite aussi le De uerborum significatione), avec une page de titre très simple, en 1537, 1541, 1547… Vincent de Portonariis et Jacopo Giunta les reprennent à leur tour en 1536 et 1542, en éditant séparément l’index : page de titre propre, cahiers signés à partir de A. En 1532, deux ans plus tard, Sébastien Gryphe reprend à son tour les Paradoxa ad pratum, une œuvre de philologie juridique ; il réédite l’édition annoncée comme corrigée qui était sortie à Bâle en 1531, qu’il réimprime plusieurs fois dès l’année suivante puis en 1535, 1537, 1543, 1548, ce qui laisse imaginer un franc succès.
Publications successives Les imprimeurs-libraires lyonnais publient d’autres livres d’Alciat. Portonariis, Giunta et Gryphe éditent à plusieurs reprises ses commentaires sur une rubrique du Digeste, Andreae Alciati in Digestorum seu Pandectarum librum XII. La première édition est proposée en 1538 par Vincent de Portonariis en in-folio et Jean et François Frellon (imprimée par Jean Barbou) en in-octavo. L’épître dédicatoire adressée au lecteur, manifestement écrite par l’imprimeur ou en son nom, indique que le livre lui a été adressé deux ans auparavant par Franciscus Guidanus Brito, doctissimus iuuenis, étudiant en droit, pour qu’il l’imprimât, ad communem iuris candidatorum usum. Les arguments destinés à convaincre l’imprimeur étaient que ces commentaires étaient attendus avec impatience par toutes les personnes étudiant le droit, et que beaucoup allaient les copier : il était donc urgent de les imprimer, pour éviter qu’un plagiarius, pour le profit ou la gloire, ne les éditât sous son propre nom ou ne les vendît à autrui pour être mal édités. Brito informait par ailleurs les imprimeurs qu’Alciat accueillerait très volontiers ce travail. Le livre est édité en 1542 par Gryphe, cette fois avec une dédicace d’Alciat, donc avec un texte sans doute fourni ou revu par lui, par Jacopo Giunta en 1546 et en 1550-1551 par les héritiers de ce dernier, et enfin par Pierre Fradin, en six volumes, en 1560. Toujours en 1538, un traité de droit canon, les Commentaria in Rubri. iuris canonici est publié par Vincent de Portonariis et Jacopo Giunta, imprimé par Jean Moylin. Il s’agit d’un cours d’Alciat publié sans qu’il l’ait revu, et semble-t-il, sans qu’il l’ait autorisé. Quoiqu’il en
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Cum hoc anno ampliss. Pater, ordinario profitendi munere Iustiniani Codicis primam partem assumpsissem. Voir Th. Penguilly, « Allégeances politiques et stratégies polémiques » (note 20).
Le De singulari certamine est imprimé « à l’écu de Cologne » par les frères Frellon pour Antoine Vincent en 1543, accompagné de l’épître d’Alciat à François Ier, datée d’Avignon, 1er mars 1529. Une première édition, parue à Paris chez Kerver en 1541, avait été faite, une fois encore, sans l’accord d’Alciat33. Jacopo Giunta le réédite l’année suivante, en 1544. Jean Frellon a édité à Lyon deux cent quatre-vingt-sept livres entre 1535 et 1568, parmi lesquels un seul livre d’Alciat.
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Roberto Abbondanza, « La vie et les œuvres d’André Alciat » (note 15), p. 103. Andreae Alciati Iurisconsulti Mediolanensis Παρεργων iuris libri III, cum argumentis capitum in eosdem & indice uocum, rerum, auctoritatum, & locorum notatu dignorum, Basileae ex officina Hervagiana, 1538, 2o. Disponible en ligne : . 31 André Alciat à Boniface Amerbach, 1er décembre 1543, in G. Barni (éd.), Le lettere (note 7), n. 124 p. 192-193. 32 Il s’agit de la guerre avec Charles Quint et Henri VIII d’Angleterre. 33 Sur l’histoire éditoriale de ce texte voir Monika Grünberg-Dröge, « The De singulari certamine liber in the context of its time », Emblematica, 9/2, 1995, p. 315-342.
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soit, il s’agit une fois encore d’une œuvre dont la première édition est lyonnaise, et dont le premier éditeur est Vincent de Portonariis. Ces commentaires sont réédités par les mêmes imprimeurs-libraires en 1542. Les Parerga, « collection de fragments d’érudition et de critique historique, juridique et littéraire29 », paraissent pour la première fois à Bâle la même année 153830, et sont réédités dès cette année là deux fois à Lyon : une édition in-folio chez Sébastien Gryphe, une autre in-octavo imprimée par Jean Barbou pour les héritiers de Simon Vincent. Ils sont réimprimés dès l’année suivante par Portonariis et Giunta. En décembre 1543 Alciat écrit de Ferrare à Boniface Amerbach31 ; tout en lui répondant au sujet d’un livre que prépare Isingrin, il indique qu’il est arrivé au dixième livre de ses Parerga, et qu’il a promis l’ouvrage à Gryphe, mais que l’envoi a été retardé car la route vers la France est bloquée par la guerre32. Il a envoyé, dit-il, à Amerbach, deux cahiers qui manquent à l’édition Portonariis de 1538. Si Isingrin ne veut pas les éditer isolément, il demande à Amerbach d’envoyer ces deux cahiers à Portonariis à Lyon de sa part. Se sent-il obligé de les proposer à Bâle, où est sortie la première édition, en vue de l’impression d’une édition enrichie, espérant qu’Isingrin refusera et qu’ils donneront lieu à une nouvelle édition complète à Lyon ? Ian Maclean avait relevé qu’Alciat ne parle ici que de Portonariis, comme s’il ignorait l’association de ce dernier avec Jacopo Giunta. Ce que nous apprend cette lettre, c’est que Portonariis est le correspondant d’Alciat pour ces livres : est-il celui qui a travaillé depuis toujours avec Alciat ? Malheureusement, nous ne disposons que de cette seule lettre à Amerbach du 25 juin 1543 où il soit fait mention de Portonariis, mais il est manifeste que Jacopo Giunta n'est jamais cité dans les lettres d’Alciat éditées. Les Parerga sont donc enrichis en 1543-1544 de sept livres supplémentaires, publiés séparément chez Sébastien Gryphe et réédités par lui en 1547-1548 et 1554. Les derniers livres, posthumes, sont publiés par son neveu, toujours à Lyon, en 1554.
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Le privilège du Praesumptionum tractatus, accompagné des ajouts de Jean Nicolas, est accordé par François Ier en 1537 à Vincent de Portonariis, libraire juré en la Ville de Lyon, pour six ans. Portonariis édite l’ouvrage en 1538, en signalant au titre son privilège royal et en accompagnant l’ouvrage d’un index épais. L’épître dédicatoire est adressée par Jean Nicolas d’Arles (Ioannes Nicolaus Arelatanus) à Antoine Arlier, arlésien lui aussi34 : elle est datée de Lyon, des Ides 13 de décembre 1537. Jacopo Giunta l’édite à son tour en 1542, en y insérant le privilège de Portonariis et en indiquant lui aussi de la manière la plus frappante possible au titre ce privilège, encore valable. Cet exemple montre que l’association entre les deux éditeurs leur permettait de partager les privilèges et les éditions, comme c’est le cas aussi pour le De uerborum significatione et ses index. Les héritiers de Jacopo Giunta rééditent le Praesumptionum tractatus en 1551 et 1561, avec une page de titre très différente : en effet, alors que Jacopo n’avait pas mis au titre en 1542 la marque typographique familiale à la fleur de lys florentine (à cause du privilège ?), ils l’utilisent pour cette œuvre en 1561.
Œuvres complètes, œuvres posthumes, index Sébastien Gryphe est allé plus loin qu’éditer ou rééditer des textes d’Alciat. Celui-ci supervise lui-même l’édition de ses œuvres complètes par l’imprimeur Isingrin, avec l’aide de son ami Boniface Amerbach, à Bâle entre 1543 et 1547. Dès 1548, Gryphe publie des reliqua opera, in-folio, mais avec une page de titre extrêmement simple, fort différente de celle qu’il avait utilisée presque vingt ans plus tôt pour le De verborum significatione. Le livre contient douze œuvres différentes d’Alciat, y compris les emblèmes, avec les dédicaces qui avaient accompagné les premières éditions. Les imprimeurs-libraires ajoutent à ces nombreux livres des index à plusieurs œuvres d’Alciat. Plusieurs de ces index sont pourvus de pages de titre autonomes, même quand, comme c’est la tradition dans ce domaine, ils ne sont pas paginés. Dès 1536 Portonariis et Giunta éditent l’Index locupletissimus A. Alciati super commentariis codicis Iustiniani imp. Eiusdem Alciati ad rescripta, l’Index completissimus D. Andreæ Alciati super commentariis codicis Iustiniani imperatoris in Rubricas quas reperies contentas in sequenti pagina et les Elenchi dictionum quæ enodantur in libris quatuor De uerborum significatione. Ils accompagnent les éditions des Ad rescripta principum commentarii et du De uerborum significatione : le travail en équipe au sein de la Compagnie des libraires permet de proposer trois livres complémentaires en cette année 1536 par ailleurs riche en livres d’Alciat. Les Elenchi sont réimprimés en 1540, puis 1548 par les héritiers Giunta. Il n’y a plus d’édition séparée d’index jusqu’en 1550, année où paraît l’Index locupletissimus commentariorum Dn. Andreæ Alciati Mediolanensis, Iurisconsulti ætatis nostræ clarissimi, in Secundum Pandectarum Tomum, puis en 1560, année
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Sur Antoine Arlier (1527-1545) voir Correspondance d’Antoine Arlier, humaniste languedocien, 1527-1545 (…), texte établi et commenté par J. N. Pendergrass, Genève, 1990.
Les Emblemata Les textes juridiques ne sont pas les seules œuvres d’Alciat publiées à Lyon. Il faut y ajouter les Emblemata, dont l’histoire éditoriale est toute différente. Si on laisse de côté l’édition Steyner d’Augsburg, sortie en 1531 sans l’accord d’Alciat, et rééditée plusieurs fois, les Emblemata sont publiés à Paris en 1534 par Christian Wechel. Les éditions successives sont pratiquement toutes françaises, à l’exception d’une édition vénitienne chez Paul Manuce (1546), une édition anversoise – mais par l’imprimeur français Christophe Plantin, en 1565. Trente années presque uniquement françaises. Certes, Alciat a été professeur dans le royaume de France, à Bourges, ainsi que dans le territoire enclavé d’Avignon. Les questions de stratégie éditoriale s’étudient en regardant la situation de façon globale. Il faut donc replacer ces éditions d’Alciat dans l’ensemble de la production d’un imprimeur-libraire, pour pouvoir se poser un certain nombre de questions : l’éditeur a t-il fait un choix nouveau en éditant ce livre ? N’a t-il, comme à son habitude, que réédité un livre publié par un imprimeur-libraire parisien dont il a l’habitude de copier la production ? A t-il fait plusieurs rééditions ? A-t-il travaillé en collaboration avec l’auteur pour apporter corrections et enrichissements ?35 Le marché lyonnais pouvait-il absorber plusieurs éditions concurrente du même texte ? Quels embellissements ont-ils été mis en œuvre pour assurer le succès commercial ? Les éditions lyonnaises des Emblemata permettent de répondre à certaines de ces questions. Les premiers imprimeurs lyonnais des emblèmes sont Denys de Harsy, qui publie une édition non datée, et Jacques Moderne en 1544, suivi par Jean de Tournes dont l’édition, en 1547, est enrichie des gravures de Bernard Salomon. Sébastien Gryphe les imprime en 1548, mais sans illustration. En 1548 sort une nouvelle édition, celle de Guillaume Rouille et Macé Bonhomme, illustrée par Pierre Eskrich, avec une épître de Barthelemy Aneau, rééditée par la suite. Macé Bonhomme édite les emblèmes en latin et ou en français chaque année entre 1548 et 1551.
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Sur la participation d’Alciat aux éditions successives enrichires ou non, voir Claudie Balavoine, « Le classement thématique des Emblemata d’Alciat : recherche en paternité », in A. Adams, A. J. Harper (dir.)., The Emblem in Renaissance and Baroque Europe : Tradition and Variety, Leiden, 1992, p. 1-21.
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où Pierre Fradin ajoute à son édition en six volumes des commentaires aux Pandectes un Index in Andr. Alciati Iuriscons. Mediolanensis Commentaria, & Tractatus. Bien entendu, en dehors de ces volumes séparés, de nombreux index accompagnent les éditions lyonnaises des traités juridiques d’Alciat, en particulier chez Sébastien Gryphe. Plusieurs œuvres d’Alciat sont publiées, après sa mort. L’une d’entre elles sont les Responsa, publiées pour la première fois à Lyon par Fradin en 1561, alors que d’autres ouvrages sont publiés d’abord à Bâle.
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Guillaume Rouille est loin de n’éditer que des livres d’emblèmes. Il maintient la tradition lyonnaise de l’édition juridique, mais il ne se contente plus d’éditer les sources (comme le Corpus iuris ciuilis) ou les commentaires anciens. Comme Gryphe dans le domaine de la littérature antique, il publie les commentaires humanistes récents, comme ceux de Cujas, en petit format in-seize. Pourtant il ne publie aucun ouvrage de droit d’Alciat, et s’en tient aux emblèmes. C’est en 1558 à Lyon que sort la seconde traduction française, due à Barthélémy Aneau, signe que les emblèmes avaient trouvé leur place chez les collaborateurs les plus brillants des imprimeurs lyonnais. Elle est toujours accompagnée des bois d’Eskrich36. Fernand Hallyn avait rapproché les Emblemata de la Délie de Maurice Scève, publiée au même moment, y voyant le signe de la place des emblèmes dans la création littéraire lyonnaise du temps37. Le livre sort chez Macé Bonhomme, dont Aneau est le collaborateur habituel. Autre nouveauté : Aneau y ajoute des commentaires, type d’enrichissement qui trouve toujours du succès chez les clients des libraires lyonnais. Plusieurs commentaires sont en effet publiés par les libraires lyonnais avec les Emblemata : ceux de Sebastien Stockhammer (1556), de Francesco Sanchez de Las Brozas, professeur de grec et de rhétorique à Salamanque (1573), de Claude Mignault. Les Emblemata sont par ailleurs imprimés à Lyon en plusieurs langues, en latin, en français, mais aussi en italien et en espagnol : il s’agit de langues couramment imprimées à Lyon à cette époque, et quelques imprimeurs-libraires mettent plusieurs langues vernaculaires à leur catalogue, comme Jean de Tournes et Sébastien Gryphe38. La traduction italienne de Giovanni Marquale et la traduction espagnole de Bernardo Daza sortent pour la première fois en 1549, chez Bonhomme et Rouille. En revanche, la traduction allemande de Wolfgang Hunger, imprimée en 1542 par Wechel à Paris, n’est pas reprise à Lyon. Ces choix correspondent aux stratégies des imprimeurs-libraires lyonnais, fournisseurs de la péninsule ibérique, où plusieurs d’entre eux sont installés (les Portonariis, les Giunta) et proches de l’Italie. Les liens que nous avons vu à l’œuvre entre imprimeurs et libraires lyonnais et bâlois auraient pu laisser attendre une production lyonnaise à l’intention des régions de langue allemande ; toutefois, d’autres exemples, comme celui de Sébastien Gryphe luimême, montrent qu’il n’en est rien39. Jean de Tournes réédite les emblèmes en latin en 1549 et en 1554 ; en 1548 puis en 1549 et 1555, il publie la traduction française de Jean Le Fevre ; son fils Jean II de Tournes l’édite à son tour en 1570. En 1556 il édite pour la première fois les commentaires de
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La première traduction est celle de Jean le Fèvre, sortie à Paris chez Wechel en 1536. Fernand Hallyn, « D’Alciat à Scève : de l’emblème moralisateur au mythe personnel », dans Retour du mythe : vingt études pour Maurice Delcroix, Amsterdam-Atlanta, 1996, p. 21-29. Sur l’usage des langues vernaculaires chez Jean de Tournes voir Michel Jourde, « Jean de Tournes et les langues », présentation proposée le 18 décembre 2007 à l’École normale supérieure Lettres sciences humaines dans le cadre du projet Les écrits de Jean de Tournes, à paraître. Voir aussi Raphaële Mouren, « Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle », dans Le livre, la Roumanie, l’Europe. 3, Bucarest, 2011, volume 1, p. 367-377 (372-375). Raphaële Mouren, « Choix de langue et stratégies éditoriales » (note 38), p. 367-377.
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Françoise Lavocat, La syrinx au bûcher : Pan et les satyres de la Renaissance à l’âge baroque, Genève, 2005, p. 326. Voir sur le sujet la thèse d’Ilaria Andreoli, Vincenzo Valgrisi e l’illustrazione del libro tra Venezia e Lione alla meta del ‘500, thèse de doctorat en co-tutelle, Università Ca’Foscari de Venise, Université Lumière Lyon 2, 2006, p. 170-171. Disponible à l’adresse suivante : . Ilaria Andreoli, Vincenzo Valgrisi e l’illustrazione del libro, p. 173 (note 41). Voir Jean-Marc Chatelain, « Lire pour croire : mise en texte de l’emblème et art de méditer au xviie siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, 150/2, 1992, p. 321-351 (326). Les fables d’Esope phrygien, mises en ryme françoise, avec la vie dudit Esope extraite de plusieurs autheurs par M. Antoine du Moulin Maconnius, Lyon, Tournes et Guillaume Gazeau, 1547, Cartier n. 71 (rééd. 1549, 52, 83). Marguerites de la Marguerite des princesses, tresillustre Royne de Navarre, et suyte des Marguerites de la Marguerite des princesses tresillustre Royne de Navarre, Lyon, Tournes, 1547, Cartier n. 105 (rééd. 1549, 51, 83). On se reportera à la liste établie par Robert A. Baron, « The Works of Bernard Salomon : A Handlist of the Graphic Works In preparation for a Catalogue raisonné, in two lists », dans id., The woodcuts and art of Bernard Salomon «Le Petit Bernard», Sixteenth Century Lyonnais woodcut designer and civic artist : The Collected and Related works, Images, Documents, Resources and Bibliography being materials collected for an unfinished dissertation for the Institute of Fine Arts, New York, 2002. (cité par I. Andreoli, Vincenzo Valgrisi e l’illustrazione del libro [note 41]). On peut consulter la liste d’éditions illustrées et emblèmes établie par R. A. Baron, ibid.
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Stockhammer. À partir de cette date, il édite les emblèmes accompagnés des commentaires. Dès ses débuts en 1541, Jean de Tournes imprime, certes, du latin, mais se spécialise dans les textes écrits ou traduits en français, y compris de nombreux textes religieux. Il imprime très peu de livres de droit. Le texte de l’édition de Rouille et Bonhomme de 1548 est celui qui est le plus reproduit par la suite, connaissant trente-cinq rééditions40. Les imprimeurs font donc leur choix parmi les versions différentes du texte : Barthelemy Aneau par exemple ne suit pas tout à fait l’édition de 1548. Il faut bien entendu relier la production particulière des emblèmes au glissement qui, au milieu des années 1540, voit Lyon dépasser Paris dans le domaine du livre illustré41. L’influence bâloise est sensible à Lyon, à travers en particulier les Icones historiarum Veteris Testamenti d’Holbein (1547). Ce n’est bien entendu pas par hasard si ce sont les deux imprimeurs qui ont fait le plus d’efforts dans le domaine du livre illustré qui éditent les emblèmes : Jean de Tournes et Bernard Salomon d’un côté, Guillaume Rouille et Pierre Eskrich de l’autre42. Jean de Tournes et Bernard Salomon collaborent à partir de 1545. Ils publient des livres illustrés de plusieurs types : les Fables d’Ésope traduites en français par Gilles Corrozet (1547), les emblèmes d’Alciat, la Marguerite de la Marguerite (1547), la Saulsaye de Maurice Scève, les Devises héroïques de Claude Paradin (1551 puis 1557), l’Énéide (1552), l’Âne d’or d’Apulée (1553)43. Salomon illustre aussi l’Ancien Testament (1551 et 1553), les Métamorphoses d’Ovide (1549, 1557), le De architectura de Vitruve, le Théâtre des bons engins de Guillaume de la Perrière (1545), les Chansons nouvelles de Barthélémy Beaulaigue (1558)44. Jean de Tournes publie de très nombreux livres illustrés et livres d’emblèmes entre 1545 (avec le Théâtre des bons engins de Guillaume de La Perrière) et sa mort45.
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Les Emblemata de 1547 s’insèrent dans tout un ensemble d’éditions illustrées et de livres d’emblèmes, mis en œuvre à partir de 1545 par Jean de Tournes mais aussi, dans une moindre mesure, par Balthazar Arnoullet ou Macé Bonhomme, qui voit l’édition de nombreux livres jusqu’en 1560, le rythme ralentissant par la suite. Rappelons pour mémoire les autres livres d’emblèmes comme la Picta poesis de Barthelemy Aneau ou le Pegma de Pierre Coustau (1555), publiés par Macé Bonhomme46.
Conclusion Comme l’a déjà relevé Ian MacLean, en 1529 et 1530 des livres d’Alciat sont publiés à Lyon mais aussi ailleurs47. On a vu qu’il avait eu l’intention de faire éditer à Bâle le De uerborum significatione. Rappelons qu’en 1529 l’Andreae Alciati [...] in Stellam et Longouallium [...] defensio, Aurelio Albucio auctore est publiée chez Froben à Bâle. Le Libellus de ponderibus et mensuris, accompagné d’un discours d’Alciat, sort à Haguenau chez Johann Secer en 1530 puis à Venise chez Melchiore Sessa en 1532, mais c’est un de ses étudiants qui s’est occupé de l’édition, une fois encore sans l’autorisation d’Alciat48. N’oublions pas enfin le Ad D. Chonradum Peutingerum Augustanum […] emblematum liber, Augsburg, Heynrich Steyner, 1531, première édition non autorisée des emblèmes. Mais Alciat lui-même choisit Lyon pour certains de ses livres. Entre 1527 et 1530, il envoie directement à Sébastien Gryphe au moins un livre ; il connaît aussi Michel Parmentier, par l’intermédiaire de Boniface Amerbach, à partir de 152949. Comment Alciat se détermine-t-il ? Certains ouvrages sont-ils un peu moins orthodoxes, ce qui fait penser préférable de les publier en dehors du Royaume de France ? Quelle est la part de décision due à l’auteur et celle qui résulte des choix des imprimeurs-libraires ? Il faut remarquer que peu d’imprimeurs lyonnais mettent Alciat à leur catalogue. Certains éditeurs spécialisés dans le Corpus iuris ciuilis et le droit canon, comme Aymon et Jacques de La Porte, n’éditent pas Alciat, alors qu’ils éditent Sante Pagnini, auteur vivant représentant lui aussi de ce que l’on appelle l’humanisme juridique. À l’inverse, Balthazard II de Gabiano, qui n’imprime seul que deux livres, en 1557 et 1561 (le reste du temps il travaille dans la Compagnie des libraires) édite une Andreae Alciati responsa numquam antehac excusa.
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Pegma, cum narrationibus philosophicis, Lyon, Macé Bonhomme, 1555, 8o. H. Baudrier et al., Bibliographie lyonnaise, vol. 5, p. 247 (note 10) ; Jean-Marc Chatelain, Livres d’emblèmes et de devises : une anthologie (1531-1735), Paris, 1993, p. 328. I. Maclean, « Concurrence ou collaboration » (note 5), p. 30. I. Maclean, « Le séjour d’Alciat à Bourges » (note 3), p. 276, à partir de G. Barni (éd.), Le lettere (note 7), p. 164, no 64. Voir Th. Penguilly, « Allégeances politiques et stratégies polémiques… », (note 20) et sa contribution à paraître dans les actes du colloque Conflits et polémiques dans l’épistolaire. I. Maclean, « Le séjour d’Alciat à Bourges » (note 3), p. 276, à partir de G. Barni (éd.), Le lettere (note 7), p. 142, no 82.
À certaines périodes, un grand nombre de livres d’Alciat est offert à la vente chez les libraires lyonnais : 1529-30, 1536-1537, 1542-1543… Portonariis, Giunta et Gryphe ont réellement mis en œuvre une politique éditoriale pendant plusieurs années. Entre 1536 et 1546 Portonariis et Giunta impriment de nombreux livres d’Alciat, comme le montre la liste de leurs éditions en annexe. Mais au même moment, quelques livres sont imprimés pour la première fois à Lyon par d’autres imprimeurs et libraires : Antoine Vincent est le premier éditeur lyonnais du De singulari certamine liber, Jean et François Frellon ceux des Libri XIII in Digestorum, les héritiers de Simon Vincent ceux des Parerga... Les héritiers de Jacopo Giunta continuent dans un premier temps à éditer ses œuvres juridiques, mais après 1551, ils (il s’agit jusqu’en 1557 de Guillaume Regnault) n’impriment plus aucun livre d’Alciat jusqu’à la fin de leur activité en 1572, comme si la mode était passée. À partir de 1549 apparaissent les Emblemata, qui occupent une place de plus en plus importante dans les années qui suivent, alors que parallèlement le nombre d’éditions juridiques diminue. Sébastien Gryphe imprime des livres d’Alciat pendant plus de vingt ans, rééditant plusieurs d’entre eux50. Il imprime beaucoup moins de textes que la Compagnie, mais réédite plusieurs fois les mêmes livres. Les choix éditoriaux de ces libraires n’étaient pas forcément
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Voir la description en annexe, d’après la liste établie par Ian Maclean en 2006 : Ian Maclean, « Concurrence ou collaboration » (note 5), p. 26-28 et l’Index Aureliensis.
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Toutefois, certaines œuvres d’Alciat ont rencontré à Lyon ou dans les circuits commerciaux des imprimeurs-libraires lyonnais un succès bien plus grand qu’ailleurs. Pour ne prendre que quelques exemples : - la Lectura super secunda parte ff. novi in titulo de uerborum obligationibus n’est éditée qu’à Lyon ; - les Paradoxorum ad pratum libri, publiés en 1518 pour la première fois par Minuziano à Milan, connaissent en tout, avant 1560, onze éditions : deux sont imprimées à Bâle par Cratander (en 1523 et 1531), une à Venise par les frères Niccolini da Sabio en 1525, et toutes les autres sont lyonnaises : elles sont dues à Vincent de Portonariis, Jacopo Giunta et Sébastien Gryphe. - les Iudiciarii, apocryphes, connaissent avant 1560 douze éditions dont quatre à Lyon (entre 1536 et 1542), une à Paris (mais partagée entre cinq ou six libraires) et une à Venise en 1537, et six à Cologne : les éditions allemandes sont donc aussi nombreuses que les éditions italiennes et françaises réunies. - le De uerborum significatione, œuvre humaniste caractéristique du catalogue de Sébastien Gryphe, n’est pas édité en dehors de Lyon avant la mort d’Alciat. On n’en compte hors de Lyon que quatre éditions, en 1555 (Cologne), 1565 et 1566 (Louvain) et 1582 (Francfort) – si l’on excepte les œuvres complètes de 1547, dans lesquelles il se trouve. Ce texte n’a sans doute pas rencontré tout le succès qu’elle méritait, et n’est pas devenu, à l’époque, une œuvre majeure.
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aussi bons que pourraient le laisser croire les nombreuses rééditions. Comme l’a relevé Ian Maclean en étudiant un catalogue d’invendus de la fin du siècle (1591), nombreux sont les invendus dans les in-octavos publiés par la Compagnie des libraires, alors qu’on n’y trouve pas les in-folios de Sébastien Gryphe. Il est possible que ce dernier ait utilisé une technique commerciale simple pour éviter de garder des exemplaires d’une édition déjà ancienne, et ait mis en vente un livre en l’accompagnant d’une nouvelle page de titre51. Il n’en demeure pas moins qu’il a manifestement mieux vendu sa production que Giunta et Portonariis. Le grand nombre de livres imprimés pour la première fois à Lyon confirme qu’on ne peut pas dire que les imprimeurs principaux d’Alciat sont à Bâle. Il a dit lui-même qu’il préférait Lyon, pour des raisons religieuses – il n’aura pas connu, bien entendu, la période calviniste de la ville – mais aussi pour des raisons de commerce : il semble considérer que les livres imprimés à Lyon seront mieux distribués – et il est vrai qu’ils le sont certainement dans le royaume de France, en Espagne et sans doute aussi, comme il le pensait, en Italie grâce à la foire de Lyon52. Les livres écrits pendant son séjour à Bourges, dédiés à des dignitaires de la ville, trouvaient aisément leur place dans la production lyonnaise. Mais il s’avère aussi, comme on le voit en étudiant l’ensemble des éditions de ces œuvres, que le contenu même de ces livres n’intéressait pas forcément les imprimeurs des autres pays.
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Comme l’a suggéré Jean-François Gilmont. Th. Penguilly, que je remercie pour sa relecture, envisage par ailleurs deux autres motivations dans les choix de ville et d’imprimeur faits par Alciat : des considérations esthétiques, mais aussi des motifs personnels, liés à ses propres stratégies, en particulier professionnelles.
Annexe Éditions lyonnaises d’Alciat au xvie siècle
Abréviations
Alciato at Glasgow : http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/alciato/ ARS : Alison Adams, Stephen Rawles, Alison Saunders, A Bibliography of French Emblems Books of the Sixteenth and Sevententh Centuries, Genève, Droz, 1999 (Travaux d’Humanisme et Renaissance, 331), vol. 1. Baudrier = Henri Baudrier et al., Bibliographie lyonnaise : recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon au xvie siècle, Lyon, L. Brun, 1895-1921. BnF = Bibliothèque nationale de France BSB = Bayerische Staatsbibliothek BSB digital : http://www.bsb-muenchen-digital.de. Google Books : http://books.google.fr. Europeana : http://www.europeana.eu Gallica : consultation par le catalogue http://catalogue.bnf.fr Gültlingen : Sybille von Gültlingen, Répertoire bibliographique des livres imprimés en France au seizième siècle. Bibliographie des livres imprimés à Lyon au seizième siècle. 12 tomes parus, Baden-Baden & Bouxwiller, Éditions Valentin Koerner, 1992-2009 (Bibliotheca Bibliographica Aureliana, 160) IA : Index Aureliensis : catalogus librorum sedecimo saeculo impressorum, prima pars, BadenBaden, V. Koerner, 1966.
1519 Portonariis/Sacon 1. Subtilissimi atque acutissimi Iuris utriusque doctoris Domini Alciatus (andreas) Mediolanensis nuper in instaurata Auinionensi academia legentis lectura super secunda parte ff. noui in titulo de uerborum obligationibus edita cum materiarum singularium, alphabet. iudice. Cum gratia & priuilegio. Aurea eiusdem eloquentissimique iurisconsulti in legem secundam tertiam et quartam de verbo. obliga. glossemata huiusce opusculi calcem occupant. [Hec omnia imprimebat Lugduni chalcographo decus Jacobus Saccon nono cal. Januaria anno a Virginis partu sexquimillesimo decimonono]. 2o. 57 (=56) f. IA 102.867
1523 Portonariis 2. Andreae Alciati iurisconsulti Mediolan. Paradoxorum ad pratum lib.VI. Dispunctionum lib. IIII. In tres libros Codicis lib. III. De eo quod interest lib. I. Pretermissorum lib. II. Declamation una. De stip. diuisionib. commentariolus. Addita in l Gallus & in s. responsa prudentum paradoxa Marii Salomonii Albertesci aduocati Consisto. Ad reuerendiss. Card. Medices. S. R. E. Vicecancellarium : propter materie affinitatem. Que omnia solerti nuper cura repurgata sunt : & excusa. Cum gratia et Priuilegio. [Lugdun. Impressa per Jacobum Myt impensis honesti uiri Vincentii de Portonariis. Anno domini M.CCCCCXXIII Die vero XXVII Augusti.] 2o. 88, [6] f. Titre intérieur au f. L6 : In. L. Gallus et in s. responsa prudentum Paradoxa Marii Salomonii Alberthesci Aduocati Consistorial. Ad reuerendiss. Card. Medices S. R.E Vicecancellarium. Cum Gratia & Priuilegio, [Vincentius Portonariis]. IA *102.869 BM Grenoble A.717. Peut-être BSB 2 J.rom.c. 12 m.
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Dans le cas des probables éditions partagées, il n’a généralement pas été possible de contrôler s’il existe une page de titre spécifique pour chaque libraire. On a choisi de ne donner que la référence à l’Index Aureliensis lorsqu’elle existe, et seuls les exemplaires numérisés sont localisés.
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Portonariis 3. Andreae Alciati iurisconsulti Mediola. Paradoxorum ad Pratum, Lib. VI. Dispunctionum, Lib. IIII. In Treis Lib. Codi. Lib. III. De eo quod interest, Lib. I. Prætermissorum, Libr. II. Declamatio una. De Stipu. Diuisionib. Commentariolus. Ex secunda authoris recognitione. [Vincentius de Portonariis], 1529. 2o, 172, [6] p. IA *102.871 BSB digital/Google Books (2 J.rom.m. 48 Beibd. 1).
1529-1530 Gryphe 4. Andreae Alciati iurisconsulti De quinque pedum praescriptione liber unus. De magistratibus, ciuilibusque et militaribus officiis liber unus. Seb. Gryphius excud. Lugd., ann. 1529 [Sebastianus Gryphius Germanus excudebat Lugduni, 1530]. 8o, 120, [2] p. IA *102.872
1530 Gryphe 5. D. Andreae Alciati Iurecons. Clariss. Ad rescripta principum commentarii. De summa trinitate. De sacrosanct. Eccle. De aedendo. De in ius uocando. De pactis. De transactionib. Sebastianus Gryphius Germanus excudebat Lugduni, anno 1530. Cum Gratia, & Priuilegio Regio, quemadmodum & alia. 2o. [5] p., 438, [22] col., [1] p. IA *102.877 BSB digital/Google Books (2 J.rom.c. 13 Beibd. 1 et 2 J.rom.m. 1 m). Gryphe 6. D. Andreae Alciati iurecons. Clarissimi De uerborum significatione libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum Iureconsultorum Commentaria. Seb. Gryphius excudebat Luguduni [Sebastianus Gryphius Germanus excudebat Lugduni], 1530. Cum Gratia, & Priuilegio Regio. 2o, 278, [14] p. Privilège de quatre ans accordé à Michel Parmentier le 13 mars 1529. IA *102.875 BSB digital/Google Books (2 J.rom.c.14 Beibd. 1 ; 2 J.rom.m. 1 m Beibd. 1 ; 2 J.rom.m. 3 ; 2 J.rom.m. 3 a ; 2 J.rom.m. 3 b). British Library = Gallica NUMM-52760. Gryphe 7. Andreae Alciati iureconsulti. De quinque pedum præscriptione, Lib. I. De Magistratibus, Ciuilibusque & Militaribus officiis Liber I. Seb. Gryphius excudebat Luguduni, 153053. 8o, 95, [1] p. IA *102.878 BSB digital/Europeana (J.rom.m. 6 et A.lat.b. 656 Beibd. 2).
1532 Gryphe 8. D. Andreae Alciati Iurecons. Clariss. Ad rescripta principum commentarii, de summa trinitate. Sacrosanct. Eccl. Aedendo. In ius uocando. Pactis. Transactionibus. His accessit eiusdem de quinque pedum praescript. Lib. I. Sebastianus Gryphius Germanus excudebat Lugduni, anno 1532.
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Il ne s’agit pas d’une réémission de l’édition de 1529-1530 citée plus haut.
2o. [6] p., 476, [22] col. IA *102.883 Gallica NUMM- 52759 (exemplaire non identifié).
1535 Gryphe 10. D. Andreae Alciati iurecons. Clariss. Ad rescripta principum commentarii, de summa trinitate, sacrosanct. Eccl. Edendo. In ius uocando. Pactis. Transactionibus. His accessit eiusdem de quinque pedum praescript. Lib. I. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, anno 1535. 2o. [6] p., 476, [22] col. IA *102.890. BSB digital/Google Books (2 J.rom.c. 14 Beibd. 2). Gryphe 11. Dn. Andreae Alciati iureconsulti De uerborum significatione, libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum iureconsultorum, commentaria. Ex ultima autoris recognitione. Sebastianus Gryphius Germanus excudebat Lugduni, 1535. 2o. 275, [17] p. IA *102.891. Gryphe 12. D. Andreae Alciati Mediolanensis iureconsulti clarissimi, Paradoxorum ad pratum, libri sex. Dispunctionum, lib. IV. De eo quod interest, liber unus. In tres libros codicis lib. III. Praetermissorum lib. II. Declamatio Una. De Stip. diuisionib. commentariolus. Ex nouissima recognitione autoris. Lugduni, apud Seb. Gryphium, 1535. 4o. [8], 264, [12] p. IA *102.892
1536 Portonariis + Giunta 13. Dn. Andreae Alciati iureconsulti clarissimi de uerborum significatione, libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum Iureconsultorum, Commentaria. Ex ultima autoris recognitione. Excudebatur Lugduni, [Vincentius de Portonariis], 1536. 8o. 530, [5] p. IA *102.896 Portonariis + Giunta 14. Elenchi dictionum, quae enodantur in libris quatuor De uerbo. Signifi. Do. Andreae Alcia. Iurecon. Eiusdem Elenchi in Commentariis de uerborum signifi ex ultima autoris recognitione. Excudebatur Lugduni, [Vincentius de Portonariis], 1536. 8o. [55] p. IA *102.897 Biblioteca Universidad Complutense, Madrid : Google Books/Hathi Trust.
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Gryphe 9. D. Andreae Alciati Mediolanensis, iureconsulti clarissimi, Paradoxorum ad Pratum, libri Sex. Dispunctionum, lib. IIII. De eo quod interest, liber Vnus. In tres libros Codicis, lib. III. Prætermissorum, lib. II. Declamatio Vna. De Stip. Diuisionib. Commentariolus. Ex nouissima recognitione autoris. Seb. Gryphium excudebat Lugduni, 1532. 2o, [8], 264, [10] p. IA *102.884 BSB digital/Google Books (2 J.rom.c. 13 et 2 J.rom.c. 14).
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Portonariis + Giunta 15. Andreae Alciati Mediolanensis, Iudiciarii processus compendium, atque adeo iuris utriusque praxis, in gratiam studiosorum nunc primum typis excusa. Lugduni, [Vincentius de Portonariis], [apud Franciscum Iustum], 1536. 8o. [12], 243, [1] p. Portonariis + Giunta 16. D. Andreae Alciati Iurecons. Clariss. Ad rescripta principum commentarii. Adiectæ sunt Rubricæ in tergo paginæ. Excudebatur Lugduni, [Iacobus Giunta], 1536. 8o, 700, [4] p. Autres pages de titre avec la marque de Vincentius de Portonariis. IA *102.895 Portonariis + Giunta 17. Index locupletissimus d. Andreae Alciati super commentariis Codicis Iustiniani imperatoris. In rubricas quas reperies contentas in sequenti pagina. Impressum Lugduni, [Iacobus Giunta], 1536. 8o. [20] f. A-B8, C4 Autres pages de titre avec la marque de Vincentius de Portonariis. IA *102.895. BSB digital/Google Books (J.rom.f. 1). Portonariis + Giunta 18. Index completissimus D. Andreæ Alciati super commentariis codicis Iustiniani imperatoris in Rubricas quas reperies contentas in sequenti pagina. Impressum Lugduni, [Iacobus Giunta], 1536. 8o. [36] p. IA *102.898 BSB digital/Google Books (J.rom.f. 1).
1537 Gryphe 19. D. Andreae Alciati iurecons. Clariss. Ad rescripta principum commentarii. De summa trinitate. Sacrosanct. Eccl. Edendo. In ius uocando Pactis. Transactionibus. His accessit eiusdem de quinque pedum praescriptione. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, anno 1537. 2o. [6] p., 476, [22] col., [1] p. IA *102.904 BSB digital/Google Books (2 J.rom.c. 15 d). Gryphe 20. Andreae Alciati De uerborum significatione, libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum iureconsultorum commentaria. Ex ultima autoris recognitione. Sebastianus Gryphius Germanus excudebat Lugduni [Sebastianus Gryphius excudebat Lugduni anno 1537], 1537. 2o. 275, [15] p. IA *102.903 Gryphe 21. D. Andreae Alciati Mediolanensis iureconsulti clarissimi, Paradoxorum ad Pratum, libri Sex. Dispunctionum, lib. IIII. De eo quod interest, liber Vnus. In tres libros Codicis, lib. III. Prætermissorum, lib. II. Declamatio Vna. De Stip. Diuisionib. Commentariolus. Ex nouissima recognitione autoris. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, anno 1537. 2o. [8], 264, [10] p. IA *102.905 BSB Digital (2 J.rom.c. 15 d Beibd. 1). Portonariis + Giunta 22. Andreae Alciati Iudiciarii processus compendium, atque adeo iuris utriusque praxis, in gratiam studiosorum nunc primum typus excusa. Lugduni, apud V. Portonarium, 1537.
8o, 243 f. IA * 102.907.
1538 Gryphe 24. Clarissimi iureconsulti D. Andreæ Alciati in Digestorum, siue Pandectarum lib. XII. Qui de rebus creditis, primus est : Rubr. Si certum petatur, Commentarius longe doctissimus, atque utilissimus, ab autore nunc primum recognitus, & in lucem editus, eiusdem interpretatio in L. Bona fides, ff. Depositi, his accessit index rerum ac uocum huius operis copiosissimus. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, 1538. 2o. 316, [18] col. IA *102.915 BSB digital/Google Books (2 J.rom.m. 3 e). Gryphe 25. Andreae Alciati Mediolanensis, iureconsulti clariss. Parergon iuris libri tres. Cum singulorum capitum Argumentis, ac uocabulorum, rerum, autoritatum, & locorum indice locupletissimo. Lugduni apud Sebastianum Gryphium. 1538. 2o. [16], 66, [2] p. IA *102.916 Frellon/Barbou 26. Andreae Alciati in Digestorum seu pandectarum librum XII. Qui de rebus creditis primus est, rubr. Si certum petatur commentarius longe doctissimus atque utilissimus, nunc primum in lucem editus. Una cum uocum ac rerum toto hoc in libro notabilium indice diligentissimo. Lugduni. Ioannes & Franciscus Frellaeus, [Jean Barbou], 1538. 2o, 132 p. IA *102.914. Héritiers de Simon Vincent/Barbou 27. Andreæ Alciati iurisconsulti Mediolanensis Παρεργων iuris libri tres. Cum argumentis capitum in eosdem, & Indice uocum, rerum, auctoritatum, & locorum notatu dignorum. Lugduni, apud Hæredes Simonis Vincentii, [excudebat Ioannes Barbous], 1538. 8o. [32], 190 p. IA *102.917 Biblioteca Universidad Complutense, Madrid : Google Books/Hathi Trust. Portonariis 28. Andreae Alciati in Digestorum seu Pandectarum librum XII qui de rebus creditis primus est, rubric. Si certum petatur, commentarius longe doctissimus atque utilissimus una cum uocum ac rerum toto hoc in libro notabilum indice diligentissimo. Lugduni, Vincentius de Portonariis, 1538. 8o, 387, [21] p. Portonariis + Giunta/Moylin 29. Commentaria D. And. Alcia. In Rubri. Iuris canonici, nunc primum in lucem eduntur ad omnium studentium utilitatem. Excudebatur Lugduni, [Iacobus Giunta], [Jean Moylin], 1538. 8o, 416, [84] p. Certains exemplaires portent la marque de Vincent de Portonariis. IA *102.919
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Portonariis + Giunta 23. Andreae Alciati Mediolanensis… Paradoxorum ad pratum libri sex. Eiusdem in libros quorum nomina in seq. pag. reperies. Imprimebatur Lugduni. [Iacobus Giunta]. 1537. 8o. [16], 751, [33] p. IA *102.906
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Portonariis + Giunta 30. Subtilissimi Andreae Alciati… lectura super secunda parte ff. Noui. In titu. De uerborum obligationibus. Impressum Lugduni, [Jacobus Giunta], 1538. 8o. 646, [48] p. Certains exemplaires portent la marque de Vincent de Portonariis. Portonariis 31. Aureus Andreæ Alciati iureconsulti praesumptionum tractatus, Ioannis Nicolai Arelatani I. V. D. studio peruigili amplissimis auctus additionibus, argumentis ac indice elementario de more exornatus, studiosorum ergo nunc primum in Lucem exit. Lugduni, Apud Vincentium Portonarium, 1538. Cum Regis Priuilegio ad sexennium. 8o. 563, [91] p. Privilège de François Ier à Vincent de Portonariis pour six ans, Lyon, 3 décembre 1537. IA *102.918
1539 Portonariis + Giunta 32. Parerga. Andreæ Alciati Iurisconsulti Mediolanensis Παρεργων iuris libri tres. Cum argumentis capitum in eosdem, & Indice uocum, rerum, autoritatum, & locorum notatu dignorum. Lugduni, Apud Iacobum Giunctam. 1539. 8o, [32], 190 p. IA *102.920 BSB (J.rom.m. 5) : Google Books.
1540 Thibaud Payen (Compagnie des libraires) 33. Dn. Andreae Alciati iureconsulti clarissimi de uerborum significatione, libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum Iureconsultorum, Commentaria, ex ultima autoris recognitione. Lugduni, Apud Theobaldum Paganum, 1540. 8o, 530 p. IA *102.923 BSB (J.rom.m. 7) : Google Books Portonariis + Giunta 34. Elenchi dictionum, quae enodantur in libris quatuor de uerbo. Signifi. Do. Andreae Alcia. Iurecon. Eiusdem elenchi in Commentariis de uerborum signifi. Ex ultima autoris recognitione. Excudebantur Lugduni, [Iacobus Giunta], 1540. 8o, [56] p. BSB (J.rom.m. 7) : Google Books Bonhome 35. Los emblemas de Alciato traducidos en rhimas Españolas añadidos de figuras y de nuevos emblemas en la tercera parte de la obra, dirigidos al illustre S. Juan Vazquez de Molina. Lyon. Imp. Mathia Bonhome. 1540. 8o. 256, [6] p. Gallica (illisible).
Sans date, après 1540 Harsy 36. Les Emblemes de Maistre Andre Alciat, mis en rime fracoyse, Avec privilege. [Lyon, Denys de Harsy]. 8o, [48] f. ARS F.010
1541
1542 Gryphe 38. Dn. Andreae Alciati iuresconsulti clarissimi De uerborum significatione, libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum Iureconsultorum Commentaria. Ex ultima autoris recognitione. Sebastianus Gryphius Germanus excudebat Lugduni, Anno 1542. 2o. 275, [17] p. IA *102.930. BU Séville Fondo Antiguo, Fondos digitalizados (A Res. 39/1/02). Gryphe 39. Andreae Alciati In Digestorum siue Pandectarum lib XII. Eiusdem interpretatio in L. bona fides ff. depositi. Lugduni, apud Sebastianum Gryphium, 1542. 4o, 316 col., [5] f. IA * 102.929. Gryphe 40. In P. Cornelium Tacitum annotationes Beati Rhenani, Alciati ac Beroaldi. Eiusdem B. Rhenani thesaurus constructionum, locutionumque et uocum, Tacito solennium. Lugduni. Apud Seb. Gryphium, 1542. 8o, 363 [1] p. BSB Digital (A.lat.b. 1978 l) Portonariis + Giunta 41. D. Andreae Alciati iurecons. clariss. ad rescripta principum commentarii. adiectae sunt rubricae in tergo paginae. Lugduni, Apud Iacobum Giunctam, 1542. 8o. 700, [2] p. Portonariis + Giunta 42. Index locupletissimus d. Andreae Alciati super commentariis codicis Iustiniani imperatoris in rubricas quas reperies contentas in sequenti pagina. Impressum Lugduni, [Jacobus Giunta], 1542. 8o. [40] p. Portonariis + Giunta 43. Commentaria D. And. Alcia. in rubri. iuris canonici, nunc primum in lucem eduntur ad omnium studentium utilitatem. Excudebatur Lugduni, [Jacobus Giunta], 1542. 8o, 416, [80] p. Giunta 44. Aureus Andreae Alciati iureconsulti præsumptionum tractatus, Ioannis Nicolai Arelatani I.V.D. studio peruigili amplissimis auctus additionibus, argumentis ac indice elementario de more exornatus, studiosorum ergo nunc primum in lucem exit. Cum Priuilegio. Lugduni, apud Iacobum Giuntam, 1542. 8o, 563, [91] p. Privilège accordé à Vincent de Portonariis, 3 décembre 1537. IA *102.928 Biblioteca Universidad Complutense, Madrid : Google Books.
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Gryphe 37. D. Andreae Alciati iurecons. clariss. Ad rescripta principum commentarii. De summa trinitate, sacrosanct. eccl. edendo, in ius uocando, pactis, transactionibus. His accessit eiusdem, de quinque pedum praescriptione. Lugduni, Apud Sebastianum Gryphium, 1541. 2o. [6] p., 476 colonnes, [12] p. IA *102.925
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Portonariis + Giunta/Berion 45. Andreae Alciati Mediolanensis, Iudiciarii processus compendius, atque adeo luris Vtriusque praxis, in gratuam studiosorum nunc de nouo excusa. Apud Iacobum Giunta, [Impressum Lugduni apud Jacobum Berionum], 1542. 8o, 159 f. IA *102.927 British Library : Europeana-Gallica (NUMM-52761).
1543 Gryphe 46. D. Andreae Alciati Mediolanensis iureconsulti clarissimi, Paradoxorum ad Pratum, libris Sex. Dispunctionum, lib. III. De eo quod interest, liber Vnus. In tres libros Codicis, lib. III. Prætermissorum, libr. II. Declamatio Vna. De Stip. Diuisionib. Commentariolus. Ex nouissima recognitione autoris. Lugduni apud Sebastianum Gryphium. 1543. 2o. [6], 264, [12] p. IA *102.936 Europeana-Gallica (exemplaire non identifié) Gryphe 47. Andreae Alciati Mediolanensis, Iureconsulti clariss. Παρεργων iuris libri tres, cum singulorum capitum Argumentis, ac uocabulorum, rerum, autoritatum, & locorum Indice locupletissimo. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, 1543. 2o (4o d’après IA). [14], 66 p. IA *102.935 Biblioteca, Real academia de jurisprudencia : Europeana- Biblioteca virtual del patrimonio bibliografico. Frellon 48. Andreæ Alciati iurecons. clariss. De singulari certamine liber. Eiusdem consilium in materia duelli, exceptum ex libro quinto Responsorum. Lugduni, sub scuto Coloniensi [excudebant Ioannes & Franciscus Frellonii, fratres], 1543. 8o. [8], 107, [1] p. IA *102.934 = IA *102.937 ? Biblioteca Universidad Complutense, Madrid : Google Books/Hathi Trust. BSB (J.pract. 67) : Google Books.
1544 Gryphe 49. Parergon iuris libri VII posteriores Andrea Alciato autore. Argumentis in singula capita : rerum item, ac uocabularum, autoritatum locorumque emendatorum indicibus amplissimis ad calcem operis adiectis. Lugduni, Seb. Gryphius. 4o. 132, [26] p. IA *102.940 BSB (2 J.rom.m. 2 Beibd. 1, exemplaire incomplet) : Google Books. Giunta 50. Andreæ Alciati iurecons. Clariss. De singulari certamine liber. Eiusdem consilium in materia duelli, exceptum ex libro quinto Responsorum. Lugduni apud Iacobum Giuntam, [excudebat Theobaldus Paganus], 1544. 8o, [111], 1 p. IA *102.939 BSB (J.rom.m. 3) : Google Books. Moderne 51. Andreae Alciacti Emblematum libellus. Lugduni, Iacobus Modernus excudebat, 1544.
8o, 119, [1] p. IA *102.941. ARS F.015.
1545 Payen 53. Andreae Alciati… de Singulari certamine liber. Eiusdem Consilium in materia duelli, exceptum ex libro quinto Responsorum. Lugduni, apud Theobaldum Paganum, 1545. 8o, 111, [1] p. Giunta 54. Andreae Alciati Mediolanensis Iureconsulti clarissimi, Paradoxorum ad Pratum, libri sex. Eiusdem in libros quorum nomina in sequenti pagina reperies. Lugduni, apud Iacobum Giunta [Impressum Lugduni ex officina Petri de Sancta Lucia, Alias le Prince], 1545. 8o, [16], 751, [1] p. BSB (J.rom.c. 2 m) : Google Books. Moderne 55. Andreae Alciacti Emblematum libellus. Lugduni, Iacobus Modernus excudebat, 1544. 8o, 119, [1] p. IA *102.941. ARS F.015. Émission de l’édition de 1544 avec page de titre modifiée.
1546 Gryphe 56. Dn. Andreae Alciati iureconsulti clarissimi de uerborum significatione, libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum Iureconsultorum Commentaria. Ex ultima autoris recognitione. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, 1546 [Sebastianus Gryphius excudebat Lugduni, anno 1546]. 2o. 275, [17] p. Contient la dédicace de 1529. IA *102.952 Giunta 57. Andreae Alciati de uerborum significatione libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum iureconsultorum commentaria. Ex ultima autoris recognitione. Lugduni, apud Sebastianum Gryphium, [Sebastianus Gryphius excudebat], 1546. 8o, 276 p. IA * 102.952. Giunta 58. Andreae Alciati in Digestorum seu Pandectarum libri XII. Qui de rebus creditis primus est, rubric. Si certum petatur, commentarius longe doctissimus atque utilissimus. Una cum uocum ac rerum toto hoc in libro notabilium indice diligentissimo. Lugduni, [Iacobus Giunta], [ex officina I. de Sancta Lucia], 1546. 8o, 388 p. IA *102.950 Giunta 59. Subtilissimi Andreae Alciati Mediolanensis Lectura super secunda parte ff. noui in titu. de uerborum obligationibus. Lugduni, apud Iacobum Giunta, 1546. 8o. 646, [48] p. IA *102.951
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Moderne 52. Les emblemes de maistre Andre Alciat, mis en rime francoyse, et puis nagueres reimprime avec curieuse correction. Imprimé à Lyon chez Iacques Moderne pres nostre Dame de Confort, 1544. 16o, 245, [3] p. ARS F.016.
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Gryphe 60. D. Andreae Alciati iuriscons. clariss. ad rescripta principum commentarii. De summa trinitate. Sacrosanct. Ecc. edendo. In ius uocando. Pactis. Transactionibus. His accessit eiusdem, de quinque pedum praescriptione. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, 1547 [Sebastianus Gryphius excudebat 1546]. 2o. [6] p., 476, [22] col., [1] p. Contient les dédicaces de 1530.
1547 Tournes & Gazeau 61. Clarissimi uiri D. Andreae Alciati emblematum libri duo. Lugduni, Apud Ioan. Tornæsium, & Gulielmum Gazeium, 1547. 8o. 143, [1] p. IA *102.955. ARS F.019. Gryphe 62. Παρεργων iuris libri VII. Posteriores. Dn. Andrea Alciato autore. Argumentis in singula capita : rerum item, ac uocabulorum, autoritatem, locorumque emendatorum Indicibus amplissimis ad calcem operis adiectis. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, 1547. 2o. 107, [19] p. Contient la dédicace de 1543.
1548 Rouille/Bonhomme 63. Emblemata Andreæ Alciati Iurisconsulti clarissimi. Locorum communium ordine, ac Indice, Nouisque posteriorum eiconibus aucta. Lugduni, Apud Gulielmum Rouillium Sub Scuto Veneto, [Mathias Bonhomme excudebat]. 1548. Cum priuilegio. Une partie des pages de titre porte : Lugduni, apud Mathiam Bonhomme 16o. 164, [11] p. Privilège accordé à Guillaume Rouille et Macé Bonhomme le 9 août 1548. IA *102.961. ARS F.021. Biblioteca Universidad Complutense, Madrid : Google Books/Hathi Trust. Rouille/Bonhomme 64. Emblemata Andreæ Alciati Iurisconsulti clarissimi. Lugduni, apud Gulielmum Rouillium, Sub Scuto Veneto, [excudebat Mathias Bonhomme], 1548. 8o. 164, [4] p. ARS F.020. University of Illinois Urbana Champaign (Emblems 853Al17 Oe1548) : Internet Archive Tournes 65. Les emblemes de M. Andre Alciat, traduits en ryme françoyse par Iean le Feure. A Lyon par Iean de Tournes, 1548. 16o, 128 p. IA *102.962. ARS F.022 Gryphe 66. Dn. Andreae Alciati iurisconsul. Mediolanensis In digestorum, siue Pandectarum lib. xiii qui de Rebus creditis, primus est, Rub. Si certum petatur. Commentarius longe doctissimus, atque utilissimus. Eiusdem interpretatio in l. Bona fides. Digestis Depositi. His accessit index rerum ac uocum huius operis copiosissimus. Lugduni apud Sebastianum Gryphium [Sebastianus Gryphius excudebat]. 1548.
2o. 226, [12] col., [1] p. Contient la dédicace de 1538. IA *102.958
Gryphe 68. Reliqua D. Andreae Alciati opera, quæ typis nostris hactenus non fuerunt excusa. Quorum catalogum sequens continet pagella. Lugduni, apud Sebastianum Gryphium, 1548. Contient : De magistratibus, ciuilibusque & militaribus officiis, liber I De Ponderibus, & Mensuris, liber I Orationes tres, quarum prima Auenione, altera Ticini, tertia Ferrariæ habita Annotationes in Cornelium Tacitum De Singulari certamine, Liber I Commentaria in aliquot iuris ciuilis & Pontificii titulos, communi Interpretum more prælecta Tractatus de Præsumptionibus cum Annotationibus Ioannis Nicolai Arelatani Emblematum libellus, & ipse quoque ab autore recognitus ac locupletatus. 2o, 974, [74] col. IA *102959 Gallica (exemplaire non identifié). Gryphe 69. Παρεργων iuris libri tres priores. Dn. Andrea Alciato autore. Cum singulorum capitum Argumentis, ac uocabulorum, rerum, autoritatum, & locorum Indice locupletissimo. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, 1548. 2o. [12], 51 p. Contient la dédicace de 1536. Giunta 70. D. Andreæ Alciati iurisconsulti clarissimi de uerborum significatione, libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum Iureconsultorum, Commentaria Summaris illustrata. Ex ultima autoris recognitione. Lugduni, apud Hæredes Iacobi Giuntæ, 1548. 8o. 222, 587, [5] p. Contient la dédicace de 1529. IA *102.957 BSB (exemplaire incomplet) : Europeana. Giunta 71. Elenchi dictionum, quae enodantur in libris quatuor de uerbo. Signi. Do. Andr. Alciati iurecons. Index alphabetica serie nuperrime digestus, in quo præcipue Commentariorum de uerb. sig. Materia numeris distinctæ decenter habentur. Ex ultima autoris recognitione. Lugduni, apud Hæredes Iacobi Giuntæ, 1548 [Ludini, Excudebant Franciscus et Claudius Marchant Fratres, 1548]. 8o. [128] p. Avec dédicace du typographe au lecteur (explique qu’il a imprimé à partir d’un exemplaire d’une édition précédente).
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Gryphe 67. D. Andreae Alciati Mediolanensis iureconsulti clarissimi Paradoxorum ad Pratum, libri Sex. Dispunctionum, lib. IIII. In tres libros Codicis, lib. III. Prætermissorum, lib. III De eo quod interest, liber Vnus. De Stipulationum diuisionibus. Declamatio una. Ex nouissima recognitione autoris. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, 1548. 2o. [8] p., 396 col., [4] p. numérotées de 397 à 400, [15] p.
1548-1549
andré alciat et les imprimeurs lyonnais
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Gryphe 72. De uerborum significatione libri quatuor. Eiusdem in tractatum eius argumenti ueterum iureconsultorum commentaria. Lugduni, apud Sebastianum Gryphium, 1548 [Sebastianus Gryphius excudebat, 1549]. 2o, 424 col., [12] f. IA *102.960
1549 Rouille/Bonhomme 73. Emblemes d’Alciat, de nouveau translatez en François vers pour vers iouxte les Latins. Ordonnez en lieux communs, auec briefues expositions, & Figures nouuelles appropriées aux derniers Emblemes. A Lyon chez Mace Bonhomme. 1549. Avec privilege. 8o. 267, [5] p. Autres exemplaires portant : A Lyon chez Guil. Rouille [Imprimez à Lyon par Macé Bonhomme], 1549. Privilège de six ans accordé à Macé Bonhomme pour l’édition française le 9 août 1548. IA *102.965 et IA *102.966. ARS F.026. Alciato at Glasgow. BnF, Res-Z-2527 : Europeana. Rouille/Bonhomme 74. Les emblemes du seigneur Andre Alciat, de nouveau translatez en François vers pour vers, Iouxte la Diction latine ; & ordonnez en lieux communs, avec sommaires inscriptions, schemes, & briefves expositions Epimythicques, selon l’Allegorie naturelle, Moralle, ou Historialle. A Lyon chez Guill. Rouille, 1549, avec Privilege du Roy. 8o, 266, [6] p. ARS F.0.27. Rouille/Bonhomme 75. Los emblemas de Alciato traducidos en rhimas españolas. Añadidos de figuras y de nueuos Emblemas en la tercera parte de la obra. Dirigidos al Illustre S. Iuan, Vasquez de Molina. En Lyon por Guilielmo Rovillio. 1549. Con licençia y Priuilegio54. 8o 256, [6] p. Autres pages de titre portant le nom de Mathias Bonhomme Privilège de six ans accordé à Macé Bonhomme pour l’édition espagnole le 9 août 1548. IA *102.969 et *102.970 ; ARS F.029. Alciato at Glasgow. Internet Archive. Rouille/Bonhomme 76. Diverse imprese accommodate a diverse moralità, con versi che i loro significati dichiarono. Tratte da gli emblemi dell’Alciato. In Lione per Masseo Buonhomo, 1549. 144 p. Autre page de titre : In Lione Da Gulielmo Rovillio 8o. 144 p. Privilège de six ans accordé à Macé Bonhomme pour la traduction italienne le 9 août 1548. IA *102.967 et IA *102.968. ARS F.028. Gallica (exemplaire non identifié). University of Illinois at Urbana Champaign (Emblems 854Al17 Oe1548 et un autre exemplaire non coté) : Internet Archive. Tournes & Gazeau 77. Clarissimi uiri D. Andreae Alciati Emblematum libri duo. Lugduni, apud Ioan. Tornaesium & Gulielmum Gazeium, 1549.
54
La Bayerische Staatsbibliothek date de 1548 un exemplaire incomplet d’une édition des emblèmes en espagnol, sans doute en utilisant la date du privilège.
16o, 144 p. ARS F.023
1550 Rouille/Bonhomme 79. Emblemata D. A. Alciati, denuo ab ipso Autore recognita, ac, quæ desiderabantur, imaginibus locupletata. Accesserunt noua aliquot ab Autore Emblemata suis quoque eiconibus insignita. Lugd. apud Guliel. Rouilium, [Excudebat Mathias Bonhomme], 1550. Cum priuilegio Autres pages de titre avec le nom de Macé Bonhomme. 8o. 206, [4] p. Privilège de six ans attribué à Guillaume Rouille, 9 août 1548. IA *102.971 et *102.974. ASR F.030. Alciato at Glasgow. British Library : Europeana-Gallica. Internet Archive héritiers Giunta 80. D. And. Alciati Mediolanensis, iurisconsulti celeberrimi, in Secundum Tomum Pandectarum Iuris Ciuilis (quod uulgò Infortiatum uocant) Commentarius. Cuius Titulos proxima pagella recensuimus : idque eo consilio, ut uel ex illorum numero Lector statim possit perspicere, hanc demum ueram esse integramque operis huius editionem, eaque quæ paucis abhinc mensibus in lucem prodiit, duplo locupletiorem. Cum priuilegio. Lugduni, Apud hæredes Iacobi Giuntæ, 1550. 8o. 595 p. Privilège de six ans accordé aux héritiers de feu Iaques Giunte le 29 juillet 1550. IA *102.973 BSB (S.rom.c.2) : Google Books.
1551 héritiers Giunta 81. Index locupletissimus commentariorum Dn. Andreæ Alciati Mediolanensis, Iurisconsulti ætatis nostræ clarissimi, in Secundum Pandectarum Tomum, quod Infortiatum uulgò appellant, omnibus Iurisprudentiæ studiosis non parum utilitatis allaturus. Lugduni, Hæredibus Iacobi Giuntæ excudebant Godefridus & Marcellus Beringi, fratres, 1551. 8o. [70] p. BSB : Google Books. héritiers Giunta 82. D. And. Alciati Mediolanensis, Iurisconsulti clarissimi, In aliquot Titulos Tomi tertii Pandectarum Iuris Ciuilis (quod Digestum Nouum uocant) Commentarii, hactenus nusquam editi. Adiecto ad finem locupletissimo rerum ac uerborum Indice. Cum priuilegio. Lugduni, Apud hæredes Iacobi Giuntæ, 1550 [Hæredibus Iacobi Giuntæ excudebant Godefridus & Marcellus Beringi, fratres, 1551]. 8o. 299, [1] p. Privilège accordé à Iaques Giunte le 29 juillet 1550. IA *102.972 héritiers Giunta 83. Commentariorum Dn. Andreae Alciati Mediolanensis, Iurisconsulti præstantissimi, in Tertium Pandectarum Tomum, quo uulgò Digestum Nouum uocant, Index copiosissimus, rerum uerborumque insigniorum capita quodam ueluti digito commonstrans. Lugduni, Apus hæredes Iacobi Giuntæ,1551.
285 raphaële mouren
Tournes 78. Les emblemes de M. Andre Alciat, traduit en ryme Françoise par Iean le Feure. A Lyon, Par Iean de Tournes, 1549. 16o.127, [1] p. ARS F.025
8o. [48] p. Biblioteca Universidad Complutense, Madrid : Google Books/Hathi Trust.
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héritiers Giunta 84. D. Andr. Alciati iureconsulti tractatus de praesumptionibus, cum Annotationibus, & Argumentis Ioan. Nicolai Arelatani I.V.D. Index præterea copiosissimus in fine operis adiectus. Lugduni, Apud hæredes Iacobi Iuntæ, 1551. 4o, 415, [57] p. IA * 102.980 BSB (J.rom.m.12) : Google Books. Rouille/Bonhomme 85. Emblemata D. A. Alciati, denuo ab ipso autore recognita, ac, quæ desiderabantur, imaginibus locupleta. Accesserunt noua aliquot ab autore emblemata suis quoque eiconibus insignita. Lugd. Apud Mathiam Bonhomme, 1551. Cum priuilegio. 8o. 226, [5] p. Autres pages de titre au nom de Guillaume Rouille, [excudebat Mathias Bonhome] Privilège accordé à Guillaume Rouille et Macé Bonhomme le 9 août 1548. IA *102.981. ARS F.031. Alciato at Glasgow. Rouille/Bonhomme 86. Diverse imprese accomodate a diuerse moralità, con versi che i loro significati dichiarano insieme con molte altre nella lingua Italiana non piu tradotte. Tratte da gli Emblemi dell’Alciato. In Lione da Mathias Bonhomme. 1551. Con privilegio. 8o, 191, [1] p. Une partie des exemplaires porte l’adresse bibliographique : in Lione da Gulielmo Rovillio. Privilège de six ans accordé à Guillaume Rouille et Macé Bonhomme pour l’édition italienne le 9 août 1548. IA *102.982 ; ARS F.032. Alciato at Glasgow. Gallica (exemplaire non identifié). Internet Archive (exemplaire non identifié).
1552 Rouille/Bonhomme, édition incertaine 87. Emblemata D. A. Alciati, denuo ab ipso autore recognita desiderabantur, imaginibus locupletata accesserunt noua aliquot ab Autore. Emblemata suis quoque eiconibus insignita. Lugduni, apud Gulielmum Rouillium Sub Scuto Veneto. 1552, Cum privilegio Regis. 16o, 226, [14] p. ARS F.033 D’après un exemplaire aujourd’hui détruit de la BM de Douai et un exemplaire incomplet (page de titre manquante) de la Herzog August Bibliothek, Wolfenbüttel.
1554 Gryphe 88. Parergon iuris libri tres priores. Lugduni, Apud Seb. Gryphium, 1554. 8o. [6], 51 p. IA *102.985 Gryphe 89. Παρεργων Iuris libri VII. Posteriores. Dn. Andrea Alciato autore. Argumentis in singula capita : rerum item, ac uocabulorum, locorumque emendatorum indicibus amplissimus ad calcem operis adiectis. Lugduni apud Sebastianum Gryphium, 1554. 4o. 107, [21] p. IA *102.986 Gallica (exemplaire non identifié). Gryphe 90. Παρεργων iuris libri duo ultimi, XI uidelicet et XII. Lugduni, Apud Seb. Gryphium, 1554. 8o. 78, [1] p.
1555 Tournes 92. Les emblèmes de M. André Alciat. Traduits en ryme Françoise par Ian le Feure. A Lyon, par Ian de Tournes, 1555. 16o. 127, [1] p. ARS F.035.
1556 Tournes & Gazeau 93. Clarissimi uiri D. And. Alciati, emblematum lib. II. Nuper adiectis Seb. Stockhameri Germ. In primum librum succinctis commentariolis. Lugduni, apud Ioan. Tornaesium, & Guliel. Gazeium, 1556. 16o, 214, [2] p. IA *102.991 ARS F.037. Alciato in Glasgow. Tournes et Gazeau 94. In D. Andreae Alciati emblemata succincta commentariola, Sebast. Stockhamero Germano autore. Lugduni, Apud Ioannem Tornoæsium, & Gul. Gazeium, 1556. 16o, 150, [2] p. ARS F.036 Tournes 95. And. Alciati Emblematum libri II. Lugduni, Tornaesius, 1557. 8o. IA * 102.993 d’après un exemplaire de Vienne, KunstgewMus (D.I.4). Rouille/Bonhomme 96. Omnia Andreae Alciati Emblemata ad quae singula, praeter concinnas acutasque inscriptiones, lepidas & expressas imagines, ac cætera omnia quæ prioribus nostris editionibus cum ad ornatum & correctionibus adhibita continebantur, Nunc primum perelegantia persubtiliaque adiecta sunt Epimythia, quibus emblematum amplitudo, & quacunque in iis dubia sunt aut obscura tanquam perspicuis illustrantur. Lugduni, Apud Matthiam Bonhomme, 1557. Cum privilegio. 16o, 260, [12] p. IA *102.992. ARS F.038.
1558 Bonhomme 97. Toutes les emblemes de M. Andre Alciat, de nouueau Translatez en Françoys vers pour vers, Iouxte la Diction Latine : et ordonnez en lieux communs, auec sommaires inscriptions, Schemes, & briefues expositions Epimythiques, selon l’Allegorie naturelle, Moralle, ou Historialle. Auec figures nouuelles appropriées aux derniers Emblemes enuoyées par l’Autheur, peu auant son decez, cy deuant non imprimées. A Lyon, Chez Guillaume Rouille [Imprimez à Lyon par Macé Bonhome], 1558 Auec Priuilege du Roy. Autres exemplaires portant : Par Macé Bonhome, à la Masse d’Or. 16o. 276, [12] p. *IA *102.995. Privilège de dix ans accordé à Macé Bonhome pour la version française, 8 août 1556. ASR F.039. Alciato in Glasgow.
287 raphaële mouren
Ouvrage posthume. IA *102.987 Tournes & Gazeau 91. Clarissimi viri D. Andreae Alciati Emblematum libri duo. Lugduni, apud Ioan. Tornaesium & Gulielmum Gazeium, 1554. 16o, 143, [1] p. IA * 102.988. ARS F.034.
1559-1560
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Fradin 98. Andr. Alciati Patritii, et I. C. Mediolan. In Digestorum titulos aliquot, pagina quarta enumeratos, Commentaria. Tomi primi Pars prima, & secunda. Lugduni, 1560 [Petrus Fradin excudebat, 1559], cum priuilegio. 2o. [12], 126 p. Privilège pour dix ans accordé à Balthazard, Henry et Barthelemy de Gabiano le 24 janvier 1558. IA *102.998 (même numéro pour les 6 volumes + 1 volume d’index) Universidad de Grenada : Europeana. 99. Andr. Alciati iuriscons. Mediolanensis, in Digestorum titulos aliquot Commentaria, quos sequens pagina indicat. Tomi secundi Pars prima & secunda. Lugduni, 1560 [Petrus Fradin excudebat, 1559]. Cum privilegio. 2o. 245 f. Universidad de Grenada : Europeana. 100. Andr. Alciati iuriscons. Mediolanensis, in Digestorum titulos aliquot Commentaria, quos sequens indicat pagina. Tomi tertii pars prima. Lugduni, [Petrus Fradin excudebat, 1559], 1560. Cum priuilegio. 2o. 82 f. foliotés 81. Universidad de Grenada : Europeana. 101. Andr. Alciati iuriscons. Mediolanensis, in Digestorum titulos aliquot Commentaria, quos sequens indicat pagina. Tomi tertii Pars secunda. Lugduni, 1560 [Petrus Fradin excudebat, 1559]. Cum priuilegio. 2o. 290 f. Universidad de Grenada : Europeana. 102. Andr. Alciati Iuriscons. Mediolanensis, in Codicis Iustinianei titulos aliquot Commentaria, quos paginæ sequens indicat. Tomi quarti pars prima & secunda. Lugduni, 1560 [Petrus Fradin excudebat, 1559]. Cum priuilegio. 2o. 164 f. Biblioteca Universidad Complutense, Madrid : Google Books. Universidad de Grenada : Europeana. 103. Andr. Alciati iuriscons. Mediolanensis, in Decretalium titulos aliquot, pagina sequentis enumeratos, Commentaria. Tomi quinti Pars unica. Lugduni, 1560 [Petrus Fradin excudebat, 1559]. Cum priuilegio. 2o. 83 f. BSB : Google Books. Universidad de Grenada : Europeana. 104. Index in Andr. Alciati Iuriscons. Mediolanensis Commentaria, & Tractatus. Lugduni, 1560 [Petrus Fradin excudebat, 1559]. Cum priuilegio. 2o. [52] p. Universidad de Grenada : Europeana. Fradin 105. Andreae Alciati Patritii, et iuriscons. Mediolanens. Responsa. Nunquam antehac excusa. Lugduni, [Petrus Fradin excudebat], 1561. Cum priuilegio. 2o, [2], 469, [41] p. Privilège de dix ans accordé à Balthazard, Henry et Barthelemy de Gabiano, le 24 janvier 1558. IA *102.999. Biblioteca Universidad Complutense, Madrid : Google Books/Hathi Trust. BSB Digital (2 Decis. 4) : Google Books.
1561
Rouille 107. D. And. Alciati emblemata denuo ab ipso Autore recognita, ac, quæ desiderabantur, imaginibus locupletata. Accesserunt noua aliquot ab Autore Emblemata suis quoque eiconibus insignita. Lugduni, apud Gulielmum Rovill. 1564. 8o. 226, [6] p. IA * 103.002. ARS F.043. Rouille 108. Omnia D. And. Alciati Emblemata ad quae singula, praeter concinnas acutasque inscriptiones, lepidas & expressas imagines, ac cæterea omnia, quæ prioribus nostris editionibus cum ad eorum distinctionem, tum ad ornatum & correctionem adhibita continebantur, Nunc primum perelegantia persubtiliaque adiecta sunt ΕΠΙΜΥΘΙΑ, quibus Emblematum amplitudo, & quæcunque iis dubia sunt aut obscura tanquam perspicuis illustrantur. Lugduni, apud Gulielmum Rouillium, Sub Scuto Veneto, 1564. 16o. 260, [12] p. IA *103.004. ARS F.044. Rouille 109. Emblemes d’Alciat, De nouveau translatez en François vers pour vers iouxte les Latins. Ordonnez en lieux communs, avec briefves expositions, & figures nouvelles appropriées aux derniers emblemes. A Lyon, Par Guill. Rouille, 1564. 8o, 267, [5] p. ARS F.045 Rouille 110. Diverse imprese accomodate a diuerse moralità, con versi che i loro significati dichiarano insieme con molte altre nella lingua Italiana non piu tradotte, tratte da gli emblemi dell’Alciato. In Lione, appresso Gulielmo Rouillio, 1564. ARS F.046. University of Illinois at Urbana-Champaign (Emblems x853Al17 OeIm1564) : Internet Archive (et autre exemplaire non identifié).
1565 Gryphe 111. Andreæ Alciati I. C. Mediolanensis de uerborum significatione, libri IIII. Eiusdem in titulum XVI. Lib. L. Digestorum commentarii. Accessit index locupletissimus. Lugduni, impensis Ant. Gryphii, 1565. 8o, 635, [43] p. IA *103.009. BSB Digital (J.rom.m. 9 et J.rom.m. 9 a) : Google Books.
1566 Rouille 112. D. And. Alciati emblemata denuo ab ipso Autore recognita, ac quæ desiderabantur, imaginibus locupletata. Accesserunt noua aliquot ab Autore Emblemata suis quoque eiconibus insignita. Lugduni, apud Gulielmum Rovill. 1566. 8o. 226, [6] p. IA *103.014. ARS F.047.
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Tournes & Gazeau 106. Clarissimi uiri D. And. Alciati, Emblematum lib. II, Nuper adiectis Seb. Stockhameri Germ. in primum librum succinctis commentariolis, Lugduni, apud Ioan. Tornaesium, & Guliel. Gazeium, 1561. 16o, 216 p. ASR F.040
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290
Rouille 113. Omnia D. And. Alciati Emblemata ad quae singula, praeter concinnas acutasque inscriptiones, lepidas & expressas imagines, ac cæterea omnia, quæ prioribus nostris editionibus cum ad eorum distinctionem, tum ad ornatum & correctionem adhibita continebantur, Nunc primum perelegantia persubtiliaque adiecta sunt ΕΠΙΜΥΘΙΑ, quibus Emblematum amplitudo, & quæcunque iis dubia sunt aut obscura tanquam perspicuis illustrantur. Lugduni, apud Gulielmum Rouillium, Sub Scuto Veneto, 1566. 16o. 260, [12] p. Réémission de l’édition de 1564. IA *103.015. ARS F.044.
1570. Tournes 114. Les emblemes de M. Andre Alciat. Traduits en rithme Françoise par Iean le Feure. A Lyon, Par Iean de Tournes, imprimeur du roy, 1570. 16o, 127, [1] p. ARS F.048.
1572 Gryphe 115. Andreæ Alciati Iurisconsul. Mediolanensis, de uerborum significatione, Libri IIII. Eiusdem in titulum XVI. Lib. L. Digestorum commentarii, postrema hac editione quanta fieri potuit diligentia, collatione autographi, castigati. Lugduni, apud Ant. Gryphium, 1572. 8o, 586, [40], 62, [2] p. IA *103.021. BSB (J.rom.m.11) : Google Books. Duke University LIbraries : Internet Archive
1573 Rouille 116. Francisci Sanctii Brocensis in inclyta Salmaticensi Academia Rhetoricæ, Græcæ linguæ professoris, Comment. In And. Alciati emblemata, Nunc denuo multis in locis accurate recognita, & quamplurimis figuris illustrata, cum Indice copiosissimo. Lugduni, Apud Guliel. Rovillium, 1573. 8o, 558, [26] p. ARS F.050
1574 Rouille 117. Omnia D. And. Alciati Emblemata ad quae singula, praeter concinnas acutasque inscriptiones, lepidas & expressas imagines, ac cæterea omnia, quæ prioribus nostris editionibus cum ad eorum distinctionem, tum ad ornatum & correctionem adhibita continebantur, Nunc primum perelegantia persubtiliaque adiecta sunt ΕΠΙΜΥΘΙΑ, quibus Emblematum amplitudo, & quæcunque in iis dubia sunt aut obscura, tanquam perspicuis illustrantur. Lugduni, apud Guliel. Rouillium, 1574. 16o. 260, [12] p. IA *103.024. ARS F.052.
1576 Rouille 118. Diverse imprese accomodate a diverse moralità, con versi che i loro significati dichiarano insieme con molte altre nella lingua Italiana non piu tradotte. Tratte dagli Embleimi dell’Alciato. In Lione, Appresso Gulielmo Rouillio. 1576. 8o. 191, [1] p. ARS F. 054. University of Illinois at Urbana Champaign (Emblems x853Al17 OeIm1576) : Internet Archive
1579
1580 Tournes (Jean II) 120. Clarissimi uiri D. And. Alciati Emblemat. Lib. II. Aucti & restituti. Cum Seb. Stockhameri in primum librum succinctis commentariolis. Lugduni, apud Ioan. Tornæsium, Typogr. Reg., 1580. 16o, 218, [6] p. IA *103.033 Rouille 121. Omnia D. And. Alciati Emblemata ad quae singula, praeter concinnas acutasque inscriptiones, lepidas & expressas imagines, ac cæterea omnia, quæ prioribus nostris editionibus cum ad eorum distinctionem, tum ad ornatum & correctionem adhibita continebantur, Nunc primum perelegantia persubtiliaque adiecta sunt ΕΠΙΜΥΘΙΑ, quibus Emblematum amplitudo, & quæcunque in iis dubia sunt aut obscura, tanquam perspicuis illustrantur. Lugduni, apud Guliel. Rouillium, 1580. 16o. 260, [12] p. IA * 103.032. ARS F.056.
1581 Gryphe 122. Andreae Alciati iurisconsul. Mediolanensis, De uerborum significatione, libri IV. Eiusdem in titulum 16 lib. 50 Digestorum commentarii, Postrema hac editione quanta fieri potuit diligentia, collatione autographi, castigati. Lugduni, apud Ant. Gryphium, 1581. 8o, 582 [numérotées 586], [42], [62], [2] p. IA *103.039.
1588 Rouille 123. And. Alciati Emblemata ad quae singula, praeter concinnas acutasque inscriptiones, imagines, ac cæterea, quæ ad ornatum & correctionem adhibita continebantur, Nunc recens adiecta sunt epimythia, quibus Emblematum amplitudo, & quæcunque in iis dubia sunt aut obscura, illustrantur. Lugduni, apud Guliel. Rovillium, 1588. 16o, 260, [12] p. ARS F.060
1589 Faber 124. Commentarii ad Tit. Digest. De uerborum significatione, trium illustrium iuris interpretum, Alciati, Brechaei, Fornerii. Quibus ea quae ad hanc materiam spectant, accuratissime tractantur atque explicantur. Accessit index rerum ac uerborum locupletissimus. Lugduni, Apud Franciscum Fabrum, 1589. 2o. [12], 590,[2 bl.], [110] p. IA *103.043.
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Rouille 119. Diverse imprese accomodate a diverse moralità, con versi che i loro significati dichiarano insieme con molte altre nella lingua Italiana non piu tradotte. Tratte dagli Embleimi dell’Alciato. In Lione, Appresso Gulielmo Rouillio. 1576. 8o. 191, [1] p. Émission de l’édition 1576. ARS F. 054.
les intérêts communs de geoffroy tory et d’Alciat, autour de l'emblème Olivier Millet - Université Paris IV-Sorbonne
Geoffroy Tory (vers 1480-1533), originaire de Bourges, était très attaché à cette cité1 où Alciat enseigna un certain temps, et il séjourna à deux reprises en Italie2. Outre ces liens géographiques, les deux savants semblent avoir partagé des orientations communes dans le cadre de la culture pré-emblématique3 des années 1510-1530. Pour faire ressortir ce point, je voudrais m’arrêter sur un recueil latin de Tory imprimé en 15314, qui comprend deux parties, l’une, l’Aediloquium, décrivant dans une série d’épigrammes les éléments constitutifs d’une maison, l’autre, Epitaphia, contenant sept épitaphes de couples d’amants morts accidentellement avec chaque fois une gravure symbolisant leur genre de mort accidentelle. Dans un premier moment, je rappellerai de quelle manière Tory et Alciat témoignent d’une convergence de curiosités distinctes, souvent coordonnées entre elles, et qui débouchent, dans le cas d’Alciat, sur l’écriture des épigrammes-emblèmes, ce qui me conduira à considérer, dans un deuxième temps, cette publication de Tory qui coordonne entre eux les mêmes intérêts, mais selon une combinaison différente et en quelque sorte inverse de celle de l’emblème. Dans ce qui rapproche Tory de l’humaniste italien, un premier point mérite d’être souligné, leur goût partagé pour la reconstruction d’œuvres d’art antiques connues seulement à travers des descriptions littéraires (ekphraseis), qui invitent à se représenter l’œuvre correspondante, et à passer du texte la décrivant à la recréation d’une figuration plastique. Chez Tory, c’est le cas avec la traduction française de l’antique Table de Cébès qu’il publie en 1529, puisque ce texte (même s’il ne comporte pas d’illustration) consiste dans la description d’une
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Sur cet attachement voir par exemple Champ Fleury, auquel nous nous référons d’après le reprint de la Bibliothèque de l’image, 1998, f. XLII (« à Bourges d’où je suis natif » ; en marge, manchette « Mension de Bourges »), ainsi que dans l’édition due à Tory de Valerius Probus, De interpretandis Romanorum literis opusculum, Paris, Marnef ( ?), 1510, le poème « Urbs Biturica sub loquente persona describitur ». Voir sur lui notamment Auguste Bernard, Geofroy Tory, peintre et graveur, premier imprimeur royal, réformateur de l’orthographe et de la typographie sous François I, Paris, 18651, Reprint Nieuwkoop, 1963; Barbara B. Bowen, « Geofroy’sTory’s Champ Fleury and its major sources », dans son recueil Humour and Humanism in the Renaissance, Aldershot, 2004, p. 13-27, et l’article « Tory » du Dictionnaire des Lettres françaises. Le xvie siècle, Paris, 2001, en attendant les actes de la journée d’étude qui s’est tenue le 10 mai 2011 au Centre V.L. Saulnier. Sur cette notion, voir Daniel Russell, Emblematic Structures in Renaissance France Culture, University of Toronto Press, 1995, chap. 4 (« Proto-emblematics in the Early Sixteenth Century »). Voir la référence infra note 42.
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« table », « paincture moult estrange pleine de je ne sais quelles communes fables5 », censée se trouver dans un temple, et que déchiffre pour des « pélerins » un « sacristin ». Tory insiste, dans la présentation qu’il en donne dans sa préface « A tous studieux », sur l’esthétique correspondante : poesis est pictura loquens, « œuvre poetique est peinture parlante », topos qui indique le statut significatif de ce texte antique dans la culture moderne de l’ekphrasis et dans une tradition où la figuration linguistique et la figuration extralinguistique ne sont pas séparées, parce que tout repose sur une picta philosophia qui englobe ces deux dimensions sémiologiques de la représentation6. De cette convergence, on a un autre exemple bien connu et particulièrement significatif chez Tory avec les lettres de l’alphabet elles-mêmes, dont Champ Fleury indique la portée symbolique, morale et philosophique qui leur est inhérente, ce qui leur confère une dimension de pictogramme, par exemple dans le cas des lettres I et O. La critique a souligné à propos des emblèmes d’Alciat et de la complémentarité des deux media, écrit et figuratif, le caractère réversible des rapports entre langue et image, et les frontières fluentes entre les deux domaines. Tory aussi bien qu’Alciat sont des représentants éminents de cette convergence. Chez Tory, nous avons ainsi l’exemple célèbre de l’Hercule Gaulois de Lucien, auquel il consacre quatre pages de Champ Fleury, en se réclamant du texte de Budé sur ce thème, mais aussi de la « riche peincture » qu’il a vue à Rome de cette « fiction », image supérieure, dit-il, à celle qui figure dans une édition bâloise de Pomponus Mela. Tory en propose donc sa propre image, en corrigeant celle de Rome, et en en glosant les éléments figuratifs7. Il faudrait ici comparer en détail les choix de Tory avec l’emblème correspondant d’Alciat, « Eloquence est plus excellente que force8 », mais on constate que Tory et l’emblème alciatien suivent le texte de Budé pour la répartition respective des armes (arc et massue) dans les deux mains d’Hercule. Il convient de souligner pour ce même contexte pré-emblématique humaniste, et c’est le second point de notre parallèle, le rôle de l’épigramme9. On sait que l’essor moderne du genre de l’épigramme remonte à l’impression princeps de l’Anthologie de Planude, en 1494. Pour notre contexte compte en particulier l’utilisation de ce genre poétique comme description d’une œuvre d’art. Je mentionnerai à ce sujet le manuscrit composé pour François d’Angoulême, vingt ans avant la publication des emblèmes d’Alciat, et édité en 1995 par Michel Massing10. On y trouve en effet deux épigrammes, Dialogus in spem et Favor huma-
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La Table de l’ancien philosophe Cebes, en laquelle est descripte et paincte la voye de l’homme humain tendant à vertus et parfaicte science, Paris, J. Petit, 1529, f. B iii. B. Dardano s’était également intéressé de près à cette œuvre. Voir à ce sujet Andreas Bässler, Sprichwortbild und Sprichwortschwank. Zum illustrativen und narrativen Potential von Metaphern in der deutschsprachigen Literatur um 1500, Berlin, 2003. Champ Fleury, op. cit., f. IIr-IIIv. Nous nous référons à l’édition suivante : Alciat, Toutes les emblemes […] translatez en Françoys, Lyon, G. Roville, 1558, reprint de l’édition, Paris, 1989, p. 229-230. Voir Florence Vuilleumier et Pierre Laurens, L’Âge de l’inscription. La rhétorique du monument en Europe du xve au xviie siècle, Paris, 2010, p. 89-112 pour le rôle du modèle épigraphique dans l’invention de l’emblème. Erasmian Wit and Proverbial Wisdom. An illustrated Moral Compendium for François I. Facsimile of a dismembered Manuscript with Introduction and Description, Londres, 1995, p. 19, qui range les deux épigrammes de Dardano mentionnés infra dans cette catégorie de l’épigramme-ekphrasis.
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Ces deux épigrammes (Massing, p. 19 sq. (note 10)) se trouvent aussi dans un ms (BnF Ms fr 1717) où figurent également des pièces poétiques françaises de Jean et de Clément Marot, d’Henri Baude, de Jean Robertet, etc., ce qui témoigne de leur présence dans la mémoire poétique française du premier seizième siècle. 12 Voir Pierre Laurens (éd.) : Alciat, Emblèmes, Paris, 1997, p. 22. 13 F. Vuilleumier et P. Laurens, L’Âge de l’inscription (note 9), p. 90. Selecta epigrammata Graeca latine versa, Bâle, 1529, p. 375 (dans la série des épigrammes « eis ton kai14 ron »). Voir sur ce poète et ses œuvres la référence infra note 46. 15 Voir supra note 1. 16 Gian Luigi Barni (éd.) : Andrea Alciato, Le Lettere, Florence, 1953, lettre d’Alciat à Calvo du 31 mai 1521, p. 33 : Epigrammatarium, si commodum esset, libenter colligerem : sunt hic, qui hoc desiderio mirum in modum ardeant, ut Dardanus. 17 Champ Fleury (note 1), f. LXXIIv. Voir aussi f. Vv (inscriptions en hébreu) ; f. VIIr (inscriptions romaines); f. XXXVII r et v (épitaphe en picard) ; f. XLv et sq., où Tory se réfère à un recueil d’épitaphes qu’il a vu imprimer à Rome, voir à ce sujet la note de Gustave Cohen dans son édition du Champ Fleury, Paris, 1931, p. XLI (référence à Mazzochius) et infra la note suivante ; f. L v (« abreviatures anciennes … en Medalles et en Epitaphes », avec référence à Probus le Grammairien) ; f. LX v (référence au recueil imprimé par Mazzochius). Comme Tory se réfère dans Champ Fleury à un livre d’« Epitaphes » romains, il convient de supposer 18 qu’il s’agit d’un supplément de ce recueil d’Epigrammata annoncé comme « Epytaphiorum opusculum »
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nus in dialogo11, qui relèvent de ce type d’épigramme, pièces qui proviennent de la plume du poète italien Bernardino Dardano, lequel avait séjourné en France en 1502 et que nous allons retrouver tout à l’heure à la jonction des intérêts communs d’Alciat et de Tory. Du genre épigrammatique, deux autres orientations importantes12 seront employées dans les Epitaphia de Tory, mais en prose: celle des épigrammes funéraires, et celle des épigrammes dégageant d’un bref récit une leçon morale. Pour ce qui est d’Alciat, on connaît, avant les emblèmes, sa contribution aux recueils humanistes d’épigrammes, dont Jean-Louis Charlet traite ici. C’est le cas de l’anthologie des Selecta epigrammata Graeca latine versa imprimée en 1529 à Bâle par Bebel, où le nom d’Alciat figure sur la page de titre comme un des trois auteurs du recueil, et dont l’abondante contribution nourrira en grande partie les emblèmes13. Or on trouve également dans ce recueil de 1529, je le signale de nouveau par anticipation, une traduction latine due à Bernardino Dardano14, poète qui est ainsi présent auprès d’Alciat, alors que Tory de son côté avait fait figurer, dans son édition d’un texte du grammairien antique Valerius Probus, en 1510, des épigrammes de ce même Dardano15. Il se trouve aussi que c’est sur l’insistance, entre autres, de Dardano qu’Alciat a accepté de rassembler ses propres épigrammes en recueil, comme notre humaniste l’explique dans une lettre de 1521 adressée à Francesco Calvo16. Troisièmement, à la rencontre des deux orientations précédentes, nous relevons l’intérêt de nos deux humanistes pour les inscriptions antiques, et cela à deux titres distincts. Il y a d’abord l’art de l’inscription comme art de former les lettres-caractères, lequel intéresse particulièrement Tory. Dans Champ Fleury, il a recours à l’épigraphie par exemple à propos des « lettres de tournure », « desquelles les Anciens escripvaient Epitaphes sus les Tumbes des trespassés », ainsi que dans d’autres passages17. Le même ouvrage se réfère aux inscriptions antiques, surtout romaines, que l’auteur pouvait connaître à travers le recueil des Epigrammata antiquae urbis imprimé par Jacobus Mazzochius en 152118, et dont Alciat
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fournit un équivalent pour Milan19. Nous avons alors affaire à une archéologie historique, qui trouve dans les inscriptions des sources documentaires concernant le passé lointain. Pierre Laurens20 a signalé l’importance, pour la genèse de l’emblème, de ces travaux d’épigraphie archéologique d’Alciat dans ses Antiquitates Mediolanenses (1508-1520). Ce qui fait de lui le fondateur de la science épigraphique moderne, c’est que souvent l’on trouve dans ce manuscrit la figure et la transcription textuelle de l’inscription correspondante sur une page, et en face un commentaire : épigraphie et iconographie sont ainsi associées ; quant au commentaire iconographique, il déchiffre les symboles funéraires soit par métonymie (par exemples, des outils déchiffrés comme indice du métier exercé par le défunt), soit en leur conférant un statut de hiéroglyphe à la manière d’Horapollon. Les curiosités de Tory pour l’épigraphie ancienne portent plutôt sur l’art de former les lettres-caractères. Mais dès 1510, il avait donné une édition du texte de Valerius Probus sur les lettres romaines en signalant l’importance qu’il y a de maîtriser le système des abréviations antiques pour le déchiffrement des inscriptions. Il précise que ce texte permet de comprendre la magnifique écriture figurant sur les pièces monétaires ainsi que sur les « tables », c’est-à-dire les plaques commémoratives, et dans les épitaphes antiques21. Cette édition contient par ailleurs, outre des épigrammes de Dardano déjà signalées, une petite anthologie d’énigmes (y compris de la plume de Tory), que celui-ci ne résout pas, afin de laisser le lecteur s’y exercer. Épigraphie, présence d’images gravées et genre de l’énigme sont ainsi associés dans cette impression précoce de Tory. C’est plus précisément au titre de la forme épigrammatique que revêtent certains types d’inscriptions dans leur usage funéraire de l’épitaphe qu’Alciat et Tory se rejoignent. On sait que certains emblèmes d’Alciat consistent dans l’image d’un tombeau, dont l’épigramme nous indique avec l’épitaphe quel est le sens symbolique du monument : c’est le cas de « Sur la trop hastive mort d’un beau jeune fils », de « Le nom des preux est immortel », du « Tombeau d’une paillarde », et du « Tombeau d’Aristomène », emblèmes dont il convient de rapprocher sur le plan thématique « Le terme » avec son Nulli cedo22. Il faut aussi rappeler l’importance, signalée par Pierre Laurens, de la stèle des époux aux mains jointes pour plusieurs emblèmes d’Alciat23, et plus généralement des stèles doubles, de mari et de femme, car c’est ce thème que Tory parodie dans ses Epitaphia, qui unissent dans la
par le colophon de l’Opusculum de mirabilibus de Francesco Albertini, 1510 (chez J. Mazzochi), dont on n’a pas retrouvé de trace, à moins que la mémoire de Tory ait confondu les deux titres, du fait que l’Opusculum de mirabilibus renvoie souvent à ces Epytaphia ; voir dans le Dizionario biografico degli Italiani l’article « Francesco Albertini ». Sur Mazzochius et Tory, voir Karl Giehlow (référence infra, note 25), p. 112-113. 19 F. Vuilleumier et P. Laurens, L’Âge de l’inscription (note 9), p. 95 sq. 20 Ibid., tout le premier chapitre, p. 89-112, notamment p. 93 sq. (Antiquitates Mediolanenses). 21 Voir Valerius Probus, De interpretandis Romanorum literis opusculum (note 1), dédicace. 22 Alciat, Toutes les emblemes (note 8), respectivement p. 194 (Hâtive mort), 167 (Preux), 96 (Paillarde), 57 (Aristomène), 196 (Terme) ; cf. aussi « Tombeau de Jean Galeace Viconte, premier duc de Milan », p. 164. Sur l’emblème alciatien et ses sources épigraphiques, voir F. Vuilleumier et P. Laurens, L’Âge de l’inscription (note 9), p. 100 sq. 23 Voir F. Vuilleumier et P. Laurens, L’Âge de l’inscription (note 9), p. 100.
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Voir ses In filiam epitaphia et dialogi sur sa fille Agnès, qui précise pour certaines pièces leur destination matérielle : différents côtés d’une urne, tabellae proches du tombeau, etc. ; Auguste Bernard, Geofroy Tory, (note 2) reproduit certaines parties de ce recueil, p. 110 sq. Cf. aussi l’impression par Tory des épitaphes en l’honneur de Louise de Savoie, In Lodoicae regis matris mortem epitaphia latina et gallica de 1531. Maurizio Ghelardi, Susanne Müller (trad.) : K. Giehlow, Hieroglyphica. La conoscenza umanistica dei geroglifici nell’allegoria del Rinascimento. Una ipotesi, Turin, Nino Aragno, 2004 (traduction de l’édition allemande de 1915) ; voir p. 265-302 pour Alciat ; Tory y est mentionné pour Champ Fleury au sujet des hiéroglyphes que le Français a vus à Rome et comme éditeur d’Alberti (voir l’Index des noms). F. Vuilleumier et P. Laurens, L’Âge de l’inscription (note 9), p. 99 sq. Sur emblèmes et hiéroglyphes, voir aussi Denis L. Drysdall, « Emblems and Hieroglyphs », Emblematica 1, 2, 1986, p. 227-243. Champ fleury (note 1) dans la « Table des Auteurs allégués », f. A iiiir, et D j r°.
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mort, mais de manière grotesque, les corps de deux amants devenus bizarrement inséparables. Le genre poétique de l’épitaphe est bien représenté dans l’œuvre de Tory écrivain et imprimeur, dont les Epitaphia ne présentent que le versant burlesque, tout en l’associant à la culture humaniste de l’image énigmatique, en particulier en récupérant la figuration animale, et le rôle des outils pour symboliser le type de mort subi par les amants (voir infra). L’œuvre proprement poétique de Tory comporte d’autres épitaphes sur au moins une personne réelle, sa fille Agnès, et les connaissances archéologiques aussi bien que littéraires de l’auteur dans le domaine de l’épigraphie funéraire sont de cette manière recyclées dans sa création personnelle de poète24. Unit aussi le Français et l’Italien leur intérêt parallèle pour les hiéroglyphes redécouverts à travers le texte d’Horapollon, et pour leur statut d’écriture imagée porteuse d’un savoir réservé à une élite d’initiés. On connaît le passage fameux alciatien du De verborum significatione sur les « choses aussi qui signifient » et la référence qu’on y trouve à Horapollon. Karl Giehlow a mené à ce sujet une enquête systématique, mais sans pouvoir étendre son étude jusqu’aux savants français, parmi lesquels Tory aurait dû figurer25. Ces données sont reprises par la plupart des critiques récents : les emblèmes d’Alciat ont pu passer pour des épigrammes hiéroglyphiques, l’emblème étant alors l’équivalent moderne de cette ancienne écriture sacrée. P. Laurens a repris et précisé cette question des rapports étroits entre le texte des emblèmes d’Alciat et la nouvelle culture des hiéroglyphes répandue par le texte d’Horapollon, et cela dès la composition poético-littéraire des épigrammes alciatiennes, avant même qu’elles ne soient accompagnées, dans les recueils imprimés, des images gravées correspondantes26. A côté de l’apport de cette culture hiéroglyphique à la poétique des emblèmes, il faut souligner pour Alciat le fait de ses relations avec Konrad Peutinger, auquel s’adresse la préface des Emblèmes, et qui partage ses compétences d’épigraphiste. Conseiller de l’empereur Maximilien, Peutinger se vit également dédier la première traduction latine, due à Bernardino Trebazio, d’Horapollon, imprimée à Augsbourg en 1515, et qui connut des rééditions, notamment à Paris en 1530. C’est dans ce milieu que fut également réalisée la première version illustrée d’Horapollon, illustrée par Dürer (peintre que Tory mentionne27), dans la traduction de Willibald Pirckheimer, en attendant la première impression illustrée, celle de la traduction française parue en 1543. L’auteur de Champ Fleury déclare qu’il a lui-même traduit en français le texte (latin) d’Horapollon, qu’il cite d’après la version latine de Trebazio, dans un passage où il reprend sur leur sta-
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tut les idées exprimées par Érasme dans l’adage Festina lente et renvoie sur ce thème à Caelius Rhodiginus28. Le même Champ fleury indique les hiéroglyphes épigraphiques que l’auteur a pu voir à Rome, et il mentionne également ceux qui figurent dans le Poliphile de Colonna, ouvrage dont il s’inspire par ailleurs dans ses Epitaphia, nous le verrons. La première traduction française imprimée d’Horapollon (1543) résulte peut-être de celle que Tory annonce dans Champ fleury avoir réalisée, mais sous une forme remaniée due à Jean Martin29. Nous le retrouvons ainsi intensément présent dans le champ des intérêts convergents d’Alciat dans ce domaine. Mais l’attention que porte Tory aux hiéroglyphes comme « escripture faite par images »30 peut déjà se déduire, bien avant Champ Fleury, de l’impression parisienne qu’il préfaça et sans doute prépara lui-même, des Libri de re aedificatoria de Léon-Battista Alberti, en 1512. Le passage d’Alberti sur les hiéroglyphes égyptiens fait partie d’un contexte (chapitre 3 du Livre VIII) traitant De sepulchrorum titulis, notis et sculpturis, et qui contient une réflexion sur la poétique de l’inscription funéraire, qui doit être épigrammatique et brève ; la présentation des hiéroglyphes suit immédiatement. C’est sans doute à Tory, éditeur scientifique de cette impression, que l’on doit les mentions figurant successivement en marge, Epigrammata qualia esse debent, Attende lepidum epigramma, puis Hieroglyphica, thème qui est traité par Alberti sur l’exemple d’inscriptions hiéroglyphiques figurant sur des tombeaux antiques31. Ce passage nous semble décisif, aussi bien pour l’idée qu’Alciat pouvait se faire de l’emblème, à la rencontre de la poésie épigrammatique et de l’écriture par image, que pour Tory associant, dans ses Epitaphia, le texte d’une inscription funéraire et une image résumant de manière symbolique le contenu narratif de l’inscription en question. Le goût de la Renaissance pour les hiéroglyphes est indissociable de la tradition des symboles pythagoriciens comme l’Ypsilon de Pythagore32. Philippe Béroalde l’Ancien, auquel Tory rend un hommage appuyé, et dont il avait suivi les cours à Bologne33, est un vecteur essentiel à la Renaissance de cette association des symboles pythagoriciens et des hiéroglyphes34. Les symboles pythagoriciens sont des formules linguistiques ésotériques, contenant des préceptes pratiques métaphoriquement imagés. Ils pouvaient apparaître à la Renaissance comme la résolution linguistique des hiéroglyphes ; corrélativement, certains emblèmes sont des symboles pythagoriciens transformés en image plastique, ou « hiéroglyphisés ». Dans le manuscrit composé pour François d’Angoulême que nous avons mentionné supra, c’était déjà le cas à propos de l’Ypsilon, et Champ Fleury lui consacre à son tour, « moralisé à la manière antique » comme symbole pythagoricien, trois pages
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Champ fleury (note 1), f. XLIII r. Voir aussi f. XXII r (la lettre comme hiéroglyphe) et surtout f. LXXIII r et v (mention du Poliphile italien). Voir Robert Aulotte, « D’Égypte en France par l’Italie : Horapollon au xvie siècle », Mélanges à la mémoire de Franco Simone, France et Italie dans la culture européenne, vol. 1, Genève, 1980, p. 555-571. Champ Fleury (note 1), f. XLII v ; cf. f. LXXIII. L.-B. Alberti, Libri de re aedificatoria decem, Paris, Jacobi, f. CXXIII r et v. Voir A. Bässler, Andreas Bässler, Sprichwortbild und Sprichwortschwank, chap. V. Champ fleury (note 1), f. XLIX v. Voir M. Ghelardi, S. Müller (trad.) : K. Giehlow, Hieroglyphica, à partir de l’Index des noms propres.
Velà ma susdeclarée Devise & Marque faicte comme je l’ay pensée et imaginée, en y spéculant sens moral, pour en donner aucun bon amonestement aux imprimeurs et libraires de par dezçà, à eulx exercer & employer en bonnes inventions, & plaisantes exécutions, pour monstrer que leur esperit n’aye tousjours esté inutile, mais adonné à faire service au bien public en y besoignant & vivant honnestement.
Ce qui frappe dans ce discours, comme déjà dans l’explication détaillée des symboles figuratifs et scripturaires qui précède, c’est que cette marque personnelle n’est pas seulement, comme le serait une devise ordinaire, le signe de reconnaissance à déchiffrer de sa personne d’écrivain et d’artisan, mais vise à répandre, dans son langage crypté38, une leçon morale et religieuse destinée à l’ensemble des « imprimeurs et libraires » français et qui est conforme au projet global et patriotique de Champ Fleury. Ce souci du « bien public » est cohérent avec la portée collective et même universelle de cette marque, car Tory a souligné précédemment que les différents éléments qui la composent ne concernent pas uniquement sa personne. Le vase cassé (qui provient du contexte épigraphique et hiéroglyphique du Songe
35 Champ fleury (note 1), f. LXI v-LXIII v. 36 Alciat, Toutes les emblemes (note 8), p. 177. 37 Champ fleury (note 1), f. XXV r et f. XLIIIv. 38 Cf. à propos des hiéroglyphes égyptiens servant à écrire leurs « cérémonies »: « […] à fin que le vulgaire, & les ignares ne peussent entendre/ ne facilement sçavoir leurs secrets et mystères » (f. XLIIv) : « Sainctes escriptures », que nul ne pouvoit entendre sans estre grand Philosophe, & qui peult cognoistre la raison et vertus des choses naturelles » (f. XLIIIr).
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entières35. Érasme de son côté appelle les hiéroglyphes symbola dans l’adage « Festina lente », et il y formule ses idées sur l’écriture hiéroglyphique, que reprend Tory dans Champ Fleury. L’emblème correspondant d’Alciat (« Le prince procurant le salut de ses sujets »36) n’indique bien sûr qu’une des significations possibles signalées par Érasme pour le symbole correspondant de l’ancre et du dauphin, au sujet duquel Tory quant à lui ne manque pas de se référer avec respect à Alde Manuce, comme éditeur de grammaire mais surtout pour sa marque d’imprimeur, « marque Hieroglyphique » adaptée du même symbole, juste avant de décrire et de donner l’image de sa propre marque d’imprimeur37. Il s’agit d’une devise qui s’inscrit, certes, dans la tradition des devises-imprese, mais Tory, en bon lecteur d’Érasme, insiste sur la dimension proprement hiéroglyphique de cette marque « au pot cassé », tout en la présentant dans un contexte nettement pré-emblématique. Le caractère hiéroglyphique de cette marque ressort d’abord du contexte dans lequel il l’introduit : c’est celui où il explique à son lecteur ce qu’est « l’escripture faite par images », et où il précise l’origine égyptienne et sacrée du procédé, en se présentant au passage comme le traducteur français d’Horapollon. Tory ne distingue pas formellement « Devises, Resbuz, et escriptures Hieroglyphiques », ce qui lui permet d’évoquer sa « Devise et Marque », qu’il décrit alors et dont il explique le sens caché, avant de se référer au précédent d’Alde puis de faire figurer en pleine page cette marque, encadrée des devises correspondantes : au-dessus du dessin, le motto Menti bonae Deus occurrit, et en dessous Sic, ut. Vel, Ut. Non plus. La partie inférieure de la page, en-dessous de la gravure, est occupée par un nouveau commentaire :
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de Poliphile39) signifie « nostre corps » ; le toret qui le perce, le « fatum » ; en dessous, le livre clos aux trois chaînes cadenassées, à la fois la clôture de la mort, le livre de la vie et son sens, réservé à Celui-là seul « qui sait les secrets », Dieu, cependant que les rayons du soleil « signifient l’inspiration que Dieu nous donne en nous exerceant à vertus et bonnes opérations », etc. La leçon qui se dégage, « Dieu vient au-devant de la bonne volonté, et luy aide » achève de préciser la portée générale de la devise, pourtant étroitement liée à la personne de Tory en raison du jeu de mots implicite toret/Tory sur lequel repose l’image centrale, celle du vase traversé par le toret « qui perce et passe foible et fort ». Parallèlement, parmi les emblèmes d’Alciat, celui qui porte sur sa devise et ses armes repose sur un jeu de mots entre le nom d’Alciat et le mot alkè signifiant en grec la force, lui-même représenté dans l’image par un animal, « l’alce » (en grec, l’élan), « demi-cerf et cheval » qui incarne « force et legerieté merveilleuse », ce qui donne à entendre, selon le commentaire de Barthélemy Aneau, que « les grandes œuvres sont faictes, et les grandes choses acquises, par effort et cours continuel au travail, tant du corps que de l’esprit »40. Devise, hiéroglyphe figurant de manière symbolique une vertu naturelle des êtres et leçon morale universelle convergent comme chez Tory. Chez ce dernier, il n’y a bien sûr pas d’épigramme à fonction descriptive et allusive et il ne s’agit pas d’un emblème. Mais le même contexte hiéroglyphique, chez l’un et l’autre auteur, justifie l’invention personnelle ici d’une « marque », là d’un emblème, sur des thèmes analogues, ici l’exaltation du « service au bien public », là l’efficacité de l’action assidue. Cette convergence artistico-littéraire autour de la devise comme hiéroglyphe/ emblème est peut être scellée par un détail biographique et éditorial que je mentionnerai pour clore ces considérations. L’édition, déjà mentionnée, que Tory avait donnée en 1510 de Probus, De interpretandis Romanorum literis opusculum, est dédiée à deux compatriotes de Bourges, Philibert Babou et Jean Lallemant. Le premier (vers 1484-1557), bien connu pour ses compétences cryptographiques, était en 1510 secrétaire et argentier du roi41. Or Christian Wechel dédia son édition latine parisienne des Emblemata d’Alciat de 1534 à l’un des fils de Babou, Philibert Babou de la Bourdaisière (1513-1570). La dédicace de Wechel se réfère à la sagesse des Égyptiens, et elle reprend le topos du service public, que Wechel exerce au moyen de son art d’imprimeur, ce dont témoigne cette édition des Emblemata, corrigée et revue par Alciat lui-même et désormais munie des célèbres gravures. La raison de cette dédicace, explique Wechel, repose sur l’admiration de Babou pour tout ce qui provient d’Alciat. Ainsi, à deux décennies de distance, le père puis le fils Babou se virent dédier deux ouvrages, l’un de Tory, l’autre d’Alciat, largement issus de la même sphère d’intérêts pour l’épigraphie et l’écriture épigrammatique, et dont la dédicace du second fait entendre comme des échos post-mortem de la voix de Tory.
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Gilles Polizzi (éd.) : Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile, Paris, 1994, p. 245 (même dessin dans la version originale italienne). 40 Alciat, Toutes les emblemes (note 8), p. 19 sq. 41 Voir Robert J. Knecht, Un Prince de la Renaissance. François Ier et son royaume, Paris, 1994, à partir de l’Index des noms propres : il fut ensuite le premier « trésorier de l’épargne ».
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Aediloquium ceu (sic pour seu !) disticha, partibus Aedium urbanarum et rusticarum suis quaeque locis adscribenda, Item, Epitaphia septem de Amorum aliquot passionibus Antiquo more et sermone veteri, vietoque conficta, Paris, Simon de Collines, 1530 (1531 nouveau style). Vieto signifie flétri, fané, ce qui annonce à la fois le style archaïsant et recherché des épitaphes, et l’ironie des prétentions humanistes de l’auteur. 43 D. Russell, Emblematic Structures (note 3), p. 106-108. Voir pour une étude systématique de la seconde partie, les Epitaphia, notre contribution « La loi burlesque de la mort en série dans les Epitaphia de amorum aliquot passionibus de Geoffroy Tory (1530) », Séries et variations. Études littéraires offertes à Sylvain Menant, Paris, 2010, p. 373-387.
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Les curiosités de nos deux auteurs pour les symboles pythagoriciens et les hiéroglyphes s’inscrivent elles-mêmes dans un intérêt plus général pour les rapports herméneutiques et sémiotiques entre le texte et l’image dont témoignent à la fois les Emblemata d’Alciat et la publication de Tory à laquelle je voudrais consacrer le dernier point de cet examen. Tory est le représentant d’une tradition soucieuse de « moraliser » les textes poétiques, d’en dégager un sens allégorique et didactiquement édifiant. La préface de sa traduction française de la Table de Cébès (1529), insiste sur ce point, et l’ensemble de cet imprimé s’achève sur des textes didactiques moraux en vers. La même préoccupation s’exprime, mais de manière originale, dans le Champ Fleury, à propos cette fois des lettres, invitées à vêtir des formes qui soulignent leurs significations symboliques. Nous retrouvons cette préoccupation avec l’Aediloquium imprimé en 153142, mais sur un mode plus discret et très différent par les genres d’écriture comme par les tons littéraires qu’il illustre. Cette publication comprend deux parties, dont l’articulation reste implicite. La première partie, l’Aediloquium, ou « énoncé de la maison », contient des distiques épigrammatiques qui décrivent chacun une réalité constitutive d’une maison à l’antique et du domaine rural environnant, de la porte d’entrée aux plantes et aux installations du jardin. La seconde partie, les Epitaphia de amorum aliquot passionibus est constituée de sept épitaphes qui suivent le même schéma formel : nous lisons chaque fois un titre (constitué par les noms de deux amants) ; l’inscription Diis Manibus Sacrum ; le récit en prose de l’amour tragique qui a conduit les deux amants, réunis pas la mort, sous la tombe où figure ce texte qui commémore leur aventure, provoquée par un accident malheureux ; un pictogramme représente symboliquement la cause de leur mort, par exemple la flèche (transperçant deux cœurs !) décochée par un chasseur et qui les a fait périr simultanément ; enfin, une sentence mise dans la bouche des amants défunts fixe pour la mémoire du passant le sens moral de l’histoire qu’il vient de lire. Par exemple, recordatio mortis, vitae est ornamentvm. On peut voir dans cette seconde partie du recueil, comme le suggère son titre complet, l’illustration littéraire et typographique d’un art de l’inscription funéraire à l’antique restauré par Tory. Le volume reste en tout cas muet sur le lien entre les deux parties du livre. Le lecteur perçoit néanmoins d’emblée un point commun aux deux éléments du diptyque, et qui relève de la figure rhétorique de la prosopopée. La première comme la seconde parties font en effet parler des réalités inanimées : ici, les éléments d’une maison, à travers ces brèves descriptions épigrammatiques des différentes réalités qui composent le domaine que nous visitons, là, des personnages morts, lesquels parlent encore au moyen des inscriptions figurant sur leurs tombes en s’adressant, selon une convention du genre de l’épitaphe, au passant (viator). À ma connaissance, le livre a peu intéressé la critique, en dehors de Daniel Russell43.
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Celui-ci voit dans ce « chef-d’œuvre typographique » un des précurseurs des emblèmes d’Alciat. Il signale aussi que la première partie, celle qui contient les épigrammes, est certes dépourvue d’illustrations, mais présente un caractère emblématique « in their mnemonic intention and in their relationschip to the site of their inscription ». Quand à la seconde partie, la suite des sept épitaphes, il leur manque, pour être des emblèmes, « the moralizing tone and the allegorical relationship between picture and text that we expect to find in an emblem », énoncé qui m’étonne, car au contraire, d’une part ces épitaphes affichent en apparence un ton didactiquement moralisateur, et d’autre part, le rapport entre le texte et l’image, sans être de type emblématique, repose sur le procédé de l’allégorisation de l’image dont la signification n’est compréhensible que si on la réfère au texte narratif qui précède. Russel ajoute cependant, ce qui me semble exact, qu’on a affaire à un exemple de format textuel dans lequel « the picture is one with the text and […] they are intended to form a single entity »44. En ce qui concerne l’Aediloquium, le modèle de ce type de distiques épigrammatiques se trouve dans un recueil d’épigrammes imprimé par Froben à Bâle en 151845, et qui comprend notamment, à côté d’autres œuvres de Lodovico Lazarelli, de Fausto Andrelini et de Bernardino Dardano (que nous retrouvons donc une fois de plus46), 109 épigrammes de Luigi Biggi Pittorio, 87 autres de Benedetto Giovio (le frère de Paul Jove), 104 de Lorenzo Lippi, et 27 distiques didactiques et moraux de Michele Verino. Benedetto Giovo47 était, comme Dardano, en rapport avec Alciat, et ses distiques sont adressés à Francesco Calvo, autre relation intime du juriste milanais. Les épigrammes de Giovio fournissent le modèle direct de l’Aediloquium de Tory. En effet, dans ce recueil de 1518, une première série de distiques issus de sa plume décrit systématiquement les divers éléments d’une demeure en faisant parler ces réalités matérielles en fonction des circonstances dans lesquelles on les rencontre. Parmi ces distiques, une sous-série est consacrée au miroir qui orne la maison, avec ses différentes valeurs symboliques et morales. On passe ensuite au jardin, où l’on trouve entre autres les arbres, par exemple le buis, qui se signale par sa perpétuelle verdeur, que le passant (apostrophé par le buis) croit inutile, mais le buis lui signale que l’abeille ne manque pas de le visiter lui aussi. On n’est pas dans un registre symbolique, comme avec le buis de l’emblème alciatien consacré à cet arbuste, et qui parle du tempérament des amoureux, à l’image du buis48, mais la donnée d’histoire naturelle n’est pas dépourvue de sens moral, comme c’est souvent le cas pour ces distiques de Giovio consacrés à la maison. C’est encore la même chose avec les 104 distiques encyclopédiques de Lorenzo Lippi, lequel, en-
44 D. Russell, Emblematic Structures (note 3), p. 108. 45 Pictorii sacra et satyrica epigrammata […]. Voir sur ce recueil les pages en ligne des Opera poetica Basiliensia, 46 Voir sur lui (circa 1472-1535) Carlo Vecce, « Bernardino Dardano, un poeta italiano alla corte di Luigi XII », Studi in memoria di Antonio Possenti, Pise-Rome, 1998, p. 559-573. 47 Voir sur lui le Dizionario biografico degli Italiani, vol. 56 ; né en 1471 à Côme, il est mort en 1545, a étudié le droit et était notaire avant de devenir chancelier de sa cité ; Charles Quint le fit comte palatin en 1530; on lui doit, entre autres, une collection épigraphique des inscriptions de Côme et de sa région, et il a participé à une édition commentée et illustrée de Vitruve, activités qui le rapprochent de Tory, épigraphiste et éditeur d’Alberti, etc. Il a entretenu une intense correspondance avec Alciat. 48 Alciat, Toutes les emblemes (note 8), p. 264.
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Sur ces épigrammes épidictiques, où une chose vue (comme un arbre) déclenche le processus allégorique, voir P. Laurens, L’Abeille dans l’ambre. Célébration de l’épigramme, Paris, 1989, p. 435 et p. 436 : « montrer l’objet, avant d’en signifier la valeur ». On a vu plus haut que Tory avait publié en 1510, dans son édition de Valerius Probus (voir note 1), une épigramme où la ville de Bourges se décrit sub loquente persona ; mais il ne s’agissait pas d’un pré-emblème, la description donnée étant « réaliste » et non symbolique. Voir par exemple l’emblème « Les prudens se abstiennent de vin », où l’olivier demande à la vigne de se retirer, « Car de Pallas divin arbre je suis », Alciat, Toutes les emblemes (note 8), p. 46.
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tre autres, fait parler les plantes, les animaux, etc. Exploitant une des veines de l’anthologie grecque49, ces distiques descriptifs correspondent à la partie de l’épigramme alciatienne qui décrit la res, notamment quand c’est la chose elle-même qui se décrit50 au moyen de certaines figures rhétoriques comme la prosopopée51, l’apostrophe, ou le dialogisme. De plus, l’orientation à la fois encyclopédique, didactique et morale de l’ensemble de ce recueil de 1518 souligne par comparaison une des dimensions essentielles des emblèmes d’Alciat : la description qui est donnée d’une réalité sert à en tirer un sens moral. Enfin, la série des emblèmes alciatiens consacrés aux arbres se trouvera, comme d’après ces modèles et dans l’Aediloquium de Tory, en position finale dans le recueil, ce qui s’explique bien en fonction de la structure de nos recueils italiens d’épigrammes, qui suivent l’ordre d’une visite de la maison s’achevant au jardin, et pas seulement, comme le dit la préface de Barthélemy Aneau expliquant sa méthode de la mise en lieux communs des emblèmes, parce qu’on passe du haut (Dieu) au bas (les arbres). La seconde partie du recueil de Tory, les Epitaphia, comporte, si l’on en croit la préface et la conclusion de l’ouvrage, des exemples édifiants des dangers de la passion amoureuse, et une leçon morale. Ces épitaphes proposent en effet autant de variations sur un même thème de manière à faire ressortir progressivement une dégradation burlesque du schéma narratif initial, de son intention édifiante et de ses prétentions savantes, sur un mode parodique qui joue de traditions fictionnelles diverses. Chaque épitaphe comprend, on l’a vu, trois éléments essentiels : le « titre », composé des noms des deux amants, le récit, et, en guise de conclusion, le pictogramme et la sentence finale. On est tenté de rapprocher cette structure de celle de l’emblème dans sa structure tripartite : le titre (inscriptio), l’image (pictura), et le texte (subscriptio) qui glose le titre et l’image. Mais le rapprochement s’arrête là. D’abord parce que l’ordre des trois éléments est différent. D’autre part, entre les deux noms propres de nos épitaphes et l’inscriptio de l’emblème, entre le récit en prose d’une aventure amoureuse singulière et le texte versifié de la subscriptio, et entre le pictogramme résumant un mode de décès et l’image symbolique de l’emblème, il y a également une différence de nature. D’un côté nous avons affaire à un genre poético-littéraire (l’épitaphe) utilisé comme matrice pour la mise en série de brèves narrations en prose de destins individuels, complétées par le pictogramme et la sentence (qui sert de « morale »), de l’autre à une structure poético-hiéroglyphique qui met en œuvre des significations essentiellement symboliques à portée universelle, et que n’épuise pas le thème éventuellement narratif qu’elles mettent en œuvre. Chez Tory, l’épitaphe reste bien une épitaphe, et sa fiction narre un événement
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singulier (figuré dans le pictogramme), même si la leçon de la sentence finale se veut abstraitement didactique. Les sources ou plutôt le modèle de Tory pour ses sept épitaphes sont d’une part Le Songe de Poliphile italien, ouvrage auquel il renvoyait déjà dans Champ Fleury au titre des hiéroglyphes et qui contient plusieurs épitaphes qui ont inspiré Tory, notamment une épitaphe des amants Leontia et Lollius, dont les corps, retrouvés toujours embrassés après des aventures romanesques, furent ensevelis dans l’urne dont nous lisons l’inscription. Tory en a extrait une matrice narrative commune qu’il infléchit ironiquement. Elle comporte les quatre motifs suivants : amour de deux personnages identifiés par leur nom, accident fatal, ensevelissement commun et inscription sous forme d’épitaphe narrant l’aventure. Mais la reproduction répétitive du schéma dans les sept épitaphes accuse, selon une loi de la série qui parcourt les différents registres littéraires mobilisés, une progression parodique de plus en plus marquée vers le registre bas, le comique et même le sordide. Un autre modèle se trouvait dans une des épigrammes du recueil en partie alciatien des Selecta epigrammata mentionné supra, où figure, parmi celles qui sont dirigées « contre les adultères », celle-ci, dont je traduis en français la traduction latine, due à Janus Cornarius : Un jour un homme adultère chercha à entrer dans un lit illicite, Il y écrasa à la dérobée la femme d’un autre. Voici que soudain le ciel du lit s’effondre, et que les deux criminels Ensemble, les corps unis, sont tués. Un seul piège (« lac ») les prend tous deux, un seul lieu les tient, Et la mort n’a pas défait ces liens illicites52.
Il s’agit exactement du type de situation que les épitaphes de Tory illustrent chacune à son tour, avec le même ton (apparemment) moralisateur. À la différence des épitaphes du Poliphile italien, une situation scabreuse entoure l’accident fortuit, la mort commune, et l’union fatale des deux corps jusque dans la tombe. Il ne manque à cette épigramme, avec une sentence didactique en dégageant explicitement la morale, que l’image ; ce serait un tombeau qui représenterait matériellement le ciel du lit devenu lien, chaîne, c’est-à-dire symboliquement, « piège » (laqueus)53. Sur le plan littéraire, l’effet de série des sept épitaphes chez Tory a pour effet de souligner, avec l’imitation du prestigieux modèle italien du Poliphile et celle de cette épigramme antique, un humour qui démystifie les prétentions sérieuses et les émotions des genres littéraires nobles. Les Epitaphia sont ainsi une parodie dérisoire de la propre culture humaniste de Tory, ce qui ne les empêche pas de convoyer également une leçon morale, dans le registre des jocoseria. Quant aux pictogrammes de ces Epitaphia, ils ont plutôt le statut de quasi-rébus en même temps que de quasi-images d’une devise ; c’est que les contemporains, et surtout Tory dans Champ fleury, ne distinguent pas nettement les hiéroglyphes du rébus et de la devise. À la lumière de ce recueil, il n’y a donc pas lieu d’opposer le modèle formel de la devise, qui rendrait compte du titre et de l’image
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Selecta epigrammata (note 14), p. 285. Voir pour ce rapprochement en particulier les Epitaphia de Tory des p. 32 et 42.
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G. L. Barni (éd.) : Andrea Alciato, Le Lettere (note 16), p. 46.
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d’un emblème, et celui de l’emblème, ajoutant l’épigramme qui résoudrait, elle, l’énigme du titre et de l’image, ni non plus la portée différente des deux genres, la devise étant individuelle, et l’emblème, à portée symbolique universelle : les « devises-rébus » des Epitaphia concernent en effet chaque fois deux noms propres, et une aventure individuelle, mais dont la signification morale est généralisable. Apparentent entre elles ces diverses sortes de figuration symbolique le caractère énigmatique des signes imagés, et la possibilité de leur déchiffrement, pourvu que l’on dispose du « discours » sous-jacent et qui appelle en quelque sorte sa propre représentation imagée. Ce discours est fourni chez Alciat par un sous-texte ou mythologique ou historique, ou provenant (comme dans les hiéroglyphes) de la philosophie naturelle54 ; il subit dans les Epitaphia un renversement humoristique et, consistant en une épitaphe fictionnelle, il devient une fausse « nouvelle tragique », de type anecdotique. À tous égards, l’epitaphium de Tory est donc en quelque sorte un contre-emblème. En conclusion, si je n’ai pas trouvé de contact personnel direct entre Tory et Alciat, bien des points vont dans le sens d’un partage, et pas seulement d’une analogie, des curiosités de nos deux auteurs et de leurs réflexions sur les rapports entre la culture épigraphique, la poétique de l’épigramme, celles de l’énigme et de sa figuration symbolique : la culture et les séjours italiens de Tory, le lien de la ville de Bourges, et peut-être les rôles intermédiaires de Bernardino Dardano et de Philibert Babou, suggèrent en tout cas plus qu’un simple parallèle de leurs œuvres respectives dans le contexte de la culture pré-emblématique de cette période.
De milan à bourges : André Alciat, professeur de droit et homo viator, d'après les éloges posthumes de Giovanni Matteo Toscano (1578) et François le Douaren (1551) George Hugo Tucker - University of Reading
Dans cette étude nous présenterons un portrait double d’Alciat : de professeur de droit humaniste milanais, et de juriste cosmopolite, pris entre l’Italie et la France, entre Milan et Bourges. Né à Alzate (Côme), et formé à Pavie, puis à Bologne, si « Alciatus » a passé ses premières années d’avocat à Milan (1514-1518) et ses débuts de professeur de droit à Avignon (1518-1522), il devait retourner à Milan pour cinq ans (1522-1527) en se consacrant à son programme humaniste, pour poursuivre sa carrière de professeur à Bourges (1529-1533) à l’invitation de François Ier, puis à Pavie (1533-1537), à Bologne (1537-1542), et à Ferrare (1542-1546) à l’invitation d’Hercule II d’Este, avant de retourner en 1546 à Pavie, où il mourut le 12 juin 1550. De cette vie et cette carrière errantes, et des traces qu’elles ont laissées dans les écrits des contemporains, l’aspect qui nous concernera sera l’image posthume de ce juriste humaniste, viator, esquissée dans deux éloges qui présentent Alciat, d’une part comme un compatriote milanais, réformateur de l’étude et de la pratique du droit antique romain (et comme le père-fondateur de la jurisprudence humaniste française), et, d’autre part comme le grand professeur invité de Bourges, féru de l’élégance humaniste, qui seul avait renouvelé les études de droit en y attirant les hommes de talent. Nous aurons affaire au portrait laudatif d’Alciat peint vers 1578 par le littérateur italo-milanais de la France de Catherine de Médicis, Giovanni Matteo Toscano, ami et élève de Jean Dorat, maître de la Pléiade1. Mais nous découvrirons aussi un témoignage de 1551, transmis dans les Œuvres complètes (1592) du juriste de l’école juridique-humaniste française, François le Douaren (1509-1559). Formé
1 Voir Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne…, Paris / Leipzig, 1843, t. 42, p. 2-3 ; Filippo Argelati, Bibliotheca scriptorum mediolanensium, 2 tomes, Milan, in æd. Palatinis, 1745, t. II, col. 15071509 ; Max Engammare, « Que fais-tu là Dorat… en bas d’une haute fenestre ? La religion de Dorat, de la tiédeur aulique à la spiritualité engagée » et G. Hugo Tucker, « Jean Dorat et Giovanni Matteo (Giovanmatteo) Toscano, lecteurs des Pythiques de Pindare en 1566 : le double témoignage des ouvrages publiés (1575-1578) de Toscano et d’un livre annoté par lui (1564-1566/7[?]) », le chapitre de M. Engammare et celui de G. H. Tucker apparaissent tous les deux dans Ch.de Buzon et J.-E. Girot (éd.), Jean Dorat : poète humaniste de la Renaissance. Colloque international de Limoges, 6-8- juin 2001, 2007, respectivement p. 65-94 et 199-236.
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à Paris sous Budé (1467-1540), et à Bourges sous Alciat, le Douaren devait être nommé professeur de droit dans cette ville en 1538 (cinq ans après le départ d’Alciat), pour y rester dix ans jusqu’en 1548, et pour y retourner en 1551, juste après la mort d’Alciat et jusqu’à sa propre mort en 1559. Mais pour situer notre portrait d’Alciat dans un contexte plus large, lié à sa culture humaniste, nous examinerons en premier lieu l’idée de l’homo viator telle qu’elle affleure dans les Emblemata, où l’on voit les traces d’une conception stoïcienne du parcours de la vie humaine, qui relève, à notre avis, du choix légendaire (existentiel et moral) d’Hercule in bivio, sous la forme d’une opposition de la vertu et de la Fortune – opposition à laquelle une telle conception « herculéenne » de l’homo viator est liée (voire, opposition et juxtaposition inscrites dans la devise personnelle d’Alciat, Virtuti fortuna comes). Ensuite, nous étudierons les deux éloges d’Alciat déjà cités : celui poético-biographique de Toscano dans son Peplus Italiæ (« La robe de l’Italie ») paru à Paris2 ; puis l’hommage juridico-biographique rendu par le Douaren dans son discours de 1551, prononcé à Bourges au moment où le juriste français venait d’être nommé de nouveau professeur dans la mouvance de son maître décédé3.
Homo viator : vertu et Fortune dans les Emblemata ; héroisme herculéen dans les études humanistes et juridico-humanistes Dans les Emblemata – dont l’editio princeps (Augsbourg, 1531) fut publiée au milieu du séjour d’Alciat à Bourges –, nous rencontrons en microcosme une sorte de paradigme emblématique de la carrière de l’auteur humaniste errant. Nous pensons aux trois emblèmes (no 130 à 132 de l’édition Plantin de 1577) enjambant les sections thématiques Virtus et Honor des éditions postérieures à 1550, emblèmes consacrés au thème de la « vertu » herculéenne de l’homo viator, où ce viator existentiel s’assimile à l’homme des lettres, héros de l’humanisme. Si ces trois emblèmes nous intéressent à cause de leur portée quasi-autobiographique, nous avons choisi de les consulter dans deux éditions qui venaient de paraître lorsque le Douaren prononçait son éloge d’Alciat à Bourges, et lorsque Toscano publiait son Peplus : celle lyonnaise de 1550/1551, et celle d’Anvers de 1577, dotée du commentaire de l’avocat dijonnais Claude Mignault (1536-1606)4. Dans ces éditions importantes, l’emblème-devise d’Alciat, Virtuti for-
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Giov. Matteo Toscano, « andreas alciatvs », in id., Peplus Italiæ…, in quo illustres viri Grammatici, Oratores, Historici, Poëtæ, Mathematici, Philosophi, Medici, Iurisconsulti… eorúmque patriæ, professiones, & litterarum monumenta tum carmine tum soluta oratione recensentur. Ad Antonium Ebrardum Sansuplicianum Episcopum, & Comitem Cadurcensem…, Paris, ex off. F. Morelli, 1578, lib. III, p. 77-78. François le Douaren, « Oratio […] recitata in cooptatione D. Nicolai Buguerii, Anno 1551, Die 15 Decemb. », in id., Omnia… opera, Francfort, hæred. A. Wecheli, Cl. Marnius, et Io. Aubrius, 1592, p. 1113-1116 (p. 1115). André Alciat, Emblemata… denuo ab ipso Autore recognita,… Accesserunt nova aliquot ab Autore Emblemata …, Lyon, M. Bonhomme pour G. Rouille, 1550/1551, p. 142-144 [Univ. Glasgow SMAdd265 et SM34 () / SM34A ()] ; id., Omnia… Emblemata : Cum commentariis… Per Claudium Minoem Divionensem, Anvers, ex off. Chr. Plantini, 1577, p. 441-450 [Univ.
Alciat(-Alcide) : Hercule in bivio Si un tel parcours « vertueux » correspond à celui emprunté par l’Ulysse philosophique des Cyniques et des Stoïciens (Ulysse à la recherche du savoir et du bien suprême), ce parcours
Mannheim Sch 052/029 () ; Univ. Glasgow SM48]. Sur Mignault, voir Denis Drysdall (éd.), Claude Mignault of Dijon : Theoretical Writings on the Emblem, A Critical Edition, with apparatus and notes (http://www.emblems.arts.gla. ac.uk/ Mignault_intro.html). 5 A. Alciat, Emblemata (note 4), 1550/1551, p. 130-131 ; Omnia… Emblemata (note 4), 1577, p. 404. 6 A. Alciat, Omnia… Emblemata (note 4), 1577, p. 404-405 (comm. Mignault): Quod schema quàm bellè Alciato convenerit, facilè possunt intelligere, qui eius prudentiam iuris & eloquentiam, qua cæteris excelluit, unà secum reputant. Id enim studium, eaque facultas effecit, ut magnos honores & honestas opes ad vitæ præsidium sibi compararit. Sur l'emblème Virtuti fortuna comes, voir l'étude de Stéphane Rolet dans ce volume. 7 A. Alciat, Emblemata (note 4), 1550/1551, p. 142 ; Omnia… Emblemata (note 4), 1577, p. 441-445. Ibid. [1550/1551] p. 143 / [1577], p. 445-448. 8
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tuna comes, figurait en tête du groupe d’emblèmes traitant le sujet de la virtus5, pour illustrer, selon Mignault, le succès remarquable de la combinaison, chez Alciat, de l’« étude » de la « jurisprudence » avec celle de l’« éloquence » – réussite qui avait valu au professeur-juriste « de grands honneurs » et de grandes « richesses méritées »6. Dans ces trois emblèmes Alciat exploitait la puissance conceptuelle et affective de l’image symbolique pour faire entrevoir à ses lecteurs, dans le premier des trois, le chemin privilégié d’un « remède » contre les « maux » de l’existence humaine. Plus précisément, il s’agit du chemin « ardu » de la virtus assimilé au sentier difficile et escarpé des « prières » (et donc au repentir). Car, dans cet emblème 130 (qui clôt la section consacrée à la virtus [1550/1551]), le thème de la Fortune, liée nécessairement à son opposé, est illustré par l’aphorisme Remedia in arduo, mala in prono esse (« Les remèdes se trouvent sur le chemin qui monte, mais les maux, sur celui qui descend »), accompagné de l’image de trois vieilles femmes, « filles de Zeus » (proles Iovis) – les Litæ (« Prières ») de l’Iliade (9, 502 sq.) d’Homère –, qui font l’ascension pénible d’une montagne par un chemin rocailleux afin de porter remède (de « raccommoder ») le « mal » fait à l’humanité par la folie de l’Ate (Sarturae quicquid fecerit illa [Ate] mali), alors que l’Ate « la nuisible » (« le péché » ou « la ruine » personnifiés) y est représentée en chute libre, précipitée devant les yeux de ces « Prières » par Zeus leur père, qui vient de l’expulser de l’Olympe7. Puis, dans l’emblème no 131 [1577], qui se trouve en tête de la section intitulée Honor [1550/1551], sera mis en vedette le statut supérieur d’une entreprise vertueuse telle que celle des « Prières » (quelque lent que soit leur parcours pénible, à opposer à la rapidité de la chute de l’Ate), mais entreprise associée maintenant à celle de longue haleine des Grecs sur le point de s’embarquer pour Troie. Si cet emblème 131 représente la prophétie de Calchas sur la durée de la guerre de Troie (prophétie faite, selon l’Ulysse de l’Iliade [2, 301-332], à partir du présage d’un serpent [le Temps] qui mangent huit oisillons et leur mère [les neuf années écoulées au moment où Ulysse parle]), l’enseignement moral de cet emblème porte sur la constatation que « la renommée éternelle naît de tout ce qui est difficile, et escarpé » (Ex arduis perpetuum nomen)8, liée par l’épithète arduus au thème de la virtus.
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philosophico-héroïque rappelle surtout celui des labeurs et des épreuves du demi-dieu Hercule – Alcide –, héros qui, depuis l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, avait été également le sujet de maints commentaires philosophiques cyniques, stoïciens et néo-platoniciens, ainsi que chrétiens, et dont les douze « labeurs » fournissaient le sujet d’un autre emblème d’Alciat, Duodecim certamina Herculis (no 137 [1577]), figurant dans la même section consacrée à l’Honor9. Ce chemin de la « vertu » fait penser à la description chez Hésiode (Travaux et jours, v. 287-292) des deux chemins opposés (l’un difficile, l’autre facile) de la Vertu et du Vice, ainsi qu’à l’élaboration ultérieure de ces vers d’Hésiode chez le sophiste Prodicos (dans son apologue célèbre sur l’Hercule adolescent, obligé de choisir entre ces deux chemins, qui constituent un bivium [« bifurcation »] ou « carrefour » existentiel)10. Citées ensemble dans les Mémorables (2, 1, 21-34) de Xénophon, ces deux sources antiques, d’Hésiode et de Prodicos, devaient inspirer de multiples imitations et commentaires dans la tradition latine. En France, nous en trouvons une version française dans les Memoires de Xenofon (Paris, 1582) de Jean Doublet de Dieppe (1528 ?-1604 ?), contemporain de le Douaren et de Toscano11. Et déjà dans le commentaire latin de Mignault (1577) sur les Emblemata d’Alciat (commentaire qui glosait cet emblème Ex arduis perpetuum nomen de façon intertextuelle), le commentateur ne manquait pas de transposer en latin les vers célèbres d’Hésiode, qui opposaient le chemin difficile de la Vertu à celui plus facile du Vice, bifurcation morale liée à l’apologue de Prodicos sur le jeune Hercule12.
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Ibid. [1550/1551] p. 149-150 / [1577], p. 461-467. Voir Jean Pépin, Mythe et allégorie : les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, 1976 [1958], p. 103. 11 Jean Doublet (trad.), Les Memoires de Xenofon Athenien… traduits du Grec en François, Paris, Denys du Val, 1582, f. 29r-32v (f. 29r-31r) : « les aises & voluptez qui viennent facilement […] ne sont propres ni à faire bonne disposition de corps […] ni à orner l’esprit […] ; mais les solicitudes aveques constance & patience, sont celles qui font parvenir aux beaux & vertueux faits […]. Et mesmement le poète Hesiode chante ainsi […] Le vice est à trouver facile, & à toute heure Car douce y est la voye & fort prez il demeure: Mais les dieux immortels ont logé la vertu Entre mille sueurs; & long & peu batu Et roide est le chemin qui devers elle meine, Et sur tout, à l’entrée est d’une horrible peine: Mais quand aux cimes vient, quelque facheus qu’il soit, Aisé au demeurant & tresdoux s’apperçoit. […] Prodic pareillement […], en certain écrit qu’il a composé d’Ercule […] allegue semblables choses de la vertu, […] Il dit qu’Ercule, comme il passait de l’enfance en l’adolescence (qui est l’age auquel les jeunes hommes devenans maistres d’euxmesmes, commencent à monstrer si, pour faire le voyage de leur vie, ils se tourneront au chemin ou de vertu ou de vice) […] commença à mettre en doute en son esprit lequel il prendroit des deux chemins ». 12 A. Alciat, Omnia… Emblemata (note 4), 1577, p. 445-448 (comm. Mignault, p. 447) : Ait enim Hesiodus : Amplecti vitium cumulatim & sumere promptum est : Namque iter id facile est, nec eo vicinius ullum. Dii quoque sudorem virtuti præposuerunt, Ad quam longa via est atque ardua, & aspera multum Offertur : tamen est ubi ad alta cacumina ventum, Fit facilis, primò fuerat quæ tam ardua virtus. Pour une traduction française, voir celle de Doublet, ci-dessus, n. 11.
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Voir Erwin Panofsky, Hercules am Scheidewege und andere antike Bildstoffe in der neueren Kunst, Leipzig / Berlin, 1930 (p. 38 sq. « “Hercules Prodicius” : Die Wiedergeburt einer Griechischen Moralerzählung in Deutschen und Italienischen Humanismus ») ; Samuel C. Chew, The Pilgrimage of Life, New Haven / Londres, 1962, p. 175-181 ; Gerhart B. Ladner, « Homo Viator : Mediaeval Ideas on Alienation and Order », Speculum : A Journal of Mediaeval Studies, 42/2, 1967, p. 233-259 (p. 240-241) ; Franz De Ruyt, « L’idée de “Bivium” et le symbole pythagoricien de la lettre Y », Revue Belge de Philologie et d’Histoire : Recueil Trimestriel, 10, 1931, p. 137-144. 14 Voir E. F. Rice (éd.) : Theodor E. Mommsen, Medieval and Renaissance Studies, Jr, Ithaca, NY, 1966 [1959], p. 175-196 ; le commentaire de Karl A. E. Enenkel (éd.) : Francesco Petrarca, De Vita Solitaria Buch I., Leyde, 1990, p. 396-407. 15 A. Alciat, Emblemata (note 4), 1550/1551, p. 144 ; Omnia… Emblemata (note 4), 1577, p. 449-450. Voir G. Hugo Tucker, « Introduction : Petrarch’s Curious Mountain of Virtue », in id. (éd.) Forms 16 of the « Medieval » in the « Renaissance » : a multidisciplinary exploration of a cultural continuum, Charlottesville, VA, 2000 [2001], p. 1-25. Quant à la prise de position carrément anti-monastique d’Alciat, consulter, dans ce volume, Christine Bénévent « Alciat et le Contra vitam monasticham ». 17 Henri Chamard (éd.) : Joachim Du Bellay, La Deffence et illustration de la langue françoyse, Paris, 1997 [1948 ; 1970], p. 127-136 (II.v « Du Long poëme Françoys », p. 136) : « Espere le fruict de ton labeur de l’incorruptible & non envieuse posterité : c’est la Gloire, seule echelle par les degrez de la quele les mor-
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Ce n’est pas le lieu de fournir ici une paraphrase de la légende de ce « choix d’Hercule au carrefour des chemins » (d’Hercules in bivio) dans la mouvance de toute la critique littéraire qu’elle inspire depuis des décennies, ni de tracer le parcours de ce topos célèbre depuis l’Antiquité et à travers le Moyen Âge, jusqu’à l’humanisme italien13. Retenons, pourtant, le fait que dans son De vita solitaria (1, 4, 1 ; 2, 13, 550, 5-12), Pétrarque réintégra ce topos moral dans la conscience humaniste italienne comme symbole par excellence du choix à faire entre la vita contemplativa et la vita activa. En ce faisant, il fut influencé par le résumé du récit de Xénophon fourni par le De officiis (1,32,118) de Cicéron (cité par Pétrarque), qui soulignait, comme le faisait le texte grec de Xénophon, le côté solitaire des réflexions morales du héros14. Or, ici, dans les Emblemata d’Alciat, on peut reconnaître un reflet supplémentaire de ce topos du choix d’Hercule in bivio, appliqué, cette fois, au cas de l’homme des lettres humanistes, et donc à l’auteur même des Emblemata, Alciat (nouvel Hercule, voire nouvel Alcide). Car le troisième emblème de ce tryptique qui lie « vertu », « gloire » et « immortalité » héroïques – le no 132 [1577] Ex litterarum studiis immortalitatem acquiri (« Acquérir l’immortalité par l’étude des Lettres »)15 – porte sur un troisième chemin de la vertu (après ceux de la « prière » et de la vita activa évoqués dans les deux emblèmes précédents) : celui laborieux et ardu de l’étude humaniste des lettres – chemin emprunté par Alciat lui-même, comme par son devancier humaniste-viator Pétrarque (auteur de l’allégorie semblable de la Lettre du Mont Ventoux, dans laquelle Pétrarque avait mis en scène son propre choix d’un parcours existentiel humaniste, qu’il avait opposé à celui contemplatif, monastique de son frère carthusien Gherardo)16. Si, chez Alciat, le fruit de ce labeur d’humaniste, « l’immortalité », est illustrée par l’image d’un Triton qui sonne une conque marine (symbole de la gloire), entouré d’un serpent qui se mord la queue (symbole de l’éternité), il devait trouver par la suite un écho des plus célèbres chez Du Bellay dans La Deffence et illustration de la langue françoyse (Paris, 1549), où l’auteur promet l’immortalité à un éventuel poèteHercule, futur auteur d’une épopée nationale française17.
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Que ce soit conscient ou inconscient, voulu ou fortuit, la représentation autobiographique chez Alciat du choix fondateur d’un parcours existentiel et intellectuel (celui de l’humanisme héroïque) devait trouver un reflet « herculéen » dans le portrait élogieux d’Alciat milanais esquissé vingt-huit ans après sa mort par son compatriote Toscano – lui aussi homo viator, pris entre l’Italie et la France (entre Milan et Paris). Car pour Toscano, Alciat avait été l’Hercule qui seul avait tué de sa propre main de juriste humaniste l’« hydre » des commentaires confus ou erronés pré-humanistes sur le droit romain. Cet exploit devait donner naissance, selon Toscano, à une nouvelle génération de juristes humanistes, qu’il passe en revue : François le Douaren, et le collègue-rival de le Douaren à Bourges (1555 ; 1559-1567) Jacques Cujas (1520-1590) ; mais aussi (de la génération précédente) Ulrich Zasius (1461-1535) de Tubingen et de Fribourg ; enfin, le successeur de Cujas à Bourges (à partir de 1567), François Hotman (1524-1590).
Alciat d’après les hommages de Toscano (Paris, 1578) et de le Douaren (Bourges, 1551) L’Éloge d’Alciat fait par Toscano On sait peu de la vie de ce « Toscano » outre le fait que ses œuvres tardives parurent presque toutes à Paris entre 1575 et 1580, et presque toujours avec le soutien de Dorat. En 1575 (puis en 1576) sortirent ses paraphrases latines des Psaumes18, accompagnées de distiques latins et d’une ode-préface de Dorat19. Le volume fut dédié à l’oncle-mécène, Paolo Toscano, grand archidiacre de l’évêché de Cahors, où cet administrateur s’était transféré de l’Italie pour travailler au service des évêques de Cahors, à l’invitation de son oncle, Lorenzo Toscano, administrateur de l’évêché de Cahors. Les Toscano étaient, en effet, une famille illustre de juristes et d’hommes de lettres de la noblesse milanaise qui s’étaient transférés en France20. Or, en 1576, lors de la réémission des Psalmi Davidis de G. M. Toscano et de Dorat, leur dédicataire Paolo Toscano était vicaire général d’un nouveau comte-évêque de Cahors, Antoine d’Ébrard de Saint-Sulpice21 – celui qui allait être, deux ans plus tard, le dédicataire
telz d’un pié leger montent au Ciel & se font compaignons des Dieux » ; voir G. Hugo Tucker, The Poet’s Odyssey : Joachim Du Bellay and the “Antiquitez de Rome”, Oxford, 990, p. 36 (et n. 105). 18 G. M. Toscano (trad., avec Jean Dorat), Psalmi Davidis ex hebraïca veritate latinis versibus expressi a Io. Matthæo Toscano, I.V.D. Quibus præfixa sunt Argumenta singulis distichis comprehensa, opera Io. Aurati Poëtæ Regii, Paris, ex off. F. Morelli, 1575 et 1576. 19 J. Dorat, Io. Aurati Poetæ Regii in Psalmos Davidis a Toscano conversos. Præfatio, op. cit., f. a iiir-[v] r ; sur cette ode-préface, voir Geneviève Demerson, « L’attitude religieuse de Dorat », Humanistica Lovaniensia : Journal of Neo-Latin Studies, 23, 1974, p. 145-187 (p. 164, 168). 20 Voir Paolo Morigi, La nobiltà di Milano, Milan, Gio. Batt. Bidelli, 1619, lib. III, p. 250-251 ; F. Argelati, Bibliotheca (note 1), t. II, col. 1506-1507. 21 Il s’agit du fils du grand diplomate de Catherine de Médicis, Jean d’Ébrard ; ce dernier avait fait ses études de droit en Italie, pour être reçu docteur en droit civil et en droit canonique à l’université de Ferrare en 1543.
andreas alciatvs. cxxix. Chara mihi ante aliàs urbs, nostræ gentis origo, Et cui debentur teneris documenta sub annis Prima meis, quam natali præponimus oræ, Insubrum regina : tibi quò munere grates Vberius referam, quàm si, quo sidera adibas, Alciati æternis intexam nomina chartis ? Clariùs hoc non prisca tibi, non ultima sæcla Concessere decus : princeps polluta nefando Barbariæ sancta heu legum mysteria monstro Herculea purgavit ope : & vivacia ferro Colla renascentis superavit & ignibus hydræ. Hic, quam compedibus miserè constrinxerat audax In scelus omne, dolis fucans violentia rectum, Iustitiam cæco produxit carcere in auras, Fallendíque artes sublata ambage retexit. Margine qua Siculo tellus ad littus Iberum Porrigitur, quáque Æmonias declinat ad Arctos In Scythicum pelagus, ripámque binominis Istri, Nosse quibus labor est veterum decreta Quiritum, Hoc duce sacra petunt prisci penetralia iuris : Hoc sine tuta via est nulli : vestigia si quis Alterius premat, in præceps hunc devius error Transversum trahit, & sperato frustrat honore.
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L’enfance de Giovanni Matteo, passée à Milan, est évoquée dans son poème « Ad Cæsarem Toscanum », in G. M. Toscano (éd.), Carmina illustrium poetarum italorum, 2 tomes, Paris, apud Ægidium Gorbinum, 1576-1577, t. I, fol. 38vo-39ro. Comme Giovanni Matteo, ce cousin germain milanais Cesare devait se transférer en France dans l’entourage de Paolo Toscano et de la famille d’Ébrard de Saint-Sulpice à Cahors. 23 Paleario enseignait à Milan de novembre 1555 jusqu’au printemps de 1567, lorsqu’il y fut arrêté par l’Inquisition et accusé d’hérésie ; voir Dirk Sacré, « Introduction », in id. (éd.), Aonii Palearii Verulani. De animorum immortalitate libri III, Bruxelles, 1992, p. 9-21 (p. 14-15). 24 G. M. Toscano, Aonius Palearius, in id. (éd.), Peplus Italiæ, p. 103 : Palearium Verulanum de superiore loco Græcos poetas et oratores uberi facundia explicantem Mediolani adulescens audivi. Cuius beneficio, si quid in me est Græcæ litteraturæ, ex parte contigisse fateor.
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du Peplus Italiæ, où figurerait l’éloge d’Alciat (parmi les éloges d’autres « jurisconsultes » et « grammairiens » italiens annoncés dans le sous-titre de cet ouvrage). C’est dans le Peplus, ce poème où Toscano célèbre Alciat comme une lumière de Milan, que nous apprenons que même si Milan n’était pas la ville natale de Toscano (c’était plutôt Rome), néanmoins sa famille illustre était originaire de Milan (nostræ gentis origo), et que Toscano y avait passé son enfance pour y être élevé et éduqué (cui debentur teneris documenta sub annis / Prima meis)22. Dans un autre éloge du Peplus, qui célèbre l’humaniste Aonio Paleario (m. 1570)23, Toscano révèle que c’était à Milan qu’il avait fait ses premières études sérieuses des poètes et des orateurs grecs (comme auditeur de Paleario entre 1555 et 1567, après la mort d’Alciat), et que c’était à Paleario qu’il devait une grande partie de sa connaissance des lettres grecques24. L’éloge que Toscano fait d’Alciat se situe donc dans le contexte d’un éloge plus large de Milan, conçu comme un espace privilégié, où l’auteur avait fait ses propres études humanistes dans la mouvance d’Alciat :
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Andreas in Alciato Mediolanensi pago natus sexcentos ante annos à barbaris hominibus captivam detentam Iurisprudentiam primus in libertatem asseruit. Ab illis enim elegantissima veterum Iureconsultorum responsa fœdis & ineptis commentariis deturpata, locis etiam innumeris ob inscitiam depravata restituit, & pristino nitori reddidit, suis ea doctissmis æquè ac elegantissimis notis illustrans. Teruntur quotidiè doctorum manibus numerosa eius de iure civili volumina : quibus magistris apud Transalpinas nationes illustres emerserunt iureconsulti, Duareni, Cuiacii, Zasii, Otomani, & alii, quorum fama pervulgata est. Poëticam felicissimè eum attigisse argumento sunt Emblemata toties typis recusa, atque in Italicam, Gallicam & Hispanicam linguam conversa25. andré alciat. cxxix. Toi qui m’es chère avant toute autre ville, berceau de notre famille, À qui je dois l’éducation de mes années D’enfance, et que je préfère même à ma région natale, Milan, reine des Insubres ! par quel présent te rendre grâces Plus abondamment que par celui qui te permettra de t’approcher des étoiles, Si je célèbre le nom d’Alciat dans des écrits éternels ? Ni ton passé séculaire, ni ton présent récent ne t’ont accordé d’honneur Plus insigne que celui-ci : car Alciat fut le premier à purifier, par une force Herculéenne, les mystères sacrés des lois, souillés, hélas, Par le monstre de la barbarie ; il fut le premier à vaincre par l’épée et le feu Le cou durable, à jamais repoussant, de l’Hydre. Ce fut lui qui délivra d’une sombre prison et fit paraître au jour La Justice, que la violence, s’adonnant sans scrupule à tout ce qu’il y a de criminel, Avait entravée de chaînes, pitoyablement, en obscurcissant le bien de son fard, Et ce fut lui qui exposa les arts de la tromperie en en ôtant les ambages. Sur les bords de la Sicile, où la terre s’étend vers la côte Ibérienne, ou là où elle se détourne vers l’Ourse de la Thessalie, Vers la mer des Scythes, et vers les bords du Danube, à deux noms, Ceux pour qui connaître les lois des Romains anciens est une tâche bien lourde, Le prennent comme guide, pour chercher le sanctuaire sacré du droit de l’Antiquité : Sans lui, il n’y a aucun chemin de sûr pour personne : si quelqu’un suit les pas D’un autre, les détours de l’erreur conduisent celui-ci au précipice En l’égarant, et le privent de l’honneur espéré. Né à Alzate, bourg du Milanais, André fut le premier à rendre la liberté à la Jurisprudence, détenue comme prisonnière, depuis six siècles, par des hommes barbares. Car il restitua les réponses élégantes des jurisconsultes de l’Antiquité, qui avaient été défigurées par les commentaires honteux et ineptes de ces hommes-là, et corrompues en d’innombrables endroits par leur ignorance ; il leur rendit leur premier éclat, en les illustrant de ses propres observations non moins doctes qu’élégantes. Chaque jour ses livres nombreux sur le droit civil sont feuilletés de la main des érudits : et c’est grâce à leur enseignement que dans les nations transalpines ont émergé des jurisconsultes illustres : le Douaren, Cujas, Zasius, Hotman, et d’autres, dont le renom s’est répandu partout. Qu’il ait abordé l’écriture poétique avec beaucoup de succès a été démontré par ses Emblemata, maintes fois imprimés, et traduits en italien, en français et en espagnol.
Quant à l’image qui se dégage ici du statut d’Alciat comme maître des jurisconsultes humanistes modernes d’au-delà les Alpes, c’est surtout l’aspect pionnier et solitaire de l’exploit d’Alciat qui est souligné par Toscano. Ce dernier présente l’œuvre jurisprudentiel d’Alciat comme un véritable labeur herculéen – non seulement savant et élégant, qualités typiques de
25 G. M. Toscano, Andreas Alciatus. cxxix, in id. (éd.), Peplus Italiæ, lib. III, p. 77-78.
l’auteur des Emblemata, mais aussi d’une efficacité pratique : cet Alciat-Alcide aurait rendu au droit romain « son premier éclat », certes, mais, tel Hercule (le solitaire), il a délivré aussi la Justice elle-même de sa prison, pour lui rendre sa première liberté antique, romaine.
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F. le Douaren, De Plagiariis et scriptorum alienorum compilatoribus, aliisque rebus cognitu dignis… ad Franciscum Balduinum Iureconsultum epistola [« Parisiis, Idibus Ian. 1549 »], in id., Omnia… opera (note 3), p. 1105-1108 (p. 1106, 1108) ; comparer ibid., p. 1068 Constantini de pœna plagiariorum Constitutio emendata [Disputationum anniversariarum, Lib. II, Cap. XX], sur la façon dont le Douaren interprétait (à partir d’une émendation) la Fabia lex de plagiariis contre les voleurs-kidnappeurs, et sur les sanctions de cette loi appliquées aux hommes libres, aux esclaves, et aux esclaves émancipés. Cette lettre de le Douaren constitue l’une des premières sources humanistes sur le plagiat à employer ce terme ; voir Kevin Perromat Augustín, « Algunas consideraciones para el estudio del plagio literario en la literatura hispánica », Espéculo. Revista de estudios literarios, 37, 2007, 15 p. []. Mais consulter, dans ce volume, Denis Drysdall sur l’In Bifum (Milan, 1506/1507) d’Alciat (qui invoque la Fabia lex de plagiariis à propos du plagiat).
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L’Éloge d’Alciat fait par le Douaren Enfin, en ce qui concerne l’influence posthume d’Alciat sur ces juristes français, et en ce qui concerne surtout les traces de cette influence dans les écrits de le Douaren, avant d’aborder l’éloge explicite que ce dernier faisait d’Alciat en 1551, examinons un autre texte, légèrement antérieur, qui date de janvier 1549 et qui avait été composé à Paris un peu avant la mort d’Alciat, pour constituer comme un hommage implicite payé à l’héritage humaniste légué par Alciat dans le domaine de l’écriture humaniste jurisprudentielle. Dans ce texte de le Douaren – une lettre adressée à un juriste de ses amis, François Baudouin « Sur les voleurs et pilleurs des écrits d’autrui, et sur d’autres choses dignes de connaissance » – le Douaren réfléchissait sur un cas de plagiat dont il avait été la victime (aux mains d’un juriste de ses collègues), pour faire appel, indigné, au droit romain et à la Lex Fabia de plagiariis contre les voleurs-kidnappeurs26. Mais, ce faisant il écrivait aussi sur la pratique du « vol » au sens vraiment large : celui de la citation et de l’imitation, dans l’écriture jurisprudentielle. Car, dans cette lettre de 1549, le Douaren finissait par situer la problématique juridicomorale et textuelle du « plagiat » ou du « vol » imitateur dans le contexte de la question de la présence, dans les écrits des juristes, de la culture humaniste – et donc de la question du mariage de l’érudition et de l’« élégance », tel qu’il avait été réalisé et prôné par André Alciat, si admiré par le Douaren. D’après le Douaren, dans cette même lettre, l’imitatio humaniste constituait une forme d’écriture imitative tout à fait comparable au plagiat (du moins, en poésie) : dans une telle écriture citationnelle ou imitative on avait affaire à l’incorporation textuelle de matière tirée des sources antiques – le plus souvent de façon indirecte, transmise par les dictionnaires ou d’autres outils de travail des « grammariens » –, de sorte que ce genre de mosaïque textuelle bien studieuse, qui tenait du centon, constituait bien plus en réalité qu’un simple « vol » ou qu’une simple « imposture » textuelle. On pourrait aller jusqu’à dire qu’une telle écriture ouvertement « humaniste », qui avouait ses emprunts, n’était pas du tout repréhensible ni problématique mais qu’elle était plutôt dotée d’une force de persuasion et d’une expressivité raffinée, nullement « puérile » :
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His [recitatoribus] profectò non dissimiles sunt nostro tempore, qui ut priscis authores linguæ Latinæ diligenter evoluisse, & humaniores quæ dicuntur, literas cum Iurisprudentia coniunxisse videantur, locus [locos ?] ex eisdem auctoribus multos passim inculcant, qui ex vulgaribus Grammaticorum lexicis eos mutuari, aut suffurari potiùs compertum habemus. Nam si in veteribus scriptis (quæ tertio quoque verbo citant) studiosè multumque volutatos esse, quemadmodum, quæso, tibi, tuique similibus fidem facturi sunt ? cùm genus ipsum scribendi, qui utuntur, eos, non modò tolerabilem aliquam discendi [dicendi ?] scribendique facultatem sibi comparasse, sed ne puerilibus quidem literis imbutos esse satis arguat. Nam sicut qui in sole ambulant, etiam si aliam ob causam ambulant, fit natura tamen ut colorentur : ita fieri non potest quin legendis veterum libris, purior, elegantior, copiosior efficiatur oratio nostra, quamvis nullam ex ea lectione utilitatem ad dicendum aucupemur. […] Nec eò hæc dico, quòd eorum institutum non probem, qui ex iis Grammaticorum indicibus, & commentariis excerpunt, quod ad iuris civilis interpretationem conducat, cùm in plerisque magnam variamque eruditionem contineri sciam : sed qui hæc populo ut nova, inaudita, & sua venditant, impudentissimi meritò iudicandi sunt27.
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Assurément, bien semblables à ces derniers [à ceux qui récitent (les vers d’autrui)] sont ceux qui, de nos propres jours, afin de montrer qu’ils ont lu avec diligence les auteurs antiques de la langue latine, et qu’ils ont combiné avec la Jurisprudence ce qu’on appelle les « lettres plus humaines », remplissent leurs écrits partout de beaucoup de passages tirés des mêmes auteurs, passages qui, nous le tenons comme certain, sont empruntés, ou plutôt volés, aux dictionnaires communs des Grammairiens. Car si ceux-là ont l’air d’avoir beaucoup pratiqué, studieusement, les écrits des Anciens (qu’ils citent aussi tous les trois mots), pourquoi, s’il vous plait, finissent-ils par vous convaincre, vous et ceux qui sont comme vous ? Puisque le type même de l’écriture dont ils se servent montre assez non seulement qu’ils se sont acquis une certaine habileté [éloquence] passable dans leur discours parlé et dans leur écriture, mais aussi qu’ils ne sont même pas imbus d’expressions puériles. Car, de même que ceux qui se promènent au soleil, même s’ils se promènent dans un autre but, bronzent, néanmoins, naturellement, de même, inévitablement, la lecture des livres des Anciens fait en sorte que notre discours devienne plus pur, plus élégant, et plus riche, même si, en faisant cette lecture, nous n’étions pas à l’affût de quoi que ce soit d’utile pour notre discours. […] Je ne le dis pas non plus parce que je n’approuve pas l’enseignement de ceux qui tirent des listes et des commentaires de Grammairiens ce qui puisse être utile à l’interprétation du droit civil, puisque je sais que la plupart de ces travaux renferment une érudition tant grande que variée; mais ceux qui vendent un tel savoir au peuple comme quelque chose de nouveau, d’inouï, et de propre à eux-mêmes, devraient, à juste titre, être jugés comme de grands effrontés.
Or cette évaluation, à double tranchant, il faut le dire, de la culture « humaniste » telle qu’elle avait été pratiquée par les juristes français à partir des outils de travail des « Grammairiens » (Perotti ou Calepin ?), anticipe sur le langage semblable du discours élogieux de le Douaren (celui de Bourges, du mois de décembre 1551) sur son maître disparu Alciat, fondateur à Bourges, selon le Douaren, d’une nouvelle approche et d’un nouvel enseignement humanistes : Incipiam autem ab Andrea Alciato […] Is, annis ab hinc, opinor, duobus & viginti, accitus in hanc civitatem, toto quinquennio ita Ius civile docuit, ut facile demonstraret (quod antè vix cuiquam persuaderi poterat) eius Iuris scientiam à literis elegantioribus non abhorrere. Alciato igitur hoc debemus, quòd, etsi iuventutem instituendo, in minutis
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F. Le Douaren, De Plagiariis, in id., Omnia… opera (note 3), p. 1107.
Je commencerai, pourtant, par parler d’André Alciat […] Invité il y a vingt-deux ans, je crois, dans cette ville [de Bourges], celui-ci enseigna le Droit Civil pendant cinq ans entiers, de façon à démontrer que la science du Droit n’était pas incompatible avec les Lettres plus élégantes (persuader qui que ce fût de cela, auparavant, était chose presque impossible). Nous le devons donc à Alciat, parce que, même si, en formant la jeunesse, il se bornait à examiner certaines petites questions qui étaient plus futiles que subtiles, néanmoins ce fut lui, le premier de tous, à inspirer l’esprit des jeunes de façon à les pousser vers cette combinaison de l’élégance avec la Jurisprudence, en provoquant l’horreur et l’indignation de beaucoup de gens. Ce fut lui le premier à attirer la plupart des hommes de talent lettrés, à l’étude du Droit Civil, hommes qui reculaient devant cette étude, soit parce qu’ils désespéraient de la possibilité de la combiner avec les belles-lettres, soit qu’ils pensaient que cette combinaison serait trop controversée.
C’est comme si les remarques généralisées et assez terre-à-terre de le Douaren faites en 1549 sur le « vol » textuel (pour esquisser, en fin de compte, une anatomie de l’écriture savante ou pseudo-savante juridico-humaniste) retrouvent ici, en 1551, une cohérence plus grande et une valeur plus positive, parce que liées maintenant au souvenir de la révolution pédagogique et intellectuelle prônée et déclenchée par Alciat à Bourges de 1529 à 1533. Souvenir baigné d’une lumière quasi hagiographique au lendemain de la mort d’Alciat, et au moment où, de surcroît, son disciple le Douaren reprenait à Bourges le relais du travail intellectuel et pédagogique du maître.
Conclusion Concluons ce bref aperçu de deux hommages-témoignages posthumes, italo-français et francais, de Toscano et de le Douaren, ainsi que de trois emblèmes d’Alciat consacrés à la « vertu » et à l’« honneur », qui connaissaient, avec les autres Emblemata, non moins que leur auteur viator, une fortune posthume, cosmopolite, transalpine, soulignée, comme nous l’avons vu plus haut, par Toscano, qui en évoquait les traductions italiennes, françaises et espagnoles. Dans l’éloge d’un Alciat plutôt milanais composé plus tard par Toscano en 1578 – éloge enthousiaste de la ville de Milan, situé au sein d’un ouvrage historico-biographique, le Peplus Italiæ, qui promouvait en France le prestige de la culture humaniste italienne –, on est frappé surtout par le statut on ne peut plus herculéen d’Alciat qui y figure comme le héros solitaire et intrépide du domaine de la restitution textuelle et de la compréhension
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F. Le Douaren, Oratio Francisci Duareni recitata in cooptatione D. Nicolai Buguerii, Anno 1551, Die 15 Decemb., in id., Omnia… opera (note 3), p. 1115.
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quibusdam, & futilibus magis, quàm subtilibus, quæstiunculis nimium hæserit: tamen primus omnium, animos iuvenum ad hanc elegantiæ cum iurispridentia coniunctionem excitavit, frementibus non paucis, atque indignantibus, & plerosque viros ingeniosos, ac literatos, ad Iuris civilis studium accendit: qui ab eo proptereà refugiebant, quòd aut desperarent, cum bonis literis id coniungi posse, aut eam coniunctionem nimis invidiosam fore putarent28.
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du droit romain. Et cette image d’Alciat-Hercule, dompteur de l’Hydre des commentaires erronés du passé pré-humaniste, s’y double non seulement de façon explicite de la constatation de l’influence d’Alciat au-delà des Alpes, dans les travaux de Cujas, de le Douaren, et de Hotman en France (ainsi que du confrère allemand Zasius), mais aussi, de façon implicite, de l’assimilation de cet Alciat-Alcide à l’autre Hercule de la tradition philosophique morale d’Hercules in bivio, d’Hercule au carrrefour hésiodique du Vice et de la Vertu, symbole par excellence de l’homo viator au sens large, existentiel du terme – symbole qui est présent aussi, de façon implicite, dans les Emblemata, dans l’image du héros « vertueux », herculéen, qui s’embarque sur le chemin ardu des lettres humanistes (faisant écho au Pétrarque du Mont Ventoux). Par contre, dans les remarques plus pesées, et même plus ambiguës, faites par le Douaren lui-même, d’abord en 1549 sur le plagiat et sur l’imitation humaniste, puis en 1551 sur la méthode pédagogique et intellectuelle d’Alciat dont il était le successeur à Bourges, et dont il gardait un souvenir vif, force est de constater que nous y trouvons non seulement une réflexion concrète et détaillée sur la technique textuelle et intellectuelle employée par cet Alciat-Hercule juriste-humaniste, comme par tous ses imitateurs ultérieurs (qui puisaient, en fin de compte, dans les dictionnaires des « Grammairiens »), mais aussi, en passant, on y rencontre comme une réaffirmation du statut littéral (concret, géographique) d’homo viator de cet Alciat, professeur de droit cosmopolite, étranger, « invité dans cette ville » de Bourges (accitus in hanc civitatem). C’est comme si dans son témoignage nostalgique de 1551, conscient du poids du passé dans cet endroit où lui-même il avait fait ses propres études sous Alciat, et où il venait de retourner pour une deuxième fois, le Douaren se situait non seulement dans la mouvance d’Alciat (de son maître disparu) à Bourges (tout en se permettant des critiques sur son enseignement), mais aussi dans la prise de conscience du vagabondage même de cet homo viator (vagabondage noble de nouvel Hercule errant), et de l’influence non moins « errante » d’Alciat au-delà des Alpes et audelà de la mort, passant sans cesse et à tout jamais de Milan à Bourges, de l’Italie en France.
quatrième partie
Alciat et les arts
la genèse complexe de l’emblème d’alciat Virtuti fortuna comes : de la devise au caducée de Ludovic Sforza à la médaille de Jean Second en passant par quelques dessins de Léonard Stéphane Rolet - EA 1579 Littérature et histoires Université de Paris VIII - Saint-Denis - EPHE
L’emblème intitulé Virtuti fortuna comes est sans doute l’un des plus célèbres de tout le recueil des Emblemata d’André Alciat et il serait difficile de ne pas le rencontrer lorsqu’on poursuit des recherches dans ce domaine, ne serait-ce que parce que le motif de son illustration, tel qu’il apparaît dans l’édition Wechel (Paris, 1534), est devenu le logo de la revue Emblematica. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il nous semble d’emblée familier. La présente étude souhaiterait réexaminer cette pièce à l’aide de documents nouveaux qui permettront d’en éclairer la genèse et les liens qu’elle entretient avec le genre de la devise*. Par souci de clarté, je résumerai d’emblée l’état de la question. Comme l’ont montré les études devenues classiques d’Henry Green et de Karl Giehlow1, lecteurs attentifs du traité sur la devise de Paolo Giovio2, l’expression Virtuti fortuna comes a d’abord été le motto – ou *
Je tiens à remercier Perrine Galand et ses auditeurs de l’EPHE devant qui j’ai pu exposer une version de ce travail, ainsi que mes propres auditeurs de l’EPHE avec qui j’ai pu nourrir de fructueux échanges en présentant tous les éléments nouveaux de cette recherche. Je suis également très reconnaissant à Sébastien Busson, Responsable du Service Images-Multimedia du CESR, pour son travail sur mes illustrations, en particulier les fig. 11, 15 et 26. 1 H. Green, Andrea Alciati and his Book of Emblems, A Biographical and Bibliographical Study, LondresNew-York, 1872, prf., p. V, écrit : « these symbols, with the motto, virtuti fortuna comes, Fortune is the companion of manly effort, appear to have been applied by Alciati as early as 1522 to Jason [de] Maine ». Malheureusement l’auteur ne nous donne pas sa source ni d’autres détails sur le contexte qui manque d’autant plus cruellement que Jason est mort en 1519. Karl Giehlow, « Die Hieroglyphenkunde des Humanismus in der Allegorie der Renaissance besonders der Ehrenpforte Kaisers Maximilian I. », Jahrbuch der kunsthistorischen Sammlungen des allerhöchsten Kaiserhauses, Band XXXII, Heft 1, VienneLeipzig, 1915, p. 1-232, ici p. 144, [= Hieroglyphica, La conoscenza umanistica dei geroglifici nell’ allegoria del Rinascimento, Una ipotesi, Turin, 2004, p. 275-276 (trad. par M. Ghelardi et S. Müller)] pense que c’est Alciat qui a fournit à Jason le corps de sa devise à partir de monnaies antiques. Green, cité par Giehlow, mentionne le tombeau d’Alciat et le motto grec ; quant à la médaille, tous deux la croient anonyme. 2 Composée d’une âme, le motto, et d’un corps, l’image, dont l’association crée un concetto, la devise ou impresa peut cependant se présenter sous sa forme complète ou sous l’une seulement de ses deux composantes : voir la brève synthèse de Kristen Lippincott, « The Genesis and Significance of the Fifteenthcentury Italian Impresa », in S. Anglo (dir.), Chivalry in the Renaissance, Woodbridge, 1990, p 49-84, ici p. 65. Sur les devises européennes, voir le travail monumental de Laurent Hablot, La devise, mise en signe du prince, mise en signe du pouvoir : les devises et l’emblématique des princes en France et en Europe à la fin du Moyen Âge, thèse de l’université de Poitiers, 2001 (5 volumes).
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« âme » – d’une devise privée de « corps » (c’est-à-dire de figure iconique jouant le rôle de support symbolique), dont on attribue l’invention à Jason de Mayne († 1519). En intitulant l’un de ses emblèmes Virtuti fortuna comes, Alciat reprenait le motto de la devise sans le changer, mais lui adjoignait de fait un corps. L’épigramme décrit et interprète en effet une composition figurée constituée de deux éléments principaux : un caducée (avec ailes et serpents) flanqué de deux cornucopies3. En voici le texte et une traduction rythmée : Virtuti fortuna comes Anguibus implicitis geminis caduceus alis, Inter Amaltheae cornua rectus adest. Pollentes sic mente uiros fandique peritos Indicat, ut rerum copia multa beet4. Fortune compagne de vertu5 Avec ses serpents enlacés, le caducée aux ailes doubles Entre les cornes d’Amalthée se tient dressé : Ceux qui brillent par l’esprit et par l’éloquence, il montre ainsi Qu’une opulente abondance de biens les comble.
La gravure, de son côté, fait apparaître un simple caducée avec deux cornes de chèvre accolées6 dans l’édition princeps de Steyner en 1531 (fig. 1), et remplacées ensuite par deux authentiques cornes d’abondance à partir de l’édition parisienne de Wechel en 1534 (fig. 2). Et Giovio de faire remarquer qu’Alciat passe donc pour l’inventeur de cette composition symbolique. En réalité, ce signum double a des antécédents classiques plus ou moins connus : des monnaies impériales romaines et deux médaillons de l’Hypnerotomachia Poliphili de Francesco Colonna (Venise, Alde, 1499) en particulier. Pourtant, on peut se demander si ce sont bien là les seules sources d’invention ayant inspiré Alciat. Il nous semble qu’on peut chercher ailleurs et c’est donc au patient travail de réinvention de modèles d’inspiration tombés dans l’oubli que nous convierons le lecteur dans un premier temps. Cette enquête nous permettra parallèlement d’éclaircir les raisons qui ont motivé le passage de la gravure de Steyner à celle de Wechel, avec la correction des cornes en cornucopies de part et d’autre du caducée, et le choix définitif de cette dernière composition à partir de 1534. Nous nous pencherons alors sur un témoin contemporain plutôt inattendu de ce changement de programme : une belle médaille de Jean Second, que le lecteur trouvera reproduite sur la couverture du présent volume.
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Il faut bien distinguer l'image mentale suscitée par l'épigramme – qui comprend un caducée avec des serpents et des ailes, le tout placé entre des cornucopies – et les réalisations concrètes que constituent les différentes gravures. Le texte latin de Steyner, 1531 et celui de Wechel, 1534 sont semblables. Notons d’emblée le jeu sur le sens de uirtus qui signifie à la fois « vertu » au sens moral et désigne aussi la qualité de ce qui fait le uir, « l’homme viril, le héros ». Selon K. Gielow, « Die Hieroglyphenkunde » (note 1), p. 144, l'illustration montre des cornes de chèvre grossièrement corrigées ensuite : nous pensons qu'on peut aisément y voir des ailes nervurées de serpents-dragons, et qu'une lecture trop rapide du premier vers peut y inciter.
fig. 1 - Virtuti fortuna comes dans Alciat, Emblemata, Augsbourg, Heinrich Steyner, 1531, f. B1r. Glasgow University Library.
fig. 2 - Virtuti fortuna comes dans Alciat, Emblemata, Paris, Chrétien Wechel, 1534, p. 22. Glasgow University Library.
L’embarras de Paolo Giovio
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Reprenons les différents éléments du dossier. Le titre de l’emblème Virtuti fortuna comes, qui apparaît dès l’édition princeps de 1531, a d’abord été le motto d’une devise pour laquelle le Dialogo dell’imprese militari ed amorose (1555) de Paolo Giovio est notre source principale. La devise Virtuti fortuna comes y est évoquée deux fois. La première fois, juste après avoir parlé des devises dont le corps est fait d’images trop abondantes, Giovio leur oppose l’exemple inverse, qui est aussi un défaut : Cadde nel contrario difetto il motto del clarissimo iurisconsulto messer Giasone del Maino, il quale pose il suo bellissimo motto sopra la porta del suo palazzo (che ancor si vede senza corpo) che dice Virtuti fortuna comes, volendo significare che la sua virtù aveva avuta bonissima sorte. Le motto du célèbre jurisconsulte Jason de Mayne tombe dans le défaut opposé. Celuici met son très beau motto au-dessus de la porte de sa demeure (qu’on peut encore voir sans corps) : il dit Virtuti fortuna comes, en voulant signifier que sa vertu avait connu une destinée très prospère7.
Voilà donc l’exemple d’une devise sans corps, c’est-à-dire sans image, adoptée par Jason de Mayne8, dont Giovio ne nous dit pas explicitement si celui-ci en est l’inventeur. Le sens en est très clairement dégagé : la vertu, c’est-à-dire ici le talent de l’homme de loi, engendre la prospérité, qu’il faut entendre ici au sens général. Lorsque Giovio évoque à nouveau cette devise beaucoup plus loin dans son traité, c’est à propos d’Alciat justement, et il parle alors de sa composition symbolique9 (fig. 3), tout en déplorant cette fois qu’elle soit sans âme, c’est-à-dire sans motto : Portò ancora il dottissimo messer Andrea Alciato, novellamente passato a miglior vita, il caduceo di Mercurio col corno della divizia della capra Amaltea, volendo significare che con la copia delle dottrine e con la facultà delle buone lettere, delle quali si figura Mercurio padrone, aveva acquistato degno premio alle sue fatiche, ma in vero questa bella impresa aveva bisogno di un anima, e frizzante. Le très savant messire André Alciat, récemment passé à une vie meilleure, porte aussi le caducée de Mercure avec la corne de la richesse de la chèvre Amalthée, en voulant signifier qu’avec l’abondance des savoirs et avec le don des bonnes lettres, dont on représente Mer-
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Maria Luisa Doglio (éd.) : Paolo Giovio, Dialogo delle imprese militari ed amorose, Rome, 1978, p. 40-41. Jason de Mayne, Giasone del Mayno ou Maino (1435-1519) est le fils illégitime d’un conseiller ducal de Milan et il est directement apparenté aux Sforza. Devenu un savant et important jurisconsulte, promoteur de l’humanisme, il acquiert une solide fortune comme professeur à Pavie. Appelé à Milan, à la cour de Ludovic Sforza, il entre au Consiglio secreto en 1492. Il passe au service de Louis XII après la chute du More, reste en grâce lors du retour de Massimiliano Sforza en 1513 et devient conseiller de François Ier dans ses dernières années. À partir de 1507, il a compté Alciat parmi ses élèves (voir F. Santi, DBI, 67, 2007 () ; sur sa position opposée à un pouvoir personnel trop autoritaire, voir Jane Black, Absolutism in Renaissance Milan, Plenitude of Power under the Visconti and the Sforza 1329-1535, Oxford, 2009, « Giasone del Maino », p. 161-168 et le toujours utile Ferdinando Gabotto, Giasone del Maino e gli scandali universitari nel Quattrocento, Turin, 1888, passim. La gravure est celle de l’édition de Paolo Giovio, Dialogo dell’imprese, Lyon, Guillaume Rouille, 1574, p. 155. Le traité de Giovio est suivi d’un texte de Lodovico Domenichi sur le même sujet.
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cure comme le patron, il avait acquis la digne récompense de ses travaux, mais il est vrai que cette belle devise avait besoin d’une âme, et d’une qui soit piquante10 !
L’interprétation par Giovio des constituants de la figure symbolique (un caducée et une corne d’abondance) est confirmée en partie par l’épigramme de l’emblème dont nous présentons rapidement ici les éléments et l’interprétation, avant d’y revenir plus loin dans notre étude : la culture et la science de l’homme de lettres, symbolisée par le caducée de Mercure, lui octroie un digne mérite ou salaire, représenté par la corne d’abondance. On notera que l’épigramme alciatique est à la fois beaucoup plus précise et subtile, ne serait-ce que parce qu’elle met en valeur des aspects iconiques qui aident à la représentation mentale de la figure : par exemple, la notion de duplication (geminis, qui, comme implicitis, semble renvoyer à la fois à anguibus et à alis, fonctionne comme un multiplicateur et donne l’idée d’une grande quantité) ou encore celle de symétrie (inter). Le poème de l’emblème nous précise de plus que la uirtus de l’homme de lettres se fonde sur l’alliance toute cicéronienne entre éloquence et sagesse : Pollentes sic mente uiros, fandique peritos (v. 3), qui rappelle aussi la définition catonienne de l’orateur comme uir bonus, dicendi peritus, « un homme de bien, habile à parler »11. Le caducée, insigne du dieu Mercure, constitue l’instrument idéal pour montrer la double nature du logos, à la fois ratio et oratio pour reprendre la célèbre paronymie de Budé12. Mais la distribution même des constituants de part et d’autre de la hampe dressée du caducée rend compte, aux yeux d’Alciat, de cette alliance équilibrée : d’un côté les serpents, attribut traditionnel de la prudence et donc de la sagesse, et de l’autre, les ailes, en vertu d’une qualité que, depuis Homère, les Anciens prêtaient aux paroles, celle d’être ailées. Mais la présence des deux serpents (anguibus implicitis) soulignée dès l’entrée du texte possède, en outre, une intention étiologique, en rappelant la légende de la naissance du caducée : la tige centrale aurait servi à séparer deux reptiles qui se bat-
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M. L. Doglio (éd.) : Giovio, Dialogo (note 6), p. 140. Voir Sophie Aubert, « Stoïcisme et romanité. L’orateur comme uir bonus dicendi peritus », Camenae, 1, 2007, p. 1-13 (). Voir G. Budé, De studio litterarum, Paris, Josse Bade, 1537, f. 9r.
stéphane rolet
fig. 3 -Virtuti fortuna comes dans Paolo Giovio, Dialogo dell’imprese, Lyon, Guillaume Rouille, 1574, p. 155. Glasgow University Library.
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taient13. Or quelle catégorie d’orateurs voudrait viser la figure, sinon ceux qui, par l’étendue de leur savoir et la puissance de leur rhétorique, réussissent à séparer des adversaires et à leur imposer la paix, c’est-à-dire les juristes ? C’est précisément la qualité d’Alciat et de Jason de Mayne, porteurs de la devise. Mais revenons à Paolo Giovio. Un aspect de son propos concernant le corps de la devise alciatique laisse perplexe : pourquoi le corps de cette devise manquerait-il d’une âme ? Au moment où Giovio écrit, il y a beau temps qu’en raison des Emblemata, le titre de l’emblème Virtuti fortuna comes était attribué à Alciat comme motto de devise et associé au caducée avec les cornucopies. Alors pourquoi cette remarque, d’autant plus curieuse que Giovio connaissait personnellement Alciat14 depuis l’adolescence ? Je tenterai de fournir plus loin les raisons de cette feinte ignorance. Mais il convient à présent de se pencher sur les sources d’invention de la figure.
Aux sources de l’image emblématique : des monnaies antiques La composition symbolique proposée par le texte et l’image de l’emblème Virtuti fortuna comes repose sur des sources numismatiques antiques – mais aussi sans doute sur le souvenir de deux médaillons de l’Hynerotomachia Poliphili de Francesco Colonna. On trouve cette combinaison pour la première fois sur des monnaies de Tibère, mais elle sera souvent reprise par la suite, par exemple par Vespasien, Titus, Marc-Aurèle ou Commode. Un dupondius frappé sous Tibère (fig. 4) en 20-21, peut-être en Commagène, montre : D/. Tête laurée de Tibère à d. ; ti caesar divi avgvsti f avgvstvs R/. pont maxim cos iii imp vii tr pot xxii deux cornucopies pleines de fruits, croisées devant un caducée et deux branches croisées placés entre elles15. À la Renaissance, selon la qualité des exemplaires de cette monnaie, les branches ont pu être confondues avec des ailes – qui apparaissent sur d’autres monnaies. Les serpents du caducée semblent aussi liés par un nœud – et cela également sur des monnaies d’autres empereurs, comme aussi sur un splendide médaillon16 de Commode (fig 5). Mais j’introduirai ici une autre monnaie de Tibère, variante de la première, qui n’a jamais été considérée dans ce dossier et présente pourtant une solution intéressante pour les fruits des cornes d’abondance, sans compter un caducée incontestablement ailé. Il s’agit d’un sesterce de Tibère, frappé en 22-23 (fig. 6) :
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Voir le texte d’Hygin que nous citons infra p. 329. On note en passant que, chez Giovio (1574), la vignette représente le même motif que la médaille de Jean Second – mais avec le caducée placé devant les cornucopies : voir le commentaire d’Érasme, Adagia, 4, 10, 47, Virtute duce Fortuna comitante (3947), où la première place est celle de Virtus, que représente le caducée. 15 BMC Tiberius 175 ; RIC Tiberius 90 ; RPC 3869. 16 D/. m commodvs antoninvs pivs felix avg brit Tête laurée de Commode à d., buste cuirassé et drapé R./ tempor felicit p m tr p xv imp viii cos vi p p deux cornucopies pleines de fruits, croisées devant un caducée ailé : voir Heinrich Dressel, Die römischen Medaillone des Münzkabinetts der Staatlichen Museen zu Berlin, 1973, no 84.
fig. 4 - Dupondius de Tibère. Münzkabinett, Staatliche Museen zu Berlin.
fig. 5 - Médaillon de Commode. Münzkabinett, Staatliche Museen zu Berlin.
fig. 6 - Sesterce de Tibère. Münzkabinett, Staatliche Museen zu Berlin.
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D/. Un caducée ailé, formé de deux serpents noués, est placé entre deux cornes d’abondance croisées vers leurs pointes ; de leurs bouches émergent les têtes affrontées de deux jeunes garçons, Tiberius Gemellus et Germanicus Gemellus (fils de Drusus et de Livia Drusilla) ; devant chaque corne, une grappe de raisins pend devant la tête de chaque garçon ; anépigraphe. R/. drvsvs caesar ti avg f divi avg n pont tr pot i i̅ autour de s c au centre en grandes capitales17. Cette monnaie a un lien évident avec la fécondité dynastique revendiquée et souhaitée par la famille impériale romaine et les têtes des enfants ont presque totalement remplacé les fruits dispensés par les cornucopies. Pour qui souhaiterait concevoir une devise matrimoniale, une telle source antique serait bienvenue, qui présente les enfants comme l’abondance de biens méritée par l’exercice de la vertu.
La version intermédiaire de Francesco Colonna Outre les monnaies antiques, on peut également supposer que le corps de la devise choisie par Alciat repose sur le souvenir de deux médaillons de l’Hynerotomachia Poliphili de Francesco Colonna (Venise, Alde, 1499). Telle qu’elle apparaît sur l’illustration de l’emblème à partir de 1534, l’association du caducée et des cornes d’abondance nous paraît proche de deux gravures célèbres représentant des médaillons de l’obélisque de César18 tel que l’a imaginé Colonna et devant lequel vient à passer Poliphile. Le premier médaillon montre un trophée d’armes au pied duquel se croisent deux cornucopies (fig. 7). Mais il convient d’y ajouter un second exemplaire lié au thème de la paix et de la concorde, et représenté sur ce même monument à César imaginé par Francesco Colonna. Sur ce dernier, on peut voir un caducée beaucoup plus important en taille que celui des monnaies antiques (fig. 8). On voit bien que la composition du corps de la devise, repris ensuite pour l’emblème, trouve ici une source d’inspiration, même si les motifs sont dissociés sur les deux illustrations colonnesques. En particulier, la grande netteté de l’articulation des symboles nous paraît avoir été une leçon qui a été retenue. Mais alors même que les monnaies – en dehors de la variante que j’ai introduite – et Colonna sont les sources qui sont, peu ou prou, alléguées depuis le xvie siècle, il se trouve qu’il en manque une qui vient bouleverser la progression génétique rectiligne qu’on croyait pouvoir saisir dans l’élaboration de l’emblème Virtuti fortuna comes.
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BMC Tiberius 95 ; RIC Tiberius 42. L’emploi funéraire que propose Colonna pour ces médaillons ne sera d’ailleurs pas perdu, puisqu’on en retrouve un exemple sur le tombeau d’Alciat : voir infra, p. 363, fig. 26.
fig. 7 - Médaillon de l’obélisque de César dans Francesco Colonna, Hypnerotomachia Poliphili, Alde, Venise, 1499. Cliché auteur.
fig. 8 - Médaillon de l’obélisque de César dans Francesco Colonna, Hypnerotomachia Poliphili, Alde, Venise, 1499. Cliché auteur.
La devise au caducée de Ludovic Sforza : « la » source milanaise oubliée de l’emblème Virtuti fortuna comes l’emblème d’alciat virtvti fortvna comes
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De la devise de Jason de Mayne, Giovio nous dit qu’elle n’a pas d’image ou de corps, et que le juriste avait fait graver ce simple motto sur son palais, c’est-à-dire à Pavie, vraisemblablement à l’angle du bizarre palazzo della Torre Pizzo all’ ingiù, au milieu des années 1490. Il semble donc que Jason de Mayne a conservé sa devise sans image. Or le caducée et les cornucopies avaient été associés bien avant à un autre motto : Vt iungor (iongor)19, « Quand je m’unis » (fig. 19)20, pour constituer une devise choisie par Ludovic Sforza, le duc de Milan, sans doute au moment de son mariage avec Béatrice d’Este en 1491. La devise au caducée de Ludovic le More est bien connue des historiens, et elle a été tellement présente et visible à Milan à la fin du xve siècle qu’il est difficile de ne pas la considérer comme « la » source directe de l’emblème alciatique, bien que les commentateurs contemporains d’Alciat n’en soufflent mot. La recherche emblématique moderne n’en dit rien, à l’exception de Constance Moffat qui, dans une note des deux travaux jamais publiés qu’elle a consacrés à la place de Vigevano, suggère un rapprochement entre la devise de Ludovic et l’emblème, mais sans aller plus loin21. En outre, un point important a été totalement passé sous silence par la critique historique : l’image ou le corps de la devise sforzesque Vt iungor connaît deux variantes – ce qui n’est nullement un détail pour la postérité emblématique. En effet, on trouve, accompagné ou non du motto, tantôt un simple caducée, tantôt un caducée et deux cornucopies, et nous reviendrons un peu plus loin sur cette question essentielle dans notre perspective. Mais quel était le sens de cette devise choisie par Ludovic et comment expliquer qu’Alciat l’ait en partie réinvestie ? Nous partirons de la brève et pertinente synthèse qu’a
19 Le motto est souvent orthographié Vt iongor et des sources écrites donnent aussi la forme Vt iungar, « Si bien/pour que je m’unisse », ou simplement Coniungor, « Je m’unis ». La forme passive latine a ici un sens pronominal et le motto fait allusion à la conjonction de (la planète) Mercure avec les planètes qui président à la naissance de chacun des époux, mais Vt iungor signifie aussi tout simplement « quand je me marie » : voir infra. 20 Vt iungor (caducée avec cornucopies), devise de Ludovic le More, diplôme antiphernal de 1494, Ms. 21413, British Library (détail). Sur le document, on voit également trois autres devises reprises par Ludovic : la scopetta (qu’il a adoptée très jeune, mais que son père Francesco portait déjà) et la mano decussante et le capitergium. 21 Constance J. Moffatt, Urbanism and Political Discourse: Lodovico Sforza’s Architectural Plans and Emblematic Imagery at Vigevano (thèse UCLA), 1992, p. 272, note 304 : « Concerning the development of emblem books, it must be noted that one of Alciati’s early emblems (number 119) was the caduceus accompanied by the legend virtuti fortuna comes » ; la même, dans une note déjà, pour son travail préparatoire de thèse, non publié : Heraldic Imagery at the Sforza Court in the 1490’s, Documents for a Study of Political Symbolism in the Renaissance, p. 61, note 43, écrit une première fois : « In Alciati’s (sic) Emblematum libellus of 1534, the dragon caduceus bears the title “Virtuti fortuna comes” and the motto (sic) : ”Anguibus implicitus geminis […] ut rerum copia multa beet”. Similar to the Sforza emblem, it too is also topped by a winged hat ». On ne trouvera pas de précision sur ce point dans son article « “Merito et tempore” : the imprese of Lodovico Sforza at Vigevano », Emblematica, 3/2, 1988, p. 229-262. C’est, à ma connaissance, le seul auteur à avoir rapproché la devise et l’emblème : elle ne dit plus rien ensuite de ce rapprochement.
Quam manu tenens Mercurius, cum proficisceretur in Arcadiam et uidisset duos dracones inter se coniuncto corpore alium alium adpetere, ut qui dimicare inter se uiderentur, uirgulam in utrumque subiecit ; itaque discesserunt. Quo facto, eam uirgulam pacis causa dixit esse constitutam. Nonnulli etiam, cum faciunt caduceos, duos dracones inplicatos uirgula faciunt, quod initium Mercurio fuerat pacis. Eius exemplo et athleticis et in reliquis eiusmodi certationibus uirgula utuntur. Mercure la [= la lyre] tenait à la main quand il partit pour l’Arcadie et vit deux serpents, les corps enlacés, aux prises l’un avec l’autre, comme des combattants : il lança la baguette sur eux deux ; aussi se séparèrent-ils ; après ce geste, il dit que cette baguette était un instrument de paix. Certains aussi, en faisant des caducées, représentent deux serpents enlacés sur une baguette, car cela avait été un principe de paix pour Mercure. A son exemple, dans les joutes athlétiques et les autres compétitions de ce genre, on se sert d’une baguette25.
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Sur les devises des Sforza et des Visconti en général, voir : Carlo Maspoli (éd.), Stemmario Trivulziano, Milan, 2000, chap. « Stemmi ed imprese viscontee e sforzesche » p. 27-44 ; Stefano Zuffi, « Araldica ducale nei codici miniati », Quaderni di Brera, 6, 1990, p. 50-62 ; Carlo Maspoli, « Arme e imprese viscontee sforzesche Ms. Trivulziano n. 1390 » (en deux parties), Archives héraldiques suisses, 1, 1996, p. 132-158 et I, 1997, p. 27-38 ; la très complète étude de Gastone Cambin, Le rotelle milanesi, Bottino della battaglia di Giornico 1478, Stemmi – Imprese – Insegne, Fribourg, 1987, p. 89-310 et 361-467 ; Élisabeth Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza, ducs de Milan au xve siècle, Paris, 1955, p. 489-492 ; Francesco Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro, vol. 1, La vita privata e l’arte a Milano nella seconda metà del Quattrocento, Milan, 1929 (2e éd.), Kraus reprint, Liechstenstein, 1970, p. 291-292, n. 2 ; Luca Beltrami, Il castello di Milano durante il dominio dei Visconti e degli Sforza, 1368-1535, Milan, 1894, ch. 12, « L’araldica », p. 715-725. 23 « Politica, tradizione e propaganda » in L. Giordano (dir.), Ludovicus dux, Vigevano, 1995, p. 94-115 (en part. p. 105-115) ; on pourra aussi consulter Evelyn S. Welch, Art and Authority in Renaissance Milan, Yale, 1995, p. 223-229 qui a compulsé les mêmes sources que Giordano parmi lesquelles la mine que constituent F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22) et les volumes de l’Archivio storico lombardo (désormais ASL). 24 L. Giordano (dir.), Ludovicus dux (note 23), p. 106 (nous traduisons) : « Calibrata sulle vicende private e celebrativa della dinastia fu invece l’impresa del caduceo, che compone al simbolo di Mercurio due draghi affrontati e si avvale del motto ’Ut iungor’ ». 25 Hyg., astr., 2, 7 (voir aussi Plin., nat., 29, 12, 2). On notera en passant que Mercure possède alors déjà un symbole de l’harmonie avec la lyre qu’il va donner à Apollon pour se faire pardonner le vol de ses bœufs : tout se passe comme s’il était nécessaire qu’il s’en fabrique un autre qui sera le caducée.
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rédigée Luisa Giordano sur les devises Sforza22 dont celle au caducée23, en se fondant sur des documents fournis par la somme toujours indispensable de Malaguzzi Valeri, et nous apporterons ensuite les précisions nécessaires à notre étude. « La devise qui associe au symbole de Mercure deux dragons affrontés et se sert du motto : Vt iungor a été fabriquée à partir des événements privés et célèbre la dynastie24 » nous dit Giordano. Elle sépare si nettement la baguette et les deux « dragons » (rappelons en passant que le mot dracôn, un mot translittéré du grec signifie aussi bien « dragon », « serpent ailé », que « serpent » tout court) qu’elle laisse penser que le caducée-type est une baguette, à laquelle on peut éventuellement adjoindre deux reptiles, alors que les deux serpents ne sont pas une option : on nomme bien caducée l’association des trois éléments qui forment le symbole attaché à Mercure depuis l’Antiquité. Or la manière dont le caducée de cette devise est représenté mérite qu’on s’y arrête un peu. Dans l’Antiquité, nous l’avons rappelé plus haut, le caducée est un symbole de paix, comme le rappelle Hygin, qui détaille en outre la composition de cet objet :
Fig. 9 - Vt iungor, caducée avec cornucopies, devise de Ludovic le More, lettrine initiale du diplôme antiphernal de 1494, Ms. 21413, British Library, London (détail).
Ainsi, à l’origine, un simple baguette suffisait, mais Hygin se hâte de préciser quelle forme spéciale « certains » lui donnèrent et qui est celle que nous connaissons : une baguette autour de laquelle s’enroulent deux simples serpents, ou deux serpents ailés ou encore deux dragons, selon le sens donné au mot grec. Dans la devise Sforza (fig. 9, 13, 16), les ailes sont redoublées, puisqu’on les voit à la base du caducée et qu’elles affublent également le pétase qui surmonte le caducée. Or, dans l’Antiquité, le caducée n’est pas surmonté du pétase ailé de Mercure : cet élément est une invention nouvelle26 qui semble bien apparaître pour la première fois à la Renaissance, précisément avec cette devise de Ludovic le More. Ce motif pourrait donc valoir signature de tout emprunt postérieur – par exemple dans les emblèmes d’Alciat. Pourquoi Ludovic choisit-il le caducée et, à travers lui, le dieu Mercure ? L’attachement à Mercure27 que montre Ludovic est sans aucun doute ancien, mais je n’en ai pas trouvé de trace visible avant son mariage et, à ma connaissance, on n’en propose pas d’explication, tant la relation devait paraître évidente pour les contemporains qui savaient combien l’astrologie était importante pour Ludovic : Le More lui-même eut à se justifier de ses préoccupations astrologiques en déclarant explicitement que d’abord il priait Dieu, ensuite il étudiait les étoiles comme causes secondes « pour savoir tempérer le mal et suivre le bien »28.
Il paraît pourtant assez simple de justifier dans les grandes lignes cet attachement à Mercure, en revenant à la date de naissance de Ludovic : le 3 août29 1452. En effet, si on consulte son thème astral, on s’aperçoit que les planètes influentes à cette date sont précisément le Soleil et Mercure30. Inutile de gloser sur l’utili-
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Ajoutons que ce pétase est la plupart du temps représenté avec la forme d’un couvre-chef rond, mais parfois également en forme de chapeau triangulaire de chasseur (voir fig. 16). Sur l’importance considérable de Mercure à la Renaissance dans tous les domaines, voir MarieMadeleine de la Garanderie (dir.), Mercure à la Renaissance, s.l., 1988. F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 335 (nous traduisons) : « Il Moro stesso ebbe poi a giustificare le sue fisime astrologiche dichiarando esplicitamente che prima pregava Iddio, poi studiava le stelle come seconde cause “per sapere mitigare el male et seguitare el bene”. » (cité par Alessandro Luzio, « Isabella d’Este e la corte sforzesca », ASL, 1901, p. 145-176, ici p. 152). Telle est bien la date de naissance de Ludovic, comme toutes les sources contemporaines l’attestent (et non le 27 juillet) : voir Alessandro Colombo et Piero Parodi, « Due errori di cronologia sforzesca, a propositio della nascita di Sforza Maria e di Ludovico il Moro », Bollettino storico bibliografico subalpino, 24, fasc. 3/4, 1922, p. 5-28, en particulier p. 26 : « Genealogia Sforzesca del cod. Laudense XXI. A. 10 : “d. Ludouicus Sfortia quale nacque 1452, 3 augusti, hora 24, minuti 40 in Milano” ». Voir Luca Gaurico, Tractatus astrologicus, Venise, Curzio Troiano, 1575, p. 50.
In Mercurio solem coli etiam ex caduceo claret, quod Aegyptii in specie draconum maris et feminae coniunctorum figurauerunt Mercurio consecrandum. Hi dracones parte media uoluminis sui inuicem nodo quem uocant Herculis obligantur, primaeque partes eorum reflexae in circulum pressis osculis ambitum circuli iungunt, et post nodum caudae reuocantur ad capulum caducei ornanturque alis ex eadem capuli parte nascentibus. Le caducée constitue aussi une preuve que sous le nom de Mercure est adoré le soleil ; les Égyptiens ont figuré le caducée sous les traits de deux serpents enlacés, mâle et femelle, pour le consacrer à Mercure. Ces serpents en la partie médiane de leurs replis, sont attachés par un nœud appelé nœud d’Hercule ; les parties antérieures de leurs corps se courbent en arrière, puis forment un cercle en se repliant et en unissant leurs bouches, tandis que, au-delà du nœud, leurs queues rejoignent la poignée du caducée et sont ornées d’ailes qui partent de la même partie de la poignée31.
Ces précisions, confirmées par les représentations figurées32, sont importantes, en particulier si on s’attache à leur potentialité symbolique : la mention par Macrobe de la présence d’un mâle et d’une femelle dont les corps s’unissent par un nœud pointe de manière évidente dans la direction de l’union matrimoniale, que la fusion des bouches vient encore renforcer33. Mais surtout Macrobe nous révèle ensuite que : Argumentum caducei ad genituram quoque hominum, quae γένεσις appellatur, Aegyptii protendunt, deos praestites homini nascenti quattuor adesse memorantes, Δαίμονα Τύχην Ἔρωτα Ἀνάγκην : et duos priores solem ac lunam intellegi uolunt, quod sol auctor spiritus caloris ac luminis humanae uitae genitor et custos est, et ideo nascentis δαίμων, id est deus, creditur: luna τύχη, quia corporum praesul est quae fortuitorum uarietate iactantur: Amor osculo significatur: Necessitas nodo. Cur pennae adiciantur, iam superius absolutum est. Ad huiusmodi argumenta draconum praecipue uolumen electum est propter iter utriusque sideris flexuosum. La fonction de cet attribut, le caducée, les Égyptiens la rapportent aussi à la génération des hommes, genesis en grec ; selon eux, quatre divinités président à la naissance humaine : Daïmôn (Esprit divin), Tychê (la Fortune), Éros (l’Amour), Anankê (la Nécessité) ; selon eux, les deux premières divinités doivent être interprétées comme le soleil et la lune, parce que le soleil, principe du souffle vital, de la chaleur et de la lumière, est le père et le gardien de la vie humaine, aussi est-il considéré comme le daïmôn, c’està-dire le dieu du nouveau-né ; la lune est Tychê parce que son pouvoir s’exerce sur les
31 Macr., Sat., 1, 19, 16 et Charles Guittard (trad.) : Macrobe, Les Saturnales, Paris, 1997, vol. 1, p. 121. 32 En effet, les monnaies antiques représentent le caducée comme si les serpents fusionnaient dans leur partie inférieure en un seul corps, pour donner la fameuse baguette ornée d’ailes en sa partie inférieure. De plus, le nœud est un motif dont certaines représentations – dont celle de Santa Maria delle Grazie – tireront partie. 33 L. Giordano (dir.), « Politica, tradizione e propaganda » (note 23), p. 110 fait l’hypothèse – à laquelle nous souscrivons sans réserve – que le caducée est une devise matrimoniale en se fondant sur les documents écrits et sur un inventaire des objets décorés d’un caducée qui se révèlent pour la plupart directement liés au mariage. Mais elle ne dit rien de la motivation symbolique de cette signification prise par le caducée.
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sation qu’a pu en faire ce condottiere ambitionnant de devenir duc de Milan, tout en n’étant qu’un cadet de famille. Je note aussi d’emblée que Béatrice d’Este, son épouse, est née le 29 juin 1475 et que son thème la montre sous l’influence de la Lune et de Mercure. C’est Macrobe cette fois qui nous fournit des éléments pour mieux comprendre le choix du caducée dont il complète d’abord la description :
l’emblème d’alciat virtvti fortvna comes
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corps, qui sont soumis aux caprices du hasard ; l’Amour est représenté par les baisers, la Nécessité par le nœud. La présence des ailes comme attribut [signifiant la rapidité] a déjà été justifiée plus haut. Suivant la même exégèse, les replis onduleux des serpents ont été principalement choisis en raison du cours sinueux de chacun des deux astres34.
Le texte de Macrobe éclaire encore plus précisément les raisons du choix du caducée comme devise matrimoniale. Le caducée a d’abord l’avantage d’être un véritable « hiéroglyphe » (dixit Macrobe), c’est-à-dire un symbole qui passait pour se comprendre immédiatement sans le truchement d’un discours35, et c’est en outre un motif bien connu de l’Antiquité classique. De plus, le lien avec la génération, c’est-à-dire à la production d’héritiers, si importante pour les mariages princiers, en fait un symbole particulièrement adapté dans le cadre de noces officielles. Enfin, la distinction mâle-femelle entre les deux serpents se double d’une dimension astrologique : le serpent mâle devient une figure du soleil (la planète la plus influente dans le thème astral de Ludovic) et du daïmôn, la femelle un symbole de la lune (la planète la plus influente dans le thème astral de Béatrice) et de Tychê, c’est-à-dire la Fortune des Latins ; leur enroulement-embrassement autour de la baguette du caducée signifie l’amour (Eros) et leur lien – le nœud herculéen – la Nécessité (Anankè). Le motto de la devise, Vt iungor, signifie ainsi la conjonction des époux – à tous les sens du terme – sous les meilleurs auspices36 : le ciel lui-même accorde à ces noces bénies des dieux la plus favorable des configurations. L’union du soleil et de la lune constitue par ailleurs, comme le rappelle opportunément Horapollon37, un symbole d’éternité. Mais un détail supplémentaire vient encore accroître la pertinence du lien entre le corps de la devise, le caducée, et son motto : Vt iungor, en relation directe avec la planète Mercure, comme l’explique l’ambassadeur Trotti : Monseigneur Ludovic et son épouse portaient la même livrée, laquelle livrée était le caducée de Mercure, placé sur une robe : il s’y trouvait un chapeau et au-dessus se trouvaient trois très beaux rubis balais qui signifiaient le soleil38, avec une baguette [faite] de très grosses perles qui descendait joliment du chapeau par son milieu, avec un serpent de chaque côté de la baguette et avec les sandales ou talonnières de Mercure, avec une sentence qui disait Coniungor (je m’unis) ; cette livrée, son Excellence l’a fait faire pour la marquise de Montferrat qui devait venir à cette très digne et très solennelle cérémonie du baptême39. Le sens de ladite livrée est que, lorsque Mercure se joint à un homme bon, celui-ci devient très bon, et de manière analogue, quand c’est avec un homme mauvais et scélérat, ce dernier devient très mauvais et très scélérat : cela veut dire que si la marquise de Montferrat ou le marquis lui [= à Ludovic] était joint à la manière de Mercure, en agissant bien, il en résulterait pour lui [le marquis de
34 Macr., Sat., 1, 19, 17-18 et Ch. Guittard (trad.) : Macrobe, Les Saturnales (note 31) p. 121. 35 Sur la notion de « hiéroglyphe » à la Renaissance, voir K. Gielow, « Die Hieroglyphenkunde der Renaissance » (note 2). 36 Les éventuelles cornucopies constituent un raffinement sur lequel nous reviendrons. 37 Hier. 1, 1. 38 En outre, on note que la réalisation de la devise avec ces riches pierres précieuses ne fait pas l’économie du soleil, première planète d’importance dans le thème de Ludovic, qui surmonte le caducée lui-même. 39 La date de juin 1492 exclut qu’il s’agisse du baptême de Massimiliano, le fils de Ludovic, né le 23 janvier 1493, mais on note le lien entre la devise matrimoniale au caducée et une naissance : n’oublions pas que l’autre version du corps de cette devise comporte des cornucopies.
Montferrat] du bien, et si c’était mal, ce serait du mal ou pire qui résulterait, et notre duchesse avait droit à la même chose40.
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Lettre de Trotti, datée du 10 juin 1492 (citée par F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 385-386) : « […] Era il S. Ludovico e la sua consorte ad una liverea medema, la quale liverea era il caduceo signo de Mercurio, su una giornea epsa, su la quale era uno capello et sopra d’epso erano tri belissimi balassi che significavano il sole, cum una bachetta de perle grossissime che desendeva (sic) gioso dal capello per mezo d’epso, cum uno serpente da ogni canto de la bachetta et cum le scarpe sive tallarii de Mercurio, cum uno breve che diceva ‘coniungor’ ; la quale liverea haveva sua Ex.a facta per la marchesana de Monferrato che doveva venire a questa dignissima et solemnissima dignità dal baptesimo. Il significato de la qual liverea è che quando Mercurio se coniunge cum uno bono el deventa bonissimo, et cussì cum uno cativo et scelerato il diventa cativissimo et sceleratissimo inferendo che se la marchesana ou il marchese era coniuncto cum lui tanquam cum Mercurio operando bene gli ne resultaria bene, et se male, male et pegio, et il simile haveva la duchessa nostra ». (Archivio di Stato di Modena, Cancellaria Ducale, Carteggio degli Ambasciatori ed Agenti Estensi in Milano). Giordano tire de ce texte l’hypothèse tout à fait convaincante que la devise au caducée serait une devise matrimoniale. 41 E. Welch, Art and Authority in Renaissance Milan (note 23), p. 228. Cité par Simone Albonico, « Appunti su Ludovico il Moro e le lettere » in L. Giordano (dir.), Ludovicus 42 dux (note 23), p. 66-91, ici p. 80 : « Il passo ci importa non solo perché ripropone la figura di Mercurio, ma perché mette di fronte a motivi araldici e astrologici che, proprio in un testo di carattere ufficiale, hanno un ruolo centrale, mentre sono meno presenti di quanto ci potrebbe aspettare nella poesia ».
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Dans un style contourné, l’ambassadeur nous fournit en effet des clés de première importance. D’abord, il nous donne les circonstances dans lesquelles cette livrée au caducée est commandée : il s’agit d’un baptême qui n’est pas autrement documenté. Mais surtout, il explique l’importance de la conjonction de Mercure avec la planète-phare du thème astrologique d’un individu, qui en « exalte » les potentialités : cette conjonction engendre un redoublement des qualités (positives ou négatives en fonction de la planète) de la personne concernée. Pour Ludovic, comme pour Béatrice évoquée à la fin, il en va donc ainsi, puisqu’ils sont nés en bénéficiant de l’influence de Mercure. Or, à en croire l’explication de Trotti, cette influence mercuriale s’étend non seulement sur l’individu concerné par la conjonction, mais également à son entourage le plus proche. C’est pourquoi Ludovic propose en effet au marquis de Montferrat de « s’associer à lui » – dans une forme de soumission41 – en acceptant de porter la livrée au caducée qu’il lui a fait faire. Ludovic revendique ainsi pour lui le pouvoir du dieu qu’il célèbre, à savoir multiplier par deux les avantages dont son « associé » est initialement doté. Cette idée se retrouve dans un autre texte un peu postérieur concernant cette fois les noces de l’empereur Maximilien Ier avec la nièce de Ludovic, Bianca Maria Sforza, en mars 149442. Cette union constitue une réussite diplomatique spectaculaire qui consacre le succès de Ludovic et mérite en particulier d’être célébré par un épithalame dont nous connaissons la version publiée sans doute après correction. Il a été composé, faut-il s’en étonner, par un éminent humaniste milanais qui n’est autre que Jason de Mayne. Si la figure de l’empereur Maximilien à qui il s’adresse occupe la première place, la seconde est pour Ludovic qualifié de : « Divin Ludovic, non seulement garant mais conservateur de la paix en Italie », Diuus Ludouicus Italicae pacis non solum auctor uerumetiam conseruator. Mais surtout, Jason de Mayne fait résonner puissamment l’argument astrologique des conjonctions astrales :
À moins de se réunir, les planètes ne machinent habituellement rien de grand. Mais quand elles entrent en conjonction (coniunguntur), comme Jupiter avec Saturne, ou le Soleil avec Mercure, elles suscitent de grands effets sur le monde. Par l’auguste Blanche, la Vipère43 s’attache à l’aigle du dieu tonnant et Ludovic s’unit (coniunctus) comme Mercure à Jupiter, c’est-à-dire à Maximilien – le maître du monde – et c’est ainsi que les influences de la sagesse et de la puissance ont été cimentées ensemble, si bien qu’avec un espoir bien peu risqué, il est permis d’attendre des résultats extraordinaires et tout à fait heureux comme conséquences des événements les plus considérables44.
l’emblème d’alciat virtvti fortvna comes
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L’occasion est à nouveau celle d’un mariage et d’une alliance. Ludovic-Mercure se retrouve ici en « conjonction » avec Maximilien-Jupiter et, conformément à l’explication déjà donnée par Trotti, il faut attendre les plus grandes réussites d’une pareille association. Il n’est pas surprenant de constater que, né le 22 mars 1459, l’empereur Maximilien passe pour subir l’influence de Mercure, de Jupiter et du Soleil, ce qui ne pouvait donc que conforter Jason dans sa comparaison avec le mercurien Ludovic. Enfin, notons en passant que Jason de Mayne, futur porteur du motto de la devise sans corps Virtuti fortuna comes, n’ignorait donc ni l’existence de la devise au caducée (c’est-à-dire le futur corps de l’emblème-devise Virtuti fortuna comes d’Alciat) ni le sens astrologique auquel renvoie le motto : Vt iungor. Par ailleurs, le souci avéré de Ludovic pour l’astrologie est tel qu’il va jusqu’à modeler son emploi du temps en fonction des prédictions de son médecin et astrologue personnel, Ambrogio Varese da Rosate (1437-1522), qui ne le quitte jamais. Force est de constater que sa dévotion à Mercure va jusqu’à lui faire prendre des décisions d’importance quant au déroulement des festivités entourant son mariage. Cherchant à soutenir sa convaincante hypothèse d’une devise matrimoniale, corroborée par le motto, Giordano cite une autre relation de l’ambassadeur de Ferrare, Giacomo Trotti, qui donne la nuit de noces de Ludovic et Béatrice comme étant celle du mardi (jour de Mars) au mercredi (jour de Mercure) 19 janvier 1491 ; elle fournit aussi le témoignage de la mère de Béatrice d’Este qui écrit à son époux le 17 janvier : Demain à seize heures se marie et est bénie la duchesse de Bari [= Béatrice d’Este], avec beaucoup de cérémonie en raison de l’astrologie : le mardi et la nuit suivante, l’illustrissime Ludovic l’accompagne ; le jour suivant qui sera mercredi [= jour de Mercure], il s’en va pour Milan afin de pourvoir à ce qu’il y a à faire pour l’entrée de votre illustrissime épouse45.
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La vipère désigne la biscia des armes des Visconti dont les Sforza prétendent à l’héritage, et l’aigle est l’animal héraldique de l’empire. Notons que la biscia est au cœur du premier emblème d'Alciat : Insignia ducatus Mediolanensis. Jason de Mayne, Epithalamium, Paris, Antoine Denidel, 1495, f. A5v (édition consultée) : Non solent planete, nisi geminentur, magnum aliquid moliri. Sed ubi coniunguntur, ut Saturno Jupiter, aut sol Mercurio, magnos in terris effectus protendunt. Per Blancham augustam Vipera aquile tonantis aliti colligatur et Ludouicus tanquam Mercurius Ioui hoc est Maximiliano terrarum domino coniunctus est, sicque sapientie et potentie influxus sunt conglutinati, ut mirabiles et fortunatissimos maximarum rerum euentus non incerta spei ratione liceat expectare. Cité par L. Giordano, « Politica, tradizione e propaganda » (note 23), p. 109 : « Doman ale XVJ hore se sposa et benedisse la duchessa di Bari molto ceremoniosamente per puncto de astrologia, che è il di marti et la nocte seguente se acompagna cum epsa lo Ill.mo S. Ludovico. Il quale il seguente giorno, che sera mercori, se ne va à Milano per ordinare quello se havera a fare per l’intrata della prefata vostra Ill.ma consorte ».
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L. Giordano, « Politica, tradizione e propaganda » (note 23), p. 110 d’après A. Portioli, « La nascita di Massimiliano Sforza », ASL, 9, 1882, p. 325-334, ici p. 331. L. Giordano, « Politica, tradizione e propaganda » (note 23), p. 110 d’après Marin Sanudo, I diarii, Venise, 1879, p. 675. Nous nous fondons à nouveau sur Malaguzzi Valeri (note 22) et Giordano (note 23). Pour la profusion des usages de la devise et leur caractère hétéroclite, on peut rapprocher cette liste de celle qui est proposée – pour les emblèmes cette fois – par la préface des éditeurs dans André Alciat, Emblemata, Lyon, Macé Bonhomme / Guillaume Rouille, 1550, Ad lectorem ; voir également l’article de Michael Bath dans ce volume. Nous distinguons une première et une seconde variante, sans que cette distinction ait une valeur chronologique particulière, mais il semble bien que les deux variantes aient existé ensemble comme l’exemple de Santa Maria delle Grazie le prouve : voir infra, p. 337 et fig 15-17. Chiara Buss in C. Piravano (dir.), Tessuti serici italiani 1450-1530 (catalogue d’exposition, 9 mars-15 mai 1983, Castello Sforzesco), Milan, 1983, notice du no28, p. 120, ne pense pas qu’il s’agisse du même pallio dont parle F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 360 et Luca Beltrami, L’arte negli arredi sacre della Lombardia, Milano, 1897, p. 35.
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On voit à quel point le détail de la vie de cour peut être réglé par des considérations difficiles à imaginer aujourd’hui. Mais deux exemples supplémentaires montrent à quel point le jour de Mercure est devenu un jour particulier sous le gouvernement de Ludovic. C’est ainsi que, pour ses relevailles, Béatrice fera sa première sortie en 1493 un mercredi46 et qu’en 1494, après la mort de Gian Galeazzo, Ludovic devenu duc de Milan se fait acclamer dans les rues spécialement le mercredi toujours pour des raisons astrologiques47. Résumons-nous. Le caducée, signe antique de la paix et du langage, se fait, dans la devise Sforza, symbole syncrétique du dieu-planète Mercure qui, en conjonction avec les planètes principales du thème astral du porteur (Ludovic ou Béatrice), en exalte les qualités (les défauts sont bien sûr passés sous silence ou supposés inexistants). Le motto : Vt iungor laisse la parole au dieu-planète lui-même qui, sous la forme du caducée, déclare en quelque sorte : « quand je suis en conjonction », lui ou elle renvoyant au porteur de la devise. Mais le motto : Vt iungor fait aussi entendre la voix de chacun des deux serpents de la légende réunis par Mercure autour de la hampe, et qui affirme ici : « quand je m’unis », autrement dit « quand je me marie », ce qui est une autre forme de conjonction… à laquelle le caducée est lié par l’autorité du texte de Macrobe. Le fait qu’il n’y ait pas de complément au verbe latin du motto laissé en suspens en fait une devise susceptible de convenir aux deux époux et le caducée suffit à dire la prospérité d’une pareille union par référence aux pouvoirs de la planète et du dieu. Cet attachement à Mercure et à cette devise est manifeste dans le véritable inventaire48 à la Prévert que l’on peut dresser à partir des objets divers de la vie du prince qui se sont vus orner du caducée et qui en constituent autant de supports de diffusion et de publicité. Mais on ne semble pas avoir remarqué jusque-là que ce type iconographique possède deux variantes : dans la première, qui est nettement la plus représentée parmi les documents dont nous disposons, n’apparaît que le caducée, dans la seconde, le caducée est accompagné de deux cornucopies, ce qui rend lisible l’idée de la prospérité et du mariage fécond. De nombreux items relèvent de la première variante49 : le pallio d’autel réalisé à l’occasion des noces en 1491 et offert au Santuario della Madonna del Sacro Monte sopra Varese50 ; un parement de lit placé dans la chambre d’acccouchée de Béatrice en janvier
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1493 pour la naissance de son premier-né Massimiliano51 ; une casaque portée pour l’entrée de Ludovic et Béatrice à Ferrare le 18 mai 149352 ; une médaille anonyme53 et sans date (fig. 10), exécutée d’après un camée, où le caducée est littéralement soutenu par la biscia viscontienne dont Ludovic se prétend l’héritier ; le précieux coffret – qui a subsisté – où Ludovic a enfermé ses dernières volontés et qu’il décrit lui-même dans son testament54 ; un bijou disparu, formé de splendides pierres précieuses55 ; un candélabre auquel on a donné la forme d’un caducée56 ; un médaillon peint (fig. 11) de la piazza ducale de Vigevano57, ville natale de Ludovic ; une splendide page enluminée (ca. 149658) de la Grammatica de Donat (fig. 12) où on peut voir Massimiliano sur un char de triomphe, un caducée doré dans la main droite59 ; deux chapiteaux historiés de la cour de la Rochetta60 au Castello Sforzesco
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F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 301 : (la mère de Béatrice, Éléonore d’Aragon, parle) « un lecto […] cum uno apparamento de velluto cremesino cum alle e penne e quella sua divisa del caduceo cum quelle del serpe » ; voir aussi Attilio Portioli, « La nascita di Massimiliano Sforza », ASL, 1882, p. 323-334, ici p. 329 (cités tous deux par Giordano et Welch) : en passant, on remarque que les serpents ne sont pas compris comme faisant partie du caducée, mais comme des ornements complémentaires en quelque sorte. Alessandro Luzio et Rodolfo Renier, « Delle relazioni di Isabella d’Este Gonzaga con Ludovico e Beatrice Sforza », ASL, 1890, p. 373 cité par L. Giordano, « Politica, tradizione e propaganda » (note 23), p. 107108 : « uno novo ge era de cremexino racamato col caduceo di Mercurio ». Voir G.F. Hill, A Corpus of Italian Medals, 1930, no 651. F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 358-359 et fig. 436 : coffret nuptial ayant appartenu à Ludovic Sforza (35 x 23 x 14 cm, conservé aujourd’hui au Castello sforzesco) : « lo stemma sforzesco accopiato all’estense, i nomi, abreviati, dei due coniugi, quali ritornano sulle monete loro, le imprese del leone dal cimiero con le secchie col motto ic hof (io spero) e dei due draghi affrontati sul caduceo e, in un nastro, il motto vt ivngor […]. Il est décrit par Ludovic lui-même dans son testament politique : « cassetta coperta cum le piastre de ferro argentate alla damaschina, sopra el coperto de la quale è l’arme nostra ducale coniuncta cum quella de la Ill.ma nostra consorte, cum li nomi de tutti dui et al lato destro (nel significato araldico) li è el leone cum le secchie, et al sinistro el caduceo. » (voir Le Testament politique de Ludovic le More, s.l.n.d., 1879, p. 235) ; voir aussi Luca Beltrami, Il cofanetto nuziale di Ludovico il Moro e Beatrice d’Este, Milano, 1907. F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 356 : [parmi les bijoux du More] « un rubino grosso con l’insegna del caduceo (un’impresa a lui cara) stimato 25 mila ducati » (description faite d’après G. G. Trivulzio in ASL, 1876, p. 530 sq.). F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 331, fig 392 : « portalampade con l’impresa del caduceo (Coll. Bagatti Valsecchi) ». Les travaux d’aménagement et de décoration de la place s’étalent de 1492 à 1499 : voir Mario Comincini « I protagonisti », p. 50-65 et Gianni Zaffignani, « Fasti, allegori e misteri dei medaglioni », p. 86-93 (p. 91) in L. Giordano (dir.), Il cortile d’onore, La piazza di Vigevano, una lettura storico-artistica, Vigevano, 1991. Giulia Bologna, Libri per una educazione rinascimentale : Grammatica del Donato, Liber Iesus (introduction aux fac-similés des Ms. Trivulziani 2167 e 2163 de la Biblioteca Trivulziana de Milan), Milan, 1980, p. 9, explique que l’apparence du jeune Massimiliano (environ sept ans sur les images) ne correspond pas à l’âge qu’il avait – plus vraisemblablement autour de trois ans soit vers 1496 – au moment de la réalisation des miniatures et, p. 13-14, elle attribue la miniature avec le triomphe à Giovan Pietro Birago. Il s’agit du Ms 2167, f. 29r (Biblioteca Trivulziana, Milan) : on remarque que le caducée comprend le pétase et qu’il est ailé – mais pas les serpents. L’appareil de devises est significatif de l’importance que Ludovic leur accorde : outre les armes Sforza Visconti avec la biscia et l’aigle impérial sur le gonfanon ainsi que le caducée tenu par Massimiliano, on reconnaît ici sur les targes portées par les pages, les fanali, la scopetta, la hache de la mano decussante, la colombina de « à bon droit » et les semper virens sur l’étendard de la trompette. On note que la première targe est portée par le premier chapiteau à droite quand on entre dans la cour en venant du cortile ducale plus ancien – à une place de jonction – ; la seconde se trouve sur le deuxième chapiteau à gauche de la même entrée.
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La peinture – inédite – se trouve exactement au centre de la voûte de la colonnade, quand on gagne le cortile ducale depuis la cour de la Rochetta : elle porte le motto : Vt iongor. La colonnade qui entoure la cour de la Rochetta était ornée d’une voûte peinte où se voyaient des devises et des chiffres Sforza qui avaient été recouverts par un simple enduit lors des réfections de Luca Beltrami (1893-1904) : la campagne de restauration (encore en cours en septembre 2012) a mis au jour ces motifs oubliés. La miniature est d’un anonyme milanais et le manuscrit (Ms. 434) est conservé à la Pierpont Morgan Library de New-York : voir Giovanna Maria Canova, « The Italian Renaissance miniature » in J. J. G. Alexander (dir.), The Painted Page, Italian Renaissance Book Illumination 1450-1550 (catalogue de l’exposition), Münich/New-York, 1994, p. 74, no 17. Trompée par le contexte religieux de ce document, C. J. Moffatt, Heraldic imagery (note 21), p. 60, voit dans le pétase de Mercure « a winged bishop hat », ce qui nous paraît impossible : ce qui caractérise la coiffe de l’évêque, ce sont en effet les cordons ornées de houppes dont le nombre distingue justement protonotaire (3), évêque (6), archevêque (10) et cardinal (15) – et non pas simplement sa forme ronde et aplatie. Les panneaux de la partie inférieure de la Sagrestia de Bramante représentent des devises Visconti et Sforza : celle au caducée n’apparaît qu’une seule fois, mais à une place remarquable : c’est la toute première de la partie inférieure droite quand on s’avance face à l’autel. Les travaux d’embellissement de l’église et de l’ensemble monastique que Ludovic destinait à abriter son tombeau, celui de Béatrice et à devenir à plus long terme le mausolée de la dynastie s’étendent de 1494 à 1497 et s’accélèrent après la mort de Béatrice jusqu’à la chute de Ludovic lui-même : voir G. A. dell’Acqua (dir.), Santa Maria delle Grazie in Milano, Milano, 1983, et ici en particulier Arnaldo Bruschi, « L’architettura », p. 35-89, L. Giordano, « La scultura », p. 90-111. Ajoutons que, comme à l’intérieur pour la Sagrestia vecchia, la place de cette targe est remarquable : elle occupe le premier médaillon dans la série qui se déroule ensuite autour de l’abside monumentale de l’église et c’est la seule à être placée dans l’intervalle entre la nef et l’abside qu’elle joint – même si le motto Vt iungor est absent. L. Giordano, « Politica, tradizione e propaganda » (note 23), p. 110 ; Pompeo Litta, Famiglie celebri d’Italia, « Attendolo di Cotignola in Romagna», 1817, f. 17r, reproduit par un dessin le coussin qui supporte la tête de Ludovic () et montre quatre de ses devises préférées (de haut en bas et de gauche à droite) : la mela di Cotignola, la scopetta, les tisoni e secchi, enfin le caducée (en haut à droite). Voir A. Bruschi, « L’architettura », p. 35-89 (p. 81), L. Giordano, « La scultura », p. 90-111 et Germano Mulazzani, « La decorazione pittorica : il Quattrocento », p. 112-139 (p. 134) in G. A. dell’Acqua (dir.), Santa Maria delle Grazie in Milano (note 73). On remarque que les deux formes de la devise coexistent à Santa Maria delle Grazie.
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de Milan (fig. 13) ainsi qu’une petite targe peinte61 (fig. 14) qui vient tout récemment d’être dégagée par les restaurations opérées sur la voûte de la galerie entourant la même cour ; la lettrine du L initial de lvdovicvs premier mot de la copie (juillet 1499) de la lettre de donation au monastère dominicain de Santa Maria delle Grazie62 de Milan ; un panneau63 (fig. 15) des intarsie de la Sacrestia vecchia de Bramante à Santa Maria delle Grazie ; la targe ornant un médaillon monumental à l’extérieur de la même église Santa Maria delle Grazie64 (fig. 16) ; enfin, c’est l’une des quatre devises gravées sur le coussin du gisant de Ludovic par Cristoforo Solari65, initialement prévu pour être hébergé à Santa Maria delle Grazie avec celui de Béatrice. De la seconde forme de la devise, avec caducée et cornucopies, nous n’avons pas trouvé de description littéraire, mais seulement les objets-supports, soit la luxueuse lettrine initiale du diplôme antiphernal de Béatrice d’Este daté du 28 janvier 1494 (fig. 9), ainsi que le motif de la large frise courant sous la corniche supérieure de la Sacrestia vecchia de l’église de Santa Maria delle Grazie66 (fig. 17). Le fait qu’il n’y ait apparemment que deux exemples connus de cette variante ne doit pas masquer l’importance de ces occurrences, ni faire oublier que nous avons perdu la plupart des objets décorés et des ornements temporaires
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fig. 10 - Caducée seul (et sans motto) et biscia Visconti (sur la cuirasse), médaille anonyme uniface à l’effigie de Ludovic Sforza (ca. 1490-1495). A.H. Baldwin & Sons Ltd. fig. 11 - Vt iongor, caducée seul, devise de Ludovic le More, piazza ducale de Vigevano. Cliché auteur. fig. 12 - Triomphe de Massimiliano dans la Grammatica de Donat (ca. 1496), Ms 2167, f. 29r. Biblioteca Trivulziana, Milan. fig. 13 - Caducée seul et sans motto, devise de Ludovic le More, chapiteau de la Rocchetta, Castello Sforzesco, Milan. Cliché auteur.
fig. 14 - Vt iongor, caducée seul, devise de Ludovic le More, plafond de la colonnade à la jonction entre le cortile de la Rochetta et le cortile ducale du Castello Sforzesco, Milan. Cliché auteur. fig. 15 - Caducée seul et sans motto sur la targe d’un panneau des intarsie de Santa Maria delle Grazie. Cliché auteur. fig. 16 - Caducée seul et sans motto sur la targe d’un médaillon extérieur de Santa Maria delle Grazie. Ciché auteur. fig. 17 - Caducée et cornucopies, sans motto, motif de la frise de la Sagrestia vecchia de Santa Maria delle Grazie. Archives Alinari, Florence.
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utilisés lors des entrées et autres cérémonies officielles. Le diplôme antiphernal qui stipule les conditions du mariage de Ludovic avec Béatrice, avec en particulier la composition de la contre-dot, est un document somptueusement enluminé où le caducée aux cornucopies apparaît à gauche dans la lettrine très allongée du I initial du document (fig. 9) : juste au-dessus, on voit dans un médaillon le portrait de Ludovic qui fait pendant à celui de Béatrice placé à droite et au-dessous duquel on retrouve, en particulier, la plus ancienne devise de Ludovic, la scopetta, la « brosse », qu’il a adoptée adolescent avec le motto : Merito et tempore, « À raison et à temps » et qu’il reprend à son père Francesco qui la portait déjà, en particulier, sur la face interne de l’étui de son propre sceau avec celle, familiale, au lion de Cotignola67. La seconde source iconographique dont nous disposons se trouve dans la sacristie de l’église Santa Maria delle Grazie où Ludovic et Béatrice avaient prévu d’être ensevelis dans un tombeau orné des gisants placés aujourd’hui à la Certosa de Pavie : la frise murale placée sous la corniche supérieure et constituée de la répétition68 du motif de la devise appartient donc à nouveau à un monument qui compte pour les deux époux (et leur dynastie) et, pour cette raison, on ne saurait en sous-estimer l’importance – que souligne la place remarquable qui lui est assignée dans l’ornement. Et cela d’autant plus qu’Alciat pouvait la voir tout comme le visiteur d’aujourd’hui. Mais comment expliquer le passage d’un type du caducée sans cornucopies à l’autre, avec cornucopies ? L’adjonction des cornucopies me paraît correspondre à une réélaboration consécutive à la naissance du premier fils de Ludovic, Ercole Massimiliano, même si cette variante n’était pas forcément destinée à remplacer la première version de la devise. La monnaie antique de Tibère avec les têtes d’enfants sortant des cornucopies (fig. 6) a pu donner l’idée d’adjoindre ce symbole de fécondité personnelle, lié à l’union matrimoniale et à la paix publique que symbolise déjà le caducée. Or la paix est précisément ce que veut Ludovic plus que tout69. Après la mort de son neveu Gian Galeazzo le 22 octobre 1494, moyennant une somme énorme, Ludovic est officiellement investi du duché de Milan par l’empereur Maximilien Ier lui-même, auquel six mois plus tôt il a marié sa nièce Bianca Maria, ce qui constitue son succès diplomatique le plus considérable. On note aussi qu’il lance alors de grands travaux dans toutes les domaines, parce qu’il a l’intention d’apporter à Milan la prospérité et de faire renaître un nouvel Âge d’or, scellé par la naissance d’un enfant, comme chez Virgile70 : la paix espérée doit enfin être retrouvée, le pouvoir consolidé
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Voir, dans l’exposition on-line SIGILLI de la collection photographique de sceaux hébergée par le Kunsthistorisches Institut de Florence, la page [consultée le 19 juillet 2012] : [ consulté le 21-03-2013, à 11h48]. Notons que le motif est répété neuf fois sur chaque côté court et dix-huit sur chaque côté long. F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 425, cite le poète Antonio Cammelli da Pistoia, en 1494, lors des noces de Maximilien et de Bianca Maria : « Che vuole il Mor ? – Che vuole ? Il mondo in pace », « Que veut le More ? – Ce qu’il veut ? Le monde en paix ». À ce sujet, F. Malaguzzi Valeri, La corte di Lodovico il Moro (note 22), p. 336 cite Giovio – qu’on ne peut pas soupçonner d’être favorable à Ludovic. Dans l’Istoria del suo tempo, traduit par Lodovico Dominichi, Venise, 1608, p. 11, après avoir rappelé qualités et défauts du personnage, Giovio ajoute en effet : « et, après avoir fait cesser les vols et redressé au fil à plomb les bâtiments tordus de la cité, il fait naître tant de splendeur et de richesse en Lombardie qu’il était appelé par tous le bâtisseur de la paix dorée, de la sécurité publique et de la grâce », « e tolti via i rubbamenti, et drizzati a filo gli edifici goffi
Les deux variantes de la devise Vt iungor et les deux premières illustrations de l’emblème Virtuti fortuna comes Que le Milanais Alciat ait été familier de cette « forêt de symboles » qui constituait le paysage visuel ordinaire ou d’apparat dans lequel évoluait la cour princière des Sforza à Milan est évident. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait choisi pour motif symbolique d’un de ses emblèmes l’une des variantes du corps de la devise d’un Sforza, le caducée et les deux cornucopies. L’enjeu était, bien entendu, de donner une nouvelle lecture allégorique de cet objet dynastique connu des Milanais. Dans l’interprétation qu’il en donne dans son épigramme, Alciat abandonne la référence au prince pour relier la figure aux talents de l’homme de lettres, avocat ou professeur, suivant en cela l’application qu’en avait déjà proposé Jason de Mayne pour lui-même. Le motif matrimonial des serpents enlacés pouvait en effet facilement se transposer (entre autres) sous la forme du mariage recommandé par Cicéron chez le perfectus orator entre l’éloquence et la sagesse : deux qualités que prisent également l’avocat et le juriste, et qui peuvent les aider à réconcilier ceux qui se querellent (les serpents, on le voit, ne sauraient être univoques !). Quant aux cornucopies, elles célèbrent la prospérité qui naît de cette judicieuse association chez l’homme de culture, récompensé au prorata de ses facultés intellectuelles et oratoires. Mais cette prospérité individuelle, sous la forme d’un salaire, ne peut s’entendre que dans le contexte politique d’une cité en paix, gouvernée par un prince juste, au mariage fécond, qui favorise l’épanouissement économique de ses sujets, ce que célébraient précisément les deux versions du corps de la devise Vt iungor qui restent à l’horizon. On remarquera en outre que la configuration graphique des deux versions de la devise (fig. 17 et 1871) présente avec l’illustration de
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della città, arrecò tanto splendore et ricchezza alla Lombardia, che da tutti era chiamato edificatore della pace aurea, della publica sicurezza et della leggiadria » (nous soulignons). Vt iongor (caducée seul), devise de Ludovic le More, Cod. Trivulzianus 2168 (I 83), f. 25r.
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peut être transmis à une descendance désormais assurée, que la naissance d’un second fils, Francesco, en 1495, va achever de fortifier. La très inégale répartition numérique des variantes s’explique sans doute par des questions de date : née après la première version (apparue dès 1491), la variante aux cornucopies, plus rare et tardive, a eu de fait moins de temps pour être diffusée, puisque Béatrice meurt prématurément en couches en 1497. Ce décès, qui a beaucoup affecté Ludovic, signifie aussi la disparition programmée de la devise, car on peut supposer que la célébration implicite de l’épouse et de la mère que comportaient implicitement les deux versions de la devise n’était plus d’actualité. Rappelons aussi que, deux ans plus tard à peine, en 1499, Ludovic doit fuir Milan, quittant précipitament la cour et ses décors. Trahi par les Suisses et vendu aux Français en 1500, il va mourir prisonnier en 1508, dans un cachot du donjon de Loches où il passera, en partie, son temps à peindre lui-même sur la voute des devises malheureusement presque complètement disparues.
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fig. 18 - Vt iongor, caducée seul, devise de Ludovic le More, Cod. Trivulzianus 2168 (I 83), f. 25r. Biblioteca Trivulziana.
l’édition princeps des Emblemata imprimée par Steyner à Augsbourg en 1531 (fig. 1) et celle de la première édition française publiée par Wechel à Paris en 1534 (fig. 2) de troublantes similitudes formelles. Ainsi, la gravure de Steyner (1531) montre un caducée seul, formé de deux serpents ailés entourant la baguette attendue, surmontée de deux petites ailes. Quant aux deux cornes de chèvre accolées aux serpents, elles s'apparentent aussi – graphiquement – à de petites ailes nervurées, mais pas aux cornucopies habituelles. Un phylactère laisse attendre une possible inscription. Si on compare avec la targe du chapiteau de la Rochetta (fig. 13), on voit combien les deux images sont proches. De manière analogue, si on compare l’illustration de Wechel (1534) avec le diplôme antiphernal (fig. 9) ou le motif de la frise peinte à Santa Maria delle Grazie (fig. 17), on note la similitude de la composition de l’une et de l’autre, et la grande proximité entre les réalisations graphiques de ce caducée avec ses dragons et ses authentiques cornucopies, sans oublier son pétase ailé – une invention milanaise, rappelons-le. Mais comment est-on passé de la représentation de la devise sur des objets et dans des décors géographiquement localisés (Milan), à son adoption dans l’illustration d’un emblème publié par un éditeur germanique (Augsbourg) en 1531 ? Il me semble qu’on peut, là encore, faire des hypothèses peu risquées. On le sait, Ludovic fut un prince fastueux qui aimait à s’entourer d’une pompe spectaculaire dont il se faisait accompagner partout où il allait. Or, en 1494 et 1495, puis lors de sa fuite hors de Milan en 1499, il se rend et séjourne en pays germanique, dans le Tyrol, à Innsbrück en particulier où sa
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Un des monuments les plus fameux d’Innsbrück est le Goldenes Dach, une loggia construite en 1494 pour abriter Maximilien et sa nouvelle épouse Bianca Maria Sforza lors de leurs noces : sur la partie inférieure, on voit d’ailleurs les armes des Visconti – la biscia – entourées de deux devises traditionnelles des Sforza, à savoir les seaux et les torches, et le plumai. 73 Ses voyages en Italie se déduisent de l’évolution de sa peinture plus que des rares documents le concernant. Elisabeth Klecker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs : les Emblemata d’Alciat et l’embléma74 tique », Littérature, 145, 2007, p. 23-52, ici p. 24-37. 75 E. Klecker, ibid., p. 20 : « Une recherche sur les sources des images devrait examiner dans quelle mesure Alciat a pu exercer une influence sur les illustrations de l’édition Wechel ». 76 Henry Green, Andrea Alciati and His Book of Emblems (note 1), p. 11, cite et p. 97, reproduit la médaille comme une pièce anonyme.
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nièce, la nouvelle impératrice, réside souvent, en compagnie des Milanais que Ludovic tient à garder auprès d’elle. Qui plus est, après l’exil forcé et définitif de Ludovic, sa nièce Bianca Maria accueille les fils de Ludovic, ses jeunes cousins, à Innsbrück et ils vont, semble-t-il, y séjourner régulièrement pendant plusieurs années. Or Augsbourg, la ville de l’éditeur Steyner, se trouve à une centaine de kilomètres d’Innsbrück : c’est une ville importante où Maximilien réunit la Diète de l’Empire et où se rendent, sinon Ludovic, du moins ses représentants milanais. On imagine sans peine que le souvenir des fastes Sforza ait pu se conserver dans les mémoires et même rester visibles par exemple sur les ornements princiers, comme le Goldenes Dach72 encore visible aujourd’hui. Nous faisons donc l’hypothèse que, connaissant l’Italie où il a voyagé73, Jörg Breu l’Ancien (ca. 14751537), le graveur présumé de l’édition Steyner et lui-même natif d’Augsbourg, n’a pas agi au hasard en illustrant d’un caducée alla milanese l’emblème Virtuti fortuna comes, mais qu’il avait à l’esprit d’authentiques ornements Sforza qu’il avait pu voir. La version la plus répandue de la devise au caducée ne comportait alors pas de cornucopies – même si le texte latin d’Alciat mentionne pour sa part les « cornes d'Amalthée » dès 1531. La seconde illustration, celle de Wechel attribuée au graveur Mercure Jollat, est tellement proche de la deuxième variante de la devise de Ludovic qu’il est difficilement envisageable que le graveur n’en ait pas vu une représentation ou connu une description. Or, cette édition passe pour être plus correcte, voire pour avoir reçu l’accord d’Alciat. Il est sûr que ce dernier en a eu connaissance et qu’il a pu faire corriger le texte en bien des endroits74, même s’il serait exagéré d’opposer excessivement les deux éditions de 1531 et 1534. Il a donc pu aussi suggérer des remaniements pour la gravure parue en 1534, en particulier pour qu’elle se montre plus fidèle au texte qui désigne non pas de simples cornes de chèvre, mais des cornucopies75. Milanais de naissance, élève de Jason de Mayne, qui est un très proche de Ludovic, Alciat avait toute liberté pour connaître cette devise dans sa diversité, en particulier sa variante. Nous pensons que c’est au Milanais Alciat lui-même qu’il faut attribuer le changement de l’illustration pour Virtuti fortuna comes, image qui va devenir le modèle inlassablement repris par toutes les éditions postérieures des Emblemata. Pour conforter notre hypothèse et le rôle d’Alciat, nous proposons d’ajouter à ce dossier une médaille (fig. 19) réalisée par Jean Second76 avec l’aide d’Alciat entre 1532 et 1533 : c’est probablement là un chaînon important qui témoigne de la volonté d’Alciat d’adopter la variante aux cornucopies de la devise de Ludovic comme l’illustration de référence de l’emblème Virtuti fortuna comes à partir de 1534.
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fig. 19 - Médaille en bronze à l’effigie d’André d’Alciat par Jean Second (1532-1533).
Aux sources de l’invention : Paolo Giovio, Jason de Mayne, André Alciat et… Giovanni Biffi Avant d’aborder la médaille de Jean Second, je voudrais revenir sur le comportement étrange adopté par Paolo Giovio au moment où il mentionne l’invention de la devise-emblème Virtuti fortuna comes. Comme je l’ai rappelé, Paolo Giovio est notre informateur le plus documenté sur le motto : Virtuti fortuna comes (voir supra) et la composition symbolique au caducée. Il fait du motto la devise sans corps de Jason de Mayne, et de l’image la devise en quête de motto d’Alciat, laissant penser que Jason est l’inventeur du motto et Alciat celui de l’image. Mais Giovio ne le dit pas explicitement, nous abandonnant au contraire dans le flou alors qu’il ne pouvait ignorer ce qu’il en était vraiment. Je m’interroge donc sur les raisons de cet embarras. En fait, Paolo Giovio connaît parfaitement les Visconti, dont il a raconté les vies77, mais aussi les Sforza : il a aussi rédigé une vie de Francesco78, le père de Ludovic. Dans ses Elogia illustrium uirorum, il consacre quelques pages au More, globalement très négatives79 ; mais il est surtout question de Ludovic Sforza dans ses Historiae sui temporis (1550-1552) où il porte ce jugement définitif sur lui : uir […] ad exitium Italiae natus, « un homme né pour la mort de l’Italie »80. Dans le Dialogo dell’imprese, il fait cependant mention de la devise la plus couramment utilisée par Ludovic depuis son adolescence : il s’agit de la scopetta, « la brosse » qui
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Vitae duodecim Vicecomitum Mediolani principum, Paris, Estienne, 1549 (édition princeps). Vita Sfortiae clarissimi ducis, Rome, Blado, 1539 (édition princeps). Franco Minonzio (éd.) : Paolo Giovio, Elogi degli uomini illustri, Turin, 2006, p. 706-712. T. C. Price Zimmermann, Paolo Giovio, The Historian and the Crisis of Sixteenth-Century Italy, Princeton, 1995, p. 11 et note 46.
E continuando in simil vanità, aveva fatto dipingere in Castello l’Italia in forma di reina che aveva in dosso una vesta d’oro ricamata a ritrattti di città che rassemigliavano al vero e dinanzi le stava uno scudier moro negro con una scopetta in mano. Et en continuant avec la même vanité, au château [= Castello Sforzesco de Milan] il [Ludovic] avait fait peindre l’Italie sous la forme d’une reine qui avait revêtu une robe dorée brodée de portraits de villes qui ressemblaient au vrai, et devant elle se trouvait un écuyer maure et noir avec une brosse à la main.
Il faut d’emblée noter que, sous cette forme qui a bien existé au Castello Sforzesco de Milan (fig. 2282), comme c’est ici précisé, la devise du More contrevient à tous les principes que Giovio a donnés un peu plus tôt pour former une parfaite devise : il faut qu’elle ait un corps et une âme bien proportionnés, qu’elle ne soit ni trop simple ni trop difficile à comprendre, qu’elle soit belle à voir, qu’elle ne comporte aucune forme humaine et que son motto provienne d’une langue étrangère83. La devise du More ici présentée est sans motto donc incomplète, elle comporte trop d’éléments signifiants – l’allégorie de l’Italie, sa robe où les villes sont représentées al vero, l’écuyer maure et noir, sa brosse – ce qui fait qu’elle manque de proportion ; de plus, il s’y trouve non pas une mais deux figures humaines complètes qui n’appartiennent pas même à la fable84. Cette image est enfin incompréhensible sans herméneute. Giovio se charge d’ailleurs de fournir une explication pour cette devise réduite à un corps et sa mise en scène est fort éloquente : Perchè dimandando l’ambasciator fiorentino al Duca a che serviva quel fante negro, rispose che scopettava quella veste e la città per nettarle d’ogni bruttura, volendo che s’intendesse il Moro esser arbitro dell’Italia e assertarla come gli pareva. Replicò l’acuto Fiorentino : – Avvertite, Signore, che questo servo maneggiando la scopetta vien a tirarsi tutta la polvere addosso –, il che fu vero pronostico. À l’ambassadeur florentin qui demandait au duc à quoi servait cet enfant noir, le duc lui répondit qu’il brossait ce vêtement et la cité de toute saleté, voulant ainsi faire comprendre que le More était l’arbitre de l’Italie et en disposait comme il lui plaisait. Le subtil
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Voir C. J. Moffatt, « “Merito et tempore” » (note 21). Cod. Trivulzianus 2168, f. 25r : Giovio ne cite pas le motto qui est ici représenté : Italia io sono tiamata (= chiamata), « Je suis appelée Italie », mots qui, sans doute, conviennent plus à une figure allégorique qu’à une devise. Nous remercions Chiara Lastraioli pour son explication de « tiamata » équivalent dialectal de « chiamata ». p. 37-38 : seul le dernier principe paraît ne pas être concerné, mais ce n’est qu’apparent puisque le motto associé à ce corps était en italien. L’appartenance à la mythologie est l’argument invoqué par Giovio lui-même pour vanter malgré tout la devise imaginé par Giovanni Cotta pour le doge Andrea Gritti avec pour corps Atlas portant le globe céleste et pour motto : Sustinet nec fatiscit, « Il soutient sans faiblir » : voir Maria Luisa Doglio (éd.) : Giovio, Dialogo (note 6), p. 128-129.
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sert à faire briller la robe d’un cheval après qu’il a été étrillé, accompagnée du motto : Merito et tempore, « À raison et à temps »81. Mais, au lieu de la montrer à son avantage et sous son aspect habituel (fig. 20), Giovio en choisit une variante, présentée sans motto et beaucoup plus sophistiquée, sur laquelle il vaut la peine de s’arrêter un moment (fig. 21) :
fig. 20 - Merito et tempore, la scopetta, devise de Ludovic le More, Cod. Trivulzianus Ms. 2168 (I 83), f. 15r. Biblioteca Trivulziana.
fig. 22 - Italia io sono tiamata, l’Italie brossée par l’écuyer maure (variation sur la devise à la scopetta) Cod. Trivulzianus 2168 (I 83), f. 39r. Biblioteca Trivulziana.
fig. 21 - L’Italie brossée par l’écuyer maure, devise sans motto, (variation sur la devise à la scopetta) dans Paolo Giovio, Dialogo dell’imprese, Lyon, Guillaume Rouille, 1574, p. 43. Glasgow University Library.
Florentin réplique : – Prenez garde, Monseigneur, qu’en maniant la brosse, cet esclave n’en vienne à répandre sur lui toute la poussière – ce qui fut un présage véridique85.
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p. 61 : il y a un jeu de mots entre le Maure, l’esclave de l’image, et celui qu’il est censé représenter symboliquement, à savoir le More, soit Ludovic lui-même dont c’était le surnom lié non à la couleur de la peau – Giovio qui l’a vu nous le dit – mais à l’arbre qu’il avait pris pour emblème et comme cri de ralliement, à savoir le moro (ou gelsomoro), soit le « mûrier ». L’arbre est en effet un symbole de prudence parce que, depuis l’Antiquité (Pline, NH, 16, 25, 102), on pense qu’il ne fait ses premiers bourgeons qu’une fois les derniers froids passés : on remarque qu’Alciat consacre au « mûrier », Morus, le dernier emblème de la série des arbres, publié pour la première fois dans l’édition aldine de 1546. 86 On en compte plusieurs dizaines, originales ou reprises : voir G. Zaffignani, « Fasti, allegori e misteri dei medaglioni » (note 40), p. 88-89 ; C. J. Moffat, Urbanism and Political Discourse (note 21), passim et « “Merito et tempore” » (note 21), p. 246-249. 87 La base Brepolis Latine Complete ne renvoie à aucune occurrence pertinente. 88 Cic, Ad fam. 10, 3 ; Érasme, adagia, « Virtute duce comite fortuna », 4, 10, 47 (3947) : ces sources sont fournies dans l’édition M. L. Doglio (éd.) : Giovio, Dialogo (note 6), p. 41.
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La conclusion s’impose : dans le domaine des devises comme dans celui de la politique, Giovio ne saurait donc faire l’éloge de Ludovic, malgré le corpus extrêmement abondant que le prince laisse, comme suffirait à l’attester la piazza ducale de Vigevano86. Pourtant, Giovio, si intéressé par les devises, ne peut pas ignorer que le motto : Vt iungor, accompagné du caducée avec les cornucopies, est une devise de Ludovic le More. Plutôt que de célébrer le prince, il a préféré mettre en avant des personnalités amies, Jason de Mayne et André Alciat. Il ne réussit cependant pas à se départir d’une forme de malaise, sensible les deux fois où il évoque le motto sans corps Virtuti fortuna comes, ou le corps sans âme du caducée et des cornucopies. En évitant, pour des raisons politiques, de nous révéler ce qu’il sait de cette devise, il nous contraint à chercher ailleurs. La conception du corps de la devise Vt iungor est indubitablement l’œuvre d’un lettré. En effet, même si représenter le caducée avec le pétase ailé est stricto sensu une erreur par surcaractérisation, ce ne peut être que l’œuvre d’un humaniste qui sait ce qu’est le pétase ailé de Mercure : notons en passant que cette erreur archéologique plaira tant qu’elle ne sera jamais remise en question dans les éditions d’Alciat postérieures, ni davantage discutée dans les différents commentaires jusqu’à aujourd’hui. La variante de la devise, avec les deux cornucopies, est aussi l’œuvre d’un humaniste, qui plus est numismate, et sans doute le même (?) que celui qui a conçu la première mouture de la devise. Jason de Mayne ferait un parfait candidat, lui qui connaît et relaie l’attachement de Ludovic à Mercure – comme l’atteste son épithalame pour les noces de Bianca Maria et Maximilien en 1494 –, lui qui, en outre, usa du motto : Virtuti fortuna comes comme devise personnelle – mais sans corps. Quant au motto de Ludovic Sforza : Vt iungor, bien que latin, il ne semble pas être inspiré par une source antique87. Il est clairement du côté de l’astrologie telle qu’on la pratique dans les cours de ce temps, plutôt que du côté des auteurs classiques qui fournissent si souvent la source de ces mottos de devise – Giovio conseille d’ailleurs d’aller y chercher une noble inspiration. C’est le cas, en revanche, pour Virtuti fortuna comes qui est une adaptation d’une expression de Cicéron : Virtute duce comite fortuna, brièvement commentée par Érasme dans un adage éponyme88, où l’importance première de la vertu est explicitement
l’emblème d’alciat virtvti fortvna comes
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rappelée. Si bien que Virtuti fortuna comes a pu sembler une pure invention-adaptation de l’érudit Alciat. Or il est pour le moins curieux de trouver les vers suivants dans un recueil factice rassemblant plusieurs brefs recueils de poèmes composés par… Giovanni Biffi (1464-1516), sous la férule de qui le tout jeune – et peu respectueux89 – Alciat étudia le latin et (peut-être) le grec à la fin des années 1490, avant de rejoindre Aulo Giano Parrasio90 – peut-être sur les conseils de Biffi91. Après avoir loué Ludovic qu’il montre paré de tous les dons par Jupiter, Biffi ajoute : Non fortuna tamen sed uirtus regna gubernat, Quae tenera tecum creuit ab usque die : Virtutis92 fortuna comes tua tempora lauro Cinxit, et in tota ductor es hesperia. Quid memorem Hesperiam ? cum totum sedulus orbem Consiliis serues Dux Ludouice tuis.93 Ce n’est pas fortune pourtant, mais vertu qui gouverne ton royaume, Elle qui, jeune, a grandi avec toi depuis ce jour : Compagne de vertu, fortune a ceint tes tempes de laurier, Et dans toute l’Hespérie, tu es le maître. Pourquoi rappeler l’Hespérie, puisque c’est le monde entier que de ton zèle Et par tes conseils tu conserves, Duc Ludovic !
Ainsi, on le voit, tous les éléments qui aboutiront à l’emblème sont « dans l’air », en quelque sorte, dès la fin du xve siècle. Cependant resterait à savoir qui est l’auteur des appariements divers auxquels on assiste ensuite : Jason de Mayne, qui est alors le plus grand juriste de Milan, a-t-il emprunté le motto de sa devise au plus médiocre Biffi ? Ou Alciat l’a-t-il emprunté à Biffi, le maître d’école qu’il respecte si peu, pour le donner à Jason, son premier maître en droit ? Pour l’heure, on ne saurait dire. On soulignera que Giovio laisse penser que c’est Jason qui s’est servi le premier de Virtuti fortuna comes comme devise, empruntée ou non. Il est clair qu’Alciat n’a pas inventé le corps de la devise, mais qu’il’a emprunté à la devise Sforza déjà constituée. Quant au motto : Virtuti fortuna comes, il l’a vraisemblable89 90
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Voir, dans ce volume, la communication de Denis Drysdall, ainsi que du même, « Andrea Alciato, In Bifum [Milan? 1506/7?] », Emblematica, 18, 2010, p. 241-270. Si l’on en croit Biffi qui publie avec ses poèmes une pièce de Giovanni Pietro de Rosate qui fait son éloge en disant en particulier : Eloquio clarus graeco doctusque latino / Parrhasii sapiens pulpita clara tenes / Ille tibi uirtute tua mandare cohortem / Non dubitat […] : « Toi [Biffi] qui brilles de l’éloquence grecque, qui es savant en latin, tu tiens sagement le brillant pupitre de Parrasio : il n’hésite pas à envoyer vers toi une foule [d’auditeurs] » (réédition de pièces de Biffi dans un recueil factice chez Gottardo da Ponte, Milan, 1512, non folioté, non paginé, AA[4]r-v). Voir la huitième et dernière partie du recueil de Biffi, [Carmina], Milan, Gottardo da Ponte, 1512, A[3]- v–A[4]r, Pro Iano Parrhasio Neapolitano in obtrectatores, « Pour Janus Parrhasius de Naples, contre ses calomniateurs » : cette pièce laisse penser que Biffi et Parrasio se connaissent, voire s’apprécient. Le génitif que nous trouvons ici et non le datif comme chez Alciat ne change pas grand chose au sens du syntagme et, pour la vue, les deux énoncés sont identiques à une lettre près. Faux recueil avec un manuscrit à page de garde peinte et dédicace à Louis XII (!), réunissant avec les miracles de la Vierge (1), un premier recueil d’épigrammes avec colophon du 11 mars 1484 (2) et un second avec colophon du 10 octobre 1493 (3), puis la Promantheusis (4) de Biffi, et quelques vies de saints (5). Une apostille autographe signée de Biffi apparaît à la fin du premier recueil : voir notre première contribution dans ce volume, p. 70-71.
ment emprunté directement ou à Biffi ou à Jason. Mais un autre personnage s’invite dans notre enquête sur les modèles possibles de l’emblème alciatique. 351
On sait que Léonard passe les années 1490-1499 à Milan pour l’essentiel. Il y réalise en particulier la Sala delle Asse au castello Sforzesco, mais aussi et surtout la si fameuse Cène dans le réfectoire de Santa Maria delle Grazie (1493-1498). Pendant ces années, on a également noté qu’il avait réalisé des essais de devise, en particulier pour Ludovic Sforza. L’un de ces projets (fig. 23), une simple esquisse, a en particulier retenu l’attention94 : il s’agit d’une devise qui apparaît dans un des carnets conservés aujourd’hui à l’Institut et daté de 14931494. On y voit une targe sur laquelle sont représentés un arbre avec une touffe de feuilles au sommet, qui est flanqué à gauche d’un serpent ailé et à droite d’un lion héraldique « rampant ». Au-dessous du serpent, on lit « prudenza », au-dessous du lion « forteza » (sic) et au-dessus du palmier « vitoria » (sic). La lecture en devient simple : au centre se trouve un palmier, symbole de victoire, qui s’obtient à gauche par la prudence, (le serpent est un symbole communément associé à l’allégorie au miroir de Prudentia), et par la force (le lion est le symbole le plus fréquent associée à l’allégorie de Fortitudo). Ainsi les deux vertus cardinales que sont prudence et force assurent la victoire. Le lion avait en outre une pertinence particulière pour les Sforza. En effet, leur origine est la terre de Cotignola qui a pour symbole la mela cotogna, le « coing », et on la retrouvait associée avec un lion dans les armes primitives95 des Sforza, le « fondateur » de la famille, Muzio Attendolo Sforza, étant comte de Cotignola. Le serpent, quant à lui, rappelait les autres armes chères aux Sforza, celles à la biscia des Visconti (fig. 25) dont il revendiquait l’héritage. Il reste que, par rapport au palmier central qui ressemble plus à un bâton avec des feuilles à son sommet, le serpent est représenté comme un serpent stylisé de caducée et le lion héraldique rampant forme avec lui une paire bienvenue et iconographiquement cohérente. Pourtant ce projet ne fut pas adopté. Pourquoi ? La devise inventée par Léonard est de celles qu’on propose à un condottiere, un homme d’armes qui vainc par la virtù, la force et la maîtrise de l’art de la guerre, et dont on exalte ensuite la victoire. Or Ludovic voulait désormais apparaître alors un homme de paix, un prince au pouvoir établi.
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Voir la notice de Pietro Marani sur le manuscrit H, Bibliothèque de l’Institut de France, 2179, f. 49v (= H2 1v) dans F. Viatte et V. Forcione (dir.), Léonard de Vinci, Dessins et manuscrits, catalogue de l’exposition (Paris, Louvre, 5 mai-1 juillet 2003), Paris, 2003, p 413-417 ; L. Giordano, « Politica, tradizione e propaganda » (note 23), p. 110 et C. J. Moffatt, « Merito et tempore » (note 21), p. 234 et ead., Heraldic Imagery (note 21), 1987, p. 60 et Carlo Pedretti, Studi per il Cenacolo dalla Biblioteca reale nel castello di Windsor, catalogue de C. Pedretti, introduction de Kenneth Clark, Milan, 1983, précisément catalogue no 7 et commentaire p. 8891 : le rapprochement avec la devise Vt iongor n’est pas fait par Pedretti. « D’azur, au lion d’or, armé et lampassé de gueules, tenant dans ses pattes un coing d’or, tigé et feuillé de sinople ».
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En apostille aux sources de l’invention : le fantôme de Léonard
fig. 23 - Léonard de Vinci, projet pour une devise Sforza (serpent, palmier, lion), Bibliothèque de l’Institut.
fig. 24 - Léonard de Vinci, projet pour une devise Sforza (deux serpents, deux bâtons croisés), Windsor Castle.
fig. 25 - Biscia des Visconti, chapiteau de la Rocchetta, Castello Sforzesco, Milan. Cliché auteur.
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Germano Mulazzani, « La decorazione pittorica : il Quattrocento », p. 112-139 (p. 134) in G. A. dell’Acqua (dir.), Santa Maria delle Grazie in Milano (note 73). Bien que les lettres G M S apparaissent sur le dessin et semblent désigner Galeazzo Maria Sforza, rien n’empêche de relier ce dessin avec le premier évoqué plus haut qui relève de la même inspiration. On s’y sent d’autant plus autorisé que les Sforza ont allègrement échangé et repris entre eux leurs devises sans sentiment particulier de propriété réservée. Dessin (1495 ?) du codex Atlanticus (f. 86r, ex 31v-a) conservé au Windsor Castle (RL 12228A) : voir C. Pedretti, Studi per il Cenacolo (note 104), catalogue no 7 et commentaire p. 88-91. On rapprochera cette configuration de celle des deux rameaux de laurier croisés dont le choc produit une flamme (voir Pline, NH, 16, 76, 9-77, 1) et qu’on voit dans la devise Flammescit uterque, rattachée à la maison de Bourgogne par Claude Paradin, Devises héroïques, Lyon, Jean de Tournes, 1551, p. 36 et 1557 (avec commentaires), p. 47.
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Mais l’influence de Léonard pouvait emprunter d’autres voies. En effet, en raison de sa qualité supérieure, la décoration de la sacrestia vecchia de Santa Maria delle Grazie à Milan, avec son plafond peint de nœuds compliqués, a été placée par la critique sous l’influence directe de Léonard, tout comme, en dessous, la fameuse frise au caducée et aux cornucopies96 (fig. 17). Cela pourrait signifier que le projet abandonné – la devise au serpent et au lion – pourrait bien avoir été suivi d’autres dont nous n’avons pas gardé trace des dessins préparatoires, mais dont – si on accepte l’hypothèse d’une influence de Léonard – nous n’aurions que la version finale sur cette fameuse frise, c’est-à-dire le caducée et les cornucopies. Il nous semble même possible d’aller un peu plus loin pour conforter cette possibilité, en rapprochant de la frise et du projet mentionné plus haut un autre dessin de Léonard pour une devise Sforza97 qui n’a pas abouti lui non plus. Il s’agit d’un dessin plus élaboré cette fois qui associe deux paires de symboles (fig. 24) : deux bâtons disposés en croix de saint André et deux serpents enroulés autour d’eux et ouvrant des gueules menaçantes98. Nous formulons donc l’hypothèse que le motif de la frise de la sacrestia vecchia de Santa Maria delle Grazie pourrait bien être en quelque sorte le résultat de ces deux essais de Léonard que nous avons évoqués et qui sont fondés sur des formules antithétiques sur plusieurs points. Le premier dessin montre en effet deux animaux différents flanquant un arbre réduit à une longue tige, dont le sens symbolique est essentiellement militaire et politique ; le second laisse voir deux branches semblables et deux serpents qui paraissent furieux et rappellent chacun la biscia viscontienne : ils conviendraient davantage pour dire la force, voire la violence. Enfin, le caducée de la frise présente une seule tige et deux serpents symétriquement disposés, ainsi que les deux cornucopies qui encadrent les serpents, sans oublier les deux paires d’ailes en bas du caducée et en haut pour le pétase. Cette composition, telle qu’elle apparaît dans la frise, emprunte la symétrie des serpents ailés à celle du serpent et du lion dans le premier dessin de Léonard, mais elle retrouve l’apparence des serpents furieux du second dessin, tout en adoucissant leur attitude et en leur adjoignant symétriquement les cornucopies qui ramènent à un monde en paix. Le caducée ainsi recomposé et magnifié par son exécution se charge de tous les sens positifs de l’objet mythologique et peut renvoyer en même temps aux préoccupations astrologiques de Ludovic.
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Il n’en demeure pas moins que, s’il faut maintenant trouver un responsable de l’oubli total de la devise Vt iungor au xvie siècle (et après) – elle n’apparaît en effet dans aucun recueil de devises ancien que nous avons pu consulter –, Paolo Giovio fait un coupable assez commode. Conformément à son temps, il déteste Ludovic Sforza qui a voulu imposer un pouvoir autoritaire à Milan et au-delà, puis a été trahi par des mercenaires suisses et vaincu par les Français qu’il avait fait l’erreur d’attirer en Italie. Giovio participe à une forme efficace de damnatio memoriae, initiée en particulier par l’ennemi personnel de Ludovic, son vainqueur le roi de France Louis XII. Enfin, le dialogue de Giovio sur les devises – dont le corpus repose assez largement sur celles du xve siècle – a eu un tel succès au xvie siècle que, malgré la richesse et le nombre des devises qu’il a arborées, Ludovic le More n’a pas eu de seconde chance dans les traités postérieurs qui, pour le Quattrocento, se contentent le plus souvent de reprendre, sans recherche nouvelle, les « vieilles » devises que donnait déjà Giovio et ne correspondaient plus vraiment à ce qu’on demandait au genre. Dès l’édition princeps des Emblemata en 1531, on voit donc la reprise du motto de la devise de Jason de Mayne et du corps de la devise Vt iungor de Ludovic Sforza. Mais entre l’édition Steyner de 1531 (fig. 1) et l’édition Wechel de 1534 qui montre une nouvelle illustration (fig. 2), on voit aussi apparaître, au revers d’une médaille réalisée par Jean Second à l’effigie d’Alciat, le fameux caducée accompagné cette fois de « vraies » cornucopies, mais aussi d’un motto grec (fig. 19).
Une troisième âme pour un même corps : la médaille de Jean Second à l’effigie d’Alciat (1532-1533) Le séjour qu’Alciat passe à Bourges, entre 1529 et 1533, a souvent été considéré comme le plus productif de toute sa carrière. C’est en effet pendant ce bref laps de temps qu’il compose ou publie des ouvrages parmi les plus importants de toute son œuvre, comme le De uerborum significatione, et que, volens nolens, il voit également publier par Steyner, à Augsbourg, en 1531, les Emblemata qui assureront sa renommée. Il est alors au sommet de sa gloire, les étudiants viennent à Bourges de toute l’Europe pour suivre ses cours, le roi François Ier lui-même ainsi que le dauphin viennent l’écouter et lui marquent publiquement leur admiration… et son salaire supérieur à mille ducats est exceptionnel. Parmi les nombreux étudiants venus dans le Berry à cette époque se trouve le poète Jean Second (1511-1536), l’auteur à l’immense célébrité posthume des fameux Baisers. Fils du grand juriste flamand Nicolai Everaerts, il est venu de Malines avec son frère Marius pour suivre lui aussi les cours d’Alciat. D’après ses propres journaux de voyage, Second arrive dans la ville le 19 mars 153299 et en repart le 4 mars 1533100 avec une licence de droit en
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Voir Roland Guillot (éd.) : Jean Second, Œuvres complètes, V, Itineraria (Carnets de voyage), Correspondance, Paris, 2007, Itinerarium gallicum, p. 134. R. Guillot (éd.) : Jean Second, Œuvres complètes, V (note 108), Iter Biturigibus Mechliniam, p. 178.
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Voir introduction, p. 25-26. Jean Pierre Guépin, De Drie Dichtende Broers, Grudius, Marius en Secundus, in brieven, reisverlagen en gedichten, Groningen, 2000, vol. 2, annexe 4, « Personnages », p. 767-800 (les médailles sont décrites et reproduites en face des notices des personnages qu’elles montrent). Ibid., p. 767 ; A. M. M. Dekker, Johannes Secundus (1511-1536). De tekstoverlevering van het tijdens zijn leven gepubliceerde Werk, Nieuwkoop, 1986, p. 256, Luc Smolderen, « Jean Second médailleur » in M. de Schepper et R. de Smedt (dir.), Symposium Janus Secundus (1511-1536) [Malines, 20 septembre 1986], Handelingen van de Koninklijke Kring voor Oudheidkunde, Letteren, en Kunst van Mechelen, Mechelen, 1986, p. 61-83, ici p. 73. A. Alciatus, Emblematum flumen abundans, 1870, p. 130.
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poche. Durant son séjour, il devient vite un familier d’Alciat qu’il admire beaucoup et à qui il dédiera l’élégie III, ix, In morbo Andreae Alciati, « Sur la maladie d’André Alciat », ainsi que plusieurs épigrammes101. Il semble que l’amitié ait été réciproque, puisqu’après la mort de Second, quelques années plus tard, Alciat compose encore pour lui deux épigrammes – l’une pour louer les Basia et l’autre sur la mort du poète – pièces qui seront placées juste après le dernier des Baisers dans l’édition princeps de Lyon, chez Gryphe, en 1539. Outre ses talents poétiques, Jean Second est aussi peintre et médailleur. De lui, on conserve une quinzaine de médailles102. La conception de la médaille de Second qui m’intéresse ici s’inscrit donc dans ce contexte amical clairement localisé à Bourges et daté entre mars 1532 et mars 1533103. Dans leurs travaux classiques sur le jeune poète, Dekker avait rapproché la médaille de l’emblème Virtuti fortuna comes dont il cite le texte mais, curieusement, sans reproduire l’image, puis, plus récemment, Guépin a repris ce rapprochement en citant le fac-similé de l’édition lyonnaise de Macé Bonhomme (Lyon, 1551) par Green104 qui, lui, n’avait pas identifié l’auteur de la médaille qu’il a pourtant citée et même reproduite ! Ainsi, tout en étant un objet connu des spécialistes de Second, cette médaille n’a pas vraiment été confrontée à l’emblème d’Alciat dont elle paraît si proche. Je voudrais donc essayer de mettre fin en quelque sorte à cette série de rendez-vous manqués. La médaille de Jean Second (fig. 19) présente un portrait d’Alciat au droit et une composition symbolique inspirée de l’antique au revers : D/ andr alciatvs ivrecos comes p dextrogyre, buste barbu d’Alciat à g. coiffé d’une toque de docteur et vêtu d’une toge de juriste. R/ ✠ αΝΔΡΟΣ ΔΙΚΑΙΟΥ ΚΑΡΠΟΣ ΟΥΚ ΑΠΟΛΛΥΤΑΙ (« Le fruit de l’homme juste ne périt pas ») dextrogyre, deux cornucopies pleines croisées devant un caducée ailé à la base et surmonté du pétase ailé. De Jean Second (1511-1536), on connaît donc une quinzaine de médailles conservées, plus quelques autres dont on ne possède pas d’exemplaires. Sur ce petit corpus en rapport avec le peu d’années que vécut le poète, mort à pas même vingt-cinq ans, trois sont d’inspiration antique : le portrait de Julie (1531), qui s’inspire d’une monnaie de Faustine, les portraits de son frère Nicolai Grudius et de la femme de celui-ci, Anna Cobella († 1534), chacun sur une face, qui reposent sur une monnaie d’Antonin et la même monnaie de Faustine que précédemment, enfin le revers de notre médaille réalisée pour Alciat qui est fondé, comme on l’a vu, sur le revers d’un type monétaire apparu sous Tibère (fig. 4 et 6).
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Second, on le voit, s’est parfois inspiré de monnaies impériales romaines, mais pour faire des portraits – c’est-à-dire ce que portent le plus souvent les droits de ces monnaies antiques. La médaille pour Alciat, qui est l’une des dernières conçues par Jean Second († 1536), est donc la seule et unique de son corpus dont le revers (et non le portrait au droit) soit directement inspirée par la numismatique antique. De plus, cette médaille est la seule de tout le corpus rattaché à Second à porter une composition symbolique. On peut raisonnablement y voir l’influence directe d’Alciat, grand connaisseur des monnaies antiques et de compositions symboliques105. Et cela d’autant plus que c’est précisément cette composition qui se retrouve peu après sur l’illustration de l’emblème Virtuti fortuna comes à partir de l’édition Wechel de 1534 (fig. 2) ainsi que, plus tard, sur le tombeau d’Alciat (fig. 27) à Pavie106. Mais nous allons y revenir. La médaille de Second suppose une lecture traditionnelle : le droit porte le portrait physique du dédicataire avec les marques de son rang, le revers un sens moral, à la fois du point de vue textuel et du point de vue figuratif, texte et symboles s’expliquant ici réciproquement, comme c’est le cas pour une devise. La formule retenue pour le droit de la médaille est celle que les médailleurs de l’époque utilisent pour les grands personnages, rois, princes et hommes d’état. Alciat est donc représenté de profil avec l’insigne de son rang, à savoir le bonnet de docteur. La légende est importante puisqu’elle le qualifie de « jurisconsulte », donnant à lire ce que le bonnet donne à voir, et, surtout, de « comte palatin ». En effet, cette dernière distinction attribuée par le pape Léon X en 1521107 avait un grand poids, puisqu’elle conférait à Alciat le privilège d’octroyer lui-même le titre de docteur. Or, ce sera précisément un des motifs de contestation et de discorde que rencontrera Alciat avec l’université de Bourges qui se voyait là financièrement concurrencée par un particulier illustre. Pour le fils de juriste et juriste en herbe Jean Second, rappeler à Bourges précisément cette qualité d’Alciat sur la médaille est peut-être une manière de prendre le parti de son maître. À tout le moins, cela témoigne d’une volonté de célébration potentiellement polémique. Avec son caducée et ses deux cornucopies croisées devant lui, le revers, qui a la forme d’une devise avec un motto et une image – une âme et un corps donc – porte une légende grecque qui est une sentence monostique de Ménandre (no 26). Notons en passant que, pour les devises, Giovio recommande vingt ans plus tard dans son fameux traité que le motto soit dans une langue étrangère au porteur, qu’il soit bref, deux ou trois mots, « eccetto se fusse in forma di verso o integro o spezzato », « sauf s’il prenait la forme d’un vers entier ou coupé »108. Le trimètre iambique de Ménandre, qui est repris en entier, signifie :
105 Le De ponderibus et mensuris publié en 1530 porte en particulier sur la valeur des monnaies romaines. 106 Elle y figure aux côtés d’une autre devise que revendique Alciat, celle avec l’élan, et qui porte pour motto ΜΗΔΕΝ ΑΝΑΒΑΛΛΟΜΕΝΟΣ, « Ne rien différer ». Cette dernière a fait aussi l’objet d’un emblème, à savoir Nunquam procrastinandum qui est illustré avec les armes héraldiques d’Alciat surmonté du motto grec et apparaît pour la première fois dans l’édition aldine de 1546 qu’il clôt. 107 Et non par Paul III comme l’écrit Dekker, p. 256, par inadvertance et que reprend Luc Smolderen, p. 63 ; voir Roberto Abbondanza, DBI, 2, 1960, s. v. « Alciato, Andrea » (). 108 M. L. Doglio (éd.) : Giovio, Dialogo (note 6), p. 40.
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L’accent est mis sur les qualités représentées par le caducée et non sur le résultat représenté par les cornes, qui devient en quelque sorte accessoire et secondaire, ce qui est conforme au texte cicéroniensource où fortuna vient en sus de uirtus, mais où si fortuna manque ou vient à manquer, la uirtus, elle, subsiste, donc son importance est plus grande. Dans la Sagrestia de Santa Maria delle Grazie, caducée et cornucopies sont sur le même plan, mais c’est sans doute en raison de l’impératif de constituer un motif répété qui est inhérent à la forme figurée de la frise.
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« le fruit de l’homme juste ne périt pas ». Hors de tout contexte, ce vers laisse entendre que l’action – quelle qu’elle soit – d’un homme juste ou d’un homme de loi a des conséquences fructueuses impérissables : car le syntagme αΝΔΡΟΣ ΔΙΚΑΙΟΥ laisse toute latitude pour comprendre à la fois, d’une manière générale, l’homme qui observe ce qui est juste et, d’une façon plus spécifique, celui qui est un praticien de la justice, un homme de loi donc, législateur, jurisconsulte, avocat, etc. L’immortalité des fruits de son action est ainsi la digne récompense de l’action de l’homme juste. En l’absence de tout contexte précis, καρπος, « le fruit », peut revêtir aussi bien un sens abstrait que concret. Par rapport à la monnaie antique, la reconfiguration du caducée augmenté du pétase ailé sur la médaille de Second ajoute aussi de l’ampleur au motif central et les ailes du pétase instaurent une symétrie supplémentaire et bienvenue, mais l’influence de la devise Vt iungor de Ludovic Sforza est patente et celle des compositions de Colonna probable. L’association de la composition symbolique au caducée avec un motto différent requiert une explication particulière qui montre comment la devise est un genre éminemment plastique. D’une manière générale, le revers de la médaille (fig. 19) s’offre comme une face très strictement construite selon une forte symétrie ayant pour axe la verge du caducée surmontée du pétase. Ce sont les deux (!) seuls éléments figuratifs à ne pas être redoublés : on trouve en effet, deux paires d’ailes, deux serpents dont les corps se croisent plusieurs fois, deux cornes d’abondance, deux amas de fruits. On remarquera en passant que l’inscription grecque commence et finit exactement au-dessus du pétase où elle est ponctuée par une petite croix de Malte – sans autre valeur discriminante. L’axe vertical central sépare ainsi le revers de la médaille en deux parties égales et rigoureusement similaires. La place des cornucopies en avant du caducée sur la médaille insiste sur le résultat qu’elles constituent, tandis que le caducée, en arrière-plan, dessine une sorte d’horizon conditionnel : la relation est consécutive, mais on met en valeur les effets plus que la cause, contrairement à ce qu’on observe sur l’illustration chez Giovio109 (fig. 3). La symbolique des éléments est bien connue. Qu’on me permette de la rappeler brièvement et d’insister sur le travail important de syntaxe symbolique effectué pour rassembler ces objets épars dans une figure organisée comme un tout signifiant, et qui reconfigure partiellement le sens de chacun de ses éléments pour aboutir à un énoncé de type « hiéroglyphique ». Le caducée est le symbole de l’éloquence, qualité par excellence de l’orateur, du professeur et de l’avocat, et symbole de la concorde et de la paix : les deux serpents sont nettement représentés et leur enroulement qui forme des nœuds est destiné à rappeler cette signification liée à l’étiologie du caducée, jeté entre eux pour faire cesser la lutte qu’ils se
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menaient l’un contre l’autre. C’est évidemment l’un des objectifs de la justice : par la parole technique et éloquente, faire cesser les différents. Mais le caducée est également le symbole lié à Mercure, dieu des marchands110 et du profit – fructus et καρπος sont synonymes. Politiquement, parce qu’il signifie la paix et la concorde civiles ainsi que la justice, le caducée renvoie aux conditions qui rendent possibles le retour de l’Âge d’or et celui d’Astrée, âge de prospérité et d’abondance. Cette thématique est très en vogue à l’époque augustéenne, mais aussi depuis la fin du xve siècle, à Florence tout particulièrement sous Laurent le Magnifique et, à l’époque d’Alciat, sous le principat de Cosme Ier, mais aussi à Milan, sous Ludovic Sforza justement. Les cornes d’abondance sont clairement liées à la paix et à la concorde qui produisent l’abondance, ici leurs fruits, c’est-à-dire le καρπος que rappelle la sentence de Ménandre. Il faut entendre que l’action de l’homme de loi, par exemple l’avocat, obtient des fruits concrets, un profit, en nature (à l’époque, c’est très souvent ainsi qu’on règle des honoraires) ou directement pécuniaire. Entre la valeur de l’homme de loi et son salaire, la relation est clairement exprimée. Ces fruits peuvent aussi faire allusion au fait qu’en tant que juriste (et avocat), Alciat joue un rôle dans le règlement des successions, c’est-à-dire dans la transmission juste du karpos d’une génération à une autre, de façon à ce qu’il ne se perde pas, la succession des générations étant sans fin. Ne serait-ce que pour cette raison, la seconde monnaie de Tibère avec les têtes d’enfant (fig. 6), qui met l’accent sur la généalogie à venir comme signe de prospérité et de fécondité, nous paraît ici encore intéressante comme possible source d’inspiration. Mais les fruits des cornucopiae, le καρπος de la sentence, peuvent aussi être abstraits, et ce sont alors les productions de l’αΝΔΡΟΣ ΔΙΚΑΙΟΥ, à prendre au double sens d’homme juste et d’homme de loi, juriste et/ou avocat. En particulier dans le cas d’Alciat, qui n’a pas d’enfant, ses fruits, ce sont ses livres de droit, produits de la cultura animi, pour reprendre une métaphore cicéronienne fameuse, livres dont l’influence bénéfique ne cessera pas et qui lui acquerront donc une gloire immortelle. Ce sont aussi les fruits de son enseignement, libéralement dispensés à ses disciples, fruits qui ainsi transmis ne se perdront pas, mais pourront à leur tour se transmettre. C’est plus certainement, mais non pas uniquement, à ces aspects élogieux, voire glorieux, et ayant en même temps une touche personnelle, que se réfère la médaille à l’intention encomiastique évidente. On peut considérer cette signification avec d’autant plus d’intérêt que les cornes croisées donnent l’impression de prendre naissance au pied du caducée, symbole de la maîtrise du discours, et en même temps de grandir pour aboutir à sa partie supérieure, où on trouve le pétase, couvre-chef qui fait directement allusion à Mercure. Mais les deux cornes rejoignent aussi les ailes éployées du pétase et cet envol n’est pas sans évoquer la figure de l’aigle sur les sarcophages et autres monuments funéraires antiques, symbole de l’envol de
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Des imprimeurs n’hésiteront pas à reprendre cette composition pour marque – avec quelques ajouts –, tel Chrétien Wechel, le propre éditeur d’Alciat, qui pour faire bonne mesure ajoute une dextrarum iunctio au caducée ainsi qu’un Pégase volant au-dessus du tout : voir L. C. Sylvestre, Marques d’imprimeurs, Paris, 1853 (reprint Amsterdam, 1971), no 921-924, 1178.
virtvti fortvna comes ou αΝΔΡΟΣ ΔΙΚΑΙΟΥ καρπος ΟΥΚ ΑΠΟΛΛΥΤΑΙ :
les raisons d’un choix
Une question reste toutefois pendante : pourquoi médaille et emblème portent-ils un motto différent ? Si nous revenons à Alciat, on remarque de fait qu’il y a bien un second flottement, parce qu’il paraît hésiter entre une sentence grecque et un motto latin pour accompagner caducée et cornucopies, si bien qu’on retrouve le motto grec pour son tombeau (et sur la médaille de Second) et le motto latin pour l’emblème. D’abord, il semble en effet que la sentence grecque peut résonner plus facilement comme une appréciation a posteriori, et donc passer plus aisément de la devise à une inscription funéraire et/ou encomiastique, idéale également sur une médaille. Elle s’apparente peut-être plus à l’évaluation conclusive d’une trajectoire qu’à une exhortation à embrasser une voie ou un mode de vie, ce que signifie étymologiquement le terme italien pour « devise » : impresa. En revanche, de portée plus générale, le motto latin, Virtuti fortuna comes, se prête plus aisément, par sa plasticité même, à une reprise individuelle pour une devise (il respecte en particulier la brevitas recommandée par Giovio : « duo o tre parole »), et c’est à cette reprise qu’Alciat invite explicitement son lecteur dans la préface à Peutinger. En particulier, le motto latin reste suffisamment vague, ne désignant personne a priori. La sentence grecque, par l’ambiguité du terme ΔΙΚΑΙΟΥ pouvait facilement voir son sens restreint aux seuls juristes, l’expression « homme juste » ou « de justice » pouvant y inviter. La médaille de Jean Second commémore l’importance d’Alciat et de son œuvre, alors que ce dernier a tout juste quarante ans. La médaille du jeune Second, peut-être offerte peu avant son départ définitif de Bourges, dit à son maître et ami Alciat combien il l’admire, combien il a appris de lui, et même, sur un mode hyperbolique, que le fruit de son enseignement continuera à vivre en lui. Ensuite, le vers de Ménandre n’est pas ici seulement un projet de vie, c’est aussi une appréciation générale appliquée à Alciat lui-même, et peut-être même par Alciat à lui-même, si on veut bien me suivre pour voir en Alciat celui qui a choisi de reprendre la devise de Ludovic Sforza et a conçu l’association complexe du motto grec et de l’image sur ce revers de médaille. N’oublions pas en effet que cette composition accompagnée précisément de ce vers de Ménandre, se retrouve aussi sur son tombeau à Pavie… et qu’il est tout à fait vraisemblable que ce soit Alciat lui-même qui ait veillé à la conception de son tombeau, comme cela se pratique bien souvent à la Renaissance.
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l’âme valeureuse promise à un destin astral et à l’apothéose. L’aigle et cette signification évoquent aussi l’immortalité, l’apothéose impériale, en rappelant le motif des ailes éployées de l’aigle qui est présent, par exemple, dans l’emblème Signa fortium et qui a pour sources de nombreux sarcophages antiques.
De la médaille à l’emblème
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On a rappelé que d’autres, Dekker, Smolderen, Guépin, ont fait le rapprochement entre la médaille et l’emblème Virtuti fortuna comes. Pour ce qui touche au texte, on ne peut que les suivre. Reprenons-en les différents éléments, brièvement évoqués au début de cette étude. Dans le texte de l’emblème, le symbole central – comme sur l’image – est le caducée dont la lutte apaisée des serpents est mise en avant, ainsi que les ailes rapides, propres à Mercure messager des dieux, et métaphores de la parole rapide qui vole de bouche en bouche. Viennent ensuite les deux cornes d’abondance et non pas une seule. Peut-être fautil y voir une forme d’hommage au De duplici copia, « De la double abondance » (1516) d’Érasme qui traite des qualités de l’éloquence, de l’indispensable abondance à la fois des mots et des choses. Pour l’influence des images, on peut aussi penser aux sources iconographiques que sont la devise de Ludovic et les monnaies romaines. Quoi qu’il en soit, l’effet symétrique est tout à fait heureux pour mettre en relief le caducée et cela d’autant plus que la symétrie des cornes croisées rappelle aussi la forme d’un insigne particulier aux plus hautes magistratures de Rome, celles curules qui donnent droit au siège du même nom dont la forme de base est cette sorte d’X que dessinent les cornes croisées. Ensuite seulement sont désignés ceux que vise cet emblème (n’oublions pas au passage que, comme le disent Macé Bonhomme et Guillaume Rouille dans la préface aux Emblemata de 1550, les emblèmes doivent donner des idées pour faire des écussons, des épingles à chapeau, etc). Ceux que vise l’emblème sont en l’occurrence des orateurs modernes, à savoir les maîtres de rhétorique et, en particulier, ceux qui s’occupent de restaurer la paix privée en apaisant les litiges par le caducée de leur parole, à savoir les juristes dont Alciat est un représentant éminent. Ainsi, partant d’une composition symbolique destinée à un individu, (l’auteur lui-même), l’emblème composé par Alciat prend un sens plus général et concerne certes, d’abord les juristes comme lui, mais aussi les lettrés en général. Cependant, dans un second temps, on peut aussi penser que la politique n’est pas totalement absente de ses préoccupations : en effet, le caducée de la paix est ici celui de l’homme de droit, qui restaure la justice. Or, uni aux cornes d’abondance, il relaie un topos virgilien abondamment repris à la Renaissance, comme nous l’avons déjà dit : le retour d’Astrée qui marque l’avènement de l’Âge d’or. Et seul le Prince peut permettre à la justice de toucher les fruits de l’abondance, de restaurer l’Âge d’or en faisant cesser les guerres et en ramenant la paix civile : on voit là que, dans son principe, l’ambition d’Alciat dépasse donc allègrement celle du simple professeur et rejoint, volens nolens, celle de son compatriote et prince Ludovic Sforza. Mais, il me semble qu'entre la devise de Ludovic Sforza et l’emblème, la médaille de Second ne constitue pas qu’un simple parallèle établi en raison de leur composition symbolique, dont elle partage effectivement les éléments et la structure d’ensemble. Je voudrais maintenant formuler l’hypothèse que la médaille a eu une véritable influence sur les gravures elles-mêmes, à partir de l’édition de Chrétien Wechel, à Paris, en 1534, comme on va le voir maintenant. En effet, la première illustration (fig. 1) des Emblemata dans l’édition princeps de Steyner, à Augsbourg, en 1531, qui est antérieure de deux ans à la médaille, montre des
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différences significatives par rapport au revers de la médaille de Second (fig. 19). On peut y voir des cornes, mais pas des cornucopies, alors même que le texte de la page elle-même s’achèvent avec leur mention, on n’y trouve pas non plus de pétase (comme dans l’épigramme d’ailleurs), mais une paire d’ailes, tout en haut. Le motif a l’aspect d’une épée brandie, en raison de la forme des deux serpents dont les queues stylisées dessinent justement comme les quillons d’une épée. Mais comme on l’a vu plus haut, ce n’est pas une surprise puisque le graveur s’inspire selon nous de la variante la plus répandue de la devise Vt iungor (fig. 13). En revanche, l’illustration de Mercure Jollat pour Chrétien Wechel dans l’édition de 1534 (fig. 2), dont la composition est constamment reprise ensuite par les autres éditeurs, montre une remarquable ressemblance avec le revers imaginé sur la médaille. Comme ce revers de Jean Second est lui-même directement dépendant de la variante plus rare avec cornucopies de la devise Vt iungor (fig. 9 et 17), qu’il ne pouvait vraisemblablement pas connaître, je crois que c’est bien là la marque de l’intervention d’Alciat, tant auprès de Second que de Wechel, pour infléchir la représentation liée à l’emblème. Il est d’autant plus vraisemblable que cette intervention soit le fait d'Alciat qu'il connaît les monnaies antiques, que depuis son enfance, il a pu voir à Milan – comme nous aujourd’hui encore – les deux variantes de la devise de Ludovic et que, enfin, il s’agissait pour lui de donner un corps à ce motto grec qu’il avait choisi pour en faire une devise qui lui soit propre. C’est pourquoi nous proposons de voir dans la médaille de Jean Second le chaînon manquant entre les illustrations de la première édition de 1531, si critiquées depuis pour leur « inexactitude », et celles de l’édition parisienne de 1534 qui voit non seulement se fixer la forme habituelle de l’emblème connue sous le nom d’emblema triplex, mais où apparaissent également des schémas de composition de l’image, comme celui-ci, qui seront constamment repris par les éditions postérieures des Emblemata. Entre les deux éditions, cette médaille de Second est le seul document qui apparaisse justement comme un modèle pour la nouvelle illustration de Wechel en 1534. Vu que Second se trouve en contact étroit avec Alciat lui-même entre mars 1532 et mars 1533, qu’il en est même un intime au point de passer sa dernière nuit à Bourges en sa compagnie – il en témoigne dans son journal –, il est plus que vraisemblable qu’Alciat ait été le concepteur du programme figuré de cette médaille que Second lui a offerte et qui détonne au milieu de ses autres médailles. A supposer qu’il n’en possédât pas d’exemplaires, Alciat connaissait et pouvait lui décrire précisément les monnaies qui étaient les sources iconographiques de cette épigramme, à savoir les fameuses monnaies de Tibère auxquelles avait été ajouté un pétase ailé dans la devise milanaise… Il ne restait plus ensuite qu’à envoyer un exemplaire de la médaille à Wechel, comme cela se pratique habituellement à cette époque où la médaille est un medium très usité. On a dit combien la devise Virtuti fortuna comes est chère à Alciat : c’était en particulier d’abord celle qui était attachée à son maître Jason de Mayne. Et c’est aussi l’une des deux devises, avec ΜΗΔΕΝ ΑΝΑΒΑΛΛΟΜΕΝΟΣ, habituellement attribuées à Alciat. La version de la médaille qui reprend la composition symbolique avec un autre motto, la sentence de
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Ménandre, en constitue ainsi une variante finalement méconnue, parce qu’on ne s’est pas interrogé suffisamment sur les compositions emblématiques (fig. 26), apparemment bien connues, qui ornent le tombeau élevé par Francesco Alciato à son oncle Alciat après 1550 dans l’église San Epifanio de Pavie (avant d’être déplacé dans l’université de la même cité)111. Si la devise ΜΗΔΕΝ ΑΝΑΒΑΛΛΟΜΕΝΟΣ devenue sujet de l’emblème Nunquam procrastinandum avec les armes d’Alciat (fig. 27) a bien été identifiée (en bas à gauche), si la composition relevant de l’illustration de Virtuti fortuna comes a bien été vue également (en bas à droite), le changement de motto a au mieux été constaté sans plus. Pourtant des indices, postérieurs à la mort d’Alciat au contraire de cette médaille, laissent penser que cette variante n’était pas sans prix pour Alciat et pour ses contemporains. Ainsi, à la toute fin de la Vita Alciati que nous citons ici dans l’édition procurée par Jean Richer (Paris, 1584), Claude Mignault évoque les devises d’Alciat en commençant par l’emblème-devise ΜΗΔΕΝ ΑΝΑΒΑΛΛΟΜΕΝΟΣ, qu’il oppose à une autre devise qu’il a introduite par quelques lignes consacrées à un portrait peint112 d’Alciat que lui a offert André Thévet peu de temps auparavant : Quanquam tamen in ea eicone Alciati ad uiuum expressa (qua me nuper donauit Andreas Theuetius, Regius cosmographus) sint insignia familiae Alciatorum sic expressa, ut in scuti planitie, sit a laeua depicta turricula, sub qua aquila erecta, corona insignita, a dextra, repagula quatuor : supra scuti eandem planitiem galea (signum equestris dignitatis) superius etiam ceruinum caput cum pectore, pedibus anterioribus prominens : in apice denique inscriptum uerbum emblematis, μηδὲν ἀναβαλλόμενος. Alterum symbolum sibi proprium et peculiare fecit, uti memoriae proditum à Paullo Iouio : caduceus est Mercurii inter duo Amaltheae cornua, cum inscriptione : ἀνδρὸς δικαίου καρπὸς οὐκ ἀπόλλυται eius haec sententia Emblemate comprehensa [suit la citation de l’épigramme sans titre de l’emblème Virtuti fortuna comes en entier et c’est la fin de la Vie d’Alciat].113 Toutesfois en l’effigie d’Alciat pourtraite auprès le naturel (dont m’a fait present n’a pas longtemps le Seigneur André Thevet, Cosmographe du Roy) sont les armes de la maison et famile (sic) des Alciats ainsi depeintes, que dans le champ du bouclier ou escu, à cousté gauche se voit une tourelle, sus laquelle est une aigle debout, ayant une coronne sur sa teste ; à dextre, sont quatre barres ou cheurons ; au dessu est posé un morion (qui est l’enseigne de chevalerie) et tout en haut est un cerf [en fait, un élan]
111 H. Green, Andrea Alciati and his book of Emblems (note 1), p. 286 sq. 112 Je n’ai pas trouvé d’autre indice de la forme de ce portrait qui ne paraît pas être celui du Museum Giovianum pour autant qu’on puisse se fier à la gravure réalisée pour l’ouvrage de Giovio qui n’a pas de devises. Mais on pourra s’étonner que, sous le portrait d’Alciat reproduit en tête de cette édition, on lise seulement : Virtuti fortuna comes, comme on le fait habituellement pour indiquer la devise d’un personnage. 113 f. 300v ; l’anecdote (avec sa traduction) est répétée par Mignault dans le commentaire de l’emblème Virtuti fortuna comes : Non possum hic tacitus praetermittere depictam graphice Alciati effigiem, quam mihi nuper dono dedit Andreas Thevetius, cosmographus Regius. Infra imaginem a laeua conspiciuntur insignia familiae Alciatorum : nempe una parte turricula, in cuius apice erecto corpore aquila coronam capite ostentans : altera parte, quatuor repagula, cum ascripta sententia uerbis Graecis, mhde;n ajnaballovmeno~. A dextra cernitur ipsissimum symbolum, una cum Graeco monosticho, ajndro;~ dikaivou karpo;~ oujk ajpovllutai [165r]. « Je ne puis icy oblier l’excellent pourtrait d’Alciat que m’a donné, n’y a pas longtemps, le Seigneur André Theuet Cosmographe du Roy. Au dessous du pourtrait sont à gauche les armes de la famille des Alciats, que sont d’vn costé vne tourelle, & dessus vn aigle debout coronné : d’autre, quatre barres auec le mot, ne differe à demain en termes Grecs. Au costé dextre est ceste mesme deuise icy avec le carme au dessus, aussi en Grec, qui porte en substance, De l’homme droit le fruit ne perit point [165v] ».
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29 fig. 26 - ΜΗΔΕΝ ΑΝΑΒΑΛΛΟΜΕΝΟΣ, armes d’Alciat, et ΑΝΔΡΟΣ ΔΙΚΑΙΟΥ ΚΑΡΠΟΣ ΟΥΚ ΑΠΟΛΛΥΤΑΙ, caducée et cornucopies, sur le tombeau d’Alciat (1550). fig. 27 - Nunquam procrastinandum dans Alciat, Emblemata, Venise, 1546, f. 46v. Glasgow University Library. fig. 28 - Portrait d’André Alciat par Cornelis Cort au verso du frontispice de l'édition des Responsa, Venise, Giovanni Battista Somaschi, 1574. Österreichische Nationalbibliothek, Wien. 28
fig. 29 - Portrait d’André Alciat (détail) par Cornelis Cort. Österreichische Nationalbibliothek, Wien.
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qui se voit iusques à la poitrine, dressant en hault ses pieds de deuant ; oultre tout cela est le mot de l’Embleme : Ne differant au lendemain. L’autre symbole qui se voit au mesme tableau, est sa devise propre et particuliere, comme Paul Ioue le nous tesmoigne : là est le caducée de Mercure entre les cornets d’abondance, auec un escriteau au dessus, qui veut dire ainsi : De l’homme droit le fruit ne perit point. L’intelligence en est comprinse en ces Embleme [suit la traduction française de l’épigramme sans titre de l’emblème Virtuti fortuna comes]114.
La perméabilité entre emblème et devise est pour lui telle qu’il indique tout simplement un autre titre pour l’épigramme, sans même citer celui, canonique, de Virtuti fortuna comes. Il ne s’agit pour Mignault que d’un échange qui va de soi. Faut-il donc penser que, dans l’intervalle d’un demi-siècle, si le poète des Baisers est devenu fameux, on a en revanche totalement oublié qu’il avait aussi frappé des médailles ? Le revers de sa médaille n’a-t-il plus été vu alors que comme une devise d’Alciat ? Une chose paraît maintenant assurée, c’est que la part d’Alciat dans l’élaboration de ce revers, et partant, dans celle de la gravure de l’édition de 1534, a sans doute été décisive115. Un dernier indice du lien établi par les contemporains entre cette devise et Alciat – il serait sans doute intéressant de les multiplier – se remarque dans la gravure (fig. 28) de Cornelis Cort (ca. 1533-1578) placée au verso du frontispice de l’édition des Responsa à Venise, chez Giovanni Battista Somaschi, 1574, qui présente un portrait d’Alciat – peutêtre d’ailleurs le portrait mentionné plus haut par Mignault ou un autre composé selon le même schéma. Sous la figure d’Alciat, on voit la Renommée souffler dans deux trompettes (fig. 29) : sous son bras droit, on voit distinctement l’écu des Alciat surmonté d’un casque au cimier orné d’un élan, et d’un phylactère avec la devise ΜΗΔΕΝ ΑΝΑΒΑΛΛΟΜΕΝΟΣ, et sous son bras gauche, on voit le caducée et les cornucopies, entouré d’un autre phylactère avec la devise αΝΔΡΟΣ ΔΙΚΑΙΟΥ ΚΑΡΠΟΣ ΟΥΚ ΑΠΟΛΛΥΤΑΙ, celle de la médaille de Second. Tout se passe comme si la devise de Ludovic Sforza et la médaille de Second avaient été oubliées… et comme si la devise qu’Alciat avait inventée pour lui-même en empruntant son motto grec à Ménandre avait été évincée dans l’esprit des contemporains par celle qu’il a inventée dans les Emblemata pour que d’autres la reprennent à leur compte, si bien que celle-ci en latin a fini par lui être plus attachée que celle-là en grec qui lui correspondait pourtant plus directement. *** Il faut reconnaître que de nombreux éléments paraissent s’être ligués pour rendre la genèse de cet emblème fameux plus difficile à considérer. D’abord la devise Vt iungor a été adoptée une seule fois et pour peu de temps par un personnage pour le moins controversé, Ludovic Sforza dit le More, dont la mémoire a été si mal servie qu’on peut dire qu’une véritable damnatio memoriae a été organisée contre lui d’abord par les Français et leur roi Louis XII qui a vaincu et peut-être même fait empoisonner Ludovic qu’il haïssait, mais aussi par les Italiens,
114 f. 301r. 115 Voir sur ce sujet E. Klecker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs » (note 83), p. 36-37.
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mécontents de voir ce prince machiavellien avant l’heure, qui rêvait d’une Italie unifiée sous son pouvoir et fut finalement défait. En outre, il se trouve que le même personnage, Paolo Giovio, a eu deux fois un rôle-clé dans la transmission de cette devise, puisqu’il est un important historien de son époque et, dans le même temps, le premier historien-théoricien de la devise, si bien que, pour Ludovic le More qu’il abhorrait, les conséquences en furent lourdement agravées. On peut ajouter à cela la francophilie d’Alciat et le fait que les commentateurs des Emblemata sont, chronologiquement et par leur importance, d’abord des Français n’ayant pas une connaissance directe de l’Italie, comme Aneau et surtout Mignault, ou du moins ne sont-ils pas Italiens comme Sanchez ou Thuilius – seul Pignoria fait exception, mais il n’est pas Milanais et ne rédige que de tardives notules additives. Enfin on peut encore alléguer le cloisonnement des disciplines à l’époque moderne. L’« emblème littéraire » est un objet d’étude depuis une soixantaine d’années pour les chercheurs en littérature – bien plus que la devise du xve siècle –, Ludovic Sforza est un objet d’étude pour les historiens, si bien que les uns connaissent les emblèmes et les autres les « vieilles » devises. La devise au caducée est bien connue des historiens, mais (quasiment) inconnue des littéraires, l’emblème est fameux pour les littéraires, mais (presque) inconnu des historiens. Il est donc plus que jamais nécessaire de créer des synergies permettant de mettre vraiment en commun ces connaissances diversement réparties, et de prendre modèle sur le grand juriste milanais qui alla chercher fortune là où elle se trouvait : dans l’Europe de son temps.
Alciat et la couleur Paulette Choné - Université de Dijon
Derrière ce titre, le lecteur s’attendra peut-être à découvrir une étude sur des exemplaires ou des manuscrits coloriés du best-seller du juriste milanais, sur des décors peints ou d’autres applications en couleurs inspirés par ses emblèmes. Une telle enquête eût été bien entendu une manière très pertinente d’envisager la question de la couleur chez Alciat. Il y en aurait d’autres : le recours aux emblèmes comme à un moyen d’interprétation qui confère aux peintures un surcroît d’intelligibilité n’est pas nouveau et l’on sait comment Erwin Panofsky, William S. Heckscher ou même Guy de Tervarent dans ses listes, pour ne rien dire de beaucoup d’autres savants, ont fait servir les emblèmes d’Alciat à un art herméneutique rajeuni. Mais cette approche s’est attachée exclusivement au contenu iconographique ou à l’analyse iconologique sans avoir égard à la valeur chromatique des formes symboliques inventées par le Milanais. Par ailleurs, ses interprètes tendent à penser que les curiosités d’antiquaire de celui-ci l’attiraient vers des vestiges épigraphiques, des statues, des stèles, des intailles et pierres gravées, plutôt que vers la peinture. Et enfin, un livre d’emblèmes en principe voué au noir et au blanc de la typographie et des xylographies ou des tailles-douces paraît toujours à première vue extérieur au monde de la couleur. Ce serait recourir à une justification de mauvais aloi que de rappeler l’apostrophe adressée à la « race impudente des peintres » (et des graveurs) par l’un des savants commentateurs d’Alciat, Lorenzo Pignoria, dans la préface de l’édition padouane de 1618 des Emblemata : pictorum audacissima natio1. À l’inverse, peut-être est-il temps d’aborder plus généralement les emblèmes comme des inventions dans lesquelles la couleur, qui est elle-même signe, anime tous les autres signes symboliques, avec le même éclat souvent que dans l’abstraction personnifiée à la façon de Vincenzo Ricci ou de Cesare Ripa. Je n’ai pas entrepris ici de relever les innombrables occurrences colorées dans les emblèmes, mais il est facile de montrer que s’y déploie tout le spectre, avec une prévalence marquée de la gamme des rouges, tandis qu’un emblème particulier est consacré à la couleur verte (In viridis). Une autre voie fascinante, encore peu explorée, s’aventurerait à confronter Alciat et ceux de ses contemporains qui se sont intéressés à la peinture en la pratiquant, en la commentant, ou en collectionnant
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Emblemata V. Cl. A. A. cum Imaginibus plerisque restitutis ad mentem Auctoris..., Padoue, Pietro Paolo Tozzi, 1618. Cité par Pierre Laurens (éd.) : André Alciat, Les Emblèmes. Fac-similé de l’édition lyonnaise Macé-Bonhomme de 1551, Préface, Paris, 1997, p. 46.
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des tableaux. Giorgio Vasari se flattait d’avoir été « très ami » avec Alciat au temps où celuici enseignait à Bologne, et le juriste lui aurait composé une inscription pour les peintures du réfectoire de San Michele in Bosco. Ce témoignage, de la part d’un peintre qui a tant écrit et qui considérait que le pinceau était capable de « discourir sur les choses de la philosophie »2 n’a pas encore reçu tout le développement qu’il mérite. Une autre piste non moins pertinente consisterait à se remémorer les décors peints et les tableaux qu’Alciat a eus devant les yeux à des moments significatifs de son activité d’emblémiste. Lors du colloque consacré au peintre ferrarais Dosso Dossi (1489-1542) organisé en 1996 et 1997 au Getty Research Institute et au Castello di Buonconsiglio à Trente3, Luisa Ciammitti a remarqué, hélas trop fugitivement, que « Dosso était probablement familier de l’Emblematum libellus d’Andrea Alciati, publié pour la première fois en 1531, mais qui circulait en Italie dès 1521 ». Cette circonstance expliquerait en effet plusieurs détails de ses peintures « hermétiques ». Cependant, devant les ouvrages de ce peintre qui mettait au service du conceptisme le plus rare un coloris brillant, dans la tradition ferraraise qu’illustraient au palais Schifanoia les fresques de Francesco del Cossa et Ercole de’ Roberti, ne faut-il pas renverser la question, autrement dit les voir avec les yeux d’Alciat, qui au moment où il se trouvait à Ferrare, c’est-à-dire entre 1542 et 1546, avait aussi l’occasion d’admirer les tableaux du Garofalo, de Lorenzo Costa, de Battista Dossi ? En 1546 parut à Venise, chez Paul Manuce, la deuxième « centurie » de quatre-vingt-six nouveaux emblèmes de l’Emblematum liber, et parmi ceuxci se trouvait l’emblème qu’Alciat a consacré à la couleur, ou plutôt aux couleurs, In colores (fig. 1a et b), que l’on ne découvrait pas encore dans la première édition4. Cet emblème m’intrigue depuis longtemps et cette communication voudrait seulement soulever à son propos quelques remarques naïves. La couleur noire est signe de tristesse. Nous la portons tous quand nous procédons aux rites funéraires sur les tombes. Mais les vêtements blancs dénotent une âme pure et des pensées sincères : d’où le lin sacré qui vêt les personnes consacrées. Le vert nous enseigne à espérer : nous disons que l’espoir reverdit lorsqu’il s’effondre, inaccompli. La couleur jaune convient aux avaricieux, aux amants et aux putains, et à tous ceux dont l’espoir s’est réalisé. Que le rouge pare les hommes d’armes, et qu’il monte aux joues des enfants, révélant leur modestie. Le bleu sied aux marins, et aux devins aspirant aux choses célestes, hébétés par l’excès de religion. D’un brun jaune sont les pèlerines de laine brute et commune : c’est ce genre de housse qu’ont ordinairement les porteurs de galoches. Celui que torturent de grands soucis ou la jalousie amoureuse, il ne sera pas mal de le vêtir de couleur isabelle. Celui qui est content de son sort peut porter du violet, et aussi l’homme qui supporte avec une humeur égale les désagréments de fortune. Comme la nature est bigarrée quand elle crée les couleurs, ainsi aux autres plaît ce qui est autre ; mais chacun se plaît à ce qui est sien5.
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Voir en particulier Roland Le Mollé (éd.) : Giorgio Vasari, Ragionamenti di Palazzo Vecchio, édition bilingue, Paris, 2007. Luisa Ciammitti (dir.), Dosso’s Fate : Painting and Court Culture in Renaissance Italy, The Getty Research Institute for the History of Art and the Humanities, coll. « Issues & Debates », 1998, p. 98. Augsbourg, Heinrich Steyner, 1531. Notre traduction.
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Fig. 1 - André Alciat, Emblemata, Venise, Alde, 1546, f. 30v-31r. Glasgow University Library.
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Dès que l’on met l’accent sur la valeur technique bien connue du mot et du titre emblemata, sur son étymologie qui l’inclut dans la famille des arts décoratifs de l’Antiquité – et de leur descendance moderne – c’est un monde coloré qui surgit ou qui pourrait se présenter à l’esprit, qu’il s’agisse de la peinture, de la mosaïque ou des incrustations précieuses dans les pièces d’orfèvrerie. Même la technique moderne d’origine orientale de la marqueterie de bois ou intarsia, particulièrement familière aux humanistes parce qu’elle était bien présente dans le mobilier et le décor du studiolo, repose sur le jeu des nuances chromatiques. Et faut-il oublier les couleurs lorsque l’inventeur de l’emblème, dans la lettre si souvent citée à Francesco Calvo (9 janvier 1523) parle de ce que décrit chacune de ses épigrammes, un objet pris à l’Histoire et aux choses de la Nature, « susceptible d’offrir un sens exquis » et « d’où les peintres, sculpteurs, orfèvres » tirent des médaillons ou écussons (scuta) que l’on fixe sur les couvre-chefs pour les utiliser comme insignes (insignia) ? Vêtements et couvrechefs reviennent dans le poème qui forme la dédicace des Emblèmes à Peutinger avec leurs accessoires ornementaux figuratifs, respectivement des broderies en relief (torulos) et des médaillons (parmas étant mis ici pour scuta, et clipei aurait aussi pu convenir). Pierre Laurens a bien montré comment cette pièce liminaire attache résolument l’entreprise littéraire des Emblèmes à un univers archéologique et artistique concret, celui de la fabrication et de la collection des médailles, de la petite sculpture et de la glyptique6. J’ajouterai d’une part que ce contexte mental est également celui de la connaissance de la civilisation matérielle des Anciens, des usages militaires, domestiques, vestimentaires, dans l’esprit des compilations comme le De re vestiaria libellus de Lazare de Baïf7 ou du Dictionnaire de Robert Estienne dont se serviront d’ailleurs ses commentateurs, et d’autre part qu’il ne s’agit pas d’un univers monochrome. Les médaillons (en français « enseignes ») ornant des coiffures, mentionnés dans la lettre de 1523, pouvaient certes être en métal précieux seulement ; c’étaient peut-être des médailles, des intailles avec une monture orfévrée, mais il y avait de grandes chances pour que ces « enseignes » fussent sinon ornées de gemmes précieuses, du moins constituées d’émaux de couleur, à la façon de beaucoup de pièces de joaillerie de cette époque destinées à la parure. Un bel exemple en est procuré par le célèbre Portrait de gentilhomme de Bartolomeo Veneto où la médaille en émaux de couleurs figure une impresa dont le corps a été discuté par plusieurs auteurs, avec cette sentence tirée du premier verset du psaume 138, probasti et cognovisti (« Seigneur, vous m’avez éprouvé et connu parfaitement »8). On
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Pierre Laurens (éd.) : André Alciat, Les Emblèmes (note 1), p. 19-20. Paris, Louis de Colines, 1535. Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica di Palazzo Barberini, v. 1512. Bartolomeo Veneto avait travaillé à la cour de Ferrare (1505-1508) puis à Padoue et à Milan (1520). Ce portrait d’un personnage appartenant peut-être au cercle de Francesco Gonzaga est reproduit en épigraphe et commenté par Mario Praz en tête de ses Studies in Seventeenth-Century Imagery (Rome, 1964, p. 8-9). La reproduction est en noir et blanc mais la description relève de la façon la plus suggestive que l’on distingue une femme en robe rouge, tenant un rameau d’or ; en face d’elle il y a une sorte de grotte où gît ligoté un lion, avec un petit animal au-dessus et près de la jeune femme un buisson de roses. Le motto seul est attribué par Paolo Giovio à Francesco Gonzaga.
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La vie très horrificque du grand Gargantua..., Rabelais, Œuvres complètes, Paris, 1955, chapitre VIII, p. 29. Voir la communication d’Olivier Guerrier dans le présent volume. Extrait cité : « J’ai donné à cet ouvrage le titre de Parergôn parce que j’avais tenu ces propos incidemment, à l’issue de mes cours, après m’être acquitté de ma tâche officielle. J’ai imité ainsi les anciens peintres, qui, lorsqu’ils peignaient quelque héros […], ne se contentant pas du motif isolé, ajoutaient à titre d’ornement un bosquet, des oiseaux, un paysage et d’autres figures du même genre, ce qu’ils appelaient eux-mêmes parerga ». (Trad. O. Guerrier). Michel Pastoureau, Jésus chez le teinturier. Couleurs et teintures dans l’Occident médiéval, Paris, 1997, p. 10.
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se souvient ici peut-être de l’« image » que Gargantua avait à son bonnet : « en une platine d’or pesant soixante et huyct marcs, une figure d’émail compétent, en laquelle estoit pourtraict » l’androgyne de Platon avec une sentence grecque tirée de saint Paul9. Lorsqu’il s’agissait d’émail, quelle que fût la technique utilisée (cloisonné, émail de plique), son rendu était celui d’un assemblage, de la juxtaposition de menus fragments sertis avec une extrême minutie, d’une incrustation. La fonction de ces médaillons en faisait des « ornements symboliques amovibles », à l’exemple des artefacts que les humanistes connaissaient par les textes sous le nom d’emblemata. Mais la technique des émaux – ou des gemmes serties – et la fonction des médaillons sur les bérets nous rappellent d’emblée deux choses : d’abord qu’un assemblage n’est pas une ordination ; le sertissage suppose une interrelation, mais indépendante d’une structure, de sorte que la composition, pour être perçue comme telle, y est tributaire des couleurs et des valeurs. Ensuite, c’est dans des notations isolées sur les emblemata antiques, les remarques documentaires de Pline, et celles de Cicéron sur les rapines de Verrès en Sicile, que les humanistes retrouvaient des techniques non pas disparues de leur temps mais florissantes. Certaines des curiosités pour antiquaires avaient leur continuation dans des pratiques et des productions bien actuelles, c’est-à-dire qu’elles étaient en couleurs, et non pas connues seulement d’après des relevés archéologiques, des dessins au trait. Il faudrait même ici parler d’une innovation artistique remarquable dans les décors peints et sculptés, les quadri riportati, autrement dit les peintures « serties » dans des bordures de stuc ou de menuiserie, dont la typologie s’était répandue dans les villas romaines depuis la fin du xve siècle : c’était là une interprétation directe, séduisante et spectaculaire de ce que l’on trouvait évoqué chez Pline sous le nom d’emblemata. Je serais même tentée d’aller plus loin, et de soutenir que l’ornement appliqué, l’emblema est la forme qui caractérise le mieux l’esthétique du premier xvie siècle dans son ensemble, ou plutôt son esprit, même si Alciat, dans l’analogie qu’il établit entre ses parerga et les bordures ornementales, se réfère plutôt à la peinture des Anciens10 qu’à des pratiques décoratives de son temps. Certes, nous pourrions nous interroger sur l’utilité scientifique qu’il y a à essayer de dépasser la vision monochrome, voire achromique des emblèmes, au sens poétique comme au sens empirique. Je ne suis pas de ceux qui croient que « nos modes de pensée et de réflexion semblent être restés […] plus ou moins noirs ou blancs »11. J’ajouterai qu’un emblème sur les couleurs sans couleurs est un paradoxe, mais un paradoxe infertile. Je ne parlerai pas non plus ici des notations de couleurs dans les Emblemata ; que pourrait-on
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montrer en relevant leurs nombreuses occurrences ? S’agirait-il alors d’essayer de reconstituer un paysage sensible ? Mais l’entreprise emblématique vise plutôt l’interruption que la recréation des conditions empiriques ; elle s’accommode en quelque sorte de la « sous-exposition » historique, si l’on me permet ici cette image empruntée à l’art du photographe ; elle assume la tradition bien plus qu’elle n’illustre l’histoire. Il ne serait pas difficile de démontrer qu’il y a un contresens à essayer de pigmenter les emblèmes. Cependant, l’emblème In colores existe et nous conduit à envisager les choses au moyen d’un prisme propre à décomposer la « lumière blanche » de la forme emblématique. Dans la devise, le statut de la couleur est évident : « deviser », c’était faire parler les couleurs, faute de quoi la devise restait inopérante dans les divertissements pour lesquels elle existait en premier lieu. Dans la devise, la couleur est un signe et peut avoir autant de valeur que dans le langage héraldique. Claude Mignault, dans son Syntagma, traité récemment traduit par Denys Drysdall et qui vient en tête de l’édition plantinienne commentée d’Alciat en 1579, rappelle d’après Paolo Giovio12 que Laurent le Magnifique avait emprunté à Côme l’Ancien la devise semper, y ajoutant trois plumes d’autruche, « distinguées par trois couleurs différentes, blanc, vert et rouge, que les gens instruits rapportaient à la triple vertu de Foi, Espérance et Charité »13. Et comme il s’agit du Magnifique, il n’est pas trop difficile de découvrir des réalisations correspondantes en couleurs14. Mais dans l’emblème ? Alciat avait naturellement bien présentes à l’esprit toutes sortes d’applications décoratives du genre de l’impresa, sur les murs peints des demeures, dans la tapisserie et plus généralement les arts textiles, dans la broderie, la menuiserie, la sculpture ornementale, l’orfèvrerie, la gravure sur métal, la peinture, en somme dans tous les domaines possibles de l’artisanat supérieur. Il en va ainsi dans la célèbre Préface de l’édition lyonnaise des Emblemes par Barthélemy Aneau15 : « tout ce qu’il pourra, & vouldra inscripre, ou pindre aux murailles de la maison, aux verrieres, aux tapis, couvertures, tableaux, vaisseaulx, images, aneaulx, signetz, vestemens, tables, lictz, armes, brief à toute piece & ustensile, & en tous lieux ». Tous ne sont pas « amovibles » ou « détachables » comme les enseignes, mais tous regardent le décor de la vie. Si Alciat, Aneau après lui, ou encore Georgette de Montenay
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« E’ ben vero che diceva che ’l magnifico Lorenzo s’aveva usurpato un d’essi con gran galanteria, insertandovi dentro tre penne di tre diversi colori, cioè verde, bianco e rosso, volendo che s’intendesse che Dio amando fioriva in queste tre virtù : Fides, Spes, Charitas, appropriate a questi tre colori, la speranza verde, la fede candida, la carità ardente cioè rossa, con Semper da basso ; la quale impresa è stata continuata da tutti i successori della casa, e Sua Santità eziandio la portò di ricamo ne’ saioni de’ cavalli della guardia, di dietro per rovescio di detto giogo ». Dialogo dell’imprese militari e amorose, éd. cit. Rome, 1978, p. 63-64. 13 « ille quidem tres plumas habuit colore triplici distinctas, albo, viridi, rubeo, una cum semper adiecto vocabulo, quod eruditi homines ad virtutem triplicem, Fidem, Spem, Charitatem, retulerunt ». Voir Denys Drysdall, Claude Mignault of Dijon. Theoretical Writings on the Emblem : a Critical Edition, with apparatus and notes (). 14 Cette impresa a été sculptée par Benedetto da Rovezzano sur la base de l’Orfeo de Baccio Bandinelli (Florence, palais Medici-Riccardi). De façon plus significative pour notre propos, elle est peinte au revers d’un tondo par Giovanni di ser Giovanni Guidi, dit le Scheggia (Florence 1406–1486), Le Triomphe de la Renommée, ca. 1449 ; tempera, or et argent sur bois (New York, Metropolitan Museum). Lyon, Macé Bonhomme pour Guillaume Rouillé, 1549. 15
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« Pensant aussi qu’il sera bien propice / A mainte honneste & dame & damoiselle […] / Que toutesfois pourront accommoder / A leurs maisons, aux meubles s’en aider... » (Georgette de Montenay, Emblèmes, ou devises chrestiennes, Lyon, Jean Marcorelle, 1571 [1567], f. A4r). Lyon, Sébastien Gryphe, 1530, p. 97. Voir Claudie Balavoine, « De la perversion du signe égyptien dans le langage iconique de la Renaissance » dans Chantal Grell (dir.), L’Égypte imaginaire de la Renaissance à Champollion, Paris, 2001, p. 27-46. Voir Giovanni Rossi, « Valla e il diritto : L’Epistola contra Bartolum e le Elegantiae. Percorsi di ricerca e proposte interpretative » in Mariangela Regoliosi (éd.), Pubblicare il Valla, Florence, 2008, p. 572 sq.
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dans son passage fameux sur les nouveaux devoirs domestiques de la ménagère huguenote16, avaient présents à l’esprit ces décors et ces objets, c’est qu’ils en avaient l’expérience visuelle. Je ne veux pas dire par là que les Emblemata seraient un répertoire de motifs, mais que le recueil ne perd rien à être apprécié d’après un double horizon, celui des modèles trouvés dans les textes anciens et dans les objets, et celui des applications. Cette question est encore différente de celle de l’illustration du recueil, de la réalisation des planches, pour laquelle Alciat a eu tant de sollicitude, rappelons-le, à une époque où les possibilités de la xylographie dans le livre, ses vertus didactiques, son efficience à l’égard d’une anthropologie de la perception visuelle étaient par excellence des préoccupations humanistes. C’est un fait indiscutable qu’Alciat a attiré une attention littéraire et philosophique sur les manifestations de l’expression symbolique dans le décor quotidien, dans les fêtes, etc., phénomène qui n’était pas absolument nouveau mais qui depuis le xve siècle avait pris une importance extraordinaire dans la vie publique et privée. Et l’invasion de ces figures symboliques dans l’univers visuel permanent et éphémère des Européens citadins n’était évidemment pas incolore. Aussi l’emblème In colores me semble-t-il en définitive une magnifique démonstration de la sémiologie d’Alciat, telle qu’il l’exprime dans les De verborum significatione libri quatuor17 : « verba significant, res significantur, les mots signifient, les choses sont signifiées » – avant d’ajouter que « tametsi et res quandoque etiam significent, les choses quelquefois peuvent elles aussi signifier », à l’exemple des pictogrammes hiéroglyphiques, à l’égard desquels Alciat prend ses distances18, mais qui relèvent d’une matière (argumentum) dont il s’est occupé, dit-il, « dans son petit recueil » des Emblemata. Les couleurs sont par excellence de ces « choses qui quelquefois peuvent elles aussi signifier » et qui par conséquent ont un statut intermédiaire entre verba et res. Ainsi, elles constituent une grande part du vocabulaire héraldique, Alciat commentateur ne l’oublie certainement pas, mais elles relèvent aussi d’une autre sorte de convention, un consensus plutôt, dont il apprécie la valeur en juriste et qui en fait des signes naturels très particuliers. Il n’est pas fortuit que cette remarque sémiologique soit glissée précisément dans le commentaire d’un titre du Digeste qui était un exercice traditionnel pour les jurisconsultes, mais dont Alciat, en humaniste accompli, s’acquitte en ayant égard à la philologie et à l’histoire antique19. Pour saisir la portée de cet emblème sur les couleurs, il faut d’abord relire Rabelais. Dans Gargantua, Rabelais consacre deux chapitres aux couleurs. On se souvient que le chapitre IX ridiculise l’outrecuidance et la bêtise de ceux qui prétendent interpréter le sens des couleurs à leur guise et qui jugent les significations traditionnelles trop grossières et approximatives. À son tour alors de procéder à l’inventaire des objets et meubles sur les-
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quels s’étale l’écriture symbolique, les « apophtegmes et dictez » dont les niais « ont enchevestré leurs muletz, vestu leurs paiges, escartelé leurs chausses, brodé leurs guandz, frangé leurs lictz, painct leurs enseignes20 ». Le chapitre X, qui s'ouvre sur « les couleurs blanc et bleu », couleurs de la livrée du poupon Gargantua, traite en réalité longuement du blanc et du noir, et pourrait même passer pour une glose sur les deux premiers distiques de l’emblème In colores. Rabelais, qui annonce ainsi – d’une manière tellement ingénue qu’elle pourrait passer pour une parodie du style universitaire – la rédaction d’un traité des couleurs, défend alors avec fougue, et en juriste, le caractère naturel de certains signes, même quand les usages pourraient faire croire qu’ils sont arbitraires ou, si nous voulons utiliser le langage de notre époque, qu’ils sont « des faits de société rebelles à toute généralisation et ne relevant d’aucun archétype transculturel », « un phénomène culturel » pour tout dire. Conventionnel ne veut pas dire arbitraire. Et d’ailleurs, blanc et noir s’opposent logiquement autant que « physicalement », « ainsi doncques est que noir signifie dueil, à bon droict blanc signifiera joye »21. Leur signification a une valeur que certifie le droit naturel, droit universel commun à toutes les nations, ce que l’on nommerait aujourd’hui « prétendues vérités universelles » : « Et n’est cette signifiance par imposition humaine instituée, mais receue par consentement de tout le monde que les philosophes nomment jus gentium, droict universel valable par toutes contrées »22. Ce qui suit répète exactement Alciat : « Comme assez sçavez que tous peuples, toutes nations […], toutes langues, voulens extériorement démonstrer leur tristesse, portant habit de noir, et tout dueil est faict par noir »23. Ensuite il tire de l’histoire sainte et de l’histoire profane plusieurs exemples prouvant que le blanc « nous induict entendre joye et liesse » terrestre et éternelle par « analogie et conformité »24. C’est là l’une des preuves que Rabelais avait lu Alciat, qu’il l’avait lu en juriste et que ce faisant, il indique la portée de l’emblème In colores. Mais on se demandera encore : cet emblème révèle-t-il ce qu’Alciat, s’il s’était appelé Goethe, eût nommé sa « chromatique » ? Quelles sont ses idées sur la couleur, les autorités qu’il a utilisées ? Il y aurait évidemment un livre à écrire là-dessus. Je me contenterai de quelques remarques sur la formation de la palette d’Alciat, sur les picturæ et sur l’importance de cet emblème. L’emblème est l’un des 86 emblèmes nouveaux de l’édition aldine de 1546 aux folios 30v et 31r (fig. 1a et b), avec une épigramme exceptionnellement longue (dix distiques), entre les deux emblèmes « hiéroglyphiques » In sordidos (l’ibis) et Vigilantia, et custodia (le coq). La longueur de la subscriptio résulte de la matière extrêmement riche dont dispose l’auteur : un distique pour chacune des neuf couleurs, un dernier distique conclusif d’une
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La vie très horrificque du grand Gargantua... (note 9), p. 32. Ibid., p. 34. Ibid. Ibid. Il rappelle ici la controverse de Lorenzo Valla contre Bartole. Voir supra note 19, art. cité de Giovanni Rossi. Toutefois M.-A. Screech a établi que Rabelais n’avait pas lu Valla mais Érasme (« Comment Rabelais a exploité les travaux d’Érasme. Quelques détails » dans Jean-Claude Margolin, Colloquia erasmiana turonensia, vol. I, Paris, 1972, p. 458.)
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Le commentaire très riche mériterait à lui seul une étude. Notons qu’il débute par une description de la vignette, qui représente ici l’atelier du teinturier : Pinge aut finge tibi officinam tinctoris... Il poursuit par des remarques générales, avant un commentaire érudit vers à vers. Il reprend une partie des notations des Parerga, en particulier tout ce qui regarde l’origine des pigments (la chrysocolle et le vert-de-gris dont se tire la couleur verte, la sandaraque ou rouge de plomb, qui donne un rouge différent de celui qui s’obtient avec la cinabre ou la cochenille), leurs emplois, l’étymologie de leurs noms, etc. Libellus de coloribus, ubi multa leguntur præter aliorum opinionem, Venise, Bernardo Vitali, 1528. Sur les nombreuses rééditions (Paris, 1529, 1536, 1548, 1549 ; Bâle, 1529, 1537, 1541, 1545, 1563 ; Cologne, 1530 ; etc.), voir en dernier lieu l’excellente publication en fac-simile accompagnée d’une traduction et d’un commentaire par Christine Viglino et Michel Indergrand : Antonio Telesio de Cosenza, Petit traité des couleurs latines, Paris, 2010. Dans un appendice sur « le blason des couleurs » est mentionné l’emblème d’Alciat sur les couleurs (p. 109) avec une traduction démarquant celle de Jean Lefèvre et Jean II de Tournes (Les Emblemes, Genève-Cologny, 1615). Antonio Telesio (1482-1534), né dans l’Italie byzantine hellénophone, enseigna la rhétorique et les lettres grecques et latines à Milan (1518), puis à Rome (1523) et à Venise (1527) avant de regagner Cosenza (1529). Il est aussi l’auteur de poèmes dont la plupart sont perdus et d’une tragédie, Imber aureus qui inspira peut-être la Danaé du Corrège. Sa renommée est liée à celle de son neveu Bernardino Telesio (1509-1588), dont il fut le mentor. Johann Wolfgang Goethe, Matériaux pour l’histoire de la théorie des couleurs, trad. de l’allemand par Maurice Elie, Toulouse, 2003, p. 141-161. Goethe, qui estimait qu’on ne peut « traiter dans une langue de l’étymologie d’une autre », a reproduit le texte de Telesio en latin. Il admira aussi chez le poète le « regard libre, aimant et respectueux qu’il portait sur la nature ». L’Onomastikon de Julius Pollux ou Polydeukès, le grammairien Servius, Aulu-Gelle, Pline, Plaute, Ovide, Virgile, Homère, Oppien, Cicéron, saint Jérôme, Columelle, le Matheseos de Maternus, Frontin, Hygin, Properce et bien entendu Iulius Paulus, le juriste Paul. L’édition consultée est celle des Opera omnia de 1571 : « Colores omnes explicati, & declaratus Pauli iurisconsulti locus. Caput I »., in Dn. And. Alciati Iuriscons. Parergon liber secundus, col. 211-215 (Omnium
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grande densité. Cet emblème fixe des archétypes chromatiques d’après d’autres auteurs et non sans avoir rassemblé sa propre anthologie poétique ; il offre ainsi un extrait d’un petit lexique choisi des couleurs latines qu’Alciat avait progressivement élaboré et dont nous pouvons partiellement reconstituer la genèse grâce aux commentaires de Claude Mignault, non pas dans l’édition parisienne de 1571 où les couleurs ne lui inspirent que douze lignes, mais dans l’édition de Jean Richer de 1602 et surtout dans les commentaires à plusieurs mains de l’édition monumentale de Padoue en 162125. Dès les premières lignes, ce commentaire nous renvoie au Timée, dont Alciat est censé partager les conceptions physiologiques et optiques et résumer la gamme octonaire. De là, Mignault conseille de voir les Parerga, ces précieuses notes de lecture du jurisconsulte dans lesquelles on trouvera l’explication des « huit couleurs » et dont son commentaire analytique tire ensuite lui-même, sans s’en cacher, une large partie de ses informations. Ne cachons pas que le commentateur est ici embarrassé par son érudition, dans la mesure où il compile indifféremment des sources relatives aux sensations colorées, à la symbolique et à la philologie ; il arrive ainsi à des instants aporétiques où il ne sait plus que faire, par exemple, de la distinction entre ruber et rus[s]us. Il faut attendre le commentaire sur gilvus pour qu’il révèle – enfin ! – la source principale du passage des Parerga qui n’est autre que le traité des couleurs d’Antonius Thylesius, c’est-à-dire le De coloribus libellus d’Antonio Telesio, paru à Venise pour la première fois en 152826, ce trésor de sensibilité que Goethe avait accueilli dans sa Farbenlehre27. Sans citer du tout Telesio, dont il connaissait parfaitement le petit livre, Alciat avait convoqué de nombreuses autorités28 dans le chapitre des Parerga consacré aux couleurs29, et ce
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sont ces souvenirs des archétypes chromatiques des Anciens qui procurèrent à l’emblème son suc nourrissant après une longue coction. Elles excèdent la mention dans le commentaire de 1621 de quelques lignes des Nuits attiques30 et des ouvrages de Lazare de Baïf. Car il y a collecté, à l’exemple de Telesio et de Baïf, des étymologies, des fragments poétiques, des notations nombreuses et parfois contradictoires sur l’origine des pigments et teintures, leur mélange, une typologie détaillée de la robe des chevaux. Un tableau fait voir comment les douze couleurs archétypales des Anciens retenues par Telesio, et les sept couleurs naturelles, celles des astres, du cycle saisonnier, des peaux sombres, avec lesquelles celui-ci ferme son opuscule, conduisent Alciat à sa propre liste de sept couleurs qui ouvre son texte dans les Parerga. Il hésite, pourtant : à propos du noir d’abord, car Telesio veut distinguer ater, le noir de la nuit et des Indiens ou éthiopiens, et pullus, le brun noir de la terre pendant le repos hivernal, et aussi des vêtements de deuil ; plutôt que de trancher, Alciat choisit le mot plus général et fréquent de niger. Mais il se souviendra de pullus dans l’Emblematum libellus. Seulement il ajoute luteus, ce jaune qui, dit-il, est celui de la fleur de la guède (dont les feuilles procurent le pastel bleu), du chrysanthème, du safran. Les Parerga ne s’arrêtent pas à ces sept couleurs ; elles énumèrent des dizaines de nuances, d’objets, de substances, qui rivalisent avec le Libellus de Telesio.
Antonio Telesio, Libellus de coloribus, Venise, 1528 Les douze couleurs des Anciens cœruleus cæsius ater albus pullus ferriginus rufus ruber roseus puniceus fulvus viridis
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Les sept couleurs que la nature, rerum mater, aime le mieux cœruleus fulvus viridis pullus albus ater ruber
Do. Andreæ Alciati Mediolanensis, Iureconsulti Clarissimi, Operum in sex tomos Digestorum Index rerum ac vocum memorabilium quadrigeminus, fideli opera collectus : cuius vsum ex sequenti praefatione plenissimè cognosces... Bâle, Thomas Guarino, 1571). Éd. originale : Andreae Alciati Mediolanensis, jureconsulti clariss. Parergon juris libri tres. Cum singulorum capitum Argumentis, ac vocabulorum, rerum, autoritatum, & locorum indice locupletissimo, Lyon, Sébastien Gryphe, 1538. II, 26.
Les neuf couleurs dans l’emblème In colores (Alciat, Emblematum libellus, Venise, 1546)
albus niger ruber luteus fulvus viridis cœruleus
pullus candidus viridis flavus ruber ceruleus gilvus fulvus ianthinus
varius
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Les sept couleurs retenues par Alciat dans les Parerga, 1536
[épilogue : varia est natura coloribus ingignendis]
Venise 1546
Lyon 1549 Aneau
Paris 1584 Mignault
Genève/Cologny 1615 J. Lefèvre/Jean II de Tournes
pullus
noir
noir
noir
candidus
blanc
blanc
blanc
viridis
verd
verd
verd
flavus
faulveau
fauve
jaune
ruber
rouge
rouge
rouge
ceruleus
bleu
bleu
celeste
gilvus
bureau
bureau
fauve
fulvus
roux jaune
roux-jaune
roux
ianthinus
violet clair
violet
violet
L’emblème In colores, à partir de ce matériau, procède à de nouveaux arrangements qui s’annonçaient dans les annotations des Parerga. Le blanc éclatant de candidus qui équivaut à « pur », « sincère », remplace albus qui évoque trop la pâleur et parce qu’il est « plus beau ». Trois nouvelles nuances apparaissent, le blond jaune, flavus, une couleur beige, gilvus, le violet mauve, ianthinus. Elles ont pris plus ou moins la place des quatre tons rouille, roux, chair et carmin de la palette de Telesio. Elles sont associées chez Alciat à trois dispositions à l’égard des vicissitudes de fortune, comme s’il s’agissait de colorier un motif cher au Tableau de Cébès : le blond jaune pour « ceux dont l’espoir s’est réalisé », le beige pour celui que le sort torture encore, le mauve pour une âme qui supporte les maux avec
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équanimité. Ces acceptions sont en partie nouvelles, même si l’attribution d’un certain jaune aux avares, aux amants et aux prostituées est traditionnelle. Une autre dette remarquable d’Alciat à l’égard de Telesio, c’est la huitième « couleur » des Parerga, varius, multicolore, bigarré, versicolore, le cangiante qui triomphe dans la peinture maniériste et en particulier au plafond de la Sixtine où Michel-Ange travaillait entre 1535 et 1541. Dans l’emblème, varius est encore présent, mais est attribué à la nature elle-même. Le statut de varius suffirait à prouver la longue maturation de la pensée chromatique d’Alciat. Les vignettes constituent un cas passionnant de variation iconographique sur une même proposition littéraire. L’emblème a été illustré successivement de trois manières très différentes : un champ de fleurs (fig. 1a), un atelier de teinturier (fig. 2), un damier avec neuf compartiments illustrant divers états et conditions de l’homme (fig. 3 et 4). Je ne m’arrête ici ni aux répliques, copies en sens inverse, ni aux auteurs, ateliers, etc. Les deux premières inventions traduisent la distinction entre couleurs naturelles et teintures mais sans les opposer, en soulignant plutôt leur complémentarité. Si la première manifeste la diversité de la flore et la fécondité végétale de la nature, à laquelle Alciat avait réservé une attention particulière dans ses notes des Parerga, la seconde met sous les yeux un teinturier devant un foyer supportant une chaudière bouillante, maniant le lissoir avec lequel il remue les écheveaux de laine ou de soie. Le trait a ici la puissance vigoureuse, l’expressionnisme viril caractéristiques du maniérisme. Il est inutile de rappeler que le métier de teinturier avait eu dans l’Occident médiéval un caractère vil et suspect31. Il existait encore au xvie siècle une hiérarchie complexe entre les teinturiers de luxe et les autres, dans l’Empire, à Milan et Florence, qui contrastait avec leur situation privilégiée dans de rares villes telles que Venise. Ces spécialisations atteignaient un degré incroyable dans des villes drapières comme Florence où l’on distinguait trois organisations professionnelles différentes, dont le discrédit social est cependant récusé par l’éclat des étoffes que l’on admirait dans les tableaux. Dans la vignette, la pratique tinctoriale apparaît comme un travail manuel très pénible, nécessitant d’apprivoiser le feu comme la métallurgie, et en effet le teinturier est montré tel une sorte de Vulcain de l’élément humide. On est là déjà dans un univers de valorisation des techniques de la métamorphose de la matière et de connivence avec les secrets de la nature, qui sera bientôt celui du Studiolo de Francesco I de Médicis, où le mordançage et la teinture de la laine, l’exploitation des mines d’alun accèdent à la dignité d’un nouvel épos. Les détails techniques ne manquent pas, comme les petits récipients contenant la teinture. Dans les Parerga, Alciat se montre très savant sur les substances tinctoriales et même très curieux. L’emblème In colores, en tant que variation sur les vers du livre III de l’Ars amatoria d’Ovide32, n’est nullement démenti par ces deux premières vignettes, qui conviennent aussi bien l’une que l’autre et sont, si l’on veut, complémentaires :
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Michel Pastoureau, Jésus chez le teinturier (note 11), passim. v. 170-190.
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Fig. 2 - André Alciat, Emblemata, Leyde, Christophe Plantin, 1591, p. 142. Glasgow University Library. Fig. 3 - André Alciat, Emblemata, Lyon, Macé Bonhomme et Guillaume Rouille, 1550, p. 128. Glasgow University Library. Fig. 4 - André Alciat, Diego Lopez, Declaracion magistral sobre las Emblemas, Najera, Juan de Mongaston, 1615, p. 291. Glasgow University Library.
Autant la terre produit de fleurs nouvelles, lorsque l’hiver paresseux s’éloigne, et que sous la tiède haleine du printemps la vigne se couvre de bourgeons, autant et plus encore la laine reçoit de teintures variées.
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En réalité, prises littéralement, l’épigramme comme les vignettes peuvent sembler discrètes sur la peinture : il n’y est question que des couleurs naturelles et des teintures. Il faut attendre les éditions plus tardives avec leur figure-polyptyque montrant neuf activités et conditions humaines, pour que la couleur soit associée au moins par métonymie à la peinture. Cependant Mignault dans sa description de la vignette montrant l’homme occupé à tingere, invite le lecteur à activer dans son esprit l’analogie phonétique et sémantique entre les deux autres termes, fingere et pingere dont la parenté avait été repérée avant lui par Varron33 : Pinge aut finge tibi officinam tinctoris. Entrons chez le teinturier, lieu du changement des couleurs, qui signale, selon ce qu’enseigne Aristote, un changement d’affect, de pathos. La vignette en damier me semble inspirée par quelque préoccupation mnémotechnique. Elle cantonne sur le plan anthropologique, séquentiel, ce qui pourra plus tard s’écrire en termes optiques, ou cosmologiques grâce à la figure du cercle chromatique. Elle a donc l’air de barrer la route d’avance à toute tentative d’interprétation platonisante de l’emblème. Que les huit couleurs énumérées d’emblée par le passage des Parerga rappellent au commentateur le Timée34, voire les sphères et les sirènes en leur « accord consonant » dans le mythe d’Er le Pamphylien raconté au livre X de la République, soit. Le fatiste d’un intermède chanté et dansé, d’un divertissement à machines pouvait même puiser dans l’invention d’Alciat. Le nombre de Neuf était aussi bien conforme à celui des Muses, des sphères célestes, et l’on pourrait s’amuser avec cela. Mais c’est aller trop loin, pour un résultat insignifiant. Et d’ailleurs, comme le rappelle Mignault, Quot capita, tot sensus, « autant de têtes, autant d’opinions ». Il poursuit en guise d’éclaircissement plus mélancolique que sceptique du dernier distique : « Ce qui est honnête pour une nation, est une turpitude pour une autre. Autant de couleurs dans l’univers, autant de notions qui traversent les esprits, fuyantes et vagabondes ». Les Parerga n’avaient pas de prétention philosophique. Alciat s’y montre éberlué non seulement par la variété des couleurs, mais par celle des mots qui les désignent, qui forment une tapisserie linguistique époustouflante. L’appréciation des couleurs, de leur signification, est affaire subjective en grande partie, certes, mais cela n’empêche pas qu’elles impliquent la convention ou pour mieux dire le « consentement » social. À cet égard, l’emblème In colores résume la rencontre entre deux préoccupations de l’expression symbolique : la traduction visuelle d’un effort personnel pour subsumer une destinée sous la forme la plus amenuisée qu’il est possible, la réalisation d’un consensus éthique par le moyen de la pensée figurée. L’un n’empêche pas l’autre : dans une société équilibrée, chacun aime ce qui est sien, sans pour autant chercher à se soustraire aux valeurs communes. On pourrait ajouter que c’est là un idéal de législateur.
33 De lingua latina, VI, ch. 96, cité par Pastoureau, Jésus chez le teinturier (note 11), p. 85. 34 67e-69a.
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Les Franciscains de l’Observance étaient surnommés Zoccolanti, porteurs de galoches. Ange Politien, dans le prologue d’une comédie de Plaute jouée par des écoliers de Florence, s’en était pris aux hypocrites qui vilipendent le rire, et surtout aux Frères prêcheurs, « troupeau encucullé, engaloché, ceinturé de chanvre, à la nuque tordue et aux sourcils froncés ». Corneille Agrippa dans le De Vanitate (chap. 62) amplifie jusqu’au délire la répétition des épithètes et moque les « pieds nus, pieds de bois, pieds à lanières... ». Sur les critiques anti-monastiques chez Alciat, voir dans le présent volume la communication de Christine Bénévent. Cristoforo Sorte, Osservazioni nella pittura..., Venise, Zenaro, [1580], notre traduction.
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Il y a d’autres approches de cet emblème. Ainsi il est très fertile de comparer les traductions dans différentes langues, ne serait-ce que du point de vue des couleurs. Mais les variations du lexique, de la sensibilité, du symbolisme sont moins intéressantes que les diverses lectures du texte. Le distique sur la couleur de bure (gilvus) que portent suivant Alciat les lignipedes, a donné lieu à des déplacements significatifs, parfois embarrassés. La gravure de Pierre Eskrich figure un infirme avec ses béquilles, tandis que les traductions désignent sans ménagement les Capucins (Aneau, Diego Lopez de Valencia), les Franciscains (Jean Lefèvre et Jean II de Tournes), reprenant implicitement plusieurs attaques satiriques contre « la gent couratière » des Fraticelles ou plus généralement les moines mendiants par Ange Politien et Corneille Agrippa35, qu’Alciat avait sans aucun doute en tête36. Diego Lopez de Valencia discute d’ailleurs cette interprétation ; Mignault ne l’accepte pas. Mais l’allusion aux Franciscains est bien dans les Parerga. Cependant, comme je l’ai suggéré pour commencer, une manière différente d’étudier cet emblème serait de le relire dans la perspective du colorito et non seulement du colore, suivant une distinction très en l’honneur en Vénétie et en Lombardie au xvie siècle. Il est vrai qu’Alciat ici ne parle pas de la couleur des peintres – pourquoi le ferait-il ? – et que dans les Parerga il n’y a pas une seule allusion à la fabrication des pigments ou à la couleur comme catégorie de la peinture. Il est donc difficile de chercher à relier cet emblème à des peintures qu’il avait pu voir, même s’il est très tentant de soutenir que les coloristes exceptionnels du milieu ferrarais n’ont pu le laisser indifférent. La notion continuellement remise à l’honneur par les trattatisti, d’imitation du naturel, prenait une valeur spéciale dans les années 1540, particulièrement sous la plume d’un Vénitien comme Paolo Pino, l’élève de Savoldo – un coloriste d’une originalité hors pair –, dont le Dialogo di pittura allait paraître en 1548. Le rendu du « naturel » était considéré comme une obligation. Préparer et appliquer le coloris juste qui convient à la carnation du paysan ou du citadin, de l’homme ou de la femme, etc., autrement dit qui correspond à la « nature vive », est un aspect du décorum, peu différent de l’acte qui consiste à choisir la bonne livrée, en fonction de caractéristiques psychologiques, morales et sociales. Un texte plus tardif du peintre de cartes de Vérone Cristoforo Sorte étend à une typologie sociale les différences de coloris appliquées traditionnellement aux complexions psychologiques : « Ce n’est pas avec les mêmes couleurs que se peignent les tendres et douillettes jouvencelles, et les Satyres hirsutes et lascifs ; de même, on ne colore pas d’égale manière les chairs de ce paysan qui sans trêve s’est éreinté au soleil, et celles de l’homme qui a vécu dans la délicatesse à l’ombre et avec les aises que procurent les cités prospères »37.
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Sorte est l’un des premiers auteurs qui traite techniquement des couleurs de la nature dans son ensemble, et notamment du paysage, campagnes, monts, mers, cieux. On est là déjà très loin des préceptes de la varietas d’Alberti, qui voulait que l’on juxtaposât les couleurs « avec une exacte habileté », c’est-à-dire, « dans un chœur de Nymphes, donner des vêtements verts à celle-ci, des blancs à sa voisine, des pourpres à celle-là et des jaunes à cette autre », en vertu d’un idéal de charme et de grâce. Si donc il n’est pas indispensable de situer Alciat dans l’univers de la peinture, à l’inverse il convient de soumettre peintres et trattatisti à la pierre d’épreuve de l’emblème. Or il est indéniable que la peinture de la seconde moitié du Cinquecento joue savamment avec les attributs de couleur, ce que montre encore le grand triomphe de l’allégorie de Ripa à la fin du siècle, qui est à cet égard vraie fille d’Alciat. L’emblème In colores devise les couleurs, avec une signalétique qui est à la manière de l’héraldique, mais il parle d’autre chose que d’apparences. Plus que les humeurs ou les affects, les couleurs traduisent substantiellement le rapport que chacun entretient avec la destinée, l’échec, le succès ou l’accomplissement. Être un soldat, une putain, un moine mendiant est moins une détermination sociale qu’une identité intime qui se révèle dans la vie sociale38. L’humanité chamarrée à l’image de la nature, est faite d’amants, d’avares, de jaloux, d’endeuillés (l’humanité qui comparaît dans les prétoires), dans des nuances infinies aussi insaisissables que le sont les noms changeants des couleurs39 tout le temps que l’on ne parle pas d’objets concrets (émeraude, perroquet, mer tempétueuse, sang, ciel). Traducteurs et commentateurs ont pris à leur fantaisie le dernier distique érasmien40 et y ont parfois vu l’expression d’un relativisme qui n’y est pas41. Chacun convoite ce que l’autre a, et l’on aime ce qui est à soi : c’est une maxime de grand juriste, non de défenseur de la subjectivité esthétique. Mais le désir mimétique et la jouissance de soi sont ici dans une solidarité philosophique, cratylienne, que la diversité des couleurs et des mots qui les désignent a servi à blasonner, comme s’il s’agissait d’un jeu anodin.
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Claude Mignault ne va pas aussi loin dans sa première interprétation et se cantonne dans l’ordre des intentions de l’impresa : « Comme il y a diverses considérations & fantaisies d’esprit, aussi maintes sortes de devises sont tirées des couleurs, qui principalement meuvent le sens : par telles devises sont exprimez les conseils & pensées secrettes, comme quand on les met aux vestemens, tapisseries, estendars, portaux, galeries, &c. » (Les emblèmes, Paris, Jean Richer, 1584, In colores, embl. 117). L’attention d’Alciat au problème de la multitude des noms latins des couleurs et de leurs origines est exprimée dès les premières lignes du chapitre qui leur est consacré dans les Parerga. Suum cuique pulchrum (Adagia 115). Aneau : « Les devises, & signifiances des couleurs sont à plaisir selon les affections des personnes. Mais toutefois les meilleures sont celles, qui le plus pres approchent du naturel. Comme le blanc de innocence, le rouge de honte, le noir de dueil, ou mort, le verd d’esperance, & autres telles ». (Emblemes, Lyon, 1549, f. K1r). La conclusion du grand commentaire de l’édition de Padoue (1621) est encore plus riche : « Comme les couleurs sont variées dans la nature, ainsi le sont leurs noms, d’une diversité et d’une variété incroyables », tirés des végétaux, des fleurs surtout, des animaux, des lieux géographiques, ou associés aux saisons, aux usages militaires, aux jeux du cirque. C’est une diversité païenne, idolâtre, sur laquelle la volupté et la superstition avaient jeté leur voile profane.
les emblèmes d’alciat dans les arts décoratifs Michael Bath - University of Strathclyde
Dès le départ, les premiers éditeurs d’Alciat nous ont signalé l’utilité de ses emblèmes à l’égard des arts décoratifs. Dans leur préface Ad lectorem dans les nombreuses éditions lyonnaises, Guillaume Rouille et Macé Bonhomme nous recommandent d’utiliser les emblèmes d’Alciat pour les arts décoratifs : ainsi pour « les murs de la maison, les vitraux, tentures, dessus de lit, tableaux, vases, statues, anneaux à cachet, vêtements, tables, vases, bois de lit, armes, épées, enfin toutes les sortes d’artefact »1. On nous annonce donc un promptuarium instructissimum, « un magasin tout à fait bien pourvu » artisanal. Cette liste étendue sert à montrer l’émoi épistémologique soulevé à l’époque par ce nouveau genre d’images parlantes. Mon objet dans cette étude est d’indiquer l’état présent de la recherche sur l’application des emblèmes dans les arts décoratifs et sur la variété d’objets qui les utilisent. Mais il faut signaler d’avance quelques précautions, quelques limitations. Premièrement, il faut reconnaître que la découverte des exemplaires continue : c’est une enquête sans fin. De plus, l’identification des sources est toujours difficile, même impossible pour les historiens ou conservateurs qui, parfois, nous montrent qu’ils n’ont jamais lu un livre d’emblèmes, ou au moins qu’ils ne se sont jamais confrontés aux problèmes bibliographiques, linguistiques ou sémiotiques que nous posent souvent les livres d’emblèmes. Aussitôt qu’on recherche le mode d’utilisation de ces emblèmes, quelques questions fondamentales sur leur fonction et leur interprétation se posent à nous – questions que je ne prétends pas résoudre ici. En bref, est-ce qu’à l’origine les spectateurs d’un objet décoratif et emblématique comprenaient toujours le sens symbolique de ces images ? On doit se rappeler que très souvent l’artiste n’avait transféré ni le titre (inscriptio) ni aucun extrait de l’épigramme de l’emblème qu’il avait choisi. Ce problème me semble plus difficile à résoudre, car souvent on ne sait ni qui a fabriqué ni qui a commandé ou même qui a possédé l’objet à l’origine.
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André Alciat, Emblemata, Lyon, Macé Bonhomme, 1550, p. 4 (nous soulignons) : Etiam ille (inquam) usus est, ut quoties rebus vacuis complementum, nudis ornamentum, mutis sermonem, alogis rationem tribuere, aut certè affingere velit quispiam, is ex Emblematum libello, tanquam ex promptuario instructissimo habeat quod domesticis parietibus, vitreis fenestris, aulaeis, peristromatis, tabulis, vasis, signis, anulis sigillaribus, vestimentis, mensae, fulcro, armis, gladio, supellectili denique omni, nusquam non, inscribere, et impingere possit.
les emblèmes d’alciat dans les arts décoratifs
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Parmi les objets que Rouille nous signale comme propres à être décorées d’emblèmes on note les « tentures » (aulaeis). Une suite de tapisseries des Quatre Saisons, maintenant à Hatfield House (Hertfordshire) contient peut-être le plus grand nombre d’emblèmes parmi les objets d’art que nous connaissons. Ces tapisseries furent fabriquées en Angleterre en 1611 pour Sir John Tracy of Toddington (Gloucestershire), et leur dessin central copie les gravures des Quatre Saisons de Martin de Vos, qui nous présentent chaque saison comme une figure classique ou allégorique. Mais autour de chaque Saison, dans les bordures, on trouve une quarantaine d’emblèmes, chacun avec son inscriptio et la totalité des emblèmes dans les quatre tapisseries atteint cent-soixante-dix, ce qui suscite tout de suite des problèmes d’interprétation et des questions sur leur fonction. C’est en 1913 que A. F. Kendrick, ancien conservateur des textiles au Victoria and Albert Museum de Londres, a signalé que vingt-neuf de ces emblèmes copient ceux qu’on trouve dans le premier livre d’emblèmes anglais, celui de Geoffrey Whitney – son Choice of Emblemes paru en 1586. En outre, il découvrit que plusieurs d’entre eux remontent aux emblèmes d’Alciat. Nous savons maintenant que cinquante-six des emblèmes de ces tapisseries ont leur origine chez Alciat (fig. 1)2. D’habitude, nous regardons les bordures d’une tapisserie comme une zone liminaire, un espace d’encadrement : elles n’ont qu’une fonction décorative. Mais voici un dessinateur qui a choisi de les remplir avec les détails les plus significatifs de son œuvre. Entendait-il qu’un spectateur pourrait comprendre les cent-soixante-dix emblèmes qui entourent les motifs centraux des saisons ? Considérons-en un ou deux. L’un qui est bien connu nous montre l’âne qui porte des mets délicieux sur son dos, mais qui ne mange que des chardons (fig. 2). Cet exemple copie celui qu’Alciat intitule In avaros (fig. 3). Cette image nous pose peu de problèmes d’interprétation, il me semble, tandis que beaucoup d’autres nous laissent perplexe, dont celle qui nous montre deux hommes qui font on ne sait quoi, et un animal – encore un âne peut-être – qui mange on ne sait quoi. L’inscriptio nous dit que cette image symbolise que ce n’est pas souvent qu’on trouve une femme et mariée et prudente : Non [mult]um nisi frugis et uxor sit (fig. 4). Impossible de comprendre cet emblème avant de découvrir sa source. C’est Alciat qui nous montre que l’âne mange la corde qu’un cordier nommé Ocnus fabrique sur sa machine à filer, et l’épigramme nous explique la moralisation de cette image et son application sexiste aux femmes consommatrices, même prostituées (fig. 5) : Impiger haud cessat funem contexere sparto, Humidaque artifici iungere fila manu. Sed quantum multis vix torquet strenuus horis, Protinus ignavi ventris asella vorat. Foemina iners animal facili congesta marito Lucra rapit, mundum prodigit inque suum.
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Albert Frank Kendrick, « The Hatfield Tapestries of the Seasons », The Walpole Society, 2, 1913, p. 8997 ; Peter M. Daly, « The Sheldon ‘Four Seasons’ Tapestries at Hatfield House: A Seventeenth-Century Instance of Significant Emblematic Decoration in the English Decorative Arts », Emblematica, 14, 2005, p. 251-296.
Fig. 1 - Le Printemps (Tapisseries des Quatre Saisons), Hatfield House, Hertfordshire.
Fig. 2 - In Avaros (détail de la tapisserie du Printemps), Hatfield House, Hertfordshire.
Fig. 3 - In Avaros (André Alciat, Emblemata, Leiden, Christophe Plantin, 1591, p. 104). University of Glasgow.
Fig. 4 - Non [mult]um nisi frugis et uxor sit, (détail de la tapisserie de l’Hiver), Hatfield House, Hertfordshire. Fig. 5 - Ocni effigies (André Alciat, Emblemata, Leiden, Christophe Plantin, 1591, p. 110). University of Glasgow.
(Ocnus ne cesse jamais de filer industrieusement son fil, unissant les fibres mouillées avec dextérité. Mais ce qu’il file soigneusement pendant de nombreuses heures, l’âne ne cesse pas de le manger. La femme, créature paresseuse, prend les gains de son mari complaisant et les gaspille pour sa parure.)
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Peter M. Daly, « England and the Emblem : The Cultural Context of English Emblem Books » in P. M. Daly (dir), The English Emblem and the Continental Tradition, p. 14-15, fig. 6-9. La liste des emblèmes d’Alciat dans les panneaux comprend : Mutuum auxilium, Inanis impetus, In Deo laetandum, Non tibi sed religioni, Quae supra nos nihil ad nos, Iusta ultio, Silentium, In vitam humanam, Male parta male dilabuntur, Virtuti fortuna comes, Avaritia, Ἀντέρως, Amor virtutis, In fertilitatem sibi ipsi damnosam, Dolus in suos, In divites publico malo, Sapientia humana, Luxuria, Consilio et virtute Chimaeram superari, Aere quandoque salutem redimendam, Semper praesto esse infortunia, Paupertatem summis ingeniis obesse ne provehantur, In eum qui sibi ipsi damnum apparat, Alius peccat alius plectitur. Alciato no F.019 in Alison Adams, Stephen Rawles et Alison Saunders, A Bibliography of French Emblem Books of the Sixteenth and Seventeenth Centuries, Genève, vol. 1, 1999. Comme l’a démontré Peter Bayley, « The Summer Room Carvings », University College Record, vol. iii, no 1-3, 1958-1961.
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L’inscriptio complète d’Alciat pour cet emblème est : Ocni effigies, de iis qui meretricibus donant, quod in bonos usus verti debeant (« Image d’Ocnus, de ceux qui donnent aux putains ce qu’on doit utiliser plus prudemment »). Évidemment la tapisserie avait besoin d’une inscriptio plus courte, sinon plus polie. Chez Rouille, dans son Ad lectorem, plusieurs espèces de boiseries se prêtent bien à la décoration emblèmatique : mensae (tables), tabulis (tableaux), fulcra (bois de lit). On trouve des panneaux de ce genre qui décorent la cheminée et la frise d’une chambre dans University College à Oxford. Fabriquée en 1575 pour une autre maison d’Oxford, vingttrois sur vingt-huit de ces panneaux copient les emblèmes d’Alciat – par exemple Mutuum auxilium, où on voit l’aveugle qui porte un boiteux sur son dos (fig. 6)3. Ce panneau reproduit, comme la plupart des autres emblèmes dans la boiserie du « Summer Room », l’illustration des éditions de Jean de Tournes avec les gravures de Bernard Salomon qui commençèrent à paraitre en 1547 (fig. 7)4. Mais plusieurs de ces emblèmes remontent à une autre édition d’Alciat, dont celui qui nous montre trois femmes qui jouent aux dés (fig. 8). Jean de Tournes présente cet emblème sans illustration et c’est Plantin qui, dans les éditions qui parurent en 1577 à Anvers, fournit l’inspiration de ce panneau (fig. 9)5. C’est seulement l’épigramme d’Alciat – tiré de l’Anthologia Graeca – qui nous explique que ces trois femmes jouent aux dés pour savoir laquelle mourra la première : celle qui gagne, et croit vivre le plus longtemps, commence à rire, mais elle comprend sa faute quand une tuile tombe et la tue. La morale est qu’on ne sait jamais quand la chance nous abandonnera – Semper praesto esse infortunia. Une autre cheminée anglaise qui nous montre l’utilisation d’emblèmes se trouve dans une maison de la ville de Saffron Walden (Essex), qui appartenait au père de l’écrivain Gabriel Harvey, ami d’Edmund Spenser (fig. 10). Le père de Harvey était lui-même cordier et il n’est donc pas difficile d’imaginer la raison qu’il eut d’insérer dans sa cheminée l’emblème d’Ocnus, que nous avons déjà relevé dans la tapisserie de Hatfield House. Il me semble qu’on ne peut pas éviter de questionner la prudence d’avoir chez
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Fig. 6 - L’aveugle qui porte le boiteux (détail des panneaux), Summer Room, University College, Oxford. Fig. 7 - Mutuum auxilium (André Alciat, Emblematum libri II, Lyon, Jean de Tournes, 1556, p. 40). University of Glasgow.
Fig. 8 - Trois femmes qui jouent aux dés (détail des panneaux), Summer Room, University College, Oxford. Fig. 9 - Semper praesto esse infortunia (André Alciat, Emblemata, Leiden, Christophe Plantin, 1591, p. 156). University of Glasgow.
Fig. 10 - L’âne qui mange la corde (linteau de cheminée, détail), maison de John Harvey, Saffron Walden, Essex.
Fig. 11 - L’âne qui mange un chardon (linteau de cheminée, détail), maison de John Harvey, Saffron Walden, Essex.
les emblèmes d’alciat dans les arts décoratifs
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soi l’image avec cette morale concernant la folie de donner ses biens aux putains. Je suppose que madame Harvey n’a jamais demandé ce qu’Alciat signifiait dans cet emblème, et – comme l’a noté Peter Daly – la cheminée a changé d’inscriptio : non plus De iis qui meretricibus donant (« Sur ceux qui donnent aux putains »), mais Nec aliis nec nobis (« Ni pour les autres, ni pour nous »)6. Cette inscriptio est applicable à un autre emblème sur cette cheminée (fig. 11). Je vous prie de m’excuser de vous présenter tant d’images d’ânes, mais voici encore l’emblème de l’avare qui porte de riches mets sur son dos, mais qui ne mange que des chardons. C’est un âne écossais sans doute... Ici la nouvelle inscriptio : Aliis et nobis (« Pour d’autres et pour nous-mêmes ») nous signale, semble-il, que les produits de sa machine à filer sont pour tous. Les tissus emblématiques comprennent des tapisseries tissées, comme celles de Hatfield House, et des broderies cousues, comme un lambrequin dans la Burrell Collection de Glasgow qui nous montre le même emblème qu’on a déjà remarqué sur la boiserie d’Oxford et qui figure un aveugle qui porte un boiteux (fig. 12). La recherche des sources ne doit jamais oublier la nécessité d’identifier l’édition précise, ou du moins la famille d’illustrations, que copiait l’artiste. Ici on peut montrer que la broderie reproduit la gravure de Plantin (fig. 13), et non pas celle de Wechel (fig. 14)7. Dans les éditions de Plantin, le boiteux, sur les épaules de l’autre, a perdu sa béquille et indique la route, tandis que l’aveugle qui le porte a perdu son orgue de barbarie – dans les éditions de Wechel, l’orgue est attaché à sa ceinture. Un autre détail de la même broderie nous montre encore une fois les trois femmes qui jouent aux dés. On les a déjà vues dans les panneaux d’Oxford, mais maintenant on les voit dehors dans un jardin (fig. 15). On a peine à reconnaître dans cette image la gravure d’un emblème jusqu’à ce qu’on découvre sa source, qui remonte à Alciat : Semper praesto esse infortunia (« Le malheur est toujours à coté ») (fig. 9). Nous pourrons bien nous demander pourquoi l’artiste brodeur a transporté cette fois la table au dehors, car aussitôt qu’on place ces belles dames dans un jardin, on perd la possibilité de moraliser sur les périls de la toiture : sans toiture, la morale de cet emblème disparaît. L’image sur ce lambrequin est assimilée aux autres images rurales qui n’ont aucune signification, aucune source emblématique, semble-t-il8. On trouve partout des emblèmes dans la maçonnerie, dans le plâtre, et dans le stuc. Le plafond à caissons de la galerie du château de Dampierre-sur-Boutonne (CharenteMaritime) fut construit vers 1550 pour François de Clermont – le château devint célèbre
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P. M. Daly, « England and the Emblem » (note 3), p. 14. Pour une enquête plus approfondie voir Peter M. Daly et Bari Hooper, « John Harvey’s Carved Mantle-piece (ca. 1570) : An Early Instance of the Use of Alciato Emblems in England » in P. M. Daly (dir.), Andrea Alciato and the Emblem Tradition: Essays in Honor of Virginia Woods Callahan, New York, 1989, p. 177-204. Liz Arthur, Embroidery 1600-1700 at the Burrell Collection, London, 1995, p. 35-36, fig. 17-18 ; Arthur identifie Whitney comme source des deux emblèmes dans la broderie Burrell, mais Whitney a utilisé les gravures de Plantin, donc on ne peut pas distinguer si la broderie copiait une source anglaise ou néerlandaise. On peut néanmoins reconnaitre que, dans quelques illustrations de l’emblème Tandem iustitia obtinet, les trois dames s’assoient en plein air à côté d’une maison dont le toit pourrait bien leur faire mal, par exemple dans l’édition de Sigismund Feyerabend, Frankfurt, 1567, p. 118.
Fig. 12 - L’aveugle qui porte le boiteux (détail d’une tapisserie), Burrell Collection, Glasgow.
Fig. 13 - Mutuum auxilium (André Alciat, Emblemata, Leiden, Christophe Plantin, 1591, p. 192). University of Glasgow.
Fig. 14 - Mutuum auxilium (Alciat, Emblematum libellus, Paris, Chrestien Wechel, 1542, p. 60) University of Glasgow.
Fig. 15 - Femmes qui jouent (détail d’une tapisserie), Burrell Collection, Glasgow.
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Fulcanelli (pseud.), Les Demeures philosophales et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’art sacré et l’ésotérisme du grand œuvre, Paris, 1930. Maria Antonietta De Angelis, « Emblems and Devices on a Ceiling in the Château of Dampierre-surBoutonne », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 46, 1983, p. 221-228, ill. 32-35. Le cycle d’emblèmes de Magdenau est reproduit dans deux calendriers de 1999 et 2000 imprimés pour Werner Vogler à Saint-Gall avec son commentaire ; je suis extrêmement reconnaissant à feu le Dr. Vogler de me les avoir très gentiment offerts. Dieter Bitterli, Der Bilderhimmel von Hergiswald, Basel, 1997. Michael Bath, Renaissance Decorative Painting in Scotland, Edinburgh, 2003.
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plus tard pour son rôle de bastion catholique contre les huguenots (fig. 16). L’idée que tous ces emblèmes sont d’origine alchimique a été proposée en 1930 par un fantaisiste nommé Fulcanelli9, mais la découverte que presque tous ces motifs ont des sources plus ou moins proches dans les livres d’emblèmes – Alciat y compris – mit fin à cette prétention10. Parmi ces caissons , on voit l’emblème : Tandem iustitia obtinet (« Enfin arrive la justice ») (fig. 17). Son épigramme nous explique que nous voyons le tombeau d’Ajax, avec l’armure d’Achille. L’assemblée grecque, nous dit-il, attribua l’armure à Ulysse l’éloquent et non à Ajax le courageux, qui se suicida devant ce déshonneur. Mais les dieux l’estimaient mieux et firent flotter sur les vagues le bouclier célèbre d’Achille jusqu’à la côte ou Ajax était enterré. C’est comme cela que les dieux assurent que justice est faite – Tandem iustitia obtinet. On se demande si les successeurs de François de Clermont à Dampierre connaissaient assez l’histoire homérique pour interpréter l’emblème et son inscriptio sur le plafond. Cependant l’intérêt en ce qui concerne cette histoire pour les propriétaires est indiqué par un autre emblème qui se trouve à côté sur le même plafond (fig. 16). Celui-ci nous montre la Vertu qui s’arrache les cheveux en se lamentant sur la mort d’Ajax, le même héros mésestimé qui se tua après que les Grecs eurent donné les armes d’Achille à son rival, Ulysse (fig. 18). On ne s’attend pas à trouver des emblèmes profanes d’Alciat parmi les nombreux exemples d’emblemata sacra, mais dans le couvent cistercien de Magdenau, dans le canton suisse de Saint-Gall, on trouve un cycle d’emblèmes très originaux, dont cependant au moins un exemplaire remonte à celui d’Alciat intitulé A minimis quoque timendum (« On doit craindre même les plus petits adversaires ») (fig. 19-20). Cet emblème figure le petit scarabée qui se cache dans les plumes de l’aigle pour gagner son nid où il lui mangera ses œufs. Comment, du dix-septième siècle, les religieuses de Magdenau interprétaient-elles l’application de cette morale à leur vie spirituelle, cela reste incertain11. Le premier de ces emblèmes, peint dans le vestibule de la maison des hôtes du couvent, est marqué Anno 1656 avec le mot Privati nihil habet illa domus et l’image d’une ruche : cet emblème original semble conçu pour faire bon accueil aux hôtes. L’identité de l’artiste n’est pas connue, mais il serait raisonnable d’associer ce cycle avec l’œuvre bien connue de Kaspar Meglinger à Hergiswald, sur laquelle Dieter Bitterli a fait une très belle étude12. Mais le plafond peint à Hergiswald reproduit aussi des emblèmes créés par Paolo Aresi et Jacobus Typotius, et là rien ne remonte à l’œuvre d’Alciat. L’utilisation d’emblèmes dans les plafonds peints est quelque chose qu’on trouve aussi dans la peinture décorative de la Renaissance en Écosse13. Un exemple du château de Rossend à Burntisland (Fife) utilise les devises de Paradin et les emblèmes d’Alciat, entremêlés avec des détails choisis des gravures décoratives et grotesques de Hans Vredeman de Vries. Les
Fig. 16 - Galerie du château de Dampierre-sur-Boutonne, Charente-Maritime. Fig. 17 - Tandem iustitia obtinet (André Alciat, Emblematum libellus, Paris, Chrestien Wechel, 1542, p. 92). University of Glasgow. Fig. 18 - In victoriam dolo partam (André Alciat, Emblematum libellus, Paris, Chrestien Wechel, 1542, p. 34). University of Glasgow.
Fig. 19 - A minimis timendum, Vestibule de la Maison des Hôtes, Couvent de Magdenau, Saint-Gall. Fig. 20 - A minimis quoque timendum (André Alciat, Emblematum libri II, Lyon, Sebastian Stockhamer, 1556, p. 92). University of Glasgow.
Fig. 21 - Détail du plafond peint, Château de Rossend, Fife. Fig. 22 - Virtuti fortuna comes (André Alciat, Emblematum libellus, Paris, Chrestien Wechel, 1542, p. 52). University of Glasgow.
les emblèmes d’alciat dans les arts décoratifs
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images emblématiques se trouvent alignées entre les rangs de solives sur le plafond, et cette mode du plafond à poutres et à solives peintes fut nommé assez récemment par Alexandre Gady « plafond à la française»14. Inconnue en Angleterre, cette mode de décoration signale les liens culturels étroits existant à l’époque entre la France et l’Écosse. Sans inscriptions, il est impossible de savoir si les emblèmes de Rossend transportent sur le plafond la fonction moralisante qu’ils avaient dans leurs sources, mais avec les treize détails qui renvoient à Paradin – et un, tout seul, qui remonte à Gabriele Simeoni –, on en voit deux qui ont Alciat pour source : Virtuti fortuna comes (fig. 21-22) et In eum qui sibi damnum apparat (fig. 23-24). Virtuti fortuna comes (« La fortune compagne de la vertu »), un des emblèmes les plus célèbres d’Alciat, figure le caducée de Mercure entrelacé de deux serpents affrontés, et une corne d’abondance. La corne d’abondance, attribut de la bonne fortune, est donc liée avec le caducée, attribut de Mercure, dieu d’éloquence et de sapientia, et les deux serpents, dont un masculin et une féminin avec les bouches qui se baisent et les queues entrelacées, symbolisent, dans la description de Macrobe, la paix et la concorde15. In eum qui sibi damnum apparat (« Sur celui qui attire la destruction sur lui-même ») nous montre une chèvre qui nourrit un louveteau qui, devenu grand, va aussitôt dévorer sa mère adoptive. Sur un plafond peint à Culross Palace (Fife) en Écosse, tous les emblèmes sont adaptés de ceux de Whitney, dont quelques-uns ont Alciat pour origine16. On sait que c’est Whitney et non Alciat, parce que chaque emblème peint contient deux vers tirés de son épigramme anglaise. Pietas filiorum in parentes nous montre Énée qui porte son père sur ses épaules en fuyant l’incendie de la ville de Troie (fig. 25-26), emblème dont la morale est comprise dans les vers extraits de l’épigramme : « Their children shall with godliness and piety proceed, / To reverence their parents and help them when they need ». Avec à la fois l’inscriptio et la subscriptio ensemble, il est certain que le dessinateur du plafond de Culross voulait retenir la fonction moralisante de ces emblèmes. Une application finale de l’emblème dans les arts décoratifs – application dont Rouille ne fait pas mention dans son avis Ad lectorem – peut être observée sur les tranchoirs de bois qu’on employait pour servir les fruits ou le fromage à la fin du repas, après quoi on les tournait pour lire ou même discuter la morale17. Au British Museum, on en trouve un qui utilise encore une fois l’emblème Mutuum auxilium (fig. 27). L’inclusion de tant de mots écrits accompagnant l’image de l’aveugle qui porte le boiteux sur ses épaules nous assure que cette application préserve entièrement la fonction significative de l’emblème. Et cette fois, par comparaison avec les autres exemples de cet emblème dans les arts décoratifs qu’on a signalés dans cette communication, on voit que l’artiste a employé la variante des éditions de Wechel (fig. 14), où le boiteux porte toujours son soutien et où l’aveugle tient également son orgue de barbarie.
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Alexandre Gady, « Poutres et solives peintes. Le plafond ‘à la française’ », Revue de l’art, 122, 1988, p. 9-20. Voir l'étude de Stéphane Rolet dans ce volume et le commentaire de Mino Gabriele (éd.), dans Andrea Alciato, Il libro degli Emblemi : secondo le edizioni del 1531 e del 1534, Milan, 2009, p. 123-124. M. Bath, Renaissance Decorative Painting in Scotland (note 13), p. 57-77. M. Bath, « Emblems from Alciato in Jacobean Trencher Decorations », Emblematica, 8, 1994, p. 359-370.
Fig. 23 - Détail du plafond peint, Château de Rossend, Fife. Fig. 24 - In eum qui sibi damnum apparat (André Alciat, Emblematum libellus, Paris, Chrestien Wechel, 1542, p. 202). University of Glasgow.
Fig. 25 - Pietas filiorum in parentes (détail du plafond peint), The Palace, Culross, Fife. Cliché auteur.
Fig. 26 - Pietas filiorum in parentes (Geoffrey Whitney, Emblemes, Leiden, Francis Raphelengius pour Christophe Plantin, 1586, p. 163). University of Glasgow.
Fig. 27 - Mutuum auxilium (tranchoir en bois). Londres, British Museum.
cinquième partie
Alciatus tralatus : le voyage européen des Emblemata
Visualizzazione mnemonica negli Emblemi di Alciato* Mino Gabriele - Università di Udine
Questo contributo vuole riflettere ancora sul tema della visualizzazione negli emblemi alciatei, già discusso in un mio precedente lavoro1, e considerarne le valenze mnemoniche2. Riassumo la questione secondo i principali argomenti. Com’è noto la tipologia canonica dell’emblema, così come si afferma dopo l’edizione del 1531 degli Emblemata, è tripartita3: titolo, immagine e poesia, cioè inscriptio (succinta intestazione ovvero motto che dichiara il soggetto, tema o concetto dell’emblema), pictura o res picta (visualizzazione del soggetto) e subscriptio (descrizione in versi del soggetto: un sonetto, un epigramma di varia lunghezza). Il punto di partenza di questo studiato insieme di verba/imagines è l’epigramma ecfrastico. Infatti, a quanto sappiamo, i primi Libelli (1522 e 1523?)4 di emblemi erano costituiti da soli componimenti in versi, e anche dopo la diffusione degli Emblemata con incisioni (dall’edizione Steyner del 1531 in poi, ma ricordo che anche in questa occasione troviamo sei epigrammi senza vignette: cc. E4r-v, E5r, F2v-F3r), l’opera, nonostante l’ormai prolifica diffusione delle edizioni illustrate, continuò a essere stampata nel XVI secolo anche senza apparato figurativo. Basti ricordare la pubblicazione – ancora vivente Alciato – dell’Opera omnia del 1548 (Lione), la prima raccolta dei suoi scritti autorizzata, e quelle del 1549 (Basilea), anche questa con il consenso dell’autore e più volte ripubblicata, e del 1571 (Basilea)5. In simili raccolte, gli Emblemata sono inseriti con il solo testo degli epigrammi senza alcuna immagine, dichiarando in tal modo, implicitamente, l’autosufficien-
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Illustrazioni : (numerazione da M. Gabriele [éd.]: Alciato, Il libro degli Emblemi, Milano, Adelphi, 2009) Per tutti gli emblemi citati, si vede l'incisione dell'edizione degli Emblemata da Steyner (Augsburgo, 1531) e da Wechel (Parigi, 1534). Mino Gabriele (éd.): Andrea Alciato, Il libro degli Emblemi, Milano, 2009, p. XXXVII sq.: per la bibliografia dovuta a tutti gli argomenti qui trattati rinvio a questo lavoro citandolo nelle successive note. L’influenza dell’arte della memoria negli emblemi di Alciato è stata opportunamente evidenziata da Ch. W. M. Henebry («Writing with dumb signs: memory, rethoric, and Alciato’s Emblemata», Emblematica, 2, Winter 1996, p 211-244), il quale tuttavia non indaga il rapporto testo/immagine dell’emblema e pone un esame della questione sostanzialmente retorico. Mino Gabriele (éd.): Andrea Alciato, Il libro degli Emblemi (note 1), p. XXXIV. Ibid., p. XVIII sq. Cf. Henry Green, Andrea Alciati and his Books of Emblems, London, 1872, n° 30, 35, 62, 82.
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za di quel lavoro poetico, che poi altri semmai (i vari tipografi/editori) avrebbero potuto, ricevuto il beneplacito dell’autore, corredare con un opportuno apparato iconografico. I soli epigrammi si possono pertanto considerare il nucleo primitivo dell’invenzione degli emblemi. A proposito si ricordi che gli epigrammi che compaiono negli Emblemata, oltre a quelli dovuti alla vena poetica di Alciato, sono in gran parte traduzioni o rifacimenti di componimenti classici. In particolare si riscontrano traduzioni dall’Anthologia Planudea che Alciato aveva già pubblicato nei Selecta epigrammata del 15296 (testo greco con versioni latine di più autori a seguito), ma senza alcun titolo, mentre negli Emblemata le traduzioni sono riproposte svincolate dall’erudito contesto dei Selecta epigrammata e incluse liberamente nel nuovo corpus, e sopratutto ne viene rinnovato il significato, in quanto a ciascun epigramma planudeo o di altro genere, viene ora imposto un titolo o motto sui generis che annuncia e racchiude il concetto cantato dai versi. Il soggetto di questi, così puntualizzato dal titolo, conferisce agli stessi epigrammi una precisa funzione speculativa e significante. L’inserimento del titolo/motto è la novità che trasforma l’ecfrasi poetica dell’epigramma (sia esso una rinnovata versione di Alciato dall’antico sia un suo nuovo componimento) in concetto geroglifico in quanto indirizza e definisce il senso del contenuto di quei determinati versi. L’interrelazione tra il titolo (cha dà significato al simbolismo del concetto) e l’epigramma (che descrive il simbolo) pare riecheggiare la duplice impostazione del testo dei Hieroglyphica di Horapollo (opera fondamentale, insieme all’Hypnerotomachia Poliphili di Francesco Colonna per la genesi degli emblemi alciatei)7, dove ogni geroglifico (nel nesso tra cosa simboleggiata e simbolo) presenta una sorta di intestazione che ne dichiara la cosa simboleggiata (per esempio 2, 116: «quando gli Egizi vogliono significare un uomo che tiene uniti i propri simili»), cui segue il simbolo geroglifico («disegnano una lira perchè mantiene l’accordo dei propri suoni»). Prima dunque l’epigramma, poi il titolo e infine l’immagine. Infatti, dal connubio motto/epigramma (che per Alciato deve rappresentare qualcosa di geroglifico)8 nasce appunto il geroglifico/vignetta, la cui iconografia segue e s’ispira all’ecfrasi lirica, e il cui senso morale o filosofico è dato dal motto: senso che non sempre viene esplicitato dalla medesima ecfrasi. L’immagine o vignetta appare pertanto la naturale conseguenza del rapporto titolo/epigramma, ovvero: il titolo/concetto definisce il significato dell’epigramma/ecfrasi, che a sua volta concorre con la sua descriptio a visualizzare la rappresentazione geroglifica
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Selecta epigrammata graeca latine versa, ex septem epigrammatum Graecorum libris […], recens versa, ab Andrea Alciato, Ottomaro Luscinio, ac Iano Cornario Zuiccaviensi, Basileae, Johann Bebel, 1529. Questo lavoro è un ampliamento degli Epigrammata aliquot Greca veterum elegantissima […] per Joannem Soterem collecta, editi a Colonia nel 1525 e 1528, un’altra edizione apparve a Friburgo nel 1544. Si tratta di due fortunate raccolte di epigrammi scelti dall’Anthologia Planudea, la cui editio princeps (Anthologia epigrammatum graecorum cura Joannis Lascaris) venne stampata a Firenze nel 1494 da Lorenzo Francesco d’Alopa, seguita dall’edizione aldina (Florilegium diversorum epigrammatum in septem libros) del 1503, ristampata nel 1521, e da quella fiorentina di Filippo Giunta del 1519. Vedi anche Jean-Louis Charlet in questo volume. M. Gabriele (éd.): Andrea Alciato, Il libro degli Emblemi (note 1), p. XLIII sq.
Ibid., p. XV-XVII.
9 Ibid., p. XXXVII-XL. 10 Sulla imaginatio e gli Emblemata cf. M. Gabriele (éd.): Andrea Alciato, Il libro degli Emblemi (note 1), p. XXXVII- XXXVIII. 11 Ibid., p. XV-XVII, 135-141. 12 Si tenga presente che al centro delle vignette sta il soggetto iconico, cioè il ‘geroglifico’ emblematico richiesto da Alciato, sovente inserito in uno sfondo naturalistico o architettonico, più o meno anonimo, che serve a conferire primato spaziale e isolamento grafico allo stesso ‘geroglifico’, come vuole l’arte della memoria dell’Ad Herennium, 3, 31: Item commodius est in derelicta, quam in celebri regione locos comparare, propterea quod frequentia et obambulatio hominum conturbat et infirmat imaginum notas, solitudo conservat integras simulacrorum figuras. 13 Basti pensare alla ricercata singolarità e bizzarria delle immagini emblematiche, per esempio: biscia con in bocca un bambino, leoni che tirano un carro, cornacchie che tengono uno scettro, serpe che amoreggia con una murena, uomo con le mani che portano un sasso e delle ali, un elefante sotto un trofeo, l’amuleto con la motacilla, un sovrano che strizza una spugna, una volpe che tiene nelle zampe una machera, un vascello in tempesta, un elmo con delle api, una sfinge, un uomo salvato da uno scudo, un camaleonte, una capra che allatta un lupo, una cicala su una cetra, le vicende di Arione e di Frisso e le altre storie, per non dire dei numerosi riferimenti a figure o eventi mitici, straordinari e fabulosi. 14 Ad Herennium, 3, 35-37 e 38: Scio plerosque Graecos, qui de memoria scripserunt, fecisse, ut multorum verborum imagines conscriberent; cf. “Stupire per ricordare” in M. Gabriele (éd.), L’arte della memoria per figure con il fac-simile dell’Ars memorandi notabilis per figuras evangelistarum (1470), Postfazione di U. Rozzo, Trento, 2006, p. 7-16. 15 Cf. “the world-emblem”, in Peter M. Daly, Literature in the Light of the Emblem, Toronto, 19982, p. 73 sq. 16 La numerazione degli Emblemi riprende quella in M. Gabriele (éd.): Andrea Alciato, Il libro degli Emblemi (note 1).
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dello stesso concetto9. Chiara e semplice la funzionalità di questo meccanismo: l’ecfrasi, che nasce dalla imaginatio o phantasia10 del poeta epigrammista, deve ispirare l’imaginatio o phantasia degli artisti (pittori, orefici e così via) affinché siano in grado di trasformare la visualizzazione per verba (del motto/epigramma) nella concreta visione di un’opera d’arte, ossia, come dice Alciato, in stemmi, distintivi, insegne o decorazioni, in oggetti che siano simili nella loro struttura iconografica, per esempio, alla marca tipografica di Aldo Manuzio (delfino avvolto all’àncora) ed a quella di Johannes Frobenius (colomba su caduceo11). La xilografia, che accompagna il motto e l’epigramma, si può pertanto considerare come il primo prodotto artistico generato dall’invenzione lirica di Alciato. Ma fino a che punto e in che modo l’illustrazione emblematica soddisfa l’esigenza immaginativa che scaturisce dall’ecfrasi dell’epigramma e dal puntuale significato del soggetto stabilito dal titolo. Esaminando il rapporto testo/immagine si constata che l’illustrazione traduce visivamente – rispetto all’intero epigramma – solo alcune parole o frasi in maniera efficace e sintetica12, in una sorta di sineddoche iconica che sorprende per la sua originalità13 (norma propria delle imagines agentes mnemoniche)14, tale da richiamare l’ecfrasi poetica e il sotteso concetto15. Ciò accade sia che si tratti di concisi simboli geroglifici (come nei casi esemplari degli Emblemi I, II, V, VI, VIII, X, XI, XII, XV, XVIII, XIX, XXI, XXIV, XXVI, XXVII, XXX, XXXII, XXXIII, etc.: questo genere iconografico, rispetto alla totalità degli emblemi, è quello senz’altro maggioritario) sia di figurazioni simboliche più articolate (per esempio: negli Emblemi XXXVII. LIX, LXXI, CIV, XCIII, etc.). Ma vediamo alcuni esempi che traggo dall’edizione del 1534, quella rivista dall’autore16: Emblema I – la figura della ‘biscia ducale’ di Milano ricalca il primo verso Exiliens infans sinuosi e faucibus anguis e rinvia al Duca milanese Massimiliano;
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Emblema II – il liuto della vignetta mostra l’inizio del primo verso Hanc citharam […] che introduce liricamente il tema dei Foedera; Emblema III – il gesto del personaggio con il dito sulle labbra dipende dal terzo verso Ergo premat labias, digitoque silentia signet e suggerisce il motto In silentium; Emblema IV – la xilografia con il carro di Antonio tirato da due leoni interpreta il terzo verso inscendit currus victor iunxitque leones e rimanda al motto Etiam ferocissimos domari; Emblema V – qui la figura con la cicogna che si prende cura del genitore manifesta l’ultimo verso Corpora fert humeris, praestat et ore cibos e il concetto Gratiam referendam; Emblema VI (fig. 1-2) – l’incisione con due cornacchie affrontate che reggono uno scettro bene illustra il terzo verso Hinc volucres haec sceptra gerunt... ed evoca la Concordia; Emblema VII – la vignetta con Amore invito auriga rappresenta i primi due versi Aspice ut invictus vires auriga leonis / […] Amor e rinvia al motto Potentissimus affectus Amor; Emblema VIII – in questo caso il vessillo taurino traduce i versi terzo e quarto: Depictum Romana phalanx in proelia gestat, / Semiviroque nitent signa superba bove e rievoca l’annesso motto Non vulganda consilia; Emblema XV – perfetta la corrispondenza tra l’immagine del giovane che in una mano porta le ali e nell’altra una pietra e il primo verso: Dextra tenet lapidem, manus altera sustinet alas, ossimoro iconico che sottolinea il concetto del titolo sull’indigenza (il peso della pietra) che frena il volo dell’ingegno (le ali); Emblema XLVII – la scena delle tre fanciulle che consultano le sorti rappresenta, alla lettera, il primo verso e il vocabolo successivo del secondo: Ludebant parili tres olim aetate puellae/ Sortibus e annuncia l’ammonimento del titolo Semper praesto esse infortunia; Emblema LVII – l’immagine con il leone morente e le lepri restituisce il solo ultimo verso e metà del penultimo (sic cassi luce leonis /Convellunt barbam vel timidi lepores) e sollecita il ricordo del motto sulla morte dell’eroe (= Ettore); Emblema XCVII – qui la vignetta di Eros con il proprio geroglifico riprende puntualmente gli ultimi due versi del lungo epigramma (signum / Illius est, nigro punica glans clipeo), inerenti appunto la statua di Amore e la sua insegna geroglifica. Similmente si riscontra nei casi in cui l’immagine deve esibire un’ecfrasi più articolata e complessa, la cui visualizzazione dipende non da un solo verso o poco più, bensì dall’intero epigramma; in questo caso vengono prelevate dal testo solo le parole più funzionali a comporre l’immagine: Emblema XVI – l’Occasio è definita figurativamente dai suoi essenziali attributi: ali, velocità, rasoio, ciuffo e nuca calva, corrispondenti alle parole pinnae, rotor, novacula, coma, calva sparse lungo l’epigramma; analogamente, per esempio, accade con gli Emblemi XXIX, LXVII e XCIII rispettivamente descrittivi del pescatore di sarghi, delle statue di Bacco e di Ercole Gallico, etc. Emblema XVII – qui la vignetta presenta un doppio registro narrativo perché deve mostrare l’opera dei due protagonisti della vicenda, cioè Ocno e l’asinella, delineati liricamente nel primo e secondo verso (Ocno) e nel quarto (asinella). Tipologia che ricorre, per esempio, nell’Emblema XX con Ercole e i pigmei, nell’Emblema XXXV, dove i protagonisti sono l’asino, i passanti e lo stalliere, o nell’ Emblema LXII con il sovrano che strizza la
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Ibid., p. 98-100. Ibid., p. 424-425.
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spugna e i condannati sullo sfondo, altrettanto negli Emblemi LIX, LXXI, XCIII, CIV, etc. Inoltre è interessante notare che alcune vignette dell’edizione del 1531 dovute a Steyner cambieranno significativamente iconografia nell’edizione Wechel del 1534, quella corretta e approvata da Alciato, che volle così modificarle per renderle formalmente più aderenti a quanto descritto negli epigrammi e legarle ai verba dei medesimi. Infatti, tali rettifiche o variazioni tra le due serie xilografiche, a un puntuale confronto testo/immagine, dimostrano che la prima, rispetto alla seconda, non è fedele quanto questa all’ecfrasi di riferimento. Dato che attesta, ancora una volta, l’importanza della stretta coniugazione verba/imagines negli emblemi. Di tali cambiamenti (cfr. gli Emblemi VI, XIV, XXIV, XXXIII, LXIV, LXXX) esamino ora alcuni casi esemplari: Emblema VI – nell’edizione Steyner ci sono le cornacchie ma manca lo sceptrum, termine essenziale dell’ecfrasi e del concetto Concordia: il simbolo regale, difatti, compare in quella rivista di Wechel; Emblema XIV (fig. 3-4) – macroscopica differenza tra le due, nella prima l’iconografia deriva dalla Tabula Cebetis17, nella seconda la vignetta traduce il soggetto dell’ecfrasi, cioè colui che siede sulla chenice del primo verso; Emblema XXIV (fig. 5-6) – in Steyner si rappresentano i primi due versi con l’albero della palma che sopporta un grave peso, mentre in Wechel, con l’immagine del giovane che si tiene saldo ai rami, si visualizzano sia i versi dell’epigramma (gli ultimi due) sia il titolo Obdurandum adversus urgentia che il concetto; Emblema XXXIII (fig. 7-8) – nell’illustrazione di Steyner si vede un uccello in volo, immagine generica, mentre in Wechel è mostrato l’amuleto con la motacilla proprio come vuole l’ecfrasi dei versi quattro e cinque dell’epigramma, iconografia che evoca pure i poteri incantatori ed erotici annunciati dal motto Inviolabiles telo Cupidinis, non certo comprensibili o intuibili dalla prima iconografia; Emblema LXIV (fig. 9-10) – Fetonte che guida il carro eliaco di Steyner, che deriva dal primo verso, è trasformato in Wechel nel giovane temerario che precipita dal carro celeste, raffigurazione che segue il quarto verso, ma che in più concorda e rammenta il titolo e il concetto In temerarios; Emblema LXXX (fig. 11-12) – si noti che qui la vignetta di Steyner non è del tutto errata, semplicemente propone l’elefante tedoforo in base a quanto scrive Svetonio sul trionfo gallico di Giulio Cesare18, per cui si tratta di una scelta grafica in parte attinente a quanto dice l’epigramma, ma non combacia però con i verba dello stesso (nei versi non vi è traccia di fiaccole o candelabri), cosicché in Wechel si provvide a modificare la xilografia, raffigurando un elefante che porta un carro trionfale verso un edificio sacro, ovvero si seguì fedelmente il quarto verso (Caesareos currus ad pia templa vehit), che ricorda il titolo e il concetto Pax dell’epigramma attraverso la pacifica azione dei pachidermi che portano ad pia templa i trionfi cesarei.
visualizzazione mnemonica negli emblemi
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In generale risulta che l’immagine, pur coniugandosi con le parole secondo varie modalità (in base alla discorsività e alla vicenda descritta nell’epigramma), funge sempre da richiamo, da signum evocativo delle parole stesse, in particolare di quelle che primeggiano nella definizione del concetto e lo fanno emergere. Pertanto l’immagine non risolve mai né esprime pienamente l’ecfrasi da cui deriva, bensì si limita a darle un corpo significante, richiamandola con la visualizzandone dei verba essenziali che la caratterizzano: puntuale collegamento che permette anche di rammentare il motto e soprattutto il contenuto etico o filosofico dell’Emblema nel suo insieme. Una simile correlazione tra parole e immagine tende a una espressività d’impatto evocativo e mnemonico, ossia a una tipologia eloquente e sintetica insieme, propria dei contrassegni distintivi, delle marche tipografiche e editoriali come alle imprese, dei versi delle medaglie antiche e delle gemme incise19. Inoltre l’immagine/geroglifico, materializzando graficamente e simbolicamente alcune parole dell’epigramma, diviene inevitabilmente il legame visivo/memorativo tra il discorso ecfrastico e il concetto emblematico. L’imago, ponendosi come medio mnemonico, fa così ricordare l’intero discorso dell’epigramma e l’annessa valenza concettuale stabilita dal titolo. Con un simile meccanico di visualizzazione, l’Emblematum liber appare come una sequenza di idee figurate, di simboli del pensiero proprio come allora si intendevano i geroglifici20: modus discorsivo che si pone in rapporto con la precedente tradizione verba/imagines con funzione memorativa e immaginale: tradizione21 letteraria e oratoria di ampio respiro storico, diffusa nel mondo classico come nel Medioevo e nel Rinascimento, e che l’erudito Alciato, ammiratore di Cicerone com’era22, certamente non ignorava.
19 Cf. Ibid., p. 53, 55-57, 60-61, 93, 114-115, 124, 138-139, 170, 206, 221, 241. 20 Ibid., p. XLIII sq. 21 Cf. Giancarlo Innocenti, L’immagine significante. Studio sull’emblematica cinquecentesca, Padova, 1981, p. 79 sq., 98 sq.; Bruno Roy, Paul Zumthor (éd.): Jeux de mémoire, Montréal-Paris, 1985; Lina Bolzoni, La stanza della memoria, Torino, 1995, p. 187 sq.; Mary Carruthers, The Craft of Thought: Meditation, Rhetoric, and the Making of Images, 400-1200, Cambridge, 1998; Susanne Rischpler, Biblia Sacra figuris expressa. Mnemotechnische Bilderbibeln des 15. Jahrhunderts, Wiesbaden, 2001, p. 76 sq.; M. Gabriele (éd.), L’arte della memoria per figure (note 14), p. 7-60; Ruth Webb, Ekphrasis, Imagination and Persuasion in Ancient Rhetorical Theory and Practice, Burlington, 2009; M. Gabriele, Furiose imprese e ars memoriae, dans Mélanges en l’honneur de Franco Giacone, Paris, à paraître. 22 Gian Luigi Barni (éd.), Le lettere di Andrea Alciato, Firenze, 1953, n° 42, 62, 152, 153, 156, 163, app. 118.
Fig. 1-2 - Emblema VI, Concordia, 1531 et 1534. Glasgow University Library.
Fig. 3-4 - Emblema XIV, Desidiam abiciendam, 1531 et 1534. Glasgow University Library.
Fig. 5-6 - Emblema XXIV, Obdurandum adversus urgentia, 1531 et 1534.
Fig. 7-8 - Emblema XXXIII, Inviolabiles telo Cupidinis, 1531 et 1534.
Fig. 9-10 - Emblema LXIV, A minimis quoque timendum, 1531 et 1534.
Fig. 11-12 - Emblema LXXX, Pax, 1531 et 1534.
alciat gaulois ou Hercules triplex David Graham - Concordia University, Montréal
Cherchant à rendre compte des raisons qui ont sous-tendu l’échec de l’entreprise analytique si vigoureusement menée par Claude-François Ménestrier et ses contemporains, Daniel Russell s’est demandé, il y a vingt-cinq ans, « why […] reasonably intelligent men like Ménestrier […] should persist with unflagging energy and enthusiasm for nearly 150 years along a path that could apparently never lead them to a satisfactory answer to their questions about the nature of the emblematic forms »1. La présente étude tentera de situer ce jugement dans l’histoire de l’emblème – et de la théorie de l’emblème – en France. Cette histoire, celle d’« Alciat gaulois », met en scène trois personnages herculéens. Ceux-ci ont eu chacun un rôle unique et déterminant à jouer dans l’évolution de l’emblème en France. Parler d’« évolution », ce n’est en aucune façon déformer l’histoire de l’emblème par une analogie défectueuse. Comme les genres et les espèces d’êtres vivants, les genres littéraires et artistiques subissent bel et bien les effets de l’évolution : les mutations dues au hasard aussi bien que les adaptations aux conditions ambiantes produisent, avec le passage du temps, de multiples changements non seulement formelles mais fondamentales qui façonnent l’avenir du genre. Une des remarquables particularités de l’emblème en tant qu’espèce, c’est que malgré les incertitudes qui entourent ses antécédents, il est néanmoins possible de fixer son origine avec une précision inaccoutumée dans le royaume de l’histoire littéraire. La parution en 1531 chez l’imprimeur d’Augsbourg Heinrich Steyner du Liber Emblematum d’Alciat marque en effet le terminus a quo du genre emblématique2. Dès la première édition fournie par Steyner, l’on trouve en effet déjà réunis tous les éléments que nous continuons aujourd’hui à associer à l’emblème : composition tripartite (emblema triplex), présence de textes et d’images en complémentarité, nécessité d’une lecture itérative pour dégager d’une composition souvent énigmatique la leçon préconisée par l’auteur, et ainsi de suite. L’évolution de l’emblème en Europe au cours des xvie et xviie siècles, à partir de cette origine bien définie, a tout de même de quoi étonner encore aujourd’hui, car les débuts du genre ne permettaient en aucune façon de prévoir un foisonnement aussi remarquable, ni une taxinomie aussi compliquée.
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Daniel Russell, The Emblem and Device in France, Lexington, KY, 1985, p. 161. Voir .
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Si l’emblème a vu le jour, s’il s’est répandu en Europe avec une telle rapidité, c’est surtout grâce aux efforts d’Alciat, véritable Hercule créateur. Les premières tentatives « scientifiques » de créer une taxinomie systématique de l’emblème, nous les devons à Claude-François Ménestrier, dont les remarquables travaux en vue de la systématisation de l’emblème peuvent à juste titre être qualifiés eux aussi d’herculéens. Notre compréhension actuelle du statut de l’emblème français, nous la devons pourtant à Daniel Russell, dont les travaux de synthèse ont permis de le situer dans un contexte à la fois théorique et empirique et pour la première fois ont rendu compte de sa complexité et de sa spécificité. L’histoire d’Alciat en France, d’« Alciat gaulois », est donc celle d’Hercule triplex. Il importe bien entendu de ne jamais sous-estimer le rôle d’Alciat lui-même dans l’expansion typographique, culturelle et géographique de l’emblème en Europe dès ses origines. Sa réaction fort négative devant les premières éditions de Steyner est bien connue ; les premières éditions à être autorisées et surveillées de près par lui – celles de Chrétien Wechel en 1534 et en 1536 – témoignent du soin méticuleux qu’il apporta par la suite à vérifier les moindres détails de la présentation. Une étude rapide de l’évolution d’un seul emblème consacré à l’image de l’Hercule gaulois, Eloquentia fortitudine praestantior, permet de rendre compte du foisonnement formel et intellectuel qui, de bonne heure, a caractérisé l’évolution de l’emblème français. Emblème de l’emblème, cette image récursive, réfléchie sur et par elle-même, nous oblige à évaluer autrement l’expansion impériale du genre emblématique dans le contexte socioculturel, intellectuel, économique, et politico-religieux de l’Europe entre les débuts de l’emblème et le milieu du xvie siècle. Il nous permet également de rapprocher le créateur de l’emblème de sa propre création, car Alciat, nul n’en doutera, accomplit en effet un véritable travail d’Hercule en effectuant la création du genre emblématique. Dès la parution du Champ Fleury de Geoffroy Tory en 1529, l’identification d’Hercule comme champion de l’éloquence français n’a plus fait de doute3. Reproduisant une anecdote de Lucien déjà bien connue, Tory fait d’Hercule le héros de la parole dorée, dont la langue percée signifie sa capacité de tirer la foule après lui : « Et pource nous François avons cette opinion en somme, que quelconque chose que Hercules face, il le fait par sa facondité et beau langage, Comme ung homme saige qui sçait persuader en soubzmetant a luy ce quil veult4. » Cet avis fut en effet assimilé par l’imagination collective, à tel point que
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La littérature sur les avatars d’Hercule dans la littérature française et européenne est évidemment vaste. La référence incontournable sur Hercule en général, et sur l’Hercule gaulois en particulier, demeure Marc-René Jung, Hercule dans la littérature française du xvie siècle : de l’Hercule courtois à l’Hercule baroque, Genève, 1966. Sur le rôle qu’a joué Hercule dans les livres d’emblèmes, voir Ayers L. Bagley, « Hercules in Emblem Books and Schools », in A. Bagley, E. M. Griffin et A. J. McLean (dir.), The Telling Image: Explorations in the Emblem, AMS Studies in the Emblem, 12, New York, 1996, p. 69-95. Sur les avatars d’Hercule dans l’emblème français, voir David Graham, « Hércules dominado : La ironía y el héroe en los libros de emblemas españoles y franceses », in A. Bernat Vistarini et J. T. Cull (dir.), Los días del Alción: Emblemas, Literatura y Arte del Siglo de Oro, Estudios Medio Maravedí. Madrid, José J. Olañeta, Edicions UIB & College of the Holy Cross, 2002, p. 331-341. Geoffroy Tory, Champ Fleury : Auquel est contenu Lart et Science de la deue et vraye Proportion des Lettres Attiques, quon dit autrement Lettres Antiques, et vulgairement Lettres Romaines proportionnees
Invité il y a vingt-deux ans, je crois, dans cette ville [de Bourges], celui-ci enseigna le Droit Civil pendant cinq ans entiers, de façon à démontrer que la science du Droit n’était pas incompatible avec les Lettres plus élégantes (persuader qui que ce fût de cela, auparavant, était chose presque impossible). Nous le devons donc à Alciat, parce que, même si, en formant la jeunesse, il se bornait à examiner certaines petites questions qui étaient plus futiles que subtiles, néanmoins ce fut lui, le premier de tous, à inspirer l’esprit des jeunes de façon à les pousser vers cette combinaison de l’élégance avec la Jurisprudence, en provoquant l’horreur et l’indignation de beaucoup de gens. Ce fut lui le premier à attirer la plupart des hommes de talent lettrés, à l’étude du Droit Civil, hommes qui reculaient devant cette étude, soit parce qu’ils désespéraient de la possibilité de la combiner avec les belles-lettres, soit qu’ils pensaient que cette combinaison serait trop controversée7.
Il n’est donc pas étonnant de constater que c’est Alciat lui-même qui, plus que tout autre humaniste, contribua à répandre en France et ailleurs l’image de l’Hercule gaulois : Perhaps the most important popularizer of the Hercules Gallicus in the Renaissance both in picture and word was Alciati’s Emblemata, which contained a woodcut representing the god chained to his subjects and bore the inscription ‘Eloquentia fortitudine praestantio’. The accompanying verses extolled Hercules as an outstanding example of the Renaissance ideal of eloquence8.
L’emblème Eloquentia fortitudine praestantior fournit en effet un bel exemple de l’évolution de l’emblème français à partir du modèle « classique » imposé par Alciat dès les origines. Alciat lui-même s’inspire visiblement du récit de Lucien, qu’il a pu lire en grec, dans la ver-
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selon le Corps et Visage humain, Paris, Geoffroy Tory, 1529, c. Biii. Les querelles intellectuelles sont bien entendu fréquentes à son époque comme à la nôtre. Sur l’implication d’Alciat lui-même, voir son emblème In detractores, par exemple dans l’édition de 1584 : . Alciat lui-même ne fut pas exempt de la tentation de médire ; voir par exemple les satires qu’il dirigea contre son maître Giovanni Vincenzo Biffi, textes de jeunesse récemment publiés par Denis Drysdall : « Andrea Alciato, In Bifum [Milan ? 1506/7 ?] », in Emblematica, 19, 2011, p. 241-69. Élève d’Alciat, Douaren (ou Le Douaren) fut lui-même juriste et professeur. Voir l’essai de G. Hugo Tucker dans ce volume. F. Le Douaren, Oratio Francisci Duareni recitata in cooptatione D. Nicolai Buguerii, Anno 1551, Die 15 Decemb., in id., Omnia[…] opera, Francfort, hæred. A. Wecheli, Cl. Marnius, et Io. Aubrius, 1592, p. 1115 (trad. G. Hugo Tucker, citée dans le présent volume p. 315) : Is, annis ab hinc, opinor, duobus & viginti, accitus in hanc civitatem, toto quinquennio ita Ius civile docuit, ut facile demonstraret (quod antè vix cuiquam persuaderi poterat) eius Iuris scientiam à literis elegantioribus non abhorrere. Alciato igitur hoc debemus, quòd, etsi iuventutem instituendo, in minutis quibusdam, & futilibus magis, quàm subtilibus, quæstiunculis nimium hæserit: tamen primus omnium, animos iuvenum ad hanc elegantiæ cum iurispridentia coniunctionem excitavit, frementibus non paucis, atque indignantibus, & plerosque viros ingeniosos, ac literatos, ad Iuris civilis studium accendit: qui ab eo proptereà refugiebant, quòd aut desperarent, cum bonis literis id coniungi posse, aut eam coniunctionem nimis invidiosam fore putarent. Robert E. Hallowell, « Ronsard and the Gallic Hercules Myth », Studies in the Renaissance, 9, 1962, p. 242-55.
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l’image de l’Hercule gaulois, champion de l’éloquence française, s’est rapidement répandue en France comme ailleurs. Cette image s’applique merveilleusement à Alciat lui-même. Personnage parfois contesté en son temps5, Alciat fut en effet l’objet des louanges de François Douaren6 en tant que champion de l’éloquence et de la force :
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sion latine qu’en fournit Érasme dès 1509, ou bien chez Geoffroy Tory qui avait reproduit dans Champ Fleury, vingt ans plus tard, la traduction d’Érasme, ainsi qu’une traduction française qu’il avait lui-même composée. Eloquentia fortitudine praestantior nous brosse un portrait d’un Hercule gaulois capable d'attirer et de mener le peuple par la simple force de son éloquence ; le lecteur est prié de savoir : Que mener gens enchainez a sa langue
Entendre veult, quil feist tant bien harengue,
Que les Francois pour ses dits de merveilles,
Furent ainsi que pris par les oreilles9.
Un rapide survol des éditions d’Alciat lui-même suffit à démontrer la rapidité avec laquelle les structures de l’emblème commencèrent à se diversifier ; retracer l’évolution du seul emblème Eloquentia fortitudine praestantior, c’est se rendre compte en effet de l’étonnant foisonnement des structures et des formes qui transforma les emblèmes d’Alciat au fur et à mesure des éditions10. Dans les premières éditions de Steyner, qu’il s’agisse des deux premiers états publiés respectivement en février et en avril 1531, ou de la deuxième édition parue en 1534, la présentation est d’une grande simplicité : titres, bois et textes se succèdent sans le moindre effort pour séparer les emblèmes autrement que par la typographie des titres11. La mise en page du bois gravé est des plus dépouillées : aucun rinceau, aucun ornement n’accompagnent ces bois d’un dessin et d’une exécution extrêmement simples, pour ne pas dire naïfs. Dès les premières éditions surveillées et autorisées par Alciat lui-même, c’est-à-dire celles de l’imprimeur parisien Chrétien Wechel en 1534 et en 1536, plusieurs changements apparaissent néanmoins. L’on y remarque une mise en page plus rigoureuse : chaque inscriptio est placée en haut de la page, et la figure et les vers sont disposés sur le reste de la page. L’emblème acquiert ainsi un statut individuel, typographiquement distinct, au lieu de faire partie d’une suite ininterrompue de textes. Les bois d’accompagnement sont bien plus sophistiqués : plus grands, ils ont manifestement été gravés pour accompagner les textes12 et sont d’une exécution beaucoup plus fine que ceux imprimés par Steyner13.
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11 12 13
André Alciat, Livret des Emblemes,
Paris,
Chrétien Wechel, 1536 : Eloquentia fortitudine praestantior ; voir . Voir à ce sujet David Graham, « Emblema multiplex: Towards a typology of emblematic forms, structures and functions », in P. M. Daly (dir.), Emblem Scholarship: Directions and Developments. A Tribute to Gabriel Hornstein, Turnhout, 2005, p. 131-158 ; et Sabine Mödersheim, « The Emblem in the Context of Architecture », ibid., p. 159-175. Les notes relatives aux emblèmes d’Alciat renvoient, sauf exception, au site emblématique de Glasgow, Alciato at Glasgow, où l’on trouve une vingtaine d’éditions des emblèmes d’Alciat. Voir par exemple : ; . L’on sait que plusieurs des bois dans les éditions de Steyner sont en contradiction avec le texte. Pour l’Emblematum libellus de 1534, voir : .
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Comme le signalent les éditeurs du site de Glasgow, il est sans doute inexact de parler de « traductions » dans le cas de ces éditions comme dans celui de l’édition de 1542, où paraît pour la première fois le texte allemand de Wolfgang Hunger : « We are in fact perhaps wrong to speak in terms of translation here; we are dealing rather with a distinct French version, not least because in the vast majority of cases Lefevre chooses to fit his text into a huitain, eight octosyllabic lines, irrespective of the length of Alciato’s Latin original. Thus sometimes he has to expand the original and sometimes reduce it ». Pour ce jugement, voir : Pour les versions de Hunger, voir : http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/alciato/facsimile.php?id=sm26_ N7v ; . Dans la grande majorité des cas, comme Lefevre, Hunger réduit le texte latin d’Alciat à un huitain en vers octosyllabes, ce qui l’oblige parfois à rallonger, parfois à écourter le texte du jurisconsulte de Bourges. Voir pour le texte latin. Voir . Voir ; . Le total des emblèmes dépasse de loin celui des premières éditions parisiennes, pour atteindre 201 en 1548 et 211 deux ans plus tard, total définitif si l’on fait exception de l’emblème « obscène » « Adversus naturam peccantes ». Voir sur ce point la brève description très utile de ces éditions : . Voir plus loin, note 22.
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Dès l’édition de 1536 apparaît la première traduction vernaculaire14, celle de Jean Lefevre15, imprimée sur le recto des feuillets en face du bois et du texte latin. Il est important de constater que la présence de la traduction oblige Wechel à imposer certaines modifications à la présentation du texte : là où, dans l’édition de 1534, apparaissaient en titres courants le nom de l’auteur (au verso) et le titre de l’ouvrage (au recto), dans les éditions de 1536 et de 1539 l’imprimeur se voit obligé de réduire les deux à des abréviations au verso afin de les contenir en un seul titre courant (« and. alci. emble. lib. »), afin de pouvoir inscrire sur la page de droite un nouveau titre courant qui enregistre l’existence de la traduction publiée sur la même page : « Livret des Emblemes de Andre Alciat16 ». Pour la première fois en 1539 apparaissent les numéros des pages. Dans la cinquième édition de Lefevre, publiée en 1542, la présentation est sensiblement identique, mais l’on remarque désormais que non seulement les pages mais les emblèmes sont numérotés17. Les éditions lyonnaises publiées chez Guillaume Rouille à partir de 1548 (en latin) et 1549 (en français) font apparaître de nouvelles modifications importantes. Les emblèmes, désormais plus nombreux18, ne sont pas tous illustrés dès les premières éditions, sans doute parce que la nouvelle séries de bois gravés par Pierre Eskrich n’était pas encore terminée au moment des premières parutions19, mais l’imprimeur entoure ceux qui le sont d’un élégant cartouche ornemental. Une nouvelle version française de Barthélemy Aneau, qui sera luimême auteur quelques années plus tard d’un livre d’emblèmes publié simultanément en latin et en français20, paraît seule en 1549, sans texte latin, signe de la vulgarisation progressive des livres d’emblèmes. Deux modifications remarquables concernent non seulement la présentation des emblèmes mais un nouvel effort d’interprétation de la part de l’éditeur. Ce sont respectivement le classement des emblèmes par Aneau en catégories et la présence, pour la première fois, d’un commentaire en prose qui sert d’accompagnement à chaque emblème.
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Rouille ne fut bien entendu pas le seul imprimeur lyonnais à publier les emblèmes d’Alciat ; les multiples éditions des Jean de Tournes sont bien connues. Celle parue en 1556 contient pour la première fois un commentaire latin étendu sur chaque emblème par Sébastien Stockhamer, commentaire en prose qui dépasse le plus souvent une page en longueur, et qui renvoie le lecteur aux sources classiques des emblèmes. Le commentaire, au lieu d’être une simple glose, devient donc pour la première fois une explication volontairement savante, un véritable appareil critique pour ainsi dire, qui lui confère un nouveau statut canonique et l’érige en texte d’autorité, et qui par le fait même relève le statut de l’emblème, désormais jugé digne de ce type de commentaire savant. Ce statut est amplement confirmé par les éditions publiées d’abord chez Christophe Plantin à Anvers à partir de 1581, ensuite (en version pirate) chez Jérôme Marnef, enfin chez Tozzi à Padoue au xviie siècle, où apparaissent les commentaires latins autrement plus volumineux du juriste Claude Mignault. Non seulement donc les parties de l’emblème se multiplient au fil des ans, non seulement le texte latin se double d’une version parallèle en langue vulgaire, non seulement l’emblème commence à s’accompagner d’un commentaire d’abord bref, ensuite de plus en plus étendu : le nombre de traductions vernaculaires croît sans cesse. Trois versions françaises – celle de Lefevre à partir de 1536, celle d’Aneau une dizaine d’années plus tard, puis celle de Mignault aux années 1580 – ne sont que le début d’une série d’éditions dans toutes les langues majeures d’Europe : versions allemandes, espagnoles, néerlandaises, italiennes, et autres se succèdent rapidement dès les premières décennies de la publication des Emblèmes d’Alciat. Dès ses débuts, l’emblème créé par l’Hercule de Bourges est donc bel et bien placé sous le signe de la prolifération à tous les points de vue : structures, formes, langues, présentation typographiques, présence de gloses ou de commentaires. Cette prolifération, loin de se limiter aux seuls emblèmes d’Alciat, a vite fait de gagner ses multiples imitateurs. Dès 1540 paraissent ainsi les premiers livres d’emblèmes rédigés par des auteurs autres que l’Hercule créateur : Guillaume de La Perrière et Gilles Corrozet font paraître en cette année les premiers livres d’emblèmes français. Cette tendance précoce à la vulgarisation emblématique, nous l’avons vu, fait écho à la présence dès 1536 d’une version française imprimée en parallèle avec le texte latin, mais la rédaction d’emblèmes en langue vulgaire deviendra rapidement tout aussi courante que la publication de recueils d’emblèmes latins. C’est dire combien et avec quelle rapidité l’emblème européen, du genre humaniste et savant qu’il était à l’origine, s’est transformé en un genre « bourgeois » directement accessible au nombre rapidement croissant de personnes sachant lire. Ce phénomène de l’imitation vulgarisatrice se double de deux autres phénomènes tout aussi fascinants : la variation formelle radicale et la vulgarisation progressive. Les emblèmes de La Perrière, au lieu de respecter la forme tripartite des emblèmes d’Alciat, n’ont aucune inscriptio ; ceux de Corrozet se présentent sous une forme quadripartite où les trois parties « traditionnelles » de chaque emblème imprimées au verso s’accompagnent d’un commentaire en vers au recto. Ce commentaire est d’une lecture essentielle pour qui souhaite comprendre pleinement le sens de l’emblème ; loin d’être de simples ajouts, les
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Pierre Coustau, Petri Costalii Pegma, cum narrationibus philosophicis; Le Pegme de Pierre Coustau, mis en Francoys par Lanteaume de Romieu Gentilhomme d’Arles, Lyon, Macé Bonhomme, 1555. Barthélemy Aneau, Picta poesis. Ut pictura poesis erit; Imagination poetique, Traduicte en vers François, des Latins, & Grecz, par l’auteur mesme d’iceux. Lyon, Macé Bonhomme, 1552. Hadriani Iunii Medici Emblemata, Ad D. Arnoldum Cobelium. Eiusdem Aenigmatum Libellus, Ad D. Arnoldum Rosenbergum, Anvers, Christophe Plantin, 1565 ; Les Emblesmes Du S. Hadrian Le Jeune Medecin Et Histo-Rien Des Estats De Hollande, Anvers, Christophe Plantin, 1567. Le cas de Boissard est particulièrement intéressant. Auteur dès 1584 d’un premier livre d’emblèmes bilingue (malgré le titre, le recueil contient, outre les textes latins de Boissard, la version française composée par son ami Pierre Joly), il publia un deuxième recueil d’abord en latin, avec ensuite une version française de Joly qui parut deux ans plus tard seulement : Emblemata cum tetrastichis latinis, Metz: Jean Aubry, 1584 ; Jani Iacobi Boissardi Vesuntini Emblematum liber. Ipsa Emblemata ab Auctore delineata: a Theodoro de Bry sculpta, & nunc recens in lucem edita. Frankfurt, 1593 ; Emblemes de I. I. Boissard nouvellement mis de Latin en François, Metz, Abraham Faber, 1595. Emblemata, cum Aliquot Nummis Antiqui Operis, Ioannis Sambuci Tirnaviensis Pannonii, Anvers, Christophe Plantin, 1564 ; Les Emblemes du Seigneur Jehan Sambucus. Traduits de Latin en François, Anvers, Christophe Plantin, 1567. A titre d’exemple, voir Michael Bath dans ce volume et les études suivantes : Judi Loach, « On Words and Walls », in D. Graham (dir.), An Interregnum of the Sign: The Emblematic Age in France. Essays in Honor of Daniel S. Russell, Glasgow Emblem Studies, 6 , 2002, p. 149-170 ; Gerard Kilroy, « Sir Thomas Tresham: His Emblem », Emblematica 18, 2009, p. 149-179 ; Michael Bath, « An Emblematic Embroidery in the Burrell Collection », Emblematica 17, 2009, p. 180-189.
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commentaires de Corrozet s’intègrent donc pleinement à l’emblème dont ils font bel et bien une quatrième partie. Symptôme de l’évolution de l’emblème, la « vulgarisation progressive » se fait remarquer aux alentours de 1550 en France, et peu après dans d’autres pays d’Europe. Pierre Coustau21, Barthélemy Aneau22, Adrien le Jeune (Hadrianus Junius)23, Jean-Jacques Boissard24, et Joannes Sambucus (Zsámboky János)25 publièrent pendant la deuxième moitié du siècle des livres d’emblèmes où paraissaient dès le début et simultanément, ou presque, une édition latine et une édition en langue française. Tout en gardant son statut de récréation humaniste, donc savante, l’emblème s’étend ainsi progressivement mais avec une étonnante rapidité aux milieux bourgeois : cette existence en quelque sorte « bicéphale » est caractéristique de la nature protéenne et multiforme de l’emblème. Polyvalent, s’adaptant à l’envi aux contextes culturels et linguistiques, l’emblème profite de sa propre mutabilité pour proliférer en s’appropriant une foule d’environnements. Outre cette remarquable prolifération structurale et linguistique de l’emblème, l’on remarque au cours de son évolution une tendance à glisser vers d’autres genres jusqu’à parfois se confondre avec eux dans l’esprit du public et de la critique. Ce glissement s’effectue d’abord par l’application de l’emblème dans des contextes autres que celui du livre imprimé. Qu’il s’agisse de l’architecture, de la céramique ou de la verrerie, de la tapisserie, de la peinture murale, de la pierre tombale ou encore du tranchoir, l’emblème ne tarde pas à trouver des applications un peu partout dans les arts décoratifs aux xvie et xviie siècles26. À part cette application de l’emblème aux arts décoratifs et pratiques, il y a lieu d’en souligner un glissement par déformation. Attiré par sa popularité vers d’autres genres, il glisse facilement vers la fable ésopique comme chez Guillaume Guéroult, dont les em-
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blèmes narratifs ressemblent souvent à des fables27. Nombreux aussi sont les auteurs qui rédigent des textes illustrés qui ressemblent étrangement aux emblèmes. Qu’il s’agisse de la Morosophie de La Perrière28, ou des Fables du très-ancien Esope de Corrozet29, des Devises héroïques de Paradin30 ou de la Délie de Maurice Scève31, nombreux en effet sont les livres imprimés qui s’inspirent par la forme et par la manière de lire du livre d’emblèmes, à un tel point que souvent la critique les prend pour autant de livres d’emblèmes32. Un dernier phénomène à remarquer, c’est l’assimilation entière de l’emblème, dans une série d’ouvrages remarquables publiés au cours des xvie et xviie siècles, à un genre apparenté, celui de l’histoire naturelle illustrée. Barthélemy Aneau et Guillaume Guéroult, outre les recueils d’emblèmes stricto sensu dont ils sont responsables, ont en effet rédigé des ouvrages qui s’apparentent à l’emblématique, les Decades de la description des animaux33 et le Blason des oiseaux34. Ces ouvrages, les premiers d’une série longue et variée, ont été caractérisés par Alison Saunders comme des livres d’emblèmes, et il faut avouer que la ressemblance formelle est grande. Malgré les fortes ressemblances sur la plan de la structure et de la présentation aussi bien que sur celui de la thématique, la façon de lire ces mélanges de textes et d’images axés sur l’histoire naturelle est cependant fort différente de la lecture emblématique35. Un siècle après sa création par Alciat, le genre de l’emblème s’était donc diversifié, s’était répandu, s’était taillé une place dans d’autres formes, et s’était apparenté à d’autres genres tels que la fable ésopique et le livre d’histoire naturelle. Sa structure, loin de respecter les confins étroits de l’emblema triplex, était devenue à la fois beaucoup plus complexe et beaucoup plus imprévisible que l’emblème d’Alciat. Son emprise sur le marché du livre illustré fut telle que les auteurs et les imprimeurs faisaient systématiquement ressembler leurs productions aux livres d’emblèmes, sans doute afin de profiter de l’engouement du public pour ces genres illustrés où se coudoyaient textes et images, divertissement et instruction. Qu’il s’agisse donc des multiples éditions d’Alciat, des vulgarisations de son œuvre par la traduction vernaculaire, de l’imitation de ses emblèmes par tant d’auteurs
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Le Premier Livre des Emblemes, Lyon, Balthazar Arnoullet, 1550. La Morosophie de Guillaume de la Perriere Tolosain, Contenant Cent Emblemes moraux, illustrez de Cent Tetrastiques Latins, reduitz en autant de Quatrains Françoys, Lyon, Macé Bonhomme, 1553. Gilles Corrozet, Les Fables du tres-ancien Esope, mises en rithme françoise, Paris, Denis Janot, 1542. Claude Paradin, Devises heroïques,
Lyon,
Jean de Tournes and Guillaume Gazeau, 1551. Delie object de plus haulte vertu, Lyon, Sulpice Sabon, 1544. Ces recueils sont tous disponibles sur le site de Glasgow consacré à l’emblème français. Voir en outre la très intéressante étude que Barbara Tiemann consacra à Corrozet : Fabel und Emblem: Gilles Corrozet und die Französische Renaissance-Fabel, Humanistische Bibliothek, Abhandlungen, Texte, Skripten, Vol. I, 18, Munich, 1974. Decades de la description, forme, et vertu naturelles des animaux, tant raisonnables, que Brutz, Lyon, Balthazar Arnoullet, 1549. Second livre de la description des Animaux, contenant le Blason des Oyseaux, Lyon, Balthazar Arnoullet, 1550. Voir à ce sujet mon essai « Theory of Evolution, Evolution of Theory: Aneau, Guéroult and Emblematic Natural History », in A. Adams and Ph. Ford (dir.), Le livre demeure: Studies in Book History in Honour of Alison Saunders, Genève, 2011, p. 93-109. L’étude de Saunders reste tout de même importante : « The Evolution of a Sixteenth-Century Emblem Book : The Decades de la description des animaulx, and Second livre de la description des animaux, contenant le blason des oyseaux », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 38/ 3, 1976, p. 437-57.
Si doncq’il a par loix & ordonnances, Rangé les gens, plustost que par vaillance, Dira l’on pas (comme c’est verité) Que l’espée a lieu aux livres quicté?
Dès le début, le double projet de Ménestrier est clair : articuler « par loix et ordonnances » une vue théorique d’ensemble de l’emblème, et brosser un tableau complet du système emblématique. Travail d’Hercule, s’il en fut : mais un travail à accomplir non pas par force (par « l’espée »), mais au moyen de l’érudition pure et simple, au moyen des livres donc, pour que la synthèse ainsi établie puisse s’imposer. Le projet s’articule donc sur deux axes : d’une part, les appels réitérés à l’autorité des Anciens ; d’autre part, ses propres analyses minutieuses, exhaustives, de l’emblème tel qu’il l’a lui-même connu. Pour la vue d’ensemble, le projet lui semble relativement facile : « Cebes & Philostrate s’estoient contentez de donner le nom d’Images & de Tableaux à leurs Emblemes, mais comme ce nom convenoit à toute sorte de peintures, l’usage, qui a droit de prescrire à fait que ce mot Grec est a present universellement receu parmy les sçavans pour une peinture d’instruction »37.
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Claude-François Ménestrier, L’Art des Emblemes. Lyon, Benoist Coral, 1662. le P. Claude-François Ménestrier, L’Art des emblèmes, où s’enseigne la morale par les Figures de la Fable, de l’Histoire, & de la Nature, Paris, R. J. B. de la Caille, 1684. La bibliographie de Ménestrier est énorme. Sur ces deux ouvrages en particulier, qui malgré leur titre identique ne se recoupent que très partiellement, voir notamment deux articles de Judi Loach, « Ménestrier’s Emblem Theory », Emblematica, 2, 2, 1987, p. 317-336 ; et « Emblem Books as Author-Publisher Collaborations : The Case of Ménestrier and Coral’s Production of the 1662 Art des Emblemes », Emblematica, 15, 2007, p. 229-318. Claude-François Ménestrier, L’Art des Emblemes (note 36), p. 14. Les multiples références à ce texte entre parenthèses, dans les trois paragraphes qui suivent, renvoient également à cette édition.
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et d’imprimeurs, de la contamination de l’emblème par d’autres genres illustrés ou de son assimilation à ces genres, de la déformation progressive de l’emblème ou de son application à de multiples supports autres que le livre imprimé, l’évolution du genre au cours de son premier siècle est marquée par une complexité croissante sur le plan des structures et des formes. Le tout était décidément devenu ingérable, ou presque. Il fallait donc l’apparition d’un nouvel Hercule qui aurait la capacité intellectuelle suffisante pour faire rentrer dans l’ordre ce chaos d’un emblème que le processus de son évolution avait profondément transformé depuis ses origines un siècle plus tôt. Ce nouveau héros, c’est bien entendu le théoricien lyonnais Claude-François Ménestrier. Les intérêts du jésuite dépassent bien entendu l’emblème, et de loin, car il s’est incontestablement fait le grand théoricien des genres illustrés en France au xviie siècle, mais l’emblème n’a jamais été très loin de ses préoccupations théoriques. Dans deux ouvrages théoriques intitulés L’Art des emblèmes publiés respectivement en 1662 et 168436, Ménestrier fait deux fois le tour de l’emblème, d’abord d’une manière relativement théorique, et ensuite, vingt ans plus tard, avec une foule d’exemples à l’appui de ses déclarations théoriques. Tout comme celle d’Alciat lui-même, nous retrouvons la description de Ménestrier dans l’emblème Eloquentia fortitudine praestantior :
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Pour Ménestrier, l’emblème se distingue facilement des autres « images savantes », et il entreprend la démonstration de cette thèse par une énumération soigneuse des distinctions à faire entre l’emblème et les autres genres. Le hiéroglyphe, par exemple, « ne convient qu’aux choses sacrées » (19), les revers « ne sont pas des instructions morales » (20) ; « l’Enigme est obscure » (20), alors que les rébus sont des expressions « basses, à l’occupation de la populace » (21), le blason « a des couleurs determinées, & n’est que la marque d’une famille particuliere » (21). De tous les genres illustrés, c’est bien entendu la devise qui a le rapport le plus étroit avec l’emblème, car « si l’on exclut des devises celles, qui ont la figure humaine, elles deviennent Emblemes » (21). Vu les multiples ressemblances entre emblème et devise, Ménestrier se voit dans l’obligation de présenter au lecteur de l’Art des Emblemes une analyse plus détaillée de celle-ci que des autres genres illustrés. À cet effet, il énumère à tour de rôle : les cinq conditions qui selon Paulo Giovio définissent la devise, « dont trois luy sont communes avec l’Embleme et deux seulement l’en distinguent. » (22) S’ensuivent successivement les trois différences entre emblème et devise établies par Ruscelli (23), ainsi que les 31 conditions qui selon Emmanuele Tesauro définissent la devise (24-29). Après avoir complété l’examen des autres genres, après avoir démontré que l’emblème constitue bel et bien un genre distinct des autres, Ménestrier entreprend l’examen de l’emblème lui-même. « Les Emblemes, nous affirme-t-il, peuvent estre de differente espece en deux manieres » (30), c’est-à-dire par les figures et par l’enseignement. « Si nous les considérons selon les figures, Il y a des Emblemes naturels, artificiels, historiques, fabuleux, chimériques, symboliques, & Allegoriques » (30). « A prendre les Emblemes selon l’enseignement, qui est leur formel. Il en est de Sacrez, de Moraux, de Politiques, d’Heroïques, de Doctrinaux, & de Satyriques » (33-34). Plus tard, Ménestrier ajoutera à cette première liste les emblèmes d’amour. Pour le théoricien jésuite, l’image emblématique est donc un véritable Protée où peuvent être représentées tout ce qui est naturel et surnaturel, morale, politique, idéel, ou notionnel, aussi bien que les « expressions de l’Ame ». Outre les choses, l’image emblématique peut représenter toutes les actions possibles, naturelles, surnaturelles, politiques, cérémoniales, militaires, académiques, ou morales (60-62). Dans le cas de l’image comme ailleurs, la stratégie préférée de Ménestrier pour accomplir son projet de systématisation, c’est manifestement l’observation méticuleuse suivi de l’inventaire exhaustif des formes. Dans l’idéal, il semble croire que cette énumération des catégories, des espèces, des types lui permettra de reconstituer la taxinomie complète de l’emblème. En réalité, son analyse n’aboutit jamais à une compréhension synthétique de l’emblème, puisque – nous l’avons vu plus haut – la variété des formes emblématiques ne respecte aucune limite et n’est pas susceptible d’être cernée par ce type d’analyse. De quelque côté que Ménestrier se tourne, son analyse de la structure de l’emblème idéal n’aboutit qu’à l’impasse. S’il identifie et entérine l’inscriptio, la pictura et la subscriptio de l’emblema triplex sous le nom de sentence, de peinture (ou figure) et vers — s’il y voit un aspect incontournable de l’emblème – ces trois parties se réduisant ensuite à deux parties
Pour ce Hercules ne fait pas grandes forces:
Et si [f]ont gens, apres luy grandes courses.
Sans avoir cherché à s’imposer par la force, Daniel Russell a en effet vu juste dans l’emblème français, à un tel point que certaines des idées qu’il a énoncées pour la première fois il y a un quart de siècle font désormais l’unanimité, ou presque. L’énorme mérite du travail de Russell, c’est précisément d’avoir vu que l’analyse des formes ne suffiraient jamais à rendre compte de l’énorme complexité du genre, et qu’au lieu de chercher à cerner les variantes par l’énumération exhaustive des possibilités (comme Ménestrier avait en vain tenté de faire à deux reprises), il fallait chercher ailleurs, dans les processus de composition et de
38 L’Art des emblèmes, où s’enseigne (note 36), p. 27. 39 D. Russell, The Emblem and Device in France (note 1), p. 161. Nous mettrons entre parenthèses les renvois suivants à cet ouvrage dans les paragraphes qui suivent.
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essentielles, à savoir la pictura (que Ménestrier appelle le corps de l’emblème), et les textes, qui constituent l'âme de ce corps emblématique (50). Deux parties essentielles, ou trois ? Les outils analytiques de Ménestrier ne lui permettent pas de donner une réponse définitive. Il n’est pas étonnant que Ménestrier finisse carrément, dans certaines phrases révélatrices, par avouer l’impossibilité du projet de systématisation qu’il avait entrepris : « Les Images, qui composent les Emblemes sont si diverses, qu’il est impossible de les reduire à des principes, qui conviennent generalement à toutes les figures » (57). Dans une telle optique, il était sans doute aussi inévitable que paradoxalement contradictoire, et ce malgré les multiples distinctions faites dès le début, que tout devienne emblème, ou presque. Le projet de construction d’une taxinomie complète finit par tout englober dans le genre emblématique, et la logique inexorable de Ménestrier l’oblige à argumenter simultanément en faveur de l’unicité et du pouvoir d’assimilation de l’emblème. Ainsi, dans L’Art des Emblemes de 1684, il est amené à démontrer que les fables d’Ésope sont autant d’emblèmes : « Les Apologues d’Ésope sont aussi d’eux-mêmes des Emblêmes, parce que ces Apologues ou les Auteurs font parler les plantes, les animaux, & les autres choses naturelles ou artificielles ont toujours leur instruction morale jointe aux discours & aux actions de ces animaux »38. Le plus déconcertant, c’est que cet énorme effort de synthèse, ce véritable travail d’Hercule, ait donné un résultat tout à fait contraire à celui escompté par Ménestrier, et qu’au lieu d’amener l’ordre, ses tentatives de créer une taxinomie définitive n’aient amené en fin de compte que le chaos : « the endless litany of postulates, rules, provisos and distinctions in the treatises on the emblematic forms leaves one with the impression that the discussion was even more confused, the various questions even more vexed, at the end of the 17th century than at the beginnings of the debate in Italy more than a hundred years earlier »39. Cette analyse est bien entendu celle de Daniel Russell, troisième Hercule de cette étude, et celui à propos de qui il convient de citer le dernier distique de la version française de Eloquentia fortitudine praestantior :
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lecture qui séparent l’emblème des autres genres: « If it is not a form, what, then, is an emblem? […] Instead of talking about emblems, then, it would be more instructive to explore the idea of an emblematic process » (164). Cette idée, d’une simplicité et d’une limpidité exemplaires, permet de rendre compte non seulement de la spécificité du genre emblématique dans son incarnation livresque mais de son extraordinaire expansion formelle et culturelle. Si l’emblème au fond n’est pas un objet mais un état d’esprit, un ensemble fonctionnel plutôt que formel, l’on comprend immédiatement comment et pourquoi les formes et les applications de l’emblème ont pu varier dans une si large mesure. Dans un même ordre d’idées, les analyses de Daniel Russell ont permis d’expliquer le pouvoir d’attraction de l’emblème, dont l’énorme succès commercial et culturel fit en sorte que d’autres genres commencèrent au cours des xvie et xviie siècles à lui ressembler : « Perhaps it is partly because of their emblematic potential that fables were so often published in illustrated editions during the 17th century » (98). Dans un tel contexte, seule une analyse fonctionnelle plutôt que formelle permettra de déterminer l’appartenance générique : « […] the function of an emblematic owl can be determined only by reference to the emblem text. […] Lacking any narrative context, the emblem picture is not limited internally to a single interpretation, unless it is an artificial ideogrammatic collage of some complexity such as the personifications of the virtues in the late 15th century » (174). L’analyse fonctionnelle suggère selon Russell que l’emblème consiste en fin de compte non pas en une forme idéale à la platonicienne mais dans une certaine manière de lire qui lui est particulière. À l’encontre des genres connexes, l’emblème reste donc toujours ouvert aux lectures multiples, même si le texte conspire avec l’image emblématique pour amener inexorablement le lecteur vers une conclusion déterminée par l’auteur : [W]hile an emblem can be read in only one way, the nature of the combination is always such, at least in principle, that it will suggest to the reader other ways of reading the sign. […] [B]y its presentation in empty typographical space, with the motto serving as a signpost towards some undetermined meaning, the picture fairly cries out for some sort of semiological interpretation. From among the numerous, but by no means unlimited possibilities, the emblematist will signal his choice of reading in the text (174).
Fluide, protéen, l’emblème reste ainsi, d’après les analyses de Russell, dans le domaine de l’instable, du fuyant, de l’indéterminé : « The emblematist is, then, more nearly a pure bricoleur than the critic, and hence, he is even more radically opposed to the ‘artist’ than the critic is » (175). Pour retrouver les antécédents de l’emblème, Russell remonte non pas aux formes héraldiques, comme le fit Michel Pastoureau, mais aux genres rhétoriques du moyen âge : aux argumenta, aux sentences, aux personnifications : « The emblem borrowed from all three traditions to produce a form that is static, as opposed to discursive or narrative, fragmentary and sententious. It condenses the narrative or discursive presentation of a message into a moment, and thus effectively transfers it outside time and contingency and into the realm of universals » (110). Pour Russell, l’emblème exige donc une lecture critique essentiellement sémiotique. Puisqu’il n’est pas narratif, l’emblème est largement détaché du contexte temporel et donc
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universel ; puisqu’il est bricolage, l’emblème est protéen, contingent, et instable ; puisqu’il est processus, il peut adopter à volonté cette multiplicité formelle qui a fini par rendre stériles les analyses de Ménestrier, aussi herculéennes fussent-elles. Sur le plan individuel, l’emblème propose une lecture close ; mais chaque emblème suggérera au lecteur averti plusieurs lectures parallèles, alternatives, génératrices de nouveaux emblèmes. La conception et les analyses de Russell permettent donc de rendre compte, dans une optique à la fois théorique et pragmatique, de la réalité vécue de l’emblème français. Et l’Hercule gaulois de l’emblème Eloquentia fortitudine praestantior, que devient-il dans cette évacuation des systèmes à la Ménestrier ? Emblème de l’emblème, cette image récursive, réfléchie sur et par elle-même, nous oblige désormais à évaluer autrement l’expansion impériale du genre emblématique. Le succès de l’emblème au cours de son évolution, succès à la fois commercial, culturel et intellectuel, est en fin de compte régi par les principes de la sélection naturelle et notamment par des exigences d’ordre commerçant. Dans ce nouveau paradigme, il est peut-être permis de suggérer qu’Alciat ressemble à Pline, père de l’histoire naturelle pré-scientifique : créateur, anecdotique, historique, bricoleur. Ménestrier, obsédé par la taxinomie, observateur minutieux et infatigable, ressemble plutôt à Carl von Linné, auteur du système de classement scientifique des espèces utilisé encore aujourd’hui : nomenclateur extraordinaire, père de la systématisation, il inventa à lui seul la taxinomie encore en usage dans la biologie. Et Daniel Russell ? Sa vision compréhensive, théorique et surtout synthétique, fondée sur les meilleurs aspects de la théorie et de l’histoire littéraire, permettant de rendre compte de cette infinité de variations et de mutations qui vainquirent la ténacité de Ménestrier, font certainement de lui, dans notre schéma volontaire provocateur, l’équivalent de nul autre que Charles Darwin !
vernacular versions of Alciato’s Nupta contagioso Alison Adams - University of Glasgow
Anne Rolet has explored in detail the sources and resonances of Nupta contagioso.1 My intention now is to look at the series of translations into vernacular languages which appeared over the next sixty or seventy years. In theory, one might expect to see some reflection of this wealth of intertextual allusion, more or less explicit, although we must of course be mindful of the danger of approaching translation during the Early Modern period from an anachronistic standpoint. Translation is not necessarily an attempt to render the original as fully and closely as possible. Having said that, in this particular case, the various vernacular versions do in fact remain reasonably close to the original. Moreover, in some cases, we have a brief commentary, in the vernacular, which will throw light on the translator’s interpretation of his text. Nupta contagioso, since it only enters the emblem corpus in the 1546 Venice edition, was not translated by Jean Lefevre, whose French translations, in parallel text, appeared from 1536 onwards in editions produced by Chretien Wechel, nor indeed into German by Wolfgang Hunger, published by Wechel in the same format in 1542. The first vernacular versions of this emblem thus appeared in 1549, with the celebrated publishing house of Rouille/Bonhomme in Lyons, where emblem publishing had largely gravitated by that time.2 Rouille/Bonhomme published their first Latin editions in 1548. This was presumably also when the commissions for vernacular versions, in French, Italian and Spanish, were made. However, the new woodcuts, which are attributed to Pierre Eskrich or Vase, were not yet all available, and indeed would only be completed by 1550. None of the emblems which appear unillustrated in 1548 are found in the Italian version, which seems unable to countenance the idea of nude emblems: Nupta contagioso is a case in point. Thus at this stage in the story of Alciato editions we need only consider French and Spanish.
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See pp. 195-220. For details of editions of Alciato, see Alison Adams, Stephen Rawles and Alison Saunders, A Bibliography of French Emblem Books, vol. 1, Geneva, 1999; Henry Green, Andrea Alciati and his Books of Emblems: A Biographical and Bibliographical Study, London, 1872; New York, 1976. All the texts discussed here are available on the Glasgow University Alciato website:
vernacular versions of alciato’s nupta contagioso
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What is immediately apparent is that the iconography has changed radically since 1546. The effect on our reading of this new cut is considerable: it is much more complex, with two separate scenes depicted. The Venice edition limits itself to two male figures. In my view, even though they are not face to face, as the Virgilian text, if not Alciato’s, demands, they represent for us merely the consequence of the horrific punishment meted out by Mezentius, the man condemned to wander round with the corpse tied to his body, as we see clearly in the woodcut.3 Although his pointing hand draws attention to the corpse, it is left to the title (Nupta contagioso) to suggest the significance, that is the link with marriage which will then be elaborated and explained in the verse. Anne Rolet sees the couple not so much as a depiction of the Mezentius story, not the condemned prisoner, but rather, as suggested by the title, an expression of the metaphorical significance, of the father presenting the sick man to his daughter as her husband. But in the 1549 woodcut (Fig. 1a-b), we see in the background, a betrothal or wedding, in which bride and groom join hands, while in the foreground the Mezentius story is depicted, but this time in a more active way, with the king issuing orders, and the corpse being tied to the prisoner. Thus the marriage theme is emphasised within the woodcut. One of the elements of the original which gives rise to variants in the translations is that is potentially difficult to know how to assign the speeches, as is revealed in the diversity found in the translations. Anne Rolet argues that the identity of the main speaker as the girl is confirmed in line 4. Other modern translators have been less certain: in both the Scolar and the Index Emblematicus translations, the ambiguity is retained, with no possessive ‘my’ attached to the dowry (‘ma dot’; Rolet), making it possible to place the text in the voice of a shocked observer.4 It is a plausible reading of the original, since if it is the daughter speaking, she does not refer to the choice of a husband for herself but only a son-in-law for the father figure. The pattern with the 1549 French translation, by Barthélemy Aneau, is to supply a very close translation and maintain the same number of lines as in the original, as is made clear on the title page where the translation is announced as ‘vers pour vers jouxte les Latins’.5 Given the relative succinctness of Latin, the French often finishes up somewhat difficult to understand. This is perhaps the reason for the brief commentaries which he adds, the first commentaries to appear accompanying emblems. In this particular case, La Mariée au contagieux, the problem is that the reader is obliged to work out for him/herself that the addressee is not really Mezentius, but rather the father, perhaps glimpsed at the back of the woodcut, who hands his daughter over to a diseased husband for the sake of a large dowry.6
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Andrea Alciato, Emblematum libellus, Venice, Aldus, 1546, D4v. Emblemata Lyons, 1550. Andrea Alciato, transl. and annotated by Betty I. Knott with an introduction by John Manning, Aldershot, 1996 (reproduced on the Glasgow University Alciato website); Andreas Alciatus. I. The Latin Emblems, ed. by Peter M. Daly with Virginia W. Callahan assisted by Simon Cutler, Toronto, 1985. I am grateful to Betty Knott who has discussed this emblem with me. Andrea Alciato, Les emblemes, Lyons, Macé Bonhomme for Guillaume Rouille, 1549. For a discussion of the French translations, see especially A. Saunders, ‘Sixteenth-Century French Translations of Alciati’s Emblemata’, French Studies, vol. 44, 1990, p. 271-288. Andrea Alciato, Les emblemes, Lyons, Macé Bonhonne for Guillaume Rouille, 1549, p. 247-248.
Fig. 1a-b : Alciato, Les emblemes, Lyons, Macé Bonhomme for Guillaume Rouille, 1549, p. 247-248. Glasgow University Library.
Dieu doint aulx bons mieulx qu’a toy (O Mezence), Qui achepté has gendre à grand despense: Vieulx, verollé, villain, plein d’impropere, Qu’est ce aultre chose (Or me dy cruel pere) Sinon corps vifz joindre aulx corps morts infectz Renouvellant du Duc Touscan les faictz
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This is made much easier to work out in the Latin where the dialogue form is made clear at an early stage with the question addressed to the main speaker, ‘cur age sic me / Compellas?’ which is entirely omitted in the French, although the identity of the voice becomes apparent later with the phrase ‘or me dy cruel pere’ (line 4). The gods (line 1) become Dieu, in the singular, as so often in translation. The nomenclature of the disease is also changed. This is hardly surprising. Scabies gallica is what the Italians called the lesions caused by syphilis (where the French connected it with the Neapolitans!). But in any case line 3 is developed along different lines with the emotive alliteration: ‘Vieulx, verollé, villain...’. And what is the force of the brief commentary? Aneau does not refer explicitly to Virgil’s Aeneid (8.481-88), the most obvious source for the narrative, but he nevertheless recounts the story, and, with a further emotive accumulation of epithets to express his horror at the unsuitable marriages (‘à gens verolléz, corrompuz, ladres, puans, podagres, & vivantes charoignes’), makes explicit the analogy which is being drawn. He does however refer to the Erasmian dialogue Agamos gamos, which itself, if followed up, refers to Virgil. It would appear that whereas a Latin reader might be expected to recognise the intertextual allusions, there is no such expectation for a vernacular reader. One of the main characteristics of most of Rouille/Bonhomme editions is an arrangement according to commonplace categories, with the 1546 emblems thus amalgamated with the earlier ones. Not surprisingly, Nupta contagioso is grouped with other emblems concerning marriage, a categorisation so self-evident that it cannot be said to affect our reading. The Spanish translation, by Bernardino Daza, while using the same woodcuts as in the 1549 French edition, insists on maintaining the two-book structure and the original order of the emblems. The most obvious innovation in this version is, generally speaking, the emphasis placed on formal aspects: for most emblems the verse form is specified explicitly. Although Daza does not do that here, he does underline the dialogue structure, naming the protagonists at the outset, immediately after the title, La casada con el buboso, as the reader and Mezentius, and the changes of interlocutor are marked in the verse with the letters L (‘Lettor’) and M:7 L. Señor Mezentio muy mejor ventura En las de mas tengays. M. Por que llamado Mezentio soy de vos? L. porque la dura Justiçia d’el aveys resuçitado. Metistes vuestra hija en sepultura, Casandola con ese hombre aplagado,
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Andrea Alciato, Los emblemas, Lyons, Macé Bonhomme for Guillaume Rouille, 1549, p. 204.
Que pensays que hazen tales desconçiertos, Sino juntar los bivos con los muertos?
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Ibid., p. 10-16. Andrea Alciato, Liber emblematum/Kunstbuch, Frankfurt-am-Main, Sigismund Feyerabend for Georg Raben and Simon Hüters, 1566/67. For a full discussion of Held, see P. M. Daly’s recent edition: Jeremias Held, Liber emblematum (Frankfurt-am-Main 1566), ed. by P. M. Daly, Turnhout, 2007. Andrea Alciato, Liber emblematum/Kunstbuch, Frankfurt-am-Main, Sigismund Feyerabend for Georg Raben and Simon Hüters, 1566/67, f. 54v-55r.
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Daza thus adopts a less personal reading, making the appeal to the cruel father a general one, on a matter of principle, rather than a personal one by the daughter herself. He allows himself eight lines to translate the original six and thus has the space to present us with an easily comprehensible text, which, despite the perhaps surprising elimination of the daughter as an active participant, remains relatively close to the original. In the introduction to the work, Daza tells the reader that he has abandoned the idea of a very literal line for line translation, as this did not allow him to fulfil properly his role as ‘buen interprete’, and, it should be added, he claims generally to offer a more authentic reading of the emblems than others, since he had access to a copy from Alciato’s own hand, including additions and corrections.8 Certainly, a number of emblems appear first in the Spanish translation before entering the corpus in Latin. In his version of Nupta contagioso, the helpful phrase, omitted in the French, is present: ‘Por que llamado / Mezentio soy de vos?’ Moreover, Daza makes the nature of the analogy between Mezentius’s crime and the father’s explicit sooner, with the crucial question concerning the father’s moral responsibility repositioned: ‘porque la dura / Justiçia d’el aveys resuçitado [?]’. It may be that the use of the word Justiçia hints at the links with Alciato’s legal preoccupations. Surprisingly though, the notion of a dowry and financial exchange is omitted. The next translation to appear is the German one by Jeremias Held (1566/67), published by Sigismund Feyerabend in Frankfurt. This edition adopts a different order for the texts from any other, but one nevertheless which is broadly thematic. Thus the emblem with which we are concerned comes within a sequence of emblems concerned with sexuality and marriage. Indeed it is followed immediately by the so-called obscene emblem Ad naturam peccantes, and then Senex puellam amans, a comment perhaps on the revulsion felt for the unhealthy and unnatural relationship described. Although this edition includes both Latin and German versions, they are not arranged in a systematic parallel text. The title page announces its purpose to serve craftsmen: ‘allen liebhabern der freyen Künst, auch Malern, Goldschmiden, Seidenstickern und Bildhauwern, jetzund zu sonderm nutz und gebrauch verteutscht und an tag geben, durch Jeremiam Held von Nördlingen, mit schönen, lieblichen, neuwen, kunstreichen Figuren geziert und gebessert’.9 Despite the claim concerning the new illustrations, many emblems including ours remain unillustrated. Held does not feel bound by the length of the original, and his text, Eins Frantzösischen Braut, is of twelve albeit fairly short lines lines:10
Gott bhüt der frommen Menschen Hertz O Mezentz was treibst für ein schertz? Das du mich also nötst und zwingst Und ein Eiden dir mit gelt bringst Den die Frantzossn Bocken und kretzt An allen Gliedern hondt verletzt? Ach herter Vatter sag mir doch Was ist es das aber anderß noch Dann zusammen legen zu gleich Lebendig Leut und todten Leich Und erneuwern die greuwlich that Deß Hetruscischen Fürsten spat.
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The dialogue structure, as in the French version, is lost or abandoned, and the whole of the text is put in the mouth of the distressed girl who is protesting at her father’s plans for her. The most interesting thing in this version is what appears to be a misunderstanding of the father’s question, that is the phrase: ‘Cur age sic me / Compellas?’, in which ‘compellas’ from compellare signifies to address someone, and me is the father. It seems probable that he has taken it as coming rather from compellere, to drive together, and associated it with the idea of compulsion (‘nötst und zwingst’; line 2), and thus made it become part of the girl’s impassioned and personal plea to her father. The Mignault translation of 1584, published in Paris by Jean Richer, as a bilingual edition arranged according to the thematic groups of the Rouille/Bonhomme editions, adopts a comparable strategy, in putting the whole of his French version unambiguously in the mouth of the girl (Fig. 2a-c). Claude Mignault is of course better known as the scholar who appended to Latin editions of Alciato’s emblems commentaries of great erudition, citing Latin and Greek sources and parallels. His emphasis on the role of the girl is already announced in the title which reads La jeune femme se pleignant de son mary fort interessé au corps;11 Cotgrave is helpful in our understanding of this phrase which must mean, not interested in the [girl’s] body, but sick in his own body. He cites ‘Interessé de sa personne’, meaning ‘of a weak, faint, crazie, or sicklie bodie’. The woodcut does not however depict the girl or any suggestion of marriage: we see, as in the Rouille/Bonhomme woodcut, the king, Mezentius, directing the terrible punishment inflicted, that is the binding together of the prisoner with the corpse. But this time there is no specific betrothal scene in the background. This woodcut is extremly similar to the Plantin discussed by Anne Rolet; if, there, she is right to see the more rounded form of the figure lying on top of the corpse as hinting at the res significata, that is the hapless bride, then that is also the case here. The reference to Mezentius at the beginning of the text is transformed by being turned into a curse, appended to the invocation of the gods (again now God): Que Dieu assiste aux bons: & comble de malheur Toy Mezence cruel, qui as le coeur si dur Que m’avoir accouplee à un villain Podagre, A un vieil farcineux, un verolé, un ladre,
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Andrea Alciato, Emblemata, Paris, Jean Richer, 1584, p. 271v-272v.
2a
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2c Fig. 2a-c : Andrea Alciato, Emblemata, Paris, Jean Richer, 1584, p. 271v-272v. Glasgow University Library.
Que tu as à grands frais, voulu joindre avec moy. O pere sans pitié! Mais qu’est-ce cy, & quoy? Sinon renouveller du Roy Toscan Mezence La barbare façon, qui souloit à oultrance Attacher aux corps morts avec toute rigueur Les vivans, pour mourir en plus grande langueur.
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It can be seen that the the speaker’s identity is clarified by the use of the phrase ‘m’avoir accouplee’ in line 3, rather than the reference to the father’s acquisition of a son-in-law. The alliteration, though not as obvious as in Aneau where the words follow each other, is still a feature of Mignault’s version (‘villain ... vieil ... verolé’, and then ‘père sans pitié’); the accumulation of terms expressing the unhealthiness of the man’s body expresses the disgust which he arouses in the girl. This kind of expansion and the relatively free translation is characteristic of Mignault’s versions. Here he allows himself ten lines as against the original six, and thus has no problem in conveying the full sense. Nevertheless, the financial aspect is downplayed, limited to the rather vague phrase ‘à grand frais’ (line 5). The commentary, brief, in contrast to those Mignault produces for all-Latin editions, is doubtless influenced by Aneau’s; but where Aneau refers his readers to Erasmus, Mignault, after a further emotive description of the diseased men, refers his readers to the narrative source, that is Virgil’s Aeneid, Book 8. Most publishers after the late 1540s, as we have seen, amalgamated the earlier emblems with those produced in Venice in 1546 by adopting a thematic ordering. The de Tournes family, however, having published both Latin and French editions of Book 1 only, with new woodcuts by Bernard Salomon, were faithful to the original basic division into two books, and continued to produce editions first of Book 1 alone, and later of both. Book 1 is, in due course, supplemented by Stockhamer’s commentaries. No French version of the later emblems is published by de Tournes in the sixteenth century, in the same way as the emblems of Book 2 remain unillustrated. In the early seventeenth century, however, by which time the de Tournes had moved to Geneva, Jean II de Tournes translated the emblems of the second book, and the new translation appeared, alongside Lefevre’s of the first book. The early order is maintained, and for the most part the emblems of the second book are still unillustrated. The translation of Nupta contagioso, De celle qui fut mariee à un podagre, is limited to six lines, like the original, and once more the whole thing is put, coherently, into the mouth of the girl who is addressing her cruel father:12 Dieu doint mieux aux humains: pourquoy veux-tu, Mezence, Me joindre maugré moy, à un corps tout infect? Corps ladre & verolé? n’est-ce pas en effect Estre trescruel pere, & trop plein de meschance? N’est-ce pas les vivans joindre aux morts par desroy, Comme autresfois faisoit de Toscane le Roy?
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Andrea Alciato, Les emblemes, Geneva/Cologny, Jean II de Tournes, 1615, p. 209-210.
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A. Saunders, ‘Sixteenth-Century French Translations of Alciati’s Emblemata’ (note 5), p. 287.
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The father’s question is omitted and, like Mignault, Jean de Tournes makes it clear early on that the girl is speaking by the words ‘me joindre’ in line 2. As in the other French versions, de Tournes underlines the emotive effect, with the repeated ‘corps’ in the phrases ‘un corps tout infect? / Corps ladre & verolé’, and through the build-up in the series of questions she poses her father. De Tournes’s is the only one of the commentaries to refer to both Virgil and Erasmus. Moreover, perhaps a reflection of the greater distance separating him from Alciato’s original, he is the only commentator to mention his name, as opposed to virtually assuming his voice: ‘Alciat deplore icy la condition d’une honneste & vertueuse fille, que son pere contraignoist de prendre à mari un personnage maleficié, & tout pourri de verole.’ How then do the vernacular versions respond to and convey to a vernacular reader not only the surface meaning but also the underlying sense, dependent on the intertextual references so skilfully evoked by Anne Rolet. The answer is maybe a disappointing one, that they fail to do full justice to Alciato, but we might conclude that that is not, at least in all cases, their purpose. Inevitably, no vernacular can verbally produce the play derived from the reader’s familiarity with Virgil, and indeed the new target audience might not pick up on it anyway. Where a commentary is present, we find references to Virgil and/or to Erasmus, but to none of the other sources or parallels, whether because they have not been recognised, or whether because they are not deemed important in the new context. The only translator who possibly alludes to the judicial question is, interestingly, Bernardino Daza, despite the fact that in many respects he deviates from other readings of the emblem, even though he is the only one to retain the dialogue form. The French versions, eliminating the father from the dialogue, strive to increase the emotive effect, some through their use of accumulation and alliteration, and some also by referring, more directly and at an early stage in the text, to the forced marriage from the girl’s perspective. The emphasis is thus shifted slightly away from the father’s wrongdoing to concentrate on the girl’s suffering. Held, who also abandons the dialogue form, may be aiming at a similar effect, through the emphasis which he gives to compulsion, even if this emphasis is in fact the result of a misunderstanding. Alison Saunders, comparing a number of different emblems in their French translations, comments on the losses suffered in comparison with Alciato’s original, and, citing Du Bellay, on the ‘inadequacy of translation as a literary medium’.13 It is of course impossible to base general conclusions on the analysis of a single emblem, but I would stress, in any qualitative assessment, that care has to be taken to identify the aims of the translation which may well not be the same as those of the source.
a largely unknown early-modern English translation of Alciato’s emblems Alison Saunders - University of Aberdeen
Very quickly after it was first published in its original Latin form in 1531, Alciato’s emblem book began to attract the attention of the translators. 1536 saw it translated into French (reflecting the extraordinary impact of the work in France, this was just the first of no less than three different French translations of the work produced in the sixteenth century);1 1542 saw it translated into German; and 1549 into Italian and into Spanish.2 But what about English? For no obvious reason the situation regarding English is quite different: no printed edition of a translation of Alciato into English was ever produced in the sixteenth century or indeed in subsequent centuries, until the late 20th century saw the appearance of two such translations—that of Virginia Callahan in the Index Emblematicus series in 1985, and that of Betty Knott in 1996.3 The most that was available prior to that was Geffrey Whitney’s version of a selection of Alciato’s emblems, together with similarly selected emblems by other European
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Viri clarissimi D. Andree Alciati Iurisconsultiss. Mediol.ad D. Chonradum Peutingerum Augustanum, Iurisconsultum Emblematum liber, Augsburg, H. Steyner, 1531; Livret des Emblemes de maistre Andre Alciat, mis en rime francoyse, & presenté à mon seigneur Ladmiral de France, Paris, C. Wechel, 1536; Emblemes d’Alciat, de nouveau Translatez en François vers pour vers jouxte les Latins. Ordonnez en lieux communs, avec briefves expositions, & Figures nouvelles appropriés aux derniers Emblemes, Lyon, M. Bonhomme and G. Roville, 1549; Emblemata Andreae Alciati I.C. Clariss. Latinogallica, Unà cum succinctis argumentis, quibus Emblematis cuiusque sententia explicatur. Ad calcem Alciati vita. Les Emblemes Latin-François du Seigneur André Alciat excellent Jurisconsulte. Avec arguments succincts pour entendre le sens de chasque Embleme. En fin est la vie d’Alciat. La version Françoise non encor veuë cy devant, Paris, J. Richer, 1584. Clarissimi viri D. Andreae Alciati Emblematum libellus, vigilanter recognitus, & iam recens per Wolphgangum Hungerum Bavarum, rhythmis Germanicis versus, Paris, C. Wechel, 1542; Diverse Imprese Accommodate a diverse moralità, con versi che i loro significati dichiarano. Tratte da gli Emblemi dell’ Alciato, Lyon, M. Bonhomme and G. Roville, 1549; Los Emblemas de Alciato Traducidos en rhimas Españolas. Añadidos de figuras y de nuevos Emblemas en la tercera parte de la obra, Lyon, M. Bonhomme and G. Roville, 1549. Peter Daly, Virginia Callahan and Simon Cuttler (ed.): Andreas Alciatus.1 The Latin Emblems, Indexes and Lists, Toronto, 1985; Andrea Alciato, Emblemata Lyons, 1550, translated and annotated by Betty I. Knott with an introduction by John Manning, Aldershot, 1996. Knott’s translation has subsequently been given wider dissemination by having been used as the English translation in the Alciato in Glasgow website of digitised editions of Alciato (http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/alciato).
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writers, which he put together in his Choice of Emblemes in 1586.4 But these are effectively adaptations, rather than translations. Like Whitney, Thomas Palmer also included a number of English emblems based on those of Alciato, together with some from other continental emblem books in his undated manuscript compilation of Two Hundred Poosees,5 but again these must be regarded as free adaptations rather than translations. It is generally thought that since no early printed translation into English of Alciato’s emblem book was produced, no such translation was produced. But that is not so. There does, in fact, exist, in a private collection, whose whereabouts may not be revealed, a very important and interesting manuscript, which contains English translations of 92 of Alciato’s emblems, almost all of which are illustrated, and almost all of which include also the original Latin version, as well as the English translation.6 There is much that we do not know about the manuscript, since it does not include a title page or liminary material which might give more information about it. So we do not know the identity of its creator—or creators, since it seems clear (for reasons that will be discussed later) that author and artist were not the same person. We do not know its precise date either—though it was probably produced in the last two decades of the sixteenth century or more probably the early seventeenth century. We do know certain things about it, however. The illustrations are very faithful copies of woodcuts used by Christopher Plantin in the Netherlands for his later editions of Alciato’s emblems. The earliest edition in which Plantin used this particular set was in 1577, so clearly this manuscript cannot have been compiled before that date. Since Plantin produced several further editions using these woodblocks after 1577, we cannot know which particular one served as the model for the manuscript, but at least we do have a terminus post quem of 1577.7 4 5 6
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Geffrey Whitney, A Choice of Emblemes, and Other Devises, For the moste parte gathered out of sundrie writers, Englished and Moralized. And Divers newly Devised. By Geffrey Whitney, Leiden, F. Raphelengius for C. Plantin, 1586. John Manning (ed.): Thomas Palmer, The Emblems of Thomas Palmer: Two Hundred Poosees. Sloane MS 3794, New York, 1988. The manuscript is described briefly by Henry Green in his bibliography of Alciato, Andrea Alciati and his Books of Emblems, a Biographical and Bibliographical Study, London, 1872, p.239, and also in his introduction to The Mirrour of Majestie: or the Badges of Honour Conceitedly Emblazoned, London, W.I., 1618 (Manchester, 1870, p.88), where he notes that the Holbein Society was envisaging publishing an edition of the manuscript. Rosemary Freeman noted in her English Emblem Books (London, 1948, p.234) that she had not been able to locate the manuscript. More recently, Karl-Josef Höltgen has cited the manuscript in the chapter on ‘The Victorian emblematic revival’ in his Aspects of the Emblem. Studies in the English Emblem Tradition and the European Context, Kassel, 1986, p.155, note 21, and described it briefly in his review of Peter Daly, Virginia Callahan and Simon Cuttler (ed.): Andreas Alciatus.1 The Latin Emblems. Indexes and Lists, Toronto, 1985, in Emblematica 1,2, 1986, p.366. I am very grateful to Karl-Josef Höltgen for information about this manuscript. I am also very grateful to the owners of this manuscript for their generosity in allowing me to work on it, and for their permission to publish this article, and to reproduce illustrations from the manuscript. Andrea Alciato, Omnia Andreae Alciati V.C. Emblemata: Cum commentariis, quibus Emblematum omnium aperta origine, mens auctoris explicatur, & obscura omnia dubiaque illustrantur: Per Claudium Minoem Divionensem, Antwerp, C. Plantin, 1577. Plantin’s earlier editions of Alciato used an old set of woodblocks, quite different from the set he acquired for use from 1577 onwards. For details see L. Voet, The Plantin Press,(1555-1589) A Bibliography of the Works Printed and Published by Christopher Plantin at Antwerp and Leyden, Amsterdam, 1980-83, 6 vols.
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Fig 1 - Ms Emblems of Alciat, emblem 1.
Fig 2 - Omnia Andreae Alciati V.C. Emblemata, Antwerp, C. Plantin, 1581, emblem 4, In Deo laetandum. Glasgow University Library.
The manuscript is quite large for an emblem book—more than twice the size of the Plantin editions on which it is based. Its pages measure 28 x 18 cm, whereas the typographic pages of the 1581 Plantin edition of the Latin emblems (which is the edition cited in this article) measure approximately 14 x 8 cm.8 The illustrations in the manuscript are also much larger than the original woodcut figures. They measure approximately 12.5 x 12.5 cm, whereas the woodcut figures used by Plantin (excluding the decorative frames) measure only approximately 8 x 8 cm. It is bound in a 19th-century dark brown morocco binding with the title Emblems of Alciat MS 17th century in gilt lettering on the spine. Marginal notes in a 19th-century hand identify the first emblem in the manuscript (Ganymede) as being emblem 4 in the 1590 Plantin edition9 (See figs 1 and 2), and thereafter for each translated emblem its number in the Plantin editions is also identified in a marginal note.
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Andrea Alciato, Omnia Andreae Alciati V.C. Emblemata… Editio tertia aliis multo locupletior, Antwerp, C. Plantin, 1581. ‘In the edn of Andr Alciato’s Emblemata Lug Bat MDLXXXX No 4’.
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Each emblem occupies one page: the illustration appears first, followed by the Latin verse, and then by its English translation.10 The Latin verse is in an elegant italic hand and the English translation in a similarly stylish secretary hand. No titles or mottoes are included, either for the Latin version or for the English translation, and there are no decorative borders such as were included in the Plantin editions. The prose commentaries by Claude Mignault which were included in the later Plantin editions are likewise not included here. In short, this manuscript constitutes an elegant, symmetrically arranged emblem book in which considerable attention has been paid both to layout and to aesthetic quality. The emblems appear in the order in which they appear in the Plantin editions. This is the thematic grouping order established most probably by Barthélemy Aneau for editions produced from 1548 onwards by the Roville/Bonhomme publishing partnership in Lyon, but without the inclusion of the thematic headings for the various groupings.11 Alciato’s opening three emblems, dedicating the work to the Duke of Milan, on the city of Milan, and on Alciato’s own arms, are omitted—possibly being deemed to be of little relevance to an English-speaking readership.12 The manuscript collection thus begins with Alciato’s fourth emblem (In Deo laetandum), and then runs through to Alciato’s emblem 101 (Scyphus Nestoris), but with six further omissions, the reason for which is not altogether evident.13 As is so often the case, page numbering in the manuscript is faulty at one point, so that there are two emblems paginated 73 (Plantin, 82: In facile à virtute desciscentes, and Plantin, 83: Ignavi). Although the normal pattern in the manuscript is for every emblem to include the original Latin as well as the English translation, seven do not do so. For three of these (Plantin, 25: In statuam Bacchi; Plantin, 44: In simulachrum spei; and Plantin, 101: Scyphus Nestoris; ms emblems 22; 40; 90) the reason is obvious. These are all particularly long emblems, (See figs 3, 4 and 5) and since the manuscript observes the convention of a symmetrical layout with
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Only in two instances do two short English translated emblems on the same subject appear on the same page in the manuscript. In one case (ms p.83) the manuscript simply follows the same pattern as in the Plantin edition which included two variant emblems on the same subject on the same page (both numbered emblem 93: Parvam culinam duobus ganeonibus non sufficere and Aliud), and includes both the original two Latin emblems and their English translations all on the same page, because since all four are only couplets, there is room for them all within the single page. But in the other case (ms p.55), whereas in the Plantin edition (and in other editions also) Alciato’s two Latin emblems on the same subject (emblems 61 and 62: Vespertilio and Aliud) were printed on separate pages, the manuscript includes the English translations of both on one single page. Unusually also in the manuscript only the Latin text of Alciato’s first emblem on the subject (Vespertilio) is included. The Latin text of his second emblem on the subject (Aliud) is omitted—presumably in the interests of saving space on the single page—and only its English translation is included. Andrea Alciato, Emblemata Andreae Alciati Jurisconsult clarissimi. Locorum communium ordine, ac Indice, novisque posteriorum eiconibus aucta, Lyon, M. Bonhomme and G. Roville, 1548. In the Plantin editions the groupings are noted in the index of emblems at the end, but not in the main text. Though interestingly the manuscript does include emblem 10 (Foedera) on the lute, which is also addressed to the Duke of Milan (ms emblem 7). The other omitted emblems are Plantin, 29 (Etiam ferocissimos domari); Plantin, 54 (Ei qui semel sua prodegerit, aliena credi non oportere); Plantin, 57 (Furor et rabies); Plantin, 79 (Lascivia); Plantin, 81 (Desidiam abiiciendam); Plantin, 96 (Doctorum agnomina).
Fig 3 - Ms Emblems of Alciat, emblem 22. Fig 4 - Omnia Andreae Alciati V.C. Emblemata, Antwerp, C. Plantin, 1581, emblem 25, In statuam Bacchi. Glasgow University Library. Fig 5 - Ms Emblems of Alciat, emblem 90.
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one emblem per page, and does not allow for the possibility of running over onto a second page, there is not room for both the original Latin and the English translation.14 However in the other four manuscript emblems which do not include the Latin original (Plantin, 26: Gramen; Plantin, 27: Nec verbo, nec facto quenquam laedendum; Plantin, 28: Tandem tandem iustitia obtinet; Plantin, 30: Gratiam referendam; ms emblems 23; 24; 25; 26) length is not a problem, and the reason may simply be that since these four emblems follow straight on from In statuam Bacchi this is perhaps no more than a case of scribal absent-mindedness, continuing the pattern of the Bacchus emblem into the following ones also.15 The vast majority of the illustrations in this manuscript emblem book are coloured. Only thirteen are not. There seems to be no particular rationale behind which are and are not coloured, though it is the case that the non-coloured ones tend to cluster in little groups of three, and come most predominantly in the latter part of the manuscript.16 The illustrations seem to have been composed in three stages: initially a simple pencil sketch, which is then overlaid by a more detailed pen-and-ink outline, after which the illustration is coloured in, with differing degrees of sophistication. The non-coloured illustrations show most clearly the original pencil sketch, as, for example, in the illustration of the figure of Envy in the English translation of Invidia (ms emblem 64; Plantin, 71; see fig 6), or that of birds in a tree representing the four seasons (ms emblem 89; Plantin, 100; see figs 7 and 8). In comparison with the elegant calligraphy of the text, the illustrations tend to be less sophisticated—some more so than others. In particular human faces are rather crudely depicted. The artist seems to have greater talent for depicting animals and birds than he has for depicting humans, as for example in the characterful dog and eagle in the opening emblem, compared with the rather cruder figure of Ganymede himself. (See fig 1). Similarly vividly depicted are the animals in the emblem on Bellerophon and the chimera (ms emblem 11; see fig 9); and the pelican/sea-swan (ms emblem 85; see fig 10). Sometimes the colouring is rather notional (as for example in the pelican/sea-swan emblem), but in other cases the use of colour is more extensive and the artist appears to be revelling in what can be done with bright colours as opposed to the more restrictive medium of black-and-white woodcut (as for example in the two temples in ms emblems 12 and 20; see figs 11 and 12). But what characterises the illustrations most of all is the extent to which they are extraordinarily faithful copies of Plantin’s woodcut illustrations. Only in a very few cases does the artist represent in his manuscript illustration something which does not correspond exactly to the original woodcut. In two cases this is because he misconstrues what
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In statuam Bacchi runs to 26 lines in the original Latin and also to 26 lines in the English translation (ms emblem 22); In simulachrum spei runs to 16 lines in the original Latin and also in the English translation (ms emblem 40); Scyphus Nestoris runs to 12 lines in the original Latin and to 24 lines in the English translation (ms emblem 90). In the case of both In statuam Bacchi and Scyphus Nestoris the text of the English translation only just fits into the page, whereas normally in the manuscript there is white space. Plantin, 29: Etiam ferocissimos domari is omitted in the manuscript, so these four emblems in the manuscript follow straight on from In statuam Bacchi (Plantin,25). 25/26/27; 64/65/66; 68/69; 88/89/90. Only two (83 and 86) are isolated emblems.The equivalent Plantin numbering is: 28/30/31; 71/72/73; 75/76; 99/100/101; with isolated emblems 93 and 97.
Fig 6 - Ms Emblems of Alciat, emblem 64. Fig 7 - Ms Emblems of Alciat, emblem 89. Fig 8 - Omnia Andreae Alciati V.C. Emblemata, Antwerp, C. Plantin, 1581, emblem 100, In quatuor anni tempora. Glasgow University Library.
Fig 9 - Ms Emblems of Alciat, emblem 11.
Fig 10 - Ms Emblems of Alciat, emblem 85.
Fig 12 - Ms Emblems of Alciat, emblem 20. Fig 11 - Ms Emblems of Alciat, emblem 12.
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he sees in the woodcut. In his Bacchus illustration (Plantin, 22; ms emblem 25) a spiky tuft of hair in the woodcut figure of the god becomes a snake’s head lurking in his hair (See figs 3 and 4), while in his illustration of the birds in the tree representing the seasons (Plantin, 89; ms emblem 100) a small branch sticking out from the tree trunk in the woodcut figure becomes an additional bird flying into it (See figs 7 and 8). But in another case the inaccuracy stems from his ability to exploit the additional dimension of colour, such as was not present in the original black-and-white woodcuts. Red seems to be his favourite colour, and one of the ways in which he delights in using colour is to give animals bright red tongues. Usually this is not significant to the sense of the emblem, but in the case of the translation of the Leaena emblem Nec quaestioni quidem cedendum (Plantin, 13; ms emblem 10) where the illustration depicts the lion with a big red tongue, it does matter— since (as the text tells us) the whole point about that particular statue of a lion is that it did not have a tongue (See figs 13 and 14). In the illustration to the translation of the emblem Gula on the theme of gluttony (Plantin, 90; ms emblem 80) the artist fails to pick up two important features of the Plantin woodcut figure which relate significantly to the sense of the emblem as explained in the text. In the woodcut figure the greedy man is depicted with an exaggeratedly long neck and a gross belly, as noted in the text. But the manuscript illustration does not draw attention to these key features in the way that the woodcut figure does. In both this emblem and the Leaena emblem, if the artist had read the text, he would have been aware of the fact that a visual representation of the lion statue erected in honour of Leaena must not have a tongue, and that the unnaturally gross belly and elongated neck are spelt out as being the physical manifestations of a greedy man, and should thus be clearly represented visually. Certain conclusions can be drawn from this about the artist. He is clearly a very competent craftsman, who copies what he sees visually in front of him, but who is not concerned with the significance behind what is depicted, as expressed in the text. Given a copy of whichever post-1577 Plantin edition was used, and presumably instructed to copy closely the woodcut figures, that is precisely what he does. But it would appear that he does not read the text, and thus on occasion makes mistakes in what he represents. It can perhaps be assumed, therefore, that the artist is not a particularly well educated man, relying on what he sees rather than on what he reads. But what of the writer of the translations? It is evident from the manuscript that he is a different type of person from the artist. The fact that he is able to translate Alciato’s emblems from Latin into English evidently indicates that he is an educated man with a good command of Latin. But a close study of his translations suggests that he is more than just an educated man; the evidence suggests that he is actually a very well educated man who is clearly aware of even the most obscure classical backgrounds to some of the emblems that he translates. Unlike the earlier French translations of Alciato by Jean Le Fevre, Barthélemy Aneau and Claude Mignault, all of which imposed considerable changes on the original Latin text in one way or another, the anonymous English translator produces an extraordinarily
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Fig 13 - Ms Emblems of Alciat, emblem 10.
Fig 14 - Omnia Andreae Alciati V.C. Emblemata, Antwerp, C. Plantin, 1581, emblem 13, Nec quaestioni cedendum. Glasgow University Library.
accurate and full translation of the Latin originals, a fact that is the more remarkable given that in the majority of cases he manages to make the number of lines in his English rendering match that of the original, which is unusual. In this manuscript all but fourteen of the ninety-two English translations replicate the number of lines of the original Latin emblems.17 Normally with translation from Latin into a vernacular, more lines of vernacular translation are required to convey the same information as in the original Latin, and anyone trying to conform to the same number of lines in the vernacular translation as in the original usually has to sacrifice some of the detailed content in order to achieve this. When Barthélemy Aneau attempted in 1549 to replicate in his French translation of Alciato’s emblems the number of lines in Alciato’s original Latin, he found it necessary to suppress a number of details in order to do so, and nevertheless the end result was a set of French verses which were so condensed and elliptic as to be sometimes virtually incomprehensible without the aid of the short prose glosses which he added to each emblem.
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The exceptions are emblems 1, 5, 6, 10, 12, 13, 15, 21, 24, 35, 38, 48, 67, 90. In all but 1 of these he doubles the number of lines contained in the original Latin—most commonly expanding the length from 6 lines to 12, or from 4 lines to 8, or in one case (emblem 21) from 2 lines to 4, and in another case (emblem 90) from 12 lines to 24. Only in emblem 67 does he expand the line length from 8 lines to 14.
Pana colunt gentes (naturam hoc dicere rerum est) Semicaprumque hominem, semivirumque Deum. Est vir pube tenus, quod nobis insita virtus Corde oriens, celsa verticis arce sedet. Hinc caper est, quia nos natura in saecla propagat Concubitu, ut volucres, squamea, bruta, feras. Quod commune aliis animantibus, est caper index Luxuriae, Veneris signaque aperta gerit. Cordi alii sophian, alii tribuere cerebro: Inferiora modus, nec ratio ulla tenet. (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 97) Being the nature of all things the people worship Panne: Who is a man and halfe a goate, a god and halfe a man. A man he is untill the navill, for virtue in us graft Arising from the harte, is plac’d in the braynes highest parte. Belowe he is a goate, because nature doth us disperse, By generation, as fowles, fish, beasts both tame and fierce. Of wantonnes and lust the goat apparent signes doth beare Which to all creatures comon is, which in the worlde live here Some place discretion in the hart, some place it in ye brayne But in the lower parte no meane nor reason doth remayne. (ms emblem 86)
See for comparison Betty Knott’s English translation of this emblem:
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How then does this anonymous translator manage to convey all the information within the same number of lines, given that English is so much more discursive a language than Latin? The answer is basically that rather than expanding his text vertically by increasing the number of lines, instead he expands it horizontally, by doubling the length of each individual line. In the case of the fourteen emblems where he does increase the number of lines the lines are only half the length of those of the other emblems. Let us look at some examples of emblems showing the way in which the English translator succeeds in conveying all the information and detail of the original Latin while retaining the same number of lines. For each emblem discussed, in addition to quoting the text of Alciato’s original Latin emblem and of its translation into English in the manuscript, the extremely accurate prose translation into English of Betty Knott is also reproduced in order to show easily how remarkably faithful to Alciato’s original Latin is the text of the English translations in the manuscript. The English translation of Alciato’s emblem Natura on the subject of Pan provides a good example of the way in which his longer lines enable the English translator to replicate all the details of the description of Pan’s physical appearance and interpretation of their significance within the same number of lines as the 10-line Latin original. All the details are present, and the language is in no way condensed or elliptical, so that the English translation conveys the content and meaning as effectively as the original:
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Pagans worship Pan, that is the force of nature, a man half-goat, a god half-man. Pan is a man down to the loins, because that power that is naturally present in us men rises from the heart and has its seat in the high citadel of the head. Below this he is goat, because Nature perpetuates us down the ages by sexual intercourse, as she does birds, fish, brute beasts and wild. This is a thing shared with other living creatures. The goat is a sign of licentiousness, and carries Venus’s standards unconcealed. Wisdom some have assigned to the heart, others to the head. The lower parts neither restraint nor reason governs. (Alciato, Emblemata, 1550; Aldershot, 1996, p.106)
The same is true of the English rendering of Alciato’s complex emblem, Gramen, on the utility of grass, which is packed with information relating both to ancient history and to natural history. Here again the longer line length enables the translator to express the full content of Alciato’s emblem within the space of eight lines, matching the eight lines of the original Latin. By this means almost every detail of the densely expressed information of the original is faithfully conveyed in the English translation in a manner which is also dense, but nevertheless intelligible. The only detail that it omits is the fact that Glaucus was the son of Polybus (‘Glaucus Polybides’): Gramen Gramineam Fabio patres tribuere corollam, Fregerat ut Poenos, Hannibalemque mora. Occulit inflexo nidum sibi gramine alauda, Vulgò aiunt, pullos sic fovet illa suos. Saturno Martique sacrum, quo Glaucus adeso Polybides, factus creditur esse Deus. His meritò arguitur nodis tutela salusque Herbaque tot vires haec digitalis habet. (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 26) Of dogges toothe grasse our ancestors a little crowne did make For Pfabius, who Hanniball and Carthage folke did shake. Which dogge tooth grasse (do olde men say) the larke her nest doth hide. And so she fosters up her young, and cannot be espide. This hearbe to Saturne and to Mars also men dedicate This hearbe once tasted Glaucus a god supposed was to make These knotte therefore doth wardship well and safegard forth declare So in this finger’d dogs tooth grasse how many vertus are? (ms emblem 23)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: The Roman Senate bestowed on Fabius a crown of grass, when he had by his delaying tactics broken the Carthaginians and Hannibal. The lark hides its nest among the bent grass, as they say, and so it protects its young. This grass is sacred to Saturn and to Mars, and Glaucus, son of Polybus, is believed to have become a god by eating it. Rightly is protection and safety indicated by these knotted stems: this plant, the finger-grass, has so many powers. (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.33)
Again the same is true of the 6-line English rendering of Alciato’s 6-line Narcissus emblem, Philautia. The English translation is dense and tautly expressed, but no more so than the original. And again it is faithful to the original while at the same time remaining intelligible:
(Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 69) O Narcissus, because thy forme did thee too much delight Thou turned was into a hearbe, knowne to be dull of might. Philautie is the rottenness and slaughter of the witt Which doth and hath throwne many men into deepe ruines pitt, Who casting olde mens methods of, new precepte do devise Delivering naught but that which doth from their owne braine avise. (ms emblem 62)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: Because your beauty gave you too much satisfaction, Narcissus, it was turned both into a flower and into a plant of acknowledged insensibility. Self-satisfaction is the rot and destruction of the mind. Learned men in plenty it has ruined, and ruins still, men who cast off the method of teachers of old and aim to pass on new doctrines, nothing more than their own imaginings. (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.77)
Let us look now at what happens in the small number of emblems where the translator does increase the number of lines, as compared with the Latin original, but in so doing, employs a shorter line length than in his other translations. In, for example, his rendering of Alciato’s elliptic 2-line emblem on the vine, Prudentes vino abstinent, the English translator adopts a short line length, and as a result he does need to expand the length from the original two lines of Latin to four lines of English: Quid me vexatis rami? Sum Palladis arbor. Auferte hinc botros, virgo fugit Bromium. (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 24) Why doe ye vex me, o ye boughes. I am Minervaes tree. Take hence these grapes, for Bromius Faire maides do allwaies flee. (ms emblem 21)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem:
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Quod nimium tua forma tibi Narcisse placebat, In florem, & noti est versa stuporis olus. Ingenii est marcor, cladesque philautia, doctos Quas pessum plures datque, deditque viros: Qui veterum abiecta methodo, nova dogmata quaerunt, Nilque suas praeter tradere phantasias.
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Branching vine, why do you trouble me? I am the tree of Pallas. Take your grapes away—this maiden shrinks from Bromius.
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(Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.30)
Interestingly, here the translator does have space and - very unusually - uses it to add in the odd detail that was not present in the original. The singular virgo without any accompanying adjective becomes ‘Faire maides’ and the universality of the message is strengthened not only by them being made plural as opposed to singular, but also by the addition of the adverb ‘allwaies’: ‘Faire maides do allwaies flee’. We see a similar thing in the 8-line English translation of Alciato’s 4-line emblem on Nemesis, Nec verbo, nec facto quenquam laedendum: Assequitur, Nemesisque virum vestigia servat, Continet & cubitum, duraque frena manu. Ne male quid facias, neve improba verba loquaris: Et iubet in cunctis rebus adesse modum. (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 27) Still Nemesis doth overtake And mens fotestepps doth marke And holdes hir armes together close In hand are bridles sharpe. And in all thinge she doth commande That there should be a meane. Least men unjustlie should ought else Or utter wordes uncleane. (ms emblem 24)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: Nemesis follows on and marks the tracks of men. In her hand she holds a measuring rod and harsh bridles. She bids you do nothing wrong, speak no wicked word, and commands that moderation be present in all things. (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p. 34)
Again the translator uses here short lines rather than the longer lines that he uses elsewhere, and again he is able to add in the odd detail to strengthen the universality of the message (‘And in all thinge she doth commande’). And most strikingly the universality is also given greater weight by the impersonal construction of the English (‘Least men unjustlie should ought else/ or utter wordes uncleane’) as opposed to the second-person address of the original Latin (Ne male quid facias: neve improba verba loquaris). Already in these sample emblems we see that this unidentified English translator does not hesitate to include potentially obscure classical references in his vernacular rendering of Alciato’s Latin emblems, unlike, for example, the first French vernacular translator of Alciato, Jean Le Fevre, who rigorously removed almost all classical references and allusions, and produced for his French reading audience a set of emblems which were little more than highly simplified, and easily understandable moralising lessons. He clearly knows his
Aspice ut egregius puerum Jovis alite pictor Fecerit Iliacum summa per astra vehi. Quisque Iovem tactum puerili credat amore? Dic, haec Maeonius finxerit unde senex. Consilium, mens atque Dei cui gaudia praestant, Creditur is summo raptus adesse Jovi. (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 4) Beholde the famous painter, how He makes the Trojan ladde Upon an eagles back throughout The lofty skies to gadde. Can any man persuade himself That Jove a boye did love? Tell: what did Maeons aged source To forme thys same firste move? To whom the lawe and will of god Doth gladsome joyes aforde: That man may well supposed be, To soare up to the Lord. (ms emblem 1)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: See how the skilful illustrator has shown the Trojan boy being carried through the highest heavens by the eagle of Jove. Can anyone believe that Jove felt passion for a boy? Explain how the aged poet of Maeonia came to imagine such a thing. (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, p.10)
In the same way, in his English rendering of Prudentes vino abstinent quoted above, the translator replicates the more obscure name ‘Bromius’, used by Alciato, rather than replacing it with the more familiar name ‘Bacchus’ (Virgo fugit Bromium; ‘for Bromius/Faire maides do allwaies flee’). But more significant as indicators of the English translator’s familiarity with relatively obscure classical material—and further confirming the suggestion that he is a very well educated man—are several cases where he actually adds a classical reference which was not there in the original Latin. Most commonly this takes the form of supplying a name where Alciato referred to the individual indirectly. Thus, for example, where in In simulachrum Spei Alciato refers to Hesiod allusively as the old man of Ascra (Ascraei ut docuit musa verenda senis), the English translator supplies the actual name, using the phrase ‘As venerable Hesiode in worthy verse hath saide’:
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classical material, and has no hesitation in reproducing Alciato’s classical allusions in his English translation. In the opening emblem to the manuscript collection on the subject of Ganymede (In Deo laetandum), the translator is happy to reproduce Alciato’s allusive reference to the aged poet of Maeonia (‘Maeon’s aged source’) rather than simplifying his English version by using the more familiar name, Homer:
[…] Cur in dolioli tegmine pigra sedes? Sola domi mansi volitantibus undique noxis, Ascraei ut docuit musa verenda senis…
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(Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 44) Why dost thou sitt so idelie heere uppon a barrells head? When all offences flewe abroade, at home I onelie staid. As venerable Hesiode in worthy verse hath said… (ms emblem 40)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: …Why do you sit idle on the cover of a jar?—I alone stayed behind at home when evils fluttered all around, as the revered muse of the old poet of Ascra has told you… (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.51)
Again, where Alciato in the opening line of Quid excessi? Quid admisi? Quid omisi? referred allusively to Pythagoras as ‘the famous Samian founder of the Italian sect’ (Italicae Samius sectae celeberrimus autor the English translator supplies the actual name, Pythagoras: ‘Pythagoras prince of the Italian sect’: Quid excessi? Quid admisi? Quid omisi? Italicae Samius sectae celeberrimus auctor Ipse suum clausit carmine dogma brevi: Quò praetergressus? Quid agis? Quid omittis agendum?... (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 17) Pythagoras prince of the Italian sect, Included hath his minde in this one verse. What good undone? What done? Where have I stept?... (ms emblem 14)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: The famous Samian founder of the Italian sect himself put his essential teaching into a short verse: Where have you overstepped the mark? What are you doing? What are you leaving undone that ought to be done?... (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.23)
In his English translation of Alciato’s Tandem tandem iustitia obtinet on the shield of Achilles finally landing up on Ajax’s tomb, the translator does this three times within the one emblem. Achilles is named, as opposed to being referred to allusively as ‘Aeacus’s descendant’ (Aeacidae…scutum); Ulysses is named, as opposed to being referred to indirectly as ‘the Ithacan’; and Ajax likewise is named, as opposed to being referred to indirectly as the ‘son of Telamon’: Aeacidae Hectoreo perfusum sanguine scutum, Quod Graecorum Ithaco concio iniqua dedit:
(Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 28) Achilles buckler bath’d in Hectors bloude, The Greekes unjust unto Ulisses gave, Neptune more just, cast into surging floud Yt tooke to send unto the owners grave: To Ajax tombe the water it convayd, Which roared and with this voyce the grave up fild For worthy Ajax the buckler here is laide. Tis meete mens mindes shoulde unto justice yeeld. (ms emblem 25)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: The shield of Aeacus’ descendant, stained with Hector’s blood, the unjust assembly of the Greeks awarded to the Ithacan. Neptune, showing more respect for equity, seized upon it when it was cast into the sea in the shipwreck, so that it could go to its proper master. For the wave carried it to Ajax’s tomb upon the shore, the wave which booms and smites the sepulchre with these words: ‘Son of Telamon, you have conquered. You are more worthy of these arms’. It is right for partiality to yield to justice. (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.35)
Many other examples could be cited demonstrating the translator’s familiarity with his classical material, but let us finish with two particularly telling ones, where the translator provides a more precise classical allusion than did Alciato himself in the original emblem. In the opening couplet of his emblem on the tomb of the prostitute Lais, Tumulus meretricis, Alciato asks the rhetorical question ‘Was the Fate not ashamed to destroy such loveliness?’ Quis tumulus? Cuia urna? Ephyraeae est Laidos. ah! non Erubuit tantum perdere Parca decus?... (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 74)
Although Alciato does not specify which of the three Fates cut off the life of Lais, the unknown English translator does, correctly introducing into his version the name of Atropos, the third Fate, to whom fell the task of cutting off life: What tombe? Whose coffin was this same? Lays was her name: O fate, And was not Atropos asham’d To spoile so faire a shape… (ms emblem 67)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem:
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Iustior arripuit Neptunus in aequora iactum Naufragio, ut dominum posset adire suum: Littoreo Aiacis tumulo namque intulit unda, Quae boat, & tali voce sepulchra ferit: Vicisti Telamoniade tu dignior armis. Affectus fas est cedere iustitiae.
What tomb, whose urn is this?—It belongs to Lais of Ephyre.—Ah, was not the goddess of Fate ashamed to destroy such loveliness?
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(Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.82)
Again in Alciato’s emblem on the subject of Ulysses’ companions being turned into swine by Circe, Cavendum à meretricibus, the original Latin refers to Ulysses’ companions loosely as Ithaci, but the unknown English translator identifies them more precisely as ‘Ulisses mates’ (ms 69) and likewise describes Circe as ‘Phoebus daughter Circes’ whereas the Latin original simply referred to her as ‘daughter of the sun’ (sole satae Circes): Sole satae Circes tam magna potentia fertur, Verterit ut multos in nova monstra viros. Testis equum domitor Picus, tum Scylla biformis, Atque Ithaci postquàm vina bibere sues. Indicat illustri meretricem nomine Circe, Et rationem animi perdere, quisquis amat. (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 76) So great was Phoebus daughter Circes might, That she could turne men into monsters straunge, This doth Picus and Scylla witnes right, And Ulisses mates, who as with hogs did range. Circe declares a strumpet of great fame, He looseth witt that loveth one the same. (ms emblem 69)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: So great, we are told, was the power of Circe, daughter of the Sun, that she turned many persons into new monstrous shapes. A witness to this is Picus, tamer of horses, and Scylla with her double form, and the Ithacans who became pigs after drinking the wine.—Circe with her famous name indicates a whore and shows that any man who loves such a one loses his reason. (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.84)
In view of how well versed he is in classical myth, it is interesting to see that the unknown translator is perhaps not so familiar with the work of artists. Though the evidence is not conclusive, in two cases it does appear that this might be the case. In Alciato’s Leaena emblem, Nec quaestioni quidem cedendum, the Latin text describes the fact that because Leaena under torture refused to reveal her lover’s name, the statue of a lion that was subsequently erected in her honour was made tongueless by its sculptor, Iphicrates (elinguem reddidit Iphicrates): Cecropia effictam quam cernis in arce Leaenam, Harmodii (an nescis hospes?) amica fuit. Sic animum placuit monstrare viraginis acrem More ferae, nomen vel quia tale tulit. Quòd fidibus contorta, suo non prodidit ullum Indicio, elinguem rediddit Iphicrates. (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 13)
This Leonesse in Athens towne, Which here doth sett hir feete, Was once (if thou be ignorant) Harmodius lover sweet. Thus hath it pleased us to set forth Her constant manly minde Like to a leonesse, because We so her name do finde. Iphicrates pute out her tongue, Because no tormente might Cause hir, hir lovers name to tell, Or bring them owte to lighte. (ms emblem 10)
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: This lioness that you see represented on the Athenian citadel was Harmodius’ lover— stranger, you must know the story. This was how they decided to proclaim the brave woman’s fierce spirit, by representing her as a lioness. Besides, her name was Lioness too. Tortured on the rack, she betrayed no-one by her evidence, and so Iphicrates represented the beast without a tongue. (Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, 1996, p.19)
The other ambiguity concerns another artist, the Italian Bernardino Zenale referred to in Alciato’s emblem Unum nihil, duos plurimum posse, relating to a representation of Ulysses and Diomedes, the one characterised by cunning and the other by physical strength. It is described as having been produced by ‘the skilled hand’ of the artist (Zenalis apta manus): Laertae genitum, genitum quoque Tydeos unà, Hac cera expressit Zenalis apta manus. Viribus hic praestat, hic pollet acumine mentis, Nec tamen alterius non eget alter ope. Cùm duo coniuncti veniunt, victoria certa est. Solum mens hominem, dextrave destituit. (Alciato, Emblemata, Plantin, 1581, emblem 41)
In his English version the translator omits the reference to the ‘skilled hand’ of the artist, and simply refers to him by name, but in so doing he retains what is apparently the genitive case of the name, Zenalis, rather than using the nominative Zenale: Here Zenalis in tables hath exprest Laertes sonne, and Diomede also Th’one in strength, th’other in witt is best Yet th’one will not th’others ayde forgoe When two men joyne the conquest will sure come With sole men witt and strength cannot both winne. (ms emblem 37)
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The English translator expresses this somewhat ambiguously, using in the latter part of his version the phrase ‘Iphicrates pute out her tongue’ thereby possibly implying that he thinks that Iphicrates was the person who actually put out Leaena’s tongue, rather than the sculptor who produced a statue of a tongueless lion:
See, for comparison, Betty Knott’s English translation of this emblem: The son of Laertes together with him that Tydeus begot, the skilful hand of Zenas (sic) expressed in this moulded form. One of them is superior in strength, the powers of the other lie in sharpness of mind, yet neither of them can do without the other’s aid. When the two come united, victory is assured. Mind or strength in isolation has often left man in the lurch.
a largely unknown early-modern english translation
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(Alciato, Emblemata, 1550, Aldershot, Scolar Press, 1996, p.48)
This might possibly suggest that the unknown English translator is not familiar with the name of this particular artist. But—that having been said—it must be noted that in calling him ‘Zenalis’ he is not alone. Among the other sixteenth-century vernacular translators of Alciato, several also used the form ‘Zenalis’. Jean Le Fevre, the earliest French translator of Alciato did so, as did also Wolfgang Hunger, the early German translator, while Bernardino Daza who produced the Spanish translation in 1549 used a variant Spanish version, ‘Zenalo’.18 In his 1556 Latin commentary Sebastian Stockhamer also used the name Zenalis.19 In his Italian translation Giovanni Marquale evaded the issue by avoiding naming him, and simply used the word ‘Pittor’ in the 1551 Roville edition.20 Of the other two French translators Aneau and Mignault both call him ‘Zenal’21. It is very evident from the examples cited above that—unlike so many of the other early vernacular translations of Alciato which rigorously simplified the text for the benefit of a vernacular readership, cutting out many references to classical names—here the unknown English translator produces versions of Alciato’s emblems which are remarkably close to the original, and which also retain the strong classical reference framework of Alciato’s original Latin emblems. Given that the normal pattern in vernacular translations is to simplify the text and minimise classical references, why then is that not the case here? We can of course only speculate, but it could be suggested that this manuscript was produced for the private pleasure of the translator and (possibly) his or her family. It is not a work intended for publication and wide distribution to a vernacular reading populace. It is not a working manuscript intended to be used by a publisher as the basis for a printed version, but rather a private manuscript, which must be seen also as a pleasing work of art in its own right, a worthy addition to a gentleman’s private library. As to how it was produced there still remain many unresolved questions: Who was the translator? Who was the artist? What was their relationship? What was the process of creation of the manuscript? It seems clear that artist and writer are not the same person,
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Livret des Emblemes de maistre Andre Alciat…, Paris, C. Wechel, 1536, f. 8r; Clarissimi viri D. Andreae Alciati Emblematum libellus… per Wolphgangum Hungerum Bavarum, rhythmis Germanicis versus…, Paris, C. Wechel, 1542, Q2r; Los Emblemas de Alciato Traducidos en rhimas Españolas…, Lyon, M. Bonhomme and G. Roville, 1549, K1r. Clarissimi viri D. And. Alciati, Emblematum Lib. II, Lyon, J. de Tournes, 1556, m3v. Diverse Imprese Accommodate a diverse moralità…, Lyon, M. Bonhomme and G. Roville, 1551, p.42. Emblemes d’Alciat, de nouveau Translatez en François vers pour vers jouxte les Latins…, Lyon, M. Bonhomme and G. Roville, 1549, E1r; Emblemata Andreae Alciati… Les Emblemes Latin-François…, Paris, J. Richer, 1584, H2r.
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since it is inconceivable that the writer of the translations who was demonstrably able to cope with even Alciato’s most complex and obscure references could make such fundamental errors as giving Bacchus a snake in his hair. The artist, however is quite different. Although such errors on his part are rare, reflecting the fact that overall he is an extremely competent copier, who—other than in one or two cases—replicates very faithfully the woodcut figures of the Plantin edition, which served as his model, he is nevertheless essentially a copier rather than a creative artist. He depicts in the manuscript illustrations precisely what he sees (or thinks he sees) in the Plantin model. And he clearly does not take into account what the text says as an indicator of what he should depict. How then might this manuscript have been put together? Given the fact that the text is complete and the illustrations less complete (as we saw earlier, not all are coloured, and not all are even fully outlined in pen and ink)—it would seem that the text must have been written first and then the manuscript passed over to the artist to add in his illustrations in the top part of each page—not however with reference to what is described or alluded to in the text below, but rather with reference to a very precise model to follow in the shape of a copy of a Plantin edition. The artist must have been given clear instructions to copy every detail of the illustrations as he saw them, in outline at least. But equally clearly, as far as colouring is concerned he must have been given a much freer hand, with the result that the vivid colours that characterise many of the illustrations in this manuscript (particularly reds and greens) give it a brilliance and charm that cannot be achieved by mere black-and-white woodcut outline. It is clear that this is indeed a very important manuscript because of its content being the only known systematic early modern English translation of Alciato - but it is equally important also because of its aesthetic merit in its own right.
La Declaración magistral sobre los Emblemas de Alciato de Diego López de Valencia (Nájera, Juan de Mongaston, 1615) : études sur la dernière traduction et les derniers commentaires espagnols des emblèmes d’Alciat à la Renaissance Gloria Bossé-Truche - Interactions culturelles et discursives - Université de Tours
L’étude que nous présentons est centrée sur le recueil de Diego López de Valencia Declaración magistral sobre los Emblemas de Alciato, con todas las Historias, Antigüedades, Moralidad y Doctrina tocante a las buenas costumbres (« Exposé magistral sur les Emblèmes d’Alciat, avec toutes les Histoires, Antiquités, Moralité et Doctrine concernant les bonnes mœurs »). Le recueil date de 1615 et a été publié à Nájera, chez Juan de Mongaston1. Diego López était catedrático (professeur) de latin à Toro (non loin de Valladolid). Il appartient au prestigieux ordre militaire d’Alcántara, et dédie son recueil à Don Diego Hurtado de Mendoza, lui aussi chevalier d’un ordre militaire (celui de Santiago), héritier par ailleurs de l'illustre famille Mendoza, et qui avait des responsabilités politiques importantes. Ce recueil constitue le dernier ensemble traduction/commentaires espagnols des emblèmes d’Alciat à la Renaissance. En 1549 Bernardino Daza Pinciano a publié Los Emblemas de Alciato traducidos en rhimas españolas (sans commentaires) et en 1573 Francisco Sánchez de las Brozas publie ses Commentarii in Andreae Alciati Emblemata en latin. On peut considérer que Diego López souhaite faire œuvre de vulgarisation en écrivant en castillan. La particularité et l’intérêt de ce livre tiennent à sa parution, postérieure à la publication de la série des grands recueils espagnols d’emblèmes de Juan de Borja, des frères Horozco y Covarrubias, de Juan Francisco de Villava, dont l’orientation spirituelle et morale est fortement marquée. Il n’est besoin que d’en rappeler les titres : Empresas morales pour Juan de Borja (Prague, Georges Nigrin, 1581), Emblemas morales pour Juan de Horozco (Ségovie, Juan de la Cuesta, 1589) et Sebastián de Covarrubias (Madrid, Luis Sánchez, 1610), Empresas espirituales y morales pour Juan Francisco de Villava (Baeza, Fernando Díaz de Montoya, 1615). Notons que les auteurs sont des hommes d’Église, ou des proches des milieux ecclésiastiques. L’ouvrage de Diego López s’inscrit pleinement dans cette perspective. Notre propos est précisément de montrer dans quelle mesure les choix de Diego López de Valencia, davantage en matière
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Le recueil compte 210 emblèmes numérotés. Sont manquants Adversus naturam pecantes (Daly 080) et Desidia (Daly 081). D’autres éditions ont été publiées à Valence en 1655, 1670 et 1684. Les bois datant de 1548 sont de Rouille et Bonhomme. Ils sont toujours utilisés au xviie siècle, sont gravés sur cuivre et se présentent en miroir.
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de commentaire que de traduction d’ailleurs, ont pu être guidés par l’évolution du genre emblématique espagnol, et par le contexte religieux de l’Espagne, où la prédication connaît un puissant renouveau. Plus qu’aux questions d’ordre linguistique, nous nous intéresserons aux enjeux idéologiques que posent la traduction et les commentaires de Diego López. En outre en Espagne, deux événements contemporains de l’apparition de l’emblématique vont profondément bouleverser le statut de l’image et, par là même, modifier la structure de l’emblème. Il s’agit de la fondation de la Compagnie de Jésus (1540) et de la tenue du concile de Trente (1545-1563). Les jésuites ont joué un rôle déterminant dans le processus d’asservissement de l’image emblématique à l’image mnémotechnique. L’image est destinée dans ce cas à réveiller dans la mémoire du lecteur son équivalent verbal. Comme l’a montré Claudie Balavoine dans son analyse sur l’évolution du statut de l’image emblématique : « L’image symbolique cesse d’être l’élément initial dont le texte déploie le sens pour devenir résumé commode d’un texte antérieur. Ce renversement est fondamental »2. L’image symbolique se voit adjoindre la médiation du texte, qui la relègue au second plan. La place nucléaire de l’image est modifiée par les nouvelles orientations emblématiques de la fin du xvie siècle, qui affectent en premier lieu les livres espagnols d’emblèmes. La pictura de l’emblème va fonctionner comme image de mémoire, dont le sens doit être cerné par le texte de la narratio. C’est ce que note Gérard Labrot dans son étude sur l’image pieuse, dont on peut signaler les similitudes avec l’image emblématique : C’est que la figuration, si on lui accorde pleine confiance, déborde toujours, et de toutes parts, les intentions de celui qui l’utilise, et échappe à son contrôle. Elle donne toujours à rêver, à interpréter, se dressant comme un écran entre le sens voulu et le sens que déchiffre réellement chaque récepteur. Elle renferme une présence tenace, elle retarde toujours la compréhension du message discursif. Surtout, l’image est ambiguë, disponible, oscillant d’une interprétation à une autre, dans un temps fort bref. Du point de vue sémiologique, elle fait preuve de la plus grande inertie. L’attention au signifié vise par conséquent à éliminer toute liberté de manipulation, en abolissant toute incertitude de sens, toute « bavure » de la représentation. Par nécessité, l’image pieuse ne peut être que monosémique, le figuratif ayant été au préalable amputé de toute vibration non autorisée. Le déchiffrement doit imposer une signification obligée à l’ensemble des récepteurs. Ces derniers peuvent bien mettre dans l’image ce qu’ils y trouvent, mais seulement après avoir trouvé en elle ce que le transmetteur y a objectivement mis. Et c’est pourquoi l’image pieuse ne peut le plus souvent être utilisée sans appui, sans référentiels extérieurs, qui garantissent à tout le moins son innocuité : la prédication, préalable bien souvent à la distribution d’images, ou le livre, ou le texte auxiliaire3.
Dans la Declaración magistral, la narratio remplit ce rôle, et le remplit avec zèle, puisque d’une part le titre du recueil mentionne « Declaración » (« explication, exposé, commentaire ») mais aucune mention n’est faite du travail de traduction, et que d’autre part la glose s’introduit parfois dans le cadre de l’emblema triplex d’Alciat. Dans l’organisation d’une même page, il n’est pas rare que Diego López commence son commentaire à la suite de
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Claudie Balavoine, « Le statut de l’image dans les livres emblématiques en France de 1580 à 1630 », dans J. Lafond et A. Stegmann (dir.), L’Automne de la Renaissance, Paris, 1981, p. 167. Gérard Labrot, « Un type de message figuratif : l’image pieuse », Mélanges d’Archéologie et d’Histoire, École Française de Rome, 78, 1966, p. 600.
l’épigramme. Or, Jean-Marc Chatelain voit dans cette nouvelle disposition un intérêt stratégique à cette « narration », traditionnellement imprimée aussitôt après l’emblème auquel elle se rapporte :
Le recueil d’Alciat pour Diego López est ainsi un pré-texte, mais aussi un prétexte, à la rédaction de sa Declaración magistral. Il en fait finalement tout autre chose, à savoir un sermonaire, dans la tradition de la littérature emblématique espagnole. À travers quelques exemples que nous exposerons, nous montrerons que la structure du commentaire se rapproche de celle du sermon et qu’entre le texte original d’Alciat et celui de Diego López, l’on passe de l’éthique à la morale.
Le paratexte Dans cette optique, le paratexte est on ne peut plus explicite et éclairant. Dès l’Approbation, rédigée par le jésuite Juan-Luis de la Cerda transparaît la volonté d’édification du lecteur : […] et je ne trouve rien qui répugne à notre sainte foi catholique, ni aux bonnes mœurs, mais plutôt une grande érudition, et des moralités exposées fort à propos, qui plairont beaucoup aux amoureux des belles lettres, et tous pourront comprendre les Emblèmes d’Alciat, avec beaucoup d’aisance grâce à la grande clarté avec laquelle l’auteur les a expliqués […]5.
Aucun doute, donc, sur l’entreprise d’explicitation du livre d’Alciat, qui répond parfaitement aux directives du concile de Trente en matière de prédication. Vient ensuite un sonnet élaboré par Antonio de la Baria y Cangas (un des élèves de Diego López) qui loue et la capacité de la langue castillane à traduire la richesse de la langue latine (c’en est donc fini du complexe d’infériorité propre au xve siècle ; on insiste davantage sur la différence entre deux langues, plutôt que sur la supériorité d’une langue par rapport à l’autre) et les talents d’exégète de Diego López. En voici quelques vers : « Parce que la langue castillane est capable / d’autant de grave érudition et de doctrine / que les langues grecque et latine / Ton ardeur studieuse choisit comme motif / pour l’expliquer en castillan avec une tournure
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Jean-Marc Chatelain, « Lire pour croire : mises en texte de l’emblème et art de méditer au xviie siècle », Bibliothèque de l’École des Chartes, 150, 1992, p. 43. Diego López de Valencia, Declaración magistral sobre los Emblemas de Alciato, con todas las Historias, Antigüedades, Moralidad y Doctrina tocante a las buenas costumbres, Juan de Mongaston, Nájera, 1615 : « […] y no hallo cosa que repugne a nuestra sancta Fee Cathólica, ni a las buenas costumbres, antes mucha erudición, y moralidades sacadas muy a propósito, de que gustarán mucho los aficionados a letras humanas, y todos podrán entender los Emblemas de Alciato, con mucha facilidad por la gran claridad conque el Autor las declara » (non paginé).
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Le livre se présente alors comme une suite de brefs chapitres. Cette disposition de la narration, aussitôt après l’emblème remplit, comme la disposition de l’emblème sur une seule page, une fonction qui lui est propre : en proposant au lecteur une « rumination » de ce qu’il vient de voir, elle est un support essentiel de la mémorisation4.
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divine/ l’œuvre admirable d’Alciat6 ». Les deux tercets du sonnet expliquent que la subtilité des commentaires de Diego López auraient élevé au niveau des pyramides égyptiennes les « mystérieux » emblèmes d’Alciat, si la richesse de leur style et leur variété n’avaient suffi à lui assurer une gloire éternelle7. Le sonnet suivant, de don Francisco de Cevallos (un autre de ses élèves), qui appartient toujours au paratexte, franchit une étape, en plaçant le traducteur au-dessus de l’auteur lui-même : Comme les fleurs qui dans la nuit obscure / sont toutes d’une même couleur, ou d’aucune / jusqu’à ce que le soleil, opportun dans sa clarté/manifeste aux hommes leur beauté. / Ainsi sans vous cette lecture se trouvait / et par son obscurité ce si grand poète / était importun, et le lecteur orphelin / de votre érudition, et de sa douceur. / Je doute qu’Alciat lui-même fût capable / d’exposer les sources de ses thèmes / avec une telle variété, une telle grâce et une telle sagesse8.
Force est de constater que la relative obscurité qui présidait à la composition des emblèmes a disparu. Francisco de Cevallos en souligne même le caractère inopportun. Le livre de Diego López s’inscrit à ce titre dans la même perspective que ceux des emblématistes espagnols précédemment cités. De même le commentaire se substitue à l’épigramme comme texte essentiel. En outre, l’amplification moralisatrice remplace le goût de la formule resserrée et la lecture de l’emblème, lecture verticale à l’origine, fait place à une lecture horizontale, effectuée sur le mode du discours. Le texte du commentaire a pris le pas sur le texte d’Alciat, et même sur la traduction qu’en propose Diego López ; le phénomène est flagrant dans la Declaración magistral, car le texte latin d’Alciat est presque systématiquement mis entre parenthèses, comme si les segments latins gênaient la lecture du texte de Diego López. Ils sont pour ainsi dire isolés du reste du texte. De plus Diego López « maltraite » le texte source en multipliant les hyperbates. Il désorganise l’épigramme de façon à élaborer un texte en prose castillane qui donne lieu à une glose hypertrophiée, dans la plus pure tradition emblématique espagnole. Peut-être faut-il y percevoir le désir d’imprimer une force expressive au discours, comme le suggère José-Luis Alborg : « La très grande liberté de l’espagnol dans l’ordre des mots – supérieure à celle d’autres langues romanes – s’est accentuée avec le désir de rivaliser avec le latin et d’élever la dignité et les possibilités expressives du langage littéraire »9. De plus, l’usage de la langue vernaculaire s’applique à 6 7 8
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Ibid., : « Por ser capaz el Castellano Idioma / Tanto de erudición grave, y doctrina / Quanto las lenguas son Griega y latina / Tu estudiosa afición motivo toma / Para explicar en el con voz divina / De Alciato la obra peregrina » (non paginé). La référence aux pyramides égyptiennes n’est peut-être pas un hasard quand on sait l’engouement pour les hiéroglyphes comme écriture sacrée. D. López de Valencia, Declaración magistral (note 5) : « Como las flores, que en la noche obscura / Todas son de un color, o de ninguno / Hasta que el claro sol muy oportuno / Manifiesta a los hombres su hermosura. / Ansí estava sin vos esta letura / Y por su obscuridad era importuno / Tan gran poeta, y el lector ayuno / De vuestra erudición, y su dulçura. / Dudo si el mismo Alciato bastara / A declarar las fuentes de sus themas / Con tan varia leción, gracia, y aviso » (non paginé). Jorge-Luis Alborg, Historia de la literatura española. Epoca barroca, t. 2, segunda edición, Madrid, 1970, p. 532 : « La enorme libertad del español para el orden de las palabras – superior a la de otras lenguas románicas – se acentuó tras el deseo de emular al latín y elevar la dignidad y posibilidades expresivas del lenguaje literario ».
diffuser plus largement encore le contenu de l’Emblematum liber. Cet usage de l’espagnol comme véhicule de transmission d’un savoir rejoint celui qu’en font les prédicateurs. 461
D’ailleurs, les directives du concile de Trente sont claires en ce qui concerne les sermons. Les prédicateurs doivent s’exprimer en langue vernaculaire pour que l’auditoire tout entier reçoive correctement le message évangélique. Voici un extrait du canon 7 de la 24e session du concile de Trente : Au cours de la solennité de la messe et pendant la célébration des divins offices, ils [les évêques] exposeront, aux jours de fête et aux solennités, en langue vulgaire, les textes sacrés et avis salutaires, qu’ils s’efforceront de faire pénétrer dans les cœurs, en évitant toutes les questions inutiles, pour mieux instruire leurs fidèles dans la loi du seigneur10.
Il va sans dire que le castillan facilite la compréhension des emblèmes d’Alciat, comme cela a été souligné à plusieurs reprises dans le paratexte. Pour autant, il nous faut relever ici une certaine contradiction : Diego López, à travers les auteurs du paratexte, prétend à une traduction autant qu’à une création originale. En ce sens il rejoint dans l’intention les emblématistes. Il désire suggérer des idées élevées, mais oriente en même temps l’enseignement que le lecteur doit en tirer. En renforçant le pouvoir de transmission de l’emblème, les auteurs en général, et Diego López en particulier, en affaiblissent incontestablement l’originalité. Le paradoxe est aussi présent dans les sermonaires. Ainsi le frère Diego Murillo écrit, dans le prologue de ses Discursos predicables (1601) : Il est juste de traiter des choses qui concernent Dieu avec simplicité, mais non sans esprit, et qu’elles soient exposées sans curiosité malsaine ni grossièreté ; ainsi l’homme d’esprit ne s’en irritera pas, et l’ignorant ne manquera pas de les comprendre. Pour satisfaire à ces deux exigences, j’ai essayé de mettre de la subtilité dans les concepts ; dans l’arrangement des phrases, de l’éloquence sans coquetteries ; de l’utilité dans la création et de la douceur dans l’exposition ; de la variété dans la composition et des sentiments pleins de sollicitude […]11.
La gageure qui consiste à appliquer au sermon un style clair mais élevé amène un autre ecclésiastique, le père Antonio Viera, à reprendre en 1615 des mots habituellement appliqués au caractère clair-obscur de l’empresa : « Le style peut être clair et subtil. Si clair que
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André Michel, « Les décrets du concile de Trente » dans Ch.-J. Hefele (dir.), Histoire des conciles d’après les documents originaux, t. 10, Paris, 1938, p. 572. Fray Diego Murillo, Discursos predicables sobre los Evangelios, Zaragoza, Angelo Tavano, 1601, prólogo : « Las cosas de Dios es razón se traten con llaneza, mas no sin ingenio, y que se digan sin una malsana curiosidad, mas no con grosería, para que de esta suerte ni el ingenioso se enfade, y el ignorante dexe de entenderlas. Por acudir a entrambas cosas, he procurado en los conceptos manera ingeniosa ; en las palabras, elocuencia sin bizarrías ; en la invención, utilidad ; con dulzura en la exposición ; variedad en la contextura ordenada y en los afectos, instancia […] ».
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Sermonisation de l’emblème
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les ignorants le comprennent, et si subtil que les érudits puissent en tirer profit »12. Comme le sermon, l’emblème remplit une fonction pédagogique. Les images viennent fixer dans la mémoire la doctrine catholique. Diego López affirme lui-même : « Mais il est nécessaire d’avoir chaque jour des exemples à garder sous les yeux »13. Il nous semble que l’expression « delante de los ojos » est à considérer au sens figuré de garder en mémoire, mais aussi au sens propre, en s’aidant de la gravure d’emblème. Transparaît ici l’influence déterminante des jésuites, de l’image de mémoire, mais aussi peut-être de Juan de Borja qui déclarait, au sujet d’un de ses emblèmes intitulé Hominem te esse cogita (« souviens-toi que tu es un homme ») dont la gravure représente une tête de mort : « Avoir ceci sous les yeux est le plus sûr remède que possède le chrétien pour ne pas se fourvoyer »14. D’autre part le terme « exemplos » employé par Diego López renvoie aux exempla dont les prédicateurs émaillaient leurs sermons (nous y reviendrons plus avant). De fait sermon et commentaire d’emblèmes se rejoignent par une structure similaire. Par le biais du commentaire, l’emblème peut se lire comme un sermon. Soulignons ici une différence fondamentale, à savoir que l’épigramme condense, tandis que le sermon développe et glose. Or chez Diego López, c’est moins la traduction que la glose qui semble emporter son intérêt. Comme celle de l’emblème, la structure du sermon est tripartite : exorde, corps et conclusion, qui peuvent se diviser en différentes parties. L’exorde expose le thème qui va être traité. Diego López l’annonce lui aussi d’entrée. Ainsi le commentaire de l’emblème 4, In deo laetandum, s’ouvre sur ces mots : « Les cinq emblèmes suivants appartiennent au culte divin et à la religion, bien que les peintures soient différentes. Dans la première, Alciat représente Ganymède enlevé par un aigle, et le titre est In deo laetandum, il faut se réjouir en Dieu15 » (fig. 1). De même pour l’emblème 8 (fig. 2), dont le commentaire s’ouvre sur ces mots : Avec cet emblème, Alciat referme la série des cinq emblèmes qu’il consacrait, comme nous l’avons dit, au culte divin et à la religion, et il a choisi ce dernier emblème parce que la religion chrétienne dans sa perfection consiste à réaliser ce qu’elle nous incite à faire, à savoir aller là où Dieu nous appelle, ce que le titre nous encourage à faire : Qua dii vocant eundum, nous devons aller là où Dieu nous appelle16.
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« El estilo puede ser muy claro y muy alto ; tan claro que lo entiendan los que no saben y tan alto que tengan mucho que entender de él los que saben », cité par Félix Herrero Salgado, « La oratoria sagrada en el siglo XVII : tradición e innovaciones » in M. G. Martín (dir.), Estatuto actual de los estudios sobre el Siglo de Oro, Salamanca, 1993, p. 502. D. López de Valencia, Declaración magistral (note 5), f. 207v : « Pero que necesidad ay de traer exemplos teniéndolos cada día delante de los ojos ». Juan de Borja, Empresas morales, Madrid, 1981, p. 198 : « Tener esto delante de los ojos es el mayor remedio que puede haver [el hombre cristiano] para no descuydarse ». D. López de Valencia, Declaración magistral (note 5), f. 16v : « Estas cinco emblemas siguientes pertenecen al culto divino, y religión, aunque las pinturas son diferentes. En la primera de las cuales pinta Alciato a Ganimedes, arrebatado de un águila, y el título es In deo laetandum, ha de alegrarse en Dios ». L’auteur emploie souvent le terme « emblema » au féminin. Ibid., f. 33v : « Con esta emblema acaba Alciato las cinco que diximos que hacía al culto divino y religión, y puso la postrera, porque en cumplir lo que en ella se amonesta, consiste toda la religión cristiana y perfección de ella, que es yr por donde nos llama Dios, lo qual nos amonesta el título Qua dii vocant eundum, que avemos de yr por donde Dios nos llama ».
fig. 1 - André Alciat, Diego López, Declaracion magistral sobre las Emblemas, Najera, Juan de Mongaston, 1615, f. 16r. Glasgow University Library.
fig. 2 - André Alciat, Diego López, Declaracion magistral sobre las Emblemas, Najera, Juan de Mongaston, 1615, f. 33v. Glasgow University Library.
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Le thème est donc exposé ; notons ici un phénomène intéressant qui abonde dans le sens d’une recréation plus que d’une véritable traduction : Diego López traduit dii par « Dios », c’est-à-dire par Dieu. Il transforme le pluriel païen d’Alciat par un singulier très catholique. D’autre part, lorsque Diego López aborde l’emblème suivant, Fidei symbolum (fig. 3), il le relie au précédent de manière détournée, de façon à rendre son discours homogène. Sa glose n’est qu’un seul et même texte, dont les emblèmes d’Alciat sont le prétexte : Si nous considérons attentivement les emblèmes d’Alciat, nous constaterons qu’ils sont reliés entre eux et dépendants les uns des autres. Ainsi après en avoir fini avec le culte divin et la religion, il veut maintenant aborder quelques vertus en commençant par la fidélité et la foi, et il a d’abord exposé ceux de la religion, parce que rendre hommage à Dieu et aller là où il nous appelle est le fondement de la foi. Si elle vient à manquer, on n’honore pas Dieu et on ne va pas non plus là où il nous appelle. Dans cet emblème il représente la vérité, l’honneur et l’amour chaste ; ces trois choses convergent dans la foi, et c’est pourquoi le titre Fidei Symbolum convient17.
Par deux fois Diego López reprend l’expression « caminar por donde nos llama » qui est la traduction de l’inscriptio de l’emblème précédent. Ainsi la glose lui permet d’introduire un élément unificateur. Mais Diego López va plus loin. Il choisit de classifier et d’interpréter l’emblème dans le sens qui servira son propos. Par exemple, le commentaire de l’emblème 15, Vigilantia et custodia (fig. 4) s’ouvre ainsi : Dans cet emblème Alciat présente une église avec son clocher et tout en haut un coq, et sur le frontispice un lion et l’emblème a pour titre Vigilantia et custodia, la vigilance et la garde. Et parce que ces deux qualités ne se trouvent que chez l’homme prudent, considérons cet emblème comme le deuxième sur les treize qu’Alciat, comme nous l’avons dit, consacre à la prudence18.
De fait il glose ensuite l’emblème en insistant sur l’éducation de la femme, sur le rôle des prélats et des prédicateurs, mais ne dit rien, ou presque, sur la prudence. Ce goût pour la classification constitue une autre similitude entre recueils d’emblèmes et sermonaires. La preuve en est la présence en fin de livre d’outils rendant leur consultation plus aisée. Dans les recueils d’emblèmes espagnols, les index reprennent les citations des Écritures qui ont été glosées (Horozco et Villava) ; l’ordre peut être alphabétique, ou suivre les différents livres de la Bible. Diego López opte quant à lui pour un index alphabétique de « Toutes les choses notables contenues dans cet ouvrage ; le numéro renvoie à l’emblème où elles
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Ibid., f. 39v : « Si consideramos atentamente las emblemas de Alciato, hallaremos que van enlazadas y pendiendo unas de otras, y assí después que acabó las del culto divino y religión, quiere ahora tratar de algunas virtudes, y comiença por la fidelidad y fe, y primero puso las de la religión porque el honrar a Dios y caminar por donde nos llama es el fundamento de la fe, la qual en faltando, ni se honra a Dios ni sa camina por donde nos llama. En esta emblema nos pinta la verdad, la honra y el amor casto, todas las quales tres cosas concurren en la fe, y de aquí le cuadra el título Fidei Symbolum ». Ibid., f. 58r : « En esta emblema pone Alciato una iglesia con su torre y campana, y en lo alto de ella un gallo, y en la portada un león y tiene por título Vigilantia y custodia, la vigilancia y la guarda. Y porque estas dos cosas no se pueden hallar sino en el hombre prudente, sea esta la segunda emblema de las trece que diximos que hace Alciato a la prudencia ».
fig. 3 - André Alciat, Diego López, Declaracion magistral sobre las Emblemas, Najera, Juan de Mongaston, 1615, f. 39v. Glasgow University Library.
fig. 4 - André Alciat, Diego López, Declaracion magistral sobre las Emblemas, Najera, Juan de Mongaston, 1615, f. 58r. Glasgow University Library.
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sont développées »19. Un deuxième index renvoie aux proverbes utilisés20. Comment ne pas penser que ce type d’organisation a pour but d’aider les prédicateurs à élaborer leurs sermons ? Ce propos se fait explicite dans le recueil de Juan Francisco de Villava, publié la même année que la Declaración Magistral : « J’ai voulu présenter ces réflexions par le truchement de comparaisons qui peuvent servir aux prédicateurs ; c’est pourquoi j’ai noté les références aux Écritures, s’ils venaient à les consulter »21. Pour frapper l’esprit du lecteur, comme celui du fidèle qui assiste au sermon, il faut une illustration au thème qui est traité, qui va servir à mémoriser plus facilement et plus volontiers la leçon délivrée par le prédicateur ou l’emblématiste. À ce titre, l’exemplum constitue un point de contact supplémentaire entre sermon et emblème. Le terme exemplum a au moins deux sens au Moyen Âge. Le plus courant, hérité de l’Antiquité, est celui d’exemple à suivre, de modèle (de comportement, de vertu). Le terme peut d’ailleurs renvoyer soit à une action, soit à un personnage « exemplaire » (un saint, ou le Christ lui-même). Parallèlement, l’exemplum peut aussi désigner un type particulier de récit. Jacques Le Goff en donne la définition suivante : « […] un récit bref donné comme véridique, destiné à être inséré dans un discours (en général un sermon) pour convaincre un auditoire par une leçon salutaire »22. L’exemplum ne constitue pas un récit autonome. Autant qu’un objet en soi, il est une situation. En outre, il s’insère dans une stratégie de persuasion. L’orateur cherche à obtenir de l’auditeur un comportement qui soit conforme à l’ensemble du système éthique et moral qu’il présente. L’exemplum est précieux dans la mesure où il permet de convoquer l’autorité morale du passé (c’est aussi le fonctionnement de l’emblème). José-Antonio Maravall souligne l’extrême importance de la littérature d’exempla au Moyen-Âge, qu’il s’agisse de littérature religieuse, morale, politique ou même scientifique. Or l’auteur remarque que les grands centres européens d’édition ne cessent de publier, tout au long des xvie et xviie siècles, des rééditions de ces recueils médiévaux, mettant ainsi en évidence une certaine accointance avec la mentalité sociale d’alors : « En réponse à l’intense circulation des répertoires d’exempla, nous observons que la littérature emblématique repose, en outre, sur une croyance ferme, propre à tous les livres politiques et moraux du xviie siècle, qui suivent la tradition des livres antérieurs : la valeur exemplaire des cas concrets »23. L’exemplum vaut d’ailleurs autant, qu’il soit historique et
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Ibid., « Tabla de todas las cosas notables contenidas en esta obra, el número muestra la emblema donde se hallarán » (non paginé). Ibid., « Adagios que se declaran en esta obra, el número muestra la emblema donde se hallarán » (non paginé). Juan-Francisco de Villava, Empresas espirituales y morales, Baeza, Fernando Díaz de Montoya, 1615, f. 3v : « […] Yo he pretendido poner estos pensamientos en símiles que pueden servir a predicadores, y por esso pongo también los lugares de escriptura donde se pueden aplicar, si alguna vez vinieren a las manos ». Cl. Brémond, J. le Goff, J.-Cl. Schmitt (dir.), L’Exemplum, Turnhout, 1982, p. 37-38. José-Antonio Maravall, « La literatura de emblemas en el contexto de la sociedad barroca », in Teatro y literatura en la sociedad barroca, Barcelona, 1990, p. 99 : « Respondiendo al dato de la ininterrumpida circulación de repertorios de exempla, observamos que la literatura emblemática se basa, además, en una firme creencia, propia de todos los libros político-morales del siglo XVII, siguiendo la tradición de los libros anteriores : el valor ejemplar de los casos concretos ». C’est l’auteur qui souligne.
Quand la doctrine traverse des moments de crise, le recours aux citations est devenu plus fréquent par crainte des déviances punissables et comme défense de la parole personnelle. Mais ce qui a toujours été une nécessité s’est souvent changé en exhibition vaniteuse d’érudition et d’esprit et au xviie siècle déjà, en instrument caractéristique du style baroque. On choisit laborieusement le passage qui va surprendre et émerveiller par son côté insolite et subtil27.
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Jacques Berlioz, « Le récit efficace : l’Exemplum au service de la prédication (xiiie-xve siècles) », Rhétorique et Histoire. L’Exemplum et le modèle de comportement dans le discours antique et médiéval, Paris, Mélanges de l’École Française de Rome, 92, 1980, p. 111-146. D. López de Valencia, Declaración magistral (note 5), f. 38r : « Esto fue lo que el propio Cristo hizo, que fue ser maestro nuestro, él propio se llama camino. Ego sum via, yo soy el camino y senda ». Historia de la acción educadora de la Iglesia en España, t. 1 Edades Antigua, Media y Moderna, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1995, p. 607-608 : « […] buscando siempre argumentos de autoridad : la Sagrada Escritura, los Padres de la Iglesia, los teólogos y hasta los autores no cristianos, especialmente filósofos reconocidos ». F. Herrero Salgado, « La oratoria sagrada en el siglo XVII… » (note 12), p. 507 : « En momentos de crisis doctrinal, el recurso a los lugares se hizo más frecuente por temor a desviaciones punibles y como
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avéré, ou imaginaire. Jacques Berlioz, dans un article consacré à « l’exemplum au service de la prédication »24, en dégage sept caractéristiques : l’univocité, la brièveté, l’authenticité, le vraisemblable, le plaisir, son caractère métaphorique et sa facile mémorisation. La première force de l’exemplum est son caractère univoque. Afin d’imposer à l’auditoire l’enseignement à tirer du récit, le prédicateur doit éliminer toute possibilité d’interprétations multiples. De même, Diego López explique dans la traduction des épigrammes d’Alciat les exempla et en donne la signification. Ainsi Ganymède (emblème 4 [fig. 1]) enlevé par l’aigle signifie l’âme de l’homme qui s’élève par la contemplation des choses célestes, et qui est comme arrachée à la lourdeur du corps pour pouvoir jouir de l’extase divine. Ou encore Mercure (emblème 8 [fig. 2]) est le guide qui montre à l’homme le droit chemin et l’aide à s’y maintenir. Dans ce même emblème, le Christ lui-même sert d’exemplum après Mercure : « C’est ce qu’a fait le Christ lui-même, être notre maître, lui-même s’appelle le chemin. Ego sum via, je suis le chemin et la voie »25. Qui mieux que le Christ peut être garant de l’orthodoxie de la démonstration ? Le second point, la brièveté, est une condition indispensable à l’efficacité de l’exemplum. Plus il s’allonge, plus les possibilités d’interprétations se multiplient. De fait dans l’emblème, la structure épigrammatique empêche l’allongement du récit exemplaire. D’autre part, la preuve d’authenticité est un garant d’orthodoxie. Qu’il s’agisse de renvois en marge, ou d’épisodes mythologiques moralisés, Diego López comme les autres emblématistes a pour souci constant de légitimer ses sources. Il suit en cela les recommandations officielles : « […] en recherchant toujours les arguments d’autorité : les Saintes Écritures, les Pères de l’Église, les théologiens et même les auteurs non chrétiens, en particulier les philosophes reconnus »26. Diego López, dans sa Declaración magistral, multiplie ces références à l’auctoritas, religieuse ou non : Homère, Térence, Cicéron, Virgile, Horace, Ovide, Pline, Quintilien, Plutarque, Juvénal, Platon, Pétrarque, Érasme, Sánchez de las Bozas (qu’il nomme « el maestro »), saint Matthieu, saint Jean, saint Fulgence… Cet usage presque excessif du renvoi à l’auctoritas traduit une dérive qui sévit aussi dans la prédication, comme le note Félix Herrero Salgado :
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Diego López semble parfois même s’en lasser : il écrit par exemple : « Que celui qui voudrait en savoir plus sur Mercure lise le Docteur Viana dans le livre des Métamorphoses d’Ovide, parce que ce que j’ai dit suffit à mon propos, et je reviens à l’explication du texte »28. D’autre part, authenticité et vraisemblance vont de pair dans l’exemplum. Des récits trop fantaisistes n’auraient qu’un pouvoir de persuasion limité. Le complément indispensable du vraisemblable est le plaisir, qui doit trouver sa place dans le sérieux du discours. Il ne peut en effet y avoir d’exemplum ennuyeux, puisque sa fonction est précisément de rompre la monotonie du sermon (ou du discours). En outre, comme le note Jacques Berlioz : « Le plaisir est à associer étroitement au contenu imagé du récit exemplaire »29. La littérature emblématique, par le truchement de la gravure, offre a fortiori cette dimension plaisante au message qu’elle véhicule. Le sixième atout de l’exemplum concerne son caractère métaphorique. Car, de même que la métaphore est un mot pour un autre, l’exemplum est une situation pour une autre : « De plus, quand le récit exemplaire se substitue à l’énoncé brut d’une conduite morale souhaitée […] que le prédicateur cherche à justifier […], en prenant sa place dans le sermon, la situation pragmatique du chrétien alors occultée reste présente de par sa connexion métonymique au reste de la chaîne »30. Cependant, le caractère métaphorique de l’exemplum est souvent explicité par les auteurs d’emblèmes, et Diego López n’échappe pas à la règle. Ainsi emploie-t-il souvent l’expression « podemos entender » (« nous pouvons comprendre »). Sans chercher plus loin que dans le commentaire des emblèmes déjà mentionnés, nous pouvons lire : « En voyant Ganymède enlevé par l’aigle nous pouvons aussi comprendre qu’il s’agit de l’âme humaine qui semble s’élever vers le ciel lorsqu’elle contemple les choses par l’entendement »31 (il s’agit de l’emblème 4 [fig. 1]), ou encore, dans le commentaire de l’emblème 8 (fig. 2) : « Mercure peut aussi représenter les Lettres Divines et leurs interprètes que sont les prédicateurs »32. Le verbe « significar » (« signifier ») est lui aussi très fréquemment utilisé : « Un rapt et une extase, signifiés par Ganymède »33, « L’aigle qui enlève Ganymède signifie la grâce »34 ; « Mercure que l’on représente avec des ailes aux pieds pour signifier la légèreté35 ». Tout au long du commentaire de
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defensa de la palabra personal. Pero lo que siempre fue necesidad, se convirtió, no pocas veces, en exhibición vanidosa de erudición e ingenio, y, ya en el siglo XVII, en instrumento peculiar de estilo barroco : se elige laboriosamente el lugar que pueda admirar y sorprender por lo insólito y sutil ». D. López de Valencia, Declaración magistral (note 5), f. 37r : « Quien quisiera saber más de Mercurio, lea al doctor Viana en el libro de las Transformaciones de Ovidio, porque para mi intento basta lo dicho, y me vuelo a la explicación de la letra ». J. Berlioz, « Le récit efficace… » (note 24), p. 122. Ibid, p. 126. D. López de Valencia, Declaración magistral (note 5), f. 19v et 20r : « También por Ganimedes arrebatado del águila podemos entender el alma del hombre, la qual parece que se sube al cielo, cuando contempla con el entendimiento las cosas ». Ibid., f. 38r : « Por Mercurio […] se pueden entender las Divinas letras, y los intérpretes dellas, como son los predicadores ». Ibid., f. 19v : « Un rapto y estasis, significado por Ganimedes » (E4). Ibid., f. 20v : « El águila que arrebata a Ganimedes significa la gracia iluminante » (E4). Ibid., f. 38r : « Mercurio a quien pintan con alas en los pies para significar la ligereza » (E8).
l’emblème 9, Fidei symbolum, Diego López oriente la lecture de l’emblème en intégrant le lecteur à sa glose, par une première personne du pluriel :
L’auteur se pose lui-même en autorité apte à interpréter ; il propose différentes perspectives de commentaires à partir de l’emblème, rejoignant ainsi le travail du prédicateur37. Enfin, la dimension mnémonique de l’exemplum se conçoit dans la mesure où il s’agit pour le fidèle de se remémorer la conduite à tenir dans une situation donnée. L’exemplum marque l’imagination de l’auditeur et s’imprime plus aisément et durablement dans sa mémoire. Il en va de même avec l’emblème : « Ce qui amènerait une définition de l’exemplum comme une unité minimale de narration mémorisable, dans le cadre de la persuasion. […] Enfin, si pour illustrer des principes nouveaux, les prédicateurs emploient de vieux textes et d’anciens thèmes, n’est-ce pas pour accélérer la mémorisation des exempla 38? ». Notons en ce qui concerne l’emblème (nous l’avons déjà souligné), que la forme poétique de l’épigramme aide à la mémorisation, sans parler de la gravure, dont le caractère mnémotechnique a été largement exploité. D’ailleurs, Diego López insiste particulièrement sur la pertinence du lien entre inscriptio et pictura. Il nous semble que cette insistance est à mettre en relation avec l’œuvre dogmatique du concile de Trente, et plus précisément avec la 25e session consacrée aux images. Voici un passage de la fin du décret : Les évêques enseigneront aussi avec soin que les histoires des mystères de notre rédemption, exprimées par des peintures ou autres représentations, sont faites pour instruire le peuple, le confirmer dans la foi et lui donner le moyen de s’en remémorer les articles […]39.
Le premier point à souligner est l’insistance sur la valeur pédagogique de l’image (instruire/confirmer), d’autant plus intéressante pour nous qu’elle est fortement présente dans l’image emblématique. Le décret en souligne aussi l’aspect mnémotechnique (« le moyen de s’en remémorer les articles ») dont les jésuites feront grand cas. Mais le décret insiste
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Ibid., f. 44r : « Considero yo que la fee es en dos maneras, infusa y adquisita : la fee adquisita es virtud moral, y la infusa es theologal, y si queremos que Alciato hable desta, muy bien le quadra el título, porque se contiene de honra, de verdad, de amor. […] y así si queremos que Alciato trate de la fee infusa, le quadra el título a la pintura Fidei symbolum […] si queremos que Alciato hable de la adquisita, virtud moral, llamada así porque el hombre la alcança y adquiere por sus buenas costumbres ». Historia de la acción educadora…, p. 607-608 : « Le corps est la partie principale du sermon, où l’on développe l’argument principal, en différentes parties ou considéré à partir de différentes perspectives » (« El cuerpo es la parte principal del sermón, donde se desarrolla el argumento central, normalmente planteado en el tema, en una serie de partes, o visto desde distintas perspectivas […] »). J. Berlioz, « Le récit efficace… » (note 24), p. 130. A. Michel, « Les décrets du concile de Trente… » (note 10), p. 594.
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Je considère quant à moi que la foi est double, infuse et acquise ; la foi acquise est une vertu morale, et la foi infuse est théologale, et si nous voulons qu’Alciat aborde cette dernière, le titre convient très bien, parce qu’elle se compose d’honneur, de vérité, d’amour et ainsi si nous voulons qu’Alciat traite de la foi infuse, le titre convient bien à la gravure Fidei Symbolum […] si nous voulons qu’Alciat traite de la foi acquise, vertu morale, appelée ainsi parce que l’homme l’obtient par ses bonnes actions36.
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sur le fait que les images doivent être accompagnées d’une prédication qui en éclaire la fonction et évite les abus. C’est dans ce sens qu’il faut envisager l’étroit rapport établi par Diego López entre inscriptio et pictura, de même que les réflexes qu’il met en place dans la rédaction de la glose et que nous avons déjà mentionnés. Ainsi dans le commentaire de l’emblème 9 (fig. 3), il reconnaît : Jusqu’ici il s’agit du sens littéral, mais nous n’avons rien fait si nous ne démontrons pas que le titre (Fidei Symbolum) convient à cette peinture. Et parce que la compréhension des emblèmes repose sur ce point plus qu’en tout autre, je dois me distinguer par cette tentative, parce que personne ne l’a encore fait. Pour démontrer que le titre convient à l’emblème, je considère que la foi est double […]40.
Le glissement de la première personne du pluriel (« no avemos hecho nada ») au singulier est la marque d’individualisation de l’auteur (« he de provar señalarme » ; « considero yo ») qui traduit la volonté de s’élever au rang d’auctoritas. C’est le droit au jugement qui fait de son écriture un facteur de progrès. Son érudition est dirigée vers le bien commun. Diego López prend sa mission très au sérieux et désire s’inscrire dans la tradition pédagogique tant de l’emblème que du sermon. Dans cette perspective, il saisit toutes les occasions de faire référence aux prédicateurs ou autres intercesseurs dont la mission consiste à accompagner le fidèle dans son apprentissage de bon catholique (sans doute y a-t-il un désir de contrer l’influence des protestants et de la sola scriptura). Dans la glose de l’emblème 8, Qua dii vocant eundum, qui présente Mercure (fig. 2), Diego López fait référence aux prédicateurs lorsqu’il explique l’exemplum du Christ qui se définissait lui-même comme le chemin : Ego sum via, je suis le chemin et la voie, et pour que jamais personne ne nous fasse défaut lorsqu’il s’agit de nous montrer le chemin, pour que nous ne nous trompions pas de chemin ou de carrefour, le Christ nous a toujours envoyé des Mercures et des messagers pour que nous n’avancions pas dans les ténèbres. Mercure peut aussi représenter les Lettres Divines, et leurs interprètes les Prédicateurs, les Évêques, les Docteurs et les Confesseurs, qui nous incitent à prendre le chemin du salut et de la vie éternelle, et nous disent Qua Deus vocat eundum, nous devons aller là où Dieu nous appelle41.
L’importance du rôle des intercesseurs est ainsi soulignée dans la glose, mais le plus souvent, c’est dans la conclusion du commentaire que Diego López les met en avant. Tout comme celle du sermon, la conclusion de la narratio synthétise la glose en reprenant parfois l’inscriptio de l’emblème d’Alciat. Ainsi la conclusion du commentaire de l’emblème 8 :
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D. López de Valencia, Declaración magistral (note 5), f. 43v et 44r : « Hasta aquí es el sentido literal, pero no avemos hecho nada si no provamos que el título (Fidei Symbolum) quadra a esta pintura : y porque en esto más que en otra cosa consiste el entendimiento de las emblemas, en esto he de provar señalarme, porque nadie lo ha hecho. Para provar que le quadra, y esté bien este título a la Emblema, considero yo que la fee es en dos maneras, infusa y adquisita […] ». Ibid., f. 38r : « Ego sum via, yo soy el camino y senda, y porque nunca nos faltasse quien nos enseñasse por donde aviamos de caminar, para que no nos engañásemos en este camino y encrucijada, siempre nos ha enviado Mercurios y mensajeros suyos, para que no anduviésemos en tinieblas. Por Mercurio […] se pueden entender las Divinas letras, y los intérpretes dellas, como son los Predicadores, los Obispos, los Doctores y los Confesores, los quales nos admonestan el camino de la salud y vida eterna, y nos dizen Qua deus vocat eundum, avemos de ir por donde nos llama Dios ».
Et ainsi Alciat n’a pas pu trouver meilleure peinture pour son propos, car à travers Mercure messager de Jupiter, on entrevoit les Confesseurs, les Docteurs et les Prédicateurs, qui tous nous disent Qua Deus vocat eundum, nous devons aller là où Dieu nous appelle ; le titre convient à l’emblème de Mercure, avec les trois chemins, lui qui indiquait la route aux voyageurs42.
Le coq renvoie aux prédicateurs, parce que de même qu’à son chant ils se réveillent et se lèvent, de même grâce aux paroles des prédicateurs les hommes abandonnent leurs vices et leurs péchés, c’est pourquoi on représente le coq sur les tours des églises45.
L’horreur des vices propre à la tradition de la prédication et de l’emblème espagnol apparaît ici clairement. De même qu’apparaissent, dans le dernier extrait qui va être présenté, les buts identiques au sermon et à l’emblème : enseñar (« enseigner »), deleitar (« charmer »), mover (« émouvoir »), qui sont à rapprocher de l’utile dulci horatien (prodesse et delectare) : Alciat veut signifier que l’éloquence est comme une chaîne qui pénètre par les oreilles de ceux qui écoutent et les emmène avec elle, comme s’ils étaient enchaînés. On peut moraliser et voir en Hercule les Prédicateurs qui, par la douceur des paroles et la docte éloquence qui sortent de leur bouche et pénètrent les oreilles des auditeurs disposés à recevoir leurs bons conseils et leurs saintes injonctions, emmènent et entraînent derrière eux les esprits et les cœurs des hommes comme s’ils étaient prisonniers et enchaînés. Et tel un autre Orphée, ils les écartent des mauvais penchants et des vices malhonnêtes, les ramènent à la vie citoyenne en leur faisant renoncer à leur vie de bêtes sauvages. C’est ce que peuvent, et bien plus encore, la parole et l’éloquence divines46.
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Ibid., f. 39r : « Y assí no pudo hallar mejor pintura Alciato para su propósito, pues por Mercurio mensajero de Jupiter, se entienden los Confessores, los Doctores y los Predicadores que todos nos están diciendo Qua Deus vocat eundum avemos de yr por donde nos llama Dios, el qual título quadra a la Emblema de Mercurio, puesta en tres caminos, el qual antiguamente mostrava el camino a los caminantes ». Ibid., f. 60v : « para que ninguno se aparte del buen camino ni salga fuera de los términos de la verdadera doctrina ». Ibid., f. 20r : « También este título cuadra bien a esta emblema si queremos moralizarla según nuestra religión cristiana ou católica » ; « Quiero acabar todo lo que toca a esta emblema moralizándola ». Ibid., f. 61r : « Por el gallo se entienden los predicadores, porque como a su canto se despiertan y levantan, ni más ni menos con las vozes de ellos se levantan los hombres de sus vicios y pecados, y por esto lo pintan en las torres de las Iglesias ». Ibid., f. 412r : « Significa Alciato que la elocuencia es como cadena, la cual entrando por los oydos de los oyentes los lleva, y arrebata tras sí presos como con cadena. Podemos moralizar y entender por Hercules
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L’image du droit chemin est récurrente chez Diego López, et l’insistance sur le rôle disciplinaire des hommes d’Église vient la compléter. Ainsi l’emblème 15, Vigilantia et custodia (fig. 4), donne lieu à un développement de Diego López sur la mission des ecclésiastiques. Il a cette expression « pour que personne ne s’éloigne du droit chemin ni ne sorte des limites de la vraie doctrine »43, qui traduit le souci d’orthodoxie qui l’anime. Le verbe « moralizar » apparaît en outre à deux reprises dès le commentaire de l’emblème 4 : « Ce titre convient aussi à cet emblème si nous voulons la moraliser en accord avec notre religion chrétienne ou catholique » ; ou encore « Je veux clore ce qui concerne cet emblème en la moralisant »44. La conclusion de l’emblème 15, Vigilantia et custodia, compare les qualités du lion (custodia) à celles des évêques et des prélats qui doivent appeler les fidèles au sermon. L’image du coq renvoie quant à elle aux prédicateurs :
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L’enseignement de la doctrine catholique apparaît à travers les mots « doctrina ; consejos ; santas admonestaciones ». Le charme qu’exerce l’éloquence du prédicateur est souligné par les termes « suavidad ; dulçura ; elocuente ». Enfin l’émotion est sous-entendue par le mot « corazones » qui en est le siège privilégié. *** Nous avons voulu montrer comment Diego López utilise le recueil d’Alciat pour exposer une vision personnelle des emblèmes du juriste milanais. De fait, l’inflation du commentaire n’est pas un phénomène propre à l’emblème espagnol : pour Michel Foucault, le xvie siècle est le siècle du commentaire, et cette tendance déborde sur la période qui nous occupe : Savoir consiste donc à rapporter du langage à du langage. […] Le propre du savoir n’est ni de voir ni de démontrer, mais d’interpréter. Commentaire de l’Écriture, commentaire des Anciens, commentaire de ce qu’ont rapporté les voyageurs, commentaire des légendes et des fables : on ne demande pas à chacun de ces discours qu’on interprète son droit à énoncer une vérité ; on ne requiert de lui que la possibilité de parler sur lui. Le langage a en lui-même son principe intérieur de prolifération47.
Mais notre Espagnol glisse de l’éthique à la morale, influencé par le contexte idéologique et spirituel de l’Espagne du xviie siècle, qui veut à tout prix garantir l’orthodoxie catholique la plus pure. Il arrive par conséquent à Diego López de s’éloigner du thème de l’emblème (par exemple, Mercure représente la supériorité de l’éloquence sur la force brute, mais ne fait aucune référence aux prédicateurs ; c’est l’auteur qui choisit de les mentionner) pour développer d’autres réflexions et rédiger une œuvre personnelle et originale, dont les emblèmes ne sont finalement qu’un prétexte (et pré-texte). Comme le note Gisèle Mathieu-Castellani à propos des emblèmes de la mort : « […] la glose transforme en leçon édifiante, lue à la lumière réductrice de l’idéologie, la parole énigmatique des figurants acculturés par la civilisation renaissante qui pratique une intertextualité récupératrice48 ». Dans cette perspective, Diego López de Valencia s’inscrit pleinement dans le courant emblématique espagnol qui, à l’instar d’un Juan-Francisco de Villava qui publie la même année, voit dans ce genre littéraire le moyen de combattre les déviances religieuses et les hérésies qui menacent la très catholique Espagne49.
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los Predicadores, los quales, con la suavidad y dulçura de sus palabras y eloquente doctrina que sale de sus bocas, y se entra por las orejas de los oyente, estando dispuestos para recibir los buenos consejos, y santas admonestaciones, llevan y arrebatan tras sí los ánimos y corazones de los hombres como presos y encadenados. Y como otro Orpheo los apartan de las malas costumbres y vicios torpes y deshonestos y los reducen a vida política y ciudadana, dejando de vivir como fieras silvestres. Estos, y mucho más puede, la palabra y eloquencia divina. ». Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, 1966, p. 55. Gisèle Mathieu-Castellani, Les emblèmes de la mort. Le dialogue de l’image et du texte, Paris, 1988, p. 15. Rappelons que l’expulsion des morisques vient de prendre fin (elle s’est étendue de 1609 à 1614).
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Article de Mino Gabriele (p. 399) Fig. 1-12 : © By permission of Glasgow University Library, Special Collections Article d’Alison Adams (p. 423) Fig. 1a-b & 2a-c : © By permission of Glasgow University Library, Special Collections Article d'Alison Saunders (p. 433) Fig. 1, 3, 5-7, 9-13 : Collection privée, clichés auteur Fig. 2, 4, 8, 14 : © By permission of Glasgow University Library, Special Collections Article de Gloria Bossé-Truche (p. 455) Fig. 1 à 4 : © By permission of Glasgow University Library, Special Collections
INDEX
A Abbondanza, R. 7, 21, 33, 48, 53, 54, 61, 62, 74, 95, 119, 145, 148, 150, 159, 177, 226, 233, 247, 249, 260, 261, 265, 356 Accolti, François 77, 79 Accurse (Accursius, Accursio) 14, 16, 30, 82, 84, 122-124, 141-144, 156, 157, 253 Achille (Achilles) 195, 249, 393, 450, 451 Acidalius, Valens 90 Acqua, G.A. dell’ 339, 353 Adams, A. 9, 32, 34, 48, 132, 196-197, 267, 273, 387, 418, 425, 474 Adelson, C. 201 Adnès, P. 212 Adrien le Jeune (Adriaen de Jonghe, Hadrianus Junius) 417 Adrien VI 194 Aeacus 450-451 Agamemnon 195, 249 Agathon 165 Agricola, Rudolphe 83 Agrippa de Nettesheim, Corneille 204, 381 Agustìn, Antonio 15, 43 Aguzzi-Bargagli, D. 48 Agylla 197, 198 Aitken, B. 34 Ajax 393, 450, 451 Alantsee, Lucas et Leonhard 75 Alberti, Léon-Battista 14, 297, 298, 302, 382 Albertini, Francesco 296 Albonico, S. 335 Alborg, J.-L. 460 Albutius, Titus 54 Albuzio, Aurelio (Albutius ou Albucius, Aurelius) 29, 41, 54, 242, 244, 250, 270 Alcántara, ordre d’ 457 Alciat, François (Alciato, Francesco) 45, 46, 61, 152, 362 Alciato, Ambrogio 35
Alcide 31, 309-311, 315, 318 Alexandre de Roes 180 Alexandre III (pape) 181, 210 Alfeno 155 Allemagne 179, 181, 183, 186-188, 191, 194 Allen, P.S. 226-234, 239 Almenar, Juan 201 Alopa, Lorenzo Francesco d’ 402 Alpes 74, 76, 88, 179, 314, 318 Alzate Brianza 13, 28, 35, 308, 314 Amalthée 322, 324, 345 Amaya, Francisco de 80 Ambroise (saint) 235, 251 Amerbach, Boniface 28, 31, 38, 44, 45, 49, 75, 79, 97, 99, 133, 137, 151, 179, 209, 226, 228-233, 246, 248-251, 257, 258, 261, 262, 265, 266, 270 Amico, J.C. d’ 11, 30, 35, 177, 189 Ammien Marcellin 89, 90 Amour (Amore) 333, 334, 404 Amyot, Jacques 42 Anacréon 89 Andrelini, Fausto 302 Andreoli, V. 269 Aneau, Barthélémy 45, 267-270, 300, 303, 365, 372, 377, 381, 382, 415-418, 426, 428, 432, 438, 443, 444, 454 Angleberme, Jean Pirrhus (ou Pyrrhus) d’ 39, 229 Angleria, Girolamo 95 Angleterre 265, 384, 396 Anglo, S. 321 Angoulême, François d’ (voir François Ier) Annius de Viterbe 243 Antonin 355 Apollon (Apollo) 58, 63, 156, 331 Appiani, Giambattista 37, 241 Apulée (Apuleio) 76, 158, 269 Aquilio Regolo il Giovane 161 Arabeyre, P. 144 Arcadie 331
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Arcadius (Arcadio) 122, 156 Arena, Antonio 246 Aresi, Paolo 393 Argelati, Filippo 68, 97, 307, 312 Arion (Arione) 101, 403 Aristide 58, 59 Aristophane 11, 16, 38, 40, 55, 57, 59, 89, 188 Aristote (Aristotele) 26, 59, 140, 154, 155, 170, 197, 220, 380 Arlier, Antoine 266 Armogathe, J.-R. 180 Armstrong, E. 86 Arnigio, B. 206 Arnoullet, Balthazar 270, 418 Arrizabalaga, J. 202, 216 Arthur, L. 390 Ascra 449, 450 Astrée 24, 25, 358, 360 Astuti, G. 121 Ateneo 45 Athanase (saint) 263 Athénée (Ateneo) 156, 165 Athènes 55 Atropos 451 Aubert, S. 325 Audano, S. 149 Augsbourg (Augsburg, Augsburgo) 35, 42, 44, 270, 297, 308, 323, 344, 345, 354, 360, 368, 401, 411 Auguste (Augusto) ou Octave-Auguste 11, 91, 102, 166, 158, 178, 179, 180, 184, 185, 190-193, 197, 213, 293, 297 Augustin (saint) 175, 210, 212, 235 Aulotte, R. 298 Aulu-Gelle (Gellio) 16, 57, 60, 139, 140, 154, 157, 166, 375 Ausone (Ausonio) 89, 100, 108, 158, 242, 252 Autun 243 Avignon (Avignone) 11, 37-42, 74, 76, 97, 136, 137, 163, 227, 228, 232, 241, 242, 244250, 257, 259, 262, 265, 267, 307 Aznar, Pantaleon 47
B Babou de la Bourdaisière, Philibert (fils du suivant) 300 Babou de la Bourdaisière, Philibert (père du précédent) 300, 305 Bacchus (Bacco) 440, 443, 449, 455 Bade, Josse 75, 325
Baeza 457, 466 Baïf, Lazare de 370, 376 Balavoine, C. 12, 22, 23, 48, 267, 373, 458 Baldo (Baldus) degli Ubaldi 126, 259 Bâle 11, 17, 19, 36, 38, 40, 41, 43-46, 73, 76, 81, 93, 97, 98, 120, 140, 178-180, 212, 213, 217, 228, 238, 242, 244, 249, 250, 253, 258-260, 262, 264-267, 270-272, 295, 302, 375-376 Bamberg 178 Bandinelli, Baccio 372 Barbou, Jean 43, 44, 264, 265, 277 Barker, W. 34 Barni, G. L. 21, 22, 33, 48, 81, 121, 124, 133, 136, 150, 151, 162, 178, 179, 209, 226-237, 241, 242, 249, 256, 258, 261, 262, 265, 270, 295, 305, 406 Baron, R.A. 236, 269 Barral-Baron, M. 237 Bart, J. 170 Barthélemy de Lucques 180, 181, 187 Bartole (Bartolo, Bartolus) de Sassoferrato ou Saxoferrato 13, 14, 30, 80, 82, 119, 120, 123-128, 134, 141, 143, 149, 158, 159, 170, 253, 256, 259, 263, 373, 374 Basile le Grand 235 Bassano, M. 12, 13, 15, 16, 49, 131, 135, 138 Bässler, A. 294, 298 Basson, Ph.W. 197 Bateman, J. J. 239 Bath, M. 31, 337, 383, 393, 396, 417, 473 Baudouin, F. 96, 315 Baudrier 259, 260, 270, 273 Bayle, Pierre 241, 387 Bayley, P. 387 Bazin-Tacchella, S. 202 Beatus Rhenanus 36, 75, 76, 79, 93, 227, 228, 230, 232, 233 Beauchet, L. 20 Bebel, Johannes 40, 97, 98, 258, 295, 402 Bebenburg, Lupoldus von 178, 183 Beda, Noël 253 Bélisaire 184, 237 Bellerophon 440 Belloni, A. 13, 48, 131, 136, 145, 147, 150, 179 Bellovesus 243 Beltrami, L. 331, 337-339 Bembo, Pietro 42, 86, 95, 253, 254 Bénévent, Ch. 31, 38, 225, 311, 381 Benoît (saint) 237 Benoît, Guillaume 263 Beretta, M. 217 Berger, A. 58
232, 243, 249, 250, 251, 253, 254, 257-262, 264, 267, 270, 272, 293, 300, 303, 305, 307, 308, 312, 316-318, 334, 355, 356, 359, 361, 413, 415, 416 Bowen, B.B. 293 Boyssonné, Jean de Bracciolini, Poggio, dit « Le Pogge » 38, 85, 139, 233, 235 Bracelli, Jacopo 93, 177 Bramante 339 Brejon de Lavergnée, J. 120, 129 Brémond, Claude 120, 129 Brennus 243 Breu, Jörg, dit « l’Ancien » 42, 345 Briquel, D. 197 Brisson, Barnabé 144 British Museum (Londres) 396, 398, 474 Brito, Franciscus Guidanus 264 Bromius 447-449 Brugi, B. 125, 162 Brugnato (Ligurie) 36, 78 Brunon, C.-F. 186 Bruschi, A. 339 Brutus 192 Bryce, J. 186, 187 Buck, A. 148 Budé (Budaeus), Guillaume 14, 28, 36, 38, 39, 42, 73-76, 92, 134, 144, 146, 174, 197, 244-246, 250, 252, 253, 257, 294, 308, 325 Bühler, C.F. 257 Bulle d’Or 187 Bultot, R. 236 Burgofranco, Iacobo de 60 Burke, P. 92 Burrell Collection (Glasgow) 390-392, 473 Buss, Ch. 337 Buzio, Aurelio 54 Buzon, Christine de 307 Byzance 180, 185
C Cadmos 173 Caeré 197 Cahors 312, 313 Caimo, Marcantonio 25 Calabi Limentani, I. 12, 48 Calasso, F. 119, 124, 126 Calchondylas, Démétrios 35 Calepin 316 Callahan, V.W. 12, 18, 48, 196, 225, 257, 390, 426, 435, 436
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Berlioz, J. 467-469 Bernard, A. 293, 297 Béroalde, Philippe (Beroaldo, Filippo), dit « l’Ancien » 76, 298 Béroalde, Philippe (Beroaldo, Filippo), dit « le Jeune » 86, 90-91, 279 Bérose 243 Berry 49, 79, 249 Bertachini, Giovanni 263 Bèze, Théodore de 42 Bianchi, D. 48, 177, 178, 244, 246, 248, 253 Bideaux, M. 233 Bidelli, Giovanni Battista 35, 46, 243, 312 Bierlaire, F. 201 Bietenholz, P.G. 48, 75, 225, 236 Biffi, Giovanni Vincenzo 29, 35, 53-59, 6171, 346, 350, 351, 413 Billot, Cl. 180 Binet, Jean 253 Birago, Giovan Pietro 338 Birocchi, I. 13, 146 Bischoff (Episcopio ou Episcopius), Nikolaus ou Nicolas ou Nicolaus 36, 43, 46 Bitterli, D. 393 Bituriges 243, 254 Black, J. 324 Block, Gerardus 226 Boccace 14 Bocchi, Achille 21, 26-28, 65 Bodin, Jean 94-96, 174 Boèce 172, 213 Boffito, G. 192 Bohême 88 Boissard, Jean-Jacques 417 Bologna, G. 338 Bologne (Bologna) 26, 27, 36, 39, 43, 45, 60, 74, 77, 78, 82, 90, 103, 145, 151, 153, 178, 245, 251, 254, 255, 298, 307, 368 Bonasone, Giulio 26 Bonhomme, Macé 45, 47, 195, 219, 267-270, 282, 284-287, 308, 337, 355, 360, 367, 372, 379, 383, 417, 418, 425-428, 430, 435, 438, 454, 457 Boniface VIII (pape) 181, 182, 192 Borja, Juan de 457, 462 Bossé-Truche, G. 32, 457, 474 Bouglé, Cl. 129 Boulanger, A 139, 142 Bourbon, Charles de (connétable) 193 Bourdelot, Jean 241, 242 Bourges 1, 12, 24, 25, 40-42, 49, 79, 97, 119, 121, 124, 126, 131, 133, 137, 138, 151, 209, 215,
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Callu, J.-P. 206 Calvin, Jean 41, 42 Calvo, Francesco 11, 21-24, 33, 35, 38, 39, 48, 76, 97, 136, 151, 178, 226-231, 235, 242-247, 251, 252, 259, 295, 302, 370 Cambin, G. 331 Cambray, Guillaume de 41, 251 Cammelli da Pistoia, Antonio 342 Camporeale, S.I. 139 Canévet, M. 212 Cannon, G. 34 Canova, Giovanna Maria 339 Capella, Martianus 24 Capodilista, Antonio 206 Caracalla 161 Caravaggio 66-68 Caravale, M. 13 Carbasse, J.-M. 144 Cardan, Jérôme 44 Cardini, R. 14 Carlyle, A.J. 177, 185 Carlyle, R.W. 177, 185 Carruthers, M. 406 Cassagnes-Brouquet, S. 200 Castellano, Bernardo 246 Castello di Buonconsiglio (Trente) 368 Castello Sforzesco (Milan) 337, 338, 341, 347, 352 Castello Sforzesco (Milan) : cour de la Rochetta 338, 339, 341, 344 Castello, Bernardo 71 Cataldi Palau, A. 78 Cato, Dionysius 263 Catulle 54, 60, 109, 111 Cavanna, A. 120, 124 Cavina, M. 148, 162, 177, 183, 187 Cecchetti, D. 243 Celse 169, 201, 216 Ceri, Renzo de 253 Certosa (Pavie) 342 César (titre) 90, 190, 252 César, Jules (Giulio Cesare) 85, 178, 192, 328-329, 405 Cesariano, Cesare 68 Cevallos, Francisco de 460 Chalvin, M. 259 Chamard, H. 311 Champier, Symphorien 242, 243 Chansonnette (Cantiuncula), Claude 38, 39, 73, 83 Chantilly 253 Charles IV (empereur) 187 Charles Quint (empereur) 11, 39-41, 45,
102, 177, 186, 187, 190, 193, 247, 254, 265, 302 Charles VIII 201 Charles, dit Charlemagne 178, 184-186, 193 Charlet, J.-L. 9, 12, 30, 40, 97, 107, 132, 295, 402 Chartier, R. 258 Chastel, Pierre du 261 Chatelain, J.-M. 269, 270, 459 Chevallier, R. 92 Chevreau, E. 129 Chew, S.C. 311 Chiron 195 Choné, P. 9, 31, 367, 473 Christ 62, 68, 187, 189, 237, 466, 467, 470 Christine 206, 216 Ciammitti, L. 368 Cian, V. 95 Cicéron (Cicerone) 54, 58, 59, 77, 85, 91, 92, 137, 139, 140, 142, 154, 155, 158, 160, 197, 211, 213, 225, 233, 258, 311, 343, 349, 357, 371, 375, 406, 467 Cipolla, Bartolomeo (Caepolla, Bartholomeus) 79, 132 Cipriani, G. 200 Circé (Circe) 452 Claire, L. 15, 29, 37, 85, 137, 144 Clark, K. 351 Claude (empereur) 203 Clément VII (pape) 251 Clemente, G. 180 Clericuzio, A. 217 Clermont-Lodève, François de 247, 249, 390, 393 Cletorus 58 Cobella, Anna 355 Cochrane, E. 148 Codoñer Merino, C. 139 Cohen, G. 295 Colin, Jacques 251 Colines, Louis de 370 Cologne 40, 43, 97, Colomb, Christophe 122, 180, 261 Colombo, A. 332 Colonna, Francesco 298, 300, 322, 326, 328, 329, 357, 402 Colonna, Landolfo 180, 182 Colonna, Vittoria 23 Columelle 203, 375 Côme 28, 35, 95, 302, 307 Comincini, M. 338 Commagène 326 Commode 326, 327
D D’Alessandro, Alessandro 151 Da Montepico, Paolo Pico 35 Da Ponte, Gottardo 62, 68, 350 Da Rovezzano, Benedetto 372 Dal Pozzo, Francesco (Puteolanus) 90 Daly, P.M. 384, 387, 390, 403, 414, 426, 429,
435, 436, 458 Dampierre-sur-Boutonne (CharenteMaritime), château de 390, 393, 394 Daniel (prophète) 181, 183, 189, 190 Dante 126, 178, 180, 182, 192 Danube 88, 102, 314 Dardano, Bernardino 294, 295, 302, 305 Daremberg, Ch. 20 Darwin, Charles 423 Daza, Bernardino 45, 268, 428, 429, 433, 454, 457 De Angelis, Maria Antonietta 393 De Giacomi, H. 48 Della Rovere, Girolamo 24 De Ruyt, F. 311 De Schepper, Marcus 355 De Vos, Martin 384 Debru, A. 202 Deciani, Tiberio 162 Decius, Philippe (Decio, Filippo) 13, 35, 120, 128, 145, 163, 245 Dekker, A.M.M. 355, 356, 360 Deloynes, F. 245 Déméter 19, 20 Dempf, A. 181 Deroussin, D. 129 Deroux, C 202 Derville, A. 212 Desgraves, L. 258 Deutscher, Th.B. 75 Di Cesare, M.A. 257 Di Ciaccia, F. 29 Di Constantini, Baldassar 44 Díaz de Montoya, Fernando 457, 466 Dichius, Leonard 76 Dick, L. 38 Dickie, M.W. 98 Diderot, D. 175 Dieppe 310 Diliberto, O. 160 Diogène Laërce (Diogene Laerzio) 26, 154 Dion Cassius 89 Dionisotti, C. 86, 259 Dioscoride 156 Doglio, M.L. 324, 325, 347, 349, 356 Domenichi, Lodovico 324 Dominicains 240 Donat (Donato) 85, 155, 338, 341 Dorat, J. 307, 312 Dorival, G. 197 Dorp, Marteen 234 Dossi, Battista 368 Dossi, Dosso 368
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Compagnie de Jésus 458 Conforti, M. 217 Connan 174 Constantin (Constantinus) 179, 180, 187, 315 Constantinople 183-185 Conte, E. 13 Cooper, R. 31, 37, 40, 70, 232, 241, 243 Corbeta, Gualterio (Gualterius ou Valterius) 76, 242 Cornarius, Janus 40, 97-103, 111, 304 Cornelius Nepos (Emilio Probo, alias Cornelio Nepote) 156 Corrado, Sebastiano 24 Corrège 375 Corrozet, Gilles 269, 416-418 Cort, Cornelis 363, 364 Cortese, E. 13, 124, 125, 150 Corvey, abbaye de 85, 86 Cossa, Francesco del 368 Costa, Lorenzo 368 Cotgrave 430 Cotignola (ou Cotignolo) 339, 342, 351 Cotta, Catelliano 60 Cotta, Giovanni 347 Courbaud, E. 139 Cousin, J. 139 Coustau, Pierre 12, 270, 417 Covarrubias, Sebastián de 457 Cranz, F. E. 87 Cratander, Andreas 73, 81, 258, 260, 262, 271 Crescentius 186 Crinito, Pietro 14 Cujas, Jacques 79, 84, 119, 160, 175, 268, 312, 314 Cull, J.T. 412 Culross Palace (Fife) 396 Cunningham, A. 202 Curtius Rufus (voir Quinte-Curce) Cuttler, S. 435, 436 Cynus de Pistoie 126 Cyprien (saint) 263
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Douaren (ou Le Douaren), François 31, 307, 308, 310, 312, 314-318, 413 Doublet, Jean 310 Doulopolitiens 239 Dresde 36, 243, 246 Dresden, S. 234 Drusus 328 Drysdall, D. 12, 23, 29, 33, 35, 48, 53, 61, 62, 64, 65, 83, 131, 138, 150, 152, 297, 309, 315, 350, 372, 413 Du Bellay, Joachim 311, 312, 433 Du Châtel, Lambert 180 Du Moulin, Antoine 269 Du Moulin, Charles 120, 129 Du Moulin, Charles 120, 129 Duchemin, N. 41 Duchesne, L. 186 Ducos, M. 88, 92 Duplessis, G. 49 Duprat, Antoine 37, 73, 242, 247 Dureau-Lapeyssonie, J.-M. 258 Dürer, Albrecht 297 Dussin, Chr. 203
E Ébrard de Saint-Sulpice, Antoine d’ 312 Ébrard de Saint-Sulpice, Jean d’ 312 Écosse 393, 396 Égypte 17, 298, 373 Égyptiens 300, 333 Éléphantide 58 Elie, M. 375 Elze, R. 189 Énée 166, 393 Enenkel, K.A.E. 49, 225, 226-228, 230, 233, 235, 237, 311 Engammare, M. 307 Ennius (Ennio) 154, 157 Enoch d’Ascoli 85 Envy 440 Épicure 56, 57, 101, 197, 236 Episcopio (Episcopius) (voir Bischoff) Er le Pamphylien 380 Érasme, Didier (Erasmus, Desiderius) 23, 28-31, 38, 39, 48, 55, 57-59, 68, 73, 75, 76, 201-211, 213, 215, 218, 220, 225-240, 247, 251, 263, 294, 298, 299, 326, 349, 360, 374, 414, 428, 432, 433, 467 Ernst, G. 217 Éros 333, 334, 404 Escaut 211
Eskrich (ou Vase), Pierre 45, 267-269, 381, 415, 425 Ésope 56, 58, 168, 169, 269 Esséniens 237-240 Este (famille) 37 Este, Alphonse d’ 217 Este, Béatrice d’ 330, 333-339, 342, 343 Este, Hercule Ier d’ 216, 217 Este, Hercule II d’ 44, 196, 216, 307 Este, Isabelle d’ 332, 338 Estienne, Robert 346, 370 Eucher de Lyon 234 Euripide 58, 156, 157 Eustochius 238 Everaerts, Hadrianus Marius (ou simplement Marius) [frère de Jean Second] 26, 42 Everaerts, Jan (voir Second, Jean) Everaerts, Nicolai Grudius (frère de Jean Second) 354
F Faber 264, 291, 417 Fabius 446 Farrell, A. 34 Fasanini, Filippo 60 Faustine 355 Federicis, Stephanus de 83 Feltham, M. 34 Ferrare 11, 37, 39, 44, 54, 74, 126, 196, 209, 215-217, 221, 241, 265, 307, 312, 336, 338, 368, 370 Ferrari, Ambrogio 66 Ferrary, J.-L. 15 Ferrero, G.G. 95 Ferretti, E. 93, 96 Ferrua, A. 12 Festugière, A. J. 236 Festus Pompée (Festus, Pompeius) 16, 76, 137 Feyerabend, Sigismund 195, 390, 429 Fezzi, L. 149 Ficin, Marsile 26, 217 Filelfo, Francesco 14 Flavius-Josèphe 238, 240 Flintoff, E. 200 Florence 14, 85, 88, 200, 216, 260, 358, 372, 373, 378, 381 Folz, R. 182, 185, 186 Fontanini, G. 189 Forcione, V. 351
Froben, Jérôme (Frobenius, Hieronymus) 36, 41, 250, 270 Frontin 375 Frotscher, C.H. 94 Fulcanelli 393 Fulgence (saint) 467 Fulgosius, Raphaëlus 121 Furie 156
G Gabiano, Balthazard II de 270, 288 Gabotto, F. 324 Gabriel (personnage inventé par Érasme) 205, 206, 210, 211
Gabriele, M. 31, 396, 401-403, 406 Gady, A. 396 Gaius (Gaio) 87, 128, 158, 172 Galand, P. 9, 24, 236, 321 Galien (Galeno) 160, 202, 217 Galloceltes 243 Ganymède (Ganymedes) 108, 437, 440, 449, 462, 467, 468 García-Ballester, L. 202 Gargan, L. 13, 131, 147 Gargantua 371, 373, 374 Garin, E. 13, 14 Garofalo 368 Gatti Perer, M.L. 68 Gaudemet, J. 209-211, 215, 216 Gaule 88, 255 Gaule Cisalpine 36, 191, 242 Gaurico, Luca 332 Gazeau, Guillaume 45, 46, 269, 282, 284, 287, 289, 418 Gellio (voir Aulu-Gelle) Geonget, S. 12, 49, 131, 257 Germanicus Gemellus 328 Germanie 62, 87, 88, 93 Gesner, Conrad 42 Ghelardi, M. 297, 298, 321 Giasone del Maino ou Mayno (voir Mayne, Jason de) Giehlow, K. 296-298, 321 Gilino, Coradino 216 Gilles de Rome (Egidio Romano) 181, 192 Gilli, P. 181 Gilmont, J.-F. 132, 272 Giordanengo, G. 80 Giordano, L. 331, 333, 335-339, 351 Giovanni di ser Giovanni Guidi, , dit « le Scheggia » 372 Giovio, Benedetto 44, 302 Giovio, Paolo 24, 44, 94, 95, 302, 321, 322, 324-326, 330, 342, 346-350, 354, 356, 357, 359, 362, 365, 370, 372, 420, 449 Girard, P.-F. 179 Girot, J.-E. 307 Giunta (maison) 203, 216, 260, 266, 268 Giunta, Filippo 402 Giunta, Jacopo 43, 259, 260, 261, 263, 264, 265, 271, 272, 275-286 Glaucus 446 Goddard, Ch. 217 Goethe, Johann Wolgang von, 374, 375 Goez, W. 181, 182 Goldast, Melchior von 180 Goldenes Dach (Innsbrück) 345
481 index
Ford, Ph. 9, 418 formula Gregorii 193 Forner, Fabio 48, 179 Fouassier, F. 201, 202 Foucault, M. 472 Fournier, M. 242 Fracastor, Jérôme 30, 201-205, 216-218, 220 Fradin, Pierre 46, 253, 264, 267, 288 Fragonard, M.-M. 233 Fraisse, A. 203 France 13, 25, 31, 32, 37, 46, 54, 70, 71, 73, 90, 100, 119, 120, 124, 129, 175, 181, 182, 190, 201, 241-244, 247, 249, 251-255, 257, 258, 265, 267, 270, 272, 273, 293, 295, 298, 307, 310, 312, 313, 317, 318, 321, 351, 354, 396, 411-413, 417, 419, 421, 435, 458 Francfort 11, 46, 75, 76, 93, 126, 180, 196, 271, 308, 413 Franciscains 235, 236, 239, 240, 381 François d’Assise (saint) 237 François Ier (Franciscus) 39, 41, 44, 71, 190, 193, 242, 244, 249, 252-256, 265, 266, 278, 293, 294, 298, 300, 307, 324, 354 Francs 182, 184, 185, 187, 244, 255 Frédéric II de Hohenstaufen (empereur) 182 Frédéric III de Habsbourg (empereur) 190 Freeman, R. 436 Frellon, Jean et François 43, 44, 264, 255, 271, 277, 280 French, R. 202, 216 Fribourg 38, 228, 312 Friedlieb, F. 178 Froben, Jean (Froenius, Johannes) 22, 23, 87, 93, 227, 228, 238, 302, 403
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482
Gonzaga, Ferrante 44, 209 Gonzaga, Francesco 370 Goths 183, 237, 255 Gourevitch, D. 201 Gouron, A. 127 Graf, A. 178 Graham, D. 31, 411, 412, 414, 417 Green, H. 28, 33, 47, 49, 252, 321, 345, 355, 362, 401, 425, 436 Grégoire de Nazianze (saint) 235 Grégoire II (pape) 185 Grégoire V (pape) 186, 187 Grégoire VII (pape) 181, 192 Grégoire IX (pape) 181 Gregorovius, Ferdinando 187 Grell, Ch. 373 Griffin, E. M. 412 Grimani, Alexandre 45 Grimm, H. 75 Gritti, Andrea 347 Grmek, M.D. 202 Grolier, Jean 241, 242 Grossi, P. 124, 147, 159 Grove, L. 34 Grünberg-Dröge, M. 28, 49, 265 Grünpeck, Joseph 201-203 Gryphe, Sébastien (Gryphius, Sebastianus) 11, 41, 44, 87, 92, 93, 132, 133, 138, 165, 166, 168, 210, 249, 253, 258-268, 270-272, 274-277, 279-284, 286, 289-291, 355, 373, 376 Gualandi, G. 15 Guarino, Thomas 17, 19, 46, 140, 165, 167, 169-171, 173, 179, 212, 213, 242, 376 Gueffier, François 46 Guépin, J.P. 355, 360 Guéroult, Guillaume 417, 418 Guerrier, O. 11, 30, 165, 371 Guichardin 178 Guidacerio, Agazio 251 Guillot, R. 354 Guittard, Ch. 333, 334 Gültlingen, S. von 273 Guthrie, J. 34
H Haaring, Fredericus 226 Hablot, L. 321 Habsbourg, Albert de (fils de Rodolphe Ier) 192 Hadot, P. 137
Halkin, L.F. 201 Hallowell, R. E. 413 Hallyn, Fernand 268 Hannibal 446 Harmodius 453 Harper, A.J. 267 Harsy, Denys de 267, 278 Harth, H. 85 Hartmann, A. 151, 226, 228, 229 Harvey, G. 387 Hatfield House (Hertfordshire) 384-387, 390 Hayaert, V. 12, 14, 18-20, 23, 33, 53, 196 Heckscher, W S. 225, 367 Hector 167, 451 Héduens 243 Hefele, Ch-J. 461 Heidelberg 178 Heinimann, F. 239 Held, Jeremias 196, 429, 433 Hémon, Ph. 253 Henderson, J. 202 Henebry, Ch. W. M. 216, 401 Hercule (Hercules) 31, 225, 243, 294, 308312, 315, 318, 333, 411-414, 416, 419, 421, 423, 471 Herding, O. 148 Hergiswald 393 Hermastrée 24 Hermathéna 24 Hermogène 140 Hérodote 89 Hersfeld 85 Herwagen, Johann 44, 76 Hésiode (Hesiod) 310, 449, 450 Heurgon, J. 200 Hill, G.F. 338 Hippocrate 202, 217 Hirai, H. 217 Hirstein, J 93 Hispaniola 201 Hohenstaufen, Conrad III de 188 Höltgen, K.-J. 436 Homère (Homer ou Omero) 16, 134, 135, 154, 173, 174, 309, 325, 375, 449, 467 Honorius (Onorio) 122 Hooper, B. 390 Horace (Orazio) 59, 60, 89, 98, 104, 139, 154, 167, 168, 220, 467 Horapollon 26, 56, 296-299, 334, 402 Horozco y Covarrubias, frères (voir Covarrubias) Hotman, F. 312, 314, 318
I Iapydie 200 Iglesia-Ferreiros, A. 124 Ijsewijn, J. 48, 132 Indergrand, M. 375 Innocent III (pape) 181, 192 Innocent IV (pape) 181 Innocenti, G. 406 Innsbrück 344, 345 Insubres 57, 191, 314 Ion 58 Iphicrates 452, 453 Iphigénie 205 Isidore de Séville (saint) 175, 197 Isingrin (Isingrinus), Michaël 11, 45, 46, 152, 259, 265, 266 Italie (Italia) 13, 25, 31, 42, 48, 54, 73, 75, 76, 79, 120, 147, 151, 166, 179, 181, 185, 188191, 193, 201, 203, 210, 234, 241, 244-245, 247-260, 268, 272, 293, 297, 298, 307, 308, 311-314, 317, 318, 335, 345-348, 354, 364, 365, 368, 375
J Jacoubet, H. 253 Janus 243 Jason de Maine ou Mayne (voir Mayne, Jason de) Jean (saint) 467 Jean Chrysostome (saint) 235 Jean Nicolas d’Arles (Ioannes Nicolaus Arelatanus) 266 Jean Schott 36 Jenny, B.R. 28, 49, 226, 257 Jérôme (saint) 181, 203, 234, 235, 238, 239, 375
Jeudy, C. 182 Johannes de Imola 263 Jollat, Mercure 43, 345, 361 Jones-Davies, M.T. 12, 48 Jordanus de Osnabrück 180 Joseph 135 Jouanna, J. 202 Jove, Paul (voir Giovio, Paolo) Juhle, J.-C. 261 Jung, M.R. 412 Jupiter 24, 25, 57, 336, 350, 471 Juste Lipse 90, 93 Juste, François 43 Justice (allégorie) 314, 315 Justinien (Iustinianus, Giustiniano) [empereur] 15, 29, 73, 74, 76, 77, 80, 83 , 84, 128, 142, 143, 146, 147, 153, 155, 158, 160, 161, 167, 177, 184, 209, 255 Juvénal (Giovenale) 56, 154, 155, 158, 467
K Kantorowicz, E.H. 182, 185 Kelley, D.R. 119, 120, 128, 146, 150 Kemp, W. 93 Kendrick, A. F. 384 Kervegan, J.-F. 127 Kerver, Jacques 41, 44, 265 Kessler, E. 48 Kienzle, E. 239 Killikon 59 Kilroy, Gerard 417 Kisch, G. 150 Klecker, E. 12, 49, 257, 258, 345, 364 Knecht, R.J. 300 Knoblouch, J. 75 Knott, B.I. 111, 197, 426, 435, 445-454 Köhler, J. 12, 54 Kriechbaum, M. 120, 125, 126 Kristeller, P.-O. 13 Kronenberg, L. 197 Krueger 215 Krynen, J. 124, 127
L L. Bagley, A. 412 L’Estoile, Pierre de 41 La Baria y Cangas, Antonio de 459 La Cerda, Juan-Luis de 459 La Cuesta, Juan de 457
483 index
Hoven, R. 201 Huchon, M. 253 Hunger, Wolfgang 44, 268, 415, 425, 435, 454 Hurtado de Mendoza, Diego 457 Hüters, Simon 429 Hutten, Ulrich von 201, 202 Hutton, J. 12, 49, 97, 98, 102 Hygin 166, 326, 331, 332, 375 Hypnerotomachia Poliphili ou simplement Poliphile (Polifilo) 298, 300, 304, 322, 326, 328-329, 402
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484
La Garanderie, M.-M. de 332 La Penna, A. 197 La Perrière, Guillaume de 269, 416, 418 La Porte, Aymon et Jacques de 270 La Roche Flavin 175 Labrot, G. 458 Ladner,G.B. 311 Laertes 453, 454 Lafond, J. 12, 458 Laïs 451, 452 Lallemant, Jean 300 Landau, D. 86 Landriani, Jacopo 54 Landriani, Margherita 35, 54 Lange, H. 80, 120, 125, 126 Langobards 88 Lanza, C. 160 Lascaris, Jean 35, 54, 402 Latini, C. 155 Laurens, P. 12, 22, 49, 294-297, 303, 367, 370 Lavocat, F. 269 Lazarelli, Lodovico 302 Le Berre, A. 200 Le Goff, J. 466 Le Mollé, R. 368 Le Pogge (voir Bracciolini, Poggio) Leaena 443, 452, 453 Lefebvre-Teillard, A. Lefèvre, J. 127 Legendre, P. 119 Léon III (pape) 184- 186 Léon X (pape) 39, 62, 85, 86, 194, 246, 247, 356 Léonard de Vinci 31, 321, 351-353 Leoniceno, Niccolò 201 202, 216 Leontia et Lollius 304 Leucothéa 173 Leveleux-Texeira, C. 12, 13, 15, 16, 49 Lévy, C. 236 lex (ou loi) Aquilina 172 lex (ou loi) Cincia 87 lex (ou loi) Cornelia 170 lex (ou loi) Papia Poppaea 87 lex (ou loi) regia 185, 191, 192 Leyde 226 Liébert, Y. Ligures 200 Linné, Carl von 423 Liotta, F. 119 Lippi, Lorenzo 302 Lippincott, K. 321 Litta, P. 339 Livia Drusilla 328
Lo Parco, F. 54, 60 Loach, J. 417, 419 Loches 343 Lodi 62 Lombardi, L. 124 Lombardie 42, 43, 62, 248, 337, 342, 343, 381 Longueval, Jean 39, 41, 54, 250 López de Valencia, Diego 32, 46, 381, 457, 459, 460, 462, 467, 468, 470, 472 Lòpez Moreda, S. 141 Lopez Poza, S. 34 Lothaire (ou Theudibert) 255 Louis XII 70, 71, 324, 350, 354, 364 Louise de Savoie 253, 297 Louvain 227, 233, 271 Lucensis, Tholomeo 187 Lucien 56-59, 102, 294, 412, 413 Ludovic le More (voir Sforza, Ludovic, dit « le More ») Lune 26, 333 Luther, Martin 178, 182, 183, 192, 194, 204, 228, 232 Luzio, A. 332, 338 Lyon 11, 38, 41, 43-46, 54, 76, 80, 93, 124, 132, 133, 136, 137, 138, 165, 177, 195, 197, 210, 218, 219, 234, 246, 253, 257-273, 278, 281, 282, 284, 285, 287, 289, 290, 294, 308, 324, 325, 337, 348, 353, 355, 357, 370, 372, 373, 376, 377, 379, 382, 383, 388, 395, 415-419, 425-428, 435, 438, 454
M Machiavel 178 Maclean, I. 15, 29, 36, 73, 83, 123 ; 127, 132, 135, 144, 150, 257, 260, 262, 263, 265, 270-272 Macrin 197 Macrobe 333, 334, 337, 396 Madrid 47, 457 Maffei, D. 13, 121, 125, 150 Magdenau (Saint-Gall), couvent de 393, 395, 474 Maine, Jason de (voir Mayne, Jason de) Malafosse, J. de 129 Malaguzzi Valeri, F. 331, 332, 335, 337, 338, 342 Malines 354, 355 Manardi, Giovanni 216 Mandello, Giacomo 28 Manning, J. 426, 435, 436 Mantovani, D. 148
Ménandre 356, 358, 359, 362, 364 Ménestrier, Claude-François 411, 412, 419421, 423 Meniel, B. 12, 14, 24, 30, 40, 131, 149, 263 Méonie (Maeonia) 449 Mercure 24, 61, 243, 324, 325, 330-337, 339, 349, 358, 360, 364, 396, 467, 468, 470-472 Mesnard, Pierre 13, 94, 174, 193, 194 Mézence (Mezentius) 30, 32, 195-200, 204, 207, 213, 214, 216-218, 220, 426, 428-430, 432 Michaud, L. G. 307 Michel-Ange 378 Michel, A. 461, 469 Miedema, H. 12, 22, 23 Mignault, Claude 20, 46, 49, 196, 225, 268, 308-310, 362, 364, 365, 372, 375, 377, 380382, 416, 430, 432, 433, 438, 443, 454 Milan (Milano) 11, 25, 29, 35-39, 42-44, 46, 48, 53-55, 57-58, 61-62, 68-71, 73-74, 76, 78, 80-81, 97, 103 151, 178, 188-190, 193, 209, 225, 229, 241-244, 246-248, 254, 257, 259, 260, 263, 271, 296, 307, 312-314, 317, 318, 324, 330, 332-333, 335-337, 339, 341344, 347, 350-354, 358, 361, 370, 375, 378, 403, 413, 438, 473 Milet 59 Millet, O. 31, 293 Minerve 243, 244, 447 Minneh, N.H. 73 Minonzio, F. 346 Minuziano, Alessandro 37, 85, 86, 90, 91, 149, 259, 260, 271 Minuzio (Minutius), Giacomo ou Jacopo 37, 38, 81, 82, 86, 241, 242 Mittica, M.P. 49 Mödersheim, S. 414 Modestin 44, 90 Moffatt, C.J. 330, 339, 347, 351 Möller, E. von 49 Mommsen, Th. E. 17, 47, 156, 215, 311 Montaigne, Jean de 246, 250, 259 Montenay, Georgette de 372, 373 Montferrat, marquise de 334, 335 Monza 188, 193 Morel, Frédéric 46, 308, 312 Morigi, P. 312 Morr, Gérard 41 Moss, A. 140 Mouren, R. 31, 38, 43, 44, 93, 132, 230, 257, 258, 268 Moylin, Jean 43, 264, 277 Mulazzani, G. 339, 353
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Manuce, Alde (Manuzio, Aldo) 56, 299, 403 Manuce, Paul 45, 267, 368 Marache, R. 139 Marani, Pietro 351 Maravall, J.A. 466 Marc-Aurèle 326 Marcorelle, Jean 373 Maréchaux, P. 86 Margolin, J.-Cl. 204, 225, 238, 374 Marie 135, 244 Marignan 71, 244 Marnef, Jérôme de 293, 416 Marongiu, A. 162 Marquale, Giovanni 45, 268, 454 Mars 243, 446 Marsile de Padoue 182-185, 188, 192 Martelli, M. 201 Martial (Marziale) 53, 54, 56, 57, 60, 89, 100, 107, 154, 156 Martin, Jean 298 Maspoli, C. 331 Massing, M. 294, 295 Mastrorosa, I. 201, 202 Maternus 375 Mathieu-Castellani, G. 472 Matthaeus, Antonius 226 Matthieu (saint) 135, 211, 212, 467 Mattius, Bernardus 49, 226-228, 232, 233, 235, 237 Mausen, Y. 129 Maximilien Ier de Habsbourg (empereur) 42, 74, 190, 297, 335, 336, 342, 345, 349 Mayne ou Maine, Jason de (del Mayno ou Maino, Giasone) 13, 35, 77, 79, 245, 251, 312, 322, 324, 326, 330, 335, 336, 343, 345, 346, 349, 350, 354, 361 Mazzochius, Jacobus 295, 296 McLean, A. J. 412 Médicis (famille) 200 Médicis, Catherine de 307, 312 Médicis, Côme (ou Cosme) de, dit « l’Ancien » 372 Médicis, Côme (ou Cosme) Ier de 44, 95, 358, 200 Médicis, Francesco I de 378 Médicis, Laurent de, dit « le Magnifique » 358, 372 Meglinger, K. 393 Melampygus 59 Mellini, Pietro 24 Memnon 167
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Müller, S. 297, 298, 321 Muratori, Lodovico Antonio 189 Muret, Marc-Antoine 14, 90, 94, 95, 137 Murillo, Diego 461 Musa Brasavola, Antonio 216 Mussini Sacchi, M.P. 13, 131, 147 Mynors, R. 58
N Naar, Wilfred 206 Nachtigall, Ottmar (Luscinius, Ottmarus ou Luscinio, Ottomaro) 75, 402 Nájera 46, 379, 457, 459, 463, 465 Narcissus 447 Nardi, E. 160 Narducci, E. 149 Narsès 184 Nativel, C . 49, 86 Navarre, Marguerite de 249, 269 Negri, Renzo 54, 59, 61 Nemesis 25, 102, 448 Névizan 170 Niccoli, Niccolò 85 Niccolini da Sabio, frères 271 Nice 255 Nicostrato 161 Nigrin, Georges 457 Nisus 167 Noé 243, 253 Nonio Marcello 156 Norique 200, 203, 204 Nutton, V. 202, 216, 217
O Ocnus 384, 387 Olympe 309 Oporin (Oporinus), Jean 11, 40, 46, 180, 244 Oppien 375 Oraison, Antonio Onorato d’ 249 Orestano, R. 146, 150 Oreste 156 Orient 18, 36 Origène 235 Orléans 13, 39, 41 Osler, D.J. 13, 17, 153 Othon III (empereur) 186 Otto de Freising 181 Ourliac, P. 129
Ovide (Ovidius, Ovidio) 19, 60, 98, 104110, 154, 155, 158, 167, 269, 375, 378, 467, 468 Oxilia, G. 192
P Pabel, H. 240 Pacaut, M. 181, 192 Padoa Schioppa, A. 150 Padoue 38-39, 42, 46, 90, 245, 247, 253, 370, 375, 382, 416 Pagnini, Sante 263, 270 Paleario, Aonio 44, 313 Palinure 166 Pallas (Pallade) 156 Palmer, Th. 436 Pancharius Pudens, L. 53 Panofsky, E. 311, 367 Papinien (Papiniano) 38, 60, 161 Papirius, Lucius 185 Paradin, Claude 259, 353, 393, 396, 418 Pardi, T. 189 Parisio, Pietro Paolo 43, 163 Parisse, M. 191 Parmentier, Michel 253, 262, 270, 274 Parodi, P. 332 Parrhasio ou Parrasio, Aulo Iano (Parrhasius ou Parrasius, Aulus Janus) 15, 35, 54, 58-60, 69, 157, 350 Parshall, P. 86 Pastore, A. 201, 217 Pastoureau, M. 371, 378, 380, 422 Paul (Paolo) [apôtre] 154 Paul de Castro (Paolo da Castro) 13, 125, 263 Paul III (pape) 43, 44, 95, 209, 255, 356 Paulus, Iulius (le juriste Paul) 375 Pausanias (Pausania) 55, 89, 195 Pavie (Pavia, Papia) 11, 28, 35, 36, 41-45, 58, 64, 67, 76, 78, 82, 95, 103, 131, 145, 147, 151, 161, 163, 179, 209, 233, 252, 254, 255, 258, 261, 307, 324, 330, 342, 356, 359, 362 Pedretti, C. 351, 353 Pelagio, A. 181 Pellegrin, E. 331 Pelletier, A. 240 Pelorda, Jean 41, 251 Pendergrass, J.N. 266 Pénélope 167, 195 Penguilly, Th. 257, 259, 261, 263, 264, 270, 272
Polybus 446 Pompilius Bleno 205 Pomponius (Pomponio 156, 160 Pomponius Laetus (Pomponio Leto) 14 Pomponius Mela 294 Pontano, Giovanni 93, 107, 109 Porphyre 238 Portioli, A. 337, 338 Portonariis, Vincent de 38, 43, 259, 260, 263-266, 268, 271-280 Prague 457 Pralon-Julia, D. 197 Pralon, D. 197 Praz, M. 370 Prêcheurs 240 Prévost, X. 119 Price Zimmermann, T. C. 95, 346 Procope 255 Prodi, P. 13 Prodicos 310 Pronomus 56 Properce 26, 98, 106, 109, 111, 375 Psora 211 Pythagoras 450
Q Quaglioni, D. 13, 119, 210 Quéruel, D. 202 Quétel, Cl. 202 Quillet, J. 182 Quinte-Curce (Curtius Rufus) 88, 95, 203 Quintilien 16, 139, 140, 467 Quirites 191, 192
R Rabelais, François 14, 122, 123, 371, 373, 374 Raben, Georg 429 Rädle, F. 257 Rapp, F. 186, 187 Ravizius, Iovithas 66-68 Rawles, S. 34, 48, 214, 273, 387, 425 Raynal, L. 49, 79 Rebuffi, P. 144 Regnault , Guillaume 261, 271 Regoliosi, M. 14, 139, 149, 373 Renier, D. 338 Revard, S. P. 257 Reynolds, L.D. 85 Rhamnonte 25
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Penutto, C. 227 Pépin (roi) 190, 244 Pépin, J. 22, 310 Perotti, Niccolò 103, 132, 316 Perromat Augustín, K. 315 Perse (Persio) 94, 154, 159 Peruzzi, E. 201, 217 Pétrarque 103, 105, 235, 311, 318, 467 Petronio, U. 13 Petronius (personnage inventé par Érasme) 205-207, 211 Peutinger, Conrad 12, 22, 42, 48, 270, 297, 359, 370, 435 Phaéton (Fetonte) 405 Phalaris 79 Phébé (Phoebe) 26, 56 Phébus (Phoebus) 26, 63, 452 Philippe II (roi d’Espagne) 44 Philippe IV le Bel 182, 192, 255 Philon d’Alexandrie 238 Philonides 56 Phorcius 167 Phryxus (Frisso) 403 Piano Mortari, V. 13, 121, 123, 124, 128, 146, 177 Picus 452 Pigeaud, J. 200 Pignoria, Lorenzo 46, 365, 367 Pino, Paolo 381 Pio da Carpi, Alberto 239 Piravano, C. 337 Pirckheimer, Willibald 297 Pittorio, Luigi Biggi 302 Plantin, Christophe 9, 46, 195, 218, 267, 308, 372, 379, 386-388, 390, 391, 397, 416, 417, 430, 436-441, 443-453, 455 Platon 26, 134, 175, 371, 467 Plaute (Plauto) 11, 16, 43, 46, 65, 85, 89, 154, 155, 157, 375, 381 Pline (Plinio) l’Ancien 17-20, 75, 154-156, 159-160, 201, 203, 238-239, 349, 353, 371, 375, 423, 467 Pline le Jeune 75 Plutarque (Plutarchus) 91, 175, 239, 467 Pô 243 Podocatharo, Livio 23 Poggetto, Bertrando del 180 Poignault, R. 92 Polenton, Sicco 90 Politien, Ange 14, 36, 74, 122, 203, 221, 263, 381 Polizzi, G. 300 Pollux (ou Polydeukès), Julius 375
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Rhodiginus, Caelius 298 Ricci, Vincenzo 367 Richer, Jean 46, 195, 199, 219, 362, 375, 382, 430, 431, 435, 454 Rigaudière, A. 127 Ripa, Cesare 367, 382 Ripa, Francesco 41, 246 Rischpler, S. 406 Roberti, Andrea 64, 65 Roberti, Ercole de’ 368 Rodolphe Ier (empereur) 192 Rodríguez López, R. 131 Rolet, A. 5, 11, 24, 26, 30, 32, 33, 98, 195, 425, 426, 430, 433 Rolet, S. 5, 11, 12, 24, 29, 31, 33, 35, 42, 45, 49, 53, 61, 63, 98, 257, 309, 321, 396 Romano, Andrea 13, 48 Rome (Roma) 14, 25, 35, 38, 55, 69, 85-86, 94, 96-97, 151, 153-154, 161, 169-170, 180184, 186, 188-190, 192, 210, 213, 246, 248, 294-295, 297-298, 313, 360, 473 Romulus 180 Romulus Augustule 184 Rosate, Albericus de 76, 124 Rosate, Giovanni Pietro de 336, 350 Rossend (Burntisland, Fife), château de 393, 395-397 Rossi, G. 13, 14, 30, 49, 120, 125, 129, 139, 145, 149, 159, 162, 373, 374 Rouille (ou Rouillé ou Roville), Guillaume 45, 46, 54, 195, 218, 219, 267-269, 282, 284-287, 289-291, 294, 308, 324, 325, 337, 348, 360, 372, 379, 383, 384, 387, 396, 415, 416, 425-428, 430, 435, 438, 454, 457 Rovetta, Alessandro 68 Roy, B. 406 Ruffino, O. 132 Ruini, Carlo 13, 26, 36, 145, 163 Rummel, E. 234 Russell, D. 34, 49, 293, 301, 302, 411, 412, 417, 421-423 Ruysschaert, J. 90, 93
S Sabbadini, R 85 Sabbah, G. 202 Sacon, Jacques Sacré, D. 38, 259, 273 Sadolet, Jacques (Sadoleto, Jacopo) 39, 246, 247, 263
Saffron Walden (Essex) 387, 389, 473 Saglio, E. 20 Saint-Pétrone, église (Bologne) 90 Saint-Rémy, mausolée de 246 Sala delle Asse (castello Sforzesco, Milan) 351 Salamanque 268 Salgado, Félix Herrero 462, 467 Salluste 85, 91, 95, 263 Salomon, Bernard 45, 267, 269, 387, 432 Samama, É. 202 Sambucus, Joannes (Zsámboky, János) 417 Samos 59 San Epifanio, église (Pavie) 45, 362 San Michele in Bosco, réfectoire de (Bologne) 368 San Stefano in Borgogna, église, (Milan) 68 San Stefano, basilique (Milan) 68 Sanchez de las Brozas, Francesco 46, 54, 56, 196, 268, 355, 457, 467 Sánchez, L. 457 Sandal, E. 53, 62, 65, 67 Sannazari della Ripa, Gianfrancesco 163 Santa Maria delle Grazie, église (Milan) 333, 337, 339, 341, 342, 344, 351, 353, 357 Sartori, A 12 Sartorius, Adam 95 Saturne (Saturn) 25, 336, 446 Sauli, Filippo 36, 76, 78, 79, 84 Saulnier, V.-L. Saunders, A. 134, 293 Savoldo, Giovanni Gerolamo 381 Scaravaggi, Giovanni Battista 66, 68 Scève, Maurice 268, 269, 418 Schaffstein, F. 162 Schellhase, K.C. 92, 95 Schifanoia, palais (Ferrare) 368 Schiner, Matthäus 62, 69, 70 Schmitt, J.-Cl. 466 Schneider, E. 13 Schnur, R. 14 Schoeck, R.J. 12 Scholderer, V. 75 Scholz, B. 12, 22 Schürer, Matthias 75 Scott, S.H. 75 Scotus 77 Scriverius, Peter 226 Scylla 167, 452 Sears, E. 225 Secer, Jean (Johann) 42, 177, 270
Stegmann, A. 458 Stein, P. 128 Steyner, Heinrich 42, 267, 270, 322, 323, 344, 345, 354, 360, 368, 401, 405, 411, 412, 414, 435 Stoa, Giovanni Quinziano (Stoa, Quintianus) 60 Stockham(m)er, Sebastian 46, 195, 268, 269, 287, 289, 291, 395, 416, 454 Strabon 89, 178 Strasbourg 36, 73-76, 83, 259 Studiolo (Florence) 378 Suétone (Svetonio) 77, 79, 89, 91 Summer Room (University College, Oxford) 387, 388 Supersaxo, Georges 66 Swart, Henricus de 226
T Tacite (Tacitus, Tacito) 11, 15, 16, 29, 37, 73, 79, 81, 85-96, 137, 154, 155, 158, 159, 178, 227, 241, 244, 279, 283 Tarquin le Superbe 197 Tartagni, Alessandro (Tartagnus, Alexander) 123, 163 Tavano, A. 461 Tedeschi, Niccolò 263 Telamon 450, 451 Telesio, Antonio (ou Thylesius, Antonius) 375-378 Telesio, Bernardino 375 Telle, E.V. 233, 234, 236, 238-240 Térence 467 Terreaux, L. 243 Tertullien (Tertulliano) 92, 158 Tervarent, G. de 367 Tesauro, Emmanuele 420 Téthys 213 Théodose 77, 79, 252 Théry, J. 181 Thévet, André 362 Thireau, J.-L. 120, 129, 144 Thomas d’Aquin (saint) 187 Thomas, Y. 127, 169 Thome, G. 197 Thuilius, Johannes 46, 54, 196, 218, 365 Tibère 102, 326, 327, 342, 355, 358, 361 Tiberius Gemellus 328 Tibre 210 Tiemann, B. 418 Tinghi, Filippo 261
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Second, Jean (Everaerts, Jan) 6, 21, 24, 25, 26, 31, 42, 61, 199, 321, 322, 326, 345, 346, 354-357, 359-361, 364 Ségovie 457 Seidel Menchi, S. 210, 233, 234 Selig, K.-L. 225 Selve, Jean de 37, 241 Sénèque (Seneca) 38, 154 Senneton 132 Servais, Roger 234 Servius 103, 166, 213, 375 Sessa, Melchiore 270 Sforza (famille) 29, 35, 241, 242, 255, 324, 330, 331, 336, 339, 343, 345, 346, 351, 353 Sforza, Bianca Maria, 335, 342, 345, 349 Sforza, Francesco II 42, 248, 254, 343 Sforza, Francesco, 346, 350 Sforza, Galeazzo Maria 62, 353 Sforza, Gian Galeazzo 70, 337, 342 Sforza, Ludovic, dit « le More » 61, 70, 241, 321, 324, 330, 332, 337, 338, 341, 346, 349354, 357-360, 364, 365 Sforza, Massimiliano (Ercole Massimiliano) 62, 70, 324, 338, 341, 354, 403 Sforza, Muzio Attendolo 339, 351 Sforza Visconti, Ottaviano Maria 62, 70 Sicile 314, 371 Siculus Flaccus 212 Sidoine Apollinaire 235 Silvestre Ier (pape) 187 Simeoni, Gabriele 396 Simoneta, Giacinto 255 Singovesus 243 Sion 62 Sixtine, chapelle (Rome, Vatican) 378 Smedt, R. de 355 Smolderen, L. 355, 356, 360 Socin, Barthélemy (Socini, Bartolomeo ou Socinus, Bartholomeus) 14, 120, 163 Solari, Cristoforo 339 Soleil 26, 332, 336 Solon 25 Soncino, Mariano 44 Sorte, Cristoforo 381, 382 Soter, Johannes 40, 97, 402 Souda (Suda) [= parfois Suidas ou Suida] 54-57, 59, 76, 161, 178 Sozzi, L. 243 Spagnesi, E. 15 Spenser, Edmund 387 Stace (Stazio) 23, 104, 154, 221 Stangl, T. 137
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490
Tiraboschi, Girolamo 60 Tiraqueau, André 120, 129 Tite-Live (Livio) 13, 37, 77, 85, 89, 91-93, 95, 96, 178, 185 Titus 54, 326 tombeau de Laure 253 Torelli, Lelio 15 Toro 457 Torrentino, Lorenzo 15 Tortis, B. de 17 Tory, Agnès 297 Tory, Geoffroy 31, 293-305, 412, 413, 414 Toscano, Cesare 313 Toscano, Giovanni Matteo 31, 307, 308, 310, 312-314, 317 Toscano, Lorenzo 312 Toscano, Paolo 313 Tournes, Jean de 45, 46, 267-270, 282, 285, 287, 289, 290, 353, 387, 388, 416, 418, 432, 433, 454 Tournes, Jean II de 268, 291, 375, 377, 381, 432 Tournon, A. 144, 165 Tournon, François de 41, 133, 137, 138, 249, 251, 262 Tournoy, G. 132 Tozzi, Pietro Paolo 46, 54, 195, 196, 218, 219, 367, 416 Tracy of Toddington, John 384 Tranquillus (voir Suétone) Traversari, Ambrogio 14 Trebazio, Bernardino 297 Trente 368 Trente, concile de 44, 209, 458, 459, 461, 469 Tribonien 14 Trionfo, Agostino 181 Trivulzio, Gian Giacomo, dit « le Grand », « Magno » (gouverneur de Milan et connétable de France) 37, 242, 338 Troie 102, 309, 396 Troje, H. E. 78, 79, 83, 84, 119, 122, 148, 150, 152, 157 Trotti, Giacomo 334-336 Truchsses von Waltburg, Otto 44 Tübingen 178, 312 Tucker, G.H. 21, 31, 307, 311, 312, 413 Tung, M. 12 Tunis 190, 255 Tuynman, P. 226 Tydeus 454 Typotius, Jacobus 393 Tyrol 344
U Übelin, Georg (Maxillus) 74, 75, 83 Ulery Jr., R.W. 87, 93 Ullman, B.L. 90 Ulpien (Ulpiano) 20, 89, 128, 138, 160, 168, 169, 215 Ulysse (Ulysses) 173, 174, 309, 393, 450, 452, 453
V Vaccari, P. 150 Valentinien 35, 80, 178 Valère-Maxime 85 Valeriano, Pierio 21, 23 Valerius Probus 293, 295, 296, 303 Valet, E. 46 Valla, Lorenzo 14, 30, 74, 92, 131, 132, 134, 139-144, 148, 149, 151, 153, 373, 374, 457 Valladolid 457 Valois 241, 252 Vanautgaerden, A. 132 Varese 337 Varese da Rosate, Ambrogio 336 Varron 16, 60, 380 Vasari, Giorgio 43, 368 Vecce, C. 302 Vélia 166 Vendelin de Spire 90 Veneto, Bartolomeo 370 Venise 35, 38, 42, 44-46, 56, 58, 76, 79, 124, 186, 195, 201, 203, 214, 253, 260, 269-271, 322, 328, 329, 332, 337, 342, 363, 364, 368, 369, 375-378, 381 Ventoux, mont 311, 318 Vénus 23, 202, 203, 212, 253, 446 Verino, Michele 302 Vernani, Guido 180 Verrès 371 Vertranius Maurus, Marcus 87 Vespasien 326 Vessey, M. 240 Vettori, Piero 258 Viana 468 Viard, P.-É. 11-13, 17, 33, 49, 60, 78, 79, 82, 83, 92, 120, 121, 123, 126, 131, 136, 138, 145, 147, 150, 179, 180, 209, 217, 233, 246, 253 Viatte, F. 351 Victoria and Albert Museum (Londres) 384
W Warembourg, N. 13, 30, 119 Watson, E.S. 26 Webb, R. 406 Wechel, André 96 Wechel, Chrétien (Chrestien ou Christian) 43-47, 242, 245, 253, 257, 258, 267, 268, 300, 308, 321-323, 344, 345, 354, 356, 358, 360, 361, 390, 391, 394-397, 401,
405, 412-415, 425, 435, 454 Weiler, A.G. 204 Welch, E.S. 331, 335, 338 Whitney, Geoffrey (ou Geffrey) 384, 390, 396, 397, 435, 436 Witcombe, Ch.L.C.E. 85 Wolmar, Melchior 42
X Xénophon 310, 311
Y Yeomans, W. 212 Yvernault, Y. 200
Z Zaffignani, G. 338, 349 Zambelli, P. 202 Zaragoza (= Saragosse) 461 Zasius (Zasio), Ulrich 38, 39, 60, 73, 228, 253, 259, 312, 314, 318 Zenale, Bernardino 453, 454 Zenas 454 Zetzner, Lazare 11, 46, 152 Zeus 309 Zimmermann, R. 129 Zuffi, S. 331 Zumthor, P. 406 Zwychem van Aytta, Viglius van 42
491 index
Victorinus 137 Viera, Antonio 461 Vierge (constellation) 24 Vigevano 330, 331, 338, 341, 349 Viglino, Ch. 375 Villava, Juan Francisco de 457, 464, 466, 472 Villeneuve, F. 139 Villey, M. 169 Villey, P. 134 Vincent, Antoine 44, 265, 271, Vincent, Simon 44, 265, 271, 277 Virgile (Vergilius, Virgilio, Virgil) 16, 30, 60, 89, 90, 104-108, 110, 135, 154-156, 158, 165-167, 197-200, 203, 207, 213, 214, 218, 220, 342, 375, 428, 432, 433, 467 Visconti (famille) 55, 80, 97, 324, 331, 336, 338, 339, 341, 345, 346, 351, 352 Visconti, Alessandro 179 Visconti, Ambrogio 22 Visconti, Galeazzo (Galéas) [frère de Giacomo Antonio] 37, 81, 91, 177, 227, 228, 241-242 Visconti, Galeazzo Maria 37 Visconti, Giacomo Antonio 36, 80 Visconti, Giovanni Battista 69 Visconti, Giovanni Galeazzo (duc de Milan) 103 Visser, A.S.Q. 225 Vistarini, A.B. 412 Vitali, Bernardo 375 Vitruve 68, 269, 302 Vivès, J.L. 204 Voet, L. 436 Vogler, B. 191 Vogler, W. 393, 474 Volz, P. 237, 239 Vons, J. 201, 202 Vredeman de Vries, H. 393 Vuilleumier-Laurens, Fl. 12, 49 Vulcain 228, 243, 378
table des matières
Anne Rolet, Stéphane Rolet Introduction : Alciat, entre ombre et lumière ❧ 11 Anne Rolet, Stéphane Rolet André Alciat (1492-1550) : quelques repères bio-bibliographiques ❧ 33
I- Les premières œuvres : permanence et adaptations des modèles antiques Denis L. Drysdall L’humaniste en herbe : opuscules de jeunesse ❧ 53 Stéphane Rolet Règlement de comptes à Milan : Giovanni Biffi versus Alciat et ses amis ❧ 61 Ian Maclean Les premiers ouvrages d’Alciat : les Annotationes in tres posteriores Codicis Iustiniani, et l’Opusculum quo graecae dictiones fere ubique in Digestis restituuntur (1515) ❧ 73 Lucie Claire Les In Cornelium Tacitum annotationes d’André Alciat et leur fortune au xvie siècle ❧ 85 Jean-Louis Charlet Les épigrammes d’Alciat traduites de l’Anthologie grecque (édition Cornarius, Bâle, Bebel, 1529) ❧ 97
II- Le continent du droit : méthodes, pratiques, genres Nicolas Warembourg André Alciat, praticien bartoliste ❧ 119 Bruno Méniel La sémantique d’un juriste : la réflexion d’André Alciat sur le titre De uerborum significatione ❧ 131 Giovanni Rossi La lezione metodologica di Andrea Alciato : filologia, storia e diritto nei Parerga ❧ 145 Olivier Guerrier Fantaisies et fictions juridiques dans les Parerga ❧ 165 Juan Carlos D’Amico L’Empire romain et la translatio imperii dans le De formula Romani Imperii d’André Alciat ❧ 177 Anne Rolet Les enjeux pluriels de la méthode emblématique d’André Alciat : l’exemple de Mézence, entre littérature, droit et médecine ❧ 195
III- Alciat et ses contemporains : admiratio, aemulatio, inuidia
table des matières
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Christine Bénévent Érasme, Alciat et le Contra uitam monasticham ❧ 225 Richard Cooper Alciat entre l’Italie et la France ❧ 241 Raphaële Mouren André Alciat et les imprimeurs lyonnais ❧ 257 Olivier Millet Les intérêts communs de Geoffroy Tory et d’Alciat autour de l’emblème ❧ 293 George Hugo Tucker De Milan à Bourges : André Alciat, professeur de droit et homo viator, d’après les éloges posthumes de Giovanni Matteo Toscano (1578) et de François Le Douaren (1551) ❧ 307
IV- Alciat et les arts Stéphane Rolet La genèse complexe de l’emblème d’Alciat Virtuti fortuna comes : de la devise au caducée de Ludovic Sforza à la médaille de Jean Second en passant par quelques dessins de Léonard ❧ 321 Paulette Choné Alciat et la couleur ❧ 367 Michael Bath Les emblèmes d’Alciat dans les arts décoratifs ❧ 383
V- Alciatus tralatus : le voyage européen des Emblemata Mino Gabriele Visualizzazione mnemonica negli Emblemi di Alciato ❧ 401 David Graham Alciat gaulois ou Hercules triplex ❧ 411 Alison Adams Vernacular Versions of Alciato’s Nupta contagioso ❧ 425 Alison Saunders A largely unknown early-modern English translation of Alciato’s emblems ❧ 435 Gloria Bossé-Truche La Declaración magistral sobre los emblemas de Alciato de Diego López de Valencia (Nájera, Juan de Mongaston, 1615) : étude sur la dernière traduction et les derniers commentaires espagnols des emblèmes d’Alciat à la Renaissance ❧ 457 Crédits photographiques ❧ 473 Index ❧ 475