Le Verrier: Savant magnifique et détesté 9782759803446

Urbain Le Verrier, successeur de François Arago à l'Observatoire de Paris, a également droit à sa biographie par Ja

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French Pages 416 [412] Year 2009

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Le Verrier: Savant magnifique et détesté
 9782759803446

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Le Verrier Savant magnifique et détesté

James Lequeux Astronome à l’Observatoire de Paris

17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

61, avenue de l’Observatoire 75014 Paris France

Imprimé en France Illustration de couverture : Le Verrier découvre la planète Neptune, par Edmond Levis Dupain (1889) : fragment. Crédit : Observatoire de Paris. ISBN EDP Sciences : 978-2-7598-0422-1 ISBN Observatoire de Paris : 978-2-901057-61-1 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © 2009 EDP Sciences

Sommaire Avant-propos

VII

Chapitre 1. Les années de jeunesse (1811-1845) Le début de la carrière scientifique Le début de la reconnaissance Premières controverses

1 2 9 12

Chapitre 2. La découverte de Neptune (1845-1846) Le problème du mouvement d’Uranus Le travail de Le Verrier La découverte La concurrence Janus, Oceanus, Neptune ou Le Verrier ?

19 20 22 31 41 47

Chapitre 3. L’attente (1847-1853) Le début des hostilités C’est la guerre ! Le début de la carrière politique Les petites planètes

53 55 60 62 68

Chapitre 4. Enfin l’Observatoire ! La rupture Le Verrier réorganise l’Observatoire Les instruments d’astrométrie à l’Observatoire de Paris Les lunettes astronomiques de l’Observatoire Les télescopes Les observatoires de province

73 74 81 89 96 107 115

Chapitre 5. Le dictateur La vie à l’Observatoire Le Verrier et le Bureau des longitudes L’organisation et les travaux à l’Observatoire L’avance du périhélie de Mercure

123 124 138 144 162

Chapitre 6. La chute (1870-1872) La montée des hostilités Intermède : l’affaire des manuscrits de Chasles

171 172 188

IV

Le Verrier, savant magnifique et détesté

Démission et révocation Le court règne de Delaunay

193 202

Chapitre 7. Le second règne (1873-1877) Le retour de Le Verrier Encore des problèmes avec le Bureau des longitudes ! La nouvelle vie à l’Observatoire Les nouveaux instruments Les catalogues d’étoiles Le passage de Vénus L’achèvement du grand œuvre et la mort de Le Verrier

213 214

Chapitre 8. Les longitudes télégraphiques Le problème des longitudes et les promesses du télégraphe Le raccordement par télégraphe de Greenwich et de Paris Triangulation et géodésie astronomique La différence de longitude entre Paris et Bourges Autres mesures et nouvelles querelles La nouvelle triangulation de la France Le développement des longitudes télégraphiques

249

Chapitre 9. Le Verrier et la météorologie Les précurseurs Les projets de Le Verrier La tempête de novembre 1854 sur la mer Noire L’organisation du réseau météorologique Difficultés et concurrence Le retour éphémère de la météorologie à l’Observatoire et la création du Bureau central météorologique Le Verrier et la théorie astronomique du climat

273 274 284 285 288 300

Chapitre 10. L’héritage de Le Verrier Les oraisons funèbres et les notices nécrologiques La statue de Le Verrier Les centenaires de la naissance de Le Verrier et de la découverte de Neptune Le Verrier et l’astronomie française Appendice 1. La vie et l’œuvre de Le Verrier dans son temps Œuvre et carrière scientifique

219 220 221 235 239 243

250 253 255 258 261 264 267

302 306 313 314 319 323 326 333 333

Sommaire

Appendice 2. Lettres et documents 1. Lettre de Le Verrier à Galle, 18 septembre 1846 (extraits) 2. Lettre de John Herschel à Le Verrier 3. Lettre de G.B. Airy à Le Verrier (notre traduction) 4. Lettre de Wilhelm Struve à Le Verrier 5. Extraits d’une lettre de protestation de Le Verrier 6. Extraits d’une lettre autographe du 1er janvier 1874 d’Édouard Stephan à Hippolyte Fizeau 7. Lettre de Napoléon III à Le Verrier 8. Lettre de Camille Flammarion à Le Verrier 9. Lettre de John Herschel à Le Verrier 10. Lettre d’Otto Struve à Le Verrier après sa révocation, le 12 février 1970 11. Extrait d’un document manuscrit d’Yvon Villarceau, daté de décembre 1866 12. Traduction d’extraits d’un article de John Herschel concernant la théorie astronomique du climat

V

337 337 338 340 341 344

346 347 348 349 350 351

352

Appendice 3. Grandes lunettes et grands télescopes

355

Appendice 4. Mesures magnétiques à l’Observatoire de Paris Les observations La carte magnétique de la France

357 357 361

Notes

365

Bibliographie Ouvrages et textes sur Le Verrier Principaux ouvrages et articles consultés

385 385 386

Index

389

Liste des crédits

401

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Avant-propos Après un ouvrage consacré à Arago, nous abordons Le Verrier : suite logique, puisque Le Verrier a succédé à Arago à la direction de l’Observatoire de Paris. Mais les deux personnages sont bien différents. Arago est un extraverti sympathique, grand découvreur de talents, qui domine de sa bienveillante autorité toute la physique et l’astronomie française de son époque ; mais c’est aussi un touche-à-tout qui laisse à d’autres le soin d’exploiter ses nombreuses idées. Le Verrier est un introverti austère, au tempérament hautain et dictatorial, aussi opiniâtre dans sa recherche que dans son comportement. Ses rapports humains difficiles l’ont fait détester de beaucoup de ses contemporains, et cela a souvent terni dans le souvenir collectif ses remarquables qualités de scientifique et d’organisateur. Il est moins facile d’être objectif dans son cas que dans celui d’Arago, et c’est pourtant à cela que nous allons nous employer. Chacun sait que Le Verrier a découvert Neptune « du bout de sa plume » comme disait Arago : découverte d’autant plus remarquable qu’il est venu tard à l’astronomie et s’est formé seul à la mécanique céleste. On a peine à imaginer le retentissement de cette découverte à l’époque, exacerbé en France par le nationalisme puisqu’il y avait compétition entre les deux côtés de la Manche. Mais elle a occulté d’autres aspects essentiels du savant : qui sait encore aujourd’hui qu’il est un des créateurs de la science météorologique ? Ce sont ces aspects auxquels nous voulons rendre justice, sans repousser pour autant dans l’ombre les côtés antipathiques du personnage. La biographie du savant, au sens habituel, n’occupe qu’une place assez réduite dans notre étude, tant elle se confond avec son activité d’astronome. Le premier chapitre est consacré à ses années de jeunesse, années que nous prolongeons jusqu’en 1846, date de la découverte de Neptune : il avait alors 35 ans. La découverte elle-même fait l’objet du chapitre suivant. Le troisième chapitre en décrit les conséquences, positives et négatives, et la carrière politique de Le Verrier. Il est nommé en 1854 à la tête de l’Observatoire de Paris qu’il va réformer profondément : nous examinons cette réforme au chapitre 4, qui détaille les réalisations instrumentales de l’Observatoire. Mais il va bientôt se mettre à dos l’essentiel du personnel, ce qui entraînera une certaine paralysie des activités (chapitre 5), puis sa révocation en 1870 et son remplacement par Charles Delaunay (chapitre 6). Remis en fonction à la suite du décès prématuré de ce dernier en 1872, Le Verrier gouvernera encore l’institution jusqu’à sa mort en 1877 : nous voyons tout cela au chapitre 7. Les chapitres 8 et 9, qui peuvent être lus indépendamment du reste de l’ouvrage, décrivent son action pour la détermination de la position exacte des différents points de la France et de l’Europe, puis pour l’organisation d’un service météorologique qui couvre l’Europe entière. Enfin, le dernier chapitre rappelle l’héritage scientifique de Le Verrier, et comment l’homme et son action ont été perçus jusqu’à aujourd’hui. Quatre appendices résument sa vie et son œuvre dans le contexte de l’époque, reproduisent des textes inédits ou peu connus, donnent une liste des grandes lunettes et grands télescopes de l’époque et décrivent les mesures du champ magnétique terrestre à l’Observatoire de Paris.

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Remerciements Ma gratitude va d’abord à mon épouse Geneviève, ainsi qu’à Charles Ryter, pour leur relecture attentive du texte, qui a été bien amélioré grâce à eux. Je voudrais remercier le personnel de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris, tout particulièrement Josette Alexandre, Laurence Bobis, Danièle Destombes, Dominique Monseigny et Robert Zeganadin, pour leur amabilité, leur compétence et leur diligence à accéder à mes nombreuses demandes. Je remercie Astronomy & Astrophysics, Ciel et Terre, les Archives de l’Académie des sciences, la mairie de Saint-Lô, Météo-France, la NASA et la Société astronomique de France pour m’avoir fourni des images ou m’avoir autorisé à en publier. De même, André Berger, Danièle Briot, James Caplan, Yvon Georgelin et William Tobin m’ont ouvert leur collection et donné de précieuses informations. Enfin, je voudrais rendre hommage à la Bibliothèque nationale de France pour avoir créé Gallica, incomparable instrument de travail pour l’historien, et à l’Astrophysics Data Service (ADS) qui permet d’accéder en ligne à l’essentiel des journaux astronomiques anciens. Le site internet cnum.cnam.fr du Conservatoire national des arts et métiers m’a permis également de consulter des documents anciens intéressants. Dans les textes cités, j’ai scrupuleusement respecté l’orthographe originale. Je suis responsable de la traduction de la plupart des textes anglais.

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Chapitre 1 Les années de jeunesse (1811-1845)1

La comète Donati, vue le 4 octobre 1858 au-dessus de Notre-Dame de Paris.

Le Verrier, savant magnifique et détesté

2

Figure 1.1. La maison natale de Le Verrier, place du Champ-de-Mars à Saint-Lô.

Urbain-Jean-Joseph Le Verrier est né le 11 mars 1811 à Saint-Lô (Manche), de Louis-Baptiste Le Verrier, « surnuméraire dans l’administration des domaines »2, né à Carentan, et de Marie-Jeanne-Joséphine-Pauline de Baudre, son épouse, née à Baudrea. Carentan et Baudre sont deux communes proches de Saint-Lô ; les grands-parents de Le Verrier étaient eux aussi nés dans la région. Sa maison natale (Fig. 1.1) était une maison bourgeoise assez modeste, témoignant de revenus peu élevés. D’abord élève au Collège communal de Saint-Lô, Le Verrier entre comme interne au Collège royal de Caen où il étudie les mathématiques de 1827 à 1830. Cette dernière année, il se présente au concours d’entrée de l’École polytechnique, mais il échoue, à la surprise générale car c’est un élève très brillant. Son père se décide à l’envoyer à Paris, à l’Institution Mayer, et vend sa maison pour subvenir aux frais. Après un an d’études sous la direction du mathématicien Choquet, directeur de cette institution, Le Verrier obtient le second prix de Mathématiques spéciales au Concours général et il est reçu à l’École polytechnique en 1831, donc âgé de 20 ans, ce qui est dans la moyenne de l’époque. Il sort huitième de Polytechnique deux ans après, dans le corps des ingénieurs des Tabacs, et suit pendant deux autres années les cours de l’École d’application correspondante, alors située quai d’Orsay à Paris. Les études comportent une forte proportion de chimie, à laquelle notre jeune homme s’intéresse au point de commencer des recherches dans un petit laboratoire qu’il installe chez lui. Dès 1835, il publie un premier article de chimie, puis un autre en 1837.

Le début de la carrière scientifique Les deux premiers articles de Le Verrier3 concernent les combinaisons du phosphore avec l’hydrogène et avec l’oxygène ; rien d’étonnant à cela, car le phosphore entre dans la constitution des allumettes qui sont du ressort de l’École d’application des Tabacs, laquelle n’est autre que la Manufacture parisienne des tabacs. Un travail très classique donc, bien que les expériences soient dangereuses, a Un résumé de la vie de Le Verrier replacée dans le contexte de l’époque fait l’objet de l’Appendice 1.

Les années de jeunesse (1811-1845)

mené sous la direction de Louis Joseph Gay-Lussac qu’il avait pu connaître à l’École polytechnique. Il est cependant de grande qualité, et sera longtemps cité par les chimistes. Il attire en particulier l’attention de Dulong, amateur d’expériences risquées qui lui ont fait perdre un œil, et du chimiste Balard. Le second article de Le Verrier est écrit alors qu’il a démissionné de l’École des Tabacs, car il aurait dû accepter un poste en province : il reste donc à Paris et vit en donnant des répétitions de mathématiques et en enseignant au collège Stanislas, tout en continuant à travailler avec Gay-Lussac. Il épouse en 1837 Lucile Marie Clotilde Choquet, la fille de son ancien professeur, âgée de 17 ans ; il en a lui-même 26. Les Le Verrier auront trois enfants : – Léon, né en 1838, chimiste et ingénieur des chemins de fer de l’Ouest, mort subitement sans descendance en 1876, très probablement par suicide4 ; – Urbain-Louis-Paul (1849-1911), ingénieur des mines, professeur au Conservatoire des arts et métiers et à l’École supérieure des mines. Il aura une fille et deux fils ; – Marie Geneviève Joséphine Lucile (1853-1931), qui épousera en 1875 Lucien Magne, inspecteur général des Monuments historiques, professeur à l’École des beauxarts et au Conservatoire des arts et métiers. Elle aura deux enfants, tous les deux peintres. Lucile est l’auteur d’un charmant journal5, édité en 1994, où l’on trouve des renseignements sur la vie quotidienne des Le Verrier. Par ailleurs, Le Verrier a une sœur, qu’il utilise pour faire le ménage chez lui après son mariage, puis avec laquelle il se brouille définitivement en 1858. On sait peu de chose sur elle, si ce n’est qu’un bureau de tabac lui est attribué en novembre 1846 lorsqu’elle quitte son frère, et qu’elle est encore vivante, mais pauvre et malade, en 1878. En 1836, deux postes de répétiteur à l’École polytechnique se trouvent vacants : l’un en chimie et l’autre en astronomie. Le Verrier postule pour le premier, mais c’est Victor Regnault qui l’obtient (il deviendra un chimiste célèbre). Comme Le Verrier a besoin d’argent et est bon mathématicien, il demande alors le second, qu’il obtient. Avec une facilité surprenante, stimulé par une ambition déjà affirmée, il change complètement l’orientation de son travail. Il écrit à son père6 : « En osant accepter des fonctions qui ont été successivement remplies par Arago, Mathieu [Fig. 1.2] et Savary, je me suis

3

Le Verrier, savant magnifique et détesté

4

imposé l’obligation de ne pas laisser baisser dans l’estime publique le poste qu’ils ont occupé, et pour cela je dois non seulement accepter, mais rechercher les occasions d’étendre mes connaissances. […] J’ai déjà franchi bien des échelons ; pourquoi ne continuerais-je pas à monter ? »

Figure 1.2. Claude-Louis Mathieu (1783-1875). Beau-frère d’Arago, Mathieu deviendra un des ennemis de Le Verrier.

Le Verrier devient donc le répétiteur de Félix Savary, grand ami d’Arago dont il a été lui-même le répétiteur de 1828 à 1830, et qui lui a succédé comme professeur. En 1840, Savary tombe gravement malade et Le Verrier le remplace le 11 décembre. Savary se retire à Estagel (Pyrénées-Orientales) dans la maison familiale d’Arago, où il meurt le 15 juillet 1841. Le Verrier ne lui succédera pas, contrairement à ce qui se fait fréquemment, et n’assurera le cours que jusqu’en février 1841 : c’est Michel Chasles qui est nommé « professeur de Machines et d’Hydraulique, d’Astronomie et de Géodésie » à l’École polytechnique, et qui assurera ce cours jusqu’en 1850 7. Il est vrai que Chasles est un géomètre déjà célèbre, qui a dix-huit ans de plus que Le Verrierb. Ce dernier reste donc répétiteur. Il doit en être affecté, mais il a sa revanche cette année-là en tant que rapporteur de la commission mixte sur la réforme des programmes d’admission et d’enseignement à l’École (nous en reparlerons au chapitre 3). Et puis, Le Verrier est maintenant en contact avec l’astronomie et c’est le plus important. À cette époque, l’astronomie est centrée sur la position des astres, notamment des planètes, et sur la mécanique céleste qui prédit leur mouvement. Pierre-Simon Laplace (Fig. 1.3), le plus grand représentant de la mécanique céleste en France et dans le monde, est mort en 1827, et il n’y a personne de la même envergure pour lui succéder. Le Verrier, qui n’a guère de complexes, va s’y essayer : selon les termes de Jean-Baptiste Dumas, « l’héritage de Laplace était libre ; il en prit hardiment possession »8. Il ne mettra que deux années pour présenter à l’Académie des sciences ses premiers travaux en mécanique céleste. Pour comprendre en quoi consistent ces travaux, nous allons revenir deux siècles en arrière. Johannes Kepler avait établi les lois du mouvement d’une planète sur son

b

Le Verrier aura de nouveau affaire à Chasles, qui s’est ridiculisé en achetant des manuscrits falsifiés, comme nous le verrons au chapitre 6.

Les années de jeunesse (1811-1845)

orbite, et Isaac Newton les avait expliquées par la gravitation universelle, donc en l’occurrence par l’attraction du Soleil sur la planète. Mais, en fait, les orbites planétaires ne sont pas exactement képlériennes, car la planète subit des perturbations dues aux forces d’attraction des autres planètes. Il est donc nécessaire, si l’on désire connaître l’orbite d’une planète avec précision, de tenir compte de ces perturbations. C’est ce à quoi se sont employés les successeurs de Newton, particulièrement Leonhard Euler, Alexis-Claude Clairaut et Jean le Rond d’Alembert. La question a déclenché de grands progrès en mathématiques : calcul différentiel et intégral, développements en série, séries trigonométriques, etc. Faisant la synthèse de ces travaux, Louis de Lagrange a introduit en 1767 la méthode qui sera perfectionnée par Laplace et utilisée avec des variantes par tous leurs successeurs9 ; elle est exposée dans l’encadré 1.1. Elle nécessite l’intégration d’un ensemble d’équations différentielles, qui fait toute la difficulté du problème. On peut essayer de réaliser cette intégration par une méthode analytique, comme on l’a fait longtemps, avant de disposer de gros moyens de calcul numérique. Il faut alors développer en série les termes perturbateurs, ce qui amène à des calculs plus ou moins lourds selon la précision désirée : en effet, la solution s’écarte d’autant moins de la vérité que l’on utilise plus de termes dans les séries (il peut y en avoir des centaines, voire des milliers). La puissance des ordinateurs permet aujourd’hui d’aborder le problème par une méthode numérique en calculant directement la force F qui s’exerce sur la planète sous l’effet des différentes attractions gravitationnelles qu’elle subit, puis son accélération a à partir de la relation de Newton F = ma, m étant la masse de la planète ; on en déduit par deux intégrations successives sa vitesse, puis sa position en fonction du temps. Les méthodes analytiques gardent cependant une valeur de contrôle, car elles permettent d’apprécier la contribution de chacune des forces envisagées, dont les effets ne sont pas mêlés comme dans l’intégration numérique.

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Figure 1.3. Pierre-Simon Laplace (1749-1827) âgé, gravure posthume de Harbivillier (1833).

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

Encadré 1.1. Les perturbations de l’orbite d’une planète par les autres planètes10

Figure 1.4. Les paramètres de l’orbite d’une planète. En haut, l’orbite vue du Nord. P est le périastre (en l’occurrence le périhélie), a le demi grand axe et e l’excentricité. En bas, une portion de l’orbite dans l’espace. i est l’inclinaison de l’orbite par rapport au plan de référence xOy, Ÿ la longitude du nœud ascendant N par rapport à la direction Ox et t la longitude du périastre P par rapport à N, dans le plan de l’orbite.

On sait depuis Kepler que les planètes décrivent des orbites elliptiques, dont le Soleil occupe un des foyers (Fig. 1.4). Une telle orbite est décrite par six paramètres. Ce sont le demi-grand axe de l’ellipse a, son excentricité e, son inclinaison i sur un plan de référence (qui peut être l’écliptique, c’est-à-dire le plan de l’orbite terrestre), la longitude Ÿ du nœud ascendant (celle des intersections de l’ellipse avec ce plan de référence pour laquelle la planète se dirige vers le Nord), la longitude t du périastre (point de l’orbite le plus proche du Soleil) comptée sur cette orbite à partir du nœud ascendant N, et l’instant o où la planète est passée au périastre. Les lois de la mécanique permettent de connaître la position de la planète sur son orbite au temps t, en fonction de (t-o). Ceci n’est vrai qu’en première approximation : l’attraction gravitationnelle des autres planètes perturbe le mouvement de la planète considérée et déforme son orbite. La méthode analytique généralement utilisée pour résoudre ce problème est la suivante. On considère l’orbite de la planète à un instant donné comme un morceau d’ellipse (on appelle cette ellipse l’orbite osculatrice) qui est caractérisée par les 6 paramètres énumérés précédemment, que l’on appelle éléments osculateurs. Ces éléments seraient constants s’il n’y avait pas de perturbations. Mais les perturbations occasionnent de petites variations de ces paramètres, que l’on peut évaluer à l’instant considéré à partir de la position et de la masse des autres planètes. Le mouvement de la planète dans l’instant qui suit se fait sur l’orbite ainsi perturbée ; si l’on veut connaître le mouvement pendant un temps plus long, il faut intégrer l’ensemble des équations différentielles qui décrivent la variation temporelle des éléments osculateurs.

Dans son Traité de Mécanique céleste, culmination de tous les travaux du dix-huitième siècle, Laplace n’utilise qu’un nombre relativement limité de termes dans les séries décrivant les perturbations, et tout paraît aller bien : le Système solaire semble stable et, même si les paramètres des orbites des planètes varient lentement au cours du

Les années de jeunesse (1811-1845)

temps, ces variations lentes sont périodiques, quoiqu’avec une période qui peut atteindre plusieurs siècles. Mais on s’est rendu compte (c’est notamment le cas de Siméon Denis Poisson11) que, si l’on introduit des termes d’ordre plus élevé, des difficultés apparaissent : certains éléments paraissent croître au-delà de toute limite, bien que très lentement, ce qui peut faire douter de la stabilité à long terme du Système solaire. De surcroît, il ne paraît pas impossible que Laplace ait oublié certains petits termes. Aussi, même si Laplace était persuadé de cette stabilité, Le Verrier a quelques doutes et va s’employer à la vérifier en considérant le plus grand nombre de termes possible c. Le travail de Le Verrier est terminé en septembre 1839, comme on peut le voir dans le résumé de son mémoire publié le 16 septembre dans les Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences12. On ne peut qu’admirer la maîtrise qu’il a acquise en deux ans d’un sujet particulièrement ardu. Il n’est d’ailleurs guère possible d’en rendre compte ici : nous nous contenterons de remarquer que Le Verrier a reconnu dans le Système solaire des phénomènes périodiques beaucoup plus lents que ne l’avaient vu ses prédécesseurs, certains ayant une période de plusieurs centaines de milliers d’années. La commission chargée de l’examen de son mémoire, constituée de François Arago (Fig. 1.5, encadré 1.2), Félix Savary et Joseph Liouville, en recommande d’ailleurs la publication dans le Recueil des mémoires des savants étrangers, c’est-à-dire des savants qui ne sont pas membres de l’Académie des sciences. Mais finalement le mémoire est imprimé dès 1840 dans la Connaissance des temps pour 1843 (on peut être surpris de la différence entre ces dates, mais il faut réaliser que les éphémérides que contient la Connaissance des temps n’ont d’intérêt pour préparer les observations que si elles sont publiées bien avant la période à laquelle elles se rapportent). Le Verrier relève en passant quelques erreurs dans les travaux de Lagrange, et d’autres beaucoup plus graves dans le Système analytique du monde de son contemporain Gustave de Pontécoulant, un chercheur médiocre dont il se fait bien entendu un ennemi (il est en bonne compagnie, car Arago aura aussi affaire à Pontécoulant). Le mémoire conclut à la stabilité du système solaire ; en particulier, la stabilité est acquise sans restriction pour c

De leur côté, Marie Charles Théodore de Damoiseau en France et Giovanni Plana en Italie font le même type d’étude concernant le mouvement de la Lune.

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

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les grosses planètes, Jupiter, Saturne et Uranus, un résultat toujours valable aujourd’hui. Mais Le Verrier reconnaît que la mauvaise connaissance des masses de plusieurs planètes rend peu sûres certaines de ses conclusions.

Encadré 1.2. François Arago (1786-1853)13

Figure 1.5. François Arago (1786-1853), portrait par Charles Steuben (1832).

Né dans une famille de petite bourgeoisie, François Arago est remarqué en 1805 à l’École polytechnique par Laplace, qui le fait engager à l’Observatoire de Paris où il restera toute sa vie et qu’il dirigera de 1834 à sa mort. Après d’intéressantes recherches faites seul ou sous la direction de Biot, il part avec ce dernier en Espagne en 1806 pour prolonger jusqu’aux Baléares la mesure d’un arc du méridien de Paris, que Delambre et Méchain avaient arrêtée à Barcelone. Après de nombreuses difficultés et une véritable odyssée à travers la Méditerranée consécutive à la guerre entre la France et l’Espagne, il revient en France en 1809 ayant accompli sa mission et auréolé d’une gloire qui le fait élire à 23 ans à l’Académie des sciences. Suit une période fructueuse où il découvre la polarisation chromatique rotatoire, la nature gazeuse du Soleil et des étoiles, et la polarisation du ciel, de la Lune et des comètes. Il fait connaître le jeune Fresnel et s’associe à lui pour ses travaux sur la théorie ondulatoire de la lumière ; il travaille aussi avec Ampère à l’élaboration de l’électromagnétisme. Élu secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences en 1830, Arago fonde les Comptes rendus de l’Académie en 1835 et devient le savant français le plus influent de son époque. C’est aussi un homme politique important, qui joue un grand rôle dans l’éphémère Seconde République qui suit la Révolution de 1848, où il abolit l’esclavage avec Victor Schoelcher et préside quelque temps aux destinées de la France. Il meurt malade et aveugle en 1853. Encyclopédiste, grand promoteur et vulgarisateur de la science et de la technique, découvreur de talents, Arago suggère à Le Verrier d’étudier les perturbations d’Uranus, ce qui le conduira à la découverte de Neptune, mais il se brouillera avec lui. Le règne d’Arago à l’Observatoire est une période bouillonnante d’idées, mais dont les réalisations sont quelque peu décevantes car il reste constamment sous la coupe du Bureau des longitudes et ne s’entoure pas de collaborateurs dignes de lui.

Les années de jeunesse (1811-1845)

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Des recherches bien postérieures d’Henri Poincaré et des expériences numériques récentes ont montré que les doutes de Le Verrier étaient justifiés : certes le Système solaire peut être considéré comme stable à court terme ; mais à très long terme – il s’agit de beaucoup de milliards d’années – son comportement devient imprévisible (chaotique), surtout en ce qui concerne Mars et Mercure et dans une moindre mesure Vénus et la Terre, tandis que les orbites des grosses planètes sont très stables (Fig. 1.6). Il n’est pas tout à fait impossible par exemple que Mercure soit un jour éjecté du Système solaire14 !

Figure 1.6. Une évolution possible à très long terme du système solaire, d’après une simulation numérique récente de Jacques Laskar. L’excentricité de l’orbite des différentes planètes est portée en fonction du temps. Le zéro de l’échelle temporelle est le temps présent, le calcul porte sur 10 milliards d’années passées (ce qui n’a pas de sens physique avant 4,6 milliards d’années, l’âge du Système solaire) et sur les 15 milliards d’années futures. Comme le Système solaire est chaotique à très long terme, d’autres simulations donneraient des résultats différents, bien que la tendance générale reste la même. On constate que les orbites des quatre grosses planètes sont très stables, celles de la Terre et de Vénus moins stables, tandis que l’excentricité de l’orbite de Mars et surtout de Mercure varie considérablement au cours du temps. Ces variations sont responsables de fluctuations climatiques, notamment sur la Terre et surtout sur Mars.

Le début de la reconnaissance Son travail met Le Verrier en évidence parmi les astronomes, et on songe à lui pour faire partie du Bureau des longitudes. Cet organisme, créé par la Convention en 1795, a pour mission de « faire fleurir notre marine et [de] favoriser la marine et le commerce par le développement de

Le Verrier, savant magnifique et détesté

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Figure 1.7. Jean-Baptiste Biot (1774-1862)

l’Astronomie »15. Son rôle est donc, en principe, complètement centré sur la navigation en mer et la géodésie, avec une petite incursion vers la météorologie. Mais il a dans ses attributions l’Observatoire de Paris, celui de l’École militaire et « tous les instruments d’astronomie qui appartiennent à la nation » ; son action s’étend donc en pratique à toute la recherche astronomique publique. Le personnel du Bureau est formé de membres titulaires au salaire de 8 000 livres par an à la fondation, et de membres adjoints payés 4 000 livresd. Ce dernier salaire suffit pour vivre modestement. Le 25 janvier 1841, le physicien et astronome Jean-Baptiste Biot (Fig. 1.7), qui se préoccupe du sort de Le Verrier et aura longtemps de la sympathie pour lui, écrit au président du Bureau, le navigateur Louis Claude de Freycinet, la lettre suivante16 : « Mon cher Confrère, Depuis notre dernière séance j’ai appris sur M. Le Verrier des détails qui m’étaient inconnus et qui peuvent l’être aussi à d’autres membres du Bureau. M. Le Verrier a 29 ans, est marié, a un enfant, et n’ayant pour vivre que sa petite place de répétiteur à l’École Polytechnique, il est obligé chaque jour de donner à des leçons particulières une portion du temps et des forces qu’il emploierait si bien, comme avec tant d’ardeur, au perfectionnement de l’Astronomie théorique. N’y aurait-il pas une sorte de barbarie à le laisser dans cette situation, pour gratifier un homme déjà âgé, qui n’a rendu aucun service à l’Astronomie et donc est assuré dans une carrière toute différente ? Ne serait-ce pas dénaturer l’institution du Bureau des Longitudes que d’agir ainsi, est-ce là l’exemple que nous ont donné nos prédécesseurs ? Je soumets cette question à votre conscience comme à vos lumières. Votre dévoué Confrère, J.-B. Biot. » Le Verrier n’est pas élu, mais le candidat qu’on lui oppose n’est pas élu non plus, et le poste restera vacant pendant deux ans avant d’être rempli par Victor Mauvais. Son échec au Bureau des longitudes n’empêche pas Le Verrier de continuer avec ardeur ses recherches en mécanique céleste. Il s’intéresse en particulier à Mercure,

d Les livres deviennent ensuite des francs, que l’on peut estimer à un peu plus de 3 de nos euros.

Les années de jeunesse (1811-1845)

une planète difficile à observer car toujours très proche du Soleil, et dont les observations sont en conséquence peu nombreuses et mal réparties dans le temps. Il en dit, dans un historique bien documenté17 : « Nulle planète n’a demandé aux astronomes plus de soins et de peine que Mercure, et ne leur a donné en récompense tant de soucis, tant de contrariétés. En les comparant à celles dont le Mercure terrestre [c’est-à-dire le métal] était la source pour les alchimistes, Riccioli n’a fait qu’émettre l’opinion de tous les astronomes de son temps, et celle de ses prédécesseurs. « Si je connaissais quelqu’un, disait Mœstlinius [Mästlin], qui s’occupât de Mercure, je me croirais obligé de lui écrire pour lui conseiller charitablement de mieux employer son temps. » Mais heureusement la France est là ! « La théorie de Mercure peut être reprise aujourd’hui avec avantage. Les observations méridiennes de cette planète ont été multipliées depuis quarante ans ; et, grâce au zèle et à l’habileté persévérante de ses astronomes, l’Observatoire de Paris en possède plus qu’aucun autre de l’Europe. Dans ces derniers temps, depuis 1836 jusqu’en 1842, deux cents observations complètes de Mercure ont été faites ; nombre prodigieux si l’on considère la difficulté qu’on a de voir cette planète dans nos climats. […] Pour la précision, la prééminence appartient encore à la France. La discussion d’un grand nombre d’observations du Soleil m’a fait voir que l’erreur moyenne de chacune d’elles ne dépassait pas 1/17 de seconde de temps à l’Observatoire de Paris. C’est un admirable résultat de la perfection des observations. […] Je dois à la libéralité scientifique de l’illustre directeur de notre Observatoire, M. Arago, d’avoir pu puiser sans réserve dans ces précieux recueils. » Le Verrier reprend donc toutes ces observations et toutes les observations anciennes qu’il trouve utilisables pour élaborer une nouvelle théorie de Mercure. Il la compare à celles qui ont été faites auparavant, où il relève diverses erreurs. En étudiant les perturbations apportées au mouvement de Mercure par Vénus, il déduit la masse de cette dernière planète, qu’il trouve égale à 1/390 000 de celle du Soleil. Cette valeur est remarquablement proche de la valeur actuelle, 1/408 500. Le Verrier calcule aussi

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

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le rayon apparent du Soleil à partir des observations des passages de Mercure devant cet astre, trouvant une valeur de 16’0‘’,01 vue de la distance moyenne de la Terre au Soleil. La valeur admise actuellement est de 15’ 59’’,68, également en très bon accord avec sa détermination. Mais il subsiste des problèmes, qui l’amèneront à reprendre quelques années plus tard son travail sur Mercure.

Premières controverses Figure 1.8. Peter Hansen (1795-1874).

En 1842, Le Verrier s’occupe aussi de la planète Uranus, qui présente des anomalies : les tables ne rendent pas bien compte de son mouvement. Il n’est pas le seul à se préoccuper de ce problème. Par exemple, en Allemagne puis au Danemark, Peter Hansen (Fig. 1.8), qui développe de nouvelles méthodes en mécanique céleste, les applique à Uranus. En France, Liouville charge un jeune homme, Charles Delaunay (Encadré 1.3, Fig. 1.9), d’examiner les travaux de Hansen et de retrouver ses résultats, ce qu’il fait avec succès en 184118. Mais Delaunay trouve aussi que certains termes des développements en série, dont il pense qu’ils n’ont pas été considérés par Hansen, ne sont pas négligeables19. Le Verrier n’est pas d’accord avec Delaunay, et il s’ensuit une controverse assez technique que l’on peut suivre dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences20. Le Verrier a raison, mais il se moque assez méchamment de son collègue encore inexpérimenté. Les deux hommes sont en contradiction pour la première fois ; ceci se reproduira bien souvent par la suite, et ils finiront par devenir des ennemis mortels.

Les années de jeunesse (1811-1845)

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Encadré 1.3. Charles Eugène Delaunay (1816-1872) Delaunay est issu d’une famille très modeste. Tout jeune, il montre de grandes dispositions pour la mécanique et les mathématiques, ce qui le conduit à l’École polytechnique d’où il sort premier en 1836. Ce rang lui fait attribuer un prix fondé par la veuve de Laplace, prix qui comporte comme cadeau les œuvres du maître ; la lecture de ces ouvrages déclenche chez lui une vocation d’astronome. Arago lui propose un poste d’élève-astronome à l’Observatoire, position précaire à laquelle il préfère celle d’élève-ingénieur des Mines. Biot le choisit comme suppléant de son cours d’Astronomie physique à la Sorbonne, puis de son cours au Collège de France. Il devient ensuite répétiteur à l’École polytechnique, chargé de cours puis professeur de mécanique physique à la Faculté des sciences, et en 1851 professeur de Mécanique et de Machines à Polytechnique. Il publie en 1850 un remarquable Cours élémentaire de mécanique théorique et appliquée (Paris, Masson, Langlois et Leclercq), modèle de clarté, qui connaîtra de nombreuses éditions. L’œuvre majeure de Delaunay est une nouvelle théorie du mouvement de la Lune, mouvement extrêmement complexe quand on veut le prévoir avec un haut degré de précision : « travail énorme que les plus compétents jugeaient impossible avant lui et où nous admirons à la fois la simplicité dans la méthode et la puissance dans l’application21. » Ce travail le fit admettre en 1855 à l’Académie des sciences. La vie de Delaunay est agitée par ses démêlés avec Le Verrier : la lutte entre les deux savants, et aussi entre les deux institutions devenues rivales que sont le Bureau des longitudes et l’Observatoire qu’ils dominent respectivement, est incroyablement acharnée. « Delaunay, dit Léon Foucault, ne pense qu’à deux choses : à la Lune et à Le Verrier. S’il pense à la Lune, il a une figure large, épanouie, une vraie pleine-lune. Au contraire, pense-t-il à Le Verrier, il a une tête de bouledogue.22 » Il y a certainement des torts des deux côtés. Après la destitution de Le Verrier en 1870, Delaunay est nommé directeur de l’Observatoire, mais son règne est de courte durée car il se noie le 5 août 1872, au cours d’une promenade en bateau entreprise par mauvais temps dans la rade de Cherbourg.

Figure 1.9. Charles Delaunay (1816-1872).

Le Verrier, savant magnifique et détesté

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De 1840 à 1843, en même temps que d’Uranus et de Mercure auquel il est revenu23, Le Verrier s’occupe du mouvement de la petite planète Pallas : le mémoire correspondant24 est particulièrement remarqué par l’Académie des sciences, qui décide de l’insérer dans le Recueil des mémoires des Savants étrangers. Puis il travaille en 1844 sur l’orbite de diverses comètes. Ce dernier travail25, bien qu’il ait été un peu éclipsé par celui sur les planètes, est d’un grand intérêt. Il est bien décrit par un des successeurs de Le Verrier, le grand spécialiste de la mécanique céleste Felix Tisserand (Fig. 1.10) 26. Laissons-lui la parole :

Figure 1.10. Félix Tisserand (1845-1896), par Dupain.

« La comète dite de Lexell a été découverte par Messier le 15 juin 1770 ; six jours après, elle devenait visible à l’œil nu, et le 4 juillet suivant elle se perdait dans les rayons du Soleil. Pingré calcula une éphéméride d’où il résultait que la comète redeviendrait bientôt visible. Messier l’observa en effet le 4 août, et elle resta visible à l’œil nu jusqu’au 26 août. […] Lexell reconnut le premier qu’elle se mouvait sur une ellipse et que la durée de sa révolution était d’environ cinq ans et demi. On ne manqua pas d’objecter à Lexell que, si la comète avait une révolution aussi courte, il était bien surprenant qu’on ne l’eût observée qu’une seule fois. Lexell répondit qu’en 1767 la comète avait dû passer très près de Jupiter, qui avait pu changer considérablement son mouvement ; il fit remarquer, en outre, qu’une seconde approximation [passage près d’un astre] de la comète à Jupiter aurait lieu en 1779, et que cette circonstance pourrait empêcher la comète de revenir à son périhélie en 1781. Effectivement, les astronomes attendirent en vain son retour en 1781 et 1782. Le Verrier chercha à savoir ce qu’était devenue la comète ; reprenant avec le plus grand soin toutes les observations de 1770, il montra, par une discussion approfondie, que l’orbite qu’elle suivait alors ne pouvait pas être conclue [déterminée] avec précision ; il fit connaître une série d’orbites avec lesquelles on représentait les observations presque avec la même exactitude. En suivant la comète sur chacune de ces orbites possibles jusqu’en 1779, moment où elle s’approchait beaucoup de Jupiter, il montra qu’il était impossible qu’elle fût [devenue] un satellite de cette planète ; après cette perturbation, elle avait pu décrire une hyperbole, auquel cas elle était perdue pour nous sans retour ; mais il pouvait se faire aussi qu’elle eût continué son mouvement sur une ellipse. »

Les années de jeunesse (1811-1845)

Il se peut donc que l’une des comètes périodiques qui ont été découvertes récemment soit en fait la comète de Lexell. Mais pour s’en assurer, il est nécessaire de calculer les perturbations subies depuis 1781 par chacune de ces nouvelles comètes périodiques, afin de savoir quelle était alors son orbite. Le Verrier n’hésite pas à entreprendre cet énorme travail, pour aboutir à la conclusion que ni la comète périodique découverte par Hervé Faye27 en 1843, ni celle découverte par l’italien De Vico en 1844 ne pouvaient être la comète de Lexell28. Ce faisant, il montre que la comète découverte par De Vico avait déjà été vue par Tycho Brahe en 1585, et est donc périodique ! Le Verrier conclut à son propos : « La comète de 1844 a pu, comme les autres, nous venir des régions les plus éloignées de l’espace et être fixée parmi les planètes sous l’influence puissante de l’action de Jupiter. Sa venue remonte sans doute à plusieurs siècles ; depuis cette époque, elle a passé bien souvent dans le voisinage de la Terre. […] Dans un certain nombre de siècles, elle atteindra de nouveau l’orbite de Jupiter, et son cours sera certainement encore une fois altéré. Peut-être même Jupiter la rendra-t-il aux espaces auxquels il l’avait dérobée. » En partie grâce à Le Verrier, ce qui peut survenir aux comètes dans le Système solaire est devenu parfaitement clair. On soupçonne qu’elles viennent toutes de très loine. Ce sont les perturbations gravitationnelles dues aux planètes auprès desquelles elles passent qui déterminent leur orbite. Celle-ci peut être elliptique, la comète étant alors périodique (Fig. 1.11). L’orbite peut ensuite être fortement modifiée au cours du temps par d’autres perturbations et peut même devenir parabolique ou hyperbolique : la comète s’échappe alors du Système solaire.

e

L’astronome hollandais Jan Oort a montré en 1950 que les comètes, résidus de la formation du Système solaire, séjournent dans une « ceinture » située à environ une année-lumière du Soleil, dont elles sont éventuellement chassées par de petites perturbations gravitationnelles, qui peuvent les envoyer vers l’intérieur du Système solaire.

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

Figure 1.11. Orbites des comètes périodiques connues en 1873. Pour donner l’échelle, les orbites de Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune sont également dessinées

À la suite de ces brillantes recherches, Le Verrier est élu sans difficulté à l’Académie des sciences le 19 janvier 1846. Il avait subi précédemment un échec en 1843 : l’astronome Victor Mauvais avait été élu contre lui et quelques autres le 20 novembre, en remplacement de Bouvard. Le Verrier ne le lui pardonnera pas. En 1845, Le Verrier revient à Uranus, dont le comportement ne cesse d’intriguer les astronomes « qui ne sont pas accoutumés à de tels mécomptes. » L’enjeu est de taille : il y a là une menace envers la mécanique newtonienne. Pour en saisir l’importance, et le désarroi qui s’empare du monde scientifique, rappelons un passage célèbre de l’Exposition du Système du Monde où Laplace exprime sa foi en la toute-puissance de la mécanique pour expliquer l’ensemble des phénomènes naturels :

Les années de jeunesse (1811-1845)

« Au milieu de l’infinie variété des phénomènes qui se déroulent continuellement dans les cieux et sur la terre, on est parvenu à démêler le petit nombre de lois générales que la matière suit dans ses mouvements. Tout leur obéit dans la nature ; tout en dérive aussi nécessairement que le retour des saisons ; et la courbe décrite par l’atôme léger que les vents semblent emporter au hasard, est réglée de manière aussi certaine, que les orbes planétaires. […] Les géomètres […] ont enfin réduit la mécanique entière à des formules générales qui ne laissent plus à désirer que la perfection de l’analyse. » Le Verrier va maintenant s’attaquer à ce problème.

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Chapitre 2 La découverte de Neptune (1845-1846)

Fragment de la carte du ciel de Bremiker sur laquelle une main allemande (Galle ?) a porté la position de Neptune prédite par Le Verrier (Neptune bereibnet) et la position réelle (Neptune beobachtet). La position prédite par Adams est également indiquée.

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La découverte de Neptune a fait l’objet d’une immense littérature car c’est incontestablement un des événements scientifiques majeurs du XIXe siècle. On sait que des travaux pour découvrir la « planète troublante » responsable du comportement anormal d’Uranus ont été conduits simultanément en Angleterre et en France, et que si Le Verrier a annoncé le premier la découverte, John Couch Adams avait obtenu indépendamment des résultats semblables : d’où d’interminables controverses où le nationalisme a beaucoup joué, controverses qui ne sont pas encore totalement éteintes aujourd’hui1. Il est cependant possible maintenant d’y porter un regard relativement neutre. Examinons d’abord le problème auquel Le Verrier va s’attaquer. Figure 2.1. William Herschel (1738-1822).

Le problème du mouvement d’Uranus La planète Uranus est découverte par hasard en 1781 par William Herschel (Fig. 2.1). Cette découverte a un grand retentissement, et l’on va bien entendu faire de nombreuses observations de la position de la nouvelle planète. On découvre également qu’elle avait été déjà observée une vingtaine de fois avant Herschel. On l’avait prise alors pour une étoile fixe. L’observation la plus ancienne, due à l’anglais John Flamsteed, remonte à 1690. D’autres sont dues à James Bradley, Tobias Mayer et Charles Le Monnier. Dans son célèbre Traité de Mécanique céleste, PierreSimon Laplace donne l’expression mathématique des perturbations exercées par les planètes les unes sur les autres en raison de leur attraction gravitationnelle. Il s’agit ensuite de faire les calculs numériques permettant à partir de ces expressions de calculer la position des planètes au cours du temps, c’est-à-dire d’en établir des tables. Ceci entre dans les attributions du Bureau de longitudes. Sous la direction de Laplace, le travail est réparti par le Bureau entre des astronomes confirmés : Delambre, Alexis Bouvard et Burckhardt. C’est à Bouvard (Fig. 2.2), élève de Laplace, qu’échoit en 1821 la tâche la plus ingrate : le calcul des tables prédisant le mouvement des trois grosses planètes, Jupiter, Saturne et Uranus. Les tables de Jupiter et de Saturne sont calculées sans difficulté particulière, mais de gros problèmes surgissent pour Uranus. Même après avoir tenu compte des perturbations exercées par les autres planètes, Bouvard ne parvient pas à trouver

La découverte de Neptune (1845-1846)

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des éléments permettant de représenter le mouvement d’Uranus pendant toute la période où il a été observé. Une solution paraît possible en n’utilisant que les nombreuses positions d’Uranus mesurées au cours de sa découverte de 1781 à 1821, mais il est alors impossible de rendre compte des positions anciennes, les écarts dépassant la minute de degré, une quantité qui paraît bien supérieure aux erreurs d’observation. À l’inverse, si l’on utilise les positions mesurées entre 1690 et 1781, les positions plus récentes sont très mal représentées par les tables. Avouant son impuissance, Bouvard écrit dans l’introduction de ses Tables d’Uranus de 1821, qu’il doit « laisser aux tems à venir le soin de faire connaître si la difficulté de conclure [concilier] les deux systèmes [celui qui représente les positions avant 1781 ou celui qui en rend compte après cette date] tient réellement à l’inexactitude des observations anciennes, ou si elle dépend de quelque action étrangère ou inaperçue, qui aurait agi sur la planète. » Mais, après la publication des tables de Bouvard, qu’il avait établies en n’utilisant que les observations récentes (entre 1781 et 1821), de nouveaux écarts se manifestent et ne font que croître au cours du temps, si bien qu’il devient impossible d’attribuer les discordances aux erreurs d’observation. Après la mort d’Alexis Bouvard en 1843, son neveu Eugène est chargé par le Bureau des longitudes d’établir de nouvelles tables de la planète. Il les présente à l’Académie le 1er septembre 1845, mais elles ne seront jamais publiées. Il remarque à ce propos2 : « Les discordances entre les observations et la théorie me portent à croire qu’il y a beaucoup de vraisemblance dans l’idée émise par mon oncle sur l’existence d’une autre planète troublant Uranus. » C’est donc, semble-t-il, Alexis Bouvard qui a imaginé le premier que les anomalies du mouvement d’Uranus pourraient provenir de l’action gravitationnelle d’une nouvelle « planète troublante » ; d’autres prétendront plus tard qu’ils ont eu indépendamment la même idée. Quoi qu’il en soit, elle est dans l’air et se répand rapidement dans le monde scientifique et même dans le grand public, à l’étranger comme en France. L’astronome royal d’Angleterre, Sir George Bidell Airy (Fig. 2.3), s’en entretient en 1835 dans sa correspondance avec un astronome amateur, le révérend Thomas John Hussey, puis avec Eugène Bouvard en 18373.

Figure 2.2. Alexis Bouvard (1767-1843).

Le Verrier, savant magnifique et détesté

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Figure 2.3. George Biddell Airy (1801-1892).

En 1835, l’astronome nîmois Benjamin Valz, qui sera nommé l’année suivante directeur de l’Observatoire de Marseille, propose à Arago de rechercher la planète en utilisant les perturbations qu’elle doit nécessairement exercer sur la comète de Halley. Puis, en 1840, le célèbre astronome allemand Friedrich Wilhelm Bessel (Fig. 2.4), qui dès 1830 avait insisté sur l’existence possible de « masses troublantes », en fait l’objet d’une conférence publique, puis en parle à Sir John Herschel, le fils de William Herschel, qui est devenu lui-même un astronome très connu. Arago souhaite évidemment que le problème d’Uranus soit traité à l’Observatoire de Paris. Mais il n’a pas grande confiance en Eugène Bouvard, qui avait fait de mauvaises mesures lors de son expédition à Digne pour observer l’éclipse totale de Soleil de 1842, et il ne voit personne d’autre à l’Observatoire qui soit capable d’aborder un problème aussi difficile. Il charge donc Le Verrier de s’y attaquer, car il le croit capable de le résoudre. À sa requête, Le Verrier abandonne donc ses recherches sur les comètes pour se consacrer à Uranus. Il écrit, dans la première note où il expose à l’Académie des sciences son nouveau travail4 : « Dans le courant de l’été dernier [1845], M. Arago voulut bien me représenter que l’importance de cette question imposait à chaque astronome le devoir de concourir, autant qu’il était en lui, à en éclaircir quelque point. J’abandonnai donc, pour m’occuper d’Uranus, les recherches que j’avais entreprises sur les comètes, et dont plusieurs fragments ont été communiqués. Telle est l’origine du travail que j’ai l’honneur de présenter à l’Académie. »

Figure 2.4. Friedrich Wilhelm Bessel (1784-1846).

Le travail de Le Verrier Le Verrier examine scrupuleusement toutes les observations disponibles jusqu’en 1845, notamment celles qui ont été faites récemment à l’Observatoire de Paris, que lui a communiquées Arago et qu’il trouve excellentes, et celles faites à Greenwich que lui a envoyées son directeur, Airy. Il révise aussi soigneusement les calculs d’Alexis Bouvard (il semble n’avoir pas considéré ceux de son neveu Eugène Bouvard). Il découvre que certains termes y ont été négligés à tort, et y trouve plusieurs erreurs : il doit donc refaire en partie les calculs. Puis il entreprend de localiser la planète troublante.

La découverte de Neptune (1845-1846)

Le problème est tout à fait nouveau : jusqu’alors, on avait déterminé la position de chaque planète en tenant compte des perturbations exercées par les autres, dont la position est connue par l’observation. Il s’agit maintenant de déterminer la position d’une planète sur laquelle on ne sait rien à partir des perturbations qu’elle exerce : c’est ce qu’en mathématiques on appelle le problème inverse. Il est à la fois difficile et complexe, car il y a beaucoup d’inconnues à déterminer. Aussi Le Verrier le simplifie-t-il dès le départ en supposant connue la distance au Soleil de la planète troublante et l’inclinaison de son orbite. Il écrit le 1er juin 1846 5 : « Ce sera bien loin au-delà d’Uranus, que nous pourrons espérer de découvrir ce nouveau corps dont la masse sera assez considérable. Nous savons, par la singulière loi qui s’est manifestée entre les distances moyennes des planètes au Soleil [la loi empirique de Titius-Bode, encadré 2.1], que les planètes les plus éloignées sont situées à des distances au centre qui sont, à très-peu près, doubles les unes des autres ; il serait donc naturel d’admettre que le nouveau corps est deux fois plus éloigné du Soleil qu’Uranus, si la considération suivante ne nous en faisait à peu près une loi. J’ai dit [pourquoi] la planète cherchée ne pouvait être située à une petite distance d’Uranus. Or, il n’est pas plus possible de la placer à une très-grande distance, à une distance triple de celle d’Uranus au Soleil, par exemple. Il faudrait, en effet, dans cette hypothèse, attribuer à cette planète une masse très-considérable ; la grande distance à laquelle elle se trouverait à la fois de Saturne et d’Uranus rendrait ses actions, sur les deux planètes, comparables entre elles, et il ne serait point possible d’expliquer les inégalités d’Uranus sans développer dans Saturne des perturbations très-sensibles, et dont il n’existe point de traces. Ajoutons que les orbites de Jupiter, Saturne et Uranus étant fort peu inclinées à l’écliptique, on peut admettre, dans une première approximation, qu’il en est de même pour la planète cherchée. »

23

Le Verrier, savant magnifique et détesté

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Encadré 2.1. La loi de Titius-Bode

Mercure

Vénus

Terre

Mars

Jupiter

Saturne

Uranus

Neptune

En 1772, l’astronome allemand Johann Daniel Dietz, dit Titius, a montré que l’on pouvait représenter approximativement la distance des planètes au Soleil par la relation empirique suivante : a = 0,4 + 0,3 2 n–1, où a est le demi-grand axe de l’orbite exprimé en unités astronomiques (demi-grand axe de l’orbite terrestre, et n un des nombres entiers consécutifs. Passée d’abord inaperçue, cette relation fut remarquée peu après par l’allemand Johann Elert Bode qui la fit connaître. Voici comment elle représente les distances a des planètes au Soleil :

n

–’

1

2

3

4

5

6

7

8

a calculé

0,40

0,70

1,00

1,60

2,80

5,20

10,0

19,6

38,8

a réel

0,39

0,72

1,00

1,52



5,20

9,55

19,2

30,1

La lacune pour n = 4 a incité les astronomes à rechercher la planète qui aurait dû occuper cette place. Ces recherches furent couronnées de succès lorsque Piazzi découvrit en 1801 la petite planète Cérès, pour laquelle a = 2,77. Depuis cette époque, on a trouvé des milliers de petites planètes, ou astéroïdes, gravitant entre Mars et Jupiter. On a pensé qu’elles résultaient de la rupture d’une planète unique, mais cette théorie est abandonnée. On constate que l’accord est alors assez bon entre la loi de Titius-Bode et la réalité, sauf pour Neptune qui n’était pas encore découvert à l’époque où elle a été énoncée. On ne sait toujours pas s’il faut ou non lui attribuer un sens physique.

Voici déjà deux inconnues de moins : le demi-grand axe de l’orbite, quantité qui aurait été particulièrement difficile à déterminer, et l’inclinaison de cette orbite. Mais il en reste encore beaucoup : en effet, les éléments de l’orbite d’Uranus sont eux-mêmes mal déterminés puisqu’on ne peut pas trouver de solution rendant compte de toutes

La découverte de Neptune (1845-1846)

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les observations. L’hypothèse de la planète troublante ne change rien à cet état de choses. Bien sûr, on peut supposer connue l’orbite d’Uranus, en tenant compte des perturbations par les autres planètes que la planète troublante, et établir les écarts entre les positions calculées et les positions observées pour mettre en évidence l’effet de celle-ci : un exemple est montré Figure 2.5. Mais il est impossible d’obtenir ainsi la solution du problème puisque d’autres orbites sont possibles pour Uranus.

Figure 2.5. Un exemple d’écarts entre les longitudes calculées C et les longitudes observées O d’Uranus de 1690 à 1845 6. Ici, les longitudes calculées, qui tiennent compte des perturbations par Jupiter et Saturne, sont celles de Bouvard dont la théorie, corrigée par Le Verrier, n’utilise que des observations de 1781 à 1821. Mais cette solution n’est pas nécessairement la bonne, car on aurait pu utiliser aussi les observations antérieures à 1781 pour calculer l’orbite d’Uranus.

Le Verrier est donc obligé de déterminer à la fois les éléments de l’orbite d’Uranus et de celle de la nouvelle planète, soit douze inconnues. Il en a déjà fixé deux, et en fixe encore deux autres pour Uranus pour lequel il suppose connus, comme pour la nouvelle planète, le demigrand axe et l’inclinaison de l’orbite : il n’en reste plus que huit, auxquelles il faut ajouter la masse inconnue de la planète troublante. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de ce livre, entrer dans le détail des solutions des équations correspondantes7. Les Figures 2.6 et 2.7 montrent deux pages des manuscrits non publiés où Le Verrier détaille ses calculs.

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

Figure 2.6. Recherches sur les mouvements d’Uranus (1846). Manuscrit autographe de Le Verrier8.

La découverte de Neptune (1845-1846)

Figure 2.7. Recherche du corps troublant, 2e approximation (1846). Manuscrit autographe de Le Verrier9.

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

Sûr de lui, Le Verrier affirme dans la présentation qu’il fait devant l’Académie des sciences le 1er juin 1846 (pour éviter les confusions, nous donnons dans l’encadré 2.2 une chronologie relative à la découverte de la nouvelle planète) : « Je prouve que toutes les observations de la planète [Uranus] [peuvent être] représentées avec l’exactitude qu’elles comportent. […] Je conclus qu’on peut effectivement représenter les irrégularités du mouvement d’Uranus par l’action d’une nouvelle planète située à une distance double de la distance d’Uranus au Soleil ; et, ce qui est très-important, qu’on n’y parvient que d’une seule manière. En disant que le problème n’est susceptible que d’une solution, j’entends qu’il n’y a pas deux régions du ciel que l’on puisse choisir à volonté, pour y placer la planète à une époque déterminée, au 1er janvier 1847 par exemple. Mais chacun comprendra que, dans cette région unique, on doit se borner à assigner à la position de l’astre certaines limites. » Puis il indique à 10 degrés près la position que sera susceptible d’occuper dans le ciel la planète troublante le 1er janvier 1847. L’incertitude est encore grande, et Le Verrier ajoute qu’il ne peut pas faire mieux à la date de sa présentation, car le travail dont il vient « de présenter un extrait à l’Académie doit être considéré comme une ébauche d’une théorie qui commence. » Les éléments qu’il calcule sont provisoires, mais il se fait fort d’apporter bientôt des résultats plus précis, et conclut : « Dès l’année 1758, l’illustre géomètre Clairaut déclarait, dans la séance publique de l’Académie des Sciences, à l’occasion des perturbations de la comète de Halley, qu’un corps qui traverse des régions aussi éloignées pourrait être soumis à des forces totalement inconnues, telles que l’action de planètes, trop distantes pour être jamais aperçues. Espérons seulement que les astres dont parle Clairaut ne seront pas tous invisibles ; que, si le hasard a fait découvrir Uranus, on réussira bien à voir la planète dont je viens de faire connaître la position. »

La découverte de Neptune (1845-1846)

Encadré 2.2. Chronologie de la découverte de Neptune 1821 Alexis Bouvard publie ses tables d’Uranus. 1845 er

• 1 septembre : Eugène Bouvard mentionne que son oncle Alexis avait eu l’idée d’une « planète troublante ». Arago suggère à Le Verrier de s’occuper du problème. • 21 octobre : Adams fait savoir à Airy qu’il a obtenu des résultats concernant la planète troublante. • 5 novembre : Airy demande des éclaircissements à Adams, qui ne lui répond pas. Adams semble ne plus s’intéresser au problème. 1846 er

• 1 juin : Le Verrier expose sa méthode et donne une position grossière pour la planète troublante. Une recherche est entreprise à l’Observatoire de Paris, qui semble avoir été abandonnée début août faute de cartes du ciel et d’instruments appropriés. • 26 juin : Airy demande aussi des éclaircissements à Le Verrier, qui les lui donne le 28 juin et lui propose de lui donner une meilleure position de la planète quand il l’aura obtenue. Airy décline cette offre. • 9 juillet : Airy demande à Challis de rechercher la planète. • 29 juillet : Challis commence sa recherche de la planète à Cambridge ; elle dure deux mois, mais il néglige de réduire suffisamment ses observations et manque la découverte, alors que la planète figure parmi les étoiles qu’il a observées. • 31 août : Le Verrier publie les éléments et une position assez précise de la planète. • 18 septembre : lettre de Le Verrier à Galle. • Nuit du 23-24 septembre : Galle découvre la planète troublante. Peu après, de nombreux astronomes, dont Le Verrier, voient la planète.

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• 30 septembre : deux journaux annoncent la découverte et le nom de Neptune que propose Le Verrier. • 5 octobre 1846 : annonce de la découverte à l’Académie des sciences. Arago propose maintenant le nom de Le Verrier pour la planète. • 10 octobre 1846 : Lassell découvre Triton, satellite de la planète. • 14 octobre : Airy propose à Le Verrier le nom d’Oceanus, repris par Challis et Adams dans The Athenaeum du 17 octobre. • Fin octobre : le Bureau des longitudes aurait décidé de choisir le nom de Neptune, mais on ne trouve pas trace de cette décision. Ce nom semble adopté par une sorte de consensus international. • 13 novembre : les « prédictions » d’Adams en 1845 sont enfin révélées lors d’une réunion de la Royal Astronomical Society.

Cependant, certains restent sceptiques : Airy écrit le 26 juin à Le Verrier pour lui demander des éclaircissements, tout en lui envoyant des observations faites à Greenwich dont Le Verrier va se servir10. Il l’en remercie et donne à Airy les explications demandées, lui proposant même de lui communiquer les éléments de l’orbite de la planète troublante s’il veut en entreprendre la recherche. Airy est très impressionné, et dès lors son scepticisme tombe ; mais, curieusement, il décline l’offre de Le Verrier. Malgré la nouveauté du problème et de grandes difficultés mathématiques, Le Verrier ne mettra pas plus de trois mois pour préciser les éléments de l’orbite de la planète troublante, pour donner sa masse et même un ordre de grandeur du diamètre apparent qu’elle devrait présenter si on venait à la découvrir. Dans sa note du 31 août 1846, il explique en détail sa méthode et donne les éléments qu’il prédit pour la nouvelle planète, avec une précision d’ailleurs totalement illusoire11. Dans le tableau 2.1, nous comparons leurs valeurs aux données actuelles :

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Tableau 2.1. Paramètres principaux de l’orbite de Neptune. Quantité

Le Verrier

Valeur actuelle

Demi-grand axe de l’orbite (unité astronomique)a

36,154

30,0690

Durée de la révolution sidérale (années)

217,387

163,723

Excentricité

0,10761

0,008586

Masse (en masse du Soleil)

1/9 300

1/19 424

36

17,14

Masse (en masse de la Terre)

Le demi-grand axe de l’orbite a été un peu modifié par rapport à l’hypothèse initiale, où, suivant la loi de TitiusBode, il avait été pris arbitrairement comme le double de celui de l’orbite d’Uranus, soit 38 unités astronomiques ; mais l’excentricité adoptée par Le Verrier est importante, si bien que la distance de Neptune à Uranus pendant la période considérée n’est pas beaucoup plus grande que sa vraie valeur. D’après Le Verrier, on devrait trouver la planète à environ 5° à l’est de l’étoile b du Capricorne. Il indique aussi des valeurs approximatives pour le diamètre apparent et l’éclat de la planète. Le 5 octobre, Le Verrier prédit l’inclinaison de l’orbite de la planète troublante, qu’il avait prise nulle dans une première approximation : elle devrait être inclinée d’au moins 4° 3' sur l’orbite d’Uranus12.a

La découverte Peu après avoir dévoilé à l’Académie des sciences, le 31 août 1846, les éléments de la planète et le lieu où on devrait la trouver, Le Verrier écrit à plusieurs astronomes étrangers qu’il sait disposer d’instruments puissants : il n’y a pas à Paris de tels instruments, on n’y dispose pas de bonnes cartes du Ciel, et, malgré les efforts d’Arago, on ne découvrira pas la planète à Paris. L’un de ces astronomes étrangers est Johann Gottfried Galle (Fig. 2.8), de l’Observatoire de Berlin. Le Verrier lui écrit le 18 septembre (lettre a L’unité astronomique est égale au demi-grand axe de l’orbite terrestre, soit 1,496 108 km.

Figure 2.8. Johann Gottfried Galle (1812-1910).

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Figure 2.9a et b. La lettre de Galle à Le Verrier annonçant la découverte de Neptune, avec des commentaires de Le Verrier.

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reproduite en Appendice 2, pièce n° 1), la lettre arrive le 23 septembre et, dès la nuit qui suit, Galle et Johann Franz Encke, le directeur de l’Observatoire, découvrent la planète troublante. Le 25 septembre, Galle écrit en français à Le Verrier, qui ne connaît pas l’allemand (Fig. 2.9)13 : « Monsieur, La planète, dont vous nous avez signalé la position, réellement existe. Le même jour où j’ai reçu votre lettre, je trouvais une étoile de 8e grandeur, qui n’étoit pas inscrite dans l’excellente carte Hora XXI (dessinée par M. le Dr [Carl] Bremiker) de la collection des cartes célestes publiée par l’Académie de Berlin. L’observation du jour suivant décida que c’était la planète cherchée. Nous l’avons comparée, Mr. Encke et moi, par la grande lunette de Fraunhofer [objectif de 23 cm de diamètre] avec une étoile de 9e grandeur […]. » Galle propose que la planète soit dénommée Janus, « déité la plus ancienne des Romains ; aussi la double face serait signifiante pour sa position aux frontières du système solaire. » Le 28 septembre, Encke félicite Le Verrier, toujours dans un excellent français14 : « Permettez-moi, Monsieur, de vous féliciter le plus sincèrement de la brillante découverte dont vous avez enrichi l’Astronomie. Votre nom sera à jamais lié à la plus brillante preuve de la justesse de l’attraction universelle qu’on puisse imaginer ; et je crois que ce peu de mots renferme tout ce que l’ambition d’un savant peut souhaiter. Il seroit superflu d’ajouter encore quelque chose. […] Il y a eu beaucoup de bonheur dans cette recherche. La carte académique de Mr. Bremiker, qui peut être n’est pas encore arrivée à Paris, mais que je ferai expédier tout à l’heure, comprend justement tout près de la limite inférieure le lieu que vous avez désignéb [voir la figure en frontispice de ce chapitre]. Sans cette circonstance infiniment favorable, d’avoir une Carte où on peut être sûr de trouver toutes les étoiles fixes jusqu’à la dixième grandeur, je ne crois pas qu’on aurait trouvé la planète. […] Vos éléments ne diffèrent, pour sept 23,5 [le 23 septembre à midi], que de 54’,7 en longitude ; le mouvement rétrograde b C’est Heinrich d’Arrest qui a donné à Galle l’idée d’utiliser cette carte, qui lui a permis d’aller très vite.

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est un peu plus fort selon les observations (73’’,8 [par jour]) que selon vos éléments (68’’,7) si mon calcul est juste. Il se peut donc que la planète ne sera pas tout à fait aussi éloignée que vous l’avez supposé, mais la différence est extrêmement petite. […] » Peu après l’annonce de la découverte, la planète est vue à Paris par Le Verrier et par plusieurs astronomes, par Otto Struve et son père Wilhelm à l’Observatoire de Poulkovac près de Saint-Pétersbourg, par Émile Plantamour à Genève, par Karl Ludwig von Littrow à Vienne, par John Russel Hind et par James Challis en Angleterre, par Karl Friedrich Gauss à Göttingen, etc. Beaucoup lui écrivent pour le féliciter, comme les Struve (Fig. 2.10) et le père Angelo Secchi, de l’Observatoire du Vatican (Fig. 2.11).

Figure 2.10. Fin d’une lettre de félicitations d’Otto Struve à Le Verrier après sa découverte de Neptune.

c

Aujourd’hui Poulkovo ; on trouve également la graphie Pulkova.

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Figure 2.11. Le père Secchi, directeur de l’Observatoire du Collège romain au Vatican, félicite Le Verrier le 11 novembre 1846 pour sa découverte de Neptune et lui envoie quelques observations.

Dans son enthousiasme, Le Verrier écrit le 5 octobre15 : « Ce succès doit nous laisser espérer, qu’après trente ou quarante années d’observations de la nouvelle planète, on pourra l’employer, à son tour, à la découverte de celle qui la suit, dans l’ordre des distances au Soleil. Ainsi de suite : on tombera malheureusement bientôt sur des astres invisibles, à cause de leur immense distance au Soleil, mais dont les orbites finiront, dans la suite des siècles, par être tracées avec une grande exactitude au moyen de la théorie des inégalités séculaires. » Son vœu ne s’est pas exaucé comme il l’avait prévu : on a bien trouvé dans le système solaire d’autres astres plus éloignés que Neptune, comme Pluton, mais ils sont trop éloignés et trop peu massifs pour exercer une influence appréciable sur l’orbite de cette planète, et ils n’ont été découverts que par des recherches systématiques. Un déluge de félicitations va pleuvoir sur Le Verrier, mais ce sont certainement celles de ses collègues qui le touchent le plus16. Il devient instantanément populaire, et les honneurs affluent : il est promu officier de la Légion d’honneur alors qu’il n’était chevalier que depuis quatre

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mois (Galle est nommé chevalier), entre au Bureau des longitudes comme membre adjoint, et est nommé à la chaire de Mécanique céleste de la Faculté des sciences de Paris, créée à cette occasion. Le roi Louis-Philippe le nomme précepteur pour l’astronomie de son fils LouisPhilippe d’Orléans. La Royal Society of London lui décerne la prestigieuse médaille Copley, puis l’inscrit parmi ses membres étrangers, comme le feront aussi d’autres sociétés savantes. Le ministre de l’Instruction publique, NarcisseAchille de Salvandy, commande son buste au célèbre sculpteur James Pradier (voir plus loin la Fig. 10.4) et en fait hommage à Madame Le Verrier le 31 décembre 1846, avec l’instruction de le placer au collège de Saint-Lô, la ville natale de Le Verrier. Il se trouve maintenant à la mairie de cette ville17. Cependant, quelques voix discordantes se font entendre : une lettre de félicitations envoyée par Valz à Le Verrier le 30 octobre s’en fait l’écho : « Toutes les mauvaises chicanes qu’on vous fait ne doivent guère vous chagriner. J’ai vu qu’on avait encore à l’Académie mis en avant tout aussi vainement les astres de [Gaetano] Cacciatore et [Louis François] Wartmann. » En effet, on trouve dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences du 12 octobre (p. 716) la phrase suivante : « Plusieurs académiciens ont examiné ce qu’il pourrait y avoir de réel dans l’assimilation qu’on a prétendu établir entre la planète Le Verrier et deux astres qui, dit-on, furent observés il y a quelques années, par MM. Cacciatore et Wartmann. » Wartmann, un astronome amateur de Genève, avait observé en 1831 un objet pourvu comme Neptune d’un mouvement lent rétrograded ; sa découverte avait été publiée en 1836 dans les Comptes Rendus18. L’identification de la planète troublante à l’objet de Wartmann est une proposition de Guglielmo Libri, un membre de l’Académie des sciences, bon mathématicien mais qui se consacre principalement à la polémique et au pillage des bibliothèques, et qui est l’ennemi d’Arago : il veut minimiser la découverte de Le Verrier en insinuant que la planète a déjà été découverte. Lors de la séance suivante, le 19 octobre, Arago fera justice de cette insinuation, en montrant que ni Cacciatore ni Wartmann n’avaient rien observé qui puisse être la nouvelle planète19, une conclusion qui sera corroborée par les recherches

d Wartmann est souvent cité par les fanatiques d’objets volants non identifiés comme en ayant observé un en 1831.

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Figure 2.13. William Lassell (1799-1880).

Figure 2.14. Neptune, son principal satellite Triton et trois autres satellites, vus avec le télescope spatial Hubble.

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ultérieures : en particulier, l’objet de Wartmann se trouvait en 1831 à 18° de la position qu’a la nouvelle planète lors de sa découverte en 1846, et celle-ci se déplace trop lentement sur le ciel pour qu’il puisse s’agir du même astre. La presse quotidienne se fera cependant, jusqu’à la fin de 1846, l’écho de propos semblables à ceux de Libri20. On va voir apparaître d’autres critiques, au fur et à mesure que l’on réalise que l’orbite réelle de la nouvelle planète diffère de façon importante de celle prédite par Le Verrier (Fig. 2.12). Il est vrai que Le Verrier avait donné les éléments de la planète avec une précision trompeuse, alors qu’ils étaient par la force des choses assez incertains. Dans son enthousiasme, il avait fixé à leur valeur des limites exagérément étroites : 35 à 38 unités astronomiques pour le demi-grand axe de l’orbite, par exemple, alors que les observations montrent qu’il ne vaut que 30 unités, et 207 à 233 ans pour la période sidérale qui n’est que de 164 ans. Par ailleurs, la découverte dès le 10 octobre 1846 par l’astronome amateur anglais William Lassell (Fig. 2.13), possesseur d’un télescope de 60 cm d’ouverture, d’un satellite de Neptune, Triton (Fig. 2.14), permet d’obtenir la masse de la planète en appliquant les lois de la gravitation universelle à l’orbite du satellite, à condition de connaître sa distance (Encadré 2.3). Après quelques mois d’observation, Lassell trouve pour Triton une période d’un peu moins de 6 jours et détermine l’orbite de ce satellite21, d’où l’on peut déduire la masse d’Uranus : il trouve 20 fois celle de la Terre en utilisant la distance donnée par Le Verrier, alors que ce dernier avait annoncé 36 (elle n’est que 17,2 fois celle de la Terre en prenant la valeur actuelle de cette distance). Au vu de cette importante différence, l’astronome américain Benjamin Peirce n’hésite pas à affirmer que dans ces conditions la découverte de Galle avait été purement fortuite22. Il est vrai que Peirce s’était lui-même trompé en discutant les observations de Lassell, dont il avait déduit que Triton tournait en 21 jours ; la masse de Neptune aurait alors été beaucoup trop faible pour que cette planète pût exercer sur Uranus une action importante23.

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Figure 2.12. L’orbite d’Uranus et de Neptune. Les axes repèrent les longitudes vues du Soleil. La position d’Uranus sur son orbite est indiquée pour différentes dates de 1800 à 1846 par des cercles gris foncé ; les cercles blancs représentent schématiquement les positions qu’Uranus aurait dû occuper en l’absence de perturbation par Neptune (l’écart avec les positions réelles est très exagéré dans la figure). L’orbite de Neptune est également tracée, avec sa position pour les mêmes dates (cercles gris clair). Comme Neptune tourne moins vite qu’Uranus, on voit que son attraction a accéléré Uranus avant la conjonction de 1821, et l’a retardé ensuite. L’orbite de Neptune calculée par Le Verrier est indiquée, avec les positions toujours pour les mêmes dates (cercles noirs). Vue de la Terre, la position calculée pour la date de la découverte (23 septembre 1846) est 1° en arrière de la position réelle. L’orbite de Neptune calculée par Adams est assez voisine de celle de Le Verrier pour la période considérée, mais sa direction pour la date de la découverte (cercle hachuré) est à plus de 2° de la position réelle.

Mais toutes ces critiques vont bientôt passer inaperçues devant l’immense succès qu’est la découverte de Neptune.

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Encadré 2.3. Détermination de la masse d’une planète ayant un satellite Si l’on observe autour d’une planète comme Neptune un satellite comme Triton, on peut à partir de la mesure du demi-grand axe a de son orbite et de sa période de révolution T autour de la planète obtenir la masse de la planète. Pour cela, il suffit d’écrire que la force d’attraction de la planète sur le satellite est égale et opposée à la force centrifuge. En supposant pour simplifier que l’orbite est circulaire de rayon a, on a : GMm/a2 = mv2/a, où G est la constante de la gravitation, M la masse de la planète, m celle du satellite et v sa vitesse sur son orbite. m s’élimine, et la vitesse orbitale est v = 2›a/T. On en déduit : M = 4›2a3/GT2. Mais ce que l’on mesure est le rayon angulaire de l’orbite du satellite. Pour en déduire le rayon linéaire a de cette orbite, il faut connaître la distance de la planète, et c’était un problème pour Neptune.

À dire vrai, la seule quantité qui soit assez bien déterminée par l’étude des perturbations est l’intensité de la force perturbatrice exercée par Neptune sur Uranus à l’époque de la conjonction des deux planètes, c’est-à-dire le moment où elles sont les plus rapprochées l’une de l’autre, soit en 1821 (Fig. 2.15). D’après la loi de la gravitation, elle est proportionnelle à la masse de Neptune et inversement proportionnelle au carré de la distance qui le sépare d’Uranus. La Figure 2.12 montre que la distance entre Uranus et Neptune prédite par Le Verrier pour cette époque n’est pas très différente de la distance réelle : elle est seulement un peu trop grande, ce qui est à peu près compensé par la masse exagérée qu’il assigne à la planète. Le Verrier ayant prédit un demi-grand axe trop grand pour l’orbite, son orbite est exagérément excentrique alors qu’elle est en fait presque circulaire. Mais ce sont des subtilités qui échappent forcément au non-spécialiste.

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Figure 2.15. Comparaison de la force perturbatrice exercée sur Uranus à différentes époques par Neptune (flèches en traits pleins) et par la planète hypothétique de Le Verrier (flèches en traits interrompus). On constate que la force perturbatrice correspondant aux éléments prédits par Le Verrier est sensiblement correcte en direction (encore que la date de la conjonction entre Uranus et Neptune soit trop tardive d’un an et demi), mais surestimée en intensité. D’après Danjon24.

Delaunay, spécialiste incontestable de la mécanique céleste mais qui était au plus mal avec Le Verrier, en dit en 186825: « M. Leverrier [Delaunay l’écrit toujours ainsi] est certainement un homme de talent. Il a fait d’excellents travaux d’astronomie théorique, et a doté la science des meilleures Tables que nous possédions sur le mouvement du Soleil et des planètes Mars, Vénus, Mercure. Il est remarquable que le travail qui a conduit à la découverte de Neptune, et qui a fait son immense réputation (avec l’aide de M. Arago), soit cependant la plus mauvaise de toutes ses productions : il n’a pas osé l’introduire dans les Annales de l’Observatoire, où il a reproduit tous ses autres Mémoires. » Le jugement est sévère, mais en partie justifié par la précision exagérée que Le Verrier a cru bon de donner aux éléments de la nouvelle planète. À la décharge de Le Verrier, il faut dire que le problème qu’il avait à résoudre était entièrement nouveau. Mais il n’avait pas été le seul à l’aborder !

La concurrence Comme l’idée de l’existence d’une planète qui troublerait le mouvement d’Uranus était dans l’air, il ne faut pas s’étonner de ce que plusieurs astronomes aient essayé, comme Le Verrier, de prédire sa position par le calcul. Revenons donc en arrière pour examiner cette concurrence.

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Un de ceux qui se sont intéressés au problème n’est autre que Bessel. Nous avons vu qu’il a parlé dès 1840 de l’idée d’une planète troublante dans une conférence publique. Vers 1845, il écrit à Alexandre de Humboldt26 : « Je pense qu’un moment viendra où la solution du mystère d’Uranus sera peut-être fournie par une nouvelle planète, dont les éléments seraient reconnus par son action sur Uranus et vérifiés par celle qu’elle exerce sur Saturne. »

Figure 2.16. John Couch Adams (1819-1892).

Dès avant 1840, Bessel avait chargé son élève Friedrich Wilhelm Flemming de rassembler et de réduire les observations d’Uranus pour les comparer aux tables. Mais la mort prématurée de Flemming en 1840, et la longue maladie qui devait emporter Bessel en 1846, n’ont pas permis à ce projet de réussir. Sinon, il est très probable que Bessel, dont le talent était immense, aurait résolu le problème, peut-être même avant Le Verrier. Un autre concurrent avait, lui, abouti : John Couch Adams (Fig. 2.16)27. Moins de deux semaines après que l’annonce de la découverte de la planète fut faite à l’Académie, le 5 octobre 1846, Le Verrier reçoit d’Airy, juste rentré d’un voyage en Allemagne, une lettre datée du 14 octobre28. Elle contient la phrase suivante [traduction de 1911] : « Je ne sais s’il est à votre connaissance que des recherches collatérales étaient poursuivies en Angleterre, et qu’elles avaient abouti précisément au même résultat que les vôtres. Il est probable que je serai appelé à en rendre compte. Si, ce faisant, je donne des louanges à d’autres, je vous prie de considérer que cela n’aura aucune influence sur ma reconnaissance de vos droits [à la priorité de la découverte]. » Le Verrier, qui n’en savait rien, lui répond le 16 octobre29 (le courrier est au moins aussi rapide à cette époque qu’aujourd’hui !) : « Le passage relatif à des recherches collatérales, entreprises en Angleterre, aurait été inintelligible pour moi, si je n’avais reçu en même temps un journal anglais, dans lequel se trouve une lettre de Sir John Herschel30. […] C’est […] lorsque pas une ligne de travail réel n’a été publiée durant tout le cours de mes recherches, que M. Herschel vient élever une réclamation et parler de documents historiques ! Pourquoi donc M. Adams a-t-il gardé le silence depuis quatre mois ?

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Pourquoi n’a-t-il pas parlé dès le mois de juin ? Pourquoi attend-on, pour écrire que l’astre ait été vu dans les lunettes ? Je pourrais ajouter bien d’autres questions à ce sujet. Je n’en ferai qu’une seule à M. Herschel. Comment le fils de l’immortel astronome qui a découvert Uranus a-t-il eu le courage d’imprimer que mes calculs n’auraient pas suffi pour lui donner confiance devant l’Association britannique ? Comment, le lendemain de la découverte de ma planète, n’a-t-il pas vu qu’il portait atteinte à sa pénétration scientifique en venant placer dans une suspicion injurieuse un travail que le fait avait confirmé d’une manière si éclatante ? » Effectivement, John Herschel (Fig. 2.17) avait écrit dans une lettre au journal The Athenaeum publiée le 3 octobre, donc dès que la découverte de Le Verrier a été connue de l’autre côté de la Manche, que l’on n’avait eu confiance dans les calculs de l’astronome français que parce qu’ils avaient été corroborés par ceux d’Adams31. Une nouvelle réponse d’Airy à Le Verrier, datée du 19 octobre, explique ce qui s’est passé en Angleterre [notre traduction] : « Il y a longtemps, probablement en 1844 ou au début de 1845, j’ai fourni à M. Adams des observations d’Uranus, expressément pour ses recherches sur la cause des perturbations. En octobre ou novembre 1845, j’ai reçu de M. Adams la notification que les perturbations d’Uranus pourraient être expliquées en supposant l’existence d’une autre planète, dont il m’a donné les éléments. Peu après, je lui ai demandé les mêmes éclaircissements qu’à vous [voir plus haut]. Je ne sais si M. Adams a bien reçu ma lettre : en tout cas, il ne m’a pas répondu. L’aurait-il fait, que je l’aurais immédiatement poussé à publier ses résultats. En juin 1846, j’ai reçu le numéro des Comptes rendus contenant le résultat de vos investigations : j’ai été stupéfait et ravi de constater que les éléments étaient sensiblement les mêmes, et que l’emplacement de la planète était voisin de celui que M. Adams avait prédit. Le 29 juin, il y a eu une réunion du Comité de visiteurs de l’Observatoire Royal [l’Observatoire de Greenwich], à laquelle Sir John Herschel et le professeur Challis étaient présents. Lors de cette réunion, […] j’ai signalé que l’on découvrirait probablement la planète troublante si un observatoire se consacrait à sa recherche. J’ai donné comme raison la très forte preuve que fournit l’accord entre le résultat de

Figure 2.17. John Herschel (1792-1871). Fils de William Herchel, John Herschel était l’astronome le plus populaire d’Angleterre. Son influence était considérable.

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vos recherches et de celles d’Adamse. […] C’est mon insistance, suivie d’un échange de lettres, qui a incité le professeur Challis à commencer une recherche de la planète. Le professeur Challis a débuté sa recherche le 29 juillet, et a vu la planète d’abord le 4 août [? Plutôt le 30 juillet, voir plus loin], puis le 12 août. Vous savez le reste. » Puis Airy tente de justifier la méfiance d’Herschel en insistant sur la nécessité de vérifier les calculs, et en affirmant que les astronomes anglais avaient attendu pour les proclamer que les résultats d’Adams soient confirmés par ceux de Le Verrier, et non l’inverse. De son côté, Challis écrit le 15 octobre à The Athenaeum en donnant des détails sur ses observations et en assurant qu’il avait vu le 12 août, dans la région du ciel où Adams lui avait affirmé qu’on trouverait la planète troublante, un astre qui n’était pas à la même position que le 30 juillet32 : « Conséquemment, celui-ci était la planète. La place en fut ainsi fixée deux fois en quatre jours d’observations. Une comparaison des observations du 30 juillet et du 12 du mois d’août m’aurait donc, selon la méthode de recherches que j’avais employée, fait reconnaître la planète. Je ne fis pas cette comparaison, jusqu’à ce qu’elle eût été découverte à Berlin, en partie parce que j’avais le sentiment qu’il était nécessaire d’une recherche plus longue [sic] pour donner de la probabilité à la découverte, et, en second lieu, parce que j’étais pressé par d’autres occupations. La planète pourtant ne pouvait plus échapper. […] La part que M. Adams a prise dans la recherche théorique de la planète pourra, peut-être, être considérée comme justifiant la proposition d’un nom. Avec son consentement, je mentionne Oceanus comme un nom qui pourrait probablement recevoir l’assentiment des astronomes. » Consternation en France, malgré l’échec de Challis ! Arago monte au créneau pour défendre Le Verrier devant l’Académie le 19 octobre, en alléguant à juste titre que les Anglais n’ont rien publié et qu’« il n’existe qu’une manière rationnelle et juste d’écrire l’histoire des sciences : c’est de s’appuyer exclusivement sur des publications ayant date certaine ; e

Les recherches récentes (Kollerstrom, 2006) mettent en doute l’insistance d’Airy lors du Comité de visiteurs. Il n’en reste pas moins qu’il a persuadé Challis le 9 juillet de la nécessité de rechercher la planète.

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hors de là, tout est confusion et obscurité ».33 Les caricaturistes se déchaînent pour accabler Adams et défendre Le Verrier, dans un excès de nationalisme (Fig. 2.18).

Figure 2.18. Caricatures de Cham sur la découverte de la nouvelle planète, parues le 7 novembre 1846.

Cependant le jeu finit par se calmer en Angleterre, et tout le monde, y compris Airy et Herschel, reconnaît maintenant la priorité de Le Verrier… pour l’instant, car ils vont revenir sur leur position. En particulier, Airy, dans une longue présentation devant la Royal Astronomical Society le 13 novembre 1846, met Adams et Le Verrier sur le même pied tout en abreuvant ce dernier de louanges34. C’est cette version qui retiendra l’attention des historiens pendant très longtemps, tandis que des images stéréotypées des protagonistes de l’affaire vont apparaître : Adams est le timide héros qui sera quelquefois qualifié de « plus grand astronome anglais après Newton ». Challis, de son côté, est considéré (non sans quelque raison, il est vrai) comme un incapable puisqu’il n’a pas apporté l’attention qu’elle méritait à la planète, qu’il avait fugitivement entrevue sans s’en rendre compte. Airy est un bureaucrate

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borné, etc. Ce n’est que tout récemment que les historiens ont porté un autre regard sur cette affaire35 ; il faut dire que les pièces anglaises originales avaient disparu dans les années 1960, pour être retrouvées seulement en 1998. Contrairement à Le Verrier, Adams, qui pourtant a montré une grande compétence (sa méthode était semblable, mais il a utilisé les équations de Peter Hansen au lieu de celles de Laplace), a beaucoup hésité à faire connaître ses résultats. Bien qu’il ait calculé les éléments de l’orbite de la nouvelle planète dès octobre 1845, Adams n’a pas donné à Airy toute l’information qui aurait pu l’inciter à entreprendre la recherche de l’astre, contrairement à ce que ce dernier semble affirmer dans sa lettre du 19 octobre 1846 que nous citons plus haut. Sans doute peu confiant en ses calculs, il a même utilisé les positions de l’objet de Wartmann (qui n’était pas la planète !) et les informations données par Le Verrier le 1er juin 1846 pour prédire à Challis la position de la planète troublante, avec une incertitude qu’il estimait à 20° en longitude, ce qui est beaucoup plus que celle de Le Verrier. Ces hésitations, qui contrastent avec l’assurance de ce dernier, proviennent de ce qu’Adams souffrait peut-être du syndrome d’Asperger, une forme atténuée d’autisme qui rendait difficiles ses communications avec les autres, l’empêchait de mener plusieurs tâches de front et faisait qu’il n’avait pas confiance en lui36. Les historiens d’aujourd’hui tendent à souscrire à l’opinion d’Airy qui voit en Le Verrier « une intelligence très supérieure à celle d’un mathématicien capable, entreprenant ou travailleur ; c’est ici que nous voyons le philosophe », alors qu’il range implicitement, tout en le défendant, Adams dans l’autre catégorie37. Quant à Challis, il a trouvé comme excuse à son inertie pour publier le résultat de sa recherche le fait qu’il ne disposait pas de carte du ciel ; or Airy lui avait suggéré d’utiliser une carte publiée en 1833 par Heinrich Christian Argelander, que possédait certainement son observatoire à Cambridge et qui aurait dû lui suffire pour repérer la planète troublante en lui évitant le travail énorme qui a consisté à mesurer la position de plus de 3 000 étoiles pendant deux mois de l’été 1846. John Herschel a lui aussi failli découvrir la planète le 14 juillet 1830, comme il l’écrit à Le Verrier le 9 janvier 1847 dans une lettre que nous reproduisons dans l’Appendice 2 (pièce n° 2). Il a reconnu que l’objet qu’il observait n’est pas une étoile car il avait un diamètre apparent non négligeable, mais l’a pris pour une nébuleuse planétaire.

La découverte de Neptune (1845-1846)

Il est curieux que, comme pour Uranus, on ait trouvé une observation de Neptune faite longtemps avant sa découverte : Michel Lefrançois de Lalande, le neveu de Joseph Jérôme de Lalande, a en effet observé le 6 et le 8 mai 1795 avec le quart de cercle de son observatoire de l’École militaire une « étoile » qui s’est un peu déplacée entre les deux observations. Croyant à une erreur d’observation, son oncle Jérôme de Lalande ne donne que la position du 8 mai dans son Histoire céleste. Cet astre figure dans les cartes de Berlin dont la construction a utilisé le catalogue de Lalande, mais n’a évidemment pas été retrouvé au même endroit par l’astronome américain Sears Cook Walker le 2 février 1847 : il s’était donc beaucoup déplacé38. Walker en a déduit qu’il s’agissait de Neptune, et a utilisé la position de Lalande pour donner la première orbite de bonne qualité pour cette planète : il a trouvé un demi-grand axe de 30,2 unités astronomiques, une excentricité de 0,0088 et une période de révolution de 166,4 ans, quantités bien plus proches des valeurs modernes données dans le tableau 2.1 que celles de Le Verrier et d’Adams.

Janus, Oceanus, Neptune ou Le Verrier ? Les astronomes ont l’habitude de nommer les planètes et les astéroïdes du nom de divinités grecques ou romaines. Après la découverte de la planète troublante, il fallait lui donner un nom. Habituellement, c’est l’astronome découvreur qui propose, et une société savante qui décide. Nous avons vu Galle proposer le nom de Janus, puis Adams et Challis le nom d’Oceanus. Ici un petit rappel de la mythologie gréco-romaine ne sera pas de trop : nous le présentons dans l’encadré 2.4. Les deux désignations feront long feu, puisque Le Verrier est considéré comme le vrai découvreur de la planète : comme le dit Arago, il l’a découverte « du bout de sa plume ». Le Verrier propose d’abord Neptune, prétendant d’ailleurs à ses correspondants que le Bureau des longitudes avait déjà choisi ce nom ainsi que le symbole de la planète, un trident (mais, curieusement, les procèsverbaux des séances n’en conservent aucune trace !) : en témoigne ce fragment de la lettre d’Airy du 14 octobre 1846 citée plus haut :

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

« Il y a une chose qui trouble quelque peu nos idées mythologiques, à savoir le nom de Neptune que, d’après ce que j’ai compris, vous proposez de donner à la planète. Il y a là une interruption de l’ordre qui est peu plaisante. Si vous consentiez à adopter le nom d’Oceanus à la place, ce serait, je pense, mieux reçu car son caractère est plus semblable à celui de son prédécesseur Uranus, et correspond mieux aux idées mythologiques des Grecs. Je vous prie d’y réfléchir sérieusement, car l’expérience a montré qu’un nom ne perdurera pas s’il n’est pas bien choisi. Le nom de Stellae Mediceae [donné par Galilée aux satellites de Jupiter en l’honneur des Médicis] a disparu, l’adjonction [par Piazzi] de Ferdinandea à Ceres et le nom de Georgium Sidus [pour Uranus, par Herschel] ont aussi disparu, bien qu’ils aient tous été donnés par leur découvreur respectif. »

Encadré 2.4. Quelques rappels de mythologie gréco-latine ; les noms grecs sont en italique, les noms latins en romain39 Uranus (Ouranos pour les Grecs) naît de la Terre (Gaia). S’unissant à sa mère, il engendre Oceanus (Océan), le premier fleuve, père de tous les autres, puis six autres dieux dont le dernier est Saturne (Cronos). Ce dernier tranche le sexe d’Uranus, dont la semence répandue dans la mer fait naître Vénus (Aphrodite), tandis que les Géants naissent de son sang. Uni à Rhéa, Cronos engendre Jupiter (Zeus). Ce dernier vomit plusieurs enfants, dont Neptune (Poséidon). Mars (Arès) est fils de Jupiter et de Junon (Héra), et Mercure (Hermès) de Jupiter et de Maia, une des Pléiades. Enfin Apollon (Apollon), dieu du Soleil, et Diane (Artémis), déesse de la Lune (les Grecs considéraient également Séléné, fille d’Hypérion et de Théia, comme personnification de notre satellite), sont enfants jumeaux de Jupiter et de Latone (Leto). Janus aux deux visages est un dieu purement romain. En fait, la proposition du nom d’Oceanus est une sorte de baroud d’honneur des astronomes anglais, qui se sont fait doubler par Le Verrier dans la course à la nouvelle planète. Mais en même temps, Le Verrier change d’avis et

La découverte de Neptune (1845-1846)

a une idée : il s’en remet à Arago pour le choix de ce nom, ainsi qu’il l’écrit dans une lettre du 6 octobre à Encke, tout en feignant d’être gêné par ce qu’Arago propose : « M. Schumacher m’a fait l’honneur de m’écrire et de me demander de lui envoyer un nom pour la planètef. J’ai prié mon illustre ami, M. Arago, de se charger de ce soin. J’ai été un peu confus de la décision qu’il a prise dans le sein de l’Académie. Je ne saurais trop vous expliquer en quoi elle consiste si je n’y trouvais l’occasion de payer un juste tribut d’admiration à vos travaux sur la comète d’Enckeg. Le nom obscur que M. Arago veut laisser à la planète m’assimilerait d’une manière trop glorieuse à l’illustre Directeur de l’Observatoire de Berlin [qui n’est autre que Encke lui-même] pour que je le mérite. » En effet on trouve dans le compte rendu de la séance du 5 octobre de l’Académie des sciences, pendant laquelle Arago a présenté la découverte40 : « M. Arago a annoncé à l’Académie qu’ayant reçu de M. Le Verrier une délégation très-flatteuse : le droit de nommer la planète nouvelle, il s’est décidé à la désigner par le nom de celui qui l’a si savamment découverte, à l’appeler Le Verrier. […] Comment ! on appellerait les comètes du nom des astronomes qui les ont découvertes, du nom de ceux qui en ont tracé l’orbite, et le même honneur serait refusé aux découvreurs des planètes ! […] Se préoccupe-t-on de quelques réformes que ma résolution semblerait entraîner ? Eh bien, qu’à cela ne tienne : Herschel détrônera Uranus ; le nom d’Olbers se substituera à celui de Junon [une petite planète qu’Olbers avait découverte], etc. ; il n’est jamais trop tard pour mettre en lambeaux les langes de la routine ! Je prends l’engagement, a dit en terminant M. Arago, de ne jamais appeler la nouvelle planète, que du nom de Planète f

Heinrich Christian Schumacher, directeur de l’Observatoire d’Altona près de Hambourg, avait fondé le principal journal astronomique de l’époque, les Astronomische Nachrichten, et se trouvait en conséquence au centre de l’astronomie européenne.

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Contrairement aux planètes, les comètes sont désignées par le nom de leur découvreur ; en réalité, c’est Pons qui a découvert la comète en question, mais comme Encke en a trouvé des observations antérieures et a montré qu’il s’agissait de la comète de plus petite période connue, on lui a donné son nom ; la même chose s’était produite précédemment avec la comète de Halley.

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de Le Verrier. Je croirai donner ainsi une preuve irrécusable de mon amour des sciences, et suivre les inspirations d’un légitime sentiment de nationalité. » Tout le monde n’est pas d’accord avec cette proposition. On lit en effet dans la Revue des deux mondes : « Nous ne dirons qu’un mot d’un incident tout à fait secondaire qui s’est élevé au sujet de la découverte de M. Le Verrier : quel nom donnera-t-on à la nouvelle planète ? Malgré les observations judicieuses de M. Thénard [Louis Jacques Thenard], et de M. [Louis] Poinsot, M. Arago persiste à appeler cet astre du nom de M. Le Verrier. » Le Verrier est évidemment fort satisfait de la proposition d’Arago ; il va d’ailleurs tenter de verrouiller la situation en essayant de faire qu’Uranus porte à jamais le nom d’Herschel, qui avait effectivement été quelquefois utilisé41 : « Dans mes publications ultérieures, je considérerai comme un strict devoir de faire disparaître complètement le nom d’Uranus, et de ne plus appeler la planète que du nom de HERSCHEL. Je regrette vivement que l’impression déjà avancée de cet écrit ne m’ait pas permis, dès à présent, de me conformer à une détermination que j’observerai religieusement dans la suite. » Cependant, la désignation rencontre de plus en plus d’oppositions, et finalement c’est le nom de Neptune qui est adopté. Comment ? Ce n’est pas clair, et il semble que le choix résulte d’une sorte de consensus international : voir par exemple la lettre de John Herschel à Le Verrier reproduite dans l’Appendice 2, pièce n° 2, qui montre que John Herschel ne veut pas donner à Uranus le nom de son père, donc a fortiori à Neptune celui de Le Verrier. Il est intéressant de feuilleter à ce sujet les Astronomische Nachrichten de Heinrich Christian Schumacher (Fig. 2.19), qui sont au centre de l’astronomie de l’époque42. On ne trouve pas trace d’une décision en faveur du nom de Neptune dans les procès-verbaux des réunions du Bureau des longitudes, qui aurait pourtant eu le pouvoir de la prendre. Et Arago y était pour veiller au grain. Il manifeste d’ailleurs son mécontentement, en rappelant dans l’Annuaire du Bureau des longitudes pour 1847 (p. 371), « qu’il avait proposé d’appeler [la planète] Le Verrier, et que les étrangers, se fondant sur de

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prétendues décisions du Bureau des longitudes, [la] nomment aujourd’hui Neptune. » Puis il se plaint de ce qu’il ne trouve pas de collaborateurs pour l’aider à rédiger une « Histoire détaillée de la nouvelle planète », ce qui n’a rien d’étonnant car personne ne veut se mouiller dans une affaire aussi scabreuse. Le Verrier est évidemment furieux de la soi-disant décision du Bureau des longitudes en faveur du nom de Neptune et écrit à Airy, sans doute le 26 février 1847 : « Quand la planète fut trouvée, il fut proposé par le Bureau des longitudes de l’appeler Neptune. Je ne faisais pas partie du Bureau à cette époque, et je ne l’avais pas chargé de cela. […] Je déclarai […] à M. Arago que le Bureau s’était un peu pressé, et que je le chargeais lui spécialement de faire à l’Académie des sciences ce qu’il jugerait convenable à ce sujet. Depuis je ne m’en suis plus mêlé. » Airy répond deux jours après que, malgré Le Verrier, il adoptera le nom de Neptune en raison de la détermination des « principaux astronomes du Nord de l’Europe », et bien évidemment de ses « amis anglais ». Tout paraît finalement simple dans cette affaire, une fois admise une certaine duplicité de Le Verrier. On peut cependant s’étonner du tour incroyablement dithyrambique des interventions d’Arago à l’Académie. Et puis, une lettre écrite en 1869 par Delaunay au ministre de l’Instruction publique pour protester contre les exactions de Le Verrier dont nous reparlerons plus loin, nous donne un nouvel éclairage43 : « En 1846, lors de la découverte de la planète Neptune, M. Arago, poussé par des circonstances hideuses dont il ne convient pas de soulever le voile ici, a élevé M. Le Verrier sur le pavois, et en a fait un homme extraordinaire, un des plus grands génies que la France ait produits. Quelques mois plus tard, M. Arago s’est aperçu de la faute énorme qu’il avait commise, mais le mal était fait et il ne dépendait plus de lui de le réparer ; ses dernières années ont été empoisonnées par la prévision des funestes conséquences qui devaient inévitablement en résulter. » Quelles sont ces « circonstances hideuses » ? Dommage que le voile n’ait pas été soulevé ! Une rumeur persistante prétend qu’Arago aurait eu une liaison avec Madame Le Verrier. Le Verrier, l’ayant découverte, en aurait-il profité

Figure 2.19. Heinrich Christian Schumacher (1780-1850).

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

pour organiser un chantage, dans le but de forcer Arago à faire et à soutenir une proposition en réalité indéfendable ? L’hypothèse est plausible, mais difficilement vérifiable. Toujours est-il qu’on a l’impression que Le Verrier trouve qu’Arago n’en fait jamais assez pour lui, ce qui va conduire à une brouille définitive.

Chapitre 3 L’attente (1847-1853)

Portrait de Le Verrier par Charles Daverdoing (1846).

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Le Verrier est maintenant très célèbre. La découverte de Neptune suscite l’enthousiasme du monde savant et du grand public. Il consent à ce que son ami Charles Daverdoing fasse son portrait, reproduit au début de ce chapitre : ce sera le seul peint d’après nature, avec le dessin de Félix-Henri Giacomotti (fig. 7.25). Il n’existe aucune photographie de Le Verrier car il a toujours refusé de se faire photographier. Le Verrier et sa découverte sont les sujets de nombreuses caricatures dont la Figure 3.1 montre un exemple. Il est comblé d’honneurs. En particulier, il est élu astronome adjoint au Bureau des longitudes le 14 octobre 1846, puis nommé le 15 novembre 1846 professeur d’Astronomie et de Mécanique céleste à la Sorbonne, une chaire créée pour lui. Il est invité par Airy à se rendre en Angleterre (Appendice 2, pièce 3, et Fig. 3.2), ce qu’il fera en été 1847.

Figure 3.1. Caricature de Le Verrier dans Le Charivari.

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Figure 3.2. Fin d’une lettre d’Airy à Le Verrier datée du 12 avril 1847, par laquelle il l’invite en Angleterre.

Le début des hostilités Cependant, grisé par son succès, notre astronome se montre d’une prétention qui irrite le monde scientifique, et il est brouillé avec le tout-puissant Arago. Les hostilités vont commencer, d’abord au Bureau des longitudes dont il démissionne en février 1847 en raison « de l’opposition systématique qu’il y rencontre et de la persistance avec laquelle on le tient éloigné de l’Observatoire. » Déjà, le 6 octobre, il s’était plaint dans une lettre à Encke de n’avoir pas eu, « par suite de circonstances fâcheuses, l’avantage de mettre l’œil à la lunette. » Dans sa lettre de démission au comte de Salvandy, ministre de l’Instruction publique1, il écrit le 24 février 1847 : « Lorsque je fus nommé, il y a quatre mois, début octobre 1846, je vis immédiatement que des difficultés très-grandes me seraient suscitées par une influence, et je ne me décidai à accepter définitivement, en me faisant installer, qu’après un délai. Les circonstances qui suivirent mon installation m’engagèrent à m’abstenir pendant longtemps de me présenter au bureau. […] Ces difficultés ont été amenées par une opposition systématique faites à ma présence à l’Observatoire. […] Dans le Bureau des longitudes où tout se passe en comité secret, devant une douzaine de personnes dont les deux-tiers sont l’expression d’une volonté unique [évidemment celle

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d’Arago], il faut se plier ou se retirer. Ce dernier parti […] est le seul qui soit digne d’un homme de cœur. » Le Verrier reprendra cependant sa position au Bureau des longitudes le 8 août 1847, à la demande du ministre. Joseph Bertrand, un mathématicien qui l’a bien connu, décrit comme suit le comportement de Le Verrier et ses conséquences2 : « Absorbé dans ses propres recherches, peu empressé en apparence à les communiquer et à les répandre, il marquait peu de curiosité pour les travaux d’autrui ; il les redressait à l’occasion et les reprenait d’erreur, sans tempérer toujours dans ces rencontres et ces chocs de l’esprit la rudesse nécessaire du fond par la grâce facile de la forme. Sévère pour lui-même, il n’affectait pas l’indulgence pour les autres. Pour cette raison peut-être, peut-être sans raison, il avait peu de commerce avec les autres astronomes et, pour tout dire enfin, comptait peu d’amis parmi eux. L’éclat de son succès n’en accrut pas le nombre. […] De nombreuses discussions s’élevèrent, et à l’admiration des premiers jours ne succéda pas même chez tous les juges une bienveillance équitable. » Dans une lettre écrite par Le Verrier le 3 mai 1846 à son ami Émile Gautier, un astronome de Genève, il dit qu’il est excédé « par l’envie, la paresse, l’ignorance, la cupidité et les autres péchés capitaux de son monde savant, de son milieu astronomique », ce qui est peut-être vrai mais témoigne en tout cas du peu de considération qu’il a pour les autres3. Une controverse survenue en 1847 entre Le Verrier et deux astronomes de l’Observatoire, Ernest Laugier et Victor Mauvais, est un exemple des relations exécrables qu’il a avec ses collègues4. Nous avons vu au premier chapitre qu’en 1844, Le Verrier avait établi l’identité d’une comète découverte par l’astronome italien De Vico avec une comète vue précédemment par Tycho Brahé : c’était donc une comète périodique. Or Laugier et Mauvais avaient simultanément fait la même découverte, ce qui a dû vexer Le Verrier. Reprenant l’étude de cette comète en 1847, ce dernier affirme que les calculs de ses deux collègues n’étaient que « de vagues aperçus » et qu’ils auraient dû « se tenir en garde contre des conclusions d’identité tirées d’une simple inspection de la Table des comètes, et qui ne demandent que la peine de l’ouvrir et un esprit facile à contenter. » Laugier et Mauvais répliquent qu’ils avaient en fait calculé les orbites, relevant en passant « le peu d’estime

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que M. Le Verrier semble professer pour une partie des travaux de ceux qui se dévouent à la pénible carrière des observations » ; ils concluent que, certes, la comparaison qu’ils avaient faite « n’exige pas de grands efforts de génie ; mais comme elle peut être fort utile et mettre sur la voie des plus heureuses découvertes, nous osons espérer que les astronomes, dussent-ils affronter le danger des censures de M. Le Verrier, continueront à y avoir recours comme par le passé. » Ce n’est pas la fin : Le Verrier répond et la controverse, rapportée avec un luxe de détails qui nous étonne aujourd’hui dans les Comptes rendus de l’Académie, est de plus en plus acerbe. S’il a des problèmes avec certains de ses collègues, Le Verrier est extrêmement populaire et bien vu dans les sphères gouvernementales. Le 8 octobre 1846, le comte de Salvandy, ministre de l’Instruction publique, adresse au roi Louis-Philippe une lettre5 où il se fait l’interprète de Le Verrier, qui sollicite l’honneur de « mettre aux pieds du Roi sa reconnaissance [pour sa nomination au grade d’officier de la Légion d’honneur] et sa confusion de ses bontés », autrement dit voudrait un rendez-vous avec le roi. Le ministre appuie d’autant plus volontiers cette demande d’entrevue qu’il considère qu’il y a « peu de mathématiciens et de géomètres pensant si bien » et qu’il estime qu’ainsi Louis-Philippe « s’enchaînera une conquête vraiment digne » de lui. Le Verrier était déjà très proche de Louis-Philippe qui l’avait nommé précepteur pour l’astronomie de son petitfils Louis-Philippe II d’Orléans6. L’Observatoire conserve un brouillon de lettre de Le Verrier à cet enfant, et les remerciements de celui-ci (Fig. 3.3). Mais cette fois-ci, la réception, qui a lieu quelques jours après, est officielle (Fig. 3.4). Le roi, Salvandy et aussi François Guizot, le Premier ministre, ont une idée derrière la tête : mettre à la raison le bouillant Arago. Celui-ci, qui est député sans discontinuer depuis 1831, a d’abord été un partisan du roi qui lui a paru, comme à presque tous les Français, beaucoup moins dictatorial et borné que son prédécesseur Charles X. Mais, vite déçu, il est passé à l’opposition et est devenu un adversaire redoutable et tenace dont les nombreux discours à l’Assemblée sont très remarqués, en particulier celui du 16 mai 1840 où il prône le retour au suffrage universel qui avait été aboli après la Révolution. L’Observatoire, où plusieurs astronomes font partie de la famille d’Arago, est devenu un foyer d’opposition. Ne pouvant déconsidérer Arago en tant que député, car il est constamment réélu sans difficulté, le gouvernement

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Figure 3.3. Lettre de remerciements à Le Verrier de Louis-Philippe II d’Orléans, petit-fils du roi Louis-Philippe âgé de 8 ans, datée du 1er novembre 1846.

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va tenter une manœuvre consistant à lui susciter un rival en tant que directeur de fait de l’Observatoirea, espérant que le Bureau des longitudes, dont dépend l’Observatoire, choisirait ce rival pour le remplacer. Désormais réinstallé au Bureau des longitudes, Le Verrier est évidemment le rival idéal, d’autant plus qu’il a des opinions politiques bien ancrées à droite ; il n’est pas besoin d’être grand clerc pour être persuadé que l’idée de se substituer à Arago à l’Observatoire n’est pas pour lui déplaire. M. de Salvandy lui demande d’ailleurs un plan de recherches, ce qui est un honneur fort rare.

Figure 3.4. Le Verrier rendant visite à Louis-Philippe.

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Arago n’a jamais eu le titre de directeur de l’Observatoire car le Bureau des longitudes a toujours voulu en garder la direction, mais il a obtenu en 1834 celui de directeur des observations.

L’attente (1847-1853)

Ce plan7 parvient au ministre le 18 février 1847. Il décrit les principes du travail ambitieux que Le Verrier réussira effectivement à mener à bien au cours de sa vie : une théorie mécanique complète du Système solaire. Pour faire la théorie d’une planète, « Il faut premièrement entreprendre une série d’observations exactes et nombreuses de la planète et réparties sur un intervalle de temps considérable. Il faut, en second lieu, en se basant sur la loi de la gravitation universelle et en tenant compte de l’influence de toutes les masses, rechercher avec soin la forme des expressions analytiques propres à représenter à une époque quelconque les coordonnées de l’astre. […] Un troisième travail a pour but de rapprocher [ces points] afin de tirer des observations la valeur des constantes qui sont restées indéterminées dans les formules et qu’on a dû réduire au plus petit nombre possible. La théorie de la planète étant ainsi obtenue, il est indispensable, pour qu’elle puisse prendre place définitive dans l’astronomie pratique, qu’on l’ait réduite en table numérique. […] Embrasser dans un seul travail l’ensemble du système planétaire, mettre tout en harmonie s’il est possible et, dans le cas contraire, déclarer avec certitude qu’il existe des causes de perturbations encore ignorées, et dont les auteurs pourraient alors et seulement alors être reconnus, tel est en définitive le projet que j’ai l’honneur de transmettre à votre excellence. » Le Verrier estime que ce travail prendra dix à quinze années et « excède les forces d’un savant isolé. » Il demande donc qu’on lui permette « de consacrer à ce but tout [son] temps » et qu’on lui attribue un calculateur payé 125 francs par mois. Il termine en écrivant au ministre : « Ce serait un grand encouragement pour moi d’être appelé près de vous à la fin de chaque année pour vous rendre compte de mes efforts. » Certains commentateurs ont vu dans ce texte un appel du pied de Le Verrier pour que la direction de l’Observatoire lui soit confiée. Cet appel, s’il existe, est fort discret, mais le ministre n’en a nul besoin pour être convaincu de l’ambition de notre homme. Le collaborateur demandé lui sera attribué : c’est un dénommé Buisson. Invité par Airy comme nous l’avons vu, Le Verrier fait pendant l’été de 1847 un voyage triomphal en Angleterre qui ne manque pas d’inquiéter ses adversaires

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Figure 3.5. Wilhelm Struve (1793-1864).

de l’Observatoire de Paris. Pendant ce voyage, Le Verrier se lie avec certains astronomes étrangers très connus, comme Wilhelm Struve, le directeur de l’Observatoire de Poulkovo près de Saint-Pétersbourg (Fig. 3.5). Sa célébrité s’en trouve renforcée, et on pourra faire appel à ces astronomes pour appuyer, s’il en est besoin, une nomination de Le Verrier à l’Observatoire. Le Verrier écrit aussi à Wilhelm Struve pour lui parler de l’Observatoire de Marseille, qu’il est question de réorganiser : il a sans doute déjà l’idée, qu’il réalisera plus tard, de faire de cet observatoire dûment rénové une succursale de l’Observatoire de Paris (voir le chapitre suivant). Struve lui répond en novembre 1847 une lettre en français très intéressante, que nous reproduisons intégralement dans l’Appendice 2 (pièce 4). Il y fait l’état des lieux des observatoires européens et constate que la France est fort en retard puisqu’elle ne compte qu’un seul observatoire important, l’Observatoire de Paris, qui s’est cependant « mis au niveau avec les autres grands observatoires de l’Europe et contribue d’une manière distinguée aux progrès des connaissances célestes » (cette phrase n’a pas dû plaire à Le Verrier qui dénigrera souvent les améliorations apportées par Arago à l’Observatoire de Paris). « Si les Observatoires provinciaux de France existent peut-être encore, ils végètent plutôt qu’ils ne sont de quelque utilité réelle pour la science. Il faut cependant excepter en quelque sorte l’Observatoire de Marseille, car c’est là que [Jean-Louis] Pons et [Adolphe] Gambart ont fait la découverte d’un grand nombre de Comètes. » Le Verrier a donc saisi la balle au bond, et tout paraît donc aller bien dans les plans du ministre et de Guizot, mais patatras… la Révolution de 1848, qui chasse Guizot hors de France, va les faire échouer. Stupéfait d’apprendre jusqu’où va la traîtrise d’un homme qu’il estime toujours et qu’il a soutenu, Arago se brouille définitivement avec lui, de même que tout son clan. Désormais, c’est la guerre. Pour l’instant, c’est Arago qui est en position de force puisque la Révolution le porte au sommet de l’État8.

C’est la guerre ! Arago n’a certainement ni le temps ni l’envie de s’attaquer à Le Verrier, mais un membre de son clan va s’en

L’attente (1847-1853)

charger : en août 1848, « un savant très spirituel, très aimé du public » d’après Joseph Bertrand, Jacques Babinet (Fig. 3.6), secrétaire-bibliothécaire à l’Observatoire de Paris et qui a des liens familiaux avec Aragob, se permet de parler à propos de la découverte de Neptune d’« erreurs énormes ». Il propose même qu’une autre planète, qu’il nomme Hypérion, ajoute son action perturbatrice à celle de Neptune9. Il prétend même que « personne n’admet plus l’identité de la planète de Le Verrier avec celle qui trouble Uranus. » Sir John Herschel, Wilhelm Struve, le mathématicien allemand Carl Jacobi et d’autres amis étrangers de Le Verrier viennent à son secours10. Le Verrier a d’ailleurs beau jeu de répondre à Babinet11 : « 1°. Est-il vrai que la direction dans laquelle j’ai placé Neptune comporte une erreur énorme ; excepté pour l’époque de la découverte de M. Galle ou très-peu d’années avant et après ? NON. Cela est faux. 2°. Est-il vrai qu’il y ait des erreurs énormes relativement à la distance au Soleil ? NON. Cela est faux. […] J’ai [simplement] placé Neptune un peu trop loin. 3°. Est-il vrai que la masse théorique de Neptune diffère de la masse déduite de l’observation du satellite à ce point, que ce soit un argument irrésistible contre l’identité du Neptune théorique avec le Neptune observé ? NON. Cela est faux. » L’abbé François Moigno, prolifique vulgarisateur de la science, se fait l’écho des critiques de Babinet dans le quotidien La Presse. Le Verrier demande le droit de réponse, et envoie une longue lettre de justification. Moigno persiste, en faisant remarquer les différences « énormes » qu’il y a entre les paramètres de l’orbite de Neptune et ceux « de la planète Le Verrier » tels qu’ils ont été prédits par ce dernier. Il écrit dans La Presse du 25 septembre 1848 : « Nous demandons, nous, homme du métier et qui ne nous payons pas de mots ou de tours de force, pour qui l’identité entre deux planètes ne se démontre pas par des rapprochements habiles, ingénieux, arbitraires, entre les positions dans le firmament et les distances au soleil, mais par la comparaison inflexible, irrécusable, entre les élémens, b Babinet avait épousé en 1840 la sœur d’Ernest Laugier, qui avait lui-même épousé la nièce d’Arago, Lucie.

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Figure 3.6. Jacques Babinet (1794-1872).

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comment 1° nous pouvons consentir à identifier Neptune avec la planète théorique ; comment 2° nous pourrions accorder que les perturbations sont également et suffisamment expliquées par deux astres totalement différents, surtout quand M. Leverrier a si bien pris la peine de nous déclarer d’avance que cette explication serait impossible, et s’est empressé de nous prémunir contre la possibilité d’erreurs énormes, possibilité qu’il semble admettre aujourd’hui comme essentielle à la nature du problème qu’il essayait de résoudre. » Babinet va se ridiculiser dans cette affaire, mais elle laissera derrière elle des rancunes qui mettront longtemps à s’apaiser : en est témoin un pamphlet publié aussi tard que 1892 par Emmanuel Liais, un astronome qui avait travaillé sous Le Verrier à l’Observatoire et qui avait eu comme beaucoup d’autres maille à partir avec lui12. Liais s’efforce de dénier tout mérite à Le Verrier dans la recherche de la planète troublante. D’après lui, sa position aurait pu être très aisément fixée grâce à sa propre méthode : on aurait déterminé l’orbite d’Uranus non perturbée par Neptune en utilisant les observations antérieures à 1790, ce qui aurait permis de déterminer indépendamment l’orbite de Neptune en utilisant les observations plus récentes. Il oublie simplement que Le Verrier ne pouvait pas savoir à l’avance où était la planète troublante, et donc à quelles dates elle perturbait le plus Uranus.

Le début de la carrière politique La découverte de Neptune a rendu Le Verrier célèbre dans sa ville natale. Le 21 septembre 1847, soixante-dix anciens condisciples du Collège de Saint-Lô lui offrent un banquet dans la ville13. Le 9 octobre, le ministre de l’Instruction publique vient voir le nouveau collège en construction. Un grand banquet lui est offert le soir, au cours duquel il fait un « éloge pompeux » de M. Le Verrier, qui est placé en face de lui. Le député Léonor Havin porte un toast au collège, déclarant que « le collège qui a produit l’émule des Newton et des Herschell [sic], n’est point un collège ordinaire dans l’opinion publique ». Le Verrier est naturellement flatté de ces hommages un peu trop appuyés : il est évident que l’on souhaite en haut lieu qu’une carrière politique s’ouvre à lui.

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Le Verrier et la Révolution de 1848 Cependant, la Révolution de 1848 va ruiner temporairement ces espoirs, tout comme elle a fait avorter le projet de substituer Le Verrier à Arago à l’Observatoire14. Arago y joue un rôle très important, et se trouve même pour sept semaines président de la Commission exécutive qui gère la France. Mais la fermeture des ateliers nationaux, que l’on avait installés pour limiter le chômage mais que l’on ne pouvait plus financer, déclenche en juin une émeute que ni Arago, ni ses collègues au gouvernement, ne parviennent à arrêterc. Quant à Le Verrier, il répond à l’appel que lancent le gouvernement et l’Assemblée constituante pour rétablir l’ordre « républicain » en se joignant à la « garde bourgeoise », comme on nomme la partie des gardes nationales levée dans les quartiers bourgeois. Il écrit à Émile Gautier le 26 juin 184815 : « J’ai échappé sain et sauf à la bataille ; mais j’en suis encore un peu étourdi. Nous n’avons à déplorer qu’un mort dans ma compagnie. Aucun de mes amis n’a été atteint. Pendant que j’étais en bas de la rue Saint-Jacques, le canon grondait ferme, en face de l’hôtel garni qui est derrière mon jardin. Mme Le Verrier soutient cependant qu’elle n’avait point trop peur. Mais quelle conduite que celle de la commission exécutive. Impossible au vendredi matin d’obtenir l’ordre écrit de battre le rappel [des gardes]. Nos quatre chefs de bataillon ont inutilement pressé le chef du pouvoir exécutif [Arago, dont Le Verrier prend un malin plaisir à rappeler l’impuissance] et ils ont enfin rappelé en prenant sur eux. » Après avoir réprimé les émeutes dans le sang le 25 et le 26 juin, le général Cavaignac assume provisoirement le pouvoir après la dissolution, le 24 juin, de la Commission exécutive. Le Verrier va se rallier aussitôt à Cavaignac, comme il se ralliera ensuite à Louis-Napoléon Bonaparte, élu président de la République le 10 décembre 1848.

Élu à la Chambre des députés16 Le 13 mai 1849 ont lieu les élections à l’Assemblée législative. Le Verrier ne fait pas de lui-même acte de candidature

c

Abattu et malade, Arago ne participera presque plus ensuite à la vie politique.

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dans son département de la Manche, mais on va le solliciter pour faire partie de la liste des treize amis de l’Ordre et de la Liberté, menée par Alexis de Tocqueville, quitte à inciter le treizième de cette liste à se désister. Les journaux de droite sont enthousiastes : on présente Le Verrier comme « une intelligence d’élite, autant qu’une âme honnête, un homme à idées pratiques, à principes positifs comme les sciences mathématiques dont il est un des princes ; les utopistes et tous ces rêveurs du socialisme n’ont pas d’ennemi plus prononcé, d’adversaire plus logiquement impitoyable. » D’ailleurs Le Verrier, dans son programme électoral, affirme qu’il veut « que la religion soit florissante, que la famille soit sacrée, que la propriété soit inviolable, que l’inamovibilité de la magistrature garantisse de toute justice », et rappelle qu’il a contribué « à signaler le danger imminent des utopies qui devaient bientôt faire tant de mal à la France. » Reste à convaincre les habitants des campagnes, peu soucieux de voir cet intellectuel les représenter : « Qu’il aille faire des almanachs ! » Le rapport confidentiel du sous-préfet de Valognes n’est guère optimiste : « Avec de la persévérance et de la sympathie pour la personne de M. Le Verrier, on pourrait convertir, quoique j’en doute, les paysans à sa candidature. » Mais la liste entière est élue, le premier candidat de la liste adverse des Amis de la Constitution n’obtenant que 24 761 voix alors qu’il en avait 119 817 lors des élections de l’Assemblée constituante le 23 avril 1848. Tocqueville obtient 82 404 voix, et Le Verrier 56 674. Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres : presque partout, ce sont des notables locaux comme Tocqueville ou Le Verrier qui sont élus. Voilà donc Le Verrier député. Il est nommé secrétaire du quatorzième Bureau de l’Assemblée législative. Les discours ne sont pas son fort, mais il fera quelques rapports : trois portent sur l’établissement de nouvelles lignes télégraphiques, domaine qui l’intéresse particulièrement, deux autres concernent les chemins de fer, et c’est à peu près tout. Ses opinions politiques sont très affirmées. Il écrit le 22 juin 1849 à Émile Gautier17 : « Vous me recommandez de ne pas laisser prendre le dessus aux rouges. Je travaille de mon mieux contre eux dans ma petite sphère parlementaire. J’ai voté contre toutes les enquêtes – contre l’amnistie –, contre la demande de mise en accusation des ministres, – mais pour l’autorisation de poursuites contre nos aimables montagnards – pour l’état de siège -, contre les clubs, etc. On prétend qu’ils ont des projets. Soit. Nous nous défendrons, même par les armes. »

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De 1849 à 1851, Le Verrier est rapporteur d’une commission de la Chambre des députés, qui est chargée d’« examiner la proposition de modification du décret du 19 juillet 1848 relatif à l’École polytechnique et aux écoles militaires. » Inspiré par Arago, qui était alors chef de l’exécutif, et aussi par Cavaignac, ce décret prévoyait le rétablissement de la gratuité dans ces écoles à partir du 1er octobre 1850 (elle avait été supprimée par Napoléon Ier), comme première étape de l’établissement de la gratuité de l’enseignement à tous les degrés. La discussion à la Chambre sur ce point fait partie d’un vaste débat sur l’enseignement public18. Les opposants à la gratuité utilisent un argument assez spécieux : « On soutenait […] que la gratuité ne profiterait pas aux jeunes gens pauvres, comme se l’étaient imaginé sans doute les auteurs du décret. Il en coûte en effet fort cher pour mettre un jeune homme en état de se présenter au concours pour l’École polytechnique et même pour l’École militaire. […] Il en résulte que les jeunes gens qui se présentent à l’une ou l’autre de ces écoles appartiennent pour la plupart à des familles aisées. La gratuité de ces écoles changeraitelle cette situation ? Non, assurément. […] Ainsi donc la gratuité de ces écoles serait une mesure essentiellement aristocratique ; ce serait un privilège créé au profit des familles aisées ou riches. Ceux qui soutiennent la gratuité des écoles spéciales, s’ils étaient logiques, devraient d’abord demander la gratuité des écoles préparatoires. La première est en effet illusoire sans la seconde ; mais on voit où cela conduirait. » C’est bien là qu’est le problème, en effet. Le Verrier estime d’ailleurs que dans les lycées « l’instruction, toute de luxe, ne saurait convenir à l’immense majorité de la nation », qu’il serait préférable de « conduire par la voie la plus directe vers quelque honorable profession. » Cependant, la proposition faite à la chambre par le maréchal Achille Baraguey d’Hilliers, gouverneur de l’École militaire de Saint-Cyr, « [sauvegarderait] pleinement les intérêts de jeunes gens appartenant à des familles peu aisées, car elle fixerait au quart de l’effectif des élèves de chaque division [de l’École polytechnique et de l’École de Saint-Cyr] le nombre de bourses qui pourraient être accordées ; c’était plus que ne demande la proportion habituelle des candidats pauvres. » Finalement, l’Assemblée adopte un amendement qui prévoit que

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« tous les jeunes gens [admis dans ces écoles] qui [feront] constater préalablement l’insuffisance des ressources de leurs parents [recevront] des bourses ou demi-bourses. » La loi ainsi amendée est votée le 5 juin 1850. Au cours de ses travaux, la commission Le Verrier s’est livrée à une étude approfondie de l’organisation et de l’enseignement de l’École polytechnique. Elle regrette avec raison qu’on y accorde trop de place à la théorie et pas assez aux applications, qu’on y attache trop de prix « à la solution de problèmes subtils et sans aucune utilité possible, » et qu’on a eu le tort d’en exclure complètement l’étude des lettres, de l’histoire, de la géographie et des langues vivantes. La Chambre des députés accepte, à la demande de Le Verrier, la création d’une commission mixte « nommée sur la proposition du ministre de la Guerre, de concert avec les ministres des Travaux publics et de la Marine », chargée de réviser les programmes d’admission et l’enseignement à l’École polytechnique. Les travaux de cette nouvelle commission, que Le Verrier préside, vont conduire au décret de réorganisation du 12 janvier 1851. Pour des raisons bonnes et mauvaises, Arago est fort affecté par la publication de ce décret. Dans son éloge de Gay-Lussac lu devant l’Académie des sciences le 20 décembre 1852 et publié ensuite sous forme d’une plaquette19, il défend l’École telle qu’elle était avant la réforme et critique ainsi la commission : « La Commission chargée de réorganiser l’École polytechnique renferme des hommes éminents et d’un mérite universellement connu. […] Ils doivent donc savoir que, dès le moment de la publication des nouveaux programmes, des professeurs et examinateurs illustres, ne voulant pas concourir à leur exécution, soit dans l’intérêt de la science, soit dans celui de leur dignité, donnèrent leur démission. […] La presque unanimité des anciens élèves […] désapprouvent les réformes proposées. » Arago regrette évidemment que l’École ne soit pas redevenue gratuite, et mentionne que dans certains cas les élèves, ou plutôt leurs familles, ont aidé au financement des études de condisciples moins fortunés : « Des circonstances particulières m’ont fait connaître les noms de quelques-uns de ces jeunes gens qui ont été ainsi entretenus à l’École aux frais de leurs camarades. Si l’on me force à les faire connaître, on sera certainement surpris

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de voir figurer dans ce nombre un certain personnage qui présente aujourd’hui l’ancienne École polytechnique sous le jour le plus défavorable. » S’agirait-il de Le Verrier ? Il est aujourd’hui impossible de le savoir, mais la présomption est forte.

Le sénateur Après le coup d’État du 2 décembre 1851, Le Verrier est un des premiers à se rallier à l’Empire. Il écrit à un ami : « Le président de la République [qui n’est autre que Louis Napoléon-Bonaparte, le futur Napoléon III] s’est saisi de tous les pouvoirs avec la ferme volonté de rétablir partout le principe et le respect de l’autorité ». L’Empereur lui en sera reconnaissant : dès le 26 janvier 1852, « M. Le Verrier, membre de l’Institut, ancien membre de l’Assemblée législative » est nommé sénateur (il y en a soixante-douze). Il le restera jusqu’à la chute du Second Empire. Cela lui apporte un revenu substantiel de 30 000 francs par an, qui s’ajoute à celui qu’il tire de son poste de professeur d’astronomie à la Sorbonne, et aussi à l’École polytechnique où il est nommé le 2 février 1849 en remplacement de Biot, aux 1 200 francs versés annuellement aux membres de l’Académie des sciences et aux indemnités du Bureau des longitudes : c’est la fin d’une situation financière qui était jusque-là plutôt précaire. En 1852, les conseils généraux des départements sont renouvelés, et Le Verrier se porte candidat dans le canton de Saint-Malo-de-la-Lande (Manche). Ses revenus sont estimés à cette occasion à 10 000 francs annuels (sans doute n’a-t-on pas encore tenu compte de son traitement de sénateur). Il est élu le 1er août 1852, et nommé presque aussitôt président du Conseil général car on le trouve « d’un caractère honorable, dévoué au prince Napoléon, de très haute capacité et de grande influence dans le département et au dehors. » Ce mandat sera renouvelé chaque année jusqu’en 1869, avec une interruption de trois ans de 1854 à 1857. Le Verrier ne semble pas avoir montré beaucoup de zèle dans cette fonction, car on ne connaît qu’un seul rapport de sa main : il est consacré à l’exploitation des tanguières, qui sont des sablières d’où l’on extrait la tangue, un sable vaseux, calcaire, très fin que l’on trouve sur le littoral de la Manche et qu’on utilise comme engrais. Mais il finira par

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agacer ses collègues par ses grands airs et ses humeurs, et sera de plus en plus mal vu des autres élus. Il donnera sa démission en 1870, pour être remplacé le 13 juin de cette année par M. Pignard Dudezert. En 1853, Le Verrier est nommé inspecteur général de l’Enseignement supérieur, puis en 1854 membre du Conseil impérial de l’Instruction publique, et enfin membre du Conseil de perfectionnement de l’École polytechnique, sans doute en récompense de son action pour la réforme de cette école. Toutes ces activités ne l’empêchent pas de se livrer à ses recherches en mécanique céleste, ce dont témoignent diverses lettres à Émile Gautier. Il lui écrit le 28 novembre 1852 20 : « Je travaille […] comme si j’avais à gagner un fauteuil à l’Institut. Tout instant que mes autres occupations laissent libre est consacré à un grand travail qui me donne bien de la peine et bien du souci. » Mais un changement important va se produire avec la mort d’Arago le 2 octobre 1853 : le poste tant convoité de responsable de l’Observatoire de Paris est enfin libéré, et Le Verrier va pouvoir s’y installer.

Les petites planètes L’essentiel du travail de Le Verrier à cette époque concerne les petites planètes (aussi appelées astéroïdes), ces astres dont le premier, Cérès, a été découvert par Giuseppe Piazzi le 1er janvier 1801. C’est Heinrich Olbers qui découvrira l’année suivante le second, Pallas. L’orbite de la plupart de ces astres est située entre celles de Mars et de Jupiter (Fig. 3.7), si bien qu’ils paraissent remplir un vide dans la distribution des distances des planètes aux Soleil telle qu’elle est décrite par la loi de Titius-Bode (voir l’encadré 2.1 dans le chapitre précédent). Olbers a donc pensé que les petites planètes seraient les débris d’une ancienne planète ruinée par une explosion.

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Figure 3.7. L’orbite des 108 premières petites planètes découvertes. Les orbites de Mercure, Vénus, la Terre, Mars sont indiquées à l’intérieur des orbites des petites planètes ; celle de Jupiter est bien au-delà des limites de la figure.

Or Le Verrier avait remarqué en 1841 une relation entre la période de révolution de Pallas et celle de Jupiter21 : 18 fois la période de Pallas est presque égale à 7 fois la période de Jupiter. C’est ce que l’on appellera plus tard une résonance, qui rappelle celle qui existe entre les périodes de révolution de Jupiter et de Saturne, dont le rapport est voisin de 2/5. Le Verrier remarque que ces résonances, qui ne sont certainement pas dues au hasard et que l’on retrouve dans beaucoup d’autres situations, par exemple pour les satellites de Jupiter, ont pour effet d’occasionner de grandes perturbations dans le mouvement des astres concernés. Reprenant le problème au début des années 1850, Le Verrier est maintenant persuadé que l’idée d’Olbers concernant l’origine des astéroïdes est fausse. Il écrit22 : « Loin d’expliquer l’existence des petites planètes par une altération du système primitif de l’Univers, on est plutôt porté présentement à croire qu’elles ont été régulièrement formées comme les autres, et par suite des mêmes lois. Si ces vues sont justes, on doit s’attendre à la découverte successive d’un nombre prodigieux de petites planètes, à mesure que le zèle des observateurs donnera aux recherches plus d’extension, et qu’ils pourront y employer des instruments plus puissants. La libéralité avec laquelle les astro-

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nomes, qui se sont récemment occupés de ces recherches, ont mis à la disposition du public leurs moyens d’action, en publiant les cartes écliptiques dont la construction a été si pénible, rendra désormais le travail facile [Le Verrier pense certainement à Jean Chacornac qui fait ce travail à Marseille, et qu’il fera venir à l’Observatoire en 1854]. Loin que la multiplicité des découvertes qui seront faites en cette matière, doive diminuer l’intérêt qui s’y attache, elle est, au contraire, de nature à en rehausser l’importance. Car, s’il a fallu renoncer à l’hypothèse d’Olbers, on peut espérer, du moins, que la connaissance d’un grand nombre des petites planètes finira par faire découvrir quelque loi dans leur distribution, et que l’on finira par déterminer la configuration de leurs groupes principaux. Il est peu croyable que ces petits astres soient indistinctement répandus dans toutes les parties du Ciel : outre qu’on n’en a découvert jusqu’ici que dans une seule zone [entre les orbites de Mars et de Jupiter], on doit penser que la même cause qui a réuni tant de matière dans chacune des planètes principales aura tout au moins distribué le reste en groupes distincts les uns des autres. » Vision prémonitoire ! On ne cessera par la suite de découvrir des petites planètes, programme auquel Le Verrier attachera beaucoup d’importance (en 1891 on en aura trouvé trois cent vingt et une 23). Effectivement, on verra que leur période orbitale n’est pas distribuée au hasard, mais qu’il existe des groupes de petites planètes comme l’avait imaginé Le Verrier. Cependant ces groupes ne sont pas tous liés à la formation de ces astres comme il le pensait, mais résultent pour certains de l’action gravitationnelle de Jupiter (Encadré 3.1).

Figure 3.8. Distribution des demi-grands axes des petites planètes. Le nombre de planètes par intervalle de demi-grand axe est porté en ordonnées en fonction du demi-grand axe (en unités astronomiques). On constate le manque de petites planètes pour les valeurs du demi-grand axe correspondant aux rapports simples de leur période de révolution avec celle de Jupiter, qui sont indiqués. Ces lacunes n’apparaissent pas dans la figure 3.7 car les orbites des petites planètes ne sont pas circulaires en général.

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Encadré 3.1. La distribution des orbites des petites planètes La période orbitale des petites planètes, de même que le demi-grand axe de leur orbite qui lui est lié par la troisième loi de Kepler, ne sont pas distribués au hasard. Comme l’a montré pour la première fois l’astronome américain Daniel Kirkwood vers 1866, elle évite d’être en rapport simple avec celle de Jupiter. Les valeurs des périodes de révolution égales à 1/3, 2/5, 3/7, et 1/2 de celle de Jupiter sont associées à des lacunes en bordure desquelles les astéroïdes apparaissent plus nombreux (Fig. 3.8) : voici les « groupes distincts » que Le Verrier avait espéré trouver, mais qu’il ne pouvait guère voir car en 1853 on ne connaissait que 26 petites planètes. La raison en est que, comme il l’a remarqué à propos de Pallas, une commensurabilité même approchée est la cause de grandes perturbations puisque la petite planète se retrouve périodiquement à peu près dans la même configuration avec Jupiter et le Soleil. Ces perturbations conduisent au chaos, les demi-grands axes des petites planètes initialement proche de la résonance se trouvant distribués aléatoirement dans une large bande, tandis que ceux des petites planètes loin des résonances sont stables24. Seule la lacune correspondant à la résonance 1/2 ne peut être expliquée de cette manière, et il est possible qu’elle soit due aux conditions qui régnaient lors de la formation du système solaire, comme le pensait Le Verrier. Mais tout ceci ne sera découvert qu’après lui, et étudié par Henri Poincaré (Fig. 3.9) et par bien d’autres à sa suite : c’est toujours un sujet de recherche riche et actif.

Le Verrier obtient un autre résultat remarquable en étudiant le mouvement du périhélie de l’orbite de Mars : une estimation de la masse totale de toutes ces petites planètes, qu’il trouve inférieure au quart de la masse de la Terre. Il fera plus tard un travail analogue à propos du mouvement du périhélie de Mercure, pour lequel il découvrira une anomalie qui le conduira à imaginer qu’un essaim

Figure 3.9. Henri Poincaré (1854-1912).

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de petites planètes se trouve entre cette planète et le Soleil : dans ce cas, il était loin de la vérité, mais sa découverte aura des conséquences profondes puisqu’elle donnera la première preuve observationnelle de la validité de la Relativité générale. Nous en parlerons au chapitre 5.

Chapitre 4 Enfin l’Observatoire !

L’Observatoire de Paris, vu du Nord, vers 1870. On voit sur la terrasse à gauche la grande coupole de la lunette de 38 cm, à droite celle de la lunette de 31,6 cm, au milieu le petit observatoire. L’aile basse de gauche contient les instruments méridiens, et celle de droite l’appartement de Le Verrier.

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La rupture

Figure 4.1. Photographie d’Arago quinze jours avant sa mort.

Les dernières années d’Arago ont été pour lui un véritable calvaire. Il était atteint de diabète, une maladie incurable à l’époque, qui a entraîné une cécité progressive et un grand affaiblissement physique (Fig. 4.1). Heureusement, ses facultés intellectuelles n’ont en rien été atteintes, et il a pu dicter à son entourage son Astronomie populaire ainsi qu’un nombre important de textes de mise au point scientifique et quelques notices biographiques. Il n’a pas voulu prêter serment à l’Empereur comme tous les fonctionnaires y étaient obligés, mais il était trop célèbre pour que ce refus ait eu des conséquences. Ses derniers jours ont cependant été assombris par l’idée que son ennemi Le Verrier pourrait bien occuper sa place à l’Observatoire, ce qui paraissait quasiment inéluctable. Dès le 12 octobre 1853, une semaine après l’enterrement d’Arago, des membres du Bureau des longitudes proposent de créer une commission qui serait composée de Claude-Louis Mathieu, de l’astronome Charles-Louis Largeteau et du constructeur d’instruments Louis Breguet, dans le but d’examiner les candidatures à sa succession. Il est évident que ce successeur aurait alors été un membre du clan Arago, vraisemblablement Mathieu, son beaufrère, qui en est le doyen. Mais, le 19 octobre, le ministre de l’Instruction publique, Hippolyte-Nicolas-Honoré Fortoul, demande au Bureau de surseoir à cette procédure, puis signe le 28 octobre 1853 un arrêté1 créant une commission chargée « d’examiner les améliorations à apporter dans l’organisation scientifique et administrative de l’Observatoire de Paris et du Bureau des longitudes ». Elle est présidée par le maréchal Jean-Baptiste-Philibert Vaillant, un personnage tout dévoué à Napoléon III dont nous aurons souvent l’occasion de parler (Encadré 4.1 et Fig. 4.2). En font partie l’amiral Charles Baudin, président en exercice du Bureau des longitudes et ancien ministre de la Marinea, les physiciens Jacques Binet et Jean-Baptiste Biot, le chimiste Jean-Baptiste Dumas (Fig. 4.3), vice-président du Conseil impérial de a

Baudin a de l’estime pour Arago mais ne partage pas ses opinions politiques. Il lui écrit le 25 novembre 1848 que son passage au ministère de la Marine et des Colonies n’aurait laissé que de bons souvenir si, « trop plein de confiance en M. Schœlcher, il ne lui avait pas permis de bouleverser à plaisir nos colonies » en abolissant l’esclavage.

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l’Instruction publique, et bien entendu Le Verrier, le seul astronome de la commission qui soit en activité. Biot l’a été il y a longtemps, mais ses occupations sont maintenant bien différentes, encore qu’il ait conservé de grandes compétences en astronomie ; ses opinions politiques sont en faveur du nouveau régime. Quant à Dumas, il est sénateur et tout dévoué à Napoléon III. L’opinion de Le Verrier est donc prépondérante, et la commission se pliera sans complexe à ses désirs et à ceux du gouvernement.

Encadré 4.1 Le maréchal Vaillant (1790-1872) Entré à l’École polytechnique en 1807, le maréchal Vaillant aura une carrière militaire très active, et en même temps un intérêt certain pour l’éducation. Il est d’ailleurs nommé en 1838 directeur de l’École polytechnique. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, il se rallie avec empressement à Napoléon III qui le nomme sénateur, puis maréchal du Palais. Il est élu à l’Académie des sciences comme membre libre en 1853. Il est aussi nommé ministre de la Guerre le 11 mars 1854, et il gère à deux reprises par intérim le ministère de l’Instruction publique, notamment après le décès prématuré de Fortoul en 1856. Ministre de la maison de l’Empereur et du même coup ministre des Beaux-arts de 1860 à 1870, il réorganise l’École des beaux-arts en 1863. Il siège au Bureau des longitudes à partir de 1862. Le cumul des fonctions lui rapporte annuellement la coquette somme de 263 000 francs. Après la chute de Napoléon III, il juge prudent de s’exiler à San-Sebastian en Espagne, d’où il revient en mars 1871. Il meurt l’année suivante.

Figure 4.2. Le maréchal Vaillant (1790-1872).

Le décret d’organisation Le rapport de la commission est présenté le 20 janvier 1854 par le maréchal Vaillant au ministre de l’Instruction publique2. Un brouillon certainement dû à Le Verrier en est conservé à l’Observatoire de Paris3 ; le nom d’Arago y est évité bien qu’il figure dans le texte final, sans doute sur l’insistance de plusieurs membres de la commission qui l’avaient connu et apprécié. Voici quelques extraits de ce brouillon4, dont le rapport de la Commission ne diffère guère :

Figure 4.3. Jean-Baptiste Dumas (1800-1884).

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« Avant tout la Commission a dû de rendre un compte précis de la situation de la science astronomique en France et à l’Étranger. Sans entrer ici dans des détails que vous trouverez, Monsieur le Ministre, dans les procès-verbaux de nos séances, qu’il me suffise de dire que malheureusement la comparaison n’a pas été à notre avantage. De l’examen des œuvres des différents observatoires, et plus encore de l’exposé qui nous a été fait par notre collègue, le vénérable doyen de l’astronomie française [Biot, âgé de près de 80 ans], est résulté pour nous la regrettable conviction que nous sommes restés en arrière du mouvement scientifique sous bien des rapports : installation et disposition des instruments, discussion des observations, recherches de physique céleste, etc. La situation même de l’Observatoire au sein de la capitale, dans une atmosphère viciée et sur un sol agité, est un inconvénient auquel échappent par leur position l’Observatoire de Greenwich et celui de St Petersbourg depuis qu’on l’a rebâti il y a quinze ans à quatre lieues de cette ville [ces observatoires servent de modèles à Le Verrier, qui connaissait très bien leur directeur respectif]. La Commission n’a pu se résigner à croire que le mal fût effectivement sans remède, ni comme on le lui faisait dire que l’astronomie fût désormais pour la France une plante exotique. […] La Commission ne demande point qu’on abandonne dès à présent l’emplacement actuel de l’Observatoire. Avant d’en venir là, il sera utile d’examiner si par quelques dispositions convenables on ne pourrait pas atténuer une partie des inconvénients de la situation présente. Comme on ne remédiera pas toutefois au défaut de transparence de l’atmosphère, il est bon de constater que l’abandon du grand bâtiment, improprement appelé l’Observatoire, ne serait pas une chose regrettable. Cette masse monumentale est tellement impropre aux observations qu’on n’y en a jamais fait une seuleb. C’est avec peine b

Ce qui est exact : les instruments n’étaient qu’abrités dans l’Observatoire et on les sortait pour observer. Plusieurs d’entre eux se trouvaient cependant à poste fixe dans des cabinets d’observation latéraux et dans deux petites coupoles sur la terrasse supérieure du bâtiment, construits bien après l’achèvement du bâtiment de Claude Perrault. Le successeur de Le Verrier, le contre-amiral Mouchez, sera tout aussi sévère. Il écrit en 1878 (Observatoire de Paris, Ms 1059-2) : « Par suite de sa construction très défectueuse comme observatoire qui ne permettait d’y installer aucun instrument ni d’y loger aucun astronome, par suite également de son emplacement au milieu d’un quartier populeux et devenu aujourd’hui industriel, le vieux monument de Perrault est et a toujours été dans des conditions on

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qu’on y a installé quelques logements incommodes et tout à fait insuffisants. […] La Commission [est] unanimement d’avis qu’un Directeur permanent doit être placé à la tête de l’Observatoire de Paris. […] Bien que le règlement imposât au Bureau des longitudes de désigner annuellement un Directeur des observations, en fait on avait laissé ses fonctions depuis vingt ans et sans désignation nouvelle entre les mains du même savant [Arago]c. Cette situation doit être aujourd’hui régularisée. Si la permanence indispensable du Directeur de l’Observatoire de Paris doit être conservée, l’irresponsabilité absolue qui résultait pour lui de l’absence d’un règlement en harmonie avec l’état réel des choses doit disparaître. La Commission pense que le Directeur de l’Observatoire de Paris doit, comme ceux des autres grands établissements, tenir directement son pouvoir du Chef de l’État. Elle estime qu’il doit être nommé par l’Empereur, sur la proposition du Ministre de l’Instruction publique et en dehors de toute présentation. [Ceci assure évidemment la nomination de Le Verrier à ce poste]. L’autorité d’un directeur, ainsi nommé, doit être pleine et entière. Son action ne doit point être gênée par l’intervention d’un corps délibérant [en l’occurrence le Bureau des longitudes]. Le Directeur préside donc seul aux travaux de l’Observatoire. Il conduit les observations d’après un plan

ne peut plus défavorables aux observations astronomiques, et en réalité depuis sa fondation jusqu’à la direction de Leverrier au milieu de ce siècle il avait peu contribué aux progrès de l’astronomie. Pendant tout le XVIIIe siècle on ne peut citer une seule découverte, aucun travail de quelque importance. Les deux seules découvertes qui y avaient été faites datent de la fin du XVIIe siècle, celle des satellites de Saturne par Cassini et celle de la vitesse de la lumière par Roemer d’après les occultations des satellites de Jupiter, mais pendant tout le XVIIIe siècle la plupart des observations faites à Paris l’ont été dans des maisons particulières ou des observatoires privés. C’est à l’École militaire que Lalande observa la plus grande partie des 48 000 étoiles de son Histoire céleste. Pendant tout le XVIIIe siècle les Cassini qui ont presque toujours dirigé l’Observatoire se sont principalement occupés de la carte de la France. » Les découvertes d’Arago seront faites avec des instruments portatifs. c

Avant la création de la fonction de directeur des observations en 1834, chacun faisait ce qu’il voulait : un ministre a déclaré qu’il « [n’avait pas] l’intention de donner un maître ou un supérieur aux Savants qui sont attachés à l’Établissement », et qu’il « [pensait] donc que l’administrateur [devait] changer de main chaque année », ce qui ne s’est cependant pas fait (Débarbat, 2005).

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que lui-même a tracé et qui, revêtu de l’approbation ministérielle, est obligatoire pour tous les collaborateurs. Il règle le service des astronomes, des adjoints et des élèves placés sous ses ordres. Il a à sa disposition le matériel de l’Observatoire. Mais toute cette autorité n’est confiée au Directeur de l’Observatoire qu’à cette condition qu’elle tournera au profit de la science. Aussi en résulte-t-il pour lui une responsabilité réelle et des obligations précises et en partie nouvelles. Chaque année il doit publier les observations faites pendant l’année précédente, ainsi que la réduction de ces observations et leur comparaison avec la théorie. Annuellement aussi il doit présenter au Ministre un rapport sur les travaux de l’Observatoire. Enfin le Ministre, toutes les fois qu’il le juge utile et tous les trois ans au moins [deux ans dans le texte final], se fait rendre compte de la situation scientifique et des besoins de l’établissement par une commission composée des juges les plus compétents. L’opinion du monde savant sera ainsi appelée à contrôler les résultats obtenus sous la direction d’une autorité fortement constituée. Il n’entre dans le projet formulé par la Commission et il ne pouvait y entrer aucune disposition relative à l’accroissement du matériel nécessaire pour la parfaite exécution des observations. Il appartiendra au Directeur, honoré de la confiance du Gouvernement, de faire connaître les besoins très-réels de l’établissement. Or la commission estime que non seulement tout moyen d’observation existant dans d’autres observatoires et plus [puissant ?] que ceux dont on dispose actuellement en France devra être fourni à l’Observatoire de Paris, mais que son directeur devra même être invité à présenter des projets propres à assurer quelque supériorité à l’établissement qu’il dirige. Il est impossible enfin que les logements destinés aux observateurs réels, et dont une partie sont de simples réduits, ne reçoivent pas prochainement des améliorations que l’hygiène commande absolument. » Le décret du 30 janvier 1854 reprend toutes les propositions de la Commission sans les modifier, et définit les pouvoirs de Le Verrier, qui est nommé directeur de l’Observatoire par un décret paru le lendemain (Fig. 4.4). Ces pouvoirs sont très étendus, comme le montrent quelques extraits du décret du 30 janvier : « (Article 10) : Le directeur […] dirige seul les observations, leurs réductions, leur publication, et généralement tous les travaux scientifiques qui s’exécutent à l’Observatoire.

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Il rédige les règlements qui concernent le service des astronomes, des astronomes-adjoints et des élèves astronomes ; il les soumet à l’approbation du ministre. Il a à sa disposition tout le matériel de l’Observatoire. […] L’administration en est confiée à ses soins. Il propose au ministre la répartition des logements disponibles entre les fonctionnaires et les employés. (Article 14) : Chacun [des astronomes] prend dans ces travaux la part que le directeur lui assigne. »

Figure 4.4. La première page du décret de nomination de Le Verrier à la direction de l’Observatoire de Paris.

Comme tous les fonctionnaires d’importance, le directeur et les quatre astronomes de rang élevé que comporte l’Observatoire sont nommés par l’Empereur. Le directeur a pratiquement tout pouvoir pour nommer ou révoquer les autres membres de l’Observatoire. Un contrôle bisannuel des activités de l’Observatoire « par une Commission composée de deux membres du Conseil de l’Amirauté, d’un membre de l’Institut, de deux membres du Bureau des longitudes, d’un inspecteur général de l’Enseignement supérieur et du directeur de l’Observatoire »

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(Article 12) est bien prévu, mais Le Verrier ne réunira jamais cette commission, qui sera réanimée contre lui en 1867 par le ministre de l’Instruction publique.

La séparation du Bureau des longitudes La deuxième partie du décret se prononce pour la séparation de l’Observatoire et du Bureau des longitudes. Depuis sa création en 1795, le Bureau des longitudes a la haute main sur l’Observatoire et tient à cette prérogative : c’est la raison pour laquelle il a toujours refusé d’en nommer un directeur, Arago n’en étant que « directeur des observations ». Certes les principaux astronomes font partie du Bureau, mais celui-ci comporte aussi des mathématiciens, des géographes et des navigateurs (en effet, la géodésie et la détermination du temps et des longitudes font partie des attributions des astronomes). Cette direction collégiale a des inconvénients majeurs, qui motivent en grande partie le décret. Cependant, l’exposé des motifs feint d’ignorer que l’Observatoire fait partie intégrante du Bureau des longitudes : « Laissant à l’Observatoire la mission de perfectionner l’astronomie d’observation, le Bureau des longitudes a été pendant longtemps, sous l’inspiration de Laplace et de Lagrange, le sanctuaire de l’astronomie théorique, de l’astronomie de calcul. C’est là son vrai rôle. » Ce « vrai rôle », que propose d’institutionnaliser la Commission qui prétend hypocritement « être loin de réduire les attributions du Bureau des longitudes, au moment où elle propose de le constituer dans une indépendance plus complète encore de l’Observatoire [sic] », est défini avec précision : « 1° Les améliorations à introduire dans la construction des instruments astronomiques et dans les méthodes d’observation, soit à terre, soit en mer ; 2° La rédaction des instructions concernant les études sur l’astronomie physique, sur les marées et sur le magnétisme terrestre ; 3° L’indication des missions extraordinaires ayant pour but d’étendre les connaissances actuelles sur la configuration ou la physique du globe ; 4° L’avancement des théories de la mécanique céleste et de leurs applications ; le perfectionnement des tables du soleil, de la lune et des planètes ; 5° La réduction et la publication des observations anciennes qui seraient restées inédites dans les registres de l’Observatoire ou dans les manuscrits appartenant à sa bibliothèque. »

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Les quatre premiers points reprennent certaines des attributions antérieures du Bureau. Le dernier point est nouveau et répond à un besoin réel : la plupart des observations faites à l’Observatoire depuis le début du siècle n’ont jamais été réduites mais seulement publiées à l’état brut, et Le Verrier n’a aucune envie de s’occuper lui-même de leur réduction. Il sera déçu : frustré par la diminution de ses prérogatives et d’ailleurs sans grands moyens, le Bureau ne fera rien pour le contenter de ce point de vue. Le Bureau n’aura qu’un rôle consultatif subordonné à une requête du Gouvernement, ce qui l’empêchera de prendre des initiatives. Bien entendu, la séparation entre le Bureau des longitudes et l’Observatoire va déclencher une guerre sans merci entre le Bureau et Le Verrier, qui y trouvera ses ennemis les plus acharnés. Le décret du 30 janvier 1854 marque une date importante dans l’histoire de l’astronomie française, car il régira pendant plus d’un siècle l’Observatoire de Paris et le Bureau des longitudes. Il y aura de nombreux aménagements, en particulier sur le rôle du directeur, mais les principes de base subsisteront. Nous allons voir Le Verrier les mettre en application.

Le Verrier réorganise l’Observatoire Le démantèlement du clan Arago Quatre mois après la mort d’Arago, Le Verrier prend donc possession de l’Observatoire. Son premier acte est d’en chasser les astronomes du « clan Arago » qui y résidentd, pour faire place nette : Mathieu et son fils Charles, élèveastronome depuis 1849, Laugier et leurs proches doivent quitter l’Observatoire avec leur famille et sont donc privés de logement et d’instruments, et même de traitement. Il en est de même d’Ernest Liouville, élève-astronome depuis deux ans, qui démissionne le 15 février 1954, et de l’astronome-adjoint Victor Mauvais, qui est si affecté qu’il va se d

D’autres qui étaient moins proches d’Arago restent cependant à l’Observatoire : Antoine-Joseph-François Yvon Villarceau, spécialiste d’instrumentation, entré en 1846 et promu astronome titulaire en 1854, et Hervé Faye, élève-astronome depuis 1836 puis astronome en 1843, année pendant laquelle il découvrit la comète périodique qui porte son nom.

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suicider le 23 mars 1854. La bibliothèque de l’Observatoire conserve le double de la lettre que Le Verrier a remise à Mathieu5 : « Paris, le 17 février 1854 Monsieur, Je ne puis différer plus longtemps de me conformer aux instructions que j’ai reçues et qui portent que les observations ne doivent pas souffrir d’interruption. D’un autre côté, j’ai à prendre des engagements à jour fixe avec des observatoires étrangers pour la détermination de notre différence de longitude. Il ne vous échappera pas que rien de tout cela n’est possible dans l’état actuel des choses. Je ne puis installer ni l’astronome nommé par décret de l’Empereur ni celui qui va venir de Greenwich [pour la détermination de la différence de longitudes avec cet observatoire], ni moi-même. Vous voudrez bien m’excuser si la nécessité la plus importante m’oblige à vous prier de fixer vous-même le jour où il vous conviendra de me remettre la partie de l’Observatoire que vous occupez afin que je puisse commencer les travaux. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma considération très-distinguée. Le Directeur de l’Observatoire, Membre de l’Institut Remis à M. Mathieu le samedi 18 [février] à 1 h. » Et voici la réponse de Mathieu, datée du lendemain : « Monsieur, Dans la position qui m’est faite, tout le monde comprendra mon vif désir de quitter promptement l’Observatoire. Mais des difficultés indépendantes de ma volonté me forcent, à mon grand regret, à rester encore ici jusqu’au 1er mars. Recevez, Monsieur, mes salutations. L. Mathieu » Le ministre offre successivement à Mathieu et à Laugier, en guise de compensation, la chaire d’astronomie à la Sorbonne, qu’ils refusent : Laugier exprime au ministre « [ses] regrets de ne pouvoir entrer dans la combinaison à laquelle [il s’était] arrêté. »6 Mathieu s’occupera de la publication de la Connaissance des temps et de l’Annuaire du Bureau des longitudes qui restent l’apanage de cet établissement, puis se tournera vers l’industrie et dirigera une manufacture de tabac à Dieppe. Laugier vivra des quelques revenus que

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lui procure sa qualité d’examinateur à l’École navale, et aura la satisfaction d’être en 1862 promu contre Le Verrier comme membre titulaire du Bureau des longitudes, en même temps que son ami Delaunay. Tous trois deviendront les pivots de la réforme de l’Observatoire de Paris après la révocation de Le Verrier en 1870. Mais ni Mathieu, ni Laugier n’auront les moyens de réaliser des recherches en astronomie à la hauteur de ce qu’on aurait pu peut-être attendre d’eux dans des circonstances plus favorables. On a beaucoup reproché à Le Verrier de s’être ainsi débarrassé du clan. Mais avait-il le choix ? Quarante-cinq ans après les événements, Joseph Bertrand, qui les avait vécus et dont la mémoire restait intacte, déclarait à l’astronome Guillaume Bigourdan7 : « Pour ce qui est de l’Observatoire, il faut bien savoir que quiconque eût été mis à la tête de cet établissement à la mort d’Arago, aurait été en butte à une guerre furieuse, car la famille d’Arago considérait comme acquis que la succession d’Arago devait échoir à Mathieu, puis à Laugier. Le Verrier n’aurait pas demandé mieux que de garder ces derniers près de lui, mais cela n’était pas possible : il aurait fallu qu’il cédât la première place, car on regardait [blanc : lire Mathieu] comme victime d’une spoliation. » Le 4 mars 1854, Laugier recevait de son ami suisse, Émile Plantamour, qui deviendra plus tard directeur de l’Observatoire de Genève, la lettre suivante qui offre une intéressante comparaison entre les observatoires de Paris et de Greenwich8 : « Mon cher ami, Depuis plusieurs jours déjà je voulais répondre à votre lettre qui ajoute quelques tristes détails à ce que le Moniteur nous avait appris sur la transformation de l’Observatoire. Il est inutile de vous dire à quel point j’en ai été affecté. […] Si j’ai tardé à vous écrire, c’est que je conservais quelque espérance d’une modification au premier décret ; je pensais que des conseillers mieux avisés montreraient la folie de vouloir calquer l’organisation de l’Observatoire de Paris sur celle de l’Observatoire de Greenwich, sans tenir compte de l’histoire de ces deux établissements, de leur but différent et de la différence fondamentale qui existe entre les deux pays pour tout ce qui concerne les établissements d’Instruction publique et scientifique.

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En Angleterre, l’État n’entretient aucun établissement destiné à l’instruction et à la science ; l’Observatoire de Greenwich est la seule exception faite en vue de la marine ; aussi le but exclusif de cet Observatoire est de fournir et de perfectionner les données et les tables nécessaires pour la navigation. On comprend dès lors que ce but puisse être rempli en plaçant un directeur à la tête de subordonnés, machines à observer et à calculer ; les recherches purement scientifiques sont presque entièrement exclues des travaux de Greenwiche. En France, au contraire, les établissements destinés à l’Instruction publique et à la science sont à la charge de l’État, et non pas à celle de corporations ou de simples particuliers, l’Observatoire devant servir à la science et non pas seulement aux applications. La preuve en est que l’on trouverait, parmi les personnes attachées à l’Observatoire de Paris, des savants haut placés, indépendamment des simples observateurs. Il paraît maintenant que tout cela doit être changé ; quel est le savant de mérite qui consentira à devenir le subordonné de M. Le Verrier ? À consacrer son temps à exécuter machinalement les observations et les calculs ordonnés par ce directeur ? Le bouleversement me paraît complet ; non seulement l’organisation est changée, mais on nomme à la place de directeur un homme entièrement étranger à l’observation et à la pratique d’un observatoire, et de plus un homme dont le caractère n’est pas de nature à permettre autour de lui des collaborateurs, mais seulement des subordonnés, des machines. Je trouve cela bien triste ; triste pour l’Observatoire luimême, triste en raison de l’injustice criante commise envers des savants dont on interrompt les recherches et les travaux et auxquels on enlève les instruments nécessaires pour les continuer. […] » Plantamour a bien vu ce que le caractère dictatorial de Le Verrier aura de dévastateur. Cependant, si beaucoup de recherches entreprises sous Arago sont abandonnées faute de combattant, Le Verrier ne négligera pas complètement tout ce qui n’est pas l’astrométrie et la mécanique céleste, et son plan pour le développement de l’Observatoire est très remarquable.

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Ceci explique pourquoi Neptune n’a pas été recherché à Greenwich, mais à Cambridge où se trouvaient des instruments autres que ceux destinés à l’astrométrie, notamment une des plus grandes lunettes du monde.

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Le plan de Le Verrier Arago était plus concerné par la nature des astres que par leur mouvement. Il a montré la nature gazeuse de la surface visible du Soleil – l’acte fondateur de l’astrophysique – découvert la polarisation de la Lune, des comètes dont il a déduit que la queue contenait des poussières, et aussi la polarisation du ciel diurne. Il fut un pionnier de la photométrie. Grand admirateur de William Herschel, il a incité ses collaborateurs à étudier à sa suite les nébuleuses et les étoiles doubles, sans grand succès d’ailleurs. La géodésie, la météorologie et le magnétisme terrestre faisaient traditionnellement partie des activités de l’Observatoire, et Arago y a énormément travaillé. Il s’est aussi intéressé activement à divers aspects de la physique, à l’océanographie, à la photographie, au télégraphe électrique, etc. Sous son règne, les activités de l’Observatoire étaient donc très variées : on y a vu Fresnel faire ses expériences d’optique, Fizeau y a comparé la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau et Foucault y a fait la première présentation publique de son pendule. Tout cela était foisonnant et un peu désordonné, et les résultats n’étaient pas toujours à la hauteur des espérances : Arago avait le défaut de ses qualités, la dispersion, et ses collaborateurs astronomes n’étaient pas des scientifiques de tout premier plan. Mais il y avait là une vie intense, caractéristique d’une époque qui a vu la science se développer de façon foudroyante. Lorsque Le Verrier prend la direction de l’Observatoire, il fait table rase du passé de la façon brutale qui est la sienne. Suivant les termes du décret impérial, il « [prépare et soumet] à l’approbation du Ministre le plan qu’il se propose de suivre dans la direction des Observations » et « [signale] les améliorations dont l’établissement est susceptible ». En décembre 1854, il termine un rapport sur la situation de l’institution9. Ce rapport est le premier article publié dans une nouvelle revue, semblable à celle que publient d’autres observatoires dans le monde, les Annales de l’Observatoire de Paris (Fig. 4.5). Ce rapport est remarquable de clarté et de lucidité. Mais Le Verrier n’est pas parti de rien : il s’est très largement inspiré d’un livre de Wilhelm Struve paru en 1845, et aussi du compte rendu très détaillé qu’en a fait Biot en 1847, avec de nombreux commentaires de son cru10. Biot a certainement repris les conclusions de ce compte rendu devant la commission du maréchal Vaillant. On y lit une

Figure 4.5. Page de titre du premier numéro des Annales de l’Observatoire de Paris.

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description de l’Observatoire de Poulkova, dont Struve est le directeur, et une comparaison de cet observatoire avec ceux de Greenwich et de Paris. Biot reconnaît le renouveau dû à Arago, « sous la direction active et intelligente » duquel les cabinets d’observation ont été reconstruits et le parc instrumental renouvelé, mais déplore la situation de l’Observatoire dans une zone de plus en plus urbanisée : « Les instantes représentations de M. Arago ont pu seules le préserver de l’approche d’un chemin de fer [la ligne de Sceaux] qui menaçait d’établir son débarcadère à côté de lui. Les écoutera-t-on encore quand une population plus multipliée sera aussi devenue plus active et plus exigeante ? […] Ç’aurait été une grande hardiesse, peut-être une hardiesse louable, […] que d’aller l’établir ailleurs, par exemple au sommet du Mont Valérien ou sur les hauteurs de Châtillon. » Cependant, « la difficulté capitale aurait été l’organisation du personnel. Supposez le nouvel observatoire construit et pourvu de beaux instruments astronomiques : il aurait fallu y réunir des hommes de talent, actifs, laborieux, résignés à y vivre philosophiquement avec leur famille, dans la solitude, ayant un supérieur et une règle. Trouvez donc chez nous des moines pour ce couvent-là ! » Nous avons vu que la commission Vaillant n’a pas préconisé ce déplacement, malgré un avis favorable de l’Académie des sciences auquel Le Verrier s’était d’abord rallié, avant de changer d’avis11. Dans son rapport, Le Verrier commence par rappeler que les recherches astronomiques ne peuvent être fructueuses que dans une longue continuité, un point souligné avec force par Struve et par Biot, et cite les exemples mentionnés par ce dernier : l’Observatoire de Greenwich qui a suivi, nous l’avons vu, un but unique depuis sa fondation en 1675, et aussi l’Observatoire de Poulkova, fondé en 1834, pour lequel il fut décidé « que le but principal devait être de travailler à l’avancement de l’astronomie stellaire, sans toutefois renoncer aux autres observations autant qu’elles seraient compatibles avec ce but principal. » Pour Le Verrier, l’Observatoire de Paris doit redevenir « un observatoire de premier ordre ». Comme c’était le cas sous la tutelle du Bureau des longitudes, ses activités incluront « les recherches de physique terrestre embrassant l’étude de la figure de la Terre et des lois de la pesanteur ; celle de la géographie astronomique ; les applications de l’astronomie aux besoins de la société ; l’étude du magnétisme terrestre, des propriétés de la lumière et des phénomènes météorologiques tant réguliers qu’accidentels. »

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Les observations astronomiques sont pour lui de deux sortes. On trouve d’une part ce que nous appelons aujourd’hui l’astrophysique, qui comprend la nature du Soleil, de la Lune et des planètes (sur laquelle Arago a fait de belles avancées que Le Verrier ne mentionne pas), la distribution de la matière dans la Voie lactée et les secrets de la formation des nébuleusesf ; Le Verrier y ajoute la découverte de nouveaux astéroïdes et comètes. D’autre part, il y a la mesure des positions et des mouvements des planètes, de leurs satellites et des étoiles y compris les étoiles doubles, c’est-à-dire l’astrométrie. « Ce dernier genre d’observations, dont l’ensemble appartient à l’astronomie de précision, devra occuper le premier rang dans ce Rapport, comme il le tient effectivement dans la science. La contemplation attentive et la description du ciel ont sans doute donné et produiront encore de grandes découvertes physiques. La mesure des mouvements des astres nous a révélé les lois qui régissent l’harmonie des cieux : elle a été le point de départ du puissant essor qu’a pris dans les deux derniers siècles le génie scientifique de l’homme. » Le Verrier se livre ensuite à un examen critique de l’instrumentation de l’Observatoire, ce qui lui donne l’occasion de faire un véritable cours historique d’astronomie à l’intention des décideurs. Cet examen est fort lucide : on peut penser que Le Verrier, qui n’est pas un observateur, a longuement discuté du sujet avec Airy et Struve lors de son voyage en Angleterre. Il fait une remarque générale dont la conclusion est toujours d’actualité : « Pendant longtemps, l’établissement des instruments n’a pas été l’objet d’un art particulier ; les astronomes construisaient eux-mêmes les appareils qui leur étaient nécessaires. Un siècle et demi s’est à peine écoulé depuis que la construction est passée entre les mains des artistes. Ceux-ci pouvant acquérir une grande habileté manuelle à laquelle atteindraient rarement des astronomes chargés du poids des observations elles-mêmes, la précision des instruments n’a pu que gagner à cette révolution. Peut-être doit-on seulement regretter que les astronomes soient devenus à leur tour trop étrangers aux procédés de la construction : il est à croire que beaucoup de f

Tous ces sujets sont ceux qui ont été explorés par William Herschel, qui a exercé une énorme influence sur toute l’astronomie du XIXe siècle.

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points délicats dans la construction des instruments, notamment la fabrication des grands objectifs, n’ont point gagné à cette division trop exclusive du travail ; et, à l’exemple de Poulkova, l’Observatoire de Paris devra chercher à rétablir une connexion plus intime entre l’astronome et l’artiste. » Le Verrier examine en détail l’équipement de l’Observatoire qu’il trouve à son arrivée, et fait des propositions détaillées pour son amélioration et son renouvellement. Nous examinerons tout cela plus loin. Il regrette – et il est bien placé pour le savoir – que contrairement à ce qui se passe à Greenwich « rien [n’ait] encore été fait en France pour la réduction des observations. On les a jusqu’ici publiées à l’état brut et sans réduction aucune, laissant même à d’autres le soin d’en déduire les ascensions droites et les déclinaisons. » Il demande donc la création d’un bureau de calculs. Il voudrait aussi « nouer avec les services publics des relations qui, jusqu’à ce moment, ont été beaucoup trop restreintes. » Elles concerneraient l’amélioration des vérifications des chronomètres de marine, la détermination des longitudes utilisant le télégraphe électrique, et surtout la physique du globe, principalement la météorologie. Le Verrier décrit aussi la situation des observateurs, qui font un travail pénible et mal rémunéré (3 000 francs au plus par an pour les astronomes adjoints, et 5 000 francs pour les astronomes titulaires), tandis que leurs logements à l’Observatoire sont « inhabitables ». Mais il juge qu’ils ne doivent pas se disperser dans des tâches diverses comme l’enseignement. Il est si peu motivé par l’enseignement et la vulgarisation12 qu’il fera détruire l’amphithéâtre qu’Arago avait fait construire en 1841 afin d’y donner ses cours d’« Astronomie populaire », en envisageant d’abord, nous l’avons vu, de mettre à la place le nouveau cercle méridien. Mais finalement il sera remplacé par ses appartements, qui occuperont 400 m2 ! La destruction coûtera quelque 30 000 francs, et la construction des appartements environ 80 000 francs. À part les commentaires sur l’enseignement et la vulgarisation dont on peut discuter, le rapport de Le Verrier nous paraît modéré et objectif : visiblement l’Observatoire ne va pas bien. Ses propositions sont tout à fait raisonnables, et il est novateur en recommandant avec force la mise en pratique de l’utilisation du télégraphe électrique pour mesurer les longitudes et pour distribuer l’heure, et surtout la création d’un véritable service météorologique.

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D’ailleurs les astronomes de l’Observatoire reconnaîtront, malgré les innombrables démêlés qu’ils vont avoir avec lui, qu’il « avait généralement raison dans le fond et tort dans la forme.13 »

Belles promesses non tenues Pour mener à bien le programme de Le Verrier, dûment accepté par le ministre de l’Instruction publique et par un décret impérial publié dans le Moniteur du 23 février 1855, il faut de l’argent. C’est là que le bât blesse : les promesses gouvernementales tardent à se réaliser, et l’argent n’arrive pas assez vite au gré du bouillant directeur. Aussi celui-ci adresse-t-il à plusieurs reprises au ministre des demandes de financement chiffrées. Une de ces demandes, datée du 28 avril 1856, détaille le montant des différents postes et porte la demande de crédits extraordinaires à 280 000 francs en quatre ans14 ; elle sera augmentée peu après à 305 000 francs, puis à 330 000 francs. Mais rien ne vient, et Le Verrier écrit des lettres de protestation15. Nous donnons dans l’Appendice 2, pièce n° 5, des extraits de celle qu’il a envoyée le 29 décembre 1856 au maréchal Vaillant, alors ministre par intérim de l’Instruction publique après le décès subit de Fortoul. Cette lettre n’a produit comme effet qu’une réponse ironique de Vaillant. Par la suite, Le Verrier se fera encore plus pressant, apparemment toujours sans succès jusqu’en 1865, où l’Assemblée nationale lui accordera 395 000 francs pour la construction d’une grande lunette et d’un grand télescope de 120 cm de diamètre, dont nous aurons l’occasion de parler. Jusque-là, il devra se contenter de prélever sur les crédits ordinaires pour pourvoir à l’amélioration des instruments et en construire quelques nouveaux.

Les instruments d’astrométrie à l’Observatoire de Paris À son arrivée à l’Observatoire de Paris, Le Verrier a trouvé trois instruments en état de marche destinés à la mesure de la position des étoiles et des planètes. Pour comprendre l’usage de ces instruments, on se reportera à l’encadré 4.2.

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Encadré 4.2. Les instruments de l’astronomie au milieu du XIXe siècle16 La plupart des instruments de l’astronomie à cette époque servent à la mesure de la position des étoiles, des planètes et des comètes. Les cercles méridiens sont fixés verticalement dans le plan du méridien le long d’un mur, et sont utilisés uniquement à la mesure de la distance zénithale (angle entre la direction de l’astre et le zénith) des étoiles à leur passage au méridien, dont on peut déduire la latitude du lieu si la déclinaison de l’étoile est connue, ou inversement la déclinaison, la latitude étant préalablement déterminée. La direction de la verticale est souvent obtenue en visant vers le bas un bain de mercure. On peut également mesurer avec ces cercles la déclinaison du Soleil, de la Lune, des planètes, etc. Les lunettes méridiennes, appelées aussi instruments des passages, sont mobiles autour d’un axe horizontal Est-Ouest et ne peuvent donc viser que dans le plan du méridien ; elles servent à déterminer l’instant de passage des étoiles au méridien, repéré par une horloge, et donc à mesurer le temps et indirectement les longitudes, ou l’ascension droite des étoiles ou d’autres astres. Afin d’assurer la stabilité des mesures, on règle ces lunettes sur des mires placées à grande distance au sud ou au nord de l’observatoire. Il est possible de combiner ces deux instruments en un cercle méridien universel, qui n’est plus fixé le long d’un mur mais repose comme une lunette méridienne sur deux paliers : un grand cercle divisé vertical permet alors de mesurer la distance zénithale. La lunette zénithale est un instrument fixe qui vise le zénith. Affranchie de la réfraction atmosphérique, elle permet de mesurer avec précision l’instant du passage au méridien d’étoiles passant près du zénith, et aussi leur distance zénithale17. Tous ces instruments sont munis de micromètres à fils, qui sont soit visibles sur un fond rendu faiblement lumineux par un éclairage latéral, soit éclairés latéralement sur fond noir. La lunette ordinaire (en anglais refractor ou refracting telescope) sert à l’observation des planètes et des satellites, de la Lune, du Soleil (avec un verre absorbant), des comètes, et bien entendu des étoiles. La

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lunette est également utilisée pour mesurer de petites distances angulaires entre des étoiles (étoiles doubles), ou pour repérer la position des planètes et des comètes par rapport aux étoiles voisines : on se sert à cet effet de micromètres oculaires ou d’autres dispositifs comme l’héliomètre. Il est avantageux de munir la lunette d’une monture dite parallatique ou improprement parallactiqueg (on dit aujourd’hui : équatoriale), dont un des deux axes est parallèle à l’axe de rotation de la Terre si bien qu’il suffit d’un mouvement autour de cet axe pour compenser cette rotation et maintenir l’objet fixe dans la lunette ; des cercles gradués permettent de trouver facilement l’objet à observer si l’on connaît sa position, ce qui n’est pas commode avec la monture habituelle plus simple, où l’un des axes est vertical et l’autre horizontal. Certaines montures équatoriales sont munies d’un moteur (mouvement d’horlogerie) permettant de suivre continuellement une étoile. Il en est de même des télescopes à miroir inventés par Newton (en anglais reflectors). Jusqu’à la fin des années 1850, leur miroir est en bronze et se ternit rapidement par oxydation profonde : il doit être souvent repoli, ce qui est une opération majeure. Ce n’est qu’après la réalisation par Léon Foucault, à la fin des années 1850, de miroirs de verre argenté que l’on peut facilement réargenter que les télescopes supplantent très progressivement les lunettes.

Le plus ancien est un vieux cercle méridien de 1,85 m de diamètre, construit par Fortin avec un objectif de Lerebours, que l’on avait installé en 1822 dans les cabinets d’observation, à l’est du bâtiment ancien de Perrault. Il ne présente pas de défauts notables et sera utilisé jusqu’en 1860 sans grand changement. Le second est une lunette méridienne installée par Gambey en 1834, qui à l’époque était la plus grande du monde avec son objectif de 15 cm de diamètre, dû à

g

D’après Arago (*Œuvres Complètes t. 12, p. 32) « la machine parallactique ou parallatique des observateurs modernes s’appelle ainsi, parce qu’elle est destinée à suivre les astres dans leurs parallèles diurnes ». Le terme « parallactique » est une attraction injustifiée par le mot « parallaxe », qui n’a rien à voir.

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Cauchoix. Cet instrument (Fig. 4.6) présente un défaut de conception : le niveau à bulle destiné à assurer l’horizontalité de l’axe n’est pas solidaire de cet axe, mais des paliers sur lesquels il repose, si bien que le défaut de circularité et l’usure des tourillons de l’axe introduisent des erreurs. Pour pallier à ce défaut, Le Verrier fait établir dès son arrivée un nouveau niveau, cette fois solidaire de l’axe. La lunette méridienne, qui est maintenant munie d’un micromètre à fils éclairés latéralement par une lampe, sur fond noir, sera plus tard améliorée par l’adjonction d’un autre micromètre et d’un « compteur électrique » installé en 1862 ; ce compteur n’est autre qu’un relais actionné par la pendule et qui produit un claquement assez fort à chaque oscillation, ce qui permet à l’observateur de mieux apprécier l’instant du passage de l’étoile. La lunette méridienne et le cercle méridien dont nous allons maintenant dire un mot seront utilisés jusqu’en 1908.

Figure 4.6. La lunette méridienne de Gambey (1834). Elle se trouvait dans les cabinets d’observation situés à l’est du bâtiment principal de l’Observatoire. Noter les deux leviers avec contrepoids destinés à soulager la pression des tourillons sur les paliers.

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Figure 4.7. Le cercle méridien mural de Gambey (1843).

Le dernier instrument d’astrométrie que Le Verrier a trouvé à son arrivée à l’Observatoire est un cercle méridien de Gambey (Fig. 4.7), placé en 1843 dans les cabinets d’observation. Son cercle gradué n’a pas moins de 2 mètres de diamètre et « sa division paraît fort précise »18. Mais son objectif, de 12,5 cm de diamètre, est encore plus petit que celui de la lunette méridienne : les étoiles sont difficiles à observer si bien que, selon Le Verrier, « un découragement profond atteint les observateurs consciencieux ; et, ce qui est plus grave, lorsque les observations seront publiées, elles se trouveront, vis-à-vis des observations étrangères, dans un état d’infériorité difficile à supporter ». En attendant le remplacement de cette lunette, qui n’aura finalement jamais lieu, Le Verrier fait tant bien que mal isoler le mur qui supporte l’instrument du reste du bâtiment, afin d’atténuer les vibrations dues au passage des véhicules dans la rue, et établir un bain de mercure sous l’instrument pour définir la verticale mieux que par le niveau à bulle initial. Mais la surface du mercure est aussi affectée par les vibrations, si bien que le directeur demande qu’une longueur plus importante des voies aux environs de l’Observatoire soit macadamisée, ce qui est fait

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et résout temporairement le problème. Le cercle méridien de Gambey sera utilisé régulièrement jusqu’en 1864, date de la mise en service d’un nouvel instrument, puis de façon fréquente mais moins régulière19.

Figure 4.8. Le grand cercle méridien universel de Secrétan-Eichens (1863). Dans cette image tardive, on peut voir quelques modifications de l’instrument initial représenté sur la Figure 4.9.

Le nouvel instrument auquel il vient d’être fait allusion réalise un rêve de Le Verrier : disposer d’un cercle méridien universel plus grand que celui de Greenwich, qui permette à la fois de mesurer la distance zénithale et l’instant du passage au méridien d’un astre. Le cercle de Paris est dû à Wilhelm Eichens, un constructeur prussien établi à Paris qui est devenu le chef d’atelier de la maison Secrétan, qui est dirigée par Marc Secrétan, successeur de Lerebours, depuis 1855. C’est le prototype de toute une série d’instruments dont vont s’équiper les principaux observatoires du monde. Il est installé en juin 1863 dans les cabinets d’observation à la place du cercle de Fortin (Fig. 4.8) : on avait initialement envisagé de le placer à l’ouest du bâtiment central à l’emplacement de l’amphithéâtre, mais c’est maintenant l’appartement du directeur qui s’y trouve. L’objectif de sa lunette, construit par Secrétan lui-même, a 10 pouces (24 cm) de diamètre contre 8 pouces à Greenwich20. Cet instrument, appelé le Grand cercle méridien, sera pour quelque temps le plus grand de son genre au monde. Il a coûté 50 000 francs, plus 6 000 francs pour les accessoires et une nouvelle horloge.

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Les Figures 4.9 et 4.10 donnent respectivement une vue intérieure et une vue extérieure des cabinets d’observation partiellement remodelés où sont placés les instruments méridiens. Le bâtiment existe toujours et abrite aujourd’hui des bureaux, les trappes ayant été supprimées.

Figure 4.9. Les cabinets d’observation à la fin des années 1860. On y voit de gauche à droite le cercle méridien de Gambey, la lunette méridienne du même constructeur, et le grand cercle méridien de Secrétan-Eichens.

Figure 4.10. Aspect extérieur des cabinets d’observation, vus du Nord (photographie ancienne). On remarque les trois fentes couvertes au-dessus par des trappes escamotables, à travers lesquelles se font les observations méridiennes.

Le Verrier demande que, pour les observations du passage des astres au méridien, on puisse lire l’heure sur plusieurs horloges, au lieu d’une seule dont la marche ne peut pas être facilement vérifiée. Il estime qu’il serait intéressant de placer dans une des caves de l’Observatoire une horloge-mère dont les indications seraient répétées électriquement dans l’Observatoire, et ultérieurement dans différents emplacements de la Ville de Paris pour y distribuer l’heure ; par ailleurs, l’enregistrement électrique

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du passage des étoiles dans les instruments méridiens permettrait d’améliorer la précision des mesures. Mais tout ceci mettra longtemps à se réaliser. Le dernier instrument que Le Verrier a pu voir complètement installé en 1877, juste avant sa mort, est un autre cercle méridien donné par un mécène amateur d’astronomie, le banquier Raphaël Bischoffsheim ; nous en parlerons au Chapitre 7. Il n’y aura pas de lunette zénithale à Paris, malgré les efforts d’Hervé Faye pour en faire construire une.

Les lunettes astronomiques de l’Observatoire Les anciennes lunettes Pour les « observations extra-méridiennes, » c’est-à-dire pour les observations qui ne peuvent être faites avec les instruments méridiens, et dont le but est, selon Le Verrier, de « reconnaître l’existence de nouveaux astres et de nouveaux systèmes », l’Observatoire ne dispose en 1854 que d’un certain nombre de lunettes entreposées dans le bâtiment de l’Observatoire, qu’il faut en sortir pour pouvoir observer21. La seule lunette à poste fixe est l’équatorial que Gambey avait monté en 1826 dans le petit observatoire de la terrasse supérieure (Fig. 4.11). Cet instrument, qui avait valu à son auteur « l’admiration des artistes à l’exposition […] de 1823 », et qui était selon Arago « un des plus beaux instruments qui soient jamais sortis de la main des hommes », suit le déplacement diurne des astres grâce à un mouvement d’horlogerie. Il n’a cependant qu’un objectif de 10 cm de diamètre, dû à Lerebours : pas de quoi rivaliser avec les grandes lunettes que l’on pouvait déjà voir en Allemagne, en Angleterre et en Russie (voir l’Appendice 3). Le Verrier regrette ainsi cette situation : « Si ce n’est à l’époque de Dominique Cassini, l’Observatoire de Paris a toujours été d’un demi-siècle en arrière quant à la puissance des moyens d’observation. Où sont les télescopes dont il ait jamais disposé et qui ne fussent d’une petitesse ridicule à côté de ceux [de William et de John] Herschel ? L’observatoire russe de Dorpat [aujourd’hui Tartu en Estonie] possède depuis trente ans une lunette parallatique

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de neuf pouces ; depuis vingt ans les observatoires de Poulkova, de Londres, de Cambridge, de Markree, et plus récemment de Boston, sont pourvus de lunettes de douze à quatorze pouces montées parallatiquement. » Figure 4.11. L’équatorial de Gambey dans sa petite coupole tournante sur la terrasse de l’Observatoire (gravure de l’Astronomie populaire d’Arago). Cet instrument est muni d’un grand cercle gradué sur chacun de ses deux axes, afin de mesurer la position d’un astre par rapport à des étoiles de référence.

La grande lunette de la tour Est Arago avait déjà résolu de pallier ce manque en décidant de faire construire une lunette aussi grande que celle de Poulkova22. La grande coupole tournante destinée à la protéger, qui est la première du genre, est pratiquement terminée à l’arrivée de Le Verrier. L’objectif, de 38 cm (14 pouces) de diamètre, avait été réalisé dès 1844 par NoëlJean Lerebours et son fils Nicolas. La monture équatoriale (Fig. 4.12) est en construction dans l’atelier de l’Autrichien Johann Brunner, établi à Paris depuis 1828. Il ne reste donc plus qu’à la terminer, à construire le tube et les accessoires et à monter le tout ; mais on entrevoit des difficultés. En effet, l’instrument et sa coupole (Fig. 4.13) présentent des défauts de conception, qu’Otto Struve (Fig. 4.14) a relevés lors d’une visite à l’Observatoire. Otto Struve a une grande expérience d’observateur avec la lunette de Poulkova, et écrit le 2 juin 1854 à Le Verrier une lettre fort critique, mais parfaitement justifiée, dont voici un extrait23 : « 1. La plate-forme en fer de fonte qui doit servir de base à l’équatorial repose sur des arcs de fer. Cette base est très peu

Figure 4.12. La monture équatoriale de Brunner (1854) destinée à la lunette de 38 cm de diamètre de la tour Est de l’Observatoire.

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Figure 4.13. L’équatorial de l’Est de l’Observatoire de Paris. Dans cette photographie récente, la lunette et la coupole ont subi quelques modifications, dont la principale est le remplacement du tube initialement en bois par un tube métallique.

solide. […] 2. Ladite plate-forme étant supportée par des arcs en fer subira des changements rapides de position par l’effet unique de la température. […] 3. Le diamètre de la coupole est de 12 mètres sur 10 mètres de hauteur. Par rapport à ces dimensions la fente des trappes qui […] n’a pas un mètre de largeur est beaucoup trop étroite. L’équation [égalité] des températures intérieure et extérieure est une condition vitale pour obtenir de bonnes images. […] 6. Le mouvement de la tour [coupole] n’est pas assez rapide. 7. Il est tout à fait inutile que le plancher sur lequel se tient l’astronome se tourne avec la coupole. 8. Il paraît un inconvénient très grave que la tour soit élevée au-dessus des autres salles d’observation et d’habitation. »

Figure 4.14. Otto Struve (1819-1905).

Le Verrier reprend dans son rapport la description de ces défauts. Cependant, « nonobstant ces inconvénients, nous estimons que dans l’état avancé de l’entreprise, il faut, avant tout, terminer l’opération et ne négliger aucun effort pour la faire réussir. » Mais le pire est à venir : quand on veut essayer en novembre 1855 l’objectif des Lerebours, que l’on avait trouvé bon à son achèvement en 1844 et acheté en 1849 pour la somme respectable de 40 000 francs, on découvre que sa surface s’est altérée sous l’action de l’humidité de

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l’air, sous forme d’une multitude de petites fissuresh. Quant à la monture équatoriale, elle n’est livrée qu’en 1859. On n’installera finalement pas l’objectif qui est inutilisable. Après repolissage partiel, il ne servira qu’à Cornu en 1874 pour sa mesure de la vitesse de la lumière, puis après remontage à de rares observations, notamment photographiques car Cornu a découvert qu’en écartant les deux lentilles de l’objectif il est utilisable dans le bleu, si l’on n’est pas trop exigeant. Un nouvel objectif sera installé en 1883 par les frères Paul et Prosper Henry, et la coupole et le tube modifiés, mais ce sera bien tard. La lunette sera assez régulièrement utilisée par la suite pour observer des étoiles doubles et des petites planètes, mais seulement peu de nuits chaque année en raison de la détérioration des conditions d’observation en ville.

D’autres lunettes encore En attendant la grande lunette de 38 cm, Le Verrier entreprend dès le mois de mai 1854 de placer sur une monture équatoriale de Secrétan un objectif de 9 pouces (24,4 cm) de diamètre construit par Lerebours père en 1823 (Le Verrier écrit à tort 1830), qui avait valu à son fabricant une médaille d’or à l’exposition de cette année-là. Cet objectif n’est pas très bon, mais il permet « d’admettre une grande quantité de lumière », bien plus que le petit équatorial de Gambey. Avec son pavillon spécial construit dans le jardin, qui est muni d’un toit tournant, l’instrument n’a coûté que 6 000 francs « et nous désirons qu’[il] serve d’exemple pour montrer qu’avec une dépense fort modique, des particuliers pourraient, en France aussi, et à l’exemple des Anglais, fonder de petits observatoires qui rendraient à la science de très-grands services. » Dans ce but, la note qui décrit l’instrument contient une description détaillée et un mode d’emploi pour la mise en station24. Cependant l’objectif avait coûté 14 500 francs en 1823, et ceci a dû décourager les amateurs, car il ne semble pas que l’instrument ait jamais été copié ou imité. Par ailleurs, un équatorial entièrement en métal (le premier de ce genre), construit par la maison Secrétan, est installé en 1858 pour 20 000 francs (plus 5 000 francs h

Ce défaut du verre crown devait être corrigé par Georges Bontemps à la verrerie de Choisy-le-Roi, en en changeant la composition.

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pour les accessoires et une horloge) sur la tour Ouest de l’Observatoire, sous une coupole cette fois satisfaisante due à Joseph Jean, qui a coûté 30 000 francs (Fig. 4.15) ; il a un objectif de 5,25 m de distance focale et de 31,6 cm de diamètre, qui pourrait être celui qu’avait construit en 1834 Lerebours père25. Cet objectif est à peine plus petit que celui de la lunette de la tour Est, dont on regrette donc moins l’abandon. Comme il n’est pas très bon, il sera remplacé en 1884 par un autre dû à Adolphe Martin.

Figure 4.15. L’équatorial de la tour Ouest de l’Observatoire de Paris (1858). La coupole a été transportée à la station astronomique de Saint-Véran (Hautes-Alpes), qui est maintenant dévolue aux amateurs, et la lunette n’existe plus.

Enfin, une nouvelle lunette de 24 cm (9 pouces) de diamètre avec un objectif de Foucault sera installée dans une des coupoles jumelles construites par A. Deschars dans le jardin en 1868-69 pour la somme totale de 12 600 francs (une de ces deux coupoles devait être construite par Jean, mais il a eu litige et il ne l’a pas réalisée)i ; la maçonnerie supportant la deuxième coupole, confiée à Lortias, a coûté 8 000 francs26 (Fig. 4.16). La coupole la plus ancienne contient i

C’est ce même entrepreneur qui a réalisé dans les années 1860 les lambris et bibliothèques de la grande galerie de plain-pied avec la terrasse sud, objets d’autres litiges.

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Figure 4.16. Les deux petites coupoles du jardin de l’Observatoire, état actuel.

la lunette de 24,4 cm Secrétan-Lerebours dont on a parlé au début de ce paragraphe, que l’on y a déplacée car son abri initial était insuffisant27. L’objectif dont elle est munie sera argenté pendant quelque temps pour observer le Soleil sans être ébloui, puis remis dans son état d’origine. En 1860, Le Verrier écrit au ministre pour obtenir le financement d’un chercheur de comètes, une lunette spéciale où l’observateur n’a pas à se déplacer pour pointer différentes régions du ciel (Fig. 4.17)28. L’objectif aurait 7 pouces (19 cm) et coûterait 4 000 francs, et il faudrait encore 2 000 francs pour la monture et 2 000 francs pour modifier le toit tournant de l’abri qu’on lui destine (sans doute dans le petit observatoire de la terrasse). Ces crédits ne seront pas accordés, mais Le Verrier réussira à doter la « succursale » de l’Observatoire à Marseille d’un tel instrument (Fig. 4.18).

Figure 4.17. Schéma d’un chercheur de comètes. Avec cette monture équatoriale très particulière, la tête de l’observateur est dans le prolongement de l’axe horaire et tout près de l’axe perpendiculaire qui permet le mouvement en déclinaison. Remarquer le levier articulé et le gros contrepoids qui assurent l’équilibre de la lunette autour de ce dernier axe. L’observateur peut diriger l’instrument vers tout point du ciel sans se déplacer.

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Figure 4.18. Le chercheur de comètes de l’Observatoire de Marseille, photographie ancienne. Comparer à la Figure 4.17.

Un projet grandiose Le Verrier a une autre idée dans la tête : celle d’une lunette géante de 75 cm de diamètre. Ce projet est né en 1855, à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris. Les frères Chance, d’Oldbury près de Birmingham en Angleterre, présentent à cette exposition une optique de phare qui leur vaut une médaille « en considération de leurs efforts pour importer en Angleterre la construction de phares lenticulaires. » Ce motif peut paraître surprenant si l’on ne sait pas que le maître verrier de l’usine est un français, Georges Bontemps, polytechnicien et ancien directeur de la manufacture de Choisy-le-Roi, qui a dû s’exiler en Angleterre à la suite de la Révolution de 1848 : sans doute compte-t-on sur lui pour y diffuser les développements que l’invention des lentilles de phares par Fresnel a suscités en France. Les frères Chance exposent également deux disques de verre, l’un de flint et l’autre de crown, qui atteignent le diamètre impressionnant de 75 cm et pourraient permettre de réaliser l’objectif achromatique d’une lunette astronomique géante. Bontemps espère les vendre à l’Observatoire de Paris et fait avec Le Verrier un arrangement

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qui a l’accord du ministre de l’Instruction publique : si l’Observatoire décide d’acquérir les disques, il paiera 25 000 francs, et si l’on parvient à en faire un bon objectif, une somme égale sera versée plus tard29. Bontemps va donc laisser les disques en France. L’Empereur les voit lors de sa visite à l’Observatoire en mai 1856 et donne le feu vert ; les disques sont donc achetés par Le Verrier. Il faut maintenant voir si leur qualité est suffisante. C’est là qu’intervient Léon Foucault (Encadré 4.3, Fig. 4.19). Brillant expérimentateur, Foucault avait retenu l’attention de l’Empereur grâce à son expérience du pendule, et il semble que ce soit Napoléon III lui-même qui ait suggéré à Le Verrier de l’embaucher. C’est une suggestion à laquelle il était difficile de résister, aussi Le Verrier a-t-il demandé à Foucault de lui fournir un plan de travail. Foucault a proposé deux thèmes, volontairement vagues car il désirait garder son indépendance : des applications de la physique expérimentale à l’astronomie, et la résolution de problèmes de physique requérant l’usage d’instruments astronomiques, comme la détermination de la vitesse de la lumière. Pas question pour lui à ce moment de construire des instruments d’observation. Après de longues tergiversations, Foucault est nommé par l’Empereur le 20 février 1855 physicien de l’Observatoire, avec un salaire de 5 000 francs par an. Son activité initiale n’est pas grande car il a beaucoup d’intérêts par ailleurs, au grand mécontentement de Le Verrier. L’acquisition des disques des frères Chance va forcer Foucault à travailler à plein temps pour l’Observatoire, car Le Verrier le charge de les examiner. Il s’y met au début de 1856. Ce n’est pas une petite opération, et il lui faudra presque toute l’année pour aboutir à la conclusion que, malgré quelques défauts du disque de flint, on peut accepter les deux disques. Foucault pense alors se tourner vers la maison Secrétan pour les faire polir.

Encadré 4.3 Léon Foucault (1819-1868)30 Léon Foucault, savant autodidacte dont l’habileté manuelle et l’inventivité technique étaient exceptionnelles, est né dans une famille bourgeoise. Il est surtout connu par son pendule qui, en 1851, a permis de visualiser pour la première fois la rotation de la Terre. Mais il a bien d’autres magnifiques réalisations

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Figure 4.19. Léon Foucault (1819-1868), photographie inédite.

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à son actif : les premières expériences d’interférences en infrarouge avec Hippolyte Fizeau (1846), l’expérience qui a montré directement que la lumière va moins vite dans l’eau que dans l’air et qui a ainsi définitivement établi la théorie ondulatoire de la lumière (1850), l’invention du gyroscope (1852), une démonstration de l’équivalence du travail et de la chaleur (dite improprement « expérience des courants de Foucault ») en 1855, et la première mesure précise de la vitesse de la lumière (1862). Il a aussi contribué de façon importante aux progrès du daguerréotype. Pour les astronomes, il est celui qui a inventé le télescope moderne à miroir de verre argenté, avec tous les procédés de polissage et de contrôle du miroir (1857-58). La fin de sa vie a été assombrie par ses démêlés avec Le Verrier, que son caractère ombrageux ne pouvait guère atténuer, l’échec de certains de ses régulateurs, et la progression de la maladie incurable qui devait l’emporter.

Figure 4.20. La méthode de Foucault pour contrôler la qualité optique d’un objectif. La lentille de l’objectif (ou plutôt les deux lentilles car il s’agit d’un objectif achromatique) est placée en face d’un miroir plan de bonne qualité optique et on fait avec l’ensemble l’image d’une source ponctuelle située au foyer de la lentille (autocollimation). On fait sur cette image différents tests inventés par Foucault, notamment son célèbre test dit du « couteau de Foucault », ce qui permet de voir les défauts de l’objectif et de les éliminer par des « retouches locales ».

Mais voici que l’on découvre que l’objectif de 38 cm destiné à la grande lunette de la tour Est est inutilisable. Foucault propose de le remplacer par un objectif plus grand, de 48 cm de diamètre, que l’on pourrait tailler dans les disques de Chance : la coupole est assez vaste pour accueillir une lunette de ce diamètre. Le Verrier ne veut pas sacrifier pour cela ces disques uniques par leur taille. Faute d’argent pour construire la lunette de 75 cm de diamètre qui, elle, nécessiterait une nouvelle coupole, on renonce en 1862 à tout travail sur les disques de Chance. D’ailleurs, Foucault aurait besoin d’un bon miroir plan de 75 cm de diamètre pour réaliser cet objectif avec la méthode qu’il a mise au point (Fig. 4.20) : il demande 30 000 francs rien que pour les études préalables, qu’il n’est pas question de lui attribuer. Nouveau rebondissement en 1865. L’année précédente, Le Verrier avait fondé l’Association pour l’avancement de l’Astronomie et de la Météorologie, dite aussi Association scientifique (Fig. 4.21), qui fusionnera plus tard avec l’Association française pour le développement des sciences, elle-même créée en 1872. Le but était de réaliser un lobby en faveur de ses projets, et de collecter des fonds. Le lobby est très efficace, puisque l’Association a promis dès 1864 50 000 francs pour travailler les disques de Chance, et qu’elle persuade les

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Figure 4.21. L’annonce de la création de l’Association pour l’avancement de l’astronomie et de la météorologie (Association scientifique).

députés de voter une subvention de 395 000 francs pour la construction de la lunette géante et pour l’achèvement d’un télescope de 1,2 mètre de diamètre dont nous parlerons plus loin. Foucault, avec l’aide d’un élève qu’il est en train de former, Adolphe Martin, est à ce moment en train de réaliser pour l’Observatoire un objectif achromatique de 24 cm de diamètre, puis un objectif de 19 cm pour l’observatoire de Lima au Pérou, pour lesquels il a développé les nouvelles méthodes de contrôle auxquelles il est fait allusion dans la légende de la Figure 4.1531. Il a certainement l’intention de reprendre le travail sur l’objectif de 75 cm : les disques de Chance ont maintenant été tournés au bon diamètre et on en a réalisé un poli préalable. Mais

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on réalise qu’ils sont trop minces (4 cm d’épaisseur), chose dont Foucault s’était probablement rendu compte quand il a proposé de les réduire à 48 cm de diamètre pour remplacer la lunette de la tour Est : on ne pourrait en faire qu’un objectif de distance focale excessivement longue ; ceci obligerait par contrecoup à construire une très grande lunette, qu’il faudrait loger dans une immense coupole. Foucault propose à nouveau de réduire à 48 cm le diamètre des disques, ce qui leur donnerait un rapport diamètre/épaisseur convenable, mais Le Verrier n’est pas d’accord : c’est pour une lunette de 75 cm qu’il a obtenu l’argent, et il n’est pas question d’en faire une plus petite. Et puis, Foucault tombe gravement malade de la sclérose en plaques qui l’emportera en 1868. Tout cela fait qu’on arrête de travailler sur les disques32. Le travail ne reprendra qu’en 1875 : nous parlerons à nouveau de l’instrument au Chapitre 7, qui traite de cette période.

Des lunettes fixes avec sidérostat Une solution qui a été quelquefois utilisée pour éviter les problèmes mécaniques que posent les grandes lunettes

Figure 4.22. Le sidérostat de Foucault (1869).

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orientables et leur immense coupole est de construire une lunette horizontale fixe dans laquelle la lumière est renvoyée par le miroir plan orientable d’un sidérostat. Foucault fondait de grands espoirs sur cette solution, qui n’aura cependant pas grand avenir car les sidérostats sont compliqués et comportent un miroir plan de haute qualité très difficile à polir, qui constitue d’ailleurs une surface optique supplémentaire par rapport à une lunette mobile. Un sidérostat conçu par Foucault, mais qu’il n’a pu réaliser avant sa mort, a été construit à la fin de 1869 par Eichens et Martin, sur financement spécial de Napoléon III33. Il alimentera d’abord un télescope horizontal fixe de 20 cm de diamètre, puis quelquefois une lunette, mais ne sera utilisé qu’assez rarement. Ce bel instrument (Fig. 4.22), qui est muni d’un régulateur du mouvement également conçu par Foucault, est conservé à l’Observatoire et a été récemment restauré. On peut encore voir quelques sidérostats en fonctionnement dans le monde, notamment un, du modèle de Foucault, qui alimente un spectrographe solaire à l’Observatoire de Meudon. Un sidérostat géant avec un miroir de 2 mètres alimentant une lunette horizontale de 1,25 m de diamètre, la plus grande jamais réalisée, sera bien construit pour l’Exposition universelle de 1900 à Paris, mais il n’intéressera guère les astronomes professionnels, d’autant plus que ce projet de pur prestige sera mené en dehors de leur communauté. Le miroir et les deux éléments, flint et crown, de l’objectif photographique subsistent à l’Observatoire de Paris ; l’objectif visuel n’a jamais été réalisé34.

Les télescopes Venons-en maintenant aux télescopes à miroir. Depuis le début du XIXe siècle, on avait abandonné en France la construction de ces télescopes, qui était pourtant assez active à la fin du siècle précédent. Ceci provient certainement de l’échec du « grand télescope de Passy », un instrument de 22 pieds de long et 18 pouces (49 cm) de diamètre, construit en 1759-1761 par un religieux bernardin, Dom Nicolas Noël, pour le cabinet de physique et d’optique de Louis XV à la Muette35. En 1800, Lalande estimait son prix à 500 000 francs. À la Révolution, ce télescope fut entreposé dans la galerie de l’Observatoire, qui est de plain-pied avec le jardin au Sud. On l’en sortait pour

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observer, dans des conditions très malaisées. L’opticien Carroché repolit en 1805 le miroir de bronze qui s’était oxydé, mais l’oxydation se rétablit rapidement sur la nouvelle surface et devint très gênante en 1807 ; on décida alors de laisser le miroir tel quel. Le télescope n’était plus là que pour satisfaire la curiosité du public auquel on ne montrait généralement pas les autres instruments, et fut démonté en 1841. Malgré le succès des grands télescopes de William Herschel et de son fils John, puis de ceux de Lord Rosse, on ne construira plus de télescope en dehors de l’Angleterre et de ses possessions pendant la première moitié du XIXe siècle.

Les télescopes de Foucault36 La situation va changer grâce à Léon Foucault. Pour vérifier la qualité des lentilles que l’on doit construire avec les disques de Chance, il lui faut, nous l’avons vu, disposer d’un bon miroir plan ayant au moins 75 cm de diamètre, qu’il n’est pas possible de financer. Mais on peut aussi se servir à cet effet d’un miroir concave, que Foucault envisage de polir lui-même, car un tel miroir est plus facile à réaliser qu’un miroir plan de haute qualité. Or il avait vu lors d’un voyage en Angleterre un miroir concave en bronze de 61 cm de diamètre construit par William Lassell (portrait Fig. 2.13), lequel l’installera en 1861 dans son télescope à Malte. Il savait aussi que William Herschel et Lord Rosse avaient poli avec succès des miroirs encore plus grands. Plusieurs petits miroirs de bronze se trouvent à l’Observatoire, et Foucault peut constater que leur surface, vue au microscope, n’a pas bel aspect. Il se tourne donc vers le verre, dont Newton savait déjà qu’il était plus facile à travailler que le bronze. Mais le verre, même bien poli, réfléchit peu la lumière. Pour Foucault, le remède est évident, car il l’a déjà expérimenté sur de petits miroirs : il suffit d’argenter la surface, par le procédé inventé en 1835 par le chimiste allemand Justus von Liebig, puis amélioré et breveté en 1843 par l’anglais Thomas Drayton. Ce procédé consiste à réduire une solution de nitrate d’argent par un aldéhyde ou un autre produit réducteur : l’argent se dépose sur la surface du verre placé dans le bain. Lorsque la couche d’argent est ternie, on la dissout en plongeant le miroir dans une solution d’acide nitrique, et on dépose une nouvelle couche.

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Foucault termine en 1857 son premier miroir concave de verre argenté. Il n’a que 10 cm de diamètre, mais les images du ciel qu’il donne sont de très bonne qualité. Il construit ensuite un miroir de 18 cm de diamètre utile, puis un autre de 20 cm qu’il place dans une monture d’Eichens, réalisant ainsi un petit télescope qui existe toujours à l’Observatoire (Fig. 4.23). Il fabrique encore d’autres miroirs, de 32 et de 36 cm de diamètre, dont la qualité est également excellente. Ce faisant, il développe les techniques de polissage et de contrôle qui seront utilisées pendant plus d’un siècle par les opticiens, et qui le sont toujours par les astronomes amateurs. Ses réalisations suivantes sont des miroirs paraboliques de 25 cm, de 33 cm puis de 40 cm de diamètre (les précédents étaient sphériques). Le miroir de 40 cm est placé en juin 1859 sur une monture équatoriale en bois d’Eichens semblable à celle du télescope de 20 cm (Fig. 4.24). Ce miroir y est supporté par un coussin de caoutchouc, que l’observateur peut gonfler à volonté au moyen d’un tuyau afin de compenser les distorsions gravitationnelles ou thermiques du miroir et d’obtenir ainsi de meilleures imagesj. Les commentateurs sont enthousiastes : « Au jugement de MM. Le Verrier et Chacornac, jamais aussi belle image de la Lune n’avait été admirée sous le ciel de Paris. » Les directeurs des observatoires de Cape Town en Afrique du Sud et d’Armagh en Irlande, qui sont présents à la démonstration, admirent eux aussi le spectacle, de même qu’Airy. Désormais on ne construira plus de télescopes à miroir de bronze, sauf celui de Melbourne en Australie qui sera un échec retentissant. Grâce au génie de Foucault, l’Observatoire dispose désormais d’un instrument de diamètre supérieur à tout ce qui existe dans le monde entier, et bien moins encombrant. Facilement transportables, les deux télescopes de 20 et de 40 cm seront expédiés en Espagne pour l’observation de l’éclipse totale du 18 juillet 1860, puis serviront à d’autres expéditions semblables (voir plus loin la Fig. 5.22). Ils seront longtemps utilisés à l’Observatoire (Fig. 4.25).

j On peut voir là l’ancêtre des dispositifs d’optique active qui équipent la plupart des grands télescopes d’aujourd’hui.

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Figure 4.23. Le télescope de Foucault-Eichens de 20 cm de diamètre (1858).

Figure 4.24. Le télescope de Foucault-Eichens de 40 cm de diamètre (1859).

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Figure 4.25. Préparatifs de l’observation du passage de Mercure devant le Soleil en 1907. De nombreux instruments sont disposés sur la terrasse de l’Observatoire de Paris : de gauche à droite, le télescope de 40 cm de Foucault, le télescope de 40 cm de Martin-Eichens, deux petites lunettes, le télescope de 20 cm de Foucault et une lunette.

Le Verrier, qui s’était jusque-là plaint du peu d’empressement de Foucault à lui obéir, a maintenant pour lui une grande considération. Il lui demande de réaliser un télescope plus grand, de 80 cm de diamètre : il sera terminé dès 1862 sans difficulté particulière, toujours avec une monture en bois d’Eichens. Il vaudra à Foucault d’être promu Officier de la Légion d’honneur. Ce télescope atteint la perfection et peut être considéré comme le premier télescope moderne (Encadré 4.1). Il est d’abord essayé à l’Observatoire de Paris, avec un grand succès (Fig. 4.26). Chacornac, en particulier, y fait un magnifique dessin de la Galaxie des Chiens de chasse (M 51), supérieur à celui que Lord Rosse avait fait en 1845 avec son « Léviathan » de 1,8 m de diamètre37. Le télescope est installé en septembre 1864 à l’Observatoire de Marseille, la succursale de l’Observatoire de Paris. Il y servira pendant un siècle, sans modification notable, dans un abri cylindrique original et pratique conçu par Foucault, qui a malheureusement disparu (Fig. 4.27). Le télescope lui-même est conservé après restauration, ainsi que son miroir. Foucault polira encore des miroirs de télescope : un de 33 cm puis un autre de 50 cm pour l’Observatoire

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d’Alger, un de 33 cm pour l’Observatoire de Toulouse, et peut-être d’autres. Il vérifie et signe également un assez grand nombre de petits télescopes à miroir de verre argenté, fabriqués et vendus à des particuliers par Secrétan.

Figure 4.26. Le télescope de 80 cm de FoucaultEichens (1862), installé provisoirement à l’Observatoire de Paris.

Figure 4.27. Le télescope de 80 cm de FoucaultEichens à Marseille, dans son abri conçu par Foucault. L’observateur se place sur l’escalier en pont vénitien qui lui permet d’accéder à l’oculaire (non visible) situé à l’extrémité supérieure du télescope. On peut approcher ou reculer cet escalier mobile du centre de la coupole selon l’orientation du télescope, et le placer à l’est, ou à l’ouest comme c’est le cas ici.

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Encadré 4.1. Le télescope de 80 cm de Foucault-Eichens Cet instrument peut être considéré comme le premier télescope moderne. Son miroir, parabolisé et retouché grâce aux méthodes inventées par Foucault, est d’excellente qualité. Pour atténuer ou compenser les déformations du miroir dans son barillet lorsque l’inclinaison du télescope change, Foucault donne une forte convexité à la face postérieure du miroir, qui a 8 cm d’épaisseur au centre contre 4 cm au bord, et il le place sur un coussin d’air, la face avant étant appuyée sur trois points fixes. L’observateur est muni d’un tuyau par lequel il peut faire varier la pression dans le coussin pour obtenir les meilleures images possibles. C’est la première optique active, dont le principe est appliqué depuis 1987 à tous les grands télescopes, quoique dans une réalisation différente. La monture d’Eichens est un modèle de simplicité et de robustesse, mais, construite en bois, elle est conçue comme provisoire et présente quelques inconvénients. L’entraînement se fait par un mouvement d’horlogerie muni d’un régulateur dessiné par Foucault. Le télescope n’est pas conçu pour la photographie qui n’était pas suffisamment développée à l’époque, et sa combinaison Newton (la lumière concentrée par le miroir est renvoyée sur le côté du tube au voisinage de son orifice, et c’est là que se place l’observateur) ne se prête bien qu’à l’observation visuelle. C’est ainsi que le télescope est utilisé jusqu’en 1962, avec des programmes remarquablement originaux. Dès sa mise en service, Édouard Stephan, le directeur de l’Observatoire de Marseille, s’en sert pour rechercher des galaxies petites et brillantes, dont il découvre environ 800 entre 1869 et 1885. Il constate que les galaxies sont souvent groupées par quelques unités (par exemple dans le célèbre quintette de galaxies auquel on a donné son nom), ou en amas plus importants38. Stéphan tente également de mesurer par interférométrie avec ce télescope le diamètre apparent des étoiles (voir Appendice 2, pièce n° 6) ; les physiciens Charles Fabry et Henri Buisson y observent la Nébuleuse d’Orion avec l’interféromètre développé par Fabry et Alfred Pérot,

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dont c’est la première utilisation astronomique39. De 1906 à 1962, Robert Jonckheere l’utilise pour découvrir 3 350 étoiles doubles, montrant ainsi que les télescopes sont aussi bons que les grandes lunettes pour ce type d’observations. L’Observatoire de Paris possède un autre télescope de 40 cm d’ouverture, terminé en mars 1870 par Eichens, avec un miroir de Martin (voir Fig. 4.25) ; il est très semblable au télescope de 40 cm d’Eichens-Foucault, la seule différence étant que son tube est métallique au lieu d’être en bois. Les deux télescopes sont mobiles sur des roulettes, et on les sort sur la terrasse pour les utiliser.

Un télescope géant pour l’Observatoire Le succès du télescope de 80 cm incite aussitôt Le Verrier à en envisager un plus grand encore pour l’Observatoire de Paris, de 1,2 m de diamètre. La société Saint-Gobain voit son intérêt à s’investir dans ce qui devrait être le plus grand télescope du monde, et propose de fondre un disque de verre à prix coûtant, soit 6 000 francs40. Le Verrier engage cette dépense sans en référer au ministre, et en 1864 l’Observatoire se trouve en possession d’un beau disque de 1,23 m de diamètre. Foucault hésite à en entreprendre le polissage, car il n’est pas possible à la main : il faut une machine comme celles avec lesquelles Lord Rosse et Lassell avaient poli leurs grands miroirs de bronze. Toujours prudent, il voudrait polir mécaniquement un miroir plus petit avant de s’attaquer au grand. Dans une lettre envoyée le 31 août 1866 de Villeurbanne, où il s’est réfugié après avoir été forcé de quitter l’Observatoire de Paris, Chacornac, qui a utilisé et admiré le télescope de 80 cm, encourage son ami Foucault à polir le miroir de 1,2 m ; il essaie même de le persuader qu’il peut faire bien plus grand, par exemple un miroir de 3 m de diamètre41. Mais l’urgence est maintenant de polir de grandes lentilles pour la lunette géante. Foucault ne pourra réaliser à titre d’essai que des objectifs de lunette plus petits, et mourra le 11 février 1868. On va donc construire le télescope géant sans Foucault. La situation financière est maintenant confortable, puisque Le Verrier a obtenu en 1865 une subvention de 395 000 francs pour la grande lunette, pour laquelle on ne peut rien dépenser encore, et pour le télescope. La monture

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est commandée à Eichens en 1869 mais ne sera terminée qu’en 187542. L’optique est confiée à Martin, mais il n’a pas l’habileté de Foucault et ne réussira jamais à faire un bon miroir. Nous parlerons au chapitre 7 des vicissitudes de cet instrument. Le télescope de 1,2 m sera donc un échec qui rappelle celui de la lunette de 38 cm.

Lunettes ou télescopes ? On peut s’étonner qu’après le succès des télescopes construits par Foucault, on ait encore construit des lunettes, qui pour un même diamètre sont énormément plus longues et nécessitent une coupole d’un prix très élevé ; de surcroît, l’avènement de la photographie obligera à construire des lunettes doubles, car il n’est pas possible de réaliser avec deux verres un objectif qui soit achromatique à la fois pour la lumière visible et pour la lumière bleu-violet à laquelle sont sensibles les plaques (une autre solution consistera à insérer un troisième verre amovible dans l’objectif afin de le transformer de visuel en photographique, ou inversement). Ce défaut n’existe pas avec les télescopes qui sont achromatiques par nature. Cependant, il est plus difficile de polir un bon miroir de télescope qu’un bon objectif de lunette : la précision de surface d’un miroir doit être environ 6 fois meilleure que celle d’une des surfaces de verre d’un objectif, pour un résultat semblable. Et puis les télescopes sont plus difficiles à utiliser que les lunettes, comme l’écrit Mouchez en 187943 : « Il ne faut pas se dissimuler d’ailleurs que l’usage de ces grands miroirs en verre argenté est fort délicat et exige une grande habileté, une grande expérience de la part des observateurs, quand on veut en tirer tout ce qu’ils peuvent donner. La moindre inégalité de température dans la masse du verre ou dans le tube, la moindre condensation d’humidité sur la surface, le plus léger défaut de symétrie de suspension ou de serrage du miroir dans son barillet, suffisent pour troubler les images de manière à rendre l’observation impossible. En outre, sous un climat aussi variable que celui de Paris, avec un état hygrométrique de l’air aussi changeant, la pellicule métallique sera souvent altérée et il faudra probablement réargenter le miroir chaque année après la mauvaise saison. Il y aura sans doute bien peu de soirées pendant lesquelles l’instrument [il s’agit du télescope de 1,20 m qu’on ne désespère pas de pouvoir utiliser] pourra donner toute sa puissance de visibilité. »

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La vulgarisatrice anglaise Agnès Clerke écrit de son côté en 188744 : « Les lunettes ont toujours été trouvées mieux adaptées que les télescopes au travail ordinaire d’un observatoire. Elles sont, en quelque sorte, d’une nature plus robuste et plus souple. Elles souffrent moins des vicissitudes de la température et du climat. Elles nécessitent moins de précautions que les télescopes pour garder leur efficacité, et ceci dans des conditions plus difficiles. Et surtout, il est plus facile d’y installer des accessoires, et elles se prêtent plus facilement aux mesures exactes. » On prétend par ailleurs que puisqu’« un télescope est un instrument moins clos qu’une lunette, l’agitation de l’air a sur les images une influence plus grande45, » ce qui est peutêtre vrai à une époque où les problèmes thermiques des coupoles sont mal résolus. Enfin, pour des objets brillants et étendus comme les planètes, la lunette est meilleure en apparence, car les résidus d’aberration chromatique de l’objectif se traduisent en variations de couleur qui sont plus faciles à apprécier que des variations de luminance : « Vues dans une lunette même médiocre, les bandes de Jupiter paraissent plus fortement accusées que dans le meilleur télescope à réflexion, » écrit Foucault46. On verra donc coexister lunettes et télescopes jusqu’à ce que ces derniers l’emportent progressivement au cours de la première moitié du XXe siècle, les problèmes techniques que posent l’utilisation des télescopes et surtout l’inertie des astronomes étant enfin surmontés. L’Appendice 3 liste les grandes lunettes et les grands télescopes construits jusqu’à la mort de Le Verrier en 1877.

Les observatoires de province Si l’Observatoire de Paris a été dès sa fondation l’objet de toutes les attentions des gouvernements successifs de la France, d’autres observatoires, le plus souvent privés, existaient en province. Il y avait en particulier une forte tradition d’astronomie à Marseille, où se trouvent plusieurs observatoires permanents à partir de 168547, ainsi qu’à Toulouse, Montpellier, etc. À la Révolution, la totalité des ressources techniques dans le domaine de l’astronomie sera confiée au Bureau des longitudes. Celui-ci parviendra à éviter quelques destructions, notamment la dispersion des instruments de l’Observatoire de Toulouse, et enverra en

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province des instruments parisiens plus ou moins déclassés, par exemple en 1798 une lunette de Carroché à Honoré Flauguergues pour son observatoire personnel de Viviers ; en 1838, le grand quart de cercle mural de l’Observatoire de l’École militaire de Paris, qui avait servi à Lalande et à son neveu pour construire leur catalogue d’étoiles, est attribué à l’Observatoire de Toulouse, où Arago vient de faire nommer directeur son élève Frédéric Petit ; une lunette méridienne, dont Benjamin Valz « ne fait plus usage » à Nîmes, est également envoyée à Toulouse la même année malgré les protestations de son propriétaire, qui avait à vrai dire été nommé deux années auparavant directeur de l’Observatoire de Marseille48. Cet observatoire avait déjà reçu une lunette méridienne de Jesse Ramsden acquise en 1803 par l’Observatoire de Paris, ainsi qu’une petite « machine parallactique » de Bellet provenant également de Paris49. Avec cette instrumentation dépassée, les observatoires de province ne pouvaient que péricliter, comme le remarque Wilhelm Struve dans sa lettre de 1847 à Le Verrier (Appendice 2, pièce n° 4). D’ailleurs, l’Observatoire de Marseille cesse de fonctionner en 1860, lorsque son directeur, Valz, part à la retraite. Le renouveau de ces observatoires sera la conséquence de la dégradation (plus ou moins imaginaire) des conditions d’observation à Paris et surtout de son climat moins favorable que celui du Sud de la France. Voici comment en 1862 un journal de Montpellier, visiblement bien informé par un des astronomes locaux, décrit la situation en citant Le Verrier50 : « Des oscillations de Sirius, cette brillante étoile qui resplendit pendant nos nuits d’hiver, avaient amené le célèbre Bessel à soupçonner la présence d’un astre voisin. Convaincu de la réalité de son existence, qui seule pouvait expliquer les mouvements séculaires de Sirius, M. Le Verrier ordonne de faire des recherches avec le nouveau télescope [celui de 80 cm, alors installé à l’Observatoire de Paris] ; le compagnon de Sirius ne pouvait échapper à des investigations faites avec un si puissant appareil. Malheureusement on dut attendre trois mois, une nuit favorable à l’observation de Sirius. Pendant ce temps, on se livrait, en Amérique, aux mêmes recherches. […] Favorisés par de [bonnes] conditions atmosphériques, les Américains annoncèrent la découverte du compagnon de Sirius. L’astronome placé à Paris, auquel était confié le télescope de Foucault ne put que constater, quelques

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jours après, pendant la nuit propice si longtemps attendue, la vérité de cette observation. De ce jour, a ajouté M. Le Verrier, nous nous sommes dit qu’il fallait chercher un ciel plus favorable aux investigations astronomiques, et transporter nos instruments dans le midi. »

L’Observatoire de Marseille, succursale de l’Observatoire de Paris Le Verrier va donc se préoccuper de chercher un meilleur site pour le grand télescope de Foucault : il contacte le ministre, qui lui donne l’autorisation de l’installer dans le midi. Les villes de Marseille, de Montpellier et de Toulon se mettent sur les rangs pour l’héberger. Marseille paraît mieux placée en raison de son passé astronomique, mais on craint que les observations ne soient gênées par le mistral, ce vent du Nord qui peut souffler si fort en Provence. Le Verrier, assisté par Foucault, décide donc de commencer par Montpellier sa visite des trois villes candidates. Le Journal de Montpellier du samedi 14 juin 1862 fait état de l’arrivée des deux hommes le jeudi précédent pour « étudier dans notre ville la convenance d’y établir un Observatoire important, annexe en quelque sorte de celui de Paris, et où seraient installés les instruments nouveaux de M. Foucault. » Ils sont évidemment très bien reçus, avec un banquet où Le Verrier raconte comment Foucault, ayant construit un miroir pour tester les deux lentilles de Chance, a réalisé ses miroirs en verre, notamment celui de 80 cm, si bien que ces lentilles sont devenues inutilesk ! Mais voici que le mistral souffle, et il est aussi fort à Montpellier et à Toulon qu’à Marseille. Il n’y a donc pas de raison particulière d’installer le télescope à Montpellier, et c’est Marseille qui est choisie. Le Verrier va en profiter pour réaliser son vieux rêve d’annexer l’Observatoire de Marseille rénové à l’Observatoire de Paris. Le maire de Marseille se montre enthousiaste. Le vieil observatoire des Accoules ne fonctionne plus depuis deux ans. Il était « enclavé dans un quartier à ruelles étroites ; tandis que Le Verrier voulait un emplacement assez vaste, assez distant de toute construction importante et où les divers instruments pourraient être établis isolément sur le sol même, de manière à k

C’est contradictoire avec l’insistance de Le Verrier pour construire la lunette de 75 cm de diamètre ; mais peut-être s’agit-il d’un lapsus, ou le journaliste a-t-il mal compris.

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ne pas se gêner les uns les autres. Après avoir songé d’abord à un point du parc du Château Borely, qu’il jugea ensuite avec raison trop rapproché de la mer, il opta définitivement, de concert avec le maire, qui était alors M. Rouvière, pour une partie du plateau de Longchamp, situé à l’est de la ville, à l’altitude de 75 mètres environ et presque entièrement entourée par des jardins publics. »51 En fait il y a déjà beaucoup de constructions aux alentours, mais peu d’industries, et l’éclairage public ne gêne pas encore les astronomes. Une convention est établie à titre provisoire le 19 juin 1862 entre le ministre et le maire de Marseille, puis à titre définitif le 16 mai 1865. Un décret de 1863 établit l’Observatoire de Marseille comme « succursale de l’Observatoire de Paris », Le Verrier est son directeur et Édouard Stephan, astronome, le dirige localement avec le titre de Directeur-adjoint ; il est assisté de deux astronomes-adjoints, MM. Borrelly et Coggia. Le terrain et l’équipement du nouvel observatoire appartiennent à la Ville de Marseille, qui fournit une subvention annuelle de 15 000 francs. L’Observatoire est inauguré à la fin de 1864 ; les bâtiments sont construits par l’architecte Espérandieu, qui a aussi réalisé la Cathédrale « La Major » et Notre-Dame de la Garde. Les travaux durent 14 ans, au cours desquels sont installés des instruments performants52 (la Fig. 4.28 en donne un plan d’ensemble). On y trouve : – le télescope de 80 cm, installé en 1864 ; – un chercheur de comètes de Eichens, objectif de 18,2 cm de Martin (1866) (Fig. 4.18) ; – un équatorial de Eichens, objectif de 25,8 cm de Merz, de Munich (1872). Son entraînement comporte un régulateur de Foucault, comme celui du télescope de 80 cm ; – un cercle méridien de Eichens, objectif de 18,8 cm de Martin (1876) ; – enfin, des appareils pour mesurer la déclinaison magnétique, ses variations et l’intensité du champ magnétique terrestre. On peut constater que le chercheur de comètes, l’équatorial et le cercle méridien répondent parfaitement aux spécifications suggérées en 1847 à Le Verrier par Wilhelm Struve. Il est vraisemblable que Le Verrier, qui aurait d’ailleurs bien aimé avoir à Paris un chercheur de comètes, a essayé de suivre ses conseils à la lettre. Le télescope est venu en plus, ainsi que les appareils magnétiques qui s’inscrivent dans un projet de carte magnétique de la France dont nous reparlerons plus loin. L’Observatoire de Marseille restera sous la coupe de l’Observatoire de Paris jusqu’en 1878, date à laquelle il prendra son indépendance.

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Figure 4.28. Plan de l’Observatoire de Marseille à la fin du XIXe siècle. F : bureaux, au 1er étage logement du directeur, au 2e étage logements des astronomes ; A et D’ : instruments méridiens ; B : télescope de 80 cm ; C : lunette de 26 cm ; E : atelier et potager ; D : pavillons magnétiques.

Les autres observatoires de province Un décret de 1856 crée à Alger une autre succursale de l’Observatoire de Paris, qui se limite initialement à une station météorologique au lycée d’Alger53. Mais en 1858 un autre décret, probablement inspiré par le Bureau des longitudes à la suite d’un imbroglio impliquant Le Verrier et Faye, y fonde une « station astronomique » qui regroupe les observations astronomiques, météorologiques et magnétiques. Elle dispose d’un télescope de Foucault de 33 cm de diamètre, puis d’un autre de 50 cm livré en 1861, mais végétera néanmoins jusqu’à ce qu’elle soit dotée en 1873 d’un statut et de moyens indépendants, et surtout d’un directeur dynamique, Charles Trépied, qui en fera à partir de 1880 un des meilleurs observatoires français. Bien plus ancien, l’Observatoire de Toulouse reste indépendant de Le Verrier. Il est mal équipé et peu actif. Un décret du 15 juillet 1872 le place sous la tutelle de l’État et le réorganise. Il sera désormais financé convenablement. Félix Tisserand en deviendra le directeur en 1873, pour peu de temps d’ailleurs car il sera bientôt nommé à Paris. Son remplaçant, Benjamin Baillaud, trouvera l’Observatoire en assez mauvais état : deux assistants remarquables, Henri Perrotin et Guillaume Bigourdan, ont suivi Tisserand à l’Observatoire de Paris, le télescope de Foucault de 33 cm de diamètre n’a pas de monture équatoriale et le miroir du grand télescope de 83 cm installé en 1875, copie de celui de Marseille due aux frères Henry (Fig. 4.29), doit être réargenté. C’est seulement dans les années 1880 que

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l’Observatoire de Toulouse atteindra enfin la maturité, avec un équipement et un personnel suffisants. Des décrets portant création des observatoires de Besançon, Bordeaux et Lyon datent du 11 mars 1878: la tendance est alors à la décentralisation. L’Observatoire de Nice, fondation privée du mécène Raphaël Bischoffsheim, sera construit à partir de 1879. Bischoffsheim le léguera en 1899 à l’Université de Paris, et il sera plus logiquement rattaché à l’Université de Nice dans la seconde moitié du XXe siècle54.

Figure 4.29. Le télescope de 83 cm de l’Observatoire de Toulouse (1875).

Il faut pour être complet mentionner l’Observatoire de Strasbourg, construit entre 1876 et 1880 par l’Allemagne dans le cadre d’une grandiose entreprise de modernisation de l’Université, qui doit devenir une vitrine de la science germanique. L’équipement, considérable, témoigne des efforts faits par le gouvernement allemand pour équiper l’Alsace et la Lorraine55 : une lunette équatoriale de Repsold avec un objectif de Merz de 49 cm de diamètre, la plus grande de l’empire allemand, un chercheur de comètes également de Repsold et Merz situé avec la lunette dans une immense coupole, et un grand cercle méridien à objectif de 16 cm, toujours des mêmes constructeurs, qui

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s’ajoute à une vieille lunette méridienne construite par Cauchoix en 1828. L’Observatoire deviendra français en 1919 avec l’Alsace et la Lorraine. Au cours du temps, on fera de moins en moins d’observations optiques dans tous ces établissements qui sont généralement placés en pleine ville : bientôt, l’heure sera aux observatoires de mission placés dans des situations géographiques plus favorables, l’Observatoire d’astronomie physique de Meudon occupant une position intermédiaire entre les observatoires de ville et ceux qui sont situés dans un meilleur climat et loin de la pollution lumineuse des cités.

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Chapitre 5 Le dictateur (1854-1870)

Le Verrier, gravure de Maurin d’après Daverdoing.

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Certes, Le Verrier a réussi à doter l’Observatoire de Paris et sa succursale marseillaise d’instruments performants et, en particulier, de plusieurs télescopes de Foucault à miroir de verre argenté qui sont une complète nouveauté. Mais il faut des astronomes pour faire fonctionner ces instruments, et c’est là que le bât blesse. Il y aura un véritable défilé d’astronomes et de calculateurs à l’Observatoire. Pourquoi ? On trouve dans un article nécrologique d’un astronome engagé par Le Verrier et mort en 1907, Maurice Lœwy, la phrase suivante1 : « Le Verrier savait découvrir les jeunes talents, les encourager et les attirer ; peut-être, une fois qu’il les avait attirés, ne leur continuait-il pas ses encouragements avec assez de persévérance. » Figure 5.1. Camille Flammarion (1842-1925).

De son côté, l’astronome-adjoint Ernest Périgaud déclarait en 18882 : « Jamais Le Verrier n’a dit à quelqu’un de ses subordonnés : « C’est bien. » Son premier mot était : « ça ne peut pas aller comme ça. » Nous allons voir de plus près ce qu’il en est.

La vie à l’Observatoire Le caractère de Le Verrier D’après Camille Flammarion (Fig. 5.1)3, Le Verrier était lorsqu’il l’a reçu à l’Observatoire en 1858 « grand, pâle, blond clair, et habillé de blanc, avec des pantoufles de cuir jaune. Né en 1811, il était alors âgé de 47 ans, mais ne les paraissait pas. » Il ajoute, plus loin dans ses mémoires : « M. Le Verrier avait le caractère le plus épouvantable qui se puisse imaginer. Hautain, dédaigneux, intraitable, cet autocrate considérait tous les fonctionnaires de l’Observatoire comme des esclaves. Il était très détesté. […] Ce caractère entier et intraitable du brutal directeur n’enlève rien à son génie de mathématicien ; mais il a exercé la plus funeste influence dans l’administration de l’Observatoire de Paris. La vraie cause de ce caractère hypocondriaque était, je ne l’ai su plus que tard, une maladie d’estomaca. » a

Cette affirmation est discutable : Le Verrier pouvait être aimable et détendu dans l’intimité, et il était autant désagréable en public avant qu’après sa maladie, qui était d’ailleurs une maladie du foie.

Le dictateur (1854-1870)

On peut lire un témoignage plus nuancé sous la plume de Joseph Bertrand, qui avait bien connu Le Verrier. Il écrit dans sa nécrologie de Félix Tisserand, le successeur de Le Verrier en ce qui concerne la mécanique céleste, et qui deviendra en 1892 directeur de l’Observatoire4 : « Malgré d’éminentes qualités, Le Verrier, d’après le bruit commun, inspirait de grandes préventions, et l’opinion générale lui reprochait un caractère difficile, dont ses collaborateurs se plaignaient ; agressif avec les uns, tyrannique avec les autres, il les tenait en défiance et en hostilité. Vigilant d’ailleurs et attentif aux détails, singulièrement habile à tout régenter, il avait fait de l’Observatoire une excellente école, réputée insupportable. On s’y élevait contre lui avec emportement et au-delà de toute vraisemblance. On amplifiait sans doute, et, sans vouloir trahir la vérité, les passions courroucées lui prêtaient de trop vives couleurs. Le maréchal Vaillant, ami de l’autorité, mais d’humeur conciliante, avait dit et aimait à redire : « L’Observatoire est impossible sans Le Verrier, et avec lui plus impossible encore. » […] » Le témoignage le plus vivant et sans doute le plus objectif5 au sujet du caractère de Le Verrier provient de textes manuscrits qui se trouvent à la bibliothèque de l’Observatoire de Paris, collationnés par un historien, Victor Advielle d’Arras qui avait peut-être l’intention de les publier6. Advielle avait été chargé de la vente de la bibliothèque de Le Verrier après la mort de celui-ci (elle eut lieu du 20 au 25 mai 1878). Il dit, mais sans autre précision, que la plupart des textes qu’il cite viennent de Charles Aimé Joseph Daverdoing, un peintre familier de Le Verrier dont il avait fait le portrait en 1846. Il est amusant de relater, d’après Advielle, comment ils se sont connus : « En 1833 […] il lui arrivait souvent, au milieu de la nuit, pour se distraire des calculs astronomiques, de jouer du violon avec frénésie, ce qui, on le pense, n’était pas du goût de ses voisins. Tout à côté de lui, logeait aussi, un jeune étudiant en droit, Daverdoing, depuis notaire et conseiller de préfecture à Arras, et non moins passionné violoniste que lui. Une nuit donc que Leverrier empêchait, selon sa coutume, son plus proche voisin de dormir, ce dernier se lève, empoigne violon et archet, et joue, à son tour, à rompre les murailles. Le lendemain, les deux voisins, s’étant rencontrés, étaient devenus amis, d’occasion, et depuis, la maison résonna souvent de leurs accords mélodieux. C’est de cette

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façon que par la suite, l’artiste peintre Daverdoing, frère de l’avocat, devint le familier de Leverrier. » Et voici maintenant comment est décrit le caractère de Le Verrier : « L’astronome était à tous crins, même avec ses familiers, même avec les membres de l’Institut ; mais dans l’intimité, il était bon enfant, fort gai, et avait beaucoup d’entrain. Leverrier était d’une exigence excessive pour les calculateurs de l’Observatoire ; et ne tenant compte ni de l’âge, ni de la valeur des auxiliaires, il exigeait d’eux une somme de travail souvent exagérée, d’où des plaintes vives sans cesse renaissantes. Il ne s’en était même pas toujours tenu aux paroles ; et une ou deux fois il s’était même empoigné avec certains. Malgré tout, il avait des moments d’élan et de générosité. Ainsi quand [blanc ; Eichens ou Secrétan ?] inventa sa grande lunette, Leverrier, qui 8 jours auparavant l’accusait de paresse et le tracassait, courut l’embrasser et lui dire qu’il l’avait mal jugé. Au reste, Leverrier reconnaissait loyalement, et souvent avec des accès de rire bruyant, que pour passer des nuits, dans ce qu’on appelle, à l’Observatoire, la Californie, il fallait avoir le diable au corps ; et quant à lui, il s’en dispensait le plus possible, presque tout son temps étant consacré à des calculs sur le papier. Les exigences de Leverrier étaient telles qu’il obligeait son garçon de bureau à ne jamais s’absenter, dût-il être pressé par un besoin quelconque ; et quand, parfois, il ne le trouvait pas à son poste, il lui infligeait une retenue de 2 francs. Les astronomes de l’Observatoire ont un traitement fixe ; et touchent en outre des gratifications. Or, ces gratifications, Leverrier ne les accordait qu’à ceux qui travaillaient en raison exacte de la masse de travail accomplieb. Il était sur ce point impitoyable, et n’acceptait aucune excuse. Un jour, il envoie Mme Leverrier dire à un astronome de venir lui parler à son cabinet. Mme Leverrier le trouve à table. C’est bien, c’est bien, dit-il [elle ?], finissez de manger, ce n’est pas pressé. Mais Leverrier, toujours exigeant, n’admettait pas plus de retard que d’excuses ; et il fit dire que c’était de suite, qu’il voulait le voir. Un familier entre chez Leverrier dans le temps où il s’occupait si fiévreusement de la planète Uranus ; Leverrier refuse de lui b

* Flammarion (1911) écrit p. 144 : « N’avait-il pas imaginé, pour accélérer le travail, de payer trois sous par étoile observée à la lunette méridienne ! Mais alors, on allait parfois trop vite, et les observations manquaient de la perfection nécessaire. »

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répondre. L’ami sort : un instant après il entend Leverrier jouer du violon. C’est trop fort, se dit-il, mais Mme Leverrier était là, et explique à l’ami irrité, que c’est dans les habitudes de l’astronome. Dès que l’ennui l’assiège, dès qu’un calcul l’embarrasse, il recourt à son violon, et son cerveau éprouve ainsi un grand soulagement. Au reste, il est le maître ; il faut lui obéir, disait souvent Mme Leverrier, aux familiers qui se plaignaient des excentricités de son mari. Leverrier aimait les honneurs. Un jour, qu’il se trouvait à Cherbourg, il apprend que la flotte russe y arrive. Vite il télégraphie à Mme Leverrier de lui expédier, de suite, ses ordres [décorations] russes. Le lendemain, avec le préfet, il s’embarque pour visiter le vaisseau amiral. Leverrier [arbore] un grand cordon russe. Aussitôt qu’il fut en vue, le canon se fit entendre au grand ébahissement du Préfet. L’amiral faisait saluer les ordres russes portés, dignement du reste, par Leverrier. Cette fois, nous pénétrons au cœur des infirmités humaines. Leverrier était souvent dégoûtant dans l’intimité : il pétait, rotait [sic], etc., sans s’en apercevoir ou sans se soucier de son entourage. C’est que plus il avançait en âge, plus l’astronome vivait dans une atmosphère qui n’avait plus rien d’humain. » Un contemporain disait plaisamment7 : « Le Verrier produit aussi naturellement des mots acerbes que les pommiers de son pays portent des pommes ». Les mémoires de Lucile Le Verrier contiennent d’autres informations sur son père8. En les lisant, on a l’impression d’une vie familiale sans histoires. Lucile peut réaliser son rêve de devenir une musicienne amateure de talent, grâce aux leçons de grands maîtres dont César Franck. Mais on ne trouve guère dans ces mémoires de description du caractère de son père, seulement quelques témoignages d’admiration : « Mon père est un astronome célèbre, un grand homme » (p. 19) ; « Séance de l’Association scientifique fondée et présidée par papa [janvier 1867]. Il a fait une leçon sur les comètes et les étoiles filantes ; il a été superbe, clair, éloquent, magnifique » (p. 27). Quant à l’affection, Lucile la réserve à sa mère.

Du côté des riches Ici encore, Daverdoing est un témoin attentif et sans concession :

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« La maison Leverrier était montée sur un grand pied ; et pourtant il n’avait de son chef ou du chef de sa femme, aucune fortune, mais, à l’époque de sa plus grande aisance, il touchait, comme sénateur, 30 000 francs comme Dr. de l’Observatoire, une somme à peu près égale ; et on peut évaluer à 20 000 francs les avantages qui lui revenaient en outre de diverses charges. Il vivait donc, à Paris, sur le pied de 80 000 fr de revenus, chiffre élevéc, avec lequel, on peut croire que Leverrier fit quelque économie ; mais il s’occupait bien [peu] de l’avenir de la famille. – Tant que je vivrai, disait-il à ses familiers, c’est à qui en Europe m’offrirait une situation lucrative si je perdais celle-ci ; mort, mon nom sera une ressource suffisante pour mes enfants ; au surplus, ils feront comme moi, ils travailleront. – Il y avait, dans cette maison, de continuelles réceptions, et des repas somptueux qui coûtaient souvent 1 000 ou 1 500 [francs]. Avec ce genre de vie, l’on conçoit que le précepte de la fourmi fut lettre morte sous ce toit. Aussi, quand vint l’heure de marier la jeune fille [Lucile], on ne put trouver et promettre que 20 000 francs de dot ; et on donnait tout ce qu’on avait. Heureusement, le gendre [Lucien Magne] était un architecte, riche, et peu exigeant. Quant au fils Leverrier [Urbain Louis Paul], il put grâce à son nom épouser à Lyon la fille d’un riche fabt de soiries, qui lui apporta 200 000 francs de dot, dit-on. » Les journaux de l’époque se font l’écho des mondanités de la famille, qui sont surtout organisées par Madame Le Verrier, dont la beauté et l’amabilité qui contrastent avec le caractère de son mari attirent des personnes de qualité. Les relations des Le Verrier avec Napoléon III et sa cour sont excellentes. L’astronome, parfait courtisan, était familier de la famille impériale comme en témoigne ce passage amusant d’un livre consacré à l’impératrice9 : « Un soir, après le dîner, on causait d’astronomie. L’illustre Le Verrier venait de découvrir, à la suite de ses merveilleux calculs, une étoile telle que l’étincelle électrique […] aurait besoin d’un nombre extraordinaire d’années pour atteindre ce corps céleste [sic ! un bel exemple de confusion journalistique]. Lui-même était là, expliquant ces choses étonnantes ; et la clarté simple de ses mots les rendait lucides à l’intelligence du prince-enfant, aussi bien qu’à l’attention des dames d’honneur et des chambellans. Le jeune Louis-Napoléon, c

Rappelons que le franc de l’époque valait plus de 3 de nos euros, et que Le Verrier ne payait aucun loyer.

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vivement intéressé, posait des questions ingénues au savant, qui se prêtait, tout de miel et de sucre, à les satisfaire. À ce moment les souverains s’approchèrent ; le cercle s’ouvrit respectueusement. « De quoi parlez-vous donc ? demanda l’impératrice. – Madame, répondit le grand homme en s’inclinant, Son Altesse Impériale daigne m’exposer ses idées sur l’astronomie ; elles sont très remarquables. Le jeune Louis-Napoléon ne douta pas de la parfaite justesse du compliment, car il s’en montra ravi. Mais sa mère ne lui permit point de rester longtemps sur une opinion aussi avantageuse de sa science. – Oh ! monsieur, dit-elle à Le Verrier, ne flattez pas cet enfant, qui, malheureusement, n’entend jamais la vérité. Ses idées sur l’astronomie ? Je devine ce qu’elles peuvent être. » L’empereur s’adresse quelquefois directement à Le Verrier pour obtenir quelque renseignement, ce qui témoigne de la familiarité entre les deux hommes (voir Appendice 2, pièce n° 7). Les Le Verrier l’accompagnent en Angleterre en 1854, pendant la guerre de Crimée ; madame Le Verrier joue alors le rôle de dame d’honneur et se fait remarquer « par la distinction de son esprit et sa toilette d’un goût parfait »10. On dit aussi que Le Verrier aurait accompagné l’impératrice en Égypte lors de l’inauguration du canal de Suez en 1869 ; mais les mémoires de sa fille Lucile ne le mentionnent pas, ce qui rend cette rumeur suspecte.

Le personnel « se renouvelle comme les voyageurs d’une auberge » Pour le personnel de l’Observatoire, la vie est beaucoup moins agréable, en raison des continuelles exigences de son directeur. Son manque d’intérêt pour ce qui n’est pas son propre domaine et pour ce qui se fait ailleurs n’a rien de stimulant pour ses subordonnés. Voici ce qu’en dit Advielle : « Leverrier n’avait pas à proprement parler de bibliothèque. Il ne lisait, au reste, presque rien. Il avait fait de bonnes études au collège de Coutances {en fait Saint-Lô], où il avait eu l’excellence en rhétorique ; il savait assez bien le latin, et un peu d’anglais. Les autres langues lui étaient inconnues. Aussi, n’aurait-il pu suivre que les travaux de quelques astronomes. Au reste, il ne jugeait digne de lui que les œuvres des plus grands astronomes.

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J’ai achevé ce mois-ci la rédaction de catalogue sur fiches, de ce qui fut sa piètre bibliothèque ; et j’ai pu constater, en effet, que presque tout ce qu’il avait reçu, de France, d’Angleterre et d’autres pays, ces années dernières, n’avait point été lu. Beaucoup de périodiques même étaient restés sous bande. Il en déchirait un coin, pour voir en quelle langue était l’ouvrage, puis les jetait au tas. Partie allait à la cuisine ; partie est ce qu’on va mettre en vente [vente dont est chargé Advielle]. » Le personnel doit donc faire pour un salaire de misère11 son travail de routine tel qu’il est défini par le directeur, sans se poser de question et sans en dévier en aucune manière. Toute déviation, même pour perfectionner ses connaissances en astronomie, est sanctionnée par une diminution de traitement. Ces variations dans les salaires divisés en « traitement fixe » et « traitement éventuel » à but incitatif sont tellement fréquentes (et aussi les changements de personnel) qu’il est pratiquement impossible de se retrouver dans les états qui ont subsisté12. Ce n’est qu’en 1868 que, contraint et forcé, Le Verrier stabilisera la situation. Le Verrier a aussi la mauvaise habitude de s’approprier les découvertes de ses subordonnés, ce qui n’est évidemment pas pour les stimuler dans leur travail. Et, d’après Flammarion13 : « La conduite particulière de ce personnage à l’Observatoire n’est que l’indice de sa manière d’agir dans le milieu scientifique, où il ne se fait aucun scrupule de traiter les questions nouvelles sans nommer même les astronomes qui les ont traitées avant lui, de manière à s’en faire attribuer toute la gloire, procédé d’une exquise délicatesse que cette année encore [1867] il a mis en pratique en exposant sa théorie cométaire des étoiles filantes, dont l’idée première appartient à M. [Giovanni] Schiaparelli, directeur de l’Observatoire de Milan. » Ce que dit Flammarion est exact : certains essaims de météorites (pluies d’étoiles filantes) sont dispersés tout le long de l’orbite de comètes, et donnent lieu à des pluies d’étoiles filantes en entrant dans l’atmosphère terrestre lorsque la Terre croise cette orbite (Fig. 5.2). Ceci a été découvert en 1866 par Schiaparelli pour deux comètes liées aux pluies d’étoiles filantes de novembre et d’août – les mêmes que celles considérés par Le Verrier dans un article de 186714. Schiaparelli avait publié son idée dans des revues que Le Verrier ne pouvait ignorer, à moins qu’il

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Figure 5.2. Orbites de comètes qui s’accompagnent de pluies d’étoiles filantes. On voit que ces orbites croisent celle de la Terre (petit cercle intérieur). Les comètes périodiques 1862 III et 1866 I sont associées respectivement avec les pluies dites des Perséides (en août) et des Léonides (en novembre), du nom des constellations dont ces pluies semblent provenir. La comète 1861 I et la comète de Biela, que l’on a vu se fragmenter, donnent lieu à des phénomènes semblables découverts un peu plus tard que les deux premiers.

ne les ait jetées avant de les ouvrir ! Delaunay les connaissait, lui, et avait fait remarquer que le physicien allemand Ernst Chladni avait déjà eu l’intuition d’une telle association dans son ouvrage de 1819 der Feuermeteoren15. Certes Le Verrier avait fait faire dès 1856 quelques observations simultanées à Paris et à Orléans qui avaient montré que les étoiles filantes se trouvaient à une grande altitude, quelquefois à plus de 400 km16, mais ce n’est pas lui qui a démontré leur association avec des comètes. Il arrive que Le Verrier se substitue à d’autres astronomes pour faire la conférence qu’ils avaient préparée17 :

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« [Le physicien genevois Auguste] de la Rive devait faire à l’Observatoire son expérience de reproduction de la lumière boréale, et elle devait être accompagnée d’une conférence faite par Marié-Davy. La veille, comme répétition générale, Le Verrier fait faire la conférence par Marié-Davy ; puis le lendemain il lui dit qu’il va faire la conférence lui-même ; et il la fait en effet. Delarive [sic] n’en revenait pas : il ne voulut pas faire son expérience. »

Révocations et démissions On n’en finirait pas de citer les brimades exercées par Le Verrier sur les membres de l’Observatoire, et on ne s’étonnera donc pas du nombre incroyable de démissions ou de révocations qui fait du personnel, selon Flammarion, « une tribu de nomades ». Soixante-trois astronomes et calculateurs ont quitté l’Observatoire entre 1854 et 1867 (Flammarion dit même qu’il y en a eu 104 jusqu’en 1870). Il serait fastidieux d’examiner chaque cas, mais la Figure 5.3 en donne la liste dans l’ordre approximatif de leur départ18.

Encadré 5.1. Jean Chacornac (1823-1873)19

Figure 5.3. Liste des astronomes ayant quitté l’Observatoire de Paris entre 1854 et 1867.

Né à Lyon dans une famille modeste, Chacornac entre dans le commerce et se retrouve, à Marseille, commis dans un bazar. Il fait la connaissance de Valz, directeur de l’Observatoire, qui l’autorise à observer en amateur. Peu après, il découvre une comète, ce qui décide de sa vocation. Valz lui confie la construction de cartes de l’écliptique qui doivent porter toutes les étoiles jusqu’à la magnitude 10 ; ce faisant, Chacornac découvre deux petites planètes, Massalia et Phocéa. Le Verrier le remarque et, comme il veut renouveler le personnel de l’Observatoire, l’engage comme astronome adjoint le 4 mars 1854. Chacornac continue à construire son Atlas écliptique, et découvre six autres petites planètes. Il fait de remarquables dessins d’objets célestes, notamment avec le télescope de 80 cm. Ses démêlés avec Le Verrier, peut-être dus en partie à une vie privée « assez louche : les jours de visite, il introduisait dans sa chambre une femme, et la gardait jusqu’à la visite suivante. Il a écrit, jusque sur ses cahiers-minute, en sténographie, des impressions assez lestes. », et la dégradation

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de sa santé, le forcent à se retirer à Villeurbanne, où il construit de ses mains une lunette et un télescope et poursuit des observations des taches solaires jusqu’à sa mort prématurée. Bien des scientifiques de valeur figurent sur cette liste. Il s’agit par exemple de Victor-Alexandre Puiseux, un bon mathématicien entré à l’Observatoire en 1854, dont le fils Pierre-Henri collaborera avec Lœwy à de magnifiques observations photographiques de la Lune. Une autre victime est Chacornac, un astronome marseillais appelé à Paris par Le Verrier dès 1854 à la suite de sa découverte de plusieurs petites planètes (Encadré 5.1). Excellent observateur, Chacornac a participé aux essais du télescope de 80 cm, et Le Verrier s’est glorifié de ses observations20. C’est un des rares astronomes qui a l’autorisation d’accéder aux lunettes équatoriales, avec lesquelles il peut se livrer « à des études bien autrement captivantes en elles-mêmes que les observations méridiennes », d’après Flammarion qui sympathise avec lui à l’Observatoire21 : « [Chacornac] cherchait alors à surprendre les manifestations de l’activité solaire par les variations des taches et s’occupait aussi des planètes. Il ne tarda pas à me prendre en amitié, et il représentait pour moi la personnification la plus accomplie des étudiants du ciel. Il dressa des cartes stellaires équatorialesd et découvrit plusieurs petites planètes entre Mars et Jupiter. Sa manière de voir en astronomie différait fondamentalement de celle des mathématiciens. Le Verrier lui suscita une série d’ennuis et d’obstacles, à ce point qu’il fut obligé de donner sa démission d’astronome à l’Observatoire de Paris. Il se retira à Villeurbanne, près de Lyon, où il continua ses travaux, en restant amicalement en correspondance avec moi. » Et pourtant22, Malgré ces incroyables obstacles, […] les astronomes titulaires, les astronomes adjoints et leurs aides, mettant à leur travail une obstination égale à celle que M. Le Verrier mettait à l’entraver, ont pu faire d’utiles travaux. Mais si ces fonctionnaires d

Ces cartes, qui couvraient en fait une zone autour de l’écliptique et non de l’équateur, avaient pour but de recenser les étoiles dans les régions où l’on avait des chances de découvrir des petites planètes, dans le but d’éviter de confondre celles-ci avec des étoiles.

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sont restés unis, ils ont dû, pour le faire, lutter contre des excitations bien propres à mettre en pleine lumière les motifs de l’étrange conduite de M. Le Verrier. […] À une réception du 1er de l’an [1867], les astronomes s’étaient présentés seuls devant le Ministre, M. Le Verrier ayant négligé de se mettre à leur tête. Après un court entretien sur la situation regrettable de l’Observatoire et des astronomes, « Monsieur le Ministre, dit en terminant Foucault, nous autres titulaires nous pouvons, au besoin, nous défendre, je vous recommande les faibles. » Quant à Flammarion, qui était entré à l’Observatoire comme élève-astronome en 1858 à l’âge de 16 ans, puis promu calculateur l’année suivante, il se place lui-même au premier rang des victimes. Il écrit dans ses mémoires23 : « Le chef de service, M. Serret, m’apprit que l’on ne pouvait pas s’occuper d’autre chose que des calculs de réduction des observations et que, quant aux observations elles-mêmes, c’était un autre service, auquel je pourrais peut-être arriver plus tard. Je compris par ces premières conversations que lui-même n’avait jamais mis l’œil dans un instrument, que M. Puiseux, l’astronome chef de service, n’avait jamais fait de recherches à l’aide de lunettes et de télescopes, pas plus que M. Desains, autre chef de service pour la physique, quoiqu’ils fussent tous deux professeurs à la Sorbonne, et je sus aussi que l’illustre Directeur, M. Le Verrier, était lui-même dans ce cas n’observant jamais. Je fis bientôt connaissance avec quelques jeunes astronomes du service des observations, notamment Thirion, qui était né à Langres, et j’appris que ce service avait pour but de constater l’instant précis du passage des astres au méridien, c’est-à-dire derrière les fils du micromètre de la lunette fixée invariablement dans le plan du méridien, et de mesurer leurs distances au pôle. […] Lorsque je m’aventurai à questionner ces observateurs sur la constitution de la Lune, de Vénus, de Mars, de Jupiter, de Saturne et des comètes, des étoiles et des nébuleuses, leurs réponses me montrèrent qu’ils n’y avaient jamais songé. Ainsi, l’astronomie physique, l’astronomie vivante, celle qui pour moi représentant l’admirable science du ciel, l’étude des conditions de vie dans l’Univers, était en dehors des travaux du programme de l’Observatoire de Paris ! Je n’y pouvais croire, et je n’en revenais pas. Les écrits d’Arago, l’ancien directeur de l’Observatoire, qui n’était mort que depuis cinq ans, m’avaient cependant donné une tout autre impression. […] Et avant lui, dans ce même Observatoire, les dessins de

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Mars par Maraldi, ceux de Saturne par Cassini, les recherches diverses qui ont illustré depuis Louis XIV notre grand établissement national auraient dû donner une tout autre compréhension de la plus merveilleuse des sciences. » Flammarion est lui-même congédié par Le Verrier en 1862. On lui reproche de s’occuper d’autre chose que du travail de correction d’épreuves des Annales de l’Observatoire, qui lui est confié : il est vrai que c’est un rêveur, qui vient de publier son premier livre de vulgarisation sur un sujet qui ne pouvait qu’irriter Le Verrier, La pluralité des mondes habités24. Il essaye de se faire pardonner par une lettre pathétique que nous reproduisons en Appendice 2, pièce n° 8, mais en vain. Il écrit25 : « Je n’eus aucune scène avec l’irascible autocrate. Il me dit simplement, de son ton autoritaire qui n’admettait pas de réplique : « Je vois, monsieur, que vous ne tenez pas à rester ici. Rien n’est plus simple, vous pouvez vous retirer. » […] En m’obligeant à quitter l’Observatoire pour ne plus subir d’interminables tracasseries, M. Le Verrier brisait ma carrière, comme on casse un verre, sans le moindre scrupule. […] Cependant, en partant, je fis un serment, comme autrefois les Romains, nos aïeux, le serment de me venger : « IL ME FAIT PARTIR, IL PARTIRA. » Ce serment, je l’ai tenu, comme on le verra par la suite. Nous parlerons plus loin de la Révocation de Le Verrier. Elle a été retentissante. Celui qui sème le vent récolte la tempête. » Léon Foucault est également victime de Le Verrier, mais c’est un peu sa faute : en effet, sa présence à l’Observatoire est très irrégulière, car il aime à travailler chez lui dans le calme. Cela suscite la colère de Le Verrier qui n’hésite pas à lui supprimer son salaire, alors même qu’il met au point, en partie sur ses propres deniers, ses méthodes de contrôle des miroirs de télescope qui seront une des gloires de l’Observatoire. Flammarion se souviendra encore en 1911 que Foucault était du coup « menacé de folie ». Finalement, après de difficiles transactions où intervient le général Ildephonse Favé, l’aide de camp de l’Empereur, le ministre décide que le salaire de Foucault sera versé directement par le ministère des Finances, mais seulement après qu’il ait signé une feuille de présence à l’Observatoire26 : ainsi la face est-elle sauve. Foucault essaiera en vain jusqu’à la fin de sa vie d’acquérir son indépendance financière, afin de se libérer de l’Observatoire.

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Encadré 5.2. Maurice Lœwy (1833-1907)27

Figure 5.4. Maurice Lœwy (1833-1907).

Maurice Lœwy est né à Vienne, où il commence sa carrière d’astronome en calculant les orbites de comètes et de petites planètes. Ces recherches attirent l’attention de Le Verrier qui l’invite à Paris, ce qu’il accepte d’autant plus volontiers que l’antisémitisme se développe en Autriche. Il arrive à l’Observatoire en 1860 et est nommé astronome-adjoint l’année suivante. Il continue ses recherches en mécanique céleste, mais participe de plus en plus à diverses tâches d’intérêt général et à de nombreuses observations. Naturalisé français en 1869, il sert son nouveau pays pendant la guerre de 1870. Il est nommé en 1872 membre du Bureau des longitudes. L’amiral Mouchez lui confie alors des tâches importantes au Bureau, notamment le perfectionnement des instruments astrométriques, la direction des calculateurs et la rédaction de la Connaissance des temps et d’une grande partie de l’Annuaire du Bureau des longitudes. Cette activité hors de l’Observatoire lui crée quelques difficultés avec Le Verrier. Lœwy propose dès 1871 la construction d’un nouvel appareil d’observation, l’équatorial coudé, qui connaît un grand succès après 1877 et lui permet de dresser avec Puiseux un remarquable atlas photographique de la Lune. Il prend la direction de l’Observatoire à la mort de Tisserand en 1896 ; il y est apprécié, notamment pour ses qualités humaines. Il meurt le 15 octobre 1907 en pleine réunion du Conseil des Observatoires.

Encadré 5.3. Charles Wolf (1827-1918)28 Figure 5.5. Charles Wolf (1827-1918).

Après de brillantes études à l’École normale supérieure, Wolf enseigne la physique en 1851 à Nîmes, puis l’année suivante à Metz où il passe en 1856 une thèse de physique. Il est ensuite nommé à la Faculté des sciences de Montpellier. Son goût pour l’astronomie se développe, et Le Verrier le remarque lors de sa visite dans cette ville et le fait nommer astronome titulaire en 1862. À Paris, Wolf se consacre au perfectionnement des observations méridiennes et à la synchronisation des horloges, qu’il réalise d’abord à l’Observatoire puis dans la ville de Paris. Il observe

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également avec les lunettes équatoriales, et découvre avec Georges Rayet en 1867 les étoiles à raies d’émission auxquelles on a donné leur nom. En 1875, il remplace Le Verrier dans son enseignement à la Sorbonne, tout en faisant avec succès des recherches très variées. En 1902, il écrit un ouvrage précieux sur l’histoire de l’Observatoire de Paris de sa fondation à la Révolution. Il meurt à l’âge de 91 ans en ayant conservé toutes ses facultés intellectuelles.

Encadré 5.4. Georges Rayet (1839-1906)29 Comme Wolf et Stephan, Rayet a été élève de l’École normale supérieure. Après l’agrégation en 1862, il est nommé professeur de physique à Orléans, puis entre l’année suivante à l’Observatoire de Paris comme adjoint de Marié-Davy dans le service météorologique nouvellement créé. Il y restera jusqu’en 1874, se consacrant également au magnétisme terrestre. Mais il se livre aussi à des observations astronomiques, découvrant avec Wolf les étoiles à raies d’émission auxquelles on a donné leur nom. Dans sa notice nécrologique de l’Astrophysical Journal américain, le rédacteur écrit : « Les observateurs actuels des spectres stellaires, qui utilisent la photographie et des instruments puissants, ont probablement du mal à réaliser combien étaient difficiles les premières observations spectroscopiques visuelles d’étoiles faibles ; ces découvertes méritent certainement davantage de crédit que celles faites avec les spectrographes modernes. » Il participe à l’expédition de 1868 au Siam pour observer l’éclipse totale de Soleil, où il réalise les meilleures observations de l’époque des raies brillantes provenant des protubérances solaires. Rayet quitte l’Observatoire en 1874 pour la Faculté des sciences de Marseille, puis en 1876 pour celle de Bordeaux. Il est nommé directeur de l’observatoire de cette ville à sa création en 1877, tâche qu’il accomplira jusqu’à sa mort avec grand succès. Rares sont ceux qui, comme Foucault, ont résisté et sont restés longtemps à l’Observatoire pendant le règne de Le Verrier : deux rescapés de l’époque d’Arago, Yvon Villarceau et Charles-Louis Largeteau qui est mort dès

Figure 5.6. Georges Rayet (1839-1906).

Figure 5.4. Maurice Lœwy (1833-1907).

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1857, et quelques autres recrutés par Le Verrier. Parmi ces derniers, on trouve Maurice Lœwy appelé d’Autriche en 1860 pour entrer à l’Observatoire et naturalisé français en 1869 (Fig. 5.4 et Encadré 5.2) ; il deviendra en 1896 directeur de l’Observatoire, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort par crise cardiaque en pleine réunion du Conseil des Observatoires, le 15 octobre 1907. On peut aussi citer Charles Joseph Étienne Wolf, recruté en 1862 comme astronome titulaire (Fig. 5.5 et Encadré 5.3), et Georges-Antoine Pons Rayet, entré en 1863 à l’Observatoire qu’il a malgré tout quitté en 1874 à la suite de « difficultés intestines » (Encadré 5.4 et Fig. 5.6). Il est devenu directeur de l’Observatoire de Bordeaux en 1879. C’est à Wolf et à Rayet que l’on doit la découverte en 1867, avec un spectrographe très simple (Fig. 5.7) adapté au télescope de 40 cm de Foucault, d’étoiles « dont le spectre présente des lignes brillantes » (étoiles à raies d’émission) : astres longtemps énigmatiques que l’on a baptisés étoiles de Wolf-Rayet, qui sont encore aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches30.

Figure 5.7. Principe du spectroscope simple à vision directe utilisé par Wolf et Rayet. La lumière entre à gauche et est déviée successivement par un prisme de crown C, un de flint F et un de crown C, placés tête-bêche. La déviation est nulle pour une longueur d’onde moyenne, mais il y a dispersion de la lumière.

Pourquoi toutes ces brimades ? D’après Périgaud31 : « Pourquoi tourmentait-il son personnel ? Par méchanceté ; c’était une espèce de folie. »

Le Verrier et le Bureau des longitudes32 Nous avons vu au chapitre précédent qu’avant de prendre la direction de l’Observatoire, Le Verrier avait voulu le débarrasser de la tutelle du Bureau des longitudes, et y

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avait réussi. On ne saurait donc s’étonner que les rapports entre les deux institutions aient été détestables pendant toute la durée de son règne. Séparé ainsi de l’Observatoire, le Bureau, où Delaunay a une grande influence bien qu’il n’en soit pas membre, va devenir un foyer de révolte permanente contre Le Verrier. Ici encore, le témoignage de Flammarion est vivant et précieux33 : « [Delaunay] habitait rue Notre-Dame-des-Champs, 76. Dans la même maison, demeuraient MM. Mathieu et Laugier. M. Mathieu était le beau-frère d’Arago, et cette maison lui appartenait ; M. Laugier était son gendre. C’est là que se tenait le Bureau des Longitudes. Ces savants étaient tous des ennemis irréconciliables de Le Verrier, à ce point que l’un des astronomes titulaires du Bureau des Longitudes, Largeteau, étant mort en 1857, ils n’avaient pas voulu procéder à son remplacement, pour ne pas être obligés de nommer Le Verrier, dont c’était le tour, car il était membre-adjoint, depuis l’année 1846 ! » Nous donnerons un peu plus loin quelques détails sur cette affaire. Mais laissons continuer Flammarion : « Delaunay, qui me connaissait comme élève à la Sorbonne, me présenta, séance tenante [après ma révocation de l’Observatoire], à M. Mathieu, président effectif du Bureau des Longitudes (le maréchal Vaillant était président pour la forme), et je fus reçu comme calculateur à ce bureau, chargé du calcul des positions de la Lune dans la Connaissance du Temps [sic], et aux mêmes appointements qu’à l’Observatoire : 200 francs par mois. Il s’agissait de transformer les positions de la Lune en longitude et latitude en ascensions droites et déclinaisons, simple affaire de trigonométrie. Ces pages de la Connaissance des Temps pour les années 1866 et 1867 ont été calculées par moi en 1862 et 1863e». J’étais tiré de l’abîme dans lequel Le Verrier m’avait fait choir. […] Depuis cette époque, le Bureau des Longitudes a été établi (en 1873) dans un immeuble sévère occupant le fond de la cour de l’Institut34. »

e

À dire vrai, Flammarion était si peu adapté à ce travail de routine qu’il a été prié de quitter le Bureau au bout de deux ans. Il devait déjà passer une grande partie de son temps à écrire des ouvrages de vulgarisation. Il vivra ensuite de sa plume fertile, et sera à la fin du siècle l’astronome le plus populaire de France, et peut-être du monde.

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Ainsi le Bureau des longitudes se cantonne-t-il à la préparation des éphémérides pour les marins et les astronomes, publiées trois ans à l’avance dans la Connaissance des temps, avec des extraits destinés au grand public dans son Annuaire, qui paraît lui-même seulement un an à l’avance. C’est un travail de routine, car il s’agit seulement d’obtenir les coordonnées des planètes et des satellites à partir des données théoriques de la mécanique céleste, de calculer les levers de Soleil et de Lune et de prévoir les éclipses de Lune, de Soleil, et des satellites de Jupiter. Ces publications ne coûtent rien au Bureau, car elles sont à la charge de l’éditeur, aussi son budget se borne-t-il aux indemnités de ses membres, au salaire des calculateurs, et à quelques frais annexes. C’est déjà trop pour Le Verrier, qui fustige le gaspillage auquel, selon lui, correspond ce budget. Sans doute à cause de ces critiques, le Bureau a le plus grand mal à obtenir du ministre les crédits supplémentaires pour engager d’autres calculateurs afin d’améliorer les éphémérides, et pour diminuer le prix de vente de la Connaissance des temps grâce à une subvention à l’éditeur : ces crédits finissent cependant par arriver en 1859 et en 1860. C’est le moment que choisit Le Verrier pour intervenir contre le Bureau à l’Académie des sciences. On lit le 6 février 1860 la note suivante dans les Comptes rendus35 : « M. Le Verrier appelle l’attention de l’Académie sur l’insuffisance et le défaut d’exactitude de la Connaissance des Temps et de l’Annuaire du Bureau des Longitudes. Il cite des exemples. La Connaissance des Temps n’est plus d’aucune utilité aux astronomes. Une réforme profonde, qui la relève de son infériorité vis-à-vis des éphémérides étrangères est urgentef. » Mathieu répond à ces accusations lors de la séance suivante. En ce qui concerne l’Annuaire, il ne s’agit que d’une faute d’impression. Pour la Connaissance des temps, l’accusation est plus grave. Voici des extraits de la réponse de Mathieu : « Déjà en 1856 M. Le Verrier avait imprimé dans le Compte rendu : « La Connaissance des Temps n’est plus depuis longtemps un ouvrage scientifique. » Cette accusation est restée sans réponse de notre part, comme tant d’autres que f

On trouve dans les papiers de Le Verrier pour la même époque un projet de décret qui aurait enlevé complètement au Bureau des longitudes la rédaction de la Connaissance des temps.

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M. Le Verrier ne se lasse pas de diriger contre nous. Nous pensions que le terrain était mal choisi pour une discussion dont la science n’est que le prétexte ; mais puisque M. Le Verrier, qui appartient au Bureau des Longitudes, a cru pour la seconde fois porter ses attaques devant l’Académie, au lieu de s’adresser directement au Bureau, il me sera permis de lui répondre en détail dans cette assemblée. Il faut que le monde savant apprenne ce que M. Le Verrier sait parfaitement : c’est que le Bureau des Longitudes a fait jusqu’à présent tout ce qu’il était possible de faire pour la Connaissance des Temps, avec les faibles ressources dont il pouvait disposer. […] M. le Ministre de l’Instruction publique, comprenant bien la nécessité de venir en aide au Bureau pour assurer un service public important, a accordé en 1859 une somme de 8 000 francs. Alors on a pu donner dans la Connaissance des Temps les positions de la Lune d’heure en heure au lieu de 12 heures en 12 heuresg. Le même crédit vient d’être accordé cette année. […] Le Bureau est donc rentré dans la voie des améliorations. M. Le Verrier connaît cette circonstance, et, sans être arrêté par le scandale qu’il va produire au dehors, il choisit précisément ce moment pour attaquer publiquement le Bureau des Longitudes dont il fait partie. J’ai eu le bonheur, dans ma jeunesse, de siéger au Bureau des Longitudes à côté des savants les plus considérables de notre temps : Lagrange, Laplace, Legendre, Delambre. […] Ces hommes illustres réunissaient leurs efforts dans l’intérêt unique de la science. Jamais je n’ai rien vu de pareil à ce que je vois aujourd’hui. » Liouville, puis Delaunay se mêlent à la controverse : Le Verrier et eux se reprochent mutuellement des fautes dans leurs articles. L’Académie tente de calmer le jeu, mais en vain. L’accusation la plus grave vient de Le Verrier, qui prétend que Delaunay a commis des erreurs dans sa Théorie de la Lune : il avait prédit une certaine valeur pour une inégalité séculaire du mouvement de la Lune, alors que l’observation donne une valeur différente. Or il se trouve que Delaunay ne s’est nullement trompé : la discordance, qui est réelle, ne sera expliquée que bien plus tard. Toutes ces disputes vont encombrer les Comptes rendus jusqu’à la fin de 1860. Elles laisseront bien entendu des traces. g

La position de la Lune par rapport aux étoiles voisines est un des moyens que les marins utilisent pour obtenir l’heure si leurs chronomètres ont des problèmes, afin de déterminer la longitude.

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À cette époque, Delaunay se rapproche de la cour impériale et a dans une certaine mesure les faveurs de l’empereur. Le 3 février 1861, il lui présente le premier volume de sa théorie du mouvement de la Lune, et Napoléon III lui dit36 : « Vous n’êtes pas membre du Bureau des Longitudes ? Eh bien ! Je suis bien aise de vous consulter à ce sujet. Deux opinions sont en présence ; les uns me disent qu’il faudrait réunir le Bureau des Longitudes à l’Observatoire, d’autres qu’il faut laisser les deux établissements séparés l’un de l’autre et nommer aux places vacantes dans le Bureau. Qu’est-ce que vous en pensez ? » Delaunay répond qu’il est favorable à la séparation. Mais il doit être assez ennuyé de ce qu’il faille pourvoir à des nominations dans les places vacantes du Bureau. En effet, Le Verrier est membre adjoint depuis 1846 et aurait dû depuis longtemps être nommé titulaire. Le Bureau retarde donc toutes les nominations aux postes vacants afin de ne pas le promouvoir. En 1861, le ministre enjoint le Bureau de lui présenter une double liste de candidats pour remplacer Largeteau (mort en 1857), Poinsot (mort en 1859) et Pierre Daussy (un navigateur décédé en 1860) comme membres titulaires. Le maréchal Vaillant, qui ne vient presque jamais au Bureau, y assiste cette fois pour les présentations des candidats. Mais, devant les difficultés que les membres font pour procéder au vote, il doit demander des instructions précises au ministre, qui répond par une lettre extrêmement détaillée. Finalement, le Bureau se décide à proposer des noms, parmi lesquels ne figure pas celui de Le Verrier. « Ainsi, il est bien entendu que vous repoussez M. Le Verrier, » dit le maréchal. Après une séance orageuse en comité secret, l’Académie entérine la liste mais y ajoute tout de même le nom de Le Verrier pour la place libérée par le décès de Poinsot. En vain, car il n’est pas élu ! De guerre lasse, le ministre émet le 26 mars 1862 un décret qui porte de 9 à 13 le nombre de membres titulaires du Bureau des longitudes : c’est justement le nombre des candidats, qui sont tous nommés par l’article 2 du décret. Le Verrier est donc promu membre titulaire, et Delaunay, qui était candidat lui aussi, nommé en même temps que lui ! L’article 3 du décret constate « en conséquence » la composition du Bureau : – 3 membres de l’Académie des sciences : Liouville, Le Verrier, Delaunay ;

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– 5 astronomes : Mathieu, Laugier, Yvon Villarceau, Faye, Foucault ; – 3 membres du département de la Marine : Deloffre, Mathieu, N. ; – 1 membre du département de la Guerre : maréchal Vaillant ; – 1 géographe : Peytié ; – 1 artiste ayant rang de titulaire : Breguet ; – 2 artistes : Lerebours, Brunner. C’est la fin de l’épisode, mais ce n’est pas la fin de la guerre. Fort de la nouvelle vigueur que lui a donnée d’autres articles du décret de 1862, le Bureau des longitudes prend des initiatives qui empiètent clairement sur les prérogatives que s’était arrogées Le Verrier : dès le mois suivant, « M. Delaunay [propose] au Bureau de s’occuper d’un plan d’opérations relatives à la physique du globe, que l’on pourrait entreprendre dès le printemps de l’année prochaine. Ces opérations comprendraient les déterminations géodésiques et astronomiques d’un nombre de points convenablement choisis du territoire français, les observations du pendule [pour la détermination de la gravité], celles de l’aiguille aimantée, etc. On pourrait encore s’entendre avec les savants étrangers pour réaliser en commun des travaux de cette nature. » Ces propositions sont précisées et adoptées à l’unanimité des présents le 5 novembre 1862, en l’absence de Le Verrier qui boude systématiquement les séances du Bureau. Il est vrai qu’il avait déjà commencé une partie du travail, avec l’aide d’Yvon Villarceau. S’ensuit une nouvelle polémique, courte mais vive, à laquelle participent en première ligne Le Verrier d’un côté, et Delaunay et Faye de l’autre. Finalement le Bureau renoncera à la partie astronomique de ses projets, faute de moyens, et Le Verrier aura le champ libre. Cependant, le Bureau va entreprendre en 1866 une vaste opération de géodésie : celle dite des méridiens fondamentaux. Nous reparlerons de tout cela au chapitre 8. Parmi les griefs formulés par le Bureau à l’encontre de Le Verrier figure en bonne place le problème de la salle des séances et de la bibliothèque. Le local loué à Mathieu rue Notre-Dame-des-Champs est trop exigu pour qu’on puisse s’y réunir, aussi le Bureau ne dispose-t-il à cet effet que d’une salle à l’Observatoire, peu ou pas chauffée et mal entretenue (ce qui n’est pas un hasard !), et sans même une armoire fermée pour ranger les dossiers que le secrétaire doit donc garder à son domicile. Mais surtout, l’usage

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de la bibliothèque restée commune à l’Observatoire et au Bureau est impossible pour ses membres. Après plusieurs années de réclamations, le Bureau charge son président, le maréchal Vaillant, de négocier avec Le Verrier l’accès de la bibliothèque ou son partage, mais il renoncera bientôt à cette mission. L’Observatoire de Paris conserve une abondante correspondance sur ce problème mineur, qui restera longtemps sans solution.

L’organisation et les travaux à l’Observatoire Une hiérarchie rigide

Figure 5.8. La sphère céleste. Le ciel est représenté par une sphère centrée en O sur l’observateur. L’horizon est représenté avec trois points cardinaux NWS, ainsi que l’équateur et son pôle Nord P. Le mouvement diurne fait tourner les astres autour de l’axe de la Terre OP, de l’est vers l’ouest. La position d’une étoile A peut être repérée, soit en coordonnées horizontales par deux angles, son azimut a et sa distance z au zénith, soit en coordonnées équatoriales par son angle horaire H et sa déclinaison b. _ est son ascension droite, mesurée par rapport au point a, intersection de l’équateur et de l’écliptique (non représenté), qui est la trajectoire annuelle du Soleil. L’origine du temps sidéral local est le passage du point a au méridien du lieu d’observation.

Ce qui précède nous a laissé entrevoir une organisation hiérarchisée et compartimentée de l’Observatoire. Au sommet, le directeur. En dessous, quatre services avec chacun un chef : – Service des observations méridiennes : Yvon Villarceau, puis Lœwy ; – Service des calculs : Serret puis Gaillot ; – Service des équatoriaux et télescopes : Chacornac puis Wolf ; – Service météorologique (dit aussi Service de physique du globe, ou Service de physique tout court) : Liais, puis Desains après l’éjection et le départ de Liais pour le Brésil en 1858, enfin Marié-Davy après la démission de Desains en novembre 1861. Les observateurs chargés du service des observations méridiennes font au début les observations météorologiques ; le magnétisme terrestre fait partie des attributions de ce service37, qui prendra une importance croissante. Marié-Davy sera continuellement l’objet des tracasseries de Le Verrier. Il sera même relevé temporairement de ses fonctions en décembre 1864 puis en décembre 1865. Il lui faudra beaucoup de constance pour mener son travail à bien38. En plus, on trouve le « physicien de l’Observatoire », Léon Foucault, jusqu’à son décès en 1868. Les devoirs de chacun des services sont strictement précisés, même en ce qui concerne les « recherches personnelles » des astronomes du service des équatoriaux et télescopes. Cela ne va évidemment pas faciliter les initiatives. Voyons maintenant ce que fait chaque service.

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Les observations méridiennes et leur réduction Les observations du temps de passage des astres au méridien, avec la lunette méridienne, et de leur distance angulaire au zénith à cet instant qui se fait au cercle méridien, constituent à l’époque l’activité principale de la plupart des observatoires. Du temps de passage des étoiles de position déjà bien connue, on déduit le temps sidéral local et on règle les horloges de l’observatoire en conséquence (Fig. 5.8). Puis, si l’on mesure l’instant du passage au méridien d’une étoile ou d’une planète, grande ou petite, on peut en déduire une de ses coordonnées : l’ascension droite. La mesure de la distance angulaire au zénith des étoiles de référence (de position bien connue) permet de connaître la latitude du lieu où se trouve l’instrument (Fig. 5.9). La même observation effectuée sur une étoile quelconque ou une planète permet de connaître l’autre coordonnée de l’astre, la déclinaison, une fois la latitude bien déterminée. Bien entendu, ces opérations nécessitent une connaissance profonde de l’instrument utilisé : il faut savoir comment les fils du réticule qui permettent de repérer l’instant des passages sont disposés par rapport au méridien local, et connaître en détail les erreurs de division du cercle gradué vertical qui permet de mesurer la distance zénithale. Il serait fastidieux d’expliquer comment sont réalisées ces déterminations, qui occupent une grande partie de l’activité des astronomes du service. C’est à ce prix que l’on peut obtenir des mesures valables. Le règne de Le Verrier voit un progrès certain dans les techniques d’observation du passage au méridien, notamment par la réalisation d’un système d’enregistrement du temps et des passages sur ruban de papier. Les observations ont, nous l’avons dit, un caractère de routine : observations d’étoiles, de planètes, du Soleil et de la Lune. Malgré les difficultés dues au changement continuel de personnel, Le Verrier réussit à assurer une continuité raisonnable dans ces mesures. Il est vrai qu’un accord avec l’Observatoire de Greenwich a permis de partager le travail entre les deux observatoires : à Paris, on observe les planètes entre la pleine Lune et la nouvelle Lune, tandis que Greenwich se charge des observations complémentaires. On parvient même à entreprendre un travail d’importance : une nouvelle mesure de la position

Figure 5.9. Relation entre la distance zénithale z d’une étoile lors de son passage au méridien et sa déclinaison b avec la latitude h. La figure est faite dans le plan du méridien local. La latitude h est la hauteur angulaire au-dessus de l’horizon du pôle P de l’axe de rotation de la Terre.

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des quelque 50 000 étoiles du catalogue de Lalande, un projet qui ne sera pas terminé du vivant de Le Verrier. Le service des observations méridiennes est également chargé de l’établissement et de la distribution de l’heure. L’observation du passage du Soleil au méridien donne le temps solaire vrai, d’où après correction le temps solaire moyen qui sera progressivement distribué aux horloges de Paris et de quelques autres villes. Le service doit enfin tester des théodolites et des lunettes méridiennes portatives destinés à la détermination des latitudes et des longitudes en différents endroits de France, et de faire les déterminations correspondantes (nous avons précédemment mentionné que le Bureau des longitudes aurait bien voulu s’emparer de ces activités, mais qu’il y a finalement renoncé). Cette activité est relativement limitée : rien de comparable à ce qui s’est fait jusqu’à 1850 en vue de la construction de la carte de l’état-major au 1/80 000. L’intérêt des nouvelles mesures de longitude, qui seront décrites au chapitre 8, est qu’elles utilisent la synchronisation des horloges par signaux télégraphiques, ce qui est un énorme progrès. Contrairement à ce qui se passait du temps d’Arago, les observations méridiennes sont réduites au fur et à mesure et publiées par le Service des calculs : elles remplissent de gros volumes des Annales de l’Observatoire impérial de Paris. Dans tous les domaines que nous venons de citer, on doit considérer que l’influence de Le Verrier a été réellement bénéfique.

Les observations avec les lunettes et les télescopes On pourrait croire que Le Verrier a moins réglementé ce type d’observations, qui n’ont pas d’utilité immédiate, que celles qui sont faites avec les instruments méridiens. Il n’en est rien. Dans un long rapport de décembre 1869, Le Verrier les définit ainsi39 : « Le service des Équatoriaux du grand bâtiment et des Télescopes comprend les observations régulières et les recherches personnelles. Les observations régulières se font au grand Équatorial de la tour de l’Ouest, et, s’il y a lieu, à l’équatorial de Gambeyh. Ce sont : h

L’équatorial de la tour de l’Est était alors abandonné, en raison de la dégradation de son objectif.

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1° Les observations de Comètes, des Planètes nouvellement découvertes et de celles dont les éphémérides sont trop mal déterminées pour qu’on puisse les observer directement au grand [cercle] Méridien. […] [Il s’agit de mesurer la position de ces astres par rapport aux étoiles voisines, grâce à un micromètre]. 2° La construction des Cartes de la zone de l’Écliptique. […] [Ces cartes contiennent beaucoup d’étoiles, ce qui permet d’en distinguer les petites planètes qui circulent près de l’écliptique, et de mesurer plus facilement la position de ces planètes ; le travail commencé par Chacornac n’en était qu’à la moitié à son départ en 1869]. Les recherches personnelles comprennent : 1° Les études spectroscopiques et photographiques entreprises depuis plusieurs années. 2° Un travail d’étude sur une ou plusieurs Étoiles doubles convenablement choisies, et la détermination de parallaxes d’étoiles. » Toute initiative est donc bridée ; heureusement, les astronomes peuvent faire discrètement quelques observations non prévues. C’est sans doute ainsi que Wolf et Rayet ont fait leur découverte des étoiles à raies d’émission auxquelles on a donné leur nom. Mais la lecture du rapport du chef de service, qui n’est autre que Wolf, insérée dans le rapport général de Le Verrier, est assez consternante vue par l’astronome d’aujourd’hui. Des efforts considérables sont consacrés à la construction des cartes de la zone de l’écliptique (appelées plus communément cartes écliptiques) ; il est vrai qu’ils ont permis l’introduction de nouvelles techniques électriques d’observation qui ont considérablement amélioré le rendement des mesures de position d’étoiles. Mais, en réalité, rien n’a été fait depuis le départ de Chacornac, qui avait pourtant construit 36 cartes sur un total espéré de 80. Wolf n’en réalisera qu’une, une autre étant faite par Stephan à Marseille40. Les frères Paul et Prosper Henry en feront 14 autres après 187241. Il y a eu aussi l’observation du passage de Mercure sur le Soleil le 5 novembre 1868, qui n’a d’intérêt que pour la mécanique céleste. Wolf a aussi été chargé des expériences relatives à l’unification de l’heure dans l’intérieur de l’Observatoire, par transmission de signaux électriques à partir d’une horloge mère ; il n’y parviendra qu’en juin 1870, avec l’aide de l’horloger Winnerl. Tout cela lui a pris bien du temps, si bien que

Figure 5.10. Le père Angelo Secchi, S.J. (1818-1878).

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« la Spectroscopie nous a peu occupés. La comète de Winnecke de 1869 était trop faible pour que sa lumière donnât un spectre visible. Une Note du [père Angelo] Secchi nous a imposé l’obligation de revoir les trois petites étoiles découvertes par nous en 1867 : les anciennes observations sur la présence de lignes [raies] brillantes dans leurs spectres ont été pleinement confirmées. M. Rayet a continué, au grand Équatorial, ses belles recherches sur les protubérances [solaires]. »

Figure 5.11. Quatre spectres stellaires typiques, dessinés par le père Angelo Secchi d’après ses observations visuelles. La longueur d’onde croît de la gauche vers la droite. Les raies principales sont représentées par des lettres. Quelques-unes étaient alors identifiées à des raies de divers éléments observées au laboratoire. Les deux spectres du bas (étoiles froides) sont dominés par des bandes moléculaires. Du haut en bas : étoile de type solaire (type spectral G1) ; Sirius = _ Canis Majoris (A1) ; Bételgeuse = _ Orionis (M1) ; _ Herculis (M5).

Figure 5.12. Spectres de divers objets obtenus par Secchi. De haut en bas, deux étoiles froides, une comète avec ses bandes moléculaires caractéristiques, et une nébuleuse non spécifiée (probablement une nébuleuse planétaire).

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Figure 5.13. Le spectroscope « de poche » à vision directe de Janssen utilisé par Secchi42. C’est un spectroscope à vision directe, où l’élément dispersif est une série de prismes P alternativement en crown et en flint, dont la déviation totale est nulle pour une longueur d’onde moyenne (voir la Fig. 5.7). La lumière entre de la gauche ; l’oculaire O à droite est muni d’un micromètre mm. Un petit prisme à réflexion totale r permet à la lumière d’une lampe d’étalonnage de pénétrer dans l’appareil.

C’est bien peu de chose, à une époque où le père Secchi (Fig. 5.10), justement, est en train d’examiner à l’Observatoire du Vatican le spectre de plus de 4 000 étoiles et autres objets, et de poser , avec d’autres d’ailleurs, les bases de la classification stellaire43 (1863-1868 ; Fig. 5.11 et 5.12). Secchi utilise plusieurs spectroscopes construits par Jules Janssen, dont un spectroscope à vision directe44 (Fig. 5.13). Déjà, en 1860, les Allemands Gustav Kirchhoff et Robert Wilhelm Bunsen avaient montré, également grâce à la spectroscopie, que le Soleil contient plusieurs des éléments chimiques que l’on trouve sur la Terre45. En 1864, William Huggins (Fig. 5.14) en Angleterre obtient d’excellents spectres de quelques étoiles avec un remarquable spectroscope de sa construction (Fig. 5.15), et y reconnaît les raies de nombreux éléments46. Il découvre en 1864 et 1865, indépendamment de Secchi, la présence de raies d’émission émise par un gaz dans de nombreuses nébuleuses planétaires et dans la grande Nébuleuse d’Orion, répondant ainsi à la question posée par William Herschel : y a-t-il des nébuleuses qui ne sont pas formées de nombreuses étoiles, mais d’un « fluide brillant, » c’est-à-dire un gaz ? Il observe aussi, de même d’ailleurs que Secchi, de bons spectres de comètes. Au début des années 1870, il obtiendra les premiers spectres stellaires sur plaques photographiques47 en même temps qu’Henry Draper aux États-Unis. Et puis, en 1868, Huggins mesure pour la première fois la vitesse radiale d’une étoile, Sirius, en utilisant le décalage de

Figure 5.14. William Huggins (1824-1910).

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ses raies spectrales dû à l’effet Doppler-Fizeau. Le retard de la France est flagrant malgré ses compétences techniques : l’impulsion donnée par Arago aux recherches astrophysiques s’est arrêtée avec sa mort et l’avènement de Le Verrier, et ce retard sera bien difficile à combler.

Figure 5.15. Le spectroscope de Huggins. La fente d’entrée est en d, un petit prisme e placé devant une moitié de la fente y renvoie une lumière de comparaison, non représentée. g est une lentille achromatique, h h deux prismes en série et l la lunette avec son oculaire o qui permet de voir le spectre. La Figure 4 de cette planche montre deux portions du spectre de l’étoile ` Cygni (type spectral K3II), et la Figure 5 le spectre de la nébuleuse planétaire NG 6543 dans la constellation Draco : on y voit des raies d’émission que Huggins tente en vain d’identifier : seule l’identification avec une raie de l’hydrogène à gauche est correcte.

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La vitesse de la lumière48 Cependant, il y a un domaine où l’Observatoire brille, grâce à Foucault puis plus tard à Alfred Cornu : la mesure de la vitesse de la lumière. On peut s’étonner de voir l’Observatoire se livrer à une telle mesure, dont on pourrait penser qu’elle est l’apanage des physiciens. C’est que la valeur numérique de la vitesse de la lumière intéresse au premier chef Le Verrier. Un des résultats de son immense travail personnel sur la mécanique du Système solaire est l’établissement de relations entre la masse des planètes et les dimensions de leur orbite. Ces dernières sont très bien connues en valeur relative, mais leurs valeurs absolues le sont mal. Si l’on parvient à déterminer le demi-grand axe d’une de ces orbites, par exemple de celle de la Terre, on pourra les connaître toutes. On exprime généralement le demi-grand axe de l’orbite terrestre sous la forme de la parallaxe du Soleil, qui est l’angle sous lequel le rayon de la Terre serait vu du Soleil à la distance du demi-grand axe. La valeur actuelle de cette quantité est 8”,79415. La meilleure détermination à l’époque de Le Verrier, déduite des passages de Vénus devant le Soleil, est due à Encke et date de 1824 : 8”,571, valeur dont on sait bien à l’époque qu’elle n’est pas très précise. Cependant on connaît très bien la masse d’une planète, la Terre, grâce aux mesures de sa gravité avec le pendule de Borda ou ses successeursi. L’étude des perturbations des planètes les unes sur les autres permet à Le Verrier de déterminer la masse des différentes planètes relative à celle de la Terre, d’où il déduit indirectement les valeurs absolues des demi-grands axes de leur orbite. Il obtient ainsi une nouvelle détermination de la parallaxe du Soleil : 8”,95. Le tableau 5.1 compare ses prédictions de 1858 avec les valeurs généralement acceptées à l’époque et les valeurs modernes.

Plus précisément c’est le produit GMTˆ de la masse MT de la Terre par la constante de la gravitation G que l’on déduit de la mesure de la gravité et du rayon de la Terre. Mais ce sont des produits semblables qui interviennent partout dans le travail de Le Verrier.

i

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Tableau 5.1. Masse des planètes et parallaxe du Soleil Quantité MVénus/MSoleil

Valeur acceptée Prédiction de en 1850 Le Verrier49

Valeur moderne

2,49 10–6

2,50 10–6

2,45 10–6

–6

–6

MTerre/MSoleil

2,82 10

3,18 10

3,00 10–6

MMars/MSoleil

0,373 10–6

0,334 10–6

0,323 10–6

Parallaxe du Soleil

8”,57

8”,95

8”,79

La valeur de la parallaxe du Soleil prédite par Le Verrier étant bien supérieure à celle qui est admise à l’époque, il va chercher à la vérifier. Il pense que si l’on parvient à mesurer avec précision la vitesse de la lumière dans le vide, on pourrait, en la combinant avec le temps relativement bien connu que met la lumière à traverser l’orbite terrestre, obtenir les dimensions de cette orbite, donc la parallaxe du Soleil. Fizeau avait bien mesuré en 1849 la vitesse de la lumière entre Suresnes et Montmartre, mais il considérait lui-même que sa mesure, la première du genre, n’était pas très précise. Le Verrier demande donc à Foucault de mesurer avec plus de précision la vitesse de la lumière. Foucault se met donc au travail, en modifiant une expérience qu’il avait déjà faite en 1850, qui comportait un miroir tournant très rapidement sur lui-même. Il fait construire par Gustave Froment un nouveau miroir tournant et une sorte d’horloge qui sert à mesurer la vitesse de rotation de ce miroir, et par le célèbre facteur d’orgues Aristide CavailléColl une soufflerie très stable destinée à alimenter la petite turbine à air comprimé qui entraîne le miroir tournant50. Il s’installe dans la grande salle de la méridienne de l’Observatoire, et tout est prêt à la fin du printemps de 1861. Mais il lui faudra plus d’une année pour obtenir un résultat, car il est occupé à la réalisation du miroir de 80 cm de diamètre destiné à l’Observatoire de Marseille, et l’expérience est très difficile si l’on veut qu’elle soit précise. L’encadré 5.5 explique le principe de sa mesure.

Encadré 5.5. La mesure de la vitesse de la lumière avec le miroir tournant de Foucault La lumière du Soleil, renvoyée dans l’appareil par un héliostat, éclaire un micromètre sur verre finement gradué, puis arrive sur un miroir tournant (Fig. 5.16).

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Celui-ci l’envoie sur un miroir fixe qui le réfléchit sur le miroir tournant. Pendant le temps qu’a mis la lumière à faire cet aller-retour, dont la longueur est de 40 m dans l’expérience de 1862, le miroir a légèrement tourné si bien que l’image du micromètre donné par le système s’est un peu déplacée par rapport à l’image qu’en donnait le miroir immobile ou tournant très lentement. Foucault mesure la vitesse de rotation du miroir (400 tours par seconde), en la comparant par stroboscopie à celle d’une roue dentée comportant 400 dents, entraînée par une horloge, qui tourne exactement à 1 tour/seconde. De la vitesse de rotation du miroir et du déplacement de l’image du micromètre, il déduit la vitesse de la lumière connaissant la longueur de son trajet. Figure 5.16. Principe de la mesure de la vitesse de la lumière par Foucault. Explications dans l’encadré 5.5.

Les mesures commencent en mai 1862. Après quelques difficultés nécessitant une modification de l’appareil, il faut attendre une période de beau temps car la lumière utilisée est celle du soleil, envoyée dans l’appareil par un héliostat. Finalement, Le Verrier peut présenter le 22 septembre à l’Académie des sciences une brève note de Foucault annonçant le résultat51 : « La vitesse de la lumière se trouve notablement diminuée. Suivant les données reçues, cette vitesse serait de 308 millions de mètres par seconde, et l’expérience nouvelle du miroir tournant donne, en nombre rond, 298 millions. On peut, ce me semble, compter sur l’exactitude de ce nombre, en ce sens que les corrections qu’il pourra subir ne devront pas s’élever au-delà de 500 000 mètres [par seconde]j ; j

Cette estimation de la précision de la mesure, qui est l’une des premières de l’histoire, est optimiste : la valeur actuelle de la vitesse de la lumière, 299 792 458 m/s, diffère par 1 800 000 m/s de celle de Foucault.

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Si l’on accepte ce nouveau chiffre […] pour en déduire la parallaxe du Soleil […] on trouve, au lieu de 8”,57 [la valeur de Encke], la valeur notablement plus forte 8”,86. Ainsi la distance moyenne de la Terre au Soleil se trouve diminuée environ de 1/30. »

Figure 5.17. Alfred Cornu (1841-1902).

Le Verrier jubile : ses prédictions se trouvent confirmées car la nouvelle valeur de la parallaxe du Soleil est plus proche de la sienne que l’ancienne. Il avait d’ailleurs continuellement insisté auprès de Foucault pour qu’il diminue la valeur de la vitesse de la lumière ! D’après Moigno52, il aurait déclaré : « M. Foucault m’apportait chaque jour ses nombres, et je l’encourageais à persévérer jusqu’à ce qu’il soit arrivé au chiffre véritable », c’est-à-dire celui qui lui convenait ! Mais on ne peut suspecter en aucune manière l’honnêteté de Foucault dans ses mesures, et il est heureux pour lui qu’il soit arrivé à un résultat qui plaise à son directeur. Dix ans plus tard, Alfred Cornu (Fig. 5.17), professeur de physique à l’École polytechnique mais familier de l’Observatoire, parvient à faire de nouvelles mesures, financées par l’Observatoire comme celle de Foucault. Élève de Fizeau qui avait le premier mesuré la vitesse de la lumière avec sa roue dentée, et qui était en mauvais termes avec Foucault, Cornu utilise la technique inventée par son maître, technique qu’il pense évidemment supérieure à celle du miroir tournant, et qu’il perfectionne. En 1872, un essai entre l’École polytechnique et le Mont Valérien, distants de 10 kilomètres, lui donne 298 500 km/s, une valeur très proche de celle de Foucault, sur lequel il révise son jugement qui était initialement défavorable. Puis il fait en 1874 une nouvelle mesure entre l’Observatoire et la tour de Montlhéry (Fig. 5.18 et 5.19), non sans avoir remesuré la distance qui les sépare par une nouvelle triangulation. Pour envoyer la lumière vers Montlhéry et recevoir le rayon réfléchi là-bas, il utilise la lunette de la tour Est de l’Observatoire, qui a été démontée et dont l’objectif de 38 cm a été retravaillé. Il obtient cette fois 300 400 km/s, avec une incertitude qu’il évalue à 300 km/s. La valeur correspondante de la parallaxe solaire est proche de la valeur définitive de 8”,79, mais est un peu moins satisfaisante pour Le Verrier que celle qu’avait trouvée Foucault. Mais il ne s’en plaindra pas.

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Figure 5.18. L’expérience de Cornu en 1874 (vue extérieure). La cabane provisoire sur la terrasse de l’Observatoire de Paris abrite la station principale pour la mesure de la vitesse de la lumière. La partie allongée contient la lunette de 38 cm, démontée pour l’occasion. Le faisceau lumineux (en réalité totalement invisible) aboutit à la Tour de Montlhéry, où une lunette de 15 cm de diamètre munie d’un miroir renvoie le faisceau vers l’Observatoire. Cette expérience est ici un événement mondain.

Figure 5.19. L’expérience de Cornu en 1874 (vue intérieure). La source de lumière est un morceau de craie chauffée à blanc par un chalumeau. La roue dentée et son moteur d’entraînement, de même que le moteur d’entraînement du cylindre avec son petit régulateur, subsistent à l’Observatoire de Paris.

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L’éclipse totale de Soleil du 18 juillet 1860 Cette éclipse, dont la bande de totalité passe en Espagne et en Algérie, suscite un intérêt très grand en Europe, et en particulier en Angleterre. Déjà Arago avait publié des instructions détaillées53 pour l’éclipse totale du 8 juillet 1842, qui était visible du Sud de la France jusqu’à la Russie, et avait lui-même participé aux observations à Perpignan, tandis qu’Airy observait en Italie. Les observateurs avaient été « étrangement surpris » de voir « quelques protubérances rosées de 2 à 3 minutes de hauteur, s’élançant pour ainsi dire du contour de notre satellite.54 » Certes ce n’était pas la première fois que l’on voyait ces protubérances lors d’éclipses totales, mais elles n’avaient pas fait jusque-là l’objet de beaucoup d’attention. Arago imagina qu’il s’agissait de « nuages solaires nageant dans une atmosphère gazeuse », conclusion confirmée par les observations lors des éclipses totales du 8 août 1850 et du 28 juillet 1851. Les protubérances suscitent tant d’intérêt qu’elles sont le but principal des observations que propose, dans ses instructions pour l’éclipse totale du 7 septembre 1858, visible en Amérique du Sud, le grand spécialiste anglais du Soleil R.C. Carrington55. L’éclipse de 1860 est observable de lieux plus accessibles, et deux expéditions françaises sont prévues pour l’observer. L’une d’elles est organisée par l’École polytechnique, qui prévoit de se rendre à Batna en Algérie, l’autre par l’Observatoire de Paris qui irait en Espagne. C’est Hervé Faye (Encadré 5.6 et Fig. 5.20) qui a préparé celle-ci et qui doit commander l’expédition, mais lorsque tout est prêt il démissionne, peut-être évincé par Le Verrier qui en prend lui-même la direction, aidé d’Yvon Villarceau56. Fuyant les turbulences de l’Observatoire, Faye rejoint Polytechnique, qu’il connaît bien pour y avoir enseigné.

Encadré 5.6. Hervé Faye (1814-1902)57 Remarqué par Arago, Faye entre à l’Observatoire en 1836 comme élève-astronome et devient astronome en 1843. Il est élu à l’Académie des sciences en 1847 et au Bureau des longitudes en 1862. Il enseigne à l’École polytechnique avec grand succès de 1852 à 1855, puis de 1873 à 1893. Entre-temps, il est recteur de l’Académie de Nancy et même pour quelque temps ministre de l’Instruction publique.

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Habile observateur, il découvre une comète en 1843 et imagine avec raison qu’une force répulsive issue du Soleil donne aux queues des comètes leur forme caractéristique, force que Maxwell identifiera plus tard à la pression de radiation sur les poussières cométaires. Faye a beaucoup d’imagination et est un précurseur dans plusieurs domaines. Il pousse avec Arago l’utilisation du télégraphe électrique pour mesurer les longitudes. Avant Janssen, il introduit en France avec Porro la photographie dans l’observation astronomique en faisant de remarquables photographies du Soleil. Les contemporains apprécient beaucoup ses idées théoriques sur la constitution du Soleil, la formation du Système solaire et l’origine des comètes, mais ce n’est plus à nos yeux son principal titre de gloire, encore que peu d’astronomes français se soient intéressés à ces problèmes à son époque. Les relations avec l’Espagne étant encore médiocres car on se souvient de la guerre de Napoléon Ier, Le Verrier doit obtenir un sauf-conduit (Fig. 5.21). Il envoie fin juin pas moins de 33 caisses de matériel, deux lunettes et les deux télescopes de Foucault de 20 et de 40 cm de diamètre. Foucault participe d’ailleurs à l’expédition, ainsi qu’Yvon Villarceau et Chacornac. On se propose non seulement d’observer les protubérances et la couronne, mais aussi de déterminer avec précision les heures du début et de la fin de l’éclipse, et de rechercher une éventuelle planète proche du Soleil qui pourrait expliquer l’anomalie du mouvement de Mercure dont nous parlerons plus loin : ce sont ces deux derniers sujets qui intéressent Le Verrier, qui laisse à Chacornac et à Yvon Villarceau l’observation des protubérances (ils confirmeront leur nature solaire), tandis que Foucault est chargé de photographier le Soleil éclipsé avec des plaques au collodion humide. Tout va réussir, y compris les photographies de Foucault58. Ce sont les premières prises pendant une éclipse totale. Cependant, Foucault n’est pas le seul photographe : le père Secchi et l’anglais Warren de la Rue en obtiennent d’autres en même temps. On ne se souviendra que des photographies de ce dernier. Celles de Foucault n’ont pas été retrouvées. Mais on ne trouvera pas de nouvelle planète.

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Figure 5.20. Hervé Faye (1814-1902).

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Figure 5.21. Sauf-conduit délivré à Le Verrier pour se rendre en Espagne.

Une nouvelle éclipse au Siam59 Une nouvelle éclipse totale de Soleil est prévue le 18 août 1868. La zone de totalité balayera l’Asie de l’Arabie à Bornéo, et l’éclipse sera longue, plus de 6 minutes pour la totalité. Elle intéresse donc particulièrement les astronomes qui vont s’installer en divers lieux pour l’observer : les Allemands à Aden, les Anglais en Inde et les Hollandais aux Célèbes. En France, Janssen s’est bien préparé et a convaincu l’Académie des sciences et le Bureau des longitudes de financer son expédition : le 19 mars 1868, il obtient 15 000 francs du ministre de l’Instruction publique, Victor

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Duruy. Il s’installe à Madras. Le Verrier ne peut manquer l’occasion de rivaliser avec le Bureau des longitudes, mais il perd du temps et opte fort tardivement – en mars 1868 – pour une expédition au Siam, dans la presqu’île de Malacca. Il s’adresse lui aussi à Victor Duruy pour obtenir le financement de l’expédition, qui lui est accordé le 19 mai avec une subvention de 50 000 francs en dépit de rapports déjà conflictuels entre les deux hommes : « J’accepte l’expédition astronomique telle que vous la proposez. Appelez M. Stéphan, mettez tout en train. Mais tâchons à force d’activité de réparer des retards bien fâcheux. La station choisie fait gagner du temps. Ne pouvez-vous trouver le moyen de joindre à l’observation purement astronomique la spectroscopie et la photographie ? À défaut d’astronome de l’Observatoire, n’en trouveriez-vous pas à l’École Polytechnique ou ailleurs ? Je serais désolé que la France fit une expédition incomplète, par conséquent indigne d’elle. […] Un bon avis – Dites moins de mal de moi [à l’Empereur] cela ne sert à rien. » Il est curieux de voir le ministre, qui n’était pas scientifique, recommander à Le Verrier de faire de la spectroscopie et de la photographie. Sans doute faut-il voir là l’intervention d’un astronome, peut-être Faye. La lettre fait allusion aux difficultés que Le Verrier a pour trouver des participants à la mission. Effectivement, il a fait appel aux astronomes de l’Observatoire et n’a essuyé que des refus. C’est donc Stephan, qui est à Marseille et souffre moins de l’autoritarisme de Le Verrier, qui va diriger l’expédition. Stephan réussit à convaincre Rayet et Tisserand de l’accompagner, et voici nos trois hommes embarqués à Marseille. Ils emportent un matériel impressionnant (17 caisses d’instruments), qui comporte notamment les deux télescopes de Foucault de 20 et 40 cm de diamètre de l’Observatoire de Paris. Le voyage nécessite un transbordement par chemin de fer entre Alexandrie et Suez, car le canal de Suez n’est pas encore creusé, puis d’autres transbordements avec l’aide de la Marine impériale pour atteindre la côte de la presqu’île de Malacca, dans la baie de Wha-Tonne. Heureusement le roi de Siam, Mongkut, s’intéresse à l’astronomie et veut assister à l’observation ; il offre toutes facilités à l’expédition. Tout est mis en place à temps, dans un enclos à l’abri des tigres (!), et les observations ont lieu par beau temps (Fig. 5.22).

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Figure 5.22. L’installation des astronomes français au Siam pour l’observation de l’éclipse du 18 août 1868. On peut voir au fond, devant une cabane, le télescope de 40 cm de Foucault, et au premier plan son télescope de 20 cm, sur des montures équatoriales sommaires.

Tisserand observe l’instant des contacts avec une lunette de Cauchoix de 15 cm de diamètre. Stephan est au télescope de 40 cm, avec lequel il observe les protubérances (Fig. 5.23), confirmant qu’elles sont bien « des dépendances du Soleil et non de la Lune », comme on l’avait souvent cru précédemment. Rayet observe le spectre de ces protubérances, dans lequel il découvre et dessine (Fig. 5.24) « une série de neuf lignes [raies] brillantes […]. Ces lignes m’ont semblé pouvoir être assimilées aux principales raies du spectre solaire […]. Ces protubérances sont des jets d’une matière gazeuse incandescente, les flammes d’un phénomène chimique [sic] d’une puissance extrême […]. »

Figure 5.23. Dessin du Soleil lors de l’éclipse totale de 1868, par le major Tennant aux Indes. On y voit la couronne diffuse qui entoure le Soleil éclipsé, assez mal représentée, et des protubérances près du bord solaire.

Ces observations sont les meilleures de toutes celles qui ont été effectuées pendant l’éclipse. Cependant, Janssen réalise de son côté que les raies sont si brillantes que l’on doit pouvoir les observer en dehors des éclipses, ce qu’il fait dès le lendemain, en plaçant la fente du spectroscope tangentiellement au disque du Soleil ; Joseph Lockyer fait indépendamment la même observation. L’interprétation de ces raies va prendre quelque temps. Lockyer, le père Secchi, Janssen et Rayet sont d’accord pour identifier les raies B, F et G à trois raies de l’hydrogène que l’on appellera plus tard H_, H`, et Ha. La raie B, qui est double, est due au magnésium. Cependant, la raie jaune D, très intense et qui n’est pas à la même longueur d’onde que la raie double D1-D2 du sodium (on l’appellera plus tard D3 pour éviter toute confusion), résiste à toute identification. Lockyer l’attribue à un nouvel élément qu’il appelle hélium. Ce n’est que 27 ans plus tard que l’hélium

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Figure 5.24. Le spectre d’une protubérance solaire observé par Rayet. L’identification moderne des raies est indiquée, avec leur longueur d’onde en nanomètres. La raie E est en fait une raie interdite de la couronne solaire.

sera reconnu sur la Terre par William Ramsay et William Crookes. La raie E, que Rayet avait également observée et qu’il avait à tort identifiée à l’une des raies d’absorption de Fraunhofer, provient en fait de la couronne solaire ; Bengt Edlèn a montré en 1942 qu’elle est émise par le fer XIV (atome de fer ayant perdu 13 électrons). L’expédition se termine assez mal, en dépit d’une grande fête offerte par le roi : des marins et plusieurs membres de l’expédition contractent le paludisme, ainsi que le roi Mongkut lui-même, qui en mourra deux mois plus tard. Stephan et son équipe quittent au plus vite l’endroit, non sans avoir mesuré les coordonnées précises du lieu de l’observation. Ils font escale à Saïgon, puis de nouveau à Port-Saïd, visitent les Pyramides, et sont de retour à Marseille le 15 octobre 1868. Scientifiquement, l’expédition est un succès. L’existence d’une couche gazeuse lumineuse autour du Soleil, que l’on appellera chromosphère et qui présente ces protubérances bien visibles pendant les éclipses totales, est désormais bien établie et il est clair qu’elle contient beaucoup d’hydrogène dont les raies d’émission sont particulièrement intenses. Rayet, et surtout Janssen, vont en faire une étude systématique60. Le Verrier profite de la présentation du travail de Rayet, « cet habile physicien », pour rappeler qu’il avait déjà soupçonné lors de l’éclipse de 1860 que le Soleil était entièrement entouré de cette enveloppe gazeuse61.

L’avance du périhélie de Mercure62 Une nouvelle découverte de Le Verrier Au milieu des vicissitudes de l’Observatoire, Le Verrier continue, nous l’avons vu, ses recherches personnelles en vue de réaliser son grand œuvre : une théorie complète des

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Figure 5.25. L’avance du périhélie d’une planète. Les perturbations gravitationnelles des autres planètes font que l’orbite n’est pas fermée, mais peut être assimilée à une ellipse qui tourne très lentement autour du Soleil d’un angle be (ici très exagéré) à chaque révolution ; le périhélie avance évidemment du même angle.

mouvements des planètes. C’est alors qu’il tombe, en 1859, sur une anomalie inexpliquée du mouvement de Mercure. Cette découverte en apparence anodine va susciter un intérêt considérable qui culminera avec Albert Einstein en 1915 : elle contient, en effet, la première vérification observationnelle de sa théorie de la Relativité générale. De quoi s’agit-il ? L’orbite d’une planète autour du Soleil n’est qu’en première approximation l’ellipse prédite par les lois de Kepler. En effet, ces lois ne tiennent pas compte de l’attraction gravitationnelle exercée par les autres planètes. Vues du pôle céleste Nord, celles-ci tournent toutes autour du Soleil dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Leurs perturbations s’ajoutent pour « tirer » en moyenne, toutes dans le même sens, la planète considérée. Il en résulte que l’orbite de cette planète n’est pas une courbe tout à fait fermée (Fig. 5.25) : on peut décrire ce phénomène en disant que l’ellipse orbitale tourne légèrement autour du Soleil dans le même sens (inverse des aiguilles d’une montre) que les planètes sur leur orbite. Si l’on considère un point caractéristique de l’orbite, par exemple le périhélie, c’est-à-dire le point le plus proche du Soleil, on peut dire que ce périhélie avance régulièrement (tourne autour du Soleil) avec une vitesse angulaire que l’on exprime généralement en seconde de degré par an. Les effets des différentes planètes s’ajoutent, comme le montre le tableau 5.2 qui concerne Mercure. Tableau 5.2. Avance calculée du périhélie de Mercure, d’après Le Verrier63. Planète agissante

Avance du périhélie (seconde de degré par siècle)

Vénus

280,6

Terre

83,6

Mars

2,6

Jupiter

152,6

Saturne

7,2

Uranus

0,1

TOTAL

526,7

La théorie de Le Verrier lui permet de calculer l’avance du périhélie de chaque planète sous l’effet des perturbations des autres (il l’avait déjà fait en 1841, mais ses nouvelles déterminations sont plus précises). Seule l’orbite de Mercure

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est suffisamment excentrique pour que la position de son périhélie soit bien déterminée et que l’on puisse confronter les résultats du calcul aux observations. Le Verrier utilise à cet effet 397 observations méridiennes de Mercure obtenues à l’Observatoire de Paris de 1801 à 1842 : le Bureau des longitudes avait fort judicieusement rappelé en 1834 aux astronomes de l’Observatoire l’intérêt que l’on aurait à observer Mercure le plus souvent possible, bien que cette observation soit difficile car la planète n’est jamais bien loin du Soleil, si bien que son passage au méridien se fait toujours de jour. En raison de ces difficultés, les mesures ne sont pas très précises. Heureusement, Mercure passe de temps en temps devant le disque du Soleil et on peut noter avec précision l’instant où il entre devant le disque ou celui où il en sort, ce qui fournit une excellente mesure de sa position puisque celle du Soleil est bien connue. Le Verrier emploie donc également ces positions, dont la plus ancienne qui soit utilisable remonte à 1697, pour les confronter à sa théorie. À sa surprise, il constate que la différence entre les observations et les prédictions de la théorie est plus grande pour les observations anciennes qu’à son époque. Il a suffisamment confiance dans les observations de ses prédécesseurs pour être assuré que l’effet est réel, et donc qu’il y a une difficulté avec la théorie. Au terme de ce remarquable travail, Le Verrier trouve que l’avance observée du périhélie de Mercure est plus grande de 38",3 par siècle que celle qu’il calcule. Il est assez sûr de son coup pour publier cette valeur. Évidemment, cela pose un énorme problème : la théorie de Newton, si bien vérifiée jusque-là par la mécanique céleste, serait-elle en défaut ? Personne n’est prêt à l’accepter. Mais Le Verrier voit d’autres solutions possibles. La masse de Vénus serait-elle trop faible ? Il suffirait de l’augmenter d’un peu plus de 10 pour cent pour expliquer l’anomalie. Mais les perturbations que Vénus apporte au mouvement de la Terre prendraient alors des valeurs inadmissibles. La masse des autres planètes est suffisamment bien connue pour que l’on puisse les éliminer également de la discussion. Alors Le Verrier introduit une hypothèse plus hardie64 : « Une planète, ou, si on le veut, un groupe de petites planètes circulant dans les parages de l’orbite de Mercure, serait susceptible de produire la perturbation anormale éprouvée par ce dernier astre. […] La masse troublante, si elle existe,

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n’a point d’effet sensible sur la marche de la Terre. Nous ignorons si elle aurait quelque action sur Vénus ; et, en attendant que ce point ait pu être éclairci, nous admettrons que cette action soit insensible ou du moins plus faible que sur Mercure. Dans cette hypothèse, la masse cherchée devrait se trouver au-dessous de l’orbite de Mercure [plus près du Soleil]. Si de plus on veut que son orbite ne s’enchevêtre point avec celle de Mercure, il faudra que sa distance aphélie [la plus lointaine du Soleil] n’excède point les huit dixièmes de la distance de Mercure [dont l’orbite est très excentrique]. » Le Verrier estime ensuite la masse que devrait avoir la planète hypothétique en fonction de sa distance au Soleil : elle serait de l’ordre de celle de Mercure si elle est située à mi-distance entre cette planète et le Soleil, et plus grande si elle est plus proche du Soleil. Il en serait de même pour la somme des masses des éventuelles petites planètes « Mais […] comment un astre qui serait doué d’un très-vif éclat et qui se trouverait toujours très-près du Soleil, n’eût-il point été entrevu durant quelqu’une des éclipses totales ? Un tel astre enfin ne passerait-il point entre le disque du Soleil et la Terre, et n’eût-on pas dû en avoir ainsi connaissance ? Telles sont les objections qu’on peut faire à l’hypothèse de l’existence d’une planète unique, comparable à Mercure pour ses dimensions, et circulant en dedans de l’orbite de cette dernière planète. Ceux à qui ces objections paraîtront trop graves, seront conduits à remplacer cette planète unique par une série d’astéroïdes dont les actions produiront en somme le même effet total sur le périhélie de Mercure. […] Il est fort important que toute tache régulière, quelque minime qu’elle soit, et qui viendrait à paraître sur le disque du Soleil, soit suivie pendant quelques instants avec la plus grande attention, afin de s’assurer de sa nature par la connaissance de son mouvement. » Ces conclusions vont être bientôt connues par une publication dans les Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences sous la forme d’une lettre à Faye, qui est alors le secrétaire de l’Académie65.

Doutes et confirmations Le Verrier ne croit guère à l’existence d’une planète intramercurielle unique, et il n’est pas le seul66. Mais voici qu’en décembre 1859 il reçoit une lettre d’un certain

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Dr Lescarbault, astronome amateur, qui dit avoir observé le passage d’une telle planète devant le Soleil67 : c’est la lecture d’un compte rendu de la découverte de Le Verrier dans le Cosmos de l’abbé Moigno qui l’a décidé à écrire cette lettre. Le Verrier se rend au domicile de Lescarbault à Orgères-en-Beauce (Eure-et-Loir), et se convainc de sa bonne foi et de la qualité de sa lunette. Il accepte donc la découverte de cette nouvelle planète, qu’il baptisera Vulcain un peu plus tard68. Ceci, c’est la version officielle. Flammarion en donne une autre, assez différente et qu’il est amusant de lire69 : « J’ai assisté à l’odyssée de cette curieuse histoire, étant alors élève-astronome à l’Observatoire de Paris, et m’étant trouvé précisément en relation avec l’auteur de cette prétendue découverte, le docteur Lescarbault, d’Orgères. Le 26 mars 1859, cet excellent docteur, qui aimait passionnément l’astronomie et en comprenait la grandeur, a bien réellement vu une tache ronde sur le Soleil le matin, avant son départ pour ses visites médicales, et il la revit lorsqu’il revint pour le déjeuner. Elle avait changé de place, mais ce déplacement était dû simplement au mouvement diurne apparent du Soleil, dont le méridien sud-nord est vertical à midi et oblique le matin. Cette tache n’était pas très éloignée du bord du disque solaire70. […] M. Lescarbault signala son observation dans le journal le Cosmos, et le directeur de l’Observatoire sauta dessus, pour ainsi dire, avec enthousiasme. Il se rendit à Orgères, petite ville d’Eure-et-Loir, et arriva subitement chez le brave docteur pour lui demander à voir son registre d’observations. Ce registre n’existait pas. Le docteur avait l’habitude de prendre dans son lit ses notes sur ses malades, et se servait pour cela de petites planchettes de bois sur lesquelles il écrivait au crayon. Quand ses planchettes étaient pleines et inutilisables, il les rabotait. C’est ce qu’il avait fait pour l’observation solaire que M. Le Verrier était venu vérifier. Tant bien que mal, il refit de souvenir le dessin sur une feuille de papier. La date de l’observation concordait avec les exigences de la théorie de Mercure ; l’illustre astronome s’en déclara satisfait et fit décorer Lescarbault de la Légion d’honneur. Cette petite planète, située entre Mercure et le Soleil, et baptisée du nom de Vulcain, aurait dû tourner en trentetrois jours autour de l’astre radieux. M. Le Verrier fit calculs sur calculs et annonça les dates auxquelles ces passages

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pourraient être observés. Jamais on n’a rien vu. Je me suis constamment déclaré contre cette illusion, qui dure encore. Mais sachons bien qu’il n’y a là qu’une légende. Le docteur Lescarbault est mort en 1894. Son erreur n’a rien d’extraordinaire pour un profane. Tout le monde peut se tromper. Elle est plus étonnante de la part de Le Verrier. » Quoi qu’il en soit, le retentissement est grand : Le Verrier aurait-il découvert de nouveau une planète « du bout de sa plume » ? Les journalistes et les astronomes sont presque tous enthousiastes. Un compte rendu dans un journal professionnel anglais déclare71 : « Le mérite singulier de l’observation de M. Lescarbault sera reconnu par tous ceux qui en ont examiné les circonstances ; et les astronomes de tous les pays s’uniront pour applaudir ce second triomphe des recherches théoriques de M. Le Verrier. » Cependant, Flammarion n’est pas seul à avoir des doutes sur cette observation. Par exemple, Emmanuel Liais affirme qu’il a beaucoup observé le Soleil au Brésil avec une meilleure lunette que celle de Lescarbault, mais qu’il n’a rien vu, notamment le jour même où ce dernier a fait sa prétendue découverte. Liais insiste sur le fait que personne n’a jamais observé le passage d’une planète autre que Mercure ou Vénus devant le Soleil72. Lescarbault a certainement pris une tache solaire pour la nouvelle planète. De toute façon, l’astre qu’il croit avoir observé est trop petit pour rendre compte à lui seul de l’avance anormale du périhélie de Mercure, et ne pourrait être qu’un des éléments de l’éventuelle ceinture d’astéroïdes. D’autres contestent même le travail théorique de Le Verrier. À la fin de 1861, Delaunay, qui ne rate pas une occasion de le contrer, lit en effet devant l’Académie des sciences une note dont voici un extrait73 : « Depuis la découverte de la gravitation universelle, la tendance des astronomes a été constamment d’établir des Tables du mouvement des astres basées uniquement sur ce grand principe et n’empruntant à l’observation que les données indispensables. […] Mais il n’a pas été possible de réussir du premier coup. La théorie n’a donné d’abord que des Tables très-imparfaites, et l’on a dû recourir à l’empirisme pour leur faire représenter convenablement les phénomènes pendant un certain temps. Peu à peu les efforts des astronomes ont fait gagner du terrain à la théorie, en diminuant

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progressivement la part laissée à l’empirisme. M. Le Verrier a marché dans cette voie comme tous ses prédécesseurs. Il a construit des Tables de Mercure beaucoup plus exactes que celles que l’on possédait avant lui ; mais il n’est pas parvenu à le faire sans avoir besoin de recourir à l’empirisme. […] On ne doit pas se hâter de rien conclure en faveur de la réalité de l’existence de l’anneau d’astéroïdes auquel M. Le Verrier attribue l’accroissement du mouvement du périhélie de Mercure. » Delaunay considère donc qu’une amélioration future de la théorie du Système solaire pourrait faire disparaître l’anomalie. Il insiste dans un article publié quelque temps plus tard74 : « M. Le Verrier […] continue à parler de cet accroissement […] comme d’un fait que les observations donnent directement, et dont l’existence ne peut être contestée ; puis il part de ce fait, et d’un autre analogue relatif à la planète Marsk, pour établir l’existence de divers anneaux d’astéroïdes circulant autour du Soleil. Les conclusions auxquelles il arrive ainsi ne me semblent pas avoir le caractère de certitude, ou au moins de grande probabilité, avec lequel M. Le Verrier les présente. » Cette fois Le Verrier réagit, non sans raison75 : « M. Le Verrier a déjà exposé à l’Académie qu’il ne se croirait pas obligé de répondre désormais à des attaques qui deviennent systématiques. […] S’il plaît à quelqu’un d’appeler empirique un résultat tiré des observations, faut-il donc le suivre dans une discussion de mots, et classer les sciences d’observation, la physique, la chimie et d’autres dans l’empirisme ». On peut comprendre les doutes de Delaunay, fruits d’une longue expérience76. Mais le travail théorique de Le Verrier est extrêmement sérieux, même si son explication ne l’est pas : son étonnant résultat sera confirmé en 1882 par une étude semblable et indépendante77 du grand spécialiste américain de la mécanique céleste, Simon Newcomb (Fig. 5.26). Disposant de nouvelles observations,

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En effet, Le Verrier avait constaté de façon plutôt marginale sur l’orbite assez excentrique de la planète Mars un effet semblable à celui du périhélie de Mercure.

Figure 5.26. Simon Newcomb (1835-1909).

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ce dernier trouvera cependant 43” par siècle pour l’avance du périhélie de Mercure au lieu des 38” de Le Verrier, et c’est sa valeur qui sera retenue. De plus, Le Verrier avait constaté en 1861 un effet analogue, mais plus faible, sur l’orbite de Mars78, qui sera également confirmé par Newcomb. L’échec des observations de Vulcain n’a pas empêché Le Verrier de continuer à croire à son existence, ou à celle d’un anneau d’astéroïdes, et à passer beaucoup de temps à en chercher des preuves à la fin de sa vie79. En 1876, il conclut qu’il faudra attendre 1881 pour pouvoir à nouveau observer le passage de Vulcain devant le disque du Soleil, et qu’il serait bon de chercher la nouvelle planète en dehors du disque. Janssen en profite pour faire l’apologie de la photographie du Soleil, dont il est un grand spécialiste : elle permettrait selon lui plus d’objectivité. Il prône en particulier l’utilisation de son « revolver photographique » (Fig. 5.27), qui permet de prendre des vues successives sans avoir à décharger et à charger des plaques80 : « Un certain nombre de ces instruments, distribués systématiquement à la surface du globe, fourniraient des séries qui se compléteraient surabondamment. En quelques années, les régions circumsolaires seraient ainsi explorées avec une certitude et une efficacité qu’il serait impossible de demander à aucune autre méthode. »

Figure 5.27. Le « revolver photographique » de Janssen81. Cet appareil contient une plaque photographique en forme de couronne que l’on peut faire avancer par à-coups de façon à prendre des images successives du même objet. Il a notamment été utilisé par Janssen en 1874 pour l’observation du passage de Vénus devant le Soleil, dont il a pris des photographies à intervalles réguliers. C’est un des ancêtres du cinématographe.

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La solution En dépit de tous les efforts, on ne trouvera jamais trace d’une quelconque planète, grosse ou petite, à l’intérieur de l’orbite de Mercurel. Comment alors expliquer l’avance anormale du périhélie de Mercure ? Newcomb, ayant confirmé les conclusions de Le Verrier, se résoudra à envisager l’inimaginable : un terme correctif à la loi d’attraction universelle de Newton. Mais il ne conclura pas. Nous ne voulons pas discuter ici les différentes possibilités qui seront avancées pour tenter de résoudre ce problème irritant : elles ont de l’intérêt pour l’historien des sciences, mais sont postérieures à l’époque que nous considérons82. La solution viendra d’Albert Einstein, en novembre 1915, avec sa théorie de la relativité générale. Cette théorie ne s’est pas construite d’un seul coup, mais à la suite de discussions avec d’autres mathématiciens comme l’allemand Max Abraham et le finlandais Gunnar Nordström. Abraham et Nordström considéreront, comme Newcomb, de possibles modifications à la loi de Newton prédites par leurs théories de la gravitation, et les appliqueront à l’anomalie de Mercure avec peu de succès, car les valeurs numériques qu’ils obtiendront seront trop petites. Seul Einstein parviendra, avec la collaboration initiale du hongrois Marcel Grossmann, à la théorie correcte donc au bon résultat. Très grossièrement, on pourrait dire que la déformation de l’espace autour du Soleil due à sa gravitation revient à ajouter un terme correctif à la loi newtonienne, qui dépend de la distance au Soleil : c’est ce terme qui est responsable de l’anomalie. Le chiffre prédit par Einstein pour l’avance « anormale » du périhélie de Mercure et de celui de Mars est en parfait accord avec l’observation. Pour conclure, rendons hommage à Le Verrier pour avoir fait cette découverte remarquable autant qu’inattendue et pour avoir eu suffisamment confiance en ses calculs pour l’avoir rendue publique. C’est grâce à lui que la Relativité générale a reçu une de ses vérifications observationnelles les plus solides.

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On peut aujourd’hui affirmer qu’aucun astéroïde de diamètre supérieur à 60 km ne circule entre le Soleil et Mercure.

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Chapitre 6 La chute (1870-1872)

Lettre de révocation de Le Verrier.

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Quelle que soit la bienveillance de l’Empereur dont Le Verrier est un des plus fidèles soutiens, les ravages exercés à l’Observatoire par son caractère ne peuvent passer inaperçus des autorités. La situation devient insupportable au cours des années, et l’abcès va finir par éclater en 1868, entraînant deux ans plus tard la révocation du dictateur – un événement exceptionnel à cette époque où fleurit le mandarinat. Voici comment cela est arrivé.

La montée des hostilités Éjecté de l’Observatoire par Le Verrier en 1862, Flammarion, qui est devenu un journaliste célèbre, se fait le relais des récriminations des astronomes dans Le Siècle, qui est alors le quotidien le plus répandu de France. Son premier article date du 10 février 1866, et il y en aura bien d’autres pendant deux ans. D’autres journaux, également avides de scandales, vont emboîter le pas. Flammarion dit que « M. Le Verrier répondit d’abord à ces révélations publiques en nous envoyant l’huissier, et ses réponses furent publiées comme mes attaques, mais il se défendait mal, il ne pouvait pas se défendre réellement. »1 Voici un exemple, datant de 1867, de la prose de Flammarion dans Le Siècle2 : « Depuis quatorze ans, cet orgueilleux savant s’est placé au-dessus du ministre de l’Instruction publique, au-dessus du souverain, au-dessus de la loi ; depuis quatorze ans il règne en autocrate, supprimant à sa fantaisie les traitements de ses administrés, s’opposant systématiquement à toute recherche personnelle. […] Ne l’a-t-on pas vu exclure arbitrairement de l’Observatoire le plus illustre de nos physiciens français, M. Foucault, membre de l’Institut, et lui supprimer son traitement contre la volonté du ministre, qui continua de faire émarger au trésor les appointements suspendus par ce veto arbitraire ? N’a-t-il pas indignement traité le chef de la division météorologique, le savant M. Marié-Davy, à qui l’on doit les progrès accomplis par la météorologie ces dernières années, parce que cet astronome publia un ouvrage, Les mouvements de l’atmosphère et des mers ; il l’a accusé d’avoir volé, ou à peu près, les travaux de l’Observatoire pour se les attribuer personnellement, accusations aussi fausses que honteuses,

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puisque M. Le Verrier conseilla lui-même le livre et en corrigea les premières épreuves. Voilà des faits que M. Le Verrier ne peut pas nier, pas plus que d’avoir cadenassé les portes de communication entre M. Marié-Davy et ses adjoints, et d’avoir défendu au domestique de faire du feu dans son cabinet au cœur de l’hiver ; pas plus que d’avoir supprimé le traitement de vingt-huit employés depuis quinze mois, dont sept le mois dernier (traitements intégralement réglés par le ministre) ; pas plus que d’avoir voulu fouler aux pieds ses plus éminents collègues, Faye, Desains, Babinet, Puiseux, Liais, Chacornac, etc., pour ne pas en nommer d’autres. […] C’est assez, la mesure est comble, Napoléon III et M. Duruy l’ont compris. »

Une commission de contrôle et un Conseil pour l’Observatoire Effectivement, le ministre de l’Instruction publique, qui est maintenant Victor Duruy, décide de constituer enfin la Commission prévue par le décret du 30 janvier 1854 (voir le Chapitre 4). Cette Commission devait se réunir tous les deux ans, mais Le Verrier s’est bien gardé de la convoquer afin d’avoir les mains entièrement libres. La composition de la nouvelle Commission est strictement conforme au décret. La voici : – le vice-amiral Fourichon, vice-président du Conseil d’amirauté, Président ; – Robiou de Lavrignais, inspecteur général du génie maritime, membre du Conseil d’amirauté ; – Serret, membre de l’Institut ; – Liouville, membre de l’Institut, membre du Bureau des longitudes ; – Delaunay, membre de l’Institut, membre du Bureau des longitudes ; – Antoine Jérôme Balard (un chimiste célèbre), membre de l’Institut, inspecteur général de l’enseignement supérieur ; – Le Verrier, directeur de l’Observatoire ; – Bellaguet, chef de division au ministère de l’Instruction publique, secrétaire. La nomination de Liouville et surtout de Delaunay a dû irriter profondément Le Verrier : mais de toute façon il

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n’y a guère là que des ennemis. Ne pouvant s’opposer à la création de la Commission, Le Verrier essaye en vain d’en obtenir la présidence, puis d’en récuser certains membres. Il refuse d’assister aux séances. Le ministre décide de passer outre, et la première réunion a lieu le 9 novembre 1867. Le rapport très détaillé que la Commission fait au ministre paraît tout à fait objectif3. Voici un extrait de ses conclusions : « 1° L’installation des instruments qui existaient à l’Observatoire a reçu d’utiles modifications, dont quelques-unes ont notamment pour but d’en assurer la stabilité ; en outre, grâce à la libéralité du gouvernement, de nouveaux instruments d’une grande puissance ont été installés. 2° Le service des observations régulières a été organisé sur une large échelle et les nombreuses observations qui en sont résultées ont été réduites et publiées avec une grande régularité. Mais à côté de ces bons résultats, la Commission a constaté avec regret que la direction de l’Observatoire n’avait pas atteint l’un des principaux buts que doit se proposer un établissement de ce genre : la formation des savants. Elle n’hésite pas à en attribuer la cause, tout au moins en partie, aux dispositions du décret du 30 janvier 1854 [qui a réorganisé l’Observatoire]. […] Le pouvoir attribué au directeur est excessif, et l’on trouverait difficilement un second exemple d’une telle omnipotence dans les administrations hiérarchiquement organisées. Le chef qui en est investi, peut, dans certains cas, être tenté d’en abuser. La Commission, d’une voix unanime, exprime le vœu que le décret soit révisé de manière à mettre le directeur à l’abri d’une telle tentation, de manière – elle est affligée d’avoir à le dire – à prévenir le retour d’actes regrettables qui, ayant donné lieu à de nombreuses et légitimes plaintes, sont assez connus de Votre Excellence pour qu’il ne soit pas nécessaire de les rappeler et d’y insister ici. […] La Commission n’hésite pas à penser que, si les travaux particuliers [c’est-à-dire ceux qui sortent de la routine] exécutés dans l’Observatoire de Paris n’ont pas été plus considérablesa, la mobilité excessive des personnes, parmi lesquelles se trouvaient des savants éminents, en est la principale cause. […] La Commission demande, en premier lieu, que le décret du 30 janvier 1854 soit révisé, et qu’il y soit introduit de

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Le rapport dit ailleurs avec raison : « Ce sont ces travaux particuliers et libres qui mènent le plus souvent aux découvertes, et qui font la gloire des observatoires où ils ont été exécutés. »

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nouvelles dispositions propres à assurer les intérêts et la dignité des personnes en vue d’obtenir les meilleurs travaux et les plus fructueuses études astronomiques. » La Commission joint à son rapport un projet de réorganisation de l’Observatoire, qui sera quelque peu modifié par le ministre puis par le Conseil d’État. Il propose la création d’un Conseil de l’Observatoire formé du directeur et des astronomes titulaires, qui devrait se réunir une fois par semaine à jour fixe, et d’une Commission de sept membres (celle du décret de 1854, moins le directeur de l’Observatoire) qui se réunirait annuellement. Le Conseil d’État adjoint quatre membres étrangers à cette commission, et décide qu’elle ne se réunira que tous les deux ans ; il décide aussi que les séances du Conseil de l’Observatoire ne seront que mensuelles, et non hebdomadaires. Ces dispositions vont faire l’objet d’un décret paru le 3 avril 1868 ; il est accompagné d’un règlement des séances du Conseil, de dispositions générales concernant les travaux de l’Observatoire, d’un règlement pour l’exécution des travaux météorologiques, enfin d’un plan général des travaux astronomiques pour l’année : un ensemble très complet4. Le traitement des différentes catégories de personnel est enfin fixé de façon stable : les auxiliaires touchent 1 200 à 1 900 francs par an, les aides-astronomes 2 000 francs, les astronomes-adjoints 3 500 à 5 000 francs, exceptionnellement 5 500, et les astronomes titulaires 7 000 à 8 000 francs. À Marseille, le directeur local, Stephan, qui est astronome-adjoint, gagnera 5 500 francs par an, et les deux aides, Poggia et Borelly, 2 000 francs comme les aides-astronomes parisiens5. Les documents officiels ne disent rien sur le traitement de Le Verrier, mais il devait toucher environ 30 000 francs annuels au dire de Daverdoing (voir le chapitre précédent). Profitant du remplacement, le 17 juillet 1869, de Victor Duruy par un personnage plus falot, Louis Olivier Bourbeau, Le Verrier va tenter d’obtenir des modifications à ce décret et à ces règlements, tout en reprenant ses « habitudes oppressives. » D’une façon assez retorse, il prétend dans un rapport de décembre 18696 que ce qui le gêne, ce n’est pas le décret lui-même qui, selon lui, a été amendé de façon bénéfique par le Conseil d’État (un peu de pommade ne peut pas faire de mal), mais l’interprétation qu’en fait le Conseil de l’Observatoire : « Au mois de janvier 1868, la Commission avait préparé un projet de Décret dont la base principale était effectivement le

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transport de l’autorité à MM. les Fonctionnaires réunis en Conseil, et la suppression de celle du Directeur. Ce Décret, présenté par le Ministre à la signature de S. M. l’Empereur en son Conseil, ne fut pas accepté ; il fut renvoyé à l’examen de la Section de l’Intérieur et de l’Instruction publique du Conseil d’État. La Section remania le projet en son entier, et de ses délibérations sortit le texte qui constitue le Décret du 3 avril 1868, Décret qui nous régit aujourd’hui. Le Décret du 3 avril une fois rendu, la formation du Conseil, chargé d’élaborer avec le Directeur les règlements, réclamait une attention spéciale. Il eût importé d’y constituer une majorité assurée de Membres ne regrettant pas le projet primitif qui avait été réformé par le Conseil d’État. Ce fut tout le contraire qui eut lieu. Dès l’ouverture de la première séance, une forte majorité accentua sa tendance à interpréter le Décret dans un sens qu’il ne comportait pas, et à établir par voie réglementaire l’effet des dispositions condamnées en Conseil d’État. Et ainsi le règlement s’est trouvé, sur des points importants, en opposition avec le Décret. Par des interprétations abusives, on a retiré au Directeur l’autorité que le Décret du 3 avril a voulu lui maintenir, et par là on lui a enlevé le pouvoir nécessaire pour conduire les travaux scientifiques de l’Établissement. » Il serait bon de rétablir cette autorité, en la précisant dans le texte afin d’éviter toute interprétation déviante ! Le Verrier propose donc des modifications dont voici un exemple : « Texte du décret : Chacun des Chefs de service distribue le travail aux Astronomes [adjoints] et Aides-Astronomes placés sous sa direction, et surveille leurs opérations. Il dirige l’éducation des Aides au point de vue de la pratique des observations. Texte proposé : Les Chefs de service se conforment aux instructions qu’ils reçoivent du Directeur pour l’exécution des travaux. Ils proposent au Directeur : la distribution du travail aux Astronomes et Aides placés sous leurs ordres ; la fixation et la durée des services de jour et de nuit ; les mesures à prendre pour l’instruction des Aides. » Comme on pouvait s’y attendre, ces modifications ne seront pas acceptées par le ministre et l’affaire fera long feu.

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Quant au Conseil de l’Observatoire, dont Le Verrier fait mine de croire qu’il est responsable d’interprétations abusives, il avait été installé par Duruy lui-même le 28 avril 1868 ; le ministre avait précisé à cette occasion que l’initiative des propositions scientifiques qu’on y débattrait appartiendrait aussi bien aux membres qu’au directeur. On imagine que Le Verrier s’opposera par tous les moyens aux réunions de ce conseil7. Celles-ci se tiendront néanmoins assez régulièrement au début, présidées comme prévu par Le Verrier. Celui-ci va bientôt les bouder, mais y reviendra plus régulièrement à partir de février 1869, pour veiller au grain, tout en « oubliant » très souvent de convoquer la réunion. Il est vrai que le Conseil est surtout le lieu d’affrontements plus nuisibles qu’utiles. Il fait cependant publier en décembre 1869 le premier rapport annuel de l’Observatoire depuis ses origines, et il octroie à Marié-Davy, malgré Le Verrier, les 540 francs qui lui permettront d’acheter un actinomètre du père Secchi, ainsi qu’une pile thermo-électrique d’Edmond Becquerel ; avec ces appareils montés sur le télescope de 20 cm de diamètre de Foucault, Marié-Davy réussira à détecter le rayonnement infrarouge de la Lune8. C’est une des rares observations d’intérêt astrophysique faites en France sous Le Verrier. La guerre continue, relayée non sans complaisance par les journaux, et particulièrement par Le Siècle où écrit Flammarion. Dans son journal9, Lucile Le Verrier se fait l’écho de ces perturbations : « 25 novembre 1867. En septembre […] voilà que le ministre a attaqué papa, a voulu faire examiner sa gestion par deux ennemis notoires. Naturellement papa résiste. 7 décembre 1867. L’empereur et l’impératrice, démentant les bruits qui courent, ont assuré mon père de leur plus haute estime. Ils ont gracieusement ajouté : « Vous êtes bien au-dessus de M. Duruy, tout ministre qu’il est ». 12 août 1868. Beaucoup d’ennuis pour mon père, toujours persécuté par M. Duruy. 19 avril 1869. Les ennemis de mon père avaient demandé à l’Académie la démolition complète de l’Observatoire, et l’Académie a décidé au contraire que l’Observatoire resterait tel qu’il est. 19 juillet 1869. Le ministre qui a tant persécuté papa, qui a bouleversé l’Observatoire, n’est plus ministre. M. Duruy est remplacé par M. Bourbot [Bourbeau], assez inconnu. »

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Déplacer l’Observatoire ? Un des épisodes de la bataille, auquel Lucile vient de faire allusion, est le projet de transfert de l’Observatoire de Paris et de démolition du bâtiment du XVIIe siècle. Depuis ses origines, la construction de Claude Perrault, toute magnifique qu’elle soit, a été jugée mal adaptée à l’astronomieb… et c’est toujours vrai aujourd’hui. D’après son premier responsable, Jean-Dominique Cassini I, qui a d’ailleurs exigé des modifications importantes au bâtiment10 dès son arrivée à Paris en 1669, « il suffisoit à Perrault, d’avoir imposé à la façade et à la masse de l’Observatoire ce caractère grave et grandiose convenable à sa destination. C’étoit là le cachet que son génie étoit jaloux d’y imprimer. Du reste peu lui importoit que l’astronome y put observer un peu plus ou un peu moins commodément. » Figure 6.1. Le percement du boulevard Arago, au sud de l’Observatoire. Celui-ci est visible à gauche, ainsi que le petit bâtiment du jardin avec ses coupoles jumelles. On comprend que Le Verrier ait été perturbé par ces travaux, et aussi par la fumée des nombreuses usines que l’on voit à l’arrière-plan.

De plus, la qualité de l’atmosphère s’est sérieusement dégradée au XIXe siècle en raison du développement urbain, et l’Observatoire se trouve maintenant entouré d’habitations et d’industries alors qu’il était auparavant à la b

Cependant au XVIIe siècle on observait à l’extérieur, les objectifs des lunettes étant souvent posés au bord de la terrasse qui était à une hauteur suffisante : l’inadéquation du bâtiment était moins gênante qu’elle ne le sera au cours des deux siècles suivants, où il faudra sortir les lunettes et les télescopes sur la terrasse pour observer.

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campagne. C’est d’ailleurs ce qui a conduit Le Verrier à développer la « succursale » de Marseille. Certains pensent donc qu’il serait opportun de déplacer l’Observatoire dans une banlieue moins troublée. En 1854, à l’arrivée de Le Verrier, on avait déjà considéré, avant d’entreprendre de nouveaux travaux, l’opportunité d’une translation de l’Observatoire, pour conclure qu’il pouvait rester où il était. En 1860, la décision du baron Haussmann de percer de larges artères au voisinage crée une situation nouvelle (Fig. 6.1) ; Le Verrier se bat pour en limiter les dégâts, et pense y être parvenu à la fin de 186711. Mais voici que se faisant l’écho d’une opinion qui commence à se répandre, un astronome de l’Observatoire, Yvon Villarceau, attaque à l’Académie des sciences le 23 décembre 1867, en préconisant de déplacer l’Observatoire12. Il rappelle avec un malin plaisir quelques passages du rapport de la Commission qui avait examiné en 1853 les améliorations à apporter à l’Observatoire, rapport qui avait été inspiré par Le Verrier lui-même : « La situation de l’Observatoire au sein de la capitale, dans une atmosphère viciée et sur un sol agité, est un inconvénient auquel échappent et l’Observatoire de Greenwich et celui de Saint-Pétersbourg, depuis qu’on l’a rebâti, il y a quinze ans, à quatre lieues de cette dernière ville. Les trépidations du sol sont incompatibles avec l’emploi d’instruments dont la première condition est la stabilité. […] Si la Commission ne demande pas la translation de l’Observatoire, c’est qu’elle espère que les inconvénients signalés pourront être atténués ou détruits par quelques dispositions bien conçues, soit à l’intérieur même de l’établissement, soit dans le voisinage de son périmètre, où il sera nécessaire de macadamiser les rues. Toutefois, comme rien ne saurait remédier au défaut de transparence de l’atmosphère, elle fait remarquer que l’abandon du grand bâtiment central, si improprement appelé l’Observatoire, ne causerait aucun regret aux amis de l’astronomie. […] » Puis Yvon Villarceau entre dans les détails, chiffres à l’appui, et mentionne également la nuisance que commencent à apporter les lumières de la capitale. Il recommande que l’Observatoire soit transféré à l’extérieur de Paris, mais pas trop loin afin de permettre « aux astronomes de fréquenter les Académies et les Facultés, les bibliothèques et les ateliers de construction. » Puis il cite toute une série de lieux de la banlieue Sud situés de 7 à 20 km de Paris, qui lui

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paraissent pouvoir convenir, en recommandant particulièrement le site des moulins à vent de Fontenay-aux-Roses. Il remarque que ces communes sont généralement bien desservies par le chemin de fer, si bien que puisque « depuis plusieurs années, la plupart de nos professeurs ont fixé leurs habitations dans les localités voisines du parcours des chemins de fer d’Orsay, de Sceaux et de Versailles rive gauche [déjà !], on ne devra pas trouver le déplacement plus pénible pour les élèves [afin d’assister aux cours des Facultés et du Collège de France] qu’il ne l’est pour les professeurs : ces déplacements équivaudraient, du reste, aux voyages que l’on est obligé de faire journellement dans Paris. » Enfin, il remarque que la vente des terrains de l’Observatoire, dont la valeur est estimée de 4 à 5 millions de francs, couvrirait largement l’acquisition de terrains employés à la culture de céréales et de plantes maraîchères, le reste constituant une fondation destinée aux besoins futurs du nouvel observatoire. Les bâtiments constituant celui-ci « doivent se réduire à de simples abris suffisamment solides, au lieu de présenter des monuments d’architectures que l’on hésiterait plus tard à sacrifier aux exigences de la science, si de nouveaux progrès venaient à en réclamer la suppression ou le déplacement. » Le Verrier répond aussitôt13, avec l’appui du chimiste Jean-Baptiste Dumas qui est l’un de ses fidèles, que les mesures qu’il a déjà prises ont fait leur effet, et que les observations qui nécessitent un ciel pur sont transférées à Marseille, où se trouve maintenant le télescope de 80 cm de diamètre de Foucaultc. De plus, l’Observatoire de Toulouse, créé par Arago, qui présente les mêmes avantages que celui de Marseille, est en plein développement. Il s’oppose donc à la proposition d’Yvon Villarceau, et conclut : « Nous ne saurions donc comprendre quel avantage il pouvait y avoir à créer autour de l’Observatoire de Paris une agitation stérile, à laquelle sont venus se mêler des hommes incompétents, des opinions intéressées et des polémiques passionnées dont le mobile n’a rien de commun avec la science. Nous ne pouvons nous laisser aller à ces entraînements, et en écrivant ces lignes dans les lieux illustrés par ceux

c Entre parenthèses, l’Observatoire de Marseille se trouvera vite englobé dans un quartier d’immeubles de type haussmanien, et son seul avantage sur celui de Paris sera le nombre plus élevé de nuits claires.

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qui nous ont précédés depuis deux cents ans, il nous semble que nous parlons au nom de tous en défendant l’un de nos plus anciens et de nos plus grands établissements scientifiques. Au moment indiqué par les nécessités de la science, cet établissement national a été complété par l’adjonction d’une succursale dont le climat ne laisse rien à désirer. Il n’y a qu’à donner à cette institution ses développements naturels et prévus pour maintenir notre pays à la hauteur du rôle scientifique qui lui convient. » Yvon Villarceau ne s’avoue pas vaincu et la polémique s’envenime. Lors de la séance suivante14, il rappelle la variété des observations faites à Poulkova, un observatoire situé hors de la ville, et affirme : « De tous les travaux qui viennent d’être énumérés, les seuls qui puissent encore continuer à être exécutés à l’Observatoire de Paris […] se réduisent aux observations des planètes et des comètes douées d’un certain éclat et des étoiles à cataloguer. L’Observatoire de Paris, ainsi restreint, prend le rang d’un observatoire de deuxième et même de troisième ordre. […] Si une concentration [des travaux impossibles à Paris] s’effectuait dans la succursale actuelle de l’Observatoire de Paris, cette succursale ne prendrait-elle donc pas la place de l’établissement principal ! On paraît vouloir éviter cet inconvénient en dispersant le matériel astronomique et les observateurs à Montpellier, à Bordeaux, à Toulouse, etc., où l’on compte voir s’établir des observatoires que l’on parviendrait à annexer à l’Observatoire de Paris, comme on l’a déjà pratiqué à l’égard de celui de Marseille. Dans ce système, l’Observatoire actuel serait constitué en une sorte de Ministère de l’Astronomie, dont les bureaux occuperaient le bâtiment central et où le travail astronomique le plus utile se réduirait véritablement à celui des calculs.d » Nouvelle intervention de Le Verrier : « On propose de supprimer, non plus le Directeur, mais l’Observatoire lui-même, de le raser et d’en vendre l’emplacement à tant le mètre ! Cela produira des millions ! » Puis il fait remarquer, non sans raison, que le climat de Fontenay-aux-Roses ne peut être bien différent de celui de Paris. Yvon Villarceau réplique à d

C’est bien la situation actuelle ! Mais les observations de qualité se font aujourd’hui dans des observatoires de mission situés loin des villes, et surtout à l’étranger.

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nouveau dans une séance ultérieure15, et sa note est suivie d’une nouvelle réponse de Le Verrier, qui invoque cette fois l’opinion d’Arago selon laquelle « dans tout pays pénétré de l’amour éclairé des sciences, les souvenirs de l’Observatoire suffiraient amplement pour le sauver de la destruction. » Mais il est clair que, contrairement à Arago, Le Verrier ne s’intéresse pas au patrimoine en tant que tel : « Tandis que nous concédions le dérasement de l’étage supérieur pour faciliter certaines installations, Arago ne veut pas même de cette opération. Il connaissait bien les hommes et les choses : il se sera dit que l’enlèvement d’une première pierre faciliterait celui d’une seconde pierre, et que le plus sûr était de ne rien accorder du tout. » Le bruit de ces disputes atteint le ministre de l’Instruction publique, qui demande à l’Académie son opinion sur la destruction et le transfert éventuels de l’Observatoire. Ceci va être fait en comité secret le 12 avril 1869, avec comme résultat la résolution suivante, adoptée à l’unanimité, qui ménage la chèvre et le chou16 : « Il importe que l’Observatoire impérial de Paris soit conservé sans le moindre amoindrissement, et en y ajoutant des logements pour les observateurs ; mais il est nécessaire qu’un autre observatoire de premier ordre, répondant à tous les besoins de la science, avec logements pour tout le personnel, soit fondé dans un lieu convenablement choisi en dehors et à proximité de la ville de Paris. Les salles ou locaux d’observations du nouvel établissement seront placés vers le centre d’un terrain clos, appartenant à l’État, et assez vaste pour assurer leur isolement à distance suffisante des constructions et voies de communications extérieures. L’ancien et le nouvel observatoire seront absolument indépendants l’un de l’autre : chacun d’eux poursuivra ses travaux librement, sous l’empire des règlements et de la haute surveillance du Ministre. » Faute de crédits, il ne se passe rien pendant quelque temps. Mais on trouve dans le compte rendu de la séance du 2 juin 1870 du Conseil de l’Observatoire les phrases suivantes17 : « [Le ministre ayant attribué 7 000 francs pour les] observations comparatives sur la transparence de l’air à Paris et en dehors de Paris, la question a donc pu être reprise, et un second télescope de 0m,40 [Fig. 6.2] a été commandé pour servir à ces expériences en même temps que le télescope de même

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ouverture déjà existante. En attendant sa construction, les observations se font successivement à Paris et à Fontenay avec le même instrument [l’autre télescope de 40 cm, celui de Foucault-Eichens]. Si des observations démontrent que la colline de Fontenay jouit sur Paris d’une supériorité incontestable, on devra poser de nouveau la question, et l’on pourra alors légitimer le transfert de l’Observatoire. Si les avantages de la nouvelle position sont peu marqués, peut-être pourrait-on par un moyen terme, conserver les avantages de la résidence à Paris et annuler les plus gros inconvénients de la situation actuelle. Il semble en effet que, si l’on rasait complètement l’édifice de l’Observatoire pour transformer la terrasse en une colline découverte que l’on prolongerait vers le nord, on enlèverait le principal obstacle à la précision des observations. […] [Discussion, certains ne sont pas d’accord.] [M. d’Abbadie] émet la pensée que, depuis l’origine de la discussion, il a été apporté de part et d’autre plus d’opinions que de preuves. Il croit qu’on peut aussi bien observer à Paris qu’au dehors, même au point de vue de la transparence, et il invoque à l’appui l’opinion et les observations de Dawes, qui a vu l’anneau obscur de Saturne à travers le brouillard de Londres, etc. » D’Abbadie a bien mis le doigt sur le point faible de cette affaire, où les motivations personnelles l’ont emporté sur les raisons scientifiques. Interviewé par Bigourdan en 1889 puis en 1894, Gaillot, qui avait vécu toute la discussion, la résume ainsi18 : « Dans la question du transfert de l’Observatoire, partisans et adversaires étaient de mauvaise foi. […] [Yvon] Villarceau espérait que Le Verrier n’accepterait pas d’aller diriger un Observatoire de banlieue et qu’il serait Directeur lui-même. […] Le Verrier fut le plus habile, voilà tout. » La guerre de 1870 va mettre fin à l’affaire. Le projet de destruction et de transfert de l’Observatoire sera définitivement enterré, bien que le successeur de Le Verrier, l’amiral Mouchez, ait tenté d’obtenir sans succès en 1883 la création d’une succursale de l’Observatoire hors de la ville, en s’appuyant sur « le vœu unanime de l’Académie en 1869 et l’exemple que nous ont donné tous les grands Observatoires étrangers.19 » e

Voici donc la faible justification de ce télescope construit par Eichens avec un miroir de Martin ; on peut toujours le voir à l’Observatoire de Paris.

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Figure 6.2. Le télescope de 40 cm d’Eichens-Martin. Copie de celui d’EichensFoucault, mais avec un tube métallique, il a été construit pour réaliser une étude de site comparative entre Paris et Fontenay-aux-Roses. Voir aussi la Figure 4.25.

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Un observatoire d’astronomie physique Tandis que les astronomes de l’Observatoire se déchirent à propos de la création éventuelle d’un nouvel observatoire à Fontenay-aux-Roses ou dans quelque autre lieu de la banlieue parisienne, un autre astronome, indépendant des institutions, soumet au ministre de l’Instruction publique le projet d’un nouvel observatoire parisien destiné à l’« astronomie physique », que nous appellerions aujourd’hui astrophysique : il s’agit de Jules Janssen (Fig. 6.3, Encadré 6.1).

Encadré 6.1. Jules Janssen (1824-1907) Figure 6.3. Jules Janssen (1824-1907).

Né dans une famille d’artistes, Janssen fait cependant des études scientifiques et obtient sa licence ès sciences en 1855. En 1857, bien qu’inconnu, il parvient à obtenir du ministre un ordre de mission pour faire des observations du champ magnétique terrestre au Pérou, où il tombe gravement malade. C’est le début d’une carrière de « baroudeur scientifique » menée en dehors des institutions officielles. Il construit des spectroscopes avec lesquels il observe le spectre du Soleil, montrant que certaines bandes d’absorption se forment dans l’atmosphère terrestre. Il obtient à Rome, avec Secchi, le spectre de nombreux astres, puis organise des missions pour observer avec grand succès des éclipses totales de Soleil et des passages de Vénus devant le Soleil. Il fonde en 1875 l’Observatoire d’astronomie physique de Meudon, qu’il illustre personnellement par de magnifiques photographies du Soleil. Pour mieux observer le spectre du Soleil, il monte un observatoire au sommet du Mont-Blanc qui fonctionnera par intermittence jusqu’à sa mort en 1907. Très doué pour la communication et les relations humaines, Janssen a réussi dans presque toutes ses entreprises et a donné une nouvelle vie à l’astrophysique française, qui était moribonde depuis 1853.

Janssen20 est déjà célèbre pour ses réalisations instrumentales, notamment des spectroscopes (voir Fig. 5.11), et pour ses travaux de spectroscopie sur les protubérances solaires qu’il a très bien observées pendant l’éclipse totale

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du 18 août 1868. De plus, il a des relations et connaît bien Victor Duruy. En novembre 1869, il envoie à l’Empereur une requête où il écrit : « Depuis dix années, de grandes découvertes ont été faites sur la lumière. Ces découvertes appliquées à l’astronomie ont donné les résultats les plus importants et les plus inattendus. L’astronomie compte une branche de plus et cette branche est déjà si considérable qu’elle mérite d’être dotée de moyens spéciaux d’observation. » Bien entendu, cette requête, qui est appuyée par Faye, redescend vers le ministre, mais ce n’est plus Victor Duruy : ses remplaçants, Bourbeau puis Segris, n’acceptent pas la création d’un nouvel observatoire, tout en affectant à Janssen en mai 1870 le pavillon de Breteuil à Sèvres pour y installer ses instruments. La guerre ne lui permettra d’ailleurs pas d’en bénéficier. Après la guerre, en 1871, Janssen prend contact avec le nouveau ministre, Jules Simon, faisant briller « l’ardeur et les sacrifices que nos voisins [anglais] font pour les progrès de la science » et mentionnant les sommes importantes qui viennent d’être mises à la disposition de Huggins et de l’observatoire solaire de Kew. En 1873, Janssen est élu à l’Académie des sciences et nommé au Conseil de l’Observatoire de Paris qui vient d’être créé, ce qui renforce sa position. L’année suivante, il fait intervenir un député des Hautes-Alpes, Ernest Cézanne, pour réactiver son projet. Le ministre demande l’avis de l’Académie des sciences, qui nomme une Commission composée d’Edmond Becquerel, Joseph Bertrand, Jean-Baptiste Dumas et des astronomes Maurice Lœwy et Hervé Faye, qui en est le rapporteur. Le rapport21 est un vibrant plaidoyer pour l’astrophysique, très intéressant et bien documenté. On y rappelle les travaux d’Arago, qui a découvert la nature gazeuse du Soleil en étudiant la polarisation de sa lumière, ceux de Gustav Kirchhoff qui a trouvé dans le spectre du Soleil les raies de certains éléments chimiques terrestres (son collaborateur Robert Bunsen est curieusement oublié), et ceux plus récents de William Huggins, de Norman Lockyer et bien entendu de Janssen lui-même. Puis on discute ce qui se fait à Paris et l’utilité d’un nouvel observatoire : « Pour tout embrasser aujourd’hui, il faudrait joindre à tant de conditions qui font la difficulté et l’honneur de la vieille Astronomie […] la Physique dans ce qu’elle a de

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plus profond et de plus délicat, la Chimie presque entière avec sa philosophie moderne, l’habitude des expériences, l’adresse dans les manipulations et jusqu’à ce tour d’esprit propre à ces sciences qui accordent d’autant plus à l’imagination qu’elles s’éloignent plus de la discipline sévère des Mathématiques. Demander tout à la fois, c’est trop : évidemment il faut opter. […] Puisque l’Astronomie physique ne peut plus se confondre désormais avec l’Astronomie mécanique, donnons-lui un établissement séparé : les deux sciences se développeront ainsi parallèlement, sans se gêner, en utilisant des aptitudes diverses. C’est ainsi que la théorie du magnétisme terrestre et la Météorologie, nées dans nos Observatoires, s’en détachent peu à peu et possèdent aujourd’hui leurs établissements spéciaux. Nous ne voulons pas dire par là que les anciens Observatoires doivent renoncer à ces recherches qui ont tout l’attrait d’un monde nouvellement découvert, encore moins que l’Astronomie proprement dite puisse se passer de la Physique. […] Si, pour mieux préciser, nous jetons les yeux sur notre Observatoire national, nous voyons que de tous temps une place y a été donnée à la Physique ; mais, malgré d’honorables exceptions, la Physique y vient en seconde ligne, comme une auxiliaire de l’Astronomie. […] Bien loin donc de vouloir établir une séparation absolue, nous voudrions voir les Observatoires anciens continuer à marcher dans cette voie ; mais, à côté d’eux, indépendamment d’eux, nous aimerions à élever un véritable laboratoire de Physique, de Chimie et de Photographie célestes. […] Assurément ce serait chez nous une nouveauté ; mais depuis longtemps ce n’est plus une nouveauté en Angleterre ou en Amérique, et ce sera bientôt en Allemagne un fait accomplif. En conséquence, Messieurs, votre Commission a l’honneur de vous proposer de répondre à M. le Ministre de l’Instruction publique que l’Académie donne son entière adhésion à l’idée de créer à Paris, ou dans son voisinage, un Observatoire spécialement consacré à l’Astronomie physique. » Malgré certaines réticences, l’Académie adopte les conclusions de ce rapport. Le Verrier, qui semble avoir f Faye fait ici allusion à la création d’un observatoire solaire à Berlin pour Kirchhoff.

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toujours eu de bons rapports avec Janssen, ne s’y est pas opposé car l’astrophysique ne l’intéresse pas. Cependant certains, comme Henri Édouard Tresca, un influent professeur de mécanique au Conservatoire des Arts et Métiers, trouvent non sans raison que le nouvel observatoire duplique l’ancien. Tresca écrit à Fizeau le 26 août 1874 22: « Le rapport conclut par une approbation chaleureuse à l’idée de la création d’un Observatoire d’Astronomie Physique. Cela me rappelle l’histoire d’Ampère qui faisait un trou pour le passage de son petit chat, afin de réserver le grand passage pour la mère. Quoi qu’il en soit le débat aura lieu et en présence du résultat d’hier je ne pense pas qu’il faille se tenir pour battu. » Il faut cependant attendre un an avant que le président de la République, le maréchal Mac-Mahon ne signe, le 6 septembre 1875, le décret de création du nouvel observatoire, tandis qu’une somme de 50 000 francs est réservée pour la première installation dans le budget de 1876. L’observatoire est provisoirement installé boulevard d’Ornano, après que l’on ait envisagé une installation à Montmartre ou, pourquoi pas, à Fontenay-aux-Roses. On parle de le placer définitivement à Versailles, à Vincennes ou au mont Valérien, jusqu’à ce que Meudon soit choisi : Janssen s’y transporte définitivement le 13 octobre 1876, dans un terrain encore occupé par les militaires qui sera finalement affecté en 1879 à l’Observatoire. La création de l’Observatoire d’Astronomie physique de Meudon ouvre une nouvelle ère dans l’astronomie française. Il sera pendant longtemps complètement indépendant de l’Observatoire de Paris, avec une activité scientifique très différente centrée sur l’observation visuelle, photographique et spectroscopique du Soleil, des planètes et des comètes, et un laboratoire d’analyse des gaz qui permettra d’en identifier les raies et les bandes moléculaires dans le spectre des astres. Ce type d’observation va progressivement disparaître à l’Observatoire de Paris. Mais, en 1926, les deux institutions seront réunies, chaque partie continuant d’ailleurs son activité propre. Suite aux effets de la guerre et au manque d’intérêt des autorités, la totalité du personnel ne se monte plus alors qu’à une vingtaine de personnes. L’astrophysique va alors péricliter, si bien qu’en réaction le gouvernement issu du Front populaire créera en 1936 l’Institut d’Astrophysique de Paris et sa station d’observation en Haute-Provence. À l’heure actuelle, on ne

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voit que des avantages sur le plan scientifique à regrouper l’astronomie fondamentale et l’astrophysique, tant ces deux sous-disciplines sont imbriquées.

Intermède : l’affaire des manuscrits de Chasles

Figure 6.4. Michel Chasles (1793-1880).

Figure 6.5. Ex-libris de Michel Chasles.

Le 8 juillet 1867, le mathématicien Michel Chasles (Fig. 6.4 et 6.5) présente à l’Académie des sciences deux lettres du poète Jean de Rotrou au Cardinal de Richelieu, concernant la fondation des Académies. Il mentionne qu’il en possède deux autres, de Rotrou à Pierre Corneille, où Rotrou « prédit ce que réalisera le génie du jeune Poquelin [Molière]. » Rien de bien extraordinaire à cela, si ce n’est que la prédiction est assez étonnante ; mais le président de l’Académie des sciences, le chimiste Eugène Chevreul, demande à Chasles « s’il lui conviendrait, sans attendre qu’un travail dont il a parlé il y a quelque temps, concernant la découverte des lois de l’attraction par Pascal, soit achevé, de dire dès ce moment quelques mots sur ce grand fait de la science qui date, comme l’établissement des académies, du XVIIe siècle. »23 Voilà qui est plus intéressant : si Chasles apporte effectivement la preuve que c’est Pascal qui a découvert les lois de l’attraction universelle, Newton est détrôné ! Effectivement, Chasles présente à l’Académie lors de la séance suivante, le 15 juillet, plusieurs écrits de Pascal dont on décide qu’ils seront insérés dans les Comptes rendus24. Il s’agit en particulier d’une lettre adressée le 2 septembre 1652 par Pascal au physicien anglais Robert Boyle, suivie de plusieurs notes. En voici des extraits : « Dans les mouvements célestes, la force agissant en raison directe des masses et en raison inverse du carré de la distance suffit à tout et fournit des raisons pour expliquer toutes ces grandes révolutions qui animent l’univers. […] Le corps en vertu de la tendance au mouvement que l’attraction lui imprime est capable de parcourir un espace donné dans un temps donné. Sa vitesse initielle [initiale] sera donc proportionnelle à l’intensité de l’effort ou de la tendance imprimée par la puissance attractive ; et cette intensité sera elle-même proportionnelle à la masse attirante à égale distance, et (à) différentes distances, comme la masse attirante divisée par les quarrés de ces distances. […]

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On connoît la puissance de la gravité sur la terre, par la descente des corps pesans, et en évaluant la tendance de la lune sur la terre, ou son écart de la tengente à son orbite, dans un temps donné quelconque. Cela posé, comme les planètes font leur révolution autour du Soleil et que deux d’entre elles (Jupiter et Saturne) ont des satellites, en évaluant par leurs mouvements combien une planète a de tendance vers le Soleil ou s’écarte de la tangente dans un temps donné, et combien quelques satellites s’écartent de la tengente de leur orbite, dans le même temps, on peut déterminer la proportion de la gravité d’une planète vers le Soleil et d’un satellite vers sa planète, à la gravité de la lune vers la terre, et leurs distances respectives. […] Il ne faut pour cela que conformément à la loi générale de la variation de la gravité, calculer les forces qui agiroient sur ces corps à distance égale du soleil, de Jupiter, de Saturne et de la terre. Et ces forces donnent la proportion de matière contenue dans ces différents corps. C’est par ces principes qu’on trouve que les quantités de matière du soleil, de Jupiter, de Saturne et de la terre sont entre elles comme les nombres, 1, 1/1067, 1/3021, 1/169282. Pascal » Ainsi Pascal aurait trouvé dès 1652 tout ce que Newton est censé avoir découvert quelques décennies plus tard ! Des doutes surgissent. Dès la séance suivante25, Constant Duhamel remarque des incohérences dans les écrits présentés par Chasles : en particulier, il note que l’établissement de la loi de l’inverse du carré de la distance implique une comparaison de l’attraction de la Terre sur la Lune et de son attraction sur un corps au voisinage, ce qui implique que la Terre attire les corps comme si toute sa masse était réunie en son centre. Or cette propriété fondamentale n’a pas été démontrée avant Newton. De son côté, Faye fait remarquer que le premier satellite de Saturne n’a été découvert qu’en 1655, trois ans après les notes de Pascalg ! Le Verrier réserve ses commentaires pour la prochaine séance. Assez curieusement, personne ne semble avoir remarqué d’emblée une énorme faute dans un des premiers documents présentés par Chasles : ce n’est pas la vitesse, mais l’accélération qui est proportionnelle à la force exercée sur g La durée de sa révolution autour de la planète n’a d’ailleurs été publiée qu’en 1659 !

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un corps, ce que Newton a montré le premier. Si l’on n’a pas compris cela, il est impossible d’aller plus loin dans la dynamique des planètes et des satellites. Nouveau coup de théâtre lors de la séance suivante : un spécialiste de Pascal, Armand Prosper Faugère, qui a édité en 1844 les Pensées à partir du manuscrit, affirme que les pièces présentées par Chasles ne sont pas de l’écriture de Pascal26 : « Ma conviction à cet égard est tellement complète, que je considère comme une véritable obligation d’en instruire l’Académie. Si elle jugeait convenable de nommer des Commissaires pour l’édifier sur ce point essentiel, je m’empresserais de mettre à leur disposition tous les éléments d’appréciation que je possède. Ils pourraient d’ailleurs consulter le manuscrit autographe de Pascal qui est conservé à la Bibliothèque impériale. » Chasles est évidemment fort embarrassé par cette déclaration et essaye d’éluder la difficulté. Cela ne l’empêche pas de suggérer que Newton a emprunté à Pascal ses idées sur la gravitation, ce dont il a la preuve par une correspondance de dix années entre ces deux savants et par d’autres lettres qu’il possède27. Mais Faugère persiste et signe, et le physicien anglais David Brewster conteste l’authenticité des lettres de Pascal à Newton, dont il ne trouve pas trace dans les archives de ce dernier ! Nouveau rebondissement en octobre 1867. Pour répondre à certaines objections, Chasles affirme maintenant, preuves en main, que Pascal avait déjà obtenu ses résultats en 1641… grâce à Galilée dont il exhibe des lettres. Voici ce qu’en dit Le Verrier28 : « Pour étayer le nouvel édifice qu’il va falloir élever, diverses Lettres attribuées à Galilée, à Boullian, à Huyghens [sic] sont produites, desquelles il résulterait ce qui suit : 1° Galilée aurait déjà eu l’idée que l’ellipse de Kepler pourrait bien être la conséquence d’une attraction en raison inverse du carré de la distance, et il aurait communiqué cette idée à Pascal ; 2° Galilée aurait envoyé à Pascal des observations astronomiques de lui, Galilée, et des écrits de Kepler, sur lesquels Pascal aurait fondé ses travaux ; 3° Galilée aurait découvert des satellites de Saturne ; 4° Galilée aurait imaginé un puissant instrument ; mais sa vue venant à s’affaiblir, il l’aurait envoyé à Pascal, qui

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lui-même l’aurait fait parvenir à Huyghens. Ce serait à l’aide de ces diverses ressources que Pascal aurait effectué ses travaux, et entre autres il aurait déterminé les masses de Jupiter, Saturne et la Terre, ce dont Galilée le féliciterait dans une Lettre du 7 juin 1641 ; Lettre dans laquelle le philosophe de Florence répète, afin qu’on n’en puisse douter, les valeurs que Pascal aurait déterminées pour les masses et les densités des planètes. » Et ce n’est pas tout ! D’après une notice sur Galilée soi-disant écrite par Louis XIV lui-même, Galilée aurait découvert en 1639 la planète Uranus, et le nom d’Uranus lui aurait été donné par Louis XVI, qui aurait eu connaissance de cette notice ! Or la position que Chasles donne pour Uranus en 1639 est complètement fausse29. La discussion va se poursuivre jusqu’en août 1869, et remplir plus de 400 pages des Comptes rendus30 ! Finalement, c’est Le Verrier lui-même qui va reprendre et débrouiller toute l’affaire dans 92 autres pages des Comptes rendus de 1869, en résumant toutes les objections faites à Chasles, en particulier celles qu’il a faites lui-même31. C’est un travail considérable, où le détective a complété le scientifique. Le Verrier a pu retrouver la source des textes attribués à Pascal : ils ont été copiés dans l’article consacré à Newton dans l’Histoire des Philosophes modernes d’Alexandre Savérien (t. 4, 1764), dont Chasles déclare pour se défendre que c’est lui qui a copié Pascal, et aussi, assez curieusement, dans la Dissertation sur l’incompatibilité de l’attraction et de ses différentes lois avec les phénomènes, un texte anti-newtonien du P. Giacinto Sigismondo Gerdil datant de 1754. Le Verrier résume également les interminables recherches qui viennent d’être faites sur le papier et les encres en vue de déterminer l’authenticité des pièces montrées par Chasles, avec les controverses à ce sujet auxquelles participe le chimiste Balard, un ennemi de Le Verrier que ce dernier ne manque pas d’enfoncer. Finalement, en très grande partie grâce à Le Verrier, le faux est reconnu, ce dont John Herschel le félicite par une lettre écrite en français, que nous reproduisons dans l’Appendice 2, pièce n° 9. Malgré l’incrédulité que John Herschel exprime dans cette lettre, c’est bien un seul homme qui a produit les 27 320 pièces prétendues autographes, émanant de 660 personnages différents, que le naïf académicien a acquis pour la somme rondelette de 150 000 francs : il s’agit de Denis Vrain-Lucas. Vrain-Lucas avait fait ses armes dans

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l’officine du généalogiste Letellier, qui pourvoyait les bourgeois d’arbres de noblesse fantaisistes. Il y avait accumulé des connaissances disparates et surtout des talents de faussaire. Flairant le pigeon, il se présente chez Chasles en lui disant qu’il venait d’acheter un lot considérable de vieux papiers qui avaient transité par l’Amérique et avaient été très abîmés lors du naufrage du navire qui les ramenait en France. Il vient consulter le savant sur le parti qu’il pourrait tirer de ces paperasses. Comme échantillon, il lui montre quelques lettres fort maculées et rongées sur les bords. Chasles y reconnaît Pascal, et s’enthousiasme : voilà l’affaire faite. Dès lors, le faussaire se présente presque chaque jour chez le savant qui lui raconte où en sont les discussions à l’Académie ; il lui fournit le lendemain, moyennant finances, de nouvelles pièces destinées à confondre ses détracteurs. Le fonds d’où Vrain-Lucas prétend extraire ses documents étant d’une inépuisable variété, il vend à Chasles les documents les plus fantaisistes, par exemple la lettre de Jules César à Vercingétorix que nous reproduisons Figure 6.6. Parmi ces audacieux pastiches, tous écrits en ancien français, se trouvent des lettres d’Alexandre le Grand à Aristote, d’Archimède à Néron, un billet doux de Pythagore à Sapho, un placet de Lazare ressuscité à Saint Pierre, etc.32 Le plus souvent, ils sont conçus pour flatter l’amour-propre national, ce qui ne peut que plaire à Chasles. Comme celui-ci s’étonne de voir ces lettres écrites en français, Vrain-Lucas, qui a prévu l’objection, affirme que qu’elles ont été rassemblées par Alcuin dans une abbaye de Tours, où Rabelais les a retrouvées sept siècles plus tard, puis traduites et copiées : leur valeur s’en trouve encore accrue !

Figure 6.6. Prétendue lettre de Jules César à Vercingétorix33. « July Cesar au chief des Gaulois. J’envoy devers toi un mien amé qui te dira le but du mien voyage. Je veux couvrir de mes souldats la terre qui t’a veu naistre. C’est en vain que tu la vouldras défendre. Tu es braves, je le say mais aussy le serai s’il playt aux dieux. Ains. Rend moy tes armes ou prépare toy à combattre – VI des Kal. de Jullius. July César »

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La fraude sera dévoilée par Chasles lui-même, qui, se doutant enfin de quelque chose, a fait surveiller par la police les agissements du faussaire : une perquisition à son domicile a permis de découvrir le matériel dont il s’est servi. Son procès, qui aura lieu en février 1870 devant la sixième chambre correctionnelle de Paris, sera l’occasion de franches rigolades. Vrain-Lucas récoltera deux ans de prison et 500 francs d’amende, mais le plus puni a certainement été le malheureux Chasles. Il peut paraître étrange, alors que la fraude était évidente depuis le début, que Le Verrier se soit donné autant de mal et que l’Académie ait dépensé tant de papier et de salive sur cette affaire34. Il est vrai que Chasles était un savant reconnu et respecté, un homme très aimable dont il fallait sauver la face. D’autres académiciens étaient sans doute presque aussi crédules que lui, surtout s’ils n’étaient pas astronomes : l’affaire était sensationnelle et tout était fait pour alimenter l’amour-propre national. La fraude rappelle celle des faux Vermeer peints avant la seconde Guerre mondiale par Han van Meegeren, un faussaire à vrai dire plus habile que Vrain-Lucas : les spécialistes s’y sont laissés prendre, bien que la qualité des toiles de van Meegeren paraisse au premier coup d’œil bien inférieure à celle des Vermeer authentiques. Ici, l’escroquerie était d’une tout autre envergure, car on estime que 25 à 30 millions de dollars ont été soutirés par van Meegeren aux acheteurs trop crédules. L’escroquerie scientifique de Vrain-Lucas n’est pas la seule à n’avoir été démasquée qu’avec difficulté : récemment, nous avons connu celles de la fusion froide et de la mémoire de l’eau, et il est possible qu’une petite partie du milieu scientifique soit encore persuadée que, dans ces deux cas, il n’y a pas eu escroquerie.

Démission et révocation Revenons maintenant à l’Observatoire, où la situation du personnel est devenue intenable. La crise éclate en janvier 1870, sous la forme d’une démission collective des treize astronomes titulaires et adjoints de l’Observatoire. Ceux-ci profitent de l’avènement le 2 janvier d’un nouveau ministère « libéral » présidé par Émile Ollivier, lequel nomme ministre de l’Instruction publique Émile Alexis Segris. Celui-ci reçoit le 1er février des astronomes

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de l’Observatoire un texte imprimé in-4°, long de 16 pages, qui reprend leurs griefs et se termine par l’annonce de leur démission35. En voici quelques extraits : « Pendant quatorze ans, M. Le Verrier a été maître absolu dans l’Observatoire. […] M. Le Verrier ne voulut autour de lui que des Daubentonh. Ne pouvant y réussir par les moyens naturels, il y employa l’adresse et au besoin la violence. Avant son entrée à l’Observatoire, il n’avait point pratiqué l’astronomie d’observation ; il ignorait les qualités et les défauts des instruments mis à sa disposition et les nombreuses et délicates précautions à prendre pour en tirer un utile parti. Il ne conserva près de lui qu’un petit nombre des élèves d’Arago qu’il jugea propres à entrer dans ses vues. Il se fit instruire par eux, se fit même dicter par eux les prescriptions qu’il fallait mettre en pratique dans la conduite des observations. Puis, dès qu’il en eut tiré les enseignements dont il avait besoin, il n’eut plus qu’un but, les expulser en les abreuvant de tous les outrages. C’est ainsi que M. Yvon Villarceau, son premier instituteur, s’est vu successivement retirer tous les services, salle méridienne, équatoriaux, géodésie, auxquels il avait initié M. Le Verrier ; et qu’il a finalement été mis, de fait, hors de l’Observatoire par le procédé suivant. M. Y. Villarceau fermait avec grand soin son cabinet quand il en sortait ; un jour il le trouve ouvert à deux battants. Il le referme ; à peine est-il dehors que les portes s’ouvrent comme d’elles-mêmes. Ces manœuvres durent une huitaine de jours ; et comme M. Y. Villarceau n’abandonnait pas la place, un beau matin il trouve son cabinet envahi par de nombreux fonctionnaires installés chacun à une table particulière. On avait enlevé tous ses papiers. […]36 M. Le Verrier a agi à peu près de la même manière avec tous les savants qu’il a pu attirer à lui par ses belles promesses. […] Toute initiative était interdite à l’Observatoire, ou devait aboutir au chef qui se réservait, à son moment, de reprendre l’idée pour son propre compte et de l’imposer, par ordre, généralement à tout autre que son auteur. Le travail personnel, s’il ne pouvait être absolument empêché, devenait ordinairement la cause de persécutions spéciales. On comprend que lorsque, pendant quinze ans, tant d’hommes distingués ont traversé un grand établissement,

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Daubenton avait un attachement sans faille pour Buffon, né de l’admiration et du respect, et vécut dans son ombre jusqu’à la mort de ce dernier en 1788.

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qu’ils y ont été intellectuellement pressurés par le directeur et à son profit exclusif, la part de travaux attribués à ce dernier finisse par devenir respectable. M. Le Verrier, dit-on, a fait de grands travaux à l’Observatoire, son administration aura été féconde pour la science. Il faut distinguer. Elle aura été fructueuse pour M. Le Verrier, s’il est possible d’admettre qu’une renommée acquise par de tels moyens puisse indéfiniment s’imposer. Mais la science elle-même y a-t-elle gagné tout ce qu’elle était en droit d’attendre de tant d’efforts réunis ? Tandis que partout ailleurs, autour des hommes de science, se groupe une pépinière de jeunes savants, qui tiennent à honneur de continuer les traditions du maître, à l’Observatoire impérial les observateurs ne font que passer. Où trouver un astronome qui se dise élève de M. Le Verrier ? » Le document analyse ensuite les entraves au travail occasionnées par l’attitude de Le Verrier, puis le « désordre » dans l’administration du matériel et des finances. Quant à la bibliothèque, elle est « dans le désarroi le plus complet » et manque des ouvrages les plus indispensables : « elle ne reçoit même pas le journal astronomique anglais le plus important, les Monthly notices [of the Royal Astronomical Society], alors qu’il suffirait à M. Le Verrier d’en faire la demande à la Société royale astronomique. » Enfin, « il faut dire que l’Association scientifique de France, société particulière fondée en 1865 par M. Le Verrier, a son siège à l’Observatoire mêmei ; que les frais de gaz, huile, bougies, charbon, consommés dans les séances de l’Association, dans les réunions de ses conseils et commissions, sont supportés par l’Observatoire. L’administration de l’Association scientifique absorbe, nous ne dirons pas tout le temps de M. Le Verrier – ceci est son affaire personnelle et ne nous regarde pas, – mais les efforts et le travail de plusieurs employés de l’Observatoire. Le matériel de l’Association et celui de l’Observatoire sont mêlés et confondus. […] L’Association est la cause principale de la profonde désorganisation du secrétariat de l’Observatoire et des entraves qui en résultent dans la marche de tous les autres services ».

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Ici les astronomes sont ingrats. Il faut rappeler que le lobbying par l’Association scientifique a permis l’obtention de 395 000 francs pour le grand télescope et la grande lunette ; mais il est vrai que l’Association était surtout destinée à soutenir la météorologie, ce qui n’était pas du goût de tout le monde à l’Observatoire.

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Le document se termine par la démission des astronomes : « En restant plus longtemps dans la situation qui leur est faite, les astronomes partageraient, malgré leurs protestations, la responsabilité de la ruine de l’astronomie française. Leur honneur les obligeait impérieusement à rendre une aussi lourde responsabilité à qui elle appartient. Ils le font avec un profond regret, mais avec le calme et la fermeté que donne le sentiment d’un devoir accompli. Ont signé : MM. Y. Villarceau, chef du service de géodésie. Marié-Davy, chef du service d’astronomie physique. Wolf, chef du service des équatoriaux. Loewy, chef du service méridien. André, astronome adjoint, équatoriaux. Folain, astronome adjoint, salle méridienne. Fron, astronome adjoint, météorologie. Leveau, astronome adjoint, bureau des calculs. Lévy, astronome adjoint, secrétaire agent comptable. Périgaud, astronome adjoint, salle méridienne. Rayet, astronome adjoint, météorologie. Sonrel, astronome adjoint, astronomie physique. Tisserand, astronome adjoint, géodésie. » Si tout le monde a signé, ce n’est pas avec le même enthousiasme. Interviewé par Bigourdan en 1888, Gustave Leveau déclare37 : « Relativement au mémoire des astronomes, de 1870, Villarceau l’avait signé, mais sans y pousser beaucoup : il était pour cela trop homme de la discipline. Ceux qui y poussaient étaient surtout M. Loewy et Marié-Davy, qui avaient derrière eux Delaunay et Cie [c’est-à-dire le Bureau des longitudes]. Quant aux faits articulés dans ce Mémoire, ils sont tous vrais : Le Verrier n’en a réfuté pas un seul. » Avant de recevoir ce pamphlet, le ministre de l’Instruction publique est déjà au fait de la situation à l’Observatoire. Le cours des événements est décrit avec précision dans les mémoires d’Émile Ollivier, qui était alors Premier ministre38 : « Profondément consciencieux, [Segris] s’informa de tous côtés, avant de prendre un parti, et surtout il voulut recueillir les explications de Le Verrier lui-même, qui les offrait en

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demandant une enquête [espérant ainsi gagner du temps et si possible confondre ses ennemis]. Sur ces entrefaites, tous les chefs de service de l’Observatoire, les astronomes se présentent au secrétariat du ministère et y déposent un mémoire avec leur démission (1er février [1870]). « Je ne puis vous le dissimuler, écrivit Segris à Le Verrier en lui annonçant cette nouvelle ; je suis péniblement affecté de voir un établissement aussi important que l’Observatoire dans un tel état de désorganisation ; je suis en même temps très préoccupé de l’impérieuse nécessité d’y apporter un prompt remède. Vous m’avez exprimé le désir d’être reçu par moi, samedi prochain 5 février ; vous serez assuré de me trouver à mon cabinet à huit heures et demie du matin. » À la fin de la séance [du Sénat] du 2 février, jour où Le Verrier était averti du rendez-vous que lui donnait Segris, GuyotMontpayroux demandait à interpeller le gouvernement sur la situation actuelle de l’Observatoire. Segris répondit en termes mesurés que, le matin même, il avait nommé une commission composée de deux officiers supérieurs de la marine, membres du conseil d’amirauté, quatre savants et un inspecteur des financesj, afin de rechercher les causes de la démission du personnel et d’examiner la comptabilité et les inventaires. En rentrant au ministère, Segris apprend que, sans attendre le rendez-vous du 5 au matin, Le Verrier, abusant de sa position de sénateur, venait, dans la séance de ce jour, de déposer une interpellation [Fig. 6.7] par laquelle, en vertu du sénatusconsulte du 8 septembre 1869, il demandait à interpeller le gouvernement « sur les incidents relatifs à l’administration de l’Observatoire impérial ». Le ministre était ainsi appelé par son subordonné à la barre du Sénat et sommé de fournir des explications, lui qui avait le droit d’en demander. Il ressentit l’impertinence et châtia la révolte. Il avertit le soir même Le Verrier de ne point venir au rendez-vous fixé [Fig. 6.8] et fit approuver par le Conseil et l’Empereur un arrêté de destitution39 [voir au début de ce chapitre la lettre préalable de révocation de Segris à Le Verrier]. En frappant ainsi un personnage haut placé, réputé dans la faveur impériale, nous faisions savoir à tous que nous ne tolérerions nulle part un manquement aux règles de l’ordre et de la hiérarchie. Le Verrier essaya vainement de justifier sa j

Cette composition est quasi identique à celle de la commission de 1867. La voici : amiral Fourichon, contre-amiral Baron Didelot, Liouville, Serret, Briot (professeur à la Faculté des sciences), Breguet, le constructeur d’instruments bien connu, et Maisonneuve.

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conduite au Sénat. Les explications loyales de Segris, écoutées avec une faveur marquée, furent confirmées par un ordre du jour pur et simple, voté à une immense majorité. Cette mesure reçut une approbation presque générale ; l’insupportable caractère de Le Verrier faisait oublier sa grande valeur scientifique. »

Figure 6.7. Brouillon autographe de la demande d’interpellation du ministre au Sénat, écrit d’une main rageuse par Le Verrier.

Le dernier paragraphe fait allusion à la séance du Sénat du 8 février 1870. L’interpellation demandée par Le Verrier ayant été accordée par le président du Sénat, il a le front de se présenter devant cette assemblée tout en sachant qu’il est révoqué ! Son discours véhément est de peu d’intérêt pour nous, et d’ailleurs on ne l’écoute guère40. Et lorsque Segris termine sa réponse par les mots : « Quand le fonctionnaire amovible, en sa qualité de sénateur, voudra interpeller directement le Gouvernement et le ministre, son chef hiérarchique, sur les faits mêmes de son propre service, je dis que c’est intolérable, » de nombreux sénateurs s’exclament « C’est vrai ! C’est très juste ! » Ainsi, du fait de Le Verrier qui s’est véritablement tiré une balle dans le pied, les choses ne se sont pas passées

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Figure 6.8. Lettre du ministre à Le Verrier, annulant le rendez-vous du lendemain.

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comme prévu. La révocation a eu lieu sans que la commission créée par le ministre avait créée pour obtenir un avis ait eu le temps de se réunir. Elle le fera quand même. Son avis ne servira à rien puisque le problème s’est en quelque sorte résolu de lui-même, mais il est intéressant d’en donner quelques extraits41, car il éclaire bien la situation à l’Observatoire : « Après le décret du 3 avril 1868 [qui avait tenté de limiter le pouvoir de Le Verrier], les actes regrettables contre les personnes cessent ; aucune plainte nouvelle ne s’élève sur ce point, mais le travail se ralentit et se désorganise progressivement, malgré les réclamations et les protestations des astronomes, et finalement ces derniers sont amenés à offrir à Votre Excellence leur démission collective, « pour dégager, disent-ils, leur responsabilité, au risque de briser une carrière, fruit de longs travaux, et qui, pour plusieurs d’entre eux, approchant de la limite naturelle, ne peut être recommencée. » L’échec de l’œuvre de réorganisation entreprise par M. Duruy ne saurait être imputé au décret du 3 avril et aux règlements qui l’ont suivi : ce décret n’a pas été sérieusement appliqué ; les règlements n’ont pas été exécutés. […] Une fois le décret signé par l’Empereur et les règlements approuvés par le Ministre, M. Le Verrier avait encore le droit de protester par sa retraite [démission]. Mais, en restant directeur de l’Observatoire, il acceptait ces actes et son devoir était de s’y conformer. La commission, après mûr examen, ne se croit pas en mesure de vous proposer des changements à l’organisation de 1868. […] En résumé, Monsieur le Ministre, le décret qui relève M. Le Verrier de ses fonctions de directeur de l’Observatoire est venu au-devant de la proposition que nous vous eussions faite, convaincus de la nécessité de cette mesure pour ramener à l’Observatoire l’ordre si profondément troublé, l’entente entre les personnes, l’activité et la fécondité dans les travaux scientifiques. Nous vous prions, comme corollaire de cette décision, de ne pas accepter la démission des astronomes, qui ont tous repris leurs travaux avec une ardeur dont il est permis de bien augurer pour l’avenir. À l’exemple de la commission de 1867, nous croyons devoir insister particulièrement pour que la séparation complète du service météorologique et de l’Observatoire s’effectue dans le plus bref délai possible. »

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Apprenant la révocation de Le Verrier, Flammarion jubile et félicite Segris42 : « Monsieur le Ministre, Votre Ministère vient de rendre le plus éminent service à la science. En relevant M. Le Verrier de ses fonctions de directeur de l’Observatoire, on permet enfin à l’astronomie française de se constituer sur la base solide qui lui convient et de s’élever dans une atmosphère désormais pure et paisible. Permettez-moi de vous adresser les félicitations sincères et les remerciements profonds d’un ami de la science pour cet acte de courageuse justice. Quatre années passées sous cette pression ombrageuse m’en avaient assez fait sentir la fatale influence. Depuis plusieurs années j’avais déclaré la guerre à l’égoïsme dictatorial ; ce que nous n’avions entièrement obtenu du sage et laborieux Duruy, vous venez de le donner libéralement à la France. Soyez assuré, Monsieur le Ministre, que l’acte qui vient d’être accompli aura un retentissement glorieux dans l’Europe entière et une page de reconnaissance dans l’histoire de l’astronomie. Et souvenez-vous que je suis cordialement dévoué au grand Ministre qui sait mettre les intérêts généraux de la « République » au-dessus de toutes les mesquines querelles de parti. J’ai l’honneur d’être, etc. – Camille Flammarion. » Plusieurs astronomes étrangers qui connaissent bien Le Verrier et qui ignoraient sans doute les détails de ce qui s’était passé à Paris lui écrivent pour lui confirmer leur admiration et leur soutien. Il s’agit en particulier d’Otto Struve, dont nous reproduisons la lettre dans l’Appendice 2, pièce n° 10. Il faut maintenant pourvoir à la marche des affaires courantes. Le contre-amiral Penhoat, président de la Commission de l’Observatoire impérial créée en 1868, est nommé directeur par intérim. Visiblement les choses ne se passent pas très bien, comme en témoignent les nombreuses lettres échangées en février 1870 entre l’amiral, Le Verrier, et certains membres du personnel43. On met des scellés sur les documents scientifiques, mais on constate que les dossiers de Le Verrier sont vides : il déclare que le contenu fait partie de ses affaires personnelles, mais finit par remettre quelques pièces à Penhoat, qui obtient avec moins de difficulté des chefs de service les documents qui sont en leur possession. Voyant cela, Le Verrier remet encore des dossiers à plusieurs reprises. Il y a aussi des problèmes concernant l’Observatoire de Marseille. Ces péripéties rappellent ce

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qui se passe souvent lorsqu’un ministère change de main. Mais l’intermède est de courte durée : le 3 mars 1870, le ministre nomme à la tête de l’Observatoire l’ennemi de toujours de Le Verrier, Delaunay.

Le court règne de Delaunay Delaunay écrit à sa mère deux jours après sa nomination : « Je suis accueilli comme un sauveur. » Mais il va très vite déchanter et lui confie dès le 19 mars : « Ma tranquillité est perdue et je ne sais pas quand je pourrai la recouvrer. […] Il faut que le ministre me vienne en aide. […] J’ai trouvé ici un véritable chaos, et, en outre, un personnel surexcité et tant soit peu exigeant. »44 On reste très prudent en haut lieu, souhaitant avant tout qu’il n’y ait pas de nouveaux problèmes avec l’Observatoire. Aussi une nouvelle Commission est-elle créée le 11 avril 1870 pour surveiller l’institution45. Elle est présidée par le vice-amiral Touchard, et comprend le contre-amiral Didelot, Laugier, Faye, Serret, Briot, Delaunay, qui y participe en tant que directeur, et Du Mesnil, chef de division au Ministère, secrétaire.

De la guerre à la Commune À cette époque, les temps sont fort troublés46. Il y a des révoltes ouvrières d’inspiration marxiste que le ministère Ollivier réprime avec fermeté. Cependant, inquiet de l’autonomie croissante qu’est en train de prendre ce ministère, autonomie qui pourrait conduire à un empire constitutionnel dont il ne veut pas, Napoléon III décide d’affirmer son autorité en provoquant un plébiscite le 8 mai 1870. C’est un triomphe personnel, et en proclamant les résultats, il estime que « l’Empire se trouve affermi sur sa base » et que l’on peut « plus que jamais envisager l’avenir sans crainte ». Le 30 juin, Émile Ollivier déclare qu’« à aucune époque le maintien de la paix en Europe n’a été plus assuré ». Deux semaines plus tard, c’est la guerre avec la Prusse, et il suffira de quelques mois pour que s’effondre un régime qui paraissait inébranlable. Les forces françaises sont faibles vis-à-vis des forces prussiennes, la désorganisation les gagne et la défaite est consommée à Sedan, où l’Empereur se constitue prisonnier

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et capitule le 2 septembre 1870. À l’annonce de cette capitulation, Léon Gambetta, Jules Ferry et quelques autres proclament la IIIe République le 4 septembre, et constituent un Gouvernement de défense nationale. Ce sont les républicains modérés qui s’emparent du pouvoir ; le gouvernement est présidé par le général Louis Trochu, gouverneur de Paris ; parmi les ministres, Gambetta et Henri Rochefort sont les seuls partisans d’une république sociale. Paris est assiégé par les Prussiens à partir du 19 septembre, et la population, isolée, souffre de la famine. Le gouvernement est défaitiste mais Gambetta veut continuer le combat : il quitte Paris en ballon le 7 octobre afin d’organiser la résistance à Tours, puis à Bordeaux. Cependant, les défaites s’accumulent et le gouvernement doit demander l’armistice le 28 janvier 1871, date qui marque la fin du siège de Paris ; le traité de Francfort, signé le 10 mai 1871, consacre à la fois la constitution de l’Empire allemand, qui avait été proclamé à Versailles dès le 28 janvier, et la perte par la France de l’Alsace et de la Lorraine. L’Assemblée nationale, élue le 8 février 1871, est dominée par les monarchistes, et Adolphe Thiers est nommé chef du pouvoir exécutif. Mais les forces révolutionnaires hostiles à la capitulation ne l’entendent pas de cette oreille et se soulèvent, formant le 18 mars un gouvernement insurrectionnel, la Commune. Celle-ci sera renversée à la suite d’un nouveau siège de Paris par l’armée du gouvernement de Thiers, lequel est basé à Versailles depuis le 10 mars. À l’incendie de nombreux bâtiments publics, dont le palais des Tuileries et l’Hôtel de Ville, et à d’autres exactions des Communards, répond une répression extrêmement sanglante dans la semaine qui suit l’entrée des troupes versaillaises à Paris le 21 mai : elle fait environ 25 000 morts. Tout est terminé le 27 mai. Bien que la Commune ait été désavouée par toute la bourgeoisie même la plus libérale, la France va rester profondément divisée à la suite de ces événements. Bien entendu, aucune réforme ne peut alors être entreprise à l’Observatoire. Heureusement, il a été relativement épargné par la Commune : les instruments, et même le tube de la lunette de 38 cm de diamètre, avaient été démontés le 19 septembre 1870 à l’occasion du siège de Paris et mis à l’abri. Seuls un cercle méridien portatif de Rigaud et quelques papiers sont détruits par un incendie vite éteint, dont Yvon Villarceau dit de façon très exagérée qu’il a fait d’« affreux ravages »47.

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L’Observatoire tente de se réorganiser Selon les termes de Bigourdan48 : « La France, meurtrie par la défaite, démembrée puis accablée encore par la guerre civile, se replia sur elle-même et médita les causes de ses revers ; puis, dans toutes les directions de son activité, elle appliqua les réformes capables de lui rendre sa place parmi les Nations. » Les choses s’étant calmées, Delaunay se préoccupe de redémarrer les observations. Pour ceci, il faut un budget qu’il demande à Jules Barthélémy Saint-Hilaire, le secrétaire de Thiers : sans doute le ministre de l’Instruction publique, son interlocuteur normal, n’a-t-il rien fait, ou n’a-t-il pas les pouvoirs nécessaires. La demande49 est assortie de quelques chiffres : astronomie et frais généraux 128 060 francs ; météorologie 25 000 francs ; salaire annuel du directeur 15 000 francs (« en Angleterre la position analogue est payée 25 000 francs », et Le Verrier touchait près de 30 000 francs) ; autres salaires 12 000 francs50 (d’après Delaunay, « on a donné à l’Observatoire un luxe d’état-major, au détriment de l’armée des travailleurs ; mais il y a là des positions acquises qu’il faut respecter ») ; station [météorologique] de Montsouris (« si on la conservek ») 5 000 francs ; inspection des stations météorologiques de toute la France, frais de tournée compris, 10 000 francs (« cette inspection serait très utile »), total 220 000 francs en nombre rond. Mais rien ne se passe, et Delaunay doit écrire plusieurs lettres de réclamation, lettres auxquelles Barthélémy Saint-Hilaire ne fait que des réponses dilatoires. En voici un exemple (brouillon daté du 27 décembre 187151), où Delaunay suggère que Le Verrier est intervenu en sous-main, ce dont nous aurons bientôt confirmation : « En ce qui concerne l’Astronomie, tout a été étudié, élaboré, par des commissions diverses contenant les hommes les plus compétents. Il s’agit de sortir de l’anarchie que j’ai trouvée en entrant à l’Observatoire, il y a près de deux ans. Il s’agit aussi et surtout de reformer le personnel de l’Observatoire. Sur six astronomes adjoints qu’il nous faut, nous en avons

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Il y a en effet un observatoire météorologique à Montsouris, totalement distinct du service météorologique de l’Observatoire de Paris.

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quatre ; sur six aides astronomes, nous en avons un. Il n’y a pas d’astronome pour l’Observatoire de Toulouse ; il en faut pour l’Observatoire de Bordeaux pour lequel la ville vient de voter un commencement de budget, etc. Pour la météorologie, la question n’est pas moins simple. Voici les termes auxquels elle se réduit : l’état financier de la France ne permet pas de soutenir à Paris deux établissements météorologiques distincts. […] Comme tous les souverainsl, M. Thiers est enveloppé par des intrigants, habiles à flatter le pouvoir quel qu’il soit, sachant se faufiler et profiter de toutes les occasions, masquant leurs allures sous les apparences les plus trompeuses, belles paroles, protestations de dévouement et de désintéressement, etc. tandis qu’au fond leur intérêt personnel est le seul mobile de leur conduite. Pour moi, je ne sais que me tenir ferme à mon poste. J’ai pour moi la vérité, la raison, la justice ; je ne crains pas de le dire bien haut, et je me sens fort avec tout cela. Est-ce que je demande quoi que ce soit pour moi ? On m’a mis à un poste que je n’ai pas demandé. J’y ai perdu tranquillité, liberté, possibilité de me livrer à mes travaux de prédilection. Mais c’est un poste d’honneur que je n’abandonnerai pas. […] Les intrigants qui luttent contre moi, je les nomme sans crainte : Mr. Leverrier, homme de grand mérite sans aucun doute, mais en même temps l’homme le plus pervers qui existe au monde. Sa haine contre les obstacles vivants qu’il a rencontrés sur son chemin, contre le Bureau des longitudes et contre moi en particulier, ne finira qu’avec son existence. Il ne cessera de nous poursuivre de ses rancunes. Il a contribué plus que qui ce soit à tuer l’astronomie en France, et il fera tout ce qu’il pourra pour empêcher qu’elle se relève sous nos efforts et surtout sous les miens. » Barthélémy Saint-Hilaire répond de Versailles le 31 décembre, sur papier à en-tête de la Présidence de la République : « Monsieur et cher confrère, j’ai mis sous les yeux de Monsieur le Président de la République toutes les lettres que vous lui avez adressées concernant l’Observatoire. Monsieur Thiers porte le plus vif intérêt, vous le savez, à la Science et à

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Thiers est maintenant président de la République, depuis le 31 août 1871.

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l’Observatoire ; mais, jusqu’à ce jour, d’impérieuses occupations l’ont empêché de mettre à l’examen de cette importante question l’attention qu’elle mérite. Soyez assuré, etc. » Nouvelle protestation de Delaunay le 12 février 1872 ; Saint-Hilaire lui répond le lendemain « que la question de l’Observatoire sera incessamment vidée. » Enfin, le 29 mars, Jules Simon, ministre de l’Instruction publique, convoque Delaunay et l’Observatoire a enfin un budget. Il faut aussi donner un nouveau statut à l’Observatoire, en remplacement de ceux de 1854 et de 1868. Le 9 août 1871, le ministre invite le Bureau des longitudes à lui donner un avis motivé sur un projet de réorganisation des Observatoires de Paris et de Marseille préparé par la Commission qui avait été nommée le 11 avril 1870, peu après la nomination de Delaunay. Le décret de réorganisation va mettre un certain temps à aboutir, en raison des dissensions qui subsistent entre le Bureau et les astronomes52. Les astronomes « surexcités » de l’Observatoire ne sont pas tous d’accord entre eux, et certains font des remarques sur le projet, ainsi que le maréchal Vaillant qui y met son grain de sel bien qu’il ne fasse plus partie du Bureau. Wolf considère qu’il serait bon que l’Observatoire puisse être considéré comme une « école d’astronomie », mais Faye n’est pas d’accord. Le ministre n’ayant pas consulté les astronomes de l’Observatoire eux-mêmes, le Bureau des longitudes demande à Delaunay « d’inviter les astronomes titulaires à faire connaître leurs observations par écrit », ce que font à ce titre Wolf, Lœwy et Marié-Davy. Après des allers-retours entre le Bureau et la Commission, on finit par converger. Le 27 septembre 1871, le Bureau adopte un projet de décret53. Cependant, on apprend que « des astronomes [se sont] rendus chez M. Thiers, [il s’agit bien sûr de Le Verrier, peutêtre accompagné par d’autres] et le Bureau [des longitudes] regrette que MM. les astronomes de l’Observatoire n’aient pas compris combien le projet du Bureau est favorable à leurs intérêts. » Enfin, le décret paraît le 5 mars 1872, après cinq mois d’attente : il sépare l’Observatoire de Marseille de celui de Paris, et donne à celui-ci quatre astronomes titulaires (y compris le directeur) au lieu des trois prévus par le Bureau. Le rôle du Bureau des longitudes vis-à-vis de l’Observatoire est encore réduit à des avis sur les nominations du directeur et des astronomes titulaires et adjoints. La météorologie est conservée à l’Observatoire. Mais Delaunay, écrasé par le poids de tout ce qu’il faudrait faire pour continuer

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l’œuvre astronomique de Le Verrier, qu’il ne remet pas en cause, obtient du ministre un nouveau décret signé le 15 juin 1872, qui sépare l’Observatoire météorologique de Montsouris de l’Observatoire de Paris. Il en reste cependant une annexe. Ceci a au moins le mérite de séparer les fonctions, sinon de calmer les esprits. Le dernier article du décret relatif à l’Observatoire de Paris indique : « Article 11 : – Tous les ans, l’Observatoire est inspecté par une Commission composée des Membres du Bureau des Longitudes qui ne font pas partie du personnel de l’établissement, de deux Membres de l’Institut désignés par l’Académie des Sciences, et de cinq personnes choisies par le Ministre dans les grands corps de l’État. Cette Commission se réunit, à l’Observatoire, le premier mercredi du mois de mai ; elle nomme son président et son secrétaire. Elle visite l’Établissement, entend les explications du Directeur et présente au Ministre un Rapport détaillé sur le personnel, le matériel, l’état des travaux et les publications. » C’est à l’occasion de la première réunion de cette Commission d’inspection que Delaunay présente un rapport sur la situation de l’Observatoire, rapport qui est publié le 31 mai 187254. On y constate que le programme d’observations est sans grand changement depuis Le Verrier, mais que l’Observatoire va reprendre les travaux d’« Astronomie géodésique » (mesures de longitude et latitude en campagne), qui étaient en sommeil. On continue l’observation méridienne des étoiles du catalogue de Lalande. Le but de l’opération est à nouveau explicité, car on l’avait sans doute quelque peu oublié en faisant ces observations de routine : « La comparaison des nouvelles observations avec les positions données par Lalande, […] but définitif du travail, a pour objet de découvrir les singularités que présente le ciel étoilé (mouvements propres, changement d’éclat) ; elle met d’ailleurs sur la trace des erreurs accidentelles qui auraient pu être commises par les observateurs, et permet de les rectifier par des observations nouvelles. » Quelques changements ont lieu parmi les instruments de l’Observatoire. Le cercle alt-azimuthal construit par Reichenbach pour Laplace en 1811 et qui se trouvait dans le petit observatoire de la terrasse, avait été démonté au début du siège de Paris. Il n’est pas remis en place mais installé

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dans une vitrine en tant qu’« instrument historique actuellement hors d’usage » : c’est le premier élément d’un musée qui sera développé plus tard par l’amiral Mouchez. Il est aussi question de démonter définitivement le grand équatorial de Brunner qui ne peut pas servir, son objectif étant détérioré, et même de supprimer sa grande coupole qui a été percée par des balles lors des combats de la Commune, « pour faire place à l’installation de quelque autre instrument de moins grandes dimensions [car] on devrait renoncer à installer un instrument aussi puissant au sommet d’une tour » : c’est une remarque judicieuse en raison des défauts de conception de l’ensemble55. En revanche, deux nouveaux instruments sont mis en service en mars 1870 : le sidérostat de Foucault et le télescope Eichens-Martin de 40 cm. La météorologie et les mesures magnétiques ne sont pas oubliées. La première continue sans interruption pendant et après la guerre, et un Bulletin mensuel de l’Observatoire est même créé le 1er janvier 1872 pour résumer chaque mois « les progrès accomplis et ceux qu’il importe de réaliser ; [il] contient en outre le résumé mensuel des observations météorologiques faites dans les stations françaises. » Quant aux mesures du champ magnétique terrestre, qui avaient été plus ou moins abandonnées, elles reprennent en utilisant non seulement les anciens instruments d’Arago56, mais de nouveaux instruments enregistreurs. Enfin, si Le Verrier avait paru se préoccuper à son arrivée du logement des astronomes à l’Observatoire, il ne s’était pas passé grand-chose dans la pratique. Delaunay annonce qu’il a fait réaliser des travaux d’aménagement de divers locaux pour les transformer en logements : deux vont être occupés par Lœwy et par Folain, un astronome adjoint qui est le plus ancien des observateurs, et il est prévu d’attribuer à différentes personnes six logements plus petits. Par ailleurs, des cabinets de travail sont destinés aux astronomes qui ne sont pas logés à l’Observatoire, ce qui est une nouveauté. Des ateliers, bureaux et laboratoires sont aménagés. Enfin, « pendant les longs mois du siège de Paris, le Directeur de l’Observatoire s’est occupé de mettre en ordre la bibliothèque de l’établissement et l’importante collection de manuscrits qu’il renferme » : nous avons vu que ce n’était guère une priorité de Le Verrier. « Une pièce a été disposée en salle de lecture pour les membres du Bureau des Longitudes et le personnel de l’Observatoire, ainsi que pour les personnes du dehors munies d’une autorisation. La bibliothèque est ouverte tous les jours non fériés, de 10 heures à 4 heures », ce qui est tout à fait nouveau.

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La mort de Delaunay Delaunay n’aura pas le temps d’en faire plus : le 5 août 1872, moins de trois mois après la réunion de la Commission d’inspection de l’Observatoire, il se noie en rade de Cherbourg au cours d’une promenade en bateau entreprise par mauvais temps. Le Phare de la Manche, journal qui avait soutenu en 1849 la candidature de Le Verrier aux élections législatives mais avait viré de bord, écrit le 8 août57 : « Une dépêche de ce soir nous apprend que quatre personnes ont chaviré en rade de Cherbourg, et que l’une de ces quatre personnes est M. Delaunay, directeur de l’observatoire de Paris. Cette mort est un grand malheur : d’un seul coup du destin, la France perd un bon citoyen, la Société un honnête homme, et la Science un de ses chercheurs qu’on ne remplace pas. M. Delaunay n’avait pas 56 ans. […] Nous devons une éternelle reconnaissance à M. Delaunay pour la fermeté avec laquelle il a toujours combattu les exigences dictatoriales de M. Le Verrier : il abattit, avec toute la force de la raison et du droit, ce sénateur autocrate, et son mérite est d’autant plus grand que sa timidité naturelle égalait son mérite. » La disparition de Delaunay va plonger le monde scientifique et même politique dans la stupeur, et occasionner une nouvelle crise dans la marche de l’Observatoire. On a souvent reproché à Delaunay ne n’avoir pas relevé l’Observatoire avec efficacité. C’est méconnaître la situation difficile dans laquelle il se trouvait placé. Il ne voulait pas accomplir de transformations grandioses, mais seulement améliorer les conditions de travail du personnel, et n’était pas le dernier à reconnaître les améliorations concernant les instruments et les méthodes de travail qu’avait apportées Le Verrier. Yvon Villarceau en dit dans son projet d’éloge funèbre58, qu’il n’a pas pu prononcer car Delaunay n’a pas été inhumé à Paris : « Plein de respect pour la mémoire d’Arago et lié par une vive sympathie à la famille de celui qui a jeté un si vif éclat sur la science française, étranger d’ailleurs aux travaux qui s’exécutent dans les observatoires, M. Delaunay n’avait pu se figurer que son prédécesseur eût grandement amélioré l’état de l’Observatoire de Paris ; mais, devenu à son tour directeur de cet établissement, il s’est de plus en plus convaincu de la

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réalité des progrès effectivement réalisés depuis la direction d’Arago, et nous l’avons entendu maintes fois témoigner de son adhésion aux innovations de diverses natures qui ont été introduites par son savant prédécesseur. On ne sera donc pas étonné d’apprendre que les deux prétendus rivaux se soient accordés récemment pour demander au gouvernement les moyens de continuer les travaux astronomiques et géodésiques que réclament les progrès de la sciencem. Ces travaux doivent être exécutés sur un plan à concerter entre le Bureau des longitudes et l’Observatoire. Hélas ! l’impitoyable destin aura enlevé à M. Delaunay la part de collaboration qu’il avait acceptée ! » Mais que faisait Le Verrier pendant tout ce temps ? Nous le savons presque au jour le jour grâce au journal de sa fille Lucile59 : « 10 février 1870 [5 jours après la révocation de Le Verrier]. Demain, nous partirons. Nous allons rue des Saints-Pères, 1, dans un bel appartement qui donne en plein sur le quai Voltaire. 8 mai. Mon père n’est pas avec nous, il est allé dans son pays [la Manche] travailler pour ce terrible plébiscite [Le vote a lieu ce jour même]. 14 août. [La guerre a été déclarée le 19 juillet.] Mon père s’est engagé dans la garde nationale. 1er septembre. Nous sommes en Limousin, à quelques lieues de Limoges, chez Mme Gavarni, la femme de l’illustre caricaturiste et la nièce de Mme Talabot. 9 septembre. [La République a été proclamée le 4.] Papa est ici depuis Lundi soir. 21 septembre. [Le siège de Paris a commencé le 19.] Nous partons décidément pour Marseille, château du Roucas Blancn.

m

Cette affirmation est surprenante, quand on sait que Le Verrier est intervenu en sous-main contre Delaunay. Il n’y a pas d’autre trace de ce prétendu accord entre les deux hommes. Yvon Villarceau prépare-t-il son avenir en ménageant ainsi les deux parties ?

n

Il s’agit d’un superbe château qui existe encore sur la colline du Roucas Blanc, en plein cœur de Marseille, propriété de Paulin Talabot (Fig. 6.9), ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, homme d’affaires génial qui a créé la Compagnie de chemins de fer ParisLyon-Méditerranée (PLM), dont il est à l’époque le directeur général.

La chute (1870-1872)

31 octobre. Il arrive à mon père [qui était probablement encore dans le Limousin] des lettres menaçantes de Marseille, disant que nous sommes des Crésus… 6 novembre. Nous apprenions au château qu’on était très irrité dans la ville contre les Le Verrier, qu’on nous appelait des impérialistes accapareurs, qu’on était décidé à venir nous prendre… Comme nous attirions le danger, il m’a fallu suivre mes parents qui étaient très effrayés. Et il y avait vraiment de quoi… Le train nous a conduit jusqu’à Toulon. Mais là, outre que la ville était pleine de marins, ce qui en rendait le séjour difficile pour moi, il y avait eu de graves arrestations. Donc, pas de sécurité pour mon père. [Ils sont donc encore partis, cette fois pour Aix-en-Provence.] 12 novembre. Maman est occupée à un écrit que mon père envoie à Tours [où se trouve le gouvernement de la Défense nationale, dont Gambetta est le ministre de la Guerre], et où il démontre un moyen de communiquer avec les Parisiens par la lumière du soleil le jour et par la lumière électrique la nuit, si notre armée peut s’avancer après cette victoire [Orléans, repris aux Prussiens]. Je serais bien heureuse que ce projet fût pris en considération, et qu’on chargeât mon père de l’exécuter. Il fournirait ainsi son contingent à la défense nationale, et reprendrait une place digne de lui. 4 décembre. Me voici à Montpellier, mécontente […] d’avoir quitté Aix. 8 décembre. Mon père est plongé dans la fabrication de son instrument Hélas ! Il ne servira guère, puisque voici une nouvelle retraite sur toute la ligne. […] Orléans est repris par les Prussiens. 16 décembre. Nous étions venus pour quelques jours à Montpellier. Mais nous nous y établissons. 25 décembre. Il s’agit d’un moyen pour communiquer à de grandes distances. C’est une glace qui reflète le soleil le jour, la lumière électrique la nuit. En couvrant et découvrant cette glace, on produit des alternatives de lumière et d’ombre, et en faisant ces alternatives plus ou moins longues, on imite les signaux du télégraphe Morse. Chaque lettre est représentée par un certain nombre d’alternatives longues et courtes60. Ce moyen est si puissant qu’on compte communiquer des Alpes avec Lyon, quand il sera assiégé hélas. C’est mon père qui construit les appareils et qui les essaye à Nîmes, parce que le préfet de Montpellier a eu la sottise de ne pas l’autoriser. Tout était prêt, accepté par le comité de défense de Lyon, et il a fallu attendre pour les essais. Quelle pitié !

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Figure 6.9. Paulin Talabot (1799-1885).

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4 janvier 1871. Me revoilà au Roucas. Mon père est toujours à Nîmes ; j’ai très peur qu’il ne se décide pas à revenir au Roucas. 11 mars. Mon amie, nous retournons à Paris dans une quinzaine ; mon père est déjà parti hier soir. [Le Verrier était donc revenu au Roucas blanc]. 3 mai. Papa est à Versailles [où est maintenant établi le gouvernement de Thiers ; Le Verrier y est déjà arrivé le 27 mars], il travaille beaucoup à ses tables astronomiques. 29 mai. [La fin de la Commune a eu lieu le 27.] Heureusement mon père et M. Maurey n’ont pas bougé de Versailles. Mon père pense à se fixer à Marseille. 13 juin. C’est décidé, nous rentrons à Paris la semaine prochaine, maman et moi. [Ils y arrivent le 21 juin.] 20 juillet. Ah que les 30 000 francs de sénateur manquent cruellement dans notre budget ! 24 juillet. Le salon de Mme Talabot va se fermer, hélas… J’ai eu l’amusement d’y prendre part à une réunion surveillée par la police. Voyez un peu les noms des invités : Bournat, Le Verrier, Vuitry et Rouher… Pauvres réacs ! Il faut bien que nous nous consolions ensemble. 3 septembre 1871. M. Thiers [qui vient d’être élu président de la République] a fait demander un entretien à mon père61. C’est très gracieux, mais qu’est-ce qu’il veut tirer de lui ? Nous ne sommes pas républicains, nous, oh mais non ». Puis plus rien de très intéressant pour nous ; la mort de Delaunay le 5 août 1872 n’est même pas mentionnée par Lucile. Les Le Verrier se sont probablement réinstallés dans leur appartement parisien, où Le Verrier se consacre à la mécanique céleste. Ils déménagent le 15 octobre 1872 au 11 quai Voltaire, tout près de leur précédent domicile. Malgré sa discrétion du moment, Le Verrier n’est pas oublié des journaux satiriques d’inspiration républicaine, qui le caricaturent volontiers. Et nous allons le voir revenir à la surface.

Chapitre 7 Le second règne (1873-1877)

Portrait posthume de Le Verrier par Giacomotti (1878), à l’Observatoire de Paris ; un portrait semblable se trouve à Versailles, au Musée national du Château et des Trianons.

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Le retour de Le Verrier La mort de Delaunay plonge le ministre de l’Instruction publique dans le désarroi. Par qui le remplacer ? Aucun des astronomes de l’Observatoire n’est chaud pour prendre cette responsabilité. Finalement, c’est le président de la République, Adolphe Thiers, qui avait gardé des contacts avec Le Verrier, qui décide : ce sera Le Verrier. Celui-ci est donc nommé directeur le 13 février 1873, six mois après la noyade de Delaunay. Sa famille ne semble pas pressée d’emménager à l’Observatoire, craignant sans doute de n’y être pas bien reçue. Et pourtant plusieurs astronomes, dont Wolf, avaient souhaité son retour, mais Le Verrier ne leur avait pas pardonné d’avoir signé le fameux manifeste de 1870 qui avait abouti à sa destitution. Wolf et lui finiront d’ailleurs par se brouiller1. Reprenons le journal de Lucile Le Verrier : « Samedi 16 août 1873. Mardi, les meubles seront à l’Observatoire et les vêtements dans des caisses. Mercredi matin nous partirons. » Ce n’est pas pour l’Observatoire ! La famille part en vacances chez les Talabot, au domaine de Maury, près de Limoges. Le Verrier est avec eux, ou vient les voir de temps à autre, car le 11 octobre Lucile écrit : « Nous cultivons le cochonnet, où mon père nous sert à propos de la distance des boules son astronomie et sa commission du mètre ». « 26 octobre. Mon père vient de partir pour de bon [pour l’Observatoire], et Mme Talabot pousse activement les préparatifs de départ. »

Une nouvelle organisation Connaissant les antécédents de Le Verrier, le ministre avait pris ses précautions : il avait réanimé une Commission d’inspection créée en 1872, du temps de Delaunay, en lui demandant de rédiger un règlement. Celui-ci, publié le 15 février 1873 donc immédiatement après la nomination de Le Verrier2, crée à l’Observatoire un Conseil scientifique (Fig. 7.1 et 7.2), qui « se réunit nécessairement une fois par mois, à un jour déterminé. » On se souvient que le précédent

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Figure 7.1. Création du Conseil de l’Observatoire, recto. On remarque que Le Verrier n’a plus que le titre d’Inspecteur général de l’Instruction publique.

Figure 7.2. Création du Conseil de l’Observatoire, verso. La signature du ministre Jules Simon est seule autographe.

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Figure 7.3. Hippolyte Fizeau (1819-1896).

Conseil, dont la création remontait à 1854, ne s’était pas beaucoup réuni et avait surtout été le lieu d’affrontements. Le nouveau Conseil se compose : – de l’Astronome directeur, président (Le Verrier) ; – des astronomes chefs de service (Lœwy, Wolf, Yvon Villarceau, Rayet) ; – de six conseillers nommés par le ministre après avis du Conseil, dont quatre au moins devront appartenir à l’Académie des sciences ou au Bureau des longitudes : ce seront Eugène Belgrand, Inspecteur général des Ponts et Chaussées, Auguste Daubrée, directeur de l’École des Mines, le vice-amiral Edmond Jurien de la Gravière, Fizeau, Janssen et Henri Tresca : somme toute un bon choix, car les conseillers ont des compétences et des intérêts très variés. Fizeau (Fig. 7.3) et Tresca (Fig. 7.4), un ingénieur mécanicien, professeur au Conservatoire des arts et métiers et promoteur du nouveau mètre étalon qui remplacera en 1889 les vieux mètres de la Révolution, joueront un rôle particulièrement important dans le Conseil. En plus des chefs de service, Gaillot, astronome-adjoint, représente l’Observatoire. Chaque chef de service « peut porter directement devant le Conseil les questions scientifiques concernant sa division. » On pourrait considérer que ces mesures démocratiques reflètent un nouvel esprit, celui de la République. Mais, plus simplement, il s’agit de contrecarrer les tendances dictatoriales de Le Verrier.

Figure 7.4. Henri Tresca (1814-1885).

Figure 7.5. Le ministre Jules Simon convoque Le Verrier à la séance d’installation du Conseil de l’Observatoire. Seule la signature est autographe.

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Le 17 mars 1873, la première réunion du Conseil est convoquée pour le 19 par le ministre, qui y installera Le Verrier nommé un mois auparavant (Fig. 7.5). Certains astronomes étrangers qui avaient été choqués par la destitution de Le Verrier le félicitent pour sa nouvelle nomination. Voici, par exemple, un extrait d’une lettre d’Airy datée également du 17 mars3 : « Même s’il y avait quelque raison dans les plaintes de certaines personnes, elle était totalement insignifiante visà-vis des grands services que vous avez rendus à votre pays et au monde. […] Les travaux astronomiques que vous avez réalisés par vousmême, et l’excitation scientifique extraordinaire que vous avez déclenchée en organisant l’Association Scientifiquea vous ont placé dans une position que tout autre personnage officiel de la science pourrait envier. J’avais cependant un très grand respect pour M. Delaunay ; et, indépendamment de ses rapports avec l’Observatoire, j’aurais souhaité qu’il ait eu le temps de terminer sa Théorie de la Lune. […] » Airy ajoute en post-scriptum, en pensant à sa propre situation de toute-puissance : « Le système non-personnel [c’est-à-dire où le directeur n’a pas tous les pouvoirs] de l’Observatoire de Paris n’est pas ce que nous aurions adopté en Angleterre. »

Un calme relatif Bien entendu, les esprits ne sont pas complètement calmés à l’Observatoire : en 1946, un des successeurs de Le Verrier, André Danjon, affirme : « Les survivants de cette époque – je les ai entendus – ont mis en circulation une foule d’anecdotes plus ou moins piquantes sur leur ancien chef. Ils ont laissé dans les archives de la maison de petites notes haineuses, anonymes cela va sans dire.4 » Les tensions restent vives entre le directeur et le personnel, comme on peut le constater en lisant

a Rappelons que l’Association scientifique, abréviation pour Association pour l’avancement de l’Astronomie et de la Météorologie, avait été créée par Le Verrier en 1864 dans le but de faire du lobbying pour ses projets et y avait très bien réussi.

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Figure 7.6. Soirée donnée le 10 avril 1874 dans la salle de la méridienne (aujourd’hui salle Cassini) de l’Observatoire de Paris. On y voit divers instruments et des démonstrations scientifiques.

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le compte rendu des séances du Conseil de l’Observatoire5. Néanmoins cela n’empêche pas l’Observatoire de mieux fonctionner que pendant le premier règne de Le Verrier, et les décisions sont prises par un vote qui n’est pas nécessairement favorable aux positions du directeur : une vraie démocratie s’installe, bien souvent au grand regret de celui-ci. Elle subsistera jusqu’à aujourd’hui. L’Observatoire redevient le lieu d’événements mondains ; ils étaient fréquents avant 1870 (voir la Fig. 5.18) mais avaient à peu près disparu du temps de Delaunay. La Figure 7.6 montre à titre d’exemple l’image d’une soirée avec exposition de matériel scientifique et expériences, organisée dans la plus grande salle du bâtiment.

Encore des problèmes avec le Bureau des longitudes ! On se souvient de la véritable guerre qui avait eu lieu lors du premier règne de Le Verrier entre lui-même et Delaunay, donc entre l’Observatoire et le Bureau des longitudes qu’ils dominaient respectivement. Elle a laissé des traces. De surcroît, c’est la survie même du Bureau qui est maintenant en jeu. Lors de la discussion du budget de l’Instruction publique par la Chambre, le 9 décembre 1872, un député qui deviendra célèbre, Paul Bert, attaque ainsi le Bureau6 : « Le chapitre 14 relatif aux établissements astronomiques est inscrit au budget pour une somme de 463 660 fr. […] Dans ce chapitre […] se trouve un sous-chapitre qui se solde par 109 000 fr et qui est intitulé « Bureau des Longitudes. » Or, des hommes éminents [il s’agit évidemment de Le Verrier] soutiennent […] que le Bureau des Longitudes ne rendrait point à la Science astronomique les services qu’on avait espérés de son institution. […] Si nous examinons la manière dont se distribue cette somme de 109 000 fr, nous trouvons que 30 000 fr environ sont attribués à la publication de la Connaissance des Temps, et que les 70 et quelque mille francs qui restent sont alloués à titre d’indemnité aux membres du Bureau des Longitudes. Permettez-moi de vous dire que, de l’aveu de tous les astronomes [c’est-à-dire en fait de Le Verrier], il serait préférable de créer un bureau spécial chargé, comme en Angleterre,

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de la publication de la Connaissance des Temps, et de lui donner des allocations budgétaires qui ne devraient pas dépasser 40 000 fr. Quant aux indemnités aux divers astronomes, géomètres, marins, militaires, etc., qui sont membres actuellement […] du Bureau des Longitudes, elles peuvent être conservées à titre de pensions honorifiques ou pécuniaires ; mais les gens compétents pensent qu’il y aurait lieu de supprimer l’institution en elle-même. Le président de la Chambre des députés, Jules Grévy, décide que problème sera examiné par une des commissions de la Chambre. Fort inquiet, Faye, qui est à ce moment président du Bureau des longitudes, se livre à une défense et illustration de l’institution devant l’Académie des sciences7, en rappelant que le Bureau s’occupe activement de géodésie et de magnétisme terrestre, et qu’il a organisé l’expédition de Janssen dans le Sud de l’Inde pour observer l’éclipse totale de Soleil du 18 août 1868, expédition qui a été un grand succès. Convaincue, l’Académie prend fait et cause pour le Bureau, contacte Barthélémy Saint-Hilaire, le secrétaire du président de la République, qui lui donne les meilleures assurances de la part de ce dernier, puis se rend en délégation auprès du président de la Chambre des députés. Tout s’arrange : Paul Bert s’écrase et écrit à l’Académie « pour réduire à ses proportions véritables le rôle » qu’il a joué dans l’affaire. Mais on a eu chaud ! On s’en tirera avec un nouveau décret de réorganisation du Bureau signé le 15 mars 1874, qui régira pendant de nombreuses décennies la constitution et le fonctionnement de cet organismeb.

La nouvelle vie à l’Observatoire À son avènement, Le Verrier doit s’occuper de réorganiser une fois de plus l’institution. Dans un long projet présenté au ministre au milieu de 1873, il écrit8 : « La marche de l’Astronomie a subi quelque ralentissement dans les dernières années. Les entreprises en cours d’exécution n’ont guère fait de progrès. Les derniers volumes de b

Le Bureau des longitudes existe toujours, mais les éphémérides sont préparées par un laboratoire mixte avec l’Observatoire de Paris, l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE), dont le serveur Internet fournit gratuitement la position des planètes et des satellites à n’importe quelle époque.

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nos Annales et de nos Atlas sont ceux qui ont été donnés en 1869. Il s’agit aujourd’hui de reprendre ces grands travaux, de combler l’arriéré, de pourvoir au présent, et ainsi de réoccuper un rang digne de la France. Les astronomes de l’Observatoire de Paris sont fortement résolus à ne rien négliger pour que ce rang soit le premier. Nous sollicitons de l’État les moyens d’action indispensables. […] Nous nous présentons d’ailleurs forts de l’appui des collègues éminents qui composent le Conseil de l’Observatoire. » Dès 9 avril 1873, les services étaient réorganisés et leur responsable nommé, puis le 15 mai la composition de chacun d’eux étaient précisée :

Figure 7.7. Paul Henry (1848-1905).

« Division de la théorie et des instruments de Gambey : chef de service Le Verrier, personnel Périgaud, Folain, Leveau, Ludinard et Renan ; Division de la physique céleste et des équatoriaux : Wolf, assisté de [Charles] André et de Paul et Prosper Henry (Fig. 7.7 et 7.8) ; Division du grand instrument méridien : Lœwy, assisté de Bossert ; Division de la géodésie « dès qu’il sera possible de l’instituer » : Yvon Villarceau, assisté de Chevallier ; Bureau des calculs : Gaillot, assisté de Vincent ; Division de météorologie et de physique du globe : Rayet, assisté de Fron, Mouveau et Boinot. » On constate que Le Verrier prend sous sa responsabilité directe une grande partie des observations méridiennes. La météorologie occupe une part importante à l’Observatoire. La géodésie pose des problèmes : Chevallier ne fait pas l’affaire et permute avec Renan, mais cela ne va pas mieux et il fera l’objet d’un blâme. Les relations entre Yvon Villarceau et Le Verrier connaissent des hauts et des bas (surtout des bas !) ; son service sera d’ailleurs confié à Lœwy en 1874.

Les nouveaux instruments Le Verrier est aussi actif qu’autrefois pour doter l’Observatoire de nouveaux instruments. Deux d’entre eux, le grand télescope et la lunette géante, étaient décidés depuis

Figure 7.8. Prosper Henry (1849-1903).

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longtemps, mais un autre va s’imposer et être réalisé : un nouveau grand cercle méridien. Et puis, dès 1873, Lœwy conçoit un nouvel instrument, qu’il dénomme « lunette à deux miroirs », mais qui est plus connu sous le nom d’équatorial coudé.

L’équatorial coudé de Lœwy Dans le compte rendu de la séance du Conseil du 7 janvier 1874, on peut lire la phrase suivante : « M. Bichofsheim [sic] offre de donner 20 000 francs pour la construction de la lunette à deux miroirs de M. Loëwy [sic]. » Grand amateur d’astronomie, Raphaël Bischoffsheim est un banquier dont les affaires sont très prospères. Il financera d’autres projets astronomiques, et notamment, en 1879, un grand observatoire à Nice. Le Conseil a dû s’étonner de la destination de cette offre : il ne devait pas être au courant du projet de Lœwy, qui avait probablement démarché seul Bischoffsheim. En effet, lors de la séance suivante, le 15 janvier, « M. Lœwy présente au Conseil et décrit un modèle de son instrument équatorial à deux miroirs dont le but est de diminuer la fatigue de l’observateur en lui permettant de rester immobile. » Des membres du Conseil présentent des objections à son principe : par exemple, Fizeau craint non sans raison que les déformations thermiques des deux miroirs plans que comporte l’instrument ne dégradent les images. Cela ne l’empêche pas d’être disposé à voter la construction de l’instrument car il est difficile de résister à une offre aussi généreuse que celle de Bischoffsheim. D’ailleurs, le besoin se fait sentir pour la construction du grand catalogue d’étoiles de l’Observatoire, en cours depuis de nombreuses années, d’« un instrument spécial tel qu’on puisse aller étudier les zones à droite et à gauche du Méridien », c’est-à-dire sans attendre le passage au méridien de chaque étoile comme c’est nécessaire avec les instruments méridiensc. L’équatorial coudé proposé par Lœwy paraît convenir, du moins de l’avis c L’instrument sera souvent présenté comme pouvant « mesurer de grandes distances angulaires.» Cependant les mesures de position ne peuvent pas être aussi précises qu’avec un instrument méridien.

Le second règne (1873-1877)

de ce dernier, et le Conseil donne son accord de principe pour la construction de cet instrument, dont le diamètre serait de 8 pouces, soit 22 cmd. Le 12 février, Eichens estime à 20 000 francs le coût de l’équatorial sans l’objectif, que l’on compte peut-être récupérer ailleurs, auxquels il faut ajouter 18 000 francs pour l’abri et pour l’installation. Cela paraît cher, et comme l’unanimité n’est pas acquise pour la construction, le Conseil décide le 14 mai 1874 d’y surseoir, cette fois à l’unanimité ; il s’est préalablement assuré que le don de M. Bichoffsheim, porté entre-temps à 26 000 francs (heureuse époque !) ne comporte pas de condition restrictive. Il sera maintenant destiné à un cercle méridien.

Figure 7.9. Le grand équatorial coudé, mis en service en 1890 à l’Observatoire de Paris. Avec un diamètre d’objectif de 60 cm, c’est le plus grand instrument de ce type jamais construit. L’objectif se trouve sur une des faces latérales du cube qui termine un des bras. Il est suivi d’un miroir plan à 45° qui renvoie la lumière dans ce bras, où elle tombe sur un autre miroir plan qui la renvoie vers l’observateur. Celui-ci est placé à poste fixe dans le prolongement de l’axe horaire, parallèle à l’axe de rotation de la Terre. En faisant tourner sur lui-même le bras et le cube, on change la déclinaison visée, tandis que l’angle horaire est déterminé par l’axe horaire. Cet instrument assure un grand confort à l’observateur, au prix de deux miroirs plans supplémentaires par rapport à un équatorial ordinaire.

d

Noter la permanence de ces mesures anciennes même chez les scientifiques, alors que leur usage était en principe interdit depuis plus de vingt ans au profit du système métrique.

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Figure 7.10. Pierre-Henri Puiseux (1855-1928).

Le projet de Lœwy est donc enterré. Il refera cependant surface bien après la mort de Le Verrier : non seulement on mettra en service à Paris en 1882 un premier équatorial coudé de 27 cm de diamètre, mais on construira en 1890 un instrument bien plus grand (Fig. 7.9), de 60 cm de diamètre et 18 m de focale, qui comportera deux objectifs : l’un pour l’observation visuelle et l’autre pour la photographie. Les observatoires de Besançon, Lyon, Nice et Alger seront pourvus d’instruments semblables, respectivement de 33, 35, 40 et 34 cm d’ouverture. Un septième équatorial coudé sera donné à l’Observatoire de Vienne par le baron Salomon Albert de Rothschild, façon pour lui de rendre hommage à Lœwy qui avait commencé sa carrière dans cette ville. Tous ces instruments seront construits par Paul Gautier, avec une optique des frères Henry9. Le grand équatorial coudé de Paris servira principalement à Lœwy et à Pierre-Henri Puiseux (Fig. 7.10) pour élaborer leur magnifique Atlas photographique de la Lune, publié par tranches de 1896 à 1910, dont les planches ont illustré bien des ouvrages et ont même servi à la préparation de la mission Apollo. L’instrument sera ensuite utilisé à des travaux de spectrographie, et son objectif visuel de 60 cm sera transféré à l’Observatoire du Pic du Midi. L’instrument, démonté, est actuellement entreposé à l’Observatoire de Meudon en attendant des jours meilleurs, tandis que le bâtiment qui l’abritait est très dégradé.

Le grand télescope de l’Observatoire Le Verrier avait obtenu en 1865 de la Chambre des députés un crédit reconductible de 395 000 francs pour la construction d’une lunette géante de 16 mètres de long et de 75 cm de diamètre, et d’un grand télescope. Déjà, en 1863, un disque de verre de 1,215 m de diamètre pesant 700 kg, destiné à ce télescope, avait été fondu à l’usine de SaintGobain sous la direction de Théophile Pelouze. Le polissage du miroir, débordé (c’est-à-dire mis en forme pour le polissage) dans les ateliers de Sautter et Lemonnier, aurait dû être le chef-d’œuvre de Foucault, mais sa mort prématurée en 1868 ne lui a pas permis de le réaliser. Cependant le projet n’est pas été abandonné pour autant : le polissage du miroir est confié le 25 mai 1869 à Adolphe Martin, l’unique élève de Foucault, tandis que la partie mécanique

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fait l’objet le 8 juin d’un « traité » avec Eichens. Wolf est chargé de la surveillance des travaux. La destitution de Le Verrier puis la guerre vont faire languir l’affaire. Eichens ne se presse pas, et ne termine la monture et le tube du télescope qu’en octobre 1875. Un abri roulant est également livré à cette date par la Compagnie Lyon-Méditerranée ; l’escalier qui permet à l’observateur d’accéder au foyer Newton est dû aux forges de Hémery et Gautier à Persan. L’instrument (Fig. 7.11) est entraîné par un mouvement d’horlogerie avec un régulateur de type Foucault construit, comme plusieurs autres à l’Observatoire, par Yvon Villarceau10. Toute cette mécanique donne satisfaction. Le prix total de l’instrument se monte à 190 000 francs. Le 8 octobre 1875, Le Verrier annonce aux journalistes11 « la fin de la construction du télescope qui sera présenté à la presse le samedi 9 octobre ». Il ne s’agit encore que de la mécanique, mais qu’est celle-ci sans le miroir ? Ce n’est que le 3 mai 1876 que Martin déclare que le miroir est terminé et monté sur le télescope, et que l’on peut en commencer l’examen. Dès le lendemain, une Commission de vérification composée de Fizeau, Cornu, Le Verrier, Tresca et Wolf commence ses travaux. Le compte rendu en est conservé à l’Observatoire12. Nous en extrayons les fragments qui suivent ; c’est Le Verrier qui dicte :

Figure 7.11. Le télescope de 120 cm de diamètre de l’Observatoire de Paris. La monture étant de type Newton, l’observateur doit se placer latéralement à l’extrémité du tube, la lumière concentrée par le miroir étant renvoyée vers l’oculaire par un petit miroir à 45° ou un prisme à réflexion totale. L’observateur est donc debout sur un escalier mobile qui lui permet de viser à différentes hauteurs. Le télescope était protégé quand on ne l’utilisait pas par un abri roulant.

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« 15 mai. […] Je considère la Polaire (M. Martin présent) et avec un grossissement de 500 [fois]. C’est très mauvais. Ce ne sont que rayons à travers lesquels on aperçoit le compagnon. Je vise a de la Vierge [une étoile double dont les composantes de même éclat sont séparées de 7 secondes de degré] dans les mêmes conditions. Ce sont deux nébuleuses intenses qui se rejoignent et se mêlent et avec des centres lumineux. M. Martin convient lui-même que cela ne vaut rien : mais assure que c’est la faute de l’oculaire, ce dont on ne peut juger. 19 mai 1876. […] Sur ma demande (attendu que je me méfie des diaphragmes intérieurs aux oculaires) MM. [les frères] Henry procèdent à la mesure de la partie libre du miroir […]. À minuit et demi, M. P. Henry m’annonce la Conclusion : 24 centimètres du contour du miroir seraient cachés. Il ne reste de libre que les 72 centimètres du centre. Recommandé le silence sur ce résultat qui n’aurait de sens précis qu’étant fait par la commission [de vérification] au moment de la vérification du miroir. » Que s’est-il passé ? Assez imprudemment, Le Verrier avait autorisé la construction de diaphragmes que l’on pourrait placer dans les oculaires de façon à limiter la partie utile du miroir. Martin ne s’est pas gêné pour en munir les oculaires utilisés pour les essais, ce que découvre Le Verrier. D’ailleurs, « deux des Membres de la Commission [de vérification] avaient manifesté à plusieurs reprises leur étonnement du peu de lumière donné par ce grand miroir sans qu’il eût été possible d’en dire la cause ; et c’était cette faiblesse étonnante de la lumière qui me conduisait, dans la nuit du 19 mai, à en chercher le motif.13 » Le 26 mai, le rapport de cette Commission déclare : « Les images mesurent au moins 5" au lieu de la valeur théorique 0,1" ou de la limite raisonnable de 0,5" qu’on doit attendre d’un bon miroir. On peut dire, avec notre expérience actuelle, que le télescope n’a pas plus de puissance qu’un bon télescope de 15 à 20 cm de diamètre. » Il s’agit sans doute ici des performances lamentables du miroir entièrement illuminé, les diaphragmes ayant été ôtés des oculaires. On reprend cependant les essais avec différents diaphragmes, dont Le Verrier dévoile enfin l’existence à la Commission. Il doit se sentir quelque peu coupable à leur sujet, car il en rejette la responsabilité sur Wolf :

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« 12 juin (Lundi). […] [le Directeur] avertit la Commission qu’il y a deux mois environ il a autorisé la construction de diaphragmes susceptibles d’être introduits dans le système oculaire. Comme d’usage dans cette division [celle de Wolf], on n’a pas présenté au Directeur ces diaphragmes ; on ne l’a même pas averti qu’ils existaient, ce qui l’a mis dans l’impossibilité de prévenir la Commission qu’il y avait lieu d’en contrôler l’emploi. […] On demande alors à voir a de la Vierge, et pendant qu’on se prépare, M. Tresca se rend aux équatoriaux où M. Paul Henry lui montre dans l’une et l’autre lunette, a de la Vierge. Il pourra ainsi mieux juger de ce qu’il verra ensuite dans le grand télescope. […] M. Tresca déclare qu’il a d’abord vu a de la Vierge (en présence de M. Martin) avec un diaphragme réduisant l’ouverture à 60 centimètres. L’image était analogue à celle observée par lui dans la lunette de 9 pouces [24 cm, dont l’objectif est de Foucault], mais moins bonne. On a alors employé un diaphragme portant l’ouverture à 90 centimètres. Les images des deux étoiles se sont alors présentées comme deux flammes. […] Dès qu’on étend le miroir au-delà de 60 à 70 centimètres, on perd ; à 90 centimètres, c’est intolérable. Que serait-ce à 120 ? » Martin prétend qu’on pourra corriger l’optique en compensant les défauts du miroir par des retouches sur l’oculaire, une méthode qui avait été quelquefois appliquée par Foucault. Mais les défauts du miroir de 1,20 m sont trop graves : « Soutenir qu’en modifiant les oculaires on fera d’un mauvais miroir un bon, est une prétention absolument impossible à réaliser », affirme la Commission. Malgré l’opinion de Wolf, qui a déjà observé diverses nébuleuses avec le télescope et recommande d’accepter le miroir tel qu’il est, tant il a envie de s’en servir, on se résout à demander à Martin d’en reprendre le polissage. Celui-ci, qui a montré beaucoup de mauvaise foi dans cette affaire, est bien obligé d’acquiescer. Mais il n’a pas envie de se presser, d’autant plus qu’il a déjà été payé. Il promet que les retouches seront terminées vers la fin octobre de cette année 1876, mais, « comme [il] s’est établi à l’Observatoire, chacun peut constater qu’il continue à travailler à peine. L’un dans l’autre, il n’emploie pas une journée d’ouvrier par jour et quant à lui il n’est pas présent plus de vingt minutes. » En réalité, il n’a pas l’habileté de Foucault qui n’avait eu aucune difficulté à réaliser

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le miroir de 80 cm de diamètre pour l’Observatoire de Marseille, et il est incapable de mener à bien ce travail. De plus, le disque est trop mince et se déforme facilement. On aurait bien aimé présenter ce télescope, qui aurait été le plus grand du monde, à l’Exposition universelle de 1878. Pour ce faire, Le Verrier, inquiet, envisage dès le début de 1876 la construction d’un second miroir « pouvant prendre la place du miroir Martin, si celui-ci est définitivement insuffisant. » Il contacte donc la société Saint-Gobain, dont le Conseil d’Administration décide le 1er septembre 1876 d’offrir un nouveau disque à l’Observatoire de Paris. Le Verrier se rend le 25 novembre à l’usine de Saint-Gobain (Aisne) et y passe trois jours, pour discuter du recuit du verre qui a causé des difficultés pour le premier miroir ; il faudrait en porter la durée à au moins six semaines. Effectivement, il va y avoir plusieurs fontes, où le disque casse car les variations thermiques sont trop rapides. Le succès vient le 1er mars 1877 : deux disques sont réalisés. Paul Henry va à Saint-Gobain et constate qu’un des deux est excellent. Le ministre de l’Instruction publique, qui est maintenant William-Henri Waddington, ayant autorisé de faire un nouveau miroir à partir de ce disque, suite à une visite que Le Verrier lui avait faite le 17 février, le débordage et le polissage sont confiés à Sautter, rue de Suffren. Le disque arrive à son atelier le 4 avril 1877. Sautter obtient les crédits pour installer le matériel nécessaire, mais c’est bien tard et il n’aura rien le temps de faire avant l’exposition. Les notes dont nous extrayons ces informations14 s’arrêtent le 25 juin 1877, à cause de la maladie de Le Verrier puis de sa mort le 23 septembre. En janvier 1881, le miroir est revenu de chez Sautter à l’Observatoire, ainsi que les outils destinés à son travail, qui s’y trouvaient en dépôt15. On trouve d’ailleurs à la suite des comptes du Conseil de l’Observatoire la remarque suivante, de la main de Bigourdan : « Le 28 septembre 1888 le gd verre était dans le magasin Est au rez-de-chaussée de la cour du nord ; voici ses dimensions : Diamètre, mesuré approximativement avec un cordon : 1m,198. Épaisseur du cadre 0,195 ou, pour le verre 0,19 [m]. » Qu’est devenu ce second grand disque ? On ne l’a pas revu depuis. Ce qui est sûr, c’est que le télescope n’a pas été présenté à l’exposition universelle de 1878. On ne renonce cependant pas à améliorer ce télescope. Le successeur de Le Verrier, l’amiral Ernest Mouchez, fera

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de nouveaux contrôles sur le miroir, que Martin a enfin consenti à retoucher, mais ne constatera guère de progrès. En 1880, il est encore question de retoucher le miroir, et de l’utiliser pour des études photographiques. Wolf continue à observer des nébuleuses sans grand succès jusqu’en 1883, puis un astronome qui fera parler de lui plus tard, Henri Deslandres, y fait des observations spectroscopiques plus fructueuses jusqu’en 1897. On parle encore du télescope en 1912 : le jeune astronome Jules Baillaud réexamine le miroir en utilisant un nouveau test optique dû à l’allemand Johann Franz Hartmann16. Il trouve la surface optique convenable, mais « la surface du miroir se déforme continuellement. […] Il sera sans doute impossible d’obtenir d’une manière permanente de bonnes images avec ce miroir. » De plus, « la monture du télescope est à revoir complètement, le tube probablement à refaire, ainsi que le mouvement d’horlogerie et les transmissions. » On en restera là, d’autant plus que la guerre va mettre l’Observatoire au ralenti. Nouvel épisode en 1930 : « En exécution du projet de réfection complète du télescope Eichens-Martin, le laboratoire [d’optique] a été occupé […] au travail d’un miroir parabolique de 1 m,20. » C’est un jeune opticien, André Couder, qui est chargé d’un nouveau polissage du miroir. Cette fois, c’est un succès17. Le directeur de l’Observatoire, Ernest Esclangon, envisage de remettre en état le télescope, pour un budget de 800 000 francs18. Mais alors que les travaux commencent pour sa coupole au milieu de 1936, le Service national de la recherche scientifique, qui deviendra en 1939 le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), décide de transférer l’instrument à l’Observatoire de Haute-Provence dont il vient de décider la création. Esclangon est furieux d’être ainsi dessaisi mais ne peut que se plier à cette décision ; il envisage aussitôt la construction d’un remplaçant de 1,27 m de diamètre, qui ne verra pas le jour en raison de la guerre. Muni d’une mécanique modifiée par la maison Secrétan, le télescope est donc installé en 1941 à SaintMichel-l’Observatoire (Fig. 7.12) : il est mis en service en 1943, mais ce n’est pas la fin de ses vicissitudes19 : le miroir est endommagé en janvier 1945. Un second miroir sera taillé par Couder et installé en 1953 (a-t-il utilisé le second disque de 1876 ?). L’instrument ainsi modifié est toujours en fonctionnement aujourd’hui, à côté de ses grands frères de 1,93 m et de 1,52 m d’ouverture.

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Figure 7.12. Le télescope de 1,20 m d’ouverture de l’Observatoire de Haute-Provence (à droite) utilise la monture du télescope de l’Observatoire de Paris (à gauche). Cette monture a cependant été inversée pour permettre un meilleur accès au foyer Newton.

La lunette géante Comme le grand télescope, une lunette géante avait été prévue et financée depuis longtemps par le crédit spécial de 395 000 francs voté en 1865. Dès 1856, l’Observatoire avait acheté deux disques de 75 cm de diamètre, l’un de verre crown et l’autre de verre flint, nécessaires pour faire un objectif achromatique. Foucault les avait trouvés à peu près convenables, bien que trop minces ce qui obligerait à avoir une très grande distance focale, donc une lunette excessivement longue. Il aurait dû réaliser l’objectif mais sa maladie ne lui a pas permis de commencer et le travail prévu a été abandonné à sa mort en 1868. Puis les événements de l’Observatoire et la guerre ont fait qu’il ne s’est rien passé pendant plusieurs années. Cependant Le Verrier a toujours le projet en tête, et le réanime en 1874. Comme Martin semble inoccupé car il prétend qu’il ne peut pas travailler en été sur le miroir de 1,20 m du grand télescope, Wolf propose le 9 juillet au Conseil qu’il démarre le polissage de l’objectif « pour lequel l’Observatoire possède un excellent disque de crown ; le disque de flint qui présente de légers défauts pourrait être remplacée. » Il faut e

On pense effectivement à remplacer ce disque, avec les 12 500 francs qui restent du budget pour les verres, par un autre fourni par Charles Feil, seul susceptible de fournir du flint en France à cette époque. Feil fondra à cet effet en 1875 plusieurs disques de flint, dont le meilleur se brisera malheureusement au recuit.

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cependant se procurer un miroir plan de 80 cm de diamètre pour contrôler l’objectif selon la méthode de Foucault : la commande correspondante est approuvée. Mais on a l’imprudence de confier en même temps à Martin la construction, pour la somme de 12 000 francs, d’un objectif plus petit, de 12 pouces (32 cm) de diamètre, destiné à remplacer celui de l’équatorial de la tour Ouest, qui présente des défauts irrémédiables. Fizeau a des réserves sur cette opération, réserves qui se révéleront justifiées car Martin, qui doit livrer cet objectif en mars 1876, ne l’aura pas encore terminé à cette date, ni même six mois plus tard. En février 1875, Le Verrier demande à plusieurs constructeurs des devis pour la construction de la partie mécanique de la lunette, pour laquelle on dispose de 187 257 francs. Seuls deux d’entre eux répondent, en septembre seulement : Eichens, et Froment-Dumoulin, moins cher mais sans expérience dans ce domaine. C’est Eichens qui remporte l’affaire, après de nombreuses discussions. Le 8 mars 1877, son travail est assez avancé pour qu’il soit en droit de demander un premier acompte de 18 750 francs. Mais tout s’arrête sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Il semble que l’Observatoire soit tombé en léthargie en raison de la maladie de Le Verrier et de sa mort le 23 septembre 1877 : les séances du Conseil s’arrêtent le 8 mai de cette année. Le successeur de Le Verrier, l’amiral Mouchez, va tenter de réanimer la construction de la lunette « car l’Observatoire de Paris est tellement distancé aujourd’hui par d’autres observatoires qu’avec ses petites lunettes de 0m,24 et 0m,31 c’est à peine s’il peut même constater les découvertes et les observations nouvelles faites à l’étranger avec des lunettes de 0m,60 à 0m,65 [voir dans l’appendice 3 la liste de ces lunettes]. Le constructeur a d’ailleurs subi des pertes sensibles par la suspension des travaux, pour lesquels il avait été obligé de faire des avances de fonds assez considérables, et il serait en droit d’exiger de l’État l’exécution de son traité.20 » En 1879, Charles Feil fournit deux nouveaux disques de flint pour remplacer celui qui existe, mais qui a des défauts. L’un d’eux est jugé bon par Martin qui le met en œuvre, tandis qu’Eichens progresse dans la réalisation de la partie mécanique de la lunette21. L’année suivante, Feil doit encore fournir un nouveau disque de flint, le précédent ayant finalement été jugé défectueux au polissage. La construction de la coupole est confiée à Gustave Eiffel en 1882, tandis qu’Eichens ayant cédé sa compagnie à Paul Gautier,

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celui-ci reprend l’affaire par un « traité » du 27 mars de la même année. La lunette aurait dû être placée dans le terrain Arago au sud de l’Observatoire (Fig. 7.13) mais les sondages de 1883 révèlent des cavités. En conséquence, « la construction et l’installation de cette lunette se trouve encore retardée par l’impossibilité où [l’Observatoire se trouve] maintenant de l’installer sur les terrains de l’Observatoire de Paris. » À cette époque, Mouchez envisage à nouveau de créer une succursale de l’Observatoire en dehors de la ville ; mais le projet avorte, si bien qu’en 1884 « par suite du refus du projet de création d’une succursale de l’Observatoire […] nous n’avons plus à nous occuper [de la lunette] jusqu’à ce qu’il survienne une solution qu’il n’est même pas possible de prévoir. » D’ailleurs, on lit dans le rapport annuel de l’Observatoire pour 1886 : « L’équatorial coudé de 0m,60, qui a été accordé à l’Observatoire de Paris en remplacement de la grande lunette de 0m,74, cédée à l’Observatoire de Meudon, est en construction chez M. Gautier. » Figure 7.13. Projet d’agrandissement de l’Observatoire de Paris (1881). L’Observatoire (au fond) est vu du Sud. À gauche, la coupole de la grande lunette ; à l’arrière, les coupoles jumelles ; au milieu, statue de Le Verrier (elle sera finalement placée dans la cour Nord) ; à droite, bâtiment du petit équatorial coudé de Lœwy, qui sera effectivement réalisé, puis détruit plus tard. Au deuxième plan, devant et à droite du bâtiment principal, l’abri du cercle méridien de Bischoffsheim.

C’est l’époque où Janssen veut équiper l’Observatoire d’astronomie physique de Meudon, dont il a la direction, d’une lunette encore plus grande que l’instrument avorté de Paris. Terminée en 1896, la grande lunette de Meudon (Fig. 7.14) est double : le tube rectangulaire porte un objectif achromatisé pour l’observation visuelle de 83 cm

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de diamètre, et en parallèle un objectif pour la photographie de 62 cm, corrigé pour le bleu-violet auquel sont sensibles les plaques photographiques de l’époque22. Qu’a-t-on récupéré de ce qui avait été réalisé pour la grande lunette parisienne dans la construction de celle de Meudon ? Gautier, qui a obtenu le marché de cette dernière, a probablement utilisé quelques éléments de la mécanique de la première. Quant aux verres pour l’objectif de Meudon, ils sont fournis par Mantois, successeur de Feil. A-t-il repris, en en diminuant le diamètre, les disques que Martin avait commencé à polir, pour réaliser l’objectif photographique de 62 cm de la lunette de Meudon ? En tout cas, seul un disque non travaillé de 75 cm subsiste à l’Observatoire. Figure 7.14. La grande lunette de l’Observatoire de Meudon (1896).

Le cercle méridien de Bischoffsheim Le seul nouvel instrument que Le Verrier a pu voir complètement installé pendant son deuxième règne est un cercle méridien financé par le banquier Bischoffsheim, terminé en 187723. Nous avons vu que Bischoffsheim avait fait en 1875 un don de 26 000 francs à l’Observatoire, initialement destiné à l’équatorial coudé conçu par Lœwy mais qui sert finalement à financer ce nouveau cercle méridien. Ce grand instrument (Fig. 7.15) est le troisième d’une

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Figure 7.15. Le cercle méridien de Bischoffsheim (1877).

nouvelle génération construite par Eichens24. Le premier a été installé en 1868 à l’Observatoire de Lima au Pérou, et le second en 1876 à l’Observatoire de Marseille. Tous trois ont un objectif de 20 cm de diamètre : celui de Lima a pu être terminé par Foucault, et ceux de Marseille et de Paris sont de Martin. Il y aura peu après un cercle méridien semblable, mais plus petit, à l’Observatoire de Lyon, encore financé par Bischoffsheim. Ces instruments sont réversibles, c’est-à-dire que l’on peut dégager la lunette de ses supports et la retourner de telle façon que la partie supérieure vienne en dessous, puis la reposer sur les supports. Ceci permet de connaître la collimation et d’en corriger les mesures. Le principe avait déjà été testé sur des instruments portatifs construits par Brunner, Rigaud et Eichens lui-même, que l’on substitue aux anciens cercles répétiteurs pour les opérations géodésiques. Le nouveau cercle méridien de Paris n’est pas installé, comme les autres instruments d’astrométrie, dans les cabinets d’observation de l’aile Est de l’Observatoire, qui sont trop exigus et dont on juge néfastes les propriétés thermiques : le Ministère des travaux publics a financé pour l’abriter un hangar de tôle à toit largement ouvrant, situé dans le jardin de l’Observatoire (voir la Fig. 7.13). L’instrument sera utilisé pendant toute la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, avec diverses

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modernisations. On décidera en 1961 de remplacer le bâtiment assez délabré, modification qui, faute de crédits pour la réaliser complètement, rendra les observations difficiles. Les observations seront alors arrêtées au profit d’observations astrométriques avec un nouvel instrument plus pratique et plus performant : l’astrolabe impersonnel de Danjon. Le cercle de Bischoffsheim est cependant toujours en place.

Les catalogues d’étoiles Un des grands projets de l’Observatoire de Paris, commencé en 1837 sous l’impulsion du Bureau des longitudes, est d’établir un nouveau catalogue de positions d’étoiles, qui serait une révision de celui établi par Jérôme de Lalande. Les observations pour le catalogue de Lalande, qui comporte 48 000 étoiles, avaient été faites en grande partie par son neveu, Michel Lefrançois de Lalande, avec le quart de cercle de Bird de l’Observatoire de l’École militaire, qui est aujourd’hui conservé à l’Observatoire de Paris. Cet énorme travail s’est échelonné sur dix ans et a abouti à une publication en 180125. La « révision » de ce catalogue a pour but de préciser la valeur de la constante de la précession, et de fournir, selon Le Verrier26, « chemin faisant, à l’astronome intelligent et zélé, l’occasion de faire un grand nombre de remarques sur les mouvements propres des étoiles, indiquant celles dont on pourrait soupçonner le voisinage et sur lesquelles, par conséquent, d’importantes recherches pourraient être pratiquées. Le changement de grandeur de certaines étoiles pourra mettre aussi sur la voie d’étoiles changeantes ; les étoiles doubles seront notées, etc., etc. » Les étoiles « fixes » ne sont pas en fait immobiles, et ce qu’on appelle leur mouvement propre n’est autre que leur déplacement apparent dans le ciel par rapport à des objets plus lointains, exprimé en secondes de degré par an (Fig. 7.16). L’observation de la position des étoiles à des époques éloignées permet de mesurer ce mouvement propre. L’intérêt principal à l’époque est de repérer les étoiles proches, dont on peut espérer mesurer la distance : en effet, les étoiles qui ont un grand mouvement propre ont

Figure 7.16. Le mouvement propre. L’étoile se déplace par rapport aux étoiles lointaines, supposées fixes. Le déplacement angulaire annuel est —, exprimé en secondes de degré par an. La vitesse latérale de l’étoile par rapport au Soleil, v, est liée à — et à la distance d de l’étoile par la relation v(km/s) = 1,45 +("/an) d(années-lumière).

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Figure 7.17. La parallaxe géométrique annuelle des étoiles. Au cours de la révolution annuelle de la Terre autour du Soleil, une étoile proche paraît se déplacer par rapport aux étoiles lointaines selon une ellipse. L’angle / sous-tendu par le demi-grand axe de cette ellipse est la parallaxe, exprimée en secondes de degrés. Elle est inversement proportionnelle à la distance de l’étoile. Une étoile dont la parallaxe est de 1" est à une distance de 3,26 annéeslumière, soit 3,08 1016 mètres.

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des chances d’être proches car, pour une vitesse linéaire donnée, la vitesse angulaire est d’autant plus grande que la distance est plus petite. La mesure de leur distance utiliserait la méthode de la parallaxe géométrique, qui consiste à mesurer leur déplacement au cours de l’année par rapport aux étoiles lointaines, dû au mouvement orbital de la Terre (Fig. 7.17) ; c’est ainsi que l’on avait repéré la proximité de l’étoile 61 Cygni, la première dont on ait mesuré la distance (Friedrich Wilhelm Bessel, 1838)27. Une autre application de la détermination des mouvements propres, que Le Verrier a peut-être en tête mais qu’il ne mentionne pas explicitement, est la mesure du déplacement du Soleil par rapport aux étoiles voisines. Dès 1783, William Herschel avait découvert ce déplacement en étudiant le mouvement propre de 17 étoiles seulement. Argelander (Fig. 7.18) avait confirmé et précisé son résultat en 1830 en utilisant 390 mouvements propres, et l’on pourrait sans doute faire mieux en observant encore plus d’étoiles. La comparaison du nouveau catalogue avec celui de Lalande devrait également permettre de découvrir la variation d’éclat de certaines étoiles. L’existence d’étoiles variables était connue depuis longtemps, et Lalande avait signalé l’existence de 30 « étoiles changeantes », qui sont essentiellement des étoiles géantes rouges28. Les observations pour la révision du catalogue de Lalande avaient peu avancé sous Arago, et guère plus pendant le premier règne de Le Verrier. En novembre 1867, ce dernier annonçait, non sans optimisme, qu’il y en aurait encore pour sept ans. Les nouvelles observations prennent plus de temps que celles de Lalande car le cercle méridien et la lunette méridienne de Gambey, qui sont généralement réservés à cet usage, ne permettent pas de déterminer simultanément les deux coordonnées de l’étoile, qu’il faut de plus mesurer si possible au moins trois fois pour être sûr du résultat. Aussi est-on amené à examiner le projet en 1873. Le 4 décembre de cette année-là, Le Verrier fait devant le Conseil de l’Observatoire une grande déclaration au sujet de ce catalogue29 : « M. Le Verrier expose qu’à l’Observatoire de Greenwich, qui a jeté un si grand éclat, et à Poulkova, les travaux ont toujours été faits d’après un plan précis et suivant une règle longtemps suivie ; à Paris il n’en a malheureusement pas été ainsi [à qui la faute ?] et le plan de travail a été nécessairement changé.

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Il résulte de là que le Catalogue de Lalande, dont la révision est commencée depuis 1837 [par Arago] et 1854 [à l’arrivée de Le Verrier], n’est pas encore [complètement] réobservé. Compléter et terminer le travail serait fort long. Dans ces conditions, Monsieur le Directeur, d’accord avec M. Lœwy, s’est décidé à entreprendre l’observation par zonesf de toutes les étoiles jusqu’à la 9 1/2 grandeur. On obtiendra ainsi un Catalogue de 300 000 étoiles. En se servant du grand instrument méridien [celui de Secrétan-Eichens], pourvu d’un micromètre à fils obliques, on peut enregistrer le passage de 60 étoiles par heure, en sorte qu’en comptant 120 nuits d’observations par an, le Catalogue pourrait être terminé en 8 ans. Il faudra toutefois interrompre pour cela l’observation des petites planètes, poursuivie depuis 10 ans. » Voici un bel exemple de fuite en avant ! Certains ont d’ailleurs des doutes sur ce nouveau projet : « M. Wolf trouve ce projet très tentant, mais il ne voit pas sans peine abandonner l’observation des étoiles du Catalogue éminemment français et parisien de Lalande, pour entreprendre un travail qui, sur la proposition de l’Astronomische Gesellschaft [la Société astronomique allemande], est commencé depuis plus de six ans dans une dizaine d’Observatoires. […] [Cependant] la conviction de M. Loewy est que ce catalogue [celui de l’Astronomische Gesellschaft] n’aboutira pas. » Malgré ces réticences, « le projet de catalogue de 300 000 étoiles est adopté, et M. le Directeur s’engage à donner satisfaction au Conseil en n’interrompant l’observation méridienne des petites planètes que le jour où il y aura été suppléé par d’autres moyens. » Cependant, ébranlé par la concurrence qu’a mentionnée Wolf, Le Verrier se renseigne auprès de ses amis étrangers (probablement Otto Struve), et donne au Conseil, lors de la réunion du 12 mars 1874, les informations suivantes : « C’est en 1867 qu’Argelander a proposé d’observer toutes les étoiles jusqu’à la 9e grandeur, comprises entre – 20° et f

Les observations des étoiles pour les grands catalogues se font généralement par tranches de déclinaison.

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Figure 7.18. Friedrich Wilhelm Argelander (1799-1875).

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+ 80° de déclinaison30. En 1869 le ciel a été partagé en zones de 5° et chacune de ces zones assignées à un observatoire31. […] Le travail est parvenu au point suivant. À Pulkova toutes les étoiles fondamentales sont déterminéesg. Dans les autres observatoires on a en moyenne observé les 0,6 [60 %] des étoiles et deux zones, celles de Berlin et de Leipzig, sont complètement terminées, en sorte que l’impression doit commencer dans peu de temps. En présence de cette situation, M. le Directeur se demande si les projets de l’Observatoire ne doivent pas être modifiés. » Cependant, Lœwy insiste et réclame un instrument spécialisé (son équatorial coudé, pourtant bien mal adapté à un tel programme), deux ou trois aides nouveaux et 50 000 francs par an (1 franc par observation !). On parvient à un compromis : Le Verrier propose d’observer sur un an, à titre d’essai, 2 100 étoiles entre – 5° et 0° de déclinaison, chacune 3 fois. Mais rien ne sera fait de ces essais, et on continuera tant bien que mal l’observation des étoiles du catalogue de Lalande. En 1878, un an après la mort de Le Verrier, seules 22 000 étoiles de ce catalogue ont été mesurées sur les quelque 50 000 prévues, dont 10 000 une seule fois et d’autres trop souvent32. Malgré les efforts de Mouchez, le successeur de Le Verrier, les observations, dont on peut suivre l’avancement dans les rapports annuels de l’Observatoire, vont beaucoup traîner. La publication du catalogue final, dit Catalogue de Paris, s’étendra de 1887 à 1933. De son côté, le catalogue AGK (Astronomische Gesellschaft Katalog) qu’avait initié Argelander ne sera pas réalisé complètement, ce qui donnera en partie raison à Lœwy qui avait prévu que ce projet n’aboutirait pas ; publié en 20 volumes de 1890 à 1924, il contiendra quand même plus de 188 000 étoiles, près de 4 fois plus que le catalogue parisien. Le catalogue de Paris n’est qu’un des nombreux catalogues de positions d’étoiles qui ont fleuri au cours du XIXe siècle et au début du XXe. Déjà concurrencé par le catalogue AGK, il sera complètement dépassé dans les g

Il s’agit d’étoiles brillantes dont la position est mesurée avec la meilleure précision possible, et qui servent de référence pour mesurer la distance au zénith et l’instant du passage au méridien des autres étoiles du catalogue.

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années 1930 par la seconde version de ce dernier catalogue, l’AGK2, photographique cette fois, qui porte sur près de 200 000 étoiles dont la position est mesurée avec une précision meilleure que 1 seconde de degré. Quoi qu’il en soit, il semble que l’on ait considéré comme un devoir pour chaque observatoire de réaliser un catalogue d’étoiles, sans se poser de questions sur sa véritable utilité. Mais alors, pourquoi l’Observatoire de Paris et ceux de Marseille et de Toulouse n’ont-t-ils pas participé au grand programme international qu’était le catalogue AGK, où s’étaient impliqués Allemands, Anglais, Russes et Américains ? Sans doute en raison d’un isolement scientifique voulu par Le Verrier, que ce type d’observations n’intéressait guère et qui les faisait faire en quelque sorte par devoir et par routine. La situation changera avec Mouchez, qui sera le promoteur d’un grand programme international d’astrométrie, photographique cette fois, celui de la Carte du Ciel, qui se proposera de photographier tout le ciel à partir de différents observatoires et de mesurer avec précision la position des étoiles visibles sur les photographies. Mais cet immense travail est resté inachevé33.

Le passage de Vénus Vénus passe devant le Soleil le 9 décembre 1874 et ce phénomène est visible depuis une grande partie du globe terrestre. Cet événement rare est d’une grande importance car il permet de mesurer la distance de la planète, et du même coup celle du Soleil : en effet, les valeurs absolues des distances sont mal connues dans le Système solaire, même si les valeurs relatives le sont très bien. Il faut, pour utiliser le passage de Vénus, l’observer simultanément depuis des points de la Terre très éloignés les uns des autres, comme l’explique la Figure 7.19. La méthode, dont le principe a été exposé en 1716 par Edmond Halley34, a permis à Encke d’obtenir en 1824 une valeur de 8,58” pour la parallaxe du Soleilh à partir des

h Rappelons que la parallaxe du Soleil est l’angle sous lequel serait vu du centre du Soleil le rayon de la Terre. La valeur actuelle, 8”,79415, correspond à une distance moyenne de la Terre au Soleil (unité astronomique) de 149,6 millions de kilomètres.

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Figure 7.19. Le passage de Vénus devant le Soleil. L’observateur A sur la Terre voit Vénus entrer devant le disque du Soleil lorsqu’elle est en 1, et l’observateur B la voit entrer plus tard, lorsqu’elle est en 2. Vu du Soleil, l’angle sous-tendu par l’arc 1-2 est égal à l’angle sous-tendu par l’arc AB, dont la longueur projetée est connue grâce aux mensurations de la Terre. Ceci permet de calculer la longueur de l’arc 1-2, puisque le rapport de la distance de Vénus au Soleil avec la distance de la Terre au Soleil est connu. La période de révolution de Vénus étant connue, la mesure du temps qui sépare les deux événements permet de calculer la longueur de son orbite par une règle de trois, d’où le rayon de cette orbite qui est la quantité recherchée. On peut aussi utiliser l’instant de sortie de Vénus du disque du Soleil. Bien entendu, le calcul réel est plus compliqué car il faut tenir compte du mouvement et de la rotation de la Terre et de l’ellipticité de l’orbite de Vénus.

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Figure 7.20. Quelques photographies prises par Mouchez à l’île Saint-Paul montrant Vénus interposée au bord du disque du Soleil.

Figure 7.21. Médaille commémorative des expéditions françaises de 1874 pour observer le passage de Vénus. Vénus passe devant le Soleil figuré par le char d’Apollon, et Uranie, la muse de l’Astronomie, contemple le phénomène.

passages de Vénus de 1761 et de 1769. Cette valeur est restée longtemps la meilleure disponible, mais on pense pouvoir l’améliorer en observant le passage de 1874 avec de meilleurs instruments, et surtout des horloges mieux synchronisées. Ceci paraît d’une telle importance aux astronomes que de très nombreuses expéditions sont organisées en différents points du globe où le phénomène sera visible : 20 anglaises, 8 américaines, 7 australiennes, 5 allemandes, etc. Quant à la France, elle en envoie 9 : Tisserand et Janssen vont à Nagasaki au Japon, où Janssen utilise pour la première fois son revolver photographique (voir la Fig. 5.27) qui lui permet de prendre une trentaine d’images successives du passage35 ; Mouchez dirige une autre expédition à l’île Saint-Paul, une île minuscule des Terres Australes et Antarctiques françaises, située à 1 300 km au NNE des îles Kerguelen (Fig. 7.20). Une médaille (Fig. 7.21) commémore les expéditions françaises organisées par l’Académie des sciences.

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Cependant, Le Verrier se désintéresse de l’entreprise : l’Observatoire n’organise aucune expédition, et aucun de ses membres ne participe aux observations (Tisserand à l’époque n’est plus à Paris, mais dirige l’Observatoire de Toulouse). Voici ce qu’en dit le chimiste August Wilhelm von Hofmann, biographe du chimiste Dumas36 : « Lorsqu’en 1872 et en 1873, l’Académie discuta les mesures à prendre pour permettre aux astronomes français de participer aux observations du passage de 1874, une circonstance singulière se produisit : Le Verrier, qui, par sa position scientifique, paraissait avoir le privilège de prendre la direction de cette affaire, se retira de l’entreprise. Le célèbre astronome exprima sa répugnance à favoriser les grandes dépenses de force et d’argent, nécessairement impliquées par ces grandes expéditions astronomiques, puisqu’on pourrait bientôt atteindre plus rapidement et plus sûrement le principal objet de ces expéditions, c’est-à-dire déterminer le rapport entre les dimensions de la terre et celles du système planétaire, – l’observation de l’influence perturbatrice que la masse terrestre exerce sur le mouvement des planètes voisines suffisant à cet effet. Toutefois, les autres astronomes français ne partageaient pas ce sentiment de défaveur provenant des convictions scientifiques de Le Verrier. […] On vit avec plaisir, dans ces circonstances, Dumas, qui se souvenait peut-être de ses relations d’autrefois avec Laplace, ne pas hésiter à se placer en tête du mouvement [destiné à promouvoir les observations], auquel s’associèrent plusieurs des plus éminents astronomes et physiciens français. C’est ainsi que l’expédition française pour l’observation du passage de Vénus [celle de Nagasaki] fut heureusement organisée et que Dumas, dès le 9 octobre 1876, pouvait annoncer à l’Académie des sciences la publication d’un premier volume d’observations. » Le Verrier a donc davantage confiance en ses propres méthodes de détermination des dimensions du Système solaire que dans les passages de Vénus (mais Hofmann, qui est chimiste, n’a pas bien compris ce que sont ces méthodes). Nous avons vu au Chapitre 5 que l’astronome avait déduit de ses travaux en mécanique céleste une parallaxe solaire de 8”,95, et qu’en combinant avec la constante de l’aberration la vitesse de la lumière mesurée

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au laboratoire par Foucault, on avait obtenu 8Ɇ,86 en 1862. Ces valeurs sont toutes deux supérieures aux 8”,58 déterminés par Encke à partir des passages de Vénus du XVIIIe siècle. La nouvelle mesure de la vitesse de la lumière réalisée par Cornu entre l’Observatoire et Montlhéry avait confirmé la valeur de Foucault, fournissant une valeur de la parallaxe du Soleil comprise entre 8”,88 et 8”,9037. Ces valeurs étant plus proches de celle de Le Verrier que celle déduite des passages de Vénus, Le Verrier n’a aucune confiance dans ce que peuvent donner les passages de Vénus auxquels il ne s’intéresse donc pas : il exprime à nouveau sa défiance dans une courte note aux Comptes rendus de 1875, donc postérieure aux observations du passage de 187438. Effectivement, les observations du passage de 1874 n’ont pas semblé initialement donner de résultat bien meilleur que celui de Encke. Mais un autre passage a lieu en 1882. Cette fois l’Observatoire, maintenant dirigé par Mouchez qui a déjà observé le passage de 1874, envoie à la Martinique une mission composée de Tisserand, Bigourdan et Puiseux, à laquelle s’ajoutent neuf autres missions françaises avec des financements divers. L’examen par Newcomb des résultats des observations des deux passages lui permettra d’affirmer que la parallaxe du Soleil est de 8”,79 : cette valeur est en accord avec la valeur moderne très précise obtenue directement en mesurant par radar de la distance de planètes à la Terre, qui est 8”,79415. Le Verrier, pour une fois, avait eu tort : les déterminations en lesquelles il avait tant confiance se sont révélées moins bonnes que celle déduite des passages de Vénusi. Pour célébrer la réussite des expéditions françaises, Mouchez fera peindre sur le plafond de la Salle du Conseil de l’Observatoire une grande fresque représentée Figure 7.22.

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D’autres déterminations de la parallaxe du Soleil à partir de celle de Mars ou d’astéroïdes passant assez près de la Terre ont également donné des valeurs en très bon accord avec la mesure par radar.

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Figure 7.22. Le passage de Vénus devant le Soleil, fresque de Dupain (1886). Vénus s’apprête à passer devant le Soleil, personnifié par Apollon sur son char, tandis qu’Uranie fait observer le phénomène par un angelot muni d’une lunette. Un autre ange, plus à droite, tient le portrait de Halley et la trompette de la renommée, et près de la banderole à droite on peut voir le portrait de Le Verrier, ainsi qu’une ancre qui symbolise les liens entre l’Astronomie et la Marine.

L’achèvement du grand œuvre et la mort de Le Verrier Le grand œuvre de Le Verrier, qu’il a poursuivi toute sa vie, est la théorie complète du mouvement des planètes du Système solaire39. Les parties relatives au mouvement de Mercure, de Vénus, de la Terre et de Mars avaient paru dans les Annales de l’Observatoire Impérial de Paris, respectivement en 1859, 1861, 1858 et 1861, mais la production de Le Verrier s’est ralentie dans les années 1860. Sa révocation en 1870 lui donne les loisirs nécessaires à la reprise de son travail, le plus difficile qu’il ait entrepris et auquel il s’attaque d’arrache pied. D’après Tisserand40 : « La dernière partie de la carrière de Le Verrier a été consacrée à l’étude des mouvements des quatre grosses planètes, étude encore infiniment plus complexe que la précédente. L’enchevêtrement des formules est extrême, et l’on ne peut qu’admirer l’auteur qui dirige nettement sa pensée à travers les symboles et les nombres accumulés. »

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Figure 7.23. Aimable Gaillot (1834-1921).

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En 1874 Le Verrier est à même de publier un long article intitulé « Détermination des actions mutuelles de Jupiter et de Saturne, pour servir de base aux théories des deux planètes.41 » Il travaille maintenant sans relâche à la théorie des grosses planètes, aidé du seul Gaillot (Fig. 7.23) pour les calculs, et ceci malgré une santé déclinante en raison d’une grave maladie du foie (un cancer ?). Les dernières années, il n’est bien que couché, et souffre parfois tellement que son esprit s’égare. Le 18 octobre 1873, il écrit à son ami l’abbé Barthélémy Aoust, professeur de mathématiques à la Faculté des sciences de Marseille, qu’il avait dû rencontrer là-bas en 1870 ou 1871, une lettre émouvante par ses côtés humains exceptionnels chez Le Verrier. Il y relate ses problèmes de santé dans les années 1870-1873 ; en voici quelques extraits42 : « La maladie a des mystères par lesquels il faut avoir passé, non pour se les expliquer, mais pour les admettre. Atteint d’une absence complète de forces, j’étais obligé de m’y reprendre à quatre fois pour monter mes trois étages du quai Voltaire. Dès que j’avais monté dix marches sans me reposer, je me trouvais mal. Je n’étais bien que couché. Mais, chose curieuse, je ne pouvais envoyer une lettre. Les malades ont des instincts. Une des choses qui fatiguent le plus, c’est de passer sans cesse d’un sujet à l’autre, et c’est ce qui, dans l’administration, épuise le plus les hommes. Et je m’imagine que ce va-et-vient d’un sujet à un autre pendant tant d’années a beaucoup contribué à m’épuiser. Ce qui y avait aussi contribué c’est l’exécution des travaux scientifiques dont la communication vous semblait un signe de santé. Les gens qui passaient, la nuit, sur le pont des Saints-Pères, ont vu pendant de longs mois une lampe allumée jusqu’à trois ou quatre heures du matin, et qui a laissé des taches d’huile sur les manuscrits de Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. » Effectivement, trois livraisons des Annales de l’Observatoire de Paris datées de 1876 contiennent la théorie du mouvement de Jupiter, de Saturne, d’Uranus et de Neptune, avec les tables correspondantes pour les deux premières planètes, à partir desquelles on pourra en calculer les éphémérides. Ces tables, ainsi que celles qui étaient déjà parues, sont très appréciées à l’étranger et sont utilisées par le Nautical Almanach anglais, ce dont Le Verrier ne manque pas d’informer le ministre (Fig. 7.24).

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Figure 7.24. Brouillon d’une lettre du 15 septembre 1875, par laquelle Le Verrier informe le ministre de l’Instruction publique que ses tables d’Uranus seront utilisées par le Nautical Almanach anglais. Cette lettre non autographe a probablement été dictée par Le Verrier, qui ne faisait plus que signer ses lettres.

En mars 1877, la santé de Le Verrier s’est tellement dégradée qu’il ne peut pas se rendre à Lyon pour assister au mariage de son fils. Le 9 juillet 1877, Tresca lui rend visite et écrit à Fizeau43 : « Je viens de le voir couché sur le même matelas de la rotonde – très faible, très ennuyé, et très mécontent que son médecin lui dise qu’il va mieux, quand il se sent de plus en plus mal. Il continue à manger de la viande, assez de viande, dit-il, mais la digestion ne se fait pas mieux, et on est obligé de lui administrer des purgations. À chaque instant il devient somnolent, et parle très bas. En un mot ma visite m’a très mal impressionné et le peu d’illusions que je me faisais encore est bien près de s’en aller. »

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C’est à ce moment que les tables d’Uranus puis de Neptune sont publiées44. Le Verrier corrige les dernières épreuves des tables de Neptune quelques jours seulement avant sa mort. Ainsi s’achève l’œuvre de toute une vie, œuvre dont l’ampleur et la qualité sont réellement exceptionnelles45. Il est difficile au non-spécialiste de l’apprécier, mais qu’il nous suffise de dire que les tables de Le Verrier (et de Gaillot, dont il ne faut pas oublier l’importante contribution) seront utilisées jusqu’en 1984, donc pendant plus d’un siècle, pour construire les éphémérides de la Connaissance des temps. Le Verrier avait un concurrent aux États-Unis en la personne de Simon Newcomb. Nous avons vu au Chapitre 5 que Newcomb a confirmé et précisé en 1882 l’avance anormale du périhélie de Mercure découverte par Le Verrier. Comme Le Verrier, il entreprend d’échafauder une théorie complète du Système solaire, et ses résultats sont quelquefois en avance par rapport à ceux de l’astronome parisien. En 1866, Newcomb publie en effet, dix ans avant Le Verrier, une théorie du mouvement de Neptune et les tables correspondantes, qui permettent d’en établir les premières éphémérides46. Puis, constatant que les éphémérides d’Uranus sont encore basées sur une théorie qui ne tient pas compte des perturbations par Neptune et qui utilise encore des tables de Jupiter et de Saturne vieilles de plus de cinquante ans, ce qui s’explique par le fait que personne n’a envie d’entreprendre le travail de révision nécessaire, Newcomb s’y attaque seul, ce qui absorbe la majeure partie de ses loisirs de 1867 à 1872. En 1873, donc trois ans avant Le Verrier, il publie une théorie complète d’Uranus avec les tables, incluant donc pour la première fois ses perturbations par Neptune47. Plus tard, mais cette fois avec des aides plus substantielles que pour Uranus où la Smithsonian Institution ne l’a déchargé que de certains calculs numériques, il réalisera de son côté le même grand œuvre que Le Verrier. Ce sont les tables de Newcomb qui serviront de base aux éphémérides américaines jusqu’en 1983, et ses tables de Neptune et d’Uranus seront utilisées pour la Connaissance des temps jusqu’en 1883, date où elles seront remplacées par celles de Le Verrier. Il y a de petites différences entre les théories de Newcomb et de Le Verrier, mais il est satisfaisant de constater qu’elles conduisent à des résultats très voisins, ce qui montre la qualité du travail des deux hommes. Le Verrier, qui ne lisait pas l’anglais et qui mettait au rebut, souvent sans les ouvrir, les publications

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dans cette langue, paraît avoir ignoré le travail de Newcomb. La réciproque n’est probablement pas vraie, d’autant plus que, Newcomb avait séjourné à l’Observatoire en 1870-1871. Son œuvre achevée, Le Verrier peut mourir (Fig. 7.25). Il avait reçu les sacrements le 29 juin 1874, et il expire le 23 septembre, jour anniversaire de la découverte de Neptune. Ses obsèques ont lieu le 25 septembre à midi à l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, « avec une grande solennité ». Les cordons du poêle sont tenus par Eugène Peligot, un économiste qui est alors président de l’Académie des sciences, le chimiste Jean-Baptiste Dumas, vice-président du Conseil supérieur de l’Instruction Publique, Fizeau, alors vice-président de l’Académie et membre du Conseil scientifique de l’Observatoire, Faye, président du Bureau des longitudes, le commandant (futur amiral) Mouchez, le général Arthur Morin, vice-président de l’Association scientifique, dont Le Verrier était président, et un astronome anglais, John Russell Hind, directeur de l‘Observatoire de Cambridge. La représentation obligée de l’État et de l’École polytechnique est réduite au minimum. L’inhumation a lieu au cimetière Montparnasse, division 11, ligne 1 est, N° 15. On y entend des discours de Dumas, d’Yvon Villarceau, de Tresca, de Faye et de Janssen. Joseph Bertrand, retenu loin de Paris, envoie à l’Académie une courte lettre. D’autres éloges funèbres dus à Bertrand et à Tisserand seront publiés en 1880 dans les Annales de l’Observatoire de Paris.

Figure 7.25. Le Verrier sur son lit de mort, dessin de Giacomotti. C’est, avec celui de Daverdoing, le seul portrait d’après nature de Le Verrier, dont Giacomotti s’est certainement servi pour faire la peinture présentée dans le frontispice de ce chapitre.

Malade, l’épouse de Le Verrier ne lui survivra qu’un mois : elle mourra le 1er novembre 1877.

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Chapitre 8 Les longitudes télégraphiques

Le réseau télégraphique mondial en 1874.

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Le problème des longitudes et les promesses du télégraphe S’il est aisé de déterminer la latitude d’un lieu en observant la hauteur au-dessus de l’horizon du Soleil ou d’une étoile de position connue à son passage au méridien, la détermination de la longitude a été pendant longtemps un casse-tête pour les géographes et les navigateurs, comme l’indique l’encadré 8.1. C’est le problème des longitudes qui a suscité la fondation de l’Observatoire de Greenwich au XVIIe siècle, et en France celle du Bureau des longitudes pendant la Révolution.

Encadré 8.1. La détermination des longitudes La longitude est l’angle entre le plan méridien qui passe par le point considéré de la Terre et un plan méridien de référence, qui est aujourd’hui, par convention internationale, le méridien de Greenwich (à l’époque d’Arago et de Le Verrier, le méridien de référence pour les Français était celui de Paris, et pour les Anglais celui de Greenwich). Les longitudes sont exprimées soit en degrés, de 0° à 180° vers l’est (longitudes Est) ou vers l’ouest (longitudes Ouest), soit en heures de 0 à 12 heures, dont chacune correspond à 15°. La différence entre le temps sidéral local du passage d’une même étoile au méridien de chacun des deux lieux est égale (au signe près) à la différence de leurs longitudes. On peut donc l’obtenir en observant ces passages, ce qui nécessite que l’échelle de temps soit la même aux deux endroits, ce qui est toute la difficulté. Il faut donc, soit transporter une horloge fiable d’un point à l’autre, soit observer un même signal (par exemple un phénomène astronomique) de chacun des deux points pour y synchroniser des horloges, dont il faut espérer qu’elles soient stables. Les premières bonnes horloges, conçues par Christian Huygens, permettent de garder le temps de façon assez précise (mieux qu’une seconde par jour), mais ne sont pas transportables en fonctionnement. Heureusement, on a remarqué que les éclipses de Lune

Les longitudes télégraphiques

(passage dans l’ombre de la Terre) se produisent au même instant pour tous les lieux de la Terre, ce qui permet de synchroniser les horloges en ces différents lieux. Cette remarque a été utilisée notamment lors de l’éclipse de Lune du 28 août 1635, qui a été observée en différents points de la côte méditerranéenne. La mesure des longitudes de ces points a entraîné une réduction d’un tiers des dimensions est-ouest de la Méditerranée. Par ailleurs, Galilée et d’autres ont compris très vite, dès la découverte des quatre gros satellites de Jupiter, que les fréquentes éclipses de ces satellites dans le cône d’ombre de la planète présentent les mêmes caractéristiques que les éclipses de Lune et peuvent servir à synchroniser des horloges. Pour savoir quand les observer, on construit des éphémérides qui prédisent ces éclipses. Cette méthode est d’une bonne efficacité à terre, de sorte qu’elle sera employée pendant près d’un siècle par tous les voyageurs disposant localement de bonnes horloges. Mais elle est inutilisable en mer en raison des mouvements du navire qui rendent impossible l’observation des satellites de Jupiter ; seule l’observation de la position de la Lune par rapport aux étoiles qui l’entourent permet la synchronisation des horloges en mer, mais elle nécessite des calculs difficiles ; de plus, les horloges sont affectées par le roulis et le tangage du bateau. La solution du problème des longitudes viendra de la construction de montres marines précises et fiables par le Britannique John Harrison, en plusieurs étapes entre 1737 et 1773. De bons chronomètres de marine seront aussi construits en France par des horlogers comme Berthoud, Duroy, Lepaute, etc., et testés à terre et en mer par des astronomes : on atteindra ainsi vers 1800 une précision d’une fraction de degré après un ou deux mois de navigation. Un perfectionnement des mesures à terre sera la synchronisation des horloges par des signaux à feu visibles d’endroits éloignés les uns des autres ; on utilisera aussi en Italie les étoiles filantes, que l’on peut voir de lieux très distants1. Puis ce sera l’utilisation de signaux du télégraphe électrique, bien plus aisée et plus précise. Les signaux horaires transmis par télégraphe puis par radio, et plus récemment l’utilisation du GPS, résoudront définitivement le problème des longitudes.

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Le télégraphe électrique va révolutionner la détermination des longitudes car il permet de synchroniser avec une bonne précision les horloges de différents lieux reliés par le télégraphe. Le premier télégraphe électrique français, dû au constructeur d’instruments scientifiques Louis Breguet, fait son apparition le 18 mai 1845, date à laquelle est terminée la première ligne longeant le chemin de fer de Paris à Rouen. De son côté, le système de Morse, qui était employé depuis 1844 aux États-Unis d’Amérique, se répand en France à partir de 1854 et va supplanter progressivement les autres systèmes car sa fiabilité est plus grande. Quant au télégraphe optique de Chappe, qui fonctionnait depuis la Révolution, il disparaît en 1855. Arago est pour beaucoup dans cette révolution des communications : dès 1842, il prône devant la Chambre des députés le télégraphe électrique, en décrivant le succès des essais faits en Angleterre, puis il présente le premier système de Breguet devant le Bureau des longitudes le 14 mai 1845, quatre jours avant sa mise en fonctionnement. Il comprend que le télégraphe électrique devrait permettre de synchroniser des horloges, et donc de déterminer facilement la différence de longitudes entre deux lieux. La première détermination de ce genre est d’ailleurs réalisée en 1846 entre Philadelphie et Washington. Il devient même possible de déterminer la différence de longitudes entre continents et îles grâce aux câbles sous-marins, dont le premier a été posé fin 1851 entre Douvres et Calais. Arago écrit en 18532 : « Cette idée était si naturelle, qu’elle est née presque aussitôt l’installation des premiers télégraphes, et qu’on ne saurait dire où elle prit naissance. Je puis seulement assurer que le Bureau des longitudes s’en occupa dès l’origine avec persévérance, et qu’en outre, il s’avisa des moyens d’établir une communication directe entre l’Observatoire de Paris et celui de Greenwich, dès qu’il fut question de l’établissement d’un câble sous-marin entre Douvres et Calais. Si ce projet ne s’est pas encore réalisé, on ne doit l’imputer qu’aux difficultés qu’a rencontrées M. Airy pour établir une liaison directe entre l’Observatoire qu’il dirige [Greenwich] et l’une des lignes électriques aboutissant à Douvres et au câble sous-marin. Quant à nous, nous sommes prêts depuis longtemps à faire et à recevoir des signaux. Dans cette vue, une communication a été établie par un fil souterrain qui longe la rue du Faubourg-Saint-Jacques, entre l’une des salles de l’Observatoire et l’Administration centrale située au Ministère de

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l’Intérieur, rue de Grenelle. […] Le Bureau n’attend plus que l’achèvement des dispositions qui se font à Greenwich pour procéder à la liaison de Dunkerque, un des points de la grande méridienne de France, avec l’Observatoire de Greenwicha. […] J’ajoute enfin que des arrangements ont été convenus […] pour qu’on transmette chaque jour l’heure de Paris aux divers ports, tels que Le Havre, Nantes, etc., les navigateurs devant puiser dans ces indications journalières des moyens très-exacts de régler la marche de leurs chronomètres.

Le raccordement par télégraphe de Greenwich et de Paris Cependant, Arago meurt le 2 octobre 1853 et c’est à son successeur qu’il revient de réaliser le plan qu’il avait préparé avec le Bureau des longitudes. Avant d’en parler en détail, il nous paraît intéressant de dire un mot sur ce qui avait été fait précédemment. L’intérêt pour les astronomes de connaître avec précision la différence de longitude entre les deux observatoires de Paris et de Greenwich est évidemment de pouvoir combiner les observations faites en ces deux lieux, par exemple pour mieux vérifier l’éphéméride d’une planète ; de plus, ces deux observatoires servant d’origine des longitudes pour les navigateurs français et anglais respectivement, il est nécessaire de connaître la différence entre leurs longitudes pour pouvoir utiliser les cartes marines publiées dans l’autre pays. Aussi ne s’étonnera-t-on pas des nombreux essais qui ont eu lieu pour améliorer cette détermination3. Comme l’écrit Le Verrier en 18544 : « On a successivement appliqué à la mesure difficile de la distance en longitude des deux observatoires toutes les ressources que l’esprit humain a pu se procurer : les éclipses de Soleil [ou plutôt de Lune], les occultations d’étoiles par la Lune, les éclipses des satellites de Jupiter, les variations des coordonnées lunaires, les signaux de feu produits par l’explosion de fusées qui s’élèvent à de grandes hauteurs et dont la lumière se voit à de grandes distances, les triangulations

a En effet, tout était prêt fin avril 1853 : voir *CRAS 36 (1853) p. 740.

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géodésiques, enfin le transport simultané d’un grand nombre de montres marines, portant alternativement l’heure de Paris à Londres et l’heure de Londres à Paris. » La meilleure détermination est sans doute celle effectuée en 1825 par John Herschel et le capitaine Sabine, côté anglais, et le colonel Bonne et le lieutenant Largeteau, côté français, qui ont synchronisé en chaîne les horloges de diverses stations entre les deux observatoires au moyen de « feux instantanés de poudre » que l’on pouvait apercevoir de deux stations consécutives. Une fois les horloges des deux observatoires synchronisées, on y observait le passage au méridien des mêmes étoiles, et l’on en déduisait la différence de longitude, trouvée égale à 9 m 21,46 s5. Une fois les connexions télégraphiques réalisées entre les deux observatoires, leurs directeurs, Airy et Le Verrier, se mettent d’accord pour établir des procédures de mesure très soigneuses. Les astronomes qui observent le passage d’étoiles derrière les fils du réticule d’un instrument méridien notent le temps avec un certain délai qui dépend de leur appréciation du moment où l’image de l’étoile est intersectée par le fil et de la rapidité de leurs réflexes : c’est ce que l’on appelle l’équation personnelle. Afin d’en limiter l’effet, ils décident qu’on échangera les astronomes : Faye fait les observations à Paris, puis se rend à Greenwich pour faire les mêmes observations, tandis que l’astronome anglais Edwin Dunkin en fait de même en sens inverse. Un problème analogue se pose pour mesurer l’instant d’arrivée des signaux électriques. Chaque station envoie le signal à partir d’une batterie de piles, et il faut apprécier de l’autre côté l’instant où une aiguille aimantée commence à se mouvoir sous l’effet de l’arrivée du signal dans une bobine. Faye et Dunkin font également ces mesures d’un côté puis de l’autre. Il faut enfin tenir compte du temps de propagation du signal électrique d’un lieu à l’autre, dont on sait déjà qu’il n’est pas instantané : Charles Wheatstone avait cru trouver une vitesse de propagation de 460 000 km/s, mais en 1850, Fizeau et Gounelle avaient fait la même mesure en utilisant les conducteurs du télégraphe reliant Paris à Rouen, et avaient trouvé une vitesse comprise entre 100 000 et 180 000 km/s, ce qui est plus raisonnable6. On peut échapper à l’incertitude qui peut en résulter en faisant partir les signaux de l’une, puis de l’autre station.

Les longitudes télégraphiques

Airy et Le Verrier décident même d’inverser la polarité des piles, ce qui ne sert à rien ; mais ils ne pouvaient pas le savoir. Du 26 mai au 24 juin 1854, on fait ainsi des mesures sur environ 1 700 signaux, moitié à Greenwich et moitié à Paris. Les observations sont dépouillées indépendamment dans les deux observatoires, et on arrive à une différence de longitude de 9 m 20,63 s, soit près d’une seconde d’heure de moins que celle qui avait été établie avec les signaux à feu7. Le délai de transmission est trouvé d’environ 0,08 s. Mais, comme c’est malheureusement l’habitude à l’époque, les auteurs ne donnent aucune estimation de la précision de leur mesure. On peut aussi remarquer que les astronomes qui ont effectivement fait les mesures, Faye et Dunkin, ne sont pas signataires de l’article, toute la gloire de l’opération revenant aux directeurs des observatoires.

Triangulation et géodésie astronomique En 1856, Le Verrier et le général Blondel, le responsable de la triangulation française, décident de mesurer, grâce au télégraphe électrique, la différence de longitude entre Paris et Bourges, plus précisément entre l’Observatoire de Paris et une station située sur le plateau de Berri-Bouÿ (aujourd’hui Berry-Bouy), à une dizaine de kilomètres de Bourges. La motivation, cette fois, n’est pas astronomique mais géodésique : il s’agit de vérifier et de comprendre certaines anomalies constatées lors de la grande triangulation de la France faite de la Révolution à 1850. La triangulation est un procédé utilisé dès le début du XVIIe siècle pour mesurer de grandes distances sur la Terre. On part d’une base dont la longueur est mesurée avec la plus grande précision possible avec des règles placées bout à bout. Puis on vise à partir des deux extrémités de cette base un signal, par exemple un clocher, et l’on mesure des deux côtés l’angle entre la base et la direction de ce signal : le triangle formé par les deux extrémités de la base et le signal est entièrement déterminé, on peut calculer la longueur de ses côtés et construire à partir de lui d’autres triangles (Encadré 8.2 et Fig. 8.1). Jusqu’à la Révolution, on ne tenait pas compte de la différence d’altitude entre les trois extrémités des triangles, car cela

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aurait beaucoup compliqué les calculs. Mais lors de leur mesure de la distance entre Dunkerque et Barcelone, le long du méridien de Paris, dans le but de définir le mètre, Jean-Baptiste Joseph Delambre et Pierre-André Méchain ont mesuré l’altitude de tous leurs signaux et ont fait les corrections nécessaires pour ramener à l’horizontale leurs mesures de longueur.

Encadré 8.2. Principe de la triangulation

Figure 8.1. Principe de la triangulation.

On mesure avec des règles ou des chaînes la longueur d’une base AB (Fig. 8.1). Puis, considérant un autre point C, par exemple un clocher, on mesure les angles a et b, ce qui nécessite que la visée réciproque soit possible pour les sommets du triangle ABC. Celui-ci est alors complètement défini et on peut calculer la longueur BC, qui sert de base au triangle BCD, etc. Certains triangles sont redondants, ce qui permet des vérifications. Les erreurs de mesure s’accumulent, mais la précision sur la mesure des angles peut être excellente. Il faut en principe tenir compte de la différence relative d’altitude entre les points, en mesurant par exemple depuis A la hauteur angulaire de C par rapport à l’horizontale, définie avec un niveau à bulle ; mais cela ne sera fait systématiquement qu’à la fin du XVIIIe siècle. Des observations astronomiques permettent de connaître l’orientation par rapport au nord (l’azimut) de la base ou d’un des côtés des triangles, ce qui est nécessaire quand on veut mesurer un arc de méridien.

La triangulation permet ainsi de mesurer la longueur d’arcs à la surface du globe terrestre. Si l’on veut connaître l’orientation de ces arcs, il faut déterminer l’azimut d’un des côtés d’un triangle, c’est-à-dire l’angle entre ce côté et la direction du Nord. Ceci nécessite une connaissance précise de cette direction, ce qui ne peut se faire que par une observation astronomique, généralement celle de l’Étoile polaire. C’est le seul moment où l’astronomie intervient dans le processus. En opposition avec la triangulation, on trouve ce que l’on appelle la géodésie astronomique. Elle consiste à

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mesurer la latitude par l’observation de la hauteur d’étoiles au-dessus de l’horizon au moment de leur passage au méridien, et par le procédé que nous avons indiqué plus haut les différences de longitude. Si la Terre était sphérique, il y aurait une relation simple entre la longueur de l’arc et la différence de longitude et de latitude entre ses extrémités. Par exemple, un arc Nord-Sud de 111 km correspondrait à une différence de latitude de 1°. Mais la Terre n’est pas sphérique, et la relation entre l’angle qu’est la différence de longitude ou de latitude et l’arc correspondant dépend de sa forme (Fig. 8.2). C’est ainsi que l’on a montré au XVIIIe siècle que la Terre est aplatie, en mesurant par triangulation la longueur d’un arc de méridien sur 1° de différence de latitude déterminée par voie astronomique, au Pérou, en France et en Laponie. Complication supplémentaire, comme la longitude et la latitude font intervenir la direction de la verticale, la relation entre l’arc et l’angle est également affectée par d’éventuelles déviations locales de la gravité, dues par exemple à l’attraction d’une montagne proche : l’existence de ces déviations est connue depuis le XVIIIe siècle grâce à l’astronome anglais Nevil Maskelyne. Dès 1852, Faye avait proposé dans ce cadre un grand projet de géodésie astronomique, comportant donc des mesures systématiques de latitude et de longitude. Pour ces dernières, on utiliserait systématiquement le télégraphe électrique8 : « En annonçant à l’Académie le projet grandiose de relier, dans un même réseau électrique, les chefs-lieux de tous nos départements, M. le ministre de l’Intérieur ouvre aux sciences une voie nouvelle où elles ne peuvent manquer d’entrer. […] Je propose de déterminer, par les procédés nouveaux dont la science dispose, non seulement les longitudes, mais encore les latitudes astronomiques de tous nos chefs-lieux, et de les comparer aux coordonnées géodésiques déjà connues, afin de compléter les travaux antérieurs et de mettre en relief les irrégularités locales dont la surface du sphéroïde terrestre peut être affectée sur notre sol. […] Ces travaux, on ne les recommencera plus nulle part sur le globe, si ce n’est, peut-être, dans un intérêt purement théorique. » Le « projet grandiose » du ministre sera effectivement réalisé, mais on ne peut en dire autant du reste. Ceci ne nous

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Figure 8.2. La différence de latitude entre deux lieux est l’angle _ entre les verticales, qui sont perpendiculaires à la surface de la Terre mais ne se croisent pas en général au centre C de la Terre puisqu’elle n’est pas sphérique. L’arc sous-tendu par le même angle _ est plus long vers les pôles. L’aplatissement de la Terre est très fortement exagéré sur la figure.

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étonnera pas car les mesures sont difficiles et impliquent des moyens logistiques importants. Il faudra attendre la gravimétrie systématique et la géodésie spatiale pour bien connaître les irrégularités du géoïde. Pour l’instant, on va se contenter de quelques mesures en des points bien choisis. La motivation du projet français de géodésie astronomique est bien explicitée par ses promoteurs, Le Verrier et le général Blondel, dans leur article qui décrit les mesures à Bourges9 : « Il est de la plus haute importance de constater définitivement les anomalies locales de tous les points géodésiques principaux, d’en déterminer la grandeur et l’étendue. Outre que cette recherche est nécessaire à la connaissance des irrégularités de la surface, et de la constitution de la couche extérieure du globe, elle permettra de porter dans la détermination de la forme générale une exactitude qui autrement serait impossible. Ce n’est qu’après avoir dépouillé chacune des mesures de l’effet des perturbations locales, qu’elles pourront être employées à une détermination définitive de la forme et de la surface du globe. Le perfectionnement de la Géodésie française réclame donc aujourd’hui que des observations astronomiques en assez grand nombre et assez précises soient entreprises sur les points principaux des chaînes des triangles [de la triangulation de la France]. […] L’Observatoire impérial est surtout à même de perfectionner les méthodes astronomiques, tandis que le Dépôt de la Guerre, dont les officiers ont achevé la triangulation de la Franceb, doit, pour l’avantage de la science, rester chargé des questions de Géodésie proprement dite. »

La différence de longitude entre Paris et Bourges En dépit du soin que Delambre et Méchain ont apporté à leurs mesures de la méridienne de Paris pendant la Révolution, dans des circonstances difficiles il est vrai, leurs résultats ne sont pas sans défauts. En 1826-1827, les b

Cette triangulation est à la base de la carte de l’état-major au 1/80 000 : voir Lequeux (2008) p. 217-219.

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ingénieurs géographes du Dépôt de la Guerre remesurent par triangulation une partie de la méridienne entre Fontainebleau et Bourges, et trouvent une distance de 25 613,21 m entre Bourges et Dun-le-Roi (aujourd’hui Dun-sur-Auron, au Sud-Est de Bourges) au lieu des 25 609,23 m qu’avait obtenus Delambre10 : la différence n’est pas négligeable. En 1836, Louis Puissant découvre une erreur assez subtile dans les calculs de Delambre. Le même Puissant, analysant diverses mesures de triangulation et astronomiques, conclut que les deux parties de la France de part et d’autre du méridien de Paris appartiennent à des ellipsoïdes l’un aplati, l’autre allongé. De son côté, le colonel Broussaud déduit des observations de longitude existantes que la longueur du degré présente des variations très notables sans explication satisfaisante. Il faut donc faire de nouvelles observations. Bourges étant approximativement au centre de la France, il est logique de commencer par cette station et de la rattacher à l’Observatoire de Paris. La différence de latitude ne pose aucun problème, et il suffit donc de mesurer la différence de longitude. Les opérations se déroulent en octobre 1856. Le Verrier observe lui-même d’un côté et le commandant Rozet de l’autre, alternativement à Paris et à Bourges. Grâce à « l’empressement et la libéralité extrêmes [de] M. le Vicomte de Vougy, Directeur général de l’Administration des lignes télégraphiques », deux fils reliant la station de Paris à celle de Bourges ont été mis à la disposition des observateurs pendant les nuits : deux fils, parce que le système de télégraphe construit par Alphonse Foy et Breguet, qui est utilisé alors entre Paris et Bourges, comporte deux aiguilles orientables, le retour du courant se faisant par la terre (Fig. 8.3). Cette fois, on enregistre à Paris les signaux télégraphiques sur une bande de papier déroulante « comme dans le télégraphe Morse », bande sur laquelle des tops de temps provenant d’une pendule en temps sidéral sont également enregistrés. Pour éviter les problèmes que créent les pointes sèches du télégraphe Morse, on met en place un enregistrement électrochimique utilisant l’électrolyse d’un composé qui imbibe le papier déroulant. Ayant vérifié, en utilisant l’aller-retour du signal par les deux fils, que le temps de propagation peut être négligé (effectivement, il est de l’ordre du millième de seconde), on renonce à installer un enregistreur à Bourges et on se contente d’une synchronisation télégraphique des horloges dans le sens Bourges-Paris.

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Figure 8.3. Le récepteur du système Foy et Breguet à deux aiguilles. Chaque lettre ou signe correspond à des orientations différentes des deux aiguilles. Le code rappelle celui du télégraphe optique Chappe, car on pense que les manipulateurs auront moins de difficultés à se recycler pour utiliser le nouveau système

Les observations astronomiques du passage des étoiles sont faites à Paris avec la lunette méridienne de Gambey, et à Bourges avec une lunette méridienne portative (Fig. 8.4), également de Gambey, appartenant au Dépôt de la guerre.

Figure 8.4. Une lunette méridienne portative.

La lecture du compte rendu des observations, qui est très détaillé, donne l’impression d’un grand professionnalisme. Visiblement Le Verrier, que de mauvaises langues considéraient comme incompétent en ce qui concerne les observations, a parfaitement appris le métier d’observateur et est au courant de tous les problèmes qu’on peut y rencontrer. Les techniques les plus modernes de l’époque sont employées. Le résultat de tout ce travail, où l’on a

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aussi été amené à rattacher par triangulation l’observatoire provisoire de Berri-Bouÿ aux points géodésiques voisins de la Triangulation de la France, est qu’il y a une différence de 0,40 seconde de temps (ou 6Ɇ de degré, correspondant à 125 m) entre la détermination par triangulation de la longitude de Bourges et sa détermination astronomique. Cependant, on ne donne une fois encore aucune estimation de l’erreur sur cette quantité. L’article conclut à juste titre : « Nous ne chercherons, quant à présent, à tirer aucune conséquence de cette donnée. Il faudra multiplier les mesures avant de se livrer à une discussion utile des petits écarts qui peuvent exister entre les coordonnées astronomiques et les coordonnées géodésiques. La comparaison d’un ensemble de résultats pourra seule offrir un véritable intérêt scientifique. »

Autres mesures et nouvelles querelles En 1861, Le Verrier s’attaque à la différence de longitude entre Paris et Le Havre. Il s’agit cette fois d’installer dans ce port une horloge précise sur laquelle les navigateurs pourront régler leurs montres marines avant de partir en mer. Les procédures d’observation sont semblables à celles de Bourges ; les deux observateurs sont Le Verrier et Lepissier. Les résultats de quatre mesures effectuées du 17 au 20 novembre se tiennent dans quatre dixièmes de seconde d’heure, ce qui est satisfaisant, alors que la dispersion des mesures précédentes par signaux de feu était bien plus grande11. De 1861 à 1865, l’Observatoire de Paris va déterminer la différence de longitude télégraphique entre les principaux points du réseau trigonométrique français et Paris, et remesurer leur latitude et quelquefois l’azimut d’un côté d’un des triangles de la triangulation. Après Bourges et Le Havre, ces observations concernent Brest, Dunkerque, St. Martindu-Tertre près de Paris, Strasbourg, Nantes, Saligny-le-Vif (une autre station près de Bourges), Talmay (Côte-d’Or), Marennes, Lyon, Rodez, Carcassonne, Biarritz. Il s’y ajoute Greenwich et Madrid. Presque toutes ces mesures sont effectuées par Yvon Villarceau et ses aides, d’abord avec des instruments existants, puis à partir de 1864 avec deux cercles méridiens portatifs de Rigaud munis d’un objectif de Secrétan, qui ont « fourni des résultats qui rivalisent pour

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la précision avec ceux que fournissent les instruments fixes des observatoires permanents »12. Les résultats sont consignés dans les Annales de l’Observatoire impérial de Paris13. On décide de s’arrêter après la campagne de 1865, et Le Verrier charge Yvon Villarceau de comparer les déterminations astronomiques des longitudes et des latitudes avec les résultats de la triangulation, afin d’étudier la forme de la Terre en France. Il lui faut corriger la triangulation pour éliminer certaines erreurs indiquées par la mesure de 1827 de la méridienne de Fontainebleau. Il se pose également des questions sur la validité de l’azimut déterminé par Delambre pour orienter la méridienne de Paris, mais de nouvelles valeurs le confirment. Yvon Villarceau obtient maintenant des valeurs de l’aplatissement et du rayon équatorial de la Terre qui paraissent plus dignes de confiance que les anciennes. Cependant, des problèmes subsistent : par exemple, on rencontre à Lyon une discordance de longitude de 12Ɇ. Yvon Villarceau, dont la compétence en géodésie est reconnue par tous (ses procédures d’observation seront suivies pendant près d’un siècle), établit un théorème qui lui permet de corriger les mesures astronomiques des déviations locales de la pesanteur, le reste des problèmes étant dû aux défauts du réseau géodésique. Il conclut que « ou, la surface de la France ne peut être assimilée à un ellipsoïde de révolution, ou bien il existe dans la méridienne de Dunkerque, particulièrement au sud de Rodez, des défectuosités autres que celles dévoilées par la mesure de la méridienne de Fontainebleau. » Cependant, tout le monde ne voit pas d’un bon œil les travaux géodésiques de l’Observatoire. En guerre permanente avec Le Verrier, le Bureau des longitudes aimerait bien piloter toute l’opération. On se souvient que le décret de 1862 a donné au Bureau la possibilité de donner des avis sur les questions scientifiques relevant de sa compétence, notamment la géodésie. Il ne va pas s’en priver, créant une commission composée de Delaunay, Faye et Laugier chargée de lui faire un rapport, qui est adopté fin 1862. Ce rapport propose le programme suivant14 : – étudier l’influence des attractions locales sur la verticale, et les calculer ; – vérifier les parties douteuses de la méridienne de France ; – reprendre les déterminations de longitudes astronomiques et de gravité le long du parallèle de Paris (de Brest à Strasbourg) et du parallèle moyen (qui passe par Bourges) ;

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– comparer les étalons géodésiques des différents pays ; – « établir un concert permanent entre le Dépôt de la Guerre et le Bureau des Longitudes » ; – consacrer un établissement spécial aux études de la géodésie. Ce programme double évidemment les projets de Le Verrier, sur lequel le Bureau cherche sa revanche. Il va en trouver l’occasion dans une initiative provenant de l’étranger. Chef du service géodésique prussien en retraite, Johann Jakob Baeyer avait proposé en 1861 à son ministre de la Guerre un projet de coopération internationale en géodésie, qui avait été adopté par la Prusse et était parvenu par voie diplomatique aux différents pays de l’Europe. Dès 1862, quatorze de ces pays font connaître leur intention de participer à une organisation nommée Europäische Gradmessung, qui deviendra plus tard l’Association géodésique internationale. Le protocole est transmis à l’Académie des sciences, qui charge Faye de l’examiner. Son rapport15 est très favorable. Par ailleurs, le ministre de l’Instruction publique envoie le protocole à Le Verrier, qui s’y intéresse également, fait valoir ses mesures de longitude télégraphique et promet le concours de l’Observatoire. Mais il est aussitôt repris par Faye et Delaunay qui affirment que l’Observatoire sort de ses attributions, et que c’est au Bureau des longitudes qu’il appartient d’établir le plan des travaux de géodésie dans le cadre du projet international, en accord avec le Dépôt de la Guerre « chargé de la géodésie, comme le disait M. Le Verrier avec lequel le Dépôt de la Guerre avait depuis 1857 renoncé à toute collaboration. » Cette dernière affirmation est vraisemblable, car Le Verrier s’est passé du concours des ingénieurs-géographes du Dépôt après avoir mesuré avec eux la longitude de Bourges en octobre 1856. La controverse entre Le Verrier et Faye, donc entre l’Observatoire et le Bureau des longitudes, fait rage et remplit une fois encore de nombreuses pages des Comptes rendus de l’Académie des sciences pour 186316. Finalement, faute de moyens du côté du Bureau des longitudes, le débat s’apaise et chacun reste sur ses positions. Le Verrier et Yvon Villarceau pourront mener à bien les mesures de latitude, d’azimut et de longitude télégraphique que nous avons décrites. Selon Jean-Jacques Levallois17, ces disputes furent très salutaires à la géodésie française :

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« Elles avaient attiré l’attention des hautes autorités sur la nécessité de moderniser le réseau géodésique des IngénieursGéographes, en particulier, le Président du Bureau des Longitudes de 1860 à 1870, le Maréchal Vaillant, était alors Ministre de la Guerrec et pouvait par conséquent faire parvenir directement ses ordres au Dépôt de la Guerre. Le programme du Bureau des Longitudes traçait les lignes à suivre. Les excellents travaux de Le Verrier et [Yvon] Villarceau avaient relevé les insuffisances de la méridienne de Delambre et montré la voie pour la détermination des contrôles astronomiques du réseau géodésique. » Cependant aucune décision n’a encore été prise en 1866 en ce qui concerne la modernisation du réseau géodésique, si bien qu’Yvon Villarceau est amené à écrire le rapport mentionné en note 10, qui se termine par un vibrant plaidoyer à tonalité nationaliste en faveur d’une nouvelle mesure de la méridienne de Dunkerque à Perpignan. Nous le reproduisons dans l’Appendice 2, pièce n° 11.

La nouvelle triangulation de la France C’est le capitaine François Perrier qui va être la cheville ouvrière des nouveaux travaux géodésiques. Diplomate accompli en même temps qu’excellent observateur et organisateur, il élabore en 1869 un projet de nouvelles mesures inspiré du projet du Bureau des longitudes et du document d’Yvon Villarceau. Il le soumet à la commission géodésique du Bureau des longitudes. Cette commission vient justement de s’adjoindre Yvon Villarceau, qui a à cette époque des démêlés avec Le Verrier à propos du déplacement éventuel de l’Observatoire. Le rapport du Bureau, évidemment très favorable puisque les principes du projet en émanent, est transmis via le ministre de l’Instruction publique au ministre de la Guerre, qui est alors le maréchal Adophe Niel. Celui-ci convoque Perrier et décide, après l’avoir entendu, de passer à exécution. Voici un extrait de sa réponse au Bureau des longitudes18 : c C’est inexact : Vaillant était bien président du Bureau des longitudes, cependant il n’était plus ministre de la Guerre, mais ministre de la Maison de l’Empereur. Il conservait cependant une influence considérable dans tous les domaines.

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« J’ai l’honneur de vous informer que j’approuve bien volontiers la proposition de faire effectuer par les officiers d’État-Major du Dépôt de la Guerre, d’abord la révision des parties reconnues défectueuses de la méridienne géodésique de France et ensuite le prolongement de cette méridienne jusqu’en Algérie. » Il s’agit donc non seulement de revoir la méridienne, mais de la prolonger jusqu’à l’Algérie où une chaîne de triangles de 900 km avait déjà été mesurée en 1863, de la frontière tunisienne à la frontière marocaine. Pour cette dernière opération, le capitaine Perrier, constatant la vétusté du matériel géodésique disponible au Dépôt, avait fait construire « à ses frais » par Brunner un nouvel instrument, le cercle azimutal (Fig. 8.5), si performant qu’il sera utilisé avec quelques améliorations jusqu’en 1945, pour être alors remplacé par des théodolites à graduation sur verre. Par ailleurs, les vieilles règles de Borda utilisées jusqu’alors pour mesurer les bases sont remplacées par de nouvelles conçues par Porro et réalisées également par Brunner (Fig. 8.6). Les opérations de la méridienne commencent en 1870 ; interrompues par la guerre, elles reprennent en 1872 mais ne se termineront qu’en 1888. Ce long délai est dû au petit nombre des géodésiens qui doivent également opérer en Algérie où la triangulation se poursuit en parallèle. L’azimut de la nouvelle triangulation avait été déterminé par Yvon Villarceau lui-même en 1866, entre Saint-Martin-du-Tertre et la croix surmontant le Panthéon, qui est la station géodésique centrale de la région parisienne19.

Figure 8.5. Le cercle azimutal réitérateur de Brunner.

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Figure 8.6. L’appareil des bases de Brunner. La règle qui sert à mesurer les longueurs est placée horizontalement grâce à un niveau (au centre de la figure du haut) sur un support complexe destiné à limiter les flexions (en bas). Les graduations à l’extrémité de la règle sont repérées par des microscopes. Après la lecture, on déplace la règle de sa longueur en laissant l’un des microscopes en place, de façon à ce que ce dernier vise l’autre extrémité de la règle. On peut ainsi mesurer de proche en proche toute la base.

La prolongation de la méridienne jusqu’en Algérie, réalisée en 1879, est une opération héroïque. Il faut attendre pour la commencer que le service géographique national espagnol ait terminé sa triangulation jusqu’au Sud de la péninsule et l’ait raccordé à la triangulation française dans la région de Perpignan. Il aurait été facile de raccorder le Sud de l’Espagne à l’Algérie en passant par Gibraltar et le Maroc, mais la situation politique ne le permet pas, si bien que l’on décide de faire un raccordement direct à partir des sommets des deux pays, avec des visées de 225 à 270 km ! Faites de nuit, ces visées nécessitent de puissants projecteurs à arc alimentés par une dynamo de Gramme, elle-même actionnée par une petite machine à vapeur. On imagine la difficulté pour acheminer tout ce matériel jusqu’au sommet des montagnes, notamment celui du Mulhacen (3 841 m) dans la

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Sierra Nevada, où les conditions météorologiques sont peu clémentes. Les mesures sont excellentes malgré ces difficultés. Elles valent à leurs participants, et en particulier au capitaine Perrier, une grande renommée dans le milieu des géodésiens ainsi que des récompenses officielles. Perrier, dont ce sera la dernière campagne d’observation, accédera au grade de général mais mourra prématurément en 1888. Ces différentes opérations géodésiques seront le noyau de la nouvelle triangulation de la France qui aboutira aux cartes au 1/25 000 que connaissent bien les randonneurs.

Le développement des longitudes télégraphiques Qu’a fait l’Observatoire pendant tout ce temps ? Pas grandchose. Il semble qu’Yvon Villarceau, qui avait été un fidèle de Le Verrier jusqu’en 1866, soit provisoirement tombé en disgrâce. Rien ne se passe pendant le règne de Delaunay, qui a bien d’autres chats à fouetter que d’organiser des campagnes de géodésie astronomique. Néanmoins, dès la mort de Delaunay en 1872, le Bureau des longitudes décide la reprise des opérations de longitudes, en accord cette fois avec Le Verrier, semble-t-il. Il obtient à cet effet un budget de 12 000 francs20. Il est également question d’organiser entre l’Observatoire et le Bureau des longitudes la comparaison des règles utilisées par les différentes nations pour la mesure des bases, afin de bien raccorder entre elles leurs triangulations : visiblement les relations entre les deux institutions repartent sur un meilleur pied, et on commence à négocier une entente entre elles et le ministère de la Guerre « relative aux rapports nécessaires entre la triangulation et la géodésie astronomique ». Le service de géodésie de l’Observatoire est réorganisé et placé sous la direction d’Yvon Villarceau. Cependant, on apprend à la fin de 1873 que le ministre n’a pas accordé les 20 000 francs qui avaient été demandés pour ce service. Un des deux techniciens qui épaulent Yvon Villarceau ne donne pas satisfaction et est finalement renvoyé de l’Observatoire, et l’autre lui est retiré. Cependant Yvon Villarceau vient de mesurer avec les ingénieurs géographes militaires la longitude télégraphique de Vienne en Autriche, et un azimut fondamental

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à Labastide-du-Haut-Mont (Lot). On projette de mesurer pendant l’hiver de 1873 et le printemps suivant les longitudes télégraphiques de Marseille, d’Alger, de Toulouse et de Bregenz. Un câble transméditerranéen a en effet été posé dès 1857 entre Marseille et Alger par un navire spécialement aménagé (Fig. 8.7), ce qui devrait permettre de déterminer la différence de leurs longitudes.

Figure 8.7. L’appareil d’immersion du câble d’Algérie de 1857. Le câble est enroulé dans un récipient spécial dans la cale, et un bras rotatif permet de le diriger verticalement vers le pont, où il est guidé vers la poulie de lancement à l’arrière du bateau.

La détermination des longitudes au moyen du télégraphe suit logiquement le développement du réseau télégraphique, qui devient mondial (voir la figure en frontispice de ce chapitre). Les Anglais, qui dominent le trafic maritime et possèdent un empire colonial très étendu, sont les premiers intéressés à ce développement. Après des tentatives infructueuses, le premier câble télégraphique transatlantique est posé en 1866 par l’Anglo-American Telegraph Company, entre Valentia en Irlande et SaintJohn à Terre-Neuve, grâce au navire Great Eastern escorté par deux navires de guerre anglais. En 1870, la British Indian Telegraph Company termine la pose du câble qui assure la liaison Gibraltar-Malte-Alexandrie-AdenBombay. Les câbles sous-marins, qui avaient tendance à se rompre, se perfectionnent (Fig. 8.8) ; ici encore l’Angleterre est pionnière, car l’essentiel du gutta-percha utilisé comme isolant est produit dans ce pays. L’utilisation de ces moyens de communication reste cependant délicate et lente en raison de la faiblesse du signal électrique (il n’y a pas de répéteurs susceptibles d’amplifier le signal en cours de route). Elle nécessite l’utilisation de galvanomètres très sensibles développés par William Thomson (Lord Kelvin) (Fig. 8.9 et 8.10).

Les longitudes télégraphiques

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Figure 8.8. Différents câbles sous-marins posés entre l’Irlande et Terre-Neuve de 1858 à 1869.

Figure 8.9. Galvanomètre de William Thomson (Lord Kelvin) utilisé pour la réception des signaux télégraphiques transatlantiques. Le signal alimente une bobine au centre de laquelle se trouve un petit miroir mobile suspendu par des fils de torsion, à l’arrière duquel est collé un aimant (à droite). Le champ magnétique créé par la bobine fait tourner cet aimant. Un pinceau lumineux tombe sur le miroir et on observe la déviation du pinceau réfléchi (voir la Fig. 8.10).

Figure 8.10. La station de réception du télégraphe de Brest à Saint-Pierreet-Miquelon (1867). Un galvanomètre assez semblable à celui de la Figure 8.9 renvoie un faisceau lumineux sur une échelle graduée où l’on observe sa déviation due au signal.

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Figure 8.11. Coupe de différents câbles utilisés pour la liaison de Brest à Saint-Pierre en 1867.

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Bien entendu la France, qui a son propre empire colonial, ne peut rester indifférente à ces développements et pose dès 1867 un câble de Brest à Saint-Pierre, dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon (Fig. 8.11). Mais l’Angleterre va garder sa suprématie : à la veille de la première guerre mondiale, les Anglais avaient posé 250 000 km de câbles sous-marins, contre 145 000 pour les États-Unis, 35 000 pour la France et encore moins pour l’Allemagne21. L’Angleterre possède là non seulement un excellent moyen d’information, mais aussi un instrument de propagande. Heureusement, les problèmes politiques n’affectent pas la détermination des longitudes télégraphiques, car tout le monde y trouve son intérêt ; l’Union télégraphique internationale, créée en 1865, facilite cette détermination. La Figure 8.12 montre les lieux d’Europe dont la longitude a été déterminée jusqu’en 1881 à l’aide du télégraphe électrique.

Figure 8.12. Carte de L’Europe indiquant les lieux entre lesquels la différence de longitude a été mesurée au moyen du télégraphe électrique jusqu’à 1881. Elle est certainement incomplète pour les îles Britanniques. Le réseau américain est au moins aussi dense que celui de l’Europe.

Les longitudes télégraphiques

Comment l’Observatoire pourrait-il participer à ces campagnes avec ses moyens réduits à presque rien ? Ce n’est qu’en mai 1874 que Le Verrier trouve un petit financement qui lui permet d’envoyer un astronome à Bregenz, à Marseille et à Alger. Ce n’est pas Yvon Villarceau, mais Lœwy ! En octobre 1874, la longitude de Bregenz est mesurée par échange entre Lœwy et Theodor Egon von Oppolzer, qui observent alternativement à Paris et à Bregenz. Puis la longitude de Marseille est mesurée de la même façon par Lœwy et Stephan, qui mesurent également la différence de longitude entre Marseille et Alger. Pour vérification, la différence directe de longitude entre Alger et Paris est mesurée par Lœwy et Perrier, donc en accord avec le Dépôt de la Guerre. Lœwy est nommé fin 1874 « chef du Service spécial des longitudes et latitudes terrestres », Yvon Villarceau étant sur la touche. Surchargé de travail car il dirige toujours en fait les observations astrométriques et doit en plus rédiger la Connaissance des temps pour le Bureau des longitudes, Lœwy n’obtiendra pour toute reconnaissance que les paroles suivantes que Le Verrier a prononcées devant le Conseil le 11 novembre 1875 : « Le service [méridien] a doublé en étendue et gagné en exactitude absolue depuis que M. Lœwy a cessé d’y prendre part [pour faire ses mesures de géodésie astronomique]. » Cependant, le directeur de l’Observatoire – ou le Conseil – a des remords à propos d’Yvon Villarceau : en septembre 1875, Le Verrier souhaite le voir à nouveau « prendre une part active aux travaux de l’Observatoire ». Il veut lui confier une nouvelle mesure de la constante de l’aberration, que l’on combinerait avec celle de la vitesse de la lumière qu’a faite Cornu pour obtenir une détermination plus précise des dimensions de l’orbite terrestre. Cette proposition ne semble guère plaire à Yvon Villarceau, qui désirerait surtout réorganiser un service géodésique dont il serait chargé. Devant le flou de la situation, il s’adresse au ministre, de même d’ailleurs que Lœwy, pour obtenir des instructions sur ce qu’il doit faire. Finalement Le Verrier met à sa disposition l’équatorial de l’Ouest pour ses travaux personnels ; quant au service des longitudes et latitudes terrestres de Lœwy, il n’a plus rien à faire et disparaît de lui-même. C’est la fin de la géodésie à l’Observatoire et la séparation définitive de l’astronomie et de la géodésie en

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France : l’Observatoire réalisera encore quelques déterminations de longitudes télégraphiques, mais la triangulation et la géodésie astronomique seront désormais entièrement le fait du Service géographique des Armées, qui deviendra en 1940 l’Institut géographique national.

Chapitre 9 Le Verrier et la météorologie

Les instruments météorologiques sur la terrasse de l’Observatoire de Paris.

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Le Verrier s’est autant intéressé à la météorologie qu’à la mécanique céleste, et c’est dans ce domaine qu’il a pu pleinement mettre à profit ses talents d’organisateur malgré des difficultés de tous ordres, y compris celles qu’a créées le manque de souplesse de son caractère. Dès son arrivée à l’Observatoire en 1854, il commence à mettre sur pied une organisation qui est l’embryon de Météo-France. La grande nouveauté, c’est qu’il est devenu possible grâce à ce service de prévoir effectivement le temps, ce qui avait été envisagé bien avant Le Verrier mais qui n’avait jamais été réalisé à grande échelle. Voyons d’abord quelle était la situation à son arrivée.

Les précurseurs1 Les instruments de la météorologie Depuis toujours, l’homme a examiné et tenté de prévoir le temps. Cependant, la météorologie n’est devenue une science que lorsqu’on a disposé d’instruments de mesure fiables, reproductibles et facilement utilisables2 : – l’anémomètre, inventé par Leon Battista Alberti en 1450, et réinventé par Robert Hooke vers 1687 ; l’anémomètre à coupelles utilisé aujourd’hui est inventé en 1846 par l’astronome irlandais Thomas Robinson ; – le thermomètre gradué est dû à Daniel Gabriel Fahrenheit, 1717, puis à Antoine Ferchault de Réaumur, 1730 ; auparavant, les thermomètres ne comportaient pas de graduations ; – le premier baromètre gradué de haute qualité est celui de Nicolas Fortin en 1800 ; le baromètre anéroïde métallique est inventé en 1843 par Lucien Vidie ; – l’hygromètre à cheveu a été inventé vers 1776-1781 par Horace Bénédict de Saussure ; pour les mesures précises, il est remplacé à partir de 1825 par le psychromètre du Prussien Ernst Ferdinand August (1825), perfectionné par Victor Regnault (1845) ; – le pluviomètre est le plus simple de tous ces instruments, ce qui n’a pas empêché de le perfectionner à de nombreuses reprises. Le plus souvent, les météorologistes se contentent jusqu’au milieu du XIXe siècle, notamment à l’Observatoire de Paris, de faire avec ces instruments un ou plusieurs

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relevés par jour, et d’en établir des moyennes mensuelles et annuelles.

Premières tentatives d’observations simultanées et de prévision Cependant, certains savants réalisent très tôt qu’il serait intéressant pour prévoir le temps de comparer des observations météorologiques faites au même moment en différents lieux. Les premières observations concertées de la pression atmosphérique sont réalisées entre 1649 et 1651 à Paris, Clermont-Ferrand et Stockholm à l’instigation de René Descartes et du père Marin Mersenne : Mersenne observe à Paris, Blaise Pascal et son aide Périer à ClermontFerrand et Descartes à Stockholm. D’autres tentatives ont lieu en Angleterre et en Allemagne. Le premier réseau météorologique international est créé à Florence à partir de 1653 par Ferdinand II, grand-duc de Toscane, et pris en charge en 1657 par l’Academia del Cimento qu’il fonde cette année-là. Ce réseau comprend sept villes d’Italie auxquelles s’ajoutent Innsbruck, Osnabrück, Paris et Varsovie. Il ne survit cependant pas à la dissolution de l’Académie en 1667. Des tentatives allemandes et anglaises ultérieures sont encore plus éphémères ou ne débouchent sur rien de concret. En France, la création d’un réseau national est suscitée par les médecins sous l’impulsion de l’un d’eux, PaulJacques Malouin, qui pense, comme beaucoup de ses collègues, que le temps affecte l’évolution de certaines maladies, notamment épidémiques3. À sa demande, Louis Cotte, curé de Montmorency et ami de Jean-Jacques Rousseau, auteur d’un Traité de météorologie publié en 1774 et de Mémoires sur la météorologie de 17884, met en place un tel réseau dès 1765. Ce réseau est repris plus officiellement par la Société royale de médecine créée en 1776, dont Cotte est d’ailleurs secrétaire ; de nombreux médecins font des relevés trois fois par jour et les lui envoient. Le réseau, qui compte jusqu’à 206 stations à certaines époques, s’étend aux Pays-Bas où la Société de médecine de La Haye collabore au projet, à divers pays européens et même à l’Amérique. Il fonctionne de 1776 à 1792, mais ses résultats sombrent dans l’oubli à la Révolution et ne seront exploités qu’à partir de 1965 pour étudier les climats du passé, notamment par Jean Meyer et Emmanuel Le Roy

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Ladurie. En parallèle, la Société royale d’agriculture fondée en 1761 réunit les observations de nombreux correspondants et publie des travaux sur le temps et son influence sur l’agriculture. À l’étranger, il faut mentionner la Societa Meteorologica Palatina créée en 1780 à Mannheim par Karl Theodor, électeur du Palatinat. Elle fournit des appareils de mesure à cinquante-sept institutions réparties en Europe et en Amérique du Nord et collationne leurs observations. Mais elle disparaît en 1792. Bien entendu, les résultats de ces mesures, qui ne concernent que la température et, qualitativement, quelques autres paramètres, mettent du temps à parvenir à ceux qui les exploitent et ne peuvent que décrire une situation météorologique passée. Ils ne peuvent donc être utilisés qu’à des fins statistiques. Il semble que ce soit le chevalier Charles de Borda, physicien génial bien connu pour ses contributions à la géodésie, qui ait été le premier en France à rapprocher des observations barométriques effectuées simultanément en divers lieux pour en tirer des conclusions générales. Avec son ami Étienne-Nicolas Blondeau, il fait observer en 1777 ou 1778 pendant deux semaines, aux mêmes jours et aux mêmes heures, des baromètres placés aux extrémités de la France : Brest, Paris, Strasbourg et probablement Lorient et Rochefort. Ses conclusions sont rapportées par Antoine Lavoisier5 : « 1° Le baromètre ne varie pas à la fois dans tous les points d’une grande étendue, mais successivement. 2° Les variations ont successivement lieu en différents endroits suivant la direction du vent, de sorte, par exemple, que, par un vent d’ouest, le baromètre variait d’abord à Brest, le lendemain à Paris, et deux jours après à Strasbourg. 3° Les variations ne repassent pas toujours par les mêmes lieux pour revenir à l’équilibre, mais souvent par des routes plus ou moins détournées. 4° Il y a une correspondance telle entre la force, la direction des vents et les variations du baromètre faites dans un grand nombre de lieux éloignés les uns des autres, qu’étant donné deux de ces trois éléments on pourrait souvent conclure l’autre. 5° Les colonnes d’air qui composent l’atmosphère sont dans un état d’oscillation continuelle ; tantôt elles sont plus élevées dans un point, tantôt moins élevées ; et elles n’arrivent à un état de repos qu’après des espèces d’oscillations.

Le Verrier et la météorologie

Et Lavoisier ajoute : […] Frappé de l’importance des résultats qu’on pourrait obtenir en suivant le même plan, [Borda] témoigna à quelques membres de l’Académie du désir qu’il avait d’entreprendre en société un travail suivi sur cet objet, et je m’offris de le seconder dans cette entreprise intéressante, ou plutôt de suivre sous lui le plan qu’il avait formé. » Malheureusement l’Académie des sciences ne manifeste guère d’intérêt pour ce programme, qui ne se réalise donc pas. Seul Lavoisier, qui, avant son exécution, travaillera d’ailleurs avec Borda à la définition du mètre et préparera avec lui le matériel nécessaire à la mesure de la méridienne de Paris, continue à s’y intéresser. Il avait déjà écrit en 1765 des Règles pour prédire le changement de temps d’après les variations du baromètre6 : « L’élévation du mercure dans le baromètre annonce en général le beau temps ; sa chute au contraire annonce le mauvais temps, la pluie, la neige, le vent et la tempête. [etc.] » et il conclut : « […] La prédiction des changements qui doivent arriver au temps est un art qui a ses principes et ses règles, qui exige une grande expérience et l’attention d’un physicien très-exercé ; […] les données nécessaires pour cet art sont : l’observation habituelle et journalière des variations de la hauteur du mercure dans le baromètre, la force et la direction des vents à différentes élévations, l’état hygrométrique de l’air. Avec toutes ces données, il est presque toujours possible de prévoir un ou deux jours à l’avance, avec une assez grande probabilité, le temps qu’il doit faire ; on pense même qu’il ne serait pas impossible de publier tous les matins un journal de prédictions qui serait d’une grande utilité pour la société. » La tourmente révolutionnaire fait oublier la météorologie, qui revient à la situation des années 1760, où l’on se contentait d’accumuler les observations. Le seul successeur immédiat de Lavoisier en France est Jean-Baptiste Lamarck, qui publie de 1799 à 1820 un Annuaire météorologique dans l’indifférence générale ; il a même gagné le mépris de Napoléon qui l’aurait sommé d’arrêter sa publication, lui disant7 : « C’est votre absurde météorologie.

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[…] Cet Annuaire qui déshonore vos vieux jours. » Bien qu’il accorde à la Lune une influence sur le temps qui sera mise à mal par Arago8, avec un succès d’ailleurs modéré puisque beaucoup de gens y croient encore, l’Annuaire de Lamarck contient beaucoup de choses intéressantes : on y trouve en particulier, en 1807, un projet détaillé de Bureau central météorologique, qui ne verra le jour sous ce même nom qu’en 1878. Un successeur plus lointain de Lavoisier est l’ingénieur des Ponts et Chaussées Pierre Morin, qui écrit en 1829 ces lignes prémonitoires de la prévision numérique, bien qu’exagérément optimistes puisque cette prévision n’a été réalisée que dans la deuxième moitié du siècle dernier et ne s’étend pas sur plus d’une semaine9 : « On pourrait arriver à des équations dont les coefficients numériques donneraient une approximation pour prédire avec détails les phénomènes atmosphériques plusieurs jours à l’avance, ou les saisons plusieurs années à l’avance. » Il manque, pour faire des prévisions, un élément essentiel : la transmission rapide en un même lieu des mesures effectuées sur tout le territoire. Le télégraphe de Claude Chappe aurait pu la réaliser car, par exemple, une dépêche ne met que 8 minutes à aller de Brest à Paris (quand il fait beau). Lors de la présentation du télégraphe en 1793 à l’Assemblée constituante par le député Gilbert Romme, celui-ci, reprenant d’ailleurs une idée de Lavoisier, mentionne qu’il ouvre « la possibilité de prévoir les tempêtes et d’en donner avis aux ports ou aux cultivateurs. » Chappe propose aussi à Bonaparte, un peu plus tard, de l’ouvrir aux particuliers et au monde des affaires, et de l’utiliser pour diffuser des journaux, mais sans succès : seul le gouvernement et l’armée auront le droit de se servir du télégraphe. Tout va donc stagner jusqu’à la moitié du XIXe siècle, d’autant plus qu’Arago, qui avait pourtant réorganisé les observations à l’Observatoire et écrit de très nombreuses pages sur les phénomènes météorologiques dans l’Annuaire du Bureau des longitudes, avait déclaré haut et fort10 : « Jamais une parole sortie de ma bouche, ni dans l’intimité, ni dans les cours que j’ai professés pendant quarante années, jamais une ligne publiée avec mon assentiment, n’ont autorisé personne à me prêter la pensée qu’il serait possible, dans l’état de nos connaissances, d’annoncer avec quelque certitude le temps qu’il fera une année, un mois, une semaine, je dirai même un seul jour d’avance. »

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La Société météorologique de France Ce n’est qu’en 1852 que les choses vont à nouveau bouger, avec la création de la Société météorologique de France par deux ingénieurs des Mines passionnés de météorologie, Émilien Renou et Charles Sainte-Claire Deville (Fig. 9.1) ; ce dernier est le frère aîné du célèbre chimiste Henri Sainte-Claire Deville. Les autres membres fondateurs en sont Antoine d’Abbadie, un voyageur fortuné qui avait exploré l’Éthiopie, le physicien Auguste Bravais, et trois membres de la Société des sciences naturelles de la Seine et Oise, Ad. Bérigny, J. Haeghens et Martins. Ils lancent un Annuaire de la Société météorologique de la France, « destiné à recevoir chaque année les observations que des savants pleins de zèle et de désintéressement rassemblent en divers points de la France ». Voici quelques extraits de la circulaire qu’ils envoient au monde savant le 17 août 1852 pour annoncer la fondation de la Société11 : « L’agriculture, qui est la base de toute richesse, est essentiellement tributaire de la Météorologie. […] L’observation attentive […] a déjà, dans une foule de circonstances, conduit aux résultats les plus importants pour la pratique : et pour n’en citer qu’un exemple, on sait que la Commission hydrométrique de Lyon, après quelques années d’études, a pu, non seulement annoncer plusieurs jours à l’avance les crues de la Saône, mais encore prédire avec une exactitude remarquable la hauteur qu’atteindraient les eaux du fleuve. Si l’on réfléchit à la prodigieuse rapidité qu’acquièrent de jour en jour les communications, il est facile de prévoir les immenses services que de pareils avertissements sont destinés à rendre désormais à l’agriculture et à l’industrie. Mais ces bienfaits de la science ne se restreindront plus aux limites d’une contrée. Avant peu, l’Europe entière sera sillonnée de fils métalliques qui feront disparaître les distances et permettront de signaler, à mesure qu’ils se produiront, les phénomènes atmosphériques et d’en prévoir ainsi les conséquences les plus éloignées. […] Plusieurs amis des sciences physiques et naturelles, auxquels les rédacteurs de l’Annuaire se sont immédiatement empressés d’offrir leur concours, ont songé à la création d’une Société météorologique, centre commun où viendraient se coordonner tous les faits bien observés, et qui servirait en même temps de lien à tous les savants qui se livrent aux patientes recherches de la Météorologie. »

Figure 9.1. Charles SainteClaire Deville (1814-1876).

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Figure 9.2. Adolphe Quetelet (1796-1874). Directeur de l’Observatoire de Bruxelles, il a joué un grand rôle dans le développement de la météorologie.

La première séance de la nouvelle société, le 14 décembre 1852, est un grand succès : elle admet environ 150 savants, dont 20 membres de l’Institut. On trouve parmi les membres beaucoup de savants français et étrangers, l’administrateur en chef des télégraphes Alphonse Foy et ses homologues autrichien et italien, et aussi les directeurs des Observatoires de Bruxelles (Adolphe Quetelet ; Fig. 9.2), de Genève (Plantamour), d’Urbino (Serpieri), etc., mais pas Le Verrier. Auguste Bravais est élu président, Sainte-Claire Deville et Haeghens secrétaires, et on décide la publication de l’Annuaire qui avait été envisagé. En 1855, Renou rédige et publie les Instructions météorologiques destinées à servir de guide aux observateurs de France, qui rempliront effectivement ce rôle pendant un quart de siècle. Mais la Société se contentera de collationner des observations et de faire des statistiques, sans faire de véritables prévisions. Voici donc le contexte que va devoir affronter Le Verrier dans ses œuvres météorologiques, et l’on devine qu’il y aura des frictions.

À l’étranger En outre, on est loin d’être inactif hors de France. Des instituts météorologiques sont créés en 1847 en Prusse à l’initiative de Humboldt, en 1850 en Angleterre, en 1851 en Autriche, enfin en 1854 aux Pays-Bas et en Angleterre, confiés respectivement à Christophorus Hendrik BuysBallot (encadré 9.1), et à l’amiral Robert FitzRoy (souvent orthographié Fitz-Roy ; encadré 9.2). Buys-Ballot et FitzRoy joueront tous deux un rôle important dans la météorologie mondiale. Contrairement à Le Verrier qui sera avant tout un organisateur, ils essaient de comprendre, comme leurs collègues américains, la physique des mouvements de l’atmosphère. La Figure 9.5 montre un dessin de FitzRoy qui commence à ressembler à ce que nous montrent aujourd’hui les images satellitaires.

Figure 9.3. Christophorus Hendrik Buys-Ballot (1817-1890).

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Encadré 9.1. Christophorus Henrix Buys-Ballot (1817-1890) Fils d’un pasteur de l’église réformée, Buys-Ballot reçoit un doctorat en 1844 et enseigne la minéralogie et la géologie, puis la chimie à Utrecht. En 1847 il est nommé professeur de mathématiques, puis de physique à partir de 1867. Il est surtout connu pour son activité en météorologie : en 1854, il fonde l’Institut météorologique royal hollandais, dont il restera directeur jusqu’à sa mort. En 1860, cet institut se voit confier un service de prévision des tempêtes. Les prévisions utilisent la différence de pression entre différents points de Hollande, et se basent sur une loi découverte par Buys-Ballot en 1857 : si un observateur dans l’hémisphère Nord tourne le dos au vent, une zone de basse pression se trouve à sa gauche. La règle est la suivante : si la pression est au moins 4 mm plus haute à Maastricht, au Sud des Pays-Bas, qu’à Groningen au Nord, il faut s’attendre à une tempête venant de l’Ouest. Buys-Ballot préside le premier Comité météorologique international créé en 1873. Assez curieusement, il n’a fait aucune contribution importante à la théorie de la météorologie malgré sa formation de physicien, contrairement à plusieurs météorologistes américains comme William Ferrel.

Figure 9.4. L’amiral Robert FitzRoy (1805-1865).

Figure 9.5. Modèle d’interaction des masses d’air, par FitzRoy (1863).

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Encadré 9.2. L’amiral Robert FitzRoy (1805-1865) Officier de la marine britannique, FitzRoy commande le célèbre navire Beagle lors d’expéditions en Patagonie, dans le détroit de Magellan, au Chili, au Pérou et aux îles Galapagos ; Charles Darwin est le naturaliste de l’expédition de 1831 à 1836. Il est gouverneur de la Nouvelle-Zélande de 1843 à 1845, et devient chef du nouveau département de météorologie du Board of Trade en 1854. Il est un des premiers à échanger avec l’étranger des données météorologiques, et il publie quotidiennement ces données à partir de 1860. Il organise un système d’avertissement aux marins pour les tempêtes qui rencontre un vif succès auprès des intéressés, aussi bien en France qu’en Angleterre. Mais beaucoup de savants anglais considèrent qu’il est prématuré de diffuser des prévisions météorologiques, et les relations de FitzRoy avec ses collègues deviennent difficiles, d’autant plus qu’il développe à la fin de sa vie des théories fantaisistes sur l’effet de la Lune sur l’atmosphère. Il se suicide le 30 avril 1865 juste après une visite de Matthew F. Maury, le célèbre météorologiste et océanographe américain.

Les États-Unis s’intéressent aussi très activement à la météorologie, et ceci dès leur création puisque George Washington a tenu un journal météorologique jusqu’au jour même de son décès, ainsi que Thomas Jefferson, le troisième président. Le gouvernement appointe un météorologiste officiel, qui est initialement James Pollard Espy ; ce dernier explique en 1830 la formation des cumulus par convection de l’air humide et établit les premières cartes synoptiques du temps, en même temps que son compatriote Elias Loomis. En 1831, William Charles Redfield découvre que les cyclones tropicaux sont des tourbillons tournant dans le sens direct (dans l’hémisphère Nord). Espy reprend la question en 1841, puis Buys-Ballot en 1860, en utilisant le théorème fondamental formulé par Coriolis en 1835 : l’accélération qui porte son nom, due

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à la rotation de la Terre, régit en effet la circulation des vents. C’est aussi aux États-Unis que l’on utilise pour la première fois le télégraphe électrique de Morse, mis en service en 1845, pour transmettre des informations météorologiques. Les opérateurs du télégraphe constatent bientôt qu’ils peuvent prédire le changement de temps en observant les conditions météorologiques plus à l’ouest. Le physicien Joseph Henry, auteur de célèbres travaux sur l’induction électromagnétique, propose en 1847 d’utiliser systématiquement le télégraphe pour « alerter les observateurs situés le plus au Nord et à l’Est, afin qu’ils soient à surveiller l’approche d’une tempête. » Son vœu se concrétise en 1849 : 150 postes fonctionnent déjà à la fin de cette année. Au moment de l’inauguration du télégraphe de Morse aux États-Unis, l’Angleterre possède déjà plusieurs centaines de kilomètres de lignes télégraphiques ; elles sont vite utilisées pour transmettre des informations, et en 1849 le Daily News fait paraître chaque jour le bulletin météorologique de trente stations. La France est très en retard car rien de ce genre n’y est fait, bien que la première ligne télégraphique ait été ouverte en 1845 entre Paris et Rouen. Il nous faut aussi mentionner la présence aux ÉtatsUnis d’un remarquable météorologiste, Matthew Fontaine Maury (Fig. 9.6), directeur de l’Observatoire naval de Washington. Maury est le véritable fondateur de la météorologie maritime. C’est lui qui, ayant étudié les vents au-dessus de l’océan Atlantique et de l’océan Pacifique, a recommandé aux navigateurs des routes qui leur ont permis, dans les deux cas, de gagner une vingtaine de jours dans la traversée. Maury est aussi l’initiateur de la première conférence météorologique internationale, réunie à Bruxelles en août 1853. Présidée par Quetelet, c’est une réunion modeste à laquelle participent dix pays, représentés seulement par douze personnes, essentiellement des officiers de marine, dont pour la France l’ingénieur hydrographe de la Marine A. Delamarche. La Conférence recommande aux marins de tous les pays de faire en mer des observations dont elle donne le détail, suivant d’ailleurs en cela Arago qui avait fait des recommandations semblables pour les observations à faire par la marine française12. À la suite, le ministre de la Marine impériale décide que tous les navires de guerre français effectueront des observations météorologiques, et invite les capitaines des navires marchands à coopérer.

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Figure 9.6. Matthew Fontaine Maury (1806-1873).

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Les projets de Le Verrier Dans son grand projet d’organisation de décembre 1854 pour l’Observatoire, Le Verrier constate l’insuffisance de la météorologie en France, mais oublie la Société météorologique pourtant créée deux ans auparavant13 : « De tous les établissement scientifiques que possède l’État, les observatoires de Paris et de Marseille sont les seuls où il soit fait des observations météorologiques de manière constante. A Marseille, on observe six fois par jour. […] À Paris, on n’avait jamais observé que quatre fois par jour : à 9 heures du matin, midi, 3 heures et 9 heures du soir. Depuis le mois de novembre dernier, nous avons ajouté des observations à 6 heures du soir et à minuit. […] Il faut le dire cependant, la nation française a l’esprit éminemment scientifique [!], et de louables efforts sont faits dans nos départements par quelques particuliers, qui s’efforcent de suppléer par leur zèle à l’insuffisance des établissements de l’État. […] Mais la plupart des instruments qui ont servi à [leurs] séries [d’observations] ne sont pas connus ; beaucoup d’observateurs n’ont pu se procurer des stations convenables pour leurs instruments, ce qui fait peser une incertitude sur plusieurs séries, faites pourtant avec tant de dévouement à la science. » Le Verrier en vient maintenant à la prévision du temps : « Le baromètre par ses variations annonce au navigateur l’approche de la tempête, l’avertissant ainsi, s’il est près d’une côte dangereuse, de s’en éloigner ou de se réfugier dans les ports qu’elle peut lui offrir. […] Et cependant les indications déduites des observations isolées du baromètre ont peu d’importance comparativement à celles que l’on peut obtenir par l’examen simultané de tous les instruments météorologiques, dont plusieurs ont été encore si peu observés. De bonnes séries de recherche feront mieux connaître les pronostics que l’on peut tirer de ces observations combinées avec celles de l’aspect du ciel. Par la liaison, au moyen du télégraphe électrique, des diverses stations où se font des observations météorologiques, on pourra connaître à chaque instant le sens et la vitesse de propagation des tempêtes, et l’on pourra annoncer plusieurs heures à l’avance, sur nos côtes, la plupart des coups de vent,

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et spécialement les plus dangereux. […] Déjà aux États-Unis des coups de vent ont été signalés à diverses reprises. » Puis il annonce ses projets : « 1° Pourvoir l’Observatoire de Paris d’instruments étalons ; 2° Organiser, dans cet établissement, un système complet d’observations météorologiques et magnétiques régulières ; 3° S’attacher à faire un journal météorologique, aussi complet que possible, pour les phénomènes accidentels ; 4° Établir des relations avec les divers observatoires particuliers en France, et avec quelques-uns des principaux établissements étrangers ; favoriser l’institution de nouvelles stations météorologiques ; vérifier leurs instruments ; publier des instructions sur le choix de l’exposition des thermomètres, hygromètres, etc. ; 5° Publier chaque jour, dans les journaux, les observations de Paris et des principales stations de France, observations qui seraient transmises à l’Observatoire par le télégraphe électrique ; 6° Présenter à la fin de l’année, dans une publication générale, le résumé de toutes les observations, et la discussion à laquelle elles auront donné lieu ; 7° Discuter les observations antérieurement faites à Paris et s’occuper de réunir des documents sur tout ce qui a été fait en France. » Ce programme, qui est à l’évidence mûrement réfléchi mais encore modeste, sera amplement réalisé. Le Verrier ira bien au delà, puisque l’Observatoire va devenir un centre européen de prévisions météorologiques. Voici comment cela se produit.

La tempête de novembre 1854 sur la mer Noire Alors que le port de Sébastopol est bloqué par les flottes alliées de la France, de l’Angleterre, du Piémont et de la Turquie en guerre contre la Russie, une très forte tempête fait sombrer le 14 novembre 1854 38 navires de la coalition, dont le vaisseau français le Henri IV. Ce désastre, qui fait évidemment grande impression, fournit l’occasion rêvée

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pour Le Verrier de lancer son projet de météorologie télégraphique. Il présente le 31 décembre 1855 à l’Académie des sciences une étude de Liais sur ce phénomène météorologique, en écrivant14 : « On n’a pas oublié l’ouragan qui, le 14 novembre 1854, causa de nombreux sinistres dans la mer Noire et amena la perte du vaisseau le Henri IV. Le même jour, ou à un jour d’intervalle suivant les localités, des coups de vent éclataient dans l’ouest de l’Europe, sur l’Autriche et sur l’Algérie. Le phénomène semblait donc s’être étendu sur une immense surface. Cette circonstance remarquable attira l’attention de notre illustre confrère M. le Maréchal Vaillant, Ministre de la Guerre, qui voulut bien m’écrire en m’invitant à entreprendre l’étude des conditions dans lesquelles s’était produit le phénomène, et en nous assurant de son concours. Pour nous mettre en mesure de répondre aux intentions de M. le Maréchal, j’adressai une circulaire aux astronomes et aux météorologistes de tous les pays, les priant de me transmettre les renseignements qu’ils auraient pu recueillir sur l’état de l’atmosphère pendant les journées des 12, 13, 14, 15 et 16 novembre 1854. […] En réponse à cette circulaire, l’Observatoire a reçu plus de deux cent cinquante documents [provenant d’Angleterre, de Belgique, de Hollande, de Prusse, d’Autriche, de Suède, etc., et même des Indes et de colonies françaises]. Nous avons confié la discussion de tous ces documents au chef de la division météorologique de l’Observatoire, M. Liais, et c’est de son excellent travail que nous allons maintenant rendre compte. » De ces données, Liais conclut qu’il y a eu deux « tempêtes » (nous dirions aujourd’hui : perturbations) successives qui se sont déplacées d’Ouest en Est. Il remarque que la direction du vent n’a pas de relation directe avec celle de la marche de la perturbation, et que les variations du baromètre suivent des « ondes » ou « vagues atmosphériques » qui traversent l’Europe, le passage d’une dépression étant rapidement suivi d’un coup de vent et de précipitations. Commentant cette étude devant l’Académie des sciences, Le Verrier conclut : « En présence de phénomènes aussi étendus, et devant la généralité desquels disparaissent les petites actions locales, on peut sans doute espérer qu’il sera possible de soumettre à

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l’analyse les principales circonstances de la transmission, et je vois avec plaisir M. Cauchya faire un geste d’assentiment. Mais, avant d’attaquer mathématiquement cette étude, il faut d’abord bien connaître les conditions du phénomène, et, pour cela, multiplier encore les observations déjà nombreuses. On se demande enfin, en voyant cette transmission régulière de la tempête de novembre, si la présence d’un télégraphe électrique, entre Vienne et la Crimée, n’eût pas pu servir à prévenir nos armées et nos flottes. En apprenant, à Vienne, que la tempête avait sévi à telle heure sur les côtes de France, à telle heure à Paris, à telle heure à Munich, et toujours en augmentant d’intensité, ne pouvait-on prévoir qu’elle allait atteindre la mer Noire ?15 Nous ne nous dissimulons pas qu’on rencontrera de grandes difficultés pratiques pour arriver à des résultats de cette importance ; mais on pourra sans doute parvenir à les lever. L’Observatoire s’en occupe, et prochainement je pourrai soumettre à l’Académie les premières mesures qui auront été prises pour faire progresser cette question. » En effet, Le Verrier avait soumis à l’Empereur le 16 février 1855 le projet d’un vaste réseau de météorologie « destiné à avertir les marins de l’arrivée des tempêtes »16 : « Ce projet, très-complet, reçoit la haute approbation de Sa Majesté, et dès le lendemain, 17 février, nous sommes, M. de Vougy, Directeur général des Lignes télégraphiques, et moi, autorisés à entreprendre et à poursuivre l’organisation projetée. » Or, la veille, la Sémillante, navire de guerre en partance pour la Crimée avec 700 soldats à bord, avait été jetée par la tempête sur les îles Lavezzi, près du détroit de Bonifacio entre la Corse et la Sardaigne ; il n’y eut aucun rescapé. Ce fait est-il connu de Napoléon III le lendemain ? En tout cas, il ne peut manquer d’accélérer la création d’un réseau météorologique français.

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Alors âgé de 65 ans, Augustin Cauchy, qui a rempli de calculs de très nombreuses pages des Comptes rendus de l’Académie, était un mathématicien très respecté. On voit que Le Verrier, qui ne connaissait probablement pas les idées prémonitoires de Pierre Morin, pense déjà à la possibilité d’une prévision numérique du temps.

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L’organisation du réseau météorologique Les débuts Les projets de Le Verrier sont rendus possible par l’ouverture au public des lignes télégraphiques. En effet, Napoléon III, lorsqu’il était encore président de la République, s’était montré soucieux de favoriser le commerce et l’industrie en leur ouvrant ce nouvel outil de communication ; décidée en novembre 1850, l’ouverture de la télégraphie devient effective le 1er avril 1851. Les circonstances dramatiques que nous avons mentionnées, jointes aux bonnes relations que Le Verrier a nouées avec l’administration des télégraphes, font que le démarrage est très rapide. Le 19 février 1855, trois jours seulement après l’adoption de son projet par l’Empereur, Le Verrier peut montrer à l’Académie l’après-midi une carte de l’« état atmosphérique » de la France obtenue le jour même à 10 heures du matin. Le lendemain 20 février 1855, le ministre de l’Instruction publique, Hippolyte Fortoul, présente à l’Empereur un plan d’amélioration de la situation de l’Observatoire, afin d’y placer l’administration du projet. Le Verrier désigne Léon Foucault, qui vient justement d’être nommé ce jour-là Physicien de l’Observatoire (la coïncidence des dates n’est sans doute pas un hasard), pour y diriger la météorologie. Mais Foucault n’a aucun goût pour ce travail, qui continuera donc à être effectué par Liais. Le mois suivant, Le Verrier peut écrire à Humboldt, qui lui aussi pense « qu’une prompte connaissance de la simultanéité des variations météorologiques, favorisée par la rapidité des télégraphes électriques, peut dans certains cas devenir trèsutile », que son vœu est exaucé17 : « La construction des cartes atmosphériques, au moyen des renseignements recueillis par l’Administration des Lignes télégraphiques […] n’était qu’un premier essai, à la suite duquel il a été résolu qu’un assez grand nombre de stations météorologiques déjà choisies, établies par les soins de l’Administration et pourvues d’instruments précis, seront installées et transmettront chaque jour leurs observations.

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Ces stations, ajoutées à celles établies par d’honorables savants auxquels nous rendons la justice qu’ils méritent, compléteront un réseau météorologique respectable et susceptible de rendre de très-grands services. L’organisation des colonies et celle des études en mer viendront aussitôt après. » Le développement du réseau météorologique suit de près celui du télégraphe, qui à la fin de 1855 réunit à Paris presque toutes les préfectures des départements (Fig. 9.7). La répartition des tâches est ainsi définie en juin 185618 : « […] il fut convenu avec M. le directeur général De Vougy, que l’Administration des lignes télégraphiques ferait recueillir les observations par ses agents et les ferait transmettre à l’Observatoire impérial de Paris, partie par le télégraphe, partie par la poste ; tandis que de son côté, l’Observatoire fournirait les instruments et les instructions, réduirait les observations et les ferait publier. »

Figure 9.7. Une salle des opérateurs télégraphiques à Paris dans les années 1860-1870.

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En 1856, il y a vingt-quatre stations météorologiques « réparties entre les divers bassins du Rhin, de la Seine, de la Loire, de la Gironde et du Rhône, de manière à faire connaître le mieux possible l’ensemble de l’état atmosphérique de chacun de ces cinq grands bassins. Treize de ces stations transmettent par le télégraphe une observation faite à l’ouverture du bureau. […] Les onze autres […] correspondent par la poste [pour ne pas surcharger le trafic du télégraphe]. » Ce sont donc les télégraphistes qui trois fois par jour, à l’ouverture du bureau, à 3 heures de l’après-midi et à 9 heures du soir, relèvent les instruments, qui ont été calibrés à l’Observatoire par comparaison avec des instruments étalons, et envoient les résultats à l’Observatoire. Ces résultats sont publiés quotidiennement par plusieurs journaux. Il ne s’agit pas encore de prévisions, mais seulement d’informations sur les conditions météorologiques dans les différentes stations. Le Verrier ajoute : « Il y aurait grand intérêt à étendre à l’étranger l’organisation nouvelle. Des ouvertures faites en ce sens ont été partout accueillies avec empressement. » Le mois d’avril 1857 voit s’établir la première prévision : « À la fin du mois d’avril de cette année, la température était depuis plusieurs jours extrêmement basse, et ne s’élevait vers midi qu’à 7 ou 8 degrés. On concevait des inquiétudes, et le 29 de ce mois l’Empereur désira connaître s’il y avait des pronostics d’un prochain changement de temps. Nous nous installâmes, M. de Vougy et moi, dans un bureau de son administration, et nous recueillîmes, par le télégraphe, des documents sur la température et le vent des diverses contrées, en nous laissant guider par les premiers documents obtenus. Nous pûmes conclure dans la journée et faire connaître que dans deux ou trois jours la situation se serait améliorée. Effectivement, la température à midi était remontée, le 2 mai, à 11 degrés ; le 3 mai, à 15 degrés. » Cette même année voit naître la collaboration européenne en météorologie : « Vers les premiers mois de 1857 on [est] prêt à marcher, et les délais survenus tiennent uniquement aux difficultés qu’on rencontre à faire accepter toute nouveauté », écrit Le Verrier19. Malgré ces difficultés, le service météorologique international prend effectivement naissance le 2 novembre 1857, date à laquelle le Bulletin météorologique du jour, rebaptisé Bulletin météorologique

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international, contient les observations de 14 stations françaises et de 5 stations étrangères : Bruxelles, Genève, Madrid, Rome et Turin. Avant la fin de l’année, il s’y ajoute Vienne, Lisbonne et Saint-Pétersbourg, mais pas l’Angleterre, « toutes les lignes télégraphiques se trouvant dans ce pays entre les mains de Compagnies [privées]. » La principale difficulté que rencontre en effet Le Verrier est d’obtenir la gratuité des transmissions, ce qui est impossible en Angleterre, du moins pour l’instant. Bien entendu, le bulletin est envoyé, toujours par télégraphe, à chacun des correspondants étrangers. On imagine que ce travail est assez considérable pour les télégraphistes, qui ne peuvent transmettre qu’une centaine de lettres ou signes par minute.

Les avertissements aux ports « L’Observatoire est dès lors [fin 1857] en mesure de réaliser pour les avertissements à donner aux ports plus qu’on n’a fait ailleurs pendant plusieurs années », écrit fièrement Le Verrier. Mais il prévient : « Et s’il se trouve plus tard et transitoirement dépassé dans l’exécution, ce ne sera pas certes par sa faute. » La Marine va effectivement traîner les pieds : il ne se passera rien jusqu’en 1859, malgré les bonnes intentions au moins apparentes du ministre, l’amiral Ferdinand Alphonse Hamelin. C’est à cette occasion que Le Verrier écrit cette année-là la phrase devenue fameuse : « Il y a des gens qui font et laissent faire ; il y en a d’autres qui ne font pas, mais laissent faire ; la pire espèce, et malheureusement la plus nombreuse, ce sont ceux qui ne font pas et ne veulent pas qu’on fasse. » Le fonctionnement de son service est décrit par Le Verrier dans une longue lettre qu’il adresse à son collègue Airy, directeur de l’Observatoire de Greenwich, le 4 avril 186020 : « Chaque jour [à 7 h du matin] nos ports joignent l’état de la mer, fourni par la Marine, à la dépêche qu’ils expédient le matin à Paris. Immédiatement, les divers ports reçoivent communication de l’état de l’atmosphère et de la mer dans les parages qui leur importent. Ainsi, Cherbourg reçoit Dunkerque, le Havre et Brest. Brest à son tour reçoit Dunkerque, Cherbourg, Rochefort, Bayonne. Le port de

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Toulon est renseigné par Cette [aujourd’hui Sète], Marseille et Antibes. […] Dans l’après-midi, à trois heures, les ports informent de nouveau Paris de l’état de l’atmosphère et de la mer, mais omettant le baromètre et le thermomètre qui sont compris dans l’envoi du matin. Immédiatement, ces dépêches de trois heures sont adressées aux ports qu’elles intéressent. » Dans la suite de la lettre, Le Verrier propose un échange de données avec l’Angleterre, qui va aboutir en juin de cette année 1860. Il entame aussi avec l’amiral FitzRoy une abondante correspondance destinée à préciser cet échange, correspondance qui ne se terminera que par le suicide de FitzRoy le 30 avril 1865. Il y aura aussi des échanges de données avec les ports d’Espagne, d’Italie, d’Autriche (qui possède à cette époque Venise et Trieste), de Belgique et des Pays-Bas, mais toujours pas de prévisions : c’est à chacun d’apprécier la situation à partir des données qu’il reçoit. En 1861, le réseau météorologique international est complet : il s’étend de Saint-Pétersbourg à Haparanda en Norvège, Valentia en Irlande, Cadix, Naples et Constantinople. Mais le système d’avertissements aux ports « but final pour lequel le [service international] a été constitué » est toujours embryonnaire. Le Verrier voudrait en faire plus : il désire ne pas limiter son service à un échange de données avec et entre les ports, mais créer à l’Observatoire un bureau de prévision des tempêtes et d’avertissements aux ports. Un tel bureau a été déjà organisé en Angleterre par FitzRoy, qui s’échine à faire des prévisions bien souvent démenties car les données sont bien insuffisantes, mais qui sont appréciées quand elles se réalisent !21. Le 30 octobre 1862, Le Verrier adresse une nouvelle lettre à son ministre de tutelle, lui demandant qu’on crée enfin ce bureau : « Depuis 1860, il n’a été donné aucune suite à nos demandes ; et, suivant la loi nécessaire de toute affaire scientifique qui ne progresse pas, non seulement nous n’avons rien gagné, mais nous avons perdu. » Le 31 janvier 1863, il reçoit enfin une lettre apparemment encourageante du ministre de la Marine, qui lui annonce qu’il pourrait mettre à la disposition de l’Observatoire les deux officiers de marine demandés « après qu’il se sera assuré de leur bon vouloir et de leur capacité », pour l’organisation d’un véritable service de prévision et d’annonce des tempêtes. Réponse hypocrite, car le ministre de la Marine avait créé de son côté dès le 18 février 1859 un service météorologique qui double

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en partie celui de Le Verrier, probablement par défiance envers lui, puis en 1861 un Service de prévision des tempêtes qui utilisera surtout les indications fournies par FitzRoy jusqu’à la mort de celui-cib. Le Verrier, qui sait parfaitement ce que fait la Marine, n’est pas dupe et comprend qu’il ne pourra pas réaliser tout ce qu’il aurait voulu. Il persiste cependant à organiser en 1863 et à faire fonctionner contre vents et marées – c’est le cas de le dire – un service incomplet. Ce service paraît bien accueilli par les chambres de commerce des ports qu’il dessert, et par les autorités maritimes et civiles de Cherbourg et de la Manche, dont on imagine d’ailleurs mal qu’elles puissent se mettre en travers du président du Conseil général de leur département. Finalement, à la fin de 1863, on ne compte pas moins de 74 ports français concernés par ce système. En 1864, on constate un assouplissement de la position de la Marine, qui invite Le Verrier à transmettre directement ses télégrammes aux ports militaires. Mais cela n’ira pas plus loin. On trouve dans l’Historique des entreprises météorologiques écrit par Le Verrier de très nombreuses pages sur le problème de l’avertissement aux ports, où il se donne évidemment le beau rôle. Les raisons de sa mésentente avec la Marine sont multiples : son intransigeance et son obstination, l’importance qu’il donne aux phénomènes terrestres qui n’intéressent pas les marins, et surtout le fait que les officiers de marine répugnent à dépendre d’un civil, ce qui n’est le cas ni en Angleterre, ni aux États-Unis où les services de météorologie marine sont dirigés par des marins22.

Un service international en pleine activité Cependant, le service international de Le Verrier fonctionne bien. Fin 1863, il comporte 65 stations avec lesquelles l’Observatoire est en correspondance télégraphique quotidienne : 21 en France et 46 dans le reste de l’Europe23. Deux ans après, il n’y avait plus que 59 stations24. Il serait fastidieux d’examiner le détail du développement et du fonctionnement de ce service. Contentons-nous d’énumérer quelques faits marquants. b

Ce service fonctionnera jusqu’en 1875.

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Du 25 juillet au 26 août 1863, une dépêche télégraphique quotidienne de prévisions pour l’agriculture est transmise par voie diplomatique de Paris à une association de grands propriétaires terriens du Mecklembourg : c’est l’amorce d’un système d’avertissements pour l’agriculture qui va cependant bientôt avorter, l’office télégraphique de Rostok exigeant un paiement pour les dépêches. Un tel service ne sera réalisé qu’en 1876 par l’Observatoire, et seulement pour la France. En attendant, quelques particuliers comme Poincaré (apparenté au mathématicien), ingénieur du Service des inondations de la Meuse, rédigent des prévisions pour les cultivateurs de la région à partir des données fournies par l’Observatoire, et même un système de signaux dans son département et dans les Vosges pour prévenir de la possibilité d’inondations ; les renseignements nécessaires lui seront transmis par télégraphe depuis l’Observatoire, avec une attention particulière sur la marche des orages. Les premières cartes synoptiques de la situation météorologique en Europe sont diffusées régulièrement dans le bulletin quotidien à partir du 16 septembre 1863 ; le bulletin comporte 4 pages, l’abonnement annuel est de 36 francs (Fig. 9.8 et 9.9). Dès 1866, des cartes isobares seront même transmises par télégraphe à quelques stations situées à l’étranger, sans doute sous la forme de séries de nombres. Chaque bulletin résume la situation météorologique générale avec quelques indications sur son évolution possible. Les prévisions s’amélioreront lentement au cours des années et en 1870 apparaît une rubrique « temps probable. » Le Verrier fait même quelquefois des prévisions à la demande, comme pour le photographe Nadar qui prépare peut-être un vol en ballon25 (Fig. 9.10). Il est clair que ces prévisions sont faites par analogie avec des situations météorologiques passées, et qu’aucune considération physique n’y prend part. Elles ont une valeur toute relative, car le bulletin ne peut guère parvenir à ses utilisateurs un peu lointains que le lendemain de son établissement. En 1864, Le Verrier décide de rendre plus dense le réseau de stations météo françaises en faisant appel aux écoles normales d’instituteurs qui se trouvent dans chaque chef-lieu de département. L’idée n’est pas tout à fait neuve, car plusieurs écoles font déjà des observations météorologiques régulières, notamment dans l’Académie de Metz. Le 13 août, le ministre de l’Instruction publique envoie, à la

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Figure 9.8. Une page du Bulletin météorologique du 1er janvier 1864, avec les données transmises par télégraphe par les stations du réseau international.

demande de Le Verrier, une lettre circulaire aux préfets des départements, qui la répercutent sur les écoles normales ; 60 de ces écoles sur 78 répondent aussitôt positivement, et les autres suivront. On les pourvoit d’une instrumentation uniforme d’un prix de 250 francs, qui comporte un baromètre de Fortin, un thermomètre à minima, un thermomètre à maxima, un psychromètre, un pluviomètre et une girouette (on note l’absence d’un anémomètre, la vitesse du vent étant alors seulement estimée). Les observations concertées régulières commencent le 1er juin 1865. Mais c’est encore insuffisant pour Le Verrier, qui voudrait qu’il y ait une station par canton ! En 1864, Le Verrier décide également « d’étendre les observations [météorologiques] à la surface de l’Océan et des mers intérieures. » En effet, « nos cartes n’embrassent que l’Europe, ce qui ne suffit pas ; elles ne contiennent rien de ce qui se passe à la surface de l’océan Atlantique ; et l’on doit d’autant plus le regretter, que la plupart des tempêtes qui nous assaillent semblent prendre leur origine dans ces parages. » Pour ce faire, il demande aux capitaines des navires d’organiser

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Figure 9.9. Carte de la situation météorologique le 1er janvier 1864 à 8 heures du matin, données météorologiques pour Paris et données internationales de la veille parvenues en retard. La carte comporte des isobares, et la force et la direction du vent figurées par des symboles semblables à ceux utilisés aujourd’hui.

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Figure 9.10. Manuscrit autographe de Le Verrier qui contient une prévision météorologique pour Nadar, qui prépare peut-être un vol en ballon.

des observations et de les communiquer à l’Observatoire qui les analysera. Bien entendu, les moyens de l’époque ne permettent pas la transmission des données au cours de la navigation, mais on espère qu’en construisant des cartes de situations passées on pourra en tirer d’utiles renseignements pour faire des prévisions par analogie. Le Verrier établit avec le commandant Mouchez, qui sera son successeur à la direction de l’Observatoire, des modèles de feuilles à remplir par les capitaines des bâtiments. Pour les inciter à répondre à ses vœux, Le Verrier fait décerner par son Association scientifique, en 1865 et les années suivantes, des prix de 300 francs pour les observations météorologiques faites en mer. Cela portera ses fruits : il reçoit de nombreuses observations, et même grâce à Buys-Ballot la copie de nombreux journaux de bord de marins hollandais, et publie à quelques reprises des cartes de la situation météorologique de l’Europe et de l’Atlantique correspondant à un jour du passé (Fig. 9.11).

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Figure 9.11. Carte synoptique de la situation météorologique sur l’Europe et l’Atlantique Nord pour le 20 février 1865 à 8 heures du matin. Cette carte a été établie a posteriori à partir d’observations des navigateurs et de stations terrestres. La courbe formée de petites croix représente la marche d’une dépression du 20 au 26 février.

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L’Association scientifique pallie par ailleurs l’insuffisance des moyens de l’Observatoire, en finançant la publication de l’Atlas des orages de 1865 (Fig. 9.12), de l’Atlas météorologique de l’Observatoire impérial de 1866, et, en 1867, du premier Atlas des grands mouvements de l’atmosphère pour 1864. Ce dernier, qui deviendra l’Atlas des mouvements généraux de l’atmosphère, résume l’origine et les lois des perturbations de l’Atlantique Nord d’après les observations recueillies par les navires, et des continents qui l’avoisinent.

Figure 9.12. Une planche de l’Atlas des orages montrant la carte des orages du 9 mai 1865. Les petits symboles représentent les impacts de foudre ou les chutes de pluie ou de grêle répertoriées, les lignes continues et les flèches le déplacement de l’orage d’heure en heure, et les lignes traits-points sont des isobares à 7 h du matin (pression en mm de mercure).

L’abondance croissante des données rend de plus en plus lourd le travail de synthèse qui doit être réalisé à l’Observatoire, et qui épuise les responsables successifs : Liais jusqu’en 1857, puis Desains jusqu’à son éviction en 1861. Ensuite, c’est sur les épaules de d’Hippolyte Marié-Davy (Fig. 9.13) que tout va reposer. Mais comme il refuse d’être 24 heures sur 24 à la disposition de Le Verrier et ne veut pas habiter à l’Observatoire, Marié-Davy subit les pires brimades de la part de son directeur. Il est remarquable que

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Figure 9.13. Hippolyte MariéDavy (1820-1893).

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malgré tout il ait assuré son service d’une manière régulière. Les autres astronomes se plaignent, non sans raison, de la part qu’ils jugent excessive attribuée à la météorologie dans les activités de l’Observatoire. Le Verrier se rend cependant compte que l’Observatoire ne peut pas tout faire ; c’est pourquoi il propose en 1865 de créer des Commissions météorologiques départementales chargées de l’étude des orages. Les préfets répondent en général favorablement à cette requête, et c’est du travail de ces Commissions que résulte l’Atlas des orages que nous avons mentionné plus haut ; en 1866, l’étude des orages et des grêles et les observations des écoles normales sont réunies dans l’Atlas météorologique également mentionné. Cet atlas se fondra en 1872 dans l’Atlas physique et statistique de la France : on comptera 7 livraisons de cette publication couvrant la période de 1865 à 1876. Il y aura aussi un Annuaire météorologique, résumant sous un format « portatif et populaire » les observations de l’année, dans l’esprit de l’Annuaire du Bureau des longitudes. Tout cela ne fait que répéter, en mieux, ce qui s’était fait précédemment, et n’a guère d’intérêt pour faire des prévisions.

Difficultés et concurrence Nous avons abondamment décrit les querelles internes à l’Observatoire, qui rendent la vie difficile à tout le monde et aboutiront à la révocation de Le Verrier en 1870. Mais il y a aussi des problèmes externes, créés par sa volonté de contrôler toute la météorologie française. La Société météorologique de France, dont il a refusé de faire partie lors de sa création, n’entend pas être reléguée à l’arrière-plan. Dès 1855, Renou et un autre membre de la société, Léonce Élie de Beaumont, s’opposent publiquement à Le Verrier. En 1868, excédé par les prétentions du directeur de l’Observatoire, le ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy, demande à Renou une étude sur les établissements de météorologie en France et à l’étranger ; Renou conclut que l’Observatoire de Paris, qui est maintenant situé en pleine ville, n’est pas un endroit idéal pour faire des observations météorologiques. Il suggère la création d’un observatoire spécialisé en dehors de l’agglomération (rappelons que c’est l’époque où l’on discute aussi d’un transfert éventuel de certaines activités astronomiques hors de la capitale). Dans l’esprit

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de ce rapport, une commission présidée par Charles SainteClaire Deville, à laquelle participe Marié-Davy, décide l’année suivante de créer un observatoire dans le parc de Montsouris, qui est alors relativement isolé. La Ville de Paris, qui depuis 1864 publie des observations climatologiques dans le Bulletin de statistique municipale, achète à cet effet pour 150 000 francs au baron Jules de Lesseps le palais du Bardo (Fig. 9.14), copie réduite du palais du Bey de Tunis qui avait été présentée à l’Exposition universelle de 1867. Elle le met à la disposition du ministre de l’Instruction publique le 1er avril 1869. L’année suivante, une dotation annuelle de 60 000 francs est attribuée à ce nouvel observatoire, dont Sainte-Claire Deville est nommé directeur. Il y a duplication évidente avec l’Observatoire de Paris.

Figure 9.14. L’Observatoire météorologique de Montsouris vers 1906.

Telle est la situation que Delaunay va trouver à son arrivée à l’Observatoire le 3 mars 1870. Renou et SainteClaire Deville voudraient que les activités météorologiques de l’Observatoire soient transférées à Montsouris, mais Marié-Davy, maintenant débarrassé de Le Verrier et qui a pris la tête du Service météorologique international, n’a aucune envie de s’y installer, d’autant plus qu’il n’a guère d’estime pour ce qui s’y fait. Delaunay est pris entre deux feux : il aimerait bien consacrer entièrement l’Observatoire à l’astronomie, mais, sans doute influencé par MariéDavy, il répugne à abandonner les observations à la Société météorologique de France qui règne sur Montsouris. En juillet 1870, il écrit au ministre26 :

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« Le maintien ici de la météorologie signifie la mort de notre Observatoire astronomique, mais ce serait également la mort de la météorologie que de tomber entre les mains de SainteClaire Deville. » La guerre de 1870 va suspendre l’activité de l’Observatoire de Montsouris, tandis que Marié-Davy et ses aides Claude Émile Fron et Boinot, qui suivent le gouvernement à Tours puis à Bordeaux, parviennent à assurer sans interruption les tâches du service international et la parution de son Bulletin. La paix revenue, les hostilités entre météorologistes reprennent, mais le ministre impose une solution qui essaie de satisfaire tout le monde : l’Observatoire météorologique de Montsouris devient une annexe de l’Observatoire de Paris, et sa direction est confiée à Marié-Davy le 1er avril 1872. Un poste d’Inspecteur général de la météorologie en France et en Algérie est créé pour Sainte-Claire Deville, pour le consoler de la perte de Montsouris27. Quant à Renou, on lui confie la direction du Laboratoire de recherches météorologiques du parc Saint-Maur, qui est rattaché à l’École pratique des hautes études. Les observations y commencent le 1er novembre 1872. Cet observatoire existe toujours, bien que son emplacement et ses activités aient changé ; il dépend aujourd’hui de l’Institut de physique du globe.

Le retour éphémère de la météorologie à l’Observatoire et la création du Bureau central météorologique Un des premiers actes de Le Verrier après sa réintégration en 1873 est d’exiger le retour du service météorologique à l’Observatoire. Le décret du 13 février 1873 lui donne satisfaction en transférant à l’Observatoire « le service des avertissements du temps et l’étude des grands mouvements de l’atmosphère » ; l’installation effective a lieu le 17 mai, date à laquelle reprend le service des avertissements. Bien entendu, Marié-Davy, qui n’a aucune envie de dépendre à nouveau de Le Verrier, reste à Montsouris, qui devient « Observatoire municipal du département de la Seine ». Il le fera fonctionner de façon efficace : en 1876, son réseau météorologique local comprendra vingt stations. Les disputes entre météorologistes ne sont pas calmées pour autant : la France

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n’envoie pas de délégué au premier Congrès météorologique international qui se tient à Vienne en septembre 1873, le gouvernement ayant jugé préférable de ne pas étaler au grand jour les querelles nationales devant les représentants du reste du monde. De toute façon, ce congrès ne réussira pas à créer une organisation météorologique internationale, qui devra attendre le congrès de Rome en 1879. En juillet 1874, le service météorologique de l’Observatoire est divisé en deux parties, qui sont confiées respectivement à Rayet, qui s’occupe aussi du magnétisme terrestre, et à Fron ; mais les crédits se font attendre, et ce n’est qu’en janvier 1875 que l’on obtient les 30 000 francs promis l’année précédente par le ministre, et que le Service météorologique international, auquel on espère ajouter l’Algérie, peut fonctionner correctement. En particulier, le service d’avertissements aux ports peut prendre davantage d’ampleur après la suppression, par un décret du 24 décembre 1875, du service concurrent de prévision des tempêtes de la Marine. Les prévisions restent cependant imprécises et qualitatives. Par exemple, le télégramme envoyé aux ports de la Manche le 30 décembre 1876 est ainsi rédigé28 : « Dépression d’hier matin sur mer du Nord, nouvelle dépression ouest Irlande ; mauvais temps à craindre sur Manche et Océan. » Quant aux ports de la Méditerranée, ils reçoivent l’avis suivant : « Baisse de 3 mm sur Europe sud avec temps calme ; nouvelle dépression ouest Irlande », laquelle dépression ne les intéresse guère. Ce n’est qu’à partir de 1879 que les avertissements aux ports contiendront une prévision de la direction et de la force du vent. Le Verrier réanime en 1873 les Commissions météorologiques départementales, en les priant d’organiser entre elles des Commissions régionales « douées d’une vie propre » qui devront publier un Atlas général, lequel serait subventionné par des souscriptions départementales. Mais des difficultés vont vite se révéler : certains départements font cavalier seul, d’autres ne se sont pas regroupés comme Le Verrier l’aurait voulu. Il préconise en effet que les régions météorologiques soient identiques aux académies, mais il n’est pas suivi par le Conseil de l’Observatoire qui préfère le statu quo pour éviter les problèmes. Indépendamment de cette organisation, deux observatoires météorologiques de

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montagne sont construits : celui du Pic du Midi de Bigorre, à 2 238 m d’altitude, installé en 1873 par la Société Ramond, et celui du Puy-de-Dôme inauguré en 1876 (Fig. 9.15).

Figure 9.15. L’Observatoire météorologique du Puy-de-Dôme en construction en 1873.

Cette dernière année, malgré les progrès de sa maladie, Le Verrier a la force de démarrer enfin, le 1er mai, le service d’avertissements à l’agriculture dont il rêve depuis si longtemps ; il avait bien tenté en 1873 de faire distribuer aux communes agricoles les avis météorologiques par les commissions départementales, mais sans le moindre succès. Les avis sont donc envoyés directement aux communes qui en font la demande, à condition qu’elles achètent un baromètre. Cette fois, cela marche : le 1er juillet 1877, 931 communes bénéficient des avertissements météorologiques, et il y en a 1 500 en mai 1878. Devant cette extension rapide, l’Administration des lignes télégraphiques fait payer les communications aux communes, ce qui conduit à un déclin rapide du service. Le Conseil de l’Observatoire prévoit aussi d’étendre à l’Algérie le service météorologique : mais, toujours aimable, Le Verrier déclare que cela lui semble pas possible car, d’après lui, Fron, sur lequel cette extension doit reposer, ne fait déjà pas bien le travail qui lui est demandé par ailleurs. Le Conseil passe outre et le rapport qu’il avait demandé à Belgrand est adopté lors de la dernière séance tenue du vivant de Le Verrier, le 17 mai 1877. Sa mort le 23 septembre met partiellement fin à vingt-deux années de guerres acharnées entre les météorologistes français.

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Elle laisse aussi un vide, que le ministre va tenter de combler par la création d’une nouvelle institution. Il forme à cet effet une commission qui préconise de profondes réformes. On lit dans le rapport de cette commission29 : « Les membres de la Commission ont reconnu unanimement que l’organisation actuelle du Service météorologique n’est pas de nature à donner aux études scientifiques tous les développements qu’elles comportent et que de grandes améliorations sont nécessaires. […] Mais la grande majorité de la Commission estime, en outre, qu’un service si important, dont les détails sont si multipliés, ne saurait continuer à être une dépendance de l’Observatoire astronomique de Paris ; sans cette séparation essentielle, on ne peut aboutir qu’à un avortement, quoi qu’on fasse. Il est bien évident, en effet, qu’il n’y a aucune relation scientifique entre l’astronomie et la météorologie. Tant que la science météorologique n’aura pas sa représentation officielle, absolument indépendante, rien ne se fera. » Suivant l’avis de la commission, le ministre de l’Instruction publique, qui est maintenant Agénor Bardoux, décrète le 14 mai 1878 que le service météorologique de l’Observatoire est transformé en un Bureau central météorologique, ancêtre de Météo-France. Le directeur en est le physicien Éleuthère Mascart ; il est assisté d’un Conseil présidé par Hervé Mangon, député et membre de la section d’économie rurale de l’Académie des sciences. Fron en dirigera le service des avertissements de sa création à 1904. Le Bureau central météorologique quitte l’Observatoire le 6 octobre 1878 pour s’installer 60 rue de Grenelle : la météorologie française est alors définitivement séparée de l’astronomie, mais son organisation restera longtemps très marquée par celle qu’avait instaurée Le Verrierc. Et elle bénéficie du système impressionnant d’échanges télégraphiques que celui-ci a réussi à mettre en place (Fig. 9.16).

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En particulier, les commissions météorologiques départementales et les observations météorologiques des écoles normales survivront de nombreuses années à la mort de Le Verrier.

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Figure 9.16. Carte des relations télégraphiques quotidiennes du Bureau central météorologique en 1878.

Le Verrier et la théorie astronomique du climat Le Verrier a marqué la météorologie française et même la météorologie mondiale par la création du Service météorologique international, qui a permis la diffusion des données météorologiques et une prévision rudimentaire à 24 heures pour toute l’Europe. C’est grâce à ses remarquables talents d’organisateur que Le Verrier est parvenu à ces résultats. Curieusement, il ne semble pas avoir cherché à interpréter en termes physiques les phénomènes météorologiques, contrairement à d’autres chercheurs étrangers. On trouve dans un petit ouvrage publié en 1880 par le lieutenant de vaisseau Brault, Chef du Service météorologique du Dépôt des Cartes et Plans de la Marine, les lignes suivantes qui tentent d’excuser cette déficience du grand savant30 : « Le météorologiste est un homme qui travaille plutôt qu’un homme qui sait ; son mérite consiste surtout à bien comprendre et à bien remplir son rôle ; car, à cette science, comme à tant d’autres, il faut des précurseurs, c’est-à-dire des travailleurs […] qui défrichent le terrain à force de

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labeur, jusqu’au jour où ce terrain, bien préparé, grassement ensemencé, sous l’influence de quelque génie, laisse voir monter la pousse, mûrir le fruit, et donne enfin une abondante récolte. C’est ainsi que Le Verrier envisageait la Météorologie, et il ne trouvait pas indigne de lui de préparer la récolte de l’avenir. […] S’il eût pu faire de la Météorologie, seul dans son cabinet, comme il fit toute sa vie de l’Astronomie, Le Verrier eût fait faire un pas de géant à toutes les grandes questions qui la composent. Mais toutes ces grandes questions exigent une légion de travailleurs, et c’est cette légion d’hommes qu’il essaya en vain de s’adjoindre. Le Verrier n’avait pas ce qu’il faut pour la conduire, et, vers la fin, tout le monde l’abandonnait. » Il est cependant un domaine où Le Verrier aurait pu mettre à contribution sans grande difficulté ses connaissances en mécanique céleste : celui de l’influence sur le climat des variations des paramètres de l’orbite de la Terre dues à l’action des autres planètes. En effet, la précession des équinoxes produit un changement progressif de la date à laquelle la Terre passe à son périhélie par rapport aux saisons, et une variation continue de la durée des saisons, comme l’explique la Figure 9.17. Les variations de l’excentricité de l’orbite terrestre et les variations de l’inclinaison de l’axe de rotation sur l’écliptique viennent s’y ajouter. Il s’ensuit des variations lentes de l’énergie reçue du Soleil, et par conséquent de la température de la Terre. C’est la base de la théorie astronomique du climat, développée par Milutin Milankovitch entre 1915 et 1938 et reprise récemment par de nombreux chercheurs, notamment le Belge André Berger31. Cette théorie explique les alternances d’époques glaciaires et interglaciaires bien connues des géologues et des paléontologistes. Par exemple, en citant Jean-Claude Duplessy32 : « Il y a 125 000 ans l’excentricité de l’orbite terrestre est voisine de 4 % [valeur actuelle 1,67 %], l’obliquité de son axe sensiblement plus forte qu’aujourd’hui (23°48’ [au lieu de 23° 26’]) et la Terre proche du Soleil en été [actuellement c’est en hiver]. Cette configuration conduit à distribuer une insolation d’été des hautes latitudes de l’hémisphère Nord 13 % supérieure à celle d’aujourd’hui et à instaurer la dernière période interglaciaire. »

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Figure 9.17. Précession des équinoxes et climat. La précession fait tourner l’axe de la Terre en 26 000 ans comme indiqué en haut à gauche de la figure. L’orbite de la Terre est dessinée avec une excentricité fortement exagérée, et sa position sur cette orbite est représentée aux solstices et aux équinoxes (rappelons qu’à l’équinoxe le Soleil est par définition dans le plan de l’équateur terrestre, qui est dessiné en trait gras). Aujourd’hui, la Terre est proche de son périhélie au début de janvier, donc au voisinage du solstice d’hiver dans l’hémisphère Nord, et c’est en été qu’elle est le plus loin du Soleil. L’automne et l’hiver ont une durée plus courte que le printemps et l’été. Il y a 13 000 ans, ou dans 13 000 ans, la situation est inversée, l’axe de la Terre ayant tourné de 180° en raison de la précession ; c’est maintenant au voisinage du solstice d’été que la Terre est la plus proche du Soleil, et en hiver qu’elle en est le plus loin, et l’automne et l’hiver sont plus longs que le printemps et l’été, toujours pour l’hémisphère nord.

Nous n’avons pas trouvé dans l’œuvre de Le Verrier de trace d’un intérêt direct pour cette question. Pourtant, John Herschel avait posé dès 1830 les bases de la théorie astronomique du climat. Nous donnons dans l’Appendice 2, pièce n° 12, des extraits de ce texte fondateur, qui paraît avoir été peu connu en France. Cependant, Arago, qui a beaucoup réfléchi au climat, examine la question en 1834, pour conclure à l’absence d’effet33. Pourtant, on avait déjà remarqué dans des zones froides du globe la présence de fossiles typiques de régions chaudes, et Louis Agassiz avait démontré en 1837, en étudiant les moraines et les blocs erratiques, l’existence dans le passé d’un âge glaciaire, qu’il n’avait évidemment pas les moyens de dater à son époque. Quelques années plus tard, en 1842, le mathématicien Alphonse Joseph Adhémar avait publié à Paris un livre34 où il essayait d’en rendre compte à partir de la précession des équinoxes. En 1854, Jean Reynaud examine à nouveau le problème avec beaucoup de bon sens, en faisant remarquer qu’il faut considérer séparément ce qui se passe dans l’hémisphère Nord et l’hémisphère Sud de la Terre35. Le Verrier, nous l’avons vu, ne lit pas beaucoup, et seulement les œuvres de ceux qui ont une grande notoriété : il ignore vraisemblablement l’article de John Herschel (dont

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il existe pourtant un tiré à part à la bibliothèque de l’Observatoire, mais Le Verrier ne lit pas l’anglais !), le livre d’Adhémar, celui de Reynaud et même le travail d’Agassiz. Son intérêt principal est la stabilité à long terme des orbites des planètes sous leurs effets gravitationnels mutuels : ceci l’a amené à calculer dès avant 1855 les variations des paramètres de l’orbite de la Terre et des autres planètes depuis 100 000 ans et pour les prochaines 100 000 années34 (Fig. 9.18). Si Le Verrier ne cherche pas à aller plus loin dans le passé ou le futur, c’est qu’il est conscient que les incertitudes sur les masses des planètes rendent l’exercice hasardeux. Figure 9.18. Variations des éléments de l’orbite de la Terre 100 000 ans avant et après 1850, d’après Le Verrier. L’inclinaison est rapportée à celle de l’orbite en 1850. On constate que les changements à long terme sont loin d’être négligeables.

C’est James Croll qui va le premier tirer des conclusions de ces variations. Son travail publié en 1864 sera sans doute, lui aussi, ignoré de Le Verrier37. L’approche de Croll est globale : il remarque que ce sont les effets combinés de l’excentricité de l’orbite terrestre et de la longitude du périhélie, laquelle est liée à la précession, et, ce qui est nouveau par rapport à John Herschel, de l’obliquité de l’écliptique (c’est-à-dire de l’inclinaison de l’axe de la Terre sur son orbite), qui jouent sur l’insolation pour une latitude donnée sur la Terre et pourraient donc conditionner l’évolution du climat. Pour lui, une diminution de l’énergie reçue du Soleil en hiver aux latitudes élevées de l’hémisphère Nord, devrait permettre l’accumulation de neige donc une période plus froide : une orbite excentrique et un solstice d’hiver proche de l’aphélie, qui est l’endroit de l’orbite où la Terre est la plus éloignée du Soleil, donneraient donc un

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long hiver froid et un court été chaud, donc une période glaciaire. Des idées semblables vont circuler jusqu’au début du XXe siècle, mais les géologues et les météorologistes ne sont guère convaincus. Certains pensent même qu’un long été frais et un court hiver doux dans l’hémisphère Nord seraient les conditions de l’apparition d’un âge glaciaire. Cependant, Milankovitch confirme avec d’excellents arguments les idées de Croll, et leur donne leur forme définitive en calculant, à partir de la théorie du mouvement de la Terre de Le Verrier, l’insolation pour diverses latitudes pendant les 500 000 dernières années. Ses calculs ont été repris par la suite avec de meilleures données, principalement par André Berger. La Figure 9.19 montre à titre d’exemple comment l’effet combiné des différents changements de l’orbite terrestre produit des variations de l’insolation moyenne en juin pour une latitude donnée, ici 65° Nord ; on peut faire des calculs semblables pour différentes latitudes et différentes périodes dans l’année38. La modélisation du climat montre que ce qui se passe dans l’hémisphère Nord est dominant, car il contient beaucoup plus de terres émergées que l’hémisphère austral.

Figure 9.19. Variations de l’insolation moyenne en juin à la latitude de 65° nord39. Noter que le temps, exprimé en milliers d’années, va de la droite vers la gauche, l’origine étant la période actuelle. Les trois courbes du haut représentent les variations des paramètres de l’orbite terrestre : excentricité de l’orbite ; variations relatives de la distance Terre-Soleil en juin dues à l’effet combiné de l’excentricité et de la précession, qui fait que les instants des équinoxes et des solstices se déplacent dans l’année avec une période de 26 000 ans ; obliquité de l’écliptique. La courbe inférieure donne les variations de l’insolation que l’on en déduit.

La Figure 9.20 compare les variations de l’insolation aux latitudes Nord élevées, calculées par un tel modèle, avec celles du rapport isotopique 18O/16O dans la glace antarctique, qui fournit une estimation indirecte de la température moyenne du globe. La corrélation est excellente : la théorie astronomique du climat se trouve bien vérifiée à

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l’échelle des milliers d’années. La figure montre que l’on prévoit un léger refroidissement pendant les prochaines 5 000 années, suivi d’un léger réchauffement et de fluctuations plus importantes jusqu’à un nouvel âge glaciaire, qui devrait survenir dans 60 000 ans. À plus court terme, d’autres facteurs comme l’activité solaire peuvent produire des variations de température de plusieurs degrés, sans parler de l’intervention de l’homme40. Mais c’est un autre problème, qui n’a plus rien à voir avec les travaux de Le Verrier sur l’orbite de la Terre.

Figure 9.20. Variations climatiques pendant les 400 000 dernières années, et prédictions pour les prochaines 60 000 années en ignorant les changements éventuels dûs à l’homme. Les observations (croix) sont celles du rapport isotopique 18O/16O dans la glace polaire obtenue par carottage dans la station Vostok en Antarctique. Ce rapport isotopique est donné sous la forme d’un déficit exprimé en millièmes par rapport à une valeur de référence, qui est la composition isotopique moyenne dans les eaux océaniques. C’est une mesure indirecte de la température : l’excursion totale (distance entre les deux traits horizontaux) correspond à environ 15 °C. Le trait continu est la prédiction d’un modèle, qui suppose que le système climatique possède une mémoire de 3 000 ans par rapport à ses perturbations. Les chiffres dans la figure indiquent les dates des principaux maxima et minima de température, en milliers d’années. On voit qu’en l’absence d’autres effets (lesquels sont importants), la température de la Terre devrait décroître pendant les prochaines 5 000 années.

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Chapitre 10 L’héritage de Le Verrier

Le Verrier découvre la planète Neptune par ses calculs, septembre 1846 : projet de fresque non réalisée pour le plafond de la rotonde Est de l’Observatoire de Paris, par Edmond Louis Dupain (1889). Le Verrier, debout, montre Neptune tandis que la Gloire (ou la Renommée ?) lui apporte une couronne de laurier. Le nom des autres personnages représentés est indiqué en bas à droite. À gauche, Otto Struve et Bouvard sous la statue de Laplace, derrière eux la grande coupole de la tour Est. En bas, il s’agit probablement d’Arago, tandis que Galle, devant l’Observatoire de Berlin, regarde Neptune dans une lunette ; le personnage assis à sa gauche est probablement Faye.

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La vision que nous avons d’un personnage historique est biaisée par le fait que nous avons du mal à le situer dans son époque que nous ne connaissons pas toujours bien, et surtout parce que nous avons tendance à négliger certains côtés du personnage, qu’ils soient d’ailleurs bons ou mauvais à notre jugement : notre appréciation en devient quelque peu manichéenne. Pour Le Verrier, c’est tout à fait le cas : il n’est pas facile de concilier dans notre esprit son côté scientifique génial et son côté humain difficile. Aussi ne faut-il pas s’étonner que les commentateurs aient souvent minimisé, selon leur inclinaison, l’un ou l’autre des deux aspects du personnage. Nous devons avouer pour notre part avoir eu des difficultés à en faire une approche objective, si tant est d’ailleurs que l’historien puisse avoir jamais une approche objective des sujets qu’il traite. Le seul point tout à fait incontestable concernant Le Verrier est son génie scientifique, qui éclate à la lecture de ses œuvres et que même ses pires ennemis comme Delaunay, Flammarion et Liais, n’ont jamais mis en doute, même s’ils se sont employés à en diminuer la portée. Mais voyons plutôt comment ses contemporains et ses successeurs ont perçu ce personnage après sa mort.

Les oraisons funèbres et les notices nécrologiques

Figure 10.1. La tombe de Le Verrier au cimetière Montparnasse.

Le Verrier ne devait pas être très pieux, car Fizeau, qui était bon catholique, a dû l’inciter à « conformer [sa] pratique religieuse [à] ses sentiments ». La communion lui a été donnée à domicile le 29 juin 1877 par le curé de SaintSulpice, donc près de deux mois avant sa mort survenue le 23 septembre1. Plusieurs discours sont prononcés aux obsèques de Le Verrier, qui ont lieu le 25 septembre au cimetière Montparnasse, près de l’Observatoire (Fig. 10.1)2 : Ils sont bien entendu unanimes sur la qualité de ses travaux scientifiques, et particulièrement dithyrambiques sur la découverte de Neptune, triomphe de la mécanique céleste, qui a eu un énorme impact sur le public et par là même a mis la science en avant dans l’opinion publique. Citons à titre d’exemple cet extrait du discours de Jean-Baptiste Dumas, le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, qui est reproduit en partie dans La Nature du 13 octobre 18773 :

L’héritage de Le Verrier

« Acceptant avec un ferme bon sens les lois de l’attraction comme vraies, il en poursuivit toutes les conséquences. C’est ainsi que, par une analyse admirable et convaincue, il découvrit dans l’espace une petite planète inconnue ; qu’il la pesa, comme s’il l’eût tenue dans ses mains ; qu’il marqua dans les cieux sa route et la position qu’elle devait occuper le 1er janvier 1847, comme s’il en eût lui-même dirigé le char. On sait comment cet astre fut trouvé par le télescope dans le firmament, à la place même que lui avait assignée l’analyse mathématique. L’émotion fut universelle. Mais Le Verrier ne grandit pas seul : ses confrères, ses émules, les savants de tous les pays grandirent avec lui. Il faut le reconnaître et le proclamer à sa gloire, la confiance publique dans les forces de la science s’éleva dès ce moment à un niveau qu’elle n’avait peut-être jamais atteint. » Ce n’était pas le moment de rappeler le caractère de Le Verrier et les ennuis qui en ont découlé. Dumas fait néanmoins allusion aux difficultés qu’il a connues : « Cette vérité qu’il avait poursuivie avec tant de passion, pendant son séjour sur la terre, à travers tant d’agitations et de troubles, il la connaît enfin tout entière dans la sérénité de la vie éternelle et dans la paix du tombeau. » Le discours prononcé par Yvon Villarceau au nom des astronomes, rappelle de façon objective l’apport de Le Verrier à l’astronomie, et fait une brève allusion, la seule dans tous ces discours, à son activité en météorologie que les astronomes avaient toujours vue d’un mauvais œil : « Il serait injuste de ne pas rappeler l’institution du service des avertissements météorologiques, que Le Verrier a installé sur une vaste échelle. Sa grande autorité scientifique était sans doute nécessaire pour réaliser une telle institution ; on s’explique ainsi la concentration, dans une main unique, de tout ce qui intéressait alors les astronomes et les météorologistes. » Quant à Tresca, il n’hésite pas dans son éloge funèbre à aborder le caractère de Le Verrier, dont il ne cache pas les côtés trop abrupts : « Impatient et brusque pendant l’élaboration de ses spéculations élevées, dont il ne supportait pas d’être distrait, il était au contraire d’un commerce agréable et facile, confiant même,

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dans toutes les autres circonstances de la vie. La contradiction ouverte de ses opinions ne le heurtait point ; il l’acceptait cordialement toutes les fois qu’il était convaincu que la franchise seule y présidait ; mais cette naïveté de cœur, qui se traduisait parfois en un abandon plein de charme, il ne fallait pas qu’elle eût quelque raison de se croire inquiète. Le Verrier n’était plus alors le même homme : l’abandon faisait place à un éloignement au moins dédaigneux, la confiance à une attitude quelquefois blessante. Il se montrait surtout implacable pour ce qu’il pensait être le faux savoir ou le travail inconscient. » Les auditeurs attendent certainement au tournant Faye, qui ne prononce que quelques mots au nom du Bureau des longitudes, dont on sait les rapports exécrables qu’il a toujours entretenu avec Le Verrier. Il s’en tire avec élégance : « D’autres ont dû lutter péniblement contre l’indifférence et l’oubli ; lui a eu le bonheur de rencontrer partout des admirateurs, même parmi ses rivaux. » Quant à Janssen, qui prononce le dernier discours, il se garde bien de parler d’autre chose que de l’œuvre d’astronome de Le Verrier. Il y aura bien des articles dans les journaux scientifiques ou non. Leurs auteurs sont plus libres que les précédents orateurs pour parler du caractère du personnage et de ses démêlés avec les autres. Voici par exemple un extrait de l’article, au demeurant assez nuancé, écrit probablement par Louis Figuier dans L’Année scientifique4 : « Dans les polémiques qu’il eut à soutenir ou qu’il provoqua, il n’observa pas toujours les convenances d’usage. Il se fit quelquefois l’avocat de mauvaises causes. […] On a beaucoup exagéré les aspérités du caractère de Le Verrier. Quel est l’homme à la tête d’une grande administration qui ne se crée pas d’ennemis ? C’est sur le témoignage de ses ennemis que l’on a fait du caractère de Le Verrier un portrait, assurément trop chargé, mais qu’il n’entre pas dans nos intentions de rectifier ici. Toutes les critiques, tous les reproches et toutes les attaques passionnées qui étaient dirigées contre Le Verrier, s’adressaient d’ailleurs, il nous semble, plutôt au fonctionnaire qu’à l’homme. Lorsque Delaunay remplaça Le Verrier comme directeur de l’Observatoire de Paris, on vit s’élever

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les mêmes récriminations, les mêmes plaintes, les mêmes attaques contre le nouveau directeur. Le concert de diatribes subsistait toujours ; il n’y avait de changé que le nom du fonctionnaire. La plupart des attaques dont les journaux politiques se faisaient les complaisants échos contre Le Verrier, émanaient d’employés ayant quitté l’Observatoire par l’ordre du directeur, ou par leur propre volonté [l’auteur du texte pense évidemment à Flammarion]. Mais les personnes étrangères aux travaux ou à l’administration de l’Observatoire y trouvaient toujours le meilleur accueil. Dans les rapports que nous avons eus avec M. Le Verrier, nous avons toujours trouvé chez lui toutes les qualités désirables d’affabilité, de douceur et d’usage du monde. Sans doute, ceux qui se plaignaient de son irascibilité et de ses mauvais procédés, avaient dû en ressentir les effets ; pour nous, nous pouvons témoigner de ses qualités de cœur et d’esprit pour les avoir éprouvées. » Deux autres articles nécrologiques sont publiés dans les Annales de l’Observatoire de Paris, mais seulement en 18805. Le premier, lu devant l’Académie le 10 mars 1879, est du mathématicien Joseph Bertrand, qui a très bien connu Le Verrier. Cette fois, rien n’est caché : le texte fait revivre l’atmosphère insupportable qui était celle de l’Observatoire avant 1870. « La théorie des quatre premières planètes […] s’était achevée au milieu des soins d’une administration difficile, tourmentée par des malveillances toujours en éveil, traversée par des contradictions secrètes, et souvent même entravée par des ruptures ouvertes et des hostilités déclarées. Je ne veux ni ne dois évoquer le souvenir de ce siège opiniâtre dont l’effort dura quinze années ; je n’essaierai pas même de rechercher la part vraisemblable de la vérité dans les accusations incessantes et emportées dont on a décrié et noirci les difficultés d’une humeur inégale et les bizarreries d’un caractère despotique : toute colère est injuste et ne croit jamais l’être, toute haine est aveugle et se croit clairvoyante ; les accusateurs les plus implacables, les adversaires les plus rudes dans l’âpreté de leurs invectives, étaient les plus convaincus. […] » Quant à l’autre article, celui de Tisserand, il est « consacré uniquement aux belles recherches que Le Verrier a poursuivies avec tant de succès pendant quarante ans sur notre système planétaire. » On peut encore le lire avec

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profit, car c’est un exposé très clair fait par un connaisseur. La même année 1880, Gaillot, qui avait si efficacement assisté Le Verrier dans ses dernières années, publie dans La Nature un long article6 qui ne manque pas non plus d’intérêt. Il se termine par une maxime qui exprime l’essence de l’œuvre de Le Verrier : « Tout écart révèle une cause inconnue et peut être la source d’une découverte. » De l’autre côté de la Manche, où l’on s’est toujours vivement intéressé aux recherches de Le Verrier, proviennent des articles nécrologiques extrêmement bien documentés. Edwin Dunkin, un astronome de Greenwich qui devait devenir en 1884 président de la Royal Astronomical Society, écrit immédiatement après la mort de Le Verrier un éloge7 où il fait quelques allusions aux problèmes de l’Observatoire à la fin des années 1860 : « Il [continua ses recherches] en silence d’année en année, mais non sans de nombreuses difficultés privées et publiques qui le perturbaient à l’occasion. Ces problèmes s’accrurent beaucoup avec le temps, en raison de sa révocation de l’Observatoire en 1870 et des changements politiques survenus cette année-là et les suivantes. Ils étaient devenus si aigus durant la guerre entre la France et l’Allemagne que, pendant quelque temps, il était très douteux qu’il puisse se remettre à ses occupations. Sa santé souffrit beaucoup pendant cette période d’anxiété extrême ; mais à sa réintégration à l’Observatoire en 1873, il recommença aussitôt ses recherches sur les planètes avec sa vigueur habituelle. » Dunkin mentionne aussi avec éloges l’activité géodésique de Le Verrier, à laquelle il avait lui-même participé, ainsi que son œuvre météorologique que l’on passe à peu près sous silence en France, sans doute en raison des dissensions entre météorologistes, qui ne se sont pas encore apaisées : « L’institution par Le Verrier du bulletin météorologique quotidien s’est révélée d’une grande importance scientifique. La concentration de toutes les observations météorologiques de la France et des pays voisins entre les mains d’une telle autorité ne pouvait manquer de produire des résultats de très grande valeur concernant le climat de l’Europe de l’Ouest. »

L’héritage de Le Verrier

En février 1878, John Russell Hind, directeur de l’Observatoire de Cambridge, qui avait assisté aux obsèques de Le Verrier qu’il connaissait bien, expose ses travaux devant la Royal Astronomical Society d’une façon très détaillée8. Il insiste bien entendu sur la découverte de Neptune, à propos de laquelle il parle de façon calme et objective de la contribution respective de Le Verrier et d’Adams, mais aussi sur son étude des comètes : sans doute avait-il pour ce sujet un intérêt particulier. Il mentionne le problème de l’avance anormale du périhélie de Mercure, pour lequel il cite Adams : « La théorie de la planète a été établie avec tant de soin, et ses transits devant le disque du Soleil donnent des observations si précises qu’il n’y peut y avoir aucun doute sur la réalité du phénomène : et le seul moyen d’en rendre compte semble de supposer, avec M. Le Verrier, qu’il existe plusieurs petites planètes ou une certaine quantité de matière diffuse circulant autour du Soleil en deçà de l’orbite de Mercure. » Il ne parle guère des difficultés de Le Verrier avec son personnel et avec les autorités, et le peu qu’il en dit camoufle habilement la vérité : « En 1870, en raison de différends avec le personnel de l’Observatoire, [Le Verrier] cessa de s’en occuper [ceased his connections with it] pendant quelque temps, mais après la mort regrettable de Delaunay en 1872, il fut réinstallé et dirigea l’institution pendant le restant de sa vie. » On voit à travers ces textes que rien de ce qui se passe à Paris n’est ignoré des astronomes anglais.

La statue de Le Verrier Dès le lendemain de la mort de Le Verrier, on pense à lui élever une statue à proximité de l’Observatoire. L’Académie et l’Association scientifique lancent au début de 1878 une souscription internationale, dont la responsabilité est confiée à Fizeau. Le Conseil général de la Manche, dont Le Verrier avait été le président, décide d’y participer pour 2 000 francs. Finalement, la souscription recueille la somme

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de 31 559,65 francs, l’équivalent de 100 000 euros. Il y a là de quoi financer la statue, mais où la placer ? Voici ce qu’en dit Fizeau dans son discours d’inauguration dont nous parlerons plus loin : « Cependant, il fallait déterminer, de concert avec l’autorité publique, l’emplacement où la statue serait érigée : les démarches faites dans ce but auprès du Ministre de l’Intérieur et du préfet de la Seine obtinrent aisément de leur bienveillance éclairée la désignation d’un point de la voie publique, voisin de l’Observatoire, et qui paraissait répondre à toutes les convenances ; tout faisait présumer que la Ville de Paris s’empresserait d’autoriser ce projet qui permettrait, sans aucune dépense de sa part, d’embellir la voie publique d’une œuvre d’art de premier ordre, destinée à honorer les Sciences. Mais, nous avons le regret de le dire, les prévisions du comité ne se sont pas réalisées ; ses soins, ses démarches multipliées sont restés sans résultats et l’on s’est heurté à des obstacles persistants qu’il a bien fallu, depuis plusieurs années d’attente, considérer comme insurmontables. Sans rechercher les motifs probables d’une telle décision, rappelons que Le Verrier avait été nommé directeur de l’Observatoire sous l’Empire ; il était sénateur, mais sous l’Empire aussi il avait été brusquement disgracié ; et c’est seulement sous la République qu’il était rentré à l’Observatoire pour y terminer bientôt sa carrière. On sait encore que Le Verrier était religieux [surtout grâce à Fizeau luimême !] ; et qui aurait qualité pour le lui reprocher ? qu’il avait un caractère altier, une éloquence rude et redoutable pour ses contradicteurs ; seraient-ce là des griefs ? Nous n’avons donc qu’à constater l’étonnement que la décision dont il s’agit a causé parmi tous les amis des Sciences. » Louis Figuier est beaucoup plus explicite9 : « On sait que le Conseil municipal n’avait pas voulu accorder d’emplacement pour cette statue, sous le prétexte que Le Verrier ne fut pas un républicain ; ce qui est parfaitement avéré. » Finalement, le Comité de souscription reçoit le 4 août 1888 l’autorisation de dresser le monument dans la cour Nord de l’Observatoire, donc en dehors du domaine de la Ville de Paris. La statue, qui est à peu près terminée, va y être érigée sur un haut piédestal ; elle s’y trouve toujours

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(Fig. 10.2). L’ensemble est conçu par Lucien Magne, le gendre de Le Verrier, et un autre architecte nommé Gennys, et réalisé par le sculpteur Henri Michel Antoine Chapu. La présence de catacombes sous l’emplacement, qui a obligé à renforcer les fondations, et l’adjonction par Chapu de deux bas-reliefs sur le socle fait encore perdre près d’un an : la statue n’est inaugurée que le 27 juin 1889 par le ministre de l’Instruction publique Fallières, futur président de la République, avec six discours. Fizeau parle au nom du Comité de souscription, Joseph Bertrand au nom de l’Académie, Mouchez (Fig. 10.3) au nom de l’Observatoire, Tisserand au nom du Bureau des longitudes, Cornu parlant pour Otto Struve, le directeur de l’Observatoire de Poulkovo, et enfin le ministre. Figure 10.3. Le contre-amiral Ernest Mouchez (1821-1892), successeur de Le Verrier à la direction de l’Observatoire de Paris.

Figure 10.2. Statue de Le Verrier par Chapu (1889), dans la cour Nord de l’Observatoire de Paris.

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Ces discours10 sont intéressants. Comme le dit Otto Struve, « Nous regardons aujourd’hui l’image de Le Verrier détachée des passions qui l’ont entourée de son vivant. » Mouchez regrette encore (ou fait semblant de regretter) que l’on n’ait pas donné le nom de Le Verrier à la planète qu’il a découverte : « Par suite d’une regrettable ingratitude des astronomes contemporains et d’une plus coupable indifférence des astronomes français, le nom de Le Verrier, bien justement donné par Arago à la nouvelle planète si merveilleusement découverte, ne lui fut pas conservé. Cependant jamais un tel honneur qui aurait, pour toujours, inscrit dans le ciel le nom de l’illustre astronome et maintenu sa popularité pour un long avenir, n’aurait été mieux mérité ; il aurait été certainement bien autrement justifié que celui qui s’attache ainsi au nom du plus obscur observateur, qu’un simple et heureux hasard conduit à apercevoir une nouvelle comète dans le champ de sa lunette. »d Mouchez mentionne longuement cette fois l’activité météorologique de Le Verrier, mais il en veut à ce sujet à ses collègues de la Marine, commentant : « Malheureusement, si les bonnes idées abondent en France, le sens pratique et la décision pour les utiliser nous font trop souvent défaut, et il arriva alors ce qui nous arrive si fréquemment : ce furent les étrangers [en l’occurrence l’amiral FitzRoy] qui, en réalisant les premiers ce grand projet, nous en montrèrent toute la valeur. » Le discours de Tisserand, qui relate les découvertes de Le Verrier en mécanique céleste, est un modèle de vulgarisation d’un sujet difficile. Nous en avons cité des extraits à divers endroits de ce livre. Quant à celui d’Otto Struve, il utilise les souvenirs de son père pour commenter l’arrivée de Le Verrier à l’Observatoire : « Le jour où il fut appelé à la direction de l’Observatoire, il ne s’était jamais occupé sérieusement d’astronomie pratique : jusque-là, comme il le dit lui-même, à peine avait-il regardé dans une lunette. […] Une difficulté plus grave l’attendait : il y a quarante ans, l’Observatoire de Paris jouissait bien encore de la renommée traditionnelle conquise par les travaux

d En effet, les comètes sont désignées encore aujourd’hui par le nom de leur découvreur.

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de Cassini, on le savait habité par des savants illustres ; mais il était languissant, à peine pourvu des instruments les plus nécessaires à la science moderne et il risquait de périr par l’insuffisance de ses moyens d’action. Dès que la direction en fut confiée à Le Verrier, une nouvelle vie commença à circuler dans ses veines. Avec la vue si claire qui le distinguait, Le Verrier traça le plan d’opération et le mit en œuvre avec cette énergie qui parfois, aux yeux de ses contemporains, le portait trop loin, mais dont aujourd’hui nous recueillons les fruits. »

Les centenaires de la naissance de Le Verrier et de la découverte de Neptune Rien n’a été fait en 1896 à l’occasion du cinquantenaire de la découverte de Neptune, sauf quelques petits articles dans la presse11 ; il faut attendre 1911, année centenaire de la naissance de Le Verrier, pour voir des cérémonies à sa mémoire. À Saint-Lô, sa ville natale, la presse se mobilise pour que des fêtes commémoratives soient organisées, mais la municipalité montre une grande inertie. Le Verrier est bien oublié, et son buste par Pradier (Fig. 10.4), relégué dans la salle des commissions de la mairie, « sert communément de porte-chapeaux. » Il faut une intervention du préfet auprès de la société locale d’archéologie pour que celle-ci organise une cérémonie et un banquet12. À Paris, pas de festivités non plus, mais l’Académie des sciences honore sa mémoire par la publication d’une remarquable brochure13, due essentiellement à Guillaume Bigourdan mais non signée, où se trouvent imprimés de nombreux documents inédits relatifs à la vie et à l’œuvre de l’« illustre astronome », communiqués par la fille de Le Verrier, Lucile Magne. Aucun commentaire d’importance, mais une bibliographie presque complète des publications de Le Verrier. Le centenaire de la découverte de Neptune tombe en 1946, alors que la France se relève péniblement de la guerre. À Saint-Lô, la Société d’archéologie organise de nouvelles festivités, modestes car la ville est en ruines : le 22 septembre, une réunion a lieu devant les ruines de la mairie (Fig. 10.5), une messe est célébrée et un banquet a

Figure 10.4. Buste de Le Verrier par Pradier. Dans cette photographie de 1946, le buste, légèrement abîmé par la guerre, n’a pas encore été restauré.

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lieu à 13 heures, au cours duquel le maire, Georges Lavalley, rappelle que Le Verrier fut membre du Conseil général, membre d’ailleurs contesté. Mais Lavalley affirme que « ces campagnes ont été trop violentes pour être sincères. […] Un jour peut-être, quelqu’un écrira la vie de Le Verrier. Justice lui sera alors rendue. » Ce rôle sera dévolu à Françoise Lamotte14, mais elle ne pourra que confirmer que les collègues de Le Verrier se sont plaints « des grands airs et de l’humeur du président. » L’après-midi, le directeur de l’Observatoire de Paris, André Danjon, fait une conférence sur la découverte de Neptune. Figure 10.5. Cérémonie à Saint-Lô (Manche) à l’occasion du centenaire de la découverte de Neptune, le 22 septembre 1946. Le buste de Le Verrier par Pradier, exhumé des ruines de la mairie dont il ne reste presque rien, est au centre. Immédiatement à droite, André Danjon, directeur de l’Observatoire de Paris.

Une autre cérémonie commémorative a lieu à Paris (Fig. 10.6), mais aussi en Angleterre à Londres et à Cambridge : signe de réconciliation définitive facilitée par la victoire des alliés, des délégués français se rendent à Londres et à Cambridge pour honorer la mémoire d’Adams, tandis que quelques jours plus tard, le 18 octobre 1946, l’astronome royal Sir Harold Spencer Jones et le professeur Frederick John Stratton, de Cambridge, viennent se joindre aux festivités parisiennes. Une médaille est frappée pour l’occasion (Fig. 10.7).

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Figure 10.6. Invitation à la cérémonie commémorative du centenaire de la découverte de Neptune, et à l’exposition consacrée à cette découverte15.

André Danjon prononce un discours où il expose le travail d’Adams et de Le Verrier16. Il en prononcera un autre le 26 octobre à Bruxelles devant la Société belge d’astronomie17. Il est plus intéressant et plus détaillé que le discours parisien ; Danjon y fait œuvre d’historien en replaçant la découverte de Neptune dans son contexte, et en expose la portée vue avec les yeux d’un homme de 1946. Il n’y a rien à ajouter à son texte, qui est toujours d’actualité. Le voici : « On trouverait sans peine, dans l’histoire des sciences, mainte découverte plus utile, au sens vulgaire du mot, que la découverte de Neptune ; on en trouverait aussi de plus riches en conséquences pour le développement de la science et le progrès de l’esprit humain. Mais on en chercherait en vain dont le retentissement ait été plus grand, les échos plus prolongés, et dont les contemporains aient été plus vivement frappés. Cette émotion, dont la tradition écrite et orale nous a transmis le témoignage indiscutable, était-elle justifiée ? Le public, il faut bien le reconnaître, était surtout sensible au caractère mystérieux des voies suivies pour arriver jusqu’à Neptune, et faire sortir cette planète comme une muscadee, d’une liasse de papiers noircis, d’un grimoire de chiffres et de formules : opération magique, où l’astronome faisait un peu figure de sorcier. Mais ce même public prêtait volontiers une oreille complaisante aux propos des initiés qui commentaient, à son intention, cette prestigieuse découverte, et qui, à sa grande surprise, lui apprenaient que la mécanique céleste venait de triompher d’une crise grave ; que, pendant quelques dizaines d’années, elle s’était trouvée impuissante à expliquer de sensibles irrégularités du mouvement d’Uranus, mais e

Accessoire de prestidigitateur en forme de [noix] de muscade, généralement fait de liège, utilisé pour certains escamotages (Larousse).

Figure 10.7. Médaille du centenaire de la découverte de Neptune. Le verso fait allusion à la position de Neptune dans la constellation du Capricorne.

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que la cause de ces désordres était enfin trouvée, la nouvelle planète en étant seule responsable. Un moment menacée dans son infaillibilité, la mécanique céleste, sortie à son honneur de cette difficulté, se trouvait définitivement assise. Pour dire tout en un mot, la découverte de Neptune était un triomphe du déterminisme scientifique, et, bien qu’on n’en puisse attendre aucune conséquence pratique immédiate, elle devait être regardée comme une manifestation éclatante du pouvoir que la science donne à l’homme sur la matière. Tous les esprits réfléchis devaient sentir l’importance d’un tel événement : les disciples d’Auguste Comte y trouvaient des arguments en faveur de la philosophie positive, alors dans l’éclat de sa nouveauté, tandis que, de leur côté, les spiritualistes voyaient avec une intime satisfaction se confirmer l’existence d’un ordre suprême dans l’Univers. » Figure 10.8. Buste de Le Verrier par Louis Derbré, à Saint-Lô (Manche).

Cinquante ans après les cérémonies à Saint-Lô, la ville a enfin réparé sa relative indifférence vis-à-vis de son plus illustre citoyen en érigeant en juillet 2004, dans le jardin de son Centre culturel, un buste en bronze dû au sculpteur Louis Derbré (Fig. 10.8). Sur le socle est écrit : « Urbain Le Verrier, astronome, Saint-Lô - 1811 - Paris - 1877 Découvre par le calcul la position de la planète NEPTUNE (1846) Élu à l’Académie des sciences (1846) Directeur de l’Observatoire de Paris Il est à l’origine de la météorologie moderne »

Le Verrier et l’astronomie française Nous avons vu Le Verrier réorganiser l’Observatoire de Paris à son arrivée en 1854. Voici ce qu’en dit Danjon dans son discours parisien de 1946 : « Ce que nul n’avait su faire depuis l’époque de Louis XIV, doter l’Observatoire d’un statut, d’un personnel astreint à un service régulier, d’un matériel à la fois puissant et précis, telle fut la tâche qu’il se donna et pour laquelle il combattit avec succès, non sans heurter des intérêts personnels, des habitudes acquises, appuyées sur la tradition deux fois séculaire d’un régime anarchique. Le Verrier bouscula tous les obstacles et il fit bien. Dur à autrui comme à lui-même, il allait droit son chemin, sans se soucier des mécontents. […]

L’héritage de Le Verrier

Pour nous, astronomes français, [la découverte de Neptune] a eu de durables conséquences en faisant sortir de l’ombre celui qui devait réorganiser nos observatoires, créer notre matériel et modeler le cadre dans lequel, à quelques retouches près, nous vivons encore. Mais le temps n’épargne aucune œuvre, et Le Verrier, esprit positif, serait le premier à dénoncer aujourd’hui les parties caduques ou désuètes de son œuvre d’administrateur. […] Ce que nous devons retenir de l’œuvre de Le Verrier, ce n’est ni la lettre des règlements qu’il a dictés, ni le tableau des besoins de l’astronomie qu’il a laissé. Mais c’est sa volonté de maintenir l’équipement des observatoires en harmonie avec le développement de la science ; c’est sa constante préoccupation d’entourer le recrutement des astronomes de toutes les garanties nécessaires. Et c’est cette largeur de vue, ce goût inné des grands et difficiles desseins poussés sans relâche jusqu’à leur accomplissement, qu’il fit paraître en toutes choses. » Et Danjon, qui venait d’être nommé à la direction de l’Observatoire de Paris-Meudon, d’ajouter : « Le successeur de Le Verrier n’a pas d’autre intention que de suivre la voie tracée par son illustre prédécesseur, en vue de maintenir notre observatoire national en état de participer efficacement au progrès de l’astronomie. » De fait, Le Verrier est le premier directeur de l’Observatoire qui ait eu les coudées franches pour le faire fonctionner. Aucun de ses prédécesseurs n’a d’ailleurs eu le titre de directeur. Avant la Révolution, l’Observatoire était sous la tutelle de l’Académie des sciences, et après la Révolution sous celle du Bureau des longitudes : ces deux organismes ne se sont pas privés d’exercer leurs prérogatives. Le dernier responsable avant Le Verrier, Arago, malgré tout son charisme, n’a pas pu imposer complètement ses vues ; de plus, le Bureau des longitudes et Arago lui-même, gravement malade pendant ses dernières années, ont laissé l’institution aller à vau-l’eau. Il serait cependant injuste d’oublier les efforts faits par les Cassini et par Arago pour doter l’Observatoire de moyens d’observation convenables. Les instruments d’Arago n’étaient pas négligeables, et l’Observatoire aurait été doté grâce à lui, peu après l’avènement de Le Verrier, d’une des plus grandes lunettes de l’époque, si l’objectif ne s’était pas détérioré de façon irrémédiable. Les deux grands instruments poussés par Le Verrier, le télescope de 120 cm et la lunette

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de 75 cm d’ouverture, ont été l’un raté et l’autre avorté ! En revanche, le télescope de Foucault de 80 cm d’ouverture installé à Marseille, et le cercle méridien offert par Bishoffsheim à l’Observatoire de Paris, furent des succès durables. À Paris, la situation à la mort de Le Verrier est résumée par la Figure 10.9.

Figure 10.9. Plan de l’Observatoire de Paris en 1878. A : le bâtiment principal avec sur la tour Est l’équatorial de 38 cm inutilisable, sur la tour Ouest celui de 32 cm ; dans l’aile Est, les anciens cabinets d’observation, et dans l’aile Ouest l’appartement du directeur. B : le sidérostat de Foucault. C : le cercle méridien de Bischoffsheim. D : le télescope de 120 cm, peu utilisable. E. Les coupoles jumelles avec les petits équatoriaux. L, L’ : fossés. M : fossé à combler.

On peut faire à Le Verrier un reproche que ne lui a pas fait Danjon : son intérêt quasi exclusif pour l’astrométrie et la mécanique céleste. Il est vrai que Danjon lui-même partageait cet intérêt ; mais, contrairement à Le Verrier, il a vu dès les années 1950 que des spécialités nouvelles que l’on peut classer dans l’astrophysique – en l’occurrence la radioastronomie – étaient promises à un grand avenir. Le Verrier, lui, n’a pas soutenu ni même perçu l’astrophysique naissante, et les quelques efforts faits par son personnel pour utiliser les techniques d’observation nouvelles qu’étaient la photométrie, la spectroscopie et la photographie n’ont guère été encouragés. Et pourtant Arago les avaient, lui, poussées : il est vraisemblable que l’Observatoire se serait orienté dans des directions bien différentes si Arago avait

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eu la force de mieux organiser et d’imposer ses idées, et s’il avait trouvé à l’Observatoire des astronomes dignes de lui. Toutes ses initiatives ont été oubliées à l’arrivée de Le Verrier : l’astrophysique s’en est trouvée mort-née jusqu’à ce qu’elle soit reprise par Janssen en dehors des institutions dominantes. À la décharge de Le Verrier, il faut reconnaître qu’à son époque les grands observatoires à l’étranger se consacraient, eux aussi, presque exclusivement à l’astrométrie, l’astrophysique étant l’apanage de quelques isolés comme Huggins ou Secchi. L’Observatoire de Paris n’a donc pas fait exception. De la fondation de l’Observatoire de Paris à la fin du règne de Le Verrier, ses astronomes ne faisaient pas seulement de l’astronomie, mais aussi de la géodésie, de la physique du globe et de la météorologie. Loin de s’en éloigner, Le Verrier a continué ces activités malgré de nombreuses difficultés, et a même développé considérablement la météorologie à l’Observatoire en dépit de la concurrence. Les jaloux, et beaucoup de ses astronomes, n’ont pas manqué de le lui reprocher ; après sa mort, l’Observatoire cessera vite de s’occuper d’autre chose que d’astronomie proprement dite. Le Service géographique des armées se passera de l’aide des astronomes, et la météorologie et la physique du globe deviendront l’apanage d’autres institutions, comme le Bureau central météorologique. Voici ce qu’en écrit en janvier 1879 l’amiral Mouchez, dans les plans qu’il fait pour l’Observatoire18 : « [Les] observations météorologiques de l’Observatoire de Paris ont perdu une grande partie de leur intérêt depuis que des observatoires météorologiques spéciaux se sont multipliés partout, même dans Paris, avec des moyens d’observation et des instruments mieux établis et mieux suivis que ceux de l’Observatoire. […] Si l’on veut conserver à l’Observatoire l’étude des phénomènes magnétiques, tout est à créer et il faudra y consacrer une somme importante. Mais je crois que, s’il n’y avait que quelques fonds disponibles pour cet objet, il vaudrait mieux les consacrer à l’Astronomie, dont les besoins croissent plus rapidement que le budget qu’on lui attribue, car nous pourrions difficilement mieux faire que ce qui se fait dans les observatoires spéciaux. Il faut de plus en plus spécialiser l’étude des sciences et concentrer ses forces quand on est trop limité dans ses moyens d’action ; c’est en assurer le progrès de la manière la plus efficace et la plus sûre. »

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On peut comprendre cette position, d’ailleurs plutôt théorique car l’Observatoire continuera pendant encore quelque temps à faire des observations météorologiques et magnétiques : si les observatoires faisaient de la géodésie, de la météorologie et du magnétisme terrestre, c’était en tant que services publics, dans des buts essentiellement pratiques. Par la suite, ils se chargeront de la distribution de l’heure. À l’heure actuelle, les astronomes ont toujours des tâches de service parmi leurs attributions. En astronomie, Le Verrier et ses successeurs, malgré d’incontestables qualités, se sont à peu de chose près limités à l’astronomie de position et à la mécanique céleste. Ils avaient des excuses : même si certains astronomes, à la suite d’Arago, se posaient des questions sur la physique du Soleil, des étoiles et des nébuleuses, et aussi sur les phénomènes de l’atmosphère et sur l’origine du champ magnétique terrestre et de la chaleur de la Terre, les connaissances théoriques étaient encore trop peu avancées pour qu’on puisse leur apporter des réponses qui ne soient pas de simples élucubrations. Les efforts de Janssen lui-même n’ont pas abouti en France au développement réel d’une astrophysique autre que solaire jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ce devait être réservé aux États-Unis où l’on construisait de grands instruments capables d’observer l’Univers extragalactique et où un pragmatisme enthousiaste ne reculait devant aucune nouveauté, et à l’Angleterre et à l’Allemagne où des physiciens de tout premier plan étendaient leurs intérêts à l’Univers et à sa physique, en liaison étroite avec les astronomes observateurs. On peut donc regretter que les physiciens français, et l’Université en général, ne se soient guère intéressés à l’astrophysique, et que les astronomes, dont la spécialité était classée dans les mathématiques et non dans la physique, soient restés si longtemps enfermés dans leur tour d’ivoire. Le visionnaire qu’était Jean Perrin a perçu la situation et a créé en 1936 l’Institut d’Astrophysique et l’Observatoire de Haute-Provence afin de développer l’astrophysique en dehors d’une Université qu’il jugeait rétrograde. Le changement d’esprit a pris du temps, et n’est devenu réel que vers 1950. On a enfin compris qu’il n’y avait que des avantages à regrouper l’astronomie fondamentale et l’astrophysique, dont les progrès s’épaulent mutuellement : à l’heure actuelle, la distinction entre l’Institut d’Astrophysique et les observatoires astronomiques est devenue plus

L’héritage de Le Verrier

théorique que réelle. On a également compris plus récemment que la comparaison des phénomènes météorologiques et géophysiques de la Terre avec ceux dont sont le siège les autres planètes et leurs satellites, voire même le Soleil et les étoiles, ouvrirait un champ d’investigation extrêmement fructueux. Aujourd’hui, l’astronomie, la géophysique et dans une certaine mesure la météorologie sont regroupées au sein du CNRS dans l’Institut national des sciences de l’Univers, et certains observatoires, comme ceux de Midi-Pyrénées et de Grenoble, couvrent ces différents aspects, revenant ainsi dans un tout autre esprit à ce qu’avait organisé Le Verrier.

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Appendice 1 La vie et l’œuvre de Le Verrier dans son temps

Vie

Œuvre et carrière scientifique

Événements scientifiques et politiques

1811. Naissance le 12 mars à Saint-Lô de Urbain-JeanJoseph Le Verrier. 1821. Publication par Bouvard de ses Tables d’Uranus, où il constate des anomalies inexpliquées dans le mouvement de la planète. 1830. Arago est élu secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. 1831. Entrée à l’École polytechnique. 1833. Le Verrier sort de l’École polytechnique et entre dans l’administration des Tabacs. 1834. Arago est nommé directeur des observations de l’Observatoire de Paris, qu’il dirige de fait. 1835. Premier article, sur la chimie du phosphore. 1836. Le Verrier démissionne de l’administration.

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

1837. Répétiteur à l’École polytechnique. Mariage avec Lucile-Marie-Clotilde Choquet. 1839. Premiers mémoires sur la stabilité du Système solaire. 1843. Travaux sur l’orbite de Mercure. 1844. Mémoires sur les comètes. 1846. Élection à l’Académie des sciences. Professeur à la Sorbonne, membre adjoint du Bureau des longitudes.

Travaux sur les anomalies du mouvement d’Uranus, qui aboutissent à la découverte de Neptune par Galle le 23 septembre. 1848. Révolution, instauration de la IIe République.

1849. Député de la Manche à l’Assemblée législative. Professeur à l’École polytechnique. 1851. Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Ouverture au public du télégraphe électrique. 1852. Sénateur de l’Empire. Président du Conseil général de la Manche.

1852. Louis-Napoléon Bonaparte est proclamé empereur sous le nom de Napoléon III. Création de la Société météorologique de France. 1853. Travaux sur les petites planètes, théorie du mouvement de la Terre (complétée en 1858).

1854. Directeur de l’Observatoire de Paris.

1854. Mémoire sur l’État actuel de l’Observatoire impérial et projet d’organisation scientifique. Mesure de la différence de longitude entre Paris et Greenwich grâce au télégraphe électrique. 1856. Mesure de la différence de longitude entre Paris et Bourges. Création du réseau météorologique national.

1853. Mort de François Arago.

Appendice 1 : La vie et l’œuvre de Le Verrier dans son temps

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1857. Première prévision météorologique en France. Création du service météorologique international. 1859. Le Verrier constate l’avance anormale du périhélie de Mercure, qui fournira plus tard une des premières vérifications de la Relativité générale. 1860. Éclipse totale de Soleil le 18 juillet en Espagne, où se rendent Le Verrier et Foucault. 1861. Membre titulaire du Bureau des longitudes.

Théorie du mouvement de Vénus et de Mars. 1862. Foucault termine un télescope de 80 cm de diamètre à miroir argenté destiné à l’Observatoire de Marseille, lequel devient en 1863 une succursale de l’Observatoire de Paris. Il mesure avec précision la vitesse de la lumière. 1863. Premières cartes météorologiques synoptiques d’Europe. 1864. Le Verrier fonde l’Association scientifique. 1867. Découverte par Wolf et Rayet des étoiles à raies d’émission qui portent leur nom.

1868. Début des problèmes avec les autorités.

1868. Éclipse totale de Soleil le 18 août au Siam, où se rendent Stephan, Rayet et Tisserand. 1869. Création de l’Observatoire météorologique de Montsouris, qui deviendra en 1872, pour un an, une annexe de l’Observatoire de Paris.

1870. Révocation de Le Verrier.

1870. Delaunay est nommé directeur de l’Observatoire en remplacement de Le Verrier. Guerre avec la Prusse.

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

1871. Défaite de la France, et instauration de la IIIe République. 1872. Mort de Delaunay. 1873. Nouvelle nomination comme directeur de l’Observatoire.

1873. Réorganisation du service météorologique ; l’Observatoire de Montsouris est séparé de l’Observatoire de Paris. 1876. Publication de la théorie du mouvement de Jupiter, de Saturne, d’Uranus et de Neptune, et des tables des deux premières planètes.

1877. Mort de Le Verrier, le 23 septembre.

1876. On réalise que le miroir du télescope de 120 cm, poli par Martin, est mauvais. Il le restera.

1877. Publication des tables d’Uranus et de Neptune. 1878. Le service météorologique est séparé de l’Observatoire et devient le Bureau central météorologique.

1889. Inauguration de la statue de Le Verrier à l’Observatoire. 1911. À l’occasion du centenaire de la naissance de Le Verrier, l’Académie des sciences publie divers documents relatifs à sa vie et à son œuvre et une liste assez complète de ses publications. 1946. Exposition Le Verrier et son temps à l’Observatoire de Paris.

Appendice 2 Lettres et documents L’orthographe originale a été conservée.

1. Lettre de Le Verrier à Galle, 18 septembre 1846 (extraits)1 Monsieur, […] Aujourd’hui, je voudrais obtenir de l’infatigable observateur qu’il voulût bien consacrer quelques instants à l’examen d’une région du Ciel, où il peut rester une planète à découvrir. C’est la théorie d’Uranus qui m’a conduit à ce résultat. Il va paraître un extrait de ma recherche dans les Astr. Nach. [Astronomische Nachrichten, le journal de Schumacher]. J’aurais donc pu, Monsieur, me dispenser de vous écrire, si je n’avais eu à remplir le devoir de vous remercier pour l’intéressant ouvrage que vous m’avez adressé [la réduction des observations de Rømer]. Vous verrez, Monsieur, que je démontre qu’on ne peut satisfaire aux observations qu’en introduisant l’action d’une nouvelle planète, jusqu’ici inconnue : et ce qui est remarquable, il n’y a dans l’écliptique qu’une seule position qui puisse être attribuée à cette planète perturbatrice. Voici les éléments de l’orbite que j’assigne à cet astre : Demi-grand axe de l’orbite Durée de la révolution sidérale Excentricité Longitude du périhélie Longitude moyenne 1er janvier 1847 Masse Longitude héliocentrique vraie au 1er janvier 1847 Distance au Soleil

36,154 [unité astronomique] 217,387 ans 0,10761 284°45’ 318°47’ 1/9 300 [masse solaire] 326°32’ 33,06 [unité astronomique]

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La position actuelle de cet astre montre que nous sommes actuellement, et que nous serons encore, pendant plusieurs mois, dans des conditions favorables pour le découvrir. D’ailleurs, la grandeur de la masse permet de conclure que la grandeur de son diamètre apparent est de plus de 3" sexagésimales. Ce diamètre est tout à fait de nature à être distingué, dans les bonnes lunettes, du diamètre factice que diverses aberrations donnent aux étoiles. Recevez, Monsieur, l’assurance de la haute considération de votre dévoué serviteur, U.J. Le Verrier À partir des éléments donnés par Le Verrier, Galle a aisément pu calculer la position de la planète dans le ciel.

2. Lettre de John Herschel à Le Verrier2 (Fig. A2.1) Callingwood, Jan 9. 1847 Monsieur et illustre confrère, Après avoir attendu avec impatience l’arrivée des Mémoires dont votre bienveillance m’a destiné un exemplaire, les voici parvenus depuis 3 ou 4 jours3. Jusques la je deferai de jour en jour vous adresser pour vous annoncer (ce que d’ailleurs ne peut pas manquer de vous etre connu) que j’obeis a vos commandes si agreeables et en meme tems si honorables pour moi, de vous representer a la seance annuelle de notre Societe Royale, et de recevoir en votre nom la medaille Copley que sans doute vous est parvenue de la maniere que vous avez indique au Colonel Sabine apres un court delai occasionné par la necessité d’y faire graver votre nom. – En repondant, en peu de mots a l’adresse du President, et en exprimant mes regrets que vous ne pouviez pas y etre en person, j’ai cru trouver une occasion bien apropos d’emettre le vœu que lorsqu’un jour vous viendrez honorer notre Salle de votre presence ce sera en qualité d’Associé Etranger – vœu qui sans doute ne tardera pas de s’accomplir. Quant a vos Memoires – a peine sont ils sortis de mes mains depuis votre arrivée ; et par un etude bien qu’insuffisant pour les comprendre entierement, je commence a voir avec etonnement l’amplitude extraordinaire du champ que vous

Appendice 2 : Lettres et documents

aviez a parcourir, et a apprecier l’hardiesse d’esprit qu’il a fallu pour oser même attaquer le probleme d’une maniere si fondamentale et si rigoreuse. J’ai manqué de bien peu de decouvrir votre planete le 14 juillet 1830. Heureusement pour la Science la zone que je passai en revue ce soir la se terminait a peu pres 28’ au nord de la position (ainsi que j’ai pu la calculer approximativement par le moyen mouvement reconnu). L’etoile double, N° 2875 de mes Catalogues, RA. 19h 21m 33s, NPD 111°12’ – voilà l’object le plus meridional que je viens d’observer. Le ciel etait favorable, et a 20h 47m Uranus se presentait dans le champ de mon telescope avec un disque si parfait que, le prenant pour 19 Capricorni (alors tres pres de sa place) et n’ayant aucune expectation de voir ce Planete, j’enregistrai cette etoile comme une Nebuleuse Planetaire « avec un disque rond, beau, et grand » : et je fus très étonné qu’un objet de cette espece, si marqué, pourrait avoir passé jusque-la pour une etoile. Assurement donc, l’autre ne me seroit non plus echappé s’il s’aurait presente dans le champ du 20-feet ce soir la. Vous savez sans doute que M. Lassell persiste a reconnoitre dans votre Planete, l’apparence tres prononcée d’un anneau beaucoup incliné sur l’Ecliptique. Que d’autres merveilles restent encore peut-etre a decouvrir lors la verification des vues sublimes que vous appreniez dans votre dernier paragraphe. J’accepte, Monsieur comme un haut temoignage de respect a mon Pere (dont la decouverte vous a servi pour point de depart dans vos recherches) le changement de nom que vous avez fait d’Uranus a Herschel dans le titre de vos Memoires. – Neanmoins il faut avouer franchement que je n’attends pas que ce changement sera adopté. Pour moi j’ai donné mon adhesion au nom mythologique, il y a plusieurs années distinctement, a l’occasion de la reformation de notre Nautical Almanac. Agreez Monsieur l’expression de mon profond respect et estime avec lesquels j’ai l’honneur d’etre. Monsieur Votre fidèle et obeissant Serviteur JFW Herschel (de la mains de LV) : Répondu le 13 février 1847.

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Figure A2.1. Fin de la lettre de John Herschel à Le Verrier.

3. Lettre de G.B. Airy à Le Verrier4 (notre traduction) Observatoire royal, Greenwich, le 12 avril 1847 Cher Monsieur, Il y a peu de temps, j’ai appris que M. Dent, fabricant de chronomètres de Londres, irait probablement à Paris, et je lui ai confié le diplôme de la Société astronomique royale qui atteste de votre élection comme membre associé de cette société. Je pense que vous avez reçu ce papier sans problème. Je n’ai pas revu M. Dent depuis son retour, mais j’ai entendu dire qu’il vous avait rencontré à Paris. Et la personne qui me l’a rapporté m’a donné deux informations à votre propos qui sont entièrement nouvelles pour moi. La première est que vous êtes marié et que Madame Le Verrier pourrait vous accompagner dans les voyages que vous êtes

Appendice 2 : Lettres et documents

bientôt susceptible de faire. Madame Airy et moi-même vous prions de présenter nos compliments à Madame Le Verrier, et de lui dire que nous espérons beaucoup qu’elle pourra vous accompagner dans votre découverte de l’Angleterre et passer quelque temps dans notre maison. Ceci nous fera grand plaisir, et nous sommes sûrs que ce sera le moyen le plus agréable pour que Madame Le Verrier se familiarise avec les coutumes d’un pays qui pourrait lui paraître étrange. L’autre information est que vous hésitez à venir en Angleterre parce que vous avez entendu dire que, lors de la récente discussion concernant la nouvelle planète, on avait perçu un sentiment nationaliste ou une hostilité larvée à votre encontre, qui pourrait gâcher votre séjour en Angleterre. Si c’est bien cela que vous craignez, je peux vous assurer que vous pouvez totalement l’oublier. Je suis entièrement persuadé qu’il n’y a personne en Angleterre qui nourrisse un tel sentiment, et je suis sûr que ceux qui sont intervenus avec le plus de passion dans les différentes discussions éprouvent tous le plus profond respect et la plus grande admiration à votre égard. Les discussions au sein de la Société astronomique royale ont seulement concerné un point formel à propos d’un changement éventuel de ses statuts, lesquels se sont révélés complètement inadaptés à cette situation extraordinaire. J’ai compris que vous envisager de visiter l’Angleterre en juin, probablement pour assister à la réunion de l’Association britannique (à laquelle on vous attend, comme le colonel Sabine vous l’a dit). Si c’est bien le cas, je suggère que vous arriviez à Greenwich quelque temps à l’avance, probablement avant fin mai, et en tout cas avant le premier samedi de juin, date à laquelle a lieu la réunion du Comité de visiteurs de l’Observatoire royal. Si vous me dites comment vous pensez arriver, je vous donnerai des instructions sur la meilleure façon de venir à Greenwich. Je suis, cher Monsieur, Fidèlement vôtre G. Airy

4. Lettre de Wilhelm Struve à Le Verrier5 Poulkova, 7 décembre/25 novembre 1847 [la différence de dates est celle entre le calendrier russe et le calendrier occidental].

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Mon très cher ami et confrère, Dans une de Vos dernières lettres, Vous indiquez qu’il s’agit d’une réorganisation de l’Observatoire de Marseille. Permettez-moi de Vous communiquer quelques unes des réflexions que cette importante nouvelle m’a engagé de faire. La France, ce pays auquel la Science doit les immenses progrès de l’Astronomie théorique a faits depuis près d’un siècle, est restée en arrière, pendant cette époque, dans la participation aux travaux d’observation, en partie par le concours de circonstances défavorables que Mr. Biot a si bien exposées dans un article inserré [sic] au journal des savants Sept. 1847. Dans les dernières années enfin, l’Observatoire royal de Paris s’est mis au niveau avec les autres grands observatoires de l’Europe et contribue d’une manière distinguée aux progrès des connaissances célestes. La France possède donc un seul Observatoire, tandis que les autres principaux pays de l’Europe en ont un grand nombre. La Grande Bretagne est le pays le plus riche en établissements astronomiques, car dans les îles Européennes, il y a 8 Observatoires attachés à des établissements publics, ceux de Greenwich, Cambridge, Oxford, Dublin, Armagh, Edinburg, Glasgow et Liverpool, et 7 Observatoires organisés par des personnes privées, MM. South, Bishop, Dawes, Smyth, Cooper, Lassel [Lassell] et Lord Rosse. Ajoutons-y encore les Observatoires qui se trouvent dans les Colonies, à Madras, au Cap ; à la nouvelle Hollande [Australie] et nous trouvons un nombre total de 18 Observatoires astronomiques anglais, plus ou moins actifs, selon les circonstances, et dont deux sont les seuls observatoires existantes [sic] de l’hémisphère terrestre antarctique. En Allemagne, les Observatoires de Königsberg, d’Altona, de Berlin, de Göttingue [Göttingen], de Bonn, de Munich, de Vienne sont au premier rang, par leurs moyens instrumentaux et les travaux qui s’y font. Un nombre plus considérable d’Observatoires du second rang y peut être ajouté, comme ceux de Leipsig, Prague, Manheim, de Cremsmünster [aujourd’hui Kremsmünster, Autriche] et d’autres. L’Italie n’est pas moins riche en Observatoires, quique l’activité y soit inférieure à celle des Observatoires de l’Angleterre et de l’Allemagne. En Russie il y a maintenant 8 Observatoires dont l’arrangement est au niveau de l’état actuel de la science, sans compter plusieurs Observatoires de second rang. Même en Suède et en Norwège, il y a les deux Observatoires de Stockholm et de Christiania [aujourd’hui Oslo], bien développés, et l’on pense à établir un troisième

Appendice 2 : Lettres et documents

dans l’ancienne Université d’Upsala. M. le Dr. Lindhagen d’Upsala, jeune savant très distingué, est à présent à Poulkova pour s’y préparer à sa charge future de Directeur du nouvel Observatoire d’Upsala. Dans le courant du siècle passé, plusieurs Observatoires existaient à Paris, et un certain nombre d’établissements astronomiques dans les provinces de France, comme à Marseille, à Toulouse, etc. Les autres Observatoires de la Capitale ont disparû et dans ce nombre aussi celui, où les Lalandes exécutaient le travail gigantesque de la célèbre histoire céleste Française [il s’agit de l’Observatoire de l’École militaire, où Lalande et son neveu Lefrançois de Lalande ont mesuré la position d’environ 50 000 étoiles]. Si les Observatoires provinciaux de France existent peut-être encore, ils végètent plutôt qu’ils ne sont de quelque utilité réelle pour la science. Il faut cependant excepter en quelque sorte l’Observatoire de Marseille, car c’est là que Pons et Gambart ont fait la découverte d’un grand nombre de Comètes, mais malheureusement, sans se trouver en possession de moyens suffisants pour suivre la marche de ces corps célestes c. à. d. pour déterminer, durant l’apparition, les lieux exacts sur la voute celeste. Néanmoins la science est redevable, en grande partie, aux découvertes faites à Marseille des progrès brillants que l’Astronomie cométaire a faits dans le courant de ce siècle. Si le gouvernement Français a résolu de développer l’Astronomie pratique du pays, il est clair que l’Observatoire de Marseille a les premiers titres d’être secouru, et j’ose recommander cet objet par Votre intermédiaire, aux soins bienveillants et puissants du Chef éclairé de l’instruction publique en France, Mr. le Comte de Salvandy. Dans l’espérance que Vous ne me taxerez point d’importunité, j’ose vous exposer quelques idées sur l’Observatoire de Marseille. Marseille jouit d’un climat qui est reconnu être le plus favorable pour l’observation des astres, d’une pellucidité [transparence] extraordinaire de l’atmosphère et d’une constance distinguée du beau temps. Ces circonstances avantageuses donneraient à l’Observatoire de Marseille le premier rang parmi tous, quant à l’Astronomie cométaire et planétaire, s’il était en état de faire les observations qui s’y rapportent, avec des moyens parfaits. Examinons donc ce qu’il faut faire pour ce but. Un bon cercle méridien muni d’une lunette au moins de 4, s’il est possible de 5 à 6 pouces d’ouverture, pour que les observations planétaires s’y fassent, et en même temps celles

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des étoiles qui ont servi de points de comparaison dans les observations à l’Équatorial. Une grande lunette équatoriale au moins de 6 pouces d’ouverture, ou mieux d’une ouverture plus grande p.e. de 9 pouces, comme celle de Dorpat [aujourd’hui Tartu en Estonie]. Cette lunette doit être pourvue d’un micromètre filaire parfait, et dans lequel les fils pourront être éclairés par le reflet, dans le champ obscur, pour rendre possible l’observation des Comètes faibles. Un chercheur de Comètes de première qualité. Deux pendules de première qualité, dont une doit être placée à côté du cercle méridien et l’autre est destinée à l’usage auprès de la grande lunette, établie sous une tourelle mobile. Un bon chronomètre à boîte qui servira à faire la comparaison des deux pendules. C’est tout mais c’est aussi beaucoup ; surtout par ce que le succès de l’Observatoire dépend de l’établissement favorable de ces instruments. J’avoue que je n’ai aucune idée à quel point l’Observatoire actuel de Marseille se prête à l’emplacement de ces instrumens. Mais je pense que la France n’hésitera pas, en cas de nécessité, de préférer un nouvel établissement parfait à l’arrangement géné de l’ancien local. Voilà mes idées qui se rapportent à Marseille. Mais une idée fait naître l’autre. La France protectrice de Tahiti ne voudrat-elle pas participer à l’astronomie antarctique, et fonder à l’autre hémisphère, dans ce climat unique, un Observatoire complet, et dans lequel les idées du plus grand astronome français observateur du siècle passé, La Caille, pourront être réaalisées sur une échelle digne de notre temps et de la gloire de la France. Les Observatoires anglais de l’autre hémisphère laissent encore beaucoup à désirer. Il paraît même que celui de Sidney [Sydney] est entièrement tombé en léthargie. Recevez, mon très cher confrère,l’assurance de l’amitié et de l’estime le plus sincère [sic], avec laquelle je suis. Votre tout dévoué W. Struve

5. Extraits d’une lettre de protestation de Le Verrier Cette lettre a été envoyée le 29 décembre 1856 au maréchal Vaillant, alors ministre par intérim de l’Instruction publique après le décès subit de Fortoul 6 :

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Monsieur le Maréchal, trois années se sont écoulées depuis le jour où, sur le rapport émané de Votre Excellence (décembre 1853), le Gouvernement a essayé de reconstituer l’Observatoire de Paris sur des bases sérieuses. Ces trois années sont la limite qu’on avait cru devoir fixer à la durée de la réorganisation projetée. Or comme il s’en faut de beaucoup que l’œuvre soit aujourd’hui près de son terme, il est devenu nécessaire d’examiner les causes de ce fâcheux retard et de rechercher si, au prix d’une action immédiate, les promesses faites officiellement pourraient encore recevoir accomplissement. La Commission qui fut chargée en 1853 d’examiner la situation de l’Observatoire l’a reconnue fort insuffisante [suit un résumé de ces insuffisances]. A tous ces inconvénients, […] il faut ajouter qu’on ne disposait, pour faire face aux dépenses courantes et extraordinaires de la nouvelle organisation, que d’un crédit annuel de quarante-cinq mille francs, attendu que sur les cent vingt-cinq mille francs alloués aux établissements soi-disant astronomiques, quatre-vingt mille étaient absorbés par les sinécures du Bureau des Longitudes. […] Pour accomplir les ordres du Gouvernements, j’ai demandé : 1° Une allocation annuelle et régulière de 97 500fr ; 2° Un crédit extraordinaire de 305 000fr indispensable pour pourvoir à la première installation. […] Sa Majesté daigna bientôt porter notre crédit annuel à la somme de 97 500fr. Quant à l’allocation extraordinaire, il fut remis à y pourvoir au commencement de 1856. L’Empereur voulait que j’eusse d’abord examiné s’il eût été utile de transférer l’Observatoire en dehors de Paris comme on l’avait fait de celui de Saint-Pétersbourg [réinstallé à Poulkova en 1838, avec un équipement remarquable et un budget annuel de 80 000 francs]. Mais la nécessité d’un crédit extraordinaire, disponible à partir du commencement de 1856, était nettement admise. Aussi, lorsque le crédit annuel m’ayant seul été alloué en 1855, je proposai à M. Fortoul d’en distraire une partie pour l’affecter aux installations, Son Excellence s’y opposa-t-elle, me déclarant que le crédit annuel devait être entièrement affecté à la mise en train et à la préparation de l’ensemble des travaux scientifiques approuvés par le Gouvernement, attendu que le crédit extraordinaire, nécessaire pour l’installation définitive, était chose convenue pour 1856. C’est en vertu de ces décisions et de ces ordres, et plein de confiance dans l’accomplissement des promesses confirmées par Votre Excellence elle-même, que nous avons commencé la mise à exécution du programme officiel dans toute son étendue

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[ce qui est donc contraire à la défense de Fortoul ! Mais on comprend bien Le Verrier]. […] J’osai parler de la possibilité qu’il y aurait peut-être d’essayer la construction d’une grande lunette avec des verres de 74cm. [Cette] grande et difficile opération […] ne devait pas être commencée avant qu’on eût assuré l’acomplissement des autres travaux officiellement annoncés et déjà en voie d’exécution. L’Empereur honora l’Observatoire de sa visite le 24 mai [1856]. […] L’étude des grands verres [pour cette lunette] avait avancé et, sur la preuve que nous donnâmes à l’Empereur de leur pureté, Sa Majesté nous déclara sa volonté d’en faire l’acquisition. Tel est le motif pour lequel nous avons depuis lors porté notre crédit extraordinaire de 305 000fr à 330 000fr.

6. Extraits d’une lettre autographe du 1er janvier 1874 d’Édouard Stephan à Hippolyte Fizeau7 Dans cette lettre, Stephan décrit les observations interférométriques qu’il a faites à l’instigation de Fizeau avec le télescope de 80 cm Foucault-Eichens de l’Observatoire de Marseille, dont il a muni le miroir d’un cache qui ne laisse apparaître que deux lunules (Fig. A2.2). Les étoiles donnent des franges d’interférence sur leur image au plan focal, que Stephan observe avec des oculaires donnant différents grossissements. Depuis neuf mois, j’ai passé en revue la plupart des étoiles visibles, y compris celles de la 3e grandeur et quelques-unes de la 4e. Toutes m’ont donné des franges. […] Sirius, comme les autres étoiles, m’a donné des franges très nettes. Dans le premier moment, je l’avoue, j’ai éprouvé une vive déception, sentiment contre lequel je me suis hâté de réagir, cart il ne faut pas avoir de mauvaise humeur contre les faits pour les bien étudier. […] Ainsi le diamètre apparent de toutes les étoiles est considérablement inférieur à 1/6 de seconde d’arc. […] Un tel résultat n’est pas sans importance, d’ailleurs, il n’infirme nullement l’espoir que nous avions conçu de mettre en évidence le diamètre de certaines étoiles. Le principe de

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la méthode subsiste, l’instrument est encore trop petit, voilà tout. Il sera bien intéressant de voir ce que donnera le télescope de 1 m,20 actuellement en construction à Paris. L’expérience ne semble pas avoir été tentée avec ce télescope. De toute façon, il était encore trop petit pour résoudre les étoiles. Ceci ne sera fait qu’en 1920 par Albert A. Michelson et Francis G. Pease, avec une base de 7 m, pour Bételgeuse dont le diamètre apparent est 0,047 seconde de degré. Actuellement, les mesures interférométriques du diamètre et de la forme des étoiles sont en plein essor.

7. Lettre de Napoléon III à Le Verrier8 (Fig. A2.3) Compiègne, 25 novembre 1862, Mon cher Monsieur Leverrier, je vous écris pour vous prier de me rendre un service. Ce serait de me faire une table dans laquelle seraient indiquées, d’après la note ci-jointe, les heures romaines suivant les saisons. Je m’explique : les Romains divisaient dans toutes les saisons la nuit et le jour en 12 heures, de sorte que les heures de la nuit étaient plus courtes l’été et plus longue l’hiver, et vice-versa les heures du jour étaient plus longues l’été et plus courtes l’hiver. Maintenant, j’ignore complètement à quelle époque ces changements se fesaient [sic], c’est-à-dire si c’était tous les mois ou tous les trois mois ou simplement au solstice qu’ils réglaient le temps. Il vous sera facile, je pense, de trouver le moyen pratique qu’ils avaient inventé pour augmenter ou diminuer les heures d’une manière régulière. Quand je serai de retour à Paris j’aurai encore à vous consulter au sujet de la traversée de César en Angleterre, mais aujourd’hui je me borne à cette question des heures, en vous remerciant d’avance et en vous donnant l’assurance de mes sentiments distingués. Napoléon

Figure A2.2. Le diaphragme sur le miroir du télescope de 80 cm pour l’expérience de Fizeau-Stephan.

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Figure A2.3. Lettre de Napoléon III à Le Verrier.

8. Lettre de Camille Flammarion à Le Verrier9 Non datée, certainement 1862. Monsieur le Directeur Je viens reconnaître mes torts et la négligence que j’ai apportée depuis quelque temps dans les travaux de l’Observatoire, et vous prier de vouloir bien prendre en considération les motifs qui me portent à vous adresser cette demande et la promesse que je vous fait ici d’être désormais sérieux et attaché à mes occupations. Je tenais à me faire à l’avenir une position à l’Observatoire, voilà pourquoi je me suis occupé d’autres travaux d’Astronomie que ceux qui m’y sont donnés et quelquefois dans le temps consacré à ceux-ci, sans réfléchir que je perdais réellement mon temps pour l’Observatoire et pour moi. Si, d’un autre côté, mon travail et en particulier la correction des épreuves, sur laquelle Monsieur Serret n’avait jamais eu aucun reproche à me faire, a paru se ressentir ces jours derniers d’une négligence impardonnable, permettez-moi, Monsieur le Directeur, de vous en donner la raison. J’espérais, depuis près de quatre ans que je suis attaché à l’Observatoire, n’ayant que 90 fr. de traitement [mensuel], recevoir une augmentation au commencement de l’année,

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et j’ai été étrangement surpris de subir au contraire une diminution sans que l’on m’en ait donné la cause, et cela m’avait découragé. Je vous prie, Monsieur le Directeur, de considérer que j’ai toujours travaillé en vue d’acquérir une position sérieuse dans la science, et qu’une réponse défavorable de votre part briserait d’un seul coup cet avenir que j’ai fait mes efforts de préparer jusqu’ici ; je vous prie de considérer que cette demande vous est plutôt adressée par ma famille que par moimême, et j’espère que vous voudrez bien croire à la sincérité de mes paroles. J’attends avec la plus vive anxiété, Monsieur le Directeur, la réponse qui décide de mon sort. C. Flammarion

9. Lettre de John Herschel à Le Verrier10 Callingwood Sep. 8. 1869 Monsieur et cher Confrere Honneur a qui defend le droit et la justice. Tout le monde vous saura gré pour avoir si loyalement et avec un si éclatant succès écrasé pour toujours un si détestable scandale. Mais ce dévouement même, donne lieu à des réflexions pénibles. Combien de falsifications reste-il encore a dévoiler ? Après cela, quelle foi peut on ajouter à des manuscrits pretendus anciens qu’on produira encore de temps en temps ; en voyant qu’avec ces coquins-la rien n’est sacré ! Il faut bien qu’il y aurait eu des accomplices [sic]. Une seule main – une seule industrie n’aurait, certes suffi pour la production d’une si énorme masse de documents. Aussi, quel talent manqué ! – quelle ingénuité perdue, pour les produire ! Votre réfutation ne m’est pas encore arrivée. Je l’attends avec impatience – quoiqu’on connoit depuis quelques semaines la réussite de votre démarche – la retractation de M. Chasles (qu’on doit plaindre pour avoir été tellement victimisé) – et son exposition du faussaire – qu’il reste à punir de manière pour servir d’exemple a ses coadjuteurs. Veuillez agréer mon tres illustre Confrere l’expression de mes sentiments d’admiration et d’estime les plus affectueux JFW Herschel

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10. Lettre d’Otto Struve à Le Verrier après sa révocation, le 12 février 1970 (Fig. A2.4) « Poulkova 1870 Févr. 12. Mon cher ami ! Les journaux nous ont apporté la nouvelle que Vous venez d’être relevé de vos fonctions de Directeur de l’Observatoire. Permettez moi de Vous en féliciter très sincèrement. Libre des tracasseries continuelles, dont vous étiez abbreuvé dans la dite position, Vous êtes rendu à Votre famille, à Vos amis, à la science qui, je ne doute pas, éprouvera bientôt l’effet favorable du loisir relatif, dont Vous jouirez dorénavant ! D’un autre côté je ne puis pas supprimer mes regrets en pensant que l’Observatoire Impérial, élevé par Votre énergie, par Vos talents à une position si honorable, est menacé de la décadence dans son néant précédent. Accueillez, je Vous prie, avec bienveillance ces expressions de la part d’un homme qui, Vous le savez, n’a jamais manqué de Vous parler avec franchise et conservez ses sentiments d’amitié. à Votre tout dévoué Otto Struve Sous quelle adresse devrai-je vous écrire à l’avenir ? »

Figure A2.4. Lettre autographe d’Otto Struve à Le Verrier après sa révocation.

Appendice 2 : Lettres et documents

11. Extrait d’un document manuscrit d’Yvon Villarceau, daté de décembre 186611 La France a […] pris l’initiative [des] importants travaux qui nous ont conduits à la connaissance des dimensions approchées de notre globe et du système solaire. Les autres nations ont suivi notre exemple, et pendant que nous terminions les détails de notre réseau trigonométrique, elles ont perfectionné les appareils employés dans les triangulations primordiales. Sous le rapport de l’exactitude des grandes opérations géodésiques, nous sommes aujourd’hui dépassés par la Russie, l’Angleterre (dans les royaumes unis et l’Inde anglaise), l’Allemagne, l’Amérique, et si nous n’y prenons garde l’Espagne, L’Egypte et le Portugal nous devanceront peut-être demain. Nous touchons par nos frontières à la Belgique, à l’Allemagne, à la Suisse, à l’Italie et à l’Espagne, et notre réseau de triangles ne peut être lié aux triangles qui couvrent ces pays, à cause de ses défectuosités. Quand elles auront disparu, nous aurons des lignes géodésiques s’étendant de Cadix au cap Nord, de Marennes à Orsowa sur le Danube, embrassant pour ainsi dire l’Europe entière. Si l’on y joint les lignes géodésiques de l’Inde et celles de l’Amérique, on aura le moyen de déterminer la vraie figure de la Terre au nord de l’Équateur. Quant à l’hémisphère austral on peut peut-être se fier au zèle des Anglais, qui ne négligeront pas les mesures à effectuer dans l’Afrique australe et en Australie. Il ne restera plus à explorer que l’Amérique du Sud où le travail ne pourra être entrepris sur une vaste échelle que lorsque les peuples de ce continent auront cessé de se faire la guerre. Il est donc temps que la France reprenne dans la science une position qu’elle n’aurait pas dû laisser s’amoindrir. En conséquence nous avons l’honneur de proposer à M. Le Ministre de vouloir bien prendre les mesures suivantes : 1°. Décider qu’il sera procédé à une nouvelle mesure de la Méridienne de Dunkerque, qu’à cet effet, les fonds nécessaires à l’acquisition d’instruments géodésiques, à l’érection des signaux, aux frais de déplacement et de transport des appareils seront mis à la disposition de l’Observatoire impérial. 2°. Rappeler les autorités départementales à l’exécution des règlements concernant la construction des bornes et repères géodésiques, ou provoquer toute autre mesure administrative qui sera jugée plus propre à atteindre ce but.

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

3°. Mettre à la disposition de l’Observatoire les sommes nécessaires à la continuation des déterminations astronomiques de longitudes, latitudes et azimuts (frais de voyage, d’installation et de transport du matériel, et d’entretien et de réparations des appareils).

12. Traduction d’extraits d’un article de John Herschel concernant la théorie astronomique du climat12 Sur les causes astronomiques qui peuvent influencer les phénomènes géologiques. Lu le 15 décembre 1830 [devant la Geological Society of London]. « Les géomètres ayant démontré l’invariabilité absolue de la distance moyenne de la Terre au Soleil, on pourrait penser que la quantité moyenne de lumière et de chaleur reçue de ce luminaire devrait être invariable : mais un examen plus attentif de la question nous montre que ce n’est pas une conclusion légitime ; mais qu’au contraire, la quantité moyenne de rayonnement solaire [reçu] dépend de l’excentricité de l’orbite terrestre, et est donc sujette à des variations. […] Lorsque l’excentricité de l’orbite varie, la quantité totale de chaleur reçue par la Terre depuis le Soleil en une révolution est inversement proportionnelle au petit axe de l’orbite. […] L’excentricité de l’orbite de la Terre est actuellement en diminution, et l’a été depuis les temps préhistoriques. Par voie de conséquence, l’ellipse s’approche d’un cercle, et comme son petit axe s’allonge, la moyenne annuelle du rayonnement solaire est actuellement en décroissance. Ceci est en accord avec le témoignage de la géologie, qui indique un refroidissement général du climat. » Herschel discute ensuite des valeurs possibles que pourrait prendre l’excentricité de l’orbite terrestre, dont il pense qu’elle ne peut dépasser 0,25 ; le petit axe de l’orbite terrestre serait alors de 0,968 unité astronomique, et le rayonnement moyen annuel reçu du Soleil serait 1,032 fois le rayonnement pour une orbite circulaire. Il reconnaît que le problème de la variation de l’excentricité ne peut être résolu qu’en étudiant les perturbations apportées au mouvement de la Terre par Vénus, Mars, Jupiter et Saturne (c’est cette étude que Le Verrier fera plus tard).

Appendice 2 : Lettres et documents

« Les principes de ce calcul sont détaillés dans un article de Laplace [Mécanique Céleste, livre II, N° 57, équation (u)]. Mais, avant de se lancer dans un travail qui demande autant d’efforts, il faut se demander quel avantage il y aurait à l’entreprendre. Maintenant, il semble clair à première vue qu’une variation de 3 pour cent seulement dans la quantité de rayonnement reçue annnuellement du Soleil, et elle résulte d’une hypothèse extrême, n’encourage pas un tel programme. » Herschel remarque que la position des équinoxes et des solstices par rapport au périgée peut avoir un effet important. Il écrit : « Imaginons d’abord que le périgée du Soleil coïncide avec le solstice d’été à nos latitudes. Dans ce cas, la différence entre la température en été et en hiver serait accrue […]. À l’inverse, si le périgée se trouvait au solstice d’hiver, [l’effet] en serait de réchauffer l’hiver […]. » L’idée est de Charles Lyell13, mais Herschel fait remarquer une erreur dans son raisonnement. Or : « L’effet combiné de la précession des équinoxes et du mouvement des apsides de l’orbite elle-même, [suffirait] à transférer le périgée du solstice d’été au solstice d’hiver, et ceci produirait une transition d’une espèce de climat à l’autre, qui durerait suffisamment longtemps pour permettre un changement réel dans la végétation d’une contrée. Mais si, en faisant les calculs, on constatait que les limites de l’excentricité de l’orbite sont réellement étroites, et si, en discutant complètement le point difficile et délicat de l’effet réel du rayonnement solaire, il apparaissait que la température moyenne et les températures extrêmes de nos climats ne seraient pas significativement affectées, on aurait au moins la satisfaction de savoir que les causes du phénomène en question doivent être recherchées ailleurs dans les relations de notre planète avec le système auquel elle appartient […].

353

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Appendice 3 Grandes lunettes et grands télescopes

On se limite aux diamètres supérieurs à 40 cm pour celles construites après 1847, à l’exception de l’équatorial de la tour Est de l’Observatoire. Tableau A3.1. Les grandes lunettes construites dans le monde avant la mort de Le Verrier en 18771. Emplacement initial

Institution

Date

Diamètre (cm)

Monture

Verre

Objectif

Note

Dorpat=Tartu, Estonie

Observatoire impérial

1824

23

Cambridge, UK

Observatoire

1835

30

Cauchoix

1

Poulkovo, Russie

Observatoire

1839

38

Merz & Mahler

Harvard, USA

Observatoire

1847

38

Merz & Mahler

Wandsworth, UK

Privé

1852

61

?

Slater

2

Fraunhofer Airy

Guinand

Rennie

Paris

Privé (Porro)

1856

52

Porro

Guinand

Porro

3

Walworth, UK

Privé

1858

54

Buckingham

Common, Wray ?

4

Paris

Observatoire

1859

38

Brunner

Guinand

5

Moscou, Russie

Observatoire

1859

49

Chicago, Ill.

Obs. Deaborn

1862

47

Clark

Chance

Clark

Buffalo, N.Y.

Privé

1862

41

Fitz

Chance

Fitz

Lerebours

Merz

6

Newcastle, UK

Privé

1869

64

Cooke

Chance

Cooke

Cambridge, UK

Observatoire de physique solaire

1871

63

Grubb

Chance

Grubb

Washington DC, USA

Observatoire naval

1877

66

Warner & Swasey

Chance

Clark

7 8

9

1. Northumberland telescope. 2. Réfracteur de Craig, aucun résultat scientifique. 3. Observatoire privé d’Ignazio Porro. Aucun résultat scientifique intéressant. Porro a proposé sans succès à Le Verrier de l’acheter pour l’Observatoire. 4. Déplacée par la suite à Edimbourg. 5. Équatorial de la tour Est. Objectif inutilisable, remplacé en 1881 par les frères Henry. 6. Nouvel objectif par Repsold en 1866. 7. Installée seulement après la guerre civile, puis déplacée à Evanston (Ill) en 1889. 8. Newall telescope. Déplacé à Cambridge (UK) en 1891 puis à l’Observatoire national d’Athènes, station de Penteli, en 1957. 9. Initialement monture et objectif dûs à Fitz.

Le Verrier, savant magnifique et détesté

356

Tableau A3.2. Les grands télescopes construits jusqu’en 1877. Emplacement

Institution

Date

Diamètre (cm)

Monture

49

Dom Noël ?

Matière du miroir

Miroir

Note

Speculum

Dom Noël

1

Passy

Privé

1761

Bath (UK)

Privé

1787

48

Herschel

Speculum

Herschel

Bath (UK)

Privé

1789

126

Herschel

Speculum

Herschel

Birr Castle (Ir)

Privé

1839

91

Lord Rosse

Speculum

Lord Rosse

Birr Castle (Ir)

Privé

1847

183

Lord Rosse

Speculum

Lord Rosse

Malte

Privé

1861

61

Nasmyth

Speculum

Lassell

Marseille

Observatoire

1862

80

Eichens

Verre argenté

Foucault

Melbourne

Observatoire

1867

122

Grubb

Speculum

Grubb

2

Edinburgh

Observatoire

1872

61

Grubb

Verre argenté

Grubb

3

Toulouse

Observatoire

1875

83

Eichens

Verre argenté

Frères Henry

4

Paris

Observatoire

1877

120

Eichens

Verre argenté

Martin

5

1. Transporté à l’Observatoire de Paris en 1800. Monture et miroir refaits. Démonté en 1841. 2. Le dernier télescope à miroir en bronze speculum. Peu de résultats, en raison surtout de la distance focale excessivement longue de la combinaison Cassegrain2. 3. Très difficile à utiliser, abandonné en 1879. 4. Peu de résultats en raison d’une équipe inexpérimentée. 5. Miroir mauvais.

Appendice 4 Mesures magnétiques à l’Observatoire de Paris

Les observations Dès que des mesures du champ magnétique terrestre sont devenues possibles, l’Observatoire de Paris y a participé : elles faisaient partie intégrante des attributions des astronomes. Cassini IV et Arago ont été particulièrement actifs dans ce domaine : au cours de sa longue carrière, Arago a réalisé au moins 150 000 mesures du champ magnétique terrestre, grâce à quatre instruments perfectionnés ou conçus par Gambey1 : la boussole de déclinaison, qui permettait de mesurer avec précision la déclinaison magnétique, c’est-à-dire l’angle entre la direction de l’aiguille aimantée et le Nord géographique, la boussole de variations diurnes permettant d’observer les fluctuations temporelles de la déclinaison, la boussole d’inclinaison pour mesurer l’inclinaison du champ magnétique sur l’horizontale, et enfin la boussole des intensités qui mesurait l’intensité de la composante horizontale du champ magnétique. À l’instigation d’Arago, des navigateurs comme le capitaine de frégate Louis-Isidore Duperrey mesuraient la déclinaison magnétique dans tous les points du globe où c’était possible de le faire, afin d’établir, vers 1836, une carte générale du champ magnétique terrestre. Cela avait bien entendu une application pratique très importante pour la navigation, pour laquelle la boussole était toujours un instrument fondamental. Même les variations diurnes du champ magnétique, très étudiées par Arago, avaient leur importance car elles atteignent une dizaine de minutes de degré. Lorsque Le Verrier arrive à l’Observatoire de Paris en 1854, il décide de reprendre les mesures magnétiques qui avaient été quelque peu négligées en raison de la maladie d’Arago. Dans son projet d’organisation de l’Observatoire, il écrit à cette époque2 :

Le Verrier, savant magnifique et détesté

358

« Dans les nombreux observatoires magnétiques et météorologiques de l’Angleterre, les observations se font partout de deux heures en deux heures. […] En Russie et aux EtatsUnis d’Amérique, on va même plus loin, et les observations se font d’heure en heure. Il en est de même à Bruxelles, dans la plupart des observatoires de l’Allemagne, et dans quelques-uns de l’Italie. Ces contrées possèdent d’ailleurs, outre leurs observatoires astronomiques, des observatoires magnétiques plus nombreux encorea. La surface de l’Angleterre, de la Russie, de l’Allemagne et surtout celle de l’Autriche, celle des Etats-Unis, sont couvertes de ces observatoires répartis avec intelligence dans les stations physiques les plus intéressantes ; et la France n’en possède pas un seul. » Au début, ce sont Liais et Goujon qui sont chargés des observations magnétiques. L’enregistrement photographique est maintenant possible, et un magnétomètre enregistreur sur papier sensible est commandé en 1855 à Charles Brooke, de Londres3. Il arrive à Paris en 1858, et est installé dans un pavillon magnétique spécialement construit à 72 m au sud du bâtiment central de l’Observatoire (Fig. A4.1). C’est maintenant Desains qui observe, après la mort de Goujon en 1856 et l’éviction de Liais en 1857. L’instrument (Fig. A4.2) (ou plutôt les instruments car il y a un enregistreur des variations de la déclinaison et un enregistreur des variations de l’intensité horizontale) présente quelques inconvénients, ce qui n’empêche pas Desains et son aide R. Charault d’y observer régulièrement les variations diurnes du champ magnétique, accompagnées de quelques orages magnétiques qui se manifestent par des fluctuations rapides du champ4 (Fig. A4.3). MariéDavy, qui a succédé à Desains après sa démission en 1861, abandonne finalement ce magnétomètre enregistreur pour le remplacer en 1863 par des « boussoles à réflexion » (qui comprennent donc comme les instruments de Brooke un miroir concave réfléchissant, mais ne sont pas enregistreuses) : elles sont plus sensibles car moins lourdes.

a

On constate ici le début de la séparation entre astronomie, météorologie et magnétisme terrestre qui étaient presque toujours auparavant l’apanage des seuls astronomes. Elle n’est pas encore effective en France et ne commencera, dans la douleur, que vers 1870.

Appendice 4 : Mesures magnétiques à l’Observatoire de Paris

359

Figure A4.1. Le pavillon magnétique de l’Observatoire de Paris (gravure de 1862). On y voit sur leur socle parallélipipédique les deux éléments du magnétomètre de Brooke avec les lampes éclairant les miroirs (comparer à la Fig. A4.2). Le cylindre portant le papier photographique enregistreur n’est pas visible, mais l’observateur au fond dépouille un enregistrement. L’appareil au deuxième plan à droite est peut-être un sismographe.

Figure A4.2. Vue schématique du magnétomètre de Brooke. À gauche, l’enregistreur des variations de déclinaison, un barreau aimanté suspendu par un fil sans torsion portant en dessous un miroir concave qui concentre la lumière du bec de gaz D sur le cylindre enregistreur C. À droite, l’enregistreur de l’intensité de la composante horizontale du champ magnétique consistant en un aimant perpendiculaire au champ suspendu par deux fils. Il porte également un miroir concave qui concentre la lumière de la lampe F sur le cylindre enregistreur. Les aimants et les fils sont abrités par des cages et tubes de verre, mais seule la cage de gauche est représentée. L’aimant pour la mesure de l’intensité est muni d’un dispositif qui compense la variation de son aimantation avec la température.

Le Verrier, savant magnifique et détesté

360

Figure A4.3. Deux enregistrements photographiques des variations de la déclinaison magnétique, obtenus avec le magnétomètre de Brooke. En haut, deux jours d’enregistrements où l’on voit clairement la variation diurne. En dessous, variations rapides de la déclinaison pendant deux jours, dues à un orage magnétique.

Figure A4.4. La boussole d’inclinaison de Gambey.

Il nous paraît intéressant de dire quelques mots de ces magnétomètres, qui représentent un progrès notable par rapport à ceux de Gambey qui avaient été utilisés par Arago (seule la boussole d’inclinaison est inchangée, Fig. A4.4). Les magnétomètres de Brooke sont directement inspirés de ceux de Gauss (Fig. A4.5) : il y a ajouté un miroir concave attaché au barreau magnétique, qui renvoie la lumière d’une lampe (un bec de gaz) sur un papier photographique humide enroulé sur un cylindre qui tourne lentement grâce à un mouvement d’horlogerie. Le magnétomètre de déclinaison (à gauche sur la Fig. A4.2) est un simple barreau aimanté suspendu par un fil sans torsion, qui s’oriente évidemment dans la direction du Nord magnétique. Quant au magnétomètre d’intensité (à droite sur cette figure), il consiste en un barreau aimanté suspendu perpendiculairement à la direction du champ magnétique terrestre par deux fils. Le couple exercé par le champ sur le barreau est contrebalancé par la torsion de cet équipement ; toute variation dans l’intensité de la composante horizontale du champ magnétique se traduit par une variation du couple sur le barreau, et donc par une légère rotation de l’ensemble que l’on peut repérer à l’aide d’un miroir, comme pour le magnétomètre précédent. Ces dispositifs sont complétés par un magnétomètrebalance, représenté Figure A4.6. Destiné à mesurer l’intensité de la composante du champ magnétique terrestre et ses variations, il consiste en un barreau aimanté horizontal orienté selon le champ magnétique, fixé à l’extrémité d’une barre reposant sur des couteaux comme le fléau d’une balance ; il est équilibré par un poids réglable de l’autre côté du fléau. On peut rendre enregistreur ce magnétomètre à l’aide d’un miroir concave fixé sous le fléau ;

Appendice 4 : Mesures magnétiques à l’Observatoire de Paris

le cylindre portant le papier sensible est alors placé en dessous de l’appareil. Malgré le changement de personnel (Marié-Davy succède à Desains en 1861, puis Rayet reprend le flambeau en 1873), les observations continuent à l’Observatoire puis à l’Observatoire de Montsouris avec ces instruments, enregistreurs ou non, qui y sont transportés sous la présidence de Delaunay ; mais elles sont assez irrégulières5. Au retour de Le Verrier à l’Observatoire, le ministre ordonne la restitution à l’Observatoire de Paris des instruments magnétiques. Les observations régulières reprennent le 1er juillet 1873 comme avant 1870, dans deux cabanes provisoires car on n’a pas jugé utile de rapatrier à l’Observatoire les pavillons magnétiques qui se trouvaient eux aussi à Montsouris. Le Verrier demande au ministre les fonds nécessaires à la construction de pavillons définitifs, mais les crédits se font attendre, et il y a seulement une promesse pour le budget de 1875. On en restera aux pavillons provisoires, que l’on devra d’ailleurs déplacer car ils sont trop près de la masse de fer que constitue le télescope de 1,20 m. Heureusement l’Observatoire s’est agrandi d’un terrain qui jouxte le Boulevard Arago, et c’est là qu’ils sont installés.

361

Figure A4.5. Carl Friedrich Gauss (1777-1855), médaillon du frontispice de ses Œuvres complètes.

La carte magnétique de la France Entre temps un autre projet s’était dessiné en 1874 : celui de la carte magnétique de la France. En effet, il manque encore une bonne carte de la déclinaison magnétique sur toute l’étendue du territoire. Elle serait utile aux topographes et aux géomètres-arpenteurs pour s’orienter avec précision grâce à une boussole, ce qui est évidemment plus aisé et moins onéreux qu’en observant le Soleil et les étoiles. Il existe déjà un premier travail d’ensemble sur le champ magnétique en Europe, dû à l’allemand Johann von Lamont, directeur de l’Observatoire de Munich, spécialiste du magnétisme terrestre, qui avait entrepris une étude du champ magnétique dans différents pays. En France, il dresse en 1857 des cartes rudimentaires de déclinaison, d’inclinaison et d’intensité à partir d’une trentaine d’observations obtenues avec son « théodolite magnétique ». Mais comme ces observations sont faites à des dates et à des heures différentes, elles sont affectées par les variations temporelles du champ, qu’il n’est guère possible de

Figure A4.6. Magnétomètre balance. Cet instrument est destiné à mesurer l’intensité de la composante verticale du champ magnétique terrestre. Explications dans le texte.

362

Le Verrier, savant magnifique et détesté

corriger. En 1867 et 1868, ces mesures sont reprises par un jésuite anglais, le R.P. Stephen Perry, directeur de l’Observatoire de Stonyhurst dans le Lancashire, avec l’aide du P. Walter Sidgreaves. Ils mesurent eux aussi les paramètres du champ magnétique dans une trentaine de stations, mais tentent cette fois de les corriger des variations à partir de l’observation de celles-ci au collège de Stonyhurst : cependant, cette localité est éloignée des régions étudiées si bien que cette correction ne peut pas être parfaite. Un rapport est fait au Conseil de l’Observatoire le 9 juillet 1874, dont voici quelques extraits6 : « Les agents du service des Mines ou des Ponts et Chaussées s’adressent fréquemment à l’Observatoire pour obtenir les valeurs de la déclinaison de l’aiguille aimantée dans la région dont ils ont à lever le plan. Nous avons l’honneur de proposer au Conseil de donner satisfaction aux hommes de science, aux ingénieurs, en entreprenant la construction d’une carte magnétique de la France. […] Pour pouvoir tenir compte des perturbations, pour rapporter toutes les observations à la même date, il faudra installer des appareils de variations à Paris, à Marseille et à Bordeaux. Ceux de Marseille sont prêts à fonctionner depuis 1869. On n’aurait pas de peine à trouver à Bordeaux un emplacement convenable. […] [À Paris] les pavillons à construire sont au nombre de deux [ceci ne fait que donner de nouveaux arguments pour cette construction qui n’est pas encore financée]. Le grand pavillon, 6 mètres sur 3 mètres, renfermerait les boussoles de variation de déclinaison et d’intensité [sans doute l’intensité de la composante horizontale du champ magnétique]. Le petit pavillon, 2 mètres de côté, abriterait la boussole de variations d’intensité [de la composante verticale ?]. Les appareils nécessaires à la construction de la carte magnétique de la France existent ; ils n’ont besoin que de quelques réparations de peu d’importance. » Ces conclusions sont adoptées par le Conseil, mais le projet ne se mettra pas en place du vivant de Le Verrier. On lit dans le rapport publié en janvier 1879 par l’amiral Mouchez7 : « Quant aux observations magnétiques, elles sont abandonnées depuis plusieurs années. Les pavillons provisoires

Appendice 4 : Mesures magnétiques à l’Observatoire de Paris

363

qu’on avait installés dans le terrain Arago, quand on en a pris possession, ne sont pas établis avec le soin qu’on exige aujourd’hui. » Malgré les réticences de Mouchez à continuer ces observations, on installera en 1882 dans des salles souterraines des appareils de mesure du champ magnétique, qui seront confiés à Wolf. Mais l’humidité les dégradera, et on devra les transporter en 1886 dans la rotonde de l’aile Est ajoutée à l’Observatoire. Les observations magnétiques y seront alors progressivement abandonnées, alors qu’elles sont florissantes en d’autres lieux de la France. Quant à la carte magnétique de la France, elle ne sera terminée qu’à la fin du siècle sans que les astronomes y aient contribué (Fig. A4.7).

Figure A4.7. Carte de la déclinaison magnétique en France au 1er janvier 1896. Il y a de fortes anomales à petite échelle dans le Massif central, zone non représentée sur la carte.

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Notes * désigne les articles ou ouvrages accessibles par http://gallica.bnf.fr ° désigne les articles accessibles par http:// cdsads.u-strasbg.fr + désigne les articles accessibles par http:// cnum.cnam.fr

7

Dupont J.-Y. (2000) « Le cours de machines à l’École polytechnique, de sa création jusqu’en 1850 », Bulletin de la Société des Amis de la Bibliothèque de l’École polytechnique (SABIX) n° 25, p. 1-101.

8

Discours aux funérailles de Le Verrier le 25 septembre 1877.

9

Pour un exposé relativement simple de ces questions, voir Morando B. in Dictionnaire de l’Astronomie (1999) Encyclopædia Universalis et Albin Michel, Paris, article « mécanique céleste ». C’est un extrait de l’Encyclopædia Universalis où l’on trouve le même texte dans la même rubrique. Un exposé très clair et sans équations se trouve dans * Tisserand & Andoyer (1912), p. 267-279 ; ce texte date de 1885 et ignore encore les difficultés que soulèvera Henri Poincaré concernant la stabilité à très long terme du Système solaire. Voir aussi pour un historique C. Wilson, « Celestial Mechanics in the Eighteenth and Nineteenth Centuries », in Encyclopedia of Astronomy and Astrophysics (2001), 4 vol., IOP Publications, London, Vol. 1 p. 276-282.

10

Pour un exposé plus détaillé mais bien accessible de cette question, voir * Tisserand & Andoyer (1912), p. 267-279 ; ce texte date de 1885 et ignore encore les difficultés que soulèvera Henri Poincaré concernant la stabilité à très long terme du Système solaire.

11

Poisson S.-D. (18XX) Connaissance des temps pour 1831, additions, p. 23-48.

12

* CRAS 9 (1839) p. 370-372.

13

Voir Lequeux (2008) pour une biographie scientifique détaillée.

14

Voir par exemple o Laskar J., Astronomy & Astrophysics, 287 (1994), p. L9-L12.

15

Pour une histoire du Bureau des longitudes, voir Bigourdan (1928-1932) et Lequeux (2008), chapitre 1.

16

Reproduite dans Centenaire de la naissance de U.-J.-J. Le Verrier (1911), p. 10.

Abréviations Ann. OP : Annales de l’Observatoire de Paris. Annu. BdL : Annuaire du Bureau des longitudes. BOP : Bibliothèque de l’Observatoire de Paris. CRAS : Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences.

Chapitre 1 1

Le meilleur texte sur la jeunesse et les premiers travaux de Le Verrier est o Bertrand J. (1880).

2

D’après l’acte de naissance de Le Verrier, reproduit dans Centenaire de la naissance de U.-J.-J. Le Verrier (1911).

3

Annales de Chimie et de Physique, 60 (1835), p. 174-194 ; 65 (1837), p. 18-35.

4

Sa sœur en dit (Le Verrier Lucile, 1994, p. 268) : « Nous avons perdu le 2 avril [1876] mon frère aîné Léon. Ce pauvre frère avait gâché sa vie. L’amour immodéré des plaisirs lui avait fait, il y a plusieurs années, abandonner sa solide carrière d’ingénieur des Mines pour l’industrie, afin de gagner de l’argent. Loin d’en gagner, il y perdit celui que mon père lui avait donné, et beaucoup plus ; il fit faillite. Après un intervalle de tâtonnements, de découragements, il parvint à avoir dans différentes administrations des places modestes, mais où il eût pu retrouver un avenir. Hélas, l’amour des plaisirs reparut, il mécontenta ses chefs, se vit remercié… et sa pauvre tête, toujours faible, n’y résista pas… Une certaine obscurité restera toujours autour de cette mort : mon frère s’est empoisonné ; mais s’est-il empoisonné par inadvertance, ou exprès ? »

5

Le Verrier Lucile (1994).

17

* CRAS 16 (1843) p. 1054-1065.

6

Lettre citée par o Bertrand J. (1880).

18

* CRAS 14 (1841) p. 371-373.

Le Verrier, savant magnifique et détesté

366

19

* CRAS 14 (1841) p. 406.

20

* CRAS 14 (1841) p. 487-488, 579-582, 660-663.

21

Faye (1872) Projet de discours (non prononcé) aux obsèques de Delaunay, Annales des Mines, 7e série, vol. 2., accessible par http://www.annales.org/archives/x/ delaunay.html, où l’on trouve aussi une biographie détaillée de Delaunay.

22

D’après Joseph Bertrand : voir BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), Liasse AP.

23

Le travail de Le Verrier sur Mercure culmine par un long article intitulé « Théorie du mouvement de Mercure » imprimé en 1845 dans la Connaissance des temps pour 1848, additions, p. 3-165.

24

* CRAS 16 (1843) p. 1435.

25

* CRAS 18 (1844) p. 826-827 et 19 (1844) p. 559-560.

26

o

27

Une notice nécrologique de cet intéressant personnage, par Charles Nordmann, se trouve dans la * Revue générale des Sciences pures et appliquées, 13 (1902), p. 897-898.

28

* CRAS 19 (1844) p. 666-670 et 982-984.

générale GBR/0180/RGO 6. D’importants extraits se trouvent dans °Airy G.B. Monthly notices of the royal astronomical society 7 (1846) p. 121-144. 4

* CRAS 21 (1845) p. 1050-1055.

5

* CRAS 22 (1846) p. 907-918.

6

D’après l’article de Le Verrier dans la Connaissance des temps pour 1849, additions, p. 3-254, table p. 129-136 ; calculs et dessin de Danjon (1946).

7

Jean-Baptiste Biot a tenté d’expliquer les méthodes de Le Verrier dans six articles du *Journal des Savants (octobre 1846, p. 577-596 ; novembre 1846, p. 641-664 ; décembre 1846, p. 750-768 ; janvier 1847, p. 18-35 ; février 1847, p. 65-86 ; mars 1847, p. 182-187). Arrivé au troisième, il écrit : « À mesure que j’avance dans la tâche que j’ai entreprise, la rigueur du sujet que je traite se fait sentir davantage ; et la route qui mène au but où je tends se hérisse d’obstacles. » Pour comprendre ce qu’a fait Le Verrier, il vaut mieux se reporter à ses propres articles. Un exposé plus élémentaire et très clair se trouve dans *Tisserand & Andoyer (1912) p. 279-288.

8

BOP, Ms 1063(27), 1re partie, p. 5.

9

BOP, Ms 1063(27), 5e partie, p. 2.

10

Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911), p. 12-13. Dans une lettre bien plus tardive d’Airy à Le Verrier datée du 20 décembre 1876 [BOP, MS 1072 (35)], il apporte les précisions suivantes : « The part which depends on calculation of observations is to be divided between Bessel and me. It required generally only ordinary judgement. But I believe that both Bessel and I looked, with a doubtful hope to the possibility that our work would at some time be confronted with theory. But at that time there was no Le Verrier ; I was one of the few persons who might rashly have taken up the enterprise, but my time has always been very closely occupied. In discriminating amongst the various persons concerned in this great enterprise, we must give a very high position to Bessel. The failing of his first discussion of Bradley’s observations have been well pointed out by you ; but they did not in

Tisserand F. (1880).

Chapitre 2 1

En 1880, Gaillot, l’unique élève de Le Verrier, en dit (Gaillot, 1880, p. 103) : « Des discussions plus passionnées qu’impartiales se sont élevées autrefois au sujet de la priorité de la découverte ; aujourd’hui la question est résolue : à chacun revient le mérite intégral de son travail, et la mutuelle estime dont se sont toujours honorés les deux illustres savants, prouve qu’eux du moins savaient se rendre justice. Mais c’est à Le Verrier seul qu’est due la découverte de la planète. » Cependant les controverses ont ressurgi de temps à autre.

2

* CRAS 21 (1845) p. 524-525.

3

Ces lettres sont conservées dans les archives du Royal Greenwich Observatory à Cambridge, Papers of George Airy, ref.

Notes

any case greatly affect the results as for planets : and in proceeding downwards along the course of time by uniform scale, they were practically annihilated. But I must say that Bessel, in the construction of his Tabulae Regiomontanae, showed himself as the first man who profoundly felt that Astronomy is a science of connexion and comparison. And my perception of this point in his character and the character of his work induced me to undertake (using his work as fundation) the reductions which you state to have been so useful to you. » Traduction : « La partie [des recherches] qui dépend du calcul des observations est à diviser entre Bessel et moi [on constate qu’Airy ne tient pas compte de ce qu’ont fait Alexis et Eugène Bouvard, et ignore les réductions faites par Le Verrier lui-même]. Elle n’a généralement requis que des facultés ordinaires de jugement. Mais je crois que Bessel et moi ont tous deux espéré, sans trop y croire, que notre travail puisse être un jour confronté à la théorie. Mais à cette époque il n’y avait pas de Le Verrier ; j’étais une des quelques personnes qui aurait pu avoir la témérité de s’attaquer à cette entreprise, mais mon temps a toujours été très compté. En faisant la part des différentes personnes qui ont participé à cette grande entreprise, nous devons donner une place très importante à Bessel. Vous avez bien fait remarquer l’échec de sa première discussion des observations de Bradley [les plus anciennes connues d’Uranus] ; mais en tout état de cause elles n’ont guère affecté les résultats concernant les planètes [Uranus et Neptune] : en remontant uniformément le temps, on constate qu’elles n’ont guère d’importance en pratique. Mais je dois dire que Bessel, en construisant ses Tabulae Regiomontanae, s’est révélé être le premier à avoir profondément senti que l’Astronomie est une science de connexion et de comparaison. Et c’est d’avoir perçu ce point de son caractère et la nature de son travail qui m’a amené à entreprendre (en me basant sur son travail) les réductions dont vous dites qu’elles vous ont été si utiles. » 11

*CRAS 23 (1846) p. 428-438.

12

*CRAS 23 (1846) p. 657-659.

13

Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911), p. 19.

367

14

Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911), p. 20-22.

15

*CRAS 23 (1846) p. 657-659.

16

Des lettres de félicitation de Encke, Schumacher, Plantamour, Otto Struve, de Vico, Littrow, Valz et Airy sont publiées dans Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911).

17

Pradier avait également conçu un projet de statue à Le Verrier, jamais exécutée, représentant une femme assise tenant à la main un parchemin sur lequel on lit un L au-dessus d’un schéma qui peut être celui d’une planète (Musée du Louvre, département des Arts graphiques, Inv. 32584 recto : voir http://www.culture.gouv. fr/documentation/joconde). Il daterait de 1843, mais Neptune n’était pas découvert et Le Verrier n’était pas assez célèbre pour qu’on lui élève une statue : la date est donc suspecte, mais une statuette présentant la Planète Le Verrier est attestée après 1846.

18

* CRAS 2 (1836) p. 307-311.

19

* CRAS 23 (1846) p. 741-754.

20

Voir Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911), p. 51-52.

21

* CRAS 25 (1847) p. 465-466.

22

Proceedings of the American Academy of Arts and Sciences 1 (1846-48), p. 286-295.

23

D’après un article contemporain paru dans la * Revue des deux mondes.

24

° Ciel et Terre 62 (1946) p. 369-383, fig. 4.

25

Lettre reproduite par Bigourdan dans l’Annu. BdL pour 1933, p. A.30-A.33.

26

D’après Tisserand (1889-1899) t. 1, p. 375.

27

On trouvera une excellente traduction française de l’article de Adams qui décrit ses travaux, paru dans les Memoirs of the Royal Astronomical Society (1847) 16, p. 427 sqq., dans le *Journal de mathématiques pures et appliquées 3e sér. T. 2 (1876) p. 5-32, accessible par Gallica ou par http://wwwmathdoc.ujf-grenoble.fr

28

Reproduite avec la traduction française dans Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911), p. 29-30.

Le Verrier, savant magnifique et détesté

368

29

Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911), p. 30-33.

30

Sur le rôle de John Herschel, voir Kollerstrom N. (2006) « John Herschel on the discovery of Neptune », Journal of Astronomical History and Heritage, 9, p. 151-158.

31

32

On trouve une traduction (par Arago ?) de la lettre d’Herschel à The Athenaeum dans les * CRAS 23 (1846) p. 747-748. Comme celle d’Herschel, la lettre de Challis est traduite en français, probablement par Arago, et publiée dans les * CRAS 23 (1846) p. 749-751 ; c’est cette traduction que nous donnons.

33

* CRAS 23 (1846) p. 751-754.

34

° Monthly notices of the royal astronomical society 7 (1846) p. 121-144. On trouvera un long article d’Airy sur la découverte de Neptune dans °Astronomische Nachrichten (1847) 25, p. 133-160.

35

36

Voir Kollerstrom N. (2006) A hiatus in history : the british claim for Neptune’s co-prediction, 1845-1846, Science history publications 44, p.1-51, http://www.ucl.ac.uk/sts/nk/ neptunestory.pdf et Sheehan W., Kollerstrom N. & Waff G. (2005) L’affaire de la planète volée, Pour la Science, N° 329, p. 24-29, Mars 2005. Sheenan W. & Thurber S. (2007) John Couch Adam’s Asperger syndrome and the british non-discovery of Neptune, Notes and Records of the Royal Society, publication électronique.

aussi la lettre de Le Verrier à Schumacher dans °Astronomische Nachrichten (1847) 25, p. 237-238. 42

Voir en particulier ° Astronomische Nachrichten (1847) 25, p. 192-196 (Encke) et p. 309-314 (Challis). Malgré quelques barouds d’honneur, le nom de Neptune paraît définitivement adopté après mai 1847.

43

Lettre reproduite par Bigourdan dans l’Annu. BdL pour 1933, p. A.30-A.33.

Chapitre 3 1

Archives de l’Académie des sciences, dossier Le Verrier.

2

° Bertrand J. (1880) p. 12.

3

Cité par Bigourdan, Annu. BdL pour 1932, p. A.16.

4

* CRAS 25 (1847) p. 945-953.

5

Lettre citée par Levert, Lamotte & Lantier (1977) p. 103-107.

6

La BOP conserve un brouillon de lettre de Le Verrier offrant une carte de la Lune à cet enfant et la lettre de remerciements de celui-ci : MS 1072 (22 et 23).

7

Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911) p. 48-53.

8

Voir par exemple Lequeux (2008) chapitre 2.

9

* CRAS 27 (1848) p. 202-208 ; une première réponse de Le Verrier se trouve p. 208-210.

37

° Monthly notices of the Royal astronomical Society 7 (1846) p. 142.

10

On trouvera leurs lettres dans Centenaire de la naissance de Le Verrier (1911) p. 58-64.

38

Voir Kollerstrom N. (2006) op. cit. p. 33.

11

* CRAS 27 (1848) p. 273-279.

39

On peut se rapporter au joli livre, très complet, de Christiane Renauld (2004).

12

Liais (1892).

13

Pour les détails de la carrière politique de Le Verrier en général et des festivités de Saint-Lô en particulier, voir Levert, Lamotte & Lantier (1977), p. 103-123.

14

Pour l’histoire de la Révolution de 1848 et l’avènement du Second empire, on pourra consulter Garrigues (2002), chapitres 1 et 2, et pour le rôle d’Arago Lequeux (2008) p. 60-67.

40

* CRAS 23 (1846) p. 662.

41

Le Verrier U.-J.-J. (1846) Recherches sur les mouvements de la planète Herschel (dite Uranus), Connaissance des temps pour 1849, Additions, p. 3-254. Ce mémoire reprend l’essentiel des travaux de Le Verrier ayant conduit à la découverte de Neptune. Le texte cité est en note en bas de la p. 3. Voir

Notes

15

Cité par Bigourdan, Annu. BdL pour 1932, p. A.20.

16

Ce paragraphe et le suivant doivent beaucoup à l’étude de Françoise Lamotte dans Levert, Lamotte et Lantier (1977), p. 101-117.

17

Cité par Bigourdan, Annu. BdL pour 1932, p. A.22.

18

De nombreux détails sur les séances de la Chambre à ce sujet sont donnés dans Fouquier A. (1851) Annuaire historique universel ou Histoire politique pour 1850, Paris, Thoisnier-Desplaces, accessible sur http://books.google.fr .

19

Arago F. (1852) Éloge de Gay-Lussac, in *Œuvres complètes de François Arago, ed. par J.-A. Barral, 13 vol. Gide, Paris et T. O. Weigel, Leipzig (1854-1862) : t. 3, voir les p. 70-112, et en particulier 70-83 et 109-112. Texte reproduit dans Arago F. (1853) Sur l’ancienne École polytechnique, Bachelier, Paris. Le texte semble supposer que la commission n’a pas fini son travail et qu’on pourra encore revenir sur le décret de réorganisation.

20

Bigourdan, Annu. BdL pour 1932, p. A.23.

21

* CRAS (1841) 13, p. 344-348 ; voir aussi * CRAS (1843) 16, p. 1435.

22

* CRAS (1853) 37 p. 793-798, voir aussi p. 965-966.

23

Voir Fonvielle, W. de (1891).

24

Une étude simple du problème est présentée (en anglais) dans http://www.physics. udel.edu/~jim/solarsystem/.

369

divers sur l’Observatoire de Paris, 18541872, cote 3567. 2

Il est publié dans le Moniteur universel du 3 février 1854.

3

BOP, Ms 1047, D2.

4

On trouvera des extraits du rapport lui même, qui présente quelques différences de forme avec le brouillon, dans Le Guet Tully (2005).

5

BOP, MS 1060-1-A.

6

Voir cette lettre dans Bigourdan, Annu. BdL pour 1932, p. A89-A90.

7

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), liasse AP.

8

Bigourdan , Annu. BdL pour 1932, p. A90-92.

9

° Le Verrier (1855) Rapport sur l’Observatoire impérial de Paris et projet d’organisation, Ann. OP, Mémoires 1, p. 1-68, Mallet-Bachelier, Paris.

10

* Biot J.-B. (1847) Compte-rendu de l’ouvrage « Description de l’observatoire astronomique central de Poulkova, par F.G.W. Struve… », Journal des savants, septembre 1847, p. 513-533.

11

Voir Baillaud B. (1923) Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris pour l’année 1922, Paris, Gauthier-Villars, p. 8.

12

Le Verrier écrit p. 23-24 de son rapport : « L’amphithéâtre est et demeurera désormais sans objet. L’Observatoire ne doit point chercher à faire concurrence aux établissements d’instruction publique situés au centre même de la capitale, et qui suffisent à leur tâche. Un établissement à qui l’on demande de travailler à l’avancement de la science, et dont toutes les parties doivent être organisées à l’instar du cabinet d’un savant, doit rechercher le calme le plus absolu, et la première des conditions est qu’il n’y règne d’autre mouvement que celui inhérent à son activité scientifique »… ce qui n’empêchera pas Le Verrier d’y organiser des manifestations mondaines.

13

Interview de Gaillot par Bigourdan en 1888, BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), Liasse AP.

Chapitre 4 1

On trouvera cet arrêté, le rapport de la Commission et tous les textes législatifs cités plus loin dans Beauchamp A. de (18801889) Recueil des lois et règlements sur l’Enseignement supérieur, Paris, Université de Paris, 4 tomes : t. 1 : 1789-1847 ; t. 2 : 1847-1874 ; t. 3 : 1875-1883 et annexes ; t. 4 : 1884-1889 et tables. La plupart peuvent être consultés à la BOP, notamment dans les Documents

Le Verrier, savant magnifique et détesté

370

14

BOP, Ms 1036.

15

Quelques-unes se trouvent à la BOP, Ms 1047 D,6 et D,7.

16

On trouvera de nombreuses illustrations représentant des instruments d’astronomie de l’origine à 1900, ainsi que des renseignements très intéressants sur leurs constructeurs et leur usage, dans Repsold (1908, 1914).

17

L’idée de cet instrument est très ancienne. À la construction de l’Observatoire de Paris de 1667 à 1672, on y a pratiqué un puits vertical atteignant une profondeur de 28 m et de 55 m de hauteur totale, débouchant sur la terrasse supérieure, destiné à l’observation des étoiles près du zénith. Mais la turbulence engendrée par la montée de l’air chaud à travers les ouvertures produisait de très mauvaises images et rendait l’observation impraticable.

18

Des détails intéressants sur la méthode utilisée par Gambey pour construire ce cercle sont donnés par un pli cacheté de 1848 du baron Armand Séguier, ouvert en 1869 : voir * CRAS 68 (1869) p. 207-220.

19

* CRAS 68 (1869) p. 157-161.

20

Pour une description détaillée voir ° Ann. OP, Observations 19 (1865) p. 43-63.

21

Voir Lequeux (2008) chapitre 7.

22

Pour l’histoire de cet instrument, voir Lequeux (2008) chapitre 7, et Véron (2003).

23

Cité par Véron (2003).

24

Le Verrier & Yvon Villarceau, *CRAS 39 (1854) p. 949-961.

25

Le Verrier a cependant prévu une somme de 10 000 francs pour l’objectif de cet équatorial. S’agit-il d’une remise en état ou d’améliorations ? La somme est insuffisante pour construire un objectif neuf.

26

BOP, Ms 1060-1, dossier travaux.

27

Rapport présenté à la commission d’inspection par le directeur de l’Observatoire [Delaunay] le 31 mai 1872, BOP, Ms 1060-1. Une coupole plus petite dite « coupole Chacornac »

existait en 1856, car Le Verrier demande 4 000 francs pour la réparer. 28

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), Liasse B. Le chercheur de comètes est décrit par Yvon Villarceau dans les Ann. OP, Mémoires, 9 (1868) p. A.131-A.135 ; d’après Yvon Villarceau, il aurait été inventé indépendamment par Brunner et par lui-même.

29

En réalité, sur l’insistance des frères Chance, le ministre leur a payé encore 12 500 francs malgré l’opposition de Le Verrier. Comme le disque de flint avait des défauts et qu’ils n’avaient pas l’intention de le remplacer, ils se sont contentés du total de 37 500 francs.

30

Voir Tobin (2002) où l’on trouvera tous les détails sur les travaux de Foucault cités ici, avec les références bibliographiques ; Le Verrier, * CRAS 66 (1868) p. 380-389, décrit, de façon d’ailleurs très incomplète, les contributions de Foucault à l’Observatoire de Paris.

31

Pour les détails donnés dans ce paragraphe, voir Tobin (2002) p. 275-279.

32

Entre temps, le constructeur italien Ignazio Porro, qui vit à Paris, a proposé à Le Verrier en 1858 d’acheter pour la somme énorme de 160 000 francs une lunette avec un objectif de 52 cm de diamètre qu’il avait installée dans sa propriété sur une monture rudimentaire (voir l’appendice 3). L’affaire n’aura pas de suite : voir Fuentès P. (1997) « L’affaire Porro », L’Astronomie 111, p. 270-272, et Tobin (2002) p. 227. Porro avait déjà eu des démêlés avec Le Verrier qui avait refusé de lui payer entièrement une autre lunette en 1853. Il fera faillite en 1861 et retournera en Italie.

33

Un article d’Anna Stoyko paru dans °L’Astronomie 92 (1978) p. 94-99 fait allusion à cet instrument à propos d’une commande de l’Observatoire à l’horloger Winnerl qui concerne certainement une horloge destinée à la distribution de l’heure à Paris, et non le sidérostat lui-même. Les vifs échanges entre Wolf et Le Verrier reproduits en fac-similé dans cet article sont amusants.

Notes

34

Voir pour cet instrument Launay (2007) Journal for the History of Astronomy 38, p. 459-475.

35

Une image de cet instrument se trouve dans °Andrews (1993-1994) p. 249.

36

Pour plus de détails sur les matières traitées dans ce paragraphe, voir Tobin (2002) chap. 13, et Aillaud, Georgelin & Tachoire (2000).

37

Voir Tobin W. & Holberg J.B. (2008) Journal of Astronomical History and Heritage 11, p. 107-115.

38

Voir ° Bulletin astronomique (1884) 1, p. 286-290.

39

Les astronomes français s’intéressant peu à ce type d’observations astrophysique, le travail de Fabry et Buisson et de leur collaborateur Henry Bourget est publié dans un journal américain, l’° Astrophysical Journal, et dans le Journal de Physique français.

40

Voir Tobin (2002) p. 275-279.

41

BOP, Ms 1037. En réalité, il n’est pas pensable à l’époque de couler avec succès un disque de diamètre supérieur à 1,20 m.

42

Voir pour une description détaillée + La Nature, 4e année, 1er trimestre (1876) p. 39-43.

43

Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris pour 1878, janvier 1879, p. 10.

44

Cité par King (1979) p. 246. Texte original : « Refractors have always been found better suited than reflectors to the ordinary work of the observatories. They are, so to speak, of a more robust, as well as of a more plastic nature. They suffer less from vicissitudes of temperature and climate. They retain their efficiency with fewer precautions and under mor trying circumstances. Above all, they co-operate more readily with mechanical appliances, and lend themselves with far greater facility to purposes of exact measurements. »

45

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (4), liasse AE.

46

Foucault L. (1878) Recueil des travaux scientifiques, Paris, Gauthier-Villars, réeimpression (2001) Paris, Albert Blanchard, p. 275.

47

Voir Aillaud, Georgelin & Tachoire (2000), t. 1, p. 181-237 et 295-317 ; voir aussi Caplan & Prévôt (2002).

371

48

Lamy (2007).

49

Lequeux (2008), chapitre 7.

50

Messager du Midi (Montpellier) du samedi 21 juin 1862.

51

Stephan E. (1914) « L’Observatoire de Marseille », Encyclopédie départementale des Bouches du Rhône, Marseille, t. 6 ; article reproduit par Caplan J. & Prévôt M.-L. (2002).

52

Stephan E. (1885) « L’Observatoire de Marseille », ° Bulletin Astronomique, 1, p. 122-132.

53

Pour l’histoire et le devenir de cet observatoire et des autres observatoires de province, voir Le Guet Tully, de la Noë & Sadsaoud (2008), et http://www.bdl.fr/ fr/ephemerides/astronomie/promenade/ pages5/

54

Pour l’équipement de ces observatoires, voir la référence précédente et Grillot (1986).

55

Voir http://www.hp-physique.org/ observatoire.

Chapitre 5 1

Bulletin astronomique (1907) 24, p. 385-395, voir p. 385.

2

Périgaud, propos recueillis par Bigourdan, BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), liasse AP.

3

* Flammarion (1911) p. 139 et 210-211.

4

Bertrand J. (1900) « Vie et travaux de Félix Tisserand », Revue Scientifique, 20 janvier 1900, accessible sur http://www.gloubik. info/Revue-la-recherche/articles/felix-tisserand.html.

5

Le témoignage de Delaunay, dans sa lettre de 1869 au ministre de l’Instruction publique reproduite dans Bigourdan (1933) p. A.30A.32, est bien plus dur envers Le Verrier, mais il ne peut être objectif, connaissant la haine de Delaunay vis-à-vis de Le Verrier : « Les parties dominantes de son caractère sont une audace et un charlatanisme tels que je n’en ai jamais vu de pareils nulle part. Ajoutez à

Le Verrier, savant magnifique et détesté

372

cela que le mensonge sort de sa bouche avec autant de facilité que la vérité : il ment avec une impudence et une effronterie incroyables. D’un despotisme fantaisiste et insupportable avec ses inférieurs, il passe à une platitude obséquieuse avec ceux qui sont au-dessus de lui et dont il peut attendre quelque chose. Il est d’une lâcheté à toute épreuve, et dès qu’il se sent pris il fait le chien couchant : mais c’est pour attendre le moment favorable de reprendre ses allures habituelles. En même temps, il parvient à faire trembler, pas son audace, la plupart de ceux dont il a quelque chose à obtenir, et sur lesquels il peut avoir la moindre prise. L’intérêt de la science n’est rien pour lui. Tout cède devant son immense orgueil, devant le désir de grandir aux yeux de la foule le piédestal qu’on a élevé à sa personnalité. Rien ne l’arrête : les décrets, les règlements, l’expression formelle de la volonté de l’Empereur, tout cela est mis par lui de côté. Il compte sur l’extrême bonté de Sa Majesté et cela lui a toujours réussi depuis 16 ans. »

15

Voir ° Monthly Notices of the Royal astronomical Society 71 (1910) p. 282-287.

16

Voir Flammarion C. (1867-1880) *Études et lectures sur l’Astronomie, t. 1, Paris, GauthierVillars, p. 132.

17

Témoignage de Wolf en 1888 : voir à la BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), liasse AP.

18

D’après Tobin (2002) p. 296 : liste préparée pour la commission qui a examiné la direction de Le Verrier en 1867, A.N. F173719A.

19

Notices nécrologiques de Faissinet dans + La Nature (1873) p. 358-360 et de Rayet dans La Revue scientifique de France et de l’étranger (1873) 2e série, 12, p. 334-335.

20

Chacornac voit avec le télescope le compagnon de Sirius, qui venait juste d’être découvert aux États-Unis : * CRAS 54 (1862) p. 626-628 ; ses observations de la Galaxie des Chiens de chasse (M 51) sont rapportées par Le Verrier dans * CRAS 54 (1862) p. 888-889 et discutées par Tobin W. & Holberg J.B. (2008) Journal of Astronomical History and Heritage 11, p. 107-115 ; enfin, il voit l’ombre de Titan sur Saturne et dessine la Nébuleuse de la Lyre (NGC 6720) : *CRAS 54 (1862) p. 1012.

6

Advielle V. (s.d.) Notes sur l’Astronome Leverrier et sur plusieurs autres Astronomes français. Ouvrage donné par Madame Vve Fraissinet, signé J. Chatelier (?). BOP, Ms 1027.

7

Cité par Levert, Lamotte & Lantier (1977) p. 122.

8

Le Verrier, Lucile (1994).

21

* Flammarion (1911) p. 157-158.

Loliée, F. (1907) p. 361-363.

22

Mémoire sur l’état actuel de l’Observatoire impérial, présenté par les astronomes à son Exc. le ministre de l’Instruction publique. Paris, Lahure, 1870, p. 12-13.

23

* Flammarion (1911) p. 154-156.

24

* Flammarion C. (1862) La pluralité des mondes habités, Paris, Mallet-Bachelier.

25

* Flammarion (1911) p. 210-211.

26

D’après Tobin (2002) p. 217-218. Le ministre règlera occasionnellement le traitement d’autres employés supprimé par Le Verrier : cf. * Flammarion (1911) p. 515.

27

Notice nécrologique dans ° Bulletin Astronomique 24 (1907) p. 385-395.

28

Notices nécrologiques par Bigourdan dans ° Bulletin Astronomique, 2e série 1 (1918) p. 5-13, avec une liste de publications, et dans ° Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (1819) 79, p. 235-236.

9 10

Levert, Lamotte & Lantier (1977) p. 122.

11

* Flammarion (1911) écrit p. 148 : « Mes appointements étaient modestes : 50 francs par mois la première année, portés à 80 le 1er janvier suivant, à 100 au bout de la seconde année, à 150 au bout de la troisième, à 200 au bout de la quatrième. Il s’y ajoutait des heures supplémentaires pendant les mois d’hiver, M. Le Verrier tenant à activer le plus possible la publication des Annales de l’Observatoire. » Mais dans sa lettre que nous citons dans l’Appendice 2, pièce n° 8, il dit ne toucher que 90 francs mensuels après presque 4 ans de présence.

12

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), liasse V.

13

* Flammarion (1911) p. 515.

14

* CRAS 64 (1867) p. 94-99.

Notes

29

Notices nécrologiques dans ° Bulletin Astronomique 23 (1906) p. 273-285 (discours aux obsèques) et 25 (1908), dans ° Astronomische Nachrichten (1908, p. 4111) et dans ° Astrophysical Journal (1907) 25, p. 53-54.

30

CRAS 65 (1867) p. 292-296.

31

Interview par Bigourdan en 1888 : BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), liasse AP.

32

Pour les détails sur ce sujet, voir Bigourdan (1931) p. A.89-A.117 et (1932) p. A.1-A.35.

33

* Flammarion (1911) p. 212-213.

34

Son siège s’y trouve toujours, mais l’essentiel du personnel travaille maintenant à l’Observatoire de Paris dans un laboratoire mixte Observatoire-Bureau des longitudes, l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Éphémérides (IMCCE).

35

* CRAS 50 (1860) p. 273 ; la réponse de Mathieu se trouve p. 348-351.

36

Cité par Bigourdan (1931) p. A.116. Mathieu, ainsi que Laugier et sa femme Lucie, encouragent malgré leurs idées républicaines Delaunay à continuer de fréquenter l’Empereur, afin de contrer Le Verrier.

37

Rayet G. (1876) « Recherches sur les observations magnétiques à l’Observatoire de Paris de 1667 à 1872 », * Ann. OP, Mémoires, 13, p. A*1-A*40.

38

Marié-Davy a d’ailleurs adressé à l’Empereur en octobre 1866 un mémoire imprimé de 19 pages, où il décrit les agissements de Le Verrier à son égard et lui demande d’intervenir (BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris 1854-1872, cote 3567(3), liasse T). Il ne semble pas que cette démarche ait été suivi d’effet.

39

Observatoire de Paris. Rapport fait en décembre 1869, par M. Le Verrier, Paris, GauthierVillars.

40

Mouchez, contre-amiral E. (1880) Rapport annuel sur l’État de l’Observatoire de Paris pendant l’année 1879, Paris, GauthierVillars, p. 10.

41

Mouchez (voir la note précédente) a oublié les cartes des frères Henry. 54 cartes seront finalement réalisées, il en manquera 36.

373

Nous remercions William Tobin pour ces informations. 42

* CRAS 55 (1862) p. 576-578.

43

Voir * Secchi (1879) Les étoiles, Paris, G. Baillière, t. 1 ; les planches VII et VIII sont reproduites fig. 5.11 et 5.12.

44

Secchi avait invité Janssen, qui visitait l’Italie, à placer ses spectroscopes au foyer de la lunette de 24 cm d’ouverture de son observatoire romain. Ils ont observé ensemble le spectre de nombreuses étoiles, mais finalement Secchi a publié seul les résultats dans un journal allemand, n’osant pas le faire à Rome ni à Paris. Janssen était furieux de se voir ainsi dépossédé. Voir Launay F. (2008) p. 35-41.

45

Annalen der Physik und der Chemie 110 (1860) p. 161.

46

Les articles fondateurs de Huggins sont dans Philosophical transactions 154 (1864) p. 413-435 et 437-444 ; 156 (1866) p. 381-397, et dans * Proceedings of the Royal Society 14 (1865) p. 39-42.

47

Voir ° The Observatory (1877) 1, p. 4-8 et * Philosophical transactions (1880) 171, p. 669-690 et pl. 33.

48

Pour le sujet de ce paragraphe, voir * Le Verrier U.J.J., 1853. Mesure de la vitesse de la lumière dans le ciel et à la surface de la terre. – Conséquences pour le système du monde, L’année scientifique et industrielle, 7e année, p. 37-54 ; Tobin W. (1993), Vistas in Astronomy, 36, p. 253-294 ; Tobin (2002) Chap. 14 ; Lequeux (2008) Chap. 4. On trouvera dans les trois dernières références une description détaillée des méthodes de mesure utilisées par Foucault, Fizeau et Cornu.

49

° Ann. OP, Mémoires 4 (1858) p. 1-101.

50

Le miroir tournant et l’horloge originaux sont conservés à l’Observatoire de Paris. Des copies existent en divers endroits, notamment au Musée des arts et métiers/ CNAM où l’on peut voir également une soufflerie qui est peut-être celle de CavailléColl.

51

* CRAS 55 (1862) p. 501-503.

Le Verrier, savant magnifique et détesté

374

52

Cité par Tobin (2002) p. 239.

53

* CRAS 14 (1842) p. 843-861.

54

Arago F. (1851) in * Œuvres complètes de François Arago, ed. par J.-A. Barral, 13 vol., Paris, Gide et Leipzig, Weigel, t. 7, p. 112-135.

55

Carrington R.C. (1858) Information and suggestions addressed to persons who may be able to place themselves within the shadow of the total eclipse of the Sun, September 7, 1858, London, Her Majesty’s Stationery Office.

56

Les péripéties de l’expédition sont racontées par Tobin (2002), p. 224-226.

57

Pour un article nécrologique, voir Nordmann Ch. (1902) * Revue générale des Sciences pures et appliquées 13e année, p. 897-898.

58

Un compte rendu se trouve dans Le Verrier, s.d. (1860), Rapport adressé au ministre de l’Instruction publique et des cultes sur l’observation de l’éclipse totale du 18 juillet, Paris, typ. Panckoucke.

59

La préparation, la réalisation et les résultats de l’expédition française au Siam sont décrits en détail par Yvon Georgelin et Simone Arzano (1999) L’Astronomie, n°113, p. 7-12, et par Georgelin dans Aillaud, Georgelin & Tachoire (2000) t. 3, p. 47-59, avec une abondante iconographie, notamment la reproduction de la lettre de Victor Duruy à Le Verrier. D’autres détails sont donnés par Launay (2008) chap. 3. On pourra lire le compte rendu assez pittoresque de l’expédition par Stephan (1870) Annales scientifiques de l’École normale supérieure 7, p. 99-162, accessible par http://www.numdam.org/ item?id=ASENS_1870_1_7_99_0 .

60

Voir * CRAS 68 (1869) p. 312-314 et 320-321.

61

* CRAS 68 (1869) p. 314-320.

62

L’avance du périhélie de Mercure a fait le sujet du livre de Roseveare (1982) que nous utilisons beaucoup.

63

Le Verrier U.-J. (1859) « Théorie du mouvement de Mercure », ° Ann. OP, Mémoires, 5, p. 1-196 : p. 99.

64

Ibid., p. 102-106.

65

* CRAS, 59 (1959) p. 379-383. Cet article est évidemment plus accessible au non-spécialiste que celui des Annales de l’Observatoire.

66

L’astronome américain Simon Newcomb confirme entièrement ses doutes sur la planète intra-mercurielle lors d’une petite étude très convaincante : ° Astronomical Journal, 6 (1860) p. 162-163. Mais il a aussi des doutes sur la ceinture d’astéroïdes qui produirait les mêmes effets que cette planète.

67

Cette lettre, datée du 22 décembre 1859, est reproduite avec l’histoire de la découverte par Le Verrier et ses commentaires dans les * CRAS, 50 (1860) p. 40-46 et dans les ° Ann. OP, Mémoires 5, p. 394-399. Dans cette dernière publication, elle est datée par erreur du 22/12/1860. L’histoire de Vulcain a fait l’objet du livre de Baum & Sheehan (1997).

68

Il y avait déjà un Vulcain ! Babinet avait suggéré qu’une gande protubérance que l’on avait vue autour du Soleil lors de l’éclipse totale du 8 juillet 1842 était une masse de gaz tournant autour du Soleil, qu’il avait ainsi baptisée : ° CRAS, 22 (1846) p. 281-286. Mais cette idée a fait long feu.

69

* Flammarion (1911) p. 188-190.

70

Effectivement le déplacement de la tache, qui est très proche du bord solaire, pourrait être dû à la rotation apparente du disque solaire au cours de la journée, vu dans une lunette à monture alt-azimutale comme l’était certainement celle de Lescarbault. Mais il y a des contradictions : dans le dessin que donnent Baum & Sheehan (1997) p. 184, le déplacement de la tache est en sens inverse de celui qu’on attendrait dans ce cas, à moins que Lescarbault n’ait pris l’ouest pour l’est à cause du renversement de l’image dans sa lunette. Flammarion dit que l’observation a eu lieu le matin alors que la lettre de Lescarbault à Le Verrier parle du soir. Rien n’est sûr dans cette histoire.

71

« The singular merit of M. Lescarbault’s observation will be recognised by all who examine the attendant circumstances; and astronomers of all countries will unite in applauding this second triumphant conclusion to the theoretical enquiries of M. Le Verrier. » ° Monthly Notices of the Royal astronomical Society, 50 (1860) p. 98-100.

Notes

72

Liais E. (1860) « Sur la nouvelle planète annoncée par M. Lescarbault », ° Astronomische Nachrichten, 52, p. 369-378.

73

* CRAS 53 (1861) p. 950-955.

74

* CRAS 54 (1862) p. 77-82.

75

* CRAS 54 (1862) p. 82-99. Le Verrier étaye sa démonstration en reproduisant littéralement des extraits de son grand article des Annales de l’Observatoire.

76

Faye a aussi longuement attaqué Le Verrier dans la même veine que Delaunay, avec en plus des considérations sur les observations : *CRAS 54 (1862) p. 630-639. Mais cette fois, après une brève réplique de Le Verrier l’Académie n’a pas voulu que la discussion assez longue qui s’est alors engagée soit reproduite dans les Comptes rendus.

77

Newcomb S. (1882) « Discussion and results of observations on transits of Mercury from 1677 to 1881 », US Nautical Almanac Office, Astronomical papers, 1, Washington D.C., U.S. Nautical Almanac Office, p. 363-487.

78

* CRAS 52 (1861) p. 1106-1112.

79

Voir * CRAS 83 (1876) p. 583-589, 621-624 et 719-723. Vers 1880 encore, Tisserand publie une « Notice sur les planètes intra-mercurielles » (Annu. BdL pour 1882, p. 729-772) où il rappelle l’histoire de Vulcain et recommande de continuer les observations.

80

* CRAS 83 (1876) p. 647-655.

81

Pour une description détaillée, voir Flammarion C. (1875) « Le passage de Vénus, résultats des expéditions françaises », + La Nature, 1er semestre 1875, p. 356-358.

82

On en trouvera une discussion approfondie dans Rosevaere (1982). Les articles originaux d’Einstein sont souvent assez difficiles à comprendre, mais le problème du périhélie de Mercure est traité plus clairement dans beaucoup de manuels de relativité générale.

Chapitre 6 1

Flammarion (1911) p. 511-512.

2

Flammarion (1911) p. 514-516.

3

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (4), liasse G.

375

4

Ces textes, ainsi que tous les textes réglementaires concernant l’Observatoire de 1854 à 1872 et d’autres textes intéressants, ont été réunis par G. Bigourdan à la BOP dans Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (3) (4) et (6).

5

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (4), liasse V.

6

Observatoire Impérial de Paris. Rapport fait en décembre 1869 par M. Le Verrier, p. 1-24, s.d., Paris, Gauthier-Villars.

7

Les procès-verbaux des séances du Conseil de l’Observatoire se trouvent à la BOP dans les Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (3), liasse Z.

8

Le compte-rendu de toutes les séances du Conseil se trouve dans Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 18541872, 3567 (3), liasse Z. L’article de MariéDavy se trouve dans les * CRAS 69 (1869) p. 1154-1158 ; il est curieusement sous la rubrique « Météorologie » et a été présenté par Delaunay, et non par Le Verrier qui n’appréciait pas ce type d’observations. Marié-Davy se proposait de continuer ces intéressantes observations, mais il n’en a sans doute pas eu la possibilité.

9

Le Verrier Lucile (1994) p. 41, 45, 52, 61 et 74.

10

Sur Claude Perrault et la construction de l’Observatoire, voir Wolf (1902) et Picon (1988).

11

* CRAS 65 (1867) p. 776-781.

12

* CRAS 65 (1867) p. 1060-1073.

13

* CRAS 65 (1867) p. 1073-1081.

14

* CRAS 65 (1867) p. 1099-1106.

15

* CRAS 66 (1868) p. 17-21. La réponse de Le Verrier est p. 21-29 et p. 53-63. Elle suivie d’une nouvelle intervention d’Yvon Villarceau p. 63-68, et d’une nouvelle réponse de Le Verrier p. 68-76. Celui-ci se croit encore obligé de montrer l’année suivante, à grand renfort de résultats d’observations avec le cercle de Gambey muni d’un bain de mercure définissant la verticale, que « les trépidations du sol n’altèrent pas les observations faites à l’Observatoire de Paris » (* CRAS 68 (1869) p. 157-161.

Le Verrier, savant magnifique et détesté

376

16

* CRAS 68 (1869) p. 207-220.

17

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (3), liasse Z. Delaunay est alors directeur, après la révocation de Le Verrier.

18

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (3), liasse AP.

19

Mouchez E. (1884) Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris, année 1883, Paris, Gauthier-Villars (BOP).

20

Pour une biographie voir Launay F. (2008). Nous en tirons une partie des informations contenues dans ce paragraphe.

21

* CRAS 79 (1874) p. 1018-1024.

22

Archives de l’Académie des sciences, dossier Tresca, et fonds Hippolyte Fizeau.

23

* CRAS 65 (1867) p. 49-51.

24

* CRAS 65 (1867) p. 89-93.

25

* CRAS 65 (1867) p. 121-135.

26

* CRAS 65 (1867) p. 202.

27

* CRAS 65 (1867) p. 185-194. Ces autres lettres sont de Pascal à Boyle, Hooke, Gassendi, au P. Mersenne, à Descartes, etc., et de Newton à Mariotte et à d’autres personnages moins connus.

28

* CRAS 68 (1869) p. 1432.

29

Voir * Flammarion (1911) p. 486.

30

Pour une liste des publications signées de Chasles dans les Comptes rendus, voir l’index dans * CRAS, table générale des t. 62 à 91 (1888), p. 116-120. On pourra à partir de ces publications remonter aux critiques dont il a été l’objet.

31

* CRAS 68 (1869) p. 1425-1433 ; 69 (1869) p. 5-24, 72-95, 213-230. Il existe un tiré à part rassemblant ces textes avec des additions (Gauthier-Villars, s.d.).

32

On en trouvera quelques-uns dans l’article de G. Lenôtre reproduit dans http://ledroitcriminel.free.fr/le_phenomene_criminel/ les_agissements_criminels/escroquerie_ chasles.htm , auquel nous empruntons quelques détails.

33

Flammarion (1911) p. 487.

34

De même, on attribue bien du mérite à Le Verrier pour avoir découvert une fraude pourtant évidente. Par exemple, l’amiral Mouchez dit dans son discours lors de l’inauguration de la statue de Le Verrier à l’Observatoire en 1889 : « C’est […] avec cette rapide intuition de la vérité que Le Verrier comprit, dès les premières communications à l’Académie, la fraude inqualifiable dont était victime un de nos plus savants et vénérés confrères.[…] Le Verrier, plaçant la probité scientifique et l’amour de la vérité au-dessus de tout sentiment de rivalité internationale, sut déjouer cette fraude, et par une longue et habile discussion, par une dialectique des plus remarquables, conserver à Newton la gloire de ses admirables travaux. »

35

Mémoire sur l’état actuel de l’Observatoire impérial, présenté par les astronomes à son exc. le Ministre de l’Instruction publique. Paris, Lahure, 1870, p. 1-18 ; voir à la BOP Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (3), liasse AK.

36

Yvon Villarceau avait déjà adressé une plainte imprimée à l’Empereur, probablement distribuée plus largement, où il détaille ces exactions : BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (3), liasse T.

37

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567 (3), liasse AP.

38

* Ollivier E. (1895-1915) : voir le t. 12 (1908), p. 526-530.

39

Voici le texte de cet arrêté, daté du 5 février 1870 (Journal officiel de l’Empire, 6 février 1870) : « Considérant que la direction de l’Observatoire impérial est confiée à un directeur nommé par Nous et placé sous l’autorité de notre ministre-secrétaire d’État au département de l’Instruction publique ; considérant que tous les chefs de service de cet établissement ont donné leur démission motivée sur des faits imputés par eux au directeur et que les services de l’Observatoire impérial se trouvent ainsi compromis et désorganisés ; que sans attendre les résultats de l’enquête demandée par lui à notre ministre de l’Instruction publique par sa lettre du 29 janvier dernier et au moment où après nomination d’une commission il allait y être procédé, M. Le Verrier, directeur

Notes

377

de l’Observatoire, a cru devoir, en sa qualité de sénateur, porter devant le Sénat une demande d’interpellation adressée par lui au gouvernement sur les incidents relatifs à l’administration de l’Observatoire impérial ; considérant qu’une telle interversion des situations et des rôles serait de nature à porter atteinte à toutes les règles hiérarchiques et à la discipline, si la qualité de directeur de l’Observatoire, avec les obligations qu’elle lui impose, était, en l’état, maintenue à M. Le Verrier ; Avons décrété et décrétons ce qui suit : Article 1er. - M. Le Verrier est relevé de ses fonctions de directeur de l’Observatoire impérial. […] Article 4. – Il sera pourvu à la réorganisation définitive des services de l’Observatoire impérial, aussitôt après l’enquête […] et après que l’état du matériel des inventaires et de la comptabilité aura été reconnu et vérifié.[…] » 40

Il se trouve dans BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, 3567 (3), liasse AL. On en trouvera de larges extraits dans Levert, Lamotte et Lantier (1977).

41

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, 3567 (3), liasse AM.

42

Version d’Ollivier (1895-1915), t. 12 (1908), p. 526-530. Celle donnée par Flammarion (1911) p. 522 est légèrement différente. Duruy y est qualifié de « sage et consciencieux ». L’allusion à la République en plein Empire, bien que ce mot soit entre guillements, est intéressante. Flammarion dit qu’il considérait Émile Ollivier comme républicain, car il avait commencé sa carrière en 1848 comme préfet.

43

Lettres et brouillons sont conservés à la BOP, MS 1060-1.

44

Cité par Danjon (1946) p. 380.

45

BOP, MS 1060-1.

46

Les quelques lignes qui suivent sont inspirées de Garrigues (2002) p. 168-180.

47

* CRAS 72 (1971) p. 611-612. Un texte manuscrit d’Yvon Villarceau (BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, 3567 (3), liasse AP13) décrit ce qui s’est passé : « 1871, 22 mai. Vers midi, l’Observatoire a été envahi par les fédérés. Ayant lutté toute la journée contre les troupes régulières et perdu tout espoir de maintenir leur position,

les fédérés ont voulu incendier l’Observatoire et n’ont réussi qu’à incendier le matériel de la géodésie. Dans la nuit du 23 au 24 la pièce où étaient déposés les instruments de Géodésie étant fermée, on a enfoncé un des panneaux de la porte ; puis on a accumulé des copeaux et de la paille contre les caisses contenant les instruments et mis le feu. Les caisses qui étaient superposées ont été en partie consumées et quelques parties des instruments ont été fondues : bien que l’on ait apporté des secours avant que le feu ne se propageât hors de son foyer primitif, il a pu faire de tels ravages que le cercle n°II de Rigaud ne pourra peut-être plus être utilisé malgré des réparations considérables. Quand il sera possible de faire venir l’artiste (M. Rigaud) il sera fait une reconnaissance de l’état des débris de ce précieux instrument qu’on avait seulement cherché à protéger contre les Prussiens, ne soupçonnant pas que la France pût posséder dans son sein une horde de barbares qui ne trouve d’autre moyen de se consoler de la défaite que par l’incendie de monuments publics. » On comprend la colère d’Yvon Villarceau si l’on sait qu’il avait beaucoup utilisé les cercles de Rigaud pour ses mesures de longitude et de latitude et qu’il les tenait en haute estime (voir le chapitre 8). 48

Bigourdan (1933) p. A.65.

49

BOP, MS 1060-1.

50

Nous ne comprenons pas ce chiffre qui est beaucoup trop faible. D’ailleurs le total demandé de 220 000 francs n’est pas exact ; si l’on considère qu’il fait foi, on arrive à 37 000 francs pour les salaires hors directeur, ce qui est plus raisonnable.

51

Ce texte et les suivants se trouvent à la BOP, MS 1060-1.

52

Voir Bigourdan (1933) p. A.73-A.81.

53

BOP, MS 1060-1. Le Bureau propose les traitements annuels suivants pour le personnel : pour Paris, 1 directeur 15 000 f., 2 astronomes titulaires 8 000, 6 astronomes adjoints 3 500 à 5 500, 1 chef du bureau calculs 5 500, aides et calculateurs 1 500 à 2 500 ; pour Marseille directeur 8 000, 1 astronome adjoint 4 500 ou 5 500, 2 aides (1 500 à 2 500).

Le Verrier, savant magnifique et détesté

378

54

Observatoire de Paris. Rapport présenté à la Commission d’inspection par le directeur de l’Observatoire, le 31 mai 1872, 12 p., Paris, Gauthier-Villars.

55

Voir Lequeux (2008) p. 241-243.

56

Voir Lequeux (2008) p. 331-336.

57

Cité par Levert, Lamotte & Lantier (1977) p. 164.

58

Annales des Mines, 7e série, vol. 2 (1872), accessible sur http://www.annales.org/ archives/x/delaunay.html .

59

Le Verrier Lucile (1994).

60

D’autres détails sont donnés dans * CRAS 72 (1871) p. 269-270.

61

Il s’agit sans doute de la visite « des astronomes » à Thiers en septembre 1871 à laquelle nous avons fait allusion plus haut ; elle aurait donc été sollicitée par Thiers.

Chapitre 7 1

Interview de Gaillot par Bigourdan en 1888 : voir BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), Liasse AP.

2

Journal officiel de la République française, 15 février 1873.

3

BOP, MS 1072 (33). Voici l’original anglais : « […] Even if there were any certainty in the complaints made by some persons, they were totally insignificant in comparison with the great service that you had rendered to your country and the world.[…] The astronomical essays which you have given as a private person, and the extraordinary scientific excitement which you have produced by your organisation of the Association Scientifique, have placed you in a position which any official man of science might envy. I had however a very high respect for M. Delaunay ; and, without adverting specially to his connexion [sic] with the Observatory, I could have wished that he had been spared to finish his Lunar Theory. » Puis en postscriptum : « The non-personal system of the Paris Observatory is not such as we should have adopted in England. »

4

Cette affirmation nous laisse perplexe. Nous n’avons pas retrouvé de telles notes dans les archives de l’Observatoire, mais seulement des interviews par Bigourdan de divers survivants de l’Observatoire et de ses conseils en 1888-1889 (BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), Liasse AP). Ces interviews ne sont nullement anonymes et les opinions qu’ils révèlent paraissent généralement objectives. Ils n’ont jamais été publiés avant les extraits donnés dans ce livre.

5

Ces comptes-rendus se trouvent au complet dans BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), Liasse AA.

6

Journal officiel du 10 décembre 1872, cité par Bigourdan (1933) p. A.65-A.68.

7

* CRAS 75 (1872) p. 1721-1729.

8

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(3), Liasse X.

9

Voir Grillot S. (1986) « Les instruments des observatoires français au XIXe siècle », L’Astronomie, juin 1986, p. 275-289.

10

On trouvera une description détaillée de l’instrument dans + La Nature, 4e année, 1er semestre (1876) p. 39-43. Mais cet article, écrit avant la réception, est bien optimiste sur la qualité du miroir !

11

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), Liasse AR.

12

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), Liasse AE.

13

Rapport de Le Verrier au Conseil de l’Observatoire du 13 avril 1877 : BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), Liasse AC.

14

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), Liasse AE.

15

Mouchez E. (1881) Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris, année 1880, Paris, Gauthier-Villars (BOP).

16

Baillaud B. (1913) Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris en 1912, Paris, Gauthier-Villars, p. 56-58.

Notes

17

Esclangon E. (1931) Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris en 1930, Paris, Gauthier-Villars.

18

Esclangon E. (1938) Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris en 1937, Paris, Gauthier-Villars.

19

Véron P. (2001) Préhistoire de l’Observatoire de Haute Provence, Colloque Observatoires et patrimoine astronomique français, Nantes, accessible sur http://www.obs-hp.fr/ www/histoire/pre-histoire_OHP.pdf

20

Mouchez E. (1879) Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris, Paris, GauthierVillars (BOP).

21

Les informations dans ce paragraphe sont tirées des Rapports annuels de l’Observatoire de Paris (BOP).

22

Dollfus A. (2006) La grande lunette de Meudon, Paris, CNRS Éditions. Voir aussi Launay F. (2008) p. 134-137.

23

Voir pour une description Wolf C. (1877) Le cercle méridien de l’Observatoire de Paris, + La Nature, 5e année, 2e trimestre, p. 406-410.

24

Dans l’article cité dans la note précédente, Wolf écrit : « Un simple coup d’œil jeté sur le grand cercle méridien de l’Observatoire, l’équatorial de l’ouest, le grand télescope, et sur le nouvel instrument de M. Bischoffsheim, tous sortis des ateliers de notre célèbre artiste, M. Eichens, montre la révolution qui s’est opérée dans les procédés de construction. Au lieu d’instruments formés de pièces de laiton laminé, rapportées par de simples vis ou même des soudures à l’étain, ce sont des corps de lunette en fonte de fer boulonnés sur des axes en fonte et acier, à l’aspect robuste et élégant ; des cercles de bronze venus d’une seule pièce à la coulée et protégés de toute déformation par de nombreux croisillons. C’est l’art de l’ingénieur appliqué à la construction des instruments astronomiques, avec la force que donnent le choix des métaux et l’épaisseur des pièces, et la précision que permet d’atteindre l’emploi des machines-outils. Cette révolution a été inaugurée en Angleterre, vers 1847 ; par l’illustre directeur de l’Observatoire de Greenwich, M. Airy. »

25

Lalande J. (1801) Histoire céleste française, contenant les observations faites par plusieurs

379

astronomes français, Paris, Imprimerie de la République. 26

Le Verrier, * CRAS 65 (1867) p. 873-876.

27

L’Observatoire de Paris, qui avait déjà manqué cette mesure au temps d’Arago (voir Lequeux (2008) p. 275-279), ne brillera pas dans ce domaine pourtant capital pendant le règne de Le Verrier. Après 1854, il n’y aura pratiquement aucune détermination de parallaxe jusqu’aux mesures de David Gill en Écosse puis au Cap de BonneEspérance, qui utiliseront un héliomètre comme l’avait fait Bessel en 1838.

28

Voir Dumont (2007), p. 231-232.

29

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), Liasse AA (compte-rendu des séances du Conseil).

30

Ce projet faisait suite au Bonner Durchmusterung (relevé de Bonn), un catalogue comportant plus de 300 000 étoiles observées au cercle méridien, catalogue complété après sa mort par Eduard Schönfeld, puis pour l’hémisphère austral par le Cordoba Durchmusterung sous la direction de J.M. Thome : le nombre total d’étoiles observées se monte à près d’un million, jusqu’à la magnitude 9,5 ou 10. Argelander avait fait lui-même, avec deux assistants, toutes les observations à Bonn entre 1852 et 1857 avec un petit cercle méridien de 7,6 cm d’ouverture. Ce catalogue a été énormément utilisé, mais les positions n’y sont pas très précises si bien qu’Argelander a désiré le compléter par un nouveau catalogue plus précis. Pour une biographie d’Argelander, voir ° Monthly Notices of the Royal astronomical Society 36 (1876), p. 151-155.

31

20 observatoires devraient donc en principe participer au projet. En fait il y en aura moins : Poulkova, Kassan (Kazan), Dorpat (aujourd’hui Tartu), Nikolaïeff (Ukraine), Helsingfors (aujourd’hui Helsinki), Christiana (aujourd’hui Oslo), Leipzig, Leide (Leyde), Cambridge (Angleterre), Cambridge (USA), Chicago, Berlin. Aucun observatoire français dans la liste.

32

Mouchez, E. (1879) Rapport annuel sur l’État de l’Observatoire de Paris [pour 1878], Paris, Gauthier-Villars, p. 3-4. Il écrit : « Ce travail

Le Verrier, savant magnifique et détesté

380

considérable a été commencé en 1854 [en réalité dès 1837]. Pour être utilement fait, il aurait dû être exécuté d’après un plan méthodique bien étudié d’avance et activement poursuivi. […] Malheureusement ce travail, beaucoup trop négligé, a été entrepris avec un personnel insuffisant et trop souvent livré au hasard des circonstances. » 33

Voir Lamy (2008).

34

* Philosophical Transactions 29 (1716) p. 454-465. Pour une traduction française et des études très détaillées sur les passages de Vénus, voir http://www.imcce.fr/vt2004, Arlot (2004) et le CD Rom « Les Rendez-vous de Vénus » distribué par EDP Sciences.

35

Pour les observations à Nagasaki, voir Flammarion C. (1875) « Le passage de Vénus, résultats des expéditions françaises », + La Nature, 1er semestre 1875, p. 356-358.

36

* Hofmann A.W. (1880) Biographie de JeanBaptiste Dumas, Paris, Bureau du Moniteur scientifique. p. 68-69.

son travail sur le mouvement des grosses planètes. 46

Newcomb S. (1866) An Investigation of the Orbit of Neptune with General Tables of its Motion, Washington, Smithsonian Institution.

47

Newcomb S. (1873) An Investigation of the Orbit of Uranus with General Tables of its Motion, Washington, Smithsonian Institution. Voir aussi Newcomb S. (1875), Théorie du mouvement de la planète Uranus, Extrait du Rapport annuel de l’Institution Smithsonienne pour 1872, trad. H. Brocard, Alger, Imprimerie de l’Association ouvrière V. Aillaud et Ce.

Chapitre 8 1

* CRAS 12 (1841) p. 426-430.

2

* CRAS 36 (1853) p. 29-31.

3

Voir Lequeux (2008) p. 199-201 et 213-215. * CRAS 39 (1854) p. 562.

* CRAS 79 (1874) p. 1361-1365.

4

38

* CRAS 80 (1875) p. 290-291.

5

39

Un résumé très clair de la chronologie des travaux de Le Verrier sur la dynamique du système solaire est présenté par lui dans * CRAS 79 (1874) p. 1421-1427.

Philosophical Transactions of the Royal Society of London 116 (1826) p. 77-126.

6

* CRAS 30 (1850) p. 437-440.

7

* CRAS 39 (1854) p. 553-566.

8

* CRAS 35 (1852) p. 820-821.

9

° Blondel, général & Le Verrier (1866) Détermination astronomique de la longitude de Bourges par l’Observatoire impérial et le Dépôt de la Guerre, Ann. OP, Mémoires 8 p. 1-36.

10

Cette information, ainsi que beaucoup d’autres dans ce paragraphe, est extraite d’un texte manuscrit d’Yvon Villarceau daté de décembre 1866, intitulé Exposé sommaire des travaux géodésiques exécutés par les savants français et proposition d’une nouvelle mesure de la méridienne de Dunkerque, par M. Yvon Villarceau, BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, cote 3567 (4), liasse AS.

11

* CRAS 56 (1863) p. 164-170.

12

Pour une description de ces instruments, voir ° Ann. OP, Observations 18 (1864) p. 43-63 et ° Ann. OP, Mémoires, 9 (1868) p. 1-25.

37

40

Discours prononcés à l’occasion de la cérémonie d’inauguration de la statue de Le Verrier (1889), p. 25-34.

41

° Ann. OP, Mémoires, 10 (1874) p. 1-304 et additions p. [1]-[67].

42

Citée par Levert, Lamotte & Lantier (1977) p. 168.

43

Archives de l’Académie des sciences, dossier Tresca.

44

Ces publications se trouvent dans les ° Ann. OP, Mémoires, 11 et 12 (1876) (couvrant l’ensemble de ces deux volumes), 13 (1976) p. 1-228 et [1]-[30], 14 (1877) 1re partie p. A.1-A.92 et [A.1]-[A.163] et 2e partie p. 1-70 et [1]-[96].

45

On trouvera un excellent exposé de l’œuvre de Le Verrier dans + Gaillot (1880), avec en particulier des détails très clairs sur

Notes

13

Voir ° Ann. OP, Mémoires, 8 (1866) p. 1-36 (Bourges), 37-82 (Le Havre), 209-256 (Dunkerque), 257-308 (Brest, Biarritz, Madrid et Nantes), 309-390 (Strasbourg et Talmay), 392-398 (Marennes) ; 9 (1868) p. 26-55 (Brest de nouveau), 56-88 (Rodez), 89-124 (Carcassonne), A.1-A.33 (Salignyle-Vif), A.34-A.75 (Lyon), A.76-A.90 (Paris, station du Jardin de l’Observatoire), A.91A.130 (Saint-Martin-du-Tertre). Les articles concernant Dunkerque, Strasbourg et Talmay, Brest (2e), Rodez et Carcassonne, Saligny-le-Vif, Lyon, Paris et Saint-Martindu-Tertre sont signés par Yvon Villarceau.

14

Voir Levallois (1988) p. 129-131.

15

* CRAS 56 (1863) p. 28-34.

16

Voir entre autres * CRAS 56 (1863), p. 105-118 ; ce texte a l’intérêt de donner un bon résumé des travaux géodésiques de Le Verrier avant 1863.

17

Levallois (1988) p. 131.

18

Procès-verbal de la réunion du 19 mai 1869 du Bureau des longitudes, cité par Levallois (1988) p. 132.

19

20

21

* CRAS 63 (1866) p. 776-785. L’Observatoire de Paris, origine des longitudes à l’époque, est enfoui au milieu d’autres bâtiments et n’est pas accessible aux visées lontaines : il doit être rattaché au Panthéon. Compte-rendu de la séance d’installation du Conseil de l’Observatoire le 19 mars 1873 : BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 1854-1872, cote 3567(4), Liasse AA. Les comptes-rendus contenus dans ce document servent de base à une grande partie de la fin du chapitre. Informations tirées de Gérard Vindt (2007) Télégraphe, téléphone et première mondialisation, Alternatives économiques, juin 2007, p. 78-81.

Chapitre 9 1

Cette section et les suivantes doivent beaucoup à l’excellent livre de Fierro (1991) et à l’article de Dettwiller (1977), avec quelques éléments empruntés à Hontarrède (2000), Jacomy & Javelle (2000) et Javelle et al. (2000).

381

2

Pour une histoire bien illustrée de ces instruments, voir Javelle et al. (2000).

3

Sur Malouin et les météorologistes français de son époque, voir Debyser (2007).

4

* Cotte L. (1774) Traité de météorologie Paris, Imprimerie royale ; (1788) *Mémoires sur la météorologie, Paris, Imprimerie royale.

5

* Lavoisier A. Œuvres t. 3 (1865) p. 759-762 ; les éditeurs ont modernisé l’orthographe originale.

6

* Lavoisier A. Œuvres t. 3 (1865) p. 765-771 ; ce texte a été publié dans le Literary Magazine d’octobre 1790, mais lu comme note du 8 mai 1765 à l’Institut.

7

D’après Fierro (1991) p. 93.

8

* Arago F. Œuvres Complètes t. 8, p. 25-82, 83-146 et 120-124.

9

Cité par Fierro (1991) p. 96.

10

* Arago F. Œuvres Complètes t. 8, p. 1-24, voir p. 1.

11

Cité par Fierro (1991) p. 104-105.

12

* CRAS 1 (1835) p. 380-410, ou *Arago F. Œuvres Complètes t. 9, p. 4-133, avec une introduction ; larges extraits dans Lequeux (2008) p. 469-483.

13

° Ann. OP 1 (1855) p. 54 et suivantes.

14

* CRAS (1855) 41, p. 1197-1204.

15

Dans son Historique des entreprises météorologiques de 1868 (voir référence dans la note suivante), Le Verrier est plus affirmatif : « La discussion de ces documents mit hors de doute que la présence d’un télégraphe électrique entre Vienne et la Crimée aurait pu servir à prévenir nos armées et nos flottes. En apprenant à Vienne que la tempête avait sévi à telle heure sur les côtes de France, à telle heure à Paris, à telle heure à Munich, on pouvait prévoir qu’elle allait atteindre la Mer Noire. Nous ne nous dissimulons pas, disions-nous à l’Académie des Sciences, qu’on rencontrera de grandes difficultés pratiques pour arriver à des résultats de cette importance. En écrivant cette dernière phrase, nous ne songions qu’aux difficultés inhérentes à la question scientifique, sans prévoir les embarras de toute nature et les obstacles qu’on nous a sans

Le Verrier, savant magnifique et détesté

382

cesse opposés, et contre lesquels aujourd’hui encore il nous faut lutter chaque jour. » Et en note, une remarque désobligeante vis-à-vis de Liais : « Si la discussion des documents a mis en évidence la conclusion pratique que nous en avons tirée, nous n’oserions garantir l’exactitude des vues théoriques du travail de l’auteur à qui nous avions confié les réductions. Une nouvelle discussion serait sans doute nécessaire. » Il est vrai que ces vues théoriques sont de peu de profondeur. 16

Le Verrier (1868) Historique des entreprises météorologiques, 1854-1867, Paris, GauthierVillars. Cet écrit rassemble et organise le contenu de notes publiées dans les * CRAS 40 (1855) p. 620-626 ; 42 (1856) p. 1939-1042 ; 60 (1865) p.1317-1327 ; 61 (1865) p. 136-144 ; 62 (1866) p. 1045-1052 et 1107-1108 ; 66 (1868) p. 227-230. Toutes les citations de cette section, sauf indication contraire, proviennent de ce document.

17

* CRAS 40 (1855) p. 620-626.

18

* CRAS 42 (1856) p. 1939-1042.

19

° Ann. OP, Observations 19 (1863) p. 84.

20

Reproduite dans l’Historique des entreprises météorologiques, p. 15-18.

21

22

23

24

Voir Javelle et al. (2000) p. 101-103 ; c’est à la suite d’un naufrage survenu en 1859 que, comme en France, ce bureau a été créé. Le Verrier écrit dans son Historique des entreprises météorologiques pour le 8 janvier 1862, p. 25 : « Nous espérons qu’on pourrait, pour l’établissement d’un bureau spécial, obtenir le concours de la Marine. […] La Marine voudrait bien, sans doute, ne pas nous traiter en étrangers. Les liens les plus étroits ont toujours existé entre la Marine et l’Astronomie, et l’Observatoire Impérial de Paris s’applique à les resserrer. Cet appel ne fut pas mieux entendu que les précédents. » Pour la liste de ces stations et des détails sur le fonctionnement du service météorologique international, voir °Ann. OP, Observations 19 (1864) p. 79-87. ° Ann. OP, Observations 21 (1865) p. 62-74.

25

Nous n’avons pas trouvé trace d’un vol qu’aurait effectué Nadar dans le Sud-Est de la France.

26

Cité par Fierro (1991) p. 114.

27

Son rôle est précisé par un arrêté ministériel en date du 9 avril 1875.

28

Cité par Javelle (2000) p. 103.

29

Cité par Fierro (1991) p. 197.

30

Brault (1880).

31

Pour l’histoire de cette idée, et l’œuvre de Milankovich, voir Andjeli T.P. & Berger A. (1988) Histoire et Mesure 3, p. 385-402, accessible par http://www.persée.fr. Nous empruntons beaucoup à cet article.

32

Encyclopaedia Universalis (2004) article Climatologie. Pour le problème du réchauffement climatique, voir Legendre A. (2009).

33

Arago F., Œuvres complètes, t. 8, p. 206213.

34

Adhémar J.A. (1842) Révolution des mers, Déluges Périodiques, Paris, chez l’auteur.

35

Reynaud J. (1884) Philosophie religieuse : terre et ciel, Paris, Furne, p. 409-425.

36

° MOP 2 (1856) p. [29] (=350) ; voir pour la discussion, très technique, les p. 149 à 185.

37

Croll J. (1864) Philosophical Magazine 28, p. 121-137.

38

Voir des exemples dans Berger A. (1988) Reviews of Geophysics 26, p. 624-657.

39

D’après Berger, op. cit., ainsi que la figure suivante.

40

Voir Legendre A. (2009).

Chapitre 10 1

Centenaire de la naissance de Le Verrier, p. 91-92 ; voir aussi Levert, Lamotte & Lantier (1977) p. 169-170.

2

Tous ces discours sont reproduits dans les *CRAS 85 (1877) p. 579-596.

3

Ce discours est reproduit en partie dans + La Nature, 2e semestre 1877, p. 305-307.

Notes

4

* L’Année scientifique, 1877, p. 522–532.

5

° Ann. OP, Mémoires 15 (1880) p. 3-22 et 23-43.

6

+

7

° The Observatory (1877) 1, p. 199-206.

8

° Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 38 (1878) p. 155-166.

9

* L’Année Scientifique (1890) p. 575-576.

10

Discours prononcés à l’occasion de la cérémonie d’inauguration de la statue de Le Verrier sous la présidence de M. Fallières, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, à l’Observatoire le jeudi 27 juin 1889 (1889) Paris, Firmin-Didot.

11

Voir par exemple Parville, H. de (1896) Le cinquantenaire de Neptune, +La Nature, 2e semestre 1896, p. 22-23.

12

Voir pour des détails Levert et al. (1977) p. 177-179.

13

Centenaire de la naissance de U.-J.-J. Le Verrier (1911) Paris, Gauthier-Villars ; les lettres reproduites dans cette brochure se trouvent pour la plupart à la bibliothèque de l’Observatoire de Paris.

14

Levert , Lamotte & Lantier (1977), p. 115-117.

15

Cette exposition était très complète. Voir Catalogue de l’exposition « Le Verrier et son temps » (1946).

16

Danjon (1946).

La Nature, 2e semestre 1880, p. 102-107.

17

Danjon (1946c).

18

Mouchez E. (1879) Rapport annuel sur l’état de l’Observatoire de Paris, Paris, GauthierVillars, p. 11-12.

Appendice 2 1

Cette lettre est reproduite intégralement en fac-simile dans Centenaire de la naissance de U.-J.-J. Le Verrier (1911).

2

BOP, Ms 1072, 8.

383

3

Il s’agit certainement du mémoire de 1846 paru dans la Connaissance des temps pour 1849, additions, p. 3-254.

4

BOP, Ms 1072, 7. Texte original : « Royal Observatory Greenwich 1847 April 12 Dear Sir, A short time since I learnt that Mr. Dent, Chronometer-maker, of London, was likely to go to Paris, and I intrusted to him the diploma of the R. Astronomical Society notifying your election as a Foreign Associate of that Society. I trust that you have safely received that paper. I have not seen Mr. Dent since his return, but I have heard that he saw you in Paris. And the reporter brought to me two pieces of information which were entirely new to me. The first is, that you are a married man and that Madame Le Verrier is likely to accompany you on any journey which you may make shortly. Mrs Airy and myself beg that you will present our compliments to Madame Le Verrier, and that you will say to her that we anxiously hope that she as well as you will commence your acquaintance with England by passing some time in our house. This will be very agreeable to us : and to Madame Le Verrier we are sure, it will be found the most pleasant way of entering into the customs of a strange country. The next information was, that you were partly unwilling to come to England because you heard that, in the late discussion about the new planet, a national feeling or a feeling of personal hostility towards yourself may have entered, which would make your residence in England unpleasant. If this is your fear, I assure you that you may entirely lay it aside. I verily believe that there is not one person in England who entertains such a feeling, and I am sure that those who have entered most warmly into the different discussions have but one feeling of most profound respect and admiration towards you. The discussions in the R. Astronomical Society have turned entirely upon points of business regarding the extent to which the Society ought to alter the terms of its original constitutions, which have failed entirely to meet the necessities of this extraordinary case.

Le Verrier, savant magnifique et détesté

384

I understood from you that you were likely to visit England in June, probably to attend the meeting of the British Association (at which, as Colonel Sabine informed me, you were expected). In that case, I would suggest that you should come to Greenwich some time earlier, probably before the end of May, and at any rate before the first Saturday of June (when the annual visitation of the R. Observatory takes place). If you will give me notice of the route which you take, I will give you instructions as to the best way of coming to Greenwich. I am, my dear Sir, Faithfully yours G. Airy » 5

BOP, Ms 1072, 12. Cette lettre a été partiellement publiée dans Centenaire de la naissance de U.-J.-J. Le Verrier (1911).

6

La lettre est publiée en entier dans Centenaire de la naissance de U.-J.-J. Le Verrier (1911) p. 68-76 ; une réponse humoristique mais dilatoire de Vaillant à une autre lettre de réclamation est reproduite p. 76-77.

7

Archives de l’Académie des Sciences, Fonds Fizeau, pièce 11.40.

8

BOP, Ms 1072, 12.

9

BOP, Ms 1072, 27.

10

BOP, Ms 1072, 10.

11

BOP, Documents divers sur l’Observatoire de Paris, 3567 (4), liasse AS.

12

Herschel J.W. (1832) Transactions of the Geological Society of London, 3, 2d series, p. 293-299.

13

Lyell C. (1833) Principles of Geology, London, p. 110, accessible par http://www.esp.org/ books/lyell/principles/facsimile .

Appendice 3 1

D’après Lequeux J. (2009) Experimental Astronomy, à paraître.

2

Voir Gascoigne S.C.B. (1996) Quarterly Journal of the Royal Astronomical Society 37, p. 101-128.

Appendice 4 1

Pour ces mesures et une description des instruments et de leur fonctionnement, voir Lequeux (2008), p. 331-343.

2

° Ann. OP 1 (1855) p. 54.

3

Brooke est un des tous premiers à avoir construit un magnétomètre enregistreur sur papier photographique enroulé sur un cylindre, sur lequel un spot lumineux est envoyé par un petit miroir attaché à un barreau aimanté ; il a aussi construit des appareils météorologiques enregistreurs : voir * Philosophical transactions 137 (1847) p. 69-77.

4

Voir ° Desains P. & Charault R. (1863) Ann. OP, Mémoires, 7, p. 237-262 et Pl. II-VI.

5

Voir ° Rayet G. (1876) Recherches sur les observations magnétiques faites à l’Observatoire de Paris de 1667 à 1872, Ann. OP, Mémoires, 13, p. A*.1-A*.40.

6

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Bibliographie * désigne les articles ou ouvrages accessibles par http://gallica.bnf.fr ou http://gallica2.bnf.fr ° désigne les articles accessibles par http:// cdsads.u-strasbg.fr + désigne les articles accessibles par http:// cnum.cnam.fr Une liste presque complète des œuvres de Le Verrier classées par ordre chronologique, compilée par Guillaume Bigourdan, se trouve dans Centenaire de la naissance de U.-J.-J. Le Verrier (1911) Paris, Gauthier-Villars, p. 93-128.

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Index A Aberration, 271 Abraham, Max (1875-1922), 169 Academia del Cimento, 275 Académie des sciences, 4, 7, 16, 31, 49, 66, 140, 142, 179, 182, 188-193, 220, 277, 286, 314 Adams, John Couch (1819-1892), 19, 20, 29, 30, 39, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 319, 324, 325, 385 Adhémar, Alphonse Joseph (1797-1862), 308 Advielle d’Arras, Victor (1833-1903), 125, 129, 130 Agassiz, Louis (1807-1873), 308 Aillaud, G., 386 Airy, George Bidell (1801-1892), 21, 22, 29, 30, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 51, 54, 55, 59, 87, 109, 156, 217, 252, 254, 255, 291, 340, 341, 355 Alberti, Leon Battista (1404-1472), 274 Alcuin (c.735-804), 192 Ampère, André-Marie (1775-1836), 8, 187 Andoyer, Henri (1862-1929), 387 André, Charles (1842-1912), 196, 221 Andrews, A.D., 386 Annales de l’Observatoire de Paris, 41, 85, 135, 146, 243, 244, 247, 317 Année scientifique (L’), 316 Annuaire du Bureau des longitudes, 50, 82, 136, 140, 278, 300 Annuaire météorologique, 277, 300 Aoust, abbé Barthélémy (1814-1885), 244, 385 Appareil des bases de Brunner, 265, 266 Arago, François (1786-1853), 3, 4, 7, 8, 11, 13, 22, 29, 30, 31, 37, 41, 44, 47, 49, 50,

51, 52, 55, 57, 58, 60, 61, 63, 65, 66, 68, 74, 75, 76, 77, 80, 81, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 96, 97, 116, 134, 139, 146, 150, 156, 157, 178, 180, 182, 185, 194, 208, 209, 210, 232, 236, 237, 250, 252, 253, 278, 283, 308, 313, 322, 327, 328, 330, 333, 334, 357, 360, 361, 363, 387 Argelander, Friedrich Wilhelm (1799-1875), 46, 236, 237, 238, 239 Arlot, J.-E., 386 Association géodésique internationale, 263 Association scientifique, 104-105, 127, 195, 297, 299 Astéroïde (petite planète), 24, 68-72 : Cérès, 24, 48, 68 : Pallas, 14, 68, 69 Astrométrie, 89-96 Astronomie populaire d’Arago, 74 Astronomische Nachrichten, 49, 50, 337 Astrophysical Journal, 137 Astrophysique (astronomie physique), 80, 85, 87, 134, 149-150, 177, 184-186, 328-331 Atlas des orages, 299 Atlas météorologique, 299, 300 Atlas des mouvements de l’atmosphère, 299 Atlas photographique de la Lune, 224 Atlas physique et statistique de la France, 300 August, Ernst Ferdinand (1795-1870), 274

B Babinet, Jacques (1794-1872), 61, 62, 173 Baeyer, Johann Jakob (1794-1885), 263

390

Le Verrier, savant magnifique et détesté

Baillaud, Benjamin (1848-1934), 119 Baillaud, Jules (1876-1960), 229 Balard, Antoine Jérôme (1802-1876), 3, 173, 191 Ball, Sir Robert (1840-1913), 385 Baraguey d’Hilliers, maréchal Achille (17951878), 65 Bardoux, Agénor (1829-1897), 305 Barthélémy Saint-Hilaire, Jules (1805-1895), 204, 205, 220 Baudin, amiral Charles (1784-1855), 74 Baum, R., 386 Beauchamp, A. de, 386 Beaurepaire, M., 386 Becquerel, Edmond (1820-1891), 177, 185 Belgrand, Eugène (1810-1878), 216 Bellaguet, 173 Bellet, 116 Berger, André, 307, 310 Bérigny, Ad., 279 Bert, Paul (1833-1886), 219, 220 Berthoud, Ferdinand (1727-1807), 251 Bertrand, Joseph (1822-1900), 56, 61, 83, 125, 185, 247, 317, 321, 385, 399 Bessel, Friedrich Wilhelm (1784-1846), 22, 42, 116, 236 Bichoffsheim, Raphaël, 223 Bigourdan, Guillaume (1851-1932), 83, 119, 183, 196, 204, 228, 242, 323, 385, 386 Binet, Jacques (1786-1856), 74 Biot, Jean-Baptiste (1774-1862), 8, 10, 13, 67, 74, 75, 76, 85, 86, 342 Bischoffsheim, Raphaël (1823-1906), 96, 120, 222, 232, 233, 234, 235, 328 Blondeau, Étienne-Nicolas (ca. 1723-1783), 276 Blondel, général, 255, 258 Bode, Johann Elert (1747-1826), 23, 24, 31, 68 Boinot, 221, 302 Bonaparte, Napoléon (1769-1821), 278 Bonne, colonel, 254 Bontemps, Georges (1799-1883), 99, 102 Borda, Charles de (1733-1799), 151, 265, 276, 277 Borelly, 175 Bossert, 221 Boullian, Ismaël (1605-1691), 190 Bourbeau, Louis Olivier (1811-1877), 175, 177, 185

Bourges (Cher) 255, 258-261 Bournat, François Joseph Calixte (18141886), 212 Bouvard, Alexis (1767-1843), 16, 20, 21, 22, 25, 29, 313, 333 Bouvard, Eugène, 21, 22, 29 Boyle, Robert (1627-1691), 188 Bradley, James (1693-1762), 20 Brahe, Tycho (1546-1601), 15 Brault, lieutenant de vaisseau M. L., 306, 385 Bravais, Auguste (1811-1863), 279, 280 Breguet, Louis (1804-1883), 74, 143, 197, 252, 259, 260 Bremiker, Carl (1804-1877), 19, 34 Brewster, sir David (1781-1868), 190 Briot, Charles Auguste (1817-1882), 197, 202 Brooke, Charles (1804-1879), 358, 359, 360 Broussaud, colonel, 259 Brunner, Johann (1804-1862), 97, 143, 208, 234, 265, 266, 355 Buffon, Georges Louis Leclerc, comte de (1707-1788), 194 Buisson, Henri (1873-1944), 112 Bulletin météorologique international, 290, 294-296 Bunsen, Robert Wilhelm (1811-1899), 149, 185 Bureau central météorologique, 305, 329 Bureau des longitudes, 8, 9-10, 13, 20, 37, 47, 50, 51, 54-56, 58, 74, 80-81, 83, 115, 138-144, 196, 206, 219-220, 250, 252, 253, 262-263, 264, 316, 345 Buys-Ballot, Christophorus Hendrik (18171890), 280, 281, 282, 297

C Câble sous-marin, 252, 268-269 Cacciatore, Gaetano (1814-1889), 37 Caen (Calvados), 2 Caplan, James, 386 Caractère de Le Verrier, 3-4, 56, 124-127, 315-317 Carrington, Richard Christopher (18261875), 156 Carroché (?-1813), 108, 116

Index

Carte écliptique, 70, 133, 134, 147 Cassini I, Jean-Dominique (1625-1712), 96, 135, 178, 323 Cassini IV, Jean-Dominique (1748-1845), 357 Cauchy, Augustin (1789-1857), 287 Cavaignac, général Louis-Eugène (18021857), 63 Cavaillé-Coll, Aristide (1811-1899), 152 Centenaire de la découverte de Neptune, 323-327 Centenaire de la naissance de Le Verrier, 323 Cercle alt-azimuthal de Reichenbach, 207 Cercle azimuthal de Brunner, 265 Cercle méridien, 90 : de Eichens du jardin (Bischoffsheim), 233-235 : de Eichens à Lima (Pérou), 234 : de Eichens à Lyon, 234 : de Eichens à Marseille, 118, 234 : de Fortin, 91 : de Gambey, 93, 95, 236 : de Secrétan-Eichens, 94, 95, 237 : portatif de Rigaud, 203, 261-262 Cercle répétiteur, 234 Cézanne, Ernest (1830-1876), 185 Chacornac, Jean (1823-1873), 70, 109, 110, 113, 132, 133, 144, 147, 157, 173 Challis, James (1803-1882), 29, 30, 35, 43, 44, 45, 46, 47 Chambre des députés, 63-67, 219-220 Chance, frères, 102, 103, 104, 105, 108, 117, 355 Chappe, Claude (1763-1805), 278 Chapu, Henri Michel Antoine (1833-1891), 321 Charles X (1757-1836), 57 Chasles, Michel (1793-1880), 4, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 349 Chemin de fer, 64 Chercheur de comètes, 101-102, 118 Chevallier, 221 Chevreul, Eugène (1786-1889), 188 Chemin de fer, 64 Chercheur de comètes, 101-102, 118 Chimie, 2, 3 Chladni, Ernst (1756-1827), 131 Choquet, 2

391

Clairaut, Alexis-Claude (1713-1765), 5, 28 Clerke, Agnes (1842-1907), 115 Climat, théorie astronomique du, 9, 306311, 352-353 Comète, 14-15, 49, 60, 130-131, 148, 149, 157, 322 : de De Vico, 15, 56 : d’Encke, 49 : de Halley, 22, 28 : de Lexell, 14-15 Comte, Auguste (1798-1857), 326 Commission météorologique départementale, 300, 303, 305 Commission météorologique régionale, 303 Commune (la), 203 Comptes rendus des séances hebdomadaires de l’Académie des sciences, 7, 8, 12, 37, 57, 141, 164, 188, 191, 263 Congrès météorologique international, 303 Conseil général de la Manche, 67-68 Connaissance des temps, 7, 82, 136, 139-141, 219-220, 246, 271 Coriolis, Gaspard de (1792-1843), 282 Corneille, Pierre (1606-1684), 188 Cornu, Alfred (1841-1902), 99, 151, 154, 155, 225, 242, 271, 321 Cosmos, 165 Cotte, Louis (1740-1815), 275 Couder, André (1897-1979), 229, 386 Croll, James (1821-1890), 309 Crookes, William (1832-1919), 161

D d’Abbadie, Antoine (1810-1897), 183, 279 d’Alembert, Jean le Rond (1717-1783), 5 d’Arrest, Heinrich (1822-1875), 34 Daily News, 283 Damoiseau, Marie Charles Théodore de (1768-1846), 7 Danjon, André (1890-1967), 41, 217, 235, 324, 325, 326, 327, 328, 385, 386 Darwin, Charles (1809-1882), 282 Daubenton, Louis (1716-1800), 194 Daubrée, Auguste (1814-1896), 216 Daussy, Pierre (1792-1860), 142 Daverdoing, Charles (1813-1895), 53, 54, 123, 125, 127, 175, 247

392

Le Verrier, savant magnifique et détesté

Dawes, William Rutter (1799-1868), 183 de la Noë, J., 387 de la Rive, Auguste (1801-1873), 132 de la Rue, Warren (1815-1889), 157 de Lesseps, Jules, 301 de Vico, P. Francesco (1805-1848), 15 de Vougy, vicomte Henri, 259, 287, 289, 290 Débarbat, S., 386 Debyser, J., 386 Delamarche, A., 283 Delambre, Jean-Baptiste Joseph (17491822), 8, 20, 141, 256, 258, 259, 262, 264 Delaunay, Charles (1816-1872), 12, 13, 41, 51, 83, 131, 139, 141, 142, 143, 166, 167, 173, 196, 202, 204, 206, 207, 208, 209, 210, 212, 214, 217, 219, 262, 263, 267, 301, 314, 316, 319, 335, 336, 361 Deloffre, A., 143 Dépôt de la Guerre, 258-259, 260, 263, 265 Desains, 134, 144, 173, 299, 358, 361 Descartes, René (1596-1650), 275 Deslandres (1853-1948), 229 Dettwiller, J., 385 Didelot, amiral baron Octave François Charles (1812-1886), 197, 202 Draper, Henry (1837-1882), 149 Drayton, Thomas, 108 Du Mesnil, 202 Duhamel, Constant (1797-1872), 189 Dulong, Pierre-Louis (1785-1838), 3 Dumas, Jean-Baptiste (1800-1884), 4, 74, 75, 180, 185, 241, 247, 314, 385, 387 Dumont, S., 386 Dunkin, Edwin (1821-1898), 254, 318 Dupain, Edmond-Louis (1847-1933?), 14, 243, 313 Duperrey, capitaine Louis-Isidore (17861865), 357 Duplessy, Jean-Claude, 307 Duroy, 251 Duruy, Victor (1811-1894), 159, 173, 175, 177, 185, 200, 201, 300

École des Tabacs, 2, 3 École normale d’instituteurs, 294, 295, 300, 305 Edlèn, Bengt (1906-1993), 161 Eichens, Friedrich Wilhelm (1818-1884), 94, 95, 107, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 118, 126, 182, 183, 208, 223, 225, 229, 231, 234, 237, 346, 356 Eiffel, Gustave (1832-1928), 231 Einstein, Albert (1879-1955), 169 Élie de Beaumont, Léonce (1798-1874), 300 Encke, Johann Franz (1791-1865), 34, 49, 55, 151, 239, 242 Équatorial : voir lunette astronomique (réfracteur) Esclangon, Ernest (1876-1954), 229 Espérandieu, Henri (1829-1874), 118 Espy, James P. (1785-1860), 282 Estagel (Pyrénées-Orientales), 4 Étoile : catalogue, 146, 207, 235-239 : diamètre, 112, 346-347 : double, 113 : filante, 130-131 : spectroscopie, 149-150 : variable, 236 : de Wolf-Rayet 137, 138, 148 Euler, Leonhard (1707-1783), 5

E Éclipse totale de Soleil, 109, 156-161, 185, 220 Éclipse de Lune, 250-251

F Fabry, Charles (1867-1945), 112 Faculté des sciences de Paris, 37, 54 Fahrenheit, Daniel Gabriel (1686-1736), 274 Faugère, Armand Prosper (1810-1887), 190 Favé, général Ildephonse (1812-1894), 135 Faye, Hervé (1814-1902), 15, 81, 96, 119, 143, 156, 157, 159, 164, 173, 185, 186, 189, 202, 206, 220, 247, 254, 255, 257, 262, 263, 313, 316, 385 Feil, Charles (1824-1887), 230, 231, 233 Ferdinand II (1610-1670), 275 Ferrel, William (1817-1891), 281 Ferry, Jules (1832-1893), 203 Fierro, A., 386 Figuier, Louis (1819-1894), 316, 320 FitzRoy, amiral Robert (1805-1865), 280, 281, 282, 292, 293, 322

Index

Fizeau, Hippolyte (1819-1896), 85, 104, 152, 154, 187, 216, 222, 225, 231, 245, 247, 254, 314, 319, 320, 321, 346, 347, 385 Flammarion, Camille (1842-1925), 124, 130, 132, 133, 134, 135, 139, 165, 166, 172, 177, 201, 314, 317, 348, 349, 386 Flamsteed, John (1646-1719), 20 Flauguergues, Honoré (1755-1830), 116 Flemming, Friedrich Wilhelm (1812-1840), 42 Folain, F. (1828-1885), 196, 208, 221 Fontenay-aux-Roses (Hauts de Seine), 180, 181, 183 Fontvielle, W. de (1824-1914), 385 Fortin, Nicolas (1750-1831), 91, 94, 274, 295 Fortoul, Hippolyte (1811-1856), 74, 75, 89, 288, 344, 345, 346 Foucault, Léon (1819-1868), 13, 85, 91, 100, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 124, 134, 135, 137, 138, 143, 144, 151, 152, 153, 154, 157, 159, 160, 172, 177, 180, 183, 208, 224, 225, 227, 230, 231, 234, 242, 288, 328, 335, 346, 356, 387 Fourichon, vice-amiral Martin (1809-1884), 173, 197 Foy, Alphonse (1797-1888), 259, 260, 280 Franck, César (1822-1890), 127 Fresnel, Augustin (1788-1827), 8 Freycinet, Louis Claude de Saulces de (1779-1842), 10 Froment, Gustave (1815-1865), 152 Froment-Dumoulin, 231 Fron, Claude Émile (1836-1911), 196, 221, 302, 303, 304, 305

G Gaillot, Aimable (1834-1921), 144, 183, 216, 221, 244, 246, 318, 385 Galilée, Galileo Galilei dit (1564-1642), 48, 190, 191, 251 Galison, P., 386 Galle, Johann-Gottfried (1812-1910), 19, 29, 31, 32, 34, 37, 38, 47, 61, 313, 334, 337, 338 Galvanomètre, 268, 269 Gambart, Adolphe (1800-1836), 60, 343

393

Gambetta , Léon (1838-1882), 203 Gambey, Henri Prudence (1787-1847), 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 99, 146, 221, 236, 260, 357, 360 Garrigues, J., 386 Gauss, Karl Friedrich (1777-1855), 35, 360, 361 Gautier, Émile (1822-1891), 56, 63, 64, 68 Gautier, Paul (1842-1909), 224, 231, 232, 233 Gavarni, Mme, 210 Gay-Lussac, Louis Joseph (1778-1850), 3, 66 Gennys, 321 Géodésie, 10, 85, 143, 207, 220, 221, 256258, 272, 329, 351-352 Georgelin, Yvon, 386 Gerdil, P. Giacinto Sigismondo (1718-1802), 191 Giacomotti, Félix Henri Sodoma, dit (18281909), 54, 213, 247 Goujon, Jean-Jacques-Émile (1823-1856), 358 Gounelle E. (?-1863), 254 Grant, Robert (1814-1892), 385 Gravimétrie, 143, 151 Grévy, Jules (1807-1891), 220 Grillot, S., 386 Grossmann, Marcel (1878-1936), 169 Guerre de 1870, 202-203 Guizot, François (1787-1874), 57, 60 Guyot-Montpayroux, Antoine Léonce (1839-1884), 197

H Haeghens, J., 279 Halley, Edmond (1656-1742), 22, 28, 239, 243 Hamelin, amiral Ferdinand Alphonse (1796-1864), 291 Hansen, Peter (1795-1874), 12, 46 Harrison, John (1693-1776), 251 Hartmann, Johann Franz (1865-1936), 229 Haussmann, Georges, baron (1809-1891), 179 Havin, Léonor (1799-1868), 62 Héliostat, 152, 153 Hélium, 160 Henry, Joseph (1797-1878), 283

394

Le Verrier, savant magnifique et détesté

Henry, Paul (1848-1905), 99, 119, 147, 221, 224, 226, 227, 228, 355, 356 Henry, Prosper (1849-1903), 99, 119, 147, 221, 224, 226, 355, 356 Herschel, John (1792-1871), 22, 42, 43, 44, 45, 46, 50, 61, 96, 108, 191, 254, 308, 309, 338, 339, 340, 349, 352, 353, 387 Herschel, William (1738-1822), 20, 22, 43, 48, 50, 85, 96, 108, 149, 236, 356 Hind, John Russell (1823-1895), 35, 247, 319 Hofmann, August Wilhelm von (18181892), 241 Hontarrède, M., 386 Hooke, Robert (1635-1703), 274 Horloge, 251 Houzeau, J.C., 386 Huggins, William (1824-1910), 149, 150, 185, 329 Humboldt, Alexandre de (1769-1859), 42, 280, 288 Hussey, Thomas John (actif 1819-1854), 21 Huygens, Christiaan (1629-1695), 190, 250

K

I Infrarouge, 177 Inspecteur général de l’Enseignement supérieur, 68 Interférométrie, 112-113, 346-347

J Jacobi, Carl (1804-1851), 61 Jacomy, B., 386 Janssen, Jules (1824-1907), 149, 157, 158, 160, 161, 168, 184, 185, 187, 216, 220, 232, 240, 247, 316, 329, 330, 385, 387 Javelle, J.-P., 386 Jean, Joseph, 100 Jefferson, Thomas (1743-1826), 282 Jonckheere, Robert (1888-1914), 113 Jupiter, 20, 244 : satellites de, 48, 251 Jurien de la Gravière, amiral Edmond (1812-1892), 216

Kepler, Johannes (1571-1630), 4, 6, 71, 162, 190 King, H.C., 387 Kirchhoff, Gustav (1824-1887), 149, 185 Kirkwood, Daniel (1814-1895), 71 Kollerstrom, N., 385, 387

L Laboratoire de recherches météorologiques du Parc Saint-Maur, 302 Lagrange, Louis de (1736-1811), 5, 7, 80, 141 Lalande, Jérôme de (1732-1807), 47, 107, 116, 146, 207, 235, 236, 237, 238, 343, 386 Lamarck, Jean-Baptiste (1744-1829), 277 Lamont, Johann von (1805-1879), 361 Lamotte, Françoise, 324, 385 Lamy, J., 387 La Nature, 314, 318 Lantier, M., 385 Laplace, Pierre-Simon (1749-1827), 4, 5, 6, 7, 8, 13, 16, 20, 46, 80, 141, 207, 241, 313, 353 La Presse, 61 Largeteau, Charles-Louis (1794-1857), 74, 137, 139, 142 Largeteau, lieutenant, 254 Laskar, Jacques, 9 Lassell, William (1799-1880), 30, 38, 108, 113, 339, 342, 356 Laugier, Ernest (1812-1872), 56, 81, 82, 83, 139, 143, 202, 262 Launay, F., 387 Lavalley, Georges (1894-1959), 324 Lavoisier, Antoine (1743-1794), 276, 277, 278, 387 Le Guet Tully, F., 387 Le Havre (Seine-Maritime), 261 Le Monnier, Charles (1715-1799), 20 Le Roy Ladurie, Emmanuel, 276 Le Siècle, 172, 177 Le Verrier Léon (1838-1876), 3 Le Verrier Lucile, née Choquet (1820-1877), 3, 129, 247, 334

Index

Le Verrier, Urbain-Louis-Paul (1849-1911), 3 Le Verrier, Louis-Baptiste (1780-1846), 2 Le Verrier, Lucile, épouse Magne (18531931), 3, 127, 128, 129, 177, 178, 210, 212, 214, 323, 385 Le Verrier, Marie-Jeanne-JoséphinePauline, née de Baudre (1785- ?), 2 Lefrançois de Lalande, Michel (1766-1839), 47, 116, 235, 343 Legendre, A., 387 Lemonnier, Paul-Hippolyte (1836-1894), 224 Lepaute, Jean-André (1709-1789), 251 Lepissier, 261 Lequeux, J., 387 Lerebours, Nicolas (1807-?), 94, 97, 98, 101, 143, 355 Lerebours, Noël-Jean (1761-1840), 91, 96, 97, 98, 99, 100, 355 Lescarbault, 165, 166 Levallois, Jean-Jacques (1911- ?), 263, 387 Leveau, Gustave (1841-1911), 196, 221 Levert P., 385 Lévy, 196 Lévy, J., 385 Lexell, Anders-Johan (1740-1784), 14, 15 Liais, Emmanuel (1826-1900), 62, 144, 166, 173, 286, 288, 299, 314, 358, 387 Libri, Guglielmo (1803-1869), 37 Liebig, Justus von (1803-1873), 108 Liouville, Ernest, 81 Liouville, Joseph (1809-1882), 7, 12, 139, 141, 142, 173, 197 Littrow, Karl Ludwig von (1811-1877), 35 Lockyer, Norman (1836-1920), 160, 185 Lœwy, Maurice (Moritz) (1833-1907), 124, 133, 136, 138, 144, 185, 196, 206, 208, 216, 221, 222, 224, 232, 233, 237, 238, 271 Loliée, Frédéric (1856-1915), 387 Longitude, 141, 146, 249-255, 258-264, 267272 Loomis, Elias (1811-1889), 282 Louis XIV (1638-1715), 135, 191, 326 Louis XV (1710-1774), 107 Louis XVI (1754-1793), 191 Louis-Philippe (1773-1850), 37, 57, 59 Louis-Philippe II d’Orléans (1838-1894), 37, 57

395

Ludinard, 221 Lune, 13, 141 177 Lunette astronomiq, ue (réfracteur), 90-91, 114-115, 355 : de 75 cm (projet), 102-106, 117, 230233, 327 : de l’exposition de 1900, 107 : grande lunette de Meudon, 232-233 : équatorial de Eichens-Merz à Marseille, 118 : équatorial de Gambey, 96-97 : équatorial du jardin, de Secrétan, 99, 101 : équatorial du jardin, de Foucault, 100 : équatorial de la tour Est, 73, 97-99, 154-155, 203, 208, 355 : équatorial de la tour Ouest, 73, 99100, 231 : petit équatorial coudé, 222-224, 238 : grand équatorial coudé, 223, 224, 232 Lunette méridienne ou des passages, 90 : de Gambey, 91-92, 95, 236 : portative, 260 Lunette zénithale, 90 Lyell, Charles (1797-1875), 353

M Mac-Mahon, Edme Patrice, comte de (18081893), 187 Magne, Lucien (1849-1916), 3, 128, 321 Magnétisme terrestre, 81, 85, 86, 118, 144, 186, 208, 220, 285, 329, 330, 357-363 : carte magnétique de la France, 361363 : instruments, 357-361 : pavillon magnétique, 119, 358, 359, 362 Maisonneuve, 197 Maladie et mort de Le Verrier, 244-247 Malouin, Paul-Jacques (1701-1778), 275 Mangon, Hervé (1821-1888), 305 Manuscrits de Chasles, 188-193, 349 Maraldi, Giacomo Filippo (1665-1720), 135 Marié-Davy, Hippolyte (1820-1893), 132, 137, 144, 172, 173, 177, 196, 206, 299, 300, 301, 302, 358, 361

396

Le Verrier, savant magnifique et détesté

Mars, 9, 71, 152, 243 : avance du périhélie, 167, 168 Marseille (voir aussi Observatoire de Marseille), 210 Martin, Adolphe (1824-1896), 100, 105, 107, 110, 113, 114, 118, 182, 183, 208, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 233, 234, 336, 356 Martins, 279 Mascart, Éleuthère (1837-1908), 305 Maskelyne, Nevil (1732-1811), 257 Mästlin, Michel (1550-1631), 11 Mathieu, A., 143 Mathieu, Claude-Louis (1783-1875), 3, 4, 74, 81, 82, 83, 139, 140, 143 Maurey, 212 Maury, Matthew F. (1806-1873), 282, 283 Mauvais, Victor (1809-1854), 10, 16, 56, 81 Mayer, Tobias (1723-1762), 20 Mécanique céleste, 4-9, 12, 80, 243-244 Méchain, Pierre-André (1744-1804), 8, 256, 258 Mémoires de l’Académie des sciences, 7, 14 Mercure, 9, 10-11, 243 : avance du périhélie, 71, 161-164 : passage de, 110, 163 Mersenne, Marin (1588-1648), 275 Merz, 118, 120, 355 Messier, Charles (1730-1817), 14 Météorologie, 10, 85, 172, 186, 204, 205, 206, 208, 221, 315, 318, 322, 329 : avertissements aux ports, 291-293, 303 : carte synoptique, 297-298 : instruments, 273, 274, 290, 295 : observations simultanées, 275-276 : organisation, 284-285, 287, 288-291, 306 : prévisions, 276-278, 281-283, 284, 290, 292, 294, 297 : prévisions pour l’agriculture, 294, 304 Meyer, Jean, 275 Michelson, Albert A. (1852-1931), 347 Milankovitch, Milutin (1879-1958), 307, 310 Miroir tournant, 152-153 Moigno, abbé François (1804-1884), 61, 154, 165, 385

Molière, Jean-Baptiste Poquelin, dit (16221673), 188 Mong-Kut, roi de Siam (1804-1868), 159, 161 Montlhéry (tour de), 154, 155 Montpellier (Hérault), 117, 136, 211 Morin, général Arthur (1795-1880), 247 Morin, Pierre (1792-?), 278, 287 Morse, Samuel (1791-1872), 259, 283 Mouchez, amiral Ernest (1821-1892), 76, 114, 136, 183, 208, 228, 231, 232, 238, 239, 240, 242, 247, 297, 321, 322, 329, 362, 363, 385 Mouveau, 221 Mouvement propre, 235

N Nadar, Félix Tournachon, dit (1820-1910), 294 Napoléon Ier (1769-1821), 65, 157, 277 Napoléon III (1808-1873), 67, 74, 75, 103, 107, 128, 142, 173, 202, 287, 288, 334, 347, 348 Nautical Almanach, 244, 245 Nébuleuse (ou galaxie), 112 : spectroscopie, 148-150 Nécrologie de Le Verrier, 314-319 Neptune, 244, 246 : découverte, 29-34, 42-46, 61-62, 313, 315, 323-326, 337-340 : masse, 31, 38, 40 : noms de la planète, 34, 47-52 : orbite, 31, 38, 39, 47 : satellites, 30, 38 Newcomb, Simon (1835-1909), 167, 169, 242, 246, 247 Newton, Isaac (1642-1727), 5, 45, 62, 91, 108, 163, 169, 188, 189, 190, 191 Niel, maréchal Adophe (1802-1869), 264 Noël, Dom Nicolas (1712-1781), 107 Nordström, Gunnar (1881-1923), 169

O Observatoire : d’Alger, 111, 119 : de Berlin, 31, 34, 186

Index

: de Besançon, 120 : de Bordeaux, 120, 137, 205 : de Cambridge, 46, 84 : de l’École militaire, 47, 77, 116, 235, 343 : de Genève, 83 : de Greenwich, 43, 76, 83-84, 86, 179, 236, 250, 252-255 : de Haute-Provence, 229, 230 : de Kew, 185 : de Lyon, 120, 234 : de Marseille, 60, 101-102, 110-113, 115119, 180, 201, 206, 234, 284, 343-344 : de Meudon, 121, 184-188 : de Nice, 120 : de Paris : amphithéâtre, 88 : bibliothèque, 143-144, 195, 208 : cabinets d’observation, 95, 234 : Commission de contrôle (ou d’inspection), 79-80, 173, 175, 201, 202, 207, 214 : Conseil, 175-177, 214-217, 303, 304 : financement, 89, 105, 113, 204, 222223, 224, 233 267, 344-346 : logement du personnel, 88, 208 : observations, leur réduction, 80, 81, 88, 145-150, 235-239 : organisation, 75-89, 144, 174, 221, 358 : problèmes avec le personnel, 132138, 172, 193-196, 202, 217, 319, 349350 : projets de déplacement, 76, 86, 178183, 232 : salaire du personnel, 175, 204, 349 : vie à l’Observatoire, 128-138, 155, 218219, 220-221 : de Poulkova, 35, 60, 76, 86, 179, 181, 236, 238, 345 : de Strasbourg, 120-121 : de Toulouse, 111, 115, 119, 180, 205, 241 : du Vatican, 35 : météorologique de Montsouris, 204, 207, 301-302 : météorologique du Pic du Midi, 304 : météorologique du Puy-de-Dôme, 304 Olbers, Heinrich (1758-1840), 49, 68, 69, 70

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Ollivier, Émile (1825-1913), 193, 196, 202, 387 Oort, Jan (1900-1992), 15 Opinions politiques de Le Verrier, 57, 58, 64, 67 Oppolzer, Theodor Egon von (1841-1886), 271 Orage, 299

P Parallaxe, 236 : du Soleil, voir Soleil Pascal, Blaise (1623-1662), 188, 189, 190, 191, 192, 275 Pastre, C., 386 Pease, Francis G. (1881-1938), 347 Peirce, Benjamin (1809-1880), 38 Peligot Eugène (1811-1890), 247 Pelouze, Théophile (1807-1867), 224 Penhoat, amiral Jérôme-Hyacinthe (18121882), 201 Périer, Florin (1605-1872), 275 Périgaud Ernest (c.1825- ?), 124, 138, 196, 221 Pérot, Alfred (1863-1925), 112 Perrault, Claude (1613-1688), 76, 91, 178, 387 Perrier, capitaine François (1833-1888), 264 Perrin, Jean (1870-1942), 330 Perrotin, Henri (1845-1904), 119 Perry, R.P. Stephen (1833-1889), 362 Perturbations des orbites planétaires, 6, 11, 20, 23, 40, 41, 151, 162, 307 309 Petit, Frédéric (1810-1865), 116 Phare de la Manche (Le), 209 Photographie, 157, 159, 168 Piazzi Smyth, Charles (1819-1900), 385 Piazzi, Giuseppe (1746-1826), 24, 48, 68 Picon, Antoine, 387 Pignard Dudezert, 68 Pingré, Alexandre-Gui (1711-1796), 14 Plana, Giovanni (1781-1864), 7 Planète (petite) : voir astéroïde Plantamour, Émile (1815-1882), 35, 83, 84, 280 Pluton, 36 Poggia, 175

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Le Verrier, savant magnifique et détesté

Poincaré, Henri (1854-1912), 9, 71 Poinsot, Louis (1777-1859), 50, 142 Poisson, Siméon Denis (1781-1840), 7 Pons, Jean-Louis (1761-1831), 60, 343 Pontécoulant, Gustave de (1795-1874), 7 Porro, Ignazio (1801-1875), 157, 265, 355 Portrait de Le Verrier, 53, 54, 213 Pradier, Jean-Jacques dit James (1790-1852), 37, 323, 324 Précession, 235, 307-308 Prévôt, M.-L., 386 Pritchard, Charles (1808-1893), 385 Puiseux, Pierre-Henri (1855-1828), 133, 136, 224 Puiseux, Victor-Alexandre (1820-1883), 133, 134, 173, 242 Puissant, Louis (1769-1843), 259

Revue des Deux-Mondes, 50 Reynaud, Jean (1838-1863), 308 Riccioli, Giambattista (1598-1671), 11 Richelieu, Armand Jean du Plessis, Cardinal de (1585-1642), 188 Rigaud, 203, 234, 261 Robinson, Thomas R. (1792-1882), 274 Robiou de Lavrignais Alexandre (18051886), 173 Rochas, M., 386 Rochefort, Henri (1831-1913), 203 Romme, Gilbert (1750-1785), 278 Roseveare, N.T., 387 Rosse, William Parsons, Earl of (1803-1873), 108, 110, 113, 342, 356 Rothschild, Salomon Albert de (1844-1911), 224 Rotrou, Jean de (1609-1650), 188 Roue dentée, 154, 155 Rouher, Eugène (1814-1884), 212 Rousseau, Jean-Jacques (1712-1778), 275 Rozet, commandant, 259

Q Quart de cercle, 116 Quetelet, Adolphe (1796-1874), 280, 283

R

S

Rabelais, François (c.1494-1553), 192 Ramsay, William (1852-1916), 161 Ramsden, Jesse (1735-1800), 116 Rayet, Georges-Antoine Pons (1839-1906), 137, 138, 147, 148, 159, 160, 161, 196, 216, 221, 303, 335, 361 Réaumur, Antoine Ferchault de (16831757), 274 Redfield, William Charles (1789-1857), 282 Regnault, Victor (1810-1878), 3, 274 Reichenbach, Georg von (1771-1826), 207, 387 Relativité, 72, , 162, 169 Renan, 221 Renauld, Christiane, 387 Renou, Émilien (1815-1902), 279, 280, 300, 301, 302 Repsold, Johann Adolf (1838-1919), 120, 355, 387 Revenus de Le Verrier, 67, 128, 175 Révocation de Le Verrier, 171, 350 Révolution de 1848, 60, 63 Revolver photographique, 168, 240

Sabine, captain Edward (1788-1883), 254, 338, 341 Sadsaoud, H., 387 Saint-Gobain (Aisne), 228 Saint-Lô (Manche), 2, 37, 62, 323-324 Sainte-Claire Deville, Charles (1814-1876), 279, 280, 301, 302 Sainte-Claire Deville, Henri (1818-1881), 279 Salvandy, Narcisse-Achille de (1795-1856), 37, 55, 57, 58, 343 Saturne, 20, 244 Saussure, Horace Bénédict de (1740-1799), 274 Sautter, Louis (1825-1912), 224, 228 Savary, Félix (1791-1841), 3, 4, 7 Savérien, Alexandre (1720-1805), 191 Schiaparelli, Giovanni (1835-1910), 130 Schœlcher, Victor (1804-1893), 74 Schumacher, Heinrich Christian (17801850), 49, 50, 51, 337 Secchi, P. Angelo (1818-1878), 35, 36, 147, 148, 149, 157, 160, 177, 184, 329

Index

Secrétan, Marc (1804-1867), 94, 95, 99, 101, 103, 111, 126, 229, 237, 261 Segris, Émile Alexis (1811-1880), 185, 193, 196, 197, 198, 201 Sénat, 67, 197-198 Serpieri, 280 Serret, Joseph Alfred (1819-1885), 134, 144, 173, 197, 202, 348 Service météorologique de la Marine, 292-293, 303 Sheehan, 386 Sidérostat, 106-107 Sidgreaves, R.P. Walter (1837-1919), 362 Simon, Jules (1814-1896), 185, 206, 216 Sirius (compagnon de), 116 Societa meteorologica Palatina, 276 Société météorologique de France, 279280, 301 Société royale d’agriculture, 276 Société royale de médecine, 275 Soleil, 12, 148, 149, 156-161 : parallaxe du, 151-154, 239-242 Sonrel, 196 Spectroscope, 138, 149, 150 Spectroscopie, 148-150, 159-161, 184 Spencer Jones, Sir Harold (1890-1960), 324 Stabilité du Système solaire, 7, 308 Statue de Le Verrier, 37, 232, 320, 323-324, 326 Stephan, Édouard (1837-1923), 112, 118, 137, 147, 159, 160, 161, 175, 271, 335, 346, 347, 386 Steuben, Charles (1788-1856), 8 Stratton, Ferderick John (1881-1960), 324 Struve, Otto (1819-1905), 35, 97, 98, 201, 237, 313, 321, 322, 350, 385 Struve, Wilhelm (1793-1864), 35, 60, 61, 85, 86, 87, 116, 118, 341, 344

T Tachoire, H., 386 Talabot, Mme, 210, 212, 214 Talabot, Paulin François (1799-1885), 210, 212, 214 Télégraphe : électrique, 64, 249, 252-255, 257, 259260, 268, 270, 283, 287, 288-291, 306 : optique, 211, 252, 260, 278

399

Télescope, 91, 107-115, 356 : de Lassell, 108, 356 : de Passy, 107-108, 356 : 20 cm de Foucault-Eichens, 109, 110, 160 : 40 cm de Foucault-Eichens, 109, 110, 160, 183 : 40 cm de Martin-Eichens, 110, 113, 182, 183 : 80 cm de Foucault-Eichens, 110-113, 117-119, 133, 180, 228, 356 : 83 cm de Toulouse, 119, 356 : 120 cm de Martin-Secrétan, 113, 224230, 327, 328, 356 Tempête de novembre 1854, 285-287 Temps, heure, 147, 252 Terre (la), 9, 152, 243 The Athenaeum, 30, 43, 44 Thenard, Louis Jacques (1777-1857), 50 Théodolite, 146 Theodor, Karl (1724-1799), 276 Thiers, Adolphe (1797-1877), 203, 204, 205, 206, 212, 214 Thomson, William (Lord Kelvin, 18241907), 268 Tisserand, Félix (1845-1896), 14, 119, 125, 136, 159, 160, 196, 240, 241, 242, 243, 247, 317, 321, 322, 335, 385, 386, 387 Titius, Johann Daniel Tietz dit (1729-1796), 23, 24, 31, 68 Titius-Bode (loi de), 23, 24, 31, 68 Tobin, W., 387 Tocqueville, Alexis de (1805-1859), 64 Touchard, amiral Victor (1810-1879), 202 Toulon (Var), 117, 211 Trépied, Charles (1845-1907), 119 Tresca, Henri Édouard (1814-1885), 187, 216, 225, 227, 245, 247, 315, 386 Triangulation, 255-256, 262, 264-267 Trochu, général Louis (1815-1896), 203

U Union télégraphique internationale, 270 Uranus, 12, 16, 20-28, 39, 48 244, 245, 246

400

Le Verrier, savant magnifique et détesté

V

W

Vaillant, maréchal Jean-Baptiste-Philibert (1790-1872), 74, 75, 85, 86, 89, 125, 139, 142, 143, 144, 206, 264, 286, 344 Valz, Benjamin (1787-1867), 22, 37, 116, 132 van Meegeren, Han (1889-1947), 193 Vénus, 9, 11, 163, 243 : passage de, 168, 239-243 Véron, Philippe, 387 Vidie, Lucien (1805-1866), 274 Vincent, 221 Vitesse de la lumière, 151-155, 241, 242 Voyages de Le Verrier, 54, 59, 117, 129, 165, 228, 259, 338-341 Vrain-Lucas, Denis (1818-1882), 191, 192, 193 Vuitry, Adolphe (1813-1885), 212 Vulcain, 165-168

Waddington, William-Henri (1826-1894), 228 Walker, Sears Cook (1805-1853), 47 Wartmann, Louis François (1793-1864), 37, 38, 46 Washington, George (1732-1799), 282 Wheatstone, Charles (1802-1875), 254 Winnerl, 147 Wolf, Charles (1827-1918), 136, 137, 138, 144, 147, 196, 206, 214, 216, 221, 225, 226, 227, 229, 230, 237, 335, 363, 387

Y Yvon Villarceau, Antoine (1813-1883), 81, 137, 143, 144, 156, 157, 179, 180, 181, 183, 194, 196, 203, 209, 216, 221, 225, 247, 261, 262, 263, 264, 265, 267, 271, 315, 351, 386

Liste de crédits

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Liste des crédits Toutes les illustrations proviennent de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris, à l’exception des suivantes : – Archives de l’Académie des sciences : Fig. 7.3, 7.4.

– Domaine public (par Wikimedia Commons) : Figs. 2.8, 3.8, 5.6, 6.4, 7.18, 9.1, 9.3, 9.4. – Mairie de Saint-Lô (Service culturel) : Figs. 1.1, 10.4, 10.5, 10.8. – Météo-France : Figs. 9.5, 9.6, 9.13.

– Astronomy & Astrophysics : Fig. 1.6.

– NASA (Hubble Space Telescope) : Fig. 2.14.

– Ciel et Terre : Fig. 2.15.

– Observatoire de Haute-Provence : Fig. 7.12.

– Collections privées : Figs. 3.6, 4.20, 5.3 et 5.16 (William Tobin), 7.6 (Danièle Briot), 9.19 et 9.20 (André Berger).

– Observatoire de Marseille : Figs. 4.17 et 4.18 (James Caplan), 5.22 (Yvon Georgelin).

– Dessins ou collection de l’auteur : Figs. 1.4, 2.12, 4.11, 5.8, 5.9, 5.24, 5.25, 7.16, 7.17, 7.19, 8.1, 8.2, 9.17, A2.2.

– Société astronomique de France : Fig. 2.5.

Composition : Facompo à Lisieux