ABBON, ABBE DE FLEURY (950-1004).UN MOINE COMBATIF ET SAVANT 2503510965, 9782503510965

Il y a mille ans, le 13 novembre 1004, à la Réole, sur les bords de la Garonne, mourait un abbé de Fleury, Abbon. Sa mor

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ABBON, ABBE DE FLEURY (950-1004).UN MOINE COMBATIF ET SAVANT
 2503510965, 9782503510965

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Abbon de Fleury Un moine savant et combatif

Pierre Riché

ABBON DE FLEURY UN MOINE SAVANT ET COMBATIF (VERS

950 - 1004)

BREPOLS

© 2004, Brepols Publishers NV, Turnhout, Belgium

Ali rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2004/0095/52 ISBN 2-503-51096-5

Transferred to Digital Printing in 2009

Avant-propos

C'est paradoxalement l'historien de Gerbert d'Aurillac qui a accepté d'écrire une biographie d' Ab bon de Fleury, l'adversaire de Gerbert dans bien des domaines, mais également son émule dans le secteur des études scientifiques. Les deux hommes, d'origine également modeste, ont vécu dans les mêmes années, milieu du Xe siècle début du XIe siècle. L'un est mort en 1003, l'autre l'année suivante(!). Ils se connaissaient, mais se sont rarement rencontrés, la vie d' Ab bon a été moins aventureuse et bouleversée que celle de Gerbert, puisqu'il n'a jamais quitté son monastère sauf pendant son séjour de deux ans en Angleterre et ses quelques voyages en Italie et en Gascogne. Mais son œuvre littéraire et scientifique, et son influence auprès de ses disciples a été, semble-t-il, aussi grande que celle de Gerbert. Nos sources d'information sont diverses. D'abord les œuvres d' Ab bon dans tous les domaines, du moins celles que l'on a conservés: hagiographique (Vie de saint Edmond), canonique (Collection canonique), politique ("Apologétique"), littéraire (Questions grammaticales, poèmes), logique (traités de syllogistiques), historique (Abrégé des Vies des papes), scientifiques enfin (traités de comput et d'astronomie). 1

P. Riché, "Nouvelles vies parallèles ... ".

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D'autre part, nous avons conservé une une partie de sa correspondance, bien moins riche que celle de Gerbert, mais certaines des lettres sont des petits traités. Elles sont adressées au pape Grégoire V, au roi Robert le Pieux, à des abbés (Odilon, Léon, Bernard, Bernier, Gauzbert), à la communauté de Saint-Martin-de-Tours et de Micy, et à deux de ses disciples. On peut s'étonner de n'avoir gardé que 14 lettres. Lorsqu'il parle de la dernière adressée à Odilon, Aimoin écrit que cette dernière lettre est "conservée par devers nous avec les autres". Aimoin, d'autre part, en a sauvé deux qu'il a incorporées en partie à la biographie 121 • Il faut alors parler de cet Aimoin, élève puis ami d' Ab bon. Aimoin est entré très tôt à Fleury, sous l'abbatiat d' Amalbert (979-985). Il a l'habitude d'écrire, puisqu'il fut l'historiographe de Fleury et de saint Benoît. Abbon lui a demandé des Gesta francorum de bonne qualité, qui malheureusement se termine en 654. Après la mort d' Abbon, il écrit deux livres des "Miracles de saint Benoît" à la demande de Gauzlin successeur d' Abbon, un sermon pour la fête de saint Benoît et une histoire des trente premiers abbés de Fleury, perdue, qui se terminait par la Vie d' Abbon131 • Aimoin a bien connu Abbon. Originaire de Gascogne, il était tout désigné pour accompagner son abbé dans cette région lors des deux voyages qu'il fit. Le dernier, nous le verrons, se termina tragiquement à La Réole puisqu' Abbon a été assassiné. Revenu à Fleury, son condisciple et ami Hervé lui demande d'écrire la Vie d' Abbon. Hervé, dont je reparlerai, était alors trésorier de Saint-Martin de Tours. Il avait lui aussi été élève d' Ab bon et avait été en correspondance avec lui. Dans sa 2 3

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J.-M. Berland, "Un moine aquitain de l'an mil: Aimoin de Fleury" ... Cf. supra, p. 91.

AVANT-PROPOS

préface adressée à Hervé, Aimoin dit avoir hésité à entreprendre le récit et la vie du martyr. Du moins il feint d'avoir hésité. En effet, dit-il, il craint les censeurs et les contradicteurs, non seulement parce qu'il s'en sent indigne et peu éloquent, formule de fausse modestie, mais parce que certains estiment que seuls ceux qui ont été tourmenté par des supplices dans la primitive église ont droit au titre de martyrs et que Abbon n'avait pas fait de miracles. Aimoin répond à l'avance que tel Augustin ou Jérôme, Ab bon avait manifesté la sainteté et la pureté de sa vie, l'éloquence de son enseignement et la fermeté de sa foi. En outre, "il n'a pas manqué, lui aussi pendant sa vie, de la gloire des miracles". Ceci dit, Aimoin écrit une biographie, qui n'est pas trop hagiographique, et est bien documentée. Non seulement Aimoin utilise ses souvenirs personnels, mais il a recours aux documents, les lettres reçues et envoyées par Abbon et rend compte des multiples activités de l'abbé, de ses voyages et de ses travaux intellectuels, des embellissements du monastère, etc. Sans doute, il consacre cinq chapitres sur vingt-etun aux dernières années de son maître, à ses voyages en Gascogne, à sa mort et à ses obsèques, ce qui était naturel pour la biographie d'un "martyr". Comme le dit Mabillon, "il n'est pas facile de juger lequel des deux a été le plus heureux, ou Aimoin d'avoir eu Abbon pour maître ou Abbon d'avoir eu Aimoin pour historien de sa vie". Ainsi, notre documentation est suffisante pour écrire une biographie d' Ab bon. Ce n'est pas la première, puisqu'en 1873, l'abbé Pardiac, natif de La Réole, a écrit une "histoire de saint Abbon" et qu'en 1954, pour le neuf cent cinquantième anniversaire de sa mort, Dom Patrice Cousin a publié une biographie fort utile. Pour le millénaire de cette mort

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tragique, il convenait de donner un autre ouvrage qui n'est certainement pas le dernier, car les célébrations de l'anniversaire d' Abbon vont sans doute donner aux études abbonniennes un nouveau souffle. Tout travail est provisoire.

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La jeunesse d' Abbon

1. L'Europe occidentale dans la deuxième moitié du Xe siècle Au milieu du Xe siècle, lorsque Abbon voit le jour, l'Europe occidentale sort d'une période difficile. La fin de l'empire carolingien, les nouvelles invasions scandinaves, hongroises et sarrasines, la crise de la Papauté ont causé des troubles profonds. Mais une stabilité relative apparaît au milieu du siècle. Elle est due à la personnalité du roi de Germanie Otton 1. Ce duc saxon, élu roi en 936, conquiert l'Italie en 951 et rétablit l'Empire en 962. Il se fait respecter des ducs de Germanie, s'appuie sur l'église, nomme évêques et abbés sortis souvent de la chapelle royale. Après son couronnement par Jean XII, il fait déposer ce pape indigne et veille à ce que les successeurs soient soumis et méritants. Otton II (973-983), sans avoir la même personnalité que son père, maintient le prestige de l'Empire, aidé par son épouse, la byzantine Theophano. Car Otton 1 a réussi le mariage de son fils avec la "princesse lointaine" et les empereurs tentent d'intervenir dans les territoires byzantins d'Italie. Lorsque Otton II meurt, son fils n'a que trois ans, si bien que Theophano et la vieille impératrice Adélaïde, femme

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d'Otton 1, défendent le jeune prince contre les ambitions du duc de Bavière, Henri le Querelleur et avec l'aide des évêques allemands mais aussi de l'archevêque de Reims Adalbéron et de son secrétaire Gerbert d'Aurillac. Ils réussissent à maintenir le jeune garçon sur le trône. Ce dernier fait preuve d'une précocité remarquable et est couronné empereur en 996 à 16 ans par son cousin le pape Grégoire V. A cette occasion il fait connaissance de deux hommes qui seront ses maîtres: l'ancien évêque Adalbert de Prague, pour sa vie spirituelle et Gerbert d'Aurillac archevêque de Reims pour sa formation intellectuelle. En 999 à la mort du pape Otton III nomme Gerbert pour lui succéder sous le nom de Sylvestre IL A l'est de l'Empire naissent de nouvelles principautés. Otton 1 a réussi avec l'aide des ducs à battre les Hongrois, qui alors s'installent dans la plaine danubienne et se sédentarisent. La conversion du prince Geza puis le baptême de son fils Etienne, favorisent l'entrée de la Hongrie dans la Chrétienté. En 1001 Sylvestre II envoie une couronne royale à Etienne et en accord avec Otton III créé une église nationale hongroise dont la métropole est Esztergom. Au nord entre Elbe et Oder les Slaves sont neutralisés par les empereurs et christianisés à partir de la métropole Magdebourg. A l'est de l'Oder, les Polonais sont également gagnés par le christianisme. Mais ils n'acceptent pas l'emprise du clergé allemand, si bien qu'en l'an mil Otton III et Sylvestre II décident de créer là aussi, une église nationale, dont Gniezno est la métropole et Cracovie un des évêchés. Ainsi la frontière qui sépare l'église romaine de l'église "orthodoxe" est fixé définitivement sur la ligne VistuleDanube moyen.

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Dans le nord de l'Europe en dehors des pays scandinaves, qui eux aussi passent lentement au christianisme, l' Angleterre connaît une période stable grâce à Edgar-le-Pacifique (959-975) qui se dit "empereur auguste de toute l'Albion" et qui est sacré par Dunstan archevêque de Canterbury. Ce dernier avec Aethelwold évêque de Winchester et Oswald, évêque de Worcester, reforment le monachisme en Angleterre et ont des liens étroits, nous le verrons, avec les abbayes de France, dont Fleury sur Loire. Malgré les invasions des Danois à partir de 980, le royaume anglo-saxon maintient ses institutions et sa richesse. Entre les Iles britanniques et l'Empire, le royaume de France est gouverné depuis 936 par des princes, ceux que l'on a appelés les "derniers carolingiens" et qui, quoiqu'on en ait dit, n'ont manqué ni de courage ni de ténacité. Ces rois disposent de grands domaines de plusieurs abbayes et d'une vingtaine d'évêchés dans les provinces de Reims et de Sens. L'archevêque de Reims, ce prince-évêque, sacre le roi et est pendant longtemps le principal appui du Carolingien. Lorsqu'il refusera cette aide en s'appuyant sur les ducs Robertiens, il mettra le roi en péril. Ces Robertiens sont depuis le milieu du Xe siècle les princes les plus entreprenants et les plus dangereux pour les rois carolingiens, qui souvent, du moins sous Otton 1, doivent demander l'aide de l'empereur. Hugues le Grand (mort en 956) puis son fils Hugues Capet, disposent d'immenses domaines entre Seine et Loire et sont abbés laïcs de St-Denis, St-Martin de Tours, Marmoutier, etc. En 981 Hugues Capet va rencontrer Otton II à Rome en compagnie de son fidèle Arnoul, évêque d'Orléans, dont nous aurons souvent à parler. Le roi Lothaire puis son fils Louis V qui a reçu le sobriquet ridicule de "celui qui ne fit rien", car il n'a régné qu'un

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an, se sont aliénés les Ottoniens en voulant reprendre le berceau des Carolingiens, la Lorraine et Aix-la-Chapelle. Adalbéron de Reims, un lorrain, soutient Hugues Capet et à la mort de Louis V, en 987, le fait reconnaître roi par les ducs de France. Ces derniers d'ailleurs profitent des événements pour faire de leur principauté (Normandie, Flandre, Anjou, Aquitaine, Catalogne, etc.) des petits états dotés d'institutions de tradition carolingienne et de leur propre monnaie. Ils confient leurs châteaux à des seigneurs qui au début du XIe siècle cherchent ici et là à s'émanciper. Ce que l'on appelle la "société féodale" se met en place. Enfin pour terminer ce tour d'horizon européen, rappelons que dans les régions méditerranéennes la "reconquista" chrétienne repousse petit à petit les Musulmans, que ce soit en Provence (reprise de la Garde-Freinet en 972) et surtout en Espagne, jusqu'à la vallée du Duero. Mais l'influence de la culture musulmane sur l'Espagne chrétienne, et en particulier sur la Catalogne, reste grande. Dans cet Occident qui se réorganise, la reprise économique commencée à l'époque carolingienne s'amplifie, les populations augmentent, les terres incultes sont occupées, de nouvelles villes sont créées, des marchés ouverts et des échanges s'intensifient entre l'ouest et l'est. D'autre part des chantiers de constructions sont actifs et bien avant le début du XIe siècle, comme le disait Raoul Glaber, "l'Occident se couvre d'un blanc manteau d'églises". Une nouvelle église abbatiale est construite à Cluny par l'abbé Mayeul; à Magdebourg, Mayence, Liège, Senlis, etc., de nouvelles cathédrales sont édifiées. Les évêques sont assez riches pour faire travailler des artistes, ivoiriers, orfèvres, peintres de manuscrits. Pour ces derniers une véritable renaissance est constatée en Germanie, Espagne, Angleterre et

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même France. Non, la deuxième moitié du Xe siècle et en particulier les deux décennies avant l'an mille, ne sont pas une période de misères, d'effroi et de terreurs. Abbon vivait dans un monde plein de grandeurs.11 1

2. Le monastère de Fleury Tournons nous alors vers les régions ligériennes, Orléans et Fleury. Les Robertiens ont fait d'Orléans une de leur capitale. Arnoul évêque de cette ville est, nous le verrons, très lié à Hugues Capet. La ville comprend à l'intérieur et en dehors, une vingtaine d'églises. L'évêque répare assez rapidement les dévastations du grand incendie de 989. Raoul Glaber loue "la beauté de la ville, sa population nombreuse, la fertilité de son sol, la pureté des eaux du fleuve qui la baigne" .!21 En amont d'Orléans est construit depuis le Vile siècle le monastère de Fleury.! 3I C'est l'abbé de St-Aignan d'Orléans, Léodebode, qui construisit dans le domaine de Floriacum deux églises, l'une dédiée à St-Pierre l'autre à Sainte-Marie. Là il installa l'abbé Rigomer qui réunit des moines vivants sous les règles de saint Benoit et saint Colomban. Or en 672 ou 673 les moines ayant appris que le corps de saint Benoît, enterré au Mont-Cassin, avait été abandonné depuis l'invasion lombarde, décideront d'aller le chercher et de le ramener à Fleury. Cette Translatio sancti Benedicti était célébrée et le 11 juillet et le 4 décembre. Ainsi Fleury devint une des plus illustre abbaye de l'Occident puisqu'elle possédait le corps du premier bénédictin. 1

P. Riché, Les grandeurs ... , p.29 et s. Raoul Gia ber, Histoires Il, 5. 3 Sur Fleury beaucoup de travaux depuis l'article de J. Laporte dans DHGE t.17 (1969) Cf. La bibliographie de M. Mostert, The political theology ... , p.210-215. 2

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Fleury, abbaye royale, fut un centre important pour la vie culturelle et religieuse à l'époque carolingienne. Mais comme bien d'autres, elle souffrit des troubles de la première moitié du Xe siècle. C'est alors que l'abbé de Cluny, Odon (931942) fut invité par le comte Lisiard à réformer le monastère, ce qui ne se fit pas sans quelques difficultés. A partir de cette date, le monastère de Fleury attire les moines de France, de Germanie et des Iles britanniques. 14l Gauzlin de Toul vient chercher des moines fleurisiens pour réformer Saint-Evre, le monastère de St-Vincent de Laon est réorganisé par douze moines de Fleury. Il en est de même pour St-Père-en-Vallée près de Chartres. L'abbé Vulfade devient même évêque de Chartres en 962. D'Irlande arrive Caddroé qui se forme à la vie religieuse à Fleury avant d'être abbé de Waulsort. D' Angleterre vient Oda futur archevêque de Canterbury puis son neveu Oswald. Chanoine de Winchester il cherche un genre de vie plus austère et en 959 se dirige vers le tombeau de saint Benoit. Rappelé en Angleterre il devint évêque de Worcester en 961. L'observance fleurisienne est appliquée dans l'abbaye d'Abingdon, réformé par Aethelwold de Winchester. Ce même Aethelwold, en union avec Dunstan de Canterbury, et à la demande du roi Edgar, fait rédiger au concile de Winchester la Regularis concordia des moines et des moniales de la nation anglaise. On s'inspire des coutumiers de Gand, que Dunstan avait connu lors de son exil sur le Continent, et ceux de Fleury. Il faut signaler que ce texte mentionne la cérémonie paraliturgique du Quem quaeritis qui semble être également en usage à Fleury dès cette époque. Je reparlerai de ces relations entre Fleury et l'Angleterre à 4

Lin Donat, Recherches sur l'influence de Fleury au Xe siècle dans Etudes ligériennes ... , p.165-173. Et Ch. Vulliez, "Les Centres de cuture de !'Orléanais" dans Religion et culture ... , p. 125 et s.

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CARTE DE L'INFLUENCE DE FLEURY • au X.mie siècle

.t. au XI.mie siècle 0 autres centres

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propos du séjour d' Ab bon à Ramsey, abbaye fondé par Oswald. (51

3. Les premières années A. L'oblat Aimoin nous dit qu'Abbon est né dans l'Orléanais, sans évidemment fixer la date, car à l'époque celle-ci restait inconnue, peut-être même sans intérêt. Nous pouvons dater cette naissance entre 940 et 950 donc à la même époque que celle de Gerbert d'Aurillac. Abbon comme Gerbert est d'origine modeste. Son père s'appelait Lié, sa mère Ermenjart. "Dans leurs veines coulait certes pas un sang orgueilleux infatué d'une vaine noblesse, mais cependant ils avaient l'honneur de jouir de la liberté qui leur venait de leurs grands parents et arrières grands parents et ce qui vaut mieux que tout la crainte du Seigneur leur donnait la parure de mœurs honnêtes". Cette longue phrase pour dire que les parents d' Abbon étaient des libres, pieux et honnêtes ! Ils étaient peut-être d'origine rurale. Ils ont voulu que leur fils soit instruit et l'ont conduit à l'école de l'église Saint-Pierre, où se trouvait un parent de sa mère, un prêtre nommé Chrétien. Mais un autre parent, Gonbout, était moine à l'abbaye Notre-Dame. Ces deux hommes sont donc intervenus, nous dit Aimoin, pour que le petit garçon soit "offert" au monastère, sans doute à l'âge de sept ans comme cela était l'usage. D'ailleurs Abbon dit dans une lettre à Robert le Pieux que "dès le berceau il a appris la vérité alors qu'enfant il était dans le monastère." 5

Cf. infra., p. 32 .... " et P. Riché, "les relations de Fleury avec les pays celtiques" dans "Melanges Marc Simon" Britannia monastica, 2004, (à paraître)

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Aimoin nous dit que la cérémonie de l'oblature se déroula comme le veut la règle de saint Benoît. L'abbé Vulfade -qui devait plus tard être évêque de Chartres, réunit les moines et demanda à Abbon quel était son nom. Il ne put s'empêcher de dire que ce nom était proche d' Abba "qui signifie père dans la langue des Achéens" et d'en tirer un enseignement pour la destinée du jeune oblat. 161 Les parents enveloppent la demande d'oblation et la main de l'enfant dans la nappe de l'autel et offre leur fils en présence de témoins. Alors Abbon est tonsuré, revêtu de l'habit monastique et la messe commence. Abbon est donc admis dans le groupe des petits moines. Nous savons par les coutumiers monastiques et d'autres textes comment se déroulait la journée des enfants dans le monastère. Ils sont confiés à des maîtres qui doivent les surveiller jour et nuit. Ils vivent à part ils ont leur chapitre particulier dans lequel a lieu leur "révision de vie" et leur confession. A Fleury, s'il on en croit le Coutumier de Thierry qui date des environs de l'an mille, ils participent pourtant au chapitre des moines. On peut dire qu'ils "ont droit au chapitre" puisque c'est un "enfant bien stylé" qui fait la lecture et que les enfants ont l'habitude de proclamer au chapitre des frères toutes les négligences et les sottises du réfectoire (ch. 15 et 32). Le même coutumier consacre un chapitre au "régent le gardien des enfants". Citons quelques lignes de ce texte: On nomme comme gardien des enfants ou régent, un frère d'une chasteté et d'une pureté éprouvées, homme grave, pourfendeur des vices et maître très indulgent des enfants qui lui sont confiés. Selon l'importance de l'école et le 6

Le nom d'Abbon est très courant. (Cf. Pardiac, Histoire ... , p.56-57) Le père de saint Odon s'appelait Abbon.

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nombre des enfants, on lui donne pour l'aider des frères qui gardent les enfants à tout moment sous une stricte discipline et veillent sur eux paternellement. Et quoique le soin de la discipline des enfants repose sur tous les frères, pourtant il incombe plus particulièrement et spécialement à celui qui a reçu cette obédience. Aucun de nos enfants ne doit en effet jamais aller seul quelque part, mais ils doivent toujours se déplacer deux par deux, soit que le maître les envoie, soit qu'eux-mêmes aient quelque nécessité à satisfaire, et ils doivent toujours être suivis par un des maîtres portant une verge. Et si l'un d'entre eux commet une faute, même légère, il est immédiatement puni, même au chœur, ou bien si l'on remet au lendemain il sera puni plus sévèrement au chapitre. On ne fouette pourtant pas les enfants en communauté, mais c'est après le chapitre des frères que leur maître leur met les côtes en sang par de terribles coups de fouet et, devant sa petite troupe pâle d'effroi, il inflige soigneusement la punition. Et si leur maître surprend l'un des enfants faisant quelque sottise ou inconvenance aux heures indues, il n'applique pas immédiatement la punition du fouet pour éviter tout bruit ou tout cri dans le cloître, mais il se lève patiemment et il arrache un brin de paille de sa paillasse et le remet silencieusement à l'enfant en témoin de l'obligation où il est

de s'accuser de sa faute au chapitre du lendemain. Et le lendemain, à l'heure du chapitre des enfants, le coupable se lève tout tremblant avant que le maître ne l'ait proclamé, il reporte le témoin à son maître et se prosterne en demandant pardon et se reconnaissant coupable, ensuite il se déshabille et découvre sa peau en promettant de ne pas recommencer. (ch.18)

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La discipline, on le voit, est rude. Dans la pratique beaucoup de maîtres suivaient le conseil de saint Benoit: "Si quelqu'un se permet de châtier même les enfants sans discrétion il sera soumis à la discipline régulière". (ch.70) Quelques maîtres réagissent contre la brutalité. Aelfric Bata dans son "Colloque", écrit en Angleterre vers l'an mille, dit "0 maîtres, ne provoquez pas vos fils à la colère par une rigueur excessive, mesurez votre sévérité et avec bienveillance tantôt en les blâmant, tantôt en leur faisant voir leur erreur, afin qu'ils fassent des progrès". Vis à vis de l'adolescent le pédagogue se montre plus inquiet car cet âge, le plus incertain de la vie, est le point de départ des routes du bien et du mal, le bivium symbolisé par l'Y pythagoricien. La crise de la puberté risque d'entraîner le garçon à des mouvements de révolte et à des fautes "contraires à la pureté". Aimoin note que "sorti du temps de l'enfance Abbon s'efforçait par une méditation de réprimer les vices de l'adolescence sachant bien qu'il est écrit "que la méditation fréquente est la mortification de la chair". C'est pourquoi il se préoccupait de la dompter par l'exercice continuel du travail intellectuel pour la forcer à se mettre au service de son esprit". Nous parlerons plus loin de ces activités intellectuelles. Le Coutumier de Fleury donne quelques précisions sur les soins du corps des jeunes moines. Dans le dortoir "les lits des enfants ne sont jamais mêlés aux lits des frères, mais on les groupe plutôt au milieu du dortoir là où pendent les lampes, de sorte qu'on peut les voir de tous cotés." (ch.28) Pour la toilette, chacun à sa cuvette et sa serviette que l'on change le dimanche et des peignes lavés le samedi (ch. 36). Dans le Dialogue d' Aelfric Bata un chapitre tout entier est

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consacré au bain du samedi, à la coupe des cheveux et pour les plus grands de la barbe (ch.25). A Fleury on se rase tous les quinze jours et on change alors d'habit (ch.12). "Et s'il arrive que l'un des enfants tombe malade, le maître prend soin de lui comme une mère et le conduit à l'infirmerie, veillant sur lui et lui procurant tout ce qui lui est nécessaire. Mais un frère malade ne reçoit jamais la visite de ses proches, même s'il est originaire du lieu, il n'est pas même permis à un père ou à une mère d'assister aux obsèques de leur enfant pour tenir éloignée du monastère toute occasion d'amour charnel." (ch. 18) Le Coutumier de Fleury mentionne également les enfants à la cuisine, au moment du repas, mais ne dit rien, contrairement à Aelfric Bata, sur les détentes et les jeux au jardin. Il est vrai qu'il est inachevé. Il est par contre assez détaillé sur la place des enfants dans la liturgie. Aimoin nous dit que le jeune Abbon priait beaucoup ce qui paraît normal. Il a peut-être imité l'anglo-saxon Oswald présent à Fleury avant 961, qui avait coutume "comme font beaucoup de moine pieux" de faire cent grandes métanies dans la journée et cent pendant la nuit. Mais le biographe ne dit rien sur sa participation à la liturgie.(7) Le Coutumier au contraire, au chapitre 29, parle de la place des enfants aux Nocturnes. Il commence ainsi: Lorsque tous ont dormi jusqu'à l'heure prévue, le gardien de l'église, après avoir regardé la clepsydre, monte lentement au dortoir et agite la clochette qui pend au-dessus des lits des enfants, et à ce bruit tous se lèvent, comme effrayés et, selon le précepte de la règle, chacun s'efforce de précéder les 7 Cf. A. Davril et E. Palazzo, La vie des moines au temps des grandes abbayes, p.78-79.

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autres, toujours avec déférence. Et le gardien de l'église ou l'un de ses aides sonne aussitôt la cloche à l'oratoire, et ceci jusqu'à ce que tous, même les enfants, soient arrivés. Le colloque d' Aelfric est plus pittoresque. Toi, bel enfant, lève-toi et réveille vite le sacristain pour qu'il donne le signal avec la cloche car les coqs ont chanté trois ou quatre fois. Les enfants alors s'encouragent: "Lèvetoi, mon frère, de ton lit car il est temps de nous lever, de nous laver les mains et après de gagner l'église et de faire nos prières selon notre habitude. -Donne-moi mes vêtements, mes chaussures, mes guêtres, et je me lèverai et j'irai aux latrines et j'irai me laver. -Entendu, enfant, viens vite ici, apporte de l'eau limpide avec un broc afin que nous puissions laver nos mains, nos yeux et notre figure. Un enfant ne s'est pas réveillé. Alors le maître de lui dire: Toi, enfant, n'étais-tu pas cette nuit avec tes camarades à Nocturne? Pourquoi n'as-tu pas voulu y aller? -Je n'ai pas entendu le signal, mon Père. -Pourquoi ne pas avoir demandé à un camarade de te réveiller? -Je l'ai fait, mais il a oublié. Les enfants à peine réveillés risquaient de se rendormir.

A Fleury le circator réveille les endormis (ch.10) mais on permet aux plus jeunes de se reposer avant Prime (ch.31). Gaufredus, dont parlent les Miracles de St Benoit, lui, restait à prier jusqu'à l'aurore. Comme dans tous les monastères bénédictins, les enfants ont une place particulière dans les cérémonies et surtout dans les processions. Leur voix claire, bien disciplinée par le pré-chantre, nous le verrons plus loin, est très appréciée jusqu'au moment de la puberté.

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B. La formation intellectuelle Abbon, nous l'avons vu, a d'abord été élève de l'école Saint-Pierre, puis est passé à l'école monastique. Il y avait donc à Fleury comme dans les grandes abbayes deux écoles. Depuis l'époque carolingienne on veut réserver l'école interne aux futurs moines. Sur le plan de St-Gall qui se veut peutêtre un plan idéal, sont dessinées et l'école externe (domus communis scolae) placée au nord de l'église avec la maison du maître, et d'autre part à l'est de l'église l'école intérieure dans le quartier des "pulsantes et oblati". 181 Le coutumier de Fleury nous dit que le sous-chantre est le "maître et le précepteur des enfants pour tout ce qui concerne le chant. Il organise avec soin les cours quotidiens sur les caractères des modes et les variantes psalmodiques et est chargé de proclamer au chapitre ceux qui se montrent négligents à l'office divin". (ch.7). Mais dans un autre chapitre il dit que l' armarius "est aussi directeur de l'école". Comme l'apprentissage du chant était la matière la plus importante, on a souvent constaté une rivalité entre les maîtres, le chantre voulant s'octroyer la première place. 191 Le chant n'est sans doute pas la seule matière de l'enseignement. Abbon avait commencé à apprendre à lire dans sa première école en utilisant le psautier. Etre psalteratus signifie savoir lire. L'enfant retrouve en lisant les psaumes et en les apprenant par cœur, les lettres et les syllabes et découvre les mots, sans qu'il s'agisse comme on l'a parfois dit de la "méthode globale" puisqu'on part de l'alphabet. En même temps sans doute il les recopie sur des tablettes et s'exerce à l'écriture. Il faut apprendre à lire, écrire, chanter, mais aussi 8

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P. Riché, Ecoles et enseignement ... p.191. Id, p.195-196.

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comme le souhaitait Charlemagne connaître "la grammaire" c'est à dire le latin. A côté du psautier le maître pouvait faire lire les petits textes scolaires tels les Distica catonis ou les fables antiques, mais aussi utiliser les "Colloques" tels ceux d' Aefric et d' Aelfric Bata, qui datent de cette époque et sont comparables à nos "Assimil". 1101 L'enfant devait exercer sa mémoire. Abbon retenait facilement tout ce qu'il apprenait. "Déjà tout enfant encore, nous dit Aimoin, il sondait les profondeurs des matières littéraires avec une telle application que une fois entendues les leçons de ses professeurs, il les ancrait fermement dans les secrets de sa mémoire." Abbon semble être un "surdoué". Aimoin nous dit un peu plus loin "qu'il considérait les exercices des arts libéraux presque comme une récréation après l'offrande des prières adressé à Dieu." Ces arts libéraux étaient enseignés lorsque l'élève grandissait. On revenait sur l'étude de la grammaire latine -plus approfondie-. Citons deux textes trouvés dans des manuscrits de Fleury de cette époque. Le premier est un dialogue, tel celui qu' Alcuin avait imaginé à la fin du VIIIe siècle: "Maintenant, parlons de la grammaire. Qu'est-ce que la grammaire? -La science du bien dire, l'origine et le fondement des arts libéraux. Peut-on la définir autrement? -Oui, par ces buts. Comment? -La grammaire est la science de l'interprétation des poètes et des rhéteurs, la façon de bien écrire et de bien parler. Quand est-elle étudiée? -Aussitôt après les lettres communes, de sorte que celui qui sait déjà ses lettres peut, par elle, apprendre à bien parler. D'où vient le nom de grammaire? -De "lettres'', car les Grecs appelaient ces der10

Id, p.205 et 229-230.

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nières "grammata". Pourquoi est-elle appelée "art"? -Parce qu'elle consiste en un art des préceptes et des règles. Pourquoi est-elle appelée discipline? -Du mot "apprendre" (discere), car personne ne sait s'il n'apprend. "! 111 Le second est intéressant car le maître tire des exemples concrets de la vie du monastère. "Dans toute construction, place d'abord l'agent qui est présenté au nominatif ou au vocatif, ensuite son acte, enfin celui qui subit l'action: par exemple: Corbon frappe Archambauld. S'il y a des adjectifs, ils sont placés généralement avant le mot auquel ils sont adjoints, par exemple: le vigoureux ]osserand a beaucoup frappé le boiteux Helduin, sauf s'ils sont adjoints à des attributs figurés ou obliques. Alors ils sont placés ainsi: Adelard d'une grande force ou Adelard aux bras vigoureux ou à la tête chauve a frappé Archambauld avec une grande audace... " 1121 Evidemment les livres des grammairiens anciens, Donat et Priscien, étaient les manuels de base. On les retrouvera dans l'œuvre d' Ab bon. Un poème conservé dans le manuscrit orléanais 305 et qui vient certainement de Fleury, mérite d'être cité: "Enfant qui court sur le gazon recueille dans ton esprit les fleurs grammaticales du bon Priscien et tu vivras dans les siècles rempli de science et de sagesse et ton âme débordera de richesse. Semblable à l'industrieuse abeille renferme dans ton cœur docile les douces paroles que Priscien t'adresse au milieu des plaines de la sagesse. " 1131 11

Manuscrit de la bibliothèque de Berne 123. De ordinatione constructionis, Manuscrit d'Orléans 303, fol. 145. 13 Traduction Cuissard, "L'etude du grec à Orléans", p.680 cf infra, p. 84 n.10. 12

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Après la grammaire venait la rhétorique que, selon Aimoin, Abbon n'apprit pas d'une façon parfaite puisqu'il dût par la suite poursuivre cette étude. Il eut également quelques notions de dialectique et pour le quadrivium il apprit seulement l'arithmétique. Il devait, dès l'école primaire, résoudre quelques petites opérations puisque le comput faisait également partie du programme, et s'exercer aux fractions, dont plus tard il poursuivra l'étude.11 4 ) Abbon, nous dit Aimoin, était un grand lecteur. A Fleury l'armarius "dirige l'école et "revêt d'un manteau de philosophe" garde avec soin la bibliothèque et tout l'équipement du scriptorium ... " (ch.9) La bibliothèque de Fleury était déjà riche dans la deuxième moitié du Xe siècle.1 15 1 Il est vraisemblable que, comme d'autres abbayes, on avait séparé la bibliothèque de l'école de celle des moines.

C. Voyage d'études Le jeune moine grandissait en sagesse et en science. Aimoin loue son caractère, sa mansuétude, "la finesse de son esprit prudent qui déjouait les calculs des fourbes". Il était très mûr pour son âge et "s'il s'amusait à certaines heures dans la société de ses condisciples il aimait s'attacher à la compagnie des anciens et se rapprocher de ses aînés même aux moments inadéquats." Il semble qu' Aimoin reprenne le lieu commun classique du jeune qui raisonne comme un adulte. (cor senile gerens)

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A. Jeldham, "Notation of fractions in the early Middle Ages" dans Archeion, 1937, p.313-329. 15 Cf. M. Mostert, The Library ... , p.24-27.

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Dans ces conditions l'abbé, qui était encore Vulfade, le charge malgré son jeune âge de "fournir aux autres l'intérêt du capital qu'il avait reçu" et il le met à la tête des écoliers pour les former. Peut être s'agit-il des très jeunes, puisqu' Aimoin nous dit "qu'il enseigna plusieurs années la lecture et le chant". Lectio peut signifier explications des auteurs classiques profanes et religieux, ce qui conduit à l'acquisition d'une culture générale, voire à l'érudition. Cantilena veut dire la technique du chant plus que la théorie musicale dans laquelle, on le verra, Abbon était peu instruit. Il se sent d'ailleurs peu au courant de certains arts libéraux. Aussi il demanda un congé à son abbé pour aller les apprendre dans des écoles réputées. Cette façon d'aller chercher ailleurs un enseignement était courante. Gerbert n'estil pas parti en Catalogne pour apprendre les sciences du quadrivium en 967.11 6l Abbon commence par s'installer à Paris. Cette cité n'avait pas encore une grande école cathédrale mais, en dehors des murs, l'abbaye de Saint-Germain des Prés attirait les jeunes. Restaurée peu après les invasions normandes, l'abbaye qui avait eu un écolâtre fameux au IXe siècle, Aimoin, homonyme du nôtre, qui fut maître d' Ab bon, également homonyme, et auteur du "Siège de Paris par les Normands". Au Xe siècle le scriptorium était actif et les maîtres réputés. Odon futur abbé de Cluny quitte la collégiale St-Martin de Tours au début du Xe siècle pour aller suivre les cours de vieux Remi d'Auxerre. Ce dernier avait d'abord été appelé par l'archevêque Foulques de Reims pour restaurer les écoles, puis après la mort de Foulques en 900, il vint s'installer à Paris. Remi dont l'œuvre a fait récemment l'objet d'études a été l'un des plus grand maître en grammaire et dialectique 16

P. Riché, Gerbert d'Aurillac, p.21.

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de l'époque carolingienne.11 71 Il avait certainement formé des disciples qui maintenaient sa tradition. Du séjour parisien d' Ab bon, nous avons une confirmation célèbre. Dans son Liber Apologeticus adressé au Roi Robert en 994, Abbon écrit "Pour la fin du monde j'ai entendu pendant mon adolescence prêcher aux fidèles dans une église de Paris que /'Antechrist se présenterait les mille ans à peine écoulés et que le jugement universel aurait lieu après". Abbon ajoute qu'il s'est opposé à cette idée avec tout le talent dont il était capable. Je reviendrai par la suite sur cette affaire.11 81 Il est vraisemblable que ce prédicateur millenariste prêchait dans la cathédrale de Paris. Après Paris, Abbon se dirige vers Reims. Pourquoi Reims? Foulques successeur d'Hincmar, avait restauré, je l'ai dit, les écoles. Il avait fait appel à Remi d'Auxerre et Hucbald de St-Amand. Le premier avait initié les étudiants à la grammaire et à la dialectique en leur faisant connaître l'œuvre de Martianus Capella et de Jean Scot Erigène. Hucbald lui aussi travaillait dans le domaine de la logique en commentant "l'Isagogue" de Porphyre et dans celui de la musique. A Reims on s'intéressa surtout à l'enseignement du troisième art du Trivium. Lorsque Adalbéron devient archevêque de Reims en 969, il voulut, nous dit le chroniqueur Richer, "instruire convenablement les en(ants de son église dans les sciences libérales". Il se fait aider par son archidiacre Gerannus fort réputé pour sa culture en logique. C'est vers lui qu'Abbon se dirigea sans doute. Nous sommes vers 970. 17 L'école carolingienne d'Auxerre de Muretach à Remi (Entretiens d'Auxerre, 1989), Beauchesne, 1991. 18 Cf. infra. p. 152. 19 P. Riché, "L'enseignement de Gerbert à Reims dans le contexte européen" dans Gerberto, scienza, storia e mita, Archivum Bobiense, Studia Il, 1985, p.53. Reimp. dans Variorum, 1993, VI.

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Trois ans après un autre jeune lettré fut attiré par la réputation de Gerannus. Il s'agit de Gerbert d'Aurillac. (! 9) Mais alors Abbon avait quitté Reims et il ne fut jamais ni le condisciple ni l'élève de Gerbert comme certains l'ont prétendu, même si, comme nous dit Aimoin, Abbon fit à Paris et à Reims quelque progrès et en philosophie et en astronomie. Avant de retourner à Fleury Abbon s'arrêta à Orléans "Il paya à un clerc pas mal de deniers pour qu'il lui donna en échange l'agrément de l'art de la musique mais en cachette à cause des envieux". Cette phrase d' Aimoin peut surprendre, non qu'un clerc orléanais ne soit capable d'enseigner la théorie musicale, le septième des arts libéraux, mais qu'il se fasse payer et qu' Abbon se cache pour étudier. L'enseignement était en principe gratuit car on ne doit pas vendre ce qui vient de Dieu, et bien des biographes louent-ils leur héros qui ne sont pas attirés par la sacra fames auri.(zo) Abbon a dû garder un mauvais souvenir des leçons fort chères qu'il reçut. Il devait plus tard dans la préface de son "Commentaire de Victorius" se plaindre de la vénalité de certains maîtres.12 1) Mais pourquoi se cacher? Parce que le maître était cupide ou parce que cet enseignement de la musique n'était donné qu'à quelques uns? Nous ne savons. Voici donc Abbon revenu à Fleury, ayant dépassé tous ses contemporains par l'étendue de sa science des cinq arts que l'on appelle liberaux. Mais Aimoin ajoute que pour les deux autres, rhétorique et géométrie, il dut poursuivre ses études. "Il lut à cause de la richesse de son éloquence rhétorique Victorius, que Jérôme, traducteur de la Loi divine, se glorifie d'avoir eu comme précepteur, et il connut de façon suffisante la complexité des opérations de la géométrie". Puis Aimoin 20 21

P. Riché, Ecoles et enseignement ... , p.199. PL139 571 B.

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mentionne ses écrits en logique, comput et astronomie dont nous reparlerons plus loin. Abbon reprend son poste d'écolâtre qu'il devait garder jusqu'à son départ pour l'Angleterre en 985. Il avait alors au moins deux disciples. Le premier est Bernard futur abbé de Beaulieu. Aimoin, au chapitre 16, nous dit qu'Hugues, grand aristocrate d'Aquitaine, avait offert l'un de ses fils à Fleury. "Notre Abbon dans sa totale bonté l'ayant pris en charge sur l'ordre de son abbé l'honorable Richard, lui porta une très grande affection et il le forma aux arts libéraux pour autant que le temps lui en laissa l'heureuse opportunité." Pendant son exil en Angleterre, Abbon regrettait cet élève chéri, nous le savons par la lettre d'Oybold à Abbon dont il sera question plus loin.( 22 ) L'autre élève, offert très jeune lui aussi, est sans doute Constantin, originaire d'une illustre famille, qui par la suite fut un élève de Gerbert. Tout en donnant son enseignement, Abbon écrit. Ses traités sur les syllogismes dialectiques, dont parle Aimoin dédié à "son fils B." -il faut reconnaître Bernard-, son commentaire sur le Calcul de Victorius d'Aquitaine, date certainement d'avant son départ pour l'Angleterre puisqu'il y renvoie dans les Quaestiones grammaticales écrit pour ses élèves de Ramsey. Selon A. Van de Vyver la première partie du Comput dont parle également Aimoin, fut composé de 978 à 982( 23 ) et la deuxième suivit de peu. Ses traités sur la course du soleil de la lune et des planètes signalés toujours par Aimoin dans ce même passage, semblent également dater de 978. L'écolâtre doublé d'un grand savant pouvait faire toute sa carrière à Fleury, lorsqu'une lettre venue d'Angleterre et des obscures intrigues l'obligèrent à quitter malgré lui son monastère. 22 23

Cf. infra. p. 47 A. Van de Vyver, "Les œuvres inédites ... ", p.153.

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L'exil

1. Ahhon en Angleterre Abbon était écolâtre depuis une quinzaine d'années lorsqu'il reçut l'ordre de partir en Angleterre. Cela demande explication. Pourquoi cet ordre, pourquoi l'Angleterre?

1. Le conflit avec Oybold Il semble bien que c'est le nouvel abbé Oybold, qui succéda à Amalbert en 985 et qui fut nommé par le roi Lothaire, qui est responsable de cette décision. Sans vouloir le dire explicitement, Aimoin écrit: Et bien que des jaloux et des forgeurs de calomnies eussent tenté de persuader cet homme de Dieu que le dit abbé enflammé d'un méchant dessein à son endroit voulait l'envoyer outre-mer pour que jamais il n'en put revenir. .. ". De son côté, dans sa préface aux "Questions grammaticales", écrites en Angleterre, Abbon parle bien de son exil: "la disgrâce d'un séjour à l'étranger, ce lieu d'exil, le malheur de mes tourments que j'endure ... La cause de ce départ forcé est sans doute la rivalité entre Abbon et Oybold au moment de l'élection abbatiale. Abbon espérait peut-être devenir abbé comme cela s'était fait pour 11

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L'EXIL

d'anciens écolâtres ou se fera à Saint-Gall, Cluny ou ailleurs? On voit d'autre part d'ex-écolâtres devenir évêques tels Gerbert ou Fulbert de Chartres. Or, c'est Oybold "qu'illustraient à la fois sa naissance selon la hiérarchie du siècle et ses mœurs", c'est donc un grand aristocrate que Lothaire choisit. Tous les moines n'étaient pas d'accord. Car il est très vraisemblable que l'"intrus" dont parle Gerbert dans les lettres est ce nouvel abbel). Gerbert est au courant de ce qui se passe par son élève Constantin qui succéda à Abbon au poste d' éco lâ tre(2). À la fin de l'année 985, Gerbert écrit à Mayeul, abbé de Cluny, pour lui demander d'intervenir contre l' "intrus". Malheureusement, il ne le nomme pas. Nous sommes à une époque où Gerbert et son archevêque Adalbéron sont en conflit avec le roi Lothaire et soutiennent le duc des Francs, Hugues. On comprend que Gerbert soit outré qu'un fidèle de Lothaire ait été nommé à Fleury. Constantin d'autre part, les lettres suivantes le disent, était lui aussi défavorable à l'élection de l' "intrus". Le conflit dura plusieurs mois, neuf lettres de la correspondance de Gerbert sont consacrées à cette affaire. Oybold a sans doute bien manœuvré puisqu'en 987, après l'élection d'Hugues Capet, il reçoit un diplôme du nouveau roi. En vain les abbés de Reims avaient-ils demandé aux moines fleu1

Sur cette affaire, cf. P. Riché, "Gerbert d'Aurillac et saint Mayeul" dans Saint Mayeul et son temps. Actes du congrès de Valensole, 1994. Chronique de Haute-Provence (330-331), Digne-les-Bains, 1997, p. 191. Cette hypothèse admise par beaucoup n'est pas acceptée par M. Mostert dans "Le séjour d'Abbon de Fleury à Ramsey... ", p. 202-203, ni par Dom Cousin, p.91-92. 2 Sur Constantin, cf. l'article de K.-F. Werner dans Lexicon des Mittelalters, III, 169. Gerbert adresse sa lettre 86 datée de l'été 986 à "!'Écolâtre Constantin". Un manuscrit de Fleury (BNF lat. 7696, fol 155v) mentionne une lettre de Gerbert à Constantin.

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risiens du parti de l"'intrus" d'abandonner leur abbé (lettre 95). Finalement, c'est la mort qui règle le conflit. Dans une lettre qui date du début 988 (lettre 139), on apprend le décès de l'"intrus". De fait, Oybold est mort à cette époque et c'est Abbon, revenu d'Angleterre qui est désigné pour le remplacer. Gerbert invite Constantin et le nouvel abbé, dont il ne connaît pas encore le nom, à venir à Reims pour la fête de saint Remi (lettre 142). Cet abbé est Abbon, mais n'anticipons pas. Donc en 985, Abbon est invité par Oybold à quitter Fleury pour l'Angleterre. Pourquoi aller Outre-manche?

2. Abbon à Ramsey Depuis longtemps, nous l'avons vu 13 l, le monastère de Fleury a créé des liens avec les moines anglais. Oda de Canterbury puis son neveu Oswald y sont venus, Dunstan et Aethelwold se sont inspirés des coutumes fleurisiennes pour faire leur réforme. Lorsqu'Oswald, devenu évêque de Worcester, fonde le monastère de Ramsey, il choisit comme prieur Germain, qui lui aussi avait séjourné à Fleuryi4 l. Ramsey devient un des centres de la réforme monastique et le biographe d'Oswald écrit que l'évêque fait venir des maîtres formés sur le Continent et que "grâce à lui, les arts libéraux qui avaient sombrés dans l'oubli se répandirent partout". Un de ces maîtres est Abbon. En effet, Aimoin écrit: "Entre temps, une délégation des gens d'Angleterre vint au monastère de Fleury en demandant qu'on leur remit l'un des 3

Cf. supra. p. 14 Sur la fondation de Ramsey cf. C. Hart "The fondation of Ramsey", dans Revue Bénédictine, 1994, p. 295. 4

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L'EXIL

hommes de science". Il rappelle que les Anglais étaient attachés à saint Benoît et à Fleury, d'une part parce que le pape Grégoire proche de saint Benoît les avait convertis et d'autre part parce que Oswald avait séjourné à Fleury. Oybold profite de cette demande pour commander à l'écolâtre Abbon de se rendre en Angleterre. Et Abbon doit obéir. Le voyage fut plein de périls. Abbon voulut s'embarquer à Boulogne "d'où le passage pour l'Angleterre est le plus bref", ou plutôt à Wissant, à 20 km au nord, avec le moine Riculf, chef de la délégation anglaise. Mais il dut attendre un mois en raison de la tempête qui empêchait les marins de prendre la mer. Abbon croit voir un signe de Dieu et décide, si la tempête ne se calme pas, de revenir en arrière. Si elle se calme, il partira. Cette sorte de jugement de Dieu accompagné de prières est favorable au départ. Le pilote est prêt à appareiller. Neuf bâtiments quittent le port. Mais de nouveau la tempête menace, annoncée, nous dit Aimoin, par la présence de marsouins, de cochons marins et de baleines. Abbon se met en prière. Le bateau sur lequel se trouvait le moine et deux autres arrivent à bon port, tandis que les six bâtiments restants "brisés par les bourrasques et par le choc des poissons périrent corps et bien". Abbon se rendit à Ramsey où il fut accueilli par Germain. Il devait y rester deux ans. Il s'y sentait, je l'ai dit, exilé mais il fit contre mauvaise fortune bon cœur et dans sa préface des Questiones grammaticales il écrit: "Puisque les choses se sont ainsi passées, du fait que l'obéissance vaut mieux que les victimes, non seulement je brûle d'obéir aux ordres de ceux avec qui je demeure, mais aussi je désire être utile à tous ceux de cette île dans la faible mesure de ma petitesse: car il est bien établi que ce n'est pas sans le gouvernement divin que les flots de la tempête marine apaisés, je suis parvenu en ce lieu d'exil 33

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avec un calme si merveilleux de la si vaste mer, comme j'y suis retenu par des occupations studieuses, le malheur de mes tourments que j'endure se fait plus léger puisque la bienveillance de ceux avec qui j'habite m'a poussé non seulement à vouloir subvenir aux besoins de mes frères dans la mesure de mon pouvoir mais même à le vouloir au-delà de mes forces "15!. Tout en enseignant la grammaire aux moines, j'en reparlerai plus loin, Abbon peut admirer le monastère de Ramsey situé dans une île de la rivière Nene. Il lui consacre un poème: "Ô cohorte de Ramsey, toi qui t'enfermes dans de vastes étangs Tu t'efforces d'être aux yeux de Dieu plus pure que l'or éprouvé. Le vaste marais, si poissonneux, déploie ses mystères comme ceux du Didyme Pour que s'ouvre à toi un domaine nouveau de la vie monastique. Car du côté où surgit le vainqueur de l'hydre aux multiples têtes, L'île, si belle par la profondeur de ses forêts, brille, Et du côté où les rênes du Bouvier resplendissant s'enfoncent dans les eaux, Il est un pont, qui donne passage à ceux de la nation anglaise. Du côté où la Petite Ourse marque le cercle universellement fixe du Pôle, L'étang, riche d'anguilles, n'a plus de borne Et de là, Phébè, lumière incertaine, répand des ombres sinistres, 5

Trad. A. Guerreau-Jalabert, p. 208-210.

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Et la terre s'ouvre sans qu'aucun gué n'en unisse les bords. Là, par l'effet du hasard, je me suis donné, inconnu, à des élèves inconnus Sur lesquels tu parais à bon droit veiller, ô Benoît notre père "16!.

Abbon profite de son séjour en Angleterre pour rencontrer l'archevêque Dunstan de Canterbury, homme d'action et lettré. C'est auprès de lui qu'il connut le récit de la vie de saint Edmond. "Il se rendit, nous dit Aimoin, auprès du roi d'Angleterre, il s'agit d'Aethelred II Le mal avisé (978-1016), et également auprès du duc Aiwin qui avait donné le domaine de Ramsey". Il rencontra Oswald et sans doute Aethelwold, réformateur d'Abingdon et d'Ely et ami de Fleury. Tout en donnant son enseignement aux moines de Ramsey - il ne semble pas, contrairement à ce que dit Orderic Vital, qu'il soit allé dans d'autres monastères -Abbon poursuit ses travaux commencés à Fleury. Il donne un complément à son traité d'astronomie, tels les petits textes ajoutés aux manuscrits des Questiones grammaticales, l'abrégé du III< livre d'Hygin, etc.

3. L'élève Byrhtferth Les études scientifiques faites à Ramsey trouvent leur confirmation dans l'œuvre de son élève Byrhtferth. Originaire de l'abbaye de Thorney, puis moine à Ramsey, 6

André de Fleury, Vie de Gauzlin, ed. R.H. Bautier et G. Labory, Paris 1969, p. 97.

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Byrhtferth n'est connu que par ses écrits. On lui attribue une Vie d'Oswald, une Vie de Dunstan et une Vie d'Ecgwin, fondateur du monastère d'Evesham, au sud-est de Worcester(?). Il a commenté des œuvres de Bède le Vénérable dont le De Temporis ratione. Dans la préface de cet ouvrage et dans celle du corpus réunissant les traités de comput de Bède, d'Abbon et d'Hilperic, il fait un grand éloge d'Abbo sophista. Il fait de même dans son manuel en anglo-saxon sur le comput en citant les règles d'Abbon sur l'abaque, il dit: "Abbon était savant dans la science et érudit en philosophie". Il cite également Abbon dans son Enchiridion. Byrhtferth est surtout connu pour cet Enchiridion, en anglais Gerimcraef, manuel de calcul, du calendrier et du comput dans lequel d'ailleurs il disserte de bien d'autres choses( 81 • Ce traité comprend quatre parties. L'auteur commence par étudier l'année solaire, les saisons, les mois. Puis en second les mois, les embolismes qui permettent la concordance entre les années solaires et lunaires, les divisions en jours, mois, années. La troisième partie est consacrée au problème difficile de la date de Pâques et il ajoute quelques lignes sur les figures de rhétorique, les signes d'abréviation et les lettres. Enfin, la quatrième partie donne le symbolisme 7 Cf. D.-A. Bullough, "The educational tradition in England", dans La scuola nell' Occidente latino dell' Alto medieoevo (Settimana ... di Spoleto XIX, p. 484 et s.). Plus recemment, Crépin, "Lettres et chiffres dans l'éducation du Haut Moyen-Âge: le manuel de Byrhtferth (composé avant 1011) dans Éducation anglo-saxonne de l'an mil à nos jours ed. R. Legogne, Amiens 1992, p.13-19. Cf. aussi Van de Vyver, "Les œuvres inédites ... ", p. 144. 8 L'Enchiridion est publié par P. Baker et M. Lapidge, Oxford 1995. Voir aussi P.-S. Baker, "Byrhtferth's Enrichidion and the Computus in Oxford St-John's College 17", dans Anglo-saxon England, 1982, p. 123142. G.-F. Forsey "Byrhtferth's Preface" dans Speculum .. ., 1928, p. 505522.

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des nombres, les âges du monde et évoque le jugement dernier. En conclusion, Byrhtferth conseille de pratiquer les vertus théologales et cardinales pour jouir de la béatitude éternelle. Ce qui caractérise ce manuel est d'abord son souci pédagogique: "Je me tenais un jour assis en silence bien au calme. j'avais scruté la sagesse multiforme du comput. Alors je me suis mis à ruminer entre autres pensées par quel remède je pourrais améliorer l'esprit des clercs, qu'ils abandonnent un peu leurs jeux de dés pour s'initier à cette science. Je viens de leur faire avaler un gros morceau, il s'agit maintenant de les faire boire ". Ces qualités de pédagogue sont à la gloire de son maître. Pour aider ses élèves qui comprennent mal le latin, il utilise à certains moments l'anglo-saxon. "De plus à l'alternance du latin et de l'anglais, de l'arithmétique et du littéraire, le Manuel de Byrhtferth ajoute celle du texte et de la figure", dit André Crepin. La figure la plus célèbre est celle qui récapitule l'image du monde et de l'homme dans un ensemble de losanges et de cercles. Les élèves d'Abbon savaient le latin. Il compose pour eux un traité de grammaire: les Questiones grammaticales.

4. Les "Quaestions grammaticales" Ce traité nous est connu seulement par deux manuscrits du x1e siècle. Il a fait l'objet d'une excellente étude et d'une édition et traduction auxquelles maintenant il faut renvoyer(91. Dans sa préface Abbon s'adresse "à ses très chers 9

Abbon de Fleury, "Quaestiones Grammaticales", texte établi, traduit et commenté par A. Guerreau-Jalabert, Paris (Belles Lettres), 1982.

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frères dans le Christ, les Anglais", mais aussi aux bénédictins qui vivent au monastère de Fleury. Mais comme il se donne le titre de diacre, il a composé son traité en Angleterre. Pour les Anglais depuis longtemps, déjà du temps de Bède, le latin est comme une langue étrangère. D'autre part, ceux qui l'ont appris le prononce à leur façon. Il semble d'ailleurs qu'à Ramsey les influences irlandaises aient gagné. Les élèves d'Abbon posent des questions au maître: "Vous m'avez demandé ... Vous demandez ... ". Dans sa préface, Abbon écrit: C'est pourquoi j'ai décidé de répondre aux propositions de tous ceux qui se trouvent chez les Anglais, où qu'ils soient, pour que vous ayez, très chers, quelques souvenirs de votre exilé vers lesquels diriger la finesse de votre esprit bien exercé. Et je ne vous priverai pas des questions toutes prêtes que proposent tous ceux qui se livrent à l'étude, soit comme mise à l'épreuve, soit pour s'instruire. Et même si quelque jaloux opposait à cela : ne porte pas de bois à la forêt, je tiens cependant pour certain que la stérilité de votre esprit et la pauvreté du mien ne sont pas indignes de ['abondance d'un festin qui se compose précisément ainsi.

Et immédiatement, il commence à répondre: Dans la première question, on a demandé s'il est obligatoire ou s'il convient de prononcer la pénultième du mot salubris brève ou longue. En réponse à cela, j'ai proposé ce que j'étais certain d'avoir lu dans les auteurs latins anciens et, de peur que ces réponses n'échappent à votre mémoire, je les ai aussi exposées par écrit. Tout d'abord, Donat dit que dans les mots de trois, quatre syllabes et plus, si la pénultième est longue par position, elle sera elle-même accentuée et /'antépénultienne sera prononcée avec un accent grave comme catellus, metellus.

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V EXIL

Ce passage indique bien le ton du traité. À un moment Abbon se met en scène et dit "avoir supporté en silence une moquerie alors que j'avais approuvé le terme myrmicoleonta tiré des Libri Morales (de Grégoire le Grand) par l'un des frères de votre pays" (34). Il met en garde ses élèves contre les "audacieuses inventions" (12). Il cite ses autorités, Donat, Priscien et d'autres grammairiens, mais aussi des chrétiens comme Augustin. Il donne des exemples tirés des auteurs païens qui semble-t-il sont repris des traités de grammaire et florilèges anciens. Curieusement, à partir du chapitre 43, le ton change comme si Abbon traitait un autre sujet. Il utilise ses connaissances en comput puis et évoque déjà la question de la date de la naissance du Christ qui le préoccupera plus tard. Il en vient à la formule trinitaire de la foi catholique, les rapports entre Père, Fils et Saint-Esprit, accepte les variantes également orthodoxes, utilise un argument tiré des Catégories d'Aristote qu'il connaissait par Boèce, mais aussi la valeur des chiffres impairs du 3 et du 7. Alors, Abbon termine brusquement son traité en renvoyant à ce qu'il avait écrit dans le commentaire sur Victorius: Mais puisque, me semble-t-il, j'ai assez parlé de cela dans le petit livre Sur le nombre, la mesure et le poids, que j'ai écrit autrefois sous la contrainte des prières de mes frères sur le Calculus de Victorius, j'ai renoncé à en dire plus ici, de peur que la prolixité de ma lettre charitable ne suscite quelque lassitude chez le lecteur paresseux. Donc après avoir, par une sorte d'abrégé, dépecé jusque dans leur cœur les questions posées - que votre fraternité les examine en les passant en revue, les passe en revue en les examinant - j'ai décidé d'y mettre fin, en particulier parce que, dans ma discussion, j'en suis arrivé à Celui qui est le début et la fin. Salut.

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On ne sait comment les élèves de Ramsey ont reçu ce traité et si leur prononciation, dans leur conversation en latin ou dans la lecture des textes à la liturgie, a été modifiée. Mais l'ouvrage n'a pas eu une grande diffusion puisque deux manuscrits écrits à Fleury, nous l'ont seulement transmis. Preuve de la vanité et de l'oubli de nos cours professoraux. Abbon à Ramsey occupait son temps à un autre ouvrage très différent, le récit de la Vie de saint Edmond, martyr.

2. La Vie de Saint Edmond( 1l Le pédagogue Abbon s'intéresse à l'histoire locale et apprend que, non loin du monastère, les reliques d'un ancien roi anglo-saxon sont vénérées. Il s'agit d'Edmond enterré dans un domaine royal (Bedrici Curtis, en anglais Bedricesgueord, futur Bury-St-Edmunds) à 60 km de Ramsey.

1. Les circonstances de la rédaction Lorsque Abbon se trouve en visite chez Dunstan de Cantorbery, il entend parler d'Edmond. L'archevêque lui dit, en présence de l'évêque de Rochester et de l'abbé de Malmesbury, qu'étant jeune, à la cours du roi, sans doute Aethelstan (925-939), il avait entendu un vieillard qui disait avoir été l'écuyer (armiger) d'Edmond à la fin de sa vie, raconter 1 M. Mostert, King Edmund of East-Anglia (+ 899), Chapters in historical criticism (Amsterdam, 1983). Cette thèse a été reproduite à l'Université Ann Arbor, Michigan en 1988. A. Gransden, dans son étude "Passio Edmundi", de la Revue Bénédictine, 1995, p. 20-78, ne semble pas connaître le travail de M. Mostert. Pour l'édition de la Vie, en dehors de la Patrologie latine, t. 139 col. 507-520, on peut prendre W. Winterbottom, Three Lives of English Saints, Toronto, 1972, p. 67-87.

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l'histoire de ce roi. À partir de ce récit, des propos recueillis en écoutant les moines de Ramsey, Abbon décida d'écrire la Vie de ce prince, ce qui dit-il, "n'a jamais été fait". Revenu sur le Continent, il envoie à Dunstan son texte pour lui demander de l'approuver. C'était en 998, peu de temps avant la mort de l'archevêque. Citons le début de sa lettre d'envoi: À l'archevêque Dunstan, seigneur de la Sainte Église métropolitaine de Cantorbery, particulièrement honorable par les mœurs et l'âge, Abbon de Fleury, moine diacre, quoique indigne; que le Christ Seigneur l'irrigue d'en haut et ici-bas. Après t'avoir quitté, père vénérable, le cœur plein de joie, je suis retourné en grande hâte au monastère que tu connais. Là, les frères avec qui j'ai vécu jusqu'ici, retenu par leur charité fraternelle, se sont mis instantanément à me presser d'accéder à leur saint désir, en mettant par écrit la passion d'Edmond, roi et martyr; ils soutenaient que ce serait une œuvre édifiante pour les générations à venir, qui te serait agréable et qui laisserait aux églises anglaises un souvenir utile de mon humble personne. Ils avaient entendu dire en effet, que cette histoire, que la plupart des gens ignorent et que personne n'a encore écrite, avait été relatée en ma présence par Ta Sainteté, comme une histoire vraie, au seigneur évêque de Rochester, à l'abbé du monastère de Malmesbury et à d'autres frères assemblés selon ton habitude, ces frères que tu ne cesses de nourrir de la parole divine, en langue latine et en langue vulgaire. Tu leur expliquas, les yeux pleins de larmes, que tu avais appris cette histoire, quand tu étais plus jeune, de la bouche d'un vieillard décrépit, qui l'avait rapportée simplement et en toute bonne foi au très glorieux roi Aethelstan, en déclarant sous la foi du serment qu'il avait porté les armes du saint homme le jour même où il succomba comme martyr pour le Christ. 41

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Tu accordas à cette assertion un crédit si grand que tu gardas les paroles de cet homme dans leur intégrité au fand de ta mémoire pour les répéter plus tard aux jeunes avec des accents doux comme le miel. Ainsi, les frères commencèrent à peser sur ma faiblesse d'une manière plus pressante pour que je satisfasse leur désir et que je ne laisse pas échapper, en raison de mes capacités, une telle somme de travail. Et par respect pour eux, je ne voulais pas repousser leur requête. Pour un temps, je fis passer mes études de la littérature profane au second plan et je me consacrai pour ainsi dire à la philosophie intérieure de /'âme, en me proposant de coucher par écrit les vertus de celui qui, sur le trône de son royaume, fut vraiment un philosophe; j'insistai cependant sur celles qui se révèlèrent après sa mort, qui ne furent pas connues du siècle et auxquelles personne ne croirait sans l'autorité irréfutable de ton témoignage. C'est toi qui nous fis ce récit, et tes cheveux blancs nous forçaient à te croire. Etc, etc ... Edmond n'échappe pas totalement à l'histoire et était connu avant Abbon 121 • Les chroniques anglo-saxonnes et Asser auteur d'une Vie d'Alfred (893), nous disent qu'en 870 Edmond, roi d'East-Anglie, lutte contre les Danois qui ont envahi son royaume et est tué avec un grand nombre de ses hommes. Edmond est à la fin du 1x• siècle considéré comme un saint, puisque de nombreux "pennies" d'argent porte l'inscription Ste (Sancte) Edmunde rex(3).

2 R. Folz, "Naissance et manifestation d'un culte royal de saint Edmund, roi d'East-Anglie'', dans Festchrift für H. Lowe, CoJogne, 1978, p. 226246, et du même auteur, Les saints-rois du Moyen-Age en Occident (VIe - XIIIe siècle), Bruxelles, 1984, p. 49-52. 3 M. Mostert op. cit. p. 18 et appendice IV.

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2. Histoire du roi

À partir des traditions orales, du récit de Dunstan, Abbon écrivit une Vie 116 ans après les événements. Il veut célébrer les vertus de "celui qui fut un philosophe sur le siège royal", le mot philosophus étant pris au sens moral et religieux. Il n'insiste pas beaucoup sur les origines du roi, signalant simplement "qu'il descend de la noble lignée des anciens saxons et qu'il a été fait roi autant par droit héréditaire que par la faveur unanime des habitants de la province" qui pour ainsi dire se saisirent de lui pour en faire leur roi. Cette phrase permettrait de croire, selon M. Mostert que la Vie a été écrite après l'élection de Hugues Capet en juin 987. Au contraire, A. Gransden estime que les exemples des rois anglo-saxons élus ont pu inspirer l'auteur. Abbon alors fait le portrait de ce bon roi juste, père des veuves et orphelins, conciliant la prudence et la douceur, et tournant toujours sa pensée vers le Christ. Viennent à partir du chapitre 5 les allusions aux invasions danoises dirigées par des "ministres de l'iniquité", lnguar et Hubba. Laissant son compagnon en Northumbrie, lnguar, peutêtre le Ixar de la Chronique anglo-saxonne, débarque en East-Anglie et dévaste tout. Ces Danois, nous dit Abbon, "sont des païens poussés par le diable qui règne dans les régions du Nord, semblables à ceux qui annoncent l'antéchrist, et aux antropophages dont parlent les grecs". lnguar, apprenant que le roi réside à Hagislidum, domaine non localisé, lui envoie un messager chargé de lui montrer la toute puissance du chef danois, et de lui proposer de partager avec lui ses richesses et de régner sous son autorité. Une telle proposition est vraisemblable puisque d'autres princes anglosaxons l'avaient acceptée. Edmond consulte un évêque qui lui conseille de le faire. Alors il refuse, étant lié au service du 43

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Christ. Il renvoie le messager sain et sauf, ne voulant pas se souiller de son sang et fait demander à lnguar de se convertir au Christianisme. Suivent quelques considérations sur le devoir du roi chrétien. lnguar alors intervint, fait saisir le roi qui ne se défend pas, se sacrifiant pour ses hommes. Enchaîné, flagellé, il se tient devant le païen comme le Christ devant Pilate. Les danois furieux de le voir invoquer le Christ, l'attachent à un arbre, le criblent de flèches tel saint Sébastien, puis Edmond est décapité. Les détails sur les mutilations font penser à un sacrifice à Odin(41 • Ceci, nous dit Abbon, se passe le 20 novembre. Les Danois abandonnent le corps d'Edmond et jettent sa tête dans un bois. Lorsque la paix est revenue, on vient rechercher le corps d'Edmond, sans sa tête. Or, guidé par un témoin, les habitants se dirigent vers le bois et entendent une voix qui crie "ici, ici". Ils découvrent la tête gardée miraculeusement par un grand loup. La tête et le tronc sont ensevelis sur place dans une petite chapelle. Plusieurs années plus tard, le corps d'Edmond est transféré dans le domaine royal de Bedricesgueord et, ô prodige, l'évêque Théodret d'Elmham qui ouvre le cercueil, constate que la tête est soudée au tronc sans trace de blessures, sinon une légère cicatrice au cou. Plus tard, une vieille femme, dont Abbon donne le nom, Oswen, vit auprès du tombeau et tous les jeudi saint, coupe les ongles et les cheveux d'Edmond qui repoussent mystérieusement pour les déposer comme reliques sur l'autel. Des voleurs tentés par les richesses de l'église sont paralysés. L'évêque les fait pendre mais le regrette car selon le droit canon, un clerc ne doit pas agir ainsi. Un homme demande à voir le cadavre pour vérifier si ce que l'on dit sur la conser4 1. Mc Dougall "Serious entertainment: An examination of a peculiar Type of Viking Atrocity", dans Anglo-saxon England, 1993, t. 22, p. 201.

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vation du corps est vrai, ouvre le cercueil et devient fou. Pour Abbon, cette conservation, cette incoruptibilité du corps pouvait surprendre mais elle avait des précédents comme il le dit dans sa lettre d'envoi à Dunstan: Quand tu avais rapporté ce qui se produit encore maintenant, c'est-à-dire l'incorruptibilité du corps du roi, quelqu'un de pointilleux s'enquit de savoir si de telles choses étaient possibles. Comme tu voulais chasser le doute de cette question, tu citas, toi, un exemple tiré de ta vaste science religieuse, et qui troubla encore plus l'esprit stupéfait de tes auditeurs, le cas de Cuthbert, le saint du Seigneur, incomparable confesseur et évêque, qui attend le jour de la première résurrection avec un corps non seulement intact, mais aussi baigné d'une douce tiédeur. Je trouvai ce point admirable et j'abordai enfin avec plus d'assurance le récit de la geste du saint roi, confiant dans ses incomparables mérites ainsi que dans les tiens. Mais Abbon trouve une autre explication, Edmond était resté vierge. Cet état dont il fera par la suite l'éloge dans tous ces écrits, donnant le moine comme modèle de virginité, suffisait pour expliquer le prodige. Abbon écrit sa Vie en utilisant des sources variées. Outre le récit de Dunstan et les rapports des moines de Ramsey, il se sert en bon intellectuel de celui qui a beaucoup écrit sur les anglo-saxons, leurs rois et leurs saints, Bède le Vénérable. Il connaît la Vie de saint Étienne, la légende de saint Sébastien qui semble être transmise par des manuscrits anglais. D'autre part, il exprime des idées qui lui sont chères depuis un certain temps, supériorité de la virginité, puissance religieuse du roi baptisé, confirmé et sacré, rôle des évêques comme conseillers, combat pour la justice et la défense de la

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communauté par le prince, etc ... Sans dire que c'est dans cette Vie que son système politico-religieux se construit déjà 15 l, on retrouvera par la suite quelques idées déjà contenues ici. Sans doute le ton est hagiographique, la place du merveilleux est grande, comme cela est normal pour la vie d'un martyr. Le style d' Ab bon utilisant la prose rimée est, comme dit R. Folz, "d'une rhétorique souvent boursouf1ée, pleine de réminiscences bibliques et classiques". Il pouvait être apprécié des moines instruits de Ramsey mais non d'un grand public. C'est pourquoi alors le culte de saint Edmond se développe, Aelfric, l'auteur du "Colloque" et d'une grammaire à l'usage de ceux qui ignorent le latin, a voulu vers 995 adapter la Vie d'Edmond en anglo-saxon. Grâce à Abbon, grâce à Aelfric, le culte du saint roi gagne à partir de la future abbaye Bury-St-Edmunds, une grande partie de l'Angleterre. Il aurait même dépassé les frontières du royaume, puisque des chanoines toulousains du xve étaient certains de posséder le corps du martyr que le futur Louis VIII aurait ramené en France en 1217. Mais cela semble une pieuse légende.

3. Le Retour en France 1. L'appel de Fleury Au monastère de Fleury, l'école regrette l'éloignement d' Ab bon. On le sait par une lettre que l' Abbé Oylbod envoie au moine, lettre dont Aimoin donne le début et qui a été édi5 E. Dochowsky, "The English Roots of Abbo of Fleury Political Thought'', dans Revue Bénédictine, 2000, p. 95-105.

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tée d'après un manu~crit du Vatican111 • Abbon avait peut-être adressé à Fleury une lettre pour tenir au courant son abbé de ses travaux. Ce dernier lui répond: Oylboldus, par la prescience de Dieu abbé, et toute la communauté unanime du père Benoît, à notre très doux frère Abbon, [nous exprimons] tous nos sentiments que porte un père à son fils, un amis à son ami. A la grâce du Dieu tout-puissant qui a insuff/.é à ton cœur le désir de garder dans ta captivité de Babylone le souvenir de la Sion bien aimée, nous immolons l'hostie de jubilation parce que ta lettre a permis à notre cœur de se réjouir et qu'elle a chassé de notre mémoire et de notre esprit ce que nous redoutions tellement à ton sujet. Un rayon de miel laissant tomber son miel goutte à goutte, telles sont vraiment tes lèvres qui ont laissé couler ces flots de mots plus doux à notre gorge que le miel et son rayon, mots que nous avons reçus et que nous conservons par devers nous en les mettant plus haut qu'or et argent. Le ton est chaleureux. Mais plus loin, Oylbod évoque le différend qu'il a eu avec Abbon. Puis il poursuit: "Nous demandons que tu ne tardes pas à revenir à la date promise. Nous souhaitons même que tu le fasses avant si tu peux modifier ton engagement". Un de ses disciples, dont l'abbé donne la première lettre du nom, B., il s'agit de Bernard de Beaulieu, que, précise Oylbod, Abbon avait instruit des l'enfance dans la philosophie, gemit de l'absence du maître. Qu' Ab bon ne croie pas aux rumeurs et aux circonlocutions ambiguës qui parcourent le monde, "qu'il revienne au plus vite". Pourtant, Abbon ne semble pas se presser. Il va revoir ses amis anglais qui, nous dit Aimoin, auraient bien voulu le 1 Aimoin, Vie, ch. 4. La lettre est éditée par M. Mostert, "Le séjour d'A bon de Fleury à Ramsey'', dans Bibliothèque de /'Ecole des Chartes, 1986, p. 206-207.

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garder 12 l. Dunstan lui remet de magnifiques offrandes en argent à porter au saint père Benoîtl3l, "Ab bon envoie à Dunstan deux poèmes acrostiches dans lesquels, jonglant avec les mots, il dit toute son affection et admiration pour le vieil archevêquei 4l". Oswald de Worcester lui donne également des cadeaux mais le plus beau qu'il puisse lui faire, c'est celui de l'élever au sacerdoce, lui qui n'était que diacre. Écoutons Aimoin: Enfin, l'homme du Seigneur, Abbon, décidant, selon l'exhortation de son digne abbé Oylboldus, de venir revoir l'aspect de sa terre natale, est gratifié de riches cadeaux par les dits pontifes: il reçut du vénérable Dunstan de magnifiques offrandes à porter au saint père Benoît, et de monseigneur Oswald il obtint, en même temps que la grâce du sacerdoce, tous les objets nécessaires à cet ordre. A son retour donc, il apporta avec lui un trésor très divers, dont chacun des aspects comportait une signification en rapport avec sa vie. En effet, si les bracelets et les colliers d'or représentaient la juste récompense de ses bonnes actions et de ses bonnes paroles, les vêtements sacerdotaux annonçaient l'éclat de sa gloire présente et future. Quant au calice d'or et aux nombreuses pièces d'argent, ils étaient le signe de la pureté de sa vie sans tache et de l'éclat de son éloquence étincelante. Quant à lui, après son retour au monastère au nom « florissant », il brillait de façon si étonnante que sa renommée parvint à la connaissance de bien des gens, même de ceux de qui il était inconnu(5). 2

Aimoin, ch. 5. id. ch. 6. 4 Ces poèmes, publiés d'abord par Stubbs, Memorials of Saint-Dunstan, Londres, 1874, ont été réédité et traduits par Scott Gwara dans Journal of Medieval Latin, 1992, p. 215 et 222, sous le titre "Three Acrostics Poems by Abbo of Fleury". 5 Aimoin, ch. 6. 3

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2. Le retour et l'élection Ab bon rapporte peut-être d'Angleterre des manuscrits. Nous ignorons lesquels. Celui qui est conservé à Paris (BNF lat. 6401) et qui contient des œuvres de Boèce a été écrit par un scribe anglais et a été glosé à Fleury. D'autres (Orléans 127 (103) et BNF lat. 987) semblent avoir été envoyés au début du x1< siècle à Gauzlin, successeur d' Abbon. Les relations entre l'Angleterre et les deux abbayes Ramsey et Fleury restaient excellentes. L'écriture caroline est introduite en Angleterre. Aimoin parle d'un miracle dans la crypte de l'église dont Adelgarius, disciple de Dunstan et d'Oswald et retiré à Fleury après la mort de ces derniers, donc après 992, a été témoin(?). Aimoin est lui-même au courant des miracles qui se sont produits sur la tombe des deux évêques anglais. Dès son retour, Abbon envoie à Dunstan le manuscrit de la Vie de saint Edmond, avant le 19 mai 988, date de la mort de l'archevêque. Mais il est curieux que dans la lettre d'envoi, Abbon se dise toujours diacre. Dunstan mort, Abbon est en contact avec son successeur, Wulfric puisque ce dernier lui envoie une Vie de Dunstan, peut-être écrite par Byrthferth et qu'il lui demande de mettre en vers. Il avait admiré le talent poétique d'Abbon en lisant les poèmes envoyés à Dunstan( 8l. Il estime qu'il frappe à la bonne porte. Abbon, nous le verrons, aura cette Vie dans ses bagages lors de son voyage à la Réole( 9l. Abbon reprit sa place à l'école mais peu après, à la fin de 6 Cf. M. Mostert, The Library... , BF 538, 1012 et 1083, et J. Vezin, "Un scribe anglais ... " et "Manuscrit des dizièmes" ... 7 Cf. Vidier, Historiographie, p. 190. 8 Lettre de Wulfric à Ab bon publiée par Stubbs, op. cit. o. 409. 9 Cf. Infra. p. 252

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l'année 987, Oylbod mourut. Qui lui succèdera? Abbon était candidat mais il avait un rival. De nouveau, les moines se divisèrent et il est probable que les adversaires d' Abbon étaient les mêmes que ceux qui avaient élu en 985 Oylbod, si nous admettons que l'intrus dont parle Gerbert était bien Oylbod. Aimoin rapporte donc le conflit en ces termes: Il s'ensuivit que, le vénérable abbé Oylboldus ayant été enlevé aux affaires de ce monde, on déféra au palais royal le résultat de l'élection faite en commun par les frères de Fleury, lesquels requéraient qu'on leur donnât notre [Abbon] pour père. En ce temps - là se trouvait à la tête de la cour royale de France le prince Hugues qui de bon gré ne refusa pas d'accomplir ce qui lui était demandé. Et bien que comme cela se produit souvent en de telles circonstances quelques uns des frères se fussent opposés avec beaucoup de vigueur à cette élection, cependant prévalut l'autorité de la très forte majorité qui était aussi, comme apparut par la suite, celle du parti de plus sage!101 • Le roi Hugues, qui avait été élu en juin 987, ratifia le choix de la majorité des moines représentant la sanior pars. On ne sait quel rôle avait joué Constantin.

3. Que devient Constantin? Il avait été élevé dès l'enfance à Fleury, nous dit André dans la Vie de Gauzlinr 111 • Il sembla avoir été d'une grande famille aristocratique. Si l'on en croit les Miracles de saint Benoît, il était prêtre puisqu' Aimoin a reçu du prêtre Aimoin, Vie, ch. 7. Vie de Gauzlin, ed. R.H. Bautier, p. 30. Constantin a mis en musique l'histoire de la translation de saint Benoît. 10 11

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Constantin l'histoire de la guérison d' Archambaud (III, 3). Il était très savant dans les sciences du quadrivium et joua certainement un rôle d'intermédiaire entre Fleury et Reims où enseignait Gerbert. Deux manuscrit de Fleury (BNF lat. 7 696 et lat. 8663) mentionnent les lettres que Gerbert envoya à Constantin à propos de l'abaque. Jusqu'à quand est-il resté à Fleury? Nous l'ignorons. En 986, avant le retour d' Abbon, Constantin était écolâtre et était en relation avec Gerbert. Ce dernier souhaite sa venue à Reims avec des manuscrits de Ciceron (lettre 86). Constantin souhaite-t-il, comme on l'a supposé, devenir abbé, soutenu par quelques moines. C'est possible. Mais il se résigna, resta écolâtre, comme en témoigne deux lettres de Gerbert. En effet, en septembre 988, l'archevêque Adalberon de Reims, en fait Gerbert, écrit à l'écolâtre Constantin (lettre 142): "Très doux frère, nous nous réjouissons avec toi que, pour le salut de beaucoup ait été retranché de ce monde cet intrus, ennemi de la discipline monastique. À toi donc d'insister et si tu as déjà un père qui mérite d'être élu par toi et tes frères, agis en sorte que nous aussi nous l'ayons prochainement présent à la fête du bienheureux Remi, afin que notre cœur qui de ton fait s'était un peu éloigné des moines de Fleury, puisse de ton fait s'en rapprocher à l'extrème. Si tout cela ne peut se produire, qu'il nous soit du moins permis de jouir de ta présence, si jamais nous avons donné quelque chose qui t'ait plu ou encore si tu veux bien que te soit donné un éventuel plaisir". Cette lettre au style un peu précieux et pleine de sousentendus, a conduit Constantin à répondre à Gerbert. Il le remercie de s'être donné du mal pour le libérer de l'ennemi 12

Sur Constantin cf. l'article de K.-F. Werner dans Lexicon des Mittelalters III, 169 et Ch. Vulliez, Des Écoles .. ., p. 126-130.

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et de "la gueule du lion", et dans laquelle il demande que Gerbert intervienne auprès d'Hugues Capet pour récupérer des tentures et tapis qui lui ont été volés (lettre 143 ). Mais nous ignorons si le nouvel abbé a répondu à l'invitation de l'archevêque de Reims et est venu célébrer la Saint-Remi le 1er octobre. Nous ignorons également jusqu'à quand Constantin est resté à la direction de l'école. Il fut nommé doyen de l'abbaye de Saint-Mesmin de Micy par Arnoul d'Orléans avant 994 et fut à la tête de cette abbaye en 1011. C'est à lui que Gerbert, en partance pour Rome, confia ses archives et en particulier sa correspondance allégée de 30 lettres compromettantes113l.

13 Cf. P. Riché et J.-P. Callu, préface de la Correspondance de Gerbert, p. XXIII.

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1. L'abbé au travail dans son abbaye Voici donc Abbon abbé de Fleury. Il atteint la quarantaine, ce qui est pour l'époque un âge assez avancé. Au physique il apparaît assez fort. Si le croquis dessiné sur un manuscrit d'Orléans (277 fol 62) n'est peut-être qu'une caricature sans signification, du moins Aimoin donne quelques renseignements sur son maître: "Et bien qu'il souffrit d'un fort embonpoint, car dans les pays d'autre-mer la nature bizarre des nourritures exotiques et le fait de boire un breuvage bouilli l'avait fait engraisser, il n'était nullement accablé par la fatigue et, de fait, son obésité ne lui conférait aucun désavantage physique" (ch. 11). La nourriture anglaise est donc responsable de cet embonpoint. Abbon a également le teint très coloré, qu'il a gardé même après sa mort, dit Aimoin (ch. 20). L'abbé savait en imposer, il avait un tempérament autoritaire, tous les témoins le disent. C'est bien ce qu'il fallait pour diriger ce grand monastère et ce qu'il appelle dans son Apologétique: "être soucieux du soin quotidien d'une administration pastorale".

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A. L'abbaye Imaginons, d'après les textes et un peu d'après les fouilles, le cadre dans lequel vivait Abbon°). Construit sur une île entre la Loire et la Bonnée, petit ruisseau qui disparaissait sous les marais, le monastère était menacé par les inondations, telle celle qui se produisit en 1003, un an avant la mort d' Ab bon. Le castrum monastique était éloigné du village d'un kilomètre, mais des maisons avaient été édifiées près de l'enceinte. Deux églises avaient été construites dès l'origine. Une petite, Saint-Pierre et à une centaine de mètres, une plus grande, Notre-Dame, qui prit après la translation du Vir siècle, le nom de Notre-Dame-St-Benoît. Thierry d' Amorbach qui vécut à l'abbaye au début du xe siècle écrit le récit de l'Illatio sancti Benedicti: "Fleury est implanté à l'instar d'un sistre triangulaire ou pour parler plus clairement en forme d'une lettre delta. Par son implantation même, on le voit occuper un emplacement prédestiné". Et de dire que l'abbaye était placée aux confins de trois royaumes: France, Bourgogne et Aquitaine. On avait supposé que ces deux églises, avec une autre, Saint-André occupaient les pointes d'un triangle, mais des études récentes montrent qu'elles étaient alignées sur la butte. Entre les églises existaient sans doute des portiques et des bâtiments. On peut imaginer la sacristie contiguë à Notre-Dame et à l'étage le dortoir, la bibliothèque et la salle du trésor à côté de l'église, un chauffoir, une hôtellerie, et toutes les officines occupées par ceux dont on parlera plus loin. Il y avait même un grenier à foin, 1

R.H. Bautier, "Le monastère et les églises de Fleury-sur-Loire sous les abbatiats d'Abbon, de Gauzlin et d'Arnaud (988-1032)" dans Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, neuvième série, t. IV, 1968, p. 71-156.

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d'où partira l'incendie de 1002. Le tout est peut-être, en dehors des églises, en mauvais état à l'époque, d'où les travaux du successeur d'Abbon, l'abbé Gauzlin. On avait construit en bois ou en pisé comme l'indique le mot septa utilisé dans les textes. L'église Notre-Dame dont la charpente fut souvent détruite par des incendies était sans doute en brique. Dans le chœur se trouvait un grand autel, consacré à la Vierge, plus bas, six autels dont celui de saint Benoît. Vers le nord, s'élevaient des fenêtres hautes avec des verrières serties de plomb. Nous savons qu'il existait une crypte où primitivement fut déposé le cercueil de saint Benoît, avant que l'abbé Vulfade ne le transfère dans l'église haute à côté du tombeau de saint Pol venu du Léon. Au centre de la crypte, un autel, et de part et d'autre des petites chapelles (cryptulae). Au chevet de l'église se trouvait le cimetière des moines. À la façade occidentale s'élevait une tour contenant au moins deux cloches. Elle précéda celle qui fut construite par l'abbé Gauzlin avant 1026. Comme nous le verrons plus loin, des moines se réunissaient à l'étage. L'église Saint-Pierre, beaucoup plus petite, avait un plan rectangulaire et des bâtiments annexes, sans doute l'école où le jeune Abbon était allé. Si Saint-Pierre a été épargnée par les Normands, la grande église, elle, fut détruite à plusieurs reprises et ne fut reconstruite qu'à la fin du IXe siècle. Mais hélas, elle fut victime d'un incendie bien après la mort d' Ab bon en 1026 et fut reconstruite par l'abbé Gauzlin. L'ensemble du monastère était entouré d'une enceinte qui le protégeait des ennemis et de toute incursion. C'est ainsi que lorsque l'abbé de Cluny, Odon, était venu pour réformer le monastère, il ne put pénétrer, les moines défendant les lieux perchés sur le haut des murs. Après des négocia55

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tians avec le moine Vulfade, le futur abbé, il put pénétrer humblement monté sur un âne et fut reçu par les moines apaisés. Tel était l'aspect extérieur du monastère, dont Abbon prenait le commandement. Combien de moines vivaient dans ce qu'il appelle sa "république"? Nous l'ignorons. Bien moins que le nombre proposé par les chroniqueurs toujours disposés à grossir les effectifs. Quelques dizaines?

B. L'abbé et ses auxiliaires Malgré tout la charge est lourde, même si l'abbé est aidé par son prieur. Le "Coutumier de Fleury" auquel il faut toujours avoir recours parle ainsi de l'abbé: Les Français choisissent comme abbé quelqu'un qui est prudent selon Dieu et selon le monde, comme la fonction l'exige. Il est le père de famille qui sait, selon l'évangile, tirer de son trésor du neuf et du vieux. Il est élu en raison du mérite de sa vie et des mœurs et non en raison de son âge ou de sa personne, en effet, il n'y a place pour aucune acception de personnes puisqu'ils pensent aux biens d'en haut et non aux choses de la terre. Et /'abbé ne fait rien dans le monastère sans conseil ni sans discrétion mais il prend conseil des frères au chapitre de communauté et ensuite c'est sur son ordre que l'on exécute ce qu'il convient. Et conformément à l'évangile, il s'efforce toujours à se faire le plus petit parmi les frères alors qu'il est le premier de tous. Il ne possède rien en propre et n'a rien de plus que les autres, sinon son bâton pastoral et le fardeau de l'autorité. Et, comme seule commodité personnelle, il a à son service un

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enfant de douze ans qui est élevé à l'école du monastère. Enfin, pour ce qui est de la nourriture, de la boisson ou du vêtement, il n'a rien de meilleur ni de plus riche que n'importe quel novice illettré, et, si on le lui permettait, il utiliserait plutôt ce qu'il y a de moins bon. Et, selon une excellente coutume, lorsque revient chaque année le jour anniversaire de la bénédiction de l'abbé, les frères le célèbrent solennellement, occupant le jour et la nuit à des offices solennels et recevant au réfectoire un repas servi avec autant de soin et de joie que le jour de Pâques. L'abbé dispose enfin d'un bureau particulier, où il peut recevoir les hôtes et les officiers du monastère et où il peut se retirer, quand la nécessité l'exige, pour y méditer tranquillement. (ch. 3)

Le doyen, on pourrait dire le prieur, est, nous dit le Coutumier, médiateur entre l'abbé et les frères chaque fois qu'une difficulté se présente et il remplace l'abbé absent. Il est luimême secondé par le vice-doyen si les moines sont nombreux. Celui qui est le plus proche de l'abbé est le chapelain présenté ainsi dans le Coutumier: Enfin, on choisit un chapelain de l'abbé, jeune moine d'heureux caractère qui soit, au témoignage de tous les frères, remarquable par son humilité et son obéissance, porté à la frugalité, rempli de douceur, orné de la connaissance des belles lettres. Partout où l'abbé met le pied, à /'extérieur comme dans la maison, il l'accompagne fidèlement, prêt à lui rendre service comme un serviteur envers son maître ou mieux, un fils envers son père, et jamais une parole de refus ne doit sortir de sa bouche. Il fait le lit de l'abbé, lui enlève ses chaussures et les lui remet le matin, lui apporte sa coule ou bien cette chape à franges que les Grecs appellent amphi57

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ballum, il porte la crosse et pendant la nuit il précède /'abbé en portant une lumière tandis que durant le jour il marche derrière lui. Il garde toujours sous clef le bréviaire et les livres de voyage et présente avec exactitude pendant l'office divin la lampe ou les cierges qu'il reçoit du sacristain du monastère. Si par malheur il arrivait qu'il se fâche en public contre le Père Abbé et lui fasse une réponse déraisonnable qui pourrait faire scandale ou inciter les séculiers à blasphémer contre le monastère, /'abbé, de retour au monastère, le proclamera au chapitre des frères conformément à la discipline régulière et il devra en recevoir une très sévère punition car c'est une faute très grave (ch. 21). L'abbé contrôle tout ce qui regarde l'administration de l'abbaye, le travail du prepositus, disons l'intendant. Le camerier est responsable des finances et de tous ceux que le Coutumier appelle les ministeriales. Dans les Miracles de saint Benoît on parle également de Gauterius, un moine instruit dans les arts libéraux, à qui Abbon avait confié la charge de cellérier, et qui malgré les conseils de l'abbé n'a pas corrigé ses tendances à la rapacité: il s'arrange à vendre aux laïcs les produits plus chers qu'il ne faudrait. Dans ce même ouvrage, on évoque incidemment quelques événements qui ont dû mobiliser Abbon et son équipe. L'incendie qui se produisit le 11 juillet 1002, le jour de la fête de la Translation des reliques de saint Benoît. Au cours des vigiles nocturnes, alors que les fidèles venus du bourg et des environs priaient, le feu toucha l'église Sainte-Marie. Les moines transportèrent la châsse de saint Benoît assez loin dans le cimetière, arrachèrent tout ce qui était précieux dans l'église. L'année suivante, c'est l'inondation de la Loire qui

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L'ABBÉ AU TRAVAIL

menace l'abbaye. L'auteur en profite pour présenter la Loire comme le plus grand fleuve de Gaule et, pour montrer sa culture, cite trois vers des Georgiques de Virgile 121 . L'abbé doit garder intact le temporel de son abbaye et le transmettre même augmenté à son successeur. Mais que saiton de la grandeur des propriétés de Fleury au temps d' Abbon?

C. Richesse du monastère

A lire

les diplômes royaux en faveur de l'abbaye, on la voit peu à peu grandir 131 . La carte établie par les historiens pour le début du XIe siècle est valable141 . Le monastère a des propriétés dans !'Orléanais, dan~ les Yvelines, le Maine, en Berry, dans le Morvan, le Tonnerais, les pagi d' Autun et de Macon, dans la Creuse et même dans la lointaine Gascognel11. Abbon, en toutes occasions, nous le verrons, défend ses terres, même selon Aimoin en provoquant la mort de l'adversaire. Un certain Gautier, un aristocrate bien en cour, revendiquait une terre qui appartenait à Fleury. Revenant avec l'abbé du palais royal, il lui dit: "Je vais te montrer, seigneur abbé, la limite de ma propriété". Abbon répond: "D'accord, à condition de ne pas dépasser votre limite légale". Gautier s'élance à cheval vers la borne qu'il avait fixée à son gré. "À partir de cet endroit, crie-t-il en étendant le bras, je proclame mes droits sur tout ce morceau de terre 2

Miracles de saint Benoît III, 2 et 9. et Berland, "Un moine aquitain ... ", p. 25-27. 3 Recueil des chartes, n° 56, 64, 69. 4 Vie de Gauzlin, p. 153. 5 Cf. infra. p. 252

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L'ABBÉ AU TRAVAIL

et je le revendiquerai s'il le faut à la pointe de mon épée". Mais le cheval emballé butte à deux reprises, au risque de voir tomber le cavalier. "Vous verrez, dit Abbon, la juste sentence du Juge souverainement équitable". De fait, le cavalier est projeté sur terre et transporté dans une ferme, il meurt le soir même. Abbon, pris de pitié le fait enterrer honorablement dans le cimetière paroissial. Ainsi se terminait un jugement de Dieu(6l. Aimoin raconte également dans les Miracles de saint Benoît comment Ademar, vicomte de Limoges, avait envahi vers l'an mille, le prieuré de Sault situé sur un affluent de la Gartempe. Le prieur Othier, qui avait été nommé par Abbon, engagea le combat avec ses moines dirigés par un certain Geoffroy, mit le feu aux remparts de bois et en criant: "Saint Benoît, saint Benoît", reprit la place et emprisonna Ademar(7). Nous verrons plus loin comment Abbon intervint auprès du roi Hugues Capet et du pape Grégoire V pour défendre le temporel de l'abbaye(s). Tous ces biens immobiliers comprennent des bâtiments et des champs que les paysans cultivent. Abbon reconnaît incidemment leurs mérites dans un passage de l'"Apologie": Les paysans, en vérité, donnent leur sueur à l'agriculture et à diverses activités dans le travail des champs et par là, la multitude de l'église entière est alimentéef9J. Définition littéraire comme celle qu' Adalbéron de Laon donnera plus tard dans

6

Miracles de saint Benoît III, 10. Miracles ... Il, 4. 8 Cf. infra, p. 135, 220 et s. 9 Apologeticus, PL 139, 461.

7

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ABBON DE FLEURY

son poème au roi Robert' 10). Abbon a dû voir de très loin les hommes de la campagne. L'abbé confie au prepositus, c'est-à-dire l'intendant, le soin de s'occuper de la rentrée des redevances en nature et en argent. Le prévot fournit au cellérier, nous dit le chapitre 6 du Coutumier, le fromage, les œufs, le miel, les légumes, le poisson, le sel, le porc, les abats. Il est en liaison avec le frère qui s'occupe des vignes et des vendanges d'automne et qui dans le Coutumier est appelé "frère Bacchus"( 11 ). L'intendant doit recevoir de l'argent des dîmes, cet impôt qui préoccupera tant Abbon, et dont une partie est remise à l'hôtelier pour aider les hôtes et les pauvres. En dehors des travaux de la terre, les hommes de l'abbaye peuvent s'adonner au commerce, d'autant plus que la Loire est très navigable. On exporte les produits agricoles, sans pour cela payer les tonlieux exigés aux autres marchands, puisque le monastère bénéficiait de l'immunité. Le monastère de Fleury, à l'époque d' Abbon, était-il riche? Rien ne permet de répondre à cette question, sinon une remarque de Thierry dans son Coutumier. Signalant que le camérier doit vérifier si les habits des moines sont usés et méritent d'être rapiécés, il écrit: "On ne voit jamais, en effet, les moines français porter des vêtements rapiécés ou usagés car leur pays est si abondamment doté de toutes sortes de richesses qu'il leur paraîtrait honteux d'avoir des vêtements sales et usés. Et ils ne font pas cela par luxe ou volupté, mais plutôt en action de grâce, par bienséance et honnêteté comme l'homme doit avoir intérieurement le cœur pur; ainsi 10

Adalbéron de Laon, Poème au roi Robert, ed. Cl. Carozzi, Paris, 1979 p. 20-21 11 Ch. 20

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VABBÉ AU TRAVAIL

il doit rayonner extérieurement l'éclat de la propreté. Et il existe chez eux un proverbe bien connu par lequel ils se défendent de porter des vêtements de mauvaise qualité: en effet disent-ils, il faut selon la règle, que le camérier donne aux pauvres et aux pèlerins les vieux vêtements des frères, il faut donc que les moines rendent leurs vêtements au camérier et en reçoivent de neufs avant qu'ils ne soient mis hors d'usage par l'usure. Car si c'est le Christ que l'on nourrit et habille dans les pauvres, comme en témoigne de manteau de saint Martin, il faut, disent-ils, tant que nous avons des ressources que nous les employions à honorer le nom du Seigneur dans les pauvres; il serait donc honteux et insensé de notre part d'offrir au Christ ce que nous considérons comme hors d'usage et indigne de nous". Aimoin parle des maigre ressources de l'abbé, de la pauvreté du monastère qu'il gouvernait et la dureté des temps (ch. 15). D'autre part, Abbon dans ses écrits, se plaint que les laïcs dévastent, pillent, les biens de son abbaye, ce qui était vraisemblable, mais il fallait le faire remarquer à ses correspondants. Enfin Abbon n'était certainement pas riche personnellement. Il n'a pas pu faire les grands travaux que son successeur Gauzlin, d'illustre famille, entreprit.

D. La vie liturgique Abbon n'est pas qu'un seigneur temporel. Son abbaye est une maison de prières et, nous le verrons plus loin, d'études. Comme le veut la règle bénédictine, l'abbé se réunit avec ses moines sept fois par jour pour la prière. Il se lève pendant la nuit pour se conformer au conseil du psaume 119, Media nocte surgebam ad confitendum tibi et chante les vigiles 63

ABBON DE FLEURY

(nocturnes). Alors que les jeunes et les moines faibles se recouchent, l'abbé et la plupart des frères anciens, dit le Coutumier, ne se recouchent jamais après s'être levés pendant la nuit, excepté après une saignée ou que/qu'autre malaise corporel. Et comme de jeunes frères leur demandaient comment ils pouvaient supporter le poids de telles veilles, l'un d'entre eux leur répondit: mes petits enfants, ne savez-vous pas que le royaume des cieux souffre violence et que ce sont les violents qui s'en emparent".

À l'aube est célébré l'office des Laudes ou Matines. Puis un temps est réservé aux messes privées et au travail. Vient ensuite Prime, puis un temps de nouveau pour les messes privées, et pour la lecture et le travail. L'abbé alors préside le chapitre dans la salle qui s'ouvre sur le cloître. La communauté entend la lecture d'un chapitre de la Règle bénédictine (d'où le nom de la réunion et de la salle) puis les commentaires de l'abbé qui, nous dit le Coutumier, "abreuve joyeusement les frères de la doctrine céleste selon la sagesse qu'il a reçu". Abbon s'inspire certainement souvent de son auteur favori, Grégoire le Grand. Un centon de Fleury sur le devoir des moines publié par Jean Leclercq, nous en donne l'écho' 121 • "Voici qu'en abandonnant les biens temporels, ils ont acquis la gloire de l'éternelle souveraineté: les moines deviennent les familiers de Dieu, même s'ils ont la charge des affaires temporelles. Ils doivent se détacher des fausses nécessités qui les sollicitent de toute part. C'est en soutenant quotidiennement un rude combat contre eux-mêmes qu'ils ont dépassé les agitations de ce monde". Les moines doivent aspirer à la vie angélique. Nous aurons l'occasion de reprendre plus loin les idées d' Abbon sur cet idéal. 12 J. Leclercq, "Un centon de Fleury sur le devoirs des moines" dans Studia Anselmiana, 20, 1948; p. 75-90

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L'ABBÉ AU TRAVAIL

Après le sermon de l'Abbé, on en vient au rapport sur l'administration de l'abbaye et enfin sur les fautes des moines commises par eux-même ou par leurs frères. Le Coutumier qui présente un important développement sur le chapitre, détaille la façon énergique dont les fautifs sont punis. Après le chapitre, l'abbé préside la messe matutinale de la communauté puis les messes privées reprennent ou bien le travail. Les moines se retrouvent à Tierce, suivie de la messe conventuelle ou Grand-Messe (Coutumier, ch. 34 et 35). Ensuite, on se remet au travail manuel ou intellectuel jusqu'à Sexte. L'abbé passe au parloir saluer les hôtes, avant de rejoindre les moines au repas {prandium) assez léger (Coutumier, ch. 37). Il est temps, surtout en été, de faire la sieste ou méridienne. L'abbé et les moines se retrouvent à None, puis de nouveau travaillent jusqu'à Vêpres. Le souper {cena) est suivi d'une courte séance au chapitre, la "collatio". Viennent ensuite les Complies et le coucher. La liturgie à Fleury est comparable à celle des autres monastères bénédictins en dehors de quelques aménagements. Le Coutumier de Thierry doit être étudié avec attention113l. D'autre part, nous conservons des manuscrits des rxe et xc siècle qui pouvaient être utilisés: sacramentaire, lectionnaire, antiphonaire, recueil d'hymnes pour saint Pierre et la Croix, pour saint Jean-Baptiste, bréviaire, processional, manuscrits annotés en neumes fleurisiens. Des fragments d'antiennes et répons sont conservés dans cinq manuscrits d'Orléans. Pour les offices des saints, trois manuscrits orléanais du xe siècle, les hymnes, versus et séquences dans plusieurs manuscrits de la même époque, de

13

C'est ce que fait Dom Davril dans dans Vie des moines, p. 121 et s.

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ABBON DE FLEURY

même des pièces du propre et de l'ordinaire de la messe 1141 . Le manuscrit d'Orléans 322, qui porte le Martyrologe d'Usuard, adapté à l'usage de Fleury, date sans doute de la fin de l'abbatiat d'Abbon 1151 . On a supposé justement que le ms, BNF lat 5288, qui donne les oraisons pour la bénédiction d'un abbé venait de Fleury1 161. Abbon voulait que les offices se déroulent dans une église bien ornée. Déjà, alors qu'il n'était que simple moine, il avait ramené d'Angleterre des vêtements sacerdotaux et un calice d'or que lui avaient donnés ses hôtes. Revenant de son premier voyage romain, il rapporta, dit Aimoin, "un certain nombre de pièces d'étoffes de soie de fort bel aspect et convenant à l'ornementation de l'église" (ch. 11). Le pape Grégoire V lui donne une chape dont il se sert pour célébrer la messe (lettre 1). Mais Abbon fait mieux. Au chapitre 15 de la Vita, Aimoin énumère ses travaux: "Il conduisit à son terme, en effet, le devant d'autel de la sainte Vierge Marie, mère de Dieu, que son prédécesseur dom Oylbold avait commencé à construire en or, il fit agrandir les deux panneaux latéraux recouverts d'argent et, pour résumer brièvement tant de choses, six autels brillent des plaques d'argent qui leur ont été appliquées tant du fait de sa piété que de celle des moines qui se trouvaient sous son administration, à savoir: l'un dédié à Dieu, sous le vocable du saint père Benoît, un autre en l'honneur de la très haute et indivisible Trinité, et les autres à saint Étienne, à saint 14 Cf. les excellentes études de dom A. Davril "Fragments liturgiques dans des manuscrits de fonds de Fleury" dans Questions Liturgiques. Studies in Liturgy, 1990/2, p. 112-137 et "Le lectionnaire de l'office à Fleury, essai de reconstitution'', dans Revue bénédictine, 1979, p. 110-164. 1 s M. Mostert, The Library... BF 827. 16 Je remercie Michel Huglo de m'avoir signaler ce manuscrit que Baluze avait retrouvé (Recueils de fragments du VIIIe au XVIe siècle. n° 439). 66

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Aignan, à saint Jean l'Évangéliste et à son frère saint Jacques. De plus, la clôture de bois qui est placée autour du tombeau de l'illustre confesseur du Christ Benoît a été semblablement ornée d'une plaque de métal et l'on y voit figurer par l'art du ciseleur, quelques-uns des miracles de notre maître affectionné. Tout cela et bien d'autres choses encore, ont été accomplis dans le monastère de Fleury, sous l'illustre père Abbon, grâce à l'application assidue et sous la direction de l'honorable moine Geoffroi auquel lui-même avait confié la garde des trésors sacrés. Par les soins de ce Geoffroi fut également construite une chambre du trésor en pierre tout à fait apte à repousser la violence de l'incendie au cas où elle viendrait - fasse le ciel que cela n'arrive pas ! - à exercer ses ravages, lui-même, le vénérable Abbon dont nous parlons, fournissant aux dépenses".

Cette châsse de saint Benoît était célèbre et elle fut, semblet-il, prise comme modèle pour celle de Saint-Savinien à Sens. Ce sont d'ailleurs des moines de Fleury qui peuplèrent en partie Saint-Pierre le Vif, le grand sanctuaire de la ville! 11l. Les reliques étaient autrefois dans la crypte, dont Aimoin nous parle dans les Miracles de saint Benoît à propos d'un miracle dont un moine limousin a été bénéficiaire. Ce moine Aldebald avait une grande dévotion pour saint Benoît. Il aurait voulu même attirer des enfants dans l'école du "sacré monastère de Fleury". Un autre moine, un anglo-saxon nommé Adelgaire, eut dans cette crypte, au temps d' Abbon, une surprenante visionl 18 l. Aimoin nous donne également quelques renseignements 17

R.-H. Bautier, Préface à l'édition d'Odorannus de Sens, Paris 1972, p. 18. Cf. A. Vidier, Vhistoriographie, Appendice VI, p. 232 et J.-M. Berland, "Un moine aquitain ... ", p. 15

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sur la tour qui se dresse devant l'église et qui plus tard sera remplacée par la tour actuelle. Les moines ont coutume de se réunir au premier étage pour psalmodier119l. On peut alors imaginer que Fleury suit la tradition carolingienne des deux chœurs, l'un à l'est, l'autre à l'ouest. Les pèlerins, qui viennent nombreux vénérer le tombeau de saint Benoît, y apportent des offrandes et des présents. L'un des plus célèbres pèlerins de l'an 1000 fut l'ancien évêque de Prague, Adalbert. Sa Vie nous dit qu'il voulut aller se recueillir sur le tombeau de saint Benoît avant d'aller à Saint-Denis et à Saint-Maur puis de partir en terre païenne où il fut massacré en 9971 201 •

2. L'abbé au travail parmi les livres A. La bibliothèque Imaginons Abbon à sa table de travail ou dans sa bibliothèque. Il dispose de nombreux manuscrits dont beaucoup sont encore conservés de nos jours. La bibliothèque de Fleury est une des plus riche de l'Occident, moins peut-être que celle de Bobbio 111 • S'il est vrai "qu'un monastère sans livres c'est un arsenal sans vivres", Fleury a de quoi tenir. Nous avons, grâce au travail d'Elisabeth Pellegrin puis de Marco Mostert, un relevé de ces manuscrits qui depuis le xv1• siècle sont dispersés dans les fonds d'Orléans, de Paris,

19

Id. p. 230 et Berland "Un moine aquitain" ... p. 14. Vita 1. ed. J. Karwasinska, IV, 1, p. 37. 1 Cf. J.-F. Genest, dans Autour de Gerbert... , p. 250 et s.

2o

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de Rome, de Berne, de Leyde, etc(2 '. Beaucoup de manuscrits ont été écrits dès le vme siècle, peut-être même certains sont venus d'Italie avec les reliques de saint Benoît. Théodulf, évêque d'Orléans et abbé de Fleury au début du IXe siècle, a enrichi la bibliothèque, ses successeurs en ont fait autant malgré les difficultés du moment. Bien qu'il soit assez difficile de dater avec précision les manuscrits, on a pu estimer que beaucoup avaient été écrits au x• siècle et et XIe siècle. On avait supposé qu'il existait un catalogue ancien, mais malheureusement, il n'en existe pas avant le XIe siècle (Ms Berne 433). La bibliothèque s'enrichissait de don tel ce manuscrit d'Horace (BNF lat. 7971) donné à Fleury par un certain Herbertus de Reims. D'autres manuscrits, par contre, pouvaient être empruntés avec les risques de ne plus les revoir; tels ces œuvres de Cicéron que Gerbert demande à Constantin en partance pour Reims (lettre 86). Quelques manuscrits sont composites portant des œuvres de différentes disciplines tel le ms 207 de Berne, A vademecum of liberal culture selon l'expression de E.-K. Rand(3'· Mais en général les copistes ont regroupés les même matières dans les manuscrits dont ils avaient la charge. On a remarqué que les manuscrits des œuvres antiques étaient souvent de grandes dimensions, bien écrits, quelquefois illustrés, tel le Terence (BNF lat. 7 900), alors que les manuscrits grammaticaux et dialectiques sont recouverts de 2

E. Pellegrin, Bibliothèques retrouvées, passim, M. Mostert, The Library of Fleury. On peut encore consulter E. Lesne, Les livres, "Scriptoria" ... p. 131 et s. (pour le scriptorium) et p. 549 et s. (pour la bibliothèque). A. Vidier, L:historiographie, p. 8 et s. Cf. aussi A. Guerreau-Jalabert, Abbo .. ., p. 169 et s. et D.B. Grémont et J. Hourlier, "La plus ancienne bibliothéque de Fleury" dans Studia Monastica 21, 1979, p. 253-264 3 Dans Philological Quarter/y, 1922, p. 258-277. Sur ce manuscrit, cf. A. Guerreau-Jalabert, Abbo ... , p. 180-181.

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gloses interlinéaires ou marginales, ce qui signifie une sérieuse étude, des révisions et des lectures nombreuses. Ils devaient servir pour l'enseignement oral donné aux élèves. C'est, semble-t-il, le cas des commentaires de Remi d' Auxerre( 41 • B. Les copistes Les copistes sont sous l'autorité de l'armarius dont le Coutumier de Fleury définit la tâche( 51 • Outre ses responsabilités dans l'école et dans le classement des archives, c'est à lui qu'incombe le soin des livres et tout l'équipement du scriptorium: la provision du parchemin, des fils tressés pour coudre les codex, les peaux de cerf pour recouvrir les livres mais également la correction de ces livres. Des livres dépend la bonne doctrine, si bien que l'armarius doit défendre la foi catholique et réfuter les hérésies. Lourde responsabilité. Pour rester dans le scriptorium, nous pouvons voir les scribes au travail et même connaître le nom de certains d'entre eux. Ainsi, Rotbertus laicus écrivit en l'honneur de saint Benoît et sur l'ordre du révérentissime père Abbon, un manuscrit de la guerre de Juifs de Flavius Josephe (ms Berne 183). D'autres noms ont été révélés( 61 • Des scribes venus d'Angleterre travaillent dans le scriptorium. J. Vezin a pu étudier le cas de Leofnoth dont le nom se retrouve non seulement dans plusieurs manuscrits, mais qui les illustra. Le Christ en gloire entouré du saint Benoît et de saint Grégoire est l'œuvre de ce moine qui semble-t-il vient de Ramsey(7). 4

Id. p. 162, 166 et 167. Coutumier, ch. 9. 6 E. Lesne, op. cit. p. 133. 7 ]. Vezin, "Leofnoth, un scribe anglais à saint Benoît-sur-Loire" dans Codices ... , p. 111 et 113.

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En dehors des écritures de type anglo-saxons, les paléographes ont pu repérer une écriture spéciale du temps d' Abbon: étroite, verticale, au tracé aigu 181 . Les traités du maître sont recopiés dans des manuscrits comme l'a bien étudié A. Van de Vyver pour les œuvres de logique et d'arithmétique. Abbon les reprenait, ajoutait des gloses et même les corrigeait s'il est vrai que l'on a pu repérer sa large et grosse écriture1 91. Mais ce n'est pas lui qui copiait les manuscrits, il les dictait à partir du texte inscrit sur ses tablettes. Peu avant sa mort, nous dit Aimoin, il avait été en train de rédiger des petites calculs de comput1 101. Peu à peu, grâce à des dizaines de manuscrits de l'époque, on commence à se faire une idée du travail dans le scriptorium ou dans la "cellule" de l'abbé. L'enquête est encore en cours.

3. Les élèves d'Abbon Abbon ne travaillait certainement pas seul. Il avait auprès de lui des collaborateurs et des élèves car c'était un excellent pédagogue. Il aime enseigner par la parole et l'écrit, les tableaux, diagrammes, dessins contenus dans ses manuscrits le disent. Il eut quelques brillants élèves qui firent carrière. Ne parlons pas de l'anglo-saxon Byrntferth 11 l que nous

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B. Bischoff, Paléographie française, Paris 1985, p. 139. et M. Mostert, "Gerbert d'Aurillac, Abbon de Fleury... ", p. 422. 9 Van de Vyver, "Les œuvres inédites", p. 143 et 152, d'après les manuscrits de Berne 250, de Paris, BNF lat. 2278, d'Orléans 277, de Berlin 138, de Londres, Harley 2506. Cf. aussi O. Guillot, "Un exemple ... ", p. 401 1 Cf. Infra, p. 261. 1 Cf. supra, p. 35.

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avons déjà présenté. Voyons les élèves de l'école fleurisienne. A. Bernard En premier lieu vient Bernard dont parle Oylbod dans sa lettre et Abbon dans ses Quaestiones, à qui il dédie un traité de logique et à qui il envoie deux lettres conservées par Aimoin dans sa biographie( 21 • Bernard était le fils d'Hugues, un seigneur d'Aquitaine. D'abord oblat à Solignac, il avait été envoyé tout jeune à Fleury "pour apprendre les lettres". Il fut élève d' Abbon à partir de 97 5. Bien que la chronologie de la vie de Bernard soit difficile à établir, le jeune moine fut rappelé par son père pour être abbé de Solignac puis abbé du très riche monastère de Beaulieu(3). Il devait certainement rester en contact avec Fleury. On en veut pour preuve la lettre qu'il écrit à son maître lorsqu'on lui propose, à prix d'argent, l'évéché de Cahors. Nous verrons plus loin comment Abbon le dissuade et le met en garde contre l'hérésie simoniaque(41 • La deuxième lettre, sans doute bien postérieure, nous dit que Bernard souhaitant se retirer du monde avait été trouver Abbon avant de faire un pèlerinage à Jérusalem. "N'ayant pas l'intention de l'accomplir sans l'avis et le conseil de son professeur, il vint au monastère de Fleury dévoiler les secrets de son cœur à celui qui était son maître rempli de toute bonté", dit Aimoin. Abbon lui déconseille d'aller à Jérusalem mais l'invite à partir à Rome et au MontGargan. Il lui donne comme compagnon un prêtre Constantin, qui ne peut être l'écolâtre de Fleury mais un homonyme, 2

Cf. supra, p. 47 et Aimoin, Vie, ch. 10. Cf. Aubrun, L'ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIe siècle, Clermont-Ferrand, 1981, p. 170. 4 Cf. infra, p. 183 3

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et Remi que l'on retrouvera dans le dernier voyage d' Abbon à la Réole et qui sera prieur de cet établissement. Le pèlerinage tourna mal, par suite de la maladie et des récriminations des moines de Beaulieu qui réclamaient leur abbé, Bernard finit sa vie comme évêque de Cahors, qu'il obtint, nous l'espérons, d'une façon régulière.

B. Aimoin et Hervé Un autre disciple préféré est Aimoin, qui raconta la vie de son maître et l'assista à la Réole lors de sa mort tragique. J'en ai déjà parlé plus haut. André de Fleury, nous l'avons dit, fait son éloge. Aimoin écrivit la Vie d'Abbon à la demande d'un autre disciple Hervé. Hervé, d'origine noble, peut-être apparenté au seigneur d'Amboise(s), avait reçu d'abord une éducation d'aristocrate dans le monde et était ensuite, par vocation, parti à Fleury où il était devenu élève d'Abbon en même temps qu'Aimoin. Ce dernier se souvient de son heureux caractère:" comme cette nature était douce pour ses condisciples et agréable pour ses aînés". Mais le père d'Hervé l'enlève du monastère, le conduit à la cour royale et lui fait attribuer le poste de trésorier de Saint-Martin de Tours. Hervé entreprit la reconstruction de l'église, détruite par un incendie vers 994 et fonda plusieurs monastères dans la région. Il mourut en 1022, déjà considéré comme un saintl 6).

5

Raoul Glaber, Histoires III, 4. G. Oury, "L'idéal monastique dans la vie canoniale. Le bienheureux. Hervé de Tours" dans Revue Mabillon, 1962, p. 1631.

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C. Les autres disciples Le successeur d' Ab bon, Gauzlin, a été élève, dès son enfance, à Fleury et eut, selon le moine Helgaud, Abbon comme maître en "sciences sacrées" 171 • À deux disciples V et G qui s'intéressaient à la question de l'ère dyonisienne, Abbon écrivit deux lettres( 8l. Le premier, sans doute Vital, est un moine peut-être breton auteur d'une Vie de saint Paul-Aurélien, évêque de Léon, dont le corps avait été amené à Fleury(9). Quand à G, c'est peut-être Giraud qui selon André de Fleury "éclatait d'une science admirable" et qui composa une translation du corps de saint Benoît en pentamêtres élégiaques 110J. D'autres disciples doivent être cités, Bern futur abbé de Reichenau en 1008, qui était à Fleury au moment de la controverse entre chanoines de Tours et moines de Fleury à propos de la date de }'Avent, soit en 994 11 1). Il se rendit célèbre par ses travaux sur la musique et la liturgie. Peutêtre se souvient-il des leçons d' Ab bon lorsqu'il s'étonne qu'un clerc veuille corriger le texte des Évangiles: "Si quelqu'un veut exercer son esprit en utilisant les règles des grammairiens, qu'il s'exerce dans l'école" 112J. Il faut également parler de Thierry, le rédacteur du Coutumier de Fleury113 ), de Letald de Micy, un moine qu'Abbon 7

Helgaud, Vie de Robert le Pieux, ch. 25 Sur ces lettres, cf. infra, p. 118, et M. Mostert, The Library ... , BF 012, 014, 152. 9 André de Fleury, op. cit p. 35, cf. A. Vidier, Historiographie .. ., p. 101102 et M. Mostert, The Library .. ., BF 139, 1390 et 1457. 10 André de Fleury, op. cit. p. 35. 11 Cf. infra, p. 154. 12 P. Riché, Ecoles et enseignement .. ., p. 324. 13 Cf. A. Davril, "Un moine de Fleury eaux environs de l'an mil: Thierry dit d'Amorbach" dans Etudes Ligériennes ... p. 97-104 8

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L'ABBÉ AU TRAVAIL

admirait.: "Letald, qui me fut autrefois si proche ... toi dont dans ma faiblesse j'admire la science du reste exceptionnelle à laquelle je persiste à appliquer les plus grands éloges" 041 • Fulbert de Chartres, dans sa lettre à Abbon, mentionne un autre disciple, Milan115 ). On a vu dans Lantfred, auteur d'une lettre à Dunstan et de trois poèmes scolaires, un moine fleurisien élève d' Ab bon qui résida un moment à Manchester avant de retourner dans son monastèrel' 6). Odolric, abbé de Saint-Martial de Limoges, rappelle dans son discours au concile de Limoges en 1031, qu'il a appris les arts libéraux à Fleury et fait l'éloge d'Abbon 117 ). Comme son maître, Odolric cite Grégoire le Grand comme une autorité qui ne peut être le moins du monde contestée 1' 8). Adhémar de Chabannes attribue à Abbon une séquence en l'honneur de son cher saint Martiall 19 ). Il a possédé la Collection canonique, puisque le seul manuscrit qui nous la donne est de ses mains 120 ). Il semble bien qu'il soit passé par Fleury avant d'aller à Jérusalem en 1026. Un manuscrit de Fleury (Reg. lat. 1332 - 430) porte son écriture121). On peut expliquer les relations entre Fleury et le Limousin par l'intermédiaire de Bernard, disciple chéri d' Abbon qui fut abbé de Solignac et de Beaulieu.

14

Cf. lettres 11 et infra p. 244. F. Behrens, The Letters.:·• p. 2-3, propose de voir un toponyme contrairement à Clerval, Les Ecoles de Chartres au Moyen-Age, Paris 1895, p. 73, et Ch. Vulliez, Des Écoles ... , tome 1, B, p. 167. 16 Ch. Vulliez, op. cit. p. 160-161, qui renvoie à l'article de Lapidge dans Anglo-Saxon England, 1972, p. 105, et dans Lateinische Kultur .. ., p. 248. 17 Mansi, Concilia, XIX, 540. 18 Quemadmodum beatus Gregorius attestatur, cujus auctoritas minime sperni potest... , id. 540. Cf. M. Aubrun, op. cit. p. 210, n° 39. 19 Cf. Cousin, p. 190, n° 2. Il s'agirait de la séquence Valde lumen. 20 BNF lat. 2400. 21 Cf. G. D'Onofrio, dans Corpus Christianorum, Cont. med. 120 15

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Enfin, parlons d'un disciple moins chéri, Constantin, qui remplaça Abbon comme écolâtre après le départ du moine en Angleterre. Il resta à ce poste après le retour d' Abbon, faute d'avoir été élu comme abbél 22 l. Puisqu'il est rentré très jeune au monastère de Fleury, il a du être l'élève d' Ab bon avant d'être celui de Gerbert. C'est tout ce que l'on peut dire.

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Cf. supra, p. 50.

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Les travaux intellectuels

1. Abbon philosophe Écrivant à Abbon vers 1004, donc peu de temps avant la mort de l'abbé, Fulbert de Chartres l'appelle "grand philosophe"111. Peut-être qu' Abbon n'avait pas, au début de ses recherches, le privilège de ce titre, si l'expression "philosophe peu lettré", trouvée dans une lettre de Gerbert à Constantin vers 980, met en cause Abbon 121 . Sans doute s'agit-il d'une rivalité entre les deux hommes, Gerbert se donne lui même le titre de "philosophe". Quoi qu'il en soit, Abbon avait une culture philosophique acquise dans les écoles de Paris et de Reims où la tradition de Remi d'Auxerre n'était pas oubliée. Ses commentaires de Jean Scot et de Martianus Capella sont dans les bibliothèques. Abbon, d'autre part, ses œuvres l'attestent, a lu de Macrobe 1

Cf. infra, p. 248. Lettre à Constantin sur l'abaque, ed. Correspondance de Gerbert, Annexe, t. II, p. 663, "Qu'un philosophe sans lettre n'aille pas penser que ce sont là des choses contraires à l'un des arts ou à la philosophie ellemême". Bubnov, Gerberti opera mathematica, p. 199, H. Pratt-Latin, The letters of Gerbert ... , p. 46, n° 4 et M. Mostert, The political... , p. 37, pensent qu'il s'agit d'Abbon, qui dans son commentaire sur le Ca/eu/us de Victorius n'avait pas les mêmes conceptions sur l'abaque. Pourtant, Van de Vyver, Les œuvres inédites, p. 161, semble plus réservé sur cette hypothèse. 2

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"Le commentaire sur le songe de Scipion", écrit au IV' siècle et celui de Chalcidius sur le "Timée" qui date de la même époque. Abbon a-t-il connaissance de la division de la philosophie telle que les savants la présentent à cette époque? Gerbert, dans sa controverse avec Otric à Ravenne en 981, aurait, dit Richer, repris la division de Boèce distinguant la philosophie théorique ou spéculative, avec ses trois branches, naturelle, doctrinale et divine, de la philosophie active ou pratique comprenant la morale, la vie domestique et la vie civile 131 • C'est la classification de Cassiodore, reprise d' Ammonius d' Alexandrie (fin V'), dont Boèce connut les ouvrages14l. Le seul témoignage d'une distinction entre les concepts religieux et philosophiques vient d'un passage d'une lettre d' Abbon à Grégoire V: ]'ai envoyé également deux petits vases en madre sur lesquels sont représentés en relief la Charité et /'Éthique; l'une, la Charité, présente dans ses mains l'Ancien et le Nouveau Testament sur chacune des représentation ciselées; ['Éthique entoure de ses ailes /'Histoire et /'Allégorie: si bien que grâce au travail du ciseleur, ces deux vertus, c'est-à-dire la Charité et /'Éthique, présentent quatre symboles sur chaque panse des vases (lettre 4 ). C'est bien peu, mais un tableau dessiné sur un manuscrit de Fleury, le Berne 56, fol. 183, peut nous donner une idée de la division de la philosophie telle qu'on l'envisage dans l'entourage d' Abbon.

3 4

Richer, Histoire de France, III, 60, ed. Latouche, Il, p. 73.

P. Courcelle, Les lettres grecques en Occident de Macrobe à Cassiodore,

Paris, 1948, p. 323.

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LES TRAVAUX INTELLECTUELS

La philosophie a trois branches, la physique, la logique et l'éthique. Les arts libéraux, du moins le quadrivium, plus la mécanique, la médecine et la géographie, appartiennent à la physique. La logique, deuxième branche, a les trois arts du trivium, grammaire, rhétorique, dialectique. L'éthique, troisième branche de la philosophie, comprend la prudence (mémoire, intelligence, organisation prévoyante), la justice naturelle et coutumière, elle-même subdivisée en religion, piété, grâce, reconnaissance, observance, vérité, mais aussi pour la justice coutumière, pacte, paix, jugement et loi. Après la justice, le courage (pensée active, confiance et modestie) et la tempérance. Cette présentation de la philosophie rappelle celle attribuée à Alcuin( 5l. Pour revenir plus directement à Abbon, notre philosophe s'inspire des traditions patristiques et platoniciennes 16 l. Le "Commentaire sur le Calculus de Victorius d'Aquitaine" qu'il a écrit, dit-il, à la demande de ses frères, nous permet de retrouver les réminiscences platoniciennes d' Abbon faites à partir de ses lectures de Boèce, Claudien Mamert, Macrobe, Chalcidius. Selon les grecs, la philosophie est amour de la sagesse, cette sagesse qui est contemplation de la divinité et saisie de la vérité des choses. Nous devons aller du visible à l'invisible, vers cette mystérieuse unité de la Trinité. L'amour de la sagesse, c'est l'amour de Dieu. Abbon s'inspire et du "Livre

5 PL 101, col. 945; la photo de la page du manuscrit de Berne est dans M. Mostert, The political, p. 164. 6 Cf. G.-R. Evans et A.-M. Preden, "Natural Science ... ", passim, et Irène Calazzo, "Le platonisme d' Ab bon de Fleury", dans Abbon de Fleury, philosophie et science, Colloque CNRS, 2002.

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de la Sagesse", commenté par les Carolingiens(?) et de Boèce "consolé" par la philosophie. La philosophie est le plus grand bien accordé aux hommes par Dieu. Et Abbon de se prononcer sur la valeur du chiffre un et trois. On part de l'unité pour y revenir à la fin des temps. L'âme qui est incorporelle - Abbon, sans le nommer, reprend la théorie de Claudien Mamert - est un et trine puisqu'en elle sont la mémoire, la délibération et la volonté. Le corps lui aussi est composé du nombre, de la mesure, et du poids. Le monde est ordre et beauté. Il est un et l'homme doit rechercher à travers tout ce qu'il présente, les mystérieuses correspondances entre macrocosme et microcosme. L'étude des arts libéraux nous y aide, ces sept arts qui sont les filles de la Sagesse, les sept colonnes du temple de Salomon. Dans la préface de son Commentaire sur le "Calculus", Abbon dit avoir déploré, dès sa prime jeunesse, que les disciplines des arts libéraux aient été dégradées par l'incurie et la négligence de quelques hommes, qu'ils deviennent l'apanage d'un petit nombre qui par avarice les font payer fort cher. Peut-être se souvenait-il qu'à Orléans il avait dû, nous dit Aimoin, payer une certaine somme pour apprendre la musique. Le premier des arts du quadrivium, l'arithmétique, contient tous les autres puisque Dieu a créé le monde avec les nombres, les mesures et les poids, pour reprendre ce verset du "Livre de la Sagesse" (X, 20) qu' Abbon cite souvent. Il connaît le célèbre poème (III, 9) de la "Consolation de phi7 Cf. Raban Maur, Comment. in Librum Sapientiae. E. Roques, article Jean Scot Erigene, dans Dictionnaire de Spiritualité, VIII, ch. 737, Paris, 1973. J'ai rappelé les idées carolingiennes sur ce thème dans "Divina pagina, ratio et auctoritas", dans la théologie carolingienne Settimane di Spoleto, XXVII, 19, p. 720 et s., Spolete, 1981.

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losophie" de Boèce: "Ô toi qui diriges le monde sous ta loi immuable, toi le Créateur de la terre et du ciel, toi qui de ['éternité fait jaillir le temps ... tu enchaînes les éléments sous la loi du nombre". Si pour Abbon, l'arithmétique est le premier des arts du quadrivium, il ne peut être isolé de l'astronomie et même de la troisième branche du trivium, la dialectique 181 • Tout se tient. Pour conclure provisoirement sur Abbon philosophe, on peut, à la suite d'Eva Maria Engelen, citer ce passage que G. Duby écrivit, sans penser spécialement à Abbon: La matière et les méthodes de l'enseignement impriment très profondément dans ['esprit des savants de l' An Mil la conviction d'une cohésion et d'une harmonie essentielles entre la part de l'univers que l'homme peut appréhender par les sens et celle qui échappe à ceux-ci. Entre la nature et la surnature, point de barrière, mais au contraire des communications permanentes, d'intimes et d'infinies correspondances. A travers les mots, progressant, de leur signification extérieure vers celle de plus en plus interne, par quoi l'on s'aventure dans le domaine de l'inconnaissable, le commentaire des grammairiens et des rhéteurs, la glose qui enserre et prolonge la lecture des « auteurs », cherchent pas à pas à démêler l'écheveau embrouillé de ces relations occultes. Quant aux sciences associées du quadrivium, elles conduisent à discerner les rapports cachés qui unissent aux tons de la musique, les nombres et le cours régulier des étoiles - c'est-à-dire à saisir l'ordonnance du cosmos - c'est-à-dire à découvrir de Dieu une image moins infidè[ef9!. 8

G.R. Evans, Natural Science ... , p. 118. Duby, I.:An mil, Paris, 1963, p. 65, cité par Eva Maria Engelen, Zeit, Zahl ... , p. 1. 9 G.

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2. Les œuvres littéraires: le trivium On a coutume, avant de parler des œuvres d'un écrivain, de rappeler quelles étaient ses lectures favorites. Dans le cas d' Ab bon, c'est bien difficile tant les citations sont nombreuses et variées. Parmi les classiques il y a, comme pour beaucoup de ses contemporains, Virgile et Horace. Il les cite dans les Quaestiones grammaticales comme dans la Vie de saint Edmond1'). Mais nous trouvons également Martianus Capella, Senèque, Ciceron, Térence, Salluste, etc. De même, les classiques chrétiens sont très souvent cités, les poètes Sedulius, Prudence et évidemment les Pères de l'église, Ambroise, Augustin. Abbon avait tous ces auteurs dans la bibliothèque de Fleury, mais comme on l'a dit, il devait citer, donner les références d'après les florilèges qui se trouvaient dans beaucoup de bibliothèques depuis l'époque carolingienne12).

A. Grammaire, poésie, histoire et géographie

1. Les grammairiens

Du côté des classiques, figurent les grammairiens latins. On a dénombré plus de vingt manuscrits grammaticaux des 1x• et x• siècles contenus dans le fonds de Fleury(3). On connaissait même peut-être le grammairien irlandais Virgile auquel Abbon a donné le surnom de Tolosanus, qu'il a mal1

Cf. les références dans A. Guerreau-Jalabert, p. 320 et les chapitres 2, 5, 8, 9, 11, de la "Vie de saint Edmond" 2 A. Guerreau-Jalabert, op. cit., p. 160. 3 A. Guerreau-Jalabert, p. 180-189, le manuscrit de Berne n° 207 est un des plus ancien.

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heureusement trop longtemps gardé 141 • Abbon a beaucoup travaillé avec les grammairiens comme en témoignent ses Questiones grammaticales dont nous avons déjà parlé et qui étaient destinées aux moines anglo-saxons 151 • Peut-on dire, comme un excellent connaisseur de la littérature grammaticale de l' Antiquité tardive et du Haut Moyen-Âge, qu'elles reflètent les défauts de la grammaire du X' siècle qui "annonce, se répète, s'embrouille dans l'enchevêtrement de raisonnements creux, incapable à la fois d'échapper au pointillisme et de répondre clairement aux questions concrètes que pose, par exemple, la prononciation du latin161 ". Le jugement est sévère et le traité d' Ab bon mérite mieux. À cette époque, le grammairien latin le plus lu est Priscien, tant ses traités d'initiation, que ses ouvrages plus approfondis telles les Institutiones grammaticales. Un certain Gautbert en a fait un résumé 171 • Il avait dédié son Epitome à deux moines d'une abbaye parisienne, sans doute Saint-Germain des Prés, où Abbon avait fait un stage. Alors faut-il penser que ce Gautbert est le même que Gauzbert dont parle Aimoin, et qui avait été "bien instruit des lettres dans son enfance 181 " et qui serait également le même que l'auteur de la généalogie des grammairiens (Grammaticorum Diadoche) connue par un manuscrit d' Adhémar de Chabannes? Cela se peutl 91 • Abbon sait-il le grec? Ce n'est pas parce qu'il parle des mots grecs et les recopie qu'il faut répondre par l'affirma4

Mai, Auct. Class., V, p. 349, cité par D. Tardi, Les Epitomae de Virgile de Toulouse, Paris, 1928, p. 11. 5 Cf. Supra, p. 37. 6 L. Holtz, "Les nouvelles tendances de la pédagogie grammaticale au xe siècle", dans Lateinisches Kultur im Jahrhundert .. ., p. 173. 7 Id. p. 169. 8 Aimoin, Sermo in festivitatibus sancti patris Benedicti, Pl. 139, c 859. 9 L. Holtz, op. cit., p. 169 et Ch. Vulliez, Des écoles de /'Orléanais, p. 134.

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tive(1°J. On a supposé que le Scholasticus A. qui dit au philosophe Marinus que l'on ne trouve pas un dictionnaire de grec dans la bibliothèque était Abbon( 111 • Pourquoi pas. Dans le poème acrostiche Summe sacer, qu'il envoie à Dunstan en guise d'adieu, il rappelle qu'il avait promis de lui écrire un ouvrage que Dunstan avait demandé à un professeur de grec( 121 • Un passage d'Homere est conservé dans un manuscrit. Il peut s'agir de tllias Latinus. Qu'il y ait des manuscrits contenant du grec à Fleury est évident. Mais il ne suffit pas d'inscrire ici et là des mots en grec pour qu'il y ait un enseignement de cette langue. C'est une mode que l'on trouve ailleurs. Le renouveau de la culture grecque remarqué dans l'Empire n'a pas touché les rives de la Loire. Autre question à laquelle il est difficile de répondre: Abbon a-t-il rencontré le nestorien Ivo qui a fini sa vie à Ramsey comme le dit Guillaume de Malmesbury1 141?

2. Abbon et la poésie Comme beaucoup d'écrivains de son temps, Abbon aime versifier et comme eux, il compose des vers métriques d'une complexité de construction digne de ceux que l'on trouve à la même époque à Winchester à l'école d' Aethelwold, à Micy

1° Ch. Cuissard, "L'étude du grec à Orléans depuis le IXe siècle jusqu'au milieu du XVIIIe siècle", dans Mémoire de la Soc. Arch. et Hist. de /'Orléanais, 1883, p. 645-840. Il faut consulter cet ouvrage avec prudence, cf. Vidier, p. 41. Sur les mots grecs, cf. A. Guerreau-Jalabert, p. 60 et 96. 11 Ms. Vat. Lat. 4129 fol 1. 12 Cf. poème Summe sacer, ed. Gwara, vers 24-26. 13 P. Riché, Les grandeurs, p. 193-194. 14 Gesta pontificum, p. 319-320.

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où vivait Letald et à Rouen où le poète Garnier s'était rendu célèbre( 151 • Les traités de métrique étaient contenus dans la bibliothèque de Fleury (ms Orléans 295, 318). Les poètes classiques tel Virgile, Horace, pouvaient servir de modèle, mais Abbon semble avoir eu une préférence pour Tibulle, Stace et les Carmina figurata. Aimoin a été étonné en lisant le poème qu' Ab bon a envoyé à Otton III pour lui demander de quitter les pays slaves et venir à Rome rétablir le pape Grégoire V( 161 • Donnons le passage: À /'empereur Otton aussi il écrivit une épître en hexamètres qui ne se peut comparer à aucun des poèmes savants de ce temps. Prenant modèle sur un manuscrit de Porphyre, il prit pour thème et, en quelque sorte, pour cadre de tout l'ouvrage, ce vers: Otto, valens Cesar, nostro tu cede coturno. « Otton, puissant César, sois favorable à notre poème ». Ce vers, n'est-ce pas, se terminait par la même lettre que celle par laquelle il commençait; l'agencement était tel que ce vers, occupant lui-même le début et la fin de la pièce, était en outre placé verticalement au milieu du texte ainsi qu'en travers, formait comme une croix et constituait en plus luimême la terminaison du poème. De cette façon, il se faisait qu'on pouvait le lire six fois de façon différente et qu'il constituait les quatre côtés du rectangle formé par le texte. Dans les quatre angles se lisaient quatre mots, placés verti15

Lapidge, "The hermeneutic style in tenth Century'', dans Anglo-saxon England, 1975, p. 67. J.-Y. Tillette, "La poésie métrique latine, Ateliers et genres", dans Religion et Culture ... , p. 103 et s. Notre collègue ne parle pas d' Ab bon de Fleury. Pour Winchester, cf. M. Lapidge, "Three Latin poems from Aethelwold's school at Winchester", dans Anglo-saxon England, 1972, p. 85 et s. 16 Ed. MGH, Poet. Lat. V..

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calement; dans deux d'entre eux c'était Otton et César; dans les autres Abbon et abba, qui étaient écrits en rouge et, quoique pris isoléments ils eussent bien ce sens, leurs lettres ne se lisaient pas moins à leur place horizontalement avec les autres lettres du vers. C'est par ceux qui l'ont vue que nous avons appris que cette épître dédicatoire était composée de cette façon (Vita ch. 13). Aimoin n'a pas fait de commentaire sur les autres poèmes de son maître, les vers qui sont contenus dans les ouvrages de logique, tels le poème acrostiche sur les syllogismes catégoriques avec un épigramme sur Boèce et la poésie de 33 vers dédiés à son disciple B., c'est-à-dire Bernard de Beaulieu. D'autre part, Abbon accompagne ses traités scientifiques de vers, soit dans les extraits d'Hyginus (Harley 2506) ou dans le traité de comput dont je parlerai plus loin. Ainsi, le manuscrit de Berne 250 contient le poème de 30 vers, Ardua convexae, qui est une table en même temps qu'une action de grâce à Dieu. Un autre poème acrostiche est contenu dans un manuscrit de Londres en forme de quatre carrés séparés par des diagonales (Harley 3667, fol 7v) 1171 • Ce goût pour la versification est né assez tôt, puisque lorsqu' Abbon était en Angleterre il avait, nous l'avons dit, écrit une poésie sur l'abbaye de Ramsey et adressé des poèmes à Dunstan 118 '. Cette admiration pour Dunstan ne le quitte pas et, si Abbon avait vécu, il aurait répondu à la demande de Wulfric, abbé de Saint-Augustin de Cantorbery, qui lui avait 17

Ils sont publiés et traduits, ce qui est assez louable, par M. Lapidge et Baker "More Acrostich verses by Abbo of Fleury", dans The Journal of Medieval Latin, 1997. 18 Cf. Supra, p. 34.

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demandé de mettre en vers une Vie de Dunstan° 9J. Les disciples et successeurs d'Abbon, suivront l'exemple du poète. Nous pouvons citer le moine Tetgerius "nourri dès l'enfance des arts libéraux" et auteur d'un poème assez obscur dont E. Pellegrin donne quelques vers 1201 •

3. L'histoire et la géographie Ces deux disciplines sont étroitement liées à l'étude de la grammaire 111 • Abbon, qui a dans sa bibliothèque des œuvres de César, Salluste, Tite-Live, Heségippe, Flavius Josephe, etcl21 , a le goût de l'histoire et le donne à ses disciples. Dans la Vie de saint Edmond, il présente l'histoire et la géographie de l'East-Anglie en s'inspirant de "l'Histoire ecclésiastique" de Bede le Vénérable. Il rappelle comment la Bretagne a été partagée entre Jutes, Angles et Saxons, ces derniers recevant la partie orientale de l'ile. Alors il fait un tableau de la région où se trouve Ramsey, dont on peut donner quelques phrases: La partie orientale que j'ai mentionnée est connue, entre autres raisons, pour être baignée par les eaux sur presque tout son pourtour; en effet, à l'est et au sud-est, elle est entourée par l'océan et au nord, par d'immenses marais qui prennent leur source sur un terrain plat presque au centre de la Bretagne et, s'étendant sur un espace de cent milles et plus sont reliés à la mer par de très grands f/,euves. 19

Stubbs, Memorials, p. 409. E. Pellegrin, Bibliothèques retrouvées ... , p. 180-181. 1 P. Riché, Écoles et enseignement ... , p. 252. 2 Cf. les manuscrits BNF lat. 5724, 5763, 6085; Amsterdam U B XV Gl (81); Berne 112, 250.

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Ce pays est rendu fertile par la richesse de la terre, et la beauté des jardins et des bois le rend très agréable; remarquable pour sa richesse en gibier, il est plus qu'abondant en pacages pour les troupeaux de moutons et de chevaux. Ne parlons pas des fleuves qui abondent en poissons étant donné que, comme on l'a dit plus haut, un bras de mer vient lécher le pays et que, lorsque les marais s'enflent, d'immenses étangs y portent leurs eaux, s'étendant sur deux ou même trois milles. Ces marais offrent à de nombreux groupes de moines les havres de vie solitaire qu'ils désirent et, lorsqu'ils y sont enfermés, les ermites ne manquent pas de solitude. On compte parmi eux les célibataires cénobites de l'ordre du saint père Benoît, établis dans un endroit aujourd'hui célèbre13!.

Ainsi, il met en relation les paysages et la vie des moines. Dans la suite du livre, il expose les mœurs et mentalités des Saxons, donne des précisions sur les lieux où se passe l'histoire d'Edmond. À Fleury, Abbon s'intéresse à l'histoire de son monastère. La translation des reliques de saint Benoît au vue siècle est dans toutes les mémoires, encore faut-il en préciser les conditions et répondre à ceux qui, en Italie, mettent en doute l'événement. Cette affaire ne finit pas et ne finira pas de diviser les moines du Mont-Cassin et ceux de Saint-Benoît sur Loire. Dans sa lettre à Léon, Abbon affirme la réalité de la translation: Vous avez demandé de vous envoyer des parties insignes de très précieuses reliques du saint père Benoît, vu qu'il était absolument hors de doute que nous détenions la réalité très sainte de son corps et pour cette raison vous avez déclaré vouloir très fermement construire en son honneur un 3

Vita Edmundi, ch. 2.

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oratoiré41 ••• Lorsqu' Abbon rencontre Grégoire V, la conversation revient sur cette affaire, Grégoire demande d'avoir un récit historique précis, Abbon répond: Ensuite, vous m'avez demandé comment le corps de saint Benoît, le législateur des moines, a été transporté en Gaule alors que, sur le plan historique, son activité s'est déroulée dans les pays cisalpins; après avoir fait la lumière sur cette histoire, je n'ai pas tardé à l'envoyer au-delà des Alpes, comme vous l'avez ordonné, pour qu'on la lise et, par ce petit ouvrage, je vous ai donné satisfaction(S). S'agit-il d'un texte rédigé par Abbon lui-même ou de /'Historia translationis d' Adrevald au IXe siècle 16 l? Nous ne pouvons le dire. Mais ce qui importe, c'est qu'Abbon ait voulu "faire la lumière sur cette histoire". Enfin, sans doute à la fin de sa vie, au moment de ses voyages à Rome, Abbon rédige un abrégé du Liber pontificalis171. Les vies des différents papes sont présentées dans des notices assez brèves, dans lesquelles sont indiqués le pays et la famille du pape, la date de sa mort, le lieu de sa sépulture et la durée de la vacance. Les notices sont plus longues lorsqu' Abbon parle des papes qui se sont opposés à l'empereur byzantin. Le P. Louis-Marie Gantier a étudié avec une grande minutie la façon dont Abbon a procédé en comparant pour chaque notice le texte du Liber Pontificalis et celui de l'abrégé. Je le cite: Abbon ne se livre pas aveuglément à l'inspiration du moment. À l'évidence, il connaît bien l'ensemble du Liber 4

Lettre à Léon n° 15. Lettre à Grégoire V n° 4. 6 A. Vidier, Historiographie, p. 151. 7 PL 139, 535-570; cf. Cousin, op. cit. p. 226. 5

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Pontificalis avant de se lancer dans son travail. Il s'est donné des principes pour éliminer plus ou moins systématiquement tel thème ou telle formule, pour résumer les passages inutilement bavards, pour reconstruire parfois de façon plus logique, pour rendre la langue plus conforme à la grammaire classique, pour choisir les organes-témoins les plus représentatifs, les plus concis et les plus conformes à son dessein de condenser le texte tout en retenant ce qui est le plus digne d'intérêt. Armé de ces principes et de son excellente pratique du latin, Abbon avance sans rigidité, avec souplesse, en laissant place à une part d'improvisation contrôlée. Le résultat n'est pas une suite d'extraits décousus, mais un texte agréable, continu, complet en lui-même et qui prétend bien dispenser du recours à l'original malgré une concision parfois excessives. La source est globalement respectée, l'essentiel de l'information est repris. C'est pourtant une œuvre autre, non seulement abrégée, mais discrètement réécrite et adaptée qu'Abbon transmet à la postérité. C'est même un texte plus unifié que sa source. Plus unifié dans la structure des notices, grâce aux reconstructions et aux quelques ajouts de formules habituelles lorsqu'elles manquaient. Plus unifié aussi, lorsque la vision d'ensemble de l'œuvre prend le pas sur le détail de chaque notice, ce qui se lit surtout dans la suppression de certaines redites entre notices diverses: ce qui contente le styliste mais ne peut qu'inquiéter l'historien. Quel métier d'historien possède donc Abbon? Est-il à la hauteur de son talent d'écrivain? À cette question, le P. Gantier répond en examinant les motifs du choix d' Abbon, dicté certainement par ses préoccupations politiques et religieuses. Ceci dit, on ne peut nier

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qu' Abbon fait preuve de sérieux et de compréhension dans la translation de sa source et n'est pas dépourvu de sens critique face à ses incohérences internes ou aux divergences qu'elle montre. Très justement, le P. Gantier dit qu'il faut comparer la méthode suivie par Abbon à celle de son disciple Aimoin. En effet, c'est sur l'ordre d'Abbon, qu'Aimoin a commencé d'écrire une histoire de France, les Gesta Francorum; écoutons le: j'ai obéi à tes ordres en exerçant mon petit génie... à réunir en un seul corpus et sous une forme latine plus correcte, l'histoire de la nation franque et de ses rois, dispersée dans bien des livres et écrite dans une langue grossière. En bon disciple de l'abbé lettré, Aimoin veut soigner son style. Comme d'autres historiens de l'époque, tel Richer de Reims, il commence son histoire par une présentation de la Gaule et de la Germanie, un tableau des coutumes des Gaulois et Germains, en utilisant les écrits de César, Pline et Orose. Aimoin choisit ses sources, utilise volontiers le Liber Historiae francorum dont la bibliothèque de Fleury possède un manuscrit (Vat. Ottob. lat. 663). Son récit de vie de Clovis a été étudié dernièrement00'. On a remarqué qu'Aimoin avait été un des premiers à utiliser Hincmar, l'histoire de la sainte colombe apportant le saint chrème et ainsi à renforcer la thèse du sacre royal de Reims au ve siècle. Ceci dit, les qualités d'historien d' Aimoin sont indéniables en tenant compte de la littérature de ce temps. Écoutons R.H. Bautier: 8 L.-M. Gantier, Abregé du Liber Pontificalis dans Encyclopédie bénédictine (Maredsous) Brepols 2004. 9 PL 139, c. 627. 10 Pascale Bourgain, "Clovis et Clotilde chez les historiens médiévaux des temps mérovingiens au premier siècle capétien'', dans Clovis chez les Historiens, BEC, t. 154, 1996, p. 72-78.

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Sans doute Aimoin recourt-il essentiellement à quelques ouvrages fondamentaux: le Liber historiae Francorum, Grégoire de Tours, le Pseudo-Frédégaire, les Gesta Dagoberti, mais il leur combine de nombreuses autres sources que Christiane Le Stum a admirablement réussi à identifier et à mettre en valeur dans son excellente thèse d'École des chartes de 1976 et dont elle a entrepris la révision définitive en vue de l'impression. Il s'agit évidemment du Liber pontificalis ainsi que de /'Historiae Langobardorum et de /'Historia Romanorum de Paul Diacre, de même évidemment, que les Miracula sancti Benedict; mais il recourt aussi au Liber de gloria martyrum de Grégoire de Tours, à Orose, aux Dialogues de saint Grégoire, aux Moralia in Job et à de très nombreuses vies de saints (saint Ambroise, saint Jérôme, saint Hilarion, saint Remi, saint Séverin, saint Vaast, saint Loup, saint Éloi, saint Maur. .. ), sans parler de réminiscences ou de références à Pline l'Ancien et à Térence. L'auteur ne se contente pas de pratiquer des emprunts à ces source; il les combine en faisant de cet assemblage de mosaïque un récit personnel qui, comme déjà Karl Ferdinand Werner l'avait souligné, ne retient que ce qui est essentiel, sans se priver parfois de faire connaître les opinions divergentes des différents auteurs qu'il suit. Il cite ses sources et parfois les critique, émet des jugements personnels et il a même des préoccupations archéologiques quand il se réfère à la « maison de Brunehaut» qu'il a vue lorsqu'il se rendit aux confins du Berry et de l'Auvergne et, mieux encore, quand il signale des ruines romaines à Casseuil sur la Gironde1111 • 11 R.-H. Bautier, "L'école historique de l'abbaye de Fleury d'Aimoin à Hugues de Fleury", dans Histoires de France, historiens de la France, Actes du colloque international de Reims, 1993, Société de l'histoire de France, Paris, 1994, p. 63. R.-H. Bautier utilise les résultats de la thèse de Christine Le Stum qu'il a dirigée, Aimoin de Fleury, Historia Francorum, École de Chartes, 1976.

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Malheureusement, le livre s'arrête à l'année 653, après la fondation des monastères de Jouarre et Rebais, Aimoin ayant été sans doute occupé à d'autres travaux. Quoi qu'il en soit, cette œuvre historiographique de Fleury suscitée par Abbon est très importante, d'autant plus qu'ailleurs, à Reims et à Sens, d'autres chroniqueurs écrivaient eux aussi des histoires de France 1121 • Les Gesta francorum ont été connues en Limousin puisqu' Adhémar de Chabannes utilise un manuscrit pour écrire les Chroniques 1131• Les Gesta francorum sont à l'origine des Grandes chroniques de France écrites à Saint-Denis. Nous sommes au début de l'historiographie officielle du royaume. Pour Fleury, l'élan est donné: en 1033, Helgaud écrit une Vie de Robert le Pieux 1141 • Abbon a encouragé ses élèves à s'intéresser à l'histoire locale. Le moine Adrevald au IXe siècle avait commencé à écrire les Miracles de saint Benoît. À la fin du xe siècle, après une période creuse, le goût pour l'histoire réapparaît. Le moine Thierry, qui séjourna un moment à Fleury, récolte des documents qui lui permettent d'écrire l'Illation de saint Benoît, c'est-à-dire le récit du transfert des reliques pendant les invasions normandes 051 • Aimoin poursuit l'exposé des Miracles de saint Benoît (tome II et III) et fait l'histoire des trente premiers abbés fleurisiens. C'est ce que nous dit André, le biographe de Gauzlin, André de Fleury: Et pour ne moissonner que quelques gerbes parmi tant d'autres, il en est un de cette curie de sénateurs qu'on doit à juste titre signaler parmi les tout premiers de l'ordre manas12

Cf. H.H. Kortum, Richer von Saint-Remi Stuttgart 1985 Adhémar de Chabannes - Chronique, ed. P. Bourgain, Corpus Christia'!orum, cont. mediaevalis, CXXIX, Turnhout, 1999, p. LXIII. 14 Editée par R.-H. Bautier et G. Labory. 15 A. Vidier, op. cit. p. 170 et s., la préface du nouvel l'éditeur A. Davril. 13

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tique, Aimoin. D'une éloquence brillante, il rédigea un livre intitulé Gesta Francorum. Il composa aussi à la louange de saint Benoît un discours qui brille de belle façon par l'intercalation de vers: rassemblant là les déclarations des pères, ses prédécesseurs, qui portent témoignage que son mérite doit être tenu pour l'égal de celui des patriarches, il a constitué le très précieux trésor de ses miracles. Enfin, à la demande personnelle de notre vénérable pasteur, il a publié avec une éloquence pleine de rhétorique les récents miracles du même père. Ledit Aimoin, reprenant la plume pour écrire les gestes des trente abbés qui dirigèrent ce couvent de Fleury, les mena jusqu'à l'abbé Abbon déjà nommé; et de sa plume, il grava aussi dans la mémoire de ses successeurs le récit du martyre de cet abbé. 116 ) Cette biographie dont j'ai déjà parlé, est redisons-le, de très bonne qualité, puisque Aimoin, non seulement utilise ses souvenirs personnels mais cite des documents. Il manifeste lui aussi le goût des descriptions géographiques, en particulier dans le chapitre consacré au voyage d'Abbon à La Réole et donne une description assez précise du monastère et de ses environs: Le monastère de La Réole, dédié à Dieu en l'honneur du Prince des apôtres, est placé sur une colline. Cette colline, sur trois côtés, à l'Est, au Nord et à l'Ouest, est entourée d'autres collines. D'autre part, au Sud, elle est coupée par le fleuve, la Garonne, et par le ravin à pic de la vallée. A l'Est, entre elle-même et une autre colline, se trouve une vallée très étroite à travers laquelle coule une source que les habitants appellent Moselle. De la même façon, à l'Ouest, elle est baignée par le cours rapide d'une autre source qui a pour nom 16

André de Fleury, Vie de Gauzlin ... , p. 35.

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la Meuse. On pense que ces noms leur ont été donnés par les Francs que Charlemagne y avait installés pour défendre la province. Ce n'est pas loin de là, en effet, à trois milles environ, que se trouve le palais de ce grand prince, Chesseneuil, là où ce même empereur laissa sa femme enceinte, la mère de Louis le Pieux, pendant qu'il menait une expédition contre les Sarrasins en Espagne. C'est ce qu'écrit Eginhard, l'auteur de la Vie de Charlemagne, et nous y avons fait une très brève allusion dans le livre des miracles du saint père Benoît. Le site de La Réole, en raison de cette disposition, n'ouvrait pas facilement accès aux ennemis si, vers le Nord, un petit plateau ne lui était pas adjacent. Le fondateur du municipe ou, selon certains, de la cité, barra ce plateau par une tour construite en pierres de taille qui maintenant ne présente plus que les vestiges de ses ruines. Nous ne sommes pas habitués, aux• siècle, à une telle préc1s1on.

B. Rhétorique et dialectique 1. Rhétorique

Entre grammaire, poésie, histoire et rhétorique, la frontière est incertaine. S'il faut croire Aimoin, son maître n'a pas approfondi l'étude du deuxième art du trivium, "Il lut... à cause de son éloquence rhétorique Victorinus que Jérôme, traducteur de la loi divine, se glorifie d'avoir eu pour précepteur" (ch. 3 ). Marius Victorin us, rhéteur romain avait commencé les Topiques de Cicéron et traduit des traités de dialectique d'Aristote et de Porphyre. Certains de ses traités

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se trouvaient dans la bibliothèque de Fleury (BNF, n.a.l. 1611, Berne 338, 207). D'autres ouvrages de rhétorique étaient représentés: Quintillien (Berne 351) et Cicéron le De republica (Orléans 633). Au sujet de ce livre, il faut citer une lettre à Constantin, vers 986. Ce dernier étant sur le point de quitter Fleury pour Reims, Gerbert écrit: "Puisses-tu avoir comme compagnon de route les petits ouvrages de Cicéron soit la «République» soit les « Verrines», soit tout ce que le père de l'éloquence romaine a composé pour défendre tant de gens" 0 J. Abbon avait à sa disposition des recueils de correspondance dans lequel il pouvait trouver des modèles, telle la correspondance de Loup de Ferrières (BNF lat. 2858). La lecture de ses lettres nous permet de constater qu'il n'a pas oublié les leçons des anciens. 11 bis) Abbon sait écrire dans un latin sans doute plus classique que celui de ses devanciers carolingiens, il sait composer une lettre avec des préambules soignés et même un peu maniérés. Citons celui de la lettre 8 et celui de la lettre 10. Dans la première, écrite à l'abbé Gauzbert de Saint-Julien de Tours, il s'excuse de s'en prendre à des hommes pervers alors qu'il aurait voulu étudier le comportement des bons: "j'avais l'intention d'étudier les goûts et les comportements des hommes de bien, après les avoir étudiés, de les imiter et en les imitant, de les décrire, mais nullement de rechercher la satire pleine de vices des mauvais et l'ayant découverte de l'exposer en la déplorant à grands renforts de larmes, etc.". 1

Lettre 86, ed., Correspondance de Gerbert, t. 1, p. 205. T. Hage, "Mündliche und Schriftliche Rede. Ein Beitag zur rhetorischen Kompetenz des Abbo von Fleury" dans Frümittelalterlichen Studien, 35, 2001, p. 273-292 1 bis

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Dans la lettre 10, écrite à un évêque inconnu à propos du serment, le philosophe et le savant s'expriment: L'utilité de la connaissance des lettres se reconnaît à la difficulté des problèmes dont le vulgaire, dans l'incapacité de les dénouer, s'efforce de rechercher la solution auprès de celui qui sait, pour autant toutefois que quelque doute concernant les choses dont ils n'ont pas entendu parler, puisse effleurer les ignorants. En effet, si pour tout ce qui a une réalité dans le monde physique, on se pose la question de son existence, de sa nature et du pourquoi et du comment des choses - et même le vulgaire ignorant ne manquerait pas de se poser de telles questions -, il est certain que pour ce dont on ignore tout, on ne se pose pas de question. Or, la philosophie exerce son action même sur ce qui n'a pas de réalité physique, si bien que rien ne lui échappe, ni dans le domaine naturel, ni dans le domaine moral, là où elle mène de subtiles investigations. On pourrait aussi citer le début de sa lettre à Odilon de Cluny (lettre 7). L'éloquence d'Abbon s'exprime également dans les traités qu'il adresse aux grands personnages que sont les rois, car il veut mettre son style en rapport avec l'importance des correspondants. Son "Apologétique" est un beau morceau de rhétorique. Il aime convaincre en avançant les arguments, en allant au-devant des objections 121 • Il se montre alors un bon dialecticien car comme Cicéron et Quintillien, il voit dans la dialectique un auxiliaire de l'art oratoire.

2

A. Guerreau-Jalabert, op. cit., p. 135.

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2. La dialectique L'étude de la troisième branche du trivium avait été négligée au 1x• siècle en dehors que quelques auteurs, car on estimait que cette étude provoquait une dérive vers l'hérésie( 3l. Au contraire, dans ce que j'appelle la "troisième renaissance carolingienne", la dialectique est mise à l'honneur. Gerbert d'Aurillac à Reims enseigne la dialectique, nous dit Richer, et écrit même un traité "sur le raisonnable et l'usage de la raison". Mais cette dialectique, que d'aucuns estiment dans son enfance, n'est-elle pas surtout une logique formelle? On reste à la définition d'Isidore de Séville, reprise par Raban Maur: "la dialectique est la discipline inventée pour raisonner des causes de toutes choses ... Elle enseigne comment distinguer par la discussion la vérité de l'erreur41 ". Reprenons le passage de Richer, dans lequel il parle de l'enseignement de la dialectique à Reims: Gerbert élucida la dialectique en parcourant dans l'ordre que voici, les livres suivants: il commença par l'Ysagoge ou Introduction de Porphyre d'après la traduction de Victorinus le Rhéteur et aussi d'après celle de Manlius; puis il expliqua le traité d'Aristote sur les Catégories ou Prédicats. Il exposa ensuite de façon précise le contenu du traité "Peri Hermeneias", c'est-à-dire "De l'interprétation". Il enseigna enfin à ses auditeurs les Topiques, c'est-à-dire les fondements des preuves que Cicéron a traduites du grec en latin et dont le consul Manlius a donné un commentaire en six livres(S).

3

P. Riché, Écoles et enseignement ... , p. 261 et s. Isidore de Séville, Étymologies, 11, 22. 5 Richer, Histoire de France, III, 46, ed. Latouche, t. II, p. 55.

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Les quatre livres forment l'essentiel de ce qu'on appelle la logica vetus. On les retrouve dans la bibliothèque de Fleury. A. Guerreau-Jalabert a repéré onze manuscrits de dialectique(6l. Dans le manuscrit d'Orléans 277 et dans celui de Leyde (Voss, F70) nous avons les quatre ouvrages. En plus, Fleury possédait les chapitres d'Isidore de Séville, de Martianus Capella et d' Alcuin sur la dialectique, mais aussi les Catégories du pseudo-Augustin et celles d'Aristote traduites par Boèce. C'est d'ailleurs dans le manuscrit d'Orléans 277, qui garde cette traduction, que nous avons le dessin, voire la caricature d' Abbon. Mais ce qui est nouveau, c'est que nous trouvons d'autres traités de Boèce: les "syllogismes catégoriques" et les "syllogismes hypothétiques". Boèce, en effet, avait écrit le De syllogismo categorico en deux livres, en complément du De interpretatione, traduit d'Aristote. Il avait également écrit une Introduction ad syllogismos categoricos d'après Porphyre, puis en deux livres le De hypotheticis syllogismis qui s'inspirait d'Aristote et de Porphyre et enfin de De topicis differentiism. Les œuvres de Boèce étaient venues d'Italie et furent recopiées à Constantinople entre 522 et 526 par Novatus Renatus en Orient, puis à une époque inconnue, elles repartirent en Occident et se trouvaient en France du Nord au milieu du xe siècle. C'est alors qu' Abbon les découvrit.

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A. Guerreau-Jalabert, op. cit., p. 189-193. P. Courcelle, Les lettres grecques en Occident de Macrobe à Cassiodore, Paris 1943, p. 264 et N.-J. Green, The tradition of the Tapies in the Middle Ages. The Commentaries on Aristote's and Boethius Tapies, Munich-Vienne, 1984.

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Ainsi Abbon a écrit le libellus de propositionibus et syllogismis categoris, le libellus de propositionibus et syllogismis hypotheticis et peut-être l' Excerpta isagogarum et categoriarum, sous forme de dialogue entre un maître et un élève. Ces traités se trouvent parmi les œuvres de Boèce dans les manuscrits d'Orléans, de Paris, de Leyde 181 • En les étudiant attentivement, on pense qu' Ab bon s'est repris à plusieurs fois pour les écrire et les a corrigés. Aimoin dit simplement que son maître "a dénoué de façon très claire certaines difficultés des syllogismes dialectiques" (ch. 3). Le traité, assez court, sur les "syllogismes catégoriques" est dédié à son "fils" B., c'est-à-dire Bernard de Beaulieu (ms Orléans 1277). Il n'offre pas beaucoup d'originalité. Au contraire, celui qui traite des syllogismis hypotheticis présente, surtout du moins dans sa deuxième partie, des nouveautés par rapport à Boèce. Abbon organise son texte de façon plus didactique. Il utilise Cassiodore, Isidore de Séville, Cicéron et montre les liens entre ce dernier et Boèce 191 • Abbon a aimé les raisonnements syllogistiques jusque dans ses lettres. Pour prendre deux exemples, dans sa lettre sur le serment, il dit que "tout ce qui vient du diable est mauvais. Or il ne faut recourir à rien de mauvais. Donc il ne faut pas recourir à rien qui vienne du diable et tout mensonge vient du diable. Or, il n'est 8 Cf. M. Mostert, The Library, BF 275, 726, 1089, 1256. 9 En dehors de l'article de Van de Vyver, "Les œuvres inédites ... ", il faut renvoyer à R. Raes, Abbonis Floriacensis opera inedita, Bruges, 1960, qui utilise les papiers de Van de Vyver et surtout l'excellente édition et traduction de F. Schupp du De Syllogismis hypotheticis, Leyde, 1997. Ce collègue a fait une intervention au colloque du CNRS de 2002: "La logique d' Abbon de Fleury, quelques questions historiques et systématiques". Pour les Excerpta ... , cf. l'édition de G. d'Onofrio dans Corpus christianorum, cont. mediev., n. 120, Turnhout, 1995.

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aucun mensonge qui soit bon. Donc rien qui vient du diable n'est bon ... ". Ou bien à la fin de sa lettre à l'abbé Gauzbert, il écrit: "Enfin ceci dit, j'ai conçu sur cette affaire une proposition conditionnelle, celle dont sont faits les syllogismes qui découlent des antécédents des conséquents et des contraires, à savoir que, si ta charité n'a pas obtenu satisfaction, qu'au moins l'autorité puisse t'amener à trouver la conclusion indispensable". Tout ceci est sans doute un jeu d'intellectuel. L'essentiel est qu' Ab bon ait redécouvert les traités de Boèce et les ai exploités. Avec lui, encore plus qu'avec Gerbert, l'étude de la logique renaissait en Occident1101 • Même si les traités d' Abbon ont eu peu de diffusion, ceux de Boèce dont il s'est inspiré, furent recopiés à Chartres (manuscrit 100), à Echternach (BNF, lat., 1127) et ailleurs. Notker de SaintGall (mort en 1022) semble avoir traduit en langue germanique les "Syllogisme hypothétiques". Au xue siècle, Abélard et Gerlandus utiliseront Boèce et Abbon sans nommer ce dernier.

C. Abbon exégète Dans sa Vie de Robert le Pieux, le moine de Fleury, Helgaud, dit: "Abbon avait le cœur plein des précieuses fleurs des saintes Écritures'', et qu'il avait transmis son trésor à son disciple Gauzlin 111 • De fait, les citations bibliques ne manquent pas dans les écrits d' Ab bon. Le contraire étonnerait de la part d'un bénédictin. Abbon n'hésite pas, pour appuyer

°

1 Cf. le jugement de L. Minio Paluello, "Nuovi impulsi alla studio delle logica. La seconda fase della riscoperta di Aristotele e di Boezio", dans La scuola ne/le Occidente latino dell'Alto Medioevo, Settimana di Spoleto, xix, p. 760, Spolete 1972. 1 Helgaud, Vie de Robert, ed. R.-H. Bautier et G. Labory, ch. 25.

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sa condamnation de ceux qui envahissent les biens d'église, de citer à la file cinq passages de l'Ancien Testament (lettre 14 ). Cet Ancien Testament est autant utilisé que le Nouveau. Le Pentateuque et sa législation, les livres sapientiaux ont sa préférence. Abbon donne l'exemple de personnages bibliques: Abraham, Moïse, Helie, Abigael. Une fois du "Cantique des Cantiques", il cite les petits renards qui ravagent les vignes. Pour le Nouveau Testament, l'évangéliste Mathieu et saint Paul ont la priorité. Dans la Vie de saint Edmond, les références et citations ne manquent pas. Prenons les, chapitre par chapitre. Préface: Apocalypse 20, 5. Ch. 1: Michée 2, 5; Ps. 77, 55. Ch. 4: Math. 10, 16; Nombres 21, 22; Deuter. 2, 27; Eccles. 32, 1. Ch. 5: Job 1, 11; Isaïe 14, 14; Jérémie 1, 14; Apocal. 20, 4. Ch. 8: Math. 6, 24. Ch. 9: Math. 26, 67; Prov. 26, 23. Ch. 10: Math. 27, 31; Ps. 65, 10. Ch. 12: Nombres 22; Daniel 9,23; 10, 11; 14, 30 et 59. Ch. 15: IV Rois 6, 18; 1 Cor. 6, 4; Ps. 50, 19 et 67,

36; Prov. 24, 11. Ch. 16: Rom. 1, 28. Ch. 17: Apocal. 1, 28; !saie 26, 10. Ce simple relevé dispense d'autres commentaires. Mais il y a plus, Abbon est intéressé par les méthodes exégétiques d'où cette curieuse lettre à Odilon de Cluny (lettre 7). Dans son adresse, il se met sur le même plan que son cor-

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respondant: À monseigneur Odilon, à jamais vénérable, père de la communauté de Cluny, Abbon revêtu bien qu'indigne de la même dignité abbatiale, serviteur des serviteurs du Christ. Abbon dit avoir rencontré à plusieurs reprises Odilon, soit à Fleury, soit à Saint-Denis. C'est là qu'un moine clunisien lui a posé des questions sur la concordance des Évangiles. Nous sommes certainement après 994, puisque Mayeul prédécesseur d'Odilon, est mort à cette date en allant réformer le monastère de Saint-Denis à la demande d'Hugues Capetl21 • Odilon a-t-il voulu reprendre ce projet? Nous l'ignorons. Ce frère "de très bonne volonté à ce qu'il m'a semblé, attentif et disposé à s'instruire, s'est enquis de la répétition de nombres semblables dans le sens vertical qui apparaissaient assez fréquemment dans les canons des Évangiles". Abbon n'a pas pu lui donner de réponse immédiatement "en partie à cause de sa difficulté, en partie car le lieu et le temps ne se prêtait pas à traiter une affaire de cette nature". Revenu à Fleury, il donne la solution et la présente à Odilon et au moine clunisien. Pour la résoudre, il s'appuie sur le traité d'Augustin: De consensu Evangelistarum. Ce dernier s'était inspiré d' Ammonius, un alexandrin du me siècle et d'Eusèbe de Cesarée (IV siècle). Abbon cite également longuement une lettre de Jérôme à Damase et un passage des Étymologies d'Isidore de Séville (VI, 15, 4). Abbon avait donc entre les mains cette synopse qui permettait de lire ensemble et de comparer les textes des quatre évangiles concernant un même récit. Il compare cette synopse à un livre que tout abbé connaissait, la Concordia regularum de Benoît d'Aniane. Chaque évangile est divisée en sec2

Cf. Infra, p. 141.

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tions: Mathieu 355, Marc 233, Luc 342 et Jean 232, et l'ensemble en dix canons. Mais alors que Jérôme et Isidore ne considèrent que deux nombres (numéros des sections et numéros des canons), Abbon ajoute ce qu'il appelle l'aera131 • Pour exposer le système, il donne comme exemple la prédication de Jean-Baptiste. Souhaitons que le moine ait bien compris ce qu' Abbon lui a envoyé.

3. Les œuvres scientifiques: le Quadrivium Les quatre branches du quadrivium: arithmétique, géométrie, astronomie et musique, complètent avec le trivium le programme des arts libéraux. À l'époque carolingienne elles n'étaient pas oubliées. On recopie les classiques Martianus Capella, Pline l'Ancien, Boèce, Isidore de Séville, etc. Les princes s'intéressent à l'astronomie, souvent confondue avec l'astrologie, et demandent aux savants des explications sur les phénomènes célestes, particulièrement les éclipses qui impressionnent toujours. Les maîtres proposent aux élèves des calculs plus ou moins compliquésl 1 ).

A. Intérêt nouveau pour les sciences Au milieu du xe siècle, l'intérêt pour le quadrivium reprend. Dans le dialogue entre Pafnuce et ses élèves, Hrosvitha de Gandersheim donne une définition du quadrivium, ce qui peut être curieux dans une pièce de théâtre(2). 3

Cf. Cousin, op. cit., Annexe V. 7. Je remercie mon ami Gilbert Dahan pour les remarques qu'il m'a envoyées. 1 P. Riché, Écoles et enseignement .. ., p. 267-268. 2 Hroswita, Théâtre, ed. M. Goullet, Paris, 1999, p. 187.

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Grâce aux traductions arabes, l'intérêt pour le quadrivium va croître. Le meilleur exemple est celui de Gerbert qui passe trois ans en Catalogne et s'initie aux sciences, ce qui lui permet par la suite de les enseigner à Reims avec succès. Son disciple Richer nous renseigne sur ses cours en astronomie, en musique, sur la construction de sphères et du monocorde et sur celle d'un abaque qui permet de faire très rapidement les multiplications et les divisions 131 • En cette fin du xe siècle et début du XIe siècle, les traités de Boèce sont très souvent recopiés et commentés. Un certain Constance, moine de Luxeuil nous dit avoir copié du 13 au 24 juin 1004, la géométrie de Boèce 141 • Un commentaire du de arithmetica est conservé dans deux manuscrits de cette époque à Leyde et au Vatican(3). A Echternach sont copiés des traités de Boèce et d'Hygin 161 • Rothard, moine de SaintVanne de Verdun, recopie le de arithmetica que l'on trouve dans la bibliothèque de Lobbesm. On y trouve également des ouvrages concernant l'astrolabe, la musique. Heriger, abbé de Lobbes en 990, commente l'abaque à la suite de Gerbert. Un autre moine, Adelbold, est en relation epistolaire avec Gerbert à propos de la géométrie et commente le passage de

3

P. Riché, Gerbert ... , p. 45 et s. et J.-Y. Guillaumin, Introduction à l'édition de Boèce, Institution arithmétique, p. LVII-LVIII. 4 Manuscrit Berne 87. 5 1. Carazzo, "Un commento alto medioevale de arithmetica di Boezio", dant Bulletin du Cange, 2000, p. 114-150. 6 J. Schroëder, Bibliothek und Schule der Abtei Echternach um die jahr tausendwende, Luxembourg, 1977. 7 F. Dolbeau, "Un nouveau catalogue des manuscrits de Lobbes au xie et xiie siècle", dans Études augustiniennes, 1978 et 1979. 8 Regulae numerorum super abacum, ed. N. Bubnov, Gerberti Opera ... p. 205.

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la "Consolation de philosophie" relatif aux nombres( 91 • Près de Lobbes, à Liège, vers 1017, d'anciens élèves de Fulbert de Chartres s'échangent des lettres à propos de la géométrie et de l'astrolabe 110l. Ascelin d' Augsbourg, lui aussi un ancien élève de Chartres, s'intéresse également à l'astrolabe 111 l. Dans cette Germanie, Bern de Reichenau, ancien élève de Fleury, travaille sur le comput. Fromond de Tergernsee (1012) copie l'arithmétique de Boèce1121 . Signalons que Gerbert envoie à Otton III un manuscrit de De Institutione arithmetica de Boèce et que cet ouvrage est également la possession de Bernward d'Hildesheim. C'est le Liber mathematicalis conservé au trésor de cette ville. Même en France méridionale, on n'échappe pas à l'intérêt pour les sciences, puisque Adhémar de Chabannes, qui d'ailleurs était en relation avec Fleury, se pose des questions sur la date de Pâques en utilisant les œuvres de Bede le Vénérable113). Bien plus dans le catalogue de la Bibliothèque du Puy au début du XI" siècle, on trouve quatre abaques et des commentaires sur l'instrument, un astrolabe, la lettre d' Adelbold à Gerbert sur la géométrie, le traité d'Hygin. À Nevers à la même époque, un livre de géométrie avec figures, un abaque, un astrolabe(1 41 • Tout cela pour dire que ni Gerbert ni Abbon ne sont des

météores dans un ciel vide. Revenons donc au cas d' Ab bon. 9

P. Riché, Écoles et enseignement ... p. 270 Id. p. 376. 11 Cf. Burnett, "Chartres comme centre de diffusion des mathématiques et de l'astronomie au xie et xiiie siècle", dans Le temps de Fulbert, p. 91 et S. 12 Pour la Germanie, cf. aussi le manuscrit de Munich 13084 qui vient de St-Emmeran de Ratisbonne. 13 H. Taviani-Carozzi, "An mil et millenarisme ... Le Chronicon d' Adhémar de Chabannes", dans Gerberto d'Aurillac de Abate di Bobbio ... p. 799. 14 P. Riché, "Un catalogue de la bibliothèque du Puy au début du XIe siècle", dans Mélanges Favier, Paris 1999, p. 700 à 713. 10

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B. Les traités d'Abbon Abbon n'a pas eu, comme Gerbert, la chance d'aller en Catalogne, mais il doit sans doute son intérêt pour les sciences à son passage à Reims où il a rencontré des disciples de Remi d'Auxerre et où il a connu ses commentaires à Martianus Capella. En fait, il a surtout bénéficié des manuscrits qui se trouvaient dans la bibliothèque de Fleury, tel le Berne 207 et particulièrement ceux de Boèce. Il a pu trouver dans le De arithmetica de Boèce cette affirmation: celui qui néglige les quadruples voies, le quadrivium, laisse échapper tout le savoir philosophique 1151 . Dans sa biographie (ch. 3 ), Aimoin dit que son maitre agença à la façon des tables des cycles, les calculs divers et ingénieux du comput et mit aussi par écrit, pour en donner connaissance à la postérité, les traités qu'il avait composés sur la course du soleil, de la lune et des planètes. C'est un peu court. Il nous faut recourir aux traités laissés par Abbon. La difficulté est que ces traités sont contenus dans différents manuscrits, au milieu d'autres œuvres scientifiques. Prenons l'exemple du manuscrit de Londres (Harley 2506): après une prière il donne le traité d'Hygin sur l'astronomie, quelques vers, puis un ouvrage d' Ab bon, une prière et d'autres traités scientifiques d' Ab bon, un extrait de !'Histoire naturelle de Pline, un autre de Macrobe, un passage du chapitre de Martianus Capella sur l'astronomie, de nouveau Pline, Macrobe, Aratus, le Liber prognosticorum, les canons de Ptolémée, de nouveau Martianus Capella, les Rationes abaci, et le commentaire sur le livre VIII de Martianus Capella de Remi d'Auxerre1 161. 15 16

Boèce, Institutio arithmetica, ed. J.Y. Guillaumin, p. 8. Cf. M. Mostert, The Library ... , BF. 380.

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Heureusement, certains manuscrits tels celui de Berlin (Staats. 138, Phill. 1833) ou de Cambridge (Trinity College 945) nous donnent un certain nombre de traités d' Abbon. Il a fallu la patience et l'érudition de Van de Vyver qui, dès 1935, a su repérer les œuvres scientifiques d' Abbon jusqu'ici oubliées( 17l. Commençons par la première branche du quadrivium, l'arithmétique, qui est à la base de toutes les sciences.

C. L'arithmétique C'est Boèce qui, dans la "Consolation de Philosophie" et dans son De arithmetica, met après d'autres, la science arithmétique à la première place. Boèce ne faisait que reprendre après d'autres le verset du livre de la Sagesse (XI, 21): tu as ordonné toute chose avec mesures, nombres et poids. Boèce dit encore que tout découle de l'arithmétique: la géométrie présente le développement linéaire des nombres, l'astronomie apprend que le rythme du temps et les constellations reposent sur les chiffres, la musique est la science des intervalles et des rapports entre les tons. Les manuscrits du De arithmetica sont très nombreux aux 1x· et x· siècles. On les trouve à Bobbio, à Echternach, à Reims ... On le trouve à Fleury (BNF lat. 6401) avec des gloses(ts).

17 Pas un mot d'Abbon dans La science antique et médiévale, ed. Taton, Paris, 1957, ni même dans l'exposition Les Arts libéraux. Porte de la sagesse au Moyen-Âge, Université Paris VII, Denis Diderot, 2000. Par contre, cf. l'article de C. Frovo, cité dans la bibliographie. 18 Cf. l'introduction de J.Y. Guillaumin, p. LXV et s. et M. Mostert, The Library, BF 1083.

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On comprend qu' Ab bon ait commencé ses recherches scientifiques en commentant le traité du computiste carolingien Helperic (début du xe siècle), puis celui de Victorius d' Aquitaine 1191 • Il y travailla avant son départ à Ramsey comme il le dit à la fin des Quaestiones Grammaticales: «Tai assez parlé de cela dans le petit livre "sur le nombre, la mesure et le poids", que j'ai écrit autrefois sous la contrainte des prières de mes frères sur le "Calculus" de Victorius » 120!. Victorius d'Aquitaine est un auteur latin qui vivait au moment des invasions wisigothiques, soit au V siècle. Il était surtout connu pour son traité de comput pascal, mais son Calculus n'est pas négligeable. C'est une introduction à l'arithmétique dans laquelle il apprend à faire multiplications et divisions mais aussi étudie tout ce qui regarde la science des nombres dans les différentes disciplines, les mesures, les poids. Comme Abbon le dit dans sa préface, Victorius a voulu que le lecteur puisse multiplier la somme des nombres, les diviser ou qu'il fasse quelque chose dans les arts qui se rapportent à la science des nombres, comme l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie, mais il dépasse la teneur proprement dite du traité pour se lancer dans les digressions sur différentes questions philosophiques. À partir de nombreuses lectures, celle de Macrobe, Chalcidius, Martianus Capella, Boèce évidemment, Abbon en dehors de la partie technique (tableaux de proportions numériques et subdivisions des nombres), de la théorie des fractions, du nombre parfait, du comput digital, parle des nombres de la clepsydre d'eau, de la division du monocorde,

19

Cf. M. Huglo, "D'Helisachar... ", p. 220-225.

°Ch. 50, ed. A. Guerreau-Jalabert, p. 274.

2

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Computus vulgaris qui dicitur Ephimeris. Manuscrit de Berlin Staatsbibl. Preussischer Kulturbesitz Phil/. 1833 fol. 38 v.

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de la musique et, comme nous l'avons dit plus haut, il expose ses idées sur la philosophié 1l. De ce traité important, nous n'avions jusqu'ici que l'édition de la préface, mais l'ensemble vient d'être donné par M.-A. Peden 122 l, à partir des sept manuscrits qui ont été conservés, ce qui pour Abbon est très appréciable 123 l.

Un traité sur l'abaque? Dans la conclusion d'un manuscrit du commentaire sur le Calculus, on trouve ces trois vers: Apportez maintenant de l'eau car nous avons assez mangé. Celui qui se déverse en larmes reçoit ici les joies de la moisson Ici Abbon l'abbé, le maître dans l'enseignement de l'abaque se retire pour se reposer (Hic abbas abbaci doctor dat se Abbo quieti). (ms Bruxelles 10094) Ailleurs Byrhtferth, le disciple anglo-saxon d' Abbon, parle de règles d' Abbon sur l'abaque. De plus, une figure d'abaque est dessinée dans le manuscrit d'Oxford Saint-John' College 17 au fol. 35 r 124l. Qu'Abbon se soit intéressé à l'abaque 21

Cf. Van de Vyver et surtout G.-R. Evans et A.-M. Peden, "Natural science" ... 22 Dans la collection de la British Academy, Univ. de Glasgow, 2002. 23 M. Huglo, op. cit. p. 221, et M. Mostert dant "Gerbert d'Aurillac, Ab bon de Fleury... ". p. 412. 24 Sur les abaques, cf. W. Bergmann, Innovationen im Quadrivium des 10 und 11 ]ahrhunderts Studien zur Einfurhrung von Astro/ab und Abacus, Stuttgart, 1985. Cf. aussi G.-R. Evans "Difficillima et ardua, Theorie and Pratice in Treatises on the abacus 950-1100", dans Journal of Medieval History, 1977, p. 21-39, et du même auteur, "Schools and Scholars. The Study of the abacus in English Schools 980-1150", dans The English historical Review, 1979, qui aux pages 87-89 analyse le manuscrit de Londres, "Harley 2506".

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n'est pas étonnant1251 • D'autres le font, Remi d'Auxerre dans son commentaire sur Martianus Capella, plus tard Walter de Spire vers 970 dans son Libellus scholasticus, décrivent cet instrument. Mais c'est surtout Gerbert qui est célèbre pour avoir fait confectionner un abaque. Richer de SaintRemi la décrit avec admiration, Gerbert d'autre part, adresse à son disciple Constantin une longue lettre sur les règles de l'abaque 126 l. Or, cette lettre figure dans deux manuscrits de Fleury, Paris BNF lat. 6620 et lat. 8663. Pour compléter cet aperçu de l'œuvre arithmétique d'Abbon, signalons qu'il a laissé des explications sur les fractions de l'Uncia (ms de Londres BL, Add. 10 972). Il commentait les traités de Volusius Maetianus que la bibliothèque de Fleury possédait et dont déjà Bède le Vénérable s'était inspiré et aussi, semble-t-il, un ouvrage d'Héric d' Auxerrei2 7l.

D. L'astronomie Si Abbon a négligé un peu la géométrie, d'ailleurs très liée à l'arithmétique, par contre, il a consacré une grande partie de son œuvre à la troisième branche du quadrivium. C'est une science qui intéresse non seulement les savants, mais les princes et qui bien souvent est confondue avec l'astrologie. Pourtant, Isidore de Séville ou Raban Maur se sont efforcés de distinguer l'étude raisonnée des phénomènes célestes et les croyances plus ou moins superstitieuses128 ). 25

Sur l'abaque d' Ab bon, cf. Van de Vyver, op. cit p. 138 et Ch. Burnett, "Abbo's abacus'', dans Colloque du CNRS 2002. et Bubnov, Gerberti Opera ... p. 199-203 26 Sur l'abaque de Gerbert, cf. G. Beaujouan, "L'abaque du pseudoBoèce", dans Autour de Gerbert ... , p. 323-328. 27 F.-A. Jeldham, "Notations of fractions in early Middle Age", dans Archeion, 1937, p. 313-329. 28 P. Riché, Écoles et enseignement, p. 2 72; sur l'astrologie, cf. infra, p. 118

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- Intérêt pour l'astronomie à la fin du X' siècle Il n'est pas nouveau, car à l'époque carolingienne des recherches ont été entreprises à ce sujet, en témoignent les enquêtes demandées par Charlemagne en 809, les œuvres de Dicuil et la copie des manuscrits des Phénomènes d' Aratos, dit Aratea 129J. Grâce à l'apport de la science arabe et aux traductions des livres de Maslama, l'étude de l'astronomie progresse à la fin du x• siècle. Gerbert, pendant son séjour en Catalogne, a peut-être vu un astrolabe. À Reims, il initie ses élèves à l'astronomie en faisant construire des sphères armillaires pour étudier les étoiles et leurs courses, et des sphères pleines pour représenter la terre. Il emmène même ses élèves, nous dit Richer de Saint-Remi, observer le ciel étoilé pendant les belles nuits de Reims. Il a des disciples, Constantin sans doute, mais aussi un certain frère Adam à qui il envoie en 989 une lettre dans laquelle il explique les règles qu'il a trouvé dans Martianus Capella pour déterminer les levers et couchers du soleil (lettre 153). Plus tard à Magdebourg, il construit un horologium, c'est-à-dire un nocturlabe, pour connaître les heures pendant la nuit. Gerbert est resté en relation avec les savants catalans, puisqu'il demande à Lobet de Barcelone sa traduction d'un traité sur l'astronomie (lettre 24). Est-ce un commentaire sur l'astrolabe, on en discute(301. Cet instrument, nous l'avons dit plus haut, intéresse les clercs de Liège et d' Augsbourg. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer l'œuvre d'Abbon en astronomie. 29 W.-M. Stevens, "Astronomy in Carolingian schools", dans Charlemagne and his heritage 1200 Tears of Civilization and Science in Europe, ed. PL. Butzer, Brepols, Turnhout, 1997, p. 417 et s. Cf. aussi, J.-C. Mc Cluskly, Astronomies and Cultures in early Medieval Europe (Cambridge University Press), 1998. 30 E. Poulie, "L'astronomie de Gerbert'', dans Gerberto ... , p. 597,617.

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- L'astronomie à Fleury Les moines de Fleury, du moins les plus curieux, scrutent le ciel. Dans les "Annales de Fleury", on note le passage des comètes (864), l'arrivée d'une étoile qui émet un rayon le 23 juin 905, un dragon qui parcourt le ciel (956) et autres phénomènes célestes. Cela se retrouve ailleurs. On a supposé qu'une "horloge stellaire" avait été faite à Fleury. Ce texte associe les informations astronomiques, le calendrier liturgique et l'aménagement des bâtiments monastiques. Connaissant la position des astres, les moines pouvaient déterminer l'heure des offices nocturnes qui variaient selon les saisons. Cette horloge indique la position des astres à partir du réfectoire, du dortoir et surtout de l'église(31l. La bibliothèque de Fleury est riche en classiques sur l'astronomie. Le poeticon astronomicon d'Hygin, en plusieurs exemplaires, les livres de Pline l'Ancien, de Macro be, le livre VIII de Martianus Capella, les Aratea, le Preceptum canonis de Ptolemée traduit du grec au VIe siècle, le De natura rerum d'Isidore de Seville, les livres de Bède le Vénérable, authentiques ou attribués à lui, tel le De signis caeli qui est un catalogue d'étoiles et des tables empruntées au corpus des Computs132 l. Abbon se plonge très tôt dans ces ouvrages.

3t Cf. A. Davril, La vie des moines ... , p. 308 et E. Palazzo, "Le calendrier liturgique et l'espace monastique du Moyen-Âge. L'horologium stellare monasticum (xie siècle), dans Le Calendrier, ed. J. Le Goff, J. Lefort et P. Mane, Paris, 2002, p. 37-43. 32 Ch.-W. Jones a fait une remarquable étude des Bedae Pseudepigrapha en indiquant tout ce que l'on attribuait à Bede et qui est d'Abbon.

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- Les écrits d' Abbon Aimoin a été malheureusement très discret lorsqu'il parle des traités de son maître. "Il mit par écrit pour en donner connaissance à la postérité les traités qu'il avait composés sur la course du soleil, de la lune et des planètes" (ch. 3). Plus loin, au chapitre 7, il dit qu' Abbon a "rédigé les calculs de comput après avoir fait connaître les mesures de la course du soleil et de la lune", et encore, au chapitre 13, "il a corrigé les cycles des années de l'incarnation du Seigneur depuis le début même du Verbe incarné jusqu'à son propre temps suivant le témoignage vrai des Évangiles et il les a poussés jusqu'aux années 1595 environ". À partir de là, il faut rechercher les écrits d'Abbon. C'est ce qu'à fait Van de Vyver en étudiant particulièrement le manuscrit de Cambridge (Trinity College 945). Il donne la liste de ce qu'il appelle les "petits traités d'astronomie" d' Abbon. Après un catalogue d'étoiles d'origine carolingienne, on trouve d'abord Sententia Abbonis de differentia circuli et sperae. Ce traité a été édité par R.B. Thomson en 1985, ainsi qu'un autre traité, De duplici signorum ortu vel occasu, où l'on trouve sept vers sur les différentes zones de la terre. On reparlera de cela à propos de la mappemonde "dite" d'Abbon. Dans ce manuscrit, on trouve également le De cursu VII planetarum per zodiaca cum circulum, le De quinque circulis mundi, dans lequel Abbon cite des vers des Georgiques de Virgile. Puis un horologium, qui comme bien d'autres traités d' Abbon avait été attribué à Bède le Vénérable, quelques textes qui ne semblent pas d' Ab bon, et enfin les extraits et commentaires du poème d'Hygin De figuratione signorum.

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Van de Vyver a établi que les Sententia et le De cursu étaient les premières œuvres d' Abbon et que celles qui suivaient avaient été écrites en Angleterre. Nous avons vu comment son disciple Byrntferth a bien profité de son enseignement1331 • On a pu même préciser exactement la date d'un traité. En effet, dans le De ratione sperae, Abbon commence par reprendre à Pline la théorie des planètes, puis à Bede leur localisation, puis à Macrobe la durée de leur révolution et dans les tables il fixe la position de l'une d'elle à mars 978°41 • Abbon poursuivra et complèta le traité d'abord en 982, puis par la suite. L'ouvrage le plus important d' Ab bon en matière d'astronomie est son "Comput", appelé dans un manuscrit Computus vulgaris qui dicitur Ephemerida(35 1• Il se présente en deux parties. La première s'ouvre par un calendrier lunaire avec la liste des nombres d'or, et il lui a accolé sept séries de lettres lunaires qui lui permet d'établir différentes tables de son comput. On a longtemps pensé qu' Ab bon avait redécouvert le nombre d'or, c'est-à-dire l'indication du cycle decennovennal (cycle lunaire de 19 ans), mais il semble bien que déjà Hucbald de Saint-Amand l'avait redécouvert( 361 • On se rappelle qu'Hucbald avait été professeur à Reims au début du xe siècle et qu' Abbon devait venir dans cette école quelques années après. Mais ce qui paraît être une invention d' Abbon est le calendrier perpétuel et ses nombreuses tables autrefois 33

Cf. supra, p. 35. Van de Vyver, op. cit, p. 146. 3s Il doit faire prochainement l'objet d'une édition de P. Verbist. Sur les manuscrits, cf. M. Mostert, "Gerbert d'Aurillac, Ab bon de Fleury" ... , p. 414. 36 Cf. Van de Vyver, "Hucbald de Saint-Amand et l'invention du nombre d'or", dans Mélanges A. Petzer, Louvain, 1947, p. 61-79. 34

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attribuées à Bède. La première parle du comput, s'achève par des emprunts aux encyclopédies carolingiennes. La deuxième partie s'ouvre sur quelques tables pourvues d'explications. L'une d'entre elles parle de l'année 982. Puis vient l'allusion à Denys le Petit, "ce romain qui composa des tables pascales avec une merveilleuse brièveté". Abbon pense déjà à réfuter le calcul de Denys concernant la date de Pâques.

- La critique de l'ère dionysienne La fixation de la date de Pâques a donné lieu au début du christianisme à bien des débats. Même après le concile de Nicée, qui avait apaisé les conflits, il y eut des difficultés entre le comput d'Alexandrie et celui de Rome, au sujet du calendrier lunaire, les uns utilisant le cycle de 19 ans, les autres celui de 84 ans. En 525, Denys le Petit fit adopter le système alexandrin par Rome et établit des tables qui fixaient la naissance du Christ, donc le début de l'ère chrétienne en 754 ab urbe condita (depuis la fondation de Rome)' 37l. Ce comput fut introduit en Angleterre et adopté par Bède le Vénérable dans son traité De temporum ratione de 725. Si Bède s'était intéressé à ce sujet, c'est qu'à l'époque il y avait divergences entre les irlandais et les anglo-saxons. Le comput de Bède, donc de Denys, se généralise dans tout l'Occident. Or, Abbon manifesta son désaccord. On peut penser que son intérêt pour l'établissement de la date de l'Incarnation venait de cet an mille qu'il savait approcher, et dont il avait déjà entendu parler dans sa jeunesse à Paris. 37

Cf. E. Poulle, Deux mille ans environ (scéance publique de l'Académie des Inscriptions et Belles lettres, 26 nov. 1999).

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Abbon se rendit compte de la faiblesse du comput en usage, lorsqu'il s'aperçut que le 27 mars, jour de la résurrection du Christ, ne tombait pas un dimanche de l'année 35 dyonisienne. Il fallait trouver une autre date pour Pâques et pour la naissance du Christ, mort à 33 ans 1381 . Très tôt Abbon s'attelle à cette recherche et en bon bénédictin, joint à l'étude de la date de la mort du Christ, celle de la mort de saint Benoît. Reprenant les tables lunaires, il établit que l'année 13 était la seule qui convienne à la Passion du Christ, donc que Denys avait fait naître le Christ vingt ans trop tard. Le Christ serait donc né en 734 ab urbe. Abbon reprit par la suite cette question après l'an mille. Il écrivit deux lettres à ses disciples Geraud et Vital1 39 1, Geraud, nous l'avons dit, est inconnu, Vital serait un moine breton. Seule une des lettres est jusqu'ici éditée. Mais l'on constate une modification de son calcul. Le Christ étant mort dans la 34' année de sa vie, l'année 13 du cycle de Denys correspond avec l'année 34, il y a donc une avance de 21 ans. Ceci est dit dans la première lettre datée de 1003. Dans la lettre suivante, en 1004, il revient au chiffre de 20 ans. Certains ont mis ces incertitudes au compte des erreurs de scribes. Il est intéressant de savoir que le problème du début de l'ère chrétienne retient l'attention, à la même époque, du savant Hériger de Lobbes, le disciple de Gerbert, que nous avons mentionné plus haut. Dans une lettre adressée à un nommé Hugo, il rejette lui aussi la chronologie de Denys au nom de la veritas Evangeli, mais lui démontre que Denys a 38 Cf. Cousin, op. cit., p. 76 et s. et surtout Peter Verbist, "Computational Accuracy of style Christian Era", dans Time and Eternity. The medieval Discourse (lnst. mediev. Research X), Leeds, 2002. 39 A. Cordoliani, "Abbon de Fleury, Heriger de Lobbes ... ", avec l'édition de la première lettre et Van de Vyver, op. cit, p. 154 et s.

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placé la date de l'incarnation sept ans trop tard. Sa lettre doit être de peu postérieure à la publication des "Actes du concile de Saint-Basle" par Gerberti 40 l. Le calcul d'Hériger devait être repris par Gerland de Besançon au xiie siècle. Quant à celui d' Ab bon, il fut adopté par Marian us Scottus en 1073 et par la suite en Angleterre. Jusqu'à la fin de sa vie, Abbon s'intéressa à la question puisque, nous dit Aimoin, alors qu'il se trouvait dans le cloître du prieuré de la Réole, peu de temps avant d'être assassiné, Abbon faisait encore des petits calculs de comput (Vita ch. 20). Mais s'agissait-il du comput pascal? - L'astrolabe

Pour compléter la présentation des travaux d' Ab bon sur l'astronomie, il faut revenir sur la question de l'astrolabe si débattue de nos jours. Abbon a-t-il connu cet instrument ou du moins les commentaires qui auraient été rédigés en Catalogne et qui sont contenus dans le fameux manuscrit Ripoll 225? En 1989, Arno Borst a découvert des fragments d'un manuscrit de Constance qui reprend des textes de Ripoll et qui aurait été écrits à Reichenau après 1008 1411 • Or, il pense que ces fragments sont écrits d'après un modèle apparu à Fleury vers 995 dans l'entourage de Constantin. Le disciple d'Abbon et de Gerbert aurait été le promoteur des recherches sur l'astrolabe. Ajoutons que le moine Stabilis de Micy, abbaye où s'installa Constantin, était en correspondance 40

À la fin de sa lettre éditée par A. Cordoliani, Hériger fait une allusion à une hérésie et mentionne "le seigneur Gerbert qui cite un concile de Tolède". 41 A. Borst, Astro/ab und Klosterreform an der ]ahrtausendwende, Heidelberg, 1989. Cf. Ch. "Burnett, L'astronomie à Chartres au temps de Fulbert", dans Le temps de Fulbert .. ., p.94.

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avec Ascelin d' Augsbourg. Ce dernier lui avait demandé des explications sur l'astrolabe (Ms de Chartres 21, olim 173). On a pensé qu'Ascelin avait initié Hermann de Reichenau qui écrivit le De mensura astrolabilis. Enfin, n'oublions pas que Bern, futur abbé de Reichenau avait été élève d' Abbon. Toutes ces hypothèses sont séduisantes mais, hélas, aucun des écrits d' Ab bon retrouvés jusqu'ici ne porte sur l'astrolabe. - La mappemonde dite d' Abbon Mais revenons sur terre et pour finir parlons de la mappemonde dite d' Abbon. La mappemonde d' Abbon est dessinée dans le manuscrit de Berlin (Staats. 138 Phill. 1833). Le savant avait des modèles de mappemonde, celle de Théodulf qui avait été abbé de Fleury au ixe siècle et qui se retrouve dans un manuscrit de Ripoll du xe siècle, mais aussi celles qui se trouvent dans le De natura rerum de Isidore de Séville, dans les Eymologies (Berne 101, fol 119, v. 212, 224, 249, 417) et celle du pseudo-Bède De signis coeli (BNF lat. 5543). Le folio 39 du manuscrit de Berlin présente plusieurs éléments1421: la mappemonde proprement dite, avec un texte explicatif et en bas des extraits de Macrobe touchant la théorie de la pluie tombant sur toutes les parties de la terre et un autre passage sur la sphéricité de la mer. La carte dessine les zones climatiques: septentrionale froide, septentrionale tempérée donc habitable, équatoriale torride, australe tempérée et australe froide inhabitable. L'océan entoure la terre mais également la zone torride, le reflux de l'océan produisant les 42 Cf. P. Gautier-Dalché, "Mappemonde dessinée à Fleury vers l'an mil'', dans Autour de Gerbert d'Aurillac .. ., p. 3-5.

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Mappemonde de Fleury dite d'Abbon. Manuscrit Berlin Staatsbibl. Preussischer Kulturbesitz Phil/. 1833 fol. 39 v.

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marées. Dans la zone tempérée froide sont dessinés maladroitement trois continents, Europe, Asie, Afrique, les mers intérieures qui séparent ces continents et l'on a marqué quelques noms, Riphées, Scythie, Caspienne, Euxin, Méotide, Asie mineure, Asie la grande, etc. Dans les îles de la Méditerranée, on trouve Gades, Corse, Sicile, Crète, Chypre et celles de l'océan, Hibernie, Bretagne, Thulé. Sont indiquées aussi quelques grandes villes dont Jérusalem et Rome. - L'astrologie Avant de passer à la quatrième branche du Quadrivium, la musique, demandons-nous si Abbon n'a pas été tenté par l'astrologie, souvent confondue avec l'astronomie 143 1, toutes les deux étant considérées comme les deux faces d'une même discipline. L'étude des signes du zodiaque (ziodiologia), des phases de la lune (lunaria), donnait lieu à des pronostiques positifs ou négatifs. Il y avait dans la bibliothèque de Fleury des ouvrages d'astrologie tel le Corpus Alchambri philosophi. Dans le manuscrit BNF lat. 7518, on trouve une traduction médiévale des textes astrologiques faite sur l'hébreu, dans le manuscrit BNF n. acq. 1616, on note la possibilité d'un présage lors de la cinquième lune. Dans le manuscrit londonien Harley 3017, l'étude de la position des planètes donne lieu à des commentaires astrologiques. La Mathesis de Firmicus Maternus (IV siècle) est contenue dans le manuscrit BNF lat. 1311, et la sphère de Petoriris est à Fleury comme dans d'autres bibliothèques de l'époque1441 • 43

Cf. D. Juste, "L'astrologie à Fleury aux alentours de l'an mille", dans Colloque du CNRS, 2002. 44 Van de Vyver, "Les plus anciennes traductions latines médiévales (xe et xie siècle) des traités d'astronomie et d'astrologie'', dans Osiris, 1936, p. 658-691.

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Ceci dit, Abbon a-t-il été personnellement attiré par l'astrologie? La réponse est difficile à donner, mais comme on le voit dans toute son œuvre, Abbon fait appel plus souvent à la raison que Dieu a donnée à l'homme, comme d'ailleurs le faisait Gerbert. N'oublions pas que dans sa lettre aux rois, /'Apologétique, il écrit: "Suis-je par hasard, Dieu qui change les esprits, qui change les royaumes et le temps. ]'avoue en vérité que j'ignore la magie et que je n'ai appris aucun des arts maléfiques" 1451 • On me dira qu'astrologie et magie ne sont pas semblables, mais la réflexion d'Abbon méritait d'être citée.

- Et la musique? Le dernier art du quadrivium n'avait pas été délaissé à l'époque carolingienne. De nombreux traités de théorie musicale avaient été écrits à partir du livre IX de Martianus Capella ou du De musica de Boèce. Entre 875 et le début du xe siècle sont écrits le De harmonica de Reginon de Prüm et le De musica d'Hucbald de Saint-Amand qui, n'oublions pas, enseigne à Reims quelque temps avant la venue d' Abbon 1461 • La moniale Hrotsvita de Gandersheim (deuxième moitié du xe siècle) dans sa pièce de théâtre "Paphnuce" présentait une explication de la musique céleste et donnait des renseignements sur les accords et les sons 1471 • Gerbert, à Reims, construisait un monocorde, commentait le De Musica de Boèce et avait écrit un traité sur "la mesure des tuyaux d'orgues". 45 46 47

Cf. Infra, p. 150 Cf. P. Riché, Écoles et enseignement ... , p. 275. Hrotsvita, Théâtre, ed. M. Goullet, p. 187-189.

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Abbon, nous dit Aimoin, a reçu des leçons de théorie musicale à Orléans et il avait dû payer fort cher le maître. Qu'en a-t-il retenu? Il pouvait trouver dans la bibliothèque de Fleury la présentation de la musique par Martianus Capella. Les manuscrits de Berne 36 et de BNF lat. 8663, gardent des textes musicaux. Mais Abbon a-t-il lui-même écrit sur la musique? Récemment, Michel Huglo a supposé que le petit traité théorico-pratique, traité anonyme, Du/ce ingenium musicae, réédité en 1987 par M. Bernhard, pourrait être restitué à Abbon( 481 • Nous attendons la démonstration. Quant à Constantin, réputé pour ses connaissances musicales, il les doit sans doute aussi bien à Abbon qu'à Gerbert d'Aurillac. La médecine ne fait pas partie du quadrivium. Pourtant les traités médicaux ne manquent pas à Fleury, le moine chargé des malades n'est pas le seul à les utiliser. Mais à notre connaissance, Abbon ne semble pas être intéressé à cette discipline, à la différence de Gerbert.

48

Cf. M. Huglo, "Gerberto teorico musicale", dans Gerberto d'Aurillac da abbate di Bobbio .. ., p. 226, note 18.

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Conclusion Dans l'état actuel de la recherche, il faut saluer l'important travail scientifique d' Abbon et noter ses qualités pédagogiques. Le savant a multiplié, comme il se doit, les tables et figures en les reprenant quelquefois à ses prédécesseurs. Le manuscrit de Berlin nous donne tout un ensemble de tables et de textes fort remarquables. Abbon résume le résultat de ses calculs dans des petits poèmes acrostiches ou simplement mnémotechniques. C'est d'ailleurs dans ces poèmes qu'apparaissent des professions de foi. Car à la différence de son disciple Byrhtferth, qui dans son Enchiridion n'hésite pas à s'engager dans des développements théologiques, Abbon est très discret dans ce sens. Nous ne trouvons pas chez lui l'équivalent du dessin d'un manuscrit de l'Enchiridion (Oxford St-John College 17): un ensemble de losanges et de cercles regroupant les quatre éléments, les quatre saisons de la nature et de la vie humaine, les quatre points cardinaux et au centre Adam, image du monde et de l'homme harmonieusement dessinéei 491 • Abbon est un grand savant qui se passionne pour toutes les disciplines des Arts libéraux. Mais il ne s'enferme pas dans sa bibliothèque et dans sa cellule. C'est un homme d'action qui, dès son élection comme abbé, défend les intérêts des monastères, collectionne les textes canoniques en leur faveur, et engage le combat qui doit le mener à «l'exemption romame».

49

Cf. la reproduction dans A. Crepin, "Lettres et chiffres ... ", p. 17.

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Diagramme de Byhtferth. Manuscrit d'Oxford St John College 17 fol. 7 v, XIe siècle (ce manuscrit contient aussi des œuvres scientifiques d'Abbon)

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Abbon dirige son abbaye, travaille parmi les livres de la bibliothèque et apparaît comme le grand savant de son époque, mais il doit en même temps défendre les intérêts de son monastère contre les ambitions des clercs et des laïcs. Il a la protection des souverains, Hugues Capet et Robert mais redoute Arnoul, l'évêque d'Orléans tout puissant, qui a autorité sur les églises de son diocèse. Lorsque ces deux hommes, doués d'une riche personnalité, se rencontrent, il y a conflit. Pendant six ans, jusqu'en 994, Abbon se défend de différentes façons.

1. Situation de l'Église de France - Arnoul d'Orléans A. Église et royauté Lorsque dans les années 987-988, Abbon est élu abbé et Hugues Capet roi de France, où en est l'Église? Depuis les temps carolingiens elle est étroitement liée au pouvoir royal et dans les principautés du royaume aux grands aristocrates qui les dirigent. Le roi dans le nord du royaume, les grands dans leurs principautés nomment les évêques et les abbés. Ceux-ci doivent partager leur temps entre leur charge pastorale et le service du prince. Ils sont convoqués à la cour et 127

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sont quelques fois chargés de missions administratives et diplomatiques. Mais ils en tirent des bénéfices. L'Église de France est matériellement puissante. Évêques et abbés disposent d'immenses domaines qui jouissent de privilèges d'immunité. Rois et princes ont des responsabilités religieuses: ils sont abbés laïcs de grands monastères. Hugues Capet est comme son père, abbé des gardiens de la chape de Saint-Martin de Tours, de Saint-Germain des Prés, de SaintDenis, Corbie, Saint-Jean de Laon, Saint-Remi de Reims (avec l'archevêque), Saint-Corneille de Compiègne, SaintAignan d'Orléans, etc. Le comte de Flandre possède SaintBertin, Saint-Amand, Saint-Vaast, Saint-Pierre de Gand, le duc de Normandie est maître de Saint-Wandrille, Jumièges, Fécamp, etc. Les rois et les princes attendent des évêques, qui sont souvent leurs vassaux, le conseil et l'aide. Conseil pour la gestion de leur domaine, aide pour lutter contre leur ennemis. Par contre, aux promesses du sacre, le roi promet de "conserver à chacun des évêques le privilège canonique, la loi et la justice qui leur sont dûs et de les défendre autant qu'il le pourra avec l'aide du Seigneur comme il est juste que le roi agisse en son royaume envers chaque évêque". On le voit l'entente entre roi et évêque est, semble-t-il, parfaite. Et le pape dira-t-on? Il est loin. Depuis 962, après la restauration de l'Empire, la Papauté est plus liée aux empereurs qu'aux rois et princes. Mais lorsque l'empereur n'est plus à Rome, l'aristocratie de la ville tente de prendre la place. Saint Pierre est toujours révéré et l'on va en pèlerinage sur sa tombe. Si son successeur est objet de critiques, celui qui repose au Vatican semble toujours vivant. Les églises de Gaule revendiquent comme fondateurs les disciples du Christ

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ou des Apôtres, Pierre d'abord, saint Martial à Limoges, saint Julien au Mans, saint Austremoine à Clermont111 • Par contre, les évêques ont peu de relations avec le détenteur du pouvoir pontifical, sinon lorsqu'un archevêque souhaite avoir le pallium ou lorsqu'ils viennent en pèlerinage à Rome, ils réussissent à obtenir du pape quelques privilèges pour leur église. C'est le cas d'Arnoul d'Orléans en 981.

B. Arnoul, évêque d'Orléans Originaire de l'Orléanais, Arnoul était issu d'une grande famille et possédait beaucoup de biens121 • Son oncle Ermenthée avait été évêque d'Orléans mais s'était retiré en 963 à l'abbaye voisine de Saint-Mesmin de Micy. Il s'était arrangé pour que son neveu lui succède. Le népotisme était alors courant.

A. L'ami du roi Arnoul était un remarquable évêque. Tous les chroniqueurs, même ceux qui lui sont hostiles, sont d'accord sur ce point: "Il se distinguait par les évêques de Gaule par la qualité de son élocution et son talent oratoire" (Richer de Saint-Remi). "Il était aussi noble par sa naissance que par sa haute sagesse" (Raoul Glaber). Même Aimoin, qui pourtant aurait pu être sévère, écrit: "Arnoul, véritable homme 1 Cf. M. Sot, "La Rome antique dans l'hagiographie épiscopale", dans Roma antica ne! Medioevo Settimana ... di Studio, Mendola 1998, Milan 2002. 2 Sur Arnoul, cf. l'article de A. Prévost dans D.H.G.E., p. 181, tome I, 616-617 et celui de P. Riché dans Bulletin de la société archéologique et historique de /'Orléanais, 1998, p. 18-22.

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de bien et aussi versé dans la connaissance des lois et de la discipline ecclésiastique qu'exact à les observer"(31• Assez tôt, Arnoul devint l'ami du duc Hugues, le futur roi. En 975, il réussit à se faire restituer l'abbaye Saint-Jean, mais surtout il accompagna Hugues dans son voyage à Rome en 981. Il servait même d'interprète dans la conversation avec l'empereur Otton Il. Bien plus, par sa présence d'esprit, il empêcha que le duc ne passa pour un fidèle de l'empereur. En effet, à la fin de l'entretien, l'empereur demanda son épée. Hugues voulut la prendre. Il aurait ainsi fait figure de fidèle. Arnoul alors s'en saisit et marcha derrière l'empereur. Richer, qui raconte cette anecdote écrit: «Sa sagacité et sa finesse firent l'admiration du roi qui souvent par la suite, raconta avec éloge ce trait à ses amis" 141 • Arnoul revient non seulement avec cette gloire mais avec une bulle pontificale pour Saint-Mesmin. Hugues Capet et sa femme Adélaïde restent en relation étroite avec Arnoul. En 987, pour demander la guérison de leur fils Robert, ils offrent à Sainte-Croix d'Orléans un crucifix d'or et un vase d'argent 151 • Quelques mois après l'avènement d'Hugues Capet, ce dernier fait couronner son fils Robert, âgé de 15 ans, dans la cathédrale Sainte-Croix. Orléans devient la deuxième capitale du royaume. Raoul Glaber célèbre cette ville en recherchant l'origine de son nom: Cette ville était anciennement, comme aujourd'hui, la principale résidence des rois de France, à cause de sa beauté, de sa population nombreuse, et aussi de la fertilité de son sol

3

Richer, Histoire de France, IV, 52. Raoul Glaber, Histoires, III, 5, Aimoin, Miracula s. Benedicti, Il, 19. 4 Richer, Histoire de France, III, 85, ed. Latouche, t. II, 107. 5 Cf. L. Theis, Robert le Pieux, p. 27 et 96, qui hésite sur la date.

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et de la pureté des eaux du fleuve qui la baigne. C est de ce fleuve, la Loire, qu'elle tient aussi le nom qu'on lui donne: on l'appelle Aureliana, c'est-à-dire Ore Ligeria, parce qu'elle est située au bord des rives de ce fleuve; cette dénomination ne lui vient pas, comme quelques-uns le croient sans réflexion, d'Aurélien Auguste, qui l'aurait fait bâtir, mais bien plutôt du fleuve, comme nous venons de le dire, explication qui s'adapte à cette ville avec plus de justesse et de vérité. Le même Raoul raconte l'incendie qui, en 989, ravage la moitié d'Orléans et célèbre sa reconstruction par l'évêque: Devant le désastre qui frappait son siège et la désolation des peuples dont il avait la garde, il prit le plus sage parti: il réunit des moyens considérables et entreprit aussitôt de réédifier de fond en comble les bâtiments de la grande église, qui avait jadis été consacrée en l'honneur de la Croix du Christ. Alors que lui et tous ces collaborateurs poussaient activement l'ouvrage commencé afin de l'achever au plus tôt de façon magnifique, il fut favorisé d'un encouragement divin manifeste. Un jour que les maçons, pour choisir l' emplacement des fondations de la basilique, sondaient la solidité du sol, ils découvrirent une grosse quantité d'or. Ils la jugèrent certainement suffisante pour couvrir tous les frais de la reconstruction du sanctuaire, malgré son importance. Ils prirent cet or découvert par hasard et le portèrent tout entier à l'évêque. Celui-ci rendit grâce au Dieu tout-puissant pour le présent qu'il lui faisait, le prit et le confia aux surveillants des travaux avec /'ordre de le consacrer intégralement à la construction de l'église ... C'est ainsi que non seulement les bâtiments de /'église épiscopale gagnèrent à cette restauration une splendeur nouvelle, mais encore, sur le conseil de

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l'évêque, les édifices de toutes les autres basiliques, dédiées à la mémoire de différents saints, furent reconstruits plus

beaux que les anciens, et le culte y fut rendu à Dieu mieux que partout ailleurs; la ville elle-même se regarnit bientôt de maisons d'habitation, et le peuple, enfin purifié de sa corruption avec l'aide de la clémence divine, se ressaisit d'autant plus vite qu'il avait sagement accueilli ses misères comme la punition de ses fautes 16J. B. Richesse de /'évêque Le temporel de l'évêque est très grand? Nous en avons une idée par le diplôme que Louis V, le lendemain de son sacre, concéda à Arnoul et dont nous donnons quelques extraits: Qu'il soit porté à la connaissance de tous les fidèles de la sainte église de Dieu, tant présents que futurs que venant vers nous, vénérable homme Arnoul, humble évêque d'Orléans, présenta à nos regards des décisions de nos prédécesseurs, le sérénissime empereur Charles, notre grand-père, /'excellentissime roi Louis et notre père, l'illustre roi Lothaire, décisions confirmant à cette église la possession perpétuelle de tous ses biens. Il nous supplia et nous implora pour que, selon la coutume ancestrale, nous confirmions ces mêmes biens à cette même église par un précepte analogue. Accédant à cette demande qui était justifiée et qui nous était agréable, nous avons décidé de le faire. Les biens que cette église possède actuellement sont: le monastère Saint-Euverte d'Orléans, le monastère SaintLiphard de Meung-sur-Loire, avec les biens qui dépendent de cette abbaye en Ponthieu, en Maconnais et en Provence, à savoir en Ponthieu, la ville de Raye avec toutes ses dépen6

Raoul Glaber, op. cit. II, 5.

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dances; le monastère de Micy-Saint-Mesmin et la Chapelle Saint-Mesmin près des murs d'Orléans, à Orléans, les monastères de Saint-Pierre en Pont et de Saint-Pierre le Pue/lier, le monastère Sainte-Croix de Jargeau, le monastère Saint-Avit d'Orléans, la «cella» de Saint-Privé, celles de Saint-Pierre de Thoury, de Saint-Saturnin, de Sainte-Marie de Dry, de Sainte-Marie Fabricata, de Saint-Jean, de SaintMarceau, de Saint-Martin de Cravant, de Saint-Martin près des murs d'Orléans, de Saint-Laurent, de Saint-Gervais, de Saint-Sigismond en Beauce; de Saint-Laurent-des-Vignes, de Saint-Serge, de Bucy, de Beauchamp, d'Escrennes, de Mareau-aux-Prés, de Pressigny avec tous les biens dépendant de ces monastères et de ces cellae. 171 Robert en 991 confirme tous les biens accordés par les rois à l'église Sainte-Croix. Le temporel de cette église est très grand. Arnoul est tout puissant, non seulement comme évêque mais comme abbé de différentes églises, Sainte-Euverte, Saint-Avit. Il intervient dans la vie de Saint-Mesmin de Micy. C'est une force qu'il faut respecter. C. Premiers conflits

Abbon n'est pas de cet avis. Dès le début de son abbatiat, il veut défendre les intérêts de son abbaye comme l'avait déjà fait son prédécesseur Oylbod. En effet, au moment des vendanges, l'évêque avait envoyé ses hommes dans le Clos de la Bourie, près d'Orléans, propriété des moines. Ceux-ci prenant les reliques des saints Maur et Frogent sur leurs épaules vinrent faire déguerpir les gens de l'évêque (Mirac. II, 19). 7

Recueil des actes de Lothaire et Louis V, ed. E Lot et L. Halphen, Paris, 1908.

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Aimoin, qui raconte cette anecdote, rappelle l'opposition entre Abbon et Arnoul: Enfin, quoique cet homme de Dieu eut été tout prêt, selon le précepte de /'Apôtre à se soumettre à toute créature humaine à cause de Dieu, il comprenait bien, cependant, qu'il pouvait porter préjudice dans l'avenir au monastère qu'il gouvernait, s'il accordait [à cet évêque] les marques de soumission qu'il exigeait de lui à sa volonté et il se refusa durant toute sa vie à le faire. Et il ajoute: Aussi, ce pontife nommé Arnoul, sachant bien qu'il ne pourrait le convaincre ni par le raisonnement ni par une joute oratoire fondée sur les lois divines, se montra son ennemi déclaré (Vita ch. 8).

Suit le récit d'un accrochage entre les hommes de l'évêque et Abbon qui se rendait à la fête de Saint-Martin de Tours18 l. Quelques-uns des moines de la suite d' Abbon furent blessés à mort et l'abbé insulté. Aimoin, qui reconnaît qu'Arnoul "dans les autres actes se fait remarquer par l'excellence de ses manières honnêtes", déplore que l'évêque ne fut guère ému de l'affaire. Pourtant, Arnoul livra à Abbon quelques uns des hommes qui avaient attaqué l'abbé et sa suite, pour qu'ils soient battus de verges. Ce qu'Abbon refusa, mais il fut, dit Aimoin, vengé par Dieu puisque certains de ces hommes moururent d'une mort subite ou devinrent fous. Autre affaire, les agissements du neveu de l'évêque 19 l. Fleury possède depuis longtemps un prieuré à Yèvre-la-Ville

8 9

Cf. L. Theis, op. cit. p. 96. Prou et Vidier, Recueil des Chartes ... 1, n°700.

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en Gatinais, à 7 km au sud-est de Pithiviers. À 1 km au nord s'élève le château du neveu et homonyme de l'évêque, Arnoul. Il ne s'entend pas avec les moines fleurisiens, pille leur domaine et leur impose des taxes. En 990, Abbon vient se plaindre au roi. Hugues Capet envoie son fils Robert qui, semble-t-il, s'empare du château d' Arnoul. Mais l'évêque, de son côté, se plaint lui aussi et le roi ne voulant pas l'aliéner car il était en conflit avec Eudes de Blois, négocie un compromis et délivra un diplôme dont voici un extrait: Pour cette cause, j'ai entendu les plaintes du vénérable Abbon, abbé du Monastère de sainte Marie, saint Pierre et saint Benoît de Fleury, et des moines qui vivent sous son autorité, qui sont venus en notre présence, au sujet des mauvaises coutumes et rapines incessantes qu'Arnoul du château d'Yèvre prenait, sous couvert de l'avouerie et de la voirie, dans leur pâté (domaine) appelé Yèvre, ce qu'auparavant personne n'avait jamais fait. ]'ai envoyé en ce lieu mon fils, le roi Robert, pour qu'il la remette sous notre défense et protection, afin qu'aucun de ses hommes, libre ou serf, n'ose rien y prendre; ce qu'il a fait avec diligence. Mais entretemps, le comte Eudes s'est levé contre moi et parmi tous les alliés et fidèles que nous avons réunis par semonce autour de nous, nous avons aussi fait venir à notre aide Arnoul, évêque d'Orléans, qui a, pour cette raison, demandé que nous restituions les coutumes au susdit Arnoul, son neveu, comme il les avaient tenues auparavant, quoique en violant le droit. Ne voulant, pour son service, l'offenser, j'ai rappelé le susdit abbé et lui ai demandé de verser, [des revenus} de ladite pâté, 30 muids de vin, aux vendanges, au dit Arnoul, tant que vivrait son oncle l'évêque, etc, etc.

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Le roi Hugues Capet ménageait son ami Arnoul qui pouvait lui être utile et il n'était pas encore acquis à l'abbé. On va le voir lorsqu'au concile de Saint-Basle, réuni par Hugues, Abbon et Arnoul vont s'affronter, une nouvelle fois.

2. Abbon contre Arnoul au concile de Saint-Basle (991) Le concile de Saint-Basle se réunit à l'occasion du procès de l'archevêque de Reims, Arnoul. Rappelons brièvement les raisons.

A. Les circonstances Lorsque, en 989, est mort Adalbéron de Reims, qui, avec son secrétaire Gerbert, avait joué un rôle prépondérant dans l'avènement d'Hugues Capet, ce dernier était en violent conflit avec le prétendant carolingien, Charles de Lorraine. En vain avait-il cherché à reprendre le château de Laon que détenait Charles. Lorsqu'il fallut choisir un successeur à Adalbéron, Hugues pensa qu'il pouvait régler l'affaire carolingienne en désignant sur le siège archiépiscopal de Reims un prince carolingien, Arnoul, le bâtard de Lothaire. Hugues s'entoure de précautions, fait prêter serment à Arnoul et lui fait signer un chirographe. Mais à peine investi, le nouvel archevêque décide de livrer la ville de Reims à son oncle, Charles de Lorraine 111 • Par une habile mise en scène, il feignit d'avoir été surpris par Charles et fait prisonnier. Hugues réunit un synode à Senlis pour condamner les envahisseurs de Reims mais bientôt, Arnoul jeta le masque et 1

P. Riché, Gerbert d'Aurillac ... , p. 113 et s.

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prêta fidélité à Charles de Lorraine. Gerbert, qui au départ était resté secrétaire de l'archevêque, comme il l'avait été de son prédécesseur, passa après quelques hésitations au parti d'Hugues. Le roi alors envoie une ambassade auprès du pape Jean XV pour le mettre au courant de la situation, mais les envoyés d' Arnoul de Reims, arrivent plus tôt et le pape, sans doute acheté par des présents dont un magnifique cheval blanc, ne répond pas au roi Hugues. Sur ces entrefaites, l'évêque Adalbéron de Laon, celui que l'on a surnommé "le vieux traître", reconquiert sa ville, s'empare de Charles et d' Arnoul. Charles est confié à l'évêque d'Orléans et est enfermé dans une prison de la ville. C'est dire la confiance qu'Hugues avait en son ami Arnoul d'Orléans. Quant à l'archevêque de Reims, il est jugé en juin 991 devant un concile national convoqué par le roi au monastère Saint-Basle de Verzy près de Reims1 21.

B. Arnoul d'Orléans "promoteur" Puisque le pape n'avait pas répondu à la lettre du roi et à celle des évêques de la province de Reims, lettres sans doute écrites par Gerbert, qui depuis la mort d' Adalbéron rêvait de l'archevéché, il était nécessaire que les évêques de France, réunis en concile, règlent cette affaire. En fait, ne vinrent à Saint-Basle que treize évêques représentant les quatre provinces ecclésiastiques du royaume dont trois archevêques. Des évêques lorrains avaient fait savoir leur hostilité à l'ac2

C. Carozzi, "Gerbert et le concile de Saint-Basle", dans Gerberto, scienza e mito ... , p. 661-675, M. Parisse, "Les évêques de France et le pape à la lumière des actes du concile de Saint-Basle". dans Gerbert moine, évêque ... , p. 171-193.

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cusé par l'évêque de Noyon. On demanda à Seguin, l'archevêque de Sens, de présider l'assemblée en tant que "primat des Gaules". Quant au "promoteur", c'est-à-dire l'accusateur public, ce fut Arnoul, évêque d'Orléans, sans doute à la demande de son ami le roi. Richer, qui nous rapporte l'essentiel des débats à partir d'un texte rédigé par Gerbert, dit qu'Arnoul fut choisi parce "qu'il se distinguait parmi les évêques de la Gaule par la qualité de son élocution et son talent oratoire". Le discours d' Arnoul est célèbre. Il n'est pas seulement dirigé contre l'archevêque de Reims, mais également contre la papauté accusée de toutes les fautes. Cette diatribe est si violente que Richer n'osa pas la reproduire dans son Histoire et qu'au x1xe siècle les ultramontains ont imaginé que le texte avait été interpolé par les protestants. Or c'est un document du xr siècle qui nous donne le discours d'Arnoul(3).

C. Abbon défenseur Dans un procès il faut des avocats. Arnoul le sait et il sait aussi que l'archevêque félon a des partisans dans différents milieux et que des écolâtres, comme dit Richer "avaient même écrit des plaidoyers pour sa défense". Après avoir laissé s'exprimer différents évêques, Arnoul d'Orléans déclare que tous ceux qui veulent défendre l'archevêque en produisant des textes et en émettant des opinions contraires, peuvent le faire. Seguin, nous dit Richer, "invite alors tous ceux qui ont à dire quelque chose, à prendre la parole. Parmi tous ceux qui soutinrent la cause de la défense, se signalèrent au premier rang les abbés Abbon de Fleury et Rannoux de 3

Manuscrit de Leyde, Vossianus, lat. Q. 54, fol. 16-36.

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Senones, ainsi que Jean, écolâtre d'Auxerre. Ils se distinguaient parmi leurs collègues par leur science autant que par leur éloquence. Le silence obtenu, on ouvrit un grand nombre de volumes, on produisit de nombreux décrets déférés dont quelques-uns furent utilisés pour la défense"r41 • Comment expliquer la présence d' Ab bon parmi les avocats? Peut-être parce que Fleury était en relation avec l'abbaye Saint-Basle. En effet, c'est Hincmar, abbé de Saint-Remi et ancien moine de Fleury, qui avait réformé Saint-Basle au x• siècle. D'autre part, l'archevêque Seguin de Sens, dont dépendait Fleury, n'était pas sans savoir les rivalités entre l'abbé et l'évêque d'Orléans. A-t-il voulu mettre les deux hommes en présence pour donner du relief au concile? C'est surtout parce qu' Abbon était déjà un savant célèbre. Il avait dans ses dossiers de quoi s'opposer à Arnoul pour défendre l'archevêque. Il attaque la procédure suivie en bon canoniste. Richer résume les arguments des défenseurs sans donner de précisions. Abbon, qui connaissait ses textes et qui utilisait les Fausses décréta/es rédigées au rx• siècle en faveur des papes( 51 , estima que l'archevêque aurait dû être rétabli sur son siège avant d'être inculpé par une citation régulière. D'autre part, et c'est cette objection qui est la plus forte, l'affaire aurait dû être notifiée au pontife romain, afin que l'on puisse organiser un concile général où l'archevêque aurait été cité. Certes, Abbon, il le dira dans sa Collection canonique, assimile la violation du serment de fidélité au roi à un sacrilège, mais c'est au pouvoir suprême de donner la sanction. Abbon n'était pas sans connaître le précédent d'Ingelheim quelques

4

5

Richer, Histoire de France IV, 68 ed., Latouche II, 257. Sur "Les fausses décréta/es'', cf. Y. Congar, L'Ecclésiologie... , p. 227 et s.

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décennies auparavant. En effet, le concile d'Ingelheim, en 948, avait déposé l'archevêque de Reims, Hugues, pour remettre en place Artaud, qui d'ailleurs s'était réfugié à SaintBasle'6>. Or le concile, comme nous dit Flodoard, "était réuni suivant l'ordre du pape" et il était présidé par Marin, vicaire du siège apostolique. Il aurait été normal que pour juger Arnoul, archevêque de Reims, il en fut de même. Pourtant, malgré leur science et leur éloquence, Abbon comme les deux autres défenseurs, doivent "capituler" comme le dit Richer. Ils étaient certes embarrassés par le silence de Rome. D'autre part, le procès prit un tour politique par l'intervention des rois qui voulaient en finir. L'archevêque de Reims se reconnut coupable, renonça à sa charge et alla rejoindre son oncle Charles dans la prison de l'évêque d'Orléans. Il n'en sortira, nous le verrons, qu'en 997. Avant de clore ce chapitre, il est permis de nous demander pourquoi Aimoin, qui parle souvent du conflit entre son maître et Arnoul d'Orléans, ne dit rien sur le concile de Saint-Basle. Peut-être n'a-t-il pas voulu évoquer la défaite de l'abbé de Fleury. Mais le duel n'est pas fini. Deux ans après, les deux protagonistes se retrouvent à Saint-Denis à propos de l'affaire des dîmes.

3. L'assemblée de Saint-Denis et l'affaire des dîmes A. La question de la dîme à Saint-Denis La dîme est un prélèvement d'un dixième des revenus de l'agriculture et autres activités des paysans. Né dans le 6

M. Sot, Un historien et son église. Flodoard de Reims, Paris 1993, p. 298 et s.

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judaïsme, il est adopté par les Carolingiens. Il était levé pour les besoins des églises servant au salaire du clergé, à l'entretien des bâtiments du culte et à l'assistance des pauvres. Comme beaucoup d'églises rurales dépendent des grands propriétaires laïcs et ecclésiastiques, les dîmes sont perçues par ces derniers comme un revenu parmi d'autres et même sont remises en bénéfice à des vassaux.Dl. Quelques conciles réagissent au x• siècle tel ceux de Coblence en 922 et d'Ingelheim en 948. Mais en vain. Les évêques estiment que les dîmes des églises rurales et des monastères situés dans leur diocèse leur reviennent, alors que selon le droit canon, ils n'en disposent que d'un tiers ou d'un quart. Pour régler cette question, une assemblée se réunit à Saint-Denis, sans doute en 993, avant les fêtes de Pâquest2 l. Pourquoi avoir choisi Saint-Denis? Peut-être à la demande d'Hugues Capet qui, comme il l'avait fait en 991, était intéressé au bon déroulement des affaires ecclésiastiques. Hugues, d'ailleurs, se préoccupait particulièrement à l'époque de son abbaye de Saint-Denis. En 988, l'abbé Robert avait été déposé et Hugues avait demandé à son chancelier Adalbéron de Reims d'intervenir. Plus tard il avait souhaité que Mayeul, abbé de Cluny, vint réformer l'abbaye, comme il l'avait fait pour Saint-Maur. Mais Mayeul mourut à Souvigny pendant son voyage dans le Nord de la France, le 11 mai 994t3l. 1 Sur les dîmes, cf. l'article de]. Avril dans le Dictionnaire encyclopédique du Moyen-Âge, ed. A. Vauchez, 1997, t. 1, p. 467. 2 La date est discutée: entre 992 et 995 dit F. Lot, Hugues Capet, p. 277. Il vaut mieux retenir la date de 993 ou éventuellement de 994, avant la mort de Mayeul qui devait réformer le monastère. M. Mostert, The political..., p. 48, choisit la date de 994, tandis que Dom Cousin, s'appuyant sur une remarque de A. van de Vyver, "Les œuvres inédites ... ", p. 143, est partisan de 993. Sans doute avec raison. 3 Th. G. Waldman, "Saint-Denis et les premiers capétiens" dans Religion et culture ... , p. 191-193.

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B. Les débats et l'émeute Comme en 991, c'est l'archevêque Seguin de Sens, "primat des Gaules" qui préside le concile, concile qui selon Aimoin "aurait dû discuter de la pureté de la foi, de l'amélioration des mauvaises mœurs, tant de leurs propres que celles de leurs subordonnés". Mais Aimoin ajoute que "tout le débat vint à tourner autour des dîmes" 141 • Les évêques veulent enlever les dîmes aux laïques et aux moines. C'est alors qu' Abbon de Fleury intervint énergiquement comme à son habitude. Abbon est donc présent à Saint-Denis et défend les moines. On ne peut leur retirer les dîmes. Nous ne connaissons pas sa plaidoirie mais on en retrouve des éléments dans ses écrits postérieurs, la lettre 14 et la Collection canoniquel51 • Les dîmes ne doivent pas être possédées par l'évêque qui n'en a que l'administration; d'ailleurs, dit-il, les canons précisent qu'il ne peut avoir que le tiers, voire le quart de ces dîmes. On ne peut enlever aux monastères le droit de propriété et on ne peut aliéner les biens d'églises. Abbon avait sans doute des "autorités" à invoquer, alors, dira-t-il plus tard, que les évêques n'avaient avec eux aucun texte. Que s'est-il passé alors? On peut supposer que les évêques rétorquèrent et que parmi eux l'éloquent Arnoul d'Orléans prit la parole. Selon Aimoin, les évêques furent confrontés à une émeute. "Une troupe indistincte de la populace se révolta et envahit les évêques qui prirent la fuite dans des directions opposées. Seguin même, dans sa fuite, fut frappé d'un coup de hache entre les épaules et souillé de boue par la populace, il échappa à grand peine". À un autre des 4

Vita Abbonis, 9. s Cf. Infra, p. 163

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évêques qui s'enfuyait aussi, "la peur donna des ailes si rapides qu'abandonnant les apprêts surabondants du repas qu'il s'était fait dresser, il se retrouva dans sa fuite derrière les remparts de la ville voisine de Paris". La scène est joliment croquée avec une pointe dirigée contre cet évêque anonyme, peut-être Renaud de Paris. Enfin, ajoute Aimoin, Abbon est accusé d'avoir fomenté la révolte.

C. Réactions des deux protagonistes, Abbon et Gerbert Dans /'Apologétique, dont je reparle plus loin 161 , Abbon écrit: "] e suis accusé d'avoir lancé contre les évêques la troupe des moines, moi qui suis calomnié d'avoir soustrait à votre bienveillance mon propre évêque, moi qui suis incriminé d'avoir eu commerce avec certains excommuniés ... Après avoir entendu la clameur de mes persécuteurs, je me suis affligé de façon indicible en me souvenant de l'ancienne amitié et des bienfaits reçus d'un homme considérable dont les cheveux de neige montrent qu'on doit lui porter durespect même sans tenir compte de sa prérogative de primat et de son vêtement sacerdotal". On aura reconnu Seguin, archevêque de Sens. Donc, Abbon est accusé d'être la cause de l'émeute, d'avoir gardé des liens avec les moines excommuniés et d'avoir ravi à son évêque la bienveillance des rois. Nous verrons comment il répond. Le point de vue de Gerbert est évidemment tout autre. Nous le connaissons par une lettre qu'il écrit à Arnoul d'Orléans, quelque temps plus tard. Gerbert, à l'issue du Concile de Saint-Basle, avait été nommé archevêque de Reims par 6

Cf. Infra, p. 146

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Hugues Capet. Mais comme nous le verrons, la papauté n'a pas accepté cette nomination et l'a considéré comme un "intrus", d'où un long conflit entre le Latran et Reims dans lequel Abbon a pris sa partm. En 993, Gerbert paraît tout puissant à la tête de sa province. Les quelques lettres adressées à ses suffragants que l'on a conservées, prouvent son activité. Mais Saint-Denis ne dépend pas de lui. Déjà son prédécesseur, Adalbéron, lorsqu'Hugues Capet lui a demandé d'intervenir pour déposer l'abbé Robert avait refusé "car il ne voulait pas jeter la faux dans la moisson d'autrui"t 8l. Pourtant, Gerbert en tant qu'évêque est à Saint-Denis avec ses collègues et Arnoul d'Orléans. C'est à ce dernier qu'il écrit au sujet du concile. Citons quelques lignes de cette lettre qui témoigne de l'amitié entre les deux hommes: Voici l'effet de Tes largesses, ô bon Jésus, qui fait habiter la concorde dans la demeure. Voici ce que moi, Ton ministre consacré, je confesse en Ta présence: je respecte, j'affectionne, je chéris Ton vénérable évêque Arnoul et, en pensée comme en paroles, je le préfère à tous ceux qu'à ce jour je puis connaître dans mon ordre. Arrière donc, vous, les ruses et les fraudes de toutes sortes, mais approchez, vous, la paix, vous, la fraternité, pour que l'offenseur de l'un d'entre nous soit notre offenseur commun. Avec la puissance du Christ pour me protéger, aucune force tyrannique ne me détournera de cette entreprise, ni non plus les menaces royales, dont nous avons supporté la rigueur en cette fête de Pâques. De fait, nous étions accusé d'avoir injustement condamné les moines de Saint-Denis. On nous pressait de célébrer le service divin en présence de condamnés, sans avoir à nous 7 8

P. Riché, Gerbert d'Aurillac ... , p. 143 et s. Correspondance de Gerbert, lettre 146.

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opposer aux privilèges, établis par l'Église de Rome, au bénéfice du monastère de Saint-Denis. A quoi nous objections que nous donnerions notre assentiment aux privilèges promulgués sur /'autorité des canons, mais que nous ne recevrions pas pour loi tout décret contraire aux lois de l'Église. Cependant, puisque le poids de /'affaire se retournait spécialement contre moi, j'affirmai alors que Saint-Denis n'était pas sous ma juridiction, et que je ne m'évertuais pas à faire injure à mes Seigneurs, comme j'en étais accusé, mais que c'était à eux-mêmes qu'il appartenait de voir par la faute de qui ils supportaient cette situation. Quoique la décision des séculiers eût abouti au détriment de la faction des moines ... Les choses en sont là, et Foulques, le fils de Votre Béatitude, en est le témoin, lui qui, non sans répandre des larmes, a connu /'amertume de mon cœur. Je souffrais, en effet, et je continue à souffrir beaucoup [devant) vous d'avoir, de surcroît, été accusé, par je ne sais quel délateur, de m'en prendre à l'honneur des rois et de ... Et ainsi, ma vaillance n'a pas, comme on vous l'a rapporté, sévi contre vous, et des expressions marquées de dureté n'ont pas diffamé un ami absent, mais tandis que je m'efforçais de vous excuser, j'ai failli m'exposer, en accusé, aux chiens du Palais. Qu'il en soit donc entre nous comme vous le voulez. Oui seulement, et non pas oui et non, que tel soit notre appui et notre dessein commun. Et cela, s'il plaît à Votre Grandeur, je suis d'avis qu'il faudra en ce domaine du sacré, le confirmer par des paroles données sous serment, pour qu'une fois écartée la crainte de tout soupçon, il n'y ait plus en nous qu'un seul cœur et qu'une seule âme. 19'

9

Id., lettre 190.

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Les condamnés dont parle Gerbert, devant lesquels il refuse de célébrer la messe, sans doute celle de Pâques, sont les moines qui ont été excommuniés par les évêques pour avoir suscité l'émeute. Le refus de Gerbert n'a pas été compris par les rois Hugues Capet et Robert, et Gerbert se désole d'avoir, semble-t-il perdu l'amitié des princes après que "je ne sais quel délateur leur ait fait son rapport". Il s'agit sans doute d' Abbon que Gerbert ne veut pas nommer. Abbon, de son côté, se dépêche d'écrire aux rois pour se justifier. Il profite de cette "lettre apologétique" pour proposer un plan de réforme et présenter ses idées sur la société de son temps.

4. La réplique d' Abbon: L'apologeticus L'émeute de Saint-Denis eut donc comme conséquence non seulement l'excommunication des moines par les évêques mais aussi la désignation d' Ab bon comme instigateur du mouvement. Abbon se sent attaqué.

A. Abbon attaqué Arnoul d'Orléans lance contre Abbon un écrit appelé De Cartilagine, mot emprunté à un verset du livre de Job (XL, 13), et qui signifiait que l'abbé de Fleury et sa communauté n'avait que l'apparence de l'os sans en avoir sa solidité. Malheureusement nous n'avons que deux fragments de ce pamphlet111. Même si nous ne pouvons dater avec précision ce texte, il fait partie des attaques épiscopales contre Abbon. 1

Sur cet écrit, cf. A. Vidier, L'Historiographie ... , p. 106-107.

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Aimoin dans sa Vita écrit qu'il était déchiré d'une dent jalouse par les autres prélats et même des moines 12J. Aussi décida-t-il de se défendre, d'envoyer aux rois Hugues et Robert une Apologétique. Dans la lettre d'envoi conservée dans sa correspondance(3), Abbon, après avoir rappelé qu'il a séjourné au palais, se plaint d'avoir été traité de menteur par un conseiller de ce même palais. En voici le début, écrit dans un style un peu maniéré: Me souvenant du sel que parfois (ai consommé dans le palais, je me demande avec une extrême stupéfaction d'où a jailli ce sel de l'éloquence dont, mon seigneur le roi, (ai aussitôt abhorré l'amertume, et, en l'exécrant, je n'ai pu le dissimuler sous le silence car je pratique assez bien le style en usage au palais. Dès le berceau ou presque, dans le monastère, (ai tout enfant appris la vérité, ce à quoi ce conseiller prétend que (ai renoncé alors que déjà la neige blanchit ma tête. C'est à lui que je rends grâce puisqu'il m'a ramené à moi-même, attendu qu'il proclame que je suis un homme gouverné par les hasards d'une fortune changeante, à ce qu'il dit et écrit. Assurément ['Écriture dit: «Tout homme est menteur ». mais peut-être que, avec le prophète, on a proféré cela dans un état second, ce que j'aurais moi aussi bien volontiers accepté s'il n'était écrit: «Tu feras périr tous ceux qui disent un mensonge ... Apprenez que je ne suis en cette matière en aucune façon coupable de cette faute ... ». À la fin de cette assez longue lettre, Abbon écrit: Voici donc vénérable roi, mon discours appelé Apologeticus déposé auprès de votre Majesté, et afin de ne pas vou2

Vita, ch. 2.

3

Lettre 6.

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loir vous égarer dans les inepties des sables de ['éloquence, je choisis et j'ai toujours choisi d'être circonspect. Le titre que donne le manuscrit est clair: Liber apologeticus adversus Arnulphum episcopum Aurelianensem 14J. Dans le préambule qu' Aimoin a reproduit dans sa Vita, Ab bon rappelle qu'il a dû quitter l'étude et "le calme plein de labeur de la philosophie spirituelle" pour s'occuper des affaires du siècle et "du soin quotidien de l'administration pastorale". Or, "l'ingéniosité rusée des jaloux, le déchire de ses crocs canins, l'âpreté sans relâche de ses adversaires aboie autour de lui". On aime à cette époque les images de ce type. Gerbert n'avait-il pas en prenant une expression de Boèce dans sa lettre à Arnoul parlé des "chiens du palais! 5)". Abbon n'a voulu que le salut du "sénat des moines", l'augmentation de sa "république". Il est intervenu à l'assemblée de Saint-Denis au nom de la miséricorde et de la vérité. Et ses adversaires complotent contre lui. Il risque, en dépit de la protection royale d'être assassiné en cachette. Ici, Abbon fait allusion à l'attaque des gens d' Arnoul contre lui et son entourage, attaque, dont j'ai parlé plus haut< 6 '. Il souhaite être entendu par les évêques qui, dit-il, "sont orthodoxes en leur foi catholique", et il pourrait alors présenter sa défense. Ab bon est toujours sur la défensive. Il accepterait de démontrer qu'il a défendu les biens des monastères et pourrait rendre compte de ses taches d'intendance "à condition de recevoir l'engagement de n'avoir rien à endurer par suite de l'intervention de ceux qui lui veulent du mal". Suivent alors un développement sur l'hérésie dont ses adversaires se sont rendus cou4

Pl 139, c. 461-472. Boece, Consolation de Philosophie, 1, 4. On retrouve cette expression dans la Chronique d'Anselme de Liège et dans celle de Mouzon. 6 Cf. supra p. 134. 5

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pables, le tableau de la société tripartite dont je reparlerai plus loin, mais également un exposé sur quelques abus dans }'Église, particulièrement la simonie(7). Puis Abbon revient aux accusations dont il est l'objet.

B. Les accusations Il est suspecté d'avoir une opinion contraire aux canons, d'avoir lancé contre les évêques une troupe de moines, d'avoir soustrait à la bienveillance des rois l'évêque Arnoul et d'avoir eu commerce avec les excommuniés. 1. A quelle phrase des canons me suis-je opposé, moi, ... dans ce concile où l'on est venu «concilié» et d'où l'on est parti « déconcilié » alors que ceux qui étaient en discordance auraient dû être reconcilliés ou frappés d'une sentences canoniques.

2. Je ne suis pas l'ennemi des évêques mais, par la foi et l'action leur ami. Je suis affiigé de ce qui était arrivé spécialement à un homme considérable dont il avait reçu des bienfaits et qui devait être respecté pour ses cheveux blancs, même sans tenir compte de sa prérogative de primat et son vêtement sacerdotal. Il s'agit, je l'ai dit, de Seguin de Sens. 3. Vient ensuite l'allusion aux relations des rois et d' Arnoul. Abbon aurait ravi à l'évêque la bienveillance royale. Le passage mérite d'être cité: Sous quelle inspiration vous aije déçu, au point d'enlever aux meilleurs votre bienveillance et de /'accorder à ceux qui la méritent à tort? Suis-je par hasard Dieu qui change les esprits, qui change les royaumes 7

Cf. infra. p. 182.

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et les temps? j'avoue en vérité que j'ignore la magie et que je n'ai appris aucun des arts maléfiques. Cette dernière phrase a donné lieu à quelques commentaires. Certains ont supposé que c'était une attaque contre Gerbert qui déjà, aurait eu mauvaise réputation. Ceci semble improbable(s). Abbon continue: Mais peut-être serait-ce que je méprise l'autorité de la majesté royale! Si peu que ce soit qu'il vous a agacé, en vous agaçant, il vous a irrités, en vous irritant, il vous a offensés, en vous offensant, il a tardé de vous apaiser, et en décharge de tels bienfaits il s'étonne qu'on lui ait offert les petits présents d'une juste récompense et il ne s'attribue pas ce qu'il a mérité mais il s'efforce de transférer sa faute en la perte d'un innocent. S'il a en effet pensé de vous avoir nui en rien en nous enlevant ce qui nous appartient, c'est qu'il a cru assurément que vous n'étiez ni les maîtres, ni les défenseurs de nos biens. Or, s'il l'a vraiment cru, c'est vous-même, en même temps que moi, qu'il a lésés et il n'a pas ignoré qu'il vous avait lésés. Pourquoi donc m'accuse-t-il de façon déclamatoire dans son réquisitoire? Le réquisitoire dont il parle est sans doute le De Cartilagine. 4. Abbon alors affirme qu'il est en bons termes avec son évêque ou du moins qu'il a fait tout pour l'être. Il lui a adressé des envoyés, il a sollicité la paix, il s'est présenté en suppliant: "Dieu m'est témoin que pourvu que soit, sauf le droit de notre monastère, j'étais prêt à me conformer à tout ce qui me serait adjoint canoniquement". Or Abbon a appris combien Arnoul a été sévère envers Letald de Micy. On 8

C'est une suggestion de M. Oldoni, "Gerberto e la storia", Studi Medievali, 1977, p. 682 ..

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reparlera plus loin de ce moiné 91 • L'évêque aurait dû relire la lettre que Grégoire le Grand envoya à l'abbé Loup d' Autun. Abbon a toujours sous le coude le registre des Lettres de Grégoire. S. Arnoul a reproché à Abbon d'avoir été en rapport avec les excommuniés. Nous avons vu plus haut que les moines de Saint-Denis avaient été excommuniés par les évêques. Alors Abbon rétorque qu'il n'a fait que suivre l'exemple d'Arnoul, qui avait donné asile aux "fils de Belial", ces hommes qui l'avaient agressé de nuit et avaient voulu le tuer, et "qui par suite ont reçu l'anathème de l'archevêque Seguin, de l'évêque de Chartres Eudes et d'autres personnes religieuses et de digne vie".

0 tempora, o mores, s'écrit-il. Suit alors un long développement sur l'excommunication dont on ne doit pas abuser, sujet qu'il reprendra par la suite. Abbon complète alors très brièvement sur cet écrit en proposant un plan de réforme aux rois afin qu'ils incitent les évêques à corriger les abus dans leurs conciles.

C. Le plan de réforme d' Ab bon En premier lieu, il regrette que les églises de France et d'Angleterre ne soient pas d'accord sur les principes de la foi concernant l'Esprit-Saint. 1. En premier lieu, j'ai cru bon de parler des principes de la foi que j'ai entendu varier comme par un chœur alterné, 9 Cf. infra p. 243.

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en France et dans l'Église d'Angleterre. Les uns, en effet, disent, à ce que je crois, selon Athanase: "L'Esprit-Saint n'a pas été fait, ni créé, ni engendré par le Père et par le Fils, mais il en procède", et les autres seulement: "L'Esprit-Saint n'a pas été fait ni créé par le Père et le Fils, mais il en procède". Ces derniers en omettant, comme ils le font, ni engendré, croient suivre la lettre synodale de monseigneur Grégoire, où il est écrit ceci: "L'Esprit-Saint n'a été ni engendré, ni non engendré, mais il en procède seulement". C'est encore Grégoire qui est évoqué. 2. En second lieu il s'agit de répondre à la croyance millenariste dont Abbon a été témoin, nous l'avons dit, dans sa jeunesse à Paris(1°l. À propos de la fin du monde, lorsque j'étais jeune adolescent, j'ai entendu en présence de la foule un sermon dans l'église de Pa ris, disant que dès que le nombre de mille ans serait écoulé, viendrait l'Antéchrist et que, pas longtemps après, suivrait le Jugement universel. À cette prédication je me suis opposé avec toute la force que j'ai pu, en m'appuyant sur les Évangiles et l' Apocalypse et le Livre de Danie/!11 !. Mais il y eut une autre croyance en Lorraine. La fin du monde arriverait lorsque le Vendredi saint tomberait le jour de la fête de l' Annonciation, c'est-à-dire le 25 mars. 10

Cf. supra p. 27 G. Gouguenheim, Les fausses terreurs de l'an mil, Paris, 1999, p. 130, a raison de replacer ce passage dans son contexte.]. Fried ne peut être suivi lorsqu'il croit que la demande de réunion d'un concile ait eu pour raison la crainte millenariste. "Endzeitwartung die Jahrtausendwende" dans Deutsches Archiv, 1989, p. 423 et 426. Cf. le commentaire de ce texte dans "Qui a peur de l'an mil? Un débat électronique aux approches de l'an 2000" dans Médiévales, n° 37 (1999), p. 29-36. 11

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Enfin cette erreur qui s'est élevée à propos de la fin du monde, mon abbé de bonne mémoire Richard, avec son esprit subtil, l'a repoussée, après avoir reçu des Lorrains une lettre à laquelle il m'a enjoint de répondre. Car le bruit s'était répandu presque dans le monde entier que, quand /'Annonciation du Seigneur serait tombée un Vendredi Saint, ce serait, dans l'heure, la fin du monde. À ce sujet, trois remarques ont été faites. D'une part cette coïncidence s'était produite en 908, 970, 981, 992. D'autre part, lorsque Abbon écrivait son Apologétique, il était en lutte avec Gerbert et le parti lorrain. Peut-être essaie-t-il de le discréditer. Remarquons enfin que cette croyance a été l'origine du jubilé de la cathédrale du Puy' 12l qui sera de nouveau celebré en 2005.

3. Enfin Abbon mentionne les désaccords à propos de la date du commencement de l' Avent: Sur le début de l'Avent aussi, qui chaque année précède la Nativité du Seigneur, il s'est produit un jour une erreur très grave, les uns le faisant commencer après et les autres avant le 2 7 novembre, alors que l'Avent ne peut jamais avoir que quatre semaines, sans même un jour de plus. À propos de cette divergence, des conflits ont coutume de s'élever dans l'Église, il faut, afin que nous tous qui vivons en elle, nous n'ayons qu'une seule doctrine, la trancher en concile que votre zèle doit concéder, vous qui voulez nous avoir tous unis dans votre maison. 12

Cf. A. Boudon-Lashermes, Le grand pardon de Notre-Dame et l'église du Puy de 992 à 1921, Le Puy, 1921, rééd. 1931. Sur cette croyance déjà répandue au IX' siècle, cf. D. van Meter, "Christian of Stevelot on Matthew 24: 42 and the Tradition that the World Will End on March 25'h" dans Recherches de Théologie ancienne et médiévale, 1996, p. 58-62.

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À ce sujet il faut rappeler l'incident qui avait eu lieu en 993 à Fleury et qui montre une nouvelle fois les mauvaises relations entre Orléans et le monastère: L'Avent est la période qui précède Noël pendant laquelle les fidèles se préparent à cette fête. Mais faut-il compter quatre semaines ou cinq, comme le voulait Amalaire à l'époque carolingienne? On discute. Les chanoines d'Orléans et les moines de Fleury se sont opposés. En 993 à Orléans, on commence l' Avent le 26 novembre. Or, venus à Fleury pour les fêtes de l'Illatio de saint Benoît, le 4 décembre, les chanoines constatent que les moines lisent les textes du premier dimanche de l' Avent le 3 décembre. Ils ne sont pas d'accord. Le lendemain de la fête, le mardi, chanoines et moines discutent et souhaitent l'intervention de l'évêque. Abbon, pour qui l' Avent ne peut avoir que quatre semaines, souhaite alors que cette affaire soit résolue en concile. Or, Bern, futur abbé de Reichenau, qui se trouvait alors au monastère de Fleury, parle dans son opuscule sur l' Avent du concile d'Orléans qui semble-t-il, eut lieu en 994(1 31 • C'est ainsi par ce problème de l' Avent que se termine l'Apologeticus. Mais il faut revenir à ce que, au début de son écrit, Abbon nous dit de la société tripartite et de la supériorité des moines.

5. La société selon Ab bon, la supériorité des moines Pour se défendre, Abbon doit présenter les moines comme les premiers dans la société. D'où cette étude sur la tripartition sociale qui peut paraître comme une digression, mais 13 Sur cet opuscule de Reichenau, cf. Ch. Vulliez, Des écoles de /'Orléanais, tome II, p. 294, et Van de Vyver, "Les œuvres inédites ... ", p. 143, n°2.

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qui est un passage très important de son Apologie, même s'il n'est pas très bien composé.

A. La tripartition sociale Après avoir défini l'hérésie et souhaité que les princes la fasse disparaître du royaume, Abbon écrit sans transition: Certes, nous savons bien que dans l'un et l'autre sexe il y a trois ordres de fidèles, de même qu'il y a trois degrés dans la sainte Église universelle: bien qu'aucun ne soit exempt de péché, cependant le premier est bon, le second meilleur, le troisième excellent; et la première catégorie est, dans les deux sexes, celle des gens mariés, la seconde celle des continents et des veuves, la troisième celle des vierges et des moniales. Parmi les hommes, les degrés ou ordres sont tout semblablement au nombre de trois: le premier est celui des laïques, le second celui des clercs, le troisième celui des moines. Mais puisque j'ai proposé des différences dans ces degrés, et que j'ai estimé pouvoir affirmer que l'un est meilleur et plus saint que l'autre, j'ai cru devoir exposer brièvement comment chacun, dans sa condition, attend la récompense de la rétribution éternelle et comment, en se fondant sur l'autorité des saints Pères, on peut s'élever de son propre degré au suivant. Suivent des précisions sur les différentes catégories présentées. Le mariage est une concession à la faiblesse humaine, définition classique chez les moines, l'union entre parents comme le divorce sont interdits. Le remariage des veuves autorisé une fois. Curieusement, il ajoute: "En ce qui concerne les troisièmes et quatrièmes noces et plus nom-

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breuses encore, je ne me souviens pas avoir lu si les catholiques doivent les célébrer, mais cela se pratique sans aucun scrupule. Or, si cela est une faute grave chez les femmes, elle l'est beaucoup plus chez les hommes". Abbon a des exemples dans l'aristocratie de son temps, pensons à Azelais d'Anjou, mariée quatre fois en 960, 975, 982 et quelques années après à Guillaume II d'Arles. D'autre part, peut-être est-il au courant de la crise de la tétragamie qui agita l'église byzantine au début du x• siècle au temps de l'empereur Léon V111 1. Il ne suffit pas de mentionner les laïcs et les clercs, il faut préciser les composantes: Les laïcs forment deux groupes, les paysans et les guerriers (agonistae). Les premiers, nous l'avons dit plus haut, alimentent par leurs travaux l'église, les seconds doivent se contenter de leur solde, ne pas se battre entre eux et déloger les adversaires de l'église. Le mot agonista est emprunté à saint Augustin avec le sens de Soldat du Christ. Ici Abbon évoque les abus dont les combattants se rendent coupables et que dénoncent alors les assemblées de paix. Mais est-il au courant du concile de Charroux de 989? Ou plus simplement, il pense aux ravages des seigneurs plus proches de lui. Pour l'ordre des clercs, on distingue d'une part les diacres, les prêtres et les évêques. D'autre part, les clercs mineurs peuvent se marier. Ils travaillent dans la vie active avec Marthe. La vie irréprochable des clercs est le Miroir de l'église. Ils peuvent être dégradés "afin qu'ils ne manient pas en sacrilèges les choses saintes". Au contraire, les moines ne sont jamais privés totalement de la communion - si ce n'est pour péché d'orgueil. Un 1 Cf. T.-L. Boojamras "The Eastern Schism of 907 and the Affair of the Tetragamy" dans Journal of Ecclesiastical History, 1974, p.113-133.

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prêtre ordonné chez les moines ou un clerc devenu moine n'administrent pas les fonctions ecclésiastiques comme les clercs mais célèbrent la messe en communauté. Abbon exalte la virginité monastique pour les hommes et pour les femmes: "Combien est grande la gloire des vierges, nul ne l'ignore quand il sait que l'homme cherche à atteindre par le privilège de la grâce ce que l'ange a par la nature même. Or, cette vertu de la virginité, lorsqu'elle s'appuie sur l'humilité, sera accordée en récompense du mérite personnel parce que Dieu promet aux vierges qu'ils pourraient suivre /'Agneau partout où il irait". Autre extrait relatif aux moines: "Ayant pris pour eux la seule chose qui importe dans la vie contemplative, les moines, avec Marie, se réjouissent d'arroser de larmes les pieds de Jésus et de les essuyer de leurs cheveux", d'autant plus qu'ils sont d'avantage éloignés du trouble qu'apportent toutes les affaires du siècle en renonçant à leur propre volonté, en obéissant au commandement de leur père spirituel, eux qui vivent le l'aumône des hommes de bien et du travail de leurs propres mains, et ils peuvent dire avec Pierre: «Voici que nous avons tout laissé et nous t'avons suivi»". En présentant aux rois Hugues et Robert le tableau de la société chrétienne et en privilégiant l'état monastique, Abbon peut craindre de mécontenter des princes qui par leur programme politique et religieux sont très liés à l'épiscopat. Mais il est confiant dans sa victoire. D'autre part dans ce tableau, si comme nous allons le voir, il n'est pas le premier à décrire une société tripartite, du moins il innove en mettant les moines au sommet de cette société.

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B. Les antécédents de la tripartition sociale et l'originalité d'Abbon L'idée d'une société tripartie est un héritage de l' Antiquité et des Pères de l'Église. Saint Jérôme dans l' Adversus ]ovinianum, qu' Abbon a pu connaître, distingue les vierges, les continents et les conjoints. Orignène voit en Noé, Daniel et Job les prototypes de trois groupe d'hommes dans l'Église. Saint Augustin, puis Grégoire le Grand reprennent l'idée. Pour ce dernier Noé représente les predicatores qui gouvernent l'Église, Daniel les continentes qui vivent loin du monde et Job les conjugati absorbés par les soucis domestiques. Pour Grégoire, le premier groupe l'emporte, ce qui peut paraître étonnant pour un ancien moine. Mais devenu évêque de Rome, il sait l'importance des pasteurs 121 • Jonas, évêque d'Orléans, dont Abbon connaissait les œuvres, écrit lui aussi: "il y a dans l'Église, trois ordres de fidèles, les prêtres, les continents et les gens mariés" 131 • Au 1x• siècle, à Auxerre, le moine Haymon innove. Il christianise la distinction romaine des senatores, milites, agricolae en parlant des prêtres, des guerriers et des paysans 141 • 2

Évangiles sur Ezechiel, II, 4,6. Sur la préhistoire de la tripartition beaucoup de livres et d'articles. Cf. Y. Congar "Les laïcs et l'ecclesiologie des ordines ches les théologiens des xie et xiie siècles" dans 1 laici nella Societas christiana del secoli XI e XII, Miscellanea del centro di studi medioevali, V, Milan, 1968, 83 et s. M. Rouche "Les origines de la tripartition fonctionnelle et les causes de son adoption en Europe chrétienne à la fin du xe siècle", dans Orient et Occident au Xe siècle, publication de la société de l'Université de Dijon, lvii, Paris, 1979, p. 31 et s. Et évidemment G. Duby, Les trois ordres ... , passim. 3 De Institutione laïcali, 11, 1. Cf, A. Dubreucq, introduction à l'édition Le métier de Roi (Sources chrétiennes n° 407), p. 68 et s. 4 E. Ortigues, "Haymon d'Auxerre théoricien des trois ordres'', dans Vécole carolingienne d'Auxerre de Muretach à Remi 830-908, Paris (Beauchesne), 1991, p. 181 et s.

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ABBON SUR LA DÉFENSIVE

Cette tripartition est reprise en Angleterre. Dans sa traduction de la Consolation philosophique de Boèce au début du x• siècle, le roi Alfred dit que les ressources de la royauté viennent de ceux qui prient, de ceux qui travaillent et de ceux qui combattent 151 . Même présentation de la société à la fin du x• siècle par Aelfric, contemporain d' Ab bon. Dans son homélie consacrée aux Macchabées, écrite en anglo-saxon, il dit qu'il existe en ce monde trois classes: les laboratores, les oratores et les bellatores et définit les activités de chaque groupe. Sous le nom d' oratores, il désigne les moines bénédictins161. Dans une lettre à Wulfstan vers 1003, il revient sur la triade mais alors parlant des oratores, il groupe clercs, moines et évêques. Enfin, s'adressant à l'earlderman Sigeweard, Aelfric reprenant l'idée d'Alfred, parle du trépied qui soutient la monarchie. Abbon, qui a vécu en Angleterre et qui d'autre part connaît la littérature patristique, combine ces différents apports 171 • Lorsqu'il parle des laïcs, il distingue combattants (agonistae) et agriculteurs (agricolae), mais pour parler de ceux qui prient, il préfère suivre un disciple d'Haymon, le moine Héric d'Auxerre, qui dans le dernier chapitre des Miracles de saint Germain, s'adressant aux moines, écrit: "les uns combattent, les autres travaillent la terre, vous êtes le troisième ordre" (tertius ordo)l 81.

6

Id. 131, cf. la traduction dans MM. Dubois, Aelfric, sermonnaire, docteur et grammairien, Paris, 1942, p. 210-211. 7 J. Batany, "Abbon de Fleury et la théorie des structures sociales vers l'an mil", Études ligériennes ... , p. 11. 8 D. logna-Prat, Le "baptème" du schéma des trois ordres fonctionnels. L'apport de l'école d'Auxerre dans la deuxième moitié du IXe siècle dans Annales, janv.-fév. 1986, p. 101-126.

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ABBON DE FLEURY

C'est bien celui qui domine, visant à la perfection, fidèle à la virginité. Héric, qui a lu les œuvres du pseudo-Denis, traduites par Jean Scot Erigène, sait que les moines ont unifié leur vie en la consacrant au service de Dieu et aspirent à l'amour divin. Ainsi, pour Abbon, les moines sont en tête, puis viennent les clercs enfin les laïcs. Abbon, qui comme les Clunisiens connaît les idées d'Héric, affirme la supériorité des moines, sans pour autant, comme on l'a dit, être influencé par "les signes annonciateurs de la fin du monde" 19J. Il souhaite comme bien d'autres avant lui, que l'état de moine serve de modèle à ceux qui sont encore dans les siècles qu'ils soient clercs ou laïcs. Après l'an mille, nous retrouverons ce même appel à la perfection dans le dossier hagiographique de saint Mayeul, abbé de Cluny, mort en 994 1101 • Mayeul est le moine parfait, humble, obéissant, simple et vierge. La virginité sur laquelle Abbon insiste tant depuis sa Vie de saint Edmond jusqu'à sa Collection canonique rapproche les moines des anges. Entre Cluny et Abbon, il y a communion de pensée. Abbon a connu Mayeul et a d'excellentes relations avec son successeur et biographe Odilon, qu'il nomme dans ses lettres "à jamais vénérable, père de la communauté de Cluny" (lettre 7) ou "revêtu du privilège de la parfaite vertu" (lettre 12). Les deux abbayes de Fleury et de Cluny vont bientôt se retrouver engagées dans le même combat. Après avoir présenté Abbon dans sa défensive, montrons-le à l'attaque.

9 Cf. 10 D.

Fried art. cit. p. 14 7 Iogna-Prat. Agni immaculati. Recherches sur les sources hagiographiques relatives à saint Maieul de Cluny (954-994), Paris, Le Cerf, 1988.

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Abbon attaque

À partir de 994, Abbon n'est plus sur sa défensive. Il est décidé à passer à l'attaque contre l'évêque Arnoul et tous ceux qui en veulent à l'indépendance de son monastère.

Les circonstances nouvelles L'"Apologétique" écrite à la suite de l'affaire de SaintDenis semble avoir convaincu les rois. À la fin de son texte, Abbon écrit: En outre, lorsqu'en parlant familièrement à mes seigneurs je leur donne de bons conseils, je sais que je soulève contre moi les esprits de nombre de gens, selon ce mot d'un poète comique: "la complaisance enfante les amis et la vérité la haine". De leur animosité, je ne suis pas très ému, "mon doux honneur" Robert, vous que "issu d'ancêtres royaux", la clémence divine a conduit jusqu'au faîte du royaume, si, après Dieu et ses saints, je suis soutenu spécialement par votre aide et conseil, vous que je n'oublie jamais de rappeler dans mes prières de chaque jour. L'abbé de Fleury semble avoir plus l'oreille du jeune roi Robert que celle du vieux Hugues Capet, qui est malade et

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qui meurt en octobre 996. L'affaire Gerbert traîne. Le Pape Jean XV refuse toujours de reconnaître l'archevêque de Reims. En 994, un concile tenu à Chelles pour la réforme de l'Église réunissait les archevêques de Sens, de Tours, de Bourges et de Reims sous la présidence du roi Robert: Après avoir promulgué des règlements intéressant la sainte Église, les évêques ratifièrent d'une manière irrévocable la déchéance d'Arnoul [l'archevêque] et estimèrent que "si le pape romain prenait une mesure en opposition avec les décrets des Pères, cette mesure fut considérée comme nulle et sans effet... Les statuts d'un synode provincial ne doivent pas être annulés sans motif' 01 • Pourtant, en 995, Jean XV envoie son légat, l'abbé Léon, qui réunit un synode à Mouzon le 2 juin de cette année sur le territoire de la province de Reims mais dans les limites de l'Empire. Bien qu'Hugues Capet ait interdit aux évêques de sortir du royaume, Gerbert alla plaider sa cause à Mouzon. On ne sait si Abbon de Fleury était présent. Il fut décidé qu'un autre concile se tiendrait à Reims, le mois suivant et qu'Arnoul, libéré provisoirement de sa prison, y assisterait. Cette fois, Abbon y vint, comme cela apparaît dans la lettre qu'il écrivit par la suite au légat Léon: La charité qui est le nœud de la perfection tout en nous unissant étroitement tous deux qui étions à Reims en un entretien particulier, a fait jaillir, en public comme en privé, de votre langue qu'un beau zèle rendait fulgurante tant de flots d'éloquence, tant de gâteaux de miel de la sainte Écriture que je suis forcé de m'exclamer en disant: « la grâce s'est répandue sur ses lèvres, pour cela Dieu t'a béni pour l'éternité». Stupéfait alors devant de tels éclairs de vos mots étincelants, j'ai été 1

P. Riché, Gerbert, p. 150 et s.

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contraint désormais de proclamer partout que vous êtes le tonnerre même du Saint-Esprit, etc, etc ... Arrêtons là cette citation d'un passage assez étonnant que nous retrouverons plus loin 121 • Donc, pour Abbon, le temps est venu pour l'offensive. Il s'y prépare depuis quelques temps et regroupe ses armes en rédigeant sa Collection canonique.

1. Les armes d'Abbon 1. La collection canonique

A. Sa genèse Elle est adressée aux rois Hugues et Robert et a été envoyée après !"'Apologétique". La préface, dont il faut donner quelques lignes, est à ce sujet précise: [... ] Certes, sérénissimes seigneurs, parce que je vous ai trouvés plein de bienveillance envers notre ordre, j'ai compilé en un seul texte les articles écrits ci-après, extraits des livres des canons et des lois et composés en partie par moimême, en partie par les autres. Et les dédiant à votre nom, après que je m'en suis servi dans mon Apologeticus contre mes adversaires, je les ai composés, rassemblés sous une forme brève, en un volume unique. j'y ai exposé tout ce qui concerne votre ministère et je n'ai pas passé sous silence la foi que doivent observer envers vous les grands du royaume. Pour la défense de l'ordre monastique, j'ai réuni aussi bon nombre d'éléments, moi qui veux et qui ai voulu que soit sauvegardée la vénérable classe des moines dont vous êtes les très pieux défenseurs et protecteurs(3J. 2 3

Cf. infra, p. 203. Aimoin, Vita, ch. 7.

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Abbon a donc compilé tous les livres et collections canoniques pour garnir ses dossiers, afin de défendre l'ordre monastique. On peut rapprocher ce passage de ce que dit Aimoin dans la Vita: Ayant extrait des sentences empruntées aux autorités d'un grand nombre de Pères, n'en a-t-il pas formé un florilège plein de sucs, comme le fait la très sage abeille composant de fleurs variées ses rayons de miel? Bien qu'ont ne l'ait pas jusqu'ici retrouvé, disparu qu'il est par la négligence des nôtres ou bien par la cupidité des gens de l'extérieur, il n'en est pas moins certain qu'il fit ces extraits avec l'intention de s'en faire un rempart pour se défendre contre l'évêque de l'Église d'Orléans qui exigeait de lui des choses auxquelles il n'avait pas droit (ch. 7). On peut s'étonner qu'Aimoin écrive que ce florilège a disparu et certains estiment qu'il faut distinguer ce texte de la Collection canonique. Pourtant lorsque l'on sait que la Collection n'est connue que par un manuscrit, la copie qu'en a fait, à Limoges, Adhémar de Chabannes au début du xr siècle 14l, on peut rapprocher la préface d'Abbon et le témoignage d' Aimoin.

À cette Collection canonique, on peut joindre la lettre XIV qu'Abbon écrivit à l'abbé G., sans doute Gauzbert de SaintJulien de Tours, dont il sera question plus loin. La date d'envoi de cette lettre a fait l'objet d'une discussion( 5l, mais le texte d'une trentaine de pages, un véritable traité, est si proche de la collection que l'on doit l'étudier avec elle. 4

BNF lat. 2400. Sur la collection, cf. G. Giordanengo dans Autour de

Gerbert d'Aurillac .. ., n° 23.

J.-F. Lemarignier, dans "L'exemption monastique ... ", p. 303, suppose que la Collection canonique est antérieure à l'affaire de Saint-Denis et la lettre 14 postérieure en raison de l'insertion de la lettre de Grégoire à Castorius sur les "messes publiques". Cela ne s'impose pas.

5

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Mais avant de présenter cette collection, il faut rappeler où en était la littérature canonique à la fin du x' siècle.

B. La littérature canonique(6!

Sous Charlemagne et ses successeurs, les juristes et les canonistes avaient beaucoup écrit. Le droit romain avait été redécouvert, les capitulaires avaient été regroupés en volumes, tel celui d'Ansegise. Pour soustraire l'Église à l'emprise laïque, restaurer l'autorité des évêques et de la papauté, toute une série de faux avaient été rédigés dans la deuxième moitié du IXe siècle; la principale collection est celle des "Fausses décrétales", c'est-à-dire les lettres d'anciens papes entièrement fabriquées ou objet d'interpolations, dont le succès fut très grand 171 • Elles avaient été sans doute écrites dans la région de Reims, pour contrecarrer la politique d'Hincmar, archevêque de cette ville. Mais ce dernier, lui-même, est un canoniste réputé. On a pu relever des centaines de citations dans ses œuvres et les manuscrits qu'il a conservés dans la bibliothèque de Reims sont nombreux( 8l. Ils ont été utilisés à la fin du xe siècle par un des successeurs d 'Hincmar, ce Gerbert que l'on rencontre si souvent dans cette histoire. Lors du concile de Saint-Basle, les évêques ont recouru à beaucoup de textes authentiques ou non, que certainement Gerbert leur fournissait: Hispana, c'est-à-dire une collection venant d'Espagne qui contenait les textes des conciles de Tolède, Fausse décrétales, textes de conciles, tels ceux de Car6

J. Gaudemet, Les sources du droit canonique, Paris, 1993, p. 26 et s.

7

Y. Congar, L'Ecclesiologie, p. 126 et s. Devisse, Hincmar et la loi, Dakar, 1962, et Hincmar archevêque de Reims (845-882), Genève, 1976, t. III, appendice 3.

8

J.

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thage. D'ailleurs, Gerbert conservait dans ses dossiers ces textes, si bien qu'on les a retrouvés avec ses lettres et les actes des conciles de Saint-Basle, Mouzon, Reims, dans l'envoi qu'il a fait à son disciple Constantin (manuscrit de Leyde, Vossius lat. Q54).Gerbert, dans sa lettre à Seguin de Sens et à Wilderode de Strasbourg, a cité beaucoup d'extraits des lettres de Grégoire le Grand et ceci est d'autant plus important que l'on trouvera ces lettres parmi les sources d'Abbon. C. Les méthodes de travail d'Abbon

Abbon et ses moines, car il ne travaillait certainement pas tout seul, découvrent dans tous les manuscrits de droit conservés dans leur bibliothèque, des textes qui intéressent leur combat et ils les recueillent. Voyons donc les sources de la Collection canonique et de la lettre 14.

a) La Collection canonique proprement dite: Extraits de droit romain: ch. 5, 11, 13, 14, 22, 32, 39. Concile de Tolède: ch. 4, 10, 23, 25, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 37, 38, 40. Concile de Saragosse: ch. 24. Concile d'Espagne, sans précision: ch. 12. Concile d'Afrique: ch. 2 et 36. Concile d'Antioche: ch. 42, de Chalcedoine: ch. 8, 13, 29. Concile de Nicée: ch. 5 et 8. Décretales de papes Sirice (ch. 39), Gelase (ch. 35), Simplicius (ch. 35). Textes carolingiens: Collection d'Ansegise (ch. 3 et 6).

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Assemblée de Ver (ch. 19), de Toul (ch. 20) et de Cologne (ch. 36). Jonas d'Orléans, De institutione regia. Il faut faire une place à part aux lettres de Grégoire le Grand, citées dans les chapitres 15, 21, 25, 17, 35, 42, 44, 43, 49.

b) Pour la lettre 14: Concile de Braga, de Carthage, d' Ancyre, de Laodicée, de Nicée, lettres de Léon le Grand, d'innocent. Lettres de Jérôme à Jovinien et d'Ambroise à Pamachius (p. 109), Ambroise à Tite, etc. Mais aussi les lettres de Grégoire le Grand, plus une lettre à tous les évêques du Pseudo-Isidore, un faux de Grégoire IV (PL 139 - c. 444). Abbon avait dans sa bibliothèque bien des manuscrits de droit canon, tels la collection d' Ansegise (BNF lat. nouv. acqu. lat. 1632). Il avait également les lettres de Grégoire le Grand. À ce sujet, des études de J.-F. Lemarignier et d'O. Guillot sont très précises 1101 • Deux manuscrits du IXe siècle, venant de Fleury (les BNF lat. 11674 et lat. 2 278) ont été relus attentivement par Abbon et ses moines. Le premier manuscrit garde les lettres de la première partie du Registre, le second, les autres lettres. Des notes marginales ont été inscrites, telle celle qui figure en face du passage de la lettre concernant 9

Cf. P. Riché, Gerbert, passim. G. Giordanego, "Le concile de SaintBasle" dans Autour de Gerbert d'Aurillac, p. 134 et s., du même auteur, "Gerbert, printemps-été 995, la rhétorique rattrapée par le droit", dans Gerbert /'Européen ... , p. 169 et s. 10 J.-F. Lemarignier, "Le monachisme et l'encadrement des campagnes ... ", p. 367-368 et O. Guillot "Un exemple de la méthode ... ", id p. 399-405.

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l'ordination d'un abbé ou trois autres à propos des abus de pouvoir des évêques. Il suffit de relever les extraits des lettres de Grégoire le Grand dans la Collection et la lettre 14, comme l'a fait O. Guillot, pour comprendre la méthode d' Ab bon et de ses collaborateurs. Grégoire le Grand reste la grande autorité d' Ab bon, comme elle l'était à un moindre degré pour Gerbert, comme elle le sera, plus tard, pour la "Collection en 74 titres". Examinons maintenant quels sont les sujets retenus dans la collection canonique et dans la Lettre 14.

c) Les sujets retenus Le mieux est de donner la table de la Collection: 1. Du respect envers les églises et les monastères 2. Des défenseurs des églises 3. Du ministère royal 4. De la fidélité envers le roi 5.Des privilèges de l'église et de ses possessions 6. Des préceptes royaux et impériaux 7. De la différence entre les actes formant titres et des précaires 8. De ce qu'il peut être nécessaire de faire des exceptions aux lois et aux canons 9. De la différence entre la loi et la coutume 1O. De ce que les prêtres n'envoient pas d'ordres à des gens de l'extérieur 11. Du choix des clercs par qui a construit les églises 12. De l'ordination ou de la dégradation des prêtres 13. De ce que les évêques doivent être ordonnés sans simonie 14. De l'élection de l'abbé 15. De l'ordination de l'abbé et de l'accès de l'évêque

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dans le monastère 16. De l'abbé, qu'il doit être prêtre 17. D'une accusation portée contre l'abbé: ce qu'on doit faire 18. Des moines et des moniales: qu'ils vivent selon la règle 19. De l'abbé qui relève du roi 20. Du recteur de Fleury 21. Du sacerdoce monacal 22. Des moines qui n'observent pas leur vœu 23. Des clercs qui veulent se faire moines et de l'insolence des évêques envers les moines 24. Des clercs qui, par vanité, veulent se faire moines 25. Des possessions de l'église sur lesquelles des clercs se font constructeurs 26. De la moniale ou du moine appelé en justice 27. De ce qui est offert à l'église 28. Des évêques usurpateurs à l'insu du synode 29. De la prescription triennale 30. De la dotation des églises 31. De l'évêque: ce qu'il doit avoir d'une église 32. Des biens de l'église et des parents de ses fondateurs 33. Du moyen de recevoir le soutien matériel de l'évêque 34. De l'indigence de ceux qui ont donné leurs propres biens à /'église 35. De l'avarice des prêtres 3 6. De ceux qui ont été excommuniés injustement 37. De ce que l'évêque tient le tiers de l'église et peut le donner à qui il veut 38. De la sainteté de vie des clercs

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39. 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50.

Des fils de prêtres et de ministres de l'église Que nul évêque ne désigne son successeur De l'eucharistie Des accusateurs des prêtres Des évêques {appelés] en justice {pour témoigner] De ceux qui ont procès à l'encontre d'un évêque Des accusations portées contre les évêques Des témoignages des clercs Du fréquent sacrifice de la messe Des combattants Des soldes des combattants Des clercs qui militent pour le service divin

Quant à la lettre 14, elle traite des biens des églises et des dîmes, de l'intervention abusive des évêques dans l'administration, l'excommunication, l'élection des abbés, les messes publiques, le respect des privilèges pontificaux et royaux, la cohabitation des évêques et des clercs avec les femmes, la simonie, l'instruction des clercs. Tout cela s'appuyant sur douze lettres de Grégoire le Grand. Notons qu' Ab bon revient sur la simonie dans la lettre à Bernard de Beaulieu donnée par Aimoin( 111 •

2. Les enseignements d' Abbon: La société Il faut donc maintenant regrouper tous les arguments d' Ab bon et les présenter sous différentes rubriques en utilisant tous ses écrits, depuis la Vie de saint Edmond et l' Apologétique, car il semble bien que, très tôt, Abbon prit

11

Vita, ch 10.

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conscience de tous les problèmes qui se posaient à son temps et à sa communauté monastique. Commençons par ses idées sur la société en complément à ce qu'il a présenté dans l' Apologétique, lorsqu'il reprenait le schéma de tripartition sociale.

A. La Papauté Lors du concile de Saint-Basle, Abbon a dû souffrir en entendant l'évêque d'Orléans, Arnoul, faire un violent procès de la Papauté. Il est vrai que dans la première moitié du x• siècle, la Papauté avait subi une grave crise 1121 • Des historiens protestants allemands ont parlé avec un peu d'excès de la "pornocratie", c'est-à-dire le gouvernement des courtisanes. Cette crise a été momentanément stoppée lorsque Otton est devenu empereur en 962 et que l'année suivante, il a fait déposer le jeune et indigne pape Jean XII. La papauté a été alors, soit entre les mains des empereurs, soit sous le contrôle de l'aristocratie romaine. Les papes étaient plus dignes mais certains étaient critiquables. Abbon sera déçu lorsqu'il viendra trouver Jean XV1131 ; il est vrai qu'il faut distinguer les papes d'avec cette papauté qui, par la présence de saint Pierre, garde à cette époque un grand prestige. Les papes passent, Pierre demeure. Lors du concile de Saint-Basle, Abbon affirme que les évêques n'ont pas le droit de juger leur collègue sans l'intervention de Rome. Curieusement, avec les deux autres défenseurs de l'archevêque, Abbon utilise plusieurs textes

12 P. Riché, "La papauté éprouvée" dans Évêques, moines et empereurs, t. II de L'Histoire du Christianisme, Desclée, 1993, p. 781 et s. 13 Infra p. 197.

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tirés des "Fausses décrétales", ce qu'il ne fera pas par la suite, à une exception près1 141. Dans le chapitre 5 de la Collection, Abbon écrit: "L'autorité du siège romain et apostolique resplendit par la faveur du Christ, notre Seigneur, à travers l'Église universelle dans le monde entier. Ce n'est point étonnant puisque l'on considère que les pontifes de ce siège exercent leur fonction à la place de Pierre, qui est le prince de toute l'Église". Abbon cite ensuite le concile de Nicée et, ici et ailleurs, il dit que Pape et concile ne font qu'un. Dans sa 5e lettre Abbon écrit: Il est une chose que j'ai apprise pour ainsi dire par la rumeur publique: Monseigneur l'archevêque Archambaud s'oppose aux privilèges de saint Martin, notre patron commun. Qui serait assez fou pour croire cela, qu'un homme d'une telle autorité et bonté veuille aller à l'encontre des décrets des pontifes romains et des préceptes des saints canons? Certes, l'Église romaine a, par sa supériorité sur toutes les églises, ce privilège que, de même que le Portier du royaume céleste possède la primauté de la dignité apostolique, de même la dite Église romaine confère autorité à tous ceux qui en sont en quelque sorte les membres, aux quatre points de l'univers. Celui, donc, qui s'oppose à l'Église romaine, qu'enlève-t-il d'autre au nombre de ses membres sinon lui-même au point de lier partie avec les adversaires du Christ. Sans doute ordonne-t-elle à chaque église de suivre la loi de l'Église, ce grand et inviolable concile de Nicée que le très grand saint pape Grégoire a recommandé d'être un objet de vénération comme le saint Évangile.

14 Lettres d'Étienne, de Sixte, de Jules, de Symmaque, d'Eusèbe, d'Hadrien Ier, Marcel, Anaclet, Damase, Silvère.

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Sur les privilèges ecclésiastiques, le même vénérable pape écrit également à l'évêque Jean en ces termes: «C'est une action très grave et contraire au comportement religieux de détruire les privilèges autrefois accordés à un quelconque monastère et de s'efforcer de réduire à rien ce qui a été institué en vue de sa tranquillité».

C'est encore l'ancien moine devenu pape Grégoire le Grand qui est l'autorité invoquée. Abbon regarde vers Rome. Mais il est dans le monastère royal de Fleury. Il doit se tourner vers le roi.

B. Le roi, situation de la royauté

Les derniers Carolingiens n'ont pas été les faibles rois que l'on présente habituellement. Lorsque Louis V meurt accidentellement en 987, les grands en profitent pour élire l'un d'entre eux avec l'aide de l'archevêque de Reims, Adalbéron et de son secrétaire Gerbert. Mais pendant deux ans, les partisans des Carolingiens résistent. Hugues Capet à la bonne idée de faire sacrer son fils Robert peu après son propre sacre, mais cela n'empêche pas que les chefs des grandes principautés, tout en reconnaissant les rois, cherchent à avoir leur autonomie. Le déclin royal, on l'a souvent dit, est une réalité. "Hugues Capet fut un duc puissant, mais un roi faiblei 151 ". Abbon de Fleury le sait et dans les préfaces de sa Collection canonique, en s'adressant aux rois, il écrit: 15 Titre de l'article de K.-F. Werner dans Dixième siècle ... , p. 9-11. Cf aussi J.-F. Lemarignier, Le gouvernement royal aux premiers temps capétiens (987-1108), Paris, 1965, Introduction p. 25 et s.

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"Après que, par la grâce de la clémence divine, vous avez été portés au faîte de l'autorité royale, pour le profit de votre probation vous avez subi bien des infortunes, par un jugement de Dieu, secret mais non point injuste; et ce n'est pas du fait de peuples du dehors mais par les grands du royaume, que les débuts de votre règne ont, par l'effet de la volonté divine, connu un certain bouillonnement. Mais parce que de tout cela le Seigneur vous a tiré, souvenez-vous de la bonté et de la pitié de Dieu, souvenez-vous des bons rois vos prédécesseurs, souvenez-vous des jugements des justes et ayez toujours à /'esprit d' «épargner ceux qui vous sont soumis et de soumettre les superbes». Deux indications sont à retenir. Les difficultés du début du règne qui se terminent provisoirement par la capture du prétendant Charles de Lorraine et son parent Arnoul, archevêque de Reims (991), et d'autre part, le souhait que les rois suivent l'exemple de leurs prédécesseurs, les rois carolingiens. Et c'est bien ce qui se fit, comme on aura l'occasion de le dire souvent. Comment Abbon se représente-t-il la fonction royale? Le roi est à la tête d'un regnum ou imperium, car à cette époque même, dans les textes officiels, les deux mots sont comparables. Le chapitre est intitulé "Des préceptes royaux et impériaux". Le roi est élu comme l'évêque, l'abbé, l'empereur. Chaque élection existe "non par la faveur d'une amitié mondaine, mais en raison d'une déclaration publique selon la sagesse ou les vérités de la vie de l'élu". Abbon est au courant des conditions de l'élection d'Hugues Capet telle que Richer de Reims l'a rapportée.

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Charles de Lorraine a été écarté car on le considérait comme inapte à régner, alors qu'Hugues avait toute les qualités. De plus, Hugues descendait d'une famille qui avait déjà donné plusieurs rois à la France. Mais attention, on ne doit pas avoir de regrets après l'élection et Abbon d'écrire: "Il vaut mieux ne pas souscrire à l'élection d'un prince plutôt qu'après s'y être rallié, mépriser ou rejeter l'élu puisque dans le premier cas on privilégie l'amour de la liberté et dans le second, on livre à l'infamie une adhésion servile". Phrase pleine de sous-entendus. Il pouvait faire allusions aux comtes Eudes et Herbert, qui n'agissaient que selon leurs propres intérêts. Eudes de Blois menaçait d'encercler le domaine royal par ses possessions et était très lié à son cousin Herbert, comte de Troyes et de Meaux. Le chroniqueur Richer a consacré quinze chapitres de son "Histoire" aux luttes entre ces comtes et Hugues. Le roi est élu et il exige alors de tous ses sujets un serment de fidélité. Abbon s'intéresse beaucoup à la question du serment. Il envoie à un évêque inconnu une longue lettre pour "se demander qui prête serment et s'il parle selon la vérité, et considérer quelles sont les circonstances de ce serment, circonstances de lieu, de temps et de personnel16!". À toutes les époques, le serment est un acte capital, surtout au Haut Moyen-Âge où l'écrit joue un rôle moins important. À la fin du xe siècle, nous sommes à l'époque des "serments de paix", prononcés sur des reliques. La valeur d'un homme s'estime au prix de sa parole et se parjurer, alors que l'on a pris Dieu comme témoin, est un crime. Si l'on viole son serment, s'en est fait de la stabilité du monde et du salut de son âme. Mais dans sa lettre, Abbon distingue bien

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Lettre 10.

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"les serments extorqués par la violence et ceux prononcés spontanément". Citant un canon du concile de Tolède, Abbon écrit "c'est certes un sacrilège pour les peuples de violer la foi promise à leurs rois car ce n'est pas seulement contre eux que se fait la transgression du traité mais aussi contre Dieu au nom duquel cette promesse est faite". Abbon fait allusion au sacre du roi. Le même concile de Tolède disait qu'il est interdit de porter la main sur "l'Oint du Seigneur". Dans la Vie d'Edmond, il parle de trois consécrations, celle du baptême, celle de la confirmation et celle du sacre(l7). Lorsque le roi est tué, les Danois le décapitent et "en se retirant, emportèrent la tête sacrée du roi qui n'avait pas été ointe de l'huile des pècheurs mais avec le sacrement du mystère véritable". Or, cette tête, jetée dans un bois par les bourreaux, est retrouvée plus tard, gardée par un énorme loup. La présence de ce loup et de cette tête sacrée a conduit un historien à faire des rapprochements entre saint Marcoul de Corbeny, vénéré au moment du sacre, Marcolf avec qui dialogue Salomon dans un écrit connu par un manuscrit anglais du xe siècle, et le loup responsable de la mort des derniers Carolingiens. Ici, le loup gardien de la tête sacrée est réhabilité, ce qui pouvait satisfaire les princes capétiens( 18 ). Thèse intéressante mais aventureuse. Lorsqu' Ab bon présente l'élection d'Edmond roi sacré, pense-t-il à celle de Hugues Capet? Sans doute Edmond issu d'une famille royale est choisi par les grands, laïcs et clercs, et par les habitants de la province. Il concilie hérédité et élec17

Vita Edmundi, ch. 8. J.-P. Poly, "La gloire des rois et la parole cachée ou l'avenir d'une illusion'', dans Religion et culture ... , p. 175. 18

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tion. Mais en fait, la Vie d'Edmond a été écrite en Angleterre avant l'élection de Senlis de l'été 987119). Le roi, élu et sacré, exerce un ministère selon certains critères. Abbon dans le chapitre 4 de la "Collection", examine tous les devoirs du roi: n'opprimer personne, être le défenseur des étrangers, des orphelins et des veuves, défendre les églises, nourrir les pauvres, prendre comme conseillers des hommes sages, etc, etc, etc. Il cite, dit-il, des textes conciliaires. En fait, il reproduit une page du Concile de Paris de 829 que Jonas d'Orléans, qui avait joué le premier rôle alors, a reproduit dans "L'institution royale 120l". D'autre part, Abbon reprend un certain nombre de qualités déjà énumérées dans la Vie de saint Edmond aux chapitres 2 et 3. Ces qualités étaient d'ailleurs celle qu'Alcuin énumérait à la fin du VIII" siècle, à l'adresse des princes anglo-saxons: justice, miséricorde, tempérance, chasteté, dévotion, etc. Le roi doit avoir "la simplicité de la colombe et l'astuce du serpent", Abbon le dit et le répète. Il doit se faire obéir comme le voulait Charlemagne, lorsqu'il envoie ses missi (ch. 6). C'est toujours le glorieux ancêtre qui est présenté comme modèle. Dans la deuxième partie du chapitre 6, Abbon donne un extrait d'un capitulaire de Charles qu'il a trouvé dans la collection d' Ansegise (IV, 28) et qui témoigne de la sévérité de l'empereur. Que les rois se souviennent de ce précédent, semble-t-il dire. Remarquons qu'à l'époque d' Ab bon, l'évêque Wulfstan écrivit un traité politique, en anglo-saxon, dans lequel il présentait le roi céleste, puis le roi terrestre et les huit colonnes 19

M. Mostert, King Edmund ... , p. 101. Le métier de roi, ed. Dubreucq, "Sources chrétiennes", n° 407, Paris, 1995, p. 189.

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de la royauté, ainsi que les sept qualités du roi: grande crainte de Dieu, amour de la rectitude, humilité devant Dieu, rigueur contre le mal, réconfort des pauvres de Dieu, protection des églises, jugement juste1211 • Il est certain qu'entre Wulfstan et Abbon, il y eut quelques relations. Le roi ne peut gouverner seul, surtout en ces temps de difficultés politiques. Il lui faut donc l'auxilium et le consilium des grands. Le début du chapitre 4 de "La fidélité envers le roi" est très explicite: Puisque l' Apôtre dit: "Craignez Dieu, honorez le roi", pour quelle raison exercera-t-il les droits de son ministère contre la perfidie des rebelles si les grands du royaume, par l'aide et le conseil, ne lui accordent pas, avec une totale déférence, le respect qui lui est dû? Lui-même seul, en effet, ne suffit pas à assurer tout ce qui est profitable pour le royaume. C'est pourquoi, tout en répartissant la charge sur d'autres qu'il estime dignes de cet honneur, il doit lui-même être honoré d'un dévouement sincère, de sorte que personne ne s'oppose à lui en quoi que ce soit, car "celui qui résiste au pouvoir résiste à l'ordre établi par Dieu". Même au temps des puissants carolingiens, cela était souhaitable. Déjà dans «l'Apologétique», Abbon se mettait au service des rois et leur donnait des conseils pour la remise en ordre du royaume et de l'Église. Mais attention aux mauvais conseillers. Edmond d'Angleterre a su résister à l'évêque qui lui demandait d'accepter les exigences du chef scandi-

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Wulfstan, The Institutes of polity civil and ecclesiastic, ed. K. Just, Berne, 1959, cf. L. Carruthers, L'anglais médiéval, Turnhout, 1996, p. 79.

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nave. La réponse d'Edmond peut être méditée par les rois de l'époque. Rois et empereurs doivent protéger les églises, cela est répété ici et là, et toutes leurs interventions sont faites dans l'intérêt de ces églises. Mais tout n'est pas acceptable. Il faut respecter les canons. Au chapitre 42, Abbon cite une lettre de Grégoire le Grand au sujet de l'élection de l'évêque qui se termine ainsi: "Ce que l'empereur lui-même a fait, si cela est conforme aux canons nous le suivons, mais si cela n'est pas canonique nous le supportons pour autant que nous pouvons le faire sans pécher". Le roi doit pourchasser l'hérésie. Abbon est hanté par tout ce qui risque de nuire à la doctrine de l'Église. Dans "/'Apologétique", il rappelle: "Quiconque, au sujet de Dieu de la relation du commun état de la Sainte Église, a une croyance autre que celle que le Christ enseigne ou qu'aux temps des saints apôtres, l'Église catholique a observé, n'est ni catholique, ni fidèle, mais parfaitement hérétique". Que les rois suivent l'exemple de l'empereur Marcien au concile de Chalcédoine. Il précise, "Mes seigneurs Hugues et Robert, rois très illustres, chassez de votre royaume toute la déviation hérétique". Et sous le mot "hérétique", Abbon met plusieurs maux qui frappent l'Église en particulier la simonie dont nous reparlerons. Craint-il, comme le voudrait certains(22l, les hérésies qui s'annoncent dans le diocèse d'Orléans et qui voient le jour en 1022? Ce n'est pas certain. Les hérétiques sont peut-être marginaux, il y en a de tous les temps, mais ce sont surtout ceux qui s'en prennent aux biens ecclésiastiques, propriété de Dieu.

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Cf.]. Batany, "Abbon de Fleury... ", Mélanges ligériens, p. 11.

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En vérité, "princes illustres, nous ne vivons pas en catholiques, nous ne parlons pas en catholiques, quand moi, je dis que cette église est à moi, quand celui-ci dit que cette autre est à lui, qu'en maquignons insensés, nous les proposons les unes et les autres, à vendre comme du bétail et que nous ne craignons pas d'en acheter à d'autres celles qu'ils nous proposent".

Aux rois d'intervenir et de réunir des conciles. "C'est pourquoi, très pieux [rois], suivant la trace des rois, vos prédécesseurs, donnez votre accord à ces conciles par lesquels, outre le retour à l'entente, la chose publique (respublica) se trouve améliorée et développée: car, si dans quelque petite assemblée, l'un veut s'adjuger les domaines ou les petites possessions d'autrui pour ses affaires personnelles ... Sachez qu'il est hors de doute que ce mal vous concerne, vous qui par définition tenez le faîte du royaume précisément pour rendre à tous une justice équitable. Car c'est pour vous assurément, nos seigneurs, que chacun de vos sujets crie vers Dieu et dit: « Mon Dieu, donne au roi ton équité et au fils du roi ta justice pour juger ton peuple en toute justice et les pauvres en toute équité» (Ps. 71)". Relevons l'expression "chose publique". L'expression respublica est écrite là, comme il se trouve sous la plume de Gerbert et de Richer de Saint-Remi123 l. Ainsi, le roi pieux, juste et miséricordieux, protecteur des faibles et des églises, pourra remplir son ministère confié par Dieu. Cf. Sassier, "Utilisation du concept de respublica dans la France du Nord (Xe - XIIe siècles)" dans Droits savants et pratiques françaises du pouvoir XIe - xve siècles, ed. J. Krjen, Bordeaux, 1993, p. 79-97 et P. Riché, Les grandeurs ... , p. 83-84. Sur les fondements carolingiens de la Collection, cf. Y. Sassier, Hugues Capet ... , p. 288 et s.

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Tout cela procède de la doctrine carolingienne. Contrairement à ce que certains pensaient à l'époque, Hugues Capet et son fils sont bien les successeurs des Carolingiens.

C. L'évêque

Les relations difficiles entre Abbon et l'évêque d'Orléans ont fait déjà apparaître tout ce qui peut opposer un moine et un évêque à la fin du X' siècle. Autant qu'aux périodes précédentes, l'évêque est un seigneur d'origine aristocratique, riche en biens, meubles et immeubles, et mettant sa richesse au profit de son évêché, mais aussi à tout ce qui regarde la vie artistique( 24 l; c'est un mécène. Il est nommé par le roi, du moins en France du Nord, met à son service ses milices, il a des ambitions politiques. C'est l'acharnement de l'archevêque de Reims qui a permis à Hugues Capet de devenir roi. Sans doute à l'époque des évêques actifs, généreux et mêmes saints ne manquent pas, certains sont en bonne relation avec les monastères de leur diocèse. Citons Brun de Roucy, évêque de Langres (980-1016), un homme instruit, ami de Gerbert, un grand politique. Il réforma des abbayes, Saint-Bénigne de Dijon en particulier, et il reste en bonne intelligence avec les moines. Mais Abbon, qui veut se libérer de la tutelle de son évêque, dénonce dans sa Collection, surtout les défauts, voire les vices des évêques. Et d'abord les conditions de la nomination. L'évêque ne doit pas désigner son successeur (ch. 42), en cas de maladie il peut avoir un coadjuteur. On ne peut accéder directement de l'état de laïque à l'épiscopat (lettre 14 ). L'évêque est élu,

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P. Riché, Les grandeurs ... , p. 137 et s.

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comme le roi, et doit être consacré devant tout le peuple des Chrétiens. Parlant de l'élection et de la nomination de l'évêque, Abbon s'en prend, après bien d'autres, à la simonie reconnue comme une hérésie depuis Grégoire le Grand. Dans la deuxième moitié du x• siècle, Atton de Verceil, Rathier de Vérone et bien d'autres, s'en prennent à ce fléau: achat de charges religieuses, de bénéfices, vente de sacrements, etc125 ). Le fléau continue au xi• siècle à entendre Raoul Glaber: La raison de notre préambule, c'est que, presque tous les princes étant dès longtemps aveuglés par l'amour des vaines richesses, le mal a gagné à la ronde tous les prélats des églises disséminées par le monde. Du don gratuit et vénérable du Christ tout-puissant, ils ont fait, comme pour rendre plus sûre leur propre damnation, une marchandise, chère à leur cupidité. De tels prélats paraissent d'autant moins capables d'accomplir l'œuvre divine qu'on sait bien qu'ils n'y ont point accédé en passant par la porte principale. Et l'audace de telles gens a beau être flétrie par maints textes des saintes Écritures, il est certain que de nos jours elle sévit plus que jamais dans les divers ordres de l'Église. Même les rois, qui auraient dû être les juges de la dignité des candidats aux emplois sacrés, corrompus par les présents qui 'eur sont pro-

digués, font choix de n'importe qui pour gouverner les églises et les âmes du moment que c'est celui dont ils attendent les plus riches cadeaux 1261 •••

C'est bien en ces termes qu'Abbon dénonce l'hérésie. En 989, son disciple Bernard, abbé de Solignac et de Beaulieu, est invité par le comte de Toulouse, Guillaume Taillefer, à 25 26

Cf. Fliche et Martin, Histoire de l'Église, t. VII, p. 466 et s. Raoul Glaber, Histoires, II, 6.

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occuper l'évêché de Cahors à prix d'argent. Il envoie, nous dit Aimoin, une lettre à Abbon pour lui demander ce qu'il devait faire, ce qui peut paraître curieux pour un ancien élève d' Abbon. Ce dernier lui répond. Citons Aimoin: Il envoie donc un message à son saint maître Abbon, lui demandant ce qu'il devait faire. Celui-ci lui dépêcha une lettre pleine de charité, où se trouvait ceci: «Parce que la pitié divine t'a porté, toi son serviteur, au faîte de tant d'honneurs que tu rehausse par l'éminence de tes vertus au point de servir d'exemple à plus d'un homme de bien, je t'exhorte et t'engage, te souvenant de la profession monastique, à chercher à atteindre ces degrés d' excellence dans lesquels tu ne puisses offenser Dieu». Et un peu plus loin, flétrissant ceux qui vendent et ceux qui achètent la grâce du Saint-Esprit, il dit ceci: «De tels acheteurs semblent tisser des toiles d'araignées, et ils s'en défendent en disant qu'ils achètent non point la bénédiction, mais le droit à la possession, des biens de l'Eglise, mais de qui l'Eglise est elle eu possession sinon de Dieu seul? Qui en est le seigneur, sinon Dieu? Parce que même si l'Église, dans le temps présent, a besoin de deux avoués, l'un au temporel, l'autre au spirituel, elle n'a cependant ni l'un ni l'autre pour seigneur, qui ait capacité de la vendre ou de /'acheter, elle que le Christ a rachetée de son sang». En lui donnant conseil, il termine sa lettre par cette conclusion, disant: « Ne consens donc jamais en aucune façon à devenir hérétique, parce que c'est en vain qu'il fait pénitence pour ses péchés celui qui combat cette foi que l'Église catholique a maintenue sous les saints apôtres » 1271 • 27

Aimoin, Vita (ch. 10).

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Dans son Apologétique, Abbon demande aux rois de lutter contre cette hérésie, il utilise les mêmes termes: De ce que nous avons reçu gratuitement en don du Père tout puissant, nous nous faisons les trafiquants et nous nous efforçons de vendre ce sur quoi nous n'avons pas droit de possession. Il n'est, en effet, presque rien de ce qui semble appartenir à l'Église, laquelle appartient à Dieu seul, qui ne s'accorde à prix d'argent, à savoir /'épiscopat, le sacerdoce, le diaconat et les autres ordres mineurs, l'archidiaconat ainsi que le décanat, la prévoté, la garde du trésor, ['administration du baptême, celle de la sépulture et ainsi de suite, etc., et un peu plus loin, il cite Grégoire le Grand et un long passage de saint Ambroise. Dans sa Collection, il parle également de la simonie ... Le chapitre 13 s'intitule De ce que les évêques doivent être ordonnés sans simonie. Abbon cite des extraits de lois impériales et du concile de Chalcédoine. Dans la lettre 14, il revient sur cette question: Si quelqu'un a donné une somme d'argent et par ce moyen a été fait évêque, non seulement lui-même, mais aussi celui qu'il a consacré ne sera plus compté parmi les évêques, etc.

Les moines fleurisiens étaient habitués aux attaques d' Abbon contre la simonie, tel celui qui, au début du xi• siècle, écrivit dans un manuscrit (Vat. Reg. lat. 1414, fol. 52) "La Gaule, c'est la vénerie vénale. Quand l'évêque aura dépensé ses deniers démoniaques, il sera un ânon", et le moine d'en appeler à "Rome, tête du monde" sous peine de dépérir. On est tenté d'associer la simonie à un autre mal qui frappa l'Église et que l'on appelle dans les manuels le "nicolaïsme", c'est-à-dire le concubinat ou le mariage des évêques

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et des clercs en général 128 '. Le moine Abbon qui présente la chasteté comme la plus grande des vertus, revient à plusieurs reprises pour en dénoncer les manquements. Il le fait dans la Collection en citant des textes qui parlent des péchés des clercs en général et des fils d'évêques et de clercs, mais surtout dans la lettre 14. Là, il cite Jérôme (lettre à Jovinien), le concile de Carthage, Ambroise, Léon le Grand, Innocent, le concile de Nicée, etc. Abbon a encore bien des choses à dire sur l'évêque. À partir de textes, il lui reproche son autoritarisme envers les clercs et son ambition. Il veut que l'évêque soit instruit de la science des Écritures - il cite Isidore de Séville - bref, il trace en négatif le miroir d'un bon évêque chaste, instruit, respectueux des biens d'églises, etci 29 '. On peut également, en relisant les textes d' Ab bon, faire le portrait du bon clerc, qu'il appartienne à une église ou qu'il soit préposé à une fondation privée. La chasteté du clerc doit être parfaite: Abbon tire d'un concile l'interdiction d'aller aux bains avec les femmes et de prendre part aux spectacles et aux jeux (lettre 14 ). Le clerc, lui aussi, doit savoir ses lettres et connaître les canons. Ce n'était pas inutile de le rappeler au x• siècle.

D. Les moines Et les moines me dira-t-on? Ils ne sont pas oubliés évidemment, mais surtout présentés par rapport aux clercs et 28

Histoire de l'Église, op. cit. p. 476 et s. M. Mostert, "L'image de l'évêque idéal chez Abbon de Fleury" dans Religion et culture ... , p. 39-45.

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laïcs, comme on le verra plus loin, à propos des propriétés monastiques. Sur les moines, Abbon a beaucoup à dire. Si son monastère est, semble-t-il, bien gouverné, il n'en est pas de même de plusieurs abbayes en dépit des réformes qui se sont opérées au milieu du x• siècle. À lire le rapport de l'abbé Raoul de Saint-Remi au synode de 980, rapport donné avec beaucoup de détails par Richer, on n'est guère édifié(30 l. Il est vrai que le même Richer dit que grâce à Adalberon de Reims, "l'ordre monastique devint alors très fforissant". Hugues Capet demanda à Mayeul de Cluny de venir réformer Saint-Maur des Fossés. Après s'être fait prier, parce que ce monastère était très loin de son territoire d'action, Mayeul accepte. Hugues, par la suite, lui demande de réformer SaintDenis. C'est en allant à cette abbaye que Mayeul mourut. Les clunisiens avaient également, comme nous le verrons, réformé l'abbaye de Marmoutier, ce qui n'eut pas d'ailleurs d'heureuses conséquences. Abbon, qui était en bonne relation avec Mayeul puis avec son successeur Odilon, voulait comme eux un monachisme humble, obéissant, discret et surtout montrant l'exemple de la virginité, afin d'apparaître, comme il l'a dit dans /'Apologétique, le premier groupe de la société, bien supérieur au clergé et au laicat( 31 l. Dans sa Collection, Abbon parle de l'élection abbatiale (ch. 14), de son ordination (ch. 15), d'une accusation portée contre l'abbé (ch. 17). À ce sujet, on verra plus loin les interventions d' Ab bon à Marmoutier et à Poitiers. Il évoque également le cas du moine et de la moniale appellés en justice (ch. 26). Abbon parle du cas des clercs qui veulent se faire moines, des moines qui veulent devenir prêtres (ch. 21), 30 3!

Richer, Histoire de France, III, 32 à 41, ed. Latouche, t. Il, 41. Cf. supra, p. 154.

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des moines qui n'observent pas leur vœux (ch. 22), des moines exploités par l'évêque. Il consacre le chapitre 20 au recteur de Fleury, en rappelant les décisions du concile carolingien de Toul, ce qui sans doute lui servira dans ses conversations avec le pape Grégoire V. Le monastère est un endroit privilégié, c'est un lieu d'asile. Dès le premier chapitre de la Collection, Abbon le dit en citant un édit de Théodose, d'après le Bréviaire d'Alaric. Les réfugiés qui ont déposé leurs armes doivent être protégés aussi bien aux abords de l'église qu'à l'intérieur. Celui qui n'aura pas respecté cette règle et aura retiré un accusé des lieux saints sera condamné à mort. A l'époque des Foulque Nerra et consorts, il n'était pas inutile de rappeler l'importance du droit d'asile. A la fin de sa Collection, en dehors de ce que dit Abbon sur le roi qui n'est pas un laïc comme les autres, Abbon ajoute deux petits chapitres sur les combattants et sur leur solde à partir d'un texte d'Augustin. Mais il ne dit rien sur ceux qui travaillent, comme il l'avait fait dans "l' Apologétique".

3. Les enseignements d' Abbon: défense des droits monastiques Un des principaux soucis d' Abbon est de défendre et protéger les biens des monastères contre les envahissements des laïcs et des évêques. En passant, il parlera des biens ecclésiastiques en général, mais ce n'est pas la première de ses préoccupations. Il faut reconnaître qu'après la crise de la première moitié du xe siècle, les moines réformateurs cherchaient à reconsti-

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tuer les anciens réseaux des églises paroissiales. On en a donné des exemples pour Saint-Bertin et Saint-Remi de Reims. Les évêques eux - mêmes préféraient donner des églises aux monastères plutôt que voir des églises privées fondées par des laïcs se multiplier. Mais ceci dit, les évêques tenaient à percevoir des revenus sur ces églises. On distinguait l'église proprement dite et l'autel. L'évêque, d'autre part, se réservait le droit de controle et de visite. On donne comme exemple ce qui se passe pour l'abbaye de Saint-Maur des Fossés, réformée par Mayeul de Cluny. L'évêque de Paris accorde à l'abbé le domaine de Maisons-Alfort avec deux églises et une chapelle, mais conserve des droits sur ces églises. Souvent l'évêque voulait garder ce qui était le plus rentable, les dîmes, comme nous l'avons vu plus haut. Pourquoi s'adresser aux rois? Parce qu'ils sont les législateurs, mais aussi qu'ils sont maîtres des évêchés du nord de la France et protecteurs, sinon abbé-laïcs, de plusieurs monastères. Abbon s'est rendu compte, au moment du concile de Saint-Basle et de ses suites, de la toute puissance du roi sur l'Église de France. Rappelons les principes d' Ab bon. Il les présente dans l' Apologétique et les reprend par la suite. L'Église est la possession de Dieu seul. Le Christ a dit à Pierre: "je bâtirai mon église et pas celle de Pierre". Deuxième principe, on ne peut distinguer l'autel et l'édifice appelé église. De même, on ne peut diviser la personne du Christ. Le Christ est Dieu et homme, l'église est bâtiment et autel, sinon c'est un cadavre, un corps sans âme (lettre 14 ). Les moines dans l'église et près de l'autel prient pour le monde. Comme l'a dit J.-F. Lemarignier: "Abbon place la propriété monastique sous le signe de la spiritualité". Ceux qui ont voulu diviser la personne

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du Christ sont hérétiques, ceux qui veulent distinguer église et autel le sont également. Abbon revient sur ces hérétiques dans l' Apologétique et la lettre 14. Dans ces conditions, tous les revenus d'un monastère reviennent aux moines, les dîmes particulièrement, puisque c'est ce que guettent évêques et laïcs. C'est bien ce qu'il a dit à Saint-Denis et qui a valu les attaques que l'on sait. Il le redit ici. Ceux qui s'en prennent aux monastères sont d'abord les laïcs et paradoxalement, ceux qui devraient les premiers les défendre, les avoués. Ces avoués, depuis l'époque carolingienne, sont des seigneurs à qui l'ont confie une abbaye ou un prieuré et qui sont les intermédiaires entre l'abbé et le pouvoir public. Or, dit Abbon: "ils pillent les biens des églises ou des monastères en les exploitant, ils réduisent les paysans à la pauvreté, etc". Dans la lettre 14, Abbon déplore que les offrandes faites à l'église servent plus aux chevaux et aux chiens des laïcs qu'aux pèlerins, aux orphelins et aux veuves. Des biens religieux sont attribués en precaire, selon la coutume carolingienne. Encore faut-il qu'ils ne soient pas considérés comme un bien personnel. Des églises sont fondées par des hommes pieux. On doit respecter la volonté du fondateur (ch. 32, 34) et ne pas laisser un évêque intervenir.

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A. Les évêques et biens d'églises Abbon affirme à temps et contre-temps que l'évêque ne doit pas aliéner des biens d'églises. C'est une règle canonique depuis longtemps exprimée par les conciles et Abbon a de quoi établir sa démonstration. De même que le roi a une juridiction sur le royaume sans le posséder, l'évêque a droit de regard et protection de l'église mais il ne la possède pas. Le concile de Carthage interdit aux évêques d'envahir les églises (ch. 28), celui de Tolède d'aliéner les biens de ces églises (ch. 32). L'évêque peut disposer d'un tiers des revenus, d'autres textes disent d'un quart (lettre 14, Collection ch. 35 et 38). En cas exceptionnel, lorsqu'il fait sa tournée dans son diocèse, dit un autre texte (ch. 31 ), l'évêque ne doit rien percevoir en dehors de la redevance dûe à sa fonction épiscopale. Qu'il ne prenne rien aux églises privées (ch. 32). Exceptionnellement, il peut aider, apporter un secours matériel aux pauvres ou aux clercs dans le besoin (ch. 34 ), etc.

B. Les moines et les biens monastiques

Lorsqu'il écrit à l'abbé Gauzbert, Abbon lui dit: "S'il t'est

arrivé d'être troublé en entendant dire que les moines ne peuvent tenir d'église, écarte cette crainte de ton esprit". Toute l'argumentation d' Abbon, appuyée par les textes des conciles et les lettres de Grégoire le Grand, consiste à démontrer le bon droit des monastères pour aboutir à l'indépendance de ces monastères, c'est-à-dire, nous le verrons, à l'exemption. L'abbé lui-même ne peut aliéner les biens de son monastère. Dans sa lettre 14, Abbon donne même l'exemple de Fleury:

"Un des prédécesseurs a édifié une église dans une passes-

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sion de notre monastère, il lui a conféré une dotation, est-ce que par là même le monastère aurait perdu cette possession? Ou bien l'abbé a-t-il la capacité pour l'aliéner? Aussi consulte t-on à ce sujet les polyptyques de notre monastère établis au temps de Charlemagne et presque consumés de vetusté... ". Charlemagne, c'est-à-dire une époque très reculée. Abbon ne se contente pas d'exposer les principes et les règles qui président à la sauvegarde des biens monastiques. Nous l'avons vu et nous le verrons encore intervenir. Son slogan répété souvent et emprunté au Livre des Proverbes (XXII, 28): "Tu ne déplaceras pas les bornes anciennes qu'ont posées tes pères".

4. Abbon et !'Eucharistie En dehors des textes et des commentaires sur la Papauté, la royauté, l'épiscopat, le monachisme, les biens d'églises, Abbon complète sa Collection par deux petits chapitres sur les Combattants et surtout par un important chapitre sur !'Eucharistie, en utilisant des textes de saint Augustin, Eucher, Grégoire le Grand. La messe qui doit rassembler souvent les chrétiens (ch. 49) atteint son sommet dans le sacrement de !'Eucharistie. Je ne pense pas qu' Abbon se soit préoccupé des idées qui s'expriment ici et là sur !'Eucharistie et qu'il ait connu le traité d'Hériger, abbé de Lobbes en 990(32). Ce qui l'intéresse, se sont les conditions de la réception de ce sacrement, par les pénitents, par les hommes souillés de pollution nocturne ou l'acte sexuel et les femmes au moment du flux menstruel 32

Cf. P. Riché, Gerbert d'Aurillac ... , p. 139.

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ou des relevailles. En ce qui concerne ces dernières, Abbon cite Grégoire le Grand et sa réponse à la question d' Augustin de Canterbury qui fait preuve de libéralisme. D'ailleurs Abbon reconnait que "Grégoire, qui est particulièrement grand par la sagesse et l'éloquence, accorde indulgence à la faiblesse humaine". Qui dit communion, dit également excommunication. Abbon se souvenait de l'attitude des évêques lors de la réunion de Saint-Denis et de l'excommunication des moines. Dans l' Apologétique, il disait: on ne doit pas excommunier à la légère et de citer un concile d'Afrique: Le fait, en effet, qu'on ne doit pas excommunier à la légère et que c'est une grande douleur qu'un membre du Christ doit être retranché de son corps, a été révélé dans le concile d'Afrique, dont voici l'article essentiel: "Aussi longtemps, dit-il, que son évêque n'aura pas communiqué avec un excommunié, que les autres évêques ne communiquent pas avec cet évêque, afin que celui-ci prenne bien garde à ne rien dire contre quelqu'un qu'il ne puisse démontrer par d'autres preuves". Estimons-nous qu'est excommunié celui que ne ronge pas la conscience de la faute pour laquelle il devrait être privé de la communion des fidèles? Alors certes, elle est juste l'excommunication faite par le pasteur quand une citation canonique a été préalablement adressée à l'accusé, et que celui-ci n'a pas voulu corriger sa faute en la soumettant au jugement de l'Église, et que de cette façon, gonflé d'orgueil, il se retranche des brebis saines, dont il n'ignore pas que par jugement divin il doit être retranché... De ce mal qu'est l'excommunication débarassez votre royaume, princes sérénissimes, parce qu'à peine s'y trouve-t-il un homme qui ne soit

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pas excommunié au moins pour cette raison, qu'il a eu des rapports avec un excommunié dans un repas ou par l'échange du baiser de paix". Dans sa Collection, Abbon cite de nouveau le concile d'Afrique, ce qui prouve une fois de plus les liens entre les deux écrits. L'évêque ne doit pas excommunier sans raisons graves (ch. 36). Ayant réuni tous ces textes, Abbon peut partir à Rome pour défendre sa cause. Mais avant de l'accompagner, tentons à partir de la Collection et de la lettre 14, de dessiner le profil d' Abbon canoniste.

5. Ab bon canoniste Abbon connaît le droit, il l'aime, il veut l'appliquer. Il énumère volontier les différents actes: dot, testament, précaires, édits des rois et empereurs, les precepta, epistola, tractoria. Il distingue le droit écrit et la coutume orale en s'appuyant sur une définition de Ciceron dans sa Rhétorique. On sait qu'à l'époque d' Ab bon, le droit coutumier a une grande importance dans les relations sociales et que même, on stigmatise les "mauvaises coutumes". Il existe également une autre loi, la naturelle, comme le fait que Dieu est immortel et que l'homme doit mourir (lettre 10). Tobie inculque à son fils les bons principes de la loi naturelle. Tout pouvoir vient de Dieu, donc la loi est divine. Le roi a un pouvoir conféré par Dieu, le pape également encore plus. Mais Abbon ne cite pas la définition gélasienne qui s'oppose à l'auctoritas et la potestas.

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Les lois instituées par les saints pères ne peuvent être changées, de même que les bornes ne peuvent être déplacées. Il faut s'appuyer sur l'autorité des anciens et ne pas prendre des mesures contraires à celle des prédécesseurs. Il le redira dans une lettre, en 996 133 ). Curieusement, Abbon rejoint ici Gerbert lorsque ce dernier faisait dire au synode de Chelles que "les décréta les nouvelles ne peuvent invalider les canons anciens''. Pourtant, Abbon est pour un certain accomodement et souvent ne refuse pas la casuistique. Ainsi, le chapitre 8 de sa Collection a pour titre: "De ce que peut être nécessaire de faire des exceptions aux lois et canons". Il faut examiner la situation des terres, la nature du moment, la faiblesse des hommes et d'autres impératifs qui d'ordinaire font varier les règles des diverses provinces. Ainsi, le transfert des évêques interdit par le concile de Nicée, est autorisé par celui d' Antioche. Le Christ nous enseigne de haïr la femme alors que saint Paul nous commande de l'aimer. Abbon reconnait que des lois se contredisent. Dans sa lettre à Bernard, comme dans la lettre sur "le serment", (ep. 10) il donne comme exemple un passage de Martianus Capella, sans le nommer, et sur lequel dans le manuscrit de Fleury on a marqué Leges contrariael34J. C'est le cas du jeune homme qui voit sa mère sur le point d'être tuée dans le temple de Venus où il n'a pas le droit d'aller sous peine de mort. De même, dans sa lettre à Bernard, il le met en face de deux règles: remplir sa charge pastorale ou quitter le monde pour faire son salut. Il faut écouter sa conscience pour surmonter l'obstacle de la contradiction des lois. Il faut avoir la faculté de discernement, Cf. infra, p. 202. Martianus Capella, Noces de Mercure et de Philologie, V, 464 (ms. de Berne 56).

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"mère des vertus". Dans sa lettre à un évêque sur le serment, Abbon estime qu'il faut tenir compte du lieu, du temps, des personnes, des circonstances. Parjurer n'est pas un pêché, si on a juré sous peine de mort ou sous la torture. De même qu'un baptême conféré par la force n'est pas valable. Par certains côtés, Abbon ressemble à Gerbert. Bien qu'attaché à la loi il est capable d'une certaine souplesse dans son application. Il est volontaire et souhaite que chacun l'imite. Il est nourri des auteurs anciens et fait appel à la raison et à la mesure, la discrétion qui est une vertu bénédictine. Comme Gerbert, il pense après Ciceron, que ce qui est "utile et honnête" l'emporte sur la volupté séduisante des désirs (ch. 8). Abbon a le goût de la discussion, des procédures. On a déjà remarqué combien ses connaissances juridiques le conduisent à mettre en scène les accusateurs, les témoins, les juges, à évoquer les délateurs, les calomniateurs. Mais c'est aussi un combattif qui ne veut ni s'avouer vaincu, ni que les autres ne se défendent pas. Dans sa lettre 14, il donne des conseils à Gauzbert en lutte contre son évêque. Il lui faut l'astuce du serpent. Il faut attaquer les petits renards qui dévorent la vigne. La petite chèvre menacée par le loup peut échapper à sa gueule, "si elle se tait, elle se précipite immédiatement vers la mort. Tiens donc tête aux méchants", ditil à l'abbé. De même, dans la lettre sur le serment, il donne des conseils pour ne pas tomber entre les mains des ennemis. Si l'on risque d'être pris, il faut fuir par le point le plus bas de la muraille. Mais une fois qu'on a décidé quelque chose, il faut aller jusqu'au bout. Que Bernard n'écoute pas les clameurs autour de lui. Tel les vaches qui transportent en meuglant l'arche du Testament, il ne faut s'écarter, ni à droite, ni à gauche.

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Abbon n'est pas le seul canoniste de son temps. Il a eu, des devanciers, il a des successeurs tel l'auteur de la Collection de ecclesiasticis officiis, en Italie du Nord et surtout Burchard de Worms (1008-1112) dont le succès a été très grand. Ce n'est pas le cas de la Collection d'Abbon qui n'est contenue que dans un seul manuscrit et n'est citée nulle part. Alors qu'en penser? Faut-il dire avec P. Fournier "qu'on trouve dans sa Collection comme un avant-goût de la célèbre préface du Décret d'Yves de Chartres et qu'il a devancé d'un siècle l'évolution du droit canoniquei351 "? C'est peut-être excessif, Abbon est tout autant tourné vers le passé carolingien, voire patristique, que vers l'avenir. Plus près de nous, J. Gaudemet dit que la culture d'Abbon éclate dans la diversité des sources utilisées et que moins volumineuse que d'autres collections, "celle-ci dépasse par ses qualités: des objectifs précis donnés à sa compilation, une réflexion personnelle qui accompagne les textes, un esprit juridique qui hiérarchise les auctoritates et qui déjà expliquent par les exigences du moment les divergences dont elles témoignenf361 ".

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P. Fournier, Histoire des Collections canoniques en Occident, t. 1, p. 329. 36 ]. Gaudemet, Les sources du droit canon (Vllle - XXe siècles), Paris, 1993, p. 39.

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La conquête de l'exemption romaine

En rédigeant sa Collection canonique puis sa lettre 14, Abbon songe à la défense de son monastère contre les intrusions de l'évêque d'Orléans et à la protection des biens monastiques. Mais il veut également affirmer le pouvoir absolu du pape. Il veut dès lors obtenir l'exemption romaine et pour cela entreprend son premier voyage à Rome qui sera suivi par d'autres.

1. Les voyages à Rome A. Le premier voyage

"Là-dessus, l'éminent Abbon part pour Rome avec un équipage fort honorable pour faire confirmer les privilèges de l'église qui lui était confiée ou plutôt pour en obtenir le renouvellement". C'est ainsi qu'Aimoin au chapitre 2 de la Vita, parle du premier voyage à Rome. Le pape est alors Jean XV, élu en août 985 11). En fait, celui qui régnait à Rome était son ami le patrice Crescentius. L'impératrice Théophano, venue dans la Ville éternelle en 989, avait pu un moment libérer Jean XV de cette tutelle. Au moment du pro1 Sur ce pape, cf. H.-H. Kortum, Dictionnaire historique de la Papauté, ed. Ph. Levillain, Paris, 1994, p. 938-939.

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cès de l'archevêque de Reims Arnoul, Hugues Capet par la plume de Gerbert, avait écrit au pape: Par conséquent, vous qui tenez la place des apôtres, définissez ce qu'il faut faire de ce nouveau Judas, pour éviter que ne soit par vous blasphémé le nom du Seigneur et que, bouleversé par une douleur légitime à cause de votre silence, nous n'allions entreprendre la destruction d'une ville et l'embrasement de toute sa province. Et si vous refusez de donner un jugement conforme à nos plaintes d'ignorants, vous n'alléguerez pas de prétexte devant Dieu qui juge. Les évêques de la province de Reims, toujours par la plume de Gerbert appellent le pape à leur aide: Assistez, ô Père, une église en ruine et, contre le coupable, proférez la sentence qu'ont promulguée les saints canons, ou plutôt qui a été proférée par la vérité elle-même. Puissionsnous sentir en vous un autre Pierre, défenseur et corroborateur de la foi chrétienne. Que la Sainte Église Romaine porte une sentence de condamnation contre celui que condamne l'Église universelle. Que nous appuie votre autorité en destituant cet apostat, en ordonnant un nouvel archevêque qui puisse présider à la maison du Seigneur, en assurant cette nécessaire promotion par un appel simultané à nos frères les évêques, afin que nous sachions et que nous comprenions pourquoi, entre toutes, nous devons prééminence à votre mission apostolique121 • Si je cite des extraits de ces lettres, c'est pour montrer que les évêques français, comme le roi, espèrent beaucoup dans la décision du pape, dont ils reconnaissent la grandeur et le pouvmr. 2

Lettres publiées dans Correspondance de Gerbert ... II, Annexe 2, 653 et 657.

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Pourtant, le pape ne répondit pas. Son entourage était très sensible à l'octroi de cadeaux, si bien que lorsque les envoyés d'Hugues Capet arrivèrent au Latran, ceux des partisans d' Arnoul les avaient devancés et avaient remis au pape de grands présents, dont un beau cheval blanc, peut-être en souvenir du cheval que devait monter le pape d'après la pseudoDonation de Constantin. Ceci se passait en 990. Nous savons que le pape n'ayant pas répondu au roi Hugues, ce dernier, après avoir patienté neuf mois, décida de convoquer un concile pour juger Arnoul( 31 • Nous avons vu comment Abbon tenta de démontrer que le concile n'avait aucun pouvoir et que c'était au pape de s'occuper de l'affaire. Dans ces conditions, Abbon pouvait espérer être bien reçu par Jean xv. Il devait savoir d'autre part que le pape avait octroyé en juin 993 une bulle à l'abbé Garin de Saint-Michel de Cuxa qui lui confiait cinq abbayes et qui garantissait les biens monastiques: qu'aucun évêque ou abbé, disait ce texte, ou prêtre des très saintes églises voisines, ne revendique ou n'exerce de quelque façon son droit ecclésiastique à l'égard des monastères à moins qu'il y ait été invité par le père du monastère ou les frères pour quelques affaires ecclésiastiques14J. Et pourtant, Abbon fut assez mal reçu par Jean xv. Comme le dit Aimoin: "En vérité, il ne trouva pas le pontife du siège apostolique du nom de Jean tel qu'il aurait voulu qu'il soit ou qu'il aurait dû être. Mais il découvrit une personne avide de gains honteux, un homme vénal dans toutes ses actions. Après l'avoir maudit et après avoir rendu visite 3

P. Riché, Gerbert d'Aurillac, p. 120 et s. Ed. R. Abadal dans Les Visigots ais Catalans, Barcelone, 1969, t. 1, p. 377-484.

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aux tombeaux des saints pour y prier, il revint chez lui ayant acheté un certain nombre de pièces d'étoffe, tout en soie, de fort bel aspect et convenant à l'ornementation de l'église". On ne revient jamais de Rome les mains vides. Abbon dût être fort déçu, mais comme nous l'avons dit plus haut, il savait distinguer la personne qui siégeait sur le trône de saint Pierre et saint Pierre lui-même qui était toujours vivant à Rome 151 • Revenu en France, Abbon a l'occasion d'exalter une nouvelle fois la puissance de la papauté, mais aussi de contrecarrer l'action de Gerbert.

B. L'affaire de Saint-Martin de Tours Les chanoines de Saint-Martin de Tours étaient en conflit avec leur archevêque Archambaud (980-1000). Ce dernier voulait intervenir dans la collégiale alors que les chanoines avaient leur propre évêque et avaient reçu des privilèges romains pour échapper à la juridiction de l'ordinaire. Archambaud écrivit à son collègue Gerbert, l'éminent archevêque de Reims, qui lui répondit par la lettre suivante: Non sans une fraternelle compassion, nous avons recueilli vos doléances et c'est pourquoi, à la mesure de notre intérêt, nous ne remettons pas à plus tard aide et conseil. Puisqu'ainsi, comme vous le dîtes, les clercs de saint Martin ont refusé votre bénédiction, qu'il en soit fait comme il a été écrit: «Il n'a pas voulu de ma bénédiction et elle sera éloignée de lui». En vérité, quand on se voit injustement repoussé par certains, le Seigneur enseigne qu'il faut, en réponse, secouer contre eux la poussière de ses souliers. 5

Cf. supra, p. 171 et M. Mostert, The political theology ... , p. 128.

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Bien plus Gerbert au nom des évêques réunis à Saint-Denis dans la chapelle Saint-Paul écrivit aux chanoines: L'ensemble des évêques, venus en concile à l'église SaintPaul, à l'ensemble du clergé du monastère Saint-Martin. Après avoir entendu parler de votre rébellion à /'encontre de notre frère, l'évêque de la cité de Tours, nous vous envoyons cette lettre en décidant en commun ou bien que vous vous réconciliez avec votre évêque, ou bien que vous veniez au plaid qui doit se tenir à Chelles, afin d'y rendre compte, le 9 mai, d'une discorde qui a trop duré. Si vous ne le faites pas, sachez que vous frappera la censure des sanctions canoniques. 161 De leur côté, les chanoines demandèrent l'appui de l'adversaire de Gerbert, Abbon. Ils furent conseillés pour cela par l'ancien élève d'Abbon, le trésorier Hervé dont j'ai parlé plus haut(7). Abbon écrivit alors "aux pères et aux frères groupés en communauté dans le monastère Saint-Martin et plus particulièrement à Hervé, miroir de vertu". Après un début toujours un peu précieux, Abbon s'étonne que les chanoines lui aient demandé de venir, sans lui dire la raison, tout en lui demandant d'apporter le dossier canonique qu'il a toujours avec lui. Abbon a donc appris "pour ainsi dire par la rumeur publique" que l'archevêque Archambaud s'opposait aux privilèges de saint Martin. Et alors d'exalter la sainte Église Romaine "qui a par sa supériorité sur toutes les églises ce privilège [... ] qu'elle confère autorité à tous ceux qui sont en quelque sorte ses membres ... ". J'ai cité ce passage plus haut! 81 • Selon son habi6 7

8

Lettres 207 et 209 dans Correspondance de Gerbert.. ., p. 351 et 357. Cf. supra, p. 73. Cf. supra, p. 172.

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tude, consultant ses dossiers, Abbon cite une lettre de Grégoire le Grand à l'évêque Jean, à qui le pape conseillait de respecter les privilèges accordés autrefois aux monastères. "Car il ne faut pas que les anciens pontifes romains subissent des préjudices de la part des modernes". Citons ce passage: Loin de nous, donc, loin de nous, la pensée que les écrits des hommes saints et surtout ceux des anciens pontifes romains ne subissent des préjudices de la part des modernes et que les avis des successeurs fassent peu de cas des opinions de ceux dont ils vénèrent la mémoire. Car si les jeunes méprisent les décisions prises au temps des anciens, auxquelles ils auraient dû adhérer, que reste-t-il sinon que le plomb flotterait sur les eaux et que le bois se fendillerait immergé jusqu'au fond? À la fin, Abbon conclut:

Avant tout, je vous recommande d'examiner avec soin les mérites des évêques de Tours et des pontifes romains et ensuite vous allez pouvoir juger lequel des deux contradicteurs l'emporte par son habilité. Adieu.

En 996, les chanoines auraient obtenu une bulle de Grégoire V19 ).

9 Dom Cousin, Abbon ... , p. 161; on discute sur l'authenticité de cette bulle.

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C. Le deuxième voyage à Rome (printemps 996) Ce deuxième voyage a fait l'objet de controverse 1101 • Pourtant, il apparaît bien avoir eu lieu, lorsque l'on lit la lettre d'Abbon à Léon. Ce dernier, nous l'avons vu, avait été choisi par le pape Jean XV pour enquêter sur l'affaire Gerbert, Abbon l'avait rencontré à Reims, sans doute lors du concile de juillet 995 1111 • Dans sa lettre, il témoigne d'une profonde amitié et admiration. En voici le début: À monseigneur L[éon], abbé de Saint-Boniface, très cher parmi les très chers, dont la voix retentit de façon merveilleuse par le privilège de son éloquence comme par le mérite de sa vie et la sûreté doctrinale de sa science, Abbon, humble abbé du monastère de Fleury, que « t esprit du Seigneur qui a rempli l'univers», remplisse aussi sa science et son intelligence. La lettre continue sur ce ton. Abbon rappelle l'entretien particulier qu'il eut à Reims avec Léon. Il a admiré l'éloquence de l'abbé, aussi bien en privé qu'en public: Stupéfait alors devant de tels éclairs de vos mots étincelants, j'ai été contraint désormais de proclamer partout que vous êtes le tonnerre même du Saint-Esprit qui descendit sur les apôtres 10

F. Lot pas plus M. Mostert ne croient en l'existence de ce deuxième voyage. Ils traduisent le passage de la lettre à Léon Romanam Ecclesiam digno viduatam pastore offendi. "Je me suis heurté à l'église romaine dépourvue d'un pasteur honnête", comme une allusion à l'accueil de Jean XV lors du premier voyage. Il faut traduire comme J. Lair, Études critiques sur divers textes des xe et xie siècles, Paris, 1899, "Je trouvais l'église romaine privée hélas de son digne pasteur". L'Histoire littéraire de la France, tome VI, p. 109 et J.-B. Pardiac, Histoire de saint Abbon, croient à un deuxième voyage. 11 F. Lot hésite à croire qu' Abbon a rencontré Léon au concile de Reims (Études ... , p. 270). Pourtant, l'allusion à l'éloquence du légat est claire.

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en langues de feu, et que, avec l'aide des sept dons de la grâce, vous avez vous aussi aiguisé une épée étincelante pour retrancher de son Temple les indignes... Sur ces entrefaites, ayant levé le regard de mon esprit, j'ai eu la volonté de fixer avec les yeux de aigle les rayons de soleil de votre éloquence et, comme dit /'Ecclésiaste: « Le frère aidant son frère est comme une cité fortifiée et puissante», j'ai décidé de posséder en vous pour l'éternité, s'il [vous] plaît, le bâton d'un secours inébranlable et la colonne d'une amitié inséparable. Après avoir rappelé les demandes de Léon concernant les reliques de saint Benoît que ce dernier voulait avoir à Rome "en échange de reliques de saint Boniface ou des membres sacrés d'autres saints", Abbon ajoute: Votre Bonté incomparable a encore ajouté que si quelque désir nous pressait sur une affaire concernant notre maison de faire confirmer nos privilèges par la plume apostolique de l'autorité romaine, vous seriez en toutes choses et en toutes occasions notre plus fidèle collaborateur.

r

C'est évidemment l'essentiel. Abbon cherche à obtenir un privilège pour Fleury. C'est alors qu'il parle des conditions de son séjour à Rome: Or, c'était tout ce que je désirais obtenir quand je me suis rendu en suppliant auprès du corps glorieux du prince des apôtres, mais j'ai trouvé hélas! ô douleur! l'église romaine veuve de son digne pasteur. Mais f ai été, je l'avoue, autant affecté par votre absence que l'est habituellement le poussin de la poule lorsqu'avec des cris rauques, il se plaint d'être arraché à l'unique protection de sa mère. On a du mal à se figurer le gros homme en poussin effrayé ... Il poursuit:

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Or récemment, j'ai appris un nouvelle qui m'a réjoui «plus que l'or et le topaze»: l'honneur apostolique a été repris par un homme de sang impérial, tout plein à la fois de vertus et de sagesse. Donc ce voyage se place entre la mort de Jean XV et la nomination de Grégoire v par Otton III, à la fin du mois d'avril 996. Abbon termine sa lettre en souhaitant que Léon, revenu à Rome puisse être son intermédiaire auprès du pape, qui en se nommant Grégoire ne peut que suivre l'exemple de son glorieux homonyme. Quant à votre retour, il a fait retentir dans notre esprit comme un concert ineffable d'un retour au paradis. Maintenant donc, de même que nous en avons parlé ensemble, cette lettre se présente à vos yeux par l'intermédiaire de nos moines du saint père Benoît, puissiez-vous l'écouter et ensuite, comme vous l'avez promis, mettre à exécution ce que vous aurez entendu avec la plus grande foi et dévotion. Que le même Esprit qui a inspiré à Grégoire, la (four de toute éloquence, inspire le vénérable apôtre de la sainte Église romaine et vous accorde d'être pour lui même le plus aimé des conseillers en vue de renforcer la grandeur de l'autorité apostolique.

D. Troisième voyage (automne 997) Après avoir parlé de l'échec d'Abbon auprès de Jean xv, et sans évoquer ce que nous appelons le deuxième voyage, Aimoin écrit: "Mais quelques années plus tard, l'occasion se présenta de se rendre de nouveau dans la ville de Romulus,

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à la demande et sur les prières du glorieux roi Robert. La principale raison pour laquelle il fut envoyé est qu'Arnoul, archevêque de Reims, avait été privé de son siège sans jugement légitime et mis en prison" 021 • Ainsi Aimoin, sans parler du rôle d' Abbon au concile de Saint-Basle, évoque pour la première fois Arnoul de Reims et précise les raisons du voyage. Une des raisons, car nous le verrons, il y en a d'autres dont Aimoin ne parle pas ici. a) L'affaire Arnoul de Reims: Donc, le but du premier voyage était l'affaire Arnoul de Reims. Depuis le concile de Reims (995) au cours de laquelle Abbon avait rencontré le légat Léon et avait admiré son éloquence, Gerbert continue à se défendre. Il avait publié les Actes du concile de Saint-Basle au grand scandale du légat qui dans une lettre à Hugues Capet avait protesté contre ce pamphlet rempli d'injure et de blasphème contre l'église romaine: "Sa première idée avait été de repartir à Rome et de remettre au pape ce libelle d'apostasief 13i", Mais sachant que le roi avait l'intention de procéder à l'examen de cette affaire il était resté sur place. Un mois après le synode de Mouzon, on se réunit donc à Reims avec Arnoul sorti de sa prison. Gerbert, dans un discours éloquent, demande instamment au légat Léon, représentant du pape, d'imposer son autorité apostolique aux fauteurs du désordre et de ne pas suivre l'avis de ceux qui voulaient rétablir Arnoul sur le siège archiépiscopal: Que par toi, le successeur de saint Pierre se joigne à nous, que par toi soit réparé le filet déjà déchiré de l'Église en sorte 12

Aimoin Vita 11

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cf. P. Riché, Gerbert ... p. 159

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que lorsque tu seras retourné à Rome, après avoir mené cette affaire à bonne fin, tu sois rappelé de nouveau par les espérances, les vœux et les désirs des évêques de Gaule.

N'ayant pas obtenu satisfaction, Gerbert décide alors de partir à Rome "pour se justifier", comme l'écrit Richer (début 996). Voyage qui devait avoir pour lui une importante conséquence, car s'il ne peut faire admettre le bien fondé de sa cause, il fait connaissance du jeune roi Otton III, venu se faire couronner empereur. Il devient et son ami et son secrétaire. Malgré cela, le nouveau pape Grégoire v continue à considérer Gerbert comme un intrus(' 4l, Revenu en France, l'archevêque apprend la mort d'Hugues Capet, donc la disparition de son principal appui. Il tente de résister mais il apprend que Grégoire V, lance au concile de Pavie (février 997), l'anathème contre les évêques qui ont déposé Arnoul à Saint-Basle. Tout en reprenant ses arguments déjà présentés sur les relations entre la Papauté et l'Église, Gerbert affirme dans une lettre à l'archevêque de Sens, lettre souvent citée par les gallicans, que: "le jugement de Dieu est supérieur à celui de Rome" et que "le pape ne doit pas agir contre la « loi commune de l'Église catholique», à savoir l'Évangile, les Apôtres, les Prophètes, les canons rendus sous l'inspiration de Dieu, les décréta/es du Saint-Siège qui n'y sont pas contraire". Pourtant, Gerbert se sent abandonné, même par son entourage. Alors, il décide de quitter Reims au prin-

14 Sur ce pape, Cf. H.-H. Kortum dans Dictionnaire historique de la Papauté, p. 743-744 et T.-E. Moehs, Gregorius V (996-999). Stuttgart, 1972.

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temps 997, "pour ne pas créer de schisme dans l'Église, ditil à la reine Adélaïde 051 ". Mais il ne perd pas totalement espoir. On le voit lorsqu'il réagit en apprenant la mission d' Ab bon, décidée sans doute dans l'été 997. Dans une lettre à son disciple Constantin, devenu doyen de Micy, il écrit: Je suis passablement étonné de la mission du vénérable A[bbon]. Il proposait en effet... Mais tout cela ne me chagrine pas, c'est seulement le début de mes chagrins. L'objet de ses recherches et de ses convoitises dépasse mon humble et petite personne. Le dicton ne se trompe pas: « Tes affaires sont en cause quand le mur d'à côté est en feu», ni non plus la parole de Dieu: «Commencez par mon sanctuaire», je veux dire par les fondations du royaume et par sa citadelle. Les fourberies qui accompagnent un tel acte sont évidentes. Et de fait, une fois ceci admis, la dignité, ou plutôt le poids du sacerdoce s'effondre, la stabilité du royaume est mise en péril. Si on agit de la sorte, sans avoir consulté les évêques, se trouvent réduits à néant le pouvoir, le poids et la dignité des évêques, par ceux qui ne pouvaient, ni ne devaient priver de son sacerdoce un évêque, même criminel. Mais s'ils ont été consultés, eux-mêmes sont les témoins de leur condamnation, puisqu'ils ont jugé ne pas avoir à juger, en osant aller à /'encontre de ce qu'eux-mêmes avaient reconnu et contresigné sur le formulaire de démission d'Arnoul. On leur remettra en mémoire sa capture, son emprisonnement qui se prolonge, la consécration d'un autre sur son siège. Les consécrateurs, le consacré, et ceux qu'il aura consacrés seront soumis aux chicanes. Les rois eux-mêmes apparaîtront comme pécheurs dans chacun de ces péchés. Et quand tous

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Lettre 181.

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sont secoués, personne ne saurait ni se flatter d'être épargné, ni se laisser tromper sous couleur d'une fausse promesse verbale, car la réalité des faits ne dépend pas de la complaisance des juges, mais de la solidité de la causel161 • Il est bien dommage que le copiste ne nous dise pas le but de la mission, mais on le devine. Gerbert déplore que l'on n'ait pas consulté les évêques, il craint pour le sacerdoce et le royaume, que les évêques aient été consultés ou non. Les rois qui avaient organisé le concile de Saint-Basle et provoqué la démission d' Arnoul, risquent d'apparaître pécheurs. b) Deuxième raison du voyage: le mariage de Robert Robert avait été marié par Hugues en 988 à Rozala, veuve du comte de Flandre. Elle avait 33 ans, lui en avait 16. Le mariage ne fut pas heureux1171 , Rozala ne donna pas d'enfant à Robert. Il l'a répudia en 992. En 996, il fit connaissance de Berthe qui venait d'être veuve d'Eudes, comte de Blois. Il voulut défendre les intérêts de la comtesse et de ses deux fils. Il fut, comme dit Richer, "son défenseur et son avoué". Mais il fut plus, il devint son amant et voulut l'épouser. Hugues Capet et Gerbert de Reims, qui avait été son précepteur, s'y opposèrent pour des raisons politiques et religieuses. En effet, Robert était cousin de Berthe au troisième degré et de plus, était le parrain d'un des fils de la comtesse. Double inceste. Robert attend la mort de son père et à l'automne 996, il réussit à faire célébrer son mariage par l'archevêque de Tours, Archambaud, avec l'accord de quelques évêques. Le jeune pape, Grégoire V, tenu au courant, intervint alors. Les papes avaient l'habitude de s'occuper des mariages de rois. Nico16 17

Lettre 191. Cf. L. Theis, Robert le Pieux, p. 80 et s.

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las 1 n'avait-il pas, en 860, interdit le divorce de Lothaire II, en accord avec l'archevêque de Reims Hincmar? Gerbert, successeur d'Hincmar, pouvait justement avec le pape intervenir aussi. En février 997, Grégoire V réunit un concile à Pavie et somma Robert de renoncer à sa cousine, épousée contre l'interdiction apostolique et il demandait aux évêques qui avaient accepté le mariage incestueux de se soumettre. Grégoire V profita également de ce concile pour convoquer, on l'a vu, les évêques qui avaient destitué Arnoul de Reims. Robert, donc, demanda à Abbon d'intercéder auprès du pape et d'éviter aux royaume l'interdit qui le menaçait. Il était prêt, en échange, à rétablir Arnoul sur le trône archiépiscopal de Reims, aux dépends de Gerbert, ce que Richer appellera la "perfidie du roi Robert".

c) La rencontre entre Abbon et Grégoire V Abbon part malgré les fatigues dûes à son fort embonpoint, dit Aimoin. Il voulait rencontrer Grégoire V dont on disait grand bien. N'ayant pas trouvé à Rome le pape, il le chercha par monts et par vaux et le découvre dans le Spolétain. Cette précision géographique d' Aimoin et la date du concile de Pavie doivent nous permettre de dater le troisième voyage d' Abbon, date sur laquelle les historiens ne sont pas d'accord( 181 • En effet, Grégoire V, après le départ d'Otton III à qui il avait remis la couronne impériale, fut chassé de Rome par Crescentius II. Il s'installe à Spolète auprès du duc Conrad, appelé aussi Conon, seigneur de Spolète et de Camerino, que Pour F. Lot, Dom Cousin et L. Theis, automne 997. Pour M. Mostert et T.-E. Moehs, automne 996. Nous verrons que le privilège de Grégoire V est de l'automne 997. 18

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LA CONQUtTE DE L'EXEMPTION ROMAINE

lui avait recommandé Otton. Dans une lettre rédigée par Gerbert, l'empereur quittant Rome écrit: "Pour vous conso-

ler et défendre, nous laissons des Grands d'Italie, Hugues de Toscane qui est en tout notre fidèle et le comte Conon, à la tête des gens de Spolète et de Camerind191 ". Donc, Grégoire V a transporté son gouvernement pontifical à Spolète. Au printemps, Grégoire V se rend à Pavie, capitale du royaume d'Italie, pour présider un concile (février 997). Il revient ensuite à Spolète où il se trouve à l'automne. C'est à ce moment qu' Ab bon le rencontre. Dès le début, le courant passe entre ce très jeune pape de 26 ans et l'abbé qui avait alors presque soixante ans ... Écoutons Aimoin:

Dès que ces deux hommes, lumières de l'Église, se furent mutuellement aperçus, emplis d'une grande joie qui dépassait tout ce que l'on peut croire, ils tombent dans les bras l'un de l'autre; Abbon le premier, observant la vraie humilité, lui adresse de la part du roi des paroles de salut. Alors ce prêtre vraiment apostolique lui ayant rendu en échange sa bénédiction, dit au saint homme: «Je me réjouis que tu sois bien arrivé, mon fils, toi qui es, je l'ai appris, le gardien très ardent de l'Église et de la vérité. Car une rumeur retentissante a rempli à ton sujet mes oreilles, que tu es aussi savant dans les sciences sacrées que dans les sciences humaines et que nulle amitié ne peut te faire dévier du droit de l'équité. j'avoue sincèrement que depuis longtemps déjà, je désirais voir ton visage, que j'avais envie de jouir en ami de ta conversation. Profitons donc de ces entretiens que je souhaitais et élevons quelque temps notre esprit en étudiant ensemble les textes sacrés et profanes. En outre, je veux que tu saches bien que j'accueille avec bienveillance l'objet de ta 19

Lettre 216.

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mission et que je ferai ce que tu m'auras conseillé de faire. Tu n'auras qu'à demander et, pour ma part, je donnerai mon assentiment, dans la mesure du possible, à tes demandes. Car je sais que tu ne solliciteras rien de contraire au droit et à la justice et qu'il ne serait donc pas équitable que je m'oppose à toi». Après cette première rencontre, les deux hommes se retrouvèrent pendant huit jours durant. Ils dînent ensemble, ils élèvent leur esprit en étudiant les textes sacrés et profanes, ils discutent "sur les passions de l'âme", Ab bon le rappelle à Grégoire dans une lettre( 191 : A mon seigneur Grégoire, prélat à jamais vénérable de la sainte Église Romaine et Universelle, A[bbon], abbé de Fleury, qui a mémoire de lui. Par expérience j'ai appris que« celui qui acquiert le savoir, acquiert la douleur»: lorsque par l'intelligence de la loi divine, je sépare ce qui a du prix de ce qui est vil, et que le souvenir des fautes passées tourmente un cœur qui a conscience d'avoir été peu au service du bien, « il se fait que le savoir » eu égard aux artifices de la fragilité humaine « enfle d'orgueil alors que la charité édifie » ; ainsi rai-je appris de l'entretien que nous avons eu ensemble, lorsque, parlant des passions de l'âme, nous avons transformé l'inaction de notre voyage, dans la province de Spolète en une occupation de qualité. Me souvenant de cet entretien, je prie Votre Paternité et je la supplie, que secondé par vos prières, je puisse mériter de faire partie de la communauté de ceux qui plaisent à Dieur201 • Cependant, Abbon n'oublie pas la raison de sa mission qu'il a fait à la demande du roi Robert. Le pape, selon ce 20

Lettre n ° 1.

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que rapporte Aimoin, semble bien disposé à répondre favorablement aux demandes de l'envoyé. Qu'en est-il?

d) Les résultats de la mission Sur le premier point, le roi a satisfaction. Arnoul est rétabli sur son siège à Reims. C'est bien ce que rapporte, selon Aimoin, Abbon au roi: Étant donc de retour, le vénérable Abbon vient rapporter au roi qui l'avait envoyé, qu'il a accompli tout ce pour quoi il avait fait le voyage. Il rendit la dignité épiscopale à Arnoul de Reims après l'avoir libéré de prison, et lui remit le pallium que monseigneur le pape lui adressait. Après quoi, par messagers, il envoie à ce vénérable seigneur apostolique Grégoire une lettre pleine d'amitié et de respect, dans laquelle il lui fait connaître qu'il avait tout accompli comme il le lui avait ordonné, en voici le début: «A monseigneur Grégoire, à jamais vénérable dans le Christ, prélat du Saint-Siège romain et apostolique et, par là-même, de l'Église universelle, son dévoué Abbon, recteur de Fleury, salut dans le Christ. Il arrive assez souvent que s'estompe la pureté d'une totale vérité lorsqu'elle est exprimée par un interprète peu sûr; ce que craignant, vénérable Père, j'ai moi-même rendu public avec fidélité et sans détours, comme vous me l'avez prescrit, les sentiments de votre cœur et je n'ai pas craint d'encourir l'animosité du roi en respectant jusqu'au bout la parole que je vous avais donnée, sans y rien ajouter, rien retrancher, rien changer, rien abandonner. De tout cela, Arnoul lui-même, libéré de prison et absous, peut porter témoignage. Je lui ai remis votre pallium dans les conditions même où je l'avais reçu de vos saintes mains ».

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On verra plus loin pourquoi Abbon n'a pas "craint d'encourir l'animosité du roi". Nous sommes sans doute au début 998. Arnoul a été rétabli à Reims, peut-être provisoirement. En effet, Richer écrit dans les notes qui terminent son Histoire et qu'il n'a pas pu développer: "Le pape Grégoire autorise Arnoul à remplir provisoirement les fonctions épiscopales en attendant qu'une décision régulière lui en confère ou lui retire le droit/ 211 ". Quoiqu'il en soit, Arnoul est à Reims. Abbon donne alors quelques conseils au pape: Cependant, je conseille vivement à Votre Majesté une chose: d'enseigner au susdit archevêque la façon de se conduire envers ses clercs, d'arracher à leurs anciennes erreurs les fils de son église et de restituer les domaines et les possessions que Sainte-Marie a perdus. Car, comme le dit un auteur païen: « Pour toutes les folies de leurs rois, ce sont les Achéens qui sont châtiés ». C'est ce qui est arrivé à l'église de Reims: tout le mal qu'Arnoul et Gerbert ont commis a entraîné des conséquences néfastes sur les biens de Sainte-Marie; et parce que je traite et que j'ai traité l'un et l'autre comme des amis, je ne me suis pas tu lorsque j'ai trouvé en eux sujet de blâme, même si cela leur déplaisait. Ils n'ont cependant rien fait,

que je sache, de plus blâmable que d'avoir, par leurs querelles, rendu la plus noble de toutes les église de Gaule, ruinée, déshonorée, avilie et abandonnée de tous. De votre autorité irréfragable, secourez-la et ramenez-la à son état antérieur, au point où l'on sait qu'Adalbéron de sainte mémoire l'avait laissée. Il est curieux de lire qu' Ab bon donne à Arnoul d'Orléans et Gerbert le nom d'"amis", mais maintenant, l'archevêque 21

Histoire IV, 108.

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va être rétabli et Abbon peut se montrer généreux. Qu'est devenu Gerbert? Il a cru bon de quitter Reims dès le printemps 997. Il s'est retiré en Germanie car il avait reçu une lettre d'Otton III lui demandant de devenir son professeur1221. Ce dernier le tient au courant de la situation en France: "Votre adversaire Arnoul, ce fils de la ruse, dirige déjà ses pas vers le pape, ce que nous avons appris par un message de l'abbé Léon". Ce qui n'inquiète pas Gerbert: "Nous ressentons moins d'inquiétude à cause de la mission de l'abbé Léon, dépêché vers vous au sujet d'Arnoul ... " 123'. Il est maintenant installé dans un domaine en Alsace et se voit protégé par l'empereur.

e) Le mariage de Robert condamné. Pour la deuxième partie de sa mission, l'échec d' Abbon est complet. C'est ce qui explique l'allusion à l'animosité du roi lorsqu'il est reçu par Robert. Abbon précise dans la suite de la lettre à Grégoire, suite qu' Aimoin ne donne pas: En est aussi témoin monseigneur Robert, illustre roi de France, en tout point votre fils spirituel dans le Christ, lequel a décidé de vous obéir comme à saint Pierre, prince des apôtres, dont vous tenez présentement la place sur terré24'. Le roi s'en est montré très mécontent et a fait grief à Abbon qui avait dû "lui faire la morale". En effet, Helgaud, biographe de Robert le Pieux, dit à propos de ce mariage: "Abbon adressa d'amers reproches privés et publics sans craindre de mettre sa vie en danger. Ce saint homme continua ses admonestations jusqu'au jour où le très doux roi reconnut sa faute, abandonna la femme à qui il s'était cou22 23 24

Lettre 186. Lettres 218 et 183. Lettre n. 1

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pablement uni et se lava de la souillure du péché par une pénitence agréable à Dieu,,. Helgaud est mal renseigné, car Robert ne se soucie pas de la réaction du pape. Il peut se figurer que Rome lui a pardonné. En effet, dans la lettre que Gerbert écrit à la reine Adélaïde, il dit alors qu'il avait quitté Reims (au printemps 997), qu'il a appris par les Rémois que "pour ratifier la nouvelle union de notre Seigneur le roi Robert, l'abbé Léon de Rome a obtenu la disculpation [d'Arnoul]". Cette information ne correspond pas à la réalité. Le pape Grégoire refuse toujours de reconnaître ce mariage. Lors du concile du Latran, à la fin de l'année 998, lorsque Grégoire V et Otton III ont pu reprendre Rome, le pape somma Robert de se séparer de sa femme et suspendit l'archevêque de Tours, Archambaud, et tous les évêques qui avaient accepté le mariage. Notons que parmi les souscripteurs des actes de ce concile, se trouvait Gerbert devenu en avril 998 archevêque de Ravenne. Robert ne fut pas ému par cette nouvelle condamnation puisqu'il garda son épouse Berthe jusqu'en 1003. A cette date, il la répudia car elle ne lui avait pas donné d'enfant et épousa la méridionale Constance d'Arles, âgée de 17 ans. Robert n'a pas été excommunié par les évêques de France en dépit de ce que dit Michelet et ce que représente Jean-Paul Laurens dans son fameux tableau du Musée d'Orsay. Lorsqu'Abbon est parti à Rome, il ne veut pas simplement régler les affaires dont lui a parlé Robert le Pieux, mais il reprend un autre objectif qui avait été déjà celui de ses précédents voyages en Italie: recevoir du pape un privilège d'exemption. Voyons comment il a pu l'obtenir en nous demandant auparavant si d'autres abbés l'avaient obtenu avant lui.

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2. L'exemption romaine A. Antécédents Le quatrième canon du concile de Chalcedoine (451) rappelle que l'évêque a toute autorité sur les monastères de son diocèse. Les moines obéissent à l'abbé mais ce dernier est contrôlé par l'évêque. Les biens du monastère sont un des éléments de la richesse diocésaine. Sans doute était-il inévitable qu'il existât des conflits entre abbé et évêque. À la fin du vie siècle, le pape Grégoire le Grand, dont Abbon a cité les lettres dans sa Collection et sa lettre 14, intervient pour les résoudre et, ancien moine devenu évêque, il le fait souvent en faveur des monastères. Mais comme on l'a dit, si Grégoire intervient dans plusieurs monastères à propos de l'élection de l'abbé ou de la protection des biens monastiques, "cela ne signifie pas que le monastère soit soustrait à la juridiction épiscopale. Il n'y a pas un seul exemple chez Grégoire de monastère échappant totalement à l'infiuence de l'évêque. Il manque... l'exemple clair d'une exemption papale au sens propre et rigoureux du termé 11 ". Au vne siècle, en Gaule, des évêques à la demande des princes ou des aristocrates, accordent des privilèges aux monastères. Il en fût ainsi pour Rebais, Corbie, Luxeuil, etc ... Ces évêques renoncent à avoir une influence sur l'administration des biens monastiques sans limiter leurs droits de juridiction. L'évêque en effet a, vis-à-vis des abbayes, deux pouvoirs. Le pouvoir d'ordre d'abord, qui lui permet de consacrer les

1 G. Jenal, «Grégoire le Grand et la vie monastique de son temps» dans Colloque Grégoire le Grand, 1982, ed. CNRS, Paris, 1986, p. 157.

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églises et les autels, d'ordonner les moines et les clercs, de bénir l'abbé, de consacrer le saint chrême le Jeudi saint, de présider des messes, etc ... Son pouvoir de juridiction lui donne l'obligation de recevoir le serment d'obéissance de l'abbé, de juger les religieux, d'excommunier ou de jeter l'interdit. Il doit visiter régulièrement le monastère, lui ou ses auxiliaires( 2 ). À l'époque carolingienne, les monastères, surtout s'ils sont royaux, reçoivent des diplômes d'immunité du pouvoir et sont représentés auprès de celui-ci par des avoués. Mais ils restent sous l'autorité des évêques. Pourtant, dans la deuxième moitié du ix< siècle, des monastères veulent s'émanciper d'une autre façon, en faisant appel à la protection de la papauté. Profitant des difficultés des rois carolingiens, les papes et surtout Nicolas 1, affirment l'autorité de Pierre et de Paul pour diriger l'Église(3). Jean VIII prétend, lui aussi, suivre son prédécesseur. Pour se garantir des abus de pouvoir des évêques, les fondateurs des monastères font appel à Rome et demandent la protection de Pierre et de Paul. Nicolas 1 confirme ce privilège pour Corbie en 863( 4 ). La même année, il accepte la demande de Gérard de Vienne, fondateur de Vézelay et protège les biens du nouveau monastère 15 ). Saint-Gilles, Andlau reçoivent de Jean VIII ce même privilège. Alors que la Papauté est éprouvée par une grave crise

2

L. Falkenstein, La Papauté et les abbayes françaises .. ., p. 49 et 98. Sur l'origine de l'exemption, cf. J.-F. Lemarignier, "L'exemption monastique", p. 288-340 et J.-L. Lemaître, Dictionnaire historique de la Papauté, p. 659-663. 3 Y. Congar, L'ecclésiologie ... , p. 206 et s. 4 L. Morelle, "Le statut d'un grand monastère - Corbie 664-1050", dans Le christianisme occidental, ed. F. Bougard, Paris, 1997, p. 203 et s. 5 Histoire de l'Église, Fliche et Martin, t. VII, 1940, p. 343 et s.

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dans la première moitié du xe siècle, le prestige de Rome ne disparaît pas. On se rend sur le tombeau des Apôtres, on vénère saint Pierre en oubliant les actes de ses successeurs 16 ). Sous le pontificat d'un pape peu digne, Serge III, Guillaume le Pieux fondateur de Cluny donne ce monastère à Pierre et Paul et leur confie la sauvegarde des possessions monastiques. Jean XI confirme cette donation, mais l'évêque diocésain continue à avoir le contrôle sur Clunym. D'autres monastères reçoivent la protection pontificale moyennant le paiement d'un cens recognitif, tels Deols en Berry18 \ Quedlinbourg en Saxe (967), mais il ne s'agit toujours pas d'exemption. On a supposé que le premier acte d'exemption a été donné au viie siècle par le pape Honorius en faveur de Bobbio. En fait, ce privilège inséré dans le Liber Diurnus était surtout accordé en vue de protéger l'abbaye colombanienne contre les prétentions de l'évêque diocésain qui cherchait à s'approprier les biens du monastère 19'. De même, le privilège romain pour Fulda, dont l'abbé était saint Boniface (751), prend l'allure d'exemption mais il laisse à l'évêque son pouvoir d'ordre. Abbon veut davantage. Il sait l'importance de la protection romaine. Il rappelle ainsi que le roi Childebert avait obtenu cette protection pour le monastère d'Arles 110 ), mais il veut une totale liberté pour Fleury. Si Grégoire le Grand n'a jamais octroyé une véritable exemption, il a suffisamment écrit en faveur de la liberté des abbayes pour que l'on puisse

6

Cf. supra, p. 200. Cf. Lemarignier, op. cit. p. 300. 8 Sur Déols, cf. L. Falkenstein, La papauté ... , p. 71. 9 Id. p. 43 et Lemarignier op. cit., p. 293. 10 Lettre 14.

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convaincre le pape. Et puis, il a, semble-t-il, avec lui une bulle de Grégoire IV dont il fera bon usage ...

B. Le privilège de Grégoire V Les longues conversations entre Abbon et le pape ont porté leurs fruits. Dès son premier voyage à Rome, Abbon voulait utiliser toute la documentation qu'il avait amassée à Fleury. Lorsqu'il écrit à l'abbé Léon il lui rappelle sa promesse, faire confirmer les privilèges de Fleury par le pape( 11 J. A Spolète, en novembre 997, il obtient enfin ce qu'il désire. Ce privilège, conservé dans le Cartulaire de la Réole d'après une copie du xvne siècle, a été donné par Grégoire V le 13 novembre 997(1 21 • Que dit-il? Il rappelle que le monastère de Fleury avait été fondé par Leodebode et conservait le corps de saint Benoît comme cela est manifestement dit par l'histoire (sicut manifestissima constat historia). Il avait bénéficié de diplômes de Charlemagne, mais pour qu'il soit préservé de la cupidité des hommes, il devait être sauvegardé. Ni les évêques, ducs, comtes et autres fonctionnaires ne pourront s'emparer des biens mobiliers et immobiliers du monastère et de tout ce qui dépend de lui. Aucun archevêque, évêque ou clerc ne pourra venir au monastère, ni célébrer des messes publiques, ni faire des ordinations sans l'autorisation de l'abbé. Si l'abbé, qui est élu par les moines selon la règle, est accusé de crime, il sera jugé non pas par le seul évêque mais par le concile provincial à moins qu'il ne désire faire appel au pape. 11

Cf. supra, p. 204. Publié par Prou et Vidier, Recueil des Chartes de l'abbaye ... l, 185, n° 71. 12

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Il pourra se rendre à Rome autant que la nécessité l'exigera. Il aura le pouvoir de lier et délier tous les hommes et les femmes de son ordre, ce qui voulait dire qu'il pouvait excommunier et réconcilier les religieux et les religieuses sous sa dépendance. Les moines excommuniés en raison d'une faute ne pourront pas recevoir la communion des prêtres du diocèse, "car c'est ainsi que l'ordre religieux se dissout et que par-là s'administre la matière de perdition". Mais inversement, les moines sont à l'abri de l'excommunication de l'évêque du diocèse: "Si en raison des péchés des habitants de la terre, l'anathème de l'excommunication leur parvient, nous avons accordé au dit monastère ce privilège: que les frères de la dite congrégation accomplissent l'office divin, étant absous de toute chose". Les frères qui dans certains monastères gémissent de ne pouvoir vivre selon la règle, pourront se réfugier à Fleury pour vivre une vie meilleure en attendant que l'ordre soit rétabli dans leur monastère. D'autre part, les frères fautifs doivent être expulsés plutôt que de les laisser corrompre les autres. Des menaces sont proférées contre tous ceux, laïcs et clercs, qui ne respecteraient pas ce privilège qui paraît fort généreux pour l'abbaye. Mais ce qui est encore plus étonnant, c'est qu'entre deux phrases, le pape écrit que, puisque le corps de Benoît, législateur des moines et seigneur de la religion monastique repose à Fleury, Abbon serait le premier entre les abbés de Gaule, primus inter abbates Galliae, ce qui paraît assez surprenant. Cette bulle a paru suspecte à certains, tant les avantages sont grands( 131 • Il a fallu qu' Ab bon plaide bien la cause de son monastère pour obtenir cette exemption pontificale. Son dossier était 13 Id. p. 185, n° 1, cf. aussi Lemarignier, "L'exemption ... ", p. 311, n° 2, qui se range à l'avis de Lot et de Dumas, croit le texte authentique.

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bien préparé. Or, les dernières recherches ont montré que son dossier était une bulle que le pape Grégoire IV avait envoyée en avril 829 à l'empereur Louis le Pieux au bénéfice de Fleury(1 4 ). En comparant le texte de cette bulle à celui du privilège de Grégoire V, on est frappé des ressemblances. Tout a été recopié à quelques exceptions près. D'autre part, cette fausse bulle est faite à partir d'actes anciens et des lettres de Grégoire le Grand. Ainsi, il est vraisemblable qu' Ab bon ait utilisé ce faux pour faire rédiger le privilège donné à Spolète par le pape. D'autres faux avaient été bien souvent faits au bénéfice d'une juste cause en France ou ailleurs. On s'est même demandé si Abbon n'avait pas été consulté lors de la rédaction d'une fausse lettre du pape Étienne II à l'abbé de Saint-Vaast d'Arras au moment où Fulrad, abbé de ce monastère, était en lutte avec l'évêque de Cambrai, Rothier vers 994-995 115). On peut également citer la fausse bulle de Grégoire V, le 26 septembre 996 pour les chanoines de Saint-Martin de Tours en conflit avec leur archevêque, conflit dont j'ai parlé plus haut116l. Le biographe, Aimoin, veut-il prouver l'authenticité de la bulle lorsqu'il écrit: Alors Abbon, en pasteur vraiment plein de sollicitude et ayant en tête les besoins du monastère qu'il gouvernait, lui demanda de faire un privilège de l'autorité apostolique. Le pape digne de Dieu le combla de tant de faveurs que non seulement il ne chercha à en obtenir aucun profit pécuniaire, 14 M. Mostert, "Die Urkundenfalschungen Abbos von Fleury", dans Falschungen im Mittelalter, MGH, Schriften 33, IV, t. IV, p. 287-313. Cf. aussi L. Falkenstein, La Papauté ... , 51-52. 15 Cf. J.F. Lemarignier, "L'exemption" ... p. 313. 16 Cf. supra, p. 202. La bulle est dite authentique par P. Cousin, op. cit. p. 161, n° 5, mais fausse, J. Ramackers, Papsturkunden in Frankreich, VI Orléanais, Gôttingen, 1958, p. 46.

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mais qu'au contraire il ne laissa repartir dans son pays ce serviteur de Dieu tout joyeux, qu'après lui avoir donné de l'encens et une chasuble dont il se servirait lors de la célébration de la messe. Dans ce privilège il est précisément contenu entre autres choses, que l'évêque d'Orléans, à moins d'y être invité, ne peut en aucune façon avoir accès au monastère de Fleury et que jamais l'un quelconque des évêques ne peut jeter l'interdit sur la célébration de l'office divin dans ce monastère, même si la Gaule entière, pour les péchés de son peuple, est frappée d'une sentence d'anathème par le Siège apostolique.

Aimoin pense à la sentence d'anathème dont le royaume risquait de se voir infliger en raison du mariage incestueux de Robert. Aimoin, craignant peut-être que l'on se pose des questions sur ce privilège, ajoute: Mais de peur que quelqu'un ne juge que ces hommes, je veux dire monseigneur le pape et le saint homme Abbon, ont eu dans cette affaire un sentiment contraire aux règles des saints Pères, il nous a paru nécessaire d'introduire ici quelques exemples parmi d'autres, tirés des lettres du pape Grégoire le Grand où, en les examinant, on peut voir que ce saint homme eut toujours une pensée élevée. Ne savait-il pas en effet que ce dernier n'avait jamais rien pensé ni écrit contre les décisions des canons? Cet illustre pape Grégoire dit donc, entre autres choses, à Marinianus évêque de Ravenne: «Que chaque fois qu'un abbé, pour l'utilité de son monastère, voudra d'aventure venir trouver le pape de Rome ou lui envoyer quelqu'un, qu'il en ait de toutes les façons la faculté». Que les monastères ne doivent pas être inquiétés par les

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évêques et les clercs, il l'écrivit dans de nombreuses lettres aussi bien au dit évêque qu'à son prédécesseur Jean 117!, Et de citer plus loin la lettre à Luminosus dans laquelle le pape garantit que son monastère ne sera pas inquiété par l'évêque Castorius, et la fameuse lettre à Castorius qui interdit les messes publiques dans les monastères, ou celle de Jean, évêque d'Orvieto, dans laquelle il s'oppose aux interdits jetés sur les monastères. Nous retrouvons tout cela dans les bulles de Grégoire IV (la fausse) et de Grégoire V (la vraie).

C. Les conséquences de l'exemption Un an après avoir concédé ce généreux privilège à Abbon, Grégoire V fait de même pour Odilon de Cluny. Les deux abbés se connaissent, s'apprécient, les lettres échangées le confirment. Odilon était certainement au courant de ce qu'avait fait le pape. Il rencontre Grégoire V à Pavie à la fin de l'année 997 et l'année suivante, en avril, il reçoit une bulle d'exemption du pape 08 l. Jusqu'ici, la papauté protégeait Cluny. En 932 et en 938 le pape avait déclaré que l'abbaye était "du droit de saint Pierre" et en 968 Jean XIII avait souhaité que les évêques protègent les biens du monastère sans vouloir se substituer à eux. Cette fois, Grégoire V décide que Cluny échappera au pouvoir épiscopal: "Nous décrétons, sous peine d'anathème, qu'aucun évêque, aucun membre de l'ordre sacerdotal, ne pourra venir dans votre monastère vénérable pour consacrer /'église, ordonner les prêtres et les diacres et célébrer des messes sans avoir été invité par 17

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Aimoin, Vita 12. M. Pacaut, /.:ordre de Cluny, Paris, 1986, p. 116-117.

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l'abbé ... Quant aux abbés, qu'ils soient élus dans la communauté avec le consentement de tous les frères et qu'ils fassent appel pour leur consécration à l'évêque de leur choix". L'évêque de Macon pour Cluny comme l'évêque d'Orléans pour Fleury sont dépossédés de tous leurs droits.

La puissance des moines inquiète et il semble que le roi Robert écoute plus les moines que les évêques. C'est bien ce que montre Helgaud, le biographe de Robert 091 • Il rappelle même les conseils d'Hugues Capet à son fils au moment de mourir: "ne pas écouter les conseils des flatteurs qui voudraient faire servir le roi contre les abbayes" et il précise, "tout spécialement, je te recommande de ne jamais permettre sous aucun prétexte de faire du mal à leur chef à tous, je veux dire le saint père Benoît qui est un guide vers le salut auprès du Juge de tous, un port de tranquillité et après la mort de la chair, un asile de sécurité". On peut se demander si Helgaud, moine de Fleury, ne parle pas spécialement de son monastère. Abbon pouvait reposer tranquille. Ce qu'il avait souhaité se réalisait. Les moines formaient vraiment le premier groupe dans la société, d'où la réaction des évêques quelques années après. Mais n'anticipons pas et revenons aux rapports entre Abbon et le Pape.

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Cf. Helgaud, Vie du roi Robert, ch. 14.

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D. Abbon et la papauté après l'exemption Revenu en France, Abbon triomphe. Dans sa lettre à Gauzbert, abbé de Saint-Julien de Tours, citant Grégoire le Grand qui interdisait à un évêque de juger seul les causes d'un abbé mis en accusation au lieu de porter le procès devant un concile, Abbon écrit: "Aussi ai-je cru bon que ceci fut introduit dans notre privilège que, bien qu'indigne, j'ai mérité de recevoir des saintes mains de Monseigneur Grégoire le très saint pape de notre temps, sous l'autorité de saint Pierre120J". La correspondance entre Abbon et Grégoire nous renseigne sur les excellentes relations entretenues entre les deux hommes, ce qui était normal après la bulle d'exemption. Nous avons gardé trois lettres adressées au pape sans doute en 998. Dans la première, il rend compte de sa démarche auprès du roi mais il parle d'autres choses. La défense des biens monastiques le préoccupe toujours et il n'hésite pas à en parler au pape. Il lui rappelle que par son intermédiaire, Foulques, comte d'Anjou, avait fait dire au pape qu'il préférait restaurer les monastères ruinés plutôt que d'en construire des nouveaux. En fait de restauration, le comte installait des vassaux. Ainsi, Abbon écrit: Que cela soit bien léger et tout à fait inutile, le monastère de

Saint-Pierre de Ferrières, tout près de nous, le montre bien, lui qui, si magnifique depuis des temps anciens grâce à la munificence royale et un des membres de l'Église romaine, est à présent à ce point rongé par les bénéfices donnés à des vassaux, qu'à peine reste-t-il quelque chose pour l'entretien de quelques frères. Voici, entre autres choses, ce que réclament les larmes des victimes de la violence: « Tendez-leur la main de la consolation», puisque, quand il a fait de vous le chef de nous tous, 20

Lettre à Gauzbert, cf. infra, p. 231.

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le Seigneur, du haut du ciel, a eu à cœur d'apaiser les gémissements des opprimés.

Dans cette même lettre, il se plaint que le neveu du comte de Château-Landon, Wall., ravage les possessions de son monastère et il demande au pape d"'en parler à Wall. luimême, qui est pour le moment à Rome, en brandissant contre son neveu, s'il ne vient pas à résipiscence, la menace de la verge de l'excommunication". Dans une autre lettre, après s'être comparé à Moïse et même à la reine de Saba, "qui est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon et qui, revenue dans son pays, a glorifié le roi et son serviteur", il ajoute: "Certes, bien que je n'ai passé avec vous en Italie que l'espace d'un moment, tant que l'esprit gouvernera mes membres, je me dois de rappeler les choses admirables que j'ai entendues et que j'ai vues". Mais il n'oublie pas la raison de sa lettre. Il intervient en faveur d'une parente, Hildegarde, qui en pénitence a construit deux monastères, l'un de chanoines et l'autre de moniales, et qui veut les mettre sous la protection de Rome (lettre 3 ). Le pape, de son côté, lui répond et renvoie par le porteur pressé de repartir à Fleury, une lettre qu'il faut citer pour se rendre compte de l'amitié qui existait entre le pape et l'abbé: Au seigneur abbé Abbon particulièrement vénérable, Grégoire, serviteur des serviteurs de Dieu, salut dans le Christ. Le porteur de votre lettre ayant hâte de retourner au plus vite, c'est à peine si j'ai réussi à obtenir qu'il restât ici le temps de l'office des vêpres. Aussi, pour parler bref, je vous remercie de votre bienveillance toujours renouvelée à mon égard et je vous prie,

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comme vous me l'avez mandé, de faire venir en notre présence le frère Ri... pour qu'il nous tienne informé de vos succès, de la promesse du roi et de la santé de l'archevêque de Cantorbéry. Je sollicite de vous une chose, que vous nous fassiez parvenir un très bon exemplaire de vos missels de telle sorte que chaque fois que je le regarderai pendant la célébration de la messe, me souvenant de mon ami très cher, je ne réponde nullement par l'ingratitude au bienfait reçu de vous. Adieu (lettre 5). Nous ignorons tout de ce frère Ri ... mais nous constatons que Robert a apparemment accepté, promis de se soumettre en parole, et que Ab bon reste en contact avec l'Angleterre. La dernière lettre que nous avons est également intéressante car Abbon tout en se rappelant avec émotion des moments passés avec le pape, lui envoie le récit de la translation des reliques de saint Benoît dont Grégoire ignorait tout. Est-ce le récit bien connu d' Adrevald, auteur du livre 1 des Miracles de saint Benoît dans la première moitié du ix• siècle( 211 ou un texte écrit par Abbon pour l'occasion, nous l'ignorons. Abbon envoie également au pape deux petits vases de madre, c'est-à-dire de bois vainé, sur lesquels sont représentés en relief la Charité et }'Éthique. Enfin, il donne dans un poème, des conseils au pape. Qu'il se méfie des Romains, ses ennemis: Tandis que nous voyons les fils de la Ville privés des faisceaux, Rome, soumise à des maîtres étrangers, brûle de colère; Point d'étonnement si, dure pour elle-même, elle le soit plus encore envers eux 21

Cf. Vidier, I:historiographie, p. 41 et s.

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Et cruelle, elle a de quoi devenir sanguinaire. Prends garde à elle, toi qui es un autre mage, elle que déjà toi cinquième Grégoire, sentinelle toujours vigilante de l'Univers, De son amour tu es privé. En se précipitant pour franchir les Alpes Et les neiges de l'Eridan, Abbon, suivant ses compagnons, Les cendres du saint Père Benoît jadis transférés, Il les a envoyées au pays d'Hesperia, et à toi, saint de Dieu. Nous, Francs, tous ensemble, dans la joie, nous les vénérons dans son tombeau Et toi aussi, vénère-les, toi à qui j'ai confié à lire ses gestes. Avouons que ce poème est peu aisé à comprendre. Abbon écrivit également un autre poème, cette fois destiné au jeune empereur Otton III. C'est cette pièce en vers acrostiches dont j'ai déjà parlé. Abbon demande à Otton de préférer le rétablissement du pape à Rome aux guerres contre les Slaves( 22 l. En fait, l'empereur attendit l'année suivante pour descendre en Italie et soumettre Crescentius et l'antipape Jean XVI, qui avait été installé au Latran. Otton était accompagné de Gerbert qui devait recevoir, au printemps 998, le trône archiépiscopal de Ravenne en compensation de celui de Reims qu'il avait dû abandonner( 23 1.

22 Cf. supra, p. 85. Moehs, Gregorius V, p. 55, dit que ce poème a été envoyé par l'intermédiaire de Léon. 23 Cf. P. Riché, Gerbert .. ., p. 190 et s.

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E. Gerbert pape Or, un an après, Grégoire V mourait subitement. Otton III, qui n'a sans doute pas regretté ce cousin avec qui il ne s'entendait guère, offrit la tiare à son maître Gerbert. C'était, pour le petit moine d'Aurillac qui avait peu à peu gravi les échelons des responsabilités, une surprenante apogée. Surprenante et d'autant plus que jusqu'en 997, Gerbert avait été en conflit avec le Latran. Le "nouveau Constantin" demanda à Gerbert de prendre le nom de Sylvestre II, en souvenir du pape Sylvestre I, qui aurait baptisé l'empereur Constantin le Grand. Les deux hommes, ce jeune empereur et ce vieux pape - il est dans la cinquantaine - s'entendent très bien pour gouverner et l'Église et l'Empire, ce qui est assez exceptionnel au Moyen-Âge 124 l. Quelle a été la réaction d'Abbon lorsqu'il apprend que celui qui ne partageait pas ses idées, qui était l'ami d' Arnoul d'Orléans, devenait pape? Nous l'ignorons malheureusement. Sans doute, la dévotion à saint Pierre obligeait Abbon de reconnaître son successeur et d'attendre les premiers actes de son pontificat. Il n'a pas été déçu puisque Gerbert reprit la tradition de ses prédécesseurs. Dans la lettre qu'il écrit à Arnoul, archevêque de Reims, Sylvestre II eut l'élégance, certains diront la perfidie, de pardonner les fautes de son adversaire. Il affirme entre autres choses: "Il appartient à la dignité apostolique, non seulement de donner des conseils aux pécheurs, mais de relever ceux qui sont tombés et de revêtir des insignes restaurés de leur grade ceux qui en avait été dépouillés", et il ajoute: "La puissance de délier confiée à saint Pierre doit 24 P. Riché, Gerbert ... , p. 212 et s.

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s'exercer dans toute son étendue et la splendeur de la gloire romaine doit éclater en tous lieux. [... ]Pierre possède une puissance à laquelle nulle autre autorité romaine ne saurait être comparée.. .!25' " . Qui aurait pu mieux dire et, si Abbon a connu la teneur de cette lettre, il ne pouvait que l'approuver.

Abbon, d'autre part, qui nous le verrons, écrivit une lettre à l'abbé Gauzbert de Saint-Julien de Tours( 26 l, a peut-être su que la comtesse Emma, parente de l'abbé, avait demandé à Sylvestre II un privilège pour l'abbaye Saint-Pierre de Bourgueil, dont Gauzbert était abbé. Ce privilège n'est pas un diplôme d'exemption. Tout en confirmant les possessions de Saint-Pierre de Bourgueil il exempte seulement l'abbé d'un contrôle épiscopal. On ne peut pénétrer dans le monastère sans autorisation. Et le pape de signer, comme il le faisait souvent, Sylvester qui et Girbertus papa subscripsi127'. Dans le même esprit, le pape accorda aux monastères de Lorsch et de Quedlinbourg - celui-ci était dirigé par la sœur d'Otton III - des privilèges importants1 2s1. D'autre part, Abbon et Sylvestre II avaient des amis communs en la personne d'Odilon de Cluny. Sylvestre II, qui avait rencontré Odilon en Italie, lui envoie une lettre au sujet d'un évêque devenu moine à Cluny1291 . Contrairement à ce que certains historiens ont dit, il ne sembla pas que Sylvestre II ait manifesté sa désapprobation. Il écrit à "son très 25

H. Zimmerman, Papsturkunden, t. II, n° 366. Cf. P. Riché, op. cit., p. 213-214. 26 Cf infra, p. 236. 27 H. Zimmerman, op. cit., n° 407. 28 Id. n° 371 et 373. 29 Cf. H. Atsma, "Lettre de Silvestre Il à l'abbé Odilon de Cluny (9991003)", dans Autour de Gerbert d'Aurillac ... , p. 179-182.

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cher fils et abbé illustre, ainsi qu'à toute la congrégation qui lui est confiée" et se dit défenseur des intérêts de l'abbaye. Formules qui ne sont pas pure rhétorique. S'il ne parle pas de l'exemption donnée par Grégoire V en 998, c'est que l'objet de la lettre ne s'y prêtait pas. Il se peut d'ailleurs que Sylvestre II ait adressé à Odilon d'autres lettres en faveur de Cluny, comme cela apparaît dans le privilège de Jean XIX en 1027. Mais revenons à Abbon et sa dévotion envers la Papauté. Il la manifeste à la fin de sa vie en rédigeant un abrégé du Liber Pontificalis130J. Ce recueil, dont la rédaction commence au vie siècle, présente des notices biographiques des papes depuis l'origine. Un manuscrit de Micy et un autre de Fleury, nous a donné l'abrégé qu'en a fait Abbon. Il s'agit de notices plus ou moins longues donnant la famille du pape, la date de sa mort, le lieu de sépulture et la durée de la vacance. Les notices les plus longues sont celles concernant les papes qui se sont opposés aux empereurs byzantins. Il est étonnant que la notice consacrée à Grégoire le Grand n'ait pas reçu un soin et un développement particulier13 ' 1•

F. Conclusion La victoire d' Ab bon est également celle de la Papauté. Malgré des liens étroits avec la puissance impériale, le pape en France a sur les monastères une autorité qui ne fera que croître. Mais les évêques ne s'avouent pas battus et au début du xi< siècle, après la mort d' Abbon, ils tentent de revenir à la situation antérieure. 30 31

PL 139, c. 535-570. Cf supra, p. 89.

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En 1007 ou 1008, l'évêque Foulques d'Orléans arrive sans permission dans l'abbaye de Fleury. Il est encouragé par Fulbert, évêque de Chartres. Gauzlin successeur d' Abbon, sort le privilège d'exemption. Un concile est réuni à Sens sous la présidence de l'archevêque et l'on menace de brûler la bulle et d'excommunier Gauzlin. Alerté, le pape Jean XVIII intervient, écrit à l'archevêque et aux évêques d'Orléans et de Chartres en leur envoyant "ni salut, ni bénédiction" et au roi Robert, "coupable de ne pas respecter les décrets apostoliques". Robert vint à Rome et Gauzlin l'emporta( 32 l. À la même époque par l'envoyé du pape, Foulques Nerra, comte d'Anjou, en conflit avec l'évêque, fait consacrer le monastère de Beaulieu-lès-Loches qu'il vient de fonder par l'envoyé du pape. Les évêques sont scandalisés et Raoul Glaber écrit: "Si le pontife de l'église romaine jouit en raison de la dignité qui s'attache au siège apostolique d'une plus grande vénération que tous les autres prélats de la terre, cela ne lui donne pas le droit d'enfreindre en quoi que ce soit le texte des prescriptions canoniques" 1331 • On croit entendre Gerbert une décennie plus tôt. En 1025, Odilon ayant fait ordonner des moines par l'archevêque de Vienne au sud de Lyon, l'évêque de Macon s'en plaint. Les évêques, réunis à Anse, invoquent le concile de Chalcédoine, alors qu'Odilon présente la bulle de Grégoire V. L'evêque de Macon fait marche arrière lorsqu'Odilon en appelle au pape Jean XIX et obtient pleine satisfaction! 34 l. Les moines, soutenus par la papauté, l'emportent. Les évêques ne peuvent revenir à la situation du milieu du x• siècle, d'où leurs réactions un peu vives contre les moines, 32 33

34

Vie de Gauz/in, ed. R.-H. Bautier et G. Labory, ch. 18, p. 51 et s. Raoul Glaber, Histoires, Il, 4 M. Pacaut, L'ordre de Cluny, Paris, 1986, p. 131.

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en particulier ceux de Cluny. Vers 1025, l'évêque Adalbéron de Laon, que nous avons rencontré déjà, envoie un poème au roi Robert dans lequel il dénonce violemment la toutepuissance de Cluny et de son "roi 1351 " Odilon. Le monde est renversé, l'ordre des choses bouleversé. Il faut revenir à la situation de l'époque carolingienne. Et Adalbéron de présenter à son tour le schéma de la société tripartite, mais cette fois en reprenant les textes d'Alfred et d' Aelfric: "Ici bas, les uns prient, d'autres combattent et d'autres travaillent". Pour lui, les oratores sont essentiellement les évêques qui doivent conseiller et soutenir le roi. Peine perdue, Robert, nous l'avons dit, est fidèle aux dernières recommandations de son père. Le temps est loin où rois et évêques, Hugues Capet et Arnoul d'Orléans, s'entendaient si bien. Les moines et la Papauté vont œuvrer pour régénérer l'Église. Mais restons à la fin du x< siècle et voyons comment Abbon intervient dans différentes abbayes.

35

Ed. Cl. Carozzi, Paris 1979.

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Les interventions d' Abbon dans les monastères

Fort de l'appui de la papauté et de son privilège qui le nomme "Premier abbé de France", Ab bon intervient dans plusieurs affaires concernant les monastères de la région.

1. L'affaire de Marmoutier A. L'abbaye clunisienne L'abbaye de Marmoutier, face à la ville de Tours, s'était remise des ravages normands. Hugues Capet l'avait prise sous sa protection. En 985, elle avait été détachée du chapitre de Saint-Martin de Tours et Hugues avait confié cette riche abbaye 111 à Eudes de Blois et à sa femme Ermengarde. Eudes, alors appelé rector et même defensor de Marmoutier, introduit une réforme dans l'abbaye en demandant à Mayeul de Cluny d'envoyer quelques moines de se joindre à ceux qui étaient en place. C'est l'abbé Guitbert qui dirige l'abbaye de 986 à 990.

1 Cf. O. Guillot, Le comte d'Anjou ... , t. I p. 173 et s. Sur l'abbaye de Marmoutier, G.-M. Oury, "La reconstruction monastique dans l'ouest", Revue Mabillon 1964 p. 90-95.

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Le succès de la réforme est attesté par une lettre de l'archevêque de Reims Adalbéron: «Voici en effet que de la cellule du bienheureux Martin, surgissent des files de moines depuis longtemps disparues. Parmi eux, nous nous réjouissons d'avoir accueilli, comme un modèle de vie morale, Osoulf nourri dans le commerce du bienheureux 121 ". C'est dans cette sainte maison qu'Eudes de Blois vient mourir le 4 juin 996. L'abbé n'est plus Guitbert mais un autre moine clunisien, Bernier. Ce dernier, "élevé dès l'enfance" à Cluny, est envoyé par l'abbé Odilon qui succéda à Mayeul en 994. Or nous apprenons par une lettre d' Abbon, que les moines de Marmoutier se sont révoltés contre leur abbé. Que s'est-il passé? La lettre d'Abbon est adressée à l'abbé de Saint-Julien de Tours, Gauzbert. Saint-Julien est une abbaye peut-être plus importante que la collégiale Saint-Martin, Odon de Cluny y est enterré. Ses biens sont grands, sa bibliothèque est exceptionnelle. Nous le savons par une lettre de Gerbert à son parent, l'abbé Evrard. Dans cette lettre, Gerbert demandait à Evrard de lui faire recopier quelques manuscrits pour enrichir sa bibliothèque et même, donnait à part la liste de ces manuscrits, liste malheureusement perdue. Gerbert devait de nouveau correspondre avec Evrard, nous l'avons dit, au moment de l'affaire de l'intrus de Fleury-sur-Loire(J). Evrard était, avec l'abbé Mayeul, l'autorité susceptible de dénouer la crise de Fleury. Evrard, mort en 991, est remplacé par Gauzbert, un parent de la duchesse, sœur du comte de Blois. C'est à lui que la duchesse confie en 996 le nouveau monastère qu'elle fonde à Bourgueil, aux portes de la Touraine( 4 '. La charte de 2

Lettre 189, ed. Correspondance de Gerbert, p. 491. Lettre 44, op. cit. p. 107; 80, p. 191; 88, p. 207. 4 Sur Gauzbert, cf. G.-M. Oury, "La reconstruction monastique", p. 69-124.

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fondation est même un petit traité de théologie monastique: le monachisme est le pilier de l'Église, il aide les Chrétiens à rester fidèles à l'enseignement des Apôtres, les laïcs doivent être au service des moines et non s'immiscer dans leurs affaires(5l. Gauzbert est à bonne école s'il est vrai que c'est à lui qu' Abbon a envoyé la lettre 14. Dans cette lettre, nous l'avons dit, l'abbé de Fleury mettait son collègue en garde non seulement contre les laïcs, mais contre l'évêque qui voulait intervenir dans l'exploitation des revenus de l'abbaye. Gauzbert devait alors être en conflit avec l'archevêque de Tours, Archambaud, déjà nommé à propos de sa dispute avec les chanoines de Saint-Martin et du mariage de Robert le Pieux(6l.

B. La révolte des moines Abbon écrit donc à Gauzbert, cet important abbé, en 998. La date de la lettre 8 est précisée par l'allusion qu' Ab bon fait du privilège qu'il a obtenu de Grégoire V. Dans cette lettre, il évoque la révolte des moines contre l'abbé Bernier, révolte menée par deux d'entre eux, l'un étant Frédéric, un ancien moine de Fleury, ce qui devait particulièrement scandaliser son ancien abbé. Les motifs de la révolte sont connus. On accuse l'abbé Bernier de tentative d'assassinat d'un de ses disciples, d'incendie et de la fréquentation d'un lupanar. Rien que cela, ce qui 5

Dom Oury, "Le rôle du monastère de Saint-Julien de Tours après sa restauration par Odon de Cluny (942-1042), dans Pays de Loire et Aquitaine - De Robert le Fort aux premiers capétiens, ed. O. Guillot et R. Favreau (Mémoires de la société des Antiquaires de l'Ouest), 1996, p. 201. 6 Cf. supra, p. 216.

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pour un clunisien semble abominable. Gageons, comme l'ont remarqué certains, que les révoltés ont profité de l'occasion pour secouer la tutelle de Cluny jugée par eux trop lourde. Bernier est-il coupable ou bien est-il victime de rumeurs et de médisances sous l'instigation diabolique? La lettre qu' Abbon écrit également à Bernier est curieuse, car elle précise certains points de l'accusation: "Tu passes pour avoir contaminé de ta propre gangrène une grande partie du troupeau qui t'était confié... Par le fer, tu as transpercé ton compagnon, bien plus, ton fils et celui qui t'avait choisi comme mentor de sa vie, etc. Repens-toi, repens-toi, fais un retour en toi-même ... ". Mais Bernier est-il vraiment fautif? La fin de la lettre d'Abbon laisse perplexe: "Ne diffère pas de te faire entendre, je t'en prie, si tu dois plaider l'innocence; s'il en est autrement donne satis(action à tes frères en envoyant un acte de démission et en remettant à l'évêque la charge du gouvernement pastoral afin qu'un autre qui en soit digne puisse au plus tôt t'y succéder. Adieu" (Lettre 9).

C. Reproches à Gauzbert Mais revenons à la lettre à Gauzbert. Après un long exposé sur les faux moines qui attirent les frères naïfs par des pièges pleins de fausseté et forgent de toutes pièces des accusations, il en vient au fond de la question et fait plusieurs reproches à Gauzbert. La rumeur publique a rendu responsable l'abbé de Saint-Julien, le plus proche de Marmoutier, des scandales commis dans l'abbaye. Il n'est pas en fait responsable mais a mal agi en plusieurs points. Il a laissé faire les moines médisants, alors qu'il aurait dû

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renvoyer cette affaire, non pas à l'évêque seul, mais à plusieurs évêques et un concile "afin que par le jugement commun et légitime de tous, l'abbé soit acquitté s'il est innocent ou condamné s'il est coupable". C'est ce que conseillait l'autorité qu' Ab bon invoque continuellement, Grégoire le Grand, dans une lettre à Syagrius d' Autun, lettre qu'il avait citée au chapitre 17 de sa Collection canonique(7). Deuxième reproche, Gauzbert aurait dû se méfier des accusations portées contre Bernier. Il devrait savoir que dans le droit, on distingue les accusateurs, les témoins et les juges, car comme dit Salluste, "il faut que tous soit étrangers à la colère, à la haine, à la faveur et à la pitié". Abbon a en tête le passage de la Conjuration de Catilina (chapitre 51): "Tout homme appelé à discuter sur une affaire douteuse doit se libérer de la haine et de l'amitié, de la colère et de la pitié". Enfin, Gauzbert a toléré que Bernier soit jugé par des moines. Les moines doivent obéir à la règle, vivre dans le silence, ne dénigrer personne, ne haïr personne, ignorer les médisances. "Qui a appris à ces prétendus disciples de la vie contemplative qui avec Marie aurait dû arroser de larmes les pieds de Jésus [... ], à ne pas dévoiler ou rendre publiques leurs fautes et celles d'autrui mais plutôt à les pleurer... ?". À la fin de la lettre, Abbon revient aux vœux monastiques qui imposent l'obéissance au supérieur. Ils auraient dû avoir pitié de ce dernier. Mais il y a plus, l'abbé Bernier a voulu se justifier par l'épreuve du fer rougi au feu, ce qui est interdit par les lois divines et humaines. Même si elle était encore encore en usage, cette ordalie avait été proscrite par l'église surtout

7

Cf. supra, p. 163.

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depuis les condamnations d'Agobard au ix• siècle18 l, Et encore plus: on avait confié l'instruction à des laïques bien moins sensés que les moines et pendant cinq ans l'ordre monastique est livré à la confusion ... Deux hommes sont victimes de cette affaire. Odilon, le portedrapeau de tout le monachisme, puisqu'on dit que les clunisiens ont été chassés de Marmoutier. Abbon lui-même a été curieusement accusé de parricide, trahi par Frédéric et ceux que l'on peut appeler "les Frédériciens". La dernière phrase de la lettre à Gauzbert est peu claire, Abbon parle d'un rival et d'une lettre stupide qu'il lui a envoyée. Enfin, de deux chose l'une, ou bien Bernier est coupable et il doit démissionner, ou il est innocent et il doit conserver sa charge. La conclusion de la lettre à Gauzbert va dans le même sens que celle de la lettre à Bernier. De fait, Bernier a démissionné. Le comte Eudes II enlève l'abbaye aux Clunisiens et nomme comme abbé ... Gauzbert, ce qui laisse à méditer. Gauzbert devient bientôt abbé de Saint-Julien, Marmoutier, Bourgueil qu'il avait déjà, Maillezais et même, en 1002, de Saint-Pierre de la Couture au Mans19 l. Bernier se serait retiré à Cluny. L'abbé de Tournus, Bernier, au début du xi• siècle est certainement un homonyme. Quant à Frédéric, il fut envoyé en pénitence à Jérusalem. Ces deux lettres, 8 et 9, sont fort instructives, non seulement pour l'histoire de cette révolte de moines, mais pour les qualités de canoniste de l'abbé de Fleury et aussi son désir

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Dom Cousin, p. 164, note 13, fait remarquer qu'un manuscrit d'Orléans n° 238 contient une bénédiction: ferri igniti quod de causa judicii portatur. 9 D'autres abbés, Garin de Cuxa, Guillaume de Volpiano, avaient la responsabilité de plusieurs abbaye.

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de juger le pour et le contre, de suivre l'enquête sans se décider sur des bruits qui lui sont parvenus.

2. L'affaire de Saint-Mesmin de Micy L'abbaye de Saint-Mesmin a été fondée à l'époque mérovingienne à Micy, sur la Loire, à sept kilomètres à l'Ouest d'Orléans. Elle a eu, au IXe et au xe siècles des abbés venant de Fleury et dépendait étroitement de l'évêque d'Orléans. Cette abbaye avait des terres mais surtout une riche bibliothèque dont il subsiste quelques manuscrits du 1xe et xe siècles(to). En 996, l'évêque Arnoul nommait le moine Constantin de Fleury au poste de doyen de Micy. C'est à lui et aux frères de Micy, qu'Abbon, en 1004, envoya une lettre de reproches. La date est certaine puisqu' Abbon parle de l'évêque Foulques d'Orléans qui succéda à Arnoul en 1003(1 1).

A. La révolte des moines C'est encore une révolte de moines qui donne l'occasion à Abbon d'intervenir. Il le fait parce qu'il connaît Constantin et d'autres moines de Micy et que les Fleurisiens ont reçu une lettre de ces moines dans des conditions inacceptables. Les moines de Micy ont écrit aux Fleurisiens qu'ils avaient jugé leur abbé Robert et un de ses disciples et qu'ils les 10 Cf. E. Lesne, Les livres, "scriptoria" et bibliothèques, Lille, p. 558, A. Vidier, Historiographie ... , p. 39, 41, 43, M. Mostert, The Library .. ., signale de nombreux manuscrits provenants de Micy. Cf. son index à "Micy", cf. aussi Ch. Vulliez, "Les centres de culture", p. 128-129. 11 Lettre 11.

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avaient chassés. Abbon ne peut admettre d'une part que les moines de Micy tentent de faire des Fleurisiens leurs complices et d'autre part qu'on ait pu accuser l'abbé sans l'entendre. Lorsque l'accusé n'est pas admis à l'audience et qu'on le condamne par contumace, cela est contraire au droit. Cette révolte rappelle de mauvais souvenirs à Abbon qui cite alors le "détestable scribe Frédéric qui vit maintenant en exil à ] érusalem pour avoir forgé des mensonges et avoir conçu, au sujet de ses frères, une histoire inouïe de vices imaginaires". Ce Frédéric est certainement ce moine venu de Fleury à Marmoutier qui avait calomnié l'abbé Bernier. Abbon évoque également: "Odilon recteur de Cluny qui tient dans notre ordre monastique une place insigne", et qui, après les avoir fait battre de verges, a chassé des moines rebelles et coupables de médisances. Il compare tous ces moines à des satyrici, ici mot qu'on ne peut traduire, "auteurs de critiques" mais auquel il faut donner le sens fort de "fils de satyres" et qui se multiplient présentement. Il les compare aux "acéphales" qui déchirent à pleines dents leurs frères et règnent sans tête, sans père spirituel, contrairement au droit et à la loi naturelle. Notons qu'Abbon parle de cette "hérésie des acéphales" comme quelque chose "qui vient juste de naître". Ab bon demande alors aux moines de Micy de se souvenir de leurs vœux, de mettre à leur tête l'abbé avec une de ses ouailles, qu'ils ont chassé, et de se soumettre à son jugement. Curieusement, il ajoute que "si la règle de Benoît le législateur des moines leur déplaît, qu'ils se souviennent de la parole de Paul dans Romains XTV, 4: «qui es-tu toi qui juges le serviteur d'autrui», etc". Abbon poursuit en accusant les moines d'avoir voulu mettre de leur côté le "bienveillant évêque d'Orléans, Monseigneur Foulques: vous l'avez armé contre l'innocent

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contrairement à l'autorité des canons". Si, semble-t-il, Abbon est en meilleurs termes avec Foulques qu'avec son prédécesseur Arnoul, il n'oublie pas pour autant les règles du droit. L'évêque n'a pas à intervenir dans une affaire de moines. D'autre part, il s'adresse à un homme qu'il estime et qui est à la tête de la conspiration et même qui a pris la place de l'abbé Robert. Cet homme est Létald et il lui prie d'intervenir auprès de ses frères et de les ramener patiemment à l'obéissance. Ceci demande quelques explications. Qui est Robert? Qui est Létald?

B. Robert et Létald Robert, abbé de Micy, est en même temps abbé de SaintFlorent-le-Vieil au Mont-Gionne, près de Cholet. Il est abbé depuis 982. Il succède au fleurisien Amalbert qui avait été envoyé par le comte Thibaut de Blois pour réformer l'abbaye. En 979, Amalbert est nommé abbé de Fleury, alors Robert lui succède à Saint-Florent. Quelques années après, il reçoit l'abbaye de Micy. La réputation de Robert n'est pas bonne à en croire Adalbéron de Reims, qui en 988 écrit à son collègue de Laon: "Méfie toi à l'extrême de Robert de Micy comme d'un traître ou d'un imposteur". Ce n'est pas une grande personnalité et Abbon lui-même le désigne comme une misérable créature et un pauvre hommet 12 ).

12

Lettre 136, Correspondance de Gerbert, p. 335.

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Quant à Létald, c'est un lettré bien connu 1131 • Né près de Micy, entré très jeune au monastère sous l'abbé Annon, il se fait remarquer en écrivant les Miracles de saint Mesmin, fondateur présumé de l'abbaye au temps de Clovis. Il compose un étrange poème sur l'anglo-saxon Within, avalé avec son bateau par une baleine et qui se retrouve dans sa ville natale de Rochester. En deux cent dix hexamètres bourrés de réminiscences de Virgile, d'Ovide, de Lucain, de Stace, de Claudien, etc, ce poème représente un exemple de l'humanisme à la fin du xe siècle 1141 • On peut supposer que c'est Létald qui a écrit, lorsque Robert était abbé des deux abbayes, les vers sur la destruction du Mont-Glonne par les Bretons 115 1. Létald a bien connu Abbon et sans doute a-t-il été son disciple à Fleury. Son érudition et sa connaissance des poètes antiques a été peut-être acquise dans la bibliothèque de l'abbaye. Abbon avait de l'amitié pour Létald et en dépit des méfaits du moine, il lui parle en termes assez doux. On se rappelle qu'Abbon, dans son Apologie, avait accusé l'évêque Arnoul d'avoir malmené Létald 1161 , ce qui renforce l'hypothèse de bonnes relations entre les deux hommes. L'intervention d' Ab bon fut suivie d'effet. Létald se retira auprès de l'évêque du Mans, Avesgaud, et écrivit pour lui une Vie de Saint Julien, premier évêque de la ville, avec un sens critique qu'on ne connaît pas à l'époque. Il veut réta13

Sur Létald, cf. Ch. Vulliez, Des écoles .. ., Ibp. p. 162-166, F. Bertini, "Within pescatore di Letaldo di Micy", dans Mittellateinisches ]ahrbuch, 24/25, 1989/1990, p. 39 et s. F. Bertini a donné une édition de ce poème avec traduction (Florence, 1995). Cf. aussi T.-H. Head, "Letaldus of Micy and the hagiographie tradition of Selles-sur-Cher", dans AB 107, 1989, p. 393-414. Le poème sur Within avait été publié dès 1943 par J.-B. Bonnes, "Un lettré du xe siècle - Introduction au poème de Letald", Revue Mabillon, t. 33, 1943. 14 Cf. P. Riché, Les grandeurs ... , p. 214 15 C'est l'hypothèse de J.-P. Bonnes et de Th. Head, op. cit. p. 395. 16 Cf. supra, p. 150.

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LES INTERVENTIONS D'ABBON DANS LES MONASTÈRES

blir la vérité: Létald a dû plaire à Monseigneur Duchesne, lorsque ce dernier poursuivait les légendes sur l'origine des églises de Gaule. Quant à Robert, il revint à Micy et resta abbé jusqu'à sa mort, le 8 août 1011( 17l. Ce fut le moine Constantin qui le remplaça.

C. Constantin, abbé de Micy La lettre d' Ab bon lui est adressée mais il ne parle pas de lui. S'est-il compromis comme Létald? Nous l'ignorons. Abbon connaissait bien Constantin qui avait été son élève et qui l'avait un moment remplacé comme écolâtre. Il devait estimer son érudition en sciences, même si l'amitié entre Constantin et Gerbert pouvait lui déplaire. Constantin fut donc abbé de Micy en 1011. Bien avant son élection à la fin du xe siècle, ou au début du siècle suivant, alors qu'il n'était que doyen, Constantin avait reçu de Gerbert, obligé de quitter la France, ses dossiers qui comprenaient sa correspondance moins trente lettres compromettantes, les actes du concile de Saint-Basle, des textes canoniques, etc. Ce dernier les recopia ou les fit recopier, si bien que nous les avons encore dans un manuscrit de Leyde( 18 l. Notons que dans une marge est inscrit le nom d'un des scribes, le moine Stabilis( 19 l. On s'est demandé si ce n'était 17 C'est du moins ce que dit le Livre noir de Saint-Florent. Un diplôme est délivré par Robert le Pieux à Robert, le 14 avril 1005, cf. W.-M. Newman, Catalogue des actes de Robert Il, roi de France, Paris, 1937, n° 15. 18 Cf. Correspondance de Gerbert ... , p. XI et s. 19 Cf. K.-F. Werner, "Zur Uberlieferung der Briefe Gerberts von Aurillac", dans Deutsches Archiv, 1961, p. 101.

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pas le pseudonyme de Constantin, ce nom ayant la même signification'20l. Or, je l'ai dit plus haut, un Stabilis, qui se dit orléanais et moine de Micy, s'intéresse à l'astronomie puisqu'il demande à Ascelin d'Augsbourg des explications sur l'astrolabe'21 l. Ceci nous donne un aperçu sur les intérêts intellectuels des moines de Micy. C'est lorsque Constantin était à Micy qu'Helgaud, préchantre de Fleury, lui demanda avec la permission de l'abbé Gauzlin successeur d' Abbon, de mettre en musique l'histoire de l'arrivée des reliques de saint Benoît'22 l. Un manuscrit de Paris (BNF lat. 5595) contient l'officium rythmicum in translatione S. Benedicti, avec des neumes. Pour en finir avec Constantin, Létald a écrit à la demande de l'abbé Constantin pour les moines de l'abbaye de Nouaillé, un récit des miracles survenus au moment de la translation des reliques de saint Junien à Charroux en 989'23 l. Constantin, qui connaissait bien Létald, aurait donc reçu une autre abbaye. La Chronique de Saint-Maixent nous dit: "en 1014, mort de Constantin abbé de Saint-Junien de Nouaillé. Il fut le contemporain de l'abbé Létald et de beaucoup d'autres, mais plus que d'autres il fut musicien et chanteur remarquable( 24l". L'allusion à Létald, et aux qualités de musicien de Constantin, font supposer avec raison que Constantin a fini abbé de Nouaillé.

20 Hypothèse de Charles Burnett, "L'astronomie à Chartres au temps de l'évêque Fulbert", dans Le temps de Fulbert ... , p. 95. 21 Cf. supra, p. 106. La lettre est signalée dans le manuscrit 214 de Chartres. 22 Vie de Gauzlin, p. 38. 23 PL 137, c. 823 et s., 24 Chronique de Saint-Maixent, ed. J. Verdon, Paris, 1979, p. 106.

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LES INTERVENTIONS D'ABBON DANS LES MONASTÈRES

3. L'affaire de Saint-Père en Vallée

Abbon est appelé à intervenir dans un conflit qui oppose des moines à l'abbé de Saint-Père en Vallée, près de Chartres. Ce monastère, nous l'avons dit, a été restauré par des moines fleurisiens. Le moine Alvée, ancien chanoine de Chartres, était venu passer trois ans à Fleury puis était reparti avec douze moines et l'abbé Vulfade pour réformer Saint-Père125 1. Vulfade, par la suite, fut nommé évêque de Chartres en 962. Saint-Père avait une importante bibliothèque qui avait sans doute été enrichie par des dons de fleurisiens 1261 • Or, vers 1002-1003, l'abbé de Saint-Père, Gibert qui dirigeait la communauté depuis 965, était gravement malade. Un moine ambitieux nommé Megenard souhaitait le remplacer. Nous savons cela par une lettre écrite par le diacre Fulbert, futur évêque de Chartres, en réponse à une demande d'explication d'Abbon, envoyée semble-t-il par son disciple Milan 1271 •

A. La lettre de Fulbert Fulbert, né entre 960 et 970 en Picardie ou Aquitaine, nous ne savons, d'une famille assez modeste, est arrivé à Chartres vers 990. Il fut admis au diaconat et devint chancelier. Comme c'était un clerc très instruit, nourri des classiques et s'intéressant aux sciences, il fut également écolâtre 25

Cf. supra, p. 14. E. Lesne, Livres ... , p. 571-575. 27 Lettre éditée et traduite par F. Baehrens, The letters and Poems of Fulbert of Chartres, Oxford, 1976, p. 4-9. Pour l'éditeur, Mediolanum est le nom de la ville, ce qui est invraissemblable vu la phrase. 26

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et avait même reçu de ses disciples le surnom de "Socrate"!28i. Ainsi était-il en relation avec Abbon, qu'il nomme dans sa lettre "le grand philosophe". Pendant un long paragraphe, au début de la lettre, il disserte sur les métiers de la philosophie avec même une allusion à Jean Scot Érigène. Mais il vient vite à l'objet essentiel de la lettre, l'affaire de Saint-Père de Chartres. Donc, voyant son abbé malade, Megenard était parti à Blois trouver le comte Thibaut II, le fils de la reine Berthe, épouse de Robert le Pieux et lui avait demandé de lui donner l'abbaye après la mort de l'abbé. Le comte envoya alors à Fulbert une ambassade pour lui prier de recevoir Megenard comme abbé. Fulbert en fut scandalisé. On ne pouvait accepter un homme qui n'était pas élu par ses frères, avant même la mort du titulaire. Megenard retourna à Blois et excita le comte contre Fulbert. Or, cinq jours après, l'abbé mourait. Les moines et quelques chanoines interrogés sur leurs successeurs refusèrent le candidat du comte. Fulbert envoie donc une délégation à Thibaut pour lui faire part de la mort de l'abbé et lui demander l'autorisation d'élire, selon la règle, son successeur.

B. Conflit entre Megenard et les moines Mais voici que deux moines du monastère, Vivien et Durand, l'un illettré et l'autre à demi-lettré, vont persuader le comte que la communauté a élu Megenard. Le comte Thibaut, venu à Blois, remet la crosse publiquement au nouvel abbé. Les moines rédigent alors une protestation que Fulbert

28 Sur Fulbert, cf. Le temps de Fulbert, passim.

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joint à sa lettre et qui est signée du doyen Durand et de dixneuf moines. Le comte Thibaut nonobstant installe Megenard dans l'abbaye. Les protestataires se réfugient à la cathédrale puis, grâce au doyen Raoul, ils trouvent refuge au monastère de Lagny-sur-Marne que dirigeait l'abbé Herbert, ancien élève de Reims et de Chartres. Ce qui n'empêche pas l'abbé intrus Megenard d'être installé par un certain Hervise, un évêque qui dit-on vient de Bretagne, malgré les protestations populaires et celle du délégué de l'archevêque de Tours. Fulbert, alors, se désole et en quelques phrases émouvantes, peint à Abbon la situation de cette église de Gaule désolée: 0 derelicta, o mesta, o desolata Galliarum ecclesia. Son seul espoir est l'aide qu' Abbon pourra lui apporter s'il le demande en son nom et celui du doyen Raoul. Sans doute Fulbert savait à qui il s'adressait. Ce n'était pas le philosophe qu'il implorait, mais le canoniste dont la réputation était grande. Nous ne savons pas comment Abbon est intervenu, mais d'après l'auteur du Cartulaire de Saint-Père, le moine Paul, qui écrivait à la fin du xi< siècle et qui d'ailleurs a recopié la lettre de Fulbert1291 , l'affaire s'est heureusement terminée. Thibaut II étant mort en Terre Sainte, le doyen Raoul étant devenu évêque la même année (1004 ), les moines expulsés revinrent à Chartres et chassèrent l'intrus. Abbon a-t-il, comme le veut dom Cousin1301, conseillé à l'évêque de se montrer conciliant avec Megenard et de l'accueillir dans son palais avant de lui rendre après pénitence la crosse abbatiale? On l'ignore. Mais Megenard mourut abbé en 1013. 29 30

Paul, Cartulaire de Saint-Père, ed. Guerard, Paris, 1840. Dom Cousin, p. 168-189.

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4. L'affaire Saint-Cyprien de Poitiers A. L'abbé Gilbert diffamé Lorsqu' Ab bon part à La Réole, voyage dont je parlerai plus loin, il s'arrête à Poitiers. Aimoin, dans sa biographie (chapitre 17), nous dit que l'abbé Gilbert qui dirigeait ce monastère dans les faubourgs de Poitiers(31 1, était faussement accusé d'une grave faute. C'est toujours le même scénario. Un abbé faussement accusé et des moines révoltés. L'abbé demande alors à Abbon de l'assister à son procès devant le tribunal séculier. Abbon, qui était parent de l'abbé et qui, comme le dit Aimoin, désirait porter secours autant qu'il le pouvait à tous ceux qui supportaient une injustice, intervient indirectement en remettant à l'abbé une lettre destinée à l'abbé Odilon, puisque Saint-Cyprien dépendait de Cluny. Cette lettre qui, dit encore Aimoin, est la dernière "conservée avec les autres" (lettre 12).

B. La lettre à Odilon Abbon dit apprendre que le monastère est clunisien et dans ces conditions il écrit à l'abbé Odilon, "revêtu du privilège de sa parfaite vertu". Il lui dit que descendu pendant son voyage à Saint-Cyprien, il est au courant des médisances concernant l'abbé. Il fait une enquête à la place d'Odilon et se rend compte que ces faux bruits viennent de moines indisciplinés qu'il appelle encore satyrici. Il semble une nouvelle 31 Ce monastère, fondé au IXe siècle par Pépin d'Aquitaine sur le tombeau d'un martyr poitevin, a été restauré par l'évêque Frotaire Il vers 935 et rattaché à Cluny en 990.

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LES INTERVENTIONS D'ABBON DANS LES MONASTÈRES

fois que l'abbé soit accusé d'une affaire de mœurs puisqu' Ab bon parle d'une prostituée accusatrice. Aimoin, de son côté, disait que l'accusateur avait gardé l'anonymat. Tout cela est diabolique. Abbon met en garde Odilon contre ceux qui foulent les choses sacrées, qui tentent d'attirer à eux d'autres moines qui leur préféreront aide et conseil. L'expression, bien classique dans le monde de la vassalité, est curieusement employée ici. Qu'Odilon se méfie de la ruse de ces moines: "Quel moine se fondant sur l'autorité des Pères a poussé son abbé devant la justice séculière? Qui l'a assigné devant une assemblée de clercs et d'évêques?". Abbon ne parle pas du tribunal du comte. C'est à l'abbé de Cluny qu'aurait dû revenir l'autorité juridictionnelle et de citer, une fois de plus, Grégoire le Grand: "Fais en sorte, dit-il à Odilon, que l'innocent déclaré non coupable se réjouisse et que l'accusateur téméraire ait conscience de sa faute afin qu'il ne se gausse pas du malheur des innocents". Nous ignorons l'issue de cette affaire.

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Les voyages à la Réole

C'est encore pour réformer une abbaye et régler des conflits intérieurs qu' Ab bon décide à deux reprises de partir à La Réole.

1. Le premier voyage L'abbaye de la Réole, fondée sans doute au VIf siècle, a été donnée à Fleury. Il semble que Mommole soit venu prendre possession de ce domaine et y installer un prieuré. Il mourut sur le chemin du retour à Bordeaux. D'abord appelé "Squirs", l'abbaye pris le nom de "La Réole" (Regula}, c'està-dire la Règle. Située sur la rive droite de la Garonne entre Marmande et Landon, elle est placée au pied d'un éperon entre deux rivières qui, nous dit Aimoin, ont été nommé par les Francs "Moselle et Meuse". En effet, Charlemagne allant combattre les Basques en 778, installa un fortin à Ad Francos et s'arrêta au palais de Cassinogilum. Aimoin nous dit que c'est là qu'il laissa sa femme Hildegarde sur le point d'accoucher de ses jumeaux dont le futur Louis le Pieux. Mais certains historiens estiment qu'il a confondu Casseuil, près de la Réole, et Chasseneuil sur le Clain, près de Poitiers. Pourtant, dans

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LES VOYAGES À LA RÉOLE

les Miracles de saint Benoît, il revient sur ce site et décrit le palais de Charlemagne! 11 . Le monastère de la Réole, assez florissant à l'époque carolingienne, fut détruit par les Normands et restauré au xe siècle. En 977, une charte de Gombaud, évêque de Gascogne, et de son frère Guillaume-Sanche, confirme la possession du monastère à Fleury, mais il semble bien que cet acte soit un faux établi sans doute à partir d'un texte authentique!21. Sans mentionner l'acte, Aimoin dit que Guillaume avait confié l'abbaye à Richard et signale qu'il a exposé ce fait "plus complètement dans le livre que nous avons écrit sur la vie et les actes des abbés de notre monastère". Malheureusement, ce texte est perdu. Après Richard, vint Amalbert, puis Oybold pour tenter de réformer cette abbaye, qui ne répondait pas, remarque Aimoin, à son nom de Regula. Abbon est appelé à intervenir à son tour mais, disait-il avec malice à ceux qui voulaient le persuader de s'y rendre, "il irait là-bas quand il aurait commencé à perdre le goût à la vie". Et, ajoute Aimoin, "c'est pourtant bien ainsi que par la suite l'affaire se termina". D'ailleurs, dit-il encore, on rapportait qu'à aucun de ses prédécesseurs, il n'avait été donné de vivre longtemps après leur voyage en Gascogne(3). Abbon ne devait pas être superstitieux mais avait beaucoup d'autres travaux à Fleury et dans le Nord du royaume. La Gascogne paraissait très loin. Pourtant Abbon accepte de se rendre en personne dans ce pays encouragé par Aimoin lui-même qui, nous l'avons 1

Cf. Ch. Higounet, Bordeaux pendant le Haut Moyen-Âge, Bordeaux, 1963, p. 28-80. 2 Prou-Vidier, Recueil des chartes, p. 153. 3 Aimoin, Vie, ch. 16.

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vu, est natif de cette région où il a des parents et surtout sa mère 141 • Abbon veut rencontrer les fils de Guillaume-Sanche, mort vers 996, Bernard et Sanche-Guillaume, qui comme le dit Aimoin, organisent le monastère "non à sa convenance mais à la leur". Ces seigneurs laïcs ne voulaient pas abandonner leurs droits sur les biens religieux. L'abbé repartant laissa sur place quelques moines fleurisiens. Ces derniers ont obéi sans joie car "ils craignaient laperfidie des Gascons". Dans le royaume de France, entre les populations du Nord et celles du Sud, spécialement dans l'extrême Sud, les relations ne sont pas bonnes. Encore au XIF siècle, selon le Guide du pèlerin de saint Jacques de Compostelle, les Gascons ont mauvaise presse151 • Abbon renvoie alors quelques moines en renfort, mais à la fin, les uns et les autres reviennent à Fleury. Alors l'abbé, "attribuant la faute à leur inertie, en envoie d'autres en leur donnant pour tâche de corriger ce que les premiers avaient négligé". Même résultat. Les nouveaux venus crient à l'aide et menacent de revenir à Fleury si Abbon n'intervient pas. Il semble que cette fois, les comtes craignent les troubles dans le monastère de la Réole. Ils font savoir qu'eux et l'avoué du monastère, le vicomte Amalvin, laisseront toute initiative à Abbon qui devra maintenir les moines fidèles et expulser les irréductibles. Abbon, dans ces conditions, décide de repartir à la fin du mois d'octobre 998.

4

Cf. supra, p. 6. "Le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle", ed. J. Vielliard, Macon, 1938, p. 19. 5

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LES VOYAGES À LA RÉOLE

2. Le deuxième voyage Ce voyage est raconté par Aimoin avec un rare talent. C'est un véritable rapport, sans doute issu d'une sorte de journal quotidien, avec des précisions sur les lieux et les jours, les obstacles, les rencontres. Abbon emmène avec lui évidemment Aimoin le gascon, mais aussi Remi, habitué au voyage puisqu'il avait accompagné Bernard de Beaulieu en pèlerinage et Guillaume, son secrétaire particulier. Abbon est pressé, il envoie à l'avance ceux qui étaient venus lui demander d'intervenir, pour faire sa venue et ne pas retarder l'entrevue avec les comtes. Mais il n'oublie pas les intérêts de Fleury. Aimoin écrit "qu'il se rend à Poitiers, auprès du comte de la cité, Guillaume, pour lui demander son aide à propos d'un bien de son monastère appelé «Sa/», violemment opprimé par les exactions des avoués 16!". Ce comte était l'illustre Guillaume le Grand, duc d'Aquitaine, qui d'ailleurs était le beau-frère des ducs de Gascogne. Guillaume lui promet de régler cette affaire lorsqu' Ab bon repasserait dans la ville. À Poitiers, l'abbé est l'hôte de son confrère de SaintCyprien qui alors connaissait quelques difficultés. Nous avons vu comment Abbon est intervenu en écrivant à Odilon de Clunyl 71 • Après cinq jours à Poitiers et la célébration de la Toussaint le 1er novembre, les moines repartent le jeudi, passent par Charroux où s'était tenu en 989 le fameux concile de paix, mais Aimoin n'en parle pas. Puis on arrive au monastère 6

Le site est incertain, dit Cousin, p. 177, n. 11. On a pensé à Soulx dans les Deux-Sèvres, mais très éloigné de Poitiers. 7 Cf. supra, p. 250.

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FLEURY~ 23 Oct.? ,

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29 oct.-2 nov.

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Itinéraire d'Abbon en 1004 (Fleury-Poitiers est possible suivant deux intinéraires, par Tours ou Vierzon-Bourges, pas d'indications textuelles) Infographie-Renaissance

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LES VOYAGES À LA RÉOLE

Saint-Benoît de Nanteuil non loin de Ruffec. Les moines y passent la nuit et repartent pour Angoulème où ils arrivent le samedi 4 novembre au soir. Adhémar de Chabannes, alors sans doute à Saint-Martial de Limoges, se souvient qu' Abbon a été reçu au monastère de Saint-Cybard dans la banlieue d'Angoulème! 81 • Abbon ne s'attarde pas et repart le dimanche ne sachant pas quelle serait son étape la nuit suivante. Les moines délaissent l'ancienne voie romaine d'Angoulème à Bordeaux, puis la quittent sans doute à Montmoreau à trente kilomètre d' Angoulème, près d'un prieuré SaintCybard, pour se diriger Nord-Sud, à travers la forêt. Les routes ne sont pas sûres ni bien marquées à l'époque! 91 • Le groupe marche pendant vingt kilomètres, un peu inquiets, vers le château d' Aubeterre qui domine la Dronne. Ce château fut transformé par la suite et, de nos jours, il présente encore des ruines. Alors, nous dit Aimoin, le seigneur du château, Géraud, qui peut-être chassait, arrive au galop derrière le groupe, s'enquiert de l'origine des moines et est tout heureux d'apprendre qu' Abbon était parmi eux. Curieusement, il avait entendu parler de "la bonté et de la science" de l'abbé. Il lui offre son gîte et le conduit à une église qui lui appartenait. Le lendemain, il fait porter aux moines des poissons, sans doute pêchés dans la Dronne, et vient lui-même pour escorter les moines pendant quelques milles. Il leur fournit des guides ainsi qu'à ceux qu'il envoie à l'avance pour préparer le logement. Aimoin détaille cette 8

Adhémar de Chabannes, Chroniques, ed. P. Bourgain, Turnhout, 1999,

III, 39, p. 159. 9 Cf.]. Hubert, "Les routes au Moyen-Âge'', dans Arts et vie sociale de

la fin du monde antique au Moyen-Âge, Paris, 1977, p. 43 et s.

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aide providentielle pour montrer que dans ce voyage, Abbon fut reçu partout comme un seigneur. Descendant par la route qui longe la Dronne, le groupe arrive, on le suppose, à Saint-Aulaye et s'engage dans la profonde forêt de la Double, longue de vingt-cinq kilomètres. Il doit alors franchir l'Isle, une rivière assez importante, sans doute vers Menesterol, encore un indice de monastère, ou peut-être à Saint-Seurin sur l'Isle et non à Coitrasl 10l, trop à l'ouest. En effet, le village des Francs (Ad Francos) est à quinze kilomètres au sud de Saint-Seurin. Ce village, on l'a dit, gardait le souvenir du contingent établi par Charlemagne. Pourquoi aller là? Ce n'est pas en souvenir de l'empereur mais surtout parce que la mère d' Aimoin, Aimenrydis, y habitait. Elle était d'ailleurs la cousine de ce Géraud qui les avait si bien reçus à Aubeterre. Nous sommes le 6 novembre. On devine les embrassades entre mère et fils et l'empressement de cette dame. Elle aurait voulu garder Abbon quelques jours mais ce dernier, toujours pressé, refuse et reprend la route le lendemain. Il faut descendre vers la Dordogne et franchir le fleuve sans doute à Castillon. On entre alors dans l'Entre-Deux-Mer s. Le paysage est plus dégagé. Le seul obstacle est le Dropt, une petite rivière qui vient des plateaux et coule parallèlement à la Garonne. "C'est un torrent", dit Aimoin. Il a dû être grossi par les pluies d'automne et il faut le traverser sur des petites barques amarrées rive droite. C'est alors qu' Ab bon, qui nous le savons était fort gros, glisse avant d'embarquer et tombe à l'eau. Ô merveille, ô miracle, ses souliers sont seulement mouillés! Abbon se reposa le soir on ne sait où111 l et on arrive to Comme le dit dom Cousin, p. 179. 11 Dom Cousin le fait séjourner à Villeneuve, on ne sait pourquoi.

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LES VOYAGES À LA RÉOLE

le lendemain enfin à la Réole. Le voyage dure ainsi de la fin octobre au 9 novembre.

3. Séjour à La Réole "Le premier jour se passa dans le calme", dit Aimoin, mais les affaires se gâtèrent le jour suivant. Le soir, une querelle, on peut dire une querelle de gascon, éclate entre les gens de l'endroit et les Fleurisiens à propos de la nourriture des chevaux. On se bat. Apprenant cela, Abbon reproche à ses moines et à leur suite de "s'être battus sans armes et au milieu de gens qui leur étaient hostiles". Il recommande la patience, jusqu'au moment où le comte et l'avoué, qui doivent arriver d'un moment à l'autre, seront prévenus de ces incidents et, dit Aimoin, "il leur promettait que les vexations subies par eux et ceux qu'ils avaient laissés ici même auparavant, seraient vengés selon leurs vœux". On s'attend à des règlements de compte. Nous sommes le samedi 11 novembre, Abbon célèbre la Saint-Martin "avec grande allégresse de cœur et de corps". Le lendemain, dimanche, Abbon tout en attendant les seigneurs aristocrates, visite les lieux qu' Aimoin décrit avec précision, nous le savons. Abbon admire les murs du château qui barrait le plateau et en particulier les bâtiments accrochés au sommet de la colline et avec grande satisfaction, se croyant le propriétaire de l'ensemble, s'exclame en souriant: "Maintenant, je suis plus puissant que notre seigneur le roi de France à l'intérieur de ce territoire où sa puissance n'est redoutée de personne, puisque je possède une telle maison". Il est vrai que le roi Robert le Pieux, même si l'on connaissait son nom, ne devait pas être craint dans cette lointaine région. Cependant, les Gascons complotent contre les Fleurisiens

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afin de provoquer des désordres et pour qu'à la suite des violences, ces étrangers n'osent jamais revenir ici. Aimoin ne pense pas que le complot ait visé Abbon lui-même, quoique quelqu'un aurait dit: "qu'il perforerait volontiers le ventre de l'abbé".

4. L'émeute et la mort d' Abbon Le lendemain, lundi 13 novembre, jour de la Saint-Brice, successeur de saint Martin de Tours, Abbon ose réprimander un moine gascon qui était un des meneurs et qui avait osé sortir du monastère sans sa permission pour aller manger ailleurs. On a supposé qu'il était allé festoyer au banquet de la Saint-Martin. Peut-être, ce moine "de race et de nom barbare'', dit Aimoin, il s'appelait Anezan, feint-il la soumission mais en fait excite à la révolte ceux qui l'entourent. Plus loin, les femmes s'en mêlent et poussent des hurlements, "selon coutume du pays". D'après Pierre de Marca, ce cri serait "Biahora'', encore usité dans le Béarn au xvm• siècle, clameur qu'il faut rapprocher de Haro, cri pour exciter les chiens1 12 l. Que faisaient là les femmes? Étaient-ce les compagnes des moines ou simplement celles qui résidaient dans le village? Ces hurlements sont, dit Aimoin, causés par une bagarre qui éclate entre les Francs et les Gascons, car un Franc avait jeté par terre un offenseur et lui avait asséné un coup de gourdin entre cou et épaule. Là-dessus, les uns et les autres se jettent mutuellement des pierres. Abbon, après avoir fait des reproches à Anezan, s'était retiré dans le cloître et tranquillement, nous dit Aimoin, rédi12

Cf. P. de Marca, Histoire du Béarn, t. V, p. 230.

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geait des petits calculs de comput - un homme de science, me dira-t-on, ne doit pas perdre de temps. Cette attitude insouciante mais appliquée peu avant sa mort, a été rappelée dans les milieux monastiques puisque vers 1040, Raoul Glaber dans les Histoires, dit qu'au moment de mourir Abbon tenait des tablettes et un stylet dans ses mains 113 '. Abbon, d'autre part, avait amené du travail avec lui. Il avait la Vie de Dunstan écrite par Wulfric et la lettre de ce dernier qui lui demandait de mettre ce texte en vers 1141 • Abbon, donc, entend la clameur et veut monter en haut de la colline pour calmer les siens. Alors il reçoit dans les côtes un violent coup de lance. Il faut alors citer directement Aimoin: Blessé, il ne cria pas, ne chancela pas ou ne s'évanouit pas à la manière de ceux qui tombent, mais il dit seulement ceci: « En voilà un qui fait les choses sérieusement ! ». Il se mit à remonter vers la maison où ses serviteurs avaient leur gîte. Un frère nommé Guillaume dont nous avons parlé plus haut, le soutenait. Moi-même, qui suivais ses pas, j'aperçois sur le seuil de la maison où le saint homme venait d'entrer, un peu de sang coagulé. Et comme je demandais d'où cela venait, j'obtins cette réponse de l'homme de Dieu: «Cela vient de moi, dit-il, Dieu m'est témoin». Soudain mes cheveux se dressèrent sur ma tête et la terreur qui se répandait dans mon corps rendit ma voix rauque. Personne n'avait encore remarqué qu'il avait été blessé dans sa chair, nous pensions que seulement ses vêtements avaient été transpercés. C'est pourquoi je lui dit: « Dans quelle partie du corps cette blessure t'a-t-elle été portée, Monseigneur?». Il lève alors le bras pour 13 14

Raoul Glaber, Histoires, III, 3. Sur ce manuscrit, cf. M. Mostert, The Library ... , BF, 1292.

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montrer la plaie, soudain un flot de sang jaillit du plus profond de ses côtes et se répand dans la manche assez large de sa pelisse. Mais lui-même, sans se troubler et sans que son visage ne change de couleur, comme il s'était rendu compte tant au bouleversement de mes traits qu'à mes paroles de lamentation que je tremble de plus en plus, il me lance alors, le visage enjoué et comme en plaisantant: « Que ferais-tu donc, si c'est toi qui avais été blessé? N'aie donc pas peur. Sors plutôt dehors trouver les nôtres et fais - les venir auprès de moi, afin que ces agitations soient apaisées». Quand je /'eus fait et que les autres, obtempérant, furent entrés, vidé déjà de son sang, il rendit au ciel son âme entre les mains de ses disciples et de ses serviteurs qui le soutenaient, c'était le 13 novembre. À l'extérieur, les révoltés continuent à hurler, défoncent les portes de l'habitation, rouent de coups le chambrier Adelard qui mourut le lendemain matin après une longue agonie, et le garde des chevaux d' Abbon qui, lui, survécut jusqu'à SaintAndré le 30 novembre. Alors, voyant qu' Abbon est mort, tous prennent la fuite, si bien que, quand l'aube réapparaît, on ne trouve plus personne, dit Aimoin, "pas même les femmes dans aucune des maisons extérieures". La peur du châtiment avait fait fuir tous les révoltés, hommes et femmes. Ils avaient raison car Adhémar de Chabannes nous dit que "Bernard, duc de Gascogne (c'est un des comtes qu' Abbon devait rencontrer), pour venger la mort d'un si saint homme sur la personne de ses assassins, pendit les uns et livra les autres aux flammes".

Mais revenons au 14 novembre, le lendemain de l'assassinat. Un certain Guillaume, fils d'Oriol, qui était venu trou-

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LES VOYAGES À LA RÉOLE

ver l'abbé, apprend le drame et revient en hâte pour aider les Fleurisiens. Ses gens transportèrent le corps de l'abbé du lieu où il était mort dans le monastère. On décida de le placer dans l'église. Les moines le veillent deux jours et demi, et non seulement eux mais des gens du voisinage. Aimoin s'étonne que la mort d' Ab bon provoque une douleur chez ceux qu'il appelle les étrangers. Le mercredi, Abbon est enseveli dans un sarcophage de pierre à l'intérieur de la crypte, devant l'autel de saint Benoît.

5. Le retour des moines à Fleury Quatre jours après, les moines fleurisiens quittent La Réole. Ils sont reçus par le vicomte Amalvin qui aurait dû rencontrer Abbon et sont touchés par la bonté de sa femme Rosemberge. Elle recueille les blessés, appelle un médecin, paie les dépenses. Elle demande à Aimoin, qui d'ailleurs était son parent - il a de la famille partout - de rester et veille à ce que ceux qui repartent soient bien reçus dans les domaines qui appartenaient au vicomte. Voilà donc les moines arrivant à Fleury, rapportant, nous dit Adhémar de Chabannes, le bâton pastoral de l'abbé. C'est la consternation, Abbon est pleuré par tous, "par ceux/à même à qui sa fermeté avait paru auparavant pesante,,, dit Aimoin. Or, la veille du jour où l'on célébrait /'Illatio de saint Benoît (4 décembre), arrivèrent de nombreux abbés dont Odilon. Certains avaient été convoqués par Abbon pour régler quelques affaires, d'autres souhaitaient lui soumettre des questions précises. Cette présence augmente l'affliction des moines "privés d'un tel pasteur, dont les prélats des autres monastères venaient rechercher le sage conseil".

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Après la mort d' Abbon

1. L'annonce du décès Comme il convient, il faut annoncer aux différentes abbayes le décès de l'abbé de Fleury. Les moines rédigent un faire-part sous la forme de ce qu'on appelle un "rouleau des morts". Des messagers sont chargés de porter ce document aux abbayes associées ou non. C'est une habitude déjà ancienne mais on a remarqué que les "rouleaux" se multiplient à l'époque: celui annonçant la mort d'Arbode, abbé de Saint-Remi de Reims (1005), celui de Seniofredus, abbé de Ripoll (1008), de Bernard de Besalu (1020), etc. Ce qu'on a appelé "L'Encyclique mortuaire d' Abbon" est plus courte que les autres. Après une adresse générale aux abbés et aux fidèles du Christ et la suscription de la "petite communauté de Fleury orpheline", vient le préambule dans lequel les moines déplorent leur malheur: À nous, presque absorbés par nos larmes, écrasés de chagrin, tendez-nous spirituellement, très saints-Pères, une main secourable dans votre affectueuse charité fraternelle. Nourris du pain de l'affliction, abreuvés d'amertume, puissionsnous mériter le réconfort de vos prières, la liesse que chantait notre cithare s'est retournée en un deuil douloureux, nos instruments font retentir plaintivement une lamentation; notre

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APRÈS LA MORT D'ABBON

voix jadis joyeuse ne fait plus entendre que des sanglots. Le glaive de la douleur a pénétré nos âmes. L'exposé qui vient ensuite est très court et se limite à dire que l'abbé est mort percé par les glaives des Gascons et qu'il mérite le titre de martyr. Les moines demandent alors que les prières soient dites pour l'âme d' Abbon et sa communauté: Que votre prière efface les taches de son âmes, il vous aimait et a toujours témoigné une affection sincère à tous les serviteurs du Christ. Et nous aussi qu'il a laissés orphelins, secourez-nous de vos prières fraternelles, apaisez le Dieu tout puissant par le sacrifice de vos oraisons, afin qu'il daigne consoler par sa grâce le troupeau décapité et privé de son tendre père. Ce texte, comme l'épitaphe d' Ab bon, trouvée dans le manuscrit de Dijon n° 1118, est sans doute l'œuvre d' Aimoin. On a recherché à quelles abbayes a été envoyé ce "faire-part". En général, c'était aux abbayes liées en associations de prières. Or, à l'époque, Fleury n'était liée qu'à Saint-Martial de Limoges. Pourtant, plusieurs églises ont inscrit dans leur obituaires la date du dies natalis d' Abbon le 13 novembre, mais aussi les 10, 11, 12, 14 et même 23 de ce mois. "Ce sont soit des abbayes bénédictines: Saint-Père de Chartres, Saint-Martial de Limoges, Saint-Mansuy de Toul, Saint-Germain des Prés de Paris, Massay - mais curieusement pas Saint-Benoît sur Loire - soit des établissements clunisiens: Saint-Martin des Champs de Paris, Longpont sur Orge, Villars les Moines (Münchenwiller) qui puisèrent leur information dans l'obituaire de Cluny aujourd'hui perdu" 11 J. 1

].

Dufour, Pia Abbone orbati sumus, "L'annonce ... " p. 31-31.

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2. Abbon martyr et saint Abbon, dit l'encyclique, est mort martyr. Il fallait le dire tout de suite car si l'on en croit le prologue de la Vita écrite par Aimoin, certains considéraient que seuls méritaient le nom de martyr ceux qui autrefois avait versé leur sang pour la foi: Car il ne fait pas de doute qu'il fut vraiment martyr, lui qui, de toute évidence, a enduré la mort pour la vérité qui est le Christ, lui qui-s'il n'eut pas à détourner les hommes du culte des idoles - s'efforçait cependant de les libérer- ce qui est plus important encore-de l'asservissement à l'égard des vices, puisqu'il est prouvé que ceux qui se livrent à eux avec persistance sont non pas les serviteurs de Dieu mais ceux des démons. Qu'il n'ait pas été tourmenté longtemps par des supplices ne porte nul préjudice ni à sa gloire, ni à sa louange, puisqu'il est évident que certains des martyrs, par la seule confession du nom du Christ et même sans avoir reçu le baptême, ont mérité le royaume des cieux pour avoir répandu leur sang uniquement par l'exécution d'une sentence capitale(2). La sainteté d' Ab bon est attestée par sa vie et par les miracles qu'il a opéré de son vivant et après sa mortf 3l. Aimoin (ch. 14) raconte comment un lépreux averti par songe demande à un proche d' Ab bon nommé Elliseternus de recueillir l'eau qui avait lavé les mains de l'abbé. Le moine proteste et l'abbé encore plus. Mais à la fin, ce dernier accepte avec bonté. Trois jours après s'être lavé avec l'eau, le lépreux est guéri. Abbon lui demande de n'en pas parler tant qu'il vivrait. 2 3

Vita, prologue Vita, ch. 14 et annexes à la Vita.

266

APRÈS LA MORT D'ABBON

Après la mort de l'abbé, les miracles se multiplient. Alors qu' Ab bon n'était pas encore enseveli, un malade consumé de fièvre est guéri après qu'il ait bu l'eau qui avait lavé la main droite du cadavre. Deux jours après la mort du saint, une des femmes qui avait hurlé avant l'émeute, se roule toute nue dans l'église et est frappée de lèpre pour le restant de ses jours. Le quatrième jour, le cierge que le gardien de l'église avait posé devant le tombeau du saint ne s'éteignit pas jusqu'au lendemain matin. D'autres miracles se produisent plus tard. Un aveugle du Périgord recouvre la vue après avoir passé plusieurs nuits de veille auprès du tombeau. Un autre vieillard aveugle du Bordelais passe huit jours auprès du tombeau d' Ab bon et est guéri. Le martyr et ces miracles sont connus et attestés par les chroniqueurs Helgaud, Raoul Glaber. Ce dernier explique que la mort tragique d' Ab bon, comme à la même époque l'incendie du Mont Saint-Michel, a été annoncée par le passage d'une comète: Puis il arriva que le vénérable Abbon, père du monastère de Saint-Benoît de Fleury, voulut propager la règle de son ordre, et se rendit à cet effet dans le Midi, au pays des Gascons. Une fois arrivé, il s'établit dans un prieuré et là, mettant, selon sa coutume, tous ses soins à accomplir l'œuvre de Dieu, il s'attira l'affectueuse vénération de tous. Mais un jour, dans la cour du prieuré, je ne sais quelles disputes prirent sous l'effet de la colère un tour si exalté que le vacarme devint intolérable; le très vénérable Abbon voulut apaiser ce tumulte; il s'approchait des combattants, tenant encore en main ses tablettes et son stylet, quand un homme du peuple, traversé d'une inspiration diabolique, se jeta sur lui et, lui perçant le flanc de sa lance, fit de lui un martyr du Christ. On dit d'ailleurs que cet homme fut peu après emporté par

267

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le démon, finissant ainsi misérablement sa vie. Quant à la dépouille mortelle du Père, ses compagnons et tous les autres fidèles du pays /'ensevelirent avec honneur en ce lieu, où depuis, pour la gloire de son propre nom, Dieu a prodigué aux hommes ses bien(aits14J. Cette dernière phrase indique que le culte d' Abbon commençait à être célébré à la Réole.

À la même époque, un participant au concile de Limoges de 1031, peut-être Adhémar de Chabannes, s'écrie: "Voici longtemps déjà qu'il [Abbon] nous a précédés, couronné du martyre qu'il avait enduré quand les impies ont versé son sang. Son tombeau est devenu célèbre par les miracles qui s'y sont produits, confirmés par les déclarations de témoins véridiques. Son martyre est solennellement célébré suivant les rites des saints martyrs dans un assez grand nombre d'églises". Que vaut ce témoignage, se demande Dom Anselme Davril dans son étude sur "le culte de saint Abbon au Moyen-Âge" 151 ?

4

Raoul Glaber, Histoires III, 11. A. Davril, "Le culte de saint Abbon au Moyen-Âge'', dans Actes du colloque du millénaire de la fondation du prieuré de La Réole, Bordeaux, 1980, p. 143-158. 5

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APRÈS LA MORT D'ABBON

3. Le culte d' Abbon Curieusement, en dépit de ce que dit l'orateur de Limoges, ce culte, du moins au début, ne s'est guère répandu. Pour La Réole, aucun témoignage liturgique. Le corps d' Abbon avait été inhumé dans la crypte du prieuré au pied de l'autel de saint Benoît, mais il fut transféré dans la nouvelle église que fit construire le roi d'Angleterre, Henri II, lorsqu'il établit un château sur l'emplacement de l'église primitive. Les princes anglais, dit-on, se souvenant peut-être du séjour d' Abbon à Ramsey, vinrent vénérer les reliques du saint. Lors des guerres de religion, ces reliques disparurent et seul le souvenir d'Abbon est conservé de nos jours par une statue de l'église Saint-Pierre1 61. On devrait s'attendre à ce que le culte d' Abbon soit organisé à Fleury. Faut-il prendre au sérieux la réponse de l'abbé Gauzlin, successeur d' Abbon, à un seigneur laïc qui menaçait de tuer un moine fleurisien: "Je possède à Fleury, des confesseurs en nombre plus que suffisant mais je ne peux me féliciter d'avoir eu aucun martyr de notre sainte communauté"? Pourtant, André de Fleury qui rapporte l'anecdote, parle à deux reprises d' Ab bon "abbé et martyr". Le culte d' Abbon est certainement organisé à Fleury. En témoignent les mentions du saint dans les sacramentaires et missels, dans les bréviaires et dans les psautiers écrits à l'abbaye. Mais ce n'est pas avant la fin du xr siècle qu'apparaît ce culte dans nos textes. "Il est remarquable, dit Dom Anselme Davril, qu'aucun des documents liturgiques du xr siècle ne comporte la mention d' Ab bon de première main ... Saint Ab bon n'a pas réussi à détrôner saint Brice qui était en possession

6

Dom Cousin, op. cit., p. 195.

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de la liturgie du 13 novembrel71 ". Quant aux Clunisiens, ils ne semblent pas s'être souvenus de l'ami de saint Odilon. Curieusement, c'est à l'époque moderne qu' Abbon a été davantage vénéré, à Orléans, à Bordeaux, à la Réole et même à Paris puisque le curé de Saint-Leu - Saint-Gilles introduisit Abbon dans le martyrologe de l'église gallicane en 1638.

4. Le souvenir d' Abbon La personnalité d' Ab bon était telle que peu de temps après sa mort, on se souvenait de l'homme et du canoniste, au concile de Limoges de 1031 mentionné plus haut. Son ancien élève, Olderic, parle avec admiration du "très scientifique philosophe( 8J" et Adhémar de Chabannes, qui possédait le manuscrit de sa Collection canonique, lui fait une place dans sa chronique (ch. 39). Il raconte la mort de ce philosophe éminent et le sort de ses meurtriers! 9l. Bien plus au concile de Limoges, il est dit: La sagesse avait si bien élu domicile dans notre martyr que son témoignage était estimé très haut, et préféré à celui des plus savants hommes de son temps, si bien que de toute la Gaule, de la Germanie et de l'Angleterre, quand on avait rapporté sur quelque problème en discussion, ses explications et sa solution, on ne recherchait rien d'autre; suivant l'opinion générale le jugement d'un si grand personnage résolvait les problèmes, l'autorité dont il jouissait le mettait hors de pair comme un autre Salomon. Dans les conciles de pasteurs, en présence des rois et des princes, il était le seul a discerner la portée des motions pro7 A. Davril, op. cit., p. 14 s Mansi XIX, p. 511. 9 Adhémar de Chabannes, Chronique, ed. P. Bourgain ... , p. 302.

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APRÈS LA MORT D'ABBON

posées, seul capable de conclure un débat en quelques mots, il était leur maître à tous. Même les plus habiles d'entre les habiles étaient suspendus à ses lèvres, restaient bouche close en sa présence ... Sa personne honorait les réunions épiscopales, il appuyait toutes ses assertions sur l'autorité des Livres saints. Toutes les paroles qui tombaient de ses lèvres avaient une résonnance moins humaine que divine. Bien qu'il fut né et habita en France, c'était un véritable latin par son éloquence. On le nommait un second Julius. Il s'appuyait sur les sept colonnes des arts libéraux et de plus il était l'ornement de l'Église. Tout ce qu'il disait n'était pas humain mais presque divin° 0J.

Cet éloge est si appuyé qu'il a paru à certains un peu suspect. Nous ne trouvons pas ailleurs un tel panégyrique. Les chroniqueurs se contentent de mentionner Abbon, sa mort tragique, sans parler de son œuvre littéraire. En Angleterre, il n'est pas oublié d'autant, je l'ai dit, que les relations entre Ramsey et Fleury se poursuivirene 11). La Vie d'Edmond est recopiée dans plusieurs manuscrits pendant des siècles 1121 • La Vie d'Oswald fait mention d' Abbon 1131 • Encore au XII' siècle, Guillaume de Malmesbury, comme sur le Continent Orderic Vital, n'ignorent pas l'abbé de Fleury. Puis le silence se fait progressivement jusqu'au XVI' siècle. Alors Trithème, le Cardinal Baronius et surtout aux siècles suivants, Mabillon, Elie du Pin et Oudin, rappellent le sou10 Manuscrit BNF lat. 2469, ed. PL 141-111 et PL 139-337. Sur ce concile, cf. J. Becquet, "Le concile de Limoges de 1031 '',dans Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, 2000, p. 23-64. 11 Cf. supra, p. 49. 12 M. Mostert, "Gerbert d'Aurillac, Abbon de Fleury" ... , p. 420, donne la liste des manuscrits. 13 Vie d'Oswald, par Byrhtferth, ed. J. Raine, Londres, 1879.

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venir de l'abbé de Fleury(t 4 ), Dom Rivet dans le tome VII de L'Histoire littéraire de la France, lui consacre un important chapitre bien informé pour l'époque. Mais il parle peu des œuvres scientifiques. Ce qui a gêné la survie scientifique d' Ab bon, est la dispersion de ses manuscrits. Ses traités d'astronomie ont été répandus en Angleterre, le commentaire sur le Calculus est connu en Allemagne, ses œuvres de logique ont été conservées à Fleury, mais on sait que les manuscrits de la bibliothèque de cette abbaye ont été dispersés à partir du xv1• siècle. Peu d'œuvres ont été éditées. Il fallut attendre une époque récente pour que les savants le fissent. Les œuvres littéraires et scientifiques, après les travaux remarquables de A. Van de Vyver, font actuellement l'objet d'édition, nous l'avons vu plus haut.

14

Cf. Dom Cousin, p. 24 et s.

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Conclusion

Ne quittons pas Abbon, considéré comme un saint et un martyr, sans tenter de regrouper tout ce que l'on peut connaître sur le caractère de l'abbé. Tâche difficile. Aimoin s'y est essayé parfois mais il n'a pu dessiner un portrait de son maître. Abbon est un homme autoritaire, capable même, il le dit, de mouvement de colère. On le redoute, mais on a recours à lui car on connaît sa force et sa détermination. Cette force vient de sa foi, mais aussi de ses connaissances juridiques et son expérience dans toutes les affaires du siècle. Abbon n'hésite pas à conseiller la répression envers les mauvais moines et les hérétiques ou ces satyrici dont il parle à deux reprises. Il est volontaire, tenace et veut obtenir la réalisation de ses projets, comme on l'a vu dans l'affaire de l'exemption romaine. Pour parvenir à ses fins, Abbon utilise plusieurs moyens, l'attaque, la sanction, mais aussi l'habileté et le silence, car dit-il à l'abbé Gauzbert: "Nous le savons par expérience, le silence a la même puissance de conviction que l'éloquence qui contient l'obligation d'apporter des arguments. Or parfois, s'il est mauvais de se taire ce qui doit être dit, il est pire encore de dire ce qu'il faut taire" (lettre 8). L'ambition d' Abbon n'est pas seulement personnelle, elle

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a comme objet le bien de son monastère et même de tous les monastères. Bien plus, elle est animée par sa fidélité à l'Église. Sa foi est grande, s'appuyant sur les institutions ecclésiastiques et l'inébranlable Église romaine, mais aussi sur les textes sacrés qu'il cite et commente. Pourtant, le Christ apparaît peu dans ses écrits conservés, sauf lorsqu'il parle des deux natures, humaine et divine, et de la communion au corps du Seigneur. Mais dans l'adresse de ses lettres il se dit "serviteur des serviteurs du Christ" (lettres 7, 9), démarquant ainsi l'appellation du pape, ou bien "ami des amis du Christ" (lettres 5, 10, 11 et 12), abbé de Fleury "qui aime ceux qui aiment le Christ" (lettre 14). Il souhaite que les moines "goûtent combien est doux le Seigneur et son Christ en qui nous avons le bien, l'être et le mouvement" (lettre 8). La Vierge est presqu'absente des textes laissés par Abbon et même Aimoin. La seule Marie dont il nous parle est la sœur de Marthe, le modèle pour les momes. Par contre, le diable est partout. C'est le père du mensonge, celui qui est dans la chair et non dans l'esprit, qui est à l'origine de tout péché, qui pousse les moines à se révolter, qui se déguise en ange de lumière et fait pénétrer les loups sous l'apparence de brebis. Lorsqu'Abbon écrit à Bernard, qui hésite alors entre deux vocations, il le met en garde contre les pièges du diable. Abbon a confiance dans le père des moines, saint Benoît dont le corps est gardé à Fleury. Il invoque souvent la Règle bénédictine à laquelle les moines doivent obéir. Il vénère également les reliques des Apôtres Pierre et Paul, sans oublier celui dont il a raconté la vie, saint Edmond. Peut-on parler de la sensibilité d' Abbon? Elle se dissimule et n'apparaît ici ou là que dans quelques phrases de ses

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CONCLUSION

lettres. Il est très affecté par les attaques lancées contre lui par Arnoul d'Orléans. Il est capable de pleurer dans des moments de dépression: "Aussi, ai-je pris ma vie en dégoût et parfois je me répands en sanglots lorsque je considère les malheurs des innocents", écrit-il à un évêque inconnu (lettre 10). Mais n'est-ce pas une formule littéraire? Dans sa lettre à Bernard, dont il déplore l'absence, nous le voyons donner libre cours à ses larmes. Abbon a la fidélité dans les amitiés. Ses deux lettres à Odilon et celles qu'il adresse au pape Grégoire en sont la preuve. Il aime à se souvenir de ses disciples lorsqu'il est en exil en Angleterre ou lorsqu'il revient à Fleury comme abbé. Il défend ses moines et c'est pour leur porter secours à La Réole qu'il est blessé mortellement. Enfin, il faut dire quelques mots de l'intellectuel et du philosophe dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises. Toute sa vie, et jusqu'à ses derniers instants, Abbon a voulu étudier en dépit des lourdes charges de son administration. Il a voulu faire partager sa science (lettre 7) et sa réputation de savant a franchi les bords de la Loire. Sa connaissance du droit canon attire ceux qui ont des difficultés, on lui demande, nous l'avons vu, son arbitrage et son intervention. Il le fait avec efficacité, autorité, habileté et discernement, la "discrétion" étant une des vertus bénédictines. Mais pour autant, a-t-il, comme on le dit souvent, préparé la réforme de l'Église qui devait aboutir à la fin du Xie siècle. Certes, il a exalté la Papauté et a affirmé que le successeur de saint Pierre était le premier dans la société. Mais Fleury n'a pas joué le même rôle que Cluny, même si son abbé était "le premier en France", Ab bon n'avait pas multiplié les prieurés et n'a pas eu le rayonnement de Cluny sous l'abbatiat d'Odilon.

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Abbon n'a pas vu les transformations de la société. Ce qu'il veut, c'est le respect de l'ordre ancien. Que les privilèges des monastères ne disparaissent pas, par suite des empiètements épiscopaux et seigneuriaux. Il défend l'ordre monastique et demande aux rois capétiens de l'aider en cela. Sa conception de la royauté est restée très carolingienne: le roi a la charge d'administrer la respublica, il faut restaurer son autorité telle qu'elle était sous Charlemagne et ses successeurs. L'horizon d' Abbon est certainement plus limité que celui d'Odilon, dont le prestige est européen. Sans doute l'œuvre d' Abbon a-t-elle été brutalement interrompue. Mais n'oublions pas qu'il était déjà assez âgé pour l'époque, puisqu'il avait dépassé la cinquantaine. Il meurt en 1004, un an après la mort de Gerbert. On ne peut éviter de faire un parallèle entre la vie d' Abbon et celle de Gerbert. Mais le premier est mort saint et martyr, tandis que GerbertSylvestre II, qui n'a rien d'un saint, est mort sur le trône de saint Pierre. Les deux hommes se sont souvent opposés, mais ils étaient unis par l'amour de la recherche scientifique. Ils ont, chacun à leur façon, contribué aux grandeurs de l'an mille.

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Chronologie

1. Jusqu'à l'abbatiat (988) Vers 940 Naissance d' Abbon. Vers 950 Entrée à Fleury. Vers 960 Abbon écolâtre. 962 Abbatiat de Richard, Voyage d'études à Paris, Reims et Orléans. Premiers traités de comput d'astronomie et de syllogistique. 979 Mort de l'abbé Amalbert. 985-988 Affaire de !'"intrus". 985-987 Abbon écolâtre à Ramsey. "Vie de saint Edmond'', Quaestiones grammaticales, rencontre avec Dunstan, lettres et poèmes à Dunstan. 987 Retour d' Abbon à Fleury.

Vers 945 Naissance de Gerbert. 962 Vulfade évêque de Chartres. 965-972 Jean XIII pape. 963 Arnoul évêque d'Orléans. 967-970 Gerbert en Catalogne. 972 Gerbert écolâtre à Reims. 981 Hugues Capet et Arnoul à Rome. 982 Gerbert abbé de Bobbio. Déc. 983 Mort d'Otton Il, retour de Gerbert à Reims. Mai987 Mort de Louis V. Juin 987 Élection d'Hugues Capet. Déc. 987 Sacre de Robert II à Orléans

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ABBON DE FLEURY

2. De 988 à 994 988

990 991 993

Élection abbatiale, première lettre à Bernard de Beaulieu. Affaire du prieuré d'Yèvre. Abbon au concile de Saint-Basle. Assemblée de Saint-Denis.

989

Incendie d'Orléans, l'impératrice Théophane à Rome, mort d' Adalbéon de Reims, Arnoul archevêque de Reims 989-990 Conflit entre Hugues Capet et Charles de Lorraine. Juin 991 Concile de Saint-Basle, Gerbert archevêque de Reims, arrivée de Fulbert à Chartres. 992 Rozala répudiée.

3. De 994 à 999 994

Lettre au roi Robert (n° 6), "Apologétique", rédaction de la collection canonique. Automne Premier voyage d' Ab bon 994 à Rome, pellerinage de Bernard de Beaulieu, affaire de Saint-Martin de Tours, 2' lettre à Bernard de Beaulieu Avril 996 Deuxième voyage à Rome, lettre à Léon de St-Boniface, Adalbert de Prague à Fleury.

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994

Avril 995 Juin 995 Juil. 995 996 Mai 996

Oct. 996

Synode de Chelles, mort de Mayeul, Odilon abbé de Cluny. Léon de Saint-Boniface légat du pape. Concile de Mouzon. Concile de Reims. Mort d'Eudes de Blois. Grégoire V, pape, couronnement impérial d'Otton III, révolte de Crescentius à Rome. Mort d'Hugues Capet, mariage de Robert et de Berthe, Grégoire V à Spolète.

CHRONOLOGIE Nov. 997 Troisième voyage d'Abbon en Italie, rencontre de Spolète avec Grégoire V, octroi du privilège d'exemption, poème à Otton III. 997-998 Lettre à Grégoire V (n° 1, 3, 4). 998 Affaire de Marmoutier (lettres 8 et 9).

997

998

9 avril 999

Synode de Pavie, Gerbert quitte Reims, Arnoul libéré. Gerbert archevêque de Ravenne, concile de Rome. Gerbert pape sous le nom de Sylvestre Il.

4. Après 999 Affaire de Saint-Benoît de Sault. 1002 Incendie de Fleury. Vers 1002 Mort d'Arnoul d'Orléans, Affaire Saint-Père de Chartres. Inondation de la Loire, 1003 Lettres à G. et V. 1004 Affaire de Micy (lettre 11 ), Voyage à la Réole, Affaire de St-Cyprien de Poitiers (lettre 12). 13 nov. Mort d'Abbon, 1004 envoi de l'encyclique, Gauzlin abbé de Fleury. 1005 Conflit entre Foulques d'Orléans et Gauzlin. 1000

Mort d' Archambaud de Tours. Révolte de Rome contre 1001 Otton III. Jan. 1002 Mort d'Otton III, lettre de Fulbert à Abbon. Mai 1003 Mort de Gerbert - Sylvestre II, Constantin doyen de Micy, Aelfric, abbé d'Eynscham. Fulbert évêque de 1006 Chartres. Fondation de Beaulieu1007 les-Loches par Foulques Nerra. Bern abbé de 1008 Reichenau. 1011 Constantin abbé de Micy. 1000

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Œuvres d' Abbon de Fleury

1. Œuvres hagiographiques Vie de saint Edmond, PL 139, 505-520. Édition M. Winterbottom, Three Lives of English Saints, Toronto medieval latin texts, p. 67-87, Toronto, 1972, (édition non critique).

2. Œuvre littéraire Quaestiones grammaticales, ed. A. Guerreau-Jalabert, "Les Belles Lettres, Collection A.LM.A., Paris, 1982.

3. Œuvre politique Apologie, (Liber apologeticus), PL. 139, 461-472, nouvelle édition en préparation.

4. Œuvres canonique Collectio canonum, PL. 139, 471-508, nouvelle édition en préparation.

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ŒUVRES D'ABBON DE FLEURY

Lettre 14, PL 139, 440-460, nouvelle édition en préparation.

5. Correspondance Lettres, PL 139, 419-462, nouvelle édition en préparation. Lettre à Bernard de Beaulieu publiées dans Vita Abbonis, de Aimoin (ch. 10).

6. Œuvre historique Abrégé du Liber pontificalis, PL 139, 535-570, nouvelle édition par L.-M. Gantier dans "Encyclopédie Benedictine" Maredsous, Brepols 2004.

7. Œuvres poétiques Poème sur le site de Ramsey, dans André de Fleury, Vie de l'abbé Gauzlin. (ch. 55) Carmen ad Ottonem imperatorem III, ed. K. Strecker, MGH, Poet. Lat. V, 2, Berlin, 1939, p. 469-471. Trois poèmes à Dunstan, ed. S. Gwars, "Three Acrostich Poems by Abbon of Fleury", dans Journal of medieval latin, 2, 1992, p. 203-235. Poèmes acrostiches dans ouvrages scientifiques, ed. M. Lapidge et P.S. Baker, "More acrostic verse by Abbo of Fleury'', dans Journal of medieval latin 7, 1997.

281

ABBON DE FLEURY

8. Œuvres philosophiques Libellus de propositionibus et syllogismis categoris, ed. Raes, Abbonis Floriacensis opera inedita, Bruges, 1966. Libellus de propositionibus et syllogismis hypotheticis, ed. et trad. F. Schupp, Leyde, 1997. Excerpta isagogarum et categoriarum, ed. G. d'Onofrio, Corpus Christianorum, Cont. mediev., 120, Turnhout, 1995.

9. Œuvres scientifiques Commentaire sur le calculus de Victorius d'Aquitaine, ed. A.-M. Even, British Academy, Londres 2003. Traité de Comput, ed. P. Verbist, à paraître. Sententia Abbonis de ratione spere, De duplici signorum ortu vel occasu, ed. R.-B. Thomson, "Two astronomical tractates of Abbo of Fleury, dans The Light of Nature, Eassays presented to A.-C. Crombie, ed. J.-D. North et J.-J. Roche, Dordrecht, 1985. De quinque circulis mundi, ed. R.-B. Thomson, dans Medieval Studies, 1988, p. 671-673. De cursu VII planetarum per zodiacum circulum. Horologium. Extrait d'Hygin. Commentarium in cyclum Victorii, PL. 139, 569-572. Commentarium in circulas beati Cyrilli et Dionisii romani, ed. A. Cordoliani, dans RHE 44, 1949, p.474-476. Lettres sur l'ère dyonisienne, id.

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ŒUVRES D'ABBON DE FLEURY

Comput, fragments publiés dans l'œuvre de Bède, PL. 90.

10. Œuvres contestées Homélies sur les évangiles, Discours sur la Cène. Traités sur les Catégories Spirituelles. Traité sur l'origine du monde (Caput saeculi). Des œuvres attribuées à Abbon sont signalées par Conrad de Gesner (+ 1565), dans Bibliotheca universalis, et par John Bad(+ 1563), dans Illustrum majoris (cf. Cousin p. 23). On attribue également à Abbon une Vie de saint Martin contenue dans un manuscrit de Cambridge (Coll. saint Benoît), Angl. Bibl. M. per 3, n° 1360).

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Manuscrits des œuvres d'Abbon d'après une liste établie par Marco Mostert

1. Œuvres littéraires Quaestiones grammaticales Erfurt; Amplon. 0 8 ; London, British Library, Add. 10972 (s. XI); Vatican Reg. lat. 596 (s. XI).

2. Œuvres politiques Apologetique London, British Library, Add. 10972.

3. Œuvres canoniques Collection canonique BNF lat. 2400 (s. XI)

4. Correspondance London, British Library, Add. 10972 (s. XI); BNF lat. 2278 (s. x/xI); Vatican, Ottoboni lat. 2537 (s. XVI).

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MANUSCRITS DES ŒUVRES D'ABBON

5. Œuvres historiques Abrégé du Liber pontificalis Berne, Bibliothèque de la Bourgeoisie, 120 (s. XI), Leiden, Universiteitsbibliotheek, Voss. lat. F96 (s. XI).

6. Œuvres poétiques Otto valens BNF, lat. 12606 (s. XII); Vatican Reg. lat. 1864 (s. XI) Autres poèmes London, British Library, Add. 10972 (s. XI); London, British Library, Harley 3667 et Cotton Nero E. 1. pars 1. (s. XI); Oxford, St John's College 17 (s. xn); Erfurt, Amplon. 08 (s. xm).

7. Œuvres philosophiques Libellus de propositionibus et syllogismis categoricis et Libellus de propositionibus hypotheticis Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 139B (s. XI) Libellus de propositionibus et syllogismis categoricis Orléans, BM 267 (223) (s. x), BNF, n.a.l. 1611 (s. x) et Vatican Lat. 8591 (s. XI) Libellus de propositionibus hypotheticis Orléans, BM 277 (233), BNF, lat. 6638.

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ABBON DE FLEURY

8. Œuvres scientifiques Commentaire sur le Ca/eu/us de Victor d'Aquitaine Bamberg, Staatliche Bibliothek H.J. IV, 24 (s. XI); Berlin, Staatsbibliothek, lat. 138 (Phil!. 1833); Bruxelles, Bibliothèque royale 10094 (s. XIII); Karlsruhe, Landesbibliothek, K. 504; Wien, Nationalbibliothek, lat. 2269.

Traité de Comput Berne, Bibliothèque de la Bourgeoisie, 250 (s. x); Glasgow, University Library, Hunter 85 (olim T. 4.2) (s. xn?); Berlin, Staatsbibliothek, lat. 138 (Phil!. 1833) (s. XI); BNF, lat. 12117 (s. XII).

Lettres sur l'ère dionysienne à G. et V. et Lettre sur l'année de l'incarnation Berne, Bibliothèque de la Bourgeoisie, 306 (s. XI); Berlin, Staatsbibliothek, lat. 138 (Phill. 1833) (s. XI); Vatican, Reg. lat. 1281 (s. xn). La deuxième lettre seule, Montpellier, École de Médecine, 48 (s. xr) et BNF, Baluze, 129.

De ratione spere et Denique luna totius Baltimore, Walters Art Gallery, W 73 (s. XII); Glasgow, University Library, Humer 85 (olim T. 4.2) (s. XII); Leiden, Universiteitsbibliotheek, BPL 225, ff. 1-29 (s. XII); Cambridge, St John's College, 1. 15 (James 221) (s. XII); Cambridge, Trinity College, R. 15.32 (James 945) (s. xlXI); Durham, Cathedra!, Hunter 100 (s. XII); Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Plut. 51.14 (s. x); London, British Library, Cotton Tib. E IV (s. XII); London British Library, Cotton Vit. A XII (s. XI); London, British Library, Egerton 3088 (s. XIII); London, British Library, Harley 2506 (s. x);

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MANUSCRITS DES ŒUVRES D'ABBON

London, British Library, Royal 13 A XI B (s. xJ/xrr); Malibu, J. Paul Getty Museum, Ludwig XII 5 (Phill. 12145) (s. XII);

Oxford, Bodleian Library, Ashmole 28 ; Paris, BNF, lat. 7518 (s. x); Oxford, St John's College, 17 (s. XII); London, British Library, Harley 3667 (+London, British Library, Cotton Tib. CI ff. 2) (s. XII).

Extrait du livre d'Hygin Leiden, Universiteitsbibliothek, BPL 225; London, British Library Royal, 13 A XI B ; Paris, BNF, lat. 7400 A (s. XIV) et 7518; Bruxelles, Bib. Royale, 2194-5.

De duplici signorum ortu ... De quinque circulis mundi Cambridge, St John's College, 1. 15 (James 221) (s. XII); Durham, Cathedra! Hunter, 100 (s. XII); Glasgow, University Library, Hunter 85 (olim T. 4.2); London, British Library, Cotton Vit. A XII (s. XI).

9. Œuvre hagiographique Vie de saint Edmond Cambridge, Corpus Christi College, 42 (s. XII); Copenhagen, Gl. kgl. Saml. 1588, 4° (s. XII); Dublin, Trinity College, 172 (s. XIII/XIV); London, British Library, Cotton Tib, A VIII (s. XIII); London, British Library, Cotton Tib, B II (s. XI); London, Lambeth Palace Library, 362 (s. XI); Namur, Bibliothèque du Musée Archéologique, Fonds de la ville, 15 (s. XII/xm); New-York, Pierpont Morgan Library (s. XII); Oxford, Bodleian Library, Digby 109 (s. XIJ/xm);

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ABBON DE FLEURY

Oxford, Bodleian Library, Fairfax 12 (3892) (s. XII); Oxford, Bodleian Library, Fell 2; Oxford, Bodleian Library, Fell 4 (s. XII); Oxford, Bodleian Library, Rawlinson, 903; Oxford, Bodleian Library, Rawlinson C 440 (s. XII); Oxford, Bodleian Library, Rawlinson Mise. 1074 (s. XVII) (épitre dédicatoire); Oxford, Jesus College, 75.30 (s. XVII); Oxford, St John's College, 149.2 (s. XIII); Paris, Bibliothèque Mazarine, 678 (s. XII); Paris, BNF, lat. 2475 (s. XIII); Paris, BNF, lat. 3800 A (s. XII); Paris, BNF, lat. 5362 (s. XI); Paris, BN, lat. 16735 (s.?); London, British Library, Harley 2802 (s.?); Wien, Nationalbibliothek, lat. 7358.

10. Annexe Lettre de Oybold à Abbon Vatican, Reg. lat. 1586. Lettre à Dunstan London, British Library, Cotton Tib. A XV. Lettre de Wulfric à Abbon Sankt Gallen Stifsbibliothek, 337. Faux au nom de Grégoire IV Leiden, Universiteit bibliotheek, Voss. lat. Q15 IV f.57. Epistula encyclica de caede Abbonis BNF lat. 2858 f. 69v. Epitaphe d'Abbon Dijon, M 1118 f. 91

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Bibliographie générale

Abréviations utilisées

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Settimane di Spoleto: Settimane di Studio del Centro italiano di studi sull'alto medioevo, Spolete.

1. Textes édités (en dehors des œuvres d'Abbon) Adhémar de Chabannes, Chronique, ed. P. Bourgain, Corpus Christianorum (cont. Med.), CXXIX, Turnhout, 1999. Aimoin de Fleury - Vie d'Abbon, PL 191, c. 387-414, nouvelle édition. (Sources d'histoire médiévale; Paris 2004) - Miracles de saint Benoît, Livre II et III. (à paraître)

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ABBON DE FLEURY

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