Vies de saints, legendes de soi: L'ecriture hagiographique dominicaine jusqu'au Speculum sanctorale de Bernard Gui (d. 1331) (Hagiologia) (French Edition) 9782503536279, 2503536271


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Vies de saints, legendes de soi: L'ecriture hagiographique dominicaine jusqu'au Speculum sanctorale de Bernard Gui (d. 1331) (Hagiologia) (French Edition)
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Vies de saints, légendes de soi

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HAGIOLOGIA Études sur la Sainteté en Occident – Studies on Western Sainthood

Volume 7

Comité de Rédaction – Editorial Board HAGIOLOGIA Belgische Werkgroep voor Hagiologisch Onderzoek Atelier Belge d’Études sur la Sainteté P. Bertrand J. Deploige A.-M. Helvétius X. Hermand

H AG

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Agnès Dubreil-Arcin

Vies de saints, légendes de soi L’écriture hagiographique dominicaine jusqu’au Speculum sanctorale de Bernard Gui († 1331)

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© F H G – Turnhout (Belgium) All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2011/0095/4 ISBN 978-2-503-53627-9

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à Joséphine †, à mes parents, à Rémi, pour le temps volé.

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Avant-propos

Cet ouvrage est une version légèrement remaniée d’une thèse de doctorat, dirigée par Madame le professeur Michelle Fournié, soutenue le 3 mars 2007 à l’Université de Toulouse-Le Mirail devant un jury composé de Nicole Bériou (Université Lyon II), François Dolbeau (EPHE), Michelle Fournié (Université Toulouse-Le Mirail), Monique Goullet (CNRS), Patrick Henriet (Université Bordeaux III) et Nelly Pousthomis (Université Toulouse-Le Mirail). Au moment de rédiger ces propos liminaires, je regarde ce travail comme une monographie atypique : au premier abord, il repose sur une unique source inédite, le Speculum sanctorale du dominicain Bernard Gui. Cet énorme légendier (340 Vies et Passions, 650 folios, deux volumes dans la version conservée à Toulouse), composé entre 1312 et 1329 à la demande du maître de l’ordre Bérenger de Landorre, annonce dès son prologue suppléer les légendiers abrégés, nombreux dans l’ordre dominicain, jugés tronqués et incomplets. Le document offrait à lui seul la matière d’une étude ample et complète, d’autant que la collection, décrite par Léopold Delisle au xixe siècle, restait largement inédite puisque ceux qui l’avaient consultée s’étaient souvent bornés à extraire la Vie de tel ou tel saint pour documenter des recherches d’hagiographies locales. Les friches laissées par ces devanciers étaient alors immenses : il fallait restaurer dans sa cohérence une collection pensée comme un ensemble pour répondre à une commande, c’est-à-dire à un projet intellectuel. Le Speculum sanctorale est une œuvre totale : l’envisager autrement c’est risquer de ne jamais le comprendre. Pour aussi évident qu’il paraisse, cet angle de recherche n’était pas exempt de problèmes et de paradoxes : d’une part, les préalables méthodologiques posés participent d’un élémentaire respect de la source, de son contexte d’élaboration, tant du point de vue du fonds que de la forme. D’autre part, la méthode dictée par cette forme d’investigation (identification des documents de travail et des copies par la confrontation de textes narratifs) ne me paraissait pas suffisante pour traiter le Speculum sanctorale en objet historique. En d’autres termes, la thèse que je m’efforçais d’écrire était une thèse d’histoire, or, l’his-

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AVANT-PROPOS

toire m’échappait complètement dans le décompte des sources, des citations et la recherche des manuscrits compilés par Bernard Gui. J’ai senti très tôt que la recherche que je voulais faire n’était pas celle qui s’érige seulement en une performance technique. C’était surtout ce que j’avais retenu de mon parcours à l’université et de l’enseignement de Michelle Fournié : l’historien n’est pas qu’un technicien, la maîtrise des « sciences annexes » n’a de valeur que si elle fait progresser les connaissances et émerger le pouvoir explicatif des sources. Une transcription académique est sans doute très précieuse à l’histoire de la langue et de la littérature mais elle ne saurait servir l’historien si elle ne lui permet pas de produire des idées sur l’évolution d’une société. Prête à assumer cette exigence, j’ai tenu à ce que l’étude monographique du Speculum sanctorale soit constamment nourrie de problématiques englobantes et placée au cœur d’un jeu d’échelles et de quelques grandes évolutions des xiiie et xiv e siècles : cela m’a paru être le seul moyen de juger de sa valeur historique. Parmi les évolutions capables d’éclairer la commande puis la rédaction du Speculum sanctorale, trois m’ont paru stimulantes. En premier lieu, il fallait garder à l’esprit que les xiiie et xiv e siècle sont travaillés par un vaste effort d’universalisation : en codifiant les procès de canonisation, l’Église romaine fige les critères de sainteté et impose ses modèles à la Chrétienté. Avec moins de succès, elle tente aussi d’uniformiser les cultes aux dépens des rites en vigueur dans les Églises locales. Ce qui est en jeu, c’est une logique d’Église, que le légendier est en mesure de relayer, ou non. En second lieu, les travaux récents sur la liturgie de l’ordre dominicain ont montré que l’uniformisation des rites et des cultes était une garantie de la cohésion de l’ordre. À la logique d’Église, se surimposent les besoins d’un ordre religieux qui se construit lui aussi de manière centralisée et à une échelle supra-régionale. De cette façon, ces travaux ouvrent un champ de recherche sur les raisons et les enjeux de la perméabilité entre textes hagiographiques et liturgiques. En s’appuyant sur le lectionnaire de l’office, commun à tous couvents dès 1250, le légendier relaie, lui aussi, l’identité de l’ordre. Enfin, les dominicains qui, avant Bernard Gui, ont composé des collections de Vies de saints, se sont attachés à les abréger, pour qu’elles servent leur mission pastorale. Ce qui mérite attention dans ce processus, c’est que le légendier est un point de contact possible entre le discours d’un ordre sur les modèles de sainteté, et les fidèles ou les communautés urbaines, qui ont leurs cultes propres. Ces thèmes de recherche, déjà bien étudiés isolément, n’ont guère été mis en relation : ils fournissent trois champs de vision d’une même période, alors qu’entre eux, se trouve un angle mort de la recherche. C’est précisément cet angle mort que ce travail tente d’investir, en y plaçant le Speculum sanctorale puisque, par nature, il peut articuler ces trois logiques. C’est pour cela que le titre original de cette thèse était Autour

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du Speculum sanctorale de Bernard Gui ou l’écriture hagiographique, entre vues universelles, logiques grégaires et destins de clocher (xiiie-milieu xive siècle). Le titre retenu pour la publication indique lui aussi que l’écriture hagiographique dominicaine trahit les arbitrages des frères entre l’ordre, l’Église et les Églises.  Comme tous les ouvrages de longue haleine, ce travail doit beaucoup au soutien de quelques proches qui, d’une manière ou d’une autre, ont suivi ce chantier et œuvré pour qu’il aboutisse. Je leur adresse à tous de chaleureux remerciements. Surtout, au moment de porter cet ouvrage sur les fonts baptismaux, je tiens à exprimer ma plus sincère gratitude au professeur Michelle Fournié, directrice de cette thèse, pour sa confiance, son écoute et son soutien de toujours. Mais c’est auprès de Fabrice Ryckebusch que j’ai contracté ma plus lourde dette  : de l’initiative d’une inscription en thèse aux inestimables échanges de points de vues sur l’église du midi, des encouragements fraternels aux relectures qu’il a accomplies, une part de ce travail est aussi la sienne. Agnès Dubreil-Arcin

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Abréviations

AB Acta SS AFP AM ASR BHL BLE BM BnF BSAMF BSAHL BSLSAC CCM CF CRM DACL DHGE DS DTC HA MEFR MOPH MSAMF PH PL RHE RHEF RSPT SH SpH SOP

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Analecta Bollandiana Acta sanctorum, Société des Bollandistes, Bruxelles Archivum fratrum praedicatorum Annales du midi Archives de sociologie des religions Bibliotheca hagiographica latina Bulletin de littérature ecclésiastique Bibliothèque municipale Bibliothèque nationale de France Bulletin de la Société archéologique du midi de la France Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin Bulletin de la Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze Cahiers de civilisation médiévale Cahiers de Fanjeaux, éd. Privat, Toulouse Cahiers de recherches médiévales Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques Dictionnaire de spiritualité Dictionnaire de théologie catholique Hagiographica Mélanges de l’École française de Rome Monumenta ordinis fratrum praedicatorum historica Mémoires de la Société archéologique du midi de la France Provence historique Patrologia latina Revue d’histoire ecclésiastique Revue d’histoire de l’Église de France Revue des sciences philosophiques et théologiques Subsidia hagiographica, Société des Bollandistes, Bruxelles Vincent de Beauvais, Speculum historiale Scriptores ordinis praedicatorum

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Introduction générale

En parcourant les noms de la liste [du millier de saints attendant leur canonisation], l’abbé ne put se défendre d’une certaine émotion, et il était sûr que le cardinal l’avait ressentie. Ces noms témoignaient la vitalité de l’Église, comme les dates qui les illustraient témoignaient sa pérennité. Qui au monde, si ce n’est elle, allait chercher une femme oubliée au fond des siècles pour la donner en exemple ? À la tête de la liste figurait la vénérable Adélaïde, abbesse de Cologne au temps des Hohenstaufen. Quelle compagnie au monde, si ce n’est celle des Jésuites, s’occupait de faire honorer un de ses membres tué à Macao en 1590, comme Didace de Mesquita ? Il y avait dans cette liste, à côté des papes et des reines – deux reines de Pologne, une reine de Sardaigne… – à côté du dernier empereur d’Autriche, un jeune ouvrier de Naples – adolescens faber – un Chinois, un Arabe, un ermite du Mexique, une vierge indienne. L’Église était présente sous tous les cieux et dans toutes les classes, comme dans tous les temps.1

C’est ainsi qu’en 1955, dans son roman intitulé Les Clés de saint Pierre, Roger Peyrefitte décrivait la surprise de son héros, le séminariste Victor Mas, à la découverte, non seulement du grand nombre de saints en attente de canonisation, mais encore de cette faculté singulière qu’a l’Église de tirer son unité et son pouvoir des cultes communautaires2. Durant tout le Moyen Âge, le christianisme réussit le tour de force d’accorder le discours de l’Église universelle à la multitude des saints. Simple arrière plan ou sujet d’étude en soi3, cette   R. P eyrefitte, Les Clés de saint Pierre, Flammarion, Paris, 1955, p. 191-192.   En dépit de son ton caustique et des prises de position sulfureuses de l’auteur, le roman de Roger Peyrefitte servit aussi de point de départ à Marc Van Uytfanghe non pas pour mettre en valeur le rôle des cultes particularistes dans la construction d’une Église universelle, mais plutôt pour montrer l’ambivalence du culte des saints aux premiers temps du christianisme. Ce faisant, et dans le cadre des débats suscités par la publication des thèses de Peter Brown, Marc Van Uytfanghe soulignait les ressemblances entre culte des saints et polythéisme (M. Van Uytfanghe, « L’hagiographie : un “genre” chrétien ou antique tardif ? », AB, t. 111, 1993, p. 135-188). 3   Les études d’ensemble consacrées exclusivement à cette question de l’articulation entre l’Église et les Églises sont peu nombreuses et axées sur les derniers siècles du Moyen Âge. On peut citer les actes du colloque Vita e identità politiche : universalità e particolarismi nell’Europa 1 2

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

situation est perçue tantôt comme un facteur d’émiettement de la société médiévale, tantôt comme son ciment le plus solide. Selon les lieux et les époques, les relations entre cultes locaux et universels furent sans doute aussi diverses que les situations. Sans insinuer que ces cultes aient été partout en situation de concurrence, plusieurs études de détail donnent l’impression que, petit à petit, la dévotion des fidèles se nourrit davantage de grands prodiges qui concernent toute la chrétienté plutôt que de la sainteté de clocher. L’aura croissante des sanctuaires mariaux, qui fleurissent au moment où l’Église instaure la fête de l’Immaculée Conception, en est un exemple, même si le progrès de cette universalisation a revêtu de multiples formes. Cette évolution des cultes a été assez bien étudiée sous l’angle monographique : on a privilégié certaines figures, peu à peu mises à l’honneur parce qu’elles représentaient mieux que d’autres les progrès de l’idéal de sainteté promu par Rome, tandis que les cultes strictement locaux entraient dans une phase de repli4. En revanche, on a moins vu que les légendiers peuvent aussi être ce lieu de tension, sans doute parce qu’on a longtemps oublié que les intentions de l’auteur se construisent de légendes en légendes, tout au long du recueil. Les légendiers ont été pensés comme des œuvres cohérentes, par des « intellectuels » qui, au xiiie et au xiv e siècles surtout, et à de rares exceptions près, associent leurs noms à ces œuvres. En construisant leur sanctoral, ils attribuent une place aux saints priés partout, mais aussi à ceux qui incarnent plus spécialement les vertus de leur ordre ou l’histoire du lieu d’implantation de leur couvent. Ce faisant, ils proposent une articulation possible de l’Église aux Églises. Dans cette optique, la production hagiographique des frères prêcheurs, intarissable au cours des xiiie et xiv e siècles, est un exceptionnel point d’observation. Trois séries d’éléments permettent de le montrer. D’une part, les dominicains apparaissent, dans de nombreux domaines, comme les champions des causes pontificales. L’indéfectible soutien qu’ils reçurent de la papauté les place d’emblée en porte-parole de Rome. S’ils ne sont pas les premiers à être ainsi placés dès leur acte de naissance hors de portée de l’ordinaire, la définition de leurs missions, au premier rang desquelles se trouve la lutte anti-hérédel tardo Medioevo, éd. S. Gensini, Pise, 1998, ainsi que, bien qu’il n’ait pas donné lieu à une publication, le séminaire du GDR Salve, dirigé par Hélène Millet et Jacques Verger, qui a pour thème « L’Église et les Églises en Occident, xiie-xv e siècles » (2006-2007 et 2007-2008). 4   À travers l’étude de calendriers liturgiques des xiv e et xv e siècles issus de Saint-Sernin de Toulouse, Célestin Douais a, par exemple, montré comment l’abbaye avait promu la fête de l’Immaculée Conception, mais aussi celle de sainte Catherine et de Jacques le Majeur, tandis que les fêtes de saint Saturnin, pourtant patron de la basilique, perdaient en solennité (C. Douais, « Deux calendriers liturgiques de Saint-Sernin (xiv e-xv e siècle) », BSAMF, 1895, p. 153-185).

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tique, est bien du ressort de la défense de l’Église universelle5. Par les écrits de leurs maîtres en théologie, ils ont aussi largement contribué au renouvellement de la vision de cette Église6, au moment où, pour eux-mêmes, ils développaient des institutions centralisées et suprarégionales. Leurs confréries ont été les meilleurs relais de Rome pour la diffusion de certains cultes, comme le Corpus Christi ou les fêtes de la Vierge créées par le concile de Latran IV7. Aussi, on s’attend à ce que le légendier de l’ordre fasse une place non négligeable aux cultes et aux discours sur la sainteté émanant de l’Église romaine. D’autre part, les frères prêcheurs ont aussi eu besoin de fixer leur identité et de clarifier leur image, face aux remises en cause répétées de leur mission. Le soutien de la papauté fut appréciable mais insuffisant, car au-delà d’un appui institutionnel et politique, l’ordre avait aussi besoin d’ériger en modèle sa raison d’être, voire d’en tirer un objet de dévotion. L’hagiographie a pu jouer ce rôle. Le prêcheur et au-delà, le mendiant, devient un idéal de sainteté. Le résultat de cet effort de construction est double, puisque le prêcheur est à la fois autoreprésentation de l’ordre et modèle à méditer pour les fidèles. Cette construction suit, pour reprendre le mot de Daniel Russo, un pôle grégaire et un pôle véhiculaire8. Les collusions entre la sainteté dominicaine et les vertus favorisées par l’Église sont nombreuses et ont été maintes fois soulignées. Ce n’est pas pour autant que l’ordre des prêcheurs n’a pas cherché à se constituer une identité propre : la différence des modèles entre saint Dominique et saint François indique assez bien l’écart à l’origine, en même temps qu’il permet de supposer l’existence de caractères propres. Enfin, la réalité de l’ordre, c’est d’abord un réseau de couvents inséré dans des villes et dans un maillage ecclésial, qui dépasse le cadre de la paroisse. Lorsqu’en 1217 Dominique ordonne la dispersion des frères,   Le point de départ du ministère des prêcheurs a pour base un mandat apostolique exprimé par plusieurs types de bulles : Vl.-J. Koudelka, « Notes sur le cartulaire de saint Dominique », AFP, t. 28, 1958, p. 92-114 et P.-M. Gy, « Le statut ecclésiologique de l’apostolat des Prêcheurs et des Mineurs avant la querelle des Mendiants », RSPT, t. 59, 1975, p. 79-88. 6   La liste complète de ces traités est donnée par Y. Congar, L’Église de saint Augustin à l’époque moderne, éd. Cerf, 1970 p. 270-271. Pour ce qui est des principales contributions des prêcheurs, citons Angelus Nigri, De potestae papae (1300-1301) ; Hervé de Nédellec De potestae pape et De jurisdictione (à partir de 1319) ; Guillaume de Pierre Godin, Quaestiones de origine jurisdictionum (avant 1323) ; Pierre de la Palu, De causa immediata ecclesiasticae potestatis (1321) et De potestae papae (vers 1325). 7   C’est dans l’ordre des frères prêcheurs que les confraternités mariales ont le plus explicitement un caractère de défense de l’orthodoxie et une action anti-hérétique. Sur ce point, voir l’étude de détail de G. Meersseman, « Études sur les anciennes confréries dominicaines : les confréries de la Vierge », AFP, t. 22, 1952, p. 5-176. 8   D’après sa définition, « le pôle grégaire [regroupe] un certain nombre de traits caractéristiques choisis pour limiter la communication à l’intérieur de l’ordre », tandis que « le pôle véhiculaire [manifeste] aux regards du plus grand nombre, les signes les plus évidents « de la sainteté » : D. Russo, « L’ordre des Prêcheurs dans l’iconographie méridionale et ses modes de représentation », L’ordre des Prêcheurs et son histoire en France méridionale, CF, t. 36, 2001, p. 346. 5

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ceux-ci quittent Toulouse, emportant avec eux un exemplaire de la Règle et de leurs premières Constitutions. Faute de textes adéquats, ils sont contraints de célébrer selon les rites du lieu où ils se trouvent, ce qui, sans la mettre en péril, ne garantit pas complètement la cohésion de l’ordre. L’uniformisation viendra plus tard. Malgré elle, on peut supposer que les nécessités de la pastorale, mais aussi le besoin de bien cohabiter avec les bourgeoisies urbaines, à l’heure où se développent les cultes civiques, aient rendu nécessaire de ne pas négliger la sainteté locale et communautaire au nom de l’unité de l’Église universelle. D’autant qu’instrumentaliser ces cultes peut aussi s’avérer un moyen efficace d’asseoir ses positions. Sans exclusivement suggérer que ce triple enjeu en soit la cause, disons qu’il n’est sans doute pas fortuit que les prêcheurs aient monopolisé la rédaction de collections hagiographiques. En une génération, c’est-à-dire de 1245 à 1275 environ, quatre légendiers d’auteurs voient le jour, dans trois grandes provinces où les prêcheurs sont déjà installés. Il s’agit du Liber epilogorum in gesta sanctorum de Barthélemy de Trente, de l’Abbreviatio in gestis et miraculis sanctorum de Jean de Mailly, de la Legenda aurea de Jacques de Voragine et des Vitas sanctorum de Rodrigue de Cerrato. Il faut ajouter les nombreuses Vies de saints qu’insère Vincent de Beauvais dans son Speculum historiale, mais aussi des légendiers plus modestes9, qui, malgré l’oubli dans lequel sont tombés leurs compilateurs, témoignent de l’extraordinaire vitalité dont ont fait preuve les prêcheurs en ce domaine. Comparativement, le silence franciscain ne laisse de surprendre10. Tous sont connus et ont été étudiés, mais de manière inégale, puisque la Légende dorée a monopolisé les études comme les travaux d’édition11.   Voir par exemple le légendier dominicain contenu dans le manuscrit A. 564 de la Bibliothèque municipale de Rouen. S’il est dépendant de la Légende dorée, il s’en démarque cependant par l’ajout de certains saints et par la volonté d’abréger certains textes plus que ne l’a fait Jacques de Voragine. Il a été décrit par A. Poncelet, AB, t. 53, p. 147-148 et dans « Le légendier de Pierre Calo », AB, t. 29, 1910, p. 25. 10   En milieu franciscain, Juan Gil de Zamora abrège, à l’usage des prédicateurs, un légendier issu d’une encyclopédie plus large. Il classe les saints dans l’ordre alphabétique. Sur ce document, voir F. Dolbeau, « Notes sur l’organisation interne des légendiers latins », Hagiographie, cultures et société (iv e-xiie siècles), actes du colloque de Nanterre et Paris (2-5 mai 1979), éd. Augustiniennes, Paris, 1981, p. 13. 11   La diffusion exceptionnelle de la Légende dorée (un millier de manuscrits complets recensé) explique en grande partie qu’elle ait monopolisé les travaux d’édition des légendiers dominicains : la plus ancienne des éditions est celle que réalise à la fin du xix e siècle Théodore Graesse (Legenda Aurea, vulgo historia lombardica dicta ad optimorum librorum fidem recensuit Th. Graesse, 3e éd., Bratislava, 1890). Elle est depuis peu remplacée par l’édition magistrale de G. P. Maggioni (Iacopo da Varazze, Legenda aurea, éd. G. P. Maggioni, Firenze, 1998). Il faut y ajouter l’édition critique réalisée par Brenda Dunn-Lardeau à partir d’un manuscrit du xv e siècle (B. D unn-L ardeau, Édition critique, dans la révision de 1476 par Jean Batallier, d’après la traduction de Jean de Vignay (1333-1348) de la Legenda aurea (c. 1261-1266), collection Textes de la Renaissance, t. 19, éd. H. Champion, 1997). La célèbre Legenda Aurea fut aussi l’objet de 9

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Cette riche production s’accompagne d’un renouvellement de l’écriture hagiographique, caractérisé à la fois par la production de Vies et Passions abrégées et par la destination résolument pastorale de ces recueils. Même si la recherche s’est emparée de ce phénomène, les legendae novae12 ne sont pas la seule voie empruntée par les dominicains pour présenter leurs discours hagiographiques. Certains leur ont préféré des légendiers de forme encyclopédique. Leur existence même montre que les choix effectués au cours du xiiie siècle, perçus comme innovants et rénovateurs du genre, n’avaient rien d’intangible. Par ailleurs, leur ampleur et leur contenu permettent de repenser l’économie générale du légendier et la distribution du sanctoral entre saints de l’ordre, saints universels et saints locaux. Une des œuvres les plus appropriées à cette analyse est sans doute le Speculum sanctorale de Bernard Gui. Compilé entre 1312/1316 et 1329 à la demande du maître de l’ordre, Bérenger de Landorre, ce légendier en quatre parties, n’est pas inconnu de ceux qui se sont intéressés à la sainteté méridionale. En effet, ce recueil fournit dans plusieurs cas le témoin littéraire le plus ancien, et parfois même unique, des Vies qui ont circulé dans le Midi languedocien13. Mais sans minimiser cet intérêt, le Speculum sanctorale, avec ses quatre parties, ses 340 Vies et Passions, ne peut être réduit aux saints du Limousin et du Lauragais, fussent-ils plus nombreux que traductions largement diffusées, bien que fautives ou incomplètes (J. de Voragine, La Légende dorée, éd. J.-B. M. Roze, Garnier Flammarion, 2 vol., rééd. de la trad. de 1900 avec des corrections, Paris, 1967 et Jacques de Voragine, La Légende dorée, éd. T. de Wyzewa, éd. du Seuil, rééd. de la trad. de 1900, Paris, 1998). Elles sont désormais remplacées par la publication d’une nouvelle traduction française préparée sous la direction d’Alain Boureau et Monique Goullet, sur la base de l’édition de G. P. Maggioni (J. de Voragine, La Légende dorée, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004). En amont de la Légende dorée, seul le grand légendier de Barthélemy de Trente bénéficie d’une édition latine de bonne tenue, que l’on doit à Emore Paoli (B.  da Trento, Liber epilogorum in gesta sanctorum, edizione critica a cura di Emore Paoli, edizione dei testi mediolatini, 2, Tavernuzze, Sismel, ed. el Galluzo, 2001). Par ailleurs, la publication en ligne du Speculum historiale de Vincent de Beauvais facilite l’accès à cette œuvre imposante et incontournable. On regrette cependant l’absence de notes ou d’informations permettant une meilleure identification des sources de Vincent de Beauvais. En revanche l’Abbreviatio in gesta sanctorum de Jean de Mailly n’est encore publiée que sous la forme de la traduction d’A. Dondaine (J. de M ailly, Abbreviatio in gesta sanctorum, trad. A. Dondaine, éd. Cerf, 1947) : pour le texte latin, il faut toujours se reporter aux manuscrits, en attendant l’édition critique préparée par G. P. Maggioni. Un projet analogue concerne le légendier de Rodrigue de Cerrato (M. Bassetti, « Per un’edizione delle Vitae sanctorum di Rodrigo de Cerrato », HA, t. 9, 2002, p. 73-160). 12   Sur cette notion de legenda nova, voir les travaux d’A. Boureau, « Barthélemy de Trente et l’invention de la Legenda nova », Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, a cura di S. Boesch Gajano, Fasano di Brindisi, 1990, p. 23-39 et « Vincent de Beauvais et les légendiers dominicains », Lector et compilator. Vincent de Beauvais, frère prêcheur, un intellectuel et son milieu au xiiie siècle, Créaphis, Nancy-Montréal, 1997, p. 113-126. 13   Le témoignage de Bernard Gui est devenu incontournable pour reconstituer, par exemple, la Vie de saint Fulcran (F. Dolbeau, « Vie inédite de saint Fulcran, évêque de Lodève », AB, t. 100, 1982, p. 515-544), mais encore les Vies de saint Papoul (BHL 6454), saint Sacerdos, évêque de Limoges (BHL 7461), saint Germier, évêque de Toulouse (BHL 3486) ou de saint Prosper (BHL 6971).

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la part habituellement réservée aux saints locaux par les autres hagiographes de l’ordre. Tributaires des lacunes de la documentation qui nous est parvenue, nous sommes vite tentés de relever les Vies nouvelles insérées dans le légendier, quitte à sous-estimer les points communs entre les collections produites dans le même ordre. Ces tendances lourdes, pourtant, peuvent permettre d’approcher ce qui fait une identité hagiographique. Par ailleurs, le Speculum sanctorale n’est pas la seule compilation hagiographique du dominicain Bernard Gui. Dans sa carrière, émaillée de productions diverses14, c’est même la dernière. Elle est précédée par des recueils plus modestes, mais dont il ne faut pas négliger le rôle dans la construction du grand légendier encyclopédique. D’abord, il compose des catalogues tels que celui des Noms des apôtres, puis en 1313 celui des Soixante-douze disciples du Christ, qu’il remanie par la suite au moins à deux reprises. En même temps, il s’intéresse à la sainteté locale en donnant un Traité sur les saints du Limousin, puis un Catalogue des saints du diocèse de Toulouse, en 1313, remanié après 1317, afin d’intégrer les modifications survenues, à l’initiative de Jean XXII, dans la géographie ecclésiastique du Midi de la France. Le Speculum sanctorale, enfin, occupe les vingt dernières années de sa vie. Commencé entre 1312 et 1316, c’est-à-dire lorsque Bérenger de Landorre, le commanditaire, est maître de l’ordre, il est achevé en deux étapes : la première et la seconde parties sont remises au pape en 1324, la troisième et la quatrième, cinq ans plus tard, en 1329. Bien qu’ils aient été plusieurs fois décrits15, ces recueils n’ont pas fait l’objet d’études, que se soit dans une perspective monographique16 ou comparative. Quant au seizième Cahiers de Fanjeaux, entièrement consacré à Bernard Gui17, il ne dit pas un mot de l’hagiographe. 14   On connaît bien sûr ses fonctions d’inquisiteur et son intérêt pour l’histoire. Dans ces deux domaines, il a produit des textes qui ont fait l’objet de publications. Pour ne s’en tenir qu’aux principales, on se reportera d’une part à B. Gui, Manuel de l’inquisiteur, édité et traduit par G. Mollat, éd. H. Champion, Paris, 1926, puis au Livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui (1308-1323), texte édité et traduit par A. Palès-Gobillard, Sources d’histoire médiévale publiées par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, 30, 2 vol., éd. CNRS, Paris, 2002 ; d’autre part à B. Guidonis, De fundatione et prioribus conventuum provinciarum Tolosanae et provinciae ordinis praedicatorum, éd. P.-A. Amargier, MOPH, t. XXIV, Rome, 1961 et B. Guidonis, De fundatione et progressu monasterii Sancti Augustini Lemovicensis, éd. A.-M. Lamarrigue, Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, Paris, 2000, p. 503-508. 15   L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque nationale et autres bibliothèques, XXVII, 2e partie, 1879, 169-455 et A. Thomas, « Bernard Gui, frère prêcheur », Histoire littéraire de la France, t. XXXV, Paris, 1921, p. 139-232. 16   Jean-Loup Lemaitre a en préparation l’étude du traité des saints du Limousin. L’examen, tant du texte latin que de la traduction de ce recueil en langue d’oïl par Jean Golein, figurait au programme de ses conférences à l’École pratique des hautes études pour les années 20052006 et 2006-2007. 17   Bernard Gui et son monde, CF, t. 16, éd. Privat, Toulouse, 1981. Ce colloque examine les activités de lecteur, de prieur, d’inquisiteur, d’historien mais aussi d’évêque, déployées par Bernard

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Le Speculum sanctorale est donc l’objet principal de ce travail. Pris dans sa globalité, le document recèle un grand nombre de questions qui n’ont été qu’effleurées dans les notices descriptives de la fin du xixe et du début du xxe siècle. Il convient de voir les saints qui ont été retenus, d’étudier d’éventuelles modifications, et d’accorder une attention particulière à la façon dont Bernard Gui a organisé son corpus car la division quadripartite de l’œuvre révèle la coexistence de deux logiques, l’une appliquée à la collection toute entière, l’autre propre à chacune des parties. En outre, il faut voir la place que réserve ce Speculum aux différents modèles de sainteté : fait-il, par exemple, la promotion d’une voie particulière, au moment où la papauté, par le biais des procès de canonisation, favorise un idéal au détriment d’autres types de sainteté ? D’autre part, les nécessités de la compilation imposent des choix. En terme de sources d’abord : pour rédiger les Vies de certains saints, Bernard Gui eut accès à un corpus pléthorique, dans lequel il a fallu trier, préférer une version aux dépens d’une autre. Parfois, ce tri confine à l’exercice critique, notamment lorsque les versions diffusées accusent quelques discordances ou des prétentions contradictoires. L’identification des sources est un pas essentiel pour la compréhension de l’œuvre que Bernard Gui a voulu faire. Elle a un corollaire tout aussi important, sinon plus : l’appropriation de ces sources. Sans doute plus qu’aucune autre, la compilation hagiographique est d’abord une réécriture18. Aussi, déterminer si le compilateur a choisi de copier à l’identique, de diluer ou d’abréger sa source s’avère un précieux sésame pour cerner ses intentions et la manière dont il entend, sous couvert d’une narration globalement identique, se démarquer d’une tradition. Cet intérêt pour l’écriture proprement dite est la conséquence la plus immédiate des orientations prises par l’hagioGui dans le midi entre 1280 et 1331. On y étudia également la diffusion de son œuvre, sa place dans la tradition dominicaine, jusqu’à en épuiser le sujet. Il faut dire qu’un grand colloque de synthèse était alors utile car si tous s’accordaient à reconnaître l’intérêt de cet homme et de ses écrits, tous devaient aussi se contenter du recensement de sources et de maigres biographies établies par les érudits des xixe et xxe siècles. Depuis, seuls les travaux historiques de Bernard Gui donnèrent lieu à de nouvelles publications, que l’on doit à Anne-Marie Lamarrigue. (« La méthode historique de Bernard Gui, d’après la Chronique des rois de France », CF, t. 16, p. 205219, puis « Les prologues de Bernard Gui : l’affirmation de préoccupations techniques », Les prologues médiévaux, actes du colloque international de Rome tenu les 26-28 mars 1998, éd. Brepols, Turnhout, 2000, p. 171-188 ; « La rédaction d’un catalogue des rois de France. Guillaume de Nangis et Bernard Gui », Saint-Denis et la royauté. Études offertes à Bernard Guenée, sous la direction de F. Autrand, C. Gauvard, J.-M. Moeglin, Publications de la Sorbonne, Paris, 1999, p. 481-492 ; Bernard Gui (1261-1331) ; Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, Paris, 2000, p. 503-508 ; « Bernard Gui, historien du Midi », Heresis, t. 38, 2003, p. 51-69). 18   Sur cette question, il faut désormais recourir aux travaux de M. Goullet, « Une typologie des réécritures peut-elle éclairer la nature du discours hagiographique ? » HA, t. 10, 2003, p. 109-122, et plus récemment, Écriture et réécriture hagiographiques. Essai sur les réécritures des Vies de saints dans l’Occident latin médiéval (viiie-xiiie siècles), coll. Hagiologia, 4, éd. Brepols, Turnhout, 2005.

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logie depuis une décennie environ : le programme « Hagiographies », que dirige Guy Philippart, est fondé sur cette idée qu’avant de faire connaître un saint, le texte hagiographique transmet d’abord des informations sur l’hagiographe19. Ainsi, dans son sillage, se sont développés les travaux sur l’élaboration du texte, devenu, avant le saint, un objet d’histoire et d’archéologie20. Par son ampleur, par les questions et les constats que produit sa simple lecture, le Speculum sanctorale est déjà un objet d’étude. Celle-ci fut conduite principalement sur la base des deux volumes conservés à la Bibliothèque municipale de Toulouse. Outre qu’il n’est pas incohérent d’un point de vue scientifique – le manuscrit toulousain est la copie que fait établir Bernard Gui entre 1329 et 1331 pour les dominicains de Toulouse – ce choix est aussi éminemment pratique : la division, et ce dès l’origine, du recueil en volumes a favorisé un démembrement précoce, si bien qu’en Europe, sur une vingtaine d’exemplaires conservés, seuls les manuscrits de Toulouse et de Lisbonne21 donnent à lire une version complète du légendier. La thèse de laquelle est issue cet ouvrage défend le parti d’une lecture globale du légendier. L’ampleur du travail d’analyse et le fait que le projet n’a jamais été de proposer une édition des textes du Speculum sanctorale ont fait qu’il n’a pas paru utile de confronter tous les témoins manuscrits. Ce travail reste à faire, et on ne peut douter qu’il apportera d’utiles compléments. Dans le fonds de la Bibliothèque municipale de Toulouse, le Speculum sanctorale de Bernard Gui est conservé sous la côte ms 480 et ms 481. Le ms 480 contient les première et deuxième parties ; le second volume comprend les   Cette conception de l’immense gisement documentaire que représentent les sources hagiographiques est exposée par Guy Philippart en introduction d’Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique en Occident des origines à 1550, sous la dir. de G. Philippart, Corpus christianorum, éd. Brepols, Turnhout, 1994. Quatre volumes sont parus à ce jour (1994, 1996, 2001, 2006). Cette orientation des travaux d’hagiologie est remise en contexte par P. Henriet, « Texte et contexte. Tendances récentes de la recherche en hagiologie », Mélanges offerts à Hervé Martin, dir. S. Cassagnes-Brouquet, A. Chalou, D. Pichot, L. Rousselot, éd. Presses universitaires de Rennes, collection « Histoire », Rennes, 2003 p. 504-518. 20   Cette approche, qui consiste à voir dans le légendier d’abord une pièce archéologique avant de le décrire comme une collection de textes, induit un questionnaire systématique décrit et mis à l’épreuve par G. P hilippart dans « Un légendier des Cisterciens du Jardinet de la fin du xv e siècle ? Namur, ville, 73, fol. 95-130 », Annales de la Société archéologique de Namur, t. 69, 1995, p. 167-224. 21   Pour un inventaire des manuscrits hagiographiques originaires d’Alcobaca, et désormais conservés à Lisbonne, voir AB, t. 109, 1991, p. 398-412, et spécialement p. 400 pour le Speculum de Bernard Gui. Pour s’en tenir aux collections françaises, la Bibliothèque municipale d’Avignon possède deux manuscrits, correspondant aux troisième et quatrième parties ; la Bibliothèque nationale de France conserve un exemplaire de la seconde partie (ms lat 9731) et deux exemplaires de la quatrième (ms lat. 4977 et ms lat 5406). Les collections européennes, elles aussi démembrées, sont décrites par L. Delisle, ouv. cité, p. 274-278 complété par A. Vernet, « La diffusion de l’oeuvre de Bernard Gui d’après la tradition manuscrite », Bernard Gui et son monde, ouv. cité, p. 230-234 et plus récemment par T. K aeppeli, Sop, t. I, Rome, 1970, p. 210. 19

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troisième et quatrième parties. Désormais, cette répartition est abrégée ms 480, I / ms 480, II / ms 481, III et ms 481, IV, puisque la foliotation médiévale n’est pas continue d’une partie à l’autre. Cet exemplaire fut copié pour le couvent des frères prêcheurs de Toulouse, où séjourne Bernard Gui de sa nomination aux fonctions d’inquisiteur (1307) à son accession à l’évêché de Lodève (1324). Les volumes sont vraisemblablement copiés sous la direction de l’auteur, mais par au moins trois mains différentes : la mise en page des deux premières parties est homogène, mais différente des deux autres. Un scribe unique a copié la troisième partie et le début de la quatrième. À partir de la Vie de sainte Brigitte (Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 27), c’est une main différente qui achève le travail. D’ailleurs les deux volumes, de très grand format, ont des dimensions légèrement différentes. Ce grand légendier de Bernard Gui se suffit à lui-même. Toutefois, le comprendre réellement nécessite de le mettre en relation avec toute une série de recueils hagiographiques qui lui sont liés : ceux qui lui ont permis de faire ses premières armes d’hagiographes, ou ceux qui, compilés par d’autres dominicains, ont constitué pour lui des modèles et construit un fonds culturel commun. Notons d’emblée que Bernard Gui, en situant, dès le prologue, son Speculum sanctorale par rapport aux légendiers de ses prédécesseurs, invite luimême à cette approche résolument comparatiste. Pour la mener à bien, on l’a vu, les textes ne manquent pas. Mais à défaut de disposer d’une édition pour chacun d’entre eux, tous ne peuvent être également pris en compte dans ce panorama. De toute façon, il n’est évidemment pas question d’étudier pour eux-mêmes les légendiers du xiiie siècle, ce qui, malgré de nombreuses publications, reste une tâche immense, mais seulement de faire émerger ce qui peut servir d’utile contrepoint à la compilation du Speculum sanctorale. Si ce légendier revendique une identité dominicaine, comment expose-t-il sa dette à l’égard des acquis du xiiie siècle ? S’il y avait lieu de prendre quelques distances à l’égard des compilations hagiographiques antérieures, comment le Speculum rénove-t-il le contenu et les usages du légendier dominicain ? Si le Speculum sanctorale est tributaire des productions hagiographiques de son ordre, qu’il les utilise soit pour en diffuser les modèles, soit pour en renouveler les motifs, son élaboration dépend aussi de données extérieures à l’ordre. La part des Vies de saints méridionaux qu’il inclut dans son légendier n’est pas intéressante que pour elle-même : elle modifie l’équilibre qu’avaient instauré les premiers hagiographes dominicains entre sainteté universelle, vertus de l’ordre et légendes des Églises particulières. Dès lors, il est utile de rapprocher cette évolution du légendier dominicain de celle de son autoreprésentation. Dans cette optique, les sources hagiographiques offrent un riche

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potentiel dans la mesure où la legenda participe de la récitation liturgique à l’office, de la lecture édifiante à la bibliothèque et du sermon prononcé du haut de la chaire. Cette diversification des usages de la légende hagiographique explique, en partie, le mouvement de rénovation de l’écriture des légendiers, commencé à la fin du xiie siècle, en milieu séculier, et au début du xiiie siècle chez les dominicains. Or, en forçant le trait, cette évolution est aussi une forme de superposition des discours et des publics. La légende sert aussi bien à alimenter les lectures de l’office que l’écriture des sermons ad sanctos, mais les extraits de la Vita retenus sont différents. S’ouvre alors tout un champ de recherche qui doit se consacrer aux marges du discours et à sa polyphonie : dans quelle mesure une narration hagiographique unique peut-elle alimenter, à la fois, la dévotion collective des frères à l’office et l’édification des fidèles ? L’une et l’autre retiennent-elles la même chose de la Vie du saint donnée en exemple ? La rénovation de l’écriture hagiographique fait du légendier une source étroitement connectée avec le lectionnaire et avec le sermon. Avec l’uniformisation de la liturgie, le premier est un instrument de la cohérence de l’ordre. Le second fonde une prise de parole hors de l’ordre, en contact avec les fidèles. Est-il possible de voir ce que l’écriture hagiographique concède à l’un et à l’autre dans le cadre du légendier, autrement dit, ce qui relève de sa mission pastorale, de la promotion des cultes universels ou de la représentation des vertus de l’ordre ? La première partie de notre travail envisage les choix faits pour les compilations hagiographiques dominicaines antérieures à celle du Speculum sanctorale de Bernard Gui. Il s’agit de brosser à grands traits les logiques qui sont à l’œuvre, tant du point de la vue de la papauté que du point de vue de l’ordre, pour mettre en valeur les facteurs destinés à être pérennisés ou au contraire modifiés. Cette situation initiale, en effet, est bouleversée par la mise en ordre hagiographique et liturgique décidée par les chapitres généraux dominicains au milieu du xiiie siècle. La volonté centralisatrice de l’ordre s’empare de domaines qu’elle avait jusque là épargnés, contrôlant le sanctoral et le calendrier tout en uniformisant les rites. Ce double processus conduit le sanctoral dominicain à s’éloigner progressivement des dévotions locales. Les modalités suivant lesquelles cette universalisation s’est réalisée ont encore modifié l’écriture hagiographique et surtout le sanctoral des légendiers de l’ordre. On verra que la Légende dorée répond en partie à ce modèle, même si elle n’a pas échappé à des révisions qui seront décisives pour comprendre les orientations suivies par Bernard Gui. Lorsque Bérenger de Landorre commande le Speculum sanctorale à Bernard Gui, l’uniformisation liturgique est achevée et la Légende dorée, paradigme de

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l’hagiographie dominicaine, est déjà bien diffusée. Cependant, dès le début du xiv e siècle, des critiques à peine dissimulées sont formulées à l’encontre des collections hagiographiques du siècle précédent : le prologue du Speculum sanctorale ne révèle qu’en creux les motifs de cette nouvelle compilation. Ce n’est qu’en convoquant une documentation indirecte, en observant les états primitifs du recueil qu’on pourra les approcher. La mise en cause des légendiers antérieurs s’appuie sur des arguments liés au contenu (les hagiographes ont oublié trop de saints) et à l’écriture (ils ont négligé trop d’épisodes). L’analyse de la compilation du Speculum sanctorale est donc une part importante de cette approche. L’œuvre de Bernard Gui tisse des relations complexes avec celles de ses prédécesseurs : les citer relève d’une logique identitaire, tandis que les abandonner au profit d’un retour aux sources confirme l’orientation encyclopédique du projet. De nouvelles limites sont posées entre abrègement et amplification du récit. Elles ne dépendent pas tant de la figure du saint que du type d’épisodes que l’on trouve dans les Vies et les Passions. Or, le fait que tous les épisodes ne soient pas dignes d’être inclus dans la légende a pour effet de redéfinir les contours du « genre » hagiographique. Enfin, le Speculum sanctorale est un lieu de tension où Bernard Gui tente de relier le Midi de la France et l’Église universelle. La comparaison avec les autres recueils hagiographiques de Bernard Gui montre la divergence des objectifs. Son intérêt pour la sainteté locale et pour les sanctuaires communautaires n’est qu’en partie repris dans le légendier commandé par le maître de l’ordre Bérenger de Landorre et offert au pape Jean XXII. Cela montre que l’articulation entre sainteté locale et sainteté universelle est différente au xiv e siècle de ce qu’elle avait été auparavant. Si l’ordre n’a modifié ni son sanctoral, ni son calendrier, les rapports que peuvent avoir les frères avec les communautés extérieures à leur vie régulière ne sont pas exactement identiques. Dans ce premier tiers du xiv e siècle, les dominicains se montrent moins réticents à recevoir la mitre épiscopale. C’est aussi le moment où on constate une nouvelle perméabilité : le laïcat entretient des chapelles dans les églises de l’ordre, tandis que les ordres mendiants ont pu utiliser les manifestations de la religion civique pour conforter leur position dans un réseau conventuel de plus en plus serré. Ces éléments n’ont-ils pas joué sur la réouverture du légendier et de l’office aux quelques éléments locaux qui y figurent ?

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Première partie

Hagiographie et construction identitaire

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La préface du Speculum sanctorale situe l’œuvre qu’elle introduit par rapport à des précédents. Cette mise en perspective n’a cependant rien à voir avec l’humilité plus ou moins feinte du compilateur excusant d’avance son incapacité à égaler ceux qui ont écrit avant lui1. Au contraire, Bernard Gui juge inadéquates – ou périmées au moment où il écrit – les solutions explorées au xiiie siècle, ce qui laisse voir, à l’inverse, ce que sont ses propres objectifs : « La raison qui a forcé à travailler au présent ouvrage est que, dans les compilations modernes, les vieilles légendes des saints et les récits de leurs actions ont été, dans la plupart des cas et du fait de compilateurs visant la brièveté, découpés de telle sorte que des portions considérables ont été tronquées ; de même, les dites compilations ne font nulle mention du nombre de saints dont il est question ici, ce que le lecteur attentif pourra constater et vérifier en les comparant à ce Speculum »2. En stigmatisant ceux qui ont trop abrégé les Vies des saints tout en en oubliant un grand nombre, Bernard Gui est en rupture avec les éléments qui représentent le mieux les innovations du siècle précédent et qui, d’une certaine façon, ont permis un renouveau du genre. Or, le Speculum sanctorale est entrepris à la demande du maître de l’ordre. Les quatre volumes sont offerts au pape. Est-ce à dire que l’ordre voulait modifier, sinon sa politique, du moins son discours hagiographique ? Le don du Speculum sanctorale au pape Jean XXII s’inscrit-il dans le cadre de ces actes simplement déférents, dictés d’abord par la politesse, ou faut-il y lire, en raccourci, le témoignage d’une meilleure adéquation aux efforts de la curie pour codifier et encadrer les cultes et les critères de sainteté ? Quoi qu’il en soit, d’emblée, l’auto-justification du Speculum sanctorale montre que le discours hagiographique, dans sa forme comme dans ses intentions, a évolué dans l’ordre des frères prêcheurs, autrement dit, que les solutions mises en œuvre au xiiie siècle, et qui, aujourd’hui, sont souvent considérées comme un aboutissement, n’étaient pas perçues par les contemporains comme indépassables. Du coup, il semble utile d’ouvrir la réflexion par un état des lieux. Celui-ci n’a rien de statique, car le xiiie siècle est traversé d’évolutions de fond qui, aussi   Le topos est bien connu et il n’est pas spécifique à la littérature hagiographique.   La traduction de ce passage est de F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », Les prologues médiévaux, actes du colloque international de Rome (26-28 mars 1998), éd. Brepols, Turnhout, 2000, p. 382.

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PREMIÈRE PARTIE

bien chez les dominicains que dans le reste de l’Église, modifient les équilibres antérieurs. Du point de vue de l’articulation de l’Église et des Églises, l’ordre des prêcheurs repose sur des logiques qui, au début en tout cas, n’ont pas dû être facilement conciliables. D’un côté, il apparaît comme une émanation de Rome : sa création est soutenue par Innocent III, approuvée par son successeur ; la définition de sa mission est clairement la défense de l’Église ; la canonisation puis le culte de ses saints sont ardemment soutenus par les papes. De l’autre, les frères prêcheurs sont d’abord fondés comme un ordre de chanoines réguliers, astreints de ce fait à suivre les rites de leur ordre, mâtinés des fêtes diocésaines. Leur insertion en ville et leur parcours du territoire qui l’entoure, impliquent une bonne connaissance des dévotions locales. Ces dernières devaient alimenter la pastorale. De quelle manière cette double logique transparaît-elle dans les légendiers composés par la première génération de prêcheurs ? Ceux-ci les composent à un moment où la sainteté de l’ordre est rare et où l’image du fondateur n’est pas encore fermement constituée. C’est surtout la seconde génération de prêcheurs qui va figer – et corriger – l’image de saint Dominique, en même temps qu’elle va réformer et uniformiser la liturgie de l’ordre. De ce double point de vue, l’action d’Humbert de Romans est fondamentale. Apparaît alors ce qui manque dans les sources du premier xiiie siècle : une parole normative de l’ordre sur la sainteté. À la logique curialiste et uniformisatrice supportée par l’Église, à l’identité sans cesse réactivée des cultes locaux et civiques, se surimpose une logique d’ordre. Comment l’écriture hagiographique de la seconde moitié du xiiie siècle se ressent-elle de cette triple orientation ? Dans cette optique, la confrontation de la liturgie et de l’hagiographie est une richesse. Elle recèle malgré tout de nombreux obstacles, liés au hiatus typologique et aux objectifs bien différents qu’elles servent. La liturgie, c’est d’abord un ensemble de rites, qui règle la vie en commun et, au premier chef, les célébrations qui unissent les religieux. Le sanctoral liturgique, comme le choix des lectures et des chants, différencie les communautés religieuses : on est donc fondé à y lire les contours du sentiment d’appartenance et les modalités de cette identification. Ses textes les plus narratifs – le lectionnaire et le bréviaire – sont parents du genre hagiographique3. Mais celui-ci, sous un objectif d’édification, relève parfois d’intentions qui pourraient être qualifiés de militantes : en glorifiant les actes d’un saint particulier, l’hagiographe établit

  Cette parenté est signalée par G. P hilippart, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Typologie des sources du moyen âge occidental, 24-25, éd. Brepols, Turnhout, 1977. Le légendier est, au moins en partie, utilisé pour les lectures de l’office, et la part de l’hagiographie dans les lectionnaires va croissant.

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introduction

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l’aura d’un saint patron et fonde la renommée d’un sanctuaire. Dans le cadre d’un légendier, la construction du sanctoral est à la fois une hiérarchisation des modèles de sainteté et une manière d’articuler les Églises. Le fait que ces sources se soient constamment alimentées permet de les mettre en perspective : le rapprochement n’est pas contre nature. Ceci dit, la liturgie véhicule d’abord un discours communautaire (c’est, d’une certaine façon, la réponse d’un ordre religieux à la nécessité d’articuler le local, l’universel et le particulier), quand l’hagiographie prend à sa charge les modalités de diffusion de cette parole à l’extérieur du groupe. Ce point, d’ailleurs, apparaît comme l’expression la plus significative de la rénovation de l’écriture hagiographique par les prêcheurs : à bien des égards, l’horizon de la legenda, c’est le sermon. Dans un premier temps, il a semblé utile de voir comment ont évolué les logiques d’Église et les logiques d’ordre dans la « protohistoire » de l’ordre dominicain. L’uniformisation des rites, l’expansion de l’Église universelle sont des évolutions profondes qui conditionnent l’écriture hagiographique dès avant l’apparition des ordres mendiants. Logiques d’Église et logiques d’ordre sont des notions réactivées par l’urgence de défendre Rome contre les hérésies, mission dont hérite l’ordre des prêcheurs. L’analyse de la façon dont le discours hagiographique du xiie siècle articule l’ordre, l’universel et le singulier est donc plus qu’un préalable : c’est un moyen nécessaire pour se prémunir d’une lecture caricaturale, attribuant changements et innovations aux seuls dominicains. De toute façon, ces derniers dépendent encore en partie des solutions antérieures, au moins tant que l’ordre des prêcheurs ne produit pas un discours normatif propre sur la sainteté et la liturgie. Ce sont ces prises de position de l’ordre qu’il faudra étudier ensuite : en figeant le modèle de sainteté de Dominique, en réécrivant tous les livres liturgiques que chaque couvent se doit de posséder, le maître de l’ordre et les chapitres généraux construisent de toute pièce une identité hagiographique et un propre des saints. Dans quelle mesure sont-ils alors le relais de l’universalisation voulue par Rome ? L’ordre s’est-il créé des saints à son image, ou à celle de l’Église ? Comment ce sanctoral s’est-il répandu ? Cette diffusion de la réforme est mal connue. L’analyse des calendriers et la prise en compte d’un lectionnaire toulousain tardif, jusqu’alors mal étudié4, permettent d’évaluer la réception de cette politique de l’ordre ainsi que son impact sur la rédaction des légendiers. Enfin, la Légende dorée est perçue comme le modèle abouti des évolutions de la première moitié du xiiie siècle : comment s’exprime à ce moment-là la position universelle et identitaire des

  Il s’agit du ms 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse.

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PREMIÈRE PARTIE

prêcheurs ? La plus récente édition de la collection5 a mis en valeur l’existence de deux états du célèbre recueil. Le premier est achevé par Jacques de Voragine aux alentours de 1267, c’est-à-dire au moment où l’unification liturgique voulue par Humbert de Romans a vraisemblablement touché tous les couvents de l’ordre. Le légendier est repris et complété après 1274. Ces éléments permettent de proposer une lecture dynamique de la Légende dorée, laquelle met l’accent sur l’évolution probable des objectifs du légendier.

  I.  da Varazze, Legenda aurea, edizione critica a cura di Giovanni Paolo Maggioni, secunda edizione rivista dall’autore, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 1998.

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chapitre premier

Les saints, l’universel et le singulier : sanctoral hagiographique et liturgique jusqu’au milieu du xiiie siècle L’irruption des ordres mendiants dans la société médiévale a évidemment constitué un changement profond. La vulgarisation de l’histoire fait souvent de cet acte de naissance le début d’un « autre Moyen Âge ». Ce n’est pas aussi évident du point de vue de la construction des identités hagiographiques : les motivations des dominicains en ce domaine ne sont pas si différentes de celles des hagiographes de la fin du xie siècle et du xiie siècle, même si le résultat de leur travail est évidemment tout autre. En effet, les progrès de l’Église universelle, qui trouvent leurs origines dans la politique de Grégoire VII, ou la réforme ecclésiastique dont clunisiens puis cisterciens se font les champions, sont toujours d’actualité au moment où apparaissent les mendiants. C’est en partie pour déterminer si leur mode de vie est une réponse adéquate à cette urgence réformatrice qu’est convoqué le concile de Lyon en 12746. Certes, les dissidences contre lesquelles moines, puis frères, se sont levés, ont changé. De pétro-brusienne, elles sont devenues vaudoise ou albigeoise mais l’essentiel demeure car quel que soit l’adversaire, le discours que lui opposent les clercs sert à la fois la défense de l’Église et la fondation une identité d’ordre7. L’insti  Promoteurs et défenseurs des ordres mendiants s’opposent sur la capacité des mendiants à supporter cette réforme. Sur ces débats, voir par exemple J. Le Goff, « Le dossier des Mendiants », 1274. Année charnière : mutations et continuités. Actes du colloque international tenu à Lyon et Paris (30 sept-5 oct. 1974), colloques internationaux du CNRS n° 558, éd. CNRS, Paris, 1977, p. 211-222. 7   Le lien filial entre réforme et hérésie est une thèse qui est depuis longtemps connue. L’institutionnalisation croissante de l’Église est, à la fin du xie siècle et au xiie siècles, contestée, par une série de déviants, qui surgissent en divers lieux de l’occident chrétien (Sur cette question, voir l’ouvrage de H. Fichtenau, Häresie und Vernunftglaube im Hochmittelalter, Munich, 1992, traduit en anglais en 1998 sous le titre Heretics and scholars in the high Middle Ages, 1000-1200. Citons en dernier lieu l’apport de H. Taviani-C arozzi, « Anticléricalisme et ecclésiologie : Pierre le Vénérable, le moine Guillaume et les hérétiques », L’anticléricalisme en France méridionale (milieu xiie-début xiv e siècle), CF, t. 38, 2003, p. 329-353. L’apport principal de ce colloque est de 6

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tutionnalisation de l’Église, comme la lutte antihérétique, traverse donc tout le xiiie siècle. Elles se posent alors comme des clés pour comprendre la construction d’une identité d’ordre, à laquelle l’hagiographie participe complètement. Ces raisons justifient que l’examen des composantes universelles, grégaires et locales du légendier dominicain débute par l’exposé des dynamiques. De même, et sans chercher une origine à l’origine, le détour par les productions hagiographiques antérieures à la naissance de l’ordre des prêcheurs est éclairante et nécessaire. Il faut notamment rappeler comment progressent les trois logiques d’Église, qui ont une influence directe sur la composition du légendier, à savoir le changement de perception des sanctuaires, la définition pontificale des critères de sainteté et l’effacement des liturgies communautaires au profit des rites de la curie. Cette uniformisation qui, à bien des égards est une romanisation, va, presque mécaniquement, modifier les éléments de reconnaissance du discours grégaire, ainsi que son articulation avec les dévotions locales. Deux tableaux méritent donc d’être brossés : le premier recense les évolutions qui vont dans le sens de l’universalisation de l’Église, le second rappelle les efforts réalisés par certains ordres religieux issus de la réforme pour redéfinir, par l’hagiographie, leur lien avec l’Église romaine et les Églises locales. Ces logiques complexes sont ici rappelées à partir d’une bibliographie connue. Elles ne sont exposées ni pour elles-mêmes, ni de manière exhaustive. Il s’agit de retenir de ces éléments les seules innovations, plus ou moins abouties d’ailleurs, qui permettront, en dernier lieu de mettre en perspective la rédaction des premiers légendiers dominicains. A– Les progrès de la « logique de Chrétienté » À partir du xie siècle, l’affirmation de la primauté du pape et celle d’une nécessaire unification de l’occident chrétien s’imposent comme les deux axes majeurs de ce que l’on nomme la réforme « grégorienne ». En effet, l’ecclésiologie de Grégoire VII porte en elle le principe d’une normalisation complète, montrer que toutes les formes d’« anticléricalisme médiéval », sans être forcément hérétiques, sont souvent des formes variées de refus de l’institutionnalisation croissante de l’Église et de son immersion dans les affaires du monde. Défenseurs de l’Église, les ordres monastiques nés de la réforme, produisent contre eux des discours d’exclusion, sous la forme de traités théologiques – on pense bien sûr aux trois traités Contra Petrobrusianos, Contra Sectam Sarracenorum, et l’Adversus Judaeos de Pierre le Vénérable, neuvième abbé de Cluny – ou de prêches – ceux de saint Bernard de Clairvaux sont célèbres, du fait surtout de la renommée de l’auteur car les hérésies tiennent en fait peu de place dans sa production (J. Leclercq, « L’hérésie dans les écrits de saint Bernard de Clairvaux », The concept of Heresy in the middle Ages (11th-13th c.), sous la direction de W. Lourdaux et D. Verhelst, united press, 1976, rééd. 1983, p. 24-25).

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mais ce pape n’a pas accompli dans tous les domaines une telle unification. L’effacement des particularismes est même parfois relativement lent : les rituels et dévotions, sans doute parce que leur diversité ne constitue pas un danger au point qu’il y ait eu urgence à les modifier, relèvent de ces cas. Néanmoins, au cours des xiie et xiiie siècles, se développent trois logiques, distinctes dans leurs modalités, mais corollaires dans leurs objectifs, à savoir la structuration des espaces chrétiens, la réserve pontificale du droit de canonisation et l’uniformisation liturgique. À sa manière, chacun de ces processus est susceptible de modifier l’écriture hagiographique, comme le choix et l’utilisation du sanctoral. Il est donc utile de les rappeler, à partir des très nombreuses études qui ont trait à l’un ou l’autre de ces thèmes. 1– L’hagiographie et les territoires de l’Église Écrire une Vita, c’est d’abord faire l’éloge des vertus d’un saint. Mais on sait bien que l’hagiographe valorise aussi, presque autant que ses mérites, les lieux dans lesquels le saint a vécu, où il est mort. Sa renommée repose en grande partie sur la matérialisation de sa vie, qu’il s’agisse de la conservation de ses reliques ou de l’entretien du sanctuaire qui lui est consacré. Les cas dans lesquels la réécriture hagiographique est motivée par la volonté de réactiver un culte ou son pèlerinage sont nombreux. Cela conduit à ne pas perdre de vue que toute modification de la géographie du sacré est propre à réorienter l’écriture de l’hagiographie. Grossièrement, on sait bien que la polarisation des territoires par l’Église est essentiellement théorisée au xiie siècle, dans l’environnement clunisien, et que les écrits théologiques de Pierre le Vénérable eurent, dans ce domaine, une portée considérable8. Contre l’affirmation des Petrobrusiens qu’il est inutile de construire des églises pour honorer Dieu, Pierre de Vénérable élabore une solide réfutation qui aboutit à la définition d’espaces sacrés. On assiste à ce moment-là à une structuration chrétienne du territoire, qui va de pair avec une matérialisation du christianisme dans le

8   Sur ce thème, voir les travaux importants de D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’Islam (1000-1150), éd. Aubier, 1998 et éd. Champs Flammarion, 2003, et plus récemment, sur un thème différent mais connexe, La maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, éd. Seuil, 2006. Pour ce qui concerne Pierre le Vénérable, la bibliographie est foisonnante. Les travaux reposent sur de bonnes éditions des œuvres de Pierre le Vénérable : en plus de l’édition des traités théologiques et des sermons dans le Corpus christianorum, Giles Constable a publié sa correspondance (The Letters of Peter the Venerable, Cambridge, Harvard University, 1967, 2 vol.), Jean-Pierre Torrell et Denise Bouthillier ont traduit son De miraculis (Pierre le Vénérable, Le livre des merveilles de Dieu (De miraculis), éd. et trad. du latin, éd. Cerf et éd. universitaires Fribourg, Paris et Fribourg, 1992). Ce programme d’édition a favorisé un grand nombre d’études, de détail ou plus ambitieuses, dont fait partie l’ouvrage de D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, ouv. cité.

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bâtiment église. La chrétienté fonctionne donc sur le mode d’un topo-centrisme. L’histoire des grands sanctuaires abonde dans ce sens. Les exemples sont innombrables. Pour s’en tenir au Languedoc, des sanctuaires comme Saint-Gilles, Saint-Guilhem-le-Désert, Saint-Sernin de Toulouse ou SaintPierre de Moissac, attirent, d’une aire plus ou moins large, un grand nombre de pèlerins. Pour alimenter leur dévotion, on recherche des corps saints (par exemple, la découverte, en 1166, du corps intact d’Amadour fonde la renommée du sanctuaire de Rocamadour) et on rédige des recueils de miracles dignes de l’aura du sanctuaire (l’un des plus célèbres est sans doute celui des miracles de sainte Foy : la rédaction des deux derniers livres est contemporaine de la construction de la grande abbaye vers laquelle convergent les pèlerins)9. À cette polarisation unique du lieu de culte où le sanctuaire commande un espace proportionnel au prestige des reliques, se substitue un réseau de sanctuaires, de sorte que leur connexion matérialise l’Église toute entière. Ce mouvement s’accompagne d’une réflexion pour hiérarchiser ces centres, sensible dans l’œuvre de Jean Beleth ou dans le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle : avant de rejoindre Compostelle, objectif ultime de leur voyage, les pèlerins, en suivant le guide, s’arrêtent dans les sanctuaires qui se trouvent sur leurs routes. Au fond, ils fonctionnement comme des étapes préparatoires avant l’arrivée sur le tombeau de l’apôtre. Cette construction complexe n’est pas non plus complètement absente des Vies de saints proprement dites. Celle de saint Léonard de Noblat par exemple, connaît vers 1030 une première version, courte, qui est complétée au siècle suivant par plusieurs récits de miracles10. Parmi les vertus que décrit l’hagiographe, on apprend que saint Léonard a l’habitude de se rendre fréquemment sur les tombeaux des saints, et, de façon plus coutumière encore, à la basilique de saint Martial. Tous les lieux sacrés ne se trouvent donc pas sur le même plan. Saint Léonard, réputé pour intercéder en faveur de la délivrance des captifs, est lui aussi l’objet d’un culte : en signe de reconnaissance et de dévotion, les anciens prisonniers viennent porter leurs chaînes près de son tombeau. La Vita décrit alors cette convergence de pèlerins. Dans le cadre de la dévotion à saint Léonard, Noblat devient un épicentre sacré, à partir duquel d’autres lieux de dévotion apparaissent. Plus loin, les miracles relatent la multiplication des sanctuaires édifiés par les cap  Cette information se trouve dans P. Bonnassie et F.  de Gournay, « Sur la datation du Livre des miracles de sainte Foy de Conques », Saints méridionaux de la légende à l’histoire, AM, t. 107, 1995, p. 457-473. 10   Respectivement BHL 4862 pour la Vie courte et BHL 4863-4864 pour les miracles. Voir C. Cheirézy, « Hagiographie et société : l’exemple de Léonard de Noblat », Saints méridionaux. De la légende à l’histoire, AM, t. 107, 1995, p. 417-436, spécialement p. 418-419 pour la présentation du corpus. 9

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tifs que Léonard a libérés de leurs chaînes. La multiplication de ces pôles, hiérarchisés les uns par rapport aux autres, entraîne de fait une généralisation de la présence de l’Église. Dans ce mouvement, la titulature des autels, les saints et les reliques que l’on y vénère, attestent d’un effort d’assimilation des espaces11. L’intégration du sanctuaire dans la Vita est un témoin du rapport que veut exposer l’hagiographe entre Église universelle et espace local. Cette évolution subtile s’accompagne de celle qui aboutit au droit exclusif des papes d’élever les saints sur les autels. 2– La réserve pontificale du droit de canonisation a– Évolution du droit Ici encore, l’évolution est bien connue. Il suffit de la rappeler brièvement et pour mémoire, parce que son impact sur la composition du légendier est important12. Pendant la première moitié du Moyen Âge, le fait d’honorer un défunt du titre de saint était une prérogative des Églises locales. Elle était menée dans le cadre d’une procédure spontanée (vox populi, vox Dei). Même lorsque le nombre des saints a proliféré de façon inquiétante, pour ne pas dire anarchique, la papauté n’a pas jugé utile d’intervenir et a laissé l’ordinaire y mettre bon ordre. Les évêques ont donc pris à leur charge le contrôle de l’élévation des reliques. Il a fallu trois siècles, c’est-à-dire de la première canonisation pontificale attestée (celle de saint Ulrich, évêque d’Augsbourg en 993) jusqu’au début du xiiie siècle, pour que la prérogative de canoniser les défunts, dans un second temps exercée conjointement par les prélats et l’évêque de Rome, revienne exclusivement à ce dernier, au nom de sa prééminence universelle sur l’Église. Majeure du point de vue ecclésiologique et juridique, l’évolution s’expose simplement : il suffit que quelques évêques aient pris l’habitude de faire confirmer par les papes les élévations de reliques de leur diocèse, sans doute pour 11   C’est ce que montre A. Guerreau, « Espace social, espace symbolique : à Cluny au xie siècle », L’ogre historien, Mélanges Jacques Le Goff, éd. J. R evel et J.-C. Schmitt, Gallimard, Paris, 1998, p. 167-191 : les reliques conservées à Cluny font de ce sanctuaire un épicentre réplique de la centralité romaine (autel dédié à saint Pierre, relique de la vraie croix…) 12   La recherche historique sur les procès de canonisation est marquée par A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, éd. école française de Rome, 1981. Il faut aussi noter plusieurs articles de dictionnaires, qui font le point sur les travaux des historiens et des juristes quant à l’évolution de la procédure : T. Ortolan, « Canonisation dans l’Église romaine », DTC, t. II, Paris, 1932, col. 1626-1659 ; R. Naz, « Causes de béatification et de canonisation », DDC, t. III, 1942, p. 10-37 ; L. Hertling, « Canonisation », DS, t. II, Paris, 1953, col. 77-81 ; P. Jansen, « Canonisation », Dictionnaire historique de la papauté, Paris, éd. Fayard, 1994, p. 270-272 et P. Henriet, « Canonisation », Dictionnaire du Moyen Âge, sous la direction de C. Gauvard, A. de Libéra et M. Zink, éd. PUF, Paris, 2002, p. 211-212.

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conférer à leur geste un surplus d’autorité, pour que ces derniers leur confisquent progressivement ce privilège et fassent de leur jugement une nécessité juridique et ecclésiologique. Cette évolution s’appuie sur l’autorité grandissante que se sent l’Église romaine, voire la curie13, de parler au nom de l’Église universelle. À partir du pontificat d’Alexandre III (1159-1181), et au fur et à mesure que les papes expriment leur certitude de détenir le privilège de canoniser des défunts14, celui-ci quitte le domaine de la coutume pour entrer dans celui du droit. Dans ce domaine, la situation est éclaircie par le IVe Concile du Latran (1215), dont le canon 62 interdit de vénérer des reliques nouvellement découvertes « si elles n’ont pas été auparavant approuvées par l’autorité du pontife romain »15. En déclarant ainsi que la pratique de recourir au Siège Apostolique fait désormais loi, en justifiant celle-ci par l’argument d’universalité, en forgeant enfin une procédure complexe pour porter les saints sur les autels, les papes des xiiie et xiv e siècles circonscrivent juridiquement les critères de la sainteté, assurent la promotion de certains modèles tandis qu’ils en dévaluent d’autres. De ce point de vue, le procès de canonisation est la forme aboutie d’une organisation du droit de regard sur le contenu des dévotions. L’examen des actes du candidat à la sainteté et les solennités liturgiques qui honorent ses reliques, ne sont plus tenus pour des preuves suffisantes de la sainteté du personnage. Désormais, dans le cadre d’un procès informatif, les promoteurs des causes (c’est le rôle que l’on réserve à l’ordinaire) doivent fournir des témoignages de la fama sanctitatis de leur héros. Cette enquête préliminaire ouvre les travaux des commissaires nommés par la curie16. Des témoins déposent devant eux, ce qui accélère l’objectivisation et l’uniformisation relative des critères de sainteté. Ce sont les cardinaux qui apprécient les résultats de leurs travaux, décident l’aboutissement de la canonisation et les critères de sainteté.

  À partir de la fin du xiie siècle, c’est un groupe de cardinaux qui est jugé compétent pour fixer les procédures, puis pour analyser les dossiers des candidats à la canonisation. 14   Par exemple, dans la bulle de canonisation de sainte Cunégonde, promulguée en 1200, Innocent III affirme que « …ce jugement sublime appartient seulement à Celui qui est le successeur de saint Pierre et le Vicaire de Jésus Christ » (cette bulle est éditée et commentée dans l’étude de J. Petersohn, « Die litterae Papst Innocenz III zur Heiligsprechung der Kaiserin Kunigunde (1200) », Jahrbuch für fränkische Landesforschung, 37, 1977, p. 1-25 ; L’exemple est cité par A. Vauchez, ouv. cité, p. 31). 15   Inventas autem de novo nemo publice venerari praesumat, nisi prius auctoritate Romani pontificis fuerint approbatae, éd. G. Alberigo (dir.), Les conciles œcuméniques, t. II-1 : de Nicée à Latran IV, éd. Cerf, Paris, 1994, p. 560. 16   Initialement, un évêque est toujours du nombre de ces commissaires, mais petit à petit les membres de l’épiscopat ne sont plus consultés et apparaissent de moins bons garants de l’impartialité de l’enquête. C’est en tout cas ce que suggère P. Jansen, art. cité, p. 272. 13

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b– Canonisation et textes hagiographiques Les historiens ont bien compris tout le parti qu’ils pouvaient tirer de cette documentation. Ce sont surtout les répercussions sociales qui ont été envisagées, l’évolution des critères de sainteté requis par la papauté étant assimilée, ou articulée, à une évolution des mentalités. On a nettement moins mis en exergue le poids de ces évolutions juridiques sur la compilation des légendiers, lesquels sont, pour partie, à destination pastorale. Quelle place les collections de la décennie 1250-1350 ont-elles réservées à ces modèles de sainteté promus par Rome ? La question est, bien sûr, un peu rhétorique et artificielle : d’abord, les légendiers constitués à cette époque sont des collections systématiques, c’est-à-dire qu’ils envisagent tous les types de saints fêtés au cours de l’année. On y trouvera donc des modèles anciens mais toujours vénérés, ne serait-ce que parce que certains sont associés à des saints universels. Par ailleurs, il n’est pas toujours évident de dire si la papauté, par le biais des procès de canonisation, entérine un modèle de sainteté populaire (et non pas un saint populaire, ce qui ne fait pas de doute) ou s’il en fait la promotion. Malgré tout, et ces précautions prises, il est indéniable que la réserve pontificale en matière de canonisation fige des modèles et ce, au moment où les prêcheurs rédigent les légendiers. Parallèlement, toute la littérature des enquêtes et des procès de canonisation apparaît comme une formidable occasion de renouveler l’écriture hagiographique. À partir du début du xiiie siècle, les rédacteurs de Vitae, mais aussi ceux des offices liturgiques, disposent d’une documentation nouvelle : dans les procès, les nombreux témoignages convergent dans l’exposé des vertus ou le récit des miracles, tandis que la crédibilité de l’ensemble est authentifiée par la curie. Ces mouvements parallèles, de hiérarchisation des preuves et des modèles de sainteté d’une part, et de création ou réactivation des cultes par l’écriture de Vies d’autre part, méritent d’être mis en relation. D’ailleurs, dans l’esprit d’Innocent IV en tout cas, l’un des aboutissements de la procédure de canonisation est la rédaction de l’office17. Les Bollandistes ont d’ailleurs répertorié les lettres de canonisation, au même titre que des Vies de saints ou des récits de translation des reliques18. Mais dans quelle mesure ce document à 17   C’est ce que montre A. Vauchez en citant le commentaire que fait Innocent IV du bref Audivimus : « Canoniser consiste à décider en toute régularité et de façon canonique qu’un saint soit honoré comme tel, c’est-à-dire que lui soit rendu un culte solennel comme on le fait pour les saints de la même catégorie ; s’il s’agit d’un confesseur, que l’on célèbre pour lui l’office d’un confesseur ; s’il s’agit d’un martyr, l’office des martyrs et ainsi de suite ». (A. Vauchez, ouv. cité, p. 35). 18   Voir par exemple BHL 2522 (procès de canonisation d’Elzéar de Sabran), BHL 5054 (bulle de canonisation de Louis d’Anjou promulguée par Jean XXII le 7 avril 1317), BHL 6722 (bulle de canonisation de Pierre de Vérone promulguée par Innocent IV le 25 mars 1253), BHL 8150-

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vocation juridique fonctionne-t-il comme une Vie ? Quelle forme de réécriture effectue la transcription d’un acte juridique en une lecture édifiante et, finalement, en permet la diffusion ? 3– Les interventions pontificales en matière de liturgie Le droit exclusif de canoniser a un corollaire liturgique : celui d’imposer une fête, de déterminer la solennité de sa célébration, donc de la hiérarchiser par rapport à toutes les autres. Les progrès de l’universalisation de l’Église ont donc bien un versant liturgique. Ces questions sont restées dans le domaine réservé des liturgistes : l’absence de récit synthétique n’a pas facilité l’intégration de ces questions dans le champ de l’histoire. Pourtant lectionnaires et calendriers livrent de précieux témoignages sur l’évolution du sanctoral liturgique : ils montrent notamment les progrès des cultes romains, aux dépens des célébrations particulières. Mais les synthèses sont rares19, et c’est en collectant les informations dans des articles consacrés à certains livres particuliers20 ou aux rituels de quelques ordres religieux 21, qu’il est possible d’avancer quelques jalons. La similitude des modifications liturgiques avec l’évolution 8151 (documents du procès de canonisation de Thomas d’Aquin de 1319-1321). Les procès de canonisation de Pierre de Luxembourg et du pape Célestin V sont indiqués sans numéro dans la BHL. 19   On verra notamment P.-M. Gy, « L’unification liturgique de l’occident et la liturgie de la curie romaine », RSPT, t. 59, 1975, p. 601-612 (reproduit également dans Liturgie de l’Église particulière et liturgie de l’Église universelle, conférence Saint-Serge, Rome, 1976, p. 155-167) ; P.-M. Gy, « La papauté et le droit liturgique aux xiie et xiiie siècles », The religious roles of the papacy : ideals and realities, 1150-1300, sous la direction de C. Ryan, Papers in medieval studies, Pontifical of medieval studies, Toronto, 1989, p. 229-245 ; P.-M. Gy, La liturgie dans l’histoire, éd. Cerf, Paris, 1990 ; P.-M. Gy, « Les réformes liturgiques et la sociologie historique de la liturgie », Liturgie­ reformen. Historische Studien zu einem bleibenden Grundzung des christlichen Gottesdienstes, I, Münster, Aschendorff Verlag (Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen, Bd 88), 2002, p. 262-272 ; É. Palazzo, Liturgie et société au moyen âge, éd. Aubier, collection historique, 2000 ; É. Palazzo, « La liturgie de l’occident médiéval autour de l’an mil. État de la question », CCM, t. 43, 2000, p. 371-394 ; É. Palazzo, « Jalons pour une histoire de la liturgie (v e-xiiie siècles) », Divina officia. Liturgie und Frömmigkeit in Mittelalter, Wolfenbüttel, 2004, p. 3-18. 20   A. G. M artimort, Les lectures liturgiques et leurs livres, Typologie des sources du moyen âge occidental, 64, éd. Brepols, Turnhout, 1992 ; A. G. M artimort, L’Église en prière, 4 vol., éd. Desclée, Paris, 1983 ; É. Palazzo, « Les livres liturgiques au Moyen Âge », dans L’information historique, 59, 1997, p. 67-71 ; É. Palazzo, « Rites et société chrétienne : la liturgie », Le pays cathare. Les religions médiévales et leurs expressions méridionales, sous la direction de Jacques Berlioz, éd. Seuil collection Points histoire, Paris, 2000, p. 231-244. 21   É. Palazzo, « Réforme liturgique, spatialisation du sacré et autels portatifs. Aux origines de la liturgie itinérante des ordres mendiants », Liturgiereformen. Historische Studien zu ­einem bleibenden Grundzung des christlichen Gottesdienstes, I, Münster, Aschendorff Verlag (Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen, Bd 88), 2002, p. 363-377 ; S. P. J. Van Dijk et J. H azelden Walker, The origins of the modern roman liturgy. The liturgy of the papal court and the Franciscan order in the thirteenth century, The Newman Presse, Westminster, 1960 ; S. P. J. Van Dijk, « Il carattere della correzione liturgica di fra Aimone da Faversham, OFM (1243-1244) », Ephemerides liturgicae, t. 59, 1945, p. 177-223 et t. 60, 1946, p. 309-367.

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décrite pour la procédure de canonisation est frappante : décisifs dans l’affirmation de la réserve pontificale de canonisation, les xiie et xiiie siècles enregistrent de remarquables avancées dans l’unification d’une liturgie curiale, qui sera peu à peu diffusée dans les diocèses, et finalement à toute la Chrétienté. a– Une liturgie privée devenue un modèle Si l’unification liturgique est déjà un outil de la construction de l’empire carolingien, c’est surtout l’ecclésiologie grégorienne qui lui apporte sa justification la plus forte en affirmant qu’il y a un rapport entre l’unité de la foi et l’unité des rites22, ce qui inévitablement conduit les papes à revendiquer l’exercice exclusif de leur autorité en matière liturgique. Au xiiie siècle, c’est d’abord Innocent III qui œuvre au rassemblement et à la codification des livres liturgiques : cette entreprise donne naissance au bréviaire, instrument maniable plus spécialement destiné aux membres de la curie, qui se déplaçaient régulièrement. Ce nouveau livre liturgique avait toutes les chances de rester confiné à la chapelle papale. Ce qui lui valut au contraire une diffusion ample et rapide, c’est son adoption par l’Église d’Assise, puis par les frères mineurs, tout juste constitués en un ordre religieux 23. La règle franciscaine, dans sa version de 1223 dit que les frères doivent réciter l’office divin selon l’ordo de l’Église romaine (à l’exception du Psautier), et à partir du bréviaire. Parallèlement, le sanctoral franciscain intègre les vingt cinq fêtes des saints papes24. Cependant, les franciscains n’adoptèrent pas tout à fait le bréviaire tel qu’il existait à l’époque d’Innocent III : ils commandèrent une série de corrections à Aimon de Faversham, général des frères mineurs, qui y travaille de 1240 à 124425. Celles-ci sont approuvées par Grégoire IX, puis c’est un pape franciscain, Nicolas III (1277-1281), qui imposa aux églises de Rome, ce bréviaire de la curie corrigé par Aimon. En effet, au début du xiiie siècle, coexistaient à Rome quatre liturgies différentes : celle de la curie romaine, qui résidait au Palais du Latran, celle de la basilique Saint-Jean toute proche, celle de la basilique Saint  L’idée d’unité de la foi et de la liturgie est ébauchée dans les Libri Carolini : c’est l’unité de la foi dans l’Église romaine qui invite à se conformer à la liturgie de celle-ci : à cette époque, le retournement de l’idée patristique selon laquelle la diversité des coutumes liturgiques ne porte pas atteinte à l’unité dans la foi est déjà engagé. 23   Les travaux du Père Van Dijk ont établi clairement que ce sont les franciscains qui ont adopté les livres de la curie, et non l’inverse, comme on l’a longtemps dit (The origins of the modern roman liturgy, ouv. cité, p. 84-85. 24   Cette vénération des successeurs de saint Pierre trouve son origine dans le dictatus 23 des Dictatus papae. 25   L’œuvre liturgique d’Aimon de Faversham a été étudiée en détail par S. P. J. Van Dijk : « Il carattere della correzione liturgica di fra Aimone da Faversham, OFM (1243-1244) », art. cité et The origins of the modern roman liturgy, ouv. cité. Ces corrections portent sur le bréviaire et l’ordinaire de la curie : la matière est réorganisée, tandis que temporal et sanctoral sont strictement séparés. 22

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Pierre et celle dite de l’Urbs, c’est-à-dire de la ville de Rome26. Parmi les spécialistes, des débats existent pour savoir si Nicolas III a, ou non, impulsé le mouvement, alors qu’il n’était que le cardinal Jean Cajetan Orsini, en développant d’abord une liturgie uniforme dans les églises sous sa juridiction. S’il est inutile d’exposer ici les éléments à charge et à décharge qui permettent d’opter dans un sens ou dans un autre27, il est clair que l’argumentation des deux parties se fonde sur une série de manuscrits liturgiques (sacramentaires et lectionnaire de l’office en deux volumes) qui sont organisés par un calendrier particulièrement fourni, qui intègre tous les saints nouvellement canonisés. Cette situation s’explique par le fait que le pape avait à célébrer non seulement les fêtes des saints dont il prescrivait la célébration à toutes les Églises, mais encore, du moins lors de la canonisation, les fêtes instituées seulement pour les Églises particulières. Ces documents comportent un double intérêt puisqu’en montrant la collusion entre procédure de canonisation et uniformisation liturgique, ils font de la liturgie de la chapelle papale un « étalon liturgique ». Le premier volet de ces transformations s’achève donc par l’affirmation de la liturgie de la chapelle papale, au détriment de celle du Latran. Désormais, ce n’est pas la liturgie de Rome qui va se diffuser, selon des rythmes divers, à la chrétienté, mais bel et bien celle du pape, comme on le lit dans les constitutions du Latran, sous la plume du futur Grégoire IX : « Pour que les membres se conforment à la tête, nous décrétons par la règle présente que l’Office, tant diurne que nocturne sera chanté dans l’église du Latran selon la rubrique, l’ordre ou coutume de la sainte Église romaine, c’est-à-dire de la chapelle de notre seigneur le pape »28. Dans un second temps, la liturgie romaine cherche à s’imposer à d’autres espaces et à d’autres communautés religieuses.   On connaît ce passage célèbre de l’argumentation d’Abélard contre saint Bernard en faveur du pluralisme liturgique, le seul qui est vraiment respectueux de la situation qu’a instaurée la papauté à Rome : « Pour ce qui est de la liturgie, qui ignore les innombrables différences de coutumes, même parmi les clercs ? L’ancienne coutume du Siège Romain n’est même pas observée par la ville de Rome, mais seule l’église du Latran, qui est la mère de toutes les Églises, conserve l’office ancien, alors qu’aucune de ses filles ne la suit en cela, pas même la basilique du palais romain » (Denique in divinis officiis quis ignoret diversas et innumeras Ecclesiae consuetudines inter ipsos etiam clericos ? Antiquam certe Romanae Sedis consuetudinem nec ipsa civitas tenet, sed sola Ecclesia Lateranensis, quae mater est omnium, antiquum tenet officium, nulla filiarum suarum in hoc eam sequente, nec ipsa etiam Romani palatii basilica, éd. PL, t. 178, col. 540b). 27   Ils sont développés par S. P. J. Van Dijk et J. H azelden Walker, The origins of the modern roman liturgy. The liturgy of the papal court and the Franciscan order in the thirteenth century, ouvr. cité, p. 411, puis par P.-M. Gy, dans « La papauté et le droit liturgique aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 236-237. 28   Ut membra capiti se conforment, praesenti institutione decernimus quod tam nocturnum quam diurnum [officium] in Lateranensi ecclesia cum nota dicatur, juxta rubricam, ordinem et morem sanctae Romanae ecclesiae, seu capellae domini nostri papae, éd. PL, t. 78, col. 1374. L’extrait et sa traduction sont donnés par P.-M. Gy, « La papauté et le droit liturgique aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 233. 26

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b– La liturgie romaine hors de Rome En 1321-1323, dans son « Exposition de la Règle franciscaine », Angelus Clarenus rapporte, que sous le pontificat de Grégoire IX les frères mineurs demandèrent l’allègement de leurs obligations par rapport à l’office de la curie. Le pape leur répondit : « Frères, si vous voulez faire l’office de l’Église sans rien en enlever, je prescrirai à tous les religieux qui sont dans l’Église, sauf aux chanoines réguliers et aux moines de saint Benoît, qu’ils adoptent votre office »29. Le rôle du pape dans la diffusion de la liturgie curiale est évidemment notoire. C’est d’abord parce que les papes l’ont voulu et ont œuvré en ce sens que peu à peu les églises particulières ou les ordres religieux se sont conformés au rit romain. Pierre Marie Gy30 a toutefois nuancé certaines des affirmations de S. P. J. Van Dijk, qui va jusqu’à décrire Grégoire IX et Innocent IV comme exerçant un véritable pression pour que l’office de la curie soit adopté plus largement, et en particulier qu’il se substitue à celui des églises diocésaines31 : en l’état de la documentation, il semble plus prudent de considérer que les papes n’ont souhaité l’imposer qu’aux religieux autres que les moines et les chanoines réguliers, c’est-à-dire, dans les termes du xiiie siècle, aux seuls ordres mendiants. À la fin du xiiie siècle et au début du xiv e siècle, quelle est la géographie de la diffusion des rites romains ? En Italie la diffusion de la liturgie curiale en dehors de Rome et d’Assise a d’abord concerné les villes d’Italie centrale, notamment Spolète vers le milieu du xiiie siècle et Florence en 1310. C’est ensuite le séjour des papes à Avignon qui marque une nouvelle étape. Lorsque la papauté s’installe en Comtat Venaissin, ils y apportent la liturgie romaine unifiée. En 1337, le synode d’Avignon décide d’adopter pour le diocèse la liturgie de la chapelle papale : toute fondée sur la nécessaire conformité des usages du fils (le diocèse) à ceux de sa mère (l’Église)32, la justification de cette réforme révèle une construction ecclésiologique précise, dont il est difficile de dire si elle a été généralisée ou pas33. Néanmoins, Jean XXII concède déjà à certains clercs   Fratres, si vultis absque detruncatione officium ecclesie facere, omnibus religiosis qui sunt in Ecclesia exceptis canonis regularibus et monachis sancti Benedicti, mandabo quod vestrum officium faciant, cité dans S. P. J. Van Dijk et J. H azelden Walker, The origins of the modern roman liturgy, ouv. cité, p. 398. 30   P.-M. Gy, « L’unification liturgique de l’occident et la liturgie de la curie romaine », art. cité, p. 601-612. 31   S. P. J. Van Dijk, ouv. cité, Westminster, 1960, p. 392-402. 32   Cette comparaison appuyée sur le thème de la dévotion filiale est filée tout au long du texte du synode (il est publié dans E. M artène et U. Durand, Thesaurus novus anecdotorum, t. IV, Paris, 1717, col. 557e-558b. L’extrait se trouve aussi dans P.-M. Gy, « La papauté et le droit liturgique aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 234. 33   Pour le vérifier, il conviendrait de collationner l’ensemble des statuts des conciles provinciaux et diocésains du xiv e siècle. 29

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de la curie le droit de dire l’office romain à la place de celui de l’Église dont ils ont reçu la charge34, ce qui signifie bien une volonté d’uniformisation. Au total, la situation paraît contrastée. Si, à la fin du xiiie siècle, la réserve pontificale du droit de canonisation est acquise, force est de constater que celle qui relève de l’uniformité liturgique fut plus lente à s’imposer. c– Vers un droit pontifical de la célébration Dans la mesure où, d’un côté les papes s’arrogent le droit exclusif de fabriquer des saints, que de l’autre ils s’efforcent de répandre la liturgie romaine, il est logique qu’ils aient cherché à se réserver le droit de décider des célébrations elles-mêmes. En dépouillant les bulles de canonisation pour la période qui s’écoule du pontificat de Grégoire IX à Clément IV, Pierre-Marie Gy montre que les pontifes n’ont pas seulement fixé les critères de sainteté : ils ont encore tenté de circonscrire le rayonnement des cultes35, de préciser la solennité de la fête et les lectures de l’office. Autrement dit, la papauté n’a pas simplement souhaité promouvoir certains critères de sainteté, mais surtout hiérarchiser les modèles36 et uniformiser leurs cultes. Ainsi, lorsqu’une décrétale de Boniface viii impose l’office double des apôtres, évangélistes et des docteurs, c’est, dans certaines liturgies particulières, toute la hiérarchie des fêtes du calendrier qui se trouve bouleversée. À la bulle Transiturus qui institue la fête du Corpus Christi, est associée un second document donnant la liste des textes, et finalement tout l’office, à utiliser pour cette fête. Même si ce cas est unique, il témoigne du fait que les papes se sont, à ce moment-là, sentis suffisamment sûrs de leurs prérogatives en matière liturgique pour imposer une orientation au calendrier, des lectures à l’office, dans les lieux où ils n’avaient pu encore faire triompher la liturgie issue de la chapelle papale. Donc au moment où les frères prêcheurs monopolisent la production hagiographique, la papauté est en mesure d’imprimer profondément sa marque dans ces collections : elle a modifié la perception des sanctuaires, fixé les critères de sainteté et rendu visible toute une série de célébrations peu à peu identifiées comme romaines. La papauté n’a pas, loin s’en faut, imposé partout   Ce droit est par exemple accordé à Guillaume, évêque de Meaux, le 22 mars 1318 (lettre commune n° 6673).   P.-M. Gy indique que sur onze saints canonisés de Grégoire IX à Clément IV, le culte d’au moins quatre (Edmond de Canterbury, Guillaume de Saint-Brieuc, Stanislas et Hedwige) est commandé pour une province ecclésiastique seulement (voir P.-M. Gy, « La papauté et le droit liturgique aux xiie et xiiie siècles », art. cité, p. 241). 36   Sur ce point précis, P.-M. Gy relève des nuances de vocabulaire entre les bulles qui « commandent par écrit apostolique », « commandent et prescrivent » ou encore « prescrivent strictement ». Pour autant, et en l’état, le classement des cas en fonction de ce critère n’est pas assez solide pour faire de cette donnée un élément supplémentaire de classification des modèles de sainteté. 34 35

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la liturgie romaine à la fin du xiiie et au début du xiv e siècle : elle n’y parviendra réellement qu’avec le concile de Trente. Cela ne l’empêche pas d’intervenir en faveur de l’uniformisation liturgique jusque dans les ordres réguliers et monastiques. C’est une autre manière de soutenir la logique supranationale qui est à l’œuvre dans sa propre institutionnalisation. Or, cette recherche d’une plus grande cohérence liturgique, qu’elle soit encouragée par Rome ou engagée par les ordres eux-mêmes, est concomitante de constructions hagiographiques collectives, honorant non plus des saints de l’ordre, mais l’ordre lui-même et dans sa globalité. Il y a donc une logique d’ordre, parallèle à la logique d’Église. Elle se fonde sur la radicalisation des constructions suprarégionales ce qui, potentiellement, modifie l’enracinement local des dévotions et des rites de la communauté religieuse. B– Les logiques d’ordre : entre cohérence supranationale et particularisme hagiographique

1– La nécessaire uniformisation des rites Il est probable que les papes n’aient envisagé la diffusion de la liturgie pontificale qu’aux seuls ordres mendiants (cela montre d’ailleurs combien ils les considéraient comme attachés au siège apostolique). Cela dit, au même moment, les ordres monastiques et canoniaux ressentent aussi le besoin d’unifier leur liturgie. Ils y voient l’occasion de se donner un supplément de cohérence car l’enracinement local des monastères se trouvait ainsi doublé d’un renforcement du caractère suprarégional de l’ordre. Le rôle des papes ne fut pas négligeable dans cette évolution. La documentation permet surtout de saisir les expériences menées au sein de Prémontré, puis de Cîteaux : elles n’ont pas connu de développement uniforme, si bien que les évoquer permet de saisir les écueils et les modèles de telles entreprises, avant que les dominicains ne s’y lancent, au milieu du xiiie siècle. a– L’expérience de Prémontré La liturgie de Prémontré a fait l’objet d’études ponctuelles, mais précises37. Elle montre que saint Norbert, fondateur de Prémontré, avait initialement prévu le retour à l’Ordo monasterii pour l’ordonnance de la liturgie, mais, cette voie a été contestée, d’abord par des prélats influents comme Ponce, abbé de

  P. L efèvre, Les statuts de Prémontré réformés sur les ordres de Grégoire IX et Innocent IV au xiii e siècle, Bibliothèque de la RHE, 23, Louvain, 1946 et La liturgie de Prémontré. Histoire, 37

formu­laire, chant et cérémonial, Bibliotheca analectorum praemonstratensium, 1, Louvain, 1957.

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Saint-Ruf, ou Gautier, évêque de Maguelone, par le pape ensuite, qui intervint dans le débat pour imposer l’abandon de l’ordo monasterii et le retour à la liturgie suivie par les autres congrégations canoniales. On créa un formulaire qui, une fois arrêté, devait être imposé à toutes les abbayes de l’ordre. C’est ce dont se charge le premier abbé, Hugues de la Fosse, successeur de Norbert à la tête de l’ordre. Après son installation à Prémontré, il codifie les mesures disciplinaires de l’ordre : on y trouve notamment les sanctions prises à l’encontre des abbés qui ne disposent pas des livres liturgiques dont la liste a été fixée par l’abbaye-mère. Il prévoit aussi les punitions infligées à ceux qui diront, pendant l’office, un texte ou un chant étrangers à l’usage commun38. Sur cette base, on ne peut pas mettre en doute l’existence d’un livre type donnant l’ordo liturgique antérieur à 113139. La tradition attribue à Hugues de la Fosse une entreprise d’unification liturgique qui est sans doute une œuvre collective. Cette nouvelle liturgie s’inspire beaucoup du droit coutumier monastique, notamment des instituta ecclesiastica de Cîteaux, mais aussi du rit romain tel qu’il est reçu en Occident au xiie siècle. D’ailleurs, les papes apparaissent, sinon comme les artisans, du moins comme les principaux promoteurs de la diffusion du nouveau rit : ils n’ont cessé de promulguer une série de bulles rappelant cette exigence d’unité40. Les papes ne s’attachent pas seulement à imposer aux chanoines de Prémontré l’uniformité liturgique : au milieu du xiiie siècle, ils interviennent aussi pour modifier les constitutions de l’ordre41. b– Les réalisations cisterciennes Peu après, Cîteaux décida aussi l’uniformisation de ses rites et de ses livres liturgiques. En 1098, les moines qui arrivèrent à Cîteaux apportèrent des livres, au nombre desquels se trouvent un bréviaire et un psautier copié à l’abbaye Saint-Vaast d’Arras. Bien que le légat prescrive à Robert de Molesmes de restituer l’ouvrage au plus vite, les moines le conservèrent et adaptèrent son calendrier à leur usage42. Au bout du compte, sur la base d’un calendrier gé  Si quicquam legere vel cantare presumperit quam quod communis consensus probat, dans R. Van Waefelghem, « Les premiers statuts de Prémontré », Annales de l’ordre de Prémontré, t. 9, 1913, p. 55. 39   En l’absence d’autres informations, cette datation relative est tirée d’une bulle d’Innocent II, datée du 12 avril 1131, dans laquelle le pape presse les abbés de faire respecter l’ordinis integritas et la consuetudo Praemonstratensis monasterii. 40   Voir par exemple la bulle In apostolice sedis du 27 avril 1177, ou la bulle In eminenti que prend Lucius III le 10 mars 1184 : …eadem penitus observantie, idem quoque libri qui ad divinum officium pertinent ab omnibus ejusdem ordinis ecclesiis uniformiter teneantur. 41   Sur ce point, voir en particulier les sources publiées par P. Lefèvre, Les statuts de Prémontré réformés sur les ordres de Grégoire IX et Innocent IV au xiiie siècle, Bibliothèque de la RHE, t. 23, Louvain, 1946. 42   L’information se trouve dans D. Choisselet et P. Vernet, Les ecclesiastica officia cisterciens du xiie siècle, La documentation cistercienne, t. 22, Reiningue, 1989, p. 15. Ce document est 38

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néral, valable pour tous les monastères, s’ajoutent, dans chaque maison, des célébrations propres. Au nombre de celles-ci se retrouvent l’anniversaire de la dédicace de l’église locale, mais aussi la fête du patron de l’évêché. Pourtant, très vite les cisterciens voulurent établir entre les divers monastères une unité complète de coutumes et de rites. Ils voulurent encore se dégager des influences locales : on ne trouve guère dans les premiers calendriers, que le fonds commun de toutes les églises d’origine romaine et quelques saints des Gaules, ceux-ci d’ailleurs évoqués de préférence sous la forme d’une commémoraison plutôt que par une véritable fête. Cette réforme liturgique ne fut pas entamée avant que Cîteaux ait été assurée de la protection pontificale, que lui accorde la bulle de Pascal II de la fin de l’année 1100. Dans tous les cas, les livres liturgiques cisterciens sont constitués entre 1115 et 1118, au moment de la rédaction de la Charte de Charité, qui prescrit aux abbayes cisterciennes d’avoir tous leurs livres liturgiques conformes à ceux de Cîteaux43. En 1119, le pape approuve ces décisions. À la fin du xiie siècle, est constitué un manuscrittype, renfermant tous les livres liturgiques, à partir duquel chaque abbaye de l’ordre pouvait se doter du nouveau rit cistercien44. Dans les années 1173-1174, l’ordre de Cîteaux se dote également d’un martyrologe qui, à partir de cette date, sert d’archétype, d’exemplar, à tous les martyrologes confectionnés dans l’ordre. Dans le dernier tiers du xiie siècle enfin, Cîteaux réfléchit à une refonte de ses livres liturgiques pour renforcer sa cohérence. L’uniformisation du martyrologe et du calendrier est achevée au plus tôt en 1185. Au même moment, le premier légendier de l’ordre est refondu tandis qu’est compilée une immense collection hagiographique en six volumes, le Liber de Natalitiis45. On ne sait rien de son origine (auteur, commande éventuelle, origine géographique). Plus riche en fêtes et en documents que le premier état du légendier de Cîteaux, celui-ci est aussi plus respectueux du calendrier liturgique46. Bien qu’ayant annoncé qu’il utilise la première collection hagiographique cistercienne, le compilateur du Liber de Natalitiis recourt à une documentation plus vaste et plus diversifiée, de sorte qu’il augmente substantiellement la matière de la aujourd’hui le ms 30 de la Bibliothèque municipale de Dijon. Vers 1200, un scribe nota que ce manuscrit avait appartenu à Robert de Molesmes. 43   La Carta caritatis prior évoque en ces termes les objectifs poursuivis par cette mise en ordre : « Que tous aient les mêmes livres et les mêmes coutumes » (Ut idem libri et consuetudines, cité par D. Choisselet et P. Vernet, ouv. cité, p. 44). 44   Ce manuscrit-type est actuellement contenu dans la ms 1114 de la Bibliothèque municipale de Dijon, écrit, du moins pour la partie principale, entre 1173 et 1191. 45   Pour tout ce qui concerne cette importante collection, je m’appuie sur les travaux de H. Rochais, Un legendier cistercien de la fin du xiie siècle : Liber de Natalitiis et autres légendiers du moyen âge, thèse de 3e cycle, dactyl., Université Paris-I, Documentation cistercienne, 15. 46   C’est ce qui ressort des comparaisons établies par H. Rochais, ouv. cité, essentiellement p. 32-35.

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collection primitive. Riche d’un peu plus de 355 Vies, plus respectueux de l’ordre calendaire, ce légendier en six volumes est rapidement copié dans plusieurs monastères de l’ordre cistercien. La concordance chronologique conduit à se demander si ce n’est pas l’uniformisation de la liturgie qui a commandé la révision du recueil de Vies de saints : n’assiste-t-on pas là, la naissance d’un légendier d’ordre ? Même si le légendier n’est pas à proprement parler un livre liturgique, on sait que ses liens avec ces ouvrages sont étroits. Il n’est pas rare que les modifications liturgiques débouchent sur le remaniement du légendier47. C’est donc presque naturellement que se pose la question de savoir si les ordres qui uniformisent leur liturgie ont aussi eu le souci de se doter d’un légendier commun propre à leur ordre. L’examen de cette hypothèse s’appuiera d’abord sur l’évolution du calendrier cistercien puis sur le contenu du Liber de Natalitiis. 2– Un particularisme contenu, mais tenace a– Retour et inflation des saints locaux dans le calendrier cistercien Le sobre universalisme du premier calendrier cistercien n’a pas fait long feu. Dès la fin du xiie siècle, mais surtout de façon éclatante au xiiie siècle, les chapitres font évoluer son contenu, soit par la création de fêtes nouvelles, soit par l’élévation du rite de celles qui y étaient déjà inscrites. Au total, et pour le seul xiiie siècle, on ne compte pas moins d’une cinquantaine de remaniements de cet ordre. L’analyse de cette inflation du sanctoral conduit à mettre plus particulièrement en valeur deux séries d’éléments. D’abord, certaines fêtes entrent dans le calendrier de Cîteaux à la demande des évêques, sans doute soucieux de promouvoir le saint patron de leur diocèse. Ainsi, en 1246, à la demande du cardinal d’Albano et de l’évêque de Liège, la fête de saint Lambert entre au calendrier cistercien. Sur le même modèle, en 1267, l’évêque du Mans obtient une élévation du degré de solennité de la fête de saint Julien (27 janvier). Ensuite, l’ordre cistercien accepte d’amender le calendrier de l’ordre à l’attention de quelques abbayes seulement, lesquelles pourront inscrire, dans leur calendrier propre, les fêtes particulières des diocèses dans lesquels elles se trouvent. C’est ainsi qu’en 1268 les abbayes situées dans le diocèse du Mans sont autorisées à fêter saint Julien le même jour que l’église cathédrale ; en 1216, le diocèse de Limoges obtint l’élévation du rit de saint Martial, et l’année suivante, les actes des chapitres précisent que cette fête sera célébrée le 2 juillet

47   Voir par exemple l’étude minutieuse du ms lat. 755 de la Bibliothèque nationale de France, effectuée par L.-M.-J. Delaissé, « Les remaniements d’un légendier, témoins de l’évolution de la liturgie romaine au xiiie siècle », Scriptorium, t. 3, 1949, p. 26-44.

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dans les monastères de ce diocèse. En 1257, l’abbé de Tamié obtient pour son monastère de fêter saint Pierre de Tarentaise le 14 septembre, jour anniversaire de la mort du saint. En 1264, la fête de sainte Marthe est élevée à douze leçons pour toutes les moniales d’Aix, d’Arles et de Narbonne. Les exemples sont très nombreux48, puisque la quasi-totalité des développements du calendrier sont des cas de ce type. La concentration de ces exemples dans la seconde moitié du xiiie siècle est remarquable : ce que les abbayes du diocèse de Limoges obtiennent en 1216, le chapitre cistercien le leur avait refusé quatorze ans plus tôt. L’objectif dans lequel se situent les travaux de R Trilhe et B. Backaert – à savoir l’étude, pour elle-même, de l’évolution du calendrier – ne les conduit pas à rechercher les motivations de ces remaniements. On aimerait pourtant savoir qui, des abbés ou des évêques, sont les plus empressés à faire reconnaître ces particularismes. Quoiqu’il en soit, on constate au bout du compte une déconnexion entre la logique qui soutient l’uniformisation liturgique et celle qui explique encore les ressorts de l’écriture hagiographique. b– Un légendier « régional » Dans la première moitié du xiie siècle, Cîteaux est pourvu d’un légendier, que la suite des événements pousse à qualifier de « légendier primitif »49. Au moment où le martyrologe est refondu et les rites uniformisés, voit le jour, en milieu cistercien, un grand légendier en six volumes connu sous le nom de Liber de Natalitiis50. Le synchronisme avec les modifications liturgiques permet d’abord d’imaginer que la confection de ce légendier est la réponse, par d’autres moyens, au besoin d’uniformité. Or, cette hypothèse est vite démentie par plusieurs éléments. D’abord, en dressant la carte des établissements qui ont possédé le Liber de Natalitiis, François Dolbeau a montré que l’aire de diffusion

  Ces évolutions du calendrier cistercien sont indiquées dans R. Trilhe, « Cîteaux (liturgie de l’ordre de) », DACL, t. III, Paris, 1948, col. 1799-1801, utilement complété par les notes de la publication du calendrier de l’ordre par B. Backaert, « L’évolution du calendrier cistercien », Collectanea ordinis cisterciensium reformatorum, t. 12, 1950, p. 81-93 et p. 302-315, t. 13, 1951, p. 108-127. Ce travail d’une grande précision est le résultat de la confrontation du calendriertype avec les statuts des chapitres généraux cisterciens. 49   Malheureusement, les textes de cette collection ne sont que partiellement connus, puisque de ce légendier primitif de Cîteaux, n’ont été conservées que les Vies d’août à Noël (Dijon, BM, ms 641-643). Pour la première partie de la collection, perdue après la refonte du légendier réalisée au début du xiiie siècle, on est contraint de s’en remettre à la description, réalisée au xviie siècle, d’un manuscrit qui se trouvait alors dans l’abbaye cistercienne d’Acey, lequel est tenu comme une copie fidèle du légendier de Cîteaux (sur la fidélité de cette description, voir M. Coens, « Analyse du légendier perdu de l’abbaye d’Acey près de Besançon d’après les archives bollandiennes », AB, t. 79, 1961, p. 361-368). 50   H. Rochais, ouv. cité. 48

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du légendier ne dépasse guère les lieux d’où proviennent ses sources51. Dans le détail, on se rend compte que le Liber de Natalitiis est surtout présent le long de la Seine et, au sud est, de ses affluents, mais qu’il ne s’est guère implanté dans les régions d’où proviennent ses sources (la Bourgogne et la Franche Comté au sud est et le Maine et l’Anjou au sud ouest). Autrement dit, le Liber de Natalitiis n’a pas joué le rôle d’un légendier de substitution. Il s’est imposé dans des abbayes qui étaient alors dépourvues de légendier. Du coup, il n’a pas joué le rôle de légendier modèle. Ce qui le montre clairement, c’est le fait que très peu de temps après la fin de la compilation du Liber de Natalitiis, voire avant que ce dernier n’ait été achevé, Cîteaux reprend son légendier primitif et refond les volumes contenant les Vies depuis Noël jusqu’au 12 juillet, sans tenir compte des apports et du succès du Liber de Natalitiis. D’ailleurs, il se peut aussi que l’adoption du Liber de Natalitiis n’ait pas été perçue comme une revendication d’appartenance à l’ordre de Cîteaux. En effet, un exemplaire comme le légendier de Chaalis ajoute des saints locaux (saint Rieul de Senlis)52 ou voisins (saint Alban)53 à des saints spécialement vénérés dans l’ordre de Cîteaux. Sur le même modèle, le légendier de Clairvaux entérine les usages liturgiques locaux en intégrant saint Fiacre ou saint Mammès dans son sanctoral54. Au total, les grands saints de l’ordre n’occultent pas l’ancrage dans un sanctoral local, garant du rayonnement du monastère. De ce point de vue, il est remarquable que le calendrier suive une évolution symétrique, sans que cette remarque ne préjuge pour autant d’une relation de causalité : il y en a probablement une, mais il est difficile de dire si ce sont les légendiers qui entraînent l’ouverture aux saints locaux du calendrier de l’ordre, ou l’inverse. Cîteaux n’a donc pas essayé d’imposer son légendier à ses filles. L’ordre n’a pas vu dans les efforts accomplis lors de sa réécriture, un instrument apte à renforcer, non seulement la cohésion de l’ordre mais encore sa place prépondérante dans l’Église. Ceci mérite d’être souligné, car Cîteaux passe plutôt pour une organisation centralisée. Or, ici, au début du xiiie siècle, le légendier reste attaché à une maison. C’est un livre présent dans la vie du monastère que les constitutions, ou la volonté uniformisante des chapitres généraux, épargnent encore. Mais l’uniformisation ne va pas plus loin et finalement, la réforme n’entraîne pas la compilation d’un légendier modèle. Alors que l’ordre se dote d’une structure centralisée, mais aussi « d’archétypes liturgiques »,   La zone considérée s’étend du nord au sud d’Amiens à Tours et de Rennes à Besançon d’est en ouest. F. Dolbeau, « Notes sur la genèse et sur la diffusion du Liber de Natalitiis », Revue d’histoire des textes, t. 6, 1976, p. 143-195. 52   H. Rochais, ouv. cité, p. 54. 53   H. Rochais, ouv. cité, p. 54. 54   H. Rochais, ouv. cité, p. 62. 51

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comme le martyrologe ou le calendrier, il continue à produire des collections de Vies et de Passions qui reflètent son ancrage local et le sanctoral d’une région. Pour d’autres raisons, Prémontré n’a pas pu non plus imposer à toutes les abbayes de son ordre un sanctoral et des rites uniformes. La teneur de l’ordo liturgique primitif, c’est-à-dire celui qui devait être diffusé, n’est plus connue aujourd’hui car la documentation initiale est perdue. Les quelques manuscrits conservés montrent que le droit liturgique de Prémontré, bien que codifié et imposé à tous les monastères, n’a pas été maintenu partout et/ou dans son intégralité. Beaucoup d’éléments continuent à relever des usages locaux. L’introduction des rites, prières et chants dans les maisons de l’ordre se fit très lentement. Au début du xiiie siècle, lors de la fondation de l’abbaye du Jardin Fleuri, en Frise, l’abbé de ce monastère, Emon, est obligé de se rendre à Prémontré pour y faire copier l’ordo et les divers livres liturgiques de l’office : ceux-ci, à l’en croire, étaient introuvables dans toute l’Alemanie55. Plus tard, Grégoire IX chargea des prélats envoyés à Prémontré de communiquer un plan de réforme à l’assemblée capitulaire. Parmi les abus qu’il stigmatise avec vigueur, figure l’absence d’uniformité dans la célébration liturgique. Il prend des décisions fermes en promulguant que tout abbé qui, dans l’année, n’aurait pas mis fin à ce scandale, serait suspendu de sa charge56. On voit alors Guillaume, abbé de Prémontré (1233-1238), se rendre à Rome, se soumettre, mais aussi obtenir un délai supplémentaire pour instaurer l’unité rituelle. Manifestement, Prémontré, s’il en a perçu la nécessité, n’a pas eu les moyens de diffuser à toutes les maisons de son ordre un rituel uniforme. Une des explications de cette situation réside, sans doute, dans les problèmes qu’ont rencontrés les maisons affiliées pour se procurer les livres de l’abbaye-mère. Ceci dit, la cohésion d’un ordre comme Cîteaux passe aussi par un autre type de construction hagiographique. 3– Une hagiographie d’ordre Par « hagiographie d’ordre », on entend un type particulier de narration, sans doute plus apologétique que proprement hagiographique. Elle partage 55   L’information se trouve dans la chronique du monastère, MGH, SS, t. XXII, p. 526. En ellemême, l’indication donnée par Emon n’est pas complètement digne de foi : l’explication est peut-être, pour l’abbé, un moyen commode de se dédouaner face au retard pris par sa maison dans l’adoption du rite unifié. Malgré tout, ce témoignage d’Emon est, a posteriori, doublement corroboré, d’abord par le tout petit nombre de livres liturgiques conservés, ensuite par le fait que ceux-ci font toujours une bonne place aux usages des Églises particulières, signe que les chanoines ont puisé sur place ce qu’ils ne pouvaient obtenir de Prémontré. 56   Ces éléments se tirent de la bulle Audivimus et audientes du 23 juin 1232.

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cependant avec la legenda les récits merveilleux et les catalogues de vertus à des fins d’édification. Rédigés au sein d’ordres religieux, ces textes n’ont cependant pas pour sujet des saints, au sens où l’Église des xiie et xiiie siècles était en train de codifier cette notion. Ils ne font pas l’objet d’un culte populaire, par la force des choses, leurs reliques n’ont pas été « reconnues » par l’autorité épiscopale et, bien sûr, ils n’ont pas été canonisés. Cela n’a pas empêché les rédacteurs de ces traités de les considérer comme saints et de les donner en exemple à leur communauté. Au-delà, ces récits participent d’une glorification des ordres, dans un contexte de forte concurrence, voire d’opposition. La forme hagiographique de ces textes révèle une dimension exemplaire. Deux recueils illustrent cette recherche et fondent une sainteté collective : le De miraculis de Pierre le Vénérable57 et le Grand exorde de Cîteaux de Conrad d’Eberbach58. Bien que rédigés dans des contextes quelque peu différents, ces deux textes entretiennent un certain nombre de points communs. D’abord, leur rédaction est chronologiquement proche. Pierre le Vénérable donne un premier état de son De miraculis vers 1143. La version définitive est achevée entre 1145 et 1156, année de sa mort. L’ensemble est composé de deux livres, d’une trentaine de courts chapitres chacun. Le Grand Exorde de Cîteaux est écrit dans les années 1190-1210 par Conrad d’Eberbach, un moine cistercien. Même si l’un et l’autre arguent d’objectifs différents59, tous les deux fournissent les résultats d’une collecte de faits merveilleux contemporains60 dont les moines, de Cluny d’un côté, de Cîteaux de l’autre, sont les acteurs et les témoins. Dans ces récits en effet, les moines cumulent les vertus. C’est par exemple le portrait que brosse Pierre le Vénérable de Gérard, moine de Marcigny61. Ceux de Cîteaux ne sont pas moins vertueux, comme en témoigne le portrait que peint. Conrad d’Eberbach de l’abbé Fastrède, chaste, pieux humble, dé57   Le texte latin est édité par D. Bouthillier, dans le Corpus christianorum continuatio medievalis, 83, 1998. Avec J.-P. Torrell, elle a aussi donné une traduction de ce traité : Pierre le Vénérable, Les merveilles de Dieu, éd. Cerf et Éditions universitaires de Fribourg, Paris-Fribourg, 1992. 58   Conrad d’Eberbach, Le grand exorde de Cîteaux ou récit des débuts de l’ordre cistercien, trad. de A. Piébourg, publ. sous la direction de J. Berlioz, éd. Brepols et Cîteaux-Commentarii cistercienses, 1998. 59   Pierre le Vénérable justifie clairement son traité par la volonté de donner en exemple des prodiges récents. En revanche, Le Grand Exorde de Cîteaux, se présente d’abord comme une histoire des premiers temps de l’ordre cistercien. 60   Jacques Le Goff a montré que cette particularité permettait à Pierre le Vénérable de réaffirmer la conception chrétienne du miracle contre ses détracteurs qui affirmaient la supériorité des vertus et de la raison. Il va aussi à contre-courant des sermons de l’un de ses prédécesseurs, Odon, qui affirmait que les miracles étaient devenus plus rares à cause du nombre croissant de péchés dont les hommes se rendaient coupables (voir J. Le Goff et J. P. V. Patin, « À propos de la typologie des miracles dans le Liber de Miraculis de Pierre le Vénérable », dans Pierre Abélard, Pierre le Vénérable : les courants philosophiques, littéraires et artistiques en Occident au milieu du xiie siècle, colloque international du CNRS, 29 juillet 1972, Paris, 1975, p. 182-183). 61   De miraculis, livre I, chap. viii, traduction de J.-P. Torell et D. Bouthillier, ouv. cité, p. 94.

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passant tous les autres par le mérite de sa sainteté62. Dans ces deux recueils, les moines sont témoins de nombreuses apparitions : la Vierge Marie guérit les malades63, préside le chapitre des moines64. La mort pieuse leur garantit immédiatement la béatitude. Ainsi, Pierre le Vénérable raconte longuement la vision de Matthieu d’Albano au soir de sa mort, où il traverse une prairie d’une singulière beauté et se voit finalement devant Jésus Christ et la Vierge Marie65. À Cîteaux, les convers aussi sont distingués par cette pieuse mort : Conrad rapporte l’histoire d’un saint homme qui, « après avoir persévéré avec ferveur dans sa vocation jusqu’à la fin de sa vie, fut enfin rappelé à Dieu et réuni à ses pères, pour jouir des biens du Seigneur dans la terre des vivants, dès maintenant et pour l’éternité. Le jour de sa mort, une vision manifesta la gloire où il venait d’entrer »66. Si les miracles proprement dits ne sont attribués qu’aux « véritables » saints de l’ordre, il est remarquable que certaines Vies des frères comportent toute la rhétorique de la narration hagiographique. Sous la plume de Conrad d’Eberbach, le souvenir de l’abbé Fastrède, dont il a été question plus haut, débute ainsi : « Le vénérable Fastrède de pieuse mémoire, jadis abbé de Clairvaux, fut un homme de sainteté éminente, noble par la race mais plus noble encore par la perfection de sa conduite. Fort instruit dans les arts libéraux, il montra pourtant toujours un goût beaucoup plus vif pour les saintes lettres au point qu’après avoir progressé en sagesse et en âge, il les avait sans cesse sous les yeux et entre les mains et ne voulait pas même se mettre à table sans cette lecture des choses divines »67. L’enfance pieuse, l’origine aristocratique qui prédispose à la sainteté, les vertus renforcées par l’instruction et les saintes lectures, tous les topoi hagiographiques sont convoqués dans ce récit. Ainsi, de manière concomitante, les deux grands ordres monastiques engagés dans la diffusion de la réforme et la lutte contre les hérésies, produisent, pour eux-mêmes, un discours de nature hagiographique qui articule de manière originale l’ordo à l’Église universelle. Le De miraculis de Pierre le Vénérable d’une part, le Grand Exorde de Cîteaux d’autre part, font l’apologie des ordres monastiques auxquels ils s’adressent. Ces œuvres naissent à partir du moment où l’une et l’autre communautés – rivales en bien des points – se perçoivent comme différente, unique peut-être, et plus capable qu’aucune autre de tenir la meilleure voie pour défendre l’Église et garantir le salut des hommes. Der  Grand exorde de Cîteaux, livre I, chap. 32, trad. de A. Piébourg, ouv. cité, p. 56.   Voir par exemple le récit de cette guérison miraculeuse que Conrad d’Eberbach situe à Cîteaux, livre III, chap. 21, trad. de A. Piébourg, ouv. cité, p. 189-191. 64   Grand exorde de Cîteaux, livre I, chap. 32, trad. de A. Piébourg, ouv. cité, p. 212. 65   De miraculis, livre II, chap. xxi, traduction de J.-P. Torell et D. Bouthillier, ouv. cité, p. 239243. 66   Grand exorde de Cîteaux, livre IV, chap. 20, trad. de A. Piébourg, ouv. cité, p. 247. 67   Grand exorde de Cîteaux, livre I, chap. 32, trad. de A. Piébourg, ouv. cité, p. 55. 62

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rière la série d’anecdotes, de récits édifiants de miracles, visions et apparitions de frères défunts, l’un et l’autre visent la démonstration de l’exemplarité, qui de Cluny, qui de Cîteaux. Dans le cas du De miraculis de Pierre le Vénérable comme dans celui du Grand Exorde de Cîteaux de Conrad d’Eberbach, les miracles de quelques frères rejaillissent sur l’ensemble de l’ordre et soulignent d’abord une exemplarité collective. Le discours apologétique sert un combat politique et met en exergue une sainteté sans canonisation certes, mais une « sainteté d’ordre ». Ce trait mérite d’être mis en valeur car il s’écarte sensiblement de l’hagiographie individuelle, c’est-à-dire des Vies des abbés clunisiens ou cisterciens, pour lesquels l’hagiographe met en valeur les vertus personnelles68. Finalement, l’exposé des dynamiques et des évolutions permet de saisir les tensions du discours hagiographique, son « horizon d’attente », ainsi que le contexte dans lequel apparaît la production dominicaine. Du point de vue de l’exigence d’universalité, l’institutionnalisation croissante de l’Église pèse de façon non négligeable sur l’écriture des légendiers : cette perspective universelle modifie la place des sanctuaires dans des Vitae qui vont démontrer l’efficacité du saint sur l’espace le plus étendu possible. En se réservant le droit de canoniser, la papauté encadre les dévotions et modélise la sainteté. Ce faisant, elle instaure un « air du temps », qu’a décrit André Vauchez. Surtout, au xiiie siècle, l’idée que l’unité du monde chrétien passe par l’unité des cultes et des rites déplace les supports de la cohésion des groupes religieux. Du point de vue des ordres religieux, on constate la superposition de deux logiques : d’abord, le besoin de gommer l’émiettement en uniformisant les rites. Si Prémontré et Cîteaux échappent à la romanisation de leur liturgie, ils travaillent quand même, avec des réussites diverses, à l’unification liturgique. Cependant, le légendier ne suit pas complètement cette évolution : l’apparition de grandes collections diffusées au-delà des territoires commandés par tel ou tel monastère ne fait pas disparaître l’ancrage local des collections hagiographiques. Associée aux discours polémiques d’opposition aux hérésies ou de concurrence avec d’autres ordres religieux, cette situation explique sans doute que l’édification des frères passe par d’autres collections, qui soulignent la sainteté de l’ordre entier. L’insularité monastique laisse place à l’approfondissement des logiques d’ordre, que sert à merveille l’hagiographie. Dans une chrétienté désormais structurée en espaces sacrés, polarisés par les sanctuaires, ces ordres se perçoivent comme les plus à même de défendre l’Église et de répandre l’universalité à laquelle elle prétend. L’incapacité des ordres traditionnels à   L’opposition est relevée par J. Le Goff et J. P. V. Patin, ouv. cité, p. 183.

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réduire l’hérésie albigeoise va ébranler ces certitudes, au moment où l’ordre des prêcheurs est porté sur les fonts baptismaux. C– Le propre des saints dans les premiers légendiers des prêcheurs C’est dans le contexte de la lutte contre l’hérésie albigeoise qu’apparaissent les premières collections hagiographiques compilées par des frères prêcheurs. La première est l’Abrégé des gestes et miracles des saints de Jean de Mailly69 : celui-ci donne une première version de ce texte aux environs de 1225-123070. À ce moment-là, il n’est que prêtre séculier. Ce n’est qu’après sa prise de l’habit dominicain, laquelle peut être située entre 1230 et 1240, sans doute au couvent de Metz71, que Jean de Mailly complète sa collection et en donne une seconde version, achevée en 1243 comme le précise le colophon72. Ce sont ces ajouts qui permettent, au bout du compte, de considérer cette collection comme dominicaine. Au moment où Jean de Mailly retouchait son Abrégé, un autre dominicain, italien celui-là, assemblait lui aussi des Vies de saints : au tout début des années 1250, Barthélemy de Trente achève un Epilogorum in gesta sanctorum, contenant 355 récits hagiographiques73. Ces deux collections sont, c’est une évidence que de le dire, tributaires du contexte qui les a vu naître. Cette première génération de légendiers dominicains est celle des premières implantations de couvents et de l’organisation de la prédication mendiante. À ce moment-là, les dominicains sont constitués comme un ordre de chanoines réguliers, dont la règle va peu à peu être adaptée par la rédaction des Constitutions. À cette époque encore, il ne connaît pas une liturgie unifiée. Entre implantation urbaine, diversité liturgique et vues

  Voir BHL 9034. Il n’existe pas encore d’édition du texte latin de ce légendier. En dehors du recours aux manuscrits (une vingtaine est conservée), on peut lire la traduction française effectuée par Antoine Dondaine, Abrégé des gestes et miracles des saints, éd. Cerf, 1947. 70   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 10. 71   Deux séries d’éléments convergent en faveur de cette hypothèse : d’abord, la ville d’Auxerre, où vit Jean de Mailly lorsqu’il entame son Abrégé, ne reçoit un couvent dominicain qu’en 1241. Ensuite, l’hypothèse qu’il ait fait profession à Metz s’appuie sur le fait qu’il est aussi l’auteur d’une chronique universelle, laquelle intègre des épisodes relatifs à l’histoire du couvent des prêcheurs de cette ville, où le manuscrit a d’ailleurs été longtemps conservé (A. Dondaine, ouv. cité, p. 7-11). 72   « Que tous ceux qui tireront profit de ce petit ouvrage n’oublient pas de prier pour frère Jean de Mailly, qui a peiné en recueillant et corrigeant ces légendes, en l’an du Seigneur 1243 », trad. A. Dondaine, ouv. cité, p. 503. 73   Le texte latin a été édité par E. Paoli : B. da Trento, Liber epilogorum in gesta sanctorum, edizione critica a cura di Emore Paoli, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 2001. Les données concernant la datation du légendier se trouvent dans l’introduction à l’édition, p. xxviii-xxx. 69

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universelles, comment s’organise le sanctoral des premiers légendiers dominicains ? 1– La notion de « propre des saints » a– Se conformer aux usages des Églises locales ? À bien des égards, l’arrivée des Mendiants en ville est perçue comme une rupture : ces clercs, ni prêtres ni moines, chanoines réguliers mais non liés à une église particulière, pauvres volontaires sillonnant le réseau de paroisses pour prêcher, sont inclassables. À ces données bien connues, on peut ajouter des considérations d’ordre liturgique et spatial, qui témoignent de la manière originale dont les prêcheurs ont perçu, à l’origine, leur relation avec l’environnement local. Les éléments exploitables dans cette optique sont à la fois dispersés et souvent anecdotiques. De ce fait, il n’est pas toujours facile de les rapprocher, mais lorsque c’est possible, la confrontation de cette documentation éparpillée témoigne d’une situation de transition. La dispersion des frères en 1217, puis la fondation des premiers couvents aux abords des villes, durent générer un certain flou dans la vie quotidienne de l’ordre : celui-ci, appelé à une unité de vie, en était remis aux usages et rites locaux. Tout se passe comme si les prêcheurs étaient, tout à la fois, éminemment insérés dans le contexte local (de par leur mode de vie, leur mission) et soucieux de s’en distraire, pour assurer l’originalité et la cohérence de leur ordre. Au nombre des éléments qui montrent l’insertion effective dans l’Église locale des premières communautés mendiantes et donc, de leur sanctoral, il faut placer la question des premiers usages liturgiques de celles-ci. Il est courant de dire que les couvents fondés dans le premier quart du xiiie siècle s’accommodèrent de l’office local. Malheureusement, ce postulat s’établit sur la base d’informations superficielles ou de documents extérieurs à l’ordre dominicain. C’est, par exemple, ce que suggère Humbert de Romans en appendice des Vitae fratrum de Géraud de Frachet : « Vers un temps où les prélats se disposaient à partir pour le concile de Latran, un habitant nommé Pierre Seilhan fit don à saint Dominique de sa personne et de nobles maisons qu’il possédait dans la même ville, près du château. Ce fut là que le saint et ceux qui s’étaient attachés à lui établirent leur première demeure à Toulouse et qu’ils commencèrent à se conformer aux coutumes des religieux »74. C’est aussi ce que laisse entendre le témoignage du franciscain Angelus de Chiarino qui, bien   Instante tempore quo prelati se parabant ad eundum ad concilium Lateranense, quidam magnus de Tholosa Petrus Sciliani nomine, se et domos nobiles, quas habebat juxta castrum in eadem civitate, obtulit beato Dominico : in quibus primo apud Tholosam ipse cum sibi adherentibus habitavit et ibi moribus religiosorum se conformare ceperunt, éd. Reichert, MOPH, t. I, Rome, 1896, livre I.

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que tardif (1321-1323), indique clairement que dans les années 1215-1220, la liturgie de la chapelle papale n’est imposée ni aux moines, ni aux chanoines réguliers. Or, la bulle de fondation considère les frères prêcheurs comme un ordo canonicus. Ceux-ci ne renoncent formellement à leur qualité de chanoines qu’en 124175, moment précis où l’ordre confie à quatre frères une première réforme de la liturgie, inachevée, mais préalable à l’uniformisation menée par Humbert de Romans. Utilisée en creux, cette concordance chronologique pourrait confirmer l’importance supposée des rites locaux dans la liturgie primitive. S’il existe quelques documents liturgiques dominicains du premier tiers du xiiie siècle76, ceux qui les ont étudiés ont d’abord cherché à établir une suite chronologique entre ces manuscrits, puis à montrer que la volonté d’uniformisation s’était exprimée bien avant sa réalisation, confiée en dernier recours à Humbert de Romans. Les débats sur ces questions, âpres et menés d’un point de vue strictement liturgique77, ont négligé la portée identitaire des rites, du sanctoral surtout, et même le contexte, spatial et temporel, de l’implantation des premiers couvents. Du coup, on est quasiment privé de toute information précise quant à cette pratique et à la construction du sanctoral liturgique. L’essentiel du raisonnement est conduit à rebours, à partir des premiers remaniements effectués, semble-t-il vers 1240, par une commission de quatre frères. Pierre-Marie Gy croit « voir dans cette liturgie quelques indices de formations canoniales originelles à Toulouse et peut-être la trace d’une première adaptation canoniale dans les différents lieux où l’ordre fondait des couvents »78. Pour le reste, on est réduit à des suppositions. Si les actes des chapitres, mais aussi 75   Sur ce point, voir R. Creytens, « Les constitutions des frères Prêcheurs dans la rédaction de s. Raymond de Peñafort (1241), AFP, t. 18, 1948, p. 5-68 et spécialement p. 22-23. 76   Il s’agit du bréviaire dit « de saint Dominique », conservé au monastère des dominicaines de Monte Mario à Rome, le missel du ms lat 8884 de la Bibliothèque nationale de France, le bréviaire noté du ms Santa-Sabina XIV L 2, un liber choralis antérieur à 1234 actuellement conservé à Copenhague, un missel dominicain de Lyon connu aujourd’hui sous le nom de « Rau missel », du nom de son propriétaire, document qui a rejoint les collections du Paul Getty Museum, et un diurnal daté des années 1235-1240, conservé en Suisse (Engelberg Stiftsb. 104). 77   Les travaux principaux sont ceux de W.-R. Bonniwell, A history of the Dominican liturgy (1245-1945), 2e éd., New York, 1945 ; A. Dirks, « De evolutione liturgiae dominicanae », AFP, t. 50, 1980, p. 5-21 ; t. 52, 1982, p. 5-76 ; t. 53, 1983, p. 53-145 ; t. 54, 1984, p. 39-82 ; t. 55, 1985, p. 5-47 ; t. 57, 1987, p. 25-30 ; P. Gleeson, « Dominican liturgical manuscripts from before 1254 », AFP, t. 42, 1972, p. 81-135 et, plus récemment, « The pre-humbertian liturgical sources revisited », Aux origines de la liturgie dominicaine. Le manuscrit santa Sabina XIV L 1, sous la dir. de L. Boyle et P.-M. Gy, collection de l’École française de Rome, t. 327, CNRS Éditions, Paris, 2004, p. 99-114. Au début de sa thèse, A.-É Urfels-Capot établit un très utile compte rendu de ce débat historiographique (A.-É. Urfels-C apot, Le sanctoral du lectionnaire de l’office dominicain (1254-1256), Mémoires et documents de l’École des chartes, 84, École des chartes, 2007, p. 35-51. 78   P.-M. Gy, « La papauté et le droit liturgique aux xiie et xiiie siècles », The religious roles of the papacy : ideals and realities, 1150-1300, sous la direction de C. Ryan, Papers in medieval studies, Pontifical of medieval studies, Toronto, 1989, p. 243.

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le De fundatione de Bernard Gui montrent que les frères reçoivent, dans les villes où ils s’implantent, des églises du clergé séculier ou même des moines, ils ne disent rien en revanche des usages et des cultes qu’ils y apportèrent. Enfin, les dominicains ont été fondés pour la prédication : c’est leur mission essentielle. Cette activité exigeait des frères qu’ils parcourent, deux par deux, des espaces urbains, mais aussi extra urbains, qui pouvaient être relativement vastes. Là encore, la nature de la documentation conservée ne permet qu’exceptionnellement de saisir leurs parcours et leurs activités auprès des sanctuaires locaux, qu’ils ne devaient pas manquer de connaître79. La connaissance des lieux, la proximité avec les populations locales, voire le partage de cultes particuliers participent évidemment d’une parole persuasive80. De l’autre côté, les éléments qui montrent que le désir de s’arracher aux logiques locales fut tôt exprimé par les prêcheurs sont à la fois plus nombreux et plus concrets. D’abord, sur la question compliquée de la liturgie primitive, des indices ténus, mais dignes d’être pris en considération, montrent que déjà la première génération de prêcheurs chercha à s’émanciper des usages diocésains, vraisemblablement afin de gagner en cohérence et de renforcer le caractère suprarégional de l’ordre. C’est par exemple ce que conclut Paul Cagin de l’expertise d’un manuscrit issu d’une collection privée81. Le recueil débute par un calendrier : la fête la plus récente inscrite par le premier scribe est celle de saint François, canonisé en 1228. Par les ajouts qu’effectue une autre main, la fête la plus ancienne est la translation des reliques de saint Dominique, instituée en 1233. Si cette datation peut s’appliquer à l’ensemble des documents – ce que semble montrer l’homogénéité de l’écriture – il s’agit donc d’un recueil de pièces liturgiques utilisé par la première génération de prêcheurs. Ce qui fait la caractéristique de cette collection, c’est le fait qu’elle n’est constituée que d’extraits de chants et d’offices. Cette particularité pousse Paul Cagin à mettre en valeur le caractère de supplément de cette collection, puis à déduire que

79   Certaines reportationes de sermons indiquent les lieux où ils ont été prononcés, mais, sauf exception, ils permettent davantage de savoir où était le reportator plutôt que de suivre le trajet du prédicateur. De ce point de vue, ce sont d’autres documents, qui fournissent ces indications spatiales : des documents comptables émanant du couvent des Cordeliers d’Avignon, mais aussi du curé de Pont-de-Sorgues, signalent les déplacements des frères et les relations qu’ils tissent avec les villageois. Cette documentation exceptionnelle, est exploitée par C. Lenoble, « Les Mendiants au village. Quêtes et prédication autour d’Avignon à la fin du Moyen Âge (xiv e-xv e siècle) », L’Église au village. Lieux, formes et enjeux des pratiques religieuses, CF, t. 40, 2006, p. 327-344. 80   C’est par exemple ce que souligne I.  R ava-Cordier, «  La proximité comme élément de ­persuasion : les références géographiques, sociales et culturelles d’un Sachet provençal au xiiie siècle », La prédication en pays d’Oc, CF, t. 32, 1997, p. 225-248. 81   Voir P. C agin, « Un manuscrit liturgique des frères Prêcheurs antérieur aux règlements d’Humbert de Romans », Revue des bibliothèques, t. 9, 1899, p. 163-200.

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l’ordre des frères prêcheurs eut besoin d’adopter, pour son usage, des lectures absentes des livres des diocèses au milieu desquels ils avaient fondé leurs couvents. Ces textes complémentaires ont pu constituer le jalon le plus précoce de l’uniformisation, qui ne sera achevée qu’au milieu du xiiie siècle. En effet, à propos du rite spécial qui règle l’office des trois derniers jours de la semaine sainte, le texte laisse entendre qu’il y a des lieux « où il pourra être observé dans de bonnes conditions » (ubi commode poterit observari), de quoi Paul Cagin tire que « cet ubi restrictif suppose un certain nombre de couvents dont les uns pourront, les autres ne pourront pas, observer toute la rubrique liturgique, et corrélativement il est clair qu’une autorité supérieure, provinciale ou générale, s’est déjà préoccupée de pourvoir à l’unité liturgique, soit dans l’ordre, soit dans la province »82. Cette velléité s’accompagne de nouvelles logiques spatiales. b– De l’épicentre aux confins : une nouvelle géographie sacrée Dès l’origine, les prêcheurs échappent au statut rigoureusement diocésain de la célébration eucharistique et de la fondation des couvents : par la bulle Religiosam vitam, donnée le 22 décembre 1216 pour Saint-Romain à Toulouse puis le 30 mars 1218 pour Prouille, Dominique obtient que son ordre puisse fonder de nouveaux couvents sans solliciter l’avis de l’ordinaire. Le dispositif est novateur car au lieu d’obtenir après coup l’exemption papale pour une fondation déjà réalisée avec la permission de l’évêque, les frères pourront désormais s’installer dans une maison quelconque et y célébrer la messe sans que cela dépende de l’autorisation d’un prélat local. En pratique, les prêcheurs, puis les mineurs à partir de 1224 sont libres de s’installer où ils veulent. En plus d’échapper à l’autorité de l’évêque sur les espaces de son diocèse, la bulle Religiosam vitam d’Honorius III confère aux prêcheurs – et plus tard aux mineurs – le droit de célébrer sur un autel portatif, c’est-à-dire de façon itinérante. L’enjeu est identitaire puisque la pratique de cette forme de liturgie, qui célèbre hors de tout espace sacré, est liée à l’activité pastorale83. En la matière, Éric Palazzo a montré que l’innovation n’est pas tant l’instauration d’une liturgie itinérante – laquelle existait depuis déjà longtemps – que sa légalisation par le pape, qui a pour effet de lui ôter le caractère exceptionnel qu’elle pouvait avoir

  P. C agin, art. cité, p. 169.   Sur l’enjeu de cette liturgie itinérante, tant du point de vue de la rivalité avec les franciscains que du point de vue de la reconnaissance de l’ordre par la papauté et les évêques, voir P.-M. Gy, « Le statut ecclésiologique de l’apostolat des Prêcheurs et des Mineurs avant la querelle des Mendiants », RSPT, t. 59, 1975, p. 79-88 et plus récemment É. Palazzo, « Réforme liturgique, spatialisation du sacré et autels portatifs. Aux origines de la liturgie itinérante des ordres mendiants », art. cité, p. 363-377. 82 83

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jusque là. Cet acte de reconnaissance a deux conséquences principales  : d’abord il entraîne la définition de l’unité ecclésiologique d’un territoire, ce qui permet d’éviter les risques d’éclatement des célébrations, qui n’auraient pas manqué de surgir dans le cadre d’une itinérance liturgique permanente, risques qui avaient précisément prescrit jusque-là l’usage exceptionnel de l’autel portatif (missions évangélisatrices, célébrations de temps de guerre ou en pèlerinage). Ainsi, en accordant la pratique liturgique à l’exigence de la pastorale, mendiants, dominicains d’abord, franciscains ensuite, redéfinissent la valeur des espaces et leurs liens à un épicentre sacré. Pour employer un vocabulaire désormais fréquent quand il s’agit de ces questions, on dira que les mendiants ont retourné la logique centripète, selon laquelle les fidèles se rendent en masse à l’Église, en une logique centrifuge84 suivant laquelle les frères se déploient à partir de leur couvent, à la rencontre des fidèles. Cette nouvelle logique spatiale, dont Éric Palazzo constate la mise en place à travers la reconnaissance pontificale de la liturgie itinérante85, apparaît aussi, quoique différemment, dans les dédicaces et les récits de fondation des couvents86. Pour ce qui est des dédicaces, les informations livrées par les actes des chapitres indiquent qu’elles ont été le moyen de se soustraire à des patronages par trop identitaires. En 1253, Géraud du Frachet consulte les frères sur le vocable de l’église conventuelle de Limoges. Un seul frère choisit le nom de Dominique quand tous les autres lui préfèrent « Notre-Dame »87. Au-delà du peu de succès du fondateur – ce qui en dit long – et du ralliement quasiment unanime à la Vierge Marie – qui, lui, est banal –, c’est surtout les modalités de 84   L’idée est initialement développée par D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, le judaïsme et l’Islam (1000-1150), Paris, 1998, p. 161 et suiv. Son application à d’autres champs de recherche, et dans des cadres plus monographiques a montré qu’elle était opératoire. 85   P.-M. Gy a lui aussi travaillé sur cette liturgie itinérante (P.-M. Gy, art. cité), mais sa réflexion porte essentiellement sur les enjeux ecclésiologiques liés à l’usage de l’autel portatif. La dimension spatiale de ses transformations, apparue plus récemment dans l’historiographie, est absente de sa réflexion. 86   Les récits de fondation sont bien documentés pour les couvents de la première province de Provence puisque Bernard Gui s’est attaché à collecter les archives pour en écrire l’histoire (B. Gui, De fundatione et prioribus conventuum provinciarum Tolosanae et provinciae ordinis praedicatorum, éd. P.-A. Amargier, MOPH, t. XXIV, Rome, 1961). Cette documentation ordonnée fait souvent défaut pour d’autres provinces de l’ordre. Cependant, les actes des chapitres entérinent la fondation des nouveaux couvents et s’assurent que les conditions nécessaires à leur apostolat sont remplies, même s’ils ne rappellent pas toujours les conditions dans lesquelles les frères réceptionnent un terrain où une église. 87   L’information est donnée par une note inscrite uniquement dans le manuscrit de Toulouse, au terme des actes relevant du chapitre provincial tenu à Limoges en 1253 (Toulouse, BM, ms 490, fol. 156). Ces éléments sont repris par Célestin Douais dans son édition des actes des chapitres de la première province de Provence (C. Douais, Acta capitulorum ordinis fratrum praedicatorum. Première province de Provence, province romaine et province d’Espagne, Toulouse, éd. Privat, 1894, p. 57).

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la consultation qui méritent d’être relevées. À la date de cet événement, Géraud du Frachet, n’est pas, comme on pourrait s’y attendre, à la tête du couvent de Limoges, mais prieur provincial. C’est-à-dire que ce sont tous les frères de la première province de Provence, soit, de Nice à Bayonne, qui sont consultés. Quel que soit le résultat de la consultation, le vocable des églises conventuelles n’est donc pas un choix effectué à l’aune de considérations locales : c’est l’identité de l’ordre entier qui est en jeu. Quant aux récits de fondation, ils montrent d’une part que leur centralité est toute relative, quand, d’autre part, les chapitres de l’ordre s’attachent essentiellement à borner les confins, c’est-à-dire les limites des aires de prédication. Pour ce qui est des églises conventuelles d’abord, les sources ne permettent pas de les percevoir comme pôle d’une logique centripète suivant le modèle globalement opérant du xe au xiiie siècle. Il semble que les dominicains n’ont guère associé la réussite de leur implantation à la construction de sanctuaire attractif. Outre l’aspect très modeste des premières fondations88, leurs églises ne sont pas réputées pour leurs reliques insignes. La première province de Provence est assez représentative de la situation : la lecture des informations que donne Bernard Gui sur la fondation des couvents entre Atlantique et Méditerranée au xiiie siècle montre qu’aucun couvent érigé par la première génération de frères n’est pourvu de reliques, en tout cas de corps saints qui soient dignes d’être mentionnés dans pareil recueil. Même si, dans la province de Rome, le couvent de Bologne se distingue par la présence du corps de saint Dominique, la première génération de frères n’y a pas vu l’occasion d’accroître l’attractivité du couvent puisqu’on les voit s’opposer à la commune pour éviter que leur fondateur ne devienne l’objet d’un culte civique89. Trente ans après la fondation de l’ordre, les choses sont un peu différentes : d’après Bernard Gui, les frères de la première province de Provence reçoivent, en 1241, à Périgueux, une église où se trouve depuis le ixe siècle une partie du crâne de Denis l’Aéropagite90. En 1258, à Castres, les frères prêcheurs   À Toulouse, la première installation des dominicains se fait dans la maison de Pierre Seilhan (M.-H. Vicaire, « La maison de Pierre Seila à Toulouse où l’ordre fut fondé », Saint Dominique en Languedoc, CF, t. 1, 1966, p. 159-165. 89   Il semble que la demande adressée au pape d’ouvrir un procès de canonisation ait émané, non pas de l’ordre des prêcheurs, mais des autorités bolonaises. C’est en tout cas ce qu’indique la lettre qu’adressent les commissaires nommés à Bologne par le pape, à leurs homologues toulousains chargés de la déposition des témoins languedociens (Actes du procès de canonisation, éd. A. Walz, MOPH, t. XVI, Rome, 1935, p. 169). Ce témoignage est unique car la lettre de l’évêque de Bologne au pape, laquelle permettrait vraiment de conclure à l’exclusion des dirigeants de l’ordre dominicain, n’est pas parvenue jusqu’à nous. 90   Bernard Gui donne d’abord une description de l’église : il y a trois autels, respectivement dédiés à saint Martin, saint Augustin et sainte Catherine ; le chevet du bâtiment est arrondi. Il poursuit en disant qu’« il y avait aussi de multiples reliques, parmi lesquelles la partie sommitale du crâne du saint martyr Denis l’Aréopagite » (Erantque intus multe reliquie, inter quas erat summitas cranei capitis B. Dyonisii martyris Aeropagite, B. Gui, ouv. cité, p. 91). À la suite, 88

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prennent possession de l’église Saint-Vincent dont ils vont faire leur église conventuelle : ils héritent de la garde du martyr éponyme, diacre de Saragosse91. Trente-cinq ans plus tard enfin, au bénéfice de leur installation à Saint-Maximin, ils reçoivent la garde des reliques de sainte Marie-Madeleine92. Au total, sur les soixante et onze couvents des provinces de Toulouse et de Provence dont Bernard Gui retrace l’histoire dans son De fundatione, c’est bien peu. Par ailleurs, il faut s’en remettre à son Traité des saints dont les corps ornent les églises du diocèse de Limoges pour apprendre que ce ne sont pourtant pas les seules : à Limoges par exemple, les prêcheurs ont la garde de la tête de saint Martin, confesseur de Charles Martel93, mais aussi du bras et d’une côte des saintes Justine et Ruphine94, ce que tait le De fundatione. C’est peut-être cet élément qui mérite l’attention. En effet, si l’absence de reliques insignes dans les premiers couvents de l’ordre s’explique tant par la nouveauté radicale de leur mission, que par les modalités d’édification d’un sanctuaire, on ne comprend pas bien en revanche cette relative discrétion de Bernard Gui sur les reliques possédées. Finalement, le déficit reliquaire des couvents dominicains n’est pas moins étonnant que l’absence d’exhaustivité de Bernard Gui sur cette question, dans un ouvrage de référence sur l’origine et la fondation des couvents de son ordre. Parallèlement, et la coïncidence est frappante, les chapitres de l’ordre, qu’ils soient généraux ou provinciaux, portent une attention toute particulière au déploiement des frères, à partir du couvent, dans le cadre de la prédication. Ils sont notamment soucieux de fixer correctement des termini conventi, c’est-à-dire les aires de prédication. Leur bornage est une chose importante car elle garantit la cohabitation paisible des communautés mendiantes à l’intérieur d’une ville mais aussi dans l’espace extra urbain, en même temps qu’elle fixe le ressort territorial de chaque couvent en matière de prédication et de quêtes. Du coup, et surtout après 127095, ces limites sont déterminées de

Bernard Gui copie le texte, assez long, de l’authentique de la relique : celui-ci rapporte que la précieuse relique a été apportée en 850 par Charles le Chauve pour la protéger des Normands qui menaçaient Paris. 91   B. Gui, De fundatione et prioribus conventuum provinciarum Tolosanae et provinciae ordinis praedicatorum, éd. P.-A. Amargier, MOPH, t. XXIV, Rome, 1961, p. 135. 92   B. Gui, ouv. cité, p. 275. 93   Sanctus Martinus confessor, qui fuit capellanus Karoli apud sanctum Prejectum prope Axiam in Domino requiescit. Cujus sacrum caput habent fratres Predicatores Lemovicis (Toulouse, BM, ms 450, fol. 242v°). 94   Istarum virginum costas et brachia habent fratres Predicatores Lemovicis (Toulouse, BM, ms 450, fol. 244). 95   C’est ce que montre Célestin Douais en se fondant sur les actes des chapitres de la première province de Provence (Acta capitulorum ordinis fratrum praedicatorum (Première province de Provence, province romaine et province d’Espagne), Toulouse, éd. Privat, 1894, p. l-lii).

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façon à garantir équité et bonne entente entre les couvents96. Ces aires conventuelles se surimposent à la géographie ecclésiastique traditionnelle, et elles le font au mépris de cette dernière : en délimitant ces espaces, les chapitres ne tiennent pas plus compte des frontières politiques que des limites des diocèses97. Au bout du compte, à la polarisation du sanctuaire et de l’Église locale qui fixe l’identité diocésaine, s’ajoute une logique géographique alternative : celle du mouvement centrifuge des frères qui vont aux devants des fidèles. Dans la mesure où la première génération de dominicains célèbre selon le rit du diocèse où ils ont fondé leur couvent – cette mesure reste très imprécise pour ce qui concerne le sanctoral liturgique –, on peut dire qu’à cette époque ils véhiculent encore une part de l’identité hagiographique des Églises locales, mais en la déconnectant de la centralité qu’elle supposait jusqu’alors. En quoi cette nouvelle spatialisation influence-t-elle la composition du sanctoral des premiers légendiers ? c– Le sanctoral des premiers légendiers L’Abrégé des gestes et miracles des saints de Jean de Mailly et l’Epilogorum in gesta sanctorum de Barthélemy de Trente ont plusieurs points communs, qui justifient qu’on les traite ensemble. Le premier d’entre eux est la place importante qu’ils font aux saints de la région d’origine du compilateur. L’Abbreviatio de Jean de Mailly, ensemble de 178 notices hagiographiques, suit de près le calendrier de l’Église d’Auxerre. C’est ce que montre la confrontation du sommaire de ce légendier avec les calendriers liturgiques connus pour cette région98 : Jean de Mailly respecte l’ordre, le nombre et les dates des fêtes, qui peuvent être un peu différent dans les diocèses voisins. Il suit par 96   Tout ce que l’on sait sur les modalités de leur création se réduit quasiment à ce que fixe le chapitre provincial tenu à Montpellier en 1265 : chacun des deux couvents dont la délimitation était à faire nommait un délégué, tandis que le chapitre ou le prieur provincial en désignait un troisième. C’est l’avis concordant de deux d’entre eux qui était suivi (C. Douais, ouv. cité, p. 109). Rien que pour le Languedoc, on dispose d’une série d’actes qui délimitent méticuleusement les territoires conventuels. Un inventaire paraît nécessaire et leur analyse comparée utile : avec la densification du réseau conventuel, les problèmes n’ont pas manqué de se multiplier, du type de celui qui oppose les couvents de Fanjeaux et de Revel à la fin du xiv e siècle (B. Montagnes, « Un arbitrage entre les Prêcheurs de Fanjeaux et de Revel (7 août 1397) », AFP, t. 65, 1995, p. 305-314). 97   C’est ce que montre par exemple la cartographie qu’établit Clément Lenoble à partir des lieux où vont prêcher les franciscains du couvent d’Avignon (art. cité, p. 332) : ils sont répartis dans un rayon d’une dizaine de kilomètres environ autour d’Avignon, aussi bien en Comtat Venaissin que sur la rive droite du Rhône, aussi bien dans le diocèse d’Avignon que dans celui de Cavaillon. 98   Notamment les calendriers du diocèse d’Auxerre contenus en tête des manuscrits latins de la Bibliothèque nationale de France 1029 (V. Leroquais, Bréviaire, p. 487), 1055 (V. Leroquais, Bréviaire, p. 514), 1106 (V. Leroquais, Missel, p. 444), 17312 (V. Leroquais, Missel, p. 239), 17316

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exemple le calendrier d’Auxerre quand il fixe la fête de saint Loup de Trèves au 29 juillet, alors que l’Église de Sens l’a déplacée au 26 juillet. Surtout, l’Abbreviatio donne à lire les Vies de tous les saints qui sont spécialement honorés dans le diocèse d’Auxerre : il rapporte les actes de saint Vigile, évêque d’Auxerre, fêté le 11 mars99, résume la Passion de Mamertin et Marien, martyrs d’Auxerre (20 avril)100, copie les Vies de trois autres évêques d’Auxerre, Amatre (1er mai)101, Pèlerin (16 mai)102 et Priscus (26 mai)103, ainsi que ceux de Cassien, évêque d’Autun, lui aussi inscrit au calendrier de l’Église d’Auxerre (5 août)104. À propos de la fête de Marguerite, Jean de Mailly s’indigne qu’elle soit généralement fixée au 13 juillet, quand elle est inscrite au 20 dans le calendrier d’Auxerre105. La superposition du sanctoral de l’Abbreviatio à celui de l’Église d’Auxerre est évidente. Une telle adéquation est par ailleurs conforme à ce que l’on sait des origines du compilateur106. Les vues du compilateur ne sont pas pour autant si étroites puisqu’il fait aussi une bonne place aux saints des diocèses voisins. Il connaît par exemple saint Léonard de Corbigny, particulièrement fêté dans les diocèses de Sens et de Troyes. En plus d’ouvrir son légendier aux saints de sa région, Jean de Mailly n’évacue pas de leur Vie les informations qui ancrent le récit dans un espace connu : dans la Vie de saint Pèlerin, Jean de Mailly produit un abrégé assez proche de la Vita BHL 6623107, mais y ajoute des indications spatiales qui trahissent une familiarité avec les lieux. Racontant l’arrivée de Pèlerin à Auxerre, il indique «  où il y a encore un mont du nom d’Autricus ». Lorsque celui-ci ce rend à Entrains, il ajoute « qui n’est plus maintenant qu’une bourgade ». Désignant le cachot dans lequel le saint est retenu, il précise « qu’on nomme Bouhy en langue commune »108. Dans la Vie de saint Amatre, il glisse en aparté des détails sur les travaux entrepris pour la basilique Saint-Étienne109. La Vie de Mamertin est encore l’occasion de pré-

(V. Leroquais, Missel, p. 443) et le calendrier du ms lat. 1259 (V. Leroquais, Bréviaire, p. 531), très proche de celui d’Auxerre. 99   Cette fête se trouve aussi dans les calendriers des ms lat. 1029, 1055, 1259, 17312 et 17316. 100   Leur fête est présente dans les calendriers des ms lat. 1029, 1055, 1259, et 17312. 101   Sa fête est inscrite dans les calendriers des ms lat. 1029, 1055 et 17316. 102   Cette fête se trouve aussi dans les calendriers des ms lat. 1029, 1055 et 17316. 103   Priscus est aussi fêté le 26 mai dans les calendriers des ms at. 17312 et 17316. 104   La fête de Cassien est présente, à cette date, dans les calendriers des ms lat. 1029, 1055, 17312 et 17316. 105   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 243. 106   Jean de Mailly est originaire de la bourgade de Mailly, au cœur du diocèse d’Auxerre, sur les confins du Nivernais. Cette « question » de l’origine de Jean de Mailly occupe tout l’article consacré à ce compilateur dans l’Histoire littéraire de la France (M. Daunou, « Jean de Mailly », Histoire littéraire de la France, t. XVIII, Paris, 1835, p. 532-533). 107   Acta SS, Mai, III, 563-564. 108   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité ; les trois exemples sont p. 202. 109   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 186.

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senter la communauté des saints du diocèse d’Auxerre à l’image d’un groupe homogène : Mamertin, venu obtenir de saint Germain la guérison, s’endort près du tombeau du saint. Il voit alors en rêve saint Corcodème l’introduire dans une fête organisée par Pèlerin, Amatre, Jovien, Jovinien et Germain. Cette scène pittoresque laisse entrevoir une savante hiérarchie entre ces figures du diocèse d’Auxerre. On objectera que lorsque Jean de Mailly choisit une organisation pour son légendier, il n’est encore que prêtre séculier, ce qui justifie, sans qu’il soit besoin de s’y attarder, le respect du calendrier de son Église. Son entrée chez les prêcheurs est datée de manière relative, des années 1230-1240. Au début de la décennie 1240, il retouche son Abrégé des gestes et miracles des saints. L’essentiel de ces remaniements consiste à ajouter des Vies et des Passions absentes de la première version du texte (il s’agit des Vies de Julien et Basilisse110, Marthe111, Clément de Metz112 et Dominique de Guzman113) et à compléter des textes déjà existants (il ajoute des citations de Bède et de Jean Chrysostome dans la Vie de l’apôtre Jean114, puis onze miracles dans le texte relatif à l’Assomption de la Vierge Marie115). Certains de ces compléments sont significatifs et sont éminemment liés à son entrée chez les prêcheurs : l’insertion de la Vie de saint Dominique est naturellement la plus significative116. Mais en l’espèce, ce sont deux autres ajouts qui méritent d’être mis en valeur. D’abord, si Jean de Mailly « dominicanise » son légendier en y insérant la Vie du fondateur, il y ajoute aussi, et dans des proportions non négligeables par rapport à la longueur des autres légendes, une Vie de saint Clément, évêque de Metz. Autrement dit, l’entrée de Jean de Mailly chez les prêcheurs, au couvent de Metz se traduit   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 94.   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 249. 112   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 493. 113   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 304. 114   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 63. 115   J. de M ailly, Abrégé, ouv. cité, p. 329. 116   L’absence d’édition du texte latin empêche une comparaison aisée de la version de Jean de Mailly avec celles qui circulent dans l’ordre au moment où il écrit. Malgré tout, la date de la seconde édition de l’Abbreviatio (peu avant 1243) laisse supposer que Jean de Mailly a connu le texte de Pierre Ferrand, c’est-à-dire la première « transcription hagiographique » de la Vie de Dominique reçue dans l’ordre après la canonisation officielle. La lecture de la traduction du Père Dondaine confirme cette hypothèse fondée sur la chronologie : on trouve en effet dans l’Abbreviatio les éléments d’édification construits par Pierre Ferrand, comme l’accentuation du thème de la sainte enfance, le fait que Dominique ait décidé de se vendre pour libérer un prisonnier des Sarrasins, la révélation de la mort de Simon de Montfort, etc. Surtout, le texte de du légendier véhicule l’état auquel sont parvenus, au début de la décennie 1240, et du fait de Pierre Ferrand, les inflexions hagiographiques et mémorielles dont l’ordre avait besoin pour sa construction et son autoreprésentation : ainsi, Jean de Mailly reste flou sur l’identité du fondateur de Prouille (Diègue d’Osma ou Dominique ?) ; en revanche, il reprend le long récit du don de l’habit par la Vierge à Réginald d’Orléans, épisode « banal » de guérison transformé en mythe fondateur. 110

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par une double mise à jour de son légendier. C’est bien deux mémoires conjointes qui orientent le sens de sa collection, celle du fondateur de l’ordre et celle du patron du diocèse où s’est implanté son couvent. Ensuite, il est remarquable que si la prise de l’habit dominicain pousse Jean de Mailly à apporter quelques compléments, celui-ci ne retranche rien au reste de sa collection. Le sanctoral local notamment subsiste à l’identique dans la seconde version du texte, signe qu’il n’a pas vu d’incompatibilité notoire à conserver un sanctoral très implanté localement, alors qu’il actualise son travail au bénéfice de son entrée chez les prêcheurs. De ce fait, on est tenté de ne pas imputer complètement cette présence des saints locaux à son seul état de prêtre séculier lors de la première version de l’Abbreviatio, d’autant que si l’actualisation du recueil passe par l’insertion d’une Vie de saint Dominique, elle se traduit aussi par l’ajout d’une Vie de Clément, patron du diocèse où Jean de Mailly devient frère prêcheur. Cet élément va dans le sens d’une certaine conformité ou du moins d’une certaine intégration des dévotions locales par un ordre mendiant qui, par ailleurs, recherche une cohérence à plus vaste échelle. Néanmoins, il faut rester prudent car la différence typologique ne permet pas à l’hagiographie de pallier totalement les silences de la documentation liturgique. La part faite aux saints propres est encore plus marquée dans le Liber Epilogorum in gesta sanctorum de Barthélemy de Trente. La place des récits hagiographiques qui se rapportent soit à un saint civique, soit aux reliques conservées dans tel ou tel sanctuaire correspond à plus d’un cinquième du légendier (80 chapitres sur 355). Contrairement aux apparences, c’est une belle proportion, car le Liber Epilogorum est un légendier complet et systématique, c’est-à-dire qu’il comprend tout le sanctoral, mais aussi le temporal, les fêtes du Christ, de la Vierge, tous les apôtres, l’octave de leur fêtes, etc. Cette place importante est justifiée par Barthélemy de Trente : dans le prologue de son œuvre, il annonce vouloir réduire en un seul volume « les fêtes du Seigneur et de sa mère, les Vies, mœurs et actes des saints, surtout de ceux qui sont connus de l’ordre auquel j’appartiens et de la patrie où j’habite »117. C’est en parcourant le sommaire de ce légendier que l’on perçoit la portée de la déclaration de Barthélemy. Il y a d’abord une grosse vingtaine de chapitres qui rapportent les Vies de saints spécialement honorés par l’Église de Trente et par les diocèses voisins. Mais Barthélemy a également élargi son sanctoral en tenant compte des cultes locaux et communautaires spécifiques au Nord de l’Italie et aux 117   De festis Domini et matre ejus, vitas mores et actus sanctorum, maxime ordini et patrie quam incolo notorum (éd. E. Paoli, ouv. cité, p. 3).

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Marches : il inclut les saints de Milan, de Bergame ou de Ravenne. On trouve ainsi au sommaire de son légendier Cassien et Inigo honorés à Bressanone, Vigilius, Remedius, Maxencia et Sisinius à Trente, Félix ou Hermogoras pour Aquilée, Victor et Corone à Feltre, Justine, Daniel et Prodoscime à Padoue, Pierre Chrysologue à Ravenne, Prosper à Reggio, Denis et Eustorge à Milan, etc. Ces 80 chapitres sont explicitement rattachés à un sanctuaire et à des dévotions locales, ce qui fait qu’il est assez simple de localiser l’espace ainsi couvert : il s’agit du Haut Adige, du Trentin, et dans une moindre mesure de Rome ou Pise. Or, cet espace de dévotion coïncide précisément avec ce que l’on sait par ailleurs de l’aire de déploiement des activités de Barthélemy de Trente, qu’il s’agisse de ses déplacements liés à la prédication, des missions diplomatiques qu’il remplit dans le cadre du conflit qui oppose Frédéric II à la curie ou enfin des déplacements qu’il accomplit à l’intérieur du réseau conventuel pour des motifs internes à l’ordre118. 2– La logique véhiculaire du légendier a– La legenda nova L’orientation pastorale de l’Abbreviatio d’une part et du Liber epilogorum de l’autre est assumée par les auteurs et affirmée dans les prologues. Jean de Mailly exprime ainsi les objectifs de son recueil : « Comme la plupart des pasteurs ne possèdent pas les Passions et vies des saints qu’ils devraient connaître et diffuser en vertu de leur charge, afin d’exciter la dévotion des fidèles envers les saints, nous resserrons ces vies sous une forme concise, en retenant surtout les bienheureux dont les noms figurent au calendrier  »119. Barthélemy de Trente, lui, situe son recueil un peu en amont de l’édification des fidèles. Le prologue du Liber epilogorum fait d’abord de cette collection un instrument de travail à l’usage des prêcheurs. Il doit permettre à ces professionnels de la parole d’avoir plus rapidement en main les informations utiles à l’édification. Cet objectif partagé par les deux compilateurs se double d’un travail sur la forme des collections, comme sur le contenu des légendes. Pour ce qui est de la forme d’abord, ces ouvrages de petit format120, construits sur la base de la 118   La chronologie et le détail des déplacements de Barthélemy de Trente sont minutieusement développés par A. Dondaine, art. cité, p. 79-93. 119   La traduction est celle de F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », Les prologues médiévaux, actes du colloque international de Rome (26-28 mars 1998), éd. Brepols, Turnhout, 2000, p. 364. Le texte latin est donné par A. Poncelet, « Le légendier de Pierre Calo », AB, t. 29, 1910, p. 22-23. 120   Alain Boureau (« Barthélemy de Trente et l’invention de la Legenda nova », Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, a cura di S. Boesch Gajano, Fasano di Brindisi, 1990, p. 26) donne quelques exemples de ce format : les trois manuscrits du Liber epilogorum qu’il prend à témoin

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célébration, font se succéder de courts paragraphes où se trouve l’essentiel des actes du saint. Titres courants, sommaires et rubriques renforcent leur caractère instrumental et facilitent leur utilisation. Pour ce qui est de la forme, l’écriture abrégée est leur trait le plus marquant, en même temps que celui qui fait d’eux les acteurs d’une rénovation radicale des légendiers. Cette legenda nova se caractérise par un resserrement drastique des Vies antérieures utilisées comme sources. De nombreux détails disparaissent, les catalogues de vertus sont supprimés ou réduits à leur plus simple expression, les actes des personnages secondaires éliminés ou lourdement amputés. Ces réécritures s’appuient sur une technique qui, jusque-là était utilisée dans des circonstances spéciales, comme l’adaptation du texte hagiographique aux leçons liturgiques121. Dans le Liber epilogorum de Barthélemy de Trente, la réduction des sources est telle que certains textes ne donnent pas plus d’informations que le martyrologe, s’en tenant quasiment aux coordonnées du saint, à savoir son nom, le lieu de sa mort et le jour de sa fête. Voilà par exemple comment Barthélemy de Trente évoque la mémoire de saint Trophime : « En Gaule, dans la ville d’Arles, fête de saint Trophime, évêque et confesseur. Celui-ci fut disciple des apôtres Pierre et Paul et envoyé par eux dans ce lieu pour prêcher, et dans ce lieu il reposa en paix, illustre par sa doctrine et ses miracles »122. C’est peu pour un saint des temps apostoliques, cité par Grégoire de Tours et présent dans de grands textes hagiographiques relatifs aux premiers temps du christianisme. On peut comprendre, bien sûr, que saint Trophime, fut-il disciple des apôtres, intéresse finalement peu Barthélemy de Trente, qui annonce consacrer son Liber epilogorum d’abord aux saints de sa région. Si cette justification est plausible, on s’explique moins en revanche qu’il réduise à aussi peu de mots la Vie de Pierre Chrysologue, archevêque de Ravenne : « Pierre Chrysologue, recommandé par les saints Pierre apôtre et Apollinaire apparus au bienheureux pape Sixte III, fut ordonné archevêque de Ravenne. Et priant, à Imola, d’où il était originaire, devant l’autel de saint Cassien, il s’endormit dans le Seigneur »123. Cette évocation est pour le moins elliptique. La vision que reçoit le pape Sixte III

mesurent en moyenne 11 cm sur 16 cm ; un des manuscrits de l’Abbreviatio – non identifié dans cet article – mesure 7 × 10 cm. Ces ouvrages méritent le qualificatif de livres de poche. 121   C’est ce que montre M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques. Essai sur les réécritures des Vies de saints dans l’Occident latin médiéval (viiie-xiiie siècles), coll. Hagiologia, 4, éd. Brepols, Turnhout, 2005, p. 120-128. 122   In Gallia, civitate Arelatensi, sancti Trophimi episcopi et confessoris. Qui discipulus apostolorum Petri et Pauli et ab eis illuc ad predicandum directus, ibique doctrina et miraculis clarus in pace quievit (éd. E. Paoli, ouv. cité, p. 41) 123   Petrus Grisologus, sanctis Petro apostolo et Apollinari beato Sixto pape tertio apparentibus et jubentibus, ordinatus est Ravennas archiepiscopus. Et orans, Ymole, unde erat oriundus, ante altare sancti Cassiani quievit in Domino (éd. E. Paoli, ouv. cité, p. 18).

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(alors qu’il était sur le point de confirmer l’élection d’un certain Jean sur le siège de Ravenne, l’apôtre Pierre et Apollinaire, le premier évêque de cette ville, lui apparaissent pour lui signifier que l’élection de Pierre Chrysologue est préférable à celle du candidat initialement envisagé) n’est que sous-entendue. Barthélemy ne retient rien de l’action épiscopale de Pierre. Quant à la mention de sa mort, à peine si elle suppose la dévotion particulière de l’archevêque pour saint Cassien. L’hagiographe travaille ici par ellipse. Son écriture est très souvent allusive, en même temps qu’elle mise sur l’implicite. Cela pousse à considérer que Barthélemy s’adresse à un public qui connaît la Vie de ce Pierre et qu’il saura chercher ailleurs les informations que le Liber epilogorum ne livre pas. Par ailleurs, et en tenant compte du fait que tous les chapitres du Liber epilogorum ne sont pas le fruit d’une concision aussi sévère, on peut s’interroger sur l’avantage que le prédicateur, et par conséquent les fidèles, pouvaient retirer de lectures si squelettiques. Autrement dit, dans plusieurs cas, l’objectif d’édification, annoncé dans le prologue et étroitement associé à la legenda nova, est bel et bien perdu de vue. Ce constat pousse à ne pas exagérément associer la rénovation hagiographique supportée par les legendae novae et les premiers légendiers de prêcheurs. On l’a vu, l’écriture de l’Abbreviatio in gestis et miraculis sanctorum ne doit rien à l’entrée de Jean de Mailly chez les dominicains. La chronologie conduit au contraire à dire qu’a éclos, en milieu séculier, un nouveau genre de légendiers, qui s’est trouvé ne pas être incompatible avec les modifications de la vie religieuse incarnée par les mendiants, et les livres rendus nécessaires par l’exercice de leurs missions. D’ailleurs, Jean de Mailly n’est pas le seul séculier à abréger les Vies de saints dans un but d’édification et de pastorale. Avant lui, Joibert, chanoine régulier de Soissons, abrège 170 Vies et Passions, en grande partie associées à des saints locaux ou régionaux124. Peut-être au même moment, ou dans les dernières décennies du xiie siècle, fleurit dans le sud-ouest et en péninsule ibérique un recueil de même facture, les Flores sanctorum multicolores125. Au milieu du xiiie siècle, en Flandre, un compilateur anonyme condense une imposante collection traditionnelle attestée dans cette région126. Faute d’édition de ces premiers légendiers abrégés, on est bien incapable de dire aujourd’hui   Sur ce légendier abrégé, voir F. Dolbeau, art. cité, p. 362-363 et p. 389-390 pour l’édition du prologue. 125   L’origine géographique de ce recueil est indiquée par J.-L. Lemaitre, dom J. Dubois, Sources et méthodes de l’hagiographie médiévale, éd. Cerf, 1993, p. 33. Ce texte semble avoir eu un certain succès : il est copié de nombreuses fois, jusqu’au xv e siècle. 126   L’abrégé est connu par le manuscrit de Londres, Brit. Libr., Add. 41070. Voir ce qu’en dit F. Dolbeau, « Notes sur l’organisation interne des légendiers latins », Hagiographie, cultures et société (ive-xiie siècles), actes du colloque de Nanterre et Paris (2-5 mai 1979), éd. Augustiniennes, Paris, 1981, p. 13. 124

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qu’elle influence ils ont pu avoir sur les premières productions hagiographiques dominicaines. Dans cette perspective, un inventaire puis une étude de ces manuscrits est évidemment nécessaire et souhaitable. b– Saints locaux et développement d’une parole persuasive Dans le cas de l’Abbreviatio comme du Liber epilogorum, la confrontation des objectifs exprimés dans le prologue avec l’ancrage local du légendier tend à montrer que l’évocation de saints civiques et communautaires est en quelque sorte la garantie d’une pastorale efficace et persuasive. Barthélemy par exemple, après avoir raconté la Passion de saint Laurent, se rappelle qu’en 1264 il réceptionna pour ses frères l’église Saint-Laurent de Trente, jusqu’ici possession des bénédictins. Il écrit alors : « Puisque les faits récents plaisent plus que les anciens, et que les choses vues sont plus convaincantes que celles simplement racontées, rappelons les faits qui se sont passés dans cette église du martyr à Trente, où j’écris ces lignes. Construit dans les temps anciens, cet édifice fut donné pour demeure à de pieuses moniales, et saint Laurent les y a retenues aussi longtemps qu’elles conservèrent leur idéal de sainte vie. Il reste que les frères prêcheurs habitant maintenant en ce lieu doivent prendre garde de ne pas irriter le saint »127. Cette incise dans le récit tisse un lien particulier entre les prêcheurs et le saint patron de l’église qu’ils ont reçue. D’une certaine façon, elle laisse aussi entendre que du coup, Barthélemy était plus autorisé qu’aucun autre à rapporter les actes de la Passion du martyr. Souvent, la connaissance qu’a Barthélemy de Trente des sanctuaires locaux prend valeur de preuve et assoie la véracité des récits du Liber epilogorum. Dans la légende des saints Victor et Corone, il relève que les Milanais disent conserver les corps de ces deux martyrs dans l’autel Saint-Eugène de l’église Saint-Eustorge, tandis que toute la Vénétie vénère les reliques de Victor non loin de la cité de Feltre128. Plus loin, il rapporte que Marcel et Lucina ensevelirent le corps de saint Cyriaque via Ostiensis, mais qu’à son époque, à Rome, c’est via Lata, dans l’église

127   Quia vero recentia veteribus plerumque preferuntur et visus testimonium prevalet auditis, aliqua de hiis que in hujus martyris ecclesia apud Tridentum ubi hec scripsimus, acta sunt ad memoriam revocamus. Ab antiquis enim constructa et sanctimonialibus ad habitandum tradita, tam diu retente sunt a martyre, quam diu vivere eis placuit in sanctitate. Idem et in monachis post hec adimpletum vidimus. Superest ut fratres Predicatorum ordinis, qui nunc locum incolunt, caveant ne martyr irascatur (éd. E. Paoli, ouv. cité, p. 228). Le passage est également cité par A. Dondaine, « Barthélemy de Trente OP », AFP, t. 45, 1975, p. 83. 128   Nempe Mediolanenses hec duo gloriosa corpora Victoris et Corone in ecclesia sancti Eustorgi, ubi predicatorum ordo devote Deo famulatur, in ara sancti Eugenii honeste tumulata asseverant. Verum Feltrenses et tota Venetiarum provincia corpus beati Victoris juxta civitatem Feltrensem in monte honorifice reconditum devota frequentia venerantur (éd. E. Paoli, ouv. cité, p. 126).

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Saint-Cyriaque où sont de pieuses moniales, qu’il a vu le chef de ce martyr129. Ainsi, le Liber epilogorum ne fait pas seulement une place importante aux saints locaux, mais il s’attache encore aux dévotions régionales, situe les lieux de cultes et les sanctuaires. Tout se passe comme si la connaissance qu’il en a lui permettait d’en parler en hagiographe. Finalement, il n’a pas besoin de développer outre mesure les Vies des saints de son légendier puisque son témoignage a valeur de preuve. Donc Barthélemy de Trente rapporte bien sûr des faits édifiants, mais à y regarder de plus près, il a vu dans certains chapitres l’occasion d’expliquer les célébrations et de développer la pastorale mendiante. C’est en véritable pédagogue qu’il s’exclame « D’où vient qu’on célèbre une fête portant le nom de Trinité ? À cela je réponds ce que j’ai lu quelques part : l’unité de l’essence divine n’a jamais été mise en doute tandis que la trinité des personnes l’a été bien souvent »130. En conformité avec les toutes récentes décisions du concile de Lyon (1245), il développe le culte marial131, intégrant dans son vaste légendier l’octave de la Nativité de la Vierge et l’octave de l’Assomption, tout juste instaurés à ce concile et récemment entrés dans la liturgie. Dans le chapitre qui évoque la conception de la Vierge Marie, Barthélemy rapporte son passage à Anagni un jour que la curie pontificale y séjourne. Dans la cathédrale, il assiste à la célébration de la fête de la conception et se réjouit du culte rendu à la Vierge Marie : « J’ai vu la fête de la conception de la Mère de Dieu célébrée solennellement par le plus grand nombre, précisément comme il y avait la curie romaine, présente, et toute aussi appliquée. »132 De ce point de vue, il faut encore noter l’insertion d’un chapitre dédié à sainte Anne : Alain Boureau a fait remarquer qu’il s’agissait là d’une innovation majeure car au xiiie siècle, Anne n’est célébrée que dans deux ou trois sacramentaires locaux133. Au total, la sainteté locale paraît instrumentalisée par Barthélemy de Trente pour développer des cultes universels plus récents que la pastorale mendiante contribue activement à développer. 129   Sanctus vero Marcellus cum Lucina matrona corpora sanctorum Cyriaci, Largi et Smaragdi in viam Hostiensem transtulit et sepelivit. Nostris temporibus, quidam circa sanctum Cyriacum magna devotione affectus, Rome in via Lata, in ecclesia Santi Cyriaci ubi sunt sanctimoniales, caput ejus sibi ostendi impetravit (éd. E. Paoli, ouv. cité, p. 220). 130   Unde autem originem habuerit quod festum Trinitatis nominatur et celebratur ? Dico prout legi, de unitate divine essentie nunquam aliqua dubitacio fuit, de Trinitate vero personarum sepissime (éd. E. Paoli, ouv. cité, p. 103-104). 131   En dehors du Liber epilogorum, le seul autre ouvrage de Barthélemy de Trente que nous connaissions est un recueil de miracles de la Vierge. 132   Conceptio Matris Dei a plerisque solemniter celebratur, sicut ipse, presente romana curia nec inhibente, in cathedrali ecclesia Anagnie fieri vidi (éd. E. Paoli, ouv. cité, p. 25). 133   A. Boureau, « Barthélemy de Trente et l’invention de la Legenda nova », Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, a cura di S. Boesch Gajano, Fasano di Brindisi, 1990, p. 34.

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c– l’Église universelle à l’horizon Ce dernier point le laisse entendre : si le Liber epilogorum se fait d’abord l’écho de dévotions locales, il n’est pas que cela. Toutes les caractéristiques dominicaines de ce recueil – dont le culte de la Vierge Marie est sans doute le plus remarquable – pousse le légendier à l’ouverture et à l’universalisation. Le sanctoral témoigne d’ailleurs de cette acculturation. À côté des saints des diocèses du Trentin et du Haut Adige, Barthélemy intègre, sans doute par son attachement gibelin, quelques saints spécialement vénérés à l’est du royaume de France et plus généralement dans les terres d’empire : Aubin, Bénigne de Dijon, Germain d’Auxerre, Trophime d’Arles, Médard de Soissons, Christine, Affre d’Augsbourg, Lambert, Colombe de Sens, Didier, etc. Avec le Liber epilogorum, l’horizon du seul calendrier diocésain est dépassé. Il est possible que cette acculturation en cache une autre : celle des progrès de la romanisation du sanctoral liturgique et hagiographique. C’est notamment la thèse que défend Alain Boureau134. Celui-ci rapproche d’abord l’écriture du légendier, et certains de ces choix, de l’évolution que connaissent au xiiie siècle les livres liturgiques. Autour d’Innocent III, on l’a vu, la liturgie se simplifie, s’uniformise, et donne naissance à de nouveaux livres comme le bréviaire. Ces transformations sont en bien des points comparables à celles que connaissent les textes hagiographiques jusqu’à aboutir aux legendae novae. Ce rapprochement est éclairant mais aussi utile pour aborder ces recueils. Par la suite, il montre l’intégration de la liturgie curiale en collationnant les calendriers liturgiques de la curie, les calendriers franciscains, le sanctoral de Jean de Mailly et celui de Jacques de Voragine. Ce faisant, il montre tout ce que le Liber epilogorum contient de célébrations universelles et romaines. Parallèlement, il relève comment les récits liés au Christ ou à la Vierge, situés comme on s’y attend en Terre Sainte, comportent toujours la mention de miracles romains, ou comment Barthélemy dédouble le chapitre consacré à saint Nicomède pour créer une notice autonome, mais très courte, évoquant la dédicace d’une église SaintNicomède à Rome. Ces éléments, amassés un peu pêle-mêle, conduisent alors Alain Boureau à voir dans le Liber epilogorum un légendier, certes fondé sur les dévotions locales, mais à des fins missionnaires. L’interprétation d’ensemble est séduisante, mais il faut en nuancer quelques conclusions. D’abord, le Liber epilogorum est tellement ample, il inscrit à son sommaire un si grand nombre de chapitres (grossièrement, plus du double que ce qui se lit dans l’Abrégé de Jean de Mailly ou la Légende dorée de Jacques de Voragine, et plus du triple des fêtes inscrites dans le calendrier d’Humbert 134

  A. Boureau, art. cité, spécialement p. 31-32.

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de Romans), que finalement, il est possible de lui trouver des points communs avec beaucoup de choses. Toute comparaison visant à mesurer les points de contact doit tenir compte de ce fait. Ensuite, l’état des connaissances sur la diffusion, au xiiie siècle, de la liturgie curiale tient plus des présomptions que des certitudes. C’est un terrain d’investigation à part entière, et cette situation pèse sur le fait de voir, en ce domaine, l’une des innovations majeures du Liber epilogorum. Évidemment, on voit bien que le légendier de Barthélemy de Trente témoigne déjà d’une évolution, d’un déplacement des centres d’intérêt, notamment par rapport à celui de Jean de Mailly. Il n’est pas question de le nier. Pour autant, la curialisation est dans l’air du temps, elle n’est pas forcément un choix délibéré de Barthélemy de Trente, de la même façon qu’intégrer les fêtes du calendrier romain n’est pas si étonnant de la part d’un clerc qui, une grande partie de sa carrière, suit la curie et accomplit des missions diplomatiques pour le pape. Ce le serait davantage de Jean de Mailly. Reste la relecture du prologue : pourquoi annoncer que sont mis à l’honneur les saints « de son ordre et de sa patrie », s’il s’agit en fait de diffuser les fêtes de la curie ? On ne voit pas bien en quoi il était gênant de le dire. Finalement, ce qui donne le plus de poids à cette interprétation du Liber epilogorum, ce sont les évolutions de la seconde moitié du xiiie siècle. Ainsi, les premiers légendiers dominicains font aussi une place non négligeable aux saints locaux. Les sanctuaires et les saints vénérés dans les diocèses où s’installent les couvents, mais aussi dans les régions que parcourent les frères pour la prédication tiennent leurs places dans ces collections. Cette situation ne doit pas être séparée de la liturgie des premiers temps de l’ordre. L’unité des cultes et des rites ne fut pas vécue comme une urgence au moment où Dominique dispersait les frères. Il en résulte une grande méconnaissance des rites primitifs, et notamment de leur degré de conformité aux contextes locaux, tandis que l’aspect particulariste des premiers légendiers est, lui, une réalité. Aussi, quoi qu’il en soit de la liturgie primitive, deux interprétations peuvent être avancées. Il y a d’abord une lecture qui privilégie l’homogénéité de la situation initiale : elle consiste à voir dans l’ancrage local du légendier un simple conformisme à celui de la liturgie. Mais on peut aussi avancer une interprétation compensatrice des mêmes éléments : elle s’appuie sur l’idée que la volonté d’unifier les rites fut sans doute précocement recherchée, et qu’en ce cas l’hagiographie reste réceptrice des dévotions locales pour combler un vide peut-être mal vécu. D’ailleurs, on sent que les premiers légendiers dominicains sont tiraillés : leur écriture réoriente totalement leurs objectifs. La proximité est un support de la pastorale, tandis que les hagiographes – surtout Barthélemy de Trente – insèrent les cultes mariaux promus par Rome et par

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l’ordre. C’est cette situation de transition, où les hagiographes de l’ordre tentent de concilier ancrage local et mission universelle, que va finalement résoudre la réforme d’Humbert de Romans et l’activité capitulaire.

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La double mise en ordre hagiographique et liturgique À partir du milieu du xiiie siècle, les sources conservées mettent un terme à la relative incertitude concernant la liturgie, les cultes et les modèles de sainteté sur lesquels s’était accordée la première génération de prêcheurs. Après 1230 en effet, l’activité capitulaire en ce domaine est importante et elle suit deux préoccupations principales : construire l’image de la sainteté de l’ordre et fixer le sanctoral. Pour ce qui est du premier point, les travaux des hagiographes et celui des pères capitulaires fleurissent avec la translation du corps de Dominique à Bologne, en 1233. Ils se poursuivent tout au long du xiiie siècle, occupées que sont les autorités de l’ordre à contrôler les multiples réécritures de la Vie du fondateur, à fixer les usages de la communauté le jour de sa fête, puis à encadrer de la même manière la diffusion du culte de Pierre de Vérone et, finalement, à promouvoir la sainteté de Thomas d’Aquin. Dans le même temps, le chapitre général demande à Humbert de Romans, alors cinquième maître de l’ordre, de reprendre les travaux en vue d’une unification des usages et des livres liturgiques, chantier resté inachevé après l’intervention d’une commission de quatre frères en 12451. En moins de dix ans, ce sont les quatorze livres utiles à la pratique liturgique qui sont remaniés et qui deviennent, pour tout l’ordre, l’étalon des lectures et des chants. L’appréhension de cette double mise en ordre, hagiographique et liturgique, a récemment été renouvelée par des travaux nombreux et importants. L’activité hagiographique a été reconsidérée sous l’angle de la succession des écrits, de l’évolution des modèles de sainteté et de l’autoreprésentation de l’ordre2. Quant 1   B.-M. R eichert, Acta capitulorum generalium, vol. 1 (1220-1303), Rome, 1898 (MOPH, t. III), p. 33. 2   Cette orientation fut suivie par Luigi C anetti, L’invenzione della memoria. Il culto e l’imagine di Domenico nella storia dei primi frati Predicatori, Biblioteca di Medioevo latino, 19, Spoleto, centro italiano di studi sull’alto medioevo, 1996, puis par Anne R eltgen-Tallon, La mémoire d’un ordre : les « hommes illustres » dans la tradition dominicaine (xiiie-xv e siècles), thèse pour le doctorat d’histoire sous la direction d’A. Vauchez, Université de Paris X-Nanterre, dactyl., 1999, travail

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à l’uniformisation liturgique, l’étude globale du « Prototype » conservé dans le manuscrit Santa Sabina XIV L 1, fut l’occasion de revisiter le sens et la portée de cette entreprise, sur la base d’un document complet et fondateur3. Il est évident que le contrôle exercé par l’ordre sur l’écriture hagiographique, comme la diffusion d’une liturgie unique, furent une condition nouvelle de la rédaction des légendiers. C’est cette approche contextuelle qu’il paraît utile de développer ici, car c’est en cernant les enjeux de ce discours de l’ordre, ou, si l’on préfère, de cette politique hagiographique, qu’apparaîtront ultérieurement ceux des collections hagiographiques de la deuxième moitié du xiiie siècle et, surtout, du xiv e siècle. Pour la clarté de l’exposé, politiques hagiographique et liturgique de l’ordre seront abordées séparément, même si, à considérer leur chronologie et leur contenu, ces deux activités sont éminemment liées. Si l’on se place essentiellement du point de vue des légendiers de la seconde moitié du xiiie siècle et du xiv e siècle, cette double activité capitulaire, sans être explicitement à leur l’origine, imprime sur leur écriture tout un arrière-plan culturel et identitaire. Pour mesurer l’impact de cette politique hagiographique et liturgique sur ces nouveaux légendiers, il est utile d’examiner ce que fut la diffusion des réformes, et, pour en comprendre toutes les modalités, de mettre à contribution une documentation nouvelle. A– L a politique hagiographique dominicaine 1– Construire les saints fondateurs La sainteté de Dominique, on le sait, est pour l’essentiel, une construction répondant à des objectifs politiques. Dans l’histoire des origines de l’ordre, c’est un personnage effacé, ou qu’on a voulu effacer4. Au-delà de ces divergences d’interprétation, rappelons qu’avant les dominicains, plusieurs ordres religieux, monastiques ou érémitiques, n’ont pas spécialement cherché à gloinédit repris pour l’essentiel dans « L’historiographie des Dominicains du Midi : une mémoire originale ? », L’ordre des Prêcheurs et son histoire en France méridionale, CF, t. 36, 2001, p. 395-414. 3   Ce fut le thème d’un colloque organisé à Rome en 1995 et publié près de dix ans plus tard sous le titre Aux origines de la liturgie dominicaine. Le manuscrit santa Sabina XIV L 1, sous la dir. de L. Boyle et P.-M. Gy, collection de l’École française de Rome, t. 327, CNRS Éditions, Paris, 2004. 4   C’est l’interprétation que défend Luigi Canetti : en s’appuyant sur la première hagiographie des années 1233-1234, il bat en brèche l’idée que Dominique aurait été un personnage falot, loin du rayonnement d’autres fondateurs comme François d’Assise. Pour l’auteur, une telle impression ne serait que le résultat d’une politique hagiographique voulue par les supérieurs de l’ordre, afin de promouvoir l’archétype des vertus de l’ordre des prêcheurs tout entier (L. C anetti, ouv. cité, surtout p. 108-155).

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rifier un fondateur, préférant mettre en exergue le temps de leur essor5. De ce point de vue, l’attitude des premiers prêcheurs ne se différencie pas de ce « modèle ». Durant les dix années qui suivent la mort de Dominique de Guzman, son tombeau à Bologne n’est pas l’objet d’un culte spécifique. Il échappe pourtant à la dévotion discrète et limitée des seuls frères à laquelle son tombeau semblait destiné. a– Hagiographie et activité capitulaire Les pères capitulaires ont sans cesse cherché à contrôler, à enrichir puis à diffuser le culte de ceux qu’ils avaient portés sur les autels dans le courant du xiiie siècle. Ils sont les principaux artisans de l’évolution de l’image hagiographique de saint Dominique. En commandant la rédaction de nouvelles Vies, puis en approuvant – ou non – le contenu de ces réécritures, ils ont durablement orienté l’image du fondateur de l’ordre. Personne dans l’ordre n’eut l’idée de coucher par écrit les actes du fondateur avant que l’ordre, poussé par la papauté, ne se soit résolu à reconnaître ses reliques. La première Vie du fondateur n’est, en effet, rédigée qu’aux alentours de 1233, par Jourdain de Saxe, au bénéfice de la révision de son Libellus de principiis ordinis fratrum praedicatorum6. Mais, insérée dans une grande chronique des premiers temps de l’histoire de l’ordre, cette Vie n’a finalement qu’une dimension hagiographique limitée. On y trouve bien sûr un certain nombre de miracles, d’ailleurs essentiellement exécutés du vivant du saint, mais le récit souligne surtout que Dominique était d’abord préoccupé par le salut des âmes. Les plus longs passages sont ceux qui relatent la conversion de l’hôte hérétique, la prédication et le miracle du feu à Fanjeaux, qui n’est autre qu’un miracle de conversion dans le cadre d’une joute verbale contre les hérétiques. Cette première Vie n’installe pas Dominique dans l’image d’un fondateur charismatique puisque Diègue d’Osma y occupe encore une place de premier plan, notamment dans le récit d’un épisode aussi important pour l’ordre que l’installation du monastère de Prouille.

  C’est par exemple le cas de l’hagiographie clunisienne, qui met surtout en avant la figure de Maïeul (910-994), le quatrième abbé. D’autres ordres, comme les Carmes ou les Camaldules, privilégient des patronages mythiques. 6   Simon Tugwell a montré qu’une première version du Libellus fut composée par Jourdain de Saxe dans les années 1219-1221, entre Paris et Bologne. Le texte est ensuite révisé en 1233, au moment de la translation du corps de Dominique. Cette seconde version dut être approuvée par le chapitre général de 1235 et sans doute encore par celui de 1236 (S. Tugwell, The socalled ‘‘encyclical’’ on the translation of saint Dominic ascribed to Jordan of Saxony. A study in early dominican hagiography, Oxford, 1987). 5

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Peu après la canonisation de Dominique, laquelle survient le 3 juillet 1234 avec la bulle Fons sapiente7, Pierre Ferrand, en dehors de toute commande officielle, travaille à la rédaction d’une nouvelle Vie8. S’il utilise amplement le récit de Jourdain de Saxe, il le complète en puisant dans les dépositions des témoins bolonais. Avec ce nouveau matériau, il a la possibilité d’infléchir l’image de saint Dominique et, par là même, donne à l’ordre les moyens de diffuser son culte. Pierre Ferrand présente d’abord la translation de ses reliques comme une réponse à la dévotion des fidèles. Parallèlement, il gonfle le récit de topoi qui vont permettre au texte d’acquérir le caractère hagiographique qu’il ne pouvait seulement trouver dans les actes du saint : le prologue eschatologique, le thème de la sainte enfance, le zèle apostolique, la multiplication des miracles sont autant d’éléments qui façonnent la Vie de Dominique à l’aune des critères que des clercs, lecteurs de legendae, s’attendent légitimement à y trouver. Enfin, par une réécriture hardie de la guérison miraculeuse de Réginald d’Orléans, il crée de toute pièce le mythe fondateur du patronage marial de l’ordre9. Le chapitre général de 1238 adopte la version de Pierre Ferrand, mais dans une forme révisée en vue d’un usage liturgique10. Le chapitre général de 1244 demande à Humbert de Romans d’abréger le texte de Pierre Ferrand afin de mieux l’intégrer à la réforme liturgique en cours et commande, l’année suivante, la collecte des témoignages inédits sur les miracles du fondateur. C’est cette demande parallèle qui pousse finalement le chapitre général à ne pas accepter la version réécrite par Humbert de Romans, jugée trop lacunaire par rapport à la liste des miracles recueillis entre-temps, et à confier cette réécriture à Constantin d’Orvieto. Étant donné ces circons  Acta canonizationis sancti Dominici, éd. A. Walz, MOPH, t. XVI, Rome, 1935, p. 190-194.   P. Ferrand, Legenda sancti Dominici, éd. M.-H. Laurent, MOPH, t. XVI, Rome, 1935, p. 209260. 9   Dans le Libellus de principiis ordinis fratrum praedicatorum, Jourdain de Saxe raconte que Réginald d’Orléans, canoniste et doyen de la collégiale Saint-Aignan, tombe malade lors d’un séjour à Rome. C’est alors que la Vierge Marie lui apparaît et lui montre un habit complet (la précision permet à Jourdain de Saxe de faire comprendre à son lecteur que le vêtement comporte le scapulaire, seul élément qui permet de le distinguer de l’habit prémontré) : Réginald comprend qu’elle lui propose la guérison en échange de son entrée chez les prêcheurs. Lorsqu’il reprend l’épisode, Pierre Ferrand indique que Réginald, qui a rencontré Dominique à Rome, est déjà convaincu de rejoindre les prêcheurs lorsqu’il tombe malade. Du coup, lorsque la Vierge lui apparaît, elle ne se contente plus de lui montrer l’habit, mais dit seulement « Voici l’habit de ton ordre ». L’épisode, qui au départ se présente comme une guérison « ordinaire », est ainsi habilement transformé en scène topique de don de l’habit. La Vierge, qui dans cette version ne se contente plus d’inciter un homme malade à se faire prêcheur, est alors présentée comme la patronne de l’ordre entier, thème qui, à partir de là, va fleurir dans les productions iconographiques. Sur la représentation du don de l’habit, D. Donadieu-R igaut, Penser en images les ordres religieux (xiie-xv e s), éd. Arguments, Paris, 2005, spécialement chap. III, p. 81-125. 10   Cette seconde version est celle qu’a éditée F. Van Ortroy, « Pierre Ferrand et les premiers biographes de Dominique, fondateur de l’ordre des frères Prêcheurs », AB, t. 30, 1911, p. 54-87. 7 8

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tances, la Vie qu’il compose est, par rapport à ses sources, allongée d’un grand nombre de miracles et de faits prodigieux, qu’il situe tant du vivant du saint qu’après sa mort. Ces nombreux compléments conduisent Constantin d’Orvieto à diversifier le caractère des prodiges attribués à Dominique. Parmi les miracles que celui-ci aurait accomplis de son vivant, Constantin évoque, entre autres, la guérison d’un frère mourant, deux multiplications des pains, le séchage miraculeux des vêtements du saint, trempés au cours d’une de ses oraisons nocturnes, etc. Aux seules veillées et prières dont parlent Jourdain de Saxe et Pierre Ferrand, Constantin d’Orvieto ajoute de fréquentes macérations, des extases et de nombreuses prophéties. C’est un saint si détaché des choses terrestres qu’à l’instar de saint Pierre, il ne laisse pas d’empreintes en marchant. En dernier recours, le chapitre général de 1260 confie à Humbert de Romans l’adaptation de ce texte à l’office et aux nécessités de la prédication, après quoi il décide de ne plus accepter aucune autre rédaction. Ce contrôle des chapitres généraux ne s’exerce pas exclusivement sur la Vie du fondateur. Ceux-ci ont aussi encadré la production hagiographique dédiée à Pierre de Vérone11. Mais pour le second saint de l’ordre, les choses ont du être facilitées, si l’on peut dire, par sa mort violente, laquelle offrait immédiatement un contexte dramatique, de première utilité dans le cadre d’une construction apologétique. Issu d’une famille cathare de Lombardie, Pierre de Vérone entre chez les dominicains à Bologne. Nommé inquisiteur en 1251, Pierre exerce cette charge en Lombardie, Romagne, Marche d’Ancône. Un jour qu’il se rend de Côme à Milan, il est assassiné par un hérétique. On a très vite perçu dans cet événement l’opportunité de transformer en martyr pour la foi l’image abhorrée de l’inquisiteur. Les choses se déroulent alors beaucoup plus vite que pour le fondateur. Dès 1252, une enquête est menée sur la conspiration qui a conduit au meurtre12. La bulle de canonisation est promulguée par Innocent IV le 24 mars 1253 (BHL 6722). Celle-ci est résumée par Vincent de Beauvais dans son Speculum historiale13, et sert de base à la rédaction de l’office liturgique du saint. En 1255, le chapitre demande aux frères d’envoyer au couvent de Milan les récits des miracles obtenus par l’intercession de Pierre. Cette première collection est utilisée par Géraud de Frachet, à qui l’ordre commande, précisément en 1255, de réunir une compilation des faits   Voir toujours A. Dondaine, « Saint Pierre martyr. Études », AFP, t. 23, 1953, p. 66-162, surtout pour les données biographiques. En revanche, la partie consacrée aux sources hagiographiques et spécialement les propositions de datation, l’un par rapport à l’autre, des textes de Thomas de Lentino et de Jacques de Voragine, sont désormais dépassés par les travaux de G. P. Maggioni sur les étapes de rédaction de la Légende dorée. 12   BHL 6721 : c’est la plus ancienne pièce littéraire du dossier. 13   SpH, XXXII, 103-104 (respectivement, la Vie et les miracles). 11

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édifiants accomplis par les frères de l’ordre. Le texte que compose Géraud de Frachet met essentiellement en avant une sainteté que l’on pourrait qualifier de doctrinale. L’essentiel de cette Vie est consacré à la lutte de Pierre pour la défense de la foi et aux récits des disputes contre les hérétiques. Vingt ans plus tard environ, Thomas Agni de Lentino, tout en s’appuyant sur Géraud de Frachet, réécrit une Vie de l’inquisiteur martyr (BHL 6723). Elle est résumée par Jacques de Voragine pour la seconde version de la Légende dorée (BHL 6724). La Vie écrite par Thomas Agni de Lentino se distingue de ce modèle par plusieurs éléments. D’abord, celui-ci va sensiblement renforcer le parallélisme entre Pierre et Dominique, qui était discret dans les Vitae fratrum de Géraud. Il développe par exemple l’épisode au cours duquel Pierre, confronté à un hérétique éloquent, demande de l’aide à Dieu et retrouve alors son adversaire frappé de mutisme : le récit ne va pas sans faire penser à l’ordalie qui permet à Dominique de s’imposer face aux hérétiques de Fanjeaux. Comme le fondateur, l’inquisiteur aspire au martyre. Comme lui encore, il a des pensées prémonitoires. Ces éléments épars montrent que Thomas Agni de Lentino évite l’assimilation pure et simple de la sainteté de Pierre à la lutte antihérétique et, comme cela se passe aussi pour Dominique, il met en valeur des vertus typologiquement moins marquées. La sainteté de Pierre est alors présentée de manière plus complexe qu’elle ne l’était jusqu’ici, liée à la fois à la vie régulière des frères, et à sa qualité de saint thaumaturge. Enfin, Thomas développe le rapprochement entre le martyre de Pierre et la Passion du Christ, qui était déjà esquissé dans la bulle de canonisation. Au bout du compte, Pierre, comme Dominique, devient un parangon de la sainteté de l’ordre. Il y a, dans les deux cas, un travail de l’hagiographie qui ne conduit pas tant à alimenter la figure singulière du saint qu’à le faire coïncider à l’image que l’ordre veut donner de lui et à la mission qu’il a endossée dans l’Église. Mais le chapitre ne se contente pas d’approuver cette production hagiographique : il la suscite, en décidant, ce qui est classique, la translation de reliques14, mais surtout, en utilisant la centralisation de l’ordre pour organiser la collecte de faits édifiants. Trois campagnes de cette nature sont conduites au xiiie siècle : en 1245 d’abord, le chapitre qui se tient à Cologne demande que l’on recueille des témoignages inédits sur les miracles de saint Dominique15. En 1255 ensuite, le chapitre demande aux frères qui connaissent des miracles accomplis par saint Dominique et saint Pierre de Vérone, de les envoyer au 14   La première translation du corps de Dominique est liée à sa canonisation. En 1265, après qu’il ait approuvé la Vie rédigée par Humbert de Romans, le chapitre général décide une nouvelle translation (éd. R eichert, ouv. cité, I, p. 130). 15   R eichert, ouv. cité, I, p. 33.

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prieur du couvent de Bologne pour le premier, à celui de Milan pour le second, qui les mettront par écrit16. En 1289, le chapitre recommande encore aux prieurs de veiller à la collecte des miracles de l’un et l’autre de ses deux saints17. Ces tentatives de relance ne disparaissent pas au siècle suivant et en 1314 encore le chapitre général qui se tient à Londres commande aux frères de réunir les récits de miracles survenus depuis le chapitre précédent, de les écrire et de les faire parvenir au couvent de Bologne18. Si l’on comprend que l’ordre ait été soucieux d’alimenter la dévotion des frères envers les saints que leur famille religieuse avait fournis, il est en revanche plus étonnant de le voir œuvrer sans relâche pour faire progresser le caractère fédérateur des cultes de Dominique et de Pierre. Alors que, trente ans après la mort de saint Dominique, l’Europe compte plusieurs centaines de couvents, les frères n’ont pas ressenti le besoin de placer leurs églises sous son patronage, déniant peut-être au premier d’entre eux la faculté de marquer significativement l’espace religieux. Aussi, en 1250 le chapitre général réuni à Londres encourage les dédicaces d’églises19. L’exemple de ce qui se passe à Limoges trois ans plus tard témoigne que cette injonction est restée lettre morte, au moins dans la première province de Provence20. En 1254, le chapitre, qui vient de ratifier les travaux d’Humbert de Romans en vue de l’uniformisation liturgique, juge opportun de rappeler, comme si cela n’allait pas de soi, l’obligation d’inscrire le nom de Dominique dans les calendriers, dans les litanies, et demande par ailleurs que son image soit placée dans toutes les églises de l’ordre21. L’injonction est réitérée en 1256 – doublée d’un rappel étonnant sur la nécessité de célébrer dignement les fêtes de Pierre et de Dominique22 – et de nouveau en 126923. Certaines de ces exigences sont relayées au niveau provincial, les prieurs misant alors sur les domaines qu’ils contrôlent étroite-

  R eichert, ouv. cité, I, p. 76-77.   R eichert, ouv. cité, I, p. 252. 18   R eichert, ouv. cité, II, p. 73. 19   R eichert, ouv. cité, I, p. 53. 20   En 1253, Géraud de Frachet consulte les frères sur le vocable de l’église conventuelle de Limoges. Un seul frère choisit le nom de Dominique quand tous les autres lui préfèrent NotreDame (C. Douais, Acta capitulorum ordinis fratrum praedicatorum. Première province de Provence, province romaine et province d’Espagne, Toulouse, éd. Privat, 1894, p. 57). 21   R eichert, ouv. cité, I, p. 70. 22   R eichert, ouv. cité, I, p. 81. 23   R eichert, ouv. cité, I, p. 148. De prime abord, ces prescriptions sont étonnantes. Il est possible cependant que soient parvenus jusqu’à nous quelques témoins de ces calendriers atypiques que les actes des chapitres voudraient voir disparaître. Ainsi, le ms lat. 210 de la BnF contient un calendrier, en tête d’une Bible. Le document, formellement homogène, provient des dominicains. Cependant, son calendrier n’inscrit pas la fête de saint Dominique, célèbre la translation de saint Martin le jour de celle de Dominique, et ne connaît pas Pierre de Vérone – remarque qui, ici, n’a rien de déterminant si le document est antérieur à 1253. 16 17

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ment. Ainsi, en 1280, le chapitre provincial de Rome rappelle que les frères doivent œuvrer, soit par la prédication, soit par la conversation, à répandre la dévotion du nom de Dominique. Du point de vue des intentions, le fait de collecter des récits de miracles d’une part, de renforcer les obligations de culte de l’autre, ne sont que les deux faces d’une même médaille. Manifestement, l’intense activité hagiographique de la première moitié du xiiie siècle n’est pas complètement parvenue à combler le déficit de sainteté du fondateur, et chaque injonction des chapitres accroît le sentiment que des lacunes persistent. Mais à la lecture de ce double processus, on ne peut exclure l’hypothèse que les autorités de l’ordre aient, malgré elles, alimenté cette désaffection en substituant aux seules vertus de l’apostolat une sainteté multiforme. b– Créer le saint à son image ? En effet, si Pierre Ferrand, Constantin d’Orvieto puis Humbert de Romans ont enrichi l’image du fondateur, dans le but évident de faire progresser son culte, voire de rendre intangible son inscription au calendrier de l’Église, ces réécritures successives l’éloignent aussi de la seule sainteté évangélique et de l’apostolat qui sont attachés à la première Vie et, globalement, à la mission de l’ordre dominicain. Les remaniements qu’opère Constantin d’Orvieto associent au personnage de Dominique l’image d’une sainteté plus moderne24. Pour autant, il n’est pas sûr que ce soit une rénovation de ce genre qui se joue dans cette réécriture. Plus que la nouveauté de certains prodiges – les prophéties par exemple, qui au cours du xiiie siècle sont tout spécialement prises en compte dans les procès de canonisation –, c’est le cumul des types de vertus et de mérites qui est frappant. Tout se passe comme si, l’ordre, peu sûr de la sainteté intrinsèque de son héros, avait misé sur la réunion en lui de multiples critères de sainteté, et ce, d’un côté pour s’assurer que l’on reconnaisse en lui un fondateur charismatique, de l’autre pour garantir plus aisément la diffusion de son culte à l’extérieur de l’ordre. Dans le même sens, le rapprochement progressif que font les hagiographes entre Dominique et Pierre de Vérone contribue à brouiller encore les modèles individuels. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas les seuls à progresser dans le sens de l’amalgame puisqu’à partir de 1254, les actes des chapitres associent systématiquement les deux saints de l’ordre dans leurs injonctions relatives à la célébration des fêtes25, ce qui, là non plus, ne facilitait ni l’individualisation, ni la création d’une forme de hiérarchie entre 24   C’est ce que suggère A. R eltgen-Tallon (ouv. cité, p. 50-51), mais sans aller jusqu’à faire de cette intention l’unique justification de la réécriture de Constantin d’Orvieto. 25   C’est le cas des chapitres généraux de 1254 (R eichert, I, p. 70), 1255 (R eichert, I, p. 76-77), 1256 (R eichert, I, p. 81), 1269 (R eichert, I, p. 148) et 1289 (R eichert, I, p. 252).

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les saints de l’ordre. Entre autres actions capitulaires destinées à rehausser la dévotion des frères et des fidèles, envers Pierre et Dominique, les collectes de faits édifiants, lancées en 1245, 1255 et 1289 appellent au moins un commentaire : il s’agit à chaque fois, et exclusivement, de recueillir des miracles. Fautil comprendre qu’un ordre, qui par ailleurs renouvelle la vie religieuse et spirituelle de son temps, n’a vu que cette voie pour accroître l’aura de sainteté de ses héros ? Le modèle évangélique, promu comme critère d’une sainteté moderne, ne semblait pas pouvoir suffire à long terme sans activité miraculeuse. Dans cette optique, les choix des actes des chapitres se comprennent facilement. Mais c’est oublier un peu vite que les miracles sont ce que suppriment en premier les auteurs de legendae novae, nombreux dans les rangs dominicains, lorsqu’ils abrégent leurs sources. Jean de Mailly par exemple, lorsqu’il complète la première version de son Abrégé des gestes et miracles des saints, intègre une Vie condensée de saint Dominique, issue de celle de Pierre Ferrand : l’essentiel de sa réécriture porte sur la suppression des miracles post mortem. Ces derniers sont tout aussi absents du Liber epilogorum, Barthélemy de Trente n’ayant, pas plus que son prédécesseur, vu l’intérêt de les conserver26. Au bout du compte, seul Géraud de Frachet intègre dans ses Vitae fratrum le corpus merveilleux issu de la collecte de 1255. Celles de 1289 et 1314 ne servent pas à la compilation des légendiers de la deuxième moitié du xiiie siècle et du xiv e siècle. Par ailleurs, sous bien des aspects, les saints de l’ordre apparaissent comme des saints de circonstance, hissés sur les autels en vertus des bénéfices qu’ils pourraient apporter, à l’ordre, mais aussi au pape. Luigi Canetti a appuyé l’idée d’une étroite corrélation entre la canonisation de Dominique et l’attribution par le pape Grégoire IX, de l’office inquisitorial aux dominicains : celui-ci nécessitait un effort particulier de propagande en faveur de l’ordre investi dans une mission impopulaire. Les successeurs de Grégoire IX ont œuvré pour la reconnaissance du culte des saints dominicains à l’extérieur de l’ordre : en 1255, le pape Alexandre IV accorde quarante jours d’indulgence pour la visite de n’importe quel couvent dominicain lors des fêtes de saint Dominique et de saint Pierre. La même année, il demande aux cisterciens de célébrer les fêtes des deux saints dominicains27. En 1257 il autorise les frères de Bologne à célébrer la messe en temps d’interdit, le jour des fêtes de Dominique (c’est-à-dire le jour de la fête, de la translation, mais aussi de la vigile et de l’octave). En 1267, Clément IV accorde deux cents jours d’indulgence pour la visite du   E. Paoli, p. 209.   J. M. C anivez (éd.), Statuta capitulorum generalium ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, coll. RHE, Louvain, 1933, p. 410.

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couvent de Bologne lors de la translation du corps de Dominique et cent jours pour son octave. Ces interventions, on le voit, contribuent à associer les saints dominicains à la politique pontificale en la matière, ce que ne dément pas la construction d’une sainteté multiforme et généraliste. Au xive siècle, le panthéon de l’ordre s’étend à la figure de Thomas d’Aquin. Là encore, l’initiative revient au pape Jean XXII. Là encore, le choix du candidat à canoniser ne fit pas l’unanimité28. Là encore, sa sainteté n’est pas d’une grande évidence puisque le premier texte qui évoque la figure de Thomas d’Aquin, c’est-à-dire l’Historia ecclesiastica nova de Ptolémée de Lucques, est d’abord un catalogue des œuvres du théologien, bien peu hagiographique : certes Ptolémée évoque un homme détaché des choses terrestres, persévérant dans la foi, mais il n’opère pas de miracles. L’image « officielle » de Thomas d’Aquin n’est brossée que par Guillaume de Tocco dans son Ystoria sancti Thomae de Aquino (BHL 8152/8154), rédigée d’abord en vue du procès pour lequel il était procureur, mais qu’il poursuivit après la canonisation. Le texte, il fallait s’y attendre, répond aux conventions du genre, mais malgré tout, la part extrêmement réduite de l’élément miraculeux est remarquable. La sainteté de Thomas est d’abord régulière et surtout universitaire. Au xiv e siècle, l’image de Thomas supplante celle de Dominique et tend à devenir la figure emblématique de sa famille religieuse. 2– Construire le sanctoral a– Prier ensemble, partout, au même moment En plus de contrôler le développement des cultes rendus aux saints de l’ordre, l’activité normative des chapitres concerne aussi toutes les autres fêtes sanctorales inscrites aux calendriers des couvents. L’objectif des pères capitulaires est avant tout de renforcer, puis de garantir l’unité de culte dans un ordre qui croit rapidement, au xiiie siècle surtout. Pour développer cette cohérence de l’ordre en la matière, ceux-ci fixent les noms des saints qui font l’objet d’une célébration collective, mais aussi le jour de cette fête et la manière d’organiser cette commémoration. Le principe n’a rien d’original ou de spécifique aux frères prêcheurs, mais ce qui ressort, c’est le radicalisme des positions domi28   Sollicités sur le choix de celui qui serait canonisé, un certain nombre de frères se prononça pour Raymond de Peñafort, l’auteur des Constitutions, et à ce titre second fondateur de l’ordre. Ce choix fut rejeté à cause des préférences de Jean XXII pour les maisons d’Anjou et de France par rapport à celle d’Aragon qui la soutenait (voir A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, éd. École française de Rome, 1981, p. 95). Quelques années plus tard, des débats internes à l’ordre font apparaître qu’un groupe de frères contesta l’enseignement de Thomas et tenta de lui substituer celui de Durand de Saint-Pourçain.

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nicaines : contrairement à ce qu’acceptent d’autres ordres, il n’y a, dans les décisions dominicaines, aucune adaptation du calendrier aux dévotions locales. Cette situation se démarque donc de l’évolution du calendrier cistercien, évoquée plus haut, mais aussi des choix franciscains : on voit par exemple le chapitre général des frères Mineurs qui se tient le 7 juillet 1260 introduire la fête de saint Martial dans la seule province d’Aquitaine. Sans parler d’une diversification des rites par adaptation aux usages locaux, il y a quand même, dans l’autre grand ordre mendiant, une prise en considération de la sainteté particulière, qui est totalement absente des actes des chapitres dominicains. D’ailleurs, dans leur cas, le recours aux actes des chapitres provinciaux n’est d’aucune utilité pour approfondir l’évolution du calendrier : il s’agit d’une prérogative de l’institution centrale. Le calendrier évolue peu, mais l’activité des chapitres dans ce domaine est constante et régulière sur toute la période, peut-être un peu plus dense de 1295 à 1315. De 1230 à 1370, les chapitres généraux ont effectué 31 remaniements des fêtes sanctorales du calendrier de l’ordre29. Ces modifications sont de trois ordres : déplacement du jour de la fête, évolution du degré de solennité de la célébration et création de fêtes. Les chapitres ont, à sept reprises, modifié le degré de solennité des fêtes inscrites au calendrier. À une exception près – celle de la fête des Onze mille vierges –, celui-ci est rehaussé. Dans deux cas, l’usage a dû faire apparaître quelques incompatibilités avec les célébrations existantes puisque les actes des chapitres interviennent pour déplacer le jour d’une fête : du 7 janvier, la fête de saint Édouard est déplacée au 13 octobre en 1270 ; Procope enfin, célébré le 4 juillet lorsque sa fête est créée en 1355, l’est le 8 juillet à compter du chapitre de 1357. Ces trois exemples montrent qu’il a été utile de revoir, après coup, les modalités suivant lesquelles certaines fêtes avaient été intégrées au calendrier de l’ordre. Avec 21 occurrences, les créations de fêtes sont de loin les plus nombreuses. Après la fondation des fêtes de la translation de saint Dominique et du martyre de saint Pierre de Vérone, les pères capitulaires ont fait en sorte d’élargir leur calendrier, tout en ne l’ouvrant que de façon modérée à la sainteté récente : quatre saints seulement représentent la sainteté du xiiie siècle, à savoir Antoine de Padoue († 1231), Louis IX († 1270), Pierre Célestin († 1296) et évidemment Thomas d’Aquin († 1274). Tous les autres ajouts concernent des saints nettement plus anciens, comme sainte Marthe, saint Édouard, saint Wenceslas, saint Ignace, saint Alexis, saint Servais ou saint Martial. Comme il est d’usage suivant les Constitutions dominicaines, les créations de fêtes nécessitent que le chapitre se prononce à deux

  Voir l’annexe 2, qui donne un tableau synthétique de ces remaniements.

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reprises sur cette modification du calendrier30, après quoi elle acquiert force de loi. Dans la plupart des cas, la consultation des actes conservés permet de repérer ces annonces réitérées. Pour ce qui est des fêtes de sainte Marthe, saint Édouard et saint Wenceslas cependant, les chapitres ont réexaminé plus de deux fois les modalités de leur introduction dans le sanctoral de l’ordre. Le fait que le dossier de saint Wenceslas soit un peu mieux documenté que les deux autres permet de ne pas se contenter d’y voir le zèle d’une administration centralisée : certains amendements ont fait l’objet de discussions, peut-être de tensions ou au moins de vue divergentes quant aux choix des modèles de sainteté. b– Les ajouts : un effort d’ouverture ? Certains ajouts au calendrier de l’ordre sont peu significatifs dans la mesure où ils sont d’abord dictés par les circonstances : c’est le cas par exemple de l’inscription de saint Louis, qui illustre la rénovation de la sainteté royale sous l’influence des ordres mendiants, ou de saint Antoine de Padoue, dans lequel les dominicains célèbrent avant tout le prédicateur. Non que ces ajouts ne soient pas importants pour eux-mêmes, notamment pour ce qu’ils disent de l’adaptation à la sainteté moderne, mais leur témoignage sur les caractéristiques du sanctoral de l’ordre est finalement moins riche que la relecture que font les dominicains de Vies et Passions plus anciennes, avant de les inscrire dans leur sanctoral. Le choix d’intégrer saint Alexis au calendrier de l’ordre est sans doute le plus évident car il n’était pas nécessaire de faire subir des distorsions majeures à la Vie de ce confesseur du ve siècle pour qu’elle illustre la spiritualité et la vocation de l’ordre. Le court résumé de ses actes31 montrera cette proximité. Alexis est issu d’une noble famille romaine. Ses parents sont chrétiens et pratiquent régulièrement l’aumône. Marié à une jeune fille de la noblesse impériale, il quitte sa maison la nuit de ses noces pour respecter son vœu de chasteté. Il rejoint Laodicée, puis Édesse, où il souhaite voir l’image acheiropoiète de Dieu. Là, il vend touts ses biens et vit d’aumônes sous le porche de l’église Notre-Dame. Sur ces entrefaites, la famille d’Alexis envoie des serviteurs à sa recherche, lesquels se rendent à Édesse et lui font l’aumône sans le reconnaître. Au bout de sept ans de cette vie, le Seigneur révèle au gardien de   Ainsi, l’insertion de la fête de saint Antoine de Padoue est annoncée en 1260 et exécutable en 1262. Celle de saint Louis est évoquée en 1300 puis 1301. L’ajout de la fête de saint Ignace est prévu en 1300, puis répété en 1302, etc. 31   On connaît de très nombreuses versions, non seulement de sa Vie en prose (BHL 286-292), mais aussi de réécritures en vers (BHL 293-297), auxquelles s’ajoutent un recueil de miracles compilé au xie siècle (BHL 299) et un récit d’invention de reliques en 1271 (BHL 301). 30

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l’église l’assiduité d’Alexis dans son abstinence : le gardien se jette à ses pieds et le fait entrer dans l’église. Il devient tout à coup l’objet de toutes les faveurs et choisit de quitter la ville, refusant les honneurs, qu’il jugeait incompatibles avec son désir d’humilité. Alors qu’il souhaite rejoindre Tarse, la tempête pousse son embarcation vers Rome, où il demande l’hospitalité à la maison de son père, sans se faire connaître. Pendant dix sept ans, il vit à côté de sa famille, dans le jeûne, la prière et l’abstinence, en pauvre et pèlerin dans sa propre maison. Lorsqu’il lui révèle l’heure de sa mort, le Seigneur lui demande de mettre par écrit le récit de sa vie depuis sa fuite. De cette façon, ses parents comprirent qui était le pauvre qu’ils avaient hébergé et organisèrent dans l’église Saint-Boniface de Rome, des funérailles solennelles en présence du pape et de l’empereur. Saint Alexis incarne la pauvreté volontaire32 et l’humilité, dramatisées par la proximité du luxe et de l’abondance. Sans surprise, c’est bien cette idée que le maître de l’ordre, à qui cette rédaction fut confiée, a souhaité mettre en valeur. La première phrase des leçons débute ainsi  : « Saint Alexis, miroir remarquable d’une exceptionnelle virginité et d’une pureté totale, archétype de la pauvreté et de l’humilité… »33. L’inscription de sainte Marthe au calendrier dominicain relève d’une autre logique. C’est le chapitre réuni à Trèves, en 1266 qui exprime pour la première fois la volonté d’inscrire la sainte au sanctoral de l’ordre. Selon la formule habituelle, le maître de l’ordre doit fournir le texte de l’office et choisir le jour de la fête34. Mais l’annonce suivante, celle qui entérine la modification du calendrier, ne survient que dix ans plus tard, dans les actes du chapitre qui se réunit à Pise, en 127635. Cette attente inhabituelle permet de supposer qu’il ne s’agit pas là d’une confirmation de la première annonce, mais plutôt un renouvellement de celle-ci. Le soupçon est confirmé par le chapitre de 1277, où le maître général fournit le texte de l’office. Quelque chose a donc repoussé l’intégration de la fête de sainte Marthe dans le calendrier de l’ordre. En l’absence de toute justification de la part des actes des chapitres eux-mêmes, il reste difficile de comprendre ce report d’une modification qui, a priori, ne prête nullement le flan à la polémique. Gulia Barone établit un lien entre le réexamen de cette insertion par le chapitre et la tenue du concile de Lyon (1274), qui   Dans le cadre de la querelle entre séculiers et mendiants, l’exemple de saint Alexis est invoqué par les dominicains, notamment par Thomas d’Aquin, pour contredire le discours de ceux qui voyaient dans leur mode de vie une incompatibilité avec le fonctionnement traditionnel de l’Église. Ce détail se trouve dans Y. M.-J. Congar, art. cité, p. 82. 33   Beatus Alexius velud preclarissimum virginitatis et tocius mundicie speculum egregium proinde humilitatis et paupertatis exemplar, Toulouse, BM, ms 82, fol. 69. 34   De sancta Martha, fiat festum trium lectionum, et magister ordinis provideat de officio et de die, R eichert, ouv. cité, I, p. 133. 35   R eichert, ouv. cité, I, p. 183. 32

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confirme le maintien dans leurs missions des deux grands ordres mendiants36. Si la contemporanéité des deux événements n’est pas discutable, n’est-ce pas forcer le sens de la documentation que de voir dans les décisions du concile une situation favorable au développement du culte de sainte Marthe parmi les frères prêcheurs ? Les répercussions des décisions capitulaires et des positions du concile paraissent sans commune mesure. Par ailleurs, l’apostolicité de Marthe suffisait amplement pour faire d’elle une sainte universelle. Donc en l’état, ces motifs n’emportent pas totalement la conviction. L’intérêt principal des actes du chapitre de 1277 est qu’ils ne donnent pas seulement la confirmation de la présence de sainte Marthe dans le calendrier dominicain. Le scribe qui a pris en note les décisions des pères capitulaires a consciencieusement noté le texte des trois leçons dédiées à la sainte37. Faut-il comprendre que c’est le contenu de l’office qui a posé problème ? Là encore, il faut se contenter de conjectures. Toujours est-il que le texte met l’accent sur le fait que sainte Marthe fut l’hôte du Christ. C’est l’objet unique de la première leçon. Marthe est désignée comme « l’hôte vénérable du Christ »38, ce que reprend plus loin le texte de l’office en disant « attentive à se montrer hospitalière, elle mérite de recevoir souvent dans sa maison le Sauveur lui-même, d’où vient qu’elle est spécialement appelée son hôtesse »39. Outre que cette image de Marthe est classique, puisque c’est d’abord de cette proximité avec le Christ que la sainte tire son aura, cette première leçon de l’office montre l’intérêt des prêcheurs pour la vie active et ils contribuent ici à faire de Marthe l’incarnation de cette qualité40. À la suite, l’arrivée de la sainte à Marseille, accompagnée de Lazare, Maximin et Marie-Madeleine est rapidement évoquée, son action pastorale et les conversions auxquelles elle aboutit ne le sont qu’incidemment. La deuxième leçon est toute entière dédiée à l’éradication de la Tarasque des eaux du Rhône. Enfin, la troisième leçon raconte qu’averti de l’heure de sa mort, saint Front revient de Périgueux pour ensevelir la sainte. Le maître de l’ordre n’a donc rien retenu de ce que dit la Vita sancta Martha de ses jeûnes, de ses longues prières, ou de sa présence lors de la résurrection de Lazare, dont, il est vrai, elle n’est que le témoin. Au fond, les motifs qui ont présidé à l’inscription de sainte Marthe au calendrier dominicain semblent 36   G. Barone, « Le proposte agiografiche degli ordini mendicanti tra radicamento locale e dimensione sovranazionale », Vita e identità politiche : universalità e particolarismi nell’Europa del tardo Medioevo, éd. S. Gensini, Pise, 1998, p. 178. 37   R eichert, ouv. cité, I, p. 192-193. 38   Venerabilis hospita Christi, éd. R eichert, ouv. cité, I, p. 192. 39   Hec hospitalitati semper intenta ipsum salvatorem mundi frequenter recipere hospicio suo meruit, unde et hospita ejus specialiter appellatur, éd. R eichert, ouv. cité, I, p. 193. 40   Sur ce point, voir l’article récent de C. Trottmann, « Vita active, vita contemplative. Enjeux pour le Moyen Âge », MEFR, Moyen Âge, t. 117, 2005, p. 7-25.

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proches de ceux qui ont conduit les frères à y ajouter, en 1302, saint Ignace, martyr d’Antioche : c’est dans les deux cas la célébration de saints universels. La rédaction des offices d’Alexis, Marthe ou Ignace, malgré le resserrement de la narration dicté par l’utilisation liturgique des textes, est finalement très respectueuse du contenu de leurs légendes. Il n’en va pas tout à fait de même de l’adaptation au lectionnaire des Vies de saint Édouard, roi d’Angleterre et de saint Wenceslas martyre de Bohême, lorsque les chapitres décident que désormais les frères commémoreront ces deux saints. Dans ces deux cas en effet, la comparaison des textes à vocation strictement hagiographique avec ce qu’en font les prêcheurs pour les intégrer à leur liturgie témoigne d’un effort d’appropriation et de réécriture tout à fait important. Comme cela c’est produit pour sainte Marthe, les chapitres reviennent à plusieurs reprises sur l’adoption des fêtes d’Édouard et de Wenceslas. Pour ce qui est du premier, le chapitre général réuni à Londres évoque une première fois son entrée au sanctoral de l’ordre en 1263 et charge, selon la formule habituelle, le maître de l’ordre de fournir le texte de l’office et de choisir le jour de la fête41. La décision est répétée dans les mêmes termes en 126542, mais cinq ans plus tard, le chapitre de Milan modifie la date de la fête43. Quant à Wenceslas, les pères capitulaires prévoient la commémoration de sa fête en 129644. Comme le veut la coutume, la prescription est répétée en 1298, mais lors de ce chapitre, qui se tient à Metz, les frères de Bohème produisent une version de la Vie de Wenceslas qui n’est pas approuvée par le chapitre45. Il faut attendre 1300 pour que le chapitre général s’accorde sur la version de la Passion du martyr à intégrer à l’office de l’ordre. Ce qui rend intéressant le cas de l’inscription de saint Wenceslas au calendrier dominicain, c’est que les actes des chapitres ont conservé les deux versions de l’office, celle qu’ils ont rejetée et celle qu’ils ont finalement retenue46. Le rapprochement entre les deux textes a été effectué par Gulia Barone47. Il montre que l’effort de réécriture exigé par le chapitre général est essentiellement motivé par la mise au goût du jour du texte hagiographique : l’origine noble ou le catalogue traditionnel des vertus du saint disparaissent de la se  R eichert, ouv. cité, I, p. 120.   R eichert, ouv. cité, I, p. 126. 43   R eichert, ouv. cité, I, p. 155. 44   R eichert, ouv. cité, I, p. 278. 45   R eichert, ouv. cité, I, p. 291. 46   La première (BHL 8839) se trouve dans R eichert, ouv. cité, I, p. 292-294 ; la seconde (BHL 8840) p. 299-300. 47   G. Barone, « Les épitomés dominicains de la vie de saint Wenceslas (BHL 8839 et 8840) », Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xv e siècles, (Table ronde tenue à Rome, 22-23 juin 1979), École française de Rome, 1981, p. 167-187. 41

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conde version. Celle-ci met davantage l’accent sur les œuvres de Wenceslas et sur sa charité, ce qui le rend conforme à la perception de la sainteté royale définie à la fin du xiiie siècle. Les épisodes guerriers, la description des luttes familiales pour le pouvoir qui, dans la Vie du xie siècle, servaient de contre point à la sainteté de Wenceslas, étaient encore présents dans la Vie que rédigent les frères de Bohème. La réécriture approuvée par le chapitre de Bordeaux les voit considérablement diminués. Ceux-ci sont globalement passés sous silence et, au mieux, ils ne sont plus évoqués pour eux-mêmes. Cela entraîne une relecture complète de la vengeance du frère qui conduit Wenceslas à la mort. Si la comparaison avec Caïn et Abel est maintenue dans la seconde version, elle n’est plus filée tout au long du texte. À la suite, l’épisode de la translation ne se focalise plus sur la blessure sanglante infligée par le fratricide. Le chapitre n’entérine l’inscription du martyr dans son sanctoral que lorsque le récit de sa Vie est dépouillé des éléments propres au xie siècle et finalement lorsque la réécriture hagiographique conduit à transformer un saint national en un saint de l’Église. En regard de ce cas de figure bien documenté, la rédaction par le chapitre de l’office de saint Édouard prend un relief particulier. Ici, la consultation d’un lectionnaire du début du xiv e siècle montre l’office que les frères ont adapté à leur usage liturgique48. Comme Wenceslas, Édouard, roi d’Angleterre, dut affronter une situation confuse et la lutte pour le pouvoir entre Anglais, Écossais et Norvégiens. Là encore, les leçons qui lui sont dédiées passent complètement sous silence ce contexte singulier qui, précisément, met en valeur la charité et les vertus de saint Édouard. La première leçon du lectionnaire dominicain développe d’abord l’éducation et l’instruction du saint, tandis que la seconde met en valeur sa dévotion envers saint Jean l’évangéliste. Quand à la troisième leçon, elle résume le songe d’Édouard qui, en voyant les Sept dormants se retourner dans leur sommeil, comprit quel serait le destin de la royauté anglaise. L’insertion de saint Édouard et de saint Wenceslas dans le sanctoral dominicain impose une importante réécriture, justifiée par le désir essentiel de transformer des saints nationaux de régions périphériques de l’occident chrétien en saints universels. Du coup, leur présence dans le calendrier de l’ordre est une façon d’entériner l’extension de l’ordre.

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3– L’ordre, entre sainteté universelle et sainteté ordinaire L’activité hagiographique des chapitres généraux se déroule peu ou prou dans une direction essentielle. Même si les prêcheurs portent une attention particulière à l’image du saint pauvre – sur le modèle de saint Alexis, les autres ajouts à leur calendrier montrent que cette vertu ne fut pas mise en avant outre mesure. Les modèles retenus sont d’abord ceux de saints universels. Pour renforcer cette orientation, les textes approuvés le sont sans conteste lorsqu’ils sont le résultat d’un effacement des données conjoncturelles et des éléments d’appartenance à une histoire nationale. Qu’advient-il de ce modèle lorsque l’ordre commande à Géraud de Frachet la compilation des récits édifiants sur la Vie des frères ? Si l’ouvrage intitulé Vitae fratrum fut compilé et mis en forme par Géraud de Frachet, le rôle tenu par l’ordre fut fondamental dans l’ampleur de cet ouvrage et, plus qu’on ne l’a longtemps pensé, dans sa forme. L’initiative en revient sans conteste à Géraud lui-même. En 1252, alors qu’en tant que prieur de la province de Provence il préside le chapitre qui se tient à Montpellier, il demande aux frères du Midi de mettre par écrit puis de lui envoyer le récit des morts édifiantes des frères, qu’il avait l’intention de transmettre au maître de l’ordre. Ce n’est qu’ensuite, à la demande des chapitres généraux de Milan en 1255 et de Paris en 1256, que l’enquête est élargie : on recueille alors les témoins issus d’autres provinces. Humbert de Romans, maître de l’ordre confie l’ensemble de cette matière à Géraud, qui la fusionne avec sa compilation initiale. Ce n’est donc que dans un deuxième temps que les autorités dominicaines ont songé à étendre à l’ordre entier l’objet de cet ouvrage. Simon Tugwell a montré que cette extension de la matière a conduit Géraud de Frachet à produire plusieurs versions de ses Vitae fratrum49 : en 1258, puis de nouveau en 1259, celui-ci propose un état du texte qu’Humbert de Romans ne pouvait entériner, puisqu’il ne tenait pas compte de tous les nouveaux récits qui avaient été envoyés au maître de l’ordre. En 1259 ou peu après, Humbert de Romans lui-même, en sa qualité de maître de l’ordre, s’attela lui aussi à la révision des Vitae fratrum : d’une part, il réécrit complètement le texte relatif à Albert le Grand, après que celui-ci ait accédé à l’épiscopat, ce que réprouve Humbert ; d’autre part, il commence à supprimer les noms propres, sans que cette volonté de substituer l’anonymat des frères à la valeur du témoignage soit véritablement comprise. Il peut s’agir de faire du prêcheur un modèle universel. En 1260, le chapitre général réuni à Strasbourg approuve l’œuvre et en ordonne la publi  S. Tugwell, « L’évolution des Vitae fratrum. Résumé des conclusions provisoires », L’ordre des Prêcheurs et son histoire en France méridionale, CF, t. 36, 2001, p. 415-418.

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cation. Mais ce texte connu et souvent produit ne saurait laisser croire que la compilation des Vitae touchait à sa fin : Humbert profita de la réunion du chapitre à Strasbourg pour réunir des informations sur les origines germaniques de Jourdain de Saxe ; dans le même esprit, il choisit de réunir à Barcelone le chapitre général de 1261 afin d’y collecter les détails qu’il jugeait manquants dans sa vie de Raymond de Peñafort. Autrement dit, et contrairement à ce que laisse penser le chapitre de 1260, les Vitae fratrum ne furent jamais réellement achevées. Si Géraud de Frachet en compila la majeure partie, les recherches de Simon Tugwell sur l’évolution du projet et sur la tradition manuscrite montrent qu’à un certain moment, l’œuvre échappe un peu à son auteur. Si cela fait déjà plusieurs années que Géraud de Frachet écrit dans le droit fil d’un projet assimilé par l’ordre, à partir de 1259-1260, il ne semble plus vraiment maître des corrections apportées à l’ensemble. Alors qu’elles émanaient déjà de l’ordre, puisque ce sont les frères des couvents qui ont été mis à contribution et qui livrent leurs témoignages, ces Vitae fratrum deviennent peu à peu, et au sens premier du terme, une production de l’ordre. Cet aspect se trouve également renforcé par le fait qu’Humbert de Romans prescrit un usage exclusivement interne et va jusqu’à en interdire la communication à des personnes étrangères à l’ordre sans son autorisation. Or, le propos de cette collection est largement hagiographique, et en la matière, c’est donc à un discours de l’ordre, pour lui-même, au sujet de ceux de ses frères qui sont réputés saints ou, sans aller jusque là, qui ont laissé le témoignage d’une mort édifiante50. En la matière, ces Vitae fratrum fournissent donc un témoignage qu’il faut situer du point de vue de la représentation et des jugements de valeur : Géraud de Frachet d’abord, Humbert de Romans ensuite, ont essentiellement retenu, des récits qu’ils ont collectés, ce qui leur semblait le meilleur pour réussir sa mort. Or, Jacques Paul a déjà eu l’occasion de le montrer51, on est frappé, à la lecture de ces courtes scènes, par la relative pauvreté des voies qui conduisent les frères à la sainte mort, ou au moins par l’unicité et l’ancienneté des modèles. Alors qu’on s’attend à voir la pauvreté, la mendicité et la prédication aux premiers rangs des actes qui font d’un frère prêcheur un modèle, force est de constater que ces éléments sont généralement absents, et dans les cas rares où ils sont cités, les exposer n’a aucune incidence sur la suite du récit et surtout sur la nature de la réputation de sainteté des

  Sur cette mort des frères voir B. Montagnes, « Comment meurent les Prêcheurs méridionaux d’après les Vitae fratrum », La mort et l’au-delà en France méridionale (xiie-xv e siècle), CF, t. 33, 1998, p. 41-64. 51   J. Paul, « L’évangélisme des ordres mendiants en France méridionale », Évangile et évangélisme (xiie-xiiie siècle), CF, t. 34, 1999, p. 261-289. 50

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frères52. La plupart des frères dont les histoires sont assemblées dans les Vitae fratrum sont d’ailleurs décrits comme des contemplatifs, qui doivent leur bonne mort au respect de la vie régulière. La manière dont les frères s’apprêtent aux derniers moments – avec une insistance particulière sur la confession –, mais aussi le récit de leurs visions et leurs prodiges à l’instant précis de leur mort, ne va pas sans faire penser aux récits assemblés dans le Grand Exorde de Cîteaux et qui mettent en scène les moines d’une manière tout à fait analogue. On chercherait en vain, dans les Vitae fratrum, la glorification du mode de vie typiquement mendiant53. Ainsi, la réécriture des Vies des saints fondateurs tend à en faire des condensés de tous les types de sainteté. Ce souci de généralisation, ou d’englobement entraîne une forme de dépersonnalisation des grandes figures de l’ordre, laquelle se retrouve aussi dans les Vitae fratrum de Géraud de Frachet : l’ordre est globalement saint, sans qu’il y ait une spécificité dominicaine de la sainteté. Au fond, ce qui garantit le mieux l’appartenance à l’ordre, ce ne sont pas tant des données hagiographiques que des éléments historiques : c’est d’abord le fait qu’ils ont appartenu à l’ordre, qui fait d’eux des saints dominicains, et non les contours de leur sainteté, laquelle serait la transposition de la mission des prêcheurs. D’autre part, l’amplification du sanctoral telle que la maîtrise l’activité capitulaire s’accompagne d’une lecture universalisante des Vies des saints retenus : contextes politiques et contingences diverses sont gommées du récit de leur Vie, tandis que l’extension du sanctoral, sans être un argument missionnaire, coïncide grosso modo avec celle des provinces de l’ordre. De ce fait, le sanctoral joue un rôle englobant puisqu’il a la capacité d’universaliser les cultes périphériques. Dans ce processus, le rôle des chapitres est essentiel. Ce sont eux qui décident l’uniformisation liturgique et la confient à Humbert de Romans. B– L a réforme liturgique du milieu du xiiie siècle Les admonitiones adoptées dans le cadre des chapitres pour impulser un culte sont complétées par une vaste entreprise de réforme et d’uniformisation de la liturgie.   C’est le cas par exemple du récit consacré au frère Dominique de Valerica, pour lequel le texte précise qu’il était pauvre car il est mort à l’hospice, institution dont le couvent de Bazas, d’où il était originaire, était dépourvu (voir J. Paul, art. cité, p. 272-273). 53   La réflexion ne concerne pas seulement les dominicains puisque Jacques Paul aboutit à la même conclusion après l’analyse de la Chronique des XXIV maîtres généraux, ouvrage composé au xiv e siècle, en milieu franciscain (voir J. Paul, art. cité, p. 275-287). 52

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1– En finir avec la varietas À l’origine de l’ordre des frères prêcheurs, était la diversité des rites. C’est ce dont témoigne sans ambiguïté Humbert de Romans lorsqu’il écrit : « Il faut savoir qu’au commencement de l’ordre, il y eut beaucoup de variété dans l’office si bien qu’afin d’avoir partout l’uniformité, on compila un office »54. La multa varietas commence avec la dispersion des frères en août 1217 : en quittant Toulouse pour le monde, chaque petit groupe de frères emporta sans doute un exemplaire de la Règle et des premières coutumes, mais du point de vue liturgique, l’ordre n’avait alors ni missel, ni bréviaire, ni livre de chœur. La question du rite liturgique primitif de l’ordre dominicain est encore, on l’a vu, un sujet de questions. Malgré les doutes, et les problèmes laissés sans solution du fait d’une documentation trop éparse, les sources témoignent d’efforts particuliers entrepris entre 1244 et 1249 pour parvenir à une uniformisation, lorsque le chapitre commande à quatre frères la révision des livres liturgiques. On ne peut dire cependant dans quelle mesure ils ont, d’une part, remédié à la diversité liturgique née de la dispersion des frères en 1217, et d’autre part, ce qu’il restait à achever après leur intervention : en effet, le chapitre général n’approuve pas leur travail en totalité et laisse la liturgie en l’état, ajoutant en quelques sortes à la varietas, jusqu’à ce que, dix ans plus tard, Humbert de Romans reprenne l’ouvrage. C’est le chapitre réuni à Buda en 1254 qui confie cette tâche au cinquième maître de l’ordre55. Sèche et strictement informative dans son ton, cette décision importante ne fait l’objet d’aucune justification. Malgré tout, celles-ci se trouvent facilement. C’est d’abord le mode de vie des frères, qui les conduisait à circuler fréquemment, dans le cadre du réseau conventuel pour leurs premières années d’études, entre les provinces pour ce qui relève de l’enseignement universitaire ou des affaires propres à l’administration de l’ordre, mais encore dans le maillage paroissial pour la pastorale. Même si les sources ne l’évoquent pas, ou en tout cas jamais si directement, il n’est pas difficile de penser que cette vie passée en grande partie hors du couvent pouvait comporter un risque d’émiettement du sentiment d’appartenance des frères. Bien sûr, cela n’est certainement pas de nature à fragiliser ce qui est au cœur de la vocation mendiante. Pour autant, les autorités de l’ordre ont certainement perçu le risque d’une forme de dilution des éléments de reconnaissance, et ce d’autant que, dans le cas des dominicains, le fondateur ne bénéficie pas de l’aura à la fois incontestée et immédiatement indentifiable dont   Sciendum quod ab initio Ordinis fuit multa varietas in officio, et ideo compilatum fuit unum officium propter uniformitatem habendam ubique, H.  de Romans, Opera de Vita reguli, éd. Berthier, t. II, p. 149. 55   R eichert, ouv. cité, I, p. 68. 54

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a pu jouir saint François par exemple. Et c’est là l’intérêt majeur de l’uniformisation des rites : elle octroie un supplément d’identité. En fustigeant la varietas des premiers temps, Humbert de Romans avoue ne pas travailler à autre chose. Achevée, la correction d’Humbert de Romans ne comprend pas moins de quatorze livres de référence56, rassemblés en un volume, appelé « Prototype »57. Parmi ceux-ci, un est essentiel par sa teneur hagiographique et l’influence qu’il put avoir sur la composition des légendiers : le lectionnaire de l’office. Ce livre est utilisé pour l’office des matines qui, chez les dominicains, sont célébrées entre minuit et trois heures du matin, selon les saisons et les dispositions du prieur. Fondée sur le calendrier, la compilation d’un nouveau lectionnaire suppose la sélection de lectures et, en amont encore, l’appropriation de textes scripturaires ou hagiographiques. Longtemps négligées, celles-ci ont fait l’objet de travaux remarquables58. Quel est l’aspect de ce livre après qu’Humbert de Romans lui ait conféré les caractéristiques adaptées à un ordre en quête d’unité ? 2– Universalité, autorité, abrégé : le nouveau triptyque dominicain a– Clôture du sanctoral Le sanctoral n’est évidemment pas propre au lectionnaire : il est identique dans le calendrier ou le bréviaire par exemple. Celui que retient Humbert de   Le manuscrit comprend un ordinaire, un martyrologe, un collectaire, un processionnal, un psautier, un bréviaire, un lectionnaire de l’office, un antiphonaire, un graduel, un pulpitaire, un missel, un épistolier, un évangéliaire et un missel des autels mineurs. Sur cette liste, voir J.-D. Balet, « La liturgie dominicaine au xiiie siècle », Lector et compilator. Vincent de Beauvais, frère prêcheur, un intellectuel et son milieu au xiiie siècle, Créaphis, Nancy-Montréal, 1997, p. 334-336, et surtout à P.-M. Gy, « Documentation concernant le ms Santa Sabina XIV L 1 », Aux origines de la liturgie dominicaine. Le manuscrit Santa Sabina XIV L 1, sous la dir. de L. Boyle et P.-M. Gy, collection de l’École française de Rome, t. 327, CNRS Éditions, Paris, 2004, p. 5-13, qui donne une description de chacun de ces livres. 57   Léonard Boyle a montré que c’est à tort que le terme continue d’être appliqué au témoin manuscrit jadis conservé au couvent Saint-Jacques de Paris et actuellement à Sainte-Sabine : par le recours aux actes des chapitres et à une étude codicologique soignée, il montre que ce manuscrit (ms Santa Sabina XIV L 1) n’a pu être le manuscrit primitif des corrections d’Humbert, et qu’il fut sans doute copié vers 1256-1259. Autrement dit, il n’est pas le document originel, comme le suppose la notion de prototype. Sa forme, particulièrement soignée, ses enluminures, son format, montre qu’il ne s’agit pas d’un « livre-source » sur lequel ont été copié les autres livres liturgiques en usage dans les couvents, mais d’un manuscrit conservé avec révérence, auquel on a fait jouer un rôle mémoriel parce qu’il touche à l’identité de l’ordre. Voir L.-E. Boyle, « A material consideration of Sancta Sabina ms XIV L 1 », Aux origines de la liturgie dominicaine. Le manuscrit Santa Sabina XIV L 1, ouv. cité, p. 19-42. 58   A.-É. Urfels-C apot, « Le sanctoral du lectionnaire de l’office », Aux origines de la liturgie dominicaine. Le manuscrit Santa Sabina XIV L 1, ouv. cité, p. 319-353 et Le sanctoral de l’office dominicain (1254-1256), Mémoires et documents de l’École des chartes, 84, éd. École des chartes, Paris, 2007. 56

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Romans dans le cadre de la révision des livres liturgiques montre que deux axes ont été privilégiés : le petit nombre de saints et leur inscription dans l’Église universelle. Avec moins de 80 saints, c’est un calendrier resserré. Tous sont de grands saints, à la Vie et aux cultes depuis longtemps assimilés à l’idée d’Église59. On trouve au premier chef les apôtres, les saints associés aux temps apostoliques, comme les saints Innocents ou Marie-Madeleine, les docteurs de l’Église (saint Augustin, saint Jérôme, saint Grégoire, saint Ambroise), les figures de proue des principaux ordres religieux (saint Benoît, saint Bernard, saint François et saint Dominique) puis les principaux martyrs (saint Sébastien, saint Laurent, sainte Clément, sainte Catherine, saint Denis) ainsi que, dans une moindre mesure, les figures remarquables d’évêques (saint Nicolas, saint Martin). La volonté de mettre en avant cette sainteté universelle est renforcée par la solennité de leur fête. Non pas qu’il soit étonnant que les apôtres soient célébrés avec la plus haute solennité prévue par le rite liturgique, mais en l’espèce, Humbert de Romans s’affaire à marquer les écarts entre les types de sainteté. Alors que, pour les fêtes des saints, l’usage dominicain prévoit de répartir les lectures hagiographiques et patristiques en trois, six ou neufs leçons60, on se rend compte que dans les faits, Humbert distribue la quasi-totalité de son corpus en neufs ou trois leçons (n’utilisant les six leçons qu’à deux reprises, dans le cadre des octaves). Il discrimine ainsi plus fortement les figures des saints. Les fêtes à trois lectures sont consacrées à des saints qui, dans les faits, ou dans les représentations, secondent les fondateurs (c’est par exemple saint Maur, disciple de saint Benoît, saint Pierre de Vérone, second parangon de la sainteté dominicaine après Dominique), mais encore des martyrs (saint Georges, saint Vital, saint Urbain, sainte Euphémie, etc). Même s’ils sont dans l’ensemble peu représentés, c’est encore là que l’on trouve quelques évêques et prêtres, comme saint Germain, saint Marc ou saint Félix. Humbert de Romans utilise encore un autre procédé pour distinguer les saints des premiers temps : il rédige pour eux une homélie propre. Il s’agit de saint André (fête et vigile), saint Thomas apôtre, saint Étienne, saint Jean l’évangéliste, les saints Innocents, saint Jean devant la Porte latine, saint Jean-Baptiste (fête et vigile), saint Pierre et saint Paul (fête, vigile et octave), sainte Marie Madeleine, saint Jacques, saint Dominique, et saint Matthieu (fête et vigile). Ce choix est appliqué également à toutes les fêtes de la Vierge. Autrement dit, à l’exception de saint Dominique, tous sont des saints des temps apostoliques. Par ailleurs, Humbert ne prévoit pas de commun des saints, mais uniquement des lectures propres,   Le contenu du sanctoral du lectionnaire de l’office est donné à l’annexe 3.   Les preuves sont citées par A. Dirks, « De evolutione liturgiae dominicanae », AFP, t. 53, 1983, p. 75.

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y compris pour des saints de moindre importance. C’est un corollaire intéressant du resserrement du sanctoral : finalement, il y a peu de saints, mais tous sont spécialement documentés. En outre, cette absence du commun des saints renforce encore des liens, déjà structurellement forts, entre lectionnaire et légendier. Au bout du compte, tout se passe comme si Humbert de Romans avait travaillé afin de ne conserver que les points communs des calendriers en circulation à son époque. C’était sans doute la mise en œuvre la plus efficace pour rompre définitivement avec l’usage des premiers frères, qui s’étaient conformés à des usages locaux. C’était aussi l’élément le plus révélateur de la mission de l’ordre et de sa volonté d’être assimilé à l’Église toute entière. b– Choix et critique des sources chez Humbert de Romans Un des intérêts majeurs du lectionnaire d’Humbert de Romans est que les fêtes sont précédées d’informations détaillées permettant de comprendre quelles directions il a voulues suivre et, éventuellement, quels regards il a portés sur la tradition textuelle. Dans cette optique, deux éléments principaux sont à exploiter avec profit : d’abord, quasiment toutes les fêtes sont précédées de la mention des sources utilisées ; surtout, une quarantaine d’entre elles sont précédées d’un commentaire liminaire au contenu varié, justifiant, selon les cas, le choix d’un auteur ou d’un texte contre un autre, et ce, sous une écriture qui peut être purement informative ou discrètement polémique. Ces aparté ont des contenus très variés, allant de compléments à l’inventaire des sources61, au problème d’attribution des œuvres utilisées62, ou encore à des mises au point d’histoire liturgique63. D’un point de vue quantitatif, c’est d’abord aux problèmes d’attribution des œuvres que ces notices liminaires sont dévolues. Ceci dit, celles qui expriment des soupçons sur le contenu des légendes et tentent de rétablir la véracité des faits rapportés sont parmi les plus riches et les plus intéressantes. Ainsi, avant d’aborder les lectures de la Passion de sainte Marguerite, Humbert de Romans expose toutes ses réticences : s’il prend acte

61   C’est le cas par exemple pour la fête de saint Martin : Humbert de Romans mentionne les œuvres qu’il a utilisées pour le lectionnaire, mais indique aussi toutes celles qu’il n’a pas retenues (les lettres de Sulpice Sévère à Eusèbe et Aurélien, un sermon d’Alcuin…) : voir A.-É. Urfels-C apot, art. cité, p. 334. 62   Humbert rejette par exemple l’attribution à saint Augustin du sermon sur l’Assomption d’Ambroise Autpert et produit ses arguments (A.-É. Urfels-C apot, art. cité, p. 335). 63   Par exemple Humbert explique son choix de créer une seconde fête en l’honneur de sainte Agnès, célébration qui reste rare même si elle est présente dans certains sacramentaires. Il s’agit de commémorer l’apparition d’Agnès huit jours après sa mort. La raison pour laquelle cette célébration s’est perdue est le fait que la durée qui sépare la mort de la sainte de son apparition a permis que l’on confonde la seconde fête avec un simple octave. Humbert de Romans ne soutient pas une telle interprétation et justifie sa position en appendice de sa notice « Agnès seconde », voir A.-É. Urfels-C apot, ouv. cité, p. 195.

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de l’engouement que connaît le culte de la sainte, il déplore qu’aient circulé à son sujet, depuis le texte du Pseudo Théotinus, de très nombreuses versions. Humbert annonce alors sa volonté d’expurger certains détails qu’il considère invraisemblables64, et s’attaque à la réécriture de l’épisode du dragon : Humbert s’en tient à la vision d’un dragon, heureusement dissipée par le signe de croix effectué par Marguerite. De ce fait, il évacue les dires de ceux qui font du dragon une bête réelle, qui aurait avalé la sainte miraculeusement réchappée de l’épreuve par le port de la croix. D’une manière analogue, il met en garde le lecteur, au début des leçons consacrées à saint Georges, sur une quantité de renseignements contradictoires qui poussent à ne lire qu’avec prudence les actes de ce martyr. Comme sa note introductive évoque un certain nombre de doutes au sujet de la date et du lieu de sa Passion, il évite soigneusement toute référence chronologique65. En même temps qu’il fournissait à ses frères un office homogène et uniformisé, Humbert de Romans a donc souhaité produire des textes fiables, c’est-à-dire dépouillés des traditions les plus incertaines. Toutes les leçons du lectionnaire sont placées en regard des sources qui ont permis leur compilation, et ont valeur de garantie. Autant que faire se peut, Humbert débusque les apocryphes, les versions contradictoires et peu dignes de foi. Au bout du compte, le lectionnaire qui sera l’unique référence de l’ordre, se trouve totalement fondé sur des textes référencés, toujours utilisés pour l’écriture d’une Vie propre, si bien qu’ainsi adossé à des Autorités, il en devient une lui-même. c– Savoir expurger : le respect de l’Autorité et la codification des techniques d’abrègement La critique des sources est pourvue d’un corollaire important : l’abréviation des sources. Celle-ci est d’abord un but en soi, puisqu’il est nécessaire d’adapter le texte hagiographique aux contraintes de l’usage liturgique. Mais c’est aussi un instrument mis au service de la vérité puisqu’elle permet les coupures rendues nécessaires par le travail spécifique de critique des sources. Alors que les hagiographes ont déjà produit un certain nombre de légendiers abrégés, Humbert de Romans travaille indépendamment de ces abbreviationes réalisées dans la première moitié du xiiie siècle par les frères de son ordre. Anne Élisabeth Urfels a montré qu’il ne s’appuyait pas sur les réécritures de Jean de Mailly ou de Barthélemy de Trente, mais qu’il repartait des sources longues, à partir desquelles il produit un résumé, indépendant du travail de ces prédé-

  A.-É. Urfels-C apot, p. 275.   A.-É. Urfels-C apot, art. cité, p. 338-342.

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cesseurs66. Pour cela, il établit une typologie des modes de réduction de ses sources, qu’il expose en détail dans le prologue du lectionnaire : « Il faut savoir que, dans le cas des légendes, des sermons et des homélies, parfois certaines parties des textes ont été coupées et d’autres maintenues à l’identique, ce qui est signalé par le signe .+., inscrit au début des leçons. Parfois aussi, quoique rarement, les histoires sont abrégées avec d’autres mots, ce qui est signalé par le signe .T., inscrit au début. Que les copistes prennent garde à ne pas oublier les signes de ce genre. Parfois, tout est conservé sans coupure ou changement de mots notable ; dans ce cas, aucun signe n’est indiqué au début du texte »67. Cet exposé précis montre non seulement qu’Humbert de Romans a réfléchi aux différents modes d’appropriation des textes de base, puisqu’il les codifie, mais encore qu’il fait le choix d’associer précisément chacun d’eux à un type précis de sources. L’abrègement par sélection est plus spécialement appliqué aux sources hagiographiques et homilétiques, tandis que les textes historiques sont de préférence reformulés. Avec beaucoup de soin, Anne-Élisabeth Urfels a mis cette typologie à l’épreuve des faits. Il n’y a pas lieu de reprendre ici la totalité de ses conclusions, mais plutôt de mettre en valeur les éléments de nature à influencer l’écriture hagiographique de la seconde partie du xiiie siècle et du xive siècle. L’essentiel est que la conservation d’un texte à l’identique passe d’abord par le maintien de son lexique, bien avant celui de sa syntaxe68. Le rapprochement entre nature des sources et procédés de réécriture implique une réflexion sur l’apport singulier de chacune d’elle. Par ailleurs, plus la source s’impose comme une référence, plus son adaptation dans les leçons du lectionnaire est respectueuse de son économie d’ensemble et de son lexique. Aussi, le travail sur le fond, comme celui sur la forme, met en exergue le principe d’Autorité. Le plus remarquable enfin, est que le maître de l’ordre exprime, puis met en œuvre, un système de réécriture ternaire, tout à fait conscient. Sa codification est juxtaposée au référencement des sources, ce qui expose l’ensemble du lectionnaire à des vérifications faciles à conduire. Il y a une part de

  A.-É. Urfels-C apot, art. cité, p. 322.   Et sciendum quod in legendis et sermonibus et omeliis interdum decisa sunt aliqua, retentis aliis sub eisdem verbis ; quod designatur per signum .+. positum a principio. Interdum autem, licet raro, abreviata est aliqua hystoria sub aliis verbis ; quod designatur per signum .T. positum a principio. Caveant autem scriptores ne hujusmodi signa omittant. Interdum autem ponuntur omnia sine decisione vel mutatione notabili verborum ; et tunc non ponitur aliquod signum ab inicio, éd. Urfels-C apot, p. 137. Le passage a été relevé et commenté par Monique Goullet dans son essai sur les réécritures hagiographiques (M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques. ouv. cité, p. 118). Elle fait notamment remarquer que le système ternaire défini par Humbert de Romans correspond à peu de choses près aux principales techniques utilisées par les hagiographes pour réduire un texte. 68   A.-É. Urfels-C apot, art. cité, p. 331-332. 66 67

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démonstration dans le travail d’Humbert de Romans, qui séduit par son ambition méthodologique, en même temps qu’elle laisse entrevoir de quelle manière le lectionnaire a pu être considéré comme un système total de référence : au bout du compte tout est balisé, que ce soit le nombre des saints, leurs noms, leur importance respective, les sources des textes à lire au moment de leur office, mais encore la meilleure manière de les adapter pour se garder des traditions douteuses. Une entreprise si remarquable était bien de nature à modifier durablement le regard porté par les dominicains sur certaines légendes. Derrière la cohérence liturgique, c’est aussi l’encadrement des lectures hagiographiques qui est en jeu. Aussi, on aimerait savoir comment fut diffusée une telle réforme. Il serait aussi profitable de préciser la chronologie de sa réception, voire de proposer des différences régionales dans sa mise en œuvre, et de comprendre le degré réel de cette unification : jusqu’à quel point peut-on parler de liturgie unique et supra régionale ? N’a-t-on pas eu, de-ci, de-là, la tentation de conserver quelques attaches locales dans les célébrations, dont on comprend qu’elles garantissent une meilleure intégration urbaine et constituent une force de persuasion à l’égard des fidèles ? C– L a normalisation liturgique en marche Pour envisager cette question, la documentation est essentiellement normative : il revient naturellement aux chapitres généraux de prendre les décisions nécessaires à la bonne diffusion de la réforme. Après avoir accepté les livres de l’office corrigés par Humbert de Romans, ils imposent leur adoption à tous les couvents de l’ordre. Les informations que livrent ces documents sont essentiellement comminatoires, mais ce faisant, ils fournissent des points de départ, c’est-à-dire le moment à partir duquel l’application de la réforme est exigée. Ils peuvent, au mieux, témoigner de la lenteur de cette diffusion, si d’aventure la mise en conformité est rappelée avec insistance. Il ne faut rien attendre de plus. Le recours aux chapitres provinciaux peut permettre d’affiner cette chronologie, et aussi de juger la réactivité des provinces de l’ordre. En revanche, pour ce qui est de la réception réelle, comme pour juger du degré de conformité à l’archétype, les actes des chapitres, qu’ils soient généraux ou régionaux, n’apprennent rien. Il faut recourir à d’autres documents. L’idéal serait bien sûr de comparer le manuscrit du « Prototype » avec les livres liturgiques postérieurs qui ont été conservés. C’est un travail de longue haleine, qui devra commencer par un inventaire de ces textes. Dans l’immédiat, la consultation des calendriers liturgiques et d’un exemplaire du lectionnaire

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compilé après 1260 permet de préciser quelques jalons. À notre connaissance, les premiers n’ont jamais été recensés et utilisés à cette fin. Quant au second, il est reste peu de témoins, ce qui est une gêne considérable pour comprendre la réforme. 1– Du chapitre au couvent : la réception d’une réforme L’unification liturgique, par sa nature et son importance, est une décision qui relève du chapitre général de l’ordre. Dans un ordre aussi centralisé que celui des prêcheurs, il est imaginable que cette réforme ait été rapidement répercutée à tous les degrés de la hiérarchie interne à l’ordre (provinces, couvents). Les décisions prises par les chapitres généraux dominicains pour entériner la réforme d’une part et la diffuser de l’autre sont connues, tout comme l’est aussi leur chronologie ramassée. Il semble bon cependant de rappeler la teneur de cette documentation, avant de la nourrir des informations que livrent d’autres sources sur la diffusion de cette réforme, qui a pu avoir des répercussions sur l’écriture hagiographique. a– Terminus post quem : le rôle des chapitres Chez les prêcheurs, les décisions qui engagent la destinée de l’ordre n’ont force de loi qu’après avoir été approuvées par trois chapitres successifs. L’adoption de l’unification liturgique répond à ce fonctionnement : à la Pentecôte 1254, le chapitre général réuni à Buda engage officiellement la révision et la confie à Humbert de Romans. L’approbation est répétée en 1255 dans les mêmes termes, et la réforme devient officielle en 125669. Est-elle pour autant achevée ? Les actes des chapitres généraux laissent en effet penser que trois années ont suffi à Humbert de Romans pour achever la révision des quatorze livres du « Prototype ». Or, l’examen de chacun d’eux a permis à ceux qui s’y sont livrés de montrer que certaines révisions ne sont achevées qu’après cette date. Ainsi, se trouvent à la fin du martyrologe des dispositions dont les plus tardives datent du chapitre de 1259. Par ailleurs, la fête de saint Pierre de Vérone, instituée en 1254, n’est pas intégrée au texte de tous les livres du « Prototype » : dans les litanies des saints, Pierre Martyr est inscrit à la place qui lui revient dans le graduale (fol. 339v° du manuscrit Santa Sabina XIV L 1), le missale minorum altarium (fol. 473v°) et le lectionnaire (fol. 197v°), mais ajouté en marge dans le pulpitarium (383v°) le missale conventuale (fol. 402) et   R eichert, Acta capitulorum generalium, ouv. cité, vol. 1 (1220-1303), Rome, 1898, p. 68 pour le chapitre de Buda, p. 73 pour celui de Milan et p. 78 pour celui de Paris. Le chapitre de Buda (1254) consigne l’inchoation, celui de Milan (1255), l’approbation, et enfin, celui de Paris (1256), la confirmation.

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le bréviaire portatif (fol. 123v°)70. Au bout du compte, il apparaît que les quatorze livres qui composent le « Prototype » n’ont pas tous été rédigés entre 1254 et 1256, et qu’ils n’ont pas été non plus rédigés dans l’ordre où ils sont finalement agencés. Dans l’ensemble, la correction de tous les livres liturgiques a duré au moins jusqu’en 1259. Globalement, associée à la lecture des actes des chapitres généraux, l’analyse des livres qui composent le « Prototype » indique que la réforme, débutée en 1254 s’est étendue au moins jusqu’à la fin de la décennie 1250. Anticipant la fin des mises en ordre que supervise Humbert de Romans, le chapitre de 1256 prend les mesures qui garantissent une extension rapide de la réforme : le prieur du couvent de Paris est chargé de recevoir l’argent destiné à l’achat des exemplaria communia, financé de manières diverses71. Ainsi, on a tiré du manuscrit de référence (l’exemplar) plusieurs exemplaria communia. Chaque province a dû verser vingt livres tournois pour leur exécution, ce qui laisse penser qu’elle a été confiée à des professionnels salariés72. Ces exemplaria communia doivent permettre d’assurer la mise à jour des livres existants. Celle-ci repose sur une politique d’ajouts et de corrections plutôt que sur la copie intégrale de nouveaux livres, qui aurait grandement accru non seulement le coût financier mais aussi la longueur de l’entreprise. Dès 1257, le chapitre général, réuni à Florence, impose les exemplaria de Paris comme seule référence et prescrit de veiller à la conformité des corrections73. L’année suivante, à Toulouse, le chapitre demande encore aux prieurs de s’assurer constamment que les livres corrigés sont conformes aux premiers exemplaria74. Ceci est encore rappelé à Valenciennes en 125975. Le « Prototype » fait donc figure de modèle officiel des livres liturgiques dominicains. Le mot d’exemplar, qu’emploient plusieurs actes des chapitres, traduit bien cette volonté de reproduction à l’identique. Les livres corrigés par Humbert de Romans étaient voués à faire foi pour tout l’ordre. Sur son modèle, des exemplaria durent, si l’on en croit les décisions normatives des chapitres, être confectionnés dans chaque province pour servir à leur tour d’étalon. L’ordre organisa donc très tôt une manière de diffuser rapidement la réforme, à la fois efficace et qui ne laisse place à aucune latitude individuelle76. Ensuite,   A.-É. Urfels-C apot, ouv. cité, p. 60.   Les conditions exactes du financement sont prévues par le chapitre : voir éd. R eichert, ouv. cité, vol. 1, p. 82. 72   C’est l’interprétation que propose A.-É. Urfels-C apot, ouv. cité, p. 738-740. 73   R eichert, ouv. cité, I, p. 88. 74   R eichert, ouv. cité, I, p. 92. 75   R eichert, ouv. cité, I, p. 98-99. 76   Ce souci d’uniformité dans l’impeccabilité n’est pas nouveau chez les prêcheurs : hors du cadre strictement liturgique, le chapitre général réuni à Paris en 1236 (éd. R eichert, I, ouv. 70

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il est employé au pluriel et paraît plutôt désigner les copies qui ont été faites pour permettre la diffusion de la réforme menée par Humbert de Romans. Combien de temps a-t-il fallu aux frères pour achever la mise en conformité de leur liturgie ? En 1265, le chapitre général de Montpellier demande encore que les prieurs s’appliquent à avoir les livres de l’office ecclésiastique dûment corrigés77, signe que quelques dix ans après le début des travaux d’Humbert de Romans, l’uniformisation n’était pas achevée puisqu’il fallait encore relancer le processus au niveau de l’ordre entier. Cette perception des choses se trouve confirmée par le fait qu’Humbert de Romans écrit entre 1257 et 1267 les Instructiones de officiis Ordinis, dans lesquelles le processus de diffusion doit aboutir au niveau conventuel. Dans cette vaste campagne de correction, il est probable que les chapitres provinciaux ont dû prendre le relais des chapitres généraux et rappeler aux prieurs l’urgence et les modalités de cette mise en conformité. En tout cas, il ne semble pas inutile d’affiner le portrait que livrent les chapitres généraux de la diffusion de la réforme par le témoignage des chapitres provinciaux. Comme les chapitres généraux, les chapitres provinciaux de l’ordre des prêcheurs ont été édités. Disons d’emblée qu’ils sont de qualité inégale : celleci est tributaire des différents scribes, dont la prise de notes est plus ou moins scrupuleuse78. De plus, la documentation conservée souffre, selon les provinces, de plus ou moins grandes lacunes. Par exemple, pour tout le xiiie siècle, la collection des actes des chapitres de la province d’Espagne ne fournit que les procès verbaux de onze chapitres79 : aucun d’entre eux n’évoque la correction des livres liturgiques. Globalement, même si les informations que délivrent ces chapitres provinciaux sont minces, elles peuvent être prises en considération : situées en position de relais des instances dirigeantes, elles témoignent d’éventuelles lenteurs. En matière de diffusion de la réforme et de correction des livres liturgiques, les actes des chapitres provinciaux n’innovent pas, mais le simple fait de répéter les demandes des chapitres généraux laisse

cité, p. 9) rend obligatoire le correctoire de la Bible composé par Hugues de Saint-Cher. Sur ce dominicain, voir Hugues de Saint-Cher († 1263), bibliste et théologien, études réunies par L.-J. Bataillon, G. Dahan et P.-M. Gy, Brepols, Turnhout, 2004. 77   R eichert, ouv. cité, I, p. 130. 78   La seule édition de C. Douais (Acta capitulorium provincialum ordinis fratrum Praedicatorum, Première province de Provence, province romaine, province d’Espagne, Toulouse, 1894) montre que les auteurs de la mise en forme des chapitres de la province romaine ont été plus ou moins scrupuleux. Ainsi, les détails sont moins nombreux et les listes de noms moins complètes dès que Bernard Gui cesse de collecter les actes des chapitres de la première province de Provence. 79   Il s’agit des chapitres tenus en 1241-1244, 1249, 1250, 1256, 1257, 1275, 1281 et 1299 (C. Douais, ouv. cité, p. 605-655).

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entrevoir le point auquel en était arrivée la réforme à ce moment-là. Le chapitre provincial, bien que peu disert sur des questions qui concernent d’abord l’ordre entier, se situe surtout plus du côté de la réception de la réforme que de sa diffusion. Que nous apprend-il ? La première mention concernant la correction des livres liturgiques est exprimée au chapitre de Viterbe (province romaine) en 1258 : à l’occasion d’une décision relative à la vente des livres, on apprend que des ouvrages ont été mis de côté en attendant que les nouveaux livres conformes à la correction du maître de l’ordre aient été réalisés80. La mise en conformité des documents liturgiques n’est donc pas, achevée à cette époque, ce qui est concordant avec les informations tirées des chapitres généraux et de l’histoire du « Prototype ». La mesure anticipe de quelques années l’établissement d’un exemplar complet puisqu’à cette date tous les livres n’ont pas été révisés. Une injonction similaire ne se retrouve pas dans les actes des chapitres des autres provinces dominicaines. En revanche, le chapitre provincial qui se tient à Périgueux (première province de Provence) le 26 août 1268, complète la mention des messes à dire en mémoire d’Étienne Racaud, frère défunt du couvent de Limoges, par la précision qu’il a corrigé les livres de l’office de toute la province81. Cette tâche était-elle à ce point remarquable qu’il faille l’indiquer dans la mention de l’obit ? Sans aller jusque-là82, c’est le signe qu’avant même la fin de la décennie 1260, la province de Provence avait fait ce que commandaient les chapitres généraux pour se doter des livres liturgiques conformes aux choix effectués au milieu du siècle. Or, il est possible que les dispositions prises dans la première province de Provence aient été relativement précoces. Trois ans avant la mort du frère Étienne Racaud, le chapitre de la province romaine, réuni à Viterbe, décide de confier à trois étudiants allant à Paris la somme de vingt livres tournois, et prend les mesures pour les provisionner. Cet argent doit servir à   C. Douais, ouv. cité, p. 511.   Lemovicis, frater Stephanus Racaldi, corrector librorum ecclesiastici officii in tota provincia ; et redddant ei conventus debitum suffragiorum, éd. Douais, ouv. cité, p. 136. 82   La généralisation en effet serait imprudente dans la mesure où cette mention est unique en son genre. La province romaine, qui dut avoir aussi son correcteur des livres liturgiques, n’a pas jugé utile de saluer spécialement la mémoire de cette responsabilité. Quant aux actes de la province d’Espagne, ils sont trop lacunaires pour permettre la même comparaison. Il se peut aussi qu’ailleurs, celui qui a été chargé de ces corrections soit mort plus tardivement, à un moment où, cette réforme bien installée, on avait oublié les noms des correcteurs. En l’état, que conclure de l’honneur rendu à Étienne Racaud par la province de Toulouse ? Zèle du scribe qui recueille les actes des chapitres de la première province de Provence, ou singularité de la province romaine dans la mise en œuvre de la réforme ? Si la seconde partie de cette alternative relève de la surinterprétation, la première en revanche recoupe les constats faits par ceux qui ont exploité les actes des chapitres provinciaux dominicains (voir par exemple le jugement que porte Jacques Paul sur ces sources dans « Les frères Prêcheurs de la province de Provence », L’ordre des Prêcheurs et son histoire en France méridionale, CF, t.  36, 2001, p. 19-59). 80 81

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confectionner des « livres utiles ». Le paragraphe, d’ailleurs très bref, n’évoque pas spécialement la correction des livres liturgiques, mais cite des Bibles, Missels, Décrétales et autres livres glosés83. Néanmoins, le mode opératoire, en tous points identique aux dispositions prises pour la diffusion de la liturgie uniforme, pique la curiosité : ne serait-ce pas aussi à ce moment-là que la province romaine engage sa grande campagne de correction ? L’élément est ténu84. Sa fragilité ne doit pas conduire à l’abandonner tout à fait car il peut laisser penser que pour ce qui concerne la diffusion de la réforme liturgique, la province romaine a été plus lente à appliquer les décisions des chapitres généraux. Or, ce constat rejoint les conclusions formulées par Jacques Paul, à partir des mêmes sources, au sujet des différences globalement perceptibles entre les provinces de Provence et de Rome au xiiie siècle85. La première paraît plus prompte à suivre les injonctions du chapitre général, mais aussi plus attachée au retrait du monde et souvent plus exigeante que la législation générale au sujet des études ; la seconde en revanche est plus attachée aux questions de doctrine et plus engagée dans les conflits de nature politique (la situation italienne s’y prête). La consultation des chapitres provinciaux montre donc que des différences sont perceptibles d’une région à l’autre, les indices concernant la diffusion de la réforme liturgique pourraient le confirmer, sans pour autant ébranler la cohésion et l’uniformité de l’ordre. Des actes des chapitres, on ne peut tirer plus que quelques indications sur le temps qu’il a fallu pour mettre en œuvre la réforme. Par définition, l’acte de gouvernement inaugure une évolution et pointe les lacunes. Excepté le cas atypique – inespéré – de l’obit du frère Étienne Racaud, on ne peut détecter précisément le moment où la correction des livres est achevée. Si l’on généralise à l’ordre la situation de la province de Provence – mais le cas italien montre qu’on ne le peut pas –, la réalisation de la réforme et sa diffusion complète auraient nécessité moins de quinze ans : sans préjuger de sa rapidité ou de sa lenteur, le mouvement s’est sans aucun doute appuyé sur un système de circulation des livres à l’efficacité éprouvée, celui-là même qui a fait défaut aux

  C. Douais, ouv. cité, p. 520.   Tout repose sur la somme collectée et sur la fonction du couvent parisien : ces deux éléments invitent à identifier cette fabrication de livres avec l’uniformisation liturgique, car pourquoi faire copier à Paris les Bibles, Sentences et autres Histoires, que n’importe quel scriptorium est en mesure de reproduire si ce n’est pour s’assurer de la conformité du missel, qui fait partie des quatorze livres du Prototype ? Bien sûr, le montant récolté et la destination de cet argent peuvent aussi être des coïncidences : rien ne s’oppose à cette analyse, mais en privilégiant cette interprétation, on devra réévaluer la portée du mode de diffusion de la réforme liturgique, jusqu’ici jugé exceptionnel (voir notamment l’appréciation d’A.-É. Urfels-C apot, ouv. cité, p. 738-740). 85   J. Paul, art. cité, p. 19-59. 83

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Prémontrés. Pour compléter cette approche, il reste à voir si les calendriers liturgiques sont en mesure d’affiner la chronologie de la période au cœur de laquelle l’uniformisation s’accomplit, et de donner une idée de son degré d’exemplarité. b– Les calendriers : une piste pour affiner le terminus ante quem ? Le calendrier répond aux besoins de toute communauté de coordonner ses activités86. En fixant la hiérarchie des fêtes, il guide l’organisation des célébrations et l’ordre des lectures, ce qui, d’une certaine manière, en fait un document de la pratique. Sa fonction impose qu’il entérine les décisions du chapitre en matière de sanctoral et de célébration. Sa nature permet d’imaginer que le processus de mise à jour est plus rapide et plus immédiat que pour tout autre document du « Prototype ». En effet, il est a priori plus facile d’actualiser un calendrier en grattant un nom pour en ajouter un autre que de réécrire les lectures de l’office par exemple. De ce fait, les calendriers apparaissent comme un utile complément des actes des chapitres pour ce qui concerne la réception de la réforme du sanctoral : ils permettent de repérer les campagnes de mise en conformité du sanctoral avec le « Prototype » d’abord, puis avec les interventions des chapitres qui ont suivi. Dans cette optique, il fallait réunir un corpus. La consultation des répertoires et inventaires87 permet de rassembler huit calendriers dominicains datables des xiiie et xiv e siècles88. C’est peu, et cette maigre récolte, en regard du nombre des documents liturgiques conservés, est une surprise. Il convient donc de préciser immédiatement que la représentativité de cette documentation est très imparfaite. Oubliée des hagiologues à cause de sa forme non narrative, les calendriers ne sont pas davantage utilisés par les liturgistes, qui y voient d’abord un instrument d’identification des manuscrits. Le hasard des conservations d’une part et la forme même des répertoires ou catalogues de l’autre n’ont guère permis des rapprochements. Pourtant, rien dans la nature de ces documents ne fait obstacle à une étude comparative (sans aller jusqu’à

  Sur cette fonction et ses formes multiples, voir Les calendriers. Leurs enjeux dans l’espace et dans le temps, colloque de Cerisy (1er-8 juillet 2000), éd. Somogy, Paris, 2002.   Il s’agit essentiellement des catalogues des manuscrits latins de la Bibliothèque nationale de France, de la Bibliothèque municipale de Toulouse (A. Molinier, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques des départements, t. VIII : « Toulouse et Nîmes », Paris, imprimerie nationale, 1885), des répertoires de Victor L eroquais ainsi que la publication en ligne, par l’IRHT, d’un logiciel d’aide à l’identification des calendriers liturgiques médiévaux (http ://calendriers.irht.cnrs.fr). 88   Il s’agit des calendriers contenus dans les ms lat. 163, 215, 1324, 8884 et 10489 de la Bibliothèque nationale de France ainsi que dans les ms 98, 103 et 105 de la Bibliothèque municipale de Toulouse. 86 87

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parler d’analyse en série), laquelle semble en mesure d’apporter quelque chose à l’histoire du sanctoral. Dans les catalogues de Bibliothèque, ces calendriers ne sont pas tous datés en fonction des fêtes qu’ils contiennent. Certains ne le sont que de manière relative, c’est-à-dire sur des critères paléographiques, quand on n’a pas tout simplement généralisé à toute la compilation la datation de la pièce principale (psautier, bréviaire ou autre missel), sans avoir la moindre certitude que le calendrier ait été originellement associé à l’ouvrage qu’il précède. Il est possible d’affiner la datation des calendriers en les comparant avec la chronologie des fêtes adoptées par les chapitres généraux de l’ordre : ceux-ci fournissent à la fois la date la plus haute au-delà de laquelle on ne peut remonter (pour le dernier saint ajouté) et la date la plus basse (pour la première fête manquante). Cette méthode, banale mais éprouvée, permet de préciser la datation des calendriers, de les classer les uns par rapport aux autres, et parfois de les dissocier du contenu de l’ouvrage. Le tableau ci-dessous, servira de support à l’exposé des résultats auxquels elle permet d’aboutir. De la comparaison des calendriers liturgiques avec les actes des chapitres généraux qui modifient le sanctoral ou la célébration de certaines fêtes de saints89, on peut déduire que les calendriers les plus anciens sont ceux qui se trouvent en tête des manuscrits latins 215, 163 et 8884. Dans ces trois cas, le scribe indique que la fête de saint Vincent sera célébrée avec une solennité semi-double : c’est la décision du chapitre général de Paris, qui a lieu en 1239. En revanche aucun des trois ne connait de prime abord le martyre de Pierre de Vérone, ce qui indique que ces calendriers sont composés entre 1239 et 1253, c’est-à-dire qu’ils sont antérieurs à la mise au point par Humbert de Romans du calendrier type. Leur mise à jour ne dépasse pas l’année 1253 pour le manuscrit latin 215 et l’année 1266 pour les calendriers des ms lat. 163 et 8884. Suivent deux calendriers copiés en tête de missels ayant appartenu au couvent des prêcheurs de Toulouse (ms 103 et 105). Leur contenu est en tout point conforme au « Prototype » et aux injonctions des chapitres jusqu’à l’année 1276. Ensuite, ils ne sont plus tenus à jour, ou très ponctuellement, comme le montre l’unique ajout de la fête de saint Thomas d’Aquin (7 mars) dans le calendrier du manuscrit 103. Entre 1332 et 1336, les dominicains de Toulouse rédigent un autre calendrier : il est actuellement en tête du manuscrit 98. Celui-ci prend acte de l’inscription au 13 mai de la fête de saint Servais, décidée par le chapitre général de 1332. Le copiste en revanche n’inscrit pas la fête de saint Martial, ajoutée au calendrier de l’ordre par le chapitre de 1336. Enfin,

  Pour une vision synthétique, on peut s’appuyer sur le tableau, à l’annexe 2.

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l’ajout d’une part de la translation des reliques de Thomas d’Aquin et le déplacement d’autre part de la fête de saint Procope du 4 au 7 juillet témoignent que les calendriers des manuscrits latins 1324 et 10489 sont postérieurs à 135790. C’est donc déductivement que s’obtiennent quelques précisions sur les périodes de composition des calendriers. Le recours aux actes des chapitres est le seul moyen d’avancer dans ce sens, en vue de faire de ces documents des témoins de la réception de la réforme. Mais, ironie du sort, le fait même de devoir recourir aux actes pour dater les calendriers frappe de nullité l’information que ceux-ci pourraient livrer sur la réception de la réforme. À partir du moment où ils sont corrélés aux décisions normatives, ils ne sont pas en mesure de préciser la rapidité ou la lenteur de leur réception. Ainsi, pour savoir dans quels délais les couvents « obtempèrent », il faudrait par exemple déterminer si le calendrier du manuscrit latin 215 modifie la solennité de la saint Vincent dès 1239 où s’il attend plusieurs années avant de se conformer au choix du chapitre. Cela, les documents considérés ne permettent pas de le dire. En revanche, ils permettent de mieux apprécier la qualité des corrections et le degré de mise en conformité des calendriers aux décisions du chapitre. 2– De l’exemplar aux livres quotidiens : l’esprit et la lettre de la réforme a– Les calendriers : rédaction à nouveaux frais et mises à jour Si les calendriers ne sont que des jalons imparfaits de la diffusion de la réforme, peut-être constituent-ils en revanche un matériau valable pour cerner son degré de réception. La comparaison de leur contenu avec celui du « Prototype » d’Humbert de Romans, augmenté, selon les cas, des fêtes fixées par les chapitres généraux, permet de savoir avec quelle exemplarité le sanctoral de l’ordre s’est imposé aux différents couvents. Les trois calendriers les plus anciens (BnF, ms. lat. 215, 163 et 8884) comportent quelques fêtes qui ne se retrouvent pas dans le calendrier du « Prototype » : dans le manuscrit latin 215, il s’agit notamment de saint Préjecte (19 janvier), saint Julien (22 janvier), saint Benoît (déplacé au 20 mars). Ce calendrier, comme celui du manuscrit latin 8884, indique encore une fête de saint Nicodème au 1er juin et la translation de saint Dominique le 4 juillet au lieu du 24 mai. Les calendriers des manuscrits latins 215 et 163 avancent la fête de saint Ambroise au 3 avril. Enfin, aucun de ces trois calendriers ne

  Par analogie avec le Psautier qui se trouve immédiatement après le calendrier dans le ms lat. 10489 de la Bibliothèque nationale de France, ce dernier a été daté du xiiie siècle, ce qui ne tient pas après l’examen des fêtes qu’il contient et qui s’y trouvent inscrites de première main. 90

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connaît la fête de la couronne du Seigneur (4 novembre), qui semble être une création du « Prototype ». De prime abord, ces éléments renforcent l’indication fournie par les actes des chapitres en faveur d’une datation de ces calendriers antérieure au milieu du xiiie siècle. Deux choses enfin sont remarquables : d’une part, les écarts vis-à-vis du calendrier de référence sont tout à fait mineurs et d’autre part ces calendriers « précoces » ne font aucune place à des dévotions locales telles que celles des saints évêques par exemple. Entre 1255 et 1266, c’est-à-dire pendant la période où les actes des chapitres nous apprennent que l’entreprise de correction des livres liturgiques est en cours, ces trois calendriers ne sont plus tenus à jour. À ce moment-là, ils ne sont pas simplement victimes du manque de sérieux de quelques frères, mais sont abandonnés entre les mains d’autres religieux, comme le montrent les ajouts qui viennent alors compléter le sanctoral primitif : sur le calendrier du manuscrit latin 8884, une main différente inscrit les fêtes des évêques Babile (24 janvier), Germain (28 mai), Landricus (10 juin), Firmin (25 septembre), de Geneviève (26 novembre), de Clodovalde (7 septembre), de l’abbé Leutfredus, mais encore l’invention du corps de Denis (22 avril), les translations d’Éloi ou de l’évêque Marcel (26 juillet)91, autant d’ajouts qui visent à adapter le sanctoral dominicain à l’usage parisien. Le calendrier du manuscrit latin 163, et peut-être celui du manuscrit latin 215 sont dorénavant utilisés par les mineurs. Dans le premier cas, le scribe effectue plus d’une cinquantaine de modifications : il gratte l’inscription de la translation de Dominique et l’anniversaire des Pères et Mères de l’ordre des prêcheurs (4 février), augmente la solennité des fêtes de saint François, ajoute un grand nombre de fêtes que l’on retrouve, aux mêmes dates et avec le même degré de solennité, dans d’autres calendriers franciscains92 : Mar et Marthe le 19 janvier, Anastasie le 23 janvier, Gilbert le 4 février, Claire le 12 août, et toute une série de saints papes, caractéristique du sanctoral liturgique des frères mineurs93. Les corrections apportées au calendrier du manuscrit latin 215 sont moins nombreuses. La plus significative est le remplacement de la translation de saint Dominique par celle de saint

  Ce second scribe ajoute en moyenne une dizaine de saints par mois. En négatif, ces ajouts témoignent, d’un côté, de la relative pauvreté (au sens numérique du terme) du sanctoral dominicain, de l’autre, des efforts qu’a nécessités la volonté d’enraciner après coup ce calendrier au cœur de dévotions locales marquées. 92   Les comparaisons ont été effectuées avec le calendrier franciscain compris dans le ms lat 8887 de la Bibliothèque nationale. 93   Par exemple Anicet (17 avril), Soter (22 avril), Éleuthère (26 mai), Siverius (20 juin), Lin (23 septembre), Pons (26 novembre) et Miltiade (10 décembre). Ils sont aussi dans le calendrier de la Curie, comme le signale P.-M. Gy, « La papauté et le droit liturgique aux xiie et xiiie siècles », The religious roles of the papacy : ideals and realities, 1150-1300, sous la direction de C. Ryan, Papers in medieval studies, Pontifical of medieval studies, Toronto, 1989, p. 236. 91

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François : c’est peut-être un autre signe de la récupération par les mineurs d’un calendrier dominicain abandonné après la diffusion des livres liturgiques corrigés. Quoi qu’il en soit, et c’est le plus important, il est probable que c’est cette uniformisation liturgique qui a fait tomber en désuétude les calendriers utilisés par les deux premières générations de frères. Bien sûr, le « corpus » sur lequel on raisonne est particulièrement maigre, mais il est malgré tout remarquable que les seuls calendriers antérieurs à l’entreprise d’Humbert de Romans soient aussi les seuls à n’être plus dominicains lorsqu’elle est diffusée à tous les couvents. Échappant à une longue rédaction, les calendriers ont pu être réalisés à nouveaux frais, alors qu’une politique d’ajouts et de corrections a prévalu pour les autres livres liturgiques. Composés entre 1276 et 1357, les autres calendriers sont respectueux du sanctoral fixé par le « Prototype », puis complété par les actes des chapitres. Cela semble la moindre des choses. Disons quand même que ce fait ne souffre aucune exception : on ne trouve pas de calendrier dans lequel on aurait omis d’ajouter un saint récemment inscrit au calendrier de l’ordre. Tant que le document est utilisé par les frères, les mises à jour sont faites régulièrement, signe supplémentaire de la centralité de l’ordre et du caractère identitaire de ce sanctoral. Fait significatif, le respect des décisions capitulaires concernant le peuple des saints ne vaut pas pour les prescriptions concernant les modifications de la solennité des fêtes : si aucun des saints récemment inscrits ne manque aux calendriers, les frères en revanche n’ont visiblement pas pris la peine de corriger ces documents pour modifier les caractéristiques de la célébration. Ainsi, alors que le chapitre décide en 1300 de hausser la fête de saint Nicolas au rang de fête double, elle reste semi-double dans tous les calendriers rencontrés. De la même manière, les fêtes de Michel ou de Pierre et Paul ne gagneront pas, dans les calendriers, le degré de solennité supérieur. Dans les faits, cela ne préjuge en rien de la conformité de la pratique liturgique des frères : d’autres documents pouvaient relayer cette information absente des calendriers et rien ne permet d’assimiler le silence du document à un manquement à la pratique liturgique de l’ordre. Mais là encore, ce qui est remarquable, c’est l’uniformité de la documentation : quand aucun des calendriers ne prend acte d’un type particulier de modification, il est difficile d’y voir un oubli et de le mettre sur le compte d’un scribe moins scrupuleux. Au total, les décisions du « Prototype », puis celles des actes des chapitres qui font évoluer le sanctoral de l’ordre, trouvent rapidement une mise en oeuvre dans des documents comme les calendriers, qui encadrent la pratique liturgique et règlent la vie communautaire. L’attention que l’on porte à les tenir à jour est réelle. Si l’exploitation d’autres cas vient confirmer que l’abandon des

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premiers calendriers est effectivement lié à la diffusion de la réforme, il sera temps de reconsidérer toute une documentation capable de montrer l’impact des décisions capitulaires en matière de sanctoral. Celui-ci apparaît d’ores et déjà tout à fait uniforme, au point que les calendriers sont très difficilement localisables : pour cela, il faudrait au moins un évêque, un saint local ou une dédicace d’église conventuelle, mais, sauf dans un cas qui retiendra ultérieurement l’attention, toutes ces mentions font défaut. Il ne faut donc pas tout demander à ces documents. L’impossibilité de les situer dans la géographie ecclésiastique montre bien la réussite de l’entreprise dominicaine : le calendrier est d’abord celui de l’ordre entier. Le conformisme et l’exemplarité qui se perçoivent dans la production des calendriers sont d’ailleurs confirmés par ce que l’on peut savoir de l’évolution du lectionnaire de l’office. b– L’apport du manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse L’histoire de la diffusion de réforme liturgique menée par le cinquième maître de l’ordre reste à écrire entièrement. Jusqu’ici, – et c’était justifié – c’est le manuscrit Santa Sabina XIV L 1, contenant les quatorze livres du « Prototype », jadis conservés au couvent Saint-Jacques de Paris, qui a focalisé toute l’attention94. Sur cette base, il serait désormais utile de confronter les textes liturgiques postérieurs et d’appréhender le destin, les formes et les limites de l’uniformisation engagée au milieu du xiiie siècle, et ce d’autant plus que la liturgie s’appuie aussi sur des textes narratifs qui guident et nourrissent l’écriture des hagiographes. Aussi, il a paru souhaitable d’explorer, modestement et partiellement, cette piste. Sous la côte 82, la Bibliothèque municipale de Toulouse conserve un « lectionnaire des Dominicains de Toulouse »95. Une analyse de son contenu, et surtout sa confrontation avec le texte du « Prototype », fournit nombre de preuves – qu’il serait trop long d’exposer ici – qu’il s’agit d’un exemplaire du lectionnaire-type. Certes, il est aujourd’hui amputé (des fêtes comprises entre le 29 novembre et le 29 décembre, ainsi que des six dernières leçons consacrées à saint Étienne, du second octave du même Étienne et du premier octave de Jean), mais pour le reste, le nombre des leçons, leurs textes et les notices critiques propres au travail d’Humbert de Romans sont identiques à ceux qu’a éditées Anne-Élisabeth Urfels à partir du manuscrit de Rome.

94   Il fut notamment l’objet d’un important colloque tenu à Rome en 1995 et publié presque dix ans après sous le titre Aux origines de la liturgie dominicaine. Le manuscrit santa Sabina XIV L 1, sous la dir. de L. Boyle et P.-M. Gy, collection de l’École française de Rome, t. 327, CNRS Éditions, Paris, 2004. 95   A. Molinier, Catalogue général des manuscrits, ouv. cité, p. 35-42.

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Il est aussi plus que cela, car l’intérêt majeur de ce document est que deux copistes complètent le lectionnaire-type de treize fêtes liturgiques, ajouts qui posent des problèmes d’interprétation. Le copiste des 226 premiers folios ajoute neuf fêtes au « Prototype ». Concluant sa thèse, Anne-Élisabeth UrfelsCapot indiquait que le « Prototype » fut peu copié (ou peu conservé)96. Elle supposait du reste que les éléments les plus originaux de cette entreprise n’avaient sans doute pas survécu à une diffusion nécessairement massive et rapide97. Dans l’examen du lectionnaire conservé à Toulouse, tout semblait lui donner raison. Le « Prototype » devait ne pas avoir résisté au temps ou à la tentation d’y ajouter des cultes locaux. Or cette hypothèse s’avère peu satisfaisante dès que le manuscrit toulousain est soumis à la comparaison du « Prototype » : si l’on ne tenait pas à la diffusion exacte du texte d’Humbert, s’il était question de s’en démarquer, pourquoi copier de façon irréprochable plus de 95% de son contenu en respectant le fonds et la forme dans les moindres détails ? Ce profond respect du modèle, d’ailleurs inculqué par les chapitres généraux, constitue un obstacle majeur à l’interprétation « déviationniste ». Puisque les chapitres généraux imposent la copie à l’identique du « Prototype », dans quelle mesure cette activité normative ne pouvait-elle pas aussi expliquer les ajouts contenus dans le manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse ? Les fêtes présentes uniquement dans le lectionnaire toulousain sont celles d’Ignace, Antoine de Padoue, Alexis, Marthe, Louis, Antonin de Pamiers, Exupère, Édouard et Saturnin. Or, la consultation des actes des chapitres généraux montre que six d’entre elles ont été l’objet d’une décision capitulaire. En 1262, le chapitre général qui se tient à Bologne fixe au 13 juin la fête de saint Antoine

96   Le constat est fait par A.-É. Urfels-Capot, dans sa thèse : en plus du manuscrit conservé à Sainte-Sabine, on ne connaît qu’un exemplaire complet des quatorze livres du « Prototype », copié pour le maître de l’ordre. Il est conservé à Londres, (BL, Add ms 23935). Pour ce qui est du lectionnaire proprement dit, on connaît, en plus du manuscrit de Toulouse, la copie effectuée vers 1300 au couvent Saint-Sixte, conservé à Rome (Collegio San Clemente, ms 1). À notre connaissance, il n’a fait l’objet d’aucune étude précise, ni d’une confrontation avec le manuscrit de Sainte-Sabine. A.-É. Urfels-Capot cite encore le lectionnaire des dominicaines de Sainte-Croix de Regensburg (Oxford, Keble College 49), copié vers 1270 : il est un peu différent des précédents car il ne s’agit pas à proprement parler du lectionnaire prototypique mais d’un lectionnaire antérieur revu et corrigé selon le lectionnaire du « Prototype ». 97   C’est notamment ce qu’exprime Anne-Élisabeth Urfels-Capot concernant la postérité du « Prototype » : « Un examen des copies du lectionnaire n’aurait d’autre intérêt que de repérer les altérations prévisibles dans la versiculation et la signalisation des modes d’adaptation adoptés. N’étant pas co-substantiels au texte des leçons, ces deux aspects du lectionnaire ont de fait toutes chances de s’être tôt estompés. À cet égard, la seule véritable inconnue tient aux délais dans lesquels cette altération s’est produite » (A.-É. Urfels-C apot, ouv. cité, mais dans sa version dactylographiée, p. 703).

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de Padoue pour lequel les frères liront trois leçons à l’office des matines98. Trois ans plus tard, sur le même modèle, le chapitre de Montpellier demande « que soit créée une fête à trois leçons pour saint Édouard et que le maître prévoit l’office et le jour »99. Le saint roi est inscrit au calendrier et au lectionnaire dominicains le 7  janvier. À l’usage, ce choix n’a sans doute pas convenu puisqu’en 1270, le chapitre général de Milan déplace la fête de saint Édouard au 13 octobre100, date à laquelle elle est indiquée dans le manuscrit toulousain. Le chapitre général tenu à Pise en 1276 ajoute au calendrier dominicain la fête de sainte Marthe, fixée au 27 juillet. Les frères liront trois leçons à l’office101. L’année suivante, le chapitre, réuni à Bordeaux fixe précisément le texte des trois leçons, suivant ainsi le modèle fixé par Humbert de Romans dans son travail de sélection des sources. Les trois leçons du manuscrit 82 sont la copie du texte adopté par le chapitre de 1277. Il serait intéressant de savoir par quelles voies le chapitre a procédé à une telle sélection de texte : a-t-on désigné un frère à cette fonction ? Manifestement, plus de vingt ans après l’entreprise d’unification menée par Humbert de Romans, l’ordre était soucieux de perpétuer l’esprit de la réforme et de généraliser les méthodes d’Humbert aux évolutions du calendrier. Il faudra essayer de savoir comment il est parvenu à ses fins. Le même problème a dû se poser pour l’inscription au calendrier de la fête de Louis, roi. Elle est décidée en 1301, par le chapitre général de Cologne102. La décision d’enrichir le calendrier dominicain de la fête de saint Ignace est prise en 1302, à Bologne103. Enfin, le chapitre général de 1307 fixe au 17 juillet la fête de saint Alexis104. L’inscription au lectionnaire toulousain des fêtes d’Antoine de Padoue, Édouard, Marthe, Louis, Ignace et Alexis ne doit donc pas être interprétée comme une volonté de se démarquer du modèle fixé au milieu au xiiie siècle, mais au contraire comme une mise à jour du « Prototype », non seulement copié à l’identique, mais encore allongé des modifications calendaires décidées par les chapitres généraux. En ce sens, le manuscrit 82 de la Bibliothèque

  In kalendario in crastino Basilidis, Cyrini, Naboris scilicet ydibus junii scribatur sic Antonii confessoris iii lectiones et in martyrologio eodem die in fine addatur et dicatur sic. Item eodem die Antonii confessoriis de ordine fratrum minorum, et habet iii capitula, éd. R eichert, ouv. cité, vol. 1, p. 113. 99   Quod fiat festum trium lectionum de beato Eduardo, et magister ordinis provideat de officio, et de die, éd. R eichert, ouv. cité, vol. 1, p. 126. 100   R eichert, ouv. cité, vol. 1, p. 155-156. 101   Fiat de beata Martha festum iii lectionum et magister provideat de officio et de die. Et hec habet iii capitula, éd. R eichert, ouv. cité, vol. 1, p. 183. 102   R eichert, ouv. cité, vol. 1, p. 302. 103   R eichert, ouv. cité, vol. 1, p. 311. 104   R eichert, ouv. cité, vol. 2, p. 24. 98

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municipale de Toulouse témoigne d’un double respect des décisions normatives. Parallèlement, le rapprochement entre le lectionnaire et les actes des chapitres permet d’affiner la datation du manuscrit 82 : le premier scribe, qui copie de manière homogène le « Prototype » et les textes ajoutés par les différents chapitres n’a pas pu écrire avant 1307. La fête d’Alexis est en effet la dernière ajoutée. Par ailleurs, les leçons dédiées à ce saint sont sensiblement différentes des décisions prises par le chapitre de Strasbourg de 1307 : le texte, copié d’un seul tenant, semble avoir été divisé en neuf leçons (le chapitre n’en fixe que trois) après coup, le scribe les ayant numérotées dans la marge. S’il est recevable, cet élément peut permettre d’envisager une rédaction proche de l’année 1307. Aux alentours de cette année-là, le couvent de Toulouse se dote donc d’un exemplaire à jour du lectionnaire de l’ordre, reflet des travaux d’Humbert de Romans, complété des interventions capitulaires. C’est aussi en 1307 que Bernard Gui, fraîchement nommé inquisiteur, rejoint le couvent de Toulouse. Comme on l’a vu, et contrairement à ce qu’avaient logiquement supposé ceux qui se sont intéressés à l’entreprise d’unification liturgique, ni le système d’adaptation des textes de base, ni les notes critiques ne disparaissent des copies du lectionnaire, en tout cas de celle conservée au xiv e siècle au couvent de Toulouse. Le manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse reproduit à l’identique toutes les notices critiques et les modes d’appropriation des sources. C’est étonnant puisqu’elles ne sont pas destinées à être lues, et qu’elles ne sont donc pas entendues par les frères. En effet, l’essentiel de ces annotations justifie les choix d’Humbert de Romans. Dans le cadre de la rédaction de nouveaux livres soumis à l’approbation de trois chapitres généraux, leur présence se comprend. Mais une fois le « Prototype » adopté, les copier alors qu’elles ne sont pas destinées à être lues, alourdit considérablement la tâche des copistes : voilà une belle dépense d’énergie, vu la lenteur du travail de copiste et le prix du parchemin… Comment l’expliquer ? Il est possible que la copie des introductions, avertissements et autres notices critiques trouve sa raison d’être dans les modalités de diffusion des nouveaux livres liturgiques. C’est d’abord la vision centralisée qu’en donnent les actes de chapitres, qui fait penser que les livres sont reproduits à l’identique. C’est aussi le ton ferme des injonctions capitulaires qui laisse supposer que les scribes ont tout copié de l’archétype. Dans les deux cas, on retrouve ce souci d’une exemplaire conformité dans la diffusion des livres utiles aux frères de l’ordre. Ce que l’on sait du fonctionnement de l’ordre des prêcheurs rend cette interprétation plausible. Il serait toutefois utile de

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savoir si une telle attitude est reproduite dans les autres lectionnaires connus105. Une autre piste privilégie l’aspect pratique des choses : si on a copié les notices critiques, c’est qu’on devait en avoir quelque usage. Le travail critique effectué par Humbert de Romans, notamment sur les sources hagiographiques des leçons de l’office, pouvait être très utile aux compilateurs de légendiers. Il n’en reste pas moins que la présence de ces notices contribue à donner au manuscrit toulousain une valeur historique certaine. D’abord, elles renseignent sur la tradition textuelle liée à la postérité du « Prototype ». Ensuite, elles permettent de circonscrire, dans le manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse, la quasi-totalité du « Prototype ». Ainsi, les chapitres généraux dominicains ont vu dans le contenu du calendrier et dans les saints célébrés à l’office l’occasion de renforcer la centralisation et la cohérence de l’ordre. En soi, ce n’est pas étonnant, puisque cela fait partie de leurs prérogatives. Ce qui l’est, en revanche, c’est la volonté d’établir une forme d’adéquation entre extension du sanctoral et développement de l’ordre. Le sanctoral dominicain ne fait montre d’aucune intégration de saints locaux ou de spécificité régionale et, de fait, il devient un support d’identification efficace. Cette clôture se perçoit pleinement dans les travaux conduits par Humbert de Romans : pour la constitution de l’office, les sources sont relues, filtrées et commentées, les apocryphes et autres traditions douteuses sont exclues. L’analyse de quelques calendriers conservés, ainsi que du lectionnaire contenu dans le manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse, montre l’application stricte de ces choix. Or, ce conformisme, parce qu’il porte la cohésion de l’ordre, est de nature à faire des lectures liturgiques un cadre de l’écriture hagiographique, et ce, au moment où Jacques de Voragine entame la rédaction de la Légende dorée.

  Vu ce que dit A.-É. Urfels-C apot de l’état de conservation des lectionnaires de l’ordre postérieurs au « Prototype » (voir ci-dessus la note 96), le seul l’exemplaire qui permettrait une investigation similaire est le lectionnaire copié vers 1300 au couvent Saint-Sixte (Collegio San Clemente, ms 1). Léonard Boyle l’a utilisé pour comparer les leçons de saint Clément avec la Passion inscrite dans la Légende dorée (L. Boyle, « Dominican lectionnaries and Leo of Ostia’s Translatio sancti Clementis », AFP, t. 28, 1958, p. 362-394). 105

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Les renouvellements de l’écriture hagiographique : une lecture « dynamique » de la Légende dorée L’activité d’Humbert de Romans dans le domaine liturgique, et la manière dont elle a été diffusée – à supposer qu’elle le fut partout suivant le modèle qu’illustre le manuscrit de Toulouse – encadrent précisément le sanctoral de l’ordre et l’appréhension des lectures hagiographiques. Au-delà du hiatus typologique, il est légitime de s’interroger sur l’influence que put avoir cette uniformisation sur les légendiers de la seconde moitié du xiiie siècle. C’est essentiellement la Légende dorée qui servira de point d’appui à cette confrontation. On ne dispose malheureusement pas encore d’une édition de l’autre légendier dominicain de la seconde moitié du xiiie siècle, à savoir les Vitas sanctorum de Rodrigue de Cerrato. Même si les points de contact entre ces deux légendiers semblent nombreux, on ne peut évidemment prétendre que tout ce qui se déduit de la Légende dorée est valable pour les Vitas sanctorum. D’ailleurs, le légendier de Jacques de Voragine suffit pour l’analyse. Il s’agit principalement de se demander dans quelle mesure la mise en ordre hagiographique et liturgique du milieu du xiiie siècle a déterminé l’écriture de la Légende dorée. Par ailleurs, la naissance de la Légende dorée est associée à la notion de renouvellement de l’écriture hagiographique. Celle-ci recouvre deux réalités, liées mais néanmoins différentes : d’une part, la rénovation issue de l’uniformisation liturgique, qui se lit partiellement dans la première version de la Légende dorée ; d’autre part, celle qui éclôt dans les additions postérieures à 1274. C’est l’un des apports majeurs des travaux de G. P. Maggioni, qui ont abouti à la nouvelle édition latine de la Légende dorée, que d’avoir mis en exergue l’existence de deux versions du recueil. Le premier état est achevé par Jacques de Voragine aux alentours de 1267. Le légendier est repris et complété après 1274, cette série de corrections et d’ajouts se poursuivant sans doute pendant l’archiépiscopat de Jacques (1292-1298). L’édition latine de Giovanni Paolo Maggioni et la traduction dirigée par Alain Boureau,

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indiquent en notes les modifications qui incombent à la deuxième version. Un relevé soigneux de ces indications, puis leur classement, permet d’envisager l’évolution du projet mené par l’archevêque de Gênes, et de cerner l’impact qu’ont pu avoir sur lui les injonctions des chapitres et l’uniformisation liturgique. Cela permet de proposer une lecture dynamique de la compilation d’un légendier sur lequel on a déjà tout dit. A– L a première version de la Légende dorée : un légendier pour les P rêcheurs C’est sans doute avec la Légende dorée que l’adéquation entre sainteté de l’ordre et discours pour l’Église est la plus évidente. 1– L’écriture hagiographique comme facteur de reconnaissance La Légende dorée fait écho à la fois aux premières productions hagiographiques dominicaines du xiiie siècle et aux efforts d’uniformisation survenus après 1250. C’est sans doute ce qui lui donne cette allure de condensé efficace et qui a peut-être décidé son extraordinaire diffusion. Voyons d’abord les liens avec les légendiers avant d’envisager comment la réception des travaux d’Humbert de Romans réoriente les anciens recueils. a– Le traitement de la matière hagiographique La dépendance de Jacques de Voragine à l’égard de Jean de Mailly d’une part et de Barthélemy de Trente de l’autre est une réalité extrêmement bien connue et maintes fois soulignée. Dans le flot des publications concernant la Légende dorée, elle est d’abord mise en avant dans l’intention de réhabiliter l’apport de ces deux premiers hagiographes dominicains, quelque peu éclipsés par la diffusion extraordinaire de la Légende dorée1. Actuellement, elle est davantage exploitée pour elle-même, c’est-à-dire pour les informations qu’elle livre quant à la circulation des textes et les sources du compilateur. De ce point de vue, les notules qui accompagnent la plus récente des traductions de la Légende dorée2 indiquent systématiquement les épisodes qui sont issus 1   C’est dans ce sens notamment qu’il faut lire la contribution d’A. Dondaine, « Le dominicain français Jean de Mailly et la Légende dorée », Les archives dominicaines, t. 1, 1946, p. 53-102, mais aussi, sur un ton nettement moins revendicatif, « Barthélemy de Trente et l’invention de la Legenda nova », Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, a cura di S. Boesch Gajano, Fasano di Brindisi, 1990, p. 23-39. 2   J.  de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004. La traduction du texte, effectuée sur la base de l’édition de G. P. Maggioni, est suivie de notules (p. 1056-1489) : pour chaque chapitre de la

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de l’Abbreviatio de Jean de Mailly ou du Liber epilogorum de Barthélemy de Trente, de même qu’elles donnent, plus sommairement il est vrai, le mode d’adaptation des textes. La comparaison systématique de la manière dont chaque hagiographe abrège les mêmes sources, c’est-à-dire indépendamment les uns des autres ou pas, montre assez bien les relations entre les trois légendiers. Il est peu intéressant d’exploiter ces données dans le but de classer les hagiographes – ce qui a été fait parfois –, selon qu’ils sont plus auteurs que compilateurs. Du moins, cette appréhension des choses est utile lorsqu’elle permet de distinguer la contribution originale d’une production par rapport à ses sources. En revanche, lorsqu’elle cède à la tentation d’appliquer au texte hagiographique médiéval nos critères contemporains relatifs à l’honnêteté intellectuelle3, elle confine au jugement de valeur, ce qui, ici, ne semble pas adéquat. En la matière donc, seule la réalité des emprunts mérite d’être retenue. Quelle que soit la manière dont ils sont relevés – copie complète littérale, emprunts partiels, convergences d’idée, sinon de formes etc – ils sont de toute façon très nombreux. Karl-Ernst Geith indique par exemple que 61 Vies ou Passions de la Légende dorée proviennent presque intégralement de l’Abbreviatio de Jean de Mailly4, et relève encore, dans 38 chapitres, des indications d’utilisations partielles. Sur la base de son propre travail, Alain Boureau a avancé une dépendance encore plus étroite entre les deux légendiers en écrivant qu’ « à peu près 80% de la substance de Jean de Mailly est passée dans la Légende dorée »5. Ce qui rapproche les deux collections, c’est d’abord un degré similaire d’abréviation des textes de base. Même si Jacques de Voragine s’appuie parfois sur les Vies de l’Abbreviatio à dessein de les résumer davantage6, Légende dorée, elles font le point sur le culte du saint au Moyen Âge, mais aussi sur la tradition manuscrite et sur la bibliographie. 3   Antoine Dondaine n’échappe pas totalement à cette attitude (A. Dondaine, art. cité). Plus récemment, c’est aussi l’angle de lecture adopté par Karl-Ernst Geith, « Die “Abbreviatio in gestis et miraculis sanctorum” von Jean de Mailly als quelle der “Legenda aurea” », AB, t. 105, 1987, p. 289-302 et, plus récemment, dans sa contribution, intitulée « Jacques de Voragine, auteur indépendant ou compilateur ? », au colloque Legenda aurea – La légende dorée (xiiiexv e siècles), Actes du congrès international de Perpignan (séances « Nouvelles recherches sur la Legenda aurea »), publiées par B. Dunn-Lardeau, dans Le Moyen Âge français, t. 32, éd. Ceres, Montréal, 1993, p. 17-31. L’approche de ce dernier est quasiment statistique puisque c’est du nombre de chapitres copiés intégralement sur Jean de Mailly, par rapport à ceux qui ne sont que des copies partielles ou qui n’entretiennent que de vagues ressemblances, qu’il entend répondre à la question posée. 4   K.-E. Geith, art. cité, p. 17-31. 5   A. Boureau, « Vincent de Beauvais et les légendiers dominicains », Lector et compilator. Vincent de Beauvais, frère prêcheur : un intellectuel et son milieu au xiiie siècle, rencontres à Royaumont, C.N.R.S., Université de Nancy 2 / Université de Montréal, éd. Créaphis, 1997, p. 115. 6   C’est le cas par exemple de la Vie de saint Vaast ou de saint Amand : voir La Légende dorée, trad. sous la dir. d’A. Boureau et M. Goullet, La Pléiade, Gallimard, 2004, respectivement

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leur degré de concision est généralement proche. Au contraire, la réduction drastique opérée par Barthélemy de Trente, se contentant même quelques fois d’une narration elliptique, n’a pas toujours permis aux textes du Liber epilogorum de fournir à la Légende dorée des contenus suffisants. Aussi, Jacques de Voragine y a-t-il essentiellement recours pour ajouter à son récit un miracle où la mention de reliques7. Dans ces conditions, faire de la copie quasiment systématique des légendiers de Jean de Mailly et Barthélemy de Trente pour la Légende dorée, une attitude grégaire est tentant. En effet, l’ampleur des convergences textuelles, des récits démarqués les uns des autres, encourage à penser que l’écriture est un facteur de reconnaissance, autrement dit que le fait que Jean de Mailly et Barthélemy de Trente aient été dominicains fut déterminant dans l’usage que fit Jacques de Voragine de leurs collections. Le prouver est difficile : il faudrait être sûr que ce dernier pouvait trouver ailleurs des abrégés de tenue comparable, et qu’il a malgré tout – et donc sciemment – copié ceux de ces frères en religion. Or, les autres légendiers abrégés, produits notamment en milieu séculier au début du xiiie siècle sont encore vierges de toute analyse. Par ailleurs, le fait que les dominicains, à partir du second tiers du xiiie siècle, monopolisent la compilation de légendiers abrégés, biaise totalement l’interprétation du sens qu’a pu endosser le phénomène de copie : par définition, on ne sait plus si Jacques de Voragine démarque ses prédécesseurs par déférence vis-à-vis des frères de son ordre et comme par souci de citation, ou si, en définitive, il se remet à cette situation car c’était à peu près le seul endroit où il pouvait trouver des abrégés conformes à ses propres intentions. À cette observation, somme toute banale, d’une transmission des textes entre légendiers dominicains, s’ajoute une attitude plus étonnante : face à certains dossiers hagiographiques bien fournis, les hagiographes dominicains ont fait le choix de ne pas se copier. Mais alors que tout porte à croire qu’ils ont vu dans cette abondante matière l’opportunité de compiler de façon personnelle une nouvelle version, voilà qu’ils construisent des dossiers analogues, à partir d’une même sélection de sources. Cette attitude a été minutieusement décrite par Barbara Fleith, au sujet de l’Assomption de la Vierge Marie8, que

p. 210 et 211, 1173 et 1175 pour les notes. 7   Jacques de Voragine reprend par exemple de l’Epilogorum de Barthélemy la mention du lieu de sépulture des martyrs Prime et Félicien (voir La Légende dorée, trad. sous la dir. d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 1255-1256). 8   B. Fleith, « De Assumptione beate virginis Marie. Quelques réflexions autour du compilateur Jacques de Voragine », De la sainteté à l’hagiographie. Génèse et usage de la Légende dorée. Études réunies par Barbara Fleith et Franco Morenzoni, éd. Droz, Genève, 2001, p. 41-73.

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l’on trouve aussi bien dans l’Abbreviatio de Jean de Mailly9, le Liber epilogorum de Barthélemy de Trente10, le Speculum historiale de Vincent de Beauvais11, la Légende dorée de Jacques de Voragine12 et le lectionnaire de l’office dans la rédaction d’Humbert de Romans13. Elle montre que Jacques de Voragine construit une mosaïque complexe : la première partie de son récit expose le transitus de la Vierge, enrichi d’insertions d’origine liturgique. Il est suivi de plusieurs miracles, mais aussi d’une discussion théologique centrée sur l’épisode où Thomas reçoit la ceinture de la Vierge et sur les révélations d’Élisabeth de Schönau (BHL 5355). L’ensemble s’achève avec les extraits de plusieurs homélies, notamment de Cosmas Vestitor, auxquels s’ajoutent des extraits de Jean Damascène et de saint Augustin. La comparaison du chapitre consacré à l’Assomption dans la Légende dorée avec les textes compilés par les autres dominicains montre que, sans se démarquer l’une l’autre, toutes ces versions ont été conçues de manière analogue. En dépit du nombre très important d’écrits concernant cette fête dont les auteurs auraient pu s’inspirer, ils s’appuient tous sur un choix de sources tout à fait semblable. Cependant, Barbara Fleith note que Vincent de Beauvais suit plus fidèlement que Jean de Mailly l’ordre des révélations d’Élisabeth de Schönau ; Jacques de Voragine donne les mêmes miracles que Jean de Mailly (celui-ci d’ailleurs complète sa liste après son entrée chez les prêcheurs14), mais ne copie pas le texte de son prédécesseur ; quant à Barthélemy de Trente, il s’appuie aussi, pour le récit du transitus de la Vierge, sur le texte de Paschase, mais ne retient pas exactement les mêmes épisodes que les trois autres hagiographes de son ordre. Donc, face à un grand choix de textes, les compilateurs s’arrêtent sur les mêmes sources, mais les compilent différemment. Ce constat amène Barbara Fleith à émettre l’hypothèse qu’il existait peut-être dans l’ordre des prêcheurs, une sorte de canon, c’est-à-dire une série de textes de référence, qui étaient utilisés pour compiler un texte sur la fête de l’Assomption. Cela suggère qu’il y aurait eu, de manière 9   J. de M ailly, Abrégé des gestes et miracles des saints, trad. A. Dondaine, éd. Cerf, 1947, p. 321347. B Fleith a également fondé son travail sur une version plus précoce de l’Abbreviatio, contenue dans le manuscrit de Bâle, Universitätaxbibl., B III 14. 10   B. da Trento, Liber epilogorum in gesta sanctorum, edizione critica a cura di Emore Paoli, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 2001, p. 232-243. B. Fleith art. cité, p. 135-148, a utilisé l’édition de D. Gobbi. 11   SpH, VIII, 75. 12   I.  da Varazze, Legenda aurea, edizione critica a cura di Giovanni Paolo Maggioni, secunda edizione rivista dall’autore, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 1998, p. 779-810. 13   H.  de Romans, Lectionnaire de l’office dominicain. Le sanctoral du lectionnaire de l’office dominicain (1254-1256), éd. A.-É. Urfels-C apot, ouv. cité, 1995, p. 283-293. B. Fleith a travaillé à partir du manuscrit des archives générales de l’ordre dominicain, le manuscrit Santa-Sabina XIV L 1, fol. 210v°-212. 14   L’information se trouve dans J. de M ailly, Abrégé des gestes et miracles des saints, trad. A. Dondaine, éd. Cerf, 1947, p. 331.

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institutionnelle, une source commune, utilisée comme matrice pour l’organisation de certains chapitres. Au crédit de cette hypothèse, il faut indiquer le parti pris de Jean de Mailly : de tous ces compilateurs, il est le seul à utiliser une version différente du texte du transitus15, comme il est aussi le seul à n’être pas dominicain quand il rédige sa première version de l’Assomption de la Vierge Marie. Finalement, la piste de recherche qu’ouvre Barbara Fleith est celle de l’existence d’ « une version originale du légendier, des legendae sanctorum d’un dominicain anonyme, un légendier de référence dont les compilateurs du xiiie siècle se sont largement inspirés pour élaborer leurs versions en poursuivant chacun un but précis »16. La grande précision de l’analyse conduite par Barbara Fleith rend incontestables les résultats de la confrontation des textes. L’hypothèse à laquelle elle aboutit est séduisante, même si les présomptions concernant l’existence d’un légendier modèle ne sont que pure conjecture. Dans le cas où il aurait effectivement existé, on ne comprend pas bien pourquoi il aurait été nécessaire de l’adapter – par le travail de Barthélemy de Trente ou de Jacques de Voragine – plutôt que de le diffuser tel quel, comme l’a été le lectionnaire de l’office par exemple. A priori, cette hypothèse ne peut pas non plus s’appuyer sur l’abondante activité normative de l’ordre, silencieuse sur l’existence d’un corpus de textes de référence à usage hagiographique. Toutefois cet argument n’est pas totalement un obstacle car l’hagiographie n’a pas de statut institutionnel et s’il y a eu un corpus de sources privilégiées, on imagine qu’il s’est constitué dans le réseau scolaire de l’ordre. De toutes façons, même si l’on s’en tient, par prudence au moins, à l’idée que chaque compilateur est retourné de lui-même aux sources, il reste que la composition de dossiers hagiographiques est similaire, autrement dit que l’écriture hagiographique supporte, consciemment ou pas, une attitude identique à l’égard du récit légendaire. Après son approbation, le lectionnaire d’Humbert devenait à son tour, pour les hagiographes, un ouvrage de référence car il était né de la décision de l’ordre de réviser les lectures hagiographiques de l’office puis de les imposer à tous les couvents. b– L’utilisation des travaux d’Humbert de Romans Avec le chapitre général qui se tient à Paris en 1256, la révision des livres liturgiques menée par Humbert de Romans devient la seule officielle dans l’ordre. Dans le courant de la décennie 1260, ceux-ci sont copiés partout. La portée des informations que laissait Humbert en préambule des leçons de l’office (référence, critique et choix des sources) dépassait largement la seule   B. Fleith, art. cité, p. 61 pour la confrontation des textes.   B. Fleith, art. cité, p. 73.

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copie du lectionnaire. Aussi, au-delà des genres et des usages, ces commentaires et notes de lectures, précieuses pour elles-mêmes mais sans doute aussi parce qu’elles portent le jugement du maître de l’ordre, n’ont pas laissé indifférent le compilateur de la Légende dorée. Cette postérité des travaux d’Humbert de Romans a initialement été relevée par Anne-Élisabeth Urfels-Capot17 : voici les conclusions de son travail. La première rédaction de la Légende dorée est concomitante de la diffusion des livres de l’office, aussi Jacques de Voragine intègre-t-il une partie des travaux du maître de l’ordre. L’influence la plus grande se fait sentir pour le contenu des notices critiques : l’apparat qui introduit les leçons se retrouve pour partie dans certains chapitres du légendier. Jacques de Voragine reprend par exemple l’explication de la seconde fête de sainte Agnès18, alors qu’a priori ce point de débat ne concerne que la célébration liturgique. Il suit également le paragraphe d’Humbert de Romans sur la diversité des traductions tenue pour responsable de la multiplicité des récits consacrés à saint Nicolas19 et saint Denis20 : dans ce cas, les explications données par Humbert de Romans peuvent intéresser davantage l’hagiographe car cette situation influe directement sur la netteté de son récit, et le recours à Humbert de Romans fournit une parade commode. La Légende dorée rend compte également de l’essentiel des commentaires exposés par Humbert au sujet des discordances de sources, dans les chapitres relatifs à saint Georges21 ou à l’Invention de la sainte Croix 22 par exemple. Surtout, ce n’est pas une simple parenté d’idée que relève AnneÉlisabeth Urfels-Capot, puisque dans le cas de ces notices critiques, le texte de la Légende dorée témoigne de convergences probantes, c’est-à-dire fondées sur un démarquage littéraire, y compris lorsque Humbert de Romans commet des erreurs23. Ce constat, établi avec précision par Anne Élisabeth Urfels-Capot, est intéressant à plus d’un titre. D’abord, il confirme, même si c’est de façon tacite, que les notices critiques, alors qu’elles ne sont d’aucune utilité pour la lecture de l’office, ont bien été copiées en même temps que l’office proprement dit. Elles font partie de l’exemplar, et de ce point de vue, le ms 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse, même s’il est aujourd’hui un té  A. É. Urfels-C apot, art. cité, p. 345-352.   Sur l’adaptation de Jacques de Voragine, voir La Légende dorée, ouv. cité, p. 142 et, pour le texte latin, éd. Maggioni, ouv. cité, p. 172. 19   J. de Voragine, La Légende dorée, trad., ouv. cité, p. 28-29 et éd. Maggioni, ouv. cité, p. 38. 20   J. de Voragine, La Légende dorée, trad., ouv. cité, p. 842 et éd. Maggioni ouv. cité, p. 1042. 21   J. de Voragine, La Légende dorée, trad., ouv. cité, p. 312 et éd. Maggioni, ouv. cité, p. 391-392. 22   J. de Voragine, La Légende dorée, trad., ouv. cité, p. 366 et éd. Maggioni, ouv. cité, p. 462. 23   Par exemple, l’attribution à Bède de la traduction de la Passion de saint Barnabé, qui figure chez Humbert de Romans, passe à l’identique dans la Légende dorée (respectivement p. 239 pour le texte d’H. de Romans et 682 pour J. de Voragine, dans la trad. de La Pléiade). 17

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moin exceptionnel, peut être considéré comme représentatif des modalités de cette diffusion. Ensuite, il montre que si les frères n’entendaient pas ce paratexte à l’office, ils devaient quand même y avoir accès, mais sur un mode qui nous est inconnu, peut-être individuellement et en a parte. Cela mérite d’être pris en considération pour ce qui concerne l’accessibilité et l’usage des livres de chœur. Surtout, les commentaires introductifs aux leçons de l’office ont encadré les projets d’écriture des nouveaux légendiers abrégés, ou du moins, dans le cas précis de la Légende dorée, ils ont servi de caution. En effet, lorsque, à la lumière des parentés relevées par Anne-Élisabeth Urfels-Capot, on reprend le texte de la Légende dorée, il est remarquable qu’un certain nombre de ces références ait été ajouté à la fin de chapitres déjà rédigés, ce qui montre que le recours à Humbert de Romans a davantage fait office de garantie après coup que de cadre initial à la rédaction des Vies de saints. C’est ce que suggère par exemple la version de la Vie de saint André que compose Jacques de Voragine : son introduction étymologique s’achève par la phrase « Les prêtres et des diacres d’Asie ont rédigé le récit de sa Passion, qu’ils ont vue de leurs propres yeux »24. Elle est présente à l’identique dans la notule que rédige Humbert en introduction des lectures de l’office consacrées à saint André25. Son emplacement dans la Légende dorée peut faire penser à une incise ultérieure, mais en l’état, l’édition du texte n’autorise pas ce type d’allégations. Or, Jacques de Voragine ne suit pas la source qu’il présente comme la plus fiable (ils ont écrit ce qu’ils ont vu) : il s’est donc contenté de faire comprendre aux lecteurs avertis l’implicite allusion au lectionnaire (qu’il ne cite pas, ni Humbert de Romans), mais sans intention de se conformer à cette indication. On a donc tout au plus une citation pour mémoire, une référence bibliographique26 qui n’est pas intéressante pour elle-même mais pour la valeur de reconnaissance qu’elle est capable de porter. Probante pour les notules introductives, la comparaison est moins fructueuse pour ce qui est du contenu narratif des leçons. C’est ici que joue de la façon la plus évidente le hiatus typologique car même si l’abréviation est un objectif commun au travail mené par Humbert de Romans dans le cadre de la rédaction du lectionnaire et aux hagiographes dominicains, la destination des 24   J. de Voragine, La Légende dorée, trad., ouv. cité, p. 17 et p. 1072 et éd. Maggioni, ouv. cité, p. 24. 25   Omnes presbiteri et dyacones ecclesiarum Achaie hanc passionem quam viderunt propriis oculis scribunt omnibus Ecclesie, éd. Urfels-C apot, ouv. cité, p. 140. 26   Rodrigue de Cerrato a lui aussi l’habitude d’indiquer ses références bibliographiques, en rubrique ou dans le texte de son légendier (l’information se trouve dans F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », Les prologues médiévaux, actes du colloque international de Rome, éd. Brepols, Turnhout, 2000, p. 370). Il serait utile et sans doute éclairant de voir dans quelles mesures ces indications suivent celles que donne Humbert de Romans.

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livres génère en fait des textes différents. Dans un cadre strictement hagiographique, la legenda n’est pas soumise au découpage en leçons et à la contrainte de calibrer le texte en vue d’une lecture qui ne doit pas dépasser une certaine durée. Aussi, Jacques de Voragine retourne-t-il généralement aux textes de base. Il les réduit de manière indépendante, c’est-à-dire sans même tenir compte de la signalétique mise au point par Humbert de Romans27. Les leçons d’Humbert de Romans ont-elles au moins pu faire office d’orientations bibliographiques, comme le propose Léonard Boyle28 ? À s’en tenir à la seule comparaison des textes, c’est une interprétation recevable, mais cette déduction est affaiblie par le fait que les sources suivies par Humbert de Romans et Jacques de Voragine sont des choix très classiques et donc pour lesquels il est impossible de prouver que ce dernier ne pouvait pas les trouver ailleurs que dans le lectionnaire de son ordre. Ceci dit, l’aura du maître général ne doit pas être négligée, d’autant qu’elle est appuyée par les injonctions comminatoires des chapitres généraux imposant la copie de l’exemplar. Anne-Élisabeth Urfels-Capot a relevé les cas d’utilisation du lectionnaire dans le légendier de Jacques de Voragine afin de souligner la postérité du travail d’Humbert de Romans. Mais le point de vue opposé, c’est-à-dire celui qui consiste à s’interroger sur le parti que pouvait en tirer l’hagiographe, ne semble pas non plus dépourvu d’intérêt. En effet, pourquoi copier des indications d’ordre bibliographique, qui finalement, n’apportent rien à la narration hagiographique proprement dite, et pas grand-chose non plus aux passages du légendier se prêtant à la prédication ? Il se peut que l’hagiographe y ait vu l’occasion d’affirmer une filiation et de poser sa collection comme un légendier d’ordre. Si l’on admet cette hypothèse, qu’il est évidemment difficile de prouver scientifiquement, on ne peut alors exclure que le même état d’esprit ait présidé à la copie privilégiée des autres hagiographes de l’ordre, comme cela a été précédemment suggéré. Ainsi, l’écriture des légendiers abrégés porte en elle l’enjeu d’un fonds hagiographique et culturel commun. Ceux-ci servent un objectif identique, l’édification des fidèles, dont l’horizon, avec la Légende dorée, s’universalise.

  A.-É. Urfels-C apot illustre précisément ce point en confrontant les réécritures de la Vie de saint Nicolas effectuées respectivement pour le lectionnaire et pour la Légende dorée. Je renvoie à son exposé, art. cité, spécialement p. 348, n. 109. 28   L. Boyle, « Dominican lectionnaries and Leo of Ostia’s Translatio sancti Clementis », AFP, t. 28, 1958, p. 362-394. 27

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2– L’universalisation : un légendier pour tous a– La clôture du sanctoral Sur l’ampleur du sanctoral des trois premiers légendiers dominicains29, et sur le caractère universel de la Légende dorée, on a écrit beaucoup, si bien qu’il suffit de rappeler pour mémoire l’essentiel de considérations bien connues. Alors que Jean de Mailly d’une part et Barthélemy de Trente de l’autre intègrent dans leur compilation des saints des Églises voisines et proches du lieu où ils s’affairent, tant comme compilateur que comme prédicateur, Jacques de Voragine soustrait sa collection à cette contingence spatiale. On ne trouve pas, dans la première version de la Légende dorée en tout cas, de saints spécifiquement lombards30. Parallèlement, Alain Boureau a indiqué combien le sanctoral de la Légende dorée était respectueux des listes des saints associés au canon de la messe31, même si leur intégration au légendier ne va pas sans quelques adaptations. Parallèlement, Jacques de Voragine s’efforce de faire disparaître les éléments de contingence et les données spatio-temporelles qui, dans les légendiers de ces prédécesseurs, servaient à ancrer le saint dans un lieu, devenu épicentre sacré pour la communauté des fidèles. Ainsi, dans le court chapitre qu’il consacre à saint Longin, Barthélemy de Trente mentionne son patronage sur Mantoue32. L’information disparaît quand Jacques de Voragine à son tour intègre la Passion de ce martyr dans sa collection33. D’une autre manière, s’il reprend la Passion des martyrs de Troyes, Savine et Savinien, qu’il a lue dans   Le sanctoral des légendiers dominicains est donné à l’annexe 3.   Lorsque, archevêque de Gênes, Jacques de Voragine retouche sa collection, il ajoute une Vie de Syr, saint patron de cette métropole. Par ailleurs, le fait que l’extraordinaire diffusion de la Légende dorée se soit accompagnée de la rédaction d’appendices dédiés presque exclusivement à un sanctoral national mériterait une autre attention que celle qui lui a été portée jusqu’ici. Ces compléments en effet sont de nature à modifier au fond la nature du projet de Jacques de Voragine. De ce point de vue, le constat que ces appendices régionaux et communautaires n’aient pas existé dans les régions d’Italie centrale, sous influence de la curie, est un contre exemple qui confirme la règle. Il serait sans doute utile de reprendre cette question des branches régionales de la Légende dorée sous l’angle de l’articulation de l’Église aux Églises, c’est-à-dire en vérifiant la validité des corrélations entre romanisation des Églises d’une part et volonté de réactiver un sanctoral particulier de l’autre. 31   Dans la rubrique Communicantes se trouvent les apôtres mais aussi les papes des premiers temps comme Lin, Clet ou Clément, des martyrs comme Laurent ou Côme et Damien. À la fin du canon, se trouvait à la rubrique Nobis quoque peccatoribus une seconde liste, comprenant des saints de rang apostolique comme Jean Baptiste, Étienne ou Barnabé, puis des martyrs et des vierges réputées comme Agathe, Agnès, Lucie ou Catherine (Légende dorée, ouv. cité, p. xxxiii-xxxiv). 32   B.  de Trente, Liber epilogorum, éd. E. Paoli, ouv. cité, chap. 76, p. 84. Le lien entre saint Longin et la ville de Mantoue est indiqué à la dernière phrase : « Mantuani vero se eum patronum habere gloriantur. » 33   La Légende dorée, trad., ouv. cité, p. 244-245 (éd. Maggioni, ouv. cité, p. 307-308). 29

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l’Abbreviatio de Jean de Mailly, il situe leur fête le 29 août au lieu des 24 et 29 janvier34. Ce faisant, il est à l’origine d’une confusion entre Savine de Troyes et Sabine de Rome, amalgame qui n’avait pas lieu d’être puisque Jean de Mailly ne laisse planer aucun doute sur la date de la fête des martyrs champenois. Derrière une volonté de différencier les deux saintes35, la Légende dorée crée en fait les conditions d’une assimilation des héroïnes, ou de leurs légendes, qui sont désormais en position de s’alimenter l’une l’autre. Face à cette adaptation du texte de l’Abbreviatio à la Légende dorée, on peut se demander si Jacques de Voragine, séduit par la charmante histoire de ces deux frère et sœur de Troyes, n’a pas cherché à masquer l’ancrage local de cette légende et à universaliser sa portée en l’associant à une martyre romaine. b– L’élargissement des perspectives L’universalisation de la matière hagiographique apparaît surtout dans le traitement du contenu des vies de saints. C’est là d’ailleurs l’élément le plus novateur du travail de Jacques de Voragine. En premier lieu, c’est le rôle conféré aux introductions étymologiques. On sait bien que cette pratique n’est pas initiée par Jacques de Voragine (la glose des noms propres est un procédé ancien36 et Barthélemy de Trente y a recours de temps en temps), mais la manière dont il la généralise fournit à la collection un supplément d’unité, tout en lui assurant une réelle nouveauté. Ces introductions sont donc le lieu où s’expose, plus qu’une origine des noms des saints, leur interprétation, laquelle doit faire émerger l’élection du saint par la Providence dès le moment où, peu après sa naissance, un nom lui est attribué37. Surtout, ces « étymologies » associent des valeurs spirituelles et morales à chaque figure de saint et, ce faisant, leur permet de dépasser le contexte local dans lequel leur culte les enferme. Ainsi, sainte Praxède incarne la virginité, car son nom « Praxedis, se comprend comme ‘‘verte’’, de praxim, qui signifie ‘‘vert’’ »38 ; saint Laurent symbolise la palme du martyre car « le nom de Laurent, Laurentius, équivaut à ‘‘tenant la

  Voir, sur ce point, Jacques de Voragine, La Légende dorée, trad. éd. la Pléiade, ouv. cité, p. 1368-1369. 35   Après le récit de la Vie de Savine de Troyes, Jacques de Voragine donne en effet les informations essentielles qui permettent au lecteur de ne pas confondre la sainte de son homonyme romaine : « On fête aussi en ce jour sainte Sabine, femme du soldat Valentin, qui fut décapitée sous l’empereur Adrien pour avoir refusé de sacrifier » (Légende dorée, ouv. cité, p. 724 ; éd. Maggioni, ouv. cité, p. 894). 36   J. de Voragine, La Légende dorée, trad. éd. La Pléiade, ouv. cité, p. xxxviii, à quoi il faut ajouter, même si ce n’est pas une source privilégiée par Jacques de Voragine, les Étymologies d’Isidore de Séville, principalement le livre X. 37   Je renvoie à ce que dit Alain Boureau de cette forme de sanctification, J.  de Voragine, La Légende dorée, trad. éd. La Pléiade, ouv. cité, p. xxxix. 38   Légende dorée, p. 508 et éd. Maggioni, p. 627. 34

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palme’’, laurean tenens, c’est-à-dire une couronne de laurier, car autrefois les vainqueurs étaient couronnés de rameaux de cette sorte »39, etc. Le caractère redondant de ces étymologies, le fait que des noms propres différents soient associés aux mêmes vertus, ou qu’un nom en symbolise plusieurs, renforcent encore l’universalisation des figures de saints. Au bout du compte, qu’ils soient martyrs, évêques, papes ou ermites, tous participent au même objectif et au même combat. Derrière la pluralité des figures, ce n’est pas la juxtaposition de modèles particuliers, saints patrons d’une Église ou d’une région, qui émergent, mais l’unité de l’Église et l’universalité de ses héros, arrachés aux contingences spatio-temporelles. Parallèlement, la dimension universelle que figurent les saints de la Légende dorée est aussi supportée par la légende elle-même. C’est ici le travail accompli par Jacques de Voragine du point de vue de l’écriture hagiographique proprement dite et sur la mise en perspective des Vies de saints qui permet ce changement d’échelle. Giovanni Paolo Maggioni l’a montré en comparant la manière dont Jean de Mailly, Barthélemy de Trente et Jacques de Voragine adaptent à leur légendier la Passion de l’apôtre saint Barthélemy40. Pour ce qui est du premier, l’Abbreviatio de Jean de Mailly41 s’en tient essentiellement au résumé de la Passion attribuée au Pseudo-Abdias (BHL 1002)42. Il le fait suivre d’un bref paragraphe relatif à la translation miraculeuse des reliques de l’apôtre, d’abord des Indes aux îles Lipari, puis à Bénévent. Le récit du Liber epilogorum reproduit ce modèle simple (Passion/Translation)43, même si Barthélemy de Trente travaille indépendamment de Jean de Mailly. Il ajoute seulement quelques phrases sur le lieu de conservation du corps de l’apôtre. Tout en étant redevable de ses prédécesseurs, Jacques de Voragine produit un récit plus complexe44. Il débute par l’interprétation étymologique du nom de Barthélemy, fondée sur une citation du Pseudo-Denis. Jacques de Voragine reproduit ensuite l’abrégé de la Passion, largement démarqué du texte de Jean de Mailly. Il insère ensuite un paragraphe critique à l’égard de la version véhiculée par le   Légende dorée, p. 610 et éd. Maggioni, p. 754.   G. P. M aggioni, « Parole taciute, parole ritrovate. I racconti agiografici di Giovanni da Mailly, Bartolomeo da Trento e Iacopo da Varazze » HA, t. 10, 2003, p. 196-197. 41   J. de M ailly, Abrégé des gestes et miracles des saints, ouv. cité, p. 357-360. 42   G. P. Maggioni indique qu’à la suite de la Passion, Jean de Mailly rapporte l’existence de diverses traditions concernant le martyre subi par l’apôtre (écorchement ou décapitation). La traduction donnée par Antoine Dondaine ne comporte aucun paragraphe de cette nature. Il rapporte même un récit du martyre qui ne souffre d’aucune ambiguïté (« …le roi déchira ses vêtements et il ordonna de flageller l’apôtre, puis de lui trancher la tête séance tenante. », ouv. cité, p. 360). Peut-être ce paragraphe existe-t-il dans une version manuscrite de l’Abbreviatio, mais G. P. Maggioni ne le dit pas. 43   B. de Trente, Liber epilogorum, éd. E. Paoli, ouv. cité, chap. 76, p. 252-255. 44   Légende dorée, p. 672-681 et éd. Maggioni, p. 830-840. 39

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Pseudo-Abdias, puisqu’il évoque l’existence de traditions divergentes concernant la réalité des supplices subis par l’apôtre. Suit le récit de la double translation du corps saint, puis la mention du lieu où sont conservées ses reliques. Cet ensemble strictement narratif se poursuit par trois miracles, qui font office d’exempla, d’un extrait des Préfaces d’Ambroise et un autre d’un sermon de Théodore Studite (ce qu’Alain Boureau désigne comme la « dilatation de la légende »45). L’élément le plus remarquable est donc que Jacques de Voragine ne s’en tient pas à la seule narration hagiographique : il propose aux prédicateurs, mais aussi aux lecteurs, un choix de matériel hagiographique diversifié, qui va du simple exemplum de la pauvre femme qui ne parvient pas à faire couler de son vase l’huile pour le luminaire de saint Barthélemy, aux considérations difficiles du Pseudo Denis, en passant par la référence à Ambroise, docteur de l’Église. Ce faisant, il élargit considérablement son public en satisfaisant des besoins culturels diversifiés. Au bout du compte, la collection de Jacques de Voragine participe au mouvement d’universalisation par deux moyens distincts et complémentaires. D’un côté, il met exclusivement à l’honneur des figures de saints connus de tous et s’en tient finalement à un sanctoral « généraliste ». Cette approche est renforcée par la rédaction des préambules étymologiques qui arrachent les saints à la contingence, pour en faire l’incarnation de valeurs morales et spirituelles. De l’autre côté, pour chacune de ces figures, Jacques de Voragine parvient à construire, autour d’un abrégé de leur Vie ou de leur Passion, des discours différenciés, polyphoniques, tenant compte des exigences et des besoins variés de son public. Bien sûr, cet élargissement du lectorat est déjà contenu dans le choix de maintenir le sanctoral aux frontières des grands saints universels. Néanmoins, cela ne devait pas apparaître comme une garantie suffisante car on voit Barthélemy de Trente particulièrement attaché à inscrire ces saints à vocation universelle dans l’espace des Églises particulières et, ainsi, donner prise à des dévotions civiques et communautaires. Dans la Légende dorée au contraire, leurs Vies sont décontextualisées, traitées en matières universelles, pour un public universel. 3– Légendiers, Vies des Pères du désert et édification des frères a– L’intérêt croissant pour la spiritualité du désert Une des particularités des légendiers strictement dominicains – c’est-à-dire en excluant l’Abbreviatio de Jean de Mailly46 – est de faire une place à quelques   Légende dorée, trad. éd. La Pléiade, ouv. cité, p. xxxix.   Les premières versions du légendier de Jean de Mailly n’intègrent pas ces figures de l’érémitisme oriental. En revanche, les derniers remaniements, effectués après l’entrée du compilateur dans l’ordre des prêcheurs, voient l’entrée dans ce corpus d’une Vie abrégée de sainte Marine.

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Vies des Pères du désert, lesquelles ne sont précisément pas commémorées par le calendrier liturgique. Barthélemy de Trente, le premier, consacre six chapitres de son Liber epilogorum à des figures de l’érémitisme oriental47. Avec la Légende dorée, Jacques de Voragine porte à quinze le nombre de ces témoins48, ce qui n’est pas une mince augmentation si l’on songe que ce légendier compte grossièrement deux fois moins de chapitres que celui de Barthélemy de Trente. Cette orientation des légendiers dominicains, mais aussi de l’hagiographie mendiante en général, est une réalité bien connue49. On sait le mécanisme d’identification de l’ordre des prêcheurs avec les Pères du désert. Il est exposé par Matthieu Paris, lorsqu’il fait des frères prêcheurs les nouveaux Pères du désert, puisque, dit-il, la terre entière est leur cellule et les océans sont leur cloître50. Il est surtout mis en scène par Géraud de Frachet qui, avec les Vitas fratrum, cultive le parallélisme entre les Vies des ermites orientaux et celles des frères de son ordre51. Même si ce dernier ne fait pas explicitement le lien entre sa collection et celle des Vitae Patrum, l’identification se laisse deviner : c’est d’abord la morphologie archaïque du titre (Vitas au lieu de Vitae) qui fonctionne comme un renvoi au titre du recueil formé au vie siècle sous le titre Vitas Patrum. C’est ensuite l’organisation de la matière que Géraud de Frachet calque sur ce modèle : malgré leur titre, les Vies des Pères du désert ne sont pas tant formées de la réunion d’éléments biographiques que de bons mots (des apophtegmes ou verba seniorum) et de courts récits exemplaires. Or, Géraud de Frachet conçoit d’abord son ouvrage comme une somme d’exempla, et Humbert de Romans, qui le préface, le décrit comme un recueil de facta et de dicta des frères. Par ailleurs, Alain Boureau a souligné, d’une part, combien ces Antoine Dondaine n’en donne pas le texte dans sa traduction du légendier. L’information se trouve dans G. P hilippart, « Vitae patrum. Trois travaux récents sur d’anciennes traductions latines », AB, t. 92, 1974, p. 67. 47   Paul ermite (p. 48), Antoine (p. 54), Marine (p. 183), Macaire (p. 52), Marie l’Égyptienne (p. 378), Barlaam et Josaphat (p. 365). 48   Neuf, disposant d’une fête, sont inclus dans l’ordre calendaire du légendier. Il s’agit de Paul ermite (chap. 15), Macaire (chap. 18), Antoine (chap. 21), Jean l’aumônier (chap. 27), Marie l’Égyptienne (chap. 54), Marine, (chap. 79), Pélagie (chap. 146), Maguerite/Pélage (chap. 147) et Thaïs (chap. 148). Six sont ajoutés à la fin de la collection : Pasteur (chap. 171), Jean (chap. 172), Moïse (chap. 173), Arsène (chap. 174), Agathon (chap. 175), Barlaam et Josaphat (chap. 176). 49   Sur cette caractéristique de la Légende dorée, voir trad. éd. La Pléiade, ouv. cité, p. xxxv-xxxvi et les notules consacrées aux chapitres relatifs aux Pères du désert respectivement p. 1109, 1118, 1123, 1137, 1203, 1259, 1414, 1416, 1472-1475). Pour une vue plus large, englobant entre autre l’hagiographie franciscaine et la prédication, voir C. Delcorno, « Le Vitae Patrum nella letteratura religiosa medievale (sec. xiii-xv) », Lettere italiane, t. 43, 2 (avril-juin 1991), éd. Leo S. Olschki, Firenze, 1991, p. 197-207. 50   La comparaison est extraite de la Chronica majora de Matthieu Paris. Elle est citée par C. Delcorno, art. cité, p. 195. 51   Sur ce parallélisme, voir A. Boureau, « Vitae Fratrum, Vitae Patrum. L’ordre dominicain et le modèle des Pères du désert au xiiie siècle », MEFR, t. 99, 1987, p. 79-100.

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deux collections mettaient à l’honneur le groupe avant que de célébrer la sainteté d’individus remarquables et, d’autre part, le désir de Géraud de Frachet de cultiver un certain mimétisme entre les personnages de l’une et l’autre époque : en effet, le récit de la rencontre entre saint Dominique et saint François est démarqué de celui où saint Antoine retrouve l’ermite Paul ; de la même manière, le passage où ceux-ci rivalisent d’humilité est habilement adapté par Géraud à l’évocation des rapports entre les fondateurs des deux grands ordres mendiants. Il y a également un certain nombre de réminiscences dans le récit des premiers temps du couvent de Paris et de Limoges avec les passages des Vitae patrum qui rapportent les diverses interventions divines en faveur de l’alimentation de l’ermite Paul et de saint Antoine. Cette construction parallèle se développe aux dépens d’une succession de biographies édifiantes : elle élabore une hagiographie de groupe, où les exploits individuels s’effacent devant le modèle qui est en partage. D’ailleurs, celui-ci est bien adapté à l’ambivalence de la spiritualité dominicaine : là où ces moines orientaux se dépouillent, éprouvent leur foi par le renoncement et ne sortent de leur désert que pour prêcher à la population ou dispenser un enseignement aux moines (exemple de saint Antoine), les prêcheurs font de la pauvreté un moyen de rénovation de la vie religieuse et vivent en réguliers au contact des fidèles et des laïcs52. Au bout du compte, même si le modèle des Pères du désert fut régulièrement réactivé dans un cadre réformateur et d’opposition au cénobitisme bénédictin traditionnel53, les dominicains sont peut-être ceux qui se sont le mieux appropriés la spiritualité du désert : ils n’ont pas appliqué le modèle seulement à leur fondateur, et se démarquent en cela du discours hagiographique franciscain (il est vrai que la figure charismatique du Poverello réunit en elle tous les mérites du modèle), mais en ont fait, par les Vitas fratrum, le relais d’une sainteté collective. Dans quelle mesure peut-on appliquer à la Légende dorée ce qui se déduit d’une collection comme les Vitas fratrum, certes à dimension hagiographique, mais composée dans un autre contexte et avec d’autres intentions ? Le problème majeur est que Géraud de Frachet ne parle jamais pour eux-mêmes des Pères du désert : il applique, par réminiscence, la structure d’une collection   Carlo Delcorno fait même un rapprochement entre la vie des Pères, articulée entre prédication itinérante et périodes de contemplation, et l’installation, au xiiie siècle des premiers couvents des prêcheurs, aux limites des villes (art. cité, p. 195). 53   Dès les xie et xiie siècles, en Italie d’abord puis en France, tous les grands initiateurs d’un monachisme rénové se sont reconnus dans le modèle des Pères du désert, exploité essentiellement contre l’expérience clunisienne : c’est le cas, pour ne citer qu’eux, de Bernard de Tiron ou d’Étienne de Muret, fondateur de l’ordre de Grandmont. Ce dernier se fait lire les Vitae patrum pendant les repas et a lui-même composé un Liber sentenciarum imitant les apophtegmes des Pères. 52

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célèbre pour influencer la lecture de Vies contemporaines et, ce faisant, en orienter la portée. Or, la lecture de la Légende dorée suffit pour se rendre compte que Jacques de Voragine ne se situe pas du tout dans cette optique : les Pères et ermites orientaux ne sont pas traités en groupe, même si les traits communs rapprochent les récits de leurs Vies – ce qui vaut, d’ailleurs, pour d’autres groupes de saints, à commencer par les martyrs. Jacques de Voragine, même s’il évoque plus de cas que son devancier Barthélemy de Trente, s’en tient quand même à des figures individualisées : elles le sont d’abord par leur noms, mais aussi par l’inscription de certaines dans le calendrier. Quelle image de la sainteté se dégage de ces modèles ? b– Les Vitae Patrum dans la Légende dorée : intentions et usages Les Vies des Pères du désert sont avant tout des récits pittoresques, qui se prêtent à la vulgarisation du message religieux. C’est donc ce motif utilitaire et pragmatique qui a été régulièrement avancé pour justifier cette présence croissante des ermites orientaux dans l’hagiographie dominicaine : s’ils sont si nombreux dans ce légendier, c’est que les frères y puisent les récits édifiants qui étoffent leurs sermons. Cette interprétation, somme toute très banale, est corroborée par la manière dont Jacques de Voragine adapte certaines de ces Vies : celle d’Antoine par exemple54, est éclatée en plusieurs récits autonomes dont la superposition ne constitue pas une Vie linéaire. Introduits par des formules vagues (« Un jour », « Une autre fois », « Alors qu’il cheminait »…), ces épisodes ne sont guère reliés entre eux de manière à former une biographie. Les faits que l’hagiographe veut mettre en exergue ne sont pas contextualisés, mais toujours pris « sur le vif » : Jacques de Voragine les dépouille de toute mise en situation au point de n’en conserver que l’enseignement utile et édifiant. Dans la Vie que rédige Athanase d’Alexandrie (BHL 60955), chaque combat avec le démon est suivi d’une élévation du degré d’ascétisme de la Vie d’Antoine : il redouble de ferveur, s’impose des veillées, mange moins encore et se retire toujours plus loin dans le désert. Ces éléments ne sont pas perceptibles dans la Légende dorée, parce que Jacques de Voragine privilégie le seul récit de la lutte contre les tentations, et l’expose pour lui-même. Finalement, la logique narrative disparaît au profit d’une multiplication de récits exemplaires, aisément adaptables aux exigences formelles et aux objectifs de la prédication. C’est aussi pour la même raison que Jacques de Voragine, après avoir considérablement réduit la Vita proprement dite, l’étoffe d’apophtegmes

  Chapitre 21, Légende dorée, p. 128-132 et éd. Maggioni, p. 155.   La traduction latine d’Évagre est éditée dans PL, t. 73, col. 125-168 et traduite par Gérard Bartelink, Le Cerf, 1994. 54 55

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tirées des Verba seniorum. Ces maximes, souvent très courtes, tiennent de la parabole, ce qui accroît encore l’orientation pastorale du contenu de la Légende dorée. D’ailleurs, si l’on excepte les parties sur les saintes femmes du désert comme Marie l’Égyptienne, Marine ou Thaïs, les chapitres consacrés aux Pères sont parfois exclusivement formés de ces paroles mémorables56. Ces dernières sont aussi très présentes dans la prédication, de sorte qu’il est possible que leur insertion dans le légendier soit en fait une forme d’harmonisation par rapport à une logique d’écriture déjà largement développée dans la pastorale, plutôt qu’une initiative de Jacques de Voragine. Il est probable que celui-ci ait connu la Vie des saints Barlaam et Josaphat par exemple57 par l’intermédiaire des nombreuses paraboles réemployées en exempla par Jacques de Vitry58. De ce point de vue, les notes qui accompagnent la traduction de la Légende dorée montrent assez qu’un grand nombre de ces apophtegmes des Pères du désert étaient régulièrement employés comme exempla59. L’insertion des Vitae patrum dans le légendier s’accompagne d’un message résolument pénitentiel. Jacques de Voragine attire l’attention des fidèles sur les caractères insidieux du démon et sur la nécessité de faire pénitence. C’est bien l’orientation, on l’a vu, qui est donnée à la Vie de saint Antoine, en même temps qu’elle est illustrée par le périple de Marie l’Égyptienne. De ce point de vue, il est remarquable que l’abstinence extrême, qui caractérise aussi cet érémitisme oriental, soit absente ou à peine suggérée par ces réécritures. Le renoncement et le jeûne, qui sont essentiels dans la pénitence de Marie l’Égyptienne60, ne sont présents dans la Légende dorée que par une évocation rapide de sa nudité et des trois pains qui constituèrent, pendant quarante-sept ans, sa seule nourriture. En réalité, l’essentiel du texte est constitué des miracles dont le prêtre Zosime est le témoin (Marie connaît le nom du prêtre et sa fonction alors qu’elle ne l’a jamais vu. Plus loin, elle marche sur l’eau). Mais le dénuement extrême, qui est au cœur de la spiritualité du désert, se trouve édulcoré dans l’adaptation

  C’est le cas notamment pour les notices consacrées à Pasteur (éd. G. P. Maggioni, p. 1124, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 992), Moïse (éd. G. P. Maggioni, p. 1230, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 996), Arsène (éd. G. P. Maggioni, p. 1232, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 998) ou Agtahon (éd. G. P. Maggioni, p. 1236, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 1001). 57   G. P. Maggioni, p. 1238, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 1003. 58   L’information se trouve dans les notules qui accompagnent la traduction de la Légende dorée, trad. sous la dir. d’A. Boureau, M. Goullet, ouv. cité, p. 1475. 59   Par une mise en relation des paroles des Pères avec le répertoire de F. C. Tubach (Index exemplorum. A Handbook of medieval religious tales, Fellow Folklore Communications, 204, Helsinki, 1969), ces notes indiquent en effet les paraboles qui étaient le plus fréquemment reprises en exempla (voir par exemple p. 1476, n. 1-4. Sur cette utilisation des Vies des Pères du désert, voir aussi, mais pour une période plus tardive, X. Hermand, « Les Vitae Patrum dans le Promptuarium de Jean Hérolt († 1468) », RHE, t. 90, 1995, p. 5-48. 60   Chap. 54, éd. G. P. Maggioni, p. 374, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 298. 56

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qu’en ont généralement faite les prêcheurs à leurs propres nécessités61. Tout se passe alors comme si l’écriture de la Vita, puis son utilisation pastorale, devaient dissuader lecteurs et auditoire des excès de la pauvreté et de l’abstinence. Par ce biais, on comprend qu’il y a une lecture dominicaine des Vies des Pères, laquelle permet à ces récits d’être aussi bien des exempla que des supports pour l’édification des frères. Pour autant, sur bien des points, le modèle des Pères du désert est sensiblement éloigné du mode de vie des prêcheurs, et globalement des mendiants. Il met d’abord en exergue l’isolement et le silence absolus. Le premier est, dans la Légende dorée, totalement endossé par saint Pasteur, qui s’enfuit dans sa cellule pour ne pas voir sa mère62 ; le second est illustré par le conseil que prodigue à Arsène à l’homme inquiet pour son salut (« Fuis les hommes et tais-toi ! »63) ou par les contraintes que s’impose Agathon : « Pendant trois ans, [il] plaça une pierre dans sa bouche jusqu’à ce qu’il ait appris à se taire »64. La prédication existe dans la Vie de saint Antoine, puisque lorsque les ariens prétendirent qu’Antoine était des leurs, l’ermite quitta son désert et vint à Alexandrie pour les confondre publiquement. Cette parole efficace, toute entière tournée vers la lutte contre les déviances religieuses, semble de nature à tenir une place de choix dans un légendier dominicain. Pourtant, Jacques de Voragine ne retient rien de l’épisode. Finalement, ce qui est susceptible d’illustrer au mieux l’édification d’un dominicain est le message très général lié au dépassement de soi, ainsi que l’image de la charité telle que l’incarne un saint comme Jean l’aumônier65. Ce patriarche d’Alexandrie se procura une liste exacte des pauvres, qu’il appelait « ses maîtres et ses seigneurs ». Il s’en trouva sept mille cinq cents : il les prit sous sa protection et se chargea de pourvoir à leurs besoins. Le succès de la Légende dorée n’est sans doute pas étranger à la diffusion de cette Vie en occident. Dans tous les cas, on se trouve à la marge du message délivré par le corpus des Vitae patrum car la lutte contre toutes les formes de tentation, même s’il y est exacerbé, n’est pas spécifique à cette tradition hagiographique ; quant

61   Carlo Delcorno (ouv. cité p. 200) fait le même constat pour ce qui est de l’adaptation des Vies des Pères dans la prédication aux laïcs : Guiard de Laon, chancelier de l’Université de Paris, puis évêque de Cambrai à partir de 1238 a laissé des semons sur saint Antoine qui louent l’équilibre de ses vertus entre modestie de cœur, qualité de la parole, travail et abstinence. 62   Chap. 171, éd. G. P. Maggioni, p. 1224, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 992. 63   Chap. 174, éd. G. P. Maggioni, p. 1233, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 999. 64   Chap. 175, éd. G. P. Maggioni, p. 1236, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 1001. 65   Chap. 27, éd. G. P. Maggioni, p. 188, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 154.

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à la Vie de Jean l’aumônier, elle est thématiquement proche des Vies des Pères, mais sa transmission semble étrangère à ce corpus66. Ainsi, la première version de la Légende dorée illustre bien l’universalisme du projet dominicain. Celui-ci n’est plus uniquement porté par une rénovation de l’écriture, tournée vers la pastorale, puisque le sanctoral, expurgé des saints locaux qui se trouvaient encore dans les légendiers de Jean de Mailly ou de Barthélemy de Trente, tient ici un rôle non négligeable. À bien des égards, cette première version de la Légende dorée apparaît comme un légendier pour les prêcheurs. En effet, la collection se livre d’abord comme un support identitaire : le compilateur copie de manière privilégiée les travaux de ses frères en religion ; il reprend les références bibliographiques données par le maître de l’ordre, tout en leur donnant une valeur intrinsèque puisqu’il peut ne pas copier les ouvrages ainsi sélectionnés. Enfin, par la mise en valeur des verba seniorum, les Vies des Pères du désert valorisent la parole mendiante. Au bout du compte, ce légendier fournit aux frères prêcheurs un discours utile pour la prédication comme pour leur édification personnelle. Cependant, l’œuvre ne reste pas en l’état, et les remaniements effectués par Jacques de Voragine tendent à modifier quelque peu la portée de la collection. B– L a deuxième version de la Légende dorée : vers une encyclopédie hagiographique

L’un des principaux apports des travaux menés par Giovanni Paolo Maggioni67 sur le texte de la Légende dorée est d’avoir montré qu’il existe plusieurs états de l’œuvre et que Jaques de Voragine s’est attaché à retravailler sa collection et à la compléter. Ces recherches ont bouleversé toute la perception d’une œuvre qui a évolué, avant même que ne se développe la pratique des additions « nationales », ce que ne montrait pas l’édition de Theodor Graesse68, long66   Voir la notule qui accompagne la traduction de ce chapitre dans la traduction d’A. Boureau, M. Goullet et L. Moulinier, ouv. cité, p. 1137-1138. 67   G. P. M aggioni, « Aspetti originali della Legenda aurea di Iacopo da Varazze », Medioevo e Rinascimento, t. 4, 1990, p. 143-201 ; « Diverse redazioni della Legenda aurea. Particolarità e prolemi testuali », La critica del testo mediolatino. Atti del convegno (Firenze 6-8 décembre 1990), éd. C. Leonardi, Spolète, 1994, p. 365-380 ; Ricerche sulla composizione e sulla trasmissione della « Legenda aurea », Spolète, 1995. Ces articles sont des études préparatoires à l’édition de la Légende dorée, publiée en 1998 et corrigée en 1999. Plus récemment, sur ce thème des variations du texte de la Légende dorée, « Le molte Legende auree. Modificazioni testuali e itinerari narrativi », De la sainteté à l’hagiographie. Genèse et usage de la Légende dorée. Études réunies par Barbara Fleith et Franco Morenzoni, éd. Droz, Genève, 2001, p. 15-40. 68   J.  de Voragine, Legenda Aurea, vulgo historia lombardica dicta ad optimorum librorum fidem recensuit, Th. Graesse, Bratislava, 1846.

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temps la seule utilisée par les hagiologues. Pour s’en tenir, comme le fait Giovanni Paolo Maggioni, à la branche lombarde du texte, c’est-à-dire celle qui correspond au travail de Voragine, il a donc existé, sous sa plume, un légendier « originaire » et un légendier « définitif ». Il est cependant difficile de reconstruire la linéarité de cette évolution, car le nombre des manuscrits est colossal et le succès fulgurant de ce légendier ne permet pas d’avoir une vision claire des réélaborations successives, poursuivies pendant plusieurs années. Giovanni Paolo Maggioni n’exclut pas par exemple que certaines additions aient été diffusées de manière autonome. Étant données ces difficultés, et dans la mesure où la tradition manuscrite n’est pas le propos de cet exposé, l’analyse tiendra exclusivement compte des termes extrêmes de la composition de la Légende dorée. Ce parti pris génère inévitablement une forme de caricature, mais même s’il n’est pas exactement respectueux du déroulement réel des différentes corrections portées sur le texte, le raccourci n’affaiblit pas pour autant les lignes de force qui émergent des premières et dernières versions compilées par Jacques de Voragine. L’essentiel est de montrer que le projet a changé : la Légende dorée du prieur de la province de Lombardie n’est pas tout à fait identique à celle de l’archevêque de Gênes. Les premiers témoins manuscrits de la Légende dorée conduisent à situer l’entreprise initiale dans les années 1261-1267, tout en faisant apparaître que la rédaction s’est poursuivie dans cette période, sans qu’il y ait pour autant d’unification du texte. C’est la réécriture de la Vie de saint Pierre de Vérone qui permet de distinguer un second groupe de manuscrits : ils entérinent la rédaction, en 1274 d’une Passion du martyr dominicain par Thomas de Lentino. Cette seconde version du légendier est elle-même constamment remaniée jusqu’à la fin des années 1290, alors que Jacques est archevêque de Gênes. Le relevé, puis le classement, des ajouts et des passages tardifs permettent de proposer une lecture dynamique de la Légende dorée, de montrer comment le compilateur à fait évoluer la portée et les usages possibles de son œuvre. 1– Effort critique a– Retour sur la diffusion des notices critiques d’Humbert de Romans Le « Prototype » de la liturgie unifiée est diffusé dans les couvents de l’ordre dominicain au cours de la décennie 1260. Cette chronologie a permis à Jacques de Voragine d’inclure dans son légendier des références bibliographiques ou des notes de lecture issues du lectionnaire de l’office. Mais on l’a vu, elles sont souvent rapides, lacunaires et, semble-t-il, utilisées en appoint, et non comme véritable source, d’un texte déjà constitué. Or, parmi les nombreuses retouches qu’apporte le compilateur, on le voit compléter d’une longue

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citation des références lues dans le lectionnaire d’Humbert de Romans et laissées en l’état. Plusieurs des textes de la Légende dorée qui indiquaient, en tête de la legenda, un élément bibliographique ou critique tiré d’Humbert de Romans sont complétés après coup et reçoivent, à la fin, une copie complète du texte qui jusqu’ici n’était qu’évoqué. La Vie de l’évangéliste Jean69 illustre ce procédé : après l’introduction à caractère étymologique, et avant d’entreprendre le récit proprement dit de la Vie de saint Jean, Jacques de Voragine développe « les quatre privilèges dont a joui saint Jean. L’exposé s’achève par la mention de sa source : « L’évêque Milet de Laodicée a rédigé sa Vie, qu’Isidore a abrégée dans son livre Sur la naissance, la vie et la mort des saints Pères ». Or, ce n’est pas un résumé de la Vie attribuée à Milet qu’il copie, mais celui qu’ont rédigé Jean de Mailly et Barthélemy de Trente. Dans la seconde version de son légendier, il ajoute à la toute fin de son texte une copie complète de l’extrait du De ortu et obitu qu’Isidore consacre à l’évangéliste70. Le même type d’ajout se trouve dans la Passion de saint Clément71. Jacques de Voragine ajoute d’abord une précision qui n’existe ni dans l’Abbreviatio de Jean de Mailly, ni dans le Liber epilogorum de Barthélemy : il s’agit du nom de la ville où le saint est envoyé en exil, Tersona. Les auteurs des notes qui accompagnent la traduction du texte de Voragine ont estimé, avec raison, que ce détail venait de la Translatio Clementis de Léon d’Ostie (BHL 1851ab), mais il faut ajouter que l’adaptation qu’avait faite Humbert de Romans de ce texte pour les leçons de l’office conservait aussi ce détail72. De plus, Jacques de Voragine complète aussi sa légende de la découverte miraculeuse du corps de Clément et de sa translation à Rome, récit qu’il place sous l’autorité de Léon d’Ostie73. Or, ce récit est démarqué de la neuvième leçon de l’office dominicain, comme l’a montré Léonard Boyle74. Comme il l’a fait pour la Vie de saint Jean, Jacques de Voragine complète donc la Passion de saint Clément des informations lues dans le lectionnaire de son ordre. À la fin de la Passion de saint Denis, Jacques de Voragine ajoute plusieurs paragraphes (récit du don à Louis le Pieux des livres de saint Denis, la révéla  Chap. 9, éd. G. P. Maggioni, p. 87-96 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 68-76.   G. P. Maggioni, p. 96, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 76. 71   Chap. 166, éd. G. P. Maggioni, p. 1188-1202, trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 961-973. 72   Le choix de cette source est indiqué par Humbert de Romans en marge de la 9e leçon : Leo Ostiensis episcopus de translatione corporis beati Clementis ad Urbem, in ecclesia que dicitur beati Clementis, (éd. A.-É. Urfels-C apot, p. 432). 73   « Léon, évêque d’Ostie, raconte qu’au temps où Michel, empereur de la nouvelle Rome, dirigeait l’Empire… De nombreux miracles eurent lieu et le corps fut déposé avec beaucoup d’honneur dans l’église qui est maintenant appelée Saint-Clément » (Légende dorée, p. 973 et éd. Maggioni, p. 1201-1202). 74   L. Boyle, « Dominican lectionnaries and Leo of Ostia’s Translatio sancti Clementis », AFP, t. 28, 1958, p. 362-394. L’auteur donne une édition comparée de la translation de saint Clément selon les textes de Léon d’Ostie, Humbert de Romans et Jacques de Voragine. 69 70

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tion faite à l’évêque d’Arles de la mort de Denis, la dévotion de Dagobert, à laquelle s’oppose le châtiment de Clotaire). Il achève ces compléments par la phrase « Et remarquons qu’Hincmar, évêque de Reims, dit dans une lettre qu’il adressa à Charles que ce Denis envoyé en Gaule fut Denis l’Aréopagite »75. Or, cette précision se trouve à l’identique dans le paratexte des leçons rédigées par Humbert de Romans pour l’office76. La confrontation des notices critiques et des sources recommandées par Humbert de Romans avec les remaniements de la Légende dorée montre cependant que cette mise en conformité reste incomplète77. Il ne faut sans doute pas en tirer de conclusions hâtives ou définitives quant aux choix du compilateur : le remaniement continu des manuscrits peut être une explication possible de ce qui apparaît d’emblée comme une différence de traitement. Il n’en reste pas moins que la volonté de fournir pour l’office des textes vérifiés et correctement référencés a largement dépassé l’usage qu’impliquait ce type d’élaboration. L’exemplar a ici joué plus que son rôle. Rédigés pour accompagner, et peut-être justifier, les leçons de l’office, les préambules critiques et bibliographiques deviennent, plus que des orientations, de véritables recommandations et des référents pour les compilations connexes à la narration liturgique. C’est en tous cas ce que suggère l’usage qu’en fait Jacques de Voragine (et qu’en fera Bernard Gui), car en réalité, on ne sait si cette extension de l’usage des notices critiques avait été prévue par le maître de l’ordre ou le chapitre général. Cette situation enfin, appelle deux remarques. La première concerne « la cohésion culturelle » de l’ordre des prêcheurs : s’il est évident que la liturgie unifiée renforce l’homogénéité de l’ordre et sa construction supranationale, son utilisation dans la compilation hagiographique fait endosser le même rôle au légendier. En consultant les Vies de saints, les frères ne pouvaient manquer de constater leur adéquation avec les lectures entendues aux matines. Au bout du compte, le caractère grégaire du discours hagiographique passe autant par la mise en valeur de figures de saints que par le choix des textes. Parallèlement, il ne faut pas perdre de vue que les lectures propres à l’office dominicain occupent de plus en plus de place dans une collection que l’usage destinait à un public plus varié que les seuls frères, ce qui est encore accentué non seulement par la diffusion extraordinaire de la Légende 75   Chapitre 149, Jacques de Voragine, La Légende dorée, trad. éd. La Pléiade, ouv. cité, p. 849 et, pour le texte latin, éd. Maggioni, ouv. cité, p. 1050. 76   Et nota quod Hincmarus Remorum episcopus, in epistola quam scripsit ad Karolum de miraculis beati Dyonisii, in qua etiam ostendit Dyonisium missum in Galliam fuisse illum Ariopagitam, éd. A.É. Urfels-C apot, p. 388. Cette identification a échappé aux auteurs des notes accompagnant la traduction de la Légende dorée. 77   Par exemple, l’introduction des leçons de l’office consacrées à l’apôtre Paul fait référence à l’extrait du De ortu et obitum patrum d’Isidore de Séville : Jacques de Voragine l’ignore, alors qu’il complète sa Vie de saint Jean en respectant cette même orientation.

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dorée, mais aussi par le relais du sermon. Dans ces conditions, le caractère identitaire des emprunts au lectionnaire de l’ordre n’apparaît que plus intéressant. La seconde remarque porte sur l’appréhension globale du légendier. Généralement, on considère comme prudent de séparer textes liturgiques et textes hagiographiques, tout en reconnaissant des liens entre ces deux livres78. Cette position bien sûr, se justifie, ne serait-ce qu’en raison des orientations et des fonctions différentes de ces documents. Mais ceci dit, l’exemple dominicain va au-delà de la copie de circonstance, ordinaire en présence de deux textes qui ont les mêmes objets. Entre le lectionnaire et le légendier, la circulation des Vitae, des références, peut revêtir une autre fonction que celle dictée par la seule commodité. b– La mise en garde contre les apocryphes La Légende dorée a été régulièrement qualifiée de collection archaïque et naïve79, en raison de la crédulité qu’elle suppose, du fait du grand nombre de miracles qui y sont contenus. Même si ce jugement est régulièrement battu en brèche80, il n’empêche que c’est toujours cette écriture du merveilleux qui retient en premier l’attention du lecteur. Ceci vient sans doute du fait que Jacques de Voragine n’est pas, dans un premier temps au moins, rebuté par l’idée d’utiliser des récits dont la fiabilité était douteuse, pourvu que leur dimension merveilleuse confirme les enseignements de la légende. C’est ce qui ressort notamment de l’épisode consacré à Judas, meurtrier de son « frère », de son père puis uni à sa mère (ce cumul des crimes préfigurant l’ultime traîtrise), mais aussi de la paralysie qui frappe Titus81, ou encore de l’horrible Néron

  Voir par exemple ce qu’écrit G. P hilippart, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, typologie des sources du moyen âge occidental, 24-25, éd. Brepols, Turnhout, 1977, spécialement le premier chapitre, intitulé « Définition du genre », p. 21-26. 79   « La Légende dorée offre l’image pauvre d’un catholicisme doctrinal, peu ouvert à la nouveauté théologique, dernier et faible écho de la tradition exégétique vivante jusqu’à Bernard. Le visage de cette foi austère ne s’éclaire pas de la luminosité gothique. Où trouver un portait vivant de la sainteté du xiiie siècle, en ces vies vidées de leur individualité ? », A. Boureau, La Légende dorée. Le système narratif de Jacques de Voragine († 1298), éd. Cerf, 1984, p. 254. Il est vrai cependant que sur ce point l’auteur a évolué (voir note suivante). 80   C’est notamment la position défendue par A. Vauchez (« Jacques de Voragine et les saints du xiiie siècle dans la Légende dorée », Legenda aurea : sept siècles de diffusion, actes du colloque international sur la Legenda aurea : textes latins et branches vernaculaires, à l’Université du Québec à Montréal, 11-12 mai 1983. Ouvrage publié sous la direction de Brenda Dunn-Lardeau. Montréal, Éditions Bellarmin, Paris, Librairie J. Vrin, 1986, p. 27-56) puis par G. Barone (« Le proposte agiografiche degli ordini mendicanti tra radicamento locale e dimensione sovranazionale », Vita e identità politiche : universalità e particolarismi nell’Europa del tardo Medioevo, éd. S. Gensini, Pise, 1998, p. 176). Voir aussi ce qu’écrit Alain Boureau dans l’introduction à la nouvelle traduction de la Légende dorée (J. de Voragine, La Légende dorée, trad. éd. La Pléiade, ouv. cité, spécialement p. xliv). 81   Chap. 63, éd. G. P. Maggioni, p. 455-456 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 360-361. 78

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enfantant une grenouille82. Par ailleurs, Jacques de Voragine n’hésite pas à accorder le même crédit à plusieurs versions, et donc à les multiplier, ce qui crée l’impression d’une surenchère propre au récit merveilleux. C’est sur ce mode que fonctionnent les récits de la guérison d’Adam, en tête du chapitre consacré à l’invention de la sainte Croix83 : dans un premier temps, Seth, fils d’Adam reçoit de l’archange Michel la certitude de n’obtenir l’huile qui guérira son père qu’à la venue du Christ ; mais il se peut qu’il ait aussi retiré de cette rencontre un rameau du bois de Croix planté sur le Mont Liban, à moins que ce ne soit un morceau de l’arbre du péché d’Adam, lequel poussa jusqu’à l’époque de Salomon. L’important ici n’est pas tant cette mise en scène du merveilleux, sur laquelle on a à peu près tout dit et tout écrit, que le changement d’attitude du compilateur à son égard. Sans être expurgée de ces épisodes, la deuxième version de la Légende dorée en appelle à la vigilance du lecteur. La lecture attentive des notes qui accompagnent l’édition du légendier montre l’ajout systématique d’une formule mettant en garde contre le caractère incertain, voire apocryphe, de ces épisodes, lesquels continuent pourtant à être racontés. Dans la Vie de saint Mathias, les épisodes relatifs à Judas s’achèvent désormais sur l’appréciation suivante : « Jusqu’ici, c’est ce qu’on peut lire dans l’histoire apocryphe ; quant à savoir s’il faut en faire usage, c’est ce qui est laissé à la libre appréciation du lecteur, bien que cette histoire paraisse plus à rejeter qu’à suivre »84. La paralysie de Titus puis sa guérison miraculeuse donne lieu à un commentaire analogue : « Je laisse au lecteur le soin de juger s’il faut ou non faire usage de cette histoire apocryphe »85. Cette forme de dédouanement du compilateur, qui en dernier recours, s’en remet au seul jugement du lecteur, complète aussi le récit de la guérison d’Adam grâce au bois de la Croix86. Ainsi, entre les premiers manuscrits de la Légende dorée et les révisions que l’on situe après 1274, se fait jour une forme de retenue étrangère au récit du prieur provincial. Ce qui est étonnant bien sûr, c’est de relever que la qualification d’apocryphe, qui paraît très sévère, n’est en fait pas suivie du rejet pur et simple des épisodes ainsi désignés. Par ailleurs, il apparaît que l’insertion de ces mises en garde n’est pas, comme on aurait pu le penser, le résultat d’un travail plus approfondi sur les sources et la tradition manuscrite. On peut ainsi relever des exemples où la mention d’apocryphe existe dès la première rédaction des lé-

  Chap. 84, éd. G. P. Maggioni, p. 470-471 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 459.   Chap. 64, éd. G. P. Maggioni, p. 459-460 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 363-364. 84   Chap. 45, éd. G. P. Maggioni, p. 280 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 224. 85   Chap. 63, éd. G. P. Maggioni, p. 456 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 361. 86   Chap. 64, éd. G. P. Maggioni, p. 459 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 364. 82

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gendes87, et, de ce point de vue, il serait absurde de soutenir que l’hagiographe a sélectionné puis copié des sources en n’apprenant qu’après coup qu’elles ne se distinguaient pas par leur orthodoxie. Autrement dit, ce n’est pas parce que Jacques de Voragine a découvert le caractère douteux de ses références qu’il en informe ses lecteurs, mais parce que son lectorat, et/ou l’usage du légendier se sont élargis. Ces mises en garde témoignent peut-être aussi d’une pénétration plus profonde de l’orthodoxie des sources, érigée en principe par Humbert de Romans et diffusée par les sources liturgiques. Sans forcément parler de crispation, il faut au moins dire que la volonté de proposer un texte sûr est plus forte, ce qui confère d’emblée un autre rôle à la narration hagiographique, puisqu’elle est placée en amont de l’activité de prédication. 2– Référencer le texte Les deux tiers environ des compléments apportés par Jacques de Voragine à son légendier sont constitués d’éléments qui attestent les données de la Vita. Grossièrement, la moitié d’entre eux concerne des citations d’auteurs, des précisions au sujet de la circulation des sources, de leur traduction ou de l’identité de l’auteur, tandis que l’autre moitié, soit une cinquantaine d’insertions, correspond à la production de données chronologiques absentes de la première version. a– L’ajout de références bibliographiques et de citations d’Autorités La lecture des notes qui accompagnent édition et traduction de la Légende dorée permet un relevé précis des références ajoutées par Jacques de Voragine. Pour simplifier, elles peuvent être classées en trois groupes différents. Il y a d’abord une série de citations d’auteurs, qui nourrissent le récit d’éloges. Les plus nombreuses sont celles que Jacques de Voragine emprunte aux Praefationes d’Ambroise au sujet de martyrs célèbres, comme Sébastien88, Agnès89, Agathe90, Georges91, Gervais et Protais92, Jean et Paul93, Euphémie94, Cécile95 et Clément96. Constitués de quelques phrases seulement, ces emprunts à l’œuvre 87   C’est ainsi par exemple, qu’à l’appui du Contre Fauste de saint Augustin, Jacques de Voragine qualifie le récit de la vengeance de l’apôtre Thomas contre l’aubergiste qui l’avait giflé (Chap. 5, éd. G. P. Maggioni, p. 55 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 42). 88   Chap. 23, éd. G. P. Maggioni, p. 168 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 139. 89   Chap. 24, éd. G. P. Maggioni, p. 173 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 143. 90   Chap. 39, éd. G. P. Maggioni, p. 261 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 209-210. 91   Chap. 56, éd. G. P. Maggioni, p. 398 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 318. 92   Chap. 80, éd. G. P. Maggioni, p. 539 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 431-432. 93   Chap. 82, éd. G. P. Maggioni, p. 555 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 446. 94   Chap. 134, éd. G. P. Maggioni, p. 953-954 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 773. 95   Chap. 165, éd. G. P. Maggioni, p. 1183 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 956-957. 96   Chap. 166, éd. G. P. Maggioni, p. 1201 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 973.

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d’Ambroise viennent généralement clore le récit. Du coup, ils sont une apologie du martyre comme voie d’accès à la sainteté : « On ne peut donc douter que le fait d’avoir versé le flot rosé de son sang lui ait valu de passer les portes fermées du ciel et de posséder le royaume des cieux » écrit-il au sujet de saint Georges97. Le docteur de l’Église est aussi convoqué pour cautionner le récit : « Ambroise atteste ce miracle des couronnes de roses dans sa Préface, quand il dit ‘‘Sainte Cécile fut remplie du don de Dieu au point de recevoir la palme du martyre’’ »98. Au bout du compte, tous ces emprunts n’apportent rien à la narration proprement dite, mais fournissent une série de citations, précieuses par la garantie qu’apporte la renommée de l’auteur. D’une certaine manière, elles font le lien entre le contenu de la légende, support des cultes et des dévotions, et son utilisation savante. Une autre série de compléments concerne l’ajout d’informations issues de chroniques. Celles-ci permettent parfois à Jacques de Voragine de nourrir son récit d’éléments nouveaux. Par exemple, à la fin de la Vie de saint Luc, la copie d’un extrait de l’Histoire d’Antioche permet au dominicain de donner une dimension merveilleuse à un récit qui en manque singulièrement : il raconte qu’au temps où les habitants d’Antioche, occupés par les Turcs, avaient quelque peu abandonné la religion, Luc était apparu au gardien de l’église Sainte-Marie de Tripoli afin de conforter les fidèles dans la foi et leur donner la force de se libérer du joug musulman99. Si, dans ces cas, les ajouts de la seconde version étoffent le récit en ajoutant des épisodes ou de nouvelles interprétations, la plupart d’entre eux sont d’abord utilisés pour corroborer des faits. Ainsi, dans le chapitre consacré à saint Denis, la citation d’une lettre de Denis à Polycarpe, puis la convocation de la Chronique d’Eusèbe de Césarée ne servent qu’à valider la formation d’une éclipse solaire au moment où le Christ souffrait la Passion100. De la même façon, Jacques de Voragine gonfle le chapitre consacré à la fête de saint Pierre-aux-liens uniquement dans le but de confirmer les dires de la source qu’il avait initialement retenue pour évoquer l’épisode où l’évêque Donat tue le dragon d’un signe de croix : « Milet raconte dans sa chronique, et l’Histoire tripartite dit la même chose ». Ces exemples le montrent encore : les compléments apportés au texte initial de la Légende dorée ne sont qu’accidentellement dictés par la volonté d’enrichir le texte hagiographique proprement dit. En revanche, ce qui semble avoir davantage compté est la « dilatation » du texte, c’est-à-dire son accompagnement de références et de citations qui

  Chap. 56, éd. G. P. Maggioni, p. 397 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 318.   Chap. 165, éd. G. P. Maggioni, p. 1183 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 956. 99   Chap. 152, éd. G. P. Maggioni, p. 1070 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 865. 100   Chap. 149, éd. G. P. Maggioni, p. 1044 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 844. 97

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valident le contenu tout en ouvrant encore la perspective d’une utilisation très diversifiée de la légende. Enfin, on a déjà vu de quelle manière la rédaction des étymologies supportait une part du renouvellement du discours hagiographique. Attaché à compléter son travail, Jacques de Voragine s’est aussi efforcé d’ajouter à ces préambules des références savantes. Il se peut que, ce faisant, il ait cherché à remédier à la faiblesse de certaines de ces interprétations, quitte à recourir à des citations connexes pour gommer des analyses par trop simplistes. Ainsi, la Passion de saint Amand, qui débutait par une explication des plus banales de son prénom (« Amand, Amandus, est ainsi appelé parce qu’il fut aimable »101), est, par la suite enrichie d’une glose de l’amabilité, sur la base des Proverbes, du livre d’Esther et des Rois. Ce travail sur les étymologies conduit aussi Jacques de Voragine à doter de ce type d’interprétation les chapitres qui en étaient dépourvus dans la première rédaction : c’est le cas par exemple de celle qui introduit la Vie de sainte Justine102. Dans ce cas, il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’étymologies dues au compilateur lui-même : ne les ayant pas trouvées dans les sources qu’il exploite en ce sens, il les aura forgées. Pour le chapitre consacré à saint Martin, il est clair que Jacques de Voragine eut connaissance d’interprétations alternatives et qu’il souhaita enrichir la première version de ces deux étymologies : après avoir exposé le lien entre le nom de Martin et le mot martyr, qui évoque la mortification, il ajoute « ou bien on peut comprendre ‘‘Martin’’ comme ‘‘celui qui irrite’’, ou ‘‘celui qui provoque’’ ou encore ‘‘celui qui domine’’ »103. Dans deux autres cas enfin, – la Passion de saint Denis et celle de Jacques le mineur – l’intégration de citation savante au texte initial de l’étymologie permet à Jacques de Voragine de proposer une glose, non pas du prénom, mais de la vertu qui y est associée. Au bout du compte, la narration hagiographique est doublée d’une forme de Glose. Les citations les plus courtes, ou les simples évocations peuvent aussi jouer le rôle de renvois bibliographiques, de sorte que le légendier est doté d’un véritable paratexte. b– Historiciser l’hagiographie Dans cette vaste campagne de compléments successifs, plus du tiers des informations ajoutées au légendier primitif sont des indications chronologiques. Pour une raison qui n’est pas claire, s’est fait jour la volonté manifeste de dater rigoureusement la mort des saints ou le moment de leur Vie. Pour cela, Jacques de Voragine intègre le plus souvent une datation selon l’année de

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  Chap. 41, éd. G. P. Maggioni, p. 263 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 211.   Chap. 138, éd. G. P. Maggioni, p. 971 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 786.   Chap. 162, éd. G. P. Maggioni, p. 1133 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 917.

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l’Incarnation, comme, par exemple, dans le cas de la Passion des saints Gordien et Épimache qui s’achèvent désormais par cette précision : « Cela se passa vers l’an du Seigneur 360 »104. Pour d’autres chapitres, il s’appuie sur les règnes des empereurs, ce qui lui permet soit de préciser encore la chronologie, soit de dater de façon relative la vie et la mort du saint. À la fin de la Passion de sainte Anastasie par exemple, Jacques de Voragine écrit : « Elle souffrit sous Dioclétien, qui commença son règne vers l’an 287 du Seigneur  »105. Dans d’autres cas encore, Jacques de Voragine expose les discordances qu’il a trouvées dans ses sources au sujet de la datation des actes des saints. En l’espèce, l’un des exemples les plus fameux est celui de la Vie de sainte Catherine. Jacques de Voragine s’y montre capable de confronter les sources, de relever les incohérences et d’en tirer les conclusions pour la datation de sa légende : « On remarque une hésitation chez certains auteurs : fut-elle martyrisée sous Maxence ou sous Maximin ? À cette époque trois hommes gouvernaient l’empire : Constantin qui avait l’Empire par succession de son père ; Maxence, fils de Maximien, nommé Auguste par les soldats prétoriens de Rome ; et Maximin, qui obtint l’autorité de César en Orient. D’après les chroniques, Maxence exerçait sa tyrannie contre les chrétiens à Rome et Maximin en Orient. Il semble donc à certains auteurs que c’est par l’erreur d’un scribe que Maxence a été mis à la place de Maximin »106. Si l’on ne comprend pas très bien ce qui pousse Jacques de Voragine à faire tout à coup grand cas de données historiques complètement délaissées dans la première version du légendier, cette mise en relation soignée des règnes des empereurs avec les moments où vécurent les saints retient l’attention. En effet, elle ne va pas sans rappeler le principe de composition du légendier de Bernardo de Brihuega107, lequel, et c’est 104   Chap. 69, éd. G. P. Maggioni, p. 509 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 407. La même formule se retrouve à la fin de la Vie de saint Étienne (trad., p. 97), Blaise (p. 205), Amand (p. 212), Valentin (p. 214), Pancrace (p. 410), Prime et Félicien (p. 417), Cyr et Julite (p. 427), Jean et Paul (p. 446), Léon (p. 448), les sept frères (p. 484), Cyriaque et ses compagnons (p. 609), Timothée (p. 670), Symphorien (p. 671), Augustin (p. 694), Félix et Adaucte (p. 718), Gorgon et Dorothée (p. 749), Corneille et Cyprien (p. 770), Jérôme (p. 817), Rémi (p. 819), Pélagie (p. 837), Léonard (p. 855), Chrysanthe (p. 867), les Quatre couronnés (p. 915) et Chrysogone (p. 975). 105   Chap. 7, éd. G. P. Maggioni, p. 77 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 61. Des notations analogues se lisent dans les chapitres relatifs aux saints Benoît (trad., p. 254), Marcellin et Pierre (p. 415), Vit et Modeste (p. 425), Gervais et Protais (p. 430), Prothais et Hyacinthe (p. 752), Justine (p. 790), Côme et Damien (p. 793), les Onze mille vierges (p. 871) et Eustache (p. 888). 106   Chap. 168, éd. G. P. Maggioni, p. 1215 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 985. La seconde version de le Légende dorée comporte d’autres débats analogues, notamment dans les chapitres consacrés à saint Hippolyte et à saint Laurent : G. P. Maggioni les mentionne dans « Le molte Legende auree. Modificazioni testuali e itinerari narrativi », art. cité, p. 22-23 (le texte est donné en note). 107   Bernardo de Brihuega entreprend ce légendier à la demande d’Alphonse X, vers 1270. Voir M. C. Díaz y Díaz, « La obra de Bernardo de Brihuega, colaborador de Alfonso X », Straena, estudies de folologia e historia dedicados al profesor Manuel Garcia Blanco, t. XVI, Salamanca,

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sans doute un cas unique, organise les Passions des saints selon l’ordre des règnes des empereurs qui ont ordonné leur mise à mort. Pour ce faire, il s’appuie sur le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, qui intègre l’histoire de la sainteté à une vaste chronique universelle. Dans ces collections, et les remaniements réalisés par Jacques de Voragine permettent finalement à la Légende dorée de se conformer à ce modèle, il y a une certaine perméabilité entre le temps des hommes et le temps de Dieu. Si les saints sont dans l’histoire, c’est que leurs Vies et leurs Passions sont d’abord des manifestations de l’incarnation du Sacré. Par le biais de la datation historique (et non liturgique) de la mort des saints, Jacques de Voragine insère les Vie de ses héros dans la chronique d’histoire lombarde déjà incluse dans le légendier108. On sait en effet que la Vie de l’obscur pape Pélage fournit au compilateur l’occasion d’exposer une chronique abrégée, cadre des Vies situées dans la collection. On a moins relevé qu’un certain nombre des éléments ajoutés par Jacques de Voragine lui permet de fournir les preuves de certaines dévotions royales. Le chapitre consacré à saint Denis par exemple, évoque longuement la dévotion particulière que vouait Dagobert à ce martyr109 – ce qui également répété dans la Vie de saint Pélage110. Il raconte aussi le châtiment de Clothaire, frappé de folie pour avoir exhumé sans piété le corps et emporté l’un des bras de Denis. Enfin, cette historicisation de l’hagiographie, portée par les remaniements qui aboutissent à la seconde version, pour aussi limitée qu’elle puisse être parfois, contribue à modifier le projet d’ensemble : Alain Boureau a montré, à partir de la Vie de saint Bernard insérée dans la Légende dorée111, comment Jacques de Voragine cherche à décontextualiser la Vie du saint. Manifestement, ce qui convenait à un outil de travail destiné à la rédaction des sermons, ne semble plus suffire.

1962, p. 145-161, pour ce qui est de la description du légendier, ainsi qu’à P. H enriet, « Hagiographie et historiographie en péninsule ibérique (xie-xiiie siècles). Quelques remarques. », Cahiers de linguistique hispanique médiévale, t. 23, 2000, p. 53-85, pour le lien entre propagande royale et l’écriture de ce légendier. 108   Sur le sens de cette inclusion, voir ce qu’écrit S. Mula, « L’Histoire des Lombards. Son rôle et son importance dans la Legenda aurea, De la sainteté à l’hagiographie. Genèse et usage de la Légende dorée. Études réunies par Barbara Fleith et Franco Morenzoni, éd. Droz, Genève, 2001, p. 75-96. 109   Chap. 149, éd. G. P. Maggioni, p. 1049-1050 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 848-849. 110   Chap. 177, éd. G. P. Maggioni, p. 1267 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 1028. 111   A. Boureau, « Saint Bernard dans les légendiers dominicains du xiiie siècle », P. Arabeyre, J. Berlioz, Ph. Poirier (sous la direction de), Vies et légendes de saint Bernard de Clairvaux, ­C îteaux, 1994, p. 84-90.

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3– De l’hagiographe prédicateur à l’évêque hagiographe Lorsque Jacques de Voragine entame sa Légende dorée, il est un simple frère prêcheur, et, rapidement, prieur provincial de Lombardie112, fonction qui le conduit à circuler fréquemment : il assiste à tous les chapitres provinciaux réunis annuellement au nord de l’Italie, se rend aussi aux chapitres des définiteurs et aux chapitres généraux convoqués dans toute l’Europe, visite les couvents de sa province. Lorsqu’il met la dernière main à sa collection en revanche, il est archevêque de Gênes, siège depuis lequel il gouverne l’ensemble de la province. La prise en compte de ces changements peut être une clef pour comprendre les modifications de l’œuvre, même si tous les remaniements ne sont pas imputables à cette évolution de carrière. Il en est cependant qui laissent supposer que Jacques de Voragine a pu vouloir articuler le légendier universel construit pour la pastorale aux nécessités de ses nouvelles fonctions. a– Un supplément de merveilleux Entre autres remaniements de son texte, Jacques de Voragine ajoute plusieurs miracles. La Vie de saint Georges est par exemple enrichie du récit de l’intervention miraculeuse du martyr, grâce à laquelle les chrétiens réussissent le siège de Jérusalem. Le chapitre consacré à saint Quentin, martyr d’Amiens, se double d’un épisode édifiant qui rapporte comment le saint débusqua un faussaire et le désigna à tous en lui ôtant le nez113. Déjà riche, la Vie de saint Denis s’allonge encore du souvenir de cet évêque d’Arles qui vit apparaître trois colombes dans son église : c’était au moment précis de la mort du saint et de ses compagnons. L’évêque disant le canon de la messe, il venait d’ajouter, comme malgré lui, les noms de Denis, Rustice et Éleuthère114. Les exemples de ce genre sont multiples. D’ailleurs, l’inflation du nombre des miracles et autres prodiges, ainsi que la concomitance du moment de leur rédaction avec l’élévation de Jacques au siège métropolitain de Gênes, ne sont guère contestables. En revanche, il faut bien reconnaître que l’établissement d’un lien organique entre les deux éléments ne s’appuie pas sur des bases solides. Si l’on peut toujours constater la coïncidence des deux événements, les arguments en faveur d’un lien causal restent faibles, ne serait-ce que parce que dans le cas de la Légende dorée, il est fréquent que les miracles soient repris en exempla115.   Jacques de Voragine remplit cette charge à deux reprises, de 1267 à 1277 puis de 1281 à 1286.   Chap. 156, éd. G. P. Maggioni, p. 1088-1089 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 880-881. 114   Chap. 149, éd. G. P. Maggioni, p. 1049 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 848. 115   Par exemple, Jacques de Voragine ajoute à la Passion de sainte Catherine l’évocation de cet homme, autrefois voué à sainte Catherine, mais qui, par négligence, relâcha les marques de sa dévotion personnelle envers la sainte. Quelques temps après, il vit passer devant lui une 112 113

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Dans de telles conditions, l’ajout de ces miracles peut aussi bien servir à soutenir la thèse que Jacques de Voragine, frère prêcheur avant tout, a souhaité renforcer la dimension pastorale de son recueil. Par ailleurs, ces récits de miracles, s’ils mettent en scène une communauté de fidèles, ne revêtent pas de manière évidente une dimension civique. Il peut en être autrement des récits de translation, lesquels évoquent directement les lieux où reposent les corps saints, et, de façon plus implicite, les sanctuaires des communautés urbaines. Or, il se peut que Jacques de Voragine, dont la première action en tant qu’archevêque de Gênes a été l’ostension des reliques de saint Syr, patron de la ville116, ait été sensible à ces épicentres sacrés, sur lesquels repose en partie le pouvoir symbolique de l’ordinaire. Ainsi, à la fin de la Vie de saint Vaast par exemple, il rapporte l’éphémère guérison d’un aveugle, rendu voyant le temps d’assister à la translation du saint évêque117. En ce qui concerne Marc l’évangéliste, alors que la première version de la Légende dorée évoquait déjà, mais rapidement il est vrai, l’arrivée de ses reliques à Venise, la réorientation subtile de son projet hagiographique conduit Jacques de Voragine à privilégier la tradition vénitienne pour donner un long récit de la translation du corps de saint Marc118, truffé de plusieurs miracles. Plus modestement, la Vie des saints Gordien et Épimache intègre, dans la seconde version, la mention du lieu où se trouve leur tombeau. Il y a donc un intérêt nouveau de Jacques de Voragine pour les déplacements des corps saints, les sanctuaires, les lieux d’ensevelissement et la géographie du sacré qui en découle. Ces compléments doivent être pris en compte, même s’il est difficile d’en saisir toute la portée car ils sont nettement moins systématiques que l’ajout des données chronologiques et notamment de la datation de la mort des saints.

foule de vierges, parmi lesquelles était Catherine, qui approche de lui le visage voilé (Chapitre 168, Jacques de Voragine, La Légende dorée, trad. éd. La Pléiade, ouv. cité, p. 982-983 et, pour le texte latin, éd. Maggioni, ouv. cité, p. 1212.). L’épisode est devenu un exemplum (Tubach, n° 896 et 2030. L’information se trouve dans les notes qui accompagnent la traduction de la Légende dorée, p. 1469). 116   L’ostension était liée au transfert du corps de Syr de l’église San Siro, ancienne cathédrale de Gênes, à San Lorenzo, nouvelle cathédrale. Elle eut lieu le 7 juillet 1293, c’est-à-dire quelques mois à peine après l’élection de Jacques. Cette cérémonie solennelle est racontée par Jacques de Voragine lui-même dans sa Chronique de Gênes : « Nous, de même, nous avons, devant le concile provincial, ouvert la châsse pour lever toute ambiguïté et nous avons trouvé les ossements complets de saint Syr, comme il est dit dans la notice qui nous est consacrée » (la citation est empruntée à A. Boureau, L’événement sans fin. Récit et christianisme au Moyen Âge, Les belles lettres, Paris, 1993, p. 160). 117   Chap. 40, éd. G. P. Maggioni, p. 262 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 211. 118   Chap. 57, éd. G. P. Maggioni, p. 403 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 322.

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PREMIÈRE PARTIE

b– La Vie de saint Syr, évêque de Gênes Un autre élément qui montre le caractère de la Légende dorée dans son ultime révision, est l’insertion de la Vie de saint Syr119, figure tutélaire de la ville de Gênes. Cette Vie débute par un paragraphe qui semblait tout droit tiré de Gesta episcoporum, et expose la succession des premiers évêques de la ville : « Syr, évêque de Gênes, fut, par l’effet de la providence divine, le troisième à siéger sur la chaire épiscopale. Et si le premier évêque de cette unité fut saint Valentin qui, en vaillante recrue, revêtu des armes spirituelles, accomplit un service courageux sous la conduite du Christ, on dit pourtant qu’il y eut un autre évêque avant lui ; mais parce que son nom n’est pas connu, il n’est pas compté dans la série des évêques. À ce Valentin succéda saint Félix, qui mena une vie heureuse et obtint la félicité éternelle. Après lui, ce fut saint Syr qui fut orné de l’honneur épiscopal : il se tint véritablement silencieux, à l’écart du vacarme de l’agitation du monde, en vaquant au repos éternel. Son successeur Romulus mérita d’être son successeur, … »120. Le passage n’apporte rien à la Vie de saint Syr proprement dite. En revanche, il peut particulièrement intéresser celui qui venait de revêtir la mitre, et qui se situe déjà dans la perspective d’une geste épiscopale. Par la suite, la Vie du saint ne comporte pas vraiment d’éléments capables d’alimenter la dévotion civique, à l’exception peut-être de l’épisode où Syr débarrasse la ville du dragon qui la hantait, encore que ce récit, réminiscence de la lutte de Marthe contre la tarasque, ne comporte pas de données topographiques singulières. Ce sont plutôt les miracles posthumes qui mettent en scène, à travers l’évêque, l’Église de Gênes et son territoire. Ceux-ci, affirment d’abord la sacralité du lieu de sépulture : c’est ainsi que l’homme aux mœurs dépravées qui y fut enseveli eut son corps immédiatement expulsé du sanctuaire. Surtout, le texte de la légende établit une hiérarchie en affirmant une efficacité supérieure du sanctuaire de saint Syr, par rapport aux autres églises locales : « Une jeune fille tourmentée par le diable avait été emmenée en diverses églises, afin d’obtenir par l’aide de divers saints le bienfait de la guérison qu’on espérait. Mais ces saints lui refusèrent tout secours, car ils voulaient s’effacer devant saint Syr comme patron particulier »121. Au bout du compte, la légende de Syr que Jacques de Voragine intègre à son légendier fait du siège de l’archevêque un centre spirituel et

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  Chap. 87, éd. G. P. Maggioni, p. 600-610 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 484-496.   Chap. 87, éd. G. P. Maggioni, p. 601 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 486.   Chap. 87, éd. G. P. Maggioni, p. 608 ; trad. A. Boureau, M. Goullet, p. 493.

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construit une aura qui ne pouvait qu’être bénéfique dans la rénovation de son pouvoir122. La seconde version se caractérise donc par une plus grande polyphonie : au discours tourné vers la pastorale, s’ajoutent des références savantes et érudites, des citations qui permettent peut-être d’en renforcer l’usage scolaire. Le regard moins bienveillant à l’égard des apocryphes peut témoigner d’un élargissement et d’une diversification du public, comme si Jacques de Voragine avait voulu éviter que son auditoire ne prenne au premier degré certains de ses récits. De la même manière qu’il porte un moindre intérêt que ses prédécesseurs (notamment Barthélemy de Trente) aux lieux saints, l’historicisation de la légende assure l’universalisation du discours : les Vies de saints sont situées dans l’histoire et, plus encore, dans une histoire commune puisque leur datation est discutée par rapport aux règnes des empereurs ou, dans une moindre mesure, des papes. Finalement, le projet initial semble imperceptiblement se doter d’ambitions encyclopédiques. Enfin, le cas de la vie de saint Syr conduit à prendre en considération une donnée nouvelle : alors que la première génération de prêcheurs n’est guère candidate aux fonctions épiscopales, les suivantes y accèdent plus volontiers. C’est une modification du contexte qu’il est sans doute utile de ne pas sous-évaluer car elle est de nature à modifier l’appréhension de la sainteté locale.

  À la fin du xiiie siècle, le siège de Gênes n’a plus du tout la même puissance qu’aux deux siècles précédents : le chapitre cathédral est désormais largement dépendant des grandes familles génoises et l’élection épiscopale est largement instrumentalisée dans le cadre de l’opposition des Guelfes au parti gibelin. Ce contexte est brossé par A. Boureau, L’événement sans fin. Récit et christianisme au Moyen Âge, ouv. cité, p. 176. 122

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conclusion de la première partie

Du singulier à l’universel : le légendier au service de l’ordre Au bout du compte, le légendier dominicain reflète, à sa mesure, les grandes logiques qui conduisent à la centralisation de l’Église et qui reflètent le désir d’une unification de la chrétienté. Les compilateurs de cette époque n’ignorent pas les efforts de la papauté et de la curie pour monopoliser les canonisations et uniformiser la liturgie. Les hagiographes dominicains participent à cette évolution : les cultes promus par Rome – notamment les cultes mariaux – tiennent une bonne place dans leurs recueils, et spécialement dans celui de Barthélemy de Trente. L’élargissement progressif, puis l’effacement, de l’assise locale du légendier contribue au recul de l’impression d’émiettement qui pouvait se dégager des collections antérieures, davantage centrées sur un sanctuaire ou sur le territoire contrôlé par l’abbaye. La singularité de cette évolution du légendier dominicain est qu’elle se réalise aussi au profit d’une construction identitaire de l’ordre. C’est notamment ce qu’apporte la confrontation du corpus hagiographique avec celui des offices liturgiques. Ainsi, l’instauration, au milieu du xiiie siècle, d’une liturgie unifiée, gage d’une plus grande cohérence, trouve un écho immédiat dans les collections hagiographiques : le sanctoral se ferme à la sainteté locale et diocésaine, tandis que les textes entendus pas les frères à l’office des matines deviennent des références privilégiées de l’écriture hagiographique. Cette mise en résonance du travail du liturgiste et de celui de l’hagiographe, qui dans le cas dominicain, peut aller jusqu’à l’absorption complète des leçons de l’office dans le texte hagiographique, n’est pas la moindre des réussites dominicaines. En effet, le détour par les expériences antérieures, conduites en milieu prémontré et cistercien, a montré que la volonté d’unifier la liturgie, elle-même difficile à exécuter, n’engendrait pas, au-delà de quelques expériences limitées, de mise en harmonie réelle des lectures hagiographique et liturgique. Dans le cas dominicain, le fait que les travaux menés par Humbert de Romans pour l’uniformisation liturgique ait aussi servi de cadre à l’écriture hagiographique,

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PREMIÈRE PARTIE

doit pouvoir permettre de parler de « légendier d’ordre », et ce, bien que ce livre n’ait jamais fait l’objet, au xiiie siècle, d’une commande institutionnelle, ou d’une réception par le chapitre, et surtout que sa diffusion ait rapidement dépassé les seules limites de l’ordre des frères prêcheurs. Par ailleurs, l’ordre a la capacité de se forger des éléments de reconnaissance par le biais d’une relecture universalisante de données initialement particularistes : l’inscription au calendrier de saints nationaux s’accompagne d’un travail de réécriture spécialement destiné à l’effacement des conjonctures de toute sorte, et à la mise en valeur de la dimension la plus généraliste et exemplaire de la Vie du saint. Dans le même temps, les multiples réécritures de la légende du fondateur conduisent à agglutiner les vertus et à faire de sa Vie un condensé de tous les types de sainteté. La Légende dorée entérine ces changements. Le caractère grégaire de l’écriture hagiographique dominicaine s’impose, par le biais de l’utilisation croissante du lectionnaire d’Humbert de Romans d’une part, par la copie massive des hagiographes dominicains entre eux de l’autre. Cependant, la seconde version de la Légende dorée montre l’émergence de deux facteurs susceptibles de diversifier quelque peu le projet global : c’est d’abord l’accès des religieux mendiants à l’épiscopat, contexte nouveau qui a pu les conduire à reconsidérer la question de la sainteté locale ; c’est surtout la volonté de donner au légendier une dimension beaucoup plus encyclopédique.

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Deuxième partie

Le Speculum sanctorale : une encyclopédie hagiographique dominicaine

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Quand Jacques de Voragine achève la seconde version de la Légende dorée, Bernard Gui vient à peine de prendre l’habit de l’ordre dominicain. Tonsuré peu avant 1275 dans le couvent des frères prêcheurs de Limoges par Pierre de Saint-Astier, l’évêque de Périgueux1, il y reçoit l’habit le 16 septembre 1279 et fait profession un an plus tard, entre les mains d’Étienne de Salagnac2. À ce moment là, les recherches, qui ont abouti à la refonte du calendrier comme du lectionnaire et à la rénovation de l’écriture des recueils hagiographiques, sont achevées ou en voie de l’être. Dans les cinquante premières années de son histoire, l’ordre a utilisé la liturgie, puis l’hagiographie, pour consolider son identité collective. On l’a vu, rien ne permet de dire que la diffusion de ces éléments ait été plus lente ou moins profonde dans le Midi. Avant même la fin de la décennie 1260-1270, la province de Provence, qui à cette époque couvre tout le sud de la France, de Bayonne à Nice, fit ce que commandaient les chapitres généraux pour se doter des livres liturgiques conformes aux choix effectués au milieu du siècle : lorsqu’il honore la mémoire du défunt frère de Limoges, Étienne Racaud, le chapitre provincial de Périgueux du 26 août 1268 attache à son nom la vaste entreprise de correction des livres de l’office3. Il est donc probable,

  Sur l’action épiscopale de ce dominicain, voir A. Touron, Histoire des hommes illustres de l’ordre de saint Dominique, t. I, 1743, p. 303-309. 2   Ces informations biographiques sont tirées du texte rédigé peu de temps après sa mort par un prêcheur familier de Bernard Gui, resté anonyme. Les auteurs modernes et contempo­ rains se sont appuyés sur des critères conjoncturels pour attribuer cette biographie à Pierre Gui, neveu de Bernard. Provincial de l’ordre de 1337 à 1343, on sait qu’il s’est spécialement occupé de rassembler et de diffuser le monumental Speculum Sanctorale de son oncle. Cette biographie, fiable par ses origines, fait de Bernard Gui un des rares inquisiteurs des xiiie et xiv e siècles à n’être pas connu exclusivement par les documents de l’Inquisition. D’ailleurs, le contenu de cette biographie de Bernard Gui a été presque systématiquement repris par tous ceux qui ont eu à l’étudier. Voir L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ­Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque nationale et autres bibliothèques, XXVII, 2e partie, 1879, p. 170-188 ; A. Thomas, « Bernard Gui, frère prêcheur », Histoire littéraire de la France, t. XXXV, Paris, 1921, p. 139-232 ; T. K aeppeli, Sop, t. I, Rome, 1970, p. 205-206 ; P. A margier, « Éléments pour un portrait de Bernard Gui », Bernard Gui et son monde, CF, t. 16, 1981, p. 18-37 (Paul Amargier donne l’édition de la vie de Bernard Gui, p. 30-33) ; B. Guenée, Entre l’Église et l’État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge, éd. Gallimard, Paris, 1987, p. 50-87, A.-M. L amarrigue, Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, 2000, p. 37-41. 3   Lemovicis, frater Stephanus Racaldi, corrector librorum ecclesiastici officii in tota provincia ; et redddant ei conventus debitum suffragiorum, éd. par C. Douais, Acta capitulorium provincialum 1

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DEUXIÈME PARTIE

même si l’état des bibliothèques de la province est mal connu, que ces documents étaient, vingt ans avant la fin du xiiie siècle, déjà bien diffusés dans les couvents où Bernard Gui entame ses études. La mise à jour des livres liturgiques s’est d’ailleurs poursuivie après la première série de corrections puisque en 1307, année où Bernard Gui rejoint Toulouse comme inquisiteur, le couvent de cette ville se dote d’un lectionnaire conforme aux plus récentes décisions capitulaires en la matière. De la même manière, il n’y a pas de raison de douter que les couvents dominicains du Midi avaient aussi une connaissance approfondie du légendier que venait d’achever leur frère, prieur provincial de Lombardie : les travaux de Barbara Fleith sur la diffusion de la Légende dorée montrent que, née en Italie du nord, elle arrive rapidement à Paris, d’où les manuscrits se propagent, d’une part en direction du nord de la France vers les Flandres et d’autre part vers le Midi et l’Espagne4. Au bout de cet itinéraire, on voit Rodrigue de Cerrato l’utiliser avant 1276 pour compiler son propre légendier, les Vitas sanctorum5. La rénovation du discours hagiographique et sa diffusion dans un ordre suprarégional sont à la fois si rapides et si profondes, qu’on est enclin à percevoir les premières décennies du xiv e siècle comme une ère de pérennisation. Pourtant, il ne faut pas attendre longtemps pour voir Bérenger de Landorre, élu maître général en 1312, exprimer des doutes sur le caractère didactique de la Légende dorée6, puis confier à Bernard Gui la rédaction d’un nouveau légendier, le Speculum sanctorale. En montrant que la Légende dorée n’avait rien d’un choix intangible, alors même que son succès et sa diffusion sont déjà avancés, cette commande pose la question de la gestion de l’héritage. Qu’apporte à l’ordre ce nouveau légendier que le maître de l’ordre appelle de ses vœux ? L’élaboration d’une réponse suppose, au préalable, la traque de tous les écarts

ordinis fratrum Praedicatorum, Première province de Provence, province romaine, province d’Espagne, Toulouse, 1894, p. 136. 4   B. Fleith, « Legende Aurea : destination, utilisateurs, propagation. L’histoire de la diffusion du légendier au xiiie et au début du xiv e siècle », Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, a cura di S. Boesch Gajano, Fasano di Brindisi, 1990, p. 47 et surtout Studien zur Überlieferungsgeschichte der lateinischen Legenda aurea, SH, t. 72, Bruxelles, 1991. 5   Les Vitas sanctorum de Rodrigue de Cerrato font l’objet d’un projet d’édition (M. Bassetti, « Per un’edizione delle Vitae sanctorum di Rodrigo de Cerrato », HA, t. 9, 2002, p. 73-160). Il s’appuie sur les travaux préliminaires d’Antoine Dondaine qui donnait en 1974 une description des manuscrits connus et conservés à Londres, Madrid et Ségovie. Ce dernier manuscrit comporte une table chronologique ajoutée en 1276 comme l’indique la note qui l’introduit (A. Dondaine, « Les éditions du Vitas sanctorum de Rodéric de Cerrato », Mélanges offerts à JeanPierre Müller OSB, Studia Anselmiana, t. 63, Rome, 1974, p. 225-253, spécialement p. 228 pour le complément de 1276). Voir aussi J. Vivès, « La vitas sanctorum del Cerratense », Analecta sacra Tarraconensia, t. 31, 1948, p. 157-176. 6   Cette justification de la commande de Bérenger de Landorre est fournie par l’anonyme auteur de la biographie de Bernard Gui. Le texte est exploité dans le prochain chapitre.

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introduction

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par rapport à des textes qui fonctionnaient déjà comme des instruments de travail et des supports d’identification. De fait, c’est bien d’une part la conjoncture (c’est-à-dire la commande d’un recueil différent) et d’autre part la loi du genre (la copie et la compilation) qui rendent si précieuses les inflexions du discours. L’objectif n’est pas ici de les recenser afin d’établir la tradition hagiographique de tel ou tel saint, mais, à travers elles, d’approcher les modifications qui surviennent dans la conception ou l’usage du légendier. Pour cela, le Speculum sanctorale doit être envisagé comme une œuvre globale, ce qui contraste avec la manière dont ce texte imposant a été exploité jusqu’à présent : son ampleur explique que quelques textes seulement en aient été étudiés. Extraites de l’ouvrage dans lequel Bernard Gui les avait intégrées, ces Vitae ont servi aux rédacteurs d’histoires locales comme réservoir d’informations sur la société ou sur la diffusion du culte de tel ou tel saint7. Il paraît désormais nécessaire de restituer la composition savante et réfléchie du Speculum. Cette optique suppose de privilégier une analyse à la fois globale et comparatiste, c’est-à-dire que l’on garde à l’esprit la nature particulière de cette collection, à savoir une construction intellectuelle qui s’alimente d’un demi siècle de recherches et d’innovations. Comprendre ce que le Speculum sanctorale pouvait apporter de nouveau ou de différent après une période riche d’expérimentations, c’est d’abord lui chercher des justifications. C’est pour cela que dans un premier temps on ne peut échapper à l’examen du contexte, qui conduisit le maître de l’ordre, d’abord à concevoir le besoin d’un nouveau légendier, ensuite à en confier la compilation à Bernard Gui. Le projet s’est nourri d’un arrière plan culturel, de relations d’estime ou d’amitié, mais aussi d’une critique des productions hagiographiques de la génération précédente, dont le prologue du Speculum se fait

7  C’est le cas de J.-L. Boudartchouk, « L’invention de saint Antonin de Frédelas-Pamiers », MSAMF, t. 63, 2003, p. 15-57 ; B. Bulles, « Saint Amadour : formation et évolution de sa ­légende », Saints méridionaux. De la légende à l’histoire, AM, t. 107, 1995, p. 437-456 ; C. Delaplace, « Saint Exupère et la tradition hagiographique toulousaine », MSAMF, t. 58, 1998, p. 15-28 ; C. Douais, « Saint Germier, évêque de Toulouse au vie siècle », Mémoire de la Société nationale des antiquaires de France, t. 50, 1890, p. 1-134 ; A.-V. Gilles, « Origine et diffusion du culte de saint Saturnin de Toulouse », Saint-Sernin de Toulouse, ixe centenaire, Toulouse, 1996, p. 47-77, ou plus récemment « Le dossier hagiographique de saint Saturnin de Toulouse », Miracles, Vies et réécritures dans l’occident médiéval, actes de l’Atelier “La réécriture des Miracles», IHAP, sous la direction de M. Goullet et M. Heinzelmann, éd. Thorbecke, 2006 ; H. Vidal, Un évêque de l’an Mil : saint Fulcran, évêque de Lodève, éd. Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, Montpellier, 1999. Il faut ajouter à cela les recherches en cours de Anne-Marie Bultot-Verleysen sur la tradition manuscrite de la Vita prolixior de Géraud d’Aurillac qui inclut le texte composé par Bernard Gui pour le Speculum sanctorale : A.-M. Bultot-Verleysen, « Le Speculum sanctorale de Bernard Gui, témoin d’un intérêt pour la vita de saint Géraud d’Aurillac au xiv e siècle », Scribere sanctorum gesta, recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, éd. É. R enard, M. Trigalet, X. Hermand et P. Bertrand, éd. Brepols, Turnhout, 2005, p. 367-398.

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l’écho. Incontournable, l’analyse des circonstances n’est jamais que la convergence d’éclairages indirects : les pistes qu’elle dévoile, comme les questions qu’elle pose, appellent à être validées par le « dépeçage » de l’œuvre. Si le Speculum sanctorale revendique une identité dominicaine, comment s’expose sa déférence à l’égard des acquis du xiiie siècle ? S’il y avait lieu de prendre quelques distances à l’égard des compilations hagiographiques antérieures, comment le Speculum rénove-t-il le contenu et les usages du légendier dominicain ? La commande du maître de l’ordre a contraint Bernard Gui à réfléchir sur ses sources et surtout à revoir ce que pouvait être leur adaptation adéquate dans le cadre de la construction d’une encyclopédie hagiographique. Cette recherche le conduit à donner à l’hagiographie un statut différent de celui qu’elle avait dans la Légende dorée ou même dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais. Bernard Gui se démarque de l’usage qu’ont fait ses prédécesseurs, dans la compilation hagiographique, des Pères de l’Église, voire des débats théologiques, mais aussi de la liturgie ou de l’histoire. Au bout du compte, avec cette œuvre nouvelle, c’est le genre même qui, d’une certaine façon, se trouve renouvelé. Enfin, comme son nom l’indique, le Speculum est d’abord un miroir. « De quoi ? » a-t-on envie d’ajouter ; « du sanctoral », répond l’hagiographe dans son titre. Mais est-ce si sûr, ou plutôt, est-ce seulement cela ? Il y a longtemps que les historiens qui analysent les Vies de saints ont fait remarquer que l’hagiographie instruit davantage sur le milieu qui la produit que sur les saints eux-mêmes. Il semble bien que cet enjeu de la littérature hagiographique se trouve au cœur du genre spéculaire. Par sa finalité édifiante, le miroir comme littérature donne d’abord à contempler un ordre exemplaire. Mais en même temps, la métaphore de la fonction réfléchissante multiplie les points de vue : le miroir reflète d’abord celui qui s’y contemple, et au-delà tout ce qui se passe derrière lui. Or, c’est cet assemblage des deux plans qui fait du miroir un discours sur la connaissance, une œuvre didactique et une mise en abyme de l’identité dominicaine.

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chapitre premier

Comment tout a (re)commencé : Les justifications du Speculum sanctorale Le Speculum sanctorale est le seul légendier dominicain qui réponde à une commande institutionnelle, mais le document qui nous l’apprend reste muet sur les raisons ou les objectifs d’une telle compilation1. Cette particularité impose avant toute autre chose de cerner au mieux les circonstances et les choix qui conduisirent à sa genèse. L’arrière plan culturel d’abord, car si l’on retient l’argument que la compilation de la Légende dorée aurait pu, pour Jacques de Voragine, revêtir des objectifs didactiques2, on peut au moins supposer qu’une modification des études elles mêmes, ou que le souhait d’un usage différent des textes hagiographiques dans ces études, aient été à l’origine de la commande du légendier. À cette hypothèse conjoncturelle, s’ajoutent les informations qui peuvent se tirer de la désignation de l’hagiographe : dans un ordre qui, depuis près d’un siècle, produit une élite intellectuelle rompue à la diffusion et à la manipulation du livre, devait se trouver pléthore de frères capables d’une telle compilation. Si le choix de Bernard Gui pour remplir cette tâche n’est pas

  C’est Bernard Gui lui-même qui, dans le prologue du Speculum sanctorale, précise qu’il écrit à la demande de Bérenger de Landorre, alors maître des dominicains. Voir ci-après ce que l’on peut tirer de ce prologue. 2   C’est la thèse défendue avec vigueur par B. Fleith, « Legende Aurea : destination, utilisateurs, propagation. L’histoire de la diffusion du légendier au xiiie et au début du xiv e siècle », Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, a cura di S. Boesch Gajano, Fasano di Brindisi, 1990, p. 4148). Dans le même colloque, C. Frova (« Problemi e momenti della presenza della letteratura agiografica nella sculo medioevale », ouv. cité, p. 101-109) s’est opposée à cette idée et fait remarquer qu’il n’existe aucun témoignage de l’utilisation des textes hagiographiques en général, et de la Légende dorée en particulier, dans l’enseignement universitaire. Une voie médiane est proposée par Alain Boureau : elle consiste à dire que si la Légende dorée relève d’une tradition universitaire et scolastique, c’est d’abord du point de vue des méthodes et de la forme des exposés (J.  de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’Alain Boureau et Monique Goullet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, p. xxiv). 1

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innocent, il peut y avoir quelque utilité à retracer, non pas son parcours – par ailleurs bien connu – mais ses liens avec le commanditaire. Enfin, l’œuvre achevée a, elle aussi, des choses à dire sur sa propre genèse : le Speculum sanctorale est nanti d’un prologue qui révèle quelques unes des justifications de l’entreprise. On connaît bien la dimension topique de ces morceaux de littérature et il faudra voir dans quelle mesure Bernard Gui se conforme à la loi du genre. A– Les apports du contexte 1– Les présomptions d’une réforme culturelle dans l’Église Parmi les données qui pourraient expliquer la commande d’un nouveau légendier pour l’ordre, se trouve l’hypothèse d’un contexte réformateur impulsé par l’Église, essentiellement en matière scolaire et intellectuelle. Les éléments qui soutiennent cette lecture du contexte sont ténus, mais n’invalident pas pour autant cette supposition. Sa relative fragilité vient du fait qu’il faut s’appuyer sur une documentation indirecte. Peu après l’accession de Jean XXII au pontificat, l’une des premières mesures de ce pape consiste à modifier la géographie ecclésiastique du Midi : le diocèse de Toulouse est érigé en archevêché et dix-sept nouveaux diocèses sont créés3. Les nouvelles cathédrales sont souvent d’anciennes abbayes bénédictines qui se voient dotées de nouveaux statuts soumis à l’approbation pontificale. Quand ces statuts sont conservés, on y trouve mention d’une réforme des études qui affecte les moines bénédictins4. La papauté exige, pour la qualité des nouvelles cathédrales, que le niveau scolaire des moines soit relevé et qu’un plus grand nombre de clercs passe plus de temps aux études. Connue par les statuts de ces nouvelles cathédrales, la mesure ne s’applique bien sûr qu’aux seuls moines noirs, mais cet effet de source n’interdit pas pour autant de penser que le décret ait pu être appliqué à d’autres clercs. Pour le savoir, il faudrait disposer d’un texte qui n’ait pas été filtré par la tradition bénédictine, c’est-à-dire, au mieux conforme à sa rédaction par le concile. Or, si les décrets du concile de Vienne comportent effectivement un grand nombre d’éléments pour la réforme de la vie monastique, on n’y trouve guère de texte ressemblant à ce qui vient d’être évoqué dans un canon intitulé Ne in agro   M. Fournié, F. Ryckebusch et A. Dubreil-A rcin, « Jean XXII et le remodelage de la carte ecclésiastique du Midi de la France : une réforme discrète », RHE, t. 98, 2003, p. 29-60. 4   Le texte qui traite des modalités de cette réforme est présenté par les éditeurs anciens – et notamment par E. Baluze – comme ayant partie liée au décret conciliaire Ne in agro dominico ce qui est plus que problématique. 3

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dominico5, même si on sait par ailleurs que tous les décrets de Vienne n’ont pas été approuvés immédiatement et que leur transmission fut tardive ou partielle. Quoi qu’il en soit, l’air du temps est bien empreint du désir d’une meilleure formation des clercs. Il y a un contexte propice à l’amélioration des études. Il est fort probable qu’en la matière, les dominicains, qui ont promu l’enseignement comme une condition de la réussite de leurs missions, aient eu, ici, fonction de modèle. D’ailleurs, Bérenger de Landorre, commanditaire du Speculum sanctorale, fait partie des clercs envoyés au concile. Nommé à la tête de l’ordre des prêcheurs l’année suivante, il va s’employer à modifier les études du réseau conventuel et à développer l’enseignement du thomisme. 2– L  es études chez les Prêcheurs au début du xiv e siècle : une réforme scolaire pendant le généralat de Bérenger de Landorre ? Si l’on peut envisager que l’ordre des prêcheurs a pu servir d’exemple pour la généralisation du décret sur les études appliqué au moins aux moines bénédictins, sinon à tous les clercs, c’est que dès avant la réunion du concile de Vienne, les actes des chapitres témoignent du besoin de réformer les études : le chapitre provincial tenu en 1308 à Rieux évoque la décadence des études, résultat de l’incurie des frères et de la négligence des prieurs conventuels. Ces derniers sont alors invités à désigner deux frères d’un zèle éprouvé, qui feront office de surveillants des écoles en ce qui concerne l’assiduité : ils devaient établir une liste des absents, qui était présentée au chapitre provincial suivant, lequel statuait sur la pénitence à infliger6. Cette année-là, le provincial n’est autre que Bérenger de Landorre. À la tête de l’ordre depuis 1312, il réaffirme le devoir d’études chez les prêcheurs. C’est en tout cas ce que montrent les décisions capitulaires de son généralat : en 1312, le chapitre général de Carcassonne impose aux provinces d’avoir, indépendamment des études aux collèges généraux, une maison d’étude particulière où les jeunes profès sont assignés aux exercices de la piété. Par ailleurs, Bérenger de Landorre exige que, de Pâques au 1er août, plus aucun frère n’ait le droit de s’absenter des leçons journalières des deux professeurs de théologie, ni de celles du maître des étudiants, chargé d’expliquer la morale ou un traité de Thomas d’Aquin, sous peine d’expulsion de tous les emplois du ministère. Les prieurs qui dispense-

  Dans les actes publiés du concile de Vienne, le canon Ne in agro dominico porte sur le vêtement des moines noirs. 6   Ces éléments ont été relevés par C. Douais (Essai sur l’organisation des études dans l’ordre des Prêcheurs au xiiie et xiv e siècle (1216-1342), première province de Provence, province de Toulouse, éd. Picard, Paris et éd. Privat, Toulouse, 1884), sans être forcément mis en relation avec la tenue du Concile de Vienne. 5

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raient sans raison les frères d’assister aux cours ou aux exercices scolaires seront absous de leurs offices et déclarés inaptes pour un an. Le chapitre convoqué à Bologne en 1315 décide que, désormais, personne ne sera envoyé dans un studium generale, notamment à Paris, avant d’avoir fait, au préalable, trois ans de théologie et une année d’Écriture sainte. Les maîtres des étudiants sont chargés de l’exécution de ces prescriptions et devront informer tous les ans le maître général et le chapitre du nombre et de la qualité des lecteurs ainsi que de la présence des livres dans la bibliothèque. Une comparaison rapide des actes des chapitres du généralat de Bérenger (1312-1318) avec ceux de son prédécesseur et de son successeur montre son souci particulier du cursus scolaire des dominicains. Il y a encore un autre facteur qui peut expliquer l’avènement de ce qui ressemble à une réforme scolaire. En élisant Bérenger de Landorre à la tête de leur ordre, les dominicains ont promu à la plus haute charge quelqu’un qui est d’abord un étudiant et un professeur. Bérenger n’a jamais été prieur (c’est-à-dire administrateur) de couvent, alors qu’il fut à plusieurs reprises lecteur et qu’il a obtenu le grade de maître en théologie. La commande du Speculum sanctorale peut donc aussi s’expliquer par cette inclination personnelle. Reste à savoir à quoi il destinait cette vaste compilation. En effet, si réforme scolaire il y eut, la difficulté d’y trouver une place pour l’hagiographie reste entière. On sait qu’Humbert de Romans, maître général de l’ordre dominicain de 1254 à 1263, n’accordait apparemment qu’une place secondaire à la lecture des Vies de saints dans la formation des prêcheurs : il semble n’en prévoir la consultation qu’à titre individuel et en dehors des heures de cours proprement dites7. 3– Suppléer la Légende dorée ? L’idée que Bérenger de Landorre commande le Speculum sanctorale à Bernard Gui afin de suppléer la Légende dorée a été fréquemment énoncée. Elle repose en premier lieu sur une expression contenue dans le prologue, qui a été comprise comme une allusion à la collection de Jacques de Voragine8 : le poids de cette parenté lexicale est examiné plus loin. Le projet de remplacer par un autre légendier celui de l’archevêque de Gênes se fonde de façon plus probante sur le témoignage de l’anonyme9 auteur de la biographie de Bernard Gui. Dressant un inventaire des œuvres composées par celui-ci, il écrit : « Il a aussi   scholarum nimia intermissio lectionum, Humbert de Romans, Opera de vita reguli, éd. J.-J. Berthier, I, Rome, 888, p. 457. 8   Le prologue du Speculum sanctorale débute par l’expression « Aureas sanctorum vitas » (éd. L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 400-425). 9   Il s’agit sans doute de Pierre Gui, neveu de Bernard. 7

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rédigé une compilation en quatre parties des Vies de saints, suivant la suggestion et à la demande du révérend père, frère Bérenger, treizième maître de l’ordre et, par la suite, archevêque de Compostelle, lequel a considéré la composition du frère Jacques de Voragine lacunaire et douteuse en bien des points »10. Si l’on en croit ce témoignage, la Légende dorée n’était donc pas épargnée par la critique, dans son propre ordre, et ce seulement une génération après qu’elle eut été achevée. Par ailleurs, deux éléments jusqu’ici complètement négligés peuvent venir apporter du crédit à la thèse selon laquelle l’œuvre de Voragine est apparue comme insuffisante aux yeux de certains dominicains, et notamment à ceux de Bérenger de Landorre et sans doute aussi de Bernard Gui. D’abord, lorsque Bernard Gui reprend et complète le De quatuor d’Étienne de Salagnac, il ajoute une notice consacrée à la Légende dorée. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas très laudative. Il se contente de signaler sèchement l’existence de la compilation hagiographique : « Frère Jacques de Voragine, lombard, était à la tête de l’Église de Gènes. Celui-ci fut prieur de la province de Lombardie. Il compila d’abord les vies nouvelles des saints, que d’autres ont appelé Fleurs des saints, ainsi qu’un imposant recueil de sermons. Il mourut l’année du Seigneur 1298 »11. Bien sûr, Jacques de Voragine entre dans l’inventaire des frères de l’ordre célèbres pour leurs écrits, mais malgré tout, Bernard Gui ne semble avoir qu’une faible estime pour l’œuvre de son prédécesseur. D’autre part, les travaux de Barbara Fleith sur la diffusion de la Légende dorée permettent de relever des éléments étonnants sur la réception de cette œuvre. Au cœur de son travail, Barbara Fleith publie une description du millier de manuscrits de la Légende dorée12, à partir de quoi elle établit des regroupements par branche. Un peu plus de la moitié de ses fiches analytiques précise le premier possesseur du manuscrit. Malgré l’importance des manuscrits qui ne peuvent être exploités, les informations que livrent les 490 autres sont sans doute représentatives. Or, lorsqu’on ventile les fiches des manuscrits selon ce critère, il est frappant de relever que les dominicains ne sont pas au nombre des possesseurs les

10   Vitas quoque sanctorum, ad instigationem et rogatum reverendi patris fratris Berengarii, magistri ordinis XIII, postmodum archiepiscopi Compostellani, cui ordinatio fratris Jacobi de Voragine diminuta et in plerisque dubia videbatur (…) quadripartita compilatione conscripsit, éd. P. Amargier, art. cité, p. 31. 11   Fr. Jacobus de Voragine, Lombardus, prefuit ecclesie Ianuensi. Hic fuit prior provincialis Lombardie. Hic compilavit prius Vitas sanctorum novas, que ab aliis dicuntur Flores sanctorum ; item grande opus sermonum. Hic obiit anno Domini MCCXCVIII, Stephanus de Salaniaco et Bernardus Guidonis, De quatuor in quibus deus praedicatorum ordinem insignivit, éd. T. Kaeppeli, MOPH, t. XXII, Rome, 1949, p. 189. 12   Studien zur Überlieferungsgeschichte der lateinischen Legenda aurea, SH, t. 72, Bruxelles, 1991, p. 55-331.

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mieux représentés. En effet, sur ces 490 manuscrits dont sont connus les possesseurs médiévaux des xiii-xve siècles, 25 seulement sont attribuables à un couvent dominicain. C’est peu. Pour éloquent que soit ce résultat brut, sa confrontation avec les autres le rend encore plus significatif : sur la même période, 36 de ces manuscrits appartenaient à des couvents franciscains, 95 à des chapitres cathédraux (augustins, réguliers ou séculiers), et 248 à des ordres réguliers (dont 124 à des communautés bénédictines et 62 à des monastères cisterciens). Pour l’heure, il convient de s’en tenir à ce simple constat. Exploiter ce bilan plus avant nécessiterait des approfondissements qui n’apporteraient pas grand-chose de plus à la démonstration d’ensemble. Le succès de la Légende dorée laisse voir des conséquences sur lesquelles on ne s’est guère interrogé : peu à peu, il n’est plus un légendier d’ordre. Dans ces conditions, n’est-ce pas sa diffusion rapide dans les milieux séculiers et monastiques qui aurait aussi poussé Bérenger de Landorre à doter son ordre d’un nouveau légendier, lequel entretiendrait suffisamment de points communs avec ses prédécesseurs dominicains pour perpétuer les caractères identitaires de l’ordre, mais serait en même temps suffisamment éloigné dans sa forme et dans ses choix pour assurer une nouvelle autonomie des prêcheurs à l’égard du modèle adopté (et complété) par les séculiers ? Dans tous les cas, le maître de l’ordre a considéré qu’il pouvait compter sur Bernard Gui pour produire quelque chose de mieux proportionné et sans doute aussi de plus sûr que ce que donnaient à lire les collections de Vies abrégées, dont la Légende dorée. B– Profil de l’hagiographe désigné 1– Bérenger de Landorre et Bernard Gui : le poids d’une amitié de trente ans Au nombre des sources les plus fréquemment convoquées pour retracer les carrières des prêcheurs se trouve le corpus des actes de chapitres : assignation des frères aux études, nomination des définiteurs, lecteurs, vicaires et autres prédicateurs, biographies des prieurs conventuels et provinciaux, la source ne se tarit pas de 1239 à 1342. Même si la forme de liste brute qu’elle peut prendre donne souvent un aspect désincarné aux informations que l’on en tire, on ne saurait se priver de l’aubaine, somme toute relativement rare, de dire avec certitude les occasions qui ont permis à ces deux hommes de se connaître avant que l’un d’eux ne devienne le commanditaire d’une œuvre exécutée par le second. Nés probablement tous les deux la même année – 1260 ou 1261 – Bernard Gui et Bérenger de Landorre entrent dans l’ordre des prêcheurs pratiquement

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au même âge et au même moment. Bernard Gui fait profession en 1280 au couvent de Limoges et Bérenger de Landorre deux ans plus tard au couvent de Toulouse13. Pour les vingt premières années de vie dominicaine, c’est-à-dire le temps de leurs études respectives puis de leurs premières expériences d’enseignants et d’administrateurs, les actes des chapitres provinciaux ne permettent de formuler que des présomptions de rencontres entre les deux hommes. Quand Bernard étudie à Limoges, Figeac ou Bordeaux, Bérenger suit les mêmes enseignements à Toulouse, Condom et Cahors. À deux reprises, ils manquent d’être placés dans le même couvent : En 1289, le chapitre provincial qui se tient à Narbonne assigne Bérenger de Landorre à Limoges comme lecteur du studia naturalia14. Bernard Gui y est depuis 1285, mais le même chapitre l’envoie à Montpellier parfaire ses connaissances théologiques15. La même chose se produit en 129716 : Bernard Gui est alors lecteur et prieur à Albi17, mais Bérenger de Landorre vient à peine d’y être nommé lecteur en théologie18 que Bernard Gui quitte Albi pour Carcassonne19. L’un et l’autre parcourent donc la province, mais la probabilité de leur rencontre dans la période 1260-1302 est alors plus de l’ordre de la trace que de la preuve. De la même manière, avant 1302, ils ne sont jamais de façon concomitante, membres de droit du chapitre provincial : Bernard Gui y prend part tous les ans à partir de 1294 en tant que prieur d’Albi (1294-1297) puis de Carcassonne (1297-1301) et de Castres (1301-1305). Il est possible que dans cette décennie Bérenger de Landorre ait aussi participé aux activités capitulaires de la province, notamment en tant que délégué de son couvent puisqu’il n’était ni prieur, ni prédicateur général et pas encore maître en théologie, mais les documents n’en ont pas gardé la trace. Il faut attendre 1302 pour avoir la certitude d’une rencontre entre les deux hommes : le 4 août, le chapitre de la province de Provence se réunit à Carcassonne. Bernard Gui y siège en tant que prieur du couvent de Castres et 13   C’est Bernard Gui qui fournit cette indication précise dans son catalogue des maître généraux de l’ordre dominicain : « …il est entré [au couvent] de Toulouse dans sa jeunesse, au mois de mai de l’année du Seigneur 1282, le jour de la fête des saints martyrs Gordien et Épimache » (Tolosae in adolescentia est ingressus sub anno Domini mcclxxxii mense maii, in festo sanctorum Gordiani et Epimachi martyrum (éd. Durand et Martène, Veterum scriptorum et monumentorum historicorum, dogmaticorum, moralium, amptissima collectio, t. VI, 1729, col. 412-413). 14   C. Douais, Acta capitulorum ordinis fratrum praedicatorum, ouv. cité, p. 326. 15   C. Douais, ouv. cité, p. 324. 16   Le chapitre se tient à Tarascon, le 28 juillet 1297 (C. Douais, ouv. cité, p. 410-418). 17   C’est le chapitre provincial tenu à Brive en 1292 qui l’y envoie comme lecteur (C. Douais, ouv. cité, p. 360). Il y reste cinq ans et à partir de 1294 il fait même office de prieur, comme Bernard Gui le précise lui-même dans le De fundatione (éd. P.-A. Amargier, MOPH, t. XXIV, Rome, 1961, p. 199). 18   C. Douais, ouv. cité, p. 411. 19   Cette information est donnée par Bernard Gui lui-même dans le De fundatione (éd., ouv. cité, p. 102-103).

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Bérenger de Landorre comme définiteur, c’est-à-dire comme membre du comité exécutif20. À partir de 1302, les témoins d’une réelle proximité entre les deux hommes sont à la fois plus nets et plus nombreux. Dernier chapitre provincial de la première Province de Provence – la province de Toulouse naît en 1303 –, le chapitre de 1302 rappelle assez fermement les constitutions de l’ordre. Bérenger de Landorre, est, avec trois de ses frères en religion, chargé de faire appliquer ces décisions. C’est aussi au cours de ce chapitre que Bernard Gui est nommé prédicateur général. En 1304, il offre au maître de l’ordre sa première compilation des documents d’histoire dominicaine, ce qui dut lui assurer une certaine publicité au sein de l’ordre. En 1307, Bérenger de Landorre, provincial de Toulouse depuis un an, voit revenir vers lui Bernard Gui comme inquisiteur de la province. Au chapitre général qui se tient à Carcassonne en 1312, Bérenger est élu maître de l’ordre, avec la voix de Bernard, qui fait parti du collège électoral. En 1316, Bérenger de Landorre, maître général des dominicains, est nommé archevêque de Compostelle. Sept ans plus tard, le 26 août 1323, Bernard Gui est nommé au siège épiscopal de Tuy en Galice, suffragant de Compostelle. En l’état de la documentation, on ne sait s’il s’y est réellement rendu, car il a été transféré l’année suivante au siège de Lodève. Toutefois, le pape Jean XXII, afin de le remercier d’avoir assumé la charge inquisitoriale, lui propose une place dans une collégiale ou une cathédrale pour un membre de sa famille : il installe aussitôt son neveu, Gui Gui, archidiacre à Tuy21. Certains auteurs ont avancé que c’est précisément à la protection de Bérenger de Landorre que Bernard Gui devait son élection à la dignité épiscopale22. Cette position de suffragant de l’archevêque de Compostelle, même si elle est restée théorique, n’avait sans doute rien de fortuit. Le choix de confier la compilation d’un nouveau légendier à Bernard Gui apparaît comme le fruit d’une rencontre entre deux hommes du Midi : commanditaire et compilateur menèrent des carrières parallèles, parfois croisées, et les relations qu’ils ont pu entretenir, quoique difficiles à cerner, ne sont sans doute pas pour rien dans cette entreprise. En la matière, cela n’a rien d’éton-

  Les noms des définiteurs aux chapitres provinciaux ne sont pas toujours connus, contrairement à ceux qui siègent au chapitre général. Or, il se trouve que les manuscrits ayant transmis les actes du chapitre de 1302 reportent en marge les noms des quatre définiteurs : Diffinitores hujus capituli fuerunt (…) frater Berengarius de Landorra prima vice, lector Tholosanus (voir C. Douais, ouv. cité, p. 467). 21   Cette information provient des Lettres communes de Jean XXII. Elle montre que, contrairement à ce qui a été avancé jusqu’à présent, Bernard Gui avait peut-être l’intention de venir en Galice puisqu’il y installe son neveu, ce dernier étant transféré à Lodève lorsque Bernard Gui en devient l’évêque (Jean XXII, Lettres communes, n° 8436 datée du 21 septembre 1318, à Avignon). 22   Sur ce point, voir J. M. C arbasse, « Bernard Gui évêque de Lodève (1324-1331) », dans Bernard Gui et son monde, CF, t. 16, 1981, p. 333-356. 20

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nant. Mais l’estime ou la gratitude peuvent-elles raisonnablement apparaître comme des conditions suffisantes quand il s’agit de compiler un recueil hagiographique aussi ample ? Ce qui a pu les conforter, c’est le fait que dans le domaine de l’écriture des Vies de saints, Bernard Gui n’était pas en 1316 totalement novice. L’intérêt qu’il avait déjà manifesté pour ce sujet, comme les matériaux qu’il avait déjà rassemblés, ont sans doute été déterminants dans sa désignation comme nouvel hagiographe de l’ordre. Le goût, sinon le talent, dont il a pu faire preuve dans ses compilations hagiographiques antérieures, le désignaient pour cette œuvre. 2– Le poids de l’expérience En effet, quand Bérenger de Landorre confie à Bernard Gui la rédaction d’un nouveau légendier, il s’adresse à celui qui s’est déjà distingué par ses compilations historiques (offertes au maître de l’ordre) et ses sentences d’inquisition (emblème, s’il en est, de la mission confiée aux prêcheurs dans le Midi et dans l’Église). Il est vraisemblable que l’ampleur de ses compétences a incité Bérenger de Landorre à lui commander une nouvelle collection de Vies de saints23. Si elle est restée nettement plus confidentielle, son activité d’hagiographe n’en est pas moins réelle : avant la commande du grand miroir des saints, Bernard Gui a rédigé plusieurs opuscules hagiographiques. Une présentation rapide permettra de montrer quels étaient les centres d’intérêt de Bernard Gui hagiographe, avant que ne lui soit confiée la rédaction du Speculum. a– Les saints du Limousin Au nombre des compilations hagiographiques de Bernard Gui, on compte d’abord un traité sur les saints du Limousin intitulé Hec sunt nomina sanctorum quorum corpora Lemovicensem dyocesim ornant et honorant et suis juvant meritis apud Deum, que in locis suis habentur et ibidem devotione congrua fideliter venerantur (BHL 4815-4816)24. C’est un ouvrage de dimen23   C’est aussi l’explication que met en valeur Simon Tugwell pour justifier le choix de Bernard Gui. Cependant, il ne retient de Bernard Gui que ses compétences d’historien et néglige de signaler qu’il a aussi produit des textes de nature hagiographique (« It was presumably the evidence of Gui’s wide-ranging historical competence which prompted Bérenger to commission him to produce a new collection of saints’lives. » Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, éd. S. Tugwell, MOPH, t. XXVII, Rome, 1998, p. 22). 24   Si ce catalogue des saints limousins n’a jamais été étudié pour lui-même et encore moins édité dans son intégralité, il a donné lieu à deux articles : J.-L. Lemaitre, « Bernard Gui et les saints limousins », BSLSAC, t. 94, 1991, p. 22-44 et A.-M. L amarrigue, « Un inventaire des saints limousins par Bernard Gui », AFP, t. 68, 1998, p. 205-221. Voir aussi ce qu’en dit L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 260-261.

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sion modeste, qui, selon le format des manuscrits originaux conservés, varie de cinq à huit folios25. Le traité est divisé en trois livres d’importance inégale, introduits chacun par une courte préface. Le premier livre renferme les noms des saints dont les corps font l’ornement des églises de Limoges, en commençant par l’abbaye Saint-Martial. Le deuxième livre contient les noms des saints originaires du Limousin, mais dont les reliques sont honorées hors de leur province natale, tels Éloi, Vaast ou Védaste, Amand, Remacle, Sacerdos, Alpinien, etc. Enfin le troisième livre traite des pieux hommes remarquables par leur vie, leurs vertus et éventuellement les miracles qu’ils ont suscités. Ceux-ci n’ont pas été encore portés sur les autels. Il s’agit de quatre fondateurs de monastères : Étienne de Vieljo, fondateur d’Obazine, mort en 1159 ; Geoffroy de Nohl, fondateur du Chalard, mort en 1125 ; Roger fondateur de Dalon, mort en 1157 et Aubert fondateur de Bénévent, mort en 102826. Le sujet de cet opuscule est donc strictement régional. D’ailleurs, comme l’a montré Jean-Loup Lemaitre, la source principale de Bernard Gui pour ce traité des saints limousins est la Chronique de Geoffroy de Vigeois, dont le chapitre 14 du livre I donne la liste des corps saints conservés à l’abbaye SaintMartial27. Chacun des trois livres du traité des saints du Limousin est conçu comme une juxtaposition de fiches, de notices relatives à un saint, dont le contenu est presque entièrement issu de la compilation de Geoffroy de Vigeois. Bernard Gui, cependant, réorganise quelque peu la matière de son prédécesseur et c’est de ce nouvel agencement que vient l’originalité du traité de Bernard Gui : en effet, il appréhende de façon singulière la question de la sainteté locale en faisant varier les deux dimensions de cette réalité – la sainteté d’une part, le caractère régional de l’autre. Ainsi la première place est réservée aux saints originaires du Limousin et dont les reliques sont encore conservées dans les églises de ce diocèse : c’est l’association de l’extrême sainteté (présence des reliques) et de l’extrême proximité qui confère à ces saints une place privilégiée. Ce classement conduit, en fait, Bernard Gui à présenter une localisation des épicentres du sacré. La dimension géographique semble avoir primé sur le degré de sainteté des personnages dont Bernard Gui expose la vita, car le point commun entre tous les saints du second livre est que leurs reliques ne sont pas conservées dans le diocèse. Leur efficacité et leur pouvoir de médiation en   La liste est donnée par T. K aeppeli, Sop, t. I, Rome, 1970, p. 224 et 225. Treize manuscrits médiévaux de ce traité sur les saints limousins sont actuellement conservés, dont douze du xiv e siècle. Seuls quatre sont des originaux, revus ou corrigés directement par la main de Bernard Gui : Il s’agit de BnF nouv. acq. lat 1171, fol. 209v°-217 ; Toulouse, BM, ms 450, fol. 238-245v° ; BnF, ms lat. 4977, fol. 174-179 et Bib. Vat., Reg. lat. 705, fol. 4-10. 26   Obazine et Dalon s’affilièrent à Cîteaux. Le Chalard et Bénévent furent occupés par des chanoines réguliers. 27   J.-L. Lemaitre, art. cité, p. 29 et 30. 25

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paraissent amoindris. Enfin, en incluant, au troisième livre de son traité, les fondateurs de monastères qui ne sont pas encore canonisés par l’Église, Bernard Gui rend compte de la vigueur de certains cultes dans la tradition limousine. Si ces religieux donnent un supplément de sacralité au diocèse, leur présence dans ce traité est étonnante à un moment où la canonisation par la vox populi a depuis longtemps était évincée par des procédures qui sont la prérogative de la papauté. b– Les saints du diocèse de Toulouse Bernard Gui ne reconduit pas la même structure pour un autre opuscule traitant aussi de sainteté locale, le traité des saints du diocèse de Toulouse. Il faut dire qu’il ne disposait pas, pour les saints toulousains, d’une source aussi remarquable que la Chronique de Geoffroy de Vigeois. Les dimensions de cet ouvrage sont aussi très modestes (neufs folios en moyenne). Il ne comporte que cinq notices, à savoir les Vies de saint Saturnin, saint Exupère, saint Germier28, saint Papoul et saint Bérenger, les trois premières étant reprises dans le catalogue des évêques de Toulouse. Antoine Thomas et Thomas Kaeppeli ont ignoré ce document dans leurs catalogues des écrits de Bernard Gui. La notice de Léopold Delisle reste la seule description de ce catalogue et de la liste des manuscrits qui en donnent un exemplaire29. c– Traité sur les soixante-douze disciples du Christ Si l’opuscule sur les saints du diocèse de Toulouse est resté confidentiel, tel n’est pas le cas du traité que Bernard Gui consacre aux soixante – douze disciples du Christ. Il semble qu’il ne doit pas être séparé du catalogue des apôtres, à la suite duquel il est d’ailleurs copié dans de nombreux manuscrits30. Cependant, les deux textes ne présentent pas un égal intérêt. Léopold Delisle dit même que l’opuscule intitulé Nomina apostolorum est « dépourvu de valeur historique »31, ce qui n’est pas le cas de la liste que dresse Bernard Gui des disciples. Son objectif est de combler les lacunes relevées par Eusèbe de Césarée au livre I, xii de son Histoire ecclésiastique : il y déplorait le fait que la tradition n’ait pas conservé les noms de tous les disciples du Christ32. C’est pourquoi,   Une édition de ce texte a été donnée par C. Douais, « Saint Germier, évêque de Toulouse au vie siècle », Mémoire de la Société nationale des antiquaires de France, t. 50, 1890, p. 81-91. 29   L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 294-295. 30   Thomas Kaeppeli a dénombré 21 manuscrits pour la liste des apôtres et 30 pour le catalogue des disciples. Seuls 19 de ces manuscrits renferment les deux textes. Voir T. K aeppeli, Sop, t. I, Rome,1970, p. 207-208. 31   L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 299. 32   « Les noms des apôtres du Sauveur sont bien connus de tout le monde par les Évangiles. Par contre, la liste des soixante-dix disciples n’existe nulle part », Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, dans la traduction de Rufin, I, 12, 1, éd. Th. Mommsen, Leipzig, 2 vol., 1903 28

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à la suite des recherches orientales sur ce point, Bernard Gui propose une liste de soixante-dix disciples, qui se démarque de ces précédents grecs, puisque au nombre des premiers compagnons du Christ se comptent plusieurs évêques du Midi (entre autres Martial de Limoges, Saturnin de Toulouse, Trophime d’Arles, Front de Périgueux, Maximin d’Aix ou Lazare de Marseille). De plus, alors que les listes grecques ont généralement la forme d’un index numéroté, ou sont, au mieux, formées de la juxtaposition de notices succinctes33, plusieurs chapitres du recueil de Bernard Gui sont de véritables Vitae abrégées. Tout se passe comme si, ne disposant pas pour les disciples d’une tradition textuelle aussi « fiable » que pour les apôtres, il était contraint de démontrer l’apostolicité des premiers évêques des diocèses de Gaule et que, dans ce but, il développait leur notice plus qu’à l’accoutumée. Au total, les premières collections hagiographiques de Bernard Gui ont des ambitions relativement modestes. Manifestement, il ne s’est documenté que sur des points précis. Ceci dit, ces premiers recueils témoignent d’une faculté à traiter de la sainteté sous des angles variés : qu’il s’agisse de reliques, de la sainteté propre aux évêques ou de celle des origines du christianisme, l’hagiographe est capable de changer de perspective puisque ses préoccupations varient des dévotions de clocher aux fondements de l’Église véhiculés par les apôtres et les disciples. Dans ce premier corpus, deux données se détachent particulièrement : d’une part l’importance de la localisation des Vies de saint, laquelle va jusqu’à la construction d’espaces concentriques dans le catalogue des saints de Limoges, et d’autre part le besoin d’apostolicité. Or, ces deux éléments recouvrent la question du rôle de l’hagiographie dans l’articulation de l’Église aux Églises. Cette présentation thématique masque quelque peu les données chronologiques qui éclairent la progression de ces recueils. Bernard Gui les a régulièrement retravaillés. Bérenger de Landorre sait qu’il peut compter sur un homme méticuleux, acharné au travail, qui livrera une somme fiable, parce que régulièrement corrigée.

et 1908, p. 81 I, 12, 1, p. 81. À partir des Actes des Apôtres et de renseignements glanés de-ci de-là, Eusèbe parvient à avancer cinq noms : Barnabé, Sosthène, Céphas, Matthias, Thaddée. 33   Ce sont surtout les listes grecques d’apôtres et de disciples qui ont fait l’objet de travaux. Voir les articles que F. Dolbeau leur a consacrés : « Une liste ancienne d’apôtres et de disciples traduite du grec par Moïse de Bergame», AB, t. 104, 1986, p. 299-314 ; « Une liste latine d’apôtres et de disciples compilée en Italie du nord», AB, t. 116, 1998, p. 5-24 ; « Une liste latine de disciples et d’apôtres traduite sur la recension grecque du Pseudo-Dorothée», AB, t. 108, 1990, p. 51-70 ; « Listes d’apôtres et de disciples », Écrits apocryphes chrétiens, vol. II, sous dir. P. Geoltrain et J.-D. Kaestli, éd. Gallimard, le Pléiade, 2005, p. 453-480.

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3– La valeur du travail a– Des œuvres constamment corrigées La composition des quatre manuscrits hagiographiques occupe vingt-cinq années de la vie de Bernard Gui. Leur rédaction n’est pas continue, aussi, la réintroduction de la chronologie dans l’examen de ces manuscrits hagiographiques montre qu’ils sont perpétuellement en gestation, maintes fois complétés et retouchés au profit des informations que ses déplacements lui permettaient de glaner. De 1305 à 1307, Bernard Gui est prieur à Limoges. Ce retour dans le couvent où il avait fait profession fait figure de contexte favorable à la rédaction du catalogue des reliques limousines. En l’absence de datation précise, c’est du moins ce que laisse penser le nombre de témoignages locaux recueillis de première main, qui émaille ce premier opuscule. Nommé inquisiteur en 1307, il rejoint, pour dix ans, le couvent de Toulouse. Il est alors en mesure de réunir les Vies des saints locaux, sans doute en parallèle de son travail sur le catalogue des évêques du diocèse de Toulouse, bien daté34, si l’on suppose en tout cas que des sources communes ont du faciliter des rédactions parallèles. C’est aussi à ce moment là que, de son propre aveu cette fois, il travaille sur les soixante-douze disciples du Christ : le recueil est achevé en 131335. Ainsi, les quinze premières années du xiv e siècle voient apparaître, de manière plus ou moins aboutie, trois opuscules hagiographiques, essentiellement pétris de préoccupations locales. Alors que cette activité relativement modeste aurait pu se poursuivre dans les bibliothèques des couvents fréquentés par Bernard Gui, l’année 1317 constitue alors un sorte de rupture : envoyé en mission diplomatique en Italie, le dominicain abandonne pour un temps ces travaux d’hagiographe. Lorsqu’il est en mesure de les reprendre, à un moment qu’il est difficile à préciser mais sans doute dans le courant de l’année 1318, il a du matériel nouveau : À Reggio, il a trouvé une Vie de saint Prosper, patron de la ville, qu’il utilise, dans son catalogue des saints du diocèse de Limoges, pour gonfler la légende de

  La première version date de 1313. Le texte est ensuite remanié en 1315, 1316 et 1317 : voir L. Delisle, ouv. cité, p. 270-271. 35   « Voilà les noms des disciples du Seigneur Jésus Christ que j’ai pu trouver et réunir en les résumant à partir de plusieurs livres et écrits, jusqu’à la présente année 1313 où j’ai écrit cela » (Hec igitur sunt nomina discipulorum Domini Jhesu Christi, que potui reperire et colligere sub compendio ex pluribus libris et scripturis, usque in presentem annum Domini M. CCC. XIII, quo hec scripsi). Cette information n’est conservée que dans trois manuscrits de la Bibliothèque nationale de France : le ms nouv. acq. lat. 1171, fol. 190 ; le ms lat. 4976, fol. 223 et le ms lat. 4989, fol. 133v°. Le ms lat. 4976 est le seul à préciser …quo hec scripsi Tholose. Voir L. Delisle, ouv. cité, p. 297. 34

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Prosper d’Aquitaine, jusqu’ici squelettique36. Profitant peut-être du même contexte, Bernard Gui remanie aussi son Catalogue des soixante-douze disciples du Christ : à la version initiale, il ajoute deux nouveaux récits (les Vies de saint Georges, premier évêque du Velay et de saint Luc, l’évangéliste). Ses ajouts sont accompagnés de compléments (les notices concernant saint Maximin et, dans une moindre mesure, les saints Eutrope et Gratien sont plus développées) et de corrections (il fait gratter la date de 1313 inscrite dans la première version de son texte). Dans le même temps, les modifications de la géographie ecclésiastique du Midi, enclenchée par la bulle Salvator noster du 25 juin 1317, imposaient que soient revus ces recueils d’hagiographie locale. En effet, saint Papoul n’est plus un saint du diocèse de Toulouse, mais du nouvel évêché éponyme ; associé à l’évangélisation du Limousin, le corps d’Alpinien repose désormais dans le tout nouveau diocèse de Montauban, etc. Pour autant, les opuscules antérieurs à cette réforme majeure ne sont pas complètement mis en conformité, après 1318. Ce peut-être un choix, parce que tenir compte du nouveau découpage géographique, c’était, dans le cas du Traité sur les saints du Limousin, vider le diocèse de Limoges d’une partie de ses saints37. Le même raisonnement vaut pour le Catalogue des saints du diocèse de Toulouse. Surtout, pourquoi engager une correction complète des manuscrits rédigés avant 1317 quand le maître de l’ordre vient de lui commander la compilation d’un véritable légendier ? De fait, la mise en conformité des vies de saints avec l’érection de nouveaux évêchés méridionaux se réalise dans le Speculum sanctorale, de sorte que les anciens recueils hagiographiques, gonflés d’additions conséquentes au gré des informations que Bernard Gui collecte,   En 1305, il sait peu de choses de saint Prosper et écrit seulement : Sanctus Prosper, doctor, cujus sentencie extant, de Aquitania natus fuit. Hic apud Regium, civitatem Lombardie, ubi fuit episcopus, requiescit. Hic fuit notarius sancti Leonis pape (Paris, BnF, ms lat. nouv. acq. 1171, fol. 216v°). Les remaniements de 1317 sont connus sous deux formes (un ajout marginal situé dans le manuscrit Vatic. Regin. lat. 705, fol. 9, reproduit par A. Thomas, « Bernard Gui, frère prêcheur », Histoire littéraire de la France, t. XXXV, Paris, 1921, p. 223, et une note dans Paris, BnF, ms lat. 4977, fol. 179, également cité par A. Thomas), sans qu’il soit possible de les dater ou de dire laquelle a précédé l’autre. 37   Pour le montrer, il faut localiser les sanctuaires à reliques cités par Bernard Gui sur des cartes du diocèse de Limoges et Tulle, car la carte établie par Jean-Loup Lemaitre à partir des départements ne suffit pas à mettre en valeur le phénomène du diocèse (J.-L. Lemaitre, art. cité, p. 34). L’absence de pouillés médiévaux conservés pour les diocèses de Limoges et Tulle ne simplifie pas le relevé, mais on peut partiellement combler cette lacune en recourant au Dictionnaire historique et archéologique des paroisses du diocèse de Tulle, publié en 1894 par l’abbé Jean-Baptiste Poulbrière. Ce travail de vérification montre que remettre à jour le catalogue des saints du Limousin revient à ôter près d’une dizaine de corps saints. Disparaissent de la troisième partie du catalogue les saints Prime et Félicien, les martyrs d’Agen inhumés à Beaulieu, saint Dulcide, dont les reliques sont conservées à Chamberet, saint Léger d’Autun à Meymac, saint Pardoux de Guéret, dont le corps est honoré à Arnac, saints Gervais et Protais, mais aussi sainte Radegonde de Poitiers et saint Adorator, dont l’église Saint-Étienne de Lubersac s’honorait de posséder les reliques. 36

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constituent de véritables documents de travail au moment où il entreprend la rédaction de son immense légendier. b– D  es saints de Limoges au Speculum sanctorale : un continuum hagiographique Lorsque Bernard Gui entame la rédaction du Speculum sanctorale, il dispose déjà d’un matériel important, rassemblé et mis en forme dans les trois recueils hagiographiques compilés entre 1305 et 1318. De fait, un certain nombre de ces textes sont repris dans le grand légendier, soit à l’identique, soit corrigés et amplifiés. Du seul point de vue des sommaires, la partie du Speculum sanctorale qui entretient le plus de points communs avec les recherches antérieures est la seconde, consacrée aux apôtres et aux disciples : elle bénéficie bien sûr des recherches que Bernard Gui a effectuées pour la compilation des catalogues des douze apôtres et des soixante-douze disciples : évidemment, la liste complète des premiers passe dans le grand légendier, tout comme quinze saints du groupe suivant38 : des disciples, il n’a donc gardé que ceux pour lesquels il disposait d’une véritable documentation39. La troisième partie du Speculum, qui est la plus longue en nombre de notices, se nourrit de toutes les compilations antérieures, mais ces dernières ne fournissent que cinq martyrs : saint Alpinien et saint Étienne, que Bernard Gui avait évoqués dans le Catalogue des soixante-douze disciples, Valérie et Flavie Domicille, qui se trouvent dans le Catalogue des saints du Limousin, saint Papoul enfin, que l’on compte au nombre des Saints du diocèse de Toulouse. Dans la quatrième partie du Speculum sanctorale, neufs évêques, confesseurs ou vierges avaient déjà intéressé Bernard Gui : saint Sacerdos, saint Prosper, saint Yrieix, saint Pardoux, saint Junien et saint Léonard sont au nombre du Catalogue des saints du Limousin, saint Germier et saint Exupère dans celui du diocèse de Toulouse. Les points de contact existent donc entre les collections hagiographiques du début du xiv e siècle et le grand légendier encyclopédique qu’est le Speculum sanctorale. Même s’ils sont peu nombreux, ils peuvent confirmer l’idée que la désignation de Bernard Gui pour cette entreprise est une forme de reconnaissance de sa maîtrise de la littérature des Vies des saints et de son expérience de compilateur en la matière. En effet, plusieurs de ces Vies sont copiées à   Il s’agit des saints Martial (ms 480, II, fol. 112), Mathias (ms 480, II, fol. 95), Barnabé (ms 480, II, fol. 100), Saturnin (ms 480, II, fol. 106v°), Front (ms 480, II, fol. 126), Georges (ms 480, II, fol. 136), Urcin (Nathanael dans le Speculum, ms 480, II, fol. 139v°), Maximin (ms 480, II, fol. 139), Simon (ms 480, II, fol. 143), Jude (ms 480, II, fol. 142), Cleophe (ms 480, II, fol. 142v°), Luc (ms 480, II, fol. 102v°), Cephe (ms 480, II, fol. 142v°), Thadée (ms 480, II, fol. 64v°). 39   Bernard Gui n’a pu fournir pour chacun des disciples une véritable notice hagiographique : pour quatorze d’entre eux, il n’a pu aller plus loin que les informations lues dans le martyrologe d’Usuard et pour deux autres, il ne connaît que le nom. 38

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l’identique dans le Speculum. C’est d’abord le cas pour certains disciples du Christ, comme Maximin, Syle, Simon, Jude, Cleophe, Céphas et Thadée, pour lesquels Bernard Gui se contente de reproduire ce qu’il avait déjà écrit dans son Catalogue des soixante-douze disciples. Dans la partie qu’il consacre à la sainteté des évêques, le travail accompli pour la Vie de saint Germier est aussi un bon exemple de cette réutilisation des recherches antérieures : Bernard Gui rédige d’abord un premier texte pour le Catalogue des évêques de Toulouse, qui est une notice chronologique justifiant la place qu’il faut attribuer à Germier dans la liste épiscopale40. Sans doute au même moment, il recherche une Vie de l’évêque pour son Catalogue des saints de diocèse de Toulouse, et la trouve dans un légendier conservé dans la bibliothèque des prêcheurs de la ville41. Celle-ci n’entre pourtant pas à l’identique dans sa collection puisque Bernard Gui la réécrit, en simplifiant le style et en l’amputant de plusieurs miracles42. Presque dix ans après, c’est ce texte qu’il recopie au mot près dans son Speculum sanctorale. Si cet immense légendier éclipse, par son ampleur, les recueils hagiographiques antérieurs, il entérine une partie des recherches qui les avaient préparés tout en leur assurant une plus grande publicité. Dans d’autres cas, le Speculum sanctorale représente plutôt l’occasion, pour Bernard Gui, de faire aboutir des recherches qui, jusque là, étaient restées en suspens. Tout se passe comme si le rassemblement des matériaux utiles à la rédaction du Speculum sanctorale lui avait tout à coup permis de compléter les travaux antérieurs. L’examen des différentes versions du texte qu’il consacre à Luc l’évangéliste illustre ce cheminement : absent du premier état du Catalogue des soixante-douze disciples, le saint y est introduit lors de la première série de remaniements, par le biais d’une notice courte, essentiellement fondée sur l’Évangile éponyme et les commentaires des Pères grecs. Plus tard, Bernard Gui y ajoute une longue citation du chapitre 7 du Livre des hommes illustres de Jérôme. Si cette seconde campagne de corrections ne se laisse pas dater facilement, l’exercice d’une chronologie comparée et déductive engage à la mettre en relation avec la compilation du premier volume du Speculum sanctorale. Celui-ci comprend une première partie dédiée aux fêtes du Christ et de la Vierge, et une seconde partie consacrée aux apôtres et disciples, dans laquelle 40   L’intérêt de Bernard Gui pour les listes épiscopales et le travail qu’il a conduit pour les élaborer ont été analysés par A.-M. L amarrigue, Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, 2000, p. 310-318. 41   Ce document est actuellement le manuscrit 477 de la Bibliothèque municipale de Toulouse. Rédigé au xiv e siècle, il donne, dans l’ordre du calendrier, les saints honorés de décembre à août. La vie de saint Germier se trouve au fol. 162v° : il s’agit de la Vita sancti Germerii BHL 3484. La seconde partie du calendrier se trouve dans le ms 478, rédigé par le même scribe. 42   La réécriture de la Vita sancti Germerii par Bernard Gui est le texte BHL 3486. Pour plus de détails, voir les extraits de l’analyse du Speculum sanctorale, dans l’annexe 1.

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prend place la Vie de saint Luc. Le tout est achevé en 1324. Or, la notice de saint Luc qui se lit dans le Speculum sanctorale, s’appuie sur le texte ajouté dans le catalogue au cours de la première série de corrections, mais aussi sur la longue citation de saint Jérôme. Ce qu’enseignent les états successifs du texte consacré à saint Luc se trouve tout a fait confirmé par une utilisation analogue des recherches faites autour de saint Georges ou de saint Maximin. Le premier est absent de la version initiale du catalogue des disciples, tandis qu’en 1313, Bernard Gui n’a pu écrire plus d’une phrase au sujet du second. L’inscription de Georges au nombre des disciples du Christ se fait par la production d’une Vie, qui n’est autre qu’un abrégé de celle qui prend place, sans doute au même moment, dans la deuxième partie du Speculum sanctorale. Les conclusions que l’on tire de la comparaison des textes de Bernard Gui relatifs à saint Maximin sont sensiblement les mêmes : constituée d’une seule phrase en 1313, l’évocation de cet apôtre de la Provence s’allonge considérablement dans le second état du catalogue des disciples. Or, c’est ce texte « long » qui est reproduit mot pour mot à la fin de la seconde partie du Speculum sanctorale. Il est donc probable que Bernard Gui ait cherché pour son légendier ce qu’il n’avait pu intégrer, faute de sources, dans son catalogue des disciples. Ces recherches complémentaires justifient les campagnes de remaniements des premiers catalogues en même temps qu’elles fournissent le corps des textes qui vont composer le Speculum sanctorale. Les dossiers de Maximin, Georges et Luc sont cette fois suffisamment documentés pour entrer dans la seconde partie du Speculum sanctorale, alors qu’ils sont très incomplets (Maximin) ou absents (Georges et Luc) de la première version du catalogue des disciples. Finalement, ce que ces campagnes de corrections impulsées par la rédaction du Speculum sanctorale révèlent le mieux, c’est précisément que Bernard Gui a jugé insuffisantes les informations qu’il avait lui-même recueillies pour toutes ses compilations antérieures à la commande du grand légendier. Si la deuxième version de la Vie de saint Maximin passe à l’identique du catalogue des disciples au Speculum, Bernard Gui ajoute dans ce dernier une phrase qui montre que les exigences fixées pour la rédaction du Speculum – quelles soient celles du commanditaire ou du compilateur – surpassent celles qui ont été les siennes jusqu’à présent. Bernard Gui explique en effet qu’il a longtemps cherché une vie de saint Maximin, mais comme sa recherche restait infructueuse, il a du se contenter d’extraire de la vie de Marie-Madeleine les éléments relatifs à son frère43. Ce qui était suffisant pour le catalogue des soixante – douze disciples semble ne plus l’être pour le Speculum sanctorale. Les exemples qui le   De gestis autem sancti Maximini Aquensis non potui amplius reperire, nisi quantum in gestis sancte Marie Magdalene et sancte Marthe ac Lazari habetur sepius de ipso in locis congruis mentio specialis,

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montrent sont légion. Or, ces lacunes et ces défauts de documentation n’entraînent pas le besoin de mettre en garde le lecteur du catalogue des disciples. Si le besoin – ou le scrupule – n’apparaît sans détour qu’avec la compilation de Speculum sanctorale, c’est que l’enjeu et la destination de l’œuvre n’ont plus rien à voir avec ceux des collections antérieures. C’est pour cela que, dans la majorité des cas, les textes inscrits dans le Speculum se démarquent des choix compilatoires antérieurs. Au total, les compilations hagiographiques de Bernard Gui antérieures à la commande du Speculum sanctorale lui ont sans doute permis d’éprouver une méthode en même temps que de réunir un fonds documentaire conséquent. L’orientation est cependant différente, car les premiers travaux sont centrés sur la sainteté locale quand le légendier a vocation universelle. Mais il n’empêche que l’écriture du Speculum sanctorale est, d’abord, pour lui, l’occasion d’un retour sur les productions hagiographiques antérieures – les siennes mais aussi celles de ses prédécesseurs –, puis une tentative de dépassement, ce qu’illustrent les arguments avancés dans le prologue du Speculum. C– L a genèse du Speculum sanctorale 1– Ce qu’avoue le prologue Le Speculum sanctorale de Bernard Gui est précédé d’un prologue bien connu : Léopold Delisle l’a entièrement édité dans son étude des manuscrits de Bernard Gui44, François Dolbeau l’a étudié et partiellement traduit45, d’autres l’ont cité avec profit dans leurs travaux sur les légendiers46. Alors que ce proque autem causa fuerit quod ejus gesta non inveniantur singillatim conscripta, Speculum sanctorale, ms 480, fol. 281. 44   L. Delisle, ouv. cité, p. 420-425. 45   Dans un article de 1979 consacré à la typologie des structures de légendiers, François Dolbeau évoque le plan présenté dans le prologue du Speculum sanctorale (« Notes sur l’organisation interne des légendiers latins », Hagiographie, cultures et société (iv e-xiie siècles), actes du colloque de Nanterre et Paris (2-5 mai 1979), éd. Augustiniennes, Paris, 1981, p. 12-31). En 1981, il expose les résultats de la collation du prologue du Speculum sanctorale avec celui d’un manuscrit des Flores sanctorum multicolores, légendier des xie ou xiie siècle, bien diffusé en Espagne et dans le Midi de la France (« Un légendier abrégé utilisé par Bernard Gui », AB, t. 99, 1981, p. 250). À l’occasion d’un colloque tenu à Rome en 1998, il étudie les prologues des recueils hagiographiques et présente plus précisément les motifs avancés par Bernard Gui, dans son introduction, pour justifier la compilation de son légendier (« Les prologues de légendiers latins », Les prologues médiévaux, actes du colloque international de Rome, 26-28 mars 1998, éd. Brepols, Turnhout, 2000, p. 345-394). 46   Sans penser fournir une liste exhaustive, on peut notamment citer A rbellot, « Étude biographique et bibliographique sur Bernard Guidonis, évêque de Lodève », Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. 45, 1896, p. 5-44 ; A. Poncelet, « Le légendier de Pierre Calo », AB, t. 29, 1910, p. 26-27 ; A. Thomas, art. cité, p. 165-167.

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logue est, de loin, la partie du Speculum sanctorale la mieux connue, on a peu signalé qu’il était reproduit en totalité et à l’identique47 quatre fois, c’est-à-dire au début de chacune des grandes parties, ce qui ne semble pas être un cas de figure très courant, du moins pour ce qui concerne les légendiers48. Dans le cas du Speculum sanctorale, la tradition manuscrite du légendier laisse plutôt penser que Bernard Gui, craignant la dispersion des volumes, ait vu, dans cette quadruple copie, le moyen de conserver une cohérence à sa collection. Même si les parties sont copiées seules et peu à peu désolidarisées les unes des autres, le prologue est là pour rappeler que l’œuvre conçue par le dominicain ne se réduit pas à cette épave. Conformément à la loi du genre, ce prologue est le lieu rhétorique où Bernard Gui justifie sa nouvelle compilation. C’est bien sûr pour cela que l’on ne peut se priver de l’examiner, de relever les informations qu’il fournit et de voir dans quelle mesure elles sont dépendantes des conventions et de l’aspect topique de ces morceaux de littérature. Le prologue du Speculum sanctorale comporte trois parties bien différentes, à savoir la dédicace de la collection au pape et sa réponse, les justifications du légendier et la présentation de sa structure. Cette juxtaposition de textes au sein de ce que nous appelons « prologue » est courante dans les écrits médiévaux, quelle que soit leur nature49. À l’exception des lettres qui dédient l’œuvre au pape, qui sont formellement démarquées du reste du prologue, les deux autres parties forment un texte unique, et donc scindé ici, artificiellement, pour les besoins de la présentation. 47   La remarque vaut pour le contenu du prologue proprement dit : les formules dédicatoires qui le précèdent sont différentes puisque les deux volumes du légendier sont offerts à Jean XXII séparément et à cinq ans d’intervalle. 48   Pascale Bourgain mentionne que l’écriture d’un prologue au début de chaque grande division du livre était courante dans l’antiquité (P. Bourgain, « Les prologues des textes narratifs », Les prologues médiévaux, actes du colloque international de Rome (26-28 mars 1998), éd. Brepols, Turnhout, 2000, p. 245-273, spécialement p. 263-265). Cette habitude du prologue multiple perdure dans les ouvrages historiques, notamment lorsqu’ils ne se contentent pas de suivre la chronologie et qu’ils organisent leur matière de façon thématique. Ainsi, Grégoire de Tours met-il une préface au début de chacun de ses livres hagiographiques et au commencement des livres I, II, III et V de ses Histoires. Cependant, contrairement à ce que fait Bernard Gui, il prend la peine de rédiger des textes préliminaires distincts, qui tout en rappelant le projet global, sont d’abord des introductions au contenu distinct de chaque chapitre. On ne peut prouver que Bernard Gui ait voulu suivre, sur la forme, cet illustre modèle, même s’il est vraisemblable qu’il l’ait eu en mémoire. 49   C’est ce que relèvent plusieurs intervenants au colloque consacré aux prologues médiévaux tenu à Rome en mars 1998 (ouv. cité). Cette juxtaposition de lettres d’envoi, dédicaces, citations, textes intermédiaires divers et présentations de sommaire est un obstacle majeur pour comprendre ce qui, dans l’esprit de l’auteur, constitue réellement le prologue. La présence de pièces postérieures de fait à la compilation de l’ouvrage (la dédicace par exemple) pose la question de l’antériorité sur le texte de tout le prologue : voir sur ce point les conclusions de ce même colloque formulées par Jacques Dalarun (Les prologues médiévaux, actes du colloque international de Rome, éd. Brepols, Turnhout, 2000, p. 639-661, spécialement p. 648-649).

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a– La dédicace En premier lieu, la double dédicace permet une datation fiable de l’œuvre : on apprend que le premier volume du Speculum sanctorale – qui réunit la première partie sur les fêtes du temporal et la seconde sur les fêtes des apôtres et des disciples – est offerte au pape le 20 juillet 132450. Le second volume – qui comprend la troisième partie dédiée aux martyrs et la quatrième aux évêques, vierges et confesseurs – est envoyé à Jean XXII cinq ans plus tard, puisque ce dernier en accuse réception le 21 juillet 1329, dans une lettre sobre, courte et convenue. Au-delà de ces informations chronologiques, le principal intérêt de cette dédicace est de préciser que le Speculum sanctorale est le résultat d’une demande faite par Bérenger de Landorre, lorsqu’il était maître de l’ordre des prêcheurs. Cette information est tout ce que l’on sait de cette commande, qui par ailleurs n’est pas non plus documentée par d’autres pièces internes à l’ordre51. Pourtant, un passage rarement cité de ce prologue laisse entendre que la part jouée par Bérenger de Landorre dût être assez importante. Effectivement, Bernard rapporte que les interventions du maître de l’ordre ont été multiples, voire pressantes, l’encourageant à se mettre au travail, tant de vive voix, que par lettre52. Dans quelle mesure cette dédicace renseigne-t-elle sur l’objectif de l’œuvre ? L’écart entre commanditaire et destinataire peut être un sujet d’interrogation : est-il possible que le maître de l’ordre ait, dès la conception du projet, prévu de faire offrir le recueil au pape, ou l’initiative revient-elle au seul Bernard Gui, qui a pu y voir l’occasion de négocier son déplacement de Tuy à Lodève ?53 Si le résultat seul importe peu, il permettrait de comprendre les orientations de l’œuvre que Bérenger de Landorre a commandée. En l’état, il est bien difficile

50   Bernard Gui était alors en Avignon, comme le précise la dernière phrase de sa dédicace (Datum Avenioni, XIII kalendas Augusti, pontificatus vestri anno VIII, Verbi autem incarnati MCCCXXIIII, éd. L. Delisle, ouv. cité, p. 420-421) Jean xxii ne semble pas avoir répondu à ce premier envoi, le manuscrit 480 de la Bibliothèque de Toulouse produit à la suite de cette dédicace la lettre écrite par le pape en 1329, c’est-à-dire après l’envoi du second volume. 51   Il n’y a pas trace, par exemple, d’une réception du Speculum sanctorale dans les actes des chapitres généraux, alors qu’on y voit les frères débattre du contenu de la Vie de certains saints, comme Wenceslas. Ce débat au chapitre sur le contenu d’un texte hagiographique s’explique sans doute parce qu’il s’agissait de l’inclure dans le lectionnaire. Finalement, seule l’écriture des Vitae fratrum de Géraud de Frachet – mais il ne s’agit pas d’un légendier proprement dit – est soutenue par les chapitres généraux. En revanche, à l’image du Speculum sanctorale, aucune compilation hagiographique dominicaine n’est commandée, reçue ou approuvée par un chapitre général de l’ordre. 52   vive vocis oraculo id ipsum michi imposuit et injuxit, absens quoque cohortatus est me sepius litteris iteratis, éd. L. Delisle, ouv. cité, p. 425. 53   À l’appui de cette interprétation, il faut citer l’exacte concordance chronologique entre la nomination de Bernard comme évêque de Lodève et la remise au pape des deux premiers volumes du Speculum sanctorale (20 juillet 1324).

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de trancher. À peine peut-on relever qu’un certain nombre d’éléments conjoncturels54 et formels, apparemment chers à Jean XXII, se retrouvent dans le Speculum de Bernard Gui55. Font-ils sens pour autant ? D’un côté, ils sont très répandus à cette époque, et de l’autre, leur présence peut n’être que coïncidence. Aussi, sans éliminer tout à fait ces indices, il paraît prudent de considérer, qu’en l’état, ils n’emportent pas totalement la conviction en faveur d’une œuvre rédigée d’emblée pour le pape plutôt que pour l’ordre. Enfin, Bernard Gui esquisse dans sa dédicace l’exposé des motifs de la compilation de son immense légendier : en s’abritant derrière le commanditaire, il annonce que sa collection corrige et améliore les textes hagiographiques existants, sans que l’on sache, d’emblée, clairement, si Bernard Gui compte faire porter ses corrections sur le style ou sur le contenu des textes qu’il prévoit de réécrire. Pour ce qui est de l’amélioration formelle, l’argument est connu et avancé dans un grand nombre de réécritures hagiographiques56. Si cela affaiblit quelque peu sa valeur, le motif ne doit pas être rejeté comme totalement convenu car la suite du prologue fournit à ce sujet d’intéressants compléments. b– Les justifications d’une œuvre nouvelle À la suite de la dédicace en effet, commence le prologue proprement dit. De part et d’autre de la présentation des quatre parties de l’œuvre, celui-ci

  Il est par exemple tout à fait probable que Bernard Gui ait connu Jacques Duèze avant qu’il ne soit élu pape, voir que les deux hommes aient noué des relations particulières. Lorsqu’en 1297, Bernard Gui est prieur du couvent dominicain de Carcassonne, Jacques Duèze est official dans cette ville. À cette occasion, le futur pape s’est intéressé à la réputation de sainteté d’un frère prêcheur, Martin Donadieu, dont Bernard Gui rédigea la Vie (voir ce que dit à ce sujet Pierre Gui, neveu de Bernard, dans T. K aeppeli, «Vie de frère Martin Donadieu de Carcassonne O.P. (1299) écrite par Bernard et Pierre Gui », AFP, t. 26, 1956, p. 276-290, et infra, chap. VII. 55   Les goûts intellectuels de Jean XXII sont évoqués par Pétrarque dans ses Rerum memorandarum libri (éd. G. Billanovich, Firenze, 1945, II, 91, p. 102-103) : Il explique que dans la mesure où le pape était souvent détourné de ses lectures par l’âge et par une multitude de soucis variés, il appréciait que l’on « cueille, à proprement parler, la fleur de tel ou tel ouvrage en composant pour lui, sous une forme abrégée, des tables ou un répertoire ». Isabelle Heullant-Donat a montré comment l’encyclopédie de Paolino da Venezia coïncide peu à peu avec ces goûts, après son passage à la curie (« L’encyclopédisme sous le pontificat de Jean XXII, entre savoir et propagande. L’exemple de Paolino da Venezia », La vie culturelle et scientifique à la cour des papes d’Avignon, sous la direction de J. H amesse, Textes et études de Moyen Âge 28, éd. Brepols, 2006, p. 255-276). Quant au Speculum sanctorale, s’il n’est que modérément abrégé, son quadruple prologue est un résumé du contenu des quatre parties, lesquelles sont précédées de tables. La consultation du légendier est facilitée par un titre courant, tandis que l’ensemble de ces Vies est mis en perspective par la copie d’un catalogue abrégé des règnes des empereurs et des papes, à la fin du Speculum. 56   C’est ce que montre M. Goullet pour les ixe-xiie siècle dans Écriture et réécriture hagiographiques, ouv. cité, spécialement p. 31-45 : jusqu’au xiie siècle, l’argument de l’amélioration formelle et stylistique par la réécriture est quasiment l’unique motivation annoncée par les remanieurs, alors même que dans certains cas, le texte produit contredit le prologue en ne présentant aucune rénovation stylistique d’envergure par rapport au modèle décrié. 54

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produit toute une série de justifications qui complètent généreusement l’évocation classique d’une nécessaire correction des textes antérieurs. François Dolbeau a montré qu’il fallait rapprocher le début du prologue du Speculum de celui d’un légendier antérieur, diffusé dans le Midi et en Espagne sous le nom de Flores sanctorum multicolores57. La collation des deux textes met en valeur l’emprunt d’un certain nombre d’expressions et de phrases complètes, mais aussi l’idée générale, puisque la quasi-totalité du prologue des Flores sanctorum multicolores se retrouve dilué dans celui, plus long, du Speculum sanctorale. Or, si Bernard Gui a scrupuleusement démarqué cette source, c’est parce que son modèle expose deux lignes de conduite auxquelles le dominicain adhère à son tour, à savoir produire des Vies de saints à partir de sources authentifiées par l’Église et qui ne soient pas trop abrégées. Ce refus d’une concision trop drastique est fondée sur la conviction qu’un resserrement excessif du texte nuit à sa clarté et à sa compréhension : « Rien ne fournit d’accès plus aisé à la compréhension qu’une brièveté évitant l’obscurité »58 dit l’auteur du prologue des Flores sanctorum multicolores, jugement auquel Bernard Gui se rallie puisqu’il copie littéralement la phrase dans son prologue. Il lui était d’autant plus facile de reprendre à son compte cet argument déjà ancien que l’auteur des Flores sanctorum ne désigne pas davantage les œuvres abrégées desquelles il veut se démarquer. Bernard Gui en revanche est plus prolixe tant dans la désignation des abreviationes que dans l’exposé des reproches qu’il leur adresse : « La raison, qui a forcé à travailler au présent ouvrage est que, dans les compilations modernes, les vieilles légendes des saints et les récits de leurs actions ont été, dans la plupart des cas, et du fait de compilateurs visant la brièveté, découpés de telle sorte que des portions considérables en ont été tronquées ; de même, lesdites compilations ne font nulle mention de nombre de saints dont il est question ici, ce que le lecteur attentif pourra constater et vérifier en les comparant à ce Speculum  »59. Sans élever contre l’abrégé un rejet de principe, Bernard Gui signale surtout qu’il y a une mauvaise façon d’abréger : c’est celle qui a conduit certains de ses prédécesseurs, d’abord, à ôter un trop grand nombre d’épisodes des Vitae qu’ils avaient retenues pour leurs légendiers et, ensuite, à oublier trop de saints de leurs collections. Parmi ceux qui ont commenté ce passage, beaucoup ont supputé que Bernard Gui adressait ses coups   La démonstration est faite par F. Dolbeau, « Un légendier abrégé utilisé par Bernard Gui », AB, t. 99, 1981, p. 250.   Nihil enim intelligencie faciliorem prestat aditum quam brevitas non obscura, éd. F. Dolbeau, « Un légendier abrégé utilisé par Bernard Gui », art. cité, p. 250 et « Les prologues de légendiers latins », art. cité, p. 362 pour la traduction. 59   L’extrait est édité par L. Delisle, ouv. cité, p. 423 et traduit par F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », art. cité, p. 382, auquel est emprunté l’extrait reproduit. 57

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de boutoirs à la Légende dorée. L’hypothèse, recevable en raison des allusions que l’on trouve dans les sources, n’a pourtant pas été relayée par une véritable comparaison des textes : ceux qui l’ont formulée se sont appuyés sur l’expression Aureas sanctorum vitas, par laquelle Bernard Gui débute le prologue proprement dit, formule qui résulte d’un léger remaniement de sa source60. Sous la plume des commentateurs, c’est précisément cette proximité qui accrédite la volonté de désigner le légendier de Jacques de Voragine61. Or, on sait maintenant que l’expression « Légende dorée » est un titre tardif62. Au moment où Bernard Gui commence l’écriture du Speculum, la collection de son prédécesseur n’est pas désignée autrement que par la formule Legenda sanctorum63. La précision cependant n’ajourne pas l’hypothèse, car plus loin dans le prologue, l’évocation de « vies nouvelles » (Sanctorum itaque legendas veteres et novas relegens) peut désigner de manière plus opportune l’abrégé dominicain. Elle ne dispense pas en revanche d’une véritable comparaison des textes de Bernard Gui et de Jacques de Voragine, qui montrera dans quelle mesure la compilation du Speculum est en premier lieu une remise en cause de l’abréviation à l’œuvre dans la Légende dorée. Par ailleurs, le prologue des Flores sanctorum multicolores préconise de choisir «  parmi les apocryphes, objets de certaines critiques, ce qu’il y a de meilleur » et d’avancer « en terrain plus sûr à travers les écrits authentiques que l’Église romaine ne défend pas de recevoir »64. Ce faisant, il manifeste une certaine tolérance envers les traditions apocryphes, se contentant de signaler   Les Flores sanctorum multicolores débutent par la formule Purpureas sanctorum coronas.   Voilà comment, en 1910, le P. Poncelet commentait cette partie du prologue du Speculum sanctorale : après avoir souligné que Bernard Gui reprochait aux collections antérieures leur brièveté, il écrit « Quelles sont ces moderne compilationes ? Bernard Gui ne les désigne pas plus clairement, et il peut avoir eu en vue quelques uns de ces recueils anonymes comme il a dû s’en former un certain nombre – nous n’avons pas songé, en effet, ici à les cataloguer tous et, sans faire des recherches formelles dans ce but, nous nous sommes borné à signaler ceux qui se présentaient d’eux-mêmes à nous. Mais il est difficile de croire que Bernard n’ait pas pensé à la Légende de son confrère Jacques de Varazze. On pourrait même croire que les premiers mots de la préface générale la visent expressément : Aureas sanctorum vitas (…). Mais il y a là tout au plus une allusion à la Légende dorée… » (A. Poncelet, art. cité, p. 27). La prudence avec laquelle s’exprimait le P. Poncelet connut le destin classique de ces bonnes hypothèses qui n’ont pas besoin d’être étayées par des faits pour devenir vérité générale : dans un article plus récent, le Speculum sanctorale est présenté comme le résultat de la refonte des Flores sanctorum multicolores avec la Légende dorée. 62   Il semble que le recueil n’ait été intitulé Légende dorée qu’au moment des premières versions imprimées : voir sur ce point les informations données par A. Boureau dans J. de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’Alain Boureau et Monique Goullet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, p. xxviii. 63   En raison du long chapitre consacré au pape Pélage et surtout des faits historiques qui s’y lisent, la Légende dorée a aussi été véhiculée sous le titre de Historia lombardica : voir S. Mula, « L’histoire des Lombards. Son rôle et son importance dans la Legenda aurea », art. cité, p 78. 64   Le passage est traduit par F. Dolbeau, « Les prologues des légendiers latins », art. cité, p. 362. 60 61

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la prudence qu’il faut adopter à leur égard. Cette attitude d’acceptation vigilante n’est pas très éloignée de celle que défend Vincent de Beauvais dans le Libellus apolegeticus, prologue du Speculum majus : il y insère une copie à peine abrégée du décret du pseudo-Gélase, établissant la liste des ouvrages acceptés ou rejetés par l’Église (De libris recipiendis et non recipiendis) : « Je transcris le Décret pour que le lecteur puisse discerner entre les écrits authentiques et les écrits apocryphes et puisse ainsi choisir par le jugement de sa raison ce qu’il garde et ce qu’il laisse de côté »65. Vincent de Beauvais met lui aussi en garde le lecteur sur la nécessité d’être attentif, ce qui n’implique pas d’emblée un rejet de principe des textes apocryphes. Il signale en effet que tous ne sont pas à mettre sur le même plan, car à ceux qui sont opposés à la vérité de l’Église, qu’il faut rejeter, s’opposent ceux qui doivent inspirer de la méfiance, même s’ils disent la vérité, car on n’en connaît pas l’auteur, ou ceux qui sont simplement douteux66. Bernard Gui connaît la position de son illustre prédécesseur dominicain à l’égard des apocryphes et s’appuie sur le prologue des Flores sanctorum multicolores pour rédiger le sien. C’est donc en connaissance de cause que, tout en reprenant les avertissements exprimés par l’auteur des Flores sanctorum, il leur adjoint une prise de position bien plus ferme : il faut les laisser de côté (pretermissis apocryfis)67. Au total, sans dénigrer ses modèles, Bernard Gui choisit une ligne beaucoup plus radicale qu’eux. Sa compilation est en outre présentée comme le résultat de la réunion d’une matière dispersée, pour laquelle Bernard Gui a visé l’équilibre entre une légitime abréviation et la nécessité de ne pas falsifier les éléments rapportés. c– L’organisation du Speculum sanctorale Enfin, le prologue du Speculum sanctorale décrit soigneusement le contenu des deux volumes et justifie les choix de Bernard Gui relatifs à l’organisation de la matière hagiographique. La lecture de la préface nous apprend que le Speculum sanctorale comprend quatre parties : la première partie est consacrée au temporal, c’est-à-dire aux fêtes de Jésus Christ, de la Vierge et à la dédicace des églises. La seconde est entièrement dédiée aux apôtres puis aux disciples du Christ. La troisième partie est consacrée aux martyrs et la quatrième aux confesseurs et aux vierges. Si l’on suit la typologie proposée par François Dol  M. Paulmier-Foucart, « L’Auctor et les Auctores. Vincent de Beauvais et l’écriture du Speculum Majus », Auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale. Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), dir. M. Zimmermann, Mémoires et documents de l’École des Chartes, t. 59, éd. Droz-Champion, 2001, p. 146-147. 66   M. Paulmier-Foucart, art. cité, p. 148. 67   « …en choisissant parmi les apocryphes, objets de certaines critiques, ce qu’il y a de meilleur, avançons en terrain plus sûr à travers les écrits authentiques que l’Église romaine ne défend pas de recevoir » trad. F. Dolbeau, « Les prologues des légendiers latins », art. cité, p. 362. 65

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beau, le Speculum sanctorale est un légendier général (il regroupe des saints de toute provenance et de toute espèce) et systématique (il introduit une répartition par catégorie)68. Ce type d’organisation témoigne d’une conception hiérarchisée du monde des élus. Donc, Bernard Gui consacre sa première partie au Christ, il la fait suivre d’un chapitre sur les apôtres, contemporains du Christ, puis des martyrs essentiellement des premiers siècles et enfin des évêques et des confesseurs. Cette organisation du légendier ne va pas sans rappeler l’ordre des litanies des saints, dans lesquelles les héros du Christ sont invoqués hiérarchiquement : d’abord anges et archanges, puis apôtres et évangélistes, disciples du Seigneur, martyrs, pontifes, docteurs, prêtres, moines, ermites et confesseurs, saintes femmes et vierges. D’autre part, Bernard peut avoir privilégié cette organisation du légendier, car il est aussi chronographe, et qu’en historien, il ordonne les connaissances conformément à la succession des époques. Ce faisant, Bernard Gui abandonne l’organisation liturgique, cyclique, retenue par les autres compilateurs dominicains, au profit d’une vision chronologique et linéaire du temps de l’Église. Si l’on excepte le cas, à la fois unique et symbolique, de saint Pierre de Vérone qui, martyrisé en 1253, rejoint les martyrs des premiers siècles, les trois premières catégories sont closes au moment où Bernard Gui écrit car les critères de sainteté ont changé. Ce n’est pas le cas de la quatrième partie du légendier qui est ouverte sur une sainteté plus contemporaine. Ainsi, si Barthélemy de Trente ou Jacques de Voragine récapitulent un temps liturgique, Bernard Gui répond au même souci d’universalité en optant pour la succession des époques. Il fait d’ailleurs le même choix pour le classement des notices à l’intérieur de chacune des parties. Dans sa préface, Bernard Gui annonce qu’à l’intérieur de chaque partie, les notices des saints sont rangées per circulum anni, c’est-à-dire en suivant le calendrier liturgique. Or, sans qu’il renonce à ce choix méthodologique, Bernard Gui semble en fait tiraillé et, en fin de compte, l’ordre liturgique annoncé est aussi soumis aux temps historiques. Soucieux de se justifier, il explique qu’il va débuter la seconde partie consacrée aux apôtres par saint Jean-Baptiste, à savoir le 24 juin – ce qui est contraire au point de départ ordinaires des calendriers liturgiques (24 décembre ou 1er janvier) – car parmi les premiers compagnons du Christ Jean-Baptiste est l’exact contemporain du Christ. Plus loin, il dit qu’il commencera la troisième partie consacrée aux martyrs avec saint Étienne, fêté le 26 décembre car il est le premier des martyrs de l’histoire. Autrement dit, à l’intérieur des chapitres, l’ordre suivi est bien liturgique mais le calendrier n’est jamais déroulé à partir du même point de départ, lequel est

  F. Dolbeau, « Notes sur l’organisation interne des légendiers latins », art. cité, 12-31.

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déterminé par une chronologie historique. Cette approche des Vies de saints semble opposée à celle d’un Jean de Mailly ou d’un Jacques de Voragine, alors qu’elle peut plus facilement être rapprochée de la démarche de Vincent de Beauvais. En effet, le Speculum historiale, qui rapporte trois fois plus de Vies de saints que le légendier de Bernard Gui, a toujours été appréhendé comme une œuvre d’historien : cela tient à sa construction et à son organisation, qui sont celles d’une véritable chronique. Donc, le Speculum sanctorale comporte un premier volume, où sont assemblées la première partie, consacrée au temporal, et la seconde, dédiée aux apôtres et aux disciples. Le second volume, lui, associe la troisième partie (les martyrs) et la quatrième (les évêques, les vierges et les confesseurs). Dans l’esprit de Bernard Gui, cette division quadripartite est stricte et ne devra pas être modifiée par la suite, ni par les copistes, ni par d’éventuels continuateurs. Ceux qu’il engage à poursuivre ses recherches concernant les disciples du Christ devront d’ailleurs scrupuleusement respecter cette organisation : «  je n’ai pu avoir entre les mains ni les histoires de tous ces personnages, mais seulement un petit nombre, ni les noms de chacun en particulier. Les légendes des autres disciples pourront être écrites ultérieurement, en complément des miennes, dans ce même volume et en respectant son organisation, par ceux qui auront découvert les actions accomplies par ces hommes et les auront en leur possession. Cela représente le contenu de la seconde partie, qui dans un souci de commodité, pourra être adjointe à la première, dans un seul et même volume »69. Cet appel au respect de la construction d’ensemble laisse voir en creux qu’elle fut l’objet d’une véritable réflexion70. Le Speculum a été pensé comme un tout. Chaque texte est à sa place : les retoucher ou les inverser, c’est modifier le sens du légendier. La requête a d’autant plus de sens que l’organisation de la matière a été l’objet de multiples remaniements.

  [quia] non omnium ad manum habere potui, sed paucorum, nec etiam nomina singulorum ; poterunt autem postmodum aliorum discipulorum legende subscribi suo ordine in eodem volumine ab illis qui eorum gesta invenerint et habuerint temporibus oportunis. Et hec est continencia secunde partis que cum prima parte in uno eodemque volumine convenienter poterit contineri, éd. L. Delisle, ouv. cité, p. 422-423. 70   Même si l’enjeu ou les motivations ne sont pas exactement comparables, cet avertissement de Bernard Gui peut être rapproché d’interdictions du même type relevées par Monique Goullet dans les prologues de recueils hagiographiques : c’est d’abord Grégoire de Tours qui, dans le prologue des Histoires, interdit que l’on touche à l’intégrité, c’est-à-dire à la structure d’ensemble de son œuvre, par exemple en y opérant un tri. De manière moins autoritaire, l’auteur de la Vita sancti Aldegundi (BHL 247), supplie le destinataire de sa dédicace : « S’il vous plaît de copier ce texte, conservez, je vous en conjure, les divisions en chapitres. Quant à la préface, qui traite des actions des saints en général, qui vise à exhorter tout le monde à les imiter, qui blâme spécialement l’apathie de ceux qui négligent de le faire (…), veillez à respecter sa place et à la mettre avant les chapitres. » (Ces deux exemples sont cités par M. Goullet, ouv. cité, p. 47-48). 69

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2– L  ’apport des manuscrits intermédiaires : premiers jets, recherche et tâtonnements a– État de la documentation Au moment où il oeuvre à la compilation du Speculum sanctorale, Bernard Gui n’a produit que des catalogues ou des listes hagiographiques. La réunion du matériel nécessaire à la genèse du Speculum sanctorale dépasse, dès lors, ses recherches antérieures car le Speculum est un véritable légendier. Les choix qui président à sa compilation sont bien justifiés dans le prologue, ce qui confère à l’ensemble non seulement une raison d’être mais encore une organisation cohérente. Pourtant, leur mise en œuvre n’a peut-être pas été sans quelques difficultés ou sans tâtonnements. C’est en tout cas ce que montre la conservation de quatre manuscrits, où se lit un état intermédiaire, sinon primitif, du Speculum sanctorale. Deux d’entre eux ont, depuis longtemps, déjà été associés à un premier état du légendier : ce sont les manuscrits 296 et 297 d’Avignon71. Sur la base du grand nombre de notes marginales72, d’avertissements à l’intention du copiste, l’auteur du catalogue les décrit comme des manuscrits de travail de la troisième et de la quatrième partie du Speculum sanctorale. Or, l’examen du ms lat. 9731 (il ne contient que la seconde partie du Speculum sanctorale) et du ms lat. 5406 (uniquement la quatrième partie) de la Bibliothèque nationale de France, conduit à la même conclusion pour ces deux manuscrits73. Les ­Bollandistes74 et Léopold Delisle75, qui ont tour à tour dressé un sommaire de ces deux manuscrits, n’ont pas relevé les indications aux copistes en vue d’un remaniement du texte. Surtout, si le ms lat. 5406 donne les mêmes retouches que le ms 297 d’Avignon (tous deux renferment la quatrième partie du légendier), le ms lat. 9731 donne le texte de la seconde partie et des corrections de nature différente de celles connues jusque là par les manuscrits d’Avignon. Leur découverte complète donc notre connaissance des retouches opérées par Bernard Gui après la première rédaction. 71   M.-H. L abande, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France et des départements, t. XXVII, 1, Paris, 1894, p. 203-206. 72   M.-H. L abande, ouv. cité, ne signale et ne donne la transcription que d’une seule d’entre elles. G. P hilippart, dans Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, typologie des sources du moyen âge occidental, 24-25, éd. Brepols, Turnhout, 1977, p. 82 les évoque globalement pour leur incidence sur la qualification de la structure du légendier et reprend l’exemple cité par M.-H. Labande. 73   La Bibliothèque nationale de France possède un autre exemplaire de la quatrième partie du Speculum dans le ms lat. 5407 : tous les remaniements indiqués en marge dans le ms lat. 5406 sont intégrés au texte du ms lat. 5407. 74   Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquiorum saeculo xvi qui asservantur in Bibliotheca nationali Parisiensi, Bruxelles, 1890, t. III, p. 551-556 pour ms lat. 5406 et p. 559560 pour ms lat. 9731. 75   L. Delisle, ouv. cité, p. 278-279.

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Seule une analyse codicologique et paléographique pourrait dire si les deux manuscrits d’Avignon et celui de la Bibliothèque nationale relèvent d’un même scriptorium. À défaut, l’édition du prologue effectuée par Léopold Delisle témoigne d’un lien textuel étroit (mêmes variantes de vocabulaire ou de syntaxe) entre les manuscrits d’Avignon et ceux de Toulouse. Par ailleurs, la facture différente du décor enluminé76 alimente l’idée que le Speculum sanctorale a pu être précocement diffusé, avant même la campagne de corrections. La séparation des volumes, comme leur copie simultanée en des lieux éloignés, ont sans doute été facilitées par la structure de l’œuvre : la copie du prologue en tête de chaque partie permet de les copier dans des volumes séparés ce qui, à plus long terme, a accéléré la dispersion de la collection. Par ailleurs, si ces documents de travail fournissent des indications chronologiques, elles ne sont pas suffisamment probantes pour préciser la datation de la compilation et notamment le terminus post quem, qui reste vague. Dans les manuscrits 296 et 297 d’Avignon, le prologue comporte la réponse de Jean XXII à la dédicace par un système de renvoi77, ce qui n’est qu’une preuve supplémentaire de l’achèvement des volumes avant l’été 1329. Il serait tout à fait intéressant de pouvoir déterminer si la copie de la lettre du pape est contemporaine des corrections marginales. Répondre par la négative, et donc établir l’antériorité des corrections sur les remerciements de Jean XXII est satisfaisant pour l’esprit et conforme à l’histoire que la critique moderne a brossé de cette compilation : Bernard Gui rédige un premier état de l’œuvre puis le corrige avant de l’envoyer au pape. Mais répondre par l’affirmative ne va pas pour autant à l’encontre des informations livrées par les documents : à la vue des pièces du dossier, rien n’empêche de penser que Bernard Gui, une fois retiré dans son évêché de Lodève, ait pu reprendre son Speculum, le compléter et le corriger après en avoir offert un exemplaire au pape. En parcourant les manuscrits 296 et 297 d’Avignon, on est au moins persuadé d’une chose : ils ne sont pas les manuscrits d’apparat offerts à Jean XXII. Mais ils entretiennent avec eux un évident point commun, à savoir l’absence initiale de la réponse du dédicataire, laquelle, par définition, est aussi absente des volumes offerts au pape.

  Les enluminures des manuscrits conservés à Paris et à Toulouse sont de facture française, alors que celles des manuscrits d’Avignon relèvent de l’école italienne. Ces considérations stylistiques se trouvent dans la notice descriptive rédigée par M.-H. L abande, ouv. cité, p. 204 et 205. On peut par ailleurs se rendre compte de ces différences en comparant, en annexe, les planches relatives à ces manuscrits (Annexe 5). 77   Voir à l’annexe5, la planche I. 76

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Quoi qu’il en soit, les manuscrits conservés à Avignon et à la Bibliothèque nationale de France montrent que la première version du Speculum sanctorale ne devait pas complètement correspondre à la collection que voulait réunir le compilateur. D’abord, celui-ci a modifié l’organisation interne de la troisième partie et, dans une moindre mesure, celle de la quatrième. La seconde partie en revanche, semblait le satisfaire sur ce point. Ensuite, il a jugé que le sanctoral réuni devait être élargi puisqu’il ajoute des Passions et des Vies absentes de son premier jet. Enfin, certains des textes hagiographiques déjà rédigés ont dû lui paraître insuffisants car il a cherché des sources complémentaires. Sur le plan quantitatif, ces remaniements sont mineurs au regard des dimensions imposantes de la compilation. Cependant leur examen permet de voir en quoi le légendier, ainsi corrigé, pouvait être plus satisfaisant et plus conforme aux intentions du dominicain Bernard Gui. b– Des textes déplacés D’abord, Bernard Gui décide de déplacer six Passions à l’intérieur du chapitre dévolu aux martyrs78, ainsi qu’une Vie79 inscrite dans la quatrième partie du Speculum sanctorale. Il est facile de les isoler des autres formes de remaniements car ces textes, copiés de première main dans leur partie respective, sont annotés d’un avertissement au copiste qui prend toujours la même forme. Par exemple, « Attention copiste : cette légende de saint Longin doit être écrite plus haut, au folio 40 »80. L’avertissement est toujours double, c’est-à-dire qu’il est inscrit une première fois à l’endroit où se trouve le texte à déplacer, et une seconde fois à l’endroit où il devrait se trouver. L’auteur des annotations s’exprime la plupart du temps avec les numéros de folios, plus rarement en donnant les noms du saint précédent et du saint suivant, mais jamais en utilisant le calendrier liturgique. Ce choix méthodologique est étonnant : outre qu’il est relativement compliqué, il fait du manuscrit d’Avignon le seul document possible à partir duquel un copiste pouvait donner jour à la version définitive du Speculum sanctorale puisque tous les renvois sont référencés à partir de la seule foliotation de ce manuscrit. Le choix est d’autant plus étonnant qu’à cette date, les prêcheurs possèdent un calendrier liturgique unique et suffisamment bien diffusé pour pouvoir être considéré comme un instrument de travail privilégié.

  Il s’agit des Passions de saint Pons (Avignon, BM, ms 296, fol. 56v°), saint Longin (fol. 60v°), saints Tiburce et Valérien (fol. 62), saints Eutice et Victorin (fol. 65v°), saint Pancrace (fol. 66), saints Victor et Corone (fol. 45v°). 79   Il s’agit de la Vie de saint Félix (Avignon, BM, ms 297, fol. 15v°). 80   Attende scriptor : Legenda ista sancti Longini debet scribi supra folio XL° (Avignon, BM, ms 296, fol. 60v° : voir à l’annexe 5, la planche III. 78

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Ces modifications de la structure interne ont commandé la rédaction, à la suite du prologue de la troisième partie, d’une table fidèle non pas au contenu du volume mais à l’organisation définitive, fixée après correction. C’est ce qu’indique clairement la note ajoutée après la rédaction du prologue dans le manuscrit 296 d’Avignon : « Il faut faire attention au fait que les légendes ou histoires des saints martyrs contenues ci-dessous, dans le présent volume, doivent être ordonnées et copiées suivant l’ordre dans lequel elles sont inscrites dans la table qui suit, et non suivant l’ordre dans lequel certaines ont été copiées dans le présent volume, non à l’emplacement qui a été donné et assigné à certaines d’entre elles, puisque au début je n’ai pu avoir entre les mains toutes les légendes et histoires originales »81. Les sept déplacements relevés dans les manuscrits 296 et 29782 répondent tous au même objectif : mettre en conformité chaque partie du Speculum sanctorale avec le calendrier liturgique. En l’espèce, ce n’est pas tant la campagne de corrections qui étonne – elle paraît légitime – que le fait même qu’il y ait eu des entorses au respect de l’ordre calendaire, décrit par le prologue comme la colonne vertébrale de chaque partie. Pour les comprendre, deux hypothèses de travail peuvent être retenues : l’erreur liée à une mauvaise maîtrise du calendrier liturgique – mais est-ce concevable de la part de ces « professionnels de la célébration journalière » ? –, ou le choix de se rallier après coup à un calendrier plutôt qu’à un autre, lorsque ceux-ci portent les cultes et les identités de communautés différentes. Autrement dit, quelle est la part, dans ces déplacements, d’erreurs corrigées ou de ralliements tardivement exprimés ? L’inventaire de ces annotations, puis la comparaison systématique des manuscrits avignonnais avec l’état définitif conservé dans les manuscrits toulousains montrent qu’un seul de ces déplacements est justifié par le choix d’une autre date liturgique : il s’agit de la fête de saint Pons, située au 11 mai dans le manuscrit de travail83 et reculée au 14 mai dans la version définitive84. Cela témoigne d’un changement d’optique de Bernard Gui qui, après avoir retenu la fête inscrite au calendrier local85, privilégie finalement la date du calendrier   Advertendum est quod legende seu hystorie sanctorum martirum contente in presente volumine deinceps debent ordinari et scribi secundum ordinem quo scripte sunt in sequenti tabula non secundum ordinem quo scripte sunt alique in presente volumine non in locis suis sicut signatum est et notatum in eisdem locis de singulis earum quoniam a principio non potimus habere ad manum simul omnes legendas seu hystorias originales (Avignon, BM, ms 296, fol. 1v° : voir à l’annexe 5, la planche II. 82   Ces modifications sont visibles dans l’annexe 4, qui donne le sommaire des manuscrits du Speculum sanctorale. 83   Avignon, BM, fol. 56v°. 84   Toulouse, BM, fol. 43. 85   La consultation des bases de données établies par D. Muzerelle, (Calendoscope, logiciel d’aide à l’identification des calendriers liturgiques médiévaux, Paris, site web de l’IRHT, 2005, http :// calendriers.irht.cnrs.fr.) à partir des manuscrits hagiographiques de la Bibliothèque nationale 81

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romain et du martyrologe d’Usuard86. Le texte définitivement inscrit dans le Speculum sanctorale porte la trace des tâtonnements de Bernard Gui et du déplacement que son choix, en dernier recours, a rendu nécessaire : « Au territoire de Nice, dans le monastère dont il vient d’être question, on célèbre la fête de saint Pons le 11 mai. Dans le calendrier d’Usuard, elle est inscrite le 14 mai. Je n’ai pas entendu et j’ignore la cause d’une telle différence »87. En apparence, il ne choisit pas, se contentant de fournir au lecteur les deux fêtes liturgiques qu’il a trouvées, sans trancher. Mais si l’on prend soin de ne pas isoler la Passion de saint Pons des textes qui l’encadrent, on relèvera que dans le manuscrit d’Avignon il est évoqué après la translation du corps d’Étienne à Rome (6 mai) et avant les fêtes de Domitille, Pancrace, Nérée et Achillée (12 mai), alors que dans le manuscrit de Toulouse il succède à ce groupe de martyrs. Ici, ce n’est pas tant le discours que l’organisation des parties qui témoigne du choix de privilégier le calendrier romain ou le martyrologe d’Usuard aux dépens des calendriers locaux. Mais les six autres cas de déplacement présentent une situation bien différente : Les notices sont inversées sans que leur date liturgique soit pour autant modifiée, ce qui oriente plutôt vers le désir de remédier à un défaut de maîtrise du calendrier. C’est notamment le cas de figure qu’illustre la Passion de saint Longin, fêté le 15 mars, placé entre le 6 et le 10 mai dans le manuscrit 296 d’Avignon et rétabli à la place qui convient dans la deuxième version du Speculum sanctorale. Le déplace-ment des textes relatifs à Tiburce et Valérien, Eutice et Victorin, Pancrace, Victor et Corone et Félix répondent à la même situation initiale. Peut-être faut-il donc se résoudre à n’y voir que de simples erreurs sans pour autant remettre définitivement en cause le maniede France et des travaux de Victor Leroquais, montre qu’aux xiie-xiv e siècles, saint Pons est inscrit au 11 mai dans plusieurs calendriers du Midi. En Provence d’abord : à Fréjus, au xiv e siècle, il y est inscrit dans le psautier, ms lat. 767, vu par Leroquais, Psautier, 291, et dans le diurnal, ms lat. 1068 ; au xiiie siècle à Marseille, il est présent dans le bréviaire, ms lat. 1018, vu par Leroquais, Bréviaire, 477 ; à Arles, il est fêté le 11 mai dès le xiie siècle, comme en témoigne son inscription au missel de la cathédrale Saint-Trophime, ms lat. 825, vu par Leroquais, Missels, 95, puis au xiv e siècle, dans un antiphonaire, ms lat 782. Au xiv e siècle encore ; enfin il est inscrit au diurnal d’Antibes-Grasse, ms lat. 10846. En Languedoc ensuite, où, pour le xiv e siècle, on peut produire trois témoins d’une fête de Pons le 11 mai : un missel toulousain, ms lat. 837 vu par Leroquais, Missel, 493 ; un bréviaire de Carcassonne, ms lat. 1035, répertorié par Leroquais, Bréviaire, 494 ; dans un missel de Béziers, ms nouv. acq. lat. 297, également vu par Leroquais, Missel, 459. Dans une moindre mesure enfin, en Catalogne : on a conservé un missel originaire de Girone, daté du xiie siècle, qui mentionne une fête de saint Pons le 11 mai (BnF, ms lat. 1102, répertorié par Leroquais, Missel, 165). 86   Dom Jacques D ubois, «  Le martyrologe d’Usuard. Texte et commentaire  », SH, t.  40, Bruxelles, 1965, p. 229-230. Le texte est identique dans le martyrologe d’Adon (J. Dubois et G. R enaud, Le martyrologe d’Adon. Ses deux familles, ses trois recensions. Texte et commentaire, éd. CNRS, Paris, 1984, 159-160). 87   Festivitas vero sancti Poncii recolitur in monasterio prelibato in territorio Niciensi quinto ydus maii. In kalendario vero Usuardi scribitur pridie ydus maii. Cujus diversitis causam nescio nec audivi (Toulouse, BM, ms 481, II, fol. 45).

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ment du calendrier liturgique. Il convient de noter d’ailleurs que ces problèmes de mise en ordre touchent essentiellement des saints fêtés au mois d’avril ou au mois de mai88, autrement dit dans une période où l’importance des célébrations du temps pascal entraîne le déplacement des fêtes ordinaires ou secondaires. Ce flottement est peut-être à l’origine des erreurs relevées. c– Des textes ajoutés À côté de ces déplacements, il faut évoquer un certain nombre de textes qui ont vraisemblablement été ajoutés au cours de cette campagne de corrections89. En apparence, rien ne les distingue des Passions dont il a été question précédemment : comme elles, elles sont repérables dans le manuscrit 296 d’Avignon grâce à l’avertissement adressé au copiste. On lit par exemple : «  Attention copiste. La fête des quarante militaires, saints et martyrs, le 14 mars, est à écrire à cet endroit. Rechercher plus bas, folio 199 »90, ou encore « Attention copiste. La fête de sainte Dorothée, le 6 février, est à écrire à cet endroit. Rechercher plus bas, folio 182 »91. Comme dans les cas précédents, ce type de notes commande un déplacement, et effectivement tous les textes qui en sont pourvus sont placés à un endroit qui rompt l’ordre du calendrier liturgique. Au-delà, deux éléments caractéristiques, absents des cas de déplacements simples, retiennent l’attention : d’une part, ces Passions ont en commun d’être toutes rejetées à la fin de la troisième ou de la quatrième partie92, et d’autre part, les erreurs d’insertion dans le calendrier liturgique sont dans leurs cas grossières93 quand, dans les six cas exposés ci-dessus, elles ne portaient que sur quelques jours. Du coup, ces deux facteurs font penser que, contrairement aux précédents, ces textes sont ceux que Bernard Gui a trouvés après coup, comme il le laisse entendre dans la note de l’introduction. Comme les textes sont relativement longs (ils occupent plusieurs colonnes sinon plusieurs folios), ils n’ont pas été copiés en marge94, à l’endroit dicté par le calen88   Tiburce et Valérien sont fêtés le 14 avril ; Eutice et Victorin sont inscrits au calendrier romain le 15 avril ; Pancrace est fêté le 12 mai, Victor et Corone le 14 mai. 89   Voir l’annexe 4. 90   Attende scriptor. De sanctis quadraginta militibus et martiris II° idus marcii scribitur in isto loco. Require infra folio cxcix (Avignon, BM, ms 296, fol. 40v° : voir la planche correspondante). 91   Attende scriptor. Sanctae Dorothee, VIII° idus febroarii scribitatur in isto loco. Require infra folio clxxxii, Avignon, BM, ms 296, fol. 37. 92   Voir la comparaison des contenus des manuscrits d’Avignon et de Toulouse à l’annexe 4. 93   À titre d’exemple, sainte Dorothée (6 février), sainte Eulalie (12 février), saint Alexandre (3 mai), saint Baudile (20 mai), saint Boniface (6 juin), saint Symphorose (28 juin), saintes Rufine et Seconde (10 juillet), saint Affre (4 août) sainte Sérapie (3 septembre) saint Adrien (8 septembre), sainte Nathalie (1er décembre), etc., sont tous placés après le 20 décembre (sainte Anastasie). 94   Deux ajouts dérogent à cette règle : il s’agit de la Passion des saints Valentin et Astère, copiée en marge du folio 38 du ms 296 de la Bibliothèque d’Avignon, c’est-à-dire en regard des actes

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drier liturgique, mais ajoutés à la fin du volume manuscrit95, l’un à la suite de l’autre. C’est cela qui commande, dans un deuxième temps, leur insertion à un meilleur endroit du corpus et, ce faisant, ne les distingue pas formellement des textes simplement déplacés. Vingt-sept textes hagiographiques sont ainsi ajoutés au Speculum sanctorale, c’est-à-dire vingt Passions de martyrs96 et sept Vies de confesseurs ou de vierges97. Au-delà de l’alourdissement d’un légendier déjà imposant, ces additions permettent-elles de savoir dans quelles directions Bernard Gui a souhaité, en dernier recours, ouvrir son sanctoral ? Pour cela, il faudrait que ces ajouts présentent quelque parenté. Or, il est difficile de leur trouver un point commun et partant, de comprendre ce qui a pu motiver Bernard Gui à ouvrir un sanctoral déjà ample après la première rédaction de son Speculum sanctorale. À défaut de pouvoir proposer une raison probante pour l’ensemble du corpus, les saints ajoutés peuvent être regroupés en trois séries. D’abord, la moitié des saints qui entrent dans le Speculum sanctorale étaient déjà inscrits dans les collections hagiographiques compilées au xiiie siècle par d’autres dominicains. Ainsi, sainte Dorothée, Alexandre et ses compagnons Évence et Théodule, saint Boniface, sainte Affre, sainte Sérapie, saint Adrien et sainte Barbara ont été l’objet d’un epitomé de Vincent de Beauvais dans son Speculum historiale. Par ailleurs, sainte Apollonie est évoquée dans la Légende dorée, Clet dans l’Abbreviatio de Jean de Mailly et Suzanne dans le légendier de Barthélemy de Trente. Il est donc possible que Bernard Gui ait souhaité renforcer encore sa filiation avec les collections qui circulaient dans son ordre et proposer à son tour une version de ses Passions. Cette hypothèse n’est cependant pas valable pour quelques textes ajoutés au Speculum alors qu’ils sont absents des légendiers de ses prédécesseurs. Certains ont pu être produits pour lever les risques de confusion dus à leur homonymie avec des

de l’évêque Valentin (14 février), et l’ajout d’une courte notice hagiographique dédiée au pape Anaclet (fol. 80v°). 95   Une analyse codicologique pourrait, avec profit, compléter l’exposé, en montrant par exemple si l’on a ajouté après coup un ou plusieurs cahiers de parchemin ou si au contraire Bernard Gui avait projeté dès le début de sa compilation cette recherche complémentaire. Si ces éléments peuvent un jour être précisés, ils éclaireront, de fait, le statut de ces manuscrits intermédiaires. 96   Il s’agit des Passions de saint Valentin (Avignon, BM, ms 296, fol. 38), sainte Dorothée (fol. 182), sainte Eulalie (fol. 184), saints Alexandre, Évence et Théodule (fol. 185v°), saint Baudile (fol. 186), saint Boniface (fol. 187v°), saint Symphorose (fol. 188), sainte Rufine et Seconde (fol. 188v°), sainte Affre (fol. 188v°), sainte Sérapie (fol. 190v°), saint Adrien (fol. 191), sainte Nathalie (fol. 193v°), saintes Foi, Sagesse, Espérance et Charité (fol. 195), sainte Barbara (fol. 196), saint Privat (fol. 196v°), sainte Appoline (fol. 198), sainte Choynte (fol. 198), saint Clet (fol. 198v°) et sainte Suzanne (fol. 198v°). 97   Il s’agit des Vies de saint Rémi (fol. 171), saint Félix (fol. 15v°), sainte Brigitte (fol. 233), saint Loup (fol. 235), sainte Aurée (fol. 236v°), saint Amand (fol. 237v°) et saint Grégoire de Tours (fol. 239v°).

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saints inscrits dès le début au sommaire du Speculum sanctorale. Par exemple, Bernard Gui ajoute sainte Eulalie de Barcelone au manuscrit 296 d’Avignon qui évoquait déjà la Passion de sainte Eulalie de Mérida. Dans le même ordre d’idée, il ajoute une Passion du prêtre Valentin aux côtés du texte qui relate déjà le martyre de l’évêque du même nom. Produire des actes différents est alors le meilleur moyen de distinguer des saints, qu’au profit de traditions mal assurées, il était aisé de confondre. Sur un mode assez proche, Bernard Gui ajoute aussi des saints dont le martyre dépend étroitement du récit de la Passion d’un autre, qu’il soit déjà présent dans le Speculum ou ajouté dans cette vague de remaniements. Ainsi, tout se passe comme si l’insertion d’Adrien commandait l’ajout de Nathalie sa femme, martyrisée pour avoir recherché et enseveli le corps de son époux, tout comme l’arrivée de Suzanne appelle celle de Sérapie et celle d’Apolline, l’évocation de sainte Choynte. Au total, le sanctoral retenu par les dominicains, l’homonymie ou les liens tissés par la narration hagiographique entre héros expliquent partiellement que Bernard Gui ait ajouté quelques saints aux troisième et quatrième parties de son Speculum sanctorale. d– Des textes mieux documentés La campagne de corrections du Speculum sanctorale s’attache également à compléter les textes hagiographiques déjà inscrits dans le grand légendier. C’est l’apport majeur du manuscrit latin 9731 de la Bibliothèque nationale de France : en effet, dans la mesure où celui-ci ne conserve que la deuxième partie du Speculum sanctorale, c’est-à-dire celle qui est consacrée aux apôtres et aux disciples du Christ, elle n’est concernée ni par l’ajout de Vitae – le nombre et les noms des apôtres, et dans une moindre mesure ceux des disciples, sont bien connus – ni par le déplacement de leurs fêtes dans le calendrier liturgique – universelles, elles sont souvent les mieux partagées par les différentes communautés médiévales. Pour autant, la recherche de textes complémentaires n’est pas absente des deux autres parties pour lesquelles des documents de travail ont été conservés. Au total, c’est une quinzaine de compléments qui peuvent être recensés. Ils répondent à deux intentions différentes. Il y a d’abord un certain nombre de compléments qui ont pour effet de dilater la narration hagiographique. Certains textes hagiographiques ont dû paraître trop brefs ou trop résumés, au point qu’il a fallu leur adjoindre des épisodes qui avaient été initialement laissés de côté. C’est notamment ce que l’on peut conclure des nombreux ajouts à la Passion de saint Thomas de Canterbury 98, ou de la réintégration, à la Vie de saint Médard de Noyon, d’un   Voir notamment les folios 11v°, 12v° et 13 du ms 296 du manuscrit d’Avignon.

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miracle, primitivement délaissé99. Ils ont pour but de produire dans le Speculum sanctorale un texte finalement plus proche de la source retenue. Alors que Bernard Gui a prévu d’inscrire saint Clet dans la troisième partie du Speculum sanctorale, il n’a pas, dans un premier temps, réuni assez d’éléments pour rédiger autre chose que le titre de sa notice : « Fête du pape saint Clet, le 6 des calendes de mai, d’après les gestes des pontifes romains et les chroniques »100. Ultérieurement, dans l’espace laissé libre et, comme il était insuffisant, dans la marge, il copie le texte renseignant la notice. Mais c’est là un pis-aller auquel Bernard Gui a dû se résoudre, faute d’avoir pu mettre la main sur le texte plus long qu’il recherchait : il ajoute en effet au titre de la notice « parce que je n’ai pu trouver sa Vie en intégralité »101. Il ne faut pas conclure que Bernard Gui a seulement souhaité, par ces compléments, restituer l’ampleur des textes copiés et parfois hâtivement abrégés. Les dossiers des martyrs Procès et Martinien ou de saint Saturnin montrent que la source est aussi complétée par la recherche de nouveaux documents : pour augmenter le récit du martyre des soldats Procès et Martinien, qu’il trouve dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, Bernard Gui ajoute une réécriture des épisodes présents dans la Passion BHL 6948, qu’il n’avait pas trouvés dans le recueil de son prédécesseur102. Sur le même modèle, il ajoute à la Passion de saint Saturnin de Toulouse un récit de l’arrivée, en 632, des reliques de l’évêque martyr à la basilique Saint-Denis (BHL 7508), épisode absent des manuscrits qui lui permettent d’établir sa version de la Vie et de la Passion de Saturnin103. Finalement, ce qui vaut d’être restitué de manière complète, ce n’est pas tant la source que tous les épisodes de la vie du saint. Les compléments que l’on peut encore recenser relèvent d’une autre nature : ils ne contribuent pas au développement de la narration proprement dite, mais plutôt à l’assortir de citations, qui tiennent lieu de références, et parfois de caution, aux faits édifiants qui sont rapportés. Ainsi, lorsque Bernard Gui compile, dans la troisième partie de son légendier, les actes relatifs aux saints Basilide, Cyrin, Nabor et Nazaire, il est confronté à un dossier hagiographique

  Il s’agit du récit dans lequel un voleur, entré la nuit dans le jardin de Médard, ne peut en ressortir avant d’avoir été pardonné par le saint. Il fait partie de le Vita BHL 5864 (éd. Acta SS, Juin, II, 80). 100   Sancti Cleti papae, VI° kalendas maii, ex gestis pontificum romanorum romanorum et ex cronicis, (Avignon, BM, ms 296, fol. 47). 101   …quia gesta ejus ad integrum nondum potuimus invenire, (Avignon, BM, ms 296, fol. 47). 102   Dans le manuscrit 296 de la Bibliothèque d’Avignon, le passage ajouté se trouve au folio 79v°, où il est copié après que le texte antérieur ait été soigneusement gratté. 103   Ce complément à la Passio sancti Saturnini a déjà été signalé ailleurs. (A. Dubreil-A rcin, Un hagiographe à l’œuvre : Bernard Gui et les légendes de saint Saturnin de Toulouse, AM, t. 226, 1999, p.  217-231). 99

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qui est l’objet de toutes les confusions dans les martyrologes : Florus et Adon placent au 12 juin la fête de Basilide, Nabor et Cyrin mais isolent Nazaire et Celse, alors que Bède et Raban Maur, trompés par la ressemblance des Passions, entérinent leur confusion en associant les cinq saints. Usuard place le martyre de Basilide, Cyrin et Nabor à Milan, lieu de l’invention de Nazaire et Celse et non plus à Rome. Bernard Gui se rallie à ce choix et le fait suivre du récit proprement dit de la copie du martyrologe d’Usuard. Qu’ils justifient un choix critique ou qu’ils fournissent aux textes hagiographiques un crédit supplémentaire, ces ajouts de citations constituent la part majeure des corrections apportées à la première version du Speculum sanctorale. Celle de Paul reçoit après coup l’extrait du De Ortu, vita et obitu sanctorum d’Isidore de Séville104 et l’ajout d’une citation d’Haymon d’Auxerre, tandis que le récit de sa conversion est assorti de deux citations des sermons de saint Augustin105. Les Passions du manuscrit 296 d’Avignon reçoivent le même type de supplément : le récit consacré à Félicité et ses sept fils est, lui, allongé d’un extrait de sermon de saint Augustin, copié dans la marge du fol. 80v° ; contrairement à ce qu’il en est dans le premier état du texte, les miracles de saint Étienne sont finalement précédés d’un extrait de la Chronique de Sigebert de Gembloux, que Bernard Gui a peut-être copié sur le Speculum de Vincent de Beauvais ; de même, la courte Passion du pape Fabien est-elle développée par la copie de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe. Peu nombreux en regard des dimensions imposantes du Speculum sanctorale, ces remaniements vont tous dans le sens d’un accroissement du corpus. Il est en effet significatif qu’un seul exemple d’élagage du texte puisse être relevé. Sans être totalement dénué d’intérêt pour comprendre l’œuvre qu’a voulu faire Bernard Gui, il est quand même bien secondaire : il s’agit de la suppression d’une citation de Jean Chrysostome106, d’abord intégrée car elle était comprise dans un passage de la Légende dorée que copie Bernard Gui107.

  L’extrait du De Ortu, vita et obitum sanctorum d’Isidore de Séville, copié en marge du fol. 45v° dans le ms lat. 9731, est mal placé : une note indique au copiste l’endroit où le texte doit être effectivement déplacé, c’est-à-dire une dizaine de folios plus loin, après la citation du Livre des hommes illustres de saint Jérôme. Voir la planche V à l’annexe 5. 105   L’ajout des deux extraits des sermons de saint Augustin n’est pas signalé dans le ms lat. 9731 de la Bibliothèque nationale de France : il se déduit de la comparaison de ce manuscrit avec le texte qui se lit dans l’exemplaire de Toulouse. Cela montre qu’il y a vraisemblablement eu plusieurs campagnes de corrections. 106   Voir la planche VII, à l’annexe 5. 107   La citation de Chrysostome se trouve à la fin du texte rédigé par Jacques de Voragine (Chrysostomus : « Tyrannos ac populos spirantes … recipiebat vulnera quam alii munera », éd. Legenda aurea, p. 200). 104

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3– Le choix du titre Le grand légendier commandé par Bérenger de Landorre est connu sous le titre que lui a donné Bernard Gui108, peut-être suggéré par le maître de l’ordre, qui semble être resté très proche de sa compilation109. Quelques générations après le Speculum universale de Vincent de Beauvais, il est probable que ce choix ne doive rien au hasard. Pour autant, il ne faut attendre de lui aucune explication, nulle glose de ce titre pourtant propice aux développements symboliques et métaphoriques110. Ce silence déçoit en même temps qu’il réduit à de simples conjectures toute tentative d’explication. D’abord, on est tenté de penser que la multiplication, depuis le xiie siècle, des œuvres portant dans leur titre le mot Speculum111 a entraîné une dilution de la métaphore. Mais cette explication paresseuse évacue peut-être trop rapidement l’idée que le très grand nombre d’œuvres a précisément fondé des références connues à un point tel qu’elles pouvaient rester sous-jacentes, allusives, voire absentes. Dans ces conditions, on ne peut manquer d’exposer celles que Bernard Gui a pu connaître. Si le légendier de Bernard Gui est un miroir, il se pose d’abord comme un miroir convexe, c’est-à-dire un outil permettant de rassembler une matière qui était jusque-là dispersée (« Je me suis attaché à compiler dans un seul volume, des textes que l’on trouvait dispersés dans plusieurs »112). Cette explication est renforcée par la métaphore du bouquet : en associant les roses des martyrs aux violettes des confesseurs et aux lys des vierges113, chaque livre du Speculum est une fleur qui compose le bouquet offert à Jean XXII. Au bout du compte, le miroir est un objet de la vision indirecte, car il est un miroir rassembleur. En cela, le Speculum de Bernard Gui est placé dans le droit fil des constructions 108   On sait que ce n’est pas le cas de la Légende dorée, titre qui s’est imposé avec l’imprimerie, alors que le Moyen Âge a diffusé cette oeuvre sous des intitulés très variés. 109   C’est en tout cas ce que laisse entendre Bernard Gui dans son prologue. 110   E.-M. Jonsson (« Le sens du titre Speculum aux xiie et xiiie siècles et son utilisation par Vincent de Beauvais », Vincent de Beauvais. Intentions et réceptions d’une œuvre encyclopédique au Moyen Âge¸sous la direction de S. Lusignan, M. Paulmier-Foucart et A. Nadeau, actes du XIVe colloque de l’institut d’études médiévales, éd. Bellarmin-Vrin, 1990, p. 11-32 et Le miroir. Naissance d’un genre littéraire, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1995) montre que les Specula médiévaux s’appuient sur l’exégèse du Cantique des Cantiques depuis le Speculum ecclesie d’Honorius Augustodunensis et le Speculum virginum, tandis que survit encore la référence à la première Epître aux Corinthiens utilisée par saint Augustin, Speculum Scripturae sacrae, PL, t. 34. 111   Herbert Grabes a répertorié près de 250 ouvrages qui, du xiiie au xviie siècle, et en diverses langues, s’intitulent Speculum (Speculum, Miroir und Looking-Glass. Kontinuität und Originalität des Spiegelmetapher in den Buchtiteln des Mittelsalters und der englischen Literatur des 13. bis 17. Jahrhunderts, Tübingen, 1973). En ce qui concerne le Moyen Âge et les ouvrages rédigés en latin, E.-M. Jonsson, ouv. cité, relève une vingtaine d’occurrences. 112   in unum colligere studui que dispersa inveniebantur in multis, L. Delisle, ouv. cité, p. 421. 113   quasi manipulum quartum de confessorum violis et virginum liliis candidatis, éd. L. Delisle, p. 420.

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encyclopédiques qui se sont aussi présentées comme des specula, tel le Speculum ou Imago mundi d’Honorius d’Autun114, le Speculum humanae salvationis115. Le titre choisi par Bernard Gui désigne clairement ce qu’on est invité à voir dans son miroir : « Dans cet ouvrage, les lecteurs pourront clairement observer, comme dans un miroir, chaque visage des saints. À cause de cela, il pourrait convenir de l’intituler Miroirs des saints ou sanctoral »116 . En revanche, il ne précise pas qui est invité à regarder. Malgré les apparences, il n’y a peut-être pas de séparation définitive des deux fonctions traditionnelles du miroir : voir et se voir. En précisant qu’il a conçu son miroir de façon à permettre de jeter un regard limpide sur chaque figure de saint, Bernard Gui en fait un instrument de connaissance. Chaque portrait de ces héros illustre un modèle de sainteté, auquel le lecteur du Speculum peut se confronter, évaluer et rectifier son mode de vie. En outre, la diversité des types de sainteté donne l’ampleur des modes d’intervention de Dieu et l’étendue de ses pouvoirs. On aboutit à trois fonctions distinctes du miroir, et en même temps très étroitement liées à la connaissance des manifestations du sacré, qui est aussi connaissance de soi et connaissance de Dieu. Ainsi, par le principe de l’analogie, le miroir permet de passer du visible à l’invisible, du connu à l’inconnu. Cette immutabilité du miroir, qui évoque l’image de Dieu est une image que relaya particulièrement la pensée scolastique117. On le voit, l’introspection, comme la dimension contemplative, sont absentes de ce programme. Dès lors, le Speculum sanctorale de Bernard Gui doit être situé dans la filiation des specula victorins puis scolastiques, développés en contrepoint des positions cisterciennes, militant118 pour la primauté d’une connaissance intérieure. Pour les cisterciens en effet, la véritable connaissance est intérieure car la connaissance extérieure, réduite à l’histoire sainte, ne joue qu’un rôle auxiliaire119.

  PL, t. 172, col. 115-186.   P. P erdrizet, Speculum humanae salvationis, éd. Honoré Champion, Paris 1908. 116   in quo, tanquam in speculo, legentes possint inspicere limpidius sanctorum facies singulorum. Quod ideo Sanctorum seu Sanctorale Speculum non incongrue poterit in titulo prenotari, éd. L. Delisle, ouv. cité, p. 421. 117   Sur ce point, voir M. Schmidt, « Miroir », DS, t. X, Paris, 1980, col. 1290-1303, spécialement col ; 1296. 118   Le mot n’est pas trop fort : la tradition cistercienne des Miroirs a joué un rôle polémique, notamment dans l’affrontement avec Abélard. Le Speculum fidei et le Speculum caritatis par exemple exposent la théologie contemplative monastique. 119   Il est remarquable que la majorité des Miroirs composés au xiie siècle soit d’origine cistercienne (c’est de loin le plus grand groupe à l’intérieur du corpus réuni par E. M. Jonsson). Il s’agit le plus souvent de véritables guides monastiques, comme le Speculum monachorum d’Arnoul de Bohéries ou le Speculum novitii d’Étienne de Sallay. 114

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Quelle est la dette de Bernard Gui à l’égard du titre, et du programme porté par Vincent de Beauvais ? Ce dernier, on le sait, fut très proche des milieux cisterciens et le choix du mot Speculum pour son titre est perçu comme un témoin de cette influence120. Cependant, les Specula de Vincent de Beauvais opéraient une forme de synthèse entre les positions cisterciennes et victorines ou scolastiques : sous la multiplication des miroirs, dont l’accumulation doit permettre d’atteindre toute l’étendue de la connaissance, se trouve l’idée que cette vision du monde doit transformer l’individu. Enfin, si l’on admet l’idée que le titre de Vincent de Beauvais est directement à l’origine de celui de Bernard Gui, il faut s’interroger sur la dimension critique du second par rapport au premier. Peut-être fallait-il séparer les saints de l’histoire et traiter plus amplement des premiers. Dans l’état que l’on peut considérer comme définitif – c’est-à-dire celui que livrent les manuscrits 480 et 481 de la Bibliothèque municipale de Toulouse – le Speculum sanctorale est une compilation imposante : deux volumes, quatre parties, 626 folios sans compter les prologues et les tables, soit 440 dossiers hagiographiques, réunis dans un ensemble homogène. Ce légendier est d’abord un aboutissement car, à l’aune d’une carrière bien remplie, sa commande par le maître de l’ordre témoigne d’une forme de reconnaissance de son travail, de sa fidélité et de son mérite. À l’instar des Flores chronicorum121, c’est un recueil immense. À sa différence, c’est l’œuvre à laquelle il se consacre les dix dernières années de sa vie et pour laquelle il n’a le temps de fournir qu’une seule édition, quand les Flores ont connu dix versions différentes en plus des versions abrégées122. Mais le Speculum sanctorale est aussi, pour l’hagiographe, l’occasion de dépasser le simple catalogue. Loin des listes ou des répertoires que Bernard Gui a pu fournir jusque là, le Speculum sanctorale est un recueil abouti, fruit d’une véritable recherche du point de vue de l’organisation de la matière. C’est ensuite une œuvre qui fait la synthèse de son travail d’hagiographe tout en dépassant l’horizon strictement local. Or, cette prise de distance vis-à-vis des sanctuaires locaux, comme la recherche de citations patristiques en complément de la narration hagiographique, renvoient la compilation du Speculum sanctorale aux inflexions de l’écriture hagiographique dans les légendiers dominicains du xiiie siècle. Cette rénovation de la compilation et de l’usage des Vies de saints supporte désor  E. M. Jonnson, art. cité, p. 31.   Le manuscrit 450 de la Bibliothèque municipale de Toulouse commence par les Flores chronicorum, c’est-à-dire la chronique universelle des papes : elle occupe près de 150 folios. 122   Voir L. Delisle, ouv. cité, p. 188-235 et A. Thomas, art. cité, p. 176-186 pour le détail des exemplaires et des manuscrits conservés. 120 121

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mais une bonne part de l’identité de l’ordre. Dans ces conditions, comment concilier ces éléments de reconnaissance et les critiques exprimées, dans le prologue, à l’encontre des recueils, dont font partie les légendiers dominicains ? L’œuvre de Bernard Gui a-t-elle pour vocation de compléter le livre de l’archevêque de Gênes, d’en assurer la diffusion dans un cadre plus large ? Témoignet-elle au contraire de nouveaux besoins, de l’exigence d’étendre le discours dominicain à d’autres modèles de sainteté ?

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chapitre ii

Écrire après les hagiographes du xiiie siècle Les exigences pastorales et scolaires apparues au xiiie siècle donnent naissance à une forme inédite d’écriture hagiographique. On sait bien le succès qu’elle remporte : grâce à ce renouvellement, l’hagiographie conquiert de nouveaux horizons, dépasse la lecture au réfectoire ou à la bibliothèque. À ce titre, la Légende dorée, diffusée non seulement dans les couvents de prêcheurs, mais encore dans les autres ordres mendiants, dans les bibliothèques monastiques, universitaires et dans les collèges1, porte bien le projet universaliste de l’ordre, en même temps qu’elle incarne un aboutissement des recherches de la première moitié du xiiie siècle. Sans remettre en cause cette façon de voir, il faut bien convenir que cette image de la Légende dorée est tributaire de l’angle par lequel la question a toujours été envisagée : les analyses modernes ont été plus enclines à montrer comment Jacques de Voragine parachève un modèle, plutôt qu’à s’attarder sur les compilations qu’il a lui même suscitées. L’intérêt ancien pour la Légende dorée, sans vraiment s’essouffler, s’est peu à peu mué en une recherche des éléments qui, dans les légendiers dominicains antérieurs, annoncent la mutation qu’elle couronne. Cependant, la sélection des sources ou la clôture du corpus, gages essentiels d’un projet d’écriture identitaire, n’entraînent pas pour autant une sclérose du modèle. Même si l’hagiographie dépend de plus en plus étroitement de l’uniformisation liturgique, elle garde une certaine créativité. Cela la distingue du sermon, qui sous l’influence des instruments de travail, est précocement standardisé2.   Les travaux menés par Barbara Fleith sur la diffusion de la Légende dorée reposent sur le classement d’un millier de manuscrits médiévaux, issus de tous les types de bibliothèques religieuses (B. Fleith, Studien zur Überlieferungsgeschichte der lateinischen Legenda aurea, SH, t. 72, Bruxelles, 1991). 2   Sur cette question, voir D.  d’Avray, The Preaching of the friars. Sermons diffused from Paris before 1300, Oxford, 1985. Nicole Bériou propose par ailleurs de mettre en relation cette standardisation précoce avec la disparition progressive des prologues en tête des collections de

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Si l’hagiographie colporte une construction identitaire, elle reste créative. Dans ces conditions, l’enjeu de toute compilation médiévale, à savoir faire du neuf avec de l’ancien, se pose avec une acuité particulière : comment continuer à servir les exigences culturelles de l’ordre, tout en se démarquant des choix endossés par les légendiers antérieurs ? Tout en s’affiliant à un genre, Bernard Gui cherche aussi à s’en écarter. La norme et l’écart sont bien les deux jalons à l’intérieur desquels s’inscrit le Speculum sanctorale, et c’est sans doute en cela qu’il répond au discours programmatique du prologue. Reste à savoir comment il est mis en œuvre. En effet, ce texte liminaire n’est pas un objet d’étude en soi, et ce serait d’ailleurs trahir sa raison d’être que de le traiter ainsi. Ce qu’il importe désormais de saisir, c’est la relation qu’entretient cette préface avec le texte lui-même. Comment les quatre parties du Speculum sanctorale honorentelles les intentions du prologue3 ? L’étude du légendier de Bernard Gui offre l’opportunité de se positionner légèrement en aval de l’intense phase de création, que l’on situe généralement vers 1250-1290 : c’est donc l’occasion de voir comment sont récupérées, prolongées ou abandonnées les solutions mises au point dans le dernier tiers du xiiie siècle. La volonté de mettre au jour, puis de comprendre, cette dialectique du rejet et de la permanence incite à soumettre l’œuvre à une analyse comparatiste. Comme le point de vue est éminemment dominicain, la confrontation du texte de Bernard Gui avec ceux de ses prédécesseurs est une priorité. D’ailleurs, le renouvellement constant des publications des sources hagiographiques dominicaines facilite considérablement cette approche. Mais dans bien des cas, c’est-à-dire chaque fois que Bernard Gui se détourne des solutions adoptées par ses frères au profit d’une source antérieure, il faut aussi collationner les Vies du Speculum sanctorale avec des textes antérieurs. C’est une nécessité, d’abord pour ne trahir, ni les intentions de l’auteur, ni la dimension critique de son prologue, ensuite pour éviter de couper artificiellement le Speculum de toute une tradition textuelle antérieure à l’apparition des légendiers abrégés. Pratiquement, il faut rechercher les sources possibles, noter ce qui sermons (N. Bériou, « Les prologues de recueils de sermons latins, du xiie siècle au xv e siècle », Les prologues médiévaux, actes du colloque international de Rome (26-28 mars 1998), éd. Brepols, Turnhout, 2000, p. 395-426, spécialement p. 398-400) : l’idée est séduisante, car si les sermons se conforment à une présentation normée, il n’est plus utile de la justifier dans une présentation liminaire. 3   Le discours convenu des prologues entraîne certains compilateurs à annoncer au seuil de leur œuvre des intentions qui sont ensuite démenties par le contenu du texte. Le cas de Baudry de Bourgueil, motivant par des raisons esthétiques sa réécriture de la Vie d’Hugues de Rouen alors qu’il n’y change pratiquement rien, a déjà été relevé (voir les commentaires de J. Van der Straeten, Acta SS OSB, II, p. 261 et de M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques, ouv. cité, p. 50). L’étude du texte réécrit peut alors laisser voir des motifs de réécriture bien différents et moins avouables que ceux qui sont avancés dans ce développement préliminaire.

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passe à l’identique d’un texte dominicain à l’autre, relever les points d’accord, les survivances, traquer les écarts, les inflexions du discours, comprendre les modes d’appropriation des modèles. Au final, ce travail mécanique et laborieux donne des résultats probants, car il est réalisé sur une masse importante de textes hagiographiques : Bernard Gui reconduit globalement les mêmes techniques d’une Vita à l’autre et leur nombre permet de cerner de façon fiable ce qu’il met en valeur ou au contraire ce qu’il néglige systématiquement4. Le relevé des sources et des modes de compilation utilisés par Bernard Gui, n’a pas été conçu comme un objet d’étude exclusif. Si cette étape est incontournable – et elle l’est d’autant plus que le texte est en grande partie inédit –, l’intérêt n’est pas tant de savoir comment Bernard Gui, d’un point de vue technique, cite ses sources, que de voir comment il se positionne à l’égard des collections hagiographiques compilées, avant lui, par ses frères en religion. L’objectif est double : comprendre la postérité des formules qu’ils ont créées, et saisir les objectifs poursuivis par Bernard Gui. Si d’aventure on peut montrer que ce dominicain eut recours à des procédés nouveaux ou différents, on aura mieux cerné les objectifs singuliers de sa compilation. Au contraire, tout point commun, tout élément vecteur d’uniformité du discours, peut témoigner du poids du discours identitaire et/ou de l’influence de l’institution. Ainsi, on verra d’abord que Bernard Gui s’appuie sur des éléments très classiques pour revendiquer son affiliation à l’écriture hagiographique dominicaine : le choix du corpus est efficacement secondé par celui des sources et surtout par les citations de ses prédécesseurs, notamment Vincent de Beauvais et Jacques de Voragine, autant de copies et de reprises qui tissent une véritable polyphonie entre les collections dominicaines. Mais ces éléments de reconnaissance n’excluent pas pour autant la mise en œuvre de solutions nouvelles, qui, sous l’apparence d’une remise en cause des choix antérieurs, tiennent davantage lieu d’approfondissement ou de dépassement que de réel contre-pied. Au bout du compte, l’équilibre instauré par Bernard Gui, entre archaïsme, nouveauté et solution de continuité, permet de donner naissance à une encyclopédie hagiographique.

  Dans la thèse de laquelle est issue cet ouvrage, ces investigations ont donné lieu à un volume d’analyse des Vitae de quelques 400 pages. Un échantillon de ces résultats est publié ici, à l’annexe 1.

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A– Assumer l’héritage dominicain Dominicain, le Speculum sanctorale l’est à coup sûr, et pas seulement parce que son auteur a fait profession dans cet ordre. Il en a la facture, si ce n’est l’ambition. Avec les collections hagiographiques de ses prédécesseurs, il partage d’abord le sanctoral – ce qui est un minimum –, mais aussi toute une tradition textuelle qui, après le tri opéré par Humbert de Romans, fonde la lecture et la narration hagiographique dominicaine. Enfin, on ne s’étonnera pas de voir que Bernard Gui est un lecteur de Jacques de Voragine et de Vincent de Beauvais ; on s’y attend même. Les notes de lectures, les citations littérales et les références, accompagnées ou pas du nom de leurs auteurs, sont autant d’indices de la place qu’il accorde à ses illustres devanciers, ainsi que de la postérité littéraire qu’il leur réserve. 1– Reconduction d’un sanctoral « propre » Au Miroir des saints de Bernard Gui, se reflètent d’abord les saints de l’Église romaine, apôtres, disciples, martyrs et premiers évêques. Parallèlement, la volonté d’appuyer fermement cette collection sur le sanctoral universel de l’ordre est nette, que l’initiative ait été suggérée par Bérenger de Landorre ou qu’elle revienne à Bernard Gui lui-même. Ce qui le montre, c’est bien sûr la nature de son corpus, et surtout la confrontation de son sanctoral avec celui des légendiers dominicains. Certes, cette dernière est rendue délicate par l’ampleur très diverse des corpus et il est forcément très banal de constater que les quelques soixante-dix saints du sanctoral de l’office ont plus de chance d’être tous traités dans un légendier qui en comprend deux cent cinquante que dans un autre, qui en comporte deux fois moins. Cependant, malgré cet écueil, la comparaison du sanctoral des légendiers dominicains permet de juger des orientations qui ont présidé à la compilation de chaque recueil et d’évaluer la destinée du mouvement d’uniformisation du sanctoral. La comparaison, menée à partir des deux légendiers antérieurs à la réforme liturgique (c’est-à-dire ceux de Jean de Mailly et de Barthélemy de Trente), du sanctoral de l’office dominicain, puis d’un légendier de la fin du xiiie siècle (la Légende dorée) et du premier tiers du xiv e siècle (Le Speculum de Bernard Gui)5, permet de mettre en avant

  Le Speculum historiale de Vincent de Beauvais a été écarté de ce travail de comparaison, pour trois motifs : le hiatus typologique, l’ampleur qui tend à fausser les comparaisons et enfin le fait qu’en l’absence d’index, il est relativement difficile d’aboutir à une liste exhaustive des saints inscrits au Speculum historiale. La comparaison du sanctoral des légendiers dominicains est présentée sous forme d’un tableau à l’annexe 3.

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l’influence du travail de clôture mené par Humbert de Romans, mais aussi l’impact qu’ont eu sur Bernard Gui les choix de ses prédécesseurs. D’abord, la comparaison du sanctoral des légendiers dominicains montre que Bernard Gui est le premier des hagiographes de l’ordre à inclure dans sa collection la totalité du sanctoral de l’office. En effet, si les ajouts apportés à la Légende dorée après 1274 dévoilent une meilleure prise en compte des travaux critiques d’Humbert de Romans, ils ne conduisent pas Jacques de Voragine à faire complètement coïncider son corpus avec celui du lectionnaire : sainte Prisca, saint Basilide et ses compagnons et l’évêque Étienne, déjà absents de l’Abbreviatio de Jean de Mailly, le sont toujours de la deuxième version de la Légende dorée de Jacques de Voragine. Celui-ci ajoute trois Vies6 à son corpus initial, mais celles-ci sont absentes du lectionnaire. Au contraire, le Speculum de Bernard Gui englobe la totalité du sanctoral de l’office dominicain, qui, dès lors, fournit un socle hagiographique commun d’un peu plus de soixante-dix textes hagiographiques et d’autant de références scripturaires. Si l’ampleur du Speculum sanctorale a sans doute facilité cette coïncidence des corpus, cette explication fondée sur le caractère englobant du légendier n’est pas suffisante puisque le Liber epilogorum in gesta sanctorum de Barthélemy de Trente, qui donne à lire un sanctoral plus large que celui du Speculum de Bernard Gui, ne reprend pas pour autant la totalité des saints du sanctoral de l’office. Dans ces conditions, l’intégration des saints du lectionnaire dans le légendier de Bernard Gui apparaît à la fois comme le résultat d’un choix et comme le fruit d’une époque. Ce qui montre que Bernard Gui a d’abord construit un sanctoral fondé sur les saints vénérés dans l’ordre, c’est que, non content d’inclure mieux que ses devanciers tous les saints du lectionnaire, il n’omet aucune des figures ajoutées par les divers chapitres dominicains postérieurs à 1260. Il le fait, en premier lieu, pour les saints nouvellement fêtés, mais dont ses prédécesseurs n’avaient pas tenu compte, comme saint Édouard par exemple7. Puis il généralise cette ligne de conduite avec les fêtes inscrites au calendrier après la première géné-

  Il s’agit des Vies de saint Syr (chap. 87), de saint Lambert (chap. 135) et de sainte Élisabeth (chap. 164). On sait que, par la suite, le texte de Jacques de Voragine a connu de nombreux compléments, mais ceux-ci sont dictés par d’autres logiques. 7   Fêté le 7 janvier, Édouard est inscrit au calendrier dominicain par le chapitre général qui se tient à Montpellier en 1265 (R eichert, I, 126). Pour autant, il n’entre pas dans la Légende dorée et était déjà ignoré de Jean de Mailly et de Barthélemy de Trente. Bernard Gui évoque sa Vie dans la quatrième partie du Speculum sanctorale (ms 481, IV, 156v°). 6

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ration des légendiers dominicains : Wenceslas8, Louis9, Pierre Célestin (Pierre de Morone)10 et Thomas d’Aquin11. Au bout du compte, la totalité des saints du calendrier et de l’office dominicain est présente dans son légendier. De ce point de vue, le Speculum sanctorale est à la fois une mise en conformité et une mise à jour des collections précédentes par les documents normatifs de l’ordre. Au total, cet élargissement du sanctoral aboutit à un accroissement de la dépendance entre contenu hagiographique et contenu liturgique, et l’identité que s’est construite l’ordre s’en trouve d’autant mieux affirmée. La dépendance du Speculum sanctorale vis à vis du sanctoral de son ordre dépasse le seul respect du calendrier. Bernard Gui reprend à son compte un groupe important de notices – 130 environ – qui étaient déjà présentes dans les légendiers de Jean de Mailly, Barthélemy de Trente et Jacques de Voragine : il s’agit pour l’essentiel de martyrs des premiers temps, présents dans les martyrologes ou dans le calendrier romain. Ils sont aussi présents dans un grand nombre de collections hagiographiques. Autrement dit, c’est leur large diffusion, leur caractère universel, qui explique leur insertion dans ce légendier. 2– Le choix des sources Le 20 juillet, les frères chantent aux matines l’office de sainte Marguerite rédigé par Humbert de Romans. Ceux d’entre eux qui, dans le silence de la bibliothèque, saisissent le second volume du Speculum sanctorale pour en savoir plus sur sa Vie, liront le même texte. Non que Bernard Gui ait toujours manqué d’inventivité ou de curiosité, mais force est de constater que son souci est d’abord de donner un écho particulier aux travaux du maître de l’ordre, d’en assurer la diffusion et d’appliquer sa bonne lecture du texte. D’une manière ou d’une autre, Bernard Gui fait systématiquement référence aux textes établis   La fête du martyr Wenceslas est inscrite au calendrier par le chapitre réuni à Metz en 1298. Le texte de l’office n’est cependant adopté qu’au chapitre de 1300 (Sur les décisions capitulaires, voir la publication des Actes des chapitres par R eichert, I, 292 et 295 ; Sur les débats qui ont ralenti l’adoption du texte de la Vie de saint Wenceslas, voir G. Barone, « Les épitomés dominicains de la vie de saint Wenceslas (BHL 8839 et 8840) », Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xv e siècles, Table ronde tenue à Rome, 22-23 juin 1979, École française de Rome, 1981, p. 167-187). Bernard Gui l’inclut dans la troisième partie du Speculum sanctorale (ms 481, III, fol. 95v°). 9   Louis, IX, canonisé en 1297, est inscrit au calendrier dominicain en 1301 par le chapitre général de Cologne (voir R eichert, I, 302). Sa Vie se trouve dans la quatrième partie du Speculum sanctorale (ms 481, IV, fol. 128). 10   Pierre Célestin est intégré à l’office dominicain, en 1313, par le chapitre général de Metz (R eichert, II, 66). Il prend place dans la quatrième partie du Speculum sanctorale (ms 481, IV, fol. 72 v°). 11   Canonisé en 1324, Thomas d’Aquin est inscrit au calendrier de son ordre par le chapitre réuni à Paris en 1326 (R eichert, II, 164). Bernard Gui remanie sa Vie et l’inclut dans la quatrième partie de son légendier (ms 481, IV, fol. 36 v°). 8

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par Humbert de Romans pour le lectionnaire de l’office. Il faut dire que celui-ci présente l’avantage majeur d’avoir été approuvé par les plus hautes autorités de l’ordre. Si Bernard Gui en copie donc de très larges extraits, il ne cite jamais le cinquième maître de l’ordre comme une Autorité. Ce n’est que par rapprochement que l’on peut détecter les copies et les influences d’une œuvre à l’autre. Ces dernières sont de deux natures : il y a d’abord la référence et la citation d’une même source, même si cela n’entraîne pas la production d’un texte identique étant donné les objectifs et les contraintes différentes des deux documents. À l’image d’Humbert de Romans donnant ses références dans une note préliminaire ou en marge des leçons, Bernard Gui indique ses sources hors du texte, soit dans une courte introduction qui donne le nom du saint et le jour de sa fête, soit dans un titre intermédiaire lorsqu’il est contraint d’utiliser plusieurs sources. Or, la mise en parallèle de ces indications montre que les choix de Bernard Gui sont en tous points conformes avec ceux qui se lisent dans le lectionnaire. Bernard Gui reproduit, en effet, souvent mot à mot les indications critiques préliminaires12, il retient pour ses Vies les textes utilisés par Humbert pour les leçons de l’office13, même si l’adaptation diffère, enfin chaque fois qu’Humbert indique l’existence d’un jugement d’autorité, il copie la citation à l’issue du texte strictement hagiographique14. Dans quelques cas   Bernard Gui reprend parfois à l’identique les notes critiques, voire polémiques, rédigées par Humbert de Romans en guise de prélude à certaines leçons de l’office. Ce cas de figure se constate dans les textes du Speculum relatifs à saint Georges, aux martyrs Basilide, Cyrin, Nabor et Nazaire et sainte Marguerite. 13   Les Vies ou Passions en tête desquelles Bernard Gui expose une source identique à celle retenue par Humbert de Romans, en démarquant son introduction sont les suivantes : saint Nicolas (Vie de Jean diacre), saint Thomas de Canterbury (Vie de Jean de Salisbury), saint Sylvestre (Recours à ce que dit Eusèbe de Césarée dans l’Histoire ecclésiastique), saint Antoine (Vie d’Athanase d’Alexandrie), saint Fabien (Toutes les informations sont tirées de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe), sainte Agnès (Vie d’Ambroise), saint Grégoire (Vie de Jean diacre), saint Benoît (Dialogues de Grégoire le Grand), saint Ambroise (Vie de Paulin de Nole), saint Vital (utilisation de ce que dit saint Ambroise dans sa lettre sur l’Invention des corps de Gervais et Protais), saint Barnabé (Actes des apôtres), Passion des saints Pierre et Paul (récit attribué au pape Lin), sainte Marguerite (Passion rédigée par Théotinus) et saint Germain d’Auxerre (Vie rédigée par le prêtre Constantin). 14   Les références ponctuelles préconisées par Humbert de Romans et qui se retrouvent dans le Speculum sanctorale sont les suivantes : citation du De ortu et obitu patrum d’Isidore de Séville, mais aussi du commentaire de Bède sur l’Évangile de Marc, d’une homélie du pape Grégoire et de Gaufridus évêque de Chartres dans l’office de l’apôtre Thomas ; copie d’extraits d’un sermon de Fulgence pour la Passion de saint Étienne ; citation du De ortu et obitu patrum d’Isidore de Séville, d’une homélie de Jean Chrysostome, des commentaires de Bède sur l’Évangile de Jean ; référence aux sermons de saint Augustin, mais aussi d’Eusèbe et de Sévérianus à l’issue du récit du martyre des Innocents ; recours aux informations contenues dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe et aux sermons de saint Augustin pour la commémoration de la Chaire de saint Pierre ; copie des extraits d’un sermon de Pierre Damien pour la Vie de Marc l’évangéliste ; Utilisation de la lettre de canonisation de Pierre de Vérone ; citation du De ortu et obitu patrum 12

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enfin, le texte fourni par Humbert de Romans passe à l’identique dans le Speculum sanctorale, au prix d’un simple effacement du découpage en leçons15. Quel que soit le mode d’appropriation choisi, c’est la quasi-totalité des choix, des critiques et des citations du lectionnaire qui passe dans ce légendier, par là même porteur d’une hagiographie de l’ordre. Au final, le Speculum sanctorale est dans un rapport polyphonique avec les textes de l’office. On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure le travail critique mené par Humbert de Romans pour la rédaction d’un « Prototype » n’a pas conduit à fossiliser la réflexion de ses successeurs. 3– L’abréviation comme projet d’écriture Les travaux de synthèse portant sur l’histoire des légendiers mettent en avant la rupture que représente la confection, par les prêcheurs, de légendiers abrégés16. Réécrire pour proposer des textes concis et adaptés à la pastorale est l’objectif principal des hagiographes dominicains. L’œuvre de Bernard Gui est perçue comme une remise en question de ce principe. Le format du Speculum sanctorale17 plaide en faveur de cette idée, mais surtout les raisons avancées

d’Isidore de Séville, du Livre des hommes illustres de Jérôme, mais aussi des commentaires de Bède et Raban Maur pour l’office commun des apôtres Philippe et Jacques ; citation d’une homélie du pape Grégoire pour le martyre de Félicité et ses sept fils ; utilisation ponctuelle de l’Epistola Leonis dans le récit de la Passion de saint Jacques le Majeur. 15   Dans le cas des martyrs Basilide, Nazaire, Cyrin et Celse, Gervais et Protais, Prisca, Marguerite, le texte du Speculum sanctorale copie entièrement et à l’identique celui du lectionnaire. Pour d’autres saints en revanche, Bernard Gui ne copie qu’une partie seulement des leçons rédigées par Humbert de Romans : c’est, pour saint Georges, la copie littérale des leçons deux et trois du lectionnaire pour relater les miracles tirés de Grégoire de Tours ; pour le martyre de Marc et Marcellien, la copie de la troisième leçon. Un troisième cas de figure montre aussi une parenté d’idée et de forme entre les textes d’Humbert de Romans et de Bernard Gui : c’est notamment ce que montre la comparaison des Passions de Gordien et Épimache et de Vital. 16   Sur la nouveauté que représentent ces legendae novae, voir G. P hilippart, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, typologie des sources du moyen âge occidental, 24-25, éd. Brepols, Turnhout, 1977 et A. Boureau, « Barthélemy de Trente et l’invention de la Legenda nova », Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, a cura di S. Boesch Gajano, Fasano di Brindisi, 1990, p. 23-39. 17   Les deux volumes conservés à la Bibliothèque municipale de Toulouse sont de grand format (35,5 × 24 cm pour le premier et 42,3 × 26 cm pour le second) et comportent chacun près de 300 folios, rédigés sur deux colonnes. Cette ampleur exclut le Speculum sanctorale du mouvement de réduction du format du livre, pourtant coextensive à la rédaction des nouveaux légendiers : Jean de Mailly y voyait la condition d’une pastorale efficace (voir le prologue de l’Abbreviatio in gesta sanctorum : « Comme la plupart des pasteurs ne possèdent pas les Passions et Vies des saints qu’ils devraient connaître et diffuser en vertu de leur charge, afin d’exciter la dévotion des fidèles envers les saints, nous resserrons ces vies sous une forme concise, en retenant surtout les bienheureux dont les noms figurent au calendrier. La brièveté de ce livret vise à éviter l’ennui… », extrait cité et commenté par F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », ouv. cité, p. 364). En même temps, les copies de petit format ont contribué à faire de la Légende dorée un outil du prédicateur.

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pour justifier sa compilation : « La raison, qui a forcé à travailler au présent ouvrage est que, dans les compilations modernes, les vieilles légendes des saints et les récits de leurs actions ont été, dans la plupart des cas, et du fait de compilateurs visant la brièveté, découpés de telle sorte que des portions considérables en ont été tronquées »18. Ce passage marque une critique non dissimulée des choix antérieurs, et l’étude, conduite plus loin, des réécritures hagiographiques de Bernard Gui, montrera à quel point celui-ci privilégie un retour aux textes longs. Pour autant, on ne peut faire du Speculum sanctorale le manifeste d’un rejet total de l’abréviation, ne serait-ce que parce que le texte abrégé fonctionne comme un élément de reconnaissance en même temps qu’il lui fournit l’occasion de se situer dans la lignée de ses devanciers, dont il ne renie pas, loin de là, la production hagiographique, fut-elle abrégée. Le cas des Vies que Bernard Gui qualifie d’abreviatis19 illustre cette logique. Dans la troisième partie du Speculum sanctorale, vingt-quatre Passions de martyrs sont présentées de cette façon20. La recherche des sources de ces textes, et surtout de leur mode d’appropriation, révèle qu’elles sont toutes une copie plus ou moins littérale d’une ou de plusieurs sources dominicaines, la faveur de Bernard Gui allant prioritairement à la copie du Speculum historiale de Vincent de Beauvais21. Cette caractéristique permet de comprendre que, dans le   Le passage a suscité l’intérêt de bien des commentateurs qui ont cherché avant tout à percer l’identité de ces « compilations modernes ». C’est la Légende dorée qui est le plus souvent montrée du doigt, notamment par A. Poncelet (« Le légendier de Pierre Calo », AB, t. 29, 1910, p. 27), car le texte latin emploie par ailleurs l’expression « Aureas sanctorum vitas ». Malheureusement, l’analyse du Speculum sanctorale s’est souvent bornée à la formulation d’hypothèses à partir de la seule préface. Ce texte, édité depuis le xixe siècle par L. Delisle, (ouv. cité, p. 421424) fut en partie traduit par F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », Les prologues médiévaux, art. cité, auquel est emprunté l’extrait ici reproduit. 19   Dans tous les cas de figure, le mot est employé dans le titre du chapitre, associé à la présentation des sources. On lit par exemple Sancte Prisce virginis et martiris XV° kalendas febroarii ex gestis ejus abreviatis, Sanctorum septem Dormentum VI kalendas augusti ex gestis eorum abreviatis ou encore « Sancti Cucufatis martiris VIII° kalendas augusti ex gestis ejus abreviatis, etc. 20   Il s’agit de sainte Prisca, saint Ignace, les quarante militaires, saint Gordien et saint Épimache, les saints Marcellin et Pierre, Basilide, Cyrin, Nabor et Nazaire, les saints Procès et Martinien, saint Apollinaire, saint Cucufat, les Sept Dormants, saint Eusèbe évêque de Verceil, saint Donat, saint Agapit, saint Timothée et saint Apollinaire, saint Julien de Brioude, sainte Sabine, les saints Félix et Adaucte, saint Nicomède, saint Lambert, saint Wenceslas, Claude et ses compagnons, les Quatre couronnés, saint Théodore et sainte Barbara. 21   La moitié des textes pour lesquels Bernard Gui renvoie à une source abrégée sont des copies littérales du Speculum historiale de Vincent de Beauvais (voir les Passions de Marcellin et Pierre, Procès et Martinien, Eusèbe de Verceil, Donat, Agapit, Timothée et Apollinaire, Sabine, Félix et Adaucte, Lambert, Claude, Théodore et Barbara). À côté de cette source privilégiée, Bernard Gui n’utilise que quatre fois les leçons du lectionnaire (voir l’analyse des Passions de Prisca, Gordien et Épimache, Basilide et Wenceslas) et à trois reprises la Légende dorée (Passion d’Ignace, d’Apollinaire et des Sept dormants). La Passion des Quatre Couronnés est identique dans le Speculum historiale, dans la Légende dorée et dans le Speculum de Bernard Gui. Dans quatre cas enfin le texte de Bernard Gui ne montre qu’une parenté avec celui de Vincent de Beauvais (voir les Passions des Quarante militaires, de Cucufat, Julien et Nicomède). 18

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cas de ces dossiers hagiographiques, le terme abreviatis qualifie d’abord l’état de la source utilisée, et non la longueur du texte à laquelle le compilateur parvient à l’issue de son propre travail de réduction22 : en effet, les chapitres conservent cette mention, même lorsque Bernard Gui a ressenti le besoin de les rallonger quelque peu et qu’il ajoute à sa source des éléments puisés dans des versions plus prolixes de la Passion. La Passion de saint Cucufat en donne un exemple. Par ailleurs, les textes du Speculum sanctorale qui ne sont pas issus des sources dominicaines, et qui pourtant sont bien plus courts que ceux-ci, ne portent pas la mention abreviatis. À l’inverse, lorsque Bernard Gui n’a pu trouver une masse conséquente d’informations et donc a du se contenter d’une source brève (et non abrégée), il n’a aucune raison de la qualifier d’abreviatis : c’est le cas par exemple du texte relatif à saint Ruf 23, simple copie du martyrologe d’Usuard, ou de la Vie du pape Lin, issue de la notice du Liber pontificalis. Enfin, le fait que Bernard Gui ait parfois fait le choix de s’appuyer sur des textes abrégés ne l’empêche pas d’y ajouter des épisodes complémentaires, tirés des martyrologes d’Adon24, d’Usuard25 ou de la Chronique de Sigebert de Gembloux26. Ces ajouts ne modifient jamais la trame narrative, ce qui reviendrait à renier le degré d’abréviation. Ils apportent des éléments de commentaires ou de discussion, pour l’essentiel sur les dates de fêtes liturgiques. Ce faisant, le travail de Bernard Gui s’apparente à celui, bien connu, de Jacques de Voragine pour la Légende dorée : l’abrègement de la narration s’accompagne d’un « art de la dilation »27 par la copie de citations et d’exempla. D’autre part, Bernard Gui conçoit l’abréviation comme un mal nécessaire lorsqu’il s’agit d’expurger une Vie des traditions mal assurées ou d’épisodes apocryphes. Là encore, le lecteur est informé de ce choix, car le titre, lieu de la présentation des sources, évoque l’existence d’épisodes laissés de côté. S’ils

22   Il est intéressant de relever, dans le Speculum sanctorale l’emploi du qualificatif abreviatis pour désigner des textes abrégés par d’autres quand dans ces compilations historiques Bernard Gui désigne de l’expression sub compendio des textes qu’il a abrégés lui-même : sur ce dernier point, A.-M. L amarrigue (Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, 2000, p. 235-244) montre que les ouvrages qui comportent cette mention sont le résultat d’un traitement particulier des sources en vue de les abréger, Bernard Gui choisissant d’abréger en priorité le récit des faits militaires, des miracles et les observations subjectives. Pour cela, il transpose les dialogues en style indirect, ou compacte les récits en juxtaposant des termes clés choisis dans sa source. 23   Toulouse, BM, ms 481, fol. 81v°. 24   C’est le cas dans le récit du martyre de Cucufat ou des saints Timothée et Apollinaire. Le martyrologe d’Adon est désigné sous l’expression martyrologio antiquo. 25   C’est le cas des textes consacrés à Basilide, Cyrin, Nabor et Nazaire, et à Barbara. 26   Bernard Gui en copie un extrait à la suite de la Passion des saints Marcellin et Pierre. 27   L’expression est empruntée à Alain Boureau, dans l’introduction de J.  de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’Alain Boureau et Monique Goullet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, p. xxxix.

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ont subi ce sort dit-il, c’est qu’ils étaient apocryphes, ou simplement superflus28, mais les rapporter obscurcit le récit. Une telle argumentation est clairement avancée par Bernard Gui en prélude à la Vie de saint Genès d’Arles : « Vie et Passion de saint Genès, martyr d’Arles, dont la fête est célébrée le 8 des calendes de septembre, extraites des Vies anciennes, élaguées du superflu qui, en raison d’une trop grande prolixité, engendrait l’ennui des lecteurs, et débarrassées ici et là de ses obscurités dans les mots et le discours, afin que plaise davantage une vérité claire, dans le respect total cependant de la vérité des faits historiques »29. Elle n’a rien d’original, et se développe dans le droit fil des justifications de la brièveté avancées dans la plupart des légendiers abrégés : l’auteur des Flores sanctorum multicolores indique qu’elle garantit la clarté et l’orthodoxie du récit30 ; Jean de Mailly et Rodrigue de Cerrato assurent qu’elle préviendra l’ennui31. Si l’argument est donc bien connu, il est intéressant de voir Bernard Gui s’en faire l’écho, car il énonce précisément l’inverse de celui qu’il développe dans son prologue : la compilation du Speculum sanctorale se justifie car l’abréviation a généré trop de confusions. Ces écarts montrent combien la recherche d’une méthode adéquate pour assurer la clarté du discours fut un enjeu. Utilisées sans mesure, l’abréviation comme la prolixité produisent des textes obscurs. Dans la mesure où la première garantit une forme de filiation avec les textes de ses prédécesseurs, Bernard Gui ne la renie pas. Mais on entrevoit aussi que dans la majorité des cas il va plutôt rechercher un moyen terme entre les excès de l’une et de l’autre. 4– Bernard Gui, lecteur de Vincent de Beauvais et de Jacques de Voragine La composition du Speculum sanctorale a naturellement été précédée de la consultation des collections rédigées par les autres prêcheurs. La connaissance que put avoir Bernard Gui des légendiers de Jean de Mailly et Barthélemy de Trente reste une grande inconnue : il ne cite jamais leur nom et la confrontation 28   La formule se lit par exemple en tête de la Vie de saint Saturnin : « Vie et Passion de saint Saturnin, premier évêque de la ville de Toulouse, qui mourut dans la même ville le 3 des calendes de décembre, d’après son ancienne Vie, dont a été retranché ce qui était superflu et inadéquat » (Vita et passio sancti Saturnini primi episcopi urbis Tholose qui passus est in eadem urbe III kalendas decembris, ex gestis ejus antiquis aliquibus superfluis et impertinentibus resecatis, ms 480, II, fol. 249v°) ; mais aussi de Cyr et Julitte (ms 481, III, fol. 50v°), de saint Fulcran (ms 481, IV, fol 30v°), etc. 29   Gesta et passio sancti Genesii martiris Arelatensis excerpta de gestis ejus antiquis resecatis superfluis que ex prolixitate nimia legentibus fastidium generabant, nec non obscuritate verborum et sermonis declarata in locis suis, ut magis placeat veritas non obscura, veritate tamen hystorie rei geste fideliter conservata cujus festivitas celebratur VIII° kalendas septembris, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 79. 30   La totalité du prologue est traduite par F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », ouv. cité, p. 362. 31   F. Dolbeau, ouv. cité, p. 364 et 368.

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du Speculum sanctorale avec les textes de leurs légendiers ne fait apparaître aucun élément susceptible d’aller dans le sens de leur consultation. Une véritable histoire de la tradition manuscrite de l’Abbreviatio et du Liber epilogorum in gesta sanctorum reste à écrire, mais d’ores et déjà, les éléments connus à ce sujet permettent de penser que l’un et l’autre n’ont pas dépassé une aire d’influence régionale, peut-être précocement limitée par la diffusion sans précédent de la Légende dorée. Or, Bernard Gui n’eut pas l’occasion de se rendre à Metz ou Auxerre, et s’il a pu consulter le légendier de Barthélemy de Trente au cours de sa légation en Italie du Nord, il n’en a laissé aucun témoignage. D’ailleurs, Jean de Mailly et Barthélemy de Trente sont absents du De quatuor in quibus deus praedicatorum ordinem insignivit d’Étienne de Salagnac. Lorsque Bernard Gui le complète, il n’ajoute pas leurs noms à la liste des frères de l’ordre illustres par leurs ouvrages. Il en va tout autrement de Vincent de Beauvais et de Jacques de Voragine. Le Speculum historiale et la Légende dorée sont au nombre des sources qui sont d’emblée réunies pour la compilation du nouveau légendier. Ce statut particulier se déduit des manuscrits de travail : les paragraphes issus des collections dominicaines antérieures font toujours partie du premier état de la rédaction, alors même que les corrections apportées au texte initial montrent la recherche d’un certain nombre de citations nouvelles. Mais les apports des textes dominicains ne sont jamais des ajouts a posteriori. Des extraits de la Légende dorée ou du Speculum historiale ont, au contraire, fourni le fonds textuel à partir duquel Bernard Gui a construit sa collection, jugeant, après coup, qu’il était nécessaire de compléter leurs témoignages par des sources nouvelles ou, plus rarement, utile d’élaguer une partie des informations qu’ils livrent32. Ces éléments sont de nature à corroborer l’idée que le programme du Speculum sanctorale est, entre autre, une réflexion à partir des collections antérieures, que, selon les cas, il relaie ou révise. Si Vincent de Beauvais et Jacques de Voragine ont nourri la compilation du Speculum sanctorale, Bernard Gui ne porte pas exactement le même regard sur l’un et l’autre de ses prédécesseurs. D’abord, les noms de Jacques de Voragine et de sa compilation hagiographique sont clairement cités plusieurs fois, même si cela n’a rien de systématique et si Bernard Gui utilise plus souvent l’œuvre de son prédécesseur qu’il ne la cite précisément33. En comparaison, 32   C’est notamment ce que montre le texte consacré à saint Barthélemy dans le ms lat 9731 de la Bibliothèque nationale : dans un premier temps Bernard Gui copie un large extrait du texte de Jacques de Voragine, puis, après relecture, ôte les citations de Jean Chrysostome contenues dans ce passage de la Légende dorée. 33   Quatre cas de citations exactes : dans la Vie de saint Jean Baptiste, il emprunte à Jacques de Voragine le récit de la découverte de la tête du Précurseur par un potier d’Émesse et intro-

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Bernard Gui utilise tout autant, sinon plus, le travail de Vincent de Beauvais mais le cite peu : le nom de l’homme et de l’œuvre sont clairement inscrits dans la Vie de saint Germain d’Auxerre34 et dans celle d’Eusèbe35 ; il faut y ajouter les deux références bibliographiques au Speculum historiale sont inscrites dans les marges36. Elles ne sont pas le fait d’un lecteur postérieur car on les trouve aussi bien dans le manuscrit de travail que dans le texte que donne à lire le manuscrit de Toulouse. Qu’il cite nommément ses prédécesseurs ou non, Bernard Gui y a essentiellement recours dans deux cas de figure : copier des citations d’Autorités et intégrer des textes brefs ou jugés correctement abrégés, c’est-à-dire réduits à la bonne mesure. C’est essentiellement la Légende dorée que Bernard Gui utilise comme réservoir de citations : il reproduit toutes les citations des Préfaces de saint Ambroise, il y puise aussi quelques citations de saint Augustin, d’Eusèbe de Césarée, d’Isidore de Séville, Jean Beleth. Ces éléments montrent, et ce n’est pas une surprise, que c’est la seconde version de la Légende dorée qu’il a connue et utilisée : les citations des Praefationes de saint Ambroise, qu’il réemploie, font, on l’a vu, partie des éléments ajoutés au corpus initial ; il en va de même pour les mises en garde contre les apocryphes, qui vont dicter l’attitude de Bernard Gui envers certaines traditions textuelles. Le Speculum historiale est aussi mis à contribution dans cette optique, mais il est significatif que cela soit moins fréquent et surtout que Bernard Gui n’y cherche pas du tout le même type de textes : à Vincent de Beauvais en effet, il emprunte d’abord les infor-

duit l’épisode par la formule In compilatione vero de vitis sanctorum de Voragine ; à la fin de la deuxième partie, le dernier paragraphe de la Vie du disciple Thadée comporte une référence à la Légende dorée introduite ainsi …scribitur in vitis novis de Voragine in hystoria seu legenda apostolorum Symonis et Jude ; dans la partie du Speculum sanctorale consacrée aux martyrs, Bernard Gui cite nommément le travail de l’archevêque de Gênes à deux reprises : après la Passion de sainte Agnès d’abord, Bernard Gui introduit le récit du prêtre Paulin détourné de l’envie de se marier par l’image de la sainte par l’expression : In compilatio vero de Voragine scribitur… ; plus loin, à l’issue du récit consacré à saint Christophe, Bernard Gui avoue son recours à la Légende dorée en disant : Hec ex gestis sancti Christofori collegimus que ad manum habere potuimus. Referuntur autem quedam alia gesta ejus que nos non invenius de quibus sit mensio in compilatione de Voragine que appelatur de vitis novis. À ces quatre citations précises du nom de Jacques de Voragine, au cœur de plusieurs légendes du Speculum sanctorale, il faut ajouter l’inscription marginale de l’expression ex vitis novis en regard de trois commentaires successifs du martyre subi par l’apôtre Barthélemy. De même, au sujet de la mort de l’apôtre Philippe, Bernard Gui tient de la Légende dorée le fait qu’il fut crucifié par des infidèles : il introduit alors le passage par l’expression In quibusdam gestis specialiter in compilatione nova… 34   In speculo vero hystoriali Vincentii libro XXI°, capitulo XIIII°, scribitur…, ms 481, IV, fol. 105v°. 35   Hec ex gestis ejus excerpta sunt ex speculo hystoriali Vincentii libro XV°, capitulo XII°, ms 481, IV, fol. 119. 36   Les renvois au Speculum historiale de Vincent de Beauvais se trouvent en marge du récit de la translation du corps de l’apôtre Barthélemy en Sicile et en marge du recueil des miracles de Jacques le Majeur.

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mations qui étaient contenues dans la Chronique de Sigebert de Gembloux37, mais aussi l’utilisation du Livre des hommes illustres de saint Jérôme. Ainsi, Bernard Gui a su tirer profit des différences et de la complémentarité des deux grandes compilations dominicaines du xiiie siècle. Parallèlement, il reproduit à l’identique un certain nombre de textes présents dans les collections de ses devanciers. Il est remarquable qu’il s’agisse, à une écrasante majorité, de récits courts, relatant soit des miracles post mortem38 soit des translations de reliques39, soit encore des éléments de commentaires extrêmement bien structurés40. Finalement, le Speculum sanctorale rend compte de trois manières de l’identité hagiographique dominicaine construite au siècle précédent : il respecte un fonds hagiographique commun, établit une concordance avec l’évolution du calendrier et de l’office et copie de longs extraits tirés des œuvres de Vincent de Beauvais et Jacques de Voragine. B– Dépasser l’héritage La caractéristique la plus évidente du Speculum sanctorale est sa capacité à s’inscrire dans l’héritage dominicain, que ce soit du point de vue du sanctoral, de celui des sources ou de la manière de les exploiter, tout en revendiquant l’ambition de les faire évoluer. Cette tension entre archaïsme et nouveauté, retour aux sources et prise en compte des apports intellectuels ou des besoins 37   C’est le cas par exemple pour le récit de l’arrivée à Constantinople du corps de Jean Baptiste, pour le commentaire de la Passion de saint Étienne ou le récit de la translation des reliques des martyrs Marcellin et Pierre. Par ailleurs, cette utilisation de Sigebert de Gembloux par l’intermédiaire de Vincent de Beauvais est conforme à ce qu’Anne-Marie Lamarrigue a relevé concernant l’écriture par Bernard Gui de sa Chronique des rois de France (voir A.-M. L amarrigue, Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, 2000, p. 80). 38   Dans le Speculum historiale, Bernard Gui trouve tous les miracles de Jacques le Majeur, un miracle de saint Laurent et un autre de saint Symphorien, qui étaient initialement rapportés par Grégoire de Tours. De la Légende dorée, Bernard Gui retient les miracles accomplis par le Baptiste, mais aussi par quelques unes des Onze mille vierges, les miracles de Thomas de Canterbury, ceux qui sont accomplis par les chaînes de saint Pierre, le récit de la découverte de la tête de saint Paul et de son union miraculeuse avec le reste du corps de l’apôtre, l’évocation de la fontaine miraculeuse qui suit la Vie de saint André, et les miracles de saint Marc. 39   Au Speculum de Vincent de Beauvais, Bernard Gui emprunte littéralement le récit de la translation des reliques de saint Jean-Baptiste à Constantinople, du corps de Barthélemy en Sicile, de Marcellin et Pierre. À la Légende dorée, il emprunte la translation du corps de saint Marc, et encore l’arrivée du corps de saint Clément à Rome. 40   Voir par exemple l’argumentation en trois points tirée de la Légende dorée et visant à justifier l’institution d’une fête de la Chaire de saint Pierre (Légende dorée, éd. G. P. Maggioni, p. 273275 ; Speculum sanctorale, ms 480, fol. 30) puis de celle de Saint-Pierre-aux-liens (Légende dorée, ouv. cité, p. 703-708 ; Speculum sanctorale, ms 480, fol. 31) ou encore le commentaire des différents extraits des Actes des apôtres dans la Vie de saint Étienne (Légende dorée, ouv. cité, p. 79-86 ; Speculum sanctorale, ms 481, fol. 2v°).

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de son siècle montre que si les recherches du xiiie siècle ont porté un projet d’identification, elles n’ont pas pour autant tué dans l’œuf toute volonté d’évolution ni grippé toute velléité de mise à jour. Les nouveautés qu’entend apporter Bernard Gui aux collections hagiographiques de ses prédécesseurs touchent à la fois le peuple des saints et le récit de leur Vie. Il faudra donc voir en quoi son Speculum retouche le sanctoral des collections antérieures. Par ailleurs, les attaques qu’il formule à l’endroit de l’abréviation excessive et conduite d’une mauvaise manière poussent à s’attarder sur les sources qu’il retient mais aussi sur la façon dont il les utilise et les agence entre elles. 1– Étendre le peuple des saints a– Le prologue à l’épreuve des faits Le prologue du Speculum sanctorale fait de l’extension du sanctoral la justification majeure de la compilation d’un nouveau légendier. Ainsi, à côté des saints qui ont été prioritairement retenus car ils appartenaient soit au sanctoral de l’office soit au corpus universel des autres légendiers dominicains, s’ajoutent soixante-et-un textes. En ce qui les concerne, l’intérêt est d’abord de comprendre dans quelles directions Bernard Gui a souhaité ouvrir son corpus. Il est remarquable que, si Bernard Gui inclut la totalité des saints retenus dans les documents normatifs encadrant la vie religieuse des frères, il ne fait pas du tout la synthèse du sanctoral retenu par ces prédécesseurs. Au contraire, la confrontation des sommaires de leurs collections hagiographiques respectives montre qu’il y a opéré un tri, retenant certains saints pour mieux en éliminer d’autres. Ainsi, s’il inscrit dans son légendier une vingtaine de saints41 qui ne se trouvaient avant lui que dans celui de Barthélemy de Trente, il en laisse bien plus de côté : plus de soixante-dix saints de ce légendier n’ont pas le privilège de conserver leur place dans l’hagiographie dominicaine écrite par Bernard Gui. Ce sont précisément ceux qui font avant tout l’objet de cultes

  Vingt cinq saints sont présents dans le Liber epilogorum in gesta santorum et dans le Speculum sanctorale. Dans la liste suivante, le nom des saints est suivi de sa référence (numéro de chapitre) dans l’édition du légendier de Barthélemy de Trente (B.  da Trento, Liber epilogorum in gesta sanctorum, edizione critica a cura di Emore Paoli, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 2001) et du numéro de folio dans le manuscrit toulousain du Speculum : Affre (chap. 261/III, 69), Anne (chap. 243/IV, 95), Antoine de Padoue (chap. 195/IV, 17v°), Aubin (chap. 72/IV, 35v°), Barbara (chap. 7/III, 120v°), Boniface (chap. 190/III, 47v°), Brigitte (chap. 57/IV, 27), Cucufat (chap. 292/III, 60v°), Damase (chap. 12/IV, 204v°), Dorothée (chap. 63/III, 25v°), Félix (chap. 246/III, 66v°), Genès (chap. 279/III, 79), Germain (chap. 313/IV, 99v°), Guillaume de Gellone (chap. 180/IV, 75v°), Marcel et Apulée (chap. 318/III, 97v°), Médard (chap. 191/IV, 81v°), Prosper (chap. 209/IV, 88), les Quarante militaires (chap. 74/III, 29v°), Réparate (chap. 320/III, 99), Ruf (chap. 281/III, 81v°), Servais (chap. 170/IV, 206), Simon (chap. 69/II, 143), Suzanne (chap. 266/III, 75v°), Symphorose (chap. 213/III, 58v°), Victor et Corone (chap. 172/III, 45).

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locaux. Le constat est le même lorsque l’on confronte le sanctoral du Speculum à celui de l’Abbreviatio de Jean de Mailly : une quinzaine de saints présents dans l’Abbreviatio ne se retrouve pas dans le Speculum sanctorale. Au nombre de ceux-ci se comptent Clément évêque de Metz ou encore Marien, Pèlerin et Amatre, particulièrement vénérés dans la région d’Auxerre. Bernard Gui ne retient donc que quelques saints chez Jean de Mailly, mais en rejette trois ou quatre fois plus, ceux qui justement sont les plus liés au contexte local. Cette opération peut donc se lire comme une poursuite de l’universalisation du sanctoral dominicain et de sa fermeture aux saints locaux, déjà sensible dans la Légende dorée. Ces éléments poussent à porter un autre regard sur les justifications avancées par Bernard Gui dans le prologue du Speculum sanctorale : en effet, comment interpréter la critique qu’il exprime à l’endroit des collections antérieures, accusées d’avoir laissé de côté trop de saints, quand lui-même ne retient pas la totalité du corpus de ses prédécesseurs ? Non seulement Bernard Gui écarte plusieurs saints retenus par ses devanciers, mais encore, et contre toute attente, il n’enrichit pas plus le corpus hagiographique que n’a pu le faire avant lui Barthélemy de Trente par exemple : le Liber epilogorum in gesta sanctorum donne à lire soixante-dix Vies de saints qui ne sont inscrites dans aucun autre légendier dominicain, quand Bernard Gui en ajoute un petit peu moins à ce que l’on a considéré plus haut comme le fonds hagiographique commun. Autrement dit, à ne considérer que les légendiers dominicains, il y avait bien, dans les précédents au Speculum sanctorale, le choix d’un très grand nombre de saints. Leur ampleur et leur diversité sont de nature à donner l’image de la grande variété du peuple des saints. Du coup, la réprobation de Bernard Gui contre ces collections qui en ont trop oublié ne peut être comprise comme une critique seulement quantitative. Son ambition n’est pas tant de mettre à l’honneur un très grand nombre de saints que d’en choisir d’autres. Au bout du compte, la confrontation du prologue du Speculum avec le contenu de chacun des légendiers dominicains conduit à voir dans la dénonciation des oublis de ses prédécesseurs l’annonce que son projet sera plus un recentrage qu’un élargissement des collections antérieures. b– Entre uniformisation et diversification, un nouvel équilibre Après avoir laissé de côté, comme l’avait fait avant lui Jacques de Voragine, les saints locaux retenus par Jean de Mailly et Barthélemy de Trente, Bernard Gui, fidèle à l’annonce du prologue, ajoute soixante-et-un textes qui lorsqu’il écrit, sont absents des collections de l’ordre42. Dans quelles directions a-t-il 42

  Voir à l’annexe 3, le tableau de comparaison du sanctoral des légendiers dominicains.

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souhaité ouvrir son corpus ? Il aurait été bien trop simple que la question puisse se résoudre par une réponse unique. Au contraire, la nécessité de devoir avancer plusieurs propositions pour trouver une raison d’être à chacun de ces ajouts montre que le travail de Bernard Gui a sans doute été porté par plusieurs logiques, dont la clarté n’est d’ailleurs pas toujours d’une grande évidence. Parmi les saints dont la présence ne pose guère de problème de compréhension, se trouvent d’abord ceux qui sont entrés au calendrier de l’ordre des prêcheurs après l’adoption et la diffusion de l’archétype43. Leur insertion montre que Bernard Gui a voulu mettre son légendier en résonance avec les documents qui ont circonscrit une sainteté de l’ordre. À cet égard, c’est la comparaison des légendiers dominicains qui conduit à dire que ces saints, absents des collections précédentes, sont ici des ajouts : si Bernard Gui a utilisé le sanctoral de l’office comme la base à partir de laquelle s’est étoffé le sanctoral du Speculum, il ne les a probablement pas conçus comme tels. Quoiqu’il en soit, leur présence renforce encore la dépendance du légendier avec les documents qui, chez les prêcheurs, normalisent la pratique du culte des saints. À côté des saints récemment inscrits au calendrier, le corpus du Speculum sanctorale enfle sous l’effet d’une division des grandes « sagas » hagiographiques en autant de textes qu’il y a d’individus remarquables dans le récit de départ. Le cas qui illustre le mieux cette façon de faire est celui de la Vie des saints Nérée et Achillée : leur Passion (BHL 6058) rapporte que ces deux soldats refusèrent de prêter serment à l’empereur puis poussèrent Domitille à refuser d’épouser un aristocrate romain. Leur exil sur l’île Poncia, partagé avec de nombreux autres chrétiens est l’occasion d’une galerie de portraits qu’utilise Bernard Gui pour créer six notices hagiographiques différentes à partir d’une source unique44. Suivant la même logique, les actes de sainte Valérie ou de saint Alpinien sont extraits du cycle de saint Martial. De même, la Passion de sainte Nathalie est racontée indépendamment du martyre d’Adrien son époux et celle de Pélagie indépendamment de celle d’Yrieix, son fils. Ceci dit, ce procédé – qui révèle beaucoup sur l’œuvre et l’écriture hagiographique de Bernard Gui – n’explique qu’un tout petit nombre des ajouts du Speculum sanctorale. Le même souci de mieux individualiser les figures des saints pousse Bernard Gui à ajouter à son Speculum des saints pour lesquels la production d’actes précis permet de lever l’ambiguïté avec un homonyme. C’est ainsi que peut   Il s’agit des saints Édouard, Louis, Pierre Célestin, Wenceslas et Thomas d’Aquin.   De la Passio BHL 6058, Bernard Gui extrait les actes de Nérée et Achillée, de sainte Domitille, d’Eutice, Victorin et Maron, de Marcel, de Félicule et de Nicomède. Cette déstructuration du cycle hagiographique initial est accentuée par le choix d’une date liturgique particulière pour chacun de ces héros.

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s’expliquer la présence dans le seul légendier de Bernard Gui d’un saint Léonard de Limoges, distinct de celui de Corbie, d’Eulalie de Barcelone, séparée de son homonyme de Mérida, d’un évêque Valentin différent du prêtre, du second saint Machaire ou du deuxième Genès. Là encore, Bernard Gui reprend à son compte et généralise une préoccupation qui n’a rien d’inédit puisqu’elle avait, entre autre, conduit Jean de Mailly à distinguer deux saintes nommées Sabine45. Jacques de Voragine reprend l’économie générale de ce chapitre tiré de l’Abbreviatio in gesta sanctorum, de même qu’il engage plus loin une réflexion critique pour résoudre les problèmes d’homonymie auxquels il s’est heurté pour rendre compte de la Vie d’Eusèbe de Verceil  : il explique alors que l’évêque Eusèbe mentionné dans la Vie de saint Germain doit être distingué de l’évêque de Verceil qui fut martyr, puisque la mort de ce dernier est antérieure de 50 ans à celle de saint Germain46. Pour autant, ce désir de débusquer les amalgames et d’éviter les confusions ne pousse pas Jacques de Voragine à produire pour ces homonymes des Vies différenciées : son texte dédié à saint Machaire, comme la légende de Saturnin, mêlent allègrement les données hagiographiques diffusées traditionnellement pour des saints différents47. Au contraire, lorsque Bernard Gui intègre Machaire à la quatrième partie du Speculum sanctorale, il fait l’effort de produire des Vies distinctes, copiées l’une à la suite de l’autre, ce qui produit l’effet d’une critique à peine déguisée de la solution de facilité exposée dans la Légende dorée. Cet exemple du traitement des deux saint Machaire est d’ailleurs un assez bon exemple de ce qui est, pour Bernard Gui, le principal inconvénient d’une abréviation excessive (elle génère trop d’obscurité) et de la réponse qu’il convient d’y apporter. Bernard Gui ajoute encore à son corpus une petite vingtaine de saints dont les raisons de la présence se laissent deviner moins facilement. Il faut dire qu’énoncer cette liste à quelque chose d’un inventaire à la Prévert : un pape (Anaclet), des disciples (Céphas, Nathanaël, Thadée), des martyrs (Agricol et Vitalis, Baudile), des abbés (Bonito), des évêques (Grégoire de Tours)… S’y ajoute encore une série de saints méridionaux, dont la présence dans le Speculum sanctorale, contrairement aux apparences, pose un problème d’interprétation. Une fois que le sanctoral de chaque légendier dominicain a été inventorié en regard de celui des trois autres48, la première lecture de la liste des saints qui ne figurent qu’au sommaire du Speculum sanctorale renvoie   J. de M ailly, Abbreviatio in gesta sanctorum, trad. A. Dondaine, éd. Cerf, 1947, p. 377.   J.  de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 564 et 1316, n. 17. 47   Voir le commentaire de ce texte dans J. de Voragine, La Légende dorée, ouv. cité, p. 1118 pour Machaire, et p. 1469-1470 pour Saturnin. 48   Voir le tableau de l’annexe 3. 45

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l’image d’une supériorité numérique des saints du Midi. Cette situation conduit à supposer que le Speculum se voulait d’abord un miroir de la sainteté méridionale. Outre l’ancrage de la carrière ecclésiastique de Bernard Gui dans le sud-ouest, que renforcent d’ailleurs ses rares incursions dans des régions plus lointaines49, cette interprétation est encouragée par la nature des compilations hagiographiques auxquelles se consacre Bernard Gui avant de répondre à la commande de Bérenger de Landorre : saints du Limousin et du Toulousain semblent n’avoir aucun secret pour lui et c’est d’ailleurs ceux qui sont les mieux représentés parmi ceux qui, absents des légendiers dominicains antérieurs, trouvent une place dans le Speculum sanctorale. Or, cette interprétation, sans devoir être rejetée complètement, appelle des nuances. En effet, il est apparu peu à peu qu’isoler d’emblée les saints du Midi en une catégorie spécifique par nature n’était pas toujours justifié dans la mesure où leur inclusion dans ce légendier répond aussi aux critères précédemment énoncés. Ainsi, la volonté de différencier les saints homonymes en produisant des Vies bien distinctes explique, aussi, la présence de Léonard de Limoges50 ou d’Amand de Rodez51. De même, le désir de scinder les « sagas hagiographiques » en autant de Vies séparées que possible explique la bonne représentation de la sainteté limousine : le cycle de saint Martial est suffisamment riche pour permettre à Bernard Gui d’insérer les figures d’Alpinien et de Valérie. Finalement, une partie des saints vénérés dans le Midi entrent dans le Speculum sanctorale pour les mêmes raisons que celles qui ont poussé Bernard Gui à traiter de Machaire d’Alexandrie ou de Valentin, évêque décapité à Entrains. Par ailleurs, il est intéressant de noter que pour l’essentiel des saints méridionaux, le statut de saints locaux est discutable. En effet, la consultation des calendriers liturgiques montre que leur culte n’est que rarement circonscrit à un diocèse et qu’il s’est généralement répandu dans un Midi large et même à des communautés septentrionales. Saint Exupère, par exemple, est naturellement inscrit au calendrier du diocèse de Comminges52, où la tradition situe ses origines, et au calendrier de Toulouse53, où il fut évêque, mais sa mémoire

  Il est malade en Italie et il refuse l’évêché de Tùy.   Dans ce cas, la raison semble d’autant plus valable que la Vie de Léonard de Corbie est copiée à la suite de celle de Léonard de Limoges alors que le respect du calendrier liturgique imposait que les deux textes sont éloignés l’un de l’autre. 51   La quatrième partie du Speculum sanctorale rapporte les actes de saint Amand de Trêves et de saint Amand de Rodez. 52   Diurnal de Comminges, du xiie siècle, (Paris, BnF, ms lat. 17298). 53   Missel de Toulouse, du xiv e siècle (Paris, BnF, ms lat. 837 ; Voir Leroquais, Missel, p. 493). 49 50

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est aussi célébrée à Oloron54 et Arles55. Baudile, martyrisé à Nîmes, est fêté à Tulle56, Fréjus57, Arles58, Béziers59, Maguelone60. Caprais, martyr d’Agen, patron de la collégiale, est présent dans plus de calendriers du nord de la France que du Midi61. Or, ces caractéristiques gagnent à être rapprochées des angles que privilégie Bernard Gui lorsqu’il compile ces Vitae : s’il inscrit au sommaire du Speculum sanctorale Saturnin de Toulouse, Alpinien de Limoges, Georges du Puy, Front de Périgueux, ce n’est pas tant pour faire d’eux les figures tutélaires de telle ou telle communauté que pour les hisser au rang des disciples du Christ. L’exemple de saint Pons, même s’il n’a rien d’un disciple du Christ, illustre encore cette logique de fond : Bernard Gui, en effet, raconte ses actes sans rien négliger de son passage à Nice et de ses reliques probablement conservées à Saint-Pons-de-Thomières, au diocèse de Narbonne. Pourtant, au cours de la campagne de remaniements qu’il apporte à la première version du légendier, il choisit de déplacer le texte consacré à saint Pons, délaissant la fête du diocèse de Nice au profit de celle du calendrier romain. Naturellement, tous les saints du Midi présents dans le Speculum sanctorale ne se prêtent pas à cette lecture universalisante : Sacerdos, Pardoux, Yrieix, Junien, n’entrent dans ce grand légendier universel et encyclopédique que parce que le limousin Bernard Gui a été chargé de la compilation. Dès lors, on ne peut totalement négliger l’intérêt qu’a cultivé Bernard Gui pour la sainteté locale. Il n’en reste pas moins que, beaucoup des saints locaux ajoutés à son légendier, sont mis en scène d’une manière qui modifie la portée et les représentations. Cette logique rejoint, d’une certaine manière, celle qui consiste à mettre en avant les saints de l’Église universelle. Au bout du compte, l’ouverture du sanctoral n’engendre pas une réelle diversification du légendier dominicain et, dans une certaine mesure, le choix des saints méridionaux en confirme les lignes de force. Finalement, la nouveauté vient du fait que l’universalisation ne passe pas par le rejet des cultes locaux, mais par la relecture de leurs Vies.

  Fragment d’un bréviaire d’Oloron du xiv e siècle (Paris, BnF, ms lat. 1279 ; Voir V. Leroquais, Bréviaire, p. 552). 55   Missel de Saint-Trophime d’Arles, du xiv e siècle (Paris, BnF, ms lat. 875 ; Voir V. Leroquais, Missel, p. 376). 56   Bréviaire de Saint-Martin de Tulle, du xiiie siècle (Paris, BnF, ms lat. 1256 ; Voir V. Leroquais, Bréviaire, p. 528). 57   Psautier de Fréjus, du xiv e siècle (Paris, BnF, ms lat. 767 ; voir V. Leroquais, Psautier, p. 291). 58   Antiphonnaire d’Arles du xiv e siècle (Paris, BnF, ms lat. 782). 59   Missel de Béziers, (Paris, BnF, ms nouv. acq. lat. 297 ; voir V. Leroquais, Missel, p. 459). 60   Missel de Maguelone, xiv e siècle (Paris, BnF, ms lat. 14447 ; Voir V. Leroquais, Missel, p. 489). 61   Pour le xiv e siècle, le rapport est de un à cinq. 54

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2– Le retour aux sources La recherche des sources et la collation des textes permettent de toucher le cœur du travail de compilation, de cerner les choix du compilateur en même temps que de pénétrer sa culture. Depuis une vingtaine d’années, et dans le sillon tracé par les travaux de Bernard Guenée, l’ars colligendi est devenu un sujet d’étude en soi, notamment tel qu’il s’expose dans les chroniques62. C’est dans ce cadre que les écrits historiques de Bernard Gui ont été systématiquement étudiés par Anne-Marie Lamarrigue63. Dans le cadre de monographies, un tout petit nombre de textes du Speculum sanctorale ont aussi bénéficié d’une telle approche64. Ce n’est pas l’optique adoptée ici. Certes, le repérage des sources et de la manière dont elles ont été compilées a été réalisé, mais dans une perspective qui ne vise pas à la monographie mais à la comparaison. Il apparaît, en effet, que l’étude d’une technique d’écriture est plus intéressante si elle permet de savoir comment le compilateur se démarque de ses devanciers ou de ses contemporains. D’ailleurs, le contexte de la création du Speculum impose de ne pas perdre de vue cette perspective : en réponse à une commande, il entend se distinguer de l’hagiographie du xiiie siècle, présentée comme fortement « niveleuse ». Les sources sélectionnées et ordonnées en vue de la composition du Speculum sanctorale sont nombreuses. C’est bien ce que laissaient présager les objectifs revendiqués au seuil de l’œuvre. Le volume d’analyse témoigne de l’importance et de la diversité des textes que Bernard Gui, met à profit, plus ou moins fidèlement. D’abord, il domine la matière des légendiers abrégés de Vincent de Beauvais et de Jacques de Voragine, qu’il utilise soit pour reproduire des épisodes des Vies de saints, soit pour en extraire quelques mots ou expressions. Comme ses prédécesseurs, il maîtrise les grandes collections comme l’Histoire ecclésiastique, l’Histoire tripartite, ou les recueils d’Autorités patristiques qui se sont multipliés avec le développement universitaire de la scolas-

  Il faut évidemment citer B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’occident médiéval, éd. Aubier, collection historique, 1980 et « L’historien et la compilation au xiiie siècle », Journal des Savants, 1985, p. 189-215. 63   A.-M. L amarrigue, « La méthode historique de Bernard Gui d’après la Chronique des rois de France », Bernard Gui et son monde, CF, t. 16, p. 205-220, et surtout Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, Paris, 2000. 64   Voir l’étude de la Vie de saint Dominique menée par S. Tugwell (Vita sancti Dominici, éd. S. Tugwell, Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, MOPH, t. XXVII, Rome, 1998) et les travaux d’A.-M. Bultot-Verleysen sur Géraud d’Aurillac (« Le Speculum sanctorale de Bernard Gui, témoin d’un intérêt pour la vita de saint Géraud d’Aurillac au xiv e siècle », Scribere sanctorum gesta, recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, éd. Renard É., Trigalet M., Hermand X. et Bertrand P., éd. Brepols, Turnhout, 2005, p. 367-398). 62

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tique et qu’il emploie pour ajouter quelques commentaires aux faits édifiants qu’il rapporte. Mais la caractéristique la plus marquée de son travail reste sa volonté de revenir aux versions les plus longues des Vies de saint. a– La recherche de textes longs Dans la majeure partie des cas, les sources du Speculum sanctorale sont relativement simples à identifier, même si le fait que Bernard Gui supprime presque systématiquement l’incipit des textes qu’il copie empêche de s’appuyer d’emblée sur les usuels incontournables – comme la Bibliotheca hagiographica latina – pour effectuer ces identifications. La recherche des sources a été menée pour la totalité des textes du légendier de Bernard Gui. Il est malgré tout resté quelques textes pour lesquels l’identification des sources utilisées par Bernard Gui est restée infructueuse. Cela tient essentiellement à deux séries d’éléments. Tout d’abord, il y a quelques Vies inscrites dans le Speculum pour lesquelles on peut produire le manuscrit qui a servi au travail du compilateur. Celui-ci donne à lire une version complète de la Vie du saint, mais sa recension est encore ignorée des Bollandistes qui ont produit les instruments de travail à partir desquels les textes hagiographiques sont traditionnellement identifiés65. Dès lors, dans plusieurs cas (voir par exemple les Vies de l’apôtre Barthélemy, les martyrs Maurice, Cyprien et Justine, Caprais, Quentin et Anastasie), on se trouve dans la situation inédite de tenir à coup sûr la source copiée66 mais de ne pouvoir la rapprocher des versions connues car leur incipit ou desinit, et parfois les deux, ne sont pas au nombre de ceux qui sont répertoriés dans la BHL. Du coup, dans plusieurs cas, l’identification précise des sources utilisées par Bernard Gui ne pourra progresser qu’avec l’analyse monographique approfondie de la tradition textuelle de chacun de ces saints. Cette étude n’a pas été menée dans le cadre de ce travail, et reste donc à faire. Bien sûr, il est plus satisfaisant de pouvoir situer le matériau de Bernard Gui dans un dossier hagiographique étroitement balisé par la critique moderne, mais d’un autre côté, tenir des textes inédits – ne serait-ce que par un simple remaniement de l’incipit – ne l’est pas moins. De toute façon, cette situation ne perturbe guère l’analyse de la compilation du Speculum sanctorale puisque le manuscrit copié est connu. Ce n’est pas le cas des quelques textes du Speculum sanctorale pour

  Ces lacunes tiennent sans doute au fait que les Bollandistes ont, jusqu’ici, essentiellement dépouillé les manuscrits hagiographiques des bibliothèques du nord et de l’est. Le sud de la France, qu’il s’agisse du Languedoc ou de la Provence, à l’exception notoire de Montpellier, est absent des catalogues de manuscrits hagiographiques publiés. 66   Dans tous ces cas, la source copiée par Bernard Gui se trouve dans le manuscrit 479 de la bibliothèque municipale de Toulouse, issu du couvent dominicain de cette ville. Pour les détails de cette filiation entre les documents, voir infra. 65

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lesquels la recherche des sources a également avorté, mais cette fois sans même permettre de retrouver un quelconque modèle manuscrit. Ainsi, la Vie de saint Genès d’Arles, que Bernard Gui copie dans son légendier ne peut être rapprochée de manière convaincante d’aucune autre source connue et répertoriée. Pour autant, il faut exclure l’idée que Bernard Gui ait pu la forger entièrement, tant cette attitude est étrangère, non seulement à sa manière de travailler67, mais encore à ses objectifs68. Encore une fois, ces lacunes ne peuvent trouver de solution qu’avec la recherche et le classement de tous les textes relatifs au saint : le cas de sainte Valérie par exemple montre que le texte rédigé par Bernard Gui pour son Speculum s’appuie sur un office canonial du xiv e siècle69. Heureusement, ces situations problématiques sont marginales. Ainsi, lorsqu’il est amené à compiler les Vies de tous les autres saints, Bernard Gui se conforme à la position avancée dans le prologue : si ses devanciers ont négligé trop d’épisodes des Vies de saints qu’ils racontent, il sera celui qui les restituera. Si l’on exclut la réécriture systématique de l’incipit – sur laquelle il convient de revenir – et l’abandon de la doxologie, abrègement classique dans le cas de la réunion de Vitae dans un légendier, les cas où Bernard Gui rend compte fidèlement de textes longs, aux dépens des epitomés rédigés par ses prédécesseurs sont les plus nombreux70. Cette recherche des textes longs semble bien être au fondement du Speculum sanctorale. Ce fut en effet la préoccupation majeure de Bernard Gui puisque, pour plus de 80% des textes de son légendier, il ne se contente pas des abrégés qui ont été produits par les frères de son ordre. D’un point de vue technique, le volume d’analyses montre, sans conteste, que lorsqu’on dispose d’une édition de la source de Bernard Gui, le texte du Speculum suit son modèle paragraphe par paragraphe, et souvent mot à mot. D’ailleurs, lorsque ses investigations ont été infructueuses, il déplore de ne pas avoir trouvé de textes plus longs, tout en laissant entendre que les recherches ne sont pas abandonnées pour autant. Dans le titre du chapitre, après le nom du saint et le jour de

  Bernard Gui ne fait qu’une utilisation très modérée de la réécriture de ses sources : voir infra l’exposé de ses techniques compilatoires. 68   Dans le prologue du Speculum sanctorale, Bernard Gui annonce qu’il va rassembler une matière disparate, sans pour autant chercher à faire une œuvre inédite. 69   Dans le cas de cette sainte du Limousin, la piste est fournie par les travaux de J.-L. Lemaitre, « Sainte Valérie. Sa vie, son culte, d’après les textes limousins », Valérie et Thomas Becket. De l’influence des princes Plantagenêt dans l’œuvre de Limoges, Limoges, 1999, p. 19-44. 70   On verra par exemple les restitutions par Bernard Gui de la Vie de Jacques le Majeur (BHL 4057), de Matthieu (BHL 5690), d’André (BHL 428), de Thomas (BHL 8136), de Jean (BHL 4320), de Valentin (BHL 8463), de la translation du corps d’Étienne (BHL 7878), de Pancrace (BHL 6420), de Rufine et Seconde (BHL 7359), d’Hippolyte (BHL 3961), de Colombe (BHL 1893-1894), de Blaise (BHL 1370), de Dorothée (BHL 2323), etc. 67

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sa fête, il présente ainsi sa source : « …d’après sa vie, que nous n’avons pas encore pu trouver dans son intégralité »71. La recherche de Vies complètes est bien à mettre au crédit de la compilation du Speculum sanctorale car les textes qui, malgré leurs lacunes, ont été intégrés à la première version du Catalogue des soixante-douze disciples, sont complétés au bénéfice de la rédaction du grand légendier. Les recherches que Bernard Gui entame pour sa compilation lui permettent de revenir à son traité sur l’apostolicité : le texte dédié à l’évangéliste Luc est augmenté d’une longue citation du chapitre 7 du Livre des hommes illustres de Jérôme ; la simple phrase évoquant saint Maximin a désormais l’allure d’une courte Vie et le statut de disciple de Georges s’appuie sur l’abrègement de la Vie exhumée pour l’écriture du Speculum. C’est bien les ambitions placées dans ce grand légendier qui impulsent des recherches nouvelles, plus exhaustives et, incidemment, complètent les travaux antérieurs. En revenant aux textes complets, Bernard Gui restaure le déroulement chronologique des Vies, que certains abréviateurs n’avaient pas hésité à bouleverser. Jean de Mailly ou Jacques de Voragine, par exemple, ont eu tendance à décontextualiser les épisodes des vies des saints72. Ainsi, lorsque ce dernier compile la vie de saint Bernard, il n’hésite pas à bouleverser l’ordre chronologique. Finalement, seuls les moments de la naissance, de l’entrée au monastère et de la mort s’inscrivent dans un cadre chronologique alors que le reste des épisodes est juxtaposé sans souci d’un enchaînement logique. Le Speculum sanctorale au contraire donne à lire des textes imprégnés du déroulement chronologique des épisodes de la Vie du saint. C’est le cas pour la Vie de saint Jacques, mais aussi pour celle de saint Nicolas où Bernard Gui débute par les origines et l’enfance du saint, évoque sa vie, puis les miracles accomplis de son vivant, sa mort, les miracles post mortem, la destruction de son tombeau puis la translation de ses reliques à Bari en 1087. Même si l’on ne saurait négliger l’intérêt de Bernard Gui pour l’histoire, il est plus prudent de mettre cet effort de réorganisation au crédit de sa fidélité aux sources. Qu’est-ce qui a ainsi motivé Bernard Gui à rechercher des textes longs et à les copier au détriment des abrégés produits par ses frères en religion  ?   …que gesta ejus ad integrum nondum potuimus invenire : la phrase se trouve au début de la Vie du pape Clet (III, fol. 33v°) et avec quelques aménagements, à la fin de la Passion d’Épimache (ms 481, III, fol. 40v°), à la fin de la Vie de saint Maximin d’Aix (ms 480, II, fol. 139), de saint Joseph ms 480, II, fol. 139v°), de saint Jude (ms 480, II, fol. 142), de saint Syle (ms 480, II, fol. 142v°) de saint Céphas (ms 480, II, fol. 142v°), de saint Marc (ms 481, IV, fol. 156), de saint Édouard (ms 481, IV, fol. 157), de saint Léonard de Corbie (ms 481, IV, 169), de saint Damase (ms 481, IV, fol. 205), de Bède (ms 481, IV, fol. 205v°). 72   C’est notamment ce que montre A. Boureau, « Saint Bernard dans les légendiers dominicains du xiiie siècle », Vies et légendes de saint Bernard de Clairvaux, Cîteaux, 1994, 84-90. 71

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Peut-on par exemple établir que ce parti pris ait pu être motivé par la volonté de restituer des épisodes particulièrement – sinon systématiquement – négligés par ses prédécesseurs ? Le nombre important de travaux qui ont porté sur les légendiers abrégés n’a pas abordé la question sous cet angle. Revenons donc aux textes, la lecture des Vies résumées que proposent Vincent de Beauvais, Jean de Mailly et Jacques de Voragine nous apprend que, s’ils ont fait le choix de s’en tenir aux moments les plus intenses et dramatiques (martyres, miracles, conversions…), ils ont souvent conservé l’économie du texte dans une synthèse qui, au fond, ne néglige aucun épisode crucial73. À l’exception des origines géographiques et sociologiques du saint, qui sont généralement passées sous silence, ils n’écartent spécialement aucun type précis d’épisodes. Dans ces conditions, il est difficile de penser que Bernard Gui ait pu vouloir réhabiliter des textes longs par souci de promouvoir un discours particulier sur le saint et le merveilleux. En effet, les formes de sainteté exposées dans le Speculum sont si diverses, et de l’autre côté sa copie de Vies exhaustive et si systématique, qu’on ne peut y lire un discours doctrinal. En l’état, il semble plus juste de considérer qu’à l’instar des détracteurs de l’abréviation, Bernard Gui est attaché à la sacralité du texte si bien que l’abréger c’est se montrer irrespectueux à l’égard de la tradition74. b– U  ne source privilégiée : le légendier contenu dans les manuscrits 477-478-479 de la Bibliothèque municipale de Toulouse Le nombre des Vies et des Passions autres que celles qui se trouvent dans les légendiers dominicains du xiiie siècle témoigne de la richesse des bibliothèques dans lesquelles Bernard Gui a travaillé. Malheureusement, pour le Moyen Âge, le contenu de leur fonds est mal connu75. Pour ce qui est du cou  Ce constat rejoint les observations de Monique Goullet : « L’opération de condensation est exceptionnelle chez les hagiographes, car même si parfois l’ordre des idées est très légèrement modifié, l’ensemble de l’hypotexte n’est quasiment jamais repensé, reconstruit et reformulé » (M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques, ouv. cité, p. 131). 74   Sur cette idée, voir F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », art. cité, p. 361. 75   Ce constat vaut pour les bibliothèques des couvents de prêcheurs installés en France. Cette pauvreté de la documentation est relevée par J. Verger (« Les bibliothèques dominicaines du Midi », L’ordre des Prêcheurs et son histoire en France méridionale, CF, t. 36, 2001, p. 383-394). Le seul inventaire médiéval conservé est celui du couvent de Dijon, qui date de 1307. La publication qu’en a donnée Antoine Dondaine (A. Dondaine, « La bibliothèque du couvent des Dominicains de Dijon au début du xiv e siècle (1307) », AFP, t. 7, 1937, p. 112-133) montre qu’à cette date, le couvent conserve 131 volumes, ce qui était sans doute représentatif de lieux qui n’étaient pas des centres intellectuels importants pour l’ordre. L’essentiel du fonds se compose d’ouvrages de théologie, d’instruments de travail comme des gloses ou les concordances, et des recueils de textes des Pères latins. Comme l’histoire, l’hagiographie n’y tient qu’une place très secondaire : aucun légendier ne fait partie des ouvrages consignés dans l’inventaire de 1307. L’acquisition de la Légende dorée est postérieure à cette date, comme l’indique les notes marginales postérieures informant des acquisitions ou des pertes intervenues depuis 1307. 73

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vent de Toulouse, le plus ancien inventaire conservé date de 1683, et il reste difficile d’approcher la réalité à partir des informations qu’il délivre76. Malgré tout, il reste possible de brosser un tableau partiel des documents hagiographiques que possédait le couvent des prêcheurs de Toulouse et que Bernard Gui put consulter pour restituer les épisodes des Vies négligés par ses prédécesseurs. En effet, la Bibliothèque municipale de Toulouse conserve encore sous les côtes 477, 478 et 479 trois volumes d’une collection hagiographique homogène. Les deux premiers consignent per circulum anni uniquement des Vies de saints (le ms 477 donne les saints fêtés de décembre à août et le ms 478 ceux qui sont commémorés d’août à décembre), alors que le dernier volume rassemble des Passions de martyrs, elles aussi ordonnées suivant l’ordre du calendrier. Cette organisation bipartite stricte a retenu l’attention de François Dolbeau, qui cite cette collection comme un exemple rare de légendier séparant Vies et Passions77. Au xixe siècle, Auguste Molinier et Léopold Delisle ont rapproché cet ensemble de l’œuvre hagiographique de Bernard Gui. Molinier78 d’abord, rédacteur du catalogue de la Bibliothèque municipale de Toulouse, pense qu’il s’agit de manuscrits personnels de Bernard Gui, qu’il n’a pas rédigés, mais qui ont pu lui servir d’instruments de travail. Il s’appuie notamment sur le fait que son oncle, prêtre séculier, lui a légué des livres. Cette maigre information est contenue dans la vie anonyme de Bernard Gui copiée en tête d’un manuscrit du Speculum sanctorale79. Rien ne dit que ces livres aient été des recueils de Vies de saints. Sur les pas d’Auguste Molinier, Léopold Delisle pense, lui aussi, que Bernard Gui est étranger à leur rédaction, mais avance qu’il l’a peut-être supervisée dans le cadre du scriptorium toulousain80. La Ce constat rejoint celui qu’établit, Jacques Verger, art. cité., à partir des collections actuelles : dans les bibliothèques dominicaines du Midi, seule celle de Toulouse conserve aujourd’hui des ouvrages d’histoire et d’hagiographie (J. Verger, art. cité, p. 388) mais une grande partie de cette collection est composée des travaux de Bernard Gui. 76   L’inventaire de 1683 fut établi par le Père Laqueille, bibliothécaire du couvent. Il est conservé dans le ms 883 de la bibliothèque municipale de Toulouse. Ce document fait état de 87 manuscrits conservés dans la bibliothèque du xviie siècle. C’est peu pour une ville universitaire : la différence avec le cas de Dijon, exposé ci-dessus, est un argument contre la fiabilité de cet inventaire. Surtout, le fonds actuel fait encore état de 90 manuscrits uniquement pour les xiiie et xiv e siècles. Il est possible, mais cela reste une explication insuffisante, que le Père Laqueille ait négligé d’inventorier les documents liturgiques dont la place ordinaire était plutôt au chœur que sur les rayons de la bibliothèque. 77   F. Dolbeau, « Notes sur l’organisation interne les légendiers latins », art. cité, p. 12-31. 78   A. Molinier, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques des départements, t. VIII : « Toulouse et Nîmes », Paris, imprimerie nationale, 1885. 79   On sait que Bertrand Auteri, oncle de Bernard Gui était chantre de l’église de Saint-Yrieix, dans le diocèse de Limoges. À sa mort, et par un testament daté du 6 mars 1291, il laissa dix livres à son neveu pour acheter des livres. Cette information est tirée de l’article de B. Guenée, Entre l’Église et l’État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Age, ouv. cité, p. 52. 80   L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 293.

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proximité géographique, historique et typologique de ces manuscrits avec le Speculum sanctorale, le fait qu’Auguste Molinier identifie la main de Bernard Gui dans une note marginale rédigée en vis-à-vis de la Vie de saint Martial de Limoges81, ont conduit ces deux érudits à supposer une filiation entre les manuscrits 477-478-479 et le Speculum sanctorale, sans pour autant explorer plus avant cette piste. En l’état, seule une comparaison des manuscrits et une confrontation de leurs textes permettra d’avancer un peu dans cette voie à défaut de prononcer des conclusions définitives. Le sanctoral des manuscrits 477, 478 et 47982 est relativement important83, et partiellement superposable à celui du Speculum sanctorale (130 saints inscrits dans ces trois volumes figurent aussi dans le légendier de Bernard Gui). Si donc les manuscrits 477, 478 et 479 ne permettront pas de réfléchir à leur éventuelle influence sur tous les textes du Speculum sanctorale, ils apparaissent au moins comme une source possible de plus de 85% d’entre eux. De fait, la confrontation est payante : elle montre en effet qu’une majorité (69,2%) des textes communs aux deux collections donnent à lire la même version de la Vie du saint, le même texte de base, que Bernard Gui a pu par ailleurs adapter. Par exemple, la Passion de saint Quentin se lit dans le manuscrit 47984 dans une recension qui est aussi celle que privilégie Bernard Gui ; les récits qu’il donne des Passions de Crispin et Crispinien, Eugénie, Ferréol, les Vies de Silvestre, Germier ou de l’ermite Antoine, se fondent sur des versions qui sont aussi celles que consignent les manuscrits 477, 478 et 47985. Au total, sur les 130 textes présents à la fois dans ces documents et dans le Speculum sanctorale, un peu moins de quarante ne sont pas apparentés. Pour tous les autres, la collection des Vies et de Passion du couvent dominicain de Toulouse fournit à Bernard Gui les textes dont il a besoin pour composer un récit plus complet que celui des auteurs de légendiers abrégés.

  La note sur laquelle s’appuie A. Molinier est inscrite au folio 187 b du ms 477 : Nota quod XLVI milia hominum utriusque sexus baptizati sunt a beatissimo discipulo Christi Marciale, ad quatuor ejus predicationes, secundum quod hic invenitur scriptum. Benedictus Deus. 82   Nous regroupons ici arbitrairement le sanctoral des trois volumes manuscrits par souci de faciliter sa comparaison avec le Speculum sanctorale. Cela ne préjuge en rien du fait qu’il faille voir dans le ms 479 un complément des deux autres. Ce qui est ici privilégié, ce sont leurs origines géographiques communes. C’est d’ailleurs aussi cela qui a pu éventuellement en faire une source de Bernard Gui, car l’important ici, c’est bien qu’ils se soient trouvés sur les mêmes rayonnages, et non qu’ils aient fait partie d’un ensemble. 83   Les trois manuscrits comptent au total 150 Vies et Passions. 84   ms 479, fol. 260v°-265. 85   Toulouse, BM, ms 477, fol. 5v° (saint Silvestre), fol. 42 (saint Antoine, ermite), fol. 162v° (saint Germier), ms 479, fol. 254v°-256 (saints Crispin et Crispinien), fol. 214-215 (saint Ferréol), fol. 215-221v° (sainte Eugénie). 81

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Si le choix de versions identiques est un indice non négligeable, il n’est pas suffisant pour faire des manuscrits 477, 478 et 479 un outil de la compilation du Speculum sanctorale. Ce qui le confirme en revanche, c’est le fait que ces convergences se doublent de parentés textuelles : les notices d’Eulalie de Barcelone86, Eulalie de Mérida87, Just et Pasteur88 ou de saint Laurent89 sont des copies littérales ; les Passions de Cucufat90 et Félix de Gérone91 sont compilées à partir de larges emprunts au manuscrit 479 et de passages qui sont réécrits. Pour le chapitre consacré à saint André92, Bernard Gui copie non seulement la Vie, mais aussi la liste des miracles sans même chercher à en établir le récit, et encore la plupart des chapitres d’un traité des vertus de l’apôtre. Pour la Vie de saint Dominique, les travaux minutieux de Simon Tugwell93 ont montré que Bernard Gui puise dans le livre II des Vitas Fratrum de Géraud de Frachet94. Or, sa collation de ce texte avec tous les manuscrits connus de l’œuvre de Géraud met en évidence que c’est, sans aucun doute, du manuscrit 477 qu’il tire ces informations95 : il en reproduit les erreurs96 et expressions les plus étonnantes qui ne sont attestées que dans ce manuscrit. De plus, Bernard Gui s’en tient à ce manuscrit, ne le corrige pas à la lumière d’autres versions des Vitas Fratrum qui ne devaient pas manquer de circuler dans l’ordre, et ne la complète pas non plus avec des anecdotes placées par Géraud ailleurs que dans le livre II. L’importance des indices le montre donc : les manuscrits 477, 478 et 479, présents sur les rayons de la bibliothèque du couvent des prêcheurs de Toulouse, ont été utilisés par Bernard Gui de manière privilégiée pour la compilation du Speculum. Aux convergences textuelles et rédactionnelles s’ajoutent

  Toulouse, BM, ms 479, fol. 15v°-17.   Toulouse, BM, ms 479, fol. 17-20.   Toulouse, BM, ms 479, fol. 190v°-191v°. 89   Toulouse, BM, ms 479, fol. 195-200. 90   Toulouse, BM, ms 479, fol. 172-173v°. 91   Toulouse, BM, ms 479, fol. 186-188. 92   Toulouse, BM, ms 479, fol. 1-14. 93   Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, éd. S. Tugwell, MOPH, t. XXVII, Rome, 1998, p. 127-128. 94   Au chapitre général de 1256, Humbert de Romans commande à Géraud de Frachet de réunir les faits mémorables accomplis par les prêcheurs. Au final, ces Vitas fratrum comportent cinq livres : la naissance de l’ordre, la Vie de Dominique, celle de Jourdain de Saxe, le développement de l’ordre, la mort des frères. C’est donc le chapitre que Géraud consacre au fondateur Dominique qui est copié dans le ms 477 de Toulouse, indépendamment des autres chapitres de l’œuvre de Géraud. 95   Sous le nom de saint Dominique, le ms 477 reproduit ce livre II des Vitas Fratrum. 96   Par exemple, le copiste du manuscrit 477, et Bernard Gui à sa suite donnent unde au lieu de unum, ou plus loin questiones au lieu de quem. Sur la reproduction de ces fautes, voir Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, éd. S. Tugwell, ouv. cité, p. 128, n. 27. 86 87

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des preuves paléographiques qui n’ont pas été relevées par ceux qui ont décrit ou utilisé ces manuscrits. D’une part, la plus grande partie du texte qui compose la notice du Speculum sanctorale est copiée littéralement du manuscrit 479, sans être résumée et sans que l’ordre des phrases s’en trouve modifié. Au passage, le copiste du Speculum sanctorale corrige les fautes d’orthographe ou de syntaxe en notant en marge du manuscrit 479 le mot qui convient et en l’intégrant dans le texte du Speculum sanctorale97. D’autre part, il exite, dans la marge du manuscrit 479, un certain nombre de traits verticaux encadrés de deux points (ou parfois trois). Les marques marginales montrent qu’à un moment donné le manuscrit 479 fut considéré comme un document de travail. On note par ailleurs que chaque passage ainsi marqué est absent du texte du Speculum sanctorale : ces traits verticaux sont donc des marques de suppression. Cela donne des indices sur la technique de compilation en montrant la simplicité de la méthode de travail de Bernard Gui : ici, il travaille par coupe franche. Sans chercher des formulations plus synthétiques, il élimine purement et simplement les détails qu’il juge mineurs, ou « superflus » pour reprendre l’expression qu’il utilise fréquemment quand il précise l’abrègement de ses sources. Enfin, les marges du manuscrit 479 contiennent aussi des formes succinctes qui font penser au dessin rapidement exécuté d’un cul de lampe. Une lecture attentive montre que ces dessins correspondent tous à un retour à la ligne dans la notice du Speculum sanctorale98. On aura ainsi indiqué au copiste les alinéas à créer lors de l’intégration du texte du manuscrit anonyme dans le légendier de Bernard Gui. Ces signes sont utilisés moins systématiquement dans les manuscrits 477 et 478. Dans ce dernier, on trouve deux exécutions différentes des symboles indiquant la création d’un alinéa, ce qui peut laisser penser que plusieurs scribes ont travaillé à cette mise en forme. Enfin, plusieurs Passions des apôtres ne sont pas divisées en paragraphe, mais des pauses dans le texte sont aménagées par la réalisation d’une initiale plus grande. Dans ces cas, les textes correspondant des manuscrits 477, 478 et 479 portent en marge, aux endroits   Par exemple, en marge du titre de la Passion de saint Polycarpe (ms 479, fol. 79), il corrige Passio sancti Policarpi presbiteri en Passio sancti Policarpi episcopi et reproduit le second titre dans la troisième partie de son Speculum (ms 481, fol. 21). 98   Ce signe est une variante de ceux qu’utilisent habituellement les copistes pour isoler des unités textuelles. À partir de plusieurs manuscrits d’Isidore de Séville, d’Hugues de Saint-Victor, de traités de saint Anselme ou du commentaire du Cantique des Cantiques de saint Bernard, Jean Châtillon note que le signe couramment utilisé pour créer un paragraphe est un trait vertical surmonté en équerre d’un trait horizontal tourné vers la droite (« ┌ ») pour indiquer le début du paragraphe, puis le même signe inversé (barre horizontale tournée vers la gauche « ┐ ») pour marquer la limite finale de la section à isoler. Voir J. Châtillon, « Désarticulation et restructuration des textes à l’époque scolastique (xiie-xiiie siècle) », La notion de paragraphe, textes réunis par R. Laufer, éd. CNRS, Paris, 1985, p. 23-40, spécialement p. 24-25. 97

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qui conviennent, le dessin de cette initiale agrandie99. La confrontation systématique des manuscrits 477, 478 et 479 avec le Speculum sanctorale révèle que s’il est souvent docile, le scribe n’a pas toujours suivi ces indications : happé par l’écriture, il lui est arrivé de passer outre et de ne couper le texte que quelques phrases plus loin100. Cette signalétique est par ailleurs moins systématique dans les manuscrits 477 et 478, alors même que ceux-ci ne sont pas moins utilisés que les deux autres. Que dire de la présence de ce légendier en trois volumes dans la bibliothèque des prêcheurs de Toulouse ? Non que cette présence soit une anomalie : les Constitutions de l’ordre recommandent que les frères lisent des Vies de saints entre les cours et pendant les vacances. On voit mal en revanche comment ce légendier pouvait servir aux lectures liturgiques puisque les couvents de l’ordre sont dotés, depuis l’uniformisation impulsée par Humbert de Romans, des mêmes livres liturgiques. On ne peut, sans argument valable, exclure qu’il ait pu servir à la rédaction de sermons, mais il faut bien reconnaître que la Légende dorée et surtout les outils à l’usage du prédicateur, qui se sont multipliés, semblent plus appropriés à cette tâche. En marge de l’utilisation qu’en fait Bernard Gui, la présence même de cette collection ne va pas sans poser quelques questions. Le premier témoignage que livre son existence est le fait qu’au xiv e siècle, malgré tout ce qui a été écrit sur le succès des abrégés, les frères ont encore besoin de collections « traditionnelles ». S’il est difficile de préciser l’origine du corpus des manuscrits 477 et 478, le manuscrit 479 est fortement influencé par le Passionnaire hispanique. C’est la lecture d’un article ancien et confidentiel du chanoine Angély101, consacré à la Vie de saint Vincent d’Agen, qui suggère d’examiner cette piste. En effet, cette publication fait état de la version que donne de cette Vie le manuscrit 479 de Toulouse. Le chanoine Angély juge d’abord très négativement ce manuscrit : il est, dit-il, truffé de fautes et de mauvaises lectures. Son analyse textuelle ne porte que sur le dossier de saint Vincent d’Agen, mais les résultats auxquels il aboutit le conduisent à voir dans ce texte du manuscrit 479 une copie de celui que transmet le passionnaire espagnol de Cardeña (ms Londres Ad. 25600). Les perspectives incidemment ouvertes par le chanoine Angély dans le cadre d’une étude locale, se devaient d’être confirmées par l’identifi99   C’est le cas par exemple dans la Passion des saints Pierre et Paul (ms 478, fol. 139v°-142 et ms 480, II, fol. 44). 100   Voir par exemple la Passion de saint Cucufat dans le ms 479, fol. 172 ou celle de saint Quentin au fol. 264v°. 101   J.-F. Angély, « Mélanges d’hagiographie agenaise », Revue de l’Agenais, mai-juin 1919, p. 223245 ; septembre-octobre 1919, p. 366-381 ; novembre-décembre 1919, p. 433-441 ; janvierfévrier 1920, p. 36-45.

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cation des autres Passions du manuscrit 479. Plus de trente ans après la monographie du chanoine d’Agen, Angel Fábrega Grau102 publie une étude complète sur les passionnaires espagnols de Cardeña et Silos. Son corpus étant « limité » aux manuscrits vii-xie siècles, il ne dit rien du manuscrit toulousain, mais les éditions de textes qu’il propose permettent de vérifier la dépendance du manuscrit 479 de Toulouse à l’égard du passionnaire hispanique et ce, bien au-delà de la seule notice de Vincent d’Agen. Si le manuscrit toulousain ne donne pas exactement toutes les Passions de martyrs éditées par Angel Fábrega Grau, celles qui appartiennent aux deux corpus fournissent un texte identique103. Les Passions du manuscrit 479 donnent aussi le même paratexte, à savoir des titres caractéristiques dans les manuscrits de la recension espagnole, qui homogénéisent la collection, et une doxologie soucieuse d’affirmer la foi trinitaire. L’influence des Passions hispaniques dans une collection méridionale n’est pas étonnante : la présence, complète ou partielle, de ce Passionnaire à Moissac, Limoges ou Narbonne montre, comme le dit Rosa Guerreiro104, que la véritable limite de sa diffusion fut, non pas les Pyrénées, mais la Loire. Le manuscrit 479 mériterait une étude minutieuse de son contenu, qu’il faudrait notamment comparer avec les autres témoins méridionaux connus, notamment les manuscrits issus de Saint-Martial de Limoges, de Saint-Paul de Narbonne et de Saint-Pierre de Moissac. Mais la composition tardive du manuscrit 479, ainsi que l’absence de certains des textes qui fournissent les critères d’identification105, ne facilitent pas les tentatives de le replacer dans la tradition textuelle des Passions espagnoles106. 102   A. Fábrega Grau, Pasionario hispanico, siglos vii-xi, 2 vol. Monumenta hispanica sacra, Barcelone, 1953. 103   À titre d’exemple, voir les Passions de saint André (ms 479, fol. 1), d’Eulalie de Barcelone (fol. 15v°), d’Eulalie de Mérida (fol. 17), de Colombe (fol. 43), de Julien et Basilisse (fol. 44), de Sébastien (fol. 56v°), d’Agnès (fol. 70), de Vincent (fol. 72v°), d’Agathe (fol. 83v°), de Jacques le Mineur (fol. 104), des apôtres Pierre et Paul (fol. 137), de Jacques le Majeur (fol. 166v°), de Christophe (fol. 169v°), de Cucufat (fol. 172), de Félix de Nole (fol. 173v°), de Félix de Gérone (fol. 186), de Just et Pasteur (fol. 190v°), de Genès (fol. 206v°), de Cosme et Damien (fol. 238), de Saturnin (fol. 294). 104   La diffusion du Passionnaire hispanique est l’objet des travaux de Rosa Guerreiro. Voir notamment « Le rayonnement de l’hagiographie hispanique en Gaule pendant le haut Moyen Âge : circulation et diffusion des Passions hispaniques », L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique, actes du colloque international réunis et préparés par J. Fontaine et Ch. Pellistrandi, collection de la Casa de Velásquez, t. 35, Madrid, 1992, p. 137-157. 105   Les variations du lemme de Léocadie fournissent par exemple à Rosa Guerreiro un critère de classement des textes. Or la sainte est absente du ms 479. 106   Des sondages effectués à partir des éléments de classification fournis par R. Guerreiro, art. cité, p. 142-145 montrent d’abord que la Passion de saint Vincent comporte l’épisode interpolé où le jeune Vincent prend la parole dans les offices afin de remplacer l’évêque bègue. Cet élément pourrait permettre de rapprocher le manuscrit toulousain des versions présentes à Narbonne ou à Elne, mais l’argument perd de sa valeur du fait de la large diffusion, au xiv e siècle, de l’épisode interpolé. Ensuite, le ms lat 5296 de la Bibliothèque nationale de France,

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Au-delà du problème de l’identification précise de l’ensemble formé par les manuscrits 477, 478 et 479 de la bibliothèque municipale de Toulouse, on aimerait mieux cerner l’intérêt qu’ont pu avoir les prêcheurs à copier une telle collection. Le travail de comparaison avec le Speculum sanctorale laisse entendre que ce légendier a pu être rassemblé en vue de la compilation du grand ouvrage de Bernard Gui. Le fait que les Vies et les Passions des manuscrits 477, 478 et 479 soient toutes dotées de leur prologue plaide en faveur de cette interprétation car on sait que lorsque les Vies de saints sont rassemblées dans un légendier ordonné, le copiste substitue aux introductions de chaque texte une préface unique, en tête de volume. Par ailleurs, l’organisation singulière de la collection, séparant strictement Vies et Passions, pourrait préfigurer, quoique de manière moins aboutie, le découpage thématique du Speculum sanctorale. Apparemment mineures, ces données sont importantes car si on les juge suffisamment solides pour confirmer l’hypothèse que les manuscrits 477, 478 et 479 sont des documents de travail, il faudra réévaluer l’ampleur du projet confié à Bernard Gui. Pour autant, il n’est pas possible de n’y voir qu’un document préparatoire et d’éliminer l’idée que l’ordre ait eu l’usage d’un tel ensemble, en plus des légendiers abrégés, et du « Prototype » uniformisant la liturgie. Ce qui le montre, c’est d’abord que, pour certaines Vies de saints, Bernard Gui choisit une source différente de celle dont font état les manuscrits 477, 478 et 479. C’est le cas par exemple de la Passion de sainte Julienne, pour laquelle Bernard Gui privilégie la version BHL 4522-24, associée au Speculum historiale de Vincent de Beauvais107, quand le manuscrit 479 donne à lire la recension BHL 4523. Ensuite, tous les textes ordonnés dans ces manuscrits ne sont pas utilisés pour le Speculum, alors même que certains d’entre eux portent en marge les signes qu’utilise Bernard Gui pour indiquer au scribe la création d’un paragraphe. A-t-il, dans un second temps, réduit son corpus ? D’autres que lui ont-il eu l’usage de ce légendier bipartite ? Pour l’heure, rien ne permet de privilégier l’une ou l’autre de ces deux hypothèses. 3– L’utilisation des sources Dans le prologue de son grand légendier, Bernard Gui prévient son lecteur qu’en aucun cas il ne fera une œuvre neuve. Son projet n’a qu’une ambition : réunir des informations vraies, mais jusque là éparses, et les agencer sans

issu de Saint-Martial de Limoges, donne un prologue différent de celui qui se lit dans le manuscrit 479 et qui correspond à la recension hispanique. 107   SpH, XIII, 34.

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succomber au péril d’une abréviation excessive. Autrement dit, il annonce on ne peut plus clairement une compilation. Il y a donc matière à faire une archéologie du texte et à s’intéresser à sa technique de travail. a– La servitude du compilateur Lorsque Bernard Gui entame la compilation de son Speculum, les textes hagiographiques, des libelli, aux légendiers en passant par les lectures liturgiques, sont innombrables. Pour certains saints, les versions se sont multipliées ou ont évolué jusqu’à combler les prétentions d’Églises rivales. Dans les sanctuaires, les recueils de miracles se sont enrichis de nouveaux prodiges ou de nouvelles translations. Or, il est notable que face à cette masse documentaire, Bernard Gui ait généralement fait le choix de s’en tenir, pour chaque saint évoqué, à un nombre tout à fait réduit de sources. Pour la majorité d’entre eux, et surtout pour les martyrs des premiers siècles évoqués dans la deuxième partie du Speculum sanctorale, il rend compte d’une source unique. Dans de nombreux cas, c’est le résultat de la pauvreté relative du dossier hagiographique : lorsque Bernard Gui traite de saints qui n’ont bénéficié que de cultes modestes sinon confidentiels, on peut imaginer qu’il n’a pas eu le loisir de sélectionner la meilleure Vie dans un corpus foisonnant. Pourtant lorsque l’on peut montrer que Bernard Gui peut avoir connu plusieurs témoins d’une même tradition hagiographique, la fidélité à une unique source apparaît bien le résultat d’un choix. D’ailleurs, dans le cas des saints les plus illustres, ayant inspiré une abondante littérature hagiographique, il utilise rarement plus de deux versions de la Vita, qui parfois sont encore agrémentées de nombreuses citations des Pères de l’Église ou des chroniques universelles108. Par ailleurs, quand Bernard Gui convoque plusieurs sources, il ne fait rien pour les fusionner en un texte unique, ce qui apparaît pourtant comme une donnée essentielle de l’art de la compilation. Bernard Gui dût, au départ, confronter les sources qui étaient à sa disposition pour écrire la Vie de tel ou tel saint, puis, ayant sélectionné celle qui lui paraissait la plus complète, il l’a copiée indépendamment des informations, même secondaires, que les autres documents pouvaient lui apporter. Lorsqu’il retient deux sources, l’une est mise en avant, et, ainsi nantie du statut de témoin privilégié, elle est souvent copiée in extenso. L’autre est utilisée à la suite et de façon plus ponctuelle, en une sorte de complément. Même s’il utilise plusieurs documents, Bernard Gui introduit entre eux une forme de hiérarchie, si bien que sa compilation n’est pas forcément une synthèse du meilleur : dans son édition de la Vie de saint 108   Sans surprise, ce sont surtout les saints apostoliques et universels qui bénéficient d’une telle dilatation de leur Vita.

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Dominique, Simon Tugwell, à la lumière de tout ce que l’ordre a pu produire avant Bernard Gui concernant la sainteté du fondateur, critique sans détour le choix qu’il a fait pour le Speculum de reléguer à un rang tout à fait mineur le texte du procès de canonisation et les miracles rapportées par Cécile109. Les sources utilisées ne sont pas spécialement confrontées de sorte que leur juxtaposition n’enrichit pas nécessairement la Vie du saint. Tout se passe comme si le respect du texte avait primé sur la construction d’un récit plus abouti et de meilleure facture. Surtout, elle n’est pas le résultat d’une réelle confrontation critique des versions parfois divergentes de la Vie d’un saint. Quand Bernard Gui convoque plusieurs sources, il en rend compte en construisant, non pas une véritable compilation, mais plutôt une succession étanche des extraits dont il s’est servi. Dans la rédaction de la Passion des martyrs Cyr et Julite, il a été confronté à des textes divergents. Or, plutôt que de faire la fusion de leurs points de convergence et d’exposer, avec ou sans discussion, les épisodes qui posaient problème, il s’est contenté de produire les textes l’un après l’autre : il copie d’abord la Vie compilée par Hucbald de Saint-Amand (BHL 1801), la fait suivre d’un épisode merveilleux (l’ange rassemblant les membres dispersés des deux martyrs) tiré in quibusdam vero hystoriis qui est en partie le texte de la Légende dorée, avant de donner une autre version de la Passion de Cyr et Julite, celle qu’a compilée l’évêque Théodore (BHL 1801). Or ce second récit ne diverge du premier qu’en ce qui concerne les propos échangés entre le préfet Alexandre et Cyr puis la manière dont ce dernier est mis à mort. On ne voit pas bien alors pourquoi Bernard Gui répète complètement le récit des origines des martyrs, de la persécution sévissant à Icône et de leur fuite à Tarse, sauf à considérer que ce qu’il a privilégié, ce n’est pas tant la cohérence du récit que le respect du texte existant avant son Speculum. Lorsqu’il lui arrive de fusionner les informations tirées de deux sources différentes, son désir d’être le plus complet possible se fait jour. Mais il y a souvent matière à se demander dans quelle mesure une telle méticulosité était utile. Dans la Vie de saint Dominique par exemple, il suit le texte compilé par Humbert de Romans, mais interrompt cette copie quand ce dernier fait dire à Dominique « Je ne suis pas digne d’être martyr ». Bernard Gui lui préfère la réplique citée par Constantin d’Orvieto, à savoir « Je ne suis pas digne de la gloire du martyre ». Là encore, l’intérêt de la « réécriture » ne saute pas aux yeux. La phrase donnée par Humbert de Romans n’appauvrit en rien la parole de Dominique, si bien qu’on ne peut s’empêcher de penser que les efforts de Bernard Gui sont vains. En outre, s’il y avait eu, dans cet enchevêtrement des sources, la volonté de 109   Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, éd. S. Tugwell, MOPH, t. XXVII, Rome, 1998, p. 135.

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rendre hommage à l’ensemble de ses devanciers dominicains par le biais de « citations », on ne voit pas bien en quoi la restitution de la réplique complète permettait, à ses lecteurs, de reconnaître, à cet endroit de la Vie de Dominique, une référence au travail de Constantin d’Orvieto. Or, ce cas de figure est loin d’être unique, si bien qu’on ne peut pas non plus penser que cette compilation besogneuse et, d’une certaine manière inutile, ait été liée au caractère exceptionnel de la Vie du fondateur et de l’histoire de son élaboration. Au commencement de la Passion de saint Sébastien, Jacques de Voragine réduit l’incipit du texte de départ (BHL 7543) en remplaçant l’expression Sebastianus, vir christianissimus, Mediolani eruditus, civis vero Narbonensis oriundus110 par une formule différente : Sebastianus, vir christianissimus, Narbonensis genere, eruditus Mediolani111. En présence, des deux versions, Bernard Gui choisit une position médiane, qui doit autant à l’une qu’à l’autre : Beatus Sebastianus, vir christianissimus, Narbonensis genere et Mediolanensium parcium civis. D’abord, le résultat n’est pas plus court que le texte d’origine. Ensuite, dans la mesure où il tire manifestement la formule Narbonensis genere de la Légende dorée112, l’effet de citation est anéanti par le fait que Bernard Gui ne retient rien d’autre de l’effort d’abréviation conduit par Jacques de Voragine. Encore une fois, on se demande pourquoi Bernard Gui s’est donné la peine de mêler la Passion longue et l’abrégé de Jacques de Voragine, pour finalement s’en tenir à transformer Narbonensis oriundus en Narbonensis genere. Dans le même sens, on verra encore comment évolue le début de l’épisode dans lequel l’apôtre Barthélemy apparaît au roi Polymus (les caractères gras indiquent ce qui est commun aux trois textes, le soulignement, ce qui passe de la Légende dorée au Speculum sanctorale) : Passio Bartholomei, BHL 1002 éd. Acta. SS, Août, V, p. 35. Factum est autem, cum transisset nox, et aurora futuri diei inciperet, apparuit apostolus… 

J. de Voragine, Legenda aurea éd. Maggioni, p. 832. Mane autem sequenti apparens apostolus…

B. Gui, Speculum sanctorale ms 481, II, fol. 198. Sequenti autem mane cum aurora diei inciperet, apparuit apostolus…

Pour abréger sa source, Jacques de Voragine supprime la redondance qu’elle contient (« …la nuit se terminait et pointait l’aurore du jour à venir… ») et  Le texte est édité dans Mombritius, II, 459.  Le texte est édité par G. P. Maggioni, I, 162. 112  Contrairement à ce que les apparences peuvent laisser paraître, la transformation de Narbonensis oriundus en Narbonensis genere n’est pas le résultat d’un accident de la transmission des manuscrits. Giovanni-Paulo Maggioni indique que Jacques de Voragine compile le passage qui contient l’expression sur la base de l’abrégé de Barthélemy de Trente. La manière dont les dominicains (Bernard Gui excepté) réécrivent ce passage est aussi exposée par M. Goullet, ouv. cité, p. 127. 110

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débute simplement le passage par « Or, le matin suivant », ce qui allège le texte sans appauvrir le récit. Encore une fois Bernard Gui, comme soucieux d’être aussi respectueux de l’une et l’autre version, reproduit la répétition de la Passion initiale mais en copiant l’une des deux propositions sur Jacques de Voragine («  Or, le matin suivant, comme l’aurore du jour pointait…  »). C’est finalement beaucoup de travail pour bien peu, car en épluchant ainsi ses sources pour trouver le mot juste, il est en quelque sorte prisonnier de son héritage et ne parvient pas toujours à éviter la répétition ou le pléonasme. Ainsi, dans un passage de la Vie de saint Dominique décrivant les foules qui venaient assister aux débats entre catholiques et hérétiques, Bernard Gui, muni d’un côté de Jourdain de Saxe évoquant « grands et soldats, femmes et gens » (magnates et milites, mulieres et populi) et de l’autre de Constantin d’Orvieto parlant de « multiples personnes de l’un et l’autre sexe » (utriusque sexus multitutdo populi), écrit « grands et soldats, une multitude de personnes, hommes et femmes de l’un et l’autre sexe » (magnates et milites, viri et mulieres et utriusque sexus populi multitutdo)113. Dans ces cas de figure, l’apport du croisement des sources est, sur le plan narratif, si pauvre, que la minutie de ce travail semble ne pouvoir s’expliquer que par un absolu respect des textes. Ce qui compte, bien avant l’établissement d’un texte mis à jour, est d’écarter tout reproche d’irrespect envers la tradition. À moins qu’il ne faille voir dans ces formes de citation la conscience que la copie est un support de reconnaissance entre hagiographes dominicains. Dans ce cas, on se trouverait devant des « citations » pour mémoire. Évidemment, cela apparaît saugrenu, mais cette interprétation apparaît comme la meilleure hypothèse, c’est-à-dire celle qui, en l’état, explique le mieux les documents. En privilégiant ainsi une source unique ou principale, sans pour autant l’enrichir de détails ou d’anecdotes issues de textes parallèles, Bernard Gui témoigne sa déférence, voire sa servitude à l’égard de ses documents de travail. Dans bien des cas, son travail de compilateur apparaît comme minimaliste. Il respecte l’économie d’ensemble du texte qu’il utilise, copie in extenso de longs passages de son modèle quand ses prédécesseurs s’efforcent de le réduire à l’essentiel114, enfin il n’utilise pas la réunion d’une matière éparse, annoncée   Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, éd. S. Tugwell, MOPH, t. XXVII, Rome, 1998, p. 147. 114   Dans la Passion de sainte Félicité par exemple (ms 481, III, fol. 55), Bernard Gui raconte les supplices de la mère, puis, en suivant, l’un après l’autre, le martyre de chacun des sept fils, alors que Jacques de Voragine évacue la question en une phrase : « Et comme la mère et ses fils se montraient d’une extrême constance dans leur foi, tous les enfants furent mis à mort dans différents supplices, sous les yeux de la mère qui les encourageait » (éd. G. P. Maggioni, p. 598 et trad. sous dir. A. Boureau et M. Goullet, p. 483-484). Dans la Passion de saint Sébastien (chap. 23 de la Légende dorée), Jacques de Voragine évacue de son récit le rôle du pape 113

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dans son prologue, comme l’occasion de concilier des traditions divergentes. Ceci amène à formuler deux constats à l’égard du Speculum sanctorale. D’abord, sous un certain angle, on peut considérer qu’il appauvrit le travail de distanciation à l’égard des textes hagiographiques impulsé par les légendiers abrégés. Le fondement du travail de Bernard Gui, qui parcourt tout son légendier, est le désir de privilégier une source unique, et de la traiter au plus près de l’original. Tout ce qui est évoqué ailleurs n’est intégré qu’à la marge de la source principale, encore que de manière très épisodique. Ensuite, ce regard porté sur les sources et la manière de les agencer paraissent sensiblement éloignés des techniques de compilation que Bernard Gui met en œuvre dans ses écrits historiques. Si Anne-Marie Lamarrigue relève qu’il a utilisé tantôt la juxtaposition d’extraits de ses sources, tantôt leur entrecroisement par le biais d’une véritable réécriture, c’est aussitôt pour signaler que cette seconde technique compilatoire est celle qu’il utilise le plus souvent115. Ainsi, dans les Reges Francorum, pour raconter la bataille de Clovis contre les Alamans, il imbrique étroitement les versions qu’il lit dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais et dans la Chronique universelle de Géraud de Frachet. Cet emploi « en mosaïque » des sources est quasiment absente du Speculum sanctorale, qui semble toujours privilégier la vérité intrinsèque à la Vie choisie plutôt que celle que l’on découvre par confrontation des documents. b– La juste abréviation Si le prologue de Bernard Gui stigmatise les auteurs de légendiers qui ont abandonné trop d’épisodes des Vies qu’ils ont synthétisées, sa compilation n’est pas un reniement de l’abréviation. Au fond pour lui, tout est question de proportion. Entre la prolixité des Vies anciennes et la réduction drastique de la Legenda nova, il est sans cesse à la recherche de la bonne mesure, de la juste abréviation, entre le trop et le trop peu. Cherchant à décrire la manière dans les compilateurs de légendiers abrégés ont réduit leurs sources, Giovanni Paolo Maggioni116 puis Monique Goullet117 ont fondé leurs observations respectives sur l’abrègement, par Barthélemy de Trente, Jean de Mailly et Jacques de Vo-

Gaïus qui dirige ceux qui subiront le martyre, ainsi que le rôle de Castule, qui les cache dans le palais impérial, jugé plus sûr que les catacombes. Bernard Gui au contraire rend compte de ces éléments du récit (ms 481, III, fol. 11v°). 115   «  Il s’agit de mettre en œuvre une procédure d’écriture plus complexe qui consiste à entremêler des textes et des éléments de récit de provenances diverses. C’est la technique compilatoire dont Bernard Gui use le plus fréquemment » (A.-M. L amarrigue Bernard Gui (1261-1331), ouv. cité, p. 208). 116   G. P. M aggioni, « Parole taciute, parole ritrovate. I racconti agiografici di Giovanni da Mailly, Bartolomeo da Trento e Iacopo da Varazze » HA, t. 10, 2003, p. 183-200. 117   M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques, ouv. cité, p. 124-126.

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ragine, du début de la Passion de saint Sébastien. Il peut-être utile de repartir de cet exemple, puis de le confronter avec les solutions mises en œuvre par Bernard Gui pour comprendre sa conception de l’abréviation. Voyons d’abord les techniques dont usent les compilateurs du xiiie siècle118 : Passio Sebastiani BHL 7543 éd. Mombritius, II, 459 Sebastianus, vir christianissimus, Mediolani eruditus, civis vero Narbonensis oriundus, Dioclitiano et Maximiano imperatoribus ita carus erat, ut principatum ei primae cohortis traderent, ut suo eum conspectu iuberent semper adstare. Erat enim vir totius prudentiae, et sermone verax, in judicio justus, in consilio providus, in commisso fidelis, in interventu strenuus in bonitate conspicuus, in universa morum honestate praeclarus. Hunc milites ac patrem venerabantur hunc universi qui praeerant palatio carissime venerebantur affectu : erat enim verus dei cultor, et necesse erat

Liber epilogorum éd. E. Paoli, p. 57

Abbreviatio cité par M. Goullet, ouv. cité, p. 125

Legenda aurea éd. G. P. Maggioni, p. 162

Sebastianus, Narbonensis genere, Mediolanensis civis, princeps Diocletiani et Maximiani erat eisque ita carus, erat, ut eum suis as-pectibus juberent semper astare.

Sebastianus, vir christianissimus, Mediolani eruditus, civis Narbonensis, Diocletiano et Maximiano imperatoribus ita carus erat, quod magister militum factus erat.

Sebastianus, vir christianissimus, Narbonensis genere, eruditus Mediolani, Diocletiano et Maximiano imperatoribus adeo carus erat, ut principatum prime cohortis et traderent, et suo aspectui juberent semper astare.

Erat enim omnium morum honestate praeclarus.

  Est indiqué en gras, ce qui subsiste de l’original dans chaque abrégé dominicain. Les expressions soulignées sont celles qui passent d’un légendier dominicain à l’autre.

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ut quem perfuderat deus gratia, ab omnibus amaretur. Christo igitur quottidie sedulum exhibebat officium, sed ita agebat quatenus hoc sacrilegis regibus esset occultum, non passionis timore perterritus, non patrimonii sui amore constrictus, sed ad hoc tantum sub clamyde terreni imperii Christi militem tegebat absconditum, ut christianorum animos quos in tormenta videbat deficere confortaret ut deo rederet animas quas diabolus conabatur auferre.

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Cum enim Christum toto corde diligeret, Hic ornatum militie ad hoc tantum portabat, ut christianorum animas quas in tormentis videbat deficere confortaret

non passionis timore nec parentum nec divitiarum amore,

Hic militarem clamidem ad hoc tantum ferebat, ut christianorum animas quas in tormentis videbat deficere confortaret.

sed ut christianos deficientes in supliciis confortaret, occulte romano imperio militabat.

Le seul point commun entre les textes des trois abréviateurs dominicains est la suppression du catalogue des vertus, qui constitue la partie la plus longue de ce premier épisode119. Barthélemy de Trente est le seul à y faire encore allusion par le réemploi partiel d’une expression tirée de ce passage. Jean de Mailly et Jacques de Voragine le passent totalement sous silence. Si leur point de vue au sujet de ce qu’il fallait abréger converge, l’analyse de détail montre que les trois hagiographes réduisent leur modèle indépendamment l’un de l’autre. Barthélemy de Trente et Jean de Mailly opèrent, dans la première phrase, l’excision de groupes de mots différents quand Jacques de Voragine la reprend en totalité. La réduction de la dernière phrase est, elle aussi, réalisée de diverses façons par ces trois compilateurs et, au total, la confrontation des textes ne révèle, dans ce cas, que des traces d’influence d’un abrégé sur l’autre : comme Barthélemy de Trente, Jacques de Voragine reprend par exemple Narbonensis genere au lieu de civis Narbonensis.

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  Voir l’analyse exposée par M. Goullet, ouv. cité, p. 126.

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Pourvu de la Passion de saint Sébastien d’une part et des abrégés dominicains de l’autre, Bernard Gui produit un texte différent qui illustre ce qu’il devait considérer comme une bonne façon d’abréger. Passio Sebastiani, BHL 7543 éd. Mombritius, II, 459

Bernard Gui, Speculum sanctorale ms 481, III, fol. 11v°

Sebastianus, vir christianissimus, Mediolani eruditus, civis vero Narbonensis oriundus, Dioclitiano et Maximiano imperatoribus ita carus erat, ut principatum ei primae cohortis traderent, et suo eum conspectu iuberent semper adstare. Erat enim vir totius prudentiae, et sermone verax, in judicio justus, in consilio providus, in commisso fidelis, in interventu strenuus in bonitate conspicuus, in universa morum honestate praeclarus. Hunc milites ac patrem venerabantur, hunc universi qui praeerant palatio carissimo venerabantur affectu. Erat enim verus dei cultor, et necesse erat ut quem perfuderat deus gratia, ab omnibus amaretur. Christo igitur quotitdie sedulum exhibebat officium, sed ita agebat quatinus sacrilegis regibus esset occultum, non passionis timore perterritus, non patrimonii sui amore constrictus, sed ad hoc tantum sub chlamyde terreni imperii Christi militem tegebat absconditum, ut christianorum animos quos in tormenta videbat deficere confortaret ut deo redderet animas quas diabolus conabatur auferre.

Beatus Sebastianus, vir christianis-simus, Narbonensis genere et Mediolanensium parcium civis Dyocletiano et Maximia-no imperatoribus ita carus erat, ut principatum prime coortis ei traderent, et suo conspectui iuberent semper astare. Erat enim vir tocius prudenciae, in sermone verax, in judicio justus, in consilio providus, in commisso fidelis, universa morum honestate preclarus. Hunc milites tanquam patrem venerabantur, hunc universi qui preerant palatio carissimo venerabantur affectu. Erat enim verus dei cultor, et necesse erat ut quem dei perfuderat gratia, ab omnibus amaretur. Christo quotidie sedulum exibebat officium, sed agebat ut sacrilegis imperatoribus hoc esset occultum, non passionis timore perterritus, nec patrimonii amore constrictus, sed ad hoc tantum sub clamide terreni imperii Christi militem tegebat absconditum, ut christianorum animas quas in tormentis videbat deficere confortaret.

On remarque immédiatement que Bernard Gui a donné à son texte une ampleur qui n’a rien à envier à son modèle. Les réductions auxquelles il consent sont infimes. L’excision de phrases entières qu’utilisent ses devanciers ne laisse désormais place qu’à des microcoupures : Christo igitur quotidie devient Christo quotidie. Les coupures les plus longues restent celles de l’énumération des vertus de saint Sébastien (sept mots) et la fin de la dernière phrase (huit mots). La reformulation comme technique d’abréviation est, ici, comme dans beaucoup d’autres cas, inexistante. L’épisode dans lequel l’apôtre Barthélemy apparaît au roi Polymus est un autre exemple de la façon dont Bernard Gui conçoit l’abréviation, tant du point de vue du degré de réduction du texte que des techniques mises en œuvre pour y parvenir. Après la création d’une première phrase, hybride de celle de la Passion BHL 1002 et de celle rédigée par Jacques de Voragine, Bernard Gui

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suit plus longuement que son prédécesseur le texte de base. Les paroles que l’apôtre adresse au roi pour refuser les biens terrestres sont rapportées quasiment in extenso : ainsi il reproduit l’énumération des biens terrestres que le roi était prêt à lui donner (or, argent, pierres précieuses et vêtements) quand Jacques de Voragine ne retient que les deux premiers. Le texte de Bernard Gui rend ensuite compte, tout en l’abrégeant un peu, de la naissance du Christ de Marie restée vierge, épisode totalement absent de la Légende dorée, mais il le réduit quelque peu. Pour cela, il conserve deux expressions de sa source et réécrit de manière plus synthétique ce qui les relie. Il rend ensuite compte des propos adressés par Gabriel à la Vierge, en effectuant encore quelques microcoupures (par exemple, in suo cubiculo clausae, splendens sicut sol Gabriel angelus Dei apparuit devient in cubiculo suo, subito splendens Gabriel angelus Dei apparuit). La fin de l’épisode est reproduite à l’identique alors que Jacques de Voragine réduit la source de manière drastique. Bernard Gui privilégie donc une abréviation très modérée. L’élagage de son modèle, par des coupes les plus maigres possibles, constitue sa technique de prédilection. Finalement, il fait le choix de la forme de réduction qui dénature le moins les textes de base : il élague les effets de langue et élimine, de temps en temps, les mots dont la perte ne touchait pas le sens général120. Cette impression, illustrée tour à tour par les extraits de la Passion de saint Sébastien et de saint Barthélemy, se trouve confirmée par les résultats de l’analyse appliquée aux trois parties proprement sanctorales du Speculum, et exposée en annexe. D’abord, il est toujours possible de démarquer, paragraphe par paragraphe, voire mot à mot, une Vie de sa source. Cela montre combien la reformulation est étrangère aux procédés de compilation mis en œuvre par Bernard Gui. Beaucoup de légendes sont même reproduites à l’identique. C’est le cas par exemple de la passion de Jacques le Majeur121, de la Vie de saint Martial122, ou encore des martyres de sainte Colombe123, saint Polycarpe124 ou sainte Dorothée125. Le plus souvent, Bernard Gui reste donc très fidèle aux sources qu’il a retenues. Il se contente de microcoupures, n’excédant pas quelques

  Analysant la réécriture par Bernard Gui de la Vie de saint Dominique, Simon Tugwell aboutit à la même conclusion (voir Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, éd. S. Tugwell, ouv. cité, p. 142). 121   Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 48v°. 122   Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 112. 123   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 10. 124   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 21. 125   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 25v°. 120

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mots, comme le montre la Vie de Matthieu126, celle de Simon et Jude127 ou celle d’Aubin, évêque d’Angers128, par exemple. La réécriture par concision enfin, si présente chez les rédacteurs de legendae novae, est exceptionnelle dans le Speculum sanctorale. Lorsque Bernard Gui y a recours, c’est surtout pour réduire des dialogues, qu’il transpose parfois en style indirect. L’emploi, à l’échelle d’une Vie complète, de techniques visant à réduire la source, quitte à produire un autre texte à nouveaux frais, est exceptionnel. On ne peut d’ailleurs exclure que dans ces cas Bernard Gui ait suivi une source intermédiaire, résultat ellemême d’une abréviation du texte original. c– L’irrésistible gonflement du texte abrégé Bernard Gui n’apporte aucun élément narratif aux sources qu’il retient. Il ne cherche pas, par exemple, à rénover le contenu de textes souvent anciens. Le Speculum sanctorale n’est pas non plus le lieu où Bernard Gui expose des développements idéologiques ou spirituels. Les éléments qu’il ajoute à ses sources sont rares et, lorsqu’ils existent, ils ne sont pas narratifs. La plupart d’entre eux, en effet, consiste seulement à préciser la source copiée : ainsi, Bernard Gui substitue fréquemment le nom propre des personnages aux pronoms personnels utilisés dans sa source. Ainsi, dans la Passion de saint Marcel, là où sa source (BHL 5245) écrit jubet itaque eum129, Bernard Gui récrit dans son Speculum sanctorale Jubet itaque preses Priscus Marcellum130. Les réécritures de ce genre sont innombrables dans le Speculum131. On aura compris, sans qu’il soit utile de multiplier les exemples, de quelle nature elles ressortent : Bernard Gui a voulu lever les ambiguïtés, éviter les confusions, quitte à alourdir le texte et à écorner sa valeur littéraire. Dans la poursuite de cet objectif, non seulement les pronoms personnels sont presque systématiquement remplacés par les noms propres mais encore ces derniers sont-ils suivis de la fonction du personnage nommé : lorsqu’il adapte pour son Speculum la Passion de sainte Lucie, vierge de Catane132 (BHL 4992), Bernard Gui applique systématiquement l’un et l’autre procédés : au début du récit, Lucie et sa mère se rendent sur le tombeau de sainte Agathe. On lit dans BHL 4992 se ante sepulcrum virginis mater   Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 60.   Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 64v°.   Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 35v°. 129   Toulouse, BM, ms 479, fol. 213v°. 130   Toulouse, BM, ms 481, III, fol., 83. 131   Ce parti pris du compilateur a été aussi relevé dans les travaux d’Anne-Marie BultotVerleysen sur la Vie de Géraud d’Aurillac (A.-M. Bultot-Verleysen, « Le Speculum sanctorale de Bernard Gui, témoin d’un intérêt pour la vita de saint Géraud d’Aurillac au xiv e siècle », Scribere sanctorum gesta¸ recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, éd. Renard É., Trigalet M., Hermand X. et Bertrand P., éd. Brepols, Turnhout, 2005, p. 367-398). 132   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 123-124. 126 127

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et filia133 et dans le Speculum sanctorale : se ante sepulcrum sancte Agathe mater et filia134. Plus loin, Lucie est confrontée à Paschase, l’officier consulaire. Chaque fois qu’il le peut, Bernard Gui rappelle cette fonction : quand le copiste de la Passion BHL 4992 écrit Tunc Pascasius jussit135, Bernard Gui rectifie Tunc consularis Paschasius jussit136. Enfin, lorsque le consul n’est désigné que par son titre ou sa fonction, il lui substitue le prénom, quitte à multiplier les répétitions : quand le copiste de la Passion BHL 4992 écrit Tunc consularis locio eam137, Bernard Gui rectifie Tunc Paschasius locio eam138. Dans la Vie de saint Dominique, lorsqu’il évoque un pèlerin voulant visiter saint Jacques, il se croit obligé de préciser de Compostella139, et régulièrement, Jhesus Christus est remplacé par Dominus Jhesus Christus. Ce dernier exemple montre quand même ce que cet acharnement à tout faire pour lever le doute peut avoir de vain. Notant que, dans la Vie de saint Dominique, Bernard Gui remplaçait systématiquement « le saint homme » ou « le saint » par « saint Dominique », complétait « l’ordre » par « l’ordre des frères prêcheurs », Simon Tugwell tire de cette façon de faire l’hypothèse que Bernard Gui écrit pour un public plus large que celui de ces prédécesseurs. Faut-il comprendre qu’un siècle après la naissance de l’ordre et son extension rapide, la filiation entre Dominique et les frères prêcheurs n’allait pas de soi ? Mise en perspective par rapport à l’ensemble du corpus, cette interprétation pourrait justement avoir contre elle le caractère systématique du procédé. Cette méticulosité un peu besogneuse se retrouve non seulement dans les autres textes du Speculum sanctorale, mais encore dans les écrits historiques140 de Bernard Gui comme l’a relevé Anne-Marie Lamarrigue. Il est donc plus prudent d’y voir une des caractéristiques du style de Bernard. Enfin, lorsqu’il est en mesure de spécifier des lieux restés flous dans ses sources, il fournit l’indication du diocèse141. Comme on peut s’y attendre, ces précisions   Toulouse, BM, ms 479, fol. 20 a.   Toulouse, BM, ms 481, fol. 123v° a. 135   Toulouse, BM, ms 479, fol. 21 a. 136   Toulouse, BM, ms 481, fol. 123v° b. 137   Toulouse, BM, ms 479, fol. 21 a. 138   Toulouse, BM, ms 481, fol. 123v° b. 139   Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, éd. S. Tugwell, ouv. cité, p. 143. 140   C’est ce que relève Anne-Marie Lamarrigue : « Bernard Gui est fréquemment intervenu dans le texte de ses sources pour ajouter quelques mots ou une courte explication destinée à rendre parfaitement intelligible le récit » (Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, ouv. cité, p. 220). Certains de ces ajouts relèvent d’une réelle érudition et d’une volonté d’éclairer les faits qu’il rapporte : par exemple, lorsque Guillaume de Puylaurens, dans sa Chronique, indique que le royaume est tombé entre les mains d’un enfant, petit fils du roi Philippe, Bernard Gui précise qu’il s’agit de Louis IX. Mais d’autres interventions du compilateur tiennent davantage de ses habitudes et de son style : il précise que Varilhes est située près de Pamiers, dans le diocèse de Toulouse, ou que le monastère de Solignac est près de Limoges. 141   C’est ce qu’il fait par exemple dans sa réécriture de la Passion de sainte Foy (BHL 2928), (ms 481, III, fol. 97-97v°) : dans la dernière phrase, il précise que la vierge sainte Foy est 133

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sont plus nombreuses dans le cas des Vies qui situent les faits dans le Midi. C’est l’occasion pour Bernard Gui de faire partager la connaissance qu’il a de cette région. À ce titre, on peut être surpris de voir que Bernard Gui ne met pas toujours ses connaissances en conformité avec les récentes modifications de la géographie ecclésiastique du Midi142. Au-delà de leur caractère purement informatif, ces éléments contribuent à inscrire les Vies des saints dans un espace qui est d’abord celui de l’Église et non plus exclusivement celui que commande le monastère détenteur des reliques. 4– Des programmes alternatifs au « tout abrégé » ? Le désir de revenir à l’état initial des textes qu’ont abrégés les hagiographes du xiiie siècle est au fondement de la compilation du Speculum. Le principe est appliqué de manière si systématique qu’il apparaît comme l’une des caractéristiques les plus sûres de ses manies de compilateur, mais aussi comme un indice fiable de la recherche des sources de son légendier. Cette particularité établie, on aimerait savoir dans quelle mesure elle ne témoigne que d’une originalité du compilateur ou si, au contraire, elle participe d’un mouvement de fond, prenant à contre-pied la vague d’abréviation qui a caractérisé le xiiie siècle. Dans ce parti pris, le poids de Bérenger de Landorre, commanditaire de l’œuvre, reste une inconnue : on ne sait si la commande du Speculum sanctorale fut accompagnée d’objectifs clairement affirmés par le maître de l’ordre, ou d’indications concernant le fonds et la forme du recueil. En l’état, la commande n’est documentée que par ce que Bernard Gui veut bien en dire dans son prologue, c’est-à-dire pas grand-chose. Ceci dit, il est difficile de croire que Bernard Gui ait, à ce point, généralisé le retour aux textes non abrégés si le maître de l’ordre avait complètement désapprouvé ce parti pris. La déférence de Bermorte dans la ville d’Agen, le 6 octobre, au temps du préfet Dacien. Les reliques de son corps saint sont en possession du monastère bénédictin de Conques, au diocèse de Rodez (Passa est autem sacra virgo Fides sub preside Daciano in civitate Agenno, pridie nonas octobris. Cujus sacri corporis reliquie habentur et venerantur in monasterio de Conchis ordinis sancti Benedicti in dyocesi Ruthenensi, ms 481, III, fol. 97v°). 142   Dans les deux derniers paragraphes de la Vie de saint Pons, Bernard Gui rapporte la tradition qui veut que les moines du monastère de Saint-Pons de Thomières possèdent la tête du martyr : à deux reprises il situe le monastère dans le diocèse de Narbonne (apud quandam villam dyocesis Narbonensis, que ab eodem sancto Poncio villa Sancti Poncii de Tomeriis nominatur et plus loin Verum monachi monasterii Sancti Poncii de Tomeriis, dyocesis Narbonensis, gloriantur et credunt, ms 481, III, fol. 45). Pourtant, en 1317, avec la bulle Salvator noster de Jean XXII, Saint-Pons de Thomières est un diocèse démembré de la province de Narbonne et le monastère bénédictin éponyme est érigé en cathédrale (Voir M. Fournié, F. Ryckebusch et A. Dubreil-­Arcin, « Jean XXII et le remodelage de la carte ecclésiastique du Midi de la France : une réforme discrète », art. cité, p. 29-60).

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nard Gui à l’égard de la hiérarchie de l’Église et de son ordre est telle143, qu’on l’imagine mal s’entêter dans une voie qui n’aurait pas été bien vue de ses supérieurs. Ainsi, même s’il demeure impossible de déterminer, dans ce choix, la part des dispositions personnelles de celles qui sont dictées par la commande, il est raisonnable de considérer que l’entreprise de Bernard Gui s’inscrit dans une entreprise plus large de réhabilitation de la prolixitas aux dépens de l’abrégé. Parmi les éléments qui encouragent à le penser, il y a les informations que livre l’histoire d’autres légendiers composés par les dominicains, et éclipsés par la faveur accordée à la Légende dorée et à ses précédents, comme l’Abbreviatio ou le Liber epilogorum. C’est le cas, par exemple, du légendier compilé par Pierre Calo, dominicain lui aussi, qui a fait profession en 1299 au couvent de Padoue144. De 1323 à 1340, il compile une collection riche de 863 notices hagiographiques145. Le De quatuor d’Étienne de Salagnac complété par Bernard Gui comporte, dans le chapitre consacré aux hommes de l’ordre illustres par leurs écrits, une note sur le légendier de Pierre Calo. Elle est particulièrement laudative, ce qui tranche avec celle que, dans le même recueil, Bernard Gui adresse à Jacques de Voragine : « Frère Pierre, de Chioggia, célèbre par sa vie comme par sa science, a compilé en abondance et avec brio des légendes, tant pour les principales solennités que pour des saints presque innombrables »146. Ce qui a tant impressionné le rédacteur de cette addition, c’est donc l’ampleur et la prolixité du recueil de Pierre Calo. Par ailleurs, le prologue, comme le sommaire de cette collection, témoignent d’une convergence des projets de Bernard Gui et de Pierre Calo : sur la base du sanctoral et des lectures de l’ordre147, il s’agit d’ajouter des Vies jusqu’ici oubliées, en ôtant les propos superflus148. Pour autant, Bernard Gui n’a pu être l’auteur de cette addition au

143   Voir ce qu’écrit à ce sujet B. Guenée, Entre l’Église et l’État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge, ouv. cité, spécialement p. 78-79. 144   T. K aeppeli, Sop, t. III, Rome, 1980, p. 220-221. 145   Les pages qu’A. Poncelet a consacrées, il y a près d’un siècle, au légendier de Pierre Calo, restent incontournables (« Le légendier de Pierre Calo », art. cité, p. 5-116) : il replace cette oeuvre dans le cadre de la production hagiographique des xiiie et xiv e siècles et fournit une liste des fêtes et des Vies évoquées par Pierre Calo. Cet article important n’a pas été suivi d’une étude d’ensemble des manuscrits du légendier de Pierre Calo, dont l’inventaire est dressé par T. Kaeppeli, SOP, t. III, Rome, 1980, p. 220-221. 146   Fr. Petrus, Clugiensis, vita pariter scientiaque preclarus, legendas tam solemnitatum principalium quam sanctorum pene innumerabilium clare et copiose compilavit (Stephanus de Salaniaco et Bernardus Guidonis, De quatuor in quibus deus praedicatorum ordinem insignivit, éd. T. K aeppeli, MOPH, t. XXII, Rome, 1949, p. 36). 147   Pierre Calo organise son légendier sur la base du bréviaire et du missel dominicains. L’information est donnée par F. Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », art. cité, p. 382. 148   Le prologue de Pierre Calo est édité par A. Poncelet, art. cité, p. 32-33 et commenté par F. Dolbeau, art. cité, p. 382.

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De quatuor, car il n’a sans doute jamais connu le légendier padouan : le Père Poncelet affirme que le légendier de Pierre Calo « est à tout le moins postérieur à 1330 »149, quand, depuis les travaux de Léopold Delisle, on tient généralement pour acquis le fait que Bernard Gui a mis la dernière main au De quatuor en 1312150. De plus, l’édition réalisée par Thomas Kaeppeli de cet ouvrage d’Étienne de Salagnac et de Bernard Gui mentionne l’existence d’une version de ce traité dans un manuscrit originaire de Bologne, lequel comporte plusieurs additions. Le texte relatif à Pierre Calo est de cette main. Du coup, si Bernard Gui d’une part et Pierre Calo de l’autre retournent à des vies amples dans des collections qui ne le sont pas moins, il se trouvait à leur époque quelques frères pour apprécier cette position nouvelle, contre-pied de l’abréviation qui avait prévalu au xiiie siècle. De ce point de vue, une confrontation des légendiers de Bernard Gui et de Pierre Calo serait utile. Dans l’attente, la déduction qui trahit le moins l’état des sources est celle qui suppose l’existence d’un projet global d’abandon de l’abrégé : il y aurait eu, dans l’ordre dominicain, à la fin du premier quart du xiv e siècle, le besoin suffisamment partagé, ou la volonté largement exprimée, de pallier les lacunes laissées par l’entreprise d’abréviation des textes hagiographiques puisque simultanément, deux frères travaillent, indépendamment l’un de l’autre, à la compilation d’un légendier monumental et à la recherche de textes entiers. Si tous deux s’emploient à compiler des recueils différents de ceux qui circulaient déjà dans l’ordre, compiler des collections monumentales ne fut pas le seul moyen de rompre avec la pratique jusque-là répandue : d’autres répondent à la même préoccupation en retouchant des textes existants. C’est ce qui se passe par exemple avec la transmission des Vitas sanctorum de Rodrigue de Cerrato : Le recueil initial est bien représentatif des collections abrégées issues des scriptoria dominicains : il est présenté comme le résultat d’un effort de réunion d’une matière éparse, abrégée pour encourager la dévotion. Mais parmi les témoins des Vitas sanctorum de Rodrigue de Cerrato, un des manuscrits transmet une version du texte amplifiée après coup. Au xiv e siècle, un remanieur a ressenti le besoin de réviser ce légendier et de le compléter : il retourne aux sources pour réintégrer des informations initialement jugées superflues151.

  A. Poncelet, art. cité, p. 31.   L. Delisle, ouv. cité, p. 303-311.   Sur cette tradition manuscrite, voir J. Vivès, « La vitas sanctorum del Cerratense », Analecta sacra Tarraconensia, t. 31, 1948, p. 157-176 ; A. Dondaine, « Les éditions du Vitas sanctorum de Rodéric de Cerrato », Mélanges offerts à Jean-Pierre Müller OSB, Studia Anselmiana, t. 63, Rome, 1974, p. 225-253 ; M. Bassetti, « Per un’edizione delle Vitae sanctorum di Rodrigo de Cerrato », HA, t. 9, 2002, p. 73-160. 149

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Il y a donc une convergence des indices qui montre que, dans le premier tiers du xiv e siècle, une forme de réhabilitation des textes longs se développe au sein même de l’ordre qui a le plus promu l’abrégé comme support efficace de pastorale. Ces convergences laissent penser que l’on se trouve face à un mouvement de fonds, qui dépasse les choix singuliers de tel ou tel compilateur. D’ailleurs, il est probable que ce désir de travailler de nouveau avec des textes longs dépasse le seul domaine de l’écrit hagiographique. Le milieu universitaire, par exemple, n’est pas épargné par cette critique du recours trop systématique à l’abrégé. L’enseignement traditionnel de la théologie s’appuie sur l’utilisation des Sentences. Or, au xiv e siècle, cette utilisation des recueils d’extraits est jugée abusive. Le plus illustre tenant de cette parole contestataire est Roger Bacon : il regrette que l’utilisation des Sentences se soit développée aux dépens de la lecture suivie du texte biblique. Cette volonté de revenir à une lecture cursive du texte est aussi perceptible dans l’évolution des structures scolaires dominicaines : lorsque l’enseignement de la théologie est séparé de celui de la Bible, le recul du travail sur les extraits est sensible dans l’un et l’autre domaine. Dans l’enseignement de la théologie d’abord, la promotion du thomisme réduit de fait l’étude des Sentences de Pierre Lombard. Quant à l’enseignement biblique, le chapitre général de 1308152 entérine la création d’un studium biblicie. Cette création marque la fin d’un enseignement purement exégétique du texte biblique. De plus, le temps passé à lire la Bible est plus long chez les prêcheurs que chez les séculiers. Cette lecture y est aussi plus approfondie. Ce constat conduit Jacques Verger à distinguer les cursus et à réfuter la synonymie généralement admise entre les lecteurs de la Bible qualifiés dans les textes de biblice et les lecteurs dits cursores. Les premiers semblent désigner les prêcheurs, mieux formés dans cette lecture du texte long, tandis que les cursores, apparentés à de simples sentenciaires, s’appliquent plutôt à des séculiers153. Au xiv e siècle, plusieurs domaines distincts du point de vue de leur nature comme de leur destination sont concernés par un retour aux textes longs, à la

  Dans les faits, les Studia biblie apparaissent dès 1290 dans la province de Provence. Le chapitre de 1308, réuni à Padoue, ne fait que prendre acte de cette existence. Bernard Gui, qui, l’année précédente, a été nommé inquisiteur, siège au chapitre général de Padoue comme définiteur. 153   J. Verger, « L’exégèse, parent pauvre de la scolastique ? », Manuels, programmes de cours et techniques d’enseignement dans les universités médiévales, Actes du colloque international de Louvain-la-Neuve (9-11 septembre 1993), sous la dir. de J. Hamesse, éd. Université catholique de Louvain, 1994, spécialement p. 43-46. Sur l’organisation générale des études dans l’ordre des prêcheurs, voir C. Douais, Essai sur l’organisation des études dans l’ordre des Prêcheurs au xiiie et xiv e siècle (1216-1342), première province de Provence, province de Toulouse, éd. Picard, Paris et éd. Privat, Toulouse, 1884. 152

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lecture cursive. Le rapprochement qui peut être fait entre eux n’est pas que conjoncturel : ce sont les hommes issus d’un même milieu, marqués par une même formation intellectuelle qui ressentent cette nécessité et en généralisent son application. Un siècle après les débuts de l’ordre dominicain, le regard porté sur les textes a donc sensiblement changé, entraînant avec lui une modification des études et une évolution des objectifs assignés à la compilation des grandes collections hagiographiques. C– L a naissance d’une encyclopédie hagiographique  C’est une bien grande banalité que de dire que le Speculum sanctorale ne peut être extrait du contexte culturel qui l’a vu naître. Jacques de Voragine, Barthélemy de Trente, Jean de Mailly ont abrégé des Vies de saints, mais dans leur siècle comme dans le précédent, ils ne sont pas les seuls154. Si Bernard Gui prend le contre-pied de cette attitude, il n’est pas lui non plus, à son époque, l’initiateur de cette réhabilitation des textes longs organisés en grandes Sommes. D’une certaine manière, il dépend du mouvement de production des grandes encyclopédies, et son Speculum, même s’il n’est pas pluridisciplinaire, en a l’esprit holiste. Les connaissances qu’il rassemble sont, plus que dans la Légende dorée, mises en valeur par leur classement. Trier est une étape essentielle que l’on retrouve dans les grandes collections à portée universelle, mais aussi dans la construction de Sommes liturgiques comme celle que confectionne Humbert de Romans pour son ordre. Le Speculum sanctorale s’apparente à ce type de productions littéraires : quoique fondé sur un seul type de connaissance, il en a l’ampleur et l’ambition. Bernard Gui d’ailleurs a soumis sa collection aux exigences du genre : présenter, distinguer, ordonner. 1– Présenter L’habitude de faire précéder le récit de la Vie d’un saint d’un « chapeau » introductif est ancienne et elle ne préjuge en rien du caractère encyclopédique de l’ouvrage qui les contient. Toutefois, l’évolution de son contenu, la normalisation des titres et, à sa suite, de l’incipit des légendes, peuvent témoigner de la volonté du compilateur d’assurer la cohésion des textes divers qu’il entend rassembler. Le titre désigne, individualise, mais lorsque le même intitulé est, au prix de quelques variantes, accolé à quelques 250 textes hagiographiques, sa fonction première se double d’un autre objectif : tout en désignant l’objet   Voir par exemple F. Dolbeau, « Deux auteurs oubliés de légendiers abrégés», AB, t. 108, 1990, p. 80.

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du discours, il le fait entrer dans un système que l’on souhaite le plus homogène possible. Dans le cadre du Speculum sanctorale de Bernard Gui, cet objectif est atteint par la normalisation des titres155, mais aussi de tous les débuts des Vies de saints qu’il rapporte. Dans le cadre d’une compilation aussi volumineuse que le Speculum sanctorale, les titres recherchés par Bernard Gui ont le mérite de rendre ses choix parfaitement intelligibles. Pour cela, il fait systématiquement précéder le récit des Vies et Passions d’une courte notule, rubriquée et soulignée156, indiquant le nom du saint, la date de sa fête157 et la source158 sur laquelle il se fonde pour rapporter les faits édifiants. Toutes sont rédigées sur le modèle du martyrologe, c’est-à-dire que selon l’usage liturgique, le nom du saint est au génitif et que Vita ou In festivitate sont sous-entendues. Il écrit ainsi : « Fête de saint Julien, évêque et confesseur, célébrée le VI des calendes de février, d’après sa Vie »159, ou encore « Vies des saints Gorgon et Dorothée, fêtées le V des ides de septembre, d’après leur Vie et le livre VIII de l’Histoire ecclésiastique »160. Sous cette forme, les titres des légendes du Speculum sanctorale ne vont pas sans rappeler ceux des textes du Passionnaire hispanique – repris dans le manuscrit 479 de la Bibliothèque municipale de Toulouse161 – et dans lesquels Rosa Guerreiro voit la raison de l’homogénéité du corpus162. Mais dans beaucoup d’autres cas, c’est-à-dire chaque fois qu’il le sait, Bernard Gui fournit des titres beaucoup   Il s’agit ici des titres de légendes. Ceux qui subdivisent le texte hagiographique lui-même sont évoqués en même temps que la question de l’ordre et de la construction des textes. 156   Voir par exemple la planche XI de l’annexe 5. 157   Dans un petit nombre de cas, ce renseignement est absent du titre de la légende : voir par exemple l’introduction des Vies de Mar, Marthe, Audifax et Abacuc (ms 481, III, fol. 28). Ces cas s’expliquent sans doute pas le fait que ces Vies ont d’abord été conçues comme des extensions des chapitres qui les précèdent : la Passion de Mar, Marthe et leurs fils est liée à celle de saint Valentin ; la Vie de Pélagie dépend pour une bonne part de celle de saint Yrieix. Il se peut donc que Bernard Gui n’ait pas trouvé de dates liturgiques différentes, dans des calendriers qui, généralement, ne distinguent pas ces groupes de saints. De ce fait, l’absence de date sousentend la reconduction de celle qui est indiquée au chapitre précédent. Par contre, dans le cas de la Passion de Boèce (ms 481, III, 125v°), comme dans celui des Pères du désert (ms 481, IV, 211v°), Bernard Gui n’a pu intégrer ces chapitres dans l’ordre calendaire et les rejette à la fin de leurs parties respectives. 158   Signalons deux contre-exemples : les Passions de Valentin, évêque d’Entrains (ms 481, III, fol. 27v°) et celle d’Éleuthère (ms 481, III, fol. 30v°) ne sont pourvues d’aucune indication de source. 159   Sancti Juliani episcopi et confessoris, VI° kalendas febroarii, ex gestis ejus, Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 26v°. 160   Sanctorum Gorgoni et Dorothei V° idus septembris ex gestis eorum in ecclesiastica hystoria VIII°, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 85v°. 161   Voir, à titre d’exemple, le titre de la Passion de sainte Euphémie : Passio sancti ac beatissime Eufemie virginis, que passa est in civitate Calcedonna ; die XVI kalendas octubres. Deos gratias (éd. A. Fábrega Grau, p. 338 et ms 479, fol. 222). 162   R. Guerreiro, « Le rayonnement de l’hagiographie hispanique en Gaule pendant le haut Moyen Âge : circulation et diffusion des Passions hispaniques », art. cité, p. 138. 155

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plus riches, ajoutant le lieu de la passion pour un martyre, le siège de l’épiscopat d’un saint évêque, le nom de l’auteur, de sa source et éventuellement de son traducteur. Il fait précéder la Vie de saint Sylvestre du petit texte suivant : « Vie de saint Sylvestre, célébrée la veille des calendes de janvier, d’après sa Vie qu’écrivit Eusèbe de Césarée dans un sermon grec. C’est lui qui la traduisit de grec en latin et la mit sous son nom au prologue et la fin. Le pape Gélase la mentionna devant concile des soixante dix évêques sur les légendes catholiques, comme il est dit au décret XV »163 L’identification des sources du Speculum sanctorale montre que les renseignements fournis par le compilateur sont fiables : les cas où, selon la manière médiévale, il brandit une source célèbre pour finalement la copier de seconde ou troisième main sans citer ses intermédiaires, sont très peu nombreux164. Même si cela n’est pas systématique, Bernard Gui fait aussi l’effort d’informer qu’il a élagué son modèle : « Vie et Passion de saint Saturnin, premier évêque de Toulouse, qui mourut dans la même ville le 3 des calendes de décembre, d’après son ancienne Vie, dont a été retranché ce qui était superflu et inadéquat »165. Surtout, il reprend dans ces titres la totalité des commentaires critiques inscrits par Humbert de Romans dans le « Prototype » du lectionnaire de l’office, développant à l’occasion ses titres en véritables notices introductives. À titre d’exemple, voilà comment il est influencé par ce qu’écrit le maître de l’ordre en préliminaire de la fête de saint Georges : Humbert de Romans, Sanctoral du lectionnaire de l’office éd. Urfels, p. 210.

Bernard Gui, Speculum sanctorale ms 481, III, fol. 31v°

Ex gestis ejus .T. Nota quod kalendarium Bede dicit quod Georgius passus est in Persida in civitate Dyospoli. Et quidam liber de locis transmarinis dicit quod quiescit in civitate Dyospoli que prius Lidda vocabatur, et est juxta Joppen super mare. Vita ejus que legitur in

Sancti Georgii martiris IX kalendas maii cujus passionis et gestorum ejus hystoria et si in Niceno concilio inter apocrifas connumeratur scripturas in decreto Gelasii papae divisione XVa capitulo ‘Sancta Romana’ illustrissimum tamen ejus martirum inter

163   Sancti Silvestri pape, pridie kalendas januarii ex gestis ejus que scripsit Eusebius Cesariensis episcopus greco sermone. Ille vero qui de greco transtulit in latinum nomen suum substituit in prologo et in fine, que Gelasius papa in concilio septuaginta episcoporum a catholicis legenda commemorat sicut legitur in decretis », Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 2. 164   Par exemple, pour la Passion de Gorgon et Dorothée, il place son texte sous l’autorité de l’Histoire ecclésiastique mais en fait copie l’abrégé qu’en donne Vincent de Beauvais dans le SpH, XIII, 20. 165   Vita et passio sancti Saturnini primi episcopi urbis Tholose qui passus est in eadem urbe III kalendas decembris, ex gestis ejus antiquis, aliquibus superfluis et impertinentibus resecatis, Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 106v°.

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Francia dicit quod passus est sub Daciano Hyspaniarum preside, sub Diocleciano et Maximiano imperatoribus. Sed alia ejus vita in antiquis libris Lothoringie dicit quod passus est sub Daciano imperatore Persarum, presentibus LXX regibus de imperio ejus. Unde et in Niceno concilio inter apocrifas scripturas numeratur ejus legenda, quia martirium ejus certam relationem non habet ; verumtamen quod hic decerptum est de ejus passione contrarietatem non habet.

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coronas martirium ecclesia venerabiliter honorat. Passio siquidem ipsius certam relationem non habet. Nam in kalendario Bede dicitur quod Georgius passus est in Persida in civitate Dyospoli. Et in quodam libro de locis transmarinis dicitur quod quiescit in civitate Dyospoli que prius Lidda vocabatur, et est juxta Jopen supra mare. In legenda autem que legitur in Francia dicitur quod passus est sub Daciano yspaniarum preside imperantibus Dyocleciano et Maximiano. In alia vero ejus legenda que invenitur in antiquis libris lothoringie dicitur quod passus est sub Daciano imperatore Persa-rum, presentibus LXX regibus de imperio ejus.

Ce travail sur les notes introductives se poursuit par une standardisation de tous les débuts de légende : tous commencent par Beata ou Beatus, suivi du nom du saint, des données sociologiques, généalogiques et géographiques le concernant. Pour obtenir ce résultat, Bernard Gui ne retient rien des prologues des Vies qu’il copie et adapte l’incipit de sa source, comme le montre, par exemple, la Passion de saint Ignace : Passio sancti Ignatii, BHL 4256-4259 éd. Acta SS, Février, I, 29

Bernard Gui, Passio sancti Ignatii, Speculum sanctorale, ms 481, III, fol. 22

Cum Trajanus romanorum suscepisset imperium Ignatius discipulus Joannis apostoli et evangelistae vir in omnius apostolicus, secundus post apostolos factus, qui post Evodium suscepit ecclesiam Antiochenam gubernandam, quae olim a tempestatibus et persecutionibus exagitabatur…

Sancti Ignatii episcopi et martiris kalendis febroarii ex gestis ejus abreviatis. Beatus Ignatius fuit sancti Johannis apostoli et evangeliste discipulus. Hic tertius post Petrum apostolum et secundus post Evodium, Anthiochenam regendam suscepit ecclesiam. Cum autem Trajanus imperator habita victoria Scitarum…

La volonté de faire une œuvre cohérente et homogène l’a donc poussé à remodeler systématiquement l’incipit de ses sources. Même si la recherche reste modeste et peu inventive, Bernard Gui a quand même évité de plaquer sous des titres normalisés la copie de textes divers dans leurs formes comme dans leurs origines. Cette standardisation formelle passe donc par la généralisation de l’emploi de Sanctus dans le titre et Beatus dans l’incipit, sans qu’il faille y voir une quelconque nuance de sens166 : il y a là seulement un effet de diver166  André Vauchez a rendu compte de la distinction progressive de ces deux notions (La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age d’après les procès de canonisation et les documents

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sification du vocabulaire dans l’entame de chaque Vie, doublé d’une recherche d’uniformisation au plan de la collection. Ce dernier point est par ailleurs renforcé par l’utilisation des encres de couleurs et par le décor des initiales167. Si la recherche d’une cohérence portée par l’unification des titres apparaît déjà dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais168, le principe est plus abouti chez Bernard Gui, qui l’applique de manière systématique. 2– Distinguer Comme l’a montré la description du sanctoral, l’ouverture du corpus est en partie due au fait que Bernard Gui a souhaité dissocier des saints généralement associés dans le partage des mêmes événements, ou rapprochés par leur homonymie, au bénéfice d’une tradition textuelle mal assurée. La volonté de faire toute la lumière sur des dossiers embrouillés est manifestement ce qui motive son désir de distinguer les homonymes, en leur attribuant des actes différents. Souvent, Bernard Gui ne peut faire autrement que de les traiter l’un après l’autre, car généralement, le trouble généré par la similitude de leur nom est accru par le fait que, parmi les homonymes, la fête du saint le mieux attesté se soit aussi imposée à l’autre169. De fait, les moyens dont il dispose pour les différencier sont minimes : si l’évocation du cadre géographique de la Passion est un bon point de départ, dans les faits, il ne peut pas toujours aller beaucoup plus loin : dans le troisième volume du Speculum, après avoir donné une Passion abrégée de sainte Sabine, martyrisée à Rome peu après sainte Sérapie, il traite de Sabine martyre de Troyes, qu’il n’est pas en mesure de présenter autrement

h­ agiographiques, éd. École française de Rome, 1981, p. 99-115). Elle se fait lentement, mais il n’est pas exclu que Bernard Gui, même s’il n’en tient pas compte, ait pu connaître cette différence puisque le franciscain Salimbene l’utilise afin de distinguer les saints canonisés (sanctus) des cultes populaires rendus à des saints douteux (beatus). Un peu plus tard, et en Italie encore, Fra Angelico distingue sainteté canonisée et réputation de sainteté en figurant, ou non, un nimbe au-dessus de la tête des clercs qu’il peint sur la fresque du couvent dominicain Saint-Nicolas de Trévise. 167   Voir annexe 5, planche XI. 168   M. Paulmier-Foucart (« Une des tâches de l’encyclopédiste : intituler. Les titres des chapitres du Speculum naturale de Vincent de Beauvais », L’enciclopedismo medievale, sous la direction de M. Picone, actes du colloque de San Gimignano (8-10 octobre 1992), Ravenne, 1994, p. 147162) montre que la rédaction des titres de chapitres est un domaine réservé de l’auteur, quand pour le reste, il s’attache surtout à réunir une matière écrite par d’autres. Les titres composés par Vincent de Beauvais sont plus diversifiés que ceux que rédige Bernard Gui pour le Speculum sanctorale : ils peuvent seulement décrire le sujet traité ou l’insérer, par le biais d’une question, dans une argumentation plus élaborée. 169  Dans le Speculum sanctorale par exemple, c’est le cas des deux saint Valentin (ms 841, III, fol. 27v°), ou des deux saint Genès (ms 481, III, fol. 79 et 81).

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qu’en ces termes : « Fête de l’autre Sabine, placée incidemment à cet endroit, sous la première »170. Mu par cette volonté toute scolastique de distinguer et de classer, Bernard Gui va s’efforcer d’isoler des saints que la tradition avait jusque là unis dans un récit unique. Si ce parti pris est d’un impact non négligeable sur l’ampleur de sa collection, on peut d’emblée faire remarquer que Bernard Gui n’a pas poussé sa logique au bout : en continuant d’accoler Agnès et Constance171, Pélagie à Yrieix172, Adrien à Nathalie173, son Speculum montre qu’il est encore influencé par l’habitude, enracinée de longue date, de maintenir les figures secondaires au contact des protagonistes des grands cycles hagiographiques. Ceci dit, les cas où il prend le parti inverse sont loin d’être négligeables et c’est sur ceux-là qu’il convient de s’attarder un peu. Avant de voir ce que cette position implique du point de vue de l’utilisation des sources, voyons rapidement quels grands textes hagiographiques sont ainsi démantelés pour fournir le contenu de Vies séparées. Au total, ce sont quatre grands cycles hagiographiques qui sont déstructurés. La Vie de sainte Cécile (BHL 1495) lui fournit d’abord les actes de la sainte éponyme174, mais Bernard Gui en tire aussi une Passion de Tiburce et Valérien175. Sur le même principe, la Vie d’Eugénie (BHL 2666) est séparée en une Passion de la sainte176 et une autre, consacrée à Prothe et Hyacinthe177. La Passion de saint Sébastien (BHL 7543) fournit au Speculum sanctorale trois légendes – celle de Sébastien178, de Marc et Marcellien179 et de Tiburce, le fils de Chromace180 – et celle des martyrs Nérée et Achillée (BHL 6058) pas moins de six textes hagiographiques isolés : les Passions de Domicille181, Félicule182, Eutice et ses compagnons183, Marcel et Apulée184, Nicomède,185 Nérée et Achillée186. Comme le montrent les références aux folios indiquées en note, la 170   De altera sancta Sabina virgine subditur incidenter in hoc loco, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 82v°. 171   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 16. 172   Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 125v° et 128v°. 173   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 83v° et 85. 174   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 110. 175   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 30v°. 176   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 86v°. 177   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 86. 178   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 11v°. 179   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 52. 180   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 74. 181   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 40v°. 182   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 48v°. 183   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 46. 184   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 97v°. 185   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 89. 186   Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 41v°.

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division de ces grands cycles hagiographiques est renforcée par l’éloignement, à l’intérieur du texte, des légendes désormais axées sur un seul des personnages de la « saga ». L’exemple de la Vie de sainte Cécile est intéressant pour montrer comment Bernard Gui répartit la matière de son modèle, quitte à en pondérer après coup les conclusions par l’évocation des autres cas de figure. Avant cela, il semble important de rappeler rapidement les épisodes principaux de la Passion de sainte Cécile dans le but de repérer si le double usage auquel la destine Bernard Gui entraîne, de fait, une amputation des actes de la sainte. En d’autres termes, est-ce qu’à partir d’une source unique, Bernard Gui construit deux Vitae par le biais de la redondance ou par le partage et l’individualisation des faits édifiants ? Fille d’un illustre patricien, seule chrétienne de sa famille, Cécile doit se résigner à sortir de la maison paternelle, où elle vivait dans la prière et la lecture des Livres saints, pour épouser le jeune Valérien, noble et bon mais païen. Le soir des noces, quand les époux se trouvent seuls, Cécile avertit Valérien qu’un ange de Dieu veille sur sa virginité. Celui-ci, troublé, demande à voir cet ange, mais Cécile lui apprend que seuls le peuvent les baptisés. Valérien accepte la condition, se rend auprès de l’évêque Urbain, est instruit dans la foi, reçoit le baptême. Revenu près de Cécile, il aperçoit un ange, qui tient dans ses mains deux couronnes de roses et de lys, et qui en pose une sur la tête de Cécile et l’autre sur celle de Valérien. Au récit de ces merveilles, Tiburce, frère de Valérien, abjure les idoles et se fait chrétien lui aussi. Dénoncés, ils sont confiés à la garde de Maxime, qu’ils convertissent. Conduits devant le préfet Amalchius, ils demeurent inflexibles dans leur foi et ont la tête tranchée. Un peu plus tard, Cécile comparait à son tour devant le tribunal du préfet de Rome, qui la condamne à mourir dans sa salle de bains embrasée de vapeurs. Miraculeusement, elle ne ressent aucune chaleur, aussi est-elle condamnée à la décapitation. Le bourreau le fait si maladroitement, qu’elle ne meurt que trois jours après. Pour faire ce récit, Bernard Gui s’appuie sur la Passion attribuée à saint Ambroise et connue sous le nom de recensio longior (BHL 1495). Il en a trouvé un exemplaire dans le Passionnaire du manuscrit 479187, qui lui sert de modèle, comme le montre la présence dans les marges de la signalétique qu’il a mise au point pour couper le texte et le distribuer en paragraphe. Dans sa copie, il est fidèle à sa source, la remaniant peu et restituant à l’identique de très longs passages (les cinq premiers épisodes du texte du Speculum sanctorale restituent

  Toulouse, BM, ms 479, fol. 277-284.

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littéralement la Passion BHL 1495). Cela dit, Bernard Gui abrège aussi sa source en supprimant des unités assez importantes : d’abord, il ne garde rien du prologue de la Passion et ne commence sa copie qu’avec l’expression Hujus vocem audiens Cecilia virgo…, c’est-à-dire, dans l’édition de Mombritius, à la cinquantième ligne du texte. Ensuite, il supprime de son modèle le très long passage dans lequel Cécile enseigne à Tiburce la doctrine chrétienne, puis, de la même manière, la profession de foi de Tiburce. Enfin, il réduit considérablement le dialogue entre Valérien et Tiburce et les répliques de l’interrogatoire de Cécile. La suppression des éléments relatifs à Tiburce et Valérien laisse penser que Bernard Gui les réserve à l’écriture d’une Passion des martyrs, rejetée au 14 avril. Or, contre toute attente, la lecture de cette Passion montre que les épisodes expurgés des actes de Cécile le sont aussi des actes du martyre des deux frères. En effet, le texte rédigé à la mémoire de Tiburce et Valérien est un abrégé construit sur la base du texte retenu pour la Vie de sainte Cécile. À aucun moment, Bernard Gui n’utilise les éléments, dont l’abandon se justifiait dans le cadre d’une Passion de sainte Cécile légèrement resserrée, pour alimenter la Vie de ses compagnons : s’ils passent au second plan de la Vie de la sainte, les événements qui témoignent de la sainteté de Valérien et de son frère ne sont pas mieux traités dans le texte qui leur est dédié. Du coup, et c’est un peu surprenant, le travail de réécriture qu’il effectue est bien plus élaboré que pour Cécile dans la mesure où les reformulations, nécessaires en raison du plus grand nombre de mots élagués, sont plus nombreuses et plus variées. D’ailleurs, à la fin de la Passion de Tiburce et Valérien, Bernard Gui recommande aux lecteurs curieux de connaître plus de détails sur ces deux martyrs, de se reporter à la Vie de sainte Cécile188, ce qui est un peu curieux dans la mesure où, dans la Passion de la sainte, Bernard Gui s’est attaché à élaguer d’abord ce qui était relatif à Tiburce et Valérien… Globalement, Bernard Gui procède de manière analogue dans les autres cas de figures : la Passion de sainte Domitille n’intègre pas d’autres éléments que ceux que Bernard Gui a déjà résumés dans la légende de Nérée et Achillée, tout comme les paroles des parents de Marc et Marcellien, résumées en tête de la Vie de saint Sébastien, ne sont pas rallongées quand Bernard Gui les reprend dans la Passion de ces deux martyrs. Ce choix d’écriture éclaire l’objectif qu’il est sensé servir. Les saints qui sortent ainsi de l’ombre (ombre toute relative) par leur inscription au sommaire de la collection, ne sont, en fait, pas plus individualisés que ne le laissait présager a priori une telle volonté de désolidariser les personnages unis dans un même cycle ha  Reliquam, autem verborum et gestorum istorum meritum in gestis sancte Cecilie plenus describuntur (Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 30v°).

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giographique. En fait, la lecture de leurs actes n’apprend rien de plus – et moins encore – que ce que l’on savait déjà à la lecture de la Vie du « héros principal ». Par ailleurs, le système de renvoi qui se trouve à la fin de la Passion des saints Tiburce et Valérien laisse penser que Bernard Gui a multiplié les entrées pour faciliter la consultation de son légendier : cela permet en effet d’identifier les saints secondaires, de se faire rapidement une idée du contenu de leurs actes, mais ne dispense pas, en dernier recours, de consulter la Vita d’origine. 3– Ordonner L’organisation de la matière est un enjeu sur lequel les solutions du compilateur d’encyclopédie sont attendues. La volonté de connecter une immense matière dans un système plus ou moins élaboré fait du Speculum sanctorale un ensemble différent des légendiers per circulum anni. Sous ce rapport aussi, Bernard Gui peut être placé dans la lignée des compilateurs d’œuvres encyclopédiques. Dans l’immédiat, il ne sera pas question ici de l’organisation d’ensemble du Speculum sanctorale que décrit le prologue, afin de privilégier un angle moins connu, à savoir la construction des Vies et leur découpage interne en chapitres et en paragraphes. a– Une composition stratigraphique Il est assez fréquent que les Vies du Speculum sanctorale, surtout quand elles sont longues, soient découpées en chapitres. Dans le cadre des textes hagiographiques, l’examen des titres de chapitres est un objet d’étude récent189. Ils permettent de cerner l’esprit de composition de l’hagiographe, ses talents en la matière, ou, lorsqu’il s’agit de découpages a posteriori, de voir comment une légende s’est transformée. Dans le cas du Speculum sanctorale, la division interne des Vies de saints et le repérage de ces grands chapitres par l’inscription de titres intermédiaires est une donnée initiale de la compilation. Leur raison d’être est double : d’abord, et c’est classique, il s’agit de distinguer les grandes unités du récit (Vie/translation/miracles). Pour l’apôtre Barthélemy par exemple, Bernard Gui introduit le récit de sa Vie par le titre commun à toutes les légendes de son Speculum (Sancti Bartholomei apostoli IX° kalendas septembris, ex gestis ejus), et prend aussi la peine de la clore en souli189   J.-C. Poulin a récemment attiré l’attention sur tout le profit que l’on peut tirer de l’analyse de cette pratique des intitulés à l’intérieur d’un texte hagiographique (« Un élément négligé de critique hagiographique : les titres de chapitres », Scribere sanctorum gesta¸recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, ouv. cité, p. 309-342). Cette capitulation interne, antérieure au développement de la scolastique mais que cette dernière a développée, participe d’une volonté de classer et d’ordonner les textes.

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gnant d’un trait de plume l’expression Ex gestis apostoli Bartholonei antiquioribus sunt excerpta. Après une série de commentaires et citations tirées des Pères de l’Église, il annonce le récit de la translation du corps de l’apôtre depuis l’Inde jusqu’à l’île de Lipari en Sicile (De translatione corporis beati Bartholomei apostoli ab India insulam Lipparitanam Sicilie), puis jusqu’à Bénévent et Rome (De translatione corpus sancti Bartholomei ab insula apud Beneventum metropolim Apulie). Il procède de la même manière pour saint Baudile, en distinguant, par le biais de la mise en page, la Passion proprement dite qu’annonce le titre (Sancti Baudilii martiris XIII° kalendas junii ex gestis ejus), et le récit de sa translation à Orléans, précédée de Sequitur de translatione corporis sancti Baudilii de Nemauso Aurelianis. Les dossiers les plus fournis sont soumis au même traitement et cette division de leur immense matière en cellules thématiques garantit leur clarté et leur lisibilité. C’est ainsi que tout ce qu’il a à dire sur saint Saturnin est trié, classé et restitué dans un système logique : il dissocie formellement le récit de sa Passion (elle est annoncée par le titre De sancto Saturnino episcopo et martire. Vita et passio sancti Saturnini primi episcopi urbis Tholose qui passus est in eadem urbe III° kalendas decembris, ex gestis ejus antiquis, aliquibus superfluis et impertinentibus resecatis et se clôt avec l’expression Hec ex gestis antiquis sancti Saturnii sunt excerpta), celui de l’invention du corps (De inventione corporis sancti Saturninis martiris), puis la translation (elle est encadrée de deux formules soulignées : De translatione corporis sancti Saturnini in Franciam et qualiter idem ad sedem suam Tholose fuerit reportatum d’abord et Hec autem accepta sunt ex cronicis ensuite), les miracles (Sequitur de miracula sancti Saturnini) et enfin des inventions qui ont eu lieu au xiiie siècle. Cette volonté de découper les grands parties de la légende, allant jusqu’à accentuer, par le soulignement et le changement d’encre, leur accroche visuelle fournit aux lecteurs un moyen efficace de retrouver les passages que l’on désire utiliser. Cette technique rend le texte utile, justement parce qu’elle permet une lecture fragmentaire. Ensuite, les titres intermédiaires permettent la séparation d’éléments qui viennent de sources diverses. Pour écrire la Vie de saint Nicolas, Bernard Gui annonce, dans un titre développé, qu’il s’appuiera d’abord sur la traduction qu’a donnée Jean Diacre du texte de Méthode, et la complètera, ensuite, des informations que livrent d’autres docteurs grecs. Or, il ne fait pas la synthèse de ces deux sources, mais raconte, d’abord, ce qu’il tire du premier pour rendre compte, ensuite, de ce qu’il a appris de la lecture des suivants. Les deux parties – de longueur très inégale – sont séparées par un sous titre souligné : « Voilà ce qui est tiré de la Vie de saint Nicolas que Jean Diacre, qui se nomme serviteur de saint Janvier dans le prologue, traduisit du grec en latin. Ce qui suit est aussi tiré de ce qu’écrivirent d’autres docteurs de la Vie et des miracles de

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saint Nicolas »190. De même, pour la notice consacrée à saint Bernard, il relève d’abord « ce qu’écrit Guillaume de Saint-Thierry » et ensuite « ce qu’on lit ailleurs »191. Dans l’écriture hagiographique de Bernard Gui, il n’y a donc pas vraiment de confrontation de sources. Le volume d’analyse montre que les cas où Bernard Gui entremêle plusieurs sources pour traiter de la Vie d’un saint sont très peu nombreux192. En règle générale, il privilégie leur association, après que les unes et les autres aient été plus ou moins délestées des éléments jugés inutiles. Pourtant, construire une mosaïque élégante et homogène d’épisodes issus de sources variées, autrement dit faire du neuf avec du vieux, est ce que l’on considère habituellement comme la caractéristique de l’auteur au Moyen Âge. Au contraire de ce qui se rencontre habituellement dans les textes narratifs, Bernard Gui ne mêle pas ses sources : après avoir suivi de bout en bout une source principale, choisie en harmonie – du moins chaque fois que c’est possible – avec les préconisations d’Humbert de Romans, il fait se succéder de courts paragraphes qui apportent des éléments complémentaires issus de sources d’appoint. Ainsi, le récit de la vision de la Croix qu’a Constantin est présenté à partir de l’Histoire ecclésiastique, la primauté qu’il confère à cette source devant être mise en relation avec le choix opéré par Humbert de Romans qui la donne pour seule référence en introduction dans son lectionnaire ; Bernard Gui ajoute ensuite des informations complémentaires tirées de l’Histoire Tripartite, notamment l’apparition du Christ. Il ne tranche pas entre ce que dit Eusèbe d’une part et Cassiodore de l’autre, jugeant que les versions qu’ils avancent ne sont pas contradictoires et que la mention de l’apparition du Christ par Cassiodore ne fait que renforcer l’importance du signe divin193. Ce système stratigraphique rejette en toute fin de légende les informations secondaires ou sujettes à caution, ce qui renforce l’impression déjà très marquée de hiérarchisation des témoignages194. Ce parti pris tranche avec le ca  Hec accepta sunt ex gestis sancti Nicholay que Johannes dyaconus, qui se dicit in prologo servum sancti Januarii de greco transtulit in latinum. Ea vero que sequntur accepta sunt ex hiis que scripserunt doctores alii de gestis et miraculis sancti Nicholay, Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 201v°. 191   Toulouse, BM, ms 481, fol. 249. 192   Les cas les plus frappants sont les Vies de saint Bernard et de saint Louis. 193   Toulouse, BM, ms 480, I, fol. 138-140. 194   Voir à titre d’exemple, la construction de la légende de saint Paul (II, fol. 32v°), où Bernard Gui suit d’abord le texte attribué à Lin avant d’ajouter des épisodes tirés des sources dominicaines, comme la Légende dorée ou le lectionnaire de l’office ; on verra encore la Vie de l’apôtre Barnabé (II, 100) qui superpose le récit issu de l’Histoire scolastique, puis des éléments tirés de Jean Diacre et copiés sur le lectionnaire de l’ordre, et enfin une citation de saint Jérôme ; le martyre du pape Marc (III, 10) est raconté en suivant sa Passion, à laquelle s’ajoutent, à la fin, des indications supplémentaires extraites de chroniques et des gestes des pontifes romains ; la légende de saint Longin (III, 30) sépare de la même manière ce qui vient de sa Passion et de ce qu’on peut tirer d’Usuard ; pour les martyrs Victor et Corone (III, 45), alors qu’il annonce utiliser une Passion commune, Bernard Gui donne d’abord ce qui a trait à Victor, puis ce qui 190

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ractère agglutinant de la compilation médiévale. Au contraire de Jacques de Voragine par exemple, mais il n’est pas le seul, qui fusionne les témoignages et ne prévient pas systématiquement son lecteur qu’il s’appuie désormais sur une autre source, Bernard Gui fait en sorte de ne pas pousser la réécriture jusqu’à la confection d’un texte lisse qui empêcherait un lecteur de repérer d’où vient chaque série d’informations. Il ne va pas, comme ses prédécesseurs, les réduire jusqu’à former un texte unique et homogène. Finalement, l’impression dominante est que les seuls textes qui viennent émailler ses réécritures sont ceux qu’il trouve chez ses prédécesseurs dominicains, et encore de quelques mots seulement, comme le montrent les exemples exploités précédemment. Pour le reste, dans son écriture hagiographique, les sources ne sont pas miscibles. Le raisonnement vaut aussi pour le découpage du texte en paragraphes équilibrés, morcellement qui dût être cher à Bernard Gui si l’on en croit le travail d’appropriation effectué dans les marges des manuscrits 477, 478 et 479 de la Bibliothèque municipale. Cette mise en forme, rudimentaire et simple à nos yeux, est habile car elle permet de contourner un inconvénient majeur des textes hagiographiques longs : l’ennui qu’ils suscitent chez le lecteur, comme le dénoncent les auteurs de légendiers abrégés. Ces articulations rompent la monotonie en soulageant l’attention du lecteur. Si Bernard Gui ne soumet ses sources qu’à un abrègement minimal, il les dote d’outils visuels qui permet de ne pas tout lire. D’un point de vue technique, ce découpage du texte est très souvent accompagné de l’excision d’une ou deux phrases qui, dans le texte initial, unissaient les épisodes. Ainsi, dans la Vie de saint Benoît, la suppression de la forme dialoguée pousse Bernard Gui à supprimer aussi les phrases qui annoncent chaque épisode de la Vie du saint. Dans la Vie de saint Antoine, le récit de l’expérience du désert et des combats continuels contre les démons s’achève fréquemment par la citation d’un Psaume ou de textes évangéliques qui généralisent la portée de l’expérience vécue par Antoine195. Celles-ci disparaissent avec la division du texte.

concerne Corone ; la légende de Cyr et Julitte (III, 50v°) ne mêle pas plus ce qui vient du récit d’Hucbald de Saint-Amand et ce que rapportent « d’autres histoires » ; la Vie de Gervais et Protais (III, 53v°) est d’abord racontée in extenso à partir des leçons du lectionnaire de l’office dominicain. À l’issue de cette copie, Bernard ajoute un extrait de la Passion BHL 6039 qui évoque le lien des martyrs avec saint Nazaire, puis des citations d’Ambroise et d’Augustin ; citons encore la Vie de Grégoire le Grand (IV, 44) : elle est racontée en suivant les quatre livres composés par Jean Diacre, puis complétée par des renseignements lus dans l’Histoire des Lombards. 195   Les exemples de ce type sont nombreux : voir entre autres les Vies d’Ambroise (IV, fol. 62v°), d’Alpinien (IV, fol. 66v°), de Gilles (IV, fol. 137v°), Hilarion (IV, fol. 160v°), Amand de Rodez (IV, fol. 165), Martin de Tours (IV, fol. 169v°).

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Ce faisant, l’objectif poursuivi par Bernard n’est peut-être pas si différent de celui de ses prédécesseurs, car il choisit une mise en forme de la matière hagiographique qui permet aussi à l’utilité de prendre le pas sur la connaissance196. Mais son Speculum présente une différence majeure avec les légendiers de ces prédécesseurs : il n’exclut pas, pour celui qui le souhaite, une lecture complète et approfondie des actes d’un saint. Cette division en paragraphes peut-être un indice de l’usage auquel Bernard Gui (et Bérenger de Landorre ?) destinait le Speculum sanctorale ; Jean Châtillon a précisé que cette pratique du découpage en paragraphes des textes compacts se répand en milieu scolastique avec le renouvellement des méthodes d’enseignement, qui associent lectio et divisio197. Par ailleurs, ce goût pour la division, associé à la volonté de classement et aux principes de clarification, relève d’une mentalité commune à l’époque. Enfin, il est possible que l’allongement des Vies, n’ait été acceptable, pour un lecteur du xiv e siècle, qu’au prix de cette division du texte initial : au moins, si le texte n’est pas abrégé, la lecture peut être aisément suspendue. Finalement, c’est la division qui justifie le mieux la réhabilitation des textes longs. Il ressort de tout cela que le Speculum sanctorale prend bien souvent les formes d’un florilège. Il en est alors de ces extraits comme des sous parties construites à l’intérieur de la Vie d’un saint : ils dispensent de la lecture de l’œuvre complète car Bernard Gui en donne le meilleur (c’est-à-dire ce qui est inédit). L’originalité du Speculum sanctorale réside sans doute dans la manière de traiter, du point de vue du fond comme de la forme, les textes hagiographiques en autorités et d’en donner un catalogue. b– Bien lire : les apports du paratexte À l’image de ces florilèges qui se développent dans les milieux universitaires pour éviter les erreurs d’interprétation, le Speculum sanctorale offre une série d’instruments qui doivent aider à la lecture : aux tables et titres courants, qui sont très classiques, la Vie de saint Martial ajoute des éléments plus originaux. Chaque paragraphe comporte, en regard du développement, son propre résumé, inscrit dans la marge. Ce système, unique dans tout le Speculum, permet un repérage rapide des différents épisodes, en même temps qu’il autorise une lecture abrégée de la vita. Par ailleurs, le légendier apparaît comme un recueil de textes véridiques : c’est ainsi que le présente Bernard Gui dans le

  Sur cette notion, consubstantielle à la rédaction et à la consultation des livres aux xiiie et siècles, voir J. H amesse, « Le modèle scolastique de la lecture », Histoire de la lecture dans le monde occidental, sous dir. de G. Cacallo et R. Chartrier, éd. Seuil, Paris, 1997, p. 125-145. 197   Dans son Didascalicon, à deux reprises (III, 9 et VI, 12), Hugues de Saint-Victor indique que « lire, c’est diviser » (voir J. Châtillon, art. cité, p. 25). 196

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prologue198, et, en conformité avec ce programme, l’intitulé de certaines Vies prévient que les passages sujets à caution n’ont pas été reproduits199. À l’orthodoxie du texte, s’ajoutent des citations qui orientent l’utilisation de la Vie du saint et balisent – ou limitent – son utilisation. Il s’agit pour l’essentiel des commentaires des Pères de l’Église, comme ceux que porte Ambroise sur les martyrs dans ces Praefationes, ou d’extraits des sermons prononcés par saint Augustin. On s’y attend, ce type de dilatation de la légende est réservé aux grands saints des premiers temps, apôtres et disciples. Dans le cas de la Vie de saint Jean, on compte une vingtaine de ces citations, tirées aussi bien de sermons (de saint Augustin et de Pierre Damien), que de commentaires des Écritures rédigés par des Pères latins (comme ceux de Bède, de saint Augustin) ou grecs (Jean Chrysostome, Théophile), ou même de livres historiques comme l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe. Il arrive, alors, que la part accordée aux Autorités soit aussi importante que celle de la narration hagiographique proprement dite. Bien sûr, le Speculum sanctorale ne permettra pas de combler notre méconnaissance de la place et de l’utilisation possible des grandes collections hagiographiques dans l’organisation des études. Mais il apparaît quand même qu’en faisant suivre les Vies de saints d’une somme de citations, Bernard Gui avait à cœur de faire une œuvre utile et utilisable. Ici, on est loin de l’appropriation par la ruminatio et la méditation. Le lecteur est guidé. Pour partie, ce type de dilatation de la Vie du saint se trouvait déjà dans la Légende dorée. S’il est redevable de ce modèle – et il l’est sans doute – Bernard Gui multiplie considérablement le nombre de ces citations et les regroupe en véritable corpus quand Jacques de Voragine en émaillait son récit. Son travail, on le sait maintenant, est aussi beaucoup plus systématique que celui de son prédécesseur : pour certains martyrs par exemple, il est en mesure de citer un extrait des Praefationes de saint Ambroise négligé par Jacques de Voragine. Il poursuit et accentue les recherches accomplies pour la deuxième version de la Légende dorée et dote le légendier d’une série de citations d’Autorités. D’une

  in unum colligere studui que dispersa inveniebantur in multis, autenticas scripturas et illas quas Romana ecclesia nequaquam suscipi prohibet (éd. L. Delisle, ouv. cité, p. 421). 199   À titre d’exemple, voir le titre de la Passion de saint Saturnin (Vita et passio sancti et martiris Saturnini primi episcopi Tholose qui passus est in eadem urbe III kalendas decembris, ex gestis ejus antiquis aliquibus superfluis et impertinentibus resecatis), de celle de Cyr et Julite (Gesta et passio sanctorum martirum Cirici et Julite quorum festivitas XVI kalendas julii superfluis et apocrifis resecatis), de saint Pons (Sancti Poncii martiris cujus festivitas celebratur pridie idus maii. In quibusdam vero kalendariis seu martirologiis scribitur V° idus maii. Ex gestis ejus que scripsit sanctus Valerius qui cum eodem fuit enutritus et in scolis eruditus et per baptismum in Christo renatus, de hiis que ipse vidit et audivit nec non cum eo multa passus fuit superfluis aut preter necessariis resecatis.), ou de saint Fulcran (Sancti Fulcranni episcopi Lodovensis ydus febroarii ex gestis ejus antiquis resecatis superfluis que ex prolixitate nimia legentibus fastidium generabant). 198

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certaine manière, la nature encyclopédique du légendier, déjà en herbe dans la Légende dorée, aboutit dans le Speculum sanctorale de Bernard Gui. 4– Une collection influencée par les commentaires thomistes Pour la Vie de saint Jean-Baptiste, puis pour la Passion des saints Innocents, Bernard Gui fait des Évangiles sa source principale. Dans le premier cas, il extrait les éléments relatifs au Précurseur des Évangiles de Luc (livres I et III), Matthieu (livres III, VI et IX) et de Jean (livre I). Pour ce qui est des saints Innocents, le texte biblique lui fournit moins d’éléments et il ne peut tirer ses informations du seul Évangile de Matthieu (livre II). Comme il le fait dans bien d’autres cas, Bernard Gui complète les données strictement biographiques et narratives d’une série de commentaires et citations d’Autorités. Mais ce qui distingue les légendes de Jean-Baptiste et des saints Innocents, c’est que ces commentaires ne sont pas rejetés à la fin de la légende. Au contraire, ils scandent tout le texte, interrompant même la copie de l’Évangile. Cette manière de procéder est unique dans les parties du Speculum consacrées aux Vies de saints, si bien qu’elle semble dictée par le choix de la source. La lecture, même plus rapide, qui a été faite de la première partie de la collection, dédiée aux fêtes du Christ et de la Vierge, montre une généralisation de ce procédé. Cela se comprend, puisque dans ces chapitres, Bernard Gui puise l’essentiel de ses informations dans les textes scripturaires. Or, dans l’ordre dominicain, l’idée d’une lecture cursive du texte biblique commenté par une chaîne d’autorités patristiques a un précédent célèbre : la Catena aurea de Thomas d’Aquin. La confrontation de ce recueil avec les légendes de Jean-Baptiste et des saints Innocents inscrites dans le Speculum sanctorale avec le recueil de Thomas d’Aquin montre sans conteste que Bernard Gui a copié littéralement la Catena aurea. Un même emploi de cette chaîne d’autorités n’est, en l’état, que suspecté pour ce qui est de la première partie du Speculum sanctorale. Ceci dit, les vérifications ponctuelles même si elles demandent à être approfondies, ne démentent pas cette identification. En apparence anecdotique, cet élément peut constituer une avancée essentiellement sur deux points : l’influence de la culture scolastique dans l’écriture hagiographique, et le contexte qui a justifié la commande d’un nouveau légendier pour les frères prêcheurs. Pour ce qui est du premier point, les travaux menés sur la Légende dorée ont montré le relatif éloignement de Jacques de Voragine des méthodes scolastiques. Si la deuxième version de la Légende dorée est plus ouverte à la scolastique, il est difficile d’y trouver l’écho des écrits de Thomas d’Aquin. Alain Boureau suggère d’ailleurs que c’est en confiant les corrections du légendier à des frères plus jeunes que ce dernier

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s’ouvre aux commentaires issus de la scolastique200. Finalement, seule la découverte, par Louis-Jacques Bataillon, de l’utilisation par Jacques de Voragine, pour ses sermons de Carême, de la Catena aurea de Thomas d’Aquin201, permet de dire que l’archevêque de Gênes n’était pas rétif aux travaux du docteur commun. De ce point de vue, le Speculum sanctorale témoigne d’une forme d’avancée. Cependant, il ne faut pas trop en majorer la portée : les autres traités de Thomas d’Aquin, strictement théologiques ceux-là, restent absents des sources du grand légendier, et l’usage de la Catena aurea ne peut être plus développé car l’apport des Évangiles en matière de légendes hagiographiques reste limité. En second lieu, au-delà des informations concernant le traitement des textes hagiographiques ou la culture d’un dominicain que son ordre n’a pas cru bon d’envoyer au studium generale, l’usage de la Catena aurea dans le légendier éclaire peut-être aussi la commande et le rôle de Bérenger de Landorre : sa réforme des études s’appuie sur une diffusion du thomisme dans les programmes d’enseignement, le Speculum de Bernard Gui est, dans une certaine mesure, une réécriture hagiographique à la lumière des constructions de Thomas d’Aquin pour le commentaire des Écritures. Les conclusions de cette longue étude de la composition du Speculum sanctorale sont finalement assez simples à formuler. Comme on pouvait s’y attendre, Bernard Gui situe son entreprise tout autant dans le droit fil des collections dominicaines antérieures qu’en contradiction avec elles. On dira donc que, d’une certaine manière, il a su s’appuyer sur certains éléments de reconnaissance majeurs en matière de compilation hagiographique, tout en faisant évoluer les autres. Du point de vue de sa participation aux méthodes et aux choix éprouvés dans son ordre, il faut d’abord citer sa fidélité au sanctoral reconnu comme un socle hagiographique commun, mais aussi aux textes de l’ordre et aux partis pris d’Humbert de Romans pour le lectionnaire de l’office. De ce point de vue, l’impact croissant sur l’hagiographie de l’uniformisation liturgique, constaté avec les remaniements de la Légende dorée, se confirme. Ensuite, Bernard Gui utilise à plusieurs reprises les travaux de ses prédécesseurs, notamment Vincent de Beauvais et Jacques de Voragine, soit en copiant sur leurs recueils des épisodes entiers des Vies de saints ou des récits de miracles, soit en intégrant subtilement – imperceptiblement – aux textes anciens qu’il copie

  J. de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. XLI-XLII. 201   Voir L.-J. Bataillon, « Les sermons de saint Thomas et la Catena aurea », St Thomas d’Aquinas, 1274-1974, Commemorative Studies 1, éd. Armand Murer et al. Toronto : Pontifical Institute of medieval studies, 1974, p. 67-75, republié dans La prédication au xiiie siècle en France et en Italie, études et documents, éd. Variorum, Aldershot, 1993. 200

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des formules qui se trouvaient dans leurs légendiers abrégés. Il y a donc tout un jeu de micro-citations à valeur de mémoire que la confrontation des textes permet de mettre au jour. Enfin, autre reliquat de la tradition hagiographique portée par les dominicains, le Speculum sanctorale n’oppose pas un refus de principe à l’abréviation des Vies de saints. Plusieurs légendes sont qualifiées d’abrégées dans leur titre même et fournissent l’occasion de copier, souvent in extenso, l’un ou l’autre des hagiographes de l’ordre. Dans la majeure partie des cas, les Vies que propose Bernard Gui sont elles mêmes abrégées. Certes, elles le sont très modestement, et c’est la limite entre ce trop et ce trop peu qui permet au Speculum sanctorale de faire évoluer le légendier, sans forcément renier son origine. En effet, la tentation de l’encyclopédisme, suspectée dans la seconde version de la Légende dorée est ici totalement assumée. Sans revenir sur la dimension de son corpus, Bernard Gui entend présenter des Vies complètes, fiables, triées. Le contenu biographique édifiant est accompagné de citations, de références aux autorités patristiques qui permettent une diversification des usages du légendier. L’ensemble est rendu utile par une normalisation des titres, une capitulation stricte et une division en paragraphes qui a constitué une bonne partie du travail d’adaptation des sources. Sur cette construction ambitieuse, plane l’ombre du maître de l’ordre, notamment avec l’utilisation dans le texte hagiographique des chaînes d’autorités compilées par Thomas d’Aquin. L’hagiographe qu’est Bernard Gui n’est pas en reste : le regard qu’il pose sur les Vies de saints, le tri qu’il effectue entre les versions d’un même texte renseigne sur sa culture. On perçoit alors un hagiographe méticuleux, bien informé et soucieux de produire une œuvre juste et utile. Au-delà de la technique, ces procédés servent des intentions et trahissent la vision qu’il se fait de l’hagiographie et de sa raison d’être.

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chapitre iii

Contours et limites du discours hagiographique Si la légende est l’occasion de percevoir la culture et la virtuosité de l’hagiographe, la compilation d’un nouveau légendier n’avait rien d’un exercice de rhétorique : la réécriture est d’abord motivée par un programme, et au-delà de la performance technique, il est indispensable de débusquer les intentions que sert le savoir-faire du compilateur. Ces dernières peuvent, très schématiquement, être divisées en deux catégories : d’un côté, celles qui touchent aux objectifs de l’œuvre, à sa qualité littéraire, à ses perspectives d’utilisation, bref, en un mot, aux contours du « genre »1 ; de l’autre celles qui modifient le discours sur la sainteté. Ces deux séries de conséquences sont au cœur de ce chapitre et du suivant. Il va sans dire que ces deux axes sont intimement liés l’un à l’autre et qu’ils se croisent en permanence. Le choix de les présenter séparément, c’est-à-dire de voir, d’abord, l’impact de la réécriture sur la conception qu’a pu avoir Bernard Gui de l’hagiographie comme genre, et d’envisager, ensuite, son influence sur le modèle de sainteté qu’il diffuse, n’est dicté que par la volonté de clarifier l’exposé. L’hagiographie, en tant que genre littéraire, est polyphonique par nature. Elle l’est, d’abord, comme bien d’autres textes médiévaux, parce qu’elle résulte d’une compilation ; elle l’est aussi par les relations qu’elle tisse avec d’autres textes, qui, bien que conçus pour d’autres usages, se trouvent tantôt à son

  L’idée de traiter la légende hagiographique comme un texte littéraire à part entière, de lui appliquer en particulier les principes de l’analyse de la narration, a depuis longtemps fait ses preuves : c’est sous cet angle que, dans les années 80, Alain Boureau renouvelait la lecture de la Légende dorée (A. Boureau, La Légende dorée. Le système narratif de Jacques de Voragine († 1298), éd. Cerf, 1984). Plus récemment, Monique Goullet a montré à la fois la littéralité du texte hagiographique et sa spécificité, par l’application au corpus des réécritures hagiographiques médiévales, de la typologie établie par Gérard Genette pour l’étude des réécritures modernes et contemporaines (M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques, ouv. cité.). Les études sur l’hagiographie comme genre littéraire sont aussi très fécondes ailleurs qu’en France, comme le montre la mise au point de D. von der Nahmer, Die lateinische Heiligenvita. Eine Einführung in die lateinische Hagiographie, Darmstadt, 1994.

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origine, tantôt à sa marge, dans une proximité diverse, déclinée du souvenir à la citation exacte. On sait, par exemple, combien la légende hagiographique se fait l’écho des Écritures : rapprocher les actes de son héros de certains épisodes bibliques permet à l’hagiographe de souligner ses mérites tout en articulant la religion théocentrique à la multiplication des reliques, des cultes et des sanctuaires2. Par ailleurs, du point de vue de la forme, le texte hagiographique conserve longtemps le souvenir du panégyrique, avec lequel il partage la nature d’éloge biographique. Les formes de cette éloquence orale ont d’ailleurs perduré dans les exercices écrits que subissent les clercs médiévaux dans le cadre du trivium3. Enfin, l’hagiographie, de bien des façons, voisine avec l’histoire : les chroniques qui incluent des Vies de saints sont nombreuses et les passerelles entre les genres sont fréquentes. C’est que toute histoire est d’abord celle du peuple chrétien, tournée vers son salut, et que l’hagiographie lui fournit précisément « les preuves » des interventions de Dieu parmi les hommes. L’aspect polyphonique de l’hagiographie vient donc du fait que s’y rencontrent, par le biais de citations ou de cautions diverses, des genres différents. Mais le texte hagiographique est aussi aux prises avec une autre forme de tension, celle qui impose à l’hagiographe de choisir, ou plutôt d’articuler, traditions orthodoxes et apocryphes. Si les premières supportent la diffusion du message de l’Église, les secondes, en s’appuyant sur le merveilleux, garantissent sans doute mieux l’aura d’un sanctuaire. On comprendra que le positionnement du compilateur à l’égard des unes et des autres témoigne aussi des objectifs de son légendier. Récit de la vie d’un saint, l’hagiographie n’en est donc pas moins le réceptacle de plusieurs voix. Cette particularité confère au genre des contours flous, ou du moins mouvants d’un auteur à l’autre, ce qui est un obstacle majeur pour saisir ce qu’est l’hagiographie, dans sa globalité, en tant que genre littéraire4. En revanche, cette intertextualité peut précisément devenir un atout pour   C’est la thèse bien connue de P. Brown, Le culte des saints. Son essor et sa fonction dans la Chrétienté latine, éd. Cerf, 1984, réed. 1996. Pour une étude plus technique de l’emploi que font les hagiographes des citations bibliques, il convient de se reporter, pour les textes antérieurs au xie siècle, à M. Van Uytfanghe, « Le culte des saints et l’hagiographie face à l’Écriture : les avatars d’une relation ambiguë », Santi e demoni nell’alto medioevo occidentale (secoli v-xi), Settimani di studio XXXVI, Spolète, 1989, p. 156-202. 3   Monique Goullet a montré ce que doit la réécriture hagiographique médiévale à l’enseignement rhétorique classique, et ce, malgré la différence des objectifs. Voir l’ouv. cité, spécialement le début du deuxième chapitre, p. 59-70. 4   Il y a déjà plus de trente ans, lorsque Léopold Génicot fixait à la grande typologie des sources médiévales, l’ambition « d’établir la nature propre de chaque genre de sources » il ne manquait pas de relever l’intertextualité de l’hagiographie : « Les Vitae sanctorum relèvent simultanément et à des degrés divers selon les cas, de la liturgie, de la spiritualité, de la théologie, de l’histoire et même de la littérature ». Voir L. Génicot, préface au fascicule introductif de la Typologie des sources du Moyen Âge occidental, Turnhout, Brepols, 1972, p. 8-9. 2

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CHAPITRE III  -  CONTOURS ET LIMITES DU DISCOURS HAGIOGRAPHIQUE

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approcher la conception que s’est forgé l’hagiographe de son art. On sait par exemple que les rapports qu’entretient la légende avec l’histoire sont à géométrie variable : les qualifier dévoile les objectifs que fixe le compilateur à ces deux types d’écriture. D’une manière générale, la réécriture reconsidère la place et la forme des incursions du texte biblique, de l’éloge panégyrique ou de l’histoire. Celle de Bernard Gui modifie quelque peu l’équilibre entre ces voix. S’attacher à décrire comment Bernard Gui a réorganisé ces voix et à l’analyser peut permettre d’approcher la manière dont il a considéré le genre hagiographique. Pour ce faire, il convient d’examiner, tout d’abord, la place qui est réservée dans le Speculum à la critique des textes contradictoires et déviants, avant d’envisager l’utilisation que Bernard Gui fait des citations scripturaires et de l’histoire. Chacune de ces « intertextualités » éclaire, à sa façon, ce que Bernard Gui a pu considérer comme le champ de l’hagiographie. A– L’hagiographie, un autre support du dogme Du seul point de vue du genre et de l’écriture, la richesse d’une Vie de saint résulte en grande partie de la variété des textes que l’hagiographe retient, issus de corpus connexes, comme l’histoire ou la liturgie. Pour compléter ses informations, mais aussi pour leur donner plus de saveur ou conforter des prétentions communautaires, les hagiographes n’ont pas hésité à tirer profit de textes d’origine douteuse. Or, en annonçant dès le prologue du Speculum sanctorale qu’il s’interdit d’utiliser des apocryphes, Bernard Gui fait le choix de circonscrire entièrement l’hagiographie dans le corpus des textes approuvés par l’Église. Pour comprendre l’impact de ce parti pris sur les objectifs fixés à son œuvre, il faut observer comment il a appliqué un tel programme et le confronter avec les solutions mises en œuvre par ses prédécesseurs dominicains. 1– Le rejet des apocryphes Écarter les textes apocryphes et rassembler les écrits authentiques, que l’Église ne défend pas de recevoir5 : voilà les deux principes sous la tutelle desquels   Ces deux expressions viennent du prologue du Speculum : « …c’est pourquoi, relisant les anciennes et nouvelles légendes des saints – sans forger de nouveaux éléments à partir de ces deux sources, mais en y choisissant les meilleurs, en omettant les données apocryphes, et en retranchant, autant que possible les superflues, tout en sauvegardant l’authenticité et l’intégrité du récit –, je me suis attaché à compiler dans un seul volume, des textes que l’on trouvait dispersés dans plusieurs ; en reproduisant avec autant de prudence que de vigilance,

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Bernard Gui place son légendier. Son prologue n’annonce pas une écriture nouvelle, mais une écriture de la vérité. Au-delà de ses propos liminaires, cette volonté de ne rendre compte que des textes et des traditions approuvés par l’Église est rappelée par quelques uns des titres accolés aux Vies de saints : ceux-ci indiquent que le récit a été amputé des épisodes jugés apocryphes6. Si l’on n’en attendait pas moins sous la plume d’un inquisiteur, cette volonté de valoriser son œuvre en arguant de son orthodoxie est une attitude sensiblement différente de celle qu’avaient adoptée certains de ses prédécesseurs : ni l’auteur des Flores sanctorum multicolores, ni Vincent de Beauvais, Jean de Mailly ou Jacques de Voragine n’ont exclu les apocryphes de leur corpus. Le premier manifeste même une certaine tolérance à leur égard : si l’on avance, dit-il dans son prologue, « en terrain plus sûr à travers les écrits authentiques que l’Église romaine ne défend pas de recevoir », il est aussi possible de choisir « parmi les apocryphes, objets de certaines critiques, ce qu’il y a de meilleur »7. Cette attitude d’acceptation vigilante n’est pas très éloignée de celle que défend Vincent de Beauvais dans le Libellus apolegeticus, prologue du Speculum majus : il y insère une copie à peine abrégée du décret du Pseudo-Gélase, établissant la liste des ouvrages acceptés ou rejetés par l’Église (De libris recipiendis et non recipiendis) : « Je transcris le Décret pour que le lecteur puisse discerner entre les écrits authentiques et les écrits apocryphes et puisse ainsi choisir par le jugement de sa raison ce qu’il garde et ce qu’il laisse de côté »8. Vincent de Beauvais met lui aussi en garde le lecteur sur la nécessité d’être attentif, ce qui n’implique pas, d’emblée, un rejet de principe des textes apocryphes. Il signale, en effet, que tous ne sont pas à mettre sur le les écrits authentiques – surtout ce que l’Église romaine n’interdit nullement de recevoir –, je les ai articulés en un seul ouvrage composé de quatre parties… » éd. L. Delisle, « Notices sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 421. 6   Ce type d’avertissement se lit par exemple en tête des actes de Saturnin de Toulouse (Vita et passio sancti Saturnini primi episcopi urbis Tholose qui passus est in eadem urbe III kalendas decembris ex gestis ejus antiquis aliquibus superfluis et impertinentibus resecatis, Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 106v°) ; Georges (Sancti Georgii martiris IX kalendas maii cujus passionis et gestorum ejus hystoria et si in Niceno concilio inter apocrifas connumeratur scripturas in decreto Gelasii papae divisione XVa capitulo ‘Sancta Romana’ illustrissimum tamen ejus martirium inter coronas martirum ecclesia venerabiliter honorat. Passio siquidem ipsius certam relationem non habet, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 31v°) ; Cyr et Julite (Gesta et passio sanctorum martirum Cirici et Julite, quorum festivitas celebratur XVI° kalendas julii superfluis et apocrifis resecatis, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 50v°) ; Genès d’Arles (Gesta et passio sancti Genesii martiris Arelatensis, excerpta de gestis ejus antiquis resecatis superfluis que ex prolixitate nimia legentibus fastidium generabant, nec non obscuritate verborum et sermonis declarata in locis suis, ut magis placeat veritas non obscura, veritate tamen hystorie rei geste fideliter conservata, cujus festivitas celebratur VIII° kalendas septembris, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 79). 7   Le passage est traduit par F. Dolbeau, « Les prologues des légendiers latins », art. cité, p. 362. 8   M. Paulmier-Foucart, « L’Auctor et les Auctores. Vincent de Beauvais et l’écriture du Speculum Majus », Auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale. Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), dir. M. Zimmermann, Mémoires et documents de l’École des Chartes, t. 59, éd. Droz-Champion, 2001, p. 146-147.

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même plan : à ceux qui sont opposés à la vérité de l’Église, qu’il faut rejeter, s’opposent ceux qui sont simplement douteux ou ceux qui, même s’ils disent la vérité, doivent inspirer de la méfiance car on n’en connaît pas l’auteur9. Comme Jean de Mailly enfin, Jacques de Voragine ne répugne pas à utiliser les traditions non canoniques dans quelques unes des Vies de son légendier. Parmi celles-ci, il faut évoquer, puis mettre à part, les citations de l’Évangile de Nicodème10, pour lesquelles il est dédouané par la tradition et par les lacunes de la critique médiévale11. Mais à côté de ce texte répandu, Jacques de Voragine utilise aussi des récits apocryphes, qu’il qualifie comme tels dans huit textes de son légendier : les Vies des apôtres Thomas12, Mathias13, Jacques le Mineur14 et Pierre15, des textes relatifs   M. Paulmier-Foucart, art. cité, p. 148.   Jacques de Voragine utilise d’abord l’Évangile de Nicodème dans le récit qu’il donne de la Passion du Seigneur : il en tire l’évocation de la conversion de Dismas, le brigand qui se trouvait à la droite du Christ (J. de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 267), puis note que cet Évangile rend compte d’un dialogue entre Jésus et Pilate, là où Augustin et Jean Chrysostome affirment que Pilate n’eut pas accès à la vérité car il n’écouta pas les réponses du Christ (J. de Voragine, ouv. cité, p. 269-270). Pour la résurrection du Seigneur, le recours à l’Évangile de Nicodème lui permet encore de dire que le Christ est aussi apparu à Joseph (J.  de Voragine, ouv. cité, p. 290), d’expliquer comment il put tirer des limbes les Pères qui s’y trouvaient et de rapporter qu’avec eux ressuscitèrent aussi Carinus et Leucius qui purent témoigner de ce qu’avait fait le Christ aux enfers (p. 292). Jacques de Voragine relaie encore ce qu’il a lu dans l’Évangile de Nicodème au sujet de Jacques le Mineur (il fut ressuscité par le Christ qui le conduisit à Arimathie, J. de Voragine, ouv. cité, p. 362-363). 11   L’Évangile de Nicodème est un des apocryphes les plus lus au Moyen Âge. Bien qu’absent du Canon, ce texte était en partie réhabilité par son emploi liturgique, ce qui a contribué à lui donner une certaine recevabilité. Rémi Gounelle a d’ailleurs noté que Jacques de Voragine utilisait l’Évangile de Nicodème sans mise en garde aucune (R. G ounelle, « Sens et usage d’apocryphus dans la Légende dorée », Apocrypha, 5, 1994, p. 192, n. 13). La perception nuancée de la nature de cet apocryphe et son utilisation au Moyen Âge sont évoquées dans L’Évangile de Nicodème, trad. et intr. R. Gounelle, Z. Izydorczyk, éd. Brepols, Turnhout, 1997. 12   Jacques de Voragine rapporte l’épisode du banquet de mariage auquel assista l’apôtre Thomas en Inde (remarquant qu’il ne mangeait pas, l’aubergiste frappe l’apôtre. Thomas lui dit qu’il ne se lèverait pas de table avant qu’un chien ne lui rapporte la main qui l’a frappée. Lorsque l’échanson sortit chercher de l’eau, des chiens déchirèrent son corps et portèrent sa main à l’apôtre) puis le dément en indiquant que saint Augustin l’a jugé apocryphe (Hujusmodi autem ultionem factam reprobat Augustinus in libro contra Faustum et asserit a pseudo hoc fuisse insertum, unde et legenda hec quo ad plura suspecta habetu), éd. G. P. Maggioni, Florence, SISMEL, éd. del Galluzzo, 1998, p. 55. 13   Pour compenser la relative pauvreté des informations dont il dispose sur la vie de Mathias, Jacques de Voragine fait le choix de débuter son texte par un long récit de la vie de Judas, quitte à puiser dans la tradition apocryphe : sed primo ortum et originem ipsius Iude breviter videamus. Legitur enim in quadam hystoria licet apocrypha, ouv. cité, p. 277. 14   Jacques de Voragine amplifie la Passion de Jacques le Mineur du récit du châtiment des Juifs : il tire alors d’un texte apocryphe le récit de la venue à Jérusalem de Vespasien et de Titus, puis la longue digression sur la paralyxie de ce dernier : Hec autem fuit causa adventus ipsorum in Iherusalem, sicut in quadam hystoria invenitur, licet apocrypha, ouv. cité, p. 452. 15   À la fin de la Passion de saint Pierre, Jacques de Voragine s’attache à produire d’autres preuves de la monstruosité de Néron. Il raconte la manière dont l’empereur contraint Sénèque à se donner la mort, puis comment, souhaitant connaître les mystères de l’enfantement, il ingéra une grenouille et donna la vie à un monstre : Nero quorum scelerum aliqua hic breviter inseramus. 9

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à la Passion du Seigneur16, à l’Invention de la Croix17 et l’Assomption de la Vierge18 et la Vie du pape Clément19. À l’exception de ce dernier, tous se réfèrent aux origines puisqu’ils mettent en scène des figures apostoliques ou se situent dans le prolongement du récit évangélique. La lecture de ces épisodes montre que ces écrits apocryphes viennent renforcer un élément canoniquement recevable, comme la traîtrise de Judas ou la cruauté de Néron. D’ailleurs, c’est peut-être cela qui, aux yeux de Jacques de Voragine, justifiait leur emploi. Il semble pourtant que ce qui était acceptable lors de la première rédaction, c’est-à-dire dans les années 1264-1267, n’allait plus de soi lorsque, après 1274, Jacques de Voragine reprend son légendier et en donne une deuxième version. On l’a vu, les épisodes issus de sources apocryphes sont alors systématiquement complétés du même avertissement au lecteur : « Jusqu’ici, c’est ce qu’on peut lire dans une histoire apocryphe ; quant à savoir s’il faut en faire usage, c’est ce qui est laissé à la libre

Cum Seneca magister suus, ut, in quadam hystoria licet apocrypha legitur, condignam mercedem laboris sui speraret… Hic Seneca duos fratres habuisse legitur… Rursus Nero nefaria mentis ductus vesania, ut in eadem hystoria apocrypha reperitur, matrem occidit et scindi iussit… Precepit ergo ut fetus suus aleretur et testudini lapidum servandus includeretur. Hec autem in chronicis non leguntur, sed apocrypha sunt, ouv. cité, p. 570-572. 16   Après avoir exposé la Passion, Jacques de Voragine s’appuie sur une histoire apocryphe pour évoquer la châtiment que subit Ponce Pilate : De pena autem et origine Pylati in quadam hystoria licet apocrypha sic legitur. Fuit quidam rex, ouv. cité, p. 348-352. 17   Au début du récit qu’il consacre à l’Invention de la croix, Jacques de Voragine rapporte que selon l’Évangile de Nicodème, Adam, malade, envoya son fils quérir l’huile du bois de la croix. Selon les textes, l’archange consent ou non à lui donner un rameau. Dans un apocryphe grec, l’archange lui donne un morceau de l’arbre du péché : In quadam vero hystoria Grecorum licet apocrypha legitur quod angelus de ligno in quo peccavit Adam eidem tradidit dicens… Utrum autem hec vera sint, lectoris iudicio relinquatur, cum in nulla chronica nec hystoria autentica ista legantur, ouv. cité, p. 459-460. 18   Le récit de l’Assomption de la Vierge est issu du livret apocryphe attribué à l’évangéliste Jean. Jacques de Voragine cite la lettre de Jérôme à Paule et Eustochium pour avertir le lecteur de la nature du texte : Assumptio virginis Marie qualiter facta sit ex quodam libello apocrypho qui Iohanni evangeliste ascribitur edocetur… Hoc autem totum quod predictum est illud apocryphum, de quo ait Ieronimus in epistola sive sermone ad Paulam et Eustochium, esse videtur : ne forte si venerit in manibus vestris illud apocryphum de transitu virginis dubia pro certis recipiatis, ille sane libellus vere apocryphus est censendus, nisi quo ad alique fide digna que videntur a sanctis approbata ; que sunt novem… Porro multa alia sunt ibi posita potius ad simulationem quam ad veritatem, ut quod Thomas non affuerit et veniens dubitaverit et hiis similia que per se patent que sunt relinquenda potius quam asserenda, ouv. cité, p. 779-786. 19   Jacques de Voragine a recours à un récit apocryphe lorsqu’il évoque l’affrontement entre Pierre et Simon le magicien. Il juge comme non canonique le texte qui rapporte que Pierre aurait convaincu Faustianus d’utiliser sa ressemblance avec Simon pour disculper Pierre auprès des habitants d’Antioche. Jacques de Voragine rapporte l’épisode pour immédiatement réfuter la possibilité de mentir, même pour la bonne cause : Hoc tamen nullo modo credendum est quod beatus Petrus mentiri mandaverit, cum Deus non indigeat nostro mendacio. Ideo itinerarium Clementis in quo hec scripta sunt liber apocryphus est nec ut quibusdam placet suscipiendus in talibus. Verumptamen dici potest quod… Hec omnia Clemens in libro suo de se ipso narrat et hanc hystoriam ibidem inseruit, ouv. cité, p. 1196-1197.

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appréciation du lecteur, bien que cette histoire paraisse plus à rejeter qu’à suivre »20. Pour Bernard Gui, ni le désir de renforcer un élément canoniquement recevable, ni l’avertissement d’usage adressé au lecteur ne peuvent légitimer un quelconque emploi de traditions apocryphes. Dans le droit fil des positions fermes qu’il expose dans son prologue, il ne retient pas les récits douteux que, sous couvert d’une mise en garde au lecteur, ces prédécesseurs avaient continué à relayer dans leurs légendes. Le châtiment des Juifs, qui est raconté dans la Vie de saint Jacques, ou celui de Ponce Pilate après le martyre de saint Pierre, fondés tous les deux sur des textes apocryphes, sont absents du Speculum sanctorale. Les épisodes de la Vie de Judas21, la mort de Sénèque, le monstre né de Néron ou l’utilisation par Adam du bois de la Croix, basés sur des traditions tout aussi incertaines, n’y sont pas plus évoqués. La comparaison du Speculum sanctorale avec les projets conduits par Vincent de Beauvais, Jean de Mailly ou Jacques de Voragine montre que finalement, seul Bernard Gui, prend parti pour un rejet radical des textes apocryphes, au nom de l’orthodoxie. La position qu’il avance dans le prologue n’est donc pas qu’un effet d’annonce : il s’y tient tout au long de son légendier et ne peut être pris en défaut sur ce point. Il est peu probable que cette position rigoureuse ait été déterminée sur la base   Hucusque in predicta hystoria apocrypha legitur ; que utrum recitanda sit, lectoris arbitrio relinquatur, licet sit potius relinquenda quam asserenda, Vie de l’apôtre Mathias, éd. G. P. Maggioni, p. 280. Moyennant quelques aménagements, la formule se retrouve quasiment à l’identique dans la Passion du Seigneur (Hucusque in predicta hystoria apocrypha legitur. Que utrum recitanda sit lectoris iudicio relinquatur, éd. G. P. Maggioni, p. 348), dans la Vie de Jacques le Mineur (Utrum autem hec hystoria apocrypha narranda sit, lectoris judicio relinquatur, éd. G. P. Maggioni, p. 456), dans le récit de l’Invention de la sainte Croix (Utrum autem hec vera sint, lectoris judicio relinquatur, cum in nulla chronica nec hystoria autentica ista legantur, éd. G. P. Maggioni, p. 460). Sauf pour la Passion du Seigneur, l’information concernant l’ajout de ces avertissements au cours de la campagne de correction de la Légende dorée se trouve dans Jacques de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, respectivement p. 1181, n. 9 ; p. 1227, n. 3 ; p. 1229, n. 7. Concernant l’identité du lector, auquel revient, en dernier recours, le choix de lire ou de taire les récits apocryphes, Rémi Gounelle propose d’y voir celui qui est chargé de la lecture à l’office, en rappelant que les prêcheurs sont fondés comme un ordre de chanoines réguliers et, qu’en tant que tels, l’office choral y a conservé une place importante ; les auteurs des notules complétant la traduction de la Légende dorée dirigée par Alain Boureau voient la désignation soit d’un prédicateur, soit d’un lecteur privé. En l’espèce, le plus simple est encore de s’appuyer sur le sens que donnent à ce mot les archives de l’ordre : dans les actes des chapitres, le lector est celui qui assume une charge d’enseignement (Voir par exemple, cet extrait du chapitre provincial tenu à Carcassonne en 1293 : Assignamus studia naturarum. Primum ponimus in Tharascone : lectorem, fratrem R. Bartholomei ; auditores, fratres Franciscum de Cayrnone, Johannem Baboti, éd. C. Douais, Acta capitulorum ordinis fratrum praedicatorum, ouv. cité, p. 376. 21   Dans le Speculum sanctorale, la Vie de Mathias est allégée des épisodes relatifs à Judas, utilisés par Jacques de Voragine pour préfigurer sa trahison et le choix du nouvel apôtre. C’est cependant le seul cas où peut se lire une critique discrète du choix fait par son prédécesseur pour la Légende dorée, car Bernard Gui note à la fin de la Vita : De Juda autem annotationem facere ampliorem superfluum judicavi, Toulouse, ms 480, II, fol. 97. 20

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des mises en garde de la Légende dorée : c’est une attitude qu’il n’était pas utile de dicter à l’inquisiteur Bernard Gui. Néanmoins, ces mises en garde ne durent pas être insignifiantes, car si elles témoignent de la volonté des dominicains d’être, à un moment donné, plus prudents sur l’emploi des textes douteux, leur introduction dans la deuxième version de la Légende dorée amène Jacques de Voragine à conseiller de ne pas lire les épisodes apocryphes alors qu’il les raconte quand même. Dès lors, si l’attitude de Bernard Gui paraît définitive et rigoriste, elle est aussi une mise en conformité des pensées et des actes. Au bout du compte, en soixante ans environ, c’est-à-dire de la première version de la Légende dorée, qui utilise les apocryphes, à la seconde qui, tout en les conservant, les réprouve, au Speculum sanctorale enfin qui les exclut, on assiste à une fermeture progressive de l’écriture hagiographique dominicaine. La légende ne relaie plus les apocryphes ; elle n’est plus alors le lieu où peuvent s’exposer les traditions divergentes sur la Vie d’un saint. 2– Le rejet du débat contradictoire L’exclusion systématique des apocryphes et des traditions jugées douteuses confère aux Vitae du Speculum sanctorale un aspect particulièrement lisse. Bernard Gui tait les différences entre ses sources et lorsqu’il annonce qu’il a exclu d’une Vie de saints les épisodes apocryphes, il se garde de donner ne serait-ce que le titre des textes écartés. Le procédé élimine donc toute trace et toute référence à des récits qui auraient pu servir de contrepoint au texte du Speculum sanctorale. Ces éléments font de la Vie du saint un espace duquel le débat et le doute sont exclus. La lecture transversale d’un récit présent dans tous les légendiers dominicains montre comment Bernard Gui tait les contradictions exposées par les sources, là où ses prédécesseurs s’attachent à les résoudre. Le récit de l’Invention de la sainte Croix se prête à ce type d’analyse : c’est un dossier hagiographique complexe essentiellement parce que les sources, et donc l’éventualité de discordances, sont nombreuses. Celles-ci divergent, d’abord, au sujet du contexte dans lequel le signe de croix apparaît à l’empereur Constantin, ensuite au sujet des conditions qui amènent sa mère, Hélène, à retrouver les trois croix du Golgotha et les clous de la Crucifixion. Jean de Mailly22, Jacques de Voragine23 et Bernard Gui24 s’appuient, pour la majeure partie de leur récit, sur un corpus similaire : ils citent l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée, l’Histoire Tripartite de Cassiodore, l’Histoire scholastique,   J. de M ailly, Abbreviatio in gesta sanctorum, ouv. cité, p. 187-193.   J.  de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 363-373. 24   Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 137-142. 22

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la Vie de saint Sylvestre, la Chronique des Pontifes romains, et le Libellus de Inventione sanctae Crucis. À ce fonds textuel commun, qu’ils connaissent de première main ou copient par des intermédiaires25, ils ont ajouté des sources complémentaires, (une citation de saint Ambroise permet, par exemple, à Jacques de Voragine et Bernard Gui de préciser l’ascendance d’Hélène). Ce qui les distingue en revanche, c’est la méthode que chacun d’eux met en œuvre pour exposer les contradictions auxquelles ils sont confrontés. Après avoir dit que Constantin eut la vision de la Croix sur les rives du Danube, qu’Hélène a trouvé la Croix du Christ grâce à Judas, l’un des trois mille juifs qu’elle a rassemblés à Jérusalem et que Judas devint évêque de la ville sous le nom de Cyriaque, Jean de Mailly insère, au milieu de son dossier, un exposé critique dans lequel, se fondant sur les arguments de Robert d’Auxerre, il remet en cause ces assertions contenues dans le Libellus de Inventione sancte Crucis. Suit un récit de l’Invention de la Croix fondé uniquement sur des sources dignes de foi (Actus Silvestri26, Historia ecclesiastica, Historia Tripartita). Confronté aux mêmes problèmes et aux mêmes données, Jacques de Voragine, choisit une autre démarche consistant à développer, au fur et à mesure de son récit, son argumentation critique. Les circonstances de la vision de la Croix sont d’abord reproduites d’après le Libellus, avant d’être mises en cause sur la base des mêmes autorités que celles alléguées par Jean de Mailly. La critique intervient à l’issue de chaque élément de récit. Ainsi, les versions divergentes des différents épisodes sont juxtaposées, la critique s’exerçant par confrontation avec les autorités. Elles sont plus nombreuses par ailleurs à être sollicitées que chez Jean de Mailly dans la mesure où son récit est plus développé (il aborde par exemple la question du baptême différé ou non de Constantin, celle de l’ascendance d’Hélène, il ajoute la version de saint Ambroise sur la façon dont la sainte Croix fut identifiée). Bernard Gui, tout en copiant une grande partie du texte de la Légende dorée, organise de façon encore différente son dossier. Celui-ci est subdivisé en quatre parties distinguées par des titres rubriqués : la vision du signe de la Croix par Constantin, l’invention de la Croix par Hélène, la fête de la Sainte Croix et enfin les miracles opérés par la Croix 27. Dans chacune de ces parties,   Mireille Chazan a montré que Jean de Mailly copie sur la Chronique de Robert d’Auxerre la majeure partie du récit qu’il consacre à l’Invention de la sainte Croix : voir « Jean de Mailly et la chronique de Robert d’Auxerre : hagiographie histoire et autorité », AFP, t. 68, 1988, p. 117133. Par ailleurs, on sait qu’une grande partie de l’Abbreviatio in gestis et miraculis sanctotum passe dans la Legenda aurea. 26   Selon Mireille Chazan, dans le décret du pseudo-Gélase ce texte a un statut incertain mais Robert d’Auxerre en accepte l’autorité. 27   La totalité de ce dossier se trouve dans Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 137-142. Il se découpe comme suit : fol. 137-138 : De signaculo sancte crucis ; fol. 138-140 : De inventione sancte crucis ; 25

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les sources qu’il utilise sont souvent copiées sur le texte de Jacques de Voragine, mais elles sont isolées les unes des autres par une formule répétitive du type Hec ex hystoria ecclesiastica. Ex historia vero tripartita Cassiodori … scribitur28. Il prend soin par ailleurs de les hiérarchiser en fonction de leur degré de fiabilité. À titre d’exemple, le récit de la vision de la Croix qu’a Constantin est présenté à partir de la version de l’Histoire ecclésiastique. La primauté qu’il confère à cette source est à mettre en relation avec le choix opéré par Humbert de Romans qui la donne pour seule référence en introduction (De venerando signaculo sancte crucis … ex historia ecclesiastica). Bernard Gui ajoute ensuite des informations complémentaires tirées de l’Histoire Tripartite, notamment l’apparition du Christ. Il ne tranche pas entre ce que dit Eusèbe, d’une part, et Cassiodore, de l’autre, jugeant que les versions qu’ils avancent ne sont pas contradictoires et que la mention de l’apparition du Christ par Cassiodore ne fait que renforcer l’importance du signe divin. Le récit de l’Invention de la Croix est présenté à partir de ces mêmes autorités, dont Bernard Gui souligne la concordance des récits (Hec in predicta hystoria Cassiodori Tripartita que conveniunt et concordant cum ecclesiastica historia Eusebii). La version du Libellus qu’il expose ensuite est, quant à elle, épurée de presque tous les éléments qui n’ont pas été jugés dignes de foi par ses prédécesseurs (à l’exception de la mention de Cyriaque comme évêque de Jérusalem). Bernard Gui tait les différences entre les sources. Contrairement à Jean de Mailly, il n’expose pas le raisonnement critique, mais son résultat seul, ce qui empêche son lecteur de remonter aux documents antérieurs. Ainsi, lorsque Bernard Gui compile pour son Speculum le dossier de l’Invention de la sainte Croix, il a en main des textes déjà sélectionnés, d’abord par la nécessité de l’unification liturgique, ensuite par la démarche critique de ses devanciers, rédacteurs de legendae novae. Il opère, d’abord, un choix dans les informations dont il dispose, puisqu’il passe sous silence une grande partie des épisodes que ses prédécesseurs, par leur propre démarche critique, ont fait apparaître comme peu fiables et organise, d’autre part, différemment sa matière en classant les textes qu’il retient selon leur degré d’autorité. Au bout du compte, les choix effectués pour exposer et résoudre les problèmes de discordances sont l’un des modes d’expression de l’auctor. Pour Bernard Gui, la légende n’est pas le lieu où se résolvent les contradictions des sources. Ce travail critique, qu’il place pourtant au cœur de ses écrits historiques, est, de manière significative, déplacé en amont de la compilation hagiographique. Si, fol. 140-141 De festo exaltationis sancte crucis XVIII kalendas octobris ; fol. 141-142 De miraculis virtute sancte crucis patratis. 28   Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 137v°.

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d’aventure, il s’avère incontournable d’exposer quelques doutes ou méfiances, Bernard Gui ne s’y résout qu’en marge de la Vita, dans le paratexte. 3– Doutes et justifications : les fonctions du paratexte Bernard Gui, en effet, ne peut pas toujours ignorer les traditions déviantes, ou même seulement différentes, sur lesquelles les communautés ont fondé leurs particularismes. Quand l’incertitude qu’elles ont générée s’exprime dans le Speculum – ce qui est rare –, il est remarquable que cela se fasse systématiquement en dehors de la Vita proprement dite, dans le paratexte, c’est-à-dire l’espace consacré à la présentation et au commentaire, qui accueille l’expression du scepticisme ou de l’indécision. Ainsi, l’existence de récits suspects n’est évoquée que dans certains titres, afin que ceux-ci soient écartés de la Vie du saint. Dans le chapitre que le Speculum sanctorale consacre à saint Ambroise de Milan, le récit du châtiment de cet homme de Toscane, fier de s’être enrichi, est rejeté après la vita. Cela s’explique peut-être par le doute, quant à la véracité de l’épisode, exprimé par Jacques de Voragine dans la deuxième version de la Légende dorée29. Sur le même principe, les versions inconciliables qu’a rencontrées Bernard Gui au sujet de la possession des reliques de saint Pons30, et la date de sa fête31 sont évoquées avec les commentaires qui suivent la Passion. C’est d’ailleurs ce dernier motif d’incertitude qui est le plus fréquemment signalé dans le Speculum, à l’issue de la Vie du saint32. Ainsi, dans le Speculum 29   Voir J. de Voragine, La Légende dorée, trad. sous la dir. d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 1207, n. 32. 30   La possession du corps de saint Pons est revendiquée par des moines d’un monastère bénédictin de Nice, mais aussi par ceux de Saint-Pons-de-Thomières. 31   « La fête de saint Pons est fixée au 11 mai dans le monastère susdit, du diocèse de Nice ; dans le calendrier d’Usuard, elle est inscrite le 14 mai. Je n’ai pas entendu dire la cause de cette divergence » (Festivitas vero sancti Poncii recolitur in monasterio prelibato, in territorio Niciensi, quinto ydus maii ; in kalendario vero Usuardi scribitur pridie ydus maii, cujus diversitatis causam nescio nec audivi, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 45b). 32   L’exposé de dates de fêtes différentes se retrouve par exemple à l’issue des Vies d’Eutice, Victorin et Maronis (le titre de la légende ne donne aucune date de fête, ce qui est inhabituel dans le Speculum. Néanmoins, le récit de la vie de ces deux martyrs s’achève par deux paragraphes qui proposent deux datations : dans le martyrologe d’Usuard, ces saints se trouvent fêtés le 17 des calendes de mai, soit le 16 avril, alors qu’à Rome, ils sont fêtés le jour des nones de septembre, soit le 4 de ce mois : Toulouse, BM, ms 481, III fol. 46) ; de Cyr et Julitte (Bernard Gui achève cette notice par l’aveu de ses doutes : les saints sont fêtés tantôt le 15 juillet, tantôt le 16. Comme dans le cas de saint Pons, il avoue son incapacité à expliquer les causes de cette divergence : « ms 481, III, fol. 52a) ; de Marguerite (que (XIII kalendas augusti), « comme on le trouve écrit dans les plus antiques histoires » écrit Bernard Gui, la Passion de sainte ­Marguerite eut lieu le 20 juillet ; mais, en d’autres endroits il a lu que cette fête est célébrée le 13 juillet, fol 57v°a) ; des saints Timothée et Apollinaire (à la fin du récit, Bernard Gui confronte deux martyrologes. Le premier, nommé martyrologio antiquo fixe la commémoration au 11 des ­c alendes de septembre, soit le 22 août, l’autre, le martyrologe d’Usuard, donne le 10 des ­calendes de septembre, soit le 23 août, fol. 78).

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sanctorale, la circonspection que suscitent des traditions peu conciliables ne s’exprime jamais, au sein de la Vita, sans doute pour ne pas parasiter l’édification du lecteur. Cette pratique est déjà celle qu’avait utilisée Humbert de Romans par le biais des notices critiques précédant les leçons de l’office. Audelà, comme Bernard Gui ne retrace jamais, ne serait-ce que pour les écarter, les épisodes suspects, les hésitations sur les dates des textes sont les seules perceptibles. En d’autres termes, Bernard Gui s’est autorisé à dire uniquement les incertitudes touchant au culte du saint, et non à sa Vie. De la même manière qu’il n’est pas imaginable qu’Humbert de Romans interrompe les lectures de l’office par des commentaires critiques, le doute ne peut, dans le Speculum, surgir de la légende : la Vita est, intrinsèquement, sincère et exacte. Cette logique s’exerce même lorsque Bernard Gui est confronté à des textes apocryphes notoires, utilisés par certains Pères de l’Église. Dans ce dernier cas, il eut sans doute quelques scrupules à passer complètement sous silence les épisodes sujets à caution évoqués par des auteurs majeurs. C’est encore le paratexte qui permet de légitimer ses choix. L’exemple de la Vie de l’apôtre Thomas est à ce titre révélateur : l’épisode qui a gêné Bernard Gui se situe au début du récit de la vie de l’apôtre. À la demande du Seigneur, qui lui est apparu, l’apôtre se rend en Inde, auprès du Gondoforus. Il arrive tandis que ce dernier célèbre le mariage de sa fille. Thomas prend place au banquet sans rien boire ni manger, ce qui pousse l’échanson à le gifler. En réponse, l’apôtre s’exclame qu’il ne sortira pas avant qu’un chien ne lui ait apporté la main qui l’a frappé. Alors que l’aubergiste sort pour aller puiser de l’eau, un lion se jette sur lui et le tue. Peu après, alors que des chiens déchiquettent son cadavre, l’un d’eux rapporte à Thomas la main qui l’a giflé. Cet épisode est raconté par Jean de Mailly33, Barthélemy de Trente34, Jacques de Voragine35 et Bernard Gui36. Toutefois, les deux premiers le racontent brièvement et n’ont guère vu de raison de le remettre en question. Cette attitude tranche avec le raisonnement d’un Jacques de Voragine d’abord, d’un Bernard Gui ensuite : tous deux le jugent apocryphe, mais à l’issue d’une démarche différente, qui peut, en fait, révéler des objectifs variables. Le traitement de cet épisode dans la Légende dorée a fait l’objet d’une analyse très fine exposée par Rémi Gounelle dans un article paru en 199437. Il convient d’en reprendre les principales conclusions avant de tenter de les mettre en perspective.   J. de M ailly, Abbreviatio in gesta sanctorum, ouv. cité, p. 43.   B. da Trento, Liber epilogorum in gesta sanctorum, edizione critica a cura di Emore Paoli, ouv. cité, 2001, p. 29-30. 35   J. de Voragine, La Légende dorée, ouv. cité, p. 41-42. 36   Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 82-88. 37   R. Gounelle, « Sens et usage d’apocryphus dans la Légende dorée », art. cité, p. 203-205. 33

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Contrairement à ses prédécesseurs dominicains (Jean de Mailly et Barthélemy de Trente)38, Jacques de Voragine, après avoir rapporté l’épisode, le condamne. Pour cela, il s’appuie sur saint Augustin en écrivant : « Cette vengeance est blâmée par saint Augustin dans son Livre contre Fauste où il déclare qu’elle a été intercalée ici par un faussaire ; aussi cette légende est tenue pour suspecte en bien des points »39. Or, alors que la question paraît résolue grâce à l’autorité que représente Augustin, voilà que Jacques de Voragine insère, immédiatement après, un commentaire qui prend le contre-pied du sens de cette citation. Il écrit : « Cependant, si on considère attentivement les propos d’Augustin, ces choses ne paraissent pas totalement blâmées »40. Suit la citation d’un autre texte du même docteur de l’Église, expliquant que la mort de l’échanson n’est pas un acte de vengeance mais de miséricorde car en ne laissant pas la faute impunie ici-bas, l’apôtre permet au Seigneur de l’épargner dans la vie future. Cette interprétation est celle des Manichéens, mais, selon Augustin, ce n’est pas si gênant car l’Église explique de la même manière le geste de Moïse lorsqu’il égorge les adorateurs d’idoles. Elle peut donc accepter cette vision des choses pour Thomas. C’est donc sans cesser de se référer à saint Augustin, que Jacques de Voragine parvient à opérer un retournement subtil et à réhabiliter un texte apocryphe, duquel il donne désormais une interprétation recevable : Jacques de Voragine ne se contente pas de renvoyer saint Augustin à ses contradictions (en effet, dans le Livre contre Fauste, ces deux passages, éloignés l’un de l’autre, ne sont pas mis en corrélation, ce qui fait que saint Augustin ne tranche pas en accordant plus de crédit à l’une de ces interprétations) : par son commentaire, « ces choses ne paraissent pas totalement blâmées », il prend parti, annonce sa préférence pour la seconde lecture de la mort de l’échanson, ce qui conduit à réhabiliter l’épisode. Pour Rémi Gounelle, cette réflexion critique traduit la volonté de Jacques de Voragine de concilier le jugement négatif des Autorités à l’égard de cet épisode et les traditions qui lui accordent du crédit (l’épisode n’est pas critiqué par Jean de Mailly). Ce faisant, il a pu vouloir sauver des traditions apocryphes qui continuaient à être utilisées liturgiquement. Quel que soit l’objectif qu’il a poursuivi, cette démarche critique singulière conduit à une véritable réhabilitation du texte apocryphe. L’utilisation habile qui est faite du texte d’Augustin,   On doit l’étude comparative de cet épisode entre les légendiers de Jean de Mailly, Jacques de Voragine, Barthélemy de Trente et Vincent de Beauvais aux travaux de B. Fleith, « Die Legenda aurea und ihre Dominikanischen Bruderlegendare. Aspekte der Quellenverhältnisse apocryphen Gedankenguts », Apocrypha, 7, 1996, p. 167-191. 39   Hujusmodi autem ultionem factam reprobat Augustinus in libro contra Faustum et asserit a pseudo hoc fuisse insertum, unde et legenda hec quo ad plura suspecta habetur, éd. Maggioni, p. 55. 40   Tamen Augustini verba diligenter inspiciantur, non penitus ista reprobare videtur ; ait enim sic in eodem libro, éd. Maggioni, p. 55. 38

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rend recevable ce qui était sujet à caution. Cet épisode marquant de la piété populaire devient même un modèle d’exemplum lorsque Jacques de Voragine ajoute : « Pourtant, on peut considérer que les paroles de Thomas ont été prononcées non pas dans un esprit d’imprécation, mais de prédiction »41. Quelques soixante ans plus tard, quand Bernard Gui rassemble sa documentation pour insérer une Vie de saint Thomas dans son Speculum sanctorale, il lit pour la première fois dans la Légende dorée le raisonnement de Jacques de Voragine qui, à l’appui du Livre contre Fauste, condamne d’abord l’histoire de la gifle. Il n’y fait pourtant aucune allusion dans la Vie de l’apôtre proprement dite, et raconte sans aucune interruption l’épisode du banquet. Cependant, il n’abandonne pas tout à fait la critique complexe échafaudée par Jacques de Voragine : il la soustrait seulement de la trame narrative et l’abrège légèrement de sorte que sa portée est, au bout du compte, relativement différente. À son habitude, il achève la Vita avec l’expression Hec ex gestis antiquis sancti Thoma apostoli sunt accepta. Suivent, sur le modèle de l’accumulation encyclopédique, une série de commentaires et de citations ayant pour objet d’aider à la compréhension puis à l’utilisation de la légende. C’est après un développement d’ordre chronologique que Bernard Gui reprend à son compte une partie de l’argumentation de Jacques de Voragine à propos du Livre contre Fauste. En suivant son prédécesseur, Bernard Gui utilise le Livre contre Fauste, mais de manière biaisée, puisqu’il tait sciemment ses contradictions. En effet, il se garde bien de dire qu’Augustin a initialement déclaré l’épisode apocryphe, et la phrase « Augustin dans son Live contre Fauste réprouve une telle vengeance et déclare que l’épisode est apocryphe, aussi est-elle tenue pour suspecte sur plusieurs points »42 n’est pas reprise dans le Speculum sanctorale. Du coup, la formule « Si l’on examine soigneusement les mots d’Augustin, ils ne paraissent pas exprimer un rejet complet »43, qui fait basculer le raisonnement, disparaît elle aussi. Finalement, Bernard Gui ne copie que la très longue citation de saint Augustin, c’est-à-dire celle qui explique que Thomas n’annonce pas le châtiment de l’aubergiste par vengeance mais pour lui épargner les tourments éternels et ne pas laisser l’offense impunie ici-bas. Comme cette citation n’est plus mise en balance avec un jugement négatif, elle n’est plus, de fait, le soutien d’une éventuelle réhabilitation. Son rôle est différent : elle cautionne le choix de donner à cet épisode une place égale à ceux qui sont canoniquement recevables. De prime abord, cette solution paraît moins fidèle aux commentaires   Posset tamen dici quod hoc non animo impetrandi, sed modo predicendi dictum sit, éd. Maggioni, p. 55 ; trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, p. 42. 42   trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, p. 42. 43   trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, p. 42. 41

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du docteur de l’Église, mais dès l’instant où il rend compte du châtiment de l’échanson, à sa place, dans la Vita, il lui reconnaît un certain crédit. L’utilisation de saint Augustin vient confirmer son choix, sur lequel il ne s’explique pas et que révèle la seule comparaison des légendiers. Pour Bernard Gui, la légende ne peut pas, ne doit pas, diffuser un discours douteux  : puisque Jacques de Voragine démontre que l’épisode peut être réhabilité, il n’a pas lieu de permettre au lecteur de supposer aussi l’inverse. Plus que jamais, la legenda, c’est « ce qui doit être lu ». Avec Bernard Gui, l’hagiographie revêt un caractère quasiment normatif : la légende, autant que la doctrine, dit le Sacré, elle le raconte car les hommes doivent en connaître les manifestations. La critique ne peut qu’affaiblir la portée du message et gêner l’édification du lecteur. Cependant, les objectifs que l’on assigne au genre ne concentrent sans doute pas toutes les explications. On doit, en particulier, envisager que si la critique des apocryphes disparaît du Speculum sanctorale, c’est peut-être aussi parce que Bernard Gui goûte moins les débats théologiques que son prédécesseur44. Alors que Jacques de Voragine, à l’image des scolastiques, s’appuie sur les contradictions de saint Augustin pour lancer une discussion et fournir des réponses polémiques, Bernard Gui ne recopie que ce qui sert l’orthodoxie de la légende. Les goûts et les dispositions des divers compilateurs expliquent sans doute en grande partie leurs positions différentes. Au-delà, les textes du Speculum sanctorale ne sont plus le lieu d’exercice de la critique car le contexte dans lequel Bernard Gui écrit est sensiblement différent de celui qui a donné naissance à la Légende dorée : la compilation des légendiers, de Jean de Mailly, Barthélemy de Trente ou Jacques de Voragine est le résultat d’initiatives personnelles, alors que le Speculum sanctorale est le seul légendier dominicain a être le fruit d’une commande du maître de l’ordre. Il est composé alors que le 44   De 1289 à 1291, Bernard Gui achève ses études au studium generale de Montpellier, l’ordre n’ayant sans doute pas vu la nécessité de l’envoyer parfaire ses connaissances théologiques au prestigieux studium de Paris. Dans sa carrière au sein de l’ordre, il est meilleur prieur que lecteur et dans le grand nombre de ses manuscrits on ne rencontre ni commentaires, ni questions théologiques, ni sermons. Or, assimiler cette bizarrerie (Bernard Gui : un dominicain qui n’est ni théologien, ni prédicateur ?) à un effet de source (à l’exception d’un héritage assez riche de Bernard de Trille, on n’a pas conservé d’écrits théologiques des prêcheurs méridionaux du xiiie et du début du xiv e siècle, même de ceux qui ont été formés à Saint-Jacques) n’est pas totalement convaincant. Seule la seconde partie d’un petit opuscule sur la messe (il est ­intitulé De ordinatione officii misse facta a Jhesu Christo et sanctis ejus apostolis, ac demum per summos romanos pontifice successive. Voir L. Delisle, « Notices sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 364-365) reprend l’article 6 d’une des questions du IVe livre de la Somme de Thomas d’Aquin : néanmoins Bernard Gui s’est appliqué à effacer la forme disputée du texte pour ne garder que les conclusions, copiées dans un texte lisse et continu (l’information se trouve dans M.-H. Vicaire, « Positions scolaires et fonctions occasionnelles de Bernard Gui », Bernard Gui et son monde, CF, t. 16, 1981, p. 75).

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successeur de Bérenger de Landorre, Hervé de Nédellec, entreprend une grande réforme des études et un renforcement de la règle. D’autre part, le xiiie siècle est un siècle de recherche. La prédication et le développement des études ont imposé une réflexion sur l’utilisation des recueils de vies de saints, qui s’est prolongée par la mise au point de techniques nouvelles pour leur rédaction. Dans le premier quart du xiv e siècle, le légendier n’est plus un lieu de recherches, mais une chambre d’enregistrement. Ce constat plaide en faveur d’une remise en contexte des pratiques d’écritures des hagiographes de l’ordre. La place et l’expression de la critique – pour ne s’en tenir qu’à cet exemple – se sont transformées au sein même des productions hagiographiques dominicaines, de 1250 à 1325. Cette évolution doit être mesurée à l’aune d’au moins trois paramètres distincts. L’institution d’abord  : la réception de l’œuvre d’Humbert de Romans a contribué à baliser le domaine de la critique alors que les gouvernements de Bérenger de Landorre puis d’Hervé de Nédellec ont conduit à le clore. La conjoncture ensuite : avec Jacques de Voragine, les frères en sont encore à la réalisation d’outils de travail, à la rédaction de légendiers abrégés, qui nécessitent un regard critique sur d’abondantes sources. Avec Bernard Gui, l’ordre a dépassé cette nécessité : les outils de travail sont déjà nombreux, les sources anciennes déjà filtrées. La critique endosse alors d’autres objectifs : il s’agit de figer les textes autour d’une version crédible de sorte que le lector n’ait plus la possibilité de choisir  : Bernard Gui, contrairement à Jacques de Voragine, n’écrit plus « Si cette histoire doit être racontée ou non, je préfère laisser au jugement du lecteur le soin de le décider ». Un siècle après le bouillonnement de la fondation de l’ordre, un siècle avant sa réforme, il faut cadrer, ordonner et classer. Les profils individuels enfin : il est probable que les rôles de prédicateur de Jacques de Voragine, ou d’inquisiteur pour Bernard Gui aient eu quelque influence sur le regard qu’ils ont posé sur les discours divergents, sinon déviants. L’hagiographe qu’est Bernard Gui cherche donc avant tout à établir les actes véritables des saints de son Speculum. Cela consiste d’abord à revenir aux textes anciens, c’est-à-dire antérieurs aux réécritures abrégées. S’il a effectivement trouvé tous les épisodes édifiants qu’il souhaitait restaurer, ceux-ci étaient accompagnés de digressions, éloges, citations scripturaires ou liturgiques, qui se posaient comme autant de témoins du contexte et des orientations de ces premiers récits. Sa réécriture s’affaire alors à les minimiser, ce qui, finalement, renforce les contours qu’il a fixés à l’hagiographie en éliminant les apocryphes de ses sources.

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B– Le récit mis à nu 1– De la parole de l’auteur à la fiabilité du compilateur Il est fréquent que les Vies de saints soient émaillées d’interventions d’auteurs : l’exclamation, l’éloge dithyrambique, ajoutent un supplément de grandeur à la Vie édifiante du saint. Ces tournures contribuent à rapprocher les Vitae de l’éloge panégyrique. D’une certaine manière, elles assurent la transformation d’une biographie ordinaire en objet de culte, car ces formules glorifient le saint comme on loue le Seigneur. La présence de ces formules participe de la Vita. Dans les légendiers abrégés, cette prise de parole disparaît au bénéfice d’une réécriture de la Vita dans un style plus impersonnel, mais l’éloge réapparaît par le biais des citations d’Autorités : la mutation du texte accompagne celle de son objet car la louange endosse une vocation pédagogique appropriée à l’utilisation orale de la légende. À la suite de cette évolution du texte hagiographique, la disparition de ces références et commentaires, qui font entrer le texte hagiographique en résonance avec les Écritures, la liturgie ou le panégyrique, annonce la destination que réservait Bernard Gui à son légendier. Les effets oratoires et les manifestations d’enthousiasme sont les premières victimes des coupes qu’il effectue dans ses sources. C’est ce que montre AnneMarie Bultot-Verleysen45 dans l’édition, puis l’analyse, qu’elle donne de la réécriture, pour le Speculum sanctorale, de la Vie de saint Géraud d’Aurillac : la confrontation d’extraits du texte de Bernard Gui avec sa source révèle qu’il a supprimé les manifestations d’enthousiasme46. Tout en s’appuyant sur son travail, il est possible de fournir d’autres exemples de cette volonté de supprimer les interventions d’auteurs : Vita brevior sancti Geraldi éd. Bollandistes, chap. 8, p. 398, l. 23-28. Nam paene nullum pauperem praeteribat, quin et monasteriis via contiguis multa largiebatur. Nonnumquam vero in vocem plangoris erumpens et super omnes quos ad malum proclivos videbat ingemiscens, quasi et quandam querimoniam faciebat, quod

B. Gui, Speculum sanctorale Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 158. In itinere illo nullum pauperem preteri-bat, quin etiam monasteriis in via contiguis multa largiebatur. Nonnumquam vero in vocem planctus erumpens et super omnes quos ad malum proclivos videbat, quandam querimoniam faciebat.

45   A.-M. Bultot-Verleysen, « Le Speculum sanctorale de Bernard Gui, témoin d’un intérêt pour la vita de saint Géraud d’Aurillac au xiv e siècle », art. cité, p. 367-398. 46   Voir les exemples fournis par A.-M. Bultot-Verleysen, art. cité, notamment p. 373.

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quidem omnes pro amore mundi perirent, quod pietas defiseret, quod iniquitas redundaret, quod paene jam universi amitterent a corde innocentiam, ab ore veritatem ; illud subinde replicans : ‘‘O quantum defecit sanctus, quantum diminutae sunt veritates a filiis hominum’’. Porro desiderium quod de congregandis monachis conceperat explere non valens, nausiabat super illos qui locum non regulariter incolebant.

Porro desiderium quod de congregandis monachis conceperat explere non valens, nauseabat super illos qui locum non regulariter incolebant.

Là encore, l’adaptation de Bernard Gui ne tient pas compte de l’énumération qui vient renforcer l’expression des vertus du saint et qui s’achève sur une exclamation, tirée du commentaire du Psaume (XI, 1). De la même manière, alors qu’il a recours à Grégoire de Tours pour l’évocation des vertus et des miracles de saint Martin, il excise de sa copie les éloges à dimension moralisante, qui n’apportent rien sur le fond. Dans ce domaine encore, il est fréquent que l’hagiographe réécrive de manière impersonnelle les passages dans lesquels son prédécesseur se met en avant : c’est par exemple le cas à l’issue de la Vie de saint Martial, lorsque le Pseudo-Aurélien se présente comme successeur de Martial et rédacteur de sa Vie. Le point commun de ces interventions du compilateur est que, bien souvent, elles n’apportent rien au récit proprement dit de la Vie du saint. De ce point de vue, on peut considérer que leur suppression est légitime : le texte est allégé sans pour autant que le lecteur ait matière à regretter une quelconque déperdition d’information. Malgré tout, ces coupures ne sont peut-être pas si anodines dans la mesure où la réécriture à laquelle elles permettent d’aboutir témoigne de ce que doit être, pour Bernard Gui, le récit hagiographique : c’est d’abord un texte exclusivement centré sur les actes de son héros, actes qui témoignent, par eux-mêmes, de la Vie extraordinaire du saint, sans le truchement des remarques appuyées de l’auteur. La suppression des manifestations enthousiastes de l’auteur renvoie, d’abord, le lecteur à un « face à face » avec le saint : le miroir permet une vision directe. On peut aussi se demander dans quelle mesure ce type de suppressions ne trahit pas la manière dont Bernard Gui se perçoit en tant qu’hagiographe. Ainsi, lorsqu’il allège son texte des interventions qui, dans sa source, cautionnaient les événements rapportés – notamment lorsque l’auteur intervient à la première personne, comme témoin des événements racontés –, il modifie sensiblement la perception qu’un lecteur peut avoir de son texte : en dernier recours, la suppression de ce filtre fait du seul Speculum sanctorale un gage de fiabilité : les faits racontés sont corroborés non plus par l’auteur, qui pouvait

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en attester et souligner leur importance, mais parce que le compilateur du Speculum sanctorale a correctement trié ses sources et expurgé les traditions douteuses. L’autorité du texte est transférée de l’auteur à la collection qui l’accueille. En tout état de cause, ceci reste à l’état d’hypothèse car rien ne prouve que Bernard Gui ait eu cette intention. Son seul objectif fut peut-être d’abréger son texte, ce qu’il fait en maintenant, en priorité, la cohérence du récit, aux dépens des digressions et des commentaires, sans anticiper sur la perception du résultat par ses lecteurs. 2– La citation scripturaire : une caution devenue inutile Les emprunts que font les hagiographes aux Écritures sont à la fois courants et bien connus. Quels que soient les prodiges accomplis par le saint, leur rapprochement avec ceux de la Bible rappelle sans cesse qu’ils prouvent, d’abord, l’omniscience de Dieu. Cette logique se développe souvent dans l’écriture des miracles : d’un côté, elle garantit le caractère exceptionnel du héros, mais de l’autre, elle renvoie aux prototypes bibliques et met en avant la continuité de l’action divine. Or, comme les interventions de l’auteur, cette résonance scripturaire fait globalement les frais du travail d’abréviation de Bernard Gui, même si, dans le détail, il faut distinguer le sort qu’il réserve aux simples comparaisons de celui des citations complètes. En effet, Bernard Gui ne supprime pas toujours les rapprochements que font ses sources entre les éléments de la légende et des épisodes bibliques. Le relevé des attitudes qu’il observe à leur égard, puis leur classement, montrent qu’il a tendance à conserver les comparaisons qui confèrent un supplément de sacralité aux personnes, alors qu’il est moins attentif à la reproduction des épisodes bibliques. Par exemple, lorsqu’il compile une Vie de saint Louis47, Bernard Gui conserve le qualificatif de « l’autre Tobie » qu’il trouve dans sa source48. Dans celle de saint Fulcran49, lorsqu’il rend compte de son opposition au comte de Toulouse, qui a répudié son épouse pour vivre avec une femme mariée, il le compare, comme l’auteur de sa source, à Élie et Jean-Baptiste50. Il faut dire que dans ces deux cas, ces incursions sont courtes et qu’elles confèrent   Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 128v°.   L’expression velud alter Tobias dabat eisdem monita salutis, qu’on trouve dans la deuxième leçon du lectionnaire BHL 5043 (éd. Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, XXIII, Paris, p. 161), est reprise à l’identique par Bernard Gui (ms 481, IV, fol. 129). 49   Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 30v°. 50   « En cela, il devient imitateur d’Élie et de Jean Baptiste, parce que, comme eux, il préféra risquer l’irritation de ce même comte et mettre en péril sa tête, plutôt que de ne pas stigmatiser par un reproche public celui qui péchait publiquement » (In quo Helie ac Johannis Bapiste factus est imitator, quia, sicut illi, maluit ejusdem comitis indignationem incurrere et periclitari capite, quam ipsum peccantem publice increpatione publica non ferire, BHL 3207, éd. Acta SS, Février, II, 712). 47

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au héros une dimension supérieure. Sa réécriture de la Vie de Placide-Eustache montre en revanche une attitude contraire : au début du récit, Placide, un païen, est en train de chasser un cerf jusqu’à la cime d’un rocher éloigné. Là, il voit une croix dorée entre les cornes de la bête. Alors, par la bouche de l’animal, le Christ s’adresse à lui comme, dit l’hagiographe, «  Dieu s’était adressé à Balaam par la bouche de son ânesse »51. En copiant l’épisode, Bernard Gui élimine cette comparaison. Le texte initial, à savoir « Longtemps donc, Placide se tint debout, observant le cerf, admirant sa belle taille. Et ne parvenant pas à le capturer, Dieu lui envoie un signe tel qu’il ne fût pas au-delà de l’étendue de son courage et que Placide n’ait pas peur. Comme en concédant la parole à l’ânesse sur laquelle allait Balaam, il dévoila sa folie, de la même manière, il fit voir à celui-ci, entre les cornes du cerf, la forme de la croix sacrée, étincelant d’un éclat supérieur à celui du soleil, et, au milieu des cornes, l’image de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ » devient dans le Speculum sanctorale « Longtemps enfin, Placide, se tenant immobile et observant le cerf, vit entre les cornes du cerf la forme de la sainte croix, étincelant d’un éclat supérieur à celui du soleil, et l’image du Seigneur Jésus Christ qui, par la bouche du même cerf, appelant Placide, lui dit… ». Cette suppression est bien le résultat d’un choix, puisque le détour par la Légende dorée montre que Jacques de Voragine, sans produire un texte plus long que celui de Bernard Gui, parvient à maintenir le rapprochement entre le Christ s’adressant aux hommes, par la bouche du cerf dans la Passion de saint Eustache, ou par celle de l’ânesse dans le livre des Nombres. De prime abord, les choix de Bernard Gui paraissent donc aléatoires puisque les comparaisons et allusions furtives aux Écritures sont tantôt maintenues, tantôt supprimées. Mais si on les traite de manière « sérielle », il est possible de faire émerger des tendances qui éclairent les motifs d’un traitement différencié des citations bibliques. Le parti pris de l’hagiographe peut alors s’énoncer ainsi : tant que la source s’en tient à comparer le saint à un personnage biblique, à lui en attribuer les mérites, il retient l’insertion ; en revanche, il s’interrompt lorsque les faits sont rapprochés d’un épisode biblique susceptible de générer une digression. La lecture du Speculum sanctorale montre aussi qu’il s’épargne la copie de la plupart des citations des Écritures qui sont plaquées sur les événements racontés. La Vie de saint Antoine qu’a rédigée Athanase d’Alexandrie (BHL 609) est construite sur plus d’une centaine de citations de l’Ancien et du Nouveau Testament52. Alors qu’il réduit très peu le texte,   Nombres, XXII, 22-35.   Décompte effectué à partir de l’index scripturaire qui accompagne l’édition de la vita (éd. G. J. M. Bartelink, Sources chrétiennes, éd. du Cerf, Paris, 2004). 51

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Bernard Gui supprime, en revanche, une grande partie de ces extraits. Ainsi, à l’issue de l’épisode où le diable apparaît à Antoine sous les traits d’un enfant noir, Athanase écrit : « Tel fut le premier combat remporté par Antoine contre le diable. Mais ce fut plutôt, dans Antoine, le succès du Sauveur, ‘‘qui a condamné le péché dans la chair, pour que la justice de la loi fût accomplie en nous, qui marchons, non selon la chair, mais selon l’esprit’’.»53 La conclusion de l’épisode est tirée de l’Épître aux Romains (Rom. VIII, 3-4). Dans le texte du Speculum sanctorale, tous les éléments du récit sont copiés littéralement, à l’exception de la citation finale. C’est donc la phrase « Tel fut le premier combat remporté par Antoine contre le diable, mais ce fut plutôt, dans Antoine, le succès du Sauveur » qui a valeur de conclusion. Suivant l’habitude qui a déjà été signalée, Bernard Gui utilise cette excision pour revenir à la ligne et séparer en paragraphes distincts ce qui était initialement uni par la citation du Nouveau Testament : Vita sancti Antonii, BHL 609 éd. Mombritius, I, 77 Haec autem Antonio contra diabolum prima victoria fuit, immo virtus in Antonio domini salvatoris, ‘‘qui peccatum in carne condemnavit, ut justificatio legis in nobis impleretur, qui non secundum carnem ambulamus sed secundum spiritum’’. Sed neque Antonio securitatem dedit unus triumphus…

B. Gui, Speculum sanctorale ms 481, IV, fol. 18. Hec Antonio contra dyabolum prima victoria fuit, ymo virtus in Antonio salvatoris,

Sed neque Antonio securitatem dedit unus triumphus…

Ce parti pris n’est pas spécialement réservé à la Vie de saint Antoine : c’est, au contraire, une ligne de conduite à laquelle se conforme le compilateur chaque fois qu’il trouve dans sa source une citation biblique. On la retrouve, par exemple, dans la vie de l’évêque saint Sacerdos : l’auteur du texte BHL 7457, qui est la source de Bernard Gui, s’appuie sur L’Épître aux Romains XII, 11-14 lorsqu’il raconte que les parents du saint avaient pris l’habitude de distribuer leurs biens aux pauvres. Là encore, l’épisode est rapporté par Bernard Gui, la référence à l’Épître de Paul (elle est soulignée) est réduite à sa plus simple expression :

  Trad. G. J. M. Bartelink, ouv. cité ; p. 151.

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DEUXIÈME PARTIE Vita sancti Sacerdoti BHL 7457, éd. Acta SS, Mai, II, 15

BHL 7461, B. Gui, Speculum sanctorale ms 481, IV, fol. 70v°

Servos quoque ac vernaculos suos liberos abire permiserunt, et reliquam vitam Domino dedicaverunt. Et erant ambo unanimiter, secundum apostoli Pauli praeceptum, spiritu ferventes, Domino servientes, spe gaudentes, in tribulatione patientes, orationi instantes, necessitatibus sanctorum communicantes, hospitalitatem sectantes, et Domini Jesu Christi vestigia per omnia persequentes, praecipue tamen peregrinos amabant, et in eis suscipiendis liberaliter insistebant. Quadam die, conveniente viro Dei Sacerdote cum fratribus…54

Servos ac vernaculos suos liberos fecerunt et reliquam vitam suam Domino dedicaverunt spiritu ferventes, Domino servientes.

Quadam die, conveniente viro Dei Sacerdote…

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Si les citations scripturaires disparaissent purement et simplement, le texte hagiographique conserve par ailleurs le souvenir de l’Écriture, distillé en autant de traces que le permet le jeu des associations, des rapprochements et des comparaisons. On sait bien que la réminiscence du texte biblique est constante dans l’expression des clercs médiévaux55, et que, comme bien d’autres, le texte hagiographique est travaillé de l’intérieur par l’Écriture : sans être des citations exactes, une multitude d’expressions sont le résultat du souvenir et de la résurgence automatique de la Bible56. Par la pratique de la lectio, mais aussi à travers la liturgie, les moines ont mémorisé tout ou partie de ce texte (notamment les Psaumes et les Évangiles). Cette forme d’apprentissage évolue profondément à l’époque scolastique puisque la lecture lente et régulière sur laquelle se fondent l’assimilation et la méditation (ruminatio) se mue en un exercice

  « Ils permirent à leurs esclaves, et même à ceux nés dans la maison, de partir libres, et consacrèrent à Dieu le reste de leur vie. Et tous deux étaient en communion de coeur, selon le précepte de l’apôtre Paul, fervents d’esprit, serviteurs du Seigneur, joyeux en espérance, patients dans les maux, persévérants dans la prière, pourvoyant les besoins des saints, pratiquant l’hospitalité et suivant obstinément les pas du Seigneur, ils aimaient toutefois particulièrement les pèlerins et s’appliquaient largement à les accueillir chez eux. Un jour, l’homme de Dieu, Sacerdos, rassemblant ses frères… » 55   Sur ce point, voir notamment dom J. Leclercq, L’amour des lettres et le désir de Dieu, éd. Cerf, 1957, 3e éd. 1991 et Le Moyen Âge et la Bible, sous dir. P. Riché et G. Lobrichon, éd. Beauchesne, 1984. 56   C’est par exemple ce que montre Jacques Dubois pour la Vie de saint Girard écrite vers 1153 et pour le livret de pèlerinage de Saint-Fiacre (1218-1241), dans « Comment les moines du Moyen Âge chantaient et goûtaient les Saintes Écritures », Le Moyen Âge et la Bible, sous dir. P. Riché et G. Lobrichon, éd. Beauchesne, 1984, p. 261-298. 54

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scolaire fondé sur le commentaire écrit57. Alors même que Bernard Gui est un produit de cette formation scolastique, son attachement à restituer l’intégrité des Vies anciennes fait que son Speculum diffuse encore cette écriture hagiographique antérieure au xiiie siècle. Il n’est pas question de penser que Bernard Gui a réécrit les Vies de saints au point d’en faire disparaître les réminiscences bibliques. Leur maintien est donc avant tout le résultat d’une réécriture qui ne se fonde qu’exceptionnellement sur la reformulation. Sur ce point, les différences avec l’écriture de la Légende dorée sont nettes et il ne serait sans doute pas inutile de voir comment y sont traitées ces résurgences scripturaires. Mais si le mode d’adaptation des sources explique, pour beaucoup, la présence de ces expressions, l’excision des citations proprement dites apparaît, en contrepoint, comme un choix. Le caractère systématique de ces excisions pousse à s’interroger sur les motivations de Bernard Gui. Il n’est pas risqué de penser, d’abord, que Bernard Gui a privilégié l’exposé des faits sur leur commentaire édifiant, ou plutôt, que dans son esprit, l’édification était suffisamment perceptible dans ce qu’il rapportait des événements et donc qu’il n’était pas nécessaire de la renforcer par une citation, fût-elle biblique. Mais cette intervention de l’abréviateur ne va pas sans retoucher l’image du saint : celui-ci n’est plus aussi clairement situé dans la continuité du récit scripturaire, dont il rejoue les situations miraculeuses. Si ces modifications sont un fait, rien ne dit que Bernard Gui ait souhaité l’effet produit. D’ailleurs, l’élimination systématique des citations habituellement utilisées en renfort de la narration, fournit peut-être une piste pour débusquer le public pour lequel Bernard Gui écrit. Si l’on s’accorde à penser que la suppression des citations bibliques s’explique mieux par la maîtrise qu’en avait déjà le lecteur que par la volonté d’épargner à un public ignorant une somme d’allusions érudites, il apparaît que Bernard Gui a agi ainsi car il s’adresse à des clercs lettrés, qui recherchent des connaissances précises sur la Vie de tel ou tel saint et qui sont tout à fait capables d’effectuer, par euxmêmes, le rapprochement de ces épisodes avec les Écritures, au gré du sermon qu’ils ont à écrire58. Évidement, dire avec un air de victoire que le Speculum sanctorale est écrit pour des clercs érudits n’est pas d’une nouveauté fondamentale. Cela vaut pourtant d’être souligné si l’on pense que ces mêmes citations   Sur cette évolution de la lecture, voir J. H amesse, « Le modèle scolastique de la lecture », Histoire de la lecture dans le monde occidental, sous dir. de G. Cavallo et R. Chartrier, éd. Seuil, Paris, 1997, p. 125-145. 58   Dom Jean Leclercq a bien décrit cette aptitude des clercs lettrés : « Grâce au mâchonnement médiéval des mots, on en vient à connaître la Bible ‘‘par cœur’’. On peut ainsi trouver spontanément un texte ou un mot qui corresponde à la situation décrite dans chaque texte, et explique chaque autre mot. On devient une sorte de concordance vivante, une vivante bibliothèque, au sens où ce dernier terme désigne la Bible », ouv. cité, p. 76. 57

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bibliques sont bien souvent conservées par Jacques de Voragine, qui les met en relation, soit avec des exempla, soit avec des distinctionnes de sermon, pour produire un texte qui est éminemment à destination d’un public élargi. Finalement, la suppression des interventions de l’auteur et celle des citations bibliques, aboutit à valoriser les faits. Le saint est d’abord un être qui agit et la juste abréviation que revendique Bernard Gui ne doit rien négliger de ces événements. En revanche, l’élimination des éléments du discours qui supportent l’édification du lecteur pousse, par contrecoup, Bernard Gui à ne faire porter l’éclairage que sur l’événementiel. Cette situation ne va pas sans évoquer ses talents de chroniqueur et conduit à envisager l’hypothèse que c’est en historien qu’il a travaillé les figures de sainteté entrées dans son Speculum sanctorale. 3– L’hagiographie : une histoire des saints ? Bernard Gui réécrit donc les Vies de saints en restituant les actes que les auteurs de légendiers abrégés avaient occultés, tout en éliminant les digressions et références bibliques, qu’ils avaient au contraire conservées. Cette double logique aboutit à recentrer le discours hagiographique sur les actes. Une telle orientation peut être rapprochée du goût que cultive Bernard Gui pour l’histoire59. Il y aurait donc une forme d’alignement de l’écriture des deux disciplines  : écrire des choses vraies et des choses crues n’est, au fond, guère différent, et la mise à l’unisson qu’opère Bernard Gui dans son Speculum confirme cette vision des choses. Au minimum, cette interprétation rassure, car elle amalgame « une situation nouvelle » (Bernard Gui hagiographe) à une réalité connue (Bernard Gui historien). Elle a, effectivement, pour elle les acquis des travaux sur les grandes chroniques, et, en premier lieu sur le Speculum historiale, qui ont signalé une certaine confusion des genres, mais aussi les caractéristiques de la culture médiévale, qui ne distingue pas, comme nous le faisons, histoire et hagiographie. Ni l’une ni l’autre ne sont enseignées à l’université des arts. Elles n’ont donc pas produit de méthodes ou de discours sur elles-mêmes, et nous privent d’une série de critères objectifs qui permettraient de les distinguer. Le mot   C’est notamment ce que l’on peut déduire des travaux d’Anne-Marie Lamarrigue, qui s’appuie, parfois, sur des extraits de textes hagiographiques compilés par Bernard Gui pour corroborer des éléments techniques de son écriture de l’histoire. Du coup, et parce qu’elle a lu Anne-Marie Lamarrigue, c’est aussi la conclusion que tire Anne-Marie Bultot-Verleysen à l’issue de son analyse de la Vie de Géraud d’Aurillac : « On retrouve ici le souci de la précision géographique et chronologique qui caractérise l’œuvre de l’auteur » et, plus loin, « Attaché essentiellement aux faits, il se comporte en historien, laissant de côté le contexte biblique dans lequel s’inscrivent les faits » (A.-M. Bultot-Verleysen, art. cité, p. 378 et 382).

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« hagiographie », on le sait, n’existe pas au Moyen Âge60. La proximité de leurs sujets et de leurs recherches s’expose par l’intermédiaire d’un lexique commun (gesta, vita) et par la profusion des compilations englobant, comme deux matières indifférenciées, l’histoire et l’hagiographie61. Le légendier comme la chronique participent d’ailleurs d’une conception identique de l’histoire au cœur de laquelle se trouve Dieu, si bien que l’impression dominante est, qu’au-delà des différences de formes et d’usage, hagiographie et histoire appartiennent, finalement, à un genre commun62. Hagiographie et histoire sont complémentaires dans l’optique d’une histoire globale du salut. La pluralité des relations qu’entretient l’une avec l’autre peut grossièrement se distribuer en trois cas de figure. D’abord, les récits de fondation montrent, par exemple, combien l’hagiographie est à la source de l’histoire : par sa vie édifiante, ses mérites et sa mort glorieuse, le saint légitime l’existence d’un sanctuaire et d’une communauté monastique placée sous sa protection et garante de son culte. Dans son cartulaire, mais aussi dans ses autoreprésentations, la Vie du saint constitue, en quelque sorte, la préhistoire du monastère : c’est la possession d’une relique qui le fait vivre, si bien que tout se passe comme si l’hagiographie avait généré le temps historique. Ensuite, d’autres textes utilisent l’histoire pour révéler les manifestations du sacré car le fait d’émailler une chronique de Vies de saints est un moyen efficace de soutenir le dogme et de montrer les interventions du Seigneur parmi les hommes. Cette perméabilité entre le temps de Dieu et le temps des hommes illustre l’incarnation de la grâce divine. Enfin, certains hagiographes ont aussi souligné combien les temps historiques pouvaient forger des saints : lorsque Bernardo de Brihuega classe les martyrs suivant les règnes des empereurs, il allègue l’idée que c’est le persécuteur qui fait le martyr, et donc que l’histoire génère l’hagiographie. Au bout du compte, ce contexte culturel fournit les raisons de penser que la valorisation des faits telle   L’article de Guy Philippart, « Hagiographes et hagiographie, hagiologues et hagiologie : des mots et des concepts », Ha, I, Brepols, Turnhout, 1994, p. 1-16 fait le point de façon claire sur ces problèmes de vocabulaire. 61   Les textes médiévaux qui font se succéder textes hagiographiques et épisodes à vocation historique sont nombreux et bien connus. Toutefois, à titre d’exemple, rappelons que dans la deuxième moitié du xie siècle, Sigebert de Gembloux insère, dans sa chronique de la ville de Metz, l’éloge des saints honorés dans cette ville. Au tout début du xiiie siècle, Hélinand de Froidmond supplée au silence de ses sources historiques par un recours systématique aux recueils hagiographiques. Entre 1227 et 1241, Aubri de Trois-Fontaines adosse une partie de sa chronique universelle à une collection d’hagiographie cistercienne. L’exemple le plus connu, enfin, est celui du Speculum historiale du dominicain Vincent de Beauvais qui comporte près de neuf cents Vies de saints. 62   Alors que Bernard Guenée a scrupuleusement décrit les rapports qu’entretient l’histoire avec la morale, la théologie et le droit (B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’occident médiéval, éd. Aubier, collection historique, 1980, p. 25-38), on peut constater qu’il n’opère pas ce type de confrontation entre histoire et hagiographie. Est-ce à dire qu’elles sont indissociables ? 60

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qu’elle ressort des réécritures de Bernard Gui s’explique par sa manière d’écrire l’histoire. Pourtant, le regard porté sur la technique d’écriture des textes hagiographiques a révélé des attitudes différentes, notamment quant à l’utilisation des sources et à la manière de résoudre les contradictions. Sans remettre complètement en question l’existence d’orientations communes entre l’hagiographie et l’histoire, l’attention apportée à la confrontation des textes et à leur écriture conduit à envisager qu’il ait pu exister aussi une conscience de genres orientés vers des objectifs différents. C– Les saints arrachés à l’histoire 1– E  njeux et opportunités d’un corpus différencié : Bernard Gui, historien avant d’être hagiographe ? On a souvent allégué l’influence de l’histoire sur l’écriture hagiographique de Bernard Gui. Mais la validité de cette interprétation est affaiblie par la méthode et les a priori qui la font émerger. En effet, dire que Bernard Gui valorise les actes des saints parce qu’il est d’abord historien revient à plaquer sur le xiv e siècle nos critères de ce que doit être un texte historique et nos attentes à son égard. Cela consiste, ensuite, en vertu de cette appréhension des choses, à considérer qu’il fut plus historien qu’hagiographe, ou qu’il s’acquitta mieux d’une tâche que de l’autre, jugement bien relatif et qui, en tout état de cause, n’a pas beaucoup de sens. Cette situation est liée au fait que la diversité de l’œuvre laissée par Bernard Gui a nécessité une division souvent rigide des sujets d’étude, si bien que ce dominicain n’était pas un, mais tour à tour historien, inquisiteur, évêque, hagiographe63. A posteriori, cette évolution paraît dommageable, même si l’on doit bien reconnaître qu’elle reste la seule raisonnable face à l’ampleur du sujet. Il n’en reste pas moins que l’étude des méthodes de l’inquisiteur, de l’historien ou de l’hagiographe que fut Bernard Gui devrait d’abord se justifier par la conscience qu’aurait pu avoir l’auteur lui-même des différences entre ces disciplines. Si cet état de fait est vraisemblable, son analyse doit, en priorité, se fonder sur la mise au jour d’un discours, de méthodes et d’objectifs, différents assignés aux genres historique et hagiographique, et

63   Finalement, les contributions au seizième Cahiers de Fanjeaux, publiées sous le titre Bernard Gui et son monde, CF, t. 16, éd. Privat, Toulouse, 1981, restent à ce jour la seule ambition de retracer un portrait complet du personnage. Cependant, la tentative est quelque peu biaisée car ne naît pas une véritable reconstruction à partir de la seule juxtaposition des communications. Surtout, la figure de l’hagiographe est totalement absente de ce volume.

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non s’appuyer sur les classements commodes issus de la critique du xixe siècle64. Le moyen le plus efficace pour apporter quelques éléments de réponse à cette double question – à savoir celle de l’existence, au Moyen Âge, de la possibilité d’écrire en historien ou en hagiographe, et celle d’une éventuelle influence de l’écriture de l’histoire sur celle des Vies de saints – est la comparaison des corpus. Bernard Gui nous fournit cette opportunité. L’une des caractéristiques de l’œuvre laissée par Bernard Gui est que son intérêt pour les figures du passé donne lieu à la rédaction d’ouvrages séparés, évoquant les hommes indépendamment des saints. En effet, chroniques et légendiers sont toujours composés en parallèle. Surtout, la variété de ses productions historiques et hagiographiques présente l’intérêt de fournir des dossiers transversaux, c’est-à-dire des sujets qui sont traités à la fois dans les chroniques et dans les recueils de légendes. C’est, par exemple, le cas des papes réputés saints, qui occupent, à leur place dans la succession des pontifes, quelques lignes ou au mieux quelques colonnes des Flores chronicorum. Ceux d’entre eux qui subirent le martyre sont aussi intégrés dans la troisième partie du Speculum sanctorale65, tandis que les autres sont inscrits au sommaire de la quatrième66. Il en va de même pour les évêques des diocèses de Limoges et de Toulouse, que Bernard Gui a d’abord mis à l’honneur sous la forme d’un catalogue67 avant de reprendre la Vie de certains d’entre eux lorsqu’il compilait

  Si Léopold Delisle n’établit pas de classement entre les différents écrits de Bernard Gui, proposant pour chacun d’eux et indépendamment une notice descriptive et parfois analytique (L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 169-455), ses successeurs se sont appuyés sur ses travaux pour effectuer des regroupements qui renforcent les indications de genres données par les titres des manuscrits : en 1895, pour sa contribution au Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, l’abbé Arbellot distingue les compilations d’histoire générale, de celles d’histoire locale et d’hagiographie (A rbellot, « Étude biographique et bibliographique sur Bernard Guidonis, évêque de Lodève », BSAHL, t. 45, 1896, p. 5-44). En 1921, lorsque Antoine Thomas rédige pour le t. XXV de l’Histoire littéraire de la France l’article intitulé « Bernard Gui, frère prêcheur » (A. Thomas, « Bernard Gui, frère prêcheur », Histoire littéraire de la France, t. XXXV, Paris, 1921, p. 139-232), il fait suivre ses notes biographiques d’une description des écrits de ce dominicain : elle sépare complètement les écrits historiques des écrits hagiographiques. Face à l’importance des textes de cette nature, Antoine Thomas ne propose pas moins de sept subdivisions. Il distingue l’histoire des conciles (p. 171), l’histoire des papes (p. 176), l’histoire des empereurs (p. 187), l’histoire des rois de France (p. 188), l’histoire des dominicains (p. 192), l’histoire de l’Inquisition (p. 203), et les textes relevant de l’histoire locale (p. 209). 65   Les papes présents dans la troisième partie du Speculum sanctorale sont Marcel (10v°), Fabien (11v°), Clet (33v°), Marcellin (33v°), Alexandre (38), Urbain (46v°), Anaclet (56v°), Corneille (88), Calixte (102), Clément (112v°) et Lin (119v°). 66   Les papes présents dans la quatrième partie du Speculum sanctorale sont Sylvestre (fol. 2), Grégoire (fol. 44), Pierre Célestin (72v°), Léon (90), Marc (fol. 156), Damase (fol. 204v°). Le texte consacré à Marcel (fol. 16) est un doublon de celui qui se trouve dans la troisième partie. 67   Pour le catalogue des évêques de Limoges, connu dans les versions de 1316 et 1317, voir L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 259. Pour celui des 64

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son Speculum68. La dimension historique de ces listes d’évêques est moins affirmée qu’elle ne l’était dans le cas des Flores chronicorum : ces textes ne sont pas pourvus de prologues, leurs ambitions sont limitées et leurs constructions rudimentaires. Malgré tout, ces listes participent d’une recherche des origines et de la volonté d’établir les successions, ce qui est un parti pris éminemment historique. Cette recherche surclasse bien souvent celle des actes des évêques, si bien que l’on ne peut s’attendre à y lire une véritable narration historique. Enfin, Bernard Gui rédige plusieurs Vies du roi saint Louis : celles, longue ou abrégée, qu’il insère dans sa chronique des rois de France69, et la réécriture qui prend place dans la quatrième partie du Speculum sanctorale70. L’existence de ces récits multiples fournit l’occasion de se demander si Bernard Gui eut la conscience d’écrire en historien ou en hagiographe, en fondant cette recherche sur une confrontation des corpus. Au-delà les objectifs spécifiques à chaque compilation, qui doivent nécessairement accroître les différences qui pourraient exister entre deux écritures d’une même Vie, Bernard Gui a-t-il des préoccupations différentes quand il évoque pape, roi, évêque et quand il loue leur sainteté ? 2– La légende hors du temps Parmi les figures que Bernard Gui traite à la fois dans ses œuvres historiques et hagiographiques, les Vies des premiers papes sont centrées sur les problèmes d’identification que pose la succession de Pierre. En effet, entre ce premier pontife, crucifié en 64 ou 67, et Clément 1er, qui, selon les chronologies, occupe le siège de 92 à 93 à 98 ou 100, les sources chrétiennes avancent une série de candidats (Lin, Clet et Anaclet). Cependant, bien des difficultés émergent, non seulement pour savoir lesquels ont vraiment été papes, mais encore pour préciser la durée et la succession de ces éventuels pontificats. Clet et Anaclet sont-ils deux personnages distincts ou ne font-ils qu’un ? Lin et Clet ont-ils été papes ou seulement disciples de Pierre ? La résolution de ces ques-

évêques de Toulouse, dont trois états au moins sont connus (1313, 1315 et après 1317) L. Delisle, ouv. cité, p. 270-273. 68   Les premiers évêques de Toulouse et Limoges, à savoir respectivement Saturnin et Martial, se trouvent dans la seconde partie du Speculum sanctorale (ms 480, II, fol. 106v° et 112) ; leurs successeurs sont tous dans la quatrième partie du légendier : pour Toulouse, saint Germier (ms 841, IV, fol. 71v°) et saint Exupère (fol. 142) et pour Limoges saint Sacerdos (fol. 70). 69   Bernard Gui a donné une version amplifiée de la Chronique des rois de France et une version abrégée. Pour ce qui est de la première, le texte le plus abouti, daté de 1331 est consigné dans le ms lat. 4975 de la Bibliothèque nationale de France. Le chapitre consacré à saint Louis se trouve aux fol. 162-167v°. En ce qui concerne la chronique abrégée, le manuscrit consulté est le ms lat. 4989. Les faits relatifs à saint Louis se trouvent fol. 279v°-280. 70   Toulouse, BM, ms 480, IV, 128v°.

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tions a généré une importante littérature : les grands auteurs chrétiens comme Eusèbe de Césarée, Jérôme, Damase, ont proposé de multiples solutions, qu’ont encore relayées et alimentées les auteurs de chroniques universelles comme Vincent de Beauvais ou Martin de Troppau. À son tour, Bernard Gui ne peut éluder la question, et dans les premiers folios des Flores chronicorum71, sa grande chronique des pontifes romains, il tente de concilier les divergences et les contradictions de ses prédécesseurs : pour ce qui est de l’existence des papes et de leur succession, il reprend à son compte la solution choisie par Vincent de Beauvais72 ; néanmoins, il s’efforce aussi d’exposer toutes les hypothèses concernant la chronologie et la durée de chaque pontificat, donne toutes les dates qu’il a trouvées dans les sources, ce que ne faisait pas son prédécesseur. Par exemple, lorsqu’il évoque le pape Clet, Bernard Gui précise ses origines romaines, puis indique qu’il accède au pontificat en 82, « d’après une chronique et d’après le martyrologe d’Usuard », ou en 83 si l’on suit ce que dit Martin de Troppau. Il dit ensuite que Clet est resté sur le siège de Rome dix années « selon certaines chroniques », ou neuf ans selon « d’autres ». Sur le même modèle, il écrit que Clet est couronné du martyre et enseveli au Vatican, près de Pierre, en 92 ou 93, selon les sources. On le voit73, la matière principale 71   Pour les Flores chronicorum, le texte consulté correspond à la troisième version du texte, celle qui est établie à la fin de 1320 et que donne le manuscrit 450 de la Bibliothèque municipale de Toulouse (fol. 150v°-151v°). Léopold Delisle a décrit l’évolution de ce texte, que Bernard Gui a beaucoup retouché entre 1311 et 1330 : aucune de ses versions successives ne modifie le dossier de la succession des premiers papes (L. Delisle, ouv. cité, p. 188-235). 72   Vincent de Beauvais expose d’abord la solution de continuité : Lin et Clet furent papes ; Lin succéda à Pierre ; Vinrent ensuite Clet, puis Anaclet et Clément. À la fin de son paragraphe cependant, il fait allusion, sans les exposer dans le détail, à la discordance de ses sources : « Cela [l’accession d’Anaclet au pontificat en l’an 102], Eusèbe le tait dans sa chronique et dit qu’Anaclet est le même que Clet. Mais le pape Damase, dans la chronique des pontifes romains qu’écrivit Jérôme, les a considérés comme deux et dit que Clet fut d’origine romaine, et Anaclet d’origine grecque. Ce n’est pas seulement sur ce point-là, mais sur plusieurs autres, que la chronique d’Eusèbe diverge avec les autres chroniques » (De isto tacet Eusebius in cronicis et dicit quod Anacletus ipse est Cletus. Sed Damasus papa in cronica romanorum pontificum quam scribit Ieronimo, ponit eos pro duobus, et dicit quod Cletus fuit natione romanus, Anacletus autem grecus. Non solum autem in hoc sed in aliis pluribus cronica Eusebii ab aliorum cronicis videtur dissonare, SpH, IX, 93). 73   « Clet, romain de maissance, de la région de Vic, son père Émilien étant patrice, devint pape l’année du Seigneur 82 – dans une autre chronique il est dit 83 –, le resta vingt ans, cinq mois et onze jours – mais la chronique de Martin dit neuf ans. Il est écrit dans le martyrologe d’Usuard et dans la chronique du pape Gervais qu’en l’an 82 le siège fut vacant pendant trente-cinq jours – mais la chronique de Martin dit vingt jours – durant le règne de Domitien, qui débuta l’an du Seigneur 82 – mais la chronique de Vincent dit 84 et on dit dans d’autres 85 – et qui dura quinze ans. Couronné du martyre, celui-ci est enterré au Vatican, contre le corps de l’apôtre Pierre, le 6 des calendes de mai, l’an du Seigneur 92 – on dit dans certaines chroniques 93 –, la onzième année du règne de l’empereur Domitien » (Cletus, natione romanus de regione Vico, patricio patre Emiliano, cepit anno Domini LXXXII°, in quadam vero cronica dicit LXXXIII°, sedit annis XX mensibus V diebus XI, sed cronica Martini dicit annis IX. In martirologio vero Usuardi et in cronica Gervasii papae scribitur LXXXII° vacuit sedes diebus XXXV, sed cronica Martini dicit diebus XX imperante Domiciano qui cepit anno Domini LXXXII° sed cronica Vincentii

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du texte qu’il place sous le nom de Clet correspond moins aux actes du pape qu’au débat sur la chronologie. Les références aux auteurs et aux chroniques constituent l’essentiel du paragraphe. Ces sources nombreuses sont convoquées uniquement dans l’espoir de fixer la chronologie, si bien qu’au bout du compte, seules les mentions du martyre et du lieu de la sépulture apportent des informations sur la figure de Clet. Le reste de la notice est complètement désincarné. Ce modèle est reconduit pour Lin et Anaclet. Que se passe-t-il lorsque Bernard Gui intègre ces papes dans la troisième partie du Speculum sanctorale ? D’emblée, il informe les lecteurs de son légendier que, rassemblant la matière utile à sa compilation, il n’a pas trouvé de Vie entière de Clet (« Saint Clet, fêté le 26 avril, d’après la geste des pontifes romains, les chroniques parce que je n’ai pas pu trouver sa Vie en intégralité »74) et de Lin (« Saint Lin, fêté le 26 novembre, dont je n’ai pas pu trouver la Vie en intégralité »)75. En l’espèce, peu importe qu’il n’ait pas trouvé les sources nouvelles qu’il espérait : l’aveu de la recherche est finalement plus intéressant. Il laisse supposer qu’il existe des sources plus appropriées à la construction du récit hagiographique et que le travail effectué dans le cadre d’une chronique ne peut être repris à l’identique lorsqu’il s’agit de nourrir un recueil de légendes. La matière même qui sert à écrire l’histoire ne permet pas, ici, de fournir les informations attendues dans un légendier. Au-delà, les objectifs de la chronique diffèrent de ceux que Bernard Gui s’est fixé dans l’écriture de son Speculum. D’ailleurs, même sans avoir eu accès à des sources nouvelles, et notamment à une Vie entière et complète de saint Lin et de saint Clet, il fait en sorte d’écrire autrement. En effet, alors que le débat chronologique est l’essentiel de la chronique, il se trouve complètement évacué de l’écriture hagiographique. Ainsi, le doute sur la date de l’accession de Clet au trône de saint Pierre subsiste dans le texte du Speculum sanctorale mais son évocation ne s’appuie plus sur la mention des nombreuses sources défendant l’une ou l’autre des alternatives : elle n’est plus qu’une formule de précaution (« …il a accédé [au trône pontifical] l’année du Seigneur 82 ou 83. »)76. De même, si l’existence du pape Clément dicit LXXXIIII° in quibusdam autem dicitur LXXXV° imperavit que annis XV. Hic martirio coronatus sepultus est in Vaticano juxta corpus beati Petri apostolis, VI° kalendas maii, anno Domini XCII°, in quadam vero cronica dicitur XCIII° imperii Domiciani anno XI°, Flores chronicorum, Toulouse, BM, ms 450, fol. 151). 74   Sancti Cleti papae VI° kalendas maii ex gestis pontificum romanorum et ex cronicis quia gesta ejus ad integrum nondum potuimus invenire(Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 33v°) 75   Sancti Lini pape, VI° kalendas decembris, cujus gesta ad integrum nondum potuimus invenire (Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 119v°) 76   cepit autem anno Domini octogesimo secundo vel octogesimo tercio (Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 33v°).

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est mieux attestée que celle de ses prédécesseurs, il subsiste à son sujet quelques interrogations sur l’année de son accession au pontificat, puis sur la durée de celui-ci et en conséquence sur la date de sa mort, débat dont rendent compte les Flores chronicorum77. Or, lorsque Bernard Gui rédige une Vie du pape Clément pour la troisième partie du Speculum sanctorale, il ne fait plus état de ce questionnement et compile un texte qui ne porte plus aucune trace de ces ambiguïtés. Son récit, l’un des plus longs du troisième livre, porte même quelques formules définitives : « Saint Clément est mort le 9 des calendes de décembre, au-delà du Pont-Euxin qui borde Cersona78, cité de l’île dans laquelle il était exilé, la troisième année du règne de Trajan, l’an 102 de l’incarnation du Seigneur »79. Bernard Gui fait donc, pour son légendier, les choix qu’il s’était interdit dans le cadre de la chronique, où il produit, sans trancher, toutes les versions lues. Cette différence de traitement paraît bel et bien dictée par l’idée subtile qu’écrire sur les règnes des papes n’est pas rendre compte de leurs Vies. En même temps, elle est peut-être plus que cela, car la restriction de son corpus à des sources hagiographiques montre qu’il y avait, dans le seul cadre de la légende, matière à débattre : Jacques de Voragine par exemple rapporte le martyre du pape Clément avec une chronologie encore différente de celle du Speculum sanctorale80. Bernard Gui, qui pourtant s’appuie sur le texte de la Légende dorée, passe totalement sous silence le choix différent de son prédécesseur, alors que dans sa chronique universelle, il met un point d’honneur à répertorier toutes les datations possibles. Autrement dit, la suppression du débat sur la chronologie ne peut être imputée seulement au hiatus typologique, puisqu’elle est reconduite de la même manière dans le processus de compilation de sources exclusivement hagiographiques. Ce n’est donc pas un effet de source, mais plutôt une prise de conscience des nécessités du genre : l’hagiographie ne s’écrit pas comme l’histoire.

  « Ce pape Clément fut d’abord envoyé en exil et endura ensuite le martyre, englouti dans la mer, l’an du Seigneur 102 – dans une autre chronique on trouve 101. » (Hic papa Clemens primo in exilio relegatus, deinde in mare mersus, martirium pertulit anno Domini CII,° in quadam vero cronica invenitur CI° (Toulouse, BM, ms 450, fol. 151v°). 78   Les auteurs de notes qui accompagnent la traduction de la Légende dorée indiquent que cette ville se situe probablement en Crimée (Légende dorée, ouv. cité, p. 1464). 79   Passus est autem sanctus Clemens IX kalendas decembris trans Pontum mare quod adjacet civitati Cersone in exilio insule positus tercio Trajani anno, Dominice vero incarnationis anno centesimo secundo (Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 113v°). 80   J. de Voragine, La Légende dorée, trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, 2004, p. 961-973 (spécialement p. 972 pour la date de la mort du pape, que Jacques de Voragine fixe à l’année 100). Ce constat sur les divergences de datation de la mort des saints vaut pour l’ensemble des textes communs à la Légende dorée et au Speculum sanctorale : chaque fois que l’une et l’autre datent une Vie (ce que ne fait pas systématiquement Bernard Gui, contrairement à Jacques de Voragine), leurs propositions divergent. 77

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Ce qui renforce cette interprétation c’est le fait que Bernard Gui a manifestement recherché des sources différentes pour faire entrer ces papes martyrs dans son Speculum sanctorale. Ainsi, il compose une Vie complète, quoiqu’un peu abrégée, de saint Clément, assortie d’un miracle rapporté par Grégoire de Tours et d’un récit de la translation de son corps à Rome, autant d’éléments qui sont à peine évoqués dans la chronique. Il aura donc trouvé pour saint Clément, la Vie complète qui lui faisait défaut pour les papes Lin et Clet. Dès lors, le fonds narratif commun entre Flores chronicorum et Speculum sanctorale est extrêmement ténu. Dans la plupart des cas, il se résume aux noms propres de lieux et de personnes, aux dates, à la mention du martyre. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, cette forme de partition de l’information ne tient pas à la nature particulière du dossier des premiers papes, relativement confus et finalement peu fourni, à l’exception des cas de Pierre et de Clément. Bernard Gui, en effet, adopte une attitude similaire pour des saints bien mieux documentés, excluant de son Speculum sanctorale les données proprement historiques sur lesquelles ses chroniques s’étaient appesanties. Ainsi, dans son catalogue des évêques de Toulouse, il explique qu’il n’a pas trouvé dans les Gesta sancti Exuperii l’information lui permettant de dire précisément l’époque à laquelle a vécu saint Exupère. Il essaie donc de situer l’évêque d’après les éléments chronologiques dont il dispose par ailleurs au sujet des personnes qui ont entouré le saint, c’est-à-dire Ambroise, évêque de Milan, qui fut son contemporain, et saint Jérôme, avec lequel il entretint une correspondance. Sachant que le premier est mort vers 400 et le second aux alentours de l’année 420, il conclut : « Saint Exupère était contemporain de saint Ambroise, évêque de Milan (…). Il était aussi contemporain de saint Jérôme. (…) J’ai indiqué ici la date de la mort de saint Ambroise et celle de saint Jérôme pour qu’il soit, en quelque sorte, possible d’envisager à quelle époque vivait saint Exupère de Toulouse »81. Lorsqu’il copie une Vie d’Exupère, dans la quatrième partie du Speculum sanctorale, ces informations disparaissent. Bernard Gui ne retient que les éléments propres à caractériser la sainteté d’Exupère, c’est-à-dire le sacre de l’évêque, la défense de la cité assiégée, la distribution des aumônes au peuple, la guérison miraculeuse d’Ambroise, puis la mort du saint et la translation de ses reliques.   Sanctus Exuperius fuit contemporeanus beati Ambrosii episcopi Mediolanensis (…) Fuit etiam sanctus Exuperius contemporaneus beati Jeronimi (…) quod ideo de annis et tempore obitus sanctorum Ambrosii et Jeronimi in hoc loco scripsi ut possit aliqualiter apprehendi quo tempore florebat sanctus Exuperius in Tholosa (Toulouse, BM, ms 450, fol. 227). Cet extrait permet à Anne-Marie Lamarrigue de montrer comment Bernard Gui s’appuie sur la confrontation des documents pour contourner le silence de ses sources (Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, 2000, p. 290).

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Enfin, il est difficile de passer sous silence le cas de la translation du corps de Marie Madeleine : la contribution de Bernard Gui à ce dossier est un point qui a été maintes fois révélé, tant dans les travaux qui ont été consacrés à la sainte82 que dans ceux qui se sont penchés sur les ressorts de l’écriture historique de ce dominicain83. Dans les Flores chronicorum, en effet, Bernard Gui rapporte le contenu de l’authentique qui se trouvait dans le sarcophage de la Madeleine : l’an 710, le 6 décembre, alors que régnait Eudes, roi des Francs, le duc de Bourgogne Guirart fait enlever le corps de Marie Madeleine de son tombeau d’albâtre pour la placer dans un sarcophage de marbre. Puis, gêné par la mention de ce roi, Bernard Gui se livre à un critique du document : il conclut rapidement qu’à cette date, il n’y avait pas de roi de ce nom. Pourtant, il ne se résout pas à transformer la datation, ou à conclure qu’il a à faire à un faux : il propose une solution alternative, à savoir le règne d’un autre Eudes, duc d’Aquitaine celui-là, effectivement au pouvoir au temps de la première translation de Madeleine84. Dans le Speculum sanctorale au contraire, l’évocation de ces événements est allégée de ce développement, et l’incohérence des faits, qu’il a été capable de débusquer ailleurs (même si sa solution de rechange ne résout qu’en apparence le problème) n’est même pas évoquée. Il s’en tient à copier le texte de l’authentique : « L’an 710 de la Nativité du Seigneur, le 6 décembre, de nuit, très secrètement, sous le règne du très pieux Eudes roi des Francs, du temps des attaques du peuple perfide des Sarrasins, le corps de la très aimée et révérée bienheureuse Marie-Madeleine, fut transporté de son tombeau d’albâtre dans celui en marbre, par crainte dudit perfide peuple, et parce qu’il est mieux caché ici, le corps de Sidoine en ayant été enlevé »85. La copie de l’authentique suffit donc. Il faut dire que, par sa nature, ce document est la Vérité, et l’hagiographe, contrairement à l’historien, n’a pas vu de raison de le critiquer.

82   Voir essentiellement les travaux de V. Saxer, « La crypte et les sarcophages de Saint-Maximin dans la littérature latine du Moyen Âge », PH, t. 5, 1955, p. 196-231 ; « Les ossements dits de Marie-Madeleine conservés à Saint-Maximin-La-Sainte-Baume », PH, t. 27, 1977, p. 257-311 ; « La Madeleine, figure évangélique dans sa légende jusqu’aux xiie-xiiie siècles », Évangile et évangélisme (xiie-xiiie siècle), CF, t. 34, 1999, p. 199-220. 83   A.-M. L amarrigue, ouv. cité. 84   Pour cet exposé du contenu des Flores chronicorum voir A.-M. L amarrigue, ouv. cité, p. 262263. 85   Anno Nativitatis dominice septingentesimo decimo, die sexto mensis decembris, in nocte secretissime, regnante Odonio, piissimo Francorum rege, tempore infestationis gentis perfide Sarracenorum, translatum fuit corpus hoc carissime ac venerande beate Marie Magdalene de sepulcro suo alabaustri in hoc marmoreo, timore dicte gentis perfide, et quia secretius est hic, amoto corpore Selidonii, ms 481, IV, fol. 95.

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3– Saints et grands hommes, ou la distinction par l’écriture : le cas de saint Louis Enfin, l’exemple fourni par la Vie de saint Louis confirme la partition stricte qui se dessine dans l’œuvre de Bernard Gui entre l’écriture de l’histoire et celle des Vies de saints. Les objectifs différents qu’il assigne à l’un et l’autre genre le poussent d’abord à exploiter des sources différentes. Dans la Chronique des rois de France, le chapitre relatif à Louis IX s’appuie sur de grandes fresques historiographiques86 : l’essentiel du texte reprend le contenu du Speculum historiale de Vincent de Beauvais87, auquel il préfère cependant la chronique de Martin de Troppau, autre dominicain, pour le récit de la deuxième croisade88, et celle de Guillaume de Puylaurens, mieux renseignée sur les événements qui concernent le Midi89. Quelle que soit la manière dont il les adapte, ce choix préliminaire oriente l’image du roi et dessine le but de son œuvre. Bernard Gui s’est spécialement attaché à mettre en valeur les données chronologiques : Louis IX s’inscrit dans une lignée, qui est expliquée avec précision par une foule de détails sur les filiations et les alliances matrimoniales. S’il écrit pour fixer le cours des événements, les deux croisades ont particulièrement retenu son attention car il leur consacre les deux tiers de son texte90. En contrepoint, la rapidité avec laquelle il évoque la piété du roi est frappante. Dans la Chronique des rois de France, le portrait de Louis IX diffère du modèle généralement présenté par l’hagiographie mendiante : ici, Bernard Gui ne dit rien de son humilité, de sa charité, de ses actes de pénitence ou de sa dévotion aux reliques91. Le roi est essentiellement identifié par des actes politiques, car si l’accent mis sur les croisades illustre l’accomplissement de sa vocation de prince chrétien, ce traitement ne le distingue que très peu de ses aïeux qui ont, avant lui, combattu en Terre sainte. Le Speculum sanctorale offre une image bien différente : le roi « s’efface » devant le saint. Cette réorientation du discours découle d’un choix différent de sources. Les chroniques ne fournissent plus au Speculum sanctorale que des informations d’appoint, puisque l’essentiel de la matière est issu de la lettre de canonisation de Louis IX, promulguée par Boniface VIII en 129792 et des leçons 86   Toutes les informations relatives aux sources employées par Bernard Gui pour compiler la Chronique des rois de France sont tirées de la thèse d’A.-M. L amarrigue, ouv. cité. 87   SpH, XXXI, 129, 148 et XXXII, 89-102. Bernard Gui a abrégé les informations qu’il a lues dans le Speculum historiale (A.-M. L amarrigue, ouv. cité, p. 97). 88   A.-M. L amarrigue, ouv. cité, p. 101-102. 89   A.-M. L amarrigue, ouv. cité, p. 78, 96 et 121. 90   A.-M. L amarrigue, ouv. cité, p. 461. 91   A.-M. L amarrigue, ouv. cité, p. 464. 92   BHL 5040, éd. M. Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, XXIII, Paris, p. 148-160.

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d’un office liturgique composé au xiv e siècle93. En s’appuyant sur cette documentation, Bernard Gui met d’abord l’accent sur l’instruction du roi par les mendiants et sur les legs que celui-ci destine aux couvents de frères mineurs et de frères prêcheurs. Le temps passé par le saint en prières et en jeûnes, la largesse de ses aumônes, ses actes d’humilité et de pénitence constituent l’essentiel du texte inséré dans le légendier, alors qu’ils n’étaient pas spécialement mis en valeur dans la chronique. Le titre du chapitre consacré à saint Louis dans le Speculum sanctorale résume toutes ces différences : Bernard Gui annonce la Vie du « très pieux saint Louis » (Sancti Ludovici piissimi francorum regis), qualificatif totalement absent, comme l’a relevé Anne-Marie Lamarrigue, du texte de la chronique94. De plus, il est remarquable que les longues digressions de la chronique, au sujet des événements qui ont conduit Louis IX à intervenir dans le Midi, sont totalement passées sous silence dans le texte du légendier. La lecture particulière que pouvait faire des faits un clerc méridional au moment où le Midi est rattaché à la couronne de France n’a plus sa place dans le texte hagiographique. Si le roi peut agir de façon différenciée en raisons des lieux et des circonstances, le saint appartient à l’Église universelle. Dans le Speculum sanctorale, la fonction du texte hagiographique est aussi de mettre en avant cette déspatialisation. Entre histoire et hagiographie, « l’horizon d’attente » est différent et Bernard Gui s’affaire à montrer l’universalité du modèle. Selon le « genre », les mêmes faits sont inclus dans un système de normes et d’attitudes qui caractérise les intentions de l’auteur et son public. Selon les cas, Bernard Gui choisit de traiter de l’homme ou du saint. Cette vision duelle est, par exemple, remarquable lorsque l’on confronte l’épisode de la prise de la Croix. La Chronique des rois de France évoque les faits année après année : « L’année du Seigneur 1248, le vendredi après la Pentecôte, Louis, roi des Francs, s’embarqua outre-mer, sortant de Paris accompagné d’une grande procession qui s’acheminait vers Saint-Antoine. Étaient avec lui le vénérable Odon, cardinal-évêque de Tusculum, légat apostolique, et deux frères du même roi, c’est-à-dire Robert, comte d’Artois, et Charles, comte d’Anjou, leurs épouses, ainsi que de multiples évêques du royaume et des seigneurs barons »95. Dans   BHL 5043, éd. M. Bouquet, ouv. cité, p. 160-167. Bouquet indique qu’il s’agit d’une Vie abrégée et divisée en leçons. En revanche, il ne fournit aucune information concernant l’origine du manuscrit à partir duquel il a édité le texte. Une comparaison de ce document avec la Vie de saint Louis inscrite dans le manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse montre qu’il ne s’agit pas des leçons ajoutées au lectionnaire de l’office dominicain. 94   L’adjectif piissimus n’est employé, dans la chronique des rois de France, qu’au sujet d’Hugues Capet. Au mieux, Louis IX est qualifié de confessor Domini gloriosus (A.-M. L amarrigue, ouv. cité, p. 463, n. 163). 95   Anno Domini M°CC°XLVIII° rex francorum Ludovicus iter transmarinum arripuit feria VIta infra octava Penthecostes exiens de Parisius multis processionibus ad Sanctum-Antonium deducentibus. 93

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le Speculum sanctorale, la décision de Louis IX de se croiser est précédée d’un paragraphe qui montre la dévotion personnelle du roi pour la Croix : « Il avait un tel respect du signe de la sainte croix, qu’il évitait de marcher dessus et exigea de plusieurs religieux qu’ils n’en sculptent pas sur la terre et sur les tombes qui sont au sol de leurs cloîtres et qu’ils arasent complètement celles qui sont déjà sculptées »96 . Suit l’évocation des préparatifs et du départ vers la Terre sainte, qui n’a rien de commun avec l’exposé sec de la chronique puisque : l’essentiel du texte est calqué sur la bulle de canonisation. L’épisode est présenté comme une conséquence de la guérison obtenue à Pontoise (« …dans sa trentième année, relevant d’une maladie qui lui était survenue, avec ferveur spirituelle il demanda que lui fût montré le signe de la sainte croix, à Pontoise…  »97). Quatre ans après, il s’embarque pour la Terre sainte avec ses proches, c’est-à-dire la reine, Marguerite de Provence, et ses trois frères. La dimension politique et publique de cet événement s’efface totalement devant l’acte personnel du futur saint. Cette attitude tranche avec l’entreprise bien connue d’un Joinville, qui produit une histoire investie de l’intérieur par une dimension hagiographique, qui est inséparable de la fonction royale98. Dans le légendier de Bernard Gui au contraire, cette dernière affecte d’abord l’homme, et bien peu le roi. Cela n’empêche pas que Bernard Gui ait eu la nécessité, à un moment ou à un autre, de réintroduire la chronologie dans sa légende. Ierunt autem cum eo venerabilis Odo cardinalis episcopus Tusculanus apostolice sedis legatus et duo fratres ejusdem regis videlicet Robertus comes Atrebatensis et Karolus comes Andegavensis cum uxoribus suis multique regni Francie episcopi et milites barones. (Version amplifiée de 1331, BnF, ms lat. 4975, fol. 163v°-164). 96   In tantam etiam reverentiam habebat signaculum sancte Crucis quod desuper calcare cavebat et a pluribus religiosis exegit ut in claustris eorum in tumbis existentibus super terram cruces non insculperentur et jam insculpte penitus raderentur (Toulouse, BM, ms 481, fol. 130). 97   Les mots et expressions en caractères dilatés sont tirés de la bulle de canonisation de Boniface VIII, éd. dom Martin Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, XXIII, Paris, 1894, p. 155 : D e m um ipse juvenis in a n n o t r i ce s im o c o n st it u t u s a q u a d a m s i b i s u p e r ve n i e n t e eg r it u d in e convalescens fervens spiritu apud Pontisaram s ig n a c u lum sancte Cr u c i s v i v i f i c e s u b s i d i u m a Pa r i s i e n s i e t M e l d e n s i e p i s c o p i s a s s i s t e n t i b u s s i b i c u m in st a n c i a p e t i i t e x h i b e r i e t d e m a n u p re fa t i Par i s i e n s i s e p i s c o p i c u m l e t ic i a e t e x u lt a t i o n e a c ce p it prel a t i s , n o b i li b u s ac m i lit i b u s plur im i s s ig num ips um a s s um e n t i b u s c um e o d e m . Ta n d e m vero a m pl o n av ig i o pre p ara t o c um t r i ce s im um q u ar t um a n n um a t t ig i s se t e t a t i s , in pre d i ct um Terre sa n ct e s u bs i d ium t ra n sf re t av it  : c o n s or t e m suam Margaritam et R o t b e r t um A t reba t e n se m , A lp h o n s um P i ct av i e e t K aro lum A n d ega v i s c o m it e s , f ra t re s s u os cum multa militia se c um d u ce n s (Toulouse, BM, ms 481, fol. 130). 98   C’est la conclusion à laquelle parvient Dominique Boutet au terme d’une étude des motifs historiographiques et hagiographiques dans Vie de Thomas Becket et de saint Louis (D. Boutet, « Hagiographie et historiographie : la Vie de saint Thomas Becket de Guernes de Pont-SainteMaxence et la Vie de saint Louis de Joinville », Le Moyen Âge, t. 106, 2000, p. 277-293). L’auteur montre combien l’analyse de ces deux textes « incite à considérer que le Moyen Âge, généralement insensible à la notion moderne de genre, ne ressentait pas de différence profonde de nature entre l’hagiographie et l’historiographie » (p. 280).

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Celle-ci existe, mais en marge du texte hagiographique puisque Bernard Gui fait suivre la Vie de saint Louis d’une chronique abrégée. Décidément, tout se passe comme si histoire et hagiographie n’étaient pas compatibles99. Même sommaire, une comparaison des textes historiques et hagiographiques composés par Bernard Gui peut donc éclairer sur la manière dont il a partitionné les informations qui, dans ses sources, étaient associées. Du reste, cette stratégie de tri et de classement ne peut pas être mise au crédit d’une évolution de ses centres d’intérêts : les nombreuses versions des Flores chronicorum100 d’une part et des Reges francorum de l’autre101, montrent qu’il n’a cessé de poursuivre l’écriture de sa chronique alors même qu’il travaillait déjà à l’élaboration du Speculum sanctorale. Chronique et légendier sont rédigés en même temps, mais la rédaction de l’un ne sert pas la compilation de l’autre. Si la chronique expose la conformité des faits, le légendier présente une toute autre vérité, arrachée à la contingence. 4– L a complémentarité des écritures hagiographique et historique : la translation puis la possession des reliques de saint Vincent à Castres Si les écritures historiques et hagiographiques sont clairement différenciées, les différentes versions que donne Bernard Gui de la possession des reliques de saint Vincent à Castres témoignent aussi d’une complémentarité de ces deux « genres ». La complexité du dossier nécessite en premier lieu un retour sur les faits, avant de voir comment Bernard Gui transmet la mémoire de ces événements à la fois dans son légendier102 et dans son histoire des couvents dominicains de la première province de Provence103. a– Les faits Alors que les reliques de saint Vincent fondent l’importance du monastère bénédictin Saint-Benoît de Castres, qui les possède depuis le ixe siècle, elles deviennent au xiiie siècle un enjeu majeur des rivalités entre communautés   Le même procédé est reconduit en marge de la Vie de saint Thomas d’Aquin.   Pour le détail des étapes de cette compilation, qui s’échelonnent de 1311 à 1330, et la datation des manuscrits autographes, il faut toujours se reporter aux travaux de L. Delisle, ouv. cité, p. 188-235. 101   D’après Léopold Delisle, Bernard Gui donne successivement au moins six versions de sa chronique des rois de France. Les trois premières sont compilées de 1312 à 1315, c’est-à-dire au moment où il reçoit de Bérenger de Landorre la commande du Speculum sanctorale. On ne sait cependant à quel moment précis il entreprend cet ouvrage. En revanche, il travaillait sans doute déjà aux deux premières parties lorsqu’en 1320 il refond complètement sa Chronique des rois de France (L. Delisle, ouv. cité, p. 245-252). 102   Speculum sanctorale, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 126-128v°. 103   Bernardus Guidonis, De fundatione et prioribus conventuum provinciarum Tolosanae et provinciae ordinis praedicatorum, éd. P.-A. Amargier, ouv. cité, p. 135-155. 99

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régulières et séculières. L’élément déclencheur est la redistribution du pouvoir seigneurial à l’issue de la croisade contre les Albigeois. Les faits ont été établis avec une grande clarté par Jean-Louis Biget104 qu’il convient de suivre sur ce point. En 863, le monastère Saint-Benoît de Castres acquiert le corps du martyr de Saragosse. Afin de permettre aux femmes de la vénérer, l’insigne relique est installée hors de la clôture, dans une basilique construite spécialement et portant le vocable de Saint-Vincent. À la faveur de la croisade contre les Albigeois, Simon de Montfort met la main sur les possessions des Trencavel, seigneurs de Castres. Il confie le sanctuaire Saint-Vincent à un collège de douze chanoines, puis quitte le Midi avec la mâchoire du martyr, qu’il offre à SaintGermain-des-Prés. Or, les moines de Saint-Benoît profitent du retrait des Montfort pour reprendre possession de Saint-Vincent. Ils justifient cet accaparement par la politique des officiers royaux, qui assurent, à ce moment-là, vouloir aplanir les problèmes issus de la croisade et restituer chacun dans ses droits. Le conflit entre l’évêque et l’abbé autour du sanctuaire à reliques en arrive à un point qui nécessite un arbitrage pontifical. De 1226 à 1232, les décisions rendues sont contradictoires et l’église passe à plusieurs reprises des mains des chanoines à celles des Bénédictins105. À la faveur de l’élection d’un nouvel abbé, la tension se relâche et un compromis est enfin trouvé en 1238 : l’église Saint-Vincent appartient aux moines, mais elle est administrée par les chanoines, qui en ont l’usufruit. Pour l’heure, la situation du sanctuaire SaintVincent est stabilisée, mais l’âpreté du conflit qui s’est cristallisé autour de lui conduit désormais les Bénédictins à remettre en cause leur affiliation à SaintVictor de Marseille, accusé de ne les avoir que mollement soutenus face aux revendications de l’ordinaire. Dans les années 1253-1254, les relations des moines de Castres avec ceux de Marseille sont des plus mauvaises. Alerté par les conséquences désastreuses de cette situation sur la gestion du sanctuaire, Philippe II de Montfort choisit de transférer l’église Saint-Vincent aux prêcheurs, alors même que ces derniers n’avaient pas encore fondé de couvent

104   J.-L. Biget, « Une abbaye urbaine qui devient cathédrale : Saint-Benoît de Castres », Les moines noirs, CF, t. 19, 1984, p. 153-192. 105   Dans un premier temps, en 1231, l’archevêque de Bourges en visite dans le diocèse dépossède les moines d’une quarantaine de paroisses rurales et de quatre églises urbaines, mais leur confirme la détention du sanctuaire Saint-Vincent. L’année suivante, cet arbitrage est remis en cause par les chanoines, qui reçoivent de leur évêque et du légat l’ordre de recouvrer ce bien. Comme l’abbé Adhémar est prêt à se conformer à cette nouvelle situation, il n’est plus soutenu par ses moines qui refusent de restituer le sanctuaire et l’occupent. Déjà difficile, la situation est encore envenimée par le choix d’Adhémar de faire confirmer son élection par l’abbé de Saint-Victor de Marseille au lieu de promettre obéissance à l’évêque d’Albi. Tous les détails se trouvent dans J.-L., Biget, art. cité, p. 165-167.

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dans cette ville. Le 28 mai 1258, l’évêque d’Albi remet le sanctuaire à frère Guilhem Raimond ; le mois suivant, l’abbé de Saint-Benoît abandonne tous ses droits et en juillet 1260 le chapitre provincial de l’ordre dominicain prend acte de l’établissement d’un couvent à Castres. Même si Bernard Gui n’a pas été un témoin direct de ces événements, il reste un informateur incontournable, au moins pour ce qui est du rebondissement final de l’affaire : prieur du couvent de Castres de 1301 à 1305, il est en mesure de compiler un dossier précis des archives du transfert de l’église Saint-Vincent aux prêcheurs106. Si ce dossier est bien connu, le regard d’hagiographe qu’il porte sur ce sanctuaire dans son Speculum sanctorale, n’a pas été relevé. Or, il est utile que cet angle d’approche soit restitué : il permet, d’abord, de voir que les enjeux de la possession d’un sanctuaire à reliques ne se résument pas à la comptabilité de droits seigneuriaux, mais qu’ils engendrent aussi des problèmes spirituels ainsi qu’un discours sur la mission des religieux ; ensuite, le double traitement dont fait l’objet ce dossier atypique alimente la réflexion générale sur l’apparition d’une conscience des « genres », tout en montrant comment histoire et hagiographie esquissent, de manière complémentaire, le tableau d’une situation aux enjeux multiples. b– Histoire et hagiographie : un éclairage différencié Si le Speculum sanctorale n’a pas été mis à contribution dans ce dossier, c’est peut-être parce que l’évocation de l’histoire mouvementée du sanctuaire de Castres est rejetée à la fin d’un récit de la translation que Bernard Gui n’avait initialement pas prévu d’inscrire dans son légendier. Alors que la Passio sancti Vincentii est, sans surprise, inscrite dans la troisième partie de la collection, le récit que fait Aimoin de la translation des reliques de Saragosse à Castres en 863 est absent du manuscrit 296 de la Bibliothèque municipale d’Avignon : on le trouve en revanche dans l’exemplaire de Toulouse, mais ajouté en dernier recours à la fin du volume107. Le dossier ainsi restitué, il est possible de voir dans quel sens a travaillé Bernard Gui : pour la Passion proprement dite, le texte du Speculum sanctorale, il est dépendant de BHL 8628-8631, qu’il connaît et copie par l’intermédiaire du manuscrit 479 de la Bibliothèque municipale de Toulouse. Bernard Gui remanie peu son modèle, se contentant d’en ôter le prolo-

  Jean-Louis Biget a souligné l’exactitude du travail de Bernard Gui en collationnant les actes qu’il produit dans son De fundatione avec ceux qui subsistent, en original ou en copie, dans les Archives départementales du Tarn (J.-L. Biget, art. cité, p. 171-172). 107   Le récit de la translation est donc dissocié de celui de la Passion proprement dite. Il est copié à la fin de la troisième partie (fol. 126-128). Dans la marge du fol. 126, une note, à destination du copiste, indique la nécessité de reporter ce récit à l’issue du récit du martyre : Historia ista de translatione corporis sancti Vincentii debet scribi supra immediate post hystoriam passionis ejusdem. 106

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gue et, de ci de là, quelques phrases ou expressions, soit autant de suppressions qui n’influent guère sur le récit. Comme Jacques de Voragine, à l’issue de la Passion, il copie l’éloge composé par Augustin dans ses préfaces. Cette volonté de Bernard Gui d’assumer un double héritage, c’est-à-dire de faire écho à la fois aux Passions anciennes et aux citations d’Autorités qui orientent l’utilisation pastorale du texte est, on l’a vu, générale dans le Speculum sanctorale. En revanche, la production d’un récit complet de translation de corps saint est un cas unique. Pour ce faire, Bernard Gui suit, à la lettre, le récit donné par Aimoin (BHL 8644-8645)108, à l’exception des prologues dédicatoires et de quelques miracles, qui sont supprimés purement et simplement. Suivant son modèle, il raconte par le menu qu’en 854, dans l’abbaye de Conques en Aquitaine, le moine Hildebert, prêtre et convers, reçoit, après le chant de vigile, la révélation de sa mission : il devra se rendre à Valence en Espagne afin de rechercher, hors les murs de la cité, la sépulture de saint Vincent. L’église qui abritait son corps a été détruite par les païens en représailles de la conduite des habitants de la ville. La tombe est exposée aux intempéries, sans honneurs religieux. Il faut que le martyr soit exhumé avec soin et transféré dans un lieu où il jouira de la paix et du culte qui lui revient. Hildebert se confie immédiatement à son abbé, qui lui adjoint un autre moine, Audalde, lequel devient le seul héros de l’aventure, après qu’Hildebert soit tombé malade. Arrivé à Valence, il n’entre pas dans la cité et loge dans un faubourg déserté par les Chrétiens, se faisant passer pour un Maure et répondant désormais au nom de Zacharie. Contre cinq sous d’or, il est conduit par son hôte aux ruines censées obstruer le sépulcre. Il ne restait de l’église que des pans de murs, mais Audalde localise sans difficulté ce qu’il recherche car la dalle recouvrant la tombe portait encore le nom de Vincent. Nuitamment, il ouvre le sarcophage, trouve le corps complet et exempt de corruption, si bien qu’il doit rompre le squelette aux articulations pour le faire entrer dans le sac prévu à cet effet. Chargé de l’insigne relique, cachée dans un fagot de palmes, Audalde reprend la route vers son monastère de Conques. Mais à Saragosse, où il loge chez une chrétienne, le moine est trahi par sa piété, quand cette dernière le surprend en train de réciter les Psaumes devant le fagot. Immédiatement prévenu, l’évêque fait enlever le sac et porte les ossements dans l’église Notre-Dame. Les protestations d’Audalde n’y feront rien : il est contraint de rentrer à Conques les mains vides.   Pour ce qui est des différentes versions de la Vita sancti Vincentii et la tradition hagiographique antérieure à l’an Mil, voir V. Saxer, « Saint Vincent diacre et martyr. Culte et légendes avant l’An Mil », SH, t. 83, Bruxelles, 2002. Pour l’histoire des reliques et des différentes translations du corps de saint Vincent, l’article ancien de Louis de Lacger, bien documenté, est toujours indispensable (L.  de L acger, « Saint Vincent de Saragosse », RHEF, t. 13, 1927, p. 307-358). 108

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Fort de l’échec de cette mission, l’abbé l’expulse de la communauté. Audalde sollicite l’hospitalité de Saint-Benoît de Castres, où il conte sa mésaventure à l’abbé Gislebert. Neuf ans plus tard, celui-ci s’adresse à Salomon, comte de Cerdagne et utilise ses appuis politiques et militaires pour obtenir la restitution de la relique. Aux dires d’Aimoin, la translation d’Espagne en Gaule fut triomphale : à Llivia, à Carcassonne, et sur les routes que parcourt le cortège pour rejoindre Castres, les prodiges se multiplient autour de la châsse. En 863, à Castres, le corps est déposé, non pas dans l’église abbatiale, dans laquelle les femmes ne sont pas admises, mais dans une église consacrée au martyr, située dans la cité, au pied du monastère. Au cours d’une cérémonie solennelle, le saint est déposé dans un caveau, sous l’autel de la nouvelle basilique. Parmi l’assistance, se produit un grand nombre de guérisons miraculeuses, Bernard Gui n’en gardant qu’un échantillon. Hormis l’abrègement des miracles, le récit du Speculum sanctorale est donc fidèle au texte d’Aimoin. Il est vraisemblable que Bernard Gui, prieur à Castres depuis 1301, ait tenu sa source directement du monastère bénédictin de la ville : outre que le récit de la translation avait été copié pour son abbé109, les accords de cession de Saint-Vincent aux dominicains stipulent que les livres à l’usage du sanctuaire restent la propriété des moines110. Malgré sa vraisemblance, cette probabilité ne reçoit pas de confirmation dans les sources conservées. Si le récit d’Aimoin s’achève sur les miracles survenus pendant l’ensevelissement du corps saint, pour un dominicain du xiv e siècle l’histoire édifiante du sanctuaire de Castres bénéficie de suites dignes d’être racontées. Ainsi, à l’issue du récit de la translation111, il évoque la venue à Castres de Dominique, fondateur de l’ordre des prêcheurs. C’est l’occasion pour Bernard Gui d’expliquer que quelques temps après, Simon de Montfort a placé à la tête de ce sanctuaire des séculiers prébendés, au nombre desquels se trouvait un certain Matthieu de France : « Là, il y avait un prieur des chanoines nommé Matthieu, originaire de France. À l’époque où celui-ci était prieur, saint Do  Voir les travaux de Victor Saxer : il indique que les deux lettres dédicatoires qui précèdent le récit de la translation sont signées du nom d’Aimoin et adressées à Bernon, abbé de Castres et à Théotger, selon toute vraisemblance lui aussi moine de Castres (c’est en tout cas l’interprétation que propose Victor Saxer en comprenant le qualificatif de commister, qui accompagne le nom de Théotger, comme « moine de la même congrégation » qu’Aimoin). 110   Cette clause fait partie des réserves que les moines de Saint-Benoît font ajouter à l’acte du 7 décembre 1258 par lequel ils cèdent le sanctuaire aux dominicains : Anno Domini mcclviii, vii idus decembris, monachi prefati monasterio sancti Benedicti Castrensis numero xix, videlicet Bernardus de Podio Soriguerio prior claustralis (…) retinuerunt etiam libros qui in eadem ecclesia habebantur (B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 139). Par ailleurs, les moines imposent leur présence pour entreprendre la recherche du corps saint ou le transférer hors de l’église. 111   Bernard Gui signale la fin de ce récit par l’expression Hec ex predicta hystoria sunt accepta (ms 481, III, fol. 128). 109

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minique resta, selon son habitude, après la messe devant l’autel dans l’église, priant seul face au tombeau de saint Vincent. Comme le jour avançait et que l’heure du repas approchait, le prieur envoya l’un de ses clercs appeler le saint pour déjeuner. Quand il entra dans l’église, il vit le saint homme Dominique totalement séparé de la terre et élevé en l’air environ d’une demi-coudée : stupéfait et tout tremblant, il annonça cela à son supérieur. Après avoir attendu quelques temps, finalement le prieur entra et le vit, élevé dans les airs environ d’une coudée et il attendit le temps qu’il fallut pour qu’il revienne de cet état céleste dans son corps, prostré devant l’autel (…). Il entra par la suite dans l’ordre des prêcheurs au temps de Dominique premier et dernier abbé112 »113. À la suite, et c’est le dernier paragraphe de son récit, Bernard Gui raconte que cette même église, dans laquelle repose le corps de saint Vincent et où Dominique entra par la prière en lévitation, fut donnée à l’ordre des prêcheurs par Philippe de Montfort. Ceux-ci exposent le corps de jour comme de nuit, si bien que les fidèles accourent de toute la région pour assister aux miracles et aux prodiges qui se multiplient. Cette extension du récit est particulièrement intéressante pour l’amalgame qu’elle expose. En effet, les prodiges que réalise Dominique ne peuvent en aucune façon être attribués au pouvoir de la relique : ils sont bien une manifestation de la sainteté du chanoine d’Osma. Or, il semble évident que placer ce récit à l’issue de la translation solennelle, et en fin de récit, revient, au bout du compte, à déplacer la sainteté du martyr vers celle du fondateur, le premier n’étant guère plus, dans cet épisode, qu’un prétexte. Finalement, on ne sait plus très bien si, pour les prêcheurs du xiv e siècle, le sanctuaire tire sa renommée de la présence des reliques du martyr de Saragosse ou des extases de leur fondateur. D’ailleurs, vue sous cet angle, l’incise concernant le « ralliement » de Matthieu de France aux dominicains mérite d’être brièvement commentée : d’après Bernard Gui, c’est le fait d’avoir assisté aux extases de saint Dominique

112   Mathieu de France est à la tête des frères de Toulouse, au moment où ceux-ci quittent la maison de Pierre Seilhan et s’installent dans le couvent Saint-Romain. Il est l’unique dominicain a avoir porté le titre d’« abbé ». Pour son rôle à la tête des frères de Toulouse, il faut se reporter à ce qu’en dit Bernard Gui dans son histoire des couvents (Bernardus Guidonis, De fundatione et prioribus conventuum provinciarum Tolosanae et provinciae ordinis praedicatorum, ouv. cité, p. 44). 113   Fuitque ibidem prior canonicorum vir quidam nomine Matheus Gallicus nacione. Hujus tunc prioris tempore beatus Dominicus more suo post missas remansit ante altare in ecclesia coram tumulo sancti Vincentii solus orans. Cum autem jam ascendisset dies et hora prandii tunc instaret, misit prior unum de clericis suis qui ad prandium vocaret sanctum. Qui cum intrasset ecclesiam vidit beatum virum Dominicum totaliter separatum a terra et quasi per medium cubitum in aere elevatum, qui tremens et stupens nunciavit hoc domino suo. Qui aliquamdiu expectans tandem ivit et quasi per unum cubitum elevatum ipsum in aere vidit et tanto tempore expectavit, quo usque a celesti habitatione revertens ad incolatum corporeum ante altare prostratus jacuit, (…). Fuit que postmodum in ordine predicatorum sub beato Dominico primus et ultimus abbas (ms 481, IV, fol. 128b).

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devant le corps de Vincent qui a persuadé Matthieu de France d’entrer chez les prêcheurs. Or, en forçant le trait, la scène et ses conséquences s’apparentent à une conversion. Comme Vincent convertit ses geôliers lorsqu’ils assistent à la guérison miraculeuse de ses plaies, Dominique « convainc » Matthieu de rejoindre le nouvel ordre religieux. Au-delà, la scène opère un renversement sensible de la relation que les communautés religieuses (monastique, canoniale puis mendiante) entretiennent avec le sanctuaire. Le récit que donne Aimoin de la translation puis de l’exposition du corps saint montre, comme des centaines d’autres, combien la relique assure la renommée du monastère. À l’inverse, sous la plume de Bernard Gui, c’est finalement l’ordre qui accroît l’attractivité du sanctuaire114. Sans vraiment faire de cela une justification, le dernier paragraphe du texte du Speculum relie les extases de Dominique au transfert de la gestion du sanctuaire aux prêcheurs : cela modifie le discours de légitimation de la possession des lieux en avançant des fondements spirituels que les archives ne laissent pas entrevoir. Ce récit en effet vaut d’être remis en perspective avec ce qu’en dit Bernard Gui dans ses textes historiques et spécialement avec son De Fundatione et prioribus conventuum provinciarum Tolosanae et provinciae ordinis praedicatorum, où il rapporte l’histoire de la fondation des couvents de la première province de Provence. Au chapitre consacré à Castres, sa chronique, bien documentée, détaillée et fiable, ne dit mot de la venue de Dominique, de ses prières devant l’autel et de la présence de Matthieu, futur frère dominicain. En revanche il produit avec précision la totalité des actes qui installent les dominicains auprès du sanctuaire Saint-Vincent : le 28 mai 1258, Bernard de Combret, évêque d’Albi, concède à perpétuité à frère Guilhem Raimond, représentant les dominicains, l’église Saint-Vincent, le corps du saint et le cimetière attenant à la

114   Cette confusion des saintetés (de la relique d’une part, de l’ordre qui en a la garde de l’autre) influence peut-être le sens du pèlerinage des fidèles. Sous la plume de Bernard Gui encore, Saint-Vincent de Castres, célèbre tant par la présence d’une relique insigne que par le passage de saint Dominique, devient une destination des pèlerinages expiatoires imposés aux hérétiques repentis. La lecture de son Livre des Sentences (éd. et trad. Palès-Gobillard A., Sources d’histoire médiévale publiées par l’IRHT, 30, 2 vol., éd. CNRS, Paris, 2002) montre que le 25 mai 1309, l’inquisiteur Bernard Gui y envoie Pierre Cristol qui a confessé l’hérésie le 7 mars 1285 (« Pierre Cristol, d’Hautpoul [et nom ‘‘d’Apelle’’ comme le propose la traduction citée en référence] s’est confessé de l’hérésie en l’an du Seigneur 1285, le mercredi avant la saint Grégoire ; condamné au mur l’an du Seigneur 1286, le 28 avril. Visites à Sainte-Marie du Puy, à Saint-Vincent de Castres, tant qu’il vivra, et autres prescriptions contenues dans ses lettres » (Petrus Cristolli de Altopullo, qui fuit confessus de heresi anno Domini M°CC°LXXXIIII°, die mercurii ante festum beati Gregorii, et condempnatus ad murum anno Domini M°CCLXXXVI°, IIII° kalendas mayi, Podium beate Marie et Sanctum Vincencium de Castris et visitationes Tholose quamdiu vixerit et generalia in litteris, ouv. cité, p. 208-209) ; Il prononce une sentence identique le 30 septembre 1319 (ouv. cité, p. 1032-1033) et le 12 septembre 1322 (ouv. cité., p. 1454-1455).

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basilique115. Le 3 juin 1258, dans le cimetière de Saint-Vincent, à la demande de Philippe de Montfort, l’abbé Guilhem de Béziers cède aux prêcheurs tous les droits que possède son monastère sur l’église de Saint-Vincent116. Bernard Gui copie ensuite deux lettres du pape Alexandre IV, l’une du 6 août 1258, qui entérine l’acte de cession117, et l’autre du 21 août de la même année, qui charge l’évêque du Puy de mettre les frères en possession du sanctuaire118. Il rapporte enfin le document daté du 7 décembre 1258 par lequel les moines de Saint-Benoît, menés par Bernard de Puisserguier, le prieur claustral, acceptent la cession119. La donation du sanctuaire aux prêcheurs, la chronologie de l’acquisition des terres, l’énumération des droits de l’ordre sur le sanctuaire sont donc au cœur des cette chronique consacrée à la fondation des couvent. En revanche, il n’y fait aucune place aux extases de Dominique. Pour Bernard Gui, l’histoire permet de légitimer la possession du sanctuaire par son ordre, quand le légendier s’efforce de mettre en valeur la centralité et l’aura du sanctuaire. Ainsi, sous la plume de Bernard Gui, la compilation d’un légendier suit des règles différentes de celles qu’il met en œuvre dans les chroniques. Les dossiers traités en parallèle dans l’un et l’autre « genre » montrent bien l’existence d’un traitement différencié. Ce sont les cas de saint-Vincent de Castres et de saint Louis qui révèlent l’enjeu de ce double discours : c’est que l’histoire a à faire avec le monde (il faut produire des actes qui légitiment une possession et la place de l’ordre face aux communautés rivales) quand l’hagiographie active une logique centrifuge du sanctuaire (les frères tirent profit des prodiges). Séparée de l’histoire, l’hagiographie se trouve mieux définie, et ses objectifs apparaissent plus clairement. Par sa rigueur, la réécriture hagiographique de Bernard Gui déplace et affermit les contours du genre : l’épisode apocryphe, la citation scripturaire ou le débat chronologique disparaissent de la Vie du saint. L’hagiographe s’en tient aux faits et aux éléments acceptés par l’Église. Ce « dégraissage » de la Vita, souvent drastique, fait du texte hagiographique ainsi débarrassé de toute forme d’incertitude, une extension du dogme. Au bout de ce processus, le Speculum sanctorale est le produit de la collusion entre l’objet et son sujet : si le saint est exemplaire par ses actes, l’écriture de sa Vie l’est par sa vérité. La résonance qui s’installe entre l’exemplarité du héros et l’autorité du texte porte à un niveau élevé la symbolique du miroir que reven  B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 135.   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 136. 117   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 137-138. 118   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 138. 119   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 139. 115 116

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dique le Speculum de Bernard Gui. Au cœur de l’écriture d’un Bernard Gui, la valeur du modèle de sainteté et son pouvoir d’édification sont clairement adossés à la restauration d’un texte « brut ». C’est une fois dépouillée des débats, des commentaires ou, pis, des excursus apocryphes, que la légende diffuse sa vérité. S’il était appliqué à des comportements, à des actes, on n’hésiterait pas à qualifier d’évangélisme ce choix du dépouillement sous-tendu par l’espoir de retrouver la vérité de la parole primitive. Apparu à la faveur de la réforme grégorienne, le mouvement évangélique se développe et se ramifie dans l’occident chrétien du xiie-xiiie siècles. Des mouvements dissidents aux nouveaux ordres religieux, ceux qui s’en réclament fondent leur idéal de vie sur le postulat que la veritas est conjointe à la paupertas. On admettra sans doute que c’est ce même état d’esprit qui, bien qu’appliqué ici à un tout autre objet, pousse Bernard Gui à expurger de la legenda tout ce qui n’est pas la legenda. Comme le dépouillement du décor ou du vêtement, celui du texte évite l’égarement du lecteur et concentre son attention sur les actes du saint ; le retour aux sources copiées in extenso s’apparente à la recherche de la vie apostolique que l’on a cru un temps perdue et de laquelle dépend, pour un religieux mendiant, le retour des déviants dans le giron de l’Église. Analysée sous cet angle, l’écriture hagiographique d’un Bernard Gui paraît s’inscrire dans un programme plus vaste de réforme. Ce faisant, il offre à ses frères en religion des textes « purs » (c’està-dire complets, peu réécrits et conformes à la vérité de l’Église), d’abord pour leur propre édification, mais sans doute aussi avec l’idée qu’ils seront un socle solide pour le développement de leur pastorale. Si l’on accepte cette lecture des choses, on mesure l’écart qui sépare le Speculum de Bernard Gui des légendiers dominicains du xiiie siècle, qui privilégient l’abrégé et qui appuient leur dimension pastorale sur les distinctiones du sermon mais aussi sur des récits merveilleux ou peu recevables. Bien sûr, on peut objecter que l’évangélisme est d’abord un comportement, un choix de vie, et que, de fait, il y a quelques difficultés à l’appliquer aux procédés de réécriture des textes hagiographiques. Néanmoins, c’est, en l’état, l’interprétation qui semble articuler le mieux l’ensemble des caractéristiques de la compilation du Speculum sanctorale : retour aux textes longs, recherche des Autorités, mise en scène d’une unique vérité, rejet des traditions douteuses, etc. Par ailleurs, ces données internes à l’oeuvre peuvent être corroborées par des éléments extérieurs. On sait bien qu’aux légats cisterciens engagés dans la lutte contre les hérétiques de Languedoc, Diègue d’Osma conseilla de réorienter profondément leur manière de prêcher, c’est-à-dire de laisser de côté l’aspect temporel de leur légation pour revenir à la manière de prêcher des apôtres, dans l’humilité, allant à pied sans or ni argent, autrement dit de lutter contre les hérétiques avec leurs propres armes. Or, du point de vue des textes, un

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certain nombre de travaux montre que les hérétiques ont aussi été plus respectueux de la littéralité des textes120. Du coup, en la matière, « l’évangélisme littéraire » du dominicain et inquisiteur Bernard Gui ne serait qu’une réponse à la recherche, par les hérétiques et déviants, d’un texte authentique. Dans le cas du Speculum sanctorale, le remaniement de la forme supporte tout le discours sur le sens et l’objectif du texte hagiographique. La réécriture, en prenant quelques distances avec son modèle, déplace avec elle les contours du genre, ses objectifs, mais aussi les représentations de la sainteté.

  Voir la table ronde intitulée « Évangélisme et hérésie » publiée dans Évangile et évangélisme (xiie-xiiie siècle), CF, t. 34, 1999, p. 223-247.

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chapitre iv

Un miroir, quel reflet ? La nature de la sainteté à travers le Speculum sanctorale Réécrire un texte hagiographique, c’est reconnaître qu’une mise au goût du jour est nécessaire, et ce, quelle que soit la valeur de ses motivations profondes. Il est désormais clair que le remaniement du texte hagiographique n’est pas le signe d’une décadence intellectuelle mais que les inflexions du discours transmettent des informations précieuses quant aux nouveaux besoins d’une société donnée. Ce constat, et c’est heureux, rallie de plus en plus de travaux, tous attachés à dire combien réécriture et contexte (politique, religieux, culturel) s’alimentent réciproquement. Les raisons de remettre sur le métier l’écriture de la Vie d’un saint, ou de ses miracles, sont innombrables. Ici, on écrit à des fins didactiques une Vie en prose tirée de sa jumelle en vers1, là on retouche la légende pour marquer son désaccord face à l’interprétation théologique des événements2, ailleurs encore on compte sur l’hagiographe pour développer l’aura d’un sanctuaire3, ou on 1   Voir par exemple, comment le poème que Prudence, dans son Peristephanon, consacre à saint Cassien d’Imola (BHL 1625), est transcrit en prose (BHL 1626) : l’exemple est cité par M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques, ouv. cité, p. 152. 2   Par exemple, Philippe Depreux montre que c’est le désir de développer une certaine conception du mariage qui pousse Guillaume de Malmesbury à reprendre le Vie de saint Dunstan (BHL 2348) : voir les détails des nombreuses réécritures de la Vie de cet évêque de Canterbury dans Ph. Depreux, « Réécrire la Vie d’un saint aux xie et xiie siècles : l’exemple des ‘‘Vies de saint Dunstan’’, archevêque de Canterbury († 988), HA, t. 12, 2005, p. 1-77. 3   À Metz par exemple, alors que la conservation des reliques de saint Clément est confiée à la communauté monastique Saint-Félix-Saint-Clément, les évêques de la fin du xe siècle commandent la réécriture de la Vie du saint dans le but d’asseoir la renommée d’un sanctuaire resté très modeste (malgré le développement des « preuves » de l’apostolicité de Clément) et accessoirement de récupérer le corps saint pour la cathédrale. Si le premier objectif est parfaitement rempli, par les Vies BHL 1859 et 1860f, le second échoue car, en exaltant les origines, ces deux réécritures lient plus étroitement encore les reliques au sanctuaire qui les conserve. L’ensemble de ce dossier hagiographique est exposé par M. G oullet, « Vers une typologie des réécritures hagiographiques, partir de quelques exemples du Nord-Est de la France », La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval. Transformations formelles et idéologiques, ouv. cité, p. 109-144, spécialement p. 124-128.

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voit dans la réécriture l’occasion d’affirmer une supériorité culturelle4. En plus de ces facteurs contextuels, la réécriture peut avoir des motivations intrinsèques, notamment lorsque retoucher la Vie d’un saint conduit à valoriser un type de vertu, ou de prodige, par rapport à un autre. Comme une réorchestration permet à un air démodé de trouver un nouveau public, la réécriture hagiographique retouche plus ou moins subtilement le regard que portent les hommes sur les modèles de sainteté. Or, on sait que dès le xiie, mais surtout au xiiie siècle, une rénovation de ce genre est au cœur des prérogatives que se réserve le pouvoir pontifical en matière de canonisation. Les travaux d’André Vauchez sur ce point fournissent une matrice de la sainteté médiévale5. Grossièrement, la sainteté contemplative fondée sur le renoncement tombe, peu à peu, en désuétude face au modèle apostolique de perfection évangélique. Au xiv e siècle, en marge des conflits générés par la question de la pauvreté volontaire, celui-ci devient suspect et laisse place à l’idéal mystique d’une sainteté laïque et féminine. Il peut être intéressant de voir si le sens dans lequel les réécritures orientent le texte hagiographique suit celui qu’édicte la curie quand elle s’arroge le pouvoir de canoniser. Ce point a suscité peu de travaux, sans doute en raison du décalage chronologique des deux champs d’étude : pour l’essentiel, les réécritures hagiographiques examinées jusqu’à présent concernent des textes globalement antérieurs au xiie siècle6, quand le corpus des procès de canonisation occupe les xiiie-xve siècles. Par ailleurs, les 4   C’est ce que déduit Patrick Henriet de la réécriture, par le moine Raoul, de la Passion de saint Zoïle. (« Un hagiographe au travail : Raoul et la réécriture du dossier hagiographique de Zoïle de Carrión (années 1130) », La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval. Transformations formelles et idéologiques, ouv. cité, p. 251-283) En effet, alors que le prologue justifie la réécriture par des arguments formels (les scribes étaient trop négligents pour écrire correctement), la confrontation des textes montre qu’il est en fait plus dépendant du Passionnaire hispanique qu’il ne veut bien l’avouer. Située dans son contexte culturel, à savoir l’abandon de la liturgie wisigothique au profit des usages romains d’une part et le remplacement progressif de l’écriture wisigothique par la minuscule caroline de l’autre, la réécriture trahit le sentiment de supériorité des clercs français venus en Péninsule au moment où plusieurs grands monastères sont rattachés à Cluny. 5   H. Desroche, J. M aitre, A. Vauchez, « Sociologie de la sainteté canonisée », ASR, t. 30, 1970, p. 109-115 ; Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, sous la direction de A. Vauchez, t. VII, Une église éclatée (1275-1545), éd. Hachette, 1986 ; A. Vauchez, « Les représentations de la sainteté d’après les procès de canonisation médiévaux (xiiie-xv e siècles) », Agiografia nell’occidente cristiano secoli xiiie-xv e, Rome, 1-2 mars 1979, convegno internazionale, Rome, 1980, p. 31-43 ; « L’influence des modèles hagiographiques sur les représentations de la sainteté dans les procès de canonisation (xiiie-xv e siècles) », Hagiographie, cultures et sociétés, actes du colloque du 2-5 mai 1979, éd. études augustiniennes, Paris, 1981, p. 585-596 ; La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, éd. école française de Rome, 1981 ; « Le saint », L’homme médiéval, sous la direction de J. Le Goff, L’univers historique, éd. Seuil, 1989, p. 345-380 ; « Saints », DS, t. XIV, Paris, 1990, col. 203-222. 6   À l’exception des quelques pages consacrées par Patrick Henriet à la réécriture par Rodrigue de Cerrato de la Passion de saint Zoïle, le corpus de textes examiné lors de l’atelier « Réécriture hagiographique I » à l’Institut Historique Allemand en 2000, est antérieur à 1150.

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travaux menés sur le phénomène de réécriture hagiographique ont porté sur des libelli isolés, quand il s’agit ici de l’examiner dans le cadre d’une collection. Par définition, le légendier, en collectant des Vies circulant jusqu’ici de manière séparée, les arrache à la prégnance du sanctuaire. Si l’on comprend bien la nécessité de réactiver la sainteté de celui dont on possède les reliques, ou le besoin de rehausser l’image d’un évêque contesté par des concurrents au siège épiscopal, ces motifs ont moins de raison d’être dans le cadre d’une collection, qui substitue à la logique conjoncturelle une vision ecclésiologique du peuple des saints. En l’intitulant Speculum, Bernard Gui fait de son recueil un instrument de vision directe et fidèle, non seulement de la Vie de chaque saint, mais encore de toute la sainteté canonisée. Quels modèles et voies d’édification a-t-il privilégiés ? A-t-il souhaité et, éventuellement, a-t-il été capable, de mettre au goût du jour des figures anciennes ou de rendre compte de ce qu’il y avait de nouveau dans la sainteté de son temps ? L’ambiguïté du titre (Sanctorum seu Sanctorale Speculum, écrit-il dans son prologue) permet deux approches. L’une, du point de vue de la légende seule : en écrivant le Speculum, Bernard Gui a-t-il plus particulièrement mis en exergue certaines vertus ? Pour cela, quelles données de ses sources minimise-t-il ? Ces choix sont-ils récurrents ? L’autre embrasse la collection toute entière : Bernard Gui accorde-t-il plus de poids à un type de saint ? Comment les grands modèles de sainteté sont-ils représentés et articulés dans l’optique d’une économie du salut ? A– Les figures de saints et les choix de l’hagiographe 1– Hiérarchie des mérites Examiner comment la réécriture hagiographique modifie la perception des modèles de sainteté suppose de débusquer l’infléchissement du discours lorsqu’il s’agit de décrire les vertus du saint et d’en faire un modèle. Plusieurs éléments de ce discours sont susceptibles d’être mis à contribution, avec cependant plus ou moins de profit : on verra d’abord, ce qu’il advient de l’énumération classique des vertus dans les réécritures de Bernard Gui et la manière dont ce catalogue topique s’insère dans les Vies du Speculum sanctorale. Par ailleurs, l’origine du compilateur, mais aussi l’époque où il écrit, commande d’être plus particulièrement attentif à sa manière de traiter des qualités traditionnellement associées aux religieux mendiants, à savoir le modèle évangélique et l’importance de la culture.

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a– L’insertion du catalogue des vertus dans le Speculum sanctorale L’inventaire des vertus est, en quelque sorte, un passage attendu des Vies de saints. Il s’agit d’un langage commun qui identifie le héros comme un saint et l’auteur comme un hagiographe. Décliné sur la base des trois vertus théologales (foi, espérance et charité), des quatre cardinales (sagesse, justice, courage, tempérance), ou encore de celles que nomme l’Épître aux Galates, V, 22-23 (la charité, la joie, la paix, la patience, l’humanité, la bonté, la persévérance, la douceur, la foi, la modestie, la continence et la chasteté), ce catalogue, bien que topique, n’est pas totalement figé7. Présent dans l’hagiographie latine dès le début du Moyen Âge, c’est surtout dans les manuscrits des xie et xiie siècles que l’inventaire des vertus est à la fois le plus systématique et le plus développé8. En revanche, au moment où la réserve pontificale de la canonisation s’établit définitivement, la citation des vertus devient de plus en plus rare dans les sources hagiographiques : tout se passe comme si, une fois la procédure de canonisation codifiée, il devenait inutile de marteler les vertus de celui, ou de celle, qui était présenté comme un saint. D’ailleurs, le catalogue des vertus disparaît souvent complètement des légendiers abrégés que composent les dominicains du xiiie siècle9. Mais, on l’a vu, Bernard Gui s’attache à restituer les Vies de saints dans leur version longue. Entre amplification assumée et reconduction du modèle minimaliste inauguré par ses prédécesseurs, le traitement du catalogue des vertus a pu être l’objet d’un choix. Est-il effectivement traité autrement que le reste de la vita ? Fait-il l’objet d’une réécriture visant à les réactualiser ? Au premier abord, la lecture du Speculum sanctorale montre que Bernard Gui prend le contre-pied de ses prédécesseurs en restituant l’énoncé des vertus qu’ils avaient écourté ou même éliminé de leur collection. En plus du cas de la Passion de saint Sébastien, connu et exposé plus haut, on peut produire de multiples autres exemples de ce choix. L’exposé synoptique des premières phrases de la Vie de saint Sylvestre montre que Bernard Gui retient l’essentiel

  Un bon panorama de l’évolution du catalogue des vertus dans les textes hagiographiques est dressé par I.-P. Bejczy, « Les vertus cardinales dans l’hagiographie latine du Moyen Âge », AB, t. 122, 2004, p. 313-360. 8   Sur ce point, des données chiffrées se trouvent dans I.-P. Bejczy, art. cité, p. 318. 9   Voir, par exemple, le cas de la Passion de saint Sébastien, exposé plus haut, dans le chapitre V : alors que la Passio BHL égraine les vertus (Erat enim vir totius prudentiae, in sermone verax, in judicio justus, in consilio providus, in commisso fidelis, in interventu strenuus in bonitate conspicuus, in universa morum honestate praeclarus), Jean de Mailly, Jacques de Voragine, et, dans une moindre mesure, Barthélemy de Trente, suppriment, ces éléments de leurs textes respectifs. 7

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des vertus associées au saint pape par la légende BHL 7726, même si sa copie n’est pas littérale, tandis que Jacques de Voragine réduit au minimum cette partie de la vita : Vita sancti Sylvestri, BHL 7726 éd. Mombritius, II, 508

Légende dorée éd. G. P. Maggioni, p. 108

B. Gui, Speculum sanctorale ms 481, IV, fol. 2

Sylvester urbis Romae episcopus cum infantulus esse a vidua matre Iusta nomine et opere traditus est ut erudiretur a Cyrino presbytero, cui quottidie sedulum exhibebat officium. Ejus autem vitam imitatus et mores, ad summum apicem christianae religionis attigit. Hospitalitatis namque illi diligentia in usu fuit, quam non propter laudem hujus vitae sed bonae voluntatis gratiam adimplebat.

Silvester a matre re et nomine Iusta genitus et a Cyrino presbytero eruditus hospitalitatem summo opere exercebat.

Beatus Silvester urbis Rome episcopus cum infantulus essset a vidua matre sua Iutsa nomine traditus est Cyrino presbytero erudiendus cujus vitam imitans et mores ad summum apicem christiane religionis atigit. Factus juvenis hospitalitatem tota animi diligencia exibebat. Quam non divitie terrene sed bone voluntatis thesaurus adimplebant.

Sans surprise, les objectifs fixés au Speculum sanctorale font que les catalogues de vertus, rédigés dans un premier Moyen Âge, puis jugés inutiles au xiiie siècle, retrouvent une bonne place dans cette collection du premier tiers du xiv e siècle. Si cette attitude est repérable dans la majorité des légendes, elle ne constitue pas pour autant une règle. La réécriture de la Passion de saint Ignace d’Antioche est l’un de ces contre exemples qui empêchent de voir dans la restitution du catalogue des vertus un des objectifs de la compilation de Bernard Gui. Le début de la légende est démarqué de la Passion BHL 4256-4259. Bernard Gui l’utilise pour restituer l’origine et l’environnement d’Ignace : celui-ci est disciple de l’évangéliste Jean puis le troisième évêque d’Antioche, après Pierre et Évode. Lorsque Trajan, la neuvième année de son règne, entre à Antioche, il impose l’obligation de sacrifier aux idoles. Ignace est de ceux qui refusent de s’y soumettre. Il est conduit devant le tribunal de l’empereur qui le condamne à être dévoré par des bêtes sauvages. Lorsqu’il évoque l’accession d’Ignace à l’épiscopat, le compilateur de BHL 4256-4259 énumère les vertus du saint : c’est un bon pasteur, assidu aux jeûnes et à la prière. Bernard Gui ne retient rien de ce catalogue, qu’il ne cherche même pas à résumer. Il reprend la copie de son modèle à l’arrivée de Trajan à Antioche :

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Passio sancti Ignatii, BHL 4256-4259 éd. Acta SS, Février, I, 29.

B. Gui, Speculum sanctorale ms 481, III, fol. 22.

Cum Trajanus romanorum suscepisset imperium, Ignatius discipulus Johannis apostoli et evangeliste, vir in omnibus apostolicus, secundus post apostolos factus, qui post Evodium suscepit ecclesiam Antiochenam gubernandam, quae olim a tempestatibus et persecutionibus exagitabatur ; tanquam bonus pastor atque gubernator omnes in festationes suis orationibus rapellabat, et jejuniis atque doctrinam assiduam et labore spirituali incumbentem tempestatem suam virtute avertebat. Timens ne aliquem pusillanimum aut infirmum amitteret. Denique laetabatur de Ecclesiae immobilitate cum quiesceret paululum a persecutione. Considerabat autem apud semetipsum, quod numquam posset ad dilectionem Christi in plenum pertingere, neque perfectum ordinem doctrinae obtinere, nisi per martyrii factam confessionem Domino appropinquaret. Unde et paucis annis permanens in Ecclesia lucerna Deifica, singulorum corda illuminare per Scripturarum expositionem precibus assiduis meruit. Postea vero nono anno regni Trajani, remeante eo de victoria Scytharum…

Beatus Ignatius fuit sancti Johannis apostoli et evangeliste discipulus. Hic tectius post Petrum apostolum et secundus post Evodium, Anthiochenam regendam suscepit ecclesiam.

Cum autem Trajanus imperator habita victoria Scitarum reverteretur per Anthiochiam imperii sui anno nono…

Il n’y a pas de raison de voir dans le contenu de ces qualités le motif de cette excision. Ce qui peut, en revanche, l’expliquer, c’est la réécriture du reste de la légende. En effet, pour le récit du martyre proprement dit, Bernard Gui suit le texte abrégé du Speculum historiale de Vincent de Beauvais et celui de la Légende dorée. Dès lors, il est probable que même s’il a cherché à préciser la présentation d’Ignace, délaissée par ses prédécesseurs, il ne pouvait la copier in extenso au risque de déséquilibrer le contenu des différents épisodes. Ce sera donc le catalogue des vertus qui aura fait les frais de ce parti pris. Cette impression est confirmée par la lecture de la Passion de saint Blaise. En l’adaptant pour son Speculum sanctorale, Bernard Gui allège son modèle de plusieurs mots

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et expressions. Ce faisant, il ampute spécialement l’énumération des vertus de Blaise10. Dans ce remaniement, la comparaison avec la figure de Job disparaît totalement, tout comme la mention du fait que le saint s’est toujours abstenu de faire le mal. Au bout du compte, les exemples produits permettent de voir que Bernard Gui peut aussi bien copier littéralement l’énumération des vertus d’un saint (cas de saint Sébastien ou de saint Sylvestre), que les résumer (cas de saint Ignace martyr d’Antioche) ou les ignorer complètement (cas de saint Blaise). Ces différences de traitement ne peuvent être mises en relation avec une quelconque volonté de discriminer les types de vertus ou d’établir une subtile typologie entre les diverses saintetés. Autrement dit, il est peu probable que Bernard Gui ait mené une réflexion spécifique sur ce passage précis de la légende : ce n’est pas la volonté de diminuer telle vertu, pour revaloriser telle autre qui conduit, ici, l’hagiographe à copier son modèle littéralement ou à l’écourter. Dans ces conditions, le seul moyen de comprendre l’application de solutions différentes à des textes analogues est de rapprocher la technique de rédaction des phrases sur les vertus du saint avec celles mises en œuvre pour le reste de la légende : le traitement des vertus n’est pas différencié de celui du reste de la Vita. Si Bernard Gui ne retient rien des vertus de saint Ignace, c’est sans doute parce qu’il a qualifié son texte d’abbreviatis, ce qui revient à dire que le traitement du catalogue des vertus est représentatif du procédé d’adaptation utilisé pour le reste de la légende. Finalement, cette attitude n’est pas étonnante. Dans l’écriture de Bernard Gui, c’est le fait qui apporte la preuve de la sainteté. Vu sous cet angle, le catalogue des vertus n’apporte pas plus que la citation scripturaire ou l’intervention enjouée du compilateur. L’attention portée au traitement du catalogue des vertus dans le Speculum sanctorale fournit donc des résultats décevants, contrairement à ce que laissaient penser les choix des premiers hagiographes dominicains. L’étude de la manière dont évolue le modèle évangélique est plus fructueuse. b– L’évangélisme : rareté et recul du modèle Sous bien des aspects, le xiiie siècle apparaît comme celui de la spiritualité évangélique. Son essor se confond avec l’apparition puis le succès des ordres mendiants. Dominique et François incarnent les valeurs de pauvreté et de zèle pastoral. C’est aussi cette forme de Vie que valorise la papauté dans les procès de canonisation qu’elle diligente au cours de cette période11. Par ce biais, ce

  Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 23.   C’est au cours de la période 1198-1268 que les procès ordonnés par la papauté, et menés à leur terme, sont les plus nombreux : sur ce décompte, voir A. Vauchez, ouv. cité, p. 71-72. 10

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que Rome veut mettre en valeur, ce n’est pas tant l’exemple des privations que les héros parvenaient à faire subir à leur corps, qu’un dépouillement mis au service d’une médiation efficace à l’égard des fidèles. Réapparue à la fin du xie siècle, au bénéfice d’une volonté de réforme des ordres monastiques (le dépouillement cistercien en est un bel exemple), l’idéal évangélique est intimement associé aux ordres mendiants. Cette importance se reflète dans les procès de canonisation qui, jusqu’au dernier tiers du xiv e siècle, le portent sur les autels, tout en privilégiant sa dimension apostolique12. Mais lorsque Bernard Gui écrit son légendier, le modèle du pauvre volontaire est passablement écorné par les débats et les déchirements autour des Spirituels. Le concile de Vienne condamne les formules les plus hardies d’un Pierre-Jean Olieu et Jean XXII qualifie d’hérétique ses thèses sur la pauvreté absolue du Christ. Il y a donc matière à se demander dans quelle mesure cet idéal, un temps promu par la papauté d’Avignon, entre dans un grand légendier comme le Speculum sanctorale. Dans le grand légendier de Bernard Gui, la sainteté moderne est illustrée par huit figures : Dominique13, Pierre de Vérone14, Thomas d’Aquin15 pour les prêcheurs, François16, Antoine de Padoue17 et Élisabeth de Thuringe18 pour les mineurs19, auxquels s’ajoutent Pierre de Morone, un temps pape sous le nom de Célestin V20 et le roi Louis IX 21. Bien sûr, cela paraît peu, mais les considérations strictement numériques que suscite cet inventaire n’ont pas beaucoup de sens. Il paraît plus utile de signaler que la sainteté récente n’est pas absente du Speculum sanctorale et qu’elle est représentée par ses modèles les plus éminents. On remarquera toutefois l’absence de Claire d’Assise et de Louis d’Anjou, sans qu’il soit possible d’avancer des explications convaincantes. C’est surtout l’absence de ce dernier qui étonne : on sait bien que Louis d’Anjou fut, brièvement, évêque de Toulouse – même si ce n’est guère cette fonction qui lui valut d’être auréolé – et qu’il fut canonisé par Jean XXII (le 7 avril 1317), destinataire du Speculum sanctorale. Pour ce qui est des saints modernes inscrits   Voir ce que dit A. Vauchez, ouv. cité, p. 454-455.   Toulouse, BM, ms 481, IV, 106. 14   Toulouse, BM, ms 481, III, 34v°. 15   Toulouse, BM, ms 481, IV, 36v°. 16   Toulouse, BM, ms 481, IV, 150. 17   Toulouse, BM, ms 481, IV, 82. 18   Toulouse, BM, ms 481, IV, 185v°. 19   Sur ces chapitres précis du Speculum sanctorale, voir J.-L. Lemaitre, « Bernard Gui et les saints franciscains », Sainte Claire en Roussillon, VIIIe centenaire de sainte Claire, actes des journées d’études organisées à Béziers, Montpellier, Perpignan des 5 mars 1994, 4 février et 7 octobre 1995, p. 154-170. 20   Toulouse, BM, ms 481, IV, 72v°. 21   Toulouse, BM, ms 481, IV, 128v°. 12 13

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au sommaire du légendier, il importe d’abord de voir comment l’adaptation de Bernard Gui rend compte du modèle évangélique. La lecture des huit textes cités ci-dessus laisse voir que Bernard Gui a tendance à marginaliser la pauvreté comme moyen d’accéder à la sainteté. Trois éléments le montrent : le choix des saints qui représentent les Élus du xiiie siècle, le traitement spécifique de la vertu de pauvreté et enfin la confrontation des saints modernes du Speculum sanctorale avec ceux qui sont l’objet d’une dévotion hors du légendier. D’abord, il est difficile de considérer que les saints modernes du Speculum de Bernard Gui se signalent d’emblée comme les meilleurs modèles de la sainteté évangélique. Antoine de Padoue ne devient-il pas franciscain car il envie le sort des frères martyrisés au Maroc ? Si la prédication tient une grande place dans sa Vie, celle-ci n’est jamais présentée comme la source ou le témoin de la sainteté, mais plutôt comme la circonstance au cours de laquelle peuvent effectivement se produire quelques prodiges. Ainsi, un jour qu’il prêche au peuple dans l’église Saint-Pierre de Limoges22, il se souvient tout à coup qu’il avait été désigné par ses frères pour lire à l’office. Alors il apparaît au chœur pour la lecture, puis retourne dans l’église Saint-Pierre pour reprendre son sermon là où il s’était arrêté. Ce n’est qu’accidentellement que ce miracle de l’ubiquité laisse comprendre que le franciscain était absorbé par sa prédication. D’une manière générale d’ailleurs, ces huit figures contemporaines ont des qualités qui dépassent ou prolongent les éléments que l’on tient généralement comme caractéristiques de l’évangélisme mendiant  : Thomas d’Aquin est d’abord un théologien, docteur de l’Église, et sa canonisation dépend pour beaucoup de facteurs politiques23. Élisabeth de Thuringe est une aristocrate charitable, ce qui la place dans le droit fil du modèle ancien qui voit dans les origines nobles un terrain favorable au développement de la sainteté. Le traitement, plus haut, des cas de saint Dominique d’une part, et de saint Pierre de Vérone de l’autre, a montré comment le zèle du prédicateur, qui est étroitement attaché aux figures primitives de ces deux saints dominicains, est peu à peu conforté par des mérites beaucoup plus variés et associés de manière classique aux Vies de saint. La pauvreté seule ne suffit pas : dans ces dossiers, elle est efficacement confortée par les conditions de la mort de Pierre de Vérone, les origines d’Élisabeth, la fonction de Louis IX et de Pierre Célestin, la culture de Thomas, etc. Si elle est un dénominateur commun, elle ne présente pas une caution satisfaisante. Finalement, tout concourt à laisser penser que

  Les miracles que rapporte Bernard Gui sont issus du recueil compilé par Jean Rigaud.   C’est ce qu’explique André Vauchez dans « Les canonisations de saint Thomas et de saint Bonaventure : pourquoi deux siècles d’écart ? », 1274, année charnière. Mutations et continuités, Colloques internationaux du CNRS n° 558, Paris, éd. CNRS, 1977, p. 753-767. 22

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la vie évangélique n’est pas suffisante pour asseoir la notoriété d’un saint universel. Cette position n’est pas propre à Bernard Gui, mais son texte témoigne, sur ce point, d’une évolution par rapport aux positions de ses devanciers. Lorsqu’il intègre à son légendier la Vie de sainte Élisabeth, Bernard Gui s’appuie sur la version donnée par Jacques de Voragine pour la seconde version de la Légende dorée. C’est une compilation des dépositions des quatre servantes de la sainte, le Libellus de dictis quattuor ancillarum24. L’adaptation qu’en fait Bernard Gui est fort simple : il y a très peu de réécriture et de reformulation, tous les éléments du récit sont copiés littéralement, hormis quelques éléments secondaires ou commentaires qui sont l’objet de coupes franches. L’inventaire de ces excisions n’est pas sans intérêt. D’abord, à deux reprises, Bernard Gui supprime une phrase de son modèle qui insiste sur les larmes et les pleurs fréquents de la sainte25. Surtout, Bernard Gui évacue de sa version une grande partie des témoignages d’humilité d’Élisabeth et de sa générosité envers les pauvres. Voragine raconte que cette aristocrate, pour prouver sa volonté de s’abaisser jusqu’à l’humiliation, n’hésita pas à coucher « sur son sein un malade à la figure hideuse et dont la tête exhalait une horrible puanteur, et après avoir coupé ses cheveux hirsutes, elle lui lava la tête au milieu des rires de ses servantes »26. Le passage disparaît purement et simplement du Speculum sanctorale alors même que Bernard Gui copie fidèlement les informations qui encadrent cet épisode : Légende dorée éd. G. P. Maggioni, p. 1159 …quas quidem lacrimas fundebat iucunde et sine aliqua indecenti vultus permutatione, ita ut semper cum dolore fleret et de dolore gauderet et hoc quadam vultus letitia venustaret. Tanta se humilitate subjecit ut propter dei amorem vilia et abjecta non

B. Gui, Speculum sanctorale ms 481, fol. 186 Lacrimas devotionis iocunde fundebat et sine aliqua indecenti vultus permutatione, quem quadam leticia venustabat, ut cum dolore fleret et de dolore gauderet.

  L’information est fournie dans J.  de Voragine, La Légende dorée, trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 1455. 25   Par exemple : « Et quand elle paraissait plus joyeuse que d’habitude, elle répandait alors joyeusement des larmes de dévotion, de sorte que les larmes semblaient couler de son visage joyeux comme d’une source très pure, et qu’on la voyait à la fois gaie et en larmes, sans que jamais ses pleurs n’enlaidissent ni ne rident son visage », trad. ouv. cité, p. 942. 26   J.  de Voragine, La Légende dorée, trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 934. 24

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sperneret, sed hoc cum devotione nimia exerceret. Nam infirmum quendam vultu deformem, capitis fetore horribilem in sinu proprio reclinavit et horridum crinem tondens ejus caput ancillis ridentibus lavit. In rogationibus semper processionem nudis pedibus indu-ta lineis sequebatur et in predicationum stationibus inter pauperculas tamquam pauper et humilis residebat…

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In rogationibus semper processionem nudis pedibus induta lineis sequebatur et in predicationum stationibus inter pauperculas tamquam pauper et humilis residebat…

De la même manière, on ne trouve plus dans le Speculum de Bernard Gui la phrase relative aux aliments qu’acceptait de manger Élisabeth : « Une fois, alors qu’elle était accablée par la fatigue d’un long trajet et qu’on lui avait servi, ainsi qu’à son mari, différents mets qu’on ne pouvait croire acquis par un travail honnête, elle s’en abstint complètement, et préféra la souffrance de manger, avec ses servantes, du pain noir et dur trempé dans l’eau chaude »27. Le thème central de la générosité d’Élisabeth envers les pauvres est lui aussi délesté d’épisodes pourtant fameux. La Légende dorée rapporte qu’un jour, la sainte « fit don à une pauvresse d’un assez bon vêtement. Celle-ci, à la vue d’un présent aussi magnifique, fut envahie d’une joie si forte qu’elle tomba à terre et qu’on la crut morte. En voyant cela, sainte Élisabeth s’affligea fort d’avoir fait un don d’une telle importance, craignant d’avoir été la cause de la mort de cette femme ; mais elle se mit toutefois à prier pour elle, et la femme se releva, guérie. ». Là encore, l’épisode est totalement absent de la version que donne Bernard Gui de la Vie d’Élisabeth. Les coupures les plus longues se situent à la fin de la vita : Bernard Gui évacue la courte mention des mineurs qui sont dans l’entourage de la sainte ; il supprime l’évocation des pauvres venus le jour de ses funérailles et qui découpent ses vêtements pour en faire des reliques ; il élimine encore plusieurs miracles que Jacques de Voragine avait retenus. Ces épisodes supprimés sont si nombreux et si convergents du point de vue de leur contenu, qu’on ne saurait croire qu’il s’agisse de coïncidence ou de la seule volonté de réduire le texte de base. D’ailleurs, cet attachement à taire les signes d’une pauvreté volontaire existe aussi dans l’écriture d’une Vie de saint François pour le Speculum sanctorale. Dans ce cas, Bernard Gui ne suit plus le texte compilé par Jacques de Voragine, à partir de la vita secunda de Thomas de Celano et complétée de

27   J.  de Voragine, La Légende dorée, trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 936.

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quelques emprunts à la version de Bonaventure28. Il annonce, dans son introduction, qu’il a utilisé partiellement (partim) une légende antérieure à celle de Bonaventure, écrite simplement mais dévotement (simplici sed devota sermone conscripta), puis, plus amplement, la Vie rédigée par le ministre général des frères mineurs29. C’est cette dernière qu’il est le plus facile d’identifier : Bernard Gui a abrégé la Legenda major, composée par Bonaventure entre 1260 et 1263 (BHL 3107), ce qui le distingue non seulement des choix de Jacques de Voragine, mais encore de ceux d’Humbert de Romans. Celui-ci, en effet, préconisait le recours à un abrégé du texte de Thomas de Celano, déjà divisé en leçons pour les mineurs (BHL 3100), version qui est d’ailleurs consignée dans le manuscrit 478 de la Bibliothèque municipale de Toulouse. Sans doute Bernard Gui aura-t-il eu à cœur de faire écho au texte désormais officiel chez les franciscains30. Quant au texte utilisé ponctuellement31, une fois isolé ce qui vient de Bonaventure, il reste qu’à deux ou trois endroits Bernard Gui emploie des formules qui, sans aller jusqu’à la reproduction littérale, rappellent le texte de Thomas de Celano. En plus, il est aussi possible d’isoler dans le texte du Speculum sanctorale trois emprunts fidèles à la Vie de Julien de Spire, déjà utilisée par Vincent de Beauvais32. Cet apparente prise en compte des remaniements de la Vie de saint François n’implique pas pour autant un respect de la lettre et de l’esprit de cette nouvelle version. En effet, l’adaptation de la Legenda major pour le Speculum sanctorale passe par la dilution ou la suppression définitive, des épisodes les plus saillants de la vie évangélique. Ainsi, alors que Bernard Gui est fidèle, même s’il les abrège, aux six premiers chapitres du texte de Bonaventure33, les septième et huitième, qui exaltent plus particulièrement la pauvreté de saint François34, sont réduits à quelques phrases. Le chapitre 10 de la Legenda major ne trouve même aucun équivalent dans le Speculum   L’information est fournie dans J. de Vor agine, La Légende dorée, trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 1410-1411. 29   Sancti Francisci confessoris, IIII° nonis octobris, ex gestis ejus, partim ex illis que in priori legenda ejus simplici, sed devoto sermone conscripta inveniuntur, porro majori autem parte ex his quem venerabilis pater frater Bonaventura generalis minister ordinis et postmodum cardinalis episcopus Albanensis, stilo satis diserto latius colligendo descripsit, Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 150. 30   Sur ce rôle de Bonaventure, voir J. Dalarun, La Malaventure de François d’Assise. Pour un usage historique des légendes franciscaines, Éditions franciscaines, Paris, 2002. 31   Voir les identifications avancées par P. Ferdinand et M. Delorme dans leur édition de la Vita sancti Francisci composée par Bernard Gui pour le Speculum sanctorale (Studi francescani, ser. 3a, anno II, 1930, p. 147-160). 32   SpH, XXX, 97-99 et XXXI, 99-109, 121-122. 33   Les 31 premiers paragraphes de la Vie du Speculum sanctorale (qui en compte 47) sont dévolus à l’abrègement des six premiers chapitres de la Legenda major (qui en compte 15). Le déséquilibre est donc très marqué puisque Bernard Gui utilise les trois quarts de son chapitre pour rendre compte de moins de la moitié du texte de Bonaventure. 34   Voir Vita sancti Francisci, éd. P. Ferdinand et M. Delorme dans Studi francescani, ser. 3a, anno II (XXVII), 1930, p. 146. 28

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sanctorale de Bernard Gui. Or, c’est précisément celui qui met en scène des épisodes inédits relatifs à la dimension christique de saint François. Deux fois dans ce chapitre, Bonaventure rapporte que ce dernier, priant, en larmes et les bras en croix, eut la révélation « des mystères et secrets de la divine sagesse »35. Bernard Gui se garde bien de relayer ces informations. On le comprend sans difficulté, étant donné l’ordre auquel appartient Bernard Gui et, plus généralement, la volonté des dominicains de se démarquer de leurs concurrents sur les questions qui les ont divisés36. Mais il est intéressant de relever que Bernard Gui effectue ses amputations alors même qu’il s’appuie sur un texte précisément rédigé pour aplanir les tensions et en finir avec les débats que suscitaient certains épisodes de la Vie de François (on sait bien qu’en 1266 Bonaventure impose la destruction des Vies antérieures à sa Legenda major, notamment celle de Thomas de Celano). C’est peut-être aussi ce radicalisme de Bernard Gui qui pourrait expliquer l’absence de Louis d’Anjou : l’évêque n’occulte en rien le pauvre franciscain37. Au bout du compte, il apparaît que les Vies des saints modernes ne sont pas intégrées au Speculum sancorale pour mettre spécialement en avant un modèle de pauvreté liée à la vie évangélique, et remis un temps à l’honneur par le biais des procès de canonisation38. La vie de sainte Elisabeth de Hongrie le montre bien. Bien sûr, Bernard Gui ne peut l’occulter totalement, aussi, il l’édulcore. Ce parti pris, n’est pas le choix exclusif du Speculum sanctorale. Sur ce point, Bernard Gui n’innove pas, mais confirme une attitude qui existe déjà et qui ne va pas sans poser problème : le fait que ni Géraud de Frachet dans ses Vitae fratrum, ni l’auteur anonyme de la Chronique des XXIV ministres généraux ne fassent entrer le comportement évangélique dans des sommes mémorables   incerta sibi et occulta divinae sapientiae pandebantur. L’exemple est cité par J. Dalarun, ouv. cité, p. 231. 36   On peut rappeler l’attitude souple d’un Thomas d’Aquin, faisant, au mieux, de la pauvreté un instrument possible de la perfection mais non une fin en soi. Les amputations effectuées par Bernard Gui dans ses sources peuvent tout à fait conforter cette position qui fut généralement celle de son ordre. Sur les positions prises par Thomas d’Aquin au sujet de la pauvreté, voir A. Vauchez, « Les canonisations de saint Thomas et de saint Bonaventure : pourquoi deux siècles d’écart ? », 1274. Année charnière : mutations et continuités. Actes du colloque international tenu à Lyon et Paris (30 septembre-5 octobre 1974), colloques internationaux du CNRS n° 558, éd. CNRS, Paris, 1977, p. 753-767, spécialement p. 762, et La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, éd. École française de Rome, 1981, p. 457. 37   Si cette interprétation est juste, Bernard Gui va même plus loin que Jean XXII, pour lequel la canonisation de Louis d’Anjou a pu, au contraire, représenter la limite à ne pas dépasser dans le renoncement aux biens matériels. 38   A. Vauchez, « Les représentations de la sainteté d’après les procès de canonisation médié­ vaux (xiiie-xv e siècles) », Agiografia nell’occidente cristiano secoli xiii-xv, Rome, 1-2 mars 1979, convegno internazionale, Rome, 1980, p. 450-455. 35

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consacrées aux frères de ces ordres est un problème non résolu39. Au-delà de ces recueils bien connus, l’impression est confirmée par les textes qui ont circulé dans l’ordre au sujet des prêcheurs morts en odeur de sainteté. Au nombre de ceux-ci, se trouve une Vie de Bertrand de Garrigues40. En 1216, ce dominicain est prieur de la maison Saint-Romain de Toulouse. Compagnon de saint Dominique, il le suit à Paris en 1217 pour la fondation du couvent Saint-Jacques. Le chapitre général de 1221 le désigne prieur de la province de Provence. L’unique Vie connue41 brosse le portrait d’un homme scrupuleux et énergique, ce qui se conçoit sans difficulté puisque les actes des chapitres montrent qu’il est à l’origine d’un grand nombre de fondations de couvents. Au titre de sa sainteté, le principal élément à retenir est le fait qu’il s’affligeait constamment de ses péchés et qu’après avoir été tourmenté par la vision d’un mort, il se consacrait quotidiennement à dire l’office des défunts. Au-delà, des miracles se multiplièrent sur sa tombe. En 1253, soit une vingtaine d’années après sa mort, son corps fut exhumé en parfait état de conservation. On le voit, il n’y a rien, dans ces éléments, qui soit typique du mode de vie mendiant. On n’en trouvera pas beaucoup plus dans la Vie d’un autre frère, que rédige Bernard Gui en marge du Speculum sanctorale, celle de Martin Donadieu, frère du couvent de Carcassonne. Thomas Kaeppeli, qui a édité la Vie du frère Martin Donadieu42, estime que Bernard Gui s’est chargé de cette tâche au moment où il est évêque de Lodève, soit entre 1324 et 1331, c’est-à-dire, jusqu’en 1329 au moins, parallèlement à la compilation des troisième et quatrième parties du Speculum sanctorale. Cette vie resta confidentielle et n’entra ni dans le grand légendier43, ni dans un recueil des actes édifiants des frères comme les Vitae fratrum. Elle n’est pourtant pas dépourvue d’intérêt, d’abord parce que Bernard Gui fut prieur

39   Le problème est clairement exposé par J. Paul, « L’évangélisme des ordres mendiants en France méridionale », Évangile et évangélisme (xiie-xiiie siècle), CF, t. 34, 1999, p. 261-289. 40   A. Vauchez, « Heurs et malheurs d’un saint dominicain : les vicissitudes du culte du Bienheureux Bertrand de Garrigue († 1230) », Maisons de Dieu et hommes d’Église, Florilège en l’honneur de Pierre-Roger Gaussin, éd. CERCOR et Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 1992, p. 107-114. 41   Plusieurs extraits sont commentés dans les Acta SS, Octobre, XIII, 136-145. La vie de ce frère de la première génération de dominicains est aussi évoquée par Jourdain de Saxe, Libellus, MOPH, t. XVI, Rome, 1935, p. 49-50, G. de Frachet, Vitae fratrum, éd. B. M. Reichert, MOPH, t. I, Rome, 1895, p. 74, et B. Gui, De fundatione et prioribus conventuum provinciarum Tolosanae et provinciae ordinis praedicatorum, éd. P.-A. Amargier, MOPH, t. XXIV, Rome, 1961, p. 44-45. 42   T. K aeppeli, «Vie de frère Martin Donadieu de Carcassonne O.P. (1299) écrite par Bernard et Pierre Gui », AFP, t. 26, 1956, p. 276-290 (Vie éd. p. 279-290). 43   Le seul exemplaire connu de la Vie de Martin Donadieu est copié tardivement en tête d’un exemplaire du Speculum sanctorale (Lisbonne, Bibl. Nat., Alcob. 449, fol. 3v°-6v°), à côté de la Vie de Bernard Gui, probablement due à son neveu Pierre. Sur cet ajout, voir L. Delisle, ouv. cité, p. 436-437 et T. K aeppeli, art. cité, p. 276-277.

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du couvent de Carcassonne au moment où Martin Donadieu y était simple frère44. Il est un témoin direct des événements qu’il rapporte. Ensuite, parce qu’en échappant aux larges entreprises éditoriales comme le Speculum sanctorale ou les Vitae fratrum, sous-tendues par la politique hagiographique de l’ordre, la Vie du frère Martin est peut-être l’occasion de saisir les critères de sainteté que l’hagiographe Bernard Gui jugeait opportuns de mettre en valeur. Le résultat approche l’équilibre entre les qualités liées à la vie communautaire et les circonstances spécifiques à la Vie mendiante. La pauvreté de ce frère réputé saint est évacuée, par Bernard Gui, d’une phrase qui est aussi un tour de passe-passe. Il écrit : « Celui-ci, comme un autre Martin, brûlant de l’esprit de Dieu, s’appliquait tout entier à servir et à plaire à Dieu dans un esprit de pauvreté »45. C’est donc à l’occasion d’un jeu sur l’homonymie des prénoms qu’est avancée l’évocation de la pauvreté du saint. De cette façon, la vertu de dépouillement personnel est présentée de manière générique, en référence aux composantes classiques des grandes valeurs chrétiennes, et non dans l’optique du renouveau apostolique porté par les mendiants. Suit un long paragraphe qui brosse un portrait du saint dans son couvent : quand les frères se relevaient la nuit pour chanter les Psaumes, il était si emporté par sa dévotion, qu’il ne s’apercevait pas qu’il ne chantait plus à l’unisson46. Lorsque le chantre le reprenait, il répondait humblement que tout était feu en lui. L’office achevé, il persévère dans la prière, même les longues nuits d’hiver, jusqu’à l’aurore47, et il est le premier à l’église pour l’office de Prime48. Là, il pleure fréquemment au moment de la consécration de l’hostie49. Bref, c’est d’abord dans le cadre de la vie régulière que s’expriment les qualités de Martin. Pour autant, le zèle qu’il 44   Bernard Gui est prieur à Carcassonne de 1297 à 1301. Concernant Martin Donadieu, en revanche, les repères chronologiques sont maigres : en 1290, il signe un appel au pape Nicolas IV (K aeppeli, p. 278, n. 9) ; dans sa vita Bernard Gui situe sa mort le 3 mai 1299 (éd. Kaeppeli, p. 287). 45   Hic alter Martinus dei fervens, totus deo servire studuit et placere, pauper spiritu…, éd. Kaeppeli, p. 279. 46   Nam quando erat in conventu cum aliis regulariter, media nocte ad confitendum domino consurgebat cantansque psalmodiam toto spiritu et attentione cordis, aliquando concordiam vocum pre nimio fervore non attendens et continue vocem suam continuans vel sursum elevans, ceteris fratribus voces suas deprimentibus atque cantoribus vel aliis dissonantiam moleste ferentibus et ei notificantibus, humiliter respondebat : ‘‘ Ha ! totum est ignitum’’, éd. Kaeppeli, p. 280. 47   Et perseverans in Dei oratione fere usque ad auroram, etiam tempore hyemali quando noctes sunt longiores, si contigisset ipsum ad cellam redire ratione studii vel alterius occasionis, post studium supra lectum totus indutus ad quiescendum modicum se ponebat, solum sotulares aliquando extrahendo, éd. Kaeppeli, p. 280. 48   Cumque aurora inciperet aliquantulum apparere, celeriter surgebat et parans se ad celebrandum antequam signum ad Primam fieret, sepius primam missam quasi regulariter celebrabat, éd. Kaeppeli, p. 280. 49   Quot lacrimas infundebat, specialiter post consecrationem corporis et sanguinis Ihesu Christi, potuerunt advertere qui ipsum tunc temporis adiuverunt, éd. Kaeppeli, p. 280.

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déploie dans l’activité pastorale n’est pas totalement négligé : « En effet, Dieu lui donna l’abondance de la prédication, chacune de ses paroles étant pleine de faconde, d’une admirable facilité d’élocution, et d’éloquence »50. Vouant un culte particulier à la Vierge Marie et à l’apôtre Paul, il était éloquent lorsqu’il s’agissait de développer leur grandeur. Il s’employait à conforter ses auditeurs dans ces deux dévotions, et en tête de chaque page écrite de sa main, il inscrivait « Ave Maria »51. Ici encore, le zèle pastoral est un prétexte à l’exposé d’une dévotion de type privé. C’est tout juste si l’attachement aux études est évoqué52. Dans ces conditions, que reste-t-il du modèle évangélique associé à la vie mendiante ? Certes, Martin Donadieu est une figure au rayonnement très modeste, mais ce qui importe ici, c’est que Bernard Gui a considéré que sa vie méritait une reconnaissance, voire qu’il y avait matière à le porter sur les autels53. c– La culture mise en valeur Lorsque, au xive siècle, les valeurs attachées à la vie évangélique ne suffisent plus à porter les saints sur les autels, leurs aptitudes intellectuelles et leur degré d’instruction, après avoir longtemps été considérés comme suspects et incompatibles avec l’ascèse, deviennent un élément important de la fabrique des saints54. On ne s’étonnera donc pas de voir cet aspect valorisé par Bernard Gui dans la Vie de Martin Donadieu, mais aussi dans son Speculum sanctorale. Son ordre d’ailleurs, et contrairement à celui des mineurs, s’était depuis longtemps prononcé sans ambiguïtés sur la place des études, qu’il n’avait cessée de renforcer. Aussi, chaque fois que c’est possible, il met l’accent, sur les aptitudes intellectuelles de ses héros. On notera d’abord que Bernard Gui restitue les passages des Vies qui évoquent l’instruction et les études effectuées par les

  Dederat enim sibi deus affluentiam predicandi cum omni promptitudine verbum suum facundiamque mirabilem necnon eloquentiam, éd. Kaeppeli, p. 281. 51   Unde quandocumque aliquid de divinis verbis scribebat, primum erat Ave Maria, ut patet in libello quem secum semper portabat, et in aliis scripturis de manibus suis scriptis, éd. Kaeppeli, p. 282. 52   Litteras autem sacras dictaque sanctorum doctorum, potissime que in decretis continentur, tanta promptitudine gerebat in pectore linguaque sua facundissima, éd. Kaeppeli, p. 282. 53   C’est ce que suggère Thomas Kaeppeli (art. cité, p. 277). Il s’appuie sur la Vie de Martin Donadieu : l’addition de Pierre Gui au texte composé par son oncle, indique les liens d’amitié unissant ce frère de Carcassonne à son évêque, Pierre de la Chapelle-Taillefer, futur cardinal. Il rapporte surtout, en l’exagérant sans doute, la dévotion de Jean XXII pour la figure de Martin Donadieu, dont il connut les actes au moment où il était official de Carcassonne. Devenu pape, il demanda au maître général des dominicains d’examiner ses actes en vue d’une éventuelle canonisation. Mais, précise Pierre Gui, si le frère Martin ne fut pas inscrit au catalogue des confesseurs, c’est que le contexte favorisa finalement la canonisation d’un autre prêcheur : Thomas d’Aquin (T. Kaeppeli, éd. de l’addition de Pierre Gui, p. 287-288). 54   A. Vauchez, ouv. cité, p. 379. 50

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saints55. S’il ne faut pas totalement l’éliminer, cet indice n’est pas d’un très grand poids dans la mesure où la conservation du texte long et l’exercice d’une abréviation souvent très modérée sont générales dans l’œuvre de Bernard Gui. On ne peut donc pas montrer que ce traitement est ici justifié par la nature des informations. En revanche, d’autres éléments attestent de façon plus probante que Bernard Gui a été sensible aux qualités intellectuelles, et qu’à certains égards, elles justifiaient à ses yeux que tel personnage ou tel autre entre dans son Speculum. Il n’y a rien à dire du cas de Thomas d’Aquin, dans la mesure où son statut de docteur et son origine dominicaine confèrent à sa présence dans le légendier une évidence qui désamorce le raisonnement. En effet, ce qui montre le mieux la volonté de Bernard Gui de promouvoir les études comme critère de sainteté, ce n’est pas tant la présence de Thomas – qui apparaît déjà comme un saint universel – que celle de penseurs et auteurs auréolés par leur production intellectuelle. Le cas le plus éclatant est celui de Boèce56, inscrit dans la troisième partie du Speculum sanctorale, et sous le nom duquel Bernard Gui rédige une courte légende. Dès la première phrase, qui présente le saint, sa maîtrise du grec et du latin est mise sur le même plan que sa qualité de fervent catholique : « Boèce, consul, était remarquable par sa maîtrise du grec autant que du latin et sa foi catholique »57. Après l’évocation rapide du contexte politique et de son exil à Milan, l’essentiel des deux paragraphes que compte ce texte est dévolu à l’inventaire des ouvrages écrits par Boèce : « Il a édité le livre La Consolation de Philosophie, qui montre que la gloire, la dignité et toutes les autres choses de la terre ne sont pas de véritables biens, qu’ils ne sont rien, et que de ce fait ils ne doivent être recherchés par personne, et qu’on ne doit ni se plaindre de leur absence, ni se réjouir de les posséder. Cet homme était de la plus grande sagesse, il ennobli de son éloquence la dialectique, l’arithmétique, la musique, et tous les autres arts. Il écrivit aussi au patrice Symmaque le livre De la Trinité, contre les hérétiques, merveille de subtilité, où il affirme avoir suivi les traces de saint Augustin. Il écrivit aussi un livre sur la discipline scolaire, un livre de musique, et aussi, en logique, des livres sur les topiques et les divisions, des livres sur les catégories, les syllogismes et les hypothèses, un commentaire sur les livres d’Aristote et plusieurs autres »58. Enfin, après l’évocation rapide de sa mort, Bernard Gui précise que 55   Voir par exemple les Vies d’Éleuthère (ms 481, III, fol. 30v°), Prote et Hyacinthe (ms 481, III, fol. 86), Eugénie (ms 481, III, fol. 86v°), Catherine (ms 481, III, fol. 118v°), etc. 56   F. Vernet, DS, t. I, Paris, t. 1937, col. 1739-1745. 57   Boecius, vir consularis, in utraque linga greca pariter et latina conspicuus fuit (Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 125v°). 58   Librum de Consolatione Philosophie edidit ostendens gloriam et dignitatem ceteraque terrena non vera esse bona et nichil esse et ideo nulli apetenda esse, nec de eorum amissione dolendum, vel de adeptione gaudendum. Hic vir summe prudentie dyaleticam, aritmeticam, musicam ceterasque artes

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« le corps de saint Boèce, enseveli avec vénération, gît à Pavie, dans l’église que l’on appelle du Ciel d’or, où repose le corps de saint Augustin depuis sa translation »59. Bien quelle soit présentée comme un martyre, la mort de Boèce n’est que de peu de poids dans la définition de la sainteté en regard de cette activité intellectuelle. Il faut dire que Boèce n’est inscrit dans aucun calendrier, élément qu’il n’est pas inutile de préciser dans le cadre d’un recueil que son auteur voulait exempt de toute tradition douteuse et non reconnue pas l’Église. D’ailleurs, certains signes montrent que Bernard Gui ne pouvait pas complètement le considérer comme un saint60, au sens en tout cas d’une notion qui est de mieux en mieux codifiée. Dès lors, il faut admettre que c’est son admiration non dissimulée pour son activité intellectuelle qui compense ce déficit de sainteté. Boèce participa à la rénovation des études au contact de la culture hellénique. Au moment où Bernard Gui écrit, ses commentaires platoniciens sur la destinée de l’âme, réactualisés par la diffusion d’Aristote, ne sont plus perçus comme des atteintes à l’orthodoxie. Les ouvrages de Boèce, au contraire, ont beaucoup contribué à la formation de la pensée scolastique. Du coup, la notice de Boèce peut être lue comme une « dominicanisation » des caractères de la sainteté : il produit des livres sur la discipline scolaire, et un traité sur la Trinité pour s’opposer aux hérétiques. S’il n’est pas véritablement un saint, sa seule insertion dans le Speculum l’élève à ce rang. Cette mise en valeur de la production littéraire, au titre de preuve de l’exemplarité d’une vie, n’est pas limitée au cas de Boèce. D’autres chapitres du Speculum sanctorale sont, pour Bernard Gui, l’occasion d’un inventaire de ce genre. Il entreprend par exemple d’énumérer les commentaires bibliques suo nobilitavit eloquio. Scripsit etiam ad Symacum patricium librum de Trinitate contra hereticos mira subtilitate in quo asserit beati Augustini vestigia, se fuisse sequtum. Scripsit etiam librum de disciplina scolarium et librum de musica, de logica quoque libros thopicorum et divisionum, libros cathegoricorum sillogismorum et ypotheticorum et commenta super libros Aristotilis et alia plura. (Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 125v°). 59   Corpus autem sancti Boecii venerabiliter sepultum jacet apud Papiam in ecclesia que celum aureum dicitur, ubi corpus sancti Augustini translatum quiescit (Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 125v°). 60   Bernard Gui est incapable de fournir une date de fête liturgique et se voit donc contraint d’inscrire sa vie à la fin de la troisième partie du Speculum sanctorale (si l’on tient compte que, dans le manuscrit de Toulouse, la Passion des Quarante militaires copiée après le chapitre consacré à Boèce est un doublon, que la translation de Vincent n’est pas à sa place et que le texte consacré à sainte Quitterie est un ajout postérieur : voir le sommaire à l’annexe 4). Il arrive que Bernard Gui ait eu quelques hésitations au sujet des fêtes à retenir pour tel ou tel saint. Le cas de figure se rencontre surtout lorsque l’hagiographe s’est trouvé confronté à des traditions locales divergentes. Dans ces cas, Bernard Gui insère le saint dans son légendier de manière relative et explique les problèmes rencontrés à la fin de la notice. Le problème que lui a posé l’insertion de Boèce dans son légendier n’est pas exactement de cette nature. Boèce n’est inscrit ni dans le martyrologe d’Usuard, ni dans celui d’Adon. Son inscription dans le calendrier de l’église de Milan est jugée douteuse par Papebroch, qui déclare alors incertaines les preuves de son culte à Pavie (Acta SS, Mai, VI, 3e éd., 1866, p. 700).

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de Bède le Vénérable : « il écrivit sur la Genèse un livre, sur les tables de Moïse trois livres, sur Samuel quatre livres, sur Esdras et Néhémie trois livres, sur Tobie un livre, etc »61. Dans le cas de Bède, le statut de saint est mieux attesté : sa fête est fixée au 26 mai. Il n’est pas exclu cependant que le catalogue bibliographique, comme dans le cas, de Boèce, ait permis de compenser une information quelque peu défaillante puisqu’à la fin du chapitre consacré à Bède Bernard Gui avoue qu’il n’a pas trouvé de véritable Vie du saint62. En même temps, on ne peut exclure non plus que ces énumérations aient aussi témoigné d’une véritable vertu, car il ne se prive pas de la produire aussi dans le chapitre consacré à Grégoire de Tours, et ce, après avoir copié de manière quasiment littérale une vita de cet évêque63. Cette impression que la production intellectuelle est en quelque sorte un supplément de sainteté est ici confirmée par la manière dont il introduit cette série d’ouvrages : « Ce saint Grégoire brilla non seulement par sa sainteté mais aussi par sa doctrine »64. Suit la liste de ses écrits : « Il écrivit en effet une Histoire des faits des rois des Francs jusqu’à son époque ; il écrivit encore en quatre livres les Miracles de saint Martin qui ont eu lieu après sa mort… »65. Le même procédé est reconduit à la fin de la Vie de saint Ambroise de Milan. Au bout du compte, cette façon de faire rappelle que les dépositions en vue du procès de canonisation de Thomas d’Aquin s’achevaient par une liste des ouvrages du docteur commun66. Elle est aussi en germe dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais67 et dans la Légende dorée68, sans que les deux prédécesseurs de Bernard Gui aient toutefois eu le loisir de généraliser cette démarche. Il se peut que l’on ait ici une particularité de l’hagiographie dominicaine. Anne Tallon a montré comment la mémoire collective des origines de l’ordre s’était peu à peu muée en catalogues d’hommes illustres, essentiellement par leurs écrits. Les grandes figures dominicaines se construisent dans de grands répertoires bibliographiques. Le regard qu’a porté

  Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 205v°.   Gesta vero sancti Bede ad integrum non potuimus invenire, ms 481, IV, fol. 205v°. 63   Le même cas de figure se rencontre avec le chapitre consacré à saint Denis : après une très longue Vie, Bernard Gui regroupe les informations bibliographiques sous la rubrique De libris quos sanctus Dyonisius scripsit. 64   Hic sanctus Gregorius non solum sanctitate sed et doctrina refulsit, ms 480, IV, fol. 185v°. 65   Scripsit namque hystoriam et gesta regum Francorum usque ad tempus suum. Scripsit etiam miracula beati Martini post ejus obitum ostensa in quatuor libris…, ms 481, Toulouse, BM, fol. 185v°. 66   Il s’agit de la déposition de Barthélemy de Capoue. L’information se trouve dans A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, éd. École française de Rome, 1981, p. 467. 67   Voir par exemple le chapitre qu’il consacre à Bède le Vénérable, SpH, XXIV, 133. 68   Dans le chapitre qu’il consacre à saint Augustin, Jacques de Voragine insère aussi un inventaire des œuvres majeures du Docteur de l’Église. 61

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Bernard Gui sur certains saints de son Speculum est un jalon possible et méconnu, jusqu’à présent, de cette évolution. 2– Le traitement des miracles a– La pérennité de l’écriture hagiographique dominicaine La recherche systématique des sources utilisées par Bernard Gui pour son Speculum sanctorale a mis en valeur son désir de restaurer les Vies dans toute leur longueur, ce qu’annonçait le prologue. Dans un second temps, la confrontation des textes permet de souligner un certain désintérêt de l’hagiographe pour les récits de miracles. Alors que les Vies retenues, et amplement copiées, sont souvent assorties de recueils de prodiges, Bernard Gui les passe régulièrement sous silence. Dans le volume d’analyse du Speculum sanctorale, une grande partie des amputations indiquées correspond à la suppression, pure et simple, d’un et souvent de plusieurs, récits de miracles. Cet élément vaut aussi, dans la plupart des cas, pour la rédaction des légendiers abrégés antérieurs au Speculum sanctorale. Cela n’a pas été forcément relevé dans les études qui leurs ont été consacrées, pour une raison à la fois compréhensible et valable : dans le cadre de la legenda nova, c’est l’ensemble du matériel hagiographique qui est soumis à une réduction drastique. Les miracles connaissent le même sort littéraire que les différents épisodes de la vita, et dans ces conditions, il n’était pas opportun de faire de l’allègement des miracles la manifestation d’une volonté particulière. En revanche, dans le cadre d’un légendier qui justifie sa raison d’être par le projet de remédier à un abrègement jugé excessif, ce traitement spécifique des faits miraculeux ne peut passer inaperçu. Voyons d’abord ce qui, dans le Speculum sanctorale, apparaît comme l’unique contre exemple : le chapitre consacré à Jacques le Majeur. Bernard Gui y restitue la quasi-totalité des miracles présents dans le recueil attribué à Calixte II, soit 21 miracles. Mais cette volonté d’être exhaustif n’est pas secondée par celle d’exposer un récit détaillé puisque Bernard Gui copie l’abrégé de Vincent de Beauvais, dans une version qui présente quelques irrégularités en ce qui concerne la datation de ces miracles. Ici, le travail de son devancier, ainsi que la notoriété de l’apôtre, permettent d’expliquer un choix que Bernard Gui ne répète pas ailleurs. En effet, l’attitude généralement adoptée par l’hagiographe lorsqu’il se trouve face à un recueil de miracles fourni, est le silence ou la sélection. Dans plusieurs chapitres, le choix est assumé. Dans la Vie de Maximin de Trèves par exemple, il indique clairement qu’il a connaissance d’un livre de miracles, mais précise qu’il ne rendra compte d’aucun des épisodes qu’il contient, préférant rapporter le récit de l’invention du corps de l’évêque : « Plus tard, le moine Sigehardus, à la demande de l’abbé du monas-

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tère Saint-Maximin, mit par écrit le livre de ses miracles, qui enferme un très grand nombre de miracles que nous omettons dans le présent ouvrage afin d’éviter la prolixité. À la fin du livrede miracles susdit, a été ajoutée l’invention du corps de saint Maximin, dans l’église du monastère évoqué précédemment, où longtemps, il avait été dissimulé aux clercs et aux moines de ce monastère » Suit le sous titre suivant : « De l’invention du corps de saint Maximin et de son agréable parfum »69. On mesurera ce que ce choix peut avoir de radical lorsqu’il l’applique, aussi, aux saints de son ordre. Ainsi, après le récit de la mort de Pierre de Vérone, Bernard Gui rapporte bien quelques miracles, mais sur ce sujet, il est bien plus succinct que Géraud de Frachet et Thomas de Lentino, qu’il copie pourtant pour le texte de la Passion. Encore plus surprenant, il n’hésite pas à supprimer de son modèle la phrase qui indique que c’est Bérenger de Landorre qui a commandé que soient recueillis ces faits prodigieux70. Le cas de Thomas d’Aquin montre aussi que l’excision des miracles fut une politique éditoriale spécifiquement appliquée au Speculum sanctorale. En effet, avant d’entreprendre ce grand légendier, Bernard Gui compose une Vie de Thomas, sans doute dans le cadre, ou en rapport, avec l’instruction de son dossier en vue de sa canonisation : c’est la Vie BHL 815571. Au moment d’intégrer cette figure de l’ordre dans la quatrième partie de son Speculum, il réécrit son propre texte (BHL 8157), ce qui l’amène à abréger certains épisodes de la première Vie de Thomas, mais surtout à supprimer un grand nombre de miracles. A priori, on imaginerait plutôt que, quitte à ne conserver que certains miracles, il aurait plutôt développé ceux qui illustrent les frères prêcheurs. Il n’en est rien. Il ne faudrait pas hâtivement conclure de ces deux derniers exemples que, dans l’esprit d’un Bernard Gui, la sainteté moderne, et spécialement celle de ses frères, est étrangère au miracle, lequel, en tant que critère de sainteté, aurait alors un côté désuet. En fait, cette diminution conséquente de la preuve par le miracle se rencontre très souvent dans le légendier, quel que soit le type de saint concerné. Ainsi, dans la Vie de saint Bonito, disciple de saint Maur, Bernard Gui arrête la copie de sa source là où commence celle des miracles. C’est   Post hec autem Sigeardus monachus jussu abbatis cenobii Sancti Maximini librum de miraculis ejus conscripsit, ubi eorum magnus et multus numerus continetur, que causa vitande prolixitatis obmittimus in opere presenti. In fine vero predicti libri miraculorum subjungitur de inventione corporis sancti Maximini in ecclesia cenobii ante dicti, ubi diutina occultatione latuerat clericos et monachos ejusdem cenobii hec de causa sequenti. De inventione corporis sancti Maximini et fragrancia odoris, Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 80v°. 70   La demande est connue par les actes du chapitre général de Londres, éd. B.-M. Reichert, t. II, Rome, 1899 (MOPH, t. IV), p. 73. 71   Elle est éditée par D. P rümmer, Fontes Vitae sancti Thomae Aquinatis, documents inédits publiés par la Revue Thomiste, t. 3, 1928. 69

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tout aussi consciemment qu’il ampute les Vies de saint Pons, de saint Médard de Noyon ou de saint Germain de Paris. Dans la Vie de saint Julien de Brioude, alors que Jean de Mailly, Vincent de Beauvais et Jacques de Voragine rapportent un abrégé des miracles72, Bernard Gui se contente de renvoyer le lecteur à la consultation de Grégoire de Tours. Ces suppressions concernent autant les miracles qui ont lieu du vivant du saint que ceux qui se développent autour de son tombeau. Par ailleurs, l’hypothèse qui consisterait à expliquer cette attitude par la méconnaissance de certains cultes, ne tient pas : la lecture du Speculum sanctorale montre que les saints du Midi, pour lesquels Bernard Gui ne pouvait pas ne pas connaître les récits miraculeux attachés à des sanctuaires familiers, sont traités de la même manière. La Vie de saint Germier de Toulouse qu’il retient comme modèle (BHL 3484) fournit des récits célèbres, comme l’épisode où le saint évêque fait reverdir un laurier sec ainsi que de nombreuses guérisons d’infirmes, qu’il allège ou évacue complètement sans chercher à en donner un équivalent. Dans le même sens, il connaît un recueil complet des prodiges accomplis sur le tombeau de saint Léonard de Limoges73, dont il ne conserve que deux courts exemples. Alors qu’il introduit saint Amand de Rodez dans sa collection, lequel était délaissé ou inconnu de ses prédécesseurs, il n’a pas vu l’intérêt d’asseoir sa renommée sur les miracles qu’il a accomplis et supprime complètement ceux qui se trouvent dans sa vita. Enfin, on ne peut oublier de dire encore un mot de la Passion de sainte Foy de Conques, laquelle fut, au xiie siècle, efficacement secondée par un recueil de miracles célèbre et prolixe74 : aucun d’entre eux n’entre dans le Speculum sanctorale. Bernard Gui s’en tient à la Passion, qu’il réduit à ses éléments les plus topiques, dans un récit qui est finalement très court. De ce point de vue, les saints méridionaux ne sont donc pas mieux traités que les autres. Ce constat modère donc sensiblement le présupposé ordinairement formulé d’un légendier mettant d’abord à l’honneur les dévotions méridionales. Le légendier n’est pas pour autant complètement dépourvu de miracles. Quels sont, donc, ceux que Bernard Gui a choisi de conserver ? Disons d’emblée que la sélection opérée par l’hagiographe ne s’effectue pas sur un critère thématique : le postulat qu’il aurait privilégié les miracles post mortem par 72   L’information se trouve dans les notules de la traduction de la Légende dorée, sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. 1142-1145. 73   Il s’agit du Liber miraculorum BHL 4864. 74   Le corpus primitif ne compte pas moins de cent un récits de miracles. C’est, de loin, le plus ample en ce qui concerne le Midi de la France. Pour sa remise en contexte dans la production hagiographique du Midi de la France, voir P. Bonnassie, P.-A. Sigal, D. Iogna-Prat, « La Gallia du Sud, 930-1130 », Hagiographies, collection Corpus Christianorum, t. I, éd. Brepols, Turnhout, 1994, p. 289-345. Pour une édition du texte, voir Liber miraculorum sancte Fideis, ed. L. Robertini, Spolète, Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, 1994.

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rapport à ceux qui ont lieu in vita par exemple, ou les guérisons miraculeuses plutôt que les résurrections ou des délivrances de possédés, ne résiste pas à la lecture du recueil. Ses choix ne sont pas dictés par une position doctrinale ou spirituelle. En revanche, il est un critère d’ordre formel qui s’avère opératoire pour plusieurs de ces épisodes : un grand nombre des miracles retenus pour le Speculum sanctorale sont littéralement copiés sur le légendier de Jacques de Voragine, alors même que Bernard Gui s’est ostensiblement détourné de la copie de la vita que donnait son prédécesseur. C’est par exemple le cas dans la Vie de saint André : Bernard Gui retourne à la Lettre des Pères et diacres de l’Église d’Achaïe (BHL 428) pour en donner une version quasiment littérale, mais copie sur la Légende dorée l’épisode de l’huile qui s’écoule miraculeusement du tombeau de l’apôtre. De la même manière, il produit une Vie ample de l’évangéliste Jean, mais revient à la Légende dorée pour rapporter qu’un jour, Edmond, roi d’Angleterre, donna un anneau à saint Jean qui lui était apparu en pèlerin. Le principe se trouve encore dans la Passion de sainte Agnès, où Bernard Gui exploite, non pas l’abrégé dominicain, mais la Passion de saint Ambroise sans intermédiaire. Il revient, malgré tout, au texte de Jacques de Voragine pour rapporter le miracle dont bénéficie le prêtre Paulin. La même attitude prévôt encore dans la Passion de saint Clément, ou encore dans la Vie de saint Augustin. Ainsi, Bernard Gui a donc jugé suffisant l’abrégé que donnait l’archevêque de Gênes des faits miraculeux, alors même qu’il conteste le travail de réduction opéré sur leurs vitae. Il y a donc un traitement différent, dont la raison et la portée ne sont pas évidentes à saisir. b– Entre Vie et miracles : la nature de la sainteté D’emblée, l’impression qui domine est celle d’une modification de la valeur du miracle. Dans les recueils les plus anciens le nombre fait foi : la multiplication des miracles accroît l’aura du saint, assure l’efficacité du sanctuaire et finalement, l’inventaire a valeur d’édification. Ici, le miracle endosse plutôt une dimension exemplaire : c’est un absolu qu’il est inutile de multiplier à l’envi. Cette interprétation s’appuie principalement sur l’impression qui se dégage de la lecture du Speculum sanctorale. Elle est aussi confortée par l’évolution du statut du miracle dans les procès de canonisation étudiés par André Vauchez. Dès la mise en place de cette procédure, la valeur probatoire des phénomènes miraculeux n’est plus considérée comme suffisante et se trouve subordonnée à la preuve de la « vertu des mœurs »75. Malgré sa relative inadéquation avec

75   L’expression est tirée de la bulle Cum secundum d’Innocent III, proclamant la canonisation de sainte Cunégonde. Elle est citée par A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, ouv. cité, 1981, p. 583.

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les convictions de l’époque et les attentes des fidèles, cette position se développe et les hagiographes ne tardent pas à comprendre l’intérêt qu’il y a à brosser un portrait des vertus, plutôt qu’à écrire un Liber miraculorum : dès la première moitié du xiiie siècle, l’hagiographe de sainte Élisabeth de Thuringe justifie cet axe, largement privilégié dans sa vita76, car, écrit-t-il, « à la curie, on fait davantage attention à l’excellence de la Vie et à la beauté du comportement qu’aux miracles »77. Cette allégation était clairvoyante, car dans la seconde moitié du xiiie siècle et au xiv e siècle, les enquêteurs s’attachent plutôt aux dispositions qui concernent la Vie du candidat aux autels78. De plus, la nature des miracles auxquels ils continuent à conférer une valeur de preuve a changé : le saint moderne n’est plus inévitablement thaumaturge. La part des guérisons et des délivrances de possédés diminue au profit d’un nouveau type de miracles, qui est la maîtrise des éléments. Bien sûr, le caractère de collection d’un grand légendier comme le Speculum sanctorale, sa très large ouverture à la sainteté universelle ainsi qu’à des textes hagiographiques anciens, ne permettent pas d’y lire si franchement une telle évolution : lorsque Bernard Gui adapte un recueil de miracles des xe-xie siècles par exemple, il est évident que, même s’il le réduit à un épisode, il conserve les caractères propres à son époque puisqu’il ne réécrit pas ou très peu ses modèles. Par ailleurs, même si elle est moins probante pour la curie, la part des guérisons reste considérée comme un élément important pour établir la sainteté. La Vie de Pierre de Vérone, par exemple, comporte une série de miracles de ce genre. Ainsi, la confrontation du Speculum sanctorale avec les légéndiers dominicains antérieurs montre que l’écriture des miracles est un support de transmission de l’écriture hagiographique dominicaine. Cependant, l’équilibre entre Vie et miracles, qui existait dans les légendiers abrégés en vertu de la réduction sensiblement identique de ces deux parties du récit, est rompu. L’annonce faite par Bernard Gui dans son prologue de retourner à des textes plus longs vaut d’abord pour le récit des Vies et des Passions, tandis qu’il est plus fréquent que Bernard Gui se contente de copier le résumé de quelques miracles donnés par les autres hagiographes de l’ordre. C’est cette différence de traitement qui pousse à relever, dans le Speculum santorale, la discrétion du phénomène miraculeux. Cette inversion de la valeur de la Vie et des miracles dans la reconnaissance de la sainteté peut valoir comme une meilleure prise en considération des critères de canonisation. En effet, dans cette évolution, le pontificat de Jean XXII fut déterminant, non que ce pape se soit personnel  C’est le Libellus dictus quatuor ancillarum (BHL 2493).   Exemple cité par A. Vauchez, ouv. cité, p. 584.   A. Vauchez, ouv. cité, tableau de répartition des dépositions selon leur contenu, p. 585.

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lement investi pour marginaliser les aspects thaumaturgiques de la sainteté, mais c’est au moment où il gouverne l’Église que les enquêtes de canonisation accordent le moins d’importance à ce facteur79. 3– Le martyre a– Un nombre encombrant de martyrs ? La Légende dorée suscite un grand nombre de questions. L’une d’entre elles est le nombre de chapitres consacrés à des martyrs (85 sur 178)80 : il a souvent été jugé important, comprenons trop important pour un ouvrage sensé renouveler l’écriture hagiographique à usage pastoral et, surtout, issu d’un ordre étroitement associé au renouveau spirituel et religieux du xiiie siècle. C’est notamment ce nombre de Passions qui explique les jugements sévères qui ont été portés sur ce recueil, accusé de diffuser une foi crédule, voire de sombrer dans l’archaïsme. Du coup, ceux qui ont analysé tout ou partie de ce célébrissime recueil n’ont pu évacuer totalement le problème que pose cette impression de dissonance. Alain Boureau ne dément pas tout à fait le caractère archaïque du corpus retenu par Jacques de Voragine. Il le suggère au moins, en relevant, d’une part, que la Légende dorée compte un très grand nombre de martyrs, et de l’autre, que les saints contemporains (c’est-à-dire ceux qui sont morts depuis le xiie siècle) ne sont représentés que par cinq figures81. Plus loin, il atténue cette première impression en proposant une interprétation hiérarchique de la sainteté : si les martyrs sont si nombreux, c’est qu’en acceptant de souffrir pour leur foi, ils manifestent une sainteté passive, et donc accessible, qui, en creux, révèle la valeur supérieure de ceux qui endossent une sainteté active (soit qu’ils luttent contre les ennemis de l’Église – ce sont ceux qu’Alain Boureau nomme les défenseurs –, soit qu’ils obtiennent leur conversion – ce sont les prêcheurs)82. Ainsi, le déséquilibre entre les types de saints, tel qu’on le lit dans la Légende dorée, participerait d’une conception générale de la sainteté, laquelle serait plus moderne que les apparences ne le laissent croire de prime abord. Résumer jusqu’à la caricature, la construction du corpus de la Légende dorée, selon Alain Boureau, reposerait donc sur l’idée que l’importance numérique des martyrs est inversement proportionnelle à leur valeur. À côté de cette lecture globale,

  Voir ce que dit A. Vauchez, ouv. cité, p. 589.   Le nombre total de chapitres est celui retenu dans l’édition de G. P. Maggioni. Le nombre de martyrs exclut les apôtres qui ont été suppliciés, comme Pierre, Paul, Jacques le Majeur ou Barthélemy. 81   A. Bourreau, La Légende dorée. Le système narratif de Jacques de Voragine († 1298), éd. Cerf, 1984, p. 35-39. 82   A. Boureau, ouv. cité, p. 183-195. 79

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les documents de la pratique, en prise avec les dévotions proprement dites, révèlent que le martyre reste un modèle de sainteté auquel adhèrent les fidèles jusqu’à la fin du Moyen Âge83, ce qui désamorce quelque peu le jugement d’archaïsme. Sans compter que les apparences sont sauves, puisque la Légende dorée ne renie pas la sainteté contemporaine, comme le montre la présence, dans son corpus, de Dominique, François, Bernard ou Élisabeth. La réflexion, on le voit, s’est exclusivement concentrée sur le contenu de la Légende dorée. Il se peut, qu’érigée en symbole de la modernité hagiographique, la présence massive des martyrs y ait été perçue comme plus anachronique, alors que parallèlement, la même proportion dans l’Abbreviatio de Jean de Mailly ou dans le Liber epilogorum de Barthélemy de Trente ne suscitait aucun questionnement. Ajoutons que, sur ce point, le Speculum sanctorale de Bernard Gui, avec ses 149 Passions sur 270 légendes, ne se distingue en rien des collections antérieures. Du reste, l’impression de masse est encore renforcée par le regroupement de ces martyrs dans la seconde partie du recueil. Faut-il conclure que c’est l’ensemble des recueils hagiographiques dominicains qui cultive un modèle passé de mode ? À titre indicatif, une comparaison rapide avec d’autres corpus montre qu’il n’en est rien. La proportion des martyrs rencontrée dans le légendier dominicain ne se différencie guère de celle que mettent à l’honneur d’autres communautés religieuses : un premier décompte, effectué sur la base du Liber de Natalitiis, c’est-à-dire d’un légendier d’origine cistercienne, montre que sur 357 fêtes, les cisterciens célèbrent 154 martyrs (soit 43,1%)84. À partir de quelques calendriers liturgiques, il apparaît que la part des martyrs approche la moitié des fêtes célébrées dans les sanctoraux diocésains du Midi de la France : on compte à Limoges 105 martyrs célébrés sur 214 fêtes (soit 49%)85 ; à Béziers, 100 martyrs sur 200 célébrations au total (soit 50%)86 ; à Toulouse, 105 fêtes de martyrs sur 205 inscrits au calendrier (soit 48, 61%)87. Ainsi, cette comparaison, certainement trop sommaire et limitée dans ses résultats par le rapprochement de sources différentes (calendriers d’une part, légendiers de l’autre), apporte, malgré tout, des indices concordants : la position quasiment majori  A. Vauchez, ouv. cité, p. 171-234.   L’inventaire et le calcul sont effectués à partir du sommaire du Liber de Natalitiis éd. par H. Rochais, ouv. cité. 85   Le calcul est effectué sur la base d’un calendrier du xiv e siècle conservé à la Bibliothèque nationale de France, dans le ms lat. 836, cité par V. Leroquais, Missels, p. 486. 86   Le calcul est réalisé sur la base d’un calendrier du xiv e siècle conservé à la Bibliothèque nationale de France, dans le ms nouv acq. lat. 297, cité par V. Leroquais, Missels, p. 259. 87   Résultat obtenu à partir du calendrier inclus dans le ms lat. 837 de la Bibliothèque nationale de France (xiv e siècle), cité par V. Leroquais, Missels, p. 493. 83

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taire des martyrs dans les célébrations ou dans les lectures hagiographiques semble générale. Ce constat conduit à nuancer l’impression initiale tirée du nombre des martyrs dans la seule Légende dorée. Cela n’a finalement rien de spécifique aux dominicains. Au contraire, si eux aussi accordent une telle place aux martyrs des premiers temps, c’est qu’ils y ont vu l’opportunité de signifier leur attachement au sanctoral universel de l’Église88. Au fond, faire référence à ces figures du début du christianisme révèle la volonté de s’enraciner dans la tradition la plus ancienne de l’Église. Les prêcheurs ne s’intéressent ni plus ni moins aux martyrs que les fidèles de leur époque, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’aient pas cherché, pour eux-mêmes surtout, à rénover quelque peu le discours hagiographique sur le martyre comme voie d’accès à la sainteté. b– La nouvelle modernité du martyre En effet, si l’importance des martyrs dans le Speculum sanctorale, comme dans le sanctoral dominicain s’apparente à un désir de conformité au fonds commun de l’Église, rien n’empêche l’hagiographe, par le biais de la réécriture, de rénover subtilement le discours sur cette forme de sainteté. Or, la comparaison des légendes du Speculum sanctorale avec leurs modèles fait émerger une série de retouches qui n’est pas sans intérêt. Lorsque Bernard Gui rédige la Passion de saint Quentin, il revient au texte ancien (BHL 7008). Celui-ci débute par une description des horreurs liées à la persécution : « Au temps des empereurs Dioclétien et Maximien, de nombreux chrétiens ont enduré de graves persécutions, et ont enduré, pour la foi en notre Seigneur Jésus Christ, et pour l’espoir du règne éternel. Les uns, dans leurs rudes prisons, longtemps privés de nourriture, étaient frappés avec des bâtons, des verges et des fouets  ; d’autres, les mains liées derrière le dos, étaient suspendus par des lanières de corde à une fourche patibulaire ; d’autres furent écartelés par une poulie, déchirés par des griffes et les membres écartelés ; d’autres, objets de dérision, furent condamnés à l’exil et à diverses des bêtes ; d’autres furent jetés dans des trous et étouffés ; d’autres reçurent les lames rougies, et le gril, la braise, l’huile, la poix. »89. Ce passage est totalement supprimé dans la version qu’en donne Bernard Gui, qui débute sa légende avec la présentation de son héros.   Un calendrier romain comme, par exemple, celui qui est conservé dans le ms lat. 38 de la Bibliothèque nationale de France (xiv e siècle, cité par V. Leroquais, Missels, p. 480) inscrit 112 martyrs sur un total de 218 célébrations (soit 51,3%). 89   Temporibus Diocletiani et Maximiani imperatorum, multi christianorum gravissimam persecutionem patiebantur, propter fidem Domini nostri Jesu Christi et spem regni aeterni. Alii quidem carceris squalore, longa inedia, fustibus, virgis et flagris verberati ; alii, post tergum vinctis manibus, patibulis, loris funibusve appensi ; alii trochleis distorti et ungulis fossi, membratimque divulsi ; alii ludibriis, exiliis et diversis bestiis traditi ; alii praecipitiis praefocati ; alii laminis igneis et craticulis, prunis impositis, oleo, pice, etc, éd. Acta SS, Octobre, XIII, 794. 88

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Il agit de la même manière dans les Passions de saint Ferréol et d’Euphémie. Dans d’autres cas, il copie son modèle dès les premières phrases mais en retire les passages qui évoquent les persécuteurs : Passio s. Rufine et Secunde, BHL 7359 éd. Acta SS, Juillet, III, 30

Bernard Gui, Speculum sanctorale ms 481, III, fol. 56.

Rufina et Secunda, duæ sorores virgines, erant cives Romanæ, patre clarissimo genitæ Asterio, matre clarissima Aurelia. Cum fervor persecutionis jussu Valeriani et Gallieni Augustorum, in urbe Roma sæviret, contigit, ut sponsi earum virginum Armentarius et Verinus a fide Christianitatis recederent. Pro qua re volentes declinare eorum persuasiones insanas, ad prædiolum suum, quod in Tusciæ partibus videbantur habere, basternæ pergebant vehiculo.

Beata (sic) virgines Ruphina et soror ejus nomine Secunda fuerunt filie pre-clarissimi viri Asterii et Aurelie claris-sime mulieris ex urbe Roma oriunde. Sponsi vero ipsarum virginum Ar-mentarius et Verinus a fide Chris-tianitatis recesserant, ob quam causam beate virgines volentes declinare eorum persuasiones insanas ad prediolum suum, quod in Tuscie partibus videbantur habere pergere disposue-runt.

Une adaptation du même type se lit encore dans les Passions de saint Privat de Mende, de saint Caprais ou encore de sainte Eulalie de Mérida. Globalement, la réécriture est mineure : elle conduit seulement à l’élimination des données contextuelles, essentiellement des noms des empereurs et des circonstances dans lesquelles ils déclenchèrent une persécution contre les chrétiens. Ce type de retouches passerait inaperçu s’il n’était récurrent. Au contraire d’un acte fortuit, cette récurrence plaide en faveur d’un objectif précis, d’un parti pris dépassant, par l’uniformisation, le simple allègement de légendes un peu verbeuses. Que peut donc signifier la suppression répétée des allusions aux persécuteurs ? Là encore, l’interprétation est pure conjecture. D’abord, il est possible d’y voir le désir de centrer le récit sur le seul héros : à certains égards, les données historiques concernant la persécution ont pu apparaître à Bernard Gui comme digressives, sans compter qu’une meilleure séparation entre Vie et chronique n’était sans doute pas pour lui déplaire. Ensuite, on ne peut exclure tout à fait que ces remaniements infimes aient pu supporter un changement de perception du martyre. En supprimant les données du contexte, l’hagiographe amenuise, de fait, le rôle tenu par les éléments extérieurs dans la réalisation du martyre. Lorsque le texte « ancien » décrit les empereurs comme sanguinaires et la persécution comme terrible, il laisse entendre que le martyre est le résultat des circonstances et que, d’une certaine façon, le futur saint ne pouvait y échapper, même si, comme c’est parfois le cas, il se présente de lui-même devant le tribunal. C’est le poids de cette contingence qu’atténuent les réécritures de Bernard Gui, de sorte que le début des Passions est davantage centré sur le saint lui-même

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alors que le martyre devient l’aboutissement d’une vie assidue dans la foi et la prière. Dans le Speculum sanctorale, aucun élément ne peut venir accréditer ce qui n’est qu’une supposition. Le légendier ne développe pas de positions doctrinales et ce serait une erreur que de lui en attribuer en forçant la documentation. Ce qu’on ne peut attendre du texte hagiographique peut-il se trouver ailleurs ? Autrement dit, existe-t-il des indices d’un contexte intellectuel propice à la rénovation de l’idée de martyre ? En la matière, la position exposée par Thomas d’Aquin dans la Somme théologique est régulièrement appelée à la rescousse. Il faut dire qu’il est le premier penseur du Moyen Âge à construire une notion théologique du martyre90. Elle est exposée à la question 124 de la Secunda secundae. Pour Thomas, le martyre est un acte de vertu car il consiste à rester ferme contre les assauts de la persécution. Il est aussi un acte de la plus haute perfection en vertu du motif premier qui le détermine, à savoir accepter la mort tant redoutée pour la manifestation de sa foi. En cela, le martyre est aussi la forme la plus élevée de l’obéissance. Ceci dit, Thomas est très restrictif et exclut toute une série de conditions de la définition du martyre. En s’appuyant sur L’Épître de Paul aux Corinthiens (« Quand bien même je livrerais mon corps pour qu’il fût livré aux flammes, si je n’avais pas la charité, cela ne me servirait à rien », I Cor., XIII, 3), Thomas refuse la qualité de martyr à ceux qui ont provoqué leurs persécuteurs. Aucun autre motif que la foi ne doit déterminer l’attitude de ceux qui endurent les supplices. Cette mise au point est relayée par un débat sur la question du choix du martyre. Les hagiographes se sont chargés de le décrire comme central dans la vocation de saints mendiants comme Dominique, Pierre de Vérone ou Antoine de Padoue, liant ainsi zèle pastoral, lutte contre la dissidence et mort pour la foi. Dominicains, mais surtout franciscains, entretiennent, à l’intérieur de l’ordre, la mémoire de leurs frères morts en martyrs91. Le thème est donc particulièrement réactivé aux xiiie-

90   R. Hedde, « Martyre », DTC, t. X, Paris, 1928, col. 220-254 ; A. Solignac, « Martyre », DS, t. X, Paris, 1980, col. 718-737. Les manifestations du culte rendu aux martyrs sont largement antérieures à sa définition doctrinale. Le besoin de donner au phénomène une assise théologique surgit au moment où les persécutions sont tout à fait exceptionnelles. La prise de conscience de ce décalage ne semble pas avoir suscité de travaux particuliers. 91   Les dominicains, spécialement dans la province de Toulouse, honorent les inquisiteurs assassinés à Avignonet (B. Montagnes et M. P rin, « Le tombeau des martyrs d’Avignonet dans l’église des Jacobins de Toulouse, MSAMF, t. 64, 2004, p. 155-164). Les franciscains célèbrent la mémoire d’un groupe de dix frères morts au Maroc et de sept autres tués à Ceuta (sur ces frères morts en mission, voir I. Heullant-Donat, « La perception des premiers martyrs franciscains à l’intérieur de l’Ordre au xiiie siècle », Religion et mentalités au Moyen Âge, Mélanges en l’honneur d’Hervé Martin, éd. Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 211-220, spécialement p. 213). Dans ce contexte, les sœurs du couvent Saint-Damien, interrogées en vue du procès de canonisation de Claire d’Assise, évoquent son désir de martyre (art. cité, p. 215).

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siècles, surtout dans les deux grands ordres mendiants92. Or, chroniques et Passions qui évoquent la question du choix du martyre montrent l’apparition d’une dichotomie entre martyre missionnaire et martyre volontaire, non tant du point de vue du martyre lui-même que de l’utilisation que l’on doit en faire. Dans ce débat, les dominicains développent l’idée que le martyre est une affaire personnelle, dont l’ordre ne doit retirer aucune vanité ni aucun avantage, surtout s’il ne s’accompagne pas d’une conversion des infidèles. Dans sa lettre au Patriarche de Jérusalem et aux frères prêcheurs tués à Saint-Jean d’Acre, le dominicain Ricoldo da Montecroce exalte les martyrs de son ordre, tout en concluant à l’inutilité de leur sacrifice, puisqu’il n’a provoqué aucune conversion. Du point de vue franciscain, la Chronique des XXIV maîtres généraux présente les martyrs de Marrakech et ceux de Ceuta comme des martyrs volontaires. Il y a donc, au xiv e siècle, et dans l’entourage mendiant, un renouvellement de l’approche du martyre, centré sur le choix de celui qui est prêt à mourir pour la foi. Dire que les réécritures de Bernard Gui participent de ce mouvement est exagéré dans la mesure où les remaniements du texte hagiographique sont infimes et qu’ils peuvent surtout s’expliquer par une logique interne au légendier, dans le cadre de la dialectique abrègement/allongement du texte. On se contentera donc de souligner, tout au plus, la simultanéité des choses, sans en tirer hâtivement une relation de causalité. L’analyse formelle des réécritures opérées par Bernard Gui pour son Speculum sanctorale aboutit donc au constat de remaniements au fond. Peu significatifs au plan d’une hiérarchie des vertus, ceux-ci sont plus palpables en ce qui concerne le traitement de la pauvreté, de la culture, mais aussi des miracles et du martyre. Même si la dépendance à l’égard des textes hagiographiques anciens est réelle, qu’elle est même d’autant plus étroite que Bernard Gui revendique un retour à l’intégrité du récit, le discours d’ensemble tend à se modifier sous l’effet du discret élagage imposé aux textes. Le résultat obtenu xiv e

  Sur cette réactivation, il faut citer M. Rubin, « Choosing death ? Experiences of martyrdom in late medieval Europe », Martyrs and martyrologies, papers read at the 1992 summer meeting and the 1993 winter meeting of the ecclesiastical history society, éd. Wood D., Blackwell publishers, Oxford, 1993, p. 153-183, et plus récemment, les travaux d’Isabelle Heullant-Donat, à savoir, en plus de l’article cité à la note ci-dessus, « À propos de la mémoire hagiographique franciscaine aux xiiie et xiv e siècle. L’auteur retrouvé des Memorialia de sanctis fratribus minoribus », Religion et société urbaine au Moyen Âge, Études offertes à Jean-Louis Biget, sous la direction de P. Boucheron et J. Chiffoleau, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 511-529 ; « Des missionnaires martyrs aux martyrs missionnaires : la mémoire des martyrs franciscains au sein de leur ordre aux xiiie et xiv e siècles », Écrire son histoire. Les communautés régulières face à leur passé, Actes du 5e colloque international du CERCOR (6-8 novembre 2002), Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005, p. 171-184. Il faut encore y ajouter l’organisation d’un colloque sur le thème « Qualification et pratique du martyre » (avril 2005) et une habilitation en cours sur ce sujet.

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est plus respectueux des critères valorisés par la curie dans le cadre des procès de canonisation. Le Speculum sanctorale apparaît alors comme un bon exemple de cette capacité des hagiographes médiévaux – des compilateurs en général – à faire du neuf avec de l’ancien. Mais le Speculum sanctorale est aussi une construction d’ensemble. L’agencement de chaque partie, la place de chaque légende est l’objet d’un choix, comme le montrent les tâtonnements dont se font l’écho les manuscrits de travail. Pas plus que la réécriture des Vitae, il ne saurait être dénué de sens. B– Le Speculum sanctorale : une matrice de la sainteté ? 1– Du Christ aux confesseurs, la structure de la sainteté a– L’organisation du légendier Une grande partie du prologue du Speculum sanctorale expose l’organisation du légendier93. Les travaux conduits par le Père Poncelet, Guy Philippart et surtout François Dolbeau94 sur cette question fournissent une grille de lecture commode, qu’il n’est pas inutile de confronter à la structure du légendier de Bernard Gui. D’abord, celui-ci conçoit son œuvre en quatre parties, respectivement consacrées aux fêtes du Christ, de la Vierge, aux apôtres et disciples, aux martyrs et enfin aux évêques, confesseurs et vierges. Cette disposition fait du Speculum un légendier systématique puisque, regroupant des saints de toute provenance, il propose une superposition de séries spécialisées95. Ces catégories sont différenciées et globalement homogènes, même si certains choix sont un peu étonnants ou dévoilent l’existence d’un doute : les Sept Dormants par exemple, sont classés parmi les martyrs, alors qu’ils n’endurent aucun supplice pour leur foi. Il est vrai, cependant, que leur mort paisible survient dans un contexte de persécution et que dans ce cas, Bernard Gui se conforme à la tradition qui voit dans les sept saints d’Éphèse des martyrs96. Dans le cas de 93   Voir le prologue du Speculum sanctorale, éd. Delisle, ouv. cité, p. 400-425 et chap. IV, p. 159 et suiv. 94   Respectivement, A. Poncelet, « Le légendier de Pierre Calo », AB, t. 29, 1910, p. 5-116 ; G. P hilippart, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, typologie des sources du moyen âge occidental, 24-25, éd. Brepols, Turnhout, 1977 (mis à jour en 1985) ; F. Dolbeau, « Notes sur l’organisation interne des légendiers latins », Hagiographie, cultures et société (iv exiie siècles), actes du colloque de Nanterre et Paris (2-5 mai 1979), éd. Augustiniennes, Paris, 1981, p. 12-31. 95   Il s’agit de la définition proposée par François Dolbeau : « les légendiers systématiques sont des recueils généraux qui associent en séries homogènes plusieurs légendiers catégoriels », art. cité, p. 16. 96   C’est ainsi que les considère la Légende dorée, voir A. Boureau, p. 37.

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saint Marcel, Bernard Gui ne sait pas trancher : le caractère embrouillé des éléments de sa légende génère une certaine hésitation qui le conduit à copier deux fois une Vie identique, dans la partie sur les martyrs d’une part, et dans celle dédiée aux confesseurs de l’autre. Ce doute ne le pousse pas à discriminer ses informations en fonction de deux catégories et à rédiger deux versions de la vita qui auraient été plus conformes aux parties dans lesquelles elles s’insèrent respectivement. Le légendier se compose donc de deux parties, réparties, selon les cas, en deux ou quatre volumes97. Cette organisation appelle plusieurs commentaires, pour la plupart classiques et bien connus. D’abord, le Speculum sanctorale isole les fêtes du temporal, ce qui tranche avec les solutions jugées innovantes auxquelles les autres hagiographes dominicains sont parvenus : l’intégration du temporal au sanctoral, imparfaite dans l’Abbreviatio de Jean de Mailly et dans le Liber epilogorum de Barthélemy de Trente, aboutit dans la Légende dorée98. Manifestement, Bernard Gui ne retient pas le fruit de ces recherches : outre qu’il revient à une division temporal/sanctoral, il privilégie, dans ce dernier, une vision catégorielle, et peut-être aussi hiérarchique99 des saints. Le développement du sanctoral est tripartite (apôtres/martyrs/confesseurs). Cette division ne semble pas très courante : François Dolbeau signale que la répartition catégorielle la plus courante est quadripartite100, c’est-à-dire qu’elle distingue les saintes femmes, que Bernard Gui inclut dans la quatrième partie avec les confesseurs. Par endroit, elle a pu être concurrencée par une organisation bipartite du légendier, fondée sur la seule distinction de la mort du saint (martyr/ confesseur). Dans les faits, elle est très rare, sans doute car elle implique une dissolution totale des apôtres dans ces deux catégories, ce à quoi les hagiographes médiévaux n’étaient visiblement pas résolus101. La division ternaire   Dans les manuscrits de Toulouse, les différentes parties du Speculum sanctorale sont groupées deux par deux dans deux volumes distincts (ms 480 et 481) alors que les parties démembrées contenues dans les manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (ms lat. 5406, 5407 et 9731) et d’Avignon (ms 296 et 297) montrent que le légendier s’est aussi transmis en quatre volumes différents. 98   Sur ce point, voir A. Boureau, « Barthélemy de Trente et l’invention de la Legenda nova », Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, a cura di S. Boesch Gajano, Fasano di Brindisi, 1990, p. 23-39 et J. de Voragine, La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, ouv. cité, p. xxxvii-xxxix. 99   Gui de Châtres, dans son Sanctilogium retient la même solution et réserve un livre entier de sa compilation au temporal : l’information se trouve dans F. Dolbeau, art. cité, p. 25, n. 28. 100   F. Dolbeau, art. cité, p. 16-17 : cette division est attestée dès le xie siècle et se développe aux xiie et xiiie siècles en France du Nord, dans les vallées de la Meuse et de la Moselle. Par ailleurs, cette quadruple différenciation est déjà mentionnée par Raban Maur dans un écrit sur la Toussaint, dans lequel il justifie la répartition entre apôtres, martyrs, vierges et confesseurs (voir sur ce point A. Boureau, ouv. cité, p. 33). 101   De ce point de vue, le légendier des ms 477, 478 et 479 de la BM de Toulouse paraît atypique : voir F. Dolbeau, art. cité, p. 17 et chap. V, p. 205 et suiv. 97

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du sanctoral ne semble pas non plus s’être imposée comme une solution opératoire : ni Guy Philippart, ni François Dolbeau n’en donnent d’autres exemples que celui du Speculum sanctorale. En dernier recours, il est possible que Bernard Gui s’y soit simplement résolu pour ne pas multiplier les volumes, ou peut-être même pour ne pas déséquilibrer la structure générale par la seule division de la quatrième partie. Après avoir annoncé l’organisation générale du recueil, le prologue du Speculum sanctorale expose la logique de classement interne des légendes à l’intérieur de chaque partie : celles-ci seront disposées per circulum anni, ce qui est bien sûr le choix le plus commun et le plus répandu. D’ailleurs, l’examen des manuscrits de travail, ou du moins qui conservent une première version du légendier, témoignent de retouches visant à une plus grande conformité du recueil avec cet ordre liturgique. On remarque encore que, lorsqu’il a des doutes, l’hagiographe a recours au martyrologe d’Usuard dans lequel il trouve la caution des dates qu’il propose102. Mais, derrière ce choix très classique exposé dans le prologue, émergent des représentations plus singulières, susceptibles de n’être relevées que par l’immersion dans chacun des volumes. La première concerne la réalité du classement per circulum anni. Mis à l’épreuve des faits, ce principe d’organisation ne va pas sans quelques entorses à une règle qui paraît pourtant simple. Les cas les plus nombreux de rupture de l’ordre liturgique se trouvent dans la seconde partie, consacrée aux apôtres et aux disciples, autant dire dans celle dont la notoriété des saints empêche a priori doutes et contestations de quelque nature que ce soit sur les jours de fête103. La partie consacrée aux apôtres et aux disciples débute avec la Vie de Jean-Baptiste (24 juin) et s’achève à la fête de Saint Barnabé (11 juin) ; on n’y constate aucune irrégularité dans l’ordre de succession des apôtres. À la suite de ce premier groupe de saints, sont insérées la fête de saint Luc (18 octobre) et celle de saint Marc (25 avril) puis celles d’un groupe de treize saints (de Saturnin à Simon) dont l’ordre ne suit plus la succession imposée par la liturgie. Les ruptures par rapport au projet énoncé sont donc nombreuses. Elles ne peuvent s’expliquer que par l’assujettissement de l’ordre per circulum anni à un autre type de classement. Bernard Gui introduit une hiérarchie des premiers compagnons du Christ, évoquée là encore dans son prologue : « ont été décrits   Les chapitres dans lesquels Bernard Gui a recours au martyrologe d’Usuard sont les suivants : dans la seconde partie, Pierre, Chaire de saint Pierre, Jacques le Majeur, Simon et Jude, André, Joseph, Nathanaël, Sylas, Cléophe, Simon ; dans la troisième partie, Apollonie, Mar et Marthe, Perpétue et Félicité, Longin, Éleuthère, Eutice, Victor et Marin, Marcellin et Pierre, Basilide, Cyrin, Nabor et Nazaire, Symphorose, Christophe, Abdon et Senen, Timothée et Apollinaire, Ruf, Maurice, Thècle, Eustache, Lin, Barbara ; dans la quatrième partie enfin, Machaire, Potentiane, Pétronille, Léon, Praxède et Jean Chrysostome. 103   Pour la clarté de l’exposé, voir le sommaire de cette seconde partie dans l’annexe 4. 102

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les actes des saints apôtres, leurs gestes et insignes trophées, en commençant par le premier des apôtres, Pierre, et son co-apôtre, Paul, puis les autres, dans l’ordre du calendrier, suivant le moment où l’Église célèbre la date de leur mort, auxquels s’ajoutent les deux évangélistes, à savoir Luc et Marc »104. En effet, la première série (de Jean-Baptiste à Barnabé) rassemble les apôtres, tandis que la seconde (Luc et Marc) unit les deux évangélistes qui ne sont pas apôtres. La dernière est composée des disciples du Christ, sans que l’on puisse pour autant trouver un motif convainquant pour comprendre leur classement aléatoire105. Bernard Gui superpose donc l’ordre calendaire à une vision hiérarchique des Élus. De plus, les entrées individuelles priment sur les commémorations liturgiques. Ce qui le montre, c’est que les célébrations multiples sont toujours situées non pas au jour de leur fête propre, mais en appendice de la fête du saint. C’est le cas par exemple pour les fêtes de la Chaire de saint Pierre ou pour la saint Pierre-aux-liens, associées à la Vie de l’apôtre, quand Jacques de Voragine les disperse aux endroits dictés par la célébration liturgique106. Dans le Speculum, au contraire, le classement liturgique est secondé par un classement hiérarchique. La seconde représentation du peuple des Élus que livre l’organisation du Speculum sanctorale porte sur la question de l’origine. Peu à peu, s’est imposée l’habitude de débuter le légendier hagiographique par les fêtes de l’Avent. Dans le cas du légendier de Bernard Gui, sa quadripartition l’oblige à réserver ce commencement à la première partie. Comment débuter les trois autres ? Là encore, son prologue fournit quelques éléments de réponse : il avoue, par exemple, débuter la partie consacrée aux apôtres par Jean-Baptiste car il fut le précurseur du Christ, et celle dédiée aux martyrs par saint Étienne, car il fut le premier de tous les martyrs. Autrement dit, chaque partie du Speculum sanctorale dispose d’un point de départ qui lui est propre et à partir duquel est déroulé le calendrier liturgique. Dans le cas de Jean-Baptiste et d’Étienne, le choix de les placer ainsi en première position s’appuie sur des critères qui sont plus historiques que liturgiques. Bernard Gui valorise la primauté, ce qui est

  Prologue du Speculum sanctorale, éd. L. Delisle, ouv. cité, p. 422 (Tercio vero describuntur sanctorum apostolorum actus et gesta et inclita trophea, sumendo exordium ab apostolorum principe Petro et coapostolo ejus Paulo, prosequendo de aliis per anni circulum, sub eodem ordine quo eorum natalicia in ecclesia celebrantur, adjungendo de evangelistis duobus, Lucha videlicet et Marcho) 105   Un éclairage, peu convaincant, est peut-être apporté par le prologue : Bernard Gui explique qu’il n’a pas eu entre les mains les actes de tous les disciples et prévient que cette partie du recueil pourra être, par la suite, complétée par d’autres. C’est donc peut-être cet aveu d’inachèvement qui l’a conduit à laisser en l’état une liste que, de toute façon, il jugeait incomplète. 106   Dans la Légende dorée, la Vie de saint Pierre correspond au chapitre 84, la Chaire de Pierre au chapitre 44 et la fête de saint Pierre-aux-liens au chapitre 106. 104

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une notion habituellement absente de l’organisation du légendier107, mais que la liturgie, par contre, transcrit par l’élévation de la solennité de la fête. Au bout du compte, l’organisation du Speculum sanctorale est plus complexe que Bernard Gui ne veut bien l’avouer. Les critères (liturgique, hiérarchique et historique) ont tendance à se superposer108. Dans quelle mesure ce qui vaut pour l’organisation interne de chaque partie peut influer sur l’interprétation globale du légendier ? b– Hiérarchisation des Élus ou histoire de la sainteté ? Puisque l’organisation interne de chaque partie du Speculum sanctorale dévoile, en réalité, des logiques diverses, qu’est-ce qui empêche de penser que Bernard Gui a subtilement multiplié les lectures possibles de l’intégralité de son recueil ? Voyons donc quels pourraient être les sens multiples associés à l’organisation du légendier. Le premier est évident : séparer les apôtres, des martyrs et des confesseurs relève, avant tout, d’un principe hiérarchique et d’un classement du monde des Élus en fonction de leurs mérites, c’est-à-dire essentiellement de leur proximité avec le Christ, d’une part, et de la nature de leur mort de l’autre. Cette conception est extrêmement classique et répandue : c’est celle des litanies des saints, mais aussi des inventaires de reliques, si bien que pour un clerc du xive siècle, ce classement tient presque de la réminiscence. En même temps, le choix de Bernard Gui de fixer des origines d’ordre historique aux deuxième et troisième parties109 pousse à ne pas négliger l’hypothèse qu’il ait aussi voulu inscrire son Miroir des saints dans le temps de l’Église et des hommes. On ne peut nier, en effet, que faire se succéder les fêtes du Christ, puis celles des apôtres, des disciples et des martyrs relève aussi en partie d’une logique d’historiographe. C’est ainsi que Vincent de Beauvais les place dans sa chronique universelle. Si le Christ marque le temps des origines, les apôtres et les disciples sont ceux qui lui survivent et diffusent sa parole. Les difficultés des premiers temps fournissent des martyrs jusqu’à ce que les persécutions cessent, ouvrant alors l’ère des confesseurs. C’est sans doute très banal que de

107   On connaît des exemples de légendiers organisés selon la chronologie des Vies de saints, comme celui de Bernardo de Brihuega ou de Juan Gil de Zamora (voir F. Dolbeau, art. cité p. 18). Mais le choix de Bernard Gui n’est pas exactement assimilable à ces exemples car la chronologie ne prévaut que pour le choix d’un commencement et est abandonnée par la suite pour la succession des légendes. Ce n’est donc pas tant une utilisation de la chronologie qu’une réflexion sur les origines. 108   François Dolbeau l’avait déjà souligné : la réalité se plie mal au cadre strict de la logique et les catégories ne sont pas toujours étanches (art. cité, p. 20-21). 109   Le commencement de la quatrième partie (fête de saint Sylvestre) relève davantage d’un argument liturgique puisque c’est la première Vie qui suit l’Avent.

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le dire, mais cette classification des types de sainteté renvoie à une lecture de l’histoire de l’Église. Ce qui l’est moins sans doute, c’est de considérer comme possible le fait que l’hagiographe ait pu aussi adopter ce point de vue. Cette hypothèse a, cependant, contre elle un certain nombre d’éléments. Deux surtout ne doivent pas être négligés : d’abord, les remarques faites plus haut sur la différenciation de l’écriture hagiographique et historique de Bernard Gui ; ensuite, la vision historique du peuple des saints suppose que toutes les catégories antérieures au moment où écrit l’hagiographe soient closes. Si c’est bien sûr le cas pour les apôtres, il n’en va pas de même pour les martyrs, puisque c’est muni de la palme que Pierre de Vérone rejoint les Élus. Mais ceci posé, il reste d’autres indices, qui indiquent que l’hypothèse d’un légendier-miroir de l’Église mérite d’être prise en considération. D’abord, le Speculum sanctorale est doté de deux appendices : une chronologie des papes, et une chronologie des empereurs. De cette manière, le légendier se trouve corrélé à deux entités qui incarnent totalement, au Moyen Âge, l’horizon universel. Ensuite, on ne peut pas négliger la dimension eschatologique qui est traditionnellement associée aux specula médiévaux110, et parmi eux, comment ne pas penser que Bernard Gui avait en mémoire le Speculum de Vincent de Beauvais, ce grand miroir du monde qui dépeint l’histoire de l’homme de sa chute jusqu’à la fin des temps ? Dans une optique relativement proche, le légendier de Bernard Gui reprend aussi les modes de sainteté qui se sont succédés pour conduire les hommes vers le salut. Cette interprétation a l’avantage de donner toute sa place à la catégorisation qu’effectue Bernard Gui à l’intérieur de la seconde partie, l’ordre liturgique étant du coup relégué au statut d’un simple paramètre de classement usuel, destiné à faciliter la consultation du recueil. Elle permettrait aussi de comprendre pourquoi il privilégie un triptyque, quand ceux qui ont retenu la hiérarchie des saints comme principe d’organisation ont presque systématiquement opéré une division quadripartite des légendes. Ce faisant, ils distinguent les saintes femmes des confesseurs, ce qui pouvait se justifier d’un point de vue spirituel ou doctrinal. En revanche, cette séparation a nettement moins de sens si l’on se place dans l’optique de ce qu’est la sainteté contemporaine au temps du Speculum sanctorale. Enfin, le fait que Bernard Gui évacue fréquemment les données de l’histoire pour écrire en hagiographe n’est pas totalement un obstacle à cette interprétation du légendier comme matrice globale d’une histoire de la sainteté. L’échappatoire se 110   On verra, à titre d’exemple, le Speculum humanae salvationis, composé au début du xiv e siècle en milieu dominicain. Selon la méthode classique, il décrit l’histoire de la Chute et de la Rédemption. Dans ce cadre, l’histoire universelle, jusqu’à la venue du Sauveur, est comprise comme une préfiguration de la Vie du Christ jusqu’à ce qu’il rachète le monde. Sur cette œuvre, voir P. P erdrizet, Étude sur le Speculum humanae salvationis, Paris, H. Champion, 1908).

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trouve dans la distinction entre écriture et projet : Bernard Gui a tout aussi bien pu vouloir donner des repères historiques à ses légendes sans pour autant les écrire sur le mode d’une simple chronique. Ce qui montre d’ailleurs que ce dominicain a pu avoir la conviction qu’il était utile, à l’édification, d’inscrire les Vies de saints dans une longue chronique de l’Église, c’est le fait qu’il fasse suivre son immense légendier de deux appendices : une chronique abrégée des papes et une autres des empereurs, de l’origine de ces deux institutions jusqu’au moment où il écrit. Or, le caractère universel de la papauté d’une part, de la notion d’empire de l’autre, est éminent. Il y a donc une mise en abyme des légendes hagiographiques, lesquelles valent pour elles-mêmes mais encore pour leur témoignage dans le cadre d’une époque donnée et révolue. Dans ce schéma, chaque modèle de sainteté, en réponse à un contexte spécial, répond à une attente particulière et participe de la progression de l’Église vers le Salut. Si, en vertu de la construction d’ensemble, et de l’intérêt porté au commencement de chaque partie, on privilégie effectivement une lecture historique (et, au fond, eschatologique), qu’en est-il du terme de l’œuvre, lequel pourrait correspondre à une époque plus ou moins contemporaine de la rédaction du recueil ? 2– L’ultime sainteté ? Le Speculum sanctorale s’achève sur la copie partielle de deux recueils consacrés aux Pères du désert : les Vitae Patrum de Jérôme-Rufin (BHL 6524), et celles d’Héraclide (BHL 6532-6534). La copie est imposante, puisque Bernard Gui donne le récit des vies de trente-trois figures de l’érémitisme oriental, soit plus du double par rapport au nombre de chapitres que leur avait déjà consacré Jacques de Voragine. Cette situation laisse penser que les innovations de la Légende dorée, tout en répondant à un besoin réel, étaient déjà jugées insuffisantes, puisque de ce point de vue encore, le Speculum sanctorale approfondit et radicalise les choix de l’archevêque de Gênes. Ces trente trois Vies, ne sont pas répertoriées comme telles dans le sommaire du légendier : Bernard Gui les présente sous le titre de leur recueil d’origine, ce qui, dans le Speculum, est un cas unique (il n’a pas eu l’idée, par exemple, de présenter la Vie de saint Benoît sous le titre des Dialogues de Grégoire le Grand). La première idée est d’y lire la volonté de mettre en avant les auteurs de ces deux collections. Cela peut se comprendre, si l’on pense aux appendices d’ordre bibliographique et à la vocation encyclopédique du Speculum sanctorale. Cependant, cette interprétation, d’ordre essentiellement formel, ne convainc pas totalement, puisque l’examen du sanctoral a montré que, chaque fois qu’il le peut, Bernard Gui fait en sorte de désolidariser des saints

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que la tradition hagiographique avait unis en une seule légende111. S’il ne le fait pas ici, ce n’est donc pas seulement pour des motifs liés à la présentation encyclopédique de l’ouvrage, auquel cas il aurait généralisé cette formule. Ici, le traitement est donc particulier. Bernard Gui a manifestement souhaité accroître encore l’homogénéité d’un groupe de saints déjà liés par une communauté de vie. Ce faisant, et contrairement à Jacques de Voragine, il montre aussi qu’il a été sensible au rapprochement réalisé, par la tradition littéraire, entre ces différentes figures de l’érémitisme oriental. Enfin, le traitement groupé des deux recueils consacrés aux Pères du désert accroît l’effet de masse. Leur rejet à la fin de la quatrième partie s’explique d’abord par l’impossibilité de les inscrire dans l’ordre calendaire (beaucoup n’ont pas de fête propre). Cependant Bernard Gui inclut dans ce groupe des saintes que Jacques de Voragine avait su attacher à une fête et donc placer ailleurs dans son légendier112. Dans ces conditions, on peut se demander si l’hagiographe n’a pas aussi souhaité mettre en avant une catégorie singulière de saints et renforcer ainsi la présentation thématique des modèles de sainteté. On a déjà longuement relevé la relation analogique qu’ont cultivée avec les Pères du désert, les mendiants en général, et les prêcheurs en particulier. Dès lors, comment ne pas considérer qu’un processus d’identification, porté par le discours officiel de l’ordre, ait aussi joué un rôle dans la vision de la sainteté que colporte le légendier ? Celui-ci, d’ailleurs, se définit comme un miroir, ce qui implique non seulement la fidélité au modèle, mais aussi une dimension récapitulative. Le miroir, c’est en effet ce qui permet d’assembler des plans situés en arrière de celui qui se regarde113. L’assimilation des Pères du désert aux prêcheurs conforte la possibilité d’une lecture historique et eschatologique du légendier : après les apôtres et les disciples qui ont connu le Christ, après les martyrs qui sont morts pour lui, et les confesseurs qui s’illustrent par leurs Vies, le renouveau de la sainteté, celle qui conduira efficacement les hommes au salut, est incarné par les ordres mendiants. Cette dynamique se construit sur la réactualisation constante de la vie du Christ : la souffrance de la Passion est revécue par les martyrs, l’ascétisme par les moines et les évêques, le pouvoir de la parole et, dans une moindre mesure, le dépouillement, par les frères.

  C’est le cas, on l’a vu, des saints Marc et Marcellien, tirés de la Passion de saint Sébastien, de Tiburce et Valérien, issus des actes de sainte Cécile, etc : voir p. 250 et suiv. 112   C’est le cas de Thaïs par exemple ou de Pélagie. 113   Cette position réflexive du miroir, et surtout, l’adéquation de cette notion à la réalité de la littérature médiévale, sont exposées par C. Connochie-Bourgne, « Miroir ou Image… Le choix d’un titre pour un texte didactique », Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale, sous dir. de F. Pomel, coll. Interférences, éd. Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2003, p. 29-38. 111

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Cette organisation catégorielle témoigne de la continuité de l’action divine114 en même temps qu’elle inclut la représentation qu’avaient les mendiants de leur rôle dans l’Église. La réécriture, si elle est d’abord un travail sur la forme, a aussi des enjeux au fond. Celle que propose Bernard Gui n’est pas toujours simple à saisir. Son ambition de restituer les textes longs, avec finalement peu de retouches (il y a une suprématie de l’élagage sur la reformulation comme le montre le volume d’analyse du Speculum) brouille les pistes et plaide, d’abord, en faveur d’une répétition du discours sur la sainteté, tel qu’il s’est forgé dans la source copiée. Cette attitude est un obstacle qu’il ne faut pas négliger lorsque l’on recherche dans son légendier les indices d’une réactualisation du message en vue de l’édification du lecteur. Le danger est toujours de dénaturer le sens réel des légères inflexions, en pratiquant la surinterprétation. C’est pour cette raison que le parti privilégié fut d’exposer des interprétations alternatives, faute de certitudes. Les éclairages les plus francs viennent d’ailleurs de la confrontation des textes de Bernard Gui avec les choix de ses prédécesseurs. Ceci posé, quel tableau brosse le Speculum de la sainteté ? D’abord, l’évangélisme – et principalement le choix de la pauvreté – est gommé des critères de la sainteté contemporaine, ce qui rejoint le constat dressé par Jacques Paul sur des sources moins spécifiquement hagiographiques, comme les Vitae fratrum et la chronique des Chronique des XXIV maîtres généraux de l’ordre franciscain. Parallèlement, la présentation des listes d’ouvrages comme des témoins d’exemplarité, déjà présente dans les œuvres de Vincent de Beauvais et de Jacques de Voragine, est ici relayée et développée. Au premier abord, le miracle ne connaît pas un traitement différent de celui qui était le sien dans la Légende dorée. Mais la comparaison entre réécriture des Vies et collection de miracles dénote un intérêt accru pour les premières et, par déduction, un changement du statut accordé aux faits prodigieux dans la manifestation de la sainteté. L’exemplarité d’un ou deux cas se substitue à la collection exhaustive, ce qui est un acquis de la legenda nova. Enfin, pour celui qui cherche à comprendre les ressorts de la sainteté qu’expose le Speculum sanctorale, l’organisation de la matière est un témoin qu’il ne faut pas négliger. L’hagiographe ne collectionne pas aléatoirement les Vies de saints. Il pense leur articulation, et en cela, propose une lecture globale de la sainteté. Celle de Bernard Gui repose sur trois logiques, puisqu’il superpose

114   Sur cette notion, voir M. Van Uytfanghe, « Le culte des saints et l’hagiographie face à l’Écriture : les avatars d’une relation ambiguë », Santi e demoni nell’alto medioevo occidentale (secoli v-xi), Settimani di studio XXXVI, Spolète, 1989, p. 156-202, spécialement p. 185.

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de façon certaine l’ordre liturgique et l’ordre hiérarchique, auxquels on propose d’ajouter une vision eschatologique des « moments » de la sainteté et de l’inscription des prêcheurs dans ce parcours.

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conclusion de la deuxième partie

Le Speculum sanctorale : un légendier pour l’ordre et pour l’Église La seconde partie de ce travail s’est donc attachée à décrypter le Speculum sanctorale, sans toutefois négliger la confrontation avec les collections dominicaines antérieures. On a envisagé tour à tour les intentions de l’œuvre – à partir du prologue et des manuscrits de travail –, son écriture – comprise d’abord comme une réécriture de Vies et Passions anciennes –, puis les conséquences de celle-ci, tant sur le rôle confié à l’hagiographie que du point de vue de la vision de la sainteté. Au bout du compte, il apparaît que la dialectique nouveauté/continuité traverse toute l’œuvre. L’enjeu fondamental est celui de la juste mesure entre une identification à la politique éditoriale de l’ordre, gage de cohérence et de reconnaissance, et la prise en compte de nouvelles attentes. Le premier apport est sans doute l’idée que si le prologue du Speculum sanctorale stigmatise l’abrégé, si, à demi mots dans la préface, puis indirectement grâce au jugement porté par un tiers, on comprend que le Speculum sanctorale est entrepris comme une révision de la Légende dorée, les points communs et les marques de reconnaissance avec l’œuvre de Jacques de Voragine, mais aussi avec le corpus dominicain en général, sont incontestables. Trois séries d’éléments le montrent de manière définitive : d’abord, la comparaison systématique des légendes du Speculum sanctorale avec celles des autres recueils hagiographiques dominicains fait émerger plusieurs cas dans lesquels Bernard Gui privilégie une réécriture médiane entre la longueur de sa source et l’abrégé drastique de la Légende dorée. En soi, cette solution n’a rien d’étonnant dans la mesure où elle se conforme exactement aux intentions exposées dans le prologue. Cependant, une analyse de détail montre que Bernard Gui s’impose d’intégrer dans sa réécriture des expressions ou des tournures qui étaient présentes dans les textes de Jacques de Voragine. Cette solution, contraignante du point de vue de la forme et souvent inutile sur le plan du contenu, évoque la volonté d’éta-

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blir un effet de citation entre la nouvelle réécriture dominicaine et un modèle pourtant contesté. Ensuite, Bernard Gui, zélateur d’un retour à des textes moins condensés, qualifie d’ « abbreviatis » plusieurs des Vies et Passions de son Speculum sanctorale, copie des chapitres entiers des Vies abrégées par Vincent de Beauvais et enfin avoue plus d’une fois la nécessité dans laquelle il s’est trouvé de réduire les sources qu’il avait entre les mains. Si ces éléments ne discréditent pas les intentions du prologue (ils sont minimes par rapport aux cas de retour à des textes amples), à tout le moins ils les nuancent sérieusement. Bernard Gui n’est pas hostile à l’abrègement des Vies de saints. Outre l’aspect pratique qu’il y avait pour lui à copier d’abord les textes dominicains, la perspective de s’affilier ainsi à une identité hagiographique de l’ordre ne doit pas être négligée : elle est révélée non seulement par la copie littérale des textes de ses devanciers, mais encore par le respect scrupuleux des préconisations d’Humbert de Romans, hissées au rang de cadre éditorial. La volonté de relayer certains des choix antérieurs se comprend comme la conscience vive de l’existence d’un fonds commun, un support de reconnaissance en quelque sorte, lequel n’est pas renégociable. Ainsi, la dimension grégaire de l’écriture hagiographique, tôt perçue dans la production des frères prêcheurs, subsiste, alors même que le projet d’ensemble a sensiblement varié. De ce point de vue, il peut être utile d’insister sur la portée réelle du phénomène de copie, témoin historique d’enjeux plus complexes que la seule reproduction de textes. Parallèlement, l’analyse des « écarts » du Speculum par rapport à ses modèles dominicains met en lumière un désir d’approfondissement et d’actualisation du légendier. Bernard Gui, en effet, généralise les apports de la seconde version de la Légende dorée : plus régulièrement que son modèle, il complète les Vies de saints par des citations et des références patristiques. Dans ce cadre, l’instrumentalisation des recherches bibliographiques d’Humbert de Romans est aussi plus systématique et plus rigoureuse. Ce faisant, il donne naissance à une encyclopédie hagiographique. La matière est triée, présentée, ordonnée, munie de tables et d’outils qui en facilitent la consultation. Si le Speculum historiale a pu être une référence efficace et prestigieuse, Bernard Gui a pu vouloir en donner une version spécialisée, dans laquelle les saints seraient traités pour eux-mêmes, et non pas dissous dans une vaste matière historiographique. Cette spécialisation du légendier, se lit aussi dans un rétrécissement de la légende aux seuls textes fiables et orthodoxes. Le rejet des apocryphes, amorcé par Jacques de Voragine dans le remaniement de sa Légende dorée, est ici appliqué à la lettre, tandis que la distanciation de l’hagiographie par rapport à l’histoire produit une véritable réflexion sur le vrai. Dans cette évolution, le contexte inquisitorial n’est naturellement pas sans effet. On aimerait pouvoir mieux déterminer si ces données font partie des exigences du seul Bernard

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CONCLUSION

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Gui ou s’il faut les attribuer à Bérenger de Landorre, ce qui, bien sûr, changerait la portée de l’entreprise. Le Speculum sanctorale, enfin, porte les marques de l’évolution intellectuelle et scolaire de son temps. C’est le premier légendier de l’ordre à utiliser les chaînes de commentaires patristiques forgées par Thomas d’Aquin. D’autre part, la réhabilitation, contre l’abrégé, de Vies parfois très longues, ne peut pas être perçue comme un retour en arrière : le découpage en paragraphes montre une adéquation à l’enseignement scolastique et à la rénovation, toute récente, de la lecture du texte biblique. Ainsi, un grand nombre des choix effectués par Bernard Gui doivent être situés dans la lignée des productions de son ordre, soit qu’il les reconduise, soit qu’il les renouvelle. Cela n’autorise pas, pour autant, à réduire à ce public l’ambition d’un imposant recueil. Manifestement, certaines réécritures sont établies dans le but de mieux se conformer aux critères de sainteté privilégiés par la curie romaine au moment où Bernard Gui rassemble sa collection. Dans cette optique, le public visé est plus large que les seuls frères prêcheurs. Si la dédicace au pape Jean XXII est, évidemment, un indice important, il est difficile à utiliser dans la mesure où on ne peut discerner si l’initiative en revient à l’hagiographe ou au commanditaire. Sur ce point, la faible diffusion du manuscrit est un obstacle pour comprendre les enjeux de sa réception. Ceci dit, l’ampleur du sanctoral, son caractère partiellement détaché des sanctuaires locaux, ses liens, par le biais des martyrs notamment, avec le calendrier de l’Église romaine, tout cela laisse penser qu’à la demande de Bérenger de Landorre, Bernard Gui a composé un légendier de facture dominicaine, à visée universelle. Ceci, d’ailleurs, n’a rien d’étonnant et correspond bien à la mission et au rôle que se réservent les dominicains dans l’Église.

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Troisième partie

Du local à l’universel, et retour

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La confrontation systématique du Speculum sanctorale avec les légendiers dominicains antérieurs montre donc tout ce que doit Bernard Gui à la réflexion hagiographique conduite dans son ordre, et comment il la fait évoluer. Un grand nombre de formes de reconnaissance associées au choix des textes et, dans une moindre mesure, à leur mise en œuvre, sont lisibles dans sa collection. Parallèlement, Bernard Gui est soucieux de relayer le regard de la curie sur les critères de la sainteté, ce qui témoigne d’un élargissement des objectifs fixés au légendier, sans pour autant déjuger les positions privilégiées par ses prédécesseurs. Cette confrontation du Speculum sanctorale avec la Légende dorée, ou encore avec les chapitres hagiographiques du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, était inévitable et ce pour plusieurs raisons : elle est d’abord dictée par les affirmations du prologue ; elle est ensuite liée à l’origine de la commande qui impose de qualifier le recueil en tant que légendier d’ordre. Enfin, de manière beaucoup plus large, on ne voit pas bien comment l’analyse d’une œuvre peut occulter le contexte intellectuel qui l’a vu naître. Ceci dit, une autre dimension semble ne devoir pas être ignorée : celle de l’articulation du grand légendier d’ordre avec les traditions hagiographiques locales. Dans le second xiiie siècle, on l’a vu, cette question fournit un angle d’approche opératoire pour saisir l’évolution de la production hagiographique dominicaine : l’assise locale du légendier s’élargit peu à peu, puis disparaît au bénéfice de l’uniformisation liturgique. Comme elle, le sanctoral universel garantit la cohérence de l’ordre. Mais tout en se conformant à ces acquis, le Speculum sanctorale ne dédaigne pas totalement réintégrer quelques figures insignes de la sainteté locale. Ce point n’a pas échappé aux études monographiques qui ont utilisé le Speculum sanctorale. Il est intéressant de relever que les Vies du Speculum sanctorale qui ont été éditées ou inventoriées pour elles-mêmes dans la BHL, sont des légendes de saints méridionaux1. Le phénomène s’explique en partie par le fait que, dans beaucoup de ces dossiers hagiographiques, le texte du Speculum   Pour ce qui est des éditions de Vitae, voir, dans le répertoire des sources, aux Vies de saint Amand, saint Junien, saint Flour, saint Fulcran de Lodève, saint Géraud d’Aurillac, saint Germier évêque de Toulouse, saint Léonard de Limoges, saint Papoul, saint Pardoux et saint Privat de Mende. Pour ce qui est des Vies méridionales du Speculum sanctorale indexées dans la BHL, voir les numéros 3486 (Vie de saint Germier), 6454 (Vie de saint Papoul), 6971-6972 (Vie de saint Prosper d’Aquitaine), 7461-7462 (Vie de saint Sacerdos, évêque de Limoges). 1

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TROISIÈME PARTIE

sanctorale est souvent l’unique témoignage médiéval. Il n’en reste pas moins que cette situation, associée à l’intention affichée dans le prologue d’ouvrir le sanctoral à des Vies jusqu’ici négligées, conduit à considérer Bernard Gui presque exclusivement comme un hagiographe méridional. Il n’est évidemment pas question de renier ce qui tient encore de l’évidence, un siècle après le rattachement du comté de Toulouse à la couronne de France. En tout cas, il n’est pas certain que les réécritures des Vies des saints du Midi inscrites dans le Speculum sanctorale soient dictées par l’impérieux besoin d’afficher un régionalisme forcené. En effet, dès que l’on n’oublie pas que Bernard Gui a rédigé d’autres opuscules hagiographiques que son immense légendier, on prend la mesure de toute la retenue du projet, du point de vue de la place qui est faite aux cultes vivaces en Languedoc. Dès lors, il semble que le légendier se comprend aussi par ses marges, c’està-dire ici, par les points de contact entre le Speculum sanctorale et les autres opuscules hagiographiques composés par Bernard Gui. D’abord, la dialectique inclusion/exclusion est un moyen de comprendre les limites, ou les enjeux du processus d’universalisation, qui parcourt tous les légendiers dominicains : quelles légendes locales, connues de Bernard Gui, voire rédigées par lui, entrent dans la Speculum sanctorale ? Lesquelles, au contraire, en sont exclues ? Ensuite, intégrer un saint local dans l’immense collection offerte au pape ne signifie pas pour autant l’y inscrire spécialement en tant que saint local : le procédé de réécriture, la recherche d’informations nouvelles, peuvent fournir l’occasion de réorienter la lecture des Vies de saints, de gommer les particularismes les plus forts de leur légende. Le fond du problème est bien la destinée du processus d’universalisation du légendier, et dans une moindre mesure, de la liturgie : dans le premier tiers du xiv e siècle, le contexte peut être profitable à un changement d’horizon de l’hagiographe : d’un côté, sous couvert d’encyclopédisme, le sanctoral des nouveaux légendiers se gonfle de très nombreux ajouts ; de l’autre, la densification du réseau conventuel et le développement des cultes civiques urbains ont pu commander aux prêcheurs de mieux tenir compte des dévotions communautaires locales. Enfin, ce jeu d’intégration et d’appropriation n’est pas à sens unique. La Légende dorée réussit le tour de force de s’adresser à la fois aux frères et au public de leur sermon en accompagnant les Vies de saints de distinctiones et d’autres développements à vocation pastorale. Cette attitude n’est pas celle que retient Bernard Gui2. En revanche, les

  L’analyse du Speculum sanctorale a montré que les cas où il reprend les distinctiones de Jacques de Voragine sont rarissimes, et quand il le fait, son développement est souvent très incomplet (c’est le cas notamment de la Passion de saint Jean-Baptiste, la fête de la Chaire de saint Pierre, la fête de saint Pierre-aux-liens ou la Vie de Matthieu).

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introduction

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Vies de certains saints de l’ordre lui ont parfois fourni l’occasion de montrer comment il envisageait l’adéquation avec les attentes des fidèles, à l’extérieur de l’ordre. Il s’agit désormais de déplacer l’étude du légendier de l’intérieur de l’ordre vers son interface principale, c’est-à-dire le contact des frères avec le monde, puis de voir comment le légendier articule la sainteté de l’Église à celle des Églises. L’écriture du Speculum sanctorale est envisagée cette fois à la lumière des choix faits par l’hagiographe dans le cadre de collections plus modestes, mais surtout extérieures aux contraintes de la commande. Les choix effectués par Bernard Gui lorsqu’il est au service de son ordre peuvent être mis en perspective avec ses intérêts propres, ce qui n’est guère possible dans le cadre des autres légendiers dominicains, pour s’en tenir à eux. Dans un premier temps, ce sont les différents points de contact du légendier qui seront examinés : comment dans le Speculum sanctorale, se combinent les dévotions de l’ordre avec celles des lieux où sont implantés les couvents ? N’y a-t-il pas eu, à un moment ou à un autre, la tentation de faire un pas vers l’« autre », soit pour diffuser à l’extérieur une vision dominicaine de la sainteté, soit pour prendre acte de cultes particuliers et communautaires, qu’il pouvait être utile d’instrumentaliser pour asseoir le rôle des prêcheurs dans la cité ? Par ailleurs, la prise en compte des opuscules hagiographiques compilés par Bernard Gui avant le Specuclum sanctorale sont un contre point dont on ne saurait se passer : la confrontation des deux recueils permet en quelque sorte de définir une marge entre les éléments de la sainteté locale qui peuvent intégrer un légendier d’ordre et ceux qui en sont irrémédiablement exclus. Quelle limite existe-t-il entre les deux types d’écriture hagiographique, et par ailleurs, quelles concessions Bernard Gui doit-il faire à sa curiosité personnelle lorsqu’il écrit à la demande du maître de l’ordre ?

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chapitre premier

L’ordre, les frères et le monde : la multiplication des interfaces La seule justification que donne Bernard Gui à la rédaction d’un nouveau légendier est d’ordre formel : il s’agit d’écrire plus longuement un plus grand nombre de Vies de saints. Préoccupations pastorales et autres motifs d’édification, situés au seuil de l’Abbreviatio de Jean de Mailly ou du Liber epilogorum de Barthélemy de Trente sont ici totalement absents. Parallèlement, le relatif désintérêt pour les développements pastoraux inclus dans la Légende dorée, comme la dimension encyclopédique du volume, obstruent quelque peu les relations que l’on était en droit d’établir entre légendier et sermon, en milieu mendiant. Masquée par d’autres objectifs, comme l’exhaustivité ou la recherche du texte juste, cette dimension n’est peut-être pas totalement absente du Speculum sanctorale. L’ouvrage en effet, même s’il s’adresse essentiellement à des prêcheurs, dévoile quelque chose de leur conception des rapports avec l’extérieur de l’ordre. À lui seul, le phénomène d’universalisation est déjà un discours sur les rapports de l’ordre au monde. Or, dans ce premier tiers du xiv e siècle, le contexte est sensiblement différent : la cohérence de l’ordre, enjeu central après la dispersion des frères et la réforme liturgique, n’est plus une nécessité aussi urgente, car elle est désormais bien établie. Il se peut, alors, que l’ouverture du sanctoral et la multiplication des points de contact n’aient plus été vécues comme un « danger ». Dans cette optique, il faudra voir d’abord, à partir de quelques exemples, ce que recouvre, dans le Speculum sanctorale, la notion de « saint d’ordre » et comment s’y est développée la tentation d’en faire des saints assimilables par tous. Ensuite, la mise en perspective du Speculum sanctorale par rapport aux opuscules hagiographiques à vocation particulariste composés par Bernard Gui, est un moyen de comprendre le regard qu’a porté ce dominicain sur la sainteté locale, différent selon qu’il écrit pour satisfaire sa curiosité ou à la demande du maître de l’ordre. La confrontation montre d’ailleurs que les frontières, entre ces deux types de collections, ne sont pas totalement hermétiques, signe que le légendier, par sa vocation encyclopédique, a pu aussi satisfaire un besoin d’ouverture, et peut-être de retour à la

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sainteté locale. Enfin, l’approfondissement de l’insertion urbaine, comme l’accès de plus en plus fréquent des dominicains à l’épiscopat, ont pu jouer un rôle dans cette évolution : après une utile phase d’uniformisation, la prise en compte des cultes civiques est un enjeu de l’intégration urbaine et du maintien d’une position dominante. A– Les saints de l’ordre : des saints pour tous 1– S aint Édouard et saint Wenceslas : de l’assimilation dominicaine aux figures universelles Après l’uniformisation de la liturgie, les actes des chapitres ont accepté d’élargir le sanctoral de l’ordre par l’inscription de nouveaux saints1. Ces décisions sont déterminées par trois types de motivations : la prise en compte de l’actualisation par l’Église romaine des catalogues de confesseurs (elle est évidente dans le cas de saint Louis), l’approfondissement des caractères propres à la vie mendiante, comme le renoncement aux biens, incarné par saint Alexis, et le choix d’une vie active plutôt que contemplative, illustré par sainte Marthe, mais aussi le potentiel supranational des cultes voués aux saints que l’ordre choisit d’intégrer. Ce dernier point trouve une mise en œuvre singulière dans les cas de saint Édouard, roi d’Angleterre, et de saint Wenceslas, duc de Bohême. Ces deux saints en effet reflètent initialement les contours d’une sainteté royale, au caractère fortement régional, voire national. Si tous les deux sont reconnus saints par leur dévotion et leur piété personnelle, les premiers rédacteurs de leur Vie ont d’abord mis l’accent sur le caractère conflictuel de leur règne, de sorte que c’est la lutte pour faire admettre leur légitimité qui leur confère l’auréole, le texte hagiographique assimilant, à l’envi, opposants politiques et relents de paganisme, dans deux régions qui restent des marges de la chrétienté2. En intégrant Wenceslas et Édouard à son calendrier et à sa liturgie, l’ordre des prêcheurs prend acte de sa présence dans ces régions. C’est, par exemple, au profit de la réunion du chapitre général à Londres, en 1263, qu’est examinée l’introduction de saint Édouard à l’office3, et c’est d’abord aux   Il s’agit de saint Alexis, saint Ignace, sainte Marthe, saint Louis, saint Édouard et saint Wenceslas. Sur les actes des chapitres qui décident leur inscription au calendrier de l’ordre et sur la rédaction de leur office respectif, voir le chap. II. 2   Sur cette dimension du culte de saint Wenceslas, voir G. K laniczay, « Ordini religiosi e culti dei santi nella costruzione delle indentità territoriali nell’ Europa centrale », Vita e identità politiche : universalità e particolarismi nell’Europa del tardo Medioevo, éd. S. Gensini, Pise, 1998, p. 83-105. 3   Quod fiat festum trium lectionum de beato Eduardo et magister ordinis provideat de officio et de die, éd. B-M R eichert, I, ouv. cité, p. 120. 1

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frères du couvent de Bohême qu’est confiée la réunion des pièces nécessaires à la rédaction des leçons liturgiques consacrées à saint Wenceslas4. L’inscription de ces deux nouveaux saints au calendrier est alors clairement conditionnée au fait que ces Vies, aux accents par trop particularistes, doivent désormais se conformer à la vision dominicaine de la sainteté. Sous couvert d’adaptation de ces légendes aux nécessités de la lecture liturgique, les réécritures de ces textes gomment les éléments d’histoire nationale, ce qui permet l’assimilation de nouveaux saints par l’ordre, sans compromettre sa construction et son discours suprarégional. Dès lors, les frères anglais, ceux de Bohême, comme ceux des contrées les plus méridionales de l’Europe, liront la même Vie de saint Édouard ou de saint Wenceslas. Cette volonté de garantir, au-delà de l’appropriation, la cohérence de l’ordre et l’uniformité de l’office n’a pas de quoi étonner. C’est la caractéristique propre de la liturgie, et on a vu que la réforme conduite par Humbert de Romans l’avait développée à un degré jusque-là inconnu dans les liturgies d’autres ordres religieux. Comment comprendre cependant que le légendier se conforme aussi à cette logique ? Bernard Gui inscrit saint Wenceslas et saint Édouard au sommaire de sa collection5, ce qui est normal, puisqu’il écrit après les chapitres qui les font entrer dans le sanctoral de l’ordre. Pour ces deux chapitres, l’hagiographe reprend à la lettre le contenu du lectionnaire6, autrement dit, il n’a pas recherché, pour eux, d’autres sources, plus amples que les seules leçons de l’office, alors qu’il le fait pour saint Alexis, saint Ignace, sainte Marthe et saint Louis, eux aussi tardivement intégrés au lectionnaire dominicain7. Pour être tout à fait complet, il faut préciser qu’à l’issue de la Vie de saint Édouard, Bernard Gui avoue l’échec de ses recherches et annonce qu’il ne désespère pas de trouver, un jour, une Vie plus détaillée du roi d’Angleterre : « Nous n’avons pu avoir entre les mains une vie complète de saint Édouard. Mais en attendant,   L’information est donnée par le chapitre général qui se tient à Metz, en 1298. Le Vie proposée par les frères de Bohême est alors refusée par les pères capitulaires (B-M R eichert, I, ouv. cité, p. 291). 5   Wenceslas, assassiné par son frère, est assimilé à un martyr : il est dans la troisième partie du Speculum sanctorale (ms 481, III, fol. 95v°). Édouard est inscrit au catalogue des confesseurs (ms 481, IV, fol. 156v°). 6   La comparaison se fait avec les leçons du manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse puisque ces deux notices sont absentes du lectionnaire initial, connu et publié sous le nom de « Prototype » de Sainte-Sabine. 7   Pour saint Ignace, Bernard Gui produit un chapitre complexe, fondé à la fois sur les abrégés dominicains comme la Légende dorée et le chapitre XI du Speculum historiale, mais aussi l’ancienne Passion BHL 4263, un extrait de l’Histoire tripartite et l’éloge tiré du Livre des hommes illustres de Jérôme. Pour la Vie de saint Louis, il s’appuie autant sur une Vie en neuf leçons (BHL 5043) que sur la lettre de canonisation. Pour Alexis et Marthe enfin, il reprend les abrégés dominicains, et copie la Légende dorée pour le premier, et de longs extraits du chapitre X du Speculum historiale pour la seconde. 4

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nous avons écrit celle que nous avons trouvée, d’ici à ce qu’elle soit entièrement complétée »8. Sans chercher à tout prix à le mettre en défaut, on peut quand même supposer que Bernard Gui n’a pas seulement relayé les leçons de l’office à cause du résultat infructueux de ses recherches. Dans le cas de saint Wenceslas par exemple, il n’exploite pas tout ce qu’il y a dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais9, ou encore les informations que devaient inévitablement receler d’autres recueils connus et exploités par lui10. On ne peut donc exclure que Bernard Gui ait aussi eu conscience de la nouveauté insufflée par la réécriture de l’office11 et que cette situation l’ait amené à privilégier la seule copie des leçons du lectionnaire. Les reproduire, c’est en quelque sorte se conformer à un programme. Cela garantit l’identité de l’ordre, même lorsque la copie des leçons est associée à des compléments issus d’autres sources12. En revanche, les reproduire seules, c’est-à-dire à l’exclusion de toute autre forme de renseignements, témoigne d’une volonté marquée de privilégier une lecture de la Vita. Or, en relayant de cette façon la légende confectionnée pour son ordre, il lui fournit la possibilité d’être diffusée et connue au-delà de celui-ci13, voire d’entrer en concurrence avec des versions plus anciennes, proprement nationales. Cantonnée dans le seul cadre des textes liturgiques, la relecture des Vies de saint Édouard et de saint Wenceslas s’explique par la volonté de conforter une cohérence interne. Intégrée dans un légendier commandé par le maître de l’ordre, offert au pape, elle devient un discours. Le légendier, en effet, n’a pas vocation à servir les seuls dominicains. Au bout du compte, la transformation imposée par la liturgie fait, de saints nationaux, des saints pour les frères, quand le légendier est en position d’en faire des saints pour tous. Par la différence de nature et d’usage des deux recueils, l’ordre se fait passeur, car ce qui vaut d’abord pour les frères est aussi présenté comme valable pour 8   Gesta autem sancti Eduardi ex integro non potuimus ad manum habere. Sed ea que invenimus interim scripsimus donec plenius compleantur (Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 157) 9   Au livre XXV, chapitre 69, Vincent de Beauvais s’appuie sur Sigebert de Gembloux pour évoquer le duc de Bohême. 10   On pense par exemple à la grande chronique des papes et des empereurs du dominicain Martin de Troppau, que Bernard Gui exploite longuement dans ses chroniques, comme le montre A.-M. L amarrigue, Bernard Gui (1261-1331). Un historien et sa méthode, éd. Honoré Champion, 2000, p. 100-102. 11   Il a personnellement collecté les actes des chapitres, ce qui fait qu’il devait connaître la réorientation de la Vie de saint Wenceslas, commandée par le chapitre général. 12   Par exemple, la Vie de sainte Marguerite copiée dans la troisième partie du Speculum sanctorale fait se superposer le texte quasiment littéral de la Passion BHL 5303 et les neuf leçons du lectionnaire. La présence de ces dernières garantit que Bernard Gui situe son Speculum dans le droit fil de travaux critiques du cinquième maître de l’ordre, même s’il les complète par des informations issues d’une autre légende. 13   Le fait que le Speculum sanctorale, contrairement à la Légende dorée, n’ait sans doute pas été diffusé au-delà des limites de l’ordre importe peu car ce qui compte ici, ce sont les intentions de l’auteur, que la faible diffusion du recueil ne change en rien.

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tous les fidèles. Une attitude comparable, quoique différente dans sa mise en œuvre, se retrouve dans l’adaptation, pour le Speculum sanctorale, du recueil des miracles de Thomas d’Aquin. 2– L  a réécriture des miracles de saint Thomas d’Aquin : décontextualisation et déspatialisation Pour des raisons chronologiquement évidentes, le Speculum sanctorale de Bernard Gui est le premier légendier dominicain à faire une place à saint Thomas d’Aquin. Après Dominique et Pierre de Vérone, cette canonisation d’un autre dominicain apparaît comme l’œuvre de Jean XXII, en raison de la faveur manifestée par ce pape à l’endroit des frères prêcheurs : si l’on en croit Pierre Gui, c’est dès 1317 que la décision de porter sur les autels un membre de cet ordre aurait été arrêtée par le pape14. En regard, le choix de Thomas d’Aquin paraît plus conjoncturel et dépend en partie de considérations politiques15. Quoi qu’il en soit, le procès de canonisation est rapide : ouvert en 1319, il ne dure pas plus de deux ans. Le 1er juin 1321, le Saint-Siège commande, après l’enquête in partibus, un complément d’informations : Jean XXII charge les évêques d’Anagni et de Terracine, ainsi qu’un curialiste, d’enquêter sur les miracles opérés à Fossanova16. La canonisation du docteur commun est définitivement prononcée en 1323. Peu après, Bernard Gui travaille à la rédaction d’une vie de saint Thomas et collecte toute une série de miracles (BHL 8155)17. Il avoue lui-même s’être consacré à cette rédaction à la suite de l’enquête. Dans le prologue du livre II, qui est consacré aux miracles, il écrit : « …tant de la première que de la seconde enquête, en vue de sa canonisation, qui eut lieu

  Th. K aeppeli, «Vie de frère Martin Donadieu de Carcassonne O.P. (1299) écrite par Bernard et Pierre Gui », AFP, t. 26, 1956, p. 287-288.   A. Vauchez avance deux types de motifs : d’abord, Jean XXII aurait écarté la proposition des dominicains qui souhaitaient voir canoniser Raymond de Peñafort, au motif que la candidature de ce dernier était supportée par la couronne d’Aragon. Ensuite, le choix de Thomas d’Aquin s’appuie, en pleine condamnation des excès franciscains sur la question de la pauvreté, sur les positions modérées de ce docteur (A. Vauchez, « Les canonisations de saint Thomas et de saint Bonaventure : pourquoi deux siècles d’écart ? », 1274. Année charnière : mutations et continuités. Actes du colloque international tenu à Lyon et Paris, colloques internationaux du CNRS n° 558, éd. CNRS, Paris, 1977, p. 753-767 et La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, ouv. cité, 1981, p. 88, n. 41). 16   L’information se trouve dans une lettre commune de Jean XXII datée du 1er juin 1321 (lettre commune n° 1361). Elle est aussi exploitée par A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, ouv. cité, p. 64. 17   Cette Vie est connue par un très petit nombre de manuscrits. Léopold Delisle cite notamment un manuscrit conservé à Barcelone, comprenant, en plus de la Vie de Thomas d’Aquin, la bulle de Jean XXII pour sa canonisation et une Vie de Raymond de Peñafort (L. Delisle, ouv. cité, p. 438). Elle est éditée par D. P rümmer, Fontes Vitae sancti Thomae Aquinatis, documents inédits publiés par la Revue Thomiste, t. 3, 1928. 14

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ensuite, il y a quatre ans maintenant, l’année du Seigneur 1323. À la fin des miracles précédents, on en a ajouté quelques autres, qui par la relation et l’assertion de plusieurs ont été approuvés et reconnus ; d’autres pourront être ajoutés par la suite. »18. Or, ce n’est pas ce texte qui entre dans la quatrième partie du Speculum sanctorale, pourtant rédigée peu après. Bernard Gui le précise d’ailleurs, en évoquant la nécessité d’abréger ce texte pour le faire entrer dans son légendier : « Dieu a opéré, il est vrai, plusieurs autres signes et miracles par les mérites de saint Thomas, qui ne sont pas inscrits dans le présent Speculum afin de faire bref. Mais nous en avons réuni de manière abrégée un nombre déjà élevé, tant à partir de la première que de la seconde enquête solennelle, menées par les enquêteurs apostoliques sur la vie, le comportement et les miracles du même Thomas, de l’an de l’incarnation du Seigneur 1319 jusqu’à sa canonisation, qui eut lieu par la suite, il y a quatre ans maintenant, le 15 des calendes d’août, l’année du Verbe incarné 1323 »19. Ceci n’est pas étonnant, et on a vu qu’en bien des endroits, et malgré les déclarations d’intention du prologue, Bernard Gui ne répugnait pas à abréger ses sources. Ce qui vaut en revanche d’être souligné, c’est la manière dont il intègre le recueil de miracles. Celui-ci, dans sa première version en tout cas, est abondant. Il occupe la fin du premier livre et la totalité du second. Seule une dizaine de ces récits miraculeux, essentiellement constitués de guérisons, passe dans le Speculum sanctorale. Si les récits demeurent globalement inchangés, et généralement copiés de manière littérale, la confrontation des textes montre que Bernard Gui opère tout spécialement un type précis d’excision : les lieux ne sont jamais mentionnés et les noms des bénéficiaires des prodiges opérés par les reliques de Thomas sont remplacés par un simple quidam. Ainsi, le maître Raynaud, chirurgien du bourg Saint-Laurent, ou le notaire Pierre, qui tout deux obtiennent de grands bienfaits après s’être recueillis sur le tombeau de Thomas, ne sont plus, dans le Speculum sanctorale, qu’un quidam arte cirurgicus et un quidam notarius. Le chanoine de Salerne, Matthieu de Marcia, guéri au contact des

  tam de prima quam secunda inquisitione usque ad ejus canonizationem, que facta fuit postea, quadriennio jam elapso, sub anno Domini millesimo tricentesimo vicesimo tertio. In fine vero precedentium miraculorum addita sunt nonnulla alia, que relatione et assertione pluvium approbata sunt et comperta, et addi etiam alia poterunt in futurum, cité par A, Thomas, « Bernard Gui, frère prêcheur », art. cité, p. 163. 19   Multa quidem et alia signa et miracula operatus est Deus meritis sancti Thome, que non sunt scripta in presenti Speculo brevitatis causa. Sed quam plura collegimus sub compendio, tam de prima quam de secunda inquisitione sollempni, facta de vita, conversacione et miraculis ejusdem per inquisitores ab apostolica sede datos, sub anno dominice incarnationis M°CCC°XIX°, usque ad ejus canonizacionem que facta fuit postmodum, quadriennio jam elapso, XV kalendas augusti, anno Verbi incarnati M°CCC°XXIII°, Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 43v°. 18

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reliques du docteur commun, n’est plus désigné que par un vague alius. Pierre, cet enfant de quatre ans, perdu et ramené à la vie, n’est plus qu’un infans indéterminé, Adelasia une puella, le frère Pierre-François, convers à Fossanova, un alter quidam, etc. Ici, deux éléments conduisent à ne pas considérer ces reformulations comme secondaires, ou comme les simples fruits du hasard  : d’abord, en termes de réduction du texte de base, le résultat est trop peu évident pour que de telles transformations soient exclusivement à mettre sur le compte de la volonté d’abréger. Ensuite, la transposition des données nominales et spatiotemporelles précises en éléments indéfinis est trop systématique pour n’être qu’une simple facilité, d’autant plus que Bernard Gui reste celui qui a stigmatisé l’imprécision des vies abrégées et qui a cherché des sources complémentaires pour en accroître la rigueur. Comment donc comprendre ce qui l’a poussé à rejeter des précisions connues de lui et utiles au récit ? L’hagiographe ne fournit aucune explication, alors que par ailleurs, il prévient son lecteur de la nécessité dans laquelle il s’est trouvé de réduire la Vie qu’il avait écrite précédemment. Ce silence réduit toute proposition à l’état de modeste hypothèse, forgée sur l’impression que renvoie la lecture de chacune des deux versions des miracles. Il semble d’abord, que préciser les lieux et le moment où est survenu le miracle, ainsi que le nom de son bénéficiaire, contribue à fonder la véracité du prodige. Les données spatio-temporelles l’enracinent dans le réel : les lieux peuvent encore porter les traces du miracle, comme les personnes citées font office de témoins. D’ailleurs, ce type de récit trouve sa logique dans son étroite relation avec l’enquête de canonisation, dans le cadre de laquelle la précision des lieux et des témoins a une forte valeur probatoire. Sur le même mode, la preuve fournit un supplément de véracité à la Vie que compose Bernard Gui immédiatement après la canonisation du saint : elle transpose seulement les données du procès, et donc entérine et diffuse ce qui a été perçu comme des preuves de la sainteté de Thomas d’Aquin. Lorsque l’adaptation au légendier supprime ces informations, la recherche de la preuve se mue en énoncé d’une vérité générale. La transformation systématique des noms de personnes en simple quidam ou alius n’est pas tant une perte d’information que l’assurance d’un absolu : dans la première Vie (BHL 8155), comme dans le procès de canonisation, Thomas a intercédé en faveur de la guérison de Mathieu, chanoine de Salerne, de Raynaud, chirurgien de Saint-Laurent ou de Pierre, un enfant de quatre ans que, sa mère désespérée, avait, en dernier recours, conduit à Fossanova sur le tombeau de saint Thomas. Mais dans le Speculum sanctorale, les reliques du docteur commun permettent à « quelqu’un » de recouvrer la santé, c’est-à-dire à un personnage indéfini, qui a valeur universelle. Autrement

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dit, ce qui compte en tout dernier lieu, c’est que les reliques de Thomas guérissent, sous entendu partout, et pour tout le monde. Entre les dépositions du procès et le Speculum sanctorale, il y a un travail de la légende qui instaure, peu à peu, la possibilité que tous s’approprient le culte du Docteur commun. Donc, l’ordre cherche à accroître son emprise sur le monde en faisant de ses saints propres des saints pour tous. À cette volonté d’imprimer sa marque à l’extérieur de l’ordre, s’ajoute l’attrait toujours vivace pour la sainteté particulière, celle qui se développe en marge du grand légendier et qui n’y entre que très ponctuellement. B– L a dévotion de frère Bernard : les saints de l’ordre suffisent-ils ? L’un des intérêts des travaux hagiographiques légués par Bernard Gui est leur grande diversité : à côté du grand Speculum sanctorale, commande institutionnelle aux ambitions élevées, existent des collections plus modestes. Si leurs toutes petites dimensions ne facilitent pas toujours les comparaisons avec le Speculum sanctorale, la différence de contexte qui les a vues naître permet de saisir écarts et points communs entre l’intérêt personnel de Bernard Gui et ce qu’il écrit pour répondre à la commande de Bérenger de Landorre. C’est une approche qui ne peut être réalisée pour les autres hagiographes de l’ordre. Or, elle montre l’existence d’un certain décalage entre les choix réalisés pour le Speculum et le reste de son œuvre hagiographique où le dominicain témoigne d’un intérêt personnel pour des formes de sainteté absentes du légendier d’ordre. 1– En marge du légendier, l’attrait pour la sainteté locale a– Une hagiographie diocésaine Avant l’écriture du Speculum sanctorale, Bernard Gui a composé, de sa propre initiative d’après ce que l’on sait, deux petits recueils consacrés aux saints des diocèses de Limoges et de Toulouse20. Le premier s’intitule Nomina sanctorum quorum corpora Lemovicensem diocesim ornant, titre qui expose clairement le projet de dresser la liste des saints dont les églises limousines conservent les reliques. Deux états de ce recueil sont connus. Le premier doit dater des années 1305/1307. Il est retouché dix ans plus tard, aux alentours de 1316/1317. Treize manuscrits de cet ouvrage sont encore conservés21. Le se  Le Catalogue des soixante-douze disciples du Christ ne sera pas abordé ici : il relève d’une autre logique que celle qui est exposée dans ce chapitre.   T. K aeppeli, SOP, t. I, Rome, 1970, p. 224-225.

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cond ouvrage a pour objet la Vie, la translation et les miracles de plusieurs saints du pays de Toulouse. Elle débute par un long chapitre consacré à saint Saturnin, puis se poursuit par les Vies de deux autres évêques de Toulouse, saint Exupère et saint Germier. Suivent la Passion de saint Papoul, martyr associé aux épisodes de l’évangélisation conduite par Saturnin, et la Vie de saint Bérenger, moine à Saint-Papoul. Dans les deux cas donc, il s’agit de textes courts, bien limités géographiquement, et dans lesquels la matière est ordonnée selon une logique spatiale. Contrairement aux apparences, en effet, cette dernière n’est pas absente de l’opuscule consacré aux saints toulousains. Il est vrai que, de prime abord, ce petit traité cultive plutôt une parenté certaine avec les listes hagiographiques du type des gesta episcoporum : Saturnin, Exupère et Germier sont bien des évêques de Toulouse, et Bernard Gui raconte leurs Vies en respectant la chronologie22. Tout se passe comme si Bernard Gui s’était appuyé sur le catalogue des évêques de Toulouse, qu’il a aussi composé23, et qu’il en avait extrait les seuls saints évêques pour construire un recueil d’hagiographie épiscopale. Sauf que cette première impression est brouillée par la place faite à la Passion de saint Papoul : compagnon de saint Saturnin, le récit de ses actes a manifestement été distrait de la Passio sancti Saturnini. La place que lui réserve Bernard Gui rompt aussi la dimension chronologique, puisque la lecture de sa Vie vient après celle de saint Germier, mort vers 69524, ainsi que la logique thématique et spatiale, puisqu’il n’est pas évêque de Toulouse. Dans ce petit recueil donc, l’insertion de Papoul d’une part et de Bérenger de l’autre, rompt non seulement la perspective historique supportée par les trois premiers chapitres, mais aussi la logique d’un recueil a priori consacré aux évêques de Toulouse. À y regarder de plus près, la dimension diocésaine n’est pas complètement effacée, puisqu’au moment où Bernard Gui se consacre à cette rédaction, le diocèse de saint Papoul n’existe pas encore25 et l’abbaye éponyme se situe encore dans le diocèse de Toulouse. Par ailleurs, la distance mise entre Saturnin et Papoul est d’autant plus étonnante que, non seulement liés par l’évangélisation du toulousain et des Marches d’Espagne26, ils le sont encore par le martyre et par la sépulture   On considère généralement que Saturnin est mort vers 250, Exupère vers 405-410 et Germier vers 695. Voir les travaux de P. C abau, « Les évêques de Toulouse (iiie-xiv e siècles), MSAMF, t. 59, 1999, p. 123-162 ; t. 60, 2000, p. 115-118. 23   L. Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », ouv. cité, p. 294-295. 24   P. C abau, art. cité, p. 128. 25   Il est créé par Jean XXII, en 1317, grâce à la bulle Salvator noster. Voir M. Fournié, F. Ryckebusch et A. D ubreil-A rcin, « Jean XXII et le remodelage de la carte ecclésiastique du Midi de la France : une réforme discrète », art. cité, p. 29-60. 26   Le développement de cet épisode dans les différentes légendes de saint Saturnin est lié au conflit qui opposa, au xe siècle, les archevêchés d’Auch et de Narbonne pour le contrôle de la 22

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en partie commune de leurs reliques. Lorsqu’en 1258, l’abbé de Saint-Sernin, Bernard de Gensac, fait creuser le sous-sol de l’abside, il met au jour quatre sarcophages. Ce n’est qu’en 1265 que le nouvel abbé, Arnaud de Villemur, procède à la reconnaissance de quatre d’entre eux : il identifie les corps d’Honorat, Sylve, Hilaire et Papoul, qu’il expose au pied du tombeau de Saturnin27. Vers 1324-1329, dans la quatrième partie du Speculum sanctorale, Bernard Gui note que le corps de Papoul repose dans la basilique Saint-Sernin de Toulouse, alors que son chef est conservé à l’abbaye Saint-Papoul28. Dans les deux cas, la revendication des reliques de Papoul, tant par le chapitre de Saint-Sernin, que par les moines de Saint-Papoul, prend acte d’une union organique et filiale entre les deux martyrs. Ces éléments permettent une relecture de la structure de ce petit traité sur les saints de Toulouse, car en considérant l’antériorité et le lien étroit qui existe entre Saturnin et Papoul, on peut voir deux « sections »29 différentes, l’une commençant par saint Saturnin, l’autre par saint Papoul. Dans ce cas, l’un et l’autre sont suivis par les modèles qu’ils ont produits : Exupère et Germier ont enrichi le culte de Saturnin et ont donné une sépulture décente à ses ossements, de même que Bérenger, moine de SaintPapoul fait montre d’une grande dévotion à l’endroit du martyr de son abbaye. Bernard Gui construit ici une géographie diocésaine, fondée sur des épicentres sacrés hiérarchisés entre eux, l’un et l’autre producteurs d’une succession de saints modèles. Cette intrusion de l’espace diocésain dans la construction du recueil hagiographique est aussi très marquée – et fut souvent mise en exergue – dans le traité sur les reliques du diocèse de Limoges. Après avoir évoqué les corps marche d’Espagne. Sur ces réécritures, voir les travaux d’Anne Véronique Gilles, Recherches sur les origines et la diffusion du culte de saint Saturnin de Toulouse, des origines au concile de Trente, thèse de l’École des Chartes, 3e vol., dactyl., 1981 ; « L’évolution de l’hagiographie de Saint Saturnin de Toulouse et son influence sur la liturgie », art. cité, p. 359-379 ; « Origine et diffusion du culte de saint Saturnin de Toulouse », art. cité, p. 47-77 ; « Un libellus de pèlerinage en l’honneur de saint Saturnin de Toulouse », Toulouse sur les chemins de Saint-Jacques. De saint Saturnin au tour des Corps Saints, éd. Skira-Le Seuil, Paris, 1999, 119-125. 27   P. Julien, « De la Table des Douze Apôtres à la confrérie des Corps-Saint, spiritualité et présence laïque à Saint-Sernin de Toulouse », Saint-Sernin de Toulouse ixe centenaire, Toulouse, 1996, p. 203-205. 28   Corpus autem sancti Papuli, apud Tholosam deportatum honorifice hactenus in proprio tumulo marmoreo veneratur. Caput vero in loco qui ipsius nomine villa Sancti Papuli nuncupatur, in propria ecclesia in veneratione habetur. Ubi postmodum facta fuit et est abbatia ordinis sancti Benedicti, quam modernis temporibus dominus Johannes papa XXII erexit in sedem episcopalem, pontificatus sui anno primo, Dominice vero Incarnationis anno MCCCXVII decurrente, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 108v°. 29   Le mot est exagéré : la mise en page de ce traité, en tout cas telle qu’on la lit dans le ms 450 de la Bibliothèque municipale de Toulouse, ne fait état d’aucune division spéciale, de sorte que ce qui est proposé ici l’est, à titre d’hypothèse et d’interprétation, lesquelles sont d’abord fondées sur la comparaison des logiques de travail d’un hagiographe comme Bernard Gui.

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des saints conservés dans l’abbaye Saint-Martial, Bernard Gui détaille les trésors reliquaires des autres églises de la ville, puis du diocèse et enfin les saints originaires de ce diocèse, mais dont les reliques sont conservées dans d’autres lieux30. Dom Jean Becquet31, Jean-Loup Lemaitre32, puis Anne-Marie Lamarrigue33, ont noté que Bernard Gui, pour l’écriture de ce recueil, se fondait largement sur l’oeuvre de Geoffroy de Breuil (ou du Vigeois), lequel, aux chapitres XIV et XV de sa chronique limousine, ouvre une parenthèse dans son récit des événements pour dresser un inventaire des saints de son diocèse. Ceci dit, classer l’inventaire des saints limousins par regroupement des lieux d’implantation géographique de leur culte est absent des préoccupations du chroniqueur, et il semble bien qu’il faille y voir un intérêt spécifique du dominicain. Au-delà des grandes sections (la ville, le diocèse, hors du diocèse), l’inventaire est globalement classé : pour ce qui est du groupe de saints vénérés à Limoges, il commence par ceux qui ont été enterrés dans l’enceinte de l’abbaye SaintMartial. L’inventaire se poursuit avec la liste de ceux auxquels un culte est rendu dans différentes églises de Limoges : son classement est ordonné en fonction de la bipolarité de la ville, entre le château et la cité. Après la ville, il parcourt le diocèse, en dessinant un cercle autour de Limoges, par le sud, puis l’ouest, le nord et l’est : il dénombre d’abord les saints honorés à Saint-Léonardde-Noblat et à l’Artige, puis continue au sud, à l’ouest, etc. À l’intérieur, des ensembles géographiques ainsi déterminés, l’inventaire des lieux reste aléatoire34. Cette présentation soignée, réfléchie, induit toute une série de questions sur les sources dont a bénéficié Bernard Gui pour échafauder une telle construction. A.-M. Lamarigue a eu l’idée de comparer cette répartition géographique avec les itinéraires suivis pour les visites pastorales : en effet, trois visites de la fin du xiiie siècle35 sont connues et correctement documentées. Malheureu  Ils sont en fait limitrophes aux limites du diocèse, comme Sarlat, ou Montauban, mais la précision renforce considérablement la volonté de se conformer aux découpages de la géographie ecclésiastique. C’est intéressant de le relever, chez un homme issu de l’ordre qui, au xiv e siècle, est l’un de ceux qui ont le plus développé la logique suprarégionale de leur fonctionnement. De plus, à bien des égards, les frères ne relèvent pas de la logique diocésaine : ils échappent au droit de regard de l’ordinaire pour la fondation de leur couvent, leurs aires de prédication peuvent empiéter sur plusieurs diocèses, les limites de leurs provinces n’a pas, elle non plus grand-chose à voir avec le découpage épiscopal, même après que Jean XXII, en 1317, l’ait sensiblement modifié. 31   Dom J. Becquet, « Les saints dans le culte en Limousin au Moyen Âge », BSAHL, t. 119, 1991, p. 26-59. 32   J.-L. Lemaitre, « Bernard Gui et les saints limousins », BSLSAC, t. 94, 1991, p. 22-44. 33   A.-M. L amarrigue, « Un inventaire des saints limousins par Bernard Gui », AFP, t. 68, 1998, p. 205-221. 34   Cette « cartographie » est reconstituée, à partir du texte, par A.-M. L amarrigue, art. cité. 35   Du temps où il est archevêque de Bourges (1281-1294), Simon de Beaulieu effectue trois visites dans le diocèse de Limoges : la première à l’été 1285, la seconde à l’automne 1289 et la troisième au printemps 1291 (l’information est fournie par A.-M. L amarrigue, art. cité, p. 215). 30

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sement, cela ne donne pas de résultats concluants car les procès verbaux de visites organisent le compte rendu par archiprêtrés, unité administrative dont Bernard Gui ne tient pas du tout compte. Du coup, c’est la connaissance personnelle qu’avait le dominicain de son diocèse qui est l’interprétation privilégiée par Anne-Marie Lamarrigue. Elle montre que son classement suit les principales limites naturelles et délimite des portions d’espace entre Vienne et Vézère, puis entre Vézère et Dordogne au sud, entre Vienne et Cher à l’est, etc. Au bout du compte, il faut conclure à un intérêt réel de Bernard Gui pour le diocèse, alors même que cette dimension s’efface peu à peu, depuis la deuxième moitié du xiiie siècle, dans le légendier des frères prêcheurs. Au xive siècle, l’exemple de Bernard Gui montre qu’elle survit, essentiellement dans le cadre d’un intérêt ou d’une dévotion privée. En soi, ce n’est pas une grande surprise. Cela donne la mesure d’un champ de recherche dévolu au problème de l’articulation entre le discours de l’ordre sur la sainteté et la réalité des intérêts personnels (et peut-être des dévotions), d’autant que l’écart avec le Speculum sanctorale est encore accentué par le fait que le catalogue des saints locaux est d’abord une hagiographie de sanctuaire. b– Une hagiographie de sanctuaire Cette perspective est évidemment celle qui est privilégiée dans le catalogue des saints du Limousin : faire l’inventaire des reliques possédées par les églises du diocèse de Limoges est l’objectif de ce petit recueil. Finalement, c’est une véritable géographie sacrée que dresse Bernard Gui. Pour la plupart des saints qu’il inscrit à sa collection, il s’efforce d’abord de décrire les reliquaires, c’està-dire leur forme, leur matériau, leur emplacement par rapport à l’autel. Ainsi, dans la courte notice consacrée à Asclipius36, il raconte que le tombeau du saint, à cause de la ruine de l’église, recevait les eaux de pluie. Alors les reliques furent rassemblées dans une châsse et placées derrière le chœur des moines, au-dessus de l’autel37. En ce qui concerne saint Arède, il décrit une très belle châsse d’argent déposée sur l’autel38. Pour Saint-Martial de Limoges, il décrit l’emplacement des tombeaux les uns par rapport aux autres : celui de saint Martial est situé « près de la basilique Saint-Pierre, qu’il fit construire, et qui fut consacrée le 6 des nones de mai »39. Il rappelle aussi que les reliques de   Toulouse, BM, ms 450, fol. 241.   Nam ruinosa erat ecclesia, ad abbatiam transferri se jussit ubi corpus ejus quiescit in capsa retro chorum monachorum supra altare, Toulouse, BM, ms 450, fol. 241. 38   requiescit in capsa argentea mire pulcritudinis super altare, Toulouse, BM, ms 450, fol. 242. 39   hujus sacrum corpus Lemovicis ab omni populo veneratur in sepulchro suo quod est juxta basilicam Sancti Petri quam idem Marcialis edificavit, et sexto nona mayi benedixit, Toulouse, BM, ms 450, fol. 238v°. 36 37

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Valérie ont été déplacées : l’emplacement primitif de son tombeau était situé à l’endroit où fut élevé la basilique en l’honneur de Pierre, mais les reliques de la sainte furent ensuite transférées à Chambon-sur-Voueize, dépendance de Saint-Martial40. Lorsque les événements se sont déroulés dans un passé moins lointain, et donc qu’il a pu recueillir des informations circonstanciées, Bernard Gui évoque la mise en châsse des reliques. C’est ainsi qu’il raconte l’élévation des reliques de saint Ouen effectuée en 1230 par l’évêque Gui de Clausel41, ou celle de saint Marien, exécutée en 1300 par l’évêque Renaud de la Porte42. Enfin, Bernard Gui est sensible à la réputation thaumaturgique de certaines reliques. Les informations dont il dispose au sujet des pouvoirs de guérison de certains saints sont parmi celles qu’il livre en priorité. Il indique par exemple que saint Goussaud est invoqué par les goîtreux43, saint Psalmet pour les maladies d’estomac44, tandis que saint Victurnien protège des loups45 et des bêtes fauves. Sur ce point, Anne-Marie Lamarrigue signale que l’un des manuscrits du Nomina sanctorum quorum corpora Lemovicensem diocesim ornant46 contient une notice particulière sur les maladies que guérissent certains saints. On y lit, entre autres, que saint Pardoux est invoqué par les galeux, Goussaud pour les malades atteint d’écrouelles, sainte Radegonde par ceux atteints de la goutte, saint Éloi par la fièvre quarte, etc47. Le résultat final n’est pas si éloigné d’un guide de pèlerin48. La spatialisation du sacré, absente du Speculum sanctorale, effacée de certaines Vies, comme celle de saint Thomas d’Aquin, est ici le premier, voire l’unique, sujet du recueil. Ce n’est pas la seule donnée à se trouver ainsi en bonne place dans cette collection, alors même qu’elle a été exclue du Speculum sanctorale : dans son inventaire des reliques possédées par les églises du Limousin, Bernard Gui n’hésite pas à faire une place à des saints dont l’origine reste bien mal assurée.

40   in loco ubi sepulta fuit ecclesiam construi fecit quam in honore sancti Petri apostoli dedicavit. Istius virginis et martiris corpus factum promodo delatum est et repositum apud Cambionum monasterium, ubi nunc veneratur caput, Toulouse, BM, ms 450, fol. 239. 41   Toulouse, BM, ms 450, fol. 243v°. 42   Toulouse, BM, ms 450, fol. 244v°. Sur cette élévation, dom J. Becquet, art. cité, p. 49. 43   Hic gutturriosis invocatus opitulari solet, Toulouse, BM, ms 450, fol. 244v°. 44   Hic cardiacam passionem habentibus magis opitulatur, Toulouse, BM, ms 450, fol. 244v°. 45   devotos sibi et clamantes ad se potenter eripit de faucibus luporum et rapacium bestiarum et multa beneficia incolis prestat, Toulouse, BM, ms 450, fol. 243v°. 46   Il s’agit du manuscrit AD, Haute Vienne, SAHL, ms 23. 47   A.-M. L amarrigue, art. cité, n. 38. 48   L’objectif précis de la collection est inconnu, et cette hypothèse n’est suggérée ni par J.-L. L emaitre, ni par A.-M. L amarrigue. Vu l’étroitesse du sujet, la diffusion de l’opuscule n’est pas tout à fait ridicule (treize manuscrits médiévaux sont encore conservés). Elle peut laisser penser qu’au-delà de son intérêt personnel pour les saints de sa région, le dominicain a aussi, volontairement au pas, répondu à une attente locale, extérieure à l’ordre des prêcheurs.

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c– Des saints locaux aux saints douteux Alors que le compilateur du Speculum sanctorale s’attache à évacuer apocryphes et traditions douteuses – fidèle en cela au changement d’attitude de Jacques de Voragine dans la seconde version de sa Légende dorée, mais aussi au travail critique d’Humbert de Romans et, en dernier lieu, aux intentions affichées dans son propre prologue –, le rédacteur du traité sur les reliques des saints limousins ne s’embarrasse pas d’autant de scrupules. Pour beaucoup de ses chapitres, il n’est en mesure ni de vérifier les informations de sa source (la chronique de Geoffroy de Breuil), ni de les compléter lorsqu’elles sont squelettiques. Pour plusieurs de ces notices encore, il n’a pu trouver le nom des saints qu’il évoque dans un calendrier du diocèse : des saints comme Laud, Clair, et Baumarchus49, mais encore sainte Fortunée ou sainte Fauste, honorée à Brivezac, ne sont que des noms dans ce recueil, dépourvus de dates et même, pour les premiers, de toutes informations sur la nature de leurs reliques et leur lieu de conservation. Quelques uns encore, même absents du calendrier bénéficient d’une tradition un peu mieux assurée : Bernard Gui a pu lire leur nom dans un exemplaire du martyrologe d’Usuard, possession du chapitre cathédral de Limoges, et pourvu de plusieurs additions de saints locaux50. Pour un bon nombre d’autres cas enfin, il est réduit à devoir alléguer la tradition orale. On trouve fréquemment dans ces notices des expressions comme « ils croient et disent », « quelqu’un a dit », « cela est affirmé par quelques uns »51, etc. qui finalement sont les seules cautions de l’hagiographe. Évidemment, cela tranche avec l’attitude qu’il revendique, et à laquelle il se conforme, dans le Speculum sanctorale, d’autant que dans l’écrasante majorité des cas, l’origine du témoignage n’est jamais identifiée. En réalité, une seule est précise et rigoureusement   Tous les trois se trouvent au fol. 242v° (Toulouse, BM, ms 450).   C’est l’apport des travaux de J.-L. Lemaitre, « Bernard Gui, lecteur d’Usuard », BSLSAC, t. 97, 1994, p. 73-86. La piste lui est fournie par l’utilisation fréquente que fait Bernard Gui du martyrologe d’Usuard. Or, la collation de l’opuscule sur les reliques avec les exemplaires limousins du martyrologe qui ont été conservés, montre une proximité évidente entre certaines parties du traité de Bernard Gui et le martyrologe à l’usage de la cathédrale de Limoges, aujourd’hui perdu. Au-delà, il est intéressant de relever que selon leur nature, les documents à destination liturgique ne s’ouvrent pas tous au même degré à la sainteté locale. Manifestement ici, le martyrologe permet ce qui n’était visiblement pas acceptable dans le calendrier diocésain. Parmi les six martyrologes d’Usuard pourvus d’additions locales et répandus en Limousin, Jean-Loup Lemaitre note encore des variantes entre eux. Alors qu’ils sont pourvus d’une liturgie unifiée, les mendiants n’agissent pas autrement, puisque parmi ces six exemplaires, il s’en trouve un qui fut à l’usage des frères mineurs de Saint-Junien. À partir d’un travail de comparaison de ces livres liturgiques, et pour des lieux relativement limités, il y aurait donc matière à envisager une typologie des rapports entre sainteté universelle et sainteté locale, laquelle pourrait témoigner de la diversité des pratiques et de la superposition des discours. 51   Respectivement crederunt et dicunt (Toulouse, BM, ms 450, fol. 244), quidam vero dicuntur (Toulouse, BM, ms 450, fol. 243v°), asseritur a nonnullis (Toulouse, BM, ms 450, fol. 245v°). 49 50

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située dans son contexte : dans le cadre du paragraphe qu’il consacre à saint Just, il confirme la translation, vers 1220 de ses reliques à la cathédrale SaintÉtienne en rapportant les paroles d’un vieux chapelain, lequel tenait lui-même le récit des faits du dominicain Géraud de Frachet, présent à la cérémonie bien qu’il ne fût encore qu’un enfant52. On peut estimer, pourtant, que Bernard Gui a cherché à remédier à cette situation puisque la comparaison de son texte avec le chronique de Geoffroy de Breuil montre qu’il inclut des données de la Vita chaque fois qu’il le peut. Il a donc souhaité étoffer son catalogue. Le plus intéressant est que, dans près de la moitié des cas, il s’est trouvé dans l’impossibilité de le faire et que ce constat ne l’a pas conduit à passer sous silence des mentions de cultes si peu étayées par la tradition hagiographique. Alors bien sûr, il reste des reliques. Finalement, ce sont bien les seules qui comptent. Il n’empêche que les choix, comme leur mise en œuvre, sont radicalement différents de ceux qu’il privilégie lorsqu’il répond à la commande de Bérenger de Landorre. Dans l’approche de la sainteté, les écarts de perspective avec le Speculum sanctorale sont évidents. Sans doute ne faut-il pas trop les exagérer, dans la mesure où dans le catalogue des saints du Limousin, l’objectif de Bernard Gui n’est pas d’exposer la Vita du saint. Il y a, entre les deux recueils, un hiatus typologique qui renforce, de fait, l’impression de décalage. Malgré tout, des différences de positionnement existent bel et bien. Elles n’ont pas spécialement été rapportées par ceux qui ont entrepris l’étude de ce petit recueil, ce n’était pas leur objectif. Ce problème, pourtant, ne doit pas être évacué. Il participe d’ailleurs pleinement de la remise en contexte du texte hagiographique. Le fait qu’un dominicain, capable d’exposés scolastiques, de classements encyclopédiques et de critiques des traditions douteuses, s’adonne aussi à la collecte des dévotions populaires et à l’inventaire des reliques de saints locaux, pose problème. En tout cas, il satisfait peu l’esprit de catégorisation contemporain. Au minimum, la situation pousse à envisager l’existence d’un écart entre l’intérêt personnel et le sanctoral promu à l’intérieur de l’ordre.

  Vidi ego pariter et audivi capellanum antiquum qui se asserebat audivisse seriose referri a fratre Geraldo de Fracheto ordinis Praedicatorum viro religioso pariter et famoso, quod in processione qua corpus sancti Justi allatum fuit et receptum ad ecclesiam Sancti Stephani cathedralem, ipse frater Geraldus presens affuerat et sicut juvenis clericus officium accoliti in processione peregerat sicut moris est candelabrum deferendo… (Toulouse, BM, ms 450, fol. 241v°).

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2– D  es opuscules locaux au légendier universel : distanciation ou englobement ? Comment comprendre les écarts ainsi repérés ? La perspective comparatiste, privilégiée pour comprendre l’émergence du Speculum sanctorale au sein du milieu intellectuel qui le produit, ne peut-être tout à fait abandonnée ici : même si l’on ne doit pas attendre beaucoup de cette différence de nature pour comprendre l’œuvre qu’a commandée Bérenger de Landorre, elle peut éclairer la diversité des programmes hagiographiques, précisément dans un ordre qui a, plus que les autres, œuvré pour l’uniformisation. Or, si l’on veut comprendre comment des recueils si différents peuvent coexister sous la plume d’un même homme, il semble opportun de tenter une mise en relation des deux projets. a– L’encyclopédisme hagiographique du xiv e siècle : le révélateur d’un besoin d’ouverture ? La piste la plus intéressante semble être celle que livre la concomitance entre la rédaction de traités sur la sainteté locale d’une part et celle de l’entreprise de grands légendiers encyclopédiques (ou encore d’allongement de légendier abrégé, dans le cas du recueil de Rodrigue de Cerrato et, plus tard, de la Légende dorée). À partir de cette contemporanéité entre deux projets d’écriture a priori divergents, on peut se demander si ces deux attitudes ne répondent pas, en fait, au même besoin : combler le désir d’une plus grande diversité dans les dévotions et dans les lectures hagiographiques, ce qui revient à compenser, au cas par cas, la relative pauvreté léguée par l’uniformisation liturgique53. Il est évident que la réforme des rites n’est appliquée qu’à l’intérieur de l’ordre, et quelle n’a pas coupé les relations entretenues par les frères avec des cultes particuliers, soit par dévotion personnelle, soit pour s’insérer dans la vie religieuse de la cité. De petits recueils comme le catalogue des reliques du Limousin, ou celui des saints du diocèse de Toulouse peuvent répondre à ce besoin. Dans le même temps, le gonflement spectaculaire du sanctoral dans le cadre des légendiers de type encyclopédique fournit aussi cette ouverture. Il y aurait donc, au moins, une intention commune. Trois éléments permettent de l’envisager, à défaut de fournir des preuves indiscutables. D’abord, il n’est pas inutile de revenir sur l’existence, chez les dominicains de Toulouse, au xiv e siècle, de ce grand légendier bipartite conservé dans les manuscrits 477, 478 et 479 de la bibliothèque municipale. Si le volume consacré aux martyrs peut être apparenté au Passionnaire hispanique, il n’a pas été

  Le sanctoral du calendrier et du lectionnaire dominicain légués par la réforme d’Humbert de Romans compte moins de quatre vingt saints.

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possible de rapprocher le contenu des deux premières parties d’un autre légendier connu et/ou diffusé dans le Midi. Ce serait évidemment nécessaire pour comprendre l’origine du recueil copié par les dominicains, ainsi que la transmission des textes qu’il suppose. En attendant, il est intéressant de relever, dans les deux premiers volumes, la présence de Vitae de saints du Languedoc, et ce, en plus grand nombre que celles qu’intègre Bernard Gui dans son Speculum sanctorale. Ainsi, la Vie de saint Théodard, archevêque de Narbonne du ixe siècle, patron de la toute récente cathédrale de Montauban54, ou encore celle de saint Salvy d’Albi, de saint Paul de Narbonne et de saint Lizier, patron du Couserans, sont inscrites au sommaire du manuscrit 478. Si, comme son origine et son utilisation tendent à le montrer, ce légendier a bien été compilé à l’usage des dominicains, il témoigne effectivement que s’est fait jour le besoin d’une documentation précise sur des saints locaux, que l’évolution du légendier d’ordre avait progressivement exclus. D’ailleurs, même dans l’éventualité où ce document n’est pas, initialement, une compilation pour les frères du couvent de Toulouse, mais une copie d’un recueil plus ancien, sa présence dans la bibliothèque des frères suffit presque pour relever l’existence d’une autre hagiographie que celle des légendiers abrégés et des collections de commande. En quelque sorte, elle supplée à la clôture de leur sanctoral, ainsi qu’à la brièveté de leurs récits. Ensuite, le seul légendier dominicain qui amalgame effectivement encyclopédisme et prise en compte des dévotions particulières est la collection de Pierre Calo. Dans ce cas, l’ouverture aux saints locaux est directement responsable de l’inflation du sanctoral55. Beaucoup sont des saints évêques des villes italiennes56, pour certains primitivement retenus par Barthélemy de Trente, puis oubliés par la Légende dorée. On trouve aussi un très grand nombre de martyrs romains et des papes. Comme cela a déjà été signalé, cette inflation, doublée d’un particularisme non dissimulé, expliquent l’appréciation enthousiaste de l’anonyme bolonais qui complète le De quatuor d’Étienne de Salagnac et Bernard Gui. Comme il n’y a pas de raison de penser qu’il ne fut pas dominicain, son éloge témoigne, en quelque sorte, d’une attente comblée par le légendier de Pierre Calo. Dans ce cas, l’encyclopédisme dominicain, tout en se prévalant d’une attitude déférente face aux sources partagées par l’ordre, porte   Le diocèse est crée par Jean XXII, en 1317, grâce à la bulle Salvator noster. Voir M. Fournié, F. Ryckebusch et A. Dubreil-A rcin, art. cité.   En tenant compte de tous les ajouts relevés par A. Poncelet, « Le légendier de Pierre Calo », art. cité, p. 5-116, le légendier de Pierre Calo compte 863 notices hagiographiques. 56   C’est le cas par exemple d’un certain sanctus Ingenuinus, dont il trouve le nom dans l’Histoire Lombarde, Eustorge, évêque de Milan, Denis, évêque de Milan, Amerinus, évêque d’Émilie, Paulin de Nole, etc. (A. Poncelet, art. cité, respectivement p. 59, 67, 73, 76). 54 55

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un projet éditorial qui permet de combiner les supports d’identification légués par les hagiographes du xiiie siècle et les besoins des frères du siècle suivant. En comparaison, l’ouverture à la sainteté locale du Speculum sanctorale est bien plus timide. Elle l’est d’abord en regard des recherches antérieures de Bernard Gui : si Saturnin, Exupère, Germier et Papoul entrent dans le grand légendier, ce n’est pas le cas de l’essentiel des figures évoquées dans le catalogue des saints dont les églises limousines possèdent des reliques. Elle l’est ensuite lorsqu’on la compare aux choix de son contemporain, Pierre Calo. Elle l’est encore vis-à-vis des saints locaux des manuscrits 477 et 478 de la Bibliothèque municipale de Toulouse, que Bernard Gui préfère exclure de son Speculum sanctorale. Ceci dit, la prise en compte de ses travaux antérieurs, au moment d’écrire le légendier commandé par Bérenger de Landorre, existe quand même. Elle est plus forte avec le recueil consacré aux saints toulousains qu’avec celui de Limoges, et ce, en vertu d’une identité de but et de mise en œuvre : dans son étude des Vies de l’évêque Germier, Célestin Douais a montré qu’une grand partie de la Vie écrite par Bernard Gui pour son opuscule des saints du diocèse de Toulouse passe à l’identique dans le Speculum sanctorale57. C’est peu bien sûr, mais cela montre quand même qu’entre opuscules à vocation particulariste et légendier aux ambitions plus larges, les cloisons ne sont pas totalement étanches. Malgré tout, le Speculum sanctorale n’opère pas complètement – loin de là – la synthèse des projets antérieurs et les saints qui existent dans les deux types de collections hagiographiques ne bénéficient qu’exceptionnellement d’un texte commun. Généralement, l’inscription dans le Speculum sanctorale est, non seulement sélective, mais lorsqu’elle se réalise, c’est au prix d’une réécriture. b– Les points de contact L’inventaire des saints locaux présents dans les premiers opuscules hagiographiques de Bernard Gui, et que l’on retrouve inscrits au sommaire du Speculum sanctorale, peut-être dressé très rapidement. Du catalogue des saints du diocèse de Toulouse, tous, à l’exception de saint Bérenger, bénéficient d’une inscription au grand légendier encyclopédique58. De son catalogue des saints limousins, Bernard Gui retient évidemment Martial, qu’il inscrit dans la deuxième partie de son légendier59. Sainte Valérie et sainte Flavie se trouvent dans

57   C. D ouais, « Saint Germier, évêque de Toulouse au vi e siècle », Mémoires de la Société ­nationale des antiquaires de France, t. 50, 1890, p. 1-134. 58   Saturnin, ms 480, II, fol. 16v°° ; Exupère, ms 481, IV, fol. 142 ; Germier, ms 481, IV, fol. 71v° ; Papoul, ms 481, III, fol. 108. 59   Martial, ms 480, II, fol. 112.

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le volume consacré aux martyrs60. Dans la quatrième partie enfin, on trouve saint Sacerdos, saint Prosper, saint Yrieix, sainte Pélagie, saint Pardoux, saint Junien, saint Léonard et saint Alpinien61. Immédiatement, il apparaît que Bernard Gui n’a retenu que les saints nantis d’une notoriété importante ou, en tout cas, jugée suffisante. C’est bien sûr le cas de saint Saturnin et de saint Martial : le premier est déjà inscrit au calendrier dominicain lorsque Humbert de Romans le retouche, et l’ajout du second est décidé par le chapitre général de 1336. Pour les autres, c’est sans doute l’existence d’une Passion ou d’une Vie bien documentée qui dut être déterminant, qu’elle soit rapportée par une Autorité ou par une tradition hagiographique déjà bien assurée. C’est cela, par exemple, qui explique la présence de sainte Domitille dans le Speculum sanctorale car la sainte est associée au cycle des martyrs Nérée et Achillée. Parallèlement, si le culte de saint Yrieix ne déborde pas les limites du diocèse de Limoges, il est certain que, le fait que Grégoire de Tours ait évoqué ce personnage, mais aussi raconté sa translation et quelques uns de ses miracles62, autorisait l’hagiographe à lui réserver une bonne place dans sa collection. À ce propos, il n’est pas tout à fait anodin que les références à Grégoire de Tours ne surviennent que dans le Speculum sanctorale. Ensuite, ces figures, dont la Vie dispose de la caution d’une Autorité, entraînent avec elles des saints qui figurent dans le récit de leurs actes, et que Bernard Gui traite dans des chapitres séparés : Valérie comme Alpinien font partie du cycle de saint Martial, Pélagie est la mère d’Yrieix. Dans tous les cas, Bernard Gui ne retient que des personnages pour lesquels il sait qu’il dispose d’une Vie de bonne tenue. C’est de cette façon, en tout cas, que peut s’expliquer la présence d’Alpinien dans le grand légendier : la Vie de Martial attribuée au Pseudo Aurélien (BHL 5552) raconte que lorsque l’apôtre Pierre lui demande de quitter Rome pour aller évangéliser la Gaule, il lui adjoint deux disciples, Alpinien et Austriclinien. C’est sur le chemin qui les conduit vers Limoges que saint Martial réitère, en faveur d’Austriclinien, le miracle du bâton de saint Pierre qui ressuscite le disciple63. Même si dans la Vie du Pseudo Aurélien saint Alpinien est une figure de plus de relief qu’Austriclinien, notamment parce   Valérie : ms 481, III, fol. 121. Flavie porte le nom de Domitille dans le Speculum sanctorale (ms 481, III, fol. 40v°). 61   Sacerdos, ms 481, IV, fol. 70 ; Prosper, ms 481, IV, fol. 88 ; Yrieix, ms 481, IV, fol. 125v° ; Pélagie, ms 481, IV, fol. 128v° ; Pardoux, ms 481, IV, fol. 154v° ; Junien, ms 481, IV, fol. 159 ; Léonard, ms 481, IV, fol. 167 ; Alpinien, ms 481, IV, fol. 66v°. 62   BHL 664-666. 63   L’épisode est courant : on le trouve dans la Vie de saint Front, qui ressuscite son disciple Georges grâce au bâton pastoral de l’apôtre, mais aussi dans la Vie de saint Memmie de Châlons, ou dans celle d’Euchaire de Trèves, comme me le signale François Dolbeau, que je remercie. 60

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que c’est lui qui ensevelit saint Martial, les deux disciples apparaissent dans la première partie du catalogue des saints du Limousin sans que Bernard Gui accorde forcément plus de place à l’un ou à l’autre. Or, seul Alpinien entre dans le Speculum sanctorale : Bernard Gui adapte la Vita BHL 308, c’est-à-dire un texte bien plus long que celui du catalogue précédent. Il n’a vraisemblablement pas trouvé d’équivalent pour Austriclinien. De ce fait, le contenu des chapitres de l’une et l’autre collections n’ont que peu de points communs. La comparaison se limite d’elle-même du fait des objectifs très différents qui sont assignés aux deux recueils : L’inventaire des saints dont les corps ornent les églises du diocèse de Limoges n’a pas exactement pour vocation de raconter la Vie des saints. Le Speculum sanctorale fait fi d’un grand nombre de récits d’inventions et de translations de reliques dont Bernard Gui avait recherché la trace. Malgré ces différences, on ne peut pas complètement évacuer l’idée qu’entre les différents écrits hagiographiques de Bernard Gui, il y ait eu aussi un tri conscient, c’est-à-dire répondant à une autre série de critères que la seule nature des recueils. Un bref détour par la question des reliques possédées par les couvents dominicains pourra peut-être le montrer. Bernard Gui est l’auteur d’un recueil d’histoire dominicaine qui relate la fondation des couvents de la première province de Provence64. À trois reprises, il y indique la possession de reliques insignes : celle de saint Vincent de Saragosse à Castres, celles de Marie-Madeleine à la Sainte-Baume, et le crâne de Denis l’Aréopagite à Périgueux. Or, la lecture du catalogue des saints limousins montre que les Prêcheurs en possèdent d’autres : à Limoges ils conservent le crâne de saint Martin, confesseur de Charles Martel65, mais aussi le bras et une côte des saintes Justine et Ruphine66. Faut-il penser que c’est la moindre notoriété de ces corps saints qui a poussé Bernard Gui à taire leur possession par le couvent où il a pris l’habit ? En ce cas, on retrouverait une double position de l’ordre, privilégiant les saints universels dans des ouvrages qui participent de la construction supranationale de l’ordre, mais reléguant à la sphère diocésaine et conventuelle la possible instrumentalisation de reliques d’un moindre intérêt. Sur ce modèle, le Speculum sanctorale ne retient, des opuscules antérieurs, que des saints qui jouissent d’une renommée universelle. À défaut, l’hagio  B. Guidonis, De fundatione et prioribus conventuum, ouv. cité.   Sanctus Martinus confessor, qui fuit capellanus Karoli apud sanctum Projectum papae ariani in Domino requiescit. Cujus sacrum caput habunt fratres Praedicatores Lemovicensis (Toulouse, BM, ms 450, fol. 242v°). 66   Istarum virginum et martyrum costas et brachio habent fratres Praedicatorum, Toulouse, BM, ms 450, fol. 244). 64 65

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graphe a pu se procurer des textes suffisamment fournis pour les traiter comme tel. De ce point de vue, le légendier joue un rôle non négligeable pour exposer le statut de saints importants, mais il est aussi un instrument capable d’universaliser ceux qui ont un rayonnement plus modeste. Au bout du compte, ce résultat, opposé aux a priori généralement diffusés sur le Speculum sanctorale, d’abord perçu par le biais des quelques saints locaux, ne semble pas du tout incompatible avec le projet conduit par ce dominicain. Le cas de Bernard Gui présente donc un exemple de relations entre une « hagiographie de l’intérieur » de l’ordre, et une « hagiographie de l’extérieur ». Cette situation, qui n’est pas si fréquente, est l’occasion de saisir la limite entre les deux discours. Par ailleurs, il est possible de mettre cette analyse en perspective avec la transformation progressive des modalités de l’implantation des mendiants, et des dominicains en particulier, au cœur des communautés urbaines. En effet, l’ouverture du légendier à un plus grand nombre de saints, en particulier locaux, n’est peut-être pas fortuite, si l’on pense qu’au même moment, les relations entre couvents urbains et habitants des villes se diversifient et s’enrichissent. C– Les liens avec le monde : nouvelle perméabilité Trois modalités de l’insertion des dominicains, apparues ou développées dans la seconde moitié du xiie siècle et au xiiie siècle, sont de nature à modifier le regard des prêcheurs sur les cultes locaux et particuliers : d’abord, la densification du réseau conventuel et le déplacement des couvents à l’intérieur de l’enceinte a pu jouer un rôle dans l’implication des frères dans les manifestations de la religion civique. Ensuite, l’accès des dominicains à l’épiscopat, timide, dans la première moitié du xiiie siècle, car mal perçu par les autorités de l’ordre, ne cesse de s’accroître dans la seconde moitié du siècle, ainsi qu’au siècle suivant. Mitrés, les dominicains se sont trouvés défenseurs de patronages et protecteurs de trésors reliquaires. Enfin, les grands couvents urbains, d’abord repliés sur eux-mêmes, s’ouvrent peu à peu aux laïcs et à leur dévotion. 1– Densification du réseau conventuel, rétrécissement des horizons ? Le thème des relations entre les mendiants et la ville est déjà ancien67. Lorsqu’on l’aborde avec l’arrière pensée de mieux comprendre l’évolution, au   C’est surtout Jacques Le Goff qui attira l’attention des chercheurs sur ce thème fécond en lançant, autour de la VIe section de l’EHESS, une grande enquête sur le thème « Apostolat mendiant et fait urbain ». Après l’exposé des prémices (« Apostolat mendiant et fait urbain

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siècle, des collections hagiographiques, il est fatalement relié à un sujet connexe, en vogue dans les années 90 : celui de la religion civique68. En espérant ne pas trop forcer le trait, il semble qu’à la période de la naissance, puis de l’expansion, de l’ordre des frères prêcheurs, a correspondu un discours universalisant porté par l’unification des rites, tandis que le moment de la densification du réseau de couvents paraît coïncider avec une meilleure intégration locale. Malgré son énoncé caricatural, ce changement de perspectives relaie assez bien celui qui se rencontre dans l’examen des légendiers dominicains. Du coup, il n’est pas inutile de préciser quelques unes de ces données. xiv e

a– La densification du réseau conventuel Les raisons de l’implantation urbaine des ordres mendiants (désir pastoral, nécessité de trouver les moyens de subsistance et besoin de sécurité) et le contexte de cette installation (patronage des grands bourgeois, conflit avec les séculiers ou avec les autres ordres mendiants) sont suffisamment connus pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir longuement. L’essentiel est plutôt de voir en quoi la densification du réseau des couvents, d’une part, et l’abandon des sites situés extra muros au profit de positions plus centrales de l’autre, peuvent être des contextes favorables à l’ouverture du légendier aux cultes locaux. Pour s’en tenir à la première province dominicaine de Provence, puis, après 1303, à sa moitié ouest (la province dominicaine de Toulouse), les informations, abondantes et précises, sont une nouvelle fois livrées par les actes des chapitres et par le De fundatione de Bernard Gui, sa chronique de la fondation des couvents de son ordre69. Ces sources montrent la régularité du mouvement des dans la France médiévale », Annales ESC, 1968, p. 335-352), et les premiers résultats (« Ordres mendiants et urbanisation dans la France médiévale. État de l’enquête », Annales ESC, 1970, p. 924-946 ; C. R ibaucourt, « Les mendiants du Midi d’après la cartographie de l’ ‘‘enquête’’ », Les mendiants en pays d’Oc au xiiie siècle, CF, t. 8, 1973, p. 25-33, et, dans le même volume, J. Le Goff, « France du nord et France du midi dans l’implantation des ordres mendiants au xiiie siècle », p. 133-140), la grande synthèse annoncée n’a pas vraiment vu le jour, si bien que malgré l’ampleur de l’enquête, le bilan des travaux sur ce thème est resté très partiel. Il est plus fourni dans d’autres pays, et notamment en Italie (Les ordres mendiants et la ville en Italie centrale (v. 1220-v. 1350), MEFR, Moyen Âge – Temps modernes, t. 89, 1977). Récemment, les perspectives ont été renouvelées par l’étude de Panayota Volti, qui choisit de traiter cette question sous l’angle des bâtiments et des données architecturales (P. Volti, Les couvents des ordres mendiants et leur environnement à la fin du Moyen Âge, CNRS Éditions, Paris, 2003). 68   Voir La religion civique à l’époque médiévale et moderne (Chrétienté et Islam), Actes du colloque tenu les 21-23 juin 1993, sous la direction d’A. Vauchez, École française de Rome, 1995. 69   B. Gui, De fundatione, ouv. cité. Les actes des chapitres généraux ont été édités par B.-M. Reichert (Acta capitulorum generalium, MOPH, vol. 1 (1220-1303) ; Rome, 1898, vol. 2. (13041378), Rome, 1899), les chapitres provinciaux par C. Douais (Acta capitulorum ordinis fratrum praedicatorum, ouv. cité). À partir de sources archéologiques, de cartes et de plans, quelques travaux de maîtrise, soutenus à l’Université de Toulouse-Le Mirail, apportent des éclairages monographiques. Leurs résultats sont inégaux : H. Teisseire (Le rôle des établissements d’ordres mendiants dans la topographie des villes gersoises du xiiie au xv e siècle, sous la direction de S. Fa-

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fondations. C’est d’ailleurs la région d’Europe où les couvents sont les plus nombreux. Si le rythme des nouvelles implantations fléchit quelques fois, notamment entre 1295 et 1305, celui des inceptions – c’est-à-dire des premières expressions du projet de fondation –, repérables dans les actes des chapitres, reste stable, tout au long de la période. Cela montre que les initiatives n’ont pas diminué, même entre 1295 et 1305. Le coup d’arrêt des fondations, pendant cette décennie, peut être rapproché de la décision de partager l’immense province de Provence, l’ouest constituant désormais la province de Toulouse (cette division intervient en 1303). Humbert-Marie Vicaire70 a fait un autre rapprochement qui peut éclairer l’ampleur de cette densification du réseau conventuel. Dans les récits du De fundatione correspondant à la décennie 12951305, il a relevé l’insistance de Bernard Gui à signaler que tel seigneur s’est entremis pour obtenir de la curie, et pour payer la bulle de fondation71. Or, au xiiie siècle, les frères n’avaient pas besoin de bulle. C’est que depuis le 29 décembre 1296, par la décrétale Cum ex eo, Boniface VIII interdit qu’à l’avenir « les frères prêcheurs, mineurs et autres religieux mendiants n’acceptent de nouveaux lieux, ne les échangent, ni ne les aliènent sans l’autorisation du Saint-Siège ». Il y a donc, à la toute fin du xiiie siècle, une volonté de freiner, en même temps que de contrôler, la multiplication des installations mendiantes. Ce frein semble n’avoir été que temporaire, car dès le début du xiv e siècle, les fondations reprennent, que cette contrainte juridique soit déjà tombée en désuétude, ou que les frères, soutenus par les grands bourgeois ou les nobles, aient trouvé le moyen de la contourner, comme le suggère le témoignage de Bernard Gui. Dans ce midi large, les premières fondations sont très éloignées les unes des autres : après Toulouse en 121572, sont fondés les couvents de Limoges en

ravel, 1996) a répertorié les situations pour Auch, Pavie, Condom, Fleurance, L’Isle-Jourdain, Lectoure, Marciac, Mauvezin, Nogaro, Samatan et Vic Fezensac. Mais, fondé presque exclusivement sur les données du cadastre, ce gros travail est plus une contribution à l’étude de l’occupation de l’espace qu’à celle de l’implantation des couvents mendiants. On tirera plus de profit des travaux de C. Poinard (L’insertion des ordres mendiants dans le tissu ecclésial du midi toulousain, 1200-1350 : conflits et controverses, sous la direction de B. Cursente, 1998), même s’ils s’attardent prioritairement à l’exposé des formes d’hostilité suscitées par l’installation de nouveaux couvents dans les villes de petites tailles. 70   H.-M. Vicaire, « Le développement de la province dominicaine de Provence », Les mendiants en pays d’Oc au xiiie siècle, CF, t. 8, 1973, p. 35-77, et, pour ce qui est évoqué ici, p. 41. 71   C’est ainsi, par exemple, qu’il présente l’intervention de Guillaume de Randone dans la fondation, en 1298, du couvent de Genolhac (B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 278). 72   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 42.

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121973, le Puy en 122174, Narbonne en 122075, Bordeaux en 122276. Le désir d’apostolat se traduit par un investissement de l’espace, dans une logique quasiment missionnaire qui finalement n’est pas très éloignée de la dispersion décidée en 1317 par saint Dominique. Par la suite, et c’est une évidence que de le dire, les nouvelles fondations s’insèrent dans des espaces interstitiels, qui sont de plus en plus petits. Au xiv e siècle, entre Toulouse, Rieux et Limoux, on ne compte pas moins de huit couvents de prêcheurs, ce qui a pu mettre en péril leur subsistance77. À ce moment-là, même si toute nouvelle fondation s’apparente à la conquête d’un nouveau territoire de prédication, les chapitres généraux privilégient le dédoublement des couvents à gros effectifs plutôt que l’installation sur des fronts pionniers78. Il faut dire que cette quête, qui cultive le souvenir de l’apostolat de Diègue d’Osma et de Dominique, aspirant à l’évangélisation des païens de l’est de l’Europe, est désormais mieux incarnée par la société des frères Pérégrinants79. À ce propos, il serait tout à fait profitable de savoir si le discours programmatique des frères se modifie avec les fondations de la seconde, et surtout de la troisième génération. Par ailleurs, et d’un point de vue strictement pratique, il est probable que cette densification du réseau conventuel ait eu d’immédiates répercussions sur les déplacements des frères : on peut en effet imaginer – et on n’ira pas beaucoup plus loin faute d’études sur ce point – que les distances parcourues dans le cadre des études se soient trouvées réduites, en même temps que le cursus scolaire pouvait s’appuyer sur un plus grand nombre d’établissements. On aimerait également savoir si cette   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 57.   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 255.   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 251. 76   B. Gui, De fundatione, ouv. cité, p. 82. 77   Ce risque est réel, et les chapitres veillent à en préserver chaque nouvelle fondation. Malgré tout, à la toute fin du xiv e siècle, les couvents de Revel et de Fanjeaux s’opposent sur les limites d’une zone de prédication et de quêtes manifestement trop étroite pour permettre l’activité sereine de deux couvents proches (B. Montagnes, « Un arbitrage entre les Prêcheurs de Fanjeaux et de Revel (7 août 1397) », AFP, t. 65, 1995, p. 305-314). 78   Dès 1240, les prêcheurs fondent presque toujours leurs couvents après les mineurs, signe qu’ils ne privilégient pas les bourgs vierges de toute installation mendiante. L’examen de leurs diverses installations montre une large prépondérance, jusqu’à la fin du xiiie siècle, des villes où se trouvent déjà au moins trois couvents mendiants, et quatre donc avec l’arrivée des dominicains (ces informations se trouvent dans H.-M. Vicaire, art. cité, p. 35-77). On sait par ailleurs qu’ils ont préféré les grosses unités urbaines, quand les franciscains s’installent plutôt dans de petits bourgs. 79   Elle est fondée entre 1300 et 1304, afin de rassembler les frères restés à Chypre après la prise de Saint-Jean-d’Acre. C’est Bérenger de Landorre qui lui donne des statuts, et qui agit, semble-t-il, de manière efficace pour lui donner une organisation souple, nécessaire à son développement. Sur cette question, et le rôle tenu par Bérenger de Landorre, voir W.-A. Hinnebusch, Brève histoire de l’ordre dominicain, éd. Le Cerf, 1990, spécialement p. 93-94, mais aussi R. Loenertz, « Les missions dominicaines en Orient au xiv e siècle et la société des frères Pérégrinants pour le Christ », AFP, t. 2, 1932, p. 1-83. 73 74

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densification eut une répercussion sur les distances parcourues pour la prédication, mais c’est peu probable80. Dans cette optique, beaucoup de points restent vierges de toute investigation. Quoi qu’il en soit, l’impression dominante est celle d’une massification, et, en quelque sorte, d’une forme de repli. Elle est confirmée par le déplacement, à l’intérieur de l’agglomération, des couvents déjà fondés. b– Une nouvelle centralité Il est bien connu que les premiers frères ont désiré s’installer aux limites de la ville, si possible près des portes. À Toulouse, la toute première installation – dans la maison de Pierre Seilhan – se fait à la porte narbonnaise. À Paris, les dominicains se déplacent en 1218 dans un hospice de pèlerins, près de la porte Saint-Jacques. À Bordeaux, Carcassonne, Montauban, Cahors, ils sont aussi à proximité des portes, mais à l’extérieur de l’enceinte. Outre qu’elle incarne leur idéal de pauvreté, cette logique spatiale sert parfaitement le désir d’évangéliser en allant à pied, entre ville et campagne. Or, en fonction des opportunités, et selon des chronologies plus ou moins rapides, la nécessité d’agrandir les couvents passe par leur déplacement au cœur des villes. L’hospice de pèlerins laisse place à des bâtiments imposants qui, en Languedoc, supportent la diffusion de l’architecture gothique81. Ces éléments sont tous très bien connus. S’ils sont rappelés ici, c’est pour relever que dans le cas des implantations des seconde et troisième générations, comme dans celui des déplacements des couvents les plus anciens, c’est, au fond, sur un schéma parallèle que le choix de la marge est assez vite abandonné, au profit d’un renforcement du polycentrisme urbain82. Dans ces conditions, c’est l’ensemble des rapports avec la cité et le peuple des villes qui est transformé. Pour conserver leur ministère dans les villes, il est possible que les prêcheurs n’aient pas eu d’autre issue que d’y construire de vastes églises conventuelles, ouvertes aux fidèles. Cette pratique radicalement différente de celle qui s’était imposée aux origines, induit, tout à la fois, une diffusion des dévotions mendiantes en direction des fidèles et

80   L’aire de prédication est déterminée en fonction des distances qu’un homme peut raisonnablement parcourir, ainsi que des moyens de subsistance qu’elle peut procurer, ce qui ne change pas lorsque le maillage de l’espace par les couvents est plus serré. Ce qui diffère, en revanche, lorsque les fondations sont plus nombreuses, c’est le nombre de régions globalement concernées par la prédication mendiante. 81   Sur cette question, voir M. Durliat, « Le rôle des ordres mendiants dans la création de l’architecture gothique méridionale », La naissance et l’essor du gothique méridional, CF, t. 9, p. 71-85. 82   Sur ce rôle joué par les ordres religieux mendiants, voir J. Chiffoleau, « Note sur le polycentrisme religieux urbain à la fin du Moyen Âge », Religion et société urbaine au Moyen Âge, Études offertes à Jean-Louis Biget, sous la direction de P. Boucheron et J. Chiffoleau, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 227-252.

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une participation plus active des frères à la religiosité urbaine, celle-là même dont ils avaient estimé devoir se prémunir en universalisant leur sanctoral. Deux exemples montreront comment, au bénéfice d’une installation au cœur des villes, l’attitude des prêcheurs se modifie en matière de culte, en intégrant la dimension locale à leurs dévotions traditionnelles. Tout se passe comme si l’insertion urbaine avait adouci la raideur de leurs positions primitives concernant la dimension civique du culte des saints. Ces deux exemples appartiennent au domaine italien, faute d’études comparables ayant trait au Midi et, pis, au Languedoc. Il n’y a pas lieu, cependant, de penser que l’attitude des dominicains eut été différente au sud de la France. Tout au plus faut-il retarder sa manifestation, en raison du décalage chronologique que l’on constate entre Italie et France méridionale dans le développement de la conscience urbaine. Le couvent de Bologne est sans doute le plus prestigieux de l’ordre, en raison de la présence des reliques de saint Dominique. Cependant, au moment de sa mort, les frères ne voient pas de raison particulière à la vénération de son corps. Il semble qu’au départ, la véritable promotion du culte soit une initiative des autorités bolonaises : ce sont elles qui demandent au pape l’ouverture d’un procès de canonisation, ce qui est une procédure tout à fait exceptionnelle83. Ce sont ces mêmes autorités communales qui auraient poussé les autorités de l’ordre dominicain à réagir, pour ne pas risquer de voir leur échapper leur fondateur au profit de la cité, qui s’efforçait de se l’approprier comme saint patron. Cette interprétation des faits est celle d’Anne Reltgen-Tallon84. Elle a pour elle le fait que, dans ce premier tiers du xiiie siècle, la pastorale dominicaine est clairement orientée vers la promotion des cultes universels, plutôt que civiques ou locaux85, et que les tentatives d’uniformisation sont à l’œuvre, même si elles n’ont pas encore abouti pour le légendier. Dès lors, il était nécessaire, pour l’ordre, de reprendre le contrôle du processus de canonisation de son fondateur, et d’œuvrer, seul, pour qu’il soit porté sur les autels. Il est clair qu’à ce moment-là, les dirigeants de l’ordre veulent éviter une récupération campaniliste et qu’ils ne souhaitent, en aucun cas, voir Dominique devenir l’objet d’un culte civique. Pourtant, un siècle et demi après environ, la situation est toute autre. En 1383, c’est le gouvernement de la ville qui fait extraire le   C’est ce que fait remarquer A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, ouv. cité, p. 47-48. 84   A. R eltgen-Tallon, La mémoire d’un ordre : les « hommes illustres » dans la tradition dominicaine (xiiie-xv e siècles), thèse pour le doctorat d’histoire sous la direction d’A. Vauchez, Université de Paris X-Nanterre, dactyl., 1999. 85   G. Barone, « Le proposte agiografiche degli ordini mendicanti tra radicamento locale e dimensione sovranazionale », Vita e identità politiche : universalità e particolarismi nell’Europa del tardo Medioevo, éd. S. Gensini, Pise, 1998, p. 163-180. 83

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crâne de saint Dominique de son tombeau et prépare une ostension solennelle86. À cette fin, il a commandé un nouveau reliquaire. La cérémonie a lieu dans la nuit du 14 au 15 février, en présence des autorités communales, de différents évêques et des frères du couvent, mais sans que l’on crût nécessaire de convier, ou de faire représenter, les autorités supérieures de l’ordre des prêcheurs. La semaine suivante, la relique est exposée aux fidèles. Si elle restait sous la garde des frères, elle avait désormais une destination civique évidente, qu’exprime sans ambiguïté l’acte notarié de cette cérémonie : la tête avait été séparée du corps « pour être montrée à tout le peuple chrétien et avant tout à celui de Bologne »87. En un demi-siècle donc, l’attitude de l’ordre à l’égard des possibilités offertes par l’instrumentalisation civique des cultes a radicalement changé. Les prêcheurs ont pris conscience de l’opportunité que représente l’existence d’une sainteté de leur ordre pour asseoir leur position dominante. Dans des contextes parfois difficiles, ils n’ont pas hésité à confier leurs saints en patronage. C’est ce que montrent les événements qui se déroulent à Sienne en 1328-132988. Face à des difficultés croissantes, dues à des guerres consécutives et à une grande sècheresse, le gouvernement de la Commune de Sienne décide de supprimer la participation financière des autorités communales aux fêtes des saints. Quatre mois plus tard, le prieur des dominicains demande une audience aux autorités de la ville, devant lesquelles il plaide le maintien de la participation communale à la fête d’Ambroise, à savoir Ambroise Sansedoni, prédicateur dominicain mort en 1287. Son argumentation, qui fait mouche puisque le couvent recouvre son privilège, s’appuie sur le fait qu’on ne connaissait alors aucune ville de Toscane qui ne vénère, par de grandes solennités, son patron, lequel ne pouvait pas mieux être qu’Ambroise Sansedoni, prêcheur et concitoyen illustre. André Vauchez relève que ce qui a manifestement le plus de poids dans cette plaidoirie, c’est l’appartenance du saint à la communauté citadine. Dans la bouche du prieur du couvent dominicain, lorsqu’il s’adresse aux autorités communales, Ambroise Sansedoni, avant d’être un des siens, est présenté comme un des leurs. La robe du frère passe bien après son origine familiale. 86   Cette ostension est relatée par P. K erbat, « Corps des saints et contrôle civique à Bologne du xiiie au début du xiv e siècle », La religion civique à l’époque médiévale et moderne (Chrétienté et Islam), Actes du colloque tenu les 21-23 juin 1993, sous la direction d’A. Vauchez, École française de Rome, 1995, p. 174-175. 87   Procès verbal édité par A. d’A mato, Le reliquie di san Domenico, Bologne, p. 91-93, et cité par P. Kerbat, art. cité, p. 175, à qui est emprunté l’extrait retenu. 88   Ils sont rapportés par A. Vauchez, « La commune de Sienne, les ordres mendiants et le culte des saints. Histoire et enseignements d’une crise (novembre 1328-avril 1329) », Les ordres mendiants et la ville en Italie centrale (v. 1220-v. 1350), MEFR, Moyen Âge – Temps modernes, t. 89, 1977, p. 757-767.

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Finalement, l’intégration urbaine et communale, bien développée dans l’historiographie des ordres mendiants, n’a pas été sans effets sur la modification des logiques du culte. À côté du sanctoral de l’ordre, des textes que l’on copie pour affirmer un discours commun sur la sainteté, s’organisent de nouvelles perméabilités. La dimension grégaire du sanctoral et de l’écriture hagiographique, sans faiblir ou disparaître, supporte désormais à côté d’elle le développement de dévotions mitoyennes, par lesquelles se joue, d’ailleurs, la place des frères dans la ville. Il est normal de penser que le développement, à cette époque, de l’épiscopat mendiant, ne fut pas sans conséquence dans cette évolution. 2– Les évêques dominicains et les cultes locaux a– L’épiscopat dominicain : un observatoire des relations entre cultes universels et patronages locaux ? Longtemps pendant le xiiie siècle, rien ne parait plus éloigné de l’apostolat mendiant que l’acceptation de la mitre épiscopale. Les autorités de l’ordre virent d’un mauvais œil l’ascension d’Albert le Grand sur le siège de Ratisbonne, laquelle déjugeait la vocation de l’un des plus éminents docteurs de l’ordre. Pourtant, avant la fin de ce siècle, plusieurs dominicains acceptent une telle distinction, et le fait ne paraît plus du tout scandaleux dans les dernières décennies du xiiie siècle89. La conduite des dévotions diocésaines, la manipulation des reliques, la mise en scène des cultes communautaires, sont des éléments importants du pouvoir symbolique de l’évêque. Il convient donc de prendre la mesure de l’action des dominicains en la matière. Théoriquement, ils sont en situation, soit de promouvoir les saints de l’Église universelle, soit, à l’inverse, d’accorder un rôle plus important aux religieux mendiants dans les cérémonies organisées pour la fête du saint patron du diocèse, et ce faisant, de créer des accointances entre sanctoral de l’ordre et légendier local. Le problème est épineux, car pour évaluer la nature des contacts entre cultes locaux et cultes universels, dans les diocèses tenus par des dominicains, il faudrait tenir la preuve qu’ils ont joué un rôle spécifique en matière de dévotions et de cultes civiques, et ce, du fait de leur origine. Or, cette perspective est entravée par le contexte des nominations et par la réalité de la charge épiscopale. En effet, le moment où les dominicains (comme les autres religieux mendiants du reste) accèdent en plus grand nombre à l’épiscopat coïncide avec le développement de l’intervention pontificale dans le choix de l’évêque, aux   Le phénomène est étudié de manière particulièrement fouillée par J. Paul, « Les religieux mendiants évêques en France au xiiie siècle », Dal pupito alla cathedra. I vescovi degli ordini mendicanti nel’200 e nel primo ’300, atti del xxvii convegno internazionale Assisi, 14-16 ottobre 1999, Spolète, 2000, p. 249-303. 89

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dépens de l’élection par le chapitre90. Après 1260 en effet, la promotion des dominicains (comme des franciscains) à l’épiscopat est clairement le fait du pape. Généralement, cette évolution de la carrière ecclésiastique induit que le dominicain a été perçu comme un candidat susceptible de diffuser la politique de Rome. Du coup, ces évêques auraient été plutôt en position d’universaliser les rites, que d’ajouter au particularisme afférant à leur charge. Mais sur un terrain vierge de toute étude, il est, pour l’heure, difficile d’aller plus avant. On fera donc seulement du fait que les dominicains promus à l’épiscopat le sont par nomination du pape, un élément de contexte, sans préjuger de son incidence sur leur attitude quant au culte des saints et à l’éventuelle évolution du calendrier diocésain. Par ailleurs, on peut aussi s’interroger sur les moyens dont disposait un évêque, de la fin du xiiie siècle et du début du xive siècle, fut-il dominicain et nommé par le pape, pour imposer, à son diocèse, les dévotions universelles et le calendrier de son ordre. Certes, la papauté essaie, dès cette époque, d’étendre la liturgie romaine dans un grand nombre de diocèses, mais, comme l’a montré Pierre-Marie Gy91, cette évolution est lente. Elle est sans doute réalisée à Avignon dès 1337, mais le Comtat Venaissin n’est pas tout le Midi, et il ne semble pas que la création, par Jean XXII, de nouveaux diocèses en Languedoc, ait été l’occasion d’y importer plus rapidement qu’ailleurs les rites et le sanctoral romain. Surtout, le nouvel évêque prend la tête d’un diocèse qui possède ses propres traditions, lesquelles, en matière de culte des saints, fournissent des supports identitaires majeurs. Or, la liturgie et le sanctoral d’un diocèse ne se réforment pas comme ceux d’un ordre religieux, et l’évêque ne peut décemment renoncer au patronage de tel ou tel saint, sans risquer de voir sa cathédrale perdre son statut d’épicentre sacré. Dès lors, les données du contexte dictent de ne pas artificiellement cloisonner les éléments identitaires que supportent un sanctoral. Celui de l’ordre vaut pour lui seul, ce qui n’empêche pas les frères devenus évêques de souscrire aux cultes civiques et de les promouvoir. Dans ces conditions, et dans la mesure où chaque nomination a ses raisons propres, il n’est pas toujours aisé de saisir, entre logiques universelles et particularistes, les positions défendues par ces évêques, si tant est qu’ils aient 90   J. Paul, art cité, p. 250-251, situe cette césure vers 1260. Les religieux mendiants élus par le chapitre, avant 1260 sont peu nombreux. Pour ce qui est des dominicains, on peut citer Raymond du Fauga. Dans le contexte du règlement de la crise albigeoise, et de la signature du traité de Meaux-Paris, il est apparu comme le meilleur candidat possible, à la fois suffisamment ferme pour poursuivre l’œuvre de Foulque et étranger au milieu local pour ne pas risquer les compromissions avec tel ou tel parti, dans une ville encore secouée par des divisions générées par l’hérésie cathare. 91   P.-M. Gy, « L’unification liturgique de l’occident et la liturgie de la curie romaine », RSPT, t. 59, 1975, p. 601-612.

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effectivement privilégié l’une contre l’autre. Faute de monographie précise, c’est-à-dire qui tienne compte de l’action menée pour le culte des saints (processions, ostensions, inventions ou élévations de reliques), il est extrêmement difficile d’étayer une interprétation. C’est pour cela que l’exposé s’en tiendra à quelques exemples, simples et très connus, sans intention d’en généraliser le sens ou la portée. b– É  vêques dominicains et saints locaux : dévotion et curiosité intellectuelle Le 20 juillet 1324, Bernard Gui devient évêque de Lodève92. Cette installation dans la province de Narbonne lui permit de mettre la main sur les Vies des saints les plus importants du diocèse : saint Flour, fondateur légendaire du siège, et saint Fulcran, évêque à la fin du xe siècle93. La documentation conservée ne livre aucune information sur le rôle qu’aurait pu tenir le nouvel évêque dans la promotion de leur culte. Il n’a apparemment pas recherché les reliques de Flour ou réalisé une nouvelle élévation de celles de Fulcran. D’ailleurs, au moins pour ce dernier, la vénération des fidèles, nourrie par la réputation d’incorruptibilité du corps de l’ancien évêque, n’était guère tombée en désuétude lorsque Bernard Gui prend possession de son siège. Dans son État des églises du diocèse de Lodève94, puis dans la quatrième partie du Speculum sanctorale, il rapporte que le corps de Fulcran « fut trouvé entièrement intact et totalement incorrompu et conservé sans dommage, par un don divin, dans toutes et chacune de ses parties et articulations, dans la peau, la chair, les os et les ongles des mains et des pieds (…). Et ainsi jusqu’à aujourd’hui, il est conservé intact dans l’église de Lodève »95. S’il n’existe pas de trace d’une action 92   Le jour de sa nomination, il se trouve en Avignon et offre à Jean XXII les deux premières parties du Speculum sanctorale. Depuis un an, il était déjà pourvu du siège de Tuy, mais il est difficile de dire s’il s’y est effectivement rendu. Son transfert au siège épiscopal de Lodève a lieu au bénéfice de nominations multiples (Le transfert de Bernard Gui de Tuy à Lodève est conditionné par celui de Jean Tissandier, qui quitte Lodève pour Rieux, dont le titulaire rejoint Cahors : voir les Lettres communes de Jean XXII, n° 19949, 19950, 19952 et 19955). 93   Sur ce personnage, ainsi que sur les sources léguées par Bernard Gui à son sujet, voir H. Vidal, « La première “Vie” de saint Fulcran et le triomphe de “l’episcopatus” lodévois au xiie siècle », AM, t. 77, 1965, p. 7-20 ; Un évêque de l’an Mil : saint Fulcran, évêque de Lodève, éd. Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, Montpellier, 1999. 94   Le document est, selon toute vraisemblance, rédigé dans le cadre d’une visite pastorale effectuée par Bernard Gui a son arrivée dans le diocèse. Cette description est intégrée au livre V du cartulaire et, par la suite, au Livre vert de Guillaume Briçonnet (voir J.-M. C arbasse, « Bernard Gui évêque de Lodève (1324-1331) », Bernard Gui et son monde, CF, t. 16, 1981, p. 333-356, spécialement p. 336. 95   Fuitque repertum totum integrum et incorruptum penitus et illesum in omnibus et singulis partibus et artubus suis, in pelle, carne et ossibus et unguibus manuum et pedum divino munere conservatum (…). Et ita usque in hodiernum diem conservatur integrum et conspicitur in ecclesia Lodovensi, Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 34.

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personnelle de l’évêque Bernard Gui en faveur du culte de son prédécesseur, il est au moins possible de relever l’intérêt personnel qui l’a conduit à rassembler des informations pour inclure une Vie de saint Fulcran dans son légendier, dont les deux dernières parties sont compilées alors qu’il siège à Lodève. Pour la quatrième partie du Speculum sanctorale, il n’a sans doute pas connu la vita prima du milieu du xiie siècle, et à défaut, abrège une Vie rédigée après 1187 par Pierre de Millau96. Il a aussi recherché un procès verbal d’exhumation des reliques de Fulcran, en vain. Il le déplore : « Nous n’avons pas trouvé noté, dans la rédaction de sa vie, l’année de l’incarnation du Seigneur où son saint corps fut levé de terre, et ce à cause de l’incurie et de la négligence des clercs de ce temps »97. Cette perte, irréparable du point de vue du dossier hagiographique de saint Fulcran98 est ici à relativiser : elle montre d’abord que Bernard Gui, devenu évêque de Lodève, s’est informé sur le saint patron de sa cathédrale, et qu’il a cherché à rassembler des récits, non seulement pour servir l’histoire et les prétentions de son diocèse (c’est le sens de son insertion dans le procès verbal des visites pastorales, puis dans le cartulaire), mais encore pour l’intégrer dans le grand légendier commandé par Bérenger de Landorre. Il en va de même pour saint Flour, tenu pour le saint fondateur du siège de Lodève, même si en ce qui le concerne, les informations léguées par la documentation hagiographique sont plus confuses. En effet, Bernard Gui copie, dans la quatrième partie de son Speculum sanctorale, une Vie de saint Flour, mais il est difficile d’identifier ses sources. Il est probable, là encore qu’il ait usé d’une documentation locale, en partie disparue. Comme dans le cas de Fulcran, l’inscription de Flour, deux saints locaux au rayonnement très modeste, dans un légendier à portée encyclopédique, les tire de leur relative discrétion et a permis, d’un point de vue contemporain, de livrer, sur ces Vies, plus que les simples bribes des libelli aujourd’hui conservées. L’intérêt que porte Bernard Gui aux saints lodévois doit davantage à sa curiosité intellectuelle qu’à une dévotion personnelle marquée. De ce point de vue, son épiscopat figure davantage comme la circonstance qui lui a permis de connaître ces deux saints, plutôt que l’origine d’une action épiscopale dé-

  La vita prima est éditée par F. Dolbeau, « Vie inédite de saint Fulcran, évêque de Lodève », AB, t. 100, 1982, p. 515-544. La Vie de Pierre de Millau, source directe de Bernard Gui, n’est aujourd’hui connue par aucun manuscrit et n’est conservée que par l’usage qu’en a fait Bernard Gui. 97   Annus autem dominice incarnationis quo levatum fuit corpus ejus sacrum a terra non invenitur notatus in scriptis gestorum ejus, et hoc per incuriam aut negligenciam clericorum illius temporis, Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 34. 98   H. Vidal déploie des trésors pour suppléer cette perte, par le recours à une documentation indirecte variée (H. Vidal, ouv. cité, p. 91-94). 96

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cisive. Il n’en va pas de même pour un autre dominicain du midi, bien connu de Bernard Gui : Dominique Grima. c– Les saints locaux et les frères : une assimilation Les travaux consacrés à Dominique Grima sont rares et dispersés99, alors que ce dominicain, issu du couvent de Toulouse, fit une carrière intellectuelle brillante. Un peu plus jeune que Bernard Gui et Bérenger de Landorre, il prend l’habit au couvent de Toulouse et poursuit ses études dans la province. En 1290, il suit l’enseignement de philosophie de Bérenger de Landorre. Après avoir enseigné à son tour, puis rempli les fonctions de prédicateur général, il seconde, à partir de 1320, l’inquisiteur Bernard Gui dans sa charge. En 1322, il rejoint Avignon, comme maître du Sacré-Palais. Sa nomination à l’épiscopat intervient en 1326 : il rejoint alors le siège de Pamiers. Si sa carrière dans l’ordre dominicain est bien connue, notamment grâce aux actes des chapitres, son action en tant qu’évêque est peu documentée100. On se contentera donc de rappeler que le diocèse de Pamiers a pour saint patron Antonin. Sa légende raconte que ce parent du roi Théodoric, devenu prêtre, fut accusé d’une liaison avec l’épouse du roi et emprisonné. Jeté dans la Garonne à Toulouse, il procède à de nombreux baptêmes avant d’arriver à Pamiers, où il est libéré des eaux. Là, il vit en ermite en compagnie de ses disciples, Almaque et Jean, jusqu’au moment où ils sont arrêtés et décapités101. En dépit d’une situation défavorable au développement du culte d’Antonin à

  Un essai de synthèse est proposé par M. Morard, « Dominique Grima O.P., un exégète thomiste à Toulouse au début du xiv e siècle », Église et culture en France méridionale (xiie-xiv e siècle), CF, t. 35, 2000, p. 325-374. 100   Dominique Grima a visité son diocèse et laissé des statuts synodaux (Rationale seu synodale ecclesie Appamiensis¸Toulouse, BM, ms 402). Malheureusement, ils sont encore largement inédits. Benoit Brouns les utilise pour montrer l’isolement des prêtres du diocèse de Pamiers, démunis face à l’hérésie en raison de connaissances défectueuses (« Les curés de campagne dans le Registre de Jacques Fournier », L’Église au village. Lieux, formes et enjeux des pratiques religieuses, CF, t. 40, 2006, p. 229-253. 101   En fait, le dossier hagiographique de saint Antonin est extrêmement embrouillé. La source du problème est la double question de l’historicité du martyr gaulois d’une part, et celle du dédoublement opportuniste, construit par l’hagiographie, de la figure d’Antonin d’Apamée de Syrie. Les Bollandistes n’ont pu trancher la question et aboutissent même à des conclusions contradictoires : dans un premier temps (Acta SS, Juillet, II, 7-19), Sollier admet l’authenticité d’un saint Antonin martyr à Pamiers, tandis que dans un second temps (Acta SS, Septembre, I, 340-356), Stilting la rejette. Récemment, Jean-Luc Boudartchouk, dans une mise au point très documentée sur le dossier, signalait pléthore de saints homonymes (« L’invention de saint Antonin de Frédelas-Pamiers », MSAMF, t. 63, 2003, p. 15-57, spécialement p. 17-19). Surtout, son étude du dossier hagiographique le conduit à conclure que la trame de la vita de saint Antonin de Pamiers a bien été construite sur la base de la Vie du saint oriental. Par ailleurs, il est dépourvu d’une Vie propre avant le texte attribué au pape Pascal II (1099-1118). 99

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Pamiers102, celui-ci s’étoffe considérablement à partir du xiie siècle : l’abbaye Saint-Antonin édifie une petite église sur les rives de l’Ariège, au lieu décrit par la tradition comme celui du martyre103. Enfin, à partir de 1300 au moins, le sceau du chapitre de Pamiers, représente la décollation et la translation des reliques104. Lorsqu’en 1326 Dominique Grima rejoint le siège de Pamiers, saint Antonin n’est guère contesté dans son statut de patron de la ville. Malheureusement, on ne sait dans quelle mesure ce dominicain œuvre pour accroître encore l’aura du martyr dans son diocèse. En revanche, il est encore sur le siège de Pamiers105 lorsqu’il fait construire, dans le couvent dominicain de Toulouse, la chapelle Saint-Antonin. La construction dure de 1335 à 1341106. À ses frais, l’évêque commande une grande fresque, qui ne représente pas moins de quarante scènes de la vie du saint, dont la moitié environ est encore visible. Si les inscriptions ont disparu, l’iconographie restante permet d’identifier les scènes de la Vie telles que les a fixées la rédaction attribuée au pape Pascal II. Dans cette chapelle encore, Dominique Grima fait installer six sarcophages, réservés à l’inhumation des chanoines de Pamiers, tandis que la clef de voûte le représente, portant la mitre et la crosse107. Contrairement aux informations que livre le cas de Bernard Gui à Lodève, il faut conclure ici à une véritable dévotion personnelle. En effet, s’il ne s’était agi que d’instrumentaliser un culte pour qu’un évêque dominicain, second de l’inquisiteur, tienne plus facilement un diocèse jadis suspecté d’hérésie, il était tout à fait inutile de fonder une chapelle à peintures, qui plus est dans une partie du couvent inaccessible aux fidèles. Au bout du compte, vers 1340, se trouve, dans le grand couvent des Jacobins de Toulouse, une chapelle dédiée à un culte limité et associé à l’exercice épiscopal : on ne peut trouver meilleur raccourci des évolutions de l’attitude des prêcheurs à l’égard des cultes locaux et de la place qu’ils comptaient leur réserver dans leur vie communautaire. Bernard Gui a produit d’autres collections hagiographiques que le Speculum sanctorale. L’oublier, c’est se priver de comprendre en quoi ce légendier de 102   Outre le fait qu’il n’y a pas une légende propre avant le début du xiie siècle, les reliques sont éparpillées entre plusieurs sanctuaires qui disent en avoir la garde (En plus de l’abbaye Saint-Antonin de Pamiers, il faut compter celle de Saint-Antonin-Noble-Val et Palencia), sans qu’aucun ne puissent assurer posséder un corps entier ou un fragment important (crâne par exemple). 103   Il s’agit de l’église du Mas-Vieux (J. L. Boudartchouk, art. cité, p. 28). 104   Celui des consuls représente seulement la translation des reliques. Les planches sont reproduites dans J. L. Boudartchouk, art. cité, p. 24. 105   Dominique Grima est évêque de Pamiers jusqu’en 1347. 106   M.-B. Carrière, Les Jacobins de Toulouse. Deuxième édition augmentée d’un supplément relatif aux peintures murales et enrichie d’un plan géométral du couvent et de ses dépendances, Toulouse, 1864. 107   Elle est photographiée dans La naissance et l’essor du gothique méridional au xiiie siècle, CF, t. 9, 1974, en vis-à-vis de la page 97.

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commande est redevable des réflexions antérieures de l’hagiographe. Or, du point de vue de ce dernier, la compilation du Speculum est autant une relecture des autres légendiers dominicains qu’une prise de distance vis-à-vis de ses propres pratiques. Cette situation fournit de nouvelles marges au légendier, lesquelles ne sont pas tant définies par les saints qui s’y trouvent, que par ceux qui en sont exclus. Cette nouvelle perspective éclaire le besoin d’ouverture que l’on perçoit dans le gonflement du sanctoral, sans pouvoir, de l’intérieur, en comprendre tous les ressorts. Cette diversification, inhérente au projet d’encyclopédie hagiographique, n’est qu’en germe dans le Speculum sanctorale : de ce point de vue, l’ouverture du légendier de Pierre Calo est bien plus massive, tandis que la teneur des manuscrits 477 et 478 confirme l’impression que les dominicains ne pouvaient se suffire d’un légendier au sanctoral exclusivement universel. Cet axe de lecture conduit à rechercher les points de contacts possibles avec les dévotions extérieures à l’ordre, puis à les répertorier comme autant d’éléments d’un contexte, propres à éclairer cette évolution du projet hagiographique. Le recours à des données générales, extérieures à l’hagiographie, et en somme très banales, comme l’implantation urbaine des couvents et l’accès des dominicains à l’épiscopat, montre le développement d’une atmosphère propice à la diversification du sanctoral. Mais ces constats imposent de rester modéré : si, en théorie, ces évolutions générales ont pu être influentes, et si chronologiquement, elles coïncident grosso modo avec l’inflexion du projet hagiographique dominicain tel que le porte Bernard Gui, les preuves d’un lien de causalité, ou de filiation, font cruellement défaut. Les quelques indices récoltés permettent néanmoins de percevoir une circulation multidirectionnelle. D’un côté, le Speculum sanctorale témoigne d’un effort pour adapter les Vies de quelques saints de l’ordre aux exigences du temps. Le schéma est classique puisqu’il recouvre l’objectif pastoral. Il n’était cependant pas inutile de le souligner pour un légendier qui, en excluant des Vies de saints les distinctiones insérées par Jacques de Voragine, ne fait pas de la prédication son horizon essentiel. De l’autre, l’intérêt des frères pour la sainteté locale n’est pas diminué par l’uniformisation, et surtout par l’universalisation, de ses rites et de son sanctoral. Il prend des allures diverses, soit qu’il est assumé par des couvents pour assurer leurs positions à l’égard des autorités urbaines, soit qu’il se limite à une simple curiosité intellectuelle et n’entre dans le légendier qu’avec d’infimes précautions, soit encore qu’il devienne une authentique dévotion personnelle, que les frères vont accepter d’articuler avec celles de l’ordre.

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chapitre ii

Articuler l’Église et les Églises La mise en perspective du Speculum sanctorale avec les autres productions de l’hagiographe, puis avec l’environnement des frères, s’achève donc sur le constat d’un écart entre le sanctoral de l’ordre et les dévotions extérieures, ou personnelles. Le légendier encyclopédique a pu être un moyen de réduire ce hiatus. Sa contribution à ce programme est double : d’abord, et on n’y reviendra pas, il prend acte, même si ce n’est que partiellement, des recherches d’hagiographie locale, menées soit à titre privé, soit en tant qu’évêque, pour accroître le nombre des lectures hagiographiques. Au-delà, et ce sera ici l’essentiel, Bernard Gui tente, en plusieurs endroits, de réduire l’écart entre sainteté universelle et sainteté locale, en forgeant un discours qui articule l’Église aux Églises. C’est en particulier ce qui ressort d’une ultime confrontation du Speculum sanctorale avec un autre opuscule de Bernard Gui : le catalogue des soixantedouze disciples du Christ. Ce travail livre, en plusieurs états, les résultats de sa recherche sur l’apostolicité des Églises de Gaule, puisqu’il aborde les cas des saints patrons fondateurs de sièges épiscopaux. Or, de toutes les recherches hagiographiques conduites par Bernard Gui avant qu’il n’accepte la réalisation du Speculum sanctorale, c’est ce catalogue qui, incontestablement, lui fournit le plus de dossiers. Cette enquête sur l’apostolicité permet de cerner un autre axe de l’ouverture du sanctoral par rapport à ceux des autres légendiers dominicains. Le critère majeur est celui de la légitimité du saint vis-à-vis de l’Église universelle, et le discours probatoire sur l’apostolicité de quelques uns fournis d’excellents arguments. Si l’ouverture du sanctoral est attachée à cette condition, c’est que Bernard Gui ne l’a pas conçu comme l’occasion de légitimer une sainteté plus contemporaine, et plus accessible. D’emblée, ce parti pris tranche avec ce que l’on sait par ailleurs des tentatives italiennes, mises en œuvre au même moment, pour dépasser le seul horizon des cultes universels. Enfin, cette entreprise de légitimation des saints patrons fondateurs de diocèses, notamment méridionaux, est ce qui, en dernier lieu, peut permettre leur inté-

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gration dans le sanctoral universel de l’ordre. L’œuvre de Bernard Gui se construit en miroir : sa recherche sur les noms des disciples du Christ le conduit à montrer la présence quasiment originelle de l’Église universelle dans le Midi, quand son influence sur la rédaction du Speculum sanctorale se traduit par l’affirmation que le Midi est lié à l’Église universelle. A– L’Église universelle présente dans le Midi 1– Soixante-douze disciples pour l’Église, dix pour le Midi L’intérêt de Bernard Gui pour les saints méridionaux, mais aussi son attachement à connaître précisément les premiers dignitaires des sièges épiscopaux, expliquent qu’il ait eu le goût de revisiter un genre ancien, originaire d’Orient : les catalogues d’apôtres et de disciples du Christ. Il compose donc deux courts opuscules traitant des apôtres (BHL 654 kb) et des soixante-douze disciples du Christ (BHL 654 kc). Dans sa forme la plus ancienne, le catalogue des disciples porte la date de 13131. Celui des apôtres n’est pas daté2. Ce faisant, Bernard Gui apporte sa pierre à un tradition ancienne, qu’il faut brièvement retracer pour saisir la portée de son travail. a– Un genre ancien, renouvelé à la fin du xiiie et au xiv e siècle Les catalogues d’apôtres ou de disciples répondent à une préoccupation ancienne : il s’agit de retrouver les noms des soixante-douze disciples mentionnés par les Évangiles3, disciples sur lesquels on ne sait rien, alors que les   La date de 1313 est donnée par Bernard Gui lui-même dans le prologue des plus anciens manuscrits. La confrontation des manuscrits médiévaux conservés dans les Bibliothèques de France permet de distinguer, en plus de cette première phase d’écriture, deux campagnes de corrections. 2   Il est probable que la rédaction des deux documents ait été menée à la même époque, si ce n’est de manière concomitante : la proximité du thème traité dans les deux recueils laisse penser que Bernard Gui a puisé dans des sources communes. Si d’aventure il n’avait pas luimême associé la conception et la rédaction de ces deux catalogues, la tradition manuscrite s’est chargée de faire un tel rapprochement puisque la majorité des manuscrits médiévaux transmettent ensemble les deux recueils. Thomas Kaeppeli a effectué un inventaire soigné des manuscrits médiévaux dans lesquels est conservé le texte de chacun des deux catalogues (voir T. K aeppeli, SOP, t. I, Rome, 1970, p. 207-208). Il dénombre vingt et un manuscrits transmettant le texte du catalogue des apôtres. Une rapide comparaison avec les manuscrits contenant aussi le catalogue des disciples permet de voir que 16 de ces 21 manuscrits consignent le catalogue des apôtres en tête de celui des disciples. Quatre conservent à la fois le catalogue des apôtres et celui des disciples, mais ils ne sont pas copiés successivement, alors qu’un seul manuscrit transmet seul le catalogue des apôtres. 3   Notamment Luc, X, 1 : « Ensuite le Seigneur choisit encore soixante-douze autres disciples qu’il envoya devant lui deux à deux dans toutes les villes et dans tous les lieux où lui-même devait aller » et Luc, X, 17 : « Or les soixante-douze disciples s’en reviennent avec joie, lui disant… ». 1

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noms des douze apôtres sont, eux, bien connus. En convoquant les textes vétérotestamentaires, Eusèbe de Césarée parvient à nommer cinq de ces disciples4. À sa suite, nombre d’auteurs, grecs ou latins5, ont fourni des listes de soixante dix ou soixante douze noms6, tirés pour l’essentiel de la lecture de Paul et des Actes des apôtres. Les détails extraits de ces textes, puis le rapprochement entre un disciple supposé et une région évangélisée, fournissent le contenu principal de la notice rédigée sous chacun des soixante-douze noms. Ainsi conçu, le catalogue d’apôtres et de disciples permet d’abord de nourrir un intérêt sincère pour les origines du christianisme. Mais il permet surtout de combler un autre désir moins avouable : promouvoir certaines Églises en leur donnant des origines apostoliques. Ce double mouvement conduit à hisser au rang des disciples du Christ ceux que l’on croit être les fondateurs et premiers titulaires de sièges épiscopaux. À ces préoccupations anciennes, s’ajoute un climat intellectuel singulier, qui explique le regain d’intérêt, aux xiiie et xiv e siècles, pour les listes des disciples. Dans le cadre du conflit qui oppose mendiants et séculiers, le recours à ce que dit le texte biblique du rôle tenu par les soixante-dix ou soixantedouze disciples du Christ est utilisé par l’un et l’autre parti afin de légitimer leur rôle respectif dans l’Église7. Dans un premier temps, les séculiers se fondent sur le modèle des apôtres et des disciples pour justifier le fait que le Christ n’a institué que deux types de personnes : les apôtres, auxquels ont succédé les évêques, et les disciples, auxquels correspondent, aux xiiie-xiv e siècles, le corps des prêtres. Cette lecture fonde leur vision de l’Église universelle : d’une   Hist. eccl., I, xii, 1-4 : Eusèbe de Césarée tire le nom de Barnabé de l’Épître aux Galates. Il extrait le disciple Sosthène de l’Épître aux Corinthiens. Il fait de Céphas un troisième disciple à la lecture des Hypotyposes de Clément. Avec les Actes des Apôtres, il a confirmation du fait que Barnabé était bien un des disciples et lui adjoint Matthias et Thadée. 5   Une grande partie des catalogues latins remonte totalement ou en partie à des modèles grecs. Les deux listes latines les plus répandues sont le Breviarium Apostolorum et le De ortu et obitu patrum d’Isidore de Séville. Voir l’inventaire établi par Th. Schermann, Prophetarum vitae fabulosae, indices apostolorum discipulorumque Domini, Leipzig, 1907 et les travaux de F. Dolbeau : « Une liste ancienne d’apôtres et de disciples traduite du grec par Moïse de Bergame», AB, t. 104, 1986, p. 299-314 ; « Une liste latine de disciples et d’apôtres traduite sur la recension grecque du Pseudo-Dorothée», AB, t. 108, 1990, p. 51-70 ; « Listes latines d’apôtres et de disciples traduites du grec », Apocrypha, 3, 1992, éd. Brepols, p. 259-279 ; « Une liste latine d’apôtres et de disciples compilée en Italie du nord», AB, t. 116, 1998, p. 5-24 ; « Listes d’apôtres et de disciples », Écrits apocryphes chrétiens, t. II, sous le dir. de P. Geoltrain et J.-D. Kaestli, coll. La Pléiade, éd. Gallimard, 2005, p. 455-480. 6   Le texte biblique oscille entre soixante-dix et soixante-douze disciples. Cette imprécision se trouve justifiée après coup dans la liste appelée gréco-syrienne (éd. F. Dolbeau, « Listes d’apôtres et de disciples », Écrits apocryphes chrétiens, ouv. cité, p. 467-472) : les apôtres, après avoir confondu, parmi eux, douze faux disciples, les auraient remplacés par dix autres. 7   Ce thème est développé par Y. M.-J. Congar, « Aspects ecclésiologiques de la querelle entre mendiants et séculiers dans la seconde moitié du xiiie siècle et le début du xiv e siècle », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, éd. Vrin, Paris, 1961, p. 35-151. 4

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part celle-ci exclut les religieux mendiants de toutes charges d’âmes et de tous privilèges ; d’autre part elle n’est que l’agrégat d’Églises locales. Puisque l’ordre ecclésiastique est un reflet de l’institution de douze apôtres et de soixantedouze disciples, aucun autre type de ministère n’est valable8. Les séculiers enfin utilisent le commentaire d’Exode, XXV, 40 de Denys pour insister sur la nécessité de construire l’Église terrestre à l’image de l’Église céleste. Du coup, imitation et reproduction des choix du Christ, cet ordre hiérarchique est perçu comme sacré et immuable. Cette position est évidemment combattue par les théologiens mendiants. Ces derniers admettent facilement l’assimilation des prêtres aux soixante-douze disciples, mais refusent la subordination des disciples aux apôtres. Curieusement, ce n’est qu’assez tard dans cette querelle, et surtout de manière anecdotique, que les mendiants, à leur tour, argumentent en se présentant comme les successeurs des soixante-douze disciples9. Il n’en reste pas moins que l’intérêt pour ces compagnons du Christ est omniprésent dans les débats théologiques du temps, même s’il se trouve davantage subordonné à des constructions ecclésiologiques qu’à une recherche historico-hagiographique sur l’apostolicité. Le successeur de Bérenger de Landorre à la tête de l’ordre des frères prêcheurs, Hervé de Nédellec, est un de ceux dont les traités alimentent cette réflexion. Un autre dominicain, Pierre de la Palud10, fait le lien entre la vision de l’Église défendue par les mendiants et la question de l’apostolicité : vers 1321, dans son Tractatus de causa immediata ecclesiasticae Potestatis11, développe l’idée que l’apostolicité d’une Église ne vient pas seulement de l’ancienneté de sa fondation, mais qu’elle lui est aussi immédiatement conférée du simple fait d’une création pontificale. On le voit, l’utilisation à des fins ecclésiologiques de la notion d’apostolicité est le fait de ce premier tiers du xiv e siècle, et spécialement des théologiens dominicains. Enfin, un autre faisceau d’éléments peut permettre de comprendre l’écriture par Bernard Gui d’un catalogue des soixante-douze disciples du Christ. Vers 1260, à Parme, un groupe dissident, connu sous le nom des « Apostoliques », se forme autour de la personnalité de Gérard Segarelli. Il descend en ligne droite de la crise du franciscanisme. Les « frères Apostoliques » en appellent aux prophéties de Joachim de Fiore, avec la volonté d’imiter à la lettre la vie pauvre et simple des apôtres. Ils professent le refus des miracles, l’invalidité des sacrements, contestent les dîmes, et dénoncent la décadence de l’au8   Cette position, hâtivement résumée ici, est en particulier celle que défend Guillaume de Saint-Amour dans ses Collectiones catholicae et canonicae scripturae des années 1265-1266. Voir Y. M.-J. Congar, art. cité, p. 56 et suiv. 9   Y. M.-J. Congar, art. cité, p. 65. 10   T. K aeppeli, SOP, t. III, Rome, 1980, p. 243-249. 11   Y. M.-J. Congar, art. cité, p. 100.

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torité de l’Église et des papes12. Ces « frères Apostoliques » sont condamnés par Honorius IV (le 11 mars 1286), puis par Nicolas, en 1290. Arrêté, Segarelli est brûlé, à Parme, le 18 juillet 1300. Le groupe ne disparaît pas pour autant ; son nouveau leader, fra Dolcino, est arrêté trois fois par l’Inquisition. En 1304, il parvient encore à rassembler ses partisans et se retire avec eux dans les montagnes du Piémont, entre Novare et Verceil. En 1306, le pape Clément V appelle à la croisade contre fra Dolcino. Bernard Gui en parle dans sa Practica inquisitionis13. L’année suivant, Dolcino est livré aux flammes, mais la secte ne disparaît pas : la documentation conserve des preuves de son activité en Espagne en 1315. Bernard Gui est l’un des témoins de ce déplacement des hérétiques14 : s’inquiétant de leurs progrès, il adresse, le 1er mai 1316, une mise en garde ferme aux autorités religieuses d’Espagne, notamment de Galice15. L’inquisiteur demandait que soient prises les mesures les plus sévères, comme l’abandon des coupables à la justice séculière. Dans sa Practica inquisitionnis, il insère la réponse qu’il a reçue de Rodrigue, archevêque de Compostelle : celui-ci dit tenir enchaînés six membres des « Frères Apostoliques »16. Quelques années plus tard, en 1320, un autre de ces dissidents, Pierre de Lugo, originaire de Galice, comparait devant le tribunal de Bernard Gui à Toulouse. L’inquisiteur le retient deux ans en prison avant d’obtenir sa rétractation17. D’une manière générale, la question de l’apostolicité se trouve, dès la fin du xiie siècle, et au xiiie siècle, au centre des débats qui opposent vaudois, cathares et les défenseurs de l’Église romaine18. Elle est réactivée au profit des positions tranchées qui se cristallisent autour de l’interprétation de la pauvreté. Si l’Église accepte la vie de pauvreté et de prédication itinérante que revendiquent les vaudois, elle ne peut leur reconnaître la légitimité apostolique qui, pour eux, en découle. Cette dernière implique une obéissance complète à l’Église, ce que, par définition, combattent les deux groupes dissidents. Grossièrement, les vaudois font   G. Gonnet, « Les frères apostoliques (xiiie-xiv e siècles) », Heresis, t. 23, éd. Centre national d’études cathares, Carcassonne, 1994, p. 51-55. 13   B. Gui, Manuel de l’inquisiteur, éd. et trad. G. Mollat, II, Paris, 1926, p. 108. 14   Parmi les autres témoignages, il faut signaler celui de Lucas de Tuy : dans le troisième et dernier livre de son ouvrage intitulé De altera vita, catalogue des hérésies anciennes et contemporaines, il confirme, « de l’intérieur », la réalité de la poussée hérétique en León. Voir P. Henriet, « In injuriam ordinis clericalis. Traces d’anticléricalisme en Castille et León (xiie-xiiie siècle), L’anticléricalisme en France méridionale (milieu xiie-début xiv e siècle), CF, t. 38, 2003, p. 289-325. 15   L’information se trouve dans Y. Dossat, « Types exceptionnels de pèlerins : l’hérétique, le voyageur déguisé, le professionnel », Le pèlerinage, CF, t. 15, 1980, p. 207-225, particulièrement p. 208-211. 16   B. Gui, Manuel de l’inquisiteur, ouv. cité, p. 108-119. 17   B. Gui, Manuel de l’inquisiteur, ouv. cité, p. 37. 18   Sur cette question, voir en particulier la contribution ancienne, mais bien documentée de K.-V. Selge, « Discussions sur l’apostolicité entre Vaudois, catholiques et cathares », Vaudois languedociens et pauvres catholiques, CF, t. 2, 1967, p. 143-162. 12

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une différence entre la succession apostolique, qu’ils admettent et reconnaissent dans la hiérarchie catholique, et la tradition apostolique, qu’ils jugent discréditée par les fonctions de l’évêque, alors qu’à leurs yeux, elle est plus importante. Quant aux cathares, ils sont plus radicaux encore, puisqu’ils combattent la légitimité apostolique de l’Église, tout en ne reconnaissant pas aux vaudois cette succession, car ils n’ont pas totalement rompu avec elle. Cet excursus un peu long montre que sur la simple curiosité de connaître les noms des disciples du Christ, d’autres motivations ont pu venir se greffer, comme celle de montrer l’apostolicité des Églises de Gaule, et donc leur appartenance à l’Église universelle, continuité qui était bien de nature, dans l’esprit d’un inquisiteur-hagiographe, à tuer dans l’œuf les velléités de récupération de l’argument apostolique, à des fins dissidentes19. Le contexte favorable à l’écriture, d’un catalogue des soixante-douze disciples par Bernard Gui est donc d’une assez grande richesse. Néanmoins, il ne faut pas attendre de sa part des développements théoriques ou des déductions de nature doctrinale. Son texte s’en tient à fixer les données biographiques de ceux qu’il considère comme disciples après examen d’une documentation variée. b– Qui sont les disciples ? Les premières listes d’apôtres et de disciples furent composées dans l’Orient chrétien, peut-être dès la fin du ive siècle. Ces répertoires sont très pauvres du point de vue des données biographiques, leurs auteurs cherchant avant tout à produire soixante-dix ou soixante-douze noms, et à les replacer, en quelques mots, et à titre de preuves, dans les grands épisodes de l’histoire des apôtres. C’est ainsi que travaille l’auteur de la liste dite gréco-syrienne, l’une des plus anciennes20. Il écrit par exemple : Luc et Cléophas, qui marchaient sur la route d’Emmaüs et y ont vu Jésus. Sénèque, dont sont conservées les lettres adressées à l’apôtre Paul. Ceux qui demeuraient à Antioche, comme l’apprend le livre des Actes  : Simon, dit le Noir, Lucius de Cyrène, etc.21

Les premiers auteurs puisent donc essentiellement au texte biblique, qu’ils complètent, le cas échéant, à la lumière de quelques chroniques, comme l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée ou le cinquième livre des Hypotyposes 19   À toutes fins utiles, il peut être intéressant de noter qu’Épiphane, évêque de Salamine de 367 à 403, fut à la fois auteur de traités sur les hérésies et d’une liste d’apôtres et de disciples. L’information se trouve dans F. Dolbeau, « Listes d’apôtres et de disciples », Écrits apocryphes chrétiens, ouv. cité, p. 459. 20   Éd. et trad. par F. Dolbeau, « Listes d’apôtres et de disciples », Écrits apocryphes chrétiens, ouv. cité, p. 468-472. 21   Liste appelée gréco-syrienne, éd. et trad. F. Dolbeau, ouv. cité, p. 469.

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de Clément22. Cette documentation, somme toute limitée, et le caractère de liste, imposé à ce type de texte, font que, dans un premier temps, les auteurs n’associent pas chaque disciple à un siège épiscopal. L’un des premiers inventaires à prendre en compte cette orientation, est la liste attribuée à Épiphane de Salamine : sur les soixante-huit noms qu’il est possible de restituer23, cinquante-sept se voient associer un siège épiscopal. Cet objectif est poursuivi dans les listes ultérieures, qu’il s’agisse de celle attribuée au Pseudo-Dorothée24, et a fortiori, des traductions latines, comme celle de Moïse de Bergame dans la seconde moitié du xiie siècle25, ou de celle qui a circulé en Italie du Nord26, toutes deux compilées à partir des inventaires précédents. Dans tous ces documents, les évêchés d’Orient se taillent la part du lion, puisque seulement trois sièges épiscopaux d’Occident sont cités : Milan (associé à Barnabé), Rome (associé à Lin, successeur de Pierre) et un siège de Bretagne, indéterminé (associé à Aristobule)27. C’est globalement sous cette forme, mais dans des recensions variées, que les listes disciples se répandent en Occident : au moment où il rédige la Légende dorée, Jacques de Voragine a connaissance de la liste issue du travail du Pseudo-Dorothée puisqu’il écrit, dans le chapitre qu’il consacre à Barthélemy : « Sur la façon dont se déroula la Passion de saint Barthélemy il y a des opinions divergentes. Saint Dorothée dit qu’il fut crucifié. Il affirme en effet : ‘‘Barthélemy prêcha aux Indiens, et il leur traduisit dans leur langue l’Évangile selon Matthieu. Il s’endormit à Albane, cité de la grande Arménie, après avoir été crucifié la tête en bas’’ »28.

  Ces sources sont clairement alléguées par l’auteur de la liste citée précédemment : « Céphas, blâmé par Paul à Antioche, qui ne se confond pas avec l’apôtre Pierre, comme en témoignent Clément, au cinquième livre des Hypotyposes, et Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique », et, plus loin « De tous les disciples susdits du Seigneur, il est possible de connaître le nom avec précision, tantôt grâce aux saintes Écritures, tantôt par d’anciens chroniqueurs, quelques fois parce qu’ils ont laissé des lettres », éd. et trad. F. Dolbeau, ouv. cité, p. 469 et 471. 23   Les lacunes sont peut-être liées aux défauts de transmission de ce manuscrit : voir F. Dolbeau, ouv. cité, p. 459-460 et p. 476-480 pour la publication du texte. 24   Cette version est datée de la fin du viiie siècle (F. Dolbeau, « Listes d’apôtres et de disciples », Écrits apocryphes chrétiens, ouv. cité, p. 460). Pour une édition de ce texte, voir F. Dolbeau, « Une liste latine de disciples et d’apôtres traduite sur la recension grecque du Pseudo-Dorothée », art. cité, p. 51-70. 25   F. Dolbeau, « Une liste ancienne d’apôtres et de disciples traduite du grec par Moïse de Bergame», art. cité, p. 299-314. 26   F. Dolbeau, « Une liste latine d’apôtres et de disciples compilée en Italie du nord», AB, t. 116, 1998, p. 5-24. 27   F. Dolbeau, « Listes d’apôtres et de disciples », Écrits apocryphes chrétiens, ouv. cité, p. 477479. 28   J.  de Voragine, La Légende dorée, éd. trad. sous la direction d’A. Boureau et M. Goullet, La Pléiade, éd. Gallimard, 2004, p. 676. Le rapprochement avec les recensions du Pseudo-Dorothée est établi par F. Dolbeau, « Une liste latine d’apôtres et de disciples compilée en Italie du nord», AB, t. 116, 1998, p. 14. 22

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À côté de ces inventaires proprement dits, quelques noms ont aussi circulé dans les Vies de saints. Dans ces cas, l’objectif des hagiographes n’est pas spécifiquement la recherche des soixante-douze noms des compagnons du Christ. Au hasard des épisodes de la Vie de leur héros, l’occasion leur est donnée de décrire le contexte de leurs actions et les noms de ceux qui les accompagnèrent. Le plus connu des développements de ce type est celui que Grégoire de Tours insère dans le premier livre de son Historia Francorum. Après avoir signalé que sous les consuls Dèce et Grat, Toulouse eut Saturnin comme premier évêque, il se sent obligé d’évoquer les autres dignitaires envoyés sur les sièges épiscopaux de Gaule : « Voici donc ceux qui furent envoyés : chez les Tourangeaux Gatien évêque, chez les Arlésiens Trophime évêque, à Narbonne, Paul, évêque, à Toulouse Saturnin évêque, chez les Parisiens Denis, évêque, en Auvergne Austremoine évêque, chez les Limousins Martial fut désigné comme évêque »29. Outre que ce précédent va nourrir les prétentions de plusieurs Églises, il va servir de modèles à plusieurs auteurs de légendes qui, en la modulant plus ou moins, l’intègrent dans leur vita. Ainsi, la Vie de sainte Marthe raconte que plusieurs disciples, venus, comme elle, d’Orient, venaient fréquemment la visiter. À l’occasion d’une digression, l’hagiographe rappelle comment saint Pierre les envoya évangéliser la Gaule : « Il donna à chacun d’eux une ville et une patrie : Arles à Trophime, Narbonne à Paul, Toulouse et la Gascogne à Saturnin, Limoges à Martial, Saintes et l’Aquitaine à Eutrope, Le Mans et la Bretagne à Julien, Bourges à Urcin, Tours à Gracien, Lyon à Irénée, Besançon à Ferjeux, Orange à l’autre Eutrope, Périgueux à Front, le Velay à Georges, toute la Gaule à Denis »30. Le catalogue des soixante-douze disciples de Bernard Gui dépend des deux traditions décrites. Comme les listes originaires d’Orient, c’est d’abord un dénombrement qu’il s’est fixé de faire, lequel, comme ces lointains modèles, doit combler les lacunes de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe. Par ailleurs, à l’image des listes partielles transmises par les Vitae, il privilégie la recherche des disciples venus évangéliser différentes régions de Gaule. Comme dans les premières, le texte biblique lui fournit de précieux témoignages, mais quand ils lui font défaut, il ne répugne pas, comme les secondes, à recourir aux données de la légende. Dès lors, même si ce catalogue a incidemment circulé sous forme de liste brute31, il n’est pas, dans sa conception et dans la majorité des manuscrits qui le diffusent, la simple série de soixante-dix ou soixante-douze   Grégoire de Tours, Histoire des Francs, éd. Les Belles Lettres, 1999, p. 55.   BHL 5545-5546, éd. Mombritius, II, p. 234. 31   C’est le cas par exemple du ms lat 4348 de la BnF : il ne donne que les noms et l’ordre des disciples retenus par Bernard Gui (fol. 26v°-28). 29

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noms qu’étaient les documents plus anciens32. Pour la moitié environ de ces disciples, Bernard Gui cite ses sources, produit des preuves et rédige parfois de véritables Vies abrégées. Concernant le catalogue proprement dit, le premier état, daté de 1313, ne fournit que soixante-sept noms. Au cours d’une phase de remaniements, qu’il est difficile de dater précisément, mais qui est contemporaine de la rédaction de la seconde partie du Speculum sanctorale, Bernard Gui ajoute à sa liste primitive Georges, premier évêque du Velay, et Luc l’évangéliste, ce qui porte à soixante-neuf le nombre total des disciples. D’autres retouches, qui concernent le contenu de quelques notices, sont apportées à cette occasion, puis plus tard. L’ensemble est encadré d’un court prologue puis d’une liste récapitulative des noms des disciples. Si la tradition d’associer un siège épiscopal à chaque nom s’est largement répandue, le catalogue de Bernard Gui montre une différence de traitement entre saints orientaux et occidentaux. Bernard Gui ne traite jamais les premiers en évêques, soit qu’il n’ait pas connu le nom de leur évêché, soit qu’il l’ait sciemment passé sous silence. Ainsi, alors que la liste du PseudoDorothée, l’une des plus répandues, fait d’Aristarque l’évêque d’Apamée de Syrie, ou de Quartus le dignitaire de Beyrouth, Bernard Gui, qui les retient pourtant, ne les situe plus que par rapport aux textes bibliques : pour ce qui est d’Aristarque, il convoque deux très courts extraits, l’un de l’Épître aux Colossiens (« Aristarque, qui est prisonnier avec moi vous salue », Col. IV, 10), l’autre des Actes des apôtres (« et ces gens-là coururent en foule à la place publique où était le théâtre, entraînant Caïus et Arsitarque, Macédoniens qui avaient accompagné Paul… » Act., XIX, 29), qu’il complète à l’aide du martyrologe d’Usuard33. En ce qui concerne Quartus, il s’appuie sur une citation de l’Épître aux Romains (« Caïus, qui est mon hôte, et toute l’Église vous saluent. Eraste, trésorier de la ville, vous salue, et notre frère Quartus », Rom. XVI, 23), qu’il enrichit à nouveau du martyrologe d’Usuard34. Finalement, les notices qui accompagnent les noms de ces disciples, dans les faits plus longues que celles des simples listes – mais cette impression est largement due aux nombreuses citations littérales –, n’en sont pas moins privées de l’information qui passait pour essentielle dans ce type de document. Ce parti tranche avec celui qu’il réserve à une dizaine de saints honorés comme évêques en Gaule. Alors que ces listes ne réservent généralement qu’une place mineure aux saints vénérés en occident, Bernard Gui les fait entrer en force et réserve même

  Sur ce caractère formel des listes d’apôtres et de disciples, voir ce qu’écrit F. Dolbeau, « Listes d’apôtres et de disciples », Écrits apocryphes chrétiens, art. cité, p. 455-457. 33   BnF, ms nouv. acq. lat 1171, fol. 198. 34   BnF, ms nouv. acq. lat 1171, fol. 199. 32

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les premiers rangs aux « apôtres » du Midi. Ce faisant, il prend acte des recherches anciennes, effectuées de manière autonome dans le cadre de contexte singulier35, et les dépasse, en organisant sa matière en véritable petit traité. Les disciples venus d’orient pour évangéliser les régions de Gaule sont placés en tête du recueil et disposent des notices les plus longues. Neuf sont présentés comme les premiers évêques d’un Midi large (Martial, Saturnin, Georges, Front, Eutrope, Ursin, Trophime, Maximin et Lazare), auxquels s’ajoutent le premier évêque de Tours (Gratien) et le fondateur du siège épiscopal de Metz (Clément), ainsi que deux disciples de Martial qui ne sont pas pourvus de diocèses, Austriclinien et Alpinien. Cette liste n’est pas la copie de celle qui se trouve dans l’Historia francorum, et encore moins la fusion de celle-ci avec celle qu’on lit, par exemple, dans la Vie de sainte Marthe. Pour autant, les ressorts du choix de Bernard Gui, en absence de justifications de sa part, restent, au seul examen du document, particulièrement obscurs. Pour ces disciples du Midi, Bernard Gui fonde le contenu de son catalogue sur des données hagiographiques et résume les Vies qu’il a eues en sa possession. Alors que certains textes du catalogue sont très développés – du moins par rapport à ce qui est habituellement pratiqué dans le genre des listes –, les points communs avec ceux du légendier restent limités. Les emprunts à la Vie de saint Martial (BHL 5552) n’excèdent pas quelques mots. Ils sont un peu plus nombreux pour saint Georges ou pour saint Saturnin, et en ce qui concerne ce dernier, Bernard Gui puise aussi dans son catalogue des évêques de Toulouse36. Quantitativement, cette faiblesse des réemplois s’explique par le degré et donc la technique d’abréviation qu’il utilise : pour le catalogue des disciples, les Vies sont réduites par concision, ce qu’il ne pratique pas lorsqu’il adapte les mêmes sources à son Speculum sanctorale. Ceci dit, la parenté d’idée et de contenu ne fait pas de doute : ce sont bien les Vies qu’il convoque comme preuve de l’apostolicité de ces personnages. Le cas de Maximin, premier évêque d’Aix, le confirme. Lorsque Bernard Gui rédige la première version de son catalogue des disciples (1313), il est en mesure de n’écrire que quelques lignes relatives à ce personnage. En revanche, la seconde version s’accompagne d’un texte beaucoup plus fourni, un résumé de la vita qui se trouve à l’identique dans le Speculum sanctorale37. Cet élément est un de ceux à verser au profit   On connaît bien le cas de la réécriture par Adhémar de Chabannes de la Vie de saint Martial, qu’il attribue au pseudo-Aurélien. Sa réécriture est liée à la nécessité d’asseoir l’autorité de l’abbaye détentrice des reliques, dans le cadre de la paix de Dieu : voir R. L andes et C. Paupert, Naissance d’apôtres. La vie de saint Martial de Limoges, un apocryphe de l’an Mil, coll. Mémoires premières, éd. Brepols, Turnhout, 1991. 36   Nomina episcoporum Tholose, Toulouse, BM, ms 450, fol. 248-248v°. 37   Speculum sanctorale, Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 139. 35

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d’une révision du catalogue des disciples concomitante à la rédaction de la seconde partie du légendier. Parallèlement, il montre aussi que c’est bien des renseignements hagiographiques que Bernard Gui entend tirer les preuves de l’apostolicité des premiers évêques du Midi. Cette collusion entre les deux recueils ne doit pas être minorée, ou seulement mise sur le compte de la copie mécanique et de la compilation. En effet, le travail accompli par Bernard Gui dans le cadre du catalogue des soixante-douze disciples est de nature à modifier le statut de cette dizaine de saints honorés dans le Midi. Aussi, il ne les intègre pas dans son Speculum sanctorale parce qu’ils sont évêques de tel ou tel diocèse méridional, mais parce qu’ils sont avant tout disciples du Christ. La recherche sur l’apostolicité se justifie, non pas tant pour associer un saint à un évêché, que pour les lier plus étroitement à l’Église universelle. En effet, on peut imaginer que si son seul objectif avait été de donner un inventaire fidèle des sièges apostoliques, il aurait d’une part recherché ceux que la tradition attribue aux disciples connus par les Actes des apôtres ou les Épîtres pauliniennes, tandis que de l’autre, il n’aurait pas retenu les compagnons de Martial. L’apostolicité apparaît bel et bien comme l’objectif principal du recueil, et c’est en raison de ce résultat que Bernard Gui les intègre ensuite dans son légendier. Faire, de l’inscription dans le Speculum de saints comme Front, Saturnin, Alpinien etc, l’expression d’une hagiographie locale et particulariste, c’est trahir l’objectif du compilateur. L’une des préoccupations de Bernard Gui est donc l’universalisation des saints locaux. Cependant, chercher la preuve de leur proximité avec les apôtres n’est pas le seul moyen qu’il utilise pour cela. En effet, d’autres saints locaux gagnent aussi en universalité en étant, dans le Speculum sanctorale, situés dans le giron de saints considérés comme des apôtres. Cette construction de cycles hagiographiques permet une diffusion de l’apostolicité et un rattachement des Églises à l’Église plus étendue que par le seul fait des disciples. 2– Une « apostolicité différée » a– Le traitement des cycles hagiographiques Les légendes que Bernard Gui a retenues pour son Speculum sanctorale, et la manière dont il les insère dans cette collection, trahissent son regard sur les liens qui ont pu exister entre les saints supposés avoir vécu aux temps apostoliques. Dans certains cas, la déconstruction en autant de Vies séparées des « sagas » hagiographiques qui se sont formées autour d’un fondateur de diocèse, aboutit à une multiplication des disciples du Midi. Dans d’autres cas, la mise en relation, par les vitae, des saints inscrits au catalogue des soixante-

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douze disciples du Christ contribue à renforcer la cohérence des étapes de l’évangélisation d’une partie de l’occident. Premièrement, l’habitude de Bernard Gui de traiter isolément des saints qui étaient unis dans ses sources, a déjà été relevée, et mise en relation avec la nature encyclopédique du recueil. Il faut y revenir brièvement, pour un petit nombre d’entre eux seulement, afin de voir comment ce choix modifie la fonction de certains saints et permet à l’hagiographe de démultiplier le nombre de ces héros des temps apostoliques, associés au Midi. Le premier cycle pourvoyeur de disciples est celui de saint Martial, dans la version attribuée au Pseudo-Aurélien38. Dans le Speculum sanctorale, comme dans le catalogue des soixante-douze disciples et dans celui des reliques du Limousin, Bernard Gui en extrait le nom de saint Alpinien, qu’il dote d’une Vie propre. Réduite à quelques lignes dans les deux opuscules, elle est beaucoup plus longue dans le légendier39. Celle-ci raconte comment Alpinien après la mort de Martial, prêcha l’Évangile. Dans cette optique, il n’est plus disciple du disciple, ni accompagné par Austriclinien : il est un apôtre à part entière, qui répand la foi et fait de nombreux miracles. Pour asseoir ce statut prestigieux, le lien avec Martial n’est pas totalement coupé. Bernard Gui l’évoque d’abord comme un modèle : Alpinien, écrit-t-il, fut un éminent imitateur de son maître40. Il n’est donc pas un disciple au rabais. Par ailleurs, la filiation spirituelle entre les deux saints est rappelée lorsque Alpinien vit ses derniers instants : Martial lui apparaît, le félicite pour le travail accompli et l’appelle à le rejoindre. De la Vie de saint Martial, Bernard Gui extrait aussi une longue Passion de sainte Valérie41. La légende aurélienne raconte que lorsque Martial, tout juste arrivé à Limoges, est hébergé dans la maison de Suzanne et de Valérie, sa fille. Témoins de la guérison par Martial d’un homme possédé par le démon, toutes les deux réclament le baptême. Après la mort de Suzanne, Valérie s’attache à Martial, fait vœu de rester vierge, et distribue ses richesses aux pauvres. Étienne, le païen à qui Valérie était promise en mariage, la fait décapiter. Martial l’ensevelit et ordonne l’édification d’une église sur le sépulcre de la vierge. Dans le Speculum sanctorale, ces épisodes sont amplement développés et complétés par plusieurs informations. Outre le récit de l’édification de l’église, Bernard Gui rapporte les événements miraculeux qui suivent le martyre de Valérie : Le corps décapité de la sainte se relève immédiatement, prenant dans ses mains la tête, puis se rend à la ville jusqu’à la basilique où saint Martial célébrait les

  BHL 5552.   Speculum sanctorale, Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 66v°-67. 40   Beatus Alpinianus, sancti Martialis magistri sui imitator egregius, Toulouse, BM, ms 481, fol. 67. 41   Speculum sanctorale, Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 121-122. 38 39

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divins mystères pour le martyre de la sainte. Sur les dalles de l’église, ses pas impriment une marque indélébile42. Le corps dépose la tête aux pieds de Martial, puis se laisse choir. L’épisode que rapporte Bernard Gui est construit sur un parallélisme évident avec celui du martyre de Denis, apôtre de la Gaule, ce qui ne manque pas de donner à la sainte une importance supplémentaire. De plus, et cela non plus n’est pas anodin, Bernard Gui gratifie la sainte du titre de «prothomartyre des Gaules »43. Cet éclatement des cycles hagiographiques en autant de Vies propres, dont l’un des modèles les plus classiques a pu être les Vies de Maximin, Marthe et Marie Madeleine, contribue à multiplier les saints méridionaux, tous dépeints comme des disciples à part entière. À travers eux, l’apostolicité de leur premier maître s’étend à d’autres régions. Irrémédiablement lié à Martial, Alpinien n’évangélise pas la même région que lui, ce qui fait que traiter ce saint en le mettant à part du grand cycle aurélien permet la transmission de l’apostolicité par un autre intermédiaire. Le même raisonnement vaut pour saint Papoul à l’égard de saint Saturnin. Au bout du compte, les Églises méridionales qui participent originellement de l’Église universelle sont plus nombreuses que ne le laissait croire la liste des disciples transmise par Grégoire de Tours par exemple. Parallèlement, Bernard Gui use d’un autre procédé pour mettre en valeur cette présence de l’Église universelle dans le Midi. Du point de vue du traitement de ses sources, ce parti pris repose sur des choix strictement opposés à ceux qui viennent d’être immédiatement présentés. La Vie de saint Front de Périgueux est représentative de cette seconde attitude. La source que retient Bernard Gui pour intégrer une Vie de saint Front dans son Speculum44, rapporte qu’au cours de sa mission évangélisatrice, il visite à plusieurs reprises d’autres disciples. Uni d’abord à Georges, il prêche ensuite seul et obtient de nombreuses conversions, d’abord sur les rives de la Garonne et à Bordeaux, puis à Saintes (où se trouve Eutrope) Poitiers, Sens, Soissons. Il guérit la fille du duc de Lorraine, et en profite pour seconder saint Clément, l’apôtre de cette région, auprès duquel il demeure quelques temps. Front se rend ensuite en Provence, où il visite Marthe. Si l’on s’en tient au constat que Bernard Gui déconstruit les grands cycles hagiographiques et que généralement il préfère nourrir de ces informations les Vies propres à chaque saint, on s’attend à ce qu’il supprime 42   Jean-Loup Lemaitre a donné un utile résumé de tous les épisodes de la Vie de Valérie dans la Vie écrite dans le Speculum sanctorale, « Sainte Valérie. Sa vie, son culte, d’après les textes limousins », Valérie et Thomas Becket. De l’influence des princes Plantagenêt dans l’œuvre de Limoges, Limoges, 1999, p. 30-32. 43   C’est le titre du chapitre du Speculum sanctorale : « Sancte Valerie virginis et prothomartiris Galliarum, IIII° idus decembris, ex gestis ejus », Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 121. 44   Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 126-136.

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ces longs développements, ou du moins qu’il les allège des éléments relatifs aux autres disciples pour se concentrer sur ce qui touche directement la mission évangélisatrice de Front. Or, contre toute attente, ces informations subsistent dans le texte du Speculum sanctorale. C’est le signe que Bernard Gui y a attaché une certaine importance. Cela se comprend d’ailleurs : elles renforcent l’apostolicité des disciples, puisqu’elles en font des contemporains. Par ailleurs, la Vie de Front, ainsi orientée, laisse penser que les disciples se sont concertés, ce qui renvoie l’image d’une Église très tôt relativement unifiée. Enfin, les périples de saint Front empêchent de voir en lui un saint local. De quelque manière qu’on aborde cette question, il apparaît que beaucoup de saints du Midi inscrits dans le Speculum sanctorale sont sciemment arrachés à leur contexte local et particulariste. Bernard Gui a d’abord mis en valeur leur participation à l’Église universelle. Cette intention fut prédominante car il la transpose, de manière habile, aux Vies de saints qui se sont déroulées bien après les temps apostoliques, dans l’entourage de saint Rémi. b– L’apostolat de saint Rémi et les nouveaux apôtres des Gaules Au Moyen Âge, Rémi est d’abord le patron de Reims. Des liens particuliers l’unissent aux habitants de la ville, et aux archevêques, qui tirent de cette filiation un grand prestige45. À partir du ixe siècle cependant, la volonté d’étendre le culte de Rémi se traduit par l’attribution progressive du titre de Francorum apostolus à celui qui baptisa Clovis. L’artisan principal de cette modification de perspective est Hincmar : il est le premier à reconnaître à Rémi des vertus apostoliques, et finalement, à en faire un véritable apôtre. Avant lui cependant, des efforts pour rehausser le statut du saint existent. Alcuin, déjà, le nomme Francorum doctor. Au bout de ce processus de lente maturation, le titre prestigieux d’apostolus se trouve pour la première fois dans la vita Remigii rédigée par Hincmar (BHL 7152-7164). Pour contourner les difficultés de chronologie et de préséance, l’hagiographe précise en quels sens Rémi est un apôtre : ce titre lui est du, parce qu’il a été institué par le Saint-Siège, autrement dit, il est apôtre par délégation du pouvoir de Pierre. Discrète dans la vita, cette titulature excep-tionnelle se répand au xe siècle et est adoptée dans les textes émanant des chancelleries royales. On la retrouve par exemple dans un diplôme donné en 917 par Charles le Simple en faveur de Saint-Rémi de Reims, puis de manière très intéressante, dans plusieurs actes d’Otton III, où il faut voir sans doute l’influence du pape Gerbert, l’un des promoteurs, après Hincmar, du titre de   Ce thème est étudié en détail par Ph. Depreux, « Imbuendis ad fidem prefulgidum surrexit lumen gentibus. La dévotion à saint Rémi de Reims aux ixe et xe siècles », Cahiers de civilisation médiévale, 35, 1992, p. 111-129. Tout ce qui suit sur l’attribution à Rémi du titre d’apôtre des Francs est tiré de cet article précis dans sa documentation et très fouillé. 45

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Francorum apostolus, dont est gratifié saint Rémi. On peut relever que l’adoption de ce vocabulaire par les Ottonides l’extrait radicalement de la sphère rémoise, où il est né et dans laquelle il était encore maintenu avec le diplôme de Charles le Simple. À un moment donné, il se peut donc que cette extension ait eu partie liée aux deux grandes logiques qui incarnent l’idée d’universalité, à savoir celle d’Église, mais aussi celle d’empire. En l’absence de toute réflexion de Philippe Depreux sur ce point, on laisse à d’autres le soin d’étayer ou de contredire cette hypothèse. Ce qu’il convient de retirer de ses recherches, c’est l’idée qu’aux ixe et xe siècles, la sainteté de Rémi est comparée à celle des apôtres. Il a prêché, et surtout il a converti, avec les résultats que l’on sait pour le devenir de tout un royaume, par un moyen des plus symboliques : le baptême. Or, lorsque l’hagiographe, par sa lecture de l’histoire, a réussi à faire admettre que Rémi est un apôtre, l’essentiel est fait. Il ne reste qu’à lui attribuer quelques disciples. La quatrième partie du Speculum sanctorale comporte naturellement une vie de saint Rémi46. Bernard Gui s’appuie sur la vita d’Hincmar, qu’il élague, et son texte ne donne pas à lire l’expression de Francorum apostolus au sujet de Rémi. Ceci dit, son texte témoigne quand même du fait que cette idée est toujours vivace dans le premier tiers du xiv e siècle et qu’elle fut même encore développée. En effet, à l’issue de la vita proprement dite, il ajoute plusieurs petits paragraphes, relatifs à la date de la mort du saint, puis aux tombeaux qui se trouvent aussi dans la crypte de Saint-Rémi de Reims. Surtout, il rapporte que l’ « apôtre des Francs », par sa qualité de baptiste, s’est vu associer de nombreux disciples, lesquels ont ensuite, depuis Reims, essaimé et rejoint un diocèse. Il écrit en effet : Saint Rémi a eu aussi plusieurs disciples dans l’enseignement des moeurs et encore des fils spirituels dans le baptême, qui brillèrent par leur vie sainte et leurs miracles. Saint Vaast, dont la Vie fut rédigée par Alcuin, qui est aussi appelé Albinus, a été donné par saint Rémi comme compagnon au roi Clovis, afin que celuici soit instruit par lui dans la foi. Par la suite, Rémi l’ordonna évêque d’Arras. Saint Léonard de Limoges a été baptisé par saint Rémi et instruit dans la discipline du salut. Saint Arnulphe, dont le père, Rogatien, et la mère, nommée Euphrosyne, furent baptisés par saint Rémi, était fils de Rémi par le baptême47.

  Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 145v°-149v°.   « Sanctus quoque Remigius plures habuit discipulos in doctrina morum et etiam spirituales filios in baptismo, qui sanctitate vite et miraculis claruerunt. 46 47

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Ainsi, l’appendice qu’ajoute l’hagiographe dominicain à la Vie de saint Rémi traduit par des « faits » le rôle qui est suggéré dans l’expression « apôtre des Francs » et dans son rôle de baptiste. Rémi draine à lui des disciples, pour qui il est un modèle (comme Martial l’était pour Alpinien), avant que ceux-ci, dans leur diocèse ou les régions où ils s’installent, ne suscitent à leur tour quelques vocations. L’éminence du baptême conféré par Rémi est telle qu’elle crée des filiations spirituelles par delà les générations. Comme Clovis incarne la christianisation du royaume, ses familiers deviennent des fers de lance d’une seconde vague d’évangélisation. Or, dans le cadre du Speculum sanctorale, traiter ainsi des saints au rayonnement mineur, revient à les extraire d’une sphère strictement locale pour les situer dans le droit fil de l’histoire la plus prestigieuse du royaume et de l’Église48. 3– Universalisation puis ouverture du sanctoral : sens d’une évolution Les documents mettent donc en exergue le désir, ou le besoin, de diversifier le peuple des saints inscrit dans le légendier dominicain. Même si cela constitue une rupture par rapport aux choix du siècle précédent, ce phénomène n’est pas tout à fait nouveau et original puisque, de ce point de vue, le Speculum sanctorale conforte les constats et déductions établis par André Vauchez sur la base de cas italiens49. Dès les premières années du xive siècle50, en Ombrie et en Toscane, les ordres mendiants perçurent le danger qu’il y avait à maintenir, envers et contre tout, une attitude de défiance à l’égard des cultes locaux. Soucieux de ne pas se couper, sous prétexte d’universalisation du sanctoral, d’une part importante de leur soutien en ville, ils acceptèrent de s’ouvrir aux cultes locaux, avec l’idée que les contrôler serait tout aussi efficace pour imposer leur vision de la sainteté. Il semble donc acquis que, au tout début du xive siècle en Italie, Sanctus Vedastus cujus vitam scripsit Alcuinus ; qui et Albinus dictus est, datus fuit a sancto Remigio in socium Clodoveo regi, ut ab eo instrueretur in fide. Quem postmodum Remigius Attrebatensem episcopum ordinavit. Sanctus Leonardus Lemovicensis fuit a sancto Remigio baptisatus et instructus salutaribus disciplinis. Sanctus Arnulphus fuit sancti Remigii in baptismo filius, cujus pater Rogacianus et mater nomine Eufrosina fuerunt a sancto Remigio baptisati. », Toulouse, BM, ms 481, IV, fol. 149v°. À Toulouse, au xvie siècle, le juriste Nicolas Bertrand, auteur d’une Geste des Toulousains, rapporte le même type de filiation avec saint Germier, futur évêque de la ville : ce dernier, familier de la cour de Clovis, aurait reçu de Rémi les insignes de son pouvoir avant de rejoindre son diocèse. L’épisode, bien connu des historiens de la ville, est absent du Speculum sanctorale de Bernard Gui. 48   Saint Vaast et saint Léonard de Limoges disposent dans le Speculum sanctorale, en plus de cette note qui achève la Vie de saint Rémi, d’une Vie propre (ms 481, IV, fol. 28v° pour saint Vaast ou Védaste, et, dans la même partie, fol. 167 pour Léonard de Limoges. 49   A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, éd. École française de Rome, 1981, p. 243-256. 50   Le mouvement débute dès la fin du xiiie siècle chez les franciscains, A. Vauchez, ouv. cité, p. 245.

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quelques décennies plus tard en Languedoc, les frères prêcheurs prennent la mesure de toute la difficulté d’exporter hors des limites de l’ordre un sanctoral construit pour les frères et réfléchissent, au gré des situations locales, à un meilleur moyen d’articuler leurs vues universelles au besoin de particularisme des communautés auprès desquelles ils se sont installés. Dans les villes italiennes, franciscains et dominicains s’attachèrent alors tout particulièrement à la promotion des fidèles, essentiellement des femmes, qui gravitaient autour d’eux, dans le cadre des tiers ordre. Ils développèrent le culte de recluses et de pénitentes laïques ayant vécu dans leur sillage, comme Agnès de Montepulciano, Benvenuta Bojani à Cividade du Frioul, Marguerite de Città di Castello ou encore Villana de’ Botti, à Florence. Pour cela, les frères prêcheurs s’attachent à la rédaction, puis à la diffusion de leurs Vies. Le dominicain Jean del Coppo met par écrit la Vie de Fina de San Giminiano. C’est alors l’occasion de réécrire des Vies qui, dans certains cas, avaient été initialement composées par des moines ou des séculiers, et, ce faisant, de mettre à jour les actes de ces saintes femmes à la lumière des critères de sainteté spécialement diffusés par les frères. Ainsi, le corpus de documents privilégiés par André Vauchez montre en quel sens les frères prêcheurs ont compensé l’étroitesse de leur sanctoral et leur discours de promotion d’une sainteté universelle. Par cette appropriation littéraire et cultuelle des saintes laïques, ils conservent habilement le contrôle de la religiosité urbaine contemporaine, tout en diffusant leurs propres modèles. Contrairement à ce que supposait, certes avec nuances, André Vauchez51, cette évolution n’est pas entièrement transposable au Midi, et encore moins au Languedoc. Les solutions qui furent trouvées au-delà des Alpes n’ont pas été généralisées au Midi français. Plusieurs éléments vont dans ce sens : d’abord, dans la France méridionale, la sainteté laïque a un caractère tout à fait exceptionnel. Les seuls cas avérés de sainteté laïque apparus, puis instrumentalisés dans un cadre mendiant, sont ceux d’Elzéar et Dauphine de Sabran. Tous deux appartiennent à un second xiv e siècle : le procès de canonisation d’Elzéar se tient de 1351 à 1352, mais il faut attendre 1369 pour qu’Urbain V proclame la bulle définitive. Quant à Dauphine, le procès en vue de sa canonisation

  « …au xiv e siècle, les Ordres Mendiants, inquiets, semble-t-il, de voir se multiplier des dévotions sur lesquelles ils n’avaient aucune prise, abandonnèrent leur attitude initiale de défiance vis-à-vis des saints locaux et cherchèrent à contrôler ces cultes pour imposer, à travers eux, leurs propres modèles de sainteté. L’entreprise débuta dans des régions comme l’Ombrie et la Toscane, qui furent très tôt profondément influencées par les Frères Mineurs et Prêcheurs. Elle s’étendit ensuite à l’ensemble de l’Italie et de la Provence, et dans une moindre mesure, au Languedoc et à la Catalogne. », A. Vauchez, ouv. cité, p. 243.

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s’ouvre à Apt en 1363, soit trois ans après sa mort52. Surtout, Elzéar et Dauphine gravitent dans un milieu qui n’est ni languedocien, ni spécialement influencé par les frères prêcheurs, mais plutôt par les franciscains : ces nobles vivent d’abord entre Naples et la Provence, et après la mort d’Elzéar en 1323, Dauphine se défait de ses biens, prononce le vœu de pauvreté et s’établit comme béguine à Apt, à proximité d’un couvent de frères mineurs. Cet exemple méridional, unique, n’a donc rien à voir avec les efforts dominicains pour élargir le sanctoral et le connecter de manière plus harmonieuse avec les dévotions populaires contemporaines. À bien des égards, le cas des nobles de Sabran apparaît comme une extension à l’ouest des évolutions constatées en Italie. À aucun moment ce modèle ne paraît franchir le Rhône. Il ne semble pas que l’on ait déjà cherché à comprendre, d’une part cette inadaptation du modèle italien au Midi non provençal, de l’autre, l’absence, dans la même région, d’une sainteté des laïcs. Cette double question est pourtant de nature à modifier quelque peu le rôle des mendiants à l’égard des populations locales, soit qu’ils encouragent un style de vie, soit qu’ils répondent au besoin de saints propres. Pour l’heure, on s’en tiendra donc au constat : le besoin de diversifier le sanctoral de l’ordre existe aussi en France méridionale, mais il ne passe pas, comme en Italie, par la prise en considération, puis le contrôle, d’une sainteté laïque et urbaine. Par le biais du Speculum sanctorale de Bernard Gui, il semble que cet effort porte surtout sur la réhabilitation des saints locaux, ce qui est d’autant plus simple lorsqu’ils sont, d’une manière ou dune autre, reliés aux temps apostoliques. Les apparences sont alors sauves, puisque une telle ouverture du sanctoral ne remet pas fondamentalement en cause les vues universelles supportées par l’uniformisation accomplie au milieu du xiiie siècle. Reste une inconnue : ces choix étaient-ils de nature, comme dans les cités italiennes, à garantir l’adéquation avec les cultes populaires ? En contrepoint de l’évolution italienne, il est clair que les voies par lesquelles Bernard Gui élargit le sanctoral du légendier ne supportent pas les formes les plus modernes de la sainteté et des dévotions urbaines. Ceci dit, si ces dernières étaient effectivement si peu présentes en Languedoc, dans le premier tiers du xive siècle, le sentiment d’une inadéquation partielle du sanctoral avec son temps n’a pas de raison d’être. Ce cas de figure corrobore les corrections apportées par André Vauchez au schéma trop mécanique du passage d’un modèle privilégiant,   Sur ces deux canonisations, voir « La religion populaire dans la France méridionale au xiv e siècle, d’après les procès de canonisation », La religion populaire en Languedoc du xiiie siècle à la moitié du xiv e siècle, CF, t. 11, 1976, p. 91-107. Les autres canonisations de saints méridionaux concernent des clercs. À l’exception du procès pour la canonisation de Louis d’Anjou (il a lieu en 1308), les autres sont tardifs : celui d’Urbain V se tient de 1372 à 1381, celui du cardinal Pierre de Luxembourg s’ouvre en 1390. 52

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au haut Moyen Âge, une sainteté admirable, mais inaccessible, à un modèle, au bas Moyen Âge, favorisant les saints imitables53. Dans les faits, un modèle ne chasse pas l’autre, ce qui fait que la réhabilitation, par le Speculum sanctorale, de saints martyrs et compagnons du Christ, ne préjuge en rien de son caractère archaïque. Si, faute de sources, il est difficile de montrer que l’extension du sanctoral telle que l’opère Bernard Gui correspond à une volonté de contrôler les formes de la religiosité urbaine, il est en revanche acquis qu’elle témoigne d’une meilleure prise en compte, par les dominicains, des dévotions encore vivaces dans les lieux où sont implantés leurs couvents. B– Le Midi présent dans l’Église universelle Par sa réflexion sur l’apostolicité des saints méridionaux, Bernard Gui s’est donc appliqué à montrer l’ancienneté de la présence de l’Église universelle dans cette région. En marge de cette réécriture, et après plus d’un demi-siècle de diffusion puis de pratique d’une liturgie unifiée, les frères du couvent de Toulouse ouvrent l’office à quelques saints locaux. Pour en comprendre l’ampleur, il est utile de revenir sur les sources de nature liturgique spécifiquement toulousaine, à savoir les trois calendriers du xiv e siècle connus54, et le lectionnaire du couvent de Toulouse55. D’un strict point de vue chronologique, cet ajout de saints locaux à l’office est contemporain de l’extension du sanctoral, qui est au cœur de la commande, par Bérenger de Landorre, du Speculum sanctorale. Cette coïncidence impose que, autant qu’on le puisse, soit démêlé le problème des relations entre ces deux phénomènes. 1– C  alendriers et lectionnaires toulousains : l’irrésistible actualisation de l’office a– Ouverture Le corpus des calendriers dominicains a été précédemment utilisé afin de montrer la diffusion de la réforme liturgique d’Humbert de Romans, puis   Le modèle initial est développé par André Vauchez dans Les laïcs au Moyen Âge. Pratiques et expériences religieuses¸Paris, 1987, et surtout dans « La sainteté du laïc dans l’Occident médiéval : naissance et évolution d’un modèle hagiographique (xiie-début xiiie siècle) », Problèmes d’histoire du christianisme, t. 19, Bruxelles, 1989, p. 57-66. Il est nuancé dans « Saints admirables, saints imitables : les fonctions de l’hagiographie ont-elles changé aux derniers siècles du Moyen Âge ? », Les fonctions des saints dans le monde occidental (iiie-xiiie siècle), actes du colloque organisé par l’École française de Rome et La Sapienza (27-29 oct. 1988), Rome, 1991, p. 161-172. 54   Toulouse, BM, ms 98, 103, 105. Ces deux derniers calendriers sont mutilés. 55   Toulouse, BM, ms 82. 53

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l’uniformité du sanctoral de l’ordre, qui en est la conséquence la plus visible. Loin de remettre en cause ces conclusions, il est utile de revenir sur les seuls calendriers conservés à Toulouse, pour montrer que la volonté d’élargir le sanctoral, perceptible dans le légendier, n’a épargné ni le calendrier, ni l’office. En effet, la tendance à ouvrir le sanctoral dominicain aux saints locaux se fait jour aussi dans les calendriers et dans le lectionnaire. Pour ce qui est des premiers, la collation des calendriers dominicains conservés à la Bibliothèque municipale de Toulouse et à la Bibliothèque nationale, impose de mettre à part le calendrier inscrit en tête du manuscrit 103 de Toulouse56. La confrontation de son contenu avec les actes des chapitres généraux permet de le dater du second tiers du xiiie siècle : la dernière fête inscrite est celle de sainte Marthe, ajoutée au calendrier dominicain par le chapitre de 1276. Wenceslas, ajouté en 1298, en est absent. Cette datation est en outre corroborée par les arguments stylistiques, avancés par les historiens de l’art, pour le missel qui suit le calendrier57. Il s’agit donc d’un manuscrit homogène et de grande qualité. Pour s’en tenir à son calendrier, ce document se distingue par l’inscription, le 2 septembre, de la fête de saint Antonin de Pamiers, le 28 septembre de celle de saint Exupère et le 22 octobre de la dédicace de l’église des Jacobins. De tous les calendriers dominicains consultés, celui qui accompagne le missel 103 est le seul qui porte mention d’une dédicace d’église. Des trois calendriers aujourd’hui conservés à Toulouse, c’est donc le seul pour lequel s’impose avec certitude son origine toulousaine. En effet, si la pratique d’inscrire cette dédicace était restée vivace dans ce couvent, on voit mal pourquoi elle n’apparaît pas dans les autres calendriers. Malgré tout, la faiblesse des témoins, et donc, des points de comparaison, impose la prudence. On notera seulement que de calendrier du missel 103, daté du troisième tiers du xiiie siècle, est le seul à ajouter deux saints locaux au sanctoral de l’ordre, et à inscrire la dédicace de l’église conventuelle.   Ce manuscrit, dont la part la plus importante est un missel à l’usage des dominicains, est bien connu des historiens de l’art. La qualité de sa réalisation et la finesse de ses enluminures et lettres ornées ont été maintes fois commentées. On verra par exemple A.  Auriol, « Le missel des Jacobins, manuscrit de la Bibliothèque de Toulouse », Les trésors des bibliothèques de France, Paris, 1934. 65-73 ; P. C azalès-R ico, Les manuscrits du couvent des dominicains de Toulouse (xiiie-xiv e siècles). Étude stylistique et iconographique. Thèse de doctorat dactylographiée, Université Paris IV-Sorbonne, 1995, p. 366-367. En ce qui concerne le décor des manuscrits dominicains, on le verra le travail récent de H. H aruna-Czaplicki, Les manuscrits enluminés exécutés pour Bernard de Castanet, évêque d’Albi de 1276 à 1308, et la production du livre à Toulouse aux alentours de 1300, thèse de doctorat sous la dir. de M. Pradalier-Schlumberger, Université Toulouse-Le mirail, dactyl, 2006. 57   Les rapprochements faits par les historiens de l’art entre les enluminures contenues dans ce missel et le diptyque de Rabastens permettent de situer sa réalisation dans les vingt dernières années du xiiie siècle (M. Hours, « Diptyque de la confrérie de Rabastens au musée de Périgueux », Bulletin du laboratoire du musée du Louvre, Paris, septembre 1959, p. 4). 56

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Les perspectives qu’ouvre le contenu particulariste de ce calendrier sont quelque peu brouillées par les problèmes que pose sa datation. En effet, après une phase d’uniformisation liturgique, décisive pour la construction d’un ordre en plein essor, l’ouverture des frères aux dévotions locales est attestée, tant dans les villes italiennes, que dans le légendier commandé par Bérenger de Landorre. Aussi, la présence d’Antonin de Pamiers et d’Exupère, évêque de Toulouse, dans un calendrier à l’usage du couvent de cette ville, n’est pas, en soi, une véritable surprise. Ce qui l’est, en revanche, c’est la précocité de ces mentions, et, dans une moindre mesure, leur unicité. Dans de telles conditions, les hypothèses formulées ne peuvent que s’appuyer sur l’origine supposée des autres calendriers dominicains conservés à Toulouse : si ces derniers ont aussi été réalisés à l’usage du couvent de Toulouse, le calendrier du missel 103 apparaît comme un reliquat de la liturgie antérieure à l’uniformisation ; au contraire, si ces derniers ne sont effectivement toulousains que par les hasard de la circulation des livres, puis de leur conservation, alors il faut conclure à la spécificité du calendrier contenu en tête du missel 103, et probablement donc de tout l’office toulousain. À ce stade, le recours au lectionnaire rédigé à Toulouse au xive siècle fournit des arguments qui poussent à privilégier cette seconde hypothèse. En effet, par rapport au lectionnaire du « Prototype », qui est son modèle, le copiste de ce lectionnaire toulousain du début du xiv e siècle ajoute neuf leçons à la mémoire de saint Antonin de Pamiers (2 septembre)58, neuf leçons dédiées à saint Exupère (28 septembre)59 et neuf leçons pour commémorer saint Saturnin (29 novembre)60. Ces ajouts ne sont pas marginaux : ils prennent place dans le corps du texte, à l’emplacement dicté par le calendrier liturgique. Il y a donc, à Toulouse, certes la volonté de copier à l’identique le lectionnaire de l’ordre, mais aussi d’y ajouter trois fêtes locales. Ce faisant, il y a donc une mise en conformité du lectionnaire au calendrier du couvent, ce qui est normal, mais qui tend à prouver que trente ans après sa confection, le calendrier du missel 103 est toujours d’actualité. Les trois offices sont à neufs leçons chacun, ce qui montre l’importance que l’on accordait à ces fêtes, et donc à ces saints. b– Un particularisme réel ou un effet de sources ? En l’état de l’examen des sources, pour les xiiie et xiv e siècles, seul le calendrier qui provient, avec certitude, du couvent de Toulouse témoigne d’une volonté de diversification du sanctoral et de son ouverture effective aux saints   Toulouse, BM, ms 82, fol. 125v°.   Toulouse, BM, ms 82, fol. 146v°. 60   Toulouse, BM, ms 82, fol. 193v°. Saturnin est inscrit au calendrier de l’ordre, mais il est absent du lectionnaire rédigé par Humbert de Romans. 58 59

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locaux. Ce qui empêche d’évacuer ce témoin unique, ou de le tenir pour tout à fait exceptionnel, c’est qu’il est conforté par les apports locaux du lectionnaire rédigé à Toulouse, peu après 1307. On l’aura compris, le problème essentiel vient de l’absence totale de points de comparaison. Dans ces circonstances, il est impossible de dire si le cas toulousain est un épiphénomène, le seul témoin d’une réalité plus répandue, ou l’annonce d’une transformation à venir. Les autres calendriers dominicains conservés à Toulouse ou à la Bibliothèque nationale de France sont tous conformes au « Prototype », plus ou moins complétés, selon leur date de composition, des ajouts décidés par les actes des chapitres. L’annexe 2 et les développements précédents le montrent, il n’y a donc pas lieu d’y revenir. L’extension de l’enquête aux calendriers du Saint-Empire, de l’Europe nordique et orientale61, ne donne aucun résultat pour les xiiie et xiv e siècles : tous les calendriers dominicains répertoriés (il y en a six) datent du dernier tiers du xve siècle ou du xvie siècle. À toutes fins utiles, signalons que le plus récent de ces calendriers, originaire de Milan, daté de 1476, indique lui aussi des fêtes propres à ce diocèse : le 8 février, les frères du couvent célèbrent la translation à Milan des reliques de l’apôtre Matthieu à Milan ; par ailleurs, ils ont inscrit à leur calendrier les fêtes de trois évêques milanais : saint Eustorge, fêté le 18 septembre, saint Magni, le 3 novembre, et saint Eugène, le 30 décembre. Ces mentions semblent plaider en faveur d’une banalisation de l’élargissement du sanctoral aux fêtes locales. Mais là encore, la faiblesse des témoignages, leur éloignement chronologique et géographique, et donc l’impossibilité de traiter les calendriers en série homogène, ne peuvent fournir que des indices dans ce dossier de l’articulation progressive entre sanctoral de l’ordre et sanctoral diocésain. Le phénomène est sans doute réel, mais il reste fugace, signe, peut-être, de la part réelle que les dominicains ont bien voulu consentir aux dévotions locales. En attendant d’avancer sur cette question, il n’est pas inutile de voir le contexte de cette réouverture du sanctoral liturgique, notamment par rapport à ce que l’on sait du développement du même phénomène dans le cadre du légendier. En effet, la confrontation de la liturgie et de l’hagiographie s’est avérée opératoire pour comprendre l’universalisation progressive du légendier, son détachement de l’horizon diocésain, et sa constitution en collection identitaire. Dans quelle mesure le processus inverse, repérable au xiv e siècle, dépend-il lui aussi de cette filiation entre hagiographie et liturgie ?   H. Grotefend, Zeitrechnung des deutschen Mittelalters und der Neuzeit, 2 t. en 3 vol., HanovreLeipzig, 1891-1898, réimpr. Aalen, 1970-1984. Ces calendriers ont été « vus » par l’intermédiaire de la base de données électronique (D. Muzerelle, Calendoscope, logiciel d’aide à l’identification des calendriers liturgiques médiévaux, Paris, site web de l’IRHT, 2005. (Ædilis, Bases de données et logiciels, 2) [En ligne http ://calendriers.irht.cnrs.fr]. 61

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2– Les ajouts au lectionnaire : de l’hagiographie à la liturgie ? Le lectionnaire conservé dans le manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse est rédigé entre 1307 (date du dernier ajout : la fête de saint Alexis) et avant 1313 (date d’inscription de la fête de Pierre de Morrone, absente du lectionnaire) ou, au plus tard, en 1332 (la première fête ajoutée par le second copiste est celle de saint Servais, inscrite au calendrier à cette date). 1307 est précisément l’année où Bernard Gui arrive à Toulouse pour y exercer ses fonctions d’inquisiteur, et la période possible de rédaction du lectionnaire correspond aussi exactement à celle de son activité d’hagiographe. Par ailleurs, pour les datations les plus hautes, c’est-à-dire à un moment où Bernard Gui n’a entamé ni le catalogue des soixante-douze disciples, ni le Speculum sanctorale, il est possible que la bibliothèque du couvent de Toulouse ait déjà en sa possession le légendier des manuscrits 477-478-479, qui contient quelques saints méridionaux. De toute façon, quel que soit le légendier retenu, les points de comparaison possibles sont maigres : le lectionnaire ajoute les leçons en l’honneur de Saturnin, Exupère et Antonin de Pamiers, mais seuls les deux premiers sont présents, soit dans les collections de Bernard Gui, soit dans les manuscrits 477-478-479. Pour ce qui est de saint Saturnin d’abord, la comparaison des leçons du lectionnaire avec ses éventuelles sources hagiographiques ne peut se faire qu’avec le texte du Speculum sanctorale. En effet, le long chapitre dédié, au premier évêque de Toulouse dans le manuscrit 479 donne à lire la gesta antiqua qui n’est pas le texte utilisé pour les leçons de l’office d’un côté, et par Bernard Gui de l’autre. La lecture synoptique de ces deux textes montre d’évidentes parentés. Dans les colonnes ci-dessous, tout ce qui est commun au Speculum sanctorale et au lectionnaire est inscrit en gras : Vie de saint Saturnin B. Gui, Speculum sanctorale, ms 480, II, fol. 248v°

Leçons de saint Saturnin lectionnaire de l’office, (lectio prima) ms 82, fol. 192v°

Sanctus igitur Saturninus prothopraesul urbis Tholose, de Patras civitate extitit oriundus. Fuitque filius Egee regis Achaye, mater vero ejus fuit Arabici generis et nomen ejus Cassandra, filia regis Ninivite nomine Ptholomei, sicut colligitur evidenter ex hiis que ab antiquis scriptoribus, et specialiter a discipulo ejus nomine Honesto et gracia presbitero, de ipso Saturnino invenitur litterarum memorie commen-data ; Igitur anno quintodecimo imperii Tyberii cesaris

Lectio prima : Sanctus Saturninus prothopraesul urbis Tholose, de civitate Patras extitit oriundus. Fuitque filius Egee regis Achaye, et Cassandre generis Arabici filie regis Ninivite nomine Ptholomei. Factum est autem anno quintodecimo imperii Tyberii cesaris beato Johanne Baptista predicante in deserto Judee baptismum penitentie multis ad eum confluentibus populis beatus Saturninus audita fama ejus, venit ad eum. Qui audita Johannis salubri predicatione et visa ejus celesti

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procurante Pontio Pilato Judeam, factum est verbum Domini super Johannem Zacharie filium in deserto. Et venit in omnem regionem Jordanis predicans baptismum penitencie in remissionem peccatorum […] Cumque sanctus Johannes Baptista multis miraculis effulgeret, audita ejus fama sanctus Saturninus relinquens patrem et matrem, et omnem terrenam gloriam. […] Deinde post paucos dies vidit Johannes Jhesum venientem ad se, et digito demonstrans eum ait : ‘‘Ecce agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi. Ecce de quo dicebam vobis. Qui post me venit, ante me factus est, quia prior me erat’’. Jhesus autem baptisatus est a Johanne. Sanctus vero Saturninus baptismum non accepit a Johanne, sed osculato ipso cum lacrimis accepta benedictione ab eo sequtus est dominum Jhesum Christum. Erat autem sanctus Saturninus etatis triginta annorum quando venit ad Jhesum, sicut et Dominus Jhesus qui fuit baptisatus erat incipiens quasi annorum triginta.

conversatione relinquens patrem et matrem et gloriam mundi hujus, beatum Johannem ut magistrum discipulus est sequutus. Audiens autem Saturninus Johannem miris laudibus Jhesum Christum magnificantem desiderabat ipsum videre. Post aliquot autem dies venit Jhesus a Galilea in Jordanem ad Johannem ut baptizaretur ab eo. Quem Johannes videns venientem ad se, digito demonstrans eum ait : ‘‘Ecce agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi’’. Jhesu vero baptizato beatus Saturninus intrinsecus vocatus a Domino, accepta benedictione a Johanne, sequutus est Dominum Jhesum Christum. Erat autem annorum triginta, sicut et dominus Jhesus quando venit ad baptismum, erat incipiens quasi annorum triginta.

D’abord, l’incipit est le même, ce qui n’est pas un argument de moindre importance quand on se rappelle que Bernard Gui réécrit systématiquement les premières phrases des Vies de son légendier. Après la présentation des origines orientales de saint Saturnin, la copie n’est plus littérale, même si quelques formules passent à l’identique d’un texte à l’autre. Le fait que, dans le Speculum sanctorale, la Passion de saint Saturnin soit incluse dans la seconde partie, plaide en faveur d’une rédaction suffisamment précoce pour que ce texte ait servi de source à la rédaction des leçons de l’office. Toutefois, entre ces deux textes, les points communs sont réels, mais à l’exception des premières phrases, ils ne sont jamais déterminants. C’est ce qui a conduit à orienter la recherche vers les autres opuscules de Bernard Gui. L’examen de la Vie de Saturnin intégrée dans le catalogue des saints du diocèse de Toulouse conduit à des conclusions équivalentes : les points communs les plus importants se trouvent au début du texte. Pour le reste, la lecture montre bien qu’il s’agit de la même version de la Vie de l’évêque de Toulouse, mais les contraintes liturgiques ont imposé un niveau de réduction qui restreint les points communs à une parenté d’idée.

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Vie de saint Saturnin B. Gui, Noms des saints du diocèse de Toulouse Toulouse, BM, ms 450, fol. 220 Sanctus Saturninus prothopraesul urbis Tholose extitit oriundus de Patras civitate filius Egee regis Achaye ; mater vero ejus fuit Arabici generis et nomen ejus Cassandra filia regis Ninivite nomine Ptholomei, sicut colligitur evidenter ex hiis quae ab antiquis scriptoribus et specialiter ab Honesto nomine et gratia presbitero ejus que discipulo de beato Saturnino inveniuntur litera memorie commendata. Factum est autem anno XV° imperii Tyberii cesariis, beato Johanne Baptista praedicante baptismum penitentie in remissionem peccatorum in regione Jordanis et in deserto Iudee exibant ad eum de Jerosolimis et de Iudee regione circa Jordanem ut baptisarentur ab eo in Jordane confiteatur peccata sua. Et verum plures veniebant ad eum de Arabia, Achaya ac Siria atque aliis regionibus. Ex quibus fuit unus memoratus Saturninus qui audita fama sancti Johannis Baptiste relinquens patrem et matrem et omnem gloriam mundi huius venit ad Johannem ; vidensque sanctitatem vite ejus et asperitatem in victu et vestitus et audiens praedicationem et doctrinam ejus de regno dei et de adventu Christi remansit cum eo. Desiderabat autem sanctus Saturninus videre Christum de quo Johannes praedicabat dicens : veniet fortior me post me cujus non sum dignus solvere corrigiam calciamentorum ejus. ‘‘Ego baptizo vos in aqua ille vero baptisabit in spiritu sancto’’. Deinde post paucos dies venit Ihesus a Galilea in Jordanem ad Johannem ut baptisaretur ab eo. Quem Johannes videns venientem ad se digito demonstrans eum ait : ‘‘Ecce de quo dicebam vobis ; qui post me venit ante me factus est quia prior me erat. Jhesus autem baptisatus est a Johanne. Sanctus vero Saturninus baptismum non accepit a Johanne sed osculato eo et accepit benedictionem ab ipso sequitur est ab ipsius sequuntus et dominum Jhesum Christum. Erat autem Saturninus etatis XXX° annorum…

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Leçons de saint Saturnin lectionnaire de l’office, (lectio prima) ms 82, fol. 192v° Lectio prima : Sanctus Saturninus prothopraesul urbis Tholose, de civitate Patras extitit oriundus. Fuitque filius Egee regis Achaye, et Cassandre generis Arabici filie regis Ninivite nomine Ptholomei. Factum est autem anno quintodecimo imperii Tyberii cesaris beato Johanne Baptista predicante in deserto Judee baptismum penitentie, multis ad eum confluentibus populis, beatus Saturninus audita fama ejus, venit ad eum. Qui audita Johannis salubri predicatione et visa ejus celesti conversatione relinquens patrem et matrem et gloriam mundi hujus, beatum Johannem ut magistrum discipulus est sequutus. Audiens autem Saturninus Johannem miris laudibus Jhesum Christum magnificantem desiderabat ipsum videre. Post aliquot autem dies venit Jhesus a Galilea in Jordanem ad Johannem ut baptizaretur ab eo. Quem Johannes videns venientem ad se, digito demonstrans eum ait : ‘‘Ecce agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi’’. Jhesu vero baptizato beatus Saturninus intrinsecus vocatus a Domino, accepta benedictione a Johanne, sequutus est Dominum Jhesum Christum. Erat autem annorum triginta, sicut et dominus Jhesus quando venit ad baptismum, erat incipiens quasi annorum triginta.

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Enfin, la prise en considération de la notice intégrée dans le catalogue des soixante-douze disciples n’est pas dénuée d’intérêt. Non qu’elle apporte les preuves attendues d’une source sûre (la confrontation des deux textes montre le même type de points communs qu’avec les autres Vies écrites par Bernard Gui), mais elle est la seule à fournir des références qui ont aussi été retenues par le rédacteur des leçons de l’office. Après la neuvième leçon, celui-ci convoque l’autorité du Livre des hommes illustres de saint Jérôme, de Bède et de l’Histoire ecclésiastique pour asseoir l’apostolicité de saint Saturnin. Or, ces références se trouvent à peine plus développées dans le lectionnaire. Vie de saint Saturnin B. Gui, Noms des soixante-douze disciples du Christ BnF, ms lat 1171, fol. 190v° (1313) Saturninus, prothopresul Tholosane urbis unus ex prioribus fuit discipulis Domini Jhesu Christi. Hic Saturninus fuit oriundus de Patras civitate, filius Egee regis Achaïe, mater vero ejus fuit Arabici generis et nomen ejus Cassandra, filia regis Ninivite nomine Ptolomei. Factum est autem anno XV°, imperii Tyberii cesaris, Johanne Baptista predicante baptismum penitencie, Saturninus, audita fama Johannis, relinquens patrem et matrem et omnem gloriam mundi, venit ad eum et videns sanctitatem vite ejus et asperitatem in victu et vestitu et audiens predicationem et doctrinam de regno Dei et de adventu Christi remansit cum eo. Desiderabat autem videre Christum quem Johannes predicabat. Venit autem Jhesus ad Johannem, ut baptiza-retur ab eo. Jhesu autem baptizato Saturninus sequutus est eum. Erat autem Saturninus XXXta annorum etatis quando venit ad Jhesum, sicut et Dominus Jhesus, quando venit ad baptismum, erat incipiens quasi annorum XXXta . […]

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Leçons de saint Saturnin, lectionnaire de l’office, (lectio prima) ms 82, fol. 192v° Lectio prima : Sanctus Saturninus prothopraesul urbis Tholose, de civitate Patras extitit oriundus. Fuitque filius Egee regis Achaye, et Cassandre generis Arabici filie regis Ninivite nomine Ptholomei. Factum est autem anno quintodecimo imperii Tyberii cesaris beato Johanne Baptista predicante in deserto Judee baptismum penitencie multis ad eum confluentibus populis beatus Saturninus audita fama ejus, venit ad eum. Qui audita Johannis salubri predicatione et visa ejus celesti conversatione relinquens patrem et matrem et gloriam mundi hujus, beatum Johannem ut magistrum discipulus est sequutus. Audiens autem Saturninus Johannem miris laudibus Jhesum Christum magnificantem desiderabat ipsum videre. Post aliquot autem dies venit Jhesus a Galilea in Jordanem ad Johannem ut baptizaretur ab eo. Quem Johannes videns venientem ad se, digito demonstrans eum ait : ‘‘Ecce agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi’’. Jhesu vero baptizato beatus Saturni-nus intrinsecus vocatus a Domino, accepta benedictione a Johanne, sequutus est Dominum Jhesum Christum. Erat autem annorum triginta, sicut et dominus Jhesus quando venit ad baptismum, erat incipiens quasi annorum triginta. […]

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secundum Jeronimum in libro de illustribus viris secundum vero cronicas aliquorum anno XXXVIII°, secundum vero Bedam et magistrum in Hystoria Scolastica anno XXXIX°°

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secundum Jeronimum in libro de illustribus viris, secundum Bedam vero et magistrum in Hystoria Scolastica super Actus apostolorum, capitulo XV°, passi sunt apostoli anno a passione Christi XXXIX°

Au bout du compte, la comparaison de la première leçon de l’office de Saturnin avec les légendes de Bernard Gui, apporte un faisceau de présomptions quant au rôle tenu par l’hagiographie dans l’ouverture du sanctoral liturgique. Le témoignage du catalogue des soixante-douze disciples, s’il est un peu décevant du point de vue du texte proprement dit, est capital pour comprendre les orientations du texte de l’office et les raisons pour lesquelles les frères du couvent de Toulouse ont accepté d’ouvrir le sanctoral liturgique au patron de la ville : les neuf leçons des matines prennent acte des preuves de l’apostolicité de l’évêque. Concernant saint Exupère, le recours à la légende du manuscrit 477 est cette fois possible, et d’ailleurs riche d’enseignements. La Vie de saint Exupère contenue dans ce légendier est inconnue des Bollandistes, qui ne l’ont donc pas répertoriée dans la BHL. Elle n’a pas été plus exploitée dans les quelques articles évoquant culte et traditions hagiographiques liés à saint Exupère62. Dans la présentation synoptique du début de la Vie de saint Exupère, les expressions soulignées d’un trait continu sont celles qui passent à l’identique du manuscrit 477 à la première leçon de l’office ; celles qui sont en caractères gras se trouvent à l’identique dans cette première leçon et dans le Speculum sanctorale ; enfin, les mots soulignés d’un trait discontinu ne se trouvent que dans le Speculum sanctorale et dans le lectionnaire. Vie de saint Exupère Toulouse, BM, ms 477, fol. 167v°-168.

Apud Tholosam, natale sancti Exuperii ejusdem urbis episcopi, viri absque ullius

B. Gui, Speculum sanctorale, ms 480, II, fol. 248v°.

Beatus Exuperius dignissimus successor non tamen immediatus extitit beati

Leçons de saint Exupère lectionnaire de l’office, (lectio prima) ms 82, fol. 192v°. « Lectio prima. Apud Tholosam, natale sancti Exuperii ejusdem urbis episcopi, viri absque ullius qui

  Voir notamment H. Crouzel, « Saint Exupère, évêque de Toulouse, et trois membres de son clergé d’après les témoignages anciens », MASIBL, t. 149, 16e série, VIII, Toulouse, 1987, p. 177193 et C. Delaplace, « Saint Exupère et la tradition hagiographique toulousaine », MSAMF, t. 58, 1998, p. 15-28. 62

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418 predecessoris injuria, absque ullius qui tunc temporis ecclesias regere videbantur invidia, non solum ulli secundi verum etiam beato martiri Saturnino virtutum meritis comparandi. Cujus basilicam quam prede-cessor suus Silvius episcopus fideliter inchoaverat instantissime consummavit, et dedicavit fideliter, qui cum transferre illuc sancti martiris reliquias, non pro sua incredulitate, sed pro illius honore dubitaret, admonitus est per quietem ne [fol. 168] infideliter negligeret, quod fideliter populis pro futurum credidisset. Cujus sanctitatis vir iste fuerit quanteque spontanee paupertatis, beatus Jeronimus in epistola ad Rusticum monachum testatur, scribens ei a Bethleem, et proponensceum sanctis in exem-plis. Sanctus Exuperius Tholose episcopus vidue… »

TROISIÈME PARTIE Saturnini prothopraesulis Tholosani, cujus basilicam quam antecessor Exuperii Silvius episcopus fideliter inchoaverat instantissime sanctus Exuperius consummavit. Qui cum transferre illuc sancti martiris Saturnini reliquias non pro sua incredulitate, sed pro illius honore dubitaret, admonitus est per quietem ne negligeret quod populis profuturum crederet. Cujus autem sanctitatis beatus Exuperius extiterit quanteque spontanee paupertatis, beatus Jeronimus in epistola ad rusticum monachum cum sanctis in exem-plum ita inquiens. Sanctus Exuperius Tholose epis-copus vidue…

tunc temporis ecclesias regere videbantur invidia, non solum ulli secundi verum etiam beato martiri Saturnino virtutum meritis comparandi. Cujus basilicam quam predecessor suus beatus Silvius episcopus fideliter inchoaverat instantissime consummavit, et fideliter dedicavit, ubi cum transferre sancti martiris reliquias, non pro sua incredulitate, sed pro illius honore dubitaret, admonitus est per quietem ne infideliter negligeret, quod fideliter profuturum christianis populis credidisset. Qui statim omni dubitatione post posita reverendi martiris corpus in eandem basilicam debita cum reverentia transtulit ubi cum celebriter honoratur.

L’apport de la Vie contenue dans le manuscrit 477 est évident : la quasitotalité de la première leçon consacrée à saint Exupère est littéralement issue de ce légendier. On relève aussi des parentés avec le texte du Speculum sanctorale, mais celles-ci restent partielles, et la date de composition de la quatrième partie du Speculum implique de considérer que, dans ce cas, c’est Bernard Gui qui est redevable des leçons de l’office. Il revient aussi à la source et utilise le manuscrit 477 au moment précis où la première leçon du lectionnaire cesse de la copier. Finalement, il semble que l’on soit en présence d’un processus similaire, mais inversé dans son fonctionnement, de celui qui a conduit à l’uniformisation des rites et à la clôture du sanctoral. À Toulouse, dans le premier tiers du xiv e siècle, on assiste à une réouverture du sanctoral liturgique, et cette évolution paraît redevable des orientations que connaît l’hagiographie sous l’influence de Bernard Gui. Ses recherches sur l’apostolicité fournissent une excellente garantie au besoin d’une plus grande diversité de saints, et cette relecture imprègne à son tour les leçons de l’office. Même dans le cas de saint

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CHAPITRE II  -  ARTICULER L’ÉGLISE ET LES ÉGLISES

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Exupère, où l’influence directe de Bernard Gui ne peut-être avancée, en tout cas à la vue des textes, le rôle joué par les légendes des saints méridionaux contenues dans le manuscrit 477 montre que la recherche, et l’usage, par les frères, des Vies de saints locaux, ont précédé l’actualisation de l’office. Il y a bien le désir d’une plus grande harmonie avec les dévotions urbaines, extérieures au couvent. L’ordre, désormais sûr de son identité, peut se permettre d’y répondre.

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conclusion de la troisième partie

De l’universel au particulier : le sanctoral d’un ordre sûr de son identité La troisième partie de ce travail s’est attachée à cerner les rapports qu’entretient le légendier avec les autres opuscules hagiographiques de Bernard Gui. Le travail sur ces marges montre que les intérêts personnels de l’hagiographe, et les objectifs de la commande qu’il sert, ne sont pas identiques. Sa curiosité pour une hagiographie diocésaine, attachée aux sanctuaires et libre de rendre compte des saints les plus improbables, est clairement mise à l’écart lorsqu’il entreprend le Speculum sanctorale. Si ce légendier se façonne d’abord en regard des productions antérieures de son ordre, on ne comprendrait pas tous ses ressorts en négligeant de voir ce qu’il tire et ce qu’il écarte des productions réalisées en marge des besoins de l’ordre. Pour autant, les cloisons entre ces différents travaux sur les Vies de saints ne sont pas tout à fait étanches : les recherches antérieures alimentent le désir d’ouverture du sanctoral, ce que revendique tout à fait Bernard Gui en annonçant, dans son prologue, la présence de saints oubliés par ses prédécesseurs. Le recours à un contexte large montre que ce changement de perspective correspond à l’insertion urbaine des couvents et l’accession plus fréquente des dominicains à l’épiscopat. Ces deux inflexions de l’apostolat mendiant sont de nature à induire un changement d’attitude quant aux cultes civiques. À ce moment-là, l’ordre est suffisamment sûr de lui-même pour ne pas voir dans ces orientations de carrière un risque pour l’identité et la mission dominicaine. Du coup, aux rites et dévotions internes à l’ordre, dont les dominicains tirent leur cohérence et leur identité, s’adjoint, sans les dénaturer, une prise en compte de la sainteté locale. Deux discours sont alors articulés : celui qui s’adresse aux seuls frères, et celui qui harmonise leur présence auprès d’un public qui cultive d’autres dévotions à l’extérieur des limites du couvent. Dans ce contexte nouveau, la confrontation du Speculum sanctorale avec les collections hagiographiques plus personnelles de Bernard Gui, montre l’effort

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TROISIÈME PARTIE

qu’il a produit pour rendre compatibles le besoin en saints locaux et l’orientation universelle de l’ordre. La question de l’apostolicité, ressurgie dans le cadre de la querelle entre mendiants et séculiers, réactivée par les fonctions d’inquisiteur de Bernard Gui, et relayée par la relecture du rôle de saint Rémi, lui fournit l’occasion d’accrocher fermement quelques saints locaux à l’Église universelle. Cette nouvelle appréhension des Vies de saints est la caution nécessaire à l’ouverture du sanctoral. En articulant de cette façon les Églises à l’Église, l’hagiographie fournit le support textuel utile au décloisonnement de l’office. S’il reste timide, il n’en est pas moins réel, à Toulouse, au xiv e siècle. Bernard Gui y a sans doute joué un certain rôle, mais calendrier et légendier en usage dans ce couvent témoignent aussi que les conditions sont réunies dès avant sa présence dans ce diocèse.

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Qu’attend Bérenger de Landorre lorsqu’il « prescrit de vive voix », puis « exhorte par de fréquentes lettres  », Bernard Gui à la rédaction du Speculum sanctorale ? Vierge de toute justification, la commande ne se dévoile qu’en creux. Pour la rendre lisible, il a fallu remettre l’œuvre en contexte, puis la déconstruire, la confronter aux précédents dominicains et à ceux de l’hagiographe. Au terme de ce travail, il apparaît que le Speculum sanctorale supporte quatre projets, qu’aurait bien pu défendre le maître d’un grand ordre mendiant investi dans la défense de l’Église, pourvoyeur d’une élite intellectuelle et assuré du soutien des élites urbaines. Le Speculum sanctorale, c’est d’abord une œuvre encyclopédique, qui dépasse la seule vocation pastorale du légendier, prédominante dans les collections antérieures. Son ampleur, sa construction soignée et les critères qui ont présidé à sa composition, permettent de le placer dans le droit fil des grandes sommes produites par l’ordre des prêcheurs. Si évoquer l’ombre de la Somme théologique serait exagéré, il faut reconnaître qu’il participe de cet esprit qui pousse à construire une œuvre totale, afin d’en faire une référence sur un sujet donné. Dans cette optique, le légendier de Bernard Gui n’a rien à envier à l’ampleur du Speculum historiale ou à l’effort de classement et de production d’Autorités, présents dans le « Prototype », la somme liturgique d’Humbert de Romans. Encyclopédie hagiographique, le Speculum sanctorale de Bernard Gui multiplie les classements et les références. La recherche des sources et la vérification de leur fiabilité permettent de distinguer les saints homonymes. Les catégories d’élus sont différenciées par la division du recueil, en parties et en volumes distincts. L’ensemble, précédé d’un prologue qui détaille le contenu, d’un sommaire, de titres courants, de rubriques, secondé par une chronique abrégée des papes et des empereurs, est construit pour être utile. Par ailleurs, ce nouveau légendier est, plus que les précédents, adossé au renouveau des études. Au sein de l’ordre dominicain, Bérenger de Landorre, puis son successeur, Hervé de Nédellec, sont ceux qui ont le plus œuvré pour la diffusion du thomisme à l’intérieur du cursus scolaire dominicain. Pendant le généralat de Bérenger, les chapitres renforcent la discipline et l’astreinte des frères aux écoles, sans doute d’ailleurs en concordance, après le concile de Vienne, avec un climat général de promotion des études dans l’Église. Dans ce contexte, le Speculum sanctorale est le premier légendier de l’ordre à faire une place conséquente aux commentaires scolastiques des Écritures  : ceux-ci

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TROISIÈME PARTIE

constituent la part principale de la première partie consacrée aux fêtes du Christ et de la Vierge. Pour autant, les parties proprement sanctorales ne sont pas rétives à ces développements, puisque les fêtes de Jean-Baptiste et des saints Innocents attestent d’un emploi, inédit en hagiographie, des chaînes d’autorités patristiques établies par Thomas d’Aquin pour le commentaire des Évangiles. Au-delà de ces éléments, le texte hagiographique proprement dit témoigne du souci d’adapter la légende à l’usage scolastique de la lecture. D’une part, le retour à de longues Vies de saints, en rupture avec le développement des legendae novae, s’apparente à la réintroduction, à l’université, d’une lecture cursive de la Bible. Cette réhabilitation de la lecture continue d’un texte long, aux dépens des abrégés et des sélections, se développe, au xiv e siècle, comme une manière globale d’appréhender le texte écrit, qu’il soit biblique ou hagiographique. D’autre part, l’effort important qu’a consenti Bernard Gui pour organiser en paragraphes des sources amples, s’explique aussi par cette nouvelle pratique. Ce découpage du texte en courtes unités apparaît d’abord comme le signe d’une intervention minimale, et finalement bien peu inventive du compilateur. En réalité, c’est la condition pour concilier abandon des abbreviationes et lecture cursive, deux attitudes qui se développent, au xiv e siècle, à l’égard du livre. Dans un autre registre enfin, la promotion des études et la prise en compte des acquis de la scolastique trouvent, dans le Speculum sanctorale, une issue originale : Bernard Gui fait de la culture et de la production littéraire un véritable critère de sainteté. Dans son légendier, ce pourfendeur des traditions hagiographiques douteuses élève Boèce, initiateur de la scolastique moderne, au statut de saint de l’Église universelle. Ce Speculum, commandé par le maître de l’ordre dominicain, est aussi construit à l’image des prêcheurs, gardiens du dogme et espoir de salut pour l’humanité. D’abord, en dépit des velléités de rupture, annoncées dans le prologue, avec les autres légendiers produits par des dominicains, le Speculum sanctorale fait preuve d’une grande attention à relayer les acquis ou les méthodes éprouvées par son ordre. Les éléments de reconnaissance sont fréquemment cultivés, parfois avec une certaine déférence. À de nombreuses reprises, Bernard Gui cite les noms et les œuvres de ses prédécesseurs (surtout Jacques de Voragine et Vincent de Beauvais). Plus souvent encore, il copie tout ou partie des Vies de saints qu’ils ont inscrites dans leurs propres collections. Il ne manque pas une occasion de prendre en compte les notices critiques et les orientations bibliographiques placées, par Humbert de Romans, en tête des leçons du lectionnaire de l’office. Ce qui apparaît parfois comme de la servitude, témoigne de l’importance d’un fonds hagiographique commun, mais aussi d’un cadre éditorial de base, sur lequel se jouent les facteurs de reconnaissance. Respectueux de ce programme, le Speculum sanctorale est bien un

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CONCLUSION Générale

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légendier dominicain. Il l’est d’autant plus qu’il prend acte de l’évolution des missions de son ordre. Si le fait que Bernard Gui ait été inquisiteur explique pour beaucoup son attitude à l’égard des apocryphes, des textes douteux, et, à l’inverse, des Autorités, la remise en contexte de son grand légendier permet de ne pas oublier que, ce faisant, il approfondit et achève une évolution entamée avec la seconde version de la Légende dorée. Ainsi, l’ordre dominicain, après avoir clôturé son sanctoral pour se construire une identité supranationale, clôt son corpus de sources hagiographiques, en excluant les traditions douteuses. Bernard Gui est le fer de lance de cette inflexion : si les prêcheurs sont gardiens du dogme, le Speculum sanctorale est une somme dans laquelle ils peuvent puiser. Au-delà, les prêcheurs se construisent aussi une représentation de leur mission dans l’Église. Dominique, leur fondateur, dépasse la renommée de bien des saints, fussent-ils martyrs : à Castres, le récit de ses extases fonde autant, si ce n’est plus, la réputation du sanctuaire, que les reliques de saint Vincent de Saragosse, qui y sont conservées. Le récit hagiographique fait de cet épisode fameux la source des prétentions de l’ordre sur ce sanctuaire, si bien que l’éclat de la sainteté dominicaine rénove les anciennes dévotions et fonde une nouvelle géographie des sanctuaires. D’ailleurs, les saints dominicains s’illustrent par des vertus qui dépassent les seules limites de l’ordre. Dans le Speculum sanctorale, les miracles de saint Thomas d’Aquin n’ont plus la valeur probatoire requise dans les procès de canonisation : la perte des noms des témoins et des lieux traduit le fait que la médiation des saints dominicains est opérante partout, et pour tous. Aux yeux de l’ordre, elle est des plus efficaces pour conduire les hommes vers le salut. Dans ce Miroir des saints, la succession des types de sainteté laisse penser que le projet d’ensemble n’était pas dépourvu d’une dimension eschatologique. Or, dans cette optique, à la première sainteté, celle du Christ, font pendant les vertus collectives les Pères du désert, métaphore répandue des Mendiants, et en particulier des dominicains, depuis que Géraud de Frachet, à la demande d’Humbert de Romans, transfère leur identité sur celle de son ordre. Le Speculum sanctorale enfin se dévoile comme un hommage aux efforts de la curie pour encadrer les modèles de sainteté. Les critères que les procès de canonisation mettent plus particulièrement à l’honneur, le sont tout autant dans le légendier de Bernard Gui. Ainsi, aux dépens de la crise suscitée par l’âpreté des débats autour de la pauvreté volontaire, le dépouillement et l’évangélisme ne sont guère mis en avant, ou ne le sont que de manière prudente, c’est-à-dire par l’intermédiaire de saints anciens, comme Alexis, qu’on ne peut suspecter de collusions avec quelques spirituels. À l’inverse, la culture est mise en avant, et les ouvrages écrits par les grandes figures de l’Église deviennent leurs principaux titres de sainteté. Enfin, le Speculum sanctorale est offert à Jean

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TROISIÈME PARTIE

XXII : l’association de son commanditaire et de son destinataire permet de croire que l’hagiographe a eu conscience de faire un légendier pour l’ordre et pour l’Église. Quel hagiographe transparaît dans la mise en œuvre de ce quadruple programme ? Destinataire, Jean XXII a reconnu dans le Speculum sanctorale le fruit d’une « scrupuleuse application et [de] laborieuses veillées ». L’étude du contenu des trois parties sanctorales ne dément pas un jugement qui pouvait paraître, a priori, dicté par la politesse et les convenances. Pourtant, la lecture de ce légendier ne surprend guère par sa nouveauté ou par l’audace de ses réécritures. La collection est dénuée de toute vision doctrinale, ou de discours un tant soit peu original, sur les saints et le culte qui leur est voué. Plusieurs centaines de légendes sont copiées bout à bout, souvent in extenso, et dans bien des cas, on ne voit pas très bien ce qu’apporte l’excision d’une phrase ou même la suppression d’un miracle. La limite de la source est assez vite atteinte car on ne voit pas de quelle manière la juxtaposition de Vies longues, écrites dans des contextes qui n’ont rien à voir avec celui du premier tiers du xiv e siècle, peut rénover le discours et l’écriture hagiographique. L’œuvre ne livre rien d’emblée. Seule la confrontation avec les sources, puis la collection des exemples, le classement des occurrences, permettent de donner corps à des remaniements qui, isolément, sont minimes. C’est la raison d’être de l’analyse des légendes, dont quelques extraits accompagnent la présente publication. Cette situation explique que dans l’historiographie, Bernard Gui ait été jugé à la fois moins novateur que les auteurs d’abrégés – ce qui est certainement vrai –, mais aussi coupable d’amoindrir apparemment sans raison le texte de base (quand on le possède), en même temps que fidèle aux Vies anciennes (quand on a perdu son modèle). Dans les faits, son travail est méticuleux, au point parfois de privilégier la forme au fonds. Il semble inquiet de rendre à ces prédécesseurs ce qui leur revient, en pratiquant, de manière étonnante, l’écriture par « micro citation ». Sa rénovation de l’écriture hagiographique passe par des éléments infimes, voire secondaires  : la suppression des citations scripturaires plaide en faveur d’un ouvrage réalisé d’abord pour des clercs capables de les restituer, ce qui ne situe pas l’édification des fidèles au premier plan de ses préoccupations. De la même manière, les interventions d’auteurs, gloses, éloges et autres panégyriques, disparaissent de son travail : son Speculum s’applique à restituer en priorité les actes des saints. Cette rigueur et cette conscience des spécificités du genre auquel il travaille, le conduisent aussi à arracher les saints à l’histoire, c’est-à-dire, à exclure les éléments conjoncturels et les débats chronologiques de ses vitae. Dans le légendier, la recherche de la vérité ne se fonde pas sur les mêmes ressorts que dans ses chroniques.

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CONCLUSION générale

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À cette dualité de l’historien et de l’hagiographe s’en ajoute une autre : l’homme qui écrit un grand légendier d’ordre, à vocation universelle, adossé à l’évolution des études et aux principes scolastiques, est aussi celui qui s’intéresse aux dévotions locales, aux sanctuaires et au pouvoir thaumaturgique des saints. L’hagiographe est donc multiple. L’écart entre les deux corpus est utile pour comprendre les limites de la commande à laquelle il répond en composant le Speculum sanctorale. Ce grand légendier n’est en aucun cas la synthèse de ces travaux antérieurs, mais l’existence de quelques points de contacts entre les uns et les autres montre ce que l’ordre était ou non capable d’accepter, en même temps qu’elle suggère une partie des raisons pour lesquelles Bérenger de Landorre s’est adressé à Bernard Gui. Réponse à une commande, résultat du travail d’un homme, le Speculum sanctorale est aussi le produit du contexte intellectuel dans lequel il est apparu. De fait, la confrontation de ce légendier avec ceux qui ont été composés dans l’ordre au xiiie siècle était inévitable : Bernard Gui le premier, même s’il n’est pas loquace sur ce point, en fait l’origine de son travail. Or, la comparaison systématique du Speculum sanctorale avec les collections antérieures montre que l’élément déterminant de leur composition fut la lecture que les hagiographes ont bien voulu faire des rapports entre saints locaux et sainteté universelle. Cette tension est au cœur des légendiers dominicains, précisément parce que la croissance de l’ordre génère une réflexion sur son assise spatiale : si l’ordre s’est toujours défini une mission universelle, les moyens de la mener à bien se sont traduits par une évolution de perception des espaces locaux. Au temps de l’installation des premiers couvents, la prise en compte de l’espace diocésain est encore l’horizon utile et nécessaire de la liturgie. Aussi le sanctoral local tient-il son rang dans les tout premiers légendiers dominicains. Face au risque d’émiettement que comportait une telle situation, l’ordre prend rapidement conscience que l’arrachement aux contextes locaux est nécessaire à sa cohérence et à son expansion. De manière concomitante avec l’uniformisation liturgique opérée par Humbert de Romans au milieu du xiiie siècle, le légendier se clôt et s’universalise. Dans un troisième temps enfin, la progression de l’insertion urbaine et la densification du réseau conventuel génèrent une prise en compte nouvelle des dévotions locales. À ce moment-là, l’ordre est suffisamment sûr de son identité, sa construction suffisamment éprouvée, pour que les risques d’émiettement craints initialement soient désormais totalement écartés. Brossée à grands traits, cette évolution se lit sans problème dans le corpus des légendiers dominicains. Elle permet de comprendre certains de leurs objectifs, et le contexte ou les besoins auxquels ils répondent. Au bout du compte, l’articulation entre saints locaux et saints universels et, au-delà, la

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relation complexe qu’elle sous-tend entre l’Église et les Églises, s’avère opératoire et féconde pour l’étude des légendiers d’auteurs ou d’ordres, produits à la fin du Moyen Âge. Enfin, deux perspectives semblent devoir être mises particulièrement en valeur. D’abord, le Speculum sanctorale et, après lui, le légendier de Pierre Calo, montrent que les dominicains ne sont pas passés maîtres que dans l’art des collections abrégées. Sans vouloir, loin s’en faut, réduire les apports de la legenda nova, dont dépend encore Bernard Gui et qu’il ne renie pas totalement, il faudra bien prendre en compte, un phénomène au moins aussi important : celui qui, au xive siècle, conduit à l’abandon relatif de l’abréviation. Par ailleurs, la legenda nova est encore aujourd’hui presque exclusivement perçue comme un phénomène dominicain, en tout cas monopolisé par les frères de cet ordre, quand il est à peu près sûr qu’il trouve ses origines en milieu séculier, à la fin du xiie siècle ou au début du xiiie siècle. Il est évident que la prise en compte de ce corpus largement inédit serait de première importance pour évaluer plus justement l’apport des dominicains en ce domaine. Ensuite, le fait que les travaux d’hagiologie se soient focalisés sur les légendiers abrégés a conduit à favoriser la mise en perspective de la production hagiographique dominicaine par rapport à la prédication. Là encore, il n’est pas question de minimiser les liens entre ces deux disciplines. Cependant, il faut reconnaître que la prise en compte des données liturgiques est un sésame précieux pour comprendre les légendiers. Dans l’ordre dominicain, la liturgie est le premier support d’identité. L’ordre, plus qu’aucun autre au milieu du xiiie siècle, parvient à uniformiser complètement ses rites. Il est désormais acquis que les conditions dans lesquelles cette réforme liturgique est diffusée conditionnent l’évolution du sanctoral et de l’écriture hagiographique.

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Sources Sources manuscrites Hagiographie Bernard Gui, Speculum sanctorale Avignon, BM, ms 296 (IIIe partie) Avignon, BM, ms 297 (IVe partie) Paris, BnF, ms lat. 5406 (IVe partie) Paris, BnF, ms lat. 5407 (IVe partie) Paris, BnF, ms lat. 9731 (IIe partie) Toulouse, BM, ms 480 (Ie et IIe partie) Toulouse, BM, ms 481 (IIIe et IVe partie) Bernard Gui, Catalogue des saints du diocèse de Toulouse Toulouse, BM, ms 450, fol. 220-225 Bernard Gui, Catalogue des soixante douze disciples du Christ Paris, BnF, ms lat. 4975, fol. 189v°-198v° Paris, BnF, ms lat. 4976, fol. 223-235 Paris, BnF, ms lat. 4977, fol. 161-169v° Paris, BnF, ms lat. 4985, fol. 132v°-140v° Paris, BnF, ms lat. 4987, fol. 116-130v° Paris, BnF, ms lat. 4988, fol. 86-94 Paris, BnF, ms lat. 4989, fol. 133-152v° Paris, BnF, ms lat. 5035, fol. 1-16 Paris, BnF, ms lat. 5036 A, fol. 89-109v° Paris, BnF, ms lat. 5043, fol. 289v°-305 Paris, BnF, ms nouv. acq. lat. 779, fol. 271v°-285 Paris, BnF, ms nouv. acq. lat. 1171, fol. 190-199v° Toulouse, BM, ms 450, fol 199-210 Légendiers anonymes Toulouse, BM, ms 477 Toulouse, BM, ms 478 Toulouse, BM, ms 479

Liturgie Sanctoral de l’office dominicain Toulouse, Bm, ms 82

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SOURCES

Calendriers dominicains Paris, BnF, ms lat. 163, fol. 265-267 Paris, BnF, ms lat. 215, fol. 263-264v° Paris, BnF, ms lat. 1324, fol. 1-12 Paris, BnF, ms lat. 8884, fol. 2-7 Toulouse, BM, ms 98, fol. 1-6 Toulouse, BM, ms 103, fol. 1-6 Toulouse, BM, ms 105, fol. 1-6 Calendriers non dominicains Paris, BnF, ms lat. 210, fol. 1-3v° Paris, BnF, ms lat. 8887, fol. 1-6

Les chroniques Bernard Gui, Flores chronicorum Toulouse, BM, ms 450, fol. 5-148 (vu à titre comparatif seulement)

Les sources imprimées Édition des Vies du Speculum sanctorale Vie de saint Amand (BHL 329), édition complète d’après le manuscrit d’Avignon par B. Gonon, Vitae et sententiae patrum occidentalis, livre IV, Lyon, 1625, p. 208-209 ; édition partielle d’après le manuscrit de Prague dans Acta SS, Octobre, VII, 2, 839. Vie d’Antoine de Padoue (BHL 596), éd. partielle par le chanoine Arbellot, Saint Antoine de Padoue en Limousin, 2e éd., Limoges, 1895, p. 65-68. Vie de saint Dominique (BHL 2229), éd. S. Tugwell, Bernardi Guidonis scripta de sancto Dominico, MOPH, t. XXVII, Rome, 1998, p. 235-294, d’après les manuscrits de Lisbonne (Alcob. 449, fol. 135v°-147v°), Brno (Univ. Knihovna Mk 5 fol. 88-99), Avignon (BM, ms 297, fol. 124-135), Paris (BnF, ms lat. 5406, fol. 124-136), Paris (BnF ms lat. 5407 fol. 132-144), Prague (Metropolitni Kapitola GXXIII/1 fol. 170184), Toulouse (BM, ms 481 fol. 106-116), Valence, (Catedral 181, fol. 202-221) et Vienne (Nat. Bibl. 4394 fol. 226-237). Vie de saint Flour (BHL 3066), éd. Acta SS, Novembre, II, 268-269. Vie de saint François (BHL 3126d), éd. P.  Ferdinand et M.  Delorme dans Studi francescani¸ser. 3a, anno II (XXVII), 1930, p. 147-160, d’ap. Toulouse, BM, ms 481, fol. 150-154 et BnF, ms lat. 5406, fol. 177-181v°. Vie de saint Fulcran (BHL 3207), évêque de Lodève, Acta SS, Février, II, 711-717 ; 3e éd., 712-718. Vie de saint Géraud d’aurillac, éd. A.-M. Bultot-Verleysen, dans Scribere sanctorum gesta, recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, éd. É. Renard, M. Trigalet, X. Hermand et P. Bertrand, éd. Brepols, Turnhout, 2005, p. 367-398.

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SOURCES

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Annexes

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annexe

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Extraits de l’analyse des Vies et Passions du Speculum sanctorale Considérations méthodologiques L’édition du Speculum sanctorale n’a jamais été le projet de la thèse dont est issu le présent ouvrage. Le but recherché, au premier chef, est la compréhension des choix de l’hagiographe, tant du point de vue de l’organisation que de la compilation proprement dite : comment Vitae et Passiones se succèdent-elles ? Reflètent-elles une source privilégiée ou sont-elles plutôt le résultat de la compilation de plusieurs versions ? Comment ces dernières sont-elles adaptées ? Ce questionnement a donné lieu à une analyse des trois parties proprement sanctorales du légendier, c’est-à-dire au repérage des sources et des procédés de réécriture de chaque Vie et Passion. L’outil de travail ainsi constitué fournit quelques moyens de comprendre l’ambition du projet, sa position par rapport aux légendiers antérieurs, et permet de pallier les silences du prologue. Une telle analyse, longue de plus de quatre cents pages, n’avait pas sa place dans un ouvrage consacré aux développements de la recherche proprement dite et à ses conclusions. Néanmoins, il a semblé utile de verser ici un échantillon de ce travail, afin de donner à voir la méthode qui sous-tend l’ensemble des conclusions proposées.

A– L’identification des sources Le travail d’identification des sources du Speculum sanctorale a été réalisé à partir des usuels incontournables que sont les volumes de la Bibliotheca hagiographica latina (désormais abrégée BHL). Leur utilisation a cependant nécessité des aménagements de circonstance. En effet, le travail d’identification d’un texte hagiographique s’effectue traditionnellement par l’analogie de l’incipit et/ou du desinit du manuscrit à identifier, avec ceux répertoriés par la BHL. Or, il est rarissime que Bernard Gui conserve les formules introductives et finales, alors qu’il peut, dans le même temps, copier mot pour mot le reste du texte. Cette caractéristique entraîne des modifications dans l’utilisation de la BHL, car cette dernière ne peut se trouver au point de départ de l’identification d’un texte. Au mieux, elle la parachève. En effet, seul le corps du texte permet d’effectuer des rapprochements. Il a donc fallu comparer le texte du Speculum sanctorale avec celui des versions des Vies éditées, qui, lorsque la comparaison s’avère fructueuse, deviennent le sésame du répertoire des Bollandistes. Le travail est en quelque sorte accompli à rebours, le Speculum sanctorale étant confronté aux Vies éditées (essentiellement dans les Acta sanctorum, la Patrologie latine et les Vitae sanctorum de B. Mombritius) et, le cas échéant à des exemplaires manuscrits de textes non abrégés, desquels se déduit la version numérotée dans la BHL.

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Cette méthode comporte beaucoup de contraintes et d’inconvénients. Outre le fait que tous les textes qui ont pu servir de source au Speculum sanctorale ne bénéficient pas d’une édition utilisable, il faut noter que certains textes du légendier de Bernard Gui peuvent être rapprochés non pas d’une seule version modèle mais de plusieurs. C’est notamment le cas lorsque les Bollandistes ont distingué par plusieurs numéros BHL les mêmes versions d’un texte dont seul l’incipit ou l’explicit a été remanié. On comprendra aisément que la suppression systématique des formules introductives et finales ne permet pas une telle subtilité pour le Speculum de Bernard Gui. Le travail d’identification a été réalisé sur la base du paragraphe. Ce choix se justifie par deux séries d’éléments : d’abord, dans quelques cas, Bernard Gui se réserve la liberté de panacher ses sources, ce que le travail sur une courte unité narrative comme le paragraphe permet de déceler. Ensuite, la lecture des documents de travail de Bernard Gui montre que ce découpage des sources en paragraphes a dû constituer une part non négligeable des étapes préalables à la compilation du Speculum. Ainsi, le choix d’une présentation par paragraphes, malgré sa lourdeur et son caractère souvent répétitif (les cas où plusieurs épisodes successifs sont tirés d’une même source sont largement majoritaires), respecte la structure d’ensemble voulue par Bernard Gui en même temps qu’il permet de mieux déceler les moments où une source, jusqu’ici privilégiée, est abandonnée au profit d’une autre.

B– L a recherche des textes intermédiaires Les textes rassemblés et compilés par Bernard Gui ne sont souvent connus par lui que de seconde ou troisième main. C’est en tout cas ce que l’on peut déduire de l’ancienneté de ses sources, des études menées sur les instruments utilisés pour la compilation et enfin de l’analyse des autres œuvres de Bernard Gui, des œuvres historiques notamment. Si la recherche de tous les textes intermédiaires n’est pas forcément utile en dehors d’une édition du Speculum, il était toutefois intéressant de lire le légendier de Bernard Gui en gardant un œil sur ceux de ses prédécesseurs dominicains1 ainsi que sur trois manuscrits hagiographiques de la bibliothèque – et peut-être   Les chapitres du Speculum sanctorale ont été systématiquement comparés aux trois compilations hagiographiques dominicaines qui bénéficient d’une édition, à savoir la Légende dorée de Jacques de Voragine (I. da Varazze, Legenda aurea, edizione critica a cura di Giovanni Paolo Maggioni, secunda edizione rivista dall’autore, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 1998), le Liber epilogorum in gesta sanctorum de Barthélemy de Trente (B. da Trento, Liber epilogorum in gesta sanctorum, edizione critica a cura di Emore Paoli, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 2001) et le Speculum historiale de Vincent de Beauvais (édition électronique lisible et interrogeable sur le site http ://atilf.atilf.fr/bichard/). L’Abbreviatio de Jean de Mailly ne bénéficie encore que d’une traduction éditée (J. de M ailly, Abbreviatio in gesta sanctorum, trad. A. Dondaine, éd. Cerf, 1947), mais dépourvue de notes critiques. Pour le texte latin, il faut toujours se reporter aux manuscrits, ce qui n’était, ni envisageable dans le cadre de ce travail, ni forcément utile car le emprunts faits par Jacques de Voragine à ce légendier (soit environ 80% de sa matière selon ce que montre A. Boureau, « Saint Bernard dans les légendiers dominicains du xiiie siècle », Vies et légendes de saint Bernard de Clairvaux, Cîteaux, 1994, 84-90) sont indiqués dans les notules 1

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du scriptorium – des Prêcheurs de Toulouse, les manuscrits 477, 478 et 479, identifiés comme documents de travail en vue de la rédaction du Speculum sanctorale. Enfin, il est fréquent que des citations des Pères de l’Église complètent les Passions et les Vies du Speculum sanctorale. Certaines de ces citations sont utilisées de la même manière par les autres hagiographes dominicains, de sorte que Bernard Gui a pu facilement les leur emprunter sans retourner à la source. Lorsque ce cas de figure se présente, les références à l’Autorité puis au légendier dominicain qui a pu servir d’intermédiaire sont indiquées successivement. Dans les cas contraires, l’absence de renvoi simultané à la Légende dorée ou au Speculum historiale montre que Bernard Gui a ajouté à la vita une citation d’Augustin, Ambroise, Jérôme ou autre, qui ne se trouvait pas chez ses prédécesseurs.

C– Modes d’appropriation et procédés de réécriture des sources Les sources retenues pour la compilation du Speculum peuvent avoir subi d’importantes transformations. Faut-il encore approcher les méthodes d’écritures et les techniques utilisées pour retoucher les textes, préalables au remaniement du discours sur la sainteté. Pour cela, il existe désormais de précieux outils de travail : Monique Goullet a récemment montré la validité de la typologie répandue dans la critique littéraire moderne2. Elle répertorie les procédés d’amplification, ou au contraire d’abréviation, de la narration hagiographique : c’est sa classification des techniques de réécriture qui a été reprise ici et appliquée à l’analyse du légendier de Bernard Gui. Dans le Speculum sanctorale, on se rendra compte que, suivant le programme exposé dans le prologue, Bernard Gui produit des textes plus longs que ceux qui se lisent dans la Légende dorée, l’Abrégé de Jean de Mailly ou même le Speculum historiale de Vincent de Beauvais. Mais comme cette amplification du récit hagiographique passe par un retour aux Vitae rédigées avant l’entreprise des légendiers abrégés, il semble plus conforme à la réalité d’évoquer non pas les procédés d’allongement de la Légende dorée – ce qui serait, à bien des égards trahir l’utilisation que fait Bernard Gui de ce texte – mais plutôt la parcimonie avec laquelle il élague les Vitae plus anciennes, car c’est véritablement ce regard sur la tradition hagiographique qui le distingue de ses prédécesseurs. De la même manière que pour l’identification des sources, la qualification du procédé par lequel elles sont adaptées est donnée paragraphe par paragraphe. Ce choix s’est imposé pour des raisons externes (les documents de travail montrent que Bernard

critiques et bibliographiques de la traduction la plus récente de la Légende dorée (La Légende dorée, éd. publiée sous la direction d’Alain Boureau et Monique Goullet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004). Les Vitae sanctorum sont encore en cours d’édition (M. Bassetti, « Per un’edizione delle ‘‘Vitae sanctorum’’ di Rodrigo de Cerrato », HA, t. 9, 2002, p. 73-160. Quant au légendier de Pierre Calo, il n’y a pas d’étude plus récente que l’article publié il y a quasiment un siècle par Poncelet (A. Poncelet, « Le légendier de Pierre Calo », AB, t. 29, 1910, p. 5-116). 2   M. Goullet, ouv. cité, 2005.

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Gui a fait un effort particulier de réflexion sur la manière de découper les textes qu’il comptait copier) et interne (il ne repense jamais l’économie générale de ses sources : par exemple, il n’inverse quasiment jamais l’ordre des épisodes). Ce parti pris présente plusieurs avantages : en suivant pas à pas le texte, il met en évidence la servitude de Bernard Gui vis-à-vis de ses modèles, tout en pointant, de fait, les types d’épisodes qui subissent une réécriture.

– L’amputation Il s’agit d’une coupure massive effectuée à l’intérieur d’un texte qui, de part et d’autre de l’extrait amputé, est copié littéralement. Ce procédé marque la volonté du compilateur d’abandonner un développement jugé trop long ou inutile, de passer sous silence une idée, un épisode qui ne semble plus devoir être mis en valeur dans l’exposé de la vie édifiante de tel ou tel saint. Il aboutit à un remodelage du texte de base tout en faisant l’économie d’une nouvelle rédaction3. Dans le Speculum sanctorale, les épisodes les plus souvent amputés sont des récits de miracles.

– L’excision Il s’agit là aussi d’une suppression pure et simple, c’est-à-dire sans équivalent ou reformulation d’aucune sorte. Mais, contrairement à l’amputation, elle ne concerne pas un épisode entier. Elle porte généralement sur des données précises, et n’excède pas quelques phrases. Un autre cas fréquent est l’excision des phrases de liaison entre épisodes, supprimées au bénéfice du découpage en paragraphe du texte de base.

– L’élagage Dans d’autres cas, Bernard Gui allège ses sources, sans trahir la logique du texte. Dans le détail, cette technique d’abréviation peut prendre des formes diverses puisqu’elle peut aussi bien se fonder sur le changement de l’ordre des mots, des variantes lexicales ou grammaticales, des micro-coupures à l’intérieur d’une phrase ou encore l’excision de plusieurs lignes4.

– La concision Enfin, il arrive aussi que Bernard Gui abrège sa source en réécrivant le contenu d’un ou plusieurs épisodes.

  La définition, assortie d’exemples, se trouve dans M. Goullet, ouv. cité, p. 118-119.   M. Goullet, ouv. cité, p. 119-120.

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D– Présentation Des résUltats De l’analyse Elle a été uniformisée comme suit :

Foliotation dans ms 480 et 481 Saint

Introduction de la légende, rubriquée et/ou soulignée

fol. 96 – L EG ER

Sancti Leodegarii, VI° nonas octobris, ex gestis ejus.  « Beatus Leodegarius episcopus … majore morum nobilitate decorabat. » [BHL 4851] élagage, éd. Acta SS, Octobre, I, 485, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 239v°. Début et fin du paragraphe dans le texte latin

- Référence à la BHL - Mode d’appropriation (en gras) - Référence à l’édition du texte utilisé par Bernard Gui

Référence au légendier anonyme (OP, préparatoire du Speculum sanctorale.

XIVe

s.) qui porte les signes du travail

Liste des abréviations utilisées

abréviations Utilisées Acta SS : Acta sanctorum, tomes de janvier à novembre, éd. Société des Bollandistes, Anvers et Bruxelles, 1e éd., 1643-1925. Ambroise, Expositio : Ambroise, Expositio evangelii secundum Lucham, éd. M. Adriaen, Corpus christianorum, series latina, t. 44b, Turnhout, 1980, p. 1-118. Ambroise, Praefationes : Ambroise, Praefationes, éd. J. Frei, Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen, t. 56, Münster, 1974. Augustin, De consensu evangelistarum : Augustin, De consensu evangelistarum, Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, t. 43, éd. F. Weihrich, Vienne, 1904. Augustin, Sermones : Augustin, Sermones, PL, t. 38, 39. Bernard, Sermo : Bernard de Clairvaux, Sermo in festo sanctorum Stephani, Johannis et Innocentium, dans Bernardi opera, éd. J. Leclercq et H. M. Rochais, t. IV, Rome, 1957-1977. Biblia latina cum Glossa : Biblia latina cum Glossa Ordinaria, Strasbourg, c. 1480, réimp. Brepols, 4 vol., Turnhout, 1992. Catena aurea : Thomas d’Aquin, Catena aurea in quatuor evangelia, 2 vol., éd. Marietti, Rome, 1925.

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Eusèbe/Rufin, Hist. eccl., : Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, dans la traduction de Rufin, éd. Th. Mommsen, Leipzig, 2 vol., 1903 et 1908. Gilles : A.-V. Gilles, Recherches sur les origines et la diffusion du culte de saint Saturnin de Toulouse, des origines au concile de Trente, thèse d’École des Chartes, 3e vol., dactyl., 1981. Grégoire le Grand, Homiliarum XL : Grégoire le Grand, Homiliarum XL in evangelia libri duo, PL, t. 76. Hist. schol. : Pierre le Mangeur, Historia scholastica, PL, t. 198, col. 1053-1722. Isidore de Séville, De ortu : Isidore de Séville, De ortu et obitu patrum, éd. C. Chaparro Gomez, Paris, éd. Les Belles Lettres, 1985. Jérôme, Commentarii in prophetas  : Jérôme, Commentarii in prophetas minores, éd. M. Adriaen, Corpus christianorum, series latina, t. 76-76 A, Turnhout, 19691970. Jérôme, Commentarii : Jérôme, Commentarii in evangelium Matthei¸ éd. D.  Hurst et M. Adriaen, Corpus christianorum, series latina, t. 77, Turnhout, 1969. Jérôme, In Jeremiam : Jérôme, In Jeremiam prophetam libri, éd. S. Reiter, Corpus christianorum, series latina, t. 74, Turnhout, 1960. Legenda aurea : Iacopo da Varazze, Legenda aurea, edizione critica a cura di Giovanni Paolo Maggioni, secunda edizione rivista dall’autore, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 1998. Mombritius, : Bonitus Mombritius, Sanctuarium seu vitae sanctorum, Milan, s.d. (1480 cep.), réimp. Paris, 2 vol., 1910. Raban Maur, In honorem : Raban Maur, In honorem sanctae crucis, éd. Perrin, Corpus christianorum, continuatio maedievalis, t. 100, 1997. Rémi, Homélie : Rémi d’Auxerre, Homeliaie super Matthaeum, PL, t. 131, col. 865-932. SpH : Speculum historiale, édition électronique du texte, en ligne : (http ://atilf.atilf.fr/ bichard/

Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 82 – Vie de saint Thomas De sancto Thom a apostolo. G esta et pa ssio sanct i Thome apostoli, q ui pa ss u s est in In dya s ub Migdeo rege X I I ° k ale n d a s januar ii.  « Dum apostolus Thomas qui et Didimus … de arte nostra ipsi fideliter afferimus. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 606, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 21v°.  « Ascenderunt autem navim. Et cum … acanibus manum ipsam huc deferri. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 606, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 21v°-22.  « Cumque de strepitu hominum rex … et baptismatis eos unda sanctificans navigavit. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 607, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 22-22v°.

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 « Post non multum vero temporis misit … Dyonisii episcopi filia Thome apostoli. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 607, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 22v°-23.  « Cum autem esset Thomas apostolus in Yndia … quo rex Gundoforus absens fuit. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 608, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 23.  « Cum autem rex venisset et hoc quod … penitus quo usque de isto corpore exeam. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 608, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 23-23v°.  « Factum est autem ut egrediente apostolo … divitie ubi nullus finis decurrit. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 608, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 23v°.  « Igitur cum exisset fama apostoli … milia virorum exceptis parvulis et mulieribus. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 609, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 23v°-24v°.  « Profectus est autem apostolus ad Indiam … dies celebrato jejunio consecrata est. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 610, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 24v°-25.  « Migdonia autem cum nollet thorum viri sui … omnis doloris omnisque tristicie. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 611, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 25-25v°.  « Et ne incredibile ducas quid possit … facta est michi quam tibi Migdonia. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 611, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 25v°-26.  « Statim que jussit mitti ad Thomam et manibus … altero die egressus est incolumis. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 612, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 26-26v°.  « Tunc Caricius dicit regi : ‘‘fac illum … et omnes egritudines ibi curabantur5. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 613, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 26v°-27. E x plic it de pa ssione sanct i Thome apostoli. Seq uit ur de tran slat ione corpor i s eju s a b In dia in E di ssam c iv itate m. 6  « Denique supplicantes Syri ab Alexandro7 … hostes aut fugiunt aut paccantur. » [BHL 8136], éd. Mombritius, II, 614, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 27, excision8. Hec ex gest i s ant iq ui s sanct i Thome apostoli s unt a cce pta.  « Alexander autem imperator romanus sub quo … viginti tribus. » Bernard Gui9.  « Chrysostomus … christianae. Hec Chrysostomus. » source non identifiée10.  « De vindicta vero seu ultione facta in pincerna … a Thoma apostolo dictum fuit. »11   Texte établi à partir du ms 479, fol. 27b car la partie correspondante dans le manuscrit 480 est abimée.   Dans le manuscrit latin 9731 de la Bibliothèque nationale de France, la phrase est ajoutée dans la marge du fol. 132 a. 7   Texte établi à partir du ms 479, fol. 27b car la partie correspondante dans le manuscrit 480 est mutilée. 8   Bernard Gui ne copie pas la louange finale : « …orationis sancti Thome apostoli sive Didimi qui latus Domini contingens dixit : ‘‘Tu es Dominus Deus meus’’. Cui agamus omnes gracias credentes nos per hanc gratiarum actionem tam indulgentiam consequi peccatorum quam ad apostolorum gaudia pervenire ipso parante qui vivit et regnat per omnia secula seculorum. Amen. ». 9   Il s’agit d’une phrase précisant la datation du martyre de Thomas. 10   Il s’agit d’une citation de Jean Chrysostome que Bernard Gui ne puise pas dans la Légende dorée. 11   Le début de l’épisode est donné à partir du manuscrit latin 9731 de la Bibliothèque nationale de France, fol. 132 b. 5 6

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citations de saint Augustin tirées de Legenda aurea, p. 55-56, et commentaire de Bernard Gui12.  « Ysidorus in libro de ortu, vita et obitu … resurrectione celebrata fide certa penetravit. » Isidore de Séville, De ortu, 73, p. 209-21113.  « In hoc autem quod dubitans palpasse … nec laterent secreta. Hec Gaufridus. » Citation de Gaufridus, évêque de Chartres, non identifiée14.  « Thomas unus ex duodecim qui dicitur … quod credit’’. Hec Gregorius in omelia. »15 Grégoire le Grand, Homiliarum XL, lib 2, homélie 26, chap. 7-816.

Toulouse, BM, ms 480, II, fol. 106v° – Passion de saint Saturnin De sancto Saturnino episcopo et martire. V ita et pa ssio sanct i Sat ur nini pr imi e pi scopi urbi s Tholose q ui pa ss u s est in ea de m urbe I I I ° k ale n d a s dece mbr i s, ex gest i s eju s ant iq ui s, aliq uib u s s uper f lui s et imper t ine nt ib u s resecat i s. excision17  « Sanctus igitur Saturninus prothopresul … de quo hec sanctus Johannes dicebat. » [BHL 7508]18 rédigé sur la base de [BHL 7507] éd. Gilles, p. 21.  « Deinde post paucos dies vidit Johannes … cum ipsis sanctus affuit Saturninus. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7507] élagage19, éd. Gilles, p. 22.  « Post resurreccionem vero cum venisset in medio … erant dulcia sicut favus mellis. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7507] élagage, éd. Gilles, p. 23.  « In illis vero temporibus dum beatus Petrus … recipies quia magna erit merces tua’’. »

  Ce paragraphe correspond à la relecture que fait Bernard Gui des citations du Livre contre Fauste utilisées par Jacques de Voragine pour réhabiliter l’épisode du châtiment de l’échanson qui a giflé l’apôtre. Voir, pour le commentaire de ces textes, p. 271 et suiv. 13   Cette utilisation d’Isidore est déjà préconisée par Humbert de Romans pour les leçons du lectionnaire de l’office dominicain. Les neuf leçons qu’il rédige en l’honneur de l’apôtre Thomas sont précédées de la mention « Isidorius in libro de ortu, vita vel obitu et cetera, ut infra » (éd. Urfels-C apot, p. 148). 14   Cette référence est utilisée par Humbert de Romans pour la 2e leçon de l’office de saint Thomas (« Gaufridus Carnotensis episcopus », éd. Urfels-C apot, p. 149. Le texte évoqué de cette façon n’est pas non plus identifié dans l’édition du sanctoral de l’office). 15   La fin du paragraphe étant illisible à cause des dommages subis par le manuscrit 480, le texte est copié sur le manuscrit latin 9731 de la BnF, fol. 134. 16   Comme pour les deux épisodes précédents, l’insertion de cette homélie de Grégoire est commandée par l’utilisation qu’en fait Humbert de Romans pour la 7e leçon de l’office de saint Thomas (« Omelia beati Gregorii pape », éd. Urfels-C apot, p. 150). 17   Bernard Gui supprime le prologue qui attribue la rédaction des Gesta sancti Saturnini à saint Honorat. 18   C’est le texte de Bernard Gui que les Bollandistes ont répertorié sous ce numéro. 19   Dans cet extrait, comme dans les sept suivants, Bernard Gui abrège les dialogues. 12

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[BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7507] élagage, éd. Gilles, p. 26.  « Beatus itaque Saturninus a beato Petro … errore deditam cultui ydolorum. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7507] élagage, éd. Gilles, p. 27.  « In illis autem diebus erat Tholose quedam … ubi erat palmam martirii percepturus. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7507] élagage, éd. Gilles, p. 28.  « Cumque pergeret de Tholosa … sicut mos est episcoporum suffraganeorum. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7507] élagage, éd. Gilles, p. 29.  « Tunc beatus Saturninus Tholosam rediit … eis errorem et stulticiam ydolorum. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7507] élagage, éd. Gilles, p. 30.  « Predicante autem beato Saturnino … fuit in carcerali ergastulo decollatus. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7507] élagage, éd. Gilles, p. 30.  « Beatus itaque Saturninus post predicta Tholosam … mente confiteor ore collaudo. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7504] concision, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 297v°.  « Cumque beatus Saturninus hiis dictis … Christus post victoriam laureis coronaret. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7504] concision, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 300.  « Corpus vero ejus examine usque ad … beati Saturnini eidem in episcopatu successit. » [BHL 7508] d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 300v°. Hec ex gest i s ant iq ui s sanct i Sat ur nini s unt excer pta. De inve nt ione cor por i s sanct i Sat ur nini s (sic) m ar t ir i s.  « Permansit autem aliquamdiu … suffragia postulemus ipsorum patrocinia sentiemus. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7496] élagage20, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 300v°. De tran slat ione cor por i s sanct i Sat ur nini in Franc iam et q ualiter in de a d sede m s uam Tholose f uer it re por tat um.  « Legitur siquidem in cronicis que … sanctorum regni Dagoberti anno XIII°. » [BHL 7508] Hec aute m a cce pta s unt ex cronic i s aute nt ic i s. Seq uit ur de mira c uli s sanct i Sat ur nini 21 .   Bernard Gui supprime la dernière phrase.   Cette courte collection de miracles est l’objet d’une note de C.  de Smedt, « Un recueil de miracles de saint Saturnin, évêque de Toulouse », AB, t. 19, 1900, p. 439-440. Il montre notamment qu’il est, à l’identique, copié dans un manuscrit du xe siècle (Paris, BnF, ms lat 17002), originaire de Moissac (voir sur ce point F. Dolbeau, « Les anciens possesseurs des manuscrits hagiographiques latins conservés à la Bibliothèque nationale de Paris », Revue d’histoire des 20 21

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 « Contigit ut dum sancte reliquie … spacio amplius quam perdiderat reperiret. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7501] élagage22, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 301v°.  « Tempore Clotarii regis francorum, … cultum ejus cui prius fuerat dedicata. » [BHL 7508] d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 301v°.  « Apud urbem Tholosam ferunt fuisse … quo ejectus est in testimonium reservatur. »23 [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7501] élagage24, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 301v.  « Sancti Saturnini reliquie … virtus sancti Saturnini declaratur in populo. » [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7501] élagage25, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 302.  « Alter quoque qui per incursum dyaboli … oculis ceci manu visum recepit. »26 [BHL 7508] rédigé sur la base de [BHL 7501] élagage27, d’ap. Toulouse, BM, ms 479, fol. 302. De alia cor por i s beat i Sat ur nini re per t ione.  « Demum, anno Domini millesimo ducentesimo … nunc conspicitur super terram. » [BHL 7508] Bernard Gui28.  « Postmodum vero fuit facta capsa … a cuncto populo fideliter honoratur. » [BHL 7508] Bernard Gui29.

Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 5 – Passion des saints Innocents De nece et mar t ir io sanctor um innoce nt ium quor um fest ivita s celebrat ur V ° k ale n d a s januar ii.  « Innocentes lactantes parvuli ab Herode … Jacobum claudens in carcere Petrum’’. » Legenda aurea, 97-98.

textes, t. 9, 1979, p. 183-238) et donnant à lire, en plus des miracles, la Passion interpolée, les Gesta sancti Saturnini d’Auch, une Passion rimée et le récit des translations des reliques. 22   Bernard Gui supprime la première phrase et les trois dernières. 23   C.  de Smedt, art. cité, p. 439, montre que ce miracle est démarqué de Grégoire de Tours, In gloria martyrum, (chapitre 88), lequel le met au crédit de saint Vincent. 24   Bernard Gui supprime dernière phrase. 25   Bernard Gui supprime la première phrase et la dernière. 26   Le chapitre 28 de l’In gloria martyrum de Grégoire de Tours, donne à lire un miracle identique, mais attribué à saint Julien (voir C. de Smedt, art. cité, p. 440). 27   Bernard Gui supprime la dernière phrase. 28   Le paragraphe rapporte la découverte faite le 6 septembre 1254 du corps de saint Saturnin dans la partie supérieure de la basilique Saint-Sernin, devant le chœur des chanoines. Voir A. Dubreil-A rcin, « Un hagiographe à l’œuvre : Bernard Gui et les légendes de saint Saturnin de Toulouse », AM, t. 226, 1999, p. 217-231. 29   Il évoque l’élévation des reliques du 25 juin 1284 (A. Dubreil-A rcin, art. cité).

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annexes

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B. Gui ajoute les données bibliographiques et biographiques.  « Primi itaque Herodis Ascalonite … Hec ex predicta hystoria scolastica. » Eusèbe/Rufin, Hist. eccl., I, iv. Ambroise, Expositio, livre 3, l. 707-709 Hist. schol., cap. XXIV, col. 1538b et cap. XIX 1532d-1533a.  « Nunc vero ad propositum de nece Innocencium … sed non ut ad eum reverterentur’’. » Mat. II, 1. Raban Maur, In honorem, I, 15, Glose à Mat., II, 1 : Biblia latina cum Glossa, t. IV, p. 7b, Grégoire le Grand, Homiliarum XL, homélie 10, chap. 3, l. 3, d’ap. Catena aurea, I, 26-27, 31, 33.  « Magi autem recedentes ab Herode … et matre ejus.’’ Unde sequitur Matheus II°. » Mat., II, 1-12, Jérôme, Commentarii, livre I, l. 150, Glose à Mat., II, 1-12 : Biblia latina cum Glossa, t. IV, p. 7b-8, Augustin, De consensu evangelistarum, livre 2, chap. 11, p. 121, Hist. schol., cap. X, col. 1534a, d’ap. Catena aurea, I, 34  « Ecce angelus Domini apparuit … propter Christum’’. Unde sequitur Matheus II°. » Mat., II, 13-15, Augustin, De consensu evangelistarum, livre 2, chap. 11, p. 121, d’ap. Catena aurea, I, 37-38, Hist. schol. cap. XI, col. 1543b-1543d.  « Tunc Herodes videns quoniam illusus … homines quantitatis quam modo. Sequitur : » Mat., II, 16, Augustin, De consensu evangelistarum, l. 2, cap. 5, p. 98, Hist. schol. cap. XI, col. 1543b-1543d, d’ap. Catena aurea, I, 37-38, Hist. schol. cap. XI, col. 1543d.  « Tunc adimpletum est quod dictum est … Hec Severianus in predicto sermone. » Mat., II, 17-18, Jérôme, In Jeremiam, livre 6, p. 389, Jérome, Commentarii in prophetas, livre 2, chap. 5, l. 216, Jérôme, Commentarii, livre I, l. 176-178, Jérôme, Commentarii, livre I, l. 185, Glose à Mat., II, 17-18, Eusèbe, sermon non identifié30, Augustin, Sermones, sermon 373, col. 1664-1665,

  Bernard Gui utilise le même texte qu’Humbert de Romans pour la troisième leçon de l’octave des Innocents. Malheureusement, ce dernier n’indique pas sa source autrement que par la mention « Eusebius in sermone » (éd. Urfels-C apot, p. 176), ce qui ne permet pas d’avancer dans l’identification de ce texte.

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Bernard, Sermo, p. 271, Severiarius, sermon intutlié « Zelus quo tendat »31, d’ap. Catena aurea, I, 38-39.  « Defuncto autem Herode ecce apparuit … occidebantur a carnificibus est occisus. » Mat., II, 19-20, Jérôme, Commentarii, livre 1, l. 200, Eusèbe-Rufin, Hist. eccl., I, viii, 3-16, Hist. schol., col. 1546-1547,32 Rémi, Homélie, 6, col. 898b33, d’ap. Catena aurea, I, 40.

Toulouse, BM, ms 481, III, fol. 57 – Passion de saint Apollinaire Sanct i Apollin ar i s e pi scopi et m ar t ir i s X ° k ale n d a s aug u st i ex gest i s eju s a bre v iat i s.  « Beatus Apollinaris fuit beati Petri … cujusdam vidue sex mensibus reforetur. » Legenda aurea, p. 643.  « Deinde venit ad urbem Classensem … predicaret extra urbem eicitur. » Legenda aurea, p. 643-644.  « Eo tempore dum Ruphus Patricius … timensVespasianum cesarem occulte diligebat eum. » Legenda aurea, p. 644, puis SpH, XI, 7.  « Audiens autem Vespasianus cesar famam … ducentos ex ipsis occiderunt. » SpH, XI, 7.  « Tunc autem timens sibi prefectus … receptus est, sed fuit graviter verberatus. » SpH, XI, 7.  « Post triennium autem Apollinaris Ravennam … annos in predio suo manere fecit. » SpH, XI, 7.  « Pontifices autem ydolorum accusaverunt … sepultus fuit imperante Vespasiano. » SpH, XI, 7. Ambrosiu s vero de i sto m ar t ire in prefat ione sit ait.  « Apollinaris dignissimus presul … mundi predicat redemptorem. Hec Ambrosius. » Ambroise, Praefationes, CLXXXII, p. 345-346, Legenda aurea, p. 645.

  C’est Humbert de Romans qui permet d’identifier le sermon utilisé ici, car en marge de la quatrième leçon de l’octave des Innocents, il note « Severianus in sermone ‘’Zelus quo tendat’’ » (éd. Urfels, 177). 32   Cet extrait est aussi présent dans la Légende dorée. 33   Ce commentaire est aussi présent dans la Légende dorée. 31

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annexes

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Toulouse, BM, ms 48I, IV, fol. 71v° – Vie de saint Germier Sanct i G er mer ii urbi s Tholosane e pi scopi, X V I I ° k ale n d a s junii c uju s corpu s in v ico q ui v ulgar iter 3 4 du x vocat ur req uiesc it.  « Beatus Germerius in civitate Jerosolima … actus longe post scripsisse perhibetur. »35 [BHL 3486]36 = [BHL 3484] élagage, éd. Acta SS, Mai, III, 592, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 162v°.  « Cumque beatus vir in urbe Tholosana … helemosinis et orationibus semper intentus. » [BHL 3486] = [BHL 3484] élagage, éd. Acta SS, Mai, III, 592, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 162v°.  « Cumque adhuc in ordine dyachonatus … in nomine Domini accensam extinxit domum. » [BHL 3486] = [BHL 3484] concision 37, éd. Acta SS, Mai, III, 592, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 162v°-163.  « Post trium autem annorum et duorum … laudaverunt et magnificaverunt Dominum. » [BHL 3486] = [BHL 3484] élagage, éd. Acta SS, Mai, III, 592, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 163.  « Sanctus Germerius vero dicebat non oportere … quando ad sacerdotium est provectus. » [BHL 3486] = [BHL 3484] élagage, éd. Acta SS, Mai, III, 592-593, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 163.-163v°.  « Peractis autem omnibus, cum reverteretur … sancti Germerii, osculatus est eum. »38 [BHL 3486] = [BHL 3484] élagage, éd. Acta SS, Mai, III, 593, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 163v°.  « Sanctus autem Germerius, data benedictione … Fama autem eius crescebat cotidie. » [BHL 3486] = [BHL 3484] concision39, éd. Acta SS, Mai, III, 593, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 164.

  Dans le ms 477, cette information est rejetée à la fin.   Les premières phrases du paragraphe racontent que Germier est né à Jérusalem et qu’il a vécu au temps de Clovis. Or, la mention de cette naissance à Jérusalem est absente de BHL 3484. Par la suite, le texte du Speculum sanctorale dit que Germier vient à Toulouse avec ses deux compagnons, Dulcidius et Preciosus. Le nom de Dulcidius, qui se lit dans le manuscrit 479, et que reprend Bernard Gui, est remplacé par Placidius dans Acta SS, Mai, III, 592. 36   Sous ce numéro, les Bollandistes désignent le texte composé par Bernard Gui pour le Speculum sanctorale. 37   Les miracles accomplis par saint Germier sont plus nombreux dans la source du Speculum sanctorale (il fait reverdir un laurier sec, guérit des aveugles…). Ils sont aussi situés à la fin du texte. Seule la phrase « Multa autem Deus in ordine diaconi, postea differenda, per eum operatus est miracula » est tirée de BHL 3484. L’évocation des miracles est située à la fin du texte. 38   Dans cet épisode, le roi Clovis, instruit par la fama, invite Germier et le retient au palais pendant une vingtaine de jours. Il lui octroie des cadeaux d’or et d’argent, trois croix, trois calices, trois couronnes et un territoire nommé Ducorum. Les historiens l’identifient avec le lieu-dit d’Ox, près de Muret (voir notamment Henri Gilles, Les coutumes de Toulouse (1286) et leur premier commentaire (1296), Toulouse, 1969, p. 166). 39   La digression, sur le rôle de Germier dans la construction de l’église dédiée à saint Saturnin est synthétisée. 34 35

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annexes

 « Post hec autem in loco Ducorum, … abstulit, sit nomen Domini benedictum’’. » [BHL 3486] = [BHL 3484] concision, éd. Acta SS, Mai, III, 593-594, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 164v°.  « Novissime autem facta est plaga … seu sepulchrum ibidem minime ostendatur. » [BHL 3486] = [BHL 3484] concision, éd. Acta SS, Mai, III, 594, d’ap. Toulouse, BM, ms 477, fol. 164v°.

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annexe

2

L’évolution du sanctoral dominicain a– d’après les actes des chapitres généraux

Source B.-M. R eichert, Acta capitulorum generalium, Monumenta ordinis Praedicatorum historica, vol. 1 (1220-1303), Rome, 1898 ; vol. 2 (1304-1378), Rome, 1899.

Légende A : Date du chapitre général (Les dates inscrites en caractères plus petits, et entre parenthèses, indiquent le premier examen par le chapitre de la modification du calendrier. Les autres sont celles de la décision définitive, qui a force de loi) B : Type de modification. On distingue la création d’une nouvelle fête, la modification de la solennité d’une fête existante et le déplacement d’une fête existante. C : Désignation de la fête D : Date de la fête E : degré de solennité [3 leçons ; 6 leçons ; 9 leçons ; s = simple ; sd = semi double ; td= tout double] F : référence aux sources 1233

A

B nouvelle fête

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solennité

1243

solennité

1254

nouvelle fête

(1260) 1262

nouvelle fête

(1263) 1265 1266

nouvelle fête nouvelle fête

1266

solennité

1270 (1266) (1276) 1277 (1296) (1298) 1300 1300

autre jour nouvelle fête

C Translation de Dominique Vincent de Saragosse Onze mille vierges Pierre de Vérone Antoine de Padoue Édouard Défunts inhumés dans les cimetières de l’ordre Jérôme et Ambroise Édouard Marthe

nouvelle fête solennité

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D

E

F

24 mai

-

I, 3

22 janv

sd

I, 11

21 oct

9 leçons

I, 27

29 avril

td

I, 71

13 juin

3 leçons

I, 104 ; I, 113

7 janv 7 juill

3 leçons -

I, 120 ; I, 126 I, 131

sd

I, 133

13 oct 27 juill

3 leçons 3 leçons

Wenceslas

28 sept

3 leçons

Nativité de Jean-Baptiste

24 juin

td

I, 155 I, 133 ; I, 183 ; I, 192 I, 278 ; I, 292 ; I, 299 I, 295

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annexes

1300 1300 1300

A

B solennité solennité solennité

(1300) 1301 (1300) 1302 1307 1313 1326

nouvelle fête nouvelle fête nouvelle fête nouvelle fête nouvelle fête

1326

nouvelle fête

1328 1331

solennité solennité

1332 1336 1348

nouvelle fête nouvelle fête solennité

1355

nouvelle fête

1355 1355 1357 1370

nouvelle fête nouvelle fête autre jour nouvelle fête

C Pierre et Paul Nicolas Marie Madeleine Louis, roi Ignace Alexis Pierre Célestin Thomas d’Aquin Thomas après Dominique dans les litanies Michel Onze mille vierges Servais Martial Vincent de Saragosse Anniversaire des défuntes de l’ordre Adalbert Procope Procope Translation de s. Thomas

D 29 juin 6 déc 22 juill.

E td d 6 leçons

I, 295 I, 295 I, 295

F

25 août 1er fév 17 juill 19 mai 7 mars

3 leçons 3 leçons 3 leçons messe td

I, 296 ; I, 302 I, 297 ; I, 311 II, 24 II, 66 II, 164

-

-

II, 164

29 sept 21 oct

td 3 leçons

II, 177 II, 207

13 mai 16 juin 22 janv

3 leçons 3 leçons td

II, 216 II, 236 II, 322

10 oct.

-

II, 364

24 avril 4 juill 8 juill 28 janv

3 leçons 3 leçons 3 leçons td

II, 365 II, 365 II, 380 II, 412

b – d’après les calendriers liturgiques dominicains :

Légende 1239 : date du chapitre général En gras : création de fête – la date est entre crochets En italique : modification du degré de solennité La lettre entre crochets indique la solennité fixée par le chapitre : [td] = totum duplex ; [d] = duplex, [sd] = semi duplex La flèche indique si la solennité a augmenté ou diminué. La date entre crochets indique le jour de la fête fixé par le chapitre × : fête présente dans le calendrier ø : fête absente dans le calendrier ø – G : absence résultant d’un grattage add : fête ajoutée a posteriori  ? : l’information a été perdue BmT : Bibliothèque municipale de Toulouse BnF : Bibliothèque nationale de France

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ø ø ø

ø ø

Édouard [7janv / 13 oct.]

Marthe [27 juillet]

Marthe [27 juill / 29 juill.]

Wenceslas [28 sept]

Nativité Jean-Baptiste [td] ö

Pierre et Paul [td] ö

Nicolas [d] ö

Louis [25 août]

Ale×is [17 juillet]

Thomas OP [7 mars]

Michel [td] ö

Servais [13 mai]

Martial [16 juin]

Vincent [td] ö

Défuntes OP [10 oct.]

Adalbert [24 avril]

Procope [4 juillet]

Translation Thomas OP [28 janvier]

Procope [4 juill. / 8 juill.]

1270

1276

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1301

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Toulouse, BM, 105

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Toulouse, BM, 103

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Toulouse, BM, 98

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Paris, BnF, lat. 1324

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Paris, BnF, lat. 10489

annexes

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add

ø

Défunts inhumés dans les cimetières OP [7 juillet]

1266

ø

Antoine OFM [13 juin]

1262

× add

× add

Paris, BnF, lat. 8884

×

Pierre OP [29 av]

Paris, BnF, lat. 163

add

Vincent [sd] ö

1253

Paris, BnF, lat. 215

1239

Décisions des chapitres généraux

489

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annexe

3

Le sanctoral des manuscrits hagiographiques dominicains Le lectionnaire de l’office n’est pas à proprement parlé un manuscrit hagiographique. Pour autant, il a paru utile de l’intégrer à cette comparaison, en tant qu’il montre le fonds hagiographique commun de l’ordre dominicain après la réforme liturgique du milieu du xiiie siècle.

Références J de M : Jean de Mailly, Abbreviatio in gesta sanctorum, trad. A. Dondaine, éd. Cerf, 1947. B de T : Bartolomeo da Trento, Liber epilogorum in gesta sanctorum, edizione critica a cura di Emore Paoli, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 2001. H de R : Humbert de Romans, Lectionnaire de l’office dominicain, éd. Urfels-C apot (A.-E.), Le sanctoral de l’office dominicain (1254-1256), Mémoires et documents de l’École des Chartes, 84, Paris, 2007. J de V : Iacopo da Varazze, Legenda aurea, edizione critica a cura di Giovanni Paolo Maggioni, secunda edizione rivista dall’autore, Sismel, edizioni del Galluzzo, Firenze, 1998. B. G. : Bernard Gui, Speculum sanctorale, Bibliothèque municipale de Toulouse, ms 480 et 481.

Liste des abréviations utilisées fr. min. = frère mineur m. = martyr p. = pape pr. = prêtre v. = vierge

ab. = abbé ap. = apôtre conf. = confesseur disc. = disciple év. = évêque évang. = évangéliste Abdon et Sennen, m. Acace et dix mille martyrs Adrien, m. Affre, m. Agapet, m. Agathe, v. et m. Agathon Agnès, v. et m. Agricole et Vitalis, m. Alban

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annexes J. de M. Albin Alexandre Alexandre, p. Alexis, conf. Alpinien, conf. Amand, év. de Trêves Amans, év. de Rodez Amatre, év. d’Auxerre Ambroise, év. de Milan Anaclet, p. et m. Anastase Anastasie, v. Andoche, Thyrse et Félix André, ap. Anne, v. Antoine, ab. Antoine, fr. min. Apollinaire, m. Apollinaire, m. Apollonie, v. et m. Arède (Yrieix), ab. Arsène Aubin, év. d’Angers Athanase, év. d’Alexandrie Augustin, év. Aurée, v. et m. Babila Barbara, v. et m. Barlaam et Josabat Barnabé, ap. Barthélemy, ap. Basile, év. Basilide, m. Bassiano Baudile, m. Brandanus Bède le vénérable, conf. Bénin Benoît, ab. Bernard, ab. Blaise, m. Boèce, m. Boniface, m. Bonito, év. Brice, év. de Tours Brigitte, v. Calixte, m.

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B. de T. × × × ×

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492 Cantianus Caprais, m. Cassien Catherine, v. et m. Cécile, v. et m. Cephe, disc. Cerbonius Cesarius Christine, v. et m. Christophe, m. Chrysanthe Chrysogone, m. Cir et Julite, m. Claude, m. Clément, év. de Metz Clément, p. et m. Cleophe, disc. Clet, p. et m. Colombe, v. et m. Corbinien Corneille, p. et m. Cosme et Damien, m. Crisant et Daria Crispin et Crispinien, m. Cucufat, m. Cyprien et Justine, m. Cyprien, m. Cyriaque, m. Cyrille Damase, p. Daniel Denis, m. Denis de Milan Desiderius Domicille, v. et m. Dominique, conf. Donat, m. Dorothée, v. et m. Édouard, roi Éleuthère, m. Élisabeth de Hongrie Éloi, ab. Érasme Étienne, m. – Passion – Translation Étienne, p. Étienne, pr. et m.

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annexes J. de M.

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H. de R.

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B. G.

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Eugénie, v. et m. Eulalie de Barcelone, v Eulalie de Mérida, v. et m. Euphémie, v. et m. Eusèbe, pr. Eusèbe, m. Eustache, m. Eustorge Eutice et Victorin, m. Exupère, év. de Toulouse Fabien, p. et m. Faustin et Jovita Félicité (les sept frères) m. Félicule, v. et m. Félix de Nole, m. Félix et Adaucte, m. Félix et Fortunat Félix, p. et m. Félix, pr. Ferréol, m. Firmin, év. d’Amiens Firmin et Rustice Florian Flour, conf. Foi, Charité, Espérance, Foy, v. et m. François, fr. min. Front, disc. Fructueux, m. Fulcran, év. de Lodève Fursy Gallican Gallus Gaudentus Geminien Génès, prieur à Rome Génès d’Arles, m. Geneviève Georges, disc. Georges, m. Géraud d’Aurillac, conf. Germain, év. de Paris Germain, év. d’Auxerre Germain Germier, év. de Toulouse Gertrude Gervais et Prothais, m.

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494 Gilles, ab. Gordien et Épimache, m. Gorgon et Dorothée, m. Gothard Grégoire év. de Tours Grégoire, p. Grégoire de Naziance Grégoire de Spolète Guillaume de Gellone, Henri et Cunégonde Hermogène et Fortunat Hermès Hilaire, év. de Poitiers Hilarion, ab. Hippolyte, m. Homobonus Ignace, m. Ingenuinus et Albuinus Innocents, m. Isidore Jacques l’Intercis Jacques le Majeur, ap. Jacques le Mineur, ap. Jean Chrysostome Jean et Paul, m. Jean l’aumônier Jean, ap.– Vie – porte latine Jean-Baptiste – Naissance – décollation Jérome, pr. Joseph, disc. Jude, disc. Julie Julien, év. du Mans Julien, m. Julienne, v. et m. Junien, conf. Just et Pasteur, m. Justine Justine, m. Kylianus Lambert, m. Laurent, m. Léger, m. Léon, p. Léonard de Corbie

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Léonard de Limoges Lin, p. et m. Longin, m. Louis, roi Loup, év. de Troyes Loup, év. de Sens Luc, évang. Luceia et Aceia Lucie, v. et m. Lucie Lucio, roi Macchabées, m. Machaire d’Alexandrie Machaire d’Égypte Magnus Mamertin Mamès Mar et Marthe, m. Marc et Marcellien Marc, p. Marc, ap. et évang. Marcel et Apulée, m. Marcel, p. et m. Marcel de Chalon Marcellin et Pierre, m. Marcellin p. Marguerite, v. et m. Marguerite / Pélage Marie ancilla Marie des martyrs Marie l’Egyptienne Marie Madeleine Marien Marine Marius Marthe Martial, disc. Martin év. de Tours Martin, p. Mathias, ap. Matthieu ap. et évang. Maur, ab. Maurice, m. Maxence Maximin d’Aix, disc. Maximin, év. de Trèves Médard, év. de Noyon

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496 Menne Metrone Moïse Nabor et Félix Nathalie, m. Nathanael, disc. Nazaire et Celse, m. Nérée et Achilée, m. Nicolas, év. de Myre Nicolas, pèlerin Nicomède, m. Nicomède Onze mille vierges, m. Oswald Pancrace, m. Pantaléon, m. Papoul, m. Pardoux, ab. Pasteur Patrick Paul, ap. – Passion – Conversion Paul et Barnabé Paul, premier ermite Paule Paulin Pélage Pélagie Pèlerin, év. et m. Pergentin et Laurentin Perpétue et Félicité, v. Petro Grisologo Pétronille Philippe, disc. Pierre, ap. – Vie – Chaire de – aux liens – Passion Pierre Alexandre Pierre de Vérone, m. Pierre Célestin, p. Pigmenius Placide Polycarpe, m. Pons, m. Potencie Praxède Prejecte, m.

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Prime et Félicien, m. Prime et Marc Prisque, v. et m. Privat, m. Prix Proces et Martinien, m. Prosdocimus Prosper, év. Prothe et Hyacinte, m. Quarante militaires, m. Quatre couronnés, m. Quentin, m. Radegonde de Poitiers Remedius Rémi, év. de Reims Réparate, m. Ruf, m. Rufine et Seconde Sabine de Rome Sabine de Troyes Sabine et Séraphie Sacerdos, év. de Limoges Saturnin et Suzanne, m. Saturnin, disc. Savinien, m. Savino, év. Scholastique Sébastien, m. Senne Sept dormants, m. Sérapie, m. Serge et Bachus, m. Servais, év. et conf. Sever Sigismond Silverius Simon et Jude, disc. Simon, disc. Simplice et Faustinien, m. Sisin, Martir et Alexandre Sixte, m. Sophie et ses fils Suzanne, v. et m. Syle, disc. Sylvestre, p. Symphorien, m. Symphorose, m.

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annexes J. de M.

Syr de Gênes Syrus et Yventius Tertullien Thadée, disc. Thaïs Thècle, v. et m. Théodora Théodore, m. Thomas de Canterbury Thomas d’Aquin Thomas, ap. Tiburce et Valérien, m. Tiburce, m. Timothée Timothée et Apollinaire. Torpet Trois jumeaux Trophime et Crescent Uldaricus Urbain p. et m. Valentin év. et m. Valentin pr. et m. Valérie, v. et m. Valérien, m. Védaste, év. Venerius Victor Victor et Corone, m. Vierge d’Antioche Vigile Vincent, m. – Passion – Translation Vit et Modeste, m. Vital, m. Vital Wenceslas, m. Ymerius Zenone

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Annexe 4

Sommaire du Speculum sanctorale Les textes des quatre parties du Speculum sanctorale sont précédés de deux séries de chiffres : la première numérote les fêtes telles qu’elles se succèdent dans la totalité de l’œuvre, la seconde à l’intérieur de chaque partie. Les folios sont donnés d’après les ms 480 et 481 de la Bibliothèque municipale de Toulouse.

Première partie Hec est igitur prima pars Speculi sanctoralis de tempore in cujus exordio primittiter de adventu domini juxem morem et ordinem quem ecclesia in officio ecclesiastico per anni circulum instituit et observat. Cujus sunt tituli qui sequntur. 1. -1. Le quadruple Avent du Seigneur 2. -2. Le premier dimanche de l’Avent 3. -3. Le deuxième dimanche de l’Avent 4. -4. Le troisième dimanche de l’Avent 5. -5. Les mercredi, vendredi et samedi dans le jeûne des quatre temps 6. -6. Le jeûne des quatre temps 7. -7. Le jeûne qui tombe à d’autres temps 8. -8. Le quatrième dimanche de l’Avent 9. -9. Vigile de la naissance du Seigneur 10. -10. La Nativité ou la naissance du Seigneur 11. -11. La circoncision du Seigneur 12. -12. L’Épiphanie du Seigneur 13. -13. Le baptême du Christ dans le Jourdain 14. -14. L’octave de l’épiphanie 15. -15. La fête de la purification du Seigneur ou chandeleur 16. -16. La septuagésime 17. -17. La sexagésime 18. -18. La quinquagésime 19. -19. Le mercredi, début du jeune 20. -20. Les jeudi, vendredi et samedi 21. -21. La première semaine de la quadragésime, le jeûne du Christ et les tentations que lui fait subir le diable dans le désert 22. -22. Les jours de la première semaine 23. -23. La seconde semaine de la quadragésime 24. -24. Les jours de la seconde semaine 25. -25. La troisième semaine de la quadragésime 26. -26. Les jours de la troisième semaine 27. -27. La quatrième semaine de la quadragésime

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3 11v° 12 12 12v° 13v° 15 15 15 15v° 21 24v° 29v° 33 38 38 38 39 40 45 49 50 50 50 50v° 50v° 51

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28. -28. Les jours de la quatrième semaine 29. -29. La cinquième semaine 30. -30. Les jours de la cinquième semaine 31. -31. L’annonciation de l’incarnation du Seigneur 32. -32. Le samedi des rameaux 33. -33. La semaine des rameaux 34. -34. Lundi, mardi et mercredi dans la semaine sainte 35. -35. La Cène su Seigneur le jeudi saint 36. -36. Le lavement des pieds le jour de la Cène 37. -37. L’institution du sacrement de l’eucharistie 38. -38. Réconciliation publique et pénitence le jour de la Cène 39. -39. La consécration du l’eucharistie le jour de la Cène 40. -40. Le dépouillement et le lavement des autels 41. -41. Les ténèbres dans lesquelles l’Église fut plongée pendant 3 jours 42. -42. La passion du Christ le vendredi saint 43. -43. La sépulture du Seigneur 44. -44. Le samedi de Pâques et les trois jours de la sépulture du Seigneur 45. -45. La résurrection du Christ, le troisième jour, et la solennité du jour de Pâques 46. -46. Des multiples apparitions du Christ après sa résurrection 47. -47. Les jours de la semaine pascale 48. -48. Des jours de la semaine pascale aux rogations 49. -49. Les rogations 50. -50. L’Ascension du Seigneur 51. -51. La semaine précédant l’octave de l’Ascension 52. -52. Le samedi saint ou vigile de Pentecôte 53. -53. La Pentecôte 54. -54. Les jours de la semaine de Pentecôte 55. -55. La sainte Trinité 56. -56. Les semaines de l’octave de Pentecôte à l’Avent du Seigneur 57. -57. La fête de la transfiguration du Seigneur que l’on célèbre le sixième jour du mois d’août 58. -58. Sa conception 59. -59. La fête de sa conception, que nulle autre Église ne célèbre 60. -60. Sa sanctification 61. -61. La Nativité de la Vierge Marie 62. -62. Sa vie illustre dans ce monde 63. -63. La Dormition et l’Assomption de la Vierge Marie 64. -64. Ses nombreux miracles 65. -65. La fête de la Purification de la Vierge Marie 66. -66. La fête de l’Annonciation, qui est commune à la mère et au fils 67. -67. L’invention de la sainte Croix 68. -68. L’exaltation de la sainte Croix 69. -69. La fête de saint Michel 70. -70. La fête de tous les saints 71. -71. La commémoration de tous les défunts 72. -72. La dédicace des Églises

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Deuxième partie 73. -1. Naissance de saint Jean-Baptiste 74. -2 Décollation de saint Jean-Baptiste 75. -3. La quadruple vocation des apôtres 76. -4. Le catalogue des douze apôtres 77. -5. Les apôtres Paul et Barnabé 78. -6. Saint Pierre 79. -7. La chaire de saint Pierre 80. -8. Saint Pierre-aux-liens 81. -9. Saint Paul 82. -10. La conversion de saint Paul 83. -11. Passion des saints Pierre et Paul 84. -12. Saint Jacques le Majeur 85. -13. Saint Barthélémy 86. -14. Saint Matthieu 87. -15. Saint Simon et saint Jude1 88. -16. Saint André 89. -17. Saint Thomas 90. -18. Saint Jean 91. -19. Saint Jean devant la porte latine 92. -20. Saint Mathias 93. -21. Saint Philippe 94. -22. Saint Jacques le Mineur 95. -23. Saint Barnabé 96. -24. Saint Luc 97. -25. Saint Marc2 98. -26. Saint Saturnin 99. -27. Saint Martial3 100. -28. Saint Front 101. -29. Saint Georges 102. -30. Saint Maximin 103. -31. Saint Joseph 104. -32. Saint Nathanael 105. -33. Saint Thadée 106. -34. Saint Jude 107. -35. Saint Syle 108. -36. Saint Cephe 109. -37. Saint Cleophe 110. -38. Saint Simon

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2 17v° 20v° 21 22v° 23 30 31 32v° 42v° 44 48v° 55v° 60 64v° 69 82 88v° 95 95 97 98 100 102v° 104 106v° 112 126 136 139 139 139v° 140v° 142 142 142v° 142v° 143

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annexes

Troisième partie Le ms 296 d’Avignon témoigne que l’organisation interne de troisième partie du Speculum sanctorale a subi une série de remaniements à un moment difficile à préciser. Il a paru utile de donner en vis-à-vis les deux sommaires. L’indication des jours de fêtes a été ajoutée car il s’agit d’une clé pour comprendre une partie de ces transformations. Toulouse, BM, ms 481 111. -1. Étienne (26 déc) 112. -2. Innocents (28 déc) 113. -3. Thomas Becket (29 déc) 114. -4. Colombe (31 déc) 115. -5. Marcel (16 janv) 116. -6. Prisque (18 janv) 117. -7. Fabien (20 janv) 118. -8. Sébastien (20 janv) 119. -9. Agnès (21 janv) 120. -10. Fructueux (21 janv) 121. -11. Vincent (22 janv) 122. -12. Prejecte (25 janv) 123. -13. Polycarpe (26 janv) 124. -14. Ignace (1er fév) 125. -15. Blaise (3 fév) 126. -16. Agathe (5 fév). 127. -17. Dorothée (6 fév) 128. -18. Apollonie (9 fév) 129. -19. Eulalie (12 fév) 130. -20. Valentin, év (14 fév) 131. -21. Valentin, prêtre (14 fév) 132. -22. Mar et Marthe (17 fév) 133. -23. Julienne (19 fév) 134. -24. Perpétue (7 mars) 135. -25. 40 militaires (11 mars) 136. -26. Longin (15 mars)5 137. -27. Tiburce, Valérien (14 av) 138. -28. Eleuthère (18 av) 139. -29. Georges (23 av) ___ 140. -30. Clet (26 av) 141. -31. Marcellin (26 av) 142. -32. Vital (29 av) 143. -33. Pierre OP (30 av) 144. -34. Alexandre (3 mai) 145. -35. Translation d’Étienne – à Constantinople (19 janv)

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Avignon, BM, ms 296 2v° 5 8 10 10v° 11 11v° 11v° 16 17v° 18 20 21 22 23 24 25v° 26v° 27 27v° 27v° 28 28 29 29v° 30 30v° 30v° 31v° Victor et Corone (14 mai) 33v° 33v° 34 34v° 38 39

3 7 11v° 13 14v° 15 15v° 16 22 25 25v° 28v° 30v° 31v° 33 35 __ __ __ 37 38 38 38 39v° __ __ __ 40v° 42 45v° 47 47 47v° 48 __ 54

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annexes – à Rome (6 mai)6 ___ ___ ___ 146. -36. Gordien (10 mai) 147. -37. Domicille (12 mai) 148. -38. Nérée et Achilée (12 mai) 149. -39. Pancrace (12 mai) ___ 150. -40. Pons (14 mai) 151. -41. Victoire, Corone (14 mai) 152. -42. Eutice, Victorin (15 avril)7 ___ 153. -43. Baudile (20 mai) 154. -44. Urbain (25 mai) 155. -45. Marcellin et Pierre (2 juin) 156. -46. Boniface (6 juin) 157. -47. Prime et Félicien (9 juin) 158. -48. Basilide (12 juin) 159. -49. Félicule (13 juin) 160. -50. Vit et Modeste (16 juin) 161. -51. Cir et Julite (17 juin) 162. -52. Marc et Marcellien (19 juin) 163. -53. Gervais et Prothais (20 juin) 164. -54. Jean et Paul (26 juin) 165. -55. Symphorose (28 juin) 166. -56. Proces et Martinien (2 juill) 167. -57. Félicité et ses fils (10 juill) 168. -58. Rufine et Seconde (10 juill) 169. -59. Anaclet (13 juill) 170. -60. Marguerite (20 juill) 171. -61. Apollinaire (23 juill) 172. -62. Christine (24 juill) 173. -63. Christophe (25 juill) 174. -64. Cucufat (25 juill) 175. -65. Sept dormants (27 juill) 176. -66. Nazaire et Celse (28 juill) 177. -67. Panthaléon (29 juill) 178. -68. Félix (29 juill) 179. -69. Simplice, Faustinien (29 juill) 180. -70. Abdon et Sennen (30 juill) 181. -71. Macchabées (1er août) 182. -72. Foi, Espérance (1er août) 183. -73. Eusèbe (1er août) 184. -74. Félix (1er août) 185. -75. Étienne (2 août)

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Pons (11 mai) Longin (15 mars) Tiburce et Valérien (14 av) 40v° 40v° 41v° 42v° Eutice et Victorin (15 avril 43 45 46 Pancrace (12 mai) 46 46v° 47 47v° 48 48v° 48v° 49 50v° 52 53v° 54 58v° 55 55 56 56v° 56v° 57 58v° 59v° 60v° 61 62 63v° 64v° 64v° 4v° 64v° 65 66 66v°

56v° 60v° 62 62 62v° 64 __ 65v° __ __ __ 66 __ 66v° 67v° __ 68 68v° 69 69v° 71v° 74v° 77 78 __ 79v° 79v° __ 80v° 81 82v° 83 85v° 87 87v° 89 92 93 93v° 93v° 94 __ 94 95 96v°

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504 186. -76. Invention d’Étienne (3 août) 187. -77. Affre (4 août) 188. -78. Sixte, Félicien (6 août) 189. -79. Just et Pasteur (6 août) 190. -80. Donat (7 août) 191. -81. Cyriaque (8 août) 192. -82. Laurent (10 août) 193. -83. Tiburce (11 août) 194. -84. Suzanne (11 août) 195. -85. Hyppolite (13 août) 196. -86. Agapet (18 août) 197. -87. Privat (20 août) 198. -88. Timothée (23 août) 199. -89. Symphorien (23 août) 200. -90. Génès d’Arles (24 août) 201. -91. Génès de Rome (24 août) 202. -92. Ruf (27 août) 203. -93. Julien (28 août) 204. -94. Sérapie (3 sept) 205. -95. Sabine (28 août) 206. -96. l’autre Sabine9 (28 août) 207. -97. Félix (30 août) 208. -98. Marcel (4 sept) 209. -99. Ferréol (5 sept) 210. -100. Adrien (8 sept) 211. -101. Nathalie (1er déc) 212. -102. Gorgon (9 sept) 213. -103. Prothe et Jacinthe (11 sept) 214. -104. Eugénie (25 déc) 215. -105. Corneille (15 sept) 216. -106. Cyprien (15 sept) 217. -107. Nicomède (15 sept) 218. -108. Valérien (16 sept) 219. -109. Euphémie (17 sept) 220. -110. Lambert (18 sept) 221. -111. Maurice (23 sept) 222. -112. Thècle (23 sept) 223. -113. Cyprien et Justine (27 sept) 224. -114. Cosme et Damien (28 sept) 225. -115. Wenceslas (29 sept) 226. -116. Léger (2 oct) 227. -117. Foy (6 oct) 228. -118. Marcel et Apulé (7 oct) 229. -119. Serge et Bachus (7 oct) 230. -120. Réparate (8 oct) 231. -121. Denis (9 oct)

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annexes 67v° 67v° 69 70v° 70v° 71 71v° 72v° 74 75v° 76 76v° 77 78 78 79 81 81v° 81v° 82 82v° 82v° 82v° 83 83 83v° 85 85v° 86 86v° 88 88v° 89 89 89v° 90v° 91 91v° 93 94v° 95v° 96 97 97v° 98 99

97 __ 99 99v° 100 101 102v° 105v° __ 107v° 108v° 108v° 109 109v° 110v° 114v° 115 115 __ 116 116 116v° 117 117v° __ __ 118 118v° 120 122v° 123 124 124 124v° 126v° 127 128 130v° 132v° 134v° 135 137 137v° 138v° 140 141

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annexes 232. -122. Calixte (14 oct) 233. -123. Caprais (19 oct) 234. -124. 11000 vierges (20oct) 235. -125. Crispin et Crispinien (25 oct) 236. -126. Quentin (1er nov) 237. -127. Eustache / Placide (1er nov) 238. -128. Papoul (3 nov) 239. -129. Claude (8 nov) 240. -130. Quatre couronnés (8 nov) 241. -131. Théodore (9 nov) 242. -132. Menne (11 nov) 243. -133. Cécile (22 nov) 244. -134. Clément (23 nov) 245. -135. Chrisogone (24 nov) 246. -136. Catherine (25 nov) 247. -137. Lin (26 nov). 248. -138. Agricole et Vitalis (27 nov) 249. -139. Saturnin et Suzanne (29 nov) 250. -140. Barbara (4 déc) 251. -141. Valérie (10 déc) 252. -142. Eulalie (10 déc) 253. -143. Lucie (10 déc) 254. -144. Anastasie (20 déc) ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ 255. -145. Boèce (sans date) ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ 256. -146. 40 militaires martyrs12 257. -147. Translation de Vincent13 _______. s. Quitterie14

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99v° 102 102 102v° 104v° 105 106v° 108 108v° 109 109 109v° 110 112v° 116 116v° 119v° 119v° 120 120v° 121 122 123 124

125v°

125v° 126 128v

Dorothée (6 fév) Eulalie (12 fév) Alexandre (3 mai) Baudile (20 mai) Boniface (6 juin) Symphorose (28 juin) Rufine et Seconde (10 juill) Affre (4 août) Sérapie (3 sept) Adrien (8 sept) Nathalie (1er déc) Foi, Espérance (1er août) Barbara (4 déc) Privat (20 août) Appolonie (9 fév) Coynte16 Clet (26 av) Suzanne (11 août)

144 145 145v° 148v° 149v° 152 154v° 155v° 156 156 156v° 158 162 167v° 168v° 173 173 173v° ___ 174v° 176v° 178 179v° 182 184 185v° 186 187v° 188 188v° 188v° 190v° 191 193v° 19415 195 196 196v° 198 198 198v° 198v° 199 ___ ___

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annexes

Quatrième partie Comme cela a été fait pour la troisième partie du Speculum sanctorale, la confrontation des sommaires des ms 481 de Toulouse, 267 d’Avignon et ms lat 5406 de la BnF montre les remaniements de la quatrième partie. Là encore, l’indication des jours de fêtes permet de comprendre une partie de ces transformations. Toulouse, BM, ms 481 258. -1. Sylvestre (31 déc) 259. -2. Paul, ermite (10 janv) 260. -3. Hilaire, év. (13 janv) 261. -4. Rémi17 (13 janv) 262. -5. Félix, pr. (14 janv) 263. -6. Bonito, év. (15 janv) ___ 264. -7. Maur, ab. (19 janv) 265. -8. Marcel, pa. (16 janv) 266. -9. Antoine, ab. (17 janv) 267. -10. Machaire d’Alexandrie18 268. -11. Machaire d’Egypte (5 janv) 269. -12. Julien, év. (27 janv) 270. -13. Brigitte (1er fév) 271. -14. Védaste, év. (6 fév) 272. -15. Amand, év19, (6 fév) 273. -16. Scholastique (10 fév) 274. -17. Fulcran, év. (13 fév) 275. -18. Aubin, év. (1er mars) 276. -19. Thomas, O.P (7 mars) 277. -20. Grégoire, pa.(12 mars) 278. -21. Benoît, ab. (21 mars) 279. -22. Marie l’Égyptienne (2 av) 280. -23. Ambroise, év. (5 avril) 281. -24. Alpinien (27 avril) 282. -25. Athanase, év (2 mai) 283. -26. Sacerdote, év (15 mai) 284. -27. Germier, év (16 mai) 285. -28. Potenciane (19 mai) 286. -29. Pierre Célestin (19 mai) 287. -30. Germain, év (28 mai) 288. -31. Guillaume de Gellone (28 mai) 289. -32. Maximin, év (29 mai) 290. -33. Pétronille (1er juin) 291. -34. Médard, év (8 juin) 292. -35. Antoine, O.M (13 juin)

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Avignon, BM, ms 297 2 7v° 8v° 10 10 11 Félix 13 17 17v° 24 25v° 26v° 27 28v° 29 30 30v° 35v° 36v° 44 53 59v° 62v° 66v° 67 70 71v° 72 72v° 73v° 75v° 79 81 81v° 82

2 9 11 __ __ 13 15v° 16 21v° 22v° 31 33v° 35 __ 35v° 36 37v° 38 43v° 45 54v° 65v° 73 77 81v° 82 85v° 87 88 88 89v° 92 96 98v° 98v° 99

Paris, BnF, ms lat. 5406 2v° 9v° 11v° __ __ 13v° ___ 17 23 23v° 32v° 35 36 ___ 36v° 37 38v° 39v° 45 46v° 55 66v° 74 77 82v° 83 86 87 88 88v° 90 92v° 96v° 99 99 99v°

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293. -36. Basile, év (14 juin)20 294. -37. Prosper, év (25 juin) 295. -38. Léon, pape (28 juin) 296. -39. Alexis (17 juill) 297. -40. Praxède (21 juill) 298. -41. Marie Madeleine (22 juill) 299. -42. Anne (26 juill) 300. -43. Marthe (27 juill) 301. -44. Loup, év (29 juill) 302. -45. Germain, év (1er août) 303. -46. Dominique (5 août) 304. -47. Radegonde (13 août) 305. -48. Eusèbe, prêtre (14 août) 306. -49. Bernard, abbé (20 août) 307. -50. Arède, abbé (25 août) 308. -51. Pélagie, (sans date)21 309. -52. Louis, roi (25 août) 310. -53. Augustin, év (28 août) 311. -54. Gilles, abbé (1er sept) 312. -55. Jean Chrysostome (14 sept) 313. -56. Exupère, év (28 sept) 314. -57. Jérome, prêtre (1er oct) 315. -58. Rémi, év (1er oct)23 316. -59. Aurea (4 oct) 317. -60. François (4 oct) 318. -61. Pardoux, abbé (6 oct) 319. -62. Marc, pape (7 oct) 320. -63. Édouard, roi (13 oct) 321. -64. Gérald, confesseur (13 oct) 322. -65. Junien, confesseur (16 oct) 323. -66. Hilarion, abbé (21 oct) 324. -67. Flour (4 nov) 325. -68. Amand, év (4 nov) 326. -69. Léonard (6 nov) 327. -70. Léonard de Corbie (15 oct) 328. -71. Martin (11 nov) 329. -72. Jean l’aumônier 330. -73. Brice (13 nov) 331. -74. Grégoire de Tours (17 nov) 332. -75. Élisabeth de Hongrie (20 oct) 333. -76. Éloi, év (1er déc) 334. -77. Nicolas, év (6déc) 335. -78. Damase, pape (11 déc) ___ ___ ___

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annexes 83v° 88 90 90v° 92 92v° 95 96 97v° 99v° 106 116 119 119 125v° 128v° 128v° 131v° 137v° 139v° 142 143v° 145 149v° 150 154v° 156 156v° 157 159 160v° 164v° 165 167 169 169v° 179 182v° 153 185v° 188v° 198v° 204v° Brigitte Loup Aurea

101v° 101 106 106 108v° 108 109 108v° 110v° 110 111 110v° 114v° 113 115 114 ___ ___ 117 117 124v° 124 136 135 139v° 139 140 139 147v° 147 15122 151 151 152 154 155v° 162 163 164 165 167 168 169 170 171 172 ___ ___ 176v° 177 181 181v° 183 184 184 184 184 184v° 187 187v° 188 188v° 193 193 ___ ___ 194 194 196 196 197 197 207 207v° 212 211v° ___ ___ 212v° 212 216 215 226v° 226 ___ 232 Vies des Pères 233 (Jérome) 232v° 235 Vies des Pères 236v° (Héraclide) 237

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508 ___ ___ 336. -79. Bède le vénérable 337. -80. Servais, év et confesseur 338. -81. Vies des Pères par Jérome 339. -82. Vies des Pères par Héraclide

annexes Amand Grégoire 205v° 206 207 211v°

237v° Loup 239v° Félix 240 Grégoire Damase Brigitte Bède Aurea Amand

249 251 252 255 255v° 258 258v° 259

[1] Pour le sommaire du ms 480 de la Bibliothèque municipale de Toulouse, le copiste a confondu le couple Simon et Jude avec Simon d’une part et Jude ou Thadée de l’autre. À la suite de Matthieu, il crée donc deux entrées : Simon puis Jude ou Thadée, pour lequel il ne peut, bien sûr, donner de pagination. Le copiste de ce sommaire a encore commis d’autres erreurs (voir les notes suivantes), qui n’ont pas d’incidence sur le texte lui-même. Du coup, pour le sommaire de cette seconde partie du Speculum sanctorale, il vaut mieux se référer au texte qu’a publié Léopold Delisle à partir du ms lat. 9731 de la BnF, (voir Delisle L., « Notices sur les manuscrits de Bernard Gui », Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque nationale et autres bibliothèques, t. XXVII, Paris, 1879, p. 278). [2] Le copiste du ms 480 de la BM de Toulouse a oublié, dans le sommaire, d’inscrire où il convient le nom de Marc l’évangéliste : il l’a reportée à la fin de la liste. [3] Le copiste du ms 480 de la BM de Toulouse a oublié la notice concernant Martial : elle est reportée à la fin du sommaire. [4] La date est absente de l’introduction : elle est donnée par la copie du martyrologe d’Usuard à la fin du texte. [5] La date est absente de l’introduction. À la fin du texte, Bernard Gui évoque donne deux dates possibles : le 10 décembre, que l’on trouve dans les actes copiés en Cappadoce, et le 15 mars, lu dans le martyrologe d’Usuard. Bernard Gui ne semble pas trancher, mais le fait qu’il place Longin entre les Quarante militaires (11 mars) et Tiburce et Valérien (14 avril), montre qu’il s’est en fait rallié à la tradition diffusée par d’Usuard. [6] La question de la multiplicité des fêtes liturgiques pour la translation d’Étienne est évoquée par Jacques de Voragine qui expose une hiérarchie de ces fêtes en fonction de leur degré de solennité. Bernard Gui accole les deux fêtes, bien qu’elles aient des dates différentes. C’est la seconde qui respecte le cycle liturgique du chapitre. [7] Pas de date dans l’introduction. Elle est donnée par la copie du martyrologe d’Usuard, à la fin du texte. [8] La date du 26 décembre est immédiatement mentionnée après celle-ci. [9] Le copiste du manuscrit 481 de la Bibliothèque municipale de Toulouse n’indique pas dans son sommaire le texte consacré à « l’autre » Sabine, alors qu’il est présent dans le sommaire du manuscrit 296 de la Bibliothèque municipale d’Avignon et copié à sa place dans le manuscrit toulousain. Léopold Delisle, lorsqu’il donne la composition de la troisième partie du Speculum sanctorale à partir du document conservé à Toulouse, corrige l’erreur du copiste. [10] Comme dans le cas de sainte Sabine, le copiste du manuscrit 481 de la Bibliothèque municipale de Toulouse ne mentionne pas sainte Nathalie dans le sommaire, alors qu’elle est présente dans celui du manuscrit 296 de la Bibliothèque municipale d’Avignon. Léopold Delisle, lorsqu’il donne la composition de la troisième partie du Speculum sanctorale à partir du document conservé à Toulouse, corrige l’erreur du copiste. [11] La notice d’Eugénie ne respecte pas l’ordre du calendrier : elle est une division du chapitre

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annexes

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consacré à Prote et Hyacinte, dans l’introduction duquel elle est d’ailleurs nommée. [12] Notice absente du sommaire : c’est un doublon de la notice présente au fol. 29v°. [13] Le récit de la translation des restes de Vincent jusqu’à Castres est absent du manuscrit 296 de la Bibliothèque municipale d’Avignon. Dans le manuscrit de la Bibliothèque municipale de Toulouse, il est annoncé en marge du chapitre consacré à la vie de Vincent (fol. 18), et copié à la fin du volume (fol. 126). [14] La vie de sainte Quitterie est écrite par une main postérieure. [15] Dans la marge du fol. 194 du manuscrit 296 d’Avignon, une note indique la nécessité de déplacer le texte relatif à Boèce. Dans le manuscrit toulousain, ce déplacement n’a pas été accompli et la notice est restée non datée. [16] Dans les versions de la troisième partie du Speculum sanctorale qui intègrent les corrections, sainte Coynte est associée à Appolonie et disparaît des sommaires. [17] Il s’agit en fait d’une simple mention concernant le calendrier. Néanmoins, la notice est annoncée dans le sommaire et présente dans le ms 481 de la BM de Toulouse. [18] Le texte du ms 481 Toulouse, BM donne la date « X kalendas febroarii » mais sans la rayer, le copiste a ajouté « VIII » au dessus : on ne peut dire si ce chiffre remplace le premier ou s’il s’ajoute. Dans ce cas, Bernard Gui peut avoir désigné le 23 janvier (X) ou le 25 janvier (VIII). Dans tous les cas, cela ne respecte pas l’ordre calendaire. [19] À une époque ultérieure, mais difficile à déterminer, le nom d’Amans a été systématiquement gratté et modifié en Alain (Amanus/Alanus), au bénéfice d’une interpolation des deux légendes [20] Dans l’introduction, Bernard Gui donne d’abord le 1er janvier comme dies natalis du saint. Immédiatement après, il justifie le fait qu’il ait placé cette Vie, dans son Speculum sanctorale, le 14 janvier car c’est, dit-il, la date qu’il a lue dans la Vita sancti Basilii. [21] Pélagie n’est pas située dans le calendrier liturgique. Cete absence peut faire penser que le texte n’est qu’une extension de la notice rédigée pour son fils Arède. Cependant, le fait que le nom de Pélagie soit inscrit au sommaire de la quatrième partie du Speculum sanctorale (dans la marge pour ce qui du manuscrit 297 de la Bibliothèque d’Avignon, mais dans le texte de celui de Toulouse) pousse à la considérer comme une notice hagiographique à part entière. [22] Dans le ms lat 5406 de la BnF, la Vie de sainte Pélagie est copiée dans la marge du folio 151. [23] Dans l’introduction, Bernard Gui donne d’abord le 13 janvier comme dies natalis du saint. Immédiatement après, il justifie le fait qu’il ait placé cette Vie, dans son Speculum sanctorale, le 1er octobre, jour où on célèbre la translation du corps de saint Rémi (« Sancti Remigii remensis archiepiscopi et confessoris cujus natalis dies sui obitu occurit ydibus januarii, translationis vero corporis ejus festivitas celebratur kalendis octobris. », Bibliothèque municipale de Toulouse, ms 481, fol. 145-145v°).

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Table des matières

Avant propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7

Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

10

Introduction générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

13

Première partie Hagiographie et construction identitaire chapitre premier

Les saints, l’universel et le singulier : sanctoral hagiographique et liturgique jusqu’au milieu du xiiie siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A– Les progrès de la « logique de Chrétienté » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– L’hagiographie et les territoires de l’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– L a réserve pontificale du droit de canonisation . . . . . . . . . . . . . . . a– Évolution du droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Canonisation et textes hagiographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– Les interventions pontificales en matière de liturgie . . . . . . . . . a– Une liturgie privée devenue un modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– L a liturgie romaine hors de Rome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . c– Vers un droit pontifical de la célébration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B– Les logiques d’ordre : entre cohérence supranationale et particularisme hagiographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– L a nécessaire uniformisation des rites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– L’expérience de Prémontré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Les réalisations cisterciennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– Un particularisme contenu, mais tenace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Retour et inflation des saints locaux dans le calendrier cistercien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Un légendier « régional » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– Une hagiographie d’ordre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C– Le propre des saints dans les premiers légendiers des prêcheurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– La notion de « propre des saints » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Se conformer aux usages des Églises locales ? . . . . . . . . . . . . .

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31 32 33 35 35 37 38 39 41 42 43 43 43 44 46 46 47 49 53 54 54

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TABLE DES MATIÈRES

b– De l’épicentre aux confins : une nouvelle géographie sacrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . c– Le sanctoral des premiers légendiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– La logique véhiculaire du légendier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– La legenda nova . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Saints locaux et développement d’une parole persuasive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . c– l’Église universelle à l’horizon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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chapitre ii

La double mise en ordre hagiographique et liturgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 A– La politique hagiographique dominicaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 1– Construire les saints fondateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 a– Hagiographie et activité capitulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 b– Créer le saint à son image ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 2– Construire le sanctoral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 a– Prier ensemble, partout, au même moment . . . . . . . . . . . . . . . . 82 b– Les ajouts : un effort d’ouverture ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 3– L’ordre, entre sainteté universelle et sainteté ordinaire . . . . . . . 89 B– La réforme liturgique du milieu du xiiie siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 1– En finir avec la varietas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 2– Universalité, autorité, abrégé : le nouveau triptyque dominicain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 a– Clôture du sanctoral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 b– Choix et critique des sources chez Humbert de Romans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 c– Savoir expurger : le respect de l’Autorité et la codification des techniques d’abrègement . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 C– La normalisation liturgique en marche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 1– Du chapitre au couvent : la réception d’une réforme . . . . . . . . . 99 a– Terminus post quem : le rôle des chapitres . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 b– Les calendriers : une piste pour affiner le terminus ante quem ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 2– De l’exemplar aux livres quotidiens : l’esprit et la lettre de la réforme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 a– Les calendriers : rédaction à nouveaux frais et mises à jour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 b– L’apport du manuscrit 82 de la Bibliothèque municipale de Toulouse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

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chapitre iii

Les renouvellements de l’écriture hagiographique : une lecture « dynamique » de la Légende dorée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A– La première version de la Légende dorée : un légendier pour les Prêcheurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– L’écriture hagiographique comme facteur de reconnaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Le traitement de la matière hagiographique . . . . . . . . . . . . . . . b– L’utilisation des travaux d’Humbert de Romans . . . . . . . . . . 2– L’universalisation : un légendier pour tous . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– La clôture du sanctoral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– L’élargissement des perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– Légendiers, Vies des Pères du désert et édification des frères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– L’intérêt croissant pour la spiritualité du désert . . . . . . . . . . . b– Les Vitae Patrum dans la Légende dorée : intentions et usages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B– La deuxième version de la Légende dorée : vers une encyclopédie hagiographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– Effort critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Retour sur la diffusion des notices critiques d’Humbert de Romans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– La mise en garde contre les apocryphes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– Référencer le texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– L’ajout de références bibliographiques et de citations d’Autorités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Historiciser l’hagiographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– De l’hagiographe prédicateur à l’évêque hagiographe . . . . . . . . a– Un supplément de merveilleux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– La Vie de saint Syr, évêque de Gênes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

115 116 116 116 120 123 123 125 127 127 130 133 134 134 137 139 139 141 143 144 145

conclusion de la première partie

Du singulier à l’universel : le légendier au service de l’ordre . . . . . . . . . . . . . 149

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TABLE DES MATIÈRES

Deuxième partie Le Speculum sanctorale : une encyclopédie hagiographique dominicaine chapitre premier

Comment tout a (re)commencé : Les justifications du Speculum sanctorale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 A– Les apports du contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 1– Les présomptions d’une réforme culturelle dans l’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 2– Les études chez les Prêcheurs au début du xiv e siècle : une réforme scolaire pendant le généralat de Bérenger de Landorre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 3– Suppléer la Légende dorée ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 B– Profil de l’hagiographe désigné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 1– Bérenger de Landorre et Bernard Gui : le poids d’une amitié de trente ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 2– Le poids de l’expérience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 a– Les saints du Limousin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 b– Les saints du diocèse de Toulouse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 c– Traité sur les soixante-douze disciples du Christ . . . . . . . . . 167 3– La valeur du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169 a– Des œuvres constamment corrigées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169 b– Des saints de Limoges au Speculum sanctorale : un continuum hagiographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 C– La genèse du Speculum sanctorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174 1– Ce qu’avoue le prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174 a– La dédicace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 b– Les justifications d’une œuvre nouvelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 c– L’organisation du Speculum sanctorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 2– L’apport des manuscrits intermédiaires : premiers jets, recherche et tâtonnements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 a– État de la documentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 b– Des textes déplacés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 c– Des textes ajoutés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 d– Des textes mieux documentés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 3– Le choix du titre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

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TABLE DES MATIÈRES

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chapitre ii

Écrire après les hagiographes du xiiie siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A– Assumer l’héritage dominicain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– Reconduction d’un sanctoral « propre » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– Le choix des sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– L’abréviation comme projet d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4– Bernard Gui, lecteur de Vincent de Beauvais et de Jacques de Voragine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B– Dépasser l’héritage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– Étendre le peuple des saints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Le prologue à l’épreuve des faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Entre uniformisation et diversification, un nouvel équilibre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– Le retour aux sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– La recherche de textes longs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Une source privilégiée : le légendier contenu dans les manuscrits 477-478-479 de la Bibliothèque municipale de Toulouse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– L’utilisation des sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– La servitude du compilateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– La juste abréviation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . c– L’irrésistible gonflement du texte abrégé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4– Des programmes alternatifs au « tout abrégé » ? . . . . . . . . . . . . . . C– La naissance d’une encyclopédie hagiographique  . . . . . . . . . . . . . . . . 1– Présenter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– Distinguer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– Ordonner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Une composition stratigraphique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Bien lire : les apports du paratexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4– Une collection influencée par les commentaires thomistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

197 200 200 202 204 207 210 211 211 212 217 218 221 228 229 233 238 240 244 244 248 252 252 256 258

chapitre iii

Contours et limites du discours hagiographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A– L’hagiographie, un autre support du dogme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– Le rejet des apocryphes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– Le rejet du débat contradictoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– Doutes et justifications : les fonctions du paratexte . . . . . . . . . . . B– Le récit mis à nu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– De la parole de l’auteur à la fiabilité du compilateur . . . . . . . . . .

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261 263 263 268 271 277 277

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TABLE DES MATIÈRES

2– La citation scripturaire : une caution devenue inutile . . . . . . . . 279 3– L’hagiographie : une histoire des saints ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284 C– Les saints arrachés à l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286 1– Enjeux et opportunités d’un corpus différencié : Bernard Gui, historien avant d’être hagiographe ? . . . . . . . . . . . 286 2– La légende hors du temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 3– Saints et grands hommes, ou la distinction par l’écriture : le cas de saint Louis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294 4– La complémentarité des écritures hagiographique et historique : la translation puis la possession des reliques de saint Vincent à Castres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 a– Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 b– Histoire et hagiographie : un éclairage différencié . . . . . . . 299 chapitre iv

Un miroir, quel reflet ? La nature de la sainteté à travers le Speculum sanctorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A– Les figures de saints et les choix de l’hagiographe . . . . . . . . . . . . . . . . 1– Hiérarchie des mérites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– L’insertion du catalogue des vertus dans le Speculum sanctorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– L’évangélisme : rareté et recul du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . c– La culture mise en valeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2– Le traitement des miracles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– La pérennité de l’écriture hagiographique dominicaine . b– Entre Vie et miracles : la nature de la sainteté . . . . . . . . . . . . 3– Le martyre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Un nombre encombrant de martyrs ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– La nouvelle modernité du martyre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B– Le Speculum sanctorale : une matrice de la sainteté ? . . . . . . . . . . . . . . . 1– Du Christ aux confesseurs, la structure de la sainteté . . . . . . . . a– L’organisation du légendier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Hiérarchisation des Élus ou histoire de la sainteté ? . . . . . 2– L’ultime sainteté ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

307 309 309 310 313 322 326 326 329 331 331 333 337 337 337 341 343

conclusion de la deuxième partie

Le Speculum sanctorale : un légendier pour l’ordre et pour l’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347

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TABLE DES MATIÈRES

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Troisième partie Du local à l’universel, et retour chapitre premier

L’ordre, les frères et le monde : la multiplication des interfaces . . . . . . . . . . 357 A– Les saints de l’ordre : des saints pour tous . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 358 1– Saint Édouard et saint Wenceslas : de l’assimilation dominicaine aux figures universelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 358 2– La réécriture des miracles de saint Thomas d’Aquin : décontextualisation et déspatialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361 B– La dévotion de frère Bernard : les saints de l’ordre suffisent-ils ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364 1– En marge du légendier, l’attrait pour la sainteté locale . . . . . . . 364 a– Une hagiographie diocésaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364 b– Une hagiographie de sanctuaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 368 c– Des saints locaux aux saints douteux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370 2– Des opuscules locaux au légendier universel : distanciation ou englobement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372 a– L’encyclopédisme hagiographique du xiv e siècle : le révélateur d’un besoin d’ouverture ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372 b– Les points de contact . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 374 C– Les liens avec le monde : nouvelle perméabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 1– Densification du réseau conventuel, rétrécissement des horizons ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 a– La densification du réseau conventuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 b– Une nouvelle centralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381 2– Les évêques dominicains et les cultes locaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . 384 a– L’épiscopat dominicain : un observatoire des relations entre cultes universels et patronages locaux ? . . . . . . . . . . . . . 384 b– Évêques dominicains et saints locaux : dévotion et curiosité intellectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 386 c– Les saints locaux et les frères : une assimilation . . . . . . . . . . 388 chapitre ii

Articuler l’Église et les Églises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A– L’Église universelle présente dans le Midi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– Soixante-douze disciples pour l’Église, dix pour le Midi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Un genre ancien, renouvelé à la fin du xiiie et au xiv e siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Qui sont les disciples ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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TABLE DES MATIÈRES

2– Une « apostolicité différée » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Le traitement des cycles hagiographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– L’apostolat de saint Rémi et les nouveaux apôtres des Gaules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3– Universalisation puis ouverture du sanctoral : sens d’une évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B– Le Midi présent dans l’Église universelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1– Calendriers et lectionnaires toulousains : l’irrésistible actualisation de l’office . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a– Ouverture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b– Un particularisme réel ou un effet de sources ? . . . . . . . . . . . 2– Les ajouts au lectionnaire : de l’hagiographie à la liturgie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

401 401 404 406 409 409 409 411 413

conclusion de la troisième partie

De l’universel au particulier : le sanctoral d’un ordre sûr de son identité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 421 Conclusion générale Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sources manuscrites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Hagiographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Liturgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les sources imprimées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Édition des Vies du Speculum sanctorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Autres Vies rédigées par Bernard Gui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chroniques et Inquisition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Autres sources dominicaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Instruments de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ouvrages et articles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

431 431 431 431 432 432 432 433 433 433 435 435 436

Annexes 1 Extraits de l’analyse des Vies et Passions du Speculum sanctorale . . . . . . . . . 473 annexe

2 L’évolution du sanctoral dominicain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487 annexe

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TABLE DES MATIÈRES

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3 Le sanctoral des manuscrits hagiographiques dominicains . . . . . . . . . . . . . . . 490 annexe

Annexe 4 Sommaire du Speculum sanctorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 499 Index Index des noms de saints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521 Index des noms de lieux et de personnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 527

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Index des noms de saints*1 Adon et Sennen 339* Adorator 170* Adrien 189*, 190, 213, 249 Affre 70, 189*, 190, 211* Agapit 205* Agathe 124*, 139, 227*, 238 Agathon 128*, 131*, 132 Agnès 95*, 121, 124*, 139, 203*, 209*, 227*, 249, 329 Agricol et Vitalis 214 Alban 48 Alexandre 189*, 190, 287*/ Alexandre, Évence et Théodule 189*, 190 Alexis 83-85, 87, 89, 110-112, 358, 359, 413, 427 Almaque, disciple d’Antonin de Pamiers 388 Alpinien 166, 170, 171, 213, 216, 255*, 375, 376, 400, 402, 403, 406 Amadour 34 Amand 117*, 141, 166, 189*, 255*, 328, 353* Amatre 62, 63, 212 Ambroise 94, 106, 203*, 209, 255*, 257, 269, 271, 292, 325, 329 Amerinus 373* Anaclet 189*, 214, 287*, 288, 289*, 290 Anastasie 107, 142, 189*, 218 André 94, 122, 210*, 219*, 224, 227*, 329, 339* Anicet 107* Anne 69, 211* Anselme 225* Antoine 128*, 129-132, 203*, 223, 255, 280, 281 *

Antoine de Padoue 83, 84, 110, 111, 211*, 314, 315, 335 Antonin de Pamiers 110, 388, 410, 411, 413 Apollinaire 66, 67, 205*, 339* Apolline 189* Apollonie 190, 339* Arède 368 Aristobule 397 Arnulphe 405 Arsène 128*, 131*, 132 Arsistarque 399 Asclipius 368 Aubin 70, 211*, 238 Augustin 59*, 94, 95*, 141*, 192, 203*, 209, 255, 257, 265*, 273-275, 300, 323, 324, 329 Aurée 189* Austremoine 398 Austriclinien 375, 376, 400, 402 Babille 107 Barbara 189*, 190, 205*, 206*, 211*, 339* Barlaam 128*, 131 Barnabé 124*, 168*, 171*, 203*, 254*, 339, 340, 393*, 397 Barthélémy 127, 209*, 210*, 218, 231, 236, 237, 252, 331*, 397 Basilide, Cyrin, Nabor et Nazaire 192, 201, 203*-206*, 339* Baudile 189*, 214, 216, 253 Baumarchus 370 Bénigne 70 Benoît 41, 94, 106, 142*, 203*, 255

  Cet index concerne les pages 1 à 430. Les astérisques renvoient aux notes de bas de page.

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index des noms de saints

Bérenger 167, 365, 366 Bernard 94, 143, 220, 225*, 254*, 332 Blaise 141*, 219*, 312, 313 Boniface 189*, 190, 211* Bonito 214, 327 Brigitte 21, 189*, 211* Calixte 287* Caprais 216, 218, 334 Cassien 62, 62*, 66, 67, 307* Catherine 14*, 59*, 94, 124*, 142, 144*, 323* Cécile 139, 230, 249, 250, 251, 344* Céphas 168*, 171*, 172, 214, 220*, 393*, 397* Christine 70 Chrysanthe 142* Chrysogone 142* Choynte 189*, 190 Christophe 209*, 227*, 339* Clair 370 Claire 107, 314, 335* Claude 205*, 212 Clément 94, 124*, 135, 139, 210*, 287*, 288, 289*, 290-292, 307*, 329, 400 Clément de Metz 63, 64 Cléophe 171*, 172, 339*, 396 Clet 124*, 189*, 190, 191, 220*, 287*, 288-290, 292 Clodovalde 107 Colombe 70, 219*, 227*, 237 Côme et Damien 124*, 142*, 227* Constance 249 Corcodème 63 Corneille 287* Corneille et Cyprien 142* Crispin et Crispinien 223 Cucufat 205*, 211*, 224, 226*, 227* Cunégonde 36*, 329* Cyprien 218 Cyr et Julite 141*, 207*, 230, 255*, 257*, 264*, 271* Cyriaque 68, 69, 141*

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Damase 211*, 220*, 287* Denis l’Aéropagite 59, 59*, 94, 107, 135, 143, 144, 373*, 376, 398, 403 Didier 70, 121 Dominique 15, 28, 29, 54, 56-59, 63, 64, 71, 73-80, 83, 94, 106, 107, 128, 224, 230-232, 237*, 239, 301-303, 313, 314, 320, 332, 335, 361, 380, 382, 383, 427 Domitille 187, 213, 249, 251, 375 Donat 205* Dorothée 188, 189*, 190, 211*, 219*, 237, 397 Dulcide 170* Dunstan 307* Edmond de Canterbury 42* Édouard 83, 84, 87, 88, 110, 111, 201, 213*, 220*, 358-360 Éleuthère 107*, 245*, 323*, 339* Élisabeth 201*, 314-317, 319, 330, 332 Éloi 107, 166, 369 Elzéar de Sabran 37* Épimache 220* Étienne 94, 109, 124*, 141*, 171, 182, 187, 192, 201, 203*, 210*, 219*, 340 Euchaire 375* Eugène 412 Eugenie 223, 249, 323* Eulalie 189*, 190, 224, 227*, 334 Euphémie 94, 139, 245*, 334 Eusèbe 192, 205*, 209, 214 Eustache 142*, 280, 339* Eustorge 373*, 412 Eutice 249, 271*, 339* Eutice et Victorin 185*, 188, 213* Eutrope 170, 398, 400, 403 Évode 311 Exupère 110, 167, 171, 288*, 292, 365, 366, 374, 410, 411, 413, 417-419 Fabien 192, 203*, 287* Fauste 370 Félicité 204*, 232*

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index des noms de saints

Félicule 213*, 249 Félix 94, 145, 188, 189*, 211*, 224, 227* Félix et Adaucte 141*, 205* Ferjeux 398 Ferréol 223, 334 Fiacre 48 Firmin 107 Flavie Domicille, 171, 374, 375* Flour 353*, 386, 387 Fulcran 17*, 207*, 257*, 279, 353*, 386, 387 Fortunée 370 François 15, 56, 74*, 93, 94, 107, 128, 313, 314, 317-319, 332 Front 86, 168, 171*, 216, 375*, 398, 400, 401, 403, 404 Foy 34, 189*, 239*, 328 Gabriel 237 Gatien 398 Genès 207, 211*, 219, 227*, 248*, 264* Geneviève 107 Georges 94, 96, 121, 139, 144, 170, 171*, 173, 203*, 204*, 216, 220, 246, 264*, 375*, 398-, 400, 403 Géraud d’Aurillac 217*, 238*, 277, 284*, 353* Germain 63, 70, 94, 107, 203*, 209, 211*, 214, 328 Germier 17*, 167, 171, 172, 223, 288*, 328, 353*, 365, 366, 374, 406* Gervais 139, 142*, 170*, 203*, 255* Gilbert 107 Gilles 255* Girard 282 Gordien et Epimache 141, 145, 163*, 204*, 205* Gorgon et Dorothée 141*, 245, 246* Goussaud 369 Gratien 170, 398, 400 Grégoire 94, 203*, 287* Grégoire de Tours 189*, 214 Guillaume de Gellone 211*

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Guillaume de Saint-Brieuc 42* Hedwige 42* Hilaire 366 Hilarion 255* Honorat 366 Hugues de Rouen 198* Hyppolite 142*, 219* Ignace 84*, 87, 110, 111, 205*, 311-313, 358*, 359 Innocents 94, 426 Irénée 398 Jacques le Majeur 14*, 94, 204*, 209*, 210*, 219*, 220, 227*, 237, 239, 326, 331*, 339* Jacques le Mineur 227*, 265, 267 Jean l’aumonier 128*, 132 Jean l’évangéliste 88, 94, 109, 134, 135, 136*, 139, 257, 258, 266*, 311, 329 Jean, disciple d’Antonin de Pamiers 388 Jean-Baptiste 94, 124*, 182, 208*, 210*, 258, 279, 339, 340, 354*, 426 Jean et Paul 141* Jérôme 94, 142*, 173, 192*, 210, 220, 266*, 289, 292, 343, 359*, 416 Josaphat 128*, 131 Joseph 220*, 339* Jovien 63 Jovinien 63 Jude 171*, 172, 220* Julien 46, 106, 205*, 245, 328, 398, 398 Julien et Basilisse 63, 227* Julienne 228 Junien 171, 216, 353*, 375 Just 371 Just et Pasteur 224, 227* Justine 141, 142*, 218 Justine et Ruphine 60, 376 Lambert 46, 70, 201*, 205* Landricus 107

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index des noms de saints

Laud 370 Laurent 68, 94, 124*, 125, 142*, 224 Lazare 86, 168, 400 Léger 170* Léocadie 227* Léon 141*, 287*, 339* Léonard de Corbie 62, 142*, 214, 220* Léonard de Noblat 34, 35, 171, 214, 328, 353*, 375, 405, 406* Leutfredus 107 Lin 107*, 124*, 206, 254*, 287*, 288, 290, 292, 339*, 397 Lizier 373 Longin 124, 185, 254*, 339* Loup 189* Louis IX 83, 84, 110, 111, 202, 213*, 254*, 279, 288, 294, 295, 314, 315, 358, 359 Louis d’Anjou 37*, 314, 319, 408* Luc, l’évangéliste, 170, 171*, 173, 258, 339, 340, 396, 399 Lucie 124*, 238 Macaire 128*, 213*, 339* Mamertin 62, 63 Mammès 48 Magni 412 Mar 107, 245*, 339* Marc 94, 145, 203*, 210*, 220*, 254*, 287*, 339, 340 Marc et Marcellien 204*, 249, 344* Marcel 107, 213*, 238, 287*, 338 Marcel et Apulée 211*, 249 Marcellin et Pierre 142*, 205*, 206*, 210*, 287*, 339* Marguerite 62, 95, 96, 203*, 271* Marguerite/Pélage 128* Marie l’Égyptienne 128*, 130, 131 Marie-Madeleine 60, 86, 94, 293, 376, 403 Marien 62, 212, 369 Marine 127*, 128*, 130 Marthe 63, 83-87, 110, 111, 146, 339*, 358*, 359, 398, 400, 403, 410

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Martia, 34, 46, 83, 105, 168, 171*, 213, 237, 256, 278, 288*, 368, 374-376, 398, 400-403, 406* Martin 59*, 60, 94, 95*, 141, 255*, 376 Martin Donadieu 320-322 Mathias 138, 168*, 171*, 265, 267, 393* Matthieu 94, 219*, 238, 258, 354*, 412 Maur 94, 327 Maurice 218, 339* Maximin 86, 168, 170, 171*, 172, 173, 220, 326, 327, 400, 403 Médard 70, 191, 211*, 328 Memnie 375* Michel 108, 138 Miltiade 107* Moïse 128*, 131* Nathalie 189*, 190, 213, 249 Nathanaël 214, 339* Nazaire et Celse 192, 255* Nérée et Achillée 187, 213, 249, 251, 375 Nicodème 106, 205*, 213*, 249 Nicolas 94, 108, 121, 123*, 203*, 253, 254* Norbert 43 Ouen 369 Onze mille vierges 83, 142*, 210* Pancrace 141*, 185*, 187, 188, 219* Papoul 17*, 167, 170, 171, 353*, 365, 366, 374, 403 Pardoux 170*, 171, 216, 353*, 369, 375 Pasteur 128*, 131*, 132 Paul, apôtre, 66, 94, 108, 136*, 139, 203*, 210*, 254*, 281, 322, 331*, 393, 397*, 398, 399 Paul, ermite, 128*, 129 Paulin de Nole 373* Pélagie 128*, 142*, 213, 245*, 249, 344*, 375 Pèlerin 62, 63, 212 Perpétue et Félicité 339*

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index des noms de saints

Pétronille 339* Pierre, apôtre, 36*, 66, 67, 77, 94, 108, 203*, 210*, 265, 267, 288, 289*, 290, 292, 311, 331*, 339*, 340, 354*, 369, 375, 397, 398 Pierre Célestin 83, 202, 213*, 287*, 314, 315, 413 Pierre Chrysologue 66, 67 Pierre de Luxembourg 38*, 408* Pierre de Vérone 37*, 73, 77-79, 83, 94, 99, 105, 134, 181, 203*, 314, 315, 327, 330, 335, 342, 361 Pierre et Paul 226*, 227* Philippe, apôtre, 204*, 209 Polycarpe 225*, 237 Pons 107*, 185*, 187, 216, 240*, 257*, 271, 328 Potentiane 339* Praxède 125, 339* Préjecte 106 Prime et Félicien 141*, 170* Prisca 201, 205* Priscus 62, 62* Privat 334, 353* Procès et Martinien 191, 205* Procope 83, 106 Prosper 17*, 170*, 171, 211*, 353*, 375 Protais 139, 142*, 170*, 255* Prothais et Hyacinthe 142*, 249, 323* Psalmet 369 Quarante militaires 205*, 211*, 324* Quartus 399 Quatre Couronnés 142, 205* Quentin 144, 218, 223, 226*, 333 Quitterie 324* Radegonde 170*, 369 Remacle 166 Rémi 142*, 404, 405, 406, 422 Réparate 211* Rieul de Senlis 48 Ruf 206, 211*, 339*

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Rufine et Seconde 189*, 219* Rustice et Éleuthère 144 Sabine 205*, 214, 248 Sacerdos 17*, 166, 171, 216, 281, 282, 288*, 353*, 375 Salvy 373 Saturnin 14*, 110, 167, 168, 171*, 191, 207*, 214, 216, 227*, 246, 253, 257*, 264*, 288*, 365, 366, 374, 398, 400, 401, 403, 411, 413, 414, 416, 417 Savine 124, 125* Savinien 124 Sébastien 94, 139, 227*, 231, 232*, 234, 236, 249, 251, 310, 313, 344* Sept dormants 88, 205*, 337 Sept frères 141* Sérapie 189*, 190, 248 Servais 83, 105, 211*, 413 Sigebert de Gembloux 192 Simon 171*, 172, 211* Simon et Jude 238, 339* Siverius 107* Sostène 168*, 393* Soter 107* Stanislas 42* Suzanne 189*, 211* Syle 172, 220*, 339* Sylve 366 Sylvestre 203*, 223, 246, 269, 287*, 310, 313 Symphorien 141*, 210* Symphorose 189*, 211*, 339* Syr 124*, 145-147, 201* Thaddée 168*, 171*, 172, 209*, 214, 393* Thaïs 128*, 130, 344* Thècle 339* Théodard 373 Théodore 205* Thomas, apôtre, 94, 119, 219*, 265, 272, 274 Thomas Becket 296*

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index des noms de saints

Thomas d’Aquin 38*, 73, 83, 105, 106, 202, 213*, 297*, 315, 325*, 327, 361364, 369, 427 Thomas de Canterbury 191, 203*, 210* Tiburce et Valérien, 185*, 188, 249, 250252, 344* Timothée 141*, 205*, 271*, 339* Trophime 66, 70, 168, 398, 400 Ulrich 35 Urbain 94, 250, 287* Urcin 398, 400 Vaast ou Védaste 117*, 145, 166, 405, 406* Valentin 141*, 145, 189*, 190, 214, 219*, 245*, 248* Valentin et Astère 189* Valérie 171, 213, 219, 369, 374, 375, 402

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Vierge Marie 15, 51, 58, 63, 64, 69, 70, 76, 118-120, 173, 181, 237, 322, 337, 426 Victor et Corone 68, 185*, 188, 211*, 254* Victor et Marin 339* Victurnien 369 Vigile 62 Vincent 105, 106, 226, 227, 227*, 297*, 300, 302-304, 376, 427 Vit e Modeste 142* Vital 94, 203*, 204* Wenceslas 83, 84, 87, 88, 176*, 202, 205*, 213*, 358-360, 410 Yrieix 171, 213, 216, 245*, 249, 375 Zoïle 308*

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Index des noms de lieux et de personnes*1 Abel 88 Abélard 40*, 195 Acey 47* Adam 137, 138, 266*, 267 Adelasia, mère d’un enfant guéri par Thomas d’Aquin, 363 Adhémar, abbé de Saint-Benoît de Castres, 298* Adhémar de Chabannes 400* Adon 192, 206, 324* Agelis Nigri 15* Agen 170*, 216, 226, 227, 240* Agnès de Montepulciano 407 Aimoin 299-301 Aimon de Faversham 39, 39* Aix 47, 168, 220*, 400 Albane 397 Albano 46 Albi 163, 298*, 299, 303, 373 Albigeois 298 Albert le Grand 89, 384 Alcuin 95, 404, 405 Alemanie 49 Alexandre III, 36 Alexandre IV, 81, 304 Alexandre, préfet, 230 Alexandrie 215 Alpes 407 Alphonse X, 142* Ambroise 126, 139, 140, 203*, 255 Ambroise Autpert 95 Ambroise Sansedoni 383 Amiens 48*, 144

Anagni 69, 361 Angelus Clarenus ou Angelus de Chiarino 41, 54 Angers 238 Angleterre 87, 88, 329, 358, 359 Anjou 48, 82*, 295 Antibes 187* Antioche 87, 140, 266*, 311, 313, 396, 397* Apamée de Syrie 399 Apt 408 Aquilée 65 Aquitaine 83, 170, 293, 300, 353*, 398 Aragon 82* Ariège 389 Aristote 323, 324 Artige 367 Arles 47, 66, 70, 135, 144, 168, 187*, 207, 216, 219, 264*, 398 Arménie 397 Arnac 170* Arnaud de Villemur 366 Artois 295 Assise 39, 41 Athanase d’Alexandrie 130, 203*, 280, 281 Aubert, fondateur de Bénévent 166 Aubri de Trois-Fontaines 285* Auch 365*, 379* Audalde, moine, 300, 301 Auguste 142 Augsbourg 35, 70 Aurélien 95*

  Cet index concerne les pages 1 à 430. Les astérisques renvoient aux notes de bas de page. Les noms de lieux en tant que dépôt d’archives ou lieu d’édition ne sont pas indexés.

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index des noms de lieux et de personnes

Aurillac 217*, 238*, 277, 284*, 353* Autun 62, 170* Auxerre 61, 61*, 62, 62*, 63, 70, 203*, 208, 209, 212 Auvergne 398 Avignon 20*, 41, 56*, 61*, 314, 385, 386*, 388 Avignonnet 335* Balaam 280 Barcelone 90, 224 Bari 220 Barthélemy de Trente 16, 17*, 53, 53*, 61, 64-71, 96, 116-120, 124-127, 130, 133, 135, 149, 181, 190, 200-202, 207, 208, 211, 212, 231*, 233, 235, 244, 272, 273, 275, 310*, 332, 338, 357, 373 Baudry de Bourgueil 198* Bayonne 59, 153 Bazas 91 Beaulieu 170* Bède 63, 192, 203*, 204*, 220*, 257, 325, 416 Bénévent 126, 253 Benvenuta Bojani 407 Bérenger de Landorre 17, 18, 23, 154, 157*, 159-165, 168, 176, 177, 200, 215, 240, 256, 259, 276, 297*, 327, 349, 364, 371, 372, 374, 380*, 387, 388, 394, 409, 411, 425, 429 Bergame 65 Bernard Auteri 222* Bernard Gui 17-23, 27, 58*-60, 101*, 112, 136, 153-158, 160-185, 187, 189-196, 198-226, 228-234, 236, 237-261, 263, 264, 267-272, 274-284, 286-297, 298306, 309-330, 332-334, 336-345, 347349, 353-355, 357, 359-371, 373-379, 386-392, 394-396, 398-405, 408, 409, 413-419, 421, 422, 425-430 Bernard de Claivaux 32*, 40*, 137 Bernard de Combret, évêque, 303 Bernard de Gensac 366

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Bernard de Puisserguier 304 Bernard de Tiron 129* Bernard de Trille 275* Bernardo de Brihuega 142, 285, 341* Bernon, abbé de Castres, 301* Bertrand de Garrigues 320 Besançon 47*, 48*, 398 Beyrouth 399 Béziers 187*, 216, 304, 332 Boèce 245*, 323-325, 426 Bohême 87, 88, 358, 359, 360* Bologne 59, 59*, 73, 75, 77, 79, 81, 82, 110, 111, 160, 242, 382, 383 Bonaventure 318, 319 Boniface VIII, 294 Bordeaux 111, 163, 380, 381, 403 Bourges 298*, 367*, 398 Bourgogne 48, 293 Bressanone 65 Bretagne 397, 398 Brioude 328 Brive 163* Brivezac 370 Buda 92, 99 Cahors 163, 381 Caïn 88 Caïus 399 Calixte II, 326 Cambrai 131* Canterbury 307* Carcassonne 163, 164, 177*, 187*, 301, 321, 322*, 381 Cardeña 226, 227 Carinus 265* Carrión 308* Cassiodore 254, 268, 270 Castres 59, 163, 297-299, 303, 376, 427 Castule 233* Catane 238 Cavaillon 61* Célestin V, 38* Cerdagne 301

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index des noms de lieux et de personnes

Cersona 291 Chaalis 48 Châlons 375* Chamberet 170* Chambon-sur-Voueize 369 Charles, comte d’Anjou, 295 Charles le Chauve 60* Charles le Simple 404, 405 Charles Martel 60, 376 Cher 368 Chioggia 241 Chypre 380* Cîteaux 43-45, 47*, 48-52, 166* Cividade du Frioul 407 Clairvaux 48, 51 Clément IV, 42, 42*, 81 Clément V, 395 Clément d’Alexandrie 393*, 397 Cluny 32*, 35*, 50, 52, 308* Clotaire 135, 143 Clovis 233, 404-406 Cologne 78, 111, 202* Côme 77 Comminges 215 Comtat Venaissin 41, 61*, 385 Condom 163, 379* Conques 240*, 300, 301, 328 Conrad d’Eberbach 50-52 Constantin, empereur romain, 142, 254, 268-270 Constantin, prêtre, 203* Constantin d’Orvieto 76, 77, 80, 230, 231, 232 Constantinople 210* Cosmas Vestitor 119 Couserans 373 Crimée 291* Cyriaque, évêque de Jérusalem, 269, 270 Dacien 240* Dagobert 135, 143 Damase 289

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Danube 268 Dauphine de Sabran 407, 408 Dèce 398 Diègue d’Osma 63, 75, 305, 380 Dijon 221*, 222* Dioclétien 142, 333 Dismas 265* Dominique de Valerica 91 Dominique Grima 388, 389 Domitien 289 Donat, évêque, 140 Dordogne 368 Durand de Saint-Pourçain 82* Édesse 84 Edmond, roi d‘Angleterre, 329 Élie 279 Élisabeth de Schönau 119 Elne 227* Elzéar de Sabran 407, 408 Émesse 208* Émilie 373* Émilien 289* Emmaüs 396* Émon, abbé, 49, 49* Entrains 62, 215, 245* Éphèse 337 Épiphane de Salamine 396*, 397 Éraste 399 Esdras 325 Espagne 101, 102*, 154, 300, 301, 365, 366*, 395 Esther 141 Étienne, paën, 402 Étienne de Muret 129* Étienne de Salagnac 153, 161, 208, 241, 242, 373 Étienne de Sallay 195 Étienne de Vieljo 166 Étienne Racaud 102, 103, 153 Eudes, roi des Francs, 293 Euphrosyne 405 Europe 359, 379

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index des noms de lieux et de personnes

Eusèbe 95, 270 Eusèbe de Césarée 140, 168*, 203*, 209, 246, 254, 257, 268, 289, 393, 397, 398 Eustochium 266* Fanjeaux 61*, 380* Fastrède, abbé de Cîteaux, 50, 51 Faustianus 266* Feltre 65, 68 Figeac 163 Fina de San Giminiano 407 Flandre 67, 154 Fleurance 379* Florence 41, 100, 407 Florus 192 Foulque, évêque de Toulouse, 385* Fossanova 361, 363 Fra Angelico 248* Fra Dolcino 395 France 70, 82*, 153, 154, 216, 218*, 221*, 332, 338*, 354, 382, 408 Franche Comté 48 Frédéric II, 65 Fréjus 187* Frise 49 Gaius 233* Galice 164, 395 Garonne 388, 403 Gascogne 398 Gaufridus, évêque de Chartres, 203* Gaule 45, 135, 168, 301, 375, 391, 396, 398-400, 403 Gautier, évêque de Maguelone 44 Gélase, pape, 246 Gênes 116, 124*, 134, 143-146, 160, 161, 196, 209*, 259, 329, 343 Genolhac 379* Geoffroy de Nohl 166 Geoffroy de Breuil ou de Vigeois 166, 167, 367, 370, 371 Gérard, moine de Marcigny, 50 Gérard Segarelli 394, 395

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Géraud de Frachet 54, 58, 59, 77, 78, 81, 89, 90, 91, 129, 176*, 224, 233, 319, 327, 371, 427 Gérone 224 Gervais 289 Girone 187* Gislebert, abbé, 301 Golgotha 268 Gondoforus 272 Grasse 187* Grat 398 Grégoire, pape, 203*, 204* Grégoire VII, 31, 32, 343 Grégoire IX, 39-42, 42*, 49, 81 Grégoire de Tours 66, 175*, 182*, 204*, 210*, 278, 292, 325, 328, 375, 398, 403 Grégoire le Grand 203* Guéret 170* Gui de Châtres 338* Gui de Clauezl 369 Guiard de Laon 131* Guilhem abbé de Béziers, 304 Guilhem Raimond, frère OP de Castres, 299, 303 Guillaume, évêque de Meaux, 42* Guillaume Briçonnet 386* Guillaume de Malmesbury 307* Guillaume de Nangis 19* Guillaume de Pierre Godin 15* Guillaume de Puylaurens 239*, 294 Guillaume de Randone 379* Guillaume de Saint-Thierry 254 Guillaume de Tocco 82 Guirart, duc de Bourgogne, 293 Haut Adige 65, 70 Hautpoul 303* Haymon d’Auxerre 192 Hélène 268, 269 Hélinand de Froidmond 285* Héraclide 343 Hervé de Nédellec 15*, 276, 394, 425 Hildebert, moine, 300

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index des noms de lieux et de personnes

Hincmar 135, 404, 405 Honorius III, 57 Honorius IV, 395 Honorius d’Autun 194 Hucbald de Saint-Amand 230, 255* Hugues de la Fosse 44 Hugues de Saint-Cher 101* Hugues de Saint-Victor 225*, 256 Humbert de Romans 30, 54, 55, 70-73, 76, 77, 78*, 79, 80, 89-101, 105, 106, 108114, 116, 119-123, 134-136, 139, 149, 150, 160, 200-204, 224*, 226, 230, 244, 246, 254, 259, 270, 272, 276, 318, 348, 359, 370, 372*, 375, 409, 425-427, 429 Icône 230 Imola 66, 307* Inde 126, 253, 265*, 272 Innocent III, 28, 36*, 39, 70 Innocent IV, 37, 37*, 41, 77 Isidore de Séville 135, 136*, 192, 203*, 204*, 209, 225*, 393* Italie 64, 154, 169, 208, 215*, 382, 397, 406 Jacobins, église OP de Toulouse, 389, 410 Jacques de Vitry 131 Jacques de Voragine 16, 16*, 17*, 30, 70, 77*, 113, 114, 116, 118-127, 129-137, 139-146, 153, 157, 160, 161, 179, 182, 197, 199-202, 208, 210, 212, 214, 217, 220, 221, 231-233, 235-237, 244, 255, 257, 259, 264-273-276, 284, 291, 300, 310*, 311, 315, 317, 318, 325*, 328, 329, 343-345, 347, 354*, 370, 390, 397, 426 Jean XXII, 18, 23, 27, 37*, 41, 82, 158, 164*, 176, 177, 184, 185, 194, 240*, 314, 319*, 322*, 330, 349, 361, 365*, 367*, 373*, 385, 386*, 428 Jean, apôtre, 63 Jean Beleth 34, 209 Jean Cajetan Orsini, cardinal, 40 Jean Chrysostome 63, 193, 203*, 208*, 257, 265*, 339*

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Jean Damascène 119 Jean Diacre 203*, 253, 254* Jean del Coppo 407 Jean de Mailly 16, 17*, 53, 53*, 61, 62, 62*, 63, 63*, 64, 65, 67, 70, 71, 81, 96, 116-120, 124, 126, 127, 133, 135, 182, 190, 200-202, 204*, 207, 208, 212, 214, 220, 221, 233, 235, 244, 264, 265, 267269, 272, 273, 275, 310*, 328, 332, 338, 357 Jean de Salisbury 203* Jean Golein 18* Jean Rigaud 315* Jean Tissandier 386* Jérusalem 144, 265*, 269, 270, 336 Joachim de Fiore 394 Job 313 Joibert, chanoine de Soissons, 67 Joinville 296 Joseph 265* Jourdain de Saxe 75-77, 90, 224*, 232 Juan Gil de Zamora 16*, 341* Judas 137, 265*, 266, 269 Julien de Spire 318 Laodicée 84 Latran 36, 39, 40, 54 Languedoc 61*, 187*, 218*, 305, 354, 373, 381, 382, 385, 407 Lauraguais 17 Lectoure 379* Le Mans 46, 398 Léon d’Ostie 135 Le Puy 216, 304, 380 Leucius 265* Liège 46 Limoges 17*, 46, 47, 59, 60, 79, 102, 129, 153, 163, 166, 168-171, 215, 216, 222*, 223, 227, 239*, 287, 288*, 328, 332, 353*, 364, 366-368, 370, 374-376, 379, 398, 402, 405 Limousin 17, 18, 165, 170, 219*, 369, 371, 376, 402

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index des noms de lieux et de personnes

Limoux 380 Lipari 126, 253 Lisbonne 20 L’Isle-Jourdain 379* Llivia 301 Lodève 17*, 21, 164, 177, 185, 320, 353*, 386, 387, 389 Loire 227 Lombardie 77, 134, 143, 154 Londres 79, 87, 327, 358 Louis IX, 239*, 294, 296 Louis le Pieux 135 Lucas de Tuy 395 Lucius de Cyrène 396 Lyon 31, 69, 85, 398 Maguelone 216 Maïeul 75 Mailly 62* Maine 48 Mantoue 124 Marciac 379* Marrakech 336 Marche d’Ancône 77 Marguerite da Città di Castello 407 Marguerite de Provence 296 Maroc 315, 335* Marseille 86, 168, 187* Martin de Troppau 289, 294, 360* Martin Donadieu 177* Matthieu, chanoine de Salerne, 363 Matthieu d’Albano 51 Matthieu de France 301-303 Mauvezin 379* Maxence 142 Maximien 142, 333 Maximin 142 Mende 334, 353* Mérida 224, 334 Méthode 253 Metz 53, 53*, 63, 87, 202*, 208, 212, 285*, 307*, 359*, 400 Meuse 338*

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Meymac 170* Milan 65, 77, 79, 87, 89, 99*, 111, 271, 292, 323, 324*, 373*, 397, 412 Milet de Laodicée 135, 140 Moïse 273, 325 Moïse de Bergame 397 Moissac 227 Mont Liban 138 Montauban 170, 367*, 373, 381 Monte Mario 55* Montpellier 61*, 89, 101, 111, 163, 201*, 218*, 275* Moselle 338* Naples 408 Narbonne 47, 163, 216, 227, 240*, 365*, 373, 380, 386, 398 Novare 395 Néhémie 325 Néron 137, 265*, 266, 267 Nice 59, 153, 187, 216, 271* Nicodème 265, 266* Nicolas III, 39, 40 Nîmes 216 Nogaro 379* Norbert, abbé de Prémontré, 44 Noyon 191, 328 Obazine 166 Odon 50* Ombrie 406 Orange 398 Orléans 253 Osma 302 Otton III, 404 Padoue 65, 241, 243* Palencia 389* Pamiers 239, 388, 389, 410, 411 Paolino da Venezia 177* Paris 60*, 75, 89, 99*, 100, 102, 103*, 105, 129, 131*, 154, 202*, 275*, 295, 328, 381

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index des noms de lieux et de personnes

Parme 395 Pascal II, pape, 388*, 389 Paschase 119, 239 Paule 266* Paulin, prêtre, 329 Paulin de Nole 203*, 209* Pavie 324 Pélage 143, 179 Périgueux 59, 86, 102, 153, 168, 216, 376, 398, 403 Pétrarque 177* Philippe de Montfort 302, 304 Piémont 395 Pierre, enfant guéri par Thomas d’Aquin, 363 Pierre Calo 16, 241, 242, 373, 374, 390, 429 Pierre Cristol, hérétique, 303* Pierre Damien 203*, 257 Pierre-Jean Olieu 314 Pierre de la Chapelle-Taillefer 322* Pierre de la Palud 15*, 394 Pierre de Lugo 395 Pierre de Millau 387 Pierre de Saint-Astier 153 Pierre Ferrand 63*, 76, 77, 80, 81 Pierre François, fère convers, 363 Pierre Gui 153*, 160, 177*, 322*, 361 Pierre le Vénérable 32*, 33, 33*, 50-52 Pierre Lombard 243 Pierre Seilhan 54, 59*, 381 Pise 65, 85, 111 Poitiers 170*, 403 Polycarpe 140 Polymus 236 Ponce, abbé de Saint-Ruf, 43-44 Ponce Pilate 265*, 266*, 267 Poncia 213 Pont-de-Sorgues 56* Pont-Euxin 291 Pontoise 296 Prudence 307* Prouille 57, 63*

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Provence 58*, 59, 60, 60*, 79, 89, 101*, 102, 103, 153, 164, 173, 187*, 218*, 243*, 296, 297, 303, 320, 376, 378, 379, 403, 408 Pseudo-Abdias 126 Pseudo-Aurélien 278, 375, 400*, 402 Pseudo-Denis 126, 127 Pseudo-Dorothée 397, 399 Pseudo-Gélase 180, 264, 269* Pseudo-Théotinus 96 Ptolémée de Lucques 82 Pyrénées 227 Raban Maur 192, 204*, 338* Rabastens 410* Raoul, moine, 308* Ratisbonne 384 Ravenne 65-67 Raymond de Peñafort 82*, 90, 361* Raymond du Fauga 385* Raynaud, maître chirurgien guéri par Thomas d’Aquin, 362, 363 Reggio 170 Réginald d’Orléans 63, 76 Reims 135, 404, 405 Renaud de la Porte 369 Rennes 48* Revel 61*, 380* Rhône 61*, 86, 408 Ricoldo da Montecroce 336 Rieux 159, 380, 386* Robert, comte d’Artois, 295 Robert d’Auxerre 269 Robert de Molesmes 44, 45* Rocamadour 34 Rodez 215, 240*, 255*, 328 Rodrigue, archevêque de Compostelle 395 Rodrigue de Cerrato 16, 17*, 114, 122*, 154, 207, 242, 308*, 372 Rogatien 405 Roger, fondateur de Dalon, 166 Roger Bacon 243

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index des noms de lieux et de personnes

Romagne 77 Rome 14, 15, 28, 29, 35, 37, 39-41, 49, 55*, 59, 65, 68, 76*, 80, 85, 103, 135, 142, 149, 192, 210*, 248, 253, 271*, 314, 361, 375, 385, 397, 404 Romulus 146 Saint-Aignan 76 Saint-Antoine 295 Saint-Antonin, abbaye, 389 – chapelle à Toulouse, 389, 389 Saint-Antonin-Noble-Val 389* Saint Augustin 119 Saint-Benoît de Castres 297-299, 301, 304 Saint-Boniface de Rome 85 Saint-Damien, couvent OP, 335* Saint-Denis de Paris 191 Saint-Étienne d’Auxerre 62 Saint-Étienne, cathédrale de Limoges, 371 Saint-Étienne de Lubersac 170* Saint-Eustorge de Milan 68 Saint-Félix-Saint-Clément 307* Saint-Fiacre 282 Saint-Germain-des-Prés 298 Saint-Gilles 34 Saint-Guilhem-le-Désert 34 Saint-Jacques, couvent OP de Paris, 93*, 275*, 320 – porte de Paris, 381 Saint-Jacques de Compostelle 34, 164, 395 Saint-Jean, basilique de Rome 39 Saint-Jean d’Acre 336, 380* Saint-Junien 370* Saint-Laurent de Trente 68 Saint-Laurent, bourg, 362, 363 Saint-Léonard-de-Noblat 367 Saint-Martial de Limoges 166, 227, 228*, 367-369 Saint-Martin de Tulle 216* Saint-Maximin 60, 327 Saint-Nicolas de Trévise 248*

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Saint-Nicomède à Rome 70 Saint-Paul de Narbonne 227 Saint-Papoul 365, 366 Saint-Pierre de Limoges 315 Saint-Pierre de Moissac 227 Saint-Pierre de Rome 39-40, 368 Saint-Pons-de-Thomières 216, 240*, 271* Saint-Romain, couvent OP de Toulouse, 57, 302*, 320 Saint-Sernin de Toulouse 14*, 34, 366 Saint-Siège : voir Rome 361 Saint-Trophime à Arles 187*, 216* Saint-Vaast d’Arras 44 Saint-Victor de Marseille 298 Saint-Vincent de Castres 60, 298, 301, 303, 304 Saint-Yrieix 222* Sainte-Baume 376 Sainte-Marie du Puy 303* Sainte-Sabine, couvent OP de Rome, 93, 359* Saintes 398, 403 Salamine 396* Salerne 363 Salomon 138 Salomon, comte, 301 Samatan 379* Samuel 325 San-Lorenzo à Gênes 145* San-Siro à Gênes 145* Saragosse 60, 299, 302, 376, 427 Sarlat 367* Sénèque 265*, 267, 396 Sens 62, 70, 403 Seth 138 Sévérianus 203* Sicile 209*, 210*, 253 Sidoine 293 Sienne 383 Sigebert de Gembloux 206, 210, 285*, 360* Sigehardus 326 Silos 227

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index des noms de lieux et de personnes

Simon de Beaulieu 367* Simon de Montfort 63*, 298, 301 Simon dit le Noir 396 Simon le Magicien 266* Sixte III, 66 Soissons 67, 70, 403 Solignac 239* Spolète 41 Strasbourg 89, 90, 112 Sulpice Sévère 95* Symmaque 323 Syrie 388* Tamié 47 Tarascon 163* Tarse 85, 230 Terracine 361 Terre Sainte 296 Tersona 135 Théodore, évêque, 230 Théodore Studite 126 Théophile 257 Théotger 301* Théotinus 203* Thomas d’Aquin 82*, 85*, 159, 258-260, 275*, 319*, 322*, 323, 335, 349, 426 Thomas de Celano 317-319 Thomas de Lentino 77*, 78, 134, 327 Titus 138, 265* Tobie 325 Toscane 271, 383, 406 Toulouse 16, 17*, 18, 20, 21, 54, 55, 59*, 92, 100, 102*, 105, 109, 110, 112, 154, 158, 163, 167-172, 207*, 215, 216, 222224, 226, 239*, 246, 264*, 279, 287, 288*, 292, 302*, 314, 328, 332, 335*, 353*, 354, 364, 365, 372-374, 378-381, 388, 389, 395, 398, 400, 409-414, 417, 418, 422

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Tours 48*, 255*, 398, 400 Trajan 291, 311 Trencavel 298 Trente 43, 64, 65 Trentin 65, 70 Trèves 85, 215*, 326, 375* Trévise 248* Troyes 62, 124, 125, 248 Tulle 170*, 216 Tuy 164, 177, 215*, 386* Urbain V, 407, 408* Usuard 171*, 187, 192, 206, 254*, 271*, 289, 324*, 339, 370, 399 Valence 300 Valenciennes 100 Varilhes 239* Vatican 289 Velay 170, 398, 399 Venise 145 Verceil 395 Vespasien 265* Vézère 368 Vic 289* Vic Fezensac 379* Vienne (ville) 158, 159, 314, 425 Vienne (fleuve) 368 Villana de Botti 407 Vincent de Beauvais 16, 17*, 77, 119, 142, 156, 180, 182, 190, 191, 193, 195, 199, 200, 205, 208-210, 217, 221, 228, 246*, 248, 259, 264, 267, 273, 285*, 289, 294, 312, 318, 325, 326, 341, 345, 348, 353, 360, 426 Viterbe 102 Zacharie 300 Zosime 131

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Avignon, Bm, ms 296 et 297 : un premier état du Speculum sanctorale

Planche I Ms 296, fol. 1 : Les vingt cinq premières lignes de la première colonne correspondent à la dédicace de l’ouvrage à Jean XXII. Suit directement le prologue. La lettre de remerciement du pape a été recopiée après coup au bas de la page.

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Avignon, Bm, ms 296 et 297 : un premier état du Speculum sanctorale

Planche II Ms 296, fol. 1v° : La note en bas de la page indique : Advertendum est quod legende seu hystorie sanctorum martirum contente in presenti volumine deinceps debent ordinari et scribi secundum ordinem quo scripte sunt in sequenti tabula non secundum ordinem quo scripte sunt alique in presenti volumine non in locis suis sicut signatum est et notatum in eisdem locis de singulis earum quoniam a principio non potuimus habere ad manum simul omnes legendas seu hystorias originales.

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Avignon, Bm, ms 296 et 297 : un premier état du Speculum sanctorale

Planche III Ms 296, fol. 40v° : Dans la marge gauche, se lisent les alertes à destination du copiste, afin qu’il intercale à l’endroit indiqué, le texte consacré aux Quarante militaires.

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Avignon, Bm, ms 296 et 297 : un premier état du Speculum sanctorale

Planche IV Ms 296, fol. 69 : Ajout de la notice du martyrologe d’Usuard à la fin du texte consacré à Basilide, Cyrin, Nabor et Nazaire.

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Paris, BnF, ms lat. 9731 : un nouveau manuscrit de travail

Planche V Ms lat. 9731, fol. 45v° : Ajout d’une citation d’Isidore de Séville dans le texte consacré à saint Paul.

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Paris, BnF, ms lat. 9731 : un nouveau manuscrit de travail

Planche VI Ms lat. 9731, fol. 57 : Vie de saint Paul : dans les marges, ajout d’une citation d’Haymon d’Auxerre et évocation des Épîtres ; dans la colonne de droite, copie du début de la citation d’Isidore de Séville, avec indication au copiste (Require residuum supra folio secundo et scribatur in hoc loco).

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Paris, BnF, ms lat. 9731 : un nouveau manuscrit de travail

Planche VII Ms lat. 9731, fol. 65 : Colonne gauche, en haut : fin du texte consacré à la conversion de saint Paul. Marques de suppression d’un passage. La coupe est indiquée dans la marge d’un trait vertical encadré des deux syllabes du mot « vacat ».

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Paris, BnF, ms lat. 9731 : un nouveau manuscrit de travail

Planche VIII Ms lat. 9731, fol. 166v° : En marge de la Passion de saint Saturnin, ajout du récit de la translation des reliques à la basilique Saint-Denis, en 632.

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Paris, BnF, ms lat. 9731 : un nouveau manuscrit de travail

Planche IX Ms lat. 9731, fol. 213v° : Suite de la Vie de saint Georges, avec, dans la marge, indication au copiste.

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Toulouse, Bm, ms 480 et 481

Planche X Ms 480, fol. 1. On peut distinguer trois éléments :La lettre de dédicace au pape des deux premières parties du Speculum sanctorale (1e colonne, 36 premières lignes). La lettre est datée du 20 juillet 1324 ; La lettre de remerciement de Jean XXII, datée du 21 juillet 1329 ; Le début du prologue (2e colonne).

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Toulouse, Bm, ms 480 et 481

Planche XI Ms 481, fol. 11v° : Début de la notice consacrée à saint Fabien, pape et martyr. Tous les textes du Speculum sanctorale suivent la même présentation.

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Toulouse, Bm, ms 479 un document de travail pour la compilation du

Speculum sanctorale

Planche XII Ms 479, fol. 16 (Vie de sainte Eulalie).

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Toulouse, Bm, ms 479 un document de travail pour la compilation du

Speculum sanctorale

Planche XIII Ms 479, fol. 57, 2e col.

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