203 97 54MB
French Pages 1303 [1281] Year 2010
Benjamin Constant Œuvres complètes Œuvres X,1
Benjamin Constant Œuvres complètes Série Œuvres X,1 Conseil Scientifique Membres d’honneur : Roland Mortier, Claude Reymond Membres: André Cabanis, Maurice Déchery, Michel Delon, Françoise Fornerod, Doris Jakubec, François Jequier, Mario Matucci, Martine de Rougemont, Lionello Sozzi, Arnaud Tripet et les membres du Comité Directeur Comité Directeur Président : Paul Delbouille Jean-Daniel Candaux, C. P. Courtney, Étienne Hofmann, Lucien Jaume, Kurt Kloocke, Claude Reymond, François Rosset, Markus Winkler et Dennis Wood Secrétaire: Anne Hofmann Commission des Œuvres Président: Kurt Kloocke Vice-Président: Étienne Hofmann Réviseur : François Rosset Léonard Burnand, Paul Delbouille, Lucien Jaume, Frédéric Jaunin, Françoise Mélonio, Claude Reymond, Markus Winkler et Dennis Wood Ce tome X appartient à la troisième période (1813–1821) Dirigée par Kurt Kloocke La révision en a été assurée par Étienne Hofmann La supervision du traitement informatique a été prise en charge par Kurt Kloocke
Benjamin Constant Textes politiques de 1815 à 1817 Articles du «Mercure de France» Annales de la session de 1817 à 1818 Volume dirigé par Kurt Kloocke Établissement des textes, introductions, notes et notices par Francis Balace, André Cabanis, Paul Delbouille, Olivier Devaux, Roger Francillon, Lucien Jaume, Kurt Kloocke, Cathérine Lanneau, Michel Lutfalla, Jean-Pierre Perchellet, Claude Reymond et Laura Wilfinger
De Gruyter
Ce tome X des Œuvres complètes de Benjamin Constant doit sa publication à la générosité de la Fondation de Famille Sandoz
ISBN 978-3-484-50410-3 Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.d-nb.de abrufbar. © 2010 Walter de Gruytert GmbH & Co. KG, Berlin/NewYork Druck: Hubert & Co. GmbH & Co. KG, Göttingen ∞ Gedruckt auf säurefreiem Papier Printed in Germany www.degruyter.com
Table des matie`res
Pour des raisons de clarte´ les titres qui figurent dans cette table ont e´te´ modernise´s et uniformise´s. Ils sont ainsi parfois le´ge`rement diffe´rents des titres qui apparaissent dans le volume. PREMIER
VOLUME
Table des illustrations . . . . . . . . Principes d’e´dition des Œuvres comple`tes Signes, symboles, sigles et abre´viations Chronologie . . . . . . . . . . . . Introduction ge´ne´rale au tome X . . . Sources . . . . . . . . . . . . . Manuscrits . . . . . . . . . Imprime´s . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
XIX . 1 . 3 . 7 15 19 19 22
. . . . . . . . . . . . . . . . .
33
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
35
Me´moire apologe´tique adresse´ au roi le 21 juillet 1815, Premie`re version . . . . . . . . . . . . . . . . .
45
Me´moire apologe´tique adresse´ au roi le 21 juillet 1815, Deuxie`me version . . . . . . . . . . . . . . . . .
55
ARTICLE POUR L’INDE´ PENDANT : UN MEMBRE DE L’ANCIENNE CHAMBRE DES DE´ PUTE´ S . . . . . . . . . . . . . . . . . .
65
1. Me´moires, brochures et articles de journaux re´dige´s entre juillet et octobre 1815 e´tablissement des textes, introductions et notes par Kurt Kloocke ME´ MOIRE
APOLOGE´ TIQUE
Introduction
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
67
VI
Table des matie`res
Un membre de l’ancienne Chambre des de´pute´s
. . . .
69
DEUX ARTICLES POUR L’INDE´ PENDANT : JE RE´ FLE´ CHISSAIS HIER AUX CIRCONSTANCES ; PUISQUE VOUS AVEZ JUGE´ MA LETTRE D’AVANTHIER DIGNE D’Eˆ TRE INSE´ RE´ E . . . . . . . . . . . . . . . .
75
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
77
Je re´fle´chissais hier aux circonstances . . . . . . . . .
79
Puisque vous avez juge´ ma lettre d’avant-hier digne d’eˆtre inse´re´e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
85
L’INDE´PENDANT : L’IMPARTIALITE´ DONT NOUS . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
91
ARTICLE
POUR
FAISONS PROFESSION
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
93
L’impartialite´ dont nous faisons profession . . . . . . .
95
BE´ DOYE` RE
. . . . . . . . . . . .
99
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
101
Petit morceau pour La Be´doye`re . . . . . . . . . . .
105
UN ME´ MOIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Notice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
109 111
LE COURRIER : DES OPINIONS ET DES INTE´ REˆ TS RE´ VOLUTION, PAR J. FIE´ VE´ E . . . . . . . . . . .
113
PETIT
MORCEAU POUR LA
Introduction
ARTICLE
POUR
PENDANT LA
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
115
Des Opinions et des Inte´reˆts pendant la Re´volution, par J. Fie´ve´e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
117
PRIE` RE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Notice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
123 125
PROSPECTUS
DU JOURNAL DES
Introduction
ARTS . . . . . . . . . . . . .
127
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
129
Prospectus du Journal des Arts
. . . . . . . . . . .
131
VII
Table des matie`res
DEUX
PETITS ARTICLES POUR LE JOURNAL DES
Introduction
ARTS
. . . . . .
137
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
139
Deux petits articles pour le Journal des Arts
. . . . . .
141
ARTICLES POUR LE JOURNAL DES ARTS : SUR LES ASSEMBLE´ ES . . . E´ LECTORALES ET SUR LES DISCOURS DE LEURS PRE´ SIDENTS
143
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
145
Sur les assemble´es e´lectorales et sur les discours de leurs pre´sidents, premier article . . . . . . . . . . . . . .
147
Sur les assemble´es e´lectorales et sur les discours de leurs pre´sidents, second article . . . . . . . . . . . . . .
153
Sur les assemble´es e´lectorales et sur les discours de leurs pre´sidents, troisie`me et dernier article . . . . . . . . .
158
COMPTE
RENDU DE
MONTLOSIER DANS LE COURRIER : DES FRANCE ET DES MOYENS D’Y REME´ DIER
163
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
165
DE´ SORDRES ACTUELS DE LA
Introduction
Des de´sordres actuels de la France et des moyens d’y reme´dier, par M. le comte de Montlosier, premier article
.
167
Des de´sordres actuels de la France et des moyens d’y reme´dier, par M. le comte de Montlosier, second article
.
172
ARTICLE POUR LE JOURNAL DES ARTS : LE JOURNAL GE´ NE´ RAL NOUS . . . . . . . . . . . . . . . . . .
177
ATTAQUE AUJOURD’HUI
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
179
Le Journal ge´ne´ral nous attaque aujourd’hui . . . . . .
181
COMPTE RENDU DE L’ANTIGONE DE BALLANCHE ET PROFESSION DE FOI POUR MADAME RE´ CAMIER . . . . . . . . . . . . . . . Notices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
185 187
MERCURE DE FRANCE : LA LIBERTE´ POLITIQUE, LIBERTE´ CIVILE. DE LA LIBERTE´ EN GE´ NE´ RAL .
189
ARTICLE
POUR LE
` LA ESSENTIELLE A
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
191
VIII
Table des matie`res
La liberte´ politique, essentielle a` la liberte´ civile. De la liberte´ en ge´ne´ral . . . . . . . . . . . . . . . . .
195
2. Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre e´tablissement des textes, introductions et notes par Kurt Kloocke et Paul Delbouille A
MESSIEURS LES RE´ DACTEURS DE
Introduction
L’ORACLE . . . . . . . . .
205
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
207
A messieurs les re´dacteurs de L’Oracle ARTICLE
SUR
. . . . . . . .
209
FOUCHE´ . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
211
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Article sur Fouche´ FRAGMENTS A`
. . . . . . . . . . . . . . . .
221
. . . . . . . . . . . . . . . .
227
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
229
COORDONNER
Introduction
Fragments a` coordonner
. . . . . . . . . . . . . .
233
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
241
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
243
To the Editor of the Morning Chronicle . . . . . . . .
245
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
247
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
249
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
251
ARTICLE
SUR
ADOLPHE
Introduction
VERS
213
Vers
FRAGMENT D’UN
TEXTE SUR LA CONTRE-RE´ VOLUTION
Introduction
. . . . . .
253
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
255
Fragment d’un texte sur la contre-re´volution FRAGMENT D’UN
. . . . . .
257
. . . . . . . . . . .
259
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
261
OUVRAGE HISTORIQUE
Introduction
Fragment d’un ouvrage historique
. . . . . . . . . .
263
IX
Table des matie`res
ESQUISSE D’UNE
Introduction
RE´ PUBLIQUE
. . . .
265
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
267
HISTOIRE DE LA
FRANC¸ AISE
Esquisse d’une histoire de la Re´publique franc¸aise
. . .
270
3. E´crits re´dige´s entre septembre et de´cembre 1816 e´tablissement des textes, introduction et notes par Kurt Kloocke RE´ PONSE A` CHATEAUBRIAND, DE LA MONARCHIE SELON LA CHARTE, SUITE DES IDE´ ES POUR DE LA DOCTRINE POLITIQUE et DE LA DOCTRINE POLITIQUE, QUI PEUT RE´ UNIR LES PARTIS EN FRANCE Introduction
279
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
281
Re´ponse a` Chateaubriand . . . . . . . . . . . . . .
289
Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte, premier texte . . . . . . . . . . . . . . .
291
Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte, deuxie`me texte . . . . . . . . . . . . . . .
295
Plan ou suite des ide´es pour De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France . . . . . . . . . . .
307
Suite des ide´es pour De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France . . . . . . . . . . . . .
309
DE
LA DOCTRINE POLITIQUE QUI PEUT RE´ UNIR LES PARTIS
EN
FRANCE
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France
311 313
4. Articles du Mercure de France
LE MERCURE DE FRANCE textes e´tablis par Kurt Kloocke, introduction et notes par Francis Balace, Andre´ Cabanis, Roger Francillon, Lucien Jaume, Kurt Kloocke, Cathe´rine Lanneau, Michel Lutfalla et Jean-Pierre Perchellet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Introduction ge´ne´rale
335
. . . . . . . . . . . . . . .
337
Prospectus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
367
X
Table des matie`res
Des Chambres, depuis leur convocation jusqu’au 31 de´cembre 1816, Premier article . . . . . . . . . .
375
Des Chambres, depuis leur convocation jusqu’au 31 de´cembre 1816, Deuxie`me article . . . . . . . . .
381
Tableau politique de l’Europe
391
. . . . . . . . . . . .
Des Chambres, Loi sur les e´lections, Troisie`me article
. .
403
Des Chambres, Projet de loi relatif a` la liberte´ individuelle, Quatrie`me article . . . . . . . . . . . . . . . . .
415
Des Chambres, Projet de loi sur la liberte´ de la presse, Cinquie`me article . . . . . . . . . . . . . . . . .
430
Re´ponse a` la lettre de M. ***, a` M. B. de Constant, inse´re´e dans le dernier nume´ro . . . . . . . . . . . . . . .
441
Des Chambres, Projet de loi sur les journaux, Sixie`me article . . . . . . . . . . . . . . . . . .
447
Des Chambres, Projet de loi sur les journaux, Septie`me article . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
457
Tableau politique de l’Europe, Deuxie`me article
475
. . . .
Des Chambres, Discussion sur le budget, Huitie`me article
488
Des Chambres, Discussion sur les de´penses en ge´ne´ral, et sur les budgets particuliers des ministres, Neuvie`me article
501
Des Chambres, Projet de loi sur le budget, Dixie`me article
512
Des Chambres, Continuation du budget, Onzie`me article
.
523
Des Chambres, Projet de loi sur le budget, Douzie`me article
531
Lettre de M. Saint-Aubin relativement a` la dette publique de l’Angleterre . . . . . . . . . . . . . . . . . .
535
Des Chambres, Continuation et fin du budget, Treizie`me article . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
543
Tableau politique de l’Europe, Troisie`me article . . . . .
551
Tableau politique de l’Europe, Quatrie`me article
. . . .
560
. . . . . . . . . . . . . . .
570
Compte rendu de l’ouvrage The´orie des re´volutions d’Antoine Ferrand, Premier article . . . . . . . . . .
579
Eloge de Saint Je´roˆme
XI
Table des matie`res
Compte rendu de l’ouvrage The´orie des re´volutions d’Antoine Ferrand, Deuxie`me article . . . . . . . . .
587
Ne´crologie [sur Madame de Stae¨ l]
. . . . . . . . . .
592
Ne´crologie [sur Madame de Stae¨ l]
. . . . . . . . . .
593
. . . . . . . . . . . . . .
598
De l’obe´issance a` la loi
Du the´aˆtre franc¸ais et du the´aˆtre e´tranger
. . . . . . .
610
XII
Table des matie`res
SECOND
VOLUME
5. Articles de journaux et brochures publie´s en 1817 CONSIDE´ RATIONS SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AUX E´ LECTIONS, ADOPTE´ PAR LA CHAMBRE DES DE´ PUTE´ S . . . . . . . . . . . texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke Introduction
619
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
621
Conside´rations sur le projet de loi relatif aux e´lections, adopte´ par la Chambre des de´pute´s . . . . . . . . . .
625
Avertissement
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
627
Conside´rations sur le projet de loi relatif aux e´lections, adopte´ par la Chambre des de´pute´s . . . . . . . . . .
629
Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
645
ARTICLE POUR LE JOURNAL DE PARIS : DE MADAME DE KRÜDENER texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke Introduction
649
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
651
De Madame de Krüdener . . . . . . . . . . . . . .
655
SUR LA LE´ GISLATION ACTUELLE DE LA PRESSE EN SUR LA DOCTRINE DU MINISTE` RE PUBLIC, ` LA SAISIE DES E´ CRITS, ET A` LA RESPONSABILITE´ RELATIVEMENT A DES AUTEURS ET DES IMPRIMEURS . . . . . . . . . . . . . .
659
QUESTIONS FRANCE, ET
texte e´tabli par Kurt Kloocke, introduction et notes par Andre´ Cabanis Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, et sur la doctrine du ministe`re public, relativement a` la saisie des e´crits, et a` la responsabilite´ des auteurs et des imprimeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. De l’intention manifeste´e par le Gouvernement en pre´sentant la loi relative a` la saisie des e´crits, et de la conviction e´nonce´e par les deux chambres, en adoptant cette loi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. De la doctrine et de la pratique de MM. les avocats du Roi, pre`s le tribunal de police correctionnelle et la cour royale, dans les causes relatives aux e´crits saisis. . . . .
661
671
672 679
XIII
Table des matie`res III.
Premie`re question. Quelles limites faut-il assigner au droit d’interpre´ter les phrases des e´crivains, et a` qui l’exercice de ce droit doit-il eˆtre confie´ ? . . . . . . . IV. Seconde question. Peut-on e´tablir dans un gouvernement constitutionnel, peut-on e´tablir, d’apre`s notre charte, qu’attaquer les ministres, ce soit attaquer le Roi ? . . . . V. Troisie`me question. Les tribunaux peuvent-ils combiner avec le Code actuel les lois ante´rieures, et les appliquer a` des e´crits publie´s sous l’empire des lois existantes ? . . . VI. Quatrie`me question. Un accuse´ peut-il eˆtre puni, pour la manie`re dont il se de´fend ? . . . . . . . . . . . . . VII. Cinquie`me question. L’imprimeur qui a rempli toutes les formalite´s prescrites par les lois et par les re`glements de la librairie, peut-il ne´anmoins eˆtre condamne´, comme complice de l’e´crivain ? . . . . . . . . . . . . . . VIII. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . ARTICLE POUR LE JOURNAL GE´ NE´ RAL DE FRANCE : SUR MADAME DE STAE¨ L . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . texte e´tabli par Kurt Kloocke, introduction et notes par Roger Francillon Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sur Madame de Stae¨ l
. . . . . . . . . . . . . . .
AU RE´ DACTEUR DU JOURNAL GE´ NE´ RAL DE FRANCE J’AI LU HIER, MONSIEUR, AVEC UN SENTIMENT TRE` S PE´ NIBLE texte e´tabli par Kurt Kloocke, introduction et notes par Roger Francillon Introduction
682
693
700 705
715 723
729
731 735
. .
741
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
743
J’ai lu hier, Monsieur, avec un sentiment tre`s pe´nible
. .
749
DES E´ LECTIONS PROCHAINES . . . . . . . . . . . . . . . . texte e´tabli et pre´sente´ par Claude Reymond
751
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des e´lections prochaines
753
. . . . . . . . . . . . . .
761
Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
788
XIV
Table des matie`res
ENTRETIEN D’UN E´ LECTEUR AVEC LUI-MEˆ ME texte e´tabli et pre´sente´ par Claude Reymond Introduction
. . . . . . . . .
793
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
795
Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme
. . . . . . . .
799
NOTES SUR QUELQUES ARTICLES DE JOURNAUX texte e´tabli et pre´sente´ par Claude Reymond
. . . . . . . .
809
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
811
Introduction
Notes sur quelques articles de journaux
. . . . . . . .
AU RE´ DACTEUR DU JOURNAL DU COMMERCE : IL Y A DANS LE MONITEUR D’AUJOURD’HUI . . . . . . . . . .
819
LETTRE
. . .
835
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
837
Il y a dans le Moniteur d’aujourd’hui . . . . . . . . .
841
NOTE AUX JOURNAUX SUR LA LISTE DES E´ LIGIBLES . . . . . . . texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke
843
texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke Introduction
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les listes supple´mentaires
. . . . . . . . . . . . .
SECONDE RE´ PONSE DE BENJAMIN CONSTANT texte e´tabli et pre´sente´ par Claude Reymond Introduction
845 847
. . . . . . . . .
849
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
851
Seconde re´ponse de Benjamin Constant
. . . . . . . .
857
PROGRAMME DES LECTURES SUR LA RELIGION A` L’ATHE´ NE´ E ROYAL DE PARIS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
863
texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
865
Programme des lectures sur la religion a` l’Athe´ne´e royal de Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
869
LETTRE AU RE´ DACTEUR DU JOURNAL DU COMMERCE : UN ARTICLE DU JOURNAL DES DE´ BATS D’AUJOURD’HUI . . . . . . . . . . texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke
871
XV
Table des matie`res
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
873
Lettre au re´dacteur du Journal du Commerce . . . . . .
875
POUR LE JOURNAL GE´ NE´ RAL DE
FRANCE : DE LA . . . . . . . . . . . . . . . . . . Notice par Kurt Kloocke . . . . . . . . . . . . . . . . . ARTICLE
NOMINATION DES JURE´ S
NOTE SUR LES DROITS DE CITE´ APPARTENANT A` LA FAMILLE DE CONSTANT-REBECQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . texte e´tabli et pre´sente´ par Claude Reymond Introduction
877 879
881
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
883
Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille de Constant-Rebecque. . . . . . . . . . . . . . . .
893
6. Annales de la session de 1817 a` 1818 . . . . . . . . . ANNALES DE LA SESSION DE 1817 A` 1818, I textes e´tablis par Kurt Kloocke et pre´sente´s par Andre´ Cabanis et Olivier Devaux Introduction
899
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
901
Annales de la session de 1817 a` 1818. Partie politique . .
917
I. Composition actuelle de la Chambre des de´pute´s.
. . .
931
II. Convocation des Chambres, discours du Roi, adresse des deux Chambres. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
953
III. Proposition de M. de Serre. Projet de loi sur la liberte´ de la presse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
960
IV. Discussion de la Chambre des de´pute´s sur le projet de loi relatif a` la liberte´ de la presse. . . . . . . . . . .
978
7. Premie`re annexe : Annales de la session de 1817 a` 1818. Textes comple´mentaires ANNALES DE LA SESSION DE 1817 A` 1818. TEXTES COMPLE´ MENTAIRES 1023 textes e´tablis par Kurt Kloocke et pre´sente´s par Andre´ Cabanis et Michel Lutfalla Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
1025
XVI
Table des matie`res
De la le´gislation de la presse conside´re´e dans ses rapports juridiques (J.-P. Page`s) . . . . . . . . . . . . . . 1041 Annales de la session de 1817 a` 1818. Partie financie`re, par M. de Saint-Aubin, ancien membre du Tribunat. . . .
1054
Le budget conside´re´ dans toute la ge´ne´ralite´ dont il est susceptible. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1055
Analyse raisonne´e du budget de 1818. Avertissement.
1083
.
Annales de la session de 1817 a` 1818. Analyse raisonne´e du budget de 1818. Avant-propos, contenant ma profession de 1084 foi sur le re´gime prohibitif. . . . . . . . . . . . . Diffe´rence essentielle entre la marche qu’on suit en Angleterre pour la formation et la pre´sentation du budget, et celle qu’on a suivie jusqu’ici en France. Vices de la comptabilite´ par exercices, inconnue en Angleterre ; elle rend inintelligibles pour le public, les comptes faits avec le plus de soin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1104 8. Deuxie`me annexe : L’affaire du Mare´chal Ney L’AFFAIRE DU MARE´ CHAL NEY . . . . . . . . . . . . . . textes e´tablis et pre´sente´s par Kurt Kloocke Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Supplique adresse´e par Aglae´ Ney a` Louis XVIII Expose´ justificatif pour le mare´chal Ney
1121 1123
. . .
1127
. . . . . .
1132
9. Troisie`me annexe : Compte rendu de John Cam Hobhouse, The Substance of some Letters COMPTE RENDU DE L’OUVRAGE DE JOHN CAM HOBHOUSE, THE SUBSTANCE OF SOME LETTERS WRITTEN BY AN ENGLISHMAN RESIDENT AT PARIS, DURING THE LAST REIGN OF THE EMPEROR NAPOLEON . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1153 texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Letters from France
. . . . . . . . . . . . . . .
1155 1159
XVII
Table des matie`res
10. Quatrie`me annexe : Articles attribuables a` Benjamin Constant ARTICLES POUR LE JOURNAL DES ARTS . . . . . . . . . . textes e´tablis et pre´sente´s par Kurt Kloocke Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Tel est le me´pris
. . . . . . . . . . . . . . . .
Bonaparte, entre autres de´fauts
. . . . . . . . . .
1177 1179 1181 1182
11. Cinquie`me annexe : Textes attribue´s a` tort a` Benjamin Constant Notices par Kurt Kloocke Article pour l’Inde´pendant : Sur l’autorisation donne´e aux pre´fets d’ajouter vingt membres aux colle`ges e´lectoraux incomplets . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1185
Article pour Le Courrier : Sur la Garde nationale
. . .
1186
Article pour Le Courrier : Des discours e´crits dans les assemble´es . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1187
12. Sixie`me annexe : Pole´mique contre Benjamin Constant TROIS PAMPHLETS CONTRE BENJAMIN CONSTANT textes e´tablis et pre´sente´s par Claude Reymond Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
1193
M. Benjamin de Constant, de Rebecque, Suisse d’origine, est-il ami de la Charte ? Est-il inde´pendant ? . . . . . 1195 M. Benjamin de Constant est-il Franc¸ais ? est-il e´ligible ?
1199
Note sur la note de M. Benjamin Constant de Rebecque.
1201
13. Instruments bibliographiques Abre´viations bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ouvrages cite´s par Benjamin Constant . . . . . . . . . . .
1205 1209 1227
14. Index Index des noms de personnes . . . . . . . . . . . . . . .
1249
Table des illustrations
1. La premie`re page du Me´moire apologe´tique . . . . . . . . . Archives du Chaˆteau de Coppet, Coppet
34
2. Page de titre du Journal des Arts nume´ro 22 du 1er octobre 1815 Bibliothe`que nationale de France, Paris Lc2 1049bis
178
3. The Edinburgh Review, to. XXVI, fe´vrier 1816, pp. 228–229. Extrait du compte rendu anonyme de John Cam Hobhouse, The Substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napoleon . . . . . Universitätsbibliothek Tübingen Kb 49
210
4. Esquisse d’une histoire de la Re´publique franc¸aise . . . hors texte Bibliothe`que nationale de France, Paris avant la p. 269 NAF 18822, fo 264 5. Esquisse d’une histoire de la Re´publique franc¸aise. De´tail . . . Bibliothe`que nationale de France, Paris NAF 18822, fo 264 6. Le fo 9 du manuscrit de Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliothe`que cantonale et universitaire, Lausanne Co 4732 7. La premie`re page du Prospectus du Mercure de France . . . . Bibliothe`que nationale de France, Paris 8o – Lc2 – 41 8. Page de titre de la brochure Conside´rations sur le projet de loi relatif aux e´lections, adopte´ par la Chambre des De´pute´s . . . . Universitätsbibliothek Tübingen Fo III. 799
269
290
336
624
XX
Table des illustrations
9. Louis-Gabriel-Ambroise de Bonald «Sur les pre´dications de Mme de Krudner», Journal des De´bats, 28 mai 1817 . . . . . . Universitätsbibliothek Tübingen Fo III. 62.2
654
10. La premie`re page de la lettre du 8 aouˆt 1817 du docteur W. Friedlander a` Auguste de Stae¨ l . . . . . . . . . . . . . Archives du Chaˆteau de Coppet, Coppet.
742
11. Une page de la brochure Notes sur quelques articles de journaux, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Collection particulie`re
820
12. Une page de la Liste supple´mentaire portant le nom de Benjamin Constant comme candidat a` la Chambre des de´pute´s . . . . . . Bibliothe`que cantonale et universitaire, Lausanne Co 4680 13. Ex-libris du ge´ne´ral Samuel de Constant (1676–1765), grandpe`re de Benjamin Constant, aux armes Constant de Rebecque . . Collection particulie`re 14. Une feuille imprime´e portant le nom de Benjamin Constant et le nombre des voix obtenues au premier tour des e´lections de 1817, relie´e avec la brochure Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille de Constant-Rebecque . . . . . . . . . . . . . . . Bibliothe`que municipale centrale de Montpellier, Montpellier V 12016(6)
846
882
896
15. La seconde page de la lettre de Benjamin Constant a` Aglae´ Ney, vers le 15 aouˆt 1815 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1122 Archives nationales, Paris 137 AP 16, dossier 2, pie`ce 7 16. L’avant-dernier folio de la plaidoirie de Berryer, «Affaire du mare´chal Ney», avec des corrections sugge´re´es par Benjamin Constant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1147 Archives nationales, Paris 137 AP 15, pie`ce 238, fo lvo 17. Le dernier folio de la plaidoirie de Berryer, «Affaire du mare´chal Ney», avec des corrections sugge´re´es par Benjamin Constant . . Archives nationales, Paris 137 AP 15, pie`ce 238, fo mro
1148
Table des illustrations
XXI
18. Le dernier folio de la plaidoirie de Berryer, «Affaire du mare´chal Ney», copie autographe du mare´chal Ney, avec le texte de la version publie´e par l’imprimerie Antoine Bailleul, Paris . . . . . . . 1150 Archives nationales, Paris 137 AP 15, pie`ce 240, fo k 19. La premie`re page du compte rendu anonyme de l’ouvrage de John Cam Hobhouse, The substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napoleon. The Edinburgh Review, t. XXVI, fe´vrier 1816, p. 215 . 1158 Universitätsbibliothek Tübingen Kb 49
Principes d’e´dition des Œuvres comple`tes
La pre´sente e´dition a pour re`gle de reproduire tous les textes connus, publie´s ou non, de Benjamin Constant. Elle donne, pour chacun, toutes les variantes. On a maintenu l’orthographe et la ponctuation des originaux. On a pre´serve´ la diversite´ des usages, selon qu’on avait affaire a` un autographe de Constant ou a` une copie. Dans le cas des imprime´s, on n’a corrige´ dans le texte, avec mention en note, que les seules fautes d’impression e´videntes. Pour les manuscrits, la re`gle est celle du respect maximal. Les ce´dilles n’ont pas e´te´ re´tablies. Les tildes et les traits horizontaux place´s sur certaines consonnes pour en indiquer le redoublement ont e´te´ conserve´s. En revanche, les capitales qui apparaissent parfois, dans l’e´criture de Constant, a` l’inte´rieur des noms communs, ont e´te´ conside´re´es comme de «grandes lettres», non comme de vraies majuscules, et ont de`s lors e´te´ normalise´es. Les capitales n’ont pas e´te´ re´tablies en teˆte des noms propres, ni en teˆte des phrases. Elles ont e´te´ respecte´es a` l’inte´rieur des noms propres (ex. «M. DeSaussure»). Les apostrophes et les traits d’union n’ont pas e´te´ re´tablis. Les mots lie´s ont e´te´ respecte´s («peutetre» pour «peut-eˆtre»). On n’ajoute aucun signe de ponctuation. En cas d’absence des parenthe`ses ou des guillemets fermants, une note signale le fait. On a respecte´ les tirets longs, mais non les traits qui, souvent chez Constant, ache`vent la ligne. On a respecte´ e´galement les deux points employe´s selon l’usage ancien. Les accents circonflexes et les tre´mas abusifs ont e´te´ maintenus. L’italique repre´sente les souligne´s simples ; l’italique souligne´ les souligne´s doubles. Lorsqu’il y avait doute sur l’interpre´tation d’une lettre, d’un accent ou d’une graphie quelconque, on a tranche´ en faveur de l’usage actuel. Lorsqu’il y avait he´sitation entre apostrophe et accent (exemple : «l e´te´» ou «l’ete´»), ou entre l’un de ces signes et la ponctuation de la ligne pre´ce´dente, on a privile´gie´ le signe de ponctuation par rapport a` l’apostrophe et a` l’accent, l’apostrophe par rapport a` l’accent. Les abre´viations ont e´te´ re´solues quand le signe n’existe pas en typographie. On explique en note celles qui feraient difficulte´ pour le lecteur. Les mots abre´ge´s ont e´te´ transcrits tels quels, avec une e´ventuelle explication en note. Pour la ste´nographie, une transcription en clair vient doubler la
2
Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
transcription en abre´ge´. En revanche, les terminaisons de mots simplifie´es, sauf s’il s’agit d’une e´vidente volonte´ d’abre´viation, ont e´te´ restitue´es comple`tement, meˆme si les dernie`res lettres e´taient mal forme´es. Les fautes de syntaxe ont e´te´ transcrites telles quelles. On a e´videmment maintenu la graphie des mots grecs isole´s ou des citations. Chacun des volumes des Œuvres comple`tes, aussi bien dans la se´rie Œuvres que dans la se´rie Correspondance, est soumis a` l’attention d’un re´viseur de´signe´ par le Comite´ Directeur, dont la taˆche consiste a` controˆler l’ade´quation du travail aux principes d’e´dition qui viennent d’eˆtre succinctement e´nonce´s. On voudra bien noter que l’accord donne´ par ce re´viseur a` l’issue de son examen n’implique nullement, de sa part, une adhe´sion aux opinions exprime´es et aux jugements porte´s par les collaborateurs de l’e´dition.
Signes, symboles, sigles et abre´viations
La liste qui suit ne reprend pas certaines abre´viations d’usage tre`s ge´ne´ral (etc., M., Mme, Mlle) ; elle ne reprend pas non plus celles qui apparaissent dans les cotes des bibliothe`ques, ni celles sous lesquelles nous de´signons les ouvrages et les pe´riodiques souvent cite´s (on trouvera ces dernie`res dans les «Instruments bibliographiques» a` la fin du volume), ni les sigles par lesquels nous de´signons les manuscrits ou les e´ditions des textes que nous e´ditons (ils sont donne´s a` la fin des introductions, dans la section «E´tablissement du texte»). [...]
: restitutions textuelles ; le point (la suite de points) indique la (les) lettre(s) illisible(s). ] : signe qui, dans la transcription des variantes, suit le mot ou le passage en cause, et qui est suivi de la variante. 〈〉 : encadrent les mots ou les passages biffe´s. // : encadrent le(s) mot(s) biffe´(s) a` l’inte´rieur d’une variante biffe´e. / : indique, dans une note ou dans une variante, le retour a` la ligne. : indique, dans les vers cite´s en note ou en variante, la limite de chaque vers ; indique, dans la description des imprime´s, le retour a` la ligne ; indique, dans les textes de Constant, le changement de page ou de folio de la source. ? : le point d’interrogation suit toute indication conjecturale * : l’aste´risque mis en exposant devant le nume´ro d’un folio dans la description des manuscrits, indique que le folio ainsi de´signe´ est perdu. 2 1905 : un chiffre mis en exposant devant l’anne´e de publication d’un ouvrage dans la bibliographie, indique qu’il s’agit de la 2e (3e ...) e´dition. a. : autographe(s) add. : addition AN : Archives nationales, Paris app. : appendice apr. J.-C. : apre`s Je´sus-Christ attr. : attribue´(e)(s) art. : article(s) av. J.-C. : avant Je´sus-Christ BC : Benjamin Constant
4 BCU BL BnF BGE br. chap. col. coll. corr. c. r. e´d. e´d. orig. e´dit. fasc. fo fos IBC illis. inf. interl. J.I. lac. livr. mm ms. mss n. no nos ouvr. cite´ p. part. pl. pp. ro ros re´impr. s. s.d. s.e´d. s.l.
Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
: Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne : British Library, Londres : Bibliothe`que nationale de France, Paris : Bibliothe`que Publique et Universitaire, Gene`ve : broche´ : chapitre(s) : colonne(s) : collection : correction(s), corrige´(s), corrige´e(s) : compte rendu : e´dition : e´dition originale : e´diteur : fascicule(s) : folio : folios : Institut Benjamin Constant : illisible(s) : infe´rieur(e) : interligne : Journal intime : lacune : livraison(s) : millime`tres : manuscrit : manuscrits : note(s) : nume´ro : nume´ros : ouvrage cite´ : page : partiellement : planche(s) : pages : recto : rectos : re´impression : signe´ : sans date : sans indication de l’e´diteur commercial : sans lieu
Signes, symboles, sigles et abre´viations
s.l.n.d. sup. supp. suppl. sv. t. v. vv. vo vos vol.
: sans lieu ni date : supe´rieur(e) : supprime´(s), supprime´e(s) : supple´ment : suivant(s), suivante(s) : tome(s) : vers : vers : verso : versos : volume(s)
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Chronologie
1767–1815 1767, 25 octobre : Naissance de Benjamin Constant a` Lausanne. 1783–1785 : E´tudes a` l’universite´ d’Edimbourg. En rentrant a` Paris, il commence la re´daction de son ouvrage sur le polythe´isme. 1786 : Rencontre et amitie´ avec Mme de Charrie`re. 1788 : Se´jour a` Brunswick, ou` il rencontre Minna von Cramm, sa premie`re femme, et en 1793 Charlotte von Hardenberg, alors e´pouse de von Marenholz. 1794 : Premie`re rencontre avec Mme de Stae¨ l. 1795 : BC accompagne Mme de Stae¨ l a` Paris. Ils commencent a` jouer un roˆle politique. BC sera nomme´ en 1800 membre du Tribunat, mais il sera e´limine´ en 1802 avec d’autres opposants. Se´jour en Suisse. 1803 : BC s’installe aux Herbages, pre`s de Paris. Il accompagne Mme de Stae¨ l en Allemagne. Se´jour a` Weimar durant l’hiver 1803–1804. 1808 : Mariage secret avec Charlotte von Hardenberg. 1811–1813 : Vie studieuse a` Göttingen et Kassel, ou` il termine une premie`re re´daction de son ouvrage sur le polythe´isme. 1812–1813 : Campagne de Russie. 1814 : De l’esprit de conqueˆte et de l’usurpation paraıˆt a` Hanovre. BC s’engage pour Bernadotte. 15 avril : BC arrive a` Paris. Il publie sans tarder des articles de journaux et des ouvrages politiques, entre autres l’e´dition parisienne de l’Esprit de conqueˆte et les Re´flexions sur les constitutions et les garanties.
8
Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
2 mai 1814 : De´claration de Saint-Ouen. Louis XVIII annonce la promulgation de la Charte (6 juin). 12 mai : Mme de Stae¨ l rentre a` Paris. BC la reverra le lendemain, ainsi qu’Albertine. juin : De´but du grand de´bat sur la liberte´ de la presse, ou` BC joue un grand roˆle. 31 aouˆt : Coup de foudre pour Juliette Re´camier. BC s’engage pour Murat. 1er mars 1815 : De´barquement de Napole´on a` Golfe-Juan. BC s’engage dans l’organisation de la re´sistance contre Napole´on. 14 avril : Entrevue avec Napole´on. BC accepte de re´diger un projet de constitution d’ou` sortira l’Acte additionnel. Il sera nomme´ Conseiller d’E´tat et publiera les Principes de politique applicables a` tous les gouvernements. 16–18 juin : Bataille de Waterloo, suivie de l’abdication de Napole´on. Constant est nomme´ secre´taire des ple´nipotentiaires charge´s de ne´gocier avec les allie´s l’armistice. De´part pour Haguenau, d’ou` il rentre le 5 juillet, inquiet sur l’avenir. juillet 1815 – de´cembre 1817. 8 juillet : BC, se sentant menace´ par les de´sordres de la restauration qui se met en place, commence la re´daction d’un texte apologe´tique. Terreur blanche. 9 juillet : Le Journal ge´ne´ral de France publie un article favorable sur BC. 17 juillet : BC, qui a passe´ les derniers jours dans une attente vague et inquie`te, pense a` partir, craignant des perse´cutions. Il rec¸oit son passeport, accompagne´ d’une note inquie´tante de Fouche´. 19 juillet : Ordre d’exil. BC re´dige le jour suivant son Me´moire apologe´tique qu’il envoie au duc Decazes, qui le pre´sentera a` Louis XVIII. Le roi annule l’ordre d’exil le 24 juillet. 28 juillet : BC e´crit un article pour l’Inde´pendant qui paraıˆtra le 31, signe´ J. R. 1–5 aouˆt : BC re´dige un article en deux parties sur les tendances re´actionnaires. Il paraıˆt les 4 et 6 aouˆt dans l’Inde´pendant. Il compte pouvoir gagner une partie de sa vie en travaillant comme journaliste.
Chronologie
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6 aouˆt 1815 : Il e´crit un article pour Labe´doye`re, accuse´ de haute trahison. L’article paraıˆt le jour suivant dans l’Inde´pendant. 7 aouˆt : Il envoie un autre petit article a` l’Inde´pendant (perdu). La censure supprime le journal qui prendra le nom d’E´cho du soir, ou l’ami du prince (11–25 aouˆt) et a` partir du 26 aouˆt jusqu’au 23 octobre Le Courrier, du 29 octobre 1815 jusqu’au 23 juillet 1817 Le Constitutionnel. 12 aouˆt : BC visite Labe´doye`re dans la prison militaire de l’Abbaye. Il essayera en vain de sauver la vie de son ami en e´crivant un «petit morceau», c’est-a`-dire la pe´tition en forme de lettre adresse´e au duc Decazes le 14 aouˆt. Labe´doye`re sera condamne´ le 15 et fusille´ le 19. 10 aouˆt : Plan d’un ouvrage («mon apologie», comme il l’appelle dans son journal intime) sur les Cent-Jours. 15 aouˆt : Il commence le travail a` son apologie, d’ou` sortiront les Me´moires sur les Cent-Jours. 21 aouˆt : BC dit dans son journal intime avoir fait un me´moire dont on ne sait rien. 22 aouˆt : BC reprend le travail a` Florestan, d’ou` sortira probablement le manuscrit de Poligny. septembre : BC fre´quente le cercle de Mme de Krüdener. Les relations avec Juliette Re´camier, maintenues, en de´pit des pre´occupations politiques de ces derniers mois, se transforment peu a` peu en une amitie´ spirituelle. 8 septembre : BC re´dige le prospectus du nouveau Journal des Arts qui paraıˆt le 10. 9 septembre : BC re´dige un article pour Le Courrier. Il s’agit vraisemblablement du compte rendu de l’ouvrage de Fie´ve´e, Des opinions et des inte´reˆts pendant la Re´volution, qui paraıˆtra le 10 septembre. 10 septembre : BC e´crit un texte intitule´ «Une prie`re» qu’il adresse a` Mme de Krüdener. Il s’agit d’une tentative de donner une interpre´tation religieuse a` son existence de´chire´e. 12 septembre : Il e´crit deux petits articles pour le Journal des Arts, des gloses politiques, qui paraıˆtront le 14. 13–21 septembre : BC e´crit un article en trois parties sur les assemble´es e´lectorales qui paraıˆtra les 15, 18 et 21 septembre dans le Journal des Arts. Velle´ite´s de de´part pour l’Angleterre.
10
Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
1er octobre 1815 : Il re´dige un petit article pour le Journal des Arts. Il s’agit peut-eˆtre de l’entrefilet sur l’ouvrage Pense´es sur l’homme de Sanial Dubay ou d’une note sur Bonaparte qui paraıˆtront le 2. Il re´dige aussi un compte rendu de l’ouvrage de Montlosier, Des de´sordres actuels de la France et des moyens d’y reme´dier, dont les deux premiers articles seront publie´s les 1er et 18 octobre dans Le Courrier. Un troisie`me article annonce´ ne verra pas le jour, le journal sera supprime´ le 23 octobre. 2 octobre : «Profession de foi» pour le Journal des Arts, un texte politique destine´ a` de´fendre ce journal contre les attaques royalistes. Le journal est supprime´ le jour suivant. BC travaille a` un texte qui parle des partis re´volutionnaires et contre-re´volutionnaires. 12 octobre : BC adresse a` Juliette Re´camier un texte sur la religion qui contient «le fonds de toutes [ses] ide´es». Il s’agit probablement du texte inacheve´ connu sous le titre «Profession de foi». 17 octobre : BC re´dige peut-eˆtre un article sur les discours e´crits dans les assemble´es. Un article anonyme sur ce sujet, paru le 19 octobre dans Le Courrier, n’est probablement pas de BC. Il te´moigne ne´anmoins de la pre´sence de sa doctrine dans les de´bats politiques. 19 octobre : BC e´crit un important article sur la «Liberte´ politique, essentielle a` la liberte´ civile», qui paraıˆtra dans le Mercure de France, 3e nume´ro d’octobre 1815. Le meˆme jour, il parle d’un me´moire qui a convaincu M. de Catellan. Il s’agit probablement du Me´moire apologe´tique adresse´ au roi. 29 octobre : La loi de suˆrete´ ge´ne´rale est promulgue´e. Elle permet de de´tenir un individu suspect sans le traduire devant les tribunaux. Cette loi le´galise les mesures les plus arbitraires. 31 octobre : BC quitte la France. Les longues he´sitations, si caracte´ristiques des semaines pre´ce´dentes, ne sont plus a` l’ordre du jour. Il s’installe pour quelque temps a` Bruxelles, ou` il arrive le 3 novembre. Mais il ne se sent pas a` son aise et s’inquie`te de ne pas recevoir de nouvelles de Charlotte. 10 novembre : Il esquisse le plan d’un ouvrage qu’il appelle son «apologie», les futurs Me´moires sur les Cent-Jours. Il en commence aussitoˆt la re´daction. La premie`re partie sera acheve´e le 17 novembre. 21 novembre : BC commence la seconde partie de son apologie, a` laquelle il travaille re´gulie`rement. Il pense pouvoir la publier bientoˆt, se justifier ainsi et rentrer en France. 1er de´cembre : Charlotte arrive a` Bruxelles. Le jour suivant, BC dresse un bilan sceptique sur leur avenir commun. Peu a` peu, le malaise se dissipe.
Chronologie
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4 de´cembre 1815 : BC publie une re´ponse a` un article paru sur lui dans le journal de Bruxelles, L’Oracle, ou` il de´ment avoir quitte´ la France pour des raisons politiques. 21 janvier 1816 : Apre`s de longs pre´paratifs, BC et Charlotte partent pour l’Angleterre. Ils arrivent le 25 a` Douvres et s’installent, non sans difficulte´s, le 3 fe´vrier dans une maison a` Londres. Travail continu aux Me´moires sur les Cent-Jours pendant cette anne´e. 2 fe´vrier : Le compte rendu de l’Antigone de Pierre-Simon Ballanche, re´dige´ de´ja` en 1814, paraıˆt avec un an de retard dans Le Constitutionnel. 14 mars : Il e´crit un portrait de Fouche´ en anglais qui paraıˆtra incorpore´ dans le compte rendu anonyme de l’ouvrage de John Cam Hobhouse, The Substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napoleon dans le vol. XXVI de l’Edinburgh Review. BC pre´voit d’e´largir ce texte et de l’utiliser pour ses Me´moires sur les Cent-Jours. 1er avril : Il re´unit sous le titre de «Fragments a` coordonner» une se´rie de phrases qui semblent annoncer une analyse de la situation politique de la France de la Seconde Restauration. 6 juin : Publication d’Adolphe. La traduction anglaise sera publie´e la meˆme anne´e, au mois de septembre. 24 juin : BC publie un article dans le Morning Chronicle a` propos d’Adolphe. 27 juillet : BC quitte l’Angleterre, de´barque a` Calais et s’installe a` Spa, ou` il continue le travail a` ses Me´moires sur les Cent-Jours. L’ouvrage sera fort avance´ lorsqu’il rentrera en France. 5 septembre : Ordonnance royale qui dissout la Chambre introuvable. Les e´lections pour la nouvelle Chambre des De´pute´s se tiennent entre le 27 septembre et le 4 octobre. Majorite´ constitutionnelle. apre`s le 5 septembre : BC commence a` travailler a` une Histoire de la Re´publique franc¸aise qu’il n’ache`vera pas. 14 septembre : Il se de´cide a` retourner a` Paris, accompagne´ de Charlotte. Le 21, ils quittent Spa pour Bruxelles ou` BC de´posera son Journal intime chez le banquier Schumacher le 26. 24 septembre : Il lit l’ouvrage de Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte, ou` il trouve d’excellentes choses. Il apprend aussi que ce livre a provoque´ une ordonnance contre Chateaubriand.
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
27 septembre 1816 : Les Constant partent pour Paris. Ils s’insallent, de`s le 7 octobre, a` l’Hoˆtel Vauban au 366 de la rue Saint-Honore´, ou` ils resteront jusqu’en de´cembre 1818. fin septembre : BC commence a` travailler a` sa re´ponse tre`s critique a` l’ouvrage de Chateaubriand, dont une premie`re version est preˆte pour la publication vers le de´but du mois de de´cembre. Il arreˆte l’impression, pour pouvoir inse´rer dans son texte une re´plique a` une autre brochure de Chateaubriand, la Proposition faite a` la Chambre des Pairs, dans la se´ance du 23 novembre dernier, et tendante a` ce que le roi soit humblement supplie´ de faire examiner ce qui s’est passe´ aux dernie`res e´lections afin d’en ordonner ensuite selon sa justice. BC re´dige, avec des morceaux du premier texte, la brochure De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France. Elle sortira le 26 de´cembre et connaıˆtra une seconde e´dition au de´but de janvier 1817. novembre-de´cembre : Il commence a` arranger a` grands frais une maison sise 6, rue Neuve-de-Berri, qu’il compte habiter l’e´te´ suivant. Ce projet ne se re´alisera pas. La maison sera loue´e en 1818 et revendue en 1826. de´cembre : BC ache`te, avec un groupe de libe´raux (Louis-Ce´sar-Alexandre Dufresne de Saint-Le´on, Jean-Baptiste Esmenard, Antoine Jay, VictorJoseph E´tienne, dit de Jouy, Pierre-Louis de Lacretelle, etc.), le Mercure de France. Le premier nume´ro paraıˆt le 4 janvier 1817. Il publie dans ce pe´riodique, jusqu’a` sa suppression (de´cembre 1817), une trentaine d’articles politiques et litte´raires. 10 janvier 1817 : Deuxie`me e´dition de De la doctrine politique. 17 janvier : Mariage de Louise Constant de Rebecque, sa demi-sœur, avec Claude-Louis Balluet d’Estournelles. BC changera a` la suite de ce mariage l’arrangement financier avec sa famille. 20 janvier : Sortie en librairie des Conside´rations sur le projet de loi relatif aux E´lections, extrait du Mercure de France ou` la premie`re version du texte avait paru le 18 janvier. 21 fe´vrier : Mme de Stae¨ l subit alors qu’elle se rendait au bal chez le duc Decazes une attaque d’hydropisie. Elle reste partiellement paralyse´e. 30 mai : BC publie dans le Journal de Paris un article pour de´fendre Mme de Krüdener contre les attaques de Bonald que celui-ci avait fait paraıˆtre deux jours plus toˆt dans le Journal des De´bats. 28 juin : BC publie sa brochure Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France. Celle-ci connaıˆtra une deuxie`me e´dition quelques jours plus tard.
Chronologie
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14 juillet 1817 : Mort de Mme de Stae¨ l. BC, qui n’a pu la voir avant sa disparition, publie plusieurs articles sur elle. 18 et 26 juillet : BC publie deux articles sur Mme de Stae¨ l dans le Journal ge´ne´ral de France. aouˆt : BC pose sa candidature a` l’Acade´mie franc¸aise (fauteuil de ChoiseulGouffier), mais il e´choue. septembre : BC se porte candidat aux e´lections de 1817 (25 septembre), auxquelles il e´chouera. Il a republie´ a` l’occasion de ces e´lections sa Note sur le droit de cite´ dont la premie`re publication avait paru probablement au mois de mai 1815. 13 septembre : Parution de la brochure Des E´lections prochaines. 15 septembre : BC publie sans s’annoncer une brochure e´lectorale intitule´e Entretien d’un E´lecteur avec lui-meˆme. Celle-ci sera republie´e un an plus tard, avec son nom. 16 septembre : Les Notes sur quelques articles de journaux paraissent. 17 septembre : Premier de trois articles de BC dans le Journal du Commerce. Le dernier paraıˆtra le 9 novembre. fin septembre : Publication de la Seconde re´ponse de Benjamin Constant, peu de jours apre`s les e´lections. fin octobre : BC projette des lectures a` l’Athe´ne´e royal sur la religion et re´dige un programme de ses confe´rences. Il commencera son cours en fe´vrier 1818. novembre : Fondation de la Socie´te´ des amis de la presse par Destut de Tracy, Voyer d’Argenson, le duc de Broglie, La Fayette et BC, apre`s l’emprisonnement de Chevalier, directeur de la Bibliothe`que historique pour une attaque contre le ministe`re. Cette socie´te´ restera active pendant plusieurs anne´es. BC travaille a` une nouvelle e´dition de ses e´crits politiques dont le premier volume paraıˆtra en 1818 sous le titre de Cours de politique constitutionnelle. 9 novembre : BC publie un article relatif a` ses lectures sur la religion dans le Journal du Commerce, pour re´futer les insinuations malveillantes d’un entrefilet paru le 7 novembre dans le Journal des De´bats. fin novembre : BC e´dite la premie`re livraison des Annales de la Session de 1817 a` 1818 qui paraissent entre novembre 1817 et avril 1818. fin de l’anne´e : Le proce`s contre Wilfrid Regnault, accuse´ de meurtre et condamne´ a` mort sans preuves valables, commence a` occuper l’opinion publique.
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
27 (?) de´cembre 1817 : Suppression du Mercure de France pour des raisons politiques. 30 de´cembre : BC publie un article sur la nomination des jure´s dans le Journal ge´ne´ral de France. 1818 – 1830 1818 : Fondation de la Minerve franc¸aise. BC s’engage dans l’affaire Wilfrid Regnault. 1819 : E´lu de´pute´ de la Sarthe, BC joue un roˆle important dans les de´bats de la Chambre. 1822 : L’e´chec e´lectoral lui donne le temps de reprendre son ouvrage sur la religion dont le premier volume paraıˆtra en 1824, le dernier en 1831. 1824 : BC est re´e´lu comme de´pute´ de Paris a` la Chambre ou` il sie´gera alors ` partir de 1827 il opte pour le de´partement du Bas-Rhin, re´gulie`rement. A et jouera avec beaucoup d’e´clat le roˆle d’un chef de l’opposition libe´rale. Il publie jusqu’a` sa mort de nombreux ouvrages politiques, des articles de journaux, ses discours a` la Chambre et les Me´langes de litte´rature et de politique. ` une date inde´termine´e, il projette une copie de Florestan, 1825–1826 : A pre´parant ainsi la copie, commence´e au plus tard autour du 18 mars 1826, du manuscrit de la Bibliotheca Bodmeriana. Cette copie qui aurait duˆ eˆtre ` une date inconnue, peut-eˆtre l’e´tat de´finitif du texte, n’est pas acheve´e. A encore en 1826, BC commence a` dicter le texte de Florestan. Ce nouveau manuscrit offre l’e´tat de´finitif de l’ouvrage. 1830 : Apre`s la Re´volution de Juillet, BC joue a` coˆte´ de La Fayette un roˆle actif dans l’appel au duc d’Orle´ans, pour qu’il prenne la lieutenance ge´ne´rale du royaume. Il sera nomme´ pre´sident de section au Conseil d’E´tat. Malade depuis longtemps de´ja`, il meurt le 8 de´cembre 1830 a` Paris. Fune´railles grandioses le 12 de´cembre.
Introduction ge´ne´rale au tome
X
Les textes re´unis dans le tome X des Œuvres comple`tes s’e´chelonnent du 21 juillet 1815 jusqu’aux premie`res semaines du mois de janvier 1818. Il couvre une e´poque qui est marque´e par deux de´cisions politiques importantes. La premie`re est la promulgation de la «Loi de suˆrete´ ge´ne´rale» (29 octobre 1815) qui le´galise les mesures les plus arbitraires et des arrestations inde´termine´es. La seconde est l’ordonnance du 5 septembre 1816 qui dissout la Chambre introuvable et stipule des e´lections nouvelles qui donneront a` la Chambre une majorite´ constitutionnelle. Ces deux dates ont une influence directe sur la vie de Constant. La mise en vigueur de la «Loi de suˆrete´ ge´ne´rale» le de´cide a` quitter la France sans le moindre de´lai. Il demandera a` Charlotte de le rejoindre a` Bruxelles, d’ou` ils vont se rendre en Angleterre. L’exil volontaire est mal ve´cu. Charlotte n’est pas accepte´e par la socie´te´ de la capitale britannique, Constant travaille a` ses Me´moires sur les Cent-Jours et fait paraıˆtre Adolphe. L’ordonnance du 5 septembre est ressentie comme une libe´ration. Elle le de´termine a` retourner avec Charlotte a` Paris, de´cide´ a` reconque´rir dans la vie politique la place qu’il avait perdue en quittant la France. Le journaliste infatigable, l’e´crivain politique hardi, essaie de de´montrer aux Franc¸ais les avantages re´els de la monarchie constitutionnelle et les dangers non moins re´els de la politique des ultra-royalistes. Il est logique qu’il brigue, sans succe`s d’abord, un mandat de de´pute´ a` la Chambre. Trois e´tapes, une seule ligne de conduite, trois strate´gies diffe´rentes pour arriver au meˆme but. Pendant les trois premiers mois de la Seconde Restauration, Constant essaie de justifier sa conduite pendant les Cent-Jours et de s’adapter aux nouvelles constellations politiques par ses travaux de journaliste, textes prudents et feutre´s, sans fermer les yeux devant les exce`s de la Terreur blanche, sans passer sous silence le poids de la politique des occupants et sans oublier les amis victimes des mesures draconiennes demande´es par les Allie´s et salue´es par les ultra-royalistes. C’est ainsi que naissent le fameux me´moire apologe´tique, l’article et le me´moire pour intervenir en faveur de son ami Labe´doye`re, les articles pour L’Inde´pendant ou le Journal des Arts, sans oublier Florestan. L’exil en Angleterre est marque´ surtout par le travail a` son apologie, lent travail de composition d’un livre important. Cela explique l’absence de tout ouvrage de circonstance. Une exception pourtant est a` signaler : l’article sur Fouche´ publie´
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
vers la fin du mois de fe´vrier 1816 dans l’Edinburg Review, non identifie´ ` cela s’ajoutent quelques esquisses non e´labore´es, en jusqu’a` maintenant. A de´pit de l’inte´reˆt re´el des sujets traite´s. Avec la brochure De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France paraıˆtra le premier grand texte politique qui va signaler avec e´clat la re´apparition de Constant dans la vie politique de la capitale. C’est par le Mercure de France, avec les analyses lumineuses des travaux de la Chambre, c’est, a` partir du mois de juillet 1817, par les brochures politiques pour la de´fense de la liberte´ de la presse et pour soutenir sa candidature a` la Chambre des de´pute´s que Constant s’impose tre`s vite et tre`s efficacement dans le milieu politique de Paris. Les adversaires re´agiront durement. Mais ni la suppression du Mercure, ni l’e´chec e´lectoral ne le de´courageront : il re´digera, en commun avec son ancien colle`gue au Tribunat, Camille Saint-Aubin, les Annales de la session de 1817 a` 1818 qu’il publiera, pour e´chapper a` la censure, sous forme de livraisons irre´gulie`res. Les textes du pre´sent volume refle`tent les e´ve´nements esquisse´s. Une premie`re section regroupe les me´moires et articles e´crits avant son de´part pour l’Angleterre. Les textes re´dige´s en marge des Me´moires sur les CentJours sont re´unis dans la seconde section. Le texte pivot de la brochure programmatique De la doctrine politique occupe a` lui seul la troisie`me section. La quatrie`me donne les articles du Mercure de France, a` l’exception de ceux qui seront repris dans les Me´langes. On trouve dans la cinquie`me section la se´rie des brochures politiques re´dige´es a` partir du mois de juillet 1817, dans la sixie`me les textes des Annales de la session de 1817 a` 1818, qui se terminent sur la superbe pole´mique contre Marchangy. Les six annexes regroupent des textes comple´mentaires : les textes re´dige´s par Page`s et Saint-Aubin pour les Annales de la session de 1817 a` 1818, un dossier sur la de´fense du mare´chal Ney, ou` Constant est intervenu discre`tement, le compte rendu de l’ouvrage de John Cam Hobhouse qui comple`te le morceau sur Fouche´, des textes d’attribution douteuse ou fautive et, enfin, des textes pole´miques autour de la nationalite´ franc¸aise de Constant, conteste´e par certains. Le travail a` ce volume est un travail en e´quipe. Nous tenons a` remercier en premier lieu ceux qui ont re´alise´ avec beaucoup de de´vouement et de compe´tence la saisie des textes manuscrits ou imprime´s, les relectures, les corrections, les interventions techniques au niveau des structures informatiques : Fabienne Detoc, Waltraud Goller-Bertram, Stefan Hofstetter, Holger Konzelmann, Anorthe Kremers, Anne-Sylvie Pigeonnier, Raphae¨ lle RivetHückstädt et Laura Wilfinger ont contribue´ a` ces travaux ingrats et difficiles, le fondement mate´riel du travail critique des e´diteurs scientifiques. Ceux-ci ont duˆ faire appel a` l’e´rudition de plusieurs colle`gues : Hans-Jürgen Kerner et Jan Schröder, tous deux de l’Universite´ de Tübingen, nous ont aide´ a` commenter des proble`mes juridiques, Jean-Marie Roulin (Universite´ de Saint-E´tienne), Vanessa Ryan (Brown University, Providence), Dennis
Introduction ge´ne´rale
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Wood (Universite´ de Birmingham), Paul Rowe (Leeds) Le´onard Burnand (IBC, Lausanne), Ingomar Weiler (Universite´ de Graz) et Ernst A. Schmidt (Universite´ de Tübingen) nous ont fourni de pre´cieux renseignements sur des questions litte´raires. Qu’ils trouvent ici l’expression de nos remerciements. Nous remercions Jean-Daniel Candaux de nous avoir fourni des copies de documents sur Mme de Stae¨ l. La bibliographie a e´te´ controˆle´e et re´dige´e en partie par Laura Wilfinger. Paul Delbouille a relu tout le volume, qui a gagne´, graˆce a` son expe´rience e´ditoriale et ses compe´tences constantiennes, sur tous les plans : cohe´rence de la pre´sentation, pre´cision de l’annotation, style. Les suggestions d’E´tienne Hofmann, re´viseur de´signe´ par le Comite´ Directeur, nous ont e´te´ des plus utiles. La finesse de ses observations et la justesse de ses propositions de correction nous ont permis d’ame´liorer en maint endroit ce volume. Il faut remercier enfin les bibliothe`ques et les archives qui nous ont ouvert leurs pre´cieuses collections. M. Othenin d’Haussonville nous a donne´ acce`s aux collections des Archives du Chaˆteau de Coppet. Les Archives nationales de France, la Bibliothe`que cantonale et universitaire de Lausanne, l’Institut Benjamin Constant, la Bibliothe`que nationale de France, la Bibliothe`que nationale suisse de Berne, la Landesbibliothek Stuttgart et la Universitätsbibliothek Tübingen ont contribue´ d’une manie`re importante a` notre travail. Qu’ils trouvent ici l’expression de nos remerciements. La publication de ce volume n’a e´te´ possible que graˆce a` une aide substantielle de la Fondation de Famille Sandoz qui nous a aide´ a` affronter les lourdes charges re´sultant de la re´alisation de notre travail. Par un effet de la croissance naturelle des entreprises que connaıˆt notre e´poque, l’appellation de Max Niemeyer Verlag ce`de la place, en teˆte de nos volumes, a` celle de Walter De Gruyter. Le Comite´ Directeur des Œuvres comple`tes tient a` marquer sa reconnaissance aux responsables anciens et nouveaux de ces deux maisons pour l’e´gale confiance qu’ils lui te´moignent. K. K.
Sources
La liste qui suit regroupe, en les re´sumant, les descriptions des sources de tous les textes contenus dans le tome X. Pour les manuscrits, le regroupement se fait par bibliothe`ques et fonds d’archives, et a` l’inte´rieur de ceux-ci, les mentions apparaissent dans l’ordre croissant des cotes. Pour les imprime´s, la liste donne les ouvrages et les articles dans l’ordre de leur publication. Manuscrits A. Bibliothe`que nationale de France (BnF) – Paris A1.
NAF 14364, Œuvres manuscrites, vol. 7, fo 102ro–104vo. Fragmens a` coordonner 3 fos, 6 pp. a., 265 × 200 mm. Hofmann, Catalogue, II/07 (avec les additions a` l’ouvrage sur les Possibilite´s d’une constitution re´publicaine dans un grand pays).
A2.
NAF 18821, fo 91–96. [Me´moire apologe´tique] «J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris» 1 cahier de 6 fo, 10 pp. de la main d’un copiste, 240 × 185 mm. Hofmann, Catalogue, III/35.
A3.
NAF 18821, fo 97–100. [Me´moire apologe´tique] «J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris» 1 cahier de 4 fo, 6 pp. de la main d’un copiste, 240 × 185 mm. Texte incomplet. Hofmann, Catalogue, III/36.
A4.
NAF 18822, fo 185ro. [Vers] 1 fo, 1 p. a., 110 × 90 mm. Hofmann, Catalogue, III/44.
A5.
NAF 18822, fo 263ro. [Fragment d’un texte sur la contre-re´volution]
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
1 fo, 1 p. a., 350 × 220 mm. Hofmann, Catalogue, III/25. A6.
NAF 18822, fo 264ro. [Esquisse d’une histoire de la Re´publique franc¸aise] 1 fo, 1 p. a., 350 × 230 mm. Hofmann, Catalogue, III/25.
A7.
NAF 18828, fo 33ro–36ro. [Article sur Fouche´] 4 fos, 7 p. a., 200 × 155 mm. Hofmann, Catalogue, III/45.
B. Bibliothe`que cantonale et universitaire (BCU) – Lausanne B1.
Co 4022, fos 6–12 [Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte] 7 fos a., 250 × 210 mm. Hofmann, Catalogue, III/68.
B2.
Co 4702/11 [Fragment d’un ouvrage historique] 1 fo, 1 p. a., 110 × 90 mm. Hofmann, Catalogue, III/31.
B3.
Co 4732, fos 1–2, 6–9, 17–23, 34–35 et un fo non identifie´. [Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte] 16 fos a., 350 × 230 mm. Hofmann, Catalogue, III/67.
B4.
Co 4733 [Suite des ide´es pour De la doctrine politique qui peut re´unir tous les partis en France] 1 fo, 1 p. a., 350 × 230 mm. Hofmann, Catalogue, III/69.
C. Archives nationales – Paris C1.
F7 6683 (2.) Ney I A. [Me´moire d’Aglae´ Ney adresse´ a` Louis XVIII] 4 fos, 7 pp., de la main d’un secre´taire, 285 × 180 mm.
Sources
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C2.
137 AP 15, pie`ce 230. [Supplique adresse´e par Aglae´ Ney a` Louis XVIII] 4 fos, nume´rote´s 230e a` 230h, e´crits recto et verso, 8 pp. de la main d’un secre´taire (?), sans ratures.
C3.
137 AP 15 Pie`ce 238 Berryer, Expose´ justificatif pour le Mare´chal Ney 12 fos, 24 pp., de la main d’un secre´taire, avec des corr. a. de Berryer.
C4.
137 AP 15 Pie`ce 240 Berryer, Expose´ justificatif pour le Mare´chal Ney 12 fos, 24 pp., de la main d’un secre´taire, avec des corr. a. de Berryer.
D. Archives communales de Mantes-la-Jolie D1.
Fonds Clerc de Landresse, no 925 [Programme des lectures sur la religion a` l’Athe´ne´e royal de Paris] 1 feuille plie´e au milieu, 3 pp. a. Hofmann, Supple´ment.
E. Archives du Chaˆteau de Coppet – Coppet E1.
[Me´moire apologe´tique] «J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris.» 1 cahier de 6 fo, 9 p. de la main d’un copiste, 240 × 185 mm. Hofmann, Supple´ment.
F. Archives particulie`res inconnues F1.
Seconde re´ponse de Benjamin Constant 1 cahier de 3 fo emboite´s et cousus, 10 p. de la main d’un copiste, 200 × 120 mm. Photocopie de´pose´e a` l’IBC, Lausanne. Hofmann, Catalogue, non re´pertorie´.
F2.
A Monsieur le re´dacteur du Moniteur. Page d’une lettre, e´dite´e sans indication des archives ni description du document par Pierre Cordey, Cent Lettres, pp. 198–199.
G. Archives de la Grave – Chaˆteau de la Grave, Bonzac G1
Me´moire autographe de Benjamin Constant pour justifier sa conduite pendant les Cent-Jours (1815) Manuscrit inaccessible.
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
Voir : Archives de la famille de Soyecourt et du duc Decazes, conserve´es au chaˆteau de la Grave (Gironde) [XIV-XIXe s.], Archives de la Grave, Catalogue, s.l.n.d. [vers 1904, d’apre`s la de´dicace signe´e Elie, et date´e du 27 juillet 1904 de l’exemplaire du service des archives prive´es des Archives nationales, Paris], p. 214, liasse 96. Hofmann, Catalogue, non re´pertorie´.
Imprime´s 1.
[Un membre de l’ancienne Chambre des de´pute´s], L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 92, 31 juillet 1815, pp. 2b–3b. Courtney, Guide, D53.
2.
[Je re´fle´chissais hier aux circonstances dans lesquelles se trouvent la France et l’Europe], L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 96, 4 aouˆt 1815, pp. 2a–3b, rubrique : Au Re´dacteur de l’Inde´pendant. Courtney, Guide, D54 et D55 ; les deux articles (le premier d’apre`s Courtney non identifie´) sont identiques.
3.
[Puisque vous avez juge´ ma lettre d’avant-hier digne d’eˆtre inse´re´e], L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 98, 6 aouˆt 1815, pp. 1b–3a, rubrique : Au Re´dacteur de l’Inde´pendant. Courtney, Guide, D56.
4.
[L’impartialite´ dont nous faisons profession], L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 99, 7 aouˆt 1815, pp. 2b–3a. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
5.
Expose´ justificatif pour le mare´chal Ney, s.l.n.d. [Paris : aouˆt 1815], De l’imprimerie d’Ant. Bailleul.
6.
[Prospectus], Journal des Arts et de la Politique, no 1, 10 septembre 1815, pp. 1a–2a. Courtney, Guide, D57.
7.
«Des Opinions et des Inte´reˆts pendant la Re´volution, par J. Fie´ve´e», Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 133, 10 septembre 1815, pp. 3b–4b. Courtney, Guide, D58.
8.
[Deux petits articles pour le Journal des Arts], Journal des Arts et de la Politique, no 5, 14 septembre 1815, pp. 1b et 2a. Courtney, Guide, D59.
Sources
23
9.
«Sur les assemble´es e´lectorales, et les discours de leurs pre´sidens», Journal des Arts et de la Politique, no 5, 14 septembre 1815, pp. 3a–– 4a, no 9, 18 septembre 1815, pp. 3a–4a, no 12, 21 septembre 1816, pp. 3b–4a. Courtney, Guide, D60, D61, D62.
10.
[Tel est le me´pris], Journal des Arts et de la Politique, no 23, 2 octobre 1815, pp. 2a-b. Courtney, Guide, D64.
11.
[Bonaparte, entre autres de´fauts], Journal des Arts et de la Politique, no 23, 2 octobre 1815, pp. 2a. Courtney, Guide, D64.
12.
«Des de´sordres actuels de la France et des moyens d’y reme´dier», Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 154, 1er octobre 1815, pp. 2b–3b, no 171, 18 octobre 1815, pp. 2b–3b. Courtney, Guide, D63 et D67.
13.
[Le Journal ge´ne´ral nous attaque aujourd’hui], Journal des Arts et de la Politique, no 24, 3 octobre 1815, pp. 2b–3a. Courtney, Guide, D66.
14.
«Des discours e´crits dans les assemble´es», Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 172, 19 octobre 1815, pp. 1b–2a. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
15.
«La liberte´ politique, essentielle a` la liberte´ civile. De la liberte´ en ge´ne´ral», Mercure de France, no 3, [19] octobre 1815, pp. 316–323. Courtney, Guide, D68.
16.
«A messieurs les re´dacteurs de l’Oracle», L’Oracle no 338, 4 de´cembre 1815, p. 4b. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
17.
«Article sur Fouche´», The Edinburgh Review, t. XXVI, 1816, pp. 228– 232. Le texte est incorpore´ dans l’article suivant. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
18.
Anonyme, «Art. IX. The Substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napoleon : With an Appendix of original Documents. Two vol. 8vo. pp. 950. London, 1816», The Edinburgh Review, t. XXVI, 1816, pp. 215–233. DE LA DOCTRINE POLITIQUE, QUI PEUT RE´UNIR LES PAR TIS EN FRANCE, PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [petit filet enfle´] A PARIS, CHEZ DELAUNAY, libraire, galeries de bois, Palais-Royal. [petit filet] De´cembre 1816.
19.
24
Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
Courtney, Bibliography, 19a. Courtney, Guide, A19/1 20.
DE LA DOCTRINE POLITIQUE, QUI PEUT RE´UNIR LES PAR TIS EN FRANCE ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. SE CONDE E´DITION, REVUE ET CORRIGE´E. [petit filet enfle´] A PARIS, CHEZ DELAUNAY, libraire, galeries de bois, Palais-Royal. [petit filet] Janvier 1817. Courtney, Bibliography, 19b. Courtney, Guide, A19/2
21.
«Ouvrages nouveaux. De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France ; par M. B. de Constant. A Paris, chez Delaunay, libraire, galeries de bois, Palais Royal. Prix : 1 fr. 25 c.» Mercure de France, 11 janvier 1817, pp. 46–50. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
22.
Prospectus. Mercure de France, de´cembre (?) 1816. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
23.
«Des Chambres depuis leur convocation jusqu’au 31 de´cembre», Mercure de France, t. I, 4 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 28–32. Courtney, Guide, D75.
24.
«Des Chambres depuis leur convocation jusqu’au 31 de´cembre», Mercure de France, t. I, 11 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 69–77. Courtney, Guide, D76.
25.
«Tableau politique de l’Europe», Mercure de France, t. I, 18 janvier 1817, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 104–113. Courtney, Guide, D77.
26.
«Loi sur les e´lections», Mercure de France, t. I, 18 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 113–127. Courtney, Guide, D78.
27.
«Projet de loi relatif a` la liberte´ individuelle», Mercure de France, t. I, 25 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 155–171. Courtney, Guide, D79.
28.
«Projet de loi sur la liberte´ de la Presse», Mercure de France, t. I, 1er fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 203–215. Courtney, Guide, D80.
Sources
25
29.
«Re´ponse a` la lettre de M. ***, a` M. B. de Constant», Mercure de France, t. I, 1er fe´vrier 1817, pp. 215–221. Courtney, Guide, D81.
30.
«Projet de loi sur les journaux», Mercure de France, t. I, 8 fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 262–272. Courtney, Guide, D82.
31.
«Projet de loi sur les journaux», Mercure de France, t. I, 15 fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 301–319. Courtney, Guide, D83.
32.
«Tableau politique de l’Europe», Rubrique : Politique, Exte´rieur, Mercure de France, t. I, 22 fe´vrier 1817, pp. 354–365. Courtney, Guide, D84.
33.
«Discussion sur le budget», Mercure de France, t. I, 1er mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 401–415. Courtney, Guide, D85.
34.
«Discussion sur les de´penses en ge´ne´ral, et sur les budgets particuliers des ministres», Mercure de France, t. I, 8 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 450–462. Courtney, Guide, D86.
35.
«Projet de loi sur le budget», Mercure de France, t. I, 15 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 497–509. Courtney, Guide, D87.
36.
«Continuation sur le budget», Mercure de France, t. I, 22 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 547–555. Courtney, Guide, D88.
37.
«Projet de loi sur le budjet», Mercure de France, t. I, 29 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 599–603. Courtney, Guide, D89.
38.
«Lettre de M. Saint-Aubin», Mercure de France, t. II, 5 avril 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 33–44. Courtney, Guide, D90.
39.
«Continuation et fin du budget», Mercure de France, t. II, 12 avril 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 77–85. Courtney, Guide, D91.
40.
«Tableau politique de l’Europe», Rubrique : Politique, Exte´rieur,
26
Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
Mercure de France, t. II, 19 avril 1817, pp. 131–139. Courtney, Guide, D92. 41.
«Tableau politique de l’Europe», Rubrique : Politique, Exte´rieur, Mercure de France, t. II, 10 mai 1817, pp. 269–285. Courtney, Guide, D94.
42.
TABLEAU POLITIQUE DU ROYAUME DES PAYS-BAS. Par Benjamin de Constant. [petit filet enfle´] A PARIS, CHEZ LES MARCHANDS DE NOUVEAUTE´S: [filet] 1817. Courtney, Bibliography, 21a. Courtney, Guide, A21/1.
43.
«De Madame de Krudener», Journal de Paris, no 150, 30 mai 1817, pp. 4a–4b. Courtney, Guide, D96.
44.
«E´loge de Saint-Je´roˆme», Mercure de France, t. II, 31 mai 1817, pp. 401–413. Courtney, Guide, D97.
45.
«I Padri della Chiesa», Lo spettatore ossia varieta` istoriche, letterarie, critiche, politiche e morali, t. IX (1817 ?), pp. 559–564. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
46
«The´orie des Re´volutions», Rubrique : Nouvelles litte´raires, Mercure de France, t. II, 28 juin 1817, pp. 581–591. Courtney, Guide, D99.
47.
«Sur Madame de Stae¨ l», Journal ge´ne´ral de France, 18 juillet 1817, pp. 3a–4b. Courtney, Guide, D100.
48.
«De toutes les pertes que les lettres ont faites depuis le court espace d’un mois». Annales encyclope´diques t. IV, 1817, pp. 160, 163–173. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
49.
«Ne´crologie» [sur Mme de Stae¨ l], Mercure de France, t. III, 19 juillet 1817, pp. 136–137. Courtney, Guide, D101
50.
«Ne´crologie» [sur Mme de Stae¨ l], Mercure de France, t. III, 26 juillet 1817, pp. 175–178. Courtney, Guide, D101a.
51.
«The´orie des Re´volutions», Rubrique : Nouvelles litte´raires, Mercure de France, t. III, 16 aouˆt 1817, pp. 307–313. Courtney, Guide, D103.
Sources
27
52.
«A M. le re´dacteur du Journal du Commerce», Journal du Commerce, de Politique et de Litte´rature, no 56, 17 septembre 1817, p. 2b. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
53.
«Au Re´dacteur», Journal ge´ne´ral de France, no 1102, 17 septembre 1817, p. 3b. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
54.
«Au Re´dacteur», Le Moniteur universel, no 261, 18 septembre 1817, p. 1030c. Courtney, Guide, D104a.
55.
«Les listes supple´mentaires», Journal du Commerce, de Politique et de Litte´rature, no 61, 22 septembre 1817, p. 3b. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
56.
«[Re´sume´ d’une lettre de B. Constant]», Le Moniteur universel, no 265, 22 septembre 1817, p. 1047a. Courtney, Guide, D104b.
57.
«De l’obe´issance a` la loi», Rubrique : Nouvelles litte´raires, Mercure de France, t. IV, 8 novembre 1817, pp. 244–255. Courtney, Guide, D106.
58.
«Du the´aˆtre franc¸ais et du the´aˆtre e´tranger», Rubrique : Nouvelles litte´raires, Mercure de France, t. IV, 13 de´cembre 1817, pp. 484–490. Courtney, Guide, D107. CONSIDE´RATIONS SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AUX E´LECTIONS, ADOPTE´ PAR LA CHAMBRE DES DE´PUTE´S ; PAR M. B. DE CONSTANT. (Extrait du Mercure de France du 18 Janvier.) PARIS, Chez DELAUNAY, Libraire, au Palais-Royal, ga lerie de bois. [petit filet ondule´] 1817. Courtney, Bibliography, 20a. Courtney, Guide, A20/1.
59.
60.
61.
QUESTIONS SUR LA LE´GISLATION ACTUELLE DE LA PRESSE EN FRANCE, ET SUR LA DOCTRINE DU MINISTE`RE PUBLIC, RELATIVEMENT A LA SAISIE DES E´CRITS, ET A LA RESPONSABILITE´ DES AUTEURS ET IMPRIMEURS, PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [ligne] Illi inter sese vicissim brachia tollunt. [ligne] A PARIS, CHEZ LES MARCHANDS DE NOU VEAUTE´S. [petit filet ornemental] 1817. Courtney, Bibliography, 22a. Courtney, Guide, A22/1. QUESTIONS SUR LA LE´GISLATION ACTUELLE DE LA PRESSE EN FRANCE, ET SUR LA DOCTRINE DU MINISTE`RE
28
Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
PUBLIC, RELATIVEMENT A LA SAISIE DES E´CRITS, ET A LA RESPONSABILITE´ DES AUTEURS ET IMPRIMEURS, PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [ligne] Illi inter sese magna vi bra chia tollunt. [ligne] SECONDE E´DITION. A PARIS, CHEZ DE LAUNAY, LIBRAIRE, Palais Royal, Galerie de Bois ; ET CHEZ LES MARCHANDS DE NOUVEAUTE´ S. [petit filet ornemental] 1817. Courtney, Bibliography, 22b. Courtney, Guide, A22/2. 62.
DES E´LECTIONS PROCHAINES, PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [filet enfle´ ornemental] A PARIS, CHEZ PLAN CHER, LIBRAIRE, RUE SERPENTE, no. 14 ; DELAUNAY, LIBRAIRE, PALAIS ROYAL, Galerie de Bois ; ET HUBERT, LIBRAIRE, PALAIS ROYAL, Galerie de Bois n. 222. [petit filet ondule´] 1817. Courtney, Bibliography, 23a. Courtney, Guide, A23/1.
63.
ENTRETIEN D’UN E´LECTEUR AVEC LUI-MEˆME. [petit filet ondule´] A PARIS. Chez PLANCHER, Libraire, Editeur des Œuvres de Voltaire, en 35 volumes in 12, et du Manuel des Braves, rue Poupe´e, no. 7. DELAUNAY, Libraire, au Palais-Royal. [petit filet enfle´] 1817. Courtney, Bibliography, 24a. Courtney, Guide, A24/2.
64.
ENTRETIEN D’UN E´LECTEUR AVEC LUI-MEˆME. RECUEILLI ET PUBLIE´ PAR M. BENJAMIN-CONSTANT, E´LIGIBLE. [petit filet ondule´] A PARIS, Chez PLANCHER, E´ DITEUR DU MANUEL o DES BRAVES, rue Poupe´e, n . 7. [filet] 1818. Courtney, Bibliography, 24b. Courtney, Guide, A24/2.
65.
ENTRETIEN D’UN E´LECTEUR AVEC LUI-MEˆME. RECUEILLI ET PUBLIE´ PAR M. BENJAMIN-CONSTANT, E´LIGIBLE. [petit filet ondule´] A PARIS, Chez PLANCHER, E´ DITEUR DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, no. 7. [petit filet ondule´] 1818. Courtney, Bibliography, 24c. Courtney, Guide, A24/3
66.
NOTES SUR QUELQUES ARTICLES DE JOURNAUX ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [entre deux filets : citation de six lignes tire´e de Des E´lections prochaines, p. 58] PARIS, PLAN CHER, Librairie. E´diteur des Œuvres de Voltaire, en 35 volumes
29
Sources
in–12, et du Manuel des Braves, rue Poupe´e, no 7 ; DELAUNAY, Libraire, au Palais-Royal. [filet] 1817. Courtney, Bibliography, 25a. Courtney, Guide, A25/1 67.
Athe´ne´e Royal de Paris. Programme pour l’an 1818, Paris, Adrien Egron, s.d. [1817], pp. 15–17. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
68.
[Athe´ne´e Royal de Paris. Programme pour l’an 1818] Annales Encyclope´diques re´dige´es par A. L. Millin, 1817, t. VI, pp. 117–119. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
69.
«A M. le re´dacteur du Journal du Commerce», Journal du Commerce, de Politique et de Litte´rature, no 109, 9 novembre 1817, p. 2b. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
70.
[double filet] SECONDE REPONSE STANT. [petit filet ornemental] [1817]. Courtney, Bibliography, 26a. Courtney, Guide, A26/1.
71.
«De la nomination des jure´s», Journal ge´ne´ral de France, 30 de´cembre 1817, pp. 3a–4b. Courtney, Guide, non re´pertorie´.
72.
NOTE Sur les droits de Cite´ appartenant a` la Famille CONSTANT DE REBECQUE. PAR BENJAMIN CONSTANT. [filet] 200 × 125 mm. Deux feuilles sans adresse de l’imprimeur, s.l.n.d. [1817]. Courtney, Bibliography, 16a. Courtney, Guide, A16/1.
73.
NOTE Sur les droits de Cite´ appartenant a` la Famille CONSTANT DE REBECQUE. PAR BENJAMIN CONSTANT. [filet] 214 × 130 mm. Deux feuilles sans adresse de l’imprimeur, s.l.n.d. [1817]. Courtney, Bibliography, 16b. Courtney, Guide, A16/2.
74.
[Double ligne grasse et fine] NOTE Sur les droits de Cite´ appar tenant a` la famille de CONSTANT-REBECQUE, PAR BENJAMIN DE CONSTANT. [filet] 220 × 135 mm. Deux feuilles sans adresse de l’imprimeur, s.l.n.d. [1818]. Courtney, Bibliography, 16c. Courtney, Guide, A16/3.
DE
BENJAMIN CON
30
Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
75.
ANNALES DE LA SESSION DE 1817 A 1818 ; PAR M. BEN JAMIN DE CONSTANT. [monogramme de l’imprimeur] PARIS, F. BE´CHET, LIBRAIRE, RUE DES GRANDS-AUGUSTINS, No 11. 1817. 210 × 136 mm. Courtney, Bibliography, 27a(1) et 27a(5). Description incomple`te. Courtney, Guide, A27/1
76.
COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES Publie´s sur le Gouvernement repre´sentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espe`ce de Cours de Politique constitutionnelle ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [filet ondule´] DEUXIE`ME VOLU ME. Troisie`me partie de l’Ouvrage. A PARIS, CHEZ P. PLAN CHER, E´ DITEUR DES OEUVRES DE VOLTAIRE ET DU MANUEL DES o BRAVES, rue Poupe´e, n . 7. [petit filet ondule´] 1818. Courtney, Bibliography, 131a(2). Courtney, Guide, E1/1(2)
77.
COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES PUBLIE´S SUR LE GOUVERNEMENT REPRE´SENTATIF ET LA CONSTITUTI ON ACTUELLE, TERMINE´E PAR UNE TABLE ANALYTIQUE ; OU COURS DE POLITIQUE CONSTITUTIONNELLE ; PAR M. BENJAMIN CONSTANT, De´pute´ du de´partement de la Sarthe. Seconde E´dition. [filet ondule´] TOME SECOND [filet ondule´] PARIS, CHEZ PIERRE PLANCHER, LIBRAIRE, RUE POUPE´E; No 7. [filet] 1820. Courtney, Bibliography, 131b(2). Courtney, Guide, E1/2(2)
78.
[Me´moire apologe´tique] [Pierre-Franc¸ois Re´al], Indiscre´tions. 1798–1830. Souvenirs anecdotiques et politiques tire´s du portefeuille d’un fonctionnaire de l’Empire, mis en ordre par Mounier Desclozeaux, Paris : Dufey, 1835, t. II, pp. 152–172. Courtney, Guide, A74/1.
79.
Petit morceau pour Labe´doye`re. Louis-De´sire´ Ve´ron, Me´moires d’un bourgeois de Paris comprenant la fin de l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet et la Re´publique jusqu’au re´tablissement de l’Empire, Paris : Librairie nouvelle, 1856, t. 2, pp. 57–62. Courtney, Guide, p. 220, re´pertorie´ comme non identifie´.
Me´moires, brochures et articles de journaux re´dige´s entre juillet et octobre 1815
Me´moire apologe´tique 21 juillet 1815
/DSUHPLqUHSDJHGX0pPRLUHDSRORJpWLTXH$UFKLYHVGX&KkWHDXGH&RSSHW&RSSHW
35
Introduction
La seconde Restauration ne se fera pas sans difficulte´s et connaıˆtra les intrigues les plus ruse´es (Fouche´) et les luttes les plus aˆpres entre les partis politiques ; bonapartistes, royalistes constitutionnels, ultras et libe´raux s’affronteront sous l’œil me´fiant des Allie´s. L’occupation de Paris par les troupes allie´es, le 3 juillet, le retour de Louis XVIII dans la capitale le 8, ne signifient pas, en de´pit des apparences, une de´faite totale des bonapartistes. Plus d’un million d’hommes de troupes e´trange`res occupent la plus grande partie de la France, mais des garnisons reste´es fide`les a` Bonaparte re´sistent jusqu’en septembre, parfois plus longtemps encore et refusent de reconnaıˆtre le nouvel e´tat des choses1. Les Allie´s insistent aupre`s du gouvernement de Talleyrand pour qu’il prenne des sanctions a` l’e´gard de ceux qu’on appelle «les coupables des Cent-Jours», et la de´cision qu’on prend, peuteˆtre avec l’arrie`re-pense´e de gagner du temps et de suspendre finalement les mesures2, c’est l’annonce, puis la publication de deux listes de personnes proscrites, la premie`re comprenant les noms de dix-neuf ge´ne´raux, dont La
1 2
On consultera Emmanuel de Waresquiel et Benoıˆt Yvert, Histoire de la Restauration, pp. 146–149. G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration, pp. 117–124. Le roˆle de Fouche´ dans tout cela est fort ambigu. Alfred Nettement le compte parmi les conspirateurs d’avant le 20 mars (question toujours de´battue), et souligne que Fouche´ a e´te´ ministre de Napole´on pendant les Cent-Jours, mais qu’il proclame dans son me´moire communique´ aux cabinets europe´ens et lu devant le conseil du roi qu’il n’y avait pas de conspiration avant le 20 mars. «Un ze`le imprudent et exage´re´ pour les re`gles et les maximes de l’ancienne monarchie fit commettre plusieurs fautes aux royalistes et meˆme a` plusieurs ministres du Roi : il en re´sulta des inquie´tudes de plus d’un genre, un e´branlement dans l’opinion et une de´saffection pour le gouvernement. Cette opposition morale, qui e´tait connue de toute l’Europe, ne pouvait e´chapper aux calculs de Bonaparte. [...] On aurait beau multiplier les recherches, on se convaincra que personne n’a eu connaissance d’aucune conspiration qui ait amene´ et pre´ce´de´ l’arrive´e de Bonaparte [...] ; et avant d’attaquer qui que ce soit sur ce sujet, ne faudrait-il pas accuser d’abord les ministres du Roi, qui n’ont su ni deviner ni pre´venir le de´part de l’ıˆle d’Elbe ?» (Nettement, Histoire de la Restauration, t. III, p. 161.) On croirait lire un chapitre de la premie`re partie des Me´moires sur les CentJours. Voir la confirmation de cette opinion dans un autre texte de Fouche´ : Rapport au Roi, sur la situation de la France et sur les relations avec les arme´es e´trange`res, fait dans le conseil des ministres, le 15 aouˆt 1815, Paris : s.e´d., pp. 50–51. Le rapport de Fouche´ a fait l’objet d’un compte rendu hostile dans le Journal des De´bats du 15 octobre 1815, pp. 3b–4b.
36
Me´moires, brochures et articles de journaux
Be´doye`re, le mare´chal Ney, Lavalette, a` traduire en conseil de guerre pour avoir facilite´ le retour de Napole´on ; la seconde avec les noms de trente-huit personnes qui sont provisoirement place´es sous la surveillance de la police, parmi lequelles, un moment donne´, Benjamin Constant1. Ces circonstances et ces mesures sont l’arrie`re-fond sur lequel se de´tache le texte apologe´tique de Benjamin Constant, qui apprend le 19 juillet l’ordre d’exil le menac¸ant. De la conversation qu’il a, le jour meˆme, avec le duc Decazes, pre´fet de police, semble re´sulter le projet d’e´crire un «me´moire apologe´tique» pour pre´venir une mesure dont il dit qu’on veut faire ainsi «constitutionnellement de l’arbitraire2». Ce me´moire, selon la note du journal intime du 20 juillet «admirable de mode´ration et de noblesse», sera envoye´ le 21 juillet a` Decazes. Deux jours plus tard, le 23, Decazes lui annonce un succe`s probable ; le 24, Constant rec¸oit la confirmation de´finitive par un message personnel du roi. La liste de´finitive, publie´e le 26 juillet dans le Moniteur3, ne comprend plus son nom. «Il n’y avait pas de temps a` perdre pour n’en pas eˆtre», note-t-il dans son journal intime le jour meˆme. Le 22 juillet de´ja`, Constant a pense´ a` publier son apologie «plus serre´e qu’elle ne l’est» et a` «quitter la France pour tre`s longtemps». Ce double projet, sans doute inspire´ par le de´gouˆt pour les machinations politiques de la Restauration, mais certainement aussi par les perpe´tuelles de´ceptions cause´es par les caprices et les prudences raisonnables de Juliette Re´camier, est remis a` l’ordre du jour par une proposition allant dans le meˆme sens qu’on lui fait le 30 juillet («Conseil de faire imprimer mon me´moire.»), mais ne se re´alisera pas. Nous savons qu’il envoie le texte de son apologie le 26 juillet a` Talleyrand, chef du premier ministe`re de la seconde Restauration, peuteˆtre pour des raisons de tactique. Mais c’est probablement Decazes qui a le plus d’influence sur les de´cisions de Constant, balanc¸ant, comme toujours, entre les diffe´rents partis a` prendre. Il se de´cide enfin a` rester et a` prendre une part active dans la politique de la France (il poursuivra ce but avec une certaine te´nacite´), a` renouer avec sa re´putation de publiciste distingue´, en e´crivant sans tarder de nombreux articles dans les journaux (L’Inde´pendant, 1 2 3
Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, p. 150. Journal intime du 19 juillet 1815 (OCBC, Œuvres, t. VII, p. 237). La liste des proscrits, signe´e par Fouche´, se trouve dans le Moniteur, no 207, 26 juillet 1815, pp. 843c–844a. On retiendra le nom de quatre personnes a` l’intention desquelles BC a re´dige´ des lettres ou me´moires pour les seconder dans des conflits avec les autorite´s de la premie`re ou la deuxie`me Restauration, a` savoir : Exelmans (voir OCBC, Œuvres, t. IX/1, pp. 377–404), le mare´chal Ney (voir ci-dessous, pp. 1121–1154), le ge´ne´ral Labe´doye`re (voir ci-dessous, pp. 91–108) et Durbach (voir ci-dessous, p. 37, n. 1). On y trouve aussi le nom de Re´al, auteur des Indiscre´tions, qui contiennent le texte complet de la deuxie`me version du Me´moire apologe´tique. Le meˆme nume´ro du Moniteur contient la liste des vingt-neuf pairs e´limine´s de la Chambre haute.
Me´moire apologe´tique – Introduction
37
le Journal des Arts), en publiant des brochures et surtout en se lanc¸ant dans la compe´tition pour se faire e´lire de´pute´. Les e´lections sont pre´vues pour le mois d’aouˆt. Constant ne se portera pas encore candidat ; au contraire, dans les mois qui s’e´couleront jusqu’a` son de´part pour l’Angleterre, nous le verrons occupe´ assez souvent de son e´pope´e, texte qui le distrait de la vie active, et sous l’influence de Mme de Krüdener, essayant de sortir de la crise ou` l’a pre´cipite´ sa passion pour Mme Re´camier. Signalons encore, pour comple´ter le tableau des circonstances qui ont fait naıˆtre ce me´moire apologe´tique, une des de´marches qui annoncent le futur e´crivain engage´ : l’intervention en faveur de Durbach porte´ sur la liste des proscriptions. Cette de´marche, une lettre adresse´e a` Decazes, n’aboutira pas1. Le texte, remarquablement bien e´crit et tre`s important pour la carrie`re politique de Benjamin, existe au moins en deux versions diffe´rentes, peuteˆtre en trois2. La nume´rotation que nous adoptons ici est strictement pratique et ne veut nullement sugge´rer une chronologie relative des re´dactions. La premie`re version, la re´daction bre`ve du me´moire apologe´tique, repre´sen-
1
2
Voir le journal intime, 26 juillet : «E´crit au Pre´fet de Police pour Durbach». La lettre de Constant, probablement conserve´e dans les Archives Decazes, n’est pas connue. CharlesFre´de´ric Durbach (1763–1827), ami de la liberte´, sie´gea a` la Chambre des De´pute´s en 1814 et fut e´lu a` celle des Repre´sentants. Son discours violent du 30 juin 1815 contre le rappel des Bourbons lui valut d’eˆtre porte´ sur la liste des proscrits. Apre`s avoir retrace´ dans un tableau assez sombre les erreurs des Bourbons, il termine son discours ainsi : «En conse´quence, vous de´clarerez aux puissances e´trange`res que les Bourbons, qui depuis un quart de sie`cle portent la guerre en France, sont ennemis du peuple franc¸ais, qu’ils sont proscrits de son territoire ; vous de´clarerez aux puissances, comme a` tous agens franc¸ais, conforme´ment a` l’art. 67 de notre dernie`re constitution accepte´e par le peuple, qu’aucune proposition de paix ne pourra eˆtre faite ni e´coute´e, si l’exclusion perpe´tuelle de ces princes du troˆne franc¸ais n’est adopte´e comme pre´liminaire et comme condition, sine qua non, de toute ne´gociation ; vous de´clarerez que les Franc¸ais sont re´solus de combattre a` mort pour leur liberte´ et leur inde´pendance, et qu’ils pe´riront tous plutoˆt que de supporter le joug humiliant qu’on voudrait leur imposer.» Discours prononce´ par M. Durbach, Se´ance du 30 juin, pp. 6–7. On connaıˆt la lettre adresse´e par Durbach le 31 juillet a` Fouche´, Ministre de la Police, pour protester contre son exil. Voir L’Ambigu, t. 50, 1815, pp. 367–368. Fouche´ justifie dans son Rapport au roi du 15 aouˆt 1815 (voir la note pre´ce´dente) la position de la Chambre des repre´sentants comme une digue contre le retour de l’Ancien Re´gime, pour que «la liberte´ politique soit affermie sur des bases immuables» (p. 28). Durbach a pu revenir en France en 1819. Cette particularite´ du texte n’a e´te´ mise en relief nulle part. Ni Rudler («Benjamin Constant et son ralliement a` l’Empire, 1815»), ni Cordie´ («L’originario memoriale di B. Constant sui Cento Giorni»), ni Pozzo di Borgo (dans son e´dition des Me´moires sur les Cent-Jours) n’en parlent. L’e´tude de Rudler se distingue par une analyse tre`s fine des circonstances politiques et personnelles, exploitant aussi les articles de Benjamin Constant publie´s apre`s le de´barquement et dans les premie`res semaines des Cent-Jours.
38
Me´moires, brochures et articles de journaux
te´e par les manuscrits A1 et A2, est peut-eˆtre celle que Benjamin Constant a envoye´e au duc Decazes pour qu’elle soit pre´sente´e au roi1. La deuxie`me version, un peu plus longue que la premie`re, et dont le texte est publie´, d’apre`s un manuscrit non localise´, dans les me´moires de Re´al2, A3, est organise´e selon une autre strate´gie argumentative : Constant y accentue d’une manie`re e´vidente son roˆle personnel et donne dans des re´cits presque anecdotiques quelques de´tails supple´mentaires relatifs a` ses activite´s politiques pendant les Cent-Jours, et en particulier sur les ne´gociations des ple´nipotentiaires a` Haguenau. Cette version introduit dans ce contexte un autre personnage d’importance, le comte Laforest3, de l’entourage de Louis XVIII, qui peut servir l’intention de Constant de justifier sa conduite. Les changements entraıˆnent un ordre diffe´rent de quelques passages dans les parties communes, des coupures et des rajouts et donnent finalement un texte dont Rudler avait de´ja` senti certaines faiblesses4. On peut enfin de´tecter une troisie`me version a` travers les variantes qui existent entre A3 et le manuscrit incomplet A4, assez proche de la deuxie`me version au de´but, mais ajoutant, vers la fin, un autre de´tail sur les activite´s politiques de Constant, a` savoir son engagement pour la cause du roi Joachim Murat de Naples. Ce de´tail concerne une grosse somme d’argent offerte par Murat a` Constant pour ses services diplomatiques. Il est probable que Benjamin Constant a fait disparaıˆtre cette allusion qui ne pouvait plaire a` Louis XVIII parce que les efforts de Constant e´taient contraires aux inte´reˆts dynastiques des Bourbons. En plus, elle risquait de compromettre Juliette Re´camier ou jeter une lumie`re de´savantageuse sur son engagement politique. 1
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Il n’y a aucun e´le´ment positif pour appuyer cette hypothe`se. Seul le fait que la version de´veloppe´e du texte e´voque au moins une affaire politique de´licate, a` savoir la tentative de Murat pour conserver le troˆne de Naples, pourrait sugge´rer l’ide´e que BC a e´vite´ de la pre´senter au roi. Voir ci-dessous, p. 63, n. 1. On peut se demander comment l’ancien pre´fet de Police que BC connaissait a` peine (il n’est mentionne´ qu’une seule fois dans le journal intime, le 10 mai 1815) a pu se procurer un manuscrit du Me´moire apologe´tique. Faut-il croire que BC le lui avait donne´ ? Nous avons de´ja` dit plus haut que Re´al e´tait compris dans le nombre des personnes qui devaient s’exiler, ce qu’il doit probablement a` Fouche´ dont il avait de´nonce´ les manœuvres. Re´al est passe´ aux E´tats-Unis et n’est rentre´ en France qu’en 1827, apre`s la mort de son e´pouse. On consultera sur Re´al l’ouvrage de Louis Bigard, Le comte Re´al. Antoine-Rene´-Charles-Mathurin, comte de Laforest (1757–1846) dont la longue carrie`re diplomatique pendant l’Empire lui a valu des fonctions de´licates. C’est lui qui est le chef de la de´le´gation des ple´nipotentiaires envoye´e par le Gouvernement provisoire a` Haguenau pour ne´gocier un armistice. Rudler, «Lettres de Benjamin Constant a` M. et Mme Dege´rando», (Bibliothe`que universelle et revue suisse, 69, 1913, pp. 472–473), «Il adressa au roi un tre`s beau Me´moire, lucide, hardi, convaincant, vraiment parfait si quelques longueurs n’en alte´raient la purete´ des lignes.»
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Les tableaux ci-dessous re´sument les diffe´rences1. Distribution des aline´as en partant de la version bre`ve A1, A2 1 J’ai rec¸u 2 Je pourrais comme 3 Je pourrais, dans 4 Tous e´taient 5 Que si 6 Mais je 7 Aussi 8 Le Roi 9 Quand Bonaparte 10 A Dieu 11 Dans tout 12 Je ne me 13 M’e´tant 14 Le hasard 15 Je viens 16 Quand 17 Enfin dans 18 Je viens 19 Lorsque 20 J’ai toujours 21 J’ai donc 22 Me suis-je 23 Si je 24 Je n’ai 25 Je termine
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A3 1 2 9 – 11 5 7 8 21 – 22 23 – 14, 15 16 17 18, 19 24 25 26 27 28 29 – 31, 33
A4 1 2 9 – 11 5 7 8 0/ [20] – 0/ [21] 0/ [22] – 14 15 16 0/ [17, 18] 0/ [23] 0/ [24] 0/ [25] [26] [27] [28] – [29], [31]
Les chiffres des trois colonnes sont les nume´ros d’ordre des aline´as dans A1/A2, A3 et A4. Ces chiffres ne sont pas des sigles repre´sentant un texte ; ils ne de´signent par conse´quent presque jamais un meˆme texte, mais la place variable des paragraphes de meˆme contenu. Les aline´as de A1/A2 n’ayant pas d’e´quivalent dans A3/A4 sont marque´s dans les colonnes respectives par un tiret. Les aline´as 3 a` 4, 6, 10, 12–13, 20, 30 et 32 de A3 n’ont pas de paralle`les dans A1/A2. Les dernie`res lignes de l’aline´a 29 et l’aline´a 30 de A3 (affaire Murat) ne reviennent dans aucune des autres versions. Rappelons enfin qu’il y a une grande lacune dans le texte de A4, au milieu du manuscrit. Cette lacune entraıˆne une nume´rotation hypothe´tique place´e entre crochets carre´s a` partir de l’aline´a 17. Les aline´as perdus sont indique´s par le signe 0/.. Ce manuscrit re´unit au milieu deux aline´as en un seul qui sont se´pare´s dans A3 et en omet un autre vers la fin ; nous avons adapte´ en conse´quence la nume´rotation.
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Me´moires, brochures et articles de journaux
Distribution des aline´as en partant de la version de´veloppe´e A3 1 J’ai rec¸u 2 Je ne veux point 3 Ces conside´rations 4 Des journaux 5 Je renonce ici 6 Quelle a e´te´ 7 Aussi long-temps 8 Le Roi 9 L’acceptation 10 Tous e´taient ne´anmoins 11 Que si 12 Inde´pendamment 13 L’invitation 14 Le hasard 15 Voici sa re´ponse 16 Je viens 17 Quand 18 Enfin, dans 19 Ma fortune 20 Tels sont 21 Quand il fut arrive´ 22 Dans tout 23 Je le re´pe`te 24 Un autre motif 25 Lorsque 26 J’ai toujours 27 J’ai donc 28 L’on peut me condamner 29 Si je m’en croyais 30 L’un des souverains 31 Je termine 32 Je re´pe`te la question 33 Si maintenant
A4 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14/1 14/2 15 16 0/ [17] 0/ [18] 0/ [19] 0/ [20] 0/ [21] 0/ [22] 0/ [23] 0/ [24] 0/ [25] [26] [27] [28] – [29] [30] [31]
A1, A2 1 2 – – 6 – 7 8 3 – 5 – – 14/1 14/2 15 16 17/1 17/2 – 9 11 12 18 19 20 21 22 23 – 25/1 – 25/2
Nous donnons les deux versions principales du texte, la premie`re d’apre`s le manuscrit des Archives de Coppet, avec les variantes du manuscrit de la BnF en bas de page ; la seconde d’apre`s l’imprime´ des Indiscre´tions, avec, en bas de page, les variantes du manuscrit mutile´ de la BnF, qui repre´sente la troisie`me version, peu diffe´rente, comme on vient de le dire, de la deuxie`me1. Les variantes sont exhaustives et signalent les moindres diffe´rences qui existent entre A1 et A2 ainsi qu’entre A3 et A4. 1
La double feuille du milieu du manuscrit est perdue. Le texte de ces quatre pages comprenait environ 8400 signes (fo 97vo : 2050 signes ; fo 98ro : 2150 signes). Le passage correspondant de la version imprime´e comprend 8500 signes (chiffres arrondis).
Me´moire apologe´tique – Introduction
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Les manuscrits actuellement accessibles ou atteste´s demandent encore un mot d’explication. Il est a` souligner d’abord que nous ne disposons pas d’une seule ligne autographe d’un texte qui e´tait pour Constant d’une importance capitale. Le seul manuscrit autographe atteste´, mais inaccessible, se trouve dans les archives de la Grave. Il s’agit de toute e´vidence du document officiel que Benjamin Constant a envoye´ au duc Decazes pour qu’il soit pre´sente´ au roi. Les trois autres manuscrits sont de la main d’un copiste. Celui qui est conserve´ dans les Archives du Chaˆteau de Coppet est probablement le document que Benjamin Constant a envoye´ a` Mme de Stae¨ l au moment de´cisif, comme il avait coutume de le faire pour des documents politiques importants et qui touchaient directement les inte´reˆts de son amie1. En l’occurence, le me´moire apologe´tique, destine´ a` justifier aupre`s du roi son engagement politique pendant les Cent-Jours, pouvait le justifier aussi aupre`s de Mme de Stae¨ l qui avait se´ve`rement condamne´ sa de´cision en faveur de l’Empire libe´ral. Les deux autres manuscrits conserve´s dans les fonds de la BnF sont les pie`ces que Benjamin Constant avait garde´es dans ses papiers. Il s’agit de deux versions diffe´rentes du texte, la premie`re, identique a` celle du manuscrit de Coppet, et une autre, proche de l’imprime´ des Indiscre´tions sans lui eˆtre identique. La source manuscrite de la version imprime´e n’est pas localise´e, si elle existe toujours2. Il est d’ailleurs diffi1 2
Un exemple pour cela sont les me´moires re´dige´s par BC a` l’intention de Bernadotte. Pour plus de de´tails, on se reportera aux OCBC, Œuvres, t. VIII/1, pp. 823–908. Les papiers de Re´al ne sont pas encore retrouve´s. Nous savons que Le´onor Fresnel, e´poux d’Eulalie Re´al (1790-apre`s 1867 ?), la fille du comte Re´al, les rec¸ut, en 1836, de son oncle Prosper Me´rime´e auquel le comte Re´al les avait confie´s avant sa mort. Nous savons aussi, graˆce a` une anecdote raconte´e par Me´rime´e dans son Journal (Œuvres comple`tes, t. VII, pp. 166–167) et relate´e par L. Bigard, que les papiers existaient encore en 1837, qu’ils sont atteste´s, toujours d’apre`s Bigard, une trentaine d’anne´es plus tard. Apre`s cette date, les traces se perdent (voir L. Bigard, Le comte Re´al, pp. 182–183). En ce qui concerne les me´moires de Re´al, il faut distinguer les me´moires inacheve´s et non retrouve´s de Re´al du texte des Indiscre´tions. L’authenticite´ des Indiscre´tions, re´dige´es par Musnier-Desclozeaux «sous l’inspiration de Re´al», comme on dit, est mise en doute par le meˆme Bigard (pp. 179– 181) qui dit : «J’imagine que les Indiscre´tions sont tout simplement des propos de table, de fumoir ou de salon que Musnier-Desclozeaux avait recueillis de Re´al ou d’apre`s Re´al, et mal dige´re´s» (p. 180). Cette opinion est peut-eˆtre trop cate´gorique. Toujours est-il que la comparaison du texte du Me´moire apologe´tique publie´ par Musnier-Desclozeaux avec le ms. de la BnF fait comprendre que celui-ci avait acce`s a` un ms. fiable du me´moire. Nous ne savons pas comment Musnier-Desclozeaux, ou peut-eˆtre Re´al ont pu en connaıˆtre le texte. Il est possible, comme nous l’avons dit ci-dessus, p. 38, n. 2, que BC avait donne´ au moment du de´cret d’exil son me´moire a` Re´al (celui-ci fut porte´ sur la liste parce qu’il avait signe´ la proposition du 23 juin (voir le Moniteur, no 175, 24 juin 1815, pp. 725b et, pour la de´claration, meˆme journal, no 174, 23 juin 1815, p. 717b) pour que la Chambre des Repre´sentants se prononc¸aˆt pour Napole´on II et parce qu’il avait fait connaıˆtre les manœuvres de Fouche´ (voir L. Bigard, pp. 171–172).
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Me´moires, brochures et articles de journaux
cile de savoir si les Indiscre´tions reproduisent fide`lement le texte de Constant. Il faut e´videmment compter avec des interventions du premier e´diteur, Musnier-Desclozeaux, surtout avec des coupures dans le texte. Rappelons enfin que le me´moire de Constant a pu circuler dans le cercle de ses amis, comme semble le prouver une note du journal intime : «M. de Catelan. mon me´moire l’a convaincu»1. Le Me´moire apologe´tique est le premier texte e´crit par Constant apre`s la chute de Napole´on. Il ouvre, avec sa strate´gie habile, une nouvelle e´poque de la carrie`re politique de Benjamin Constant en France. Une carrie`re qui vise de`s le de´but la Chambre des de´pute´s2, mais qui s’organise dans un premier temps uniquement sur le seul champ qui lui est ouvert, l’e´criture. Les tre`s nombreux articles de journaux, les brochures et les pamphlets en te´moignent. Ce n’est qu’en 1817 qu’il essayera pour la premie`re fois de se faire e´lire de´pute´, sans succe`s. Le Me´moire apologe´tique que nous avons reproduit avec les Me´moires sur les Cent-Jours dans un but purement documentaire re´ve`le, inte´gre´ dans le contexte historique qui lui revient, toute son importance pour la carrie`re de l’auteur3. E´tablissement du texte 1. Premie`re version. Manuscrits : 1. [Me´moire apologe´tique] «J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris.» 3 grandes feuilles de 370 × 240 mm, plie´es au milieu et emboıˆte´es l’une dans l’autre pour former un cahier de 6 folios, 12 pages, 240 × 185 mm, de la main d’un copiste. Le fo 10 est de´coupe´ en bas, sans perte de texte. Il s’agit probablement du texte envoye´ par Constant a` Mme de Stae¨ l. Le texte du me´moire occupe les pages 1 a` 9, (fo 1ro a` 5ro), la p. 10, (fo 5vo) porte, d’une autre main et e´crit en travers «Justification de Benjamin, Paris, Juillet 1815», et p. 12 (fo 6vo), en haut, de la meˆme e´criture, «Justification de Benjamin» ; la p. 11 (fo 6ro) est blanche4. Archives du Chaˆteau de Coppet. Hofmann, Catalogue, non re´pertorie´. Hofmann, Supple´ment. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle A1. 1 2 3
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Note du 19 octobre 1815 (OCBC, Œuvres, t. VII, p. 251. «Essayons d’eˆtre de´pute´.» Journal intime du 31 juillet 1815 (OCBC, Œuvres, t. VII, p. 239). Voir OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 557–573. Nous y avons reproduit les deux versions, la premie`re d’apre`s le seul manuscrit alors connu de la BnF, la seconde d’apre`s l’imprime´ des Indiscre´tions, sans tenir compte du manuscrit fragmentaire de la BnF. Les explications ajoute´es sont destine´es a` e´claircir les rapports qui existent entre les Me´moires sur les Cent-Jours et ce texte. Le manuscrit, re´cemment de´couvert, a e´te´ identifie´ par E´tienne Hofmann.
Me´moire apologe´tique – Introduction
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2. [Me´moire apologe´tique] «J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris.» 3 grandes feuilles de 370 × 240 mm, plie´es au milieu et emboite´es l’une dans l’autre pour former un cahier de 6 folios, 12 pages, 240 × 185 mm, de la main d’un copiste, le meˆme que celui du ms. pre´ce´dent. Le texte du me´moire occupe les pages 1 a` 10, (fo 1ro a` 5vo), les pages 11 et 12 (fo 6ro et fo 6vo) sont blanches. Les aline´as ont e´te´ nume´rote´s, dans la marge gauche, par une autre main, de 1 a` 25, et une partie du texte des paragraphes 9 a` 11 et 19 a` 21 est souligne´e. La nume´rotation des paragraphes a servi a` comparer ce texte avec celui du ms. A4, ou` re´apparaissent les meˆmes nume´ros si le contenu est identique. BnF, NAF 18821, fos 91ro–96vo. Hofmann, Catalogue, III/35. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle A2. 2. Deuxie`me version. Imprime´ : [Pierre-Franc¸ois Re´al], Indiscre´tions. 1798–1830. Souvenirs anecdotiques et politiques tire´s du portefeuille d’un fonctionnaire de l’Empire, mis en ordre par Musnier Desclozeaux, Paris : Dufey, 1835, t. II, pp. 152–172. Le texte est proche de celui de A4, mais il faut souligner que le texte du manuscrit diffe`re sensiblement de la version imprime´e a` deux endroits. C’est pourquoi nous croyons pouvoir y distinguer une troisie`me version du texte. La source manuscrite de ce texte n’a pu eˆtre localise´e. Courtney, Guide, A74/1 Nous de´signons ce texte par le sigle A3. 3. Troisie`me version. Manuscrit : 1. [Me´moire apologe´tique] «J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris.» Autrefois 3 grandes feuilles de 370 × 240 mm, plie´es au milieu et emboite´es l’une dans l’autre pour former un cahier de 12 pages, dont subsistent 4 folios, 8 pages, 240 × 185 mm, de la main d’un copiste, le meˆme que celui des deux manuscrits pre´ce´dents. La perte de la feuille du milieu, 4 pages en tout, a entraine´ une grande lacune entre les fos 98 et 99 actuels. Le texte du me´moire occupe les pages 1 a` 4, (fo 97ro a` 98vo) pour le de´but, et les pages 5 a` 6 (fo 99ro et 99vo), en re´alite´ les pages 9 a` 10 (e´tat d’origine) pour la fin. Le dernier folio (fo 100ro et 100vo, pp. 7–8, anciennement 11–12) est blanc. Les aline´as ont e´te´ nume´rote´s, dans la marge gauche, de 1 a` 22, en e´tablissant un rapport avec la nume´rotation du ms A2 si cela est possible, pour
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Me´moires, brochures et articles de journaux
relever des recoupements (p. ex. «5–6», «11–5», ce qui signifie que les paragraphes 5 ou 11 de A4 sont a` rapprocher des paragraphes 6 ou 5 de A2). Cette ope´ration a e´te´ faite apre`s la perte de la feuille du milieu. Pas de soulignements. BnF, NAF 18821, fo 97–100. Hofmann, Catalogue, III/36. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle A4. 4. Le manuscrit du chaˆteau de la Grave. Il existe, d’apre`s le catalogue imprime´ des Archives de la famille de Soyecourt et du duc Decazes, un autre manuscrit de ce texte dans les collections de la Grave (liasse 96). Le manuscrit est inaccessible. Voici ce qu’on trouve dans le catalogue : «Me´moire autographe de Benjamin Constant pour justifier sa conduite pendant les Cent-Jours» (p. 214). Il est impossible de pre´ciser si le manuscrit donne le texte de la premie`re, deuxie`me ou troisie`me version. Il s’agit peut-eˆtre du manuscrit que Benjamin Constant a fait communiquer au roi. Hofmann, Catalogue, non re´pertorie´. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle A5. Le texte a fait l’objet de plusieurs e´ditions commente´es : 1. Carlo Cordie´, «L’originario memoriale di B. Constant sui Cento Giorni», Paideia, 5, 1950, pp. 297–306. 2. Carlo Cordie´, «L’originario memoriale di B. Constant sui Cento Giorni», Ideali e figure d’Europa, Pisa : Nistri-Lischi, pp. 234–248. 3. Benjamin Constant, Me´moires sur les Cent-Jours, Pre´face, notes et commentaires de O. Pozzo di Borgo, Paris : Jean-Jacques Pauvert, 1961, pp. 223–229. 4. Benjamin Constant, Me´moires sur les Cent-Jours, Volume dirige´ et texte e´tabli par Kurt Kloocke, Introduction et notes par Andre´ Cabanis, OCBC, Œuvres, t. XIV, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 1993, pp. 557–573. K. K.
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[Me´moire apologe´tique adresse´ au roi le 21 juillet 1815] [Premie`re version]
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J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris. Cette invitation a e´te´ reveˆtue des formes les plus douces, je ne puis que me louer du magistrat qui a du s’en rendre l’organe. L’on a eu soin de me pre´venir que ce n’e´tait point un ordre, que je n’e´tais point exile´, qu’on me donnait un conseil sans l’accompagner d’aucune menace, qu’on ne m’annonc¸ait aucune rigueur si je n’y obtempe´rais pas, que cependant on ne pouvait re´pondre des mesures que le Gouvernement jugerait ne´cessaires en cas de re´sistance, que j’e´tais sur l’une des listes contenant le nom de ceux qu’on voulait e´loigner, et qu’apre`s cet avis, c’e´tait a` moi a` consulter ma propre prudence1. Je pourrais comme citoyen re´clamer contre une invitation irre´gulie`re. Je pourrais, dans ma position particulie`re demander en quoi je suis plus coupable que des hommes qui ont e´galement accepte´ depuis le vingt mars des fonctions de Bonaparte, et que le Gouvernement actuel traite avec faveur. Je vois des conseillers d’Etat maintenus dans leurs fonctions, ou e´leve´s a` des fonctions supe´rieures, je vois des Pre´fets qui l’e´taient sous le Roi, qui ont e´te´ appele´s par Bonaparte a` d’autres Pre´fectures, et qui sont de nouveau Pre´fets sous le Roi2. E´tablissement du texte : Manuscrits : 1. [Me´moire apologe´tique] J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris, Archives du Chaˆteau de Coppet [=A1]. 2. [Me´moire apologe´tique] J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris, BnF, NAF 18821, fos 91ro–96vo [=A2]. 5 magistrat ] Magistrat A2 1
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Comme on le sait, la liste des personnes e´ventuellement a` proscrire fut dresse´e par Fouche´. Houssaye pense (1815, La seconde abdication, p. 428) que Vitrolles, qui avait alors la «haute direction» du Moniteur, l’y aida, et que c’est par Vitrolles que les noms de plusieurs personnes qui figureront sur la liste de´finitive du 24 juillet ont pu eˆtre publie´s dans le Moniteur (1815, La seconde abdication, p. 428, n. 1). Nous supposons que c’est par l’interme´diaire de Fouche´, poursuivant une politique en dents de scie, ou par Decazes, que BC apprit que son nom e´tait sur une des deux listes. On consultera sur cette question, outre l’ouvrage mentionne´, les e´tudes de G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration, Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, Nettement, Histoire de la Restauration, t. III, pp. 159–166, et les Me´moires sur les Cent-Jours (OCBC, Œuvres, t. XIV). BC citera plus loin encore ces deux noms pour de´masquer le double jeu qu’ils me`nent sans trop de scrupules. Voir les ordonnances des 12 et 14 juillet 1815 (Journal des De´bats, 16 juillet 1815, pp. 2b– 3b). Les pre´fets nomme´s e´taient tre`s souvent des fonctionnaires qui avaient servi pendant la Premie`re Restauration. Souvent destitue´s pendant les Cent-Jours, ils pouvaient eˆtre appele´s a` d’autres pre´fectures. Citons a` titre d’exemple Desbrosses, pre´fet de la Haute-Vienne
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Me´moires, brochures et articles de journaux
Tous e´taient ne´anmoins plus engage´s que moi dans le service du Gouvernement Royal. Ils lui avaient preˆte´ serment. Ils en ont preˆte´ un second a` Bonaparte. – L’on n’a pas cru que ce fut une cause de ne pas en agre´er un troisie`me, et je ne doute pas qu’on n’ait eu raison. mais moi, je n’avais preˆte´ aucun serment, je n’avais pas l’engagement de la reconnaissance, je n’ai rompu aucun lien. Que si l’on pre´tend que le devoir ge´ne´ral de tout citoyen est de ne pas servir une autorite´ ille´gitime, alors ce n’est pas moi seul que l’on accuse, ce ne sont pas seulement les hommes que j’ai indique´s, ce sont tous les tribunaux dont le Roi vient pourtant d’agre´er l’hommage1, ce sont tous les administrateurs, tous les officiers, tous les ministres. Tel n’est pas le syste`me du Gouvernement, ses actes le prouvent. Mais si les administrateurs, les ministres, les juges sont innocens, bien qu’ils aient administre´ et juge´ sous Bonaparte, je le suis de meˆme. Mais je renonce e´galement et a` l’avantage qu’assurent a` tout citoyen la lettre de nos lois, et notre charte constitutionnelle, et aux raisonnemens sans replique que me fourniraient la diffe´rence de la rigueur que j’e´prouve, et de la faveur qu’on accorde a` des hommes dans la meˆme position que moi. Je n’aborde point la question de droit, je me borne a` celle de l’e´quite´. C’est sous ce point de vue que je vais envisager la mesure prise contre moi. J’y trouve et je m’en fe´licite une occasion d’exposer ma conduite dans ses plus secrets de´tails, et mes motifs dans toutes leurs nuances. Il me tardait de la rencontrer, cette occasion, c’est avec empressement que j’en profite.
2 Royal ] royal A2 10 tribunaux ] Tribunaux A2 (?) A2 17 fourniraient ] fournirait A2
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13 juges ] Juges A2
15 Mais ] mais
depuis le 10 juin 1814, remplace´ le 15 avril 1815 par Louis Texier-Olivier, son pre´de´cesseur a` ce poste ; il sera nomme´ le 14 juillet 1815 pre´fet de la Loire-Infe´rieure, ou` il remplace le bonapartiste Fe´lix Bonnaire, e´carte´ avec la Seconde Restauration. Le cas de´crit par BC est pourtant rare dans ce groupe de fonctionnaires. L’ouvrage de re´fe´rence a` consulter : Rene´ Bargeton, Pierre Bougard, Bernard Le Cle`ve, Pierre-Franc¸ois Pinaud, Les pre´fets du 11 ventoˆse an VIII au 4 septembre 1870. Re´pertoire nominatif et territorial, Paris : Archives nationales, 1981. Les conseillers d’E´tat maintenus en fonction sont un autre cas de´licat. La constatation de BC pourrait se rapporter a` des personnes qui ont e´te´ conseillers d’E´tat pendant l’Empire et qui ont garde´ leur fonction sous la Restauration, comme p. ex. De Ge´rando ou Bernard-Franc¸ois de Chauvelin. Voir le Dictionnaire du Conseil d’E´tat. Allusion a` la «De´claration de la Cour de Cassation a` S.M. Louis XVIII» du 12 juillet 1815 (Journal des De´bats, 18 juillet 1815, p. 3b). Cette de´claration est suivie d’un article fort critique qui met en doute la since´rite´ des magistrats.
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Aussi longtems que la constitution a e´te´ en force, j’ai tache´ d’indiquer quelle devait eˆtre la marche constitutionnelle, et je l’ai fait avec si peu d’amertume que tout en relevant ce qui me paraissait fautif dans les actes d’un Ministe`re1, dont on avoue aujourd’hui les fautes, je l’ai de´fendu contre ceux qui l’attaquaient avec trop de violence. Lorsque l’apparition de Bonaparte a mis le Gouvernement en danger, je me suis rallie´ a` la Royaute´ Constitutionnelle avec plus d’e´nergie que personne. Il est impossible de me soupc¸onner d’avoir e´te´ instruit de l’arrive´e de Bonaparte, et d’avoir trempe´ dans la conspiration qui l’a ramene´, si une telle conspiration a eu lieu, ce que j’ignore. Mes ennemis meˆmes ne m’en accusent pas2. Le Roi s’est e´loigne´. Je le de´fendais encore le jour de son de´part3. Mais trois semaines plus tard, j’ai eu des confe´rences avec Bonaparte, seule autorite´ existante alors4, et un mois apre`s, j’ai accepte´ de lui une place de Conseiller d’Etat. J’ai prouve´ que l’acceptation en elle meˆme n’e´tait pas un crime, puisqu’on ne la conside`re pas ainsi dans beaucoup d’autres fonctionnaires de toutes les classes. mais ai-je eu dans mes motifs un tort particulier ? Voila` je l’espe`re la question bien nettement pose´e, et je ne cherche pas a` l’e´luder. Quand Bonaparte fut arrive´ a` Paris, quel se trouva eˆtre l’e´tat de la nation ? Tous ses organes e´taient disperse´s. Une dictature sans bornes e´tait dans la main d’un seul homme, il n’y avait plus de corps interme´diaires, plus de repre´sentation nationale. Les proclamations du golfe de Juan, les de´crets de Lyon, annonc¸aient un despotisme que rien ne pourrait arreˆter5. 8 et ] & A2 Nation A2 1 2
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10 Mes ] mes A2 11 Mais ] mais A2 20 dictature ] Dictature A2
19 l’e´tat de la nation ] l’Etat de la
BC consacrera un chapitre des Me´moires sur les Cent-Jours (pp. 104–114) a` cette question. Ce raisonnement pourrait sugge´rer l’ide´e que BC avait eu connaissance du Rapport au Roi, sur la situation de la France de Fouche´ lu devant le conseil des ministres et dont nous avons cite´ un passage ci-dessus, p. 35, n. 2. Mais il n’existe aucune preuve qu’il en soit ainsi. Voir aussi les Me´moires sur les Cent-Jours, pp. 120–123. Allusion a` l’article du 19 mars 1815. Pour plus d’informations, voir OCBC, Œuvres, t. IX/1 pp. 530–538. Sur les premiers rapports de BC avec Napole´on, voir les Me´moires sur les Cent-Jours, pp. 207–214. A. Cabanis souligne dans une note (p. 208, n. 1) les circonstances qu’on connaıˆt et qui permettent de dire que BC esquisse dans son Me´moire apologe´tique une vision simplifie´e des e´ve´nements. Ils sont au nombre de neuf et ordonnent des mesures dirige´es contre les Bourbons. Napole´on proscrit le drapeau blanc et re´tablit le drapeau tricolore, abolit la noblesse et les titres fe´odaux, licencie les re´giments suisses, annule les nominations faites dans l’arme´e, met le se´questre sur les biens formant l’apanage des princes de la famille des Bourbons, bannit les e´migre´s rentre´s depuis la fin du premier Empire, etc. Voir Nettement, Histoire de la Restauration, t. II, pp. 84–86 ; Houssaye, 1814, La premie`re Restauration, pp. 297–298.
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Bonaparte me fit appeler, sans que je l’eusse sollicite´, et dans un moment ou` revenu a` Paris, faute d’avoir pu franchir la frontie`re, je me pre´parais a` un nouveau de´part1. Je le trouvai he´sitant entre la continuation de la Dictature, et une organisation constitutionnelle, je vis la possibilite´ de rendre a` la france des repre´sentans, des interpreˆtes, des de´fenseurs. De`s lors je ne balanc¸ai plus. je re´digeai en grande partie cet acte additionnel qui contenait d’assez bonnes choses, quelque mal qu’on en puisse dire, cet acte additionnel dont Mr. de Chateaubriant lui-meˆme a imprime´ qu’il renfermait plusieurs des ame´liorations que Louis XVIII avait me´dite´es2. Mais mon ide´e dominante, mon ide´e unique, e´tait de diviser le pouvoir concentre´ dans les mains de Bonaparte, et j’aurais attache´ mon nom a` une constitution cent fois plus mauvaise, pourvu qu’elle eut re´tabli deux chambres, et mis un terme au silence auquel la nation e´tait re´duite. Et je le demande, ai-je eu tort ? qui peut calculer ce qui serait arrive´, si Bonaparte se fut de´cide´ pour la Dictature ? Les chambres n’ont-elles pas de`s l’origine limite´ sa puissance, re´clame´ pour la liberte´ individuelle, empeˆche´ de la sorte beaucoup de mal qu’on ne peut indiquer avec pre´cision, parce qu’on ne peut de´tailler ce qui est ne´gatif, mais que tout homme e´claire´ sent, et que tout homme de bonne foi doit reconnaitre ? Enfin ne sont-ce pas les chambres qui l’ont force´ d’abdiquer, quand il ne pouvait se maintenir qu’en e´branlant l’Etat Social dans toutes ses bases3 ? A Dieu ne plaise que je m’arroge le merite d’avoir pre´vu ce qui est arrive´. Ce me´rite serait a` mes yeux, une abominable perfidie. Je ne tendais point un pie`ge a` l’homme de qui j’avais accepte´ des faveurs, mais je cherchais a` entourer son pouvoir de barrie`res, parceque je crois que dans tous les syste`mes, les barrie`res constitutionnelles sont ne´cessaires pour le salut du peuple, et pour celui du pouvoir. 4 constitutionnelle, je ] constitutionnelle. Je A2 Repre´sentans, des Interpreˆtes A2 11 et ] & A2 la source porte aroge A1 23 yeux, ] yeux A2 peuple A2 1
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5 des repre´sentans, des interpreˆtes ] des 15 origine ] origine, A2 22 arroge ] A2 ; 24 faveurs ] fonctions A2 27 peuple, ]
A. Cabanis dit dans un note (Me´moire apologe´tique, OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 559, n. 3) que BC simplifie encore le re´cit des circonstances pre´ce´dant imme´diatement l’invitation de Napole´on. Cette simplification n’a rien de critiquable. Allusion au «Rapport sur l’e´tat de la France au 12 mai 1815 fait au Roi dans son conseil» (Gand : Impr. royale, 1815). BC, qui posse`de l’e´dition originale dans sa bibliothe`que, y revient a` plusieurs reprises. Voir les Me´moires sur les Cent-Jours, p. 240. L’inde´pendance de la Chambre des repre´sentants est mise en relief par BC a` plusieurs occasions dans ses Me´moires sur les Cent-Jours. Voir OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 64, avec la n. 1 ; p. 199, ou` BC dit que ce sont les Chambres qui ont force´ Napole´on a` abdiquer ; et enfin la longue note 4 (pp. 280–291) qui poursuit cette re´flexion.
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Dans tout ce que j’ai fait, dans cette circonstance importante de ma vie, j’ai eu pour but la liberte´, je n’ai voulu qu’elle, et puisque je suis force´ de parler de moi, qu’il me soit permis de citer un fait qui de´montre assez le motif qui me dirigeait dans cette hasardeuse entreprise. Un jour (c’est la seule fois, je dois le dire, durant les deux mois pendant lesquels j’ai vu Bonaparte) un jour le trouvais impatient du frein de la loi, et j’apperc¸us en lui des retours de tyrannie. En sortant de chez lui, je pris a` part l’homme de france, dont l’amitie´ m’est la plus pre´cieuse, et dont le nom re´unit tous les nobles souvenirs de notre re´volution depuis vingt cinq ans : Je suis entre´, lui dis-je, dans une route sombre et douteuse et je crains d’avoir conc¸u un projet audessus de mes forces. – je vois l’Empereur revenir par moments a` d’anciennes habitudes qui m’effrayent, – il a pour moi de la bienveillance, et j’en suis reconnaissant, peut-eˆtre ne serais-je pas longtems impartial, on ne peut gue`res aupre`s du pouvoir re´pondre de soi-meˆme : Souvenez-vous de ce que vous dis maintenant, surveillez-le, et si jamais il vous parait marcher au despotisme, ne croyez plus ce que je vous dirai par la suite, ne me confiez rien. Agissez sans moi, et contre moi-meˆme. L’homme a qui j’ai fait cette confidence et que j’ai suffisamment de´signe´ peut certifier la ve´rite´ de mon re´cit1. Je ne me suis rallie´ a` Bonaparte, que lorsque j’ai cru que je le fortifierais dans l’ide´e d’appeler autour de lui une repre´sentation libre et nombreuse, et si j’ai comme je le pense contribue´ a` l’y de´cider, si j’ai acce´le´re´ l’e´poque ou` cette Repre´sentation s’est rassemble´e, et ou` il n’a plus e´te´ le seul maitre de toutes les destine´es, je crois avoir rendu a` la france un assez grand service2. M’e´tant ainsi rapproche´ de l’homme qui avait gouverne´ le monde, et qui gouvernait encore la france, j’ai eu fre´quemment des confe´rences avec lui. Je pourrais dire que des conversations avec un homme dont la volonte´ n’e´tait certes pas entre les mains de ceux qui l’entouraient, ne prouvent pas qu’on ait eu de l’influence sur son esprit. Mais sans examiner ce que je ne sais pas, de dirai ce que je sais. C’est que je ne lui ai jamais dit, que ce qui 11 forces. – je ] forces. Je A2 moments ] momens A2 12 effrayent, – il ] effrayent. Il A2 13 reconnaissant, peut-eˆtre ] reconnaissant. Peut-eˆtre A2 14 meˆme : Souvenez ] meˆme. Souvenez A2 16 suite, ne ] suite. Ne A2 22 j’ai comme je le pense ] j’ai, comme je le pense, A2 23 Repre´sentation ] repre´sentation A2 1
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Ce passage est repris, avec quelques petits changements, dans les Me´moires sur les CentJours (OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 231), ou` BC donne le nom de La Fayette, qu’il ne cite ici qu’indirectement. Le re´cit du rapprochement de BC a` Napole´on est e´videmment largement de´veloppe´ dans les Me´moires sur les Cent-Jours. Le re´sume´ des entretiens avec l’Empereur est authentifie´ par le fait qu’un long extrait est cite´ dans le Me´morial de Sainte-He´le`ne, e´d. par Marcel Dunan, t. I, pp. 444–447.
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pouvait le disposer a` la mode´ration. C’est que la moindre annonce de rigueur contre les hommes que je ne connaissais pas et que je devais supposer eˆtre mal pour moi, provoquait de ma part les de´clarations les plus positives. C’est qu’en parlant par exemple de Mr de Vitrolles que je n’ai jamais vu, que je ne verrai probablement jamais, je dis a` Bonaparte que, si une goutte de sang e´tait verse´e, aucun homme honorable ne pourrait rester en place. Je pourrais citer plusieurs personnes a` qui j’ai re´pe´te´ la meˆme chose en public1. Le hasard m’a conserve´ une preuve des sentimens que j’ai toujours montre´s dans une situation assez difficile ; c’est une re´ponse du Duc d’Otrante a` un billet que je lui e´crivis, lors de l’abominable arreˆte´ d’un lieutenant de Police, dans les de´partmens de l’ouest2. Je lui avais exprime´ mon de´sespoir, mon impossibilite´ de rester associe´ a` un Gouvernement qui permettait de telles mesures, ma volonte´ de me retirer, et meˆme de ne plus e´crire sous un pareil re´gime. Voici sa re´ponse, je la transcris parcequ’elle ne peut que faire honneur a` ce ministre, dont tant de gens, a` tant d’e´poques ont eu a` se louer. «Je viens de lire l’article dont vous me parlez, je ne puis vous exprimer l’impression que m’a faite l’arreˆte´ du lieutenant de Police ***. Vous en jugeriez facilement, si vous aviez connaissance du rapport que j’ai remis a` l’Empereur et des mesures que je lui ai propose´es. Les de´partemens de 11 lieutenant ] Lieutenant A2 1
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20 et ] & A2
Le cas d’Euge`ne-Franc¸ois-Auguste d’Arnaud de Vitrolles, royaliste convaincu et accuse´ par Napole´on d’organiser avec te´nacite´ une re´sistance contre son re`gne, est raconte´ par BC dans ses Me´moires sur les Cent-Jours, pp. 219–220. A. Cabanis dit dans la note attache´e a` ce passage que Vitrolles attribue son salut a` l’intervention de Fouche´. Cela peut aussi eˆtre exact, parce que BC et Fouche´ e´taient tre`s souvent en contact a` cette e´poque, comme on peut le de´duire d’un autre exemple d’intervention contre une mesure re´voltante raconte´e quelques lignes plus loin. BC revient a` deux reprises sur cet incident (Me´moires sur les Cent-Jours, pp. 254–255 et Histoire du retour, OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 382), sans donner le nom de la personne, que nous ne connaissons que par un article de journal (voir ibid., p. 255, n. 4). Il faut rappeler d’abord que la France impe´riale est divise´e depuis 1804 en quatre arrondissements de police confie´s a` des conseillers d’E´tat, dont Re´al, responsable du 1er arrondissement comprenant les de´partements de l’Ouest et du Nord (Dictionnaire Napole´on, pp. 1339–1340). L’organisation de la police des Cent-Jours est en principe la meˆme. Pour ce qui est de l’incident en cause, il faut savoir que le lieutenant de police de Nantes, Moreau, avait somme´ les nobles de preˆter serment de fide´lite´ a` l’Empereur. Ceux qui ne se pre´senteraient pas seraient conside´re´s comme e´migre´s, avec les suites ne´fastes que cela pouvait avoir pour leur fortune. Cet arreˆte´ ille´gal rappelant les pires exce`s de la re´volution fut casse´, mais avait produit une grande fermentation. Voir Nettement, Histoire de la Restauration, t. II, pp. 332–333, Houssaye, 1815, La premie`re Restauration, pp. 495–496. Fouche´ renvoie dans sa lettre a` sa circulaire du 31 mars 1815, cite´e par Houssaye p. 496, n. 1.
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l’ouest ont encore plus besoin que les autres d’une justice re´gulie`re, et du respect des lois. Les mesures violentes, loin de vaincre les re´sistances, en font e´prouver de nouvelles, et leur donnent plus de force. Continuez votre ouvrage, ne vous de´couragez pas, mille amitie´s. le Duc d’Otrante1.» Quand il s’est agi des individus j’ai suivi la meˆme direction. Elle a e´te´ celle de toute ma vie. Je ne citerai qu’un fait. Mr de Jacquemont, garde du corps de Monsieur, que je ne connaissais que parceque sa famille habite la franche-comte´, pre`s des proprie´te´s qu’y posse´dait mon pe`re, e´tait inquie´te´ pour un passeport qu’on ne voulait lui de´livrer que s’il preˆtait le serment prescrit. Ce serment geˆnait sa conscience. J’ai toujours compris, j’ai toujours approuve´ tous les genres de scrupules, je demandai avec instance, et j’obtins qu’on le dispenserait du serment, et que le passeport qu’il desirait lui serait accorde´2. Enfin dans la grande crise de l’abdication, quelle a e´te´ ma conduite ? Je savais qu’en acceptant une place, j’avais attire´ sur moi, la haine de ceux qui allaient he´riter du pouvoir de Bonaparte, s’il le de´posait. Ma fortune et mon ambition, si je n’avais eu en vue que mon ambition et ma fortune, e´taient attache´es a` ses succe`s : et quoiqu’on en dise, il avait encore assez de ressources. les re´sistances qui survivent a` son existence politique le prouvent de reste3. Je n’en ai pas moins e´te´ l’un de ceux qui l’ont exhorte´ le plus vivement a` de´poser le pouvoir4, & mon opinion n’a peut-eˆtre pas e´te´ sans quelqu’influence sur la de´termination qu’il a prise. Je me rappelle que tandisque nous en causions sur la terrasse de l’Elyse´e, une grande foule e´tait dans l’alle´e de Marigny, et pendant que je m’efforc¸ais de le convaincre qu’il ne pouvait plus regner, cette foule interrompait de loin chacune de mes 1 re´gulie`re, et ] re´gulie`re et A2 2 re´sistances, en ] re´sistances en A2 6 Jacquemont, ] Jacquemont A2 14 l’abdication, quelle ] l’abdication quelle A2 16 et ] & A2 19 sources. les ] sources. Les A2 21 et ] & A2 25 regner ] re´gner A2 1
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La tactique de BC est fort habile. On peut supposer qu’il savait que la liste provisoire des proscriptions avait e´te´ re´dige´e par Fouche´, assiste´ probablement par le royaliste Vitrolles. Citer les deux noms dans son me´moire, a` tre`s peu de distance l’un de l’autre, pour rappeler un me´rite personnel et une opinion qui affiche un esprit de liberte´ louable, signifie que BC construit son argumentation de la meˆme manie`re que Fouche´ l’a fait pour sauver sa personne. Le re´cit de cet e´ve´nement se retrouve, fort re´duit, dans les Me´moires sur les Cent-Jours, p. 254. Les re´sistances dont BC parle ici non sans hardiesse sont analyse´es par Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, pp. 146–147. On trouve dans les journaux de l’e´poque des articles sur la capitulation tardive de certaines places fortes encore en septembre, voire novembre 1815. On rapprochera cette phrase du passage des Me´moires sur les Cent-Jours (pp. 282–283) ou` BC insiste sur les motifs qui l’ont fait he´siter a` recommander l’abdication a` Napole´on.
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phrases par des cris de Vive l’Empereur1. Vous les entendez, me dit-il, qu’est-ce qui m’empeˆcherait de contraindre les chambres a` se se´parer ? Vous le pouvez, re´pondis-je, mais vous ne gouvernerez pas quatre jours apre`s. J’ai lieu de croire que cette phrase lui fit impression, car il la re´pe´ta trente fois, a` quelques personnes survenues durant la conversation. J’ajouterai ici, car je n’ai la volonte´ de rien de´guiser, qu’en le pressant de la sorte d’abdiquer, je me demandais s’il e´tait permis de donner a` un homme ce qui pour lui e´tait un mauvais conseil. Il pouvait encore soulever en creusant plus bas, bien des e´lemens de de´sordre, et c’e´tait son inte´reˆt manifeste. Mais les maux qu’il aurait cause´s, le pillage de Paris, la prolongation de la guerre, qui cesserait, disait-on de`s que Bonaparte n’occuperait plus le troˆne, e´taient des conside´rations trop de´cisives. Je sentais cependant qu’en cherchant a` le rassurer sur son avenir, je risquais de le tromper en me trompant moi-meˆme, et je dois l’avouer ce sentiment e´tait pe´nible. Il n’y avait certes pas a` balancer entre un homme et la france, mais j’e´tais oppresse´ de ne pas tout dire. Je desire au moins aujourd’hui que Bonaparte est captif et sans de´fense que l’on sache qu’il pouvait faire encore beaucoup de mal, qu’on lui a retrace´ le tableau de ce mal qu’il pouvait faire, et qu’il y a renonce´. Chacun jugera comme il le voudra ce dernier te´moignage que lui rend un homme qui a regarde´ son arrive´e comme un grand malheur, qui verrait dans son retour, s’il e´tait possible, un malheur plus grand encore, mais qui ayant consenti a` se rapprocher de lui durant deux mois de sa prospe´rite´ apparente ne peut eˆtre indiffe´rent a` son sort dans l’infortune. Je viens d’exposer l’un des motifs pour m’eˆtre range´ sous le Gouvernement de Bonaparte, mais ce motif n’est pas le seul. j’en avais un autre qu’il est peut-eˆtre hasardeux d’e´noncer. N’importe, je le dirai. Lorsque j’avais par mes e´crits de´fendu le Roi, jusqu’au dernier moment de son se´jour a` Paris, il e´tait entoure´ d’autres franc¸ais qui promettaient comme moi de le de´fendre. Le drapeau national n’e´tait recouvert par aucune couleur e´trange`re. On pouvait se serrer autour de ce drapeau sans mettre en danger l’inde´pendance de la Patrie. Quand Bonaparte se fut assis sur le troˆne, je vis des Autrichiens, des Prussiens, des Anglais et des Russes s’avancer en armes contre la france. Je sais qu’on peut dire que Bonaparte 1 Vive ] vive A2 7 homme ce ] homme, ce A2 11 disait-on ] disait-on, A2 15 un homme et la france ] la france et un homme A2 16 au moins ... sans de´fense ] au moins, ... sans de´fense, A2 18 et ] & A2 22 apparente ] apparente, A2 25 seul. j’en ] seul. – J’en A2 30 e´trange`re. On ] e´trange`re : on A2 32 troˆne ] Troˆne A2 et ] & A2 1
BC raconte le meˆme e´ve´nement dans ses Me´moires sur les Cent-Jours (pp. 284–285) avec quelques de´tails supple´mentaires.
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en e´tait la cause : mais ils y e´taient, & le premier point me parut eˆtre de les repousser1. J’ai toujours conc¸u toutes les opinions ; j’ai compris qu’on voulut la monarchie ou la Re´publique, la le´gitimite´ e´manant de la naissance ou la liberte´ fonde´e sur un pacte. Mais il y a pour moi une condition essentielle devant laquelle tout disparait. J’exprime ce que se sens, je ne blaˆme personne. Cette condition, c’est l’inde´pendance nationale, c’est l’e´loignement de toute intervention e´trange`re, parceque sans cette inde´pendance, avec cette intervention, il n’y a plus ni monarchie, ni Re´publique, ni succession re´gulie`re, ni pacte, ni constitution, ni liberte´2. J’ai donc regarde´ ou e´tait l’Etranger, et sans autre examen je me suis range´ dans le parti contraire. J’aurais avec transport de´fendu le Roi, si le vingt mars, il eut daigne´ m’appeler aux Tuileries : mais je n’aurais pas combattu avec moins d’ardeur le dix huit Juin, si j’avais eu l’honneur d’eˆtre dans les rangs de l’arme´e franc¸aise3. Me suis-je laisse´ effrayer par des craintes chime´riques ? – J’aime a` l’espe´rer encore. J’aime a croire que j’avais tort de redouter qu’une coalition re´unie seulement contre Bonaparte, ne fit pe´ser sur la france les maux de la guerre, lorsque Bonaparte ne re´gnerait plus. Mais quand l’e´venement aura prouve´ que mes appre´hensions e´taient exage´re´es, elles seront encore excusables. Si je m’en croyais, je conclurais ici ma justification, car il me re´pugne de re´futer une fable que ne croyent pas ceux qui la re´pandent. L’on a pre´tendu que j’avais rec¸u de Bonaparte, inde´pendemment de ma nomination au conseil d’Etat, des faveurs pe´cuniaires. Le fait est faux. Je ne sais ce qu’aurait fait pour moi Bonaparte, si j’eusse de´sire´ de pareilles faveurs, mais l’ide´e ne m’en est pas plus venue cette fois, que lorsqu’il disposait encore plus des tre´sors du Monde, et que dans le Tribunat, je me suis oppose´ a` lui4, – ma vie 5 pacte. Mais ] pacte. mais A2 19 Bonaparte ] Bonaparte, A2 A2 lui, – ma ] lui. ma A2 1
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essentielle ] essentielle, A2 11 l’Etranger ] l’e´tranger 26 faveurs, mais ] faveurs. Mais A2 28 Monde ] monde
Repousser les e´trangers, c’est le grand the`me de la premie`re lettre des Me´moires sur les Cent-Jours, pp. 197–206. Garder le controˆle du territoire national et sauver ainsi la souverainete´ est un des axiomes politiques que BC souligne assez souvent. Il ne parle jamais des dangers politiques manifestes qu’une telle doctrine peut comporter. Cet aline´a revient presque litte´ralement dans les Me´moires sur les Cent-Jours, OCBC, t. XIV, p. 199. A. Cabanis met en relief que «cette belle re´solution de risquer sa vie aux Tuileries le 20 mars, puis a` Waterloo le 18 juin» se retrouve dans le projet des Me´moires sur le retour, le dernier re`gne, et la chute de l’Empereur Napole´on (OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 422), mais qu’elle n’est plus mentionne´e dans le texte de´finitif de l’ouvrage. Voir OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 564, n. 1. C’est un argument qui est repris dans les Me´moires sur les Cent-Jours (OCBC, t. XIV, p. 205), mais tourne´ d’une autre manie`re.
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entie`re re´pond aux accusations de cette nature, et si ce te´moin ne suffit pas, j’invoque sur le fait particulier l’investigation la plus scrupuleuse. Je n’ai rien fait contre le Roi, rien contre la france. Je ne suis d’aucun parti. Je ne puis eˆtre range´ dans aucune classe. L’on prote´ge et l’on favorise des hommes dont la conduite a e´te´ semblable a` la mienne, avec cette diffe´rence qu’ils ont servi quinze ans, celui que j’ai servi deux mois. Leurs intentions e´taient pures, sans doute, mais ils l’ont toutefois servi pendant sa tyrannie, & je ne me suis rattache´ a` lui que parceque’il promettait la liberte´. Je termine ici cette apologie. Si maintenant l’on persiste a` m’e´loigner, je n’offrirai pas a` six cent mille e´trangers1, le spectacle d’un franc¸ais luttant contre le Gouvernement franc¸ais. Quelque peu important que je puisse eˆtre, un proscrit le devient toujours. Quand l’autorite´ est reveˆtue de la ple´nitude d’une puissance e´tablie, le devoir d’un bon citoyen est de re´sister a` l’arbitraire. Mais nous avons assez des maux qui pe`sent sur nous. Dans la de´plorable situation ou` nous sommes, je voudrais que notre Gouvernement put opposer a` l’Europe ligue´e l’union ge´ne´rale et imposante de tous les individus et de toutes les classes : et n’y pouvant contribuer d’une autre manie`re, je ferai du moins ce qui de´pend de moi. – Je sacrifierai mes droits a` ses inquie´tudes.
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L’occupation e´trange`re e´tait massive. BC parle ici de 600.000 hommes, les historiens e´valuent les troupes d’occupation a` plus d’un million de soldats, voire a` plus de 1.200.000 hommes. Voir Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, pp. 146–149.
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[Me´moire apologe´tique adresse´ au roi le 21 juillet 1815] [Deuxie`me version]
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J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris1. Cette invitation a e´te´ reveˆtue des formes les plus douces ; je ne puis que me louer du magistrat qui a duˆ s’en rendre l’organe. L’on a eu soin de me pre´venir que ce n’e´tait point un ordre, que je n’e´tais point exile´, qu’on me donnait un conseil sans l’accompagner d’aucune menace ; qu’on ne m’annonc¸ait aucune rigueur, si je n’y obtempe´rais pas ; que cependant on ne pouvait re´pondre des mesures que le gouvernement jugerait ne´cessaires, en cas de re´sistance ; que j’e´tais sur l’une des listes contenant les noms de ceux qu’on voulait e´loigner, et qu’apre`s cet avis c’e´tait de moi de consulter ma propre prudence2. Je ne veux point ici m’e´riger en rigoriste en fait de constitution. Sans doute cette invitation n’est point re´gulie`re ; mais je dirai de bonne foi que je comprends les inquie´tudes du gouvernement dans les circonstances actuelEtablissement du texte : 1. Imprime´ : Indiscre´tions. 1798–1830. Souvenirs anecdotiques et politiques tire´s du portefeuille d’un fonctionnaire de l’Empire [Pierre-Franc¸ois Re´al], mis en ordre par Musnier Desclozeaux. Paris : Dufey, 1835, t. II, pp. 152–172. [=A3] 2. Manuscrit : [Me´moire apologe´tique] J’ai rec¸u l’invitation de quitter Paris, BnF, NAF 18821, fos 97ro–100vo [=A4]. 5 douces ; je ] douces. Je A4 duˆ ] du A4 8 menace ; qu’on ] menace, qu’on A4 8–9 obtempe´rais pas ; qu’on ] obtemperais pas, qu’on A4 9–10 gouvernement ] Gouvernement A4 10 ne´cessaires, ... que ] ne´cessaires en cas de re´sistance, que A4 11 les noms ] le nom A4 12 cet avis ... consulter ] cet avis, c’e´tait de moi a` consulter A4 14 doute cette ] doute, cette A4 n’est point ] n’est pas A4 15 comprends ] comprens A4 gouvernement ] Gouvernement A4 1
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Rappelons que la structure de cette version du Me´moire apologe´tique est profonde´ment remanie´e par rapport a` celle de la premie`re version donne´e ci-dessus. Les diffe´rences principales sont re´sume´es dans les tableaux pp. 39–40. Nous n’avons pas re´pertorie´ les variantes qui existent entre les deux versions, parce qu’il s’agit de deux textes trop diffe´rents l’un de l’autre. Les circonstances expose´es dans le premier paragraphe de cette apologie trouvent un e´cho dans les Indiscre´tions de Re´al. Celui-ci voit dans les mots de BC un hommage a` la loyaute´ politique de Decazes : «On y [dans les premie`res phrases du texte de BC] verra que M. Decazes lui-meˆme, se souvenant sans doute qu’il e´tait magistrat, jugeait aussi se´ve`rement que les proscrits la mesure qui les frappait, puisqu’il ne la leur pre´sentait que comme un avis, dont il se gardait de prendre la responsabilite´. Cette manie`re d’envisager un pareil acte n’e´tait pas sans courage, il faut le reconnaıˆtre et lui en savoir gre´ tout en le plaignant de la mission dont il e´tait charge´» (pp. 151–152).
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les. Il y a beaucoup de fermentation dans les esprits ; les vexations inse´parables de la pre´sence de six cent mille e´trangers excitent beaucoup de murmures : on croit devoir e´carter ceux qu’on soupc¸onne d’eˆtre me´contens, et l’on me place dans cette cate´gorie. Ces conside´rations m’auraient engage´ a` presser un de´part qui convient sous quelques rapports a` mes affaires particulie`res : mais une difficulte´ s’e´le`ve. Je vais l’exposer avec franchise ; que les hommes impartiaux me jugent. Des journaux, tels qu’on en avait encore vu a` aucune e´poque de la re´volution, bien qu’on en ait vu de plus d’une espe`ce, exigent avec une sorte de fureur l’expulsion d’une classe d’hommes qu’ils de´signent sous le nom de bonapartistes. Il s’ensuit que, pour paraıˆtre bonapartiste, il suffira d’avoir e´te´ e´loigne´ dans ce moment-ci. Puis-je, dois-je, en me soumettant a` une invitation arbitraire, prendre une couleur qui n’est pas la mienne, et qui est odieuse a` toute l’Europe ? L’inconve´nient de la re´sistance sera-t-il plus grand qu’une soumission qui me range, pour jamais peut-eˆtre, dans une classe a` laquelle, si elle existe, je n’appartiens pas ? Je renonce ici a` l’avantage qu’assurent a` tout citoyen la lettre de la loi et la garantie constitutionnelle ; je n’aborde point la question du droit, je me borne a` celle de l’e´quite´. Quelle a e´te´ ma conduite ? et comment cette conduite donnerait-elle au gouvernement l’inte´reˆt de m’e´loigner ? Aussi long-temps que la constitution a e´te´ en force, j’ai taˆche´ d’indiquer quelle devait eˆtre la marche constitutionnelle, et je l’ai fait avec si peu d’amertume, que, tout en relevant ce qui me paraissait fautif dans les actes d’un ministe`re dont on avoue aujourd’hui les fautes, je l’ai de´fendu contre ceux qui l’attaquaient avec trop de violence. Lorsque l’apparition de Bonaparte a mis le gouvernement en danger, je me suis rallie´ a` la royaute´ constitutionnelle avec plus d’e´nergie que personne. Il est impossible de me soupc¸onner d’avoir e´te´ complice de l’arrive´e de Bonaparte, et d’avoir trempe´ dans la conspiration qui l’a ramene´, si une telle conspiration a eu lieu, ce que j’ignore. Mes ennemis meˆme ne m’en accusent pas. Le roi s’est e´loigne´. Je le de´fendais encore le jour de son de´part ; quand ce de´part a e´te´ de´finitif, et plus d’un mois apre`s, j’ai accepte´ de l’autorite´ 1 esprits ; les ] esprits : les A4 3 murmures : on ] murmures. on A4 me´contens, et ] me´contens et A4 7 s’e´le`ve. Je ] s’e´le`ve : je A4 franchise ; que ] franchise, que A4 9 vu ] vus A4 10 vu ] vus A4 12 bonapartistes ] Bonapartistes A4 bonapartiste ] Bonapartiste A4 18 loi ... je ] loi, et la garantie constitutionnelle. Je A4 22 gouvernement ] Gouvernement A4 23 long-temps ] longtems A4 28 gouvernement ] Gouvernement A4 royaute´ ] Royaute´ A4 30 et ] & A4 33 roi ] Roi A4 de´part ; ... et ] de´part. Quand ce de´part a e´te´ de´finitif et A4
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existante une place de conseiller d’e´tat. Je dirai mes motifs ensuite ; ici je ne parle que du fait. L’acceptation d’une place sous le gouvernement de Bonaparte constituet-elle un de´lit ? Je vois une foule d’hommes qui ont accepte´ des places plus e´minentes ou plus actives et que le roi comble de faveurs. Je vois des conseillers d’e´tat maintenus dans leurs fonctions, ou e´leve´s a` des fonctions supe´rieures ; je vois des pre´fets qui l’e´taient sous le roi, qui ont e´te´ appele´s par Bonaparte a` d’autres pre´fectures, et qui sont de nouveau pre´fets sous le roi. Tous e´taient ne´anmoins plus engage´s que moi dans le service du gouvernement royal. Ils lui avaient preˆte´ serment. Ils en ont preˆte´ un second a` Bonaparte. L’on n’a pas cru que ce fuˆt une cause de ne pas en agre´er un troisie`me, et je ne doute pas qu’on ait eu raison. Mais, moi, je n’avais preˆte´ aucun serment, je n’avais pas l’engagement de la reconnaissance, je n’ai rompu aucun lien. Que si l’on pre´tend que le devoir ge´ne´ral de tout citoyen est de ne pas servir une autorite´ ille´gitime, alors ce n’est pas moi seul que l’on accuse, ce ne sont pas seulement les hommes que j’ai indique´s, ce sont tous les tribunaux dont le roi vient pourtant d’agre´er l’hommage, ce sont tous les administrateurs, tous les officiers, tous les ministres. Tel n’est pas le syste`me du gouvernement, ses actes le prouvent. Mais si les administrateurs, les ministres, les juges, sont innocens, bien qu’ils aient administre´ et juge´ sous Bonaparte, je le suis de meˆme. Inde´pendamment de mes fonctions de conseiller d’e´tat, j’ai rempli une autre mission, celle de porter aux ennemis des paroles de paix1. Mais j’e´tais 1 conseiller d’e´tat ] Conseiller d’Etat A4 ensuite ; ici ] ensuite, ici A4 3 gouvernement ] Gouvernement A4 5 actives ... roi ] actives, et que le Roi A4 6 conseillers d’e´tat ] Conseillers d’Etat A4 fonctions, ou ] fonctions ou A4 7 supe´rieures ; ... pre´fets ] supe´rieures. Je vois des Pre´fets A4 roi ] Roi A4 appele´s ] appelle´s A4 8 pre´fectures ] Pre´fectures A4 pre´fets ] Pre´fets A4 9 roi ] Roi A4 11 gouvernement royal ] Gouvernement RoyalA4 12 fuˆt ] fut A4 13 Mais, moi, ] Mais moi, A4 14 serment, je ... je n’ai ] serment : Je ... reconnaissance, – je n’ai A4 17 servir une ] servir sous une A4 19 roi ] Roi A4 20–21 syste`me du gouvernement ] Syste`me du Gouvernement A4 22 juges, sont ] Juges sont A4 24 conseiller d’e´tat ] Conseiller d’Etat A4 25 paix. Mais ] paix : mais A4 1
BC donne ici un de´tail inte´ressant des ne´gociations d’Haguenau qui ne ressort pas des documents que nous avons publie´s (voir OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 955–979). Le roˆle du comte de Laforest, le doyen de la de´le´gation, est d’ailleurs pleinement confirme´ par l’ouvrage anonyme Esquisse historique sur les Cent Jours (1819), auquel BC accorde lui-meˆme une grande fiabilite´ sans en re´ve´ler l’auteur (La Fayette ?). Voir les Me´moires sur les Cent-Jours, pp. 292–293.
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le sixie`me dans cette de´putation. Le premier d’entre nous vient de recevoir du roi une marque de bienveillance1. Or, nous avons e´te´, durant notre courte mission, toujours unanimes. L’aˆge et l’expe´rience de M. de La Foreˆt le mettaient a` notre teˆte. Il a plus parle´ qu’aucun de nous ; nous ne l’avons jamais contredit, nous l’avons souvent appuye´ ; ses paroles n’e´taient point coupables puisqu’il jouit de la faveur du monarque ; les noˆtres, qui n’ont e´te´ que le commentaire des siennes, sont donc tout aussi innocentes. L’invitation de m’e´loigner de Paris, ne peut donc eˆtre motive´e, ni sur ma place de conseiller d’e´tat, ni sur ma mission de ple´nipotentiaire. L’est-elle sur l’usage que j’ai fait de l’influence tre`s-borne´e que pouvaient me donner quelques conversations avec Bonaparte ? Je ne sais si j’ai eu de l’influence : ce que je sais, c’est que je n’ai dit a` l’homme qui gouvernait alors la France que ce qui pouvait le disposer a` la mode´ration. Ce que je sais, c’est que la moindre annonce de rigueur contre des hommes que je ne connaissais pas, et que je devais supposer eˆtre mal pour moi, provoquait de ma part les de´clarations les plus positives, ce qui peut-eˆtre alors n’e´tait pas sans quelque courage. Ce que je sais, c’est qu’en parlant, par exemple, de M. de Vittrolles que je n’ai jamais vu, que je ne verrai probablement jamais, je dis a` Bonaparte que, si une goutte de sang e´tait verse´e, aucun homme honorable ne pourrait rester en place. Je pourrais citer plusieurs personnes a` qui j’ai re´pe´te´ la meˆme chose en public. Le hasard m’a conserve´ une preuve des sentimens que j’ai toujours montre´s dans une situation assez difficile. C’est une re´ponse du duc d’Otrante a` un billet que je lui e´crivis, lors de l’abominable arreˆte´ d’un lieutenant de police dans les de´partemens de l’Ouest. Je lui avais exprime´ mon de´sespoir, mon impossibilite´ de rester associe´ a` un gouvernement qui permettait de telles mesures, ma volonte´ de me retirer et meˆme de ne plus e´crire sous un pareil re´gime. 2 roi ] Roi A4 avons e´te´ ... toujours ] avons, durant ... mission, e´te´ toujours A4 3 M. de La Foreˆt ] Mr. de la foreˆt A4 4 nous ; nous ] nous. Nous A4 5 appuye´ ; ses ] appuye´ : Ses A4 6 coupables puisqu’il ] coupables, puisqu’il A4 monarque ; ... n’ont e´te´ ] monarque. Les noˆtres qui n’e´taient A4 8 motive´e, ni ] motive´e ni A4 9 conseiller d’e´tat ] conseiller d’Etat A4 ple´nipotentiare ] Ple´nipotentiaire A4 10 tre`s-borne´e ] tre`s borne´e A4 11 sais ... ce ] sais, si j’ai eu de l’influence ; ce A4 12 France ] france A4 13 disposer ... Ce ] conduire a` la mode´ration. – Ce A4 17 qu’en parlant ... Vittrolles que ] qu’en le verbe omis par inadvertance par exemple, M. de Vitrolles, que A4 23 duc d’Otrante ] Duc d’Otrante, A4 24 lieutenant ... Je ] Lieutenant de Police dans les De´partements de l’ouest ; Je A4 26 gouvernement ] Gouvernement A4 1
Allusion a` la nomination du comte Laforest a` la pre´sidence du colle`ge e´lectoral du de´partement du Loir-et-Cher. Il sera e´lu a` la Chambre. Voir le Journal des De´bats du 16 juillet 1815.
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Voici sa re´ponse : je la transcris parce qu’elle ne peut que faire honneur a` ce ministre, dont tant de gens, a` tant d’e´poques, ont eu a` se louer1. «Je viens de lire l’article dont vous me parlez, je ne puis vous exprimer l’impression que m’a faite l’arreˆte´ du lieutenant de police ***. Vous en jugeriez facilement si vous aviez connaissance du rapport que j’ai remis a` l’empereur, et des mesures que je lui ai propose´es. Les de´partemens de l’Ouest ont encore plus besoin que les autres d’une justice re´gulie`re et du respect des lois. Les mesures violentes, loin de vaincre les re´sistances, en font e´prouver de nouvelles et leur donnent plus de force. – Continuez votre ouvrage, ne vous de´couragez pas. Venez me parler. Mille amitie´s. Le duc d’Otrante.» Quand il s’est agi des individus, j’ai suivi la meˆme direction : elle a e´te´ celle de toute ma vie. − Je ne citerai qu’un fait. − M. de Jacquemont, gardedu-corps de Monsieur, que je ne connaissais que parce que sa famille habite la Franche-Comte´, pre`s des proprie´te´s qu’y posse´dait mon pe`re, e´tait inquie´te´ pour un passe-port, qu’on ne voulait lui de´livrer que s’il preˆtait le serment prescrit. Ce serment geˆnait sa conscience. J’ai toujours compris, j’ai toujours approuve´ tous les genres de scrupules ; je demandai avec instance qu’on le dispensaˆt du serment, et que le passe-port qu’il de´sirait lui fuˆt de´livre´, ce que j’obtins. Enfin, dans la grande crise de l’abdication, quelle a e´te´ ma conduite ? Je savais qu’en acceptant une place, j’avais attire´ sur moi la haine de ceux qui allaient he´riter du pouvoir de Bonaparte, s’il le de´posait. Ma fortune et mon ambition, si je n’avais eu en vue que mon ambition et ma fortune, e´taient attache´es a` ses succe`s : et, quoi qu’on en dise, il avait encore assez de ressources. Les re´sistances qui survivent a` son existence politique le prouvent du reste. Je n’en ai pas moins e´te´ l’un de ceux qui l’ont exhorte´ le plus vivement a` de´poser le pouvoir, et mon opinion n’a peut-eˆtre pas e´te´ sans quelque influence sur la de´termination qu’il a prise. Je me rappelle que, tandis que nous en causions sur la terrasse de l’Elyse´e, une grande foule e´tait dans l’alle´e de Marigny, et, pendant que je m’efforc¸ais de 1 re´ponse : je ] re´ponse. Je A4 3 parlez, je ] parlez. Je A4 4 lieutenant de policie ] Lieutenant de Police A4 6 l’empereur, et ] l’Empereur et A4 7 Ouest ] ouest A4 8 violentes, ... e´prouver ] violentes loin de vaincre les re´sistances en font naıˆtre A4 9 force. – Continuez ] force. Continuez A4 12 direction : elle ... Monsieur, ] direction. Elle ... vie. Je 15 Franche-Comte´, ] ne ... fait. Mr de Jacquemont, garde du corps de monsieur, A4 Franche-Comte´ A4 16 passe-port, qu’on ] passeport qu’on A4 18 approuve´ ... sans autre examen ] grande lacune dans A4 cause´e par la perte d’une double feuille 1
Sur la tactique de BC, voir ci-dessus, p. 51, n. 1.
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le convaincre qu’il ne pouvait plus re´gner, cette foule interrompait de loin chacune de mes phrases par des cris de vive l’empereur ! Vous les entendez, me dit-il : qu’est-ce qui m’empeˆ cherait de contraindre les Chambres a` se se´parer ? – Vous le pouvez, re´pondis-je, mais vous ne gouvernerez pas quatre jours apre`s. – J’ai lieu de croire que cette phrase lui fit impression, car il la re´pe´ta trente fois a` quelques personnes survenues durant la conversation. J’ajouterai ici (car je n’ai la volonte´ de rien de´guiser) qu’en le pressant de la sorte d’abdiquer je me demandais s’il e´tait permis de donner a` un homme ce qui pour lui e´tait un mauvais conseil. Il pouvait encore soulever, en creusant, bien des e´le´ments de de´sordre, et c’e´tait son inte´reˆt manifeste. Mais les maux qu’il aurait cause´s, le pillage de Paris, la prolongation de la guerre, qui cesserait, disait-on, de`s que Bonaparte n’occuperait plus le troˆne, e´taient des conside´rations trop de´cisives. Je sentais, cependant, qu’en cherchant a` le rassurer sur son avenir, je risquais de le tromper, en me trompant moi-meˆme. Je ne sais si l’on me fera un crime d’un scrupule que j’ai surmonte´ ; mais je l’avoue, puisque je l’e´prouvais. Je crois surtout de mon devoir de l’avouer dans un moment ou` Bonaparte est captif et sans de´fense. Je de´sire que l’on sache qu’il pouvait faire beaucoup de mal, qu’on lui a retrace´ le tableau de ce mal qu’il pouvait faire, et qu’il y a renonce´. Chacun jugera comme il voudra ce dernier te´moignage d’un homme qui a regarde´ son arrive´e comme un grand malheur, qui verrait dans son retour, s’il e´tait possible, un malheur plus grand encore, mais qui, ayant consenti a` se rapprocher de lui pendant deux mois de sa prospe´rite´ apparente, ne peut eˆtre indiffe´rent de son sort dans l’infortune. Tels sont le de´tails de mes actions. Je passe aux motifs qui m’ont de´cide´ a` prendre la re´solution subite d’accepter des fonctions sous Bonaparte, tandis que j’avais lutte´ contre lui sans interruption durant quinze anne´es. Quand il fut arrive´ a` Paris, quel se trouva eˆtre l’e´tat de la nation ? Tous ses organes e´taient disperse´s, une dictature sans bornes e´tait dans la main d’un seul homme. Il n’y avait plus de corps interme´diaires, plus de repre´sentation nationale. Les proclamations du golfe de Juan, les de´crets de Lyon, annonc¸aient un despotisme que rien ne pouvait arreˆter. Bonaparte me fit appeler, sans que je l’eusse sollicite´, et dans un moment ou`, revenu a` Paris faute d’avoir pu franchir la frontie`re, je me pre´parais a` un nouveau de´part. Je le trouvais he´sitant entre la continuation de la dictature et une organisation constitutionnelle. Je vis la possibilite´ de rendre a` la France des repre´sentans, des interpre`tes, des de´fenseurs. De`s lors je ne balanc¸ai plus. Je re´digeai en grande partie cet acte additionnel, qui contenait d’assez bonnes choses, quelque mal qu’on ait pu en dire, cet acte additionnel dont M. de Chaˆteaubriand lui-meˆme a imprime´ qu’il renfermait plusieurs des ame´liorations que Louis XVIII avait me´dite´es. Mais mon ide´e dominante, mon ide´e
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unique e´tait de diviser le pouvoir concentre´ dans les mains de Bonaparte, et j’aurais attache´ mon nom a` une constitution cent fois plus mauvaise, pourvu qu’elle euˆt re´tabli deux chambres, et mis un terme au silence auquel la nation e´tait re´duite. Et, je le demande, ai-je eu tort ? Qui peut calculer ce qui serait arrive´ si Bonaparte se fuˆt de´cide´ pour la dictature ? Le chambres n’ont-elles pas, de`s l’origine, limite´ sa puissance, re´clame´ pour la liberte´ individuelle, empeˆche´ de la sorte beaucoup de mal, qu’on ne peut indiquer avec pre´cision, parce qu’on ne peut de´tailler ce qui est ne´gatif, mais que tout homme e´claire´ sent et que tout homme de bonne foi doit reconnaıˆtre ? Enfin, ne sont-ce pas les chambres qui l’ont force´ d’abdiquer quand il ne pouvait se maintenir qu’en e´branlant l’e´tat social dans toutes ses bases ? Dans tout ce que j’ai fait, j’ai voulu la liberte´, je n’ai voulu qu’elle, et, puisque je suis force´ de parler de moi, qu’il me soit permis de citer un fait qui de´montre assez le motif qui me dirigeait dans cette hasardeuse entreprise. Un jour (c’est la seule fois, je dois le dire, durant les deux mois pendant lesquels j’ai vu Bonaparte), un jour je le trouvai impatient du frein de la loi, et j’aperc¸us en lui des retours de tyrannie. En sortant de chez lui je pris a` part l’homme de France dont l’amitie´ m’est la plus pre´cieuse, et dont le nom re´unit tous les nobles souvenirs de notre re´volution, depuis vingtcinq ans. Je suis entre´, lui dis-je, dans une route sombre et douteuse, et je crains d’avoir conc¸u un projet au-dessus de mes forces. Je vois l’empereur revenir par momens a` d’anciennes habitudes qui m’effraient. Il a pour moi de la bienveillance, et j’en suis reconnaissant. Peut-eˆtre ne serais-je pas longtemps impartial. On ne peut gue`re, aupre`s du pouvoir, re´pondre de soi-meˆme. Souvenez-vous de ce que je vous dis maintenant. Surveillez-le, et, si jamais il vous paraıˆt marcher au despotisme, ne croyez plus ce que je vous dirai par la suite. Ne me confiez rien, agissez sans moi, et contre moi-meˆme. L’homme a` qui j’ai fait cette confidence et que j’ai suffisam ment de´signe´ peut certifier la ve´rite´ de mon re´cit. Je le re´pe`te, je ne me suis rallie´ a` Bonaparte que lorsque j’ai cru que je le fortifierais dans l’ide´e d’appeler autour de lui une repre´sentation libre et nombreuse, et si j’ai, comme je le pense, contribue´ a` l’y de´cider, si j’ai acce´le´re´ l’e´poque ou` cette repre´sentation s’est rassemble´e, et ou` il n’a plus e´te´ le seul maıˆtre de toutes les destine´es, je crois avoir rendu a` la France un assez grand service. Un autre motif cependant se joignait a` celui-la`. Il est peut-eˆtre dangereux de l’e´noncer, mais qu’importe ? Lorsque j’avais par mes e´crits de´fendu le roi, jusqu’au dernier moment de son se´jour a` Paris, il e´tait entoure´ d’autres Franc¸ais qui promettaient comme moi de le de´fendre. Le drapeau national n’e´tait recouvert par aucune couleur e´trange`re. On pouvait se serrer autour de ce drapeau sans mettre en
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danger l’inde´pendance de la patrie. Quand Bonaparte se fut assis sur le troˆne, je vis des Autrichiens, des Prussiens, des Anglais et des Russes, s’avancer en armes contre la France. Je sais qu’on peut dire que Bonaparte en e´tait la cause : mais ils y e´taient, et le premier point me parut eˆtre de les repousser. J’ai toujours conc¸u toutes les opinions : j’ai compris qu’on vouluˆt la monarchie ou la re´publique ; la le´gimite´ e´manant de la naissance ; ou la liberte´ fonde´e sur un pacte. Mais il y a pour moi une condition essentielle devant laquelle tout disparaıˆt. J’exprime ce que je sens, je ne blame personne ; cette condition c’est l’inde´pendance nationale, c’est l’e´loignement de toute intervention e´trange`re, parce que sans cette inde´pendance, avec cette intervention, il n’y a plus ni monarchie, ni re´publique, ni sucession re´gulie`re, ni pacte, ni constitution, ni liberte´. J’ai donc regarde´ ou` e´tait l’e´tranger, et sans autre examen je me suis range´ dans le parti contraire. J’aurais avec transport de´fendu le roi, si le 20 mars il euˆt daigne´ m’appeler aux Tuileries ; mais je n’aurais pas combattu avec moins d’ardeur le 18 juin, si j’avais eu l’honneur d’eˆtre dans les rangs de l’arme´e franc¸aise. L’on peut me condamner comme m’e´tant laisse´ effrayer par des craintes chime´riques. J’aime a` l’espe´rer. J’aime a` croire que j’avais tort de redouter qu’une coalition, re´unie seulement contre Bonaparte, ne fıˆt peser sur la France les maux de la guerre, lorsque Bonaparte ne re`gnerait plus. Mais, quand l’e´ve´nement aura prouve´ que mes appre´hensions e´taient exage´re´es, elles seront encore excusables. Si je m’en croyais, je conclurais ici ma justification. Car il me re´pugne de re´futer une fable que ne croient pas ceux qui la re´pandent. L’on a pre´tendu que j’avais rec¸u de Bonaparte, inde´pendamment de ma nomination au conseil d’e´tat, des faveurs pe´cuniaires. Le fait est faux. Je ne sais ce qu’aurait fait pour moi Bo naparte, si j’eusse desire´ de pareilles faveurs ; mais l’ide´e ne m’en est pas venue. J’invoque a` cet e´gard l’investigation la plus rigoureuse, et puisqu’il est question de calculs d’inte´reˆt, je citerai encore un fait,
15 roi, si le 20 ] Roi, si le vingt A4 16 Tuileries ; mais ] Tuileries : mais A4 17 18 juin ] dix huit juin A4 20 chime´riques. J’aime ] chime´riques. – J’aime A4 21 coalition, ... ne fıˆt ] coalition re´unie seulement contre Bonaparte ne fit A4 22 France ] france A4 28 conseil d’e´tat ] conseil d’Etat A4 25 justification. Car ] justification, car A4 29 faveurs ; mais ] faveurs. Mais A4 30 pas venue. ... l’investigation ] pas plus venue cette fois, que lorsqu’il disposait encore plus des tre´sors du monde, et que dans le Tribunat je me suis oppose´ a` lui. Ma vie entie`re re´pond aux accusations de cette nature, et si ce te´moin ne suffit pas, j’invoque sur le fait particulier l’investigation A4 31 – p. 63.9 et puisqu’il est ... a` Paris. ] ce passage ne figure pas dans A4
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quoiqu’il n’ait pas de rapports avec Bonaparte ; mais le caracte`re d’un homme est toujours le meˆme a` certains e´gards, et celui qui e´tait hier de´sinte´resse´ ne devient pas avide aujourd’hui. L’un des souverains que les dernie`res re´volutions ont renverse´ me fit proposer, il y a six mois, de passer a` son service, et de de´fendre ses inte´reˆts au congre`s de Vienne1. Il m’offrit des appointemens tre`s-conside´rables. Je refusai. Il voulut m’attacher a` lui par des libe´ralite´s sans conditions. Une somme assez forte fut de´pose´e chez moi pendant quelques heures : je la renvoyai. Les te´moins de ce fait existent a` Paris. Je termine ici cette apologie. Je n’ai rien fait contre le roi, rien contre la France. Je ne suis d’aucun parti. Je ne puis eˆtre range´ dans aucune classe. L’on prote´ge et l’on favorise des hommes dont la conduite a e´te´ semblable a` la mienne, avec cette diffe´rence qu’ils ont servi quinze ans celui que j’ai servi deux mois. Leurs intentions e´taient pures sans doute : mais ils l’ont toutefois servi pendant sa tyrannie, et je ne me suis rattache´ a` lui que parce qu’il promettait la liberte´. Je re´pe`te la question par laquelle j’ai commence´ : il est certainement inconstitutionnel de m’exiler : mais, de plus, n’est-il pas injuste de me donner par cette mesure une couleur qui n’est pas la mienne, et de me ranger, aux yeux de l’Europe, dans une classe, a` laquelle, si elle existe, je n’appartiens pas ? Si maintenant on persiste, je ne veux pas offrir a` six cent mille e´trangers le spectacle d’un Franc¸ais luttant contre le gouvernement franc¸ais. Quelque peu important que je puisse eˆtre, un proscrit le devient toujours. Quand l’autorite´ est reveˆtue de la ple´nitude d’une puissance e´tablie, le devoir d’un bon citoyen est de resister a` l’arbitraire. Mais nous avons assez des maux qui pe`sent sur nous. Dans la de´plorable situation ou` nous sommes, je voudrais que notre gouvernement puˆt opposer a` l’Europe ligue´e l’union ge´ne´rale et imposante de tous les individus et de toutes les classes : et, n’y 10 Je termine ici cette ] Je termine enfin cette A4 roi ] Roi A4 14 mois. Leurs ] mois. – Leurs A4 doute ; mais ] doute, mais A4 17 commence´ : il ] commence´. Il A4 18 mais, de plus, ] mais de plus A4 21 pas ? ] pas. A4 23 Franc¸ais ] franc¸ais A4 gouvernement ] Gouvernement A4 27 pe`sent ] pesent A4 28 gouvernement ... ligue´e ] Gouvernement put opposer a` l’Europe ligue´e, A4 29 et, n’y ] et n’y A4 1
Allusion a` l’engagement de BC pour la cause de Joachim Murat, roi de Naples. On sait que cette affaire est le de´but de la passion de Constant pour Juliette Re´camier. La restitution de la somme importante que le diplomate napolitain Skinina lui avait donne´e comme re´compense pour ses services est atteste´e par le journal intime, 12 de´cembre 1814, et par la lettre que BC e´crit le 11 de´cembre au banquier Re´camier lorsqu’il lui retourne l’argent. Pour plus de de´tails, voir les textes de l’affaire de Naples dans OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 191–267.
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pouvant contribuer d’une autre manie`re, je ferai du moins ce qui de´pend de moi. Je sacrifierai mes droits a` ses inquie´tudes. Signe´ Benjamin de Constant. Paris, 21 juillet 1815.
3 Signe´ ... 1815. ] manque dans A4
Article pour L’Inde´pendant Un membre de l’ancienne Chambre des de´pute´s 31 juillet 1815
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Introduction
Ceci est le premier d’une quinzaine d’articles connus que Benjamin Constant publiera entre la fin juillet et le 31 octobre 1815, jour de son de´part pour l’Angleterre. Tous les articles sont anonymes ou signe´s d’initiales sans rapport e´vident avec le nom de l’auteur, quoique non sans rapport avec sa vie, comme on le devine en regardant la signature appose´e a` la fin de ce premier article. L’anonymat est plus qu’un jeu spirituel dans ces mois marque´s par la Terreur blanche, par l’esprit de vengeance des royalistes, par les grands proce`s militaires, par les discussions ide´ologiques et enfin par l’occupation. Dans cet article, Constant part d’un fait divers qu’il a trouve´ probablement dans le Journal des De´bats1, non pour le discuter, mais pour de´velopper un des arguments centraux de son Me´moire apologe´tique. Il s’agit effectivement de justifier le comportement politique de tous ceux qui ont accepte´ des fonctions publiques pendant les Cent-Jours, en l’occurence celle d’un de´pute´ de la Chambre des repre´sentants. Cette de´cision peut eˆtre, en de´pit de l’ordonnance royale du 20 mars de´clarant toute re´union des Chambres non autorise´e par le roi «nulle et illicite», non seulement de´fendable mais encore acte de civisme. L’argument de´cisif qui conditionne cette opinion n’est pas exprime´ dans cet article. Il se trouve e´bauche´ dans le Me´moire apologe´tique et de´veloppe´ dans les Me´moires sur les Cent-Jours, ou` Constant sugge`re que la disparition du pouvoir e´tabli cre´e une situation nouvelle. Il commence la deuxie`me partie de cet ouvrage avec un chapitre sur l’e´tat de la France apre`s le de´part du roi, e´voquant l’absence d’un pouvoir le´gitime et la menace de dangers imminents ; surtout la dictature et l’invasion. C’est ce qui de´termina alors sa de´cision de se rallier a` l’empire. Les meˆmes raisons sont a` e´voquer ici. Sous la pression de telles menaces, l’engagement pour l’empire peut eˆtre conside´re´ comme la manifestation d’une responsabilite´ politique. Car il contribue a` donner au nouveau re´gime impe´rial des formes constitutionnelles, ou a` les fortifier, si elles existent de´ja`, pour contrebalancer la menace d’une dictature qui s’annonc¸ait effectivement dans les proclamations napole´oniennes faites a` partir de son de´barquement a` Golfe Juan, et plus encore dans ses de´crets de Lyon «ou` Napole´on agit en chef d’E´tat2». Selon Constant, l’existence de structures 1 2
Voir ci-dessous, p. 69, n. 1. Harpaz souligne (Recueil d’articles, 1795–1817, p. 203, n. 3) a` juste titre l’importance des
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politiques inde´pendantes de la volonte´ de l’empereur, des repre´sentants qui ne sont pas «des instruments passifs1», e´tait une des conditions primordiales pour sauver la France au moment de la grande crise de l’abdication. Meˆme si cette vision des choses est peut-eˆtre trop optimiste parce qu’elle fait abstraction du cours des e´ve´nements et en particulier des intrigues de Fouche´, et meˆme si ce mode`le ne permet pas de de´velopper une explication satisfaisante de la crise qui a de´cide´ du sort de l’empereur, elle a une signification politique e´vidente dans le contexte ou` paraıˆt l’article : c’est, d’une part, l’occupation («six cent mille spectateurs»), et de l’autre, la re´action ultra-royaliste qui mine l’unite´ nationale en sugge´rant «que la nation est en hostilite´ contre elle-meˆme»2. Les ultras sont donc vise´s dans ce texte, reprise d’une longue pole´mique contre un adversaire redoutable. Constant y reviendra triomphalement en novembre 1816 lorsqu’il publiera son ouvrage De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France. L’attribution de cet article a` Constant ne fait pas de doute. Une note du journal intime du 28 juillet le mentionne, et les recoupements textuels avec le Me´moire apologe´tique, le paralle´lisme des arguments de´veloppe´s dans ce dernier texte, dans les Me´moires sur les Cent-Jours et dans l’article le`ve les derniers doutes. E´tablissement du texte Imprime´ : [Un membre de l’ancienne Chambre des depute´s], L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 92, 31 juillet 1815, pp. 2b–3b. Courtney, Guide, D53. L’article a e´te´ re´e´dite´ par E´phraı¨m Harpaz dans Recueil d’articles, 1795– 1817, pp. 200–203. K. K.
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de´crets de Lyon : «le 13 mai, il licencie les Suisses et la Maison du roi, re´tablit le drapeau tricolore, abolit la cocarde blanche et les ordres du lys, restitue aux le´gionnaires leurs traitements et leurs droits, annule les changements faits dans les tribunaux et les nominations de l’arme´e et la Le´gion d’honneur, met le se´questre sur les biens des Bourbons ; puis il convoque les colle`ges e´lectoraux pour le mois de mai a` Paris, abolit la Chambre des Pairs, dissout la Chambre des De´pute´s, expulse les e´migre´s, rentre´s irre´gulie`rement, annule la loi du 5 de´cembre 1814 qui avait rendu aux e´migre´s les biens nationaux non vendus.» Ces mesures annoncent bien, comme le dit Constant, le retour a` la dictature. Voir Fe´lix Ponteil, La chute de Napole´on I er, 1943, p. 205. Voir ci-dessous, p. 72. Voir ci-dessous, p. 73.
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Un membre de l’ancienne chambre des de´pute´s s’est cru oblige´ de faire connaıˆtre au public qu’il n’avait point accepte´ sa nomination a` la chambre des repre´sentans1. L’on a conteste´ le fait. Mais la ve´rite´ de ce fait m’est indiffe´rente. Si l’assertion de ce de´pute´ est exacte, et qu’il ait agi d’apre`s sa conscience, il a eu raison. La conscience est chose rare : je la respecte, meˆme de´place´e, parce que c’est une chance pour qu’elle se retrouve quand elle sera mieux a` sa place. Mais je me propose d’examiner la the´orie d’apre`s laquelle on condamne ceux qui n’ont pas eu de pareils scrupules. Aurait-il e´te´ plus utile a` l’ordre social et a` la France, que tout le monde euˆt refuse´ de sie´ger sous Bonaparte parmi les repre´sentans du peuple ? Voyons, pour prononcer a` cet e´gard, quelle e´tait la situation de notre pays a` l’e´poque ou` la chambre des repre´sentans fut convoque´e par l’homme qui avait ressaisi le sceptre, et quel aurait, suivant toutes les vraisemblances, e´te´ le re´sultat d’un refus. Louis XVIII, en partant de Paris, avait ordonne´ la dissolution de la chambre e´lective, et l’ajournement de la chambre he´re´ditaire2. Bonaparte,
E´tablissement du texte : Imprime´ : L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 92, 31 juillet 1815, pp. 2b–3b. 1
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Il s’agit du de´pute´ Hyacinthe-Adrien-Joseph Chapuy (1764–1817), sous l’Empire (depuis le 6 germinal an XI) repre´sentant du de´partement de Vaucluse au Corps le´gislatif. Il e´crit dans la lettre adresse´e au Journal des De´bats (26 juillet 1815) et signe´e «Chappuis» : «Nomme´ [a` la Chambre des Repre´sentants], en mon absence, et a` mon insu, je n’ai point accepte´ un mandat que j’ai regarde´ comme incompatible avec celui qui me donnoit droit de sie´ger a` la Chambre des De´pute´s». Ce Chappuis se de´signe comme «ex-de´pute´ du de´partement de Vaucluse», ce qui permet de l’identifier avec le Chapuy du Dictionnaire des parlementaires franc¸ais. L’ordonnance royale du 19 mars 1815 est ainsi conc¸ue : «Article premier. Aux termes de l’article 50 de la Charte constitutionnelle, et de l’article 4 du titre 2 de la loi du 14 aouˆt 1814, la session de la Chambre des pairs et celle de la Chambre des de´pute´s des de´partements pour l’anne´e 1814 sont de´clare´es closes. Les pairs et les de´pute´s qui les composent se se´pareront a` l’instant. / Art. 2. Nous convoquerons une nouvelle session de la Chambre des pairs et la session de 1815 de la Chambre des de´pute´s. Les pairs et les de´pute´s des de´partements se re´uniront le plus toˆt possible au lieu que nous indiquerons pour le sie`ge provisoire de notre gouvernement. / Toute assemble´e de l’une et l’autre Chambre qui aurait lieu ailleurs sans notre autorisation est, de`s a` pre´sent, de´clare´e nulle et illicite.» (Moniteur, no 79, 20 mars 1815, p. 321c).
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arrivant de l’ıˆle d’Elbe, les avait frappe´es toutes deux d’un arreˆt de destruction1. Tous les organes de la nation e´taient disperse´s, une dictature sans bornes e´tait dans la main d’un seul homme. Il n’y avait plus de corps interme´diaires, plus de repre´sentation nationale. Les proclamations du golfe de Juan, les de´crets de Lyon annonc¸aient un despotisme pareil a` celui sous lequel la France avait ge´mi durant douze anne´es. Le de´positaire de ce despotisme s’arreˆte tout-a`-coup2 : il calcule son inte´reˆt ; il voit que sa puissance, de´pouille´e du prestige de la conqueˆte, ne peut plus eˆtre illimite´e. Il s’aperc¸oit des progre`s que l’esprit public avait faits malgre´ les fautes du ministe`re, durant les douze mois qui avaient suivi la restauration. Il sent que n’ayant plus le moyen d’e´blouir son peuple par des victoires, ou meˆme de le distraire par des revers lointains, il ne peut plus le maintenir dans cette agitation exte´rieure, qui produisait au-dedans la re´signation par la lassitude ; il embrasse un nouveau syste`me, il propose une constitution qui laisse aux choix nationaux beaucoup d’inde´pendance, et qui donne a` la repre´sentation une telle puissance, soit par le nombre, soit par les pre´rogatives, que le despotisme devient impossible avec un pareil instrument, a` moins qu’il ne le brise, expe´dient toujours hasardeux, meˆme pour les princes les plus absolus. Fallait-il maintenant que ceux que l’e´lection populaire appelait dans l’assemble´e, seule autorite´ rivale de celle de Bonaparte, refusassent d’y sie´ger ? Ne l’auraient-ils pas autorise´ et meˆme contraint, par ce refus, a` prolonger sa dictature ? Qui peut calculer ce qui serait arrive´, s’il se fuˆt de´cide´ pour ce parti ? Ce qui est bizarre, c’est que ceux qui accusent avec le plus d’amertume les repre´sentans qui ont accepte´, sont les meˆmes hommes qui pre´tendent que la faction de Bonaparte est active et nombreuse, que l’arme´e est anime´e pour lui d’un de´vouement fanatique, et que les classes infe´rieures de la socie´te´ renferment une foule d’individus, ivres d’e´galite´, alte´re´s de pillage, et preˆts a` seconder de leur fureur redoutable le chef qui satisferait leur orgueil et qui assouvirait leur avidite´3. Je crois chacune de ces assertions 1
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Allusion au 9e de´cret de Lyon, date´ du 13 mars 1815, qui dissolut les deux chambres et convoqua les de´pute´s des colle`ges e´lectoraux a` Paris pour le mois de mai, en assemble´e extraordinaire du champ de mai pour de´libe´rer sur des changements a` apporter a` la constitution et pour assister au couronnement de l’Impe´ratrice et du roi de Rome. Voir Nettement, Histoire de la Restauration, t. II, pp. 84–86. On consultera, pour avoir une analyse plus de´taille´e et plus nuance´e de cette e´volution de la politique de Napole´on, les Me´moires sur les Cent-Jours, deuxie`me partie, lettre VII, pp. 248– 251. Nettement, Histoire de la Restauration, t. III, pp. 128–130, parle d’une disposition de l’esprit public qui est caracte´rise´ par la de´fiance, par la conviction d’avoir e´te´ victime d’un
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fort exage´re´e ; mais ceux qui les adoptent et qui les re´pe`tent doivent admettre leurs conse´quences ; or, de toutes leurs conse´quences, la plus manifeste, c’est qu’il e´tait urgent d’opposer a` de pareils e´le´mens de de´sordre et de tyrannie une autorite´ civile et re´gulie`re, qui puˆt faire entendre le´galement la voix de la raison, de la mode´ration et de la justice. Ce qui est un devoir pour un citoyen est un devoir e´galement pour tous ceux qui se trouvent dans la meˆme position. D’apre`s la rigueur du principe qu’on veut e´tablir, il n’y aurait donc point eu de repre´sentation en France. Bonaparte euˆt gouverne´ seul, avec ses partisans, que l’on peint sous des traits si funestes ; avec ses fe´de´re´s1, dont on nous fait un tableau si effrayant ; avec ses soldats, qu’on accuse de n’avoir plus aucun sentiment de patriotisme et de morale. Est-ce la` ce que regrettent ceux qui voudraient que nos repre´sentans eussent refuse´ la mission que le peuple leur offrait ? Encore une fois, je n’admets point les fantoˆmes que l’esprit de parti veut e´voquer pour nous faire peur. Parmi les hommes qui ont servi Bonaparte, j’en connais, et dans le nombre se rencontrent peut-eˆtre les plus attaque´s, j’en connais, dis-je, qui n’ont parle´ ni agi que pour inculquer et faire pre´valoir l’e´quite´ et la douceur. Les fe´de´re´s sont des citoyens laborieux, ze´le´s, un peu cre´dules, qui ont ce´de´ d’une part a` un mouvement tre`s-honorable, le de´sir de repousser les e´trangers loin de nos frontie`res, et de l’autre a` cet esprit d’imitation, qui fait partie de notre caracte`re, et par suite duquel chacun, place´ dans une situation, dit ce que la situation indique, et, pour me servir d’une expression de the´aˆtre, re´pond comme un acteur au mot de re´clame ; ce qui fait que les masses paraissent tantoˆt jacobines et tantoˆt contre-re´volutionnaires, sans qu’il y ait, au fond, trace de jacobinisme ou volonte´ de contre-re´volution. Nos soldats ne sont point des ennemis de la France ; ils ne sont point e´trangers aux vertus sociales, et, sous le rapport de la discipline et du respect des lois, ils peuvent, j’ose le dire, soutenir toute comparaison avec les soldats des arme´es e´trange`res. Je les vois avec plaisir se re´concilier a` la cause royale, et devenir les soutiens du troˆne constitutionnel. Car, je l’avoue, sans vouloir faire injure a` personne, si jamais le roi se trouve attaque´, j’aimerais mieux qu’il ait pour de´fenseurs ceux qui ont combattu le 18 juin au Mont Saint-Jean, que ceux qui lui avaient promis leur ze`le, aux Tuileries, le 20 mars. 28 du respect ] la source porte dn respect
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complot bonapartiste, par la honte de voir la France vaincue une nouvelle fois. Ces sentiments ne disparaissent pas si vite. Une analyse analogue de l’esprit public autour des e´lections de 1815 donne les meˆmes re´sultats. Voir Nettement, Histoire de la Restauration, p. 269. Sur les fe´de´rations de 1815, des mouvements patriotiques qui se cre´ent dans beaucoup de villes de la France et se constituent en cercles, qui sont parfois arme´es et se proposent de soutenir l’Empereur en affichant un esprit re´volutionnaire, on consultera l’ouvrage de Fe´lix
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Mais je raisonne toujours dans l’hypothe`se de ceux que je re´fute, et je dis : Plus vous croyez apercevoir que Bonaparte dictateur aurait eu des moyens terribles, plus vous devez be´nir les chambres qui ont taˆche´ de faire de Bonaparte un gouvernant constitutionnel. Que l’on ne chicane pas sur ce mot. La constitution n’a pas e´te´ scrupuleusement observe´e. Il y a eu des vexations dans plusieurs provinces ; mais il y a eu certainement beaucoup moins de mal que s’il n’avait existe´ aucune constitution. Les chambres ont, de`s l’origine, limite´ la puissance de Bonaparte ; elles ont re´clame´ pour la liberte´ individuelle ; elles ont empeˆche´ mille violences qu’on ne peut indiquer avec pre´cision, parce que rien ne constate qu’une chose qui n’a pas e´te´ faite ait ne´anmoins e´te´ voulue ; mais tout homme e´claire´ sent, et tout homme de bonne foi reconnaıˆt ce que j’affirme. Enfin, ne sont-ce pas les chambres qui ont force´ Bonaparte d’abdiquer, quand il ne pouvait se maintenir qu’en e´branlant l’e´tat social dans toutes ses bases ? Euˆt-il mieux valu, je le demande encore, qu’il n’y euˆt point eu de chambres ; que Bonaparte, revenant apre`s sa de´faite, n’euˆt point rencontre´ de re´sistance, et n’euˆt eu a` de´battre nos destine´es, le sort de Paris, celui de tout l’empire, qu’avec des instrumens passifs, aussi terribles dans l’exe´cution que dociles dans les conseils ? Il me souvient fort bien que lorsqu’a` cette e´poque le bruit se re´pandit que l’empereur voulait dissoudre les chambres, la garde nationale et tous les bons citoyens se propose`rent de les entourer, pour les de´fendre1. Donc ils sentaient que leur conservation e´tait utile. Mais on ne conserve que ce qui existe ; donc ceux qui ont concouru a` l’existence des chambres en en faisant partie, ont e´te´ non-seulement excusables, mais louables. Dans cette apologie, je n’ai point pour but de de´fendre quelques centaines d’individus, dont je n’en connais pas trente, et qui d’ailleurs ne sont expose´s a` aucune rigueur2. Mais chacun doit chercher, ce me semble, a` mettre un
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Ponteil, La chute de Napole´on I er, pp. 236–239. BC insiste dans son article sur le coˆte´ re´volutionnaire de ce mouvement qui, certainement, a voulu e´chapper au controˆle des institutions de l’E´tat. Comme le dit Ponteil, le «ralliement autour de l’Empereur e´tait sonne´ au nom des principes qui avaient inspire´ l’enthousiasme de 1789. Napole´on est bien, aux yeux des fe´de´re´s, le fils de la Re´volution» (p. 239). Voir Houssaye, 1815, La seconde abdication, p. 50, qui parle de cette constellation en analysant les he´sitations de Napole´on pendant la crise de l’abdication. L’empereur disposait de forces impressionantes, ce qui lui aurait suffi pour forcer les Chambres a` se se´parer. Seule la garde nationale censitaire, qui e´tait hostile a` l’Empereur, aurait peut-eˆtre pu prote´ger les chambres. Aucune rigueur ? Cette affirmation n’est pas tout a` fait exacte, comme on le sait. Constant avait encore e´crit le 26 juillet une lettre a` Decazes pour soutenir les de´marches de Durbach qui cherchait a` e´chapper a` la proscription (voir OCBC, Œuvres, t. VII, p. 239 et ci-dessus p. 37, n. 1). Voir dans L’inde´pendant, no 94, 2 aouˆt 1815, pp. 3b–4a, la lettre justificative de Durbach a` Fouche´ du 31 juillet 1815 ; elle sera reprise par L’Ambigu du 10 aouˆt 1815 (t. 50, pp. 367–368).
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terme a` des re´criminations perpe´tuelles, qui font croire a` des divisions, quand il n’en existe point ; a` des ressentimens, quand il n’y en a pas. Je ne puis jamais oublier que nous ne sommes pas en famille, que nous avons six cent mille spectateurs1 que j’honore et que je respecte, mais dont je de´sire extreˆmement que le roˆle ne se change pas en celui de juges ; ce qui arrive toujours quand les membres d’une famille se disputent trop fort en public. Les opinions ont pu se diviser : on a pu vouloir ou ne vouloir pas telle ou telle organisation politique ; mais il y a une chose qu’on ne peut jamais cesser de vouloir, c’est que la France soit la France. Or, pour qu’elle soit et reste telle, il faut que les Franc¸ais soient unis, qu’ils le soient entre eux, qu’ils le soient avec leur gouvernement ; que les individus renoncent a` cette vanite´ maladroite qui les porte si pue´rilement a` relever de mise´rables nuances, par lesquelles chacun espe`re se distinguer des autres. Cette vanite´ n’atteint pas son but. Cette petite guerre d’insinuations ou d’attaques n’a pas meˆme, pour ceux qui la recommencent ou qui la prolongent, l’avantage de graver leurs noms dans la me´moire de leurs lecteurs. On a certes autre chose a` faire qu’a` se souvenir si tel de´pute´, qui n’a jamais parle´, a e´te´ ou non dans la chambre des repre´sentans, si tel journaliste a soutenu le pour et le contre. On oublie donc tous ces de´tails : les ce´le´brite´s personnelles n’y gagnent rien ; mais il reste une ide´e vague que la nation est en hostilite´ contre elle-meˆme, et cette ide´e, peu importante dans les temps ordinaires, l’est dans celui-ci plus qu’on ne pense. Si l’on cherchait des pre´textes, ce que je suis loin de croire, elle en fournirait ; et meˆme, en e´tant convaincu comme je le suis que l’on ne cherche pas de pre´textes, il vaut mieux, je pense, ne pas en fournir. J. R2.
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Les troupes d’occupation. La signification de ce sigle (les initiales de Juliette Re´camier ?) n’est pas e´lucide´e.
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Deux articles pour L’Inde´pendant Je re´fle´chissais hier aux circonstances dans lesquelles se trouvent la France et l’Europe Puisque vous avez juge´ ma lettre d’avant-hier digne d’eˆtre inse´re´e 4 et 6 aouˆt 1815
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Introduction
Les deux articles suivants ont e´te´ conc¸us ensemble et renvoient mutuellement l’un a` l’autre. Constant en parle dans son journal intime a` plusieurs reprises ; du premier dans la note du 1er aouˆt 1815, du second dans ses notes du 3 aouˆt («commence´ un article sur les e´trangers. Il faut y mettre du soin et de la prudence»), du 4 de ce meˆme mois en constatant la fin du travail, du 5 en enregistrant que l’article sera imprime´, content aussi d’avoir e´crit un article hardi et du 6 aouˆt enfin, ou` il est question du succe`s : «Mon article a paru. Il est trouve´ beau». L’authenticite´ de ces deux articles est donc bien e´tablie, confirme´e de plus par la signature J. R., la meˆme que celle de l’article pre´ce´dent, et enfin par des recoupements textuels ou argumentatifs avec d’autres e´crits de l’auteur. Dans son premier article, Constant brosse un tableau de l’e´tat d’esprit de la nation, utilisant le de´doublement des voix du discours pour faire apparaıˆtre le de´chirement et pour vaincre, du moins sur le plan du raisonnement, les doutes profonds qui minent la confiance. Nous retrouvons les meˆmes doutes dans son journal intime, nous savons que le programme politique expose´ par l’ami imaginaire revient parfois dans les e´crits de Constant, p. ex. dans son article sur la comparaison des re´volutions en Angleterre et de la France en 18141, nous savons surtout que les craintes auxquelles re´pond l’ami optimiste font l’objet des analyses lucides et tre`s incommodes des Me´moires sur les Cent-Jours2. Ce qui distingue cet article des autres travaux journalistiques de Constant, c’est donc la mise en perspective de la proble´matique, l’adoption d’une vision pleine de confiance dans l’irre´versibilite´ du progre`s et de la marche de la liberte´ individuelle. Faire e´noncer cette doctrine par la voix d’un tiers est e´videmment une fac¸on d’admettre tout ce qu’elle a de fictionnel, son statut de belle image dont l’auteur pre´tend qu’elle correspond a` la volonte´ profonde du monarque et de quelques personnes de son entourage. Le second article, tre`s habile dans la pre´sentation d’une argumentation mi-politique, mi-morale, presque de´magogique, reprenant d’ailleurs des ar-
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Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 915–923. Voir OCBC, Œuvres, t. XIV, premie`re partie de l’ouvrage.
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guments que Benjamin Constant avait de´ja` exploite´s dans ses me´moires et notes pour Bernadotte, joue sur plusieurs registres, a` savoir : l’occupation certainement tre`s lourde de la France par les troupes allie´es ; les atrocite´s de la Terreur blanche dont il n’est question qu’allusivement ; les re´pressions exerce´es par le pouvoir restaure´ telles que des de´crets d’exil et des proscriptions contre des militaires accuse´s de haute trahison ; la me´fiance des souverains e´trangers a` l’e´gard de Louis XVIII, monarque peut-eˆtre trop conciliant, donc faible ; et enfin l’inde´pendance nationale garantie par l’inte´grite´ du territoire. Le raisonnement de Constant est, comme il le dit lui-meˆme dans son journal intime, hardi, ce qui est vrai, parce que l’article attaque a` la fois les inte´reˆts manifestes des e´trangers et les inte´reˆts aussi manifestes des royalistes. Mais l’article n’est ni impartial ni a` tout prendre bien pense´. Il charge la personne de Napole´on toute seule de la responsabilite´ morale des de´sastres de la tyrannie exerce´e durant une douzaine d’anne´es, comme s’il n’y avait jamais eu de soutien massif de l’empereur a` l’inte´rieur de la France, ivre de ses victoires. Ce qui est plus de´concertant encore, c’est d’observer dans cet article comment le libe´ralisme de Constant e´volue sous l’influence d’un esprit patriotique qui n’est pas tre`s e´loigne´ d’une doctrine nationaliste. Citons, pour justifier notre e´tonnement, cette phrase terrible qui est au centre de l’article : «Ils [a` savoir les Franc¸ais] sentent qu’il est aujourd’hui plus question d’eˆtre Franc¸ais que d’eˆtre libre, parce que tout Franc¸ais, pour eˆtre libre, doit d’abord rester Franc¸ais1.» E´tablissement des textes Imprime´s : [Je re´fle´chissais hier aux circonstances dans lesquelles se trouvent la France et l’Europe], L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 96, 4 aouˆt 1815, pp. 2a–3b, rubrique : Au Re´dacteur de l’Inde´pendant. [Puisque vous avez juge´ ma lettre d’avant-hier digne d’eˆtre inse´re´e], L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 98, 6 aouˆt 1815, pp. 1b–3a, rubrique : Au Re´dacteur de l’Inde´pendant. Courtney, Guide, D55 et D562. Les articles ont fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 206–213. K. K. 1 2
Voir ci-dessous, p. 88. L’article de L’Inde´pendant re´pertorie´ par Courtney dans son Guide comme non identifie´ sous le no D54 est identique a` celui qui porte le no D55.
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Monsieur, Je re´fle´chissais hier aux circonstances dans lesquelles se trouvent la France et l’Europe, et mes re´flexions m’avaient plonge´ dans une tristesse assez naturelle. Un de mes amis m’ayant trouve´ dans cette disposition, essaya de me consoler, et il y parvint. Comme plusieurs de vos lecteurs ont vraisemblablement tout autant que moi besoin de consolation, je vous transmets les raisonnemens dont j’ai ressenti l’heureuse influence. «Vous vous affligez, sous le double rapport de cosmopolite et de citoyen, me dit l’ami dont je vous parle. Vous craignez pour l’Europe entie`re la perte de la liberte´ ; vous craignez pour la France la perte de l’inde´pendance nationale, l’ane´antissement de la prospe´rite´ inte´rieure, que sais-je, des mesures peut-eˆtre encore plus funestes. Je ne partage point vos craintes ; je crois a` la solennite´ des promesses, a` la saintete´ des traite´s, a` la pudeur publique. Mais examinons ce qui peut motiver en vous ces soupc¸ons sinistres : traitons d’abord de ceux qui ont pour objet le sort ge´ne´ral de l’espe`ce humaine ; nous viendrons ensuite a` ceux qui doivent tourmenter plus particulie`rement un cœur franc¸ais1. La liberte´, dites-vous, est a` jamais perdue. L’autorite´, plutoˆt effarouche´e qu’e´claire´e par une triste expe´rience, et jalouse de ses droits, en raison meˆme de ce qu’ils ont e´te´ conteste´s, va poursuivre avec rigueur tous les partisans de la philosophie et des lumie`res, et d’un bout du monde a` l’autre, nous verrons le despotisme s’e´tablir, au nom de l’ordre et de la paix. Si je voulais combattre vos appre´hensions sur les intentions de la puissance, peut-eˆtre n’obtiendrais-je pas votre confiance ; mais au lieu de m’attacher a` vous prouver que les maıˆtres de la terre ne voudraient pas faire reculer l’espe`ce humaine, quand ils le pourraient, je vous de´montrerai qu’ils ne le pourraient pas quand ils le voudraient2. Tel que je vous connais, cette de´monstration vaudra bien l’autre ; et je ne tirerai pas mes syllogismes d’ide´es abstraites et de the´ories vagues. Je m’appuyerai uniquement des faits qui se sont passe´s sous nos yeux depuis dix-huit mois. E´tablissement du texte : Imprime´ : L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 96, 4 aouˆt 1815, pp. 2a–3b. 1 2
Ceci annonce l’article sur l’occupation. BC reprendra a` la fin de l’article cette phrase en en retournant les e´le´ments.
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Une re´volution terrible avait bouleverse´ l’Europe depuis plus de vingt ans. Elle avait froisse´ les inte´reˆts et menace´ l’existence d’une classe nombreuse, puissante, qui a des allie´s et des ramifications dans toute l’Europe. Cette classe avait eu pour de´fenseurs des e´crivains qui avaient annonce´ contre ses ennemis d’implacables vengeances ; ils e´taient meˆme remonte´s des individus jusqu’aux principes. A les entendre, le mot seul de liberte´ devait eˆtre proscrit. Les pre´rogatives de la puissance ne pouvaient eˆtre trop e´tendues, l’arbitraire devait eˆtre reconstitue´ sous toutes ses formes, et consacre´ dans toute sa latitude. Ces de´clamations imprudentes avaient jete´ dans les esprits une sorte de terreur, et nous pouvons tous deux nous rappeler le temps ou` l’on regardait la contre-re´volution et la tyrannie comme inse´parables. L’ambition effre´ne´e d’un homme a produit cette contre-re´volution tant redoute´e, en soulevant contre nous toutes les nations civilise´es, et meˆme quelques peuplades sauvages1. Les princes que nos troubles avaient e´carte´s de France sont revenus dans ce pays, ou` leur famille avait si cruellement souffert ; ils sont revenus, entoure´s d’hommes, recommandables par leur caracte`re prive´, mais ignorant la patrie qu’ils retrouvaient apre`s un quart de sie`cle, et proclamant le pouvoir absolu, comme la meilleure institution, et, ce qui e´tait plus, comme la seule ressource. Qu’est-il arrive´ ? L’atmosphe`re du pre´sent a saisi ces vieux amis du passe´. Toutes leurs the´ories en faveur de ce qui e´tait se sont brise´es contre la force de ce qui est. Ils ont mis, malgre´ eux et a` leur insu, leurs dogmes sur l’arbitraire en insinuations et en pre´ambules ; et les faits ont tous e´te´ contraires a` ce qu’on avait annonce´. La contre-re´volution de 1814 est devenue la conse´cration d’une grande partie des maximes de la liberte´ que la re´volution de 1789 avait fait triompher, et la charte constitutionnelle de Louis XVIII a e´te´, sous plus d’un rapport, l’accomplissement du vœu national manifeste´ par l’assemble´e constituante2. Qu’il y ait eu des imperfections dans cette charte, qu’elle n’ait pas e´te´ observe´e a` la rigueur, que les discours de quelques ministres aient paru trahir de temps en temps des intentions alarmantes, ce sont des de´tails qui prouvent a` la fois les velle´ite´s de quelques individus et leur impuissance3. 1
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Il se peut que BC pense a` la politique coloniale maladroite du Premier Consul et en particulier a` la re´volte de Saint-Domingue. La guerre de´sastreuse des indige`nes et des esclaves sous Toussaint-Louverture, soutenus par les Anglais, aboutit apre`s des anne´es a` l’inde´pendance de l’ancienne colonie, reconnue officiellement par Charles X seulement en 1825. Renvoi a` l’article du 21 avril 1814, dans le Journal des De´bats. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII, p. 922. L’observation peut-eˆtre un peu trop optimiste vise les innombrables exemples des ultraroyalistes sollicitant du roi un retour a` l’Ancien Re´gime. Cette menace de l’ordre e´tabli par la charte prend tout son poids si on la compare aux Cent-Jours. Voir les Me´moires sur les Cent-Jours, 2e partie, lettre VIII (OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 252–261), ou` Constant s’efforce de re´futer l’opinion selon laquelle le gouvernement des Cent-Jours e´tait porte´ vers l’arbitraire.
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Ils se consolaient de celle-ci en laissant apercevoir les autres d’une manie`re pue´rile, plus que redoutable. Il n’en est pas moins vrai que depuis la restauration, les institutions politiques de la France contenaient plus d’e´le´mens de liberte´ qu’a` aucune pe´riode ante´rieure. Un e´ve´nement inattendu renverse cette restauration. L’homme qu’avait expulse´ la coalition europe´enne reparaıˆt tout a` coup. L’arme´e reconnaıˆt son ge´ne´ral. Elle se laisse entraıˆner par ses souvenirs1. Il triomphe. C’e´tait ce meˆme homme qui avait fait douze ans peser sur la France un joug de fer. C’e´tait l’homme qui appelait tous les principes libe´raux de l’ide´ologie2, et qui attribuait a` l’ide´ologie les de´sastres de Moscou. C’e´tait l’homme qui avait ordonne´ a` ses flatteurs (qui depuis ... mais alors c’e´tait lui qu’ils encensaient) de parler des devoirs des peuples envers les mauvais rois, et du myste`re de l’autorite´3. Il revenait, apre`s avoir subi mille insultes ; il marchait a` la teˆte d’une arme´e ivre de sa gloire, et fie`re d’avoir donne´ la France a` son chef. Qui n’euˆt pense´ qu’il allait exercer un despotisme e´pouvantable ? On s’y attendait tellement qu’apre`s avoir beaucoup trop toˆt abjure´ toute re´sistance, tous les amis de la liberte´, comme tous les citoyens paisibles se haˆte`rent de s’e´loigner. Le chevaux ne suffisaient pas pour traıˆner, les routes pour contenir les fuyards. Pour la seconde fois cependant l’attente a e´te´ trompe´e. Le nouveau maıˆtre de la France est force´ de promettre au peuple une constitution plus libre que la charte de 1814. Son conseil d’e´tat proclame la souverainete´ du peuple, frappe de re´probation les actes arbitraires. On n’entend retentir autour du souverain absolu de 1814, en 1815, que les mots de liberte´ et d’e´galite´. La constitution qu’il propose, a` l’exception de certaines dispositions de circonstance, renferme plusieurs garanties de plus que nos constitutions pre´ce´dentes, et la chambre des repre´sentans y est bien autrement forte, en pre´rogatives le´gales, que celle des de´pute´s4. 1 2
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Ces arguments reviennent dans les e´crits de BC en faveur de La Be´doye`re. Voir ci-dessous, p. 97. Le mot «ide´ologie» prend ici un sens pole´mique tre`s particulier («amis de la liberte´»). Il est employe´ par BC dans un de ses e´crits pour Bernadotte, pour expliquer l’attitude de Napole´on face aux de´sastres de la campagne de Russie. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII, p. 849. Les deux passages se faisant e´cho s’expliquent mutuellement. L’allusion a` l’article de l’Ambigu est un argument de plus pour confirmer l’authenticite´ de l’article de l’Inde´pendant, si besoin en e´tait. Allusion non identifie´e. Voir l’e´tude d’A. Laquie`ze, «Benjamin Constant et l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire du 22 avril 1815», Historia constitucional, IV, juin 2003, http://hc.rediris.es. «Dispositions de circonstance» : Harpaz souligne a` juste titre que BC pense en particulier a` l’article 67, le dernier, de l’Acte additionnel qui vise, entre autres, les Bourbons et la noblesse fe´odale. Voir Recueil d’articles, 1795–1817, p. 209, n. 4 et OCBC, Œuvres, t. IX/2, Voir le J. I. des 6, 7 et 8 aouˆt 1815. OCBC, Œuvres, t. VII, p. 240. La note du 7 aouˆt se p. 622.
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Que les habitudes aient e´te´ plus fortes que les principes ; que l’impatience du maıˆtre et le ze`le des agens aient ressuscite´ des vexations impuissantes, parce qu’elles e´taient en horreur, n’importe. Les de´tails despotiques prouvent ce que Bonaparte avait envie de faire : ses proclamations officielles, ce qu’il e´tait oblige´ de dire, et cette obligation e´tait un hommage a` la volonte´ publique1. Ce n’est pas tout : une troisie`me expe´rience a lieu. Le pouvoir de Bonaparte s’e´croule par une seule de´faite. La dynastie de´posse´de´e revient de nouveau, entoure´e d’hommes encore plus aigris par des injures re´centes, et autorise´s en apparence a` n’attribuer leur chute qu’a` l’adoption du syste`me trop doux et trop libe´ral, qu’ils avaient d’avance de´sapprouve´. Ces hommes demandent des proscriptions, des confiscations, des exils, le re´tablissement de l’ancienne monarchie avec tout son arbitraire. Tous les esprits serviles se font exalte´s et se remettent a` leurs gages. L’on n’entend que des cris de vengeance2. Que re´sulte-t-il de tous ces symptoˆmes menac¸ans ? quelques mesures de rigueur sont prises et adoucies3. Mais le gouvernement professe derechef des maximes de liberte´ ; il propose des ame´liorations a` sa propre charte ; il rassure les citoyens contre les explosions d’un ze`le excessif qu’il de´sapprouve, et il ne nous manque plus que d’eˆtre rendus a` nous-meˆmes, pour jouir d’une liberte´ plus comple`te que celle que nous posse´dions il y a un an4. 1
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Ceci rappelle le passage du Me´moire apologe´tique ou` BC raconte les retours subits de Napole´on a` la tyrannie et la me´fiance qu’il a envers sa propre force de re´sistance. Voir ci-dessus, p. 49 et p. 61. Voir aussi Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, p. 209, n. 5, ou` il est dit que BC pense e´videmment au de´cret inconstitutionnel du pre´fet de police de Nantes, Moreau (voir ci-dessus, p. 50), et a` la suppression du cahier 5 du Censeur du 6 avril 1815 a` cause d’un article dirige´ contre un ouvrage du se´nateur Lambrecht sur les «Principes» publics. (Nettement, Histoire de la Restauration, t. II, pp. 267–273. Me´moires sur les CentJours, p. 259. Harpaz, Le Censeur Europe´en, Histoire d’un Journal libe´ral et industrialiste, Gene`ve : Slatkine, 2000, pp. 28–30.) Voir l’analyse de ce climat de vengeance dans F. Ponteil, La chute de Napole´on I er, pp. 300– 328. Le de´cret de proscription du 24 juillet, le de´cret annonc¸ant l’e´puration de la Chambre des pairs du meˆme jour, les mesures sur la restructuration de l’arme´e, etc. Les phrases pre´ce´dentes re´sument la proclamation de Cambrai du 25 juin 1815. Louis XVIII parle dans ce texte des garanties et des ame´liorations e´voque´es ici par BC. Le but politique du roi e´tait de contenir les ultras qui parlaient de punitions et de vengeances. Nous savons que le roi, de´pendant des Allie´s, qui de´siraient une politique de rigueur, expose´ aux intrigues de Fouche´, son ministre de la police maintenu dans le ministe`re bien que celui-ci ait accepte´ une fonction sous Napole´on avant le 23 mars, n’avait pas la force de poursuivre la politique qu’il aurait pre´fe´re´e. Il n’e´tait pas toujours aime´ de ses sujets et pas en mesure de contenir les exce`s de la Terreur blanche qui allait e´clater dans le midi de la France. Voir Houssaye, 1815, La seconde abdication, pp. 303–348. Nettement, Histoire de la Restauration, t. III, pp. 187–214. G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration, p. 112–113, donne une image plus conforme aux vues de BC, qui, meˆme s’il reste sceptique peut-eˆtre sur les moyens du roi de re´aliser ses promesses, les tient pour since`res.
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Je conviens avec joie que l’on peut, que l’on doit attribuer en grande partie cette mode´ration et cette sagesse, non seulement aux vertus, mais a` l’esprit et aux lumie`res du roi. Il sait que c’est mal servir son pouvoir que de sacrifier sa stabilite´ a` son e´tendue ; il sait que les barrie`res constitutionnelles sont ne´cessaires au salut de l’autorite´ comme a` celui du peuple. Mais il entre aussi dans cette marche de notre gouvernement beaucoup de l’influence des ide´es dominantes qui tiomphent, meˆme quand elles paraissent proscrites. Si le besoin de liberte´ n’e´tait pas universel, un monarque, de quelqu’esprit supe´rieur qu’il fuˆt doue´, pourrait croire ce que tant de courtisans re´pe`tent, que l’arbitraire, habilement exerce´, vaut mieux que toute constitution e´crite, et ses bonnes intentions lui sembleraient un argument de plus en faveur de cet arbitraire, parce qu’elles lui serviraient a` ses propres yeux de garant qu’il n’en abuserait pas. Si Louis XVIII lui pre´fe`re une liberte´ constitutionnelle, c’est que son jugement juste et suˆr lui montre qu’elle est dans la tendance du sie`cle, et que rien de ce qui se ferait contre elle ou sans elle ne serait durable. En conse´quence, il suit l’exemple de tous les gouvernans sages et habiles ; il ne veut pas ressusciter des e´le´mens qui n’existent plus ; il emploie ceux qui existent. Ainsi donc, continua mon ami, voila` trois re´volutions en quinze mois. De ces trois re´volutions, la seconde a e´te´ un grand malheur : car elle a verse´ sur la France des fle´aux sans nombre, et ses effets ne cessent pas, comme ils le devraient, avec sa cause. Chacune de ces re´volutions semblait menacer la liberte´ : aucune n’a pu l’atteindre. Elle est sortie victorieuse de toutes ces crises. J’espe`re que nous touchons a` leur terme : mais j’en conclus que, dans tous les cas, la liberte´ surnagera toujours. Croyez-moi, me dit-il en finissant ce premier point de sa harangue, il en est du despotisme comme du jacobinisme. A plus d’une e´poque, on a voulu e´voquer ce dernier. L’on a cre´e´ des clubs, compose´ des motions incendiaires, soudoye´ des orateurs pour les re´pe´ter, des auditeurs pour les applaudir ; mais le principe de vie n’y e´tait plus. Les clubs n’ont e´te´ que ridicules, les motions incendiaires, re´voltantes, les orateurs ennuyeux et les auditeurs inattentifs. Le despotisme est mort comme le jacobinisme. Les salons ne seront pas plus puissans que les clubs, les voltigeurs pas plus influens que les jacobins d’emprunt, les marquises pas plus se´duisantes que les tricotteuses1 de commande.»
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Est-il besoin de rappeler que ce mot de´signe les femmes qui, sous la Re´volution, assistaient aux de´bats de la Convention en tricotant.
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Je vous communiquerai demain, si vous le trouvez bon, la seconde partie du discours de mon ami1 : mais les re´flexions que je vous envoie me semblent a` elles seules utiles a` publier. Elles tendent d’une part a` re´primer ce ze`le faux ou affecte´, qui nuit aux inte´reˆts du roi, moins encore par les effets re´els qu’il produit, que par les inquie´tudes qu’il cause. De l’autre part, elles doivent nous porter tous a` nous re´unir, dans les circonstances graves ou` nous sommes2, autour d’un gouvernement, qui d’abord me´rite notre confiance, mais qui d’ailleurs, comme mon ami le disait en commenc¸ant, ne pourrait pas faire reculer le sie`cle quand il le voudrait, et qui, je le dis a` sa gloire, ne voudrait pas le faire reculer, quand il le pourrait. J. R.
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Annonce l’article suivant. Allusion a` l’occupation qui pe`se lourdement sur la France et a` la faiblesse du roi, oblige´ de licencier ses troupes, de sorte qu’il est a` la merci des Allie´s.
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Monsieur, Puisque vous avez juge´ ma lettre d’avant-hier digne d’eˆtre inse´re´e dans votre journal, je crois devoir, suivant ma promesse, vous transmettre, dans une seconde lettre, la fin de la conversation dont la premie`re contenait le commencement : «Je vous ai prouve´, je pense, me dit, apre`s s’eˆtre repose´ quelques instans, l’ami dont je vous ai parle´, que vos craintes sur les destine´es de la liberte´ e´taient chime´riques. Je passe au second objet de vos inquie´tudes, les intentions des souverains allie´s. C’est une question non moins europe´enne que la premie`re, et plus importante encore pour les Franc¸ais. Je vous dirai d’abord qu’il est impossible que ces monarques, sur qui la terre entie`re a les yeux, de´mentent, en de´finitif, les engagemens solennels qu’ils ont contracte´s, et foulent aux pieds leurs proclamations et leurs promesses1. Je vous le de´montrerai bientoˆt, en rendant au caracte`re de chacun d’eux l’hommage qu’il me´rite : mais j’affirme de plus, qu’inde´pendamment de leurs vertus personnelles, et lors meˆme que le ciel, moins soigneux du bonheur de leurs peuples, ne leur aurait pas donne´ ces vertus, il y a un degre´ de de´loyaute´ dont aucun eˆtre humain n’est capable. Bonaparte lui meˆme ne s’est rendu coupable de rien de pareil. Il a viole´ des traite´s de paix ; il a abuse´ du droit de la guerre ; le sang de plusieurs millions d’hommes pe`se sur sa teˆte, mais il n’est entre´ a` Berlin et a` Vienne qu’en vainqueur ; il n’a pe´ne´tre´ a` Moscou qu’en ennemi. Il n’a de´clare´ ni aux Autrichiens, ni aux Prussiens, ni aux Russes, qu’il venait re´tablir leur gouvernement antique, qu’il e´tait l’allie´ de leurs princes, qu’il ne combattait que contre un seul homme, que l’e´loignement de cet homme serait le signal d’une paix since`re2 ; il n’a point, dis-je, de´clare´ ces choses dans mille publications officielles, pour ruiner ou de´membrer les pays dont il se disait le libe´rateur3. E´tablissement du texte : Imprime´ : L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 98, 6 aouˆt 1815, pp. 1b–3a. 1 2
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Ces arguments sont de´ja` employe´s dans les textes pour Bernadotte, avec plus de plausibilite´ d’ailleurs. Argument employe´ dans les textes de propagande pour le Be´arnais, mais tourne´ ici d’une manie`re un peu trop sophistique´e contre les allie´s qui, e´videmment, poursuivent aussi des buts politiques manifestes. Cette remarque attaque l’Autriche et la Prusse qui ont poursuivi, un moment donne´, une politique visant a` re´cupe´rer d’anciens territoires de l’Empire germanique.
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Les augustes monarques qui ont re´clame´ ce titre, ne feront pas ce que n’a point fait le fle´au de la France et du monde. Ils ne perdront pas a` la fois et leur propre gloire et la cause du roi vertueux qu’ils ont replace´ sur le troˆne ; ils ne transformeront pas ce troˆne en lit de douleurs, et cet allie´ en victime. Des de´sordres partiels qu’ils ignorent, des vexations qu’ils re´priment de`s qu’ils les connaissent, n’autorisent point ces craintes injurieuses, ces craintes qui seraient envers eux un attentat de le`se-majeste´, car elles attaqueraient ce que la majeste´ royale a de plus respectable et de plus saint ; ces craintes, enfin, qui, si elles pouvaient se re´aliser, ce qui, encore un coup, est impossible, nous feraient de´sespe´rer de la nature de l’homme, et apprendraient aux ge´ne´rations e´pouvante´es, a` ne plus voir dans les traite´s que des embuˆches, dans les caresses que des coups de poignard, et dans les sermens que des parjures. Si a` des conside´rations ge´ne´rales je re´unis les motifs particuliers d’espe´rance que me fournit le caracte`re personnel des souverains, ma conviction n’en devient que plus profonde. Je vois un noble soutien de toutes les ide´es ge´ne´reuses dans ce magnanime Alexandre, qui, tandis qu’il travaillait a` la de´livrance de l’Europe, ne perdait pas de vue l’affranchissement des paysans russes, donnait a` un peuple immense et reconnaissant l’e´ducation de la liberte´, et consolait nos regards fatigue´s du spectacle de la tyrannie, par celui de la bonte´ reveˆtue du pouvoir et des lumie`res e´manant du troˆne. J’aperc¸ois dans Franc¸ois II un prince e´minemment sage dans des circonstances difficiles, adaptant avec habilete´, a` des peuples diffe´rens, un gouvernement toujours paternel, et de la sorte, se faisant aimer au milieu des victoires, et che´rir au milieu des revers. Je ne puis me de´fier de l’Angleterre : la liberte´ de la presse, la discussion publique dans une assemble´e inde´pendante, y sont de trop puissans avertissemens pout tout ministe`re qui voudrait abuser du succe`s ; l’Angleterre, qui a fait expier a` la France une pre´e´minence usurpe´e, n’affectera pas l’empire que nous sommes si cruellement punis d’avoir exerce´ sur nos allie´s ; elle ne s’e´lancera point, par une imprudence inexcusable, au poste pe´rilleux d’ou` elle a pre´cipite´ sa rivale. La meˆme route conduirait au meˆme but. Enfin, le roi de Prusse, dont le grand Fre´de´ric avait promis qu’il le recommencerait1, et qui n’a point trompe´ l’espoir de son oncle, le roi de Prusse, chef d’une nation long-temps malheureuse, et qui s’est glorieusement releve´e par des miracles de patriotisme, ne peut vouloir e´touffer en France ce noble amour de la patrie, dont les ine´puisables ressources ont fait sa gloire et son salut. Il a vu chez lui l’oppression e´trange`re cre´er le sentiment national ; il sait par lui-meˆme ce 1
Tournure e´le´gante pour dire : «dont le grand Fre´de´ric avait fait le pronostic qu’il (a` savoir Fre´de´ric-Guillaume III) ferait comme lui pour eˆtre son e´gal».
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que peut un peuple au de´sespoir. Ce qu’il a de´teste´ dans Bonaparte, il ne l’imitera point. J’ai sous les yeux cette salutaire ordonnance du landsturm, reveˆtue de sa signature auguste, en 18131. Ce qui e´tait vertu dans les habitans de la Prusse, ne saurait, aux yeux d’un monarque e´quitable, eˆtre un crime dans les Franc¸ais. Mais on nous accuse d’avoir tous e´te´ les instrumens de la tyrannie de Bonaparte, d’avoir servi tous ses projets d’envahissement, d’avoir porte´ sous ses ordres la de´vastation dans toute l’Europe. Sans vouloir rappeler des e´poques trop critiques, et me livrer a` des de´tails hasardeux, j’observerai que lorsque Bonaparte traıˆnait ainsi les Franc¸ais au combat, les trois quarts de l’Europe le secondaient tour a` tour. Certes, nos malheureux conscrits avaient peu de moyens de re´sistance, quand le monde entier semblait d’accord avec lui ; et je ne vois pas trop, par exemple, dans son expe´dition de Russie, comment nous aurions fait pour ne pas former le centre de son arme´e, lorsque les Prussiens composaient son aile gauche, et les Autrichiens son aile droite. Si Bonaparte a e´te´ un fle´au pour toute la terre, nul ne peut se le reprocher, car tous l’ont subi, et tous successivement l’ont fait subir aux autres2. Un seul danger nous menace, ce sont nos divisions. Je de´meˆle, dans l’opinion qui traverse les rangs subalternes des allie´s, une tendance a` croire que nous regrettons Bonaparte, que nous ne sommes que faiblement attache´s au gouvernement actuel, et qu’il faut continuer une espe`ce de guerre contre une partie de la nation, qui nourrit des sentimens, et peut-eˆtre des espe´rances coupables3. Il faut s’entendre, et ne pas conclure de ce que des dissidences ont existe´ qu’il en existe encore. Quand Bonaparte e´tait sur un troˆne qu’il venait de ressaisir par un inexplicable prodige, ou meˆme, lorsqu’apre`s son abdication, 27 par un ] la source porte par une 1
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Allusion a` la proclamation du roi de Prusse «An mein Volk», date´e du 17 mars 1813, marquant le revirement de la Prusse qui, jusqu’ici allie´e de Napole´on, passe dans le camp de la coalition. Le «Landsturm», cre´e´ ce jour meˆme, concerne tous les hommes entre 17 et 42 ans, convoque´s pour la de´fense du pays. Bien que faiblement arme´s et souffrant des structures militaires de´fectueuses, le «Landsturm» devient une force militaire importante. Il passe vite de la re´alite´ au mythe dans la conscience du re´veil national de l’Allemagne. Voir Thomas Nipperdey, Deutsche Geschichte, 1800–1866, München : Beck, 1984, pp. 82–101. Disons encore que BC ne parle ni de la proclamation du roi de Prusse ni du «Landsturm» dans son journal intime. Raisonnement peu consistant, lieu commun des publicistes de l’e´poque. Cet argument, habilement pre´sente´, est difficile a` ve´rifier parce qu’il est base´ sur des insinuations tire´es des circonstances. Il est exact toutefois qu’il y a toujours des bonapartistes et que les dissensions inte´rieures commencent a` se faire sentir.
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le sort de la nation semblait inde´cis, beaucoup d’hommes, craignant des vengeances, ont pu prononcer diverses opinions sur le gouvernement de´sirable. Aujourd’hui, la question est de´cide´e ; le gouvernement qui existait est re´tabli ; la se´curite´ commence a` renaıˆtre ; elle serait comple`te si nous e´tions unis entre nous. Toute la situation est change´e, et par cela seul la situation des esprits l’est e´galement. Que l’on ne croie pas que tous ceux qui ont paru les adhe´rens de Bonaparte soient des ennemis de Louis XVIII. Une circonstance impe´rieuse a pu les jeter dans les rangs de Napole´on, inde´pendamment de tout attachement et de toute haine. Cette circonstance e´tait leur inquie´tude pour l’inde´pendance nationale toujours menace´e, quand l’e´tranger, quelles que pures que ses intentions puissent eˆtre, s’immisce dans les inte´reˆts d’un peuple1. Beaucoup d’hommes ont regarde´ ou` e´tait l’e´tranger, et, sans autre examen, se sont range´s dans le parti contraire. Plus d’un ge´ne´ral qui aurait avec transport de´fendu le roi le 20 mars aux Tuileries, a combattu avec non moins d’ardeur pour le territoire, le 18 juin. Ce que je dis de l’arme´e, je le dis de toutes les autres classes2. Maintenant ces hommes sont since`rement attache´s au roi. Ils le sont a` cause de ses vertus, de ses lumie`res, de cette bonte´ profonde, qui a re´siste´ aux cris de vengeance et aux demandes de proscription3. Ils le sont, parce qu’ils savent qu’il partage leur douleur sur les maux de la France ; ils le sont, parce qu’il est l’unique moyen de mettre un terme a` ces maux. Mais je dis plus ; il aurait moins de vertus, moins de lumie`res, moins de bonte´, qu’ils se serreraient encore autour de lui, parce qu’il est Franc¸ais, parce qu’il peut seul nous rendre un gouvernement franc¸ais, et qu’un gouvernement franc¸ais est le premier besoin, la condition essentielle de notre existence. Louis XVIII fuˆt-il mille fois moins digne de leur amour, ils se rallieraient a` lui pour l’inde´pendance nationale ; et dussent-ils ensuite en eˆtre victimes, ils be´niraient encore le roi qui aurait rendu a` leur pays cette inde´pendance. Ils de´sirent la liberte´, ils de´sirent une constitution, mais ils de´sirent avant tout la France ; et ils soutiendraient le gouvernement, ne fuˆt-ce que pour garantir la France. Ils sentent qu’il est aujourd’hui plus question d’eˆtre Franc¸ais que d’eˆtre libre, parce que tout Franc¸ais, pour eˆtre libre, doit d’abord rester Franc¸ais. Ce qu’ils font pour Louis XVIII par respect, par reconnaissance, par affection, ils le feraient sans affection, par devoir4. 1 2 3
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Cet argument patriotique est de´ja` employe´ dans le Me´moire apologe´tique, et sera repris dans les Me´moires sur les Cent-Jours. Ces phrases me´lodramatiques sont tire´es du Me´moire apologe´tique ou` elles se rapportent e´videmment a` Constant lui-meˆme. C’est une vision nettement trop optimiste des choses. Il y a eu une liste de proscriptions et d’exils, et Louis XVIII ne sauvera, en accordant sa graˆce, ni La Be´doye`re, ni le mare´chal Ney. C’est un argument dangereux parce qu’il peut avoir pour conse´quence une doctrine nationaliste. Nous savons que BC n’e´vitera pas ce pie`ge.
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Puisque vous avez juge´ ma lettre d’avant-hier digne d’eˆtre inse´re´e
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Aussi vous le voyez : des ge´ne´raux, frappe´s de mesures rigoureuses, quittent leur arme´e, calment leurs soldats, et passent du camp ou` ils commandent a` la prison qu’on leur assigne1. Noble confiance, s’ils sont innocens ! et, osons le dire, re´signation plus noble encore, s’ils ont commis des fautes ! Quel que soit leur sort, on pourra toujours graver sur leur tombe : Passant, dis a` la France, que tel ge´ne´ral a e´te´ place´ entre l’e´chafaud et la guerre civile, et qu’il a choisi l’e´chafaud2 ! Ainsi disparaissent les derniers motifs d’inquie´tude qui pourraient motiver des restes de guerre. Nous n’avons donc rien a` craindre. La magnanimite´ des souverains nous en re´pond : leur justice nous en est garant ; et, s’il le fallait, leur inte´reˆt se joindrait a` leur magnanimite´ et a` leur justice. J’implore leur indulgence, si j’insiste sur cet inte´reˆt ; ils se dirigent par des vues plus e´leve´es. Mais pour rassurer l’opinion, tous les raisonnemens sont utiles, tous les argumens sont ne´cessaires. Je citerai donc l’Espagne3. Bonaparte avait de´ploye´ sur ce malheureux pays tout son habile machiave´lisme. Il avait lance´ sur lui les forces europe´ennes dont il disposait ; il l’avait divise´, subdivise´, militairement, administrativement, judiciairement. Les villages e´taient bruˆle´s, les paysans punis de mort ; la population semblait devoir disparaıˆtre. Le sol de l’Espagne a englouti nos arme´es, a repousse´ Bonaparte lui-meˆme comme un fugitif ; et aujourd’hui, si la paix n’e´tait faite, les Espagnols menaceraient la France du sommet des Pyre´ne´es. Je citerai encore l’Allemagne : elle offre le meˆme spectacle. Bonaparte avait cre´e´, au sein de l’empire germanique, des royaumes donne´s a` ses fre`res et a` son beau-fils ; il avait occupe´ les principales forteresses ; il avait organise´ partout sa redoutable police ; il avait de´sarme´ les habitans et ruine´ ces habitans de´sarme´s. Un revers e´branle sa colossale puissance ; l’e´tincelle e´lectrique parcourt la multitude encore enchaıˆne´e ; et de la Vistule a` l’Elbe et de l’Elbe au Rhin, l’Allemagne ressaisit ses droits et sa liberte´.
5 Quel que ] la source porte Quelque
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BC pense peut-eˆtre au ge´ne´ral Drouot (arme´e de la Loire) qui est alle´ se constituer prisonnier a` Paris apre`s la publication des proscriptions. Il sera acquitte´. Le ge´ne´ral Vandamme fait de meˆme. Il sera exile´. Cette phrase de mauvais aloi est forge´e sur l’inscription du rocher des Thermopyles ce´le´brant la mort he´roı¨que de Le´onidas et de ses soldats spartiates. Allusion a` la politique sans scrupules contre l’Espagne qui aboutit a` l’installation du roi Joseph, fre`re de Napole´on. Le pays fut le the´aˆtre d’une guerre atroce et de longue dure´e.
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Mais pourquoi retracer des faits superflus, des faits inappliquables ? Je l’ai de´ja` dit, l’honneur, la fide´lite´, sont des motifs plus que suffisans pour les aˆmes ge´ne´reuses. Si la bonne foi e´tait bannie de la terre, disait un prince franc¸ais, elle trouverait son azile dans le cœur des rois. Non, mon ami, vos larmes ne sont point fonde´es ; bientoˆt vous verrez a` quel point les allie´s de Louis XVIII me´ritaient sa confiance. Vous rendrez justice a` leurs vertus, hommage a` leur loyaute´ scrupuleuse, et la reconnaissance de la France les accompagnera enfin dans leurs e´tats, et les entourera sur leurs troˆnes.[»] J. R.
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Article pour L’Inde´pendant L’impartialite´ dont nous faisons profession 7 aouˆt 1815
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Introduction
La de´fense du colonel La Be´doye`re, ami de Benjamin Constant et de Mme de Stae¨ l, a inspire´ a` Constant, fort inquiet sur le sort de son ami, un article de journal et une lettre qu’il adresse le 14 aouˆt a` Decazes, dans l’espoir que celui-ci la donnera au roi. La cause du colonel est de´sespe´re´e. Rappelons que La Be´doye`re e´tait un militaire d’une bravoure le´gendaire qui s’e´tait distingue´ surtout pendant la campagne de Russie. Apre`s la chute de Napole´on, le roi lui avait confie´ un re´giment, et au moment du de´barquement, il e´tait charge´ de s’opposer a` l’avance´e des troupes de l’empereur. La Be´doye`re avait accepte´ cette mission avec l’enthousiasme qui lui e´tait particulier. Mais a` l’approche de l’empereur, non loin de Grenoble, il s’e´tait laisse´ entraıˆner, probablement victime d’une manœuvre hardie et mensonge`re, par le ge´ne´ral Bertrand a` abandonner le roi pour rejoindre le camp de Napole´on. Le motif principal e´tait la crainte de voir la France entraıˆne´e dans une guerre civile imminente. Ce raisonnement est sans consistance. Constant sait tout cela, et meˆme s’il juge le comportement de La Be´doye`re comme une faute e´vidente, une erreur impardonnable, il sait aussi que La Be´doye`re n’a pas agi pour satisfaire son ambition personnelle, qu’il e´tait motive´, au contraire, par un ide´alisme sans expe´rience ; il fait tout ce qui est en son pouvoir pour sauver son ami menace´ par le de´chaıˆnement de la haine, le climat de vengeance qui fait que l’accuse´ est juge´ coupable d’avance par l’opinion exalte´e re´clamant sa teˆte et un sacrifice. L’article anonyme qui plaide la cause de La Be´doye`re est publie´ le 7 aouˆt dans L’Inde´pendant. Constant en parle le jour pre´ce´dent dans son journal intime et constate le 7 avec beaucoup de satisfaction que «l’article a du succe`s partout». Mais cette remarque, se rapporte-t-elle a` l’article sur La Be´doye`re ? Nous ne le savons pas. De toute manie`re, le journal sera supprime´ le jour suivant. Fouche´, bien qu’a` l’origine un des fondateurs de ce pe´riodique, n’he´site pas a` le faire supprimer de`s que les opinions exprime´es sont contraires a` ses vues politiques, et Constant commente, non sans ironie : «L’inde´pendant supprime´. je porte malheur aux journaux et aux gouvernemens»1. Si l’attribution de cet article a` Constant ne fait gue`re de 1
Voir OCBC, Œuvres, t. VII, p. 240, note du 8 aouˆt 1815. L’entre´e pre´ce´dente se termine par la phrase «envoye´ un autre petit article». Cet article non identifie´ est sans doute perdu. Courtney, Guide, ne le mentionne pas non plus.
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Me´moires, brochures et articles de journaux
doute, on ne peut, pour justifier cette de´cision, alle´guer qu’une des deux notes du journal intime1.
E´tablissement du texte Imprime´ : L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 99, 7 aouˆt 1815, pp. 2b–3a. Courtney, Guide, non re´pertorie´. L’article a fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 214–215. K. K.
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Voir OCBC, Œuvres, t. VII, p. 240, n. 2. Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, p. 215, n. 1, soutient que la note du 7 aouˆt se rapporte a` l’article sur La Be´doye`re.
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L’impartialite´ dont nous faisons profession
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L’impartialite´ dont nous faisons profession, et le sentiment naturel qu’on doit a` un homme malheureux, nous portent a` inse´rer l’article suivant, qu’un de nos correspondans nous adresse. La manie`re dont il envisage la question particulie`re qui concerne un individu sur lequel pe`se une accusation grave, paraıˆt devoir e´claircir des questions ge´ne´rales d’un grand inte´reˆt. «L’arrestation de M. Labe´doye`re est annonce´e, comme devant eˆtre incessamment suivie de sa mise en jugement et meˆme de sa condamnation. Quelques journaux, sans e´gard pour la position d’un homme pre´venu, accuse´, arreˆte´, semblent vouloir devancer l’action de la justice, et communiquer leurs passions haineuses a` des hommes qui doivent eˆtre les organes impassibles de la loi. On croit pouvoir se permettre, sur des questions de´licates et importantes que fait naıˆtre l’accusation dont il s’agit, quelques observations impartiales, rapporte´es au bien ge´ne´ral et aux inte´reˆts politiques du roi, de la nation et des puissances allie´es. Premie`re obervation. – Quelque grand que puisse paraıˆtre, et que soit re´ellement le crime reproche´ a` M. Labe´doye`re, d’avoir abandonne´ son roi le´gitime pour se ranger sous les drapeaux d’un ursurpateur, ce crime est devenu, au bout de huit jours, commun a` toutes les autorite´s civiles et militaires, qui, par ne´cessite´, par se´duction ou par entraıˆnement, ont suivi la meˆme direction. Une grande partie de la nation et de l’arme´e a consacre´, par son assentiment, la re´volution impre´vue qui s’e´tait ope´re´e, et dont un petit nombre d’hommes sages et clairvoyans ont seuls calcule´ avec pre´cision l’ine´vitable re´sultat. La` ou` le nombre des coupables est infini, d’apre`s Grotius et Puffendorf, l’amnistie pleine et entie`re devient le´gitime, ne´cessaire, et la cle´mence est inspire´e par la justice1. E´tablissement du texte : Imprime´ : L’Inde´pendant, Chronique nationale, politique et litte´raire, no 99, 7 aouˆt 1815, pp. 2b–3a. 1
BC renvoie ici a` l’ouvrage de Samuel Pufendorf, De officio hominis et civis (Les devoirs de l’homme et du citoyen), dont il a probablement consulte´ la traduction franc¸aise de Jean Barbeyrac. On y trouve la phrase suivante : «Souvent aussi on est oblige´ de faire graˆce en faveur du grand nombre de coupables, qu’on ne pourrait punir sans de´peupler l’e´tat en quelque manie`re» (Livre II, chap. xiii, § 15, p. 343). La meˆme pense´e se retrouve dans son
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On est justifie´, non sous le point de vue de la morale, qui ne permet jamais de tole´rer la violation des principes et l’infraction des devoirs, mais sous le point de vue politique, lorsqu’on a plusieurs millions d’hommes pour complices. Seconde observation. – Les anciens et les fide`les serviteurs du roi ne voient, dans l’acte du colonel Labe´doye`re, qui s’est re´uni avec son re´giment a` Napole´on, qu’une re´bellion criminelle et indigne de pardon, une trahison contre le souverain et la patrie, le re´sultat d’une conspiration me´dite´e et pre´pare´e de longue main1. Mais qu’on daigne se mettre un instant a` la place de l’accuse´. Jeune encore, il n’avait jamais servi que sous les drapeaux de Napole´on. Il ne connaissait que depuis dix mois Louis XVIII. Son premier souverain, dont l’abdication ne lui avait paru qu’un sacrifice fait a` la ne´cessite´, reparaıˆt tout-a`-coup devant lui. Une habitude, contracte´e depuis quinze ans, de conside´rer comme son chef le´gitime l’empereur que tous les monarques de l’Europe avaient reconnu, reprend toute sa force ; elle re´veille des affections mal e´teintes. Le prestige de la gloire militaire, de l’ancienne puissance d’un prince rendu plus grand aux yeux de quelques-uns de ses partisans, par l’exil et par le malheur, agit sur une imagination ardente, exalte´e, qui persuade aise´ment qu’on obe´it a` la voix du devoir, dans l’instant meˆme ou` les devoirs les plus sacre´s sont foule´s au pied.
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ouvrage Ius naturae, 8, 3 § 17. Pufendorf se refe`re a` l’ouvrage de H. Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. Sont a` mentionner dans notre contexte les passages 2, 20, §§ 21–27 et surtout 3, 11, § 17. Mais si Grotius reste encore tributaire des anciens (Se´ne`que, Lucain), Pufendorf adapte la doctrine aux conditions des e´tats modernes. La question souleve´e ici par BC dans le contexte d’une ambiance de me´fiance politique (ultras contre libe´raux ou constitutionnels) est reste´e d’actualite´ jusqu’a` aujourd’hui, meˆme si les conditions changent d’un cas a` l’autre. Une amnistie ge´ne´rale apre`s une guerre civile, apre`s les grands conflits des temps modernes ou apre`s une dictature est une re´ponse possible et souvent admise pour e´chapper aux dilemmes re´sultant du fait que les poursuites juridiques sont impuissantes. Les investigations e´chouent parce que les crimes sont trop nombreux. Les proce`s se prolongent, les te´moignages perdent, a` la longue, une partie de leur fiabilite´, sans parler des impacts e´conomiques. On connaıˆt les suites : proce`s spectaculaires contre des hommes politiques ou des responsables particulie`rement brutaux (proce`s de Nuremberg, proce`s contre Eichmann) ; tribunaux internationaux (apre`s la guerre de Yougoslavie), avec les re´sultats peu satisfaisants surtout dans le contexte de conflits ethniques ou ethno-religieux. L’amnistie ge´ne´rale en France d’avril 1946 est un autre exemple a` citer. Qu’une conspiration aurait pre´pare´ le retour de Napole´on est une the`se fort de´battue a` l’e´poque. BC en parle dans ses Me´moires sur les Cent-Jours (OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 154–161), pour soutenir que cette ide´e a e´te´ mise en circulation par les royalistes. La conspiration du nord, de´clenche´e par plusieurs militaires au moment du de´barquement de
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On est force´ de l’avouer : les vicissitudes multiplie´es de nos re´volutions, les changemens fre´quens de gouvernement ont e´branle´, ont pu quelquefois rendre douteuses, en France, depuis vint-cinq ans, les notions morales sur la le´gitimite´ des princes, sur la fide´lite´ des sujets. Egare´ par de fausses ide´es, M. Labe´doye`re a trouble´ une possession de onze mois, pour respecter une possession ante´rieure, prolonge´e pendant quinze anne´es. On ne change pas, en un jour, ses pre´juge´s, ses opinions, ses habitudes, les ide´es bien ou mal fonde´es qu’on a rec¸ues et que le temps a fortifie´es. Sans doute M. Labe´doye`re est inexcusable d’avoir preˆte´, puis viole´ son serment d’obe´issance. La` est son ve´ritable crime. Mais ce crime, on le re´pe`te, a e´te´ ge´ne´ralement commis ; M. Labe´doye`re n’en a point le premier donne´ l’exemple, puisque Napole´on avait de´ja` fait, sans opposition, quarante lieues sur le territoire franc¸ais, avant d’arriver au point ou` le re´giment commande´ par M. Labe´doye`re s’est rendu a` lui. Troisie`me observation. – Les ordonnances du roi portent que les listes des pre´venus du crime de conspiration et de trahison seront pre´alablement soumises aux deux chambres, non pour juger (car des chambres repre´sentatives et le´gislatives ne peuvent exercer des fonctions judiciaires), mais pour faire renvoyer devant les tribunaux ceux des individus inscrits sur ces listes, que la nation paraıˆt devoir accuser spe´cialement1.»
16 portent ] l’Inde´pendant imprime portant faute e´vidente que nous corrigeons
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Napole´on a` Golfe-Juan, n’e´tait pas fomente´e pour faciliter le retour de l’empereur, mais dirige´e contre Louis XVIII et son gouvernement. Cette e´meute e´choua (voir ibid., p. 127, n. 1). BC renvoie ici a` l’ordonnance royale du 24 juillet qui donne les deux listes des personnes qu’on va traduire devant les organes de la justice (militaires et non-militaires). La premie`re phrase dit expresse´ment : «Voulant, par la punition d’un attentat sans exemple, mais en graduant la peine, et limitant le nombre des coupables, concilier l’inte´reˆt de nos peuples, la dignite´ de notre couronne, et la tranquillite´ de l’Europe, avec ce que nous devons a` la justice et a` l’entie`re se´curite´ de tous les autres citoyens sans distinction, [...]». Le second article de cette ordonnance donne les noms des personnes qui doivent se retirer «dans les lieux que notre ministre de la police ge´ne´rale leur indiquera, et ou` ils resteront sous sa surveillance, en attendant que les Chambres statuent sur ceux d’entr’eux qui devront ou sortir du Royaume, ou eˆtre livre´s a` la poursuite des tribunaux» (Journal des De´bats, 26 juillet 1815, p. 4a).
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Petit morceau pour La Be´doye`re 13–14 aouˆt 1815
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Introduction
Constant parle dans son journal intime, sous la date du 12 aouˆt 1815, d’une entrevue avec son ami Charles-Franc¸ois Huchet de La Be´doye`re (1786– 1815), emprisonne´ a` Paris et attendant son proce`s pour haute trahison1. Le colonel La Be´doye`re e´tait passe´ le 7 mars a` Grenoble avec le re´giment que le Roi lui avait confie´, a` Napole´on, mais pas sans conditions, comme on le sait : «Sire, plus d’ambition, plus de despotisme. Il faut que Votre Majeste´ abjure le syste`me de conqueˆtes et d’extreˆme puissance qui a fait le malheur de la France et le voˆtre.» Ce ralliement fut de´cisif, comme le dit Tulard2, et apre`s la chute de Napole´on, La Be´doye`re e´tait, avec le mare´chal Ney, en teˆte de la liste des proscrits. Arreˆte´ le 2 aouˆt3, condamne´ a` mort par le Conseil de Guerre le 15, il fut fusille´ le 19 aouˆt dans la plaine de Grenelle. Constant avait fait la connaissance de La Be´doye`re a` Coppet, ou` il avait joue´ avec lui sur le the´aˆtre de Mme de Stae¨ l. L’entrevue du 12 a` la prison militaire de l’Abbaye aurait e´te´ empreinte, selon le te´moignage de Coulmann, «d’une me´lancolique se´re´nite´», e´voquant le souvenir de Mme de Stae¨ l, leurs se´jours a` Coppet et notamment la repre´sentation de Zaı¨re, dans laquelle ils jouaient tous les deux4. Constant a quitte´ son ami, pleinement conscient qu’«il n’e´chappera pas», comme il le dit dans son journal. Le lendemain de sa visite, il travaille a` ce qu’il appelle un «petit morceau pour La Be´doye`re», c’est-a`-dire a` cette lettre adresse´e a` Decazes, mais destine´e au Roi et dont le but e´tait d’inviter le Roi a` faire usage de son droit de graˆce pour sauver la vie de La Be´doye`re et a` re´concilier, par ce geste, les partis en France en e´vitant une politique de vengeance. «C’est bien inutile», comme il le sent lui-meˆme5. La lettre, remise le 14 a` Decazes fut sans effet. On 1
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Proce`s de Charles de Labe´doye`re, ex-colonel du 7 e de ligne : Ouvrage contenant, avec le portrait du condamne´, tous ses interrogatoires ; son discours devant le 2 e Conseil de guerre permanent ; celui de son avocat devant le Conseil et le re´cit de tout ce qui s’est passe´ depuis son arrestation jusqu’a` sa mort. Pre´ce´de´ d’une notice historique sur ce militaire et sur sa famille ; et suivi de toutes les pie`ces justificatives, Paris : Patris, 1815. Faute d’une biographie sur La Be´doye`re, nous renvoyons a` la notice du Dictionnaire de Biographie franc¸aise, t. XVII, 1989, sous Huchet de La Be´doye`re. Dictionnaire Napole´on, p. 1010. Comme le dit de Bertier de Sauvigny, «tout e´tait pre´pare´ pour le faire passer aux EtatsUnis ; il commit l’imprudence de revenir a` Paris pour faire ses adieux a` sa femme.» (La Restauration, p. 119). J.I., OCBC, Œuvres, t. VII, p. 241, n. 1. Rappelons qu’il fallait une autorisation spe´ciale pour cette visite. BC a su se la procurer. Voir son journal intime, 10 et 11 aouˆt 1815. Voir le J.I. du 13 aouˆt 1815.
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Me´moires, brochures et articles de journaux
connaıˆt les sce`nes dramatiques qui se sont de´roule´es le 19 aouˆt dans le vestibule des Tuileries ou` l’e´pouse de´sespe´re´e de La Be´doye`re supplia le roi d’accorder sa graˆce et les adieux e´mouvants de la jeune femme devant les portes de la prison au moment du de´part du condamne´ pour la plaine de Grenelle1. Le texte de la lettre n’est connu que partiellement, le manuscrit e´tant inaccessible2. Louis-De´sire´ Ve´ron, qui put consulter l’original, en a reproduit d’importants extraits dans ses Me´moires. C’est, comme le souligne E´douard Laboulaye, un des textes les plus nobles qui soit sorti de la plume de Constant. «Toute cette pie`ce est e´crite avec une mode´ration exquise ; on ne peut mieux plaider une cause de´sespe´re´e3.» Constant a pense´, comme il ressort d’une remarque ame`re de son journal intime appartenant au contexte de l’affaire La Be´doye`re, que la «re´action de cannibales [e´tait] ine´vitable4.» Cette observation n’a rien d’exage´re´, comme le sugge`re Laboulaye qui reproduit a` la suite du texte pour La Be´doye`re un passage tire´ d’une adresse au Roi de Chateaubriand publie´e dans le Moniteur du 5 septembre, donc quelques jours apre`s l’e´xe´cution de La Be´doye`re et au de´but du proce`s contre le mare´chal Ney qui sera fusille´ le 7 de´cembre. On y trouve les paroles que voici : «Sire, vous avez deux fois sauve´ la France ; vous allez achever votre ouvrage. Ce n’est pas sans une vive e´motion que nous venons de voir le commencement de vos justices. Vous avez saisi ce glaive que le Souverain du ciel a confie´ aux princes de la terre pour assurer le repos des peuples.» Et l’adresse suppliait le Roi de ne pas s’en tenir la`, «d’e´couter la France qui lui demandait justice a` genoux. Cette justice malheureusement ne´cessaire, le Roi la doit a` son peuple, et sa se´ve´rite´ paternelle sera mise au premier rang de ses bienfaits5.» Ce te´moi1
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Voir le re´cit des e´ve´nements dans Henry Houssaye, 1815, La seconde abdication, pp. 510– 551. Houssaye exploite sans doute l’article anonyme publie´ dans le Journal des De´bats du 21 aouˆt 1815, pp. 2b–3a, qui parle des circonstances dramatiques autour de l’exe´cution de La Be´doye`re. Il se trouve, selon toute vraisemblance, dans les archives du duc Decazes, qui sont ferme´es au public. E´douard Laboulaye, «Benjamin Constant et les Cent-Jours», Revue nationale et e´trange`re, 26, 93e livr., 1867, p. 422. Ve´ron s’exprime de meˆme : «Labe´doye`re trouva un habile et courageux de´fenseur dans Benjamin Constant, ami de la famille. Celui-ci e´crivit en forme de lettre un me´moire, qu’il signa et qui fut remis a` Louis XVIII. Ce me´moire porte la date du 14 aouˆt 1815. On ne lira pas sans e´motion les passages que j’en veux citer : ils honorent le de´fenseur et re´pandent le plus touchant inte´reˆt sur la me´moire de la victime.» (Me´moires d’un bourgeois de Paris, t. II, 1856, p. 57). Signalons encore que les informations au sujet de ce me´moire qu’on trouve dans la Nouvelle biographie universelle de Hoefer (t. XXVIII, col. 354–355) ainsi que les citations reproduites dans ce contexte proviennent de Ve´ron. J.I., 14 aouˆt 1815. Cite´ d’apre`s Laboulaye, ouvr. cite´, pp. 425–426, qui renvoie a` Barante, La vie politique de
Petit morceau pour La Be´doye`re – Introduction
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gnage d’un esprit de vengeance de´guise´e en vertu est a` confronter avec un texte qui se distingue a` la foi par un esprit humain tre`s noble, par une vision politique de haute dignite´ et par une prudence pratique remarquable. Ce n’est pas la dernie`re fois que Benjamin Constant parle dans ses e´crits de La Be´doye`re. Il y revient dans un moment qu’il juge critique et ou` il se de´cide a` reproduire, conside´rablement e´largies et retravaille´es, ses Re´flexions sur les constitutions dans le Cours de politique constitutionnelle. On y lit, faisant e´cho a` un texte reste´ inconnu du public, la re´flexion suivante qui se rapporte a` l’e´poque des Cent-Jours et qui accuse implicitement les juges militaires de la Restauration d’avoir condamne´ le jeune militaire sans admettre les raisons politiques qui ont pu motiver la de´fection du colonel1 : «Il est permis, je le pense, de rendre justice a` ceux qui ne sont plus. J’ai vu l’infortune´ La Be´doye`re paˆlir de remords au moindre symptoˆme d’ille´galite´ ou de violence. Je l’ai entendu me dire, d’une voix que le de´sespoir brisait, qu’il avait perdu son pays en croyant le sauver, et c’est avec conviction que j’affirme qu’il aurait plus souffert du spectacle de la France, si le terme d’une entreprise, qu’il avait inconside´re´ment favorise´e le premier, euˆt e´te´ de la replonger dans la servitude, qu’il n’a pu souffrir en recevant la mort. Si Bonaparte euˆt voulu redevenir un tyran, et que l’on m’euˆt demande´ quel homme se montrerait le plus empresse´ a` le combattre, j’aurais, sans he´siter, nomme´ La Be´doye`re»2. E´tablissement du texte Puisque le manuscrit du texte qui se trouve probablement aux archives de la Grave n’est pas accessible, nous le donnons ici d’apre`s la publication partielle faite par Ve´ron dans ses Me´moires. Imprime´ : Louis-De´sire´ Ve´ron, Me´moires d’un bourgeois de Paris comprenant la fin de l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet et la Re´publique jusqu’au re´tablissement de l’Empire, Paris : Librairie nouvelle, 1856, 5 vol.
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M. Royer-Collard, t. I, 1863, p. 183. L’analyse du climat de vengeance est implacable, le roˆle de Chateaubriand y est mis en relief. Voir le Moniteur du 5 sept. 1815. Devant le conseil de guerre, La Be´doye`re, cherchant des excuses pour sa conduite a` Grenoble, voulait parler de l’e´tat de l’opinion en mars 1815. Le pre´sident l’interrompit en remarquant que les discussions politiques e´taient e´trange`res a` la de´fense de l’accuse´. Proce`s de Charles de Labe´doye`re, pp. 31–35. Voir aussi le Journal ge´ne´ral de France, no 349, 15 aouˆt 1815, pp. 3a–3b, l’article sur l’incident ou` l’e´change des mots est documente´. Et encore Houssaye, 1815, La seconde abdication, p. 509. Voir Re´flexions sur les constitutions, Deuxie`me e´dition, note P, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1213.
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Le texte de Constant se trouve dans le t. 2, pp. 57–62. Courtney, Guide, p. 220, re´pertorie´ comme non identifie´. Re´e´dition du texte de Constant dans E´douard Laboulaye, «Benjamin Constant et les Cent-Jours», Revue nationale et e´trange`re, politique, scientifique et litte´raire, t. 26, 93e livraison, janvier 1867, pp. 422–425, avec quelques petites diffe´rences. K. K.
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J’ai vu M. de Labe´doye`re, et je suis sorti profonde´ment e´mu de cette entrevue. Tant de courage, un sentiment si vrai de ses erreurs politiques, une telle douleur de celle qu’il cause a` sa femme ange´lique, une carrie`re jadis brillante et si toˆt finie : toutes ces choses m’ont touche´ a` un point dont je sens que cette lettre portera l’empreinte. Cependant, ce n’est pas de M. de Labe´doye`re pre´cise´ment que je prends la liberte´ de vous entretenir. C’est pour vous soumettre des ide´es plus ge´ne´rales dont il a e´te´ l’occasion, mais dont l’inte´reˆt de la France et du roi peuvent profiter. Ne serait-il pas possible de diriger la de´fense de M. de Labe´doye`re dans un sens qui, explicatif des sources du me´contentement qui a facilite´ le retour funeste de Bonaparte, prouvaˆt en meˆme temps que ces sources sont taries, et que ce me´contentement ne peut renaıˆtre ? M. de Labe´doye`re est tre`s-coupable ; mais il a e´te´ rendu tel par le parti qui, depuis quinze mois, de´joue toutes les intentions du roi, et tient notre pays dans un e´tat de crise continuelle. Ce parti, que le gouvernement combat lui-meˆme, puisqu’il se´vit contre les journalistes qui attaquent les acque´reurs de biens nationaux et tous les hommes de la re´volution, puisqu’il casse les arreˆte´s royalistement jacobins de M. de Fitz-James, et fait poursuivre les assasins du mare´chal Brune, ce parti a cre´e´, pre´pare´, alimente´ tous les germes d’inquie´tudes1. Quand le roi voulait eˆtre bienveillant pour l’arme´e, ce parti n’a-t-il pas, de`s 1814, insulte´ l’arme´e de manie`re a` la re´volter ? Quand le roi promettait la cle´mence et l’oubli, ce parti n’a-t-il pas aigri tous les souvenirs et seme´ toutes les alarmes ? Quand le roi consolidait la proprie´te´, ce parti ne l’e´branlait-il pas ? Voila` la ve´ritable cause des fautes qui ont e´te´ commises et des erreurs qui ont eu lieu. Quand le roi est revenu l’anne´e dernie`re, tous E´tablissement du texte : Imprime´ : Louis-De´sire´ Ve´ron, Me´moires d’un bourgeois de Paris, t. 2, pp. 57–62. 1
Le mare´chal Guillaume-Marie-Anne Brune (1763–1815), rallie´ aux Bourbons en 1814, mais rentre´ dans le camp de l’Empereur pendant les Cent-Jours, il de´fendit le drapeau tricolore encore en juillet 1815 a` Toulon, avant de ce´der au pouvoir royal restaure´. Il e´tait sur le chemin de Paris lorsqu’il fut reconnu a` Avignon par une meute de royalistes. Son meurtrier, un certain Guindon, dit Roquefort, fut condamne´ a` mort, par contumace, par la cour royale de Nıˆmes en 1821 (Nettement, Histoire de la Restauration, t. III, p. 213).
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les cœurs e´taient a` lui. L’arme´e elle-meˆme e´tait facile a` reconque´rir. Le roi l’aurait fait ; mais autour de lui retentissaient des cris de vengeance ; autour de lui circulaient des projets de renversement. On a pris ces projets pour l’intention secre`te du roi, et quand un homme s’est pre´sente´, l’on a vu un abri contre les perse´cutions et une garantie pour les inte´reˆts. Ce syste`me, qui a fait tant de mal, se poursuit encore. Vous en avez la preuve dans la lutte si fatigante et si peu e´gale que vous soutenez contre les journaux, et dans les proclamations et les actes de ces hommes exage´re´s, momentane´ment reveˆtus et quelquefois usurpateurs du pouvoir, et dans ces massacres qui doivent affliger bien plus les amis du roi que la faction ennemie, et qui servent de pre´texte aux e´trangers pour inonder, de´vaster et de´pouiller notre territoire1. [...] Mais la rigueur, qui serait justice dans un temps ordinaire, l’est-elle e´galement lorsque le gouvernement reconnaıˆt qu’en son nom (je ne dis pas par lui) des fautes ont e´te´ commises et des alarmes donne´es ? Que ces calomnies fussent chime´riques, je l’ai toujours cru, je l’ai toujours dit ; mais on a eu tort par cela meˆme qu’elles ont existe´, et le meilleur, le seul moyen de les dissiper, c’est de mitiger envers ceux qui ont eu le malheur de les concevoir et de se laisser entraıˆner par elles la se´ve´rite´ des lois communes. Je sais qu’on recommande a` grands cris cette se´ve´rite´. L’on pre´tend que c’est par trop d’indulgence et par faiblesse que le gouvernement royal a succombe´ de´ja` une fois. Non, le gouvernement royal n’a pas e´te´ faible dans le sens ou` on l’affirme. [Benjamin Constant de´montre par une se´rie de preuves cette proposition, et il continue ainsi :] Il y a dans l’esprit de tous les hommes une rectitude qui rend involontairement justice a` ce qui est. Or, cette rectitude distingue le roi de ce qui l’entoure. Elle le distingue et des e´trangers qui veulent re´volter les Franc¸ais pour achever de les perdre, et de ces hommes qu’une absece de vingt-cinq ans et des passions aigries ont rendus plus e´trangers encore a` la France. Des ge´ne´raux a` la teˆte de leurs corps sont de´cre´te´s d’accusation. Une arme´e qui n’est pas encore dissoute est abreuve´e d’outrages dans les journaux. Les 1
Le tableau brosse´ ici repose sur une comparaison entre les fautes du parti royaliste et du gouvernement de la Premie`re Restauration qui ont facilite´ le retour de Napole´on et les fautes du meˆme parti qui se manifestent aux de´buts de la Seconde Restauration. La Terreur blanche, e´voque´e ici par l’assassinat du ge´ne´ral Brune a` Avignon (2 aouˆt 1815), et les activite´s d’E´douard duc de Fitz-James, ultra-royaliste, pair de France, est pre´sente´e comme un mouvement contraire aux intentions du roi. Les analyses esquisse´es ici seront reprises avec plus de de´tails et moins de me´nagements pour les royalistes dans les Me´moires sur les Cent-Jours. Voir p. ex. les remarques sur Fitz-James dans le Carnet de notes (OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 461).
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protestants sont e´gorge´s. Tout ce qui porte le nom de patriote est en pe´ril, et ce pendant il n’y a pas de guerre civile1. Pourquoi ? C’est que la bonte´ du roi est encore l’espoir de tous. Sa bonte´ est dans ce moment l’ange tute´laire de la France. Entre la guerre civile et nous il n’y a que le roi. Changez la personne du roi, je le dis franchement, l’alarme est au comble, et la fureur sera le re´sultat de l’effroi. J’affirme donc que cette se´ve´rite´ tant vante´e, parce qu’on croit faire preuve de ze`le en sacrifiant ce qui n’est pas soi, cette se´ve´rite´ qui n’a jamais sauve´ un gouvernement (car si vous relisez l’histoire, vous verrez que toujours, par les actes de se´ve´rite´, les gouvernements qui avaient cru se sauver ont e´te´ plus en danger que jamais), j’affirme que cette se´ve´rite´ n’est pas le moyen de salut que les circonstances demandent, que si l’on veut eˆtre se´ve`re, il ne faut frapper qu’une seule teˆte, et que M. de Labedoye`re, quelque coupable qu’il soit, n’est pas la teˆte qu’il faut frapper, si l’on en veut une. Je ne me pardonnerais pas, a` moi qui n’ai pas cette fatale mission, de de´signer une victime, et je sais que je ne puis tracer les mots qui l’indiqueraient. Mais M. de Labe´doye`re peut alle´guer l’emportement, la nonpre´me´ditation, la franchise, la jeunesse... Je m’arreˆte, car ma main tremble en pensant que cette insinuation est de´ja` trop claire, et je ne dois pas, en plaidant pour la vie de l’un, recommander la mort de l’autre. Je reviens a` M. de Labe´doye`re. Le fait est sans excuse. M. de Labe´doye`re ne peut qu’eˆtre condamne´. Il m’a parle´ de sa de´fense. Il y avait deux routes a` suivre : l’une d’essayer de justifier son action par la violence de certains traite´s, etc. ; l’autre, de convenir du de´lit en exposant les causes qui, e´trange`res au roi lui-meˆme, viennent des projets annonce´s, des insinuations, des menaces que des hommes inconside´re´s ont trop fait retentir autour de nous. Je lui ai conseille´ de diriger sa de´fense dans ce sens. J’ai eu le triste courage de lui de´clarer que j’aimerais mieux le voir pe´rir que de l’entendre se justifier d’une manie`re qui reproduirait des questions fatales. Je pense qu’il adoptera ce syste`me de de´fense, et je dois dire qu’avant notre conversation, son penchant e´tait de ne rien dire qui ne fuˆt plein de respect pour les intentions du roi. Le´galement, aucune de´fense ne peut le sauver. Mais je crois, et Dieu m’est te´moin que je mets de coˆte´ l’inte´reˆt que m’inspire son malheur... je crois, dis-je, dans l’inte´reˆt du roi, qu’une mitigation de la peine, une de´tention se´ve`re dans un 1
Autres e´ve´nements de la Terreur blanche. BC pense probablement a` la dissolution de l’arme´e de la Loire, a` la de´mission de Davout et a` la liste des ge´ne´raux proscrits. L’autre fait mentionne´ concerne les massacres de protestants de Nıˆmes, souvent partisans de Napole´on, tandis que la population catholique minoritaire soutenait la monarchie.
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chaˆteau-fort, vaut mieux que le sang de ce jeune homme verse´ dans la plaine de Grenelle. Je pense que cet acte de cle´mence serait un gage de re´conciliation avec notre malheureuse arme´e... Je pense que cette plaine de Grenelle n’ayant e´te´ rougie du sang d’aucun homme durant les trois mois de Bonaparte, il serait heureux qu’elle ne le fuˆt pas sous le roi. Je pense enfin que s’il faut une victime, ce n’est pas celle-la` qu’il faut. C’est a` pre´sent, c’est en e´crivant que je regrette que des intentions pures, mais ou` j’ai mal vu peut-eˆtre, m’aient fait accepter des fonctions sous Bonaparte1. Ah ! si j’avais encore l’avantage que j’avais conserve´ quinze ans, de ne l’avoir jamais ni approche´ ni servi, avec quelle force je parlerais ! Quel poids me donnerait ma conviction intime ! Combien persuasive serait ma conscience ! Enfin je fais ce que je puis. Je respecte le roi ; je forme des vœux pour lui ; je suis reconnaissant d’un acte de bonte´ a` mon e´gard. Je ne puis le servir autrement qu’en vous soumettant ce que je pense, ce que je sens avec une force inexprimable... Je de´pose donc ces repre´sentations en faveur d’un homme dont la mort ne sera pas un acte d’injustice, mais dont la vie sera salutaire... Je sais qu’il faut dans le roi une grande force pour re´sister aux reproches de faiblesse ; mais la bonte´ aussi est une force : c’est celle de la Divinite´ : ce doit eˆtre celle du roi2.
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On a souvent dit que BC avait trahi ses principes par son ralliement a` Napole´on. Cette phrase nous invite a` soutenir l’opinion contraire. Ve´ron ajoute encore cette remarque : «Ces conseils ne furent point entendus ; le colonel Labe´doye`re mourut avec le plus grand courage.» (Me´moires d’un bourgeois de Paris, p. 62).
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[Un me´moire]
Dans une note du Journal intime, date´e du 21 aouˆt 1815, nous lisons : «Fait un me´moire1». Puisque Constant vient de lancer le projet qui deviendra les Me´moires sur les Cent-Jours, on pourrait penser que le me´moire en cause est peut-eˆtre un morceau a` rattacher a` cette entreprise. Mais nous ne disposons d’aucun e´le´ment positif pour appuyer cette hypothe`se. Il faut se rendre a` l’e´vidence que nous ne pouvons d’aucune manie`re pre´ciser de quoi il s’agit. K. K.
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OCBC, Œuvres, t. VII, p. 241.
Article pour Le Courrier Des Opinions et des Inte´reˆts pendant la Re´volution par J. Fie´ve´e 10 septembre 1815
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Introduction
Le compte rendu de l’ouvrage de Joseph Fie´ve´e, attribue´ par E´. Harpaz a` Benjamin Constant1, est un texte curieux. Il fait e´tat de`s le de´but de la grande curiosite´ suscite´e par le titre, pour parler, dans la troisie`me phrase, d’une certaine de´ception. La curiosite´ e´tait, semble-t-il, ge´ne´rale, si l’on en croit un petit article du Journal des De´bats paru le 1er aouˆt 1815 qui dit ceci : «M. Fie´ve´e, l’un de nos meilleurs e´crivains politiques, va rentrer, a` ce qu’il paroıˆt, dans la carrie`re litte´raire, apre`s avoir parcouru avec un e´gal succe`s, pendant plusieurs anne´es, la carrie`re administrative. Il livre en ce moment au public un ouvrage ayant pour titre : Des Opinions et des Inte´reˆts pendant la re´volution, sujet sans contredit, des plus importans, et qui ne peut qu’exciter vivement la curiosite´ des lecteurs, e´tant traite´ par un e´crivain qui s’est surtout fait remarquer par une rare fe´condite´ d’ide´es. Cet ouvrage fut imprime´ au commencement de 1809 ; mais il ne fut point mis en vente, l’auteur, ainsi que nous l’apprenons dans un avertissement de quelques lignes, ‘ayant e´te´ alors appele´ au Conseil d’Etat, et s’appliquant un principe qu’il a rigoureusement professe´ a` l’e´gard des autres ; savoir, qu’un homme en place ne doit point publier ses opinions, dans la crainte que ses opinions et ses devoirs ne se trouvent en contradiction.’ C’est donc un ouvrage tout-a`-fait nouveau pour le public ; il paroıˆt tel qu’il a e´te´ imprime´ en 1809, sans addition ni retranchemens, ainsi que peuvent l’attester les personnes a` qui l’auteur en a donne´ quelques exemplaires dans le temps. Une singularite´ qui frappera certainement le lecteur, c’est qu’on n’y trouve pas un mot d’e´loge pour celui qui gouvernoit alors la France, et qui pourtant e´toit au plus haut point de sa prospe´rite´. Nous en rendrons incessament un compte plus e´tendu2.» L’article explique du coup deux choses qui e´taient reste´es sans re´ponse : la date de publication est bien 1809, il n’y eut pas
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Voir Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, p. 222, n. 1. Harpaz justifie son attribution par la note du J.I. du 9 septembre 1815, ou` BC dit avoir e´crit un article pour le Courrier. Cet argument a beaucoup de force, meˆme s’il faut admettre que ce compte rendu tronque´ a` la fin ne permet pas de se prononcer avec une dernie`re certitude sur la paternite´ de cet article. On pourrait effectivement penser que cet article n’a pas tout-a`-fait rendu justice a` la nouveaute´ du projet de Fie´ve´e. Journal des De´bats, 1er aouˆt 1815, p. 4a–4b. Le compte rendu annonce´ a paru en trois articles, signe´s de Dussault, les 4, 12 et 20 septembre 1815.
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de seconde e´dition de l’ouvrage1 ; et le de´sir des lecteurs de trouver dans cet ouvrage une explication a` l’un des proble`mes les plus importants de l’histoire de la Re´volution, le roˆle primordial de ce que l’on peut appeler l’opinion publique2. Constant ne s’arreˆte pas a` la date de publication, de sorte que nous pouvons penser que les lecteurs de 1815 e´taient au courant des raisons du retard de plus de six ans. Il parle par contre presque exclusivement du malaise qu’il ressent en compulsant cet ouvrage qui ne parle point de la Re´volution franc¸aise. Au lieu de satisfaire les curiosite´s politiques, Fie´ve´e parle de l’histoire de France, ou plutoˆt il de´veloppe une the´orie de l’histoire de France dans l’intention de de´couvrir les mobiles des changements successifs qui se sont produits au cours des aˆges depuis le sie`cle de Clovis jusqu’a` l’e´poque actuelle. Le but est clairement annonce´ par l’extrait des Pense´es de Pascal qui se trouve sur la page de titre. Le compte rendu semble presque faire abstraction de tout cela. On constate encore, ce qui est tout-a`-fait exact, que cet ouvrage est conc¸u comme l’introduction a` un essai plus important (Fie´ve´e le dit dans sa pre´face), que les de´monstrations de l’auteur manquent de clarte´ et de pertinence, que le lecteur risque de se perdre dans des de´monstrations peu claires et pas toujours bien e´crites, etc. Un tre`s long extrait termine ce compte rendu inacheve´.
E´tablissement du texte Imprime´ : «Des Opinions et des Inte´reˆts pendant la Re´volution, par J. Fie´ve´e», Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 133, 10 septembre 1815, pp. 3b– 4b. Courtney, Guide, D58. Le texte a fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 219–226. K. K.
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Voir Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, p. 222, n. 2, ou` cette question est souleve´e, mais reste sans re´ponse. Cette hypothe`se explicative est originale, et il est tre`s compre´hensible que Fie´ve´e ne la lance pas sans scrupules. L’ouvrage, qu’il appelle une introduction a` un texte plus e´tendu et de´ja` totalement re´dige´, e´tait conc¸u pour susciter des objections et lancer une discussion.
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Des Opinions et des Inte´reˆts pendant la Re´volution par J. Fie´ve´e a
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Avec cette e´pigraphe : «Je voudrais de bon cœur voir le livre italien dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres : Della Opinione Regina del Mundo ; j’y souscris sans le connaıˆtre, sauf le mal s’il y en a.» (Pense´es de Pascal)1
Le titre de cet ouvrage nous a porte´s d’abord a` le rechercher, et la re´putation de l’auteur ajoutait encore a` cet empressement. Notre seconde pense´e fut de faire connaıˆtre a` nos lecteurs, par un jugement impartial, un e´crit susceptible d’exciter en eux la plus vive curiosite´. Mais de´sappointe´s de`s les premie`res lignes qui enle`vent tout-a`-coup le lecteur aux temps actuels pour le transporter au sie`cle de Clovis, nous avons trouve´ dans le fond des choses meˆme une foule d’obstacles a` l’exe´cution de notre re´solution. D’abord un voile d’obscurite´ re´pandu comme a` dessein sur tout cet e´crit, ne permet aucunement de de´meˆler le but et les intentions de l’auteur. S’estil propose´ de dessiller les yeux des hommes des divers partis, de montrer a` tous la source commune de leurs diffe´rentes erreurs, de prouver que ces erreurs remontent jusqu’aux temps les plus recule´s de notre histoire, et de rallier les bons esprits autour d’un certain nombre d’ide´es justes et positives ? Croit-il, avec tant d’hommes e´claire´s, a` l’impossibilite´ de retourner a` l’ancien ordre de choses et aux institutions qui n’ont pu re´sister au premier a
Un vol. in–8o. Prix: 3 fr. 50. c. et 4 fr. 50. c. par la poste. A Paris, chez Le Normant, rue de Seine, no 8. E´tablissement du texte : Imprime´ : Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 133, 10 septembre 1815, pp. 3b–4b.
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Le texte de l’e´pigraphe est tire´ de la pense´e no 82 (e´d. Brunschvicg) de Pascal. Le livre italien dont il est question chez Pascal n’a pu eˆtre identifie´. Harpaz (Recueil d’articles, 1795–1815, p. 222, n. 3) signale qu’on peut rapprocher l’e´pigraphe d’une autre pense´e de Pascal : «L’empire fonde´ sur l’opinion et l’imagination re`gne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire ; celui de la force re`gne toujours. Ainsi l’opinion est comme la reine du monde, mais la force en est le tyran» (e´d. Brunschvicg, no 311). La faute («Mundo») se trouve de´ja` sur la page de titre de l’ouvrage de Fie´ve´e.
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choc de la re´volution ? Est-il un publiciste vieilli dans les ide´es de la monarchie absolue, mais qui, assez e´claire´ pour ce´der au torrent de l’opinion, conseille a` un prince de concentrer le pouvoir dans ses mains, en accordant des illusions et des de´dommagemens fictifs aux passions et aux inte´reˆts du moment1 ? Accuse-t-il Richelieu et Mazarin d’avoir pre´cipite´ la France vers les ide´es de de´mocratie, en exage´rant le pouvoir royal et en e´levant malgre´ eux le peuple sur les ruines des grands ? Veut-il le re´tablissement des trois ordres et cette espe`ce d’e´quilibre ou` leurs influences re´ciproques, quoiqu’agissant en sens oppose´, dans beaucoup de circonstances, semblaient faire un contrepoids a` l’autorite´ du monarque, et de´fendre la liberte´ publique ? Admet-il, au contraire, la nouvelle ponde´ration des pouvoirs e´tablie par nos constitutions modernes, ou` le prince, de´barrasse´ de la responsabilite´ personnelle, par la responsabilite´ individuelle et collective du ministe`re, doublement inviolable par le caracte`re sacre´ dont il est reveˆtu, et graˆce a` l’heureuse position qui le met a` l’abri des reproches du peuple, ne semble eˆtre que la cle´ de la vouˆte dans l’e´difice social ? Est-il, avec des modifications qu’un si bon esprit ne peut s’empeˆcher d’adopter, l’homme des temps anciens ou l’homme des temps modernes ? Certes, voila` bien des questions dont la solution doit influer beaucoup sur le jugement que l’on portera de l’e´crit de M. Fie´ve´e, et puisqu’il laisse l’esprit dans un pareil doute, on ne doit pas s’e´tonner que nous he´sitions a` e´mettre une opinion pour laquelle nous manquons de base certaine. Dans tout e´tat de cause, nous craignons que l’auteur n’ait pris bien loin ses exemples, et que la de´monstration dont il va chercher les e´le´mens jusque sous le re`gne de Clovis et de Charlemagne, ne soit plutoˆt subtile et inge´nieuse que rigoureuse et pre´cise2. Nous craignons encore qu’on ne lui reproche l’abus des ide´es abstraites et un de´faut de clarte´ que l’affectation de la brie`vete´ rend encore plus sensible. Nous avons fait a` cet e´gard une singulie`re remarque. Quand M. Fie´ve´e remue la poussie`re de nos vieilles annales, sa pense´e et son style contractent quelque chose de l’obscurite´ des temps anciens ; mais a` mesure qu’il avance vers nous en revenant sur ses pas, les te´ne`bres dont il aime a` s’envelopper se dissipent, et il retrouve par degre´ la clarte´ qu’il avait perdue. Nous avons dit notre embarras pour de´meˆler le but des intentions et des principes de l’auteur ; une autre difficulte´ nous a encore de´fendu d’adopter et d’e´mettre une opinion sur son e´crit. Cet e´crit est l’exorde d’un livre compose´ par M. Fie´ve´e, et qui repose tout entier sur les opinions et les inte´reˆts pendant la re´volution3. L’auteur pose en 1 2 3
Voir les re´flexions de Fie´ve´e sur la fronde, pp. 157–159. Se rapporte a` la premie`re partie de l’ouvrage, ou` Fie´ve´e parle longuement de ces deux monarques, mais toujours avec l’ide´e que c’est l’opinion qui dirige les e´ve´nements. Allusion a` un passage de l’introduction qui de´veloppe cette ide´e : «Cette crainte [i.e. de n’avoir baˆti qu’un syste`me, au lieu d’avoir trouve´ une the´orie consistante] si naturelle est en
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principe que le choc des inte´reˆts e´branle seulement les e´tats et ne change pas leur constitution, tandis que la lutte des opinions a renverse´ les empires les plus solides1. Cette distinction peut n’eˆtre qu’une inge´nieuse hypothe`se, elle peut au contraire me´riter d’eˆtre vante´e comme un de ces traits heureux qui jaillissent de la teˆte d’un penseur et se re´pandent comme la lumie`re sur une vaste composition. On sent que pour admettre l’une ou l’autre de ces deux propositions, il faudrait avoir lu l’ouvrage dont l’e´crit que nous annonc¸ons est la pre´face. Ici l’application du principe aux faits et aux e´ve´nemens est la pierre de touche du lecteur. Si cette application se trouve vraie et juste, M. Fie´ve´e doit eˆtre place´ au rang des hommes rares, qui joignent a` une instruction e´tendue et solide un jugement suˆr et un esprit inge´nieux. La re´compense de l’e´crivain ne se bornera pas aux vains e´loges que me´rite le talent, il obtiendra encore la conside´ration attache´e a` l’utilite´. En effet, la meˆme rectitude qui lui aura fait discerner la cause de nos erreurs et de nos fautes, lui aura sugge´re´ ne´cessairement des ide´es et des conseils dont nous pourrons profiter pour les re´parer. Il aura donc ajoute´ a` notre expe´rience politique, et nous pourrons puiser dans son livre des re´formes utiles dans le mode de gouvernement que nous avons voulu e´tablir. Car, nous n’en doutons pas, les changemens perpe´tuels qui nous entraıˆnent d’une forme de gouvernement a` une autre, viennent encore moins de l’inconstance de nos cœurs et de la chaleur de nos passions, que de quelque grande erreur qui nous conduit dans de fausses routes. Et, apre`s tant d’e´preuves et de tentatives infructueuses, il ne serait pas e´tonnant qu’un observateur e´claire´ par le spectacle meˆme de nos vicissitudes, et par une comparaison approfondie de ce que nous avons e´te´ et avec ce que nous sommes ne vıˆnt tout a` coup nous re´ve´ler une ve´rite´ importante et fe´conde en re´sultat.
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meˆme temps si de´courageante, qu’il ne faut pas s’e´tonner s’il profite de la facilite´ de diviser son travail, afin d’en haˆter un jugement dont il a besoin pour suivre ou abandonner une entreprise qui seroit sans de´dommagement, si elle e´toit reconnue par le Public e´claire´ devoir eˆtre sans utilite´. Tel est le motif qui m’a de´cide´ a` publier cette Introduction.» (Des Opinions, pp. vj-vij). Ceci est effectivement au centre de l’ouvrage de Fie´ve´e. Un des exemples les plus frappants est l’analyse de la politique de Necker : «Combien de changemens n’avoient point e´prouve´s, pendant un si long intervalle de temps, la noblesse, le clerge´, le tiers-e´tat, et surtout l’esprit public qu’on essayoit de reporter vers un ordre de choses dont on avoit si peu d’ide´es pre´cises, que M. Necker, alors en possession du cre´dit d’un premier ministre, s’adressa au public pour apprendre quels e´toient les droits et les formes de l’assemble´e des E´tats-ge´ne´raux ! provocation imprudente, qui mit les inte´reˆts de l’Etat a` la merci des Opinions, qui fit e´clater la division entre les Ordres et commencer les attaques contre l’autorite´, avant meˆme que les combattants fussent en pre´sence.» (Des Opinions, pp. 172–173).
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Toutes ces conside´rations justifient assez le parti que nous prenons en ce moment de ne pas prononcer sur l’e´crit de M. Fie´ve´e ; mais en suspendant notre jugement, nous ne nous refuserons pas sans doute a` dire que cette production annonce un esprit a` la fois inge´nieux et accoutume´ a` de graves me´ditations, une instruction solide et bien dige´re´e, et enfin un e´crivain exerce´ qui sait prendre avec fide´lite´ plusieurs tons diffe´rens, et surtout choisir pour sa pense´e les mots qui en sont l’expression la plus fide`le. Nous prenons l’engagement de revenir sur cet e´crit au moment de la publication de l’ouvrage dont il est l’introduction ; en attendant, nous allons, par deux citations d’un genre tout oppose´, mettre nos lecteurs a` meˆme de connaıˆtre la manie`re de l’auteur1. Voici comment il trace le re`gne de Louis XIV : «Aussi, le re`gne de Louis XIV, conside´re´ avec raison comme l’e´poque la plus brillante de l’histoire de France, n’est-il pas plus remarquable par l’e´clat qu’il a re´pandu sur notre nation, qu’en ce qu’il indique l’entier ane´antissement des liberte´s de la monarchie, telles que nos aı¨eux les avaient conc¸us. Le´gislation, police, justice, finances, tout se concentre dans la main du roi ; l’inde´pendance de la noblesse n’est plus qu’un souvenir ; le parlement, qu’un corps judiciaire ; le pouvoir municipal, qu’une vaine formalite´. Le gouvernement devient incontestablement absolu, c’est-a`-dire ge´ne´ral ; et s’il n’est pas despotique, c’est que les mœurs des peuples survivent quelques temps aux inte´reˆts et aux coutumes qui les ont forme´es. Louis XIV qui, dans son enfance, assista aux derniers combats entre les anciennes liberte´s et l’agrandissement du pouvoir royal, avait senti la ne´cessite´ d’attirer a` lui et de me´nager toutes les vanite´s, sans jamais autoriser aucune pre´tention politique : art admirable que lui donna sur l’opinion une autorite´ aussi peu conteste´e que celle qu’il exerc¸ait par les droits de sa naissance. Les grands se range`rent avec empressement autour d’un troˆne ou` sie´geaient la gloire et les plaisirs ; et le souverain leur permit de douter si le troˆne ne recevait pas autant d’e´clat de leur pre´sence qu’ils en tiraient eux-meˆmes de la faveur du souverain. Plus l’autorite´ s’e´levait, plus facilement on laissait s’introduire dans le langage quelque chose d’inde´fini qui donnait au devoir l’apparence du de´vouement ; et c’est une chose vraiment digne d’eˆtre observe´e, que les expressions, les formes et les manie`res a` l’e´gard du pouvoir royal ne furent jamais plus de´barrasse´es de tout ce qui ressemble a` la servitude qu’au moment ou` ce pouvoir devint absolu. Servir le prince eut la meˆme signification que servir la patrie, et fut en effet la meˆme chose ; car si le service n’e´tait pas se´pare´ de l’espoir des re´compenses, il e´tait sa condition : fortune, repos, sante´, tout e´tait donne´ d’avance pour attirer les regards d’un mo-
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Il n’y a qu’une seule citation. L’article aurait-il e´te´ ampute´ d’une partie de ses preuves ?
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narque auquel, dans l’impossibilite´ de payer tout ce qu’on faisait pour lui, il ne restait souvent a` offrir qu’une approbation toujours regarde´e comme le de´dommagement des plus grands sacrifices. On ne trouverait pas mieux dans les re´publiques les plus vante´es, et l’on y chercherait vainement l’espe`ce de re´serve que les anciennes ide´es d’inde´pendance avaient su mettre au de´vouement. Les meˆmes hommes qui se donnaient tout entiers a` leur roi, ne lui abandonnaient pas leur honneur ; autant il euˆt e´te´ vil de murmurer de rester sans re´compense, autant il e´tait noble de de´fendre les droits attache´s a` celles qu’on avait rec¸ues ; on n’osait se plaindre d’un oubli, on se plaignait hautement d’un passe-droit ; le ge´ne´ral qui refusait de servir en second sous un ge´ne´ral moins ancien en grade que lui, courait exposer sa vie dans la meˆme arme´e comme simple gentilhomme ; et, par un de ces scrupules de l’honneur, plus faciles a` concevoir qu’a` expliquer, on sollicitait quelquefois comme une graˆce du monarque ce qu’on aurait e´te´ oblige´ de refuser s’il en euˆt donne´ l’ordre. On peut dire de Louis XIV qu’il sut tirer de la vanite´ plus que les le´gislateurs anciens n’ont espe´re´ des vertus et des lois ; mais ce secret mourut avec lui, parce qu’il tenait autant a` la dignite´ de son caracte`re qu’aux sentimens d’une noblesse qui, pour se soumettre avec fierte´, avait toujours besoin d’aller au-dela` de ce que le monarque pouvait exiger d’elle. Il ne faut pas s’e´tonner de ce que la cour de ce prince nous paraıˆt si imposante par le respect de toutes les convenances ; les convenances remplac¸aient les droits, re´glaient les devoirs, et remplissaient le vide que laissait dans la le´gislation le passage du pouvoir limite´ au pouvoir absolu. Les grands sentaient ce qu’ils avaient e´te´, et n’avouaient pas ce qu’ils avaient perdu ; le monarque jouissait de toute la ple´nitude de son autorite´, et la cachait sous les formes d’une protection paternelle dans ce qui n’inte´ressait pas le gouvernement. La grandeur meˆme alors fut soumise aux convenances sur le troˆne comme dans les arts ; et le gouˆt s’y montra assez suˆr pour fixer les limites entre la gloire et l’ambition, entre le sublime et le gigantesque. Si la cour de ce prince est encore aujourd’hui pre´sente dans toute l’Europe par l’esprit qui y re´gnait, c’est qu’il fallait beaucoup d’esprit pour soutenir le roˆle dont chacun s’y trouvait charge´ ; la langue franc¸aise en acquit une de´licatesse d’autant plus se´duisante, qu’elle n’oˆte rien au naturel, et lui donne la graˆce, la finesse, sans lesquelles le naturel ne me´rite pas d’entrer dans les plaisirs de l’imagination1.»
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Des Opinions, pp. 160–165.
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[Prie`re]
Le texte de la prie`re que Benjamin Constant a re´dige´ au moment ou` il fre´quentait le cercle de Mme de Krüdener a` l’intention de Mme Re´camier est publie´, pour des raisons de cohe´rence, dans le tome IX des Œuvres comple`tes dans la rubrique «E´crits d’inspiration personnelle ou religieuse».
Prospectus du Journal des Arts 10 septembre 1815
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Introduction
Deux mois apre`s la chute de Napole´on, Constant s’engage a` nouveau dans les discussions politiques domine´es par les conflits entre les partisans des royalistes ultras et les de´fenseurs du re´gime base´ sur la charte constitutionnelle. Il expose un programme libe´ral, avec beaucoup de prudence et de mode´ration, presque sans se laisser entraıˆner par la verve pole´mique qui lui est propre, mais en de´signant clairement le danger a` combattre : les tentatives de re´tablir les formes, et avec les formes l’esprit de l’Ancien Re´gime, ce qui signifie, selon une des expressions che`res a` Constant, que les «royalistes [exage´re´s] sont les ve´ritables re´volutionnaires contre nos institutions»1. D’ou`, pour Constant, le roˆle e´minent de Louis XVIII, roi mode´re´ et veillant au salut de son peuple en prote´geant la Charte, garantie des liberte´s. Cette image ide´aliste est loin de la re´alite´, comme il le sait tre`s bien ; elle a la fonction d’une position de combat prudente. Le prospectus annonce par conse´quent des articles et des analyses politiques (son but principal), un programme culturel qui appuie l’esprit de liberte´ (philosophie, litte´rature, sciences, the´aˆtre, arts, etc.). Relevons encore qu’il annonce des articles sur l’instruction publique, dont l’importance pour la vie d’une nation va s’accroissant. Le nouveau journal n’existera pas longtemps. Le dernier nume´ro paraıˆtra le 3 octobre 1815.
E´tablissement du texte Imprime´ : Journal des Arts et de la Politique, no 1, 10 septembre 1815, pp. 1a–2a. Courtney, Guide, D57. Le texte a fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 223–226. K. K.
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Expression du «Prospectus». Voir ci-dessous, p. 133.
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Au moment ou` des e´ve´nemens d’une haute importance ont donne´ a` la France une attitude presque nouvelle, et ou` la nation re´unie sous le sceptre de l’ancienne dynastie qui l’a gouverne´e durant tant de sie`cles, va essayer de trouver, dans ses institutions modifie´es et perfectionne´es, l’ordre et la liberte´, deux choses qui souvent lui ont e´te´ promises, et qu’elle n’a pu atteindre depuis vingt-cinq ans, l’e´tablissement d’un nouveau journal nous semble avoir quelques avantages. C’en est un d’arriver neuf au milieu de tant de passions qui se sont aigries par leur dure´e meˆme, de n’avoir pris avec les opinions ou avec les hommes aucun engagement ante´rieur, de n’eˆtre lie´ d’avance a` aucun parti ni aucun syste`me, et de pouvoir ainsi profiter des lec¸ons de l’expe´rience, sans encourir le reproche d’inconse´quence ou de versatilite´. La position de la France nous paraıˆt, a` quelques e´gards, pereille a` celle ou` elle e´tait place´e en 1791. Nous mettons a` part les questions que peut faire naıˆtre le se´jour des e´trangers au cœur du royaume ; si ces questions ne sont pas insolubles, ce que notre respect pour la loyaute´ des souverains nous de´fend de penser, notre conduite inte´rieure ne peut manquer d’influer sur leur de´cision. La pre´sence des e´trangers doit nous engager a` mettre plus d’accord dans nos opinions, nos e´crits et nos discours, plus de confiance les uns envers les autres ; mais nous devons, du reste, agir comme si les e´trangers n’y e´taient pas1. En 1791, la nation avait un roi sage, bon, plein d’intentions pures, ami d’une liberte´ raisonnable, avide du bonheur de son peuple2. Tel est aussi Louis XVIII, aujourd’hui. La seule diffe´rence qui puisse distinguer Louis E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal des Arts et de la Politique, no 1, 10 septembre 1815, pp. 1a–2a. 1 2
Voir (ci-dessus, p. 85–90) l’article publie´ le 6 aouˆt 1815 dans L’Inde´pendant. BC s’engage, dans les aline´as suivants, dans le raisonnement qu’il expose dans son «Esquisse d’une histoire de la Re´volution franc¸aise (voir ci-dessous, pp. 270–275), tout en supprimant dans le «Prospectus» les e´le´ments pole´miques qui caracte´risent l’autre texte. Le proce´de´ est celui d’une comparaison entre des e´ve´nements qui ont des points en commun. Ici, ce sont les bouleversements de 1791–1792 et les tentatives des royalistes, en 1815, d’un re´tablissement des formes de l’Ancien Re´gime ; ailleurs, c’est le rapprochement des re´volutions anglaises de 1660 et de 1688 et de celle de France en 1814 (voir OCBC, Œuvres, t. VIII, pp. 915–923).
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de Louis XVI, ce sont des lumie`res supe´rieurs, e´tendues encore par une longue expe´rience et par l’instruction de l’adversite´. En 1791, la nation de´sirait des garanties le´gales pour les droits, les proprie´te´s, les opinions, la vie et la liberte´ de tous et de chacun. C’est ce qu’elle de´sire encore maintenant. Louis XVI les lui destinait : Louis XVIII les lui a donne´es dans sa charte. En 1791, l’immense majorite´ de la nation voulait des re´formes, mais point de destruction ; et ceux meˆmes qui ont concouru poste´rieurement a` des destructions sans mesure, n’en avaient, pour la plupart dans l’origine, ni le pressentiment, ni la volonte´. Aujourd’hui, l’immense majorite´ veut le maintien de ce qui existe, de cette charte qu’elle doit a` Louis XVIII ; et le de´sir d’y voir introduire les ame´liorations partielles que l’expe´rience pourra sugge´rer, ne ressemble en rien a` des intentions destructives. Mais, en 1791, une minorite´ qui trouvait les re´formes insuffisantes et qui se livrait a` des the´ories exage´re´es et a` des spe´culations chime´riques, tenta, pour les re´aliser, de bouleverser tout l’e´difice social : elle y parvint, par la faute de la majorite´ divise´e, apathique et souvent meˆme instrument malgre´ elle de cette minorite´1. De meˆme, a` pre´sent, il se pourrait qu’une minorite´, qui a beaucoup souffert, trouvant les re´parations qu’elle obtient insuffisantes, nourrit des ide´es inexe´cutables de re´tablissement des anciennes formes, de restitution des anciennes proprie´te´s, et vouluˆt pour parvenir au but qu’elle se propose, renverser les institutions actuelles. Y parviendra-t-elle ? Non, la majorite´ veut eˆtre unie, concevoir ses vrais inte´reˆts, et se rallier a` la charte et au gouvernement pour les de´fendre. Nous ne comparons point, sans doute, sous le rapport moral, les royalistes exage´re´s d’aujourd’hui avec les re´volutionnaires qui, en 1792, ont commis des crimes2. Les premiers, qui n’ont point exerce´ le pouvoir ont, certes, moins de choses a` se reprocher ; et, comme ils ont e´te´ opprime´s, il y a dans leurs ressentimens plus de justice apparente ; mais la situation des uns et des autres est la meˆme : or, les situations de´cident toujours de l’esprit qui anime les masses : cette ve´rite´ est reconnue et suivie dans la pratique. Un non-proprie´taire peut-eˆtre un fort honneˆte homme. Vous ne confieriez pas cependant aux non-proprie´taires la confection des lois qui garantissent les proprie´te´s. Ceux qui sont aujourd’hui dans la position des re´volutionnaires d’autrefois doivent, malgre´ eux, avoir leur esprit. C’e´taient des hommes qui voulaient conque´rir ce qu’ils n’avaient pas. Les royalistes exage´re´s sont des hommes qui veulent ressaisir ce qu’ils n’ont plus. XVIII
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BC pense probablement a` l’influence croissante des Jacobins, surtout apre`s les e´lections de 1791. Allusion aux massacres de septembre 1792, au cours desquels la princesse de Lamballe, amie de Marie-Antoinette, fut assomme´e a` coups de marteau. Rappelons que les assassins de Brune lui attribuaient le meurtre de la princesse.
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Les institutions qui existaient avant 1792, restreignant ce que les re´volutionnaires nommaient les droits naturels, et portant atteinte a` l’e´galite´ absolue, ils e´taient en hostilite´ entre elles. Notre organisation sociale actuelle, restreignant ce que les royalistes exage´re´s nomment les droits he´re´ditaires, et portant atteinte a` l’ine´galite´ privile´gie´e, ces royalistes sont les ve´ritables re´volutionnaires contre nos institutions pre´sentes. Nous pourrions accumuler mille preuves de la ressemblance de ces deux partis extreˆmes. Meˆme intole´rance, meˆme rupture de tous les liens, meˆme oubli des affections, meˆme absence de pitie´, meˆme apologie de l’arbitraire dirige´ contre leurs ennemis : mais nous e´vitons des rapprochemens pe´nibles, et nous arrivons au re´sultat qui doit indiquer le but et la tendance de notre journal. Il est assez malheureux que les re´volutionnaires de 1792 aient triomphe´ ; il faut empeˆcher le triomphe des re´volutionnaires de 1815. Nous avons, pour nous opposer a` ce triomphe, des moyens que nos pre´de´cesseurs n’avaient pas : une longue expe´rience dans les esprits e´claire´s, un grand amour du repos dans la nation toute entie`re, un roi investi d’une grande autorite´ que sa sagesse seule a borne´e, avec une repre´sentation nationale, un ministe`re enfin essentiellement ennemi du trouble et de l’anarchie, mais en meˆme temps identifie´ a` ceux des inte´reˆts cre´e´s par la Re´volution, qui doivent survivre a` cette Re´volution, parce qu’ils sont devenus la base essentielle de notre existence publique et prive´e. Faire usage de ces divers moyens de repos, de salut et de paix ; soutenir de toutes nos forces l’autorite´ du roi, telle que lui-meˆme l’a consacre´e ; de´velopper, par une application habituelle aux circonstances qui pourront s’offrir, les avantages de notre charte ; discuter en citoyens soumis, mais libres, les ame´liorations qui seront propose´es ; analyser les actes ministe´riels, non dans un esprit d’opposition, mais d’apre`s notre conviction entie`re que le ministe`re doit eˆtre la garantie de la constitution, comme la constitution est la garantie du ministe`re ; rendre compte des ope´rations des deux chambres, et de leur influence sur l’esprit public et sur l’affermissement de nos institutions nouvelles : telle est l’intention qui nous dirigera dans la partie politique de notre entreprise. Nous signalerons les e´cueils de la carrie`re qu’auront a` fournir les autorite´s de´positaires de nos destine´es sous l’e´gide et la direction du roi ; et pour les faire pressentir ici, nous dirons, quant au ministe`re, que la crainte des ministres les mieux intentionne´s, en 1792, e´tait d’eˆtre en butte aux soupc¸ons d’une portion exalte´e de patriotes ; que cette crainte les affaiblit, et que leur faiblesse donna de la force a` ceux qui voulaient renverser ce qui existait1. Il 1
BC pense a` la crise de juin 1792 marque´e par un bouleversement des ministe`res surtout sous la pression des Brissotins. Voir Soboul, Histoire de la Re´volution, 1972, t. I, pp. 288–290.
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ne faut pas que la crainte d’eˆtre soupc¸onne´s par une portion exalte´e de royalistes, subjugue les ministres d’aujourd’hui, de manie`re a` donner de la force a` ceux qui veulent encore de´truire ce qui existe. Quant aux assemble´es qui vont, a` bien des e´gards, de´cider notre sort, l’expe´rience doit les avertir que toute assemble´e est expose´e a` un certain entraıˆnement qui la pousse au-dela` des bornes, contre sa propre volonte´. L’assemble´e constituante ne voulait pas e´branler la monarchie, et l’a e´branle´e ; l’assemble´e le´gislative ne voulait pas renverser le troˆne, et l’a renverse´. Il ne faut pas moins de courage et d’activite´ pour conserver que pour de´truire. Il en faut plus, peut-eˆtre ; car pour de´truire, il ne faut que vaincre ses adversaires ; pour conserver, il faut se vaincre et se mode´rer soi-meˆme. Aujourd’hui, la conservation de nos institutions est un devoir sacre´ : tout s’y rattache ; l’inde´pendance nationale, le repos inte´rieur, l’honneur du nom franc¸ais, la liberte´ des citoyens, le bonheur du roi, toute l’existence, en un mot, de cette France, si belle, si de´vaste´e, et qui attend de cette solennelle e´poque, ou son salut, ou sa perte irre´parable. Nous venons d’exposer avec e´tendue nos intentions et nos vues politiques. Nous n’avons pas voulu laisser le moindre doute sur l’esprit dans lequel sera traite´e cette partie de notre journal, qui n’occupera peut-eˆtre pas plus de place, qu’une autre dans nos re´dactions, mais qui tiendra toujours le premier rang dans notre pense´e ; car, si nous sommes amis des lettres et des arts, nous sommes avant tout, Franc¸ais fide`les, citoyens ze´le´s : et nous pensons, qu’avant d’e´tablir un e´difice, il faut le fonder et l’affermir. Cependant, nous remplirons le titre que nous avons adopte´, en tout ce qu’il promet ; et pour qu’en meˆme temps rien ne manque a` notre journal de ce qui peut le rendre instructif, piquant et varie´, nous ajouterons aux faits divers et rapides, dont se compose toute feuille quotidienne, et que nous aurons l’attention de ne puiser qu’aux meilleures sources, les articles suivans, sur lesquels nous ne craignons point, d’avance, de nous engager envers le public. Chaque semaine offrira dans ce journal : Un article (au moins) sur la politique ; Un sur la litte´rature, les sciences ou la philosophie ; Nous aurons soin de donner des articles, de temps en temps, sur l’instruction publique, avec des de´tails sur les changemens qui s’y ope´reront, et quelques vues sur ceux qu’on peut y de´sirer. Ces articles ne seront pas e´trangers aux arts, pris dans une acception e´tendue : mais, en outre, il y en aura de spe´ciaux sur les arts proprement dits, deux fois le mois, dans un cadre qui nous a paru propre a` piquer la curiosite´ publique.
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Ce n’est pas tout : il y aura, une fois par semaine, Une revue des the´aˆtres ; sans compter que nous donnerons exactement l’extrait des pie`ces nouvelles un peu importantes, le lendemain meˆme du jour ou` elles auront e´te´ joue´es ; Une revue, sous le nom de Chronique ; a` moins que nous soyons assez heureux pour ne pas trouver de quoi alimenter cette partie de notre journal ; Un tableau de varie´te´s sur les opinions, les pre´juge´s, les mœurs, etc. Et tous les quinze jours, une sorte de revue du palais, apre`s, toutefois, que nous aurons donne´ dans l’intervalle, l’extrait prompt et fide`le des causes qui auront vivement inte´resse´ le public. Le ton de ce journal sera conforme aux sujets que nous traiterons : mais les circonstances sont graves ; et, sans doute, plus d’un ridicule en profitera pour e´chapper aux traits qui, dans d’autres temps, leur eussent e´te´ re´serve´s. Il faut bien se consoler de ce malheur ; pourtant, nous n’aurons garde d’e´carter les bonnes plaisanteries qui pourraient naıˆtre d’une discussions, si nous sommes assez heureusement inspire´s pour qu’il s’en offre de telles a` notre esprit. Nous promettons seulement qu’aucune ne portera jamais sur le malheur.
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Deux petits articles pour le Journal des Arts 14 septembre 1815
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Le 12 septembre 1815, Constant note dans son journal intime : «Petits articles pour le Journal», ce qui de´signe ici le Journal des Arts. Les entrefilets n’ont pas beaucoup de poids en eux-meˆmes, ils ne sont que des commentaires faits en passant sur les e´ve´nements de l’e´poque particulie`rement inquie´tante des premie`res semaines de la seconde Restauration. Le premier article contient une observation sur ce que Constant appelle, en parlant de Chateaubriand, les «conversions a` la liberte´». Remarque sans doute ironique et faite non sans scepticisme, comme il ressort de la brochure De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France. Cette tendance se remarque aussi dans le petit texte qui e´voque l’exemple peut-eˆtre fictif d’un discours a` l’Assemble´e nationale. L’autre texte commente un e´ve´nement ce´le`bre qui s’est passe´ a` Nıˆmes pendant la Terreur blanche, entre les 15 et 20 juillet 1815. Une faible garnison bonapartiste se retire «pe´niblement sous le feu des royalistes, citadins et volontaires venus de l’exte´rieur. Les gardes nationales sont ensuite remplace´es au pied leve´ par le corps des volontaires royalistes. Les repre´sailles durent alors plusieurs jours, [...] du 17 au 20 juillet a` Nıˆmes [...]. Les maisons des bonapartistes sont mises a` sac, leurs habitants emprisonne´s, parfois exe´cute´s sommairement1.» Il est e´vident que c’est la faiblesse du gouvernement nouveau, s’installant avec des retards ine´vitables sur le territoire de la France, qui favorise ces exce`s dont le parti royaliste et en particulier les partisans du duc d’Angouleˆme, attaque´s dans le petit texte de Constant, cherchent a` justifier le de´roulement. La proclamation royale sur les exce`s du Midi du 1er septembre mettra partiellement fin, non sans quelques retours inattendus de la violence, a` ces de´bordements2. 1
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Sur la Terreur blanche, voir Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, 1814–1830, pp. 149–154. La citation se trouve p. 150. Les auteurs soulignent que les e´ve´nements de la Terreur blanche n’ont pas encore fait l’objet d’investigations exhaustives. On consultera aussi l’ouvrage de G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration, p. 120–121, qui donne une vision un peu diffe´rente des e´ve´nements en parlant d’un «complexe de perse´cution [...] particulie`rement de´veloppe´» «chez les libe´raux et les protestants» qui auraient «exage´re´ des faits de´ja` trop tristes en eux-meˆmes.» Harpaz attribue encore un troisie`me petit texte du meˆme nume´ro a` BC. Cette attribution est fort contestable, parce que le texte contredit les arguments de Constant en faveur d’un salaire pour le clerge´ ; mais puisqu’il est impossible de trancher de´finitivement, nous don-
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Me´moires, brochures et articles de journaux
E´tablissement du texte Imprime´ : Journal des Arts et de la Politique, no 5, 14 septembre 1815, pp. 1b et 2a. Courtney, Guide, D59. Les textes ont fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, p. 227. K. K.
nons ici le texte du petit article : «Un mandement de MM. les vicaires-ge´ne´raux annonce une queˆte extraordinaire, qui aura lieu le dimanche 17 septembre, pour les besoins des se´minaires, et des preˆtres vieux et infirmes qui souffrent des circonstances. Ils ont du moins un grand motif de consolation, ceux qui, de`s leur jeunesse, ont appris a` regarder les tribulations comme un moyen de salut.»
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[Deux petits articles pour le Journal des Arts]
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La conversion miraculeuse de certains journaux me´rite toute l’attention publique1. Il y a quelques jours qu’ils tonnaient contre les innovations re´volutionnaires, et ne cachaient point l’espoir et le de´sir de voir les chambres nous ramener a` l’e´tat qui a pre´ce´de´ 1789 ; aujourd’hui ils se re´futent euxmeˆmes sans le moindre embarras et avec la plus admirable e´nergie. Cela nous rappelle un conventionnel qui avait parle´ tre`s-e´loquemment contre la liberte´ de la presse : le moment vint ou` son parti crut avoir besoin de cette liberte´ ; l’intre´pide orateur reparut a` la tribune, et foudroya les argumens des adversaires de la liberte´ des opinions. Les insense´s ! s’e´criait-il, ils ont ose´ dire, etc. etc ; et il rapportait les raisonnemens alle´gue´s pour l’esclavage de la pense´e : Ils ont dit encore dans leur stupidite´, dans leur perfidie, etc. etc., et il citait de nouvelles tirades dont il de´montrait victorieusement l’inconse´quence ou l’absurdite´. Quelqu’un fut curieux de savoir quels e´taient ces insense´s, ces perfides, ces stupides ; il alla consulter l’implacable Moniteur : c’e´tait le conventionel lui-meˆme !
Un journal pre´tend que les de´sordres qui ont ensanglante´ la ville de Nıˆmes ont e´te´ provoque´s par les re´volutionnaires qui se font assassiner pour faire niche a` leurs ennemis2. Nous nous souvenons tre`s-bien qu’a` une autre e´poque, on criait contre la perfidie des aristocrates qui mettaient le feu a` leurs chaˆteaux pour rendre la re´volution odieuse.
E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal des Arts et de la Politique, no 5, 14 septembre 1815, pp. 1b et 2a.
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Nous ignorons quel journal est vise´ ici. BC vise probablement le Journal des De´bats qui avait publie´ le 4 septembre 1815 un article sur les incidents de Nıˆmes (pp. 1b–2a). L’ide´e que ce sont «les aristocrates qui mettaient le feu a` leurs chaˆteaux pour rendre la re´volution odieuse» revient dans une note des «Fragments a` coordonner». Voir ci-dessous, p. 239.
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Articles pour le Journal des Arts Sur les assemble´es e´lectorales, et sur les discours de leurs pre´sidens 15, 18 et 21 septembre 1815
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Introduction
Les trois articles suivants, identifie´s par E´phraı¨m Harpaz comme appartenant a` Benjamin Constant1, sont un te´moignage pre´cieux pour le roˆle d’observateur critique de la politique qu’il croit pouvoir jouer. Il suffit de lire a` la suite les notes de son Journal intime ou` il parle de ces articles2 pour se rendre compte de la hardiesse de l’entreprise : «Fait le commencement d’un article», note-t-il le 13 septembre 1815, pour enchaıˆner le jour suivant : «Fini l’article. Il me fera bien des ennemis, si on le sait de moi : et on le saura». Cela est effectivement a` craindre, parce qu’il est «tre`s spirituel», comme Constant l’observe lui-meˆme, mais surtout parce qu’il de´fend, en parlant des discours prononce´s a` l’occasion des e´lections pour la nouvelle chambre, une politique de re´conciliation nationale. Elle serait contraire a` ce que les Allie´s attendent de la Restauration, et elle serait contraire aussi aux ide´es d’un grand nombre de personnes du camp des ultras qui demandent des mesures draconiennes pour punir ceux qui ont soutenu le re´gime des Cent-Jours. La Terreur blanche, les perse´cutions dans le midi de la France, les listes de proscription et les arrestations, les proce`s spectaculaires dont celui contre La Be´doye`re et les autres proce`s politiques qui ne vont pas tarder a` suivre, en sont les signes bien connus. La position de Constant n’est pas seulement conditionne´e par ses expe´riences personnelles ; elle serait dans ce cas purement de circonstance. Il de´fend un principe, a` savoir la liberte´ individuelle garantie par la Charte. L’adversaire, le parti des royalistes exage´re´s, est ainsi nettement de´signe´. Les articles peuvent donc eˆtre conside´re´s comme des pre´liminaires des Me´moires sur les Cent-Jours qui de´velopperont cette doctrine. E´tablissement des textes Nous reproduisons, comme toujours, la source fide`lement, en respectant certaines inconse´quences de la pre´sentation. C’est ainsi que le Journal des Arts imprime les citations le plus souvent en italique, parfois en caracte`res romains. Les titres des ouvrages cite´s sont tantoˆt en italique, tantoˆt 1 2
Recueil d’articles, 1795–1817, p. 230, n. 1. Les notes ajoute´es a` cette e´dition ont e´te´ largement utilise´es pour nos commentaires. Voir le J.I. des 13, 14, 17–19 et 21 septembre 1815, OCBC, Œuvres, t. VII, pp. 245–247.
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en romain. Nous avons uniformise´s ces derniers tout en signalant nos interventions. Imprime´s : Journal des Arts et de la Politique, no 6, 15 septembre 1815, pp. 3a–4a. Courtney, Guide, D60. Journal des Arts et de la Politique, no 9, 18 septembre 1815, pp. 3a–4a. Courtney, Guide, D61. Journal des Arts et de la Politique, no 12, 21 septembre 1815, pp. 3b–4a. Courtney, Guide, D62. Les textes ont fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 228–239. K. K.
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Sur les assemble´es e´lectorales, et sur les discours de leurs pre´sidens
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Tout ce qui se rapporte aux ope´rations des assemble´es e´lectorales qui viennent de finir, nous semble d’un grand inte´reˆt. Ces ope´rations auront, de manie`re ou d’autre, de´cide´ des destine´es de la France. Nous croyons, en conse´quence, faire une chose agre´able, a` nos lecteurs, en leur soumettant une courte analyse des discours prononce´s par les pre´sidens de ces assemble´es a` l’ouverture de leur session, et des adresses qu’elles ont cru devoir, en se se´parant, charger ces meˆmes pre´sidens de pre´senter a` sa majeste´. Nous placerons dans une cathe´gorie a` part, comme le respect nous le commande, les discours des membres de la famille royale, pre´sidens des colle´ges e´lectoraux de la Seine, du Nord, et de la Gironde1. Ces discours, dignes des excellens princes qui les ont prononce´s, sont grave´s dans le cœur de tous les bons Franc¸ais. Tous y ont vu, avec bonheur, bien que sans surprise, l’attachement que ces princes nourrissent pour la France et pour la constitution. En lisant celui de Monsieur au roi, et l’e´loge qu’il donne aux institutions consacre´es par la charte, chacun s’est rappele´ le serment auguste qu’il preˆta a` une e´poque triste et solennelle. Ces paroles acquie`rent un poids nouveau, et de nouveaux droits a` notre reconnaissance, aujourd’hui qu’elles sont re´pe´te´es au sein de la prospe´rite´ et de la puissance2.
E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal des Arts et de la Politique, no 6, 15 septembre 1815, pp. 3a–4a.
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Pour les pre´sidents des colle`ges e´lectoraux, voir l’ordonnance royale du 26 juillet 1815, (Moniteur no 211 du 30 juillet 1815, pp. 854c–856b, Journal des De´bats, meˆme jour, pp. 3b–4a). La liste des pre´sidents donne en teˆte les noms de la famille royale, suivis des noms des de´partements avec leurs pre´sidents. BC cite ici non pas le discours que le comte d’Artois., fre`re de Louis XVIII et futur roi de France lui-meˆme sous le nom de Charles X, a prononce´ le 22 aouˆt 1815 a` l’occasion de l’ouverture du colle`ge e´lectoral de la Seine (voir le Moniteur no 237 du 25 aouˆt 1815, p. 943b et le Journal des De´bats du meˆme jour, p. 2b), mais celui qu’il a prononce´ lors de l’audience royale a` laquelle le colle`ge e´lectoral a e´te´ admis le 28 aouˆt 1815. Le texte se trouve dans le Moniteur, no 240, 28 aouˆt 1815, p. 955b et dans le Journal des De´bats du 29 aouˆt 1815, p. 2b. La tournure «les institutions consacre´es par la Charte» est une citation litte´rale du discours, et le «serment auguste» du comte d’Artois est e´videmment celui qu’il preˆta dans la se´ance royale du 16 mars 1815. Voir les Me´moires sur les Cent-Jours, p. 193.
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Qui ne serait touche´ du ton d’affection avec lequel Mgr. le duc de Berry parle de la France, de ces enfans de Saint Louis qui lui appartiennent, de son bonheur qui est leur devoir, de son attachement qui est leur he´ritage ? Qui n’est frappe´ de voir un prince si voisin du troˆne, re´unir, en parlant du gouvernement, les deux e´pithe`tes de repre´sentatif, et de le´gitime, comme pour indiquer que c’est dans la liberte´ que la le´gitimite´ trouve sa force, et que c’est a` l’abri de la le´gitimite´ que la liberte´ puise des garanties suˆres et paisibles1 ! La meˆme noble franchise, le meˆme touchant amour des Franc¸ais respire dans le discours d’adieu de S.A.R. a` l’assemble´e e´lectorale2. – Nous aurions de´sire´ que la re´ponse du secre´taire du colle´ge fuˆt de meilleur gouˆt ; mais l’intention e´tait bonne ; et quelques phrases inconvenantes, et mal parodie´es, doivent obtenir graˆce en faveur du sentiment : quand ce dernier se manifeste, nous tenons volontiers quitte du reste3. Le discours de Mgr. le duc d’Angouleˆme n’est pas moins propre a` remplir l’aˆme du lecteur d’une satisfaction pure et sentie. Il fait ressortir, en peu de mots e´nergiques, tous les avantages de notre charte, qui a rendu plus intime l’union du monarque et de la nation, et substitue´ aux dole´ances se´pare´es des provinces particulie`res, l’expression des de´sirs et des besoins de l’universalite´ du peuple. Quand on voit nos princes appre´cier ainsi nos institutions, on peut, avec confiance, s’en remettre a` eux pour leur maintien et pour leur dure´e4. 1
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Charles, duc de Berry (1778–1820), second fils du comte d’Artois, pre´sident du colle`ge e´lectoral du Nord, a prononce´ son discours le 23 aouˆt 1815 a` Lille. BC glose le passage suivant : «Le pacte d’amour forme´ depuis tant de sie`cles entre les Franc¸ais et ma famille, a pu quelquefois eˆtre e´branle´, mais il ne pourra jamais eˆtre dissous. Les enfans de saint Louis appartiennent a` la France ; son bonheur est notre devoir, son attachement est notre he´ritage ; et quand le Roi apportant les douceurs de la paix, les avantages du commerce, la prospe´rite´e attache´s a` un gouvernement repre´sentatif et le´gitime, revient au milieu de vous avec les princes de son sang, c’est votre bien qu’il vous rend, la splendeur de notre maison e´tant depuis neuf cents ans votre ouvrage.» (Moniteur no 239 du 27 aouˆt 1815, p. 950b ; Journal des De´bats, meˆme jour, p. 2a.) Voir le Moniteur no 243 du 31 aouˆt 1815, p. 965c ; Journal des De´bats, 30 aouˆt 1815, p. 2b. La re´ponse du secre´taire, le marquis de la Maisonfort, contient notamment ce passage qui reprend une tournure du duc de Berry : «Nous venons de le voir [le duc de Berry] au milieu de nous nous dire : Mes amis, de´sormais c’est entre vous et moi, a` la vie, a` la mort, et c’est les larmes aux yeux, c’est en le voyant s’e´loigner, que nous osons lui dire a` notre tour, ainsi que tout le bon peuple dont nous sommes les interpreˆtes : ‘Fils de Henri, nous vous aimons a` tort et a` travers’.» (Voir le Moniteur no 243 du 31 aouˆt 1815 ; Journal des De´bats, 30 aouˆt 1815, p. 2b.) BC e´voque le passage suivant : «Autrefois tous les e´tats e´toient admis a` pre´senter se´pare´ment leurs dole´ances au Roi, qui y re´pondit par des ordonnances destine´es a` pourvoir aux besoins et aux droits de tous. Aujourd’hui l’union du monarque avec la nation est, en vertu de la Charte, devenue plus intime ; et c’est pour en resserrer encore les nœuds que S.M.
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La meˆme candeur qui nous a fait critiquer, sans amertume, quelques phrases de la re´ponse du secre´taire du colle´ge e´lectoral que pre´sidait Mgr. le duc de Berry, nous oblige a` rendre hommage a` la re´ponse de M. Laisne´, secre´taire de celui de la Gironde1. «Nos de´pute´s, dit-il, auront a` lutter contre des ennemis inte´rieurs, a` gue´rir des pre´tentions immode´re´es, a` calmer des jalousies anti-sociales.» On reconnaıˆt bien a` cette sagesse le pre´sident de la chambre des de´pute´s de 1814, celui qui a de´fendu la monarchie au milieu des pe´rils, celui qui est reste´ a` son poste, meˆme apre`s la de´faite, celui qui, dans sa retraite, n’a jamais fle´chi devant aucun pouvoir, et qui se montre mode´re´ quand la royaute´ triomphe, comme il s’est montre´ intre´pide quand elle semblait s’e´crouler. C’est que le ve´ritable courage n’est jamais se´pare´ de la mode´ration : ceux qui s’enfuyent pendant la bataille, sont seuls implacables apre`s la victoire. Rappeler en de´tails les nobles et touchans discours des princes de la famille royale, e´tait un besoin pour nous, aussi-bien qu’un devoir. Nous nous e´tendrons moins sur la plupart de ceux qu’ont prononce´s les pre´sidens des autres colle´ges. Il en est que le nom seul de leurs auteurs rendra l’objet de la curiosite´ de tout le monde. Chacun voudra les lire en entier. Par cela meˆme, il nous paraıˆt superflu d’en rendre compte. La talent de M. le comte de Fontanes, par exemple, est suffisamment connu2. Il l’a de´ploye´ a` toutes les e´poques avec un e´gal succe`s. Aujourd’hui, comme autrefois, il cherche a` nous mettre en garde contre les doctrines hasardeuses. Ses sages conseils ne se de´mentent point. Il est invariable dans son e´loquence. Il n’a point change´ avec les e´ve´nemens : la soumission qu’il recommandait avec enthousiasme
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envoie les princes de sa Maison jusque dans les provinces les plus recule´es.» (Moniteur no 241 du 29 aouˆt 1815, p. 958b ; Journal des De´bats, 28 aouˆt 1815, p. 2b.) Le duc d’Angouleˆme (1775–1844), fils aıˆne´ du comte d’Artois, e´tait pre´sident du colle`ge e´lectoral de la Gironde. Joseph-Louis-Joachim, vicomte Laine´ (1767–1835), sous Napole´on membre respecte´ de la commission des Finances, mais peu aime´ de l’empereur. Il finit par se retirer a` Bordeaux, puis fut nomme´, sous la Restauration, pre´sident de la chambre des De´pute´s. C’est lui qui organise le ralliement des constitutionnels et des libe´raux apre`s le de´barquement de Napole´on. Pendant les Cent-Jours, il se rend a` nouveau a` Bordeaux, quitte la France, y retourne avec la Seconde Restauration. E´lu de´pute´ de la Gironde a` la Chambre introuvable en juillet 1815, il re´pond au discours du duc d’Angouleˆme. Voir le texte de cet important discours dans le Moniteur no 245 du 2 septembre 1815, p. 972b-c ; Journal des De´bats, 1er septembre 1815, pp. 1a–2a. La citation du passage est conforme au texte, excepte´s quelques de´tails mineurs. Il est inte´ressant pourtant de lire comment Laine´ continue la phrase : «... anti-sociales, a` fortifier le sceptre de la monarchie, a` porter la ve´rite´ au pied du troˆne, a` diriger vers la sagesse et l’ordre cet esprit de liberte´ si digne de l’homme, et qu’on est pourtant parvenu a` rendre si fatal a` l’espe`ce humaine.» Louis de Fontanes (1757–1821), longtemps grand maıˆtre de l’Universite´ sous Napole´on. Il
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depuis 1800 jusqu’en 1813, il la recommande de meˆme aujourd’hui. Louer son sytle serait inutile ; la noblesse des expressions ne lui a jamais e´te´ conteste´e. Le pre´sident du colle´ge e´lectoral de la Moselle se distingua par des qualite´s moins acade´miques, mais par une sorte de loyaute´ militaire qui l’a entraıˆne´ dans quelques assertions exage´re´es, et, si nous osons le dire, dans quelques de´clarations trop individuelles1. Le tableau qu’il fait de la prospe´rite´ dont la France jouissait de´ja`, et qui allait s’accroıˆtre sans l’apparition de Bonaparte, est parfaitement juste ; mais, affirmer que sous dix-huit mois toutes les dettes de l’Etat devaient eˆtre paye´es, est une exage´ration qui affaiblirait les ve´rite´s qui l’accompagnent, si ces ve´rite´s pouvaient eˆtre affaiblies : et il ne nous paraıˆt pas convenable qu’un individu, quelque e´leve´ qu’il puisse eˆtre en dignite´, donne sa parole d’honneur des bonnes intentions sur soi2. Nous avons d’autres garanties : les faits parlent assez ; la conviction est dans tous les cœurs ; et personne n’a besoin de nous offrir la caution de sa parole particulie`re. Aucune de ces taches le´ge`res, et qu’on nous pardonnera d’avoir releve´es, ne se rencontre dans le discours du duc de Raguse, pre´sident du colle´ge e´lectoral de la Coˆte-d’Or3. Il est partout noble, simple, calme, plein de fide´lite´ pour le Roi, plein d’un attachement raisonne´ pour la liberte´. «Les lumie`res du roi, dit-il, lui ont assez fait connaıˆtre que la France ne saurait 6 entraıˆne´ ] la source porte entraıˆne´e
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vota la de´che´ance de l’empereur en 1814 et passa a` la pairie. Royaliste qui se rapprochait des ultras. En 1815, il fut nomme´ pre´sident du colle`ge e´lectoral du de´partement des DeuxSe`vres. Voir son discours dans le Moniteur no 245 du 2 septembre 1815, p. 973a. Les «qualite´s moins acade´miques» de Pierre Riel, marquis de Beurnonville (1752–1821) de´signent la carrie`re militaire de cet homme, d’abord adepte de Napole´on qui lui a ouvert une brillante carrie`re. Membre du gouvernement provisoire en 1814, il vote la de´che´ance de l’empereur. Avec la Restauration, il passe au service du Roi qui le nomme ministre, le couvre de beaucoup d’honneurs et le nomme pair de France. Il accompagne le roi a` Gand, votera la mort du mare´chal Ney. Il est pre´sident du colle`ge e´lectoral de la Moselle. BC cite des phrases du de´but de ce discours, notamment l’affirmation hasardeuse que «sous dix-huit mois, toutes les dettes de l’Etat devaient eˆtre paye´es» sans l’arrive´e de Napole´on et en critique une autre (voir la note suivante). Voir le texte du discours prononce´ a` Metz dans le Moniteur no 245 du 2 septembre 1815, p. 974a-b ; le Journal des De´bats ne donne que des extraits (31 aouˆt 1815, p. 2a-b). Phrase un peu e´nigmatique, parce que sans doute e´courte´e : il faut probablement lire «des bonnes intentions du roi sur soi». BC critique le passage suivant : «j’ai pareillement suivi tous les conseils du Roi, depuis que S. M. est rentre´e pour la premie`re fois en France, et qu’elle a daigne´ m’y admettre comme ministre d’Etat ; et j’atteste, sur ma parole, que je n’en ai jamais entendu sortir une seule de sa bouche royale, qui ne fuˆt conforme a` la charte qu’elle nous a donne´e.» Le discours d’Auguste-Louis Viesse de Marmont, duc de Raguse (1774–1852) se lit dans le
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eˆtre heureuse sans une liberte´ sage, et il met sa gloire a` la fonder. Lui seul peut satisfaire ce vœu constamment exprime´, ce vœu qu’il partage, parce qu’il sait bien que ce noble sentiment e´le`ve l’aˆme, et que la force des souverains est dans l’opinion de leurs peuples. ... avec la mode´ration seule se trouve la raison, la force et la vertu.» Tel est le langage qu’il faut adresser a` une nation e´claire´e, dont les malheurs doivent se re´parer par la prudence, et les institutions s’e´tablir par la sagesse. A coˆte´ de ce discours nous en voyons un autre, en style lapidaire, en sentences courtes a` la Montesquieu, e´tincelant d’antithe`ses, frappant de maximes d’une demi-ligne, et d’aline´as forme´s d’une phrase, dont, par une bizarrerie singulie`re, l’auteur, au milieu de si grands inte´reˆts, a consacre´ la plus longue a` parler de lui1. Lorsqu’apre`s avoir peint l’espoir de la France au commencement de cette anne´e, et les calamite´s qui ont trompe´ cet espoir, il s’est mis a` raconter ce qu’il avait fait, il nous a rappele´ ce ge´ne´ral a, jadis si fameux, devenu, dans sa retraite, l’historien de la re´volution qu’il avait servie et quitte´e, et qui finit un tableau anime´ des troubles de 1788, de la lutte des parlemens, et des insurrections de provinces, par ces mots : Durant ces orages, j’e´tais fort enrhume´ dans ma terre de Normandie. Au nom de M. Barbe´-Marbois, pre´sident du colle´ge e´lectoral du BasRhin, nous e´tions suˆrs de trouver une simplicite´ parfaite, une grande e´le´vation, et cette autorite´ de la vertu, forte de son propre poids, qui persuade
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Moniteur no 242 du 30 aouˆt 1815, p. 962b. BC cite deux passages du discours, sans les alte´rer. Relevons toutefois que le verbe de la dernie`re phrase cite´e est au pluriel dans le Moniteur («se trouvent»). Le commentaire moqueur du discours de Charles-Louis Huguet marquis de Semonville (1759–1839), pre´sident du colle`ge e´lectoral du de´partement de la Manche, retrace un beau portrait de ce personnage ambigu qui a su bien servir l’Empereur, tout en appuyant sa de´che´ance en 1814. Il fait partie de la commission charge´e d’e´laborer la Charte, et sera nomme´ pair de France par le roi. Pendant les Cent-Jours, il refuse de servir Napole´on, mais place deux de ses beaux-fils, l’un dans le camp de l’Empereur, l’autre dans l’entourage de la Cour de Gand, de sorte qu’il retrouve avec la Seconde Restauration la faveur du roi. Le discours se trouve dans le Moniteur no 242 du 30 aouˆt 1815, pp. 961c–962b. Le ge´ne´ral Charles-Franc¸ois Du Perrier, dit Dumouriez (1739–1823), chef de l’arme´e du Nord en 1792 ; battu a` Neerwinden le 18 mars 1793 par les Autrichiens, il essaya sans succe`s de convaincre ses soldats de se retourner contre la Re´publique et passa dans le camp des Autrichiens. La trahison de Dumouriez est un des e´ve´nements majeurs de cette guerre. Les Me´moires du ge´ne´ral Dumouriez e´crits par lui-meˆme ont paru en 1794 a` Hambourg. La citation qui ne semble pas provenir des Me´moires n’est pas localise´e. Rappelons que Semonville vivait pendant les Cent-Jours retire´ en Normandie, comme il le dit lui-meˆme dans
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en meˆme temps qu’elle impose1. Cet homme d’Etat, que caracte´risent une raison supe´rieure, une vie sans tache, et des infortunes e´clatantes et non me´rite´es, n’a point trompe´ notre attente : nous lui savons gre´, surtout, d’avoir loue´ notre roi de cette qualite´ pre´cieuse qui donne a` la royaute´ quelque chose de divin, et contre laquelle se re´voltent les passions haıˆneuses, parce qu’elle se refuse a` leurs emportemens et a` leurs vengeances. Il est trop bon, trop ge´ne´reux, trop cle´ment, disent ces passions qui s’irritent d’eˆtre contenues. Bonte´ ce´leste ! s’e´crie M. Barbe´-Marbois, donnez a` nos neveux des princes a` qui l’on ne puisse reprocher d’autres de´fauts ! Tels sont les sentimens, telle est la pense´e de tout ve´ritable Franc¸ais, de tout ami de son monarque et de son pays. Pourquoi faut-il que nous n’ayons pas les meˆmes e´loges a` de´cerner a` tous ceux qui, dans cette circonstance ont fait entendre leur voix ! (La suite a` un nume´ro prochain.)
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un passage de son discours e´pingle´ par BC : «Un jour a tout de´truit. J’ai fui la capitale ; je suis venu chercher dans cette province un asile contre celui que je ne pouvais plus combattre, et que je ne voulais point servir.» (Moniteur du 30 aouˆt 1815, p. 962a.) Le discours de Franc¸ois comte Barbe´-Marbois (1745–1837), homme politique qui connut dans sa longue carrie`re active des succe`s e´clatants. Ministre du Tre´sor public sous Napole´on, puis pre´sident de la Cour des comptes, fonctions qu’il remplit scrupuleusement, il pre´para ne´anmoins le de´cret de la de´che´ance de l’Empereur ; il fut sous la Restauration un des re´dacteurs de la Charte. Banni de Paris pendant les Cent-Jours, il e´tait ministre de la Justice en 1815 et se distingua par un esprit assez ouvert, peu appre´cie´ par les ultras, mais loue´ ici par BC. De longs extraits du discours qu’il prononc¸a le 22 aouˆt 1815 a` Strasbourg sont publie´s dans le Moniteur no 247 du 4 septembre 1815, p. 981a-b. La citation qui commence avec les paroles «Il est trop bon», est le´ge`rement adapte´e a` la syntaxe de l’article de BC.
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Un meˆme nume´ro du Moniteur contient trois discours, que le nom de leurs auteurs rend dignes d’attention. Le premier est du ge´ne´ral Dupont1. Nous n’avons point e´te´ surpris d’y trouver un style e´le´gant et clair, une diction soigne´e, et toutes les qualite´s qui caracte´risent un bon e´crivain. Le ge´ne´ral Dupont re´unit, depuis longtemps, l’amour des lettres aux occupations militaires. Tout le monde connaıˆt cette belle ode sur la liberte´, compose´e, si nous ne nous trompons, au milieu des camps et dans les de´serts de la Lybie2. Peu d’hommes re´unissent d’ailleurs autant d’honorables souvenirs. Apre`s avoir de´ploye´ beaucoup de courage et beaucoup de calme, contre les perse´cutions de Bonaparte, il a exerce´, avec une mode´ration non moins me´ritoire, un ministe`re difficile, au moment du premier retour du roi. Cette mode´ration a e´te´ malheureusement mal appre´cie´e. Nous nous e´carterions trop de notre sujet, si nous indiquions tous les malheurs que la France aurait probablement e´vite´s, si le ge´ne´ral Dupont n’euˆt pas e´te´ remplace´ dans le ministe`re. La violence n’est pas comme la lance d’Achille ; elle ne gue´rit pas les maux qu’elle a faits. Avoir e´te´ exage´re´ dans un sens, et le devenir dans un autre, n’est point une garantie. Le discours du ge´ne´ral Dupont re´pond a` l’attente que devait faire naıˆtre son caracte`re. Il indique, dans une phrase pre´cise et frappante, l’immense me´rite du roi, qui, de`s qu’il a e´te´ rendu a` nos vœux, a eu la pense´e E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal des Arts et de la Politique, no 9, 18 septembre 1815, pp. 3a–4a. 1
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Voir le Moniteur no 250 du 7 septembre 1815, p. 990a-b. Le comte Pierre Dupont de l’E´tang (1765–1840), pre´sident du colle`ge e´lectoral de la Charente, ge´ne´ral pendant la guerre d’Espagne et tristement ce´le`bre par la capitulation a` Baylen qui lui valut d’eˆtre destitue´ de ses fonctions, puis ministre de la Guerre sous la Premie`re Restauration jusqu’en de´cembre 1814, il fut remplace´ par Soult. Ce que dit BC ici sur le ge´ne´ral contredit les jugements peu favorables des contemporains et des historiens. Dans les Me´moires sur les Cent-Jours, BC attribue une bonne partie des faiblesses inte´rieures de la France a` Soult, remplace´ a` son tour par Clarke, et parle dans cet article de la mode´ration sage du ministe`re de Dupont, pour jeter une autre lumie`re sur les causes des malheurs des premiers mois de la Restauration. Les citations se trouvent au de´but et au milieu du discours de Dupont. La Liberte´, ode, sujet propose´ par l’Institut national pour le concours du prix de poe´sie, Paris : P. Didot aıˆne´, an VII [1799].
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grande et paternelle d’e´lever la repre´sentation nationale, de donner a` la charte constitutionnelle un caracte`re plus sacre´ et plus libe´ral encore, et de tirer ainsi d’une e´poque de´sastreuse, de nouveaux et puissans moyens de restauration et de prospe´rite´. Il appelle la sensibilite´, la bonte´, les vertus les plus royales et les plus re´ve´re´es, les qualite´s les plus adorables sur le troˆne. Il ne provoque donc point des vengeances ; de pareilles provocations sont toujours de´place´es. La sagesse des chefs des e´tats peut seule juger des circonstances qui rendent la se´ve´rite´ ne´cessaire. Les y inviter, est une flatterie grossie`re, quoique de´tourne´e ; et mendier des supplices, quand ce n’est pas une laˆchete´ sans danger, c’est une pre´somption sans excuse. Notre estime re´elle pour M. le duc de Choiseul, et pour les opinions raisonnables qu’il a constamment manifeste´es, nous faisait espe´rer que nous serions parfaitement satisfaits de son discours1. Notre respect pour la ve´rite´ nous force a` dire que notre espoir a e´te´ trompe´. Il ne s’agit pas seulement de quelques phrases inintelligibles, comme celle dans laquelle il parle d’une se´rie de malheurs attribue´s justement par nous a` une association de´sorganisatrice, mais dont l’Europe nous a cru justement accable´s. Le mieux que nous puissions espe´rer ici, c’est quelque faute d’impression que nous ne devinons pas. Nous n’appuierons pas sur des images bizarres : une mer couverte d’e´cume, qui doit eˆtre juge´e par l’Europe ; des plaies que l’on cicatrise, en marchant dans une route, etc. Mais ce qui est plus correct et plus clair ne nous a pas paru plus satisfaisant. Nous avons e´te´ faˆche´s de voir les mots de vils agitateurs, d’odieux sentier re´volutionnaire, dans un discours qui devait avoir pour but d’e´teindre les haines. On a tant de´clame´ contre les abstractions, qu’on ne se donne plus meˆme le me´rite de la nouveaute´, en les fle´trissant du nom de mensonge`res. Nous ne concevons pas trop comment on peut exhorter des de´pute´s, dont l’unique mission sera d’exposer par la parole les inte´reˆts et les vœux de la nation, a` de´daigner les dangereux succe`s de la tribune. Nous ne croyons point que les succe`s de la tribune de M. Pitt et de Lord Grenville, qui ont tant contribue´, l’un a` combattre et l’autre a` renverser Bonaparte, aient e´te´ des succe`s funestes. Ce passage a le malheur de ressembler a` une lettre de Bonaparte meˆme au ge´ne´ral Augereaux ; lettre qui fit pressentir, a` tous les hommes e´claire´s, ses projets de tyrannie : car le premier soin des tyrans est de fle´trir la parole, en
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Le discours du duc de Choiseul-Stainville (1760–1838), pre´sident du colle`ge e´lectoral du de´partement des Vosges, se trouve dans le Moniteur no 250 du 7 septembre 1815, p. 990c. Les exemples cite´s par BC viennent tous de la seconde partie du discours. Choiseul, neveu d’E´tienne-Franc¸ois, le ministre de Louis XV, joue un roˆle dans l’e´pisode de la fuite a` Varennes, a` la suite de quoi il est e´migre´ dans l’arme´e de Conde´, puis en Angleterre. Il ne retourne en France qu’a` la Restauration qui le fait pair de France ; sous la Monarchie de Juillet, il est aide de camp de Louis-Philippe.
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attendant qu’ils la puissent e´touffer1. Notre critique est d’autant plus se´ve`re, que M. le duc de Choiseul nous a toujours paru un ve´ritable ami d’une liberte´ sage. C’est notre conside´ration pour lui qui donne peut-eˆtre a` nos expressions un peu d’amertume. Il y a dans la justice une sorte de rancune, quand elle porte sur quelqu’un qu’on aurait eu l’envie et le besoin d’approuver. M. le duc de Levis a publie´ un excellent ouvrage sur l’Angleterre au 19e sie`cle2. Il y a de´ploye´ une connaissance tre`s-profonde de la constitution de ce pays. Il est entre´ dans l’examen de tous les proble`mes politiques, en parlant de la chute, de la restauration et des nouveaux malheurs des Stuarts. Il y a meˆme aborde´ la grande question de la le´gitimite´, d’une manie`re tre`s-hardie. Rien ne cadre moins avec les doctrines orthodoxes sur ce point, que tout ce qu’il dit sur les pre´tentions et sur les discours de Jacques II, dans les pages 259, 262 de son livre, et surtout a` la page 2593. Nous avons donc 2 d’une ] la source porte d’nne 1
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BC riposte ici avec force parce qu’il conc¸oit la mission d’un de´pute´ autrement. Les exemples qu’il cite, William Pitt et William Windham, Lord Grenville, ont combattu avec acharnement Napole´on. Pierre-Franc¸ois-Charles Augereau (1757–1816), mare´chal, dont le plus grand titre de gloire est la victoire de Castiglione (1796). Il joua, sur la demande de Bonaparte, un roˆle de´cisif au moment du coup d’E´tat du 18 fructidor, mais s’e´loigna de plus en plus de Napole´on, fatigue´ par les nombreuses campagnes, peut-eˆtre aussi gagne´ par les adversaires de l’Empereur. Fait pair de France a` la Restauration, il fut e´carte´ apre`s la seconde abdication de Napole´on. Allusion a` L’Angleterre au commencement du dix-neuvie`me sie`cle, Paris : Renouard, 1814. Les pages cite´es dans cet article donnent tout le relief hardi aux re´flexions sugge´re´es par BC. Le pair de France a su e´viter cette hardiesse dans son discours quelque peu de´cevant. Voir le Moniteur no 250, 7 septembre 1815, pp. 990c–991a ; Journal des De´bats, 1er septembre 1815, p. 2a–2b. Le passage qui fait l’e´loge du pe`re de Le´vis ne comprend que deux phrases vers la fin du texte. Gaston de Le´vis (1764–1830), de´pute´ aux Etats ge´ne´raux, e´migre en 1792, rejoint l’arme´e de Conde´, rentre en France apre`s le 18 Brumaire, devient pair de France en 1814. Il est pre´sident du colle`ge e´lectoral du Pas-de-Calais. BC pense aux passages suivants : «Or, le premier besoin d’une nation riche est l’assurance de la possession paisible de ses proprie´te´s. On commenc¸oit donc a` de´sirer de nouveau une garantie le´gale, c’est-a`-dire la re´forme de la constitution, lorsque le roi Jacques Ier, par une imprudence inconcevable, voulut, au contraire, e´tablir en principes les maximes suivies par ses pre´de´cesseurs, mais qu’ils n’avoient jamais ose´ professer : pour lui, il de´clara, par deux fois, au parlement, ‘que la puissance des rois provenant de Dieu, e´toit sans bornes, et que les privile`ges re´clame´s par le peuple, comme un droit de naissance, n’e´toient qu’une concession de ses anceˆtres re´vocable a` sa volonte´.’ Il est singulier que le re`gne de Jacques se soit termine´ sans orages ; mais il en e´clata de terribles sur la teˆte de son fils qui voulut l’imiter.» Le´vis, L’Angleterre au dix-neuvie`me sie`cle, p. 259. Le second passage cite´ est celui-ci : «C’est a` l’histoire qu’il appartient de de´crire la terrible re´volution qui enleva le sceptre a` la maison de Stuart : que le fanatisme religieux, l’esprit de re´publicanisme et l’impe´ritie d’un monarque foible et cependant obstine´, y aient contribue´, c’est ce qui est hors de doute ; [...]
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lu, avec une grande curiosite´, son discours a` l’assemble´e e´lectorale du Pasde-Calais ; mais M. le duc de Levis a juge´ vraisemblablement que ce n’e´tait pas le moment de s’occuper d’ide´es politiques ; et il se borne a` de justes louanges du caracte`re de S.M. Sa phrase sur le drapeau blanc, qui flotte sans le concours des puissances allie´es, est d’un bon citoyen ; et la phrase suivante dans laquelle il en remercie l’Europe, en tempe`re le courage. Son e´loge de son propre pe`re serait un peu long, s’il n’e´tait excuse´ par un sentiment naturel et toujours respectable. En tout, ce discours n’est frappant que par sa prudence. Il est sans de´fauts graves, comme sans beaute´s d’aucune espe`ce : personne ne le de´savouerait ; tout le monde aurait pu le faire. Cela meˆme est une singularite´, quand c’est la production d’un e´crivain connu par des pense´es souvent profondes, par des tableaux quelquefois piquans, et par une grande habitude des discussions constitutionnelles. Ce que nous venons de dire du discours de M. le duc de Levis ne s’applique certainement pas moins a` celui de M. Faget de Baure, pre´sident de l’assemble´e e´lectorale du de´partement des Landes1. Mais les ide´es sont ici remplace´es par des me´taphores qui ont l’agre´ment de transporter le lecteur au milieu d’une foule d’anciennes connaissances, arrivant la`, l’on ne sait d’ou`, ni comment. C’est la France qui succombe sous le fardeau des conqueˆtes ; c’est le territoire qu’il ne sera plus permis de violer ; c’est une guerre qui de´vore l’Europe comme un incendie ; c’est la barbarie qui menace le monde civilise´ ; ce sont de vaines the´ories qui compromettent l’existence des gouvernemens ; et ce sont les habitans des Landes qui sont compare´s aux peuples pasteurs de l’antiquite´. Ils ne s’y attendaient gue`re. Que sais-je enfin ? Il y a de tout dans cette harangue, excepte´ un mot, celui de constitution ; elle n’y est pas seulement nomme´e. La seule hardiesse que l’orateur se soit permise, c’est de recommander aux e´lecteurs de choisir toujours leurs de´pute´s dans leur propre sein. Le conseil n’est pas conforme a` la charte : mais il est poli pour le colle´ge ; et il a valu probablement au discours, une partie des applaudissemens qu’il a excite´. L’on se repose de ce de´luge de phrases en lisant le discours de M. le comte Gouvion, dans le colle´ge e´lectoral de la Haute-Saoˆne2. La`, sont des
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On profita de l’accession au troˆne d’un roi, dont le titre e´toit ille´gitime et l’usurpation odieuse, pour exiger de lui la reconnaissance solennelle des droits de la nation ; cet acte se nomme le bill des droits [...]. On sent assez dans quel but on a re´uni les titres de la maison royale aux privile`ges des citoyens. De cet assemblage re´sulte un ve´ritable contrat synallagmatique. Tous les e´crivains politiques, en parlant de l’origine des monarchies, supposent l’existence d’une convention de ce genre entre le prince et le peuple, mais ici seulement elle est formelle et ne sauroit eˆtre nie´e.» (Ibid., p. 262.) Jacques Faget de Baure (1755–1817), de´pute´ du de´partement des Landes a` la Chambre de 1815–1817, de tendance royaliste. Voir le Moniteur no 246 du 3 septembre 1815, p. 976b-c. Laurent, comte de Gouvion-Saint-Cyr (1752–1823) est pre´sente´ par BC avec sympathie, parce qu’il propose dans son discours du 1er septembre 1815 une politique de re´conciliation
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pense´es vraies, exprime´es avec force et fermete´. Le roi y est loue´ de la manie`re dont il doit convenir au chef d’un grand peuple d’eˆtre loue´. On le remercie, de compter la nation par ce qu’elle est, et de lui avoir donne´ une charte qui porte la liberte´ politique aussi loin qu’elle peut aller. Nous ne trouvons point, dans ce discours, cette crainte du talent, cette horreur pour le succe`s, ces conseils timides et cauteleux qui tendent a` e´carter tous les hommes qui ont pu se faire connaıˆtre dans ces temps d’orages. Nous trahirions nos devoirs, dit M. le comte de Gouvion, si, dans nos choix, nous ce´dions a` l’amitie´, a` la complaisance, meˆme aux liaisons, que, dans d’autres temps, la conformite´ d’opinions a pu e´tablir entre nous. Gardons-nous de nous laisser aller a` d’injustes pre´ventions, et d’e´loigner des hommes qui peuvent eˆtre utiles au roi et a` la patrie. En effet, cette recommandation si bannale et si re´pe´te´e, de ne choisir que des noms nouveaux, si elle ne trahissait pas le ressentiment de l’envie, serait une singulie`re preuve de notre penchant a` passer d’un extreˆme a` l’autre. Nague`res, les places des de´pute´s paraissaient inamovibles. Aujourd’hui, l’on dirait que l’expe´rience est un tort ; et, parce que nous avons fait naufrage, nous voulons former l’e´quipage entier de gens qui n’aient jamais navigue´. Je craindrais pour eux le mal de mer, je l’avoue. Il est a` remarquer que trois des meilleurs discours que nous ayons analyse´s jusqu’ici, ont e´te´ prononce´s par les hommes qui ont fait les guerres de la liberte´1. C’est une belle re´ponse a` l’esprit de calomnie qui voudrait e´tendre, sur toute l’arme´e franc¸aise, la de´faveur que n’a me´rite´e qu’un petit nombre d’hommes e´gare´s. C’est dans la partie de cette belle et malheureuse arme´e, dont un seul homme a tant abuse´ ; c’est, disons-nous, dans la partie de cette arme´e qui est reste´e fide`le et pure, que nous retrouvons, avec le courage le plus invincible, les plus nobles sentimens et la mode´ration la plus digne d’e´loges. (La fin a` l’un des nume´ros prochains)
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prudente. Il sera d’ailleurs l’un des rares membres de la Chambre des Pairs qui ne votera pas la mort du mare´chal Ney. Voir le texte de son discours dans le Moniteur no 255 du 12 septembre 1815, p. 1008b. La citation se compose de deux morceaux qui ne se suivent pas imme´diatement, mais appartiennent au meˆme contexte. Il s’agit, comme le remarque Harpaz (Recueil d’articles, 1795–1817, p. 235, n. 11), des discours de Marmont, du ge´ne´ral Dupont et de Gouvion.
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Le tribut d’e´loges que nous avons offert a` M. le comte Gouvion est e´galement me´rite´ par M. le comte de Castellane, pre´sident du colle´ge e´lectoral des Basses-Pyre´ne´es1. Appele´ a` ces fonctions dans un de´partement ou` il a laisse´ des souvenirs vifs et reconnaissans a` une e´poque difficile, il a parle´ avec ces me´nagemens pour l’e´tat des esprits, que donne l’expe´rience de la re´volution, et avec la tole´rance raisonne´e que cette expe´rience inspire. Les novices seuls ne pardonnent rien, parce que n’ayant rien fait, ils croient qu’ils auraient fait mieux que tout le monde, et n’auraient pas eu besoin d’indulgence. Il y a souvent, dans les condamnations qu’ils prononcent, autant d’ineptie et d’ignorance que de malignite´ : et cette conside´ration nous rendrait presque tole´rans pour l’intole´rance, si elle e´tait moins funeste. M. de Castellane a e´vite´ cet e´cueil. L’union des Franc¸ais, l’oubli des torts, la fide´lite´ au monarque, l’amour de la liberte´ : tels sont ses principes. Nous devons en dire autant de M. Bruno de Boisgelin2. Un esprit juste, une e´le´gance noble, un caracte`re pur, le me´rite d’avoir de´couvert ou adopte´ des ide´es parfaitement saines sur les besoins du moment, et sur les possibilite´s qu’admettent les circonstances, sont des qualite´s que lui accordent tous ceux qui le connaissent. Au moment de l’irruption de Bonaparte, il a e´te´ un des plus ze´le´s de´fenseurs du roi. Il n’a point rendu la cause royale de´sespe´re´e, en en de´sespe´rant d’avance. Il a continue´, au contraire, a` en espe´rer et a` la servir, lors meˆme qu’elle paraissait le plus en danger. La mode´ration de son discours, dans l’assemble´e e´lectorale des Coˆtes-du-Nord, prouve que le triomphe n’a rien change´ a` la sagesse qui le distingue ; et sa conduite dans le succe`s ajoute de nouveaux titres d’estime aux droits que son courage dans l’adversite´ lui assurait a` notre respect. E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal des Arts et de la Politique, no 12, 21 septembre 1815, pp. 3b–4a. 1
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Le discours de Boniface-Louis-Andre´ de Castellane-Novejean (1758–1837) se trouve dans le Moniteur no 254 du 11 septembre 1815, p. 1005c. Castellane, appele´ a` la pre´fecture des Basses-Pyre´ne´es en l’an X, sous le Consulat, poste qu’il gardera jusqu’en 1810 et qu’il administrera avec bonheur, comme le souligne BC. Comte d’Empire, il se rallie aux Bourbons. Il sera nomme´ Pair de France sous la Seconde Restauration. Le discours du 29 aouˆt 1815 de Paul-Gabriel Bruno, comte de Boisgelin (1747–1824), pre´sident du colle`ge e´lectoral des Coˆtes-du-Nord, se trouve dans le Moniteur no 252 du 8 septembre 1815, p. 994b-c.
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Lorsqu’un confesseur de la foi, un apoˆtre et un de´fenseur du christianisme e´le`ve sa voix au milieu de circonstances graves, l’on s’attend a` retrouver dans chaque mot, et dans chaque accent des traces de la charite´ chre´tienne. Les disciples d’un Dieu mort sur la croix pour expier les pe´che´s de l’homme, et en implorant son pe`re ce´leste en faveur de ses bourreaux, peuvent se re´signer aux se´ve´rite´s ne´cessaires de la justice humaine, comme a` un malheur de notre condition, ici-bas ; mais ils de´tourneront leurs regards ; ils ne solliciteront point les rigueurs ; ils offriront leurs prie`res en expiation, sans rappeler les crimes des coupables pour lesquels ils prient. L’Inquisition elle-meˆme, cette institution terrible et funeste, sentait qu’elle devait a` la religion cet hommage, que le fanatisme rendait illusoire, mais qui e´tait cependant un aveu tacite de l’obligation que cette religion lui imposait. Nous nous attendions, en conse´quence, a` voir dans le discours de M. de Chaˆteaubriand la douceur, la bienveillance, l’horreur du sang, le pardon des injures, tout ce qui distingue l’E´vangile pour lequel il a e´loquemment re´clame´, quand une philosophie orgueilleuse cherchait a` le livrer au me´pris1. Nous avons e´te´ de´c¸us dans nos espe´rances. Nous n’avons point reconnu l’historien du pe`re Aubry2 dans le pre´sident de l’assemble´e du Loiret, et nous avons de´plore´ l’influence que les inte´reˆts terrestres et les fonctions mondaines exercent, meˆme sur les hommes qui sembleraient devoir en garantir le caracte`re qu’ils ont pris, et les engagemens qu’ils ont contracte´s. Dans le discours qu’il a prononce´ en son propre nom a` l’assemble´e e´lectorale, M. de Chaˆteaubriand paraıˆt croire que la vertu peut eˆtre un me´tier de dupe. Cette expression peut, comme il dit, avoir e´chappe´e, dans l’insolence de la prospe´rite´, a` des hommes corrompus qui se fe´licitaient de leur adresse, et se pavanaient de leur succe`s : mais elle n’a jamais e´te´ re´ pe´te´e, nous osons le dire, par des hommes consciencieux. La vertu ne serait plus elle-meˆme si, pour que le devoir ne lui fuˆt pas trop difficile, elle avait un besoin si impe´rieux des faveurs, soit du peuple, soit de la puissance. Cette envie de voir la vertu re´compense´e a donne´ au discours de M. de Chaˆteaubriand quelque chose de tranchant et d’exclusif, qui se rapproche de l’esprit qu’on a nomme´ re´actionnaire, esprit dangereux dans un temps ou` toutes les passions fermentent encore. Il a beaucoup parle´ des hommes qu’il e´tait ne´cessaire d’e´carter, et n’a pas suffisamment se´pare´ les opinions d’avec les actes, et les erreurs d’avec les crimes. Il aurait duˆ peut-eˆtre re´fle´chir que personne, apre`s une re´volution de vingt-six ans, n’est, aux yeux des partis, a` l’abri de 1
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Voir le Moniteur no 241 du 29 aouˆt 1815, p. 959a-c ; Journal des De´bats, 28 aouˆt 1815, pp. 3a–3b. L’analyse de BC e´pingle l’esprit de parti qui anime en effet le discours de Chateaubriand. Allusion a` Atala, ou` l’on trouve le personnage du pe`re Aubry.
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tout reproche. Lui-meˆme, dans un ouvrage que sa re´putation poste´rieure a reveˆtu d’une ce´le´brite´ ineffac¸able, a professe´ des opinions qu’il condamne en politique et en religion1 ; lui-meˆme, nous a raconte´ sa conversion2 : or, un converti ne doit pas de´sespe´rer de la conversion des autres. Il y a dans la vie de M. de Chaˆteaubriand des traits qui sont dignes de toute notre estime ; mais le plus e´clatant de ces traits prouve en meˆme temps qu’il n’avait pas toujours refuse´ de servir le pouvoir du jour ; il en a, comme un autre, encense´ l’idole. Le Ge´nie du christianisme est encore pre´ce´de´ d’une de´dicace au premier consul3. L’Itine´raire a` Je´rusalem, publie´ en 1811, a` une e´poque ou` Bonaparte avait commis tous ses crimes, et depuis laquelle il n’y a eu de change´ que ses succe`s, est parseme´ d’hommages au ge´nie de la France et a` la gloire que la nation lui devait. Dans ce meˆme Itine´raire, M. de Chaˆteaubriand re´clame sa part de la gloire de nos arme´es, et se de´core du nom de soldat avec un orgueil patriotique4. Enfin, dans le discours fameux ou` il crut de son courage de refuser a` un poe¨ te mort, les e´loges usite´s, et qui n’e´taient qu’une forme, il n’a pas e´galement refuse´ de ce´le´brer ce berceau, de´positaire des 8 Ge´nie du christianisme ] pas d’italiques dans la source dans la source 1
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13 Itine´raire ] pas d’italiques
E´vocation de son premier grand ouvrage philosophique, Essai historique, politique et moral sur les re´volutions anciennes et modernes, conside´re´es dans leurs rapports avec la Re´volution franc¸aise, paru a` Londres en 1797, re´e´dite´ dans le cadre des Œuvres comple`tes en 1826. Les ide´es de´fendues dans ce livre sont re´voque´es, du moins partiellement, dans le Ge´nie du christianisme : «Mes sentiments religieux n’ont pas toujours e´te´ ce qu’ils sont aujourd’hui. Tout en avouant la ne´cessite´ d’une religion, et en admirant le christianisme, j’en ai cependant me´connu plusieurs rapports. Frappe´ des abus de quelques institutions et des vices de quelques hommes, je suis tombe´ jadis dans les de´clamations et les sophismes. Je pourrais en rejeter la faute sur ma jeunesse, sur le de´lire du temps, sur les socie´te´s que je fre´quentais. Mais j’aime mieux me condamner ; je ne sais point excuser ce qui n’est point excusable.» (Pre´face de la premie`re e´dition du Ge´nie du christianisme, Ple´iade, p. 1282.) Voir la pre´face de la premie`re e´dition du Ge´nie du christianisme, Ple´iade, p. 1282. L’«E´pıˆtre de´dicatoire au Premier Consul Bonaparte», datable du mois d’avril 1803, se trouve en teˆte de la deuxie`me e´dition de l’ouvrage. Voir le Ge´nie du christianisme, Ple´iade, pp. 1283–1284. Les passages a` citer ici pour illustrer la remarque de BC ont e´te´ identifie´s par Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, p. 239, n. 11. En voici un : «Je ne trouvais dignes de ces plaines magnifiques que les souvenirs de la gloire de ma patrie : je voyais les restes des monuments d’une civilisation nouvelle, apporte´e par le ge´nie de la France sur les bords du Nil ; je songeais en meˆme temps que les lances de nos chevaliers et les baı¨onettes de nos soldats avaient renvoye´ deux fois la lumie`re d’un si brillant soleil : avec cette diffe´rence que les chevaliers, malheureux a` la journe´e de Mansoure, furent venge´s par les soldats a` la bataille des Pyramides.» (e´d. 1856, vol. II, pp. 123–124.)
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Sur les assemble´es e´lectorales – Troisie`me article
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destins du monde1. Nous ne rappelons point ces de´tails avec malveillance, mais pour prouver que chacun, dans sa vie, a besoin de tole´rance et d’oubli. Nous n’attaquons point M. de Chaˆteaubriand, que nous estimons ; mais il a ce´de´, comme d’autres, a` l’esprit ou a` la fatalite´ du sie`cle contre lequel il s’e´le`ve, et nous aurions voulu trouver en lui plus de me´moire et moins de se´ve´rite´. Les impressions douloureuses que son premier discours avait fait naıˆtre, n’ont point e´te´ e´fface´es par l’Adresse dont il s’est rendu l’organe2. Nous avons lu, avec un profond regret, la phrase ou` ces mots, le commencement de vos justices, semblent provoquer une longue se´rie d’actes rigoureux. Nous avons ge´mi en voyant un homme religieux, un chre´tien fide`le dire : Nous pleurons sur des hommes qui n’auraient pas pleure´ sur nous, et de la sorte ne pas savoir, meˆme en se donnant le me´rite de la sensibilite´, suspendre l’expression du ressentiment et de la haine. Dans tout autre que dans M. de Chaˆteaubriand, ce me´lange de pitie´ et de rancune nous aurait moins blesse´ peut-eˆtre. Mais, quelle que soit la nouvelle carrie`re dans laquelle il vient d’entrer3 ; quelles que soient les dignite´s e´minentes dont nous sommes fort aises de le voir reveˆtu, nous ne pouvons oublier que la religion a fait sa premie`re gloire ; que lui-meˆme s’est pre´sente´, ainsi que nous l’avons rappele´ plus haut, comme un confesseur de la foi ; et nous exigeons de lui, plus que d’un homme ordinaire, ces vertus e´van1
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Il s’agit du Discours de re´ception de M. Chateaubriant, [sic] a` l’Acade´mie franc¸aise en remplacement de M. Che´nier, Paris : Chaumerot, 1815. Chateaubriand, oblige´ par l’usage, de faire l’e´loge de son pre´de´cesseur, Marie-Joseph Che´nier, lui refuse l’e´loge, mais attaque le re´gicide et la Re´volution : «Se´parerai-je dans les travaux de mon pre´de´cesseur, ce qui est de´ja` passe´ comme nos discordes, et ce qui restera comme notre gloire. Ici se trouvent meˆle´s et confondus les inte´reˆts de la socie´te´ et ceux de la litte´rature. Je ne puis assez oublier les uns pour m’occuper uniquement des autres ; alors, Messieurs, je suis oblige´ de me taire ou d’agiter des questions politiques» (p. 5). La plus grande partie du discours (environ 9 pages) est consacre´e aux hommages adresse´s a` plusieurs membres de l’Acade´mie qui forment, chacun, «un anneau dans la chaıˆne de cette illustre ligne´e» (p. 15). Discours du 3 septembre 1815. BC glose ceci : «Sire, vous avez deux fois sauve´ la France : vous allez achever votre ouvrage. Ce n’est pas sans une vive e´motion que nous venons de voir le commencement de vos justices. [...] Vos mains royales ne s’e´toient leve´es jusqu’ici que pour absoudre les coupables, et pour re´pandre des be´ne´dictions. Mais en sentant tout ce que cet effort a duˆ couˆter au cœur du Roi, en pleurant avec Votre Majeste´ sur les hommes qui n’auroient pas pleure´ sur nous, nous ne nous dissimulons pas que le moment e´toit venu de suspendre le cours de votre ine´puisable cle´mence.» (Moniteur no 249, 6 septembre 1815, p. 986b ; Journal des De´bats, 6 septembre 1815, p. 2b.) La formule «le commencement de vos justices» est une allusion a` peine voile´e, comme le dit Harpaz, a` l’exe´cution de La Be´doye`re. Chateaubriand, qui avait suivi Louis XVIII a` Gand, ou` il faisait partie du Conseil du roi, sera avec la Seconde Restauration nomme´ ministre d’E´tat, Pair de France, ambassadeur a` Berlin, etc.
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ge´liques, sans lesquelles la de´votion n’est qu’un instrument de passions cache´es, ce qui est a` la fois le plus grand malheur et la profanation la plus de´plorable. Le roi, qui semble destine´ a` re´parer en de´tail, comme en masse tout ce qui a besoin d’eˆtre re´pare´ ; le roi, par sa re´ponse si belle et si paternelle, a ramene´ dans notre aˆme des sentimens mode´re´s et des espe´rances consolantes. Il a de´tourne´ ses yeux de la route sombre et se´ve`re ou` l’on paraissait vouloir l’engager. Il a parle´ du bonheur de son peuple ; il a parle´ de devoirs plus doux a` remplir ; et la sensibilite´ royale a, par ces paroles, efface´ les tristes vestiges d’un ze`le trop amer, que sa bonte´ de´licate ne voulait pas blaˆmer, mais qu’elle sentait le besoin d’adoucir1.
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«Je connais la fide´lite´ du de´partement du Loiret et la loyaute´ des Orle´anais. Je sais quelle est l’e´tendue de mes devoirs : il y en a de tre`s rigoureux ; mais j’espe`re en remplir de plus doux pour le bonheur de la France, dans mes rapports avec les deux Chambres.» (Journal des De´bats, 6 septembre 1815, p. 2b. Texte le´ge`rement diffe´rent dans le Moniteur no 249 du 6 septembre 1815, p. 986b.) Citons, pour mettre en relief le contraste entre les paroles du roi et l’opinion de Chateaubriand, encore un passage du discours de re´ception : «Mais icimeˆme, Messieurs, ne serais-je pas assez malheureux pour trouver un e´cueil ; car en portant aux cendres de M. Che´nier le tribut et le respect que tous les morts re´clament, je crains de rencontrer sous mes pas des cendres autrement illustres» (Discours de re´ception, e´d. cite´e, p. 11).
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Compte rendu de Montlosier dans Le Courrier Des de´sordres actuels de la France et des moyens d’y reme´dier 1er et 18 octobre 1815
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Introduction
Le compte rendu de l’ouvrage de Montlosier, paru au moment des plus violentes discussions politiques entre les royalistes et les constitutionnels, s’inscrit lui-meˆme comme un discours politique dans le contexte de cette pole´mique. Il ne faut pas se laisser induire en erreur : un texte de critique litte´raire peut tre`s bien eˆtre utilise´ comme un forum politique. Ce n’est pas la premie`re fois que B. Constant s’engage dans une pole´mique contre Montlosier1. Mais ceci est le premier texte publie´ sur un e´crit de cet auteur qui eut, de son temps, beaucoup de succe`s (la brochure a connu encore en 1815 une seconde e´dition), en de´pit de la manie`re intransigeante et maladroite de pre´senter ses doctrines et de se faire des adversaires meˆme dans le camp de ceux dont il de´fend les inte´reˆts. Constant ne manquera pas d’insister sur ce fait. On notera les analyses froidement ironiques du style de Montlosier, le montage de tournures choisies dans la brochure et dans le grand traite´ sur la monarchie franc¸aise, l’esquisse savoureuse du roˆle don-quichottesque de l’auteur, les the´ories re´actionnaires dont il est question dans le second article, ou` se pre´pare la condamnation en re`gle des visions politiques de Montlosier pre´vue dans le troisie`me article2. Celui-ci n’a pas vu le jour. Le Courrier a cesse´ de paraıˆtre le 23 octobre. Franc¸ois-Dominique de Reynaud de Montlosier (1755–1838) est aux Etats ge´ne´raux un ardent de´fenseur de la monarchie, ce qui l’oblige a` s’exiler a` Coblence et a` Londres. De retour en France en 1800, il accepte de renseigner Fouche´ sur l’e´tat de l’opinion, jouant un roˆle analogue a` celui de Fie´ve´e. Rallie´ aux Bourbons en 1814, il publie De la monarchie franc¸aise, ou` il reprend la question des origines franques de la noblesse franc¸aise, vieux de´bat qui avait de´ja` agite´ l’opinion au XVIIIe sie`cle avec les the´ories de Boulainvilliers combattues par l’abbe´ Dubos. C’est un de´bat historiographique qui a un grand retentissement politique3.
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Voir OCBC, Œuvres, t. VII, p. 227, ou` se trouve mentionne´ le duel avec Montlosier a` la suite de discussions politiques. BC voulait y aborder la dernie`re section de l’ouvrage, qui pre´sente les «moyens de recomposition» (c’est le titre du dernier chapitre) pour re´pondre aux «de´sordres actuels» de la France. Voir Claude Nicolet, La fabrique d’une nation : la France entre Rome et les Germains,
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E´tablissement du texte Imprime´s : Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 154, 1er octobre 1815, pp. 2b– 3b. Courtney, Guide, D63. Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 171, 18 octobre 1815, pp. 2b– 3b. Courtney, Guide, D67. Les textes ont fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 240–243 et 247–251. K. K.
Paris : Perrin, 2003, et Andre´ Burguie`re, «L’historiographie des origines de la France. Gene`se d’un imaginaire national», Annales : Histoire, Sciences sociales, t. 58, 2003, pp. 41– 62.
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Des de´sordres actuels de la France et des moyens d’y reme´dier, Par M. le comte de Montlosier1
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(Premier article)
De tous les publicistes qui ont e´crit sur la re´volution franc¸aise, M. de Montlosier est peut-eˆtre celui dont la re´putation est la plus conteste´e, en meˆme temps qu’elle est une des plus e´tendues. Beaucoup de haines se sont meˆle´es aux jugemens tre`s-divers que l’on a porte´s sur son talent comme sur son caracte`re. M. de Montlosier a beaucoup de me´rite litte´raire : il a beaucoup de qualite´s estimables. Mais ni ce me´rite, ni ces qualite´s ne sont de nature a` captiver la bienveillance. Ses re´dactions2 sont souvent ame`res. Son style piquant et original, est aˆpre et quelquefois bizarre. La meˆme aˆprete´ s’est fait remarquer dans sa conduite, meˆme quand les circonstances l’ont force´ a` le rendre plus flexible qu’il ne l’aurait de´sire´. Il n’a jamais de´fendu un parti sans ajouter a` sa de´fense ce qu’il y avait de plus propre a` blesser ceux qu’il prenait sous sa protection. Il n’a jamais loue´ la puissance, sans laisser voir la re´pugnance qu’il e´prouvait a` lui de´cerner des e´loges, qui cessaient d’eˆtre flatteurs, parce qu’il avait l’air de se les reprocher en les accordant. Quand il blaˆme, c’est avec franchise ; mais, quand il approuve, je ne sais quelle roideur indique une sorte de protestation tacite contre l’approbation qu’il e´nonce. Il a de la sorte fourni sa carrie`re politique et litte´raire, ajoutant, par chacun de ses nombreux ouvrages, quelque chose a` sa ce´le´brite´, mais augmentant aussi par chaque brochure, dans une portion beaucoup plus grande, le nombre de ses ennemis et de ses censeurs. Si notre jugement paraissait rigoureux, nous dirions que celui que M. de Montlosier porte sur lui-meˆme, est encore plus se´ve`re. Il avait explique´, dans le quatrie`me volume, ou supple´ment a` son grand ouvrage sur la monarchie franc¸aise3, lequel supple´ment a paru sous le gouvernement de Bonaparte, qu’il attaquait avec beaucoup de courage, comment il s’e´tait alie´ne´ les nobles en e´crivant pour la noblesse, et les preˆtres en e´crivant pour la
E´tablissement du texte : Imprime´ : Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 154, 1er octobre 1815, pp. 2b–3b. 1 2 3
L’ouvrage a paru a` Paris, chez Adrien E´gron et H. Nicolle en 1815. Probablement pour «re´actions», re´current chez BC. De la Monarchie Franc¸aise, depuis son e´tablissement jusqu’a` nos jours, ou Recherches sur les anciennes institutions franc¸aises et sur les causes qui ont amene´ la Re´volution et ses diverses phases jusqu’a` la de´claration d’empire, avec un supple´ment sur le gouvernement de Buonaparte depuis ses commencements jusqu’a` sa chute ; et sur le retour de la maison de Bourbon, Paris : H. Nicolle, 1814–1815.
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religion. Dans le discours pre´liminaire de sa brochure actuelle, il rappelle les causes qui ont attire´ sur lui cette de´faveur, et pour lesquelles ni les princes, ni les royalistes, ni les constitutionnels, ni les amis de la liberte´, ni ceux de la France, ne peuvent eˆtre contents de lui1. L’ouvrage dont nous allons rendre compte aura vraisemblablement le meˆme sort que les pre´ce´dens. Avant d’entrer dans l’examen des de´tails, nous croyons devoir dire quelques mots du syste`me ge´ne´ral de M. de Montlosier, syste`me qui re`gne dans sa brochure actuelle comme dans toutes celles qu’il a publie´es. M. de Montlosier regrette l’ancienne France, ses pompes e´clatantes, ses institutions chevaleresques, sa paternelle fe´odalite´. Ce n’est point par ironie que nous employons ces expressions. Nous croyons que l’ancienne France offre beaucoup de choses qu’on peut admirer. Sans regarder la fe´odalite´ comme aussi parfaite, meˆme dans son meilleur temps, que M. de Montlosier la connaıˆt et la repre´sente, nous croyons, par cela seul qu’elle faisait partie des choses d’alors, qu’elle e´tait conforme a` la nature des choses d’alors, et qu’elle avait son utilite´ relative. Nous croyons enfin qu’il est de´sirable pour une nation de respecter le passe´, et qu’elle a tort, quand elle gaspille et foule aux pieds son he´ritage ; mais nous diffe´rons de M. de Montlosier en ceci, qu’il voudrait partir de ses regrets pour obtenir de la France actuelle de se rapprocher des formes de l’ancienne France, tandis que nous pensons que les meˆmes causes qui ont amene´ la destruction de l’e´difice, empeˆchent qu’on ne les reconstruise sur un plan semblable, et qu’il y a parmi les ruines des mate´riaux tellement vermoulus, qu’on ne peut rien baˆtir de solide en les employant. Pour citer un exemple qui fixe les ide´es, nous choisirons la noblesse, telle qu’elle existait dans l’ancienne monarchie. Mais comme dans un temps de parti ou` tout s’interpre`te et se de´figure, toutes les pre´cautions sont bonnes a` prendre, nous de´clarons premie`rement que nous ne confondons point l’he´re´dite´ de la pairie et ses fonctions politiques avec les privile`ges de la noblesse avant 1789 ; et en second lieu, qu’en exposant les causes qui ont mine´ depuis deux sie`cles la pre´ponde´rance de la noblesse et de´truit le respect qu’on lui portait, nous n’entendons nullement comprendre dans la rigueur de notre jugement une foule d’individus qui me´ritent toute notre estime. Ils composent peut-eˆtre la majorite´ de la classe nobiliaire ; mais la conside´ration des classes re´sulte d’une sorte d’uniformite´ dans la conduite de tous leurs membres, et dans ce cas on peut dire que les exceptions forment la re`gle. M. de Montlosier blaˆme avec toute raison et avec une indignation tre`sle´gitime, la proscription de la noblesse par les re´volutionnaires de nos jours, et nous espe´rons bien qu’elle ne sera plus jamais proscrite ; mais il se de´sole de ce qu’elle n’impose plus au reste du peuple comme autrefois, et nous 1
Allusion aux pp. XVIII-XIX du «Discours pre´liminaire».
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trouvons dans ses livres meˆmes des motifs de croire qu’a` jamais aussi ce qu’elle avait d’important s’est dissipe´. Il suffit de lire l’Histoire de la monarchie franc¸aise dans le grand ouvrage de M. de Montlosier, pour voir comment les grands seigneurs, possesseurs de proprie´te´s et investis de privile`ges immenses, se sont laisse´s de´truire, et ce qui e´tait pis, se´duire et corrompre par l’esprit de cour. Il peint mieux qu’un autre ces ge´ans de la fe´odalite´, devenant graduellement des nains sous Louis XIII et sous Louis XIV, et se complaisant dans les atours pue´rils dont ils affublaient leur taille rapetisse´e1. M. de Montlosier accuse les rois et les ministres d’avoir travaille´ avec aveuglement a` cette diminution de la stature nobiliaire : cela peut eˆtre. Mais, en conscience, ce n’est pas la faute du tiers-e´tat s’il a vu ce qui e´tait visible. Quand les descendans des plus illustres familles se sont transforme´s en courtisans ; quand ils ont donne´ sous Louis XIV l’exemple de la flatterie, et sous le re´gent celui de la corruption, les pauvres roturiers ne pouvaient pas toujours fermer les yeux. Le respect pour le passe´ ne pouvait empeˆcher l’e´vidence pre´sente. C’est ainsi que la noblesse a pre´pare´ sa chute. Cette chute a e´te´ de´clare´e, plutoˆt que de´cre´te´e. Elle avait eu lieu de fait ; et vraiment, quand par un effet ine´vitable de cette marche des choses, l’abolition de la noblesse a e´te´ proclame´e, le tiers-e´tat, si l’on compare les lumie`res, l’industrie, l’influence, tout ce qui constitue la force re´elle, le tiers-e´tat, disons-nous, en consentant a` l’e´galite´ entre les deux ordres, a fait plutoˆt un acte de courtoisie qu’un acte de rigueur. Les regrets de M. de Montlosier sont estimables. Il est toujours honorable de regretter ce qui n’est plus, parce qu’il y a dans ce sentiment du de´sinte´ressement et par conse´quent de l’e´le´vation. Nous ajouterons meˆme que, sous le rapport litte´raire nous aimons assez qu’un e´crivain de talent se rende l’organe de ces regrets. Ils augmentent l’effet poe´tique des souvenirs, comme les ge´missemens des oiseaux de nuit comple`tent l’effet pittoresque que produisent les chaˆteaux ruine´s, lorsqu’on les contemple au clair de la lune. Mais les lamentations des e´crivains ne rele`veront pas plus la noblesse comme caste, que les ge´missemens des oiseaux nocturnes ne rele`vent les chaˆteaux de´truits. Cette ve´rite´ e´tait de´ja` manifeste il y a vingt-cinq ans. Une circonstance particulie`re est venue la confirmer, et rendre l’arreˆt du sort plus irre´vocable. 1
La noblesse franc¸aise et sa de´cadence sous l’absolutisme seront e´voque´es a` nouveau dans la deuxie`me e´dition des Re´flexions sur les constitutions, publie´e dans le Cours de politique constitutionnelle (voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1194). Paralle`le pre´cieux, parce que la comparaison de la noblesse fe´odale a` des ge´ants et des nains, dont la «taille rapetisse´e» (souvenirs de Florestan) se preˆte a` merveille au nouveau roˆle de courtisan, est un argument
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Quand on a du guignon, pour me servir d’une expression populaire, tout tourne mal, et la prospe´rite´ meˆme est perfide. Le mauvais sort de la caste nobiliaire a voulu que les faveurs de Bonaparte achevassent de la perdre. Bonaparte, pour d’autres motifs que M. de Montlosier, avait beaucoup de penchant pour la noblesse, et assez de jugement pour pre´fe´rer l’ancienne a` la sienne propre. De`s qu’il l’a ose´, il l’a appele´e autour de lui. Qu’est-il arrive´ ? Apre`s quelques instans d’une he´sitation pudique, elle s’est avance´e sur le seuil des antichambres, puis s’est pre´cipite´e dans les salons de service. Elle s’y est e´tablie ; elle a porte´ ses formes e´le´gantes et ses noms historiques dans le palais d’un usurpateur. On a vu les rejetons des familles les plus antiques reveˆtus du costume d’e´cuyers et de chambellans d’un parvenu. Le ze`le a e´te´ tel que Bonaparte lui-meˆme, qui n’e´tait pas tendre, en a e´te´ touche´ : et c’est avec une e´motion reconnaissante, la seule peut-eˆtre qu’il ait eue de sa vie, qu’il disait a` une grande dame de l’ancien re´gime, dame du palais sous le nouveau : Il n’y a pourtant en France que vous autres qui sachiez servir. Cette dernie`re crise a e´te´ sans reme`de. On ne ressaisit point l’e´pe´e de Bayard1 apre`s avoir porte´ la livre´e d’un Corse. Il faut que M. de Montlosier se re´signe a` ne voir dans les quarante-cinq mille familles qui jadis avaient des privile`ges en France, que des citoyens et des e´gaux de tous les Franc¸ais ; et si la base de l’ordre social e´tait la supre´matie de ces quarante-cinq mille familles, il faudrait de´sespe´rer de l’ordre social. Nous avons commence´ par ces observations, parce que, dans le fait, l’amour de la noblesse comme caste est l’ide´e dominante de M. de Montlosier. Nous disons l’amour de la noblesse comme caste, bien plus que l’amour ou l’inte´reˆt des nobles commes individus. Ceux-ci sont fre´quemment traite´s avec rigueur dans ses ouvrages ; mais la noblesse est un ide´al qui l’enchante et dont il ne veut pas se de´partir. S’il se fuˆt borne´ a` dire que le point de de´part des nobles dans l’ordre social e´tait en ge´ne´ral plus favorable que celui des classes infe´rieures, parce que leur vanite´ n’e´tant point blesse´e, e´tait exempte de cette amertume qui est si dangereuse dans les crises politiques ; s’il euˆt de´montre´ que les amis de la liberte´ en France auraient duˆ essayer de rattacher les nobles a` leur cause, au lieu de se laisser entraıˆner par les re´volutionnaires a` les humilier,
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irre´futable pour l’attribution des articles non signe´s a` Benjamin Constant et renforce l’argumentation d’E´phraı¨m Harpaz base´e sur les notes du journal intime (Recueil d’articles, 1795–1817, p. 243, n. 1). Voir aussi ci-dessus, pp. 120–121, ou` BC cite un extrait de Fie´ve´e assez proche de cette critique de Louis XIV. Pierre Terrail, seigneur de Bayard (vers 1473–1524), chevalier sans peur et sans reproches, le type du chevalier fide`le et accompli dans l’histoire et dans la poe´sie.
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puis a` les proscrire ; il n’aurait pas dit des choses tout-a`-fait neuves, mais il aurait dit des choses justes, qu’il euˆt certainement exprime´es d’une manie`re nouvelle. Au lieu de s’en tenir a` ces ide´es proportionne´es au temps et a` la nation, il a re´chauffe´ tous les vieux argumens en faveur des distinctions nobiliaires, argumens qui reposent tous sur le meˆme sophisme. Nous les rapporterons en abgre´ge´ dans un second article et en copiant les expressions tantoˆt piquantes et tantoˆt e´tranges de M. de Montlosier ; et ensuite nous y re´pondrons victorieusement, a` ce qu’il nous semble, en une seule phrase.
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(Second article)
Nous avons dit que nous re´futerions, par un seul raisonnement, tous les argumens de M. de Montlosier, en faveur des privile´ges de la noblesse. En effet, tous ses argumens se re´duisent a` un seul, reproduit sous tant de formes, que cette ve´rite´ ressemble fort a` de la monotonie. «Vous ne pre´tendez pas vous opposer, dit M. de Montlosier, a` ce qu’un pe`re transmette a` son fils sa taille, ses traits, ses avantages, se de´fectuosite´s, sa bonne ou mauvaise constitution physique.» – Non suˆrement : mais nous pre´tendons lorsqu’un pe`re n’a pas transmis a` son fils sa taille, ses traits ou d’autres avantages, nous ne devons eˆtre oblige´s a` reconnaıˆtre a` ce fils des avantages qu’il n’a pas, parce que son pe`re les a posse´de´s. Si le fils ressemble au pe`re, nos yeux suffiront pour nous en avertir. Mais s’il n’y a entre eux aucune ressemblance, pourquoi voulez-vous nous forcer a` trouver qu’ils se ressemblent ? «Vous ne pre´tendez pas, continue-t-il, qu’un bossu, ou un homme de cinq pieds, soit, en vertu de l’acte additionnel et de l’admissibilite´ a` toutes les places, admissible a` celle de grenadier1.» – Nullement : mais nous pre´tendons que le fils d’un homme de six ou meˆme de sept pieds, s’il n’en a que cinq, ou qu’il soit bossu, ne doit pas eˆtre grenadier, en me´moire de la taille de son pe`re. L’absurdite´ que les partisans des privile´ges de la noblesse nous reprochent n’appartient qu’a` eux. Ce sont eux qui, en e´tablissant a` coˆte´ des ine´galite´s naturelles une ine´galite´ inverse, ame`nent de fait un nivellement moral. Ce sont eux qui font plier, devant une convention factice, toutes les pre´e´minences re´elles ; ce sont eux qui veulent qu’en vertu d’un acte de naissance, le monde soit contraint a` admirer la taille gigantesque des nains, ou la stature e´le´gante des bossus. «Laissez a` l’aigle, s’e´crie notre auteur, le domaine de l’air, et au cheval celui des combats.» Si les nobles et les ple´be´iens e´taient deux espe`ces diffe´rentes, l’argument serait sans replique. Mais comme la nature les a cre´e´s de la meˆme espe`ce, il s’agit de savoir si quelques aigles, puisqu’aigles il y a, chasseront du domaine de l’air tous les autres aigles ; si quelques E´tablissement du texte : Imprime´ : Le Courrier, Journal politique et litte´raire, no 171, 18 octobre 1815, pp. 2b–3b. 1
Montlosier, Des de´sordres actuels, p. 105.
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chevaux raviront a` tous les autres chevaux la gloire des combats, et s’il y aura, par droit de naissance, des chevaux de fiacre. «Il sera permis a` d’Assas, poursuit M. de Montlosier, s’il est marchand de morue, de transmettre a` ses enfans la fortune de sa sueur et de son comptoir, et il lui sera de´fendu, mourant pour la patrie, de leur transmettre la fortune de son sang et de sa gloire1.» Pas le moins du monde. La fortune du comptoir, c’est de l’argent : la fortune de la gloire, c’est de la conside´ration. Nul ne s’oppose a` la pre´vention favorable qu’excite a` la vue du fils d’un homme illustre le nom qu’il tient de lui. Mais on s’oppose a` ce que des privile´ges donnent a` cette pre´vention une dure´e qui devient contre nature, si la pre´vention n’est pas fonde´e. Si vous ne voulez de privile´ges que pour la conside´ration seule, ils sont inutiles. La me´moire des hommes et des peuples y pourvoit. Le fils de Washington est rec¸u partout en Ame´rique, ou` il n’y a pas de noblesse, avec des marques d’inte´reˆt et une curiosite´ affectueuse. Mais si vous voulez des privile´ges pour arriver plus facilement ou plus exclusivement aux places, et cette intention perce dans toutes les re´clamations nobiliaires, ce n’est plus simplement de la conside´ration, ce sont des places que vous voulez. Or, ces places ont des avantages positifs. Elles confe`rent du pouvoir ; et le pouvoir, de l’argent. C’est dans le fait ce qu’on de´sire, et la fortune de la gloire ne re´clame tant ses privile´ges que pour aller sur les brise´es de la fortune du comptoir. «Non, re´pond M. de Montlosier ; la noblesse est un ordre de l’e´tat, dont le double caracte`re est d’un coˆte´ de s’abstenir de toutes les professions lucratives, en sacrifiant cet avantage aux conditions infe´rieures, et, d’un autre coˆte´, de se vouer a` toutes les professions d’utilite´ publique, en les exerc¸ant gratuitement2.» – Je me demande quelles sont donc ces professions gratuites que la noblesse s’est empresse´e d’exercer. On dirait, a` entendre leur pane´gyriste, que les nobles n’ont jamais occupe´ que des places de juges-de-paix. Je vois bien quelques emplois de finances qui de´rogeaient a` leur dignite´ ; mais je les vois souvent condescendre a` s’approprier, par des mariages, le re´sultat de ces professions roturie`res. Je ne sache pas que les ministe`res, les places de la cour, le commandement des arme´es, soient des fonctions gratuites. L’exercice de ces fonctions ne me paraıˆt point avoir ruine´ la noblesse. Elles ont, au contraire, ajoute´, dans tous les pays et dans tous les temps, a` son opulence, aussi-bien qu’a` son lustre. Lucullus n’e´tait pas dans la mise`re, quoiqu’il euˆt le de´sinte´ressement d’un patricien. J’en conclus que les privile´ges de la noblesse sont des sources au moins indirectes de richesses, au lieu d’eˆtre le de´dommagement de ses sacrifices et la consolation de sa pauvrete´. 1 2
Montlosier, Des de´sordres actuels, pp. 44–45. Montlosier, Des de´sordres actuels, p. 114.
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Ceci n’implique nullement qu’on ait bien fait, ou meˆme qu’on n’ait pas tre`s-mal fait de de´pouiller la noblesse de proprie´te´s que lui avait procure´es ses privile´ges, qui ne pouvaient lui eˆtre reproche´s, aussi long-temps que la volonte´ nationale n’avait point prononce´ leur suppression. Toute spoliation est une injustice. Celle de la noblesse a e´te´ re´voltante et accompagne´e de circontances atroces. Nous en portons la peine aujourd’hui, parce que toute iniquite´ retombe sur ses auteurs et sur le peuple qui la tole`re ; mais, pour condamner cette injustice, et je dirai plus, pour la re´parer, autant que les circonstances le permettent, sans violer aucun des inte´reˆts qui ont pris naissance depuis, sans porter atteinte a` ce que la charte a consacre´ comme irre´vocable, il n’est pas ne´cessaire d’entasser des sophismes, et de confondre, comme M. de Montlosier le fait sans cesse, l’abolition des privile´ges et la perse´cution contre les privile´gie´s. Cette confusion, dans laquelle sont tombe´s e´galement et les ennemis et les partisans des privile´ges, a fait que les uns et les autres ont e´galement manque´ leur but. Si les nobles ne veulent plus eˆtre expose´s a` des perse´cutions injustes, ils ne doivent plus re´clamer des distinctions que l’esprit du sie`cle et la marche des choses ont abolies plus irre´vocablement que tous les de´crets. La force qui leur servait a` de´fendre ces distinctions leur a e´chappe´. Les fondemens de l’e´difice sont mine´s par le temps. S’ils s’obstinent a` vouloir le relever, il leur retombera sur la teˆte. Qu’ils soient hommes, qu’ils soient citoyens ; la me´moire de leurs anceˆtres, leurs noms glorieux, leur position sociale, leur serviront alors. Ils marcheront naturellement a` la teˆte de leurs e´gaux, pourvu qu’ils les reconnaissent comme e´gaux. Mais qu’ils n’invoquent pas de privile´ges ; les privile´ges ame`nent les proscriptions. En donnant des conseils aux nobles, je dirai, d’autre part, aux ple´be´iens : Voulez-vous consacrer l’e´galite´ ? e´tablissez-la sur la justice. Vous avez re´clame´ contre des bannie`res suranne´es : elles sont tombe´es ; mais n’essayez pas d’exclure de la carrie`re qui doit eˆtre commune a` tous, ceux qui ont autant de droit que vous d’y marcher. Vous ne voulez pas qu’on rende aux souvenirs un culte superstitieux ; mais ne professez pas contre les souvenirs une haine fe´roce. Ne prononcez pas de proscriptions : les proscriptions rame`nent les privile´ges. Avant de quitter ce sujet, je crois devoir consacrer quelques lignes a` expliquer comment, en de´sapprouvant l’institution de la noblesse comme ordre privile´gie´, je respecte, et j’approuve les pre´rogatives de la pairie. La pairie n’est pas un privile`ge ; c’est une fonction, une magistrature. Il n’est pas plus choquant pour un homme de n’eˆtre pas pair que de n’eˆtre pas magistrat. La pairie n’a point le caracte`re ve´ritablement odieux de l’he´re´dite´, le caracte`re exclusif. Le lendemain de la nomination d’un simple ci-
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Des de´sordres actuels de la France et des moyens d’y reme´dier
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toyen a` la pairie, il jouit des meˆmes pre´rogatives le´gales que le plus ancien des pairs. Les familles, dont le chef est investi de cette dignite´ constitutionnelle, ne restent point se´pare´es de la masse du peuple ; elles y rentrent par les branches cadettes ; il n’y a point cette ligne de de´marcation qui inspire d’un coˆte´ le me´pris, de l’autre la haine. L’he´re´dite´ de la pairie est ne´cessaire pour servir de contre-poids a` la fois a` l’autorite´ royale, ou, pour parler plus le´galement a` l’autorite´ ministe´rielle quand elle empie`te ; et a` l’effervescence populaire, quand cette effervescence e´gare les repre´sentans e´lectifs du peuple ; car un gouvernement repre´sentatif doit sans doute eˆtre soumis a` l’opinion ; mais il doit contenir les moyens de la re´primer momentane´ment ; et surtout de re´primer les hommes qui, en la de´figurant, se disent ses organes. J’aime toujours mieux les exemples que les ge´ne´ralite´s. Je prends donc l’exemple de la constitution de 1791, pour prouver les avantages d’une pairie he´re´ditaire. L’assemble´e constituante avait donne´ une constitution a` la France1 ; et en taˆchant, vers la fin de son existence vacillante et orageuse, de rendre cette constitution moins de´mocratique, elle avait encouru l’improbation des patriotes exage´re´s. Les e´lections pour la seconde assemble´e se firent en haine de la constitution. Ces repre´sentans arrive`rent, non pas peut-eˆtre avec des projets de renversement, mais certainement avec une tendance et des dispositions hostiles. La constitution de 1791 se trouva dans la crise a` laquelle serait expose´e la charte, si, par impossible, il arrivait jamais que la chambre des de´pute´s fuˆt compose´e d’ennemis de cette charte sacre´e. Le ministe`re, ou plutoˆt les ministe`res succe´ssifs de 1791 et de 1792 ne partageaient point l’exage´ration de l’assemble´e le´gislative ; mais ils la craignirent. Ils crurent la de´sarmer par des concessions ; erreur funeste, car on n’appaise pas ses ennemis en montrant sa peur ; on les anime. Qu’arriva-t-il ? L’assemble´e, ne trouvant de contrepoids que dans les ministres timides, poursuivit sa course, se fortifia contre ces ministres de ce qu’ils lui accorde`rent, ne leur en sut point de gre´, parce qu’on ne sait jamais gre´ de ce qu’on arrache ; et apre`s les avoir subjugue´s et domine´s, les renversa. Au premier ministe`re de 1792, royaliste de cœur, succe´da un ministe`re encore royaliste d’intention, mais de´ja` plus soumis que le pre´ce´dent a` l’assemble´e de´magogique. Ce second ministe`re fut remplace´ par le triumvirat girondin, que l’assemble´e imposa au roi ; alors toutes les digues s’e´croule`rent, le troˆne tomba. L’assemble´e elle-meˆme, victime de son impulsion, se retira devant une assemble´e plus furieuse, et la terreur envahit la France. 1
Ce qui suit peut servir pour mieux comprendre le morceau intitule´ Esquisse d’une histoire de la Re´volution franc¸aise. Voir ci-dessous, pp. 265–275.
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Maintenant supposez une pairie he´re´ditaire a` coˆte´ de l’assemble´e le´gislative. Les ministres du vertueux et infortune´ Louis XVI y auraient trouve´ des appuis ; l’assemble´e e´lective, un contrepoids ; la partie constitutionnelle du public, un centre autour duquel elle euˆt pu se rallier. Mais ces avantages impliquent toujours l’he´re´dite´ de la pairie ; car en 1791, un se´nat e´lectif euˆt e´te´ choisi par la meˆme opinion factice qui nomma l’assemble´e le´gislative, et euˆt commis les meˆmes erreurs. L’he´re´dite´ seule donne aux pairs le sentiment qu’ils n’ont pas besoin de plaire a` la faction dominante, parce qu’ils ne sont pas de´pendans de ses choix. L’institution de la pairie euˆt peut-eˆtre, de`s 1792, e´pargne´ a` la France les maux qu’elle a e´prouve´s. Cependant, l’exemple dont je me sers est de´fectueux en ceci : que la constitution portait en elle-meˆme un germe de mort, je veux dire l’impossibilite´ ou` e´tait le roi de dissoudre l’assemble´e le´gislative. Sans cette pre´rogative, une monarchie et une constitution sont des chime`res. Mais, d’un autre coˆte´, sans la pairie he´re´ditaire, la faculte´ de dissolution est insuffisante ; car la faction qui aurait e´lu ses chefs ou ses instrumens, les re´e´lirait. L’he´re´dite´ de la pairie donne seule au monarque le pouvoir de dissoudre utilement l’autre assemble´e si elle est dangereuse, parce qu’il reste alors a` coˆte´ du troˆne une autorite´ qui le soutient. Alors le troˆne est en suˆrete´ aussibien que le peuple. L’effervescence d’une opinion apparente n’est plus a` craindre. La nation est pre´serve´e de ses propres erreurs ou des erreurs que les factieux lui attribuent, pour les faire valoir en son nom ; et l’on e´vite l’e´cueil le plus terrible auquel soient expose´s les gouvernemens repre´sentatifs : car, s’il n’y a rien de plus salutaire pour la monarchie et la liberte´ qu’une repre´sentation inde´pendante, organe de la ve´ritable opinion publique, il n’y a rien de plus de´plorable qu’une repre´sentation de´pendante ou organe d’un parti. Quand, dans une monarchie, une assemble´e n’est pas since`rement royaliste, il faut la dissoudre. Pluˆt a` Dieu que Louis XVI euˆt pu le faire en 1792 ! Quand, sous le re´gime d’une constitution, une assemble´e n’est pas since`rement constitutionnelle, il faut la dissoudre ; mais pour que la dissolution soit efficace et ne soit pas dangereuse, une pairie he´re´ditaire est indispensable. J’ai cru cette digression ne´cessaire, pour que l’on ne travestıˆt pas mes objections contre les privile´ges des castes, en blaˆme indirect de l’institution de la pairie, blaˆme diame´tralement oppose´ a` mes sentimens et a` mes principes. Dans un troisie`me article j’examinerai quelques autres opinions de M. de Montlosier, et je porterai un jugement ge´ne´ral sur son ouvrage.
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Article pour le Journal des Arts Le Journal ge´ne´ral nous attaque aujourd’hui 3 octobre 1815
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Introduction
Le Journal ge´ne´ral de France qui de´fend une position royaliste constitutionnelle, a publie´ le 2 octobre 1815 une attaque anonyme contre le Journal des Arts, ou` l’on trouve les phrases suivantes : «Le Nain jaune a tout-a`-fait leve´ le masque. La Renomme´e aux deux trompettes qui de´core maintenant son frontispice1 semble annoncer aux fide`les qu’il vient de ressuciter dans toute sa gloire, et qu’il va renouveler le cours de ses honorables travaux. Renferme´, pendant quelques jours, comme une chrysalide, dans une coque de couleur obscure et douteuse, il a tout-a`-coup brise´ son enveloppe et repris cet essor brillant qu’on admirait avant le 20 mars de cette anne´e. C’est le meˆme syste`me de rapprochemens et de re´ticences perfides, de de´nigrement et d’outrage contre tous ceux qui de´fendent la cause royale, de protestations hypocrites d’amour et de respect pour le Roi et la Charte constitutionnelle, meˆle´es a` de continuelles attaques contre les plus fide`les amis, les plus fermes soutiens de l’une et de l’autre. Enfin toutes les gentillesses du Nain jaune recommencent2.» L’auteur anonyme sugge`re a` la fin de son article «de voir imposer silence aux e´ternels ennemis de l’ordre et du repos». Constant re´agit sans tarder contre cette attaque, comme il ressort de la note du 2 octobre de son J.I. : «Fait une profession de foi pour le Journal des Arts3.» Cette attaque virulente est dangereuse pour l’existence du journal. Surtout le rapprochement du Journal des Arts au Nain jaune, supprime´ le 15 juillet 1815, n’est pas une comparaison innocente et une insinuation re´pe´te´e de subversivite´4. Dans sa re´ponse ferme, Benjamin Constant pro1
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Allusion a` l’enteˆte du Journal des Arts, qui parut a` partir du 1er octobre 1815 avec la nouvelle maquette emble´matique, a` savoir l’alle´gorie de la Renomme´e volant a` travers les airs, portant de sa main droite une trompette a` la bouche, et tenant une autre dans sa main gauche. Le personnage alle´gorique semble flotter au dessus d’une banderole qui porte le titre du journal. Le choix de l’emble`me est de´fendu dans un article inse´re´ le jour meˆme de son apparition dans le Journal des Arts, p. 1a. Journal ge´ne´ral de France, no 597, 2 octobre 1815, p. 3b. Le texte cite´ par BC est suivi d’un second entrefilet qui attaque un passage dans la rubrique «Chronique» du Journal des Arts du 1er octobre 1815. ` la fin de cette note, nous lisons la phrase, ajoute´e sans OCBC, Œuvres, t. VII, p. 248. A doute plus tard seulement : «Le Journal des Arts supprime´». L’argument est avance´ a` plusieurs reprises depuis un moment de´ja`. Il repose sur le fait qu’une partie des auteurs-e´diteurs du Journal des Arts appartenait a` l’ancienne e´quipe du Nain jaune. C’est ainsi qu’en re´ponse a` une attaque du Journal ge´ne´ral de France, les re´dacteurs du Journal des Arts rejettent e´nergiquement dans un article anonyme publie´ le 22 septembre 1815 dans ce journal («Qu’est-ce que le Journal des Arts et de Politique ?»,
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Me´moires, brochures et articles de journaux
teste contre les insinuations perfides de l’article du Journal ge´ne´ral en re´pe´tant les convictions constitutionnelles des re´dacteurs du Journal des Arts et en de´fendant les principes d’une critique litte´raire base´e sur des conside´rations esthe´tiques. Une critique de cette nature est l’expression de la liberte´ de penser garantie par la Charte. Les efforts de Constant n’auront pas le re´sultat voulu. Le Journal des Arts sera supprime´ de´finitivement le jour meˆme. Le nume´ro du 3 octobre est le dernier a` paraıˆtre.
E´tablissement du texte Imprime´ : Journal des Arts, no 24, 3 octobre 1815, pp. 2b–3a. Courtney, Guide, D66. K. K.
p. 2a–2b) l’identification avec le Nain jaune et citent a` l’appui deux extraits du «Prospectus». L’identification est dangereuse sous la Seconde Restauration parce que le Nain jaune, qui affichait dans les premiers mois de son existence un esprit tre`s critique, e´tait passe´ pendant les Cent-Jours dans le camp bonapartiste, ce qui lui valut la suppression apre`s le retour des Bourbons (Hatin, Bibliographie de la presse pe´riodique, pp. 320–324).
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Le Journal ge´ne´ral nous attaque aujourd’hui
Le Journal ge´ne´ral nous attaque aujourd’hui avec une grande virulence, et finit noblement par invoquer contre nous l’autorite´. De simples plaisanteries sont travesties en insinuations perfides : et la critique de quelques mise´rables vaudevilles est repre´sente´e comme un outrage a` la majeste´ royale. Ces moyens de de´nonciation ont de tout temps e´te´ a` l’usage des mauvais auteurs ; et il y aura bientoˆt un sie`cle et demi que Boileau diasait :
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Qui me´prise Cotin n’estime pas son roi1. Ce qu’il y a de plus faˆcheux dans ces agressions perpe´tuelles, c’est qu’elles nous contraignent a` de perpe´tuelles justifications : et nos re´futations de calomnies pourraient bien devenir aussi ennuyeuses que leurs calomnies. Pour la dernie`re fois donc, nous ferons une profession de foi de nos principes ; nous la ferons aussi courte qu’il nous sera possible. Nous ne pourrions gue`re que re´pe´ter ce que nous avons de´ja` dit souvent : mais nous espe´rons que sa brie`vete´ ne l’empeˆchera pas d’eˆtre claire. Sans doute, elle ne mettra pas un terme a` des inculpations qui, toujours de´montre´es fausses, se reproduisent toujours : mais elle servira du moins a` convaincre ceux qui n’ont pas d’inte´reˆt a` se tromper ou a` tromper les autres ; et c’est d’apre`s cette profession de foi que nous supplions les hommes honneˆtes et l’autorite´ de nous juger. Nous professons et nous e´prouvons pour le roi, non-seulement ce respect duˆ a` la puissance supreˆme, mais la reconnaissance que les Franc¸ais doivent a` un prince qui partage leurs souffrances, et qui a travaille´ a` les adoucir. Nous le che´rissons et le re´ve´rons non-seulement comme roi, mais comme Franc¸ais : nous savons qu’il est le centre autour duquel doit se grouper tout ce qui reste d’espe´rances franc¸aises et de sentiment national. Nous pensons que sur lui reposent toutes les chances d’une paix honorable, toutes les
E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal des Arts et de la Politique, no 24, 3 octobre 1815, pp. 2b–3a. 1
BC cite de me´moire un des derniers vers de la «Satire IX» de Boileau («n’estime pas» pour «n’estime point»). La re´fe´rence est bien choisie, puisque Boileau re´plique, comme BC, a` des critiques exage´re´es. «Vous les verrez bientoˆt, fe´conds en impostures, Amasser contre vous des volumes d’injures, Traiter en vos e´crits, chaque vers d’attentat, Et d’un mot innocent faire un crime d’Etat.»
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possibilite´s qui nous sont laisse´es de reprendre notre rang parmi les nations ; nous pensons que lui seul offre a` l’Europe une garantie assez solide pour qu’elle puisse renouveler des traite´s qui ne lui sont pas moins ne´cessaires qu’a` nous. Nous sentons que, si l’une ou l’autre des puissances europe´ennes voulait abuser de la victoire, Louis XVIII, seul, par sa le´gitimite´, par ses vertus, par son caracte`re, pourrait trouver et trouverait suˆrement dans les autres puissances des de´fenseurs et des allie´s. Nous regardons la charte que Louis XVIII nous a donne´e comme un pacte sacre´ entre la nation et le monarque, comme suffisante pour la liberte´, si elle est fide`lement observe´e, comme indispensable a` la stabilite´ du troˆne, et a` la prospe´rite´ du peuple, comme pouvant sans doute eˆtre ame´liore´e dans quelques de´tails, ainsi que Louis XVIII lui-meˆme l’a de´clare´, mais comme ne devant l’eˆtre que lentement, par les moyens que la pre´voyance royale a place´s dans cette charte meˆme ; enfin, comme devant servir de re`gle, de loi, de guide aux de´po[si]taires du pouvoir, aux repre´sentans des vœux nationaux, et a` tous les Franc¸ais qui sont dignes d’eˆtre citoyens. Nous croyons que le retour de Bonaparte a e´te´ le plus grand des maux ; qu’un nouveau retour de cet homme serait un malheur plus e´pouvantable encore ; que le de´sirer serait un crime, et l’espe´rer une folie : mais nous croyons aussi que, dans les circonstances actuelles, avec la disposition des esprits en France, notre expe´rience re´cente, et la conviction che`rement acquise que l’Europe entie`re le regarde comme un ennemi, il n’y a que des insense´s qui puissent craindre son retour, et que toutes les terreurs que l’on affecte pour appuyer des de´nonciations qui seraient absurdes, si elles n’e´taient pas atroces, sont des moyens vils et coupables, employe´s par une haine sans frein comme sans pudeur. Nous pensons qu’il n’y a nul sujet de redouter une re´action que le roi ne veut pas, et que ses ministres ne sauraient vouloir ; mais qu’il est possible que des agens subalternes ou des officieux non-avoue´s cherchent dans quelques portions de l’administration ou du territoire a` donner a` la marche de l’autorite´ une impulsion re´actionnaire, et nous croirons toujours de notre devoir de la signaler. Nous regardons le choix des ministres actuels comme un nouveau gage de mode´ration, de sagesse et de justice, donne´ par le monarque a` son peuple. Sans attaquer en rien les ministres remplace´s, nous convenons que ceux qui leur succe`dent nous paraissent plus en e´tat de faire le bien. Ils peuvent conserver ce que la re´volution a eu de bon et d’utile, sans prendre une couleur re´volutionnaire. Ils peuvent prote´ger les hommes injustement accuse´s, sans avoir l’air de venir au secours de leur parti. Ils peuvent eˆtre mode´re´s, parce qu’ils sont francs, courageux, parce qu’ils sont purs.
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Telles sont nos opinions, tels sont nos sentimens comme citoyens. Nous dirons ensuite, comme journalistes, que lorsque de petits auteurs font de mauvais vers ou de mauvais pie`ces, meˆme en l’honneur du roi, nous ne nous croyons point interdit de de´clarer leurs vers mauvais et leurs pie`ces pitoyables1 ; que, lorque de tristes bouffons attaquent sans esprit et sans gouˆt des hommes qui ne peuvent se de´fendre, nous prenons la liberte´ de relever la platitude de leurs plaisanteries, et la lourdeur de leur gaiete´ ; que lorsque des journalistes qui se vantent d’eˆtre invariables professent a` deux mois de distance des principes contradictoires, nous ne nous faisons point scrupule de de´voiler leur inconse´quence ; que, par exemple, quand nous voyons le Journal ge´ne´ral e´crire, au mois de juin, contre les confiscations, et proposer, au mois d’aouˆt, la confiscation des biens de tous ceux qui sont soupc¸onne´s de bonapartisme ; ce´le´brer a` la premie`re e´poque (le 18 juin) la chambre des repre´sentans, dans un article qui commence par ces mots : Honneur a` la repre´sentation nationale, et l’appeler, six semaines plus tard, un club politique se disant la chambre des repre´sentans, nous imprimons, sans me´nagement, que le Journal ge´ne´ral est quelque-fois une maladroite et me´chante girouette2. En prenant cette liberte´, que les autres peuvent tre`s-le´gitimement prendre a` notre e´gard, nous ne violons aucune loi, nous ne blessons aucune convenance : et pleins de confiance dans l’autorite´ protectrice de nos droits, nous continuerons a` suivre cette route, sans nous inquie´ter des de´lations, et en employant contre les de´lateurs, suivant leur importance, tantoˆt le me´pris, et tantoˆt le ridicule, quand le me´pris serait trop se´rieux.
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BC re´pond a` ce passage : «la trompette de´shonneˆte est applique´e a` MM. The´aulon et Dartois, dont le crime est d’avoir suivi le Roi a` Gand, et d’avoir compose´, avant son de´part comme depuis son retour, des pie`ces de the´aˆtre ou` e´clatent leurs sentimens d’amour et de ve´ne´ration pour le monarque» (Journal ge´ne´ral, 2 octobre 1815, p. 3b.). Marie-Emmanuel The´aulon (1787–1841) et Armand Dartois (1788–1867), auteurs notamment des Fiance´s (1808) et, apre`s le retour de Belgique du roi Louis XVIII qu’ils avaient accompagne´, du Roi de la Ligue (1815). BC cite ici l’article du 18 juin 1815 (Journal ge´ne´ral de France, no 291, p. 2a) ou` l’on trouve un grand e´loge de la Chambre des repre´sentants qui avait rejete´ la proposition de mettre hors la loi les insurge´s et leurs familles. Les autres articles ne sont pas identifie´s.
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[Compte rendu de l’Antigone de Ballanche] et [Profession de foi pour Madame Re´camier] fe´vrier 1815 – fe´vrier 1816 et octobre 1815
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[Compte rendu de l’Antigone de Ballanche]
Le compte rendu de l’Antigone de Pierre-Simon Ballanche, re´dige´ au mois de fe´vrier 1815, mais publie´ seulement le 2 fe´vrier 1816 dans Le Constitutionnel et qui aurait pu trouver une place dans le pre´sent volume, a e´te´ publie´ dans le tome IX des Œuvres comple`tes, dans la rubrique «Les derniers mois de la premie`re Restauration».
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[Profession de foi pour Madame Re´camier]
Le texte philosophique connu sous ce titre, re´dige´ a` l’intention de Juliette Re´camier et qui aurait sa place ici si l’on suivait strictement l’ordre chronologique, a e´te´ publie´ pour des raisons de cohe´rence dans le tome IX des Œuvres comple`tes, dans la rubrique «E´crits d’inspiration personnelle ou religieuse».
Article pour le Mercure de France La liberte´ politique, essentielle a` la liberte´ civile. De la liberte´ en ge´ne´ral. [19] octobre 1815
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Introduction
Une the´orie politique aussi e´labore´e que celle de Benjamin Constant sans philosophie politique explicite n’est gue`re imaginable. Mais c’est un fait. Nous avons pu le constater a` plusieurs reprises, d’accord sur ce point avec d’autres spe´cialistes de la the´orie politique de Constant. Ceci est d’autant plus e´tonnant que Constant fre´quentait des hommes qui en avaient une, et qu’il pratiquait des ouvrages qui pre´sentaient des the´ories philosophiques e´labore´es. Il connaissait bien le Contrat social de Rousseau dont il attaque la «me´taphysique» dans les Principes de politique, laquelle, en effet, ne pouvait convenir a` ses vues1. Il voyait assez souvent Wilhelm von Humboldt, notamment au moment ou` celui-ci venait d’achever un e´tat provisoire de son grand traite´ sur les limites du pouvoir de l’E´tat. Aucune trace, ni dans les papiers de Constant, ni dans ceux de Humboldt, qu’ils aient parle´ de ces questions au moment de leur rencontre a` Saint-Ouen (en septembre 1798). En outre, Constant aurait pu trouver dans les e´crits politiques de Kant la philosophie dont il avait besoin, et dont il sentait qu’il avait besoin. Aucune trace non plus d’une telle lecture, ce qui ne laisse pas de nous inquie´ter. Cela ne veut pas dire que Constant n’avait pas une ide´e sommaire des fondements philosophiques de sa the´orie politique. Le paralle`le avec la the´orie sur les religions s’impose. Dans ce domaine, et peut-eˆtre pousse´ par les travaux de l’e´cole allemande, il a duˆ esquisser les fondements de sa the´orie dans le premier livre de son grand traite´, et nous connaissons ses dettes a` l’e´gard de la philosophie ide´aliste. Dans la the´orie politique par contre, aucune page ne nous livre les axiomes qui dominent son syste`me. L’explication de ce fait n’est pas difficile a` trouver. Le grand traite´ sur les Principes de politique n’est pas acheve´, et la pre´face exclut expresse´ment 1
Que signifie le mot «me´taphysique» dans ce contexte ? Il n’exprime certainement pas un de´dain pour la re´flexion philosophique sur les fondements d’une the´orie politique. L’accent moqueur qu’on peut y percevoir porte plutoˆt sur la conception communautaire de la pense´e de Rousseau, qui ne´glige l’individu en tant qu’eˆtre politique pour lui pre´fe´rer un homme politique entie`rement porte´ par la communaute´ et inte´gre´ dans le corps social. Cette philosophie a` tendance totalitaire est inspire´e par l’admiration pour les cite´s grecques, en particulier Sparte, et par l’expe´rience genevoise ide´alise´e de Rousseau. Constant par contre, certainement profonde´ment influence´ par la nouvelle philosophie ide´aliste allemande, cherche surtout a` mettre l’individu a` l’abri des emprises de l’E´tat.
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ces questions. Les autres ouvrages politiques n’en donnaient pas l’occasion. D’ou` le silence. Mais voila` Constant pris dans les de´bats politiques de la Seconde Restauration. Ce de´bat, passionnant pour les contemporains, mais aussi pour l’historien, comme le sont souvent les batailles d’arrie`re-gardes, oblige Constant a` adopter une position de principe, pour plusieurs raisons. D’abord parce que son roˆle pendant les Cent-Jours, connu de tous ceux qui participaient a` ces de´bats, et qu’il venait de justifier dans un me´moire remarquable par l’e´criture et par la profondeur de la pense´e, exigeait une clarification qui ne devrait pas ressembler aux repentirs de quelqu’un qui s’e´tait trompe´. Ensuite, a` cause du de´sordre politique du jour, ou` les exigences des royalistes ultras e´taient un e´le´ment fort perceptible sur le plan de la politique inte´rieure et ou` les exigences des occupants, tre`s pe´nibles pour la France, mais tout de meˆme justifiables apre`s plus d’une de´cennie de guerres et d’occupations ou d’exploitations au profit d’une politique impe´rialiste, se croisaient et cre´aient une situation politique peu favorable a` la liberte´, he´ritage de la Re´volution. Dans ce climat de perse´cutions et de vengeance, le presque-proscrit de l’ordonnance du 26 juillet e´le`ve la voix et essaie de trier les donne´es. L’article qu’il publie le 19 octobre 1815 en est la preuve. Pour ceux qui sont curieux de connaıˆtre les pre´misses philosophiques de la the´orie politique de Constant, les circonstances que nous venons d’indiquer sont pour ainsi dire une chance. Elles nous re´ve`lent du moins une pre´misse essentielle de la pratique, une esquisse tre`s sommaire, pourtant longuement me´dite´e d’un contractualisme moderne que nous n’he´sitons pas a` rapprocher de la the´orie de John Rawls, ne´o-kantien. Constant ne fait rien d’autre que reprendre la grande tradition contractualiste europe´enne. Pour e´viter tout rapprochement facile avec les the´ories dites re´volutionnaires, il cite d’abord, d’apre`s Montesquieu, le jurisconsulte italien Gravina, un auteur connu, mais non cite´ lorsqu’on parle des the´ories politiques modernes, toujours soupc¸onne´es de sympathie pour la Re´volution. Ce choix tactique lui permet d’attaquer la the´orie de Hobbes, et a` travers celle-ci, les pre´tentions des royalistes ultras, et de se distancier de la the´orie contractuelle de Rousseau, pour rejoindre en fait sans le dire, peut-eˆtre meˆme sans le savoir, la position kantienne. Les re´flexions de Constant sont axiomatiques, en de´pit des exemples historiques qu’il utilise en cours de route. Il de´duit des deux pre´misses de Gravina, a` savoir l’e´tat civil et l’e´tat politique comme institutions comple´mentaires et ne´cessairement de´pendantes l’une de l’autre pour faire d’une association d’hommes un E´tat, qu’il existe un contrat fondamental entre les citoyens auquel tous adhe`rent sans exception. Ce contrat re`gle les rapports entre les citoyens et les gouvernants, garantit la liberte´ qui est, comme il le dit dans une des notes a` inte´grer dans le traite´ des Principes de politique, «la
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baze de tout bonheur social». Sans ce contrat, il n’existe que le despotisme et l’arbitraire ou l’image utopique d’un E´tat chime´rique ou` le prince re`gle tout pour le bonheur des citoyens. Du coup, Constant peut e´carter la the´orie selon laquelle l’honneur re´glerait d’une manie`re satisfaisante dans un E´tat monarchique la question de la liberte´ civile, opinion dont les faiblesses sont de´ja` indique´es par Montesquieu et illustre´es une nouvelle fois par les exemples historiques cite´s par Constant : les courtisans de Tibe`re, de MarcAure`le ou de Louis XIV. Il peut e´carter le despotisme napole´onien, qui n’est rien d’autre qu’une usurpation du pouvoir. Il peut e´carter l’absolutisme e´claire´ du XVIIIe sie`cle, dangereux, parce qu’on risque avec la mort du souverain vertueux l’instabilite´ politique et l’e´goı¨sme des gouvernants qui succe`dent. Il peut aussi montrer que la liberte´ politique garantit en Angleterre la liberte´ civile, parce qu’elle est prote´ge´e par une loi fondamentale qui limite le pouvoir du monarque. La loi ne meurt pas. La conception constantienne du contrat social connaıˆt deux aspects majeurs. D’une part, le contrat social entre les membres d’une socie´te´ n’est pas le re´sultat d’un hasard, mais appartient au droit de nature. Il re`gle d’une manie`re e´quitable et juste les rapports des membres de cette socie´te´ entre eux et entre la socie´te´ et le gouvernement, et ceci dans l’inte´reˆt de tous. Le monarque ne peut agir que pour le peuple, jamais pour ses propres inte´reˆts, ce qui serait abuser du pouvoir qu’on lui a confie´. Cette conception du contrat social se distingue donc nettement de celle de Hobbes ou de Rousseau, parce que Constant exclut le despotisme, meˆme lorsqu’il serait justifie´ par la lutte barbare de tous contre tous («princeps legibus absolutus»), ou le totalitarisme re´publicain qui n’admet pas la liberte´ individuelle. Le second aspect du contractualisme selon Constant est le fait que la connaissance de celui-ci est due au progre`s des ide´es et des connaissances humaines. Elle apparaıˆt dans l’histoire comme le re´sultat des conqueˆtes philosophiques, culturelles et the´ologiques du XVIe sie`cle, donc de la Renaissance et de la Re´forme, et elle a pu se solidifier avec «une e´tonnante rapidite´» au cours du sie`cle des Lumie`res. L’e´poque de Louis XVIII est annonce´e dans cet essai comme le de´but d’une nouvelle e`re heureuse du re`gne de la liberte´, issue de la justice. L’article est donc une re´flexion sur les bases de la the´orie politique de Constant qui, la voit fonde´e sur un principe du droit de nature. Il est une lec¸on historique, contestable d’ailleurs, comme si les monarchies de l’Anˆ ge n’avaient pas connu de justification the´orique de tiquite´ ou du Moyen A leur pouvoir. Il est enfin un article qui a une signification politique pratique dans ce sens qu’il attaque directement ou indirectement les positions des royalistes ultras, selon Constant le plus grand danger pour l’avenir imme´diat de la France. L’image ide´alise´e du bonheur des nations qui avaient de´cou-
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vert les bienfaits moraux, politiques ou esthe´tiques de la liberte´ reprend d’une manie`re peut-eˆtre trop simplifie´e les ide´es de ce qu’on pourrait appeler les visions winkelmanniennes de l’Antiquite´ classique et de l’ide´alisme philosophique allemand. C’est la beaute´ d’une aurore qu’on voit venir. E´tablissement du texte Imprime´ : Mercure de France, [19] octobre 1815, pp. 316–323. Courtney, Guide, D68. L’article a fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 254–259. K. K.
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La re´union de toutes les volonte´s, dit Gravina, est ce qu’on appelle l’e´tat civil. La re´union de toutes les forces forme l’e´tat politique1. En effet, la force est ne´cessaire pour faire exe´cuter la volonte´. Ce que le peuple veut unanimement, il doit l’exe´cuter par des moyens unanimes. L’e´tat civil et l’e´tat politique ont donc, par la nature meˆme des choses, la plus grande affinite´ entre eux. L’un de´pend essentiellement de l’autre ; le caracte`re de l’un fait le caracte`re de l’autre. La liberte´ civile est dans la nature des rapports qui existent entre un citoyen et les autres citoyens. La liberte´ politique est dans la nature des rapports qui existent entre chaque citoyen et le Gouvernement. Il semblerait d’abord qu’il ne serait pas impossible que, dans un e´tat, toutes les volonte´s concourussent a` e´tablir la liberte´ civile inde´pendamment de la liberte´ politique : mais en y re´fle´chissant mieux, on voit que ce serait la` une grande erreur, et que l’absence de la liberte´ politique ruinerait entie`rement la liberte´ civile. C’est ce qu’il est facile de prouver. Il n’y a pas de liberte´ politique dans un e´tat lorsque les rapports des citoyens avec le gouvernement ne sont pas fixe´s par des lois pre´cises, et que le de´positaire de la force publique se charge de l’exercer selon sa fantaisie et son caprice, et non pas uniquement par des moyens qui lui ont e´te´ assigne´s par la volonte´ ge´ne´rale. Les gouvernans, ou, ce qui revient au meˆme, leurs mandataires, ne sont pas seulement dans la socie´te´ comme de´positaires de l’autorite´ ; ils y sont encore comme sujets, soumis a` la meˆme loi qui oblige les autres citoyens, toutes les fois qu’ils peuvent avoir avec eux des rapports inde´pendans de leurs fonctions publiques.
E´tablissement du texte : Imprime´ : Mercure de France, [19] octobre 1815, pp. 316–323.
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Gian-Vincenzo Gravina (1664–1718), jurisconsulte italien, dont l’ouvrage fondamental De ortu et progressu iuris civilis, (Naples, 1710–1713) est conside´re´ comme l’un des mode`les suivis par Montesquieu. Voir De l’esprit des lois, I, 3. C’est la` que BC prend les deux phrases qui re´sument l’opinion de Gravina, sans indiquer sa source. Pour ce qui est des dettes de Montesquieu a` Gravina, on consultera l’e´dition de L’esprit des lois par Derathe´, (Classiques Garnier), p. 12 et la note 25 a` la premie`re partie.
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Que si l’on a ne´glige´ d’e´tablir des conditions a` leur autorite´, s’ils ont le pouvoir de l’exercer selon leur volonte´, n’arrivera-t-il pas souvent, dans leurs relations civiles avec les particuliers, qu’ils l’exerceront au gre´ de leurs passions et la feront marcher dans le sens de leurs inte´reˆts ? Le caprice, l’ignorance, la pre´vention, l’e´goı¨sme, se joueront de la fortune, de la liberte´ et meˆme de la vie des citoyens, et les droits les plus sacre´s se tairont devant les vues personnelles du de´positaire de la force publique ; alors ou` est la liberte´ civile ? Montrez-moi un pays dans lequel tous les princes soient bons, justes, vertueux, doue´s d’assez d’activite´ pour voir par eux-meˆmes tout ce qui se passe dans leurs e´tats, connaissent toutes les pense´es, pe´ne`trent dans les replis de tous les cœurs, soient inaccessibles a` l’orgueil, a` l’ignorance, a` la pre´vention, soient incapables de se laisser abuser, ou` tous leurs mandataires, soient comme eux sans e´goı¨sme, sans faiblesse et sans passions. Dans ce pays, vous pourrez avoir, sans liberte´ politique, tous les effets de la liberte´ civile, mais malheureusement, ce pays n’a pas encore e´te´ de´couvert. Ainsi, dans un e´tat ou` n’existe pas la liberte´ politique, les volonte´s particulie`res ne sont pas en harmonie avec le gouvernement. Or, le gouvernement n’est que le re´sultat des volonte´s particulie`res. Les volonte´s particulie`res ne sont donc compte´es pour rien, la` ou` il n’y a pas de liberte´ politique ; il y a donc oppression ; or, l’oppression constitue le de´spotisme. Il y en a qui pre´tendent que les effets de l’honneur, qui a tant de force dans les monarchies, supple´ent a` ceux de la liberte´ politique. Ces gens ignorent-ils que l’honneur n’est que trop souvent muet devant l’inte´reˆt, qu’il s’e´clipse presque toujours devant les passions fortes, qu’il n’est d’ail leurs qu’un sentiment souvent en contradiction avec la justice ; qu’il n’a rien de stable, et qu’il prend avec une incroyable facilite´ tous les caracte`res que les puissans du sie`cle veulent lui donner. L’honneur des courtisans de Tibe`re n’aurait probablement pas e´te´ le meˆme que celui des courtisans de MarcAure`le. Louis XVIII met son honneur a` eˆtre tole´rant1 ........... Rien ne pouvant supple´er a` la liberte´ politique, il faut donc de toute ne´cessite´ qu’elle existe dans un e´tat ou` l’on pre´tend a` la liberte´ civile. Elle re´sultera de lois qui seront faites pour de´terminer la manie`re dont les de´positaires de la force publique doivent employer cette force et les conditions auxquelles ils peuvent l’employer. Ceux-ci ne doivent pas eˆtre charge´s seuls de la confection de ces lois, car pouvant les faire selon leurs inte´reˆts ou leurs pre´juge´s, les choses resteraient toujours au fond dans le meˆme e´tat 7–8 ou` est ] la source porte ou` ets 1
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qu’auparavant, et l’esclavage politique n’aurait fait que changer de forme. Ces lois, comme les lois civiles, seront faites concuremment et par ceux qui ont inte´reˆt a` leur existence, et par ceux qui se chargent de les faire exe´cuter. De-la` la constitution. Donnez-moi la mesure de la liberte´ politique et je vous donnerai la mesure de la liberte´ civile. Sous Buonaparte, ou` elle e´tait entie`rement ane´antie, les biens et la liberte´ des Franc¸ais de´pendaient de l’inquie´tude, des caprices, des soupc¸ons du despote, ou meˆme du moindre de ses agens. En Angleterre, ou` elle subsiste dans toute sa force, les citoyens jouissent de leurs biens et de leur liberte´ dans une parfaite se´curite´. C’est a` la loi que les Anglais doivent ce bonheur. Le meilleur prince ne pourrait le leur donner qu’imparfaitement. Fuˆt-il un Marc-Aure`le, il ne pourrait empeˆcher que ses mandataires ne fussent des Narcisses1 ou des Se´jans2. Il ne pourrait empeˆcher la nature de re´clamer de lui a` son tour la dette que les princes, comme les autres hommes, contractent avec elle de`s leur naissance. Auguste fut suivi de Tibe`re, Titus de Domitien ; mais la loi ne meurt pas, parce que la volonte´ publique demeure toujours, et que partout ou` il y a des inte´reˆts il y a aussi une volonte´, ne´cessairement en rapport avec ces inte´reˆts. Lorsque l’autorite´ publique n’est pas borne´e dans les mains des rois, non-seulement elle de´truit la liberte´ civile, mais elle pre´cipite souvent la dissolution et la ruine de l’e´tat. C’est la puissance et la splendeur des e´tats qui fait la puissance et la splendeur des rois. Il est donc de leur avantage, aussi bien que celui des peuples, que leur pouvoir rec¸oive des limites. Si quelque loi euˆt jadis autorise´ les Franc¸ais a` statuer sur les leve´es d’hommes ou d’argent suivant la ne´cessite´ et selon l’inte´reˆt du peuple, l’e´lite de la nation n’euˆt pas e´te´ s’ensevelir, du temps de Louis le jeune, dans les de´serts de la Cilicie3. Les folles expe´ditions d’Italie, apre`s nous avoir couˆte´ tant de sang et tant de tre´sors, n’auraient pas mis la monarchie en pe´ril dans les champs de Pavie4. Le honteux et impolitique traite´ de Versailles n’aurait pas sous Louis XV amene´ les de´sastres de la funeste guerre de sept ans5. Si les droits du prince eussent e´te´ borne´s, l’intole´rance et le fatalisme n’eussent
28 Cilicie ] la source porte Cicilie 1 2 3
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Tiberius Claudius Narcissus, affranchi de l’empereur Claude, homme politique sans scrupules. Agrippine le fit assassiner en 54. Se´jan (20 av. J.-C.–31 ap. J.-C.), favori de Tibe`re, type du ministre cruel et corrompu. Louis VII, dit le Jeune (1120–1180), roi de France. Il participa a` la seconde croisade, sans beaucoup de succe`s. Rentre´ en France, il se se´para de sa femme Alie´nor d’Aquitaine, qui e´pousera Henri Plantageneˆt (1152), le futur roi d’Angleterre (Henri II, 1154–1189). Allusion a` la de´faite de Franc¸ois Ier en 1525, qui fut suivie par l’emprisonnement du roi en Espagne, fragilisant ainsi la monarchie. Dans le traite´ de Paris de 1748, la France renonce au Canada et aux Indes.
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pas en quelques anne´es prive´ la France de milliers de bras industrieux, dont elle sent encore la perte1. Dans ces sanglantes perse´cutions, dont la religion fut la cause ou le pre´texte, le pouvoir du peuple se fuˆt oppose´ a` la superstition ou a` la faiblesse des princes ; tant de buˆchers impies n’auraient pas de´shonore´ presque toutes nos villes, et tant de monumens authentiques n’iraient pas porter a` la poste´rite´ le te´moignage de notre honte. De meˆme qu’un bel arbre abrite´ par les contours d’un e´troit vallon se reproduit plus beau tous les printemps, sans que les vents les plus furieux re´ussissent a` l’endommager, meˆmes dans ses moindres rameaux ; ainsi le prince est prote´ge´ par les remparts e´leve´s a` son autorite´, et son troˆne ne craint rien, ni de la fureur des partis, ni du choc des passions de´chaıˆne´es. S’il se trouvait un peuple assez aveugle pour vouloir confier au prince une puissance absolue, le prince devrait rejeter cette proposition, comme trop contraire a` ses inte´reˆts. Il devrait mettre autant de soin a` forcer le peuple de participer au pouvoir que ses pareils en mettent d’ordinaire a` l’absorber tout entier. Si j’e´tais roi d’un des troˆnes de l’Europe, et que mes pe`res eussent remis dans mes mains une autorite´ sans bornes, je de´sespe´rerais de la conserver telle que je l’ai rec¸ue, et je me haˆterais d’en ce´der une partie afin de conserver l’autre. Remontons toujours aux principes. Pour l’inte´reˆt de qui la socie´te´ s’e´tablit-elle ? Pour l’inte´reˆt de qui se conserve-t-elle ? Lorsque les hommes se re´unissent pour se constituer en socie´te´, ou` est le pouvoir, ou` est la force, si ce n’est dans le peuple ? Le prince sort des rangs du peuple ; il en sort aux conditions que le peuple de´termine. Il est essentiellement l’homme du peuple ; il n’est roi que pour agir pour le peuple ; lorsqu’il vient a` agir pour des inte´reˆts qui ne sont pas ceux du peuple, il viole le point fondamental du contrat qui fait sa le´gitimite´. Il agit contre la justice et le ve´ritable honneur en faisant servir les forces du peuple contre ce meˆme peuple qui les lui a confie´es. Il est dans le cas d’un homme qui de´tournerait un de´poˆt qui aurait e´te´ remis sous sa surveillance. Or le roi agit contre l’inte´reˆt du peuple lorsqu’il usurpe le droit de le gouverner arbitrairement ; car alors le roi n’est plus l’homme du peuple, mais les citoyens sont les hommes du roi. Le concours de tous les inte´reˆts est la source de toute institution le´gitime. Si les hommes n’eussent eu aucun inte´reˆt a` se re´unir, pourquoi se seraientils constitue´s en socie´te´ ? Pourquoi auraient-ils fait des rois, s’ils n’eussent trouve´ aucun avantage a` en e´tablir ? Le droit d’e´couter toujours son inte´reˆt 37 e´tablir ? Le droit d’e´couter toujours son inte´reˆt ] la source porte e´tablir le droit d’e´couter toujours son inte´reˆt ; la ponctuation est fautive, nous la corrigeons 1
Allusion a` la re´vocation de l’E´dit de Nantes en 1685, qui de´clencha une vague d’e´migration des huguenots franc¸ais dans les pays protestants de l’Europe, notamment en Suisse, en Angleterre et en Prusse.
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et d’agir toujours selon son inte´reˆt est aussi inhe´rent au peuple que la conse´quence l’est a` son principe. Dans tout e´tat de choses, il est, conjointement avec le roi qu’il s’est choisi, le maıˆtre de ses lois, de ses institutions, et il en peut faire tout ce qu’il juge utile a` son bonheur. La puissance le´gislative lui appartient donc essentiellement ; et l’on ne peut pas craindre qu’il en abuse, parce que de quelque manie`re il l’exerce, il l’exerce selon que cela est utile a` ses inte´reˆts, dont il ne convient qu’a` lui d’eˆtre le juge. J’ai vu des gens qui pre´tendaient que la puissance arbitraire pouvait eˆtre le´gitime, et qu’il avait pu se trouver des peuples qui l’eussent confie´e a` leurs princes par un pacte solennel. C’est une grande erreur ; un tel e´tat de choses n’a jamais e´te´ e´tabli chez des peuples qui ont eu le pouvoir de se constituer librement. Supposez des hommes aussi grossiers, aussi ignorans qu’il est possible ; ils ne le seront jamais pour n’avoir pas la conscience de leurs besoins et la connaissance de leurs inte´reˆts dans des choses dont la conse´quence est simple. Tous les peuples de l’Europe, comme je l’ai de´ja` dit ailleurs, ont e´te´ pendant une longue suite de sie`cles, gouverne´s par des rois despotes ; mais le despotisme de ces rois ne fut, dans sa premie`re origine, que le droit du fort sur le faible, du vainqueur sur le vaincu. Il n’y eut point de pacte qui le´gitimaˆt la condition des rois et des peuples. Toutes les stipulations, s’il y en eut quelqu’une, furent entre le monarque et les compagnons de ses victoires, mais ce pacte euˆt-il existe´, les droits du peuple en seraient-ils moins sacre´s aujourd’hui ? Des monarques barbares ont opprime´ nos anceˆtres barbares, est-ce une raison pour que des princes e´claire´s me´connaissent les droits des peuples e´claire´s ? Les Europe´ens d’aujourd’hui et les Europe´ens d’autrefois ne se ressemblent pas. Les Franc¸ais de Clovis, de saint-Louis et de Charles IX, par exemple, sont a` la distance de mille sie`cles, pour les Franc¸ais de 1815. D’ailleurs nos anceˆtres n’e´taient pas muˆrs pour la liberte´ ; ils n’e´taient pas plus capables de jouir utilement de leurs droits que le seraient aujourd’hui les Africains ou les Moscovites. Avant d’eˆtre libre il faut eˆtre homme, il faut avoir une raison de´gage´e de pre´juge´s serviles ; il faut avoir la conscience de ses droits ; il faut sentir le besoin et la douceur de la liberte´ ; mais tout cela ne s’accomplit pas en un jour. Ceux qui, dans nos temps modernes, ont entrepris d’e´clairer les hommes, n’ont pu poser les bases d’un si noble ouvrage que dans le seizie`me sie`cle. L’e´difice s’est accru dans le sie`cle suivant, par des progre`s assez insensibles, jusqu’au dix-huitie`me sie`cle, ou` des mains hardies le porte`rent a` sa perfection avec une e´tonnante rapidite´ ; et maintenant telle est sa solidite´, que sa masse imposante peut de´fier les efforts re´unis de tous les hommes et de tous les sie`cles.
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L’ignorance de l’opprime´ ni la force de l’oppresseur ne peuvent donc pas constituer un droit ; l’on ne prescrit pas contre la nature. Lorsque l’homme s’e´tablit en socie´te´, il n’alie`ne de ses droits de nature que ceux dont l’exercice pourrait nuire a` ses associe´s ; ainsi il alie`ne la liberte´ absolue, qu’il tient de la nature, pour la remplacer par une liberte´ relative, qui lui promet plus de suˆrete´, de repos, enfin de bonheur. Il abjure la liberte´ de la force pour la remplacer par celle de la justice ; il consent a` ne pas employer sa force au pre´judice de ses semblables, a` condition que ses semblables n’emploieront pas la leur a` son pre´judice. En un mot, tout pacte social repose sur le sentiment de la justice, la justice est un sentiment naturel ; l’e´galite´ qui en naıˆt et qui constitue cette liberte´ relative qui, dans l’e´tat social, remplace la liberte´ de nature, devient un droit naturel, comme le sentiment qui en est la source. Ce droit est donc inalie´nable, puisque non-seulement il n’est pas en opposition avec les inte´reˆts des associe´s, mais qu’encore il les constitue. Si ce droit qu’ont tous les hommes a` l’e´galite´ politique e´tait alie´ne´, il le serait sans but et sans cause, et par conse´quent l’alie´nation n’en serait pas valable. La liberte´ est un de ces droits de nature qui sont essentiels a` l’homme, dont la perte l’empeˆche d’eˆtre lui-meˆme, et sans lequel on ne peut le concevoir. La perte de la liberte´ le rend bas, inte´resse´ et me´chant ; il pense, il n’agit que par son maıˆtre ; toutes ses affections sont au pouvoir de son tyran ; il devient inhabile a` toute vertu, et toutes ses forces morales disparaissent dans cette insouciance qu’inspire le dernier degre´ de l’avilissement et du malheur. Consultez les anciens, il vous apprendront ce que c’est que la vertu d’un esclave. Les Perses parlaient beaucoup de la vertu des Lace´de´moniens ; mais quel Spartiate a jamais vante´ la vertu des esclaves du grand roi ? Aussi ces barbares qui n’avaient passe´ sous le joug du grand roi qu’apre`s avoir passe´, avec une facilite´ incroyable, du joug des Egyptiens sous celui des Assyriens, du joug des Assyriens sous celui des Babyloniens, et du joug des Babyloniens sous celui des Me`des, passe`rent-ils, avec la meˆme facilite´, du joug des Perses sous celui des Mace´doniens ; au lieu que lorsque ces esclaves voulurent envahir un peuple libre, une poigne´e de citoyens suffit pour disperser leurs innombrables phalanges ; et l’Hellespont, la mer de l’Archipel et la Propontide furent couverts tout entiers de leurs immenses de´bris. La liberte´ peut seule faire des hommes, toutes les faculte´s de l’esprit, toutes les ressources du talent et du ge´nie, ne se de´veloppent qu’a` l’ombre de la liberte´. C’est dans un e´tat libre que De´mosthe`ne et Cice´ron tonnaient a` la tribune ; qu’Euripide et Sophocle ravissaient les cœurs par de vives ima
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ges des plus ce´le`bres infortunes ; que Socrate et Platon e´tablissaient sur des bases solides les lois de la morale, et faisaient la guerre aux pre´juge´s populaires et aux superstitions antiques. C’est dans un e´tat libre qu’Athe`nes se couvrait de monumens immortels, et qu’elle remplissait ses temples des chefs-d’œuvre des Phidias et des Praxite`les. C’est devant un e´tat libre que se formait cette se´rie d’hommes d’e´tat et de grands capitaines qui, apre`s avoir illustre´ leur sie`cle, sont encore, dans nos tems de faiblesse et de corruption, l’e´tonnement et l’admiration de tous les peuples. La liberte´ e´le`ve l’aˆme ; elle donne a` l’homme la conscience de sa dignite´ ; elle l’instruit de sa valeur, et le con duit imme´diatement a` la connaissance de sa liberte´ morale qui consiste a` se rendre inde´pendant des passions qui nous avilissent. L’homme qui rougirait de s’asservir aux caprices d’un despote, est moins dispose´ qu’un autre a` ce´der a` la tyrannie d’un penchant vil ou d’un sentiment bas. La liberte´ produit l’amour de la patrie ; de meˆme que notre souvenir ne s’attache avec autant d’inte´reˆt a` aucun lieu qu’a` celui ou` nous avons gouˆte´ quelque bonheur ; de meˆme que nous ne quittons personne avec autant de regret que l’ami qui partage nos gouˆts et qui participait a` nos plaisirs ; ainsi la liberte´ attache l’homme a` ses concitoyens, elle le lie aux lieux qui l’ont vu naıˆtre. Heureux les Franc¸ais, qui sous un roi, ami de la vertu, obtiendront bientoˆt sans restriction cette liberte´, source de toutes les vertus ! Puissent les rois de l’Europe imiter le noble exemple que leur donne Louis XVIII ! puissent leurs peuples se pe´ne´trer de nos lumie`res et me´riter le meˆme bonheur que celui qui nous attend.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
A messieurs les re´dacteurs de l’Oracle 4 de´cembre 1815
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Introduction
Le petit article que Constant fait inse´rer dans le journal bruxellois L’Oracle en re´ponse a` une note parue le 2 de´cembre insinuant que des raisons politiques l’auraient de´termine´ a` s’installer provisoirement a` Bruxelles, n’est pas mentionne´ dans son Journal intime1, qui ne parle ce jour-la` que de l’e´loignement inte´rieur de Charlotte et du profond malaise sentimental et politique qui en re´sulte pour lui. Si Constant rejette dans son article toute motivation politique de son e´loignement de Paris, nous comprenons qu’il s’agit d’une pure mesure de prudence. Nous savons que cette affirmation n’est pas tout-a`-fait exacte, et que son de´part pre´cipite´ le 31 octobre est motive´ a` la fois par la le´galisation des mesures arbitraires en France et par sa passion de´sastreuse pour Juliette Re´camier. Les mesures politiques ont fait partir Constant et elles ont ainsi amene´ la se´paration d’avec Juliette, qu’il jugeait ne´cessaire depuis un moment de´ja` sans avoir eu le courage de la mettre a` exe´cution. La clef de ce petit texte est effectivement la note du Journal intime du 2 de´cembre qui laisse entrevoir une crise matrimoniale, ce qui pourrait signifier que Constant n’ait pas exclu un retour a` Paris, en de´pit de la loi de suˆrete´ ge´ne´rale. Un soupc¸on politique serait dans ce cas nuisible, voire dangereux. L’«affaire particulie`re» dont parle l’article ne serait pourtant pas son de´saccord avec Charlotte, dont personne ne pouvait rien connaıˆtre, mais le fait qu’il lui a donne´ rendez-vous a` Bruxelles, ou` elle est arrive´e le 1er de´cembre, et dont il pourrait faire e´tat s’il le fallait pour expliquer sa venue. Nous savons que les choses se sont passe´es autrement. L’exil volontaire s’est prolonge´ en Angleterre, et le retour des Constant a` Paris n’aura lieu qu’apre`s la re´vocation des lois d’exception.
1
L’article a e´te´ rede´couvert par E´tienne Hofmann graˆce a` la brochure de Gilbert-Sadi Kirschen, Benjamin Constant ou la foi libe´rale, avec un portrait et une lettre ine´dite de Benjamin Constant, Bruxelles, 1948. Kirschen cite, dans son discours prononce´ a` la se´ance solennelle de rentre´e de la confe´rence du Jeune barreau de Bruxelles (27 novembre 1948), une phrase de l’article de BC.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
E´tablissement du texte Imprime´ : «A messieurs les re´dacteurs de l’Oracle.» L’Oracle, no 338, 4 de´cembre 1815, p. 4b. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Exemplaire utilise´ : Universiteit Gent, Centrale Bibliotheek, cote BIB. J. 000126. K. K.
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A messieurs les re´dacteurs de l’Oracle
Messieurs, votre feuille du 2 de ce mois contient deux erreurs, que je vous prie de rectifier. Mon arrive´e a` Bruxelles n’a aucun rapport avec des circonstances politiques, quelles qu’elles soient. Venu ici pour une affaire particulie`re, je n’y ai point cherche´ un asyle dont je n’ai nul besoin, et je compte retourner sous peu de temps dans mon domicile de Paris. Je crois devoir re´tablir ces faits, parce qu’insinuer qu’un citoyen qui n’est pas coupable cherche un asyle hors de sa patrie, c’est faire injure a` son gouvernement. Puisque vous avez cru ne´cessaire de parler de moi, j’espe`re, messieurs, que vous voudrez bien aussi inse´rer cette lettre dans votre journal. Agre´ez toutes mes salutations. Bruxelles, ce 3 de´cembre 1815. B. de Constant.
E´tablissement du texte : Imprime´ : L’Oracle, no 338, 4 de´cembre 1815, p. 4b.
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7KH(GLQEXUJK5HYLHZWR ;;9,IpYULHUSS±'pEXWGXWH[WHVXU)RXFKp ([WUDLWGXFRPSWHUHQGXDQRQ\PHGH-RKQ&DP+REKRXVH7KH6XEVWDQFHRIVRPH/HWWHUV ZULWWHQE\DQ(QJOLVKPDQUHVLGHQWDW3DULVGXULQJWKHODVW5HLJQRIWKH(PSHURU1DSROHRQ 8QLYHUVLWlWVELEOLRWKHN7ELQJHQ.E
[Article sur Fouche´] 14 mars 1816
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Introduction
Le se´jour de Benjamin Constant en Angleterre est consacre´ surtout a` la ` cela s’ajoute la publication re´daction des Me´moires sur les Cent-Jours. A d’Adolphe, qu’il lit de temps a` autre dans les salons de la capitale britannique. La composition de son apologie est un travail difficile, dont nous connaissons les diffe´rents plans, tre`s souvent remanie´s, les projets de re´daction entame´s et abandonne´s, les diffe´rents e´tats de ce livre qui prendra, apre`s beaucoup d’he´sitations, la forme d’une se´rie de lettres publie´es d’abord dans la Minerve franc¸aise, et quelques anne´es plus tard, en 1829, celle d’un volume. Un document pre´cieux de ce travail est le Carnet de notes, commence´ le 19 ou le 20 avril et termine´ peu de jours apre`s le 29 aouˆt 1816, ou` Constant inscrit des notes nume´rote´es qui contiennent des mate´riaux pour les Me´moires sur les Cent-Jours1. Il s’agit le plus souvent de citations puise´es dans la presse de l’e´poque, de notes de lecture commentant des ouvrages qui parlent de cette e´poque, de plans de chapitres ou de l’ouvrage qui est en train de naıˆtre. La note 191 reproduit un important article en anglais sur Fouche´ qui avait paru au mois de mars 1816 dans l’Edinburgh Review. Cet article qui fait partie d’un compte rendu tre`s de´veloppe´ de l’ouvrage de John Cam Hobhouse sur les Cent-Jours est fort probablement de Benjamin Constant. Le fait qu’il soit inte´gre´ dans un compte rendu demande une explication que nous allons esquisser par la suite. Il y a plusieurs arguments qui peuvent corroborer l’hypothe`se selon laquelle on peut attribuer l’article sur Fouche´ a` Benjamin Constant. Le premier a` citer est un passage de la lettre de Mme de Stae¨ l du 30 mai 1816 a` Benjamin Constant ou` elle lui e´crit : «Nous avons cru vous reconnaıˆtre dans un article de la ‘Edinburgh Review’ qui e´tait intitule´ ‘Extrait de lettres de France du mois de Fe´vrier’ ; – faites-moi savoir si nous avons raison. – Il paraıˆt difficile d’avoir un tel soupc¸on sans qu’il soit fonde´2.» La re´ponse de Constant ne nous est pas parvenue. Mais nous savons que Mme de Stae¨ l se trompe rarement dans ses jugements litte´raires. Retenons pour l’instant le 1 2
La date du Carnet de notes est e´tablie a` partir des donne´es qu’on trouve parfois dans les notes. Voir pour les de´tails OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 460, n. 3. Lettres de Madame de Stae¨l a` Benjamin Constant, publie´es pour la premie`re fois [...] par la Baronne de Nolde, Paris : Kra, 1928, p. 121.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
fait qu’elle semble faire allusion non seulement au portrait de Fouche´, mais a` l’ensemble du compte rendu. Elle n’a pas tout-a`-fait tort, comme nous allons le voir. Une confirmation indirecte pourrait eˆtre l’entre´e no 130 du Carnet de notes, datable autour du 22 juin 1816, ou` l’on trouve ceci : «Fouche´. reprendre l’Edinburgh Review. peindre ensuite sa lutte contre l’exage´ration des Royalistes. mais trop tard1.» Cette note n’est probablement pas un e´cho a` la lettre de Mme de Stae¨ l. Elle semble, au contraire, sugge´rer que Constant se propose de «reprendre» un article, son article de l’Edinburgh Review, non pas pour en modifier le sens, mais pour en de´velopper un the`me, le portrait de Fouche´. La partie sur Hobhouse est e´carte´e ici. L’analyse du roˆle politique de Fouche´ laisse entrevoir une vue nouvelle sur ce personnage : la suite traitera du revirement e´tonnant de Fouche´ pendant les premie`res semaines de la Seconde Restauration, manifeste´ surtout dans les Me´moires qu’il adresse au roi et qui font preuve d’un esprit libe´ral qu’on n’aurait gue`re pense´ trouver chez lui. Ce revirement vient trop tard. L’ordonnance du 24 juillet 1815, le de´but des vengeances royalistes auxquelles Constant a e´chappe´ de justesse2, sera suivie par les grands proce`s militaires contre La Be´doye`re et le mare´chal Ney, par le pamphlet de Chateaubriand qui salue la se´ve´rite´ de la justice royale, et enfin, pour le duc d’Otrante, par son e´loignement du ministe`re, sa nomination comme ministre ple´nipotentiaire aupre`s du roi de Saxe, suivie, a` la fin du mois de de´cembre, par le vote de la Chambre introuvable qui prononce a` une tre`s forte majorite´ (334 contre 32 voix) son exemption de l’amnistie ge´ne´rale, ce qui entraıˆnera son exil3. Ce travail de re´daction est entame´ quelques jours apre`s le 4 juillet 18164 par la copie inte´grale du morceau sur Fouche´ dans le Carnet de notes ou` il prend le nume´ro 191. L’article brosse un tableau tre`s substantiel de la carrie`re politique de Fouche´ qui y est pre´sente´ comme un homme ambitieux, peu scrupuleux, fort habile et redoute´, meˆme par Napole´on5. Les faits cite´s, la description de 1 2 3
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Me´moires sur les Cent-Jours, OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 495. Voir ci-dessus, p. 35, l’introduction au Me´moire apologe´tique. Voir la brochure Rapport au Roi, sur la situation de la France et sur les relations avec les arme´es e´trange`res, fait dans le conseil des ministres, le 15 aouˆt 1815 par le duc d’Otrante ; et Me´moire pre´sente´ au Roi, le 15 aouˆt 1815, Paris : s.e´d., 1815. La date exacte du second texte n’est pas indique´e. Les deux textes publie´s dans cet ouvrage, sans doute re´dige´s pour combattre l’influence de plus en plus forte des royalistes, n’auront aucun effet positif sur la carrie`re de Fouche´, re´gicide. Talleyrand le fera nommer le 15 septembre ministre ple´nipotentiaire aupre`s du roi de Saxe. Il quitte Paris le 4 octobre pour ne plus rentrer en France et mourra a` Trieste, ou` il a fini par s’e´tablir, le 26 de´cembre 1820. La date peut eˆtre fixe´e a` l’aide de la note no 186 qui re´sume un article de la Gazette de France du 4 juillet 1816. Voir le no 175 du Carnet de notes (OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 506) qui compare l’attitude me´fiante de Napole´on a` l’e´gard de Fouche´ a` la tactique peu honneˆte de l’entourage de Louis XVIII vis-a`-vis de cet homme incontournable.
Article sur Fouche´ – Introduction
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la carrie`re douteuse et pourtant fascinante de Fouche´, excellent par une connaissance pre´cise des faits et une analyse lucide des motifs qui ont pre´valu dans les activite´s de cet homme politique. Ceci est particulie`rement vrai pour le roˆle de Fouche´ pendant les Cent-Jours et pendant les journe´es de´cisives apre`s Waterloo, ou` Constant avait l’occasion de l’observer de tre`s pre`s. La crise interne de la France qui a suivi cette bataille, les ne´gociations avec les puissances allie´es, les intrigues de Fouche´ et son comportement ambigu en tant que chef du gouvernement provisoire, fonction qu’il a su se faire attribuer par la ruse, sont re´sume´s dans l’article avec une connaissance remarquable des de´tails et des motifs secrets qui ont domine´ cet homme. Nous voyons dans cette qualite´ de l’e´crit l’argument de´cisif pour l’attribution du moins de cette partie de l’article a` Constant. La preuve mate´rielle pour notre hypothe`se est la note du Journal intime date´e du 14 mars 1816 : «Travaille´. Fait un morceau sur Fouche´.» Contrairement a` ce que nous avons fait dans l’e´dition des Me´moires sur les Cent-Jours, ou` nous nous sommes abstenus de nous prononcer sur l’attribution de l’article en cause, et contrairement a` ce qui est dit dans les commentaires prudents de l’e´dition du Journal intime1, nous nous prononc¸ons maintenant pour l’attribution de ce portrait de Fouche´ a` Benjamin Constant. A cela s’ajoute un autre proble`me de´licat. L’article est inte´gre´ dans l’Edinburgh Review dans un long compte rendu anonyme et substantiel de l’ouvrage de Hobhouse, The Substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napole´on. Cet ouvrage, publie´ d’abord sans nom d’auteur, e´tait pour Constant au moment de sa parution (au de´but du mois de janvier 18162) un texte sur lequel il avait de´ja` forme´ un jugement. Il l’avait lu, probablement pendant qu’il e´tait imprime´, comme il ressort des me´moires de Hobhouse : «In preparing that work for the press, I was assisted by a very celebrated writer, who was much concerned in the transactions of those perilous times – I
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Journal intime (1811–1816), Carnet, Livres de de´penses, OCBC, Œuvres, t. VII, p. 269, note 3. Les e´diteurs avaient de´ja` pense´ que l’attribution e´ventuelle de l’article de l’Edinburgh Review a` Constant n’e´tait pas tout a` fait a` exclure, mais ils ne pouvaient lever les doutes. Que le texte anglais puisse eˆtre une traduction a` partir d’un texte franc¸ais n’est pas impossible non plus, comme on peut s’en rendre compte en faisant l’exercice inverse. Il faut tout de meˆme penser que BC a e´crit directement en anglais. Pourquoi aurait-il copie´ le texte anglais dans son carnet, s’il y avait eu une version franc¸aise de ce morceau ? Une note du journal intime de Hobhouse e´crite le 22 de´cembre 1815, dit que Se´bastiani et Flahaut de´siraient lire son ouvrage sur la France avant qu’il ne sorte. Il est probablement sous presse vers ce moment.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
mean Benjamin Constant, with whom I afterwards formed an intimacy that lasted during the remainder of his life. I also consulted another eminent personage much in the confidence of Napoleon. But the help afforded by both these gentlemen was confined to reading the printed work before it appeared, and informing me of any mistakes which might be corrected, either by changes or by the insertion af additional matter1.» Nous ne connaissons pas l’avis de Constant. Ce que nous savons par contre, c’est que Constant, au moment de la re´daction des Me´moires sur les Cent-Jours, projetait, un moment donne´, d’y re´pondre directement. Une longue note du Carnet, le no 154, donne une analyse de´taille´e de certaines parties de cet ouvrage : vingt-trois points y sont nomme´s, avec renvoi aux pages respectives de l’e´dition anglaise de ce livre2. Les titres introduits par Constant sont parfois suivis de commentaires. Cette note est sans doute poste´rieure a` l’article de l’Edinburgh Review. Le compte rendu que nous trouvons dans l’Edinburgh Review est-il de la plume de Constant ? Est-ce l’ouvrage d’un autre auteur ? La seconde hypothe`se, qui est aussi la plus vraisemblable, permet les conjectures suivantes : l’auteur de ce texte connaissait Constant. On peut penser que l’article sur Fouche´ a e´te´ ajoute´ par cet auteur a` son texte. Il lui fait pre´ce´der un passage de transition qui e´largit en quelque sorte ses propres re´flexions : «We believe a more accurate investigation would have informed the writer of these Letters, that great suspicion attaches to the character of Lanjuinais, for having adjourned the Assembly on the 7th of July, contrary to the remonstrances of many of its Members ; and by those who had formerly most confidence in his fidelity, it is generally believed 1
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Recollections of a long Life, by Lord Broughton (John Cam Hobhouse) with additional Extracts from his private Diaries, edited by his Daughter Lady Dorchester, London : John Murray, 1909, vol. I, pp. 319–320. Dans la suite de cette note, Hobhouse reproche a` Constant d’avoir releve´ sur le tard et vaguement quelques inexactitudes («some inaccuracies») dans ses Me´moires sur les Cent-Jours qu’il aurait pu lui signaler de`s sa premie`re lecture, «priviously to publication» (ibid., p. 321). Hobhouse renonce a` y re´pondre, pour des raisons politiques et pour ne pas nuire a` Constant : «for the author of the French translation of them [savoir : les volumes] had been prosecuted by the Bourbon Government, and punished with fine and imprisonement» (ibid., p. 321). OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 501–502. La note 149 (p. 499) pre´pare la note 154, les rubriques e´bauche´es seront re´pe´te´es dans celle-ci. Les deux notes sont a` dater apre`s le 22 juin 1816, date du nume´ro de La Quotidienne mentionne´e dans la note 138. Le cahier de l’Edinburgh Review est sans doute imprime´ autour de cette dernie`re date. Tout nous porte a` croire que BC n’a pas cesse´ de s’occuper de l’ouvrage de Hobhouse a` cette e´poque, qu’il travaille a` partir du mois d’avril environ a` ses Lettres a` Hobhouse (OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 349– 364), qu’il y a donc une coı¨ncidence manifeste entre le travail de re´daction des Lettres a` Hobhouse, des notes du Carnet et de l’article de l’Edinburgh Review.
Article sur Fouche´ – Introduction
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that he was informed of the determination to obstruct their reassembling. But the chief point upon which we would warn our readers against the excessive charity of this acute writer, is the character of Fouche´, Duke of Otranto, the real Sovereign of France during that eventful time, and to whom he gives credit for many more virtues than, upon a fair examination of the facts, we can ever think him entitled to. His repeated reflexions on this subject, indeed, and the very prominant figure which the personage in question makes in this extraordinary crises, have induced us to attempt a short sketch of his life and character, taken from a pretty careful observation of his public acts during the manifold changes of the last quarter of a century1.» Ce passage laisse voir tre`s clairement ce qui s’est passe´ a` la se´ance de la chambre des Repre´sentants le 7 juillet 1815 et dont nous avons un e´cho dans la note de ce jour du Journal intime de Constant. Lanjuinais, alors pre´sident de la Chambre, a suspendu les de´libe´rations sur la constitution, pleinement conscient qu’elles ne reprendraient plus le lendemain2. Nous constatons que l’auteur de cette note avait un jugement comparable a` celui de Constant sur cette affaire, qu’il l’esquisse ici pour pouvoir enchaıˆner avec le portrait de Fouche´. Un autre passage, pre´ce´dant les phrases que nous venons de citer, se lit comme le programme des Me´moires sur les Cent-Jours, avec des allusions a` des rencontres de personnes de l’entourage de Napole´on, a` des incidents qui ont marque´ les se´ances du Conseil d’E´tat, et au commentaire de l’em` cela s’ajoutent des jugements pereur sur le suicide du ge´ne´ral Berthier. A historiques, notamment l’hypothe`se selon laquelle ce seraient les royalistes qui auraient pousse´ le roi a` quitter la capitale, parce qu’ils auraient pre´fe´re´ reprendre le pouvoir a` l’aide des puissances e´trange`res qu’adopter la politique des amis de la liberte´. Ils auraient ainsi opte´ pour l’invasion de la France, la guerre et les maux qui en re´sultent. Ce terrible soupc¸on est un des the`mes majeurs des Me´moires sur les Cent-Jours. Tout cela pourrait signifier que Benjamin Constant avait explique´ ses vues politiques a` l’auteur de ce compte rendu, qui serait, si cette hypothe`se est exacte, un ami avec lequel il aurait parle´ de son projet d’e´criture. Mme de Stae¨ l aurait eu ainsi une bonne intuition. Les notes laconiques du Journal intime ne nous permettent pas de deviner qui est l’auteur de ce compte rendu. Le seul personnage qui puisse eˆtre nomme´ ici est l’ami de Constant, James Mackintosh, auquel Constant con1 2
«Compte rendu de Hobhouse», voir ci-dessous, p. 1171. Voir Houssaye, 1815, La seconde abdication, pp. 325–330, sur la dissolution de la Commission de Gouvernement, la se´ance de la Chambre des Repre´sentants et les «protestations» des membres de cette chambre a` la suite d’un discours de Manuel, et sur la de´claration de cloˆture de Lanjuinais.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
fie effectivement des de´tails sur son projet d’apologie, ce qu’on lui reproche ou ce qu’il se reproche1. On sait que Mackintosh a e´crit, a` partir de 1813, dans l’Edinburgh Review2. Constant le rencontre le 24 fe´vrier 1816 a` Londres. Mackintosh serait-il l’auteur de ce morceau ? Et le correcteur du texte sur Fouche´3 ? Les preuves mate´rielles manquent, la question reste sans re´ponse. La premie`re hypothe`se ne peut eˆtre exclue de´finitivement. Constant pourrait eˆtre l’auteur du texte sur Hobhouse. Dans ce cas-la`, il adopterait une perspective anglaise en sugge´rant que l’auteur est anglais. Mais nous ne connaissons chez lui aucun autre exemple de ce genre de camouflage. En conclusion, nous proposons d’attribuer le morceau sur Fouche´ a` Benjamin Constant, qui collabore avec l’auteur du compte rendu de Hobhouse. Cet auteur n’est pas identifie´. E´tablissement du texte Nous reproduisons l’article d’apre`s le texte imprime´ de l’Edinburgh Review, en donnant en note les variantes de la copie quelquefois fautive du Carnet de notes. Les divergences entre les deux e´tats du portrait de Fouche´ sont assez importantes. Elles montrent tre`s bien que la version du Carnet de notes est la copie de l’imprime´. Il y a des omissions, des mots qui ont e´te´ remplace´s par d’autres, des fautes comme on les fait en copiant rapidement. Il se peut que le texte de Constant ait e´te´ arrange´ pour cette publication par un re´dacteur. La premie`re phrase, en tout cas, enchaıˆne avec l’introduction qui pre´ce`de en remplac¸ant le nom de Fouche´ par le pronom personnel. Nous le restituons, autorise´s par la copie. Nous ne tenons pas compte du fait que Constant e´crit toujours «&» pour «and», des nombreuses divergences de ponctuation et des minuscules en teˆte des nouvelles phrases. Dans certains mots ou` l’on attendrait une majuscule, on trouve la minuscule («fructidor», «fouche´») ; le cas contraire se fait observer e´galement («Ministre») : nous ne les re´pertorions pas. Tout ceci est dans les usages de Constant. 1 2 3
J.I., 17 fe´vrier 1816. DNB, article Mackintosh, t. 35, p. 678. Il est hors de doute que BC pouvait e´crire un texte en anglais (voir le commentaire a` un me´moire en anglais re´dige´ a` l’intention de Bernadotte, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 902– 903). Le fait qu’il copie l’article dans l’Edinburgh Review semble montrer qu’il n’avait plus de manuscrit. Une des particularite´s de l’imprime´ est l’emploi ge´ne´reux de tirets a` la place d’autres signes de ponctuation ou pour renforcer ceux-ci, ce qui caracte´rise e´galement le texte du compte rendu de l’ouvrage de Hobhouse. Les tirets sont supprime´s par BC dans la copie de son texte. Serait-ce un indice, faible a` la ve´rite´, pour une intervention de l’auteur anonyme dans le texte de BC ?
Article sur Fouche´ – Introduction
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Le texte du compte rendu de l’ouvrage de Hobhouse est reproduit inte´gralement (les pages sur Fouche´ excepte´es) dans la troisie`me annexe1. Manuscrit : [Article sur Fouche´] BnF, NAF 18828, [Carnet de notes], 1 liasse de 54 fos, 108 pp. a., 200 × 155 mm. fo 33ro-fo36ro (4 fos, 7 pp. a.), note 191, texte de l’article. Nous de´signons cet article par le sigle C. Imprime´ : [Article sur Fouche´]. The Edinburgh Review or Critical Journal for Feb. 1816 ... June 1816, t. XXVI, 1816, pp. 228–232 ; texte inte´gre´ dans l’article anonyme, «Art. IX», place´ sous le titre «Letters from France», qui donne un compte rendu de [John Cam Hobhouse], The Substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napoleon, London, 1816. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Exemplaire utilise´ : Universitätsbibliothek Tübingen. Nous de´signons cet article par le sigle ER. K. K.
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Voir ci-dessous, pp. 1151–1172.
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[Article sur Fouche´]
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Fouche´ plunged into the Revolution at an early age ; and, either from enthusiasm or fear, very soon became attached to the violent party in the Convention – assisted it in overturning the Girondine faction – and finally executed, and boasted of having executed, against that party and the Royalists at Lyons1, cruelties which would have done honour to Robespierre himself, to whose ruin, after the murder of Danton, he especially contributed, on the 9th Thermidor2. From that hour, Fouche´ seems to have sought reconciliation with the moderate party, – but in vain. He was, with the rest of the Jacobins, expelled the Convention, his arrest was decreed3, – and he escaped only by flight. In his concealment, he published an address to the Convention, which, in place of justifying himself, accused that Assembly of having authorized and provoked all the violent measures of which he had been the organ4. From that period to the year 1796, he was an object of suspicion as a Terrorist. Whenever a Jacobin conspiracy was dicovered, he uniformly disappeared from the scene, and only reappeared, when the attacks of the Royalist party drove the Directory to seek aid from the Jacobins. In every such crisis, he resumed their principles, and sought eagerly for employment, from which he was only excluded by his former bad reputation. In 1797 he E´tablissement du texte : Manuscrit : Carnet de notes, fo 33ro–36ro [=C] burgh Review, XXVI, pp. 228–232 [=ER].
Imprime´ : Edin-
2 Fouche´ ] He ER 191. Fouche´ C 6 done honour ] 〈honor〉 done honor C 〈thought〉 sought C 11 address ] adress C 16 Whenever ] when ever C 1
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3 4
8 sought ]
Fouche´, envoye´ par la Convention avec Collot d’Herbois a` Lyon en octobre 1793 pour e´touffer la re´bellion ouverte de cette ville contre les mesures du pouvoir central, y organise la re´pression des re´volte´s non sans se me´nager un de´lai prudent en retardant son de´part. Il est tenu pour responsable du massacre de plus de 2500 Lyonnais dans des mitraillades cruelles, qui ne cesse`rent qu’en fe´vrier de l’anne´e suivante. Il ordonna e´galement, avec Collot d’Herbois, la destruction de nombreux e´difices et d’autres mesures terrorisant la ville. L’habilete´ de Fouche´ a beaucoup contribue´ a` lancer les attaques contre Robespierre (qu’il appelle Maximilien Ier dans son discours du 7 fructidor, ci-dessous, n. 4) le 9 thermidor a` la Convention. En juillet 1795. Allusion a` l’intervention de Fouche´ devant la Convention nationale le 7 fructidor an II, 24 aouˆt 1794, dans laquelle en effet il accuse Robespierre d’avoir e´te´ l’instigateur des massacres de Lyon. Archives parlementaires, t. XCV, Paris : 1987, p. 409.
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was sent on a mission to Italy1, – reappeared on the 18th of Fructidor2, and was proposed for the ministry of the Police – but again rejected ; and it was not until the revolution which took place in the Directory in 17993, that he obtained that ministry. Syeyes4 then prevailed through the aid of the Jacobines, but immediately became their ennemy and Fouche´, who, as in 1794, hoped to reconcile himself with the nation, gave to his administration a very mild character, although he secretly protected the Jacobins, and with difficulty escaped himself from the vengeance of the wily Director5. Upon the return of Bonaparte whom Syeyes unwillingly associated to his designs of overturning the Directory, Fouche´ conducted himself with such address, that, although known to be the friend of the Jacobins, and himself under the surveillance of Thurot6 his chief secretary, who had orders to arrest him upon the first symptom of treachery, he outrode the storm7 ; and, upon the 18th Brumaire, he remained in office, and without delay attached himself to Bonaparte. Now, for the first time, his repentance could manifest itself in an effectual manner ; – the minister supported his master in organizing a mitigated despotism ; and, profiting by the violence of Bonaparte, he obtained for himself the reputation of a protector of all parties, and, in spite of his former crimes, his name became universally popular in France. Nothing, indeed, was so easy as this manœuvre to those who knew Bonaparte. The Emperor issued a violent decree – Fouche´ made the nature of it known before it was promulgated – blamed it in conversation – then only half executed it. The Emperor was angry, – the Minister executed it entirely : – But in the mean 3 1799 ] 1798 ER 1799 C 4 Syeyes ] Sieyes C Sieyes C 12 Thurot ] Turot C 1 2
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6 gave to his ] gave his C
9 Syeyes ]
BC se trompe. C’est le 1er octobre 1798 que Fouche´ est nomme´ ministre ple´nipotentiaire pre`s de la Re´publique cisalpine a` Milan. On sait que Fouche´ s’employait pour de´cider Barras au coup d’E´tat du 18 fructidor (4 novembre 1797) qui diminuera conside´rablement le nombre des de´pute´s royalistes par un de´cret de de´portation. BC – il corrige la date en se copiant – de´signe ainsi le «coup d’E´tat» du 30 prairial an VII (18 juin 1799). Fouche´, depuis peu seulement ambassadeur franc¸ais aupre`s de la Re´publique batave, est nomme´ ministre de la Police le 20 juillet 1799. Sieye`s avait remplace´ Reubell, sorti du Directoire en tirant la boule noire, le 20 flore´al (9 mai 1799). Il e´tait peu aime´ de La Re´vellie`re. La Re´vellie`re qui avait e´te´ force´ de de´missionner le 30 prairial, avec Merlin. Joseph Thurot apparaıˆt dans les clubs re´volutionnaires ou` il se lie avec Fouche´. Il sera secre´taire ge´ne´ral du ministe`re de la Police sous le Directoire, ce qui lui procure l’occasion de controˆler Fouche´, jusqu’au moment ou` il est lui-meˆme destitue´ et remplace´ par JacquesAthanase Lombard-Taradeau, homme de confiance de Fouche´ (voir Jean Tulard, Joseph Fouche´, Paris : Fayard, 1998, annexe I). L’attitude de Fouche´ est double. Il ferme le Club des Jacobins et suspend un certain nombre
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Article sur Fouche´
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time, he was known to have blamed it, and to have retarded its execution. Sometimes, too, the Emperor was persuaded, in the interval, to mitigate its severety, so that, even by the delay, Fouche´, no doubt, contributed to preserve lives and fortunes of many of his countrymen. Bonaparte soon perceived his Minister’s game ; – but the fear of his influence, and the power of his agents, was such, that he did not send him away till the end of three years. – At last the blow was struck. – Fouche´ quitted his first ministry1 ; – and although he had transported 130 republicans for a conspiracy in which he declared they were not concerned, and conducted to the scaffold four Frenchmen for a plot of which he denied the existence, – although he had let many royalists to be shot, and had banished many more, – he had universally, on his retirement, the character of being a staunch friend both of the Royalists and of the Republicans. The government of his successor, Regnier2, was distinguished by the trial of Pichegru and Moreau, and the murder of the Duke d’Enghien. In that season of gloom and terror, Fouche´ was again longed for ; and Napoleon, in spite of his suspicions, found it prudent to replace him3. – He continued to practise again his old game – delay – bold and mysterious conversation – blame of his master’s plans, which he nevertheless executed, when resignation was the alternative. In 1810, Bonaparte suddenly abused him in Council ; obliged him to accept the government of Rome ; then dismissed him from the ministry, sent him from Paris, and arrested him on the road. Fouche´ threatened discoveries, and escaped into banishment and obscurity, where he remained until the first abdication of the Emperor4. Fouche´ at first dreaded the counter-revolution ; but seeing M. de Talleyrand in possession of the government, he not only took courage, but aspired to complete his whitewashing, by becoming the Minister of Louis XVIII. 2–4 Sometimes, ... countrymen. ] omis dans C 12–13 a staunch friend both of ] a 〈staunch fr〉 staunch friend to C 13 and of ] & to C 15 Duke ] Duc C 18 practise ] 〈play〉 practise C 25 until ] untill C Fouche´ ] he C 27 whitewashing ] white washing C
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de journaux re´actionnaires et jacobins. Il comprend que le Directoire n’e´tait pas appuye´ dans l’opinion publique, s’approche habilement des membres de la famille de Bonaparte, pre´parant peut-eˆtre ainsi le coup d’E´tat du 18 Brumaire. Suppression du ministe`re par les Consuls le 13 septembre 1802 pour e´loigner Fouche´ dont Bonaparte, ses fre`res et Talleyrand se me´fient beaucoup. Claude-Ambroise Regnier, duc de Massa (1746–1814), responsable de la police pendant la disgraˆce de Fouche´. Il e´tait un ministre peu capable. Le 10 juin 1804, trois semaines apre`s la proclamation de l’Empire. Deuxie`me de´mission de Fouche´. Napole´on, pour l’e´loigner de la capitale, voulait l’envoyer a` Rome, ce que Fouche´ sut e´viter. Il erre en Italie, menace´ d’eˆtre arreˆte´, et se fixe finalement a` Aix-en-Provence ou` il restera jusqu’a` la premie`re abdication de l’Empereur. Fouche´ re´ussit a` se rapprocher des Bourbons.
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His conduct, during the 11 months of that reign, was conformable to this project. To the patriots, he insisted on the necessity of a popular ministry. To the princes, with whom he continually intrigued, he promised the consolidation of the monarchy, as he had effected that of Napoleon, and expressed sincere contrition for the death of Louis XVI. To the Jacobins, he declared his adherence, and promoted their projects and conspiracies. His conversation was of a piece. He abused the Bourbons – then said they might be saved by making him a mi nister ; – occasionally announced a plot, – which he assured the Royalists he endeavored to prevent for the sake of the King, – and the Jacobins to save their heads. A little treachery towards all parties heightened the zest, and proved the authenticity of his communications – and increased the anxiety which was to make his assistance valuable. When Napoleon landed, Fouche´ offered himself to the Court. The Princes negotiated with him ; but after the first conference, orders were given to arrest him1. – Some have thought, that this arrest was a stratagem, to insure the employment of Fouche´ by the Usurper : And the conduct of the former to Bonaparte, and the indiscretion of the Royalists, who never ceased to count upon him, and to quote the proofs of their intelligence with him, might seem to warrent this notion ; but we are more apt to attribute to the habitual distrust and weakness of that family, an act which, after all, could never conceal from Napole´on the constant intrigues of Fouche´ with the discarded dynasty. It is well known, that he had said to one of the emigrating royalists, «Sauvez le Monarque, – Je reponds de la monarchie.» This, it is true, may be attributed to the habitual lightness of his conversation, which is so great, that it is well known that when the Duke of Wellington reproached him with having asserted to the Chamber, in his message from the Government, that the Allies insisted on the restauration of the King, and challenged him to prove the truth of the assertion, he replied : «Que voulez-vous de plus ? Le Roi n’est-il pas dans son Palais ? C’est tout ce qu’il faut.» Bonaparte, dependent and timid as he was at his last return, had no option about employing Carnoˆt2 and Fouche´ ; and the conduct of the latter from 5 for ] 〈at〉 for C the notion C 1
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7 Bourbons ] Royalists C
10 towards all ] to all C
19 this notion ]
BC simplifie. Fouche´ avait essaye´ de se faire accepter par le comte d’Artois. , le futur Charles X, mais ne put vaincre, dans un premier temps, la me´fiance et le reproche d’eˆtre un re´gicide. Apre`s le de´barquement de Napole´on, le comte d’Artois lui offrit un ministe`re, et c’est Fouche´ qui refusa, sans doute par prudence. Le refus est suivi d’un mandat d’arrestation, a` laquelle il e´chappa par la fuite, ce qui lui valut une nouvelle nomination comme ministre de la Police par Napole´on. Lazare Carnot (1753–1823) e´tait pendant les Cent-Jours ministre de l’Inte´rieur. Il s’occupait
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that moment became problematical. On the one hand, he used all means to attach to the Imperial government, all those whose popularity gave strength to it. It is equally certain, that if he meditated, at that time the overthrow of Napoleon, he did not confide his project to those friends of liberty whom he had rallied round the Eagle, although many of them were his intimate friends. On the other hand, he did not fail to revert to his old tactics. In conversation, he blamed and treated with ridicule and contempt the projects of the Emperor, whose government, he said, ran great risks. He allowed the Royalists to write such libels as no government can permit ; and exhorted the Republicans to attack, so that his house was the enemy’s camp. He is said to have promoted the war in La Vende´e ; but of this charge there does not appear sufficient proof. After the battle of Waterloo, Fouche´ was named President of the Government ; and was entrusted with the conduct of the negociations. Whatever doubt may exist as to his intentions before, there can exist none as to his conduct, after the abdi cation of Napoleon. He alone acted ; and managed to keep his colleagues1 in a state of entire subserviency. They feared they might impede his measures by acting without his directions ; and his mode of paralyzing their efforts, was to absent himself, whenever measures were likely to be proposed by any other person. It was known he was gone to Lord Wellington2 ; – delay was the consequence ; – and Fouche´ gained a day, which was lost to his country ! Thus he got over the time, from the 22d June to the 7th July, without giving any explanation to his colleagues, nor to the Chambers, nor even to his intimate friends, whose lives were in danger from his impenetrable silence. As to the negotiations with the Allies, he had but one proposition to make – but one remedy for all evils : «Make me minister, – I answer for the rest.» He stipulated neither for France nor for her constitution, nor for individuals – one single individual excepted. To him, without a doubt, is owing the return of the Bourbons without any condition whatsoever. Any other man at the head of the provisional government, – backed by the national representation which was devoted to liberty, and by an army of 70.000 men, with 800 pieces of cannon3, – by the National Guard well disposed, as their 5–6 intimate friends.] intimates. C 16 colleagues ] colleague C 18 paralyzing ] paralising C 20 kwown he ] known that he C 26 for all ] to all C 28 one single individual ] himself C
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surtout de l’instruction publique et de l’industrie. Sous la Seconde Restauration, il est porte´ sur la liste du 24 juillet et quitte la France pour s’installer en Prusse. Carnot, Grenier, Quinette et Caulaincourt. La rencontre avec Wellington, en fait une ne´gociation qui avait pour but d’assurer le retour du roi, a eu lieu les 5 et 6 juillet. D’apre`s Davout, on disposait le 3 juillet encore de 150.000 soldats, 30.000 chevaux et 750 bouches a` feu (Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, p. 141).
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attachement to the Tricolor has since proved, – would have saved the liberty of his country even with the present dynasty1. But Fouche´ looked only to himself ; and as his first idea in 1794 was to recover the place in society, which he had forfeited by his crimes, so his last thought in 1815 was reconciliation with the Court which he had so grievously offended. In one word, Fouche´, having become a rich and important personage, under the auspices of usurped dominion, was desirous to complete his titles after the fashion of legitimacy. Accordingly, he betrayed his country, abandoned his friends, – signed the warrants for their death, and the lists of their proscription, – and succeeded, as such persons usually do, for a time. But at last he found himself alone in the wilderness he had created. He would then have returned to a better system ; but it was too late. His Reports are eloquent and able, but they accelerated his downfal2. He was the minister of Louis XVIII. : but he had been the judge of Louis XVI. ; and he is now wandering over the face of the earth3, perhaps less respected than any one of those whom he had, but a few weeks before, delivered to the vengeance of the Court4.
1 saved ] save C 7 complete ] preserve & increase C 8 abandoned ] abandonned C 12 it was ] he was C 17 Court. ] suit encore un aline´a ER
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A savoir : la famille de Napole´on. BC laisse percer ici un raisonnement ou` s’annonce l’ide´e de donner plus de poids politique a` la nation et de diminuer ainsi le roˆle de la dynastie des Bourbons. Fouche´, en se servant du royaliste Vitrolles comme interme´diaire (il l’avait fait sortir de prison le 22 juin), joue le jeu des Bourbons pour assurer le succe`s de ses projets personnels. Allusion aux rapports adresse´s au roi en aouˆt 1815. Voir ci-dessus, p. 35, n. 2. C’est ce point de la politique de Fouche´ que BC entendait de´velopper dans la nouvelle re´daction de cet article. On sait que Fouche´ quitte Paris le 4 octobre 1815 pour gagner Dresde ou`, ple´nipotentiaire franc¸ais aupre`s du roi de Saxe, il ne restera que peu de temps (la lettre de rappel est date´e du 4 janvier 1816). Le retour en France e´tant devenu impossible apre`s que la Chambre l’avait excepte´ de l’amnistie ge´ne´rale (voir Bertier de Sauvigny, La Restauration, pp. 133–134), il peut d’abord prolonger comme un particulier son se´jour a` Dresde, mais commencera bientoˆt ses migrations en Europe. Il s’installera d’abord a` Prague (arrive´e : 7 aouˆt 1816), pour finalement arriver a` Trieste (novembre 1819) ou` il mourra. BC anticipe donc sur le sort de Fouche´, ce qui s’explique peut-eˆtre par l’ide´e qu’il aurait eu connaissance des de´marches de Fouche´ aupre`s de plusieurs cours d’Europe pour trouver refuge. Dans l’aline´a qui suit et termine l’article, l’auteur anonyme reprend la parole et exprime un jugement d’ensemble sur l’ouvrage de Hobhouse.
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Fragmens a` coordonner 1er avril 1816
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Introduction
Les fragments de textes recopie´s par Constant dans le volume 7 de ses Œuvres manuscrites, longtemps conside´re´s comme faisant partie des additions a` l’ouvrage sur les Possibilite´s d’une constitution re´publicaine dans un grand pays, sont malaise´s a` classer. Ils appartiennent, comme nous essayerons de le prouver, au contexte des Me´moires sur les Cent-Jours, mais on peut y reconnaıˆtre ne´anmoins l’esquisse d’un texte autonome, d’une brochure ou d’un article, qui aurait e´te´ une analyse pole´mique de la situation politique de la France au de´but de la Seconde Restauration. Pour justifier cette hypothe`se, nous disposons de trois donne´es : nous avons une date ; il y a des recoupements incontestables avec des textes pre´liminaires des Me´moires sur les Cent-Jours ; les fragments sont inscrits, sous un titre tout a` fait provisoire, dans les Œuvres manuscrites. La date : On la trouve en teˆte du texte, a` coˆte´ du titre, «le 1er avril 1816». Constant est en Angleterre, il a commence´ depuis un certain temps de´ja` son apologie (le Journal intime nous autorise a` parler du mois d’aouˆt 1815), d’ou` sortiront les Me´moires sur les Cent-Jours. Nous savons que ceux-ci trouveront leur forme de´finitive vers le mois d’avril 1816. Les recoupements textuels : Les de´buts des Me´moires sur les Cent-Jours sont difficiles. Constant he´site longtemps sur la forme a` adopter (lettres ou narration historique), et meˆme lorsqu’il s’est de´cide´ pour une se´rie de lettres, il pourrait re´diger son texte en re´ponse a` un autre ouvrage (Lettres a` Hobhouse). Les he´sitations ne concernent pas seulement la forme, mais aussi le contenu. Va-t-il e´crire un ouvrage de combat, ou` la pole´mique contre les machinations politiques des ultra-royalistes aurait une large part ? Donnera-t-il une œuvre plus mode´re´e, de´fendant les positions des amis de la liberte´ et de la Charte, mais sans attaquer avec trop de virulence les royalistes exage´re´s ? Les e´paves des diffe´rentes tentatives pour organiser les Me´moires sur les Cent-Jours nous sont connues, et les fragments que nous publions ici sont a` mettre en rapport avec un stade pre´liminaire du projet d’e´criture de ce livre. Ils sont en particulier a` rapprocher de l’esquisse d’un chapitre intitule´ Des royalistes exage´re´s et de leur influence actuelle en France1. Le second texte a` prendre en conside´ration est constitue´ des fragments d’un texte intitule´ Du jacobinisme ancien et moderne2, et enfin un troisie`me 1 2
OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 366–375. OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 326–337.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
manuscrit, e´galement fragmentaire, est a` ajouter a` ce groupe, l’esquisse des Lettres a` Hobhouse1. On rencontre entre ces manuscrits de nombreuses coı¨ncidences textuelles et des recoupements avec les sujets traite´s, de sorte que nous devons admettre une inspiration commune de ces tentatives en apparence si diffe´rentes l’une de l’autre. Les rapports de ces quatre textes avec les Me´moires sur les Cent-Jours ne sont pas e´vidents. Constant envisageait-il, un moment donne´, un de´but pole´mique de son livre ? Voulait-il commencer par une analyse de la situation politique de la France au de´but de la Seconde Restauration, qui serait place´e sous forme d’ouverture en teˆte du livre ? Le plan e´tait extreˆmement hardi, puisqu’il aurait exige´ une critique corse´e des buts politiques des royalistes ultras, sorte de Jacobins modernes aux yeux de Constant, preˆts a` sacrifier les bases de l’ordre social enfin e´tablies apre`s les de´sordres de la Re´volution et les maux de l’Empire pour retourner a` l’Ancien Re´gime. Ceci n’est pas impossible, comme on peut le de´duire de la structure argumentative des fragments Du jacobinisme ancien et moderne, mais aussi de l’esquisse Des royalistes exage´re´s et de leur influence actuelle en France, qui conduisent tous les deux vers la matie`re principale de l’ouvrage, l’histoire des CentJours. La critique de la politique ultra e´tait d’actualite´ a` l’e´poque de la Chambre introuvable. Pourquoi Constant renonce-t-il a` ce plan ? Nous l’ignorons. Il se peut que certaines faiblesses dans l’arrangement des arguments, qu’une lecture attentive des plans permet de de´celer, sont a` l’origine de la restructuration des Me´moires sur les Cent-Jours, qui, entre temps, avaient pris la forme des Lettres a` Hobhouse, avant de devenir, vers la mi-avril, les Lettres sur les Cent-Jours2. Les fragments des Œuvres manuscrites : Pourquoi, les «Fragments a` coordonner» ont-ils e´te´ inscrits dans un volume des Œuvres manuscrites et se´pare´s ainsi du contexte des Me´moires sur les Cent-Jours ? Nous pensons qu’ils ont change´ de statut litte´raire et, de´tache´s des Me´moires, qu’ils sont en train de devenir un texte autonome. Il est vrai que l’esquisse du texte sur les royalistes exage´re´s aborde le meˆme sujet que les fragments, mais l’objectif n’est pas le meˆme. La se´rie des fragments est poste´rieure a` cette suite d’ide´es, comme il ressort du nouvel arrangement de certains mate´riaux, qui sont recopie´s sans que la structure des phrases et l’emploi des mots soient corrige´s en fonction des de´placements3. Cela trahit une nouveau plan argumentatif des entre´es. Il n’est pas encore de´finitif ; les parenthe`ses vides en teˆte des diffe´rents fragments sugge`rent un ordre provisoire des mate´1 2 3
OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 338–364. Voir dans le Carnet de notes, la note 9, OCBC, t. XIV, p. 456 et, pour la date propose´e, la note 19, p. 460. Voir ci-dessous, pp. 234–235 et p. 237.
Fragments a` coordonner – Introduction
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riaux. Mais ce qui a disparu, c’est tout rapport direct au texte des Me´moires. Nous proposons donc de voir dans cette se´rie de fragments une nouvelle mouture de la suite d’ide´es du chapitre intitule´ Des royalistes exage´re´s et de leur influence actuelle en France. Celle-ci est encore l’esquisse d’un chapitre d’un livre, comme il ressort du fait que tous les mate´riaux appartenant aux dossiers pre´paratoires des Me´moires sur les Cent-Jours sont des restes de manuscrits abandonne´s de ce travail d’e´criture, tandis que les «Fragments a` coordonner» sont une copie soigne´e de phrases a` retenir. L’e´poque analyse´e dans ces deux se´ries de textes est la meˆme, celle du ministe`re Talleyrand-Fouche´, dans lesquels les royalistes reconnaissent la continuation de la Re´volution1. Dans la se´rie des «Fragments a` coordonner», Constant change de perspective. Il augmente les pole´miques et les attaques en rectifiant le plan et il renforce ses ide´es par l’apport de mate´riaux nouveaux tire´s de textes ante´rieurs souvent identifiables. L’introduction politique dans les Me´moires sur les Cent-Jours que nous croyons entrevoir dans les premie`res esquisses fragmentaires, semble eˆtre sacrifie´e par ce nouvel arrangement au profit d’une œuvre autonome qui est reste´e inacheve´e.
E´tablissement du texte Manuscrit : Œuvres manuscrites, vol. 7, BnF; NAF 14364, fos 102ro–104vo, 3 fos, 6 p. a., 265 × 200 mm. Hofmann, Catalogue, II/7 (compris dans le lot des additions a` l’ouvrage sur les Possibilite´s d’une constitution re´publicaine dans un grand pays). K. K.
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Les fragments parlent effectivement surtout des intrigues des royalistes. Les faits mentionne´s concernent des e´ve´nements a` placer avant le renvoi de Fouche´ comme ministre de la Police, et avant la de´mission du ministe`re Talleyrand motive´e par les conditions du traite´ de ` cela s’ajoutent des allusions qui e´voquent les grands de´bats politiques de la Prepaix. A mie`re Restauration, notamment la question des biens nationaux et la lutte pour la liberte´ de la presse.
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Fragmens a` coordonner a
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( ) les premie`res mesures du gouvernement furent conformes a` ces principes. Louis 18 forma son conseil d’hommes qui sembloient solidaires des interets de la re´volution. il de´passa meˆme dans ses choix ce que les Constitutionnels mode´re´s pouvoient de´sirer, & sacrifia peut eˆtre trop les Sentimens de la nature, aux calculs de la politique, en appelant pre`s de lui le Duc d’Otrante1. ( ) Ne seroit-il pas possible, Monsieur, de diriger la de´fense de M. de la B. dans un sens qui, expliquant les sources du me´contentement qui a facilite´ le malheureux retour de Bonaparte, & verse´ sur nous un de´luge de maux, prouvaˆt en meˆme tems que ces sources sont taries, & que ce me´contentement ne peut plus renaıˆtre2 ? ( ) mais les Royalistes exage´re´s e´toient la` : ils sont revenus a` la charge avec leurs the´ories de se´ve´rite´ & de vengance, & les maux de la france sont plus grands que jamais3. a
1er avril 1816. E´tablissement du texte : Manuscrit : Œuvres manuscrites, vol. 7, BnF, NAF 14364, fos 102ro–104vo.
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Ce morceau parle des de´buts de la Seconde Restauration. La premie`re phrase pourrait se rapporter a` la proclamation de Cambrai (25 juin 1815), la seconde e´voque le ministe`re Talleyrand, en fonction entre le 9 juillet et le 25 septembre 1815, avec Talleyrand comme pre´sident du Conseil et ministre des Affaires e´trange`res ; Pasquier, ministre de l’Inte´rieur et de la Justice ; Gouvion Saint-Cyr, ministre de la Guerre ; Louis, ministre des Finances ; Jaucourt, ministre de la Marine et des Colonies. La troisie`me commente la nomination de Fouche´, re´gicide, au ministe`re de la Police. On connaıˆt le mot terrible de Chateaubriand, voyant avancer vers le roi Talleyrand, a` qui Fouche´ donnait le bras : «Le vice appuye´ sur le crime» (Nettement, Histoire de la Restauration, t. III, p. 109). La meˆme circonstance est e´voque´e quelques lignes plus bas, lorsque BC analyse la politique des ultras. Passage tire´ (du brouillon ?) de la lettre de BC a` Decazes pour de´fendre La Be´doye`re. Voir ci-dessus, p. 105. Houssaye, 1815, La seconde abdication, pp. 423–424, parle de la «Ne´me´sis royale». Voir ci-dessous, p. 240, n. 2.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
( ) Les Royalistes exage´re´s voyoient sans peine le fre`re de Louis 16 travailler avec l’un de ses juges, pourvu que le re´sultat de ce travail fut la perte de la liberte´1. ( ) Ils applaudirent donc a` la formation du Ministe`re apre`s le 8 juillet 1815, & s’applique`rent seulement a` le dominer, comme ils avoient domine´ l’ancien. ( ) Ils dicte`rent ces listes destine´es a` limiter le nombre des coupables, & apre`s lesquels une loi des suspects a mis tout le peuple francais en e´tat de pre´vention, ces listes sur lesquelles les Royalistes exage´re´s eux meˆmes ont ensuite refuse´ de prononcer, les de´clarant dresse´es au hazard, & ne portant aucun caracte`re de le´galite´ ou de justice qui put servir de baze a` un jugement2.
fo 102vo
( ) Le Ministe`re eut la faiblesse d’y consentir & le Duc d’Otrante celle de les signer3 : mais il arriva bientoˆt a` ce ministe`re ce qui arrive toujours a` ceux qui croyent de´sarmer une faction par des complaisances : ils l’enhardissent & ne la de´sarment pas. (
) la que meˆme apre`s les premiers succe`s de Napole´on, il e´toit possible de le repousser, & que ce sont les Royalistes exage´re´s qui ont entrave´ toutes les mesures administratives, & tous les moyens de de´fense militaire, afin d’amener le de´part du Roi, de´part qui a tout perdu, & qui troisie`me4,
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Fouche´. Voir ci-dessus, p. 233, n. 1. Les listes furent e´tablies par Fouche´, aide´ de Vitrolles, et corrige´es a` plusieurs reprises. Houssaye, 1815, La seconde abdication, p. 428–433. La «loi des suspects», officiellement la loi de suˆrete´ ge´ne´rale du 29 octobre 1815, permettait d’emprisonner sans jugement tout individu suspecte´ de comploter contre la famille royale ou contre la suˆrete´ de l’E´tat. Phrase qui re´sume la constellation politique. Le ministe`re Talleyrand e´tait plutoˆt libe´ral, et Fouche´ soutenait, soit par calcul, soit par conviction, une position constitutionnelle. Celle-ci se manifeste dans ses rapports, mais aussi dans son comportement. Il s’arrangeait pour laisser e´chapper des personnes comprises dans les ordonnances. Hoefer, dans la Nouvelle biographie universelle, dit que l’arrestation de La Be´doye`re lui causait du chagrin. Le mot auquel se rattache cette expression ordinale manque ici, comme dans deux autres entre´es, la suivante et une troisie`me, ci-dessous, p. 237, ligne 13. Mais le rapprochement qu’on peut faire avec le texte intitule´ Des royalistes exage´re´s et de leur influence actuelle en France (voir OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 366–375, et plus particulie`rement p. 368, ligne 4) nous permet de dire que le mot sous-entendu e´tait probablement «proposition».
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e´toit, sans exception aucune, la re´solution la plus de´sastreuse qu’on put adopter, dans les circonstances ou` se trouvoient alors la france et son Monarque. ( ) La premie`re, c’est qu’apre`s la restauration du Roi en 1814, il e´toit facile d’unir la france a` son Gouvernement, par les liens d’un attachement & d’une confiance re´ciproque, & que ce sont les Royalistes exage´re´s qui Seuls y ont mis obstacle. ( ) «Ceux la` qui ne conside`rent le Roi que comme un accident dans la Re´volution qui vient de se faire, ne lui obe´issent que lorsqu’il leur donne, & ne le conside´reront comme Roi que lorsqu’il voudra tonner, foudroyer les autres, & de´truire une paix publique, fonde´e sur l’union de tous...1» ( ) «Ambigu du 10 mars 1815. extrait d’une lettre particulie`re de Paris du 5 ... «Le Roi est rentre´ pour un petit nombre, suivant les Royalistes exclusifs. Il est remonte´ sur le troˆne, non pas en faveur de ceux qui l’y ont appele´, mais uniquement pour ceux qui sont rentre´s, e´tonne´s plutoˆt que ravis de revoir la france.»
fo 103ro
( ) «Ils traversent ses ordres, invalident ses instructions, & tout en criant, respect au Roi, que le re`gne du Roi vienne, ils donnent des ordres sous main & re´pandent des instructions clandestines ...» Ambigu du 20, lettre du 16 mars. «tous les inte´reˆts particuliers s’e´vanouissent, devant les grands inte´reˆts qui s’ouvrent. tous les Ministres vont changer2. ( ) les hommes ne veulent pas plus eˆtre meprise´s que de´pouille´s, & l’on ne re´duira jamais une classe riche & nombreuse a` supporter patiemment l’opprobre. les protestations qu’on place a` cote´ de l’insulte ne servent de rien, 18 ravis de ] ravis de 〈trois mots illis.〉 〈de´pouille´s〉 meprise´s 1
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22 vienne ] vienne〈nt〉
27 eˆtre meprise´s ] eˆtre
BC cite ici et dans le paragraphe suivant quelques phrases tire´es d’un article intitule´ «Extrait d’une lettre de Paris, du 5 mars 1815» publie´ dans le nume´ro du 10 mars 1815 de L’Ambigu, (t. 48, p. 472). Il s’en servira aussi dans une note des Me´moires sur les Cent-Jours. Voir OCBC, t. XIV, pp. 100–101 et p. 456. La premie`re phrase de ce fragment provient encore de l’article de L’Ambigu cite´ dans la note pre´ce´dente (ibid., p. 472). Elle se rapporte aux «royalistes exclusifs». La seconde citation est tire´e d’une «lettre particulie`re» date´e du 16 mars (L’Ambigu, 20 mars 1815, t. 48, p. 604).
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parce que cette classe voit avec raison, dans l’insulte, une preuve du peu de ve´rite´ des protestations. ( ) ; mais autour de lui retentissoient des cris de venLe Roi l’auroit geance, & circuloient des projets de renversement. L’on a pris ces projets pour l’intention secre`te du Roi, & de la` tous nos malheurs. le meˆme systeˆme se poursuit encore. Vous en avez la preuve, & dans les journaux, contre lesquels vous soutenez une lutte si fatigante & si peu e´gale, fait1
( ) Et dans les proclamations & les actes de ces Nobles, momentane´ment reveˆtus, ou meˆme quelquefois usurpateurs du pouvoir, & dans ces maximes, qui doivent affliger bien plus les amis du Roi que ses ennemis & qui servent de pre´texte aux e´trangers pour inonder, de´vaster, & depouiller notre territoire2.
fo 103vo
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( ) L’arrive´e d’un Prince pacifique, qui avoit sejourne´ longtems dans un pays qu’une Constitution libre a porte´ au plus haut point de prospe´rite´, de puissance & de gloire, & qui professoit des maximes de mode´ration & de douceur, remplit tous les esprits d’espe´rance.
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( ) J’en appelle a` votre jugement, Monsieur3. eˆtes vous rassure´ sur l’avenir ? trouvez-vous qu’une opinion se forme ? ne voyez vous pas un parti menac¸ant & un parti menace´, celui-la` arrogant, celui-ci fort, tous les deux me´contens ?
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( ) Quand ils annoncoient l’abolition de la le´gion d’honneur, le Roi dementoit ce bruit insidieux. Quand M. de Fitzjames prenoit un arreˆte´ re´volutionnaire, dont j’aurai occasion de parler ailleurs (v. dans la suite des notes ma lettre a` M. de Cazes) le Roi cassoit cet arreˆte´ par une ordonnance4.
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Ce passage et le suivant proviennent de la lettre de BC a` Decazes pour de´fendre La Be´doye`re (voir ci-dessus, p. 106.). BC a le´ge`rement remanie´ son texte. Ceci annonce un jugement se´ve`re sur les troubles royalistes (la Terreur blanche) qui ont secoue´ le midi de la France. Le gouvernement royal ne disposait pas d’une force arme´e pour les re´primer, et les gardes nationales, les seules forces militaires disponibles, professaient le meˆme esprit de vengeance. Nettement, Histoire de la Restauration, t. III, pp. 187–188. Passage probablement tire´ de la lettre de BC a` Decazes. Dans le second texte des «Fragments», il avait e´galement laisse´ subsister la formule de politesse. Si notre hypothe`se relative a` la source de ce morceau est exacte, nous avons ici un fragment des passages supprime´s par Ve´ron dans ses Me´moires. Revient partiellement dans le texte pour La Be´doye`re. Voir ci-dessus. p. 105.
Fragments a` coordonner
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( ) C’est inutile. les transfuges sont de´shonore´s, mais l’arme´e n’en est pas plus forte. les principes, c’est l’e´galite´ devant la loi, c’est la reponsabilite´ des pouvoirs, c’est la liberte´ de la croyance, c’est la publicite´ des pense´es, c’est la saintete´ des formes de la justice. ( ) Et en second lieu, les ve´ritables inte´reˆts de la re´volution, telle que la majorite´ l a voulue, ce sont les principes. il ne s’agit pas de garantir les profits de quelques uns, mais d’assurer les droits de tous. Tant qu’on ne s’occupera que du premier point, il y aura quelques individus de contens, mais jamais la totalite´ ne sera tranquille. ( ) La seconde, c’est qu’au moment de l’apparition de Bonaparte sur les cotes de la france, il e´toit facile de rallier toute la Nation autour du Gouvernement Royal, & que ce sont les Royalistes exage´re´s qui l’ont empeˆche´1.
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( ) Les exce`s de notre re´volution ont place´ ces hommes, que l’Europe de´signe d’un commun accord sous le nom de Royalistes exage´re´s, dans une position analogue a` celle des Jacobins, au commencement de cette re´volution2. ( ) Ceux ci n’ayant rien, pre´tendoient conque´rir ce qu’ils n’avoient pas, Les autres, ayant perdu ce qu’ils avoient aspirent a` reconque´rir ce qu’ils ont perdu. ( ) Je ne veux point nier qu’ils n’ayent a` se plaindre. Ils ont e´te´ de´pouille´s injustement, & s’ils promettoient a` la france de rester paisibles, un de´dommagement plus ou moins complet qui ne blesseroit personne seroit l’un [des] devoirs & des effets de la paix. fo 104ro
( ) mais ils veulent faire triompher par la violence des pre´tentions, qui, a` leur tour, sont injustes envers d’autres. Or les re´volutions sont des accidens physiques : il y a des calamite´s qu’on ne peut re´parer qu’indirectement, & 27–28 l’un [des] devoirs ] la source porte l’un devoir 1 2
Revient dans Des royalistes exage´re´s et de leur influence actuelle en France (voir OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 368). Voir Nettement, Histoire de la Restauration, t. III, p. 188.
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celui qui, pour s’indemniser de ses pertes personnelles, met en danger l’ordre social, de malheureux qu’il e´toit devient criminel. ( ) Le mal qu’on a cause´ de la sorte est incalculable. On a mis la moitie´ des proprie´taires de france en hostilite´ sourde avec le Gouvernement, manie`re sure de pre´parer a` un gouvernement quel qu’il soit, d’e´ternelles secousses. ( ) Les re´glemens relatifs aux feˆtes religieuses, re´glemens qui empie´toient sur le domaine de la loi, furent impose´s a` un Ministre qui ne les signa qu’avec re´pugnance1.
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( ) Les restrictions de la liberte´ de la Presse, qui, par une coincidence malheureuse, furent a` la fois la premie`re proposition du gouvernement, & la premie`re violation de la charte, ne prirent point naissance dans le ministe`re. ( ) Si l’un des ministres s’y attacha ensuite par vanite´ d’auteur, plusieurs de ses colle`gues & nomme´ment M. de Talleyrand & M. de Jaucourt les avoient hautement de´sapprouve´es2. ( ) Mais leur de´sapprobation meˆme de´montroit qu’une influence plus forte qu’eux l’avoit emporte´ sur leur opposition. Le public n’e´toit pas rassure´ par des e´pigrammes, quelques spirituelles qu’elles fussent ; & l’on auroit voulu pour le maintien de la Constitution un Ministe`re qui sut empeˆcher ce qu’il blamoit. ( ) Que tel Duc de cre´ation impe´riale conserve son titre, que tel nouveau riche jouı¨sse de ses richesses, c’est bien : mais il n’y a rien la` de national, rien qui donne a` une institution de la stabilite´ & de la force. or ce qu’on appelle a` pre´sent les inte´reˆts, ce sont les Duche´s & les fortunes re´centes. l’Aristo-
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BC e´voque probablement l’ordonnance du 7 juin 1814, signe´e par Beugnot, alors ministre de la Justice, sur la demande du comte d’Artois. L’ordonnance exige la suspension de tout travail le dimanche et les jours des feˆtes religieuses, la fermeture des cabarets, etc. contre les dispositions des lois encore en vigueur. Voir de Bertier de Sauvigny, La Restauration, p. 82. BC pense a` Montesquiou, ministre de l’Inte´rieur dans le cabinet nomme´ le 13 mai 1814, qui de´fendit le projet de loi. Talleyrand, charge´ des Affaires e´trange`res, et Jaucourt qui assurait l’inte´rim lorsque Talleyrand participait aux ne´gociations du Congre`s de Vienne, se sont prononce´s pour la liberte´ de la presse.
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cratie quand elle a peur voudroit ouvrir ses rangs pour y recevoir quelques transfuges, a` condition qu’ils feront cause commune avec elle & contre le peuple. fo 104vo
( ) V. Plusieurs Articles du Journal des de´bats de 1814 & de 1815. Je n’ai pas les plus violens de ce articles en ma possession, mais j’en prends un que je retrouve par hazard & je lis. «le Roi a statue´ a` l’e´gard des biens nationaux, tout ce qu’il pouvoit statuer. Il a de´clare´ irre´vocables les ventes qui en ont e´te´ faites : elles le sont. leur maintien est ne´cessaire a` la paix inte´rieure ... nous respectons sa parole sacre´e, mais ne demandez rien de plus. nulle puissance humaine ne sauroit le´gitimer ce qui est ille´gitime.» J. des D. 8bre 18141. que penser maintenant, quand on voit ces meˆmes journalistes se re´crier, depuis la re´volution du 20 mars, sur les craintes inspire´es aux acque´reurs de biens nationaux, & attribuer ces craintes aux re´volutionnaires, come les bruleurs de Chaˆteaux en 1789 pre´tendoient que les proprie´taires eux-meˆmes y mettoient le feu pour calomnier [le] peuple. J. des D. 9 8bre 18152. Dans d’autres articles, on disoit aux acque´reurs de biens nationaux, on ne vous proscrit pas, mais on vous me´prise. C’e´toit en ge´ne´ral la doctrine adopte´e contre tout ce qui avoit pris part a` la re´volution. Pour de certains hommes, e´crivoit on, rien n’est perdu, fors l’honneur3.
16 calomnier [le] peuple ] la source porte calomnier peuple
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3
BC utilise cet article de Mutin a` plusieurs reprises. Voir Me´moires sur les Cent-Jours, p. 98 et Carnet de notes, OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 457. La meˆme anecdote est cite´e dans un des entrefilets publie´s par BC dans le Journal des Arts le 14 septembre 1815. Voir ci-dessus, p. 141. La citation («sur les craintes inspire´es aux acque´reurs de biens nationaux») tire´e de l’article du Journal des De´bats (9 octobre 1815, pp. 2b–4a) ou` elle introduit l’accusation que ce sont les «propres manœuvres et machinations infernales» des re´publicains qui sont a` l’origine des troubles publics, prouve que BC glose ici cet article. Le journaliste anonyme attaque l’ouvrage Justification de la conduite et des opinions de M. Bory de Saint-Vincent, (Paris : Imbert, 1815). L’auteur, le naturaliste, ge´ographe et, pendant l’Empire, le militaire Jean-Baptiste-Genevie`ve-Marcellin Bory de Saint-Vincent (1778–1846) e´tait porte´ sur la liste de proscription pour avoir, «en pleine tribune» de´nonce´ Fouche´ (Houssaye, 1815, La seconde abdication, p. 432). Ou serait-ce pour avoir de´signe´, dans son rapport destine´ a` la Chambre des Repre´sentants, les machinations royalistes qui essayaient, apre`s Waterloo, d’imposer a` la France un retour a` l’Ancien Re´gime ? Voir le re´cit de ces circonstances, y compris les craintes des acque´reurs de biens nationaux, dans la brochure de Bory de Saint-Vincent, pp. 89–110. BC cite ici, comme dans le Carnet de notes (OCBC, t. XIV, p. 457), une phrase d’un article non identifie´ du Journal des De´bats du mois d’octobre 1815.
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( ) De nouveaux sacrifices lui furent insinue´s. L’on avoit obtenu de lui la confection des listes, en les pre´sentant comme une mesure purement comminatoire. On exigea ensuite que cette mesure fut exe´cute´e avec rigueur. Les Royalistes exage´re´s s’irrite`rent de ce que M. de Talleyrand ne partageoit pas leur furie, & de ce que le Duc d’Ortante montroit quelqu’indulgence a d’anciens amis1. ( ) Une propagande s’est organise´e en sens inverse de celle de 1793, non moins odieuse, mais plus habile, & cette propagande a, comme celle de 1793, pour etendarts quelques mots spe´cieux & pour armes les denonciations & la calomnie2.
2 De nouveaux ] 〈Le Ministe´re eut la foiblesse d’y consentir〉 De nouveaux
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` mettre en rapport avec la note sur les listes de proscription, comme il ressort de la A variante. Voir ci-dessus, p. 234. Le pronom «lui» se rapporte e´videmment au mot «ministe`re» de la phrase biffe´e. BC e´voque ici la politique dilatoire de Talleyrand qui pre´fe´rait ne pas trop acce´le´rer les punitions des coupables, tandis que Fouche´ re´dige, sur la demande des Allie´s, les listes de proscription, mais s’arrange pour laisser e´chapper a` temps des amis qui s’y trouvaient. Les royalistes exage´re´s e´taient impatients de voir les coupables punis. Voir Houssaye, 1815, La seconde abdication, pp. 423–433. En parlant de la «fureur carnassie`re» des royalistes, Houssaye dit : «La Ne´me´sis royale n’aurait plus son compte de victimes. Dans le monde de la noblesse, dans l’entourage des princes, jusque dans les appartements du roi, on de´clamait avec indignation contre ‘cette justice boiteuse’. Au ministe`re de la Police, aux Tuileries, arrivaient des brasse´es de de´nonciations anonymes et des conseils de re´pression. Les journaux, enfin, publiaient chaque jour des nouvelles tendancieuses, des notes perfides, des insinuations meurtie`res contre les hommes de l’empire et de la Re´volution.» (Houssaye, 1815, La seconde abdication, p. 424).
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[Article sur Adolphe] 24 juin 1816
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Introduction
La publication d’Adolphe a e´te´ annonce´e, a` Londres, dans le Morning Chronicle du 6 juin 1816. Benjamin Constant a note´ dans son journal intime, a` la date du 22 juin 1816 : «paragraphe de´solant sur Adolphe dans les journaux, que faire ?» Il a ajoute´, de`s le lendemain, «fait un de´menti dans les journaux». C’est ainsi que nous savons, avec une parfaite pre´cision, de quand date le petit texte qui paraıˆtra de`s le 24 juin dans le Morning Chronicle, et par lequel le romancier de´ment, en anglais, les allusions faites par divers journaux au fait qu’il aurait rapporte´ dans son re´cit des pe´ripe´ties et des de´tails relatifs a` des personnes re´elles. C’est la meˆme volonte´ de faire taire la rumeur qui est en train de se re´pandre qui de´terminera Benjamin Constant, un peu plus tard, a` re´diger la «pre´face a` la seconde e´dition» de son roman1. Nous reproduisons ici la lettre au Morning Chronicle – qui a de´ja` e´te´ cite´e en note dans le volume des journaux intimes2 – parce qu’elle a sa place dans la se´rie des e´crits que Constant a re´dige´s a` l’e´poque de son se´jour a` Londres et qu’elle a suscite´ des e´chos, en Angleterre meˆme, ou` elle a e´te´ re´sume´e par le Courrier de Londres du 25 juin3, et en France, ou` le Journal des De´bats l’a reproduite en partie le 304.
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Voir OCBC, Œuvres, t. III, pp. 99–102. Voir OCBC, Œuvres, t. VII, p. 279, n. 2. Signale´ par Courtney, Guide, D71. Signale´ par Courtney, Guide, D72. Voici le texte du Journal des De´bats (30 juin, p. 2a) : «On lit dans les journaux anglais du 25 de ce mois une lettre de M. Benjamin de Constant, par laquelle il se plaint de quelques journalistes, qui ont donne´ a` entendre que la courte Nouvelle d’Adolphe a contient des circonstances personnelles a` lui et a` des individus re´ellement existans. «J’aurois regarde´ comme une extravagance, dit-il, de me peindre moimeˆme ; et certainement, l’opinion que je donne du he´ros de cette anecdote auroit duˆ me mettre a` l’abri de ce soupc¸on ; car personne ne peut prendre plaisir a` se repre´senter comme coupable de vanite´, de foiblesse et d’ingratitude : mais l’accusation d’avoir peint d’autres personnes e[s]t beaucoup plus se´rieuse. Ni Ellenore, ni le pe`re d’Adolphe, ni le comte de E. [sic] n’ont aucune ressemblance avec aucune personne que j’aie jamais connue.» Dans une note accroche´e, au titre du roman, le journal donne les indications suivantes : 1 Vol. in–12o. prix : 3 fr. et 4 fr. par la Poste. Chez Treuttel et Würtz, rue de Bourbon no 17, a` Hambourg, meˆme Maison de commerce ; et chez le Normant.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
E´tablissement du texte Imprime´ : The Morning Chronicle, 24 juin 1816, p. 3e. Courtney, Guide, D70. Exemplaire utilise´ : Universitätsbibliothek Augsburg. P. D.
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To the Editor of The Morning Chronicle
Sir, Various papers have given the public to understand that the short novel of Adolphe contains circumstances personal to me and to individuals really existing. I think it my duty to disclaim any such unwarrantable interpretation. I should have thought it foolish in me to describe myself, and surely the very judgment I passed upon the hero of that anecdote, ought to have screened me from that suspicion ; for no one can take pleasure in representing himself as guilty of vanity, weakness, and ingratitude. But the accusation of having described any other person is much more serious. It would fix on my character a stain I never can submit to. Neither Ellenore, nor Adolphe’s father, nor the Count de P––. have any resemblance to any person I have ever known. Not only my friend, but my acquaintance are sacred to me. I am, Sir, sincerely, your humble obedient servant1. June 23, 1816 B. de Constant2. E´tablissement du texte : Imprime´ : The Morning Chronicle, 24 juin 1816, p. 3e. 1
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«Monsieur, Diffe´rents journaux ont laisse´ entendre que le court roman d’Adolphe contient des pe´ripe´ties s’appliquant a` moi-meˆme ou a` des personnes existant re´ellement. Je crois qu’il est de mon devoir de de´mentir une interpre´tation aussi peu fonde´e. J’aurais juge´ ridicule de me de´crire moi-meˆme et le jugement que je porte sur le he´ros de cette anecdote devrait m’avoir e´vite´ un soupc¸on de ce genre, car personne ne peut prendre plaisir a` se repre´senter comme coupable de vanite´, de faiblesse et d’ingratitude. Mais l’accusation d’avoir de´peint d’autres personnes quelles qu’elles soient, est beaucoup plus grave. Ceci jetterait sur mon caracte`re un opprobre auquel je ne veux pas me soumettre. Ni Elle´nore, ni le pe`re d’Adolphe, ni le comte de P*** n’ont aucune ressemblance avec aucune personne de ma connaissance. Non seulement mes amis, mais mes relations me sont sacre´s» (trad. d’apre`s J.-H. Bornecque, e´dit. Garnier). Cette protestation est suivie le jour meˆme, dans le Morning Chronicle, par ce commentaire (meˆme page, meˆme colonne, environ 75 lignes plus bas) : «M. Benjamin Constant’s ‘Adolphe’. – Although this work is published as an anecdote found amoung the papers of an unkwown personage, yet, as we before hinted, there can be no doubt but that the author has actually drawn a picture of his own feelings and sentiments : when therefore, the intimate acquaintance enjoyed by the writer with the celebrated Madame de Stae¨ l is remembered, the character of Elinore inspires redoubled interest and curiosity». [«Adolphe de M. Benjamin Constant – Bien que cet ouvrage soit publie´ comme une anecdote trouve´e dans les papiers d’un inconnu, il ne peut y avoir de doute, comme nous l’avons dit pre´ce´demment, que l’auteur a fait le portrait de ses propres sentiments et e´motions ; par conse´quent, a` partir du moment ou` l’on se souvient de l’intimite´ que l’auteur a connue avec la ce´le`bre Mme de Stae¨ l, le caracte`re d’Elle´nore inspire un inte´reˆt et une curiosite´ redouble´s»].
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[Vers] [1816]
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Introduction
Ce petit morceau de vers assez insignifiants et tre`s conventionnels n’est ni datable avec certitude ni a` inte´grer dans un contexte pre´cis. Il pourrait s’agir du fragment d’une pie`ce pour un album, comme nous en connaissons plusieurs de la plume de Constant. Le sujet est tellement ge´ne´ral qu’il ne permet aucune conjecture. Comme le remarque Hofmann, la note tre`s abre´ge´e au verso «sur les avantages et les inconve´nients d’une installation a` Paris» permet la datation approximative que nous adoptons : 1816. E´tablissement du texte Manuscrit : BnF, NAF 18822, fo 185ro. [Vers]. 1 fo, 1 p. a., 110 × 90 mm, avec, au verso, une note sur l’installation a` Paris. Hofmann, Catalogue, III/44. K. K.
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[Vers]
a` Lorsque battu par l’orage On a souffert mille maux, Et qu’a` la fureur des flots On se de´robe a` la nage, L’esprit frappe´ du naufrage On invoque le repos, Et couche´ sur le rivage On fuit les pe´rils nouveaux. Vous vous nommez mon amie ! Soit dit comme il vous plaira. vous [...]
E´tablissement du texte : Manuscrit : BnF, NAF 18822, fo 185.
13 vous ] 〈Le ciel〉 vous
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[Fragment d’un texte sur la contre-re´volution] [1815 ? 1816 ?]
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Introduction
Le fragment d’un texte sur la contre-re´volution, reste d’un article ou d’une e´tude projete´s, reprend un sujet dont Constant parle a` plusieurs reprises dans ses travaux pour les Me´moires sur les Cent-Jours, sans jamais le de´velopper. Ce qui caracte´rise ce fragment, c’est la verve pole´mique, la volonte´ d’attaquer la doctrine politique des royalistes qu’il juge dangereuse et re´actionnaire, nuisible au renouveau politique de la France. Qui est vise´ ? Nous ne le savons pas. La brie`vete´ du fragment ne permet pas de risquer des hypothe`ses. Les vues de Constant expose´es ici s’inte`grent dans un cadre ide´ologique qui semble bien eˆtre celui de la Seconde Restauration caracte´rise´e par un profond malaise politique ou` s’affrontent les partis des diffe´rents camps des ultras et des amis de la liberte´. Ce qui vient d’eˆtre e´voque´ ne permet pourtant pas une datation pre´cise du fragment. On pourrait penser qu’il se place vers le mois de septembre ou octobre 1815, juste avant le de´part de Constant pour l’Angleterre. Une autre possibilite´ serait de l’inte´grer plus e´troitement dans les travaux pour les Me´moires sur les Cent-Jours, qui inspirent a` Constant le plan d’un ouvrage sur les impacts ide´ologiques de la politique des royalistes. Nous penchons plutoˆt pour cette deuxie`me hypothe`se sans posse´der de preuve positive. Constatons que ce fragment est une copie presque sans corrections d’un texte de´ja` assez e´labore´, mais probablement pas encore acheve´. E´tablissement du texte Manuscrit : BnF, NAF 18822, fo 263ro. 1 fo, 350 × 220 mm, 1 p. a., reste d’un manuscrit plus e´labore´. Hofmann, Catalogue, III/25. K. K.
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[Fragment d’un texte sur la contre-re´volution]
fo 263ro
La question qui, sous diverses formes, agite la France depuis tant d’anne´es, peut eˆtre re´duite aujourd’hui a` des termes fort simples. Il s’agit de savoir si l’on rame`nera la france a` un re´gime pareil dans ses re´sultats, bien que diffe´rent peut eˆtre dans son organisation exte´rieure, a` celui qui existoit avant 1789, ou si le re´gime que les e´ve´nemens ont introduit depuis cette e´poque sera maintenu. Je me sers a` dessein du mot d’e´ve´nemens, & non d’amour de la liberte´ ou de volonte´ nationale, parce que je ne veux rien pre´juger. Je dis donc qu’il s’agit de la contre re´volution & de la re´volution, & que tous les partis qui existent parmi nous sont de fait grouppe´s, meˆme quand ils le nient, autour de l’un de ces deux e´tendarts. Je me propose de rechercher quels sont ces partis, quels sont leurs interets, quels sont leurs moyens, & quel peut eˆtre le re´sultat de leurs luttes. La manie`re dont j’ai pose´ la question me conduit d’abord a` une division premie`re & fondamentale. Puisqu’il s’agit de la contrere´volution & de la re´volution, deux partis principaux doivent exister, l’un qui de´sire ce que la contre-re´volution retablirait, sous un nom quelconque, l’autre qui est attache´ a` ce que la revolution a produit. Mais aucun de ces partis n’est homoge`ne dans ses e´le´mens. chacun des deux est subdivise´ en plusieurs fractions, qui ne suivent pas la meˆme route & ne sont point d’accord sur le but. Les Contrere´volutionnaires se separent en trois portions dont les deux premie`res s’entendent peut-eˆtre, bien qu’elles ne parlent point le meˆme langage, & dont la troisie`me fait bande a` part, se croyant la plus adroite parce qu’elle est la plus ruse´e. La premie`re de ces fractions du parti contrere´volution[n]aire [...]1 E´tablissement du texte : Manuscrit : BnF, NAF 18822, fo 263ro. 3 simples ] dans la marge, on trouve encore une note au crayon, peut-eˆtre d’une autre main, illisible 1
Le texte s’arreˆte la`.
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[Fragment d’un ouvrage historique] [1815 ou 1816]
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Introduction
Les quelques lignes que nous reproduisons ici sont un te´moignage pre´cieux relatif a` un projet de livre ou de brochure sur l’histoire de la France entre 1789 et la Restauration dont nous ne savons strictement rien de plus. Aucune page de cet ouvrage n’a pu eˆtre de´couverte jusqu’a` pre´sent dans les papiers de Constant, de sorte que nous ne pouvons pre´ciser ce qu’aurait donne´ le texte dont nous n’avons que cette suite d’ide´es mutile´e. La petite feuille, reste d’une page qui contenait plus de texte et qui en pre´suppose au moins une autre contenant l’esquisse d’un premier chapitre, est pour nous surtout le te´moignage d’un besoin impe´ratif chez Constant de de´finir, apre`s la catastrophe des Cent-Jours, sa position politique dans le contexte de la Restauration victorieuse. La date que nous proposons, 1815 ou 1816, est purement hypothe´tique. Elle repose sur le fait que les Me´moires sur les Cent-Jours poursuivent, entre autres buts, un objectif comparable a` celui dont nous venons d’e´voquer les lignes de force. E´tablissement du texte Manuscrit : BCU, Co 4702/11, 1 fo, 1 p. a., 110 × 90 mm, reste d’une page plus grande. Hofmann, Catalogue, III/31. K. K.
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[Fragment d’un ouvrage historique]
Chapitre 2. des Causes de la Re´volution de 1789. 5
Tableau du gouvernement francois jusqu’a cette e´poque. Arbitraire le principe essentiel de ce gouvernement. Cet arbitraire adouci pour les choses supe´rieures par la puissance de l’[...]
E´tablissement du texte : Manuscrit : BCU, Co 4702/11.
Esquisse d’une histoire de la Re´publique franc¸aise [apre`s le 5 septembre 1816]
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Introduction
Le projet d’une analyse comparative de deux e´poques particulie`rement difficiles de l’histoire re´cente de la France, a` savoir les troubles du Directoire et de la Terreur d’une part, la Terreur blanche de la Seconde Restauration de l’autre, s’impose a` Constant au moment ou` il s’interroge sur son propre sort et sur le roˆle a` jouer dans un pays ou` il peut vivre, certes, mais ou` il sent qu’il n’est pas a` son aise. Les e´ve´nements auxquels il fait allusion dans ce texte permettent de le dater : l’assassinat du mare´chal Brune a` Avignon, le 2 aouˆt 1815, celui du ge´ne´ral Ramel a` Toulouse au moment ou` celui-ci intervenait pour prote´ger des bonapartistes, le soule`vement de la population contre les bonapartistes a` Marseille, le massacre des protestants a` Nıˆmes, la dissolution de la Chambre introuvable par Louis XVIII, le 5 septembre 1816, e´voquent une anne´e pendant laquelle les ultras ont cru pouvoir profiter de la faiblesse du ministe`re Talleyrand–Fouche´ pour lutter contre la Charte et pour le re´tablissement de l’Ancien Re´gime. Tentative qui a e´choue´ finalement, parce que les re´sultats des e´lections de 1817, ou` Constant a tente´ de se faire e´lire de´pute´ a` la Chambre, ont permis a` Louis XVIII de nommer un ministe`re plus libe´ral. Les ide´es de´veloppe´es dans cette esquisse ne sont pas tout a` fait neuves chez Constant. On en trouve des e´chos manifestes dans les re´flexions qu’il publie en septembre 1815 lorsqu’il re´dige le prospectus pour le Journal des Arts. Ce qui est neuf ici, c’est la tentative d’un discours the´orique sur des e´ve´nements de l’histoire, e´labore´ dans une pre´sentation rigoureuse des faits selon un sche´ma explicatif qu’on peut appeler structuraliste. La comparaison de deux mouvements qui ont poursuivi des buts nettement contraires, de´montre une curieuse similitude des moyens employe´s, ce qui poussera Constant a` parler dans un autre contexte des «jacobins royalistes». L’ouvrage ou l’article projete´ a-t-il e´te´ re´dige´ ? Nous ne le savons pas. Mais nous ne pouvons pas exclure l’existence d’un ouvrage plus e´labore´ sur ce sujet. Constant dit lui-meˆme, dans une note a` De la doctrine politique, qu’il avait «re´uni dans un autre ouvrage [donc un ouvrage qui n’est pas identique a` la brochure cite´e] tous les faits relatifs a` cette partie de notre re´volution1.» Cette dernie`re expression de´signe la Seconde Restauration jusqu’au 5 septembre 1816. Le texte, s’il a existe´, est probablement perdu. 1
Voir ci-dessous, p. 315, n. a.
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
Ou faut-il l’identifier avec les fragments d’une re´ponse a` De la monarchie selon la charte de Chateaubriand1 ? Ces questions qui restent sans re´ponse nous font comprendre aussi que la datation propose´e par E´tienne Hofmann est fort hypothe´tique, mais pas du tout improbable. Nous l’acceptons a` cause des recoupements de cette esquisse avec d’autres e´crits de la meˆme e´poque. Les re´flexions historiques et de the´orie constitutionnelle esquisse´es dans l’e´bauche qu’on va lire appartiennent effectivement, vers cette date, a` l’arsenal argumentatif de Constant, et elles seront expose´es plus tard dans d’autres circonstances, quand celles-ci le ne´cessiteront. On les retrouve, parfois litte´ralement, dans le compte rendu de l’ouvrage de Montlosier, dans les Me´moires sur les Cent-Jours qu’il semble me´diter de´ja` et auxquels il travaillera pendant son se´jour en Angleterre ou nettement plus tard, mais dans une situation politique qui rappelle bien les anciens de´bats de 1816, dans un plan pour trois articles publie´s aux mois de fe´vrier et juillet 1830, dans la Revue de Paris, sous le titre «Souvenirs historiques a` l’occasion de l’ouvrage de M. Bignon». Ce plan pre´sente des analogies frappantes avec l’esquisse de 1816, de sorte qu’on peut penser que Constant a eu recours a` ses anciennes notes pour le re´diger2. Disons encore que la disposition du texte sur la feuille nous fait comprendre qu’il s’agit d’un e´crit ou` l’on peut distinguer trois parties : la partie principale, a` laquelle venait s’ajouter un premier morceau, la note sur la le´gitimite´ ; a` cela, Constant a joint encore une dernie`re phrase sur la de´che´ance du Directoire et de la Monarchie. La place de´finitive des deux rajouts ne peut eˆtre pre´cise´e. E´tablissement du texte Manuscrit : BnF, NAF 18822, fo 264ro. Esquisse d’une histoire de la Re´publique franc¸aise. 1 fo, 1 p. a., 350 × 230 mm, ste´nographie d’une œuvre projete´e, mais probablement pas re´dige´e. Une partie du texte est e´crite en longueur sur la marge gauche. Le verso est blanc. Date propose´e : apre`s le 5 septembre 1816. Hofmann, Catalogue, III/26. K. K. 1 2
Voir ci-dessous, p. 295. Pour Montlosier, voir ci-dessus, p. 165. Le plan pour un ouvrage politique est encore ine´dit (NAF 18822, fo 85). Hofmann, Catalogue, IV/328, date cette page de 1830 et y reconnaıˆt une des feuilles avec des notes pre´paratoires pour les articles sur l’ouvrage de Bignon.
(VTXLVVHG¶XQHKLVWRLUHGHOD5pSXEOLTXHIUDQoDLVH'pWDLOGHODQRWHVWpQRJUDSKLHp%LEOLRWKqTXHQDWLRQDOHGH)UDQFH3DULV 1$)IRUR
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Textes re´dige´s pendant l’exil en Belgique et en Angleterre
Esquisse d’une histoire de la Republique francaise
En 1789, la france vouloit arriver a une liberte´ mode´re´e par une monarchie Constitutionnelle. en 1814 − apr. l’e´t. de la const. de 1791 les partis. de l’anc. re´g. excit. par des decl. indisc. par des cpl. coup. par des ne´g. trop peu de´g. av. l’e´tr. la de´fiance & enfin l’indign. des amis de la lib. des homes les uns de mauv. foi les autres fanat. prof. de cette dispos. ge´n. le trone fut detr. & le gouvt Rep. dt la fce ne vlt pas lui fut imp. En 1815, l appr. de Bon. en fr. & son regne de 3 mois fournir. aux Roy. enn. de la Ch. des pre´t. du meˆme gre q cx qu’avt fourni aux Rep. en 1791 & 1792 les manœuvres des partis de l’anc. Re´g. Come cx ci avt pre´t. que le tr. cspir. ctre la nat. & qu’il fall. renvs. le trone, les autr. pr. que la Nat. avt consp. ctre le trone & qu il fall. ench. la Nat. la le´git. devt le mot de rall. de 1815 come la souvte du pple avt ete le mot de rall. de 1792. Toutes les fs qu on impse a un pple ce qu’il ne vt pas les moy. rigour. devint neces. pr rendre la fce demagogique il fallt lui fre viol. la viol. entr. la resist. la resist. excit. la furr de la la terreur de 1793. en 1815 Il en ft de meˆme. Malgre´ les troubles de cette ep. la masse de la Nat. ne vlt pas pl. le desp. au nom de la le´g. qlle n’avt vlu la demag. au nom ¯ de la les loix d’except les de la souvte du peuple. il fallut la forcer a se soum. rs c pre´vot, en un mot ce qu’on a nome´ la terreur de 1815. E´tablissement du texte : Manuscrit : BnF, NAF 18822, fo 264ro. 1 d’une ] re´crit sur de l’ 2 en 1789 ] 〈Lorsque〉 ce mot, le premier du texte, tout seul dans la premie`re ligne apre`s le titre ; BC recommence dans la ligne en dessous En 1789 8 le trone ] 〈le 10 Aout〉 le trone detr. ] 〈rvse´〉 detr. ce dernier mot dans l’interl. 9 lui ] dans l’interl. 10 Roy. ] ajoute´ dans la marge gauche 11 enn. de ] enn. du 〈gouvt〉 de corr. incomple`te ; BC a oublie´ de biffer le mot du 12 en 1791 & 1792 ] ces mots dans l’interl. 13 Come ] 〈Come en〉 Come corr. imm. que le tr. ] 〈qu’il〉 que le tr. 14 pr. que la Nat. avt ] pr. 〈qu’une part. de la〉 que la ces deux mots dans l’interl. Nat. avt qu il ] part. re´crit sur que l〈a〉 la lettre e transforme´e en i corr. imm. 18 rigour. ] 〈viol.〉 rigour. ce dernier mot dans l’interl. 19 demagogique ] 〈re´p.〉 demagogique ce dernier mot dans l’interl. 21 troubles ] lecture incertaine ; le mot pourrait commencer par un I 24 pre´vot ] pre´vot 〈& tout l’asser〉
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En 1789, la France voulait arriver a` une liberte´ mode´re´e par une monarchie constitutionnelle. En 1814 − Apre`s l’e´tablissement de la constitution de 1791 les partis de l’ancien re´gime excitaient par des de´clarations indiscre`tes, par des complots coupables, par des ne´gociations trop peu de´g[...] avec l’e´tranger, la de´fiance et enfin l’indignation des amis de la liberte´. Des hommes, les uns de mauvaise foi, les autres fanatiques, profitaient de cette disposition ge´ne´rale. Le troˆne fut de´truit et le gouvernement re´publicain, dont la France ne voulait pas, lui fut impose´. En 1815, l’apparition de Bonaparte en France et son re`gne de 3 mois fournirent aux Royalistes, ennemis de la Charte, des pre´textes du meˆme genre que ceux qu’avaient fourni aux Re´publicains en 1791 et 1792 les manœuvres des partis de l’ancien Re´gime. Comme ceux-ci avaient pre´tendu que le troˆne conspirait contre la nation et qu’il fallait renverser le troˆne, les autres pre´tendirent que la nation avait conspire´ contre le troˆne et qu’il fallait enchaıˆner la nation. La le´gitimite´ devint le mot de ralliement de 1815 comme la souverainete´ du peuple avait e´te´ le mot de ralliement de 1792. Toutes les fois qu’on impose a` un peuple ce qu’il ne veut pas, les moyens rigoureux deviennent ne´cessaires. Pour rendre la France de´magogique, il fallut lui faire violence. La violence entraıˆna la re´sistance. La re´sistance excita la fureur. De la` la Terreur de 1793. En 1815, il en fut de meˆme. Malgre´ les troubles de cette e´poque, la masse de la nation ne voulut pas plus le despotisme au nom de la le´gitimite´ qu’elle n’avait voulu la de´magogie au nom de la souverainete´ du peuple. Il fallut la forcer a` se soumettre. De la` les lois d’exception, les cours pre´voˆtales, en un mot ce qu’on a nomme´ la terreur de 1815.
E´tablissement du texte : Manuscrit : BnF, NAF 18822, fo 264ro.
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Toutefs. soys just. entre 1793 & 1815, la cprsn n’est pas exte. les calam. de 1793 funt pl. horr. ms les homes de 1815 furt pl. cp. les cl. cul. ont ms d’exc. q les cl. ign. les crim. de 1793 furt comis qd les enn. de la fce ett a Vdun. ceux ¯ 1815 eurt lieu en pleine px. ss qu’auc. dgr. les motiv. Il y a eu ms de sg de verse´ ss dte mais l’ass. de Br & de R & Nime & Mars. & Toul. prvt q l’on ctt ¯ sur la rte & q ce n’est null. par comp. qu’on s’est arreˆte´. ¯ t La terr. de 1793 s’etd tjrs menaca bient. qq. de ses aut. Ils se divise`r : & en ne pst qu’a leur int. ils svt la fce. le 9 Therm. bris. les Ech. en 1815, la terr. se tourna aussi ctre des homes qui l’avt aupat tole´re´e. Ils songe`r. a` leur fur. & de nv. la fce dut son sal. a l’ex. de q q chefs. le 5 7bre mit ¯ ¯ un terme aux mx qui pest sur elle. or s Apr. le 9 Th une cstit Rep m demag. q la pre´ce´d. ramena le calme. apre`s ¯ le 5 7bre l’aurore d’une Monarch. temp. brilla sur l’hor. Ne´anm. aux re´p. un gd obst. s’oppose a ce q la cfiance put renaitre. qquns ¯ des hommes qui cpst le Dr en 1795 avt her. des fctx gdes de 1793. come q t q’uns de cx qui form le Ministere apr. le 5 7bre rappel. par leurs noms les¯ ¯ vex. de 1815. Not. q en 2 ch. la leg. & la souvte du pple ont leur cote´ vrai & leur cote´ fx. ¯ les av. de la leg. st tre`s re´els si l’on ent. par leg. la succes. reg. & pais. qui ecarte les tr. de l’elect d’un chef. & la nv des cstit. ms la leg. devt abs si on vt en tir. la cs. q le ppl R. devt se stte a Neron qd il brul. R. ou a ch IX qd il ordonn. la St By. de meˆme, la souv. du pple est incont. si l’on se borne a dire
1 Toutefs. soys just. ] Toutefs. ce mot ajoute´ dans l’espace marquant le de´but d’un nouveau paragraphe 〈Ne〉 soys 〈pt inextes〉 just. 3 crim. ] 〈ho〉 crim. corr. imme´d. comis qd ] comis 〈 aupre`s d’un ennemi q au m〉 qd corr. imm. 4 lieu en ] lieu 〈qd la〉 en corr. imm. 5 mais ] 〈cpdt〉 mais ce derier mot dans l’interl. prvt q ] prvt 〈q l’int〉 q corr. imm. 8 bris. les Ech. ] ¯ illis. ¯ 10 Ils ¯ songe`r. ] 〈Ils se prouvt (?)〉 Ils lecture incertaine du dernier mot 9 a[...] ] mot songe`r. & de nv. ] ces mots dans l’interl. 13 temp. ] 〈tepe´e〉 temp. lecture incertaine 14 Ne´anm. aux ] Ne´anm. 〈une gde diffic. circst.〉 aux lecture incertaine de ce dernier mot qquns des hommes ] qquns ajoute´ dans l’interl. les hommes sans correction de les en des 15 1795 ] le chiffre 7 re´crit sur 8 come ] ce mot dans l’interl.
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Toutefois, soyons justes. Entre 1793 et 1815, la comparaison n’est pas exacte. Les calamite´s de 1793 furent plus horribles, mais les hommes de 1815 furent plus coupables. Les classes cultive´es ont moins d’excuses que les classes ignorantes. Les crimes de 1793 furent commis quand les ennemis de la France e´taient a` Verdun. Ceux de 1815 eurent lieu en pleine paix, sans qu’aucun danger les motivaˆt. Il y a eu moins de sang verse´ sans doute, mais l’assassinat de Brune et de Ramel, et Nıˆmes, et Marseille et Toulouse prouvent que l’on comptait sur la royaute´ et que ce n’est nullement par compassion qu’on s’est arreˆte´. La Terreur de 1793 s’e´tendant toujours, menac¸a bientoˆt quelques-uns de ses auteurs. Ils se divise`rent : et en ne pensant qu’a` leur inte´reˆt, ils sauve`rent la France. Le 9 Thermidor brisa les e´chafauds. En 1815, la terreur se tourna aussi contre des hommes qui l’avaient auparavant tole´re´e. Ils songe`rent a` leur futur et de nouveau la France dut son salut a` l’exclusion de quelques chefs. Le 5 septembre mit un terme aux maux qui pesaient sur elle1. Apre`s le 9 Thermidor une constitution re´publicaine moins de´magogique que la pre´ce´dente ramena le calme. Apre`s le 5 septembre l’aurore d’une monarchie tempe´re´e brilla sur l’horizon. Ne´anmoins aux re´publicains un grand obstacle s’opposa a` ce que la confiance puˆt renaıˆtre. Quelques-uns des hommes qui composaient le Directoire en 1795, avaient he´rite´ des factieux girondins de 17932. Comme quelques-uns de ceux qui forment le Ministe`re apre`s le 5 septembre rappellent par leurs noms les vexations de 18153. Notez qu’en deux choses, la le´gitimite´ et la souverainete´ du peuple ont leur coˆte´ vrai et leur coˆte´ faux. Les avantages de la le´gitimite´ sont tre`s re´els si l’on entend par le´gitimite´ la succession re´gulie`re et paisible qui e´carte les troubles de l’e´lection d’un chef et la [...] des constitutions. Mais la le´gitimite´ devient absurde si on veut en tirer la conse´quence que le peuple romain devait se soumettre a` Ne´ron, quand il bruˆla Rome ou a` Charles IX quand il ordonna la Saint Barthe´lemy4. De meˆme, la souverainte´ du peuple est in1
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Allusion a` l’ordonnance du 5 septembre 1816 qui de´cide la dissolution de la Chambre introuvable. Les e´lections qui se de´roulent entre le 25 septembre et le 4 octobre apporteront une majorite´ confortable aux constitutionnels. Allusion peut-eˆtre a` Merlin-Douai, ministre de la Justice en 1795, et en 1793 re´dacteur de la loi des suspects. On peut exclure que BC veuille de´signer par ces mots Richelieu, le me´diateur entre le passe´ et l’avenir, comme le dit Mathieu Mole´. On peut exclure probablement aussi les ministres qui avaient de´ja` une carrie`re sous l’Empire. Resterait Charles-Henri Dambray (1760–1829), ministre de la Justice. Le vicomte e´tait sous la Restauration un de´fenseur convaincu de la re´action nobiliaire. Le massacre des protestants dans la nuit du 24 aouˆt 1572, ordonne´ a` l’instigation de Catherine de Me´dicis et les Guise par Charles IX.
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q les gouvs exist pr les gouvs & q les lx doivt etre csties par ceux qui y obeiss. ¯ la ste du pple est une sott. & incst. si on vt q le pple l’excerce par ms lui-meˆme & q chaq fr. chaq. gr. chaq attr. condt pr un or. en st l’organe. ¯ le desv. de leur pos. les troub & par une err. ass. nat. ils vlt y remed. non pas en reparant le passe´ mais en le def. le Dire dext au nom de la Rep. le Mon. au nom de la le´git.
1 q les ] q les 〈lx doivt〉 y ] ce mot dans l’interl. sup. 3 or. ] or. 〈fr.〉 4–5 le desv. ... en le de´f. ] 〈frappe eux meˆmes du〉 le ce dernier mot dans l’interl. sup. desv. de 〈cette〉 leur ce mot dans l’interl. sup. pos. les troub ces deux dern. mots dans l’interl. sup. 〈ils agiss. & se trpt sur les ress. qu’ils qui leur rest. Ils agissnt agir〉 & par une err. ass. nat. ils 〈croyt en sortir〉 vlt ce dernier mot dans l’interl. sup. y remed. 〈car en deft〉 non pas en reparant ces trois derniers mots dans l’interl. sup. le passe´ mais en le def. le passage contient plusieurs corr. imm. et successives
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contestable, si l’on se borne a dire que les gouvernements existent pour les gouverne´s et que les lois doivent eˆtre consenties par ceux qui y obe´issent. Mais la souverainete´ du peuple est une sottise et inconstitutionnelle si on veut que le peuple l’exerce par lui-meˆme et que chaque fraction, chaque groupe, chaque attroupement conduit par un orateur en soit l’organe1. Le de´savantage de leur position les trouble et par une erreur assez naturelle ils veulent y reme´dier non pas en re´parant le passe´ mais en le de´fendant. Le Directoire de´chut au nom de la Re´publique, le monarque au nom de la le´gitimite´.
6 re´daction pre´ce´dente Frappe´s eux-meˆmes du de´savantage de cette position ils agissent et se trompent toujours sur les ressources 〈qu’ils〉 qui leur restent. 〈Ils agissent agir〉 Et par une erreur assez naturelle ils croyent en sortir. car en de´fendant le passe´ ...
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La lecture des mots «sottise» et «inconstitutionnelle» est conjecturale.
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E´crits re´dige´s entre septembre et de´cembre 1816
Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte Plan ou suite des ide´es pour De la doctrine politique et De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France
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Introduction
L’ordonnance du 5 septembre 1816 de´cidant la dissolution de la Chambre introuvable, domine´e par les royalistes, et des e´lections qui auront lieu entre le 25 septembre et le 4 octobre 1816, a provoque´ des re´actions politiques tre`s divergeantes. D’une part, le parti des amis de la liberte´ la salue comme la libe´ration d’une oppression, comme une nouvelle aurore, tandis que d’autres, parmi lesquels Chateaubriand, y voient un acte inconstitutionnel. Cette dernie`re ide´e se trouve exprime´e dans le fameux «Post-scriptum» a` De la Monarchie selon la Charte, ce qui lui valut la cole`re de Decazes1, et encore dans le discours devant la Chambre des Pairs du 23 novembre 1816, publie´ peu apre`s sous la forme d’une brochure. Constant se propose de re´pondre au traite´ constitutionnel de Chateaubriand, sans doute dans le but d’ouvrir une discussion sur cette the´orie. La re´ponse prendra un ton plus pole´mique encore en raison du discours du vicomte devant la Chambre des Pairs, la Proposition faite a` la Chambre des Pairs, prononce´e le 23 novembre 1816 devant la chambre haute. Le texte s’e´largit et prend peut-eˆtre des contours un peu vagues. Alors qu’il est de´ja` imprime´, Constant en arreˆte la publication et refont son ouvrage qui sortira dans les derniers jours du mois de de´cembre. La datation des sources connues peut eˆtre reconstitue´e a` l’aide de quelques indices. La re´pe´tition d’une me´taphore employe´e dans ce texte et dans la note du 25 septembre 1816 du Journal intime, ainsi que les citations tire´es de la brochure de Chateaubriand Proposition faite a` la Chambre des Pairs ... dans la se´ance du 23 novembre dernier, nous permettent de dater ce manuscrit. Constant en commence la re´daction vers la fin du mois de septembre, apre`s la parution de De la Monarchie selon la Charte (vers ou peu apre`s le 10 septembre ; il a rec¸u l’ouvrage le 24 a` Bruxelles2), et il y travaille encore a` la fin du mois de novembre 1816, inte´grant dans un but pole´mique des citations du discours de Chateaubriand devant la chambre des Pairs. C’est a` cette e´poque que commence l’impression du texte. Constant avait de´ja` rec¸u les e´preuves de son e´diteur, lorsqu’il suspend 1 2
Voir Chateaubriand, Grands e´crits politiques, 1993, t. II, pp. 313–315. Voir le J.I. a` cette date, OCBC, Œuvres, t. VII, p. 288, et note 4 ou` il faut corriger la date de parution du livre : vers le 10 septembre.
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E´crits entre septembre et de´cembre 1816
brusquement la publication. La raison de cette suspension nous e´chappe. La de´cision de Constant entraıˆnera la re´daction d’un nouveau texte, qui sera acheve´ en un temps record et publie´ avant la fin de l’anne´e sous le titre De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France. Nous pouvons reconstituer le travail de composition a` cette dernie`re e´tape de l’ouvrage graˆce a` une suite des ide´es1. La brochure de Constant connaıˆtra deux e´ditions qui se suivent imme´diatement. Nous connaissons deux e´tats de la premie`re mouture de l’ouvrage. Le premier texte consiste en un morceau de sept pages conse´cutives dans lesquelles Constant s’efforce de re´futer un des axiomes politiques de Chateaubriand, a` savoir que la de´mocratie essaye d’acque´rir le monopole du pouvoir. Cette ide´e se trouve exprime´e dans les derniers chapitres de l’ouvrage. Constant oppose a` cette ide´e sa conception d’une e´galite´ garantie entre les diffe´rentes tendances d’une socie´te´ moderne et il pense que c’est plutoˆt l’aristocratie qui de´ploie une puissance agressive contre le troˆne, puissance neutre, et contre le peuple e´mancipe´ par l’histoire. La disgression historique qui suit est, en de´pit de l’ironie de Constant, un passage plutoˆt superflu. Presque rien de ces pages ne se retrouvera dans la seconde re´daction. La seconde re´daction de l’ouvrage, plus longue que le premier fragment et, en de´pit du morcellement des morceaux, un texte peut-eˆtre plus structure´ que le premier, laisse reconnaıˆtre un ouvrage divise´ en 8 chapitres, dont nous connaissons des fragments des chapitres 2, 3, 5 a` 7, et 8. Celui-ci est sans doute le dernier, en de´pit de la longueur pre´sume´e, parce que sa premie`re phrase annonce que le texte approche de sa fin. La nouvelle version se distingue de la premie`re aussi par le fait qu’elle re´fute ouvertement le discours de Chateaubriand du 23 novembre devant la Chambre des Pairs. Ce discours confirme Constant dans ses analyses pre´ce´dentes, ce qui renforce sans doute le ton pole´mique de sa re´ponse. Le but de l’ouvrage que nous entrevoyons dans ces pages est de re´futer les tendances re´actionnaires d’un traite´ politique qui pre´tend expliquer le vrai sens de la Charte ; mais en meˆme temps Constant s’efforce de montrer ce qu’il appelle les «ve´ritables moyens de conciliation2». La brochure s’adresse directement aux de´positaires du pouvoir, nous dirions peut-eˆtre a` la caste des hommes politiques, et les invite a` ne pas se laisser tromper par les belles paroles d’un parti qui affichait autrefois un royalisme radical, et qui soutient maintenant une adhe´rence entie`re a` la Charte. La nation est «reste´e muette», non pas «par aversion pour les principes, mais par de´fiance des hommes3». Si le gou1 2 3
Voir ci-dessous, pp. 309–310. Voir ci-dessous, p. 305. Voir ci-dessous, pp. 306 et 327.
Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte – Introduction
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vernement ne tient pas compte de cette particularite´ du pouvoir politique, il risque de se perdre. Le texte avait pris de cette manie`re une tournure qui, dans un premier temps, donnait satisfaction a` Constant. Il le faisait composer, sans doute au mois de de´cembre, par un imprimeur pour le publier (chez Delaunay ?), les signatures des protes sur les feuilles du manuscrit le prouvent1, et la feuille qui nous donne la suite d’ide´es pour De la doctrine politique confirme ce fait. Mais Constant a arreˆte´ la publication de son ouvrage sous la forme d’un traite´ politique pour en faire un texte moins acade´mique, ou` l’entrain rhe´torique est plus perceptible. L’ironie un peu lourde, les apostrophes directes a` l’auteur de La Monarchie selon la Charte sont e´vite´es, bien que la discussion de sa doctrine constitutionnelle reste pre´sente dans le texte. L’effet est d’autant plus grand. Ce n’est plus Chateaubriand qui est au centre, mais une tendance des doctrines du parti royaliste qu’il tient pour dangereuse. La conclusion de la brochure reste la meˆme que celle de la mouˆture pre´ce´dente. Nous pouvons suivre ce travail de transformation graˆce a` une page qui contient la suite d’ide´es pour la re´daction finale. La feuille qui donne la suite des ide´es pour la brochure De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France est un te´moignage pre´cieux de la manie`re de travailler de Benjamin Constant. Nous pouvons reconstituer les rapports e´troits qui existent entre les fragments du deuxie`me manuscrit de la brochure re´dige´e en re´ponse a` l’ouvrage de Chateaubriand et la brochure de Constant qui sortira le 26 de´cembre. Notons au passage l’e´tonnante rapidite´ du travail de re´daction qui correspond d’ailleurs a` celle de Chateaubriand presse´ de faire imprimer son discours devant la Chambre des Pairs. Cette brochure connaıˆtra, comme plus tard celle de Constant, deux e´ditions a` peu de jours de distance. L’historique du texte peut eˆtre reconstitue´ comme suit : Constant ne de´truit pas les feuilles compose´es et tire´es pour les corrections, mais les conside`re comme des placards a` utiliser pour la composition de la seconde version de la brochure, donc de De la doctrine politique, qui de´veloppera une doctrine de re´conciliation nationale. Les proce´de´s de travail sont reconnaissables dans les notes pour la suite des ide´es. BC cite les incipit et les explicit des passages a` prendre tantoˆt dans le manuscrit, identique a` celui de la seconde re´daction du texte que nous connaissons, tantoˆt dans l’imprime´, et il indique par les abbre´viations «Mt» ou «Impe´» les pages du manuscrit ou des placards. Tous les passages sont identifiables dans la version de´finitive, y compris la plupart des notes pre´vues ou e´bauche´es. L’identification des sources n’est possible qu’exceptionnellement, pour deux raisons : les pla1
Voir ci-dessous, pp. 285, 297, 298, 301, 303, 306.
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cards ne sont point conserve´s, et le manuscrit de la seconde mouˆture est lacunaire. Manquent pre´cise´ment les feuilles ou des parties des feuilles cite´es dans la suite des ide´es1. Si on re´ussit a` identifier quelques passages de De la doctrine politique dans les e´paves du manuscrit de la seconde re´daction du texte, c’est qu’il y a des recoupements entre ces passages du manuscrit et l’imprime´ perdu2. Le tableau suivant re´sume les faits. Nous donnons dans la premie`re colonne les de´buts des passages en cause, la seconde renvoie aux passages respectifs des manuscrits (0/ signifie que la page respective du manuscrit n’est pas conserve´e ; un tiret indique que le passage ne pouvait se trouver dans le manuscrit ou n’apparaıˆt pas dans la brochure) ; la troisie`me colonne indique les pages et les lignes de la brochure De la doctrine politique. Les indications des deuxie`me et troisie`me colonnes renvoient a` la pre´sente e´dition. Tableau des recoupements Suite des ide´es 1. un Parti 2. Je suis 3. Je ne jugeais 4. Il n’en est 5. Je pense donc 6. Mais je ne sais 7. Ils semblent 8. Ils crient 9. Que faut-il 10. Il faut prouver 11. Il ne faut pas 12. J’ai dit 13. De meˆme que la Nation 1
2
Re´ponse 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/ 0/
Doctrine 313.3–12 313.13–18 313.19–314.11 314.12–315.11 315.10–17 315.18–21 315.18–21 315.22–24 315.25 315.25–316.3 316.4–318.6 318.7–320.9 (?) 320.10–30 321.1–5
Sont conserve´s les fos suivants : 1–2, un morceau du fo 4 ou 5, 6–9, 17–23, 34–35. De ces 16 fos en tout, 3 sont mutile´s, a` savoir les fos 1, 4/5 et 9. La «Suite des ide´es» mentionne les fos 1, 3, 4, 8 et 9, donc des fos perdus ou conserve´s seulement en partie. Pour les passages tire´s des fos 1 et 9, nous n’avons pu trouver de paralle`le dans le manuscrit ; ils devaient se trouver justement sur les parties qui ont disparu, ce qui est tout a` fait possible. Il suffit de comparer les chiffres des signes (texte imprime´) a` l’espace disponible. Seul un petit passage (le no 12 de la «Suite des ide´es») est atteste´ au fo 8. Cela signifie que le ms mentionne´ dans la «suite d’ide´es» est identique au ms. qui nous offre la seconde mouture du texte de la re´ponse a` Chateaubriand. Cette constatation nous permet de conjecturer que le no 15 de la «Suite des ide´es» de´signe un morceau de l’imprime´, car c’est dans ce long passage qu’on rencontre pre´cise´ment ces recoupements.
Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte – Introduction
14. En effet 15. Il est urgent v. la propos. sur l’e´veˆque sur la de´nonciation qq mots sur le ministe`re sur le mot e´chapper aux Trib. note sur le dictionnaire Remarque note sur l’hommage Pre´face note sur l’ouvr. supprime´ sur les hommes de la Revol. sur la Noblesse Un Ecriv. cel. dont un e´criv. qu’on ne soupconnera pas
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fo 18 fos 34–35 – fo ? fos 20–21 fos6–7 fo 22 fo 23 – – – – – – –
321.6–13 321.14 – 328.23 320.15 318.20–222.20 318.23 – 319.11 319.27–320.33 320.14–16 – ? 324.29–38 – 315.28–30 – – –
–
324.29–38
Il est difficile de juger du succe`s de la brochure. Il ne fut, en de´pit d’une seconde e´dition qui suivit de tre`s pre`s (parue avant le 6 janvier 1817), peut-eˆtre pas aussi e´clatant que Constant l’avait attendu. Ou faut-il penser que les comptes rendus se font rares parce que la presse e´tait encore musele´e ? Deux articles seulement (tous les deux ont paru apre`s la mise en vente de la seconde e´dition de la brochure) abordent les questions qui occupent Constant, celui des Annales politiques et litte´raires (qui partage les opinions de Constant) et l’article interrompu du Journal de Paris1. Le Constitutionnel et Le Mercure ne donnent que des extraits. E´tablissement des textes Manuscrits : 1. Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte Premier texte : BCU, Co 4022. 6 fos, 6 p. a., 250 × 210 mm, pagine´es 6 a` 12 en haut a` gauche. Date propose´e : fin septembre ou octobre 1816. Hofmann, Catalogue, III/68. Nous de´signons ce mansucrit par le sigle CH1 2. Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte Deuxie`me texte : BCU, Co 4732. 16 fos, 16 p. a., 350 × 230 mm (sauf les deux fragments, plus petits), pagine´es 2, 6–9, 17–23, 34–35. Un petit morceau de papier, autrefois une sorte d’enveloppe, dit : «morceaux inutiles avant la 2de e´dition». Dans la marge, des signatures de protes (Guillaume, Kaeyser, M. Domergue, Le´mins) attestent que ce manuscrit a e´te´ utilise´ 1
La suite annonce´e n’a pas paru.
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E´crits entre septembre et de´cembre 1816
pour une publication e´ventuelle. Plusieurs passages re´apparaissent dans De la doctrine politique. Date propose´e : apre`s le 23 novembre, peut-eˆtre de´but de´cembre 1816. Hofmann, Catalogue, III/67. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle CH2 3. Plan ou suite des ide´es pour De la doctrine politique qui peut re´unir tous les partis en France. Manuscrit : BCU, Co 4733, 1 fo, 1 p. a., 350 × 230 mm. Date propose´e : de´cembre 1816. La feuille fait e´tat de la Proposition de Chateaubriand a` la Chambre des Pairs, lue le 23 novembre a` la Chambre des Pairs et elle utilise les e´preuves du deuxie`me texte de la Re´ponse a` Chateaubriand, qui ne peuvent eˆtre ante´rieures a` de´cembre 1816. Hofmann, Catalogue, III/69. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle CH3 Imprime´s : 4. De la doctrine politique qui peut re´unir tous les partis en France. 4.1. DE LA DOCTRINE POLITIQUE, QUI PEUT RE´UNIR LES PAR TIS EN FRANCE, PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [petit filet enfle´] A PARIS, CHEZ DELAUNAY, libraire, galeries de bois, PalaisRoyal. [petit filet De´cembre 1816. 8o, (214 × 134 mm), Pp.[1] faux-titre, [2] adresse de Fain, rue de Racine, No. 4, Place de l’Ode´on. [3] titre, [4] blanche, [5]–36 texte, 37–43 Post-scriptum, [44] blanche. Courtney, Bibliography, 19a. Courtney, Guide, A19/1 Exemplaire utilise´ : IBC, Lausanne. Nous de´signons cette e´dition par le sigle D1. 4.2. DE LA DOCTRINE POLITIQUE, QUI PEUT RE´UNIR LES PAR TIS EN FRANCE ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. SECONDE E´DITION, REVUE ET CORRIGE´E. [petit filet enfle´] A PARIS, CHEZ DELAUNAY, libraire, galeries de bois, Palais-Royal. [petit filet Janvier 1817. Meˆme texte que ci-dessus. Courtney, Bibliography, 19b. Courtney, Guide, A19/2 Exemplaire utilise´ : IBC, Lausanne. Nous de´signons cette e´dition par le sigle D2.
Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte – Introduction
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4.3. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES Publie´s sur le Gou vernement repre´sentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espe`ce de Cours de Politique constitutionnelle ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [filet ondule´] DEUXIE`ME VOLUME. Troisie`me partie de l’Ouvrage. A PARIS, CHEZ P. PLANCHER, E´ DITEUR DES OEUVRES DE VOLTAIRE ET DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, no. 7. [petit filet ondule´] 1818. Le texte de la brochure se trouve pp. [125]–158. Courtney, Bibliography, 131a(2). Courtney, Guide, E1/1(2) Exemplaire utilise´ : Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Politik oct. 964. Nous de´signons cette e´dition par le sigle CPC. 4.4. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES PUBLIE´S SUR LE GOUVERNEMENT REPRE´SENTATIF ET LA CONSTITUTION AC TUELLE, TERMINE´E PAR UNE TABLE ANALYTIQUE ; OU COURS DE POLITIQUE CONSTITUTIONNELLE ; PAR M. BENJAMIN CON STANT, De´pute´ du de´partement de la Sarthe. Seconde E´dition. [filet ondule´] TOME SECOND [filet ondule´] PARIS, CHEZ PIERRE PLAN CHER, LIBRAIRE, RUE POUPE´E; No 7. [filet] 1820. Le texte de la brochure se trouve pp. [125]–158. Courtney, Bibliography, 131b(2). Courtney, Guide, E1/2(2) Exemplaire utilise´ : BnF. Nous de´signons cette e´dition par le sigle D4. 4.5. «Ouvrages nouveaux. De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France ; par M. B. de Constant. A Paris, chez Delaunay, libraire, galeries de bois, Palais Royal. Prix : 1 fr. 25 c.» Mercure de France, 11 janvier 1817, pp. 46–50. Extraits de la brochure, sans commentaires, pre´ce´de´s de la note suivante : «Des raisons d’impartialite´ et de convenance nous interdisent e´galement l’e´loge et la critique de cette brochure. Cependant, comme elle a plus ou moins attire´ l’attention, et que les journaux, pour la plupart, n’en ont pas encore parle´, nous avons pense´ que nos lecteurs ne seraient pas faˆche´s d’en trouver ici des fragmens qui leur donneront une ide´e de l’ouvrage.» Courtney, Guide, non re´pertorie´. Exemplaires utilise´s : Bibliothe`que de l’Arsenal, BnF. Nous de´signons cette e´dition par le sigle D5.
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Traduction anglaise : On the Political Doctrine calculated to unite parties in France ; by Benjamin de Constant. Translated by Thomas Elde Darby, under the inspection of the Author. London : Ridgways, Piccadilly, 1817. Traduction annonce´e par Le Constitutionnel, no 32, 1er fe´vrier 1817, p. 2b. L’ouvrage a fait l’objet des comptes rendus suivants : 1. Anonyme, Le Constitutionnel, no 3, 3 janvier 1817, p. 3a (extraits). 2. Anonyme, Annales politiques, morales et litte´raires, no 387, 6 janvier 1817, p. 4a. 3. Anonyme, Mercure de France, 11 janvier 1817, pp. 46–50 (D5). 4. Anonyme, Journal de Paris, no 31, 31 janvier 1817, pp. 3b–4b. Le deuxie`me article annonce´ n’a pas paru. Le texte a connu une e´dition par E´douard Laboulaye, Cours de politique constitutionnelle : ou collection des ouvrages publie´s sur le gouvernement repre´sentatif, par Benjamin Constant, Avec une introduction et des notes par E´douard Laboulaye, Paris : Guillaumin, 1861, 21872, t. II, pp. 283–308. K. K.
[Re´ponse a` Chateaubriand] [fin septembre – fin de´cembre 1816]
/H IR GX PDQXVFULW GH 5pSRQVH j &KDWHDXEULDQG 'H OD 0RQDUFKLH VHORQ OD &KDUWH%LEOLRWKqTXHFDQWRQDOHHWXQLYHUVLWDLUH/DXVDQQH&R
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[Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte] [Premier texte]
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[...] La de´mocracie de nos jours n’aspire point au monopole du pouvoir, parce que sa portion le´gitime du pouvoir lui est le´galement assure´e1. Elle ne veut point dominer, parce que l’Aristocracie ne domine plus sur elle. (je parle du droit, non de quelques faits accidentels, e´phe´me`res & contre nature). Elle est l’e´gale de tout ; elle n’a donc ni de´sir ni besoin de reduire en esclavage ce qui n’est pas elle. Elle est, dis-je, l’e´gale de tout ; car l’e´galite´ ne consiste pas a` ce qu’il n’y euˆt pas diffe´rentes sphe`res, mais a` ce qu’aucune de ces sphe`res n’agisse sur les autres d’une manie`re oppressive : l’e´galite´ consiste, dans les garanties, non dans les fonctions : Or le cultivateur, le manufacturier, le de´bitant, posse`dent les meˆmes garanties que le Ministre ou le Pair de France. C’est donc a` tort que vous dites que du coˆte´ de la Royaute´ sont les supe´riorite´s politiques, & par conse´quent la tendance au repos, e´tat naturel a` tout ce qui est parvenu a` son terme, & que du coˆte´ de la de´mocracie est l’infe´riorite´ relative, & par conse´quent la tendance aux re´volutions, e´tat naturel aussi a` tout ce qui n’est pas parvenu a` son terme a. Je ne releverai point dans cette phrase une certaine imprudence d’expression, qui pourroit nous conduire a` des conclusions graves. Tout ce qui est parvenu a` son terme doit de´cheoir. tout ce qui n’est pas parvenu a` son terme doit l’atteindre. Ce sont deux lois de la Nature qu’on ne peut e´luder. Le terme de l’enfance est la croissance & la force. le terme de la vieillesse est la de´cre´pitude & la mort. Rien ne sauroit empeˆcher l’enfant de croıˆtre, le vieillard de mourir. Est-ce la`, Monsieur le Vicomte, la re`gle que vous avez voulu appliquer a` la Royaute´ & a` la de´mocracie ? Mais sans m’arreˆter a` ces expressions me´taphysiques, faites pour obscurcir les questions, & pour substituer des mots imposans a` des ide´es a
p. 32. E´tablissement du texte : Manuscrit : BCU, Co 4022, fos 6–12.
9 de´sir ] re´crit sur utilite´ (?) 1
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On trouve sur un morceau de papier, a` l’origine une sorte d’enveloppe, la note suivante : «Morceaux inutiles avant la 2de e´dition.» Retenons que ce premier texte n’a pas laisse´ de traces reconnaissables dans la brochure. Allusion non e´lucide´e.
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claires, je vous dirai que l’e´galite´ de tous e´tant reconnue, la de´mocracie n’est nullement dans une infe´riorite´ relative. Ce que vous appelez des supe´riorite´s politiques sont des diffe´rences, non des supe´riorite´s. Personne en France n’est l’infe´rieur d’un autre. Chacun remplit sa fonction, exerce son industrie, son talent son me´tier, inde´pendamment des fonctions, des me´tiers, des talens, des industries voisines : il l’exerce ou doit l’exercer (il s’agit ici de ce que nos institutions consacrent) avec de telles garanties, dans une telle se´curite´, que nul n’a sous ce rapport quoi que ce soit a` envier a` personne. Le fabricant, l’ouvrier qui auroit sa fortune & nourrit sa famille font une route diffe´rente de celle du de´positaire du pouvoir paye´ pour son travail par le Gouvernement, comme l’ouvrier & le fabricant par la socie´te´. Il en est de meˆme de tous les e´tats. Ils sont distincts, mais e´gaux : nul n’est infe´rieur[.] Je parle ici du droit : si je parlois des faits, ils accourroient en foule a` mon aide. Il est vrai qu’en france toutes les professions & toutes les fonctions sont maintenant e´gales, que l’aristocracie, malgre´ ses pre´tendues supe´riorite´s politiques se jette dans toutes les industries & brigue toutes les fonctions. Elle fabrique & produit en gros : elle de´bite & vend en de´tail. elle sollicite tous les emplois, depuis ceux de cent mille jusqu’a` ceux de six cent francs de salaire. Elle a des ministe`res & des bureaux de tabac, des places dans les conseils du Roi & des boutiques de marchands de laine. Elle est dans les plus e´minentes ambassades & dans les greffes des plus petits Tribunaux. Rien de ce qui rapporte ne de´roge. tout est donc sur un pied d’e´galite´. ou bien, direz-vous, que l’aristocratie se de´grade a` prix d’argent. Je ne le pense pas, mais si vous le disiez, croiriez-vous servir l’aristocratie ? Vous meˆme, Monsieur le Vicomte, avant d’eˆtre Pair de france, n’e´tiez vous pas patente´ comme arpenteur1 ? Ce n’e´toit surement [pas] pour eˆtre e´ligible, car vous auriez trompe´ la loi, & maintenant Pair de france, n’avez vous pas une ou deux pensions comme homme de lettres ? Laissez donc vos supe´riorite´s politiques & vos infe´riorite´s relatives, vos supe´riorite´s politiques, aux quelles tout le monde d’apre`s nos lois peut pre´tendre & qui ne sont par conse´quent que des Situations personnelles, dont les avantages & les inconve´niens se compensent avec les avantages & les inconve´niens de toutes les autres Situations ; vos infe´riorite´s relatives, qui ne sont que des diffe´rences de professions e´galement honorables, qui, procurent toutes, si on les exerce avec intelligence & activite´, une e´gale inde´pendance, n’admettent point entr’elles d’ine´galite´. 19 salaire ] re´crit sur un mot illis. 1
Allusion a` la «carrie`re de voyageur» de Chateaubriand, qui parle de ses voyages en utilisant le verbe «arpenter». Il se peut que BC pense plus particulie`rement a` l’Itine´raire de Paris a` Je´rusalem et de Je´rusalem a` Paris ou` Chateaubriand cite, dans le dossier des pie`ces justificatives, deux te´moignages anciens sur des arpenteurs qui on mesure´ l’enceinte de la ville
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Abjurez vos accusations contre la de´mocracie : elle n’est point dans un e´tat offensif. elle n’a rien a` envier a` ce que vous appelez l’aristocracie ; car elle est aussi libre, aussi riche, & ne doit sa richesse & sa liberte´ qu’a` elle meˆme. S’il y a, dans notre position sociale actuelle, un e´tat offensif, c’est celui de l’aristocratie, offensive contre le trone, sur qui elle voudrait ressaisir ce qu’il lui a, grace au Ciel, ravi autrefois, offensive contre le peuple a` qui elle voudroit arracher ce dont il l’a prive´e de nos jours. J’en ai fini, Monsieur le Vicomte, avec votre premier principe, que je crois avoir prouve´ faux : Mais, avant de passer aux autres questions que nous avons a` traiter ensemble, je vois une assertion qui me´rite d’eˆtre releve´e. L’aristocratie, dites vous, est moins un pouvoir particulier qu’un appendice du pouvoir royal1 : singulier appendice du pouvoir qu’elle s’est efforce´e constamment de dominer ou de de´truire ! L’aristocracie e´toit elle en france un appendice du pouvoir royal, quand elle le bravoit a` main arme´e, quand Louis le Gros rencontrait partout des vasseaux rebelles, quand elle formoit la ligue du bien public2 ? Etait-elle en Angleterre un appendice du pouvoir royal, quand les Barons, stipulant bien plus pour eux que pour la Nation, dictoient a` leur Roi la grande Charte a` Runnameade3. Me direz vous que les tems sont change´s ? Mais l’Aristocratie n’a-t-elle pas dispute´, il y a un an, a` un souverain bien le´gitime le droit de reconnoıˆtre des liberte´s a` son peuple ? N’a-t-elle pas dit plus d’une fois que Louis XVIII n’avoit pu le´gitimement sanctionner les liberte´s du sien. ? Ce qui sauve l’Angleterre, ajoutez-vous, c’est la grande influence que la couronne & la Pairie exercent sur les e´lections : sans cet auxiliaire, la Chambre de pairs & la royaute´ auroient depuis longtems succombe´. Monsieur le Vicomte, vous ne connoissez pas plus la situation de l’Angleterre
7 arracher ] re´crit sur enlever
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(Chateaubriand, Œuvres romanesques et voyages, texte e´tabli, pre´sente´ et annote´ par Maurice Regard, Paris : Gallimard, 1969, t. II, pp. 1255–1256), ou encore a` un passage d’Atala : «Des arpenteurs avec de longues chaıˆnes allaient mesurant le terrain» (Chateaubriand, Œuvres romanesques et voyages, t. I, p. 71). BC utilise, pour critiquer la doctrine nobiliaire de Chateaubriand, une tournure trouve´e dans De la Monarchie selon la Charte (chap. XIV, e´d. cite´e, p. 338). La premie`re partie de la phrase peut se rapporter a` beaucoup d’e´ve´nements de la France me´die´vale, dont quelques-uns font la matie`re de chansons de geste. Suit une allusion a` la lutte acharne´e et de longue dure´e de Louis VI le Gros (1081–1137) contre les grands vassaux qui menac¸aient son re`gne. La ligue du Bien public, forme´e en 1464 contre Louis XI (1423–1483) qui l’avait provoque´e par des mesures maladroites prises contre quelques vassaux, prit fin par des traite´s peu favorables au roi. Les concessions a` faire a` ses adversaires sont a` l’origine d’autres luttes. La Grande Charte, impose´e en 1215 a` Jean sans Terre par les barons anglais dans la plaine de Runneymead. Elle e´tait la confirmation solennelle des anciennes liberte´s anglaises.
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que vous ne savez l’histoire. Vous ignorez que l’influence de la pairie Anglaise s’exerce aussi souvent, aussi puissamment pour l’opposition que pour la couronne : C’est par l’influence de la Pairie que les Membres les plus distingue´s de l’opposition entrent dans la Chambre des Communes1 : Ainsi y est entre´ le Pe`re de M. Pitt, l’illustre Chatham, enseigne sans fortune dans un re´giment : Aussi y sont entre´s les Sheridan, les Burke, alors dans l’opposition la plus ardente, & plus tard les Brougham & les Mackintosh. Les Ducs de Bedford, de Portland, de Devonshire, les premiers Pairs de la grande Bretagne, loin d’eˆtre des auxiliaires de la Couronne, sont des protecteurs de l’opposition[.] [...]
1
William Pitt, lord Chatham (1708–1778), secre´taire d’E´tat en 1756, force´ par le roi de de´missionner en 1757, reprit le ministe`re la meˆme anne´e sous la pression de l’opinion. – Richard Brinsley Butler Sheridan (1751–1816), auteur dramatique et homme politique anglais, apre`s l’arrive´e des Whigs secre´taire d’E´tat des Affaires e´trange`res en 1782, du tre´sor en 1783. – Edmund Burke (1729–1797), adversaire de la Re´volution franc¸aise, adversaire de Pitt dans les affaires de l’Inde. – Henri lord Brougham (1778–1868), membre de la Chambre des Communes, caustique dans ses discours, esprit libe´ral qui jouissait par moments d’une grande popularite´. – James Mackintosh (1765–1832), publiciste et philosophe, homme politique, ami de BC. Il admirait la Re´volution franc¸aise qu’il de´fendit contre Burke, de´pute´, depuis 1813, a` la Chambre des Communes, dans le rang des Whigs. – BC e´voque finalement encore John Russel, 4e duc de Bedford (1710–1771), partisan des Whigs et ministre sous Georges III, William Henry Cavendish Bentinck, 3e duc de Portland (1738– 1809), chef des Whigs, premier ministre de 1801–1803 et en 1807, et enfin William Cavendish, 4e duc de Devonshire (1720–1764), membre de la Chambre des Communes, puis des Lords, premier ministre en 1756, grand chambellan de 1757 a` 1762.
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[...] 2. Que je ne de´fens aucun ministe`re
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Je ne me constituerai, dans les observations que je soumets au public, le de´fenseur d’aucun des Ministe`res qui ont re´gi la france depuis la rentre´e du Roi. Tous ces Ministe`res ont commis des fautes : Je pourrais dire que toutes ces fautes ont eu la meˆme cause, l’influence d’un parti qui en profite aujourd’hui pour accuser ceux qu’il forc¸a de les commettre. Tous ces Ministe`res, par un faux calcul, ont cru de´sarmer ce parti, en le satisfesant a` moitie´ : & comme il arrive toujours, se sentant plus fort, il est devenu plus insatiable. Mais j’e´carte ces souvenirs. Ceux qui se retraceront tout ce que je pourrais rappeler m’en sauront gre´ peut-eˆtre. Leur attente n’a e´te´ re´alise´e que sur un seul point : Les principes Constitutionnels professe´s dans cet ouvrage leur ont semble´s justes a` beaucoup d’e´gards. Il m’appartient moins qu’a` personne d’examiner si ces principes sont le fruit des me´ditations de l’auteur, ou si, les empruntant d’ailleurs, il n’en a pas exage´re´ quelques uns1. Les de´fenseurs de ces principes seront heureux de lui en ce´der la gloire, si cette gloire peut accroitre leur utilite´. Pourvu que la ve´rite´ triomphe, qu’importe a` quel nom son triomphe donne de l’e´clat ? E´tablissement du texte : Manuscrit : BCU, Co 4732, fos 1–2, 6–9, 17–23, 34–35 et fragment d’un fo non identifie´. 10 pour accuser ... commettre. ] pour 〈les〉 accuser ceux qu’il forc¸a de les commettre. ces derniers 7 mots dans l’interl. 15–16 principes Constitutionnels ... ouvrage ] principes Constitutionnels 〈de Mr de Chateaubriand〉 professe´s dans cet ouvrage ces 4 derniers mots dans l’interl. 18 des me´ditations de l’auteur ] des la dernie`re lettre ajoute´e en corrigeant la phrase 〈Ses〉 me´ditations 〈propres〉 de l’auteur ces trois derniers mots dans l’interl. 21 nom ] ce mot dans l’interl. 1
Voir Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte, chap. V. On retrouve les meˆmes insinuations avec les meˆmes formules dans un passage de la note C de la seconde e´dition e´largie des Refle´xions sur les constitutions. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1182.
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Mais satisfaits sur plusieurs the´ories, les amis de la france ont e´te´ cruellement trompe´s dans l’application. Ils ont retrouve´ avec douleur, a` la suite des doctrines les plus saines, les symptoˆmes les plus affli[geants] d’un esprit de parti violent & implacable. l’on a paru ne proclamer des [...]ure des hommes, et commenc¸ant par des abstractions, l’on a fini par des Anateˆmes. Dans l’exil volontaire auquel je m’e´tais condamne´, avant que la nouvelle de l’ordonnance du 5 Septembre1 me fut parvenue, j’avais e´prouve´ le besoin de re´futer la dernie`re portion de cet ouvrage. Je m’en occupais, lorsque les entraves apporte´es a` sa libre circulation me firent un devoir de renoncer a` cette entreprise2. Je m’affligeai de cette mesure, mal-entendue, selon moi, comme toutes celles qui, en e´touffant la discussion, donne a` l’erreur le me´rite du courage, & a` la ve´rite´ l’odieux de la force, & je gardai le silence. Mais, dans une proposition a` la Chambre des Pairs3, relativement aux dernie`res e´lections, je vois reproduites, avec les meˆmes [...]
4 l’on ] dans l’interl. au-dessus de 〈[Mr de] chateaubriand〉 5 l’on a ] 〈il〉 l’on ces mots dans l’interl. a 9 cet ouvrage ] 〈l’〉 cet ce mot dans l’interl. ouvrage 〈de Mr de chateaubriand〉 14–15 Mais ... reproduites ] Mais 〈Mr de Chateaubriand〉 dans sa une ce dernier mot dans l’interl., le mot pre´ce´dent n’est pas biffe´ par inadvertance proposition ... e´lections, 〈vient de〉 je vois ces deux mots dans l’interl. reproduites la dernie`re syllabe du participe re´crite sur la terminaison de l’infinitif de ce verbe
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L’ordonnance du 5 septembre 1816, re´sultat de la politique de Decazes, prononc¸ait la dissolution de la Chambre introuvable. BC l’apprend le 10 septembre a` Spa. Cette mesure, salue´e par BC comme la libe´ration de la France du joug des royalistes, est analyse´e par G. de Bertier de Sauvigny, Histoire de la Restauration, pp. 139–140, et par Emmanuel de Waresquiel et Benoıˆt Yvert, Histoire de la Restauration, 1814–1816, pp. 189–195. Allusion a` la saisie par la censure des exemplaires non encore expe´die´s et des formes dans l’atelier de l’imprimerie Le Normant. BC l’apprend a` Bruxelles, le 25 septembre. Aucune mention dans le journal intime de l’intention de re´futer l’ouvrage de Chateaubriand, au contraire : «Livre de Chateaubriand. Il y a d’excellentes choses», dit-il le 24 septembre. Sur la saisie de La monarchie selon la Charte, on consultera Chateaubriand, Grands e´crits politiques, t. II, p. 313–315. Cette mesure assura a` l’ouvrage d’eˆtre largement re´pandu, graˆce aux contrefac¸ons qui se multiplie`rent. La raison pour cette mesure est connue : dans le post-scriptum «venimeux» de l’ouvrage, Chateaubriand faisait comprendre que le roi avait ce´de´, en prononc¸ant la dissolution de la chambre, a` la pression de ses ministres, qui eux, obe´issaient au de´sir des occupants qui se me´fiaient des royalistes. Decazes fit saisir l’ouvrage, et Chateaubriand perdit son titre de ministre d’E´tat. Voir Bertier de Sauvigny, Histoire de la Restauration, pp. 139–140. Voir ci-dessous, p. 301, n. 2.
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[...] L’on a place´ aussi, j’en conviens, les Eveˆques sur la liste : mais en voyant ceux qui d’ailleurs la composent, je pre´sume que les Eveˆques ne s’y trouvent que pour exhorter les condamne´s. Nous aussi, maintenant [...]
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Le Ministe`re actuel lui meˆme, qui a de grands droits, par l’ordonnance du 5 Septembre, a` la reconnoissance de tous les francais, est pourtant, a` mon avis, tombe´ dans quelques erreurs. ` J’ai des obligations particulie`res a` l’un des membres de ce Ministe`re1. A une e´poque ou j’e´tois sans de´fenseur, je me suis vu porte´, avec beaucoup d’autres, & aussi injustement qu’eux, sur une liste projette´e d’exil. Ce Ministre alors, dans une situation moins e´minente, a transmis sans me connoıˆtre mes reclamations au Roi. J’ai du l’exception prononce´ en ma faveur a` la justice personnelle de Louis 18, qui s’est montre´ plus e´quitable envers un inconnu, qu’on avoit pu lui peindre come un ennemi, que des amis envers leurs amis, des colle`gues envers leurs colle`gues, des hommes [qui ont] servi Bonaparte, quand il opprimoit la france & le monde, envers un homme qui ne s’est rallie´ a` lui, que lorsqu’il le croyoit hors d’e´tat d’opprimer ou le monde ou la france2. Je suis heureux de renouveller ici l’expression de ma double reconnoissance, d’autant plus since`re qu’elle n’est meˆle´e d’aucun calcul ni accompagne´e d’aucun de´sir. Mais cette obligation, que je n’oublierai jamais, ne me fait point un devoir de de´fendre toutes les mesures de l’administration actuelle. On concevra facilement qu’il en ait que je ne puis approuver, si l’on rapproche de ces mesures mes opinions connues. J’ai reclame´ constamment la liberte´ individuelle, but premier & sacre´ de toute institution politique. J’ai reclame´ l’inde´pendance responsable des journaux, seul mode efficace de publicite´ dans nos grandes associations modernes, & seul moyen d’affranchir le Gou-
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1–3 L’on a place´ ... maintenant ] passage partiellement repris dans une note de D1 ; voir ci-dessous, pp. 318, lignes 20–22 4 Le Ministe`re ] dans la marge le nom du prote : Guillaume 4–6 Le Ministe`re ... erreurs. ] passage partiellement repris dans une note de D1 ; voir ci-dessous, p. 319, lignes 40–42 10 sans me connoıˆtre ] 〈au Roi〉 sans me connoıˆtre ce derniers mots dans l’interligne, corr. imme´diate 13 avoit pu lui peindre ] 〈lui peignoit〉 avoit pu lui peindre ces 4 derniers mots dans l’interl. 18 double reconnoissance, ] double ce mot dans l’interligne reconnoissance 〈envers les monarque & son Ministe`re〉, 20 – p. 298.9 Mais cette obligation ... institue. ] passage partiellement repris (avec des modifications) dans une note de D1 ; voir ci-dessous, p. 319, lignes 43–50 et p. 320, lignes 30–33 1 2
Il s’agit du duc Decazes, alors pre´fet de Police, qui a transmis le Me´moire apologe´tique au roi. Voir ci-dessus, p. 41. Cette phrase revient presque litte´ralement dans les Me´moires sur les Cent-Jours. Voir OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 159.
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vernement meˆme d’une solidarite´ minutieuse & fatigante, tant envers le public qu’envers l’e´tranger. J’ai re´clame´ la liberte´ de la Presse, l’abolition de toute censure, de toute saisie sans un jugement, & l’introduction des Jure´s dans les causes de cette espe`ce, parce que des Jure´s sont les seuls juges compe´tens des questions morales, & qu’ils offrent seuls une garantie, soit contre l’arbitraire, soit contre l’impunite´. Je puis donc jouı¨r sous divers rapports des pas que nous fesons vers [une] ame´lioration e´vidente. Je jouı¨s sur[tout de ce] que l’on abolit : mais je ne saurais applaud[ir] de meˆme a` ce qu’on institue. Ces pas qu’on hazarde a` peine me semblent inutilement timides, ces ame´liorations insuffisantes, & les surete´s qu’elles donnent incomplettes.
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3. quelques mots sur l’objet spe´cial de la proposition faite a` la Chambre des Pairs.
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L’e´crit actuel n’est donc point une apologie du Ministe`re. Je dirai cependant, quant a` la question spe´ciale qui forme l’objet de la proposition faite a` la Chambre des Pairs que, dans tous les Gouvernemens repre´sentatifs, le Ministe`re cherche a` influer sur les choix des repre´sentans du peuple1. Il ne doit le faire ni par la corruption, ni par la violence : mais les instructions a` ses agens, les exhortations aux Electeurs, la manifestation de son desir & de ses pre´fe´rences sont des moyens permis, & partout en usage. C’est a` la Nation, si elle est oppose´e au Ministe`re, a` re´sister a` son influence, & quand l’opinion publique est vraiment prononce´e, Elle soutient cette lutte avec succe`s. Le Directoire, de faible & inhabile me´moire, a toujours essaye´ de diriger les e´lections, & il a e´te´ perpe´tuellement renverse´ par elles. Si la france eut voulu la majorite´ de la dernie`re assemble´e, l’envoi secret de quelques commissaires, qui n’e´toient appuye´s d’aucune force, n’eut pas comprime´ l’opinion. Mais la France avoit tremble´ durant six mois
10–11 incomplettes. ] dans la marge le nom du prote : (Keyser) 12 proposition faite ] proposition 〈de Mr de Chateaubriand.〉 faite le reste de la phrase ajoute´ en corrigeant 15 forme ] 〈a fait〉 forme ce dernier mot dans l’interl. 16 fait a` la Chambre des Pairs ] ces mots dans l’interl. au-dessus de 〈de Mr de Chateaubriand〉 18 peuple. ] suivent encore 9 mots biffe´s 〈C’est a` la nation si elle [...] est op〉 erreur de copie 22 Elle ] 〈la Nat〉 Elle 24 e´te´ perpe´tuellement ] e´te´ 〈avec t[...]〉 perpe´tuellement corr. imme´diate 1
BC engage ici une pole´mique qui vise l’«Analyse des pie`ces justificatives» de la Proposition faite a` la Chambre des Pairs (pp. 5–37), ou` Chateaubriand cite plusieurs passages de la circulaire de Decazes date´e du 12 septembre 1816 pour prouver une influence ille´gale prise par le ministe`re sur les e´lections.
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sous cette majorite´, qui, corrige´e aujourd’hui peut-eˆtre, avoit pourtant alors, e´pouvante´ tous les Citoyens, & la France [ne vou]loit pas cette majorite´. C’e´toit autre chose, quand en 1815, malgre´ les ordonnances du Roi, & au me´pr[is] de ses intentions connues, l’on exercoit, contre les Protestans du Midi, sous un pre´texte religieux, des vengeances politiques : c’e´toit autre chose, quand, a` Nıˆmes, on poursuivoit ceux qu’on nommoit les Bonapartistes, parceque, disoient certains journaux, ils avoient montre´ une joie maligne. Alors on auroit pu craindre que les e´lections ne furent pas libres. Mais aujourd’hui, quelles violences ont e´te´ exerce´es ? Dans quel lieu de la france, durant les e´lections, une goutte de sang a-t-elle coule´ ? Ce qui dans la proposition se trouve cite´ des circulaires ministe´rielles n’est point d’un style menac¸ant ou despotique. Ce qui y est affirme´ des destitutions, en supposant tous les faits exacts, est une conse´quence tre`s simple de notre Constitution. Je ne concois pas que l’on imagine devoir conserver des fonctions sous une administration dont on combat les raisons. Je ne concois pas que les membres de l’opposition veuillent re´unir les profits de la faveur & de l’honneur de l’inde´pendance. Je ne me flattais pas, quand j’e´crivais contre la proposition de Mr l’Abbe´ de Montesquiou, d’occuper sous ce Ministre une place1. Si j’en avais une sous le Minist[e`re d’]aujou[rd’hui] je ne pre´tendrais point [...]t, comme tel projet de loi ou telles mesures que j’ai de´ja` indique´es. je me re´sig[nerais] a` ce qui se pratique dans cette Angleterre qu’on nous cite apre`s nous avoir tant de fois reproche´ de la citer. On ne peut exiger d’aucune administration qu’elle re´compense ses ennemis & conserve des agens qui lui refusent leur concours. Il faut choisir entre sa conscience de meˆme son parti & la bienveillance ministe´rielle. C’est la premie`re education qui soit ne´cessaire a` ceux qui veulent marcher dans la carrie`re ou` nous entrons. Je parlerai plus tard des leve´es de surveillance & des mises en liberte´ contre lesquelles l’auteur de la proposition reclame si ame`rement, ce qui ne 3–5 C’e´toit ... vengeances politiques : ] passage partiellement repris dans une note de D1 ; voir ci-dessous, p. 319, lignes 23–24 11 Ce qui ... cite´ ] ce qui (le i en surcharge sur un e) 〈Mr de Chateaubriand〉 dans la proposition se trouve ces 5 mots dans l’interl. cite´ l’accent ajoute´ en corrigeant la phrase 〈lui-meˆme〉 12 Ce qui y est affirme´ ] Ce 〈qu’il〉 qui y est ces trois mots dans l’interl. affirme´ l’accent ajoute´ en corrigeant la phrase 12–24 Ce qui y est affirme´ ... ministe´rielle. ] passage partiellement repris dans une note de D1 ; voir ci-dessous, p. 319, lignes 27–32 18–19 d’occuper ] 〈d’obtenir〉 d’occuper corr. dans l’interl. 19 place. ] suivent encore 8 lignes biffe´es 〈On ne peut exiger ... ou` nous entrons.〉 voir en haut, les lignes 23–27 20 pre´tendrais point ] l’e´tat du papier affecte le texte sur trois lignes qui ont subi en plus de nombreuses corrections, biffures et additions interl. Nous donnons les mots que nous avons pu de´crypter je me ... qui se pratique ] corr. dans l’interl. de 〈C’est la re`g[le]〉 29 lesquelles ... re´clame ] lesquelles 〈Mr de Chateaubriand〉 l’auteur de la proposition corr. dans l’interl. re´clame 1
Allusion a` la grande campagne mene´e par BC au de´but de l’anne´e 1814 en faveur de la liberte´ de la presse, et en particulier a` la brochure adresse´e a` Montesquiou, alors ministre de l’Inte´rieur. Voir OCBC, Œuvres, t. IX/1, pp. 151–187.
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laisse pas que d’eˆtre bizarre dans un nouveau de´fenseur des droits Individuels1. ici je n’ai voulu [...]
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[5.] [...] Ceux qu’on appelle a` tort exclusivement les Royalistes ayant e´te´ seuls l’objet de de´nonciations injustes ou de mesures vexatoires ? Quoi ! durant cette longue anne´e, il n’y a pas eu, contres les vaincus, une seule injustice de commise, dont, pour l’honneur, pour l’inte´reˆt du parti l’on eut pu s’emparer, comme garantie de ses intentions, comme preuve de son impartialite´. Nouvel apotre de la liberte´, ne savez-vous donc pas encore qu’elle doit exister pour tous, si l’on veut qu’elle existe pour quelqu’un, & que le caracte`re & le me´rite de ses sectateurs, c’est de de´fendre & de respecter son culte, dans la personne meˆme de leurs ennemis ?
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6. de l’effet de cet ouvrage
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Cet ouvrage auroit pu faire beaucoup de mal. Ce mal a e´te´ diminue´ par l’ordonnance du 5 Septembre qui est venu dans le meˆme tems contenter les vœux & calmer les alarmes. La reconnoissance que le Gouvernement s’est acquise par cette mesure n’a permis a` aucun sentiment mortel de se manifester meˆme contre ceux qui les provoquoient. Les esprits e´claire´s ont admire´ des pages e´loquentes. Ils ont donne´ leur assentiment a` beaucoup d’excellens principes : mais tout ce qui tendait a` reveiller des ressentimens a e´te´ repousse´ parce que les francais sont fatigue´s de haı¨r. Cet ouvrage ne´anmoins avoit e´te´ nuisible sous un rapport. Il avoit redouble´ la de´fiance publique contre le parti dont son auteur sembloit eˆtre l’interpreˆte. En voyant qu’un changement de principes n’e´toit point un changement de conduite, et qu’on entoit de vieilles perse´cutions sur de nouvelles doctrines, la france s’e´toit crue autorise´e a` penser qu’on ne saisissoit les maximes de la liberte´ que come un masque, pour en imposer a` ses amis ve´ritables, qu’on aurait ane´anti cette liberte´, si elle n’eut trouve´ protection plus haut, qu’on n’invoquoit la Constitution que parce qu’on n’e´toit pas dans l’autorite´, qu’en se pre´tendant a` la fois si libe´ral & si royaliste, on n’e´toit dans le fond ni royaliste ni libe´ral, mais que suivant les divers de´gre´s 2 ici ] 〈illis.〉 ici ce mot dans l’interl. 1
Voir ci-dessous, p. 302. BC vise les pp. 7–10 de la Proposition faite a` la Chambre des Pairs.
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de force ou de faiblesse, l’on appeloit tour a` tour le pouvoir contre le peuple & le peuple contre le pouvoir. En effet, les pre´somptions e´toient graves & la circonstance mal choisie. Le plus e´minent des ecrivains d’un parti de´ja` soupconne´ d’avoir change´ seulement de tactique, accre´ditoit ce soupcon. Il placoit le mot trop pre`s de l’e´nigme, & en montrant le but, paraissoit indiquer que la route n’e´toit qu’un de´tour. Cependant ces alarmes se seroient calme´es. Le bonheur de la de´livrance disposoit les cœurs a` se rapprocher, & les esprits a` s’entendre. Ces hommes qui avoient pu effrayer la Nation, par des exage´rations imprudentes, pre´serve´s de´sormais de leurs propres fautes, commenc¸oient a` inspirer l’inte´ret qu’une nation ge´ne´reuse ressent toujours pour les faibles. Leur langage mode´re´, leurs noms honorables, la ve´rite´ des maximes qu’ils professoient, produisoient graduellement une impression qui eut pu devenir profonde. Les principes de la liberte´ ont cet avantage, que lorsque’on les proproclame, la totalite´ des citoyens en profite, & il lui est difficile de repousser longtems ceux qui plaident cette cause, lors meˆme qu’on a des doutes sur leurs motifs. Mais un second ouvrage parait, & les de´fiances renaissent, parce qu’on retrouve dans cet ouvrage tout ce qui de´ja` les avoit excite´es. On diroit un ge´ne´ral d’arme´e, qui, inquiet d’une tre`ve, & craignant que les occasions ne manquent a` sa vaillance, se charge de parler de paix pour renouveller la Guerre.
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〈7. ... de proposition faite a` la Chambre des De´pute´s.〉 En effet, c’est gratuitement cette fois que l’auteur de cet ouvrage agite des questions funestes. Aucun danger public ne l’y contraignait ; & la nature de sa proposition ne l’exigeoit point. Je dis qu’aucun danger public ne l’y contraignait : car Il n’accuse point nos De´pute´s actuels d’eˆtre republicains ou Bonapartistes. La nouvelle chambre, dit-il1, se montrera digne de succe´der a` la premie`re, e´loge flatteur 1 appeloit ] 〈invoquoi〉 appeloit corr. imme´diate 3 En effet ] dans la marge le nom du prote Kaeyser 4 change´ ] ce mot ajoute´ dans l’interl. 8 calme´es. ] 〈efface´es.〉 calme´es. ce mot dans l’interl. 24 〈7. ... de proposition faite a` la Chambre des De´pute´s.〉 ] nume´ro du chapitre et titre biffe´, part. illis. 25 l’auteur ... funestes. ] l’auteur 〈illis.〉 de ce mot dans l’interl. cet ouvrage ... funestes. ce dernier mot dans l’interl. 26 danger public ] 〈pe´ril imminent〉 danger public dans l’interl. 28 danger public ] 〈pe´ril〉 danger public corr. dans l’interl. 1
Chateaubriand, Proposition faite a` la Chambre des pairs, Œuvres comple`tes, t. XXIII, p. 186, p. 28 de l’e´dition originale de la Proposition faite a` la Chambre des Pairs.
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dans sa bouche, mais qui ne´anmoins s’il e´toit fonde´, ne laisserait pas d’inquie´ter un peu la france. Pourquoi donc revenir sur des souvenirs odieux ? pourquoi evoquer tous les Spectres du passe´ ? pourquoi crier au feu, quand il n’y a point d’incendie ? Je dis en second lieu que la nature de sa proposition n’exigeoit point que toutes les reactions de parti fussent de nouveau discute´es. Je me suis de´ja` explique´ sur le but de cette proposition1. Je crois que les reproches adresse´s au Ministe`re, relativement a` sa conduite dans les e´lections dernie`res sont au moins fort exage´re´s. Mais je reconnais le droit qu’on avoit d’appeler sur la liberte´ des Elections l’examen scrupuleux de la chambre des Pairs. On le pouvoit sans de´clamations, sans invectives contre des factions terrasse´es. On se donnoit ainsi le me´rite d’une surveillance patriotique. On se montrait le protecteur ze´le´ du droit le plus important des Citoyens dans un e´tat libre. Ce me´rite rejaillissoit sur le parti tout entier. Meˆme en e´chouant dans l’entreprise, on accoutumoit le peuple a` voir dans ce parti des de´fenseurs ombrageux de son ide´pendance, & l’activite´ du ze´le en eut fait pardonner l’effervescence. Qu’a-t-on fait au contraire. On a semble´ n’avoir cherche´ qu’un pre´texte pour accuser un Ministre, & de quel crime ? d’avoir fait sortir des prisons des Citoyens auparavant de´tenus comme suspects. Singulier reproche vraiment de la part d’un champion de la liberte´ individuelle : & pourtant, je l’affirme, c’est le seul fait positif qui re´sulte de la denonciation toute entie`re. On commence toujours par inculper la Police d’arbitraire, & la preuve que toujours on en apporte, c’est qu’elle a rendu des citoyens a` la liberte´. Tel est le forfait inexpiable. On y revient sans cesse avec une nouvelle amertume. Je citerai les propres expressions de ces plaintes, & ce ne sera pas moi que le lecteur devra accuser si ces citations sont monotones. Beaucoup de Surveillances, est-il dit2, ont e´te´ leve´es. (p. 7) ... Elles ont expire´ tout juste le meˆme jour & a` la meˆme heure. (p. 8)... Des hommes sont devenus libres, tout simplement parce que le tems de leur de´tention e´toit fini. (p. 8)... Tout simplement, sans doute. Car l’auteur oublie qu’une loi vote´e d’enthousiasme par la majorite´ de l’anne´e dernie`re donnoit a` mille autorite´s de la france le droit d’arreˆter des suspects, & de les de´tenir sans les faire juger. Or quand le jugement ne suit pas l’arrestation, Il ne peut pas pre´ce´der la liberte´. Lorsqu’un homme peut devenir captif, en vertu d’une loi 8 dernie`res ] dans l’interl. 1 2
16 du ze´le en eut fait ] mots re´pe´te´s au de´but du f o suivant
Sans doute dans un passage qui se trouvait sur un des fos perdus. Chateaubriand, Proposition faite a` la Chambre des pairs, Œuvres comple`tes, t. XXIII, p. 167.
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pareille, il faut bien qu’il redevienne libre de meˆme ; & dans cet e´tat de choses, il n’y a de diffe´rence pour les Citoyens qu’entre la porte du cachot qui s’ouvre pour les faire entrer ou pour les laisser sortir. l’Auteur poursuit1. On a rendu a` la socie´te´ des hommes en surveillance pour leur conduite politique. (p. 9)... On a fait cesser les mesures de haute police pour le cas particlier des e´lecteurs. (p. 9) ... La Police a pousse´ la libe´ralite´ jusqu’a` lever les Surveillances des Electeurs suspects au Roi & a` la justice. (p. 10)... les Jacobins sont sortis de leurs repaires. (p. 21)... Ils se sont pre´sente´s aux e´lections. (p. 21) ... Dans le Departement du Gers, trois Jacobins fameux ont e´te´ mis en liberte´, & ont re´pandu leurs principes autour d’eux. (p. 21)... On a jete´ dans la Socie´te´ des hommes capables de corrompre l’opinion. (p. 21) Et c’est au nom de liberte´ individuelle qu’on se [p]laint des mises en liberte´ ! C’est au nom [de la sa]intete´ des e´lections qu’on s’indigne de ce que des hommes le´galement e´lecteurs ont e´te´ admis a` donner leurs votes ! Que veut-on maintenant que je re´ponde, quand j’entends dire que, dans une discussion re´cente2, l’on n’a reclame´ avec e´loquence contre une de´tention arbitraire, que parce qu’elle atteignoit quelqu’un du parti ? Mais une conside´ration me frappe, qui a e´chappe´ sans doute a` l’auteur de la de´nonciation. La loi sur les pre´venus n’e´toit ne´cessaire, n’e´toit excusable que dans l’hypothe`se que les pre´venus qui ne pouvoient pas eˆtre juge´s pouvoient eˆtre dangereux. De`s qu’ils cessoient d’eˆtre dangereux, cette loi ne devoit plus les atteindre. Or, malgre´ la libe´ralite´ des leve´es de surveillance, malgre´ le scandale des mises en liberte´, les e´lections ont e´te´ bonnes. l’auteur l’avoue. les Depute´s qu’on vient de choisir sont des Royalistes constitutionnels. La pre´sence des Jacobins n’a donc point influe´ sur l’election de ces De´pute´s. donc ils n’e´toient pas dangereux : donc ils devoient redevenir libres. Donc s’ils avoient des droits, Ils devoient exercer ces droits. Je continue, & je rencontre dans la brochure que j’examine des choses bien plus extraordinaires. 4 pousuit ] 〈continue〉 poursuit corr. dans l’interl. 14 des hommes ] des 〈e´lecteurs〉 hommes corr. dans l’interl. 30 Je continue ] dans la marge le nom du prote M. Domergue
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Chateaubriand, Proposition faite a` la Chambre des pairs, Œuvres comple`tes, t. XXIII, p. 168–169, 179–180. Les citations ne sont pas toujours litte´rales, mais l’arrangement prudent des phrases, pour des raisons de syntaxe, n’affecte pas le sens du texte de Chateaubriand. Allusion a` l’affaire de la pe´tition d’Antoinette Robert qui a fait beaucoup de bruit. Voir ci-dessous, p. 385.
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Un homme, y est-il dit, fut soupconne´ d’eˆtre le chef d’un mouvement a` Milhaud, & d’entretenir des intelligences avec les rebelles de l’Ise`re. la Police crut devoir le mettre sous la surveillance des autorite´s. Le tems des e´lections est arrive´, & l’on a permis a` cet e´mule de Didier d’aller voter a` Rodez1. Un homme soupconne´ ! par conse´quent point juge´ ! point convaincu, contre lequel il n’y avoit donc certainement point de preuves ! et on le qualifie d’e´mule d’un rebelle mort sur l’e´chafaud ! Je continue encore ! Dans un colle`ge, on a vu sie´ger des Electeurs tout re´cemment e´chappe´s aux Tribunaux2. J’ai demande´ ce que signifioient ces paroles. l’on m’a re´pondu que ces hommes venoient de subir un jugement solennel, et d’eˆtre acquitte´s par un Tribunal. Ici donc, ce n’est plus uniquement la liberte´ des individus la liberte´ des Elections, c’est l’inde´pendance des Tribunaux, l’inviolabilite´ des jugemens qu’on attaque. Avec nos nouveaux convertis en liberte´, je ne vois pas trop celle qui nous restera. Dans un pre´ce´dent ouvrage3, on avoit propose´ d’imprimer un nouveau Dictionnaire. aupre`s du mot honneur, avoit-on dit, on mettra, il est vieux : au mot fide´lite´, on e´crira duperie. au mot soupconne´, on mettra e´mule d’un criminel, condamne´ a` mort : au mot absous, e´chappe´ aux tribunaux. Je ne transcrirai plus qu’un seul passage, en laissant au lecteur le soin de de´cider a` quels homes il s’applique. Il en est qui ne savent comment allier leurs vieux principes & leurs nouvelles doctrines. Ils se mettent a` la torture pour combattre & de´fendre a` [la] fois le Gouvernement repre´sentatif, embarasse´s qu’il sont d[an]s la the´orie qu’ils avouent & dans la pratique qu’[ils cra]ignent. Ils voudroient aujourd’hui qu’on nous r[etiraˆ]t d’une main qu’on sembleroit nous donner [de l’autre]4. (p. 32) Qui ne croirait que 8 rebelle ] rebelle 〈condamne〉 mort corr. imme´diate 20 absous, e´chappe´ ] absous, 〈illis.〉 e´chappe´ 22 il s’applique ] 〈on doit l’〉 il ce mot dans l’interl. s’applique le pronom personnel re´crit sur l corr. faite avant d’avoir fini la copie de la phrase Il en est ... donner de l’autre. ] passage endommage´ dans le ms ; les mots perdus ou oublie´s ont e´te´ restitue´s d’apre`s le texte de Chateaubriand 26 nous ] la source porte peut-eˆtre vous corr. d’apre`s le texte de Chateaubriand 1
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Chateaubriand, Proposition faite a` la Chambre des pairs, Œuvres comple`tes, t. XXIII, p. 181 ; p. 22 de l’e´dition originale. Citation conforme, sauf au de´but, ou` BC introduit le nom de la localite´, mentionne´e par Chateaubriand dans la phrase qui pre´ce`de la citation. Chateaubriand, Proposition faite a` la Chambre des pairs, Œuvres comple`tes, t. XXIII, p. 182. Chateaubriand pre´cise qu’il s’agit de Dijon, et il renvoie au Journal de la Coˆte d’Or. Ouvrage non identifie´. Chateaubriand, Proposition faite a` la Chambre des pairs, Œuvres comple`tes, t. XXIII, p. 190.
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Re´ponse a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte, II
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l’auteur parle de ceux qui reclament la charte, toute la charte, rien que la Charte, & qui s’indignent de voir en liberte´ ceux qu’ils appellent les Jacobins ? 8. des ve´ritables moyens de conciliation.
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Je termine cet examen pour passer a` des conside´rations plus ge´ne´rales. Aucune inimitie´ personnelle n’a dicte´ les re´flexions que l’on vient de lire. J’ai tache´ de n’employer contre l’e´crivain que je combattais aucune arme qui put blesser sa personne. Je me suis interdit ces recriminations & ces appels a` d’anciens ouvrages, moyen qu’on a dirige´ contre lui souvent avec trop peu de candeur. Je me suis renferme´ dans les deux derniers e´crits qu’il a publie´s. Je les trouvais dangereux. Les Jugemens qu’ils renfermoient [...]
[...] satisfaire ce besoin, elle reclamait des garanties. Telle a e´te´ toute la question de 1789 ; Des ambitions particulie`res, des vanite´s personnelles, des Inte´reˆts ne´s du trouble, & qui ne pouvoient s’assouvir que par le trouble, ont jete´, a` travers la re´volution des forfaits horribles & des e´ve´nemens de´plorables. Mais au milieu de ses souffrances, de ses convulsions, de sa servitude, la Nation n’a cesse´ de vouloir ce qu’elle avoit voulu, & chaque fois qu’elle a pu e´lever la voix, elle a recommence´ a` le demander. La preuve en est que si l’on prenoit au hazard les e´crits publie´s aux diffe´rentes e´poques, malheureusement trop courtes, durant les quelles elle a jouı¨ de quelque liberte´, l’on trouveroit toujours l’expression des meˆmes desirs, & l’on n’auroit pour les adapter au moment actuel qu’a` changer les noms & les formes. Telle est donc la route dans laquelle la nation veut marcher. [Elle] se l’est trace´[e en 1789] : elle [y es]t rentre´[e toutes les fois] qu’elle a p[u le faire. Elle a de´s]a[voue´ tantoˆt par] son silence, [t]anto[t] par ses p[laintes, tout ce qui] l’en e´cartoi[t.] Il faut donc rec[onnaıˆtre cette ve´rite´. Ce] que la Nation craint, ce qu’elle de´[te]st[e, c’est le] despotisme. On ne l’e´tabliroit pas plus avec les acque´reurs de biens nationaux que contre les acque´reurs de biens nationaux, pas plus avec les hommes de la re´volution que contre les hommes de la re´volution. Aux mots de liberte´, de garantie, de responsabilite´, d’inde´pendance le´gale de la Presse, de jugemens par Jure´s, avec des questions bien pose´es, 5 pour passer a` ] 〈& je〉 pour ce mot dans l’interl. passer a` la terminaison de l’infinitif ajoute´e dans l’espace entre les des derniers mots 13 ambitions particulie`res ] ambitions 〈personnelles〉 particulie`res corr. imme´diate
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de respect pour les consciences, cette nation se re´veille. C’est la` son atmosphe`re, ces ide´es sont dans l’air qu’elle respire. vingt-sept ans de malheurs, d’artifices, & de violence, n’ont pas change´ sa nature. elle est ce qu’elle a e´te´ ; elle sera ce qu’elle est : rien ne la changera. Qu’on ne se trompe pas a` un symptome qui a pu surprendre, mais que je crois avoir explique´. des voix qui e´toient suspectes a` cette Nation ont proclame´ subitement des principes qu’elles s’e´toient fatigue´es jadis a` proscrire. elle est reste´e muette, mais d’e´tonnement. Ce n’a pas e´te´ par aversion pour les principes, mais par de´fiance des hommes. Son silence ne signifie pas : nous ne voulons pas ce que vous dites : il signifie : nous craignons ce que vous voulez. Les de´positaires du pouvoir ont une disposition facheuse a` conside´rer tout ce qui n’est pas eux come une faction. Ils rangent quelquefois la nation meˆme dans cette cathe´gorie, & pensent que l’habilite´ supreˆme est de se glisser entre les factions oppose´es, sans s’appuyer d’aucune[. Mai]s le re´veil suit de pre`s le songe. Tout [parti,] tout[e association, toute re´union] d’homme[s dans le pouvoir ou hors du pouvoir] qui ne se [ra]llier[a pas aux principes nationaux] ne trouvera d’assentiment [nulle part. Si le hasard] lui remet l’autorite´, ou [si elle s’en saisit par ruse] ou par force, la Nation la laissera g[ouverner,] mais sans l’appuyer. Car c’est un des re´sultats de son expe´rience que cette habitude de se retirer de tout ce qui n’est pas dans son sens, sure que, par cela seul, toˆt ou tard, tout ce qui n’est pas dans son sens tombe. Elle s’e´pargne ainsi la fatigue de la re´sistance : elle e´chappe au danger, laissant ceux qui veulent marcher a` eux seuls faire route sur une lame de couteau entre deux abymes1. Dans de pareils momens, on [dirait qu’elle est morte, tant elle reste immobile et prend peu de part a` ce qui se fait. ...]
5 Qu’on ] dans la marge le nom du prote Lemim ou Lemins (?) 25 veulent marcher ] veulent 〈illis.〉 marcher 26 dirait ... se fait. ] restitutions textuelles d’apre`s la brochure ‘De la doctrine politique’ ; voir ci-dessous, p. 328, lignes 8–9
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Cette me´taphore se retrouve dans le journal intime du 25 septembre 1816, deux jours avant le de´part des Constant d’Angleterre, et applique´e aux meˆmes circonstances, a` savoir la politique du ministe`re. On peut alors risquer une datation plus serre´e du manuscrit : fin septembre ou octobre 1816.
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[Plan ou suite des ide´es pour De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France]
Suite des ide´es1
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1o. 2o. 3o. 4o 5o. 6o. 7o. 8o. 9o. 10. 11. 12. 13. 14. 15. a
un Parti − reconnue pour since`re. Mt 1. Je suis convaincu, pour ma part − sont convertis de bonne foi. Je suis d’avis plus qu’un autre − de l’amour-propre. Impe´ 13. Je ne jugeais pas meˆme − un citoyen de´sinte´resse´. Impe´ 13–14. Il n’en est pas moins vrai pourtant que la de´f. qu’ils imprimt est assez naturelle avant meˆme que la re´volution − de bons instituteurs Impe´ 15–17. Je pense donc − antique monarchie. Mt 3–4. Mais je ne sais quelle fatalite´ leur a donne´ de facheux interpre`tes. e´loquens plutoˆt qu’habiles − leur bannie`re. Mt 4. Ils semblent ne proclamer − par des anatheˆmes Mt 1. Ils crient de nouveaux − devient suspecte. Mt 4. Que faut-il faire en effet pour conclure entre les partis un traite´ loyal et durable ? Mt 4. Il faut prouver − pour toutes les classes. Impe´ 17. Il ne faut pas − en dix anne´es. Impe´ 18–22. J’ai dit − pour les laisser sortir Mt 8. De meˆme que − dans le pouvoir. Mt 9. la Nation n a pense´ ss qu’ils ne s avouent − de l’autre a En effet la circonstance − un mauvais ne´gociateur. Mt 9. Il est urgent toutefois − lui est e´trange[r.] [Impe´ ...]
v. la propos. faite a la ch. des P. par M. de Ch. p. 32. E´tablissement du texte : Manuscrit : BCU, Co 4733, fo 1.
10 pourtant ... avant ] pourtant que la de´f. qu’ils imprimt est assez naturelle. ces derniers 9 mots ajoute´s dans l’interl. 〈qu’〉avant 12 de bons ] 〈antique〉 (?) de bons 13 Je pense ] 〈mais il faut en〉 Je pense 14 mais je ne sais ] Mais 〈le hazard ou〉 je ne sais 16 Ils semblent ] Ils 〈ont〉 sembl〈e´〉ent 17 Ils crient ] Ils 〈ont〉 crie´nt l’accent aigu n’est pas biffe´ devient ] 〈rendue〉 devient 24 la Nation ... de l’autre ] mots ajoute´s dans la marge 1
Nous avons donne´ a` cette feuille, un brouillon de travail, comme le de´montre le titre de BC, un titre plus explicite. Voir en outre le tableau ci-dessus, pp. 284–285.
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Notes v. la propos. faite a la ch. des P. relat. aux dernie`res elect. ( )1 sur l’e´veˆque (〈22〉) sur la de´nonciation & relativement aux mises en liberte´. ( ) et qq. mots sur le ministe`re sur le mot echappe´ aux Trib. note sur le dictionnaire. et ajouter Remarq. qu ici ce n’est plus uniqt la lib. des ind. la lib. des e´lect. &ca s’il y a bcp de nouvelles conversions a la lib. Je ne vois pas trop celle qui ns restera. ( ) note sur l’homage rendu aux amis de la lib. p. 312. ( ) Pre´face3. J’ai fait allus. dans cet e´crit a 2 ouvr. d’un auteur qui se dit opprime´ & qui dans une broch. ou` il attaq tt le monde dep. les sspre´f. jusqu’aux Min. ¯ ˆ me sans qu’il puisse se de´f. S’il en e´toit affirme qu’il est attaque´ lui me ainsi, j’aurais tort. mais sa brochure m’a rassure´ Note sur l’ouvr. suppr. (16) sur les homs de la revol. (19) sur la Noblesse (20)
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Un Ecriv. cel. dont j’ai cite´ dans cet e´crit 2 ouvr. pre´t. qu on l’attaque ss qu’il puisse se de´f. S’il en etait ainsi, j’aur un e´criv. qu’on ne soupconnera pas de partialite´ pour les homes de la revol. a reconnu cette verite sans s en apercevoir dans sa dern. broch. en leur reproch. d’aband. leurs opin anc. il les de´signe ainsi. ceux la` meˆme qui pendt 25 ans ont crie´ a la Const. & a la lib. notez pendt 25 ans. par conse´q. ss B. meˆme. Ils n’e´tt donc pas ses esclaves, si soumis si vol. puisqu’ils crioient a la lib. en effet, ils en parlt bcp trop bas sans dte mais ils saisisst ttes les occas. d’en parler.
6–24 sur le mot ... N. meˆme. ] chaque aline´a biffe´ d’un trait vertical 8 nouvelles ] dans l’interl. sup., on pourrait placer ce mot aussi apre`s conversions 10–24 Pre´face. ... B. meˆme. ] ces aline´as dans la marge gauche 11 se dit ] se 〈plaint〉 dit 13 sans qu’il ... e´toit ] 〈sans〉 sans qu’il puisse 〈& que〉 se de´f. 〈sa bro〉 S’il 〈le fait〉 en e´toit 18 dans cet e´crit ] ces mots au-dessus de la ligne 20–21 revol. ... dans ] revol. 〈leur〉 a 〈rendu sans y penser un assez bel homage〉 dans
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Les nume´ros des fiches de notes sont donne´s ici entres parenthe`ses (voir lignes 15–17) ; les parenthe`ses vides indiquent que la note en cause n’est pas encore re´dige´e ou copie´e. BC renvoie ici a` la brochure Proposition faite a` la Chambre des pairs, comme il ressort de la page cite´e, mise en rapport avec la note en cause, ci-dessous p. 324. La pre´face annonce´e et esquisse´e ici n’a pas e´te´ e´crite.
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Un parti (je ne donne point ici a` ce mot une acception de´favorable, je m’en sers pour de´signer une re´union d’hommes qui professent la meˆme doctrine politique), un parti existe en France, qui s’annonce comme ayant adopte´ re´cemment des principes qu’il a long-temps repousse´s : sa conversion a` ces principes serait une chose importante et heureuse ; elle mettrait un terme aux maux inte´rieurs de notre patrie, et de`s lors tous nos autres maux seraient plus faciles a` gue´rir. Mais ce parti inspire une grande de´fiance au reste de la nation, et cette de´fiance diminue ou de´truit les avantages qui devraient eˆtre le re´sultat naturel de sa conversion, si elle est since`re, et si elle e´tait reconnue pour telle. Je ne trouve, pour ma part, aucune jouissance a` supposer que des hommes honorables, et inte´resse´s au salut de la France, ne soient pas de bonne foi. Je suis d’avis, plus qu’un autre, qu’il ne faut pas croire a` l’e´ternite´ des pre´juge´s ; qu’il faut pardonner aux pre´tentions, pour les rendre passage`res ; qu’il faut laisser les menaces s’e´vaporer, et ne pas enregistrer les engagemens de l’amour-propre. Je ne jugeais pas meˆme ces hommes avec rigueur, lorsque je les regardais, dans leur puissance, comme les ennemis les plus acharne´s des ide´es que je che´ris. Je me disais qu’ils e´taient effraye´s par des souvenirs dont E´tablissement du texte : Imprime´s : 1. De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France, Paris : Delaunay, 1816 [=D1] 2. De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France, seconde e´dition, revue et corrige´e, Paris : Delaunay, 1817 [=D2] 3. De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France, 1818 [=D3] 4. «Ouvrages nouveaux. De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France ; par M. B. de Constant.» Mercure de France, 11 janvier 1817, pp. 46–50 [=D5]. 1 De la doctrine ] dans CPC, le texte de la brochure est pre´ce´de´ d’un avertissement Avertissement. Bien que la Brochure qu’on va lire soit, sous quelques rapports, plus favorable au ministe`re que celles qui l’ont suivie, je n’ai rien voulu y changer, parce qu’au milieu de l’approbation que j’exprime pour l’ordonnance du 5 septembre 1816, on y trouvera le germe du blaˆme que j’ai duˆ exprimer, depuis, pour toutes les mesures ministe´rielles, la loi des e´lections excepte´e. J’ai duˆ louer une ordonnance qui, a` mon sens, a sauve´ la France. J’au duˆ blaˆmer des lois d’exception qui m’ont semble´ la mettre en pe´ril de nouveau. Dans les deux cas, j’ai fait mon devoir. CPC 3–12 Un parti ... pour telle. ] passage correspondant au n o 1 de CH3 13–17 Je ne trouve ... de l’amour-propre. ] passage correspondant au n o 2 de CH3 19– 314.11 Je ne jugeais ... de´sinte´resse´. ] passage correspondant au n o 3 de CH3
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nous fre´missons nous-meˆmes ; qu’ils se croyaient, envers le Roi, le devoir spe´cial de lui conserver ou de lui rendre, fuˆt-ce malgre´ lui, une autorite´ illimite´e. Les opinions ne sont jamais coupables. Personne ne sait par quelle route elles ont pe´ne´tre´ dans les esprits. Personne ne peut calculer l’effet des impressions de l’enfance, des lec¸ons rec¸ues, des doctrines e´coute´es avec respect, des traditions paternelles grave´es dans le cœur comme dans la me´moire. Ces choses agissent inde´pendamment du raisonnement, et modifient ensuite le raisonnement meˆme. Elles de´guisent l’inte´reˆt personnel, a` ses propres yeux ; et tel contre-re´volutionnaire, travaillant a` reconque´rir ses privile´ges, sa supre´matie et ses richesses, a pu se croire, de bonne foi, un he´ros de patriotisme et un citoyen de´sinte´resse´. Il n’en est pas moins vrai que la de´fiance que ces hommes inspirent a` plusieurs est naturelle. Avant meˆme que la re´volution euˆt de´vie´ des voies de la morale et de la justice, ils s’e´taient, pour la plupart, de´clare´s contre toute innovation. Ils n’ont, durant vint-cinq ans, pas fait un mouvement, pas prononce´ une parole, pas e´crit une ligne, sans exprimer leur haine contre les principes qu’ils appelaient alors re´volutionnaires, c’est-a`-dire contre la division des pouvoirs, contre la participation du peuple a` la puissance le´gislative, contre l’abolition des privile´ges et l’e´galite´ des citoyens. Or, tous ces principes servent de base a` notre gouvernement actuel. Sous Bonaparte, ceux d’entre ces hommes qui s’e´taient rapproche´s de lui, ont applaudi a` son pouvoir sans bornes. Ils recommandaient le despotisme comme la le´gislation primitive. Ils proscrivaient la liberte´ religieuse, proposant aux princes d’imiter l’Eˆtre souverainement bon, qui, par-la` meˆme, e´tait souverainement intole´rant. Ils posaient en axiome, et ils l’ont re´pe´te´ sous Louis XVIII, que, lorsque le peuple de´sirait qu’une chose ne se fıˆt pas, c’e´tait pre´cise´ment alors qu’il fallait la faire. Quand les e´ve´nemens de 1814 rendirent aux Franc¸ais la faculte´ d’exprimer leurs sentimens et leurs vœux sur les affaires publiques, ces hommes manifeste`rent encore des opinions en opposition directe avec leurs nouvelles the´ories. Ils e´crivirent des brochures contre la liberte´ de la presse, des articles de journaux pour que le droit d’exil fuˆt accorde´ au gouvernement1. Si, par hasard (ce qui serait un malheur et une faute, mais ce qui pourrait arriver, parce que nous sommes dans un temps de parti) ; si, dis-je, on croyait ne´cessaire de nous disputer quelqu’une des liberte´s qu’ils re´clament, la collection de leurs ouvrages serait l’arsenal le plus complet de sophismes contre chacune de ces liberte´s. Je ne parlerai pas de ce qu’ils ont fait en 1815. Je dirai seulement que leurs phrases sur la ne´cessite´ des coups d’e´tat, sur l’urgence d’abre´ger ou de 12–p. 315.9 Il n’en est pas ... instituteurs. ] passage correspondant au n o 4 de CH3 1
La loi d’exil a e´te´ discute´e en de´cembre 1815 et vote´e en janvier 1816.
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supprimer les formes, sur la justice et la convenance des arrestations sans terme, et des exils sans motifs le´gaux, retentissaient encore autour d’eux, quand ils ont commence´ a` prononcer les phrases contraires a. Je n’attache point une importance exage´re´e a` ces discours de tribune, destine´s a` produire un effet momentane´, et dont la violence s’accroıˆt, contre l’intention de l’orateur, par les applaudissemens qui l’enivrent. Tel homme n’a paru implacable dans une assemble´e, que parce qu’il e´tait entraıˆne´ par ses paroles. Il n’e´tait plus lui : rendu a` lui-meˆme, il serait tout autre. D’ailleurs, les de´faites sont de bons instituteurs. Je pense donc que l’expe´rience, la re´flexion, l’influence des ide´es du sie`cle, la connaissance plus exacte de l’e´tat et des dispositions de la France, ont e´claire´ plusieurs de ces hommes. Ils ont senti que nulle puissance humaine ne releverait ce qui e´tait de´truit, n’ane´antirait ce que deux ge´ne´rations ont consacre´, non-seulement par leurs vœux et par leur adhe´sion, mais, ce qui est plus fort, par leurs transactions et leurs habitudes ; et, convaincus enfin de la ne´cessite´ de ce´der aux temps, ils entrent avec franchise dans la carrie`re constitutionnelle. Malheureusement, ils ont eu jusqu’ici de faˆcheux interpre`tes. E´loquens plus qu’habiles, ces interpre`tes, dans les manifestes qui suivent leurs conversions, semblent ne proclamer des axiomes que pour proscrire des hommes, et ne commencer par des absractions que pour finir par des anathe`mes. Cette me´thode d’annoncer qu’on est revenu de ses erreurs a beaucoup d’inconve´niens. Ceux qui l’emploient irritent la majorite´ qu’ils veulent persuader, et rendent suspecte la minorite´ qu’ils croient servir. Si l’on veut conclure entre les partis un traite´ loyal et durable, que faut-il faire ? Prouver que, le crime excepte´, l’on ne repousse aucun auxiliaire, et qu’on voit dans la re´volution autre chose qu’un long crime ; ne pas fle´trir a
J’avais re´uni dans un autre ouvrage tous les faits relatifs a` cette partie de l’histoire de notre re´volution. Mais j’ai pense´ qu’une re´capitulation trop exacte serait de´place´e, quand il e´tait question de rapprocher les esprits. J’ai donc renonce´ a` publier cet ouvrage1.
10–17 Je pense ... constitutionnelle. ] passage correspondant au n o 5 de CH3 18– 22– 21 Malheureusement ... anthe`mes. ] passage correspondant aux n os 6 67 7 de CH3 24 Cette me´thode ... servir. ] passage correspondant au n o 8 de CH3 25–27 Si l’on ... long crime ; ] passage correspondant au n o 9 de CH3 25–p. 316.8 Si l’on ... opprobre. ] passage reproduit sans changements, mais pre´ce´de´ d’une introduction dans D5 Des raisons d’impartialite´ et de convenance nous interdisent e´galement l’e´loge et la critique de cette brochure. Cependant, comme elle a plus ou moins attire´ l’attention, et que les journaux, pour la plupart, n’en ont pas encore parle´, nous avons pense´ que nos lecteurs ne seraient pas faˆche´s d’en trouver ici des fragmens qui leur donneront une ide´e de l’ouvrage. 27–p. 316.3 ne pas ... classes. ] passage correspondant au n o 10 de CH3 1
BC parle ici probablement de ses Me´moires sur les Cent-Jours. Ou faut-il penser qu’il annonce ainsi qu’il a renonce´ a` la publication de sa re´ponse a` Chateaubriand ? Voir cidessus, p. 289.
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toutes les e´poques de cette re´volution par des de´nominations odieuses ; ne pas se montrer a` la fois ne´ophytes et perse´cuteurs ; convaincre enfin la France qu’on veut la liberte´ pour toutes les classes. Il ne faut pas e´tablir, sur les inte´reˆts qu’on nomme re´volutionnaires, une doctrine propre a` soulever tous les hommes qui ne veulent pas seulement conserver quelques proprie´te´s, e´taler quelques de´corations, se pavaner de quelques titres, mais jouir de ces biens, comme ils en ont le droit, sans eˆtre entoure´s d’un e´ternel et injuste opprobre. Il ne faut pas de´shonorer vingtsept anne´es de notre histoire, vingt-sept anne´es durant lesquelles quelques mise´rables ont commis des crimes, mais durant lesquelles aussi, au milieu des troubles et des calamite´s qui bouleversaient toutes les existences, on a vu des hommes de tous les partis donner de sublimes exemples de courage, de de´sinte´ressement, de fide´lite´ a` leurs opinions, de de´vouement a` leurs amis, et de sacrifice a` leur patrie. Il ne faut pas pre´senter la nation, a` ses propres yeux, et ce qui, dans nos circonstances1, est bien pis encore, aux yeux de l’Europe, comme une race servile et parjure, coupable d’avoir joue´ tous les roˆles, preˆte´ tous les sermens. Il ne faut pas, quinze mois apre`s la dispersion de notre malheureuse arme´e2, en faute un jour, admirable vingt ans, rappeler, en termes amers, le souvenir de ses erreurs, et blaˆmer le gouvernement d’oublier ses torts a. Il ne faut pas prononcer une excommunication politique contre tous ceux qui ont servi ou Bonaparte ou la re´publique, les de´clarer ennemis ne´s de nos institutions actuelles, et trouvant dans ces institutions tout ce qui leur est antipathique, sans re´fle´chir que ces hommes sont la France entie`re ; car, parmi eux, on doit compter et ceux qui ont combattu l’e´tranger, et ceux qui ont administre´ l’E´tat dans des rangs diffe´rens, et ceux qui ont manifeste´ leur a
Il y a un e´crivain surtout, qui devrait eˆtre indulgent pour les erreurs d’une arme´e ; c’est celui qui a dit qu’il raisonnait mal quand il entend battre un tambour. Nos vieux guerriers, couverts de cicatrices, avaient entendu plus de tambours que lui, et ce n’e´taient pas des tambours de luxe3.
4–p. 318.6 Il ne faut ... en dix anne´es. ] passage correspondant au n o 11 de CH3 ne faut ... entie`re ] passage reproduit sans changements dans D5 1 2
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C’est-a`-dire sous l’occupation. Date approximative. Nous devons accepter que BC compte a` rebours depuis le mois de de´cembre 1816 (date valable aussi bien pour CH2 que pour D1). Il parlerait donc de la fin du mois de septembre 1815. Le licenciement de l’arme´e e´tait pre´vu depuis le mois de juillet 1815, annonce´ officiellement le 11 aouˆt, et exe´cute´ entre les 1er et 23 septembre 1815 (voir Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, p. 149, qui parle dans ce contexte de la «maison militaire» en donnant a` ce terme le sens qu’il avait a` l’e´poque napole´onienne). C’est effectivement cette dernie`re date a` laquelle BC fait allusion ici. Allusion a` Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte, ch. XIX : «Et moi aussi, j’ai preˆche´ cette doctrine ; et moi aussi, j’ai dit qu’il fallait fermer les plaies, oublier le passe´,
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opinion en faveur des re´formes, et ceux qui ont me´rite´ l’estime de leurs concitoyens en faisant quelque bien, et ceux qui ont des droits a` leur reconnaissance pour avoir empeˆche´ ou diminue´ le mal. Il ne faut pas, pour remplir ce vide, car c’en est un que toute une nation retranche´e d’un pays, s’adresser exclusivement a` la noblesse, et lui prouver qu’elle pourrait s’emparer de la charte, en faire son monopole, et que la pairie et la repre´sentation lui vaudraient bien les garnisons et les antichambres1. Il ne faut pas croire qu’avec quelques restrictions insignifiantes, avec quelques phrases communes, en promettant qu’un jour les jalousies entre les ordres de l’E´tat seront e´teintes, et le noble et le bourgeois re´unis, on engagera la nation a` se re´signer a` la supre´matie qu’on veut e´tablir. Je m’expliquerai plus loin sur la place que la noblesse peut occuper dans notre monarchie repre´sentative ; et l’on verra que je suis loin de vouloir aucune de ces de´faveurs sociales, causes d’abord d’injustice, puis de re´sistance, et enfin de destruction. Quand l’autorite´ proscrivait les nobles, j’ai combattu ce coupable et dangereux syste`me2. Mais, je le demande, montrer a` vingt-quatre millions d’hommes que quatre-vingt mille peuvent accaparer leurs institutions, pour s’indemniser de leur supre´matie passe´e ; est-ce un moyen de rendre cette minorite´ populaire ? De tels ouvrages ne devraient pas eˆtre intitule´s De la Monarchie selon la charte ; il devraient porter pour titre : De la Charte selon l’Aristocratie, et ils devraient eˆtre e´crits, comme les Ve´des, en langue sacre´e, pour n’eˆtre lus que par la caste favorise´e, et rester ignore´s par les profanes. Mais il est malheureusement des dispositions d’esprit, ou`, malgre´ de grandes et puissantes faculte´s, on ne voit que soi, son salon, sa coterie : l’on oublie que la nation existe. L’on croit que la grande question est de savoir si l’on consentira a` honorer la charte en en profitant : on l’envisage comme une conqueˆte a` faire, quand elle est bien plutoˆt une e´gide a` conserver. Enfin, lorsqu’on veut porter le calme dans l’aˆme d’un peuple, il ne faut pas, en expliquant ce que l’on ferait, si l’on e´tait a` la teˆte de l’E´tat, se montrer re´ge´ne´rant l’opinion, par les commandans de la gendarmerie, les chefs de la force arme´e, les procureurs du Roi et les pre´sidens des cours pre´voˆtales, et promettre d’agir sur la morale publique et de cre´er des roya-
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pardonner l’erreur. Quel e´loge n’ai-je pas fait de l’arme´e ! Je dois meˆme le confesser : je suis trop sensible a` la gloire militaire, et je raisonne mal quand j’entends battre un tambour. Mais ce que je concevois avant le 20 mars, je ne le conc¸ois plus apre`s. Eˆtre un homme, soit ! mais un niais, non ! Je serois aussi trop heureux d’eˆtre deux fois dupe.» Œuvres comple`tes de M. le Vicomte de Chateaubriand, t. XVIII, Me´langes politiques, t. I, Paris : Ladvocat, 1831, p. 365. BC cite ici deux termes de De la Monarchie, 2e Partie, ch. LII, p. 424. Dans Des effets de la Terreur, p. ex. (OCBC, Œuvres, t. I, pp. 515–529).
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listes a, avec des soldats, des gendarmes, des proce`s criminels et des tribunaux extraordinaires. Sans doute il faut cre´er des royalistes constitutionnels, mais par l’affection, par la confiance, par le sentiment du bien-eˆtre, par tous les liens de la reconnaissance et de la se´curite´ : et, sous ce rapport, l’ordonnance du 5 septembre a plus fait, en un jour, que les sept hommes qu’on demande, par de´partement, ne feraient en dix anne´es1. J’ai dit ce qu’il fallait e´viter, quand on voulait calmer et re´unir les partis. Je vais dire ce qu’il faut faire, quand on veut inspirer quelque confiance. Il faut, lorsqu’on se de´clare le protecteur de la liberte´ individuelle, re´clamer quelquefois en faveur des opprime´s d’un parti diffe´rent du sien. Il est difficile de croire que, durant la terrible anne´e que nous avons franchie, ceux qu’on nomme a` tort exclusivement les royalistes, aient seuls e´te´ victimes de de´nonciations injustes ou de mesures vexatoires. Il faut admettre que les re´clamations des suspects d’une autre classe peuvent aussi eˆtre fonde´es. Il faut les e´couter, ne fuˆt-ce que comme preuve d’impartialite´, ou l’on court le risque de laisser la nation croire qu’on ne s’e´le`ve contre les arrestations ille´gales que lorsqu’elles frappent quelqu’un du parti. Il faut, quand on accuse un ministre d’arbitraire, ne pas citer en preuve uniquement des mi ses en liberte´ b, ne pas crier au scandale parce que des a
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Les e´veˆques aussi, j’en conviens, se trouvent sur la liste ; mais, en voyant d’ailleurs ceux qui la composent, je pre´sume que les e´veˆques ne s’y trouvent que pour exhorter les condamne´s. Il est assez curieux que ce fait soit le seul qui re´sulte de la de´nonciation contenue dans la proposition faite a` la Chambre des Pairs, relativement aux dernie`res e´lections. Je citerai les propres phrases de cette de´nonciation, et ce ne sera pas moi que le lecteur devra accuser si mes citations sont monotones2.
20–22 Les e´veˆques ... condamne´s. ] passage correspondant a` un aline´a de CH2 (voir cidessus, p. 297, lignes 1–3 et a` la note pre´vue de CH3 (voir ci-dessus, p. 310, ligne 3) 7–p. 320.9 J’ai dit ... leurs ennemis. ] passage correspondant au n o 12 de CH3, texte profonde´ment remanie´ 9–10 Il faut ... du sien. ] passage reproduit sans changements dans D5 23–p. 320.33 Il est assez curieux ... l’on conserve. ] texte de la note correspondant a` plusieurs passages de CH2 (voir ci-dessus, p. 302, lignes 28–31, p. 303, lignes 4–12, p. 303, lignes 19–29, p. 299, lignes 3–5, p. 299, lignes 11–17, p. 295, lignes 5–14, pp. 297.20–298.9) et indique´ comme une note a` faire dans CH3 (voir ci-dessus, p. 310 et le tableau p. 285) 1
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«Confiez donc les premie`res places de l’Etat aux ve´ritables amis de la Monarchie le´gitime. Vous en faut-il un si grand nombre pour sauver la France ? Je n’en demande que sept par de´partement : un e´veˆque, un commandant, un pre´fet, un procureur du Roi, un pre´sident de Cour pre´voˆtale, un commandant de gendarmerie, et un commandant de Gardes nationales. Que ces sept hommes-la` soient a` Dieu et au Roi, je re´ponds du reste.» De la Monarchie, 2e Partie, chap. LII, p. 425. La longue note qui suit reprend la pole´mique que BC avait engage´e contre la brochure de Chateaubriand Proposition faite a` la Chambre des Pairs (voir ci-dessus, p. 298). Il renvoie aux meˆmes passages tire´s tous de l’«Analyse des pie`ces justificatives».
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«Beaucoup de surveillances ont e´te´ leve´es. Page 7.... Elles ont expire´ tout juste le meˆme jour et a` la meˆme heure. Page 8.... Des hommes sont devenus libres, tout simplement parce que le temps de leur de´tention e´tait fini. Page 8.... On a rendu a` la socie´te´ des hommes en surveillance pour leur conduite politique. Page 9.... On a fait cesser les mesures de haute police pour le cas particulier des e´lecteurs. Page 9.... La police a pousse´ la libe´ralite´ jusqu’a` lever les surveillances des e´lecteurs suspects au Roi et a` la justice. Page 10.... Les jacobins sont sortis de leurs repaires. Page 21.... Ils se sont pre´sente´s aux e´lections. Page 21.... Dans le de´partement du Gers, trois jacobins fameux ont e´te´ mis en liberte´, et ont re´pandu leurs principes autour d’eux. Page 21.... On a jete´ dans la socie´te´ des hommes capables de corrompre l’opinion. Pages 21, 11....» Mais une conside´ration me frappe, qui a e´chappe´ sans doute a` l’auteur de la de´nonciation. La loi sur les pre´venus n’e´tait ne´cessaire, n’e´tait excusable que dans l’hypothe`se que les pre´venus, qui ne pouvaient pas eˆtre ju ge´s, pouvaient eˆtre dangereux. De`s qu’ils cessaient d’eˆtre dangereux, cette loi ne devait plus les atteindre. Or, malgre´ la libe´ralite´ des leve´es de surveillance, malgre´ le scandale des mises en liberte´, les e´lections ont e´te´ bonnes : l’auteur l’avoue. Les de´pute´s qu’on vient de choisir sont des royalistes constitutionnels. La pre´sence des jacobins n’a donc point influe´ sur l’e´lection de ces de´pute´s. Donc ils n’e´taient pas dangereux, donc ils devaient redevenir libres. Donc, s’ils avaient des droits politiques, ils devaient exercer ces droits. En ge´ne´ral, sans examiner la conduite du ministe`re durant les dernie`res e´lections, je pense qu’on peut affirmer que, dans plusieurs de´partemens surtout, elles ont e´te´ beaucoup plus libres que celles de 1815. Il n’y a plus eu dans le midi, sous un pre´texte religieux, des vengeances politiques. Les protestans ont pu concourir aux choix des de´pute´s. Ce sont des diffe´rences qui n’ont pas suffisamment frappe´ l’auteur de la proposition a` la Chambre des Pairs. Quant aux destitutions dont on fait un crime au ministe`re actuel, ces mesures, en supposant tous les faits exacts, me semblent une conse´quence naturelle de notre constitution. Je ne conc¸ois pas que l’on imagine devoir conserver des fonctions sous une administration qu’on attaque. Je ne conc¸ois pas que les membres de l’opposition veuillent re´unir les profits de la faveur et les honneurs de l’inde´pendance. Il faut choisir entre sa con science, ou meˆme son parti, et la bienveillance ministe´rielle. Je ne me constitue, du reste, le de´fenseur d’aucun des ministe`res qui ont re´gi la France depuis la rentre´e du Roi. Tous ces ministe`res ont commis des fautes ; je pourrais dire que toutes ces fautes ont eu la meˆme cause, l’influence d’un parti qui en profite aujourd’hui pour accuser ceux qu’il forc¸a de les commettre. Tous ces ministe`res, par un faux calcul, ont cru de´sarmer ce parti en le satisfaisant a` moitie´ ; et, comme il arrive toujours, se sentant plus fort, il est devenu plus insatiable ; mais j’e´carte ces souvenirs : ceux qui se retraceront tout ce que je pourrais rappeler, m’en sauront gre´ peut-eˆtre. Le ministe`re actuel lui-meˆme, qui a de grands droits, par l’ordonnance du 5 septembre, a` la reconnaissance de tous les Franc¸ais, est pourtant, a` mon avis, tombe´ dans quelques erreurs. Si l’on rapproche mes opinions connues de quelques-unes de ses mesures, l’on concevra facilement qu’il en est que je ne puis approuver. J’ai re´clame´ constamment la liberte´ individuelle, but premier et sacre´ de toute institution politique. J’ai re´clame´ l’inde´pendance responsable des journaux, seul mode efficace de publicite´ dans nos grandes associations modernes, et seul moyen d’affranchir le gouvernement meˆme d’une minutieuse et fatigante solidarite´. J’ai re´clame´ la liberte´ de la presse, et l’introduction des jure´s dans les causes de cette espe`ce, parce que des jure´s sont les seuls juges compe´tens des questions morales, et qu’ils offrent seuls une garantie, soit contre l’arbitraire, soit contre l’impunite´. Je puis donc
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contre les hom mes dangereux qu’on ne doit pas jeter dans la socie´te´, ne pas se plaindre de ce que des de´tenus sont devenus libres, tout simplement parce que le temps de leur de´tention e´tait fini. Quand on a d’enthousiasme accorde´ a` mille autorite´s subalternes le droit d’arreˆter les suspects, il faut s’excuser de ce vote, au lieu de reprocher au gouvernement de n’en pas faire un assez large usage. Il faut enfin savoir, quand on entre dans la carrie`re de la liberte´, qu’elle doit exister pour tous, si l’on veut qu’elle existe pour quelqu’un, et que le caracte`re et le me´rite de ceux qui la servent est de respecter son culte dans la personne de leurs ennemis. De meˆme qu’il faut, quand on pre´tend de´fendre la liberte´ individuelle, ne pas s’irriter de ce que le nombre des de´tenus diminue, il faut, quand on re´clame pour la saintete´ du droit d’e´lection, ne pas s’indigner de ce que des hommes le´galement e´lecteurs ont e´te´ admis a` exercer leurs droits. Il faut, quand on a du respect pour la justice, ne pas appeler un homme soupc¸onne´ d’intelligence avec des rebelles, l’e´mule du chef de ces rebelles, et qualifier des absous du nom d’e´chappe´s aux tribunaux a. Dans un pre´ce´dent ouvrage, on avait propose´ d’imprimer un nouveau dictionnaire. Aupre`s du mot honneur, avait-on dit, il est vieux : au mot fide´lite´, on e´crira duperie. Mettra-t-on aussi au mot soupc¸onne´, e´mule d’un criminel condamne´ a` mort : au mot absous, e´chappe´ aux tribunaux ? Des e´crivains qu’on a crus les organes du parti converti si nouvellement a` la liberte´, ont commis toutes ces fautes, et il en est re´sulte´ une grande de´faveur pour tout le parti. En voyant qu’un changement de principes n’e´tait point un changement de conduite, et qu’on entait de vieilles perse´cutions sur de nouvelles doctrines, la France s’est crue autorise´e a` penser que les hommes, au nom desquels on pre´tendait lui parler, ne saisissaient les maximes de la liberte´ que pour en imposer a` ses amis ve´ritables ; qu’ils auraient ane´anti cette liberte´, si elle n’avait trouve´ protection plus haut ; et que s’ils invoquaient la Constitution, c’est qu’ils n’e´taient pas dans le pouvoir.
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jouir, sous divers rapports, de ce que nous faisons quelques pas vers une ame´lioration e´vidente. Je jouis surtout de ce qu’on abolit ; mais je ne saurais applaudir a` ce que l’on conserve. Remarquez que, par cette expression, ce n’est plus seulement la liberte´ individuelle et la liberte´ des e´lections, c’est l’inde´pendance des tribunaux, l’inviolabilite´ des jugemens qu’on attaque ; s’il y a beaucoup de pareilles conversions a` la liberte´, je ne sais trop quelle liberte´ nous restera1.
3–9 Quand on ... ennemis. ] passage reproduit sans changements dans D5 10–p. 321.5 De 34–37 Remarquez ... nous meˆme ... de l’autre. ] passage correspondant au n o 13 de CH3 restera. ] note pre´vue et e´bauche´e dans CH3 ; voir ci-dessus, p. 310, lignes 6–8 1
BC cite ci-dessus, lignes 15–16, des expressions de la Proposition faite a` la Chambre des Pairs.
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La nation a remarque´ «qu’ils ne savaient com ment allier leurs vieux principes et leurs nouvelles doctrines, embarrasse´s qu’ils e´taient dans la the´orie qu’ils avouaient et dans la pratique qu’ils craignaient, et qu’ils auraient voulu qu’on nous euˆt retire´ d’une main ce qu’on eut semble´ nous donner de l’autre b.» En effet, la circonstance e´tait malheureuse. Au moment ou` un parti e´tait de´ja` soupc¸onne´ de n’avoir fait que changer de tactique, on accre´ditait ce soupc¸on. L’on semblait placer le mot trop pre`s de l’e´nigme, et, en montrant le but, indiquer que la route n’e´tait qu’un de´tour. On peut avoir un tre`s-beau talent, on peut avoir fait dans sa vie des actions tre`s-nobles ; mais, quand on rend suspects ceux pour qui l’on plaide, quand on alie`ne ceux que l’on veut conque´rir, on est un mauvais ne´gociateur. Il est urgent toutefois de trouver des moyens de paix, entre des arme´es preˆtes, peut-eˆtre, a` s’entendre. L’instant est favorable ; le gouvernement, les de´pute´s, l’opposition, la France entie`re, tiennent aujourd’hui le meˆme langage. Il est impossible que ce langage n’influe pas sur les hommes qui le parlent. Ils se pe´ne´treront des principes de la liberte´ en les re´pe´tant. Je pense donc qu’une profession de foi commune doit contribuer a` les re´unir a` la nation. J’ose tracer ici l’esquisse de cette profession de foi, je la crois constitutionnelle et populaire. J’admets que la re´volution a cre´e´ deux espe`ces d’inte´reˆts, les uns mate´riels, les autres moraux ; mais il est absurde et il est dangereux de pre´tendre que les inte´reˆts moraux soient l’e´tablissement de doctrines anti-religieuses et anti-sociales, le maintien d’opinions impies et sacrile´ges. Les inte´reˆts moraux de la re´volution ne sont point ce qu’ont dit quelques insense´s, ce qu’ont fait quelques coupables ; ces inte´reˆts sont ce qu’a` l’e´poque de la re´volution la nation a voulu, ce qu’elle veut encore, ce qu’elle ne peut cesser de vouloir, l’e´galite´ des citoyens devant la loi, la liberte´ des consciences, la suˆrete´ des personnes, l’inde´pendance responsable de la presse. Les inte´reˆts moraux de la re´volution, ce sont les principes. Il ne s’agit pas seulement de garantir les profits de quelques-uns, mais d’assurer les droits de tous. Si l’on ne s’occupe que du premier point, il y aura quelques individus de contens, mais jamais la totalite´ ne sera tranquille. b
Proposition a` la chambre des pairs, relativement aux dernie`res e´lections, pag. 321.
6–13 En effet ... ne´gociateur. ] passage correspondant au n o 14 de CH3 14–p. 328.23 Il est 22–31 la re´volution ... urgent ... lui est e´tranger. ] passage correspondant au n o 15 de CH3 principes. ] La re´volution ... moraux ; mais les inte´reˆts moraux de la re´voltution ... principes. D5 1
La citation de ce passage n’est pas litte´rale, mais le sens des mots de Chateaubriand n’est pas affecte´ par les coupures.
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Les antagonistes de la liberte´, quand ils ont peur, voudraient ouvrir les rangs, pour y recevoir n’importe quels auxiliaires, a` condition qu’ils feront cause commune avec eux et contre le peuple. C’est inutile. Ceux qui passent a` ces ennemis se perdent sans les sauver. Je crois qu’en respectant les inte´reˆts moraux de la re´volution, c’est-a`-dire les principes, il faut prote´ger les inte´reˆts mate´riels. Mais je crois de plus, et c’est ce qu’on a feint d’ignorer trop souvent, qu’en prote´geant les inte´reˆts, il ne faut pas humilier les hommes. Je le de´clare, si, par quelque ressentiment implacable, indiffe´rent aux conse´quences de mes paroles, je voulais bouleverser mon pays, dusse´-je pe´rir au milieu des ruines, voici sans he´siter comment je m’y prendrais : je rechercherais quelle classe est la plus nombreuse, la plus active, la plus industrieuse, la plus identifie´e aux institutions existantes, et je lui dirais : «Nous ne pouvons pas, vu les circonstances, vous disputer vos proprie´te´s ni vos droits le´gaux. Jouissez donc des unes, exercez les autres ; mais nous vous de´clarons que nous regardons ces droits comme usurpe´s, ces proprie´te´s comme ille´gitimes. Nous ne vous proscrivons pas, mais il n’y a aucune proscription que vous ne me´ritiez. Nous ne vous de´pouillons point, mais ne pas vous voir de´pouille´s est un scandale. Nous nous re´signons a` laisser quelques-uns de vous parvenir au pouvoir ; mais tout pouvoir remis en vos mains est une insulte a` la morale publique. Vous savez maintenant ce que nous pensons, allez en paix et en se´curite´, et, apre`s avoir de´vore´ nos injures, croyez a` nos promesses de n’attaquer ni vous ni vos biens.» Tel serait, dis-je, mon langage, si je voulais bouleverser mon pays. Car je calculerais que les hommes ne veulent pas plus eˆtre me´prise´s que de´pouille´s, qu’on ne les re´duira jamais a` supporter patiemment l’opprobre, et que les protestations qu’on place a` coˆte´ des outrages ne servent de rien, parce que ceux qu’on a outrage´s voient avec raison dans les outrages une preuve de la faussete´ des protestations. Je serais suˆr qu’en irritant un nombre immense de citoyens sans les de´sarmer, en les aigrissant sans les affaiblir, j’exciterais leur indignation, puis leur re´sistance. Or, ce que je ferais si je voulais bouleverser mon pays, on le fait depuis trois anne´es, on le fait encore aujourd’hui. Je ne dis point qu’on ait le dessein d’attirer sur notre patrie des calamite´s nouvelles. Je parle du terme ou` l’on ne peut manquer d’arriver par cette route, et non du but vers lequel les projets se dirigent. Je crois que les amis de la liberte´ doivent accueillir les conversions ; mais je pense que les convertis ne doivent point partir d’un changement tardif et soudain pour exiger incontinent le pouvoir. La nation trouverait leur dialectique e´trange. Ils se sont trompe´s vingt-sept ans, ils le confessent, et c’est en vertu de cette longue erreur qu’ils lui proposent de s’en remettre a` leurs lumie`res ! Elle leur re´pondrait qu’ils ont attendu long-temps pour se 5–35 en respectant ... dirigent. ] En respectant ... mate´riels. Mais en prote´geant les inte´reˆts ... hommes. Je la de´clare ... dirigent. D5 17 comme ] la source porte commes
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convertir, et qu’ils peuvent bien attendre un peu pour la gouverner. En passant tellement vite de la the´orie a` l’application, et de leurs principes a` leurs inte´reˆts, ils se nuisent. Si un musulman embrassait le christianisme, je me re´jouirais de l’acquisition d’un nouveau fide`le ; mais, si ce jour-la` meˆme ce musulman voulait eˆtre pape ; je ne laisserais pas que d’avoir des doutes sur la ferveur de sa foi. Je pense que le gouvernement, fuˆt-il convaincu de la loyaute´ de certains hommes, commettrait encore une grande imprudence en les plac¸ant exclusivement a` la teˆte de l’E´tat. Une tradition que tous les peuples re´pe`tent est, disait He´siode, une divinite´. Lorsqu’une conviction est ge´ne´rale, fuˆt-elle mal fonde´e, il est de la sagesse de l’autorite´ de la me´nager. Il ne s’agit donc pas uniquement de savoir si les convertis qui veulent nous re´gir me´ritent la confiance, il faut examiner encore si la nation est dispose´e a` la leur donner. Je crois qu’ils font bien de demander aux ministres toutes les liberte´s le´gitimes ; mais je pense qu’ils ne doivent pas exiger d’eux qu’ils oppri ment un parti pour satisfaire l’autre. Je ne sais quel e´veˆque, se trouvant sur un vaisseau preˆt a` couler bas, re´citait ses prie`res. Mon Dieu, disait-il, sauvez-moi ; ne sauvez que moi, je ne veux pas fatiguer votre mise´ricorde. N’invoquons pas la liberte´, comme cet e´veˆque invoquait la providence. Je crois qu’il ne faut repousser d’aucune carrie`re aucun de ceux qui n’ont point commis de crimes, mais qui ont servi la France sous les divers gouvernemens qui l’ont domine´e. Je crois meˆme qu’il ne faut pas se montrer trop se´ve`re envers ceux qui n’ont pas re´siste´ au despotisme avec assez d’e´nergie. Je plaide une cause qui m’est e´trange`re. Durant les treize anne´es du gouvernement de Bonaparte, j’ai refuse´ de le servir ; j’ai pre´fe´re´ l’exil a` son joug ; et quelque jugement qu’on porte sur moi pour avoir sie´ge´ dans ses conseils a` une autre e´poque, quand douze cent mille e´trangers menac¸aient la France, l’imputation de servilite´ ne saurait m’atteindre. Mais je de´fends aussi, contre cette imputation, la cause nationale, et j’affirme que, lorsqu’apre`s avoir donne´ a` la liberte´ des regrets impuissans, et tente´ pour elle des efforts trop faibles, beaucoup d’hommes se sont re´signe´s a` un esclavage dont ils ne calculaient pas l’e´tendue, la nation e´tait fatigue´e d’une longue anarchie, l’opinion e´tait flottante, un chef s’offrait qui promettait le repos. La majorite´ de la France lui accordait une confiance de lassitude. Les esprits clairvoyans, qui apercevaient en lui un tyran futur, e´taient en petit nombre. Si je ne voulais, dans un e´crit dont le seul me´rite est d’inviter a` l’oubli des haines, m’interdire toute re´crimination, je demanderais a` nos rigoristes d’un jour ce qu’ils ont fait alors pour seconder ceux qui mettaient le peuple en garde contre le despote a` venir. Ils ont appuye´ ce despote, en vantant, sous son re`gne, le pouvoir absolu comme le meilleur gouvernement ; ils 20–22 il ne faut ... domine´e. ] passage reproduit sans changements dans D5
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l’ont servi de leur me´taphysique obscure, et de leur prose poe´tique, et de leurs dithyrambes et de leurs sophismes. Lorsque, graˆces a` leurs syste`mes, les derniers organes de la nation furent e´carte´s de la tribune, que pouvait faire cette foule d’hommes utiles, laborieux, e´claire´s, qui, sans avoir la force de re´sister a` un mal ine´vitable, sentaient qu’il y avait encore quelque bien possible, et croyaient devoir a` leur pays d’y contribuer ? S’ils sont coupables ceux qui ont servi sous la tyrannie, ils ne sont coupables que d’avoir ce´de´ a` l’impulsion imprime´e a` la France par leurs accusateurs d’aujourd’hui ; et meˆme, au sein de leur soumission, ils ont encore donne´ des preuves de leurs de´sirs et de leurs regrets a. Rappelons une e´poque trop fameuse, celle du proce`s du ge´ne´ral Moreau ; qui a embrasse´ sa cause ? qui a re´dige´ son admirable de´fense ? qui a porte´ la terreur jusques dans le palais de son ennemi, par une indignation menac¸ante et contagieuse ? qui ? des amis de la liberte´, des hommes de la re´volution, pour me servir de l’expression qu’on emploie. Oui, plusieurs ont e´te´ faibles : mais chaque fois qu’une espe´rance de liberte´ s’est offerte a` eux, ils l’ont saisie, ils l’ont seconde´e, ils en ont conserve´ la tradition ; et, si elle survit, ils y sont pour quelque chose. Savons-nous d’ailleurs le mal qu’ils ont empeˆche´ ? Parmi ceux qui les blaˆment, n’en est-il aucun qui doive a` quelqu’un d’eux sa fortune, la vie de ses amis, celle de ses proches ou la sienne propre ? Je le sais, la reconnaissance a la me´moire courte. A l’instant du pe´ril, on implore la protection, on rec¸oit le bienfait : le pe´ril passe, on rappelle les torts, on en fait des crimes. J’entendais quelqu’un dire un jour : Je ne sais lequel de ces mise´rables m’a sauve´ la vie. Nous e´chappons a` un grand naufrage. La mer est couverte de nos de´bris. Recueillons dans ces de´bris ce qu’il y a de pre´cieux, le souvenir des services rendus, des actions ge´ne´reuses, des dangers partage´s, des douleurs a
Un e´crivain qu’on n’accusera pas d’eˆtre favorable aux hommes de la re´volution, M. de Chateaubriand, dans sa dernie`re brochure (Proposition a` la chambre des pairs, page 31), a reconnu cette ve´rite´ sans s’en apercevoir. En leur reprochant d’abandonner aujourd’hui leurs opinions anciennes, il les de´signe ainsi : «Ceux-la` meˆmes qui, pendant vingt-cinq ans, ont crie´ a` la liberte´, a` la constitution1.» Notez, pendant vingt-cinq ans, donc sous Bonaparte meˆme : ils n’e´taient donc pas ses esclaves si soumis, si volontaires. En effet, ils ont, non pas crie´ a` la liberte´, malheureusement, mais parle´ de la liberte´, beaucoup trop bas sans doute. Ils saisissaient toutes les occasions de parler dans ce sens, comme d’autres saisissaient toutes celles de parler dans le sens contraire ; et ce sont ces derniers qui, aujourd’hui, les taxent de servilite´ !
16–p. 325.2 plusieurs ... honorables ] passage reproduit sans changements dans D5 29– 38 Un e´crivain ... servilite´. ] note pre´vue et e´bauche´e dans CH3 ; voir ci-dessus, p. 310, lignes 9 et 20–26 1
Citation le´ge`rement arrange´e.
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secourues. Au lieu de briser le peu de liens qui nous unissent encore, cre´ons de nouveaux liens entre nous par ces traditions honorables. La justice l’exige, la prudence le conseille ; l’on ne fera pas, comme on le propose, marcher les institutions d’aujourd’hui par les hommes d’autrefois. Les hommes d’aujourd’hui forment, je l’ai dit auparavant, l’immense majorite´ nationale. Toute l’influence morale, toute l’expe´rience de de´tails, toute l’habitude des affaires, toutes les connaissances de fait sont de leur coˆte´. Le gouvernement ne peut se passer d’eux : et c’est pour cela que, depuis la premie`re chute de Bonaparte, tous les ministe`res qui se sont succe´de´, ont e´te´ contraints, apre`s quelques oscillations, a` prendre une marche a` peu pre`s uniforme, et a` rentrer dans un syste`me qu’on a repre´sente´ faussement comme une conspiration contre la monarchie, et qui n’est autre chose que l’action ne´cessaire et ine´vitable des inte´reˆts nationaux sur la monarchie. Ce n’est pas que je veuille, par une intole´rance e´troite et absurde, repousser une classe de l’administration des affaires. J’ai beaucoup de confiance dans la force de la liberte´, et, pourvu qu’elle soit entoure´e de ses le´gitimes garanties, je ne crains point de voir quelque puissance remise a` des mains momentane´ment impopulaires. Je crois donc qu’il est utile, qu’il est de´sirable que la noblesse entre dans la Charte. Je crois qu’une classe, e´le´gante dans ses formes, polie dans ses mœurs, riche d’illustration, est une acquisition pre´cieuse pour un gouvernement libre ; et pour prouver que cette opinion, que j’exprime aujourd’hui, et qui peut-eˆtre est loin d’eˆtre ge´ne´rale, a toujours e´te´ la mienne, je transcrirai ce que j’e´crivais a` une autre e´poque. «Des privile´ges, meˆme abusifs, disais-je, sont pourtant des moyens de loisir, de perfectionnement et de lumie`res. Une grande inde´pendance de fortune est une garantie contre plusieurs genres de bassesses et de vices. La certitude de se voir respecte´ est un pre´servatif contre cette vanite´ inquie`te et ombrageuse, qui, partout, aperc¸oit l’insulte ou suppose le de´dain, passion implacable qui se venge, par le mal qu’elle fait, de la douleur qu’elle e´prouve. L’usage des formes douces et l’habitude des nuances inge´nieuses donnent a` l’aˆme une susceptibilite´ de´licate et a` l’esprit une rapide flexibilite´. Il fallait profiter de ces qualite´s pre´cieuses. Il fallait entourer l’esprit chevaleresque de barrie`res qu’il ne puˆt franchir, mais lui laisser un noble e´lan dans la carrie`re que la nature rend commune a` tous. Les Grecs e´pargnaient les captifs qui re´citaient des vers d’Euripide. La moindre lumie`re, le moindre germe de la pense´e, le moindre sentiment doux, la moindre forme e´le´gante, doivent eˆtre soigneusement prote´ge´s. Ce sont autant d’e´le´mens indispensables au bonheur social. Il faut les sauver de l’orage ; il le faut, et pour l’inte´reˆt de la justice, et pour celui de la liberte´ : car toutes ces choses aboutissent a` la liberte´ par des routes plus ou moins directes. Nos re´formateurs fanatiques, continuais-je, confondirent les e´poques pour allumer et entretenir les haines : comme on e´tait remonte´ aux Francs et aux Goths pour
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consacrer des distinctions oppressives, ils remonte`rent aux Francs et aux Goths pour trouver des pre´textes d’oppression en sens inverse. La vanite´ avait cherche´ des titres d’honneur dans les archives et dans les chroniques : une vanite´ plus aˆpre et plus vindicative puisa dans les chroniques et dans les archives des actes d’accusation a.» J’imprimais ces lignes lorsque la tempeˆte grondait sur la teˆte de ces hommes, et qu’une tyrannie en pe´ril, les connaissant pour ses ennemis secrets, menac¸ait d’e´voquer contre eux les rigueurs des lois oublie´es et les fureurs d’un peuple irrite´. Je puis me rendre ce te´moignage, qu’a` toutes les e´poques j’ai invite´ la force a` la justice. Mais je ne crois point, qu’en faisant entrer la noblesse dans la Charte, on doive lui conseiller de s’en emparer. Elle n’y re´ussirait pas : elle perdrait le be´ne´fice de la liberte´, sans obtenir les avantages de la conqueˆte. L’esprit du sie`cle, et plus encore celui de la France, est tout entier a` l’e´galite´. Oui, je le crois ; il est possible, peut-eˆtre facile de sauver la France. L’on a pu remarquer plus d’une fois, durant la re´volution, qu’une certaine force morale inaperc¸ue, mais toute-puissante, ramenait les choses et les hommes dans la direction que cette re´volution leur a imprime´e. Depuis que cette re´volution a commence´, diverses factions ont essaye´ de la faire de´vier de sa route : aucune n’a re´ussi. Bonaparte, par d’incroyables succe`s, a comprime´ cette force morale. Mais il est tombe´, et l’opinion, qu’on avait crue e´touffe´e par lui, s’est montre´e vivante. Dans la premie`re anne´e de la carrie`re constitutionnelle, on a ne´glige´ cette expe´rience. Les esprits supe´rieurs eux-meˆmes ont besoin de temps pour bien connaıˆtre les e´le´mens avec lesquels et sur lesquels ils doivent agir. Une catastrophe e´pouvantable en a e´te´ la suite. L’Europe est intervenue : tout s’est re´tabli ; mais des haines de parti ont recommence´ a` menacer l’œuvre de vingt-sept anne´es, et le pe´ril a reparu. L’ordonnance du 5 septembre a replace´ la nation dans sa route naturelle, et le pe´ril s’est dissipe´. Quelle est donc cette route naturelle, dont il est si fatal de s’e´carter ? C’est celle que la nation a voulu s’ouvrir au commencement de 1789. A cette e´poque, elle s’est propose´ pour but d’e´tablir, non-seulement une liberte´ de fait, mais une liberte´ de droit, et de se de´livrer de toute possibilite´ d’arbitraire. La douceur pratique du gouvernement ne lui suffisait pas. Elle a
De l’Esprit de Conqueˆte, pag. 1221.
15–19 L’on ... re´ussi. ] passage reproduit sans changements dans D5 garanties. ] passage reproduit sans changements dans D5 1
29–p. 327.2 Quelle ...
BC cite l’e´dition parisienne de son texte, en changeant discre`tement quelques petits de´tails de la syntaxe pour l’adapter au contexte nouveau. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 763– 764.
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avait besoin de la se´curite´, autant que de la jouissance, et, pour satisfaire ce besoin, elle re´clamait des garanties. Telle a e´te´ toute la question de 1789 ; des ambitions particulie`res, des vanite´s personnelles, des inte´reˆts ne´s du trouble, et qui ne pouvait s’assouvir que par le trouble, ont jete´, a` travers la re´volution, des forfaits horribles et des e´ve´nemens de´plorables. Mais, au milieu de ses souffrances, de ses convulsions, de sa servitude, la nation n’a cesse´ de vouloir ce qu’elle avait voulu ; et chaque fois qu’elle a pu e´lever la voix, elle a recommence´ a` le demander. La preuve en est que, si l’on prenait au hasard les e´crits publie´s aux diffe´rentes e´poques, malheureusement trop courtes, durant lesquelles elle a joui de quelque liberte´, l’on trouverait toujours l’expression des meˆmes de´sirs, et l’on n’aurait, pour les adapter au moment actuel, qu’a` changer les noms et les formes. Telle est donc la route dans laquelle la nation veut marcher. Elle se l’est trace´e en 1789 : elle y est rentre´e toutes les fois qu’elle a pu le faire. Elle a de´savoue´, tantoˆt par son silence, tantoˆt par ses plaintes, tout ce qui l’en e´cartait. Il faut donc reconnaıˆtre cette ve´rite´. Ce que la nation craint, ce qu’elle de´teste, c’est l’arbitraire. On ne l’e´tablirait pas plus avec les acque´reurs de biens nationaux, que contre les acque´reurs de biens nationaux, pas plus avec les hommes de la re´volution, que contre les hommes de la re´volution. Aux mots de liberte´, de garantie, de responsabilite´, d’inde´pendance le´gale de la presse, de jugemens par jure´s, avec des ques tions bien pose´es, de respect pour les consciences, cette nation se re´veille. C’est la` son atmosphe`re ; ces ide´es sont dans l’air qu’elle respire. Vingt-sept ans de malheurs, d’artifice, et de violence, n’ont pas change´ sa nature. Elle est ce qu’elle a e´te´ : elle sera ce qu’elle est : rien ne la changera. Qu’on ne se trompe pas a` un symptoˆme qui a pu surprendre, mais que je crois avoir explique´. Des voix, qui e´taient suspectes a` cette nation, ont proclame´ subitement des principes qu’elles s’e´taient jadis fatigue´es a` proscrire. Elle est reste´e muette, mais d’e´tonnement : ce n’a pas e´te´ par aversion pour les principes, mais par de´fiance des hommes. Son silence ne signifie pas : Nous ne voulons pas ce que vous dites ; il signifie : Nous craignons ce que vous voulez. Les de´positaires du pouvoir ont une disposition faˆcheuse a` conside´rer tout ce qui n’est pas eux comme une faction. Ils rangent quelquefois la nation meˆme dans cette cate´gorie, et pensent que l’habilete´ supreˆme est de se glisser entre ce qu’ils nomment les factions oppose´es sans s’appuyer d’aucune. Mais tout parti, toute association, toute re´union d’hommes dans le pouvoir ou hors du pouvoir, qui ne se ralliera pas aux principes nationaux, ne 12–32 Telle est ... voulez. ] passage reproduit sans changements dans D5 parti ... e´tranger. ] passage reproduit sans changements dans D5
38–p. 328.23 tout
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trouvera d’assentiment nulle part. Si le hasard lui remet l’autorite´, ou si elle s’en saisit par ruse ou par force, la nation la laissera gouverner, mais sans l’appuyer : car c’est un des re´sultats de son expe´rience que cette habitude de se retirer de tout ce qui n’est pas dans son sens, suˆre que par cela seul, toˆt ou tard, tout ce qui n’est pas dans son sens tombe. Elle s’e´pargne ainsi la fatigue de la re´sistance ; elle e´chappe au danger, laissant ceux qui veulent marcher a` eux seuls, faire route entre deux abıˆmes. Dans de pareils momens, on dirait qu’elle est morte, tant elle reste immobile et prend peu de part a` ce qui se fait. Mais proclamez une parole, excitez une espe´rance qui soit nationale, elle reparaıˆt pleine de vie, et aussi infatigable dans son ze`le, qu’elle est ine´branlable dans sa volonte´ : elle reparaıˆt tellement forte, que souvent ceux qui l’ont appele´e ont la faiblesse de s’en e´pouvanter : ils ont tort. Elle ne re´clame rien d’injuste ; elle hait tout ce qui est violent ; mais elle a un sens parfait sur ce qui est vrai et sur ce qui ne l’est pas ; et il y a une chose qu’elle ne pardonne point, c’est de croire qu’on peut la tromper. Elle est du reste fort e´quitable dans ses jugemens ; elle tient compte des circonstances ; elle sait gre´ aux hommes du mal qu’ils ont empeˆche´ ; elle excuse meˆme le mal qu’ils ont laisse´ faire, quand elle voit qu’ils n’y ont consenti que pour en e´viter un plus grand. Mais elle exige aussi qu’on la conduise au but qu’elle veut atteindre : de`s qu’on s’en e´carte, on a beau faire et beau parler, elle ne prend point le change ; elle s’arreˆte, avertie par son instinct infaillible que ce qu’on dit n’est qu’une ruse, et que ce qu’on fait lui est e´tranger.
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PENDANT qu’on imprimait ce petit ouvrage, deux brochures remarquables ont paru. L’une est la pre´face ajoute´e par M. de Chaˆteaubriand a` la collection de ses œuvres politiques1 ; l’autre, la sixie`me partie de la correspondance de M. Fie´ve´e2. L’un des plus beaux ge´nies du dix-huitie`me sie`cle, Rousseau, s’e´tait imagine´ que les philosophes de tous les pays avaient ourdi contre lui une conspiration a` laquelle ils avaient associe´ tous les peuples de la terre. Les 24 Post-scriptum ... Fin ] chapitre supprime´ dans CPC 1
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Franc¸ois-Rene´ de Chateaubriand, Me´langes de politique, Paris : Le Normant, 1816, 2 vol. L’ouvrage, une collection des brochures politiques de Chateaubriand, est sorti au mois de de´cembre 1816. Joseph Fie´ve´e, Correspondance politique et administrative. Sixie`me partie, Paris : Le Normant, 1816.
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enfans qui, dans la rue, ne lui parlaient pas, lui semblaient tremper dans cette conspiration, et le chien danois qui le renversa, en courant devant une voiture, e´tait, dans son opinion, l’un des conjure´s. Cette preuve, que des faculte´s e´minentes ne pre´servent pas celui qui les posse`de, de l’effet que produit sur l’esprit une ide´e fixe, peut seule expliquer ce qui d’ailleurs serait impossible a` concevoir, je veux dire qu’un e´crivain publie, tous les mois au moins, une brochure dans laquelle il attaque depuis les sous-pre´fets jusqu’aux ministres, et pre´tende en meˆme temps que la presse est si peu libre, qu’il n’a pas meˆme le moyen de se de´fendre1 ; et qu’un pair de l’opposition se dise perse´cute´, bien qu’en une double qualite´ il conserve du gouvernement, dont il combat toutes les mesures, des faveurs auxquelles j’applaudis, parce que le talent a toujours droit aux faveurs, mais qui prouvent cependant que la perse´cution n’est pas bien violente. Je crois que M. de Chaˆteaubriand est de bonne foi dans toutes ses plaintes ; mais je n’en ge´mis que plus sur l’influence d’une ide´e fixe, puisque la vue de ses propres brochures, imprime´es et vendues publiquement, ne l’empeˆche pas de regarder la presse comme asservie, et que la faculte´ dont il use, de poursuivre un ministre des invectives les plus ame`res et des accusations les plus graves, sans qu’il en re´sulte pour lui-meˆme aucun inconve´nient, n’alte`re en rien sa conviction que ce ministre est arme´ d’un pouvoir absolu et l’exerce contre ses ennemis avec une rigueur implacable. Si la pre´face de M. de Chaˆteaubriand est curieuse, comme monument d’une maladie bizarre de l’esprit humain, l’ouvrage de M. Fie´ve´e est d’un tout autre inte´reˆt. Il y a dans cet ouvrage des principes que je n’ai ni l’envie ni la possibilite´ de combattre, car je les ai professe´s et de´fendus long-temps avant leurs de´fenseurs actuels : et comme un de leurs moyens contre les hommes qui ne pensent pas devoir s’associer a` leurs haines, est de les accuser d’eˆtre infide`les a` leurs anciennes doctrines, je suis tente´ de faire re´imprimer ce que j’ai e´crit, en regard de ce qu’ils e´crivent ; et je de´clare que, comme je croyais ces principes de toute ve´rite´, avant qu’ils les eussent adopte´s, je persiste a` les croire de toute ve´rite´, aujourd’hui qu’ils les adoptent2. Mais, apre`s cette de´claration, je me permettrai quelques remarques sur la manie`re dont ces principes e´taient de´fendus par l’opposition de 1814, et sur la manie`re dont ils le sont par l’opposition de 1816. 1
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Allusion a` ce qui est dit dans une note a` cette pre´face (p. VIII, n. 1). Chateaubriand y soutient la the`se que la presse annonce un parti-pris re´volutionnaire et refusera par conse´quent de parler sans pre´juge´s de ses ouvrages. La sixie`me partie de la Correspondance politique et administrative est presque exclusivement consacre´e aux analyses de la session de 1816. Les vues de Fie´ve´e se rapprochent souvent des opinions de BC.
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Je demande pardon au public de me citer ; mais ayant traite´, il y a deux ans, les meˆmes questions qu’on traite aujourd’hui, des brochures qui d’ailleurs doivent eˆtre parfaitement oublie´es, peuvent servir de point de comparaison entre les deux e´poques. Qu’on rapproche donc ce que j’ai e´crit sur la liberte´ des pamphlets et des journaux, et mes observations sur le discours du ministre de l’inte´rieur, en faveur du projet de loi relatif a` la liberte´ de la presse, et ce que M. de Chaˆteaubriand et M. Fie´ve´e publient. L’on verra que d’e´gards, que de me´nagemens j’apportais, en relevant les erreurs du gouverne ment, combien je craignais de jeter du doute sur ses intentions, combien j’e´tais empresse´ de rendre hommage a` ce qu’il pouvait avoir fait de bien. C’est que je ne voulais de´placer ni surtout remplacer personne. J’aurais regarde´ comme un crime tout ce qui aurait pu troubler la paix dont nous jouissions alors1. Dans les ouvrages des deux e´crivains que j’ai cite´s, il n’y a pas une ligne qui ne tende, au contraire (je ne parle pas de ce qu’ils veulent, mais de l’effet qu’ils produisent), a` jeter de l’odieux sur les intentions, et a` travestir en conspiration contre l’E´tat, des raisonnemens que, moi aussi, je trouve de´fectueux, mais que je ne saurais conside´rer comme des manœuvres de conspirateurs. C’e´tait ne´anmoins a` l’opposition bienveillante et mesure´e de 1814, que M. de Chaˆteaubriand adressait les re´flexions suivantes : «Les Franc¸ais auront-ils toujours cette impatience de´plorable qui ne leur permet de rien attendre de l’expe´rience et du temps ? ... La constitution anglaise est le fruit de plusieurs sie`cles d’essais et de malheurs, et nous en voulons une sans de´faut dans six mois ! On ne se contente pas de toutes les garanties qu’offre la charte, de ces grandes et premie`res bases de nos liberte´s. Il faut sur-lechamp arriver a` la perfection : tout est perdu parce qu’on n’a pas tout. Au milieu d’une invasion a, dans les dangers et dans les mouvemens d’une restauration subite, on voudrait que le Roi euˆt le temps de porter ses regards autour de lui, pour de´couvrir les e´le´mens de ces choses que l’on re´clame. ... Nous, qui commenc¸ons ce gouvernement, ne nous manque-t-il rien pour le bien conduire ? Ne vaut-il pas mieux qu’il se corrige progressivement avec nous, que de devancer notre e´ducation et notre expe´rience.» (Re´flexions politiques, chap. 14.)2 a
M. de Chaˆteaubriand trouve-t-il que les dangers d’une invasion sont moins grands en 1816 qu’ils ne l’e´taient en 1814 ?
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Les deux aline´as pre´ce´dents et les deux derniers de la brochure sont cite´s par l’auteur du compte rendu des Annales politiques (voir ci-dessus, p. 288) pour mettre en relief l’esprit conciliateur exprime´ dans la brochure. Citation conforme. Chateaubriand, Re´flexions politiques sur quelques e´crits du jour et sur
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Je ne cite point ces phrases comme apologie de mesures que je de´sapprouve. Je pense a` pre´sent ce que M. de Chaˆteaubriand ne pensait pas en 1814, et ce qu’il pense aujourd’hui, que la liberte´ individuelle devrait eˆtre comple`te, que la liberte´ le´gale de la presse devrait eˆtre assure´e par des lois exemptes de tout arbitraire, et que les journalistes devraient eˆtre responsables, mais inde´pendans. Je dis que M. de Chaˆteaubriand ne pensait pas tout cela en 1814, et je le prouve, au moins pour la liberte´ de la presse : car, dans les meˆmes Re´flexions politiques, il e´crivait «Que cette der nie`re question pouvait diviser et embarrasser les meilleurs esprits, et que, quand on voyait, d’un coˆte´, Gene`ve mettre des entraves a` la liberte´ de la presse, et, de l’autre une partie de l’Allemagne et la Belgique proclamer cette liberte´, on pouvait croire qu’il n’e´tait pas si aise´ de de´cider pe´remptoirement.» Pag. 191. Je ne le cite donc point pour m’en appuyer, mais pour montrer ce qu’il e´crivait sur l’opposition la plus douce et la plus mode´re´e qui fuˆt jamais. Que n’e´crirait-il pas contre l’opposition d’aujourd’hui, s’il n’en e´tait le chef ou l’organe1 ! Je n’ai pas sous les yeux les portions de la correspondance politique et administrative qui a paru a` la meˆme e´poque ; mais, si ma me´moire ne me trompe pas, l’auteur parlait alors avec assez de me´pris de la liberte´ de la presse, et nous pourrions regarder comme une amende honorable la peine qu’il a prise de copier nos raisonnemens2. Laissons ce qui est personnel, venons aux re´sultats. Tous les partis, je l’ai de´ja` observe´, parlent aujourd’hui le meˆme langage. Mais les uns veulent renverser des hommes, et d’autres ne combattent que pour les principes. Or, ceux qui veulent renverser les hommes nuisent aux principes, parce qu’ils entravent la marche des autres. Veut-on faire finir toutes ces discussions ? veut-on que tout le monde soit d’accord ? Qu’on mette un terme aux agressions personnelles. Qu’on ne se montre plus a` la fois avocats des doctrines, et he´ritiers pre´somptifs des places. Qu’on reconnaisse ce que le ministe`re a fait de bien ; qu’on prouve que, s’il fait a` l’avenir tout celui qu’il peut faire, on ne tient point a` le renverser. Alors, les vrais amis de la liberte´ pourront e´couter ses nouveaux auxiliaires. Le ministe`re sera plus libre de bien agir ; il sera meˆme, ce qui doit tenter ses ennemis, plus inexcusable dans ses fautes. La nation saura a` qui entendre, qui croire, et qui e´couter.
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les inte´reˆts de tous les Franc¸ais, 27 novembre 1814, dans Grands e´crits politiques, t. I, p. 192. Citation non litte´rale. Mais les changements de syntaxe et du temps des verbes n’alte`rent pas le sens des phrases. Re´flexions politiques, e´d. cite´e, p. 194. BC exage`re peut-eˆtre. Voir la 5e lettre de la Correspondance politique et administrative (Deuxie`me partie, pp. 59–83).
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Jusqu’alors il y aura toujours des esprits de´fians, qui croiront qu’on demande ce qu’on ne veut pas pour arriver a` ce que l’on veut, et que l’on troquerait volontiers la liberte´ individuelle contre la chute du ministe`re de la police, la liberte´ des journaux contre le remplacement du ministre de l’inte´rieur, et la liberte´ des livres contre le changement du pre´sident du conseil. FIN.
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Articles du Mercure de France
Le Mercure de France de´cembre 1816 – de´cembre 1817
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Introduction ge´ne´rale
Il serait souhaitable de pouvoir retracer ici les circonstances de la prise en charge du Mercure de France, un des plus anciens pe´riodiques de France, par Constant et son e´quipe. Mais cela n’est gue`re possible. Nous sommes fort mal renseigne´s sur les activite´s de Constant pendant les trois derniers mois de l’anne´e 1816. Il est de retour avec Charlotte a` Paris, il s’installe dans un appartement loue´ a` l’hoˆtel Vauban, il arrange a` grands frais une maison pour y habiter avec sa femme, il re´dige sa brochure De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France en re´ponse a` De la monarchie selon la Charte de Chateaubriand. Et il s’engage dans l’affaire du Mercure de France, avec force et re´solution, car le prospectus qui de´finit le programme du groupe des journalistes est re´dige´ encore au mois de de´cembre. La publication du prospectus pre´suppose l’attribution du privile`ge royal, de´tenu par E´lisabeth de Bon, romancie`re et traductrice1. Mais aucun contrat d’achat n’a pu eˆtre de´couvert. Et pourtant, l’engagement financier de Constant est documente´ dans les Livres de de´penses, ou` il note les sommes verse´es pour l’achat d’actions2. Si l’on ignore les de´tails de l’acquisition du Mercure de France par Constant et peut-eˆtre encore d’autres personnes, nous sommes assez bien renseigne´s sur le programme re´dactionnel de ce pe´riodique et sur l’e´quipe qui en assure la re´alisation. Le programme libe´ral est expose´ clairement dans le prospectus, re´dige´ fort probablement en de´cembre 1816. Programme surtout politique, d’inspiration libe´rale, mais comple´te´ par des contributions sur la litte´rature, la philosophie, les autres pays de l’Europe, sur des sujets militaires ou juridiques, des comptes rendus d’ouvrages s’y rapportant, une chronique du the´aˆtre, pour en nommer l’essentiel. Il suffit de consulter la liste des articles publie´e par E´phraı¨m Harpaz3 pour se faire une ide´e assez claire de l’orientation de ce programme. 1
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On connaıˆt d’elle Les aveux de l’amitie´, roman publie´ en 1801, le petit texte Pierre de Bogis et Blanche de Gerbaut (1805) et le recueil Les douze sie`cles, nouvelles franc¸aises, publie´ en 1817. Il semble qu’elle ait ce´de´ aux intrigues qui sont a` l’origine de la suppression du Mercure de France. Voir ci-dessous, p. 338. Il investit au moins 600 francs. Voir les Livres de de´penses, OCBC, Œuvres, t. VII, pp. 366, 371 et 376. E´phraı¨m Harpaz, L’e´cole libe´rale sous la Restauration, Le «Mercure» et la «Minerve», 1817–1820, Gene`ve : Droz, 1968, pp. 367–402. L’ouvrage de Harpaz est la meilleure e´tude sur le Mercure de France et La Minerve franc¸aise. Voir en outre K. Kloocke, Biographie, pp. 216–224.
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La liste des collaborateurs est impressionnante. Le re´dacteur le plus important et celui qui insuffle la vie a` ce pe´riodique, c’est e´videmment Constant dont les articles sur le travail de la Chambre sont sans contredit les pie`ces les plus importantes de ce recueil ephe´me`re. On y rencontre Antoine Jay, journaliste de renom et ancien directeur de L’Inde´pendant, avec ses articles sur des questions litte´raires, E´tienne de Jouy, responsable d’une se´rie d’articles intitule´e «L’Ermite en province» avec des tableaux de mœurs, le litte´rateur E´tienne Aignan qui jouera un roˆle de premie`re importance dans la Minerve, Jean-Baptiste Esme´nard avec des articles sur l’Espagne, Pierre-Louis Lacretelle avec des articles politiques, le journaliste Martial Sauquaire-Souligne´, auteur de la rubrique «Mercuriale». PierreFranc¸ois Tissot re´dige des articles de critique litte´raire, Pierre-Jean de Be´ranger y publie parfois une de ses chansons. Le Mercure de France a connu beaucoup de succe`s, atteste´ par les e´chos dans le public, par la re´impression de cahiers e´puise´s et par la lettre de Constant du 3 mars 1817 a` Rosalie de Constant ou` l’on trouve cette phrase «L’entreprise que j’ai faite de relever presque a` moi seul un journal tombe´, pour m’en servir comme d’un cadre, afin de re´pandre beaucoup d’ide´es que je crois utiles, me donne d’autant plus de peine qu’elle a eu plus de succe`s, et que ce succe`s m’y attache1.» Mais cette faveur ne fut pas de tre`s longue dure´e. Nous ne pouvons que formuler des hypothe`ses sur les raisons qui auraient de´termine´ le gouvernement et en particulier Richelieu a` faire supprimer le Mercure. Il s’agit peut-eˆtre, comme le dit Harpaz2, de plusieurs raisons a` la fois : le renforcement de la position libe´rale pendant les e´lections de 1817, l’intervention suppose´e des Allie´s, et le compte rendu de la brochure de Jube´ sur le Concordat contenu dans le dernier cahier du Mercure3. Le privile`ge a e´te´ retire´ a` la suite d’une intrigue politique. Sur les Chambres Benjamin Constant a propose´ l’analyse des de´bats a` la Chambre des De´pute´s pendant la session de 1816–1817. Ce n’est pas une taˆche facile. Il suffit pour s’en rendre compte de dresser la liste des se´ances depuis la convocation des chambres en novembre 1816, des matie`res aborde´es et des discours parfois tre`s de´veloppe´s des de´pute´s qui sont monte´s a` la tribune. Constant 1 2 3
Corr. Rosalie, p. 223. Harpaz, L’e´cole libe´rale, p. 19–21. Augustin Jube´ de La Pe´relle, Encore un Concordat : notes rapides sur les articles d’une loi propose´e pour l’enregistrement et la publication d’un nouveau Concordat, par le ge´ne´ral Auguste Jube´, ancien Tribun et ex-pre´fet, Paris : Scherff, Delaunay, Pelicier, 1817.
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y fait allusion au de´but de la se´rie des treize articles qu’il va consacrer aux travaux parlementaires. Ce projet poursuit un but tre`s pre´cis : il veut montrer au public qui pouvait s’inte´resser a` ces choses, donc aux e´lecteurs potentiels et aux hommes politiques engage´s dans les de´bats, les principes de politique qui sous-tendent les de´libe´rations. Il n’y a pas d’action politique sans une base the´orique, pas de vote sans obe´issance a` un parti, a` une opinion de´fendue, pas d’action politique possible sans la base constitutionnelle qui en re`gle les conditions. C’est donc moins le contenu concret des de´libe´rations des de´pute´s qui est au centre d’inte´reˆt des articles de Constant que l’analyse des doctrines politiques qui s’expriment pendant les de´bats et qui dominent les de´cisions, c’est leur rapport aux lois fondamentales, a` la Charte, qui doit eˆtre de´termine´ avec clarte´, en de´couvrant les e´carts e´ventuels ou une conformite´ impeccable. La pre´ponde´rance des questions de principe ne signifie pas que les articles de Constant ne´gligeraient la pre´cision dans l’e´vocation des arguments rapporte´s ou dans l’analyse des opinions des de´pute´s. Au contraire : les faits dont il est question sont expose´s avec soin, les citations sont toujours d’une grande fide´lite´, meˆme lorsque les passages ne reproduisent pas litte´ralement les mots des orateurs, les re´sume´s des arguments des de´pute´s sont faits avec soin. Cela s’explique d’ailleurs par le se´rieux du sujet, par les antagonismes des groupes politiques dans une France sous l’occupation des allie´s, par les souvenirs de la Re´volution, de l’Empire, des E´migre´s, bref par ce qu’on peut appeler le climat moral de la conscience collective de cette e´poque. Le se´rieux du sujet, la responsabilite´ professionnelle du journaliste qui observe avec rigueur l’obligation de ve´racite´ qu’il exige dans ses e´crits the´oriques sur cette matie`re, le souci de ne donner aucune prise aux adversaires politiques dont il attaque les doctrines, dominent les articles qui sont un mode`le de ce que Constant entend par un journalisme se´rieux. On peut dire d’ailleurs que la description nuance´e et e´quitable de l’opinion des adversaires politiques conditionne d’une manie`re favorable la de´fense des positions libe´rales. Celles-ci sont expose´es avec calme et sans pole´mique excessive, ce qui ne signifie pas qu’elles sont soutenues sans force. Est-ce une suite de l’ordonnance du 5 septembre qui avait mis fin a` la Terreur blanche ? Est-ce un signe de pre´caution tactique ? C’est possible. L’e´criture constantienne offre d’ailleurs aussi des passages d’une ironie superbe. L’analyse du de´bat sur la vente des foreˆts nationales et en particulier du discours de Bonald en est un bel exemple. Puisque Constant veut exposer des principes politiques et non les faits divers des de´bats, il choisit un nombre restreint de sujets pour ses articles : la re´capitulation des travaux de la Chambre depuis 1815, l’ordonnance du 5 septembre 1816, les e´lections de 1816, la constitution d’une nouvelle
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Chambre ou` il y a enfin une ve´ritable opposition, voila` le de´but. Le reste tourne autour de six grands sujets : la loi e´lectorale, la loi sur les dotations eccle´siastiques, la loi sur la liberte´ individuelle, la loi sur la liberte´ de la presse et sur les journaux, et surtout la loi sur le budget. Cette dernie`re est la grosse affaire de la session de 1816. Les analyses de Constant font ressortir avec une belle clarte´ les conse´quences pratiques de sa doctrine, qu’il a expose´e dans ses e´crits pre´ce´dents. De´fense de la liberte´ individuelle qui exclut toute de´cision arbitraire, de´fense de la publicite´ de l’opinion, qui exclut la censure, de´fense de l’inde´pendance des croyances religieuses, qui demande une base financie`re ade´quate, de´fense d’une participation de plus en plus large d’e´lecteurs responsables pour garantir des e´lections ve´ritablement nationales ; de´fense de la monarchie constitutionnelle, qui exige la se´paration des pouvoirs et le vote, apre`s la discussion, du budget. Les bases the´oriques des analyses politiques applique´es a` une situation concre`te sont les traite´s qu’il a publie´s depuis 1813. Ces articles du Mercure en sont la confirmation lumineuse. Rien d’e´tonnant alors a` ce que Benjamin Constant les reprenne comme une grande lec¸on dans le deuxie`me tome du Cours de politique constitutionnelle. K. K. Tableau politique de l’Europe Dans les livraisons de janvier a` mai 1817 du Mercure de France, Benjamin Constant publie un Tableau politique de l’Europe, celle de l’apre`s-Congre`s de Vienne. La feuille en avait de´ja` dresse´ le sommaire dans son prospectus et, comme on lui avait reproche´ de ne pas y voir inclus la Russie, Constant commence par cette dernie`re, la Pologne et les pays scandinaves, avant de passer a` l’espace allemand, qu’il connaıˆt bien, en le divisant en trois parties : Prusse, Autriche, Die`te de Francfort et ses E´tats secondaires. Si, d’une part, il te´moigne de sa connaissance du monde universitaire et des milieux re´formistes allemands de la pe´riode de la Befreiungskrieg (guerre de libe´ration), on doit bien constater, moins de deux ans apre`s l’effondrement de l’e´quipe´e des Cent-Jours, une propension nette a` louer les trois monarques vainqueurs et futurs partenaires de la Sainte-Alliance, le tsar Alexandre (qui fascine alors nombre de libe´raux franc¸ais), le roi de Prusse Fre´de´ric-Guillaume III auquel il continue a` faire confiance et meˆme l’empereur Franc¸ois auquel il attribue des principes e´claire´s, que toute sa politique tant en Italie que dans l’espace germanique contredit pourtant. On notera que le nom de Cle´ment-Wenceslas-Ne´pomuce`ne-Lothaire Metternich, qui e´tait de´ja` le deus ex machina de l’Europe politique, n’est pas mentionne´.
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Ce respect des teˆtes couronne´es contraste avec les mots durs qu’il a pour les ultras de la Premie`re Restauration en France. Tre`s au courant de l’actualite´ royale la plus re´cente, Constant mentionne le mariage russe du Prince d’Orange, et celui, autrichien, de Don Pedro, ce´le´bre´s l’un en 1816, l’autre en 1817. Ses textes supposent chez le lecteur la connaissance de donne´es politiques qui n’avaient peut-eˆtre pas passionne´ le public franc¸ais. Prenons un exemple : les E´tats de Wurtemberg. Combien de ses lecteurs connaissaient les arcanes complique´s des re´formes constitutionnelles wurtembergeoises et, surtout, combien savaient que les tenants d’un certain immobilisme fe´odal et municipal avaient eu l’ide´e de faire appel aux trois puissances garantes de l’ancienne constitution, ce qui avait provoque´ un grand e´tonnement au Congre`s de Vienne ? L’information venait des deux tomes de l’abbe´ de Pradt, Du Congre`s de Vienne1. Sur presque tous les points (sauf la re´ve´rence pour la Prusse et la crainte d’une Russie asiatique), l’abbe´ de Pradt, ex-e´migre´, ex-aumoˆnier de Napole´on, ex-archeveˆque de Malines devenu apre`s 1812 un opposant farouche a` l’Empire, pourtant tenu a` l’e´cart par les Bourbons, diverge de Constant et affirme qu’il ne faut «point confondre les ide´es libe´rales avec la malfac¸on de leurs metteurs en œuvre [...] Autre chose l’e´toffe, autre chose l’ouvrier qui la travaille». C’est dans l’e´conomie ge´ne´rale et l’agencement des arguments et des informations que les deux œuvres se ressemblent. Benjamin Constant de´coche cependant, en passant et sans le citer, quelques fle`ches aux critiques comme aux louanges formule´es par l’abbe´ de Pradt quant a` l’œuvre et a` l’esprit du Congre`s. Emprunteur a` l’occasion, il peut aussi eˆtre copie´. Dans sa brochure De la Belgique depuis 1789 jusqu’en 1794 (publie´e a` Paris et Rouen chez Be´chet en 1820), l’abbe´ de Pradt va reprendre les jugements de Constant sur Marie-The´re`se et ses vertus, sur Le´opold II (son passe´ toscan, philosophique et ses qualite´s de patience) avec une similitude e´clatante dans l’e´nume´ration et le vocabulaire. Il s’abrite derrie`re son propre se´jour en Belgique pour ne pas avoir a` citer les deux copieux articles de Constant consacre´s au royaume hollando-belge. «Quel est aujourd’hui», e´crit l’abbe´ de Pradt, «l’Europe´en qui sache les noms de Vandernoot et de Van Eupen, et qui s’informe de ce qu’ils ont fait et de ce qu’ils sont devenus ?» Mais Constant, bien suˆr, a` la premie`re page de son troisie`me article !
1
Dominique-Georges-Fre´de´ric de Rion de Prolhiac de Fourt de Pradt (1759–1837). Son ouvrage Du Congre`s de Vienne, a connu deux e´ditions a` Paris fin 1815 chez Deterville et Delaunay.
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Constant est particulie`rement bien documente´ sur ce qui se passe a` Bruxelles et La Haye. Il serait tentant, mais sans doute faux, d’y voir l’influence de son oncle Guillaume-Anne de Constant-Rebecque de Villars (1750–1832), admis en 1824 dans la noblesse des Pays-Bas, ancien gouverneur de Maastricht apre`s une longue carrie`re, comme son grand-pe`re et son pe`re, au service des Provinces-Unies puis de Guillaume Ier. Ou de son cousin Jean-Victor de Constant-Rebecque, (1773–1850), ancien de´fenseur des Tuileries en 1792, servant ensuite la Prusse, puis la Grande-Bretagne et le Prince d’Orange pendant la campagne d’Espagne. Il le`ve la Le´gion d’Orange pour l’insurrection hollandaise de 1813, organise l’arme´e nationale et combat a` Waterloo. Aide de camp du Prince d’Orange, il sera lieutenant-ge´ne´ral et chef d’e´tat-major en 1830–1831. Ses vues anti-libe´rales, royalistes et tre`s attache´es au re´gime hollandais sont en complet de´saccord avec le jugement se´ve`re porte´ par notre publiciste sur les pratiques gouvernementales de Guillaume Ier, qu’il loue cependant d’avoir mis le clerge´ belge au pas, seul point de convergence par ailleurs avec l’abbe´ de Pradt. Les sources d’information se trouvent plus probablement dans les journaux publie´s en Belgique par des re´fugie´s franc¸ais, tel le Nain jaune re´fugie´ de Cauchois-Lemaire et Guyet, lance´ en 1816, qui deviendra Le Libe´ral en novembre 1816, puis Le Vrai Libe´ral en mars 1817. Dans la re´daction, on trouve d’autres Franc¸ais comme Guillaume Lallemant, Brissot-Thivars, Harel du Tancrel et le comte de Pestre de la Ferte´, qui subiront a` un moment ou l’autre les tracasseries ou les foudres de la justice ne´erlandaise. La connaissance qu’a Constant des «choses de Belgique» est profonde pour la pe´riode de la Re´volution brabanc¸onne, dont il connaıˆt maints de´tails relatifs a` la lutte des factions1. Il les mentionne a` bon escient, mais souvent par des allusions elliptiques que ses lecteurs franc¸ais avaient sans doute du mal a` comprendre : roˆle du duc d’Ursel, palinodies de Van der Noot par exemple. En revanche, pour le pre´sent institutionnel, il simplifie beaucoup ce qui e´tait la fameuse arithme´tique hollandaise lors de l’adoption de la «Grondwet»2 et erre parfois, comme lorsqu’il affirme que le roi Guillaume nomme tous les membres de la repre´sentation parlementaire. Constant e´crit bien, mais il e´crit vite, oubliant parfois de se reporter a` ses sources livresques et journalistiques. Il e´crit «Bronsdorf» pour Bernstorff3, «Gagert» pour Gagern4. L’erreur vient de lui, re´digeant de me´moire, comme il le fait souvent, et non d’un prote ne pouvant lire son e´criture : il parle en effet de Franc¸ois II comme empereur d’Autriche, alors qu’il est devenu Franc¸ois Ier depuis la disparition du Saint-Empire. Distraction sans doute. 1 2 3 4
Voir De la re´volution du Brabant en 1790, OCBC, Œuvres, t. I, pp. 211–237. Sur la «Grondwet», la constitution, voir ci-dessous, pp. 564, 566–567. Voir ci-dessous, p. 394. Voir ci-dessous, p. 487.
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Nous ne saurons pas ce que contenaient les troncatures impose´es tre`s probablement par les bureaux de la censure aux pages 357, 359 et 362 du Mercure1. Le contexte nous laisse ne´anmoins supposer une re´fe´rence par trop pre´cise a` la pe´riode napole´onienne, tandis que la critique des ultras, figurant dans une phrase longue et complique´e, a e´chappe´ a` leur vigilance. F. B. et C. L. Articles sur la presse et les journaux Les trois articles publie´s par Constant dans le Mercure de France les 1er, 8 et 15 fe´vrier 1817 sous les titres «Projet de loi sur la liberte´ de la presse», puis «Projet de loi sur les journaux» pre´parent l’opuscule sorti en juillet 1817 : Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France. Constant y reprend, cinq mois plus tard, sous une forme diffe´rente, des e´le´ments du de´bat parlementaire qu’il a commente´ dans ces pages sous le titre ge´ne´ral «Des chambres». Cela lui permet, dans cet ouvrage plus e´tendu, d’opposer les intentions du le´gislateur qu’il connaıˆt bien pour les avoir commente´es en son temps avec l’interpre´tation qu’en donnent des juges trop prompts a` re´primer. Le ton est pourtant tre`s diffe´rent des articles par rapport a` la brochure. Les publications du Mercure sont destine´es a` des lecteurs plus ou moins acquis aux ide´es de Constant, en tous cas de tendance libe´rale et qui ne risquent pas d’eˆtre effraye´s par un discours incisif en faveur des journalistes et de leur droit a` publier les opinions sans censure pre´alable et sans risquer des sanctions. En juillet, l’objectif de Constant sera diffe´rent : il s’agira alors d’impressionner des juges, avocats du parquet et magistrats du sie`ge, et d’eˆtre utile a` des auteurs et des imprimeurs condamne´s pour leurs e´crits ; pas question donc, dans cette dernie`re publication, d’ouvrir de larges perspectives sur les me´faits de la re´pression dans le passe´ ou sur le but poursuivi, celui d’une liberte´ comple`te des e´crits a` plus ou moins bre`ve e´che´ance. De telles mises en cause des condamnations prononce´es dans le passe´ et des souhaits de suppression de tout controˆle dans l’avenir ne pourraient qu’indisposer et inquie´ter les magistrats. Nul besoin de ces pre´cautions dans le Mercure. Le passe´ est appele´ au secours du pre´sent et de l’avenir. La censure n’a jamais sauve´ d’une chute ine´vitable aucun re´gime condamne´. Les exemples de la Convention, du ` l’inverse, la Directoire et de l’Empire le de´montrent surabondamment. A possibilite´ pour les journalistes de se faire l’e´cho de l’opinion publique et notamment du rejet de la politique belliqueuse suivie pendant plus de vingt ans par la France, aurait e´pargne´ au pays de grands malheurs. Quant a` l’accusation selon laquelle la presse aurait entraıˆne´ la chute de certains 1
Voir ci-dessous, pp. 479, 481 et 484.
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gouvernements, Constant entend e´galement s’inscrire en faux contre elle : les exemples e´trangers, notamment anglais prouvent le contraire tandis que la Re´volution de 1789 est d’abord imputable a` une crise financie`re. En meˆme temps, ces articles et l’opuscule se rejoignent par la volonte´ de Constant de se pre´senter comme le de´fenseur habile et efficace de la liberte´ de la presse. Il s’agit moins d’invectiver que de convaincre et d’amener dans le camp des libe´raux le plus de monde possible, fuˆt-ce en affectant d’y ranger des gens qui ne s’en sentent pas spontane´ment proches et qui, a` force de s’entendre re´pe´ter qu’ils ne sont pas favorables a` des mesures rigoureuses, finiront par s’en convaincre. Si la plus grande partie des pages de ces articles donnent d’abord l’impression d’un compte rendu banal des interventions prononce´es a` la tribune avec de larges citations copie´es du Moniteur et tel qu’en pre´senterait un bulletiniste paresseux, une lecture plus attentive de´trompe promptement. Les choix de Constant ne sont pas innocents, ni les petites modifications introduites dans les extraits, apparemment tout a` fait insignifiantes. Il s’agit d’augmenter les rangs du camp libe´ral au point que celui qui ne connaıˆtrait pas la composition de la Chambre des De´pute´s de 1817 finirait par la croire domine´e par une confortable majorite´ en faveur d’une large liberte´ de la presse alors que la plupart de ses membres sont rien moins que me´fiants a` l’e´gard des feuilles imprime´es. Ainsi, exalte-t-il les propos de ceux, y compris le ministre de la Police, qui ont de´fendu le projet de loi alle´geant un peu le poids de la censure. Certes, le nouveau texte lui paraıˆt trop timide mais il affecte de voir dans les propos rassurants des uns et des autres quant aux intentions du monarque, une promesse pour l’avenir. Quant aux adversaires du nouveau dispositif pourtant timide et prudent, il s’efforce d’atte´nuer leur opposition. Il met en exergue les propos un peu convenus, sinon hypocrites, sur la bienveillance du re´gime a` l’e´gard des hommes de lettres, sur les bienfaits de la liberte´ et sur les avantages d’un syste`me ou` la circonspection des auteurs comme des lecteurs permettrait a` chacun de tout e´crire et de tout lire, perspectives a` leurs yeux trop e´loigne´es dans le temps pour leur paraıˆtre vraiment menac¸antes, ou simplement re´alistes. ` l’inverse, Constant pre´sente quasi comme de simples pe´ripe´ties les A propos parfois violents dirige´s contre les exce`s de la presse : pour lui, il ne s’agit que de manifestations un peu vives de de´plaisir au souvenir d’attaques subies dans le passe´ et que l’on n’aurait pas encore pardonne´es. Elles ne mettraient pas en cause l’essentiel : l’attachement a` la libre expression des opinions. Il n’est jusqu’a` Louis de Bonald, symbole meˆme du courant contre-re´volutionnaire qui ne soit pre´sente´ comme e´voluant vers plus de libe´ralisme. Il n’est personne que Constant, prophe`te obstine´ de la liberte´, de´sespe`re de rallier. A. C.
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Articles sur le budget Les articles «Des Chambres» publie´s par B. Constant dans le Mercure, de meˆme que la contribution de Saint-Aubin sur la dette publique de l’Angleterre, comple`tent de fac¸on heureuse les autres de´veloppements politiques, e´conomiques et financiers des deux amis, qui seront commente´s plus loin1. Les de´veloppements politiques. La «discussion sur le budjet» de Constant, notamment dans ses articles VIII et XIII, est une illustration de cette tendance du libe´ralisme politique, que l’on peut re´sumer en disant que Constant de´fend le droit pour les repre´sentants de l’opposition «d’attaquer tous les actes du ministe`re, meˆme par des raisonnements qui ne sont que spe´cieux et, si elle veut, par des sophismes»2. Juste avant, il a cette formule admirable, qui en dit long sur le caracte`re «poe´tique» de certaines envole´es parlementaires : «en e´coutant certains orateurs, on eut dit Ossian parlant d’e´conomie politique3 !» Tel n’est d’ailleurs pas le cas de M. de Ville`le, lequel «s’est distingue´ par des recherches laborieuses [et] sa connaissance des faits»4. Le libe´ralisme e´conomique. Constant e´crit que «la destination du gouvernement est de prote´ger et non de salarier, de laisser faire et non d’employer5». Dans ces conditions, «on verra l’industrie naissante attirer une portion de ceux qui, par habitude, croyent aujourd’hui qu’on ne peut vivre qu’aux de´pens de l’Etat6». Ces lignes sont publie´es a` l’occasion de re´flexions sur les de´penses budge´taires, notamment gonfle´es par des pensions imme´rite´es et couˆteuses. Le de´bat sur le financement des de´penses extraordinaires. La de´faite de 1815 a entraıˆne´ l’invasion et l’occupation de la France, qui ont conduit au versement de sommes que les recettes ordinaires – essentiellement les impoˆts fonciers et les taxes sur la consommation – ne pouvaient suffire a` financer. Demander nonobstant ces sommes a` des impoˆts aurait fortement aggrave´ le choc e´conomique, de´ja` constitue´ par la crise agricole (deux anne´es de mauvaises re´coltes) et manufacturie`re (la fin des de´bouche´s privile´gie´s dus a` l’Empire et au blocus continental). Constant, puis Saint-Aubin insistent sur l’avantage de l’emprunt, qui re´partit la charge sur de longues anne´es. De plus, au lieu de gravement perturber le circuit e´conomique, l’emprunt absorbe des e´pargnes qui peuvent eˆtre inemploye´es ailleurs. Les dangers de l’emprunt public. Constant, comme son ancien colle`gue au Tribunat J. B. Say, est toutefois conscient des dangers de l’emprunt pu1 2 3 4 5 6
Voir Voir Voir Voir Voir Voir
ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous,
pp. 915–929. p. 549. p. 548. p. 514. p. 513. p. 513.
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blic. S’il devient trop facile, il va conduire a` des de´penses excessives, et notamment a` entretenir des comportements belliqueux. Il y a en la matie`re, comme dans toute chose humaine, des limites a` ne pas de´passer. Et puis, il faut bien pre´voir le paiement des inte´reˆts – on disait alors des «arre´rages» – et donc voter les ressources ne´cessaires : des impoˆts – mais dont l’accroissement, comme on vient de le dire, n’est pas celui qu’aurait entraıˆne´ ` l’e´poque, le projet gouvernemental l’absence de recours au cre´dit public. A contient e´galement ce que les modernes appellent des «privatisations», en l’occurrence la vente de foreˆts confisque´es au clerge´ catholique durant la Re´volution. C’est l’occasion pour Constant de critiquer les pratiques de ce dernier sous l’Ancien Re´gime, trop attache´ aux biens mate´riels, entraıˆnant des comportements parfois peu charitables, et, le re´forme´ pointant l’oreille, de re´clamer l’e´galite´ de traitement pour l’ensemble des «sectes» pre´sentes sur le territoire. On sait que les Chambres refuseront ladite vente de foreˆts – de meˆme que plus tard, en 1824, celle des Pairs repoussera le projet de Ville`le de conversion du taux nominal de la rente, de 5 a` 4,5%, qui devait aider a` indemniser les spoliations re´volutionnaires (le fameux «Milliard des e´migre´s») ; les Pairs s’abriteront pour ce faire derrie`re la de´fense de la veuve et de l’orphelin, eux-meˆmes de´pendants des ressources de l’E´glise catholique, dont les revenus auraient e´te´ re´duits par la diminution des arre´rages. Constant critique de l’amortissement. Pour ce qui concerne la dette publique, que le versement des indemnite´s va fortement accroıˆtre, Constant, bien davantage que nombre de ses contemporains, se montre tre`s moderne. Il a notamment compris que le syste`me de l’amortissement, fonde´, on y reviendra, sur une extrapolation du jeu des inte´reˆts compose´s, peut eˆtre un mirage. On rappelle ici en quelques mots ce syste`me : si l’E´tat e´met un emprunt de 100, il ne va, par exemple, en vendre au public que 99, plac¸ant les 1% restant dans une Caisse (publique) d’amortissement. Celle-ci recevra les arre´rages annuels affe´rents et les «composant» – c’est-a`-dire en achetant de nouveaux titres de dette portant eux-meˆmes inte´reˆt – elle verra ainsi s’accroıˆtre les fonds a` sa disposition, ce qui lui permettra de finir par de´tenir toute la dette publique, qu’elle pourra ainsi annuler. Constant a bien compris que le syste`me suppose que l’E´tat cesse par ailleurs d’emprunter, donc re´alise au minimum l’e´quilibre budge´taire. Or, hormis quelques anne´es sous la Restauration – avec Ville`le aux affaires – l’E´tat empruntera toujours davantage qu’il n’amortira et ne remboursera. Dans ces conditions, la Caisse peut tout au plus servir a` «lisser» les cours boursiers de la dette. Tel e´tait d’ailleurs son roˆle sous l’Empire. Une re´flexion de Saint-Aubin sur la dette publique britannique. Enfin, le Mercure publie une contribution tout-a`-fait inte´ressante de Saint-Aubin sur
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la mesure du poids de la dette publique britannique. Depuis longtemps de´ja`, de nombreux observateurs hors d’Angleterre, notamment franc¸ais, annonc¸aient que ce poids allait de´truire l’e´conomie britannique, alors que la France, de´barrasse´e des deux tiers de la dette par la banqueroute du Directoire (1797) et peu emprunteuse sous l’Empire (Napole´on re´pugnant a` ce qu’avait de «public», c’est-a`-dire de politique, le cre´dit) ne pouvait qu’e´merger e´conomiquement victorieuse. On sait ce qu’il en fut : le triomphe de la «cavalerie de Saint-Georges», du financement a` cre´dit par Londres des ennemis de la France, sur la Grande Arme´e ! Par une se´rie d’estimations de la richesse nationale britannique – d’abord foncie`re, puis e´galement mobilie`re – Saint-Aubin conclut que la dette publique britannique ne forme qu’une petite partie de l’ensemble des richesses de l’ıˆle. Cette dette atteignait 700 millions de livres sterling (soit 17,2 milliards de francs Germinal) au de´but de 1816 ; elle se compare a` au moins 2440 millions de richesse foncie`re – a` laquelle il convient d’ajouter la richesse mobilie`re. Il s’agit la` de capital, de «stocks». Si l’on conside`re les flux annuels, le revenu national d’alors pourrait eˆtre selon Saint-Aubin de 300 millions1, alors que les arre´rages n’atteignent que 27 millions. On est donc loin de la ruine. Depuis Saint-Aubin, une comptabilite´ nationale re´trospective a e´te´ tente´e. Elle fait ressortir que le capital de la dette britannique en 1821 s’e´levait a` 277% du flux annuel net de richesse cre´e´e – chiffre «horrifique» selon les crite`res europe´ens actuels (le traite´ de Maastricht fixe une limite haute a` 60% !). Par une sage politique, et surtout graˆce aux effets de la Re´volution industrielle sur le de´nominateur, le revenu national, ce pourcentage reviendra a` 38% au de´but du XXe sie`cle. Non seulement, la Grande-Bretagne n’a pas e´te´ e´touffe´e, mais elle a e´te´ jusque tard au XIXe, la premie`re puissance e´conomique mondiale. Bon connaisseur de ce pays, Saint-Aubin aura de´cide´ment e´te´ meilleur «prophe`te» ou si l’on pre´fe`re moins pessimiste que la plupart de ses contemporains. Et c’est la dette publique franc¸aise qui, faible en 1820 (autour de 40% du revenu national), e´tait, en capital, la plus importante au monde en 1914 : plus de 30 milliards de francs, soit a` peine moins que le revenu national d’alors. M. L.
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Une estimation que les modernes n’ont pas substantiellement corrige´e. B.R. Mitchell en 1988 propose 291 millions pour 1821. Voir W. Eltis, «Debt, Deficits and Default», in : Debts and Deficits, An Historical Perspective, publie´ par J. Maloney, Chetenham : E. Elgar, 1998, pp. 116–132.
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L’e´loge de Saint-Je´roˆme Le compte rendu d’un ouvrage curieux, sympathique sans doute, mais de peu de valeur sur le plan de l’e´rudition, est pour Constant une occasion de parler des ses recherches sur la religion. On peut penser que les lecteurs du Mercure savaient, d’une manie`re ge´ne´rale et vague, que Benjamin Constant s’occupait de ces recherches, mais ils n’en connaissaient ni l’e´tendue ni l’orientation scientifique. Constant re´ve`le ces deux aspects, sans que le lecteur moyen de cet article ait pu deviner a` cette e´poque l’envergure extraordinaire des travaux. Pour la critique moderne, par contre, ce compte rendu est un te´moignage pre´cieux pour les objectifs des recherches de Constant, qui ne s’e´puisent nullement avec les cinq tomes de De la Religion. Cet ouvrage ne couvre, en de´pit des apparences, qu’une partie des recherches de Constant. Elles englobaient aussi, comme nous le savons par les manuscrits qu’il nous a laisse´s, l’E´glise ancienne, la Re´forme et la the´ologie des Lumie`res, et visaient donc a` totaliser, dans une certaine mesure, les connaissances alors disponibles sur la religion, objectif gigantesque et sans doute utopique. Le compte rendu de l’ouvrage sur Saint-Je´roˆme parle de tout cela d’une manie`re allusive, mais pour nous, qui avons l’avantage de connaıˆtre les dossiers de travail de Constant, d’une manie`re fort pre´cise. La preuve en est la pole´mique contre Chateaubriand. En repoussant les visions poe´tiques et romantiques de Chateaubriand pour re´clamer une conception scientifique, ancre´e dans les faits historiques, d’une the´orie de la religion, Constant requiert une re´flexion qui puisse satisfaire une conscience intellectuelle moderne. C’est ce qu’avait compris le traducteur italien anonyme de la partie scientifique de ce compte rendu, accompagne´e d’une note qui en souligne l’importance : «Non tutte le idee di questo articolo saranno da tutti approvate. Ma la sua idea fondamentale, che il cristianesimo, anche parlando coi soli lumi della ragione, abbia rigenerata l’umana specie, e` troppo nobilmente e felicemente svolta in questo scritto, per non far perdonare qualche traviamento ad uno scrittore non ricoverato sotto l’ubbidienza della cattolica chiesa.1» K. K.
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La traduction partielle a paru (en 1817 ?) sous le titre «I Padri della Chiesa» dans le t. IX du pe´riodique Lo spettatore ossia varieta` istoriche, letterarie, critiche, politiche e morali, pp. 559–564. La note, accroche´e au titre, se trouve p. 559.
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Articles ne´crologiques sur Madame de Stae¨ l Depuis son remariage et surtout depuis sa retraite en Allemagne en 1811, les liens de Constant et de Mme de Stae¨ l se sont fortement distendus. Toutefois, leur correspondance – meˆme si on ne dispose que de quelques lettres ayant e´chappe´ a` l’autodafe´ voulu par la famille de Broglie – te´moigne de sentiments reste´s profonds en de´pit de la rupture. Lorsque Mme de Stae¨ l parvient a` s’enfuir de Coppet en 1812 et a` gagner la Sue`de, puis l’Angleterre, elle ne cesse de vouloir des nouvelles de son ancien amant. Comme l’e´crit Friderike Brun a` Charles de Villers, «voila` notre amie St[ae¨ l] au dela` du tunel qui soupire apre`s des Lettres de son ami B. C. Elle est bien bonne, et beaucoup trop bonne a` en vouloir encore ! Mais enfin je la vois profonde´ment malheureuse de n’en pas avoir1». Ainsi les lettres que l’auteur de Corinne envoie a` Benjamin en 1813 et 1814 te´moignent encore d’une violence et d’une passion que le temps ne semble pas avoir e´teintes : «C’est par Vienne [...] qu’il faut m’e´crire si toutefois vous m’aimez encore. Moi, je n’ai pas change´, vous avez perdu mon bonheur, mais je ne nie pas votre puissance2». «Certes vous revoir serait renaıˆtre, mais ou` et comment ? Je ne demanderai pas mieux que d’aller a` Berlin le printemps prochain, mais votre situation ne rend-elle pas tout difficile ? Il faut pourtant se revoir avant de mourir3.» «Ah ! Benjamin, vous avez de´vaste´ ma vie ! Pas un seul jour ne s’est e´coule´ depuis dix ans que mon cœur n’ait souffert par vous – et, pourtant, je vous ai tant aime´4 !» Le ton de la correspondance devient plus acerbe au moment des CentJours : Mme de Stae¨ l craint que Napole´on refuse d’exe´cuter la promesse faite par Louis XVIII de lui rendre les deux millions preˆte´s par Necker au Tre´sor royal. Elle somme alors Benjamin de lui rembourser sa dette de 80.000 francs afin de pouvoir constituer la dot d’Albertine. Elle le menace d’un proce`s, forte de l’avis de droit que lui a donne´ Secretan, son avocat lausannois5. 1
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Madame de Stae¨l, Charles de Villers, Benjamin Constant, Correspondance, Frankfurt : Peter Lang, 1993, p. 132 (lettre du 13 mars 1813 envoye´e de Copenhague ou` Mme de Stae¨ l est de passage sur la route entre Stockholm et Londres). Lettre du 3 aouˆt 1813, Madame de Stae¨l, Charles de Villers, Benjamin Constant, Correspondance, p. 150, et Lettres de Madame de Stae¨l a` Benjamin Constant, Paris : Kra, 1928, p. 42. Lettre du 30 novembre 1813, Madame de Stae¨l, Charles de Villers, Benjamin Constant, Correspondance, p. 166, et Lettres de Madame de Stae¨l a` Benjamin Constant, p. 44. Lettre du 8 janvier 1814, Madame de Stae¨l, Charles de Villers, Benjamin Constant, Correspondance, p. 185, et Lettres de Madame de Stae¨l a` Benjamin Constant, p. 49. Lettre du 23 fe´vrier 1816, Lettres de Madame de Stae¨l a` Benjamin Constant, pp. 93–105.
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Mais en 1816, la fille de Necker ayant obtenu le remboursement des deux millions, le mariage d’Albertine avec le duc Victor de Broglie peut se faire en fe´vrier a` Pise. La nouvelle en est communique´e a` Constant dans une lettre commence´e par la me`re et termine´e par la fille, dont les premiers mots sont particulie`rement significatifs : «Ma me`re a raison de dire que mes sentiments pour vous n’ont pas diminue´, toutes les grandes e´motions de ma vie me donnent le besoin de penser a` vous et de vous parler1.» Comme il le fait souvent lors de dates anniversaires, le 19 septembre 1816, Constant e´crit dans son Journal intime : «Il y a 22 ans qu’a` pareille heure je voyais Mme de St[ae¨ l] pour la premie`re fois. J’aurais mieux fait de ne pas contracter cette liaison, et ensuite de ne pas la rompre2.» Revenu a` Paris fin septembre 1816, Constant revoit Mme de Stae¨ l de`s qu’elle rentre de Coppet3 puisque, le 25 octobre, il e´crit a` Mme Re´camier : «Mme de Stae¨ l m’a dit l’amitie´ avec laquelle vous vous eˆtes exprime´e sur moi4.» Le 21 fe´vrier 1817 alors qu’elle se rendait au bal chez le duc Decazes, Mme de Stae¨ l est victime d’une attaque d’hydropisie (suivie d’une paralysie partielle). Dans ses Me´moires, le duc de Broglie donne des de´tails sur la maladie et les soins prodigue´s a` sa belle-me`re : «Peu a` peu l’e´nergie de sa volonte´ reprit le dessus. On parvint a` la lever, a` l’habiller, a` la transporter dans le salon, ou` elle recevait une partie de la matine´e, prenant inte´reˆt a` toutes choses [...] Elle donnait souvent a` dıˆner. Ses enfants faisaient les honneurs de la table, et tenaient son salon le soir». [...]«Le mal, un instant suspendu, reprit bientoˆt sa marche rapide ; la paralysie gagna des extre´mite´s aux organes essentiels. Nous e´puisaˆmes inutilement toutes les ressources me´dicales que posse´dait Paris, depuis le vieux Portal5, ancien me´decin de madame de Stae¨ l, jusqu’a` Lerminier6, e´le`ve de Corvisart7, et me´decin de l’empereur Napole´on durant la campagne de Russie. J’allais de jour en jour et de me´decin en me´decin, accompagne´ par le docteur Esparon8, l’un de ceux que nous avions appele´s et qui, dans son ze`le ge´ne´reux, consacrait une partie de son temps a` me servir de guide et d’interpre`te aupre`s de la Faculte´ tout entie`re». 1 2 3 4 5 6 7 8
Lettres de Madame de Stae¨l a` Benjamin Constant, p. 119. Journal intime, 1811–1816, Carnet, Livres de de´penses, OCBC, Œuvres, t. VII, p. 288. Elle en e´tait partie le 16 octobre. Benjamin Constant, Lettres a` M me Re´camier, Paris : Klincksieck, 1977, p. 255. Antoine Portal (1742–1832) ; me´dedin, anatomiste et biologiste franc¸ais, premier me´decin du roi Louis XVIII, fut l’un des cre´ateurs de l’Acade´mie de me´decine. The´ophile-Niammon Lerminier, me´decin franc¸ais, ne´ a` Saint-Vale´ry-sur-Somme en 1770, de´ce´de´ en 1820. Jean-Nicolas Corvisart des Marets Dricourt (1755–1821), premier me´decin de l’empereur Napole´on Ier. Pierre-Jean-Baptiste Esparron (1776–1818), auteur d’une the`se intitule´e Essai sur les aˆges de l’homme, Paris : Crapelet, an XI [1803].
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«La Faculte´ de Paris ne nous donnant aucun espoir de gue´rison, aucun meˆme de soulagement, madame de Stae¨ l de´sira vivement se mettre dans les mains d’un me´decin de Gene`ve, M. Butini1, fort ce´le`bre a` cette e´poque. Je partis pour Gene`ve. M. Butini, jugeant d’un coup d’œil le mal de´sespe´re´ et la catastrophe prochaine, se refusa, malgre´ mes instances, a` risquer un voyage inutile, et qui pouvait compromettre sa sante´. Il e´tait de´ja` fort aˆge´. Un autre me´decin, ce´le`bre aussi, mais moins que M. Butini, fut moins inexorable. Je ramenai a` Paris celui-ci, M. Jurine2, qui se de´cida, par affection pour Madame de Stae¨ l, plus que par tout autre motif. Il e´tait trop tard, et son discernement ne fut pas meˆme re´compense´ par une apparence de succe`s3.» Pendant cette longue agonie de Mme de Stae¨ l, sa porte reste ferme´e a` Benjamin. En ce de´but d’anne´e 1817, il est extreˆmement occupe´ a` remettre en train le Mercure, comme il l’e´crit a` sa cousine Rosalie : «je suis encore e´crase´ de travail et d’affaires. L’entreprise que j’ai faite de relever presque a` moi seul un journal tombe´, pour m’en servir comme d’un cadre, afin de re´pandre beaucoup d’ide´es que je crois utiles me donne d’autant plus de peine qu’elle a eu plus de succe`s, et que ce succe`s m’y attache4.» Benjamin n’en est pas moins pre´occupe´ par l’e´tat de sante´ de Mme de ` ce propos, Simone Balaye´ cite un billet retrouve´ dans les papiers de Stae¨ l. A Schlegel et attribue´ a` Constant de manie`re fort vraisemblable : «Je suis tre`s alarme´ de ce qu’on rapporte. N’y a-t-il donc aucun moyen de voir Mme de Stae¨ l ? D’autres la voient. Je ne puis vous peindre ce que j’e´prouve. Est-ce qu’elle ne veut pas me voir ? Croyez-moi, le passe´ est un spectre terrible quand on craint pour ceux qu’on a fait souffrir. Enfin, dites ce qui en est, je vous en conjure, et faites, si cela ne lui fait pas de mal, que je la voye5.» Il ne semble pas cependant que l’interdiction ait e´te´ leve´e pour Constant, alors qu’un Prosper de Barante s’est rendu a` plusieurs reprises au chevet de la malade6. Simone Balaye´ interpre`te ce refus non pas comme la volonte´ de 1 2 3 4 5
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Pierre Butini (1759–1838), docteur en me´decine de Montpellier, me´decin genevois de re´putation europe´enne. Louis Jurine (1759–1819), chirurgien et naturaliste genevois, chirurgien de l’hoˆpital de Gene`ve, correspondant de l’Institut. Souvenirs 1785–1870 du feu duc de Broglie, Paris : Calmann Le´vy, 1886, t. I, pp. 378–380. Corr. Rosalie, p. 223 (lettre du 3 mars 1817). Ce billet est cite´ par S. Balaye´ dans son article «Benjamin Constant et la mort de Madame de Stae¨ l» dans Cahiers stae¨liens, 9, 1969, pp. 17–37. Il a e´te´ publie´ par Lady Blennerhasset, dans Madame de Stae¨l et son temps, Paris : L. Westhausser, 1890, t. III, p. 675. Souvenirs du baron de Barante, 1782–1866, publie´s par son petit-fils Claude de Barante, Paris : Calmann Le´vy, 1892, t. II, pp. 283–290. Par exemple, il e´crit le 13 juin : «J’ai dıˆne´ hier chez Mme de Stae¨ l. Il devait y avoir beaucoup de monde. On a duˆ tout de´commander parce qu’elle e´tait trop souffrante. Elle l’est cruellement et en meˆme temps de´courage´e, re´volte´e et profonde´ment e´pouvante´e de son e´tat. Elle m’a fait une impression bien douloureuse».
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«ne pas offenser les convenances. Il est plus probable que la pre´sence de l’homme qu’elle avait le plus aime´ et plus regrette´ que tout autre provoquait une agitation trop grande chez un eˆtre nerveux et sensible qui se voyait mourir et qui luttait contre une terrible peur1.» Mme de Stae¨ l meurt le 14 juillet a` l’aube ; ses enfants sont effondre´s et c’est le duc de Broglie qui reste seul dans la maison mortuaire pour y passer la nuit. Comme ses rapports avec Constant e´taient amicaux, il accepte que celui-ci participe a` la veille´e fune`bre : «Benjamin Constant vint m’y trouver, et nous veillaˆmes ensemble au pied du lit de madame de Stae¨ l. Il e´tait touche´ au vif et since`rement e´mu. Apre`s avoir e´puise´ les souvenirs personnels, et les regrets du passe´, nous consacraˆmes de longues heures aux re´flexions se´rieuses. Tous les proble`mes qui s’e´le`vent naturellement dans l’aˆme en pre´sence de la mort furent agite´s par nous et re´solus dans un sens qui nous satisfaisait l’un et l’autre2.» Le 18 juillet paraıˆt dans le Journal ge´ne´ral de France un premier article de Constant «sur Mme de Stae¨ l3». Le 19 juillet, le Mercure de France publie, sous la rubrique ‘Ne´crologie’ un bref article qui sera suivi le 26 juillet d’un long hommage. Ce meˆme 26 juillet, Constant e´crit au Journal ge´ne´ral de France une lettre de protestation contre les indiscre´tions de la presse sur les ope´rations d’embaumement de Mme de Stae¨ l4. Les deux articles parus dans le Mercure de France sont de l’ordre du portrait : Constant ne rappelle pas les e´tapes de la carrie`re de Mme de Stae¨ l, comme il l’a fait dans le Journal ge´ne´ral de France. Le premier texte ne´crologique donne le ton : c’est «l’aˆme» de la de´funte, ses vertus morales et la noblesse de son caracte`re que l’auteur veut exalter. Dans le second article, Constant s’engage totalement. C’est lui-meˆme qui est en cause, le ‘je’ ou le ‘me’ reviennent a` plus de dix reprises dans le seul premier paragraphe. Contrairement a` ce qu’e´crit Ghislain de Diesbach5 dans sa biographie de Mme de Stae¨ l, Constant n’a pas du tout l’air embarrasse´ de devoir rendre hommage a` cette femme qui l’a tant aime´. Au contraire, il parvient a` communiquer sa douleur face a` l’e´ve´nement en se pre´sentant a` sa table de travail, paralyse´ par l’e´motion, mais cherchant a` donner forme a` des sentiments qu’il souhaiterait faire partager a` ses lecteurs. Il exprime aussi en filigrane son regret de n’avoir peut-eˆtre pas prononce´ du vivant de Mme de Stae¨ l l’e´loge qu’auraient me´rite´ sa personnalite´ si riche et son œuvre ge´niale. Constant proce`de ainsi par de´ne´gation pour centrer son propos sur les deux «qualite´s dominantes de madame de Stae¨ l» : «l’affection et la pitie´». Ainsi, pour mieux exalter les vertus de la de´funte, Constant laisse de coˆte´ la 1 2 3 4 5
Simone Balaye´, «Benjamin Constant et la mort de Madame de Stae¨ l», p. 18. Souvenirs, t. I, p. 382. Voir ci-dessous, pp. 735–740. Voir ci-dessous, p. 749. Ghislain de Diesbach, Madame de Stae¨l, Paris : Perrin, 1983, p. 536.
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cre´atrice d’ouvrages qui ont fait date dans l’histoire des lettres franc¸aises. Il prend ainsi le contre-pied de ceux qui voyaient en l’auteur de Corinne un bas-bleu, pour rappeler au contraire son courage lors des e´ve´nements sanglants de septembre 1792, son engagement au service des e´migre´s de la Terreur et sa manie`re d’eˆtre toujours aux coˆte´s des vaincus. Toutefois dans la dernie`re partie de cet hommage Constant rompt le silence qu’on voudrait faire sur les engagements politiques de Mme de Stae¨ l au cours des vingt-cinq ans qui ont bouleverse´ la France et le monde. Il insiste alors sur ce que l’on pourrait appeler les priorite´s de son amie, capable de sacrifier le temps consacre´ a` l’e´criture de son œuvre pour voler au secours des opprime´s et pour user de son influence afin d’adoucir leur sort. Ce sont ces interruptions dues a` la compassion qui peuvent expliquer ses incorrections de style, que la critique a souvent reproche´es a` l’e´crivain et qui deviennent ainsi les signes de ses «bonnes actions». Cette charite´ pour «les eˆtres souffrans» devient totale empathie avec ses amis dont elle parvenait a` deviner les pense´es et a` les exprimer a` leur place. Son art de la conversation – releve´ par tous les fide`les du groupe de Coppet – est ici pre´sente´ comme «une magie inde´finissable», comme un «charme» qui envouˆtait tous ses visiteurs. Constant consacre la dernie`re partie de son article a` l’e´vocation des rapports entre Mme de Stae¨ l et son pe`re. En mettant l’accent sur le caracte`re exceptionnel de cet amour filial, Constant, qui e´prouvait pour Necker une grande admiration, fait apparaıˆtre la source de la cre´ation stae¨ lienne. Pour le critique litte´raire avise´ qu’est l’auteur d’Adolphe, les pages d’introduction que Mme de Stae¨ l e´crivit pour la publication des manuscrits de son pe`re contiennent la quintessence du ge´nie de cet auteur : «C’est la seule fois qu’elle ait traite´ un objet avec toutes les ressources de son esprit, toute la profondeur de son aˆme et sans eˆtre distraite par quelque ide´e e´trange`re1.» C’est a` propos de ce texte que Simone Balaye´, e´voquant «la statue inte´rieure» de Mme de Stae¨ l, peut e´crire a` juste titre que «Germaine [...] ne peut s’e´panouir qu’a` la lumie`re paternelle. Ainsi, l’amour pour le pe`re est-il place´ au centre de l’acte autobiographique2.» Dans ce choix de Constant pour cerner la personnalite´ de celle qu’il vient de perdre, on peut voir la preuve de la profonde intimite´ entre ces deux eˆtres qui s’e´taient tant aime´s. L’article s’ache`ve sur une de´ne´gation : alors que Constant vient de faire un portrait moral de Mme de Stae¨ l, il estime que le personnage est si grand que son portrait est impossible. Ces lignes de conclusion – comme le paragraphe d’introduction – ne seront du reste pas reprises dans l’e´tude sur Mme de Stae¨ l que Constant publiera en 1829 dans les Me´langes de litte´rature et de politique. 1 2
Voir ci-dessous, p. 597. Simone Balaye´, «La Statue inte´rieure», dans Madame de Stae¨l, Ecrire, lutter, vivre, Gene`ve : Droz, 1994, p. 45.
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` la lecture de cet article du Mercure, Mathieu de Montmorency e´crit le A ler aouˆt a` Juliette Re´camier : «Je voulais vous parler de cet article du Mercure ; je l’ai lu avec avidite´ ; mais cela ne prouve rien ; il est des aperc¸us de sentiments qui m’ont fait grand plaisir, mais qui me donnaient ensuite une sorte d’humeur meˆle´e d’envie contre le talent : je n’aime pas qu’a` lui tout seul il supple´e a` une sensibilite´ profonde, que je crois n’eˆtre pas la`, et qu’il trouve des ide´es et des expressions dont elle serait contente1». Alors que lui-meˆme se sent incapable de donner forme a` ses sentiments, Mathieu de Montmorency jalouse le talent de Constant tout en contestant la since´rite´ et l’authenticite´ de sa douleur. Or malgre´ la semi-rupture entre les deux anciens amants, cet hommage du Mercure constitue un des portraits les plus e´mouvants de Mme de Stae¨ l et ce passage d’une lettre a` Juliette Re´camier d’aouˆt 1817 te´moigne de l’affliction since`re de Benjamin : «Je suis triste et surtout indiffe´rent. J’ai beau m’exhorter a` l’inte´reˆt, cela ne prend pas. Ni succe`s ni revers ne m’e´meuvent. Je ne sais plus m’irriter contre ceux qui sont mal pour moi, ni savoir gre´ a` ceux qui sont bien, si ce n’est par raisonnement. En tout je ne vis plus2». R. F. La The´orie des Re´volutions d’Antoine Ferrand Le comte Antoine-Franc¸ois-Claude Ferrand, un des auteurs que Benjamin Constant de´teste le plus, a publie´ un certain nombre d’ouvrages d’histoire dans un esprit le´gitimiste, dont L’Esprit de l’histoire en 1802 et, en 1817, une The´orie des Re´volutions en quatre volumes. Il ne faut pas se laisser e´garer par la langue polie du compte rendu de cet ouvrage, par les excuses multiplie´es, par les embarras avoue´s, nous ne lisons pas une analyse litte´raire, mais un texte politique. Il est e´vident que la de´construction de l’ouvrage en tant que compilation historique et philosophique est justifie´e, mais elle ne vise pas les structures de l’ouvrage, elle veut de´truire la doctrine. Constant parle pour cette raison des deux livres, englobant dans ses articles L’Esprit de l’histoire. Les ouvrages de Ferrand n’ont pas de valeur scientifique ou philosophique. Ils ont de l’influence sur l’opinion. Ce qui est captivant dans le texte de Constant, c’est l’analyse implacable des fondements philosophiques de certains repre´sentants de la doctrine royaliste. Elle est pre´sente´e comme incohe´rente, contradictoire en elle-meˆme, compilatrice, crypto-scientifique et d’un romantisme douteux. Il suffit de rapprocher ces jugements se´ve`res des commentaires ironiques d’un discours de Royer1 2 3
Lettre cite´e par Edouard Herriot, Madame Re´camier et ses amis, Paris : Plon, 1904, t. II, p. 32. Constant, Lettres a` Madame Re´camier, ouvr. cite´, p. 261. L’Esprit de l’histoire, ou Lettres politiques et morales d’un pe`re a` son fils, sur la manie`re d’e´tudier l’histoire en ge´ne´ral et particulie`rement l’histoire de la France, Paris : Vve Nyon, an XI (1802), 4 vol.
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Collard1 pour voir pourquoi Constant accepte de publier ce compte rendu qui n’en est pas un : «Il me paraıˆt que, dans un pays qui souffre depuis trente ans de la doctrine que je re´fute, ces ide´es ge´ne´rales peuvent eˆtre plus utiles que l’examen d’un ouvrage contre lequel je ne pense point prononcer un jugement trop se´ve`re en affirmant qu’il contient beaucoup de faits inexacts et de contradictions manifestes2.» K. K. De l’obe´issance a` la loi Ce texte, d’abord e´labore´ dans les Principes de 1806 (livre XVIII, chap. 2)3, publie´ dans le Mercure de France en 1817, a fait l’objet de divers re´emplois chez Benjamin Constant, mais c’est dans l’e´dition du Mercure que l’auteur est parvenu, pour pre´senter sa pense´e, a` une formulation e´nergique et synthe´tique sur les rapports entre la liberte´ et l’autorite´, le droit de juger les lois – voire d’y de´sobe´ir –, ou encore ce que les philosophes appellent l’obligation envers la loi4. Si l’article du Mercure constitue la re´daction la plus dense et la plus claire de cette proble´matique, il faut cependant y ajouter les indications concernant les fonctionnaires, la police, la gendarmerie et l’arme´e donne´es pre´ce´demment dans les Principes de politique de 1815 (chap. XI : «De l’obe´issance des agents infe´rieurs»). Le proble`me, conside´re´ dans sa nature de philosophie morale et politique, est le suivant : l’obe´issance a` la loi de la part des gouverne´s, des sujets ou des citoyens, et de la part des agents administratifs, doit-elle eˆtre une obe´issance sans conditions ? Si l’on fixe des conditions, quelles sont-elles ? Et, surtout, qui jugera du moment ou` les conditions du refus d’obe´ir sont remplies et ou` l’obligation tombe ? Le proble`me est ce´le`bre, au moins depuis les the´oriciens protestants du droit de re´sistance au XVIe sie`cle (les Monarchomaques) ; il s’e´nonc¸ait souvent par la formule Quis judicabit ?, «Qui jugera ?». Cette question est au cœur de la pense´e politique de John Locke, dans le Second traite´ du gouvernement (1690), que Constant connaissait ne´cessairement. Locke re´pond, d’une part, que le peuple est juge et seul juge d’un «breach of trust» (rupture de contrat et perte de confiance) de la part des repre´sentants ou du chef 1 2 3
4
Discours du 27 janvier 1817. Voir ci-dessus, pp. 454–455. Voir ci-dessous, p. 589. Dans l’e´dition par E. Hofmann, il s’agit du chapitre 2, mais aussi des chapitres 3–6 ajoute´s ensuite par Constant (pp. 476–485, avec additions ou notes pp. 625–626). Le livre XVIII, qui cloˆt les Principes de 1806, s’intitule : «Des devoirs des individus envers l’autorite´ sociale». L’e´dition Hofmann indique les re´emplois (ge´ne´ralement fragmentaires) du texte, sauf l’article paru dans le Mercure. Sur cette question de l’obligation, voir L. Jaume, La liberte´ et la loi. Les sources philosophiques du libe´ralisme, Paris : Fayard, 2000. Le texte de Constant est analyse´ dans L. Jaume, L’individu efface´ ou le paradoxe du libe´ralisme franc¸ais, Paris : Fayard, 2007, pp. 86–103, e´galement dans l’article «Le droit, l’Etat et l’obligation selon Benjamin Constant», Commentaire, automne 1999, pp. 711–715.
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de l’Etat, et qu’il peut de`s lors en «appeler au ciel» ; Dieu est seul arbitre compe´tent de cette situation, qui constitue un conflit entre la le´galite´ et la le´gitimite´. Mais, d’autre part, Locke dit aussi que «moi et moi seul suis juge en ma conscience personnelle» («in my own conscience», Second traite´, § 21) et que, la` aussi, j’aurai a` en re´pondre devant Dieu. Dans les deux cas, c’est en comparant la loi (ou l’acte) issu du «government» avec la loi naturelle («natural law») que le peuple ou l’individu peuvent juger si, oui ou non, la loi est mauvaise et le refus d’obe´ir justifie´ (ou meˆme la re´volution). Constant s’inscrit dans cette ligne´e, dans la mesure ou` il fonde «l’obe´issance a` la loi» (titre de l’article) sur la capacite´ de jugement de l’individu et sur le droit naturel – a` l’encontre de Bentham, plein de sarcasme pour un droit qui, a` ses yeux, constitue une fiction inutile et dangereuse. Comme l’e´crit Benjamin Constant, on peut de´finir des crite`res motivant le refus, c’est-a`-dire «indiquer les caracte`res qui font qu’une loi n’est pas une loi1». L’affirmation est capitale : certains textes, bien que produits par une autorite´ constitue´e, pourraient se voir refuser le nom de «loi». Contrairement a` Pascal, e´voque´ ici, Constant ne pense pas qu’on puisse dire de la loi : «Elle est loi et rien davantage2». Il ne suffit pas qu’une autorite´ prescrive, pour que cette loi cre´e obligation. Selon Constant, il y a deux questions a` poser a` chaque fois : 1) la loi provient-elle d’une «source le´gitime» ? 2) la loi se renferme-t-elle «dans de justes bornes3» ? Le premier examen a` mener concerne donc la source de le´gitimite´ du pouvoir qui produit la loi : ce gouvernement est-il le´gitime ? Le deuxie`me examen porte sur le contenu de la loi : ce texte ne viole-t-il aucun des droits de l’homme ni aucune des liberte´s publiques ? De plus, la morale meˆme est implique´e, d’apre`s Benjamin Constant, d’ou` la re´fe´rence au droit naturel, alors que toute l’e´cole du positivisme juridique (a` partir de Bentham notamment) se´pare entie`rement le moral et le juridique4 : porter secours a` un proscrit qu’on va arreˆter n’est pas une prescription juridique, mais un devoir de type moral, qui doit pre´valoir sur la le´galite´ existante (surtout si une loi interdit explicitement cette aide au fuyard)5. 1 2
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Voir ci-dessous, p. 606. Pascal fait l’e´loge, tout relatif, de la coutume, contre la loi : «Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur obe´it parce qu’elles sont justes, obe´it a` la justice qu’il imagine, mais non pas a` l’essence de la loi. Elle est toute ramasse´e en soi. Elle est loi et rien davantage» (Œuvres comple`tes, e´d. L. Lafuma, Paris : Le Seuil, 1963, p. 507 (fragment 60)). Voir ci-dessous, p. 604. Voir le recueil sous la direction de C. Grzegorcyk, F. Michaut et M. Troper, Le positivisme juridique, Paris : LGDJ, 1992. On y trouvera notamment des extraits des œuvres de Bentham conteste´es par Constant. L’exemple est dans Mme de Stae¨ l, De l’Allemagne, du fait que nombre de proscrits ont e´te´ accueillis, cache´s, prote´ge´s par elle durant la pe´riode re´volutionnaire. On sait que, sur cette obligation en conscience, qui peut conduire a` mentir aux autorite´s du moment, Constant a eu une e´clatante pole´mique avec Kant (sur un certain «droit de mentir» refuse´ par Kant).
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Au total, l’examen a` mener sur la loi est tre`s vaste : il concerne sa le´gitimite´, par la source e´mettrice, sa le´galite´, par les proce´dures d’adoption et par le contenu du texte, sa moralite´, par le rapport avec le droit naturel : le citoyen doit jouer le roˆle d’une sorte de cour constitutionnelle (comme on en verra la cre´ation au sie`cle suivant). D’ou`, dans les Principes de 1815, la the`se qu’un gendarme ne peut pas simplement «appliquer les ordres» : le commandement de proce´der a` une arrestation doit eˆtre conside´re´ dans sa source, dans son mode de re´daction et de transmission (hie´rarchie), dans sa conformite´ avec la le´galite´ administrative et, meˆme, constitutionnelle. Voila`, dira-t-on, beaucoup de travail pour un simple gendarme ! Mais c’est a` ce prix que Constant peut fonder sa the´orie libe´rale, notamment en matie`re de responsabilite´ des fonctionnaires. Devant quel tribunal cette question pour` l’e´poque de ra-t-elle eˆtre porte´e si l’agent administratif a refuse´ d’obe´ir ? A Constant, le proble`me est difficile1, et, en tout cas, dans les Principes de 1815, il avait e´crit, en parlant de l’agent concerne´ : «Il en est juge et il en est ne´cessairement le seul juge : il en est le juge a` ses risques et pe´rils. S’il se trompe, il en porte la peine2». Ce texte de Constant est remarquable par sa fac¸on de traiter avec clarte´ et e´le´gance des questions d’une haute porte´e comme celle des limites de l’obe´issance – meˆme si, de fac¸on ine´vitable, il suscite de nombreuses autres questions. Dans l’histoire de la pense´e, il doit eˆtre rattache´ non seulement a` Locke, mais aussi a` Kant, pour l’opuscule Re´ponse a` la question qu’est-ce que les Lumie`res ? (1784). Kant avait e´crit que le grand principe de l’aˆge moderne, celui du jugement critique et de l’exercice de la raison en tous domaines, s’e´nonc¸ait dans le pre´cepte Sapere aude : «osez juger, osez vous servir de votre entendement». Kant proˆnait ne´anmoins l’obe´issance envers la loi et condamnait tout pas accompli vers la re´sistance – qui, pour lui, ne saurait eˆtre un droit. Constant est bien plus audacieux : la socie´te´ la plus libre et la constitution la mieux faite ne peuvent vivre durablement sans un citoyen e´claire´, instruit et se faisant juge de la le´galite´ et de la le´gitimite´, jusqu’a` passer a` l’indiscipline, s’il le faut, en cas extreˆme. Cette fac¸on d’eˆtre du citoyen requiert la faculte´ que Mme de Stae¨ l avait appele´e, en avantpropos a` De l’Allemagne, la «libe´ralite´ de jugement» et dont des dictionnaires comme le Littre´ ont garde´ la trace : liberte´ de l’esprit, capacite´ de l’esprit a` se de´faire de ses pre´juge´s3. Entre le risque de l’anarchisme (selon 1
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Voir l’e´tude par L. Jaume dans l’introduction a` De la responsabilite´ des ministres, OCBC, Œuvres, t. IX/1, pp. 415–496, et dans la Revue franc¸aise de droit constitutionnel, «Le concept de responsabilite´ des ministres chez Benjamin Constant», no 42, 2000, pp. 228–243. OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 776. Mme de Stae¨ l e´crivait : «L’e´tude et l’examen peuvent seuls donner cette libe´ralite´ de jugement, sans laquelle il est impossible d’acque´rir des lumie`res nouvelles, ou de conserver meˆme celles qu’on a ; car on se soumet a` de certaines ide´es rec¸ues, non comme a` des ve´rite´s, mais comme au pouvoir ; et c’est ainsi que la raison humaine s’habitue a` la servi-
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son expression) et celui du conservatisme immobile, Constant propose un dialogue permanent entre l’E´tat et la socie´te´, entre les prescriptions de l’ordre constitutionnel et la liberte´ de l’esprit chez le citoyen. Aux yeux d’autres libe´raux, a` ce moment, la position e´tait inacceptable : ainsi Guizot de`s cette pe´riode. C’est Tocqueville qui, en conflit avec Guizot, va reprendre dans De la de´mocratie en Ame´rique (1835–1840) les ide´es de Constant pour analyser l’«individualisme» et la «de´mocratie» des temps modernes1. Dans la conception ame´ricaine des institutions, le recours facile au juge judiciaire et au juge constitutionnel est un soutien conside´rable pour la vigilance du citoyen. Mais, aujourd’hui encore, philosophes et juristes ame´ricains discutent de la ne´cessite´ ou de l’irrecevabilite´ de ce qu’on appelle «civil disobedience», soit l’attitude envisage´e par Locke et par Benjamin Constant devant la «loi injuste». L. J. Du the´aˆtre franc¸ais et du the´aˆtre e´tranger 1809–1817. Entre ces deux dates, huit anne´es seulement se sont e´coule´es. Pourtant, Constant de´cide de reprendre et de republier dans le Mercure de France, un extrait, fort peu remanie´, des «Quelques re´flexions sur la trage´die de Wallstein et sur le the´aˆtre allemand», qui avaient paru chez Paschoud, comme pre´face a` son adaptation franc¸aise de la trilogie de Schiller2. De fait, Wallstein (donc sa pre´face) avait e´te´ un ve´ritable succe`s de librairie, a` tel point qu’une nouvelle e´dition e´tait pre´vue de`s 1809, qu’elle avait e´te´ annonce´e dans le Journal ge´ne´ral de la litte´rature de France3 en 1814 sans voir le jour. Par ailleurs, la presse du moment avait largement e´voque´ ou rendu compte de cet ouvrage – surtout de la pre´face, justement4. On ne peut l’ignorer, les analyses de Constant e´taient donc largement re´pandues dans le public parisien. Pourquoi alors reprendre cette comparaison des dramaturgies franc¸aise et allemande que les lecteurs de 1817 devaient de´ja` connaıˆtre, ou dont ils avaient de´ja` entendu parler ? Constant lui-meˆme donne l’explication au de´but de son article : «depuis quelque temps», les journaux, notamment, reconnaissent «que les e´trangers
1
2 3 4
tude, dans le champ meˆme de la litte´rature et de la philosophie» («Observations ge´ne´rales», De l’Allemagne, dans Œuvres comple`tes de Madame la baronne de Stae¨l, Paris : FirminDidot et Treuttel et Würtz, t. II, 1838, p. 4. Passivite´ devant les opinions rec¸ues, passivite´ devant les lois : la question est la meˆme pour le libe´ralisme de Coppet entendu comme «culture morale». Sur la reprise de Constant par Tocqueville, et les divergences entre eux sur l’utilitarisme en morale et dans le droit, voir L. Jaume, Tocqueville : Les sources aristocratiques de la liberte´, Paris : Fayard, 2008. Voir OCBC, Œuvres, t. III/2, pp. 549–751. 6e cahier, p. 199. Voir OCBC, Œuvres, t. III/2, pp. 568–572.
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ne sont pas si coupables» de ne pas respecter les re`gles de la dramaturgie classique. Ainsi, Constant chercherait a` reprendre pied dans le de´bat qui agite le monde intellectuel parisien ; mieux encore, peut-eˆtre cherche-t-il a` rappeler que, sur ce chapitre, il s’e´tait montre´ pre´curseur. Il est certain qu’en 1817, aux yeux de chacun, Constant est surtout un the´oricien et meˆme un acteur de la vie politique (nul n’ignore le roˆle qu’il a joue´ pendant les Cent-Jours). L’essentiel de sa production, depuis la chute de l’Empire, en te´moigne, meˆme si la publication d’Adolphe, en 1816, offre un e´clatant contre-exemple. Est-ce alors le souci de re´e´quilibrer son image qu’il faut faire intervenir pour expliquer cette nouvelle incursion dans les de´bats plus nettement «litte´raires» ? Voulait-il rappeler aux lecteurs de De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France, paru en de´cembre 1816 et dont le succe`s est inde´niable, qu’il n’est pas qu’une teˆte politique ? Ce n’est pas impossible. Mais a` qui e´tait destine´ ce message ? Sans doute aux membres de l’Acade´mie franc¸aise qui ne s’e´taient pas de´cide´s a` l’accueillir dans leurs rangs, l’auguste assemble´e ayant pre´fe´re´ e´lire deux auteurs dramatiques, Jean-Louis Laya (7 aouˆt) et l’obscur Franc¸ois Roger (28 aouˆt). Selon toute apparence, le the´aˆtre e´tait plus «rentable» que les traite´s politiques ! On comprend donc que Benjamin Constant ait de´cide´ de publier un article traitant d’esthe´tique : il convenait de montrer que les acade´miciens avaient eu tort et rien n’e´tait plus simple puisque, aussi bien, Constant avait repris le Mercure en janvier. Cela dit, le texte publie´ en 1817, s’il reste globalement tre`s proche de la version donne´e en 1809, e´largit nettement la question et infle´chit le de´bat vers des conside´rations politiques qui n’e´taient que sugge´re´es pendant l’Empire (il fallait bien tenir compte de la censure pointilleuse, alors en action). Ici, Constant se fait plus explicite pour e´tablir le lien qui existe entre litte´rature dramatique et re´gime politique : la France est devenue un «pays libre» (ce qui e´tait difficile a` soutenir en 1809 !) par conse´quent, il n’en faut pas douter, a` la repre´sentation de la passion succe´dera celle des caracte`res, propre a` la trage´die historique. Ainsi, la republication de ce texte qui, a` premie`re vue, pouvait eˆtre conside´re´e comme un «coup publicitaire» prend une autre dimension et rappelle que, chez Constant, esthe´tique et politique ne peuvent eˆtre disjointes1. J.-P. P.
1
Signalons qu’Antoine Jay a juge´ ne´cessaire de prendre la de´fense du the´aˆtre franc¸ais, re´pondant a` Constant dans le Mercure de France («Du The´aˆtre franc¸ais et du The´aˆtre e´tranger», de´cembre 1817, pp. 531–543). Cette re´plique est sans grand inte´reˆt et n’oppose gue`re a` Constant que des arguments de´ja` bien e´cule´s en 1817.
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Historique du texte Les articles publie´s dans le Mercure de France seront au cours des anne´es futures repris dans diffe´rentes publications, les uns presque litte´ralement, les autres retravaille´s et adapte´s aux circonstances. La se´rie des treize articles politiques a` proprement parler, que nous publions sous le titre ge´ne´ral «Des Chambres», sera re´e´dite´e en 1818 dans le second volume du Cours de politique constitutionnelle sous le titre Histoire de la session de la Chambre des De´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817. La nouvelle pre´sentation comprend un certain nombre de changements, mineurs, lorsqu’ils ne concernent que le style, plus importants lorsque la structure des articles est en cause. Constant profite de la re´impression pour fondre les articles VI et VII qui parlent de la liberte´ de la presse. Il regroupe aussi les six articles consacre´s au projet de loi sur le budget en un seul, qui formera le nouveau chapitre VII de l’e´dition du Cours de politique constitutionnelle. Celle-ci est pre´ce´de´e d’un «Avertissement». Ce nouveau mode de publication est visiblement inspire´ des Annales de la session de 1817–1818 publie´es en livraisons conse´cutives pour former a` la fin un volume. Le troisie`me de ces articles politiques sera republie´ peu de jours apre`s sa premie`re e´dition dans le Mercure sous forme d’une brochure intitule´e Conside´rations sur le projet de loi relatif aux e´lections, adopte´ par la Chambre des De´pute´s. Le texte est sensiblement remanie´ et e´largi pour pouvoir mieux expliquer des questions de principe. Constant y attache beaucoup d’importance, parce qu’il s’agit d’un ve´ritable cre´do politique. Il ne reprendra pourtant pas, dans le Cours de politique constitutionnelle, ce texte remanie´, mais reviendra, pour rester plus proche des e´ve´nements historiques, au texte publie´ dans le Mercure. La se´rie des quatre articles intitule´e «Tableau politique de l’Europe» sera partiellement reprise dans une brochure publie´e par les Marchands de nouveaute´s a` Paris en 1817 : Tableau politique du royaume des Pays-Bas. Il est probable que cette publication ne soit pas autorise´e par l’auteur. Une se´rie de cinq articles sera reprise, parfois remanie´e, dans les Me´langes. Ces articles ne sont pas reproduits dans le pre´sent volume pour e´viter les doubles emplois1. Les autres articles, 6 en tout (comptes rendus, articles ne´crologiques, un article sur le the´aˆtre et un article politique) n’apparaissent qu’ici. Ajoutons encore que l’article intitule´ «De l’obe´issance a` la loi» reprend a` son tour plusieurs morceaux des Principes de politique. K. K. 1
Il s’agit des articles «De Godwin et de ses ouvrages», «Pense´es de´tache´es» (2 articles), «De la litte´rature dans ses rapports avec la liberte´» et «De la juridiction du gouvernement sur l’e´ducation». Les titres de ces articles sont suivis dans la liste ci-dessous (pp. 363–364) par l’indication *Me´langes.
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E´tablissement des textes Les faits re´sume´s dans le chapitre pre´ce´dent ont une influence directe sur l’e´tablissement des textes. Le texte de base est la version des articles qu’on trouve dans les cahiers du Mercure. Nous donnons les variantes qui existent entre ce texte et celui du Cours de politique constitutionnelle au bas des pages des articles a` l’exclusion toutefois des variantes d’orthographe (temps/tems, Charte/charte, m./mill. [pour millions]), de ponctuation et des fautes d’imprimerie e´videntes qu’on rencontre parfois dans les textes repris. Le texte de l’Histoire de la session de la Chambre des De´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817 ne sera pas republie´, pour e´viter des doubles emplois. Fait exception a` cette re`gle le texte du troisie`me article politique sur la loi des e´lections. Nous laissons cet article a` sa place dans le contexte du Mercure et nous re´pertorions les variantes entre cet article et le texte du Cours de politique constitutionnelle comme pour les autres articles du Mercure, mais une documentation exhaustive des variantes des trois e´tats et les notes explicatives relatives a` ce sujet font partie exclusivement de l’e´dition de la brochure qu’on trouve dans le second volume du pre´sent tome. Nous reproduisons les articles du Mercure fide`lement, a` l’exception des mots «meˆme», «graˆce» et «foreˆt» ou` nous avons re´tabli l’accent circonflexe la` ou` il manque dans la source (sept cas). Le Mercure e´crit ces mots re´gulie`rement avec un accent circonflexe. Les quelques variantes qui existent entre les articles du «Tableau historique de l’Europe» et la brochure sur les Pays-Bas seront re´pertorie´es en bas des pages des articles concerne´s. La brochure ne sera pas republie´e. Nous avons exclu de ce volume, comme on l’a dit, les articles repris dans les Me´langes de litte´rature et de politique. On en trouvera l’e´dition critique dans le volume XXXIII des OCBC. Nous avons inclus un article sur les finances de l’Angleterre re´dige´ par Saint-Aubin. Cet article comprend une longue note de Constant dans laquelle il explique les diffe´rences entre les vues de son ami et sa propre the´orie. Cet article est une partie inte´grante de l’analyse de la discussion sur le budget. Rappelons toutefois que Constant ne le reproduit pas dans son Histoire de la session de la Chambre des De´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817 ou` il place la note a` un autre endroit et se contente d’un simple renvoi aux cahiers du Mercure. Mercure de France, Prospectus. De´cembre (?) 1816. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Mercure de France, Des Chambres depuis leur convocation jusqu’au 31 de´cembre, t. I, 4 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 28–32. Courtney, Guide, D75.
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Mercure de France, Des Chambres depuis leur convocation jusqu’au 31 de´cembre, t. I, 11 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 69–77. Courtney, Guide, D76. Mercure de France, Tableau politique de l’Europe, t. I, 18 janvier 1817, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 104–113. Courtney, Guide, D77. Mercure de France, [Des Chambres], Loi sur les e´lections, t. I, 18 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 113–127. Courtney, Guide, D78. Mercure de France, [Des Chambres], Projet de loi relatif a` la liberte´ individuelle, t. I, 25 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 155–171. Courtney, Guide, D79. Mercure de France, [Des Chambres], Projet de loi sur la liberte´ de la Presse, t. I, 1er fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 203–215. Courtney, Guide, D80. Mercure de France, t. I, 1er fe´vrier 1817, Re´ponse a` la lettre de M. ***, a` M. B. de Constant, pp. 215–221. Courtney, Guide, D81. Mercure de France, [Des Chambres], Projet de loi sur les journaux, t. I, 8 fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 262–272. Courtney, Guide, D82. Mercure de France, [Des Chambres], Projet de loi sur les journaux, t. I, 15 fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 301–319. Courtney, Guide, D83. Mercure de France, t. I, 22 fe´vrier 1817, Tableau politique de l’Europe, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 354–365. Courtney, Guide, D84. Mercure de France, [Des Chambres], Discussion sur le budget, t. I, 1er mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 401–415. Courtney, Guide, D85. Mercure de France, [Des Chambres], Discussion sur les de´penses en ge´ne´ral, et sur les budgets particuliers des ministres, t. I, 8 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 450–462. Courtney, Guide, D86.
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Mercure de France, [Des Chambres], Projet de loi sur le budget, t. I, 15 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 497–509. Courtney, Guide, D87. Mercure de France, [Des Chambres], Continuation sur le budget, t. I, 22 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 547–555. Courtney, Guide, D88. Mercure de France, [Des Chambres], Projet de loi sur le budjet, t. I, 29 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 599–603. Courtney, Guide, D89. Mercure de France, Lettre de M. Saint-Aubin, t. II, 5 avril 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 33–44. Courtney, Guide, D90. Mercure de France, [Des Chambres], Continuation et fin du budget, t. II, 12 avril 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 77–85. Courtney, Guide, D91. Mercure de France, t. II, 19 avril 1817, Tableau politique de l’Europe, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 131–139. Courtney, Guide, D92. Mercure de France, t. II, 27 avril 1817, De Godwin et de son ouvrage sur la justice politique, Rubrique : Varie´te´s, pp. 161–173. (*Me´langes). Courtney, Guide, D93. Mercure de France, t. II, 10 mai 1817, Tableau politique de l’Europe, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 269–285. Courtney, Guide, D94. Mercure de France, t. II, 24 mai 1817, Pense´es de´tache´es, pp. 346–352. (*Me´langes). Courtney, Guide, D95. Mercure de France, t. II, 31 mai 1817, E´loge de Saint-Je´roˆme, pp. 401–413. Courtney, Guide, D97. Lo spettatore ossia varieta` istoriche, letterarie, critiche, politiche e morali, t. IX (1817 ?), I Padri della Chiesa, pp. 559–564. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Mercure de France, t. II, 14 juin 1817, Pense´es de´tache´es, pp. 509–523. (*Me´langes). Courtney, Guide, D98. Mercure de France, t. II, 28 juin 1817, The´orie des Re´volutions, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 581–591. Courtney, Guide, D99.
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Mercure de France, t. III, 19 juillet 1817, Ne´crologie, pp. 136–137. Courtney, Guide, D101 Mercure de France, t. III, 26 juillet 1817, Ne´crologie, pp. 175–178. Courtney, Guide, D101a. Mercure de France, t. III, 16 aouˆt 1817, The´orie des Re´volutions, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 307–313. Courtney, Guide, D103. Mercure de France, t. III, 13 septembre 1817, De la litte´rature dans ses rapports avec la liberte´, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 485–495. (*Me´langes). Courtney, Guide, D104. Mercure de France, t. IV, 11 octobre 1817, De la juridiction du gouvernement sur l’e´ducation, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 53–63. (*Me´langes). Courtney, Guide, D105. Mercure de France, t. IV, 8 novembre 1817, De l’obe´issance a` la loi, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 244–255. Courtney, Guide, D106. Mercure de France, t. IV, 13 de´cembre 1817, Du the´aˆtre franc¸ais et du the´aˆtre e´tranger, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 484–490. Courtney, Guide, D107. Nous de´signons le Mercure de France dans les variantes par le sigle M. Les articles du Mercure de France ont fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’artciles, Le Mercure, La Minerve et La Renomme´e, Gene`ve : Droz, 1972, 2 vol. TABLEAU POLITIQUE DU ROYAUME DES PAYS-BAS. Par Ben jamin de Constant. [petit filet enfle´] A PARIS, CHEZ LES MAR CHANDS DE NOUVEAUTE´S. [filet] 1817. 8o, (205 × 124 mm). Pp. [1] faux titre, [2] blanche, [3] titre, [4] blanche, [5]–24 texte. Courtney, Bibliography, 21a. Courtney, Guide, A21/1. Exemplaire utilise´ : Universitätsbibliothek Tübingen, Fo VI 172. Nous de´signons ce texte dans les variantes par le sigle T. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES Publie´s sur le Gouver nement repre´sentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espe`ce de Cours de Politique constitutionnelle ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [filet ondule´] DEUXIE`ME VOLUME. Troisie`me partie de l’Ouvrage. A PARIS, CHEZ P. PLANCHER, E´ DITEUR DES OEUVRES DE
Le Mercure de France – Introduction ge´ne´rale VOLTAIRE
ET DU MANUEL DES BRAVES,
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rue Poupe´e, no. 7. [petit filet
ondule´] 1818. 8o, (215 × 134 mm). Les articles du Mercure de France sont remanie´s et re´unis sous le titre Histoire de la Session de la Chambre des De´pute´s, 1816–1817, aux pp. [159]–392. Courtney, Bibliography, 131a(2). Courtney, Guide, E1/1(2) Exemplaire utilise´ : Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Politik oct. 964. Nous de´signons ce texte dans les variantes par le sigle CPC. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES PUBLIE´S SUR LE GOUVERNEMENT REPRE´SENTATIF ET LA CONSTITUTION AC TUELLE, TERMINE´E PAR UNE TABLE ANALYTIQUE ; OU COURS DE POLITIQUE CONSTITUTIONNELLE ; PAR M. BENJAMIN CON STANT, De´pute´ du de´partement de la Sarthe. Seconde E´dition. [filet ondule´] TOME SECOND [filet ondule´] PARIS, CHEZ PIERRE PLAN CHER, LIBRAIRE, RUE POUPE´E, No 7. [filet] 1820. Les articles du Mercure de France sont remanie´s et re´unis sous le titre Histoire de la Session de la Chambre des De´pute´s, 1816–1817, aux pp. [159]–392. Courtney, Bibliography, 131a(2). Courtney, Guide, E1/2(2) Exemplaire utilise´ : BnF, Paris. Nous de´signons ce texte dans les variantes par le sigle CPC. K. K.
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Proprie´taires nouveaux1 du plus ancien des Journaux de France, les hommes de lettres qui viennent de se re´unir pour continuer ou pour recommencer le Mercure, ont pense´ qu’il leur importait de rechercher d’abord ce que devait eˆtre un Journal, qui, ne paraissant qu’a` des e´poques un peu e´loigne´es l’une de l’autre, ne saurait aspirer aux avantages qui font le succe`s des feuilles de tous les jours. Les re´flexions qu’ont fait naıˆtre ces recherches leur semblent pouvoir tenir lieu d’un Prospectus, et ils les soumettent au public pour le rendre juge de leur entreprise. Un Journal quotidien peut se composer d’anecdotes de´cousues, d’articles sans rapports entr’eux, de faits e´pars, et de conside´rations de´tache´es. Les anecdotes inte´ressent la curiosite´, parce qu’elles sont re´centes : les faits ont ne´cessairement une relation intime avec les circonstances du jour ; et les articles destine´s a` l’examen de questions particulie`res, ont toujours pour sujet celles de ces questions qui captivent l’attention publique, parce que les Auteurs, e´crivant a` la haˆte, dans un cadre resserre´, sous l’influence du moment, sont pre´serve´s, par le de´faut d’espace, du danger des longueurs, et par le de´faut de temps, de l’inconve´nient de se perdre dans les the´ories : car, pour eˆtre lus, il faut que ce qu’ils e´crivent soit d’une application imme´diate. Il n’en est pas ainsi d’un Journal qui ne paraıˆt que toutes les semaines. Les anecdotes ont perdu leur fraıˆcheur, les faits de de´tail leur inte´reˆt ; et ce grand moyen de succe`s pour les feuilles quotidiennes ne peut contribuer a` celui d’un Journal hebdomadaire, que dans un degre´ tre`s-infe´rieur. D’un autre coˆte´, les collaborateurs d’un tel Journal, moins presse´s par les heures, moins geˆne´s par les bornes, peuvent donner plus de soins a` leur travail, plus de de´veloppemens a` leurs ide´es. On pourrait croire que cette possibilite´ est un avantage ; et ne´anmoins cet avantage apparent tourne quelquefois au pre´judice de l’entreprise. La facilite´ de placer des dissertations d’une certaine longueur dans un recueil que les Souscripteurs sont oblige´s de recevoir et qu’on se flatte qu’ils seront contraints de lire, se´duit trop souvent les e´crivains prolixes. E´tablissement du texte : Mercure de France, Prospectus. De´cembre (?) 1816. 1
Il n’est pas suˆr que ce prospectus ait e´te´ re´dige´ par BC seul, mais nous pouvons croire qu’il y a pris une part importante, sans pouvoir dire exactement ce qui lui appartient. Le roˆle qu’il a joue´ dans le lancement de la nouvelle formule de l’ancien Mercure justifie la reproduction de ce texte en teˆte de ses propres articles.
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Un tel Journal arrive de la sorte a` n’eˆtre qu’une collection de petits traite´s, plus ou moins bien faits, mais dont l’ensemble est juge´ toujours avec moins de faveur que les recueils d’essais et les me´langes. Quand l’abbe´ Trublet1 me parle de Fontenelle, ou que M. de SaintePalaye2 me donne des Essais sur la chevalerie, je ne m’en plains point, car je n’ouvre leurs livres que lorsque nul inte´reˆt plus vif ne m’occupe. Mais si dans le moment ou` l’on agite quelque question d’une importance imme´diate et urgente, mon Journal arrive et m’entretient des Bardes de la Bretagne armoricaine, ou de l’e´tat des mœurs dans le douzie`me sie`cle, je jette loin de moi l’importun discoureur qui me parle d’un passe´ obscur, quand le pre´sent de´cide peut-eˆtre de toute mon existence. Une re`gle commune aux Journaux quotidiens et aux Journaux hebdomadaires, c’est de donner une ide´e exacte de ce qui est au moment ou` ils paraissent, de parler a` l’inte´reˆt de chacun, et de discuter la question sur laquelle la curiosite´ ou l’inquie´tude sont e´veille´es. Mais cette re`gle admise, il y a dans l’exe´cution des diffe´rences qui re´sultent de la diffe´rence de la forme. Le premier me´rite d’une feuille quotidienne tient a` la nouveaute´ ; le premier me´rite d’un Journal qui paraıˆt a` des e´poques moins rapproche´es, c’est l’ordre et une certaine continuite´ qui lui imprime, pour ainsi dire, quelque chose d’historique, et qui permet de suivre dans ses nume´ros successifs la marche de l’opinion, celle de l’autorite´, celle des sciences, celle des lettres et des arts. L’on voit que cette ide´e, que les nouveaux proprie´taires du Mercure ont conc¸ue de la taˆche qu’ils s’imposent, distingue essentiellement leur entreprise de toutes celles qui l’ont pre´ce´de´e. C’est un tableau politique et litte´raire qu’ils se proposent d’offrir, mais un tableau suivi, progressif, re´gulie`rement ordonne´ dans toutes ses parties, et dans lequel, a` dater du 1er Janvier 18173, on puisse retrouver quel e´tait a` chaque e´poque l’e´tat des lumie`res, des doctrines d’organisation sociale, de la le´gislation et de la litte´rature. 1
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L’abbe´ Nicolas-Charles-Joseph Trublet (1697–1770), e´crivain connu pour ses e´tudes critiques sur la litte´rature. L’allusion vise le livre Me´moires pour servir a` l’histoire de la vie et les ouvrages de Fontenelle, Amsterdam : Rey, 1759, qui a connu plusieurs e´ditions et des traductions en allemand et en anglais. Il faut y voir sans doute aussi un e´cho du jugement malveillant de Voltaire sur Trublet qu’on trouve dans la satire du Pauvre diable. Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye (1697–1781), e´rudit, entre´ tre`s jeune a` l’Acade´mie des Inscriptions, un des premiers a` e´tudier les troubadours, les chroniques de France et la litte´rature provenc¸ale, historien de la langue. Il a publie´ des Me´moires sur l’ancienne chevalerie, Paris : Duchesne, 1759, 21781. C’est cette indication qui permet de dater le prospectus approximativement de de´cembre 1816.
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L’ordre n’exclut point la varie´te´ ; il lui donne de nouveaux charmes : sans ordre, la varie´te´ devient confusion ; les mate´riaux ne sont que des de´combres, au milieu desquels le lecteur le plus curieux ou le plus patient se lasse bientoˆt d’errer a` l’aventure. D’apre`s ce plan, chaque nume´ro du Mercure sera divise´ en deux parties ; la Politique formera le sujet de l’une, la Litte´rature et les Sciences le sujet de l’autre. La partie politique se subdivisera en deux sections ; l’une traitant de l’e´tat politique de l’Europe, l’autre de l’e´tat politique de la France. Dans la premie`re, nous aurons a` caracte´riser ce mouvement europe´en vers les institutions repre´sentatives, mouvement dont les symptoˆmes sont diffe´rens, dont le but est uniforme, et que tous les gouvernemens e´claire´s favorisent, et mode`rent par la` meˆme qu’ils le favorisent. Nous comparerons les divers e´tats entr’eux, dans leurs tentatives et dans leurs progre`s ; nous verrons la Prusse, a` peine remise de ses souffrances, mais soutenue par un esprit national ne´ du sein des revers, et se donnant, pour re´compense de ses efforts, une constitution qui transformera ses guerriers en citoyens ; nous verrons l’Autriche plus lente, mais appuye´e sur de longs souvenirs de mode´ration et de douceur ; n’adoptant qu’avec circonspection, les ame´liorations avoue´es, mais respectant les droits, les usages, les liberte´s anciennes, qui sont de bons e´lemens pour toutes les liberte´s a` venir. Les petits e´tats se montreront a` nous partageant, a` quelques exceptions pre`s, la tendance ge´ne´rale. Le royaume des Pays-Bas, forme´ d’e´le´mens he´te´roge`nes, nous montrera deux peuples, dont l’un se´pare´ de l’autre par la langue et les inte´reˆts, et attache´ [...] se re´concilie ne´anmoins avec sa nouvelle situation par les jouissances de la liberte´ ; jouissances qui sont toujours et par-tout une cause d’union, parce qu’elles sont une source de bien-eˆtre. Nous peindrons l’Angleterre, et les causes de cette de´tresse, bien plus re´elle que l’on ne pense ; phe´nome`ne d’autant plus e´trange que n’ayant pas commence´ avec les revers et la guerre, elle semble avoir pris sa source dans les victoires et dans la paix1. Nous prouverons deux ve´rite´s e´galement conso24–25 et attache´ ] phrase incomple`te, ampute´e d’une ligne probablement 1
Il faut se rappeler les faits suivants : 1816 est l’anne´e sans e´te´ dans tout l’he´misphe`re nord ; la chute de la production agricole entraıˆne la baisse de la demande des produits manufacture´s, suivant la loi des de´bouche´s de J. B. Say, au Royaume-Uni et dans le reste du monde, pesant donc aussi sur le commerce international. Et ce a` un moment ou`, comme l’e´crit T. S. Ashton dans La re´volution industrielle (traduction franc¸aise, Paris : Plon 1955, p. 198), l’industrie ne s’e´tait pas encore adapte´e aux conditions du temps de paix (la «crise de reconversion» suivant une guerre). Au Royaume-Uni, les commandes gouvernementales (notamment militaires) avaient diminue´ de moitie´ et la de´mobilisation avait jete´ quelques 300.000 hommes sur le marche´ du travail. La reprise se produira en 1818, a` la faveur de meilleures re´coltes et de la re´adaptation des manufactures et du commerce exte´rieur.
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lantes : l’une, que la de´tresse de l’Angleterre ne sera que momentane´e, si, comme tout l’y invite, elle s’occupe plutoˆt d’elle-meˆme que de ses voisins ; l’autre, qu’elle est dans l’heureuse position de ne pouvoir faire que du bien, parce que ses finances, l’e´tat de ses manufactures et l’opinion nationale, fonde´e sur des privations et des souffrances, la mettent hors d’e´tat de faire du mal. Nous dirons ce que nous pourrons sur l’Espagne. La politique inte´rieure de la France nous fournira des questions plus importantes encore pour tous les Franc¸ais. Nous ne professerons point une impartialite´ impossible de fait, et qui, lorsqu’il s’agit de la liberte´ et de la patrie, serait une criminelle indiffe´rence. Amis since`res de la charte, reconnaissans envers le Roi, qui l’a sauve´e par son e´clatante protection ; heureux de la voir a` l’abri de toute innovation et renonc¸ant volontiers a ce qu’on pourrait regarder comme des ame´liorations spe´culatives, parce que ce qui nous importe le plus aujourd’hui, c’est la certitude que rien ne menace les principes qu’elle contient et les garanties qu’elle assure ; e´quitables envers les ministres, dont nous n’examinerons les actes qu’avec une franchise de´cente, nous resterons sans doute e´trangers a` tous les partis, en ce qui les constitue en partis, c’est-a`-dire, la haıˆne, la vengeance, les souvenirs odieux, les re´criminations imprudentes ; mais nous ne serons e´trangers a` aucune ve´rite´ que les partis, meˆme pour leur inte´reˆt, pourront proclamer. Tel est maintenant l’e´tat des esprits, et c’est un bonheur pour les ide´es justes, que ces ide´es soient devenues l’unique moyen de succe`s. Un seul langage est e´coute´, un seul e´tendard est reconnu, et la liberte´ gagne e´galement aux discours de ses de´fenseurs et aux discours de ses ennemis. Aussi jamais les questions constitutionnelles n’ont-elles e´te´ plus approfondies ; elles deviennent familie`res a` tous les citoyens, a` toutes les classes e´claire´es. Avec l’instinct juste et suˆr de notre nation, avec les lumie`res qui sont par-tout re´pandues, on peut sans crainte re´pondre de l’avenir. En rendant un compte exact des se´ances des chambres, nous analyserons les projets de loi qui seront propose´s. Nous nous efforcerons de saisir l’esprit des discussions ; nous le comparerons avec ce qui nous paraıˆtra eˆtre l’opinion publique : heureux si nous les trouvons toujours d’accord ! Nous e´viterons e´galement de tronquer les discours remarquables, et de remplir nos pages de de´clamations de circonstance et de phrases de tribune. En un mot, nous ferons ensorte que cette partie du Mercure devienne en abre´ge´ l’histoire parlementaire de France1.
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Les rapports de´veloppe´s des travaux de la chambre des De´pute´s sont tre`s a` la mode. Voir ci-dessous, p. 375, n. 1.
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Nous ne ne´gligerons pas les livres et les brochures qui paraıˆtront sur des questions politiques. Nous y chercherons la ve´rite´ pour la re´pandre, et l’erreur, quand elle sera dangereuse, pour la re´futer. Nous ne craindrons point de rendre justice aux opinions saines, quand nous les trouverons dans des e´crivains d’ailleurs oppose´s a` nos principes. Une partie de notre Journal sera consacre´e a` l’examen des ouvrages relatifs aux finances et a` l’administration. La seconde partie du Mercure embrassant la litte´rature, et, sous ce titre, les sciences et les arts, sera, comme la pre´ce´dente, divise´e en deux sections. L’une traitera des litte´ratures e´trange`res ; la seconde, de la litte´rature franc¸aise. Dans la partie consacre´e aux litte´ratures e´trange`res, nous nous occuperons spe´cialement de l’e´tat actuel de la litte´rature anglaise et de la litte´rature allemande, remarquables, l’une parce qu’elle est toute en croissance ; l’autre, parce qu’arrive´e a` sa maturite´, elle penche vers son de´clin. Nous e´viterons sur l’Allemagne ces exage´rations qui menacent de remplacer parmi nous, par une re´action assez naturelle, les exage´rations d’un genre oppose´. Nous montrerons, dans la poe´sie, les Allemands pleins d’imagination, de verve, quelquefois de sensibilite´, mais se prescrivant fre´quemment la bizarrerie, s’imposant meˆme le mauvais gouˆt, et se commandant, comme une re`gle, le me´pris des re`gles. Nous les montrerons, dans les recherches se´rieuses, profonde´ment instruits, investigateurs infatigables, mais tenant a` chaque de´tail par l’amour de la de´couverte ; accordant, comme par une sorte d’e´galite´ de´mocratique, la meˆme importance a` tous les faits, et sous cette multitude de faits, e´touffant trop souvent l’ide´e et perdant le re´sultat. Nous observerons dans la litte´rature anglaise des de´fauts oppose´s, un amour trop exclusif pour les applications imme´diates, un trop grand me´pris pour les ide´es ge´ne´rales. Si, ce qui est du reste fort incertain, quelque grand ouvrage, tels que les Anglais savaient en faire, du temps des Robertson1, des Gibbon2 et des Hume3, venait solliciter l’attention, nous nous haˆterions
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William Robertson (1721–1793), historien anglais e´tabli a` Edimbourg. Il a publie´ en 1759 une History of Scotland et en 1769 son History of the Reign of Charles V, ouvrages que BC cite losqu’il parle de l’histoire d’Angleterre. Edward Gibbon (1737–1796), ce´le`bre surtout pour son monumental ouvrage The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, (London : Strahan and Cadell, 1776–1788, 6 vol.). La traduction franc¸aise faite surtout par la future e´pouse de Guizot, E´lisabeth-Charlotte-Pauline de Meulan, et enrichie par des notes de Guizot, a paru en 1812–1813 : Histoire du de´clin et de la chute de l’Empire romain, Paris : Maradan, 13 vol. BC pense a` David Hume, A History of England from the Invasion of Julius Cæsar to the Revolution in 1688, by D. H. ; A new Edition, Basil : J. J. Tourneisen, 1789, 12 vol. C’est cette e´dition que BC utilise.
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de le faire connaıˆtre. En attendant, nous parlerons peut-eˆtre de ces poe¨ mes descriptifs1 dont l’Angleterre est inonde´e, et qui, dans toutes les litte´ratures, sont un symptoˆme de de´clin ; mais dont plusieurs toutefois sont e´tincelans de grandes beaute´s. Il est inutile d’ajouter que ces derniers seuls nous occuperont. Quant a` notre litte´rature, nous n’avons point la pre´tention d’en pre´senter un tableau de´ja` trace´ mille fois ; nous nous bornerons a` rendre compte de tout ce qui paraıˆtra de remarquable, en taˆchant de mettre, meˆme dans cette partie, l’espe`ce d’ordre et de continuite´ dont nous avons parle´ ci-dessus, afin que la collection du Mercure puisse servir aussi d’histoire, ou du moins de registre analytique pour la litte´rature franc¸aise. L’art dramatique nous a paru me´riter une place a` part. Nous avons donc assigne´ a` l’examen des pie`ces de the´aˆtre, au re´cit des repre´sentations et a` l’analyse du jeu des acteurs, une section spe´ciale que nous intitulerons Annales dramatiques. Dans cette section, nous ne suivrons pas l’exemple de quelques e´crivains dont la critique ou l’e´loge, e´galement superficiel, e´galement partial, n’a jamais eu d’autre objet que de rabaisser leurs contemporains et d’e´teindre toute espe`ce d’e´mulation ; de´fenseurs des saines doctrines litte´raires, admirateurs passionne´s des grands mode`les, nous ne re´pe`terons cependant pas sans cesse, qu’en tout genre la lice est ferme´e ; qu’il ne faut plus faire de come´die apre`s Molie`re ; qu’on ne peut, sans un intole´rable orgueil, se hasarder dans la carrie`re ou` Corneille, Racine et Voltaire se sont illustre´s2. Nous ne donnerons d’exclusion a` aucun talent, a` aucun genre, et nous
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La poe´sie descriptive («descriptive poetry») est un genre litte´raire toujours a` la mode en Angleterre a` cette e´poque. Elle poursuit un but didactique ; le paysage, les monuments de l’architecture, des natures mortes en sont les sujets principaux. On cite James Thomson (1700–1748), qui publia The Seasons, Alexander Pope (1688–1744), dont on a Windsor Garden, William Wordsworth (1770–1850) avec des ouvrages comme The Excursion et The Prelude et Samuel Taylor Coleridge (1772–1834). Cette mode litte´raire peut avoir de lointaines origines franc¸aises (Boileau), mais elle a surtout avec Jacques Delille (1738–1813) un imitateur fe´cond et talentueux (Les Ge´orgiques de 1769, Les Jardins de 1782, L’Homme des champs de 1803 et Trois re`gnes de la nature de 1813), ce qui explique peut-eˆtre l’inte´reˆt particulier annonce´ ici. On pourrait e´galement renvoyer a` Adolphe ou` le narrateur dit «Nous lisions ensemble des poe`tes anglais» (OCBC, Œuvres, t. III/1, p. 118), motif wertherien, qui pourrait e´voquer dans le contexte de la narration les poe`tes de cette e´cole. Pole´mique ou du moins prise de position nette contre une doctrine poe´tique traditionnelle telle qu’elle a e´te´ soutenue par des critiques litte´raires comme Fontanes et Fie´ve´e, ainsi que par Chateaubriand qui avaient, notamment dans l’ancien Mercure, critique´ Mme de Stae¨ l en 1800 au moment de la parution de De la litte´rature pour avoir applique´ l’ide´e de perfectibilite´ a` la litte´rature. Le nouveau Mercure prend une position diame´tralement oppose´e a` son pre´de´cesseur sur cette querelle des Anciens et des Modernes.
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encouragerons, au contraire, les efforts de quiconque nous offrira l’espe´rance d’e´tendre, avec gouˆt et re´serve, les limites d’un art ou` de`s long-temps les Franc¸ais ne reconnaissent plus de rivaux. Toute pie`ce nouvelle de quelque importance, sera l’objet d’une analyse raisonne´e, dans laquelle nous nous appliquerons d’abord a` bien faire connaıˆtre l’ouvrage, a` peindre les caracte`res, a` de´velopper l’intrigue, de manie`re a` mettre le lecteur en e´tat de prononcer lui-meˆme sur l’e´quite´ du jugement que nous croirons devoir en porter. Convaincus que le style, qui ne suffit pas pour assurer le succe`s d’une pie`ce de the´aˆtre, est cependant la seule qualite´ qui la fasse vivre, nous nous attacherons particulie`rement a` en bien signaler le me´rite ou les de´fauts ; en un mot, nous taˆcherons de ne jamais oublier «que ce n’est point un arreˆt que le public nous demande, mais le rapport d’un proce`s qu’il n’appartient qu’a` lui de juger en dernier ressort1.» Les meˆmes conside´rations, puise´es dans le seul inte´reˆt de l’art, nous dirigeront dans l’examen des productions des deux sce`nes lyriques, ou` des mode`les moins impo sans et des re`gles moins absolues, laissent un champ plus vaste aux essais du ge´nie et aux pre´ceptes de la critique. Par une inconse´quence trop commune, apre`s avoir reconnu que l’art de la de´clamation est inse´parable de l’art dramatique, et qu’en ce genre il est un degre´ de perfection auquel on n’arrive que par un travail opiniaˆtre, seconde´ des plus rares dispositions, nous n’affecterons pas de traiter, avec une le´ge`rete´ voisine du me´pris, une profession a` laquelle nous sommes redevables des plus nobles et des plus douces jouissances de l’esprit : l’e´loge ou la censure que nous ferons des acteurs, n’aura d’objet et de mesure que leur talent. L’article intitule´ Varie´te´s litte´raires se composera d’anecdotes, de lettres sur diffe´rens sujets qui nous seront adresse´es, de morceaux de´tache´s d’histoire, de critique et de morale, dans le choix desquels nous taˆcherons de ne point nous me´prendre. Nous commencerons par nous conformer au gouˆt actuel du public, en n’inse´rant des vers dans le Mercure qu’avec une extreˆme sobrie´te´ ; mais nous ferons ensorte que les extraits ou les pie`ces fugitives auxquels nous croirons de temps en temps pouvoir y donner place, contribuent a` ramener parmi les lecteurs le sentiment de la poe´sie, qui paraıˆt s’e´teindre de jour en jour. Enfin, sous le titre de Notices et Annonces, qui e´tait celui d’une partie essentielle de l’ancien Mercure, nous consacrerons, dans chaque nume´ro, plusieurs pages a` l’annonce des ouvrages qui auront paru dans la semaine : 1
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une courte notice y sera jointe. Les amateurs de la litte´rature trouveront dans cette partie du Journal l’avantage de pouvoir fixer leur choix sur les productions nouvelles, et les libraires celui de voir donner une prompte publicite´ aux ouvrages qu’ils mettent en vente. Nous aimons a` croire qu’ils en sentiront d’autant plus le prix, que trop souvent les bureaux de re´daction de nos journaux sont pour eux comme des sanctuaires ou` il ne leur est pas permis de pe´ne´trer.
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Il entre dans le plan de ce Journal de rendre un compte exact des se´ances des deux chambres, objet d’une grande importance dans un gouvernement repre´sentatif1. Mais l’e´crivain charge´ de ce travail doit s’y vouer presqu’exclusivement, s’il veut lui donner le degre´ d’inte´reˆt dont il est susceptible, et je ne me suis senti ni la volonte´ ni le moyen de m’acquitter de cette taˆche. J’ai pense´ ne´anmoins que la re´capitulation des principaux faits qui ont amene´ la convocation, et influe´ sur la composition de la chambre actuelle des de´pute´s, ne serait pas inutile, et servirait d’introduction conveE´tablissement du texte : Mercure de France, Des Chambres depuis leur convocation jusqu’au 31 de´cembre, t. I, 4 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 28–32. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 160–166. [=CPC] 1–2 Des Chambres ... 31 de´cembre 1816. ] nouveau titre de la se´rie des articles Histoire de la session de la Chambre des De´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817 CPC ; suit a` la page suivante Avertissement. Cette histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, est loin d’eˆtre comple`te. Mais j’ai cru devoir la laisser telle qu’elle a e´te´ publie´e dans le Mercure, parce que les observations dicte´es par chaque circonstance donnent une ide´e plus nette des circonstances dans lesquelles nous nous trouvions a` cette e´poque, que n’auraient pu le faire des de´veloppemens poste´rieurs. J’avais d’abord l’ide´e d’indiquer par des notes sous quels rapports mes pre´dictions sur l’effet de la marche ministe´rielle se sont re´alise´es, et sous quels autres rapports mes espe´rances ont e´te´ de´c¸ues ; mais j’ai mieux aime´ m’en remettre aux re´flexions du lecteur. CPC ; suit, a` la page suivante, de nouveau le titre cite´ ci-dessus, a` la place du titre du Mercure, puis I. CPC 3–p. 377.3 Il entre ... encourt. ] les 4 premiers aline´as supprime´s dans CPC 3 exact ] la source porte exacte 1
Cette se´rie d’articles ne restera pas la seule tentative de BC pour re´sumer et analyser les de´bats parlementaires. On consultera, sur le meˆme sujet, la brochure Annales de la session de 1817 a` 1818, Paris : Be´chet, 1818, re´dige´e par BC, J. P. Page`s et Saint-Aubin (voir ci-dessous, pp. 897–1120). Un troisie`me exemple est la se´rie d’articles sur le session des chambres de 1818–1819 dans la Minerve, publie´e entre les 13 de´cembre 1818 et 24 mars 1819 (voir OCBC, Œuvres, t. XII, a` paraıˆtre). On connaıˆt des publications du meˆme genre par d’autres auteurs. Citons a` titre d’exemple J. Fie´ve´e, Histoire de la session de 1815, Paris : Le Normant, 1816 ; en outre : J. A. M. d’Aure´ville et Isidore-Marie-Brignole Gautier, Annales historiques des sessions du Corps le´gislatif, anne´es 1814 et 1815 ; et paralle`le des opinions des auteurs avec celles de M. Fie´ve´e, Paris : C. F. Patris, 1816 ; E´douard Beaupoil de Saint-Aulaire, Le Courrier des Chambres, Paris : Plancher, 1817. BC posse´dait le premier de ces ouvrages dans sa bibliothe`que.
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nable au compte qui sera rendu re´gulie`rement des discussions, qui auront lieu dans ces assemble´es, des propositions qui leur seront faites, et des projets de loi qu’elles adopteront, modifieront ou rejeteront. Je pre´sente donc aujourd’hui au public ce tableau d’une petite portion de notre histoire parlementaire, comme un morceau de´tache´, embrassant les ope´rations des deux chambres, jusqu’a` la fin de l’anne´e dernie`re. Je l’e´tendrai peut-eˆtre jusqu’a` la de´cision que prendront ces assemble´es relativement aux lois qui leur ont de´ja` e´te´ propose´es. Ces lois touchent a` nos inte´reˆts les plus chers, a` nos droits les plus sacre´s. Celle des e´lections peut eˆtre conside´re´e comme la plus nationale qui ait e´te´ discute´e depuis long-temps. Sans blaˆmer le regret de ceux qui voudraient voir un plus grand nombre de franc¸ais, appele´s a` exercer leurs droits politiques, on doit se re´jouir de ce que le syste`me repre´sentatif va eˆtre appuye´ sur une masse de proprie´taires, dont la fortune sera suffisante pour assurer leur inde´pendance, et dont le nombre ne leur permettra point de former une aristocratie resserre´e, ou de faire cause commune avec d’autres classes que la nation ve´ritable. Des e´lecteurs trop pauvres n’auraient, malgre´ leur grand nombre, e´te´ que les instrumens de quelques riches. Des e´lecteurs trop riches, et par cela meˆme peu nombreux, seraient devenus les tyrans des pauvres. Dans la classe interme´diaire sont les lumie`res, l’industrie, et un inte´reˆt e´gal a` la liberte´ et au bon ordre : et la loi qui donne le pouvoir a` cette classe est une loi sage en principe. Il ne s’agit plus que d’en bien organiser les de´tails. Je reviendrai volontiers sur ce sujet, que j’ai de´ja` traite´ autrefois1, et je serai heureux d’applaudir a` la suppression des colle´ges e´lectoraux et a` l’abolition des deux degre´s d’e´lection, dont j’ai de´montre´, il y a long-temps, les inconve´niens et les vices2. Je parlerai ensuite, avec non moins de franchise, des lois sur la presse, sur les journaux, et sur la liberte´ individuelle. C’est-la` que je compte borner mon travail relativement aux chambres. Il formera, comme je l’ai dit, un morceau a` part que je signerai, et dont je serai seul responsable. En ge´ne´ral, tous les morceaux que j’e´crirai seront signe´s par moi. J’y perdrai sans doute l’avantage de me voir attribuer des articles inge´nieux ou profonds qui vaudront mieux que les miens ; mais j’y gagnerai de ne jamais 1
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Les renvois ont e´te´ identifie´s par Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, p. 1353, note a` cet endroit. Il s’agit des Re´flexions sur les constitutions, la distribution et les garanties dans une monarchie constitutionnelle, Paris : H. Nicolle, 1814, chap. IV, «Du pouvoir repre´sentatif». Voir OCBC, Œuvres, t. VIII, pp. 992–1012. Principes de politique applicables a` tous les gouvernements repre´sentatifs et particulie`rement a` la constitution actuelle de la France, Paris : Alexis Eymery, 1815, chap. VI, «Des conditions de proprie´te´». Voir OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 733–744. Principes de politique, chapitre V, «De l’e´lection des Assemble´es repre´sentatives», OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 716–732.
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me laisser entraıˆner a` dire plus que je ne voudrai, sous le voile de l’anonyme, et il est bon d’avoir toujours pre´sent a` la pense´e la responsablilite´ qu’on encourt1. La chambre des de´pute´s nomme´e en 1815, s’e´tait se´pare´e au mois d’avril 1816. Les discours de quelques-uns de ses membres, diverses propositions faites et accueillies par la majorite´, et sur-tout un mouvement ge´ne´ral, imprime´ a` cette assemble´e par les circonstances, qui avaient pre´side´ a` sa convocation, avaient re´pandu dans beaucoup d’esprits d’assez vives inquie´tudes2. La re´vision annonce´e de plusieurs articles de la charte, semblait ouvrir une porte a` l’examen de la charte entie`re ; car tout se tient en fait de constitution, et tel article modifie´ entraıˆne ne´cessairement la modification de plusieurs autres. Il en e´tait re´sulte´ un sentiment d’instabilite´ tre`s-dangereux, dans un moment ou`, pour que tout se consolide, il faut croire que tout est consolide´3. L’ordonnance du 5 septembre mit un terme a` cette fermentation4. En arreˆtant dans sa marche une majorite´ qui, jusqu’alors, n’avait re´clame´ que l’accroissement sans bornes du pouvoir royal, le gouvernement prouva ses intentions constitutionnelles. En de´clarant que nul changement ne pourrait eˆtre apporte´ a` la charte, il rassura les amis du repos, qui renonce`rent volontiers a` quelques ame´liorations qu’ils avaient de´sire´es, pour e´viter d’autres alte´rations qu’ils avaient pu craindre. En appelant la France a` des e´lections nouvelles, il offrit a` l’opinion nationale la faculte´ de se manifester librement. En fixant a` une e´poque tre`s-rapproche´e l’ouverture de l’assemble´e, il se montra convaincu de la ne´cessite´ de consulter le peuple, toutes les fois qu’il s’agissait de ses inte´reˆts ; conviction salutaire a` ceux qui gouvernent, autant qu’a` ceux qui sont gouverne´s. Enfin, en effectuant la se´paration de la majorite´ qui avait domine´ dans la chambre pre´ce´dente, sans enlever aux membres de cette majorite´ une chance le´gitime d’eˆtre re´e´lus, il cre´a, pour ainsi dire, un e´le´ment qui manquait encore a` notre syste`me repre´sentatif, 1 2 3
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Seuls les articles ne´crologiques sur Mme de Stae¨ l font exception. Allusion a` la Chambre introuvable, selon le mot de Louis XVIII au lendemain des e´lections d’aouˆt 1815, assemble´e ultra-royaliste caracte´ristique du climat de la Terreur blanche. Allusion a` l’ordonnance du 13 juillet 1815 qui porte sur la dissolution de la Chambre des de´pute´s de 1815 et la convocation des colle`ges e´lectoraux. Elle disposait encore (art. 14) que plusieurs articles de la charte seraient soumis a` la re´vision. Dans son «Rapport de la Commission centrale charge´e de l’examen du projet de loi e´lectorale», lu le 7 fe´vrier 1816 devant la Chambre des De´pute´s par son pre´sident, Ville`le pre´cise qu’on pense a` plusieurs articles (36 a` 38) a` modifier. La commission propose une nouvelle re´daction pour les articles 36 et 37, et maintient celle de l’article 38. Voir le Moniteur no 38, 7 fe´vrier 1816, p. 138b. L’ordonnance royale du 5 septembre 1816 de´cidant des e´lections nationales a` organiser pour remplacer la Chambre introuvable est fre´quemment e´voque´e par BC dans ses articles et ses e´crits. Voir ci-dessus, p. 270, l’«Esquisse d’une histoire de la Re´publique franc¸aise».
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celui d’une opposi tion re´gulie`re, exerce´e par des hommes dont plusieurs sont recommandables, et dont presque tous sont proprie´taires. Dans la session ante´rieure, ces hommes, arrive´s apre`s une victoire et avec une ide´e fixe, e´taient investis de trop de force pour n’eˆtre pas enivre´s par cette force. Mais, rentre´s dans la masse de la nation, et n’en ressortant qu’en minorite´ par la faveur populaire, ils devront, s’ils veulent soutenir avec quelque avantage une lutte constitutionnelle, acque´rir des lumie`res pour obtenir des succe`s, et de´fendre la liberte´ pour eˆtre appuye´s par l’opinion. Ils ont sans doute encore du chemin a` faire dans cette route inusite´e : ils ne posse`dent pas a` fond le langage qu’ils doivent parler ; quelques revers de plus sont ne´cessaires a` leurs progre`s ; mais leur e´ducation se fera. Ce sont les Whigs qui ont fonde´ la liberte´ d’Angleterre ; mais l’opposition des Torys l’a quelquefois servie : et je conside`re notre constitution comme ayant fait un pas immense, depuis que l’opposition est dans les Torys1. Je ne dirai qu’un mot sur la manie`re dont les e´lections furent conduites. Dans tout gouvernement repre´sentatif, il est naturel au ministe`re de vouloir influer sur les e´lections ; pourvu qu’il n’emploie ni fraude, ni violence, ses efforts sont excusables2. Si la nation n’est pas d’accord avec lui, c’est a` elle a` se soustraire a` son influence ; et quand l’opinion est prononce´e, elle soutient cette lutte avec succe`s. Le directoire a taˆche´ toujours de diriger les e´lections, et il a e´te´ constamment renverse´ par elle. Je n’affirmerai point qu’il n’y ait pas eu de fausses de´marches, des insinuations trop directes, des exclusions sur-tout, dans un double sens, et dont quelques-unes assure´ment e´taient mal entendues. En toutes choses, les premiers pas sont difficiles ; il faut que l’autorite´ s’accoutume a` exercer l’influence, comme la nation a` jouir de la liberte´ ; et quand une machine vient d’eˆtre mise en mouvement, beaucoup de ressorts crient. Mais on peut ne´anmoins poser en fait que les e´lections re´pondirent en grande partie au vœu national. Ce ne fut point le ministe`re qui e´carta la majorite´ de l’anne´e dernie`re ; cette majorite´ avait effraye´ la France, et la France ne la voulait pas3. Les e´lecteurs de plus d’un colle´ge montre`rent une grande sagesse ; ils firent aux circonstances et aux pre´ventions des sacrifices me´ritoires. Plusieurs manifeste`rent une honorable abne´gation, et ils laisse`rent rendre dans 1 2
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Le parti des Torys soutient la couronne, celui des Whigs les inte´reˆts du peuple. BC emploie, a` la fin de la phrase, le terme «Torys» pour de´signer les royalistes. La pratique des circulaires des ministres est bien connue, et elle est critique´e dans les journaux. Voir p. ex. le Journal des De´bats, 27 septembre 1816, p. 2b, et un commentaire mode´re´ dans sa forme, mais ferme, dans le Moniteur no 274, 30 septembre 1816, pp. 1103c– 1104a. La majorite´ sera constitue´e de de´pute´s mode´re´s (Moniteur, no 269, 25 septembre 1816, p 2b). Les ultras des deux camps sont en minorite´.
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quelques de´partemens les choix impossibles, et de priver leurs concitoyens de l’avantage de se voir repre´sente´s. Les ope´rations pre´liminaires des chambres peuvent eˆtre passe´es sous silence1. Ces ope´rations, les unes d’e´tiquette et les autres de ne´cessite´ pour l’organisation mate´rielle, sont les meˆmes dans tous les temps. Mais la justice exige qu’on reconnaisse que, dans la ve´rification des pouvoirs, la chambre des de´pute´s fut sage et libe´rale ; tout en laissant percer sur quelques points la dissidence naturelle et ne´cessaire dans une assemble´e, tous les membres de celle-ci se donne`rent mutuellement des preuves d’e´gards et d’une louable impartialite´. Ce fut le 14 novembre que la chambre des de´pute´s entra dans l’exercice de ses fonctions2, parce que ce jour-la` le budget lui fut pre´sente´ ; le budget, loi difficile, peut-eˆtre impossible a` faire dans les circonstances actuelles, de manie`re a` contenter les besoins et a` ne pas exce´der les faculte´s. Le 15, l’adresse au roi3 fut porte´e a` S. M., et l’on remarqua dans cette adresse l’adoption comple`te des sentimens de mode´ration recommande´s par le monarque, une adhe´sion since`re aux re`gles d’e´conomie, salutaires toujours, maintenant indispensables, et une reconnaissance sentie et convenablement exprime´e pour l’ordonnance du 5 septembre. Deux orateurs se pre´sente`rent pour faire quelques observations sur l’adresse. L’usage rec¸u dans nos assemble´es ne leur permit pas d’eˆtre entendus, et tous deux firent imprimer leur opinion4. Peut-eˆtre s’apercevra-t-on dans la suite que la cou1
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La Chambre y a consacre´ plusieurs se´ances depuis le 6 novembre 1817. Les travaux concernent la ve´rification de l’admissibilite´ des De´pute´s, la constitution des bureaux, l’e´lection du pre´sident, etc. C’est le 14 novembre que le comte Corvetto, ministre secre´taire d’e´tat des Finances, pre´sente le budget dans un discours lu devant la Chambre des De´pute´s (Moniteur no 320, 15 novembre 1816, pp. 1282a–1284c). Dans la meˆme se´ance, Dudon fait la lecture du texte de la loi projete´e ; suivent encore plusieurs discours relatifs a` cette matie`re, entre autres un discours de Prosper de Barante (meˆme nume´ro du Moniteur, supple´ments). L’adresse se trouve dans le Moniteur no 321, 16 novembre 1816, pp. 1285a–1285c. Elle a e´te´ lue par Pasquier, pre´sident de la Chambre. BC re´sume l’essentiel de ce texte. Citons un passage important : «V.M. place l’attachement a` la Charte imme´diatement apre`s celui qui est duˆ a` la religion. Vous avez exprime´, Sire, la pense´e de la France entie`re, car il n’est pas un Franc¸ais qui ne veuille une sage liberte´, la jouissance de son e´tat, de ses droits et de ses biens. C’est dans ces dispositions, et avec une profonde reconnaissance que votre ordonnance du 5 septembre a e´te´ rec¸ue, et que sera rec¸ue la royale assurance que vous y ajoutez, de ne jamais souffrir qu’il soit porte´ atteinte a` la loi fondamentale de l’Etat» (p. 1285c). La re´ponse du roi met l’accent sur les de´libe´rations a` apporter au projet de loi du budget. Il s’agit de Louis-Auguste Demarin de Tyrac, comte de Marcellus (1776–1841) et de JeanClaude Clausel de Coussergues (1759–1846). Ils firent savoir, comme le dit Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, p. 1354, note, en renvoyant au Moniteur no 325, 20 novembre 1816, p. 1299b, qu’ils avaient vote´ contre le texte de l’Adresse au Roi. Tous deux sont des partisans du parti ultra. Voir aussi le Moniteur no 328, 23 novembre 1816, p. 1312a, la lettre des deux de´pute´s qui reviennent sur cette affaire.
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tume anglaise est meilleure a` suivre ; l’adresse que les mandataires d’un peuple pre´sentent a` son monarque, est trop importante pour qu’il ne soit pas de´sirable que la discussion en soit publique. Quand le souverain et la nation sont d’accord sur les bases, aucun examen n’est dangereux. Les objections, que l’on devine quand elles sont e´touffe´es, sont mieux re´solues quand on les e´coute et qu’on y re´pond ; la publicite´ est dans tous les cas un moyen de s’entendre, et une adresse vote´e apre`s une discussion a plus de poids encore et plus de valeur ; mais tout doit marcher par degre´s : c’est a` l’expe´rience a` nous instruire, et sur-tout a` nous rassurer. B.
DE
CONSTANT.
La suite au nume´ro prochain.
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Le 16 novembre, un projet de loi relatif aux dotations eccle´siastiques fut porte´ a` la chambre des pairs ; il y fut discute´ le 2 de´cembre, et apre`s son adoption par cette assemble´e, il fut envoye´ a` la chambre des de´pute´s, qui l’adopta de meˆme1. L’utilite´ de relever la religion, comme appui de la morale, et la ne´cessite´ d’assurer aux ministres des autels une existence plus inde´pendante et moins pre´caire que celle a` laquelle la re´volution les a re´duits, furent les deux argumens alle´gue´s par les de´fenseurs de ce projet. Le danger de voir le clerge´ profiter des proprie´te´s qu’il pourrait acque´rir pour se reconstituer en corps politique, fut le texte du discours prononce´ par le seul orateur qui crut devoir combattre la proposition2. E´tablissement du texte : Mercure de France, Des Chambres depuis leur convocation jusqu’au 31 de´cembre, t. I, 11 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 69–77. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 166–182. [=CPC] 1 Des Chambres ... article.) ] II. CPC 1
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BC se trompe. Le texte du projet de loi, date´ du 16 novembre 1816, se trouve dans le Moniteur no 324 du 19 novembre, p. 1295c, suivi du discours du ministre de l’Inte´rieur, Laine´ (pp. 1295c–1296a). Dans la meˆme se´ance, la Chambre des Pairs renvoie le projet de loi aux bureaux. Dans la se´ance du 19 novembre, la Chambre de´cide de nommer une commission spe´ciale de cinq membres pour pre´parer la discussion (Moniteur no 329, 24 novembre 1816, p. 1313c). Celle-ci a lieu le 26 novembre, apre`s la lecture du rapport de la commission par l’abbe´ de Montesquiou, et la loi fut adopte´e (Moniteur no 336, 1er de´cembre 1816, pp. 1343a–1344b et no 337, 2 de´cembre 1816, pp. 1348c–1349c). Le 29 novembre, la Chambre des De´pute´s rec¸oit le texte de la loi (Moniteur no 335, 30 novembre 1816, pp. 1340c–1341a) et entend le ministre de l’Inte´rieur. La projet de loi est examine´ lors de la se´ance du 24 de´cembre et adopte´ (Moniteur no 360, 25 de´cembre 1816, pp. 1440b–1444c). Marc-Rene´ Voyer de Paulmy d’Argenson (1771–1842), de´pute´ du de´partement du HautRhin, vota contre le projet de loi : «Je vois le projet accorder le droit de posse´der des e´tablissemens auxquels tout rappelle leur inde´pendance, que rien ne rattache a` l’autorite´ civile, et qui, a` mesure que s’accroıˆtrait pour eux la masse de ces proprie´te´s de main-morte, parvenant a` former un corps, ne pourraient s’empeˆcher alors d’avoir, a` ce titre, une administration collective». Voir le Moniteur du 25 de´cembre 1816, pp. 1440b–1441a. De´pute´ libe´ral, ancien membre de la Chambre des repre´sentants, il faisait partie, avec BC, de la commission charge´e des ne´gociations de Haguenau.
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Je suis loin de nier que la religion ne soit essentielle a` la morale ; je vois en elle la source de nos e´motions les plus douces et les plus pures. L’homme devient meilleur quand il est religieux, parce qu’il place ses espe´rances au-dela` de ce monde. L’injustice, qui l’environne et le blesse a` chaque pas, ne le corrompt plus, parce qu’elle ne lui paraıˆt qu’un accident passager ; ses calculs s’annoblissent, parce qu’il fait cre´dit au temps, borne´ sur la terre, mais sans limite au-dela` du tombeau, et sa propre vertu lui semble un de´poˆt confie´ a` sa garde, et qu’il s’efforce de porter intact jusqu’au terme de sa traverse´e. Mais je ne sais s’il est politique d’annoncer qu’on veut re´tablir la religion parce qu’elle est utile1. Admise comme vraie, comme divine, elle n’est plus un simple moyen, mais le premier but, le premier inte´reˆt ; et si les hommes raisonnaient conse´quemment, elle serait l’inte´reˆt unique de cette vie : car tout le reste finit, et tout ce qui finit est si court ! Pre´sente´e comme utile, la religion descend a` un rang secondaire ; et tandis qu’on ne lui disputait pas le premier rang quand elle y e´tait place´e, le second rang lui est conteste´. Re´ve´ler a` la foule les ressorts par lesquels on veut la faire mouvoir, c’est enlever a` ces ressorts une grande partie de leur force. Si nous relisons l’histoire, nous verrons qu’on n’a jamais tant parle´ de l’utilite´ de la religion que lorsque sa ve´rite´ e´tait re´voque´e en doute, et nous verrons aussi que ce qu’on a dit sur l’utilite´ n’a jamais re´ussi a` ramener la croyance. Le sentiment religieux est inhe´rent a` notre nature ; moins on l’associe a` des calculs humains, plus il se rele`ve de lui-meˆme. La religion parle au cœur de l’homme : ne couvrons pas sa voix de la noˆtre. L’homme sera meilleur s’il croit a` la religion ; mais vous aurez beau l’exhorter a` croire pour eˆtre meilleur : on ne croit pas pour quelque chose. Je pense donc que toute cette partie de la discussion aurait pu eˆtre retranche´e sans dommage, et meˆme avec profit pour la religion. Elle n’a servi qu’a` faire briller, sur un sujet passablement use´, une e´loquence un peu triviale ; mais je ne suis pas e´loigne´ d’adopter, avec les de´fenseurs du projet, l’ide´e qu’il est convenable de donner aux ministres des autels des biens qui soient a` l’abri de l’instabilite´ des circonstances et de la volonte´ des hommes. Il y a deux questions a` examiner sur cette matie`re : 1o L’e´tat doit-il salarier un culte, ou salarier tous les cultes ? 2o Si l’e´tat salarie les cultes, vaut-il mieux que ces salaires soient paye´s par le tre´sor, ou reposent sur des proprie´te´s consacre´es a` ce but unique, et inde´pendantes du tre´sor public ? 1
BC est proche de Schleiermacher, qui soutient dans ses Reden une position comparable. Voir aussi les Principes de politique, livre VIII, chap. 1er, e´d. Hofmann, pp. 160–161.
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Sur la premie`re question, je suis d’avis que les philo sophes du 18e sie`cle ont e´te´ beaucoup trop loin, quand ils ont pre´tendu que l’e´tat ne devait point salarier les cultes. Il n’est pas bon de mettre dans le cœur de l’homme la religion aux prises avec l’inte´reˆt pe´cuniaire. Obliger le citoyen a` payer directement celui qui est en quelque sorte son interpre`te aupre`s du dieu qu’il adore, c’est lui offrir la chance d’un profit imme´diat s’il renonce a` sa croyance ; c’est lui rendre one´reux des sentimens que les distractions du monde pour les uns, et ses travaux pour les autres, ne combattent de´ja` que trop. On a cru dire une chose philosophique en affirmant qu’il valait mieux de´fricher un champ que payer un preˆtre ou baˆtir un temple. Mais qu’est-ce que baˆtir un temple ou payer un preˆtre, sinon reconnaıˆtre qu’il existe un eˆtre bon, juste et puissant, avec lequel on est bien aise d’eˆtre en communication ? J’aime que l’e´tat de´clare en salariant, je ne dis pas un clerge´, mais les preˆtres de toutes les communions religieuses, que cette communication n’est pas interrompue, et que la terre n’a pas renie´ le ciel. Sans doute il y aurait injustice, si une seule communion e´tait salarie´e. Mais en les salariant toutes, le fardeau se re´partit sur tous les membres de l’association politique, et au lieu d’eˆtre un privile´ge, c’est une charge commune. Or, de`s que vous salariez les preˆtres, leurs salaires doivent eˆtre hors de toute atteinte. De tous les spectacles de´plorables, celui d’une religion au service de l’autorite´ me paraıˆt le plus humiliant : je me souviens du temps ou` les cure´s preˆchaient la conscription, et ou` les e´veˆques faisaient en chaire des manifestes. Il est vrai que je ne partage point la terreur qu’on a de voir le clerge´ se reconstituer en corps politique. Si j’avais cette crainte, manifeste´e par un honorable adversaire du projet, si je pre´voyais la possibilite´ «du re´tablissement des vœux monastiques ou chevaleresques, des abjurations extorque´es, des refus d’inhumations, et de privations d’une rigueur outre´e pour la jeunesse des e´coles1,» je ferais taire sans he´siter toutes mes ide´es spe´culatives devant des conside´rations si graves, et je dirais, avec cet orateur e´claire´ : «Que c’est re´sister aux de´crets de la divine sagesse, que me´connaıˆtre son intention de faire servir de nos jours les progre`s de la raison humaine a` l’affranchissement de l’espe`ce humaine, et a` la fondation d’institutions conformes a` ces progre`s : institutions qui seules peuvent re´veiller dans le cœur des hommes l’amour de la liberte´ avec celui de la vertu, le de´vouement a` la patrie, le respect pour les droits de tous, et de ve´ritables sentimens religieux a». a
Moniteur du 25 de´cembre2.
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Discours de Voyer d’Argenson, Moniteur no 360, 25 de´cembre 1816, p. 1441a. Ibid.. Les citations se suivent de pre`s.
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Mais ces inquie´tudes me paraissent peu fonde´es. Il en est de ces craintes comme de beaucoup d’autres ; elles viennent apre`s le danger. Toutes les fois qu’on s’e´le`ve et qu’on se met en garde contre une classe, c’est bien une preuve qu’elle a fait du mal ; mais c’est une preuve aussi qu’elle n’en peut plus faire, au moins d’une manie`re durable. L’esprit du sie`cle est la`, et contre cet esprit du sie`cle, les intentions, les calculs, les combinaisons des hommes ne peuvent rien. Quand le torrent coule dans un sens, on ne parvient pas a` le remonter, quoique l’on fasse ; on ne trompe pas la force des choses. Pour que le clerge´ puˆt redevenir un corps dans l’e´tat, il faudrait qu’il fuˆt appuye´ par l’opinion, et s’il e´tait appuye´ par l’opinion, elle ne prendrait pas ombrage, comme elle le fait, au moindre symptoˆme de cette re´surrection politique. Si, du temps des croisades, les gouvernemens, au lieu de ce´der a` l’impulsion ge´ne´rale, avaient place´ des sentinelles sur les cotes pour empeˆcher les croise´s de s’embarquer, les sentinelles se seraient embarque´es avec les croise´s. Si aujourd’hui un gouvernement voulait faire une croisade, les agens qu’il enverrait pour la leve´e des troupes, de´serteraient avec les troupes qu’ils seraient charge´s d’enroˆler. Les amis de la liberte´ et des lumie`res ne sentent pas assez jusqu’a` quel point leur cause est gagne´e : ils ne connaissent ni la puissance de la raison, ni l’impuissance de ses ennemis. Ils peuvent e´prouver encore quelques mauvais jours ; mais les anne´es leur sont assure´es. Le temps est a` eux. Que si l’on craignait certaine coalition entre les puissances temporelle et spirituelle, coalition qui a existe´ quelquefois, je re´pondrais par une question : Pensez-vous que des hommes qui auront des proprie´te´s inde´pendantes, seront plus flexibles que ceux qui seraient paye´s directement par le pouvoir politique, avec la condition tacite que ce pouvoir impose toujours aux classes qu’il paie ? C’est par inte´reˆt pour la liberte´ que beaucoup d’esprits e´claire´s s’opposent a` ce que le clerge´ posse`de des biens qu’on ne pourra lui prendre, au lieu de recevoir des salaires qu’on pourrait ou suspendre ou supprimer : et c’est par inte´reˆt pour la liberte´, que je serai bien aise de voir substituer aux salaires pre´caires des proprie´te´s assure´es. Je demande l’inde´pendance pe´cuniaire du clerge´, pour le meˆme motif que l’inamovibilite´ des juges. Ce n’est pas que le de´pute´ que j’ai cite´ plus haut n’ait indique´ les inconve´niens de circonstance dont je ne nie point la re´alite´. Deux sur-tout me frappent ; le premier, c’est l’abus des restitutions qu’un ze`le indiscret pourrait imposer aux mourans, au me´pris de nos lois fondamentales, et cette absurdite´ de solliciter d’un pe´nitent la restitution a` l’e´tat de ce qui lui aurait e´te´ vendu par l’e´tat. L’autre inconve´nient, c’est qu’une sorte d’incertitude sur la validite´ d’alie´nations ante´rieures, ne re´sulte de la sanction accorde´e a` des acquisitions nouvelles. Mais une loi peut reme´dier au premier danger ;
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cette loi sera conforme a` nos coutumes antiques ; et l’on pre´viendra facilement le second, en achevant d’employer aux ne´cessite´s de l’e´tat, les anciennes proprie´te´s d’un clerge´ qui n’existe plus1, proprie´te´s de´ja` de´volues a` la nation, et qui, dans ses besoins nombreux et divers, sont sa dernie`re et son indispensable ressource2. Tandis qu’on discutait ce projet, une affaire particulie`re, mais d’une grande importance, agita durant deux jours la chambre des de´pute´s3. Nos lecteurs se souviennent sans doute qu’au commencement de la session dernie`re, une loi de suˆrete´ publique avait e´te´ pre´sente´e aux deux chambres4. Deux orateurs5 seulement l’avaient combattue : ils avaient e´te´ e´coute´s avec de´faveur. L’un d’eux, interrompu parce qu’il rapportait quelques faits sur l’e´tat de la France, avait e´te´ rappele´ a` l’ordre par une forte majorite´. Les
5 ressource. ] CPC y ajoute une note Mon opinion sur ce sujet ayant donne´ lieu a` des objections de la part de plusieurs hommes dont l’opinion m’est pre´cieuse, je l’ai explique´e par une lettre inse´re´e dans le Mercure. Mais tous les raisonnemens contenus dans cette lettre se trouvant dans le premier volume de cette collection, page 327, j’ai cru inutile de la re´imprimer ici.
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BC propose ici une solution qu’il a pu concevoir parce qu’il avait peut-eˆtre connaissance des pratiques de certains pays protestants de l’Allemagne qui ont destine´ les biens eccle´siastiques confisque´s au cours de la Re´forme a` l’entretien du nouveau clerge´ protestant et a` la formation du clerge´ futur, financ¸ant ainsi les salaires, les e´coles et les se´minaires. Les anciens biens eccle´siastiques et les revenus n’entraient pas dans le budget public, finance´ par des contributions. La note ajoute´e dans CPC explique pourquoi BC supprime dans l’Histoire de la session 1816–1817 la re´ponse a` une lettre anonyme qui attaque les opinions e´mises dans la premie`re partie de cet article (voir le texte de la lettre et de la re´ponse ci-dessous, pp. 441–446). Elle renvoie a` la «Note X, De la liberte´ religieuse» de la seconde e´dition des Re´flexions sur les constitutions et les garanties. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII, pp. 1238–1251. Il s’agit de la pe´tition d’Antoinette Robert dont le pe`re et le fre`re «sont frappe´s d’un acte de de´tention arbitraire» (Moniteur no 334, 29 novembre 1816, pp. 1335 et sv.). Le texte de la pe´tition se trouve pp. 1335b–1336a. Antoinette Robert est proprie´taire du journal Le fide`le Ami du Roi, de tendance royaliste. Cette affaire occupe la Chambre pendant trois se´ances orageuses. Elle fait e´galement l’objet d’un discours de Lally-Tolendal a` la Chambre des Pairs le 26 novembre et d’une nouvelle intervention du meˆme le 30 novembre 1816. Voir le Moniteur no 332, 27 novembre 1816, p. 1328a et no 339, 4 de´cembre 1816, p. 1356b. Il s’agit de la loi du 29 octobre 1815 qui autorisait des arrestations arbitraires de personnes pre´venues de crimes ou de´lits contre la personne et l’autorite´ du Roi, les personnes de la famille royale et contre la suˆrete´ de l’E´tat. BC aurait-il quitte´ la France a` cause de cette loi ? Le premier est Jean-Baptiste-Charles Vacher, baron de Tournemine (1755–1840), membre du Conseil des Anciens et du Corps le´gislatif, magistrat. E´lu en 1815 et 1816, il occupe une place a` gauche, avec la minorite´ libe´rale. Il vota aussi en 1820 contre les loix d’exception. L’autre, Voyer d’Argenson, dont il a e´te´ question plus haut. Voir le Moniteur no 297, 24 octobre 1815, p. 1170b–1170c.
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amendemens que d’autres membres avaient propose´s, n’avaient point e´te´ admis ; et apre`s un discours e´loquent, au nom de la nation qui voulait la paix, qui voulait les lois, qui voulait son roi, discours accompagne´ des applaudissemens de l’assemble´e presque entie`re, 294 membres contre 56 avaient vote´ l’adoption de la loi, dans la meˆme se´ance dans laquelle la discussion avait commence´. Un journal qu’on pouvait regarder comme l’organe fidelle de la majorite´ d’alors, avait ce´le´bre´ cette adoption rapide, et observe´ que «si la malveillance qui se sert de tout, reprochait a` la chambre d’avoir e´te´ entraıˆne´e par son enthousiasme, on pourrait lui re´pondre que cet enthousiasme e´tait celui d’un bien public, et que le ze`le du bien public e´tait le plus suˆr garant d’une bonne le´gislation.» (Quotidienne du 25 octobre 18151.) Il e´tait donc certain que l’assemble´e de 1815 avait donne´ a` cette loi son assentiment le plus complet ; et l’on pourrait meˆme ajouter qu’elle avait paru en redouter les adoucissemens ; car, le ministre charge´ de l’exe´cuter2 ayant publie´ une circulaire qui en re´gularisait l’action, et tendait a` en diminuer l’arbitraire, plusieurs de´pute´s, si l’on en croit leurs conversations d’alors, te´moigne`rent du me´contentement de ce qu’il affaiblissait ainsi l’efficacite´ de cette mesure. Cette loi donnait au ministre de la police, et a` plusieurs autorite´s de la France, le droit d’arreˆter et de de´tenir tout individu pre´venu de crimes ou de de´lits contre la personne et l’autorite´ du roi, contre les personnes de la famille royale, et la suˆrete´ de l’e´tat. Elle avait rec¸u son exe´cution pendant tout le temps qu’avait sie´ge´ la chambre nomme´e en 1815. Plusieurs re´clamations adresse´es a` cette chambre par des individus qui pre´tendaient n’avoir pas me´rite´ la de´tention dont ils e´taient l’objet, avaient e´te´ repousse´es par l’ordre du jour3. Telle e´tait l’e´tat de notre le´gislation, et telle avait e´te´ la pratique de nos mandataires, jusqu’a` la convocation de la chambre en 1816. Le 28 novembre, un individu de´tenu en vertu de la loi de suˆrete´ publique, pre´senta une pe´tition a` la chambre des de´pute´s. Pour la premie`re fois, l’assemble´e ordonna la lecture de la pe´tition, et plusieurs de ses membres l’appuye`rent4. 9 la chambre ] la chambre des de´pute´s CPC adoucissemens ] les e´claircissemens CPC 1
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BC cite un passage de l’article anonyme de La Quotidienne du 25 octobre 1815, p. 2a, paru dans la rubrique «Nouvelles de Paris». La citation n’est pas litte´rale, mais les petits changements de la syntaxe n’affectent en rien le sens. Decazes, ministre de la Police. Il a re´dige´ une circulaire pour re´gulariser l’exe´cution de la loi. BC la cite ici, elle est mentionne´e a` plusieurs reprises au cours des de´bats. La pe´tition d’Antoinette Robert, voir p. 385, n. 3. La pe´tition est date´e du 15 novembre 1816. La lecture de ce texte assez long, demande´e par Maccarthy, Caumont et Castel-Bajac, fut suivie d’une tre`s longue discussion qui occupa la Chambre pendant trois se´ances. Sur Maccarthy et Castelbajac, voir ci-dessous, p. 461, n. 1
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Ce qui rendait ce phe´nome`ne plus remarquable, c’est que ces membres avaient tous fait partie de l’ancienne chambre, qu’ils avaient tous vote´ en faveur de la loi du 29 octobre ; que dans une discussion sur les cris se´ditieux1, discussion qui avait suivi de pre`s l’adoption de la loi de suˆrete´ publique, ils s’e´taient montre´s beaucoup plus se´ve`res que le ministre, contre lequel ils dirigeaient la discussion pre´sente, et que leur principe avoue´ jusqu’a` ce jour, avait toujours e´te´ que le salut de l’e´tat devait l’emporter sur toutes les conside´rations particulie`res qui semblent militer pour la liberte´ des individus. On sent combien cette position bizarre devait les geˆner, et combien leurs triomphes ante´rieurs les affaiblissaient dans leur lutte actuelle. Ils s’e´taient, pour ainsi dire, re´fute´s d’avance ; la re´ponse a` leur discours d’aujourd’hui e´tait dans leurs discours d’hier. Ils ressemblaient a` une arme´e qui serait sortie d’une citadelle apre`s l’avoir fortifie´e, et qui se trouverait arreˆte´e par les ouvrages qu’elle aurait construits. Lorsqu’ils disaient «que la charte avait assure´ a` tous les Franc¸ais la garantie de leur liberte´, et que, s’il y avait des lois temporaires, comme ces lois pouvaient atteindre des innocens, la chambre, devenue leur unique garantie, devait d’autant plus examiner leurs griefs2 ;» l’on ne pouvait oublier les ordres du jour de l’anne´e pre´ce´dente. Lorsqu’ils ajoutaient «que vouloir interdire a` la chambre actuelle l’investigation des faits qui avaient motive´ la de´tention, c’e´tait accuser l’ancienne chambre d’avoir cre´e´ un pouvoir dictatorial, d’avoir ane´anti le plus sacre´ des droits consacre´s par la charte ; en un mot, d’avoir trahi les inte´reˆts de la nation, et e´tabli le´galement le despotisme le plus redoutable3 ;» on se rappelait les grandes conside´rations d’inte´reˆt ge´ne´ral qu’ils avaient fait valoir dans la session pre´ce´dente. Quand ils affirmaient, enfin, «qu’un pouvoir cre´e´ contre les re´volutionnaires n’aurait duˆ frapper que les re´volutionnaires seuls4,» la question, en devenant plus claire, ne plac¸ait pas les orateurs sur un terrain plus avantageux ; car on e´tait
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et p. 457, n. 2. Franc¸ois-Philibert-Bertand Nompar, comte de Caumont-Laforce (1772–1854) fut un de´pute´ d’orientation royaliste. Allusion a` la loi du 9 novembre 1815 sur les cris et e´crits se´ditieux, qui limitait la liberte´ de la presse. Cette loi suit celle du 29 octobre sur la suˆrete´ ge´ne´rale. Premie`re phrase du discours de Ville`le dans l’affaire Robert, Moniteur no 334, 29 novembre 1816, p. 1335b. La citation n’est pas litte´rale. Jean-Baptiste-Guillaume-Marie-Anne-Se´raphim-Joseph, comte de Ville`le (1773–1854), opte en 1814 avec enthousiasme pour les Bourbons, de´pute´ du de´partement de la Haute Garonne, chef des ultra-royalistes. Citation tire´e du discours de La Bourdonnaye, ibid., p. 1336c. Sur La Bourdonnaye voir ci-dessous, p. 447, n. 2 et 458, n. 1. BC ne cite pas litte´ralement. Corbie`re avait dit dans son discours : «tourner contre les amis du Roi une force qui n’a duˆ se de´ployer que contre les ennemis de l’Etat, serait un acte de trahison» (Moniteur, no 334, 29 novembre 1816, p. 1338a). Sur Corbie`re, voir ci-dessous, p. 466, n. 1.
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tente´ de craindre que la saintete´ de la liberte´ individuelle ne fuˆt pas le seul motif de leurs re´clamations, et qu’ils ne restreignissent un peu trop l’application de la charte, qui pourtant semblerait regarder tous les Franc¸ais. Tels furent, en effet, les argumens qu’on leur opposa. «On peut s’e´tonner, leur dit-on, qu’une mesure qui paraıˆt si juste et si instante, soit demande´e si tard. Quoi ! cette loi temporaire est sur le point d’expirer, et c’est aujourd’hui que les de´fenseurs des droits qu’elle a suspendus viennent combattre contr’elle ! Quel pouvoir a arreˆte´ leur ze`le ? ge´missaient-ils dans l’oppression ? et comment depuis un an une seule voix ne s’est-elle pas e´leve´e pour demander compte des abus qu’a pu entraıˆner l’exe´cution de la loi1 ?» «Sans doute, leur observa un autre orateur2, si la charte, si les lois ge´ne´rales du royaume exerc¸aient seules en ce moment leur salutaire empire, l’arrestation aurait pu eˆtre suivie de l’envoi des pre´venus devant les tribunaux ; mais les malheurs de la France, mais des circonstances impe´rieuses, extraordinaires, ont ne´cessite´ des lois extraordinaires comme elles. C’est votre propre loi qui a voulu qu’on s’assuraˆt d’un homme dangereux, qu’on puˆt le retenir sans le livrer a` la justice. Vous avez voulu donner au gouvernement une grande latitude ; vous n’avez point fait d’exception ; vous avez interdit aux tribunaux de connaıˆtre de la plainte du de´tenu ; vous avez juge´ indispensable au salut de l’e´tat de donner, pour un temps de´termine´, aux agens de l’autorite´ royale, cet immense pouvoir discre´tionnaire ; vous vous eˆtes repose´s sur leur sagesse du soin de pre´venir les abus. Vous vous eˆtes abandonne´s a` eux sans re´serve et en toute confiance.» «Ce n’est pas a` moi, continua M. Ravez dans son e´loquente et pressante dialectique ; ce n’est point a` moi a` examiner s’il y a eu quelqu’imprudence dans cet acte, et je me garderai bien de le faire devant ceux meˆmes qui en ont de´termine´ l’adoption ; mais je n’en ai pas moins le droit de dire qu’ici le repentir est tardif et le regret inutile.» «Mais, a-t-on dit3, quelle garantie y a-t-il donc contre les abus de l’autorite´ ? En suspendant une partie des droits ge´ne´raux consacre´s par la charte, avons-nous suspendu la responsabilite´ des ministres ? Si on pressait trop ce raisonnement, vous seriez e´tonne´s vous-meˆmes de ses conse´quences et des re´sultats qu’il pourrait avoir.» 1
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Le discours de Jacquinot de Pampelune se trouve dans le Moniteur no 335, 30 novembre 1816, p. 1341b. Le texte du Moniteur porte «combattre pour elle !» Claude-Joseph-Franc¸ois-Cathe´rine Jacquinot de Pampelune (1771–1835) e´tait un de´pute´ royaliste. Comme procureur du roi il fut implique´ dans beaucoup de proce`s politiques. Auguste-Simon-Hubert-Marie Ravez (1770–1849), de´pute´ du de´partement de la Gironde sie´geant a` droite. Il vota avec les ministe´riels. Longtemps pre´sident de la Chambre des de´pute´s. Voir son discours dans le Moniteur no 335, 30 novembre 1816, p. 1342a. Les deux citations se suivent. Ravez, meˆme discours, pour les deux citations (ibid., p. 1342b).
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«L’arrestation dans le cas de la pre´vention, rentre dans les termes de la loi. Aux yeux de cette loi, il n’y a ici ni attentat, ni abus d’autorite´..... La culpabilite´ n’e´tait pas ne´cessaire ; la pre´vention seule l’e´tait. Le ministre a donc pu ordonner l’arrestation, et appliquer sa justice telle que vous l’avez faite dans la loi du 29 octobre 1815.» De pareils raisonnemens n’e´taient pas susceptibles d’eˆtre re´fute´s par ceux contre lesquels on les employait, et l’assemble´e, apre`s avoir ne´anmoins e´coute´ tous les orateurs, apre`s avoir, le premier jour, ajourne´ la discussion, bien qu’aux termes du re´glement la de´cision fut de´ja` possible, passa enfin a` l’ordre du jour sur la re´clamation du pe´titionnaire1. J’ai cru devoir m’abstenir de parler de ce pe´titionnaire et des faits alle´gue´s, soit en sa faveur, soit contre lui. Tout homme dans les fers a droit au moins au silence, et il est ordonne´ de ne pas juger un de´tenu qui n’a pas de juges. Mais la question en ge´ne´ral m’a sugge´re´ quelques re´flexions que je ne voudrais pas supprimer, parce qu’elles sont utiles, et que je taˆcherai d’exprimer avec convenance. Quand l’assemble´e de 1815 a vote´ d’enthousiasme2 la loi du 29 octobre, elle a suˆrement pense´ que cette loi ne pe´serait que sur ceux qu’elle regarderait comme ennemis ; et voila` que dans l’exe´cution, elle a cru voir que la loi frappait des amis ; elle a donc ge´mi sur son propre ouvrage. Quand, pour satisfaire au de´sir universellement exprime´ de quelque grande mesure, le ministe`re a propose´ la loi du 29 octobre, il a duˆ eˆtre content de l’empressement avec lequel on lui accordait un si grand pouvoir ; et voila` que l’usage de ce pouvoir a e´te´ une arme entre les mains de ses adversaires. Enfin, quand cette loi a e´te´ promulgue´e, le pe´titionnaire, si j’en juge par les opinions exprime´es dans les e´crits meˆmes re´pandus pour sa de´fense3, y applaudissait de tre`s-bon cœur, et voila` que la loi l’atteint. Heureux, mille fois heureux pour tout le monde, le temps des lois ordinaires !
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BC re´sume ici les de´bats qui occupent encore plusieurs pages du Moniteur. Voir les nos 335 ` la parution de l’article (11 janvier 1817) Robert est toujours en prison. et 336. A BC emploie cette tournure (un mot qu’il a trouve´ dans un article anonyme de La Quotidienne du 25 octobre 1815) a` plusieurs reprises dans ses e´crits. Voir ci-dessus, p. 302, ligne 32, p. 320, ligne 3 et p. 386, lignes 7–12. BC fait sans doute allusion a` la pe´tition d’Antoinette Robert, fille du pre´venu (voir cidessus, p. 385, n. 3), et a` la brochure Re´ponse a` un fragment du discours qu’a prononce´ le 7 de´cembre, a` la Chambre des De´pute´s, M. le comte Decaze, Ministre de la Police ge´ne´rale,
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L’espoir de voir ce temps arriver contribua sans doute a` la de´cision de l’assemble´e. Depuis plusieurs jours, on annonc¸ait le projet d’une loi qui devait restreindre et modifier celle du 29 octobre, et rendre a` la liberte´ individuelle plusieurs des garanties qui avaient e´te´ suspendues. Et, en effet, le 7 de´cembre, les ministres pre´sente`rent trois projets, l’un sur la liberte´ des individus, le second sur celle de la presse, la troisie`me sur les journaux. Je consacrerai quelques articles a` leur examen dans les nume´ros suivans1 ; mais je veux d’abord traiter de la loi sur les e´lections. Cette loi me semble de toutes la plus importante, parce qu’une repre´sentation forme´e d’e´le´mens vraiment nationaux, contient le germe de toutes les ame´liorations qu’on peut de´sirer. B.
DE
CONSTANT.
7 Je consacrerai ... suivans ; ] Je me propose d’examiner avec attention chacun de ces projets ; CPC 12 B. de Constant. ] suit encore Nota. Le nume´ro prochain contiendra un tableau politique de l’Europe. M
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par M. Robert, Paris : C. F. Patris, 1816. Robert ne cache pas dans cette brochure ses opinions royalistes, pour lesquelles il cite en plus des te´moignages a` la fin de la brochure dans la partie intitule´e «Certificats». BC posse`de cette brochure dans sa bibliothe`que. Voir ci-dessous, pp. 415 et sv., 430 et sv., 447 et sv.
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Les meˆmes conside´rations qui m’ont engage´ a` placer, avant l’analyse des travaux journaliers de nos assemble´es, un tableau de ce qui avait pre´ce´de´ leur convocation, et un expose´ de leurs ope´rations, jusqu’a` l’e´poque a` laquelle ce journal a commence´, me de´terminent a` pre´senter au public quelques donne´es ge´ne´rales sur l’e´tat politique de l’Europe, pour qu’elles servent d’introduction au compte qui sera rendu habituellement des variations de cet e´tat politique. Je commencerai par la Russie, trouvant qu’il vaut mieux re´parer qu’expliquer une omission qui a e´te´ justement reproche´e au Prospectus du Mercure.
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RUSSIE. Immense dans son e´tendue, rapide dans ses de´veloppemens, la Russie a e´te´, depuis le re`gne de Pierre Ier1, un objet d’e´tonnement et de me´ditation pour l’Europe. Durant assez long-temps, l’on a pu croire que ses progre`s e´taient plus ou moins factices, parce qu’ils e´taient acce´le´re´s. L’expe´rience de plus d’un peuple pouvait inspirer quelque de´fiance contre une civilisation mise en terre chaude. Le feuillage qui couvre la cıˆme d’un arbre ne de´montre pas toujours la vigueur de ses racines : mais par une exception heureuse et unique dans l’histoire, il est prouve´ maintenant que la Russie n’a point a` redouter le sort qui, d’ordinaire, atteint tout ce qui est pre´coce. Tire´e de la barbarie par Pierre Ier, orne´e plutoˆt qu’e´claire´e par Catherine II2, elle rec¸oit E´tablissement du texte : Mercure de France, Tableau politique de l’Europe, t. I, 18 janvier 1817, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 104–113. 1
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Pierre Alexeı¨evitch Romanov (1672–1725), d’abord co-empereur avec son demi-fre`re Ivan V, l’e´carte du pouvoir en 1689 en meˆme temps que sa demi-sœur Sophie. Modernisant son pays d’une main de fer, l’ouvrant aux influences occidentales, se de´barrassant de l’oligarchie des boyards, il e´limine le danger sue´dois en Baltique. Proclame´ en 1722 par le Se´nat «pe`re de la patrie, imperator et grand». Anne-Sophie d’Anhalt-Zerbst (1722–1796), e´pouse en 1745 Pierre de Holstein-Gottorp, petit-fils de Pierre le Grand, qui devient tsar en 1762 a` la mort de sa tante l’impe´ratrice Elisabeth Petrovna. Son admiration pour Fre´de´ric II et son hostilite´ a` l’E´glise orthodoxe le rendent tre`s impopulaire. Sa propre e´pouse, convertie a` l’orthodoxie sous le nom de Catherine Alexeı¨evna, le renverse avec l’appui des re´giments de la Garde et se fait proclamer
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d’Alexandre1 ce que les deux grands pre´de´cesseurs de ce prince n’avaient encore pu lui donner, des bases nationales adapte´es a` son esprit, et des re´formes proportionne´es a` ce que le peuple est en e´tat de supporter. Il e´tait a` craindre que les ame´liorations commande´es par un pouvoir sans bornes ne se transformassent point en habitudes. Les grands, qui les avaient adopte´es par imitation ou par calcul, n’avaient pu se convaincre de leur me´rite intrinse`que. Ils regardaient la philosophie et les lumie`res, ainsi que le luxe et les arts, comme des parures ne´cessaires a` un empire, qui voulait devenir europe´en. Le peuple ne se soumettait a` ces changemens que par une obe´issance souvent contraire a` ses inclinations naturelles, et re´sultant de moyens de rigueur toujours faˆcheux. Suivant la remarque assez inge´nieuse d’un voyageur homme d’esprit2, l’on trouvait, a` la cour, et chez les nobles, des formes franc¸aises ; dans l’arme´e, des formes prussiennes ; dans la marine, des formes anglaises : mais la masse de la nation, dans ses opinions, dans ses coutumes, jusque dans ses veˆtemens, e´tait encore, il y a peu d’anne´es, une nation asiatique. Dans cette position, la Russie e´tait menace´e, pour ses progre`s inte´rieurs, par des dangers d’une double espe`ce. Un prince qui aurait abandonne´ la route nouvelle, trace´e par la seule volonte´ de deux souverains, aurait pu d’un mot repousser le peuple Russe jusqu’au point ou` il e´tait place´ au commencement du dix-huitie`me sie`cle. Un prince, trop ardent a` faire triompher des nouveaute´s salutaires, aurait pu leur nuire par cette ardeur meˆme : il aurait eu vainement raison en principe. La raison se de´nature, quand elle n’a que la force pour appui.
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impe´ratrice le 9 juillet 1762, laissant assassiner son mari une semaine plus tard. Commence alors le re`gne bien connu de la Se´miramis du Nord, alternant velle´ite´s inspire´es des Lumie`res et autocratie despotique. Apre`s avoir participe´ au de´pec¸age en trois phases du royaume de Pologne, elle consacre les dernie`res anne´es de son re`gne a` la lutte contre la Re´volution franc¸aise. Alexandre Ier Pavlovitch (1777–1825), fils de Paul Ier Petrovitch, monte sur le troˆne en mars 1801 apre`s avoir laisse´ commettre l’assassinat de son pe`re par un groupe d’officiers. Alternant comme sa grand-me`re Catherine II ide´alisme libe´ral et autocratie, il y meˆlait une tre`s forte dose de mysticisme utopique. Sa politique exte´rieure balance constamment entre l’admiration pour la Grande-Bretagne et pour la France, d’ou` nombre de palinodies jusqu’a` ce qu’apre`s 1810 et le «mariage autrichien» de Napole´on, un conflit franco-russe, attise´ par le ˆ me de la re´sistance a` Napole´on, allie´ a` la Blocus Continental, soit devenu ine´vitable. A Prusse, il se montrera ge´ne´reux envers la France vaincue tant en 1814 qu’apre`s Waterloo. Son mysticisme lui fera concevoir des reˆves de syncre´tisme des religions chre´tiennes et proposer une Sainte-Alliance des princes a` vocation pacifiste. Rompant aux alentours de 1820 avec les tentations libe´rales (son pre´cepteur e´tait le vaudois Fre´de´ric-Ce´sar de La Harpe), il transformera la Sainte-Alliance en appareil international de re´pression re´actionnaire. Non identifie´.
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L’empereur Alexandre, e´vitant ces deux extreˆmes, construit, pour ainsi dire, l’e´difice dont il n’a trouve´ que les chapiteaux et les colonnes. Il cre´e, entre une noblesse polie et une arme´e formidable, une nation forte et reconnaissante, en encourageant l’affranchissement des paysans. Il respecte, dans cet affranchissement graduel, les droits du pre´sent, sans leur sacrifier ceux de l’avenir : il re´pand dans la masse laborieuse des connaissances pratiques, premie`re condition, pour que cette masse parvienne a` des pense´es d’un ordre plus releve´ : il permet aux classes supe´rieures de puiser des lumie`res dans des pays e´trangers. Ainsi nous voyons se remplir les vastes lacunes qui subsistaient encore dans la civilisation de la Russie ; elles se remplissent d’une manie`re rapide et pourtant durable, parce qu’Alexandre, ge´ne´reux et prudent a` la fois dans sa conduite, se garantit e´galement de la de´fiance qui cherche a` interrompre les progre`s de l’espe`ce humaine, et de l’impatience qui veut devancer le temps. De la sorte il pre´pare une e`re nouvelle, et la poste´rite´ lui devra les institutions dont il de´pose le germe, dans ses mesures de chaque jour. Plus libre dans l’organisation qu’il donne a` la Pologne, parce qu’un terrain couvert de ruines est pour l’architecte un terrain neuf, l’empereur Alexandre console, par l’e´tablissement d’une constitution1, et par la restitution de plusieurs droits politiques, une nation malheureuse, qui, durant quarante ans, a eu le me´rite de regreter ce dont, pendant bien des sie`cles, elle a eu le tort de ne pas savoir jouir : et une noble tole´rance laisse espe´rer, meˆme aux Juifs de cette contre´e, qu’ils feront partie de la cite´ dont ils supportent les charges, puisqu’ils sont soumis a` la conscription. En Russie, comme en Pologne, les traces des dernie`res guerres disparaissent. Moscou s’est de´ja` releve´ ; les routes sont re´tablies ; de nouvelles communications s’ouvrent ; des universite´s se fondent ; des acade´mies meˆmes sont institue´es, et cette attention pour le superflu prouve la bienveillance pour le ne´cessaire. SUE` DE. La Sue`de consolide son alliance avec la Norwe`ge, dont les habitans, honorablement connus par leur fide´lite´ a` leurs anciens maıˆtres2, le seront 1
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La Charte octroye´e par Alexandre Ier au royaume de Pologne le 15 (27) novembre 1815 garantissait de nombreux droits inconnus dans l’Empire russe et e´tablissait une Die`te a` deux chambres et un Se´nat compose´ de hauts dignitaires eccle´siastiques et de palatins. Par la paix de Kiel du 14 janvier 1814, le roi Fre´de´ric VI de Danemark avait e´te´ contraint de ce´der la Norve`ge a` la Sue`de. Son demi-fre`re Christian-Fre´de´ric essaye alors de capter a` son profit l’animosite´ des Norve´giens envers la Sue`de, et de se faire e´lire d’abord re´gent puis roi de Norve`ge par l’Assemble´e d’Eidsvoll (17 mai 1814), pensant re´unir a` nouveau les cou-
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bientoˆt par leur affection envers leurs nouveaux concitoyens ; car rien ne lie les peuples comme la jouissance commune de la liberte´. La die`te de Stockholm doit s’eˆtre ouverte le 15 de ce mois. L’on y proposera, dit-on, la re´duction de l’arme´e, qui est aujourd’hui de 24,000 hommes, des lois somptuaires, et des re´glemens favorables a` l’inde´pendance exte´rieure du commerce ; du reste, l’e´tat politique de la Sue`de ne paraıˆt avoir besoin d’aucune ame´lioration. Toutes les liberte´s y sont consacre´es ; celle de la presse y est sans restriction. Toutes les classes y ont une repre´sentation le´gale ; et ce peuple, pauvre, mais sage, calme parce qu’il est libre, et fier parce qu’il est inde´pendant, trouve dans ses institutions et dans son gouvernement, qui les respecte, d’amples de´dommagemens de l’aˆprete´ de son climat, et des rigueurs de la nature.
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DANEMARCK.
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Je dirai peu de mots du Danemarck. Ce royaume, si florissant sous l’administration brillante du comte de Bronsdorf1, et qui offrait le singulier spectacle de la plus grande liberte´ de fait, sous un pouvoir de´clare´ absolu de droit, ne se rele`ve que lentement de l’e´tat de faiblesse dans lequel l’ont jete´ des guerres entreprises a` regret, mais soutenues avec fide´lite´. Cependant la paix, la re´duction de l’arme´e de terre, la possibilite´ ou` il se trouve de ne pas re´tablir sa marine avant que des circonstances plus favorables ne le lui permettent2, les contributions ou indemnite´s qu’il rec¸oit pour le se´jour des troupes franc¸aises dans le Holstein, ame´liorent ses finances. Il paraıˆt qu’il lui arrive pour la Norwe`ge, ce qui est arrive´ a` l’Angleterre pour l’Ame´rique.
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ronnes de Danemark et de Norve`ge a` la mort de Fre´de´ric VI, qui n’a pas d’he´ritier. Des hostilite´s sue´do-norve´giennes e´clatent fin juillet 1814, puis c’est la treˆve de`s le 14 aouˆt. Christian-Fre´de´ric remet le 10 octobre 1814 ses e´phe´me`res pouvoirs a` la «nation norve´gienne». Jouant la fiction de l’inde´pendance, le Storting [Parlement norve´gien] e´lira docilement le 4 novembre Charles XIII (Bernadotte) «roi de Norve`ge» moyennant des promesses de large autonomie. L’honneur des Norve´giens est sauf, puisque l’ine´luctable union avec la Sue`de proce`de du «vœu» du Storting et non du «diktat» de Kiel. Il s’agit en re´alite´ du ce´le`bre comte Andreas Peter von Bernstorff (1735–1797), d’origine mecklembourgeoise, principal ministre danois de 1773 a` 1780 et de 1784 a` sa mort. Libe´rant les paysans des dernie`res traces de servage, il continua les re´formes inspire´es du despotisme e´claire´ de son oncle Johann H. E. von Bernstorff (1712–1772). Son propre fils Christian-Günter dirigera les affaires e´trange`res de 1797 a` 1810 et sera le principal ministre du roi Fre´de´ric VI jusqu’en 1810 ou` il sera remplace´ par Niels Rosenkranz qui voulait faire sortir le Danemark de l’alliance franc¸aise. Allusion a` la destruction a` deux reprises (2 avril 1801 et 2–5 septembre 1807) par la Royal Navy de la flotte danoise a` l’ancre a` Copenhague, sans de´claration de guerre pre´alable, pour forcer le Danemark a` se retirer d’une Ligue des Neutres ou a` cesser ses relations avec la France.
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La perte de cette province, perte contre laquelle il a lutte´ si long-temps, lui est avantageuse plutoˆt que nuisible. Ses ble´s s’exportent avec plus de be´ne´fice, et l’on e´value ce be´ne´fice a` deux millions et demi de France, pour l’anne´e qui vient de finir. ALLEMAGNE.
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Pour avoir sur l’Allemagne des ide´es pre´cises, il faut s’occuper se´pare´ment de la Prusse, de l’Autriche, et de la die`te germanique, qui de´cide du sort des e´tats du second ordre. PRUSSE.
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La destine´e de la Prusse, depuis son e´rection en royaume dans l’anne´e 1703, a e´te´ remarquable. Fre´de´ric-Guillaume Ier1, le second de ses rois, peut eˆtre conside´re´ sous quelques rapports, dans l’Europe moderne, comme Philippe de Mace´doine dans l’ancienne Gre`ce. La comparaison sans doute n’est pas exacte en tout point, puisque Philippe fut souvent lui-meˆme un ge´ne´ral victorieux, et que Fre´de´ric-Guillaume se contenta d’accumuler des tre´sors conside´rables, sans les employer, et de former une arme´e nombreuse et discipline´e, presque sans faire la guerre. Toutefois ces deux princes se distingue`rent moins par leurs propres succe`s, que par ceux qu’ils pre´pare`rent a` leurs he´ritiers : car, par une prolongation singulie`re de cette conformite´ entre deux e´poques se´pare´es par vingt sie`cles, le nouveau Philippe eut un nouvel Alexandre2 pour fils et pour successeur. Fre´de´ric II3, e´leve´ loin du troˆne, tantoˆt dans la captivite´4, tantoˆt dans une sorte d’exil, toujours dans la de´faveur, s’e´tait console´ des rigueurs pater1
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Fre´de´ric-Guillaume Ier (1688–1740), dit «le Roi Sergent», conside´re´ comme le pe`re du militarisme prussien. Roi «en Prusse» a` partir de 1713, il re´ussit habilement a` profiter des soucis successoraux de l’Empereur Charles VI, pour rallier le camp impe´rial au traite´ de Wusterhausen de 1726 et obtenir de facto le titre de Roi de Prusse. Il concevra l’ide´e d’un mariage entre son fils Fre´de´ric et Marie-The´re`se qui, s’il avait eu lieu, euˆt probablement change´ tout le cours de l’histoire d’Allemagne. Philippe II (382–336 av. J.-C), roi de Mace´doine en 359, re´organisateur de son arme´e et cre´ateur de la formation tactique de la phalange mace´donienne, qui sera l’instrument des victoires qui lui assureront l’he´ge´monie en Gre`ce et celui des conqueˆtes asiatiques de son fils Alexandre le Grand (356–323 av. J.-C), roi de Mace´doine en 336 av. J.-C. Fre´de´ric II dit le Grand (1712–1786), roi de Prusse en 1740, bien connu pour ses victoires des 1re et 2e guerres de Sile´sie (1741–42 et 1744–45) et l’habilete´ strate´gique qui lui a permis de tenir teˆte pendant sept ans, de 1756 a` 1763, avec cinq millions d’habitants, a` une ` la fin de son re`gne, il coalition a` ge´ome´trie variable qui lui en opposait cent millions. A n’aura que peu de succe`s dans la guerre de Succession de Bavie`re (1778–79) qui laissait de´ja` apercevoir une certaine scle´rose de l’arme´e prussienne. Allusion a` l’e´pisode ce´le`bre de la fuite de Berlin du Kronprinz Fre´de´ric, brouille´ avec son
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nelles par l’e´tude, et par des relations constantes avec les litte´rateurs les plus ce´le`bres. Il monta sur le troˆne, conque´rant par gouˆt, peut-eˆtre aussi par caracte`re, mais ami des lumie`res, parce que les e´loges que des hommes e´claire´s lui avaient prodigue´s, l’avaient attache´ a` leurs doctrines. Se livrant avec une activite´ non interrompue a` son double roˆle, il ressuscita des pre´tentions, entreprit des guerres, remporta des victoires, annexa des provinces aux e´tats dont il avait he´rite´, fonda des acade´mies, e´crivit des livres philosophiques, appela pre`s de lui des philosophes, les combla d’honneurs, leur donna des pensions, et se plut a` leur accorder cette familiarite´ ine´gale et capricieuse, mais se´duisante ; coquetterie des grands, non moins e´nivrante que celle des femmes. Il montra de la sorte a` ses sujets, dans la personne de quelques e´trangers favorise´s, que la litte´rature et les sciences pouvaient devenir des moyens de succe`s aupre`s du prince, aussi bien que des titres de gloire aupre`s du monde savant. Deux litte´ratures se de´veloppe`rent en Prusse, l’une Allemande et l’autre franc¸aise ; et comme la premie`re a exerce´ une grande influence sur la politique, je suis oblige´ d’en dire un mot. La litte´rature allemande fut pour Fre´de´ric II un objet d’indiffe´rence1, la litte´rature franc¸aise un objet de protection. Il s’ensuivit ce qui devait s’en suivre : les e´crivains franc¸ais furent des courtisans ; les e´crivains allemands furent des penseurs : car le ge´nie de Fre´de´ric ne pouvait effacer le caracte`re inde´le´bile de l’autorite´. Ses prote´ge´s re´pe´taient des ide´es philosophiques, parce que ces ide´es e´taient le mot d’ordre : mais les ve´rite´s elles-meˆmes sont ste´riles quand elles sont commande´es. Ils e´crivaient des choses hardies ; mais ils les e´crivaient d’une main tremblante, incertains sur les re´sultats qu’il e´tait prudent de vouloir en tirer, et se retournant sans cesse avec inquie´tude pour consulter le pouvoir. Voltaire2 fit une courte apparition dans ce cercle litte´raire, re´chauffe´ par la protection royale. Mais comme Voltaire n’e´tait pas une cre´ature de la protection, comme il e´tait lui-meˆme une puissance, les deux potentats ne purent vivre ensemble. De´daigne´s du monarque, les lettre´s allemands renonce`rent bientoˆt aux espe´rances qui avaient e´veille´ leur ambition : ils se re´signe`rent a` n’eˆtre pas
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pe`re, en compagnie de son ami von Katte. Rattrape´ et incarce´re´ a` Küstrin, Fre´de´ric sera force´ d’assister a` l’exe´cution de von Katte (novembre 1730) et devra multiplier les platitudes pour rentrer en graˆce. Lors de la signature de la paix d’Hubertusburg mettant fin en 1763 aux hostilite´s austroprussiennes, Fre´de´ric II affecte de s’en faire traduire les stipulations en franc¸ais, pre´textant ne pas connaıˆtre l’allemand. Voltaire, invite´ a` Berlin par Fre´de´ric II en 1750, fut d’abord comble´ de faveurs (croix du me´rite, clef de chambellan, pension, etc.) en e´change de la correction des travaux litte´raires franc¸ais du roi. La vanite´ d’auteur de ce dernier, la jalousie de colle`gues e´tablis a` Berlin comme le ge´ome`tre Maupertuis, une sordide affaire de bijoux en nantissement ne tarde`rent pas a` envenimer leurs rapports. Voltaire, qui s’en e´tait pris a` Maupertuis dans sa Diatribe du docteur Akakia et avait e´lude´ la demande du roi de ne pas la publier, fit imprimer son
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remarque´s par la cour ; et troquant la faveur contre la liberte´, et le cre´dit contre la gloire, ils ne travaille`rent que pour le public et pour eux-meˆmes1 ; ils durent a` l’oubli, dont ils se plaignaient sans doute, leur inde´pendance, et a` cette inde´pendance leur me´rite et leur influence sur l’opinion. Fre´de´ric en mourant laissa la Prusse aggrandie, les finances de l’e´tat prospe`res en apparence, bien que ne reposant que sur un tre´sor, base factice, facilement e´branle´e ; l’arme´e glorieuse de souvenirs, mais de´shabitue´e des batailles par une paix de vingt-trois ans ; car les de´monstrations de 1778 ne peuvent eˆtre regarde´es comme une guerre2 ; enfin, l’opinion vivante, anime´e, accoutume´e a` une liberte´ presque sans limites, parce que l’autorite´ l’ignorait. Le successeur du grand Fre´de´ric3 voulut restreindre cette liberte´ a` quelques e´gards. L’habitude e´tait prise ; la lutte fut ine´gale : l’opinion triompha. La liberte´ religieuse, la liberte´ de la presse, menace´es par quelques e´dits, reste`rent intactes de fait ; mais comme le gouvernement avait e´te´ mode´re´ dans ses tentatives, l’opinion fut calme dans son succe`s. Cependant la re´volution franc¸aise e´clata ; les souverains prirent l’allarme ; la coalition de 1792 commenc¸a cette guerre, renouvele´e partiellement durant vingt-cinq anne´es, et dont un demi-sie`cle n’effacera point les tristes vestiges. La Prusse entra dans cette coalition ; mais l’opinion prussienne, bien que de´soriente´e par les exce`s d’une re´volution sans mesure, resta favorable aux principes de la liberte´. Les revers des coalise´s amene`rent bientoˆt une paix se´pare´e4. Un nouveau roi5 monta quelque temps apre`s sur le troˆne de Prusse.
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libelle, bruˆle´ par Fre´de´ric II en personne, puis deux nouvelles e´ditions en Hollande et en Allemagne, que le roi fera bruˆler par la main du bourreau. Voltaire, apre`s une feinte re´conciliation, quitta Berlin en 1753 sous pre´texte d’aller prendre les eaux et sous promesse de retour. Ils ne devaient plus se revoir. Le passage depuis «le ge´nie de Fre´de´ric» (p. 396, ligne 22) est repris des Principes de politique de 1806, Livre XIV, chap. 4 ; on trouve un autre passage dans le meˆme esprit au Livre VII, chap. 4. Pendant la guerre de Succession de Bavie`re (1778–79), les mouvements erratiques de l’arme´e prussienne, mal commande´e par le prince Henri, fre`re de Fre´de´ric II, e´taient surtout de´termine´s par la recherche de ravitaillement, d’ou` le surnom de «Kartoffelkrieg». Fre´de´ric-Guillaume II (1744–1797), neveu de Fre´de´ric II, devient Kronprinz en 1758 a` la mort de son pe`re Auguste-Guillaume et roi de Prusse en 1786. Apre`s une politique peu ferme ou de duplicite´ vis-a`-vis de la Russie et de l’Autriche, il conclut avec cette dernie`re l’alliance anti-franc¸aise de Pillnitz en aouˆt 1791. Apre`s la de´faite de ses troupes a` Valmy, il laisse en plan ses allie´s autrichiens pour pouvoir re´gler avec la seule Russie le deuxie`me partage de la Pologne et conclut avec la France une paix se´pare´e au traite´ de Baˆle. Traite´ de Baˆle du 5 avril 1795. La Prusse quitte la premie`re coalition, reconnaıˆt la Re´publique franc¸aise et son annexion de la rive gauche du Rhin, moyennant promesse d’indemnite´s ulte´rieures pour ses propres territoires ainsi rattache´s. Fre´de´ric-Guillaume III (1797–1840), fils et successeur de Fre´de´ric-Guillaume II, se tient d’abord a` l’e´cart des coalitions. Il passe avec la Russie des conventions secre`tes d’alliance
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Notre re´volution continuait : un homme s’en empara. Fort de la fatigue nationale et de l’assentiment europe´en, il ne tarda pas a` punir la France de sa soumission et l’Europe de sa confiance. La Prusse, tantoˆt son ennemie, tantoˆt son allie´e, fut attaque´e enfin et presqu’ane´antie en 1806. Ici commence la re´surrection de son esprit national, dont nous avons duˆ indiquer les e´le´mens ; mais qui avait besoin du malheur pour renaıˆtre. Les Prussiens, apre`s leur de´faite, furent blesse´s dans tout ce qu’ils avaient de plus cher ; dans leur roi, qu’ils aimaient ; dans leur reine, qu’ils nommaient la plus belle et la meilleure ; dans leur patrie, qu’ils voyaient morcele´e ; dans leur gloire militaire, qui semblait perdue ; dans leurs opinions, que des the´ories de despotisme venaient insulter ; dans leurs finances, frappe´es de contributions ; dans leurs fortunes particulie`res, e´puise´es par d’ine´vitables sacrifices ; enfin, dans leur inde´pendance nationale, ce dernier tre´sor des peuples, et qu’a` tout prix, ils doivent conserver, parce que s’en passer est impossible et le ressaisir hasardeux. Tant de souffrances, prolonge´es et renouvele´es durant huit anne´es, produisirent dans les cœurs prussiens une grande fermentation. Cette fermentation, commune a` toutes les classes, agita sur-tout les gens de lettres, qui virent avec surprise pe´ne´trer dans leurs retraites savantes, asiles jusqu’alors d’une inde´pendance entie`re, un despotisme e´tranger, leur imposant des lois que leur souverain national n’avait jamais eu la pense´e de leur dicter, et leur disputant des liberte´s consacre´es chez eux par l’usage, et sanctionne´es meˆme souvent par la de´cision des tribunaux. D’abord ils proteste`rent dans leurs e´crits contre ces geˆnes inusite´es ; mais les e´crivains furent menace´s, quelques-uns punis : ils se turent alors et ils conspire`rent. Par tout se forme`rent des socie´te´s secre`tes. Les universite´s sur-tout devinrent les foyers d’une vaste conspiration pour la de´livrance nationale1. Les gouvernemens marchent plus lentement que les peuples, entrave´s qu’ils sont par les ante´ce´dens de leur politique. Celui de Prusse e´tait toujours l’allie´ de Bonaparte, quand de´ja` la nation regardait Bonaparte comme
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en mai 1804 et en novembre 1805 en cas d’empie`tements franc¸ais en Allemagne du nord, puis en de´cembre 1805 signe un traite´ avec la France qui en e´change d’Anspach-Bayreuth et de Neuchaˆtel lui promet l’E´lectorat de Hanovre. Inquiet de la cre´ation de la Confe´de´ration du Rhin et de l’occupation de Wesel, pousse´ par son e´pouse francophobe Louise de Mecklembourg-Strelitz (1776–1810) et par le parti militaire, il envoie un ultimatum a` Napole´on le 1er octobre 1806. La tre`s de´sastreuse campagne de 1806 se soldera aux traite´s de Tilsit par la perte de la moitie´ de ses sujets et la Prusse ne sera sauve´e de la destruction totale qu’a` l’intervention du Tsar Alexandre Ier. Allie´ the´orique de Napole´on, il va avec ses ministres et ge´ne´raux pre´parer soigneusement une revanche qui fera de lui en 1813 le champion de la «guerre de Libe´ration» et lui permettra au Traite´ de Vienne d’annexer la Rhe´nanie. Le «Tugendbund» (Ligue de la Vertu), fonde´ a` Königsberg en avril 1808 par des officiers et
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son irre´conciliable ennemi. La nature vainquit ses arme´es, qui malheureusement e´taient celles de la France, et l’on se de´clara contre nous1. Je ne raconterai point les e´ve´nemens de 1813 et 1814, ils sont connus. Bonaparte tomba ; la Prusse fut affranchie. L’on pressent assez, sans que je le dise, quel de´veloppement l’esprit public de Prusse a duˆ prendre durant cette grande crise. Plusieurs e´crivains ont voulu indiquer les conse´quences probables de ce de´veloppement ; mais ils me paraissent, pour la plupart, avoir plus ou moins me´connu les faits, et par la` meˆme s’eˆtre e´gare´s dans leurs pre´dictions. Le roi de Prusse a promis a` son peuple une constitution repre´sentative. Deux ans se sont e´coule´s, et cette constitution n’existe pas : on en conclut qu’elle n’existera point. Des re´clamations se sont e´leve´es contre ces retards : on conclut de ces re´clamations a` un me´contement universel, et l’on semble annoncer quelque convulsion politique. Rien de tout cela n’est fonde´2. Il est dans la nature de l’autorite´ de mettre dans ces concessions une sorte de parcimonie qui n’est pas toujours bien calcule´e, mais qui est naturelle. Ceux qui ont le pouvoir trouvent d’ordinaire l’e´tat pre´sent fort bon, et disent : Pourquoi changer ? Mais de cette he´sitation au refus d’une constitution promise, la distance est immense. Le souverain de la Prusse, loyal, ami de son pays, e´claire´ sur ses propres inte´reˆts, a manifeste´ une noble reconnaissance envers son peuple, qui lui a donne´ de sublimes preuves de
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fonctionnaires prussiens, essaimera surtout dans les universite´s a` la voix de professeurs comme Fichte, Arndt, Jahn, etc. La France exige sa dissolution en de´cembre 1809 apre`s l’attentat de Staps contre Napole´on. Il continue en secret mais sera interdit en 1815, cette fois a` cause de ses tendances libe´rales. Citons encore le «Turnverein», les exercices de gymnastique dans un esprit de re´sistance, de Friedrich Jahn et les ligues estudiantines donnant naissance au mouvement de la «Burschenschaft». Le ge´ne´ral Yorck von Wartenburg, commandant du corps prussien de 30.000 hommes ope´rant en Courlande aux coˆte´s de la Grande Arme´e, conclut de sa propre initiative avec son colle`gue russe von Diebitsch la Convention de Trauroggen, armistice se´pare´ qui ouvre la route de Königsberg et de la Prusse Orientale. Il est d’abord de´savoue´ par le roi Fre´de´ricGuillaume III qui craint les re´actions franc¸aises, puis qui s’inquie`te d’une annexion possible de la province a` la Russie quand l’ex-ministre Stein installe a` Königsberg une administration provisoire au nom du tsar. Les chefs de l’arme´e, Scharnhorst et von Gneisenau, poussent leur roi a` changer de camp. Par la convention secre`te de Kalisz du 28 fe´vrier 1813, Russie et Prusse s’allient «pour l’inde´pendance de l’Allemagne». Le 17 mars, Fre´de´ricGuillaume III lance le ce´le`bre appel «A mon Peuple» et de´clare la guerre a` la France. Constant est par trop optimiste. Par un e´dit du 22 mai 1815, Fre´de´ric-Guillaume III avait promis a` la «nation prussienne» de lui accorder une constitution e´crite. Puis, procrastinant sans cesse, il se borne en 1817 a` cre´er un Conseil d’E´tat. Rallie´ a` la politique re´actionnaire de Metternich, il prescrit de`s juin 1821 au Kronprinz, pre´sident de la commission d’e´tudes, de ne plus de´libe´rer que sur la cre´ation de Die`tes Provinciales («Provinzialstände») et de repousser a` une date inde´termine´e la convocation d’E´tats Ge´ne´raux («Allgemeine Land-
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courage et de de´vouement. Son ministre principal1 est un homme de beaucoup de lumie`res, connaissant bien sa position, fidelle a` ses engagemens, attache´ a` la popularite´ qu’il a me´rite´e dans des temps critiques, ennemi peut-eˆtre du mouvement ; mais sachant qu’en facilitant les transitions on e´vite les secousses. D’un autre coˆte´, ces re´clamations, ces e´crits, ces associations secre`tes forme´es contre l’e´tranger, et qui survivent a` leur premier but, sont, on n’en peut douter, des symptoˆmes d’une opinion tre`s-puissante ; mais pre´cise´ment parce qu’elle est puissante, cette opinion n’est pas subversive. Les Prussiens, qui ne sont pas encore en possession de garanties constitutionnelles, sont libres de fait ; ils le sont par l’usage imme´morial de trois re`gnes ; ils le sont de l’aveu du roi actuel. La presse n’est pas restreinte ; les tribunaux prononcent avec une impartiabilite´ parfaite, souvent contre l’autorite´ meˆme2. Il n’y a point de tribunaux extraordinaires. Or la liberte´, quand elle existe, est la meilleure assurance de la paix. Sans doute, une constitution est indispensable a` la Prusse, moins pour lui donner ce dont elle jouit depuis long-temps, que pour re´gulariser les e´le´mens divers de son esprit national, qui maintenant s’agitent dans une espe`ce de chaos. A l’influence des universite´s, qui inspirent a` la jeunesse prussienne, par une combinaison singulie`re, du gouˆt pour la science, du penchant a` l’exaltation et des pre´tentions a` je ne sais quelle apparence belliqueuse, qui font que chaque e´tudiant, s’armant d’un sabre apre`s avoir lu Schiller3, se croit un chevalier du treizie`me sie`cle, ou un libe´rateur du dix-neuvie`me, se joint aujourd’hui un esprit re´ellement militaire contracte´ dans les camps durant deux expe´ditions tre`s-rapproche´es. Ce qui e´tait, il y a trente ans, la chime`re des jeunes Prussiens, s’est trouve´ re´alise´ par les circonstances. Ils voulaient, a` la fois troubadours et soldats, traverser le
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` partir de 1823–1824, la Prusse n’aura donc pas de ve´ritable parlement mais huit stände»). A Die`tes provinciales, aux attributions fort minces et de nature consultative, dont la composition est de´termine´e par l’importance des proprie´te´s foncie`res. Karl-August, prince de Hardenberg (1750–1822) s’e´tait d’abord efforce´ comme ministre des Affaires e´trange`res (1804–1807) de me´nager la France. Chancelier de Prusse de 1810 a` sa mort, il est l’artisan essentiel de la «re´ge´ne´ration» prussienne en conseillant a` son roi les re´formes profondes du syste`me social et les promesses de re´gime constitutionnel qui lui permettront de prendre la teˆte du mouvement de libe´ration en 1813. L’opposition de la noblesse terrienne, l’influence de son rival von Wittgenstein feront ajourner ses projets constitutionnels en Prusse tout autant que l’action re´actionnaire de Metternich au sein de la Confe´de´ration germanique. Il meurt au retour du Congre`s de Ve´rone qui avait vu le triomphe des conceptions de Metternich. Allusion a` la fameuse anecdote du meunier de Sans-Souci, re´torquant «il y a des juges a` Berlin» a` Fre´de´ric II qui voulait l’exproprier. Allusion aux vers de Schiller dans le «Reiterlied» de sa trilogie sur Wallenstein : «Auf des
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monde en chantant des vers, en reˆvant sur la nature et l’amour, et en livrant des batailles ; et faute d’avoir des ennemis a` combattre, ils cherchaient dans quelques duels1 une image imparfaite de la guerre. Apre`s avoir, de la sorte, use´ leurs anne´es d’activite´ surabondante et d’enthousiasme sans objet pre´cis, ils descendaient malgre´ eux dans la re´alite´, embrassant des professions, remplissant des emplois, et voyant a` regret la terre se de´senchanter. Tout a` coup un adversaire formidable s’est montre´, et la carrie`re qu’ils ambitionnaient s’est ouverte. Ils se sont pre´cipite´s des bancs des e´coles dans la meˆle´e, conservant leurs souvenirs litte´raires, s’exaltant dans leurs effusions poe´tiques, ce´le´brant leurs exploits et quelquefois leur mort ; car on en a vu qui re´citaient leurs vers en mourant de leurs blessures et en regardant leur sang couler, comme les anciens Scandinaves2. Leurs instituteurs, qui jadis s’efforc¸aient de re´primer les e´carts de leur imagination orageuse, ont, au contraire, profite´ de cette imagination pour les amener a` la de´fense de la patrie. Plusieurs se sont offerts eux-meˆmes pour guider leurs e´le`ves, et l’on a vu des professeurs sortir de l’auditoire pour joindre l’arme´e. Leurs pre´juge´s, leurs haıˆnes nationales se sont use´es, quoique l’on en dise, a` mesure qu’ils ont mieux connu leurs adversaires en les combattant. Ils ont vu dans nos arme´es des hommes qu’une obe´issance honorable entraıˆnait dans des expe´ditions qu’ils blaˆmaient eux-meˆmes ; ils ont admire´ le courage qui s’anime a` la vue de l’ennemi, meˆme quand la raison ge´mit sur des entreprises inutiles ; ils ont accueilli beaucoup de nos ide´es, compaˆti a` beaucoup de nos malheurs. Un esprit militaire ainsi contracte´, doit eˆtre diffe´rent de celui que produisent, dans les temps ordinaires, la subordination muette et la discipline passive. Ces innombrables volontaires3 de tous les e´tats, de tous les rangs, arme´s spontane´ment, a` leurs frais, avaient porte´ dans la vie guerrie`re le sentiment de leur inde´pendance ; ils ont rapporte´ dans la vie civile le sentiment des droits qu’ils me´ritent d’exercer ; ils saisissent les ide´es de
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Degens Spitze die Welt jetzt liegt, Drum froh, wer den Degen jetzt führet, Und bleibt nur wacker zusammengefügt, Ihr zwingt das Glück und regieret. Es sitzt keine Krone so fest und so hoch, Der mutige Springer erreicht sie doch.» Allusion a` la pratique du duel non mortel (la «Mensur») par les corporations estudiantines d’essence aristocratique («Korps») ou de recrutement provincial («Landmannschaft»). Cette pratique sera continue´e par les «Burschenschaften» unitaristes, pan-germanistes et libe´ralisantes mais leurs membres ne se battent jamais avec ceux des «Korps». Allusion a` la mort du poe`te Theodor Körner (1791–1813), dans les rangs du corps franc von Lützow. Allusion a` la leve´e pendant la «Guerre de libe´ration» de 1813–1815 dans tous les E´tats d’Allemagne d’innombrables unite´s de «Freiwillige Jäger» (Chasseurs) et de corps francs recrute´s parmi les intellectuels et les e´tudiants, s’armant et s’e´quipant a` leurs frais.
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liberte´ politique avec la meˆme chaleur avec laquelle ils avaient embrasse´ celles de l’affranchissement national. Il faut se haˆter de donner une direction le´gale a` l’activite´ qui les tourmente ; il faut les pre´server, par une pratique libe´rale et sage, de ces the´ories vagues, plus se´duisantes encore pour eux que pour nous, parce que n’e´tant avertis par aucune expe´rience, ils calculent d’autant moins les re´sultats. Il faut enfin leur assigner dans l’ordre social une place qui les contente, et qui, en les satisfaisant, les calme et les mode`re. B.
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La suite au nume´ro prochain.
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Je me proposais de rendre un compte de´taille´ de la discussion sur les e´lections, et d’analyser par ordre les opinions de chaque orateur1. Mais cette loi est tellement importante, il est si de´sirable que par elle une grande masse a` la fois nationale et proprie´taire, se voie investie du droit d’e´lection, droit qui est reste´ jusqu’a` ce jour comple`tement illusoire pour la plus grande partie du peuple franc¸ais, que je crois plus utile de pre´senter des re´flexions sur le fonds de la loi a, et sur son principe, que d’extraire une foule de discours ; il me tarde d’ailleurs de traiter aussi de la loi sur la liberte´ individuelle, loi non moins essentielle, et sur laquelle ma franchise sera la meˆme. Pour prouver ne´anmoins mon impartiabilite´, je vais rapporter en abre´ge´ ce que les antagonistes du projet de loi ont dit de plus fort, et je crois qu’on reconnaıˆtra que je n’ai ni supprime´, ni de´figure´ leurs raisonnemens. A les en croire, «ce projet de loi restreint a` un trop petit nombre les Franc¸ais qui participeront de´sormais au droit d’e´lire. Quatre millions neuf cent mille citoyens se verront de´pouille´s de ce droit pre´cieux ; la charte l’avait consacre´ et avait pourvu a` son exercice, en permettant deux degre´s d’e´lection. Par le premier degre´, la masse de la nation participait au choix a
Je voulais d’abord citer en note chaque orateur dont j’ai rapporte´ des phrases ; mais ces citations auraient force´ le lecteur a` s’interrompre perpe´tuellement pour les consulter. Je me borne donc a` de´clarer qu’il n’y a pas une de ces phrases qui ne soit extraite mot pour mot du Moniteur, a` dater du 26 de´cembre 1816. E´tablissement du texte : Mercure de France, Loi sur les e´lections, t. I, 18 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 113–127. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 182–207. [=CPC]
1–6 Des Chambres ... il est ] III. Loi sur les Elections. La loi sur les e´lections est d’un inte´reˆt si universel, il est CPC 1
Rappelons que cet article a connu une re´e´dition sous la forme d’une brochure, les Conside´rations sur la loi des e´lections (voir ci-dessous, pp. 619–648) et qu’il est repris, comme tous les articles du Mercure qui traitent des discussions de la Chambre des De´pute´s (session 1816–1817), dans le Cours de politique constitutionnelle. Les variantes re´sultant de ces re´impressions sont re´pertorie´es au bas des pages de la brochure. C’est la` qu’on trouvera aussi les notes explicatives.
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de ses mandataires ; mais le projet tend a` former d’une seule classe, payant de 3 a` 700 francs, une aristocratie compose´e en partie de paysans, et en partie de bourgeois. Cette classe, qui s’e´le`ve a` plus de la moitie´ des contribuables, ayant toujours la majorite´ dans les colle´ges e´lectoraux, fera tout, dirigera tout, e´lira tout. La charte a conside´re´ la fortune comme une garantie ne´cessaire pour l’exercice des droits politiques, et l’influence de la fortune sera de´truite ; car les riches, qui payent plus de 700 francs de contribution, seront en minorite´. Ces riches auraient pu trouver dans la classe des citoyens qui payent des contributions de moins de 300 francs des auxiliaires, a` l’aide desquels on aurait vu se re´tablir l’e´quilibre ; mais le projet de loi sacrifie tout a` la classe interme´diaire, qui a peu de chose a` perdre ou a` conserver. L’opinion de cette classe dominera seule, et fera pre´valoir les inte´reˆts nouveaux sur les inte´reˆts anciens. Voulez-vous la garantie de la proprie´te´ ? N’admettez pour e´lecteurs que les plus impose´s de chaque de´partement. Voulez-vous les principes du gouvernement repre´sentatif ? Ne refusez pas de laisser la nation intervenir dans les e´lections, au moins d’une manie`re indirecte. Le projet entraıˆnerait des difficulte´s de de´tail insurmontables, et des disproportions monstrueuses ; l’on ne saurait comment re´unir les e´lecteurs, ni comment maintenir l’ordre dans leurs re´unions. Ici on aurait quinze mille individus a` rassembler ; la` cinquante ou soixante : ceux des campagnes ne se rendraient pas au chef-lieu ; ceux du chef-lieu profiteraient de l’absence de ceux des campagnes. L’ine´galite´ de la repre´sentation serait porte´e a` un exce`s de´plorable. Dans tel de´partement, 150 e´lecteurs nommeraient deux de´pute´s ; dans tel autre, 20,000 n’en pourraient nommer que huit. Mieux vaut revenir aux colle´ges e´lectoraux, bien qu’ils soient de la cre´ation de Bonaparte. Ils n’avaient point fait de mauvais choix en 1814, puisque l’assemble´e de 1814 a rappele´ son roi ; ils en avaient fait de meilleurs encore en 1815.» Pour appre´cier cette se´rie d’argumens, il faut se´parer ceux qui se dirigent contre le fond du projet de loi, d’avec ceux qui ne portent que sur des de´tails d’exe´cution. Les premiers, destine´s a` attaquer la loi dans sa base, reposent sur deux ide´es qui d’abord sembleraient incompatibles, et que je ne veux pas essayer de concilier, de peur de de´montrer qu’elles sont inconciliables ; car alors on me rapprocherait d’inculper des intentions, tandis que mon seul but est d’e´tablir des principes. La premie`re de ces ide´es, c’est qu’il ne faut pas priver les citoyens qui ne payent pas 300 francs d’impositions de toute participation, meˆme indirecte, a` la nomination de leurs de´pute´s. 10 300 francs ] 700 francs CPC
14–15 pour e´lecteurs ] pour les e´lecteurs CPC
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Mais commenc¸ons par examiner qu’elle e´tait l’e´tendue et la re´alite´ de cette participation dans l’e´tat actuel de nos colle´ges e´lectoraux ; nous examinerons ensuite quelle peut eˆtre cette meˆme e´tendue et cette meˆme re´alite´, dans tout syste`me qui divise l’e´lection en deux degre´s. Dans notre le´gislation pre´sente, le droit qu’on regrette pour le peuple, en quoi consistait-il ? il consistait a` nommer des hommes charge´s d’en nommer d’autres, et qui, de`s l’instant qu’ils e´taient reveˆtus de la qualite´ d’e´lecteurs, se trouvaient imme´diatement, et pour la vie, se´pare´s de ceux qui leur avaient confe´re´ cette dignite´. Ce droit consistait donc a` cre´er une aristocratie viage`re qui, loin d’eˆtre un lien entre la repre´sentation et le peuple, e´tait au contraire une barrie`re, un mur de se´paration, entre le peuple et la repre´sentation ; car, une fois les colle´ges e´lectoraux forme´s, le reste de la nation ne pouvait plus avoir d’influence sur le choix des de´pute´s. Si l’on compare ce syste`me avec celui qu’introduit la loi nouvelle, on ne peut s’empeˆcher de reconnaıˆtre que le premier ne confe´rait qu’un droit illusoire. Le seul re´sultat re´el de ce droit e´tait de confier a` 16 ou 20 mille individus l’e´lection de nos mandataires, tandis que le projet de loi qu’on propose remet ce choix a` cent mille citoyens, et que les re´unions de ces cent milles proprie´taires, dans les divers de´partemens, diffe´reront encore des anciens colle´ges e´lec toraux en ce point essentiel, qu’elles ne formeront point une classe a` part et permanente dans sa tre`s-grande majorite´, mais que l’enceinte e´lectorale sera de´sormais ouverte a` tous ceux qui acquerront la contribution requise ; de sorte que toute augmentation de fortune, toute spe´culation le´gitime, tout effort d’industrie heureuse, toute e´conomie sage et prolonge´e, confe´reront de droit a` tout Franc¸ais une part ve´ritable et positive a` l’exercice du droit le plus pre´cieux dans un e´tat repre´sentatif. Dira-t-on qu’on pouvait donner aux colle´ges e´lectoraux une organisation meilleure, ne pas les faire a` vie, les renouveler plus souvent ? Je re´ponds que l’inconve´nient de re´duire une grande partie, les quatre cinquie`mes de ceux qui, par le projet de loi, votent directement pour le choix des de´pute´s, a` ne voter que pour des nominations d’e´lecteurs subsisterait toujours. De l’aveu meˆme des antagonistes du projet, le droit d’e´lire les de´pute´s ne peut s’accorder qu’a` ceux qui payent 300 francs de contribution. En conse´quence, pour augmenter le nombre qui concourrait a` des nominations illusoires, on propose de restreindre celui qui doit concourir a` des nominations re´elles ; il n’y a pas moyen d’obscurcir la question. Si vous e´tablissez deux degre´s d’e´lection, vous aurez plus de suffrages pour cre´er des e´lecteurs ; mais vous en aurez moins pour cre´er des de´pute´s. Or, cre´er des e´lecteurs, est-ce participer aux avantages du gouvernement repre´sentatif ? Est-ce exercer les droits que ce gouvernement garantit aux citoyens ? Non, c’est confe´rer a` d’autres le droit d’exercer ces droits. Les
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seuls citoyens, dans un pareil syste`me, sont les e´lecteurs ; le reste de la nation est de´she´rite´e, et qu’on ne dise pas qu’elle se de´she´rite volontairement : certes, elle y est force´e, quand la loi ne lui laisse l’option que de nommer les e´lecteurs ou de ne nommer personne. Il vaut donc beaucoup mieux accorder a` cent mille hommes une participation directe, active, re´elle, a` la nomination des mandataires d’un peuple que de faire de cette participation un monopole pour seize ou vingt mille, sous pre´texte de conserver a` un, ou a` deux, ou meˆme, si l’on veut adopter le calcul d’un des opposans au projet de loi, a` quatre millions, une participation indirecte, inactive, chime´rique, et qui se borne toujours a` une vaine ce´re´monie. L’e´lection directe constitue seule le vrai syste`me repre´sentatif. Quand des citoyens sont appele´s a` nommer leurs de´pute´s, ils savent quelles fonctions ces de´pute´s auront a` remplir. Ils ont un terme de comparaison pre´cis et clair entre le but qu’ils de´sirent atteindre, et les qualite´s requises pour que ce but soit atteint. Ils jugent en conse´quence de l’aptitude des candidats, de leurs lumie`res, de leur inte´reˆt au bien public, de leur ze`le, et de leur inde´pendance. Ils mettent eux-meˆmes un grand inte´reˆt aux nominations, parce qu’a` leur re´sultat se lie l’espoir de se voir appuye´s, de´fendus, pre´serve´s d’impoˆts excessifs, prote´ge´s contre l’arbitraire. Mais quand ces citoyens ne sont appele´s qu’a` nommer des e´lecteurs, c’est-a`-dire, des hommes qui en nomment d’autres, le meˆme inte´reˆt n’existe pas. Ces e´lecteurs, apre`s avoir en dix jours donne´ leurs suffrages, rentrent dans leur nullite´, ne pouvant faire de bien a` personne, embrasser la cause de personne. Le peuple ne peut donc mettre, a` choisir des e´lecteurs, la meˆme importance qu’a` choisir des de´pute´s. Le re´sultat du premier choix n’est point de´cisif. Nul arrondissement ne sait si la nomination des repre´sentans sera seulement modifie´e par la fraction e´lectorale, au choix de laquelle il aura concouru. Cette nomination d’e´lecteurs est un de´tour, une filie`re, qui cache le but aux regards, et qui re´froidit l’esprit public. D’un autre coˆte´, des colle´ges e´lectoraux, peu nombreux, de´naturent aussi les effets de l’e´lection. Les gouvernemens dans lesquels le peuple est de quelque chose, seraient le triomphe de la me´diocrite´, sans une sorte d’e´lectricite´ morale, dont la nature a doue´ les hommes, comme pour assurer l’empire des qualite´s distingue´es. Plus les assemble´es sont nombreuses, plus cette e´lectricite´ est puissante : et, comme lorsqu’il est question d’e´lire, il est utile qu’elle dirige les choix, les assemble´es qui e´lisent doivent eˆtre aussi nombreuses que cela est compatible avec le bon ordre. 32–38 Les gouvernemens ... bon ordre. ] Un petit nombre d’e´lecteurs fait, au lieu de choix nationaux, des choix de cotterie. CPC
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Les hommes ordinaires ne sont justes que lorsqu’ils sont entraıˆne´s ; ils ne sont entraıˆne´s que lorsque, re´unis en grand nombre, ils re´agissent les uns sur les autres. On n’attire les regards de quelques milliers de citoyens que par des titres positifs, une opulence noblement employe´e, une industrie utile a` plusieurs classes, une re´putation e´tendue. Mais des relations domestiques, des relations de cotterie, accaparent la majorite´ dans un colle´ge peu nombreux a. Pour eˆtre nomme´ par le peuple, il faut avoir des partisans place´s au-dela` des alentours ordinaires, et par conse´quent un me´rite connu : pour eˆtre choisi par quelques e´lecteurs, il suffit de n’avoir point d’ennemi, c’est-a`-dire, il suffit des qualite´s ne´gatives. L’e´lection directe, en faveur de laquelle de´posent toutes les vraisemblances de la the´orie, tous les te´moignages de la pratique, tous les e´crivains anciens, b toutes les expe´riences modernes ; l’e´lection directe qui, en Ame´rique et en Angleterre, va toujours chercher les grands proprie´taires et les hommes distingue´s ; cette e´lection, enfin, consacre´e par les deux plus profonds publicistes de l’Europe e´claire´e, Machiavel et Montesquieu, peut seule e´tablir un lien continuel, un lien plus ou moins e´troit entre les chefs de l’e´tat et la masse des citoyens ; c elle seule peut investir la repre´sentation nationale d’une force ve´ritable, et lui donner dans l’opinion des racines profondes. a
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On me dira que dans plusieurs de´partemens les e´lecteurs seront en tre`s-petit nombre. C’est un inconve´nient inhe´rent a` l’e´tat pre´sent des choses. Au moins ce nombre ne sera pas limite´ ; il pourra s’accroıˆtre par l’accroissement de l’aisance nationale, suite infaillible de la liberte´. D’ailleurs on convient, et meˆme on objecte, que dans beaucoup d’autres de´partemens les assemble´es seront tre`s-nombreuses. Profitons donc de ce qui est, en attendant ce qui n’est pas encore. Que si l’on pre´tend qu’en descendant au-dessous de 300 fr. on augmenterrait imme´diatement le nombre des e´lecteurs, on trouvera tout a` l’heure ma re´ponse. Je suis oblige´ de supprimer les preuves et d’abre´ger les re´flexions ; mais j’ose renvoyer le lecteur a` l’ouvrage que j’ai publie´ en 1814 et 1815, sur les Constitutions et les Garanties. Tous les avantages de l’e´lection directe y sont, je le crois, de´montre´s. Voy. M. Necker, dans ses Dernie`res vues, ouvrage a` la fois courageux, e´loquent et profond, que nos apprentifs en liberte´ devraient lire au lieu d’en attaquer l’auteur. Il continue ainsi : Vous de´truisez cette relation, soit en oˆtant au peuple son droit, soit en changeant ce droit en un semblant, en une simple fiction. Dans le meˆme ouvrage, il a combattu l’institution des listes d’e´ligibles, avec des raisonnemens auxquels il est impossible de re´pondre ; et tous ces raisonnemens, que malheureusement je ne puis rapporter faute de place, s’appliquent aux nominations d’e´lecteurs.
1–21 Les hommes ... racines profondes. ] supprime´ dans CPC, qui met a` la place le texte de la note a (ci-dessus), auquel est attache´e une nouvelle note ; celle-ci est un re´arrangement des notes b et c de cette meˆme page 27 l’on ] on CPC
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Sans doute le nombre des e´lecteurs qu’admet le projet de loi est encore tre`s-restreint : je conviens volontiers qu’il est faˆcheux que dans une nation de vingt-six millions d’hommes, cent mille seulement soient e´lecteurs. J’ai exprime´ ailleurs mon opinion sur les conditions de proprie´te´ que le corps social peut et doit exiger de ses membres pour l’exercice des droits politiques. Tout homme qui posse`de un revenu, tel qu’il puisse subsister sans eˆtre aux gages d’un autre, devrait jouir de ces droits, et le paiement de 300 francs de contributions directes, suppose incontestablement un revenu trop e´leve´. Mais on ne peut en accuser le projet de loi ; la charte est notre re`gle ; elle ne peut eˆtre modifie´e. Les antagonistes du projet le reconnaissent avec nous, et eux sur-tout auraient mauvaise graˆce s’ils voulaient s’en plaindre ; car c’est la faute de quelques-uns d’entr’eux, si le gouvernement, qui avait admis l’anne´e dernie`re la possibilite´ des ame´liorations, a duˆ craindre qu’on ne s’en servit pour tout de´truire, et s’est vu contraint a` y renoncer. La charte ayant donc prononce´ que nul citoyen qui ne paye pas 300 francs de contribution ne peut concourir au choix des de´pute´s, le projet de loi, soumis a` cette re`gle, contient ce qu’elle admet de meilleur, de plus libe´ral, de plus populaire. Par ce syste`me, l’e´lection partira, pour la premie`re fois en France, d’une source vraiment nationale, et, bien que les proprie´taires qui ne payent pas 300 francs de contribution puissent s’affliger de ce qu’une barrie`re souvent imperceptible les privera momentane´ment de la ple´nitude de leurs droits, ils participeront eux-meˆmes bien plus aux avantages du gouvernement repre´sentatif, en trouvant dans leurs amis, dans leurs parens, dans leurs e´gaux, des e´lecteurs de droit, a` qui personne ne pourra contester cette qualite´, qu’ils n’y participeraient si, d’une part, ils avaient la faculte´ trompeuse d’inscrire quelques noms d’e´lecteurs sur une liste ; et si, de l’autre part, la distance entr’eux et les e´lecteurs e´tait bien plus grande, et le nombre de ces derniers bien plus resserre´. Il ne faut pas croire que les bienfaits du syste`me repre´sentatif disparaissent entie`rement pour ceux qui n’en exercent pas toutes les pre´rogatives, quand ces pre´rogatives sont exerce´es par une classe tre`s-voisine d’eux. Il n’y aura point entre les proprie´taires qui payent 300 fr. de contribution, et ceux dont les contributions seront moins e´leve´es, une ligne de de´marcation qui rende leurs inte´reˆts diffe´rens. Les petits proprie´taires, et meˆme les nonproprie´taires, dans les bourgs, les villages, les hameaux, seront unis par des relations de famille avec beaucoup de prorie´taires payant 300 francs ; ils auront la perspective d’entrer peut-eˆtre eux-meˆmes un jour dans cette classe. Ainsi la barrie`re ne sera point durable, et les inte´reˆts seront identiques. 3 e´lecteurs. ] la source porte e´lectenrs. M
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Le contraire aurait lieu, si l’on adoptait la proposition de de´clarer e´lecteurs les plus impose´s : c’est la seconde ide´e mise en avant par les antagonistes du projet de loi. La richesse forme autour d’elle-meˆme une enceinte bien plus impe´ne´trable que la me´diocrite´ de fortune, et l’on peut affirmer que les plus impose´s, constitue´s exclusivement en corps e´lectoral, composeraient une aristocratie invincible et permanente. Cependant, par une bizarrerie singulie`re, les meˆmes orateurs qui re´clamaient les droits du peuple, ont invoque´ ensuite tout a` coup l’olygarchie des plus impose´s, sautant de la sorte, avec une agilite´ merveilleuse, des proprie´taires aux riches, et par-dessus la nation. Comment expliquer cette e´volution e´trange ? Ils nous l’expliquent. «En descendant, nous disent-ils, au dessous des impose´s a` 300 fr., on aurait admis les hommes qui exerc¸ant une industrie, ou s’aidant de leur travail, sont les auxiliaires naturels des grandes proprie´te´s et des grandes fortunes, ce qui aurait atteint le but qu’on se propose ; puisque c’est dans la fortune qu’on cherche des garanties». (J’observe en passant l’emploi d’un mot pour un autre ; changement qui ne laisserait pas que d’avoir d’importantes conse´quences. La charte ne cherche point des garanties dans la fortune, mais dans la proprie´te´, et c’est pour cela que le syste`me e´lectoral doit favoriser non les riches exclusivement, mais les proprie´taires.) Je reprends le raisonnement que j’ai cite´ et la question me devient claire. Ce ne sont plus les droits du peuple qu’on fait valoir ; c’est l’appui que la de´pendance du peuple pourra donner a` une classe particulie`re ; appui qu’on n’espe`re pas trouver parmi les citoyens payant 300 fr. La question se re´duit donc a` ses termes : Voulez-vous qu’une seule classe, aide´e d’une clientelle nombreuse et obe´issante, dirige les e´lections dans son sens, dans ses inte´reˆts, dans ses souvenirs, dans ses ressentimens, peut-eˆtre ? ou voulez-vous, sans exclure cette classe, car elle est comprise dans les impose´s a` 300 fr., mais en la se´parant d’auxiliaires aveugles et d’instrumens passifs, que tous les proprie´taires payant au-dessus de 300 fr. d’impots soient admis a` choisir leurs mandataires et leurs organes ? Je dis tous les proprie´taires ; car dans le syste`me repre´sentatif, ce que fait la majorite´ est reconnu pour l’ouvrage de l’ensemble. Or, par un aveu tre`s-louable dans sa naivete´, les adversaires du projet de´clarent en propres termes que les citoyens payant de 3 a` 700 fr. forment la majorite´ des contribuables admis a` voter. «En adoptant la loi propose´e, dit le premier orateur qui ait parle´ contre le projet, vous donnez a` la classe des paysans de 3 a` 700 fr., le droit de tout 11 e´trange ] la source porte e´trane M
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faire, de tout diriger, de tout e´lire. Ces impose´s de 3 a` 700 fr. forment plus de la moitie´ de ce que, dans le projet, on appelle des e´lecteurs a ». Mais si je ne me trompe, plus de la moitie´ et la majorite´, c’est chose identique. Il s’ensuit que ce que l’on reproche au projet, c’est de faire que la majorite´ de ceux que la charte appelle a` concourrir a` l’e´lection, ait par l’e´lection, l’influence que la majorite´ doit avoir. Singulier reproche ! Si j’avais eu l’honneur d’eˆtre de´pute´, j’aurais prononce´ les meˆmes paroles, a` l’exception du mot paysans, pour faire adopter la loi. Mais ces impose´s de 3 a` 700 fr. composent la classe interme´diaire, et cette classe interme´diaire inspire aux ennemis du projet de loi un effroi qu’ils ne sauraient de´guiser. Cet effroi leur dicte des aveux bien pre´cieux a` recueillir. Je m’appuyerai donc de leurs aveux meˆmes. Nous avons vu qu’ils reconnaissaient que cette classe interme´diaire formait la majorite´ des contribuables. Ils reconnaissent de plus, que «dans cette classe interme´diaire, dans ces e´lecteurs a` 300 fr., classe pre´destine´e, se trouvent concentre´s tous les inte´reˆts ne´s pendant nos discordes civiles». Ne nous effrayons pas du mot d’inte´reˆts ne´s pendant les discordes civiles ; il ne signifie autre chose sinon les inte´reˆts ne´s pendant les vingt-sept anne´es qui viennent de s’e´couler. Ces inte´reˆts ne´s pendant nos discordes, ne sont point ne´s de nos discordes : ils sont ne´s au contraire des transactions qui ont eu lieu, des portions d’ordre social conserve´es ou re´tablies, enfin, de tout ce qui a e´te´ sanctionne´ par les lois, malgre´ nos discordes, et souvent pour les appaiser ou les finir. Ces inte´reˆts sont tous en faveur de nos institutions actuelles, qui les garantissent, et l’identite´ des inte´reˆts avec les institutions est le meilleur gage du repos, comme l’opposition de ces deux choses est la cause la plus infaillible des bouleversemens. Voila` de´ja` deux faits reconnus, et de ces deux faits en re´sulte un troisie`me, tre`s-heureux, tre`s-important : C’est que la majorite´ de la France est pour les inte´reˆts actuels, puisque la classe interme´diaire forme la majorite´ des contribuables, et que cette classe est de´voue´e aux inte´reˆts actuels. Puissent ceux qui nous l’ont dit, le croire autant que nous ! Ce n’est pas tout. «Dans la classe interme´diaire, continuent les opposans au projet de loi, se trouvent l’e´ducation, l’habitude des affaires, l’habilite´ dans le commerce et
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Moniteur du 27 de´cembre1.
7–8 prononce´ ... la loi. ] prononce´ en faveur de la loi les meˆmes paroles. CPC 15 «dans ] pas de guillemets M interme´diaire ] la source porte interdiaire M 28 un troisie`me ] la source porte nn troisie`me M 1
Discours de Franc¸ois-Philibert-Bertrand Nompar, comte de Caumont-Laforce, Moniteur no 361/362, 26 et 27 de´cembre 1816, p. 1446b.
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l’industrie, l’aptitude a` toutes les professions utiles. La`, est l’esprit d’action et de force, l’e´nergie qui donne la vie et le mouvement aux e´tats ; la`, est le centre des lumie`res.» Je n’ajoute pas un mot a` ce pane´gyrique, et je rapporterai bientoˆt les phrases destine´es a` en affaiblir l’impression ; mais auparavant, je m’arreˆte et je demande quel est le but qu’un syste`me d’e´lection doit se proposer ? C’est 1.o que le plus grand nombre possible de proprie´taires concoure a` l’ope´ration d’e´lire, et que la majorite´ de´cide des re´sultats. Or, d’apre`s les aveux que j’ai cite´s, ce premier but se trouve atteint, car tous les proprie´taires admis par la charte sont e´lecteurs, de droit ; et si la classe interme´diaire de´cide des choix, ce ne sera qu’en conse´quence de sa qualite´ de majorite´, c’est-a`-dire conforme´ment a` tous les principes du gouvernement repre´sentatif. 2.o Une loi d’e´lection doit avoir pour but, de faire que tous les inte´reˆts qui ont cre´e´ les institutions qu’on veut conserver, inte´reˆts sur lesquels ces institutions reposent, soient repre´sente´s. Or, on a reconnu que la classe interme´diaire repre´sentait ces inte´reˆts. 3.o Enfin, une loi d’e´lection doit appeler a` l’exercice de ce droit important, les hommes qui, en re´unissant les qualite´s requises, ont de plus, l’e´ducation, les lumie`res, l’habitude des affaires, l’aptitude a` tout. On vient de nous dire que la classe interme´diaire posse´dait toutes ces choses. «Mais, continue-t-on, la` aussi se trouve le centre de la turbulence, de l’agitation, de l’ambition, et de l’intrigue, sa constante auxiliaire.» Est-ce se´rieusement qu’on dirige contre la classe interme´diaire ces accusations ! quoi ! la turbulence n’est pas plutoˆt l’appanage des classes infe´rieures ! l’ambition et l’intrigue celui des classes supe´rieures ! quoi ! ce n’est plus parmi les prole´taires que les factions prennent des instrumens, et parmi les riches qu’elles choisissent leurs chefs ? Je ne veux pas abuser de mes avantages, et j’e´carte l’histoire qui m’offre d’innombrables faits. Mais en 1815 et jusqu’au 5 septembre 1816, la pauvre classe interme´diaire ne jouait pas un roˆle brillant. N’y a-t-il point eu de turbulence, point de soule`vemens, point d’actes ille´gaux, point de violences extra-judiciaires, point d’ambition, point d’intrigues ? Ce n’est pas seulement ce que nous avons lu qu’on veut nous faire oublier, c’est ce que nous avons vu et souffert. On a e´te´ jusqu’a` dire «que des de´pute´s nomme´s par des e´lecteurs a` 300 fr., auraient peu de choses a` perdre et peu de chose a` conserver.» ne sait-on donc pas que ce sont les proprie´taires de fortunes me´diocres qui ont le plus d’inte´reˆt a` ne rien perdre, parce que peu les ruine, et le plus d’inte´reˆt a` tout conserver, parce que rien n’est re´parable. La pauvrete´ a trop peu a` perdre, mais la richesse peut trop risquer. Dans la me´diocrite´, dans la classe interme´diaire, est e´minemment l’inte´reˆt de la conservation, et par la` meˆme de l’ordre.
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On a dit encore : «Si la classe au-dessous de 300 fr. est appele´e a` concourir a` la nomination des e´lecteurs, cette classe, attache´e aux grands proprie´taires, formera le contrepoids.» Quel contrepoids veut-on former ? quel e´quilibre veut-on e´tablir ? Ce n’est pas, je pense, celui des hommes ennemis de ce qui existe, contre les hommes amis de ce qui existe : je craindrais de le croire. Mais un orateur du meˆme coˆte´ semble toutefois le dire en termes clairs. «Les hautes classes conservent une aversion pour les syste`mes qui tiennent aux ide´es de la re´volution ; la classe infe´rieure les a abandonne´s. Dans la classe interme´diaire, ils ont e´tendu leurs racines.» Sont-ce donc les hautes et les basses classes que vous voulez enre´gimenter contre la classe interme´diaire ? Ah ! vous n’avez pas senti ce que vous proposiez ; car ce que vous proposez n’est autre chose, a` votre insu, qu’un moyen de guerre civile. Sans doute il faut un e´quilibre, il faut une opposition, il faut des contrepoids dans tout gouvernement repre´sentatif ; mais cet e´quilibre, ces contrepoids, cette opposition doivent eˆtre fonde´s sur l’amour de la liberte´, et non sur la haıˆne des institutions. Je crois avoir expose´ avec pre´cision et ve´rite´ le principe du projet de loi, et re´fute´ les objections destine´es a` le combattre. Jamais je n’ai rien e´crit avec une conviction plus profonde. L’adoption de ce projet va donner une base large et nationale au syste`me repre´sentatif ; elle assurera le maintien de nos institutions, en confiant le choix des de´pute´s a` la majorite´ des Franc¸ais inde´pendans par leur fortune, inte´resse´s aux institutions et e´claire´s sur leurs inte´reˆts ; car, il faut le dire, jamais loi ne fut plus populaire, et c’est une nouvelle preuve de l’instinct admirable de ce peuple, que son assentiment a` une proposition qui semble priver une partie de lui-meˆme d’un droit qui, tout illusoire, pouvait ne´anmoins flatter sa vanite´. Le rejet du projet de loi nous aurait replonge´ dans un inextricable chaos, aurait renouvele´ l’existence de colle´ges e´lectoraux incomplets, et ne´cessite´ par la` la continuation de ces adjonctions arbitraires, subversives du syste`me repre´sentatif, puisqu’elles confe`rent la qualite´ d’e´lecteurs a` des hommes qui n’ont ni les conditions requises, ni une mission de leurs concitoyens pour y supple´er. De la sorte serait revenue l’e´poque de ces simulacres d’e´lections ou` ni la nation, ni ses inte´reˆts n’e´taient repre´sente´s ; le ve´ritable droit d’e´lection eut e´te´ restreint a` une petite minorite´, et en accordant au grand nombre une faculte´ chime´rique, l’on euˆt offert des instrumens aux factions, qui s’emparent de tout, sous la seule condition que ce dont elles s’emparent ne soit pas national. Je vais maintenant examiner tre`s-brie`vement quelques reproches de de´tails adresse´s a` la loi, et parler des amendemens qui ont e´te´ adopte´s. Mais, je le re´pe`te, les difficulte´s d’exe´cution ne sauraient balancer l’utilite´ du prin ci-
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pe. Ces difficulte´s s’applaniront par l’usage ; on de´couvrira graduellement les meilleurs moyens d’y parvenir. Quand la base est solide, les ame´liorations sont faciles. On a dit que les e´lecteurs ne viendraient pas. Je remarquerai d’abord, avec un de´fenseur du projet, qu’il n’est pas permis d’effacer un droit, sous pre´texte que celui a` qui ce droit appartient n’en fait pas de cas et ne voudra pas en faire usage. Mais j’oserai dire ensuite que les e´lecteurs viendront, quand ils verront que leur suffrage ne sera pas une forme vaine et illusoire, quand l’expe´rience les aura convaincus que de leur ze`le de´pendent la sage mode´ration des impoˆts et le maintien des liberte´s individuelles ; ils viendront, quand ils verront qu’on les compte vraiment pour des citoyens. Je l’affirme, le temps n’est pas loin ou` l’e´lecteur qui ne´gligerait son devoir rougirait aux yeux de ses alentours, dont il aurait pour sa part compromis les inte´reˆts. La jouissance de la liberte´ apprend bien vıˆte a` l’homme a` mettre du prix a` ses droits. Je dirai de plus que si quelquefois quelques-uns ne venaient pas, c’est qu’il n’aura pas e´te´ indispensable qu’ils vinssent. Si, dans les temps calmes, leur assiduite´ se relaˆchait, le danger de cette ne´gligence momentane´e ne serait pas grand : cette ne´gligence meˆme serait une preuve de bien-eˆtre. Le malheur rend l’homme actif ; il ne ne´glige aucun moyen d’y porter reme`de. J’ajouterai une conside´ration. L’hypothe`se que beaucoup d’e´lecteurs a` 300 fr. n’assisteront pas aux assemble´es, aurait duˆ, ce me semble, re´concilier avec le projet de loi ceux qui le repoussent. Ne se plaignaient-ils pas tout a` l’heure de ce que ces e´lecteurs formaient la majorite´ et l’emportaient par la` sur les riches ? Mais s’il n’en vient qu’un petit nombre, l’e´quilibre que l’on de´sirait sera re´tabli. Je ne concilie pas cette sollicitude qui s’inquie`te de leur absence, avec la re´pugnance qu’on te´moignait pour leur admission. Se pourrait-il (je suis loin de hazarder cette conjecture), mais se pourrait-il qu’on assure qu’ils ne viendront pas, seulement pour de´cre´diter la loi, et parce qu’on a peur qu’ils ne viennent ? On ne saura pas ou` les loger. Mais dans les de´partemens ou` il n’y a point de grandes villes, les e´lecteurs ne sont pas tre`s-nombreux ; dans les de´partemens ou` les e´lecteurs sont nombreux, il y a de grandes villes : ou` est donc la difficulte´ ? Des rassemblemens de plusieurs milliers d’hommes seront tumultueux ; on les subdivisera, la loi y a pourvu. Quatre-vingts e´lecteurs nommeront deux de´pute´s ; quinze ou vingt mille n’en nommeront que huit. Le nombre proportionnel n’est point aussi important qu’on le suppose. Il faut un de´pute´ pour qu’il soit l’organe d’un 36 a pourvu ] la source porte apourvu M
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de´partement quelconque ; il n’en faut pas un nombre proportionnel pour qu’un de´partement vingt fois plus nombreux ait ses organes, sans cela vous arriveriez a` un re´sultat absurde. Nul de´partement ne peut avoir moins d’un de´pute´. Mais si quatre-vingts e´lecteurs doivent en avoir un, la proportion exigerait que quinze ou vingt mille en eussent deux cent cinquante ou trois cents. Que les e´lections soient libres, que la repre´sentation soit inde´pendante, une voix courageuse ne restera pas sans influence. J’ai vu M. Fox, repre´sentant le bourg de Kirkwall, balancer M. Pitt, quand il repre´senterait Westminster. Je ne dis ceci que relativement au nombre proportionnel, et nullement avec l’ide´e que le grand nombre des de´pute´s ne soit pas de´sirable ; mais la charte prononce, il n’y faut rien changer, je l’ai dit plus haut ; nous risquerions d’y voir changer trop. Sachons profiter de ce que nous avons, puisque nous ne pouvons, sans danger, en demander davantage. Deux amendemens ont e´te´ adopte´s ; le premier, relatif a` la nomination d’un bureau, et qui e´tait d’une ne´cessite´ e´vidente ; l’autre, consacrant le principe que les de´pute´s n’auront point d’indemnite´s. J’avais e´nonce´ ce de´sir il y a deux ans a. Le non-payement des de´pute´s garantit leur inde´pendance ; les payer ne serait point leur donner un inte´reˆt de plus a` bien remplir leurs fonctions : ce serait les inte´resser a` s’y conserver. Un troisie`me amendement a e´te´ propose´ et rejete´, celui d’obliger les de´pute´s qui accepteraient du gouvernement des fonctions amovibles, a` se faire re´e´lire par leurs commettans. Cet amendement est conforme aux principes ; il est bon que les ministres et d’autres agens de la couronne sie`gent dans les chambres, je l’ai prouve´ ailleurs b. Mais un de´pute´ qui accepte une place, poste´rieurement a` sa nomination, change de position personelle ; il n’est plus l’homme que le peuple avait e´lu ; il est juste que le peuple dise s’il a confiance dans l’homme nouveau. Au reste, le rejet de cet amendement ne de´truit point le me´rite des autres dispositions de la loi, me´rite incontestable, me´rite permanent, tandis que les imperfections peuvent n’eˆtre que passage`res. Que le bien se fasse ; le mieux viendra. B.
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Re´flexions sur les constitutions et les garanties, pag. 65 Re´flexions sur les constitutions et les garanties, pag. 57.
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La ne´cessite´ d’examiner la loi sur les e´lections m’a fait renoncer a` l’ide´e de suivre dans leur ordre naturel les ope´rations des chambres. J’y reviendrai peut-eˆtre dans la suite. Je parlerai des discussions qui ont eu lieu a` la chambre des pairs, sur deux propositions, dont l’une tendait a` interdire les discours e´crits, et l’autre a` faire connaıˆtre au public par les journaux le nom des pairs qui auraient opine´, soit contre les lois pre´sente´es, soit en faveur de ces lois1. Je rendrai compte de celles qui ont e´te´ adopte´es dans cette chambre, et de la proposition qui a pour but de donner une organisation le´gale a` la responsabilite´ des ministres. Mais trois projets d’une importance encore plus urgente, re´clament l’attention de tous ceux qui prennent inte´reˆt a` la chose publique, et je dois m’en occuper exclusivement. Le 7 de´cembre de l’anne´e dernie`re, ces trois projets furent pre´sente´s par S. Exc. le ministre de la police2. Le premier modifiait la loi du 29 octobre 1815, sur la liberte´ individuelle ; le second apportait quelques changemens aux re´glemens du 21 octobre 1814, sur la presse ; le troisie`me maintenait dans la de´pendance du gouvernement, jusqu’au 1er janvier 1818, les journaux et les feuilles pe´riodiques. Le projet relatif a` la liberte´ individuelle est certainement une ame´lioration importante dans cette partie de notre le´gislation, si l’on peut, sans donner trop d’e´tendue au sens de ce mot, appeler le´gislation, des lois d’exception et des mesures extra-judiciaires. Ce projet annonce dans le gouvernement une E´tablissement du texte : Mercure de France, Projet de loi relatif a` la liberte´ individuelle, t. I, 25 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 155–171. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 207–235. [=CPC] 1–2 Des Chambres ... article.) ] IV. CPC 4–16 La ne´cessite´ ... exclusivement. ] supprime´ dans CPC 5 ope´rations ] la source porte operations M 26 – p. 416.2 Ce projet ... permettent. ] supprime´ dans CPC 1
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L’une : voir le Moniteur du 27 novembre 1816, se´ance du 26 novembre, Bulletins du 1er et du 4 de´cembre 1816. L’autre : Bulletin du 8 de´cembre 1816. BC n’est pas revenu sur cette affaire. Decazes. Voir le Moniteur no 343, 8 de´cembre 1816, pp. 1371c–1374c.
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honorable intention de renoncer a` l’exercice de l’arbitraire, quand il croira que les circonstances le permettent. Il restreint de`s aujourd’hui l’usage de cet arbitraire, en l’enlevant aux autorite´s subalternes et en le concentrant dans les autorite´s supe´rieures. Il abroge la faculte´ de prononcer des exils, faculte´ d’autant plus dangereuse, que la douceur apparente de cette peine ou de cette pre´caution invite le pouvoir a` en abuser. Il est juste d’ailleurs de ne pas oublier que les hommes actuellement a` la teˆte de l’e´tat, loin de profiter de la latitude que leur confierait une loi bien plus rigoureuse, ont lutte´ contre l’impulsion factice, mais redoutable, qui les sollicitait de multiplier les arrestations, qu’ils ont re´prime´ les exce`s d’un ze`le affecte´ ou irre´fle´chi et lorsqu’on a voulu les accuser, ce qu’on leur a reproche´ avec le plus d’amertume a e´te´ le mal qu’ils n’avaient pas fait ou qu’ils avaient re´pare´. Toutefois, les souvenirs du passe´ ne doivent pas nous diriger seuls quand c’est le pre´sent qu’il faut juger, et une loi adoucie pourrait encore eˆtre une mauvaise loi. Ce n’est point, au reste, pour faire pressentir mon opinion que j’e´nonce cette ve´rite´, c’est pour inviter le lecteur a` prononcer lui-meˆme sur cette question, apre`s avoir lu l’analyse des rapports et des discours destine´s a` appuyer le projet ou a` le combattre. En rendant compte de cette discussion, je suivrai la me´thode que j’ai de´ja` adopte´e en traitant du projet de loi sur les e´lections. Seulement, j’intervertirai l’ordre que je m’e´tais prescrit. Je rapporterai d’abord les raisonnemens favorables au projet, parce qu’ils sont ne´cessaires pour en faire connaıˆtre et le principe et les conse´quences. Je rassemblerai ensuite les objections les plus fortes, je montrerai de quels argumens on s’est servi pour les re´soudre, et de la sorte il me semble que j’aurai pre´sente´ la question sous tous ses points de vue. Le 7 de´cembre, en apportant ce projet de loi, le ministre mit sous les yeux de la chambre des de´pute´s l’e´tat des arrestations et des surveillances ordonne´es en vertu de la loi du 29 octobre a. Il ne dissimula point «que quelques administrateurs avaient use´ avec trop peu de re´serve et de prudence du pouvoir dont ils avaient e´te´ investis, et que place´s a` coˆte´ des hommes dont ils e´taient charge´s d’e´clairer les de´marches, ils avaient quelquefois conc¸u des craintes exage´re´es et accueilli avec trop de facilite´ les suggestions d’un ze`le peu e´claire´1.» a
Voy. le Moniteur du 8 de´cembre 1816.
3 de cet arbitraire ] de l’arbitraire CPC 8–14 Il est juste ... re´pare´. ] supprime´ dans CPC 15–16 les souvenirs ... juger, et ] supprime´ dans CPC 29 Le 7 de´cembre ] Le 27 de´cembre CPC 37 8 de´cembre ] 28 de´cembre CPC 1
Moniteur no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1372b. La citation n’est pas litte´rale, mais respecte le sens des mots de Decazes.
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Il se rendit le te´moignage qu’il avait souvent contenu ou re´pare´ leurs erreurs, ve´rite´ que certifierait au besoin l’immense majorite´ de la France ; mais il demanda si, apre`s avoir eu en main cette arme puissante, le gouvernement pourrait sans imprudence s’en dessaisir tout a` coup. «On ne saurait passer brusquement, dit-il, et sans transitions progressives, d’un e´tat extraordinaire a` un e´tat parfaitement re´gulier.» Il rappela «que l’Angleterre avait vu dans un demi-sie`cle suspendre neuf fois l’Habeas corpus1.» Il de´veloppa les garanties nouvelles que le projet de loi e´tablissait contre les exce`s du pouvoir dont il prolongeait l’existence, et peignant les progre`s que la France avait faits depuis un an vers l’ordre et la liberte´, il prit au nom du gouvernement l’engagement de ne faire usage de sa pre´rogative extraordinaire que contre les ve´ritables ennemis du roi et de la patrie2. Il donna ensuite lecture du projet de loi dont je transcris ici les dispositions : 1° Tout individu pre´venu de complots ou de machinations contre la personne du roi, la suˆrete´ de l’e´tat et les personnes de la famille royale, pourra jusqu’a` l’expiration de la pre´sente loi, et sans qu’il y ait ne´cessite´ de le traduire devant les tribunaux, eˆtre arreˆte´ et de´tenu en vertu d’un ordre signe´ du pre´sident du conseil et du ministre de la police ; 2° Les geoliers et gardiens des maisons d’arreˆt et de de´tention remettront dans les vingt-quatre heures une copie de l’ordre d’arrestation au procureur du roi, qui entendra imme´diatement le de´tenu, si celui-ci le requiert, dressera proce`s-verbal de ses dires, recevra de lui tous me´moires, re´clamations ou autres pie`ces, et transmettra le tout, par l’interme´diare du procureur ge´ne´ral, au ministre de la justice, pour en eˆtre fait rapport au conseil du roi qui statuera3. Le 8 janvier, la commission charge´e de l’examen de ce projet de loi, fit son rapport a` la chambre des de´pute´s. Le rapporteur a rappela, comme le ministre, que les peuples les plus ce´le`bres avaient reconnu la ne´cessite´ de suspendre temporairement le cours a
Voy. le Moniteur du 11 janvier.
2–3 ve´rite´ ... mais il demanda ] puis demanda CPC 1 2 3
32 11 janvier ] 12 janvier CPC
BC re´sume dans les trois aline´as pre´ce´dents l’opinion du ministre en utilisant ses phrases. Voir ibid., pp. 1372c et 1372a. Meˆme proce´de´ que ci-dessus. Ibid., p. 1373a. BC transcrit ici les deux premiers § (sur trois) du projet de loi (ibid., p. 1373a).
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des lois communes. «La moins dangereuse de ces suspensions, dit-il, est celle des formes judiciaires, parce qu’elle laisse entie`res toutes les autres garanties du gouvernement constitutionnel. L’exemple d’un peuple voisin vous le prouve assez.» Se livrant ensuite a` des conside´rations morales, il peignit la religion e´branle´e, les doctrines re´volutionnaires fle´tries, a` la ve´rite´, mais les saines doctrines peu accre´dite´es encore, ce qui rendait plus de vigueur et de rapidite´, ne´cessaire dans les mesures du gouvernement. «Les cours pre´voˆtales, continua-t-il, prennent mal en France. Beaucoup d’individus sont sans place ; les contributions sont e´normes : la disette est une cause de fermentation. Toute police est impuissante et vaine, si elle est de´sarme´e, si elle ne menace d’un pouvoir arbitraire quiconque voudrait conspirer contre l’e´tat. On peut espe´rer que la situation s’ame´liorera. Chaque jour, la nature de notre constitution sera mieux comprise, ses bienfaits mieux appre´cie´s.» Jusqu’alors, il faut investir le gouvernement d’une autorite´ indispensable, et adopter le projet de loi1. Parmi les orateurs qui parle`rent dans le meˆme sens, plusieurs reproduisirent les meˆmes argumens. «Le salut de l’e´tat2, l’affermissement du troˆne, telle est la loi supreˆme devant laquelle toutes les conside´rations, toutes les lois, la charte elle-meˆme doivent fle´chir... Si tous les vœux, toutes les volonte´s se ralliaient autour du troˆne, si la religion avait de´ja` re´tabli l’empire des mœurs, si la re´union de tous les esprits nous annonc¸ait la destruction de tous les partis, on pourrait voter contre le projet. Mais n’y a-t-il plus de partis en France ? Toutes les factions sont-elles de´truites ? Ne reste-t-il pas de coupables espe´rances ? Comment se fait-il que ceux qui ont le plus contribue´ a` faire adopter la loi du 29 octobre sans modifications, combattent celle-ci, qui est bien moins rigoureuse ? La loi du 29 octobre violait l’article 4 de la charte. Cette violation a e´te´ excuse´e par la ne´cessite´. Le meˆme motif existe a.» «Non, dit un autre orateur3, de´fendant e´galement le projet ; la charte ne s’oppose point a` ce que l’on propose. L’art. 4 dit que personne ne pourra a
Discours de M. Figarol. Moniteur du 15 janvier.
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Le rapporteur est Pierre-Franc¸ois-Hercule de Serre (1776–1824), de´pute´ du de´partement du Haut-Rhin, pre´sident de la Chambre depuis 1817. BC re´sume ou transcrit son rapport. Voir le Moniteur no 11, 11 janvier 1817, pp. 43c–44a. BC commence ici la se´quence de citations et de re´sume´s du discours de Jean-Bernard-Marie Figarol (1760–1834), Moniteur no 15, 15 janvier 1817, p. 57b. Figarol e´tait de´pute´ des Hautes-Pyre´ne´es, un homme «fide`le a` tous les re´gimes», comme le dit Harpaz. Jean-Baptiste-Louis Froc de Boullay (1763–1847), de´pute´ de la Marne, extreˆme droite. Montage de citations presque litte´rales. Moniteur no 15, 15 janvier 1817, pp. 58b–58c.
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eˆtre poursuivi ni arreˆte´ que dans les cas pre´vus par la loi et suivant les formes qu’elle prescrit. Or, la loi est l’ouvrage de trois branches de la le´gislature. Elle peut de´terminer de nouvelles formes de poursuite et d’arrestation. La responsabilite´ des ministres est une garantie contre les abus. Qu’on n’objecte pas que cette responsabilite´ n’est pas organise´e. La responsabilite´ d’un ministre consiste a` ne compromettre ni son existence politique, ni son honneur, ni la confiance du roi. On demande pourquoi l’on ne recourt pas aux tribunaux ? Parce qu’il faut suivre dans le secret une trame dangereuse dont on tient les fils, parce que la suˆrete´ du dedans et la politique du dehors peuvent se trouver e´galement compromises, parce qu’apre`s tant d’agitations, les crimes politiques me´ritent encore quelque pitie´, et qu’il est des hommes qu’il faut sauver d’euxmeˆmes a». Un autre de´pute´1, qui s’est place´ dans cette discussion au premier rang par son talent, son habilete´, et meˆme son e´loquence b, commenc¸a par rendre un e´clatant hommage aux principes. «Tous les partis, dit-il, apre`s avoir obtenu les faveurs de l’arbitraire, ayant fini par en souffrir, auront fini par le maudire. Tour a` tour oppresseurs et opprime´s, ils auront e´galement senti le besoin de la mutuelle garantie ; Ils seront venus se reposer tous dans cette commune profession de foi, base du droit public des Franc¸ais dans les sie`cles futurs : nul ne peut eˆtre arreˆte´, de´tenu, si ce n’est par l’autorite´ des tribunaux et pour les de´lits pre´vus par la loi. Noble et belle profession de foi ! aimons a` la re´pe´ter, a` l’entre´e d’une discussion dont elle doit eˆtre la re`gle. Ne craignons point de la fortifier encore ; car, si pour d’autres peuples, de telles maximes peuvent sembler vulgaires, elles conservent pour nous tout le charme de la nouveaute´. Oui, un tel droit est le premier des droits, la source de tous les autres, le grand but de toutes les institutions sociales. Oui, il rend a` l’autorite´ tout ce qu’il en rec¸oit, et plus qu’il n’en rec¸oit, car c’est de lui que tout gouvernement qui se respecte tire sa lumie`re, sa force, sa dignite´, sa moralite´ ve´ritable. Oui, c’est l’heureuse pre´e´minence du syste`me repre´sentatif entre tous les autres, qu’il soit a` la fois affranchi des vaines terreurs qui portent a` ema b
Discours de M. Froc de la Boullaye. Moniteur du 15 janvier. M. Camille Jordan. Moniteur du 16 janvier.
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Camille Jordan (1771–1821), de´pute´ du de´partement de l’Ain. Rappelons qu’il s’engage aussi pour le projet de loi des e´lections, pour celui sur la presse et contre les cours pre´voˆtales. BC fait ici un montage de citations. Moniteur no 16, 16 janvier 1817, pp. 63c–64c.
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ployer l’arbitraire, et de la fatale puissance qui permet d’y chercher un appui. Mais ce qui m’a e´minemment frappe´ en faveur du projet de loi, c’est la malheureuse ne´cessite´ cre´e´e par la le´gislation pre´ce´dente. Si nos prede´cesseurs avaient laisse´ cette grande question intacte, s’ils nous avaient le´gue´ cet inestimable he´ritage de la liberte´ civile, je concevrais toute l’he´sitation, je pourrais m’y associer ; mais est-ce donc la` notre position ? Vous savez quelles circonstances extraordinaires, semblant appeler des mesures extraordinaires, firent tout a` coup adopter cette loi du 29 octobre, que je ne veux, ni louer, ni blaˆmer, dont je m’abstiens de rechercher les ve´ritables auteurs, mais dont les dispositions, livrant la liberte´, l’honneur, presque la vie des citoyens, a` la discre´tion d’une foule de fonctionnaires subalternes, furent une suspension si e´tendue, et si redoutable des droits les plus sacre´s. Alors naquit, se forma, s’accre´dita, sous les plus imposans suffrages, ce grand syste`me de se´ve´rite´ que nous vıˆmes si rapidement se re´pandre de la capitale dans les provinces. Quel besoin subit et inde´fini de soupc¸onner et de punir ! quelle impatience contre toutes les lenteurs de la commune justice ! quelle admiration pour les justices extraordinaires et abre´ge´es ! quels anathe`mes contre une mode´ration toujours suspecte de trahison ou de faiblesse ! quels encouragemens donne´s a` toutes les propositions pre´tendues e´nergiques, comme au seul gage de de´vouement ve´ritable ! Serait-il prudent, serait-il sage de passer presque sans interme´diaire, d’une telle contrainte a` la liberte´ la plus e´tendue ?... Une telle loi peut-elle exister sans changer tout l’e´tat des choses, sans modifier toutes les habitudes d’un peuple ? Ce syste`me sur-tout dont je vous ai peint son exe´cution entoure´e, n’a-t-il pas duˆ exciter des allarmes, nourrir des de´fiances, formenter des inimitie´s ? De´chaıˆne-t-on ainsi tout a` coup les passions apre`s les avoir provoque´es ?... Comment de´noncer des germes de troubles d’autant plus dangereux qu’ils sont plus intestins, et que les signaler c’est presque les de´velopper ? Comment avertir le faux ze`le sans le blesser ? Comment parler de ces factieux autorise´s, que de hautes mesures d’administration pourraient seules rapidement atteindre ? Anciens et fidelles amis de la liberte´, craignez d’en compromettre les destins par votre pre´cipitation meˆme... vous qui appartenez a` ces hommes respectables sous tant de rapports, mais si long-temps e´trangers a` ces maximes de limites du pouvoir, pouvez-vous vous flatter de bien entendre cette langue difficile que vous ne parlez que depuis un jour ? Apre`s vous eˆtre trompe´s si long-temps en faveur de l’arbitraire ne risquez-vous pas de vous tromper maintenant en faveur de la liberte´ ? Ah ! tous tant que nous sommes, rendons toutes les mesures de restriction inutiles, en faisant cesser
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toutes les discordes et les inquie´tudes qui les motivent, et en entourant d’une confiance toujours plus unanime le gouvernement de ce prince si peu capable d’abuser de l’autorite´ la plus e´tendue, et qui ne re´clame une passage`re augmentation de pouvoir, que pour la pre´servation meˆme de nos liberte´s.» Un quatrie`me orateur a, se jetant dans les profondeurs d’une me´taphysique subtile, e´tablit sur l’initiative1 une the´orie qui, tendant a` dispenser la couronne de prouver la ne´cessite´ de ce qu’elle propose, et de´clarant que la proposition meˆme est une pre´somption en faveur de cette ne´cessite´, rendrait, de la part des chambres, tout examen impossible et toute discussion inutile. «Si l’initiative, dit-il, avait e´te´ place´e dans cette chambre, et que l’un de vous eut propose´ de suspendre la liberte´ individuelle, et d’en rendre le gouvernement seul arbitre, il vous serait permis de n’adopter cette proposition qu’avec les preuves les plus e´videntes, et la conviction la plus entie`re qu’elle est ne´cessaire au salut de l’e´tat. C’est l’usage en Angleterre ; l’adoption des mesures extraordinaires est pre´ce´de´e d’une enqueˆte solennelle, et toujours appuye´e sur des documens authentiques, parce que le pouvoir qui propose ces mesures re´pond de leur ne´cessite´ aux autres pouvoirs, ainsi qu’a` la nation, et, par cette raison, il ne doit rien ne´gliger de ce qui peut lui apprendre a` lui-meˆme si elles sont ne´cessaires ou superflues, utiles ou dangereuses. Chez nous le roi propose : ce qui serait en Angleterre le devoir des chambres, est ici le devoir du gouvernement. Il y a toujours pre´somption qu’il a rempli ce devoir, quand il propose une loi extraordinaire, parce que le pouvoir le´gitime est pre´sume´ sage et fidelle, et la force de cette pre´somption commande la confiance, jusqu’a` ce que la pre´somption soit convaincue d’erreur. La question n’est donc pas de savoir si la mesure propose´e par le gouvernement est ne´cessaire, mais si l’on peut prouver qu’elle ne le soit pas. Votre he´sitation ne me touche point, quand le gouvernement du roi n’he´site pas ; car vous savez peu, et il sait tout... a
M. Royer-Collard. Moniteur du 16 janvier2.
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Le texte du Mercure porte deux fois «initiation», faute de lecture du prote corrige´e dans le Cours de politique constitutionnelle pour re´tablir la bonne lec¸on du texte de Royer-Collard. Voir le Moniteur no 16, 16 janvier 1817, p. 65a. Pierre-Paul Royer-Collard (1763–1845), de´pute´ de la Marne. Montage de citations tire´es du discours du 14 janvier. Moniteur no 16, 16 janvier 1817, pp. 65a–65b.
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Je n’attache pas une fort grande importance aux pre´cautions dont on entoure l’exercice de ce pouvoir extraordinaire. Les pre´cautions me semblent a` peu pre`s illusoires, et j’ajoute qu’il est ne´cessaire qu’elles le soient, pour que la loi ne soit pas vaine. La responsabilite´ ne me paraıˆt pas non plus un reme`de suffisant : elle ne peut avoir lieu dans les cas particuliers, sans que la loi soit en contradiction avec elle-meˆme.... Ce qui me rassure, c’est que l’autorite´ unique qui doit exercer le pouvoir arbitraire ne le prend pas, mais le rec¸oit.... Qu’est-ce qu’un pouvoir arbitraire qu’il faut demander, qu’il faut obtenir, dont la ne´cessite´ est soumise a` une discussion, et qui ne s’accorde que pour un temps limite´ ?» Je passerai sous silence les autres argumens des de´fenseurs du projet1 ; ce sont les meˆmes qui ont e´te´ alle´gue´s dans toutes les occasions pareilles. «Que la mesure tend bien plus a` consolider la liberte´ individuelle qu’a` la de´truire, car elle est essentiellement conservatrice de toutes nos liberte´s ;..... que si l’on attend qu’une se´dition ait e´clate´, il y aura sans doute des faits et des preuves, mais que l’objet est d’empeˆcher et de pre´venir le mal ;.... que la police a toujours e´te´ investie de ce genre d’autorite´ ; qu’il a e´te´ en usage sous l’ancien re´gime, puisqu’on peut se rappeler encore quelles faˆcheuses de´nominations on donnait a` ses agens.... Qu’en disant que la tranquillite´ re´gnait dans le royaume, le roi n’avait pu vouloir dire que rien ne pourrait la troubler ;.... qu’au secret des causes d’arrestation est attache´ le succe`s, etc., etc. a» Apre`s la cloˆture de la discussion, le rapporteur b re´sumant les objections pour les re´futer, insista sur la ne´cessite´ de la loi ; et comme, dans un discours ante´rieur, au sujet de celle des e´lections, il avait appuye´ cette loi de recherches profondes dans l’antiquite´, il appuya celle-ci d’un tableau tre`se´tendu de l’e´tat de l’Europe, peignant tant de provinces ravage´es tant de villes re´duites en cendres, de troˆnes renverse´s, d’e´tats qui ont disparu. Plus direct dans sa dialectique, M. le ministre de la police tira parti de quelques discours des opposans a` ce projet, discours que j’analyserai tout a` l’heure, et de´fendit des classes sur lesquelles on veut faire planer le soupc¸on, avec une e´loquence habile, qui certainement captiva plus d’un suffrage. Je passe maintenant aux attaques des adversaires, et je taˆcherai de ne pas remplir moins scrupuleusement la taˆche de rapporteur de cet important proce`s. a b
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Voyez les discours de MM. Ravez et Delamalle. Moniteur du 17 janvier. Moniteur du 17 janvier2. Le montage des citations sugge`re le coˆte´ re´pe´titif des raisonnements. Voir pour les discours de Ravez (ci-dessus, p. 388, n. 2) et de Gaspard-Gilbert de la Malle (1752–1834) le Moniteur no 17, 17 janvier 1817, pp. 67c–69a. Voir le re´sume´ du discours de De Serre, ibid., p. 70c–71a. Sur De Serre voir ci-dessus, p. 418, n. 1.
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«Les rigueurs1 de la loi du 29 octobre, ont-ils dit, n’avaient produit que la ne´cessite´ d’en exercer d’autres : la suspension de fait de cette loi a seule ope´re´ le bien. Du 1er janvier 1816 jusqu’au 1er aouˆt, on voit le nombre des de´tenus, des exile´s, et des surveille´s, aller toujours en croissant ; parce qu’arreˆter arbitrairement, c’est se cre´er chaque jour un besoin plus pressant d’arreˆter encore. Convaincu par cette expe´rience que le reme`de aggravait le mal, que fait le ministre ? Il suspend la loi ; les prisons se vident, les exile´s reviennent. Ce re´sultat re´pond a` l’espoir qui avait dicte´ ce nouveau syste`me ; que le ministre donc jouisse de nos remercıˆmens et de ses succe`s, mais qu’il en admette les conse´quences. La loi du 29 octobre e´tait un mal ; sa non-exe´cution a e´te´ un bien. Pourquoi prolonger, meˆme en l’adoucissant, ce qui lui ressemble ?.... Pourquoi des transitions entre l’injustice et la justice ? Haˆtons-nous de passer du mal au bien ;.... le pas est franchi : nous sommes dans la route ordinaire, dans la route le´gale ; pourquoi donc en sortir ? L’ordre habituel de la socie´te´ doit eˆtre trouble´, pour que des lois d’exception soient autorise´es. Interrogez les de´partemens qu’oublient trop souvent dans la capitale ces de´pute´s qu’ils ont envoye´s : tous vous diront que rien ne leur est plus odieux que l’arbitraire. A quelqu’e´poque que l’on se place, qu’a produit de bon l’inconstitutionnalite´ ? l’arbitraire instrument de toutes les provocations, et provocateur de tous les de´sordres,.... les prisons e´prouvant un mouvement journalier, sans jamais avoir de places vacantes, et e´tonne´es elles-meˆmes de renfermer simultane´ment, et ceux pre´venus de ne pas aimer assez, et ceux pre´venus d’aimer trop le gouvernement ? les milliers de lettres de cachet applicables a` tout venant ? les espions inutiles, par cela meˆme qu’ils sont visibles, mais dangereux, parce qu’il faut qu’ils paraissent ne´cessaires, offrant par leur importunite´ la de´gradation pousse´e a` ce point, qu’ils avouent aussi hautement leur opprobre qu’on avouerait la plus honorable profession ? N’est-ce donc pas ce re´gime qui, depuis de longues anne´es, a rendu tous les rapports d’amitie´, d’inte´reˆts, de confiance, de domesticite´ dangereux, et la de´fiance une sage pre´caution jusqu’au sein des familles ? Est-ce sous sa main qu’on voudrait nous replacer ?... Pour juger cette loi, supposons un cas dans son espe`ce. Quel tableau vous pre´sente-t-il ? Un pre´venu qui ne connaıˆtra que par le texte de son mandat le titre de la pre´vention dont il fait l’objet, qui, comme d’habitude, pourra ignorer les faits toute sa vie, s’il plaıˆt a` la police 29 re´gime ] la source porte regime M 1
Ici commence le montage des citations tire´es du discours de Louis-Joseph Yacinthe Ponsard (1764–?), de´pute´ du Morbihan, du 13 janvier (Moniteur no 14, 14 janvier 1817, pp. 56b– 56c).
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de dire : C’est mon secret : un procureur du roi re´duit a` s’enque´rir de l’incarce´re´ lui-meˆme des causes de sa de´tention : un pre´venu condamne´ a` un secret discre´tionnaire, et par conse´quent sans terme, dans la crainte qu’il ne divulgue la confidence qu’on voudrait lui faire ; isole´ d’ailleurs, pour plus grande discre´tion, de ses parens, de ses amis, de tout conseil ; re´duit pour toute justification a` un me´moire qu’il sera la plupart du temps incapable de re´diger ; pour lequel il manquera d’e´le´mens, puisqu’il ne connaıˆtra ni les faits qui constituent la pre´vention, ni la nature des preuves, ni les te´moins qui l’accre´ditent ; prive´ de ses juges naturels, et, ce qui est le comble de l’iniquite´, de la ressource meˆme de la confrontation ; traıˆne´ de prison en prison, si le secret ou les pre´cautions de la police l’exigent ; implorant et payant a` grands frais le secours inutile de correspondans a` Paris ; ruine´ au bout du compte, suivant l’usage, de fond en comble, sans aucune indemnite´ ; et, pour dernier trait au tableau, un de´lateur inviolable, et le plus souvent un calomniateur titulaire du privile´ge exclusif de l’impunite´. Abjurons une bonne fois ces mesures, qui mettent le gouvernement en contradiction avec lui-meˆme. Il nous faut un spe´cifique, sans doute ; mais un spe´cifique ge´ne´reux, c’est la charte ; mais un spe´cifique plus fortifiant encore, c’est la confiance a. L’honorable rapporteur, en nous pressant d’adopter le projet, nous a cite´ l’exemple d’un peuple voisin, jaloux de sa liberte´, comme nous le serons un jour de la noˆtre, je l’espe`re. Je regrette qu’il ne soit pas entre´ dans des de´veloppemens plus e´tendus... Nous aurions appris avec quelle solennite´ l’on proce´dait a` ce grand acte. Une enque`te sur la situation inte´rieure et exte´rieure de la Grande-Bretagne e´tait mise sous les yeux du parlement. En suspendant l’Habeas corpus, on se gardait d’entraver la liberte´ de la presse : elle conservait toute sa puissance, toute son action sur l’opinion publique, sur le gouvernement lui-meˆme b. Nous venons demander, a dit le ministre, non le renouvellement de la loi du 29 octobre, mais le remplacement de cette loi par des dispositions plus restreintes, plus douces et e´galement temporaires. Qui n’euˆt cru, d’apre`s cet expose´, qu’il nous proposerait la continuation, pendant quelques mois encore, de l’article 3 de la loi du 29 octobre, relatif aux surveillances, et qu’il renoncerait au droit d’arreˆter et de de´tenir les citoyens, sans qu’ils pussent eˆtre prote´ge´s par nos lois ? Mais celui qui euˆt e´te´ e´loigne´ de son domicile en vertu de la loi de 1815, sera arreˆte´ et de´tenu en vertu de celle de 1817, si celle-ci ne donne a` l’autorite´ ce moyen unique. a b
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Discours de M. Ponsard. Moniteur du 14 janvier. Discours de M. Saulnier. Moniteur du 15 janvier1. Pierre-Louis, chevalier Saulnier (1767–1838), ancien pre´fet de la Meuse, de´pute´ de ce de´partement de 1815 a` 1817 et en 1822, sie´geant avec la minorite´ libe´rale dans la Chambre introuvable. Il combattra les lois d’exception. Voir le Moniteur no 15, 15 janvier 1817, p. 58b.
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Quelle diffe´rence entre la situation, toute pe´nible et douloureuse qu’elle est, de l’homme enleve´ a` ses affaires et a` ses affections, pour eˆtre place´ loin de son domicile, sous la surveillance de la police, et celle de l’infortune´ violemment arrache´ a` sa famille, pour eˆtre plonge´ dans un cachot, comme un prisonnier d’e´tat !... Je me trompe fort, ou ce ne sera pas avec de tels moyens, avec une telle justice qu’on calmera les haıˆnes, qu’on e´teindra les divisions, qu’on e´touffera les partis dans notre nouvelle France, pas plus qu’on y fondera le re`gne de la charte, en nous privant des garanties qu’elle nous avait donne´es a. Trois articles de la charte consacrent les droits des Franc¸ais. L’art. 4 assure la liberte´ individuelle, l’art. 8 la liberte´ de la presse ; l’art. 42 garantit que nul ne pourra eˆtre distrait de ses juges naturels. Voila les droits octroye´s par la charte. C’est la totalite´ de ces droits qui serait aujourd’hui suspendue par les propositions ministe´rielles ; car des tribunaux d’exception existent, et on vous demande la suspension de la liberte´ individuelle et de la liberte´ de la presse. Serait-il politique a` nous de voter une loi qui semblerait dire que nous sommes convaincus que le gouvernement ne peut point gouverner avec sa force militaire ; sa gendarmerie, ses pre´fets et toutes ses administrations ? Serait-il politique de dire : Nous avons besoin de pouvoir arreˆter a` volonte´ ; nous avons besoin de compri mer la pense´e, alors meˆme que nous avons de´ja` des tribunaux particuliers b ? Quant a` la responsabilite´, ... comment le ministre pourrait-il eˆtre responsable d’un pouvoir dictatorial, tel que celui dont la loi l’a investi ? La responsabilite´ morale est invoque´e. Mais du moment qu’on en parle, elle exclut la responsabilite´ le´gale... Le pre´venu sera ne´cessairement juge´ par l’autorite´ qui l’accuse, ... et la dictature s’e´tendant sur les journaux, les plus justes re´clamations trouveront peine a` se faire entendre c. S’il faut attendre que tous les partis soient entie`rement ane´antis, combien de temps faudra-t-il encore vivre sous l’empire des lois d’exception ? Si le pre´sident du conseil signe de confiance, c’est un cachet mis a` coˆte´ d’un autre. S’il signe sur un rapport, c’est sur celui du ministre de la police ge´ne´rale. Loin de trouver une garantie dans cette seconde signature, il est e´vident que le pre´venu ne trouve qu’un adversaire de plus ; car, pour peu qu’on ait e´tudie´ le cœur humain, on sait que l’homme aime a` de´fendre son ouvrage. Quant a` la garantie que peuvent offrir les procureurs-ge´ne´raux, a b c
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Discours de M. de Ville`le. Moniteur du 14 janvier1. Discours de M. de Castel-Bajac. Moniteur du 15 janvier2. Discours de M. Josse de Beauvoir. Moniteur du 16 janvier3. BC se trompe. Le discours de Ville`le se trouve dans le Moniteur no 15, du 15 janvier 1817 ; les citations : pp. 59a–59b. Sur Ville`le, voir ci-dessus, p. 387, n. 2. Voir p. 60a. Sur Castel-Bajac, voir ci-dessous, p. 457, n. 2. Voir p. 65a. Sur Josse de Beauvoir, voir ci-dessous, p. 465, n. 1.
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sans doute il est des magistrats inte`gres et courageux ; mais les procureursge´ne´raux sont amovibles. Que pourront-ils envoyer au gouvernement ? Le dire des plaignans et tous les e´le´mens d’une proce´dure... Et cependant voila` un malheureux de´tenu, sans interrogatoire possible, sans confrontation, sur lequel on prononce au conseil, sans le voir, sans l’entendre, et cela, non pas pour une seule anne´e peut-eˆtre, mais pour autant d’anne´es que les ministres re´ussiront a` prouver qu’il est utile de violer la charte a. Les moyens arbitraires manquent toujours leur but : ils ont conduit toˆt ou tard a` leur perte les gouvernemens qui en ont fait usage. L’autorite´ souveraine n’est jamais e´branle´e que par les instrumens violens qu’elle croyait destine´s a` l’affermir... Depuis nombre d’anne´es, j’entends dire, ainsi que M. le rapporteur nous le re´pe´tait dernie`rement, que nous ne faisons que de naıˆtre a` la liberte´, et a` peine de trop complaisans le´gislateurs sont-ils venus au secours de cette pre´tendue faiblesse des gouvernemens naissans, que tout a` coup les armes extraordinaires dont on avait juge´ a` propos de les fortifier, sont devenues entre leurs mains de puissans et indestructibles instrumens de notre esclavage. Avant de nous citer l’exemple de l’Angleterre se de´cidant a` suspendre son Habeas corpus, a-t-on songe´ a` examiner si nous en avions un nous-meˆmes ?... Tout dans nos coutumes, et meˆme dans notre le´gislation, favorise l’exercice a` peu pre`s illimite´ du droit d’arrestation. Mais, dit-on, ce n’est pas seulement de la faculte´ d’arreˆter qu’il s’agit, c’est principalement de celle de de´tenir. Arreˆter et de´tenir sont en effet deux ope´rations successives que la loi ordinaire place dans la compe´tence de la police, quant a` la premie`re, et des tribunaux, quant a` la seconde. La loi propose´e e´tendant ce droit de de´tenir a` deux ministres re´unis, les assimile a` des tribunaux, et a` des tribunaux tre`s-extraordinaires ; car celui qu’ils jugent n’a pas e´te´ admis a` se de´fendre en personne... Je ne suis plus embarrasse´ pour juger cette nouvelle institution. M. le rapporteur l’a juge´e d’avance. Les tribunaux extraordinaires, nous a-t-il dit, prennent mal en France. Oui, ils prennent fort mal ; et elles prendront de plus en plus mal en France, toutes les institutions qui feront de´pendre le sort des hommes, du caprice, de l’erreur ou des passions d’un ou de plusieurs hommes, en privant en meˆme temps l’opprime´ de la protection des formes judiciaires. Qu’on n’espe`re pas, quoiqu’on puisse faire, effacer ce sentiment de sa dignite´ et de ses droits qui a pe´ne´tre´ dans le cœur de tout Franc¸ais. Travaillez plutoˆt a` le fortifier. Respectez-le sur-tout, et loin d’en arreˆter l’essor, livrez-vous sans crainte a` ses effets b». a b
Discours de M. de la Bourdonnaye. Moniteur du 16 janvier1. Discours de M. d’Argenson. Moniteur du 17 janvier2.
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Voir pp. 66a–66b. Sur Bourdonnaye, comte de la Bre`che, voir ci-dessous, p. 447, n. 2. Voir pp. 69c–70a. Sur Voyer-d’Argenson, voir ci-dessus, p. 381, n. 2.
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J’ai rendu compte de cette discussion d’une manie`re tre`s-e´tendue, parce qu’elle me paraıˆt fort importante et qu’elle donne lieu a` des re´flexions dont une du moins est satisfaisante. C’est la premie`re fois, reconnaissons-le avec joie, c’est la premie`re fois qu’une loi de circonstance a e´te´ discute´e avec ce calme, cette inde´pendance, que les deux partis ont e´te´ entendus, que toutes les ve´rite´s ont e´te´ dites. Il n’est pas question d’examiner si un motif secret a pu dicter quelques-unes de ces ve´rite´s ; il est heu reux, il est honorable qu’elles aient pu eˆtre profe´re´es ; qu’elles l’aient e´te´ sans interruption ; que les grands mots de salut public, de surete´ ge´ne´rale, n’aient couvert aucune voix, n’aient repousse´ aucune objection. Disons aussi que si parmi des hommes, pour lesquels on ne m’accusera point de partialite´, quelques-uns se sont jete´s dans des divagations maladroites et qui ont nui a` leur cause, plusieurs ont dit des choses justes, nobles, dont tous les partis doivent leur savoir gre´. Ceux qui ne sont pas reste´s dans ces bornes, et qui se sont obstine´s a` peindre la France comme agite´e par une conspiration universelle, ont fourni aux de´fenseurs du projet de nouveaux pre´textes d’en affirmer la ne´cessite´ ; ils ont paru regretter l’arbitraire plus que le haı¨r ; ils en ont parle´, pour ainsi dire, comme d’une maıˆtresse infidelle, qui accorderait a` d’autres des faveurs dont ils se croyaient seuls dignes. En nous avertissant qu’ils voteraient encore pour la loi du 29 octobre, si ....., ils ont redouble´ notre satisfaction de ce qu’un si pre´servateur les forc¸ait a` voter contre la loi actuelle ; mais ils ont engage´ plus d’un ami de la liberte´ a` ne pas voter avec eux. Qu’il me soit permis toutefois de remarquer que les argumens personnels ne sont pas toujours sans re´plique ; que dire a` des hommes qui de´fendent une opinion, qu’ils ont manifeste´ long-temps l’opinion contraire ; ce n’est pas prouver qu’ils aient tort dans les deux cas ; que si l’on croyait devoir accorder tout ce qu’ils refusent, parce qu’on aurait voulu jadis refuser ce qu’ils accordaient, on serait conduit plus loin qu’on ne pense : il a e´te´ utile de rappeler leurs erreurs ; mais il ne faudrait pas que la peine de l’erreur retombaˆt sur la ve´rite´. Sous un autre rapport encore, cette discussion a eu un caracte`re particulier tre`s-curieux a` e´tudier, et qui re´sultait de la position double dans laquelle les deux partis se trouvaient. Les de´fenseurs de la loi, e´tant aussi ceux du ministe`re, voulaient prouver que l’e´tat de la France s’e´tait fort ame´liore´ sous ce ministe`re : verite´ avantageuse aux ministres ; mais en meˆme-temps ils voulaient de´montrer qu’une loi d’exception e´tait encore ne´cessaire, et alors tout ce qu’ils avaient dit sur l’ame´lioration de l’e´tat de la France devenait des armes contr’eux. Les adversaires de la loi n’e´taient pas moins embarrasse´s dans le sens oppose´. Il leur importait, d’un coˆte´, d’e´tablir que le salut public e´tait compromis par le syste`me ministe´riel, et que ce sys te`me e´tait fertile en pe´rils de tout genre ; mais, d’un autre coˆte´, ils avaient a` cœur
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de faire rejeter la proposition d’une loi d’exception, et de`s-lors ce qu’ils disaient sur les dangers de la France servait de re´ponse a` leurs re´clamations en faveur de la liberte´ individuelle. Je laisse a` la sagacite´ du lecteur a` suivre cette indication et a` de´couvrir quelle influence cette position double a duˆ exercer sur les argumens des deux partis. Quant au projet de loi en lui-meˆme, j’essayerais en vain de de´guiser mon opinion sur ce point. Le peu de pages que j’ai e´crites, a` diffe´rentes e´poques, de´posent de cette opinion ; si je ne les avais pas e´crites, je les e´crirais encore, et les ayant e´crites, je ne puis les de´savouer. Je n’ai jamais vu dans l’histoire, qu’aucune suspension des lois ordinaires, aucune loi d’exception, aucune autorite´ ultra-le´gale ait e´te´ ve´ritablement utile a` aucun pays, a` aucun gouvernement : j’ai vu beaucoup de gouvernemens auxquels ces mesures ont e´te´ funestes. Plusieurs des raisonnemens alle´gue´s en faveur de la loi, m’ont paru tre`sfaibles. Si, comme il est probable, on met a` d’autres liberte´s encore d’autres restrictions, le rapporteur aura eu tort d’affirmer que la suspension des garanties judiciaires laissait intactes le reste des garanties. Si la religion e´branle´e autorise les extensions de l’autorite´, je crains qu’aucun gouvernement ne trouve jamais aucun peuple suffisamment religieux. Pour conside´rer avec un des orateurs1 la ne´cessite´ de demander a` une assemble´e le pouvoir arbitraire, comme une limite a` ce pouvoir, j’aurais voulu qu’on puˆt m’alle´guer un seul exemple de ce pouvoir demande´ a` une assemble´e et refuse´ par elle. S’il en est un, je ne puis le citer. Attendre que les bienfaits de notre constitution soient bien appre´cie´s pour nous accorder ce qu’elle nous donne est un cercle vicieux, car on ne sentira ces bienfaits qu’en en jouissant. Quant a` la ne´cessite´ du secret, je me permettrai seulement de re´imprimer ce que j’e´crivais il y a deux ans «Je crois que l’arbitraire est le ve´ritable ennemi de la surete´ publique ; que les te´ne`bres, dont l’arbitraire s’enveloppe, ne font qu’aggraver ses dangers ; qu’il n’y a de surete´ publique que dans la justice, de justice que par les lois, de lois que par les formes. Je crois que la liberte´ d’un seul citoyen inte´resse assez le corps social, pour que la cause de toute rigueur doive eˆtre connue par des juges naturels a.» a
De la responsabilite´ des ministres, pag. 312.
30 il y a deux ans ] ailleurs CPC 1 2
36 pag. 31. ] page 83 de ce vol. CPC
Allusion au discours de Royer-Collard sur la ne´cessite´ d’accorder un pouvoir arbitraire a` l’exe´cutif ; voir le Moniteur no 16, 16 janvier 1817, pp. 65a–66a. OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 457–458.
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J’ajouterai que dans le cas pre´sent, le secret aura des suites que l’on n’a pas assez calcule´es. Le public, n’e´tant jamais instruit des causes de l’arrestation, pourra soupc¸onner indiffe´remment de tous les crimes politiques l’individu arreˆte´. Le soupc¸on le suivra, meˆme apre`s que la liberte´ lui aura e´te´ rendue, et l’innocent, victime d’une erreur passage`re, verra la de´faveur de l’opinion l’entourer, a` moins (ce qui serait faˆcheux dans un autre sens) que l’opinion ne traitaˆt pas les de´lits politiques avec de´faveur. Ma conviction intime est que le ministe`re, en demandant cette loi, n’a point e´te´ dirige´ par l’amour du pouvoir ; il a cru la loi ne´cessaire : mais je pense qu’il n’a pas rendu assez de justice aux bons effets du syste`me qu’il a adopte´ depuis quelques mois. En perse´ve´rant dans ce syste`me, il assurera mieux la paix de la France et l’affermissement de la monarchie constitutionnelle, que par toutes les lois d’exception du monde. Ces lois font supposer l’existence du danger, et la supposition du danger le cre´e. Ces lois de circonstances ont par-la` l’inconve´nient de prolonger les circonstances ; et sous un autre rapport elles les aggravent. Les injustices involontaires, ine´vitables, quand l’arbitraire s’est introduit dans la loi, ne´cessitent des injustices moins involontaires ; c’est une pente glissante et rapide, sur laquelle l’autorite´ la mieux intentionne´e ne peut s’arreˆter. Je dis l’autorite´ la mieux intentionne´e, et je n’he´site pas a` ajouter que j’entends par la` notre gouvernement actuel. J’ai commence´ par reconnaıˆtre que la loi propose´e e´tait une ame´lioration importante, quand on la compare a` la loi du 29 octobre ; si le projet passe, je vivrai sous ce re´gime avec aussi peu d’inquie´tude que s’il n’existait pas : mais ma se´curite´ viendra de ma confiance dans les hommes, et un e´tat de choses est loin d’eˆtre sans de´faut, quand on est oblige´ de se re´jouir de trouver les hommes meilleurs que la loi. B.
DE
CONSTANT.
8–12 Ma conviction ... assurera mieux ] En suivant la route de la mode´ration et de la justice, le ministe`re assurerait mieux CPC 19–26 Je dis ... que la loi. ] supprime´ dans CPC
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De toutes les questions politiques qui ont e´te´ agite´es en France depuis vingt-cinq ans, aucune n’a donne´ lieu a` des discussions plus fre´quentes et plus anime´es que la liberte´ de la presse, et sur-tout celle des journaux. Toutes nos constitutions ont consacre´ cette liberte´, et toujours, imme´diatement apre`s l’e´tablissement de chaque constitution, une loi de circonstance, subversive de l’article constitutionnel, est intervenue. Il n’y a pas un parti, je pourrais presque dire, il n’y a pas un individu, qui n’ait professe´ a` ce sujet le pour et le contre, les re´publicains comme les royalistes, les amis de la re´volution comme les partisans de l’ancien re´gime. Tous nos gouvernemens ont eu peur de l’exercice de cette faculte´, sans laquelle aucune liberte´, aucune garantie, aucune justice, n’est assure´e dans un pays. Tous nos gouvernemens ont cru remporter une grande victoire, en introduisant un syste`me de restriction ou de servitude ; toutefois, si l’on jugeait d’apre`s l’e´ve´nement, il serait difficile de de´couvrir ce qu’ils y ont gagne´. La convention a se´vi contre les e´crivains ; et la convention a vu sa puissance de´cheoir, et l’opinion, bien que menace´e et souvent proscrite, a triomphe´ d’elle. Le directoire a de´porte´ en un jour cent vingt journalistes, et le directoire est tombe´. Bonaparte a fait taire, non seulement la France, mais l’Europe entie`re, et Bonaparte est a` Sainte-He´le`ne. Que serait-il arrive´ de plus faˆcheux a` toutes ces autorite´s, si la presse et si les journaux eussent e´te´ libres ? Il y a deux ans que je comparais la terreur qu’inspire aux gouvernemens la liberte´ de la presse, a` celle que leur inspirerait la parole, si, pour la premie`re fois, on en faisait usage1. E´tablissement du texte : Mercure de France, Projet de loi sur la liberte´ de la Presse, t. I, 1er fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 203–215. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 235–248. [=CPC] 1–2 Des Chambres ... article) ] V. CPC CPC 1
25–p. 432.17 Il y a ... l’arbitraire. ] supprime´ dans
BC reprend ici presque litte´ralement un long passage (ici : p. 425, ligne 1 – p. 426, ligne 17) de sa brochure De la liberte´ des brochures, des pamphlets et des journaux, conside´re´e sous le rapport de l’inte´reˆt du Gouvernement, publie´e le 13 juin 1814. Voir OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 108–109. Le meˆme passage apparaıˆt pour la premie`re fois dans les Re´flexions sur les constitutions, la distribution des pouvoirs et les garanties, dans une monarchie constitutionnelle, publie´es au mois de mai 1814. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII, pp. 1052–1054. Il est
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Supposons, disais-je, une socie´te´ ante´rieure a` l’invention du langage, et supple´ant a` ce moyen de communication rapide et facile, par des moyens moins faciles et plus lents ; la de´couverte du langage produirait dans cette socie´te´ une explosion subite. J’entends d’ici des hommes sages, des ministres prudens, de graves magistrats, de vieux administrateurs, remarquer, et il serait impossible de les contredire, que la parole est l’instrument indispensable de tous les complots, l’avant-coureur ne´cessaire de presque tous les crimes, le moyen de communication de toutes les intentions perverses ; qu’en parlant tout haut, l’on ameute le peuple ; qu’en parlant tout bas, on conspire sourdement. Que d’inge´nieux projets nous verrions e´clore, pour ramener la paix du bon temps ou` re´gnait un complet silence ! Les uns de´fendraient peut-eˆtre les phrases coupe´es, parce qu’elles produisent une impression trop instantane´e, et ne permettraient que des discours d’une heure, comme des livres de plus de vingt feuilles : les autres demanderaient que chaque citoyen fut tenu de soumettre, le matin, a` un censeur, tout ce qu’il dirait dans la journe´e. La parole cependant existe ; la parole est libre ; on ne la juge que lorsqu’elle est prononce´e, comme toutes les autres actions des hommes ; et le langage est devenu un moyen borne´ dans ses effets. Une de´fiance salutaire, fruit de l’expe´rience, pre´serve les auditeurs d’un entraıˆnement irre´fle´chi, tout est dans l’ordre, comme si l’on ne parlait pas, avec cette diffe´rence, que les communications so ciales, et par conse´quent le perfectionnement de tous les arts, la rectification de toutes les ide´es, posse`dent un moyen de plus. Il en sera de meˆme de la presse, par-tout ou` l’autorite´ juste et mode´re´e ne se mettra pas en lutte avec elle. Le gouvernement anglais ne fut point e´branle´ par les ce´le`bres lettres de Junius1. En Prusse, sous le re`gne le plus brillant de cette monarchie, la liberte´ de la presse fut illimite´e. Fre´de´ric, durant quarante-six anne´es, ne de´ploya jamais son autorite´ contre aucun e´crivain, contre aucun e´crit, et la tranquillite´ de son re`gne ne fut point trouble´e, bien qu’il fuˆt agite´ par des guerres terribles, et menace´ par l’Europe ligue´e. C’est que la liberte´ re´pand du calme dans l’ame, de la raison dans l’esprit des hommes, qui jouissent sans inquie´tude de ce bien inestimable. Ce ne fut point, quoiqu’on en ait dit, la liberte´ de la presse qui causa le bouleversement de 1789. La cause imme´diate de ce bouleversement fut, comme on le sait, le de´sordre des finances2 ; et si depuis cent cinquante ans
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partiellement re´employe´ enfin dans les Principes de politique de 1815. Voir OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 814–815. La source premie`re de tous ces passages est le chap. 3 du Livre VII des Principes de politique de 1806. Pseudonyme utilise´ par l’auteur des Lettres politiques dirige´es contre le ministe`re de Lord North et publie´es a` Londres de 1769 a` 1772 dans le Public Advertiser. Signalons encore que le Moniteur no 275, 1er octobre 1816, pp. 1108b–1108c, contient un article signe´ de Bonnecarre`re qui attribue ces lettres a` Hugh Boyd. On a cru aussi qu’elles seraient de J. H. de Lolme, de Burke ou du duc de Portland. Allusion a` Necker et son roˆle dans la politique les dernie`res anne´es avant la Re´volution. BC
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la liberte´ de la presse eut existe´ en France, l’opinion aurait mis un terme a` des guerres ruineuses, et une limite a` des vices dispendieux. Ce ne fut point la liberte´ de la presse qui enflamma l’indignation populaire contre les de´tentions ille´gales et les lettres de cachet ; au contraire, si la liberte´ de la presse eut existe´ sous le dernier re`gne, on aurait su combien ce re`gne e´tait doux et mode´re´ ; l’imagination n’aurait pas e´te´ frappe´e par des suppositions effrayantes, dont la vraisemblance n’e´tait fortifie´e que par le myste`re qui les entourait. Les gouvernemens ne savent pas le mal qu’ils se font en se re´servant le privile´ge exclusif de parler et d’e´crire sur leurs propres actes. On ne croit rien de ce qu’affirme une autorite´ qui ne permet pas qu’on lui re´ponde ; on croit tout ce qui s’affirme contre une autorite´ qui ne tole`re point l’examen. Ce ne fut point la liberte´ de la presse qui entraıˆna les de´sordres d’une re´volution malheureuse. La longue privation de la liberte´ de la presse avait rendu le vulgaire des Franc¸ais ignorant et cre´dule, et par la` meˆme inquiet, quelquefois fe´roce. Dans tout ce qu’on nomme les crimes de la liberte´, je ne reconnais que l’e´ducation de l’arbitraire. Notre gouvernement actuel a rendu a` la ve´rite´ de ces principes un imposant te´moignage, dans une occasion solennelle. Une ordonnance royale du 20 juillet 1815, douze jours apre`s le retour du roi, a de´clare´ qu’ayant reconnu que la restriction apporte´e a` la liberte´ de la presse, par la loi du 21 octobre 1814, avait plus d’inconve´niens que d’avantages, S.M. s’e´tait re´solue a` la lever entie`rement1. Des circonstances difficiles, une grande exaspe´ration dans les esprits, n’ont gue`re laisse´ aux e´crivains, depuis cette e´poque jusqu’au 5 septembre dernier2, la faculte´ de recueillir tout le be´ne´fice de cette de´claration. Mais le 7 de´cembre, M. le ministre de la police3, se´parant les journaux des autres e´crits, et les soumettant a` un re´gime particulier que j’examinerai tout a` l’heure, a pre´sente´ un projet de loi «tendant, a-t-il dit, a` garantir et a` con18–19 a` la ve´rite´ ... dans ] a` la liberte´ de la presse, dans CPC
1 2 3
n’a jamais mis en doute la justesse des vues de Necker en cette matie`re. Nous savons que le fait historique (de´sordre des finances) est incontestable, tandis que la fiabilite´ des budgets de Necker n’est pas hors de doute. Voir les tableaux publie´s par M. Marion, Histoire financie`re de la France depuis 1715, t. I, Paris : Rousseau, 1914, pp. 465–470 et John Francis Bosher, French finances, 1770–1795, from business to bureaucracy, Cambridge : University Press, 1970, pp. 44–45. BdL, 1815, 7e se´rie, t. I, no 5, p. 35. BC cite litte´ralement les mots de l’ordonnance sans les mettre entre guillemets. L’ordonnance du 5 septembre 1816 statuait la dissolution de la Chambre introuvable. Le duc Decazes pre´sente dans la se´ance du 7 de´cembre 1816 dans un discours qui a longuement retenu l’attention de BC deux projets de loi, le premier relatif aux journaux, le second aux autres publications. Voir le Moniteur no 343 du 8 de´cembre 1816, pp. 1373a– 1374c.
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solider cette pre´cieuse liberte´ de la presse, que la charte conserve, qui doit e´clairer de son flambeau le gouvernement comme la nation, et dont les abus meˆmes ne pourront de´sormais eˆtre re´prime´s que par les tribunaux, gardiens de tous les droits, aussi bien que protecteurs de l’ordre public, du repos des familles, et de l’honneur des citoyens.» Comme ce projet de loi est une modification des lois ante´rieures, il est ne´cessaire, pour le bien comprendre, de se rappeler les diverses le´gislations auxquelles nous avons e´te´ successivement soumis, dans ce qui a rapport a` la liberte´ de la presse. Sous Bonaparte, la seule loi re´pressive de cette liberte´ e´tait le code pe´nal. Ce code ne de´clarait de´lits de la presse, quant au gouvernement, que les e´crits excitant directement les citoyens a` des crimes tendant a` troubler l’e´tat par la guerre civile, l’ille´gal emploi de la force arme´e, la de´vastation et le pillage public, les attentats et complots dirige´s contre l’empereur et sa famille. (Code pe´nal, art. 102.) Quant a` la calomnie contre les particuliers par la voie de la presse, ce code de´finissait ce de´lit : L’imputation a` un individu quelconque de faits qui, s’ils avaient existe´, auraient expose´ celui contre lequel ils e´taient articule´s a` des poursuites criminelles ou correctionnelles, ou meˆme seulement au me´pris ou a` la haıˆne des citoyens ; et de´clarait fausse et calomnieuse toute imputation a` l’appui de laquelle la preuve le´gale ne serait point rapporte´e. (Art. 367.) Bonaparte pouvait se passer de lois plus se´ve`res contre les de´lits de la presse, parce que le despotisme, tant qu’il dure, se passe des lois. Cependant il organisa de plus une censure extra-le´gale, bien qu’il euˆt de´clare´ pre´ce´demment qu’il ne pouvait pas y avoir de censure en France ; que tous les citoyens e´taient libres de publier leurs opinions, et que la pense´e e´tait la premie`re conqueˆte du sie`cle. a a
Ordre du jour date´ du camp impe´rial, de janvier 18061.
3 meˆmes ] meˆme M meˆmes CPC 1
Allusion a` un article publie´ dans le Moniteur du 22 janvier 1806, p. 90b, indiquant que l’empereur s’est e´tonne´ d’apprendre qu’un livre e´tait annonce´ par le Journal des De´bats comme ayant e´te´ publie´ par de´cision du ministre de la Police : «Il n’existe point de censure en France. [...] Nous retomberions dans une e´trange situation si un simple commis s’arrogeait le droit d’empeˆcher l’impression d’un livre, ou de forcer un auteur a` en retrancher ou a` y ajouter quelque chose. La liberte´ de la pense´e est la premie`re conqueˆte du sie`cle ; l’EMPEREUR veut qu’elle soit respecte´e.» Quoique l’article ne soit pas signe´, chacun sait qu’il est fait, comme on dit a` l’e´poque, «de main de maıˆtre», c’est-a`-dire dicte´ par l’empereur lui-meˆme. De fait, cet article fait suite a` une lettre de Napole´on adresse´e quelques jours plus toˆt au ministre de la Police (Correspondance publie´e sur ordre de l’Empereur Napole´on III, 32 vol., Paris : Imprimerie nationale, 1858–1870, t. XI, no 9670). On notera que l’article de Napole´on va moins loin que Constant ne le laisse entendre puisqu’il ne vise que les livres et non les journaux.
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Apre`s la chute de Bonaparte, en 1814, la censure se trouva ne´cessairement abolie par l’article 8 de la charte1. Une loi du 21 octobre de la meˆme anne´e la re´tablit pour les ouvrages au-dessous de vingt feuilles, et par conse´quent pour les journaux2. Je ne parlerai pas de cette loi sous le rapport de la censure, car elle se trouve doublement abroge´e, et par l’ordonnance royale du 20 juillet 1815, que j’ai rapporte´e plus haut, et parce qu’elle est expire´e de droit. Mais cette loi contenait, inde´pendamment de ses dispositions transitoires, une partie permanente qui paraissait ne concerner que la police de l’imprimerie. Dans cette partie, qui formait le titre II de la loi, l’article 15 portait qu’il y avait lieu a` la saisie d’un ouvrage s’il e´tait de´fe´re´ aux tribunaux pour son contenu. Ce paragraphe ane´antissait de fait toute liberte´ de la presse, puisque la saisie e´tait toujours possible, et qu’aucun moyen n’e´tait indique´ pour la faire cesser, ni aucun terme assigne´ a` sa dure´e. Telle e´tait la le´gislation que modifie le nouveau projet de loi. «Quelques bons esprits ont cru, a dit le ministre qui l’a pre´sente´, qu’il manquait a` l’exercice raisonnable et le´gal de la liberte´ de la presse une garantie ne´cessaire, et que les dispositions de l’article 15 du titre II de la loi du 21 octobre 1814 pouvaient meˆme la compromettre, ou du moins diminuer la se´curite´ dont elle a besoin. Cet article, en autorisant la saisie de tout ouvrage publie´ en contravention aux re`gles de police de l’imprimerie et de la librairie, permet aussi celle des ouvrages qui seraient de´fe´re´s aux tribunaux ; et comme aucune disposition le´gale ne de´termine dans quel de´lai les tribunaux devront prononcer sur cette saisie, on a vu dans un pareil e´tat de choses des lenteurs ine´vitables, a` la faveur desquelles une saisie provisoire pourrait se prolonger inde´pendamment de la de´cision le´gale qui devait intervenir. En conse´quence le ministre propose, 1o que lorsqu’un e´crit aura e´te´ saisi, le proce`s-verbal soit notifie´ dans les vingt-quatre heures, sous peine de nullite´, a` la partie saisie, qui pourra, dans les trois jours, former opposition ; 2o qu’en cas d’opposition, le procureur du roi fasse statuer sur la saisie dans la huitaine ; 3o que le de´lai de huitaine expire´, la saisie, si elle n’est maintenue par le tribunal, demeure nulle de plein droit, et que l’ouvrage saisi soit remis au proprie´taire»3. 1
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BdL, 1814, 5e se´rie, t. I, no 17, p. 200. L’art. 8 de la Charte dit ceci : «Les Franc¸ais ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent re´primer les abus de cette liberte´.» BC re´sume ici les de´bats enflamme´s qui ont eu lieu en 1814. On consultera le t. IX des OCBC, Œuvres. Ce passage se compose de deux e´le´ments. BC donne d’abord deux phrases du discours de Decazes cite´ ci-dessus, p. 432, n. 3 (p. 1374b), et termine avec le texte de la proposition de loi (p. 1374c).
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Il est e´vident que ce projet de loi est une ame´lioration ; mais cette ame´lioration est loin d’eˆtre comple`te ; et comme aucune discussion approfondie n’a eu lieu, je me fais un devoir d’indiquer ce qui manque a` la loi propose´e pour qu’elle soit efficace. Je vois en premier lieu que ce projet, si j’en juge du moins par le discours du ministre, au lieu de renvoyer au code pe´nal les de´lits de la presse, les soumet a` une loi beaucoup plus se´ve`re, et, ce qui est plus faˆcheux, beaucoup plus vague, celle du 9 novembre 1815, sur les cris se´ditieux1. Personne ne peut avoir oublie´ dans quelles conjonctures cette loi fut rendue. Pre´sente´e par le ministe`re dans un moment de crise, aggrave´e par les chambres alors assemble´es, elle fut le premier symptoˆme du syste`me de se´ve´rite´ et meˆme de violence que voulait faire pre´valoir un parti que des souvenirs et des calamite´s re´centes avaient rendu puissant. Le ministe`re eut le me´rite de n’accorder a` ce parti qu’un demi-triomphe ; mais la loi du 9 novembre ne s’en ressentit pas moins de l’influence des circonstances2. Pour nous en convaincre, il suffit de la comparer au code pe´nal3. Ce code borne sa jurisdiction aux e´crits qui exciteraient directement les citoyens a` des crimes, des se´ditions, des pillages, des attentats ou des complots. La loi du 9 novembre de´clare passibles de poursuites criminelles, art. 1er, les auteurs d’e´crits imprime´s, ou livre´s a` l’impression (ainsi manuscrits encore, et pouvant rester tels si de plus muˆres re´flexions de´cident l’auteur a` ne pas les publier), toutes les fois que ces e´crits auront provoque´ directement ou indirectement au renversement du gouvernement. Art. 5. Toutes les fois que par ces e´crits l’on aura tente´ d’affaiblir le respect duˆ a` la personne ou a` l’autorite´ du roi ou a` la personne des membres de sa famille, ou excite´ a` de´sobe´ir a` la charte constitutionelle et au roi ; soit, art. 9, que ces e´crits ne contiennent que des provocations indirectes aux de´lits ci-dessus, soit qu’ils donnent a` croire que ces de´lits seront commis, soit qu’ils re´pandent faussement qu’ils ont e´te´ commis. Maintenant je le demande, si le tribunal appele´ a` statuer sur la saisie d’un ouvrage se dirige d’apre`s cette loi, quelle latitude ne lui est pas laisse´e, ou plutoˆt dans quel embarras ne se trouve-t-il pas jete´ ? Il n’a plus a` prononcer d’apre`s la lettre de la loi ; car aucune loi ne peut de´finir une tendance indirecte. C’est une question de sentiment inte´rieur, de pre´somption, de probabilite´ morale ; elle n’est plus du ressort des juges, mais des jure´s. Or, ce qui est excellent quand il s’agit de jure´s, est tre`s-mauvais quand il s’agit 1 2 3
BdL, 1815, 7e se´rie, t. I, no 39, p. 415. BC pense surtout a` l’art. 9 de cette loi. Renvoi au premier ministe`re Richelieu qui dut affronter la Terreur blanche. Les re´flexions qui suivent seront reprises par BC dans son texte contre Marchangy. Voir OCBC, Œuvres, t. XI.
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de juges. Dans le premier cas c’est la conscience, dans le second l’arbitraire qui prononce. Je reviendrai tout a` l’heure sur cette matie`re, parce que l’introduction du jury peut seule simplifier les difficulte´s et garantir re´ellement la liberte´ de la presse. En second lieu, le tribunal devient de fait une commission de censure. Je me souviens que je proposais, il y a deux ans, si l’on voulait absolument une censure pour les e´crits, de trouver un moyen de donner aux censeurs une sorte d’inde´pendance. «J’ai toujours e´te´ frappe´, disais-je, de ce que personne n’a re´fle´chi encore au danger de laisser les censeurs, si on veut des censeurs, sous la main de l’autorite´, tandis que tout le monde sent l’importance de rendre les juges inde´pendans. Pour prononcer sur un droit de gouttie`re, un mur mitoyen, ou la proprie´te´ d’un demi-arpent, l’on cre´e des juges inamovibles, et l’on consent a` confier le droit de juger les opinions qui, en de´finitif, de´cident des progre`s de l’espe`ce humaine et de la stabilite´ des institutions ; l’on consent, dis-je, a` confier ce droit a` des hommes nomme´s par des ministres et re´vocables a` volonte´. L’inamovibilite´ des censeurs ne reme´dierait pas, a` beaucoup pre`s, au mal de la censure ; mais elle donnerait du moins aux hommes charge´s de l’exercer un plus haut degre´ de conside´ration ; ils mettraient plus de mesure et plus de sagesse dans leurs actes ; au lieu de compter au jour le jour avec la puissance, ils compteraient avec l’opinion d’une manie`re plus large et plus libe´rale ; la crainte de perdre leur place ne les poursuivrait pas a` chaque ligne sur laquelle ils seraient appele´s a` prononcer ; et en multipliant leur nombre, en laissant a` chaque auteur la faculte´ de choisir dans ce nombre, il y aurait quelques chances de plus en faveur des ide´es utiles, et quelques chances de moins pour le caprice, l’arbitraire, la pusillanimite´1.» Mais autre chose serait de cre´er un tribunal de censure compose´ d’hommes de lettres, autre chose de transformer en censeurs des juges ordinaires. La premie`re institution serait encore tre`s-mauvaise, car toute censure est un mal : mais la seconde combinerait avec tous les inconve´niens de la premie`re ce vice particulier, que les juges conside´reraient leurs fonctions de censeurs comme une attribution secondaire et accidentelle, dont ils ne s’occuperaient qu’a` regret, avec cette sorte de de´dain que les hommes investis du moindre pouvoir aiment toujours a` montrer pour la pense´e.
8 d’inde´pendance. ] dans CPC BC ajoute une note Voy. Essai sur la liberte´ des pamphlets, des brochures et des journaux, tome I, p. 430 de cette e´dition. «J’ai toujours ... pusillanimite´.« ] supprime´ dans CPC ; voir la variante pre´ce´dente
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De la liberte´ des brochures, OCBC, Œuvres, t. IX, p. 74.
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3o Dans1 les causes relatives a` la saisie des ouvrages, les juges auront, comme dans toutes les autres, en vertu de l’article 87 du Code de proce´dure civile, et de l’article 64 de la charte, la faculte´ d’instruire cette espe`ce de proce´dure a` huis clos, s’ils le jugent convenable pour le bon ordre ou les bonnes mœurs. Le principe admis, rien de plus plausible : ce qu’on redoute d’un ouvrage dangereux, c’est sa publicite´. Or, donner de la publicite´ a` la discussion, a` l’examen, a` la de´fense d’un ouvrage re´pute´ dangereux, serait aller contre le but de la loi. Il en re´sultera que les auteurs seront prive´s aussi de cette garantie ; tout se passera entr’eux et quelques hommes qui, je le re´pe`te, n’attacheront nulle importance a` des fonctions accessoires, qui n’auront rien de commun avec leurs fonctions habi tuelles. Ils verront toujours leur responsabilite´ plus a` couvert en maintenant une saisie, qu’en ordonnant qu’elle soit leve´e, ce qui serait jeter du blaˆme sur le magistrat dont ils annulleraient ainsi les ope´rations. La devise des Persans, sous Zoroastre, e´tait : Dans le doute abstiens toi2. J’ai peur que lorsqu’il sera question des e´crits, les tribunaux ne trouvent cette devise fort a` leur usage, et que le moindre doute ne les porte a` s’abstenir de de´cider favorablement pour la liberte´. A ces de´fauts positifs dans la loi, se joint un vice d’omission, qui, si l’on n’y porte reme`de, rendra son be´ne´fice illusoire. Lors meˆme que ce tribunal ordonnera la main-leve´e3, il n’est point dit qu’elle aura lieu dans le cas d’un appel a` la cour royale, par le procureur du roi. Or, le de´lai re´sultant de cet appel peut eˆtre inde´fini. Il est donc indispensable que la circulation du livre saisi soit provisoirement autorise´e, attendu que le jugement du tribunal de premie`re instance est une pre´vention en sa faveur. Enfin, il existe dans les re´glemens de la librairie, une disposition qui doit eˆtre re´voque´e, pour que la presse soit re´ellement libre. Aucun ouvrage ne peut eˆtre annonce´ dans aucun journal, s’il ne l’a e´te´ pre´alablement dans celui de la librairie ; journal privile´gie´, purement me´canique, et de´pendant de l’autorite´. Or, un ouvrage que les journaux ne font point connaıˆtre, reste presque toujours inconnu. Ce monopole abusif et inconstitutionnel doit eˆtre aboli, ou il ane´antirait de fait la liberte´ de la presse en France. 33 ou ] la source porte ou` M 1
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BC n’avait pas jusqu’ici employe´ de chiffres pour e´nume´rer les arguments qu’il avait introduits par la tournure «en premier (second) lieu». Il continue la se´rie commence´e cidessus, p. 429. BC reprend cette maxime dans sa brochure Questions sur la le´gislation actuelle de la presse ; voir ci-dessous, p. 720. Main-leve´e : «Acte qui met fin aux effets d’une saisie, d’une opposition, d’une hypothe`que» (Petit Robert).
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Je suis entre´ dans quelques de´tails sur les de´fauts du projet de loi, parce que la discussion dans la chambre des de´pute´s n’en a fait ressortir aucun. Tel est l’inconve´nient de l’esprit de parti ; il ne de´fend les principes que lorsqu’il peut en meˆme-temps attaquer les personnes : il veut plutoˆt des combats brillans que des succe`s utiles. Amende´ convenablement, le projet de loi, comme je l’ai dit, est une ame´lioration de la le´gislation existante. Mais je dois ajouter que nous n’aurons jamais une bonne le´gislation, relativement a` la presse, si nous ne donnons aux e´crits et aux auteurs l’institution des jure´s pour garantie. Dans toutes les questions qui ont une partie morale et qui sont d’une nature complique´e, le jugement par jure´s est indispensable. Les de´lits de la presse diffe`rent des autres de´lits, en ce qu’ils se composent beaucoup moins du fait positif, que de l’intention et du re´sultat. Or, il n’y a qu’un jury qui puisse prononcer sur l’une d’apre`s sa conviction morale, et de´terminer l’autre par l’examen et le rapprochement de toutes les circonstances. Des jure´s seuls pourront de´cider si tel livre, dans une circonstance donne´e, est ou n’est pas un de´lit. La loi e´crite ne peut se glisser a` travers toutes les nuances pour les atteindre toutes ; la raison commune, le bon sens naturel a` tous les hommes appre´cient ces nuances. Or, les jure´s sont les repre´sentans de la raison commune. Tout tribunal, prononc¸ant d’apre`s des lois pre´cises, est ne´cessairement dans l’alternative, ou de permettre l’arbitraire, ou de sanctionner l’impunite´. L’on remarquera peut-eˆtre qu’en traitant aujourd’hui de la liberte´ de la presse, je m’exprime avec moins de chaleur, et j’entre dans des de´veloppemens moins e´tendus qu’a` des e´poques ante´rieures : c’est que je ne sais pas plaider des causes gagne´es, et qu’on ne se roidit contre l’obstacle que lorsqu’il existe. Quand les plus pre´cieuses faculte´s de l’homme e´taient opprime´es, quand la pense´e proscrite ne trouvait, dans l’Europe entie`re, presque aucun asile ou` elle puˆt s’exprimer en liberte´, je peignais avec autant de force que je le pouvais, les effets de´sastreux de la servitude de la presse : je montrais cette servitude condamnant les peuples a` une de´gradation ine´vitable : je rappelais que la pense´e e´tait le principe de tout ; qu’elle s’appliquait aux sciences, aux arts, a` la morale, a` la politique, a` l’industrie : que si l’arbitraire voulait la restreindre, la morale en serait moins saine, les connaissances de fait moins exactes, les sciences moins actives dans leurs de´veloppemens, l’industrie moins enrichie par des de´couvertes : que l’existence humaine, attaque´e dans ses parties les plus nobles, sentirait le poison s’e´tendre jusqu’aux parties les plus e´loigne´es1. 10 Dans toutes ... l’impunite´. ] supprime´ dans CPC 1
BC renvoie ici a` De l’esprit de conqueˆte, chap. 778.
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En 1814 meˆme, bien que la France fut dans un e´tat fort diffe´rent, je reproduisais les meˆmes ide´es, parce que la liberte´ de la presse, qu’un ministre faible voulait limiter, e´tait attaque´e par des e´crivains ce´le`bres1. Mais aujourd’hui tout le monde est d’accord ; et les e´crivains que je viens de citer, sont, au moment meˆme ou` j’e´cris, occupe´s peut-eˆtre a` se re´futer2. Tant d’unanimite´ doit produire le calme, mais je n’en pense pas moins, aujourd’hui comme autrefois, que la liberte´ de la presse est la base essentielle, la sauve-garde unique de toute liberte´ ; que, sans elle, toutes les barrie`res civiles, politiques, judiciaires, deviennent illusoires : qu’on peut violer impune´ment l’inde´pendance des tribunaux, parce que ce de´lit reste couvert d’un voile : qu’on peut supprimer les formes, parce que la seule garantie des formes, c’est la publicite´ : qu’on peut plonger l’innocence dans les cachots, parce que nulle re´clamation n’avertissant les citoyens, ou le prince, du danger qui menace toutes les se´curite´s, les cachots retiennent leurs victimes a` la faveur du silence universel. La calomnie et la se´dition sont des crimes qui doivent eˆtre punis par des lois, et ne peuvent eˆtre punis que par elles. Imposer silence aux citoyens de peur qu’ils ne commettent ces crimes, c’est les empeˆcher de sortir de peur qu’ils ne troublent la tranquillite´ des rues et des grandes routes ; c’est les empeˆcher de parler de peur qu’ils ne s’injurient ; c’est violer un droit constant et incontestable, pour pre´venir un mal incertain et pre´sume´. Dans les grandes associations de nos temps modernes, les citoyens ne sont en surete´, quelles que soient les formes du gouvernement, que par la 5 re´futer. ] dans CPC BC ajoute une note Quand je m’exprimais ainsi, je ne pre´voyais pas l’usage que feraient de la loi nouvelle MM. de Vatisme´nil, Hua, Marchangy. En 1817, je croyais la cause gagne´e. En 1818, si ce qui est intole´rable pouvait durer, si ce qui est absurde pouvait devenir une jurisprudence, si ce qui est contraire a` la charte pouvait subsister a` coˆte´ et comme en moquerie de la charte, je dirais que la cause est perdue, car jamais principes plus subversifs de toute liberte´ de la presse n’ont e´te´ professe´s plus ouvertement qu’aujourd’hui. Nous sommes, sous ce rapport, dans l’e´tat le plus e´trange : il y a licence, et il n’y a pas liberte´. Les ministres et les magistrats s’arrogent deux droits qu’ils n’ont point, celui de ne pas poursuivre les ouvrages coupables, et celui de poursuivre les ouvrages qui ne le sont pas. Les auteurs e´crivent comme s’il n’y avait point de lois ; les de´pute´s parlent comme s’il en avait de bonnes ; les tribunaux jugent d’apre`s des lois de´clare´es mauvaises par le gouvernement meˆme. Il est impossible d’imaginer une combinaison qui offre moins de garantie, qui preˆte plus a` l’arbitraire, et qui soit plus propre, d’une part, a` e´garer, et de l’autre a` re´volter l’opinion. 6 – p. 440.15 Tant d’unanimite´ ... de´battue. ] supprime´ dans CPC 1 2
De la liberte´ des brochures, OCBC, Œuvres, t. IX/1, pp. 57–115. BC pense sans doute a` Bonald. C’est probablement toujours Bonald qui est vise´. Nous n’avons pas identifie´ le texte dont il s’agit, mais la phrase ne peut gue`re eˆtre une allusion vague pour les lecteurs de BC. La note
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liberte´ de la presse. Collatin pouvait exposer, sur la place publique de Rome, le corps de Lucre`ce, et tout le peuple e´tait instruit de l’outrage qu’il avait rec¸u1 ; le de´biteur ple´be´ien pouvait montrer a` ses fre`res d’armes indigne´s les blessures que lui avait inflige´es le patricien avide, son cre´ancier usuraire ; mais de nos jours, l’immensite´ des empires met obstacle a` ce mode de re´clamation, et sans la liberte´ de la presse les injustices partielles restent toujours inconnues a` la presque totalite´ des habitans de nos vastes contre´es2. Ceci me conduit a` la question de la liberte´ des journaux, sur laquelle un troisie`me projet de loi a e´te´ soumis aux chambres. Les bornes de cet article m’empeˆchent de la traiter aujourd’hui. Si je ne voulais qu’exprimer mon opinion, je me contenterais de renvoyer le lecteur aux e´crits que j’ai pre´ce´demment publie´s sur cette matie`re ; mais dans le nume´ro prochain je rendrai compte de la discussion et des nouveaux argumens qui pourront eˆtre alle´gue´s dans cette cause souvent de´battue. B.
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DE
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ajoute´e par BC a` la nouvelle e´dition de ce texte dans CPC (voir ci-dessus la variante a` la ligne 5) renvoie au Petit cours de Jurisprudence litte´raire, ou Re´pertoire de police correctionnelle, a` l’usage des Gens de Lettres, selon MM. Vatisme´nil, Hua, de Marchangy, etc., Paris : Lhuilier, 1818. Les re´dacteurs de cet ouvrage, Jouslin de la Salle et Letellier remercient BC de leur avoir fourni tout un dossier sur les abus des magistrats en matie`re de re´pression de la presse. – Les avocats nomme´s dans la note ajoute´e dans CPC, AntoineFranc¸ois-Henri Lefebvre de Vatismenil (1789–1860), Eustache-Antoine Hua (1759–1836) et Louis-Antoine-Franc¸ois de Marchangy (1782–1826) plaidaient dans plusieurs proce`s politiques qui le mettaient en e´vidence. Constant arrange ici, a` sa manie`re, la le´gende sur la mort de Lucre`ce, e´pouse vertueuse de Lucius Tarquinius Collatinus (Tarquin Collatin), viole´e par Sextus Tarquinius, le fils de Tarquinius superbus (Tarquin le Superbe). Ce n’est pas le peuple qui compte, la le´gende pre´ce`de la chute des rois de Rome, qu’elle provoque en quelque sorte, si l’on peut suivre le texte de Tite-Live (I,57.6–59.6). Le paragraphe commenc¸ant par «Dans les grandes associations [...]» et se terminant par «[...] de nos vastes contre´es.» est repris de l’opuscule de 1814 De la liberte´ des brochures (OCBC, Œuvres, t. IX/1, pp. 109–110.) Dans son Histoire de Rome (Livre VI, chap. 14), Tite- Live de´peint l’indignation sucite´e par le spectacle d’un ancien centurion montrant les blessures rec¸ues au combat et contraint par le pillage de sa ferme et les menaces du percepteur de s’endetter jusqu’a` devenir l’esclave de ses cre´anciers.
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Re´ponse a` la lettre de M. ***, a` M. B. de Constant, inse´re´e dans le dernier nume´ro.
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L’opinion que vous me reprochez, Monsieur, et que m’ont reproche´e quelques hommes dont je m’honore de partager a` d’autres e´gards tous les sentimens, ne m’a point e´te´ sugge´re´e par mon respect pour une loi faite1. Un principe ne change pas de nature, parce qu’il est re´dige´ en forme de loi ; et quand je trouve une loi mauvaise, je me contente de ne pas de´sobe´ir. La doctrine qui vous a de´plu tient a` un syste`me ge´ne´ral, qu’il m’e´tait impossible de de´velopper dans l’article que vous citez ; je ne pourrai meˆme dans cette lettre l’exposer que tre`s-incomple`tement. Je vais l’essayer toutefois, et vous verrez, je pense, que ni la liberte´, ni la tole´rance, ni les lumie`res, n’ont a` en redouter les conse´quences. Je ne ferai du reste qu’extraire des fragmens de ce que j’ai de´ja` publie´ a` deux autres e´poques, ce qui est du moins une preuve qu’aucune circonstance pre´sente n’a influe´ sur mon opinion. Je suis, relativement a` la religion, de l’avis d’un membre de l’assemble´e constituante, qu’on n’accusera pas de principes exage´re´s dans l’un ou l’autre sens. Bien qu’ami de la liberte´, et peut-eˆtre parce qu’il n’e´tait ami que de la liberte´, il fut constamment repousse´ par les deux partis extreˆmes dans cette assemble´e, et il est mort victime de sa mode´ration ; c’est M. de Clermont-Tonnerre. «La religion et l’e´tat, disait-il, sont deux choses parfaitement distinctes, parfaitement se´pare´es, dont la re´union ne peut que de´naturer l’une et l’autre. L’homme a des relations avec son cre´ateur ; il se fait ou il rec¸oit telles ou E´tablissement du texte : Mercure de France, t. I, 1er fe´vrier 1817, Re´ponse a` la lettre de M. ***, a` M. B. de Constant, pp. 172 et 215–221. 1
L’article re´pond a` la lettre d’un lecteur inse´re´e le 25 janvier dans le Mercure (p. 172). En voici le texte : «A M. B. de Constant. / MONSIEUR, / Je ne puis m’empeˆcher de vous te´moigner mon e´tonnement sur une partie de votre article sur les chambres, dans le nume´ro du 11. En parlant de la loi relative aux dotations eccle´siastiques, loi sur laquelle je ne me permets point de re´flexions, parce que je me soumets a` toute loi faite, vous paraissez e´tablir en principe que le clerge´ doit eˆtre proprie´taire de biens inde´pendans de l’autorite´ civile, qu’il doit former un corps, et, pour ainsi dire, un e´tat dans l’e´tat ; et pendant que vous de´fendez sur d’autres points les opinions les plus libe´rales, vous vous e´loignez, je dois vous le dire, de tous les amis de la liberte´, par cette doctrine ultramontaine. Vous me ferez plaisir, si vous pouvez m’expliquer cette contradiction apparente. / Je suis, etc. Un Abonne´. / Nous re´pondrons dans notre prochain Nume´ro.»
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telles ide´es sur ces relations : on appelle ce syste`me d’ide´es, religion. La religion de chacun est donc l’opinion que chacun a de ses relations avec Dieu. L’opinion de chacun e´tant libre, il peut prendre ou ne pas prendre telle religion : l’opinion de la minorite´ ne peut jamais eˆtre assuje´tie a` celle de la majorite´ : aucune opinion ne peut donc eˆtre commande´e par le pacte social. La religion est de tous les temps, de tous les lieux, de tous les gouvernemens : son sanctuaire est dans la conscience de l’homme, et la conscience est la seule faculte´ que l’homme ne puisse jamais sacrifier a` une convention sociale. Le corps social ne peut commander aucun culte ; il n’en doit repousser aucun1.» En partant de ce principe, je pense que ce n’est pas a` l’e´tat, comme pouvoir politique, a` salarier les cultes, mais qu’il doit seulement, comme repre´sentant de l’association ge´ne´rale, sanctionner et garantir les salaires que les citoyens assignent aux ministres des religions qu’ils professent, a` ceux de toutes ces religions, aux protestans comme aux catholiques, aux juifs comme aux protestans. Mais en meˆme-temps je suis convaincu qu’il n’est pas bon que ce soient les individus isole´ment qui salarient les ministres de leur culte ; j’en ai dit la raison. «Il n’est pas bon de mettre dans l’homme la religion aux prises avec l’inte´reˆt pe´cuniaire. Obliger le citoyen a` payer directement celui qui est en quelque sorte son interpre`te aupre`s du Dieu qu’il adore, c’est lui offrir la chance d’un profit imme´diat, s’il renonce a` sa croyance ; c’est lui rendre one´reux des sentimens que les distractions du monde pour les uns, et ses travaux pour les autres, ne combattent de´ja` que trop. a» Maintenant, voulant que les cultes soient salarie´s autrement que par les individus au jour le jour, et en forme d’aumones, et ne voulant pas que le pouvoir politique les salarie en son nom, je ne vois d’autre moyen, pour que les communions diverses subviennent a` l’existence de leurs preˆtres, que d’accorder aux citoyens la faculte´ de faire des donations aux e´tablissemens religieux de la croyance qu’ils professent. Cette faculte´ me paraıˆt de´river directement du droit de tester, de`s qu’il est admis. Si l’on me permet de disposer de mes biens en tout ou en partie, en faveur d’un e´tranger, ou en faveur d’un hospice, d’une bibliothe`que, d’un e´tablissement public, quel qu’il soit, je ne vois pas sous quel pre´texte on me contesterait ce droit, parce qu’il s’agit d’une opinion que je crois utile a` re´pandre, et bonne a` le´guer aux ge´ne´rations futures. a
Mercure du 4 janvier.
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Stanislas-Marie de Clermont-Tonnerre, Opinion sur la proprie´te´ des biens du clerge´, novembre 1789, dans Recueil des opinions de Stanislas de Clermont-Tonnerre, Paris : Migneret, 1791, t. II, pp. 71–72. La citation avait e´te´ employe´e de´ja` dans Principes de politique de 1806, Livre VIII, chap. 10 et dans les Principes de politique de 1815 (OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 834).
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Remarquez que je pars toujours de l’hypothe`se que cette faculte´ doit pouvoir s’exercer par les citoyens de toutes les communions en faveur de leur communion respective ; si vous restreignez l’exercice de cette faculte´ a` une communion privile´gie´e, vous faussez le principe, vous le de´naturez. Ce n’est plus celui que je professe et que je de´fends. Le pays ou` le catholique pourrait le´guer a` son e´glise un arpent de terre, et ou` le protestant ne pourrait pas le´guer a` la sienne un arpent de terre, me´connaıˆtrait les principes de la tole´rance et de la liberte´ religieuse. C’est la` tout ce que j’ai voulu dire, en re´futant les raisonnemens de ceux qui s’opposent a` ce que les preˆtres, en leur qualite´ de preˆtres, posse`dent des biens-fonds, au lieu de recevoir un traitement pe´cuniaire. J’ai de´clare´ d’ailleurs bien positivement que je ne conside´rais point le clerge´ comme un corps politique, et j’ai eu soin d’ajouter qu’il y aurait injustice, si une communion seule pouvait recevoir des donations. Au reste la conside´ration que je viens de vous transmettre n’est pas la seule qui me de´termine ; deux autres me frappent et me semblent importantes. La premie`re, que j’ai de´ja` fait valoir dans l’article qui a e´te´ l’occasion de votre lettre, c’est que des preˆtres salarie´s par le pouvoir politique, mettent ne´cessairement la religion dans la de´pendance de l’autorite´ qui les salarie. La religion n’est plus alors une puissance divine, mais une humble esclave qui se prosterne aux genoux du pouvoir, observe ses gestes, demande ses ordres, et ne parle aux nations que sous le bon plaisir de l’autorite´. En second lieu, et c’est une observation qui me paraıˆt avoir e´chappe´ jusqu’ici a` ceux qui ont traite´ cette matie`re, salarier les preˆtres aux de´pens du tre´sor public, c’est exposer la liberte´ religieuse a` n’eˆtre qu’une concession restreinte et insuffisante. Car il est e´vident qu’aucune secte naissante, aucune modification dans une secte e´tablie, n’obtiendra de l’autorite´ la faveur d’un salaire. Or, les sectes naissantes ont les meˆmes droits que les sectes anciennes. L’intole´rance emprunte mille formes et se re´fugie de poste en poste pour e´chapper au raisonnement ; vaincue sur le principe, elle dispute sur l’application. On a vu des hommes perse´cute´s depuis pre`s de trente sie`cles, dire au gouvernement qui les relevait de leur longue proscription, que s’il e´tait ne´cessaire qu’il y eut dans un e´tat plusieurs religions positives, il ne l’e´tait pas moins d’empeˆcher que les sectes tole´re´es ne produisissent, en se subdivisant, de nouvelles sectes. a a
Discours des juifs au gouvernement franc¸ais1.
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BC renvoie a` la Re´ponse d’Abraham Furtado, Pre´sident de l’Assemble´e des Juifs, au discours des commissaires de S.M.I. et R. le 18 septembre 1806, parue dans le Moniteur du 22 septembre 1806, pp. 1171–1172, plus tard sous forme de brochure. Voir OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 819, n. 3.
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Mais chaque secte tole´re´e n’est-elle pas elle-meˆme une subdivision d’une secte ancienne ? A quel titre contesterait-elle aux ge´ne´rations qui la remplacent les droits qu’elle a re´clame´s contre les ge´ne´rations qu’elle a remplace´es ? Je sais qu’on s’e´pouvante de la multiplicite´ des sectes ; mais quant a` moi je regarde cette multiplicite´ comme ce qu’il y a de plus favorable au bon ordre et de plus salutaire pour la religion meˆme. Cette multiplicite´ seule peut faire que la religion ne cesse pas d’eˆtre un sentiment, pour devenir une simple forme, une habitude presque me´canique, qui se combine avec tous les vices, et quelquefois avec tous les crimes. Pour empeˆcher la subdivision des sectes, il faut empeˆcher que l’homme ne re´fle´chisse sur sa religion : il faut donc empeˆcher qu’il ne s’en occupe ; il faut la re´duire a` des symboles que l’on re´pe`te, et a` des pratiques que l’on observe. Tout devient exte´rieur ; tout doit se faire sans examen ; tout se fait bientoˆt par la` meˆme sans inte´reˆt et sans attention. La multiplication des sectes a pour la morale un grand avantage. Toutes les sectes naissantes tendent a` se distinguer de celles dont elles se se´parent, par une morale plus scrupuleuse ; et souvent aussi la secte qui voit s’ope´rer dans son sein une scission nouvelle, anime´e d’une e´mulation recommandable, ne veut pas rester dans ce genre en arrie`re des novateurs. Ainsi, l’apparition du protestantisme re´forma les mœurs du clerge´ catholique. Chaque congre´gation nouvelle cherche a` prouver la bonte´ de sa doctrine par la purete´ de ses mœurs ; chaque congre´gation de´laisse´e veut se de´fendre avec les meˆmes armes. De la` re´sulte une heureuse lutte, ou` l’on place le succe`s dans une moralite´ plus auste`re ; les mœurs s’ame´liorent sans efforts par une impulsion naturelle et une honorable rivalite´. C’est ce que l’on peut remarquer en Ame´rique, et meˆme en Ecosse, ou` la tole´rance est loin d’eˆtre parfaite ; mais ou` cependant le presbyte´rianisme s’est subdivise´ en de nombreuses ramifications. En s’opposant a` la multiplication des sectes, les gouvernemens me´connaissent leurs propres inte´reˆts ; quand les sectes sont tre`s-nombreuses dans un pays, elles se contiennent mutuellement, et dispensent le souverain de transiger avec aucune d’elles ; quand il n’y a qu’une secte dominante, le pouvoir est oblige´ de recourir a` mille moyens pour n’avoir rien a` en craindre ; quand il n’y en a que deux ou trois, chacune e´tant assez formidable pour menacer les autres, il faut une surveillance, une re´pression non interrompue. Singulier expe´dient ! vous voulez, dites-vous, maintenir la paix, et pour cet effet vous empeˆchez les opinions de se subdiviser de 5 quant ] la source porte quand M
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manie`re a` partager les hommes en petites re´unions faibles et impuissantes ; et vous constituez trois ou quatre grands corps ennemis que vous mettez en pre´sence, et qui, graˆces aux soins que vous prenez de les conserver nombreux et puissans, sont preˆts a` s’attaquer au premier signal1. Je pense donc qu’il doit eˆtre permis a` toutes les sectes d’assurer par des donations l’existence de leurs ministres ; chacune alors pourra leur fournir des moyens de remplir les fonctions dont elle les charge ; il y aura e´galite´, et par consequent justice, et l’e´tat garantira ces proprie´te´s comme celles des communes, comme celles de tous les e´tablissemens forme´s par une association de citoyens re´unis pour un but. Tel est, Monsieur, le point de vue sous lequel je conside`re cette question, et je crois que ce point de vue est le seul qui assigne a` la tole´rance son rang ve´ritable parmi les principes de la liberte´. Toute tole´rance limite´e renferme une singulie`re erreur. Quand dans un empire vous auriez tole´re´ vingt religions, vous n’auriez rien fait encore pour les sectateurs de la vingt et unie`me. Je ne sais si je me suis explique´ assez clairement. J’aime la religion parce que je la conside`re comme une de nos faculte´s les plus pre´cieuses et les plus nobles ; je n’estime pas simplement en elle, comme on le fait d’ordinaire, l’appui qu’elle preˆte aux lois pe´nales : je la place plus haut ; je ne la regarde pas comme le supple´ment de la potence et de la roue. Il y a une morale commune fonde´e sur le calcul, sur l’inte´reˆt, sur la surete´, et qui peut, a` la rigueur, se passer de religion : elle peut s’en passer dans le riche, parce qu’il re´fle´chit ; dans le pauvre, parce que la loi l’epouvante, et que d’ailleurs ses occupations e´tant trace´es d’avance, l’habitude d’un travail constant produit sur sa vie l’effet de la re´flexion. Mais malheur au peuple qui n’a que cette morale commune ! C’est pour cre´er une morale plus e´leve´e que la religion me semble de´sirable ; je l’invoque, non pour re´primer les crimes grossiers, mais pour ennoblir toutes les vertus[.] Je de´sire en conse´quence que le sentiment religieux conserve toute sa force ; mais pour qu’il la conserve, je de´sire qu’il soit inde´pendant de toute autorite´ politique : aussitoˆt qu’il en est de´pendant, il se de´grade. Or, pour que la religion soit inde´pendante, je veux que les ministres de chaque culte le soient ; mais je veux que, jouissant pour eux de cette inde´pendance le´gitime, ils ne puissent empie´ter sur les droits d’aucun autre culte. Et, je le re´pe`te, si le tre´sor public les salarie, la puissance publique ne 14 singulie`re ] la source porte sigulie`re M 1
Le passage depuis «Je sais qu’on s’e´pouvante» jusqu’a` «au premier signal» (pp. 444, ligne 5 – 445, ligne 4) est repris des Principes de politique de 1806, Livre VIII, chap. 3.
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salariera que les cultes qu’elle voudra favoriser, et l’homme sera toˆt ou tard asservi dans cette partie la plus de´licate et la plus noble de sa nature. J’ai donc vu dans le principe de la loi qui fait l’objet de notre discussion actuelle, le germe d’un syste`me de liberte´ religieuse, inaperc¸u peut-eˆtre par manie`re a` partager les hommes en petites re´unions faibles et impuissantes ; et vous constituez trois ou quatre grands corps ennemis que vous mettez en la plupart de ceux qui se sont occupe´s de cette loi. J’ai soigneusement distingue´ entre les anciennes proprie´te´s, proprie´te´s maintenant acquises a` la nation, et les donations individuelles qui pourront e´cheoir aux ministres des autels. Ces donations, consacre´es en faveur d’un culte, ne pourront eˆtre prohibe´es quand il s’agira d’un autre culte : et la ve´ritable tole´rance en sera d’autant plus solidement et ge´ne´ralement e´tablie. Je suis, etc. B. DE CONSTANT.
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En finissant mon article sur la liberte´ de la presse, j’ai suffisamment indique´ mon opinion sur la liberte´ des journaux ; je vais rechercher si la discussion dont j’ai a` rendre compte a re´pandu sur ce sujet de nouvelles lumie`res. La question n’a e´te´ ve´ritablement approfondie que par cinq orateurs, MM. de Castel-Bajac1, de la Bourdonnaye2, de Ville`le3, de Brigode4, et Savoye-Rollin5. Les trois premiers, vers la fin de leurs discours, se sont abandonne´s a` des re´flexions de circonstance, qui ont beaucoup diminue´ la force de leurs raisonnemens. Les de´fenseurs du projet ont, par la nature de la cause qu’ils plaidaient, duˆ reproduire des conside´rations souvent alle´gue´es, et des tableaux souvent trace´s. Je rassemblerai tous leurs argumens, et je les ferai suivre ou des re´ponses parties de la tribune, ou de celles, qui, ne´glige´es alors, peuvent convenablement trouver ici leur place. «On a peint d’abord la puissance des journaux, depuis trente ans : livre´s jadis aux factions, et terribles a` l’ordre public, sans lui eˆtre secourables, asservis ensuite sous le despotisme, ils ont ne´anmoins conserve´ toujours, malgre´ leurs e´carts et leur asservissement, une influence, re´sultat de l’haE´tablissement du texte : Mercure de France, Projet de loi sur les journaux, t. I, 8 fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 262–272. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 249–262. [=CPC] 1–2 Des Chambres ... article.) ] VI. CPC 1 2
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Sur Castel-Bajac, voir ci-dessous, p. 457, n. 2. Franc¸ois-Re´gis Bourdonnay, comte de La Bre`che, (1767–1839), de´pute´ de Maine-et-Loire, conside´re´ comme le chef de la droite ultra-royaliste. Il e´tait toujours preˆt a` contrecarrer les vues du ministe`re, ce qui explique son opposition au projet de loi sur les journaux. La Minerve l’appellera plus tard l’«Ajax du coˆte´ droit». Jean-Baptiste, comte de Ville`le, (1773–1854), salue avec enthousiasme le retour des Bourbons en 1814, et de´fend par ses publications et a` la Chambre comme de´pute´ de la HauteGaronne, la cause des ultra-royalistes. Romain-Joseph, baron de Brigode, (1775–1854), de´pute´ du Nord depuis la Deuxie`me Restauration, sie´gera a` gauche. BC citera a` la fin de cet article son discours (voir ci-dessous, p. 456). Jacques-Fortunat, baron Savoye-Rollin, (1754–1823), ancien Tribun, de´pute´ de l’Ise`re pendant la Seconde Restauration, de tendance constitutionnelle. Le discours fune`bre du ge´ne´ral Foy retrace sa carrie`re politique.
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bitude a». L’effet de la parole, qu’on a pre´tendu assimiler a` la faculte´ d’e´crire, n’est rien si on le compare a` l’impression soudaine et uniforme que rec¸oit une population immense, partout disse´mine´e, avide d’informations, qui ne lit qu’une fois, mais qui lit tous les jours les feuilles impatiemment attendues, et qui souvent se grouppe dans les lieux publics pour en recueillir toutes les insinuations. «Ce ne sont pas quelques e´le`ves que les journalistes re´unissent autour d’eux ; ils envoient leurs lec¸ons a` des milliers de disciples ; leur auditoire est la France entie`re b». La parole elle-meˆme ne jouit pas d’une liberte´ inde´finie. La police s’est fre´quemment cru le droit de l’interdire, ou tout au moins de la surveiller. Les repre´sentations the´aˆtrales sont assuje´ties a` des examens pre´alables, a` des pre´cautions ne´cessaires c. Ces pre´cautions sont plus que jamais indispensables contre les journaux. La situation exte´rieure de la France nous en fait une loi d : Nous sommes nous-meˆmes trop irritables encore e. Les journaux renouvelleraient toutes les inquie´tudes en rappelant tous les souvenirs. Les partis ne sont pas assez e´teints parmi nous, nos institutions pas assez affermies, nos mœurs politiques pas assez forme´es. Il faut que les pre´tentions s’usent, en e´tant re´duites a` ne pouvoir se montrer, et qu’oublie´es de tous, elles consentent a` s’oublier elle-meˆmes. Des essaims de folliculaires attendent le signal pour attaquer la Charte, multiplier les accusations, de´nigrer le gouvernement, de´conside´rer le ministe`re. Ils ont eux-meˆmes besoin d’une surveillance qui leur e´pargne des exce`s qu’il faudrait punir f. Par la voie des journaux se re´pandraient les plus dangereuses erreurs, les calomnies les plus audacieuses, les fausses nouvelles adopte´es par la cre´dulite´ ou la de´fiance. Avec de tels moyens, les ennemis du troˆne et du bonheur de la France parviendraient aise´ment a` troubler la confiance a b c d e f
Discours de M. le Ministre de la police. Monit. du 8 de´c1. Discours de M. Becquey. Monit. du 28 janv2. Disc. de M. Jacquinot-Pampelune. Monit. du 273. Disc. du ministre, 8. de´c4. Rapport de M. Ravez, 19 janv5. Discours de M. Figarol, 26 janv6.
28 28 ] 26 CPC 1
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BC re´sume un long passage du discours de Decazes en gardant, dans la mesure du possible, les expressions du ministre. Voir le Moniteur no 343, 8 de´cembre 1816, pp. 1372a–1374c ; le passage re´sume´ ici se trouve p. 1373b. Moniteur no 28, 28 janvier 1817, p. 106c. BC ne cite pas litte´ralement. Moniteur no 27, 27 janvier 1817, p. 102b. Discours de Decazes, Moniteur no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1374a. BC re´sume les phrases du ministre. Moniteur no 19, 19 janvier 1817, p. 79c. Moniteur no 26, 26 janvier 1817, p. 100b.
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des peuples, et a` affaiblir les motifs d’une salutaire obe´issance a. Les partisans de la liberte´ de la presse disaient aussi, en 1814, que tout e´tait calme, qu’on pouvait sans imprudence laisser l’entier exercice de tous les droits accorde´s par la Charte, et le 20 mars est arrive´ b. Donnez la liberte´ aux journaux, ou plutoˆt donnez les journaux aux partis ; rouvrez-leur cette are`ne qui leur est encore ferme´e : ne les voyez-vous pas s’y pre´cipiter, s’y charger avec toutes les armes que les malheurs, les fautes et les crimes de trente anne´es leur ont amasse´es ? Ne les voyez-vous pas accourir entre la nation et son gouvernement, e´branler celui-ci a` coups redouble´s pour usurper sa puissance, s’adresser a` celle-la` pour s’en emparer, et la tourner a` la fois contre son gouvernement et contre leurs adversaires ? La` ou` il y a des partis, les journaux cessent d’eˆtre les organes d’opinions individuelles et isole´es. Or il y a plus que des partis parmi nous. Il y a de ve´ritables socie´te´s ennemies de nature et de principes, comme elles sont oppose´es de desseins, et entre lesquelles il n’y a point de traite´ possible. Mais une nation nouvelle s’avance. Elle recueille ceux qui n’ont e´te´ ni mazarins, ni frondeurs1 ; innocente de la re´volution, dont elle est ne´e, mais qui n’est point son ouvrage, supe´rieure aux partis, en force, en dignite´, en bon sens, elle leur recommande le silence et l’inaction. En elle re´side la ve´ritable France, c’est elle qui a rec¸u la Charte, c’est elle qui la posse`de, c’est pour elle que se font les lois ; c’est dans son inte´reˆt seulement qu’il est permis de disposer d’un avenir qui n’est plus qu’a` elle. Laissons le gouvernement et la ve´ritable opinion publique croıˆtre et s’e´lever a` l’abri des orages, et pousser des racines plus profondes que celles des partis, et laissons ceux-ci de´pe´rir dans l’ombre et se consumer dans le silence jusqu’a` ce qu’ils meurent ; car il faut qu’ils meurent pour que nous n’ayons plus a` les craindre c. Cette discussion meˆme nous prouve combien serait redoutable la liberte´ re´clame´e pour les journalistes, puisque des hommes graves, associe´s aux fonctions de la le´gislature, franchissent, sous le pre´texte de la liberte´ des opinions, les bornes des convenances. Craignons la contagion de l’exemple, et haˆtons-nous d’empeˆcher, s’il est possible, qu’il n’ait de hardis imitateurs d. Les journaux forment une classe d’e´crits tout a` fait a` part. Le journaliste exerce une sorte de magistrature populaire : or toute magistrature vient du roi. Le journaliste se met en e´vidence dans une espe`ce de tribune publique : a b c d
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Discours de Disc. de M. Disc. de M. Disc. de M.
M. Becquey, 28 janv2. Figarol, janv3. Royer-Collard. Monit. du 28 janv4. Ravez. Monit. du 31 janv5.
Allusion aux mazarinades, pamphlets et chansons satiriques du temps de la Fronde, dirige´s contre le cardinal Mazarin. Paraphrase d’un passage du Moniteur no 28, 28 janvier 1817, p. 107a. Moniteur no 26, 26 janvier 1817, p. 100b. Moniteur no 29, 29 janvier 1817, pp. 109c–110a. BC se trompe de date. Moniteur no 31, 31 janvier 1817, p. 120b.
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or aucune tribune spontane´e ne peut eˆtre soufferte. Il ouvre une e´cole d’opinions : or l’instruction nationale reconnaıˆt le souverain pour mode´rateur supreˆme a. Les journaux ne rentrent point dans l’article 8 de la Charte ; cet article garantit a` tous les Franc¸ais le droit de publier leurs opinions : mais c’est sur les opinions d’autrui que le journaliste fonde son entreprise. L’auteur qui publie son livre ou sa brochure doit jouir de la liberte´ la plus absolue ; l’entrepreneur n’est pas fonde´ a` la re´clamer b. Il y a plus. Les journaux ne contiennent pas seulement des opinions, mais des faits ; et pour que l’article de la Charte leur fuˆt applicable, il faudrait retrancher des feuilles pre´riodiques toutes les nouvelles, toutes les annonces politiques, soit de l’exte´rieur, soit de l’inte´rieur ; les discussions des assemble´es, les lois, les jugemens, tous les actes d’administration. Tous ces objets sont la chose publique, la chose du gouvernement ; a` lui seul appartient d’examiner ce qu’il veut permettre. Il faudrait retrancher e´galement des journaux les anecdotes relatives aux particuliers ; des publications pareilles ne sont pas un droit qu’on exerce, c’est une concession dont on est redevable a` l’autorite´ c. Mais ce droit lui-meˆme est conditionnel. C’est en se conformant aux lois que tout Franc¸ais posse`de ce droit, et ces lois peuvent non-seulement le punir s’il est coupable, mais pre´venir le de´lit en modifiant la faculte´ d. «Les journaux ne sauraient eˆtre soumis a` la police ordinaire ; les re`gles qu’elle impose ne pe`sent point sur eux. La de´claration qui doit pre´ce´der l’impression d’un livre, le de´poˆt des exemplaires ante´rieurement a` sa mise en vente, la possibilite´ de la saisie en cas de contravention ou de culpabilite´, toutes ces pre´cautions demeurent e´trange`res aux journaux. Leur contenu ne peut eˆtre de´clare´, puisqu’ils se composent d’articles divers ; le de´poˆt ne peut avoir lieu, puisque la feuille part en sortant de la presse ; la saisie serait tardive, puisqu’en peu d’instans le journal circule et pe´ne`tre simultane´ment dans le palais des grands et dans le re´duit du pauvre e. Dans quel moment l’autorite´ de´noncerait-elle avec succe`s un journal aux tribunaux ? La feuille d’aujourd’hui semble excusable ; celle qui la remplace l’est moins ; mais le a b c d c
Rapport de M. Ravez. Monit. du 19 janv1. Disc. de M. Becquey. Monit. du 262. Disc. de M. de la Malle. Monit. du 303. Disc. de M. Courvoisier. Monit. du 294. Disc. de M. Jacquinot-Pampelune. Monit. du 275.
28 du pauvre. ] des pauvres. CPC 1 2 3 4 5
32 26 ] 29 CPC
Moniteur no 19, 19 janvier 1817, p. 79b. Moniteur no 28, 28 janvier 1817, p. 106c. Erreur de date dans la re´fe´rence de BC. Discours du Commissaire du Roi ; Moniteur no 30, 30 janvier 1817, p. 113c. Moniteur no 29, 29 janvier 1817, p. 111a. Moniteur no 27, 27 janvier 1817, p. 102a. BC re´sume l’argument.
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venin se cache avec art a. La justice ne peut condamner, meˆme quand le lecteur devine ; sa marche est trop lente pour suivre l’esprit de parti dans tous ses de´tours b. Il est malaise´ de poser la limite ou` la pense´e devient coupable c. L’apologue, l’alle´gorie, l’ironie, sont des armes perfides, et les tribunaux n’ont point de re`gles pour les interpre´ter ou pour les punir d. «Les journaux appellent donc une police spe´ciale, plus puissante, plus rapide, plus se´ve`re. Il faut les de´sarmer avant que leurs coups ne soient porte´s ; il faut les soumettre a` une censure pre´alable, et il ne faut pas meˆme que cette censure, si elle est exerce´e avec ne´gligence, puisse mettre l’auteur a` l’abri. «Craindrait-on que le Gouvernement n’abusaˆt, comme des autorite´s ante´rieures, de l’influence qu’il aura sur les journaux e. Des ministres ambitieux et corrompus le pourraient sans doute. Mais ou` sont les avant-coureurs de ces sinistres pre´sages f ? Est-il donc si facile aux de´positaires du pouvoir de conque´rir l’opinion ? Les ministres qui ont le mieux servi leur prince et leur pays, n’ont jamais obtenu de leur vivant, la reconnaissance des peuples g. Non, le Gouvernement ne fera pas de tous les pouvoirs ordinaires ou extraordinaires qu’on lui laisse qu’un usage purement de´fensif, avoue´ par la raison. Il garantira contre les publications indiscre`tes notre inde´pendance exte´rieure : il soignera le cre´dit public, qui, de´licat et jaloux, comme la pudeur, s’alarme d’une parole, s’e´vanouit devant un soupc¸on. Il affranchira les journaux eux-meˆmes du joug des factions, qui profiteraient de leur inde´pendance. Il prote´gera enfin ceux qui combattent la loi qu’il propose, hommes impre´voyans, qui de´ja`, pour de le´ge`res atteintes, porte´es par la main toujours discre`te d’un pouvoir mode´rateur, se sentent profonde´ment de´chire´s, et ne songent pas aux coups que porterait l’opinion si elle cessait d’eˆtre contenue h. a b c d e f g h
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Disc. de M. Becquey. Monit. du 28 janv1. Disc. du ministre, 8 de´c2. Rep. de M. Ravez, 31 janv3. Disc. de M. Favart, 30 janv4. Disc. du ministre, 8 de´c5. Rep. de M. Ravez, 19 janv6. Disc. de M. Becquey, 28 janv7. Disc. de M. Camille-Jordan, 30 janv8. Moniteur no 28, 28 janvier 1817, p. 107a. Moniteur no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1373b. BC re´sume les paroles du ministre. Discours du rapporteur, Moniteur no 31, 31 janvier 1817, p. 120b. Moniteur no 30, 30 janvier 1817, p. 115a. Guillaume-Jean, baron Favard de Langlade (1762– 1831), de´pute´ du Puy-de-Doˆme. Moniteur no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1373c. BC ne cite pas litte´ralement. Moniteur no 19, 19 janvier 1817, p. 79c. Moniteur no 28, 28 janvier 1817, p. 107a. Moniteur no 30, 30 janvier 1817, p. 116b.
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«On oublie d’ailleurs, en s’effrayant de la de´pendance des journaux, que la presse sera libre, qu’elle vient d’eˆtre affranchie de toute restriction, de tout arbitraire : que la publicite´ des e´crits n’est soumise qu’aux tribunaux, et que si le Gouvernement voulait bannir la ve´rite´ des feuilles pe´riodiques, elle se re´fugierait dans des e´crits plus solides a. «Enfin la liberte´ a des sauve-gardes plus efficaces, des avocats plus puissans que les e´crivains. L’opinion ne sera pas asservie, tant que la tribune ne sera pas silencieuse. Les abus qui ont eut lieu sous Bonaparte, quand il n’y avait ni discussions publiques, ni ministres responsables, ne peuvent se renouveler avec la publicite´ des discussions et la responsabilite´ des ministres b. L’oppo sition vraiment le´gitime et loyale, celle qui naıˆt de nos institutions meˆmes, et qui est particulie`rement inhe´rente a` une constitution repre´sentative, l’opposition dans les chambres, ne verra pas son expe´rience geˆne´e par une loi sur les journaux c. A de´faut d’e´crits, la tribune des de´pute´s re´ve`lerait les abus a` la nation. Les deux chambres sont sa ve´ritable garantie. En vain s’informerait-on si la presse est libre, la presse serait enchaıˆne´e, le jour ou` il n’y aurait plus de chambres en France d. «Les journaux, dit-on, sont ne´cessaires pour cre´er un esprit public. Avant de creer un esprit public, il faut avoir une chose publique, comple`tement et imperturbablement constitue´e e. Or, qui peut connaıˆtre mieux que le roi, l’esprit des institutions qu’il a fonde´es f. Il n’y aurait donc rien de faˆcheux a` ce que le Gouvernement, maıˆtre des journaux, s’en servıˆt pour diriger l’opinion g. Il lui donnera sa direction ve´ritable, la fortifiera si elle languit, et la rame`nera si elle s’e´gare h. a b c d e f g h
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de M. Ravez, Becquey, Favard, Camille-Jordan et Duvergier de Hauranne1. du ministre, 8 de´c2. de M. Camille-Jordan, Mon. du 30 janv3. de M. Duvergier de Hauranne. Monit. du 27 janv4. de M. de la Malle, 30 janv5. de M. Ravez, 19 janv6. de M. Courvoisier, 29 janv7. de M. Ravez, 17 janv8.
22 Gouvernement ] la source porte Gouverment M 1 2 3 4 5 6 7 8
30 19 ] 16 CPC
BC re´unit dans les premie`res phrases de cet aline´a des affirmations e´mises par tous les de´pute´s mentionne´s dans cette note. Moniteur no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1373c. Moniteur no 30, 30 janvier 1817, p. 116c. Moniteur no 27, 27 janvier 1817, p. 104b. Moniteur no 30, 30 janvier 1817, p. 114a. Moniteur no 19, 19 janvier 1817, p. 80a. BC ne cite qu’une seule phrase de ce long discours (pp. 78c–80a). Moniteur no 29, 29 janvier 1817, p. 111b. BC ne reproduit pas litte´ralement une phrase, mais re´sume l’argument du discours. Voir le Moniteur no 17, 17 janvier 1817, p. 67c–68b.
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«On invoque l’exemple de l’Angleterre ; mais la liberte´ de la presse y a e´te´ suspendue pendant plusieurs anne´es apre`s 1689 a. C’est en 1215 que la grande Charte fut conce´de´e. On connaıˆt de`s-lors les rigueurs des licencers et de la chambre e´toile´e ; le long parlement fit revivre les ordonnances contre la presse. On les renouvela sous Charles II. Elles e´taient en vigueur lors de l’ave´nement de Guillaume III. Le de´lai expirait en 1692 ; on le prorogea jusqu’en 1694. C’est de cette e´poque seulement que la presse anglaise fut libre de toute entrave. Comment supposer que notre Charte ait aveugle´ment prohibe´ ce que celle des Anglais a tole´re´ pendant plusieurs sie`cles b ? Quand on objecte que la suspension de la liberte´ individuelle rend le maintien de la liberte´ de la presse un devoir plus sacre´, l’on ne re´fle´chit pas que la loi sur la liberte´ individuelle re´unit tous les moyens de justification, et les garantit de la manie`re la plus comple`te. Croirait-on donc la liberte´ de quelques journaux plus pre´cieuse que la liberte´ des personnes c ? Pour soumettre celle-ci a` des restricions, on ne s’est point arreˆte´ aux raisonnemens tire´s de l’e´tat de tranquillite´ dont nous jouissons ; l’on a sagement pense´ que plus elle e´tait re´elle, moins il fallait courir la chance de la troubler. La loi sur les journaux est la suite du meˆme syste`me de transitions et de gradations habilement me´nage´es d. «Comment les chambres pourraient-elles refuser ce que le Roi leur demande comme indispensable ? Puisque l’initiative est au Roi seul, la pre´somption est pour la loi, parce que c’est un chef impartial qui la propose e. Ce n’est pas l’autorisation ministe´rielle, c’est l’autorisation royale qui sera ne´cessaire pour la publication des journaux. Si, dans un gouvernement constitutionnel, le Roi n’agit que par des ministres responsables, dont il ne peut eˆtre se´pare´, ceux-ci, a` leur tour, ne peuvent eˆtre se´pare´s de la volonte´ royale, dont ils sont les organes ne´cessaires. Cette se´paration n’est pas sans danger lors meˆme qu’elle n’est qu’une erreur ; mais lorsqu’elle provoque la de´sobe´issance ou qu’elle ame`ne l’insulte, elle devient une offense... Qu’on cherche a` leur source la plus proche ces fictions coupables qui font e´vanouir le Roi de son gouvernement, on les trouvera dans les e´crits et les discours a b c d e
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du ministre, 8 de´c1. de M. de Courvoisier, 29 janv2. de M. de la Malle, du 30 janv3. de M. Camille-Jordan, du 30 janv4. de M. Courvoisier, Monit. du 285.
Moniteur Moniteur Moniteur Moniteur Moniteur
no 343, 8 no 29, 29 no 30, 30 no 30, 30 no 29, 29
de´cembre 1816, p. 1373c. janvier 1817, p. 111a. janvier 1817, p. 114a. janvier 1817, p. 116c. janvier 1817, p. 111b. Erreur de date chez BC.
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qui ont amene´ la re´volution ; qu’on remonte plus haut, on les trouvera dans des manifestes de la re´volte a. «De restrictions en restrictions, a-t-on dit, on finira par ane´antir entie`rement la liberte´ des journaux. L’on ne saurait avoir cette crainte. Si la loi e´prouve aujourd’hui une opposition si forte, on peut juger quelle serait cette opposition si les circonstances e´taient moins critiques. Le temps viendra bientoˆt ou` la nation, rendue a` elle- meˆme, pourra jouir sans danger d’une entie`re liberte´ b.» Tels ont e´te´ les raisonnemens alle´gue´s en faveur du projet de loi. Je n’ai point cherche´ a` les affaiblir. Je mettrai la meˆme franchise dans l’expose´ des raisonnemens contraires. Mais un motif, dont le lecteur appre´ciera la force, m’engage a` renvoyer cet examen jusqu’au nume´ro prochain. L’on a mis en avant, dans cette discussion, des the´ories d’une bien autre importance que la question spe´ciale que l’on avait a` traiter. L’ide´e de´ja` e´nonce´e pre´ce´demment, mais reproduite encore cette fois, que l’initiative du monarque est une pre´somption tellement forte en faveur des propositions ministe´rielles, que la preuve de leur ne´cessite´ n’est pas requise, et qu’on ne peut les repousser qu’en les de´montrant inutiles, chose toujours impossible de la part de ceux qui n’administrent pas, contre ceux qui, administrant seuls, ont seuls la connaissance des faits, tend a` rendre illusoire et superflue toute assemble´e de´libe´rante. L’assertion que les projets de loi pre´sente´s sont l’expression formelle de la volonte´ royale, et que c’est par une fiction coupable qu’on les attribue au ministe`re, ane´antit la responsabilite´ des ministres, et place les de´pute´s dans l’alternative de sanctionner ce qu’ils de´sapprouvent ou de re´sister a` ce qu’ils respectent. La supposition d’une nation nouvelle, compose´e pre´cise´ment de ceux que Solon1 appelait de mauvais citoyens dans un e´tat libre, nation qui, dans sa neutralite´ merveilleuse, restant e´trange`re aux habitudes de ses anceˆtres comme aux espe´rances de ses contemporains, a` la fide´lite´ des uns comme aux triomphes des autres, n’aurait de´fendu ni les traditions, ni les principes, a b
Disc. de M. Royer-Collard. Monit. du 29 janv2. Disc. du ministre, 31 janv3.
9–p. 457.5 Je n’ai point ... les discours ] Je vais exposer, avec la meˆme franchise, les raisonnemens contraires. Mais les discours CPC 1
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Comme l’observe Harpaz, (Recueil d’articles, Le Mercure, p. 1366, n. 1 a` la p. 95) BC fait e´cho ici au discours de C. Jordan du 28 janvier, de´ja` cite´ (p. 451, n. 8), ou` l’orateur raconte, d’apre`s Plutarque, l’anecdote de Solon, auquel les citoyens d’Athe`nes demandaient des modifications au code qu’il avait me´dite´, partant pour l’E´gypte dans l’espoir «que les lois nouvelles s’affermiraient par elles-meˆmes» (Moniteur no 30, 30 janvier 1817, p. 116c). Moniteur no 29, 29 janvier 1817, p. 110a–110b. Discours de Decazes, Moniteur no 31, 31 janvier 1817, p. 118b.
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ni le pays, ni le roi, est une doctrine dont l’auteur1 lui-meˆme n’a suˆrement pas envisage´ toutes les conse´quences. Il faudra toujours savoir gre´ a` cet auteur de son courage lorsqu’il e´tait membre de la salutaire minorite´ de 1815. Mais, apre`s avoir reproche´ a` un e´crivain ce´le`bre le vide qu’il ope´rait dans la France en retranchant vingt-cinq millions d’hommes2, je ne puis en conscience me re´signer a` une re´duction plus grande encore, en vertu de laquelle toute la partie active des Franc¸ais abdiquerait l’existence politique pour en faire hommage a` un petit nombre, heureux he´ritier d’une re´volution qu’il aurait contemple´e sans autre occupation que de lui survivre. L’annonce, qu’il faut que les partis meurent, pour que nous puissions jouir de la ple´nitude des bienfaits de la Charte3, rele`gue un peu loin l’e´poque de cette jouissance ; car je ne connais aucune constitution repre´sentative qui ne cre´e des partis, et je n’ai jamais vu les partis morts que la` ou` la liberte´ e´tait morte. L’interpre´tation donne´e a` l’article 8 de la Charte, interpre´tation suivant laquelle la publication de la pense´e, e´tant soumise aux lois, le serait nonseulement a` celles qui punissent, mais a` celles qui, par pre´caution, pre´viennent le de´lit, est destructive, je ne dis pas uniquement de l’inde´pendance des journaux, mais de toute liberte´ de la presse. L’appel fait a` des e´poques faˆcheuses, pour tourner contre cette liberte´ de la presse les tristes souvenirs du 20 mars, exigerait une investigation aussi difficile qu’elle serait de´sirable. Le principe e´tabli, que la censure ne met point a` couvert le journaliste qui s’y soumet, si l’article approuve´ par le censeur semble condamnable, enle`ve aux e´crivains le be´ne´fice de la contrainte elle-meˆme, et fait de tout le syste`me, contre l’intention de ses auteurs, un labyrinthe seme´ d’embuˆches. La direction de l’opinion, attribue´e au gouvernement nous reporte vers une hypothe`se qu’il ne faut pas adopter le´ge`rement, celle que le gouvernement parvient a` diriger l’opinion, quand il veut agir sur elle d’une manie`re avoue´e, et substituer au raisonnement qui persuade l’autorite´ qui ne 1
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BC, en citant Solon, commente un passage du discours de Royer-Collard, ou` celui-ci se laisse entraıˆner par sa rhe´torique pour faire un tableau de ce qu’il appelle ‘la nation nouvelle’ : «La nation dont je parle, innocente de la re´volution, dont elle est ne´e, mais qui n’est point son ouvrage, ne se condamne point a` l’admettre ou a` la rejeter toute entie`re ; ses re´sultats seuls lui appartiennent, de´gage´s de tout ce qui les a rendu irre´vocables. Supe´rieure aux paris, en force, en dignite´, en bon sens, exempte du vieux levain de discorde qui les tourmente, e´trange`re a` leurs querelles, qui sont de´ja` loin d’elle, leurs exce`s lui ont enseigne´ la mode´ration ; leur turbulence lui a fait un besoin du repos ; elle vient au nom de la patrie commune, leur commander le silence et l’inaction. En elle re´side aujourd’hui la ve´ritable France ; c’est elle qui a rec¸u la Charte ; c’est elle qui la posse`de ; c’est pour elle que vous faites des lois.» Moniteur no 29, 29 janvier 1817, p. 109c. BC reproche ceci a` Chateaubriand. Voir ci-dessus, p. 317, son commentaire a` un passage de De la monarchie selon la charte. Allusion au passage suivant : «Laissons donc et le Gouvernement et la ve´ritable opinion publique croıˆtre et s’e´lever ensemble a` l’abri des orages et pousser des racines plus pro-
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sait que commander. Car c’est la` tout ce qu’il peut faire : toute argumentation officielle paraıˆt a` l’opinion un acte d’autorite´. La the´orie que les discussions des assemble´es, les lois, les jugemens, les actes de l’administration sont la chose publique, la chose du gouvernement, et que c’est a` lui seul, par conse´quent, de prononcer sur ce qu’il veut en faire connaıˆtre, tient a` une autre question. Les citoyens peuvent-ils eˆtre maintenus dans l’ignorance de ce qui de´cide de leurs destine´es, et y a-t-il une chose publique sans publicite´ ? L’on a donc aborde´, en parlant des journaux, presque tous les points qui touchent a` notre constitution et qui inte´ressent nos droits. Cette ve´rite´ paraıˆtra plus e´vidente encore, quand j’analyserai les discours du parti oppose´ au ministe`re. J’ai senti, en conse´quence, que j’avais besoin de quelques jours pour me livrer a` ce travail. Je me suis de´termine´ d’autant plus volontiers a` ce retard, que je ne suis nullement dirige´ par le de´sir pue´ril de me placer dans une position peu re´fle´chie. Je serais faˆche´ si un mot, trace´ avec pre´cipitation, me donnait une couleur qui n’est point la mienne. Je ne suis pas convaincu qu’on n’abusera pas plus souvent de la loi sur les journaux que de la loi sur la liberte´ individuelle : en rendant aux intentions la meˆme justice, dans les deux cas, je pense que, quand il s’agit de feuilles e´phe´me`res, la tentation revenant chaque jour, et la chose paraissant moins grave, on croira que l’exce`s des pre´cautions n’est pas un grand mal, et de fait, ce n’est pas sur les e´crivains que le mal durable retombe. Mais ces abus possibles m’e´pouvantent peu. La marche ge´ne´rale, la marche ne´cessaire, amene´e par l’invincible force des choses, est manifeste et satisfaisante. L’avenir est assure´. Les discussions, telles que celles qui ont lieu maintenant, sont des germes de liberte´ fe´conds et indestructibles. Il y a ne´anmoins utilite´ a` rappeler les principes. Il y a utilite´ pour le gouvernement meˆme ; car, pour emprunter l’expression d’un orateur e´minemment spirituel1, ce sont les principes ajourne´s qui mettent en pe´ril les gouvernemens. Je vais donc me livrer, dans la suite de cet article, a` une taˆche que j’ai souvent remplie. J’aurai a` redire plusieurs choses que j’ai de´ja` dites. C’est un inconve´nient qu’il faut braver et dont il serait injuste de me faire un reproche. Quand, dans la pratique, on agit, envers des ve´rite´s de´montre´es, comme si elles e´taient des paradoxes, on ne doit pas, dans la the´orie, les traiter de lieux communs. B.
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DE
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fondes que celles des partis ; et laissons ceux-ci de´pe´rir dans l’ombre et se consumer dans le silence, jusqu’a` ce qu’ils tombent, jusqu’a` ce qu’ils meurent ; car il faut qu’ils meurent, pour que nous n’ayons plus a` les craindre.» Royer-Collard, discours du 27 janvier 1817. Moniteur, meˆme nume´ro, p. 110a. Brigode, comme le dit Harpaz a` juste titre. BC cite allusivement un passage du long discours improvise´ : «la France pe´rissait par l’effet des principes ajourne´s.» Voir le Moniteur no 28, 28 janvier 1817, p. 108c. Sur Brigode, voir ci-dessus, p. 447, n. 4.
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En analysant la suite de la discussion sur les journaux, je me suis aperc¸u que les discours des orateurs qui ont combattu le projet de loi, n’e´taient pas susceptibles de former, comme ceux des de´fenseurs du projet, un ensemble uniforme et re´gulier. Re´unis momentane´ment sous le meˆme e´tendard, des hommes d’opinions tre`s-diffe´rentes ont conserve´, durant cette lutte, les nuances qui les distinguaient. Comme ils ne partaient pas des meˆmes principes, ils n’ont pu suivre la meˆme marche, bien qu’ils tendissent vers un but commun. Extraire quelques-unes de leurs phrases euˆt e´te´ donner de leurs discours une ide´e tre`s-fausse ; combiner avec effort des e´le´mens si he´te´roge`nes, n’aurait amene´ pour re´sultat que la confusion et le de´sordre : il vaut mieux, ce me semble, parler de chaque orateur a` part, et finir par quelques conside´rations ge´ne´rales. M. de Sainte-Aldegonde, en de´plorant des malheurs qu’il a cru, peut-eˆtre a` tort, devoir attribuer a` la liberte´ de la presse, et surtout a` celle des journaux, a ne´anmoins avoue´ sa re´pugnance a` voter une seconde fois, depuis la restauration, une loi de circonstance1. Il n’a point admis comme un fait de´montre´, que la France ne fuˆt pas en e´tat de jouir de la liberte´ assure´e par la Charte. Il a rappele´ qu’en Angleterre la liberte´ de la presse n’avait jamais e´te´ suspendue avec la loi d’habeas corpus ; il a re´clame´ le perfectionnement et l’application des lois pe´nales ; il a e´mis le vœu, plus raisonnable qu’on ne le pense, de supprimer tous les journaux, s’ils ne peuvent cesser d’eˆtre dangereux ou d’eˆtre esclaves ; et il a fini par proposer des cautionnemens conside´rables de la part des journalistes, et une commission de dix membres, qui exercerait collectivement la censure des journaux. M. de Castelbajac a` tre`s-bien de´veloppe´ les avantages de la liberte´ de la presse, et sa ne´cessite´ dans un gouvernement qui se fonde sur la discussion2 ; E´tablissement du texte : Mercure de France, Projet de loi sur les journaux, t. I, 15 fe´vrier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 301–319. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 262–288. [=CPC] 25 d’eˆtre ] la source porte d’etre M 1
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Voir le discours de Charles-Se´raphin-Joseph Genech, comte de Sainte-Aldegonde (1765– 1822), Moniteur no 26, 26 janvier 1817, pp. 99c–100a. BC re´sume le discours en suivant l’argumentation du de´pute´ de l’Aisne, sie´geant a` droite. Le discours de Marie-Barthe´lemy Castelbajac (1776–1868), un des ultra-royalistes les plus ardents de la Chambre introuvable, se trouve dans le Moniteur no 27, 27 janvier 1817,
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appuye´ sur la Charte, il a fait sentir que la liberte´ des journaux de´rivait clairement de l’article constitutionnel ; il a remarque´ que, dans nos relations avec les puissances e´trange`res, la loi propose´e augmenterait les embarras du gouvernement, en donnant a` chaque article de journal un caracte`re officiel, et que la politique franc¸aise serait ainsi responsable a` l’Europe de l’imprudence des e´crivains et de la ne´gligence des censeurs. Passant a` notre situation inte´rieure, mettrez-vous, a-t-il dit, la liberte´ des journaux entre les mains du ministre, de qui de´pend de´ja` la liberte´ individuelle ? Confierezvous au meˆme pouvoir le droit exclusif sur les personnes et le droit exclusif sur la pense´e ? Il abordait ensuite une question fort importante, et sans doute il allait de´montrer que la liberte´ meˆme de la tribune e´tait inefficace, quand les mandataires d’un peuple e´taient isole´s de ce peuple par un effet naturel du silence impose´ a` l’opinion ; malheureusement sa premie`re phrase lui a rappele´ des articles de journaux que tout le monde a oublie´s de`s long-temps. Il s’est plaint de ce que ces journaux avaient de´figure´ quelquesunes de ses paroles ; il s’est engage´ dans la re´futation de quelques insinuations qu’ils s’e´taient permises contre la majorite´ de l’ancienne chambre ; et de la sorte, un discours qui avait commence´ par un expose´ juste et clair des vrais principes, s’est e´vapore´ tout d’un coup en attaques minutieuses et en re´criminations inutiles, qui, pour avoir obtenu des applaudissemens irre´guliers, n’en ont pas moins affaibli l’impression que l’honorable orateur aurait pu produire. M. de la Bourdonnaye a de´bute´, comme M. de Castelbajac, par e´noncer des ve´rite´s auxquelles on ne saurait donner trop d’assentiment1. La nature du gouvernement repre´sentatif, a-t-il dit, re´clame la libre commu nication des ide´es ; et, dans l’e´tat actuel de notre civilisation, l’inde´pendance des journaux, leur circulation libre et rapide est devenue un besoin ge´ne´ral et le ve´hicule de l’opinion publique. Accorder la liberte´ de la presse, et enchaıˆner les journaux, c’est tromper la nation par une apparence illusoire de liberte´, a`
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pp. 101a–102a. Castelbajac commence par e´voquer les doctrines de Montesquieu et de Delolme sur la liberte´ de la presse, qu’il regarde comme «l’aˆme d’un gouvernement repre´sentatif» (p. 101a), mais il entame au milieu de son discours une analyse ame`re d’une attaque lance´e le 25 septembre 1816 dans le Journal ge´ne´ral de France contre la Chambre et en particulier contre lui-meˆme. Les applaudissements irre´guliers dont il est question chez BC partaient des tribunes des visiteurs. Le re`glement de la chambre interdit au public «tout signe d’approbation ou d’improbation» (ibid., p. 101c). Franc¸ois-Re´gis de La Bourdonnaye, «l’homme aux cate´gories» comme on le nommait a` cause d’un projet de loi d’amnistie pre´sente´ en comite´ secret en 1815 et qui pre´voyait des mesures se´ve`res contre les fonctionnaires politiques et les hauts grades militaires des CentJours. BC fait le recensement de la premie`re partie de son discours ; voir le Moniteur no 27, 27 janvier 1817, pp. 102b–103b. Mais la plus grande partie du discours est critique´e comme s’e´loignant trop du sujet. Voir aussi p. 447, n. 2.
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l’instant meˆme ou` on la place sous le joug d’une opinion factice. Dans un e´tat populeux, qui s’e´tend sur une immensite´ de contre´es distinctes par leurs productions, leurs besoins et leur industrie, et ou` les inte´reˆts sont si diffe´rens et souvent si oppose´s, il ne se formerait aucune opinion publique, aucun sentiment patriotique n’acquerrait d’influence, si les diffe´rentes parties du royaume ne communiquaient entre elles par le secours des feuilles pe´riodiques. Dans le gouvernement repre´sentatif, ou` la balance des pouvoirs est le fondement de la constitution, dans une monarchie continentale, he´risse´e de places fortes, de´fendue par une arme´e nombreuse essentiellement obe´issante, quel serait le contrepoids de l’e´norme puissance du gouvernement, si les chambres, isole´es de la nation par l’asservissement des journaux, e´taient re´duites a` lutter seules contre des pre´tentions toujours croissantes, et des demandes d’impoˆts sans cesse renouvele´es ? Nos lois antiques, les ordres, les grands corps de magistratures, le re´gime provincial et municipal, tout a disparu, et il n’y aurait plus aujourd’hui qu’un troˆne et des esclaves, si le pouvoir le´gislatif, fort de l’opinion publique, ne se plac¸ait entre le monarque et ses sujets. C’est donc vers l’opinion publique que nous devons diriger nos efforts ; c’est a` cre´er un esprit national, a` mettre a` la porte´e de tous la the´orie du gouvernement repre´sentatif, a` l’identifier avec nos mœurs et nos habitudes que nous devons employer toute notre influence : mais nous ne re´ussirons qu’a` la faveur de l’inde´pendance des journaux. Mettre cette inde´pendance en probleˆme, c’est mettre en question s’il faut cre´er l’esprit public, s’il faut attacher la nation au gouvernement repre´sentatif ; c’est mettre en question le gouvernement repre´sentatif luimeˆme ; c’est le renverser sans rien mettre a` sa place pour de´fendre les liberte´s nationales ; c’est ramener l’anarchie par le despotisme, affaiblir le pouvoir a` force de puissance, exposer le troˆne a` toutes les vicissitudes du gouvernement arbitraire : il suffit que les jour naux soient une arme puissante, pour que la loi ne les confie pas a` un seul ; il suffit qu’ils soient une arme dangereuse ; pour que vous ne les placiez pas dans les mains de celui qui posse`de a` la fois le droit d’accuser et celui de punir. Jusqu’ici personne ne peut nier que l’orateur n’euˆt raison sur tous les points ; mais il a voulu re´pondre a` une assertion relative aux partis qui divisent la France, et ce mot de parti l’a entraıˆne´ ; comme son honorable collegue, il est revenu sur des faits sur lesquels il est douteux que la France partage son opinion. Le souvenir du 5 septembre et du re´sultat des dernie`res e´lections, a donne´ a` ses paroles une amertume qui a transforme´ en agressions personelles la discussion d’une question ge´ne´rale ; et, sous l’armure d’un champion de la liberte´, on a cru ne plus voir que l’ennemi particulier d’un ministre1. 1
Allusion aux derniers passages du discours qui ont provoque´ la demande des de´pute´s d’un
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M. Barthe-Labastide a aussi parle´ de l’ordonnance du 5 septembre, des accusateurs de l’ancienne chambre, de la vente des foreˆts, et des bons royaux1. Vers la fin de son discours seulement, il s’est rapproche´ de la question, et on lui doit une observation juste. En supposant meˆme que la repre´sentation nationale suffise, pendant ses se´ances, pour prote´ger les citoyens, son pouvoir et sa vigilance seront suspendus durant de longs intervalles. Si alors les journaux ne sont pas libres, d’ou` sortira la ve´rite´ ? L’opposition de M. de Brigode a e´te´ d’une toute autre nature2. Dans un discours plein d’esprit et de talent, il a distingue´ l’opinion re´elle, qui se fait connaıˆtre, quand la ge´ne´ralite´ des citoyens peuvent exprimer leur vœu, de cette opinion factice qui, comprimant tout ce qui lui est oppose´, impose silence a` la ge´ne´ralite´ au nom d’une majorite´ pre´tendue. Il a prouve´ qu’apre`s vingt-cinq anne´es d’une re´volution, durant laquelle on a essaye´ toutes les ressources, hors la loyaute´ et la bonne foi, ce syste`me de de´ception n’est plus possible. Or, c’est vers ce syste`me que nous rame`ne l’asservissement des journaux. Cet asservissement est une partie de ce syste`me auquel on a duˆ ces ajournemens, ces exceptions, ces suspensions des lois et des constitutions donne´es a` la France, et ce spectacle bizarre et contradictoire, de principes respecte´s en paroles, et viole´s en fait. Lorsque les bouches re´pe´taient encore ces mots fameux, rappele´s dernie`rement a` la tribune : Pe´rissent les colonies plutoˆt qu’un principe 3 ! la France pe´rissait par l’effet des principes ajourne´s. Ouvrez les annales de la re´volution, ses catastrophes les plus sanglantes sont toutes sorties du re´gime des exceptions. Partis, factions, gouvernemens divers, tous se sont e´tablis en invoquant, en 14 ressources, hors ] la source porte ressources hors, ressources, hors CPC
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rappel a` l’ordre. La Bourdonnaye a critique´ d’une manie`re a` peine voile´e l’ordonnance du 5 septembre. Voir le Moniteur cite´, p. 103a–103b. Voir le re´sume´ du discours de Barthe-Labastide dans le Moniteur no 27, 27 janvier 1817, p. 103b–103c. Louis-Jacques-Guillaume Barthe-Labastite (1762–1840), homme politique ne´ a` Narbonne, qui reˆvait, sous la Restauration, de ressusciter l’Ancien Re´gime et de supprimer tous les effets de la Re´volution. Esprit excessif, il voulait abolir la Charte et doter de nouvelles corporations religieuses. Le discours improvise´ de Brigode se trouve dans la bibliothe`que de BC. Dans son analyse, il ne respecte pas strictement l’ordre des arguments avance´s par Brigode (voir le Moniteur no 28, 28 janvier 1817, pp. 107c–108c). L’argument dont il est question vers la fin du re´sume´ concerne le soutien du ministe`re par une presse libre qui appuie le travail efficace du gouvernement. Citation preˆte´e, lors de la se´ance de l’Assemble´e nationale constituante du 13 mai 1791, tantoˆt a` Dupont de Nemours, tantoˆt a` Robespierre. En fait, c’est le me´lange de deux formules. Celle de Dupont (de Nemours) : «votre inte´reˆt, celui de l’Europe, celui du monde exigerait que vous n’he´sitassiez pas dans le sacrifice d’une colonie plutoˆt que d’un principe» (Archives parlementaires, t. 26, Paris 1887, p. 50a) ; celle de Robespierre : «Pe´rissent vos colonies, si vous les conservez a` ce prix» (ibidem, p. 60b). Synthe´tise´e, la formule est souvent utilise´e depuis 1791 pour pre´senter l’ide´e selon laquelle il faut savoir sacrifier ses inte´reˆts a` ses principes.
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proclamant les principes ; tous ont pe´ri apre`s s’en eˆtre e´carte´s. L’orateur a examine´ ensuite le danger des journaux entre les mains des partis ; leur enlever toute la liberte´, est-ce les rendre moins dangereux ? Forcer les partis a` se taire, n’est pas le moyen de les apaiser ; et quant au mal qu’ils pourraient causer en attaquant le Roi et la Charte, ce mal ne tiendrait pas a` la liberte´, mais a` l’extreˆme licence que personne ne demande. Il a remarque´ qu’une conse´quence trop peu aperc¸ue, bien que trop souvent re´alise´e, de la de´pendance des feuilles pe´riodiques, c’est que non-seulement on interdit a` leurs auteurs la manifestation de leurs sentimens ve´ritables, mais qu’on les rend les organes de sentimens oppose´s. Or, que des circonstances obligent les hommes a` taire ce qu’ils pensent, cela s’explique ; mais qu’on puisse les forcer a` dire le contraire, a` professer sur les personnes ou sur les choses des opinions qu’ils ne partagent pas, ce n’est plus la liberte´, meˆme restreinte, c’est le comble de la servitude ; que si l’on veut nous rassurer sur la violation des principes, par l’e´loge des personnes, on oublie que les reˆnes de l’administration peuvent e´chapper a` ceux en qui nous avons tant de confiance. Nous aurons alors pre´fe´re´ des hommes aux sauve-gardes de nos liberte´s. D’autres hommes viendront qui ne seront plus les noˆtres ; nous souffrirons du silence auquel nous nous serons condamne´s nous-memes. Nos regrets seront tardifs, notre repentir sera inutile. Abordant enfin la grande objection que tous les de´fenseurs du projet avaient reproduite, il l’a mieux re´fute´e qu’aucun des membres de l’assemble´e qui l’avaient pre´ce´de´ a` la tribune. Si ceux pour qui l’on craint l’imprudence de nos journalistes, a-t-il dit, n’ont que des intentions bienveillantes, ils ne s’offenseront pas du contenu des feuilles publiques, lorsqu’a` l’instar de ce qui se passe ailleurs, la liberte´ de la presse sera rendue chez nous a` toute sa puissance. Si ceux dont il s’agit avaient des intentions diffe´rentes, ils trouveraient, sans les journaux, assez d’autres pre´textes de tenter l’exe´cution de ce qu’ils pourraient projeter. M. de Maccarthy, qui a remplace´ M. de Brigode, ne s’est pas, apre`s des observations vraies, pre´serve´ suffisamment des divagations auxquelles deux autres orateurs s’e´taient de´ja` livre´s1 ; il a parle´ de calomnie, et ce mot de calomnie a eu sur lui l’effet magique que le mot de parti avait eu sur M. de la Bourdonnaye. Les e´lections du mois de novembre, et les articles destine´s a` les diriger, et des re´criminations et des de´tails ont de nouveau reparu. Ces souvenirs sont-ils donc pour une portion des membres 1 a examine´ ] examine CPC 1
29 M. de Maccarthy ] nouvel aline´a dans CPC
BC re´sume assez se´ve`rement, sans le de´figurer, le discours du ge´ne´ral Maccarthy. Voir le Moniteur no 29, 29 janvier 1817, p. 110b–110c. Robert-Joseph, comte de Maccarthy-Le´vignac ou Mac-Carthy (1770–1827), e´lu par la Droˆme, fut un de´pute´ de la droite, mais de´fendit ne´anmoins la liberte´ de la presse.
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de l’assemble´e, des e´cueils contre lesquels chacun d’eux soit force´ de se briser a` son tour ? Cette de´viation n’a pas manque´ de produire son effet, c’est-a`-dire de diminuer celui qui e´tait dans l’intention de l’orateur. On n’a plus senti toute la justesse de ses re´flexions sur l’inconve´nient de confondre le Roi avec ses ministres, dont la responsabilite´ morale n’existe que lorsqu’ils sont se´pare´s du monarque, comme leur responsabilite´ morale n’est qu’une chime`re, quand l’opinion ne s’exprime pas en pleine liberte´. L’on ne me soupc¸onnera pas de penser en tout point comme M. de Ville`le1 ; mais aucune diffe´rence de principes ne doit empeˆcher de rendre justice aux ve´rite´s, quand on les rencontre, et l’opinion qu’il a e´mise est pleine d’importantes ve´rite´s. Il a tre`s-bien de´veloppe´ le danger de n’envisager la Charte que comme un assemblage de dispositions inde´pendantes les unes des autres, ce qui permettrait de les violer indirectement, ou de les fausser chacune a` part ; on ane´antirait ainsi l’esprit dans lequel cette garantie de nos droits a e´te´ donne´e, et surtout, chose plus faˆcheuse encore, on n’ane´antirait pas, mais on blesserait l’esprit dans lequel cette garantie a e´te´ rec¸ue. En consentant a` ce que l’autorisation du Roi fuˆt ne´cessaire pour l’e´tablissement des journaux, il a demande´ que cette autorisation ne puˆt eˆtre re´voque´e arbitrairement, proposition e´minemment e´quitable, et conforme a` la pratique adopte´e pour d’autres fonctions, qui, si les de´fenseurs du projet de loi n’exage`rent pas la puissance des journaux, ne sont pas plus importantes que celles des journalistes. C’est avec l’autorisation royale qu’on entre dans beaucoup de professions honorables ou utiles, la finance, le barreau, l’arme´e ; l’on ne conclut pas, de ce que le Roi a duˆ autoriser les citoyens a` se vouer a` ces professions, que ces ministres puissent ensuite les contraindre a` renoncer, sans motif pre´cise´, sans examen pre´alable, sans jugement re´gulier. M. de Ville`le a reconnu que la le´gitimite´ sur le troˆne ne pouvait donner seule a` nos institutions la force de re´sister a` des causes destructives de tous les gouvernemens, et, en preuve de cette assertion sur la le´gitimite´, il a cite´ la Charte, que le Roi lui-meˆme, ainsi qu’il l’observe, a nomme´ un supple´ment ne´cessaire ; noble de´claration qui implique que la le´gitimite´ ne pouvait s’en passer. Il a re´pondu victorieusement a` ces demandes de confiance contraires a` toute constitution : car, si le refus de livrer la direction de l’opinion publique aux ministres e´tait un te´moignage offensant de me´fiance, la Charte entie`re serait une suite d’offenses bien plus 1
Le discours tre`s de´veloppe´ de Ville`le est re´sume´ avec une certaine re´serve. Voir le Moniteur no 29, 29 janvier 1817, pp. 112a–112c. Les «e´purations» dont il est question vers la fin du re´sume´ concernent les mesures draconiennes contre certaines personnes qui se sont rallie´es a` Napole´on pendant les Cent-Jours et des mesures e´voque´es contre le parti des ultras apre`s la Terreur blanche. Voir le passage dans le nume´ro cite´ du Moniteur, p. 112b.
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graves, puisqu’elle est une se´rie de pre´cautions, dont quelques-unes semblent arriver jusqu’a` la personne du monarque. M. de Ville`le toutefois n’a pas e´vite´ comple`tement l’e´cueil que j’ai signale´ plus haut. Peu s’en est fallu qu’au mot d’e´purations, un discours, jusques alors de principes, ne devıˆnt une harangue de parti. Mais il a double´ ce cap des tempeˆtes plus heureusement que ses pre´de´cesseurs ; et quand, rentrant dans la question, il a dit qu’il ne fallait pas faire de´ge´ne´rer le gouvernement repre´sentatif en un vain simulacre ; que ce gouvernement, e´tant notre seul refuge, devait conserver ses appuis indispensables ; que le seul moyen de restauration e´tait de suivre de bonne foi la route royale, il a de nouveau parle´ le langage auquel toute la France re´pond. Il y a environ deux ans et demi qu’un e´crivain ce´le`bre1 avait imprime´ que le bon sens voulait que la presse fuˆt beaucoup moins libre que tout autre moyen de nuire... a que le de´sordre des finances, le de´sordre des mœurs, la tyrannie meˆme, ne de´truisaient pas les Etats. ... mais qu’un peuple civilise´ pouvait pe´rir par la propagation de fausses doctrines... b que les livres replongeraient, s’il e´tait possible, le monde dans la barbarie... c que, tuteurs de l’e´ternelle minorite´ des peuples, les gouvernemens ne pouvaient laisser a` la merci des opinions particulie`res l’e´ducation de leur pupille... d que la liberte´ de la presse, loin d’eˆtre un pre´servatif contre la tyrannie, en e´tait le plus servile instrument... e qu’elle conduisait les peuples a` la servitude... f que la constitution anglaise n’avait re´siste´ a` cette maladie que parce qu’elle n’en avait e´te´ attaque´e que dans la force de l’aˆge... g que la raison, source de toutes les lois, voulait une garantie contre les e´crits nuisibles, et que cette garantie ne pouvait eˆtre qu’une censure pre´alable... h que les de´bats sur la liberte´ de la presse e´taient une erreur chez une nation e´claire´e, et un scandale chez un peuple chre´tien... i et que les gouvernemens devaient se persuader qu’il fallait peu de livres a` des peuples qui lisaient beaucoup k. Ce meˆme e´crivain ce´le`bre est monte´ a` la tribune, dans la discussion qui nous occupe, pour demander la liberte´ des journaux. Il a a b c d e f g h i k
Encore un mot sur la liberte´ de la presse, par M. de B...., p. 2. Pag. 3. pag. 4. pag. 7. pag. 9. ibid. pag. 15. pag. 19. pag. 23. pag. 25
38 19 ] 29 CPC 1
Louis de Bonald, Encore un mot sur la liberte´ de la presse, Paris : A la Socie´te´ typographique, 1814. Les citations ne sont pas litte´rales, mais BC respecte le sens des phrases.
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employe´ son talent distingue´ a` prouver qu’il n’y avait nulle contradiction dans les deux doctrines. Son discours formerait un excellent chapitre dans un traite´ sur les subtilite´s de l’esprit humain. On y trouverait comment on de´montre que l’Encyclope´die et les Œuvres de Voltaire sont a` la porte´e de plus de lecteurs que des feuilles de quatre pages ; qu’une censure pre´alable convient aux livres, parce que l’autorite´ peut les atteindre, et que des voies judiciaires sont plus adapte´es aux journaux, parce que leur circulation est plus rapide ; mais je dois laisser de coˆte´ ces re´cre´ations me´taphysiques d’une intelligence de´lie´e, et, en regrettant de ne pouvoir transcrire l’hommage rendu, dit-on a, par cet orateur, au bien qu’ont fait les journaux a` la religion, a` la morale, a` la politique, a` la litte´rature, je prends acte de quelques aveux qui sont d’un grand poids ; puisqu’ils sont arrache´s par la force des choses, au plus habile antagoniste de la liberte´ de la presse1. 1o. Dans le de´bordement de fausses doctrines (fausses ou vraies, n’importe), il n’est plus gue`re de digue que la loi puisse lui opposer. Nous vivrons desormais sur les œuvres comple`tes des philosophes du dernier sie`cle. 2o. Les journaux ont l’utilite´ de contenter, a` peu de frais, les partis qui ne se croient pas perdus tant qu’ils peuvent parler b. 3o. Il y a tre`s-peu de politique a` emboucher la trompette le´gislative, pour annoncer que rien ne s’imprime que sous le bon plaisir du gouvernement. 4o. L’essai de la loi de 1814 ne fut pas heureux (c’est en faveur de cette loi que l’orateur avait e´crit) ; l’inutilite´ de cette loi, si elle ne fut qu’inutile, fait regretter qu’on n’ait pas eu recours a` une re´pression judiciaire. 5o. L’opposition arme´e n’a cesse´, en Angleterre, que depuis qu’elle est devenue opposition litte´raire. 6o. Je connais un reme`de tre`s efficace contre l’exage´ration et l’imposture des journaux ; je n’en connais pas contre leur silence. a
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Cette opinion a e´te´ promise par le Moniteur, mais n’y a pas encore e´te´ inse´re´e, de sorte que je n’ai pu consulter que des journaux a` la fois moins authentiques et moins de´veloppe´s dans les analyses qu’ils publient. C’est a` tort que l’on regarde comme un avantage que les partis se croient perdus. On devrait se souvenir du vers de Virgile : Una salus victis, etc. Quant a` l’ide´e de persuader aux partis qu’ils sont morts, on n’y re´ussit pas, et plus on leur soutient qu’ils sont morts, plus ils sont tente´s de donner signe de vie2. Le discours du 28 janvier de Bonald ne sera pas publie´ dans Le Moniteur du 30 janvier 1817 ou` il aurait duˆ trouver sa place. On y promet la publication inte´grale (p. 114a) dans un prochain nume´ro. Cette annonce n’a pas eu de suite. Bonald a publie´ son discours dans ses Pense´es sur divers sujets, et discours politiques, Paris : Adrien Le Cle`re, 1817, t. II, pp. 289– 324. Le re´sume´ qui suit pre´suppose une connaissance pre´cise du texte, puisqu’il s’agit d’un montage de citations presque litte´rales. Voir dans l’e´dition cite´e, les pp. 297, 303–305, 315 et 320. Phrase tire´e de l’Ene´ide de Virgile (II, 354) et preˆte´e a` Ene´e essayant d’encourager ses compagnons lors de la prise de Troie : «Una salus victis, nullam sperare salutem» ce que l’on peut traduire par : «la seule chance de salut pour les vaincus est de n’en plus attendre».
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M. Josse de Beauvoir, apre`s avoir reproduit les raisonnemens de´ja` alle´gue´s contre la loi, et de´fini la suspension de la liberte´ individuelle, un pouvoir arbitraire confie´ a` un seul homme, pouvoir immense, dont l’abus commence au caprice et finit par se perdre dans le despotisme, a plutoˆt accuse´ les journaux qu’il ne les a de´fendus1. Il s’est plaint des de´tails qu’ils avaient donne´s sur les sce`nes de de´magogie d’un peuple voisin, sans re´fle´chir que nul n’avait applaudi aux exce`s de la populace, et qu’assure´ment, s’ils avaient failli par trop d’indulgence sur de tels exce`s, ce ne serait pas le gouvernement qu’on pourrait accuser de connivence. Mais apre`s ce tribut paye´ a` la ne´cessite´ d’attaquer le ministe`re, M. de Beauvoir dit des choses tre`s-vraies. L’asservissement des journaux n’est pas dans l’inte´reˆt du gouvernement. Comment inspirera-t-il la confiance, et donnera-t-il un degre´ convenable de cre´dibilite´ aux journaux, qui, sous sa de´pendance absolue, ne parleront que d’apre`s ses ordres ? Il a ajoute´ une re´flexion essentielle, et qui prouve que tout se tient, maxime sans cesse oublie´e. Tant que la liberte´ individuelle sera suspendue, la liberte´ de la presse sera illusoire. Menacez, enfermez un imprimeur : si vous ne manquez pas d’e´crivains pour dire la ve´rite´, vous ne trouverez personne pour l’imprimer. J’ignore si le compte que je pourrais rendre du discours de M. Benoit serait exact, parce que le Moniteur, en annonc¸ant qu’il est entre´ dans des de´veloppemens fort e´tendus, n’a transmis de son opinion que ce qui se rapporte a` la noblesse et a` l’existence de la nation nouvelle, qui est demeure´e e´trange`re a` nos troubles, en assentiment comme en hostilite´. Sur ce dernier point, M. Benoit me semble avoir re´plique´ heureusement a` cette hypothe`se inattendue2. A ceux-la` donc, a t-il dit, appartiendront les fruits de la re´volution, a` ceux-la` qui n’ont concouru ni a` la soutenir ni a` la combattre. Telle est donc cette nouvelle nation, qui comme la Je´rusalem ce´leste, s’e´le`ve, au milieu de nous, plus forte que nous, plus pure que nous, plus digne et plus sage que nous. Ne la dites-vous pas aussi plus nombreuse ? Mais elle n’a recueilli, dans sa marche triomphale, que des hommes e´trangers a` nos querelles, a` nos exce`s. Nul d’eux apparamment n’a, dans le printemps de sa vie, senti battre son cœur a` la voix enivrante de la liberte´ ; aucun ne s’est enroˆle´ dans les premiers bataillons qui pre´lude`rent, par tant de gloire, a` tant de mise`res. Aucun n’a sie´ge´ dans tant d’assemble´es, de directoires, de districts, de municipalite´s, de commissions et d’administrations de tous genres. En cherchant ainsi ce qui ne doit pas faire partie de la nation nouvelle, je serai plus embarrasse´ de savoir de qui elle sera compose´e. Car si l’on retranche les victimes parce qu’elles ont beaucoup souf1
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Auguste-Guillaume Josse (de) Beauvoir (1771–1853), de´pute´ de Loir-et-Cher, de tendance royaliste, attaque le ministe`re Decazes, mais sera un serviteur fide`le de celui de Ville`le. Voir le texte dans le Moniteur no 30, 30 janvier 1817, pp. 114b–115a. Pierre-Vincent, comte de Benoıˆt (1758–1834), de´pute´ de Maine-et-Loire en 1815 et 1816, il vote, comme le remarque Harpaz (Recueil d’articles, Le Mercure, p. 1368, n. 1, a` la p. 107),
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fert, et ceux qui ont fait des fautes, parce qu’ils ont laisse´ de tristes souvenirs, et ceux qui ont participe´ aux querelles, parce qu’ils seraient dispose´s a` les renouveler, et ceux qui ont embrasse´ des erreurs parce qu’ils pourraient y retomber, il ne restera probable ment, apre`s tant d’e´purations, que cette classe d’hommes, qui ont su se glisser, inaperc¸us, a` travers ces orages, sans en essuyer les coups, mais non sans en recueillir les fruits. M. de Corbie`res a traite´ la question sous le rapport de la proprie´te´1 ; il a prouve´ que le monopole lui portait une premie`re atteinte, et que l’arbitraire exerce´, meˆme apre`s ce monopole, lui en portait une seconde. Puis, conside´rant le projet comme partie du syste`me qui de´clare qu’il existe en France des socie´te´s irre´conciliablement ennemies, il a combattu cette supposition lugubre. Le traite´ est fait, a-t-il dit : ce traite´ c’est la Charte, et en effet, que serait la Charte, si elle n’e´tait pas un traite´ entre les partis ? Si les partis sont ennemis, c’est qu’ils se soupc¸onnent, a` tort ou a` raison, de vouloir l’enfreindre : qu’elle soit respecte´e, et on verra les partis, non pas mourir, ce qui est impossible et serait faˆcheux, mais se renfermer dans l’espace constitutionnel, pour s’y maintenir en e´quilibre et s’y combattre sans danger. M. Savoye-Rollin est moins entre´ dans l’examen des mesures propose´es contre les journaux, que dans celui de la loi adopte´e ante´rieurement sur la liberte´ de la presse2. Il a de´montre´ que cette loi e´tait incomple`te. Je ne le suivrai pas dans ses argumens, parce que je me suis rencontre´ avec lui sans le savoir a. Mais il me permettra de m’applaudir de cette conformite´ de jugement, et de me joindre de nouveau a` lui dans le vœu qu’il exprime : re´pression le´gale des abus de la presse par l’introduction du jury. Telle a e´te´ la discussion qui a eu lieu sur les journaux. On voit que l’assemble´e s’est trouve´e encore cette fois dans sa position habituelle. Les membres qui soutenaient la rigueur des principes que la nation adopte, alle´guaient des griefs et faisaient entendre des re´clamations sur d’autres points, sur lesquels la nation se se´pare d’eux. Les membres qui de´fendaient une mesure a` laquelle je pense que l’opinion n’est pas favorable, e´taient a
Voyez l’avant-dernier no. du Mercure3.
25 Telle a e´te´ ] Telle est CPC
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31 Voyez ... Mercure. ] note supprime´ dans CPC
«presque toujours avec la majorite´». Expert en matie`re de finances. Pour son discours, voir Le Moniteur no 30, 30 janvier 1817, p. 115b–115c. Jacques-Joseph-Guillaume-Franc¸ois-Pierre comte de Corbie`re, (1766–1853), de´pute´ de l’Ille-et-Vilaine, prend place a` droite. Voir son discours dans le Moniteur no 31, 31 janvier 1817, p. 117a-c. Sur Savoye-Rollin, voir ci-dessus, p. 447, n. 5. Le Moniteur no 31, 31 janvier 1817, p. 120b, re´sume le discours en cinq lignes. Le jugement de BC pre´suppose une connaissance du discours (qu’il a peut-eˆtre e´coute´ ?). Voir ci-dessus, pp. 430–440.
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forts de souvenirs et de faits, qui, en leur conciliant l’opinion, l’empeˆchait de juger avec se´ve´rite´ leurs propositions actuelles. J’ai dit que je hasarderais quelques observations sur des the´ories alle´gue´es durant le de´bat. Ces the´ories sont l’identite´ du Roi avec les ministres, dans la pre´sentation des projets de loi, et les conse´quences de l’initiative royale pour l’adoption de ces projets. Le grand avantage de la monarchie constitutionnelle est la se´paration du pouvoir royal d’avec le pouvoir exe´cutif ou ministe´riel. J’ai le premier e´tabli cette distinction a. Elle a fait fortune, et maintenant tous les partis s’en sont empare´s. Mais pour eˆtre devenue l’arme des partis, elle n’en est pas moins vraie. Elle a meˆme obtenu le seul succe`s qui puˆt lui manquer ! car l’expe´rience a prouve´ qu’elle e´tait pre´servatrice. Depuis que les partis s’agitent au-dessous de la sphe`re ou` re´side ve´ritablement la royaute´, l’ordre politique n’est plus en pe´ril. Tout est vivant, au milieu, par la lutte : tout est tranquille au sommet et a` la base. Sans doute un auteur tre`s-e´loquent a exage´re´ ma the´orie, en pre´tendant re´duire le monarque a` la qualite´ de spectateur, tellement qu’il dit en propres termes : Que le Roi ne forc¸ant point son ministre, si celui-ci n’obtempe`re pas a` l’avis du Roi, le Roi n’insiste plus. Le ministre agit, fait une faute, tombe, et le Roi change son ministe`re b. Ce n’est certes pas ainsi que je l’entends. Quand le Roi voit un ministre pre`s de faire une faute, il ne reste pas impassible. Il ne laisse pas commettre une faute dont la nation porterait la peine. Il ne force pas son ministre, mais il le renvoie, avant que la faute soit commise. L’inconve´nient des partis, quand ils saisissent un principe, c’est qu’ayant un but autre que le principe, ils ne craignent pas de le de´naturer pour qu’il les serve mieux ; et, en aiguisant l’instrument ils le faussent. a b
Re´flexions sur les constitutions et les garanties, pag. 1–8. De la monarchie selon la Charte, chap. 51.
3–p. 469.17 J’ai dit ... de´place´s. ] CPC remanie ce long passage en utilisant partiellement des morceaux e´limine´s plus haut J’ai maintenant quelques observations a` pre´senter sur plusieurs the´ories qu’on a mises en avant dans cette discussion, et qui sont d’une bien autre importance que la question spe´ciale que l’on avait a` traiter. L’initiative du monarque, a-t-on dit est une pre´somption tellement forte en faveur des propositions ministe´rielles, que la preuve de leur ne´cessite´ n’est pas requise ; on ne peut les repousser qu’en les de´montrant inutiles. Mais cette de´monstration est toujours impossible de la part de ceux qui n’administrent pas, contre ceux qui, administrant seuls, ont seuls la connaissance des faits. En conse´quence ce principe tend a` rendre illusoire et superflue toute assemble´e de´libe´rante. On a pre´tendu que les projets de loi pre´sente´s e´taient l’expression formelle de la volonte´ royale, et que c’e´tait par une fiction coupable qu’on les attribuait au ministe`re. C’est ane´antir la responsabilite´ des ministres, et placer les de´pute´s dans l’alternative de sanctionner ce qu’ils de´sapprouvent, ou de re´sister a` ce qu’ils respectent. La supposition d’une nation nouvelle, ... une chose publique sans publicite´ ? voir ci-dessus, p. 454, ligne 27 – p. 456, ligne 8 1
La citation de l’ouvrage de Chateaubriand est le´ge`rement arrange´e.
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Mais hors de l’hypothe`se que je viens de poser, les ministres, par cela meˆme qu’ils sont responsables, ne peuvent s’appuyer du nom du Roi pour faire adopter les mesures qu’ils proposent. Car s’ils invoquent cet auguste nom, de deux choses l’une, ou les mesures rencontrent de l’opposition, ou elles n’en rencontrent pas. Si elles en rencontrent, c’est donc au Roi qu’on s’oppose : si elles n’en rencontrent pas, ou` est la liberte´ ? Je ne saurais approfondir ce sujet en peu de lignes : mais j’ajouterai une observation que je crois importante. Un instinct confus a de tout temps averti les hommes de cette grande ve´rite´. Si le Roi savait ! n’est autre chose que le sentiment pre´ce´dant la doctrine1. Mais comme la doctrine n’avait jamais e´te´ e´nonce´e, ce sentiment, cet instinct confus ont e´te´ la cause d’erreurs tre`s-dangereuses. De ce que l’on sentait vaguement que le pouvoir royal e´tait par sa nature une autorite´ neutre, qui, dans sa sphe`re, n’avaient pas de pre´rogatives nuisibles, on en a conclu qu’il n’y avait pas d’inconve´niens a` l’investir de pre´rogatives qui pouvaient le devenir, et la neutralite´ a cesse´. Si l’on avait propose´ d’accorder a` des ministres une action arbitraire sur les citoyens, tout le monde aurait rejete´ cette proposition, parce que la nature du pouvoir ministe´riel, toujours en contact avec tous les inte´reˆts, aurait, au premier coup d’œil, de´montre´ le danger de reveˆtir ce pouvoir de cette action arbitraire ; mais on a conce´de´ souvent cette autorite´ aux rois, parce qu’on les conside´rait comme de´sinte´resse´s et impartiaux, et l’on a de´truit, par cette concession, l’impartialite´ meˆme qui lui servait de pre´texte. Toute puissance arbitraire est contre la nature du pouvoir royal. Aussi arrive-t-il toujours, de deux choses l’une, ou cette puissance devient l’attribution de l’autorite´ ministe´rielle, ou le Roi lui-meˆme, descendant de la hauteur ou` il e´tait place´, cesse d’eˆtre neutre, et devient en quelque sorte un ministre, devant lequel toute liberte´ disparaıˆt, parce qu’il associe a` l’inviolabilite´ qu’il posse`de, des attributions incompatibles avec cette inviolabilite´. Le second article dont je veux traiter, c’est l’initiative. J’avais exprime´, avant la Charte, mon opinion sur l’initiative2. Mais la Charte existe, et j’ai pour principe de partir toujours du point ou` l’on est, pour voir le bien a` faire, et non pas le bouleversement a` ope´rer. L’intention de la Charte, en attribuant l’initiative exclusivement au Roi, a e´te´ clairement de pre´venir le danger de propositions multiplie´es dans les assemble´es. Encore une fois, je ne recherche pas si la pre´caution e´tait intrinse´quement bonne ; mais l’intention a e´te´ manifeste. Conclure de cette 1 2
On peut penser que BC ne se sert pas de cette phrase par hasard. Ville`le cite le meˆme dicton dans son discours du 6 fe´vrier 1817. Voir le Moniteur no 39, 8 fe´vrier 1817, p. 164b. Dans les Re´flexions sur les constitutions, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 992–995.
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initiative exclusive que les projets de lois des ministres doivent eˆtre adopte´s de confiance, est donc une infe´rence force´e, et d’autant moins utile a` ceux meˆmes qui veulent la faire admettre, qu’elle est de´mentie dans chaque se´ance de chaque assemble´e ; et il faut bien qu’elle soit de´mentie, sans quoi l’assemble´e n’aurait qu’a` se taire, a` enregistrer et a` se dissoudre. Pourquoi donc pre´senter en the´orie ce que la pratique repousse ? C’est nuire a` la Charte au lieu de la servir. J’irai plus loin. L’initiative, telle que la Charte la consacre, est un motif de plus pour que nos repre´sentans n’admettent les lois qu’apre`s une muˆre discussion et avec des pre´cautions redouble´es ; car il leur est interdit de re´parer leurs propres erreurs. L’expe´rience les e´claire vainement sur les imperfections des lois qu’ils ont imprudemment consenties ; elles subsistent malgre´ leurs regrets. Je reviens pour quelques instans au projet de loi ; non que je puisse ajouter beaucoup d’ide´es a` ce qu’ont alle´gue´ les orateurs de l’opposition. Il y a cependant quelques points sur lesquels des e´claircissemens ne seront pas de´place´s. Pour motiver la de´pendance des journaux, on a fait valoir leur puissance. Ce raisonnement me conduirait au re´sultat contraire. S’ils sont en effet si puissans, et si l’autorite´ qui s’en pre´vaut seule me´connaıˆt la ve´rite´, ou si elle a inte´reˆt a` ce que la ve´rite´ soit me´connue, ou` sera le recours ? ou` se trouvera le contrepoids ? Vous les peignez comme une arme terrible, et vous confe´rez le privile´ge de manier cette arme a` ceux que l’organisation politique investit de´ja` de tous les pouvoirs ! et vous l’enlevez a` ceux qui n’ont pas d’autre de´fense ! Ce n’est pas le gouvernement qui en a besoin. Les tribunaux sont la` pour le garantir et le venger. Il ne peut avoir a` se plaindre de personne, sans que la loi vienne a` son secours. Les sujets au contraire sont expose´s a` toutes les erreurs de l’autorite´. C’est a` eux que tous les moyens de plainte sont indispensables, et c’est au gouvernement que vous donnez un monopole de publicite´ ! et les gouverne´s, ne´cessairement passifs, vous les condamnez a` eˆtre muets ! Je raisonne dans votre hypothe`se ; dans la mienne, les journaux n’auront point la puissance que vous leur attribuez. Pour qu’un homme obtienne de la confiance quand il dit une chose, il faut qu’on lui connaisse la faculte´ de dire le contraire, si le contraire e´tait sa pense´e. L’unanimite´ inspire toujours une pre´vention de´favorable, et avec raison ; car il n’y a jamais eu, sur des questions importantes et complique´es, d’unanimite´ sans servitude. Il n’y aura pas d’unanimite´, dit-on. Le gouvernement laissera les opinions libres, quand elles ne franchiront pas les bornes des convenances. Je crois 2 force´e ] la source porte forcee M
18 motiver ] modifier CPC
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since`rement que son intention est telle ; mais les e´crivains n’en auront jamais le sentiment. La` ou` il n’y a pas de garantie, l’esclavage est dans l’esclave, lors meˆme que le despotisme n’est pas dans le maıˆtre. Le joug est plus lourd que ne le voudraient ceux qui l’imposent. La vie ne s’oˆte et ne se rend pas a` volonte´, et tant que les journaux seront sous une le´gislation arbitraire, on pourra leur appliquer ce mot d’un orateur ce´le`bre1 : les voila` tels que la mort vous les a faits. Et, en effet, s’ils ne sont pas morts, ils sont toujours a` la veille de l’eˆtre, et devraient dire a` l’autorite´, chaque fois qu’ils la rencontrent, morituri te salutant. J’ai releve´ ailleurs, et il y a long-temps, tous les inconve´niens de la de´pendance des journaux a. J’en pre´senterai ici la re´capitulation tre`sabre´ge´e. Le gouvernement se rend par la` responsable de tout ce que les journaux disent. Il proteste en vain contre cette responsabilite´. Il peut tout empeˆcher, il s’en prend donc a` lui de tout ce qu’il permet. On lit les journaux comme symptoˆmes de la volonte´ du maıˆtre, et comme on chercherait a` e´tudier sa physionomie, si on avait l’honneur d’eˆtre en sa pre´sence. Au premier mot, a` l’insinuation la plus indirecte, toutes les inquie´tudes s’e´veillent ; on croit voir le gou vernement derrie`re le journaliste. De la`, dans l’administration un mouvement inquiet et minutieux, qui n’est pas conforme a` sa dignite´. Il faut pour ainsi dire que l’autorite´ coure apre`s chaque paragraphe pour l’invalider, de peur qu’il ne semble sanctionne´ par elle. Des articles officiels re´pondent a` des paragraphes hasarde´s, et les de´clarations ressemblent trop a` des de´saveux. Ce qui arrive pour les actes politiques, arrive aussi dans ce qui concerne les individus. Ceux dont on dit le plus le´ger mal semblent eˆtre victimes de l’autorite´. Ils en accusent le gouvernement ; leur ressentiment est plus amer, parce qu’un blaˆme semi-officiel est plus douloureux, aussi bien que plus nuisible. Ainsi, sous les rapports publics et particuliers, tout ce qui est e´quivoque ou faˆcheux devient un sujet d’alarme ; tout ce qui est favorable perd son effet. Les journaux, dit-on, re´veilleront les haines en exhumant les souvenirs. Il y a quinze ans qu’on leur prescrit le silence. Les souvenirs sont-ils plus e´teints ? Sommes-nous plus unis ? Avons-nous e´te´ plus heureux ? Sommesnous plus calmes ? a
De la liberte´ des brochures et des journaux, 18142.
10 J’ai releve´ ... perd son effet. ] supprime´ CPC 1
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Bossuet, selon Harpaz qui a identifie´ la citation (Recueil d’articles, Le Mercure, p. 1368, n. 1 a` la p. 112) : «La voila`, malgre´ ce grand cœur, cette princesse si admire´e et si che´rie ; la voila` telle que la mort nous l’a faite» (Oraison fune`bre de Henriette-Anne d’Angleterre). Voir OCBC, Œuvres, t. IX/1, pp. 57–115.
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Ce n’est qu’une erreur passage`re. L’opposition qu’elle rencontre nous assure qu’elle ne sera pas renouvele´e. Peut-on re´pondre des hommes, de l’ambition des ministres a` venir, de l’inde´pendance des de´pute´s ? C’est quand l’esprit de liberte´ existe, qu’il faut en profiter pour faire des institutions conformes a` l’esprit de liberte´. La tribune la garantira, cette liberte´ pre´cieuse. Tant qu’il y aura des chambres, la France ne sera pas asservie. Il y a dix-sept ans que nous avions trois grands corps, gardiens de la constitution e´tablie : l’ont-ils conserve´e ? Je me rappelle a` cette occasion, qu’il y a aussi dix-sept ans, quand je re´clamais des garanties pour la liberte´, on me re´pondait : les ve´ritables garanties de la liberte´ sont dans le Tribunat, dans le Corps Le´gislatif, et dans le Se´nat-Conservateur. On me re´pondait en propres termes : Que le gouvernement, le besoin de tous les jours, de tous les instans, de toutes les minutes, ait une action libre. Gardez de le laisser de´conside´rer par les pamphle´taires a . Je ne compare pas les e´poques, mais je ne puis m’empeˆcher de comparer les raisonnemens. On rappelle les malheurs du commencement de 1815, pour accuser au moins d’imprudence les partisans de la liberte´ de la presse en 1814. S’expliquer sur toutes les causes des malheurs de 1815, est peut-eˆtre impossible encore. Mais je trouve heureusement dans un discours qu’il est permis de citer, puisqu’il a e´te´ prononce´ dans la Chambre des Pairs, par un des membres les plus distingue´s de cette assemble´e, une re´ponse pre´liminaire qui contient tout, parce qu’elle indique tout. «J’ai toujours e´te´ fermement persuade´, a dit M. le mare´chal duc de Tarente, que le repos ge´ne´ral en France n’avait d’autres garanties que l’inviolabilite´ de la Charte. Ma conviction a` cet e´gard s’est manifeste´e dans toutes les occasions ou` j’ai cru reconnaıˆtre que l’on s’e´cartait de son esprit et de ses principes, et notamment a` cette a
Se´ance du Tribunat du 16 nivose an 81.
9–p. 474.13 Je me rappelle ... B. de Constant. ] On trouvera peut-eˆtre que je redis plusieurs choses que j’ai de´ja` dites ; mais il serait injuste de m’en faire un reproche. Quand, dans ... communs. voir ci-dessus, p. 456, lignes 32–35. CPC 1
BC parle ici de son premier discours au Tribunat sur la formation de la loi (voir OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 69–84) qui a provoque´ la cole`re du Premier Consul et auquel trois orateurs au moins ont re´pondu directement, a` savoir Riouffe, Chauvelin et Le´on Thiesse´. Les deux phrases cite´es ici re´ve`lent les divergences profondes des principes. La premie`re est tire´e de l’Opinion de Thiesse´, sur le projet de loi contenant les ope´rations et communications respectives des autorite´s charge´es par la constitution de concourir a` la formation de la loi, se´ance du 16 nivoˆse an VIII, Paris : de l’Imprimerie Nationale, [1800], p. 10. La seconde citation provient du discours de Honore´-Jean Riouffe (1764–1813), un prote´ge´ de Mme de Stae¨ l d’apre`s le Dictionnaire Napole´on. Sur Riouffe et BC, voir Stae¨ l, CG, t. III/2, note 5 de la p. 54. Dans ce discours, Riouffe fait l’e´loge de Bonaparte, re´fute violemment les critiques de BC et termine son opinion par les phrases cite´es ici (Archives parlementaires, Premie`re Se´rie, t. I, p. 37b).
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meˆme tribune, le 30 aouˆt 1814, dans la discussion sur la liberte´ de la presse. Il est trop vrai que les inquie´tudes qui se re´pandirent sur les craintes d’alte´ration dans la Charte, sur la stabilite´ des lois et des institutions nouvelles, pre´pare`rent en secret, et favorise`rent les de´sastreux e´ve´nemens qui ont ouvert l’abıˆme ou` la patrie a e´te´ plonge´e a.» Je terminerai ces observations, dont la longueur de´passe mon attente, en me servant, pour re´pondre a` l’autorite´ souvent invoque´e de l’Angleterre, ce que j’e´crivais a` ce sujet, en re´futation des meˆmes argumens, alle´gue´s alors par d’autres hommes dans la meˆme cause b. Il est tre`s-vrai, comme un de´pute´ l’a remarque´, que la grande Charte n’e´tait pas, en 1215, accompagne´e de la liberte´ de la presse. C’est un fait incontestable, mais dont on ne peut faire honneur, je pense, a` la prudence du gouvernement, parce qu’en 1215, l’imprimerie n’existait pas, que je sache. Il est vrai de meˆme que les licencer a` la Chambre Etoile´e restreignirent la liberte´ de la presse. Mais la Chambre Etoile´e e´tait un tribunal ille´gal, contre lequel tous les Anglais re´clamaient de`s-lors, dont le maintien fut l’une des causes les plus puissantes du me´contentement populaire et de la guerre civile, un tribunal que les e´crivains les plus royalistes (je n’ai besoin que de nommer Hume) frappent de re´probation, et que Blackstone appelle une juridiction odieuse c. Il est tre`s-vrai que le long Parlement fit revivre les ordonnances contre la presse ; mais le long Parlement prolongeait la guerre contre le Roi, au me´pris du vœu national, qui voulait limiter l’autorite´ royale, et non de´truire la monarchie. Le long Parlement ne pouvait promettre la liberte´ de la presse, car il agissait en sens inverse de l’opinion devenue mode´re´e chez une nation qui commenc¸ait a` s’e´clairer par ses infortunes. Les ordonnances d’une assemble´e domine´e par des factieux, et que la force militaire avait a b c
Chambre des pairs, se´ance du 28 janvier1. De la liberte´ des journaux, 2e. e´dition. Tout ce qu’on va lire en est extrait textuellement2. Blackstone, liv. IV, ch. 11, p. 151.
22–23 au me´pris ] la source porte a me´pris faute d’imprimerie M porte Blanckstone M 1
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30 Blackstone ] la source
Chambre des Pairs de France, Session de 1816. Se´ance du mardi 28 janvier 1817. Opinion de M. le mare´chal duc de Tarente sur le projet de Loi relatif a` l’organisation des Colle`ges e´lectoraux, Paris : P. Didot l’aıˆne´, s.d. [1817], pp. 3–4. BC cite le de´but du discours. Les quatre derniers aline´as de cet article proviennent, comme le dit BC, de sa brochure De la liberte´ de la presse. Voir OCBC, Œuvres, t. IX/2, pp. 98–101. BC re´e´crit le passage en cause.
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mutile´e, ne me semblent gue`re dignes d’imitation. Il est tre`s-vrai qu’on renouvela ces ordonnances sous Charles II ; mais ce fut en 1662, l’anne´e ou` la re´action commenc¸a sous ce monarque avec beaucoup de violence. Ce fut la meˆme anne´e, que la cour fit annuler en Ecosse toutes les lois promulgue´es depuis trente ans, qu’on e´tablit des amendes, des spoliations et des confiscations arbitraires a. Ce fut depuis 1662 qu’il y eut quinze pre´tendues conspirations, dans chacune desquelles on voyait figurer les meˆmes espions, les meˆmes de´nonciateurs, les meˆmes te´moins b. Avec ces intentions, cette jurisprudence, cette manie`re de gouverner, assure´ment un gouvernement devait renouveler toutes les lois destructives de la libre manifestation des opinions. Les faits que l’on accumule, les dates que l’on entasse, prouvent que les restrictions a` la liberte´ de la presse ne furent jamais en Angleterre que des instrumens d’un despotisme, passant tour-a`-tour de la main des ministres de Charles Ier, qui perdirent leur maıˆtre en voulant asservir une nation ge´ne´reuse, dans celles des de´magogues furieux et sanguinaires qui renverse`rent ces ministres imprudens, et enfin dans celles d’un nouveau ministe`re, qui, par une re´action insense´e, creusa des abıˆmes sous le troˆne des Stuarts, que les e´ve´nemens avaient releve´. Nous sommes plus heureux que les Anglais ne le furent. Les intentions sont loyales et bienveillantes. J’en conclus que les e´poques que l’on nous rappelle ne doivent pas nous servir de mode`les. Il ne faut pas citer Charles Ier, car ses erreurs cause`rent la guerre civile ; il ne faut pas citer le long Parlement, car ses crimes inonde`rent de sang l’Angleterre, et finirent par la soumettre au joug d’un usurpateur. Il ne faut pas citer Charles II, car il enfreignit ses promesses, et prepara la perte de sa maison. Quant a` l’exigence des geˆnes de la presse, apre`s la re´volution de 1692, ces geˆnes ne furent point des pre´cautions de prudence, mais un effet presque tacite de l’habitude. Le statut de 1692 ne fut point une suspension ; il fut le maintien de ce qui avait existe´. Il est tout naturel qu’un gouvernement cherche a` conserver des lois, qui, a tort ou a` raison, lui semblent favorables
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XI, 221. Burnet, I, XI., 412.
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BC renvoie ici et dans la note suivante a` David Hume, A History of England from the Invasion of Julius Cæsar to the Revolution in 1688, by D. H. ; A new Edition, Basil : J. J. Tourneisen, 1789. Il faut corriger l’anne´e : c’est en 1661 que l’acte en cause fut passe´, comme le dit Hume, a` la page indique´e par BC. Burnet, Bishop Burnet’s History of his own Time, London : T. Davies, 1766. BC renvoie a` la p. 162 de l’e´dition que nous avons consulte´e.
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a` son autorite´, et qu’il regarde comme un he´ritage. Le statut de 1692 ne contredisait d’ailleurs en rien la constitution anglaise, car la de´claration des droits n’avait point fait mention de la liberte´ de la presse. Or, la diffe´rence est grande entre ne pas abolir une loi fautive, et suspendre une constitution formellement proclame´e. La suspension annonce qu’elle a reconnu l’abus de la faculte´ qu’on suspend ; l’abolition annonce qu’on s’est convaincu, apre`s quelques de´bats, de l’inutilite´ ou de l’injustice des re´glemens qu’on abroge. Notre constitution, plus sage que la de´claration des droits des Anglais, a positivement stipule´ la liberte´ de la presse. En la suspendant, nous ne ferions pas ce qu’ils ont fait, mais directement le contraire, puisque, depuis qu’ils en jouissent, ils ne l’ont jamais suspendue, ni pour les livres ni pour les journaux a. B.
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Blackstone le dit en termes clairs. La presse devint libre dans le sens propre de ce mot, en 1694, et l’a toujours e´te´ depuis. Liv. IV, ch. 11, en note.
BC renvoie ici a` William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, by William Blackstone, Knt., one of the Justices of his Majesty’s Court of Common Pleas. A new Edition with the last Corrections of the Author ; also containing Analyses and Epitome of the whole Work with Notes by John Frederick Archbold, Esq., London : William Reed, 1811, t. IV, p. 151, n. a. BC cite la dernie`re phrase de la note d’Archbold. L’e´dition franc¸aise Commentaires sur les lois angloises de M. Blackstone, traduits de l’anglois par M. D. G. (Damiens de Gomecourt), sur la quatrie`me e´dition d’Oxford, Bruxelles : J.-L. de Boubers, 1774–1776, t. VI, pp. 41–43, ne contient pas de notes. BC cite assez fre´quemment ce passage. Voir p. ex. OCBC, Œuvres, t. IX/1, p. 53, n. 2.
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Apre`s avoir parle´ de la Prusse, nous passons a` l’Autriche, qui ne lui ressemble sous aucun rapport moral, intellectuel ou politique. Un peuple calme, un gouvernement doux, peu d’e´lan vers les lumie`res, un grand e´loignement pour les ame´liorations rapides ; la conviction qu’on se trouve toujours bien de ce dont longtemps on s’est bien trouve´ ; de la de´fiance contre les the´ories constitutionnelles ; de l’attachement aux pratiques consacre´es par l’habitude ; des garanties de dure´e, provenant plutoˆt de la solidite´ de l’ensemble que de la vie inte´rieure de chaque partie ; l’art de profiter sans ostentation des e´ve´nemens prospe`res, et de sortir avec le moins de perte possible des e´ve´nemens calamiteux : tels sont, quand nous fixons nos regards sur l’Autriche, les caracte`res qui nous frappent, et avec lesquels le syste`me que ses souverains ont suivi, sauf une exception passage`re et sans succe`s, a toujours e´te´ dans une harmonie parfaite. Toutes les qualite´s de Marie-The´re`se1 e´taient e´minemment adapte´es a` ce syste`me. De la dignite´, du courage, peu d’ide´es diffe´rentes des ide´es anciennes, une pie´te´ e´difiante pour son peuple, et qui se nourrissait de pratiques rec¸ues, une marche tellement uniforme dans le gouvernement, que son uni-
E´tablissement du texte : Mercure de France, t. I, 22 fe´vrier 1817, Tableau politique de l’Europe, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 354–365.
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Marie-The´re`se de Habsbourg (1717–1780), fille de l’empereur germanique Charles VI, reine de Boheˆme et reine de Hongrie en 1740 a` la mort de son pe`re. Par la Pragmatique Sanction de 1713, ce dernier avait voulu assurer ses «Erbländer» (patrimoine des Habsbourg) par he´ritage, meˆme en ligne fe´minine, et la possibilite´ d’e´lection impe´riale. Il avait dans ce but obtenu, par toute une se´rie de concessions, l’accord des puissances europe´ennes qui, a` sa mort, renie`rent leurs promesses, ouvrant ainsi la guerre de succession d’Autriche (1740–48). Ses opposants e´liront empereur sous le nom de Charles VII l’E´lecteur de Bavie`re Charles` la mort de ce dernier en 1745, Marie-The´re`se re´ussira a` faire proclamer empereur Albert. A germanique son mari Franc¸ois de Lorraine (1708–1765). Il avait duˆ troquer en 1738 son duche´ de Lorraine (ou` il re´gnait sous le nom de Franc¸ois III) contre la Toscane, ou` il sera Franc¸ois II, avant d’eˆtre l’empereur Franc¸ois Ier, ne re´gnant que dans l’ombre de sa femme Marie-The´re`se.
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formite´ donnait aux abus meˆmes l’apparence et jusqu’a` un certain point les avantages de l’ordre, distinguent sa longue administration. Tout semblait devoir changer, lorsque Joseph II1 monta sur le troˆne. Importune´ de`s sa premie`re jeu nesse de la gloire de Fre´de´ric II, imbu de quelques-unes des doctrines qui, sans avoir pe´ne´tre´ dans les Etats de sa me`re, les circonvenaient de toutes parts, ce prince bruˆlait, comme plusieurs monarques du dix-huitie`me sie`cle, de se montrer philosophe et re´formateur. Mais le pouvoir qui veut re´former est dans une situation particulie`rement difficile. Il ne sait jamais s’il donne assez, s’il ne donne pas trop, et comme il a toujours l’air d’imposer ce qu’il donne, les nations repoussent souvent ses bienfaits, comme des actes d’autorite´. Joseph II voulut ordonner la tole´rance, et prescrire les lumie`res. Il en re´sulta qu’il alie´na ses peuples contre toutes les ame´liorations qu’il commandait. Son re`gne de dix anne´es fut une
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La mort de Marie-The´re`se en 1780 va permettre a` son fils Joseph II (1741–1790) d’entreprendre un vaste programme de re´formes administratives dans ses e´tats he´re´ditaires d’Autriche, Boheˆme et Hongrie. Homme des Lumie`res, combinant une foi religieuse since`re a` des convictions rationalistes, il lance en 1781 des re´formes religieuses : E´dit de Tole´rance abolissant le caracte`re de religion d’E´tat du catholicisme, abolition en 1783 des ordres religieux «inutiles», caracte`re civil du mariage, cre´ation de se´minaires e´tatiques pour la formation des futurs preˆtres. Cela provoque de l’irritation en Carinthie et au Tyrol, et en Hongrie une re´volte ouverte. Engage´ dans une guerre avec la Turquie, Joseph II y abandonnera la plupart de ses re´formes avant 1789. Dans les Pays-Bas du Sud, la Belgique actuelle, la re´volte viendra de l’irritation cause´e par l’«Empereur sacristain» et ses e´dits sur la pratique cultuelle et de la crainte de voir les provinces belges traite´es comme les «Erbländer» (patrimoine des Habsbourg). Les Belges avaient de´veloppe´ depuis la pe´riode bourguignonne une the´orie voulant que le souverain reconnu s’engage a` respecter les chartes et privile`ges du passe´, la Joyeuse Entre´e du Brabant par exemple. Les E´tats de Brabant avaient peu a` peu e´labore´ une the´orie selon laquelle la Joyeuse Entre´e e´tait une loi fondamentale jure´e par l’Empereur. Ce dernier, souverain absolu dans ses «Erbländer», serait donc un souverain constitutionnel dans ses provinces des Pays-Bas. On en veut surtout a` l’E´dit du 1er janvier 1787 divisant les Pays-Bas en neuf «Cercles» se substituant aux anciennes provinces. Se dressent contre Joseph II et ses re´formes le petit peuple heurte´ par ses mesures anticle´ricales, les membres des E´tats provinciaux de´nonc¸ant la violation de leur autonomie, des e´le´ments plus progressistes parlant de droits civiques le´se´s par le «despotisme». Les choses s’enveniment quand, pour riposter a` une sorte de gre`ve de l’impoˆt, Joseph II de´clare ne plus eˆtre lie´ par ses serments, abolit les privile`ges des E´tats de Brabant et de Hainaut et annonce vouloir e´tablir un lourd impoˆt permanent, non consenti par les E´tats. D’aouˆt a` de´cembre 1789, c’est la Re´volution Brabanc¸onne. Les garnisons autrichiennes, souvent compose´es de recrues locales, de´campent ou de´sertent et Vienne ne tiendra plus que le Luxembourg, le duche´ de Limbourg et la citadelle d’Anvers (qui capitulera fin mars 1790). De´courage´, l’e´chec en Belgique s’ajoutant a` l’e´chec hongrois et a` des revers militaires dans les Balkans, Joseph II mourra le 20 fe´vrier 1790.
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lutte perpe´tuelle et infructueuse, parce que, dans cette lutte, les moyens e´taient en contradiction avec le but ; et ce prince doue´ de beaucoup d’esprit, et de´sirant since´rement le bien, mais sans savoir le pre´parer ni l’attendre, mourut me´connu de ses sujets, dont une partie s’e´tait re´volte´e, et dont le reste obe´issait, mais n’approuvait pas. Son fre`re1 et son successeur s’e´tait montre´ en Toscane philosophe plus habile, parce qu’il e´tait re´formateur moins impatient et plus mode´re´. Mais l’e´tat de son empire, et l’e´poque de son ave´nement, lui firent une loi de calmer les esprits en renonc¸ant aux re´formes. Les circonstances exte´rieures le confirme`rent dans cette marche re´trograde. La violence de notre re´volution, meˆme avant les crimes qui la souille`rent plus tard, effrayait l’autorite´, alarmait la prudence, scandalisait la routine. Lorsque presque toutes les puissances de l’Europe se coalise`rent contre nous, l’Autriche put eˆtre conside´re´e comme le repre´sentant spe´cial des institutions anciennes. Aussi eut-elle plus que ses allie´s, durant vingt anne´es, le sort de ces anciennes institutions. On la vit dans chaque campagne force´e de renoncer a quelques provinces, et la liste de ses pertes e´tait, en 1810, plus longue que celle de ses Etats2. Cependant tous les peuples qu’elle e´tait oblige´e de sacrifier lui reste`rent attache´s. Ceux qu’elle conserva la de´fendirent tant qu’elle voulut eˆtre de´fendue. Les Hongrois, malgre´ leurs agitations inte´rieures, se rallie`rent sous ses e´tendards, repoussant les appaˆts qu’offrait a` l’esprit d’inde´pendance une politique, il est vrai, trop bien connue, pour re´ussir a` tromper encore3, et tout en pleurant la mort de Hofer4, 17 force´e ] la source porte forcee M 1
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Le´opold II de Habsbourg-Lorraine (1747–1792), fils de Marie-The´re`se, devient Grand-Duc de Toscane sous le nom de Pierre-Le´opold a` la mort de son pe`re Franc¸ois de Lorraine en 1765. La mort de son fre`re l’empereur Joseph II en fe´vrier 1790 fait de lui le roi de Boheˆme et de Hongrie, mais le processus d’e´lection impe´rial est long et il ne devient empereur germanique que le 30 septembre 1790. En de´cembre de la meˆme anne´e, il a re´tabli aise´ment, a` cause de la lassitude et des discordes internes, son autorite´ dans les Provinces Belgiques insurge´es, de´cevant toutefois les Belges par un certain manque de souplesse. Il meurt le 1er mars 1792, apre`s avoir conclu avec la Prusse la convention de Pillnitz dirige´e contre la France. Au traite´ de Schönbrunn (14 octobre 1809), perte de la Haute-Autriche et de Salzburg ce´de´s a` la Bavie`re qui conservait le Tyrol septentrional, tandis que le Tyrol me´ridional allait a` l’Italie ; la France obtenait la Carinthie, la Carniole et la Croatie me´ridionale (Dictionnaire Napole´on, p. 144b). Pendant la campagne d’Autriche de 1809, et en septembre encore, Napole´on essayera de se rallier a` la Hongrie, mais les magnats hongrois resteront fide`les aux Habsbourg par me´fiance envers les principes socio-e´conomiques ve´hicule´s par la France et par crainte de voir une Hongrie transforme´e par Paris en E´tat satellite sur le mode`le du Grand-Duche´ de Varsovie. Andreas Hofer (1767–1810), aubergiste et ancien soldat, prend la teˆte en avril 1809, avec le
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les Tyroliens regrette`rent l’empire de la famille antique qui avait si longtemps re´gne´ sur eux. Tant la douceur de l’administration se concilie suˆrement l’amour des administre´s ; et tant il est naturel a` la masse des hommes d’aimer les gouvernemens qui s’abstiennent de la tourmenter ! Enfin, une sorte de destine´e protectrice, qui de´ja`, dans plusieurs circonstances, avait semble´ veiller sur l’Autriche, vint a` son secours. Elle trouva dans l’exce`s de ses de´sastres des ressources inattendues, que personne n’aurait pu pre´voir, auxquelles long-temps personne ne voulut croire ; et un adage ce´le`bre, qui lui avait de´ja` e´te´ applique´ a` d’autres e´poques, rec¸ut, dans un moment bien critique, une confirmation e´clatante. Alors elle put respirer apre`s ses revers, attendre les e´ve´nemens, calculer ses forces, et se pre´senter dans la grande crise de 1814, pour mettre dans la balance un poids irre´sistible contre l’ambition trahie par le sort. L’affranchissement de l’Allemagne a valu a` l’Autriche la restitution de la plupart des pays qu’elle avait ce´de´s, et plusieurs acquisitions nouvelles qu’elle de´sirait de tout temps. Elle n’a aucun motif de regretter la Belgique, qui, malgre´ sa fertilite´ et sa richesse, lui rapportait peu, lui couˆtait beaucoup, l’occupait sans cesse par cet esprit me´content qui s’e´tait perpe´tue´, depuis Charles-Quint1, de ge´ne´ration en ge´ne´ration, et qui, se´pare´e d’elle par une quantite´ de principaute´s interme´diaires, semblait ne lui appartenir que pour lui re´sister en temps de paix et lui eˆtre enleve´e en temps de guerre. Venise, ce´de´e par l’homme qu’une re´publique avait e´leve´, et que la destine´e avait choisi pour faire disparaıˆtre de l’Europe presque toutes les re´publiques, consolide l’empire de l’Autriche en Italie. Ses finances seules se ressentent des e´poques de calamite´s, moins peut-eˆtre par l’effet imme´diat de ces calamite´s meˆmes, que par une suite du syste`me qui, attribuant le discre´dit a` l’agiotage, croit que des rigueurs et des menaces peuvent empeˆcher l’agiotage de porter atteinte au cre´dit. Fide`le a` ses principes, l’Autriche a re´tabli, tant qu’elle l’a pu, dans les E´tats anciens et nouveaux qu’elle posse`de, ses habitudes d’administration, et surtout elle a e´carte´ soigneusement tout ce qui se rapprochait des the´ories admises ou re´clame´es par d’autres nations. Elle a replace´ ses possessions
2 re´gne´ ] la source porte re´gne M
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31 e´carte´ ] la source porte e´carte M
capucin Haspinger et le marquis de Chasteler, de la re´volte des paysans du comte´ de Tyrol, ce´de´ a` la Bavie`re au traite´ de Presbourg en de´cembre 1805. Habile chef de partisans, il inflige de lourdes de´faites aux troupes franco-italo-bavaroises (juin-aouˆt 1809). Abandonne´ par le gouvernement autrichien apre`s le traite´ de Vienne d’octobre 1809, il continue la gue´rilla dans les Alpes. Livre´ par trahison, il sera fusille´ a` Mantoue le 20 fe´vrier 1810. Charles V dit Charles Quint (1500–1558), souverain des Pays-Bas en 1506 a` la mort de son
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d’Italie, et par-la` l’Italie entie`re dans la position ou` cette contre´e s’e´tait trouve´e depuis tant de sie`cles ; mais fide`le aussi a` sa mode´ration pratique, elle gouverne par son poids plutoˆt que par des secousses, et comme, en ramenant le passe´, elle ne se´vit pas avec violence contre le pre´sent, elle est peu menace´e par l’avenir. Les mariages, ........ .......... lui cre´ent1, et dans notre partie du globe et jusque dans le Nouveau-Monde2, des alliances imposantes, qui, par cela seul sont utiles, meˆme quand elles ne sont pas e´troites et ne seraient pas toujours durables. Sous le rapport politique, l’Autriche est d’une grande importance par sa position centrale, par ses forces re´elles, par sa solidite´ et meˆme par sa lenteur ; car cette lenteur fait qu’elle arrive toujours au moment ou` il le faut pour de´cider les querelles dont elle a e´te´ tantoˆt spectatrice impassible, tantoˆt auxiliaire peu active. Meˆme quand elle semble prendre une part de´cide´e dans une contestation, il y a dans sa manie`re d’y coope´rer une sorte de neutralite´ ; et c’est aussi presque toujours comme interme´diaire qu’elle intervient dans la paix, lors meˆme qu’elle a e´te´ au nombre des parties bellige´rantes. Sous le rapport de la marche ge´ne´rale de l’espe`ce humaine, l’Autriche suit cette marche, parce que tous les gouvernemens sont destine´s a` la suivre. Le tremblement de terre qui de´racine les arbres soule`ve les rochers ; mais ceux-ci se replacent quelquefois et plus souvent ils semblent se replacer par leur pesanteur la` ou` ils e´taient auparavant. L’Autriche est donc moins visiblement agite´e par le mouvement universel qu’aucun des autres E´tats europe´ens ; elle ce`de ne´anmoins a` ce mouvement, elle y ce`de avec dignite´ et retenue ; le discours de son ministre3 a` la die`te de Francfort prouve qu’elle ne me´connait point la ne´cessite´, et fait l’e´loge de ses intentions bienveillantes. Ce discours contient deux de´clarations importantes ; l’une c’est que l’Allemagne retire de grands avantages de sa division en plusieurs souverainete´s inde´pendantes, aveu qu’on ne saurait trop appre´cier de la part d’un prince qui, replace´ sur le premier troˆne de la confe´de´ration germa26 me´connait ] la source porte me´connalt M ration M
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30 confe´de´ration ] la source porte confede´-
pe`re Philippe le Beau, roi d’Espagne, des Deux-Siciles et des Ame´riques en 1516 par he´ritage de sa me`re Jeanne la Folle, souverain des «Erbländer» he´rite´s de son grand-pe`re Maximilien et Empereur germanique en 1519. Abdique en 1555, partageant son vaste empire entre son fre`re Ferdinand Ier et son fils Philippe II. Les points de suspension indiquent ici et encore plus loin les interventions de la censure. Allusion a` la devise de la couronne d’Autriche, attribue´e a` Maximilien Ier : «Bella gerant alii, tu felix Austria, nube» relative aux mariages a` buts territoriaux des Habsbourg. En ce qui concerne les alliances dans le «Nouveau Monde», rappelons que le prince he´ritier du Portugal Don Pedro (1798–1834), qui se proclamera Empereur du Bre´sil en 1822, e´pouse en 1817 l’archiduchesse Le´opoldine d’Autriche qui mourra en 1826. Johann-Philipp baron von Wessenberg (1773–1858), diplomate autrichien en poste dans
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nique, pourrait aspirer a` augmenter l’action de sa supre´matie sur les divers membres de cette confe´de´ration. L’autre de´claration, qui n’est qu’une conse´quence de la premie`re (mais il est d’autant plus honorable a` l’autorite´ de reconnaıˆtre les conse´quences des principes qu’elle admet, qu’on a vu souvent le pouvoir n’admettre les principes que sous la condition de nier les conse´quences) ; l’autre de´claration, dis-je, c’est que l’empereur d’Autriche ne se conside`re que comme un membre de la confe´de´ration, sur le pied d’une parfaite e´galite´ avec les autres. Les principes e´claire´s que l’empereur Franc¸ois II1 professe, comme chef de l’empire germanique, sont d’un heureux augure pour les E´tats qu’il gouverne plus directement. Tous les droits, ceux des nations et ceux des individus, sont de meˆme nature. «La forme des relations civiles et publiques de la vie sociale, qui imitera le plus fide`lement, dit encore le ministre autrichien dans son discours, les rapports individuels, sera aussi la meilleure, la plus durable, et conduira le plus suˆrement le corps social, aussi bien que les particuliers, a` la pe´riode la plus avantageuse des peuples et des hommes.» Il en re´sulte que : «Si la destination d’un gouvernement fe´de´ratif est de maintenir la saintete´ et les principes fondamentaux du pacte commun, sans geˆner l’action libre des gouvernemens de l’inte´rieur, suivant les localite´s et les besoins du temps,» la destination de tout gouvernement est de maintenir l’ordre ge´ne´ral, sans geˆner l’action libre des individus, suivant leur position particulie`re. Il est d’autant plus salutaire que ces principes soient proclame´s par le gouvernement de l’Autriche, que, dans cette contre´e, c’est du gouvernement surtout que les ame´liorations doivent partir.
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diverses capitales europe´ennes avant de devenir le bras droit de Metternich lors de l’e´laboration de l’Acte Final du Congre`s de Vienne et de la constitution de la Confe´de´ration Germanique. L’Autriche exerc¸ant de droit la pre´sidence du Bundestag, il y sera ministre ple´nipotentiaire jusqu’en 1819. Franc¸ois de Habsbourg-Lorraine (1768–1835), fils aıˆne´ de Le´opold II, lui succe`de comme roi de Boheˆme et de Hongrie et souverain des «Erbländer» (patrimoine des Habsbourg). C’est a` ce titre, alors qu’il n’a pas encore e´te´ e´lu empereur sous le nom de Franc¸ois II, que l’Assemble´e Le´gislative franc¸aise lui de´clare la guerre le 20 avril 1792 et force Louis XVI a` la signer. C’e´tait habile pour e´viter qu’il obtienne le secours automatique des princes du Saint-Empire. Les de´faites multiples l’obligeront a` souscrire aux traite´s de Campo-Formio (1797) et Lune´ville (1801). Sentant que, par l’augmentation du nombre des E´lecteurs laı¨cs appartenant au tiers parti franc¸ais et par la disparition des E´lecteurs eccle´siastiques, la couronne du Saint-Empire risque d’e´chapper aux Habsbourg apre`s sa mort, il cre´e dans ses «Erbländer» la Monarchia Austriaca he´re´ditaire. La de´faite d’Austerlitz entraıˆnant le traite´ de Presbourg et la dissolution du Saint-Empire, il re`gnera de´sormais comme empereur d’Autriche sous le nom de Franc¸ois Ier. Apre`s 1815, il sera mis a` la teˆte de la Confe´de´ration
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En France, la classe qui de´cide en dernier ressort, c’est la classe interme´diaire. En Prusse, c’est la noblesse, qui, par l’e´ducation des universite´s, s’est unie d’opinion avec la classe lettre´e. En Autriche, ce qu’il y a de lumie`res est dans le gouvernement, et tandis qu’ailleurs les lumie`res agissent en remontant, elles doivent, en Autriche, descendre, et pe´ne´trer graduellement dans la masse de la nation.
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L’Allemagne a subi deux me´tamorphoses depuis douze anne´es. Jusqu’a` l’e´poque de la confe´de´ration du Rhin, ses divers E´tats, tre`smultiplie´s, plus ou moins conside´rables, unis entre eux par un lien plus apparent que re´el, e´taient grouppe´s, suivant leur situation ge´ographique, les uns autour de l’Autriche et les autres autour de la Prusse. La volonte´ de Bonaparte supprima en un jour une foule de principaute´s, re´duisit leurs chefs au rang de sujets, et leur donna pour souverains quelques princes, qui forme`rent une confe´de´ration dont il fut proclame´ le protecteur. . . . . . . . . . ...................................... A l’e´poque de la confe´de´ration du Rhin, beaucoup d’hommes e´claire´s, sans contester l’injustice de cette mesure, applaudirent a` la supression de tant de petits Etats. L’on ne manque jamais de raisonnemens spe´cieux en faveur de la concentration du pouvoir. De quelque genre que soit l’inde´pendance, elle a toujours des inconve´niens. On fait ressortir les inconve´niens, on se tait sur les avantages, et rien n’est si magnifique alors que le tableau des bienfaits de l’unite´, de l’uniformite´, du calme, de la facilite´, de la rapidite´ qui re´sultent du sacrifice des petits aux grands, et des parties a` l’ensemble. Il n’y a dans tout cela que deux choses a` de´sirer, et l’on est convenu de ne pas en tenir compte, l’une est la justice et l’autre la liberte´. L’Allemagne, sous ses petits princes, au milieu du dernier sie`cle, sans institutions bien e´tablies, sans droits positivement reconnus (car ce qu’on appelait alors des droits e´tait plutoˆt des traditions plus ou moins obscures), sans liberte´s formellement garanties, e´tait fort heureuse, et qui plus est fort libre, et ce phe´nome`ne tenait uniquement a` cette division en petits Etats, qu’on a re garde´e toujours comme l’un des malheurs de cette contre´e, et sur laquelle les publicistes des grands empires s’attendrissaient avec une orgueilleuse pitie´. Les souverains de ces petits pays e´taient, pour ainsi dire,
Germanique et re´cupe´rera la plupart de ses pertes territoriales de 1805 et 1809, ceignant de surcroıˆt une nouvelle couronne, celle du Royaume Lombardo-Ve´nitien. Il ne jouera cependant plus qu’un roˆle efface´, laissant agir Metternich dans un sens anti-libe´ral.
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sous les yeux de tous : la de´sapprobation les contenait ; la pitie´ physique agissait sur eux ; la popularite´ leur e´tait ne´cessaire, et ils ne pouvaient y supple´er par une popularite´ suppose´e. La classe qui, partout, se´pare le prince d’avec la nation, n’e´tait pas assez nombreuse, dans ces petits Etats, pour remplacer le peuple, d’une manie`re qui fit illusion. La` ou` le public tout entier ne forme qu’un petit nombre, l’on ne peut pas, comme ailleurs, cre´er deux publics, et pre´fe´rer le public factice. Transportez dans un royaume e´tendu le gouvernement qui existait dans ces principaute´s presqu’imperceptibles, et vous aurez le despotisme le plus effrayant ; mais, comme elles e´taient tres-resserre´es, tre`s-multiplie´es, l’opinion e´tait le seul despote qui puˆt y re´gner. Cette puissance de l’opinion e´tait telle, qu’un journaliste de Gottingue tenait, pour ainsi dire, en e´chec tous les petits princes, par ce que, dans son journal a, il imprimait chaque mois un pre´cis de tous leurs proce´de´s envers leurs sujets, appuye´ d’actes authentiques. La liberte´ de la presse puisait une meilleure garantie dans la multitude des villes ou` tous les e´crits pouvaient s’imprimer, qu’elle n’aurait pu en trouver dans les lois les plus libe´rales. Le duc de Brunswick1 ne crut pas pouvoir e´tablir une censure dans ses Etats, au moment ou` il marchait contre la France, et tandis qu’il nous faisait la guerre en Champagne, on publiait toutes les semaines, dans sa capitale, une feuille dans laquelle on de´fendait la cause franc¸aise. Sans doute, il y avait des injustices, et ces injustices e´taient d’autant plus faˆcheuses, que les Etats e´taient plus grands ; mais en ge´ne´ral le pouvoir injuste e´tait si faible et si borne´, qu’on n’avait a` craindre ni sa perse´ve´rance ni son e´tendue. Il e´tait vaincu par deux forces au-dessus de la sienne : le temps et l’espace. Un savant allemand2, maltraite´ par le prince qu’il servait, voulait lui re´sister : ses amis, mode´re´s comme on l’est toujours quand il a
Schloezers Staats-Anzeigen3.
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Charles-Guillaume-Ferdinand, Erbprinz (prince he´re´ditaire) puis duc re´gnant de BrunswickWolfenbüttel (1725–1806), neveu de Fre´de´ric II de Prusse, beau-fre`re de Fre´de´ric-Guillaume II de Prusse et du stathouder des Pays-Bas Guillaume V, fait toute sa carrie`re dans l’arme´e prussienne. Apre`s avoir re´tabli aux Pays-Bas l’autorite´ du stathouder en 1787, il commande en chef les troupes austro-prussiennes dirige´es contre la France et signe la fameuse proclamation du 25 juillet 1792 menac¸ant de de´truire Paris, qui porte son nom mais a en fait e´te´ re´dige´e par un e´migre´ franc¸ais et qui provoquera par contrecoup l’insurrection du 10 aouˆt et la chute de la monarchie franc¸aise. Battu a` Valmy, il e´vacue la Champagne. Reste´ a` la teˆte de l’arme´e prussienne en 1806, il se fera battre a` Ie´na, puis sera blesse´ mortellement a` la bataille d’Auerstaedt le 14 octobre 1806. Rappelons que BC e´tait a` Brunswick a` l’e´poque des faits qu’il relate ici. Personnage non identifie´. Le pe´riodique d’August Ludwig von Schlözer, Stats-Anzeigen [sic], gesammelt und zum Druck befördert von August Ludwig Schlözer, D., Göttingen : in der VandenhoeckRuprechtschen Buchhandlung, 1782–1793, 18 vol.
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s’agit des offenses rec¸ues par les autres, lui repre´sentaient qu’il allait se perdre : «c’est vrai, re´pondit-il, mais je me retrouverai a` trois lieues d’ici.» Cette division de l’Allemagne, et la liberte´ de fait qui en e´tait la suite, avaient cre´e´ partout des foyers de lumie`res, des centres d’e´mulation locale, favorables au de´veloppement de toutes les faculte´s. Quelque petite que soit la circonfe´rence, l’existence du centre est la chose importante. Une ville de sept mille ames, centre d’un Etat, a plus de vie inte´rieure et remplit ses citoyens de plus d’activite´ intellectuelle, qu’une cite´ de cent mille, qui n’est qu’au second rang dans un grand empire. Notre imagination se proportionne au public qui nous entoure, et ce public, ne fuˆt-il compose´ que de deux cents hommes e´claire´s, excite en nous un de´sir de conque´rir son estime, qui ne serait pas plus ardent, quand ce public serait centuple´. De la`, dans les plus petites re´sidences allemandes, a` Brunswick, a` Weymar, a` Gotha des e´crivains supe´rieurs, des artistes distingue´s, et une prodigieuse disse´mination d’ide´es justes et de connaissances utiles. Bonaparte, qui voulait faire de l’espe`ce humaine un immense instrument, mu par un ressort unique, de´truisit la plupart de ces petites principaute´s, ne conserva que celles que ses relations du moment l’invitaient a` e´pargner, et leur distribua, suivant son calcul ou son caprice, les de´pouilles des autres, que, dans le ne´ologisme de cette diplomatie re´volutionnaire, on nomma les me´diatise´s. Par bonheur pour l’Allemagne, cette premie`re suppression des petits Etats ne porta point sur les plus distingue´s par leur civilisation et par leurs lumie`res. Le Nord ne fut pas atteint autant que le Midi ; mais aussi l’ope´ration n’e´tait que pre´liminaire, et ceux qui en profitaient e´taient re´serve´s a` l’e´prouver a` leur tour. Quelques-uns meˆmes ont, avant le temps, subi cette destine´e. J’ai vu la prise de possession d’une ville1 que je ne nommerai pas ; la joie de l’arrivant, le silence des de´posse´de´s. Deux ans plus tard l’un et l’autre e´taient de niveau, la ville e´tait soumise au maıˆtre du grand empire. L’œuvre de Bonaparte tombant avec lui, il a fallu mettre quelque chose a` la place du syste`me entraıˆne´ dans la destruction universelle. De la` les ope´rations du congre`s de Vienne, continue´es maintenant par la die`te de Francfort. L’on a se´ve`rement blaˆme´ les ope´rations du congre`s de Vienne ; pour les appre´cier e´quitablement, il faut re´fle´chir d’abord qu’elles e´taient de deux espe`ces. Les unes, qui sont consomme´es, avaient pour but de fixer les limites des Etats, limites que les e´ve´nemens avaient bouleverse´es. Les autres, qui restent encore imparfaites, se rapportent aux constitutions inte´rieures de chaque Etat en particulier. L’on s’est beaucoup moque´ de ces partages en vertu desquels on assignait a` tel souverain tant de milliers d’ames. Le mot n’e´tait certainement ni heu1
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reux ni convenable. Il preˆtait a` la plaisanterie, et quand les hommes ont trouve´ une plaisanterie qui re´ussit, ils ne se font pas faute de la re´pe´ter. Cependant la doctrine une fois admise, que certaines familles sont appele´es a` gouverner, et le principe une fois e´tabli, qu’on ne pouvait point faire revivre la souverainete´ des anciens proprie´taires, parce que les puissances qui avaient recu cette souverainete´ ne voulaient s’en dessaisir qu’a` titre d’e´change, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . le mode le plus naturel, on pourrait dire le seul (le syste`me toujours consacre´), e´tait de leur assigner pour souverains ceux qui de´ja` re´gissaient les e´tats limitrophes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Apre`s une telle confusion, une de´marcation nouvelle e´tait indispensable, et, a` moins de contester le principe que j’ai cite´ plus haut, ce qui est une toute autre question, que je n’ai nulle possibilite´ de traiter ici, la distribution des ames, par le congre`s de Vienne, ne peut eˆtre attaque´e que comme une terminologie fautive ; mais une seconde ope´ration doit suivre cette distribution. Il s’agit de donner aux Etats ainsi compose´s des constitutions, des droits politiques et des garanties. Cette ope´ration est d’autant plus ne´cessaire, qu’a` l’e´poque de la confe´de´ration du Rhin, plusieurs princes d’Allemagne (le feu roi de Wurtemberg1, par exemple) avaient ane´anti l’ancienne constitution de leur pays2. La die`te de Francfort travaille a` remplacer ce qui a e´te´ de´truit de la sorte. S’acquittera-t-elle dignement de cette mission ? Elle y apporte des lenteurs ; elle ne lutte pas avec une e´nergie suffisante contre les pre´tentions particulie`res ; elle fait un ample usage de la ressource des ajournemens. Le principe de la repre´sentation est de´cre´te´ toutefois ; c’est beaucoup, et de´ja` un noble exemple a e´te´ donne´. Le duc de Weymar3, prince e´claire´, a pre´sente´ le mode`le d’une constitution libe´rale, qui n’a rencontre´, dans la die`te, que des approbateurs. Quelques princes he´sitent encore. Les uns veulent ressusciter le passe´ ; d’autres se refusent a` la convocation des e´tats provinciaux, et deux professeurs de Heidelberg, organes d’un vœu, qu’on dit national, ont 1
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Fre´de´ric Ier (1754–1816), duc re´gnant de Wurtemberg depuis 1797, se rapproche de la France qu’il a d’abord combattue. Le Re´ce`s Germanique de 1803 lui vaut le titre d’E´lecteur et de conside´rables agrandissements territoriaux au de´triment des petits princes et des Villes Libres de Souabe, puis en de´cembre 1805 la couronne royale et de nouveaux agrandissements, finissant apre`s Wagram par le triplement de la superficie du Wurtemberg. Basculant du coˆte´ des Allie´s en 1813, il sauvera ses gains territoriaux. Ce conflit vient du fait que Fre´de´ric Ier avait voulu imposer a` ses sujets une constitution unitaire mettant fin au syste`me remontant au XVIe sie`cle de repre´sentation des «E´tats Provinciaux» combine´e avec les oligarchies bourgeoises des anciennes villes libres annexe´es de Souabe. En 1815, ce projet sera rejete´ par la Die`te groupant les E´tats Provinciaux. Charles-Auguste, grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach (1757–1828), tre`s libe´ral, ami de Goethe, protecteur des activite´s de la «Burschenschaft» a` l’Universite´ d’Ie´na, a e´te´ le premier souverain de la Confe´de´ration Germanique a` avoir accorde´ une constitution a` ses sujets le 5 mai 1816. Elle se signalait surtout en ce qu’elle stipulait la liberte´ de la presse.
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e´te´ punis par une arrestation, qui ne´anmoins n’a pas e´te´ longue. Mais ces re´sistances ce´deront au mouvement ge´ne´ral. De´ja` plusieurs souverains ont renonce´ au de´sir qu’ils avaient conc¸u dans les premiers instans d’une restauration inespe´re´e. Ils voulaient annuller tout ce qui avait eu lieu durant leur absence : les jugemens, les ventes, les transactions. La force des choses l’a emporte´. Le temps ne se laisse pas de´clarer non avenu. La Prusse a parle´ avec force en faveur de la raison, et son intervention a e´te´ efficace. Il est impossible qu’au sein de l’Allemagne, une assemble´e, dont les re´sultats sont connus, bien que ses de´libe´rations ne soient pas publiques, re´siste a` la puissance de l’opinion ; et, pour eˆtre convaincu de cette puissance, il suffit de lire les e´crits meˆmes que l’autorite´ fait publier dans l’espe´rance de lutter contre elle. Nos journaux ont transcrit un article de la Gazette universelle, bien propre a` prouver l’ine´galite´ de cette lutte. Cet article est destine´ a` persuader a` l’Europe que les Allemands sont indiffe´rens aux questions politiques, et que c’est a` tort que leurs e´crivains les repre´sentent comme se livrant a` l’examen du syste`me constitutionnel. «On lit dans toutes les feuilles pe´riodiques, est-il dit, des recherches sur les bases des Etats, sur les constitutions primitives, sur les ide´es exprime´es par les mots : souverain, peuple, autorite´ publique, ... Cependant le peuple allemand, ... paisible, sage et la borieux, ... s’occupe moins qu’aucun autre de discussions et de mouvemens politiques. D’ou` proviennent donc ces de´clamations dont tant de feuilles sont remplies, et qui induisent en erreur les Allemands eux-meˆmes ? D’une petite minorite´, ... a` laquelle se joignent tous ceux qui espe`rent qu’un changement de constitution les fera passer d’une classe moyenne, ou` ils ne jouent aucun roˆle, a` un rang plus e´leve´ ... Toute la classe des e´crivains, qui est si nombreuse, prend ici la parole. Les e´crivains distingue´s de l’Allemagne devraient faire entendre plus souvent et plus haut leur voix ; ... ils seraient en quelque sorte me´diateurs entre les souverains et les peuples a.» Si le peuple allemand n’e´tait pas occupe´ de discussions politiques, toutes les feuilles pe´riodiques ne seraient pas remplies de ces discussions. Le premier but des auteurs de ces feuilles, c’est d’eˆtre lus, et le public ne lit que ce qui l’inte´resse. On l’a tre`s-bien dit, il y a peu de jours : les journaux ne font pas l’opinion, ils l’expriment. a
Moniteur du 3 janvier1.
1 arrestation ] la source porte arrestaion M 33 d’eˆtre ] la source porte d’etre M 1
Montage de phrases tire´es du Moniteur no 3, 3 janvier 1817, pp. 9c–10a, qui traduit dans une version le´ge`rement e´courte´e un article de la Allgemeine Zeitung (Gazette Universelle) du 17 de´cembre 1816 (no 352, pp. 1407a–1408b) sur l’e´tat d’esprit re´gnant en Allemagne.
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Si les discussions politiques n’e´taient introduites dans le public que par une petite minorite´, elles ne seraient pas assez importantes pour qu’on invoquaˆt les e´crivains distingue´s comme me´diateurs. Si cette petite minorite´ est renforce´e de tous ceux dont les espe´rances sont e´veille´es par la perspective d’une constitution libre et de toute la classe des e´crivains, qui est si nombreuse, dit-on, cette minorite´ pourrait bien n’eˆtre pas une si petite minorite´. La ve´rite´ perce a` travers ces assertions contradictoires. Le mouvement europe´en n’est point e´tranger a` l’Allemagne, et il finira par triompher, pour le bonheur et du consentement des princes et des nations, car les ve´ritables obstacles sont moins dans les souverains que dans l’aristocratie. Les e´tats de Wurtemberg, par exemple, tre`s-inte´ressans sous le feu Roi, parce qu’ils de´ployaient du courage, ne le sont plus autant depuis que la mode´ration du Roi actuel1, si digne d’e´loges sous d’autres rapports encore, et pour la liberte´ qu’il accorde a` la presse et pour l’e´conomie qu’il introduit a` sa cour,a permis a` leurs pre´tentions de se manifester. On ne peut gue`re sympathiser avec eux dans leurs propositions relatives au choix des repre´sentans du peuple et a` l’administration d’une caisse secre`te dont ils auraient la disposition. Tel est l’avantage de l’esprit du sie`cle, qu’il suffit de bien poser les questions pour qu’elles se de´cident imme´diatement en faveur de la justice. Les demandes des e´tats de Wurtemberg n’ont eu besoin que d’eˆtre connues pour eˆtre abandonne´es par eux-meˆmes. Ainsi la publicite´ est un reme`de infaillible. Laissez parler ceux qui ont raison, pour leur donner de la force ; laissez parler ceux qui ont tort, pour leur en oˆter. La die`te de Francfort marchera donc, je le pense, dans la direction imprime´e par la raison a` l’espe`ce humaine. Elle a de´ja`, comme je l’ai dit, accueilli les institutions libe´rales du duc de Weymar. Elle a recommande´ au se´nat de Francfort de se priver du plaisir he´re´ditaire de perse´cuter les juifs2. On cite Montesquieu dans ses se´ances ; on discute ses principes ; on re-
21 d’eˆtre ] la source porte d’etre M
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Guillaume Ier (1781–1864), roi de Wurtemberg en 1816, beau-fre`re du Tsar Alexandre Ier, et soutenu par lui contre Metternich pour des re´formes de type libe´ral, finira par l’emporter sur les vues particularistes des E´tats et des fe´odaux me´diatise´s contre leur gre´ et par promulguer la constitution unitaire du 15 septembre 1818. L’art. 16 de la Constitution de la Confe´de´ration Germanique e´tendait les droits civils aux juifs moyennant respect et adhe´sion aux le´gislations locales. Le Se´nat de la Ville Libre de Francfort proteste le 1er juin 1815, estimant que les Juifs avaient de´ja` e´te´ syste´matiquement favorise´s sous le re´gime du Prince-Primat von Dalberg.
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connaıˆt son autorite´ a. Nous verrons le syste`me repre´sentatif devenir la base de la confe´de´ration germanique, et les Allemands en possession de la seule liberte´ qui leur ait manque´ jusqu’ici : la liberte´ constitutionnelle. B.
DE
CONSTANT.
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Discours de M. de Gagert1, ministre du roi des Pays-Bas.
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Hans-Christoph, baron von Gagern (1766–1852) avait de´bute´ dans la carrie`re diplomatique en 1791 en repre´sentant le duche´ de Nassau-Usingen a` la Die`te de Ratisbonne. Entre´ au service de Guillaume Ier des Pays-Bas, il sera en 1815 son ministre ple´nipotentiaire au Congre`s de Vienne, y re´glant des questions territoriales complique´es. De 1816 a` 1818, il repre´sente Guillaume, grand-duc de Luxembourg et comme tel membre de la Confe´de´ration Germanique, a` la Die`te de Francfort. Ses trois fils Friedrich (1794–1848), Heinrich (1799– 1880) et Max von Gagern (1810–1889) rempliront des fonctions diplomatiques ou repre´sentatives a` la Die`te puis au Parlement de Francfort. L’article 18 de l’Acte Fe´de´ral de 1815 e´tablissait seulement la liberte´ de circulation des citoyens allemands a` l’inte´rieur des frontie`res internes de la Confe´de´ration Germanique. Hans von Gagern, dans un discours de 1817 devant la Die`te, demanda que ces dispositions soient e´tendues aux questions d’e´migration, de citoyennete´, aux lois de re´sidence et dans les conseils juridiques (Protokolle der Deutschen Bundesversammlung, 1817, p. 110) en reprenant comme argument un discours prononce´ par le repre´sentant autrichien lors de la 1re session de la Die`te et qui fondait la nouvelle «nationalite´ allemande» sur l’article 18.
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Des Chambres. [VIIIe article] Discussion sur le budjet a.
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La premie`re ide´e qui se pre´sente a` l’esprit, lorsqu’il s’agit d’un plan de finances, c’est que l’examen de chacune des mesures qu’il renferme, de chaque ressource qu’il sugge`re, de chaque de´pense qui est propose´e, et de chaque impoˆt qu’il s’agit d’e´tablir, aura pour but de de´terminer le me´rite intrinse`que de la mesure, l’efficacite´ de la ressource, la ne´cessite´ de la de´pense, la convenance et l’e´quite´ de l’impoˆt. Mais dans une assemble´e repre´sentative, divise´e en deux partis, ce n’est point ainsi que les questions sont traite´es. Des circonstances e´trange`res au me´rite des propositions de´cident de l’accueil qu’elles rencontrent. La personne qui en est l’organe, l’e´poque a` laquelle elles se reportent, l’aspect seul du coˆte´ qui les soutient, lui suscitent des adversaires. Une de´pense n’est pas juge´e d’apre`s sa ne´cessite´, mais d’apre`s le ministre qui l’a ordonne´e. Une recette n’est pas e´value´e d’apre`s son produit, et la facilite´ de sa perception, mais suivant que les e´le´mens dont elle se compose contentent ou choquent l’opinion des membres appele´s a` la sanctionner. La discussion actuelle a place´ l’assemble´e dans une situation plus singulie`re encore qu’aucune de celles dont nous avons rendu compte jusqu’ici, bien que la singularite´ de cette situation tıˆnt a` la meˆme cause qui a caracte´rise´ toutes les discussions pre´ce´dentes. Un parti voulait attaquer le ministe`re ; mais il lui importait presque autant de me´nager pre´cise´ment le ministre, dont la gestion fournissait les moyens d’attaque qu’il euˆt e´te´ le plus impossible de parer. Ce meˆme parti voulait de´fendre les contribuables, et se donner le me´rite de repousser les impoˆts les plus one´reux. Mais il voulait a
La justice m’oblige a` ne re´clamer dans cet article que la part de la re´daction et de quelques ide´es ge´ne´rales. En traitant cet important sujet, j’ai cru devoir au public de consulter des hommes plus e´claire´s que moi sur cette matie`re. Les calculs qui, ce me semble, pre´sentent, avec une parfaite clarte´, nos de´penses aussi bien que nos ressources ; et plusieurs des aperc¸us inge´nieux, qui accompagnent ses calculs, sont dus a` M. de Saint-Aubin, dont le nom dispense de faire l’e´loge sous les rapports financiers, et qui a bien voulu me communiquer un travail e´tendu sur le budget. E´tablissement du texte : Mercure de France, Discussion sur le budget, t. I, 1er mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 401–415. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 288–314. [=CPC]
1–3 Des Chambres. ... budget. ] VII. Projet de Loi sur le Budget. CPC le budget. ] note supprime´e CPC
27–33 La justice ...
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aussi s’opposer a` la seule mesure qui, en relevant le cre´dit et en facilitant un emprunt, dispensait le gouvernement d’accabler le peuple par des impoˆts fort au-dessus de ses faculte´s1. Il ne faut pas perdre de vue cette position bizarre, dans la lecture de ce qui va suivre. Elle seule explique des proble`mes qui, dans toute autre hypothe`se, seraient insolubles. Il y a des circonstances, (et ces circonstances ne sont point rares dans une assemble´e) ou` personne ne dit pre´cise´ment ce qu’il pense : de la` des deux coˆte´s des sophismes que le parti oppose´ combat toujours avec avantage, pour venir a` son tour en pre´senter d’autres qui ne sont pas plus difficiles a` combattre. Aucune question n’est simple. Aucun objet n’est traite´ sous son point de vue le plus naturel. S’agit-il, par exemple, d’un emprunt ? Les orateurs qui le repoussent ou qui l’entravent, ne sont point de´termine´s par l’ide´e qu’il est inutile ou one´reux, mais par des conside´rations tire´es de la nature des proprie´te´s qui lui serviraient de gages ; et ce qu’ils disent sur la nature de ces proprie´te´s n’est pas encore ce qui les de´cide. Ils sont dirige´s par d’autres motifs re´sultans de la classe de proprie´taires qui posse´daient jadis ces proprie´te´s. De la sorte, les argumens se cachent, pour ainsi dire, les uns derrie`re les autres ; et c’est bien moins par raisonnement que par une sorte d’instinct qu’on parvient a` de´meˆler la ve´rite´ au fond de tous ces retranchemens. Apre`s cette observation pre´liminaire, et passant a` l’historique de la discussion qui a eu lieu sur le budget, je ne pre´senterai point les opinions telles qu’elles se sont succe´de´es a` la tribune, parce que chaque orateur ayant discute´ le budget en entier, il en re´sulterait une grande confusion et une monotonie fatigante. Je choisirai les questions les plus importantes, j’analyserai les principaux discours, et j’ajouterai sur chaque objet les re´flexions qui me sembleront propres a` le placer sous son vrai point de vue. Mais, pour re´pandre sur cette matie`re toute la clarte´ requise, il convient de pre´senter d’abord le tableau des de´penses et des recettes qui sont les e´le´mens du budget, et qu’il faut connaıˆtre en de´tail, avant de juger l’ensemble.
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Les allusions qui introduisent d’une manie`re quelque peu e´nigmatique les re´flexions de BC anticipent ne´anmoins d’une manie`re pre´cise sur l’argumentation des articles qui vont suivre. Le parti dont il est question et qui sera repre´sente´ par Ville`le, est le groupe des royalistes qui, tout en critiquant le budget de l’anne´e 1817 sur un certain nombre de points, ne veut pas attaquer le ministre des Finances, Louis-Emmanuel Corvetto (1756–1822), sur le chapitre des de´penses militaires, qui sont en fait le point critique du budget, et il ne veut pas accepter non plus, dans un premier temps, qu’un cre´dit puisse de´charger, momentane´ment, les contribuables d’impositions plus e´leve´es, ne´cessaires pour payer les sommes exige´es par les Allie´s.
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Le total des de´penses propose´es par les ministres, e´tait de 1088 millions. Cette somme a e´te´ re´duite par la commission des finances a` 1061 : et comme le projet de cette commission a obtenu, du consentement du Roi, la priorite´ dans la discussion, je le prendrai pour base de mon travail, en observant que la re´duction porte sur les de´penses du ministe`re de la guerre1, e´value´es a` 196 millions, au lieu de 212, et sur celles du ministe`re de la marine2, e´value´es pareillement a` 44 millions, au lieu de 50 ; total de la diminution, 22 millions3. Cette de´pense totale se divise en de´penses ordinaires qui se montent a` 630 millions, et en de´penses extraordinaires qui s’e´le`vent a` 431. Les 630 millions de de´penses ordinaires se composent 1o Des charges du fonds consolide´ affecte´ au paiement des arre´rages de la dette perpe´tuelle, et du fonds annuel de 40 millions destine´ a` l’amortissement, faisant ensemble . . . . . . 157 m. 2o Des de´penses permanentes, montant a` . . . . . . . . 392 3o Des de´penses nomme´es temporaires . . . . . . . . 81 Total . . . . . . . . . 638 m. Je dois remarquer que les rentes viage`res se trouvent de´signe´es dans le budget comme faisant partie des de´penses temporaires. Si l’on a cru devoir les de´signer de la sorte, parce qu’elles s’e´teignent d’elles-meˆmes dans une dure´e moyenne d’environ quinze ans, bien qu’une portion puisse encore eˆtre payable dans vingt ou dans trente, les rentes perpe´tuelles me´riteraient aussi d’eˆtre conside´re´es comme une de´pense temporaire, puisque le fonds d’amortissement de deux pour cent du capital nominal, les e´teint e´galement dans le meˆme espace de temps a`-peu-pre`s. Les de´penses extraordinaires se composent : 1o Des divers arrie´re´s des anne´es ante´rieures, qui, d’apre`s le nouveau mode de comptabilite´ propose´ par la commission des finances, ne se renouvelleront probablement plus, mais qui s’e´le`ve actuellement a` . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 m. 2o Des paiemens a` faire aux e´trangers en 1817, montant ensemble a` . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316 Total . . . . . . . . . 431 m. Les paiemens a` faire aux e´trangers consistent : 1o En contribution de guerre . . . . . . . . . . . . . 140 m. 1 2 3
Henri-Jaques-Guillaume Clarke, duc de Feltre (1765–1818), ministre de la Guerre. Il quittera le ministe`re le 12 septembre 1817. Franc¸ois-Joseph de Gratet, vicomte Dubouchage ou Du Bouchage (1749–1821), ministre de la Marine, jusqu’au 23 juin 1817, depuis pair de France. Il votera toujours avec les ultras. BC fait abstraction de 5 millions, obtenus par des re´ductions mineures.
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2o Pour entretien des troupes . . . . . . . . . . . . . 150 3o Pour remboursement du premier quart des 20 millions ajourne´s en 1816 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 4o Pour travaux dans les places occupe´es . . . . . . . . . 5 5o Pour remboursement aux de´partemens, de la premie`re moitie´ des 20 millions avance´s en 1815, pour habillement et e´quipement des troupes e´trange`res . . . . . . . . . . . . . . 5 6o De´pense e´ventuelle pour inte´reˆts des capitaux de cre´ances duˆs aux e´trangers . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Total . . . . . . . . . 316 Telles sont donc les de´penses auxquelles la France doit subvenir. Les 1061 millions de recettes propose´es pour y faire face, se composent : 1o De recettes ordinaires qui, en y comprenant les 157 millions de´le´gue´s au fonds d’amortissement, s’e´le`vent a` . . . . 758 2o De la recette extraordinaire, provenant du cre´dit ouvert sur les 30 millions de rente jusqu’a` concurrence de . . . . . . 303 Total . . . . . . 1061 Les 758 millions de recettes ordinaires se composent : 1o Du produit des contributions directes, montant, avec les centimes additionnels, a` . . . . . . . . . . . . . . . . 357 (Sur quoi 258 pour l’impoˆt foncier). 2o Du produit des impoˆts indirects, montant ensemble a` . . 352 3o De divers autres produits, parmi lesquels 16 millions pour coupes de bois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 4o De recettes et pre´le`vemens temporaires, dont 13 millions en retenues sur les traitemens . . . . . . . . . . . . 29 Total . . . . . . . 758 Les 352 millions d’impoˆts indirects se composent : 1o Du produit net de l’enregistrement des domaines et du timbre, montant a` . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 2o Des postes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 3o Des loteries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 (N. B. Les trois produits ci-dessus montant a` 157 millions, sont de´le´gue´s au fonds d’amortissement). 4o Droits de douanes . . . . . . . . . . . . . . . . 40 5o Droits sur le sel . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 6o Sur les boissons . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 7o Sur le tabac, . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Total . . . . . . . 352
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Ce tableau sommaire des recettes et des de´penses, suffira, sans doute, pour mettre les lecteurs en e´tat de suivre et de juger les discussions qui ont eu lieu. Ceux qui de´sireraient des donne´es plus approfondies ou plus de´taille´es, doivent consulter le rapport et le discours du ministre des finances, et les deux rapports de la commission, pre´sente´s l’un par M. Roi1, l’autre par M. Beugnot2. Il e´tait difficile de trouver plus de faits exacts et de principes justes re´unis en aussi peu de pages, et expose´s avec autant de me´thode, de pre´cision et de clarte´. Les principales questions financie`res qui ont e´te´ discute´es dans la chambre, se re´duisent aux chefs suivans : 1o Le montant de la de´pense totale, et en particulier celle du ministre de la guerre. 2o Le paiement des cre´anciers de l’arrie´re´. 3o La cre´ation d’un fonds consolide´ avec la dotation de la caisse d’amortissement. 4o La vente des bois, conside´re´e sous ses divers points de vue. 5o L’emprunt. La question de la de´pense est celle a` laquelle les contribuables attachent le plus d’importance, par la raison tre`s-simple, que plus elle est re´duite, et moins ils ont a` payer. Le choix des recettes n’en est pas moins e´galement important pour eux. Un mauvais impoˆt peut diminuer incalculablement les be´ne´fices de leur industrie et de leur travail, et meˆme arreˆter l’une dans son essor, et l’autre dans ses produits ; mais cette conside´ration e´chappe au grand nombre. Presque tous les regards sont fixe´s sur la diminution des de´penses, qui ope`re visiblement la diminution des taxes. Il n’est donc pas e´tonnant, que meˆme dans l’assemble´e la plus e´claire´e et la mieux choisie, la foule des orateurs opposans s’attache de pre´fe´rence a` la critique de la de´pense, plutoˆt qu’a` celle des moyens d’y subvenir. C’est dans tous les pays, dans tous les temps, et aujourd’hui plus que jamais, la route de la popularite´. A cette occasion, la discussion actuelle a fourni a` l’opposition, dans l’assemble´e, un sujet de censure, dont elle aurait sans doute profite´ avec plus de ze`le, si elle euˆt pu tonner contre la conduite, en e´pargnant l’individu3. Dans les circonstances ou` se trouve la France, ayant a` payer annuellement, pendant quatre ans, plus de 300 millions aux e´trangers, pour contri1 2 3
Antoine Roy, comte (1764–1847), de´pute´ de la Seine, rapporteur de la loi du budget. Il e´tait un administrateur de talent. Voir le Moniteur no 25, 25 janvier 1817, 1er suppl. Claude Beugnot, comte (1761–1835), voir son long discours dans le Moniteur no 25, 25 janvier 1817, 2e suppl., p. 5c–3e suppl., p. 16c. Allusion au scandale de l’exce´dent des de´penses non autorise´es du ministe`re de la Guerre dont il sera question plus loin.
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butions de guerre, et pour l’entretien de l’arme´e d’occupation, apre`s une mauvaise re´colte en ble´s, en vins, en fourrages, il e´tait de´ja` suffisamment difficile de trouver des ressources pour faire face aux de´penses que ne´cessite le service de l’anne´e 1817. Quelle n’a donc pas duˆ eˆtre la surprise, et je me sers d’une expression adoucie, quelle n’a pas duˆ eˆtre la surprise des membres de la commission des finances, lorsqu’ils ont vu, par l’inspection des comptes, que cette de´pense, si forte, si pe´nible a` supporter, se trouvait encore augmente´e de celle de 38,400,000 francs de´pense´s par les ministres, au-dela` du cre´dit que la loi du 28 avril leur avait ouvert, et que, dans cette somme, le ministe`re de la guerre entrait seul pour 36 millions ! En ajoutant a` cet exce´dent, ou plutoˆt a` cet exce`s de de´pense, 50 millions, qui, d’apre`s la meˆme loi du 28 avril, devaient eˆtre paye´s en valeurs de l’arrie´re´, et que le meˆme ministe`re a paye´s en nume´raire, il en re´sulte un total de pre`s de 90 millions, e´cus, dont les caisses du tre´sor royal seraient plus riches, et que les contribuables auraient de moins a` fournir dans l’anne´e courante, si la loi n’avait pas e´te´ viole´e. Je crois devoir transcrire a` ce sujet les propres paroles du rapporteur de la commission pour la partie des de´penses1. «Cette circonstance (celle du cre´dit outrepasse´) a fait naıˆtre dans le sein de votre commission des discussions tre`s-graves. Elle a d’abord unanimement pense´, que de quelque manie`re que ces cre´dits eussent e´te´ exce´de´s, les de´penses devaient eˆtre exactement acquitte´es . . . . Que cette religieuse observation des engagemens pris au nom de l’Etat par les ministres, e´tait d’autant plus indispensable, que les ministres sont les agens ne´cessaires de l’Etat : que l’on ne peut traiter avec lui qu’en traitant avec ses agens, et que les particuliers qui traitent avec les ministres n’ont aucun moyen de s’assurer s’ils se renferment dans les limites des cre´dits qui leur ont e´te´ ouverts ; mais que, par cette raison meˆme, il est indispensable que les ministres soient assuje´tis a` se renfermer exactement dans les limites qui leur ont e´te´ fixe´es par la loi. Les conse´quences des principes contraires e´branleraient les bases du cre´dit public. .... Sans doute il est des circonstances qui de´passent toute pre´voyance humaine, et il ne faut pas que le frein de la responsabilite´ ministe´rielle mette l’Etat en danger : mais ces cas si rares doivent eˆtre de nature a` frapper tous les esprits par leur e´vidence, et a` ne laisser dans l’opinion publique, et dans votre propre jugement, aucun doute sur la ne´cessite´ de l’anticipation qu’un 1
BC cite un long passage du Rapport sur la loi des finances de 1817 fait a` la Chambre, par M. Roy. Voir le Moniteur no 25, 25 janvier 1817, 1er suppl., p. 1b–1c. BC retranche un certain nombre de passages qu’il n’indique pas toujours par des points de suspension. Les arguments de´veloppe´s par le rapporteur n’en souffrent pas.
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ministre aurait cru pouvoir faire pour un emploi de fonds que la sagesse du le´gislateur n’aurait pu pre´voir. Il n’en est pas de meˆme des augmentations de de´penses pour des objets qui auraient e´te´ soumis a` la discussion des chambres avant la fixation du budget ; il est alors ne´cessairement du devoir du ministre de s’y conformer : il ne peut meˆme proposer au Roi aucune disposition qui entraıˆnerait a` e´tendre les de´penses au-dela` de la mesure prescrite. Ce n’est que par cette religieuse observation de la loi, ce n’est qu’en s’armant de son inflexible rigueur, qu’il pourra e´loigner ou pre´venir les ambitions abusives les me´contentemens et les murmures qui ne se taisent que devant elle. Cependant, votre commission a examine´ les de´penses exce´dentes. Celles du ministe`re de la guerre ont particulie`rement fixe´ son attention. Elle a appre´cie´ les motifs qui les ont de´termine´es. ... Elle a e´galement pese´ le malentendu auquel peut avoir donne´ lieu le rapport du ministre des finances sur la loi du 28 avril1, rapport dans lequel il annonc¸ait au Roi que le cre´dit de 180 millions affecte´s au ministe`re de la guerre ne lui suffirait pas, et qu’il serait ne´cessaire de pourvoir dans le budget de 1817, aux de´penses qui n’auraient pu s’exe´cuter en 1816. ... Mais votre commission a e´te´ principalement de´termine´e par cette conside´ration, que les principes d’ordre et de se´ve´rite´ dont elle croit indispensable de ne jamais s’e´carter de l’avenir, n’ont pas e´te´ observe´s avec la meˆme exactitude dans le passe´ ; que pre´ce´demment la loi des finances n’a pas e´te´ la re`gle invariable des de´penses des ministres : que les lois successives ont entretenu cette de´viation des principes, sans le maintien desquels il faudrait renoncer a` re´tablir l’ordre et a` obtenir du cre´dit : et enfin qu’il y aurait une sorte d’injustice a` rendre le ministre, pour le passe´, l’objet d’une se´ve´rite´, dont, jusqu’a` un certain point, il e´tait autorise´ a` ne pas redouter toute la rigueur.» Il e´tait impossible de s’expliquer avec plus de pre´cision et de fermete´ sur les principes, tout en arrivant a` une conclusion plus douce, par me´nagement pour les circonstances : et je crois devoir m’arreˆter ici sur la distinction lumineuse e´tablie par M. le rapporteur, entre les de´penses impre´vues auxquelles des e´ve´nemens qui de´passeraient toute pre´voyance humaine, pourraient forcer un ministre, sous peine de laisser en pe´ril la chose publique, et les de´penses pre´vues et fixe´es, mais exce´de´es par un ministre, de propos de´libe´re´, sous un pre´texte quelconque. Dans le premier cas, la ne´cessite´ est survenue. La loi n’a pas e´te´ viole´e, car elle se taisait sur un cas qu’elle ne pouvait pre´voir : aussi l’assentiment 1
Il s’agit de la loi du 28 avril 1816.
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est universel, pour ratifier la conduite du ministre et re´gulariser ce qu’il a fait. Dans le second, la ne´cessite´ n’est pas survenue : elle existait ou elle n’existait pas, au moment ou` la loi fut discute´e. Si elle existait, il fallait la faire connaıˆtre ; si elle n’existait pas, l’apologie est de nulle valeur. La loi est viole´e, car elle avait parle´, elle avait interdit ce que, malgre´ elle, on a cru pouvoir faire ; le ministre a su qu’il la violait. Aucune excuse ne peut eˆtre admise, a` moins qu’on ne veuille rendre illusoires toutes les pre´cautions, et ouvrir la porte a` tous les abus. M. le vicomte Tabarie´, sous-secre´taire-d’e´tat au de´partement de la guerre, a, dans un discours tre`s-e´tendu, beaucoup insiste´ sur ce que le ministre s’e´tait cru autorise´ a` exce´der le cre´dit de 180 millions, qui lui avait e´te´ ouvert par la loi d’avril 1816, parce que, ayant de`s-lors de´clare´ ce cre´dit insuffisant, et comptant sur l’opinion ge´ne´rale des de´pute´s de la dernie`re session, il lui e´tait permis de ne conside´rer ce cre´dit que comme un fort a`-compte sur une de´pense calcule´e au plus bas, et dont la solde e´tait en quelque sorte garantie par la ne´cessite´ de´ja` reconnue de l’obtenir1. Si l’on admettait cette pre´tendue justification, il en re´sulterait l’e´trange doctrine, qu’un ministre n’aurait besoin, pour acque´rir le pouvoir discre´tionnaire d’exce´der les limites du cre´dit de´termine´ par la loi, qu’a` de´clarer, lors de la fixation de ce cre´dit, qu’il ne suffirait pas, et a` protester ainsi indirectement contre cette insuffisance. Mais, objecte-t-on, si cette de´claration e´tait fonde´e, si la commission des finances, et, d’apre`s son avis, la chambre des de´pute´s s’e´taient trompe´es dans l’e´valuation des de´penses indispensables, faudra-t-il laisser en souffrance un service essentiel ? Non, sans doute. Le ministre, convaincu dans sa conscience qu’il ne peut administrer son de´partement avec la somme qui lui est alloue´e, donnera sa de´mission. Celui qui sera de´signe´ pour lui succe´der, s’il est frappe´ de la meˆme conviction, n’acceptera qu’autant que l’erreur sera re´pare´e. Les repre´sentans de la nation, qui ont un e´gal inte´reˆt a` n’accorder que ce qui est ne´cessaire, et a` accorder tout ce qui est ne´cessaire, ne re´sisteront pas a` l’e´vidence ; ou, s’ils re´sistent, la dissolution de la chambre sera le reme`de constitutionnel. Voila` ce que disent les principes. La question se re´duit donc, en de´finitif, a` la de´mission d’un ministre, extre´mite´ moins faˆcheuse apre`s tout pour l’Etat, lors meˆme que ce ministre aurait eu raison, que la violation de tous les principes, et l’e´branlement du cre´dit, 1
Voir le discours de Michel-Marie-Etienne-Victor, vicomte Tabarie´ (1768–1839), dans le Moniteur no 37, 6 fe´vrier 1817, 2e suppl., p. 151b. Discours de M. le comte Tabarie´, soussecre´taire d’e´tat au de´partement de la guerre, un des commissaires du Roi pour la discussion du budget, pp. 151a–154c.
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e´branlement inse´parable de cette violation qui, si elle est tole´re´e, est de nature a` se renouveler chaque anne´e. La doctrine que je re´fute ici n’a pas e´te´ juge´e plus favorablement par la chambre. On ne reprochera certainement pas aux adversaires du projet de loi d’avoir eu du penchant a` traiter avec se´ve´rite´ le ministre de la guerre. Ils ont presque tous e´vite´ d’aborder ce sujet de´licat. Cependant, M. de Ville`le, qui n’en parle qu’en passant, accuse a` cette occasion le ministe`re en ge´ne´ral, de n’avoir pu e´conomiser 30 millions sur un budget de 500 millions, d’avoir pre´sente´ des comptes qui prouvent des de´penses nouvelles et non autorise´es, pour pre`s de 44 millions, et d’avoir fait en nume´raire des payemens pour 50 millions dans le temps meˆme ou` la loi propose´e a` la chambre indiquait un mode de payement plus en rapport avec la situation de l’Etat1. A la ve´rite´, M. de Ville`le ne nomme pas le ministre : mais les faits le de´signent assez clairement, pour qu’on ne puisse pas se me´prendre. Il n’a trouve´ de de´fenseur que M. Richard seul2, qui, en proposant pour les employe´s des autres ministe`res, la cre´ation d’un nouvel ordre de chevalerie, destine´ a` remplacer une partie de leurs traitemens, a pris sous sa protection toutes les de´penses des ministe`res de la guerre et de la marine. Il a pre´tendu que le ministre de la guerre avait positivement e´nonce´ l’insuffisance de son cre´dit ; que c’e´tait dans cette intention que les six millions de rentes avaient e´te´ accorde´s, et qu’en re´alite´ le ministre n’avait pas de´passe´ son budget, qui se fondait a` la fois et sur les 180 millions demande´s, et sur une portion des 6 millions de rentes. Le lecteur verra plus loin la re´ponse pe´remptoire de M. le rapporteur. Quant aux de´fenseurs du budget amende´ par la commission, ils n’ont plus parle´ de cet exce`s de pouvoir, sans doute, parce que le rapporteur leur a semble´ avoir dit tout ce que les convenances permettaient de dire. Un seul, M. Lafitte, paraıˆt avoir porte´ la parole au nom de tous, en s’exprimant ainsi3 : «Je ne suis point touche´ de ce qu’en point de fait4, ce cre´dit (de 180 millions) ainsi re´gle´ par la loi, a e´te´ de´passe´ jusqu’a` la concurrence de 36
28 tous, ... ainsi : ] tous. CPC 1 2 3
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Discours de Ville`le, Moniteur no 39, 8 fe´vrier 1817, pp. 163a–165b. Le passage e´voque´ se trouve p. 164a. Voir le re´sume´ du discours de Charles-Marie Richard (1766–1829), Moniteur no 40, 9 fe´vrier 1817, p. 169b–169c. BC transcrit ici quelques phrases originales de Richard. Jacques Laffitte (1767–1844), un des banquiers les plus re´pute´s d’Europe. Voir son discours du 10 fe´vrier 1817 dans le Moniteur no 44, 11 fe´vrier 1817, pp. 177a–178c. La citation se trouve p. 178b. L’expression «en point de fait» signifie «dans les faits», «en re´alite´», et s’oppose ici a` «re´gle´ par la loi». Le langage juridique distingue le «point de fait» du «point de droit» (voir TLF, t. XIII, p. 6630).
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millions. Je vois bien dans cette circonstance la preuve d’un tort grave ; mais je ne saurais y voir un motif de consacrer pour l’avenir un tel sucroıˆt de de´penses. Si l’on me dit que cet exce´dent a servi a` payer des de´penses le´gitimes et ne´cessaires, je re´pondrai qu’il reste a` savoir si ce n’est point pour avoir mal employe´ une partie du cre´dit, que les de´penses sont en arrie`re. Si M. le ministre de la guerre se fuˆt arreˆte´, comme il le devait, devant la limite de la loi, nous nous trouverions aujourd’hui sans aucun inconve´nient, riches de 36 millions de plus et d’un mauvais exemple de moins.» Cette discussion, d’une importance extreˆme par les conse´quences que pourrait avoir sur le cre´dit public le renouvellement de l’abus qui l’a fait naıˆtre, a e´te´ termine´e par M. le rapporteur, qui, en re´sumant tous les moyens de justification qu’on avait alle´gue´s, y a re´pondu de la sorte1 : «M. le sous-secre´taire-d’e´tat au de´partement de la guerre, parlant en pre´sence de M. le ministre de la guerre, contre le rapport de votre commission, a d’abord voulu justifier l’exce´dent de 36 millions de de´penses, qui a e´te´ le re´sultat de l’administration de la guerre dans le cours de 1816. Il vous a parle´ des e´conomies que le ministre avait faites. Il vous a dit qu’il lui avait e´te´ permis de ne conside´rer le cre´dit de 180 millions, qui lui avait e´te´ ouvert par la loi du 28 avril, que comme un a`-compte sur une de´pense calcule´e au plus bas, et que votre commission avait reconnu, d’apre`s un examen approfondi, que tout ce qui avait e´te´ de´pense´ en 1816, l’avait e´te´ pour le bien du service, et conforme´ment aux dispositions des lois et ordonnances qui re`glent l’administration de l’arme´e : enfin, il a voulu prouver la ne´cessite´ de la transgression de la loi des finances par la protestation que le ministre aurait faite contre la re´duction de son budget a` 180 millions, et par une sorte de conven tion faite avec les membres de la commission de 1816, qu’il aurait conside´re´e comme une autorisation suffisante. Ainsi la loi ne serait qu’une vaine forme. Les trois branches du pouvoir le´gislatif, en retranchant 36 millions de la principale de´pense de l’Etat, auraient sciemment de´c¸u la foi publique par la fausse apparence d’une sage e´conomie. Non, Messieurs, nous ne laisserons point peser un tel reproche sur les actes de la chambre de 1815, et nous repousserons cette funeste doctrine. Non, le ministre ne pouvait pas exce´der son budget. Si les cas de la responsabilite´ ministe´rielle n’e´taient point encore assez de´finis, elle n’en e´tait pas moins impose´e par la Charte, et assez clairement exprime´e pour qu’un ministre ne puˆt tenter de s’y soustraire sans manquer au premier de ses devoirs. 17–18 Il vous ... faites. ] supprime´ CPC 1
Re´sume´ sur la loi des finances, fait par M. Roy. Voir le Moniteur no 46, 15 fe´vrier 1817, suppl., p. 1a–2c. Le passage transcrit se trouve p. 1c.
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Votre commission, en reconnaissant que cette de´pense avait e´te´ faite, et qu’elle devait eˆtre paye´e, seulement parce qu’elle avait e´te´ faite, a pense´ en meˆme temps qu’elle e´tait ille´gale ; et, pour maintenir dans son inte´grite´ le principe fondamental des lois de finances, nous devons de´clarer qu’elle persiste unanimement dans cette opinion. Vous appre´cierez, Messieurs, le de´sordre qu’a duˆ apporter dans tous les autres services, cette transgression de la loi des finances, et le paiement en nume´raire effectif d’une autre somme de 50 millions, qui n’aurait duˆ eˆtre acquitte´e qu’en valeurs de l’arrie´re´. De quelle influence ne serait pas, dans les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, l’existence au tre´sor d’une somme de 86 millions !» Le lecteur pensera peut-eˆtre que je me suis fort e´tendu sur une discussion qui, au premier aspect, ne semble qu’accidentelle. Mais quelques re´flexions lui de´montreront qu’il est d’une incalculable importance pour le cre´dit public et pour l’ordre financier, que le fait qui a donne´ naissance a` cette discussion ne se renouvelle plus. Je me permets d’autant plus volontiers ces re´flexions, que ni M. le rapporteur de la commission, ni aucun des orateurs qui ont parle´ sur le budget ne paraissent en avoir e´te´ frappe´s. L’on a vu que la totalite´ des recettes ordinaires, y compris les 157 millions du fonds consolide´, s’e´le`ve a` . . . . . . . . 758 m. En de´duisant la`-dessus, pour recettes temporaires, telles que l’abandon de 5 millions fait par le Roi, 13 millions pour retenue sur les traitemens, etc., en tout . . . . . . . . . . . . . 54 Il reste pour produit des recettes ordinaires et permanentes . 704 m. Les de´penses ordinaires du service, permanentes et temporaires, s’e´le`vent a` . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 473 m. En ajoutant pour charges du fonds consolide´ . . . . . . 157 On obtient pour montant total des de´penses ordinaires, permanentes et temporaires . . . . . . . . . . . . . . . . 630 En de´duisant ces 630 millions des 704 ci-dessus, il reste pour exce´dent annuel des recettes ordinaires sur les de´penses ordinaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 m. Or, cet exce´dent, qui, dans tous les temps, serait de la plus haute importance, devient, dans les circonstances actuelles, ou` il s’agit de fonder un syste`me d’emprunt et de cre´dit public, et ou` tout le budget repose sur ce principe, le salut de nos finances. L’existence et la conservation de cet exce´dent sont les meilleures hypothe`ques qu’on puisse pre´senter aux preˆteurs, pour suˆrete´ du paiement des arre´rages et du fonds d’amortissement de tous les emprunts a` ouvrir jusqu’a` concurrence d’un milliard.
5 unanimement ] la source porte unaniment M
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En effet, en supposant que le cours des inscriptions qui est a` 60, reste encore, durant des anne´es, a` un taux aussi bas (supposition qui n’est pas admissible si la paix continue), le gouvernement, en empruntant d’apre`s ce cours, sera oblige´ de payer 8 pour cent d’inte´reˆt, comme il le fait en ce moment a` ceux qui lui preˆtent indirectement en achetant des rentes sur la place. Dans cette hypothe`se, 66 millions de l’exce´dent, dont nous avons prouve´ l’existence, affecte´s au paiement des inte´reˆts a` 8 pour cent par an, couvriraient un emprunt de 792 millions, et il resterait encore 8 millions, ou plus d’un pour cent du capital emprunte´, qui, e´tant affecte´s et employe´s au rachat du meˆme capital de 792 millions, l’amortiraient en moins de vingt ans. Voila` pour l’hypothe`se la plus de´favorable, c’est-a`-dire pour le cas ou` les inscriptions resteraient au meˆme cours de 60 pendant toute la dure´e du preˆt. Mais, si la paix continue, si le gouvernement et la chambre des de´pute´s persistent a` marcher dans la route du cre´dit, le cours de nos inscriptions doit naturellement se mettre au niveau de celui des effets publics dans les pays voisins. Admettons toutefois que leur cours moyen ne s’e´le`ve pas au-dessus de 75, tandis que celui des 5 pour cent en Angleterre est de 94, le taux de l’inte´reˆt serait alors a` pre`s de 7 pour cent, et les meˆmes 74 millions d’exce´dent annuel de recettes, e´tant employe´s a` fonder des emprunts successifs de 100 millions, suffiraient pour mettre le gouvernement en e´tat d’emprunter 990 millions ou pre`s d’un milliard, et laisseraient encore plus d’un pour cent pour l’amortissement du capital emprunte´. On voit que cet exce´dent seul, bien me´nage´, suffirait pour libe´rer la France de toute sa dette exigible, sans meˆme avoir besoin d’employer entie`rement les 30 millions de rente alloue´s dans ce but par le budget. C’est donc avec un soin religieux que toutes les branches du pouvoir le´gislatif doivent veiller a` la conservation de cet exce´dent de nos recettes sur nos de´penses. Mais il devient moralement impossible a` conserver, si l’on entretient les ministres et surtout le ministre de la guerre, dans la persuasion qu’ils peuvent, en alle´guant l’urgence, se justifier d’avoir de´passe´ le cre´dit prescrit par la loi. Il en est de l’urgence comme du salut public. De`s que ce motif plausible et ce commode pre´texte sont admis une fois, chacun les invoque a` son tour, charme´ de s’arroger un pouvoir discre´tionnaire. Il faut continuellement sauver l’Etat, tantoˆt en frappant sur les personnes, tantoˆt en dissipant les ressources. Le directoire, dont les nombreuses fautes nous ont le´gue´ de nombreuses lec¸ons, nous a exhibe´, durant plusieurs anne´es, la preuve comple`te que l’urgence n’existe qu’autant qu’on lui ce`de, et disparaıˆt quand on la repousse.
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Ce gouvernement, dont l’habitude e´tait de sacrifier constamment les rentiers et tous les cre´anciers de l’Etat aux fournisseurs, et les fournisseurs qui ne voulaient plus fournir a` ceux qui voulaient fournir encore, se trouvait, par une suite ne´cessaire de cette re`gle d’administration, toujours sans argent et sans cre´dit. Les divers ministres, et surtout le ministre de la guerre, assie´geaient alternativement leur colle`gue le ministre des finances et les commissaires de la tre´sorerie, en alle´guant chacun l’urgence la plus urgente. Comme le tre´sor e´tait vide, et que personne ne se pre´sentaient pour hasarder des avances, on passait re´gulie`rement a` l’ordre du jour en de´pit des sollicitations les plus pressantes. Qu’arrivait-il ? Les ministres ce´daient a` la ne´cessite´, et l’impossibilite´ l’emportait sur l’urgence. Or, si l’impossibilite´ a eu tant de puissance sous un gouvernement mal organise´, en guerre avec l’Europe, en proie aux factions, a` plus forte raison la meˆme impossibilite´ aura-t-elle aujourd’hui le meˆme effet salutaire, si l’expe´rience de´montre enfin que ce n’est pas une impossibilite´ comminatoire. Le tout est de vouloir et de persister dans la volonte´. B.
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6 assie´geaient ] la source porte assie´gaient M 7 commissaires ] la source porte commıˆssaires M 17–p. 501.11 B. DE CONSTANT. ... Je passe ] Passons BC re´unit dans CPC les deux articles en enlevant avec la signature de ce texte-ci le titre et la premie`re phrase du texte suivant CPC
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Des Chambres. (Art. IX.) Projet de loi sur le budget. (Continuation.) Discussion sur les de´penses en ge´ne´ral, et sur les budgets particuliers des ministres. Je me suis borne´, dans le premier article que j’ai publie´ sur le budget, a` faire connaıˆtre a` mes lecteurs l’ensemble des de´penses et des recettes projete´es, et a` rendre compte de la discussion incidente qu’avaient fait naıˆtre les 38 millions 400 mille fr., pour lesquels le ministre de la guerre et celui de la marine avaient exce´de´ les limites qui leur e´taient trace´es par la loi. Je passe maintenant au budget proprement dit ; et comme les premiers efforts de l’assemble´e se sont dirige´s vers les moyens de re´duire les de´penses, il me semble qu’il est utile de commencer par offrir le tableau de celles qui sont susceptibles d’eˆtre re´duites, et de celles dont la re´duction est impossible. La totalite´ des de´penses, d’apre`s le budget, amende´ par la commission, est, comme on l’a vu prece´demment, de . . . . . . . . 1061 m. Il faut en de´duire pour de´penses extraordinaires, sur lesquelles aucune re´duction n’est praticable, . . . . . . . . . . . . 431 Pour la dette publique et l’amortissement . . . . . . . . . 157 Total . . . . . . . . . 588 m. Reste pour de´penses ordinaires du service de tous les ministres 473 m. Il faut encore retrancher de cette somme, pour de´penses non re´ductibles par leur nature : Pour la dette viage`re, . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 m. Pour la liste civile et la famille royale, . . . . . . . . . . 34 Pour la dotation et les pensions des ministres des cultes, . . 29 Pour les inte´reˆts des cautionnemens, . . . . . . . . . . . . 9 Pour les frais de ne´gociations, . . . . . . . . . . . . . 10 Total . . . . . . . . . 95 m. Il reste donc pour les de´penses sur lesquelles une e´conomie est possible, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 m. E´tablissement du texte : Mercure de France, Des Chambres, (Art. IX), Discussion sur les de´penses en ge´ne´ral, et sur les budgets particuliers des ministres, t. I, 8 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 450–462. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 314–334. [=CPC] 1–11 Des Chambres ... par la loi. ] supprime´ dans CPC 13–14 il me semble ... commencer ] commenc¸ons CPC 26 34 ] 54 CPC 30 95 ] 195 CPC
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Le ministe`re de la guerre entre dans cette somme, suivant le projet de la commission, pour 196 m. ; celui de la marine, pour 44 ; ces deux ministe`res en absorbent donc 240. Tous les autres re´unis n’ont a` leur disposition que les 138 millions restans ; et c’est sur ces 138 millions que doivent s’ope´rer toutes les re´ductions qui ne porteront pas sur la guerre et sur la marine. Cet expose´ de´montre suffisamment que si l’on ne renonce a` diminuer ces deux derniers objets de de´pense, l’on n’obtiendra, sur le reste du budget, que de bien faibles e´conomies ; car il faut ajouter que, dans les 138 millions re´ductibles, se trouvent compris encore 28 millions de de´penses de´partementales, sur lesquelles on ne peut espe´rer presque aucun retranchement. Cette remarque n’est point destine´e a` jeter le blaˆme ou le ridicule sur des e´conomies, quelque minutieuses qu’elles paraissent. Inde´pendamment du soulagement qui en re´sulte toujours pour les contribuables, le gouvernement y est invite´ aujourd’hui par un motif d’une nature plus ge´ne´rale et dont les conse´quences sont encore plus importantes. Ce motif, que j’ai de´ja` indique´, c’est que la re´duction, qui ne peut avoir lieu que sur les de´penses ordinaires, est le seul moyen de cre´er ou de conserver un exce´dent de recette. Or, j’ai montre´ l’effet salutaire d’un tel exce´dent, quand un gouvernement se trouve dans la ne´cessite´ d’emprunter. Une e´conomie de cinq millions sur les de´penses ordinaires, peut valoir alors cent millions comme moyen de cre´dit, ou comme base d’un emprunt futur. Je suis donc fort e´loigne´ de reprocher aux adversaires du projet de loi d’eˆtre entre´s dans les plus petits de´tails, et d’avoir propose´ les plus imperceptibles e´pargnes. Mais on me permettra de trouver d’autant plus bizarre leur invincible re´pugnance pour toutes les re´ductions possibles dans le budget de la guerre et de la marine. Car ces deux ministe`res, qu’ils ont excepte´s de leur syste`me de retranchement, et pris sous leur protection spe´ciale, e´taient pre´cise´mment ceux dans lesquels la moindre diminution, s’appliquant a` des masses conside´rables, devient immense dans ses re´sultats. On s’en convaincra sans peine si l’on re´fle´chit de quelle administration le ministre de la guerre est charge´. Il subvient au logement, a` la nourriture, au veˆtement, a` la solde de plusieurs milliers d’hommes. Chaque centime d’augmentation par individu, de quelque manie`re que cette augmentation s’introduise, produit par-la` meˆme une somme tre`s-forte. Cette somme s’accroıˆt en raison des grades. – A cette augmentation progressive qui part pour ainsi dire de la racine de la de´pense, s’en joint une autre qui vient du sommet : de`s l’e´poque de la guerre de sept ans, un e´crivain prussien disait, en parcourant l’e´tat militaire de la France, qu’on y trouvait plus d’officiersge´ne´raux que Fre´de´ric-le-Grand n’avait de sergens-majors. Ce nombre accru sous Bonaparte, s’est accru aussi depuis la restauration. Beaucoup d’officiers de l’ancien re´gime ont reparu, de´core´s des grades que leur assurait
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l’anciennete´ du brevet. Ceci s’applique a` la marine comme a` la guerre. Ajoutez a` cette conside´ration celle que sugge`re la foule des re´compenses, des retraites, des pensions, des soldes, des demi-soldes, des traitemens de re´forme, d’inactivite´, d’expectative, sous mille de´nominations diverses. Qui ne voit que d’un coˆte´ mille portes sont ouvertes aux abus de tous genres, et que de l’autre la moindre e´conomie, s’e´tendant a` des branches si multiplie´es, est plus efficace que des retranchemens dans tout autre ministe`re, retranchemens dont l’e´nonce´ frappe le public, mais dont les e´le´mens sont a` la fois moins nombreux et moins varie´s ? Comment se fait-il donc que l’opposition, si rigoureuse contre le budget des ministres auxquels on ne pou vait presque rien enlever, parce qu’ils avaient de´ja` peu de chose, ait re´siste´ a` toute diminution, la`, ou` la diminution e´tait indique´e, en the`se ge´ne´rale, par la raison, et dans le cas particulier, par des circonstances qu’il serait bien superflu de de´velopper ? J’ose dire que personne n’aurait pu s’expliquer cette inconse´quence, si tout le monde ne l’avait pre´vue. Les bornes de cette feuille ne me permettent pas de me livrer a` l’examen de´taille´ de chaque objet de de´pense. Je me restreindrai donc a` l’analyse de ceux qui me semblent me´riter plus spe´cialement l’attention. Je parlerai 1o. des pensions ; 2o. des frais de l’administration proprement dite, et de ce qu’on a nomme´ peu e´le´gamment la bureaucratie ; 3o. enfin des budgets de la guerre et de la marine. D’autres de´penses encore ont excite´ de violens de´bats, moins a` cause de leur importance pe´cuniaire, que parce que, sous un point de vue e´tranger aux finances, elles sont conside´re´es avec de´faveur par un parti : tels sont les secours accorde´s aux re´fugie´s. Je reviendrai sur ce sujet a` la fin de l’article. Les pensions porte´es au budget de 1817, et qui se payent au tre´sor, s’e´le`vent a` un peu plus de 24 millions1. Elles consistent : En pensions civiles . . . . . . . . . . . . . . . 2,400,000 fr. En pensions eccle´siastiques . . . . . . . . . . . 15,000,000 fr. En pensions accorde´es et non encore inscrites . . . . 1,200,000 fr. Enfin en pensions de 3000 fr. et au-dessus, aux militaires et aux veuves . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,500,000 fr. Total . . . . . . 24,100,000 fr. Ces 24 millions de pensions sont inde´pendantes, 1o. des pensions de retraite aux militaires, lesquelles se payent au ministe`re de la guerre, et qui, en y 16 Les bornes ... l’examen ] Je ne me livrerai point a` l’examen CPC 17 donc ] supprime´ CPC 24 Je reviendrai ... l’article. ] C’est en finissant que je reviendrai sur ce sujet. CPC 1
Harpaz (Recueil d’articles, Le Mercure, p. 1373, n. 2 a` la p. 147), a donne´ la bonne explication de ce tableau : «Les pensions, les gratifications accorde´es a` des chouans et a` des nobles pre´occupent fort les libe´raux», et il renvoie a` deux articles de Jouy a` ce sujet dans la Minerve, t. IV, pp. 507–516, et V, pp. 3–12 de l’e´dition originale ; a` cela s’ajoute encore,
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comprenant 700,000 fr. de traitemens de re´forme, s’e´le`vent a` 47 millions ; 2o. des demi-soldes qui se payent e´galement par le ministe`re de la guerre, et qui, en y comprenant 1,900,000 fr. pour secours aux re´fugie´s e´gyptiens, espagnols et portugais, s’e´le`vent a` 17,900,000 fr. ; 3o. des pensions, traitemens de re´forme, et demi-soldes sur la caisse des invalides de la marine, montant a` 4,410,000 f. ; 4o. des pensions accorde´es sur plusieurs autres caisses et sur les fonds des ministe`res, dont le montant n’est pas encore connu. Ici le rapporteur, dont j’emprunte ces donne´es, ajoute : 5o. Les pensions qui se payent sur le produit des retenues (sur le traitement des employe´s et fonctionnaires publics), qui ne sont pas de nature a` eˆtre inscrites au tre´sor1. Comme ces pensions sont en re´alite´ le re´sultat d’e´conomies que les employe´s font sur leurs traitemens, et que, loin d’eˆtre a` la charge du tre´sor royal, elles tendent a` le soulager, elles ne doivent pas eˆtre porte´es en de´pense. Apre`s ce recensement des pensions, le rapporteur ajoute : «De´ja` cette masse de pensions absorbe plus d’un sixie`me des revenus ordinaires de la France. Elles augmentent chaque jour dans une telle proportion qu’il devient aussi pressant qu’indispensable d’arreˆter le cours de leur accroissement, qui finirait par envahir la fortune publique. Il est meˆme d’autant plus redoutable, qu’il se cache davantage, parce que les meˆmes individus, sur le meˆme fondement, ou sous les meˆmes pre´textes, obtiennent plusieurs pensions qui, sans inscription publique, se payent obscure´ment sur des caisses diverses. Le mal est d’autant plus dangeureux qu’il a son principe dans la bonte´ et la bienfaisance ; que ceux qui fatiguent les ministres de leurs sollicitations, ne sont pas toujours ceux qui ont le plus de droit d’en obtenir des graˆces ; que chacun, comparant ses droits avec les droits de ceux qui ont e´te´ favorise´s, et en invoquant l’exemple, les ministres auxquels on sait que la loi n’impose pas un frein salutaire, n’ont bientoˆt plus de moyen de se soustraire aux importunite´s dont ils sont accable´s.» Ayant ensuite prouve´ que de tout temps cet abus a excite´ des re´clamations, et que, sous tous les re´gimes, les gouvernemens ont pris des mesures pour y mettre un terme, le rapporteur indique les reme`des que le ministe`re et la commission proposent. Il demande que le fonds permanent affecte´ aux pensions de toute nature soit de´termine´ : que le maximum soit de 3 millions pour les pensions civiles : qu’un fonds permanent de 20 millions, au lieu de 30, soit destine´ aux pensions pour les services militaires et les soldes de retraite : en ajoutant que cette fixation n’aurait son effet que lorsque le
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p. 180 du meˆme t. V, un commentaire intitule´ «Sur les pensions», ou` il de´fend sa critique contre les attaques du Conservateur. Roy, Rapport sur la loi des finances de 1817, Moniteur no 25, 25 janvier 1817, 1er supple´ment, p. 2b–2c. BC cite des passages du discours et en re´sume d’autres en se servant des termes du rapporteur.
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montant des pensions et soldes de retraite actuelles serait re´duit a` ce maximum par des extinctions qui re´sulteraient du de´ce`s des pensionnaires. On ne conc¸oit gue`re que, malgre´ cette de´claration positive, l’on ait pu accuser la commission d’avoir voulu priver les braves de´fenseurs de la patrie des re´compenses qui leur sont acquises. Quand nous traiterons plus tard des de´penses de la guerre, nous citerons quelques passages de l’e´loquente justification du rapporteur : elle ne peut laisser aucun doute. Il demande ensuite que toutes les pensions qui sont a` la charge de l’Etat soient inscrites sur le livre des pensions du tre´sor royal, et qu’elles soient paye´es sur les fonds ge´ne´raux affecte´s a` la dette publique par le budget de chaque anne´e : en exceptant toutefois de cette centralisation au tre´sor public, les pensions des employe´s, re´sultant de la retenue sur leurs traitemens, comme e´tant leur proprie´te´, ainsi que les traitemens de re´forme, vu qu’ils ne sont que temporaires, et que, semblables aux demi-soldes, ils laissent ceux qui les ont obtenus sous l’autorite´ et a` la disposition du ministre de la guerre1. «Mais la commission a pense´, ajoute-t-il, qu’il n’en e´tait pas de meˆme des soldes de retraite, qui sont de ve´ritables pensions de´finitives qui font sortir de dessous la main du ministre de la guerre ceux a` qui elles ont e´te´ accorde´es, et les rendent de´sormais e´trangers a` ce ministe`re. Elle a pense´ encore que, jusqu’a` ce que le montant des pensions alloue´es aux militaires et a` leurs veuves, ainsi que des soldes de retraite, fuˆt re´duit a` la fixation de´termine´e par le fonds permanent, il ne devait en eˆtre accorde´ chaque anne´e que jusqu’a` concurrence du cinquie`me des extinctions, au lieu de la moitie´ propose´e par le budget a. La commission a rejete´ la pense´e d’assuje´tir les pensions a` une re´vision ge´ne´rale et rigoureuse. Les inconve´niens politiques de cette mesure lui ont paru plus grands que les avantages qui pourraient en re´sulter pour le tre´sor.» Je m’arreˆte un instant pour rendre hommage a` cette opinion de la commission. Elle est fonde´e sur la prudence et sur la justice. Toutes les re´visions de cette espe`ce, qui rappellent les anciennes chambres ardentes, ont pour re´sultat de remplacer des iniquite´s par d’autres iniquite´s, des faveurs par d’autres faveurs, et ne produisent que des e´conomies fort au-dessous des dangers attache´s a` un mode de proce´dure essentiellement arbitraire et re´troactif de sa nature. a
Cet amendement a e´te´ rejete´, et la moitie´ demande´e par le ministre a e´te´ substitue´e au cinquie`me.
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BC cite ici plusieurs passages du rapport Roy, avec des coupures. Voir le Moniteur no 25, 25 janvier, 1er suppl., p. 2c.
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«Mais, continue le rapporteur, en assuje´tissant toutes ces pensions, qui se payent dans les diffe´rens ministe`res, a` l’inscription de´finitive sur la liste des pensions du tre´sor, la commission a pense´ que cette inscription devait avoir lieu d’apre`s les tableaux qui seraient adresse´s par les ministres des divers de´partemens au ministre des finances : que ces tableaux devaient e´noncer la date et la nature de l’acte constitutif de chaque pension, ainsi que les motifs sur lesquels elle aurait e´te´ accorde´e, et que nulle pension ne devait pouvoir eˆtre inscrite ni paye´e au-dela du maximum fixe´ par les lois. Pour l’avenir, la commission a pense´ qu’aucune pension nouvelle a` la charge de l’E´tat ne devait eˆtre inscrite au tre´sor qu’en vertu d’une ordonnance dans laquelle les motifs et les bases le´gales en seraient e´tablis, et qui aurait e´te´ inse´re´e au bulletin des lois. Elle propose encore de de´terminer que nul ne pourra cumuler deux pensions, ni une pension avec traitement d’activite´, de retraite, ou de re´forme, excepte´ les acade´miciens et professeurs de haut enseignement, pour ce qu’ils rec¸oivent en re´compense de leurs travaux litte´raires et scientifiques.» D’apre`s les preuves e´videntes et irre´cusables de l’abus qu’entraıˆne la facilite´ avec laquelle s’accordent des pensions qui absorbent de´ja` le sixie`me des revenus de la France, l’on aurait duˆ croire que les moyens propose´s pour arreˆter cet abus seraient accueillis avec empressement par l’universalite´ de la chambre. Et cet espoir sans doute se fuˆt re´alise´, s’il n’euˆt e´te´ question que des pensions civiles, du ressort du ministre des finances, de celui de la justice ou de l’inte´rieur : mais il s’agissait des pensions militaires et des soldes de retraite accorde´es par le ministre de la guerre. De`s-lors, toute entrave, toute re´forme devrait rencontrer des adversaires dans une portion de l’assemble´e ; et ces adver saires ne pouvaient manquer de s’appuyer de la faveur qui entoure, a` juste titre, les anciens et valeureux guerriers blesse´s ou devenus infirmes par les suites de leurs glorieuses fatigues. Au commencement de la session, beaucoup d’orateurs1 ont subitement consacre´ a` de´fendre les principes de la liberte´, une e´loquence accoutume´e a` briller dans une autre cause. Aujourd’hui, par une re´volution non moins subite, et du meˆme genre, la meˆme e´loquence s’est de´ploye´e en faveur de l’arme´e. Il n’y a pas de graˆce qu’on n’ait re´clame´e pour elle ; on a demande´ si sous l’empire du Roi le´gitime, les de´fenseurs de l’Etat pouvaient eˆtre condamne´s a` regretter des lois de re´volution. On a fe´licite´ les chevaliers franc¸ais d’avoir appartenu a` notre ancienne arme´e nationale. Emporte´s par leur ze`le, quelques orateurs ont dit que l’arme´e e´tait la plus suˆre garantie du troˆne, le plus ferme appui de la le´gitimite´, ne re´fle´chissant pas que la garantie du troˆne est dans l’affection des peuples, et que la 1
Les de´pute´s de la droite, e´videmment.
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le´gitimite´ meˆme a besoin d’un autre appui que la force militaire. Enfin, si pendant quinze mois l’arme´e franc¸aise n’avait rien souffert, on pourrait dire qu’elle n’aurait rien perdu pour attendre, et les discours de 1817 seraient une large expiation de ceux de 1815. Honneur aux circonstances qui mettent ainsi le meˆme langage dans toutes les bouches, et sans doute la meˆme e´quite´ dans tous les cœurs ! Il faut conside´rer toutefois, qu’en re´sistant aux e´conomies ou plutoˆt aux pre´cautions propose´es pour empeˆcher l’abus des pensions, ce n’est point la cause des pensionnaires actuels que l’on de´fend. Il ne s’agit point de re´duire leurs pensions ; il s’agit d’empeˆcher que, par une conse´quence ine´vitable, d’autres pensions, accorde´es mal a`-propos a` de jeunes gens, prote´ge´s ou importuns, et dont la solde de retraite leur servirait peut-eˆtre a` continuer leur e´ducation, ou a` des individus qui cumulent des pensions multiplie´es, plus d’un ancien guerrier, devenu cultivateur, ne se voie de´pouille´ de sa proprie´te´ modique ou des meubles de sa chaumie`re, faute de pouvoir payer l’augmentation d’impoˆts qui re´sulte de cette prodigalite´. M. Necker re´pondait a` un grand seigneur qui sollicitait pour un de ses cliens une pension de mille e´cus : c’est la contribution d’un village1. Les mesures propose´es par la commission ont donc e´te´ vivement attaque´es par de nombreux orateurs. La centralisation des pensions militaires aussi bien que civiles, a e´prouve´ surtout une forte opposition. M. Ducherray2, M. le vicomte Tabarie´3, M. Sartelon4, M. le ge´ne´ral Dambrugeac5, le 12 peut-eˆtre ] la source porte peut-etre M 1
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21–22 Ducherray ] la source porte Duchenay M
Voir Necker, De l’administration des finances de la France (1784), in : Œuvres comple`tes de M. Necker Paris : Treuttel et Würtz, 1820–1821, t. IV, p. 160. L’anecdote finit chez Necker avec la phrase «Mille e´cus sont a taille de deux villages». Constant cite de me´moire d’apre`s les Conside´rations sur la Re´volution franc¸aise ou` Mme de Stae¨ l avait arrange´ la phrase de Necker a` sa fac¸on : «Mille e´cus, re´pondait M. Necker, c’est la taille d’un village» (e´d. de J. Godechot, p. 101). Jacques Le Bourgeois Ducherray (1767–1827), de´pute´ du de´partement de la Moselle, votant avec la droite toutes les lois d’exception. BC reprend avec la plupart des noms cite´s la liste donne´e par le Moniteur no 47 du 16 fe´vrier 1817, p. 200a. La faute de l’orthographe du nom de Ducherray ou Ducherrai est due a` BC. Les arguments contre la centralisation sont de´veloppe´s par Ducherray dans la se´ance du 15 fe´vrier 1817. Voir le Moniteur no 48 du 17 fe´vrier 1817, p. 203c. Michel Marie-Etienne-Victor vicomte Tabarie´ (1768–1839), de´pute´ de la Seine. En 1817, il ne sie`ge plus a` la Chambre, mais parle comme commissaire du gouvernement. L’opinion de Tabarie´ contre la centralisation se trouve dans le Moniteur no 48 du 17 fe´vrier 1817, p. 203c. Antoine-Le´ger, chevalier Sartelon (1770–1825) parle, avec de bons arguments, contre la centralisation dans la se´ance du 15 fe´vrier. Voir le Moniteur no 48 du 17 fe´vrier 1817, p. 204a. Louis-Alexandre-Marie Valon de Boucheron, comte d’Ambrugeac (1771–1844), de´pute´ de la Corre`ze ; il vote avec la droite. Les arguments des militaires d’Ambrugeac et Ernouf ainsi que de Cornet d’Incourt parlent tous des difficulte´s pratiques du re`glement propose´. Voir le Moniteur no 48 du 17 fe´vrier 1817, p. 204b–204c.
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ge´ne´ral Ernouf1, M. Cornet-d’Incourt2, MM. de Ville`le, Benoıˆt3, Bruye`res de Chalabres4, ont combattu cette centralisation tour-a`-tour. Ils ont objecte´ qu’elle e´tablissait le ministre des finances juge du me´rite des militaires, et de leurs droits a` la solde de retraite ; qu’ils seraient expose´s a` des retards dans le paiement de leurs pensions, et que ces retards pourraient entraıˆner des suites funestes. Les de´fenseurs du projet ont re´pondu que la centralisation seule pouvait empeˆcher l’accumulation des pensions et des soldes de retraite : que le ministre de la guerre statuerait toujours sur le me´rite des pensionnaires ; mais qu’il appartenait au ministre des finances, charge´ de leur paiement, de connaitre des individus qu’il ferait payer, et de veiller a` ce qu’il n’y euˆt pas de double emploi. M. le ge´ne´ral Augier5 objectait que l’ordre intime´ au ministre des finances de ne payer aucune pension dont la cre´ation ne serait pas justifie´e dans les formes prescrites, ou dont le montant de´passerait le maximum fixe´ par les lois, confe´rerait a` ce ministre une espe`ce de supre´matie, contraire a` la dignite´ ministe´rielle. M. Benoıˆt y voit le re´tablissement d’un controˆleurge´ne´ral des finances. «Il ne s’agit pas, a re´pondu M. Jollivet6, d’un controˆleur-ge´ne´ral des finances, mais d’un controˆleur-ge´ne´ral des de´penses : et ces fonctions conviennent parfaitement au ministre des finances, en sa qualite´ de conservateur du grand-livre de la dette publique, et de tous les titres qui imposent a` l’Etat des charges annuelles. Ce ministre est l’e´conome de l’e´tat par excellence. C’est lui qui ouvre les caisses pour faire parvenir les fonds dans les branches diverses de l’administration. Il faut donc qu’il ait tous les moyens d’inspection et de controˆle sur les de´penses. Il y a ici un
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Jean-Augustin Ernouf (1753–1848), de´pute´ de la Moselle, qui vote avec la droite. Charles-Nicolas Cornet-d’Incourt (1773–1852), de´pute´ de la Somme. Il soutient la droite. Sur Benoıˆt, voir ci-dessus, p. 465, n. 2. Jean-Louis-Fe´licite´ comte de Bruye`res-Chalabre (1762–1838), de´pute´ de l’Aude, qui appartient a` la droite. Ici, il soutient l’opinion de Ville`le et Be´noıˆt, ne pre´sente dans son discours que des arguments de de´tails. Voir le Moniteur no 49 du 18 fe´vrier 1817, pp. 206c, 207a et 207b. Jean-Baptiste Augier (1769–1819), de´pute´ du Cher. Le 17 fe´vrier 1817, il de´clare dans une courte intervention a` la Chambre : «Il n’entre pas dans vos intentions de donner une supre´matie a` un ministre sur tous les autres, et de le constituer juge en dernier ressort des actes de ses colle`gues : c’est pourtant ce qui arriverait, si le ministre des finances jugeait le titre, la cre´ation et la quotite´ de la pension accorde´e. Quelle responsabilite´ serait la sienne, tandis que les autres n’en auraient plus, dans quelle position de´licate et difficile ne se trouverait-il pas avec eux ! Archives parlementaires, 2e se´rie, t. XVIII, pp. 767–768. Rene´-Marie Jollivet (1768–1854), de´pute´ du Morbihan, re´pond, non a` Benoist, mais directement au ge´ne´ral Augier : «L’intention de la commission n’a pas e´te´ de donner de la supre´matie a` un ministre sur les autres. Mais le ministre des finances est le conservateur essentiel du grand-livre de la dette et de tous les titres qui sont pour l’E´tat des charges annuelles. Il est l’e´conomie de l’E´tat par excellence». Le reste de la citation de Jollivet est
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grand motif d’e´conomie, et quant au recours au conseil d’e´tat, il est de droit pour tous les actes, a` l’e´gard desquels les ministres se trouveraient en contradiction entre eux.» L’objection la plus plausible contre l’article qui de´fend au ministre de payer au-dela` du maximum fixe´ par la loi, e´tait puise´e dans la garantie assure´e par la Charte aux pensionnaires pour la conservation de la pension dont ils jouissent, tant la Charte a maintenant acquis de tous coˆte´s de ze´le´s de´fenseurs ! M. Jollivet a encore re´pondu avec raison : «que la Charte ne garantissait que ce qui e´tait licite, ce qui avait e´te´ fait conforme´ment aux lois ; qu’il y avait un maximum de´termine´, et que la Charte ne pouvait garantir ce qui l’exce´dait1.» Faute de pouvoir obtenir le rejet de la centralisation des pensions, l’on a demande´ que celles qui sont au-dessous de 400 fr., en fussent exemptes. Cet amendement a e´te´ repousse´, et les divers articles relatifs a` cette disposition ont obtenu la majorite´ des votes. C’est un grand pas, c’est un pas immense, et qui seul me´riterait, a` la commission, la reconnaissance nationale. La centralisation des pensions peut seule re´pandre le jour ne´cessaire sur une partie de nos de´penses que tant d’inte´reˆts, toujours renaissans, se coaliseront sans cesse pour obscurcir ; la centralisation des pensions peut seule pre´venir les doubles emplois, les payemens apre`s l’extinction des pensions accorde´es, ceux enfin que, par tout autre mode, le meˆme individu peut toucher, dans diverses administrations, sous divers ministe`res, sans qu’il soit meˆme possible de suivre son nom et son titre. Ce n’est que par la centralisation des pensions que l’on apprend avec certitude a` qui l’on paye, et pourquoi l’on paye. Je me suis arreˆte´ sur cette matie`re plus long-temps que je ne me proposais. L’abus auquel la commission a porte´ reme`de, est a` la fois l’un des plus graves par ses conse´quences, et l’un des plus obstine´s par sa nature. Quand le tableau des pensions sera imprime´, l’on verra de quelle importance e´taient les pre´cautions le´gislatives contenues dans ce titre du budget. Si l’on re´fle´chit que la nation devra encore supporter, en 1817, la charge e´norme 25–26 Je me suis ... proposais. ] supprime´ CPC
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exact. Peu apre`s, s’exprime Pierre-Vincent Benoist (1758–1834), de´pute´ de Maine-etLoire : «[...] il ne s’agit ici de rien moins que de l’e´tablissement d’un controˆleur ge´ne´ral des finances, e´tablissement dont vous avez a` vous de´fendre dans un gouvernement repre´sentatif ; car si un acte du ministre de la guerre peut eˆtre re´vise´ par un ministre des finances, vous renversez votre constitution ministe´rielle». C’est enfin Jean-Baptiste Voysin de Gartempe (1759–1840), de´pute´ de la Moselle, qui re´plique a` Benoist : «On a parle´ d’un controˆleur ge´ne´ral des finances. Il ne s’agit pas de cela ; il s’agit d’un controˆleur ge´ne´ral des de´penses». BC a attribue´ cette remarque a` Jollivet. Archives parlementaires, 2e se´rie, t. XVIII, pp. 767–768. Citation tire´e de l’intervention du 17 fe´vrier.
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de 1061 millions, et qu’en meˆme temps, a` une foule de places sans fonctions sont attache´s des traitemens plus ou moins conside´rables, auxquels sont meˆme encore souvent ajoute´s d’autres traitemens sous diverses de´nominations ; qu’il y a des traitemens d’activite´ qui ne sont que des faveurs de´guise´es ; on conviendra, avec le rapporteur, dont je copie les paroles1, que la` re´side en ce moment la grande plaie de l’Etat, et l’on re´pe´tera avec lui que s’il n’y a pas de de´penses e´tablies en faveur desquelles on ne puisse faire valoir des motifs qui souvent font regretter d’eˆtre force´s de les supprimer, dans les temps de de´tresse, il ne faut e´couter que la rigoureuse justice : et que le plus puissant reme`de a` nos maux est le re´tablissement de l’ordre, qui de´truit ce qui est inutile, qui fonde le cre´dit et la confiance, qui affermit l’Etat, et pre´vient les secousses, de cet ordre qui maintient l’admirable accord par lequel les peuples tiennent leur bonheur de l’e´conomie des gouvernemens, et les gouvernemens leur suˆrete´ et leur force du bonheur et de l’amour des peuples. Je m’aperc¸ois, en poursuivant mon travail, que je ne puis aborder, dans cet article, la discussion sur le budget du ministre de la guerre. Cette discussion a e´te´ d’un trop grand inte´reˆt, trop anime´e et trop caracte´ristique de notre position, sous tous les rapports politiques, constitutionnels et financiers, pour que je la pre´sente sans de´veloppemens et sans re´flexions. J’en traiterai dans le nume´ro prochain, ainsi que des de´penses du ministe`re de la marine. Je dirai quelques mots des de´bats qui ont eu lieu relativement aux recettes ordinaires ; enfin, je parlerai des recettes extraordinaires qui doivent eˆtre fournies par des emprunts, au remboursement desquels seront affecte´s 30 millions de rentes, et qui reposeront sur une caisse d’amortissement, alimente´e par le produit des bois nationaux, a` la re´serve de 4 millions destine´s au clerge´. De la`, quatre questions a` examiner : 1o. les de´penses de la guerre et de la marine ; 2o. l’emprunt ; 3o. la caisse d’amortissement ; 4o. la vente des bois. Elles fourniront le sujet d’un troisie`me et, probablement, d’un quatrie`me article ; mais, avant de terminer celui-ci, je dois parler d’un incident sur lequel j’ai annonce´ que je reviendrais. Durant nos tempeˆtes politiques, la valeur franc¸aise, lance´e, par un bras irre´sistible, sur toutes les contre´es de l’Europe, avait triomphe´ de tous les obstacles. A des troˆnes antiques brise´s, avaient succe´de´ des dominations dont rien, alors, ne pre´sageait la courte dure´e. Autour de ces e´tablissemens nouveaux, s’e´tait rallie´e, soit par inte´reˆt, soit par faiblesse, soit aussi (car pourquoi chercher partout des motifs coupables ?) par le de´sir de terminer les de´chiremens de leur patrie, une portion plus ou moins conside´rable des citoyens de chaque pays. 16–30 Je m’aperc¸ois ... je dois ] Avant d’aborder la discussion sur le budget du ministre de la guerre, je dois CPC 1
BC se rapporte au rapport d’Antoine Roy que celui-ci pre´senta, au nom de la commission
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Quand la coalition de tous les peuples contre un eut change´ les destine´es de la guerre, ces citoyens ont duˆ se trouver en butte a` la de´faveur des gouvernemens re´tablis par la victoire. Cependant, il faut le dire, presque tous ces gouvernemens ont adopte´ un syste`me de mode´ration et de tole´rance. Mais un petit nombre d’Etats s’e´tant e´carte´ de ce syste`me, des poursuites, des bannissemens ou des dangers qu’un exil volontaire e´tait le seul moyen d’e´viter, ont laisse´, a` la charge de la France, les individus qui avaient eu le malheur de se de´clarer pour elle. La France, ge´ne´reuse meˆme au sein de ses de´sastres, a respecte´ les droits d’une infortune dont la cause ne lui e´tait pas e´trange`re. L’entretien des re´fugie´s espagnols, portugais, e´gyptiens, a e´te´ porte´ dans le budget des ministres. C’est contre cet article qu’une voix s’est e´leve´e1. Si la proposition de le retrancher de nos de´penses euˆt obtenu l’assentiment de nos mandataires, j’aurais trouve´ tellement douloureux de consacrer un fait semblable dans les annales de nos assemble´es repre´sentatives que j’aurais pre´fe´re´ garder le silence. Mais un homme a` l’aˆme duquel les partis divise´s rendent justice, a de´fendu victorieusement l’humanite´ blesse´e. Il n’a point entraıˆne´ l’assemble´e, car il n’a fait que dire ce qu’elle pensait. Mais il est beau d’eˆtre l’organe du sentiment universel en faveur de la ge´ne´rosite´ et de la morale. Le nom de M. Laine´ s’associera de´sormais a` toutes les ide´es de loyaute´ et d’hospitalite´ nationale2. Les infortune´s qui e´chappent a` la de´portation qui les menac¸ait, et peut-eˆtre a` la mort qui aurait suivi cette de´portation cruelle, rendront graˆce a` leur de´fenseur dans l’asile obscur qu’ils conservent. Leurs familles, qui, de loin, s’enquie`rent avec inquie´tude de leur incertaine destine´e, le be´niront en silence. Quand ses dignite´s d’un moment seront oublie´es, quand le temps aura nivele´ les ine´galite´s passage`res, l’histoire lui assignera une place plus durable, elle lui de´cernera un titre plus beau, que les anciens plac¸aient au-dessus de tous les titres, celui de de´fenseur des proscrits, et de protecteur des supplians. B.
DE
CONSTANT.
29–30 supplians. B. de Constant. ] CPC supprime la signature et ajoute une note Un scrupule d’impartialite´ m’engage a` ne pas retrancher cet e´loge me´rite´, un autre scrupule du meˆme genre m’oblige d’ajouter qu’on peut e´prouver une noble e´motion et faire une harangue e´loquente, sans qu’on en soit moins un tre`s-faible et tre`s-nuisible administrateur.
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du budget, le 24 janvier 1817. La citation n’est pas textuelle, mais provient de plusieurs passages. Moniteur no 25, 25 janvier 1817, Supple´ment pp. 1a–5c. La citation se trouve p. 5c. Le discours du de´pute´ ultra Jean-Claude Clausel de Coussergues (1759–1846), de´pute´ de l’Aveyron, qui attaque violemment les opinions e´mises par Prosper de Barante se trouve dans le Moniteur no 60, 1er mars 1817, p. 250a–250c. Voir le discours improvise´ de Joseph-Louis-Joachim Laine´ (1767–1835) dans le Moniteur no 61, 2 mars 1817, p. 252a–252b. La chambre en a ordonne´ unanimement l’impression.
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De la discussion sur les pensions, l’assemble´e a passe´ a` l’examen des budgets particuliers des ministres : et tant qu’il n’a fallu que proposer des e´conomies sur les de´penses de l’administration inte´rieure, rien n’a pu arreˆter les adversaires des projets de loi, dans la ferveur de leur ze`le. Tantoˆt, c’e´taient 1,500,000 fr. qu’ils voulaient retrancher au ministre des finances ; tantoˆt 400,000 fr. a` diminuer sur les frais de la Chambre des de´pute´s. Ils proposaient meˆme de re´duire en masse toutes les de´penses a` 838 millions, ce qui, en de´duisant 778 millions pour les de´penses non re´ductibles, aurait laisse´ 60 millions a` tous les ministres re´unis. Ils demandaient qu’on e´pargnaˆt 1,500,000 fr. sur le cadastre, autant sur les fonds de l’universite´, et a` cette occasion, M. de Corbie`res exprimait ses doutes sur l’utilite´ d’appeler a` toutes les branches d’une instruction e´leve´e toutes les classes de citoyens, oubliant le blaˆme jete´, lors du projet de loi relatif aux e´lections, sur la mesure qui privait de leurs droits politiques des classes, que cependant il serait naturel d’e´clairer si on veut les faire jouir de ces droits1. Il n’y a pas jusqu’aux bureaux du ministe`re de l’inte´rieur, dont les frais se montent a` 1,226,000 fr., qui n’aient e´prouve´ la se´ve´rite´ de ces de´fenseurs du tre´sor public. C’est alors qu’ils se sont e´leve´s contre la bureaucratie. «Des hommes courageux, ont-ils dit, oseront attaquer de front les deux hydres qui nous de´vorent, la bureaucratie et la prodigalite´ des traitemens.» a
Comme je mets beaucoup d’inte´reˆt a` ne pas me pre´valoir des ide´es des autres, sans reconnaıˆtre ce qui est a` eux, je rappelle au lecteur que ces articles sur le budget appartiennent, en tre`s-grande partie, a` M. Saint-Aubin. E´tablissement du texte : Mercure de France, Projet de loi sur le budget, t. I, 15 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 497–509. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 334–356. [=CPC]
1–4 Des Chambres. ... (Continuation.) ] supprime´ CPC supprime´ CPC 1
25–27 Comme ... Saint-Aubin. ]
L’intervention de Corbie`re se trouve dans le Moniteur no 60, 1er mars 1817, p. 247c.
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Ces attaques ont l’avantage d’eˆtre faciles et populaires. Mais on oublie que dans l’e´tat actuel, re´sultat du passe´, dont on ne peut soudain re´pudier tout l’he´ritage, il faudrait changer presque totalement les rapports e´tablis entre les administrateurs et les administre´s, entre les juges et les justiciables, pour obtenir, sur cette partie, des e´conomies de quelque importance. Ces e´conomies se feront d’elles-meˆmes par la nature des choses ; mais elles sont impossibles en ce moment sans une de´sorganisation totale ; et comme il est de´sirable de mettre un terme a` des de´clamations qui ont un effet faˆcheux, dont je parlerai plus loin, je placerai quelques preuves a` coˆte´ de l’assertion. L’on paye une partie des de´penses publiques en nume´raire, et les autres en valeurs de l’arrie´re´. De la` des bureaux particuliers pour liquider et ordonnancer chacun a` part ces modes de payemens, et pour pre´venir, par une surveillance spe´ciale, les abus qui re´sulteraient de la confusion. Ces e´tablissemens ne sauraient eˆtre supprime´s que quand nos finances seront re´tablies. On croit mettre obstacle a` la corruption et a` l’intrigue, en interdisant aux individus l’entre´e des bureaux. De la` des requeˆtes e´crites, des re´ponses ne´cessaires, qu’e´pargnerait un instant d’audience, et de la` encore des bureaux, des commis, des e´crivains. Quand les dernie`res traces des bouleversemens et de l’instabilite´ qui ont mis toute la France en re´clamation, auront disparu, cette correspondance sans terme pourra eˆtre re´duite et ses agens licencie´s. A chaque mariage, il faut ou il fallait des certificats de non conscription, de non re´quisition : a` chaque de´placement, il faut des passeports : de la` encore des bureaux et des commis. Quand nous aurons abjure´ les exemples que nous a le´gue´s le despotisme, l’e´conomie en profitera : nous serons plus riches, parce que nous serons plus libres. La liberte´ est bonne pour tout. Enfin, quand les citoyens auront appris que la destination du gouvernement est de prote´ger et non de salarier, de laisser faire, et non d’employer, on verra l’industrie renaissante attirer une portion de ceux qui, par habitude, croyent aujourd’hui qu’on ne peut vivre qu’aux de´pens de l’Etat. Les suppressions seront moins faˆcheuses, parce que les demandes e´tant moins multiplie´es, l’on accordera pas secre`tement le double de ce qu’on retranche. Jusques alors, il faut se borner a` repousser ceux qui sollicitent, et marcher pas a` pas, quand il s’agit de renvoyer ceux qui ont obtenu. Il faut respecter meˆme quelques abus, quand beaucoup d’existences y sont attache´es. Il faut surtout ne pas croire qu’un grand courage est requis pour tonner contre d’obscurs employe´s sans nom et sans de´fense. Le vrai courage serait de s’opposer aux graˆces qui se re´pandent sur la classe la plus puissante et la plus en faveur : et nous verrons plus loin que ce n’est pas ce genre de prodigalite´ qu’on attaque.
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Entre les orateurs de l’opposition, M. de Ville`le s’est distingue´ par ses recherches laborieuses, sa connaissance des faits, et son ze`le a` indiquer tous les retranchemens, possibles ou impossibles1. Mais le scrupule de ses investigations rend d’autant plus regrettable le parti qu’il a pris de ne pas les appliquer aux deux ministe`res, sur lesquels il euˆt pu les e´tendre avec le plus d’utilite´. Il a, par cette omission, donne´ un grand avantage a` M. de Barante, commissaire du Roi, qui a de´montre´, qu’en adoptant toutes les propositions de M. de Ville`le, sans en excepter celles qui e´taient manifestement impraticables, il n’en re´sulterait pas en tout une e´conomie de quatorze millions, et qu’elle serait achete´e par le bouleversement de l’ordre e´tabli2. En ge´ne´ral, une conside´ration m’a frappe´ durant mon travail et je la crois importante. Les adversaires du budget, en insistant exclusivement sur les e´conomies a` faire, dans les ministe`res des finances, de la justice et de l’inte´rieur, et en ne´gligeant les de´partemens essentiellement dispendieux de la guerre et de la marine, n’ont pas seulement encouru le reproche de ne propo ser que des re´ductions comparativement insignifiantes ; mais leurs efforts (je ne parle pas de leurs intentions), e´taient de nature a` produire un inconve´nient plus grave. Comme ils dirigeaient l’attention de la masse des contribuables, a` laquelle les donne´es re´elles sur cette matie`re sont inconnues, vers ce qu’ils appelaient le de´sordre et le gaspillage de l’administration, ils favorisaient dans la multitude, le de´sir d’un retour a` l’ancien ordre de choses. Cette multitude devait conclure, des tableaux qu’ils lui pre´sentaient, que les intendans valaient mieux que les pre´fets, et les parlemens que les cours royales : conclusion faˆcheuse, et dans son effet imme´diat, qui est de semer la de´saffection et l’incertitude, et dans sa tendance e´loigne´e, qui est de ramener l’ancien re´gime avec tous ses vices. C’est la` ce qu’a fait tre`s-bien sentir M. de Barante, et il a profite´ de cette occasion, pour tracer une comparaison exacte et rapide de nos institutions actuelles, et des abus du temps passe´3. «On s’est livre´, a-t-il dit, aux plus vives attaques contre l’administration proprement dite. On a prodigue´ tous les termes injurieux qui, depuis cent ans, composent, au-dela` du de´troit, le dictionnaire de l’opposition. Les mots prodigalite´, dilapidation, profusion, abus, de´sordre, ont retenti a` cette tribune, et se sont accumule´s avec une e´loquence facile. 25 de´saffection ] la source porte disaffection M 1 2
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Allusion au discours du 6 fe´vrier 1817 de Ville`le, dont la lecture a demande´ plus de deux heures. Le Moniteur no 39 du 8 fe´vrier en donne de tre`s larges extraits, pp. 163a–165a. BC posse`de l’e´dition officielle du discours de Prosper de Barante du 7 fe´vrier 1817 dans sa bibliothe`que. Il est publie´ dans le Moniteur no 40, 9 fe´vrier 1817, pp. 167b–169c. Voir pour le re´sume´ de l’argument de Barante ibid. p. 168b. Barante, Moniteur no 40, 9 fe´vrier 1817, pp. 167b–169c.
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L’on peut, l’on doit admettre que la composition et les formes actuelles de notre administration peuvent eˆtre rendues plus simples, et partant plus e´conomiques. Mais ce qui doit eˆtre un sujet continuel de surprise, ce sont ces regrets toujours pousse´s vers une administration que probablement on a peu examine´e. Il est des hommes dont il faudrait contenter non-seulement les souvenirs, mais encore l’imagination. C’est assure´ment un plaisir naturel au cœur humain, de se reporter vers un aˆge d’or ide´al, honte du sie`cle pre´sent, qui, a` son tour, sera propose´ pour mode`le aux sie`cles futurs. Mais quand on s’occupe de re`gler les affaires de l’Etat, il y faut plus de positif : des phrases vraies pour les sentimens ou les passions, peuvent bien eˆtre vides d’utilite´. Et d’abord, lorsqu’on professe une approbation si manifeste pour les discussions publiques, pour la triple division de la le´gislature, pour la responsabilite´ ministe´rielle, pour les droits publics des Franc¸ais, comment se fait-il qu’on se reporte, en ge´missant, vers un ordre de choses, ou` il e´tait incertain que l’autorite´ royale duˆt ou ne duˆt pas re´gler les impoˆts par sa pleine puissance ; ou`, tantoˆt elle les cre´ait seule, tantoˆt elle semblait les de´fe´rer a` ses tribunaux ; ou`, parmi ces tribunaux, les uns agre´aient, les autres refusaient ces impoˆts : ou graˆce a` ce me´canisme incertain et pre´caire, dix fois dans un sie`cle, les magistrats ont e´te´ exile´s, et la justice a interrompu son cours : ou`, lorsqu’un Roi ami de son peuple eut ordonne´ a` son ministre de lui rendre un compte public des ressources et des de´penses de l’Etat1, cela a pu eˆtre trouve´ singulier et monstrueux : ou` ce compte meˆme e´tait impossible a` rendre, tant les recettes e´taient trouble´es par les privile´ges, et les de´penses par la spe´cialite´. Parlerons-nous de l’ine´galite´ des impoˆts entre les particuliers et les provinces ? Et ces douanes inte´rieures, qui isolaient les unes des autres les diverses parties de la France, n’avaient-elles pas aussi leurs nue´es d’employe´s ? Ne nous forgeons point de romans : voyons, dans un re´cit tout naturel, dans un livre qui n’est qu’agre´able, la peinture de ces e´tats de province, ou` l’on ne refusait rien au gouverneur apre`s dıˆner, et ou` l’administration provinciale et locale avait pour re´sultat assez habituel des se´ditions populaires, et des re´gimens envoye´s pour les re´primer. On parle de l’arbitraire des pre´fets : on les appelle des pachas. Nous ignorons s’il en est quelqu’un qui se soit rendu inde´pendant de la direction royale : mais ce qui est fort assure´, c’est que leur pouvoir est beaucoup plus restreint et plus le´gal que celui des intendans. Si l’on voulait se donner la peine d’examiner comment l’impoˆt e´tait alors reparti, nous sommes assure´s qu’on s’e´pargnerait bien des regrets. Et la perception des deniers publics n’enrichissait-elle personne alors ? Les appointements 1
Allusion au Compte rendu au roi, de Necker, publie´ en 1781.
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e´taient peut-eˆtre faibles, peut-eˆtre nuls : mais des emplois sans nombre e´taient une route habituelle, le´gale, reconnue, pour arriver a` d’immenses fortunes.» J’arrive aux de´penses de la guerre. Ici la sce`ne change : la transition est rapide. Nous allons entendre une langue nouvelle, et nous croirons eˆtre transporte´s dans une autre assemble´e. On ne dit plus, avec M. de Castelbajac1 : «Que tout le monde est convaincu de la ne´cessite´ des e´conomies ; qu’il y a force majeure ; que la mise`re est telle que, dans les de´partemens, les mois entiers suffisent a` peine au cultivateur, au marchand, a` l’artisan, pour accumuler ce qui, dans Paris n’est que la de´pense d’un jour dans une meˆme famille.... ; que la France, appauvrie par le malheur, accable´e cette anne´e par tous les fle´aux du ciel...., e´crase´e sous le poids de contributions e´normes, a droit de demander aux ministres, en retour de ses sacrifices, d’apporter dans l’administration l’e´conomie la plus se´ve`re... ; que ce n’est point entraver le gouvernement que de proposer des re´ductions ; que lorsque les denre´es de premie`re ne´cessite´ supportent d’one´reux impoˆts, lorsque nous empruntons a` dix pour cent, lorsqu’on en appelle a` tous les moyens de la France, il n’est pas juste et ce n’est pas un devoir de respecter le superflu de quelques personnes....» On admet tout, on accorde tout, et les offres vont au-dela` des demandes. Pour que le lecteur juge en connaissance de cause, je ferai pre´ce´der la discussion, par un abre´ge´ des raisonnemens du rapporteur en faveur des re´ductions que la commission avait propose´es2. «Le ministe`re de la guerre, a-t-il dit, est employe´, dans les de´penses de 1817, pour 212 millions. Cette somme est inde´pendante de celle de 5,400,000 fr., pour pensions militaires de 3000 fr. et au-dessus, qui se payent directement au tre´sor, et de celle de 5 millions pour les travaux et l’entretien des places fortes, occupe´es par les troupes e´trange`res, qui rentrent dans les de´penses ordinaires de la guerre. De´duisant de ces 212 millions a la somme de 64 millions pour solde de retraite et demi- solde, il resterait, pour les de´penses de la guerre, pre`s de 148 millions. Cette de´pense a paru trop conside´rable a` votre commission, soit qu’on la compare avec la position et les besoins de la France, et l’e´tat de a
En ajoutant a` ces 212 millions les 10,400,000 fr., compose´s des deux sommes ci-dessus, pour pensions militaires au-dessus de 3000 fr. et travaux des places, on arrive a` un total de 222 millions, somme e´gale aux trois septie`mes de la totalite´ des fonds demande´s par le budget des ministres pour tous les services, et qui se montent a` 503 millions.
4 J’arrive ] Venons CPC 1
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Les phrases preˆte´es par BC a` Marie-Barthe´lemy, vicomte de Castelbajac (1776–1868), de´pute´ du Gers, ne proviennent pas du discours de celui-ci tel qu’on peut le lire dans le Moniteur no 38, 7 fe´vrier 1817, p. 160a-c ou dans les Archives parlementaires, 2e se´rie, t. XVIII, pp. 542–546, mais ne sont pas contraires a` l’opinion soutenue par ce de´pute´. Roy, Moniteur no 25, 25 janvier 1817, 1er suppl., pp. 3c–4a.
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notre arme´e, soit en la rapportant a` des temps e´loigne´s, il est vrai, mais avec lesquels on peut pourtant e´tablir des comparaisons. En 1784, les de´penses du ministe`re de la guerre, en y comprenant la maison du Roi, se montaient a` 114 millions. Suivant le compte rendu au Roi, en 1788, elles n’ont plus e´te´ que de 103 millions1. Sans doute, il faut faire la part de la diffe´rence qui re´sulte de l’augmentation de la solde, et de l’e´le´vation du prix des denre´es, des matie`res et de la main d’œuvre. Mais, d’un autre coˆte´, cette diffe´rence est-elle aussi grande que celle qui existe entre l’arme´e franc¸aise de 1788, et celle de 1817 a ?» Le rapporteur entre ensuite dans le de´tail des de´penses re´ductibles. On remarque en teˆte, et avec e´tonnement, 13,718,000 fr. pour les e´tats-majors, inde´pendamment de celui de la garde royale, tandis que la solde pour les troupes de toutes armes, n’est porte´e qu’a` 31,780,000 fr. : en re´unissant ces deux sommes, on voit que les e´tats-majors absorberaient a` eux seuls le tiers de toutes les de´penses de l’arme´e. Les de´fenseurs du ministre ont objecte´, lors de la discussion, que, dans ces 31,780,000 fr. pour la solde, n’e´taient pas compris les frais d’habillement, d’e´quipement, etc. ; mais, en ajoutant meˆme 8 a` 9 millions pour cet objet, on n’obtiendrait en tout qu’environ 50 millions dont les 13 millions demande´s pour les e´tats-majors formeraient encore le quart. «Cette de´pense partielle, dit le rapporteur , ne paraıˆt pas eˆtre dans une juste proportion avec la force de l’arme´e2.» Elle n’est, ce nous semble, dans aucune proportion quelconque. Le rapporteur pense qu’il est probable que les corps de la garde royale ne seront ni porte´s ni maintenus, dans le cours de 1817, au complet sur lequel leur de´pense est e´tablie, ou du moins que ce ne sera que successivement, ce qui faciliterait encore une diminution de de´pense. Cette observation a excite´ de vives re´clamations, de la part, non-seulement des adversaires, mais aussi des de´fenseurs du budget. De cette garde royale, a-t-on dit, de´pend la suˆrete´ de l’Etat. Mais tant qu’il y aura dans la capitale seule quarante mille hommes d’une garde nationale bien arme´e, bien discipline´e, infatiguable dans son activite´, et admirable dans ses principes, nul danger n’est a` craindre ; l’affection des peuples est la plus solide garantie : et cette affection s’oba
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Non sans doute : et il y a d’ailleurs un moyen sans re´plique de de´cider la question. Les 103 millions consacre´s a` la guerre, en 1788, e´taient a` la de´pense totale comme 7, et les 222 millions demande´s sont a` cette meˆme de´pense, comme 21 a` 35.
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Le compte rendu en cause est celui d’E´tienne-Charles de Lome´nie de Brienne, Compte rendu au Roi, au mois de mars 1788, et publie´ par ses ordres, Paris : Imprimerie royale, 1788. Il est pourtant probable que BC cite les chiffres d’apre`s Necker, Sur le Compte rendu au Roi en 1781. Nouveaux e´claircissements, Paris : Hoˆtel de Thou, 1788, p. 158, ou` l’on peut lire : «Le Tre´sor royal, selon le Compte de 1788, doit fournir au De´partement de la guerre 100.230.000 liv.» Roy, Moniteur no 25, 25 janvier 1817, 1er suppl., p. 4a.
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tient, entr’autres moyens, par de sages e´conomies, et par la diminution des charges, re´sultat de la diminution des de´penses. «L’e´valuation des indemnite´s de route, convois et transports par eau, continue le rapporteur, paraıˆt exage´re´e. Elle supposerait que l’arme´e est de cent vingt-cinq mille hommes, et que le vingt-cinquie`me de cette arme´e est toujours en mouvement. Or, la gendarmerie, les ve´te´rans, la maison militaire et la garde royale, sont absolument se´dentaires, ou n’ont a` parcourir que de petites distances. Il n’est pas d’ailleurs exact de pre´tendre qu’en temps de paix surtout, le vingt-cinquie`me de l’arme´e soit toujours en route1.» Le rapporteur aurait pu ajouter que l’arme´e, loin d’eˆtre de cent vingt-cinq mille hommes, ne s’e´le`ve pas a` la moitie´ effective de ce nombre. Il termine par les re´flexions suivantes : «On doit enfin espe´rer une forte e´conomie sur la somme demande´e pour les demi-soldes (17,900,000 fr.) des officiers qui ne sont plus en activite´. Cette de´pense extraordinaire e´tablie pour l’arme´e licencie´e, en ne recevant d’accroissement par aucune concession nouvelle, e´prouvera chaque jour de grandes diminutions, par les de´ce`s, les renonciations volontaires a` l’activite´ de service, la mise en activite´ de ceux qui sont en e´tat de servir, et les traitemens de retraite, beaucoup moins couˆteux, qui seront accorde´s a` ceux qui y ont droit. Mais, nous le re´pe´tons, il est indispensable que cette porte soit entie`rement ferme´e aux abus, puisqu’autrement la loi e´tablirait en vain que le fonds permanent des retraites ou des pensions ne peut exce´der celui qu’elle de´termine. Ses dispositions pourraient toujours eˆtre e´lude´es, en faisant, meˆme sans titre, passer a` la demi-solde, celui qui, avec tous les titres d’un long et bon service, ne pourrait obtenir que la moitie´ de son traitement d’activite´, pour maximum de retraite. C’est par ces re´ductions et beaucoup d’autres, de moindre importance, qu’il sera possible d’obtenir une re´duction de 16 millions sur les de´penses de la guerre2.» Cette re´duction, qu’au premier coup d’œil le public avait regarde´e comme trop faible, a e´te´ combattue par tous les orateurs qui ont parle´ contre le projet, a` l’exception de M. de Ville`le, qui n’a prononce´ que quelques mots, relatifs a` la de´pense des e´tats-majors3. Quelques membres de l’assemble´e ont meˆme demande´ que plusieurs de´penses, notamment celles de la garde royale, loin d’eˆtre re´duites, fussent augmente´es, et l’un d’entre eux a propose´ d’accorder au ministre 220 millions, c’est-a`-dire huit de plus que la somme qu’il avait indique´e dans son budget4. 1 2 3
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Roy, Moniteur no 25, 25 janvier 1817, 1er suppl., p. 4a. BC ne cite pas tout a` fait litte´ralement. Ibid., p. 4b. Allusion au discours du 6 fe´vrier (Moniteur no 39, 8 fe´vrier 1817, pp. 163a–165b) ou` Ville`le consacre tre`s peu de mots a` ce sujet (p. 164c, 15 lignes). La remarque de BC prend toute sa force si l’on connaıˆt l’extreˆme longueur des discours de Ville`le. Le Moniteur ne donne jamais le texte inte´gral. Il s’agit du lieutenant-ge´ne´ral Ernouf qui a demande´ dans son improvisation du 28 fe´vrier
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Au premier rang des de´fenseurs du ministre, se place naturellement M. Tabarie´, qui a lu a` la tribune un rapport e´tendu, dans lequel il a paru reprocher a` la commission des inexactitudes, des omissions et des erreurs de fait assez graves1. Le rapporteur , dans sa re´ponse, a justifie´ la commission : mais comme cette re´ponse est pleine de de´tails, l’analyse en est impossible, et je me borne a` extraire du discours de M. Roi, des observations qui me semblent me´riter d’eˆtre recueillies. «La commission euˆt voulu d’abord eˆtre bien fixe´e sur l’effectif de l’arme´e, et sur celui sur lequel l’e´tat des de´penses avait e´te´ e´tabli. Mais rien d’entie`rement satisfaisant, ne lui a e´te´ fourni sur ce point fondamental.... Quels objets d’e´conomie demeurent donc ve´ritablement conteste´s, sur ceux qui ont e´te´ indique´s par votre commission ? Les e´tats-majors et les de´penses inte´rieures : et ce sont pre´cise´ment ceux sur lesquels les e´conomies ont e´te´ re´clame´es avec le plus de force, parce que ce sont ceux, relativement auxquels les e´conomies n’auront que des avantages, sans inconve´niens...2.» M. le sous-secre´taire d’E´tat3 avait avance´ qu’il fallait prendre pour base de comparaison des anciennes de´penses, les e´tats de 1787, au lieu de ceux de 1790. M. le rapporteur re´pond : «Nous n’avons eu aucun moyen de ve´rifier les calculs qui nous ont e´te´ pre´sente´s a` ce sujet : supposons-les exacts. Mais pourquoi prendre pour exemple 1787 ? 1787 a amene´ 1789, et une grande et terrible re´volution a e´te´ la suite du de´sordre des finances, que nous ne voulons apparemment pas prendre pour re`gle... En 1790, l’arme´e fut de´finitivement fixe´e par le Roi a` cent cinquante-deux mille hommes, dont vingt-neuf mille six cents de cavalerie, et la de´pense totale de la guerre a` 88 millions. Mais remarquez que dans ces 88 millions, sont comprises les re´compenses militaires, que cette de´pense est e´tablie pour une arme´e de cent cinquante-deux mille hommes et de trente mille chevaux ; que tous les e´tats-majors de l’arme´e, des places, du ge´nie et de l’artillerie, ainsi que quatre-vingts commissaires des guerres y sont porte´s pour 3,066,000 fr. ; tandis que le budget de 1817 pre´sente les meˆmes objets pour 18,066,000 fr4.» Revenant ensuite sur les demi-soldes, l’orateur observe que jamais la commission n’avait eu la pense´e de toucher a` cette dette sacre´e5, mais qu’elle s’e´tait propose´ le but de mettre un terme a` l’accroissement arbitraire des faveurs, qui, sans une mesure le´gislative efficace, pourraient
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(Le Moniteur no 61, 2 mars 1817, p. 253a) l’augmentation du budget du ministre de la Guerre a` 220 millions de francs. Mais voir aussi dans le meˆme nume´ro, le 1er suppl., p. 2a-c. Tabarie´, Moniteur no 37, 6 fe´vrier 1817, 2e suppl., pp. 151a–154c. Roy, Re´sume´ sur la loi des finances. Pour les citations qui suivent voir le Moniteur no 46, 15 fe´vrier 1817, suppl. pp. 1a–2c. Les passages cite´s se lisent dans les Archives parlementaires, 2e se´rie, t. XVIII, p. 744. Les points de suspension marquent la coupure entre deux citations exactes, le´ge`rement raccourcies sans en modifier le sens. Tabarie´. Ibid., p. 2a. Ibid., p. 2b.
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eˆtre confe´re´es a` des enfans, a` des hommes peut-eˆtre e´trangers a` l’arme´e, sans titres, sans droits et avec des grades avec lesquels ils n’auraient jamais paru dans les rangs d’activite´. «Nous ne nuisons point a` l’arme´e, a-t-il dit, en de´sirant pour elle une loi d’organisation qui constitue et assure son existence, et l’avancement en faveur de ceux qui y ont droit. Nous ne nuisons pas a` l’arme´e, lorsque, pour l’e´conomie et l’ordre dans les finances, nous demandons que les officiers jeunes, valides, expe´rimente´s, qui seront juge´s capables d’un loyal et bon service, soient appele´s dans les rangs, et ne rec¸oivent pas inutilement un traitement de demi-activite´, lorsque d’autres qui, aux termes des ordonnances du Roi, n’ont droit qu’a` la retraite, obtiendraient et conserveraient des places ou des traitemens d’activite´. Nous ne nuisons pas a` l’arme´e, en manifestant le vœu que les honneurs qui lui sont si chers, que les grades qui ne sont pre´ cieux que quand ils sont rares et renferme´s dans de justes bornes, ne soient pas prodigue´s pour donner lieu a` des re´compenses, a` des traitemens plus conside´rables. Nous ne nuisons pas a` l’arme´e enfin, lorsque, dans nos vœux d’e´conomie, nous respectons toutes les lois qui peuvent ame´liorer son sort, toutes celles qui, apre`s d’honorables services, lui assurent d’honorables retraites1.» L’extrait des discours des autres orateurs qui ont parle´ dans le meme sens, me conduirait trop loin. Les deux plus remarquables ont e´te´ prononce´s par M. Jobez2 et par M. Lafitte3. On doit a` ce dernier, des observations tre`s-judicieuses, et l’expression de sentimens vraiment nationaux. M. Jobez a re´tabli la question que les de´fenseurs du ministre de la guerre avaient de´place´e. «Ce n’est pas, a-t-il dit, sur la distraction, pour un autre emploi, des fonds destine´s a` la demi-solde, que des doutes s’e´le`vent ; mais sur des admissions ille´gales a` cette demi-solde : c’est la` le point qu’il faudrait ne pas e´luder.» Puis, anime´ par des interruptions pour le moins irre´gulie`res, il a rappele´ que le ministre avait exce´de´ de 36 millions le cre´dit qui lui avait e´te´ ouvert. A ces mots, qui n’e´taient cependant que l’e´nonce´ d’un fait reconnu, des cris de rappel a` l’ordre se sont e´leve´s, et l’on a objecte´ a` M. Jobez le Champ-de-Mai. Il est difficile de saisir le rapport qui existe entre le Champ-de-Mai, et 36 millions de´pense´s de trop. M. Dudon, commissaire du Roi, a observe´ qu’un de´pute´ ne devait pas manifester des pre´ventions contre un ministre, tant qu’il jouissait de la confiance du Roi, phrase qui ne m’est pas claire, car il en re´sulterait que la Chambre ne pourrait exercer sa censure que sur les ministres disgracie´s4. 1 2 3 4
La citation provient du discours de Roy du 28 fe´vrier 1817, Archives parlementaires, 2e se´rie, t. XVIII, p. 213. Jean-Emmanuel Jobez (1775–1828), maıˆtre de forges, de´pute´ du Jura. Voir pour le passage cite´, y compris l’incident raconte´, le Moniteur no 61, 2 mars 1817, p. 252b–252c. BC pense au discours improvise´ du 3 mars 1817 de Laffitte. Voir le Moniteur no 64, 5 mars 1817, p. 265b–265c. Sur Laffitte, voir ci-dessus, p. 496, n. 3. Jean-Franc¸ois-Pierre-Ce´cile, baron Dudon (1778–1857), fils d’un procureur ge´ne´ral au par-
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Le re´sultat de cette discussion prolonge´e, a e´te´ que la diminution de 16 millions est re´duite a` huit. Encore a-t-on alloue´ quatre millions de plus, a` cause de la che`rete´ des vivres et des fourrages ; de sorte que toute l’e´conomie obtenue sur cette de´pense de 212 millions, se trouve eˆtre de quatre. Je passerai sous silence les de´bats qui ont eu lieu sur les de´penses de la marine. Il suffira de dire que le rap porteur a prouve´ qu’en 1787, ce de´partement ne couˆtait que 25 millions, et que la re´duction, propose´e par la commission, a e´te´ adopte´e, malgre´ la vive re´sistance et l’espe`ce de protestation de la minorite´ de l’assemble´e. Telle a e´te´ la discussion sur les de´penses. Celle qui s’est e´leve´e sur les recettes ordinaires a e´te´ moins anime´e. L’on a senti que, dans la crise actuelle, il fallait conserver les recettes qui existent, sauf a` les ame´liorer par la suite ; seulement on a rejete´ le doublement des patentes, impoˆt qui a tous les inconve´niens des impoˆts directs, sans en avoir les avantages. L’on n’a adopte´ qu’avec re´pugnance des taxes sur les objets de premie`re ne´cessite´, mouvement plus naturel peut-eˆtre que re´fle´chi ; car les droits e´tablis sur les consommations ge´ne´rales sont les plus productifs, et ceux dont la classe laborieuse s’indemnise avec le plus de facilite´ par une augmentation de salaires. Les questions de l’emprunt, de la caisse d’amortissement et de la vente des bois sont si vastes, que je suis de nouveau force´ de les ajourner. Ce qui m’y de´termine avec moins de peine que je n’en aurais e´prouve´, s’il s’e´tait agi de toute autre loi de circonstance, c’est que ces trois questions ne sont pas uniquement du ressort du budget de cette anne´e. Ce sont des questions ge´ne´rales ; et les lumie`res dont on peut les entourer, serviront dans tous les temps. L’emprunt est un premier retour vers un syste`me abjure´ et proscrit depuis vingt ans. Les principes qui ont dirige´ l’assemble´e dans son adoption, et l’influence que sa re´ussite aura sur nos finances, de´cideront, en grande partie, de notre cre´dit a` venir. Ce cre´dit, que la ne´cessite´ nous contraint a` 20–26 Les questions ... temps. ] Il me reste a` rendre compte des discussions qui ont eu lieu sur l’emprunt, la dotation de la caisse d’amortissement, et la vente des biens de l’Etat. Ces trois questions ne sont pas uniquement du ressort du budget de cette anne´e. CPC lement de Bordeaux. Appauvri apre`s la confiscation des biens de sa famille par le re´gime re´volutionnaire, il obtint finalement une place dans l’arme´e. Assez habile pour obtenir pendant l’Empire des postes de plus en plus importants, surtout dans l’intendance de l’arme´e, il finit apre`s la Restauration au Conseil d’E´tat et se voit charge´ de l’administration des de´partements occupe´s par les Allie´s. Pendant le ministe`re de Serre il fut mis en service extraordinaire, d’ou` sa mission de lire le projet de loi du budget devant la Chambre des de´pute´s. E´lu de´pute´ a` partir de 1820, il soutint des positions d’extreˆme droite. Pour l’observation de Dudon, voir le Moniteur no 61, 2 mars 1817, pp. 252c–253a.
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cre´er, l’utilite´ nous engagera peut-eˆtre a` le maintenir, lorsque la ne´cessite´ sera moins urgente. La caisse d’amortissement est un e´tablissement durable, qui doit nous servir a` toutes les e´poques, et qui, plutoˆt rassurant qu’efficace dans les momens de crise, devient d’autant plus actif et plus salutaire que les besoins sont moins imperieux de sorte que ses avantages sont bons a` de´velopper pour les e´poques futures. La discussion sur la vente des bois nous a ramene´s a` toutes les questions religieuses et politiques, agite´es et re´solues dans les premie`res anne´es de notre re´volution. Ce n’est donc pas non plus un inte´reˆt instantane´. Toutes les proprie´te´s acquises, toutes les transactions conclues, toutes les fortunes accumule´es ou consolide´es depuis trente ans, reposent sur les maximes qui ont triomphe´, et se seraient vues menace´es par les maximes contraires. Je pense donc qu’il n’y a nul inconve´nient a` traiter ces matie`res apre`s l’adoption du budget1, et je les re´unirai dans un quatrie`me et dernier article. B.
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DE
CONSTANT.
Le budget fut adopte´ le 6 mars 1817 avec 135 voix contre 88. Voir le Moniteur no 67, 7 mars 1817, p. 277a.
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Il me reste a` rendre compte des discussions qui ont eu lieu sur l’emprunt, la dotation de la caisse d’amortissement, et la vente des bois.
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De l’emprunt.
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L’emprunt peut eˆtre conside´re´ comme une ve´ritable re´volution dans notre administration financie`re. Depuis vingt-ans, toute mesure de cette espe`ce, impossible en pratique, e´tait frappe´e de re´probation en the´orie. On peignait le syste`me des emprunts, comme favorisant l’agiotage, gre´vant de taxes one´reuses les ge´ne´rations futures et produisant, pour dernier re´sultat, une banqueroute ine´vitable. Dans la discussion actuelle, l’opinion a paru toute change´e : non-seulement la commission du budget, mais des orateurs qui, durant quinze anne´es, avaient pre´dit a` l’Angleterre, avec une re´gularite´ pe´riodique, qu’elle trouverait sa ruine dans des emprunts, ont appuye´ le projet que le gouvernement pre´sentait : les adversaires de ce projet ne se sont point montre´s contraires a` cette partie de la loi : M. de Ville`le luimeˆme a propose´ un emprunt de 200 millions : et sans la nature du gage, il est probable que l’assentiment euˆt e´te´ presque unanime1. Cette modification, dans les ide´es financie`res, due pour le moment aux ne´cessite´s pre´sentes, aura vraisemblablement une grande influence sur l’avenir ; et comme cette influence ne se bornera pas uniquement a` ce qui touche au syste`me du cre´dit, je placerai ici quelques ide´es ge´ne´rales, parmi lesquelles se trouvent et celles de l’inge´nieux e´crivain2 qui m’a preˆte´ ses secours dans l’examen du budget, et des conside´rations qui m’ont frappe´, et qui devront, ce me semble, entourer de pre´cautions prudentes l’usage de ce moyen, excellent dans ses effets imme´diats, mais qui n’est pas, comme on le verra, sans dangers politiques. E´tablissement du texte : Mercure de France, Continuation sur le budget, t. I, 22 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 547–555. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 356–370. [=CPC] 24 e´crivain ] CPC ajoute une note N. Saint-Aubin. 1 2
Voir le Moniteur no 39, 8 fe´vrier 1817, pp. 163a–165b et no 63, 4 mars 1817, pp. 261a–262c. Saint-Aubin, comme BC le pre´cise dans CPC.
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Il n’y a aucun doute que l’action de l’emprunt, sous le rapport des ressources laisse´es a` la reproduction et a` l’industrie, ne soit pre´fe´rable a` l’action de l’impoˆt. Quelle que soit la nature de la de´pense a` laquelle un peuple est force´ de pourvoir, il est clair, qu’en dernie`re analyse, il faut que chaque individu la supporte, en raison de ses moyens pe´cuniaires. Le gouvernement ne fait que re´partir et percevoir la quote-part de chaque contribuable. Or, s’il peut se procurer par un emprunt les fonds ne´cessaires, les contribuables ne paient le total de la de´pense que graduellement et par parties. Ils la paient, par exemple, en trente-sept ans, si le fonds d’amortissement est d’un, et l’inte´reˆt de cinq pour cent. Si, au contraire, le gouvernement le`ve la meˆme somme par la voie de l’impoˆt, les contribuables sont force´s de payer dans l’anne´e le capital entier. Qui ne sent qu’entre les deux manie`res de se procurer des fonds, la diffe´rence est e´norme, dans ses effets sur l’aisance et la prospe´rite´ des gouverne´s ? Dans l’hypothe`se de l’impoˆt, le gouvernement enle`ve a` chaque contribuable un capital qui euˆt alimente´ son industrie. Dans l’hypothe`se de l’emprunt, il n’oˆte au contribuable que six, ou tout au plus dix pour cent de la somme a` laquelle sa quote-part de l’impoˆt se serait e´leve´e. Par l’emprunt, il traite de gre´ a` gre´ avec des preˆteurs dont il ame´liore la situation, car si leur situation n’e´tait pas ame´liore´e par leurs transactions avec le gouvernement, rien ne les engagerait a` lui livrer leurs capitaux. Par l’impoˆt, le gouvernement agit de force contre des contribuables, dont il de´te´riore la situation ; car il ne les consulte pas, et ne s’enquiert point du vide qu’occasione l’absence du capital qu’il absorbe, et de la ste´rilite´ qui en re´sulte pour la reproduction. En empruntant, il ne fait qu’employer un superflu accumule´ par l’e´conomie pre´voyante d’une classe de particuliers : en imposant, il frappe sur le ne´cessaire de plusieurs classes de contribuables. Il est donc clair, qu’envisage´ sous le point de vue purement financier, le syste`me de l’emprunt a, sur celui de l’impoˆt, d’immenses avantages. Mais ces avantages meˆmes ajoutent aux dangers qu’il peut avoir, sous un autre rapport, et en le conside´rant de plus haut. L’impoˆt s’arreˆte devant la re´alite´, et devant une re´alite´ dont les limites sont assez resserre´es. Toute l’habilite´ fiscale du monde ne peut enlever a` un peuple ce qu’il n’a pas, et un proverbe vulgaire a consacre´ cette ve´rite´, contre laquelle le ge´nie des plus ruse´s financiers e´choue a. Lors donc qu’il faut subvenir a` toutes les de´penses publiques, en exigeant annuellement des contribuables la totalite´ de ces de´penses, l’impossibilite´ met des bornes aux entreprises inutiles ou trop dispendieuses. a
La` ou` il n’y a rien, le Roi perd ses droits.
4 Quelle que ] Quelque CPC
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L’emprunt, au contraire, a sa base dans le cre´dit, c’est-a`-dire, dans l’ide´e que le preˆteur conc¸oit, que les inte´reˆts de ce qu’il preˆte lui seront paye´s : et comme il est bien plus facile de payer les inte´reˆts de la de´pense publique que le capital, puisque ces inte´reˆts ne sont, a` ce capital, en les supposant tre`s-hauts, que comme un a` dix ; il est manifeste qu’un gouvernement qui emprunte, s’il a l’esprit de rester fide`le a` ses engagemens, peut de´penser beaucoup plus qu’un gouvernement qui vit d’impoˆts. Il s’ensuit que les gouvernemens emprunteurs sont de fait bien plus riches, c’est-a`-dire, ont bien plus de richesses disponibles que les autres. Or, ce n’est pas un petit inconve´nient pour les peuples que la trop grande richesse des gouvernemens. J’e´crivais, il y a long-temps : «La possession d’une tre`s grande fortune inspire, meˆme aux particuliers, des de´sirs, des caprices, des fantaisies de´sordonne´es, qu’ils n’auraient pas conc¸ues dans une position plus restreinte. Il en est de meˆme des hommes en pouvoir. Ce qui a sugge´re´ aux ministres anglais, depuis cinquante ans, des pre´tentions si exage´re´es, c’est la trop grande facilite´ qu’ils ont trouve´e a` se procurer d’immenses tre´sors. Le superflu de l’opulence enivre, comme le superflu de la force, parce que l’opulence est une force, et de toutes la plus re´elle. De la` des plans, des ambitions, des projets, qu’un gouvernement qui n’aurait posse´de´ que le ne´cessaire, n’euˆt jamais forme´s1.» L’on objectera que les gouvernemens qui, de la sorte, abuseraient de leurs moyens de cre´dit, en sapperaient les bases. Abandonne´s de l’opinion, dirat-on, ils ne trouveraient plus chaque anne´e de quoi remplir leurs engagemens, et la confiance en leur exactitude une fois e´branle´e, le syste`me des emprunts leur deviendrait impossible. Cela n’est pas entie`rement vrai, ou du moins cela n’est vrai que beaucoup trop tard. La se´curite´ des preˆteurs s’use moins vite que la ve´ritable opinion nationale, et un gouvernement qui, par calcul, a e´te´ scrupuleux dans ses paiemens, trouve a` emprunter, long-temps apre`s que ses mesures sont impopulaires. Les preteurs forment une classe a` part, qui se pre´pare par l’e´conomie a` preˆter de nouveau ce qu’elle a e´pargne´ sur les inte´reˆts qui lui sont paye´s. Voyant dans la fide´lite´ du passe´ une garantie pour l’avenir, cette classe ne songe qu’au be´ne´fice qu’elle retire de ses capitaux, sans s’inquie´ter de l’usage que l’autorite´ en pourra faire : et de la sorte un gouvernement peut aller long-temps de guerre en guerre, et de de´pense en de´pense, avant que la magie de son cre´dit soit de´truite. L’Angleterre, depuis un demi-sie`cle, n’est reste´e e´trange`re a` aucune des agitations de notre Europe, souvent elle s’en est meˆle´e contre le vœu et l’instinct du peuple anglais ; son cre´dit n’a pas souffert du dissentiment de 1
Voir les Principes de politique, texte de 1815, OCBC, Œuvres, t. IX/2, pp. 812–813. Citation le´ge`rement adapte´e au nouveau contexte.
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l’opinion politique, parce que l’opinion financie`re lui est reste´e favorable. Sa dette s’est accrue, au point que toute la valeur de son sol ne suffirait pas pour la payer ; son cre´dit n’a rec¸u aucune atteinte. La mise`re s’est mise dans la classe laborieuse ; son cre´dit n’a pas e´te´ e´branle´. La pe´nurie a passe´ jusque dans les classes opulentes ; son cre´dit est reste´ le meˆme. Le me´contentement et la souffrance ont produit partout des insurrections partielles ; son cre´dit a surve´cu. Et dans un moment ou`, de toutes parts, e´clatent des tentatives de´sespe´re´es, son cre´dit est intact, ses fonds sont au-dessus du pair : et tandis que, si l’on en croit ses ministres, les mesures les plus rigoureuses sont indispensables pour conjurer les dangers inte´rieurs, ce cre´dit lui fournit encore, par des emprunts remplis a` l’instant, les moyens de conserver sa supre´matie au dehors. Le cre´dit est donc, entre les mains des gouvernemens, une arme terrible. Le syste`me des emprunts, facile, favorable a` l’industrie qu’il e´pargne, commode pour l’autorite´, qu’il dispense de chercher des expe´diens qui blessent imme´diatement la masse de la nation, peut devenir un fle´au pour les peuples meˆmes qui en profitent, parce qu’il est perpe´tuellement une invitation aux gouvernemens d’en abuser. Conclurons-nous de la`, qu’il faut rejeter ce syste`me ? a` Dieu ne plaise. Mais il faut placer a` coˆte´, dans la constitution, des re´sistances efficaces et insurmontables. Il faut que les repre´sentans d’une nation soient d’autant plus en garde contre les effets politiques des emprunts, que leurs effets financiers sont moins sentis que ceux des impoˆts. Ce n’est pas un grand malheur en finance, que d’augmenter les impoˆts de six millions par an, en votant un emprunt de cent millions. Mais c’est un mal incalculable pour toute nation, que de donner a` son gouvernement cent millions, dont il n’a pas besoin, parce qu’il se cre´e incontinent des besoins, au de´triment de la liberte´ ou de la paix, pour de´penser ce superflu de richesse. Quand un peuple accorde a` son gouvernement des sommes inutiles, il ne souffre pas seulement des sacrifices qu’il s’impose, il souffre aussi de l’usage qu’on fait de ces sacrifices. Il ne paie plus pour avoir la paix assure´e par un bon syste`me de de´fense : il paie pour avoir la guerre, parce que l’autorite´, fie`re de ses tre´sors, invente mille pre´textes pour les de´penser glorieusement, comme elle dit. Le peuple paye, non pour que le bon ordre soit maintenu dans l’inte´rieur, mais pour que des courtisans enrichis troublent l’ordre public par des vexations impunies : et comme l’effet des emprunts, bien 3 payer ; ] CPC ajoute ici une note M. Saint-Aubin a combattu mon assertion dans un nume´ro du Mercure : il a voulu prouver que le montant de la dette publique de l’Angleterre, loin d’eˆtre au-dessus de la valeur de son sol, e´tait fort infe´rieur a` sa richesse territoriale. Mais en faisant entrer ... qu’il aura commence´. voir ci-dessous, p. 535, lignes 18–34 28–p. 527.4 Quand un peuple ... la pauvrete´. ] supprime´ CPC
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qu’infiniment moins sensible que celui des impoˆts, est pourtant d’augmenter les taxes, il arrive un moment ou` les deux inconve´niens se combinent. Le gouvernement s’e´tait corrompu par la richesse ; le peuple se corrompt par la pauvrete´. Ces re´flexions, qu’on trouvera peut-eˆtre fort intempestives ; car, a` en juger par notre position pre´sente, nous ne sommes pas encore menace´s d’un exce`s de cre´dit, m’ont paru ne´cessaires, parce qu’avec les ressources de la France, il est indubitable qu’une loyaute´ commune donnera au gouvernement, dans peu de temps, un cre´dit immense : et j’ai pense´ que pour indiquer les dangers politiques du cre´dit, il fallait pre´cise´ment choisir l’e´poque ou` il vient de renaıˆtre, et ou` ses se´ductions sont moins irre´sistibles, parce que ses moyens sont plus borne´s. Je passe a` l’emprunt particulier qui a fait l’objet de la discussion. Les adversaires du projet de loi se sont pre´valus, pour l’attaquer, du principe admis par la commission et par le ministre, savoir : que cet emprunt serait ne´gocie´ sur le cre´dit ouvert de trente millions de rentes, et comme dix millions avaient e´te´ ne´gocie´s au taux de 55, ils ont e´tabli comme de´montre´, que les emprunts subse´quens se ne´gocieraient a` un taux plus de´savantageux encore. M. de la Bourdonnaye1 et M. de Ville`le2 sont entre´s dans de grands de´tails, et nous ont annonce´ que la France serait de´bitrice en 1821, de plusieurs milliards. L’expe´rience a de´ja` refute´ ces pre´dictions sinistres. Les rentes ne´gocie´es a` 55, sont aujourd’hui a` 60 ; et cette hausse, dont tout fait presumer la dure´e, enlevera aux preˆteurs la faculte´ de prendre a` 58 les dix millions qui forment la seconde portion de l’emprunt. M. de Ville`le a beaucoup insiste´ sur ce que, par le traite´ conclu, les preˆteurs outre l’inte´reˆt exorbitant qui leur e´tait alloue´, acque´raient en capital nominal presque le double du capital re´el qu’ils avaient fourni. Mais en premier lieu, cette condition, one´reuse sans doute, e´tait prescrite par la ne´cessite´ ; car, comme on l’a observe´ a` la tribune, pour un emprunt, il faut eˆtre deux. Secondement, l’alie´nation d’un capital nominal, plus conside´rable que le capital re´el, a lieu dans toutes les ventes et ne´gociations de rentes sur l’E´tat. Cette ine´galite´ fait la base de la plupart des emprunts anglais. Le gouvernement donne cent livres sterling en tiers consolide´, pour soixante livres sterling en nume´raire : et comme un gouvernement n’est jamais contraint au remboursement du capital, il n’y a de perte pour lui, qu’autant que la caisse d’amortissement est oblige´e de racheter les effets publics a` un taux plus e´leve´ : mais cette 17 ils ] la source porte il M 1 2
23 preˆteurs ] la source porte preteurs M
Voir le discours de La Bourdonnaye, Moniteur no 64, 5 mars 1817, pp. 264b–265a. Le discours de Ville`le, ibid. pp. 261a–262c.
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perte est amplement compense´e par les avantages qui re´sultent de la hausse des effets publics. Quant a` l’objection fonde´e sur la pre´fe´rence qu’on semblait accorder aux capitalistes e´trangers, elle se re´fute par le fait, puisque les capitalistes nationaux ont pu s’inte´resser a` l’emprunt, dans la proportion de leurs moyens actuels. Mais si l’opposition a eu tort, dans ses calculs et dans ses prophe´ties, elle a eu raison de se plaindre du secret dont on avait entoure´ la ne´gociation. Les orateurs ministe´riels ont dit, il est vrai, qu’aucun emprunt n’aurait pu se conclure, sans une ne´gociation secre`te et confidentielle. Cette assertion serait vraie, tout au plus, s’il s’agissait d’emprunter cinq ou six millions. Mais quand il est question d’en emprunter cent, ou plutoˆt de vendre dix millions de rentes, la solvabilite´ et la moralite´ financie`re du gouvernement emprunteur, quel qu’il soit, et la valeur quelconque des inscriptions offertes en nantissement ou en paiement, sont des donne´es tellement connues dans toutes les places commerc¸antes de l’Europe, que les offres faites par les capitalistes qui ont conclu l’emprunt, l’auraient, sans nul doute, e´te´ de meˆme, par d’autres capitalistes, si l’emprunt avait e´te´ propose´ au rabais, suivant l’usage d’Angleterre. Le ministre aurait par la` e´chappe´ au reproche d’avoir consenti a` une ne´gociation trop one´reuse, reproche qui pe`se ine´vitablement sur les ne´gociations secre`tes : la clandestinite´ engendre la de´fiance. Aussi les bruits re´pandus sur cette ne´gocia tion, avant que ses re´sultats ne fussent publics, e´taient-ils beaucoup plus faˆcheux que la re´alite´ : et qu’on ne s’en prenne pas a` ceux qui les re´pandaient ; qu’on ne pre´tende point qu’ils devaient s’abstenir de juger ce qu’ils ne connaissaient pas. Le budget, et tout ce qui s’y rapporte, les de´penses projete´es, aussi bien que les moyens d’y pourvoir, soit par des impoˆts, soit par des emprunts, sont du ressort du gouvernement et des chambres, quant a` la le´gislation et l’exe´cution : mais quant a` l’opinion, ces choses appartiennent de droit a` tous les contribuables, puisqu’elles influent sur la fortune de tous les contribuables. C’est donc grandement a` tort qu’on a taxe´ de te´me´rite´ un capitaliste recommandable, qui, dans un e´crit fort de calculs et plein de courage, s’est e´leve´ contre les conditions suppose´es de la ne´gociation qui avait lieu1. Il 31 recommandable, ] CPV ajoute en note M. Casimir Perrier. 1
Allusion a` un e´crit de Casimir Pe´rier (1777–1832) identifie´ par Harpaz : Re´flexions sur le projet d’emprunt, Paris : Bailleul, s.d. [1817]. Dans une autre e´dition, plus de´veloppe´e et sans doute poste´rieure a` l’article de BC (Paris : Egron, s.d.), l’auteur confirme implicitement l’opinion de BC lorsqu’il dit, dans une note ajoute´e a` la fin (p. 46), que l’emprunt a e´te´ conclu «a` des conditions presque identiques» a` celles qu’il avait propose´es. La brochure de C. Pe´rier a e´te´ attaque´e dans l’article anonyme du Moniteur no 28, 28 janvier 1817, p. 105a– 105b.
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aurait duˆ attendre, a-t-on dit, que ces conditions fussent rendues publiques. Non, certes ; c’e´tait avant la conclusion du traite´ qu’il fallait pre´venir les mauvais effets que l’on redoutait. Il s’est trompe´ dans ses conjectures, n’importe. L’inconve´nient d’avoir eu des craintes que l’e´ve´nement a de´menties, n’e´tait rien en comparaison du service qu’il aurait rendu, si ses craintes se fussent trouve´es fonde´es et que ses re´clamations les eussent empeˆche´es de se re´aliser. Comme capitaliste, il a use´ de son droit, car il s’est de´fendu contre ce qu’il croyait nuisible a` ses inte´reˆts. Comme citoyen, il a rempli un devoir. Au reste, quelque critique de de´tail qu’on puisse diriger sur les formes suivies dans cette ope´ration importante, il est hors de doute que les re´sultats en sont heureux. C’est le premier emprunt volontaire qui ait eu lieu depuis vingt-cinq ans : et inde´pendamment de cet avantage de circonstance, il en est un plus pre´cieux que je me plais a` de´velopper. Les pre´teurs n’ont pas aventure´ des capitaux si conside´rables, sans examiner le gage qu’on leur donnait. Or la valeur de ce gage tient en entier au maintien de la liberte´ en France. Des expe´riences multiplie´es l’ont assez prouve´, comme je l’ai dit ailleurs1. De`s qu’on s’e´carte de la route de la liberte´, la France est en pe´ril. Les pre´teurs, dont l’influence est grande sur l’opinion de l’Europe, sont donc essentiellement inte´resse´s a` ce que l’exage´ration, l’absurdite´, l’orgueil des souvenirs, l’espoir des vengeances, et toutes les passions qui nous menacent, ne l’emportent pas sur le vœu national. Sans liberte´ point de nation ; sans nation point de cre´dit ; sans cre´dit point de gage pour nos cre´anciers. Un gouvernement despotique, une administration inconstitutionnelle, et qui voudrait persister dans ses erreurs, ferait tomber les rentes, je ne dis pas a` quarante, mais a` dix, jusqu’a` ce qu’il n’y euˆt plus ni rentes, ni France. La richesse des principaux capitalistes de l’Europe, est donc lie´e de´sormais a` l’affermissement de notre liberte´2. Or, cette richesse, fonde´e sur l’industrie, a pour appui les lumie`res ; ses organes sont partout. Les amis de la liberte´, les seuls hommes qui puissent nous sauver et nous re´gir, ont donc, par cet emprunt, acquis des avocats pour leur cause. Ces avocats, dans chaque pays, sont les individus qui y exercent le plus d’influence. Les tre´sors des gouvernemens sont sous leur empire, car ces tre´sors existent par eux. Ils sont devenus les allie´s de notre liberte´, en s’associant a` notre fortune. Cette alliance sera salutaire, et plus salutaire que bien d’autres. J’aime mieux l’intervention de l’opinion europe´enne, que
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Principes de politique, chap. XV, OCBC, Œuvres, IX/2, pp. 799–813. Voir pour cette proble´matique Harpaz, L’e´cole libe´rale, le chap. «Industrialisme et classes sociales», pp. 46–51, et Recueil d’articles, Mercure, p. 1376, n. 1 a` la p. 178. Be´atrice Fink et Michel Bourdeau, «De l’industrie a` l’industrialisme : Benjamin Constant aux prises avec le Saint-Simonisme. Une e´tude en deux temps» (Œuvres et critiques, t. XXXIII, 1, 2008, pp. 61–78) ajoutent un aspect essentiel a` cette discussion.
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l’intervention de la diplomatie europe´enne. Nos nouveaux allie´s ne sauraient avoir d’arrie`re-pense´e. Notre affaiblissement ne ferait pas leur force : notre ruine ne les enrichirait pas. B.
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La nature, le but et les avantages des caisses d’amortissement ont e´te´ re´cemment explique´s dans tant de livres, de brochures et d’articles de journaux, que tout de´veloppement nouveau serait superflu. Je me bornerai donc a` dire ici pourquoi les mesures propose´es par la commission pour la dotation de la caisse d’amortissement ont rencontre´ de l’opposition dans l’assemble´e, de quels argumens les opposans se sont appuye´s, comment on a re´pondu, et enfin comment on aurait pu re´pondre mieux encore. La chambre des de´pute´s de 1815 avait de´ja` dote´ la caisse d’amortissement de 20 millions. Il est probable que le doublement de cette dotation, joint a` l’affectation d’un fonds consolide´ et d’un budget particulier pour la dette publique, n’aurait rencontre´ cette anne´e aucun obstacle, si le seul produit des impoˆts avait pu lui servir de base ; mais la proposition d’affecter a` cette destination la totalite´ des bois nationaux non encore vendus, y compris ceux qui ont appartenu a` l’ancien clerge´ de France, a paru a` une partie de l’assemble´e une profanation et une injustice. Cependant, avant d’attaquer directement cette proposition, sous ce double point de vue, les adversaires du budget ont combattu la dotation meˆme de la caisse d’amortissement par des raisonnemens qu’ils ont appuye´s de calculs. Ces raisonnemens, reproduits sous diverses formes et accompagne´s de quelques divagations, se re´duisent a` deux principaux. 1o. Tout fonds d’amortissement a pour base essentielle l’inte´reˆt compose´ qui ope`re l’amortissement, moins en raison de la quotite´ qu’en raison du temps, c’est-a`-dire qu’un fonds me´diocre, accumule´ pendant une longue suite d’anne´es, amortit une masse de dettes plus conside´rable qu’un fonds sextuple n’en amortirait dans un espace six fois plus court. Un fonds d’un pour cent, par exemple, amortit dans trente-sept ans le capital emprunte´, en supposant l’inte´reˆt a` 5 ; tandis qu’un fonds de 6 pour cent n’amortirait son E´tablissement du texte : Mercure de France, Projet de loi sur le budjet, t. I, 29 mars 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 599–603. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 370–378. [=CPC] 1–4 Des Chambres ... (Continuation.) ] supprime´ CPC emprunte´. En M
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capital qu’en dix ans, au lieu de six, qui est le sixie`me de 37. Pourquoi donc, a-t-on dit, priver la nation de ses ressources, quand elle doit subvenir a` des de´penses force´es, et payer des dettes exigibles, dans le but de produire, par un fonds d’amortissement disproportionne´, un re´sultat qu’on obtiendrait avec moins de sacrifices, en respectant l’action lente mais infaillible du temps ? 2o. Tant que les recettes n’exce`dent pas les de´penses ; tant que, pour pourvoir a` celles-ci, des emprunts sont ne´cessaires, toute caisse d’amortissement est sans effet ; car tout ce qui, d’un coˆte´, amortit la dette, la grossit de l’autre part. Les de´fenseurs du projet ont re´pondu a` la premie`re objection, que le fonds d’amortissement n’e´tait point aussi conside´rable qu’on le supposait ; qu’il ne de´passait point la proportion naturelle ; que la dette de´ja` contracte´e et celle qui restait a` contracter, formerait, d’ici a` quatre ans, deux cent millions de rentes, et qu’en ajoutant meˆme au fonds d’amortissement le produit annuel de la vente des bois, ce fonds n’exce´derait gue`re le 3 pour cent du capital emprunte´. Pour re´futer la seconde objection, ils ont invoque´ la puissance de l’inte´reˆt compose´, et voulu de´montrer par des calculs, que meˆme, lorsqu’on empruntait, l’amortissement, peu sensible a` la ve´rite´, n’e´tait pas absolument nul. Raisonner ainsi, c’est ne pas s’entendre. Il est e´vident qu’aussi longtemps qu’il y a un de´ficit de recettes, la somme qui est distraite, chaque anne´e, pour la caisse d’amortissement, augmente d’autant le de´ficit et la somme a` emprunter. En conse´quence, dans la supposition la plus favorable, celle ou` le gouvernement emprunterait au meˆme taux auquel la caisse d’amortissement rache`te, l’inte´reˆt compose´ s’accumulerait d’une part contre le gouvernement, par ses emprunts, et de l’autre, en sa faveur, par les rachats de la caisse d’amortissement dans une proportion pre´cise´ment la meˆme. Pour plus de clarte´, puisons notre exemple dans le budget meˆme. Le tre´sor versera, cette anne´e, quarante millions pris sur les recettes dans la caisse d’amortissement, qui, rachetant, avec cette somme, environ 66 millions et demi de capital en rentes, au cours de 60, diminuera d’autant la dette publique. Mais, d’un autre coˆte´, le gouvernement se voit force´ d’emprunter, dans cette meˆme anne´e, 303 millions pour acquitter les contributions de guerre, et les autres engagemens que les puissances lui ont impose´s. Il emprunterait e´videmment 40 millions de moins s’il ne les avait pas de´le´gue´s a` la caisse d’amortissement. Supposons donc qu’il se procure ces 40 27 amortissement ] la source porte amortissemen M
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millions contre des rentes au meˆme cours de 60, il augmentera le capital de sa dette de 66 millions et demi, somme e´gale a` la diminution que la caisse d’amortissement aura ope´re´e. Le re´sultat sera donc nul. Mais j’ai dit que cette hypothe`se e´tait la plus favorable : elle l’est trop. Le gouvernement n’emprunte pas au cours de soixante. Les capitalistes qui lui preˆtent ne prennent les rentes qu’a` cinquante-cinq. Il est donc clair qu’il augmente sa dette plus que la caisse d’amortissement ne la diminue ; l’effet de cette ope´ration n’est donc pas seulement nul pour le tre´sor ; il lui est de´favorable. C’est sous un tout autre point de vue qu’il aurait fallu de´fendre la dotation de la caisse d’amortissement. Ce n’est point comme pouvant amortir les dettes qui existent, tandis que l’Etat en contracte de nouvelles, que cet e´tablissement est une immense ressource : c’est comme soutenant le cours des effets publics, en enlevant par des rachats journaliers la portion de ces effets que les porteurs, presse´s d’argent, vendraient a` vil prix, si cette caisse ne se pre´sentait pour les acheter au cours. A l’aide de la hausse que ces achats journaliers produisent, le gou vernement conclut des emprunts a` des conditions moins one´reuses. Les cre´anciers voient la valeur ve´nale de leurs fonds s’ame´liorer. Le taux commun de l’inte´reˆt baisse : le prix des biensfonds s’e´le`ve. Le commerce, l’industrie manufacturie`re, l’agriculture y gagnent. Tel est, dans nos circonstances, le ve´ritable et incalculable avantage de cette institution, vante´e, a` juste titre, comme une des causes de la prospe´rite´ des finances britanniques. Graˆces a` cet inge´nieux me´canisme, les effets publics se sont soutenus en Angleterre, malgre´ l’accroissement de sa dette, et meˆme en raison inverse de l’effet que cet accroissement semblait devoir produire. En 1784, apre`s la paix de l’Ame´rique, les trois pour cent consolide´s e´taient a` cinquante-quatre, et la dette non rachete´e se montait a` 38 millions sterlings. Aujourd’hui, le capital de cette dette est plus que triple´, et les trois pour cent valent soixante-neuf. Aussi, en 1814, l’Angleterre, malgre´ sa dette e´norme, empruntait 64 millions sterlings, au taux moyen de cinq et demi. C’est surtout dans un moment ou` le succe`s des emprunts que la ne´cessite´ nous commande, de´pend du cours des rentes a` l’e´poque de chaque ne´gociation, qu’il importe d’e´tablir une caisse d’amortissement richement dote´e. Le cours des rentes tient uniquement a` la quantite´, non des rentes inscrites, mais de celles qui sont offertes en vente, et dont la valeur s’e´levera par les rachats journaliers que la caisse d’amortissement pourra ope´rer. En partant de ces conside´rations et en laissant de coˆte´ l’amortissement proprement dit, les de´fenseurs de cette partie du budget auraient pu combattre victorieusement leurs adversaires, tandis qu’en pre´sentant la caisse 29 soixante-neuf. ] CPC ajoute en note Ils ont monte´ depuis jusqu’a` 84.
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d’amortissement comme destine´e de`s aujourd’hui a` l’extinction de la dette, ils se plac¸aient sur un terrain qu’ils ne pouvaient de´fendre, et leur de´faite euˆt e´te´ constate´e si le parti oppose´ avait su profiter de ses avantages. Mais ce parti, qui, dans cette occasion, e´tait the´ologien du cœur, et financier par ne´cessite´, ne s’est pas pre´valu de sa supe´riorite´ accidentelle, en calculs et en logique1. Il a pre´fe´re´ prendre un autre poste, ou` plus d’e´loquence pourrait eˆtre de´ploye´e, plus de souvenirs invoque´s, et plus d’invectives dirige´es contre la re´volution et ses auteurs. En effet, comme je l’ai dit ailleurs2, la question de l’alie´nation des bois de l’Etat nous reportait a` toutes celles qui ont e´te´ agite´es en 1789. Tous les argumens alle´gue´s jadis pour transformer le clerge´ en proprie´taires de biens-fonds inalie´nables, ont e´te´ reproduits seulement avec les modifications impose´es a` tous les orateurs par la ne´cessite´ d’appuyer leurs the´ories d’une apparence d’utilite´ ge´ne´rale. Sentant qu’il ne suffisait plus d’exhumer de la poussie`re de nos archives des ordonnances tombe´es en de´sue´tude, et d’invoquer des droits formellement abolis, ils ont cherche´ a` prouver que l’inte´reˆt public se trouvait d’accord avec ce qu’ils disaient eˆtre la justice rigoureuse, que le clerge´, remis en possession des foreˆts, les administrerait mieux, les me´nagerait plus que les particuliers, et qu’en conse´quence, la France gagnerait moralement et e´conomiquement a` un retour aussi complet que le permet ce qui s’est passe´, vers ce qui existait avant la re´volution. Cette double obligation qu’ils s’e´taient prescrite a jete´ dans leurs argumens et dans leur style une grande varie´te´. Tantoˆt, ils nous ont annonce´ la foudre preˆte a` tomber sur les impies qui attaqueraient les cheˆnes sacre´s ; tantoˆt ils nous ont inquie´te´ sur la crudite´ de nos alimens, faute de combustibles ; et passant ainsi du ciel a` la terre, et du spirituel au temporel, ils n’ont rien ne´glige´ pour sauver ces foreˆts, d’autant plus ve´ne´rables, qu’elles ont appartenu a` plus d’un clerge´, car avant l’e´tablissement du christianisme, les Druides y ce´le´braient de´ja` leurs rites un peu sauvages. L’alie´nation des bois a donc e´te´ conside´re´e : 1o. Comme contraire a` la religion, dont les ministres, pour eˆtre inde´pendans, doivent posse´der des proprie´te´s foncie`res qui ne puissent leur eˆtre enleve´es ; 2o. Comme subversive du droit de proprie´te´ ; 3o. Comme en opposition avec les inte´reˆts de l’Etat. B.
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(La fin au prochain nume´ro.) 36–37 B. de Constant. ... nume´ro.) ] supprime´ CPC 1 2
Tournure superbe pour caracte´riser le dilemme politique de la droite. Dans son deuxie`me article sur les de´bats des Chambres (ci-dessus, pp. 381–390) et sa re´ponse a` une lettre anonyme adresse´e a` la re´daction du Mercure (ci-dessus, pp. 441–446), comme le suppose Harpaz, Recueil d’articles, Le Mercure, p. 1377, n. 1 a` la p. 182.
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Lettre de M. Saint-Aubin Relativement a` la dette publique de l’Angleterre a.
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Vous avez, Monsieur, imprime´ dans l’un des articles publie´s sur le budget, que le sol de l’Angleterre ne suf fisait pas pour payer sa dette1. Cette assertion ne me paraıˆt pas exacte, et comme vouz m’avez invite´ a` concourir a` ces articles, je demande a` la rectifier. Que le montant de la dette publique de l’Angleterre soit infe´rieur de beaucoup a` sa richesse territoriale ; que cette meˆme dette, e´tant compare´e avec l’ensemble de ses richesses foncie`res et mobiliaires, territoriales et industrielles, n’en forme qu’une petite, une tre`s-petite partie meˆme, cela peut se de´montrer a` posteriori ou par les faits, et a` priori ou par les raisonnemens tire´s de la nature meˆme de cette dette, de sa formation et de l’organisation du syste`me des emprunts d’ou` elle re´sulte. Et chacune de ces a
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Mon empressement a` publier les e´claircissemens que M. Saint-Aubin croit ne´cessaires, me force a` renvoyer au nume´ro prochain la continuation et la fin de l’article sur les chambres. J’ai laisse´ cette lettre telle qu’elle m’a e´te´ adresse´e, sans toutefois partager l’opinion de l’auteur, sur quelques points, nomme´ment sur l’Irlande. Il me semble de plus qu’en faisant entrer dans son e´valuation de la richesse de l’Angleterre les canaux, les usines, les capitaux consacre´s a` l’agriculture, les capitaux industriels, les revenus du commerce, tant inte´rieur qu’exte´rieur, tout le mobilier, la vaisselle, les bijoux, les denre´es coloniales, les monnaies et lingots d’or et d’argent, les toiles, draps, et autres marchandises de toute espe`ce fabrique´es et emmagasine´es, les ving-cinq mille navires marchands, etc., etc., il re´pond a` une toute autre assertion que la mienne, ce qui n’empeˆche pas que sa lettre ne contienne des de´tails pre´cieux que les lecteurs de ce journal seront suˆrement bien aises de trouver re´unis. Quant a` son principe fondamental, qu’une dette publique, une fois contracte´e et due en presque totalite´ aux cre´anciers d’un pays, n’est jamais un fardeau pour la nation en masse, ce n’est pas ici le lieu de l’examiner. J’observerai seulement que mon objection contre l’abus du cre´dit porte bien moins sur les charges qui en re´sultent pour le peuple, que sur l’usage que peuvent faire les gouvernemens des moyens que ce cre´dit leur procure. Ce sont ces moyens que je crois dangereux de leur fournir. Il y aurait, dans un pays, un tre´sor a` part auquel on pourrait toucher sans faire peser la moindre charge sur la nation, que je dirais encore : Ne confiez pas inutilement la disposition de ce tre´sor a` l’autorite´, car vous ne savez pas ce qu’un superflu de richesses pourrait l’engager a` faire, ni ce qui re´sultera ensuite pour vous de la ne´cessite´ ou` le gouvernement se trouvera de soutenir ce qu’il aura commence´. B.C. E´tablissement du texte : Mercure de France, Lettre de M. Saint-Aubin, t. II, 5 avril 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 33–44.
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Voir ci-dessus, p. 526.
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de´monstrations peut eˆtre fournie a` son tour, en comparant successivement 1o. le capital ; et 2o. les inte´reˆts de la dette, avec les capitaux et les revenus des proprie´taires ou des contribuables, charge´s d’en payer annuellement les inte´reˆts, et de rembourser finalement le capital. En e´tablissant ces comparaisons, je suis malheureusement force´ de me borner a` la Grande-Bretagne, parce que cette partie de l’empire britannique ayant e´te´, depuis pre`s d’un sie`cle, l’objet presque exclusif des enqueˆtes du parlement, et des travaux des e´crivains sur cette matie`re, c’est a` elle que se rapportent toutes les donne´es et les e´le´mens du calcul, aussi bien que du raisonnement, qu’on trouve dans les documens officiels, et dans les ouvrages de finances et d’e´conomie politique, auxquels on peut renvoyer le lecteur, pour les ve´rifier au besoin. Si j’avais eu sous la main des mate´riaux aussi abondans et aussi suˆrs pour l’Irlande, les re´sultats auraient e´te´ bien plus favorables a` ma the`se, parce que sa dette publique est beaucoup plus petite, proportionnellement avec sa population et ses ressources, que n’est celle de l’Angleterre. D’une part, les progre`s que ce pays a faits en population et en industrie de toute espe`ce, depuis sa re´union a` l’Angleterre, l’ont mis dans un e´tat progressif bien plus marque´ ; et, d’un autre coˆte´, ses principales exportations e´tant habituellement dirige´es vers l’Angleterre et les Etats-Unis, son commerce et son industrie n’ont pas pris la direction force´e vers l’exte´rieur, que la politique du gouvernement et la dernie`re guerre avaient fait prendre a` l’industrie et au commerce de la Grande-Bretagne. En conse´quence, l’Irlande souffre bien moins que la Grande-Bretagne, du passage subit de l’e´tat de guerre a` celui de la paix ; il y a, proportion garde´e, beaucoup moins d’industrie et de capitaux sans emploi, et de la`, vient aussi, n’en doutons pas, l’e´tat de tranquillite´ dont elle jouit, et qui a dispense´ le parlement de lui appliquer la suspension de l’habeas corpus et autres lois de circonstance qu’on a e´te´ force´ de passer pour l’Angleterre.
1o. Comparaison du capital de la dette avec les capitaux des contribuables.
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Le capital de la dette publique non rachete´e a de la Grande-Bretagne s’e´levait, au 1er fe´vrier 1816, a` 699,315,626, ou, pour prendre des nombres a
Je dis de la dette non rachete´e ; car c’est elle seule qu’on peut regarder comme une charge, si toutefois le nom est applicable a` une dette publique quelconque due aux cre´anciers
29 les capitaux ] la source porte le capitaux M
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ronds, a` 700 millions de livres sterling (17 172 milliards de francs.) Depuis cette e´poque, loin d’avoir e´te´ augmente´ par de nouveaux emprunts, il a e´te´ diminue´ de toute la quantite´ rachete´e par le fonds d’amortissement, lequel s’e´le`vant a` pre`s de 14 millions de livres sterlings, valeur e´cus, doit avoir rachete´, au cours moyen de 63, au moins 22 millions ; et comme tout annonce qu’il n’y aura pas non plus d’emprunt cette anne´e, le capital susdit de 700 millions doit eˆtre regarde´ comme infe´rieur au maximum actuel de toute la dette, meˆme en y ajoutant la dette flottante que le chancelier de l’e´chiquier a tout re´cemment assure´ eˆtre moindre qu’elle n’e´tait l’anne´e dernie`re. D’un autre coˆte´, lors du premier e´tablissement de l’income taxe ou de l’impoˆt du dixie`me du revenu, en 1798 (il y a dix-huit ans), le minimum du capital de la richesse foncie`re ou territoriale de l’Angleterre a e´te´ e´value´ a` 1220 millions sterling, savoir : Pour les terres en culture en Angleterre . . . . . 600 millions st. Pour celles en Ecosse, . . . . . . . . . . . . 120 Les dıˆmes, de´duction faite du prix du service du clerge´, relatif a` la dıˆme qu’il a . . . . . . . . . . . 75 Les maisons . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 Les mines, canaux, bois, etc. . . . . . . . . . . 100 Les capitaux d’agriculture, e´value´s a` cinq anne´es de revenu net d’une ferme . . . . . . . . . . . . . 125 Total . . . . . . . . . 1220 a. Je dis que c’e´tait la` le minimum, parce qu’il re´sulte des e´valuations de M. Beecles1, qui a de´battu contradictoirement toutes les donne´es de M. Pitt sur
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nationaux. Je ne fais pas l’injure aux lecteurs de supposer qu’ils donnent dans l’erreur grossie`re de regarder comme telle la dette rachete´e par la caisse d’amortissement, a` qui la tre´sorerie continue de payer les inte´reˆts. Les journaux de l’opposition, qui ont un grand inte´reˆt a` de´crier la dette publique, et a` en augmenter les charges, portent, a` la ve´rite´, celles-ci a` 41 millions, en ajoutant les 14 millions paye´s annuellement aux commissaires du fonds d’amortissement aux 27 millions paye´s aux cre´anciers de l’Etat, et ils ont grand soin de re´pe´ter, toutes les semaines, cette assertion qui est exactement la meˆme que si un particulier disait qu’il doit 41 mille fr. d’inte´reˆts ; savoir, 27 mille fr. qu’il paie a` ses cre´anciers, et 14 mille francs qu’il met de coˆte´ sur son revenu pour rembourser graduellement le capital, mais cette graine de niais ne prend que parmi la populace pour laquelle les re´dacteurs la se`ment. Voyez le Tableau de la Grande-Bretagne, par Baert, vol. III, au supple´ment2. Il s’agit en fait de Henry Beeke (1751–1837), Dean of Bristol et auteur de plusieurs ouvrages sur les finances, notamment Observations on the Produce of the Income Tax and its Proportion to the whole Income of Great Britain, London : J. Wright, 21800. Renvoi a` l’ouvrage de Charles-Alexandre-Balthazar-Franc¸ois de Paule de Baert-Duholant, Tableau de la Grande Bretagne, de l’Irlande, et des possessions angloises dans les quatre parties du monde, Paris : H. J. Jansen, an VIII (1800), 4 vol. (Nouvelle e´dition : Paris : Maradan, an X (1802), 4 vol.).
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le revenu des proprie´taires, en soutenant que jamais la taxe propose´e ne rapporterait les 10 millions sterling a` quoi Pitt l’e´valuait. Douze anne´es de perception ont prouve´ au contraire qu’elle rapportait conside´rablement audela`, et que le ministre lui-meˆme s’e´tait prodigieusement trompe´ en moins dans les diverses e´valuations qu’il avait faites des revenus des contribuables. Le re´sultat des recherches faites a` ce sujet, il y a deux ans, a fourni la preuve mate´rielle que le seul revenu net des proprie´taires fonciers de la Grande-Bretagne s’e´levait a` 50 millions sterling, et cela ne doit pas surprendre lorsqu’on conside`re d’une part les millions d’acres qui ont e´te´ enclos et de´friche´s depuis cette e´poque, et, d’un autre coˆte´, l’accroissement progressif de la richesse nationale et des capitaux industriels, qui ne´cessairement doit avoir augmente´ proportionnellement la masse et la valeur des produits et des capitaux de l’agriculture. On sera donc loin d’exage´rer, en e´valuant le capital de la richesse territoriale ou foncie`re de l’Angleterre, au double de la somme ci-dessus ou a` 2,440 millions sterling qui, e´tant compare´s aux 700 millions de la dette, donnent le rapport de 7 a` 24 172, en sorte que le capital de toute la dette ne s’e´leverait qu’aux deux septie`mes environ du capital de la richesse foncie`re. Mais le capital de la dette est nominal, et celui de la richesse territoriale est re´el, ou exprime´ en valeur e´cus, en d’autres mots, au taux moyen de 70 pour les trois pour cent consolide´s, 100 livres sterling de dette publique ne valent que 70 en valeur re´elle ou foncie`re. Pour re´tablir la balance et avoir le rapport exact, il faut de´duire des 700 millions trois septie`mes, et il ne restera plus pour valeur re´elle de la dette que 400 millions sterling, d’ou` il re´sulte que le capital re´el de toute le dette publique n’est que le sixie`me environ du capital re´el des proprie´taires fonciers. Ce n’est pas la` tout. Le capital re´el des proprie´taires fonciers n’est e´value´ que sur le revenu net de leurs proprie´te´s. Or, le capital de la dette publique, a pour gage non-seulement le revenu net, mais tout le produit brut des terres, et, en dernie`re analyse, c’est avec le revenu brut ou avec les productions du sol, soit en nature, soit travaille´es, que se paie l’inte´reˆt et que se rembourse le capital de toute dette, soit publique soit particulie`re. Or le produit brut est assez ge´ne´ralement e´value´ au triple du produit net ; que devient, d’apre`s cette conside´ration, le capital de la dette publique, comparativement a` celui de la richesse territoriale de l’Angleterre ? Il n’en formera plus que la dixhuitie`me partie. Voila` le re´sultat que donne la comparaison du capital de richesse territoriale avec celui de la dette. Mais la dette publique n’a pas pour gage cette seule richesse, elle a de plus pour gage tous les capitaux et revenus du commerce inte´rieur et exte´rieur, et ceux de la navigation, tout le mobilier, la vaiselle et les bijoux, les monnaies et lingots d’or et d’argent, les denre´es
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coloniales, les toiles, les draps, et autres marchandises fabrique´es et emmagasine´es de toute espe`ce, en un mot toutes les richesses mobiliaires existantes et accumule´es depuis des sie`cles, sous une forme ou une autre. On doit meˆme y ajouter la majeure partie des richesses qui composent le capital fixe, telles que les usines innombrables, vingt-cinq mille navires marchands avec leurs accessoires, etc. Certes personne ne soutiendra que toutes ces valeurs ne puissent servir, soit au paiement annuel des inte´reˆts, soit au remboursement du capital de la dette publique a. Faisant donc entrer dans la comparaison tous ces e´le´mens de la richesse nationale, comme ils doivent y entrer, on se convaincra bientoˆt que la dette publique se re´sout, comparativement, en une quantite´ infiniment petite. Voila` pour la comparaison des capitaux ; passons maintenant a` celle des revenus. Le revenu pre´sume´ des proprie´taires fonciers, toujours d’apre`s les donne´es de M. Beecles, infe´rieures a` celles de M. Pitt1, et tel qu’on l’e´valuait il y a dix-huit ans, s’e´levait a` 66 millions 500,000 liv. sterl. savoir : Productions territoriales pour les proprie´taires . . 20,000,000 liv. st. Idem pour les fermiers . . . . . . . . . . . 15,000,000 Dıˆmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,500,000 Mines, canaux, bois . . . . . . . . . . . . . 4,500,000 Maisons . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,000,000 Pour l’Ecosse (les donne´es ci-dessus e´tant pour l’Angleterre seule.) . . . . . . . . . . . . . . . 8,500,000 Possessions au-dela` des mers, produisant un revenu foncier aux habitans de la Grande-Bretagne . . . . . 4,000,000 Total . . . . . 64,500,000 liv. st. a
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J’invite les lecteurs qui veulent s’en former une ide´e, a` consulter l’ouvrage de Colqhoum2 qui, a` la ve´rite´, contient beaucoup d’exage´ rations et de doubles emplois, mais qui pre´sente, en somme, une foule de donne´es suˆres, comme e´tant officielles et constate´es par une longue expe´rience. Le couˆt de la guerre contre la France a provoque´ a` la fin du XVIIIe et au de´but du XIXe sie`cle un vaste de´bat au Royaume-Uni quant a` la capacite´ de ce dernier de financer les hostilite´s. Le re´ve´rend H. Beeke a propose´ en 1799 (Observations on the Produce of Income Tax and its Proportion to the whole Income in Great Britain, London : J. Wright ; 21800) une estimation de la rente territoriale (du revenu de l’agriculture) un peu infe´rieure a` celle avance´e par William Pitt (1759–1806), qui fut presque continuellement premier ministre de 1784 a` sa mort. Disciple en e´conomie de Smith, il a beaucoup œuvre´ en matie`re de finances publiques : fonds d’amortissement en 1784 et loi des pauvres en 1796. Sur ce de´bat on peut consulter Fre´de´ric Gentz, Essai sur l’e´tat actuel de l’administration des finances et de la richesse nationale de la Grande-Bretagne, Londres, Hambourg : J. Debrett, Fr. Perthes, 1800. Il s’agit de l’E´cossais Patrick Colquhoun (1745–1820) qui a notamment publie´ en 1814 Treatise on the Wealth, Power and Ressources of the British Empire qui a connu une seconde e´dition mise a` jour en 1815. Quoique critique´es par l’e´conomiste ulte´rieur Mac Culloch, ses
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Les renseignements fournis par les percepteurs de la taxe sur les revenus, joints a` l’accroissement que les revenus de toute espe`ce ont acquis depuis 1798, et que prouvent surtout la rentre´e seule des taxes, jointe au montant des emprunts faits depuis cette e´poque, don nent la preuve que le revenu ci-dessus doit eˆtre plus que double´. Mais en ne l’augmentant que de moitie´ et en le portant a` 96 millions sterl., on trouve que les 27 millions paye´s annuellement pour inte´reˆts aux cre´anciers de l’E´tat ne forment que le quart du revenu foncier net, et par conse´quent moins du dixie`me du produit territorial brut. Ajoutant maintenant a` ce produit ou revenu annuel de l’industrie agricole, celui des autres branches de l’industrie, e´value´es par Beecles a` 138 millions sterl., savoir : Pour les profits du commerce exte´rieur . . . . . . 8,000,000 l.s. Id. du commerce inte´rieur . . . . . . . . . . 18,000,000 Id. de la navigation . . . . . . . . . . . . . . 2,000,000 Id. du travail . . . . . . . . . . . . . . . 110,000,000 Total . . . . . 138,000,000 l.s. On aura un revenu annuel de plus de 200 millions st. valeur de 1798, et de plus de 300 millions valeur actuelle, dont les 27 millions d’inte´reˆts paye´s annuellement aux cre´anciers, ne font que la huitie`me partie dans la premie`re supposition, et la douzie`me partie environ dans la seconde. En examinant de plus pre`s toutes les donne´es, les documens officiels a` la main, il est aise´ de se convaincre que les re´sultats proportionnels du huitie`me et du douzie`me sont beaucoup trop forts. Des re´sultats semblables et plus favorables encore s’obtiendraient en comparant la de´pense annuelle des individus ou chefs de famille, avec ce qui leur en couˆte a` chacun pour le paiement des inte´reˆts de la dette. Mais a` quoi bon toutes ces recherches minutieuses pour trouver la preuve d’une ve´rite´ e´vidente en soi ? N’est-ce pas imiter la conduite d’un homme qui, pour se convaincre que les trois angles d’un triangle sont e´gaux a` deux angles droits, s’aviserait de mesurer, le compas a` la main, les trois angles d’une douzaine de figures triangulaires, lorsqu’il peut acque´rir la conviction de cette ve´rite´ mathe´matique par la nature meˆme du triangle et des angles en ge´ne´ral ? Ne peut-on pas e´galement de´duire la ve´rite´ fondamentale dont il s’agit ici, en examinant la formation de la dette publique, et l’organisation de la caisse d’amortissement ? En effet, toute la dette publique de l’Angleterre e´tant forme´e de preˆts volontaires faits successivement au gouvernement par des particuliers, et 18 138,000,000 ] la source porte 138,00,000 M estimations sont utiles, et toujours utilise´es par les spe´cialistes modernes. Voir Phyllis Deane and W. A. Cole, British economic Growth, 1688–1959, Trends and Structure, Cambridge : University Press, 1962.
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personne ne preˆtant en rente perpe´tuelle que l’exce´dant de son revenu, ou partie de son capital accumule´, il est physiquement impossible que le gouvernement puisse ni emprunter au-dela` de cette accumulation annuelle, ni augmenter la masse emprunte´e dans une proportion telle que la totalite´ des inte´reˆts approchaˆt seulement de la moitie´ ou du quart meˆme du revenu des contribuables. De`s qu’il en viendrait la`, il ne trouverait plus de preˆteurs, parce qu’il n’y aurait plus de capitaux disponibles pour ce genre de placement. Ce serait encore moralement impossible, parce que les preˆteurs, tous nationaux, connaissent trop l’emprunteur et ses faculte´s pour eˆtre un moment dupes de leur confiance, si elle e´tait mal place´e sous le rapport de la solvabilite´ ou des moyens. Ce n’est que la moralite´ du gouvernement ou sa bonne volonte´ pour payer, qui peut parfois eˆtre douteuse ou les induire en erreur ; la solvabilite´ existe toujours, tant qu’il n’y a ni emprunt force´ a` remplir, ni contributions e´trange`res a` payer. Le cours des effets publics suffirait au besoin pour avertir les preˆteurs qu’il est temps de cesser de preˆter ; et le gouvernement, qu’il ne peut plus continuer d’emprunter. Cent anne´es d’expe´rience que le gouvernement anglais nous a fournis a` ce sujet, mettent cette ve´rite´ hors de doute. Enfin, en supposant que le quatre-vingt-dixie`me puˆt exce´der un moment les moyens des contribuables, pour acquitter exactement les inte´reˆts, la caisse d’amortissement re´tablirait bientoˆt l’e´quilibre, en rachetant le surplus des effets a` un taux proportionnellement plus bas. C’est de tous ces faits et raisonnemens que re´sulte la the`se que j’ai constamment soutenue depuis vingt ans, que l’Angleterre ne pouvait possiblement faire une banqueroute, meˆme partielle, qu’autant que le gouvernement serait assez insense´ pour le vouloir. C’est encore de la` que de´rive l’axioˆme que je regarde comme fondamental, sur cette matie`re, savoir qu’une dette publique une fois contracte´e et due en presque totalite´ aux cre´anciers du pays, n’est pas plus une charge ou un fardeau en masse, que ne le sont les dettes particulie`res que les individus de cette meˆme nation se doivent les uns aux autres ; en sorte que si la valeur ve´nale de cette dette n’affectait pas les fortunes individuelles de tous les cre´anciers, et si elle n’avait pas une influence e´norme sur celle de tous les autres capitaux, si elle n’e´tait pas indispensable pour le maintien du cre´dit public, le gouvernement n’aurait pas plus d’inte´reˆt a` en amortir le capital a` l’aide d’un fonds d’amortissement, qu’il n’en aurait a` amortir les milliards de dettes par ticulie`res que les citoyens se doivent re´ciproquement en vertu de contrats notarie´s. Sans doute, lorsque les impoˆts e´tablis pour payer les inte´reˆts ne sont pas assis sur les consommations de manie`re a` ce que la taxe se consolide avec le prix de la denre´e (comme c’est le cas en Angleterre), le ministre des finances pour-
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ra e´prouver plus ou moins de difficulte´s dans la perception, et peut-eˆtre meˆme dans l’assiette ; mais ce sera la faute du choix des impoˆts, et non celle du pre´tendu fardeau de la dette. Un de nos anciens directeurs, essentiellement ennemi des embarras que lui donnait le paiement des cre´anciers de l’Etat, et toujours dispose´ a` leur en rogner un tiers ou deux, objectait a` ceux qui l’exhortaient a` prendre des mesures plus convenables a` la foi publique et aux inte´reˆts bien entendus du gouvernement meˆme : cela vous est aise´ a` dire, a` vous qui n’administrez rien ; il n’y a d’embarrasse´s que ceux qui tiennent la queue de la poeˆle..... Il ne songeait pas du tout aux embarras des poissons qu’on fait frire. SAINT-AUBIN.
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Dans la discussion relative a` l’alie´nation des bois de l’Etat, les adversaires du budget se sont appuye´s d’un raisonnement que je me crois d’autant plus oblige´ de re´futer, que j’ai paru adopter une opinion a` peu pre`s semblable, dans un des premiers nume´ros de ce journal. Ils ont pre´tendu que l’inde´pendance du clerge´ ne pouvait eˆtre assure´e que si on lui accordait des proprie´te´s foncie`res. J’avais moi-meˆme e´te´ d’avis, lors de l’examen de la loi sur les dotations eccle´siastiques, de donner des proprie´te´s de ce genre, non pas au clerge´, proprement dit, mais aux ministres de tous les cultes1. Mais j’avais eu soin d’ajouter que mon opinion n’e´tait qu’une partie d’un syste`me ge´ne´ral, dont toutes les branches, lie´es entre elles, ne pouvaient subsister l’une sans l’autre. Ce syste`me repose sur ce premier principe que la religion est un sentiment individuel, inde´pendant de toute autorite´ e´trange`re a` l’individu ; que chaque citoyen peut professer le culte qu’il pre´fe`re ; que plusieurs citoyens peuvent se re´unir en tout temps pour la ce´le´bration de leur culte ; que les communes ont le meˆme droit que les citoyens ; qu’aucune religion ne peut eˆtre, soit dominante, soit privile´gie´e ; qu’il appartient aux sectateurs de chaque culte de de´terminer comment ils en salarieront les ministres ; et ce n’est qu’en conse´quence de l’adoption de ce premier principe, que je dis que peut-eˆtre alors il serait bon que ces citoyens ou ces communes convertissent ces salaires en proprie´te´s territoriales, dont les ministres de la religion auraient l’usufruit, et l’association religieuse la disposition a` chaque vacance ; de la sorte, on e´pargnerait a` ces ministres la ne´cessite´ de solliciter de chaque fide`le une une re´tribution qui ressemble trop a` une aumoˆne, et qui paraıˆt, a` une portion de ceux qui la paient, une privation qu’ils s’imposent, ou qu’ils font supporter a` leurs familles. Mais cette opinion, que je crois conforme aux maximes de la tole´rance, la` ou` il y a e´galite´ parfaite E´tablissement du texte : Mercure de France, Continuation et fin du budget, t. II, 12 avril 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 77–85. [=M] Histoire de la session de la chambre des de´pute´s, depuis 1816 jusqu’en 1817, pp. 378–392. [=CPC] 1–3 Des Chambres. ... budget. ] supprime´ CPC 4–5 Dans la ... appuye´s ] Quant au premier point, ils sont appuye´s 7 dans un ... journal. ] au commencement de cette histoire de la session actuelle. CPC 1
Voir ci-dessus, pp. 381–390.
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entre des sectes que l’autorite´ laisse inde´pendantes, n’est point applicable la` ou` une religion de l’Etat existe, ou` un certain nombre de sectes seulement est tole´re´, et ou` par conse´quent, les proprie´te´s assure´es aux ministres des cultes ne le seraient pas a` ceux de tous, mais d’un seul. De`s que vous cre´ez une hie´rarchie eccle´siastique, de`s que les preˆtres sont autre chose que des hommes e´gaux entre eux, et choisis par les croyans d’une communion pour eˆtre tour-a`-tour leurs consolateurs et leurs organes, vous sortez de mon hypothe`se, et de`s lors l’attribution de proprie´te´s foncie`res a` un clerge´ reveˆtu de privile´ges, n’a plus que des inconve´niens. D’abord comme je l’ai dit dans une lettre destine´e a` de´velopper mon opinion1, il s’e´tablit entre le clerge´ proprie´taire, et les ministres des autres cultes, qui n’ont pas de proprie´te´s, une ine´galite´ contraire a` la tole´rance et a` la justice. En second lieu, les proprie´te´s que l’on donne au clerge´ qu’on se propose de favoriser, lui deviennent funestes. Elles le mettent en guerre, pour des inte´reˆts terrestres, avec ceux meˆmes qu’il a la mission d’e´clairer et de secourir. Les preˆtres ne sont plus des guides choisis librement, par l’affection et par la confiance, et vivant du produit du champ modeste et de l’humble presbyte`re dont l’usufruit leur est accorde´. Ce sont des possesseurs temporels, qui ont a` de´fendre leurs possessions, par des moyens temporels, contre tout envahissement, toute pre´tention et toute atteinte. De la` des proce`s, des poursuites judiciaires, des plaidoyers, des accusations re´ciproques de fraude et d’avidite´, des sentences, des amendes, des emprisonnemens, des confiscations. Comment concilier ces choses avec le caracte`re de de´sinte´ressement et de bienfaisance qui doit appartenir aux interpre`tes d’un Dieu de paix et de charite´ ? Et remarquez que, dans la question particulie`re qui nous sugge`re ces conside´rations ge´ne´rales, les inconve´niens, inse´parables des proprie´te´s eccle´siastiques, d’apre`s le syste`me actuel, s’aggraveraient encore, par le genre des biens que le clerge´ re´clame. Ces biens, consistant en foreˆts, donnent lieu, plus qu’aucune autre espe`ce de proprie´te´, a` des de´lits dont la nature paraıˆt excusable, et dont la poursuite est toujours odieuse ; je veux dire ces de´lits dont le pauvre se rend coupable pour se garantir des rigueurs du froid, en de´robant quelques branches de bois mort, ou pour nourrir sa famille, en se procurant par une chasse illicite quelque mise´rable pie`ce de gibier. Que de paysans jete´s dans les cachots ou envoye´s aux gale`res, sous l’ancien re´gime, pour de´gaˆts semblables commis dans les foreˆts qui appartenaient a` une abbaye ou a` un e´veˆque ! Certes, ce n’est pas 10–11 comme je ... opinion, ] supprime´ CPC 27–28 aggraveraient ] la source porte agraveraient M 29 aucune ] la source porte acune M 1
Voir ci-dessus, pp. 441–446.
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en rouvrant cette source intarissable d’iniquite´s morales, de perse´cutions et de me´contentemens, qu’on rattachera la masse du peuple a` la religion. L’inde´pendance de ses ministres lui est ne´cessaire : mais on ne la rendra pas ve´ne´rable, on ne fera pas che´rir ses organes, en leur attribuant des proprie´te´s qui les constituent en hostilite´ avec l’indigence, les transforment en de´nonciateurs et en accusateurs implacables, et remplissent les arreˆts des tribu naux de noms qui ne devraient rappeler que des secours spirituels et des exhortations religieuses. Aussi quel fruit a de tout temps retire´ le clerge´ lui meˆme des proprie´te´s qu’il a posse´de´es ? Ses biens, en Angleterre et en Allemagne, ont amene´ la re´forme de Luther. Ses biens, en France, ont favorise´ l’esprit re´volutionnaire, en lui offrant un appaˆt puissant et un pre´texte plausible. Partout c’est vers l’e´glise pauvre que le sentiment s’est dirige´. La croix nue et sans ornemens a triomphe´ des autels e´tincelans d’or et de pierreries. Le me´thodisme indigent et auste`re fait chaque jour des conqueˆtes sur l’opulent e´piscopat. Et parmi nous, en 1789, les cure´s borne´s a` un e´troit ne´cessaire, supplantaient, dans l’affection du peuple, les be´ne´ficiers et les e´veˆques. Je n’examinerai point en de´tail la question relative au droit de proprie´te´ que l’on revendique pour l’ancien clerge´. Les de´fenseurs du budget ont observe´, avec toute raison, que dans le temps meˆme ou` le clerge´ e´tait un corps politique et le premier ordre de l’Etat, jamais une communaute´ religieuse n’a pre´tendu succe´der de droit aux communaute´s supprime´es. «Lorsque les je´suites cesse`rent d’exister, a dit M. de Barante, il parut convenable d’affecter leurs proprie´te´s a` une destination analogue ; mais ce fut par des actes du gouvernement que se firent ces affectations nouvelles ; et nous n’avons pas ouı¨ dire que l’Oratoire se soit mis, de plein droit, en possession du domaine des je´suites. Lorsque, plus tard, l’ordre des ce´lestins fut dissous, nous n’avons point vu que les autres corps religieux aient de´clare´ que ces biens vacans leur appartinssent. Plusieurs furent vendus, et non point attribue´s a` des e´tablissemens eccle´siastiques ; il n’y eut point une re´clamation. Et, maintenant, qui pourrait faire valoir des droits sur les biens vacans de´volus au domaine de l’Etat ? Est-ce le clerge´ ? Mais il n’a jamais existe´, il n’existe point, comme corporation posse´dant solidairement.... Restituer, estce donner le domaine d’un proprie´taire qui n’existe plus, a` un proprie´taire qui n’existe pas ? Ce serait une nouvelle et singulie`re acception1.» A cette re´ponse fonde´e sur les faits, M. Beugnot a ajoute´ une observation fine et inge´nieuse. «On conc¸oit difficilement, a-t-il dit, que la religion, 12 e´glise ] la source porte eglise M 1
Voir le Moniteur no 40, 9 fe´vrier 1817, p. 169a.
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c’est-a`-dire un rapport intellectuel de l’homme a` la divinite´ puisse posse´der des biens, et par quel secret on peut personnifier, je dirais volontiers mate´rialiser un tel rapport, au point de le rendre capable d’acque´rir ou de posse´der quelque chose1.» Au reste, quelque opinion qu’on ait sur le passe´, cette opinion ne saurait rien changer a` l’e´tat pre´sent. Une grande re´volution a eu lieu ; toutes les existences, anterieures a` cette re´volution, ont e´te´ change´es. La noblesse, la magistrature, la royaute´ meˆme ont subi sa loi. Personne n’a conserve´ ses proprie´te´s ni ses droits au meˆme titre. Le clerge´, loin de faire exception, a e´te´ plus atteint que toutes les autres branches de l’ordre politique. Il a cesse´ d’eˆtre, et le clerge´ actuel, cre´ation nouvelle d’un nouvel ordre de choses, n’est ni l’image ni l’he´ritier de l’ancien. Conside´re´e enfin sous le seul point de vue qui soit applicable a` l’e´tat pre´sent des lumie`res, et propre a` faire impression sur les esprits e´claire´s, la question de l’alie´nation des bois se re´sout de meˆme en faveur de la de´termination de l’assemble´e. On n’exigera pas, je le pense, que je re´fute se´rieusement l’orateur2 qui, au sein de la civilisation, nous a pre´sente´ les foreˆts comme le berceau des peuples, les forteresses de la nature, un refuge contre les maux de la guerre, et un asile en cas d’invasion ; oubliant, d’une part, que ces peuples re´fugie´s dans les foreˆts, et livrant leurs plaines a` l’ennemi, pourraient bien mourrir de faim derrie`re ces boulevards naturels, tandis que l’e´tranger recueillerait en paix les productions de la portion cultive´e du territoire ; et oubliant, d’une autre part, que si les trois quarts de nos de´partemens ont perdu les forteresses de la nature, il faut s’en prendre aux ordres religieux qui ont de´friche´, en grande partie, le sol de la France, ope´ration pour laquelle le meˆme orateur les a comble´s d’e´loges dans d’autres e´crits et en d’autres circonstances. Il ne s’attendait pas alors a` devenir l’accusateur ve´he´ment de ceux dont il e´tait l’e´loquent apologiste ; je dis leur accusateur ; car jamais acte d’accusation ne fut mieux re´dige´ et plus pe´remptoire. Ce sont eux, s’il faut l’en croire, eux qui, les premiers, ont dispose´ du fonds qui appartient a` toutes les ge´ne´rations, du bien qui a e´te´ transmis a` l’homme pour le transmettre, et qui est a` la fois du domaine public et du domaine particulier. Ce sont eux qui ont enleve´ a` l’homme ce que le cre´ateur lui avait donne´, ce que la patrie seule a droit de ravir au 11 eˆtre ] la source porte etre M 1 2
14 faire ] la source porte taire M
Voir le discours de Beugnot dans le Moniteur no 66, 7 mars 1817, suppl., pp. 2c–4c. Le passage cite´ par BC se trouve p. 3a. L’orateur dont il est question est Bonald. Les passages cite´s ou paraphrase´s ici sur le mode ironique se lisent dans son discours du 4 mars. Voir le Moniteur no 65, 6 mars 1817, pp. 267a–268b. Les arguments relate´s se lisent p. 267b.
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coupable qu’elle condamne. Ce sont eux qui ont fait a` la France le plus grand mal que l’on puisse faire a` un peuple, qui est de le priver de ses foreˆts. Ce sont eux qui lui ont inflige´ cette note d’infamie que des institutions fe´odales infligeaient au noble fe´lon. Qui l’euˆt dit que ces inculpations contre les ordres religieux du moyen aˆge sortiraient de la bouche d’un auteur1 dont le syste`me est de placer la politique dans la religion, la religion dans la the´ocratie, la the´ocratie dans le clerge´ ! Ce ne sont pas des argumens de ce genre qu’on peut s’attendre a` voir discuter. Le seul qui ait droit a` un examen, c’est celui qui s’appuie sur cette disette de combustibles qu’on pre´dit a` la France depuis Charlemagne ; mais l’inte´reˆt prive´ saura prendre soin des foreˆts, comme de toutes les proprie´te´s qui lui sont confie´es, aussi bien et mieux qu’un gouvernement, ou des corporations moins actives, moins capables de surveiller les de´tails, et condamne´es a` s’en remettre a` des employe´s toujours ne´gligens. Si les particuliers ne plantent pas des foreˆts entie`res pour se cre´er un revenu futur e´loigne´, ils conservent les foreˆts existantes, parce qu’elles sont un revenu pre´sent, fixe et avantageux. Ils savent que le re´sultat de coupes sans mesure serait de faire baisser le prix en rendant la denre´e commune. Ils multiplient d’ailleurs les plantations isole´es qui, plus disponibles et plus a` la porte´e de l’usage journalier que les grandes foreˆts, sont un pre´servatif plus puissant et plus utile contre la disette qu’on redoute ; car ce n’est pas seulement l’existence des bois qui pre´vient cette disette, mais leur proximite´ et la facilite´ des moyens de transport. Sans doute, pour que l’inte´reˆt prive´ conserve sa prudence accoutume´e, il ne faudrait pas, comme les adversaires de ce titre du budget, prendre a` taˆche de l’e´pouvanter. Si les nouveaux acque´reurs des foreˆts lisent dans certains discours, qu’il est facile de prouver, que s’il a e´te´ fait des ventes depuis la Charte, elles seront ille´gales2 ; et si ces acque´reurs accordent plus de confiance a` ces assertions qu’aux de´clarations re´ite´re´es et aux intentions connues du gouvernement, ils pourront bien alors, comme les meˆmes orateurs le disent, ne pas se contenter de l’article 9 de la Charte, et habiles a` se pre´munir contre le danger, abattre demain les bois qu’ils acheteront
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Allusion a` Bonald, et en particulier a` son ouvrage Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social, ou du pouvoir, du ministre et du sujet dans la socie´te´ (Paris : Adrien Le Cle`re, 2e e´dition, 1817). Le re´sume´ de la doctrine de Bonald est une analyse impitoyable de cette doctrine. BC posse`de cet ouvrage dans sa bibliothe`que. Cette citation, ainsi que la suivante, ne sont pas localise´es. Harpaz, dans sa note (p. 1378, n. 2 a` la p. 201), ne donne pas non plus la source de ces phrases. C’est dans le discours de
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aujourd’hui. Cependant meme alors ils seront contenus par les lois et les re´glemens qui s’opposent a` la dilapidation des bois qui appartiennent aux individus, comme de ceux qui sont la proprie´te´ publique. Les foreˆts seront donc conserve´es, et les nouvelles de´couvertes, l’ame´lioration des constructions, les proce´de´s e´conomiques, rendant la matie`re de produire et de conserver la chaleur moins dispendieuse, la consommation des combustibles deviendra chaque jour moins grande. Ces conside´rations ont rassure´ l’assemble´e, et ce titre du budget a e´te´ adopte´. Le lecteur s’apercevra sans doute que j’ai traite´ fort en abre´ge´ ces dernie`res questions. La discussion preˆtait a` beaucoup de de´veloppemens et a` une analyse assez amusante. En e´coutant certains orateurs1, on euˆt dit Ossian parlant d’e´conomie politique ; et les subtilite´s de la the´ologie, et les traditions de l’esprit chevaleresque se sont meˆle´es d’une manie`re bizarre a` des calculs de finances et a` l’examen d’un budget. Mais presse´ de finir cette se´rie d’articles, qui s’e´tait prolonge´e fort au-dela` de ce que j’avais pre´vu, je n’ai eu pour but que de dire ce qui e´tait indispensable et de le dire en peu de mots. Pour re´sumer maintenant cette discussion longue et anime´e, je crois ne pouvoir mieux faire que d’emprunter les paroles d’un orateur qui a plusieurs fois de´fendu des mesures que je suis loin d’approuver, mais dont les intentions ont toujours e´te´ aussi pures que son talent est distingue´2. «C’est une chose digne de remarque, a-t-il dit, que, dans tout le cours de cet important de´bat, le budget des opposans s’est trouve´ en constante contradiction, non-seulement avec le budget de la commission, mais avec tous les e´le´mens d’un budget quelconque. S’est-il agi de ces recettes si ne´cessaires a` accroıˆtre ? des impoˆts nouveaux ont e´te´ repousse´ par eux au nom de l’inte´reˆt de leurs pro vinces. S’est-il agi de ces de´penses si ne´cessaires a` diminuer ? malgre´ leur amour the´orique de l’e´conomie, ils ont combattu toutes les re´ductions pratiques dans les ministe`res principaux. Quand un emprunt a e´te´ propose´ pour combler le vide, ils en ont nie´ la 15–16 presse´ ... pre´vu, ] supprime´ CPC
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Benoıˆt que des arguments de cette nature jouent un roˆle (voir le Moniteur no 66, 7 mars 1817, p. 272b). Mais ce n’est peut-eˆtre pas a` ce discours que pense BC. Cette remarque est une nouvelle saillie pole´mique contre Bonald. L’observation que «subtilite´s de la the´ologie et les traditions de l’esprit chevaleresque» se retrouvent chez plusieurs orateurs n’est pas une exage´ration. Voir p. ex. le discours de Camille Jordan (note suivante) ou celui du Garde-des-Sceaux (Moniteur no 66, 7 mars 1817, pp. 272c–273a). Le grand discours de Camille Jordan a e´te´ interrompu a` plusieurs reprises par des interventions orageuses. Voir son texte dans le Moniteur no 65, 6 mars 1817, pp. 268b–270a. Le passage cite´ par BC se trouve vers la fin du discours, p. 270a.
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ne´cessite´, puis conteste´ la forme. Quand on a cherche´ a` rassembler les indispensables e´le´mens d’un syste`me de cre´dit, ils voulaient les e´carter tous. Etait-ce le paiement de l’arrie´re´ ? il e´tait juge´ par eux excessif et de´place´. Etait-ce la re´gularisation des ordres de comptabilite´ ? ils se plaignaient qu’on attaquaˆt les droits de l’arme´e qu’il fallait respecter. Etait-ce une caisse d’amortissement ? son jeu ne pre´sentait qu’une fiction. Etait-ce la dotation en immeubles ? elle se composait de spoliations a.» En adoptant ce jugement qui n’inculpe point les motifs secrets, mais qui porte sur les actes ostensibles d’une opposition en minorite´, je ne crains point d’eˆtre soupc¸onne´ de vouloir plaire a` une majorite´ dont j’ai souvent, avec une e´gale liberte´, censure´ les de´terminations sur les questions les plus importantes. Quand la minorite´ a de´fendu la liberte´ individuelle, celle des livres, celles des journaux, j’ai de´clare´ franchement que je trouvais ses raisonnemens justes et sa re´sistance utile et louable. Je dirai plus. Je reconnais, a` toute opposition, le droit d’attaquer tous les actes du ministe`re, meˆme par des raisonnemens qui ne sont que spe´cieux, et, si elle veut, par des sophismes. L’opposition anglaise en agit ainsi, et cette me´thode a l’avantage de pre´senter les questions sous toutes leurs faces, et de faire ressortir les imperfections qui peuvent se trouver dans des mesures dont l’adoption est d’ailleurs de´sirable ; seulement il faut alors que l’opposition de´ploie son amour pour la liberte´ dans la pratique comme dans la the´orie, dans les de´tails comme dans les conside´rations ge´ne´rales, dans les provinces ou` ses membres ont une influence moins en vue comme dans la me´tropole, dans les sallons enfin, comme a` la tribune ; sans cela, l’opposition ressemblerait a` une die`te de Pologne dont les membres parlaient liberte´, et exerc¸aient, chacun dans ses terres, un despotisme par tiel. L’espace manque pour de´velopper mon ide´e. Je me borne a` l’indiquer a` la re´flexion de mes lecteurs. Chaque jour plus indiffe´rent aux individus, et plus fide`le a` des principes dont l’expe´rience m’a convaincu qu’on ne s’e´cartait jamais sans pe´ril, je crois n’avoir pas e´crit, dans ce compte rendu de la session, qui vient de finir, une ligne qu’un homme inde´pendant ne puisse avouer. Ce n’est pas un me´rite, car les ide´es constitutionnelles ont jete´ dans tous les esprits des racines trop profondes pour que rien de ce qui leur est contraire puisse eˆtre un projet d’assentiment, ou offrir une chance de dure´e. Il est aussi impossible de tromper la nation sur une question de liberte´ que sur un calcul d’arithme´tique. Elle sait la valeur de tous les mots comme de tous les a
Discours de M. Camille-Jordan, se´ance du 6 mars 1817.
31 compte rendu ] la source porte compte re´ndu M
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chiffres. Elle observe tous les gestes, devine toutes les intentions, pe´ne`tre tous les motifs. Les phrases ne font plus d’effet, les protestations n’ont plus de puissance. Comme elle a remarque´ qu’on parlait quelquefois pour cacher sa pense´e, elle n’e´coute que pour de´couvrir ce qu’on veut cacher. Quand on l’invite a` parler d’elle-meˆme, elle dit son avis, mais elle ne parle que pour le dire ; et lorsqu’on veut lui faire dire autre chose, elle se tait. Sa voix a retenti d’un bout de la France a` l’autre, quand il s’est agi du projet de loi sur les e´lections ; elle a seconde´ ses mandataires de son approbation manifeste, lorsqu’ils ont insiste´ sur la ne´cessite´ de l’e´conomie. Quand un mouvement se fait en sens contraire de ses inte´reˆts et de ses vœux, elle se regarde, se compte ; et, appuye´e sur sa force d’inertie, elle attend et laisse passer. B.
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PAYS-BAS.
Pour avoir une ide´e juste de l’e´tat politique et moral du royaume des PaysBas, royaume que les e´ve´nemens qui ont eu lieu depuis vingt-cinq ans ont compose´ d’e´le´mens tre`s-he´te´roge`nes ; il faut distinguer la Belgique d’avec les anciennes Provinces-Unies, et ces deux pays de celui de Lie`ge, qui en diffe`re encore par son esprit, ses habitudes industrielles, et le caracte`re de ses habitans. BELGIQUE.
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Lorsque la Belgique fut envahie par nos troupes, en 1793, elle venait a` peine de se voir replace´e sous la domination autrichienne, et tous les sentimens qui l’avaient se´pare´e de cette antique monarchie subsistaient encore avec assez de force1. La re´volution belgique de 1789 a e´te´ tellement e´clipse´e par la noˆtre, que le souvenir meˆme en est aujourd’hui presque efface´. Mais il e´tait arrive´ aux Belges, durant cette re´volution, ce qui, plus d’une fois, est arrive´ aux peuples qui, a` tort ou a` raison, ont pre´ tendu que leurs droits e´taient me´connus par l’autorite´. Les classes supe´rieures se mettent a` la teˆte du mouvement patriotique ; elles le dirigent ; et s’il re´ussit, elles re´clament, tantoˆt leur qualite´ de premiers corps de l’Etat, tantoˆt le me´rite qu’elles ont acquis, en se montrant les ennemis des abus qu’elles ont aide´ a` de´truire, pour accaparer a` elles seules, autant qu’elles le peuvent, les avantages de la liberte´. Telle fut la conduite des e´tats, sur-tout dans le Brabant, lorsque le gouvernement autrichien fut oblige´ de laisser le champ libre aux insurge´s, que les re´formes pre´cipite´es et malentendues de Joseph II avaient souleve´s. A peine les troupes impe´riales eurent-elles quitte´ ce pays, que les e´tats se de´clare`rent a` la fois les repre´sentans de la nation et les he´ritiers du souverain. Les agens et E´tablissement du texte : Mercure de France, t. II, 19 avril 1817, Tableau politique de l’Europe, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 131–139. [=M] Tableau politique du royaume des Pays-Bas [=T] 1
Rappelons que BC avait de´ja` parle´ de ces e´ve´nements dans sa brochure De la Re´volution du Brabant. Voir ci-dessus, p. 342, n. 1.
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les organes de ces e´tats, pre`s du peuple, Vander-Noot1 et Van-Eupen2, l’un avocat, l’autre chanoine, noms ce´le`bres alors, obscurs a` pre´sent, parce que la ce´le´brite´ qui naıˆt des factions est toujours passage`re, et l’archeveˆque de Malines, M. de Frankenberg3, chef du clerge´, croyant a` ce titre devoir eˆtre tout-puissant chez une nation qui venait de se re´volter en faveur du clerge´, oppose`rent a` toutes les demandes de la masse populaire, leurs privile´ges, des traditions, des chroniques, ou` l’archeveˆque puisait la preuve que les le´vites ayant gouverne´ le peuple d’Israe¨ l, les preˆtres belges devaient gou-
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Henri Van der Noot (1731–1827), fils d’un hobereau brabanc¸on, avocat au Conseil souverain de Brabant, se dresse contre Joseph II en publiant en avril 1787 son Me´moire sur les droits du peuple brabanc¸on et en organisant en juin le corps des volontaires agre´ge´s aux Serments bruxellois. De´cre´te´ de prise de corps en octobre 1788, il se re´fugie a` Bre´da dans le roˆle d’agent ple´nipotentiaire aupre`s des Provinces-Unies et de la Grande-Bretagne, dont il affirme pre´somptueusement avoir le soutien, et joue la carte du soutien prussien, ce qui lui vaut de se brouiller avec certains colle`gues du Comite´ de Bre´da. Rentre´ en triomphe a` Bruxelles le 18 de´cembre 1789, il devient ministre des E´tats-Belgiques-Unis a` titre de re´compense nationale. Pratiquant le «culte de la personnalite´» et auto-proclame´ «Pe`re de la Patrie», chef du parti «statiste» pre´tendant confe´rer aux «seigneurs-E´tats» la souverainete´ dont Joseph II avait e´te´ de´chu, il se heurte durement aux progressistes dits «vonckistes» contre lesquels il de´chaıˆne la populace de Bruxelles du 16 au 18 mars 1790. Recourant a` l’ide´e de «croisade» contre les Autrichiens, il devra, apre`s la piteuse de´faite de ses troupes, se re´fugier une seconde fois en Hollande en de´cembre 1790. Rentre´ en Belgique, il sera brie`vement incarce´re´ sous le Directoire. Le chanoine Pierre Van Eupen (1744–1804), grand pe´nitencier du dioce`se d’Anvers sous Mgr. Corneille-Franc¸ois de Ne´lis, qui e´tait partage´ entre les ide´es jose´phistes et l’opposition aux re´formes brutales de l’Empereur. Bras droit de Van der Noot et ide´ologue du parti «statiste», Van Eupen devient en janvier 1790 secre´taire d’E´tat des E´tats-Belgiques-Unis, secre´taire des E´tats-Ge´ne´raux (dont le premier pre´sident e´tait Mgr. de Ne´lis) et du Congre`s Belgique. D’abord partisan du jusqu’au-boutisme anti-autrichien et de la manie`re forte envers les Vonckistes, il finit par se brouiller avec Van der Noot a` cause des exce`s commis par la populace subsidie´e par les «Statistes» et essaye en vain, a` Douai, d’obtenir contre l’Autriche le concours de la France et du marquis de Lafayette. Au retour des Autrichiens, il s’exile aux Pays-Bas. Rentre´ en 1794 apre`s la deuxie`me invasion franc¸aise, il est arreˆte´ comme suspect et incarce´re´ a` Paris. Libe´re´ par le 9 Thermidor, il mourra comme humble cure´ de campagne des environs d’Utrecht. Jean-Henri, comte de Franckenberg (1726–1804), ne´ en Sile´sie autrichienne, nomme´ archeveˆque de Malines par Marie-The´re`se en 1759, cardinal depuis 1778, s’oppose aux re´formes de Joseph II et notamment a` l’E´dit de Tole´rance et a` la cre´ation du se´minaire unique de Louvain. Joseph II le radie de l’ordre de Saint-E´tienne, mais lors de la restauration autrichienne, Le´opold II ne tire de lui d’autre vengeance que de lui faire ce´le´brer a` SainteGudule un Te Deum solennel d’actions de graˆce pour le re´tablissement de l’ordre ancien. Re´fugie´ a` Utrecht et Amsterdam pendant l’occupation franc¸aise, il sera expulse´ outre-Rhin par le Directoire le 20 octobre 1797 pour avoir refuse´ d’enjoindre a` ses preˆtres d’adhe´rer par serment a` la constitution civile du clerge´. Par la suite, il pourra s’e´tablir a` Bre´da ou` il mourra peu apre`s le Concordat.
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verner le peuple belge. Je me souviens de son mandement. Il exhortait les fide`les a` renoncer aux droits pe´rissables que des factieux leur disaient de re´clamer, et a` ne s’occuper que des droits bien plus importans et plus durables qui les attendaient dans un autre monde. Mais c’e´tait en fe´ vrier 1790, et les discussions de l’assemble´e constituante e´taient, pour des invitations de ce genre, un dangereux voisinage. Ainsi l’insinuation fut-elle sans succe`s. Les de´tails seraient longs et de´place´s. Plusieurs partis se forme`rent. Par une circonstance bizarre, le parti de´mocratique eut pour chefs des hommes de la haute noblesse, dont quelques-uns, avant cette e´poque, avaient professe´ leur aversion pour toutes les ide´es de liberte´, et qui depuis, revenus a` leur ancienne doctrine, sont aujourd’hui de nouveau les ennemis les plus de´clare´s de ces ide´es. Tel d’entre eux, s’adressant aux volontaires de Bruxelles, commande´s par un homme vraiment libe´ral1, parlait e´nergiquement des droits du peuple, en 1790, qui, a` Bruxelles, en 1815, e´tait plus implacable contre la re´volution, plus ami des proscriptions et des mesures violentes en France, que ceux meˆme qui ont eu le tort et le malheur de les proposer durant quinze mois2. 6 insinuation ] ininuation T 1
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Wolfgang-Guillaume, 3e duc d’Ursel (1750–1804), riche proprie´taire terrien et officier, s’e´tait d’abord entremis en 1787 entre les patriotes belges et les autorite´s autrichiennes pour e´viter toute effusion de sang. Rentre´ a` Bruxelles en janvier 1790, il est nomme´ a` la teˆte du De´partement de la Guerre mais de´missionne bientoˆt pour protester contre la gabegie et la nomination par le Congre`s du prussien von Schoenfeld comme ge´ne´ralissime. Ce grand seigneur soutenait le parti de´mocratique dit vonckiste contre Van der Noot et les privile`ges des deux premiers ordres (noblesse et clerge´) des E´tats. Proclame´ ge´ne´ral-commandant par les volontaires de Bruxelles issus des vieux Serments (avec comme «doyens» ses deux beaux-fre`res Louis-Englebert, duc d’Arenberg et Auguste d’Arenberg, comte de La Marck), il s’oppose avec eux le 9 mars 1790 au serment de fide´lite´ aux E´tats exige´ par Van der Noot et force ce dernier a` le remplacer par une formule de fide´lite´ a` la nation. La vengeance des Statistes fait piller son hoˆtel le 16 mars. Compromis dans un pseudo-projet de putsch militaire, il se re´fugie chez son oncle Mgr. Lobkowitz, e´veˆque de Gand, ou` il est arreˆte´ le 31 mai, mais aussitoˆt libe´re´ par un soule`vement des volontaires gantois. Brouille´ avec l’Autriche, rallie´ tre`s temporairement au re´gime e´tabli par Dumouriez en novembre 1792, e´migre´ jusqu’en 1795, le duc d’Ursel e´volue vers des positions tre`s conservatrices apre`s Thermidor, e´tant meˆme propose´ comme membre du Directoire. Cela lui vaudra d’eˆtre inquie´te´ apre`s le 18 Fructidor, avant d’eˆtre sous le Consulat un des notables les plus e´minents du de´partement de la Dyle. Quatre des six compagnies de volontaires de Bruxelles refusant de preˆter serment de fide´lite´ aux E´tats, et celle du vicomte Walckiers parlant meˆme de jeter les de´pute´s par les feneˆtres, Van der Noot et Van Eupen lui adressent une proclamation affirmant que «tout ce qui s’e´tait fait, l’avait e´te´ au nom du peuple, en qui re´sidait la souverainete´, et que les E´tats n’avaient jamais pre´tendu y contrevenir». Le 9 mars 1790, Van der Noot se rend Grand’Place et «simulant l’attendrissement» se jette dans les bras du duc d’Ursel, ge´ne´ral-commandant
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Ce parti de´mocratique fut renverse´. L’arme´e, dont les principes lui e´taient favorables, devint, pour le gouvernement des e´tats, un objet de de´fiance. Ils de´clamaient contre les dangers du pouvoir militaire dans un moment ou` l’ennemi approchait. Ils jete`rent dans les prisons le seul ge´ne´ral qui euˆt la confiance des troupes1. Ils proscrivirent les e´crivains qui embrassaient sa cause2. Sur ces entrefaites, Joseph II mourut. L’effervescence populaire, qui s’attache toujours plus aux noms propres qu’aux opinions, perdit de sa force. Les citoyens paisibles pense`rent qu’un maıˆtre e´loigne´, dont le gouvernement promettait d’eˆtre doux, puisqu’il l’avait long-temps e´te´ en Toscane3, valait au moins autant qu’une olygarchie the´ocratique. Les e´tats eux-meˆmes, qui avaient appris a` craindre la puissance du peuple, et qui
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des volontaires. Bien oublie´ et octoge´naire, Van der Noot publie en 1814 la brochure Me´moire en faveur des droits de la Maison d’Autriche sur la Belgique, contre ceux qui voulaient la re´union a` la Hollande dans laquelle l’ancien inde´pendantiste farouche essaye de convaincre ses concitoyens que leur pays forme un «fide´icommis perpe´tuel» de la maison de Habsbourg. Il y demande aussi le re´tablissement des anciennes institutions, dont les trois ordres, la restitution des biens confisque´s aux couvents et l’e´radication des choses et des hommes ayant eu partie lie´e avec la domination franc¸aise. Ancien officier au service de la France et de l’Autriche, Jean-Andre´ van der Mersch (1734– 1792) commande les volontaires brabanc¸ons qui infligent aux Autrichiens la de´faite de Turnhout du 27 octobre 1789. Suspecte´ par les Statistes de sympathies pour les «de´mocrates», il est remplace´ comme commandant en chef par le prussien von Schoenfeld. Furieuses, ses troupes, aupre`s desquelles il e´tait fort populaire, se soule`vent le 1er avril 1790 contre le Congre`s, arreˆtent ses de´le´gue´s et exigent le maintien de Van der Mersch, avec Auguste d’Arenberg, comte de la Marck comme commandant en second et le duc d’Ursel comme chef du de´partement de la Guerre. Le 6 avril cependant, van der Mersch se porte au devant de Schoenfeld et fait sa soumission, moyennant promesse d’amnistie pour ses troupes. Mis aux arreˆts a` la citadelle d’Anvers pendant sept mois, transfe´re´ a` Louvain puis a` Tournai, il est libe´re´ quand on apprend le retour des Autrichiens. Bien que compris dans l’amnistie accorde´e a` ceux qui n’ont pas combattu apre`s le 21 novembre, il se re´fugie a` Lille, puis, muni d’un sauf-conduit autrichien apre`s avoir fait sa soumission, il se retire dans sa proprie´te´ de Dadizeele pre`s de Menin. Jean-Franc¸ois Vonck (1743–1792), animateur de la socie´te´ secre`te Pro Aris et Focis qui e´tablit l’union entre le parti de´mocratique et les pre´lats au sein du Comite´ de Bre´da. Une fois les Autrichiens chasse´s, il prend la teˆte de la Socie´te´ Patriotique et pre´conise un gouvernement constitutionnel et parlementaire de forme libe´rale dans ses Conside´rations impartiales (Conside´rations impartiales sur la position actuelle du Brabant, 29 janvier 1790). Il ne sait pas saisir la chance offerte par le ralliement des volontaires bruxellois. Apre`s les e´meutes bruxelloises des 16–18 mars 1790, il se re´fugie aupre`s des troupes de van der Mersch, puis en France. Frappe´ de proscription par le Congre`s apre`s ce pronunciamiento rate´, effraye´ des ide´es tre`s radicales des anciens Vonckistes re´fugie´s a` Lille, il fera sa soumission a` la restauration autrichienne le 21 de´cembre 1790 et mourra rapidement dans l’obscurite´. Allusion a` l’administration prudente de la Toscane par Ferdinand III (1769–1824), grandduc de Toscane.
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de´sespe´raient de garder la leur, balance`rent entre une re´volution qui se tournait contre eux, apre`s avoir e´te´ provoque´e par eux, et le re´tablissement d’un troˆne antique sous lequel ils e´taient bien suˆrs de reconstituer leurs privile´ges. L’administration, reste´e de fait en leurs mains, souffrit de leur inde´cision et de la de´sobe´issance que produisait le me´contentement ge´ne´ral, et les provinces belges, apre`s avoir de´bute´ dans la carrie`re de l’inde´pendance par des succe`s inexplicables qui avaient paru de´cisifs, se trouve`rent sans de´fense quand les troupes de Le´opold y revinrent. Tout rentra dans la soumission ; mais les germes d’agitation que de´veloppent ne´cessairement les dissensions civiles, survivent a` ces dissensions, et la mode´ration de Le´opold et de son successeur n’avait pas eu le temps d’apaiser les esprits et d’effacer les souvenirs, lorsque, trois ans apre`s, le sort des armes se´para de nouveau les Pays-Bas de la monarchie autrichienne, pour les attacher au char victorieux d’une re´publique qui devait effrayer les Rois, e´branler le monde et pe´rir par un homme sorti de son sein. Maıˆtres de la Belgique, les Franc¸ais y trouve`rent beaucoup de restes des opinions que la re´volution de 1790 avait mises en mouvement. Les de´mocrates belges qui, a` cette premie`re e´poque, avaient contracte´ avec les de´mocrates franc¸ais des relations e´troites, se virent tout-a`-coup en communication avec ceux dont ils avaient implore´ l’appui, e´coute´ les conseils, et, dans leur malheur, obtenu la pitie´. Les e´tats avaient perdu leur influence pour avoir abuse´ d’un pouvoir e´phe´me`re, et n’avoir su ni consentir a` ce que la Belgique e´tablıˆt sa liberte´, ni pourvoir a` ce qu’elle conservaˆt son inde´pendance. Les ide´es the´ocratiques et fe´odales, en faveur desquelles le soule`vement avait eu lieu, e´taient de´cre´dite´es, parce qu’elles n’avaient fait que du mal pendant et apre`s la lutte. C’est ce qui explique comment, malgre´ les calamite´s inse´parables d’une invasion, et la conduite parfois de´sordonne´e de quelques proconsuls, la Belgique resta paisible sous la convention comme sous le directoire et sous l’empire. Durant les douze anne´es du gouvernement de Bonaparte, elle eut, comme toute la France, a` souffir de son despotisme ; mais si le froissement des habitudes et des coutumes locales blessait souvent un peuple e´minemment attache´ a` ces habitudes et a` ces coutumes, l’introduction de lois plus claires et plus e´gales lui offrait quelque de´dommagement. Si la conscription affligeait les familles, la gloire militaire, a` laquelle nos victoires associaient les jeunes conscrits, e´tablissait entre eux et nous un lien national. Le clerge´ attaque´, sous Joseph II, par l’autorite´, et, dans la re´volution, par le raisonnement, et devenu odieux par sa propre faute, ne parvint jamais a` faire partager au peuple sa re´sistance, bien qu’elle fuˆt souvent dirige´e contre un 23 e´tablıˆt ] e´tablit T
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arbitraire inquiet, insolent et minutieux. Les nobles s’e´taient plie´s a` la fatalite´ europe´enne, et occupaient a` la cour du parvenu des places e´minentes, dont ils remplissaient les devoirs avec exactitude, faisant tout au plus, entre eux, quelques plaisanteries confidentielles, ignore´es la plupart du temps, et tole´re´es par une autorite´ de´daigneuse, quand elles parvenaient a` sa connaissance : les hommes e´claire´s, admis a` la grande communaute´ de lumie`res, dont Paris est le centre, attendaient, comme les hommes e´claire´s de tous les pays, la fin du tourbillon qui entraıˆnait toutes les existences prive´es et publiques. Tel e´tait l’e´tat de la Belgique, quand les e´ve´nemens l’ont rendu partie d’un nouveau royaume. J’ai cru cet expose´ ne´cessaire pour pre´parer ce que je dirai tout-a`-l’heure sur l’esprit national des Belges, comme e´le´ment de l’esprit ge´ne´ral du royaume des Pays-Bas. Je passe maintenant aux Provinces-Unies, qui forment une autre partie non moins essentielle de cette cre´ation re´cente.
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HOLLANDE. Tout le monde connaıˆt l’histoire des troubles de la Hollande, en 1787. Il serait inutile d’examiner a` pre´sent, qui avait raison, des stathoude´riens, qui voulaient attribuer a` un magistrat he´re´ditaire des droits a` peu pre`s e´gaux a` ceux d’un monarque, ou des patriotes, qui essayaient de limiter, et dont quelques-uns meˆmes aspiraient a` abolir une autorite´ institue´e pour la de´fense de la patrie contre l’e´tranger, et a` laquelle ils craignaient que la re´publique qui lui avait duˆ son triomphe, ne duˆt plus tard la destruction ou la diminution de sa liberte´. On sait que la France prote´geait les patriotes, pour arracher a` l’influence anglaise les Provinces-Unies, et que l’Angleterre soutenait le parti du Stathouder1 pour conserver sa supre´matie sur ces provinces. La Prusse, qui
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Guillaume V d’Orange de la ligne´e de Nassau-Dietz (1748–1806), stathouder des ProvincesUnies a` l’aˆge de trois ans, succe`de a` son pe`re Guillaume IV qui avait re´ussi en 1747 a` imposer le caracte`re he´re´ditaire du stathouderat. Sa politique anglophile pendant la guerre d’inde´pendance des E´tats-Unis lui vaut l’hostilite´ des restes de l’aristocratie anti-orangiste, des milieux d’affaires le´se´s. Ces «Patrioten» vont l’obliger a` quitter La Haye et a` aller se re´fugier en 1785 en Frise. Une intervention militaire prussienne dirige´e par le duc de Brunswick le re´tablit par la force en 1787. Entre´ dans la premie`re coalition contre la France, il doit quitter les Pays-Bas envahis par Pichegru et transforme´s en Re´publique Batave en 1795. Re´fugie´ dans ses proprie´te´s d’Allemagne, il obtient ne´anmoins au Rece`s Germanique de 1804 la souverainete´ sur le Duche´ d’Orange-Nassau, cre´e´ par la se´cularisation de l’e´veˆche´ de Fulda et de l’Abbaye de Corvey. Trois ans plus tard, ayant refuse´ de se joindre a` la Confe´de´ration du Rhin, il verra son territoire partage´ entre les allie´s allemands de Napole´on.
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naturellement serait demeure´e e´trange`re a` cette querelle, se vit entraıˆne´e de coˆte´ du Stathouder, par des relations de famille. Une arme´e prussienne, con duite par le duc de Brunswick, plus heureux alors qu’il ne le fut plus tard, dispersa le parti oppose´ au beau-fre`re de son roi. Une amnistie peu rassurante engagea les principaux patriotes a` se re´fugier en Belgique et en France. Ils entretinrent de la` ces communications, que l’autorite´ ne rend difficiles qu’en se rendant odieuse, et qu’aucune pre´caution n’empeˆche, parce que tout le monde favorise ce qui se rattache aux sentimens naturels, plus impe´rieux et plus sacre´s que les opinions. Les Franc¸ais trouve`rent donc, lors de l’invasion, un parti tout forme´, qui les accueillit et les seconda, tant qu’il ne fallut que combattre ou plutoˆt poursuivre ce qu’ils appelaient l’ennemi commun. Mais apre`s les premiers transports, le caracte`re national hollandais reprit ses droits, et manifesta son influence. Le directoire ne sut ni administrer la France, ni influer avec habilete´ et mesure sur les pays tombe´s en son pouvoir. Le gouvernement de´mocratique, substitue´ au stathoude´rat, ne tarda pas a` se se´parer de notre gouvernement, et de cœur et d’intention. Opprime´, parce qu’il e´tait faible, mais luttant avec courage, et ne ce´dant qu’avec dignite´, reproduisant ses traditions d’ordre, d’e´conomie et de probite´, au milieu de la violence introduite et de l’exigeance exerce´e sur lui, il traversa pe´niblement et honorablement les cinq anne´es durant lesquelles nous fuˆmes re´gis par le directoire. Il ne l’imita ni dans ses vexations, qui re´pugnaient aux habitudes d’un peuple libre depuis plusieurs sie`cles, ni dans ses banqueroutes, qui choquaient la raison et l’expe´rience d’une association de commerc¸ans e´claire´s, ni dans ses tracasseries avec les preˆtres, tracasseries contraires a` l’esprit de tole´rance dont la Hollande pratiquait les e´quitables et sages maximes. Jamais peuple, au sein du malheur, n’offrit peut-eˆtre un spectacle d’inte´grite´, de calme et de bon sens pareil a` celui que pre´sente`rent alors les annales du peuple hollandais. Bonaparte, parvenu a` la puissance, organisa, de´sorganisa, re´organisa la Hollande, sans pouvoir effacer l’empreinte de sa nationalite´ indestructible. Lorsqu’il se fut mis a` cre´er des royaumes sans inde´pendance, comme il avait cre´e´ des re´publiques sans liberte´, il plac¸a sur le troˆne des ProvincesUnies un de ses fre`res1, qui, au me´rite d’oser croire qu’un roi devait eˆtre 2 Stathouder ] Stathouder T stathouder M 1
Louis Bonaparte (1778–1846), roi de Hollande en juin 1806 apre`s suppression de la Re´publique Batave, n’a pas he´site´ a` s’opposer a` la politique napole´onienne du Blocus continental qui ruinait son royaume. Ayant de´ja` perdu plusieurs provinces rattache´es sous des pre´textes strate´giques a` l’Empire franc¸ais en mars 1810, brouille´ tant avec son fre`re qu’avec son e´pouse Hortense de Beauharnais, Louis abdiquera le 1er juillet 1810 et ce qui reste du Royaume de Hollande, huit de´partements, sera annexe´ a` la France quelques jours plus tard par le de´cret de Rambouillet.
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compatriote du peuple qu’il gouvernait, ne re´unissait aucune force re´elle pour mettre sa the´orie en pratique. Enfin, apre`s de longs froissemens, la Hollande, de´clare´e une alluvion, fut jete´e dans le grand empire : mais elle ne fut jamais franc¸aise. Je suis loin de l’en blaˆmer. Plus je suis attache´ au caracte`re national de mon pays, plus je respecte l’inde´pendance dans les autres peuples. Etre vaincu n’est qu’un malheur : abjurer sa nationalite´, parce qu’on est vaincu, serait un opprobre. La Hollande fit ce que tout peuple subjugue´ doit faire : elle se tut et elle attendit : et quand les nations europe´ennes, se mettant dix contre un, renverse`rent l’ouvrage de douze anne´es, les Hollandais se retrouve`rent un peuple. La famille du Stathouder fut alors rappele´e, et comme sa conduite fut libe´rale et loyale, la re´conciliation fut since`re. PAYS
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Je ne dirai qu’un mot du pays de Lie´ge. Place´ sur les frontie`res de divers Etats, servant d’asile a` des re´fugie´s de tous les genres, offrant a` tous les livres et aux nombreux libelles, qui sont la punition infaillible de l’esclavage de la presse, des moyens d’impression et d’introduction facile dans les Etats voisins, le pays de Lie´ge e´tait, sous quelques rapports, re´volutionnaire avant notre re´volution. De meˆme que la Belgique et la Hollande, les Lie´geois sortaient, quand les Franc¸ais les soumirent, d’une longue lutte avec leur e´veˆque1. Cette lutte, appaise´e par la Prusse, avait laisse´ de l’agitation dans les esprits. Sous le directoire, les Lie´geois se distingue`rent fre´quemment par les opinions les plus de´mocratiques. Sous Bonaparte le syste`me
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Constantin-Franc¸ois-Ce´sar de Hoensbroeck (1724–1792), prince-e´veˆque de Lie`ge en 1784, repre´sentant typique de la «Kleinstaaterei» allemande du XVIIIe sie`cle. Pe´ne´tre´ de l’ide´e du pouvoir princier, il voit se dresser contre lui les adversaires de l’organisation cle´ricale de la Principaute´, qui reˆvent de faire du Prince le simple agent d’exe´cution des E´tats de Lie`ge ou` le Tiers-E´tat deviendrait pre´ponde´rant. L’affaire des «Jeux de Spa» (privile`ge princier a` deux casinos) finira par provoquer l’e´meute du 18 juillet 1789 et la fuite, huit jours plus tard, de Hoensbroeck qui en appellera a` la Chambre Impe´riale de Wetzlar contre ses sujets re´volte´s. La Prusse s’interpose d’abord au nom du Cercle de Westphalie et joue un roˆle trouble avant d’abandonner la partie a` la mi-avril 1790. Deux campagnes des «tristes et cocasses milices de Westphalie» en mai et aouˆt 1790 e´chouent piteusement. L’Autriche se fait alors confier «l’exe´cution» au nom d’un Cercle de Bourgogne opportune´ment ressuscite´ et Hoensbroeck sera re´tabli le 12 fe´vrier 1791.
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continental, qui favorisait leurs manufactures, en repoussant les produits de celles de l’Angleterre, ne leur e´tait point odieux. Moins habitue´s a` un ordre me´thodique que les Hollandais, encore moins constitue´s en corps de nation que les Belges, ils ont un caracte`re particulier, mais n’ont pas un caracte`re national ; et en 1814, de tous les pays re´unis a` la France, celui de Lie`ge e´tait le plus essentiellement franc¸ais. Tels sont les e´le´mens constitutifs du nouveau royaume des Pays-Bas : mais avant de de´crire le re´sultat probable de leur association et de leur me´lange, il faut indiquer dans quelle position respective les deux principaux, la Hollande et la Belgique, se trouvent. B.
DE
CONSTANT.
(La suite au nume´ro prochain.)
8–13 Tels sont ... prochain.) ] supprime´ dans T
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ROYAUME DES PAYS-BAS. (Continuation.)
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Ce que j’ai dit, dans un nume´ro pre´ce´dent, du caracte`re national des Hollandais et des Belges, a duˆ faire pressentir a` mes lecteurs les obstacles qui s’opposent a` ce que l’amalgame des deux peuples soit facile ou rapide. Leurs inte´reˆts sont encore oppose´s, leurs habitudes ne sont pas d’accord. Tous deux sont commerc¸ans ; mais les premiers font un commerce de transit, les seconds en font un de production, et les mesures qui favorisent les uns, choquent les calculs imme´diats, et surtout les pre´juge´s des autres. Les spe´culations hollandaises sont tourne´es principalement vers l’Angleterre, ou` les plus riches capitalistes de la Hollande avaient, du temps de Bonaparte, transporte´ leurs tre´sors et fixe´ leur demeure. Les spe´culations belges reposent, en grande partie, sur des manufactures, qui sont ne´es, ou se sont singulie`rement accrues et perfectionne´es pendant la re´union de la Belgique avec la France, et les manufacturiers voient a` regret les communications avec l’Angleterre se rouvrir. Ils en conc¸oivent peut-eˆtre trop d’alarmes. Le continent a de´couvert que son industrie pouvait lutter contre l’industrie anglaise, et il y a plusieurs circonstances qui rendent aujourd’hui la rivalite´ des fabriques d’Angleterre, de Manchester, par exemple, moins dangereuse qu’autrefois. La Hollande a contracte´ une dette conside´rable ; la Belgique se plaint d’en partager le fardeau1. E´tablissement du texte : Mercure de France, t. II, 10 mai 1817, Tableau politique de l’Europe, Rubrique : Politique, Exte´rieur, pp. 278–285. [=M] Tableau politique du royaume des Pays-Bas [=T] 5 dans un nume´ro pre´ce´dent ] mots supprime´s dans T dans T 17 avec ] a` T 1
6 a` mes lecteurs ] mots supprime´s
La dette publique a` re´sorber e´tait fort ine´gale : 589 millions de florins pour les Hollandais, 27 pour les Belges. Elle sera partage´e en deux parts e´gales, les Belges e´tant cense´s trouver une compensation dans le de´bouche´ colonial ne´erlandais et l’entretien des digues aux frais des provinces hollandaises.
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Les de´pute´s belges n’ont pas, dans les assemble´es repre´sentatives, l’influence a` laquelle ils croient avoir droit. Leur nombre ne leur paraıˆt pas en proportion avec la population et l’importance de leurs provinces1. La re´partition des places a` la nomination du pouvoir exe´cutif leur semble encore moins e´quitable. Il y a peu de temps que sur huit ministres, les Belges n’en comptaient qu’un de leur nation a ; sur vingt-huit agens diplomatiques, un ; sur vingt-trois re´fe´rendaires au conseil d’E´tat, sept ; sur six commis d’Etat, un ; sur dix conseillers du cabinet, deux ; sur neuf directeurs ge´ne´raux, deux ; sur trente-deux lieutenans-ge´ne´raux, six ; sur cinquante-trois ge´ne´raux-majors, dix ; de sorte que les premie`res fonctions du royaume e´taient partage´es entre trente Belges et cent trente-neuf Hollandais ou e´trangers2. Inde´pendamment de cette ine´galite´ mate´rielle, les Belges qui participent au gouvernement rencontrent dans leurs colle`gues de la Hollande, plus de connaissances du maniement des affaires, plus de pratique des formes e´tablies de temps imme´morial, et cette suite, cette te´nacite´ invincible, qui re´sulte d’un long exercice de l’autorite´, et qui assure a` ceux qui la posse`dent, une supre´matie que le temps ne peut de´truire que graduellement. Il en re´sulte que c’est presque toujours avec de´savantage qu’ils luttent contre eux, et que dans une ou deux questions de constitution et de droit public, ou` ils avaient manifestement raison, ils n’ont pu former qu’une minorite´ honorable. Je n’insisterai pas sur la diffe´rence de religion. Elle est bien moins importante en Belgique aujourd’hui qu’on ne le pense. J’ai explique´ ailleurs3, a
Ils en comptent deux aujourd’hui4.
14 rencontrent ] rencontre T 1
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17 long ] mot supprime´ dans T
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assure ] assurent T
Alors que les provinces belges comptaient un peu plus de trois millions d’habitants contre 1.900.000 habitants des ex-Provinces Unies, on de´cidera qu’aux E´tats Ge´ne´raux les 110 sie`ges seraient re´partis 55/55. La cle´ de re´partition des sie`ges reste la meˆme en 1830 alors que les provinces dites du Sud sont passe´es a` 3.921.000 habitants et celles du Nord a` 2.314.000. La situation n’aura pas change´ en 1830 : 10 ge´ne´raux «belges» sur 76, 9 officiers d’e´tatmajor sur 43, 3 colonels d’infanterie sur 28, etc. soit 417 Belges pour 2.377 emplois d’officiers. Voir ci-dessus, pp. 551–559. Maire de Bruxelles depuis 1809, destitue´ lors de l’entre´e des Allie´s en 1814, Charles-Joseph, 4e duc d’Ursel (1777–1860), est nomme´ par Guillaume d’Orange Commissaire ge´ne´ral (ministre) de l’Inte´rieur des provinces belges en aouˆt 1814, ministre des Travaux publics jusqu’en 1819, puis ministre d’E´tat. Reste´ orangiste jusqu’en 1839, il se ralliera ensuite a` la Belgique et sie`gera au Se´nat jusqu’a` sa mort. Il fut le seul Belge ministre du Roi Guillaume Ier jusqu’a` la nomination du baron Goubau d’Hovorst charge´ du Ministe`re des Cultes au plus fort de la lutte contre l’e´piscopat.
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comment et pourquoi le clerge´ y avait perdu beaucoup de son empire ; ce n’est pas que les classes infe´rieures soient fort e´claire´es : elles ont conserve´ des superstitions dont nous voyons quelquefois, dans les feuilles belges, des exemples de´plorables ; mais ces superstitions ne se lient point a` l’existence politique du clerge´. La populace belge croit aux sorciers et les maltraite quand elle peut ; mais elle est fatigue´e de voir les preˆtres en guerre avec l’autorite´ temporelle, et son inte´reˆt a` cet e´gard s’est use´. Une autre diffe´rence e´tablit entre les deux peuples une barrie`re plus insurmontable. Prive´s d’un idioˆme national, les Belges avaient depuis longtemps adopte´ le franc¸ais, qu’ils parlent presque tous avec facilite´, et que plusieurs d’entre eux e´crivent avec e´le´gance. L’obligation d’apprendre une autre langue, qui leur devient inutile hors des discussions des assemble´es et des plaidoiries des tribunaux (encore, dans la plupart de ceux-ci, a-t-il fallu conserver ou admettre de nouveau la langue franc¸aise), leur semble insupportable et meˆme humiliante. Leurs officiers, commande´s dans un langage qu’ils affectent de ne pas entendre, y trouvent des sujets de raillerie. La lecture d’un ordre du jour hollandais, a` un re´giment belge, a excite´ de vives re´clamations, et occasione´ une correspondance ame`re dans les journaux1. Les Belges croient de´meˆler, dans l’intention que leur gouvernement manifeste a` cet e´gard, une arrie`re-pense´e qu’ils s’exage`rent, et qui les alarme. Tout gouvernement, disent-ils, qui tend par des voies directes ou indirectes, a` priver un peuple de son idioˆme, veut l’asservir et le plonger dans la nullite´. Ils citent en preuve le discours de Jean de Vargas2 a` Philippe II3, pour engager ce prince a` imposer l’espagnol aux Maures. Ils comparent l’interdiction du franc¸ais aux Belges, a` la privation des droits politiques, inflige´e aux Irlandais par l’Angleterre, et ils annoncent que ces deux espe`ces de perse´cutions auront des re´sultats pareils a. a
Voyez une brochure publie´e a` Bruxelles, sous ce titre : Esquisse historique sur les langues, conside´re´es dans leurs rapports avec la civilisation et la liberte´ des peuples4.
5–7 La populace ... s’est use´. ] phrase supprime´e dans T 1 2
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Allusion non e´lucide´e. Don Juan de Vargas Mexia (1517–1580), jurisconsulte espagnol, sert au Conseil supreˆme d’Italie et comme ambassadeur aupre`s du duc de Savoie. Dans les Pays-Bas, il pre´side pour le compte du duc d’Albe le tristement ce´le`bre Conseil des Troubles a` partir de 1567, puis le Conseil des Flandres. En octobre 1577, il devient ambassadeur d’Espagne a` Paris ou` il mourra. Philippe II (1527–1598), roi d’Espagne en 1556 apre`s l’abdication de son pe`re CharlesQuint. Il s’agit d’un ouvrage attribue´ a` Jean-Baptiste-Joseph-Ghislain Plasschaert, ancien conseiller municipal de Bruxelles, de´pute´ de la Dyle au Corps Le´gislatif de 1805 a` 1813. La brochure est publie´e sans nom d’auteur, avec l’indication «par un Belge», a` Bruxelles, chez P. J. De Mat en 1817.
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Enfin, bien que divise´s en plusieurs provinces, les Belges avaient une capitale, non par le droit, mais par le fait. Soumis a` une monarchie e´loigne´e, ils posse´daient pourtant une cour, et Bruxelles e´tait un centre de socie´te´, de luxe et d’une activite´ politique secondaire. Pendant leur re´union a` la France, la gloire immense du nom franc¸ais les consolait de n’eˆtre plus qu’une portion de l’empire, et leur amour patriotique pour Bruxelles ce´dait a` leur admiration pour Paris. La Haye n’a pas les meˆmes droits a` leurs yeux. Le roi des Pays-Bas1, a` la ve´rite´, a voulu placer sur un pied d’e´galite´ ses deux capitales ; mais ce qui n’est pas naturel n’existe jamais qu’en apparence ; La Haye sera long-temps encore le sie´ge re´el du gouvernement, quelles que soient les transplantations momentane´es que les me´nagemens exigent, et les Belges voient avec peine la ville qui est l’objet de leur orgueil national, repousse´e au second rang, dans leur pays meˆme2. La noblesse, surtout, se montre sensible a` ce changement. L’on a dit que les ne´gocians n’avaient point de patrie parce qu’ils retrouvaient partout les avantages de la richesse et la carrie`re de l’industrie. La noblesse est cosmopolite par ses privile´ges, comme les ne´gocians par leurs capitaux. Le syste`me libe´ral du gouvernement console mal les grandes familles de la Belgique. La simplicite´ de la cour hollandaise3 contraste avec la pompe antique des gouverneurs autrichiens, et avec le faste, e´clatant de nouveaute´,
3 pourtant ] portant T
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6 ce´dait ] la source porte cedait M
8 ses ] ces T
Guillaume Ier (1772–1843), prince d’Orange, fils du stathouder Guillaume V, de´barque a` Scheveningen le 30 novembre 1813 d’un navire anglais pour soulever les Pays-Bas contre Napole´on. Reconnu Prince-Souverain des Pays-Bas, il devient le 31 juillet 1814 gouverneur ge´ne´ral de la Belgique au nom des Allie´s. Abandonnant a` la Prusse ses terres patrimoniales d’Allemagne, il obtient en e´change le titre de Grand-Duc de Luxembourg, entrant dans la Confe´de´ration Germanique. Le retour de l’ıˆle d’Elbe lui permet de s’autoproclamer le 16 mars 1815 roi des Pays-Bas, anticipant la de´cision finale du Congre`s qui n’aura lieu qu’en juin. Honneˆte bureaucrate, re´novateur e´conomique des provinces du Sud, ses maladresses et son autoritarisme lui alie`nent peu a` peu ses sujets belges. Refusant d’abord obstine´ment jusqu’en 1839 de signer le Traite´ des XXIV Articles de 1831 reconnaissant l’inde´pendance belge, brouille´ avec son fils aıˆne´ qui a joue´ un roˆle tre`s personnel en 1830, de´gouˆte´ des entraves mises au pouvoir royal par les re´formes constitutionnelles de 1840, il abdique et meurt a` Berlin sous le nom de comte de Nassau. Il e´tait pre´vu que les E´tats-Ge´ne´raux se re´uniraient alternativement en Belgique et en Hollande et que la Cour re´siderait par roulement a` La Haye et a` Bruxelles. Les Belges s’e´taient fort moque´s, lors de l’inauguration de Guillaume Ier a` Bruxelles le 21
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des apparitions impe´riales ; et tandis que d’autres pays sont de´laisse´s par la classe qui cherche a` vivre, les Pays-Bas sont abandonne´s par une portion de la classe qui cherche a` briller. Toutes ces causes, grandes et petites, et d’autres encore que je passe sous silence (car, dans un journal, qui pourrait tout dire ?), mettent obstacle jusqu’a` ce jour a` ce que la Belgique s’identifie au nouveau royaume. Cependant la liberte´ fait des prodiges. Les peuples les plus enclins a` se plaindre s’attachent aux gouvernemens qui e´coutent leurs plaintes, et qui, since`res dans leurs efforts, travaillent a` contenter l’opinion, quand ses re´clamations sont fonde´es. Ce qui est arrive´ en Belgique, meˆme relativement a` la liberte´ de la presse, le de´montre : transporte´e dans ce pays par l’autorite´, elle effarouchait des hommes qui n’en avaient jamais joui ; mais elle leur est devenue che`re, de`s qu’ils ont pu, par la jouissance, en appre´cier tous les avantages. Tout de´pend donc (abstraction faite des e´ve´nemens europe´ens qui pourraient influer sur le sort de ce royaume, comme de tant d’autres) : tout de´pend, dis-je, en Belgique ainsi qu’ailleurs, de la marche du gouvernement ; il s’affermira par la liberte´, il ne s’affermira que par elle. Or, on doit reconnaıˆtre que, jusqu’a` pre´sent, il a professe´ d’excellens principes, bien qu’il euˆt de´bute´ par trois ope´rations assez peu re´gulie`res, l’une consistant a` de´clarer accepte´e une constitution qui n’avait re´ellement pour elle que le suffrage de la minorite´1 ; l’autre confiant au roi la nomi-
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septembre 1815, de pompes a` bon marche´ (couronne en bois dore´, hermine en peau de lapin) et l’avaient surnomme´ Koperen Koning (le roi de cuivre) pour sa parcimonie et sa distribution de petite monnaie en cuivre. Les Allie´s, avant de confier a` Guillaume d’Orange les de´partements belges, l’avaient fait souscrire le 21 juillet 1814 aux Huit Articles de Chaumont pre´voyant l’amalgame le plus parfait entre Belgique et Pays-Bas : protection e´gale a` tous les cultes, acce`s de tous aux emplois publics, e´galite´ commerciale et douanie`re, repre´sentation convenable aux E´tatsGe´ne´raux et soumission de la Constitution ne´erlandaise de de´cembre 1813 a` l’approbation ou re´vision par les Belges. Le clerge´ se dresse contre la partie accordant des droits e´gaux a` la ve´rite´ et a` l’erreur, la police des cultes confie´e a` un souverain calviniste, le maintien du divorce, etc. Le 8 aouˆt 1815, Guillaume fait savoir que les 1603 notables appele´s a` approuver la Constitution re´vise´e n’auront pas a` se prononcer sur les articles relatifs a` la religion, ceux-ci provenant des accords avec les Allie´s. On vote du 14 au 18 aouˆt : sur 1323 votants, il y a 280 abstentions et 796 votes ne´gatifs. Appliquant ce qu’on appellera «l’arithme´tique hollandaise», le Roi explique que les 280 abstentionnistes sont en fait favorables et que sur les 796 votes ne´gatifs, 126 l’ont e´te´ a` propos des dispositions religieuses de´coulant des Articles de Chaumont et donc non soumises a` approbation. Ce tour de passe-passe aboutit a` 807 votes favorables et la Grondwet (constitution) est promulgue´e le 24 aouˆt 1815.
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nation des repre´sentans du peuple1 ; et la troisie`me abolissant les jure´s2 ; mais il avait proclame´ la liberte´ de la presse ; il avait consacre´ le droit d’asile ; il avait respecte´ les formes de la justice ; et l’e´tranger, comme le citoyen, e´prouvait, en mettant le pied sur ce territoire, un sentiment de se´curite´ que l’on ne conc¸oit plus gue`re en Europe que par ouı¨-dire ou par tradition. Aujourd’hui, si l’on peut en juger par des rapports ne´cessairement incomplets, peut-eˆtre inexacts, quelques nuages obscurcissent cet horizon si paisible il y a peu de temps. D’un coˆte´ les journaux nous parlent d’un nombre infini de proce`s intente´s a` des e´crivains, et dont plusieurs sont soumis a` une cour extraordinaire ; de l’autre les sermens exige´s des fonctionnaires publics, donnent a` la re´sistance un air d’he´roı¨sme, et aux poursuites de la justice une apparence de perse´cution. Il m’est difficile, je l’avoue, de concevoir l’inte´reˆt que les gouvernemens mettent aujourd’hui a` ce que les magistrats civils ou judiciaires preˆtent des sermens de fide´lite´, apre`s l’expe´rience des vingt-cinq anne´es qui viennent de s’e´couler. L’acceptation d’une place, sous quelque gouvernement que ce soit, tient lieu du serment le plus solennel pour tout homme qui n’a pas sacrifie´ tout principe d’honneur a` ses calculs ou a` ses opinions de parti ; une telle acceptation lui impose le devoir de ne pas nuire a` la conservation de l’ordre e´tabli. Le citoyen que cet ordre blesse, comme oppressif ou ille´gitime, trouve un refuge suˆr et honorable dans une condition prive´e, et celui qui croirait pouvoir tourner contre une autorite´ quelconque des moyens puise´s dans une fonction qu’il en aurait rec¸ue, parce qu’il n’aurait pas corrobore´ son engagement par un serment explicite, me semblerait avoir une double conscience a` la fois bien large et bien ombrageuse. Aussi voit-on que ceux qui ne se croient pas lie´s par l’obligation qui re´sulte de l’acceptation d’une place, ne sont pas retenus par leurs sermens. Quand on me´dite la trahison, l’on ne recule pas devant le parjure. 1
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BC simplifie beaucoup. Le Roi nomme les membres de la Chambre Haute des E´tats Ge´ne´raux. La seconde chambre est, elle, e´lective, mais via la de´signation des de´pute´s par les E´tats Provinciaux qui perpe´tuaient la vieille division en trois Ordres : – Ordre E´questre dont les membres, nobles et nomme´s par le Roi, peuvent de´signer le tiers des conseillers. – Ordre des Villes (les «Re´gences» ou conseils communaux) dont les membres sont e´lus eux-meˆmes par des e´lecteurs censitaires en tre`s petit nombre. – Ordre des Campagnes avec e´lecteurs e´lus au second degre´ par les proprie´taires les plus impose´s. Tout se complique du fait que, tant dans les villes que dans les campagnes, le cens varie selon les re´gions. Enfin, via les gouverneurs de province, on en arrive a` la pre´sentation au vote des E´tats Provinciaux de «candidats officiels» a` la Seconde Chambre, d’autant plus officiels qu’il s’agit souvent de fonctionnaires, re´vocables en tout temps par un simple arreˆte´, et ine´ligibles en cas de re´vocation ante´rieure. Le jury d’accusation et le jury de jugement existant sous le re´gime franc¸ais ont e´te´ sup-
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En exigeant des sermens pareils, les gouvernemens se mettent en lutte tantoˆt avec les intentions malveillantes, tantoˆt avec les consciences timore´es. On ne parvient jamais a` re´diger ces sermens de manie`re a` satisfaire tous les scrupules. Celui que prescrit le gouvernement des Pays-Bas a fourni, par une seule expression, des pre´textes plausibles de re´sistance. En demandant aux magistrats de promettre qu’ils rempliraient les devoirs qui leur seront impose´s, il les a autorise´s a` dire qu’ils ne pouvaient s’engager envers des devoirs a` venir, dont ils ne connaissaient pas la nature. Beaucoup de juges et d’employe´s civils ont manifeste´ leur re´pugnance, et il en est re´sulte´ de l’embarras dans la marche des affaires, de l’incertitude dans l’opinion, et du me´contentement dans le peuple. Les sermens eccle´siastiques n’ont pas eu moins d’inconve´niens1. D’apre`s les ve´ritables principes de la tole´rance, un preˆtre n’est que l’organe des prie`res de ceux qui lui accordent leur confiance, et qui s’adressent par son entremise a` la divinite´. Il n’a point de caracte`re politique, et l’Etat ne le connaıˆt point comme preˆtre. Il n’est, aux yeux de l’autorite´, qu’un individu, et elle n’a pas le droit d’exiger de lui des engagemens diffe´rens de ceux qu’elle exige du plus simple citoyen. Le gouvernement des Pays-Bas, en voulant exercer sur les preˆtres des diverses communions une surveillance autre que la surveillance ge´ne´rale qu’il exerce sur tous les habitans de son territoire, s’est expose´ a` d’interminables discussions, qui jamais ne se de´cideront a` son avantage, parce que le pouvoir temporel s’e´gare de`s qu’il s’occupe de cas de conscience et de subtilite´s the´ologiques. J’observerai cependant qu’il serait injuste de repre´senter comme une perse´cution, des demandes dont le principe peut eˆtre errone´, mais qui sont faites avec bonne foi et avec douceur. Aucun gouvernement n’a jamais montre´ moins de disposition a` perse´cuter, que celui des Pays-Bas. Il ne faut pas se laisser 21 interminables ] inde´terminables T
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prime´s pendant tout le re´gime hollandais. Le re´gime belge ne re´tablira que le jury de jugement en toutes matie`res criminelles et pour les de´lits politiques et de presse. Le Roi voulait en revenir aux pratiques napole´oniennes et obtenir un serment de fide´lite´ a` la Grondwet (constitution) et a` sa personne des fonctionnaires, des magistrats mais aussi des ` Gand, l’e´veˆque Maurice de Broglie, imite´ par son colle`gue de Tournai, se dresse pre´lats. A contre cette obligation et on voit des cure´s refuser l’absolution aux fonctionnaires assermente´s. En 1816, la Curie romaine approuve l’attitude des e´veˆques. Guillaume trouve alors un allie´ en la personne du dernier prince-e´veˆque de Lie`ge, Mgr. Franc¸ois de Me´an, qui guignait le sie`ge archie´piscopal de Malines. Comme il a lui-meˆme de´ja` preˆte´ serment au Roi, non comme e´veˆque mais comme membre de la Premie`re Chambre des E´tats-Ge´ne´raux, Rome refuse de lui de´livrer sa bulle d’investiture. Le souple de Me´an trouve le 18 mai 1817 un distinguo subtil entre le serment civil preˆte´ a` l’ensemble de la Grondwet (constitution) comme fonctionnaire et l’adhe´sion a` la tole´rance religieuse et a` la non-supre´matie du catho-
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tromper par les aspirans au martyre, d’autant plus courageux qu’il n’y a aucun danger, et qui, bien suˆrs que les mesures qu’ils provoquent ne leur seront pas meˆme incommodes, bravent les menaces qu’on ne leur fait point, et s’enfuient quand on ne les poursuit pas. Si le gouvernement s’est jete´ dans plusieurs difficulte´s, en exigeant des sermens qui ne lui e´taient pas ne´cessaires, il en a rencontre´ de beaucoup plus se´rieuses encore, par quelques mesures qu’il a prises relativement a` la liberte´ de la presse. Je ne parle pas des proce`s en calomnie ; ces proce`s, intente´s a` tort ou a` raison, sont une conse´quence ine´vitable et pre´vue de la libre publication des e´crits. Tout individu qui se croit calomnie´, a droit, a` ses risques et pe´rils, de re´clamer une re´paration, sauf a` supporter les frais de sa demande, si elle est mal fonde´e. Je parle des poursuites intente´es par le ministe`re public, contre des pamphlets ou des journaux, comme contraires a` la constitution, aux lois, et au respect duˆ au souverain. Il faut certainement que la se´dition puisse eˆtre punie. Il est donc indispensable que les tribunaux aient une action re´gulie`re sur les e´crivains, et c’est un commencement de liberte´ de la presse que la garantie que les auteurs ne seront soumis a` aucune autre juridiction que celles des tribunaux, mais ce n’est qu’un commencement. Je ne prononce point sur les proce´dures qui me sugge`rent ces observations, parce que je n’en connais point les de´tails. Ce qui semble un fait prouve´, c’est que, dans une occasion fameuse, un abbe´ de Foere1, qui de´fendait, dit-on, des principes tre`s-ultramontains, a e´te´ traduit devant une cour spe´ciale extraordinaire, et qu’on a interpreˆte´ ses phrases, qu’on en a tire´ des conse´quences qui n’en de´coulaient pas directement, et qu’on a fait de la sorte, d’un e´crit qui n’e´tait que le´ge`rement re´pre´hensible, un de´lit constructif d’une nature grave, manie`re d’agir destructive de toute liberte´ de la presse. 6 de beaucoup ] des beaucoup T
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licisme contenues dans certains articles. Sous pression de Metternich, le Pape accepte de le nommer archeveˆque et la fronde e´piscopale prend fin. Mgr. de Broglie, qui persiste fuit en France et n’est condamne´ que par contumace, de meˆme que son grand-vicaire, lui aussi Franc¸ais. Sa mort en 1821 permettra de nommer a` Gand un e´veˆque convenant aux deux parties. L’abbe´ Le´on De Foere (1787–1851), publie a` Bruges depuis 1815 la revue Le Spectateur Belge, me´lange de vues ultramontaines et re´actionnaires teinte´es d’un flamingantisme belgiciste. En de´pit de la liberte´ de la presse garantie par la Grondwet (constitution) du royaume des Pays-Bas, un simple Arreˆte´ royal de 1815 avait e´rige´ en de´lit le fait de critiquer les actes gouvernementaux ou «d’exciter me´chamment l’opinion publique». Le 6 mars 1818, il avait e´te´ transforme´ en loi confirmant la suppression du jury dans les affaires
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Cependant, ce qui me rassure, c’est que tous les journaux de la Belgique ont pris parti pour l’abbe´ de Foere, bien qu’ils n’approuvassent, pour la plupart, ni ses opinions ni sa doctrine. Ceux meˆmes qui combattaient ce qu’ils appelaient son fanatisme, ont de´fendu l’homme qu’ils conside´raient comme fanatique. «Les principes de la tole´rance religieuse, disait l’un de ces journaux, les droits du gouvernement sur le culte exte´rieur, et sur les ordonnances, bulles et brefs e´mane´s de la cour de Rome ; la le´gitimite´ du serment de fide´lite´ et de soumission a` la constitution, e´taient solidement e´tablis, et ge´ne´ralement reconnus. Qu’arrive-t-il ? l’autorite´ s’arme tout-a`coup pour les soutenir, et elle les renverse, et elle fait aux e´crivains un devoir de s’abstenir de tout effort pour les relever. La doctrine de M. de Foere, graˆce a` la perse´cution, est reveˆtue d’une importance et d’un e´clat qui excitent l’inte´reˆt et le ze`le de ceux meˆmes qui n’en voyaient auparavant que le coˆte´ ridicule1.» Ce libre examen, ces re´clamations unanimes et tole´re´es, prouvent deux choses essentiellement satisfaisantes ; l’une, c’est que les e´crivains de la Belgique ont fait assez de progre`s en liberte´, pour sentir que la cause d’un seul individu est celle du corps social et de chacun de ses membres. On ne les voit point, pour satisfaire leurs haines personnelles ou leur inte´reˆt prive´, applaudir a` ce qui peut frapper les partisans des opinions oppose´es. On ne les voit point,
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Pareils a` des forc¸ats l’un sur l’autre acharne´s, Combattre avec les fers dont ils sont enchaıˆne´s2.
La seconde ve´rite´, c’est que lorsqu’un gouvernement permet qu’on se plaigne, en supposant qu’il se trompe, il n’y a qu’erreur, et il y a ressource ; s’il e´touffait la plainte, il y aurait autre chose, et ce serait sans reme`de. Je terminerai cette esquisse tre`s-imparfaite de la situation inte´rieure du royaume des Pays-Bas, en re´pe´tant que je crois qu’on ne peut rien affirmer sur son avenir. Ce royaume, dont une partie est lie´e a` l’Angleterre par ses
7 brefs ] grefs T
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de presse. Arreˆte´ a` la porte de son e´glise le 9 fe´vrier 1817, l’abbe´ De Foere est condamne´ a` deux ans de prison le mois suivant. Se tenant volontairement a` l’e´cart de toute action politique apre`s sa libe´ration, De Foere fait reparaıˆtre sa revue jusqu’en 1823 mais elle e´vite de´sormais toute pole´mique. De´pute´ au Congre`s national de 1830 puis a` la Chambre de 1831 a` 1848, il y de´fendra la tendance unioniste. Tome IX (1817), p. 97 et sv. de L’Observateur Belge, petite feuille a` parution assez irre´gulie`re fonde´e en 1815 par les avocats Doncker, Delhougne et Van Meenen, et seul ve´ritable organe d’opposition depuis 1816. Voltaire, Poe`me sur la loi naturelle (1756), chant III : «Je crois voir des forc¸ats dans un
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habitudes, dont l’autre tient a` la France par ses souvenirs, et dont l’ensemble est uni a` la Russie par des alliances1, partagera la destine´e europe´enne, et, dans tous les temps, les destine´es sont incalculables. B.
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3 incalculables. ] suit encore FIN le texte n’est pas signe´, sauf sur la page de titre de la brochure T
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cachot funeste, Se pouvant secourir, l’un sur l’autre acharne´s, Combattre avec les fers dont ils sont enchaıˆne´s.» Ces vers ont e´te´ repris par Voltaire dans sa brochure sur les Callas et les Sirven. Le prince d’Orange, he´ritier du troˆne des Pays-Bas et futur roi Guillaume II (1792–1849), avait e´pouse´ en 1816 la grande-duchesse Anna Pavlovna (1795–1865), sœur d’Alexandre Ier et de Nicolas Ier. Ces liens familiaux expliquent la violente hostilite´ de ce dernier a` la re´volution belge de 1830.
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L’auteur de cet ouvrage annonce dans sa pre´face qu’il n’a pas atteint sa dix-huitie`me anne´e1. L’ouvrage porte, en effet, toutes les marques d’une extreˆme jeunesse. Il y a un bonheur naı¨f d’avoir fait un livre, un me´lange de plaisir et de timidite´ en le pre´sentant, cette douce confiance dans l’attention du public, fruit de l’inexpe´rience et d’un amour-propre non encore blesse´ ; il y a des prie`res a` ce public, pour qu’il veuille, en agre´ant les pre´mices de l’adolescence, attendre que l’e´poque de la raison et du talent soit venue, et des promesses, qu’en compensation de son indulgence, la reconnaissance de l’e´crivain lui consacrera des fruits plus pre´cieux dans un aˆge muˆr. Il y a enfin une petite pe´roraison tout-a`-fait enfantine, et presque touchante, adresse´e au livre meˆme. «Enfant des plus doux loisirs, e´leve´ sous l’aile d’un pe`re, loin du tumulte et des agitations du monde, feˆte´, caresse´ chaque jour, il vivait heureux, sans songer aux applaudissemens de la foule. Tout-a`-coup quel fol amour de gloire le presse ! Il va quitter le toit paternel ! Loin des avis indulgens, et des lec¸ons donne´es sans humeur et sans orgueil, orphelin volontaire, il s’exile. N’ayant ni guide, ni tuteur, il va courir le monde et tenter la fortune, a` la merci des vents de´chaıˆne´s et de l’orage. Il part ... Adieu !... Qui soutiendra ses pas mal assure´s2 ?» Ce n’est point en moquerie que je commence par cette citation et par ces remarques. Au contraire ; on rencontre si peu de sentimens naturels dans les livres comme dans les hommes ; il y a si peu d’e´crivains qui s’abandonnent a` ce qu’ils e´prouvent ; il y en a meˆme malheureusement si peu qui e´prouvent quelque chose, qu’on se plaıˆt a` voir les de´bats inge´nus de l’amourpropre naissant. On lui sait gre´ de ne pas ressembler a` nos vieux amourspropres hostiles et calcule´s, s’enveloppant, pour se montrer, de tant de traa
Cent soixante pages in–12. Paris, chez Delaunay, libraire, galerie de bois, Palais-Royal. E´tablissement du texte : Mercure de France, t. II, 31 mai 1817, E´loge de Saint-Je´roˆme, pp. 401–413.
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Gustave-Franc¸ois Fournier-Pescay, (1798 ou 1799–1818) est l’auteur de l’ouvrage E´loge de saint Je´roˆme, Paris : Delaunay, 1817, publie´ sans nom d’auteur. BC ne l’a peut-eˆtre pas connu. Il peut parler de son aˆge, parce que l’auteur le trahit lui-meˆme dans la premie`re phrase de l’introduction «Au lecteur». BC cite un passage vers la fin de l’introduction, pp. 21–22.
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vestissemens mal-adroits, qui ne les rendent que plus fatigans, parce qu’ils nous font supporter leurs circonlocutions et leurs pe´riphrases, et qu’il faut essuyer ce qu’ils disent pour nous, avant d’arriver a` ce qu’ils veulent dire d’eux. J’aime qu’un bon jeune homme croie au public, qu’il se le personnifie, qu’il se l’imagine s’inte´ressant aux essais qu’il lui pre´sente, et que pour le mieux disposer il entre en confe´rence avec lui. Il apprendra plus tard que ce public ne s’inte´resse qu’aux choses et non point aux hommes ; qu’on ne capte point son indulgence, qu’on ne de´sarme point sa se´ve´rite´, ou plutoˆt qu’il n’est ni indulgent, ni se´ve`re, mais indiffe´rent et spirituel ; qu’il demande ce qu’on lui veut, et voit si ce qu’on lui dit en valait la peine ; qu’il ne juge ni en vertu des espe´rances qu’on donne, ni en conside´ration des titres passe´s qu’on cite ; qu’il prend les ide´es qui lui conviennent ou les faits qui l’amusent, sans s’embarrasser d’ou` ils arrivent ; enfin, qu’il ne craint pas plus de de´courager les talens naissans, qu’il n’he´site a` de´daigner les talens de´chus, bien suˆr qu’il y aura toujours des talens a` son service. Ces ve´rite´s paraıˆtraient dures a` un de´butant dans la carrie`re. Il veut que sa personne soit de quelque chose dans le jugement qu’on porte de son livre. Il lui est doux de raconter a` quelle occasion il en a conc¸u l’ide´e, comment il a pris une taˆche au-dessus de ses forces, comment il n’a rien ne´glige´ pour ne pas trop rester au-dessous. Il se complaıˆt dans les protestations de sa modestie, parce qu’elles sont encore un moyen de´cent de parler de lui. Un autre symptoˆme de jeunesse, qu’on remarque dans cet Eloge de SaintJe´roˆme, c’est une vive et constante exaltation, une suite d’exclamations entasse´es, une grande prodigalite´ de me´taphores. Tout annonce que l’e´crivain ne sait pas encore qu’avant de se livrer a` l’enthousiasme, il faut eˆtre bien suˆr de l’avoir fait partager a` ses lecteurs. Cependant, au milieu de cet enthousiasme, on aperc¸oit ces arrie`re-pense´es, effet ine´vitable de notre vieille civilisation, et qui, avertissant l’inexpe´rience elle-meˆme que la ge´ne´ration qui l’observe est de´daigneuse, lui inspirent le de´sir mondain de se la conciler par des phrases dans son genre, et de lui imposer par des autorite´s qu’elle respecte. Ainsi, notre jeune auteur, pour justifier son exaltation sur Saint-Je´roˆme, cite des vers de Voltaire, dans le Temple du Gouˆt1. Il parle des jouissances que son propre gouˆt, en 12 qu’il prend ] la source porte qu’ils prend M 1
Fournier-Pescay cite, p. 155, en note a` la page 114, les vers suivants «Malheur a` qui toujours raisonne, Et qui ne s’attendrit jamais ! Dieu du Gouˆt, ton divin palais Est un se´jour qu’il abandonne.» Suit encore une longue citation de Mme de Stae¨ l : «Les hommes sans enthousiasme croient gouˆter des jouissances par les arts ; ils aiment l’e´le´gance du luxe, ils veulent se connaıˆtre en musique et en peinture, afin d’en parler avec graˆce, avec gouˆt, et meˆme avec ce ton de supe´riorite´ qui convient a` l’homme du monde, lorsqu’il s’agit de l’imagination ou de la nature ; [...] et nos derniers soupirs sont peut-eˆtre comme une noble pense´e qui remonte vers le ciel !» (De l’Allemagne, Quatrie`me partie, chap. 12, Nouvelle e´dition, Les grands e´crivains de la France, t. V, pp. 222 et 230.)
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s’e´purant, lui a fait perdre, et des e´carts qui, dans les e´crits des pe`res de l’e´glise, produisent sur son cœur l’effet d’une vieille affection, dont on a peine a` se de´tacher ; s’indiquant ainsi critique e´claire´, en meˆme temps qu’e´loquent pane´gyriste, et se plac¸ant au-dessus de sa faiblesse, en la reconnaissant comme telle, afin qu’on la lui pardonne. Il est passe´, meˆme pour la jeunesse, ce temps de l’enthousiasme complet, qui se sentait d’une haute nature, et me´prisait la raillerie, comme une preuve d’infe´riorite´. Quoique je n’aie parle´ jusqu’ici que de la forme de cet ouvrage, le lecteur peut de´ja` pre´voir comment cette forme a duˆ modifier le fond. Ce n’est point l’histoire de Saint-Je´roˆme ; ce n’est point l’analyse de ses e´crits. Il y a peu de recherches ; il n’y a point de faits. La manie`re meˆme dont l’auteur en rappelle quelques-uns, sans les raconter, pourrait faire craindre qu’il n’en euˆt ignore´ les de´tails et jusqu’aux dates. En louant l’ardeur de Saint-Je´roˆme pour l’e´tude et les sciences, il le compare a` Pythagore allant a` Memphis, a` Platon visitant Tarente, et finit par dire que, pour trouver encore un exemple d’un si rare de´vouement, il faudrait remonter jusqu’aux jours du fabuleux Apollonius de Tyanes1. Quand on a parle´ de Pythagore et de Platon, et qu’on veut arriver a` Apollonius, ce n’est pas remonter qu’il faut, c’est descendre, et descendre meˆme assez pre`s de l’e´poque de Saint-Je´roˆme, et, si l’on peut donner aux re´cits qui se rapportent a` Apollonius le nom fabuleux, on ne saurait appliquer cette e´pithe`te a` ce fameux thaumaturge, dont l’existence, tre`s-remarquable, comme produit de son sie`cle, est aussi constate´e que celle de tout autre personnage de l’antiquite´. Quelles que soient ne´anmoins les imperfections de cette production juve´nile, l’ide´e dominante de l’auteur a droit a` l’approbation. C’est quelque chose que de nous entretenir, meˆme sans beaucoup de discernement et d’exactitude, de ces Pe`res de l’Eglise, aujourd’hui peu connus, de tous temps mal juge´s2. Perse´cute´s3 durant leur vie ; objets, apre`s leur mort, d’une admiration, qui n’e´tait pas au-dessus, mais qui e´tait diffe´rente de celle qu’ils me´ritaient ; rele´gue´s ensuite dans la poussie`re des bibliothe`ques, et presque bannis de nos jours, meˆme des bancs des e´coles ; de´chire´s enfin, et traite´s avec me´pris par des hommes qui leur reprochaient des maux qu’ils n’avaient pas cause´s, et leur attribuaient une doctrine dont ils n’e´taient pas coupables, ces premiers de´fenseurs du christianisme ont e´te´ me´connus e´galement par leurs pane´gyristes et par leurs ennemis. 1 2 3
BC re´sume un passage qu’on trouve p. 41 de l’ouvrage. BC annonce ici sans trop y insister un des champs de ses recherches sur la religion. Ici commence la traduction italienne de l’article de BC que nous avons signale´e dans l’introduction, ci-dessus, p. 348.
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Pour les appre´cier, il faut contempler ce qu’e´tait le monde, lorsque ces hommes parurent, au milieu des ge´ne´rations e´crase´es et corrompues par le despotisme. Ces ge´ne´rations e´taient affaiblies par tous les rafinemens d’une excessive civilisation ; elles e´taient sans conviction religieuse, sans principes moraux ; elles n’avaient pour re`gle que cet axioˆme, que certains hommes de nos jours ont renouvele´, celui qu’il faut abjurer les opinions et n’e´couter que les inte´reˆts ; elles n’avaient pour guide qu’un e´goı¨sme tremblant et fe´roce ; pour but, que des plaisirs ignobles et passagers. Epuise´es par le vice, fatigue´es par le doute, elles craignaient encore ce qu’elles ne croyaient plus. Les premiers chre´tiens, forts de la jeunesse de leur aˆme et de l’e´nergie de leur conviction, se pre´sente`rent comme une race vivante, au sein des tombeaux peuple´s par ces spectres, et rappele`rent les nations abaˆtardies a` tous les sentimens primitifs. Ils e´tonne`rent des oreilles accoutume´es au langage de la servitude et du crime, par des paroles de liberte´, de vertu, de confiance et d’humanite´. Ils substitue`rent a` des dogmes use´s, qui n’avaient plus de racines dans les cœurs, parce qu’ils n’e´taient plus en proportion avec les esprits, un dogme mieux en harmonie avec les lumie`res. Les philosophes avaient enseigne´ ce dogme a` leurs disciples, a` travers beaucoup d’hypothe`ses chime´riques, et comme l’une de ces hypothe`ses. Les preˆtres l’avaient re´ve´le´ a` leurs initie´s, a` coˆte´ de beaucoup de traditions fabuleuses, et, quoi qu’on en ait dit, sans trop le distinguer de ces traditions. Mais l’instinct meˆme de la multitude l’appelait de ses vœux, parce que cette multitude e´tait de´vore´e du besoin de croire et d’espe´rer, et ne trouvait, dans la religion publique, rien qui puˆt motiver sa foi ou ranimer ses espe´rances. Cette lutte du the´isme, non pas contre le polythe´isme, car le polythe´isme n’existait plus en re´alite´, mais contre des formes vieillies, qui ne commandaient aucun respect, et que l’autorite´, bien qu’elle euˆt pour but de les maintenir, ne pouvait s’astreindre a` me´nager ; cette lutte, dis-je, serait le sujet d’un ouvrage, dont rien encore, a` ma connaissance, ne donne l’ide´e1. J’ai toujours e´te´ surpris que l’illustre auteur des Martyrs ne l’euˆt pas conc¸ue. Si, au lieu de reveˆtir de couleurs poe´tiques ce qui n’e´tait pas, il euˆt applique´ son beau talent a` peindre ce qui e´tait, il euˆt tire´ de son sujet un bien autre parti, meˆme sous le rapport de la poe´sie. Il ne fallait pas opposer la religion d’Home`re, religion qui avait disparu depuis bien des sie`cles, au catholicisme de Bossuet ; c’e´tait commettre un anachronisme de quatre mille ans, et pre´senter comme simultane´es deux choses, dont l’une n’existait plus, et l’autre pas encore. Certes, apre`s Euripide, apre`s Epicure, et presqu’en pre´sence de Lucien, les vierges grecques ne demandaient pas au premier jeune homme qu’elles rencontraient : Ne seriez-vous point un im1
Autre allusion e´vidente a` l’ouvrage sur la religion. Les phrases qui suivent visent e´videmment le Ge´nie du christianisme de Chateaubriand.
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mortel ? Le merveilleux home´rique avait e´te´ remplace´ par un autre genre de merveilleux, qui accompagne toujours les religions de´chues. La magie, la the´urgie, les e´vocations, voila` ce qui composait la croyance de l’e´poque ; voila` ce qui luttait contre le christianisme1 ; et non pas la mythologie de l’Iliade, dont chacun repoussait le sens litte´ral, pour la commenter, la traduire, la de´naturer a` sa manie`re. Ce polythe´isme de´ge´ne´re´, plus diffe´rent de la religion des beaux temps d’Athe`nes, que des superstitions des hordes sauvages, n’aurait pas offert au peintre habile que j’ai indique´, des sujets de tableaux moins frappans, et ces tableaux auraient eu, sur les autres, l’avantage de la nouveaute´. Aux gracieuses processions des cane´phores2, avaient succe´de´ les courses tumultueuses des preˆtres isiaques, derniers auxiliaires et allie´s suspects d’un culte expirant, tour-a`-tour repousse´s et rappele´s par ses ministres de´sespe´rant de leur cause. Les ce´re´monies ordinaires qui ne suffisaient plus a` la superstition devenue barbare, e´taient remplace´es par le hideux taurobole, ou` le suppliant se faisait inonder du sang de la victime. De toutes parts pe´ne´traient dans les temples, malgre´ les efforts des magistrats, les rites re´voltans des peuplades les plus de´daigne´es. Les sacrifices humains se re´introduisaient dans ce polythe´isme, et de´shonoraient sa chute, comme ils avaient souille´ sa naissance. Les dieux e´changeaient leurs formes e´le´gantes contre d’effroyables difformite´s. Ces dieux, emprunte´s de partout, re´unis, entasse´s, confondus, e´taient d’autant mieux accueillis que leurs dehors e´taient plus bizarres. C’e´tait leur foule que l’on invoquait ; c’e´tait de leur foule que l’imagination voulait se repaıˆtre. Elle avait soif de repeupler, n’importe de quels eˆtres, ce ciel qu’elle s’e´pouvantait de voir muet et de´sert. Ces erreurs n’e´taient point le partage exclusif de la classe ignorante. Ce de´lire avait envahi tous les rangs de la socie´te´. Dans le palais des empereurs et dans les appartemens des dames romaines, on voyait tous les monstres de l’Egypte, des simulacres a` teˆtes de chien, de loup, d’e´pervier, et ces scandaleux symboles, montre´s autrefois dans les myste`res comme embleˆmes de la force cre´atrice, mais devenus alors les objets a` la fois de la de´rision et de l’adoration publique, et ces statues panthe´es, indiquant l’e´nigmatique assem blage et le me´lange de tous les dieux ; et cependant tous ces efforts e´taient inutiles ; l’homme parvenait a` trembler, mais ne parvenait plus a` croire.
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E´vocation des cultes des myste`res de l’Antiquite´ tardive. BC approfondira la question de la propagation du christianisme primitif dans son essai «Des causes humaines qui ont concouru a` l’e´tablissement du christianisme», paru d’abord dans L’Encyclope´die progressive (1825), republie´ dans une se´rie de trois articles dans Le Globe (7, 10 et 12 mai 1825) et repris dans les Me´langes (1829). Voir OCBC, Œuvres, t. XXXIII, a` paraıˆtre. Dans les processions des Panathe´ne´es, des jeunes filles portaient sur leurs teˆtes des corbeilles d’osier contenant des offrandes. On les trouve sur la frise du Parthe´non. BC oppose ces processions aux cultes religieux de l’Antiquite´ tardive.
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Pour un de´fenseur de la religion, voila` le tableau qu’il fallait tracer. Il ne fallait pas montrer les Romains ou les Grecs courbe´s devant des idoles de bois et de pierre, ou d’or et de marbre, qu’ils avaient depuis longtemps cesse´ d’adorer ; il fallait les montrer malheureux surtout de n’adorer rien, d’eˆtre renferme´s dans ce monde et captifs sur cette terre, comme dans un cachot, que ne colorait nulle espe´rance, que n’embellissait nul avenir. Les mate´riaux ne manquaient pas. Il suffisait d’ouvrir Plutarque, honneˆte e´crivain, qui aurait de´sire´ eˆtre de´voˆt, qui s’imaginait quelquefois l’eˆtre, mais qui laisse percer, a` chaque ligne, les doutes dont le poursuivait l’esprit de son sie`cle. Plutarque nous apprend quelle e´tait la disposition de l’espe`ce humaine1. Il nous peint des hommes de tous les e´tats, riches, pauvres, vieux, jeunes, tantoˆt saisis, sans cause visible, d’un de´sespoir fre´ne´tique, de´chirant leurs veˆtemens, se roulant dans la fange, criant qu’ils e´taient maudits des dieux ; tantoˆt reprenant, en parlant de ces dieux, par habitude et par vanite´, le ton du persiflage et l’ironie, puis consultant, dans quelque re´duit obscur, des sorciers, des vendeurs d’amulettes et de talismans ; parcourant, la nuit, les cimetie`res pour y de´terrer des os de mort, e´gorgeant des enfans ou les faisant pe´rir de faim sur des tombes pour lire le destin dans leurs entrailles ; enfin, malgre´ leur nature e´nerve´e, bravant la douleur ainsi que le crime, et soumettant a` des mace´rations effroyables leurs corps fatigue´s de volupte´s, comme pour faire violence a` la puissance inconnue qu’ils semblaient chercher a` taˆtons, et pour arracher aux enfers ce qu’ils n’espe´raient plus obtenir des cieux. L’autorite´ cependant faisait ce qu’elle fait toujours dans ce cas. Elle attribuait ce de´sordre de l’espe`ce humaine a` la destruction des anciennes formes ; elle voulait lui imposer de nouveau ces anciennes formes, dont l’insuffisance e´tait pre´cise´ment la cause de ses e´garemens et de son malheur. Les pontifes proposaient gravement de bruˆler les Œuvres de Cice´ron ; et des preˆtres subalternes, voue´s au culte de Cybe`le, se partageaient les provinces ou`, missionnaires turbulens et me´prise´s, et tour a` tour, mendians et prophe`tes, ils agitaient, par des prestiges d’escamoteurs et des convulsions d’e´nergume`nes, ce qui restait d’esprits cre´dules. L’e´poque d’une re´volution comple`te e´tait arrive´e2. Le sentiment religieux, cette partie essentielle de notre aˆme, avait besoin d’une forme plus pure, plus en accord avec les lumie`res. Le polythe´isme avait parcouru ses 7 Plutarque ] la source porte Plutarqne M 1 2
BC re´sume ici sa vision de la pense´e, en substance platonicienne, de Plutarque, (45-apre`s 120). Ici commence l’expose´ de plusieurs ide´es centrales de la the´orie de la religion de BC. Il parle meˆme de certains proble`mes qu’il n’abordera pas dans son ouvrage sur la religion (causes humaines qui ont favorise´ l’expansion de la religion chre´tienne ; e´tude des pe`res de
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diverses phases. Ele´gant, mais mate´riel dans Home`re, plus moral, mais encore incohe´rent dans He´siode, il avait brille´, du temps de Sophocle, d’une purete´ presque ide´ale. Il est impossible de lire l’Œdipe a` Colonne et l’Antigone sans e´prouver une e´motion religieuse. Mais travaille´ par le progre`s des ide´es ; soumis a` l’examen par la philosophie, qui d’abord ne voulait pas l’attaquer ; mal servi, comme toujours, par ses preˆtres qui, perse´cutant la philosophie, en avaient fait une puissance hostile, le polythe´isme e´tait devenu tel que nous venons de le voir. L’autorite´, qui le conside´rait comme un instrument, avait acheve´ de l’avilir par cette assistance hautaine et capricieuse, qui se fait un secret triomphe de maltraiter ce qu’elle prote´ge. Elle avait beau dire a` la populace qu’il lui fallait une religion : la populace e´tait avertie, par son instinct, de ce qui se passait sur sa teˆte. On compte trop sur sa bonhomie, quand on se flatte qu’elle croira long-temps ce que les grands refusent de croire. Des sujets superstitieux et des gouvernans athe´es, ce beau ide´al de certains hommes d’e´tat, ne saurait se re´aliser. Incre´dule par imitation, le dernier des paı¨ens traitait sa religion de chose niaise et de duperie, et chacun la renvoyait a` ses infe´rieurs, qui, de leur coˆte´, s’empressaient de la repousser encore plus bas. L’espe`ce humaine ne pouvait rentrer dans l’ordre, retrouver le repos, que lorsque le sentiment religieux aurait conquis la forme qu’il implorait. Je ne prononce point sur des questions insolubles ; mais il paraıˆt eˆtre dans notre nature, que la terre soit inhabitable, quand toute une ge´ne´ration ne croit plus qu’une puissance sage et bienfaisante veille sur les hommes. L’apparition d’une forme convenable au sentiment religieux qui s’agitait sur des formes brise´es, devait eˆtre, en quelque sorte, la re´surrection de l’espe`ce humaine. Elle le fut. Ici, se serait offert au poe¨ te un nouveau genre de merveilleux, le seul, s’il m’est permis de le dire, qui convıˆnt a` ce grand sujet. Un paradis fantastique, copie de l’Olympe, sera toujours frappe´ de ce double inconve´nient, qu’il aura la diversite´ des couleurs de moins, et la me´taphysique de plus. Mais la purete´, au sein de la corruption ; la certitude, en pre´sence des doutes universels ; l’inde´pendance sous la tyrannie ; le me´pris des richesses, au milieu de l’avidite´ ; le respect pour la souffrance, lorsqu’on voyait partout l’exemple de la cruaute´ indiffe´rente et de la fe´rocite´ de´daigneuse ; le de´tachement d’un monde ou` le reste des hommes avait concentre´ tous ses de´sirs ; le de´vouement, quand tous e´taient e´goı¨stes ; le courage, quand tous e´taient laˆches ; l’exaltation, quand tous e´taient vils : tel e´tait le merveilleux qu’on pouvait faire descendre du ciel ; et ce merveilleux, place´ dans l’aˆme des premiers fide`les, et renouvelant la face du monde, n’euˆt pas eu peut-eˆtre
l’e´glise ; rapports entre la religion chre´tienne naissante et l’ide´e de la liberte´). Pourrait-on ainsi avancer l’hypothe`se que la re´daction imprime´e de De la Religion renonce a` traiter le sujet dans toute son e´tendue ?
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moins d’inte´reˆt que des anges, paˆles he´ritiers des dieux d’Home`re, traversant l’empire´e, comme Ve´nus, blesse´e par Diome`de, ou Junon, voulant tromper Jupiter. Je me suis laisse´ entraıˆner loin de mon sujet, parce que toutes les fois que je me livre a` des re´flexions sur cette matie`re, je regrette l’erreur dans laquelle tombent des philosophes, qui ont tant de droits a` notre reconnaissance, quand il s’agit d’une des plus belles et des plus nobles e´poques de l’histoire du genre humain. Il faut le reconnoıˆtre. Trois sie`cles de ce despotisme qu’on nous vante encore, car il a des amis perse´ve´rans, avaient plonge´ notre malheureuse espe`ce dans un e´tat d’abrutissement que notre imagination meˆme a peine a` concevoir. Toutes les ide´es ge´ne´reuses avaient disparu ; elles reparurent toutes avec la nouvelle religion. L’univers e´tait courbe´ sous la tyrannie. Les sectateurs de la religion nouvelle parle`rent de liberte´ ; car c’est bien a` tort qu’on les a repre´sente´s comme soumis, par principe, aux monstres qui alors se disputaient et ensanglantaient le troˆne. Ils n’ont pas me´rite´ cette accusation qu’on a voulu transformer en e´loge, et je me charge de puiser, dans leurs e´crits, toutes les maximes qu’ont professe´es les vrais amis de la liberte´ dans tous les temps. L’empire e´tait peuple´ d’esclaves, que leurs maıˆtres ne regardaient pas comme des hommes, et qu’on livrait aux tourmens pour e´claircir le moindre soupc¸on, qu’on traıˆnait a` la mort pour satisfaire le moindre caprice. Les apoˆtres de la religion nouvelle dirent a` ces maıˆtres que ces esclaves e´taient leurs e´gaux. Une soif insatiable de plaisirs et de richesses s’e´tait empare´e de toutes les aˆmes. Chacun, menace´ par un pouvoir sans bornes, voulait mettre a` profit cette vie d’un jour, et saisir chaque heure, incertain qu’il e´tait de l’heure qui devait suivre. Restituant a` la morale un avenir dont elle abesoin, les disciples du nouveau culte professe`rent l’abne´gation d’eux-meˆmes, la purete´, la communaute´ des biens. Tout un peuple, que le vice et le malheur rendaient incapable d’e´motions naturelles, cherchait a` se re´veiller de son apathie par la vue du sang et de l’agonie, et puisait des sensations passage`res dans les convulsions des gladiateurs expirans. Le culte nouveau proclama le respect pour la vie des hommes, et la pitie´ pour la douleur. Toutes les formes subissent des modifications ine´vitables ; mais il est absurde de rejeter, sur la forme primitive qui n’est plus, ce qui n’appartient qu’aux temps poste´rieurs qui passeront de meˆme. Certes, quand Tertullien e´crivait que tout fide`le est preˆtre, et tout chre´tien l’organe du Seigneur, l’on ne pre´tendra pas qu’il posaˆt les bases du despotisme sacerdotal1. Malheu1
Allusion a` une phrase souvent cite´e de Tertullien, De exhortatione castitatis, chap. 7 : «Nonne et laici sacerdotes sumus ?» (Exhortation a` la chastete´, introduction, texte critique
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reusement, dans une re´volution qui, en rendant au sentiment religieux la seule forme qu’il puˆt admettre, avait satisfait les besoins du cœur, apaise´ les e´garemens de la raison, et ressuscite´ tous les sentimens de´sinte´resse´s, beaucoup d’e´crivains modernes ont cru trouver la cause des institutions tyranniques qui, plus tard, ont pese´ sur nous. Cette erreur leur a fait commettre une grande injustice. Par haine pour des oppresseurs, ils ont outrage´ des opprime´s ; et pour attaquer des bourreaux, ils ont insulte´ des victimes. Ils ont oublie´ que les premiers chre´tiens e´taient faibles, desarme´s ; qu’ils n’avaient, contre le nombre et contre la force, que leur innocence et leur courage. Loin de nous cette impartialite´ e´troite et aveugle ! De ce que nous fre´missons d’une juste horreur en voyant l’exe´crable inquisition livrer aux flammes les he´re´tiques, il ne s’ensuit pas que nous devions, comme Gibbon, contempler avec indiffe´rence les preˆtres paı¨ens livrant aux tigres les martyrs1. Les e´crits des Pe`res de l’Eglise sont donc les monumens d’une e´poque qu’il est indispensable d’e´tudier, si l’on veut connaıˆtre l’espe`ce humaine dans la re´volution la plus importante qu’elle ait e´prouve´e. Ces e´crits sont doublement inte´ressans peut-eˆtre aujourd’hui ; et l’auteur de l’essai qui a e´te´ l’occasion de cet article, me´rite d’eˆtre encourage´, si, par la suite, avec moins de de´clamations, plus d’e´tude et plus de simplicite´, il travaille a` nous en donner une juste ide´e, par d’exactes analyses, et surtout par des faits bien examine´s. B.
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et commentaire par Claudio Moreschini, traduction par Jean-Claude Fredouille, (Sources chre´tiennes, no 319), Paris : Les E´ditions du Cerf, 1985, p. 92). BC cite cette phrase dans De la Religion, t. I, p. 59, n. 1. Tertullien (vers 160-vers 225), converti au christianisme en 195, et adepte de l’he´re´sie montaniste peu apre`s 200, e´nonce cette opinion dans son e´crit date´ entre 204 et 212 (voir ibid., pp. 7–9) ou` les the´ologiens protestants reconnaissent une doctrine qui leur est che`re. Allusion a` Edward Gibbon, Histoire du de´clin et de la chute de l’empire romain, et en particulier a` la «Conclusion» du chap. XVI «conduite du gouvernement romain envers les chre´tiens, depuis le re`gne de Ne´ron jusqu’a` celui de Constantin», ou` Gibbon compare les perse´cutions des protestants des provinces flamandes par Charles Quint aux perse´cutions des premiers chre´tiens pour dire que celles-ci n’atteignaient pas de loin le nombre de victimes des guerres de religion.
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[Compte rendu de l’ouvrage The´orie des re´volutions d’Antoine Ferrand] (Ier. Article.)
The´orie des Re´volutions ; par l’auteur de l’Esprit de l’Histoire. Quatre vol. in–8o. Prix : 24 fr. ; pap. ve´l., 45 fr. Chez L. G. Michaud, rue des Bons-Enfans, n. 34.
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En prenant la plume, pour rendre compte de la The´orie des Re´volutions, je me sens dans un certain embarras1. Bien que l’ouvrage ait paru sans nom d’auteur, quelques journaux l’ont attribue´ a` un homme d’un rang e´leve´ et d’un aˆge respectable. Cette dernie`re conside´ration, sur-tout, m’inspire le de´sir de m’exprimer avec me´nagement, et si, malgre´ toute ma bonne disposition, louer m’est impossible, je voudrais au moins ne pas blaˆmer avec amertume. Que faire pour eˆtre juste et ne point paraıˆtre amer ? Dans ce cas-ci je ne le sais vraiment pas. Je proteste au moins contre tout soupc¸on de malveillance. Loin de chercher a` critiquer cette production volumineuse, voici deux jours que j’employe a` retrancher une partie de ce que j’en avais dit, et je puis assurer l’auteur et le public, que, si je n’avais pas mis tous mes soins a` mitiger mon jugement, peut-eˆtre meˆme un peu aux de´pens de la ve´rite´, il aurait e´te´ bien autrement se´ve`re. Apre`s ce pre´ambule, indispensable pour mettre mes intentions a` l’abri du doute, je me flatte que si l’on m’accuse d’erreur, on ne me reprochera point la malignite´. A l’aide de ces compilations historiques, faites sans critique et sans discernement, et multiplie´es, dans le dernier sie`cle, par l’avidite´ des librai-
E´tablissement du texte : Mercure de France, t. II, 28 juin 1817, The´orie des Re´volutions, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 581–591. 1
The´orie des Re´volutions, rapproche´e des principaux e´ve´nemens qui en ont e´te´ l’origine, le de´veloppement ou la suite ; avec une table ge´ne´rale et analytique ; par l’auteur de l’Esprit de l’Histoire, Paris : L. G. Michaud, De l’Imprimerie royale, 1817. – Le comte AntoineFranc¸ois-Claude Ferrand (1751–1825) est un des auteurs que BC critique le plus, et meˆme s’il le fait, comme ici, avec beaucoup de me´nagement, ses jugements sont se´ve`res. On sait que Ferrand, issu d’une vieille famille parlementaire, e´migre´ de`s 1789, est rentre´ en France en 1800, et a re´dige´ son ouvrage L’esprit de l’histoire, ou Lettres politiques et morales d’un pe`re a` son fils, sur la manie`re d’e´tudier l’histoire en ge´ne´ral et particulie`rement l’histoire de France (Paris : Vve Nyon, an XI [1802], 4 vol.). Il prend en 1814 de´cide´ment le parti des Bourbons, sera fait comte et nomme´ directeur ge´ne´ral des Postes. Il joue, proche du roi, un roˆle politique dans la Chambre de 1814 ou` il est charge´ de pre´senter le projet de loi relatif a` la restitution des biens d’e´migre´s, taˆche qu’il remplit mal (voir Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, pp. 91–93). Pair de France en 1815, e´lu a` l’Acade´mie franc¸aise, il publie en 1817 l’ouvrage dont nous lisons ici le compte rendu.
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res, pour secourir et favoriser l’ignorance des lecteurs, et sur-tout a` l’aide des tables des matie`res, qui sont la partie la plus soigne´e de ces immenses recueils, rien n’est plus facile aujourd’hui que d’entasser des faits dont on ne ve´rifie point l’authenticite´, aux sources desquels on ne remonte jamais, mais qu’on alle`gue comme incontestables, a` l’appui du syste`me quelconque qu’on a trouve´ bon d’adopter. L’on a soin d’y inse´rer un nombre suffisant de noms e´trangers ; et par un charlatanisme, dont je suis faˆche´ de dire que M. de Voltaire nous a donne´ l’exemple, on rend ces noms plus imposans, en re´tablissant leur orthographe e´trange`re a. Graˆce a` cette e´rudition, qu’on peut commode´ment acque´rir en deux matine´es, on se montre verse´ dans les myste`res de l’antiquite´, et l’on part d’hypothe`ses errone´es et bizarres sur des peuples oublie´s ou mal connus, pour offrir aux nations modernes, comme mode`les, des institutions, et, comme re`gles de conduite, des mœurs qui n’ont jamais existe´. Cette manie`re est d’autant plus ordinaire en France, et son succe`s d’autant plus certain, que les auteurs ne sont pas tenus de citer leurs autorite´s1. Par une sorte de pre´tention chevaleresque sans doute, ils exigent que le public les croye sur leur parole d’honneur. Il en re´sulte que lorsqu’on rencontre dans un livre une assertion fausse, on ne sait comment la combattre, car on ignore d’ou` l’auteur l’a emprunte´e. Le critique qui veut se convaincre qu’elle est inexacte, est re´duit a` e´puiser toutes les recherches, et quand il a obtenu cette conviction pour lui-meˆme, il est condamne´ a` fatiguer ses lecteurs, en employant plusieurs pages a` re´futer quelques lignes. Ces observations, applicables malheureusement a` maintes de nos productions modernes, le sont particulie`rement a` la The´orie des Re´volutions et a` l’Esprit de l’Histoire2, de tous les livres qui ont paru depuis vingt ans, les plus propres, j’ose le dire, a` fausser toutes les ide´es et a` obscurcir tous les faits. Je ne veux point nier le succe`s qu’obtint ce dernier ouvrage, lorsqu’il fut publie´ sous le gouvernement impe´rial ; j’aime d’autant plus a` reconnaıˆtre ce succe`s, que ne tenant point a` un me´rite historique ou litte´raire, il doit s’attribuer a` une cause particulie`re, qui fait honneur, sous un certain rapport, au caracte`re de l’e´crivain, et surtout a` la disposition des lecteurs a` cette e´poque. L’Esprit de l’Histoire est une perpe´tuelle harangue en faveur du pouvoir absolu, des coups d’Etat, des mesures extraordinaires, de tous les moyens, en un mot, que de tout temps les gouvernemens essayent et toujours sans succe`s, quand ils se sentent abandonne´s par les affections et par l’opinion des peuples. Mais il y a en meˆme temps des insinuations a
Comme Con-fut-ze´e pour Confucius ; Zerdusht pour Zoroastre, etc.
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BC critique ici une pratique qu’on pourrait lui reprocher e´galement. Nous savons qu’il a tre`s souvent passe´ sous silence les renvois aux auteurs qu’il utilise dans son ouvrage sur la religion. Voir ci-dessus, p. 354, n. 3.
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perpe´tuelles contre Bonaparte, qui re´gnait alors, et la nation qui aimait trop a` le voir attaque´, pour disputer sur le genre de l’attaque, pardonnait a` son adversaire ses principes ge´ne´raux, en faveur des allusions personnelles et des invectives, souvent assez directes, dont il remplissait, sous mille pre´textes, ses pages sonores. Sa haine pour la liberte´ l’empeˆchait cependant de profiter des meilleurs occasions que lui offrait l’histoire. Admirateur de tous ceux qui sont parvenus a` enchaıˆner les peuples, trouvant Philippe1 un grand homme, parce qu’il avait pre´pare´ la chute des re´publiques grecques, et Octave2 un sage, parce qu’il avait donne´ aux Romains le gouvernement qui leur valut Tibe`re, Caligula et Ne´ron ; l’auteur ne pouvait attaquer Bonaparte, marchant sur les traces d’Octave et de Philippe, qu’en l’accusant de ne pas en faire assez contre les principes populaires : aussi lui adressait-il ce reproche. Mais la nation fatigue´e du joug, trouvait un tel plaisir a` voir son maıˆtre injurie´, qu’elle n’examinait pas s’il n’eut point mieux valu l’injurier en sens contraire. Quand l’Esprit de l’Histoire parut, je formai le projet d’analyser ce long pane´gyrique du despotisme e´gyptien, indien, tartare et chinois, cette apologie de la division en castes, ces efforts pour ramener les nations civilise´es a` l’enfance des socie´te´s. D’autres occupations me de´tourne`rent de cette entreprise. En voyant annoncer dans les journaux la The´orie des Re´volutions, j’en ai repris l’ide´e, et j’ai commence´, dans ce but, cette longue et difficile lecture. Mais les premie`res pages de cet ouvrage m’ont pre´sente´ des propositions tellement singulie`res, qu’avant de le conside´rer dans son ensemble, je ce`de au besoin d’examiner a` part ces propositions. Je commencerai par rapporter le texte avec une fide´lite´ scrupuleuse. Il est question de l’histoire de la Chine. Le lecteur verra quels principes y sont proclame´s. Il verra que ces principes ne sont pas seulement en opposition avec les opinions qu’on nomme libe´rales, ce qui paraıˆtrait simple, mais qu’ils sont e´galement contraires a` toutes les doctrines monarchiques qu’on regarde aujourd’hui comme essentielles a` e´tablir. L’auteur veut bien que les peuples soient esclaves, mais il sacrifie e´galement les rois, les dynasties, les races re´gnantes ; et tout oppose´ qu’est son syste`me a` la souverainete´ du peuple, il n’est pas moins menac¸ant pour la le´gitimite´. «Les Chinois3, dit l’auteur, sont le peuple dont les annales remontent le plus haut, et dont les anciennes habitudes se rapprochent le plus des mœurs patriarchales. C’est le seul ou` nous trouvions le gouvernement, tel qu’il e´tait 1 2 3
Philippe II (382–336), roi de Mace´doine, qui mit fin, en 339, a` l’inde´pendance de la Gre`ce. Caius Julius Caesar Octavianus Augustus (63 av. J.-C. – 14 apre`s J.-C.), depuis la bataille d’Actium le maıˆtre absolu de Rome. Tibe`re, son fils adoptif, lui succe´da. Le passage depuis cet aline´a jusqu’a` la p. 583, ligne 35, fait partie de la quinzie`me «Pense´e de´tache´e» dans les Me´langes de litte´ratur et de politique, pp. 461–466.
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il y a trois mille ans ; c’est le seul ou` la marche et le re´sultat des re´volutions soient absolument les meˆmes. Sur vingt-une dynasties pre´cipite´es du troˆne, dix-neuf l’ont e´te´ ou par des princes tributaires devenus trop puissans, ou par des sujets audacieux, qui profitaient du me´contentement public. La chute de la premie`re dynastie a meˆme cela de remarquable, que le sujet porte´ au troˆne par le vœu ge´ne´ral, ne se servit d’abord de son pouvoir que pour rendre la couronne au monarque le´gitime ; Kia, sans profiter de cette lec¸on, s’e´tant de nouveau abandonne´ a` tous les vices, une seconde re´volution donna encore une fois la couronne a` Ching-Tang. Le monarque de´troˆne´ finit sa vie en exil... Cette re´volution, qui se fit en faveur de Ching-Tang, presque malgre´ lui, n’avait de´place´ que le monarque sans toucher a` la monarchie, p. 201.» L’auteur rappelle ensuite l’e´le´vation de la cinquie`me dynastie, fonde´e par Lien-Pang, chef de brigands ; de la huitie`me, fonde´e par Lien-Vu, cordonnier ; de la quatorzie`me, commence´e par Chu-Ven, chef de voleurs ; et de la vingt-unie`me, e´tablie par Chu, valet d’un monaste`re de Bonzes, a` l’exclusion des descendans de Gengis. Il observe, en parlant de cette dynastie tartare, «que son triomphe fut marque´ par tous les de´sordres qui accompagnent et suivent de grandes conqueˆtes ; que la re´sistance des Chinois avait e´te´ longue et sanglante ; que la mort de plus de cent mille hommes ; celle de tous les membres de la famille impe´riale, tombe´s sous le fer de l’ennemi, ou victimes volon taires de leur de´sespoir, avait signale´ cette terrible re´volution, mais qu’elle finit au moment meˆme de l’arrive´e du vainqueur dans la capitale, p. 23.» Enfin, il prouve, par des faits nombreux, que, dans toutes ces re´volutions, rien ne changeait, si ce n’est dit-il, la race re´gnante, p. 25. «Cette observation, continue-t-il, suppose, par une telle identite´ de faits, un principe toujours subsistant, toujours inde´pendant des e´ve´nemens, et dont l’action inde´le´bile, re´sistant e´galement a` la barbarie passage`re d’un vainqueur e´tranger, et au retour trop fre´quent des crimes nationaux, faisant toujours contribuer au bien ge´ne´ral les moyens qui semblaient le moins propres a` l’ope´rer. Ce principe tient bien certainement a` l’opinion inne´e dans la Chine, que le gouvernement, en quelques mains qu’il soit, a plus de tendance au bien qu’au mal ; que lorsqu’il fait le bien, c’est son re´gime habituel, c’est son e´tat de sante´ ; que lorsqu’il fait le mal, c’est une maladie
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` partir d’ici, BC re´sume soigneusement ou cite fide`lement (y compris la tournure «vingtA une» pour vingt-et-une»), parfois avec quelques changements re´dactionnels qui n’affectent jamais le sens, de longs extraits du chap. premier, «Re´volutions de la Chine», de la premie`re partie de l’ouvrage, qui parlent des successions violentes de plusieurs dynasties en Chine pour montrer vers la fin de son premier article que l’auteur rejette l’ide´e d’une ame´lioration progressive des institutions. La the´orie de la perfectibilite´ de l’espe`ce humaine est le cre´do philosophique de BC qu’il de´fend avec fermete´, mais en meˆme temps d’une manie`re prudente.
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dont il est atteint ; que, d’apre`s cela, toutes les fois qu’on veut l’attaquer ou meˆme l’entraver, on s’expose beaucoup plus a` des chances dangereuses qu’a` des chances favorables ; que, par conse´quent, le meilleur moyen de diminuer le danger des premie`res, est, puisque les vices de l’humanite´ doivent amener des re´volutions, de ne faire porter les changemens que sur les personnes en conservant les institutions. Cet antique attachement des Chinois au pouvoir qui les re´git, est bien constamment inhe´rent au pouvoir meˆme, mais se trouve tout-a`-coup reporte´ sur la famille qui en est reveˆtue. Quelque re´cente que soit son e´le´vation, elle rec¸oit des te´moignages de fide´lite´, tels que dans notre Europe, quelques nations en ont donne´s a` leurs anciennes races royales. Il semble que ce peuple soit persuade´ qu’il ne doit son bonheur qu’a` la stabilite´ de son gouvernement seul ; qu’il est avantageux pour lui de garantir et de de´fendre tout ce qui le maintient : il le regarde comme e´tant re´ellement une proprie´te´ nationale qu’il conserve soigneusement dans toute son inte´grite´, meˆme au milieu des mutations de ceux a` qui il en donne, il en oˆte, il en laisse prendre l’usufruit, p. 27–28. L’honneur de cette stabilite´ appartient aux sages le´gislateurs, aux profonds moralistes qui ont eu plus en vue les principes que les individus. Cette tranquillite´, qui est le fruit des antiques habitudes, des meˆmes pratiques journalie`res, et qui distingue si particulie`rement le peuple chinois, est en meˆme temps ce qui garantit son existence politique au milieu des re´volutions, parce que c’est elle qui, meˆme apre`s les plus grands troubles, assure au gouvernement une action prompte, forte, universelle, exerce´e par les personnes sans leur eˆtre inhe´rente, ne changeant point avec elles, et reprenant, apre`s une interruption momentane´e, la meˆme marche sur les meˆmes choses avec les meˆmes moyens ; c’est ce qui fait qu’en Chine les re´volutions sont comme les orages ; la tempeˆte passe´e, on voit quelques individus de moins : on en voit d’autres occuper des places dont ils semblaient e´loigne´s, mais, du reste, aucun changement sensible, p. 36–37. Pendant que les divers Etats de l’Europe semblent successivement condamne´s a` toutes les vicissitudes humaines, il est curieux de voir un peuple riche de la fertilite´ de son sol, de la beaute´ de son climat, de l’immensite´ de sa population, suivre ses plus anciennes lois, concentrer ses re´volutions sur quelques individus, etc., p. 37–38.» Le lecteur me pardonnera, je l’espe`re, la longueur de cette citation. Elle e´tait indispensable pour l’intelligence des observations qui vont suivre. Je n’en ferai aucune sur le bonheur attribue´ aux Chinois, parce que, tandis que leurs souverains sont massacre´s, et qu’ils sont e´gorge´s comme des troupeaux a` chaque changement de dynastie, leurs institutions se conservent, ce qui pourtant me paraıˆt une mince consolation pour les empereurs de´troˆne´s et pour les sujets mis a` mort. Ce que je remarque, et ce qui
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m’e´tonne, ce sont ces e´loges donne´s aux sages le´gislateurs, aux profonds moralistes qui, ayant plus en vue les principes que les individus, ont appris aux Chinois que leur attachement devait eˆtre inhe´rent au pouvoir meˆme, et se reporter a` l’instant sur la famille qui le saisissait, quelque re´cente que fuˆt son e´le´vation. Dans une re´volution, dit l’auteur, rien ne change en Chine, si ce n’est la race re´gnante. Trouve-t-il donc que les races re´gnantes soient si peu de choses ? Le gouvernement, continue-t-il, en quelques mains qu’il soit, a plus de tendance au bien qu’au mal ; et il est avantageux pour le peuple de de´fendre et de garantir tout ce qui le maintient. Mais n’est-ce pas la` la doctrine du gouvernement de fait ? Ce principe qui fait tant d’honneur aux sages le´gislateurs, aux profonds moralistes de la Chine ; ce principe en vertu duquel l’action forte, prompte, universelle du gouvernement est exerce´e par les personnes sans leur eˆtre inhe´rente, ne change point avec elles, et reprend, apre`s une interruption momentane´e, la meˆme marche sur les meˆmes choses, avec les meˆmes moyens, conduit manifestement a` la reconnaissance imme´diate de toute puissance qui s’e´tablit, n’importe de quelle manie`re, n’importe sur quelles ruines. D’apre`s ce principe, il faut soutenir le gouvernement sitoˆt qu’il existe, et le´gitime ou ille´gitime ; il ne faut pas meˆme vouloir l’entraver. C’est a` ce principe, suivant l’auteur de la The´orie des Re´volutions, que les Chinois doivent leur bonheur (on a vu quel e´tait ce bonheur au milieu des de´troˆnemens et des massacres) ; car ils le doivent a` la stabilite´ de leur gouvernement seul, proprie´te´ nationale, qu’ils conservent dans toute son inte´grite´, au milieu des mutations de ceux a` qui ils en donnent, ils en oˆtent, ils en laissent prendre l’usufruit. Si l’on1 ne connaissait d’ailleurs, par le reste du livre, les opinions de l’auteur, on pourrait entrevoir ici le dogme de la souverainete´ du peuple, puisque le gouvernement est une proprie´te´ nationale dont le peuple donne, oˆte ou laisse prendre l’usufruit. Mais qu’on se rassure. L’auteur ne veut point la souverainete´ du peuple ; il est fort oppose´ a` ce que le peuple soit souverain ; il est assez indiffe´rent, comme on voit, a` ce que les dynasties tombent : ce qu’il veut, c’est la stabilite´ des institutions. Les hommes, ceux sur-tout que l’esprit de parti domine, sont enclins a` s’enivrer de certaines phrases, a` s’enthousiasmer pour certaines formules : pourvu qu’ils les re´pe`tent, peu leur importe le fond des choses. Deux ans d’une servitude horrible et sanglante, n’empeˆchaient pas nos gouvernans de dater leurs actes de l’an quatrie`me de la liberte´. Vingt re´volutions, vingt changemens de dynastie, et cent mille hommes e´gorge´s tous les cent ans, n’empeˆchent pas l’auteur de la The´orie des Re´volutions de vanter la stabilite´ des institutions chinoises. Cette stabilite´ n’existe pas pour les gouverne´s, puisque les gouverne´s sont pe´riodiquement massacre´s en grand nombre a` l’ave´nement de chaque usurpateur qui fonde sa dynastie. Cette stabilite´ 1
Le passage depuis cet aline´a jusqu’a` la p. 585, ligne 10 «qu’aucune autre» fait partie de la quinzie`me «Pense´e de´tache´e», dans les Me´langes de litte´rature et de politique, pp. 466–468.
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n’existe pas non plus pour les gouvernans, puisque le troˆne est rarement le partage de la meˆme famille pendant plusieurs ge´ne´rations ; mais cette stabilite´ existe pour les institutions, et c’est la` ce qu’il admire. On dirait que la stabilite´ des institutions est le but unique, inde´pendamment du bonheur des hommes, et que rois et peuples, sujets et souverains ne sont ici bas que pour eˆtre offerts en holocauste a` la stabilite´ des institutions. Je me suis arreˆte´ sur cette the´orie, parce qu’il me semble utile de de´montrer que toutes les doctrines extreˆmes se touchent. Celle de la stabilite´ des institutions, lorsqu’on la transforme en une abstraction me´taphysique a` laquelle on veut tout sacrifier, est aussi dangereuse qu’aucune autre. Nul doute que la stabilite´ dans les institutions ne soit de´sirable. Il y a des avantages qui ne se de´veloppent que par la dure´e. Une nation qui, consacrant perpe´tuellement toutes ses forces a` des tentatives d’ame´liorations politiques, ne´gligerait les ame´liorations individuelles et morales, qui ne s’obtiennent que par le repos, sacrifierait le but aux moyens. Mais de cela meˆme que les institutions sont des moyens, elles doivent, par leur nature, se modifier suivant les temps. Par une me´prise assez commune, lorsqu’une institution ou une loi ne produisent plus le bien qu’elles produisaient, on croit que, pour leur rendre leur utilite´ premie`re, il faut les re´tablir dans ce qu’on appelle leur ancienne purete´. Mais lorsqu’une institution est utile, c’est qu’elle est d’accord avec les ide´es et les lumie`res contemporaines. Lorsqu’elle de´ge´ne`re ou tombe en de´sue´tude, c’est que cet accord n’existe plus. Alors son utilite´ cesse. Plus vous la re´tablissez dans sa purete´ pri mitive, plus vous la rendez disproportionne´e avec le reste de ce qui existe a. L’on a peur des bouleversemens, et l’on a raison : mais en se jetant dans l’autre extreˆme, et en contrariant la marche des choses, l’on occasionne une lutte qui produit les bouleversemens. Le meilleur et le seul moyen de les e´viter, c’est de se preˆter aux changemens graduels qui sont ine´vitables dans la nature morale comme dans la nature physique. De nos jours1, le peuple s’est mal trouve´ de s’eˆtre laisse´ conduire par ceux qui, exage´rant les principes de la liberte´, l’ont immole´ a` ces exage´rations, et
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«Lorsqu’il est impossible a` une loi ancienne d’atteindre son but, c’est un indice suˆr que l’ordre moral contredit trop e´videmment cette loi, et dans ce cas, ce n’est pas la loi, mais les mœurs qu’il faut changer.» Esprit de l’Histoire, 11–153. Qui n’aurait cru que l’auteur allait dire qu’il fallait changer la loi ? D’ailleurs comment change-t-on les mœurs2 ? Le passage depuis cet aline´a jusqu’a` la fin de l’article fait partie de la quinzie`me «Pense´e de´tache´e», dans les Me´langes de litte´rature et de politique, p. 468. BC cite un passage de l’Esprit de l’histoire pour e´pingler les absurdite´s de la the´orie de Ferrand. L’article suivant va renforcer cette tactique.
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l’ont rendu, au nom de la liberte´, mise´rablement esclave. Les souverains se trouvaient e´galement mal de se fier a` ceux qui, saisis d’un respect fanatique pour la stabilite´, regardent les malheurs des individus et des races re´gnantes, comme un le´ger accident au prix duquel la stabilite´ n’est pas trop paye´e : et qui apre`s avoir reconnu qu’en Chine il ne s’est gue`re passe´ un sie`cle sans que cet empire ait subi des guerres civiles, des invasions, des de´membremens et des conqueˆtes, et apre`s avoir avoue´ que ces crises terribles exterminaient chaque fois des ge´ne´rations entie`res, ne s’en e´crient pas moins, honneur a` la profonde sagesse qui a e´carte´ de la Chine toute nouveaute´ dangereuse a ! Je serai curieux de savoir ce qu’aurait produit de plus faˆcheux une nouveaute´. B.
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[Compte rendu de l’ouvrage The´orie des re´volutions d’Antoine Ferrand] (Deuxie`me Article.)
The´orie des Re´volutions ; par l’auteur de l’Esprit de l’Histoire. Quatre vol. in–8o. Prix : 24 fr. ; pap. ve´l., 45 fr. Chez L. G. Michaud, rue des Bons-Enfans, n. 34.
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Dans le compte que j’avais rendu, il y a quelque temps, de la The´orie des Re´volutions, j’avais rapporte´ plusieurs passages qui prouvent que l’auteur, plein d’un ze`le excessif pour la stabilite´ des institutions, avait e´te´ entraıˆne´ a` louer la soumission des Chinois au gouvernement de fait1. L’on m’a objecte´ d’autres passages dans lesquels l’auteur de´fend avec beaucoup de chaleur et de force la cause de la le´gitimite´2. Mais comme on n’a pu retrancher en meˆme temps les morceaux que j’avais cite´s, il en re´sulte seulement que l’auteur de la The´orie des Re´volutions s’est contredit, et qu’il a oublie´, en e´crivant un volume, les principes qu’il avait e´tablis dans le volume ante´rieur. L’esprit de parti expose sans cesse ceux qui lui obe´issent a` des inadvertences pareilles. Ils ne songent qu’a` faire triompher une ide´e dominante, et, suivant qu’ils l’envisagent sous un point de vue ou sous un autre, ils s’appuient de raisonnemens qui se combattent et se de´truisent entre eux. Ce malheur est arrive´ au meˆme e´crivain d’une manie`re bien plus remarquable dans un autre ouvrage dont j’ai de´ja` parle´, je veux dire l’Esprit de l’Histoire dont la The´orie des Re´volutions est la suite et le comple´ment. Dans cet Esprit de l’Histoire, l’auteur e´tablit, a` quarante pages de distance, des maximes tellement contradictoires, qu’on croirait que, par esprit de justice, il s’est applique´ lui-meˆme a` se re´futer3. Apre`s avoir raconte´ le meurtre des Gracques par les ordres du se´nat romain, tom. I, p. 262, ils voulaient, dit-il, une re´volution, ce que personne n’a droit de vouloir, ce qui dans un Etat constitue´, est un arreˆt de mort. Le leur e´tait donc prononce´ par la loi, par le bien, par l’ordre public. Il ne fut pas exe´cute´ par des moyens le´gaux, parce qu’eux-meˆmes avaient rendu ces moyens impossibles, parce qu’en troublant la socie´te´, ils s’e´taient mis en E´tablissement du texte : Mercure de France, t. III, 16 aouˆt 1817, The´orie des Re´volutions, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 307–313. 1 2 3
Cet article contenait des passages que la censure a fait disparaıˆtre. Voir ci-dessous, p. 790 et 791. Voir p. ex. The´orie des Re´volutions, t. II, livre IV, chap. 2 «Du pouvoir souverain». BC choisit les citations qui suivent dans Antoine Ferrand, De l’esprit de l’histoire, ou lettres politiques et morales d’un pe`re a` son fils, sur la manie`re d’e´tudier l’histoire en ge´ne´ral et particulie`rement l’histoire de France, Paris : Deterville, 1809.
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e´tat de guerre. Vous trouverez quelques e´crivains qui ont reproche´ au se´nat la mort des Gracques, comme ils ont reproche´ a` Cice´ron la mort des conjure´s de Catilina ; a` Henri III, celle des Guises. Dans la circonstance ou` ces e´ve´nemens ont eu lieu, ils de´rivaient du droit de suˆrete´ qui, e´tant celui de tout individu, est, a` plus forte raison, celui de toute socie´te´. Un souverain, un Etat quelconque fait une faute sans doute, lorsqu’il se laisse re´duire a` cette ne´cessite´ par des mouvemens qu’il euˆt pu arreˆter ; mais il en ferait une bien plus grande, si, appliquant encore les principes de la socie´te´ a` ce qui les renverse, il n’exe´cutait pas la condamnation prononce´e par la premie`re de ses lois, salus populi. ... Lorsqu’il n’y a qu’un moyen de sauver l’Etat, la premie`re de toutes les lois est de l’employer 1. C’est bien la` le grand principe du salut public, et je ne vois pas ce qu’aurait eu a` re´pondre au fameux comite´ qui avait pris ce nom, l’auteur de l’Esprit de l’Histoire, dont je suis bien loin pourtant de confondre le caracte`re moral avec l’opinion spe´culative. Ce comite´ de´clarait ses ennemis en e´tat de guerre. Il pre´tendait que leur arreˆt de mort e´tait prononce´ par la loi supreˆme ; il justifiait ces rigueurs ille´gales en accusant ses victimes d’avoir rendu tous les moyens le´gaux impossibles. Il se gardait bien d’appliquer les re`gles de la socie´te´ a` ce qui les renversait ; il proscrivait et tuait, parce que, lorsqu’il n’y a que ce moyen de sauver l’Etat, la premiere des lois est de l’employer. Mais voila` que, quarante pages plus loin (meˆme vol., p. 307), l’auteur dit «que les lois de proscription qu’on intitule salus populi n’ont jamais sauve´ le peuple ; que tout homme vivant dans une socie´te´, a acquis des droits que personne ne peut lui oˆter, qu’il ne peut perdre que par sa faute ou par sa propre volonte´, et que ce n’est pas a` force d’injustice qu’on re´organise un Etat.» Certes le meurtre des Gracques et de tous leurs adhe´rens ressemblait fort a` une proscription intitule´ salus populi ; et si l’on tue un homme ille´galement, sous pre´texte qu’il a rendu les moyens le´gaux impossibles, il n’est pas bien suˆr que ce soit par sa faute qu’il ait perdu les droits que tout membre d’une socie´te´ posse`de, et que personne ne peut lui oˆter. Il est vrai que, dans ce dernier paragraphe, c’est contre les partisans des re´volutions que l’e´crivain dirige son eloquence, et c’est a` eux seuls qu’il interdit les ressources qu’il accorde libe´ralement aux gouvernemens constitue´s. Malheureusement ces pre´cautions ne servent a` rien. Les de´magogues s’emparent des moyens despotiques ; les despotes saisissent les moyens re´volutionnaires : le pre´texte du salut public vient a` l’appui des crimes commis au nom de la liberte´, comme a` l’appui des crimes commis au nom 1
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Voir L’Esprit de l’histoire, Premie`re partie, lettre XIV, «E´tat inte´rieur de la Re´publique romaine», (sixie`me e´dition revue, Paris : Vernarel et Tenon, t. I, pp. 312–313. La suite en italique reproduit des slogans de la Terreur. L’Esprit de l’histoire, Premie`re partie, lettre XVIII, «Des proscriptions», e´d. cite´e, p. 382.
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du maintien de l’ordre, et le re´sultat finit toujours par eˆtre le meˆme, c’esta`-dire que ces moyens re´agissent contre ceux qui les emploient. Les ille´galite´s, commises au nom de la liberte´, de´tachent les peuples de la liberte´ ; les ille´galite´s commises au nom du maintien de l’ordre, de´tachent les peuples du maintien de l’ordre, parce que, dans les deux cas, l’ordre et la liberte´ semblent de vaines paroles qu’on prononce pour les opprimer. Je sens que je m’e´carte du sujet de cet article. Je pre´sente des ide´es ge´ne´rales, au lieu de me borner a` l’analyse d’un livre. Mais il me paraıˆt que, dans un pays qui souffre depuis trente ans de la doctrine que je re´fute, ces ide´es ge´ne´rales peuvent eˆtre plus utiles que l’examen d’un ouvrage contre lequel je ne pense point prononcer un jugement trop se´ve`re en affirmant qu’il contient beaucoup de faits inexacts et de contradictions manifestes. Je laisse donc de coˆte´ la The´orie des Re´volutions, et je continue mes observations sur un syste`me d’autant plus ne´cessaire a` repousser que, dans tous les temps, des e´crivains en grand nombre se sont rendus coupables d’une approbation niaise et funeste pour les moyens violens et irre´guliers. La manie1 de presque tous les hommes, c’est de se montrer au-dessus de ce qu’ils sont ; la manie des e´crivains, c’est de se montrer des hommes d’e´tat ; en conse´quence, tous les grands de´veloppemens de force extrajudiciaires ; tous les recours aux mesures ille´gales, dans les circonstances pe´rilleuses, ont e´te´, de sie`cle en sie`cle, raconte´s avec respect, et de´crits avec complaisance. L’auteur, paisiblement assis a` son bureau, lance de tous coˆte´s l’arbitraire, cherche a` mettre dans son style la rapidite´ qu’il recommande dans les mesures, se croit, pour un moment, reveˆtu du pouvoir, parce qu’il en preˆche l’abus, re´chauffe sa vie spe´culative de toutes les de´monstrations de force et de puissance dont il de´core ses phrases, se donne ainsi quelque chose du plaisir de l’autorite´, re´pe`te a` tue teˆte les grands mots de salut du peuple, de loi supreˆme, d’inte´reˆt public, est en admiration de sa profondeur, et s’e´merveille de son e´nergie. Qu’a` cela ne tienne, il parle a` des hommes qui ne demandent pas mieux que de l’e´couter, et qui, a` la premie`re occasion, feront sur lui-meˆme l’expe´rience de sa the´orie. D’un autre coˆte´, les gouvernemens, meˆme dans les temps les plus calmes, et sous les re´gimes les plus mode´re´s, ont une certaine facilite´ a` croire que les circonstances sont extraordinaires, et qu’elles exigent des moyens hors de la re`gle et des de´viations de la loi. Ils n’organisent pas le dangereux syste`me du salut public dans toutes ses parties, mais ils abre´gent les formes ; ils cre´ent des juridictions particulie`res ; ils suppriment l’effet des garanties ge´ne´rales ; ils composent de la sorte avec complaisance un petit patrimoine a` l’arbitraire, et cherchent ensuite a` l’enrichir graduellement de tout ce qu’ils peuvent soustraire aux re`gles communes. 1
Le passage «La manie ... sa the´orie.» provient a` peu de choses pre`s des Principes de politique de 1806, e´d. Hofmann, pp. 109–110.
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Toutes ces choses sont ille´gales ; toutes ces choses sont de´sastreuses pour les gouvernemens comme pour les citoyens. La moindre suspension, suppression ou abre´viation des formes, est a` la fois une faute, une calamite´ et une injustice. Soyez justes, dirai-je donc toujours aux hommes investis de la puissance ; soyez justes, quoiqu’il arrive ; car si vous ne pouviez gouverner avec la justice, avec l’injustice meˆme vous ne gouverneriez pas long-temps. Je devrais revenir maintenant a` l’ouvrage que je m’e´tais propose´ d’examiner ; mais l’e´tendue de cet article ne me le permet pas, et j’avoue que je voudrais, dans les nume´ros prochains, traiter d’autres objets qui me tentent d’avantage ; parler de plusieurs livres qui viennent de paraıˆtre ; rendre compte, par exemple, de cet Abre´ge´ de l’Histoire ancienne a, e´crit avec tant de force, d’e´le´gance et de purete´, et dans lequel les belles e´poques de la Gre`ce sont retrace´es avec beaucoup de charme, et l’e´tat politique et religieux du peuple juif, analyse´ avec une grande profondeur. J’aimerais a` prendre occasion de la traduction facile et fide`le des Fragmens sur l’Irlande b, pour offrir au lecteur quelques notions pre´cises sur un peuple jadis excite´ vivement a` la re´sistance par des hommes d’e´tat qui depuis le punissent se´ve`rement de sa re´sistance. Enfin, il me tarde de consacrer quelques pages a` l’Analyse du Cours de Litte´rature allemande, e´coute´, cet hiver, avec inte´reˆt a` l’Athe´ne´e, et pour lequel on doit de la reconnaissance a` l’inge´nieux professeur qui y a de´ploye´ des connaissances varie´es, une saine appre´ciation de beaucoup d’auteurs mal juge´s parmi nous, et en meˆme temps une juste admiration pour nos propres richesses, sachant ainsi re´unir le sentiment patriotique a` l’e´quite´ litte´raire1. Il est donc tre`s-probable que je a
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Abre´ge´ de l’Histoire ancienne, par M. le comte de Se´gur. Chez Eymery, rue Mazarine, n. 302. Fragmens sur l’Irlande, de miss Owenson, traduits par madame A. E. Chez Delaunay, Palais-Royal3. Il s’agit de Michel Berr de Turique qui a fait en 1817 un cours de litte´rature allemande a` l’Athe´ne´e. Le Programme pour l’an 1817 en esquisse le plan (pp. 15–17) et un article du Moniteur (no 109, 19 avril 1817, p. 433c) en fait l’e´loge. Le commentaire de BC s’explique mieux encore a` la lumie`re de cet article : «Avant de payer un tribut d’admiration aux ce´le`bres e´crivains e´trangers, M. Berr a consacre´ aux grands hommes, dont les ouvrages honorent son propre pays, un e´loge rempli d’ide´es e´leve´es et philosophiques. Il a termine´ son discours par un paralle`le entre Mme Karchin’1– [...] et une autre femme plus ce´le`bre encore, l’auteur de Corinne, morceau qui a excite´ de vifs applaudissements». Louis-Philippe de Se´gur, Abre´ge´ de l’Histoire universelle ancienne et moderne, a` l’usage de la jeunesse, avec cent cinquante cartes ou gravures, par M. le comte de Se´gur. Paris : Eymery, 1817. BC posse`de cet ouvrage dans sa bibliothe`que. Fragmens patriotiques sur l’Irlande, par Miss Owenson [Lady Sydney Morgan], traduit de
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prends ici conge´ pour jamais de la The´orie des Re´volutions. Comme ouvrage historique, l’absence de toute citation et l’accumulation de faits incohe´rens souvent peu authentiques, en rendent l’utilite´ nulle ; comme ouvrage philosophique, l’amalgame, ou plutoˆt l’aggre´gation de plusieurs syste`mes oppose´s, que l’auteur de´fend tour-a`-tour avec une e´gale chaleur, sans prendre la peine de les concilier ou de les modifier les uns par les autres, fait que le lecteur ne sait a` quelle doctrine s’arreˆter, et se trouve perdu dans un labyrinthe d’opinions confuses et contradictoires. Sous le rapport du style, on rencontre quelquefois des expressions heureuses ; mais je ne sais quelle e´loquence de club donne a` l’ensemble une couleur monotone et fatiguante. B.
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CONSTANT.
l’anglais par Mme A. E. [A. d’Esme´nard], Paris : L’Huillier, 1817. BC posse`de cet ouvrage dans sa bibliothe`que.
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Les journaux ont de´ja` annonce´ la mort de madame de Stae¨ l1 ; cette mort, que ne faisaient que trop pre´voir cinq mois de souffrances2, presque continues, mais dont l’amitie´ passionne´e de ceux qui l’entouraient s’efforc¸ait encore de repousser les pre´sages. Cette amitie´ ressentie par tous ceux qui avaient eu le bonheur de la connaıˆtre, et qui a de´ja` taˆche´ de lui rendre un faible hommage3, recueille aujourd’hui pe´niblement quelques forces pour faire connaıˆtre, autant qu’il sera possible, non ce talent plein d’e´clat, ce ge´nie et cette profondeur de pense´es que l’Europe admire, mais aussi cette aˆme pleine de bonte´, d’affection, de tous ces sentimens doux et ge´ne´reux, et ce caracte`re noble qui n’a jamais vu le pouvoir injuste sans lui re´sister, le malheur sans le secourir, la douleur sans la plaindre.
E´tablissement du texte : Mercure de France, t. III, 19 juillet 1817, Ne´crologie, pp. 136–137.
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Mme de Stae¨ l est morte a` l’aube du 14 juillet 1817. C’est le 21 fe´vrier 1817 que Mme de Stae¨ l fut victime d’une attaque d’hydropisie suivie d’une paralysie partielle. BC fait allusion a` l’article ne´crologique qu’il a publie´ le 18 juillet dans le Journal ge´ne´ral de France (voir ci-dessous, pp. 735–740).
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Au moment ou` la mort a frappe´ madame de Stae¨ l, plusieurs de ses amis ont e´prouve´ le besoin de rendre un dernier hommage1 a` la me´moire d’une femme, dont l’esprit, tout supe´rieur qu’il e´tait, ne formait pourtant que le moindre me´rite. Je de´sire que d’autres re´ussissent dans l’accomplissement de ce devoir : plus j’essaie de remplir cette taˆche douloureuse, plus je sens qu’elle surpasse mes forces. Quand je me retrace les de´tails de cette vie consacre´e tour-a`-tour a` conque´rir la gloire et a` secourir le malheur, ces de´tails se pre´sentent tellement en foule, avec une vivacite´ telle, qu’oubliant le travail que je m’e´tais impose´, je laisse errer ma pense´e sur ces impressions qui ne doivent jamais se reproduire pour ses amis sur la terre, et les heures s’e´coulent sans que j’aie pu e´crire une ligne qui me contente, une ligne qui puisse porter dans l’aˆme des autres une portion du sentiment qu’il me semble que tout le monde devrait e´prouver. Quand je relis ses ouvrages, dont je me proposais de donner une analyse, je m’arreˆte malgre´ moi, sur chacune de ces expressions, qui, durant sa vie, frappaient ses amis par leur e´loquence, mais dont ils aimaient a` de´tourner les pre´sages, et qui, maintenant, leur apparaissent comme de terribles prophe´ties que l’e´ve´nement a re´alise´es. Enfin, quand faisant effort sur moi-meˆme, je parviens a` re´unir quelques mots, qui rendent a` l’une de ses innombrables qualite´s une imparfaite justice, une ame`re douleur me saisit. C’e´tait a` elle que ses amis devaient dire combien ils l’aimaient : on ne l’en a pas suffisamment convaincue. On a craint, pour ce corps devenu si faible, l’e´motion dont son aˆme avait peut-eˆtre besoin2. Chacun lui a prodigue´ ses soins empresse´s, son de´vouement fide`le : mais on s’e´tait impose´ la loi de l’environner de distractions, de lui parler de sujets indiffe´rens ; et quand la mort nous l’a ravie, E´tablissement du texte : Mercure de France, t. III, 26 juillet 1817, Ne´crologie, pp. 175–178. 1
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Le Journal ge´ne´ral de France publie de nombreux te´moignages sur Mme de Stae¨ l. Voir a` ce propos l’article de Simone Balaye´, «Benjamin Constant et la mort de Madame de Stae¨ l», Cahiers stae¨liens, 9, 1969, pp. 17–37. Sur l’e´cho de la mort de Mme de Stae¨ l, voir aussi Ste´phanie Tribouillard, Le Tombeau de M me de Stae¨l, Les discours de la poste´rite´ stae¨lienne en France (1817–1850), Gene`ve : Slatkine, 2007. BC fait peut-eˆtre ici allusion au fait qu’il a e´te´ empeˆche´ de voir son amie pendant sa dernie`re maladie afin de lui e´viter de trop fortes e´motions.
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nous sommes tous reste´s comme abıˆme´s sous le poids des paroles que nous nous e´tions interdit de prononcer. Les prononcer maintenant serait, a` mon sens, une espe`ce de profanation : et l’on se tromperait si l’on s’attendait a` trouver dans ces pages, soit des de´tails suivis, soit un enchaıˆnement re´gulier d’ide´es, soit meˆme l’expression complette du sentiment dont madame de Stae¨ l a pe´ne´tre´ l’aˆme de tous ceux qu’elle avait admis dans le cercle de ses affections intimes. Ceux qui se croient, envers le public, des obligations, peuvent recueillir les faits dont se compose sa vie si active, si anime´e, si brillante : ses amis ne sauraient encore s’occuper que d’elle. C’est pour elle sur-tout qu’ils e´crivent, et ce qu’ils e´crivent ne peut avoir de prix a` leurs yeux qu’autant qu’ils espe`rent qu’elle en euˆt e´prouve´ une impression douce, qu’elle en euˆt e´te´ satisfaite, qu’elle y euˆt de´me´le´ une preuve nouvelle de l’attachement qu’elle aimait a` inspirer. Les deux qualite´s dominantes de madame de Stae¨ l e´taient l’affection et la pitie´. Elle avait, comme tous les ge´nies supe´rieurs, une grande passion pour la gloire ; elle avait, comme toutes les aˆmes e´leve´es, un grand amour pour la liberte´ ; mais ces deux sentimens, impe´rieux et irre´sistibles, quand ils n’e´taient combattus par aucun autre, ce´daient a` l’instant, lorsque la moindre circonstance les mettait en opposition avec le bonheur de ceux qu’elle aimait, ou lorsque la vue d’un eˆtre souffrant lui rappelait qu’il y avait dans le monde quelque chose de bien plus sacre´ pour elle que le succe`s d’une cause, ou le triomphe d’une opinion1. Cette disposition d’aˆme n’e´tait pas propre a` la rendre heureuse, au milieu des orages d’une re´volution a` laquelle la carrie`re politique de son pe`re, et sa situation en France, l’auraient force´e de s’inte´resser, quand elle n’y euˆt pas e´te´ entraıˆne´e par l’e´nergie de son caracte`re et la vivacite´ de ses impressions. Apre`s chacun de ces succe`s e´phe´meres, qu’ont remporte´s, tour-a`-tour, les divers partis, sans jamais savoir affermir par la justice un pouvoir obtenu par la violence, madame de Stae¨ l s’est constamment range´e parmi les vaincus lors meˆme qu’elle e´tait se´pare´e d’eux, avant leur de´faite. On m’assure que pour faire naıˆtre et entretenir des regrets unanimes, il faudrait ne parler d’elle que sous le rapport des qualite´es prive´es, ou du talent litte´raire, et passer sous silence tout ce qui tient aux grands objets discute´s sans relaˆche depuis vingt-cinq ans. Mais je l’ai toujours vue tenir a`
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Ce the`me de l’aide aux proscrits et de l’ingratitude de ceux qu’elle avait soutenus dans le malheur est de´veloppe´ dans l’article des Me´langes de 1829 avec une allusion tre`s nette a` Talleyrand. (Constant, Œuvres, (Ple´iade), p. 861 ; Me´langes de litte´rature et de politique, pp. 165–167.)
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honneur de manifester sur ces inte´reˆts importans de nobles pense´es, et je ne crois point qu’elle approuvaˆt un silence timide. Je ne l’observerai donc pas : je dirai seulement qu’il me semble qu’on peut lui pardonner d’avoir de´sire´ et che´ri la liberte´, si l’on re´fle´chit que les proscrits de toutes les opinions lui ont trouve´ plus de ze`le pour les prote´ger dans leur infortune, qu’ils n’en avaient rencontre´ en elle pour leur re´sister durant leur puissance. Sa demeure e´tait leur asile, sa fortune leur ressource, son activite´ leur espe´rance. Non-seulement elle leur prodiguait des secours ge´ne´reux ; non-seulement elle leur offrait un re´fuge que son courage rendait assure´ ; elle leur sacrifiait meˆme ce temps si pre´cieux pour elle, dont chaque partie lui servait a` se pre´parer de nouveaux moyens de gloire et de nouveaux titres a` l’illustration. Que de fois on l’a vue, quand la pusillanimite´ des gouvernemens voisins de la France les rendait perse´cuteurs, suspendre des travaux auxquels elle attachait avec raison une grande importance, pour conserver a` des fugitifs la retraite ou` ils e´taient parvenus avec effort, et d’ou` l’on menac¸ait de les exiler1 ! Que d’heures, que de jours elle a consacre´s a` plaider leur cause ! Avec quel empressement elle renonc¸ait aux succe`s d’un esprit irre´sistible, pour faire servir cet esprit tout entier a` de´fendre le malheur ! Quelques-uns de ses ouvrages s’en ressentent peut-eˆtre. C’est dans l’intervalle de cette bienfaisance active et infatigable, qu’elle en a compose´ plusieurs, interrompue qu’elle e´tait sans cesse, par ce besoin constant de secourir et de consoler, et l’on trouverait, si l’on connaissait toute sa vie, dans chacune des le´ge`res incorrections de son style, la trace d’une bonne action. Si telle e´tait madame de Stae¨ l pour tous les eˆtres souffrans, que n’e´taitelle pas pour ceux que l’amitie´ unissait a` elle ? Comme ils e´taient suˆrs que son esprit re´pondrait a` toutes leurs pense´es, que son aˆme devinerait la leur ! avec quelle sensibilite´ profonde elle partageait leurs moindres e´motions ! avec quelle flexibilite´, pleine de graˆces, elle se transportait dans leurs impressions les plus fugitives ! avec quelle pe´ne´tration inge´nieuse elle de´veloppait leurs aperc¸us les plus vagues, et les faisait valoir a` leurs propres yeux ! Ce talent de conversation2, merveilleux, unique ; ce talent que tous 1
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Allusion aux de´marches entreprises par Mme de Stae¨ l aupre`s des autorite´s helve´tiques pour permettre aux e´migre´s de rester en Suisse malgre´ les pressions du gouvernement de la Re´publique franc¸aise (voir G. de Diesbach, Madame de Stae¨l, Paris : Perrin, 1983, pp. 144– 145). Rappelons ce passage d’une lettre de Sismondi a` Eulalie de Saint-Aulaire cite´e par Norman King et Jean-Daniel Candaux, «La Correspondance de Benjamin Constant et de Sismondi (1801–1830)», dans ABC, 1, 1980, p. 83 : «On n’a point connu Mme de Stae¨ l si on ne l’a pas vue avec Benjamin Constant. Lui seul avait la puissance par un esprit e´gal au sien de mettre en jeu tout son esprit, de la faire grandir par la lutte, d’e´veiller une e´loquence, une profondeur d’aˆme et de pense´e qui ne se sont jamais montre´es dans tout leur e´clat que vis-a`-vis de lui, tout comme lui aussi n’a jamais e´te´ lui-meˆme qu’a` Coppet.»
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les pouvoirs qui ont me´dite´ l’injustice, ont toujours redoute´ comme un adversaire et comme un juge, semblait alors ne lui avoir e´te´ donne´ que pour reveˆtir l’intimite´ d’une magie inde´finissable, et pour remplacer, dans la retraite la plus uniforme, le mouvement vif et varie´ de la socie´te´ la plus anime´e et la plus brillante. Meˆme en s’e´loignant d’elle, on e´tait encore long-temps soutenu par le charme qu’elle avait re´pandu sur ce qui l’entourait ; on croyait encore s’entretenir avec elle ; on lui rapportait toutes les pense´es que des objets nouveaux faisaient naıˆtre, ses amis ajournaient, pour ainsi dire, une portion de leurs sentimens et de leurs ide´es jusqu’a` l’e´poque ou` ils espe´raient la retrouver. Ce n’e´tait pas seulement dans les situations paisibles que madame de Stae¨ l e´tait la plus aimable des femmes et la plus attentive des amies. Dans les situations difficiles, elle e´tait encore la plus de´voue´e. J’appelle ici indiffe´remment en te´moignage tous ceux qui ont eu part a` ses affections. Ils comptaient sur elle comme sur une sorte de providence. Si, par quelque malheur impre´vu, l’un d’entre eux euˆt perdu toute sa fortune, il savait ou` la pauvrete´ ne pouvait l’atteindre ; s’il euˆt e´te´ contraint a` prendre la fuite, il savait dans quels lieux on le remercierait de choisir un asile ; s’il s’e´tait vu plonge´ dans un cachot, il se serait attendu avec certitude que Mad. de Stae¨ l y pe´ne´trerait pour le de´livrer. Parmi les affections qui ont rempli sa vie, son amour pour son pe`re1 a toujours occupe´ la premie`re place. Les paroles semblaient lui manquer, quand elle voulait exprimer ce qu’elle e´prouvait pour lui. Tous ses autres sentimens e´taient modifie´s par cette pense´e. Son attachement pour la France s’augmentait de l’ide´e que c’e´tait le pays qu’avait servi son pe`re, et du besoin de voir l’opinion rendre a` M. Necker la justice qui lui e´tait due ; elle euˆt de´sire´ le ramener dans cette contre´e ou` sa pre´sence lui paraissait devoir dissiper toutes les pre´ventions, et concilier tous les esprits. Depuis sa mort, l’espoir de faire triompher sa me´moire l’animait et l’encourageait bien plus que toute perspective de succe`s personnel. L’Histoire de la vie de M. Necker e´tait son occupation constante ; et, dans cette affreuse maladie qu’une nature inexorable semble avoir complique´e pour e´puiser sur elle toutes les souffrances, son regret habituel e´tait de n’avoir pu achever le monument que son amour filial s’e´tait flatte´ d’e´riger2. Je viens de relire l’introduction qu’elle a place´e a` la teˆte des manuscrits de son pe`re3. Je ne sais si je me trompe ; mais aujourd’hui qu’elle n’est 1
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Sur cette relation fondamentale entre Germaine Necker et son pe`re, voir Simone Balaye´, «La Statue inte´rieure», dans Madame de Stae¨l. Ecrire, lutter, vivre. Gene`ve : Droz, 1994, pp. 25–45. BC fait allusion ici aux Conside´rations sur la Re´volution franc¸aise, dont Mme de Stae¨ l ne put achever la re´vision avant sa mort et qui parut en 1818. «Du caracte`re de M. Necker et de sa vie prive´e» (en teˆte des Manuscrits de Mr Necker, publie´s par sa fille, Gene`ve : J. J. Paschoud, an XIII).
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plus, ces pages me semblent plus propres a` la faire appre´cier, a` la faire che´rir de ceux meˆmes qui ne l’ont pas connue, que tout ce qu’elle a publie´ de plus e´loquent, de plus entraıˆnant sur d’autres sujets. Son aˆme et son talent s’y peignent tout entiers. La finesse de ses aperc¸us, l’e´tonnante varie´te´ de ses impressions, la chaleur de son e´loquence, la force de sa raison, la ve´rite´ de son enthousiasme, son amour pour la liberte´ et pour la justice, sa sensibilite´ passionne´e, la me´lancolie qui souvent la distinguait meˆme dans ses productions purement litte´raires, tout ici est consacre´ a` porter la lumie`re sur un seul foyer, a` exprimer un seul sentiment, a` faire partager une pense´e unique. C’est la seule fois qu’elle ait traite´ un objet avec toutes les ressources de son esprit, toute la profondeur de son aˆme et sans eˆtre distraite par quelque ide´e e´trange`re. Cet ouvrage peut-eˆtre n’a pas encore e´te´ conside´re´ sous ce point de vue. Trop de diffe´rence d’opinions s’y opposaient pendant la vie de madame de Stae¨ l. La vie est une puissance, contre laquelle s’arment, tant qu’elle dure, les souvenirs, les rivalite´s et les inte´reˆts ; mais quand cette puissance est brise´e, tout ne doit-il pas prendre un autre aspect ? Et si, comme j’aime a` le penser, la femme, qui a me´rite´ tant de gloire et fait tant de bien, est l’objet d’une sympathie universelle et d’une bienveillance unanime, j’invite ceux qui honorent le talent, respectent l’e´le´vation, admirent le ge´nie, et che´rissent la bonte´, a` relire aujourd’hui cet hommage trace´ sur le tombeau d’un pe`re par celle que ce tombeau renferme maintenant1. Je les y invite pour eux-meˆmes, s’ils veulent connaıˆtre madame de Stae¨ l : ils ne la connaıˆtront qu’imparfaitement dans ses autres ouvrages, plus imparfaitement encore dans ce qu’on e´crira de´sormais sur elle. Ceux qui la regrettent faiblement, ne sauront pas la peindre ; ceux qui la regrettent, comme elle fut digne d’eˆtre regrette´e, ne le pourront pas.
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Lorsque cet article paraıˆt, les obse`ques de Mme de Stae¨ l n’ont pas encore eu lieu a` Coppet ; elles se sont de´roule´es le 28 juillet (voir Simone Balaye´, «Benjamin Constant et la mort de Madame de Stae¨ l», art. cit. p. 37).
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Fragmens d’un chapitre extrait des additions ine´dites a` la collection des ouvrages politiques de M. B. de Constant1.
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L’obe´issance a` la loi est une des plus grandes questions qui puissent attirer l’attention des hommes. Quelque de´cision que l’on hasarde sur cette matie`re, on s’expose a` des difficulte´s insolubles. Dira-t-on qu’on ne doit obe´ir aux lois qu’autant qu’elles sont justes ? On autorisera les re´sistances les plus insense´es ou les plus coupables. L’anarchie sera partout. Dira-t-on qu’il faut obe´ir a` la loi, en tant que loi, inde´pendamment de son contenu et de sa source ? On se condamnera a` obe´ir aux de´crets les plus atroces et aux autorite´s les plus ille´gales. De tre`s-beaux ge´nies, des raisons tre`s-fortes ont e´choue´ dans leurs tentatives pour re´soudre ce proble`me. Pascal et le chancelier Bacon ont cru qu’ils en donnaient la solution, quand ils affirmaient qu’il fallait obe´ir a` la loi sans examen. C’est affaiblir la puissance des lois, dit le dernier, qu’en rechercher les motifs2. Approfondissons le sens rigoureux de cette assertion.
E´tablissement du texte : Mercure de France, t. IV, 8 novembre 1817, De l’obe´issance a` la loi, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 244–255.
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L’article est issu, comme signale´ dans notre introduction, du livre XVIII des Principes de politique de 1806. Voir OCBC, Œuvres, t. V, a` paraıˆtre, et Hofmann, Principes de politique, pp. 476–485. Dans le chapitre XI des Principes de politique de 1815, on trouve des de´veloppements sur les conse´quences en matie`re de responsabilite´ chez ceux qui appliquent la loi (administrateurs, gendarmes, etc.) : OCBC, Œuvres, t. IX/2, pp. 774–780. En 1818, BC revient a` la discussion des the`ses de Bentham : re´e´dition des Re´flexions sur les constitutions (1814), note V, «Des droits individuels» (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1222–1233). La citation approprie´e de Pascal a fait l’objet de discussions car plusieurs sont possibles, sans que le sens soit douteux : voir celle donne´e dans notre introduction. En revanche, il semble que BC attribue a` Bacon ce qui appartient encore a` Pascal, comme l’a releve´ E´. Hofmann (Principes de politique, p. 506, n. 69). Pascal e´crivait en effet, a` propos de ceux qui veulent soupeser les coutumes ou les lois existantes : «[...] le peuple preˆte aise´ment
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Le nom de loi suffira-t-il toujours pour obliger l’homme a` l’obe´issance ? Mais si un nombre d’hommes, ou meˆme un homme seul sans mission (et pour embarrasser ceux que je vois d’ici s’appreˆter a` me combattre, je personnifierai la chose, et je leur dirai, soit le comite´ de salut public, soit Robespierre), intitulaient loi, l’expression de leur volonte´ particulie`re, les autres membres de la socie´te´ seront-ils tenus de s’y conformer ? L’affirmative est absurde, mais la ne´gative implique que le titre de loi n’impose pas seul le devoir d’obe´ir, et que ce devoir suppose une recherche ante´rieure de la source d’ou` part cette loi. Voudra-t-on que l’examen soit permis, lorsqu’il s’agira de constater si ce qui nous est pre´sente´ comme une loi, part d’une autorite´ le´gitime ; mais que ce point e´clairci, l’examen n’ait plus lieu sur le contenu meˆme de la loi ? Qu’y gagnera-t-on ? Une autorite´ n’est le´gitime que dans ses bornes ; une municipalite´, un juge de paix sont des autorite´s le´gitimes, tant qu’elles ne sortent pas de leur compe´tence1. Elles cesseraient ne´anmoins de l’eˆtre si elles s’arrogeaient le droit de faire des lois. Il faudra donc, dans tous les syste`mes, accorder que les individus peuvent faire usage de leur raison, non-seulement pour connaıˆtre le caracte`re des autorite´s, mais pour juger leurs actes ; de la` re´sulte la ne´cessite´ d’examiner le contenu aussi bien que la source de la loi. Remarquez que ceux meˆmes qui de´clarent l’obe´issance implicite aux lois, quelles qu’elles soient, de devoir rigoureux et absolu, exceptent toujours de cette re`gle la chose qui les inte´resse. Pascal en exceptait la religion ; il ne se soumettait point a` l’autorite´ de la loi civile en matie`re religieuse, et il brava la perse´cution par sa de´sobe´issance a` cet e´gard2. Un auteur anglais d’un tre`s-grand me´rite et d’une perspicacite´ profonde, Je´re´mie Bentham, a e´tabli que la loi seule cre´ait les de´lits, et que toute
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l’oreille a` ces discours, ils secouent le joug de`s qu’ils le reconnaissent» (e´d. Lafuma, p. 507, fragment 60). Ou encore : «Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obe´it qu’a` cause qu’il les croit justes» (ibid., p. 508, fragment 66). Dans le langage d’aujourd’hui, il serait plus exact de dire qu’une autorite´ le´gitime peut commettre des actes ille´gaux. En fait, BC ne parle pas ici de la Constitution (qui fonde, en droit moderne, la le´gitimite´ des autorite´s) et il peut donc assimiler l’ille´gal a` l’ille´gitime. En meˆme temps, on peut comprendre, comme chez Locke avec l’«appel au ciel», que l’autorite´ le´gitime (par exemple e´lue) se rend ipso facto ille´gitime de`s qu’elle commet un acte contraire aux droits existants (exce`s de pouvoir ou arbitraire) : la suite du texte autorise cette interpre´tation (re´sistance passive ou active). Il s’agit e´videmment des Lettres provinciales, e´crites par Pascal sous un pseudonyme, parues en 1656–1657, mises a` l’index de`s le 6 septembre 1657. BC e´voque la «loi civile» dans la mesure ou` l’E´tat royal et le Parlement sont implique´s dans la querelle du janse´nisme.
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action, prohibe´e par la loi, devenait un crime1. Un de´lit, dit-il, est un acte dont il re´sulte du mal ; or, en attachant une peine a` une action, la loi fait qu’il en re´sulte du mal a. A ce compte, la loi peut attacher une peine a` ce que je sauve la vie de mon pe`re, a` ce que je le livre aux bourreaux. En sera-ce assez pour faire un de´lit de la pie´te´ filiale ? Et cet exemple, tout
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Cours complet de le´gislation, chap. 22.
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BC et Mme de Stae¨ l avaient beaucoup d’estime pour Bentham, avec qui ils correspondaient. Leur opposition a` la pense´e du grand re´formateur repose sur le refus de l’utilitarisme, qui n’est pas ne´cessairement mate´rialiste, mais, en tout cas, de type sensorialiste et empiriste : le plaisir et la peine sont les mobiles humains fondamentaux et peuvent faire l’objet d’un calcul judicieux. Ce sera la` «l’utile», et la source de la le´gislation qui, au total, vise au «plus ` cela s’ajoute le travail de l’imagination, faculte´ grand bonheur du plus grand nombre». A capitale chez Bentham, tant pour les fictions utiles en droit que pour les illusions que les hommes consolident, sans le vouloir, par les usages du langage. Par exemple, la loi naturelle est un produit imaginaire du langage qui forge une personnification de la «nature». Dans la re´alite´, il existe des faculte´s naturelles de l’homme (se de´placer, penser, parler), mais non un droit naturel. Le langage usuel ou savant confond de`s lors le droit – re´alite´ conventionnelle – et la faculte´. Un «droit naturel» est une chose contradictoire en soi, les De´clarations des droits de l’homme, comme celle de 1789, constituent un ensemble de «sophismes» (terme de Bentham). On ne peut juger des lois a` partir d’un crite`re de droit naturel qui serait dans l’esprit des gouverne´s ; si l’on veut soumettre la re`gle sociale au jugement des gouverne´s, sur quelle re`gle, d’un autre type, pourrait se guider la comparaison ? Il faut admettre qu’il n’y a pas de droits en dehors de la loi du le´gislateur et de la sanction du juge (the`se du positivisme juridique). «Ce n’est qu’en cre´ant des de´lits (c’est-a`-dire en e´rigeant certaines actions en de´lits) que la loi confe`re des droits» (Bentham, Vue ge´ne´rale d’un corps complet de le´gislation, dans Le positivisme juridique, ouvr. cite´, p. 71). Sur le plan de la morale, Mme de Stae¨ l avait critique´ Bentham dans une longue note finale du chapitre XII de De l’Allemagne («De la morale fonde´e sur l’inte´reˆt personnel») : le de´vouement et le «beau moral» ne pourront jamais provenir d’un calcul d’utilite´. C’est le proble`me que Tocqueville reprend ensuite dans De la de´mocratie en Ame´rique, en re´habilitant «l’inte´reˆt bien entendu» comme relation utile a` la socie´te´ de´mocratique. La pense´e de Bentham ne parviendra pas a` s’implanter en France : le kantisme, re´interpre´te´ par Victor Cousin, va re´gner a` l’Universite´. En effet, Bentham e´crit : «De´lit, c’est tout ce que le le´gislateur a prohibe´, soit par de bonnes, soit par de mauvaises raisons. [...] On appelle de´lit tout acte que l’on croit devoir eˆtre prohibe´ a` raison de quelque mal qu’il fait naıˆtre, ou tend a` faire naıˆtre» (Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, pre´ce´de´s de principes ge´ne´raux de le´gislation, e´d. par E´tienne Dumont, Paris : Bossange, Masson et Besson, an X (1802), 3 vol ; ici passage des Principes du code pe´nal, premie`re partie, chap. Ier, t. II des Traite´s, p. 240, et non, comme dit BC, chap. II). La the`se de Bentham (que re´sume BC) est donc que, pour e´viter un mal social que tel acte produira, il faut cre´er un mal qui rejaillisse sur l’auteur de l’acte : c’est le roˆle de la loi. Tout ce qui n’est pas interdit est permis, la liberte´ re´side dans le silence des lois.
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horrible qu’il est, n’est pas une vaine hypothe`se. N’a-t-on pas vu condamner, au nom de la loi, des pe`res pour avoir sauve´ leurs enfans, des enfans pour avoir secouru leurs pe`res1 ? Bentham se re´fute lui-meˆme, lorsqu’il parle des de´lits imaginaires a. Si la loi suffisait pour cre´er les de´lits, aucun de´lit, cre´e´ par la loi, ne serait imaginaire. Tout ce qu’elle aurait de´clare´ de´lit serait tel. L’auteur anglais se sert d’une comparaison tre`s-propre a` e´claircir la question. «Certains actes, innocens par eux-meˆmes, dit-il, sont range´s parmi les de´lits, comme, chez certains peuples, des alimens sains sont conside´re´s comme des poisons2.» Ne s’ensuit-il pas que de meˆme que l’erreur de ces peuples ne convertit pas en poisons ces alimens salubres, l’erreur de la loi ne convertit pas en de´lits les actions innocentes ? Il arrive sans cesse que lorsqu’on parle de la loi abstraitement, on la suppose ce qu’elle doit eˆtre ; et quand on s’occupe de ce qu’elle est, on la rencontre toute autre ; de la`, des contradictions perpe´tuelles dans les syste`mes et les expressions. Bentham a e´te´ entraıˆne´ dans des contradictions de ce genre par la de´termination qu’il avait prise de ne reconnaıˆtre aucun droit naturel, de´termination dont je dirai quelques mots en note, parce qu’elle l’a conduit a` des conse´quences dont les ennemis de la liberte´ pourraient abuser b. Domine´ a b
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Code pe´nal, part. 3, chap. I3. Le syste`me de Bentham, c’est de substituer a` l’ide´e de droits, et sur-tout de droits naturels, inalie´nables et imprescriptibles, la notion de l’utilite´. A la manie`re dont il la conc¸oit, ce n’est au fond qu’une terminologie diffe´rente. Mais cette terminologie me paraıˆt avoir les inconve´niens communs a` toutes les locutions vagues, et de plus son danger particulier. Nul doute qu’en de´finissant convenablement le mot d’utilite´, l’on ne parvienne a` tirer, de cette notion, pre´cise´ment les meˆmes conse´quences qui de´coulent de l’ide´e du droit naturel et de la justice. En examinant avec attention toutes les questions qui paraissent mettre en opposition ce qui est utile et ce qui est juste, on trouve toujours que ce qui n’est pas juste n’est jamais utile4. Mais il n’en est pas moins vrai que le mot d’utilite´, suivant l’acception vulgaire, rappelle une notion diffe´rente de celle de la justice ou du droit. Or, lorsque l’usage BC fait allusion a` la le´gislation sous la Re´volution franc¸aise. La de´nonciation e´tait conside´re´e comme un acte civique de`s l’e´poque de la Constituante, comme le prouve la loi du 16 septembre 1791 qui appelle a` la de´nonciation y compris anonyme. Sur la de´nonciation re´volutionnaire et son e´loge chez les Jacobins, voir L. Jaume, Le discours jacobin et la de´mocratie, Paris : Fayard, 1989, pp. 203–209. Bentham, ibid., dans les Traite´s de le´gislation, t. II, p. 249. Il s’agit de la premie`re partie, chap. 3, des Principes du code pe´nal et non de la partie 3, chap. 1 comme l’e´crit BC. Bentham, ibid., t. II, pp. 380–381. Premie`re partie, chap. 3 des Principes du code pe´nal. La formule est ce´le`bre, depuis l’e´poque de Cice´ron : ce qui n’est pas juste, n’est jamais utile. Le livre III du De Officiis est consacre´ a` la comparaison entre l’honestum et l’utile. Montaigne s’en souvient dans un chapitre des Essais : «De l’utile et de l’honneˆte». C’est Tocqueville qui reprendra cette question (rendre «utile» l’honneˆte par une pe´dagogie approprie´e) dans son tableau de la de´mocratie ame´ricaine : voir L. Jaume, Tocqueville : les sources aristocratiques de la liberte´, Paris : Fayard, 2008, pp. 201–216.
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par le principe qu’il avait
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admis, Bentham a voulu faire entie`rement
et la raison commune attachent a` un mot une signification de´termine´e, il est dangereux de changer cette signification. On explique vainement ensuite ce qu’on a voulu dire ; le mot reste et l’explication s’oublie1. «On ne peut, dit Bentham, raisonner avec des fanatiques arme´s d’un droit naturel, que chacun entend comme il lui plaıˆt, et applique comme il lui convient.» Mais de son aveu meˆme le principe de l’utilite´ est susceptible de tout autant d’interpre´tations et d’applications contradictoires. «L’utilite´, dit-il, a e´te´ souvent mal applique´e ; entendue dans un sens e´troit, elle a preˆte´ son nom a` des crimes. Mais on ne doit pas rejeter sur le principe les fautes qui lui sont contraires, et que lui seul peut servir a` rectifier.» Comment cette apologie s’appliquerait-elle a` l’utilite´, et ne s’appliquerait-elle pas au droit naturel ? Le principe de l’utilite´ a` ce danger de plus que celui du droit, qu’il re´veille dans l’esprit des hommes l’espoir d’un profit et non le sentiment d’un devoir. Or, l’e´valuation d’un profit est arbitraire : c’est l’imagination qui en de´cide2. Mais ni ses erreurs, ni ses caprices ne sauraient changer la notion du devoir[.] Les actions ne peuvent pas eˆtre plus ou moins justes ; mais elles peuvent eˆtre plus ou moins utiles. En nuisant a` mes semblables, je viole leurs droits ; c’est une ve´rite´ incontestable : mais si je ne juge cette violation que par son utilite´, je puis me tromper dans ce calcul, et trouver de l’utilite´ dans cette violation. Le principe d’utilite´ est par conse´quent bien plus vague que celui du droit naturel. Loin d’adopter la terminologie de Bentham, je voudrais, le plus possible, se´parer l’ide´e du droit de la notion de l’utilite´. Ce n’est, comme je l’ai de´ja` dit, qu’une diffe´rence de re´daction : mais elle est plus importante qu’on ne pense. Le droit est un principe : l’utilite´ n’est qu’un re´sultat. Le droit est une cause, l’utilite´ n’est qu’un effet. Vouloir soumettre le droit a` l’utilite´, c’est vouloir soumettre les re`gles e´ternelles de l’arithme´tique a` nos inte´reˆts de chaque jour. Sans doute il est utile pour les transactions des hommes entre eux, qu’il existe entre les nombres des rapports immuables : mais si l’on pre´tendait que ces rapports n’existent que parce qu’il est utile que cela soit ainsi, l’on ne manquerait pas d’occasions ou` l’on prouverait qu’il serait infiniment plus utile de faire plier ces rapports. L’on oublierait que leur utilite´ constante vient de leur immutabilite´, et cessant d’eˆtre immuables, ils cesseraient d’eˆtre utiles[.] Ainsi l’utilite´, pour avoir e´te´ trop favorablement traite´e en apparence, et transforme´e en cause ; au lieu qu’elle doit rester effet, disparaıˆtrait bientoˆt totalement ellemeˆme. Il en est ainsi de la morale et du droit. Vous de´truisez l’utilite´ par cela seul que vous la placez au premier rang. Ce n’est que lorsque la re`gle est de´montre´e, qu’il est bon de faire ressortir l’utilite´ qu’elle peut avoir3.
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BC sait que la notion d’utilite´ a pu recevoir une acception e´leve´e (ainsi chez Spinoza) ou vulgaire et cynique. On consultera l’Anthologie historique et critique de l’utilitarisme, par Catherine Audard, Paris : PUF, 1999, 3 vol. Cette observation pe´ne´trante fait justice d’une pre´tendue e´vidence objective de l’utile (ou de l’ide´e que chacun est aise´ment juge de son inte´reˆt personnel). Une grande partie de l’e´conomie moderne (a` commencer par Adam Smith) est fonde´e sur cette remarque ; il entre beaucoup d’imaginaire dans la recherche du profit, a` commencer par l’art de persuader qu’une marchandise est «de´sirable». Autrement dit, ce n’est pas le calcul des peines et des plaisirs, domaine e´minemment subjectif, qui peut fonder une loi commune ; et encore moins pour une communaute´ qui – comme le pre´tend Bentham – n’est que la somme des individus la composant, et donc des diverses subjectivite´s.
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abstraction de la nature dans son syste`me de le´gislation, et il n’a pas vu qu’il oˆtait aux lois tout a` la fois leur sanction, leur base et leur limite. Il a e´te´ jusqu’a` dire que toute ac tion, quelque indiffe´rente qu’elle fuˆt, pouvant eˆtre prohibe´e par la loi, c’e´tait a` la loi que nous devions la liberte´ de nous asseoir ou de nous tenir debout, d’entrer ou de sortir, de manger ou de ne pas manger, parce que la loi pourrait nous l’interdire1. Nous devons cette
Je le demande a` l’auteur meˆme que je re´fute. Les expressions qu’il veut nous interdire ne rappellent-elles pas des ide´es plus fixes et plus pre´cises que celles qu’il pre´tend leur substituer ? Dites a` un homme : vous avez le droit de n’eˆtre pas mis a` mort ou de´pouille´ arbitrairement : vous lui donnez un bien autre sentiment de se´curite´ et de garantie, que si vous lui dites : il n’est pas utile que vous soyez mis a` mort ou de´pouille´ arbitrairement. On peut de´montrer et j’ai de´ja` reconnu qu’en effet cela n’est jamais utile. Mais en parlant du droit, vous pre´sentez une ide´e inde´pendante de tout calcul. En parlant de l’utilite´, vous semblez inviter a` remettre la chose en question, en la soumettant a` une ve´rification nouvelle. «Quoi de plus absurde, s’e´crie l’inge´nieux et savant collaborateur de Bentham, M. Dumont, de Gene`ve, que des droits inalie´nables qui ont toujours e´te´ alie´ne´s, des droits imprescriptibles, qui ont toujours e´te´ prescrits2 !» Mais en disant que ces droits sont inalie´nables ou imprescriptibles, on dit simplement qu’ils ne doivent pas eˆtre alie´ne´s, qu’ils ne doivent pas eˆtre prescrits. On parle de ce qui doit eˆtre, non de ce qui est. Bentham, en re´duisant tout au principe de l’utilite´, s’est condamne´ a` une e´valuation force´e de ce qui re´sulte de toutes les actions humaines, e´valuation qui contrarie les notions les plus simples et les plus habituelles. Quand il parle de la fraude, du vol, etc., il est oblige´ de convenir que s’il y a perte d’un coˆte´, il y a gain de l’autre : et alors, son principe, pour repousser des actions pareilles, c’est que bien de gain n’est pas e´quivalant a` mal de perte. Mais le bien et le mal e´tant se´pare´s, l’homme qui commet le vol trouvera que son gain lui importe plus que la perte d’un autre. Toute ide´e de justice e´tant mise hors de la question, il ne calculera plus que le gain qu’il fait ; il dira : gain pour moi est plus qu’e´quivalent a` perte d’autrui. Il ne sera donc retenu que par la crainte d’eˆtre de´couvert. Tout motif moral est ane´anti par ce syste`me3.
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En effet, pour Bentham comme pour Hobbes, nous accomplissons tous nos actes par une autorisation implicite (et protectrice) du souverain. Il e´crit notamment : «Je puis rester debout ou m’asseoir, entrer ou sortir, manger ou ne pas manger, etc. : la loi ne prononce rien sur cela. Cependant, le droit que j’exerce a` cet e´gard, je le tiens de la loi, parce que c’est elle qui e´rige en de´lit toute violence par laquelle on voudrait m’empeˆcher de faire ce qui me plaıˆt», dans Vue ge´ne´rale d’un corps complet de le´gislation, reproduit dans Le positivisme juridique, ouvr. cite, p. 71. Comme il a e´te´ remarque´ (OCBC, Œuvres, VIII/2, p. 1225, n. 1), cette formule preˆte´e a` E´tienne Dumont est probablement un souvenir oral. Ami de Sismondi et de Mme de Stae¨ l, Dumont a traduit et popularise´ en France la pense´e de Bentham. Outre l’influence de Kant (le devoir vaut en lui-meˆme et non sous des conditions de re´ussite), on retrouve ici les the`ses de Mme de Stae¨ l : a` l’e´gard de ceux qui se sont sacrifie´s (More, saint Vincent de Paul, les chre´tiens dans les catacombes), «si quelqu’un avait dit qu’ils entendaient bien leur inte´reˆt», l’indignation et l’horreur auraient servi de re´ponse (De l’Allemagne, pp. 205–206). Le principe d’utilite´, mis en opposition avec les actes moraux de´sinte´resse´s, est insuffisant pour rendre compte de l’expe´rience morale. BC va plus loin dans l’argumentation : celui qui fait un gain injuste dissocie de lui-meˆme l’utilite´ personnelle et l’approbation sociale. Il manque donc quelque chose quand on «re´duit tout au principe de l’utilite´».
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liberte´ a` la loi, comme le visir qui rendait, chaque jour, graˆce a` Sa Hautesse d’avoir encore sa teˆte sur ses e´paules, devait au sultan de n’eˆtre pas de´capite´ ; mais la loi qui aurait prononce´ sur ces actions indiffe´rentes, n’aurait pas e´te´ une loi, mais un despote. Le mot de loi est aussi vague que celui de nature ; en abusant de celui-ci, l’on renverse la socie´te´ ; en abusant de l’autre, on la tyrannise. S’il fallait choisir entre les deux, je dirais que le mot de nature re´veille au moins une ide´e a` peu pre`s la meˆme chez tous les hommes, tandis que celui de loi peut s’appliquer aux ide´es les plus oppose´es. Quand, a` d’horribles e´poques, on nous a commande´ le meurtre, la de´lation, l’espionnage, on ne nous les a pas commande´s au nom de la nature ; tout le monde aurait senti qu’il y avait contradiction dans les termes : on nous les a commande´s au nom de la loi, et il n’y a plus eu de contradiction1. L’obe´issance a` la loi est un devoir, mais comme tous les devoirs, il n’est pas absolu, il est relatif ; il repose sur la supposition que la loi part d’une source le´gitime et se renferme dans de justes bornes. Ce devoir ne cesse pas, lorsque la loi ne s’e´carte de cette re`gle qu’a` quelques e´gards. Nous devons, au repos public, beaucoup de sacrifices ; nous nous rendrions coupables aux yeux de la morale, si, par un attachement trop inflexible a` nos droits, nous troublions la tranquillite´, de`s qu’on nous semble, au nom de la loi, leur porter atteinte. Mais aucun devoir ne nous lie envers des lois telles que celles que l’on faisait, par exemple, en 1793, ou meˆme plus tard, et dont
En repoussant le premier principe de Bentham, je suis loin de me´connaıˆtre le me´rite de cet e´crivain. Son ouvrage est plein d’ide´es neuves et de vues profondes. Toutes les conse´quences qu’il tire de son principe sont des ve´rite´s pre´cieuses en elles-meˆmes. C’est que ce principe n’est faux que par sa terminologie. De`s que l’auteur parvient a` s’en de´gager, il re´unit, dans un ordre admirable, les notions les plus saines sur l’e´conomie politique, sur les pre´cautions que doit prendre le gouvernement pour intervenir dans les affaires des individus, sur la population, sur la religion, sur le commerce, sur les lois pe´nales, sur la proportion des chaˆtimens aux de´lits. Mais il lui est arrive´, comme a` beaucoup d’auteurs estimables, de prendre une re´daction pour une de´couverte, et de tout sacrifier a` cette re´daction.
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4 pas e´te´ ] la source porte pas ete M 1
Le proble`me inhe´rent au Gouvernement re´volutionnaire (e´voque´ dans ces lignes) est d’eˆtre doublement exceptionnel : e´tabli par une loi de de´cembre 1793, sur le rapport de BillaudVarenne, il est mis en place par une Convention qui a e´te´ expurge´e, a` la suite du coup de force des 31 mai–2 juin 1793 contre l’aile girondine ; lorsqu’il commande «au nom de la loi», il s’agit d’une le´gislation d’exception, puisque l’universalite´ de la loi, principe de 1789, est abandonne´e : la loi frappe des individus expresse´ment nomme´s (comme la liste des de´pute´s girondins en fuite et de´cre´te´s d’accusation) ou des groupes pre´cis (preˆtres, aristocrates), et e´galement des mouvements a` la de´nomination tre`s e´lastique («ennemis du peuple», «fe´de´ralistes», etc.). Rappelons que, apre`s re´daction de la Constitution, a` l’e´te´ 1793, Robespierre a empeˆche´ le retour aux urnes, alors que, comme son nom l’indique, la
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l’influence corruptrice menace les plus nobles parties de notre existence1. Aucun devoir ne nous lierait envers des lois qui non-seulement restreindraient nos liberte´s le´gitimes, et s’opposeraient a` des actions qu’elles n’auraient pas le droit d’interdire, mais qui nous en commanderaient de contraires aux principes e´ternels de justice ou de pitie´, que l’homme ne peut cesser d’observer sans de´mentir sa nature. Le publiciste anglais que j’ai re´fute´ pre´ce´demment convient lui-meˆme de cette ve´rite´. «Si la loi, dit-il, n’est pas ce qu’elle doit eˆtre, faut-il lui obe´ir, faut-il la violer ? Faut-il rester neutre entre la loi qui ordonnne le mal et la morale qui le de´fend ? Il faut examiner si les maux probables de l’obe´issance sont moindres que ceux probables de la de´sobe´issance a.» Il reconnaıˆt ainsi dans ce passage les droits de jugement individuel, droits qu’il conteste ailleurs. La doctrine d’obe´issance illimite´e a` la loi, a fait, sous la tyrannie, et dans les orages des re´volutions, plus de maux peut-eˆtre que toutes les autres erreurs qui ont e´gare´ les hommes. Les passions les plus exe´crables se sont retranche´es derrie`re cette forme, en apparence impassible et impartiale, pour se livrer a` tous les exce`s. Voulez-vous rassembler sous un seul point de vue les conse´quences de cette doctrine ? Rappelez-vous que les empereurs roa
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Principes de le´gislation, chap. 122. Convention avait e´te´ e´lue dans le but de re´diger un texte constitutionnel, pour se se´parer ensuite ; Robespierre de´clare qu’il faut empeˆcher les Girondins de se faire re´e´lire : troisie`me facteur exorbitant de la le´galite´ constitutionnelle. Parmi les lois re´volutionnaires, on peut citer la ce´le`bre loi de Terreur du 22 prairial an II (10 juin 1794), a` l’instigation de Couthon, et justifie´e en Assemble´e par Robespierre : elle supprime l’interrogation pre´alable avant la comparution au tribunal, refuse l’assistance d’un avocat, laisse le tribunal re´volutionnaire juge de l’appel a` te´moins et oblige a` choisir entre l’acquittement et la mort. On peut citer aussi le mot de Saint-Just a` Fouquier-Tinville, quant a` l’application des lois, «Amalgamez !», pre´cepte qui ouvrait la voie a` toutes les fourne´es possibles (voir L. Jaume, Le discours jacobin et la de´mocratie, ouvr. cite´, p. 213). Quand la Convention se se´pare, elle vote la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) qui exclut de toute fonction publique les e´migre´s et les parents d’e´migre´s, et les personnes implique´es dans les e´ve´nements de Vende´miaire, et qui annonce que les preˆtres pourront eˆtre frappe´s de re´clusion et de de´portation (en continuation des lois de 1792 et 1793). Il faut rappeler que, sous la premie`re Restauration, l’e´tablissement des sinistres «cours pre´voˆtales» cre´e une justice voue´e a` l’arbitraire : par la loi du 20 de´cembre 1815, on reconstituait l’ancienne juridiction de police des «pre´voˆts des mare´chaux», juridiction moitie´ civile et moitie´ militaire. Ces Cours spe´ciales (nom que Napole´on avait de´ja` donne´ a` un organe analogue) prononc¸aient des jugements exe´cutoires dans les vingt-quatre heures ; le roi avait abdique´ d’avance son droit de graˆce, sauf demande expresse des Cours. Les crimes concerne´s allaient du vagabondage a` la re´bellion arme´e : cette justice d’amalgame, la` encore, e´tait ne´anmoins autorise´e par l’article 63 de la Charte. Voir S. Charle´ty, La Restauration, dans E. Lavisse, Histoire de la France contemporaine, Paris : Hachette, 1911, t. IV, pp. 94–95. Voir Bentham, Traite´s de le´gislation, t. I, p. 105–106. Bentham s’est-il mis en contradiction avec sa propre pense´e comme le dit BC ? Ce n’est pas si simple, car, chez lui, il y a
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mains ont fait des lois, que Louis XI a fait des lois, que Richard III a fait des lois, que le comite´ de salut public a fait des lois. Il n’existe pas un sentiment naturel qu’une loi n’ait interdit, pas un devoir dont une loi n’ait prohibe´ l’accomplissement, pas une vertu qu’une loi n’ait proscrite, pas une affection qu’une loi n’ait punie, pas une trahison qu’une loi n’ait salarie´e, pas un forfait qu’une loi n’ait ordonne´. Il est donc ne´cessaire de bien de´terminer, quels droits le nom de loi, attache´ a` certains actes, leur donne sur notre obe´issance, et, ce qui est encore diffe´rent, quels droits il leur donne a` notre concours. Il est ne´cessaire d’indiquer les caracte`res qui font qu’une loi n’est pas une loi. La re´troactivite´ est le premier de ces caracte`res. Les hommes n’ont consenti aux entraves des lois que pour attacher a` leurs actions des conse´quences certaines, d’apre`s lesquelles ils pussent se diriger, et choisir la ligne de conduite qu’ils voulaient suivre. La re´troactivite´ leur oˆte cet avantage. Elle rompt la condition du traite´ social. Elle de´robe le prix du sacrifice qu’elle a impose´1. Un second caracte`re d’ille´galite´ dans les lois, c’est de prescrire des actions contraires a` la morale2. Toute loi qui ordonne la de´lation, la de´nonciation n’est pas une loi. Toute loi portant atteinte a` ce penchant qui commande a` l’homme de donner un refuge a` qui lui demande asile, n’est pas une loi. Le gouvernement est institue´ pour surveiller. Il a ses instrumens pour accuser, pour poursuivre, pour de´couvrir, pour livrer, pour punir. Il n’a
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place pour la censure des citoyens qui, par exemple, doivent controˆler les juges et exercer le «recall» (proce´dure de rappel) si le juge est re´pre´hensible ; sur ce point, voir l’article «Bentham» par Jean-Louis Halpe´rin, dans Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, sous dir. O. Cayla et J.-L. Halpe´rin, Paris : Dalloz, 2008, p. 51. Montesquieu avait insiste´ sur le fait que, dans un pays libre, le citoyen doit connaıˆtre d’avance les conse´quences du respect ou de la transgression de la loi. C’est ce qu’on a appele´ de´sormais la » «se´curite´ juridique». Le caracte`re re´troactif confe´re´ a` une loi, surtout en matie`re pe´nale, est conside´re´ comme une entorse grave a` la philosophie moderne du droit, conforme´ment a` l’article 8 de la De´claration de 1789. Voir G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris : PUF, 7e e´d., 1988, p. 559 : la «non-re´troactivite´ des lois pe´nales» est la «re`gle interdisant au juge re´pressif d’appliquer a` des faits passe´s une loi nouvelle d’incrimination ou de pe´nalite´, sauf si elle est moins se´ve`re que la loi ancienne». Le juge y est donc tenu, dans son domaine, comme le le´gislateur dans le sien. Comme on l’a vu ci-dessus, p. 599, n. 1, une autorite´ le´gitime peut commettre des actes ille´gaux ; on de´bouche donc ici sur l’apparent paradoxe d’une «loi ille´gale», car BC veut montrer les caracte`res qui «font qu’une loi n’est pas une loi». On pourrait dire aussi que cette loi est le´gitime par sa source (du moins e´ventuellement), mais ille´gitime par rapport a` une norme plus haute, c’est-a`-dire la loi naturelle et la morale, chez BC. Dans ce cas, on fait de la loi naturelle une autre source du droit, concurremment a` la source juridico-politique. Tel est le cas chez Locke, car Dieu donne a` l’homme la loi naturelle, loi a` la fois ante´rieure et supe´rieure aux lois de l’E´tat.
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pas le droit de faire retomber sur l’individu qui ne remplit aucune mission ces devoirs ne´cessaires, mais pe´nibles1. Il doit respecter dans les citoyens cette ge´ne´rosite´ qui les porte a` plaindre et a` secourir sans examen le faible frappe´ par le fort. C’est pour rendre la pitie´ individuelle inviolable, que nous avons rendu l’autorite´ publique imposante. Nous avons voulu conserver en nous les sentimens de la symphatie, en chargeant le pouvoir, des fonctions se´ve`res qui auraient pu blesser ou fle´trir ces sentimens. Je me suis demande´ quelquefois ce que je ferais si je me trouvais enferme´ dans une ville, ou` il fuˆt de´fendu, sous peine de mort, de donner asile a` des accuse´s de crimes politiques, ou ordonne´ de les de´noncer. Je me suis re´pondu que, si je voulais mettre ma vie en suˆrete´, je me constituerais prisonnier, aussi long-temps que cette mesure serait en vigueur. Toute loi qui divise les citoyens en classes, qui les punit de ce qui n’a pas de´pendu d’eux, qui les rend responsables d’autres actions que les leurs, toute loi pareille n’est pas une loi. Les lois contre les nobles, contre les preˆtres, contre les pe`res des de´serteurs, contre les parens des e´migre´s, n’e´taient pas des lois2. Voila` le principe : mais qu’on n’anticipe pas sur les conse´quences que j’en tire. Je ne pre´tends nullement recommander la de´sobe´issance. Qu’elle soit interdite, non par de´fe´rence pour l’autorite´ qui usurpe, mais par me´nagement pour les citoyens que des luttes inconside´re´es priveraient des avantages de l’e´tat social. Aussi long-temps qu’une loi, bien que mauvaise, ne tend pas a` nous de´praver, aussi long-temps que l’autorite´ n’exige de nous 1
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La distinction est importante pour comprendre la «mission» que BC et Mme de Stae¨ l (notamment dans De l’Allemagne) attribuent a` l’E´tat : il a des fonctions indispensables, comme celle de traquer les fautifs, mais moralement il ne peut y associer les citoyens. La de´nonciation «civique» est inadmissible, meˆme pour l’inte´reˆt public. La «ge´ne´rosite´» constitue une faculte´ de l’homme et du citoyen qui empeˆche l’identification avec les missions re´pressives de l’E´tat. Le libe´ralisme de BC suppose toujours une se´paration des sphe`res (socie´te´ civile, espace public de la citoyennete´ active, taˆches gouvernementales), que l’on ne peut ni unifier ni homoge´ne´iser sans instaurer la tyrannie (soit d’un homme soit d’un groupe). L’E´tat doit eˆtre strict et le citoyen faire preuve de ge´ne´rosite´ : deux roˆles distincts. La tyrannie commence lorsqu’un des poˆles se prend pour l’autre ou contraint l’autre a` le rejoindre. La loi qui punit en instaurant la responsabilite´ pour des actes commis par d’autres a e´te´ un recours politique ; ainsi la ce´le`bre «loi anti-casseurs», apre`s 1968, en France, qui cre´ait une responsabilite´ collective : elle visait a` frapper les dirigeants de groupements (contestataires ou syndicalistes) au cas ou` des de´gradations sur la voie publique auraient accompagne´ ou suivi une manifestation. Les «instigateurs et organisateurs», suivant cette loi vote´e le 8 juin 1970, pouvaient eˆtre poursuivis alors meˆme qu’ils se trouvaient en d’autres lieux. Sous la Re´volution, les lois frappant des groupes (nobles en fuites, preˆtres re´fractaires) ou des familles ont e´te´ nombreuses. On a e´voque´ plus haut la loi du 3 brumaire an IV.
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que des sacrifices qui ne nous rendent ni vils ni fe´roces, nous y pouvons souscrire. Nous ne transigeons que pour nous. Mais si la loi nous prescrivait, comme elle l’a fait souvent durant des anne´es de troubles ; si elle nous prescrivait, dis-je, de fouler aux pieds et nos affections et nos devoirs ; si, sous le pre´texte absurde d’un de´vouement gigantesque et factice, a` ce qu’elle appelle tour-a`-tour re´publique ou monarchie, elle nous interdisait la fide´lite´ a` nos amis malheureux ; si elle nous commandait la perfidie envers nos allie´s, ou meˆme la perse´cution contre nos ennemis vaincus1, anatheˆme et de´sobe´issance a` la re´daction d’injustices et de crimes ainsi de´core´s du nom de loi ! Un devoir positif, ge´ne´ral, sans restriction, toutes les fois qu’une loi paraıˆt injuste, c’est de pas s’en rendre l’exe´cuteur. Cette force d’inertie n’entraıˆne ni bouleversemens, ni re´volutions, ni de´sordres ; et c’euˆt e´te´ certes un beau spectacle, si, dans quand l’iniquite´ gouvernait, on euˆt vu des autorite´s coupables re´diger en vain des lois sanguinaires, des proscriptions en masse, des arreˆte´s de de´portation, et ne trouvant dans le peuple immense et silencieux qui ge´missait sous leur puissance, nul exe´cuteur de leurs injustices, nul complice de leurs forfaits. Rien n’excuse l’homme qui preˆte son assistance a` la loi qu’il croit inique, le juge qui sie´ge dans une cour qu’il croit ille´gale, ou qui prononce une sentence qu’il de´sapprouve, le ministre qui fait exe´cuter un de´cret contre sa conscience, le satellite qui arreˆte l’homme qu’il sait innocent, pour le livrer a` ses bourreaux. La terreur n’est pas une excuse plus valable que les autres passions infaˆmes. Malheur a` ces hommes e´ternellement comprime´s, a` ce qu’ils nous disent, agens infatigables de toutes les tyrannies existantes, de´nonciateurs posthumes de toutes les tyrannies renverse´es. Le syste`me qu’ils ont adopte´, ce syste`me qui les autorise a` se rendre les agens des lois injustes, pour en affaiblir la rigueur, et a` devenir les de´positaires d’un pouvoir malfaisant, de peur qu’il ne tombe en des mains moins pures, n’est qu’une transaction mensonge`re, qui permet a` chacun de marchander avec sa conscience, et qui pre´pare, pour chaque degre´ d’injustice, de dignes exe´cuteurs2. Et meˆme, dans ce qu’ils nous disent, ces hommes nous trompent. Nous en avons eu d’innombrables preuves durant la re´volution. Ils ne se rele`vent
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On remarquera la difficulte´ a` de´finir «la perfidie envers nos allie´s». Quant a` la perse´cution exerce´e sur l’ennemi vaincu, le droit international s’est de´sormais dote´ d’un arsenal juridique (y compris le Tribunal Pe´nal International) depuis la cre´ation, qui fit date, d’une qualification de «crime envers l’humanite´», rendue en outre imprescriptible. Depuis le paragraphe pre´ce´dent, jusqu’a` la fin de ce texte, BC a repris presque litte´ralement un de´veloppement des Principes de 1815 (chap. I, OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 687). L’auteur
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jamais de la fle´trissure qu’ils ont accepte´e ; jamais leur aˆme, brise´e par la servitude, ne peut reconque´rir son inde´pendance. En vain, par calcul, ou par complaisance, ou par pitie´, nous feignons d’e´couter les excuses qu’ils nous balbutient ; en vain nous nous montrons convaincus que, par un inexplicable prodige, ils ont retrouve´ tout-a`-coup leur courage long-temps disparu : eux-meˆmes n’y croient pas. Ils ont perdu la faculte´ d’espe´rer d’eux-meˆmes, et leur teˆte, plie´e sous le joug qu’elle a porte´, se courbe d’habitude, et, sans re´sistance, pour recevoir un joug nouveau1. B.
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reste tre`s proche de ce que Mme de Stae¨ l exposait dans De l’Allemagne, au chap. XIII de la troisie`me partie, de´ja` cite´, intitule´ «De la morale fonde´e sur l’inte´reˆt national». La` aussi, le Gouvernement re´volutionnaire de l’an II et la Terreur servent de re´fe´rence : Mme de Stae¨ l condamne sans re´serve le fait que «beaucoup d’honneˆtes gens ont accepte´ des emplois dans l’administration, et meˆme dans les tribunaux criminels, soit pour y faire du bien soit pour diminuer le mal qui s’y commettait» (De l’Allemagne, ouvr. cite´, p. 208). L’ide´e meˆme de «transaction», le fait de «transiger» ou la pre´tention de «marchander avec sa conscience» sont des e´le´ments souligne´s dans ce chapitre de De l’Allemagne. «De`s qu’on se met a` ne´gocier avec les circonstances, tout est perdu, car il n’est personne qui n’ait des circonstances» (De l’Allemagne, ouvr. cite´.). Chez les deux auteurs, c’est e´videmment la pense´e de Kant, dans ses opuscules politiques, qui inspire cette analyse. Dans les Principes de 1815, en parlant de la Terreur, BC avait trouve´ une formulation encore plus frappante : «Chacun marchandait avec sa conscience, et chaque degre´ d’injustice trouvait de dignes exe´cuteurs ! Je ne vois pas pourquoi, dans ce syste`me, on ne se rendrait pas le bourreau de l’innocence, sous le pre´texte qu’on l’e´tranglerait plus doucement» (OCBC, Œuvres, t. IX/2, p. 687). BC pense certainement aux serviteurs du Gouvernement re´volutionnaire, devenus serviteurs de Napole´on. Jules Ferry reprendra le the`me dans une controverse fameuse d’historiens, ou` il de´fendait Edgar Quinet contre Alphonse Peyrat : «Les fauteurs de la dictature conventionnelle applaudirent tous au coup d’E´tat de Bonaparte. Un petit nombre seulement s’arreˆta sur le seuil du Se´nat conservateur. Les Jacobins furent les meilleurs pre´fets de l’Empire» (article dans Le Temps, 30 janvier 1866, reproduit dans F. Furet, La gauche et la Re´volution au milieu du XIXe sie`cle, Paris : Hachette, 1986, p. 207).
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On peut remarquer depuis quelque temps dans les articles litte´raires de nos journaux, et meˆme dans les cours de nos professeurs de belles-lettres, une tendance a` aggrandir les dimensions de notre the´aˆtre, et sinon a` s’affranchir de la rigueur des re`gles respecte´es jusqu’a` ce jour, du moins a` reconnaıˆtre que les e´trangers ne sont pas si coupables lorsqu’ils s’en e´cartent1. En observant ce commencement de re´volution dans notre litte´rature, j’ai e´te´ conduit a` m’occuper des diffe´rences qui distinguent le the´aˆtre franc¸ais de celui des Anglais et des Allemands, et j’ai pense´ que les re´flexions suivantes, dont j’ai de´ja` publie´ quelques-unes il y a plusieurs anne´es, mais que je rattache dans cet article a` un principe ge´ne´ral, qui ne m’avait pas frappe´ alors, pourront inte´resser le public2. En litte´rature, comme en politique, rien de ce que font les hommes re´unis, rien de ce que les peuples adoptent ne prend son origine dans leur fantaisie ou dans leur caprice. Les lois qu’ils s’imposent ou celles qu’ils repoussent, les institutions qu’ils se donnent ou celles qu’ils renversent, ont toujours des causes inde´pendantes de leur volonte´3. Ainsi, ce n’est nullement parce que les Anglais et les Allemands ont voulu de´daigner les re`gles, que leurs e´crivains s’en sont affranchis4. Ce E´tablissement du texte : Mercure de France, t. IV, 13 de´cembre 1817, Du the´aˆtre franc¸ais et du the´aˆtre e´tranger, Rubrique : Nouvelles litte´raires, pp. 484–490. 4 the´aˆtre ] la source porte theaˆtre M 1
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De fait, la comparaison entre les syste`mes dramatiques franc¸ais et e´trangers s’e´taient ge´ne´ralise´e depuis la parution de De l’Allemagne de Mme de Stae¨ l et de la traduction franc¸aise du Cours de litte´rature dramatique de Schlegel. Il s’agit des «Quelques re´flexions sur la trage´die de Wallstein et sur le the´aˆtre allemand» qui servaient de pre´face a` la pie`ce publie´e en 1809 (OCBC, Œuvres, t. III/2, p. 579–609). C’est la` un the`me qu’on trouve re´gulie`rement sous la plume de BC, mais applique´ au domaine politique (voir notamment «De la perfectibilite´ de l’espe`ce humaine» et les Principes de politique). En e´tendant sa re´flexion au the´aˆtre, BC e´largit le de´bat pour inte´grer l’art dramatique dans les institutions nationales. De´ja`, en 1803, Mme de Stae¨ l expliquait, a` propos des Allemands : «Il ne faut pas croire qu’ils ne sachent pas les raisons de notre syste`me. Ils choisissent le leur avec une analyse de gouˆt tout aussi fine que la noˆtre.» (Lettre a` Hochet du 26 de´cembre 1803, Stae¨ l, CG., t. V, p. 166.) L’ide´e avait e´te´ reprise, en la ge´ne´ralisant, dans De l’Allemagne : «Ce qui est juste, c’est de reconnaıˆtre que, si les e´trangers conc¸oivent l’art the´aˆtral autrement que nous, ce n’est ni par ignorance, ni par barbarie, mais d’apre`s des re´flexions profondes et qui sont dignes d’eˆtre examine´es.» (t. II, p. 250.)
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n’est point non plus parce que nous avons pre´fe´re´ nous y soumettre, que nos grands poe`tes les ont observe´es. C’est que l’ide´e premie`re, la conception fondamentale de nos trage´dies, diffe`re de celle des trage´dies anglaises ou allemandes. Lors meˆme que les noˆtres sont fonde´es sur la tradition ou sur l’histoire, elles ne peignent qu’un fait ou une passion. Les Allemands, dans les leurs, peignent une vie entie`re et un caracte`re entier1. Quand je dis qu’ils peignent une vie entie`re, je ne veux pas dire qu’ils embrassent dans leurs pie`ces toute la vie de leurs he´ros, mais ils n’en omettent aucun e´ve´nement important ; et la re´union de ce qui se passe sur la sce`ne, et de ce que le spectateur apprend par des re´cits ou par des allusions, forme un tableau complet, d’une scrupuleuse exactitude. Il en est de meˆme du caracte`re. Les Allemands n’e´ cartent, de celui de leurs personnages, rien de ce qui constituait leur individualite´. Ils nous les pre´sentent avec leurs faiblesses, leurs inconse´quences, et cette mobilite´ ondoyante, qui appartient a` la nature humaine et qui forme les eˆtres re´els. Nous avons un besoin d’unite´ qui a pousse´ nos auteurs dans une autre route. Ils repoussent des caracte`res tout ce qui ne sert pas a` faire ressortir la passion qu’ils veulent peindre ; ils suppriment, de la vie ante´rieure de leurs he´ros, tout ce qui ne s’enchaıˆne pas ne´cessairement au fait qu’ils ont choisi2. Qu’est-ce que Racine nous apprend sur Phe`dre ? Son amour pour Hyppolite, mais nullement son caracte`re personnel, inde´pendamment de cet amour. Qu’est-ce que le meˆme poe`te nous fait connaıˆtre d’Oreste ? Son amour pour Hermione. Les fureurs de ce prince ne viennent que des cruaute´s de sa maıˆtresse. On le voit, a` chaque instant, preˆt a` s’adoucir, pour peu qu’Hermione lui donne quelque espe´rance. Le meurtrier de sa me`re paraıˆt meˆme avoir tout-a`-fait oublie´ le forfait qu’il a commis ; il n’est occupe´ que de sa passion ; il parle, apre`s son parricide, de son innocence qui lui pe`se ; et si, lorsqu’il a tue´ Pyrrhus, il est poursuivi par les furies, c’est que Racine a trouve´, dans la tradition mythologique, l’occasion d’une sce`ne superbe, mais qui ne tient point a` son sujet tel qu’il l’a traite´. Ceci n’est point une critique. Andromaque est l’une des pie`ces les plus parfaites qui existent chez aucun peuple, et Racine ayant adopte´ le syste`me franc¸ais, a duˆ e´carter, autant qu’il le pouvait, de l’esprit du spectateur, le souvenir du meurtre de Clytemnestre. Ce souvenir e´tait inconciliable avec 1 2
C’est une remarque qu’avait de´ja` faite Humboldt en 1800 (voir OCBC, Œuvres, t. III/2, p. 599 n. 3). Dix ans plus toˆt, Che´nier avait encore affirme´ : «Que peint la trage´die ? des passions.» (Tableau historique de l’e´tat et des progre`s de la litte´rature franc¸aise depuis 1789,Paris : Ledentu, 1834, p. 301.) Sur cette question, voir J.-P. Perchellet, L’He´ritage classique : la trage´die entre 1680 et 1814, Paris : H. Champion, 2004, p. 199–212.
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un amour pareil a` celui d’Oreste pour Hermione. Un fils couvert du sang de sa me`re, et ne songeant qu’a` sa maıˆtresse, aurait produit un effet re´voltant. Racine l’a senti, et pour e´viter plus suˆrement cet e´cueil, il a suppose´ qu’Oreste n’e´tait alle´ en Tauride, qu’afin de se de´livrer, par sa mort, de sa passion malheureuse. L’isolement dans lequel le syste`me franc¸ais pre´sente le fait qui forme le sujet, et la passion qui est le mobile de chaque trage´die, a d’incontestables avantages. En de´gageant le fait que l’on a choisi de tous les faits ante´rieurs, on porte plus directement l’inte´reˆt sur un objet unique. Le he´ros est plus dans la main du poe`te qui s’est affranchi du passe´ ; mais il y a peut-eˆtre aussi une couleur un peu moins re´elle, parce que l’art ne peut jamais supple´er entie`rement a` la ve´rite´, et que le spectateur, lors meˆme qu’il ignore la liberte´ que l’auteur a prise, est averti, par je ne sais quel instinct, que ce n’est pas un personnage historique, mais un he´ros factice, une cre´ature d’invention qu’on lui pre´sente1. En ne peignant qu’une passion, au lieu d’embrasser tout un caracte`re individuel, on obtient des effets plus constamment tragiques, parce que les caracte`res individuels, toujours me´lange´s, nuisent a` l’unite´ de l’impression. Mais la ve´rite´ y perd peut-eˆtre. On se demande ce que feraient les he´ros qu’on voit, s’ils n’e´taient domine´s par la passion qui les agite, et l’on trouve qu’il ne resterait dans leur existence que peu de re´alite´2. D’ailleurs, il y a bien moins de varie´te´ dans les passions propres a` la trage´die, que dans les caracte`res individuels, tels que les cre´e la nature ; les caracte`res sont innombrables, les passions the´aˆtrales sont en petit nombre3.
9 tous les faits ] la source porte tout les faits M
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De la meˆme fac¸on, Mme de Stae¨ l conside´rait que «de´pouiller les personnages dramatiques de temps et de lieu, c’est en faire des personnages alle´goriques» (S. Balaye´, Les Carnets de voyage de Madame de Stae¨l, p. 87) ; ils ne sont plus alors «des eˆtres vivants» mais «des figures abstraites repre´sentant des vertus et des crimes qui luttent ensemble pour ainsi dire alle´goriquement» (De l’Allemagne, t. II, p. 267, ms. C), ou des «marionnettes he´roı¨ques, sacrifiant l’amour au devoir, pre´fe´rant la mort a` l’esclavage, inspire´es d’antithe`ses dans leurs actions comme dans leurs paroles, mais sans aucun rapport avec cette e´tonnante cre´ature qu’on appelle l’homme» (ibid., p. 258). Mme de Stae¨ l affirmait : «Les hommes qu’on montre sur la sce`ne ne sont pas les hommes tels qu’ils sont.» (De l’Allemagne, t. II, p. 317.) Et BC estime qu’«en poe´sie, il n’y a jamais que les individus qui inte´ressent» («Du merveilleux et de l’emploi qu’on peut en faire de nos jours en poe´sie», OCBC, Œuvres, t. III/1, p. 537). Le syste`me franc¸ais serait donc condamne´, mais BC reviendra sur cette illusion dans les «Re´flexions sur la trage´die», publie´es en octobre 1829 (Œuvres, «Ple´iade», pp. 935–962).
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Sans doute l’admirable ge´nie de Racine qui triomphe de toutes les entraves, met de la diversite´ dans cette uniformite´ meˆme. La jalousie de Phe`dre n’est pas celle d’Hermione, et l’amour d’Hermione n’est pas celui de Roxane. Cependant, la diversite´ me semble plutoˆt encore dans la passion que dans le caracte`re de l’individu. Il y a bien peu de diffe´rence entre les caracte`res d’Ame´naı¨de et d’Alzire. Celui de Polyphonte convient a` presque tous les tyrans mis sur notre the´aˆtre1, tandis que que celui de Richard III, dans Shakespeare, ne convient qu’a` Richard III. Polyphonte n’a que des traits ge´ne´raux, exprime´s avec art, mais qui n’en font point un eˆtre distinct, un eˆtre individuel. Il a de l’ambition, et, pour son ambition, de la cruaute´ et de l’hypocrisie. Richard III re´unit a` ces vices, qui sont de ne´cessite´ dans son roˆle, beaucoup de choses qui ne peuvent appartenir qu’a` lui seul. Son me´contentement contre la nature qui, en lui donnant une figure hideuse et difforme, semble l’avoir condamne´ a` ne jamais inspirer d’amour ; ses efforts, pour vaincre un obstacle qui l’irrite, sa coquetterie avec les femmes, son e´tonnement de ses succe`s aupre`s d’elles, le me´pris qu’il conc¸oit pour des eˆtres si faciles a` se´duire, l’ironie avec laquelle il manifeste le me´pris, tout le rend un eˆtre particulier. Polyphonte est un genre ; Richard III, un individu2. Il est clair que cette manie`re diffe´rente de pre´senter les personnages tragiques, doit produire une diffe´rence essentielle dans tout le syste`me the´aˆtral. Pour peindre une passion violente, on n’a besoin que d’embrasser un espace de quelques heures. Tout le monde connaıˆt les ante´ce´dens. L’histoire de chaque passion, si je puis parler ainsi, est dans le cœur de tous ceux qui l’ont e´prouve´e3. De la`, une possibilite´ d’observer les unite´s dramatiques. Pour faire connaıˆtre un individu, il faut rappeler ses qualite´s, ses de´fauts, ses faiblesses, et retracer de plus, l’influence que les e´ve´nemens de sa vie ont eue sur le caracte`re que la nature lui avait donne´. L’on ne peut mettre en re´cit toutes ces choses. Ces re´cits se multiplieraient tellement que la pie`ce deviendrait un poe¨ me e´pique. Il faut donc en mettre plusieurs en action. De la` vient la ne´cessite´ de rejeter l’unite´ de temps et celle de lieu4. 1 2
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Personnages de trage´dies de Voltaire : Tancre`de (1760), Alzire (1736) et Me´rope (1743). Mme de Stae¨ l avait de´ja` de´crit les personnages de la Commedia dell’arte en des termes proches de ceux qu’utilise ici BC : «Ils sont sous tous les rapports des masques et non pas des visages : c’est-a`-dire que leur physionomie est celle de tel genre de personnage et non de tel individu.» (Corinne, p. 181.) En se focalisant sur les passions, les tragiques franc¸ais pouvaient reprendre l’apostrophe d’Horace : «Change le nom, cette fable est ton histoire.» (Satires, I, 1, v. 69–70.) Mme de Stae¨ l avait e´galement note´ : «Les nations germaniques opposent a` l’unite´ de temps et de lieu l’impossibilite´ de peindre un caracte`re par une seule action resserre´e en vingtquatre heures et disent que cette re`gle oblige ne´cessairement a` recourir au nœud d’une intrigue plutoˆt qu’au de´veloppement d’une situation.» (De l’Allemagne, t. II, p. 246, var., ms. A.)
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Les deux syste`mes ont leurs inconve´niens et leurs avantages. Les unite´s circonscrivent les trage´dies, surtout historiques, dans un cercle assez e´troit qui rend la composition tre`s-difficile. Elles forcent le poe`te a` ne´gliger souvent, dans les e´ve´nemens et les caracte`res, la ve´rite´ de la gradation, la de´licatesse des nuances1. Ce de´faut domine dans presque toutes les trage´dies de Voltaire ; car l’admirable ge´nie de Racine a e´te´ vainqueur de cette difficulte´ comme de tant d’autres. Mais a` la repre´sentation des pie`ces de Voltaire, l’on aperc¸oit fre´quemment des lacunes, des transitions trop brusques. On sent que ce n’est pas ainsi qu’agit la nature ; elle ne marche point d’un pas si rapide ; elle ne saute pas de la sorte les interme´diaires. D’un autre coˆte´, l’absence des unite´s a des inconve´niens mate´riels. Les changemens de lieu, quelque adroitement qu’ils soient effectue´s, forcent le spectateur a` se rendre compte de la transposition de la sce`ne, et de´tournent ainsi une partie de son attention de l’inte´reˆt principal. Apre`s chaque de´coration nouvelle, il est oblige´ de se remettre dans l’illusion dont on l’a fait sortir. La meˆme chose lui arrive, lorsqu’on l’avertit du temps qui s’est e´coule´ d’un acte a` l’autre. Dans les deux cas, le poe`te reparaıˆt, pour ainsi dire, en avant des personnages, et il y a une espe`ce de pre´face sous-entendue qui nuit a` la continuite´ de l’impression2. Examiner comment on pourrait e´carter les inconve´niens, et combiner les avantages des deux syste`mes, m’entraıˆnerait trop loin. Je laisse un soin pareil aux hommes plus particulie`rement voue´s a` ce genre d’e´tude. Mais l’indication que cet article contient peut n’eˆtre pas inutile. J’en ajouterai une autre non moins importante. Dans les pays libres, les caracte`res sont beaucoup plus inte´ressans que les passions. Les passions ne forment que des e´pisodes dans la vie des individus. Les caracte`res de´cident de la destine´e des peuples3. D’apre`s nos institutions actuelles, il me paraıˆt certain que nos
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En France, la mode du genre «historique» remonte au XVIIIe sie`cle, illustre´ par Voltaire, Belloy ou Che´nier, notamment, puis, sous l’Empire, par Legouve´, Aignan et Raynouard. Voir Anne Boe¨ s, La Lanterne magique de l’histoire, et Miche`le H. Jones, Le The´aˆtre national en France de 1800 a` 1830, Oxford : The Voltaire Foundation, 1982. D’une certaine fac¸on, BC se fait ici l’he´ritier des purs classiques ne pensant les unite´s de temps et de lieu qu’en fonction de la pre´sence d’un spectateur rationnel ne pouvant, ce qu’expliquait d’Aubignac, admettre, par exemple, qu’un meˆme plancher puisse repre´senter successivement le sol de deux endroits diffe´rents. Cette the`se avait de´ja` e´te´ malmene´e par Corneille, imaginant la possibilite´ d’inventer un temps et un lieu the´aˆtraux et non absolument concrets, voie qu’avait suivie Mme de Stae¨ l (voir J.-P. Perchellet, L’He´ritage classique, pp. 121–134). Le lien d’interde´pendance entre e´tat de la socie´te´ et forme artistique est constamment repris
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poe`tes seront pousse´s presque exclusivement vers la trage´die historique ; et, dans la trage´die historique, il sera difficile de ne pas admettre au moins en partie le syste`me des e´trangers. C’est l’instinct de cette ve´rite´ qui dicte a` nos litte´rateurs des the´ories long-temps frappe´es d’anathe`me, et a` la source desquelles eux-meˆmes ne remontent pas. B.
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au sein du Groupe de Coppet, au moins depuis la publication de De la litte´rature en 1800. En 1809, il transparaissait dans la pre´face a` Wallstein sans eˆtre clairement formule´ comme ici. Dans De l’Allemagne, Mme de Stae¨ l expliquait : «Vingt ans de re´volution ont donne´ a` l’imagination d’autres besoins que ceux qu’elle e´prouvait» (t. II, p. 254–255), ce qu’avait de´ja` explique´ Barante en 1809 : «On ne peut changer la forme ou l’esprit d’un gouvernement, les habitudes de la socie´te´, en un mot, les relations des hommes entre eux, sans que peu apre`s, la litte´rature n’e´prouve un changement correspondant.» (Tableau de la litte´rature franc¸aise au dix-huitie`me sie`cle, p. 8 ; dans la 7e e´dition (Paris : Charpentier, 1849), cette phrase se trouve p. 21.
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Conside´rations sur le projet de loi relatif aux e´lections, adopte´ par la Chambre des De´pute´s 20 janvier 1817
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Introduction
Il y a dans l’œuvre de Benjamin Constant plusieurs exemples d’articles de journaux retravaille´s pour en faire une brochure, qui acquie`rent par ce nouveau mode de publication plus d’importance et visent un autre public. L’article du Mercure sur le projet de loi relatif aux e´lections s’y preˆte particulie`rement puisque Constant n’y aborde pas seulement un des grands sujets de la discussion politique du jour, mais plus encore une question de principe ` d’une grande porte´e : les e´lections populaires dans un syste`me censitaire. A nouveau, ce sont les ultras qui voient dans les dispositions du projet de loi une re´miniscence re´volutionnaire. Comment peut-on garantir que les e´lections a` la Chambre des de´pute´s acquie`rent le statut d’e´lections nationales, au lieu de perpe´tuer les e´lections «de cotterie» ? Les de´pute´s devraient, dans la mesure du possible, approcher d’une repre´sentation nationale au lieu de repre´senter surtout les inte´reˆts des grandes fortunes. Le dilemme est ne´ du fait que la Charte exige, pour acque´rir la qualite´ d’e´ligible, une inde´pendance de fortune, base d’une inde´pendance du jugement, et une instruction suffisante pour les de´libe´rations. On a quelquefois reproche´ a` Constant d’avoir accepte´ trop facilement ces conditions, qui, en fait, restreignent conside´rablement le groupe des personnes qui peuvent pre´tendre a` se pre´senter aux e´lections. La brochure prouve qu’il faut nuancer ce jugement : tant que la constitution, qui pre´voit des e´lections censitaires, est en vigueur, on ne peut que se soumettre a` ce syste`me, si l’on ne veut pas risquer des discordes tre`s graves, surtout dans un moment de crise profonde. Mais la discussion sur le projet de loi, qui pre´voit un e´largissement conside´rable des e´lecteurs, et aussi des e´ligibles, permet a` Constant de formuler avec prudence, sous forme d’une vision d’un futur plus e´quitable, un but tout a` fait re´volutionnaire : qu’il faut saluer dans ce projet de loi sur les e´lections l’aurore d’un avenir dans lequel on pourrait re´aliser des e´lections populaires avec de moins en moins de restrictions discriminantes. Il le dit clairement lui-meˆme : «Je crois avoir expose´ avec pre´cision et ve´rite´ le principe du projet de loi, et re´fute´ les objections destine´es a` le combattre. Jamais je n’ai rien e´crit avec une conviction plus profonde. L’adoption de ce projet va donner une base large et nationale au syste`me repre´sentatif ; elle assurera le maintien de nos institutions, en confiant le choix des de´pute´s a` la majorite´ des Franc¸ais inde´pendans par leur fortune, inte´resse´s aux institutions et e´claire´s sur leurs inte´reˆts ; car, il faut
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
le dire, jamais loi ne fut plus populaire»1. Nous savons que cette vision ne se re´alisera pas de si toˆt. Mais rappelons tout de meˆme qu’elle est un des objectifs les plus importants du syste`me politique de Constant.
E´tablissement du texte Nous reproduisons ici le texte de la brochure, texte de´veloppe´ par rapport a` l’article du Mercure. Les variantes entre les deux versions sont re´pertorie´es au bas des pages. Imprime´s : CONSIDE´RATIONS SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AUX E´LEC TIONS, ADOPTE´ PAR LA CHAMBRE DES DE´PUTE´S ; PAR M. B. DE CONSTANT. (Extrait du Mercure de France du 18 Janvier.) PARIS, Chez DELAUNAY, Libraire, au Palais-Royal, galerie de bois. [petit filet ondule´] 1817. 8o, (210 × 125 mm). Pp. [1] titre, [2] publicite´, [3] Avertissement, [4] blanche, [5]–23 texte, 24–28 Notes, avec, p. 28, adresse de l’imprimeur Dubray, rue de Ventadour No 5. Courtney, Bibliography, 20a. Courtney, Guide, A20/1. Nous de´signons cette brochure par le sigle C. Exemplaire utilise´ : Universitätsbibliothek Tübingen, Fo III 799. Mercure de France, Des Chambres (IIIe article) Loi sur les e´lections, t. I, 18 janvier 1817, Rubrique, Inte´rieur, pp. 113–127. Courtney, Guide, D78. Nous de´signons cet article par le sigle M. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES Publie´s sur le Gouver nement repre´sentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espe`ce de Cours de Politique constitutionnelle ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [filet ondule´] DEUXIE`ME VOLUME. Troisie`me partie de l’Ouvrage. A PARIS, CHEZ P. PLANCHER, E´ DITEUR DES ŒUVRES DE o VOLTAIRE ET DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, n . 7. [petit filet ondule´] 1818. 8o, (215 × 134 mm).
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Voir ci-dessous, p. 640.
Conside´rations sur la loi des e´lections – Introduction
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Le texte de la brochure se trouve dans la section «Histoire de la Session de la Chambre des De´pute´s, 1816–1817», pp. 182–207. Courtney, Bibliography, 131a(2). Courtney, Guide, E1/1. Nous de´signons cette e´dition par le sigle CPC. Exemplaire utilise´ : Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Politik oct. 964 Meˆme texte dans la deuxie`me e´dition de l’ouvrage pre´ce´dent. La brochure est annonce´e dans le Constitutionnel, no 25, 25 janvier 1817, p. 4b. K. K.
3DJHGHWLWUHGHODEURFKXUH&RQVLGpUDWLRQVVXUOHSURMHWGHORLUHODWLIDX[pOHFWLRQV DGRSWpSDUOD&KDPEUHGHVGpSXWpV8QLYHUVLWlWVELEOLRWKHN7ELQJHQ)R,,,
Conside´rations sur le projet de loi relatif aux e´lections, adopte´ par la Chambre des De´pute´s
E´tablissement du texte : Imprime´s : Conside´rations sur le projet de loi relatif aux e´lections, 1817 [=C]. Mercure de France, Loi sur les e´lections, t. I, 18 janvier 1817, Rubrique : Politique, Inte´rieur, pp. 113–127. [=M]. Cours de politique constitutionnelle, t. II, pp. 182–207. [=CPC]
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Avertissement.
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Invite´ par quelques amis a` faire re´imprimer a` part les conside´rations suivantes, qui ont paru dans le Mercure du 18 de ce mois, j’y ai ajoute´ quelques de´veloppemens et quelques notes1.
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BC renvoie au Mercure du 18 janvier 1817 qui contient une premie`re version de ce texte. Voir ci-dessus, pp. 403–414. Les de´veloppements concernent le de´but du texte et deux aline´as sur les «rassemblements tumultueux» (voir ci-dessous, p. 642). Les notes reproduisent trois passages des Re´flexions sur les constitutions et donnent un extrait du discours de Laine´ sur le projet de loi relatif aux e´lections. Voir ci-dessous, pp. 645–648.
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Le projet de loi sur les e´lections, pre´sente´ par le gouvernement, et reveˆtu de l’assentiment de la chambre des de´pute´s, est d’une haute importance1. Il est de´sirable qu’enfin le droit d’e´lire librement des mandataires nationaux soit assure´ aux Franc¸ais, qui ne l’ont exerce´ jusqu’a` ce jour que d’une manie`re, tantoˆt incomple`te, et tantoˆt illusoire. Si le projet actuel remet ce droit a` une masse nombreuse de proprie´taires, identifie´s par leurs inte´reˆts a` nos institutions actuelles, son adoption sera un pas immense vers l’affermissement de ces institutions, et par la` meˆme vers la liberte´ et vers le repos, inse´parables aujourd’hui de la liberte´. Je pense donc que tout citoyen est excusable et louable meˆme, en soumettant au public des re´flexions sur une question si essentielle. Je commencerai par rapporter en abre´ge´ ce que les antagonistes du projet de loi ont dit de plus fort, et je crois qu’on reconnaıˆtra que je n’ai supprime´, ni de´figure´ leurs raisonnemens2. A les en croire, «ce projet de loi restreint a` un trop petit nombre les Franc¸ais qui participeront de´sormais au droit d’e´lire3. Quatre millions neuf 3–16 Le projet ... leurs raisonnemens. ] Je me proposais de rendre un compte de´taille´ de la discussion sur les e´lections, et d’analyser par ordre les opinions de chaque orateur. Mais cette loi est tellement importante, il est si de´sirable que par elle une grande masse a` la fois nationale et proprie´taire, se voie investie du droit d’e´lection, droit qui est reste´ jusqu’a` ce jour comple`tement illusoire pour la plus grande partie du peuple franc¸ais, que je crois plus utile de pre´senter des re´flexions sur le fonds de la loi, et sur son principe, que d’extraire une foule de discours ; il me tarde d’ailleurs de traiter aussi de la loi sur la liberte´ individuelle, loi non moins essentielle, et sur laquelle ma franchise sera la meˆme. Pour prouver ne´anmoins mon impartiabilite´, je vais rapporter en abre´ge´ ce que les antagonistes du projet de loi ont dit de plus fort, et je crois qu’on reconnaıˆtra que je n’ai ni supprime´, ni de´figure´ leurs raisonnemens. M La loi sur les e´lections est d’un inte´reˆt si universel, il est si de´sirable ... leurs raisonnemens. CPC 1 2
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Le texte du projet de loi sur les e´lections se trouve dans le Moniteur no 334, 29 novembre 1816, pp. 1334a–1334b. L’option pour une analyse syste´matique de la discussion dans un souci de clarte´ rend l’identification des citations et des allusions parfois difficile, voire impossible. Les guillemets n’annoncent pas toujours des citations, mais encadrent des montages de textes ou` des emprunts litte´raux, des phrases adapte´es et des commentaires interpre´tatifs forment un nouvel amalgame. La premie`re phrase est tire´e du discours de Caumont, Moniteur no 361/362 (nume´ro double), 26/27 de´cembre 1816, p. 1446b. L’argument selon lequel l’article 40 de la Charte permet deux degre´s d’e´lection se trouve dans le meˆme discours, et la conse´quence esquisse´e
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cent mille citoyens se verront de´pouille´s de ce droit pre´cieux ; la charte l’avait consacre´ et avait pourvu a` son exercice, en permettant deux degre´s d’e´lection. Par le premier degre´, la masse de la nation participait au choix de ses mandataires ; mais le projet tend a` former d’une seule classe, payant de 3 a` 700 francs, une aristocratie compose´e en partie de paysans, et en partie de bourgeois. Cette classe, qui s’e´le`ve a` plus de la moitie´ des contribuables, ayant toujours la majorite´ dans les colle´ges e´lectoraux, fera tout, dirigera tout, e´lira tout. La charte a conside´re´ la fortune comme une garantie ne´cessaire pour l’exercice des droits politiques1, et l’influence de la fortune sera de´truite ; car les riches, qui payent plus de 700 francs de contribution, seront en minorite´. Ces riches auraient pu trouver dans la classe des citoyens qui payent des contributions de moins de 300 francs des auxiliaires, a` l’aide desquels on aurait vu se re´tablir l’e´quilibre ; mais le projet de loi sacrifie tout a` la classe interme´diaire, qui a peu de chose a` perdre ou a` conserver. L’opinion de cette classe dominera seule, et fera pre´valoir les inte´reˆts nouveaux sur les inte´reˆts anciens. Voulez-vous la garantie de la proprie´te´ ? N’admettez pour e´lecteurs que les plus impose´s de chaque de´partement. Voulez-vous les principes du gouvernement repre´sentatif ? Ne refusez pas de laisser la nation intervenir dans les e´lections, au moins d’une manie`re indirecte. Le projet entraıˆnerait des difficulte´s de de´tail insurmontables2, et des disproportions monstrueuses ; l’on ne saurait comment re´unir les e´lecteurs, ni comment maintenir l’ordre dans leurs re´unions. Ici on aurait quinze mille individus a` rassembler ; la` cinquante ou soixante : ceux des campagnes ne se rendraient pas au chef-lieu ; ceux du chef-lieu profiteraient de l’absence 13 300 frances ] 700 francs CPC
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18 e´lecteurs ] les e´lecteurs CPC
dans les lignes suivantes est celle de Caumont, qui s’exprime pourtant d’une manie`re moins directe (p. 1446b). La dernie`re phrase de cet aline´a est une citation presque litte´rale du discours de Ville`le (Moniteur, meˆme nume´ro, p. 1448b). Ajoutons encore que le meˆme type d’argumentation se trouve dans le discours de Castelbajac (Moniteur, meˆme nume´ro, pp. 1450b–1450c). Les arguments re´sume´s dans ce paragraphe re´sument l’opinion de Ville`le (Moniteur, meˆme nume´ro, pp. 1448a–1448c), mais se servent aussi de formules trouve´es dans le discours de Caumont : «Les de´pute´s qui seraient nomme´s auraient peu de chose a` perdre, peu de chose a` conserver, et peut-eˆtre inte´reˆt a` innover» (Moniteur, meˆme nume´ro, p. 1446c). Les difficulte´s pratiques de´crites dans l’aline´a suivant sont e´voque´es par plusieurs orateurs. On les trouve dans le discours de Caumont cite´ ci-dessus (Moniteur, meˆme nume´ro, p. 1446b), dans celui de La Bourdonnaye (Moniteur no 364, 29 de´cembre 1816, p. 1458a), pour en citer deux exemples.
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de ceux des campagnes1. L’ine´galite´ de la repre´sentation serait porte´e a` un exce`s de´plorable. Dans tel de´partement, 150 e´lecteurs nommeraient deux de´pute´s ; dans tel autre, 20,000 n’en pourraient nommer que huit. Mieux vaut revenir aux colle´ges e´lectoraux, bien qu’ils soient de la cre´ation de Bonaparte. Ils n’avaient point fait de mauvais choix en 1814, puisque l’assemble´e de 1814 a rappele´ son roi ; ils en avaient fait de meilleurs encore en 18152.» Pour appre´cier cette se´rie d’argumens, il faut se´parer ceux qui se dirigent contre le fond du projet de loi, d’avec ceux qui ne portent que sur des de´tails d’exe´cution. Les premiers, destine´s a` attaquer la loi dans sa base, reposent sur deux ide´es qui d’abord sembleraient incompatibles, et que je ne veux pas essayer de concilier, de peur de de´montrer qu’elles sont inconciliables ; car alors on me reprocherait d’inculper des intentions, tandis que mon seul but est d’e´tablir des principes. La premie`re de ces ide´es, c’est qu’il ne faut pas priver les citoyens qui ne payent pas 300 francs d’impositions de toute participation, meˆme indirecte, a` la nomination de leurs de´pute´s. Mais commenc¸ons par examiner qu’elle e´tait l’e´tendue et la re´alite´ de cette participation dans l’e´tat actuel de nos colle´ges e´lectoraux ; nous examinerons ensuite quelle peut eˆtre cette meˆme e´tendue et cette meˆme re´alite´, dans tout syste`me qui divise l’e´lection en deux degre´s3. Dans notre le´gislation pre´sente, le droit qu’on regrette pour le peuple, en quoi consistait-il ? il consistait a` nommer des hommes charge´s d’en nommer d’autres, et qui, de`s l’instant qu’ils e´taient reveˆtus de la qualite´ d’e´lecteurs, se trouvaient imme´diatement, et pour la vie, se´pare´s de ceux qui leur avaient confe´re´ cette dignite´. Ce droit consistait donc a` cre´er une aristocratie viage`re qui, loin d’eˆtre un lien entre la repre´sentation et le peuple, e´tait au contraire une barrie`re, un mur de se´paration, entre le peuple et la 14 reprocherait ] la source porte rapprocherait 1 2
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Ide´e qu’on trouve dans le discours de Caumont, Moniteur no 361/362 (nume´ro double), 26/27 de´cembre 1816, p. 1446c. Le fait que les colle`ges e´lectoraux avaient e´te´ cre´e´s par Bonaparte est e´voque´ dans le discours de Cardonnel (Moniteur no 364, 29 de´cembre 1816, p. 1456a. Il est surtout de´veloppe´ par Benoist dans son discours du 30 de´cembre (Moniteur no 1, 1er janvier 1817, pp. 3c–4a). L’allusion enfin aux e´ve´nements de 1814 et 1815 se trouve dans le discours de Castel-Bajac, Moniteur no 361/362 (nume´ro double), 26/27 de´cembre 1816, p. 1450b, et revient dans le discours de Bonald (Moniteur no 2, 2 janvier 1817 ; Pense´es sur divers sujets, et discours politiques, t. II, pp. 224–225). Le syste`me attaque´ par BC dans les aline´as qui suivent est de´fendu avec plus de force par Ville`le dans son discours du 26 de´cembre 1816 (Moniteur, meˆme nume´ro, pp. 1448a– 1449c). Le motif est moins constitutionnel que mate´riel. On craint l’augmentation des impoˆts, seul moyen de trouver les ressources pour payer les dettes de la France a` l’e´gard des puissances allie´es, et on craint l’esprit dit re´volutionnaire lorsqu’on accepte des e´lections directes.
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repre´sentation ; car, une fois les colle´ges e´lectoraux forme´s, le reste de la nation ne pouvait plus avoir d’influence sur le choix des de´pute´s. Si l’on compare ce syste`me avec celui qu’introduit la loi nouvelle, on ne peut s’empeˆcher de reconnaıˆtre que le premier ne confe´rait qu’un droit illusoire. Le seul re´sultat re´el de ce droit e´tait de confier a` 16 ou 20 mille individus l’e´lection de nos mandataires, tandis que le projet de loi qu’on propose remet ce choix a` cent mille citoyens, et que les re´unions de ces cent mille proprie´taires, dans les divers de´partemens, diffe´reront encore des anciens colle´ges e´lectoraux en ce point essentiel, qu’elles ne formeront point une classe a` part et permanente dans sa tre`s-grande majorite´, mais que l’enceinte e´lectorale sera de´sormais ouverte a` tous ceux qui acquerront la contribution requise ; de sorte que toute augmentation de fortune, toute spe´culation le´gitime, tout effort d’industrie heureuse, toute e´conomie sage et prolonge´e, confe´reront de droit a` tout Franc¸ais une part ve´ritable et positive a` l’exercice du droit le plus pre´cieux dans un e´tat repre´sentatif. Dira-t-on qu’on pouvait donner aux colle´ges e´lectoraux une organisation meilleure, ne pas les faire a` vie, les renouveler plus souvent ? Je re´ponds que l’inconve´nient de re´duire une grande partie, les quatre cinquie`mes de ceux qui, par le projet de loi, votent directement pour le choix des de´pute´s, a` ne voter que pour des nominations d’e´lecteurs subsisterait toujours. De l’aveu meˆme des antagonistes du projet, le droit d’e´lire les de´pute´s ne peut s’accorder qu’a` ceux qui payent 300 francs de contribution. En conse´quence, pour augmenter le nombre qui concourrait a` des nominations illusoires, on propose de restreindre celui qui doit concourir a` des nominations re´elles ; il n’y a pas moyen d’obscurcir la question. Si vous e´tablissez deux degre´s d’e´lec tion, vous aurez plus de suffrages pour cre´er des e´lecteurs ; mais vous en aurez moins pour cre´er des de´pute´s. Or, cre´er des e´lecteurs, est-ce participer aux avantages du gouvernement repre´sentatif ? Est-ce exercer les droits que ce gouvernement garantit aux citoyens ? Non, c’est confe´rer a` d’autres le droit d’exercer ces droits. Les seuls citoyens, dans un pareil syste`me, sont les e´lecteurs ; le reste de la nation est de´she´rite´e, et qu’on ne dise pas qu’elle se de´she´rite volontairement : certes, elle y est force´e, quand la loi ne lui laisse l’option que de nommer les e´lecteurs ou de ne nommer personne. Il vaut donc beaucoup mieux accorder a` cent mille hommes une participation directe, active, re´elle, a` la nomination des mandataires d’un peuple que de faire de cette participation un monopole pour seize ou vingt mille, sous pre´texte de conserver a` un, ou a` deux, ou meˆme, si l’on veut adopter le calcul d’un des opposans au projet de loi, a` quatre millions, une participation indirecte, inactive, chime´rique, et qui se borne toujours a` une vaine ce´re´monie1. 1
Allusion au discours de Benoist du 30 de´cembre 1816. L’orateur y pre´sente, en partant des
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L’e´lection directe constitue seule le vrai syste`me repre´sentatif. Quand des citoyens sont appele´s a` nommer leurs de´pute´s, ils savent quelles fonctions ces de´pute´s auront a` remplir. Ils ont un terme de comparaison pre´cis et clair entre le but qu’ils de´sirent atteindre, et les qualite´s requises pour que ce but soit atteint. Ils jugent en conse´quence de l’aptitude des candidats, de leurs lumie`res, de leur inte´reˆt au bien public, de leur ze`le, et de leur inde´pendance. Ils mettent eux-meˆmes un grand inte´reˆt aux nominations, parce qu’a` leur re´sultat se lie l’espoir de se voir appuye´s, de´fendus, pre´serve´s d’impoˆts excessifs, prote´ge´s contre l’arbitraire. Mais quand ces citoyens ne sont appele´s qu’a` nommer des e´lecteurs, c’est-a`-dire, des hommes qui en nomment d’autres, le meˆme inte´reˆt n’existe pas. Ces e´lecteurs, apre`s avoir en dix jours donne´ leurs suffrages, rentrent dans leur nullite´, ne pouvant faire de bien a` personne, embrasser la cause de personne. Le peuple ne peut donc mettre, a` choisir des e´lecteurs, la meˆme importance qu’a` choisir des de´pute´s. Le re´sultat du premier choix n’est point de´cisif. Nul arrondissement ne sait si la nomination des repre´sentans sera seulement modifie´e par la fraction e´lectorale, au choix de laquelle il aura concouru. Cette nomination d’e´lecteurs est un de´tour, une filie`re, qui cache le but aux regards, et qui re´froidit l’esprit public. D’un autre coˆte´, des colle´ges e´lectoraux, peu nombreux, de´naturent aussi les effets de l’e´lection. Les gouvernemens dans lesquels le peuple est de quelque chose, seraient le triomphe de la me´diocrite´, sans une sorte d’e´lectricite´ morale, dont la nature a doue´ les hommes, comme pour assurer l’empire des qualite´s distingue´es. Plus les assemble´es sont nombreuses, plus cette e´lectricite´ est puissante : et, comme lorsqu’il est question d’e´lire, il est utile qu’elle dirige les choix, les assemble´es qui e´lisent doivent eˆtre aussi nombreuses que cela est compatible avec le bon ordre. Les hommes ordinaires ne sont justes que lorsqu’ils sont entraıˆne´s ; ils ne sont entraıˆne´s que lorsque, re´unis en grand nombre, ils re´agissent les uns sur les autres. Les colle`ges e´lectoraux, restreints, se´pare´s de la nation, formant une corporation ferme´e, comme ils le font de`s que tout proprie´taire payant la quo21 – p. 634.15 Les gouvernemens ... sur beaucoup d’objets. ] Un petit nombre d’e´lecteurs fait, au lieu de choix nationaux, des choix de cotterie. CPC 31 – p. 634.6 Les colle`ges e´lectoraux ... de la nation. ] passage ajoute´ dans C contributions paye´es par quelques de´partements, un calcul pour de´montrer que les contribuables payant moins de 300 fr. d’impoˆts posse`dent 19 trentie`mes de la proprie´te´ foncie`re. Il en conclut que «les deux tiers de la proprie´te´ franc¸aise sont exclus du droit d’e´lire» (Moniteur no 1, 1er janvier 1817, pp. 2c–3b).
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tite´ prescrite d’impoˆts n’y entre pas de droit, favorisent, par cette seule organisation, l’envie de la nullite´. Sans doute, on a toujours vu sie´ger dans nos le´gislatures des hommes e´claire´s ; mais il faut convenir ne´anmoins qu’il s’y est introduit beaucoup d’hommes qui n’ayant ni proprie´te´s, ni faculte´s e´minentes, n’auraient jamais obtenu, par un mode d’e´lection vraiment populaire, les suffrages de la nation. On n’attire les regards de quelques milliers de citoyens que par des titres positifs, une opulence noblement employe´e, une industrie utile a` plusieurs classes, une re´putation e´tendue ; mais des relations domestiques, des relations de cotterie, accaparent la majorite´ dans un colle´ge peu nombreux. Pour eˆtre nomme´ par le peuple, il faut avoir des partisans place´s au-dela` des alentours ordinaires, et par conse´quent un me´rite positif ; pour eˆtre choisi par quelques e´lecteurs, il suffit de n’avoir point d’ennemis. L’avantage est tout entier pour les qualite´s ne´gatives1 ; aussi la repre´sentation nationale a-t-elle e´te´ souvent moins avance´e que l’opinion sur beaucoup d’objets. On me dira que dans plusieurs de´partemens les e´lecteurs seront en tre`spetit nombre. C’est un inconve´nient inhe´rent a` l’e´tat pre´sent des choses ; au moins ce nombre ne sera pas limite´ ; il pourra s’accroıˆtre par l’accroissement de l’aisance nationale, suite infaillible de la liberte´. D’ailleurs on convient, et meˆme on objecte, que dans beaucoup d’autres de´partemens les assemble´es seront tre`s-nombreuses. Profitons donc de ce qui est, en attendant ce qui n’est pas encore. Que si l’on pre´tend qu’en descendant audessous de 300 fr. l’on augmenterait imme´diatement le nombre des e´lecteurs, on trouvera tout a` l’heure ma re´ponse. L’e´lection directe, en faveur de laquelle de´posent toutes les vraisemblances de la the´orie, tous les te´moignages de la pratique, tous les e´crivains anciens, toutes les expe´riences modernes ; l’e´lection directe qui, en Ame´14–15 aussi ... d’objets. ] phrase ajoute´e dans C 16–24 On me dira ... ma re´ponse. ] passage donne´ en note dans M 23 l’on ] on CPC 24 re´ponse. ] suit encore une note dans CPC : Je suis oblige´ de supprimer les preuves et d’abre´ger les re´flexions ; mais je renvoie le lecteur a` la page 56 du premier volume de cette collection. Je l’invite aussi a` consulter les Derniers Vues de M. Necker, ouvrage a` la fois courageux, e´loquent et profond, que nos apprentis en liberte´ devraient lire au lieu d’en attaquer l’auteur. Il continue ainsi : «Vous de´truisez cette relation , soit en oˆtant au peuple son droit, soit en changeant ce droit en un semblant, en une simple fiction.» Dans le meˆme ouvrage, il a combattu l’institution des listes d’e´ligibles, avec des raisonnemens auxquels il est impossible de re´pondre, et tous ces raisonnemens que malheureusement je ne puis rapporter faute de place, s’appliquent aux nominations d’e´lecteurs. 25 – p. 635.7 L’e´lection ... profondes. ] supprime´ dans CPC 27 anciens ] suit encore une note dans M : Je suis oblige´ de supprimer les preuves et d’abre´ger les re´flexions ; mais j’ose renvoyer le lecteur a` l’ouvrage que j’ai publie´ en 1814 et 1815, sur les Constitutions et les Garanties. Tous les avantages de l’e´lection directe y sont, je le crois de´montre´. 1
Le passage depuis «des colle`ges e´lectoraux» (p. 633, ligne 20) jusqu’a` «qualite´s ne´gatives»
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rique et en Angleterre, va toujours chercher les grands proprie´taires et les hommes distingue´s ; cette e´lection, enfin, consacre´e par les deux plus profonds publicistes de l’Europe e´claire´e, Machiavel et Montesquieu a, peut seule e´tablir un lien continuel, un lien plus ou moins e´troit entre les chefs de l’e´tat et la masse des citoyens ; elle seule peut inves tir la repre´sentation nationale d’une force ve´ritable, et lui donner dans l’opinion des racines profondes b. (1)1 Sans doute le nombre des e´lecteurs qu’admet le projet de loi est encore tre`s-restreint : je conviens volontiers qu’il est faˆcheux que dans une nation de vingt-six millions d’hommes, cent mille seulement soient e´lecteurs. J’ai exprime´ ailleurs mon opinion sur les conditions de proprie´te´ que le corps social peut et doit exiger de ses membres pour l’exercice des droits politiques. (2)2 Tout homme qui posse`de un revenu, tel qu’il puisse subsister sans eˆtre aux gages d’un autre, devrait jouir de ces droits, et le paiement de 300 francs de contributions directes, suppose incontestablement un revenu trop e´leve´. Mais on ne peut en accuser le projet de loi ; la charte est notre re`gle ; elle ne peut eˆtre modifie´e. Les antagonistes du projet le reconnais-
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Machiavel, Decad., I,47. Montesquieu, Esp. des lois, II,23. Voyez les notes a` la fin4.
5 citoyens ] suit encore une note dans M Voy. M. Necker, dans ses Dernie`res vues, ouvrage ... d’e´lecteurs. voir la variante a` la p. 634, ligne 24
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(p. 634, ligne 13), est repris, avec quelques coupures, des Principes de politique de 1806, chap. XV, (e´d. Hofmann, pp. 398–399), a` l’exception des phrases signale´es comme ajoute´es (voir la variante p. 633, a` la ligne 31). D’une manie`re ge´ne´rale, l’ensemble de ce texte est proche de l’ancien chapitre XV des Principes de politique, malgre´ le changement dans les institutions. Les chiffres entre parenthe`ses renvoient aux quatre notes a` la fin de ce texte (ci-dessous, pp. 645–648). BC renvoie a` un passage tire´ des Re´flexions sur les constitutions. Voir ci-dessous p. 646, et OCBC, Œuvres, t. VIII,2 p. 1032. Voir Machiavel, Re´flexions de Machiavel sur la premie`re de´cade de Tite-Live, livre I, chap. 47, intitule´ : «Que les hommes quoique sujets a` se tromper dans les affaires ge´ne´rales ne se trompent pas dans les particulie`res». Ce chapitre parle entre autres des votes des ple´be´iens romains dans les e´lections de consuls. Le peuple «se croyait en ge´ne´ral digne du consulat. [...] Mais oblige´ de porter un jugement particulier sur chacun des candidats de son corps, il ne sentit que leur incapacite´ ; [...] Honteux pour tous ces candidats, il ne donna son suffrage qu’a` des patriciens d’un me´rite reconnu.» (t. I, pp. 339–340). BC renvoie aussi a` Montesquieu parce que celui-ci loue dans le chapitre cite´ surtout Solon : «Solon divisa le peuple d’Athe`nes en quatre classes. Conduit par l’esprit de la de´mocratie, il ne les fit pas pour fixer ceux qui devoient e´lire, mais ceux qui pouvaient eˆtre e´lus ; et laissant a` chaque citoyen le droit d’e´lection, il voulut que, dans chacune de ces quatre classes, on puˆt e´lire des juges ; mais que ce ne fuˆt que dans les trois premie`res, ou` e´taient les citoyens aise´s, qu’on puˆt prendre les magistrats.» (Montesquieu, Œuvres comple`tes, II, p. 242.) La note (1) renvoie a` un passage du discours de Laine´ du 28 novembre 1816. Voir cidessous, pp. 645–646.
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sent avec nous, et eux sur-tout auraient mauvaise graˆce s’ils voulaient s’en plaindre ; car c’est la faute de quelques-uns d’entr’eux, si le gouvernement, qui avait admis l’anne´e dernie`re la possibilite´ des ame´liorations, a duˆ craindre qu’on ne s’en servit pour tout de´truire, et s’est vu contraint a` y renoncer. La charte ayant donc prononce´ que nul citoyen qui ne paye pas 300 francs de contribution ne peut concourir au choix des de´pute´s, le projet de loi, soumis a` cette re`gle, contient ce qu’elle admet de meilleur, de plus libe´ral, de plus populaire. Par ce syste`me, l’e´lection partira, pour la premie`re fois en France, d’une source vraiment nationale, et, bien que les proprie´taires qui ne payent pas 300 francs de contribution puissent s’affliger de ce qu’une barrie`re souvent imperceptible les privera momentane´ment de la ple´nitude de leurs droits, ils participeront eux-meˆmes bien plus aux avantages du gouvernement repre´sentatif, en trouvant dans leurs amis, dans leurs parens, dans leurs e´gaux, des e´lecteurs de droit, a` qui personne ne pourra contester cette qualite´, qu’ils n’y participeraient si, d’une part, ils avaient la faculte´ trompeuse d’inscrire quelques noms d’e´lecteurs sur une liste ; et si, de l’autre part, la distance entr’eux et les e´lecteurs e´tait bien plus grande, et le nombre de ces derniers bien plus resserre´. Il ne faut pas croire que les bienfaits du syste`me repre´sentatif disparaissent entie`rement pour ceux qui n’en exercent pas toutes les pre´rogatives, quand ces pre´rogatives sont exerce´es par une classe tre`s-voisine d’eux. Il n’y aura point entre les proprie´taires qui payent 300 fr. de contribution, et ceux dont les contributions seront moins e´leve´es, une ligne de de´marcation qui rende leurs inte´reˆts diffe´rens. Les petits proprie´taires, et meˆme les nonproprie´taires, dans les bourgs, les villages, les hameaux, seront unis par des relations de famille avec beaucoup de prorie´taires payant 300 francs ; ils auront la perspective d’entrer peut-eˆtre eux-meˆmes un jour dans cette classe. Ainsi la barrie`re ne sera point durable, et les inte´reˆts seront identiques. Le contraire aurait lieu, si l’on adoptait la proposition de de´clarer e´lecteurs les plus impose´s : c’est la seconde ide´e mise en avant par les antagonistes du projet de loi. La richesse forme autour d’elle-meˆme une enceinte bien plus impe´ne´trable que la me´diocrite´ de fortune, et l’on peut affirmer que les plus impose´s, constitue´s exclusivement en corps e´lectoral, composeraient une aristocratie invincible et permanente. Cependant, par une bizarrerie singulie`re, les meˆmes orateurs qui re´clamaient les droits du peuple, ont invoque´ ensuite tout a` coup l’olygarchie des plus impose´s, sautant de la sorte, avec une agilite´ merveilleuse, des proprie´taires aux riches, et par-dessus la nation. Comment expliquer cette e´volution e´trange ? Ils nous l’expliquent.
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«En descendant, nous disent-ils, au dessous des impose´s a` 300 fr., on aurait admis les hommes qui exerc¸ant une industrie, ou s’aidant de leur travail, sont les auxiliaires naturels des grandes proprie´te´s et des grandes fortunes, ce qui aurait atteint le but qu’on se propose ; puisque c’est dans la fortune qu’on cherche des garanties1.» (J’observe en passant l’emploi d’un mot pour un autre ; changement qui ne laisserait pas que d’avoir d’importantes conse´quences. La charte ne cherche point des garanties dans la fortune, mais dans la proprie´te´, et c’est pour cela que le syste`me e´lectoral doit favoriser non les riches exclusivement, mais les proprie´taires.) Je reprends le raisonnement que j’ai cite´ et la question me devient claire. Ce ne sont plus les droits du peuple qu’on fait valoir ; c’est l’appui que la de´pendance du peuple pourra donner a` une classe particulie`re ; appui qu’on n’espe`re pas trouver parmi les citoyens payant 300 fr. La question se re´duit donc a` ses termes : Voulez-vous qu’une seule classe, aide´e d’une clientelle nombreuse et obe´issante, dirige les e´lections dans son sens, dans ses inte´reˆts, dans ses souvenirs, dans ses ressentimens, peut-eˆtre ? ou voulez-vous, sans exclure cette classe, car elle est comprise dans les impose´s a` 300 fr., mais en la se´parant d’auxiliaires aveugles et d’instrumens passifs, que tous les proprie´taires payant au-dessus de 300 fr. d’impots soient admis a` choisir leurs mandataires et leurs organes ? Je dis tous les proprie´taires ; car dans le syste`me repre´sentatif, ce que fait la majorite´ est reconnu pour l’ouvrage de l’ensemble. Or, par un aveu tre`s-louable dans sa naivete´, les adversaires du projet de´clarent en propres termes que les citoyens payant de 3 a` 700 fr. forment la majorite´ des contribuables admis a` voter2. «En adoptant la loi propose´e, dit le premier orateur qui ait parle´ contre le projet, vous donnez a` la classe des paysans de 3 a` 700 fr., le droit de tout faire, de tout diriger, de tout e´lire. Ces impose´s de 3 a` 700 fr. forment plus de la moitie´ de ce que, dans le projet, on appelle des e´lecteurs a». a
Moniteur du 27 de´cembre. Depuis l’impression de ces Observations dans le Mercure, ou` j’avais [o]mis le mot paysans, on m’a averti que j’avais commis une erreur, et qu’il y avait les paysans de 3 a` 700 fr. j’ai consulte´ le Moniteur que j’avais fait extraire, et j’ai reconnu que le reproche e´tait fonde´. Je m’empresse de re´tablir cette me´prise involontaire3.
31–34 Depuis ... involontaire. ] manque dans M et CPC 1 2 3
Discours de Ville`le, Moniteur, nos 361/362 (nume´ro double), 26/27 de´cembre 1816, p. 1448b. Allusion au discours de Caumont qui a parle´ le premier contre le projet de loi. BC va en citer le passage (Moniteur, meˆme nume´ro, p. 1446b). Note e´nigmatique. Elle peut eˆtre motive´e par le souci de ne donner aucun pre´texte a` la censure pour supprimer la brochure. L’exemplaire du Mercure conserve´ a` la BnF que nous
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Mais si je ne me trompe, plus de la moitie´ et la majorite´, c’est chose identique. Il s’ensuit que ce que l’on reproche au projet, c’est de faire que la majorite´ de ceux que la charte appelle a` concourrir a` l’e´lection, ait par l’e´lection, l’influence que la majarite´ doit avoir. Singulier reproche ! Si j’avais eu l’honneur d’eˆtre de´pute´, j’aurais prononce´ les meˆmes paroles pour faire adopter la loi. Mais ces impose´s de 3 a` 700 fr. composent la classe interme´diaire, et cette classe interme´diaire inspire aux ennemis du projet de loi un effroi qu’ils ne sauraient de´guiser. Cet effroi leur dicte des aveux bien pre´cieux a` recueillir. Je m’appuyerai donc de leurs aveux meˆmes. Nous avons vu qu’ils reconnaissaient que cette classe interme´diaire formait la majorite´ des contribuables. Ils reconnaissent de plus, que «dans cette classe interme´diaire, dans ces e´lecteurs a` 300 fr., classe pre´destine´e, se trouvent concentre´s tous les inte´reˆts ne´s pendant nos discordes civiles1.» Ne nous effrayons pas du mot d’inte´reˆts ne´s pendant les discordes civiles ; il ne signifie autre chose sinon les inte´reˆts ne´s pendant les vingt-sept anne´es qui viennent de s’e´couler. Ces inte´reˆts ne´s pendant nos discordes, ne sont point ne´s de nos discordes : ils sont ne´s au contraire des transactions qui ont eu lieu, des portions d’ordre social conserve´es ou re´tablies, enfin, de tout ce qui a e´te´ sanctionne´ par les lois, malgre´ nos discordes, et souvent pour les appaiser ou les finir. Ces inte´reˆts sont tous en faveur de nos institutions actuelles, qui les garantissent, et l’identite´ des inte´reˆts avec les institutions est le meilleur gage du repos, comme l’opposition de ces deux choses est la cause la plus infaillible des bouleversemens. Voila` de´ja` deux faits reconnus, et de ces deux faits en re´sulte un troisie`me, tre`s-heureux, tre`s-important : C’est que la majorite´ de la France est pour les inte´reˆts actuels, puisque la classe interme´diaire forme la majorite´ des contribuables, et que cette classe est de´voue´e aux inte´reˆts actuels. Puissent ceux qui nous l’ont dit, le croire autant que nous ! Ce n’est pas tout. «Dans la classe interme´diaire, continuent les opposans au projet de loi, se trouvent l’e´ducation, l’habitude des affaires, l’habilite´ dans le commerce et l’industrie, l’aptitude a` toutes les professions utiles. La`, est l’esprit d’action
5–6 prononce´ ... la loi. ] pronconce´ en faveur de la loi les meˆmes paroles. CPC meˆmes paroles ] prononce´ les meˆmes paroles a` l’exception du mot paysans M
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prononce´ les
avons utilise´ pour l’e´tablissement du texte imprime le passage cite´ correctement, comme la brochure. Faut-il penser qu’il y a eu deux tirages de la livraison du 18 janvier ? Un premier qui contient la faute dont il est question dans la note, un second qui re´tablit le texte de la citation ? Nous n’avons pu trouver aucun exemplaire du Mercure avec la faute en cause. Discours du marquis de Montcalm, Moniteur no 366, 31 de´cembre 1816, p. 1470b.
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et de force, l’e´nergie qui donne la vie et le mouvement aux e´tats ; la`, est le centre des lumie`res1.» Je n’ajoute pas un mot a` ce pane´gyrique, et je rapporterai bientoˆt les phrases destine´es a` en affaiblir l’impression ; mais auparavant, je m’arreˆte et je demande quel est le but qu’un syste`me d’e´lection doit se proposer ? C’est 1.o que le plus grand nombre possible de proprie´taires concoure a` l’ope´ration d’e´lire, et que la majorite´ de´cide des re´sultats. Or, d’apre`s les aveux que j’ai cite´s, ce premier but se trouve atteint, car tous les proprie´taires admis par la charte sont e´lecteurs, de droit ; et si la classe interme´diaire de´cide des choix, ce ne sera qu’en conse´quence de sa qualite´ de majorite´, c’est-a`-dire conforme´ment a` tous les principes du gouvernement repre´sentatif. 2.o Une loi d’e´lection doit avoir pour but, de faire que tous les inte´reˆts qui ont cre´e´ les institutions qu’on veut conserver, inte´reˆts sur lesquels ces institutions reposent, soient repre´sente´s. Or, on a reconnu que la classe interme´diaire repre´sentait ces inte´reˆts. 3.o Enfin, une loi d’e´lection doit appeler a` l’exercice de ce droit important, les hommes qui, en re´unissant les qualite´s requises, ont de plus, l’e´ducation, les lumie`res, l’habitude des affaires, l’aptitude a` tout. On vient de nous dire que la classe interme´diaire posse´dait toutes ces choses. «Mais, continue-t-on, la` aussi se trouve le centre de la turbulence, de l’agitation, de l’ambition, et de l’intrigue, sa constante auxiliaire2.» Est-ce se´rieusement qu’on dirige contre la classe interme´diaire ces accusations ! quoi ! la turbulence n’est pas plutoˆt l’appanage des classes infe´rieures ! l’ambition et l’intrigue celui des classes supe´rieures ! quoi ! ce n’est plus parmi les prole´taires que les factions prennent des instrumens, et parmi les riches qu’elles choisissent leurs chefs ? Je ne veux pas abuser de mes avantages, et j’e´carte l’histoire qui m’offre d’innombrables faits. Mais en 1815 et jusqu’au 5 septembre 1816, la pauvre classe interme´diaire ne jouait pas un roˆle brillant. N’y a-t-il point eu de turbulence, point de soule`vemens, point d’actes ille´gaux, point de violences extra-judiciaires, point d’ambition, point d’intrigues ? Ce n’est pas seulement ce que nous avons lu qu’on veut nous faire oublier, c’est ce que nous avons vu et souffert3. 1
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Discours de Benoist du 30 de´cembre 1816. Moniteur no 1, 1er janvier 1817, p. 3b. La meˆme opinion peut se rencontrer aussi chez les de´fenseurs du projet de loi : Discours de Favard de Langlade, Moniteur no 363, 28 de´cembre 1816, p. 1452c. Voir aussi le discours de Courvoisier, Moniteur no 365, 30 de´cembre 1816, p. 1465c, ou` il y a un e´cho de cette appre´ciation. BC reprend ici une phrase de Benoist, Moniteur no 1, 1er janvier 1817, p. 3b. L’argument apparaıˆt aussi dans le discours de La Bourdonnaye, Moniteur no 364, 29 de´cembre 1816, p. 1458a. Allusion a` la Terreur blanche.
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On a e´te´ jusqu’a` dire «que des de´pute´s nomme´s par des e´lecteurs a` 300 fr., auraient peu de choses a` perdre et peu de chose a` conserver1.» Ne sait-on donc pas que ce sont les proprie´taires de fortunes me´diocres qui ont le plus d’inte´reˆt a` ne rien perdre, parce que peu les ruine, et le plus d’inte´reˆt a` tout conserver, parce que rien n’est re´pa rable. La pauvrete´ a trop peu a` perdre, mais la richesse peut trop risquer. Dans la me´diocrite´, dans la classe interme´diaire, est e´minemment l’inte´reˆt de la conservation, et par la` meˆme de l’ordre. On a dit encore : «Si la classe au-dessous de 300 fr. est appele´e a` concourir a` la nomination des e´lecteurs, cette classe, attache´e aux grands proprie´taires, formera le contrepoids2.» Quel contrepoids veut-on former ? quel e´quilibre veut-on e´tablir ? Ce n’est pas, je pense, celui des hommes ennemis de ce qui existe, contre les hommes amis de ce qui existe : je craindrais de le croire. Mais un orateur du meˆme coˆte´ semble toutefois le dire en termes clairs. «Les hautes classes conservent une aversion pour les syste`mes qui tiennent aux ide´es de la re´volution ; la classe infe´rieure les a abandonne´s. Dans la classe interme´diaire, ils ont e´tendu leurs racines3.» Sont-ce donc les hautes et les basses classes que vous voulez enre´gimenter contre la classe interme´diaire ? Ah ! vous n’avez pas senti ce que vous proposiez ; car ce que vous proposez n’est autre chose, a` votre insu, qu’un moyen de guerre civile. Sans doute il faut un e´quilibre, il faut une opposition, il faut des contrepoids dans tout gouvernement repre´sentatif ; mais cet e´quilibre, ces contrepoids, cette opposition doivent eˆtre fonde´s sur l’amour de la liberte´, et non sur la haıˆne des institutions. Je crois avoir expose´ avec pre´cision et ve´rite´ le principe du projet de loi, et re´fute´ les objections destine´es a` le combattre. Jamais je n’ai rien e´crit avec une conviction plus profonde. L’adoption de ce projet va donner une base large et nationale au syste`me repre´sentatif ; elle assurera le maintien de nos institutions, en confiant le choix des de´pute´s a` la majorite´ des Franc¸ais inde´pendans par leur fortune, inte´resse´s aux institutions et e´claire´s sur leurs inte´reˆts ; car, il faut le dire, jamais loi ne fut plus populaire, et c’est une nouvelle preuve de l’instinct admirable de ce peuple, que son assentiment a` une proposition qui semble priver une partie de lui-meˆme d’un droit qui, tout illusoire, pouvait ne´anmoins flatter sa vanite´. 2 Ne ] la source porte ne C 1 2 3
Discours de Caumont, Moniteur nos 361/362 (nume´ro double), 26/27 de´cembre 1816, p. 1446c. Discours de La Bourdonnaye du 28 de´cembre 1816, Moniteur no 364, 29 de´cembre 1816, p. 1458a. Citation non localise´e.
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Le rejet du projet de loi nous aurait replonge´ dans un inextricable chaos, aurait renouvele´ l’existence de colle´ges e´lectoraux incomplets, et ne´cessite´ par la` la continuation de ces adjonctions arbitraires, subversives du syste`me repre´sentatif, puisqu’elles confe`rent la qualite´ d’e´lecteurs a` des hommes qui n’ont ni les conditions requises, ni une mission de leurs concitoyens pour y supple´er. De la sorte serait revenue l’e´poque de ces simulacres d’e´lections ou` ni la nation, ni ses inte´reˆts n’e´taient repre´sente´s ; le ve´ritable droit d’e´lection eut e´te´ restreint a` une petite minorite´, et en accordant au grand nombre une faculte´ chime´rique, l’on euˆt offert des instrumens aux factions, qui s’emparent de tout, sous la seule condition que ce dont elles s’emparent ne soit pas national. Je vais maintenant examiner tre`s-brie`vement quelques reproches de de´tails adresse´s a` la loi, et parler des amendemens qui ont e´te´ adopte´s. Mais, je le re´pe`te, les difficulte´s d’exe´cution ne sauraient balancer l’utilite´ du principe. Ces difficulte´s s’applaniront par l’usage ; on de´couvrira graduellement les meilleurs moyens d’y parvenir. Quand la base est solide, les ame´liorations sont faciles. On a dit que les e´lecteurs ne viendraient pas. Je remarquerai d’abord, avec un de´fenseur du projet1, qu’il n’est pas permis d’effacer un droit, sous pre´texte que celui a` qui ce droit appartient n’en fait pas de cas et ne voudra pas en faire usage. Mais j’oserai dire ensuite que les e´lecteurs viendront, quand ils verront que leur suffrage ne sera pas une forme vaine et illusoire, quand l’expe´rience les aura convaincus que de leur ze`le de´pendent la sage mode´ration des impoˆts et le maintien des liberte´s individuelles ; ils viendront, quand ils verront qu’on les compte vraiment pour des citoyens. Je l’affirme, le temps n’est pas loin ou` l’e´lecteur qui ne´gligerait son devoir rougirait aux yeux de ses alentours, dont il aurait pour sa part compromis les inte´reˆts. La jouissance de la liberte´ apprend bien vıˆte a` l’homme a` mettre du prix a` ses droits. Je dirai de plus que si quelquefois quelques-uns ne venaient pas, c’est qu’il n’aura pas e´te´ indispensable qu’ils vinssent. Si, dans les temps calmes, leur assiduite´ se relaˆchait, le danger de cette ne´gligence momentane´e ne serait pas grand : cette ne´gligence meˆme serait une preuve de bien-eˆtre. Le malheur rend l’homme actif ; il ne ne´glige aucun moyen d’y porter reme`de. J’ajouterai une conside´ration. L’hypothe`se que beaucoup d’e´lecteurs a` 300 fr. n’assisteront pas aux assemble´es, aurait duˆ, ce me semble, re´concilier avec le projet de loi ceux qui le repoussent. Ne se plaignaient-ils pas 1
La phrase cite´e («il n’est pas ... usage.) est tire´e du discours de Royer-Collard, Moniteur nos 361/362 (nume´ro double), 26/27 de´cembre 1816, p. 1447b. Meˆme ide´e : Discours de Cuvier du 28 de´cembre, Moniteur no 365, 30 de´cembre 1816, p. 1463c.
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tout a` l’heure de ce que ces e´lecteurs formaient la majorite´ et l’emportaient par la` sur les riches ? Mais s’il n’en vient qu’un petit nombre, l’e´quilibre que l’on de´sirait sera re´tabli. Je ne concilie pas cette sollicitude qui s’inquie`te de leur absence, avec la re´pugnance qu’on te´moignait pour leur admission. Se pourrait-il (je suis loin de hazarder cette conjecture), mais se pourrait-il qu’on assure qu’ils ne viendront pas, seulement pour de´cre´diter la loi, et parce qu’on a peur qu’ils ne viennent ? On ne saura pas ou` les loger1. Mais dans les de´partemens ou` il n’y a point de grandes villes, les e´lecteurs ne sont pas tre`s-nombreux ; dans les de´partemens ou` les e´lecteurs sont nombreux, il y a de grandes villes : ou` est donc la difficulte´ ? Des rassemblemens de plusieurs milliers d’hommes seront tumultueux2 ; on les subdivisera, la loi y a pourvu. Il ne faut pas trop s’effrayer d’ailleurs des de´sordres apparens qui accompagnent les assemble´es un peu nombreuses. Te´moin plus d’une fois des e´lections conteste´es en Angleterre, j’ai vu combien le tableau qu’on nous en fait est exage´re´ ; j’ai vu sans doute des e´lections accompagne´es de rixes, de clameurs, de disputes violentes : mais le choix n’en portait pas moins sur des hommes distingue´s, ou par leur talent, ou par leur fortune ; et l’e´lection finie, tout rentrait dans la re`gle accoutume´e ; les e´lecteurs de la classe infe´rieure devenaient laborieux, dociles, respectueux meˆme. Satisfaits d’avoir exerce´ leurs droits, ils se pliaient d’autant plus facilement aux supe´riorite´s et aux conventions sociales, qu’ils avaient, en agissant de la sorte, la conscience de n’obe´ir qu’au calcul raisonnable d’un inte´reˆt e´claire´. Le lendemain d’une e´lection, il ne restait plus la moindre trace de l’agitation de la veille. Le peuple avait repris ses travaux ; mais l’esprit public n’en avait pas moins rec¸u l’e´branlement salutaire, ne´cessaire pour pour le ranimer ; et cependant les e´lecteurs de plusieurs villes d’Angleterre sont d’une classe bien infe´rieure, bien plus ignorante que nos e´lecteurs payant 300 francs. Que si l’on redoute le caracte`re franc¸ais, plus impe´tueux, plus impatient du joug de la loi, je dirai que nous ne sommes tels, que parce que nous n’avons pas contracte´ l’habitude de nous re´primer nous-meˆmes ; laisseznous prendre cette habitude salutaire. Il en sera des rassemblemens pour les
14 – p. 643.7 Il ne faut pas ... sur ce de´poˆt. ] aline´as ajoute´s dans C 1 2 3
Discours de Caumont, Moniteur nos 361/362 (nume´ro double), 26/27 de´cembre 1816, p. 1446b. Voir Becquey, discours du 28 de´cembre, Moniteur no 364, 29 de´cembre 1816, p. 1457b. De´but du passage qui finit a` la p. suivante (ligne 7, «ce de´poˆt.») qui se retrouve dans les Re´flexions sur les constitutions, OCBC, Œuvres, t. VIII,2, pp. 1046–1047 et, en partie, dans les Principes de politique, OCBC, Œuvres, t. IX,2, p. 720. Il s’agit d’une re´flexion ancienne, qui provient de De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine, OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 571–572 et qui re´apparaıˆt dans les Principes de politique de 1806 (Livre XV, chap. 6).
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e´lections, comme des rassemblemens pour les feˆtes publiques. En France, nos spectacles, nos feˆtes, sont he´risse´s de gardes et de bayonettes ; on croirait que trois citoyens ne peuvent se rencontrer, sans avoir besoin de deux soldats qui les se´parent. En Angleterre, vingt mille hommes se rassemblent, pas un soldat ne paraıˆt au milieu d’eux ; la suˆrete´ de chancun est confie´e a` la raison et a` l’inte´reˆt de chacun, et cette multitude, se sentant de´positaire de la tranquillite´ publique et particulie`re, veille avec scrupule sur ce de´poˆt. Quatre-vingts e´lecteurs nommeront deux de´pute´s ; quinze ou vingt mille n’en nommeront que huit1. Le nombre proportionnel n’est point aussi important qu’on le suppose. Il faut un de´pute´ pour qu’il soit l’organe d’un de´partement quelconque ; il n’en faut pas un nombre proportionnel pour qu’un de´partement vingt fois plus nombreux ait ses organes, sans cela vous arriveriez a` un re´sultat absurde. Nul de´partement ne peut avoir moins d’un de´pute´. Mais si quatre-vingts e´lecteurs doivent en avoir un, la proportion exigerait que quinze ou vingt mille en eussent deux cent cinquante ou trois cents. Que les e´lections soient libres, que la repre´sentation soit inde´pendante, une voix courageuse ne restera pas sans influence. J’ai vu M. Fox, repre´sentant le bourg de Kirkwall, balancer M. Pitt, quand il repre´sentait Westminster2. Je ne dis ceci que relativement au nombre proportionnel, et nullement avec l’ide´e que le grand nombre des de´pute´s ne soit pas de´sirable ; mais la charte prononce, il n’y faut rien changer, je l’ai dit plus haut3 ; nous risquerions d’y voir changer trop. Sachons profiter de ce que nous avons, puisque nous ne pouvons, sans danger, en demander davantage. Deux amendemens ont e´te´ adopte´s ; le premier, relatif a` la nomination d’un bureau, et qui e´tait d’une ne´cessite´ e´vidente ; l’autre, consacrant le principe que les de´pute´s n’auront point d’indemnite´s. J’avais e´nonce´ ce de´sir il y a deux ans4. Le non-payement des de´pute´s garantit leur inde´pendance ; les payer ne serait point leur donner un inte´reˆt de plus a` bien remplir leurs fonctions : ce serait les inte´resser a` s’y conserver. (3) 18 quand il ] comme quand il M, CPC ci-dessus, tome I, page 98. 1 2
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28 deux ans. ] suit encore une note dans CPC Voyez
L’argument est de´ja` mentionne´ ci-dessus, p. 631. Se rapporte probablement a` plus d’un combat oratoire entre Fox et William Pitt (le jeune) a` la Chambre des Communes, lorsque Fox e´tait le chef de l’opposition whig (entre 1784 et 1806). Voir ci-dessus, p. 635. Dans les Re´flexions sur les constitutions, chapitre IV, «Du pouvoir repre´sentatif». Voir ci-dessous, pp. 646–647, la note (3) et OCBC, Œuvres, t. VIII,2 pp. 1004–1006. Cette ide´e est confirme´e par le chapitre VII, «De l’exercice des droits politiques», du meˆme ouvrage (ibid., p. 1028).
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Un troisie`me amendement a e´te´ propose´ et rejete´, celui d’obliger les de´pute´s qui accepteraient du gouvernement des fonctions amovibles, a` se faire re´e´lire par leurs commettans. Cet amendement est conforme aux principes ; il est bon que les ministres et d’autres agens de la couronne sie`gent dans les chambres, je l’ai prouve´ ailleurs1. (4) Mais un de´pute´ qui accepte une place, poste´rieurement a` sa nomination, change de position personelle ; il n’est plus l’homme que le peuple avait e´lu ; il est juste que le peuple dise s’il a confiance dans l’homme nouveau. Au reste, le rejet de cet amendement ne de´truit point le me´rite des autres dispositions de la loi, me´rite incontestable, me´rite permanent, tandis que les imperfections peuvent n’eˆtre que passage`res. Que le bien se fasse ; le mieux viendra.
5 ailleurs. ] suit encore une note dans CPC Idem, p. 90.
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BC renvoie encore aux Re´flexions sur les constitutions. Voir ci-dessous, p. 647, la note (4) et OCBC, Œuvres, t. VIII,2 pp. 997–999.
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(1) Je ne puis me refuser au plaisir de transcrire ici les observations de M. Laine´ sur les avantages de l’e´lection directe, dans son expose´ des motifs du projet de loi1. «L’e´lection directe, dit-il, e´tablit entre les e´lecteurs et les de´pute´s des rapports imme´diats, qui donnent aux premiers plus de confiance dans leurs mandataires, et aux seconds plus d’autorite´ et de poids dans l’exercice de leurs fonctions. Aucun e´lecteur n’a le droit de se plaindre des re´sultats d’une e´lection a` laquelle ils ont tous concouru par leurs suffrages : aucun e´ligible n’a le droit de pre´tendre que, si tous les e´lecteurs avaient e´te´ appele´s, il aurait e´te´ e´lu. Vainement dira-t-on qu’en faisant choisir par la totalite´ des e´lecteurs et de leur sein, un certain nombre d’e´lecteurs d’e´lite qui nommeraient ensuite les de´pute´s, on aurait e´galement l’expression de l’opinion et du vœu de tous les e´lecteurs. La confiance et l’approbation ne s’accordent point d’une manie`re si absolue. Le de´pute´ e´lu de la sorte n’aurait obtenu au fait que les suffrages des e´lecteurs qui auraient concouru directement a` sa nomination : il ne serait pas le de´le´gue´ spe´cial des e´lecteurs qui n’auraient pas e´te´ appele´s a` lui donner leur souffrage, et ceux-ci ne pourraient ni attacher la meˆme importance, ni reconnaıˆtre la meˆme autorite´ aux opinions et a` la conduite d’un homme avec lequel ils n’auraient eu que des rapports e´loigne´s. L’e´lection directe peut seule faire naıˆtre entre les e´lecteurs et les de´pute´s, cette sorte de responsabilite´ morale qui garantit la bonte´ des choix, et dont l’influence va croissant, a` mesure que ces deux classes d’hommes se connaissent et se lient d’avantage. C’est cette reponsabilite´ morale et re´ciproque que nous devons chercher a` fortifier et a` e´tendre. La charte a juge´ que les citoyens aˆge´s de trente ans, et payant 300 fr. de contributions directes, e´taient aptes a` porter le poids de cette responsabilite´. Il ne faut pas la leur rendre plus le´ge`re : plus les fonctions d’e´lecteurs leur paraıˆtront importantes, et plus ils s’attacheront a` la chose publique ; plus les re´sultats de leur choix pourront leur eˆtre impute´s, et plus ils y apporteront d’attention et 1 – p. 648.25 Notes. ... Ibid. 57–61. ] uniquement dans C 1
«Expose´ des motifs du projet de loi ... sur l’organisation des colle`ges e´lectoraux», discours de Laine´ devant la Chambre des De´pute´s le 28 novembre 1816, Moniteur no 335, 30 novembre 1816, p. 1339c. Citation conforme.
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de prudence. Les de´pute´s a` leur tour se croiront oblige´s, dans leur mission, a` un ze`le et a` une sagesse d’autant plus grands, que la confiance qui les en aura reveˆtus sera plus directe et plus e´tendue.» (2) «Une proprie´te´ peut eˆtre tellement restreinte, que celui qui la posse`de ne soit proprie´taire qu’en apparence1. Quiconque n’a pas en revenu, dit un e´crivain, qui a parfaitement traite´ cette matie`re (M. Garnier) la somme suffisante pour exister pendant l’anne´e, sans eˆtre tenu de travailler pour autrui, n’est pas entie`rement proprie´taire2 ; il se retrouve, quant a` la portion de proprie´te qui lui manque, dans la classe des salarie´s. Celui qui posse`de le revenu ne´cessaire pour exister inde´pendamment de toute volonte´ e´trange`re, peut donc seul exercer les droits cite´s. Une condition de proprie´te´ infe´rieure est illusoire ; une condition de proprie´te´ plus e´leve´e est injuste.» Re´flexions sur les constitutions et les garanties, pag. 111–112.
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(3) «Lorsqu’un salaire est attache´ aux fonctions repre´sentatives, ce salaire devient bientoˆt l’objet principal. Les candidats n’apperc¸oivent dans ces fonctions augustes que des occasions d’augmenter ou d’arranger leur fortune, des facilite´s de de´placement, des avantages d’e´conomie : les e´lecteurs eux-meˆmes se laissent entraıˆner a` une sorte de pitie´ de cotterie, qui les engage a` favoriser l’e´poux qui veut se mettre en me´nage, le pe`re mal aise´ qui veut e´lever ses fils ou marier ses filles dans la capitale. Les cre´anciers nomment leurs de´biteurs, les riches ceux de leurs parens qu’ils aiment mieux secourir aux de´pens de l’e´tat qu’a` leurs propres frais. La nomination faite, il faut conserver ce qu’on a obtenu, et les moyens ressemblent au but ; la spe´culation s’ache`ve par la flexibilite´ ou par le silence. Dans une constitution ou` les non-proprie´taires ne posse´deraient pas les droits politiques, l’absence de tout salaire pour les repre´sentans de la nation, me semble naturelle. N’est ce pas une contradiction outrageante et ridicule, que de repousser le pauvre de la repre´sentation nationale, comme si le riche seul devait le repre´senter, et de lui faire payer ses repre´sentans, comme si ses repre´sentans e´taient pauvres. Enfin l’Angleterre a adopte´ ce systeˆme. Je sais qu’on a beaucoup de´clame´ contre la corruption de la chambre des communes : comparez les 2 grands ] la source porte grandes C 1
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Les trois passages extraits des Re´flexions sur les constitutions sont le´ge`rement retouche´s. BC supprime quelques phrases, intervient dans la ponctuation et adapte dans un endroit (voir ci-dessous, p. 647, ligne 40) sa terminologie : le «pouvoir ministe´riel» e´tait dans la premie`re version encore le «pouvoir exe´cutif». BC renvoie ici a` Germain Garnier, Abre´ge´ e´le´mentaire des Principes de l’e´conomie politique, Paris : H. Agasse, an 4 (1796).
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effets de cette corruption pre´tendue, avec la conduite de plus d’une de nos assemble´es. Le parlement anglais a bien plus souvent re´siste´ a` la couronne, que nos assemble´es a` leur tyrans. La corruption qui naıˆt de vues ambitieuses est bien moins funeste que celle qui re´sulte de calculs ignobles. L’ambition est compatible avec mille qualite´s ge´ne´reuses, la probite´, le courage, le de´sinte´ressement, l’inde´pendance ; l’avarice ne saurait exister avec aucune de ces qualite´s. L’on ne peut e´carter des emplois les hommes ambitieux ; e´cartons-en du moins les hommes avides : par-la` nous diminuerons conside´rablement le nombre des concurrens, et ceux que nous e´loignerons seront pre´cise´ment les moins estimables. Mais une condition est ne´cessaire pour que les fonctions repre´sentatives puissent eˆtre gratuites ; c’est qu’elles soient importantes. Personne ne voudrait exercer gratuitement des fonctions pue´riles par leur insignifiance, ou qui seraient honteuses, si elles cessaient d’eˆtre pue´riles : mais aussi, dans une pareille constitution, mieux vaudrait qu’il n’y euˆt point de fonctions repre´sentatives.» Ibid., pag. 65–69.
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(4) «De grands avantages re´sultent de l’admission des repre´sentans du peuple aux emplois du ministe`re. Cette admission est peut-eˆtre ce qui a conserve´ la constitution anglaise. Bien que les fonctions repre´sentatives soient les premie`res en dignite´ re´elle, les places du ministe`re e´tant, dans un grand empire, une route plus suˆre pour parvenir au pouvoir et aux richesses, seront toujours plus desire´es par les ambitions vulgaires. Si les membres des assemble´es ne peuvent jamais participer au gouvernement, comme ministres, il est a` craindre qu’ils ne regardent le gouvernement comme leur ennemi naturel. Si, au contraire, les ministres peuvent eˆtre pris parmi les le´gislateurs, les ambitieux ne dirigeront leurs efforts que contre les hommes, et respecteront l’institution. Les attaques, ne portant que sur les individus, seront moins dangereuses pour l’ensemble. Nul ne voudra briser un instrument dont il pourra conque´rir l’usage ; et tel qui chercherait a` diminuer la force du pouvoir exe´cutif, si cette force devait toujours lui rester e´trange`re, la me´nagera, si elle peut devenir un jour sa proprie´te´. Nous en voyons l’exemple en Angleterre. Les ennemis du ministe`re contemplent dans son pouvoir leur force et leur autorite´ future. L’opposition e´pargne les pre´rogatives du gouvernement comme son he´ritage, et respecte ses moyens a` venir dans ses adversaires pre´sens. C’est un grand vice dans une constitution que d’eˆtre place´s entre deux partis de manie`re que l’un ne puisse arriver a` l’autre qu’a` travers la constitution. C’est cependant ce qui a lieu lorsque le pouvoir ministe´riel, mis hors la porte´e des le´gislateurs, est pour eux toujours un obstacle et jamais une espe´rance.
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On ne peut se flatter d’exclure les factions d’une organisation politique ou` l’on veut conserver les avantages de la liberte´. Il faut donc travailler a` rendre ces factions les plus innocentes qu’il est possible ; et comme elles doivent quelquefois eˆtre victorieuses, il faut d’avance pre´venir ou adoucir les inconve´niens de leur victoire. La pre´sence des Ministres dans les assemble´es, est encore avantageuse a` d’autres e´gards. Ils y discutent eux-meˆmes les de´crets ne´cessaires a` l’administration ; ils y portent des connaissances de fait que l’exercice seul du gouvernement peut donner. L’opposition ne paraıˆt pas une hostilite´ ; la persistance ne de´ge´ne`re pas en obstination. Le gouvernement ce`de aux propositions raisonnables ; il amende les propositions fautives, il explique les re´dactions obscures. L’autorite´ rend ainsi un juste hommage a` la raison, et se de´fend elle-meˆme par les armes du raisonnement. Quand les ministres sont membres des assemble´es, ils sont plus facilement attaque´s s’ils sont coupables ; car, sans qu’il soit besoin de les de´noncer, il suffit de leur re´pondre. Ils se disculpent aussi plus facilement, s’ils sont innocens, puisqu’a` chaque instant ils peuvent expliquer et motiver leur conduite. En re´unissant les individus, sans cesser de distinguer les pouvoirs, on constitue un gouvernement en harmonie, au lieu de cre´er deux camps sous les armes. Il en re´sulte encore qu’un ministre inepte ou suspect ne peut garder la puissance. En Angleterre, le ministre perd de fait sa place s’il se trouve en minorite´. M. Pitt a fait exception a` cette re`gle pendant deux mois en 1784. Mais c’est que la nation entie`re e´tait pour son ministe`re contre la chambre des communes1.» Ibid. 57–61.
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BC cite ce cas (l’affaire du projet de loi sur l’Inde) a` plusieurs reprises. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII,2 p. 999, n. 1, et t. IX, p. 749, n. 2.
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Introduction
L’article qui prend la de´fense de Mme de Krüdener est a` la fois un hommage a` une amie et plus encore un article politique. Nous savons que Constant a eu recours a` l’influence bienfaisante de Julie de Krüdener au moment de la crise amoureuse qui a failli bouleverser sa vie1. Le pie´tisme qu’elle avait adopte´ apre`s s’eˆtre rapproche´e en Allemagne de la «Brüdergemeinde» et de Johann Heinrich Jung-Stilling2 lui avait offert une possibilite´ de surmonter sa passion. L’exil volontaire en Belgique, puis en Angleterre l’a peut-eˆtre e´loigne´ un peu de Mme de Krüdener, alors en Suisse, ou` elle «poursuit sa mission avec since´rite´3», mais il ne la perdra pas de vue et lui restera toujours reconnaissant. Apre`s son retour en France et dans le contexte des grandes luttes politiques qui caracte´risent la session parlementaire de 1816– 1817, c’est la discussion entre royalistes et constitutionnels qui pre´occupe Constant. L’article peu e´le´gant, pour ne pas dire fe´roce de Bonald contre Mme de Krüdener, est pour Constant une occasion pour attaquer les positions des ultras et pour de´fendre sa doctrine politique, ce qu’il fait en prote´geant la re´putation de son amie, sans accepter ses exage´rations mystiques. Le vicomte de Bonald de´fend avec beaucoup de talent dans ses e´crits la position des ultras4. Ce n’est donc pas par hasard que la pole´mique politico-religieuse est au centre de cet article, qui essaie d’ailleurs de me´nager la liberte´ d’agir et la liberte´ d’expression de ceux qui obe´issent a` des convictions religieuses. Elle doit pouvoir se manifester, meˆme si des questions politiques sont de´battues implicitement. L’ide´e d’une religion officielle l’ef1
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Voir OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 277–338, et Francis Ley, Bernardin de Saint-Pierre, Madame de Stae¨l, Chateaubriand, Benjamin Constant et Madame de Krüdener, (d’apre`s des documents ine´dits), Paris : Aubier, 1967, pp. 205–257. Jung-Stilling (1740–1817), devenu, apre`s de tre`s modestes de´buts, un chirurgien ophtalmologue de grand renom, puis professeur d’e´conomie politique, est connu aussi comme e´crivain fe´cond en matie`re de the´ologie et auteur d’une autobiographie remarquable, sa Lebensgeschichte, qui paraıˆt a` Berlin a` partir de 1777, et sera tre`s souvent re´e´dite´e. Lettre a` Juliette Re´camier du 17 aouˆt 1816 (Benjamin Constant, Lettres a` Madame Re´camier (1807–1813), p. 254). Nous savons que Mme de Krüdener, entoure´e d’admirateurs et d’un grand nombre de ministres pie´tistes, parcourait les pays de l’Allemagne du sud, mais, qu’exile´e partout, elle est passe´e en Suisse. Les journaux parlent souvent de cette mission qu’on observe avec me´fiance. Voir surtout Louis-Gabriel-Ambroise de Bonald, Le´gislation primitive conside´re´e dans les derniers temps par les seules lumie`res de la raison, Paris : Le Clere, 1802 ; Œuvres comple`tes, t. II et IV, Paris : Le Clere, 1817. (Reprint : Œuvres comple`tes, t. III et IV, Gene`ve, Paris : Slatkine, 1982).
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fraie, a` juste titre, comme on peut le voir quand on lit la re´plique pole´mique du litte´rateur Jean-Etienne-Franc¸ois Marignie´. La de´fense de Constant a provoque´ effectivement une re´ponse non moins violente que l’article incrimine´, la brochure de Marignie´ intitule´e Sur M me de Krudner, en re´ponse a` l’article sur cette Dame et contre M. de Bonald, inse´re´ dans le ‘Journal de Paris’, du vendredi 30 mai1. Le titre annonce bien de nouvelles invectives contre Mme de Krüdener, une de´fense des positions ultras du vicomte de Bonald, the´oricien politique d’un grand talent qui a lutte´ par ses e´crits et comme membre de la Chambre des De´pute´s pour les ambitions politiques des ultras. Marignie´ re´pe`te donc, en citant un entrefilet du Journal des De´bats (24 mai 1817), l’accusation adresse´e a` Mme de Krüdener d’exciter a` la re´bellion et a` la se´dition par «sa conduite, ses paroles, ses pre´dications et ses e´crits2». Marignie´ reproche en plus a` l’auteur de l’article du Journal de Paris dont il semble ignorer le nom, d’annoncer un esprit dangereux : «Et quelle matie`re a` re´flexions, Monsieur, de voir qu’en meˆme temps que l’on de´versera tantoˆt tant de ridicule, tantoˆt qu’on soule`ve les plus odieuses imputations contre la de´votion et la pie´te´ exerce´es dans toute la re´gularite´ des pratiques de la religion que l’on croit et que l’on suit ; qu’en meˆme temps qu’on attaque avec tant de violence et d’indignite´ des pre´dications autorise´es, dans lesquelles le ze`le, sous la sauvegarde de la prudence, et se conformant au plus pur esprit de cette religion fille du ciel qui l’inspire, n’a nulle part, donne´ prise a` aucun reproche fonde´, et a bien plus rassure´ qu’alarme´ l’autorite´ surveillante qui l’a partout scrupuleusement observe´, comme il e´toit de son devoir de la faire ; quelle matie`re a` re´flexion que ce soit ce meˆme moment qu’on prenne pour se livrer a` je ne sais quelle stupide admiration pour les extravagances d’un asce´tisme sans re`gle, sans lumie`res, sans biense´ance ; et qu’une sorte de prophe´tesse, prenant mission du de´sordre de son cerveau pour e´lever la voix au milieu des attroupemens dont elle se fait suivre, de´naturant des paroles de nos textes sacre´s qu’elle n’entend pas, ou, pour le prendre dans le sens le plus favorable, qu’elle applique sans discernement, au pe´ril des plus affreux de´sordres qui peuvent s’en suivre, non seulement ne trouve point d’obstacle dans ses voies, mais que ce soit cette conduite, que ce soient ces pre´dications, que ce soit cette mission, qui trouvent des de´fenseurs et des apologistes ; que ce soit de ce meˆme bord d’ou` sont parties tant d’attaques contre des pratiques religieuses, re´gulie`res et avoue´es, que nous vienne aujourd’hui tant de condescendance pour un fa-
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Paris : Le Normant, 1817. Marignie´, Sur M me de Krudner, p. 7.
De Madame de Krudener – Introduction
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natisme manifeste et a` de´couvert, qui ne tent a` rien moins qu’a` exciter les passions si facilement irritables du malheureux et du pauvre, ou plutoˆt des prole´taires contre les proprie´taires, en pre´sentant a` leur imagination le niveau destructeur d’une chime´rique e´galite´, et leur mettant dans les mains la torche fumante de l’incendie et de la de´vastation. [...] Mais ne nous y trompons pas, c’est toujours le meˆme but qu’on poursuit ; c’est le bouleversement de la socie´te´, c’est le changement des gouvernemens et des Etats auquel on veut arriver, partout, et a` tout prix : tout y est bon, tout y sert d’auxiliaire ; quelque bannie`re qu’on mette en avant, quelque e´tendard qu’on arbore, et meˆme la Croix et l’E´vangile, pourvu qu’on en fausse la direction et l’esprit, on peut compter d’eˆtre admis, au moins a` faire nombre. Qu’il y ait dans vos opinions, dans vos sentimens, dans vos principes, des germes, quels qu’ils soient, de dissolution sociale, la secte est la` pour vous encourager et vous accueillir ; elle vous tend les bras, et vous crie : Venez, venez a` moi, vous tous les amis du de´sordre et des bouleversemens, vous eˆtes nos amis, et nous sommes vos fre`res1».
E´tablissement du texte Imprime´ : Journal de Paris, no 150, 30 mai 1817, p. 4a–4b. Courtney, Guide, D96. L’article a provoque´ une re´ponse : Jean-Etienne-Franc¸ois Marignie´, Sur M me de Krudner, en re´ponse a` l’article sur cette Dame et contre M. de Bonald, inse´re´ dans le ‘Journal de Paris’, du vendredi 30 mai, Paris : Le Normant, 1817, IV, 15 pp. L’article a fait l’objet d’une e´dition par E´phraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 260–261. K. K.
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Marignie´, Sur M me de Krudner, pp. 8–10.
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De Madame de Krudener
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Depuis quelque temps on parle beaucoup et diversement de madame la baronne de Krudener1 ; les uns la de´peignent comme une fanatique illumine´e, les autres comme une prophe´tesse extravagante, et tout re´cemment M. de B.... vient de l’accuser, dans un Journal, de preˆcher aux pauvres une doctrine re´volutionnaire et subversive des principes de l’ordre et de la raison2. Ayant eu l’occasion de voir et d’entendre, il y a peu de mois, madame de Krudener, qu’il me soit permis de donner une ide´e plus exacte de cette femme singulie`re. Je ne pre´tends point offrir comme un mode`le la vie solitaire et contemplative de cette dame, surtout dans un temps ou` les femmes du monde ont prouve´, par l’exercice d’une infatigable charite´, qu’on pouvait allier les pre´ceptes religieux a` tous les devoirs de la socie´te´ ; mais il serait par trop injuste de livrer au ridicule, et de calomnier un eˆtre exclusivement de´voue´ au service des pauvres et au culte de la prie`re. Si le contact imme´diat des belles sce`nes de la nature, si l’espe`ce de vie asce´tique a` laquelle madame de Krudener a cru devoir se consacrer, si son de´gouˆt pour les biens et les plaisirs du monde, si la fre´quente lecture des livres saints ont donne´ a` son langage quelque chose de parabolique et d’exalte´, il faut le lui pardonner, en se rappelant qu’elle ne parle pas dans un salon, mais sous les cheˆnes de la foreˆt noire et pre`s des cascades du Rhin. Il y a sans doute de l’exage´ration et des erreurs dans l’esprit de conduite de madame de Krudener, mais la cause en est trop respectable, pour qu’on le lui reproche avec tant d’aigreur et de malveillance. La petite-fille du mare´chal de Munich3, une femme que son me´rite et ses qualite´s personE´tablissement du texte : Imprime´ : Journal de Paris, no 150, 30 mai 1817, pp. 4a–4b. 1
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BC pense sans doute a` l’article du Journal des De´bats du 24 mai 1817, p. 1a–1b, qui parle des voyages de Mme de Krüdener et cite des morceaux de ses brochures (Gazette pour les pauvres ; Aux pauvres). On la rencontre assez souvent dans les journaux de l’e´poque. On trouve encore des articles sur elle en automne 1817. Voir par exemple le Journal des De´bats du 14 septembre 1817, p. 4a : «On e´crit de Schaffhouse, 3 septembre, que Mme de Krudner, n’ayant trouve´ asile dans aucun des cantons suisses, s’est dirige´e provisoirement par Waldshut et Dogern sur l’Alsace.» Journal des De´bats, 28 mai 1817, pp. 3a–3b. Burkhard Christoph Münnich (1683–1767), mare´chal russe d’origine allemande, le prince Euge`ne des Moscovites. Il s’e´tablit, apre`s avoir servi sous plusieurs souverains en Europe,
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nelles font re´ve´rer de ceux qui la connaissent, ne devait donc encourir, sous aucun rapport, les sarcasmes et l’ironie de ceux qui ne la connaissent pas. On ne conc¸oit donc gue`res comment M. de B... a pu faire imprimer sur cette dame un article ou`, contre son usage, il veut eˆtre plaisant et le´ger. «Madame de Krudener, dit-il, a e´te´ jolie ; elle a publie´ un roman, peut-eˆtre le sien ; il s’appelait, je crois, Vale´rie ; il e´tait sentimental et passablement ennuyeux : aujourd’hui qu’elle s’est jete´e dans la de´votion mystique, elle fait des prophe´ties ; c’est encore du roman, etc.1» Comment se fait-il qu’un homme aussi recommandable que M. de B... ait pu oublier a` ce point l’urbanite´ franc¸aise et les biense´ances sociales, dont cependant l’e´le´vation de son esprit et la noblesse de son caracte`re devraient le constituer le fide`le de´fenseur ? Comment se fait-il que celui qui reproche a` madame de Krudener une de´votion mystique soit pre´cise´ment le litte´rateur, le publiciste et l’homme d’e´tat qui a meˆle´ de la me´taphysique et de la mysticite´ jusques dans la politique et la jurisprudence, ou`, il faut en convenir, elle est moins bien place´e que dans la de´votion ? Comment se fait-il que ses opinions sur madame de Krudener soient accueillies dans un journal remarquable par ses doctrines morales et religieuses, et dans lequel, au surplus, on a rendu compte du roman de Vale´rie, comme de l’une des productions les plus agre´ables du temps2 ? M. de B... accuse madame de Krudener de prophe´tiser des malheurs, et il ajoute : «Mais la politique le souffre, et sans doute elle a de bonnes raisons ; elle veut peut-eˆtre faire une dernie`re expe´rience sur la raison et la vertu des peuples, aux de´pens de qui il appartiendra3.» M. de B... veut lui-meˆme ici
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de`s 1721 en Russie, ou` il joua un roˆle important dans les guerres contre les Turcs. Premier ministre en 1739 sous l’impe´ratrice Anna Ivanovna, il tomba en disgraˆce apre`s la mort de celle-ci (1740) et fut exile´ en Sibe´rie, d’ou` il ne put rentrer qu’en 1762, sur l’ordre du tsar Pierre III. (Voir Francis Ley, Le mare´chal de Münnich et la Russie au XVIII e sie`cle, Paris : Plon, 1959.) Münnich, marie´ avec Lucretia von Witzleben, avait 4 enfants, dont un fils, Ernst Graf von Münnich. La fille de celui-ci, Anna Ulrica von Münnich avait e´pouse´ le conseiller balte von Vietinghoff, pe`re de Mme de Krüdener. Elle e´tait donc par sa me`re l’arrie`re-petite-fille du mare´chal. Voir Büsching, «Lebensgeschichte Burchard Christophs von Münnich», Magazin für die neue Historie und Geographie, t. III, 1769, pp. 387–536, plus part. le tableau ge´ne´alogique p. 536. Et encore Gerhard Anton von Halem, Lebensbeschreibung des Russisch-Kaiserlichen General-Feldmarschalls, B. C. Grafen von Münnich, Oldenburg : Schulze’sche Buchhandlung, 1803. Premie`res phrases de l’art. cite´, Journal des De´bats, 28 mai 1817, p. 3a. BC se souvient du compte rendu e´logieux par Bernardin de Saint-Pierre publie´ dans le Journal des De´bats, le 23 frimaire an 12, 15 de´cembre 1803, pp. 3b–4b. Voir Francis Ley, Bernardin de Saint-Pierre, pp. 108–109, et, pour une analyse de l’ambiance intellectuelle du premier se´jour parisien de Julie de Krüdener, «Madame de Krüdener a` Paris (1802– 1804)», Revue d’Histoire litte´raire de la France, t. 99, 1999, pp. 99–108. Conclusion de l’art. cite´, Journal des De´bats, 28 mai 1817, p. 3b.
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faire le prophe`te ; c’est le Belle´rophon du monde politique1 ; il combat sans cesse la Chime`re et pre´dit des catastrophes et des de´sastres, la` ou` tous les autres ne voient que des motifs de confiance, d’espoir et de se´curite´. Il finit par ces mots : «L’Evangile a` la main, j’oserai lui dire que nous aurons toujours des pauvres au milieu de nous, ne fuˆt-ce que des pauvres teˆtes2». M. de B... ne devait pas prendre l’Evangile pour trouver un pareil jeu de mots ; Brunet3 ou Potier4 aurait fort bien fait son affaire. Si telle est l’imagination des teˆtes les plus riches, c’est une consolation pour le vulgaire, et l’on peut s’e´crier, l’Evangile a` la main : Bienheureux les pauvres d’esprit.
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Allusion a` la le´gende du he´ros mythologique Belle´rophon qui combat, sur l’ordre du roi de Lycie Iobate`s, la Chime`re. Contre toute vraisemblance il sort victorieux de cette e´preuve, aide´ par son cheval aile´ Pe´gase, e´pouse la fille du roi de Lycie et lui succe´dera. Art. cite´, Journal des De´bats, 28 mai 1817, p. 3b. Jean-Joseph Mira, dit Brunet (1766–1838). Harpaz dit dans sa note : il «atteignit le sublime dans la niaiserie et acquit a` Paris sa re´putation de roi des Jocrisses et des Cadets-Roussels» (Recueil d’articles, 1795–1817, p. 261, n. 7). Charles-Gabriel Potier des Cailletie`res (1774–1838). Nous empruntons e´galement a` Harpaz l’identification de cet acteur comique de grand talent (Recueil d’articles, 1795–1817, p. 261, n. 8).
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Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France et sur la doctrine du ministe`re public, relativement a` la saisie des e´crits, et a` la responsabilite´ des auteurs et des imprimeurs. fin juin 1817
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Introduction
Cet opuscule tient une place un peu exceptionnelle parmi les ouvrages de Constant : il y fait œuvre de juriste et meˆme d’avocat. Il y montre une facette un peu inattendue de ses talents d’e´criture. Loin des de´monstrations pesantes sur l’e´volution des gouvernements, des re´fe´rences e´rudites aux grands auteurs de l’Antiquite´, des descriptions minutieuses sur l’apparition ` la place : des raisonnements pre´cis, du parlementarisme en Angleterre. A une argumentation serre´e, quelques e´clats d’indignation pour re´veiller l’inte´reˆt, comme il se doit dans une plaidoirie devant un tribunal ou` la rigueur de l’argumentation ne doit pas faire sommeiller le tribunal. Pas de fioriture inutile ou alors seulement celles qui permettent des effets d’audience. Il est vrai que c’est bien de proce`s qu’il s’agit. Par rapport a` une plaidoirie classique, Constant est peu disert sur les faits qu’il connaıˆt pourtant parfaitement ; mais c’est sans doute parce que ses lecteurs sont bien avertis des deux affaires dont il s’agit, comme doivent l’eˆtre d’ailleurs des juges consciencieux qui ont e´tudie´ le dossier avant de sie´ger. Le lecteur du XXIe sie`cle n’a pas la meˆme connaissance des poursuites engage´es au de´but de la Restauration contre les e´crivains Rioust et Chevalier ainsi qu’a` l’encontre des imprimeurs veuve Perronneau et Dentu. Donc il est peut-eˆtre utile de rappeler les faits pour compenser le laconisme de Constant sur ce point. La premie`re affaire, du moins chronologiquement puisqu’elle se de´roule aux mois de mars (date de la saisie de l’opuscule litigieux et du de´clenchement des poursuites devant le Tribunal de police correctionnelle) et d’avril 1817 (date de l’audience d’appel devant la chambre d’appel de police correctionnelle de la Cour royale), concerne l’e´crivain Mathieu Noe¨ l Rioust pour un ouvrage sur Carnot, ainsi que l’imprimeur-libraire du livre, la veuve Perronneau. C’est surtout l’objectif de l’opuscule qui vaut des proble`mes a` son auteur. Il s’agit de plaider la cause de l’organisateur de la victoire des troupes franc¸aises sur les envahisseurs, en 1793 : il est condamne´ a` l’exil lors de la Seconde Restauration comme ayant vote´ la mort de Louis XVI en tant que membre de la Convention. L’efficacite´ militaire de Carnot pendant la Re´volution et son poste de ministre de l’Inte´rieur pendant les Cent-Jours ne plaident e´videmment pas en sa faveur aupre`s des royalistes. En meˆme temps, sa relative mode´ration a` la Convention jusqu’a` s’opposer a` Robespierre et son hostilite´ feutre´e a` la dictature napole´onienne jusqu’a` voter contre le consulat a` vie, pourraient
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inciter a` l’indulgence. Ce sont les e´le´ments que Rioust essaye de combiner en plaidant pour le retour du proscrit sans paraıˆtre s’attaquer a` la me´moire ` du «roi martyr» comme il est alors de bon ton d’appeler Louis XVI. A l’inverse, les repre´sentants du ministe`re public insistent sur ce qu’il peut y avoir de scandaleux a` pre´tendre trouver des circonstances atte´nuantes chez un re´gicide, affectant d’y voir une justification de´guise´e des crimes de la Terreur. Les audiences et les condamnations se succe`dent, d’autant plus lourdes que Rioust pre´tend parfois se de´fendre lui-meˆme, sans circonlocution respectueuse, ce qui aggrave son cas aux yeux des magistrats. La deuxie`me affaire prend place depuis le mois d’avril jusqu’au mois de juin 1817 avec le meˆme parcours judiciaire : Tribunal de police correctionnelle, puis chambre d’appel de police correctionnelle. Ici, c’est l’e´crivain Adolphe-Tierri-Franc¸ois Chevalier qui est poursuivi pour un opuscule Premie`re lettre au comte Decazes, ainsi que son imprimeur Jean-Gabriel Dentu. Contre cet ouvrage, les reproches du ministe`re public sont moins ve´he´ments, fonde´s sur des interpre´tations discutables a` propos de passages rien moins que re´volutionnaires. Est par exemple conside´re´e comme une attaque inadmissible contre la charte, le fait de l’avoir qualifie´e de «belle femme qui a des faiblesses». Est pre´sente´ comme une offense au roi d’avoir imagine´ qu’il puisse eˆtre tente´ un jour de graˆcier un ministre condamne´ pour des arrestations arbitraires : jamais le roi ne mettra en cause une de´cision de justice rendue contre un ministre indigne, etc. La` aussi les condamnations vont se succe´der jusqu’en appel, contre l’auteur. Par-dela` la diversite´ des faits et des condamnations, ces deux affaires se ressemblent sur plusieurs points. D’abord, elles se situent dans le meˆme contexte le´gislatif, marque´ par la leve´e en juillet 1815 de la censure pre´alable qui pouvait eˆtre impose´e aux e´crits de plus de vingt feuilles (in-folio, donc bien plus importantes pour un format moindre). On sait les inconve´nients, mais aussi, paradoxalement, les avantages de la censure pre´alable : elle soumet les auteurs a` l’arbitraire des censeurs puisque l’on ne peut pas paraıˆtre sans autorisation ; en meˆme temps elle les place a` l’abri de toute poursuite dans la mesure ou`, en cas de propos juge´s critiquables apre`s ` l’inverse, en cas de autorisation, c’est le censeur qui est sanctionne´. A liberte´ de publication, les auteurs et imprimeurs doivent se montrer tre`s pre´cautionneux puisque ce qui est publie´ l’est sous leur responsabilite´ : la vigilance pour e´viter fuˆt-ce une allusion de mauvais gouˆt est le prix de la liberte´ et l’avocat ge´ne´ral insiste beaucoup la`-dessus. Constant ne peut admettre cette interpre´tation re´trograde d’une mesure libe´rale. Les deux affaires se ressemblent aussi par le de´roulement de la proce´dure judiciaire qui va jusqu’au bout des possibilite´s de recours, avec jugements successivement rendus par le Tribunal de police et la Cour d’appel. On
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constate la meˆme attitude rien moins que repentante des deux auteurs poursuivis, Rioust sur un ton plus ve´he´ment, Chevalier sur un mode plus ironique mais qui irrite e´galement le pre´sident du tribunal. Constant exalte leur attitude, la pre´sentant comme la le´gitime re´action d’indignation d’une ` l’inverse, les deux imprimeurs cherchent bonne foi injustement accuse´e1. A a` de´gager leur responsabilite´ plutoˆt qu’a` se montrer provocants a` l’e´gard des juges : pour eux une condamnation n’a pas le meˆme caracte`re valorisant du point de vue de la notorie´te´ et peut a` l’inverse entraıˆner des conse´quences financie`res de´favorables pour leur entreprise. Constant les de´fend donc sobrement, se plac¸ant sur le pur terrain de la responsabilite´ pe´nale, s’efforc¸ant de les tenir hors du de´bat, exte´rieurs a` l’affaire, comme ils le souhaitent sans doute. En face, ce sont les meˆmes avocats ge´ne´raux qui requie`rent dans les deux cas : Vatimesnil en premie`re instance et Hua en appel. Autant Constant se montre prudent vis-a`-vis des plus hautes autorite´s de l’E´tat : respectueusement de´fe´rent a` l’e´gard du roi Louis XVIII, presque complaisant et louangeur a` l’e´gard du ministre de la Police, Decazes, dont il sait la place privile´gie´e aupre`s du monarque et dont il pressent les velle´ite´s libe´rales, autant il prend a` partie durement les repre´sentants du ministe`re public : puisque la proce´dure ne lui donne pas de jure´s a` flatter et a` impressionner comme il le souhaiterait, du moins peut-il tenter d’intimider les avocats ge´ne´raux en les pre´sentant comme des serviteurs trop ze´le´s d’un pouvoir souhaitant moins de se´ve´rite´ que celle dont font preuve ses compromettants agents. En meˆme temps, il s’efforce de mettre la division entre eux, pre´sentant le premier comme plus porte´ a` d’injustes rigueurs que le second. Ces de´veloppements habiles ne peuvent manquer d’avoir une influence sur des magistrats dont la carrie`re de´pend beaucoup de leurs choix politiques et de l’image qu’ils donnent, plus ou moins en harmonie avec les autorite´s gouvernementales. Les postes occupe´s par la suite par Vatimesnil, a` la Cour de cassation, puis a` la teˆte d’un ministe`re, ainsi que ses e´volutions politiques, tantoˆt dans le camp conservateur, tantoˆt ouvert au libe´ralisme, te´moignent de son souci de re´ussite, donc, sans doute, de sa vulne´rabilite´ aux propos d’un auteur aussi connu que Benjamin Constant. Ce dernier joue avec maestria de sa notorie´te´, de la re´putation que lui vaut son indiscutable attachement au libe´ralisme politique, pour de´fendre les auteurs du temps et leurs publications. Constant va au-dela` de la simple pole´mique. La` ou` l’on attendrait qu’il se borne, si l’on peut dire, a` quelques attaques mordantes contre les ennemis de la liberte´, avec quelques re´fe´rences historiques au destin tragique des 1
Voir ci-dessous p. 711.
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tyrans de l’Antiquite´, comme il sut le faire dans plusieurs ouvrages ante´rieurs comme l’Esprit de conqueˆte, il choisit de se muer en juriste rigoureux, avocat ardent a` de´fendre sa cause mais a` partir d’arguments tire´s des textes et en refusant ces allusions a` des pe´riodes anciennes qui lassent les juges comme autant de hors sujets qui font perdre du temps, voire qui les inquie`tent comme des manifestations de contestation des lois en vigueur. En meˆme temps, il prend grand soin, malgre´ l’indignation perceptible mais maıˆtrise´e du propos, de ne pas de´passer certaines limites comme il se doit dans un pre´toire, meˆme contre la partie adverse, a fortiori sans laisser paraıˆtre aucun courroux a` l’encontre des juges. L’articulation des de´veloppements reprend assez exactement celle d’un me´moire en de´fense, tel que les re´digeaient a` l’e´poque les avocats et tel qu’ils les publiaient habituellement pour les distribuer dans le public, afin de prendre l’opinion publique a` te´moin de la qualite´ de leurs arguments, afin aussi de montrer leur efficacite´ et pour se´duire des clients e´ventuels. La technique est, a` l’e´poque, tout a` fait classique et Constant y fait allusion lorsqu’il indique que Chevalier s’est plaint devant le tribunal d’avoir e´te´ dans l’impossibilite´ de faire diffuser son argumentation, vingt-deux refus lui ayant successivement e´te´ oppose´s par les imprimeurs craignant des perse´cutions policie`res1. Il y a la` quasi une atteinte aux droits de la de´fense et, d’un certain point de vue, Constant y re´pond en sortant son opuscule, a` cela pre`s qu’il intervient apre`s le jugement rendu en appel. De fait, l’ouvrage se divise en deux de´veloppements liminaires et cinq questions suivis d’une conclusion, dans des formes qui ne de´pareraient pas dans un me´moire en de´fense. Les deux premiers de´veloppements tendent a` pre´ciser l’esprit de la loi en analysant en deux points savamment balance´s d’une part les intentions gouvernementales – e´videmment libe´rales et bienveillantes – lors de l’e´laboration et de la promulgation de la nouvelle loi2 et d’autre part l’utilisation critiquable et infide`le qu’en font les repre´sentants du ministe`re public dans leur volonte´ de re´pression3. Quant aux cinq questions, elles portent respectivement sur le danger d’autoriser la police et les avocats ge´ne´raux a` interpre´ter – toujours dans un sens de´favorable – les textes des e´crivains4, sur le fait qu’il serait absurde et meˆme coupable de pre´tendre que les attaques contre les ministres peuvent atteindre le roi, sauf a` nier les fondements meˆme du re´gime parlementaire5, sur les pe´rils lie´s a` la re´surrection de lois anciennes – toujours tre`s se´ve`res et oppose´es a` l’esprit du temps – contre des journalistes mal informe´s6, sur 1 2 3 4 5 6
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ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous,
p. 720. pp. 672–678. pp. 679–681. pp. 682–692. pp. 673–699. pp. 700–704.
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la contradiction qu’il y aurait a` sanctionner les pre´venus pour les termes employe´s dans leur plaidoirie a` moins de leur interdire de se de´fendre1, enfin sur l’impunite´ qui doit eˆtre celle de l’imprimeur lorsqu’il a respecte´ toutes les formalite´s re´glementaires2. Les raisonnements juridiques sont serre´s comme c’est la re`gle dans une plaidoirie. Constant recherche toutes les lois qui vont dans le sens de sa de´monstration comme il convient de la part d’un avocat qui plaide une cause. Il ne craint pas d’accumuler les arguments et les textes qui vont dans son sens, sans crainte de lasser par une surabondance de preuves mais en sachant qu’il contraint ainsi le tribunal qui ne voudrait pas le suivre, a` e´carter successivement chacune des justifications avance´es, en espe´rant qu’il se rallie au moins a` l’une d’elles. Lorsque les textes ne sont pas a` son gouˆt, il les interpre`te. Il affecte d’en rechercher l’esprit dans les intentions du le´gislateur. La` encore, il multiplie les citations, les re´fe´rences ; la` aussi il privile´gie e´videmment celles qui vont dans son sens afin d’eˆtre plus a` l’aise pour orienter les dispositions le´gislatives en fonction de ses choix et de ses objectifs. Parfois, il adapte un peu le propos pour mieux le faire correspondre a` ce qu’il souhaite. Il attribue a` tel ministre commissaire du roi des opinions que ce dernier pre´sente comme e´manant, non de lui, mais de «bons esprits3» ce qui ne revient pas tout a` fait au meˆme ; il preˆte a` certains orateurs un enthousiasme pour la liberte´ de la presse qu’ils ne manifestent pas tout a` fait, en tous cas pas a` ce degre´4. Il s’appuie sur les textes jusqu’a` ce qu’ils plient. Il de´cortique les de´monstrations de ses adversaires pour en montrer l’absurdite´ : il met en e´vidence la contradiction qu’il y a a` soutenir que si un auteur ne s’est livre´ qu’a` un seul acte liberticide, il faut le poursuivre tandis que s’il en a commis beaucoup, il faudrait l’e´pargner5. Il compare les prescriptions re´glementaires. Il les oppose pour affaiblir celles qui ne lui conviennent pas. Il prouve une belle maıˆtrise des re`gles organisant une hie´rarchie des normes exploite´e a` son profit. Ultime argument lorsqu’un texte le de´range et qu’il n’y a pas d’autre moyen de le contester : il s’efforce d’en montrer les conse´quences de´sastreuses a` long terme ; il s’applique a` en suivre toutes les implications, jusqu’aux plus absurdes, pour les de´conside´rer. On connaıˆt les vade mecum qui circulaient a` l’e´poque, a` l’intention des gens de justice et d’abord des avocats, pour de´fendre le mieux possible leurs causes et articuler leurs arguments de la fac¸on la plus convaincante. On a 1 2 3 4 5
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ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous,
pp. 705–714. pp. 715–722. pp. 672–673 et 674–675. p. 676. p. 694.
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l’impression que Constant s’en inspire, a` moins qu’il ne manifeste ainsi un don spontane´. Il n’est jusqu’a` ces fleurs de rhe´toriques dont les bons maıˆtres du barreau conseillent a` leurs jeunes confre`res d’e´mailler pre´cautionneusement leur propos, pour l’alle´ger et ressaisir l’attention des magistrats : Constant en use convenablement, moins emphatique meˆme que nombre d’avocats professionnels de l’e´poque, glissant quelques allusions piquantes, voire quelques vers latins1, e´vitant en revanche l’e´rudition pe´dante. Il renonce e´galement a` tracer de vastes perspectives historiques, a` reconstituer comme il le fait dans d’autres ouvrages, le cheminement majestueux et suˆr de la liberte´, de mieux en mieux respecte´e : les juges n’appre´cient pas ce genre de re´fe´rence qui les inquie`tent plutoˆt. Ils ont tendance a` appre´hender une e´volution trop libe´rale de la socie´te´ et il leur de´plairait de paraıˆtre y preˆter la main. Constant respecte toutes les lois du genre, dans ses propos comme dans ses silences. On peut se demander d’ou` lui vient cette science juridique que l’on ne peut croire inne´e. Au-dela` de ses qualite´s d’argumentation, de ses dons de persuasion, e´vidents dans d’autres livres et sur des enjeux plus politiques, il n’y a gue`re, dans sa jeunesse, qu’au cours des anne´es 1780, qu’il se soit frotte´ au droit. Il y fait sobrement allusion lorsqu’il se peint, «assistant a` des proce´dures en Angleterre2», sans autre pre´cision. Meˆme si l’on connaıˆt les diffe´rences de me´thodes entre juristes anglo-saxons et franc¸ais, il semble y avoir puise´ le gouˆt des sciences juridiques. Dans le meˆme opuscule, il fait allusion a` deux reprises a` un proce`s sur la liberte´ de la presse3, ayant eu quelque retentissement et tenu en Grande-Bretagne en 1784. C’est en effet l’anne´e ou` il est en E´cosse a` l’Universite´ d’E´dimbourg, ce qu’il pre´sente comme «l’anne´e la plus agre´able de ma vie» ajoutant imme´diatement que «le travail e´tait a` la mode parmi les jeunes gens d’Edimbourg4». De fait, le scrupuleux biographe de La jeunesse de Benjamin Constant a retrouve´ la trace de son inte´reˆt pour les questions juridiques dans le cadre de sa participation a` la Speculative Society5. Lui-meˆme consacre un paragraphe entier du Cahier rouge a` son amitie´ pour John Wilde, futur professeur de droit6. Finalement, ces affaires pourraient paraıˆtre minces avec ces deux auteurs peu connus condamne´s pour des opuscules de circonstance. Il n’est pas de petits enjeux pour Constant lorsqu’il s’agit de liberte´ et d’abord de liberte´ de la presse. Apre`s les revirements apparents commis sous les re´gimes pre´ce´dents, il a trouve´ sa place et son combat. Il est sur tous les fronts lorsqu’il s’agit de de´noncer les atteintes a` la libre expression des opinions. Il 1 2 3 4 5 6
Voir ci-dessous, p. 723. Voir ci-dessous, p. 710. Voir ci-dessous, pp. 682 et 710, n. a. Ma vie, OCBC, Œuvres, t. III,1, p. 310. Rudler, Jeunesse, pp. 156–173. Rudler, Jeunesse, pp. 166–169, et Ma vie, e´d. cite´e, pp. 310–311, n. 6.
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met au service de cette cause tout son savoir-faire. Ici, c’est celui du juriste, une facette de son talent qu’il a peu mis en avant jusque la`. A. C.
Sur le texte La re´daction de cet ouvrage si important pour bien juger de la doctrine de Constant relative a` la liberte´ de la presse et a` la strate´gie de sa lutte pour conque´rir et de´fendre cette liberte´, a eu lieu sans doute au mois de juin 1817, apre`s la fin du second proce`s analyse´. Une fois de plus nous pouvons constater l’e´tonnante rapidite´ avec laquelle Constant travaille : l’e´tude des dossiers juridiques demande la plus grande attention pour e´viter toute erreur ` cela s’ajoute l’e´cridans un ouvrage d’une porte´e politique incontestable. A ture d’une centaine de pages serre´es, preˆtes a` l’impression de`s la fin du mois de juin, car la brochure est disponible de`s le 2 juillet, au plus tard de`s le 12 juillet, comme il ressort des documents dont nous disposons1. Le succe`s du livre tire´ a` mille exemplaires a e´te´ fulgurant, comme l’attestent les tre`s nombreux comptes rendus dont quelques-uns tre`s de´veloppe´s, discutant, parfois critiquant les raisonnements de Constant. Ce qui pre´vaut c’est l’e´loge pour un travail dont la hardiesse n’e´chappe a` personne : «Un homme e´galement distingue´ par ses connaissances et comme publiciste par son gouˆt comme e´crivain, a publie´ dernie`rement un petit ouvrage sur la liberte´ de la presse, ou` l’on trouve tout ce que la raison humaine peut concevoir de plus sense´ et de plus lumineux2.» Une seconde e´dition (e´ga-
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Courtney, dans sa Bibliography, p. 70, donne comme date de la de´claration de l’e´diteur le 28 juin 1817 ; dans la lettre date´e du 13 juillet et adresse´e au directeur du Journal de la librairie, BC dit qu’on a de´pose´ «il y a plus de 10 jours», a` compter a` partir de la date de la lettre (soit environ le 2 juillet, ou peut-eˆtre encore plus toˆt), plusieurs exemplaires de la brochure au bureau de la revue pour que la publication soit annonce´e officiellement, condition indispensable pour pouvoir en parler dans la presse. La premie`re annonce de l’ouvrage, publie´e le 7 juillet (un lundi) dans le Constitutionnel avait donc paru sans que cette condition soit remplie. La brochure n’a pas e´te´ annonce´e dans Bibliographie de la France le 5 juillet, comme BC pouvait l’espe´rer, mais seulement une semaine plus tard, le 12. BC ne semble pas exclure une ne´gligence intentionnelle de la part de la re´daction, comme il ressort de la lettre mentionne´e. Il se trompe, du moins en partie. La brochure a e´te´ annonce´e dans la revue, contrairement a` ce qu’il dit dans sa lettre, le 12 juillet (voir Courtney, Bibliography, pp. 70–72). La me´fiance est pourtant tre`s perceptible. Le proce´de´ identique pour la seconde e´dition est tout a` fait re´gulier : de´claration de l’imprimeur : mardi, 15 juillet ; de´poˆt le´gal : vendredi-samedi, 18–19 juillet ; Bibliographie de la France, samedi, 26 juillet 1817 (ibid., p. 72). Joseph-Franc¸ois-Nicolas Dusaulchoy de Bergemont, Lettres parisiennes, no 1, 1817, p. 10.
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lement mille exemplaires) est pre´pare´e de`s le 15 juillet et annonce´e dans la Bibliographie de la France le 26 juillet. Constant reproduit le texte sans changements dans son Cours de politique constitutionnelle en 1819. E´tablissement du texte Nous avons choisi comme texte de base pour notre e´dition celui du second tirage ou` Constant a corrige´ une faute d’imprimerie. Les variantes entre les trois e´ditions sont d’ailleurs sans grande importance. Nous avons corrige´ quelques coquilles tout en signalant nos interventions en note. Imprime´s : 1. QUESTIONS SUR LA LE´GISLATION ACTUELLE DE LA PRESSE EN FRANCE, ET SUR LA DOCTRINE DU MINISTE`RE PUBLIC, RELATIVEMENT A LA SAISIE DES E´CRITS, ET A LA RESPONSA BILITE´ DES AUTEURS ET IMPRIMEURS, PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [ligne] Illi inter sese vicissim brachia tollunt. [ligne] A PARIS, CHEZ LES MARCHANDS DE NOUVEAUTE´S. [petit filet ornemental] 1817. 8o, (215 × 127 mm). Pp. [i] faux-titre, [ii] adresse de Renaudie`re, rue des Prouvaires, No. 16 et Erratum, [iii] titre, [iv] blanche, [1]–99 texte, [100]–[101] table des matie`res, [102]–[104] blanches. Courtney, Bibliography, 22a. Courtney, Guide, A22/1. Exemplaire utilise´ : BCU, AZ 643 Rec. Nous de´signons cette e´dition par le sigle Q1. 2. QUESTIONS SUR LA LE´GISLATION ACTUELLE DE LA PRESSE EN FRANCE, ET SUR LA DOCTRINE DU MINISTE`RE PUBLIC, RELATIVEMENT A LA SAISIE DES E´CRITS, ET A LA RESPONSA BILITE´ DES AUTEURS ET IMPRIMEURS, PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [ligne] Illi inter sese magna vi brachia tollunt. [ligne] SECONDE E´DITION. A PARIS, CHEZ DELAUNAY, LIBRAIRE, Palais Royal, Galerie de Bois ; ET CHEZ LES MARCHANDS DE NOUVEAUTE´ S. [petit filet ornemental] 1817. 8o, (215 × 127 mm). Texte corrige´, meˆme distribution du texte que dans la premie`re e´dition. Courtney, Bibliography, 22b. Courtney, Guide, A22/2. Exemplaires utilise´s : Schweizerische Landesbibliothek, Bern ; collection particulie`re.
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Nous de´signons cette e´dition par le sigle Q2. 3. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES Publie´s sur le Gou vernement repre´sentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espe`ce de Cours de Politique constitutionnelle ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [filet ondule´] DEUXIE`ME VOLUME. Quatrie`me partie de l’Ouvrage. A PARIS, CHEZ P. PLANCHER, E´ DITEUR DES OEUVRES DE o VOLTAIRE ET DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, n . 7. [petit filet ondule´] 1818. Le texte de la brochure se trouve pp. [393]–492. Courtney, Bibliography, 131a(2). Courtney, Guide, E1/1(2) Exemplaire utilise´ : Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Politik oct 964 Nous de´signons cette e´dition par le sigle Q3. 4. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES PUBLIE´S SUR LE GOUVERNEMENT REPRE´SENTATIF ET LA CONSTITUTION AC TUELLE, TERMINE´E PAR UNE TABLE ANALYTIQUE ; OU COURS DE POLITIQUE CONSTITUTIONNELLE ; PAR M. BENJAMIN CON STANT, De´pute´ du de´partement de la Sarthe. Seconde E´dition. [filet ondule´] TOME SECOND [filet ondule´] PARIS, CHEZ PIERRE PLANCHER, LIBRAIRE, RUE POUPE´E ; No 7. [filet] 1820. Le texte de la brochure se trouve pp. [393]–492. Courtney, Bibliography, 131b(2). Courtney, Guide, E1/2(2) Exemplaire utilise´ : BnF, Le4 73A. Nous de´signons cette e´dition par le sigle Q4. L’ouvrage a fait l’objet des comptes rendus et des re´ponses suivants : 1. Ricard d’Allauch, De l’institution du Jury en France, et en Angleterre conside´re´s l’un et l’autre dans leur pratique, d’apre`s des exemples tire´s des deux pays ; ou moyens d’e´tablir, d’apre`s les deux me´thodes compare´es, celle qui conviendrait le mieux au Jury franc¸ais pour assurer sa marche et le conduire a` son but ; suivis de l’examen d’un e´crit de M. B. de Constant, sur la le´gislation actuelle de la presse, le jugement par jure´s et la responsabilite´ des auteurs et des imprimeurs, Paris : C.-F. Patris, 1817. 2. Anonyme, Le Constitutionnel, no 188, 7 juillet 1817, p. 3b. 3. Anonyme, Quelques mots a` M. le Vicomte de Chateaubriand, Pair de France, et a` M. Benjamin de Constant, ancien Tribun, par M. le marquis de ..., Paris : Dubray et Dentu, 21818 (Premie`re e´dition : meˆme anne´e).
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4. Anonyme, Journal des De´bats, 24 juillet 1817, pp. 3b–4b. 5. Anonyme, Journal ge´ne´ral de France, no 1050, 26 juillet 1817, pp. 3b–4a. 6. Anonyme, Le Moniteur universel, no 206, 25 juillet 1817, pp. 814a– 816b, avec une re´ponse dans le Moniteur, no 212, 31 juillet 1817, pp. 838b– 838c. 7. Anonyme, Le Moniteur universel, no 210, 29 juillet 1817, pp. 831b– 832b. 8. Anonyme, Archives philosophiques, politiques et litte´raires, t. I, troisie`me livraison, [septembre] 1817, pp. 280–297. 9. Jacques-Charles Bailleul, Sur les e´crits de M r B. de Constant, relatifs a` la liberte´ de la presse, et a` la responsabilite´ des ministres. Principe d’une loi de se´curite´. Quelques re´flexions sur une opposition au Ministe`re dans les Chambres, Paris : A. Bailleul, Mongie, Delaunay et Delatour, s.d. [1817]. On trouve une re´ponse a` cette brochure dans les Lettres normandes, t. 1, pp. 127–128. P.-F. Tissot, c. r. de la brochure de Bailleul dans Le Mercure de France, t. IV, novembre 1817, pp. 292–303. 10. Charles Dunoyer, Le Censeur europe´en, t. IV, 1817, pp. 185–231, signe´ D...R. 11. Joseph-Franc¸ois-Nicholas Dusaulchoy, Lettres parisiennes, no 1, 1817, p. 10. 12. Pierre-Louis de Lacretelle, Mercure de France, 19 juillet, 2 et 9 aouˆt 1817, t. 3, pp. 102–107, 197–208, 244–248, signe´ L. 13. D.-M. Marchais de Migneaux, De la responsabilite´ des Ministres. Observations sur la proposition de loi a` ce sujet faite a` la Chambre des Pairs, par M. le comte Lalli Tolendal, et sur quelques opinions de M. Benjamin de Constant, Paris : Lhuillier, Delaunay, 1817, 21818. L’ouvrage a fait l’objet d’une e´dition commente´e par E´douard Laboulaye : Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle ou collection des ouvrages publie´s sur le gouvernement repre´sentatif, avec une introduction et des notes par M. E´douard Laboulaye, Paris : Guillaumin, 1861, t, I, pp. 501–556. K. K.
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Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France et sur la doctrine du ministe`re public, relativement a` la saisie des e´crits, et a` la responsabilite´ des auteurs et des imprimeurs.
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Illi inter sese magna vi brachia tollunt1
E´tablissement du texte : Imprime´s : 1. Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, et sur la doctrine du ministe`re public, relativement a` la saisie des des e´crits, et a` la responsabilite´ des auteurs et imprimeurs, Paris : Delaunay et chez les Marchands de Nouveaute´s, 1817 [=Q1] 2. Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, et sur la doctrine du ministe`re public, relativement a` la saisie des des e´crits, et a` la responsabilite´ des auteurs et imprimeurs, Paris : Delaunay et chez les Marchands de Nouveaute´s, 1817 [=Q2] 3. Cours de Politique constitutionnelle, t. II, Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, et sur la doctrine du ministe`re public, relativement a` la saisie des des e´crits, et a` la responsabilite´ des auteurs et imprimeurs, Paris : 1818 [=Q3]
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Virgile, E´ne´ide, VIII,1 452. «Ensemble ils le`vent les bras avec beaucoup de force». Virgile parle des Cyclopes, qui, dans les forges de Vulcain, occupe´s de fabriquer les foudres de Jupiter, se mettent a` l’œuvre pour cre´er le bouclier d’E´ne´e.
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I.
De l’intention manifeste´e par le Gouvernement, en pre´sentant la loi relative a` la saisie des E´crits, et de la conviction e´nonce´e par les deux Chambres, en adoptant cette loi. 2
Le 20 juillet 1815, une ordonnance royale a de´clare´ qu’il e´tait reconnu «que la restriction apporte´e a` la liberte´ de la presse, par la loi du 21 octobre 1814 (restriction qui soumettait a` la censure les ouvrages de moins de vingt feuilles), pre´sentait plus d’inconve´niens que d’avantages, et que cette restriction e´tait leve´e1.» Le 7 de´cembre 1816, M. le Ministre de la police2 a pre´sente´ un projet «tendant a` garantir et a` consolider cette pre´cieuse liberte´ de la presse, que la Charte consacre, qui doit e´clairer de son flambeau le Gouvernement comme la Nation, et dont les abus meˆmes ne pourront de´sormais eˆtre re´prime´s que par les tribunaux, gardiens de tous les droits, aussi bien que protecteurs de l’ordre public, du repos des familles, et de l’honneur des citoyens a.»
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Moniteur du 8 de´cembre 1816 3.
2 De l’intention ] BC re´pe`te avant le titre du premier chapitre le titre de la brochure
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La loi du 21 octobre 1814 pre´voit que les e´crits de plus de vingt feuilles peuvent eˆtre publie´s librement et sans censure pre´alable (art. 1er) et que les journaux et e´crits pe´riodiques ne peuvent paraıˆtre qu’avec l’autorisation du roi (art. 9). Entre les deux, les e´crits non pe´riodiques de vingt feuilles ou moins peuvent eˆtre soumis par le directeur de la librairie ou le pre´fet du de´partement a` une censure pre´alable (art. 3) (J.-B. Duvergier, Collection comple`te des lois, de´crets, ordonnances, re´glemens, avis du Conseil d’Etat, t. 19, Paris : Guyot et Scribe, 1836, pp. 221–222). L’ordonnance du 20 juillet 1815 retire au directeur de la librairie et au pre´fet du de´partement la faculte´ que leur ouvrait l’article 3. L’expose´ des motifs est re´dige´ en termes un peu diffe´rents de ceux que cite Constant sans que cela porte a` conse´quence : «nous avons reconnu que cette restriction apporte´e a` la liberte´ de la presse pre´sentait plus d’inconve´nients que d’avantages ; c’est pourquoi nous avons re´solu de la lever entie`rement» (J.-B. Duvergier, ouvr. cite´, t. 20, Paris : Guyot et Scribe, 1837, p. 11). Elie, comte puis duc Decazes (1780–1860) : il commence sa carrie`re aupre`s de la famille Bonaparte (conseiller de Louis, fre`re de Napole´on, puis de Laetitia, me`re de Napole´on) avant de se rallier a` Louis XVIII qui lui porte des sentiments paternels, ce qui lui vaut un poste de ministre de la Police en 1815 jusqu’a` ce que l’assassinat du duc de Berry provoque sa de´mission en 1820. Plutoˆt libe´ral, il me´nage Constant qui le lui rend. Moniteur, no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1374b : texte exact sauf le de´but : «Ainsi, sur un point de´cisif, sera garantie et consolide´e cette pre´cieuse [le reste identique]».
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Ce projet e´tait destine´, d’apre`s le rapport du meˆme ministre, «non a` changer la le´gislation pe´nale sur la presse, le´gislation suffisante, disait Son Excellence, contre les abus et les de´lits, mais a` donner a` l’exercice raisonnable et le´gal de cette liberte´ une garantie ne´cessaire, parce que les dispositions de l’article 15 du titre II de la loi du 21 octobre 1814 pouv aient la compromettre, ou du moins diminuer la se´curite´ dont elle a besoin1.» En conse´quence, une nouvelle suite de formalite´s relatives a` la saisie des livres, et au jugement des livres saisis, a e´te´ prescrite par le projet, dans l’intention formellement exprime´e de favoriser la liberte´ de la presse. En proposant le meˆme jour une loi, qui soumettait les journaux a` l’autorite´, M. le ministre de la police a dit, «qu’il ne re´sulterait point de ce droit accorde´ au Gouvernement, la destruction de la liberte´ des discussions publiques..., parce que les e´crits de tout genre, les pamphlets, les re´clamations des citoyens, paraıˆtraient sans obstacle, circuleraient avec liberte´, et sous la responsabilite´ le´gale de leurs auteurs. Certes, a-t-il ajoute´, nous ne saurions penser que, sous un tel re´gime, la presse puisse eˆtre ou paraıˆtre esclave2.» Son Excellence a, dans le meˆme discours, rappele´ que, sous Bonaparte, «on aurait en vain demande´ aux ouvrages et aux pamphlets de publier des ve´rite´s et des re´clamations que les journaux refusaient d’accueillir, mais qu’aujourd’hui mille portes e´taient ouvertes aux opinions, aux re´clamations ; que les droits publics, solennellement reconnus et re´elle ment exerce´s, se soutenaient et se defendaient l’un l’autre3.» 1
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Moniteur, no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1374b : texte un peu diffe´rent dans la mesure ou` l’opinion que Constant preˆte a` Decazes est en fait attribue´e par ce dernier a` «quelques bons esprits», ce qui ne revient pas tout a` fait au meˆme du point de vue qui inte´resse Constant, celui de l’engagement du gouvernement : «Une nouvelle loi pe´nale serait aujourd’hui inutile [...] Mais en reconnaissant que cette le´gislation suffirait contre les abus et les de´lits de la presse, quelques bons esprits ont cru qu’il manquait a` l’exercice raisonnable et le´gal de cette liberte´ une garantie ne´cessaire, et que les dispositions de l’article 15 du titre II de la loi du 21 octobre 1814, pouvaient meˆme la compromettre, [le reste identique]». Moniteur, no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1373c : quelques variantes par rapport au texte de Constant tenant a` une forme interrogative qui atte´nue un peu l’engagement du ministre : «Re´sultera-t-il d’ailleurs du droit accorde´ au Gouvernement sur les journaux que l’opinion publique soit muette, que la liberte´ des discussions publiques soit de´truite [...] ? [...] les e´crits de tous genres, les grands ouvrages, les pamphlets, les re´clamations des citoyens, ne paraıˆtront-ils pas sans obstacle, ne circuleront-ils avec liberte´ et sous la seule responsabilite´ le´gale des auteurs ? Certes nous ne saurions penser que, sous un tel re´gime, la presse puisse eˆtre ni paraıˆtre esclave». Moniteur, no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1374a : quelques variantes dans le texte de Constant tenant surtout au passage du pre´sent a` l’imparfait, donc sans gue`re de porte´e : «en vain aurait-on demande´ [la suite identique jusqu’a` «accueillir» [...] Aujourd’hui [...] mille portes sont ouvertes aux opinions, aux re´clamations ; les droits publics solennellement reconnus et re´ellement exerce´s, se soutiennent et se de´fendent l’un l’autre».
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Lors de la discussion du projet, un amendement ayant e´te´ propose´, M. le ministre de la police y a consenti, «parce qu’il e´tait favorable a` la partie saisie, et que ce but e´tait celui de la loi1.» Le 18 janvier dans le rapport fait a` la chambre des de´pute´s, sur les restrictions a` imposer aux journaux, le rapporteur a fait ressortir, avec beaucoup de force, les nouvelles garanties donne´es a` la liberte´ des livres. «La liberte´ de la presse existera, plus entie`re, plus absolue, a-t-il dit, que sous l’empire de la loi du 21 octobre 1814. Le jour ou` les ministres abuseraient de leur autorite´ sur les journaux, la liberte´ de la presse dont nous jouissons pour tous les autres ouvrages, ne serait pas un vain secours : et les plaintes respectueuses de la Nation, arrivant de toutes parts aux pieds du troˆne, y feraient paˆlir des ministres pre´varicateurs a.» Le 20 janvier, la discussion s’e´tant ouverte, tous les de´fenseurs des projets propose´s par les ministres, se sont, comme le rapporteur, appuye´s de la liberte´ assure´e aux livres, pour faire admettre, avec moins de peine, la de´pendance des journaux. Je choisis au hasard quelques-uns de leurs discours, que je ne citerai pas tous, parce que telle e´tait la force de leur conviction, qu’ils ont presque tous exprime´ les meˆmes ide´es dans les meˆmes mots. «Un simple citoyen, a dit M. Duvergier de Hauranne2, a conc¸u des ide´es qu’il croit utiles de publier ; il est libre de le faire. Il voit des abus. Il a e´te´ commis une injustice a` son e´gard.... par un pre´fet, par un ministre.... Il de´nonce au public ce pre´fet, ce ministre, cet abus, cette injustice. Voila` la a
Moniteur du 19 janvier 18173.
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Dans la se´ance du 17 janvier 1817, Benoist demande de supprimer le de´lai de trois jours pour faire opposition a` une saisie ; Decazes re´pond : «L’amendement propose´ par M. Benoist pouvant eˆtre favorable a` la partie saisie, et ce but e´tant celui de la loi, je de´clare ne pas m’opposer a` cet amendement.» La`-dessus, la Chambre vote la loi sur la saisie des e´crits par 145 voix contre 14. Jean-Marie Duvergier de Hauranne (1771–1831) : de´pute´ de Seine infe´rieure (aujourd’hui Seine maritime) de 1815 a` 1819, puis de 1820 a` 1823, d’abord monarchiste ministe´riel, donc critique´ a` la fois par les ultras et par les libe´raux. Ses pole´miques avec Constant prendront un tour direct en octobre 1818 (re´ponse de Constant a` un libelle de Duvergier de Hauranne le mettant en cause a` propos du Concordat, de la liberte´ de la presse et des e´lections : dans la Minerve franc¸aise du 15 octobre 1818, p. 493 a` 497). Apre`s 1822, il se rapproche de l’opposition constitutionnelle. Moniteur, no 19, 19 janvier 1817 : citation re´sultant de trois extraits regroupe´s. Premie`re phrase : p. 79a ; de´but de la seconde phrase : p. 80a sous la forme suivante : «le jour ou` les ministres forceraient les journaux a` nous preˆter des accents qui ne seraient pas les noˆtres» ; a` partir de «la liberte´ de la presse dont nous jouissons [...]» : un peu plus loin e´galement p. 80a. Quant a` l’auteur de ce propos, rapporteur de la loi, il s’agit d’Auguste Ravez (1770–1849), avocat a` Bordeaux, de´pute´ (1813–1829), pre´sident de la Chambre des De´pute´s (1817–1827), sous-secre´taire d’E´tat a` la justice (1817–1818). Il se situe plutoˆt a` droite dans l’assemble´e.
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liberte´ dont nous jouissons et dont nous allons jouir plus que jamais. Il n’est pas a` craindre que l’abus que feraient les ministres de leur puissance et les fautes qu’ils commettraient soient ignore´es a.» M. Becquey1, commissaire du Roi, a etabli «que la liberte´ de la presse e´tait hors d’inte´reˆt dans la question des journaux, puisque chacun pouvait publier ses opinions avec une entie`re liberte´ ; que rien de ce qui e´tait e´carte´ des journaux ne serait empeˆche´ de paraıˆtre sous toute autre forme ; que l’auteur qui imprimerait son livre ou sa brochure devait jouir de la liberte´ la plus absolue, et que les Franc¸ais seraient toujours libres, parce que tous les e´crits pourraient eˆtre publie´s b.» M. Courvoisier2 a parle´ de meˆme. «Tout est libre, a-t-il dit, a` l’exception des journaux c. Graces au souverain qui, dans sa charte, a consacre´ la liberte´ de la presse, les auteurs en jouissent pleinement aujourd’hui. Ils trouvent encore une nouvelle garantie de ce bienfait dans le projet de loi sur la forme de proce´der a` l’e´gard des e´crits saisis.» Telles ont e´te´ les paroles du commissaire du Roi, M. de la Malle d. a b c d
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Moniteur du 20 janvier 18173. Moniteur du 28 janvier 18174. Id. du 295. Id. du 306. Louis Becquey (1760–1849) fut membre de l’Assemble´e le´gislative en 1791, conseiller d’E´tat en 1810, directeur ge´ne´ral du commerce en 1814, de´pute´ de la Haute-Marne en 1815 et directeur ge´ne´ral des ponts et chausse´es de 1817 a` 1830. Jean-Joseph-Antoine de Courvoisier (1775–1835) : e´migre´, magistrat, de´pute´ du Doubs de 1816 a` 1820, il balance entre sa fide´lite´ a` la monarchie et ses tendances libe´rales. Moniteur, no 27, 27 (et non du 20) janvier 1817, p. 103c : citation exacte jusqu’a` «plus que jamais» qui n’est pas en italique, les points de suspension indiquant des alle`gements par rapport au texte primitif, et avec une petite variante : «il de´nonce au public ces abus, ce pre´fet, ce ministre». La dernie`re phrase est plus loin dans le texte, p. 104b. Dans le Moniteur, no 28, 28 janvier 1817, pp. 106c–107c : comme ci-dessus (p. 673, n. 1), Constant preˆte a` l’orateur ce que ce dernier attribue aux «bons esprits». De plus, il passe, comme par distraction, du conditionnel a` l’imparfait : «je crois d’abord remarquer que beaucoup de bons esprits conside`rent la liberte´ de la presse comme e´tant hors d’inte´reˆt dans la question que nous examinons, puisque chacun peut publier ses opinions avec une entie`re liberte´, et que rien de ce qui serait e´carte´ des journaux, n’est empeˆche´ de paraıˆtre sous tout autre forme [...] Selon ceux qui professent cette opinion, l’auteur qui imprime son livre ou sa brochure doit jouir de la liberte´ absolue» (p. 106c). Puis, plus loin, en re´ponse a` ceux qui regrettent le controˆle des gazettes, «Rassurez-vous, les Franc¸ais seront toujours libres [...] parce que le Roi veut qu’ils le soient ; parce que tous les e´crits peuvent eˆtre publie´s [...]» (p. 107a). Dans le Moniteur, no 29, 29 janvier 1817, p. 111a : citation exacte. Dans le Moniteur, no 30, 30 janvier 1817, pp. 113b–114a, figure bien le discours du conseiller d’E´tat Gaspard-Gilbert Delamalle (1752–1834), mais pas le texte exact de la citation. En revanche, c’est bien l’esprit de son propos et c’est sans doute ce que Constant veut signifier en mettant la phrase en italique.
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«Serait-il juste, s’est e´crie´ M. Camille Jordan1, de se´parer la loi qui nous est pre´sente´e sur les jounaux, de celle qui l’a pre´ce´de´e sur les e´crits ? Si le gouvernement entreprenait de cacher la ve´rite´ dans les jounaux, de l’alte´rer ou de la combattre, n’en doutons pas, on la verrait soudain chasse´e de ces feuilles le´ge`res, se re´fugier dans des e´crits plus solides. Du sein de ce brillant exil, elle e´leverait une voix accusatrice. Elle lui reprocherait sa dissimulation ou son mensonge. Il n’aurait recueilli que la honte d’un inutile artifice. Le Gouvernement, par la liberte´ des e´crits, s’est presque re´duit a` ne pouvoir abuser des journaux a.» Enfin M. le comte de Cazes, dans sa re´plique, a re´ite´re´ sa de´claration «que le Roi avait voulu accorder aux e´crits toute latitude b.» Les meˆmes assurances ont e´te´ donne´es a` la chambre des pairs. M. le ministre de la police, en y portant le projet de loi, le 11 fe´vrier, a dit : «Qu’affranchir les e´crits ordinaires de toute censure, c’e´tait rendre aux citoyens l’exercice du droit de publier leurs opinions individuellement ; que ce droit n’inspirait aucune crainte aux ministres ; qu’il e´tait consacre´ par la charte, et que, loin de songer a` le restreindre, le Roi, dans sollicitude, avait voulu lui donner plus de garanties c.» Le rapporteur d a fait ressortir la diffe´rence qui se´pare les journaux des livres. «Le Gouvernement propose, a-t-il observe´, de rendre absolue la liberte´ de ceux-ci e.» a b c d e
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Moniteur du 30 janvier 18172. Id. du 313. Moniteur du 18 fe´vrier 18174. M. de Malleville, Moniteur du 26 fe´vrier 18175. Moniteur du 3 mars. Camille Jordan (1771–1821), de´pute´ du Rhoˆne au Conseil des cinq cents sous le Directoire, de´pute´ de l’Ain a` la Chambre des De´pute´s des de´partements au de´but de la Seconde Restauration. Il fait alors partie des «doctrinaires» ainsi que du «groupe lyonnais», de tendance libe´rale (L. Trenard, «Benjamin Constant et les libe´raux lyonnais», dans ABC, 1982, pp. 47–71). Moniteur, no 30, 30 janvier 1817, pp. 115c–116a : texte constitue´ par le rassemblement de trois extraits parfois se´pare´s par d’assez longs de´veloppements : la premie`re phrase, p. 115c ; la suite jusqu’a` «[...] artifice», p. 116a et la dernie`re phrase e´galement p. 116a. Cette discontinuite´ conduit Constant a` supprimer deux «donc» qui faisaient le lien avec des e´le´ments non reproduits et il transforme certains points-virgules en points. Moniteur, no 31, 31 janvier 1817, p. 118b : le texte te´moigne d’un point de vue plus nuance´ a` l’e´gard de la liberte´ de la presse que la sobre citation de Constant ne le laisserait croire : «Lorsque le Roi a cru devoir accorder toute latitude aux e´crits, peut-eˆtre vous aurez remarque´ que cette faveur n’a pas e´te´ tout a` fait sans inconve´nients». Moniteur, no 49, 18 fe´vrier 1817, p. 205c : quelques variantes tenant surtout au passage du pre´sent a` l’imparfait et de la forme directe a` la forme indirecte donc sans gue`re de porte´e : «Affranchir les e´crits [...] c’est donc rendre [...] ; ce droit ne nous inspire aucune crainte [...]». Moniteur, no 57, 26 fe´vrier 1817, p. 236a-c : «Rapport fait a` la chambre [des Pairs] par M.
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Les pairs qui ont soutenu le projet relatif aux jounaux ont affirme´ : «Que loin que le principe constitutionnel de la liberte´ de la presse fuˆt attaque´, l’unique exception qu’on y proposait en e´tait au contraire la plus solennelle reconnaissance, puisque tous les e´crits, hors les journaux, pourraient eˆtre librement publie´s a ;» et M. le comte de Cazes a fait une quatrie`me profession de foi, aussi libe´rale qu’explicite, en se plaignant, avec tout le sentiment d’une bonne intention me´connue, de ce que l’un de ces adversaires «paraissant croire que le ministe`re cherchait a` donner le change, et supposant que la loi discute´e avait un autre but que celui qu’elle pre´sentait, n’avait vu qu’un pie´ge dans un bienfait b.» J’ai puise´ ces citations dans le journal officiel : je les ai multiplie´es, pour rendre plus incontestables les ve´rite´s qui en de´coulent. Il en re´sulte, que la loi propose´e dans la dernie`re session, relativement a` la presse, a e´te´ pre´sente´e par le ministe`re, comme un adoucissement a` la le´gislation existante ; que les ministres ont de´clare´ qu’ils voulaient que la presse fuˆt plus libre, les auteurs plus en suˆrete´ qu’ils ne l’e´taient pre´ce´demment ; qu’ils se sont appuye´s de l’augmentation de liberte´ accorde´e aux livres, pour obtenir de se´ve`res restrictions a` l’e´gard des journaux ; que les orateurs qui ont parle´ dans le sens ministe´riel ont professe´ la meˆme doc-
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Idem1. Moniteur du 3 mars 18172. le comte de Malleville au nom de la commission spe´ciale [...] charge´e de l’examen du projet de loi relatif aux journaux, imprime´ par ordre de la chambre». Dans ce rapport figure une phrase pour une fois plus optimiste et libe´rale que ce que rapporte Benjamin Constant : «personne ne songe a` ravir a` la nation la liberte´ de la presse ; le Gouvernement vous propose au contraire de la rendre absolue ; seulement, a` cause des circonstances qu’il connaıˆt mieux que vous, il de´sire que vous laissiez ces journaux quelques mois encore sous sa surveillance [...]». Dans le Moniteur, no 62, 3 mars 1817, p. 255 le «Rapport» n’est pas cite´ mais seulement mentionne´ comme ayant e´te´ lu lors de la se´ance de la Chambre des Pairs du 22 fe´vrier 1817. Moniteur, no 62, 3 mars 1817, p. 256c : quelques variantes sans grande porte´e tenant surtout au passage du pre´sent et du futur respectivement a` l’imparfait et au conditionnel et du ` noter que, pour la Chambre des Pairs, le passage de la forme directe a` la forme indirecte. A nom des intervenants n’est pas indique´ meˆme si certains e´le´ments peuvent les faire deviner. Dans la se´ance du 25 fe´vrier a` la Chambre des Pairs, le ministre re´pond a` un long discours de Victor de Broglie : «Pourquoi veut-il que nous cherchions a` donner le change ? pourquoi suppose-t-il a` la loi discute´e un autre but que celui qu’elle pre´sente ?» et plus loin : «Le noble duc en a presque seul pense´ autrement. Il a vu un pie`ge dans ce bienfait.» Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XIX, p. 143 ; aux pp. 136–142 se trouve le discours de Victor de Broglie, non reproduit dans le Moniteur. BC en donnera quelques extraites dans les Annales de la session de 1817 a` 1818, ci-dessous, p. 989. L’expression «il a vu un pie`ge dans ce bienfait», que BC reprendra plus loin, appartient au ministre. On voit qu BC ne puise pas toujours ses citations dans le «journal officiel», comme il le dit. Cette citation ne figure pas dans le discours du ministre de la Police tel qu’il est rapporte´
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trine ; qu’on peut regarder leurs discours comme ayant essentiellement contribue´ a` l’adoption de la loi, et par conse´quent comme ayant e´te´, aux yeux des deux chambres, des engagemens qu’ils prenaient au nom du Gouvernement, engagemens d’autant plus formels et irre´cusables, que plusieurs d’entre eux n’e´taient pas simplement pairs ou de´pute´s, mais ministres ou commissaires du Roi, et parlaient officiellement en cette qualite´ ; enfin, qu’apre`s les de´bats des chambres et les re´ponses des de´positaires de l’autorite´, la France a duˆ penser que la liberte´ de la presse e´tait plus assure´e et mieux garantie qu’auparavant.
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II.
De la doctrine et de la pratique de MM. les avocats du Roi pre`s le tribunal de police correctionnelle et la cour royale, dans les causes relatives aux e´crits saisis.
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L’intention du Roi a donc e´te´ que la presse fuˆt libre. La conviction des chambres, en adoptant les lois propose´es par les ministres, a e´te´ qu’elle le serait, sauf une exception unique et passage`re qui ne porte que sur les journaux. La Nation qui, depuis vingt-cinq ans, n’a cesse´ d’exprimer son vœu unanime a` cet e´gard, a duˆ croire ce vœu satisfait. Maintenant deux proce`s viennent d’eˆtre intente´s a` des e´crivains1, en vertu de la loi pre´servatrice de la liberte´ de la presse. Ce fait n’a rien qui m’effraie. Nul homme sense´ ne dispute la ne´cessite´ et la justice de l’action des tribunaux sur les e´crivains. Non-seulement les proce`s en calomnie, intente´s, a` tort ou a` raison, sont et doivent eˆtre une conse´quence ine´vitable et pre´vue de la libre publication des e´crits : car tout individu qui se croit calomnie´ a droit, a` ses risques et pe´rils, de re´clamer une re´paration, sauf a` supporter les inconve´niens de sa demande, si elle est mal fonde´e ; mais il faut aussi que la se´dition puisse eˆtre re´prime´e, et que les invitations a` la se´dition puissent eˆtre punies. Dans les proce`s dont il est question, des doctrines ont e´te´ e´tablies, qui, si elles sont admises, auront, pour l’avenir, une grande influence. MM. les avocats du Roi ont mis en avant des maximes qui forment une jurisprudence nouvelle : car c’est sur-tout dans la le´gislation de la presse que s’introduira naturellement la jurisprudence des traditions, des arreˆts, et de ce que les Anglais nomment Precedents2. Tout ce qui a rapport aux e´crits se de´cidera et devra se de´cider beaucoup plus par des conside´rations morales que par la lettre de la loi. Les tribunaux, appele´s a` prononcer sur ces matie`res, s’appuieront ne´cessairement sur l’autorite´ des de´cisions ante´rieures. Ces de´ci3 correctionnelle ] la source porte correc ionnelle Q2 1
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Ces deux proce`s de presse sont celui dirige´ contre M. Rioust, e´crivain et contre Mme Perronneau, imprimeur libraire, pour le livre Carnot (voir ci-dessous, pp. 685–686, n. 2) et contre M. Chevalier, e´crivain, et M. Dentu, imprimeur, pour le livre Premie`re lettre a` M. le comte Decazes [...] (voir ci-dessous, pp. 689–690, n. 2). Dans sa jeunesse, Constant suivit des enseignements a` l’Universite´ d’E´dimbourg. Il y acquit des connaissances sur le syste`me juridique britannique et sur le syste`me du «pre´ce´dent», notamment en participant aux discussions de la Speculative Society : Rudler, Jeunesse, pp. 156–173. Ce syste`me du «pre´ce´dent» fait la spe´cificite´ de la technique juridique dite de la «Common Law».
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sions leur serviront de re`gles dans des affaires souvent fort de´licates, fort complique´es, et sur lesquelles d’ici a` quelque temps le de´faut d’expe´rience se fera pe´niblement sentir aux juges et aux jure´s, si enfin les jure´s sont e´tablis dans ces causes, comme il faut qu’ils le soient, sous peine de rendre toutes les garanties illusoires1. Nos premiers pas, dans cette carrie`re, ou` aucune route n’est encore fraye´e, en marqueront une, qui, bonne ou mauvaise, droite ou tortueuse, nous tracera malgre´ nous notre marche a` venir. Il est donc utile, il est urgent que la jurisprudence dont MM. les avocats du Roi ont pose´ les bases, soit examine´e. Si elle est d’accord avec les discours des ministres, et avec les principes e´mis dans les deux chambres par les orateurs ministe´riels, l’intention annonce´e par le Gouvernement est remplie. Si, au contraire, cette jurisprudence est subversive de toute liberte´ de la presse, s’il en re´sulte qu’aucun e´crivain ne peut e´crire une ligne, ni de´fendre ce qu’il a e´crit, sans encourir des peines se´ve`res ; si, tandis que les ministres ont de´clare´, en pre´sentant la loi, que la liberte´ de la presse e´tait le flambeau du Gouvernement, les organes de l’autorite´, en appliquant la loi, e´touffent cette liberte´, il est clair, ou que la loi n’atteint pas le but que les ministres s’e´taient propose´, ou que les magis trats se trompent dans l’application qu’ils font de la loi. Soit qu’on adopte ou l’une ou l’autre de ces hypothe`ses, toujours est-il ne´cessaire de les examiner. Si la premie`re se trouve fonde´e, les inquie´tudes que la poursuite et l’issue des deux proce`s qui viennent d’avoir lieu ont cause´es, a` tort, a` beaucoup de personnes, se calmeront, et nous pourrons nous livrer a` toute notre reconnaissance pour le ministe`re ; et si, par hasard, la seconde hypothe`se s’e´tait re´alise´e, ce serait a` la fois un hommage, et si le mot n’est pas trop pre´sompteux, un service a` rendre aux ministres, que de leur montrer que, malgre´ la re´plique e´loquente et profonde´ment sentie de l’un d’eux, ce qu’il a de´clare´ ne pouvoir pas arriver, arrive, que la loi qu’il a fait adopter a, je ne dis pas un autre but, mais un autre effet que celui qu’elle promettait d’avoir, et que le bienfait, quoiqu’il ne soit certainement pas un pie´ge dans l’invention de ses auteurs, a pourtant les inconve´niens d’un pie´ge. Alors ces ministres e´claire´s et amis du bien imprimeront sans doute aux agens de l’autorite´ une autre direction ; et les magistrats qui parlent au nom du Roi, ne se tromperont plus sur sa volonte´, manifeste´e aux chambres et a` la France. 1
C’est une revendication re´currente chez Benjamin Constant que la compe´tence des jurys en matie`re de proce`s de presse. Par exemple : «l’introduction du jury peut seule simplifier les difficulte´s et garantir re´ellement la liberte´ de la presse» («Projet de loi sur la liberte´ de la presse», dans le Mercure de France du 1er fe´vrier 1817, p. 210 ; voir ci-dessus, p. 436). D’une fac¸on ge´ne´rale, les journalistes de l’e´poque pre´fe`rent comparaıˆtre devant des jure´s, plus faciles a` flatter, a` impressionner ou a` attendrir que des juges professionnels.
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Les deux e´crivains dont la poursuite et la condamnation font l’objet des re´flexions qu’on va lire, me sont parfaitement e´trangers. Je ne les ai rencontre´s nulle part ; j’ignore quelles sont leurs relations prive´es, et je ne me suis point informe´ de leurs principes politiques. Le livre du premier d’entre eux n’est jamais parvenu jusqu’a` moi. J’ai lu la brochure du second, et j’y ai trouve´, avec quelques ve´rite´s ge´ne´rales et plusieurs traits spirituels, des expressions peu convenables. Je ne suis donc partial ni pour les individus que je n’ai vus de ma vie, ni pour les ouvrages, dont l’un m’est inconnu, et dont j’aurais e´te´ plutoˆt dispose´ a` de´sapprouver l’autre. C’est la doctrine e´tablie par le ministe`re public dont j’ai l’intention de m’occuper. Cette doctrine peut eˆtre re´duite aux cinq axioˆmes suivans : 1o. Qu’on peut interpre´ter les phrases d’un e´crivain et le condamner sur ces interpre´tations, meˆme quand il proteste contre le sens qu’on donne a` ses phrases ; 2o. Qu’attaquer les ministres, c’est attaquer le Roi ; 3o. Qu’on peut combiner, avec le Code actuel, les lois ante´rieures, et les appliquer a` des e´crits publie´s sous l’empire des lois existantes ; 4o. Qu’un accuse´ peut eˆtre puni pour la manie`re dont il se de´fend ; 5o. Que l’imprimeur qui a rempli toutes les formalite´s prescrites, peut ne´anmoins eˆtre condamne´. Que ces axioˆmes viennent d’eˆtre professe´es par le ministe`re public, est un fait, dont je fournirai plusieurs de´monstrations successives, par des extraits fide`les des re´quisitoires et des plaidoiries de MM. les avocats du Roi. Ces axioˆmes sont-ils constitutionnels ? Sont-ils d’accord avec la liberte´ qu’on nous a promise ? Sont-ils compatibles avec celle de la presse, sous quelque forme qu’on la conc¸oive ? Telles sont les questions que je vais soumettre aux repre´sentans de la Nation, comme gardiens de ses droits ; aux ministres, comme exe´cuteurs des intentions royales ; aux simples citoyens, comme inte´resse´s e´galement a` ce que la licence ne soit pas encourage´e, et a` ce que la liberte´ le´gale ne soit pas de´truite. Je de´clare que je n’inculpe les intentions de personne, qu’en indiquant les conse´quences qui me paraissent re´sulter de la doctrine que MM. les avocats du Roi ont e´tablie, je suis convaincu que si ces conse´quences sont telles que je le pense, ils ne les ont pas pre´vues ; qu’il en est de meˆme du tribunal de premie`re instance, dans un juge ment dont l’esprit me semble peu conforme aux principes de la constitution et aux vues du le´gislateur, et que si malgre´ les soins que je mettrai a` re´ite´rer cette de´claration, il m’e´chappe l’expression d’un doute a` cet e´gard, ce sera contre ma volonte´ et a` mon insu.
34 ils ne ] la source porte il ne Q2
35 peu conforme ] la source porte peut conforme Q2
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III.
Premie`re question. Quelles limites faut-il assigner au droit d’interpre´ter les phrases des e´crivains, et a` qui l’exercice de ce droit doit-il eˆtre confie´ ?
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Il n’y a aucun doute que pour juger de l’innocence ou de la culpabilite´ d’un livre, une certaine interpre´tation ne soit ne´cessaire. Les paroles ne sont quelque chose que par le sens qu’elles contiennent. Le sens indirect d’une phrase peut eˆtre tellement clair qu’il se pre´sente a` l’esprit du lecteur, aussi facilement et aussi rapidement que le sens direct est ostensible. Or, comme les de´lits en matie`re de liberte´ de la presse se composent de l’effet qu’un e´crivain produit ou veut produire, un sens indirect de cette espe`ce peut constituer un ve´ritable de´lit. Mais pour que ce droit d’interpre´tation, que la raison et l’impartialite´ m’engagent a` reconnaıˆtre, ne de´ge´ne`re point en arbitraire et en tyrannie, deux choses sont requises : Premie`rement, cette interpre´tation doit porter sur la totalite´ d’un ouvrage. Cette proposition est trop e´vidente pour avoir besoin du moindre de´veloppement, et par respect pour mes lecteurs, j’aime a` retrancher les de´veloppemens inutiles. Dans un temps ou` l’Angleterre s’offrait a` nous comme mode`le en fait de liberte´, lord Erskine a montre´, dans un discours e´loquent et d’une irre´sistible logique, avec quelle facilite´, en isolant des phrases, on pouvait rendre criminel ce qui ne l’e´tait pas. Il a prouve´, d’apre`s Algernon Sidney, qu’avec cette pratique on condamnerait le´galement un e´diteur de la Bible, pour avoir publie´ qu’il n’y a point de Dieu a. Mais s’il faut que le sens du livre entier a
Discours de lord Erskine, dans le proce`s du doyen de Saint-Asaph1.
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Constant fait allusion a` deux affaires judiciaires diffe´rentes ayant eu lieu en Grande-Bretagne aux XVIIe et XVIIIe sie`cles et portant sur l’interpre´tation des e´crits poursuivis en justice. La premie`re est celle de Algernon Sidney (1623–1683), accuse´ sans preuve ave´re´e d’avoir pre´pare´ un complot contre Charles II, condamne´ a` mort et exe´cute´ pour un projet de livre non publie´, Discourses Concerning Government, trouve´ dans ses papiers et conside´re´ par une interpre´tation malveillante comme un appel a` la re´bellion. Pour ce qui est de Thomas Erskine (1750–1823), ce juriste et historien e´cossais, membre du Parlement britannique (1783–1784 et 1790–1806) et lord Chancellier (1806–1807), intervient comme avocat dans plusieurs proce`s ce´le`bres, notamment en 1784 en faveur du Dr. W.D. Shiley, doyen de Saint-Asaph, poursuivi pour un libelle pre´sente´ comme se´ditieux, portant sur les principes ge´ne´raux de gouvernement et souhaitant une re´forme du Parlement. Constant cite de nouveau Erskine de fac¸on e´logieuse dans la Minerve franc¸aise du 15 juin 1818, p. 324.
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soit juge´, il faut que ce livre soit connu en entier de ceux qui le jugent. Or, je ne vois point que dans la forme de proce´dure qui s’est introduite, le livre, corps du de´lit, soit communique´ aux tribunaux. Je ne sais si l’on craint pour les juges meˆmes le mauvais effet des ouvrages se´ditieux ; mais il paraıˆt que MM. les avocats du Roi se bornent a` lire, a` leur choix, les phrases qu’ils commentent. Je n’affirme pourtant rien a` cet e´gard ; car, malgre´ les assurances que l’on m’a donne´es, il y a des faits que je ne puis croire : charger des juges de prononcer sur ce qu’on ne voudrait pas leur faire connaıˆtre, serait a` mes yeux un fait de ce genre. Dans tous les cas, le seul doute prouve qu’il existe dans la loi une lacune qu’il faudra remplir ; et nos ministres, qui ont de´ja` voulu cette anne´e mettre la liberte´ de la presse en pleine suˆrete´, feront certainement a` la session prochaine cette proposition indispensable. Secondement, le droit de juger de l’interpre´tation des ouvrages de´nonce´s doit eˆtre confie´ a` des jure´s. La ve´rite´ de cette seconde proposition ne sera pas moins manifeste que celle de la premie`re, si l’on veut bien y re´fle´chir un instant. Un jugement sur des interpre´tations a, ine´ vitablement, quelque chose de discre´tionnaire. Si vous investissez un tribunal du droit de prononcer, vous de´naturez les fonctions des juges. Ils sont astreints a` se conformer a` la lettre de la loi. Leur seul devoir, leur seule mission, c’est de l’appliquer. Mais en les chargeant de juger du sens chache´ d’un e´crit, vous les forcez a` se livrer a` des conjectures, a` se fabriquer un syste`me, a` prononcer sur des hypothe`ses, choses destructives de leur qualite´ d’organes impassibles de la loi e´crite. Le sens d’un livre de´pend d’une foule de nuances. Mille circonstances aggravent ou atte´nuent ce qu’il peut avoir de re´pre´hensible. La loi e´crite ne saurait pre´voir toutes ces circonstances, se glisser a` travers ces nuances diverses. Les jure´s de´cident, d’apre`s leur conscience, d’apre`s le bon sens naturel a` tous les hommes. Ils sont les repre´sentans de l’opinion publique, parce qu’ils la connaissent ; ils e´valuent ce qui peut agir sur elle ; ils sont les organes de la raison commune, parce que cette raison commune les dirige, affranchie qu’elle est des formes qui ne sont impose´es qu’aux juges, et qui, ne devant avoir lieu que pour assurer l’application de la loi, ne peuvent embrasser ce qui tient a` la conscience, a` l’intention, a` l’effet moral. Vous n’au rez jamais de liberte´ de la presse, tant que les jure´s ne de´cideront pas de toutes les causes de cette nature. Dans les autres causes, les jure´s de´clarent le fait. Or, le sens d’un livre est un fait ; c’est donc aux jure´s a` le de´clarer. Les jure´s de´clarent de plus si le fait a e´te´ le re´sultat de la pre´me´ditation. Or, le de´lit d’un e´crivain consiste a` 27 les jure´s ] la source porte les jure´ encrage peut-eˆtre insuffisant Q2 ligne blanche que nous avons supprime´e Q2
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avoir pre´me´dite´ l’effet du sens contenu directement ou indirectement dans son livre, s’il est dangereux. C’est aux jure´s a` prononcer sur cette pre´me´ditation de l’e´crivain. Enfin, il n’est pas e´quitable de juger l’effet naturel d’un livre, par celui qu’il produit, lorsque l’autorite´ le de´nonce ; et qu’un organe de l’autorite´ en extrait ce qui peut sembler le plus condamnable. C’est ne´anmoins ainsi qu’un livre se pre´sente aux juges, quand il est traduit devant les tribunaux. Ces juges sont pre´venus par l’accusation contre l’ouvrage. Les jure´s, plus libres, en leur qualite´ d’hommes prive´s, ont plus de chances de juger le livre impartialement. Ils le jugent comme citoyens, en meˆme temps qu’ils s’en occupent comme jure´s. Ils peuvent comparer l’effet que le ministe`re public lui attribue, avec celui qu’il aurait produit sur eux naturellement. Ils sont de la sorte mis en garde contre l’exage´ration ine´vitable et meˆme oblige´e de l’accusateur. J’ajouterai qu’il y a cette diffe´rence entre les de´lits de la presse et les autres de´lits, que les premiers compromettent toujours plus ou moins l’amour propre de l’autorite´. Quand il s’agit d’un vol ou d’un meurtre, l’autorite´ n’est nullement compromise par l’absolution du pre´venu ; car elle a simplement requis d’office l’investigation d’un fait. Mais dans la poursuite des e´crits, l’autorite´ paraıˆt avoir voulu faire condamner une opinion ; et l’absolution de l’e´crivain ressemble au triomphe de l’opinion d’un particulier sur celle de l’autorite´. Les tribunaux ne sauraient alors juger impartialement ; institue´s par l’autorite´, ils en font partie ; ils ont un inte´reˆt de corps avec elle. Ils pencheront toujours pour l’autorite´ contre l’e´crivain. Que si l’on dit que c’est un bien, parce qu’il ne faut pas que l’autorite´ e´prouve d’e´chec, je re´ponds qu’alors il faut de deux choses l’une, ou qu’elle n’ait pas le droit d’accuser, ou que ceux qui jugent n’aient pas le droit d’absoudre. Dans le premier cas, il y aura licence effre´ne´e, dans le second, il n’y aura pas de liberte´. Les jure´s tiennent au contraire un juste mi lieu. Comme individus, et pouvant se trouver a` leur tour dans la position d’un e´crivain accuse´, ils ont inte´reˆt a` ce qu’une accusation mal fonde´e ne soit pas admise. Comme membres du corps social, amis du repos, proprie´taires, ils ont inte´reˆt a` l’ordre public ; et leur bon sens jugera facilement si la re´pression est juste, et jusqu’a` quel degre´ de se´ve´rite´ il faut la porter.
3 l’e´crivain. ] suit une ligne blanche que nous avons supprime´e Q2 24 contre l’e´crivain. ] suit une ligne blanche que nous avons supprime´e Q2 28 effre´ne´e, ] la source porte effre´ne´e encrage insuffissant Q2 29 liberte´. ] suit une ligne blanche que nous avons supprime´e Q2
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J’ai parle´ de l’amour propre de l’autorite´. Parlons de celui des magistrats. A Dieu ne plaise que j’insinue que les jure´s ne sont pas ne´cessaires, quand il s’agit de crimes positifs. Je les crois indispensables dans tous les cas ; pour tous les jugemens, dans toutes les causes. Mais si les tribunaux jugeaient sans jure´s les de´lits contre la proprie´te´ ou contre la vie, ils pourraient encore, sans craindre d’humilier le magistrat qui parle au nom du Gouvernement, ne pas adopter ses conclusions ; car il ne s’agirait que d’un fait et de preuves mate´rielles. Dans les de´lits de la presse, et dans les interpre´tations a` l’aide desquelles on de´couvre ces de´lits dans un ouvrage, il s’agit d’une preuve de sagacite´, donne´e par le magistrat qui a de´fe´re´ l’ouvrage. Sa re´putation de pe´ne´tration et de talent est inte´resse´e a` ce qu’on ne lui enle`ve pas ce me´rite. Or, quoiqu’on fasse, il s’e´tablit toujours une sorte de frater nite´ et de complaisance entre des fonctionnaires publics dont les relations re´ciproques sont perpe´tuelles. Les tribunaux, pour peu qu’il y ait l’apparence d’un pre´texte, inclineront toujours en faveur de l’avocat du Roi qu’ils connaissent contre l’e´crivain qu’ils ne connaissent pas, et seront dispose´s, sans s’en douter, a` condamner l’auteur, par politesse pour le magistrat. Remarquez, qu’en accordant aux avocats du Roi la faculte´ d’interpre´tation que nous avons reconnue indispensable, on leur offre une occasion de briller qui les tentera. Chaque livre sera pour eux une e´nigme, dont ils voudront re´ve´ler le mot ; et plus ce mot sera e´loigne´ du sens naturel du livre, plus ils auront fait preuve de perspicacite´. Comme je ne sais quel pre´sident d’une cour impe´riale s’enorgueillissait d’avoir me´rite´, par la subtilite´ de ses interrogatoires, d’eˆtre surnomme´ la terreur des accuse´s, plus d’un avocat du Roi se fera une gloire d’eˆtre la terreur des e´crivains ; et si l’inde´pendance et la raison des jure´s ne servent de contre-poids, les e´crivains n’auront en effet aucun refuge contre cette sagacite´ pre´tendue. Je n’ai point l’honneur de connaıˆtre M. de Vatisme´nil1. Je ne le soupc¸onne ni ne l’accuse de vanite´ ; mais je remarque dans ses re´quisi toires et ses plaidoyers des interpre´tations qui me semblent bien force´es2. Les phra1
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Antoine-Franc¸ois-Henri Lefebvre de Vatimesnil (1789–1860) fait d’abord carrie`re dans la magistrature, ce qui lui vaut, comme avocat du roi au Tribunal de police correctionnelle de Paris lors de proce`s sur la censure, les critiques de Constant. Ses prises de position conservatrices lui permettent de devenir en 1822 secre´taire ge´ne´ral au ministe`re de la Justice (cabinet Ville`le), puis en 1824 avocat ge´ne´ral a` la Cour de cassation. Ministre de l’Instruction publique en 1828 dans le cabinet Martignac, il y fait preuve, pour une des rares fois de sa vie publique, de libe´ralisme, me´contentant ses amis sans se´duire ses ennemis. Ayant quitte´ le ministe`re avec le cabinet Polignac, il reste quelque temps de´pute´ jusqu’en 1834 puis de nouveau en 1849. Il y retrouve ses ide´es conservatrices jusqu’a` ce que le coup d’E´tat de de´cembre 1851 lui fasse abandonner la sce`ne politique. Il s’agit du proce`s dirige´ contre Mathieu Noe¨ l Rioust, homme de lettres, et la veuve Perronneau, imprimeur-libraire, pour un ouvrage intitule´ Carnot dont les 605 exemplaires sont
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ses les plus simples, des assertions qui n’ont que le de´faut d’eˆtre rebattues, sont traduites en maximes subversives de l’ordre public. J’en donnerai des exemples ; mais je dois observer en commenc¸ant qu’on alle´guerait vainement, pour justifier cette manie`re de proce´der, qu’a` coˆte´ des phrases de´nonce´es que je vais citer, il y en a d’autres re´ellement condamnables. Je re´pondrai, sans nier et sans admettre le fait, pour e´viter que la question ne soit de´place´e, qu’il fallait alors se borner a` ces dernie`res, et s’abstenir d’attirer, dans la sphe`re de la culpabilite´, des phrases innocentes, de manie`re a` ce que, condamne´es une fois, leur condamnation et la latitude d’interpre´tation qui l’aura motive´e, deviennent des pre´ce´dens, des usages de notre le´gislation, en vertu desquels, de phrase en phrase et de traduction en traduction, il n’y ait pas en franc¸ais une expression qui ne puisse eˆtre le sujet d’une poursuite, pas une pense´e, quelque triviale ou insignifiante qu’elle soit, qui ne fasse planer la ruine et la captivite´ sur la teˆte de son auteur. M. de Vatisme´nil, donc, accuse l’ouvrage de M. Rioust, «de pre´senter les caracte`res les plus se´ditieux, d’e´noncer des opinions dangereuses, d’indiquer des intentions coupables, et de renfermer des passages qui tendent a` justifier la re´volution et les attentats les plus criminels auxquels elle a donne´ lieu1.» Je dois croire que c’est comme une des preuves de cette dernie`re assertion que la phrase suivante est cite´e ; car elle vient dans le journal officiel, imme´diatement apre`s l’accusation et en de´monstration du de´lit. «La re´volution du 18e sie`cle fut la crise par laquelle la philosophie voulut se de´gager a` la fois des erreurs, des fausses maximes, des proce´de´s arbitraires des gouvernemens, et des absurdite´s religieuses... Dans ce vaste projet, la raison succe´da a` l’instinct de la nature a.» Litte´rairement et philosophiquement, je ne trouve point la phrase irre´prochable, et le mot d’absurdite´s religieuses me choque, parce qu’il est trop a
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Moniteur du 31 mars 18172. saisis le 11 mars 1817. Lors de l’audience tenue devant le Tribunal de police correctionnelle, les 21 et 29 mars 1817, M. de Vatismenil tient, d’apre`s Le Moniteur du 31 mars 1817 (p. 370b) les propos reproduits par Constant. En fait, il est surtout reproche´ a` ce livre de donner une image plutoˆt favorable de Lazare-Nicolas-Marguerite Carnot (1753–1823) banni pour avoir vote´ la mort de Louis XVI en tant que membre de la Convention. Le fait que Carnot ait e´te´ l’organisateur de la victoire en 1793 et qu’il ait servi de nouveau Napole´on pendant les Cent-Jours n’est e´videmment pas non plus mis a` son actif par les ultra-royalistes. Ce sont les conside´rations e´voque´es a` mots couverts pendant le proce`s. Suite du proce`s, voir ci-dessous, pp. 691–692, n. 4. Moniteur, no 90, 31 mars 1817, p. 370b : citation exacte a` cela` pre`s que les verbes sont au pre´sent de l’indicatif et non a` l’infinitif et que c’est le verbe «annoncer» qui est utilise´ et non «e´noncer». Moniteur, no 90, 31 mars 1817, p. 370b : reproduction exacte de la citation du livre saisi (p. 26).
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vague. Mais quand on interpre`te un auteur, certes, le moins que l’on puisse faire, n’est-ce pas de prendre ce qu’il dit dans le sens le plus simple, comme le plus favorable ? Que seraient les fonctions de nos magistrats, si elles consistaient a` extraire du poison des phrases les plus innocentes ? Or, n’y avait-il pas d’absurdite´s religieuses sous l’ancien re´gime ? N’e´tait-ce pas une absurdite´ religieuse que la proscription des protestans ? Les billets de confession n’e´taient-ils pas des absurdite´s religieuses ? Les dragonades n’avaient-elles pas e´te´ des absurdite´s religieuses ? Ainsi donc le seul mot douteux dans la phrase cite´e, pouvait et devait s’expliquer innocemment. Quant au reste, si l’auteur est coupable pour avoir parle´ des proce´de´s arbitraires des gouvernemens, ne faudra-t-il pas mettre en pre´vention M. de Barante, qui, dans un discours prononce´ en sa qualite´ de commissaire du Roi, de´finit l’ancien re´gime, «un me´canisme incertain et pre´caire, ou` dix fois dans un sie`cle les magistrats avaient e´te´ exile´s, et la justice avait interrompu son cours a ?» Peut-on de bonne foi regarder la phrase de´nonce´e comme une apologie des attentats les plus criminels auxquels la re´volution a donne´ lieu ? Y a-t-il un mot dans cette phrase qui rappelle ou qui excuse ces attentats ? Y a-t-il une parole qui en contienne ou qui en implique l’apologie ? Indique-t-elle meˆme la re´volution franc¸aise en particulier ? Il n’est question que de la re´volution du 18e. sie`cle. Je re´pe`te que, s’il y a dans l’ouvrage quelque autre phrase qui soit plus clairement une apologie des attentats re´volutionnaires, il ne fallait pas citer celle-ci comme une des preuves de l’accusation. C’e´tait d’un coˆte´, affaiblir la preuve re´elle, et de l’autre, accoutumer les tribunaux a` voir des de´lits la` ou` il n’y en a pas. Quand M. de Chaˆteaubriant, dans un ouvrage honore´ de l’approbation royale b, disait de la re´volution anglaise, marque´e par les meˆmes crimes que la noˆtre : «L’Angleterre a devance´ la marche ge´ne´rale d’un peu plus d’un sie`cle, voila` tout1.» Voulait-il faire l’apologie des attentats de la re´volution d’Angleterre ? a b
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Discours de M. de Barante sur le budget, 27 fe´vrier 18172. Re´flexions politiques. V. Me´langes, t. I, p. 213. Constant simplifie un peu la pense´e de Chateaubriand. Dans cette phrase qui conclut le chapitre XVI intitule´ «Objections des royalistes contre la Charte» de ses Re´flexions politiques paru en 1814, Chateaubriand ne se borne pas a` rappeler les crimes de la Re´volution anglaise du XVIIe sie`cle. Il banalise l’histoire anglaise. Il explique que, dans les principes qui organisent les anciennes monarchies europe´ennes et notamment franc¸aise, il y a des e´le´ments qui peuvent favoriser l’ave`nement d’une monarchie mode´re´e. Il ne s’agit donc pas de se faire Anglais : il suffit de suivre une pente a` laquelle les Anglais se sont laisse´s aller avant d’autres. Amable-Guillaume-Prosper Brugie`re, baron de Barante (1782–1866) : pre´fet sous l’Empire,
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Je bne compare pas cet illustre e´crivain que j’ai combattu, mais dont j’admire le talent, a` un auteur que je n’ai jamais vu, dont j’ignore la vie et le caracte`re, et dont l’existence m’e´tait inconnue, jusqu’au proce`s qui m’a fait apprendre son nom ; mais je demande quelle phrase sera sans danger, si celle qu’on lui reproche est coupable. Et qu’aurait dit M. l’avocat du Roi, si cet auteur euˆt imprime´ les paroles suivantes ? «Les exce`s d’un peuple souleve´ au nom de la liberte´, sont e´pouvantables ; mais ils durent peu, et il en reste quelque chose d’e´nergique et de ge´ne´reux. Que reste-t-il des fureurs de la tyrannie, de cet ordre dans le mal, de cette se´curite´ dans la honte, de cet air de contentement dans la douleur, et de prospe´rite´ dans la mise`re a ?» N’aurait-on pas vu dans les e´pithe`tes donne´es aux exce`s du peuple, dans l’espe`ce de pre´fe´rence accorde´e a` ces exce`s sur le despotisme, la doctrine la plus re´volutionnaire ? et je remarque que, sous la loi du 21 octobre 18141, cette phrase paraissait fort simple, tandis que depuis l’ame´lioration apporte´e a` la le´gislation de la presse, une phrase bien plus insignifiante est devenue un de´lit. Je viens de relire ce que m’a dicte´, depuis un an, le de´sir since`re de contribuer a` l’affermissement du gouvernement constitutionnel en France2 : et je n’ai pas trouve´ une page qui, d’apre`s la doctrine de M. de Vatisme´nil, ne renfermaˆt quelque de´lit constructif. Un autre passage du livre de´nonce´ est cite´ plus loin comme e´galement coupable. «L’empie´tement de la noblesse sur les droits du peuple, et le peu d’empressement du Gouvernement a` re´primer l’ambition de la classe privile´gie´e, furent les causes de la re´volution3.» Mais n’a-t-on pas dit mille fois, a` tort ou a` raison, que parmi les causes de la re´volution il fallait a
Re´flexions politiques, p. 2034.
7 e´pouvantables ;] la source porte e´pouventables ; faute d’impression que nous corrigeons Q2
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conseiller d’E´tat sous la Restauration, successivement de´pute´ puis pair de France, il appartient au courant des «doctrinaires». Son discours en tant que directeur ge´ne´ral des contributions indirectes et a` ce titre rapporteur de la loi sur le budget est du 7 fe´vrier et non du 27 fe´vrier comme le dit BC. Citation conforme a` l’exception des temps des verbes (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XVIII, p. 617). Voir ci-dessus, p. 672, n. 1. Parmi les the`mes re´currents repris par Benjamin Constant au de´but de la Seconde Restauration, notamment dans les nombreux articles publie´s dans le Mercure de France au cours du premier semestre 1817 (Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, t. I, pp. 1 a` 280) figure la de´nonciation de la responsabilite´ de la noblesse traditionnelle avant la Re´volution et pendant la premie`re Restauration. Moniteur, no 90, 31 mars 1817, p. 370b : reproduction exacte de la citation du livre saisi (p. 155). Citation exacte extraite du meˆme chapitre du livre de Chateaubriand.
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compter l’imprudence et les pre´tentions de la noblesse ? Cette doctrine n’at-elle pas e´te´ re´cemment professe´e jusque dans la chambre de nos de´pute´s ? N’a-t-on pas e´te´ plus loin dans cette chambre ? N’a-t-on pas montre´ les privile´gie´s non-seulement alie´nant le peuple, mais attaquant le troˆne ? N’at-on pas parle´ des courtisans re´volte´s qui ont commence´ nos troubles, et peint l’aristocratie comme ayant ouvert le chemin a` la re´volution, que la de´mocratie ensuite rendit plus funeste ? Qui a jamais imagine´ de travestir ces pense´es, vraies ou fausses, en maximes se´ditieuses ? Les causes de la re´volution ne sont-elles pas du ressort de l’histoire ? Si l’on fait un crime a` un auteur d’avoir indique´ ce qu’il croyait une de ces causes, ou` est l’historien, de quelque parti qu’il soit, que M. de Vatisme´nil ne pourra pas faire condamner ? Et conside´rez que tout ceci est en contradiction directe avec les promesses contenues dans le rapport qui a motive´ a` la chambre des pairs l’adoption de la loi. «En matie`re de doctrine, dit le rapporteur, et il parle des doctrines politiques (V. plus loin, p. 57), on pense que c’est a` la science a` e´clairer l’ignorance, a` la ve´rite´ a` redresser l’erreur». Il continue ensuite a` de´montrer qu’il n’y a de punissable que la provocation, l’excitation a` la re´volte ou la de´sobe´issance a. Or certes, l’indication, juste ou errone´e, des causes de la re´volution, n’est pas une excitation a` la re´volte ; c’est manifestement un point de doctrine politique, qui n’est ni de la compe´tence de M. l’avocat du Roi, comme accusateur, ni de celle des tribunaux comme juges. Ces exemples, pris au hasard, me semblent suffisans ; s’ils ne l’e´taient pas, je montrerais, dans un second proce`s, ce meˆme magistrat, de´nonc¸ant comme une doctrine coupable, se´ditieuse, re´volutionnaire, le de´sir de voir la nation obtenir un jour un gouvernement constitutionnel. «L’auteur, dit M. de Vatisme´nil, montre un autre avenir politique derrie`re le troˆne b.» Mais a b
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Rapport de M. le comte Abrial a` la chambre des pairs1. Discours de M. de Vatisme´nil contre l’auteur de la lettre a` M. de Cazes2. Andre´-Joseph Abrial (1750–1828) est avocat au Parlement de Paris sous l’Ancien re´gime, commissaire civil pour la Re´publique parthe´nope´enne (Naples) sous le Directoire, ministre de la Justice sous le Consulat, se´nateur et comte sous le Premier Empire, pair de France sous la Restauration. On ne peut donc lui reprocher des convictions trop fermes. Citation exacte de son intervention par Benjamin Constant (Moniteur, no 71, 12 mars 1817, p. 292b). En revanche, lorsque Constant indique qu’il ne de´clare punissable que la provocation, l’excitation a` la re´volte ou la de´sobe´issance, il oublie de mentionner que le comte Abrial stigmatise aussi dans cette de´nonciation des faits punissables les injures, les calomnies et les obsce´nite´s. Il s’agit du proce`s dirige´ contre Adolphe Thierri (sic) Franc¸ois Chevalier, homme de lettres et Jean-Gabriel Dentu, imprimeur pour le livre intitule´ selon le Moniteur : Premie`re lettres (sic) a` M. le Comte de Cazes (titre re´el : Premie`re lettre a` M. le comte Decazes, en re´ponse a` son Discours sur la liberte´ individuelle, par A.-F.-T. C., Paris : J.-G. Dentu, 1817).
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est-ce montrer un autre avenir politique derrie`re le troˆne que d’exprimer le vœu que la nation obtienne un gouvernement constitutionnel, quand le monarque professe la volonte´ d’e´tablir ce Gouvernement, et quand il est reconnu par les de´pute´s et par les ministres que ce gouvernement constitutionnel n’existe encore qu’avec des restrictions que des temps plus heureux feront disparaıˆtre ? J’oserai, avec un profond respect, remonter au sommet de notre hie´rarchie politique, et rappeler que le Roi lui-meˆme, par une proclamation, a reconnu, dans sa pre´voyance, que des ame´liorations e´taient possibles, et qu’il a mis, dans sa sagesse, a` coˆte´ de l’inconve´nient d’innover, l’avantage d’ame´liorer1. Or, ame´liorer, n’est-ce pas, d’apre`s le syste`me de M. de Vatisme´nil, montrer un autre avenir ? Je le de´clare, il n’y a pas possibilite´, d’apre`s ce syste`me, de re´unir quatre mots de la langue franc¸aise sans une se´dition constructive. Plus loin, M. l’avocat du Roi reproche au meˆme e´crivain d’avoir parle´ du vœu du peuple : «Le peuple, dit-il, ne peut pas vouloir ce qui n’est pas conforme a` ses besoins, et le souverain seul est le juge supreˆme des besoins de la nation a.» Le souverain seul ! Mais alors a` quoi servent les chambres ? A quoi sert cette liberte´ de la presse que le ministe`re a surnomme´ le flambeau du Gouvernement ? Si le souverain seul est juge supreˆme des besoins de la nation, s’il n’est pas meˆme permis aux sujets d’indiquer ce qu’ils croient eˆtre le vœu national, cette liberte´ de la presse ne doit plus exister, ce flambeau doit s’e´teindre. Ne serait-ce pas la` pre´senter derrie`re le troˆne un avenir tout diffe´rent de ce qui est, de ce qu’on nous a promis, de ce que l’on nous a accorde´, et tout diffe´rent aussi de la volonte´ connue et publique du Monarque ? Chose e´trange ! Dans ce passage, c’est le magistrat accusateur qui, contre son intention sans doute, encourt le reproche qu’il vient d’adresser a` l’e´crivain accuse´. a
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Meˆme discours de M. de Vatisme´nil2. Reproduction exacte par Constant de la phrase de Vatimesnil telle qu’elle figure dans le Moniteur, no 106, 16 avril 1817, p. 422a lors de l’audience tenue apparemment le 15 avril 1817 devant le Tribunal de police correctionnelle. Par la suite : audience du 22 avril 1817 dans le Moniteur, no 113, 23 avril 1817, p. 450b-c ; indication de la condamnation dans le Moniteur, no 120, 30 avril 1817, p. 477a-b ; audience du 29 avril 1817 et texte de la sentence dans le Moniteur, no 122, 2 mai 1817, p. 485a-b ; audience des 13 et 14 juin 1817 devant la chambre d’appel de police correctionnelle dans le Moniteur, no 166, 15 juin 1817, p. 655a–656c. Deux proclamations de Louis XVIII e´voquent au tout de´but de son arrive´e sur le troˆne l’ide´e de l’inconve´nient d’innover et de l’avantage d’ame´liorer : la de´claration de Saint-Ouen du 2 mai 1814 par laquelle il accepte le principe d’une constitution et le pre´ambule de la charte du 4 juin 1814. Moniteur, no 106, 16 avril 1817, p. 422a : reproduction exacte de la phrase de M. de Vatismenil a` cela pre`s que «seul» n’est pas en italique. Voir ci-dessus, pp. 685–686, n. 2.
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Si cette manie`re de proce´der, si cette latitude d’interpre´tation n’avait e´te´ mise en pratique qu’une seule fois, on pourrait l’attribuer a` une erreur ou a` un exce`s de ze`le individuel ; mais il paraıˆt qu’elle est adopte´e en principe par le ministe`re public. M. Hua, qui remplit pre`s la Cour royale les meˆmes fonctions que M. de Vatisme´nil pre`s le tribunal de premie`re instance, a suivi la meˆme marche, et a` quelques e´gards, il a e´te´ plus loin que son colle`gue et son pre´de´cesseur dans ces deux causes. «La probite´ qui n’est qu’un devoir, a-t-il dit, ne peut devenir un motif de louange qu’autant qu’elle est rare : louer un homme sous ce rapport, c’est faire une satire ge´ne´rale, satire injuste dans tous les temps a.» Ainsi, d’interpre´tations en interpre´tations, de commentaires en commentaires, l’on parvient a` placer au rang des reproches qu’on dirige contre un e´crivain accuse´ de se´dition, l’e´loge de la probite´. Pauvre Se´ne`que ! infortune´ Labruye`re1 ! Parlerai-je de l’acception donne´e au mot de´bonnaire2, en de´pit de l’ancienne signification de ce mot, et en de´pit aussi de l’autorite´ de Corneille3 et a
Discours de M. Hua, dans le proce`s en appel de M. Rioust4.
2 ou a` ] la source porte ou a Q2 1
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Constant rapproche deux auteurs fort e´loigne´s dans le temps mais qui se rejoignent par leur re´putation d’honneˆtete´ intellectuelle, de probite´ donc, en un temps ou` ce n’e´tait pas la premie`re qualite´ de la plupart des e´crivains : Se´ne`que (Lucius Annaeus Seneca) (6 av. J.-C. – 65 apr. J.-C.), stoı¨cien, auteur de De la brie`vete´ de la vie, De la tranquillite´ de l’aˆme et Des bienfaits, qui se suicida pour e´chapper au chaˆtiment que lui destinait son ancien e´le`ve l’empereur Ne´ron ; La Bruye`re (Jean de) (1645–1696), auteur des Caracte`res ou` il de´peint ses contemporains sans aucune complaisance. Allusion a` «de´bonnaire» dans le Moniteur, no 120, 30 avril 1817, p. 477a. Allusion a` un vers ce´le`bre du poe`te dramatique Pierre Corneille (1606–1684) extrait d’une tirade d’Auguste dans la pie`ce Cinna (1641) (acte 2, sce`ne 1) ou` l’empereur oppose le destin de Sylla, tyran cruel et me´fiant qui e´chappa a` toutes les vengeances et mourut de mort naturelle, a` celui de son pe`re adoptif Ce´sar qui duˆt a` sa confiance d’eˆtre assassine´ par les se´nateurs : Mais l’un, cruel, barbare, est mort aime´, tranquille, Comme un bon citoyen dans le sein de sa ville ; L’autre, tout de´bonnaire, au milieu du se´nat, A vu trancher ses jours par un assassinat. Ici l’adjectif «de´bonnaire» est e´videmment pris dans un sens favorable. Il s’agit de la suite du proce`s de M. Rioust : lors de l’audience du 21 mars 1817 devant le Tribunal de police correctionnelle, M. de Vatismenil commence par reque´rir 3 mois d’emprisonnement, 3.000 F d’amende, une surveillance de 2 ans et un cautionnement de 3 000 F. Lors de l’audience du 29 mars, apre`s une plaidoirie rien moins que repentante de Rioust, il aggrave son re´quisitoire et re´clame 2 ans d’emprisonnement, 20.000 F d’amende, 10 ans de surveillance et 20.000 F de cautionnement (Moniteur, no 90, 31 mars 1817, p. 370a-b ; audience du 1er avril 1817 et texte de la sentence : Moniteur, no 92, 2 avril 1817,
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du Dictionnaire de l’Acade´mie1 ? Il deviendra difficile d’e´crire une page, dans un pays ou` MM. les avocats du Roi, transforme´s en puristes et en grammairiens, de´cideront que tel sens de telle expression est tombe´e en de´sue´tude, et re´digeront leurs actes d’accusation sur des de´licatesses de langage a. La premie`re question me semble re´solue. Isoler les phrases d’un livre, et les faire condamner sur des interpre´tations que cet isolement peut admettre, meˆme quand l’ensemble les repousse, tirer d’assertions ge´ne´rales des infe´rences particulie`res, que l’auteur de´savoue, et que l’e´vidence ne sanctionne pas, ne soumettre enfin aux juges que des morceaux choisis, quand ils ont a` prononcer sur un tout, dont ces fragments e´pars et mutile´s peuvent leur donner les notions les plus fausses, c’est ane´antir la liberte´ de la presse. Or cet ane´antissement n’e´tait pas ce que voulait le ministe`re, en ame´liorant notre le´gislation sur ce point, pour donner a` l’exercice raisonnable et le´gal de cette liberte´ une garantie de plus b : ce n’e´tait pas ce que voulaient les orateurs qui ont soutenu le ministe`re, en faisant valoir cette ame´lioration : ce n’e´tait pas ce que voulaient les deux chambres, en adoptant d’autres lois sous la condition formelle que la presse serait libre : ce n’e´tait pas enfin ce que voulait le Roi lui-meˆme, en de´clarant que les restrictions mises a` la presse avaient moins d’avantages que d’inconve´niens.
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Je remarque que dans le meˆme ouvrage, ou` le mot de´bonnaire a e´te´ interpre´te´ d’une manie`re si faˆcheuse, l’auteur avait parle´ du caracte`re juste et ge´ne´reux de S. M. Comment se fait-il qu’on n’ait pas tenu compte de l’e´loge clair et direct, et qu’on ait juge´ si se´ve`rement une expression e´quivoque ! Discours de M. le comte de Cazes2.
p. 378a-c ; audience du 30 avril 1817 : Moniteur, no 121, 1er mai 1817, p. 481a-b). Finalement Rioust est condamne´ a` 2 ans de prison, 10.000 F d’amende, 5 ans de surveillance et 10.000 F de cautionnement. C’est dans ces conditions qu’il fait appel. L’audience a lieu le 29 avril devant la chambre de police correctionnelle de la Cour royale. Reproduction exacte de la phrase de M. Hua, avocat du roi, telle qu’elle figure dans le Moniteur, no 120, 30 avril 1817, p. 476c, a` cela pre`s qu’au lieu de «qu’elle est rare :» figure «qu’elle est rare, et qu’ainsi», donc diffe´rence sans grande porte´e. De´finition de l’adjectif «De´bonnaire» dans l’e´dition 1798 du Dictionnaire de l’Acade´mie franc¸aise (la de´finition de l’e´dition suivante de 1835 n’est gue`re diffe´rente) : «De´bonnaire. adj. des 2 g. Doux et bon avec faiblesse. Humeur, caracte`re de´bonnaire. Dans le style se´rieux, en parlant des personnes, il ne se dit que des Princes. C’est un Prince de´bonnaire. Louis-le-De´bonnaire. Hors de la` il ne se dit gue`re qu’en moquerie, pour donner un ridicule. C’est un homme de´bonnaire. On appelle familie`rement, Un mari de´bonnaire, Un mari qui souffre patiemment la mauvaise conduite de sa femme.» Voir ci-dessus, p. 673, n. 1.
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Seconde question. Peut-on e´tablir dans un gouvernement constitutionnel, peut-on e´tablir, d’apre`s notre charte, qu’attaquer les ministres, ce soit attaquer le Roi ?
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Tel est le second axioˆme de la jurisprudence e´tablie par M. Vatisme´nil. «Ne pourrait-on pas dire, s’est-il e´crie´, dans la poursuite du second proce`s, qu’attaquer les ministres c’est attaquer indirectement l’autorite´ royale, sur-tout lorsque les actes qui sont attaque´s sont assez nombreux pour qu’il soit e´vident que le Roi les a connus et les a autorise´s ? Nous n’entrerons point a` cet e´gard dans une discussion que nous aurons peut-eˆtre quelque jour l’occasion d’aborder, et lors de laquelle nous e´tablirons l’affirmative de la question a.» Rien n’est plus clair que ces paroles, et aucun doute ne peut exister sur la doctrine de M. de Vatisme´nil. Il en a re´serve´ la de´monstration pour quelqu’autre proce´dure ; car il paraıˆt qu’il en pre´voit plus d’une, et en effet, avec sa doctrine, chaque nouveau livre pourra devenir l’occasion d’un nouveau proce`s. En attendant, e´noncer son assertion, c’est la re´futer. La charte a distingue´ entre l’autorite´ royale et l’autorite´ ministe´rielle. La charte, en de´clarant le Roi inviolable et les ministres responsables, a formellement reconnu qu’on pouvait attaquer ceux-ci, sans que l’autorite´ du Roi en rec¸uˆt d’atteinte ; car on ne peut soumettre les ministres a` la responsabilite´ qu’en les attaquant1. a
Moniteur du 16 avril 18172
6 Vatisme´nil. ] la source porte Vastisme´nil. nous avons adopte´ l’orthographe du nom utilise´e dans cette publication Q2 1
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Art. 13 de la charte : «La personne du Roi est inviolable et sacre´e. Ses ministres sont responsables [...]». On remarquera qu’il n’est pas indique´ devant qui les ministres sont responsables. Dans la logique du syste`me parlementaire britannique, l’interpre´tation dominante a` laquelle Constant a apporte´ sa contribution, a conduit a` conside´rer qu’ils sont responsables devant le Roi et la Chambre des De´pute´s des de´partements. Il n’est pas certain que la deuxie`me responsabilite´ ait e´te´ nettement pre´vue par les auteurs de la charte. Moniteur, no 106, 16 avril 1817, p. 422b : citation conforme sauf une petite modification : «[...] qu’attaquer les actes d’un ministre, c’est attaquer [...]», donc sans grande porte´e.
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Ce principe, et un autre qui en de´coule, celui que les particuliers peuvent, aussi bien que les repre´sentans de la Nation, attaquer les ministres, ont e´te´ corrobore´s surabondamment dans la discussion des chambres. Quand M. Ravez, rapporteur du projet de loi sur les journaux, disait a` la tribune des de´pute´s «que les plaintes respectueuses de la Nation, arrivant de toutes parts aux pieds du troˆne, y feraient paˆlir des ministres pre´varicateurs a,» il ne pensait pas qu’attaquer les ministres, ce fuˆt attaquer le Roi. Quand M. Duvergier de Hauranne de´clarait qu’un individu, e´prouvant une injustice de la part d’un pre´fet ou d’un ministre, attaquerait ce pre´fet, ce ministre devant l’opinion, il n’entendait pas que ce citoyen attaquerait le Roi1. Un enfant comprendrait ces ve´rite´s, et par conse´quent j’en abre`ge les preuves. Mais ce qui me´rite d’eˆtre releve´, c’est l’argument bizarre, dont M. Vatisme´nil se sert en passant. «Attaquer les ministres, dit-il, c’est attaquer indirectement l’autorite´ royale, sur-tout lorsque les actes qui sont attaque´s sont assez nombreux pour qu’il soit e´vident que le Roi les a connus et autorise´s2,» c’est-a`-dire que, si un ministre faisait jeter en prison un seul citoyen injustement, il serait responsable, parce que le Monarque aurait pu ignorer cette iniquite´ partielle ; mais que s’il en faisait arreˆter et de´tenir ille´galement dix mille, sa responsabilite´ serait a` couvert, parce que le Monarque n’ayant pu ignorer tant de vexations, les aurait autorise´es en ne les re´primant pas. C’est M. de Vatisme´nil qui me force a` ces suppositions, heureusement sans fondement et sans vraisemblance. Il oublie qu’en e´tablissant l’inviolabilite´ du Roi et la responsabilite´ des ministres, la charte a pre´cise´ment voulu que la volonte´ royale ne puˆt jamais autoriser les ministres a` commettre des actes inconstitutionnels. Dans ce but, elle a supposee´ que s’ils commettaient impune´ment de pareils actes, c’est que le Monarque les ignorait. C’est e´videmment une convention le´gale, et cette convention le´gale est la seule base, la base indispensable de la responsabilite´. Si vous de´truisiez cette convention, vous renverseriez tout l’e´difice constitutionnel. Vous rendriez les ministres inviolables ou vous e´tendriez la responsabilite´ sur le Monarque. Il faut le dire franchement, et je le dis la charte a` la main, sans craindre les interpre´tations les plus subtiles de l’esprit le plus exerce´, de`s que nous sommes sous un Gouvernement constitutionnel, le Monarque ne peut pas a
Moniteur du 19 janvier 18173.
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Voir ci-dessus, p. 675, n. 3. Moniteur, no 106, 16 avril 1817, p. 422b : citation exacte sauf deux petites modifications au de´but et a` la fin et surtout le fait que la phrase est pre´sente´e sous une forme interrogative (v. p. 693, n. 2), ce qui en atte´nue la porte´e : «D’abord ne pourrait-on pas dire qu’attaquer indirectement [...] et les a autorise´s ?». Voir ci-dessus, p. 674, n. 3.
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autoriser dans ses ministres des actes contraires a` la constitution. La charte ne permet pas qu’on suppose le Roi autorisant ce qui se fait de mal. Elle n’admet pas qu’il puisse connaıˆtre, elle n’admettrait pas qu’il puˆt approuver le mal qui se fait. Si par impossible, et en nous jetant dans une hypothe`se a` laquelle M. de Vatisme´nil seul nous re´duit, le Roi de´clarait qu’il approuve un acte ille´gal, cette de´claration serait nulle. La charte persisterait a` conside´rer le monarque comme ignorant le mal qui aurait eu lieu, et poursuivrait les ministres. La the´orie de M. de Vatisme´nil confond tout, remet tout en question, et compromet a` la fois la constitution, la monarchie et la liberte´. «Mais, dit M. l’avocat du Roi, censurer une loi toute entie`re qui a rec¸u la sanction du Roi, c’est accuser le Roi de manquer de lumie`res, et le faire avec amertume, c’est affaiblir le respect duˆ a` l’autorite´ royale, c’est commettre le de´lit pre´vu par la loi du 9 novembre 1815 a». J’observerai d’abord que si la censure d’une loi doit eˆtre interdite, comme e´tant un manque de respect pour les lumie`res du Roi, la censure des projets de loi, l’opposition a` ces projets dans les chambres, leur discussion dans les journaux ou dans les pamphlets, devront e´galement eˆtre prohibe´es : car, aux termes de la charte, c’est le Roi qui propose la loi ; il a l’initiative comme la sanction, et si, contre l’esprit de la charte, on peut apercevoir le Monarque la` ou` l’on ne doit voir que les ministres, les lumie`res du Roi se manifestent dans les propositions qu’il fait aussi bien et plus clairement peut eˆtre que dans les lois qu’il approuve : car ces projets lui appartiennent plus imme´diatement que des lois que les chambres ont pu modifier. M. l’avocat du Roi se jette, et nous avec lui, dans une confusion inextricable, en ne laissant pas les volonte´s et les lumie`res royales dans l’enceinte inviolable et sacre´e ou` la constitution les plac¸ait. Les lois, les projets de lois, les actes du Gouvernement, les mesures de l’administration appartiennent au ministe`re, puisque le ministe`re en est responsable. Toutes ces choses peuvent eˆtre censure´es avec mode´ration, avec de´cence, pourvu que la censure que l’on se permet ne tende qu’a` obtenir des ame´liorations ou des redressemens, et ne provoque point la re´sistance. L’obe´issance aux lois est un devoir ; mais l’approbation des lois n’en est point un, non plus que le silence sur les lois qu’on de´sapprouve. La liberte´ de la presse, ce flambeau du Gouvernement, comme le disent si bien nos a
Moniteur du 16 avril 18171.
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Moniteur, no 106, 16 avril 1817, p. 422a : citation exacte. La loi du 9 novembre 1815 punit de la peine de de´portation les propos se´ditieux et les provocations a` la re´volte, que ce soit par e´crit ou oralement dans des lieux publics et meˆme si ces propos et ces provocations ne sont suivis d’aucun effet (art. 1) (J.-B. Duvergier, ouvr. cite´, t. 20, p. 107).
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ministres, est de´stine´e pre´cisement a` indiquer les perfections auxquelles il est de´sirable qu’on porte reme`de. Avec la doctrine de M. l’avocat du Roi, une Nation serait condamne´e a` tenir du hasard le perfectionnement de sa le´gislation : car le souverain place´ dans un cercle a` part, au-dessus de tous, n’e´prouve pas l’effet que les lois produisent. Charger les ministres de l’en avertir, c’est mettre la Nation a` la merci de sept hommes1. Elle n’a de communication avec le Roi que par la liberte´ de la presse. Cette liberte´ seule se fait jour dans l’enceinte, d’ailleurs impe´ne´trable, ou` le monarque est renferme´. Il faut, comme on l’a dit, a` la tribune des De´pute´s, que les plaintes respectueuses de la Nation parviennent aux pieds du troˆne : et ces plaintes ne sont point circonscrites dans la sphe`re des vexations individuelles. Tout ce qui nuit au bien-eˆtre national est de leur ressort. Une mauvaise loi sur l’industrie, sur le commerce, un mauvais impoˆt font un autre mal, mais n’en font pas moins, peuvent en faire plus momentane´ment qu’une violation des droits des citoyens. La liberte´ de la presse est la` pour que les de´fauts de toutes les lois soient indique´s au pouvoir qui les propose et les ame´liore. Il n’y a qu’une seule diffe´rence entre les vices des lois et les actes ille´gaux des hommes. Quand celles-ci sont mauvaises, il faut obe´ir et re´clamer, au lieu qu’envers les autres on peut re´clamer avant d’obe´ir. Comme le cas particulier, qui a donne´ lieu au proce`s dont il s’agit, est inde´pendant de la doctrine de M. l’avocat du Roi, je n’aurais nul besoin de l’examiner ; mais je dois dire que l’auteur accuse´, n’ayant point provoque´ a` la de´ sobe´issance, sa critique de la loi du 29 octobre 1815, n’e´tait, en d’autres termes, qu’une re´pe´tition de ce qu’avaient reconnu en 1817, dans les deux chambres, des hommes conside´re´s comme des amis du ministe`re. «Bien que la loi du 29 octobre 1815, avait dit M. de Serre, dans son rapport sur la suspension de la liberte´ individuelle, euˆt e´te´ sagement restreinte a` sa promulgation par une ordonnance ministe´rielle, l’expe´rience a prouve´ quel e´tait le danger de ce pouvoir extraordinaire, dans des hommes trop e´loigne´s du gouvernement central, et trop rapproche´s des passions per-
4 au-dessus ] la source porte au-dessous Q1, Q2
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Re´fe´rence aux sept postes ministe´riels qui composent habituellement les gouvernements a` l’e´poque de la Restauration. En avril 1817, e´poque a` laquelle Constant fait re´fe´rence, les sept titulaires sont les suivants : Premier ministre et ministre des Affaires e´trange`res : Armand du Plessis de Richelieu ; ministre de l’Inte´rieur : Joseph Laine´ ; ministre de la Justice : Etienne-Denis Pasquier ; ministre de la Guerre : Henry Clarke ; ministre des Finances : Louis-Emmanuel Corvetto ; ministre de la Marine : Franc¸ois Dubouchage de Gratet ; ministre de la Police : Elie Decazes. Parfois le nombre a e´te´ re´duit a` six ministres par regroupement de l’Inte´rieur avec la Justice ou avec la Police.
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sonnelles, pour n’en user qu’avec re´serve, et dans le cas d’une absolue ne´cessite´ a.» M. Figarol avait avoue´ «que cette loi du 29 octobre violait ouvertement les dispositions de la charte b.» Un commissaire du Roi, M. Becquey, e´tait convenu «des exce`s de ze`le auxquels la liberte´ individuelle avait e´te´ quelquefois sacrifie´e dans les de´partemens c.» «Les dispositons de cette loi, avait affirme´ M. Camille Jordan, livrant la liberte´, l’honneur, presque la vie des citoyens a` la discre´tion d’une foule de fonctionnaires subalternes, furent une suspension e´tendue et redoutable des droits les plus sacre´s...... Nous avons vu les effets d’une telle disse´mination d’un pouvoir discre´tionnaire, les restes des partis s’en disputant l’usage, l’esprit de de´lation se couvrant du masque du ze`le, de´truisant toute confiance au sein des familles, sappant avec les fondemens de la tranquillite´ publique et prive´e ceux de la morale. Il e´tait temps enfin de rendre les citoyens a` la se´curite´, les magistrats a` l’exercice libre et paisible de leurs fonctions d. La loi du 29 octobre, dans sa profusion de l’arbitraire, avait dit M. Royer-Collard, le re´pandait sans discernement dans des milliers de mains, et je m’honore d’eˆtre du nombre de ceux qui e´leve`rent la voix a` cette a b c d
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Moniteur du 9 janvier 18171. Id. du 152. Id. du 163. Moniteur du 16 janvier 18174. Moniteur, no 10, 10 janvier 1817 : la citation n’y figure pas, puisque le discours n’est pas reproduit inte´gralement. Mais la citation de BC figure en effet dans le discours de Serre, prononce´ a` la Chambre le 9 janvier 1817, et dans lequel il dit : «bien que la loi euˆt e´te´ sagement restreinte a` sa promulgation par une instruction ministe´rielle, l’expe´rience a prouve´ quel e´tait le danger d’investir de ce pouvoir extraordinaire des hommes trop e´loigne´s du gouvernement central, et trop rapproche´s des passions personnelles pour n’en user qu’avec re´serve et dans les cas d’absolue ne´cessite´.» (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XVIII, p. 129). Citation conforme, a` peu de diffe´rences insignifiantes pre`s qui n’affectent pas le sens. Pierre-Franc¸ois-Hercule comte de Serre (1776–1824) : e´migre´ sous la Re´volution, magistrat sous l’Empire, de´pute´ de 1815 jusqu’a` sa mort, monarchiste constitutionnel, pre´sident de la Chambre en 1816 et 1817, Garde des Sceaux de 1818 a` 1821. Moniteur, no 15, 15 janvier 1817, p. 57b : Dans son discours du 13 janvier 1817, l’e´le´ment que lui attribue BC se trouve explicitement dans cet argument que Figarol reprend aux adversaires du projet de loi : «La volonte´ du Roi, disent les adversaires du projet de loi, est que la Charte soit scrupuleusement observe´e. [...] Or, l’article 4 de la Charte garantit expresse´ment aux Franc¸ais la liberte´ individuelle, il n’en faut pas davantage pour rejeter le projet de loi qui en serait une violation» (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XVIII, p. 142). Jean-Bernard-Marie de Figarol (1760–1834) : magistrat sous l’Empire, de´pute´ des Hautes-Pyre´ne´es de 1815 a` 1820 et de 1824 a` 1827, il sie`ge a` droite de l’assemble´e. Moniteur, no 16, 16 janvier 1817, p. 63a : citation exacte. Sur M. Becquey, voir ci-dessus, p. 675, n. 1. Moniteur, no 16, 16 janvier 1817, p. 64a : citation un peu modifie´e au de´but mais sans que cela ait une re´elle porte´e : Jordan e´voque la loi du 29 octobre dont «les dispositions la liberte´, l’honneur, presque la vie des citoyens a` la discre´tion d’une foule de fonctionnaires subalternes, furent une suspension si e´tendue et si redoutable des droits les plus sacre´s [le reste conforme]». Sur Camille Jordan, voir ci-dessus, p. 676, n. 1.
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e´poque, pour exprimer de justes craintes et de tristes pressentimens a. Tout ce que cette loi a fait de mal, avait ajoute´ M. le duc de Raguse, e´tait de son essence ; tout celui qu’elle n’a pas fait, vous le devez a` ceux qui e´taient charge´s de l’exe´cuter1 ;» et M. de Brissac, opinant apre`s M. le duc de Raguse, avait de´clare´ «qu’il avait donne´ son suffrage a` cette loi ; mais qu’e´claire´ par l’expe´rience, il le refusait aujourd’hui b.» Assure´ment, si la loi du 29 octobre 1815 a fait le mal que lui attribue M. Camille Jordan, et si ce mal e´tait de son essence, comme le pense M. le duc de Raguse, on ne peut faire un crime a` un e´crivain d’avoir porte´ sur elle le meˆme jugement que les repre´sentans e´lectifs et he´re´ditaires de la France. Si M. Royer-Collard a pu s’honorer des pressentimens qu’il avait exprime´s sur cette loi, M. Chevalier ne saurait eˆtre coupable pour avoir dit que ces pressentimens s’e´taient ve´rifie´s. Pre´tendra-t-on que les simples citoyens n’ont pas le droit de parler comme les de´pute´s de la France, et que l’inde´pendance et l’inviolabilite´ de la tribune autorisent un langage qui deviendrait coupable dans un individu sans mission ? Cette assertion serait destructive du syste`me repre´sentatif. Ce syste`me, on l’a dit avant moi, n’est autre chose que le gouvernement par l’opi nion publique. Cette opinion doit se faire connaıˆtre aux de´pute´s qui lui servent d’organes ; elle doit les entourer, e´clairer ou frayer leur route. Ils lui donnent de la mode´ration quand ils l’expriment ; elle leur donne du courage en les appuyant. Pour l’inte´reˆt de la monarchie, il ne faut pas isoler le troˆne de la repre´sentation nationale ; pour l’inte´reˆt de la liberte´, il ne faut pas isoler la nation de ses repre´sentans. Cette triple et heureuse alliance donne de la stabilite´ aux institutions, de la force aux rois, de la confiance aux peuples. Ceux qui tentent de l’interrompre, ne savent pas le mal qu’ils font et le bien qu’ils repoussent. a b
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Idem2. Moniteur du 14 fe´vrier 18173. Moniteur, no 45, 14 fe´vrier 1817, p. 191b : citation exacte sauf des petites variantes sans signification a` la fin : «[...] vous le devez, nous en avons l’intime conviction, a` ceux qui e´taient charge´s d’en diriger l’exe´cution». Auguste-Fre´de´ric-Louis Viesse de Marmont, duc de Raguse (1774–1852) : nomme´ mare´chal de France par Napole´on, il joua un roˆle de´cisif en 1814 en signant la capitulation de Paris qui entraıˆna l’abdication de l’empereur, ce qui lui valut la faveur de Louis XVIII et la re´putation d’avoir trahi son bienfaiteur. Il s’en de´fendit le reste de sa vie sans convaincre tout a` fait. Moniteur, no 16, 16 janvier 1817, p. 65c : citation exacte. Pierre Paul Royer-Collard (1763– 1845) : d’une grande rigueur intellectuelle, il est conside´re´ comme le porte-parole des Doctrinaires qui veulent une monarchie libe´rale. Moniteur, no 45, 14 fe´vrier 1817, p. 191c : citation exacte a` cela pre`s que l’auteur de l’opinion n’est pas indique´ (voir ci-dessus, p. 677, n. 1). Augustin-Marie-Paul-Timole´on de Cosse´ (1775–1848) : pre´fet sous l’Empire, rallie´ a` la Restauration, nomme´ duc de Brissac et pair de France.
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Je conclus que la seconde question doit eˆtre re´solue comme la premie`re. La doctrine de M. l’avocat du Roi, en tant qu’elle confond les attaques dirige´es contre les ministres, et celles qui seraient dirige´es contre le Monarque, n’est d’accord ni avec la charte, ni avec la volonte´ royale, ni avec les de´clarations du ministe`re, ni avec l’espoir des chambres, ni avec le vœu des Franc¸ais.
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Troisie`me question. Les tribunaux peuvent-ils combiner avec le Code actuel les lois ante´rieures, et les appliquer a` des e´crits publie´s sous l’empire des lois existantes ?
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Le tribunal de police correctionnelle, qui a prononce´ en premie`re instance dans les deux proce`s dont j’ai cru qu’il n’e´tait pas inutile d’occuper quelques instans le public, a, dans le second de ces deux proce`s, motive´ son jugement et la condamnation de l’auteur traduit a` sa barre «sur les lois anciennes, qui de´fendent e´galement de rien imprimer qui soit contraire a` la religion, aux mœurs, a` l’honneur des particuliers et des familles, a` l’inte´reˆt de l’E´tat, et au respect duˆ au souverain et a` son autorite´, et sur le rapprochement et la combinaison des dispositions des lois ante´rieures au Code pe´nal, de ce Code, des lois poste´rieures, notamment de celle du 21 octobre 1814, de l’ordonnance du 24 du meˆme mois....et des instructions rendues et publie´es sur les droits et les devoirs des imprimeurs1.» Il re´sulte de ces conside´rans du tribunal de premie`re instance, que la jurisprudence qui s’introduit, investit les tribunaux du droit de prononcer d’apre`s les lois anciennes, aussi bien que d’apre`s les lois nouvelles, de combiner et de rapprocher ces deux espe`ces de lois, de les modifier, par conse´quent, les unes par les autres, et aussi par les ordonnances et les instructions ministe´rielles. Or il n’y a rien qu’on ne puisse trouver dans nos lois anciennes (et probablement il en est de meˆme de celles de tous les peuples), il n’y a rien, dis-je, qu’on n’y puisse trouver contre la liberte´ de la presse ; car tous les peuples ont eu, comme nous, leurs e´poques d’esclavage. Sans remonter a` des temps fort e´loigne´s, j’aperc¸ois, parmi nos lois anciennes, la de´claration du 30 juillet 16662, dans laquelle le le´gislateur or1
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Moniteur, no 122, 2 mai 1817, p. 485a : citation exacte a` cela pre`s que la construction grammaticale a e´te´ modifie´e pour mieux s’inte´grer dans la phrase : «Attendu que les lois anciennes et nouvelles ont e´galement de´fendu de rien e´crire et imprimer qui fut contraire a` la religion, aux mœurs [le reste exact jusqu’a` :] et a` son autorite´ [...] Attendu qu’en rapprochant et combinant entre elles les dispositions des lois ante´rieures [le reste exact]». Dans cette de´claration, Louis XIV pre´voit une gradation pre´cise des peines (amendes, mutilations) jusqu’a` la septie`me re´cidive du blasphe´mateur. Pour les cas plus graves, la citation exacte, simplifie´e par Constant, est la suivante : «de´clarons ne´anmoins que nous n’entendons comprendre les e´normes blasphe`mes qui, selon la the´ologie, appartiennent au genre d’infide´lite´, et de´rogent a` la bonte´ et grandeur de Dieu et de ses autres attributs ; voulons que lesdits crimes soient punis de plus grandes peines que celles ci-dessus a` l’arbitrage des juges, selon leur e´normite´» (Recueil ge´ne´ral des anciennes lois franc¸aises depuis 420, jusqu’a` la Re´volution de 1789, par Isambert, Decrusy et Taillandier, t. XVIII, Paris 1829, p. 87).
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donne «que les blaspheˆmes qui appartiennent au genre d’infide´lite´ soient punis de peines plus graves que les autres, selon l’e´normite´ et a` l’arbitrage des juges.» Et les blaspheˆmateurs, d’apre`s la de´finition de plus d’un jurisconsulte, sont non-seulement les athe´es, les de´istes, les the´istes, les polythe´sistes, mais encore les tole´ rantistes qui admettent indiffe´remment toutes sortes de religions a. En me rapprochant davantage du moment actuel, je rencontre parmi nos anciennes lois celle de 1737, qui prononce la peine de mort, art. Ier. «contre tous ceux qui seront convaincus d’avoir compose´, fait composer et imprimer des e´crits tendant a` attaquer la religion, a` e´mouvoir les esprits, a` donner atteinte a` l’autorite´, et a` troubler l’ordre et la tranquillite´ de l’e´tat.» Art. 2. Pareillement la peine de mort «contre tous ceux qui auront imprime´ lesdits ouvrages, les libraires, colporteurs et autres personnes qui les auraient re´pandus dans le public1.» Au nombre des arreˆts rendus en vertu des lois anciennes, et qui, si l’on exhume ces anciennes lois, devront faire autorite´, celui par lequel a e´te´ condamne´ et exe´cute´ le chevalier de la Barre2 s’offre a` mon souvenir.
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Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel, par M. Muyart de Vouglans, p. 98, 993.
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Apparemment, c’est a` la page 99 du livre de Muyart de Vouglans cite´ ci-dessus que Constant a trouve´ ces extraits d’une loi de 1757 (et non 1737) qu’il cite exactement a` l’exception, sans conse´quence, de la fin de l’article 1 : [...] la tranquillite´ de nos Etats». En fait, il s’agit de «de´claration portant de´fense a` toutes personnes de quelque e´tat et condition qu’elles soient, de composer ni faire composer, imprimer et distribuer aucuns e´crits contre la re`gle des ordonnances, sous les peines y mentionne´es», date´e du 16 avril 1757 (Recueil ge´ne´ral des anciennes lois franc¸aises, t. XXII, Paris, 1830, p. 273). La condamnation du chevalier de la Barre est, avec les affaires Calas et Sirven, l’une de celles auxquelles se consacra Voltaire dans sa lutte contre l’intole´rance religieuse, notamment de certains tribunaux. Le chevalier de la Barre fut exe´cute´ en 1766. L’affaire avait e´te´ de´clenche´e par la de´couverte, l’anne´e pre´ce´dente, de la de´gradation d’une statue du Christ a` Abbeville. De´nonce´, le chevalier de la Barre fut condamne´ a` mort malgre´ le manque de preuves quant a` sa participation a` la de´gradation, mais pour quelques manifestations d’impie´te´ : possession de livres interdits, chansons libertines, teˆte couverte au passage d’une procession, ce qui explique l’inscription sur le monument e´rige´ en 1907 comme´morant sa mort : «[...] supplicie´ a` Abbeville le 1er juillet 1766, a` l’aˆge de 19 ans, pour avoir omis de saluer une procession». Il demeure dans les me´moires collectives comme le symbole des victimes de l’intole´rance religieuse (statue devant la basilique du Sacre´-Cœur, rue derrie`re la basilique). Dans le titre consacre´ aux crimes contre la religion, Muyart de Vouglans, en juriste me´ticuleux, commence par de´finir les notions d’athe´e, de´iste, the´iste, polithe´iste, enfin tole´rantiste («celui qui admet indiffe´remment toutes les religions») avant de les mettre tous «au
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Sont-ce la` les lois anciennes dont on veut ressuciter l’empire ? Que l’on ne se re´crie pas sur l’exage´ration de cette crainte. Il est assure´ment loin de ma pense´e d’en concevoir une pareille sur les intentions du tribunal : mais il n’a pas senti, j’ose le dire, la conse´quence de cet appel a` d’anciennes lois. Si une fois l’on insinuait le re´tablissement des lois anciennes, il se pre´senterait des hommes qui s’en rendraient les exe´cuteurs ; car il se pre´sente des hommes pour tout. C’est en 1780, qu’un le´giste, M. Muyart de Vouglans, dans un ouvrage que je viens de citer, imprimait, p. 96, que l’arreˆt du parlement de Paris, contre le chevalier de la Barre, e´tait «un monument me´morable de jurisprudence, qui faisait trop d’honneur au ze`le et a` la pie´te´ des magistrats dont il e´tait e´mane´ pour qu’il ne le rapportaˆt pas, comme le meilleur mode`le qu’il puˆt proposer aux juges en cette manie`re1.» On voit qu’il y a trente ans, les bonnes traditions n’e´taient pas perdues, et l’on peut espe´rer que dans l’occasion les juges des Calas2 et des Sirven3 ne manqueraient pas de successeurs.
1 l’empire ? ] la source porte l’empire, Q2 l’empire ? Q3
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nombre des blasphe´mateurs» (Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel, par M. Muyart de Vouglans, conseiller au Grand-Conseil, Paris : Merigot-Crapart-Benoıˆt Morin, 1780, p. 98). Sur Muyart de Vouglans, v. A. Laingui, «Pierre-Franc¸ois Muyart de Vouglans ou l’anti-Beccaria (1713–1791)», dans Archives de philosophie du droit, 1995, pp. 169–179. Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel, p. 96 : citation exacte a` cela pre`s que Constant est passe´ de la premie`re personne du pluriel a` la troisie`me personne du singulier et du pre´sent a` l’imparfait, ce qui est sans conse´quence et qui s’inte`gre mieux dans sa phrase : «un monument me´morable de jurisprudence, qui fait trop d’honneur au ze`le et a` la pie´te´ des magistrats dont il est e´mane´ pour que nous ne le rapportions pas ici comme le meilleur mode`le que nous puissions proposer aux juges en cette matie`re». Jean Callas (1698–1762), commerc¸ant protestant exerc¸ant ses activite´s a` Toulouse, fut accuse´ du meurtre de son fils, Marc-Antoine, trouve´ pendu dans l’arrie`re-salle de la boutique familiale. De´nonce´ par la rumeur populaire qui pre´tendait qu’il pre´fe´rait voir son fils mort plutoˆt que converti au catholicisme, il fut condamne´ a` mort, torture´ et exe´cute´ sur ordre du Parlement de Toulouse, dont les conseillers e´taient convaincus de sa culpabilite´ et pensaient qu’il de´noncerait ses complices. Sa fermete´ a` proclamer son innocence jusqu’a` son exe´cution permit a` sa famille d’obtenir l’appui de Voltaire et la re´habilitation de Jean Callas. Il demeure un symbole de l’intole´rance religieuse. Pierre-Paul Sirven et son e´pouse Antoinette, protestants de Castres, furent accuse´s d’avoir tue´ leur fille, atteinte de troubles mentaux et trouve´e noye´e dans un puits en 1762. De´nonce´s par la rumeur populaire qui pre´tendait qu’ils pre´fe´raient voir leur fille morte plutoˆt que convertie au catholicisme, ils s’enfuirent en Suisse. Condamne´s a` mort (1764), ils obtinrent l’appui de Voltaire qui arracha a` la chambre criminelle du Parlement de Toulouse la re´formation du jugement (1771).
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Il y a encore, pour satisfaire tous les gouˆts et pour servir tous les re´gimes, la loi du mois de germinal de l’an 41, promulgue´e a` la ve´rite´ a` une e´poque et dans des intentions re´volutionnaires, mais qui pourrait seconder merveilleusement d’autres intentions a` d’autres e´poques, parce que tout ce qui s’e´loigne de la justice peut s’employer en tout sens avec la meˆme commodite´. Il vaut donc la peine de nous faire expliquer ce que l’on entend par les lois anciennes. Heureusement la sagesse du Roi nous l’a explique´. C’est pour nous garantir des lois anciennes que S. M. nous a donne´ une charte. Il est dit, dans cette charte, que toutes les lois qui lui sont contraires sont virtuellement abroge´es2. On ne saurait donc invoquer, contre les dispositions de cette charte, des lois abolies par elle. Ce serait aller en sens inverse de la volonte´ meˆme du Roi. Ce serait frustrer son peuple du be´ne´fice de ses intentions justes et libe´rales. Les chambres l’ont entendu de la sorte lorsqu’elles ont adopte´ la dernie`re le´gislation sur la presse. Le rapport fait a` cet e´gard a` la chambre des pairs de´montre cette ve´rite´, et je le transcris ici textuellement. «Le Code pe´nal ne comprend dans les de´lits et crimes (de la presse), 1o. que les e´crits calomnieux ou injurieux (art. 367 et suiv. du Code pe´nal) ; 2o. les ouvrages obsce`nes (art. 287) ; 3o. ceux qui excitent les citoyens a` des attentats et complots contre le roi et sa famille, ou pour de´truire et changer le Gouvernement et armer les citoyens les uns contre les autres (art. 102 et suiv.) ; 4o. les instructions pastorales dans lesquelles un ministre du culte se serait inge´re´ de critiquer ou censurer les actes du Gouvernement, ou de provoquer directement a` la de´sobe´issance aux lois, et autres actes de l’autorite´ publique, ou s’il tend a` soulever ou armer une partie des citoyens les uns contre les autres (art. 204 et suiv.) ; enfin la loi du 9 novembre 1815 sur les cris se´ditieux de´nonce e´galement aux tribunaux ces sortes de crimes, et tout e´crit qui exciterait a` de´sobe´ir au Roi et a` la charte constitutionnelle
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La loi du 27 germinal an IV de´clare «coupables de crimes contre la suˆrete´ inte´rieure de la Re´publique et contre la suˆrete´ individuelle des citoyens tous ceux qui par leurs discours ou leurs e´crits imprime´s provoqueraient la dissolution de la repre´sentation nationale ou du Directoire exe´cutif, le meurtre de leurs membres, le re´tablissement de la royaute´ ou des constitutions de 1791 ou de 1793, l’invasion des proprie´te´s publiques, le pillage ou le partage des proprie´te´s particulie`res, la loi agraire». La sanction est la peine de mort ou, en cas de circonstances atte´nuantes, la de´portation. Art. 68 de la charte de 1814 : «Le code civil et les lois actuellement existantes qui ne sont pas contraires a` la pre´sente charte, restent en vigueur jusqu’a` ce qu’il y soit le´galement de´roge´».
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(art. 1 et 5), voila` les seuls de´lits et crimes de la presse, spe´cifie´s dans nos lois, et qui soient passibles de peines correctionnelles ou criminelles a.» Il est clair que M. le rapporteur re´capitule ici toutes les lois qui peuvent eˆtre invoque´es contre les e´crits, et de meˆme qu’il e´nume`re les seuls de´lits passibles de peines, il e´nume`re aussi les seules lois applicables a` ces de´lits ; c’est sur la foi de cette de´claration expresse, faite en pre´ sence des ministres qui avaient propose´ la loi, c’est sur la foi de cette de´claration formelle, adresse´e a` la chambre des pairs, et par-la` meˆme a` la France entie`re, que les pairs ont adopte´ cette loi. Ils se verraient trompe´s dans leur confiance et dans leur attente, et nous tous, simples citoyens, qui nous fions a` eux et a` nos repre´sentans pour la conservation de nos liberte´s, nous serions victimes de leur erreur, si la doctrine du tribunal de premie`re instance pouvait eˆtre admise. La troisie`me question se re´sout donc ne´gativement, comme les deux pre´ce´dentes. L’introduction, ou l’application des anciennes lois, la combinaison, le rapprochement, le me´lange de ces lois avec les lois nouvelles, qui seules nous re´gissent, toutes ces choses sont contraires a` la lettre et a` l’esprit de la charte, contraires a` la volonte´ du Roi, contraires aux promesses des ministres, contraires a` la conviction et a` l’espoir des chambres.
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Rapport de M. le comte Abrial, sur le projet de loi relatif a` la saisie des e´crits1.
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Moniteur, no 71, 12 mars 1817, p. 292c : citation exacte sauf une petite omission sans grande porte´e «4o. que les institutions pastorales dans lesquelles un ministre des cultes se serait inge´re´ de critiquer ou censurer le gouvernement ou les actes de l’autorite´ publique, ou de provoquer directement» [le reste identique].
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VI.
Quatrie`me question. Un accuse´ peut-il eˆtre puni pour la manie`re dont il se de´fend ?
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Apre`s avoir e´coute´, sans l’interrompre, et sans que M. le pre´sident l’interrompıˆt, la de´fense de l’accuse´ dans l’un des proce`s, «Nous pensons, Messieurs, a dit M. l’avocat du Roi, que vous eˆtes encore pleins de cette vertueuse indignation que la plaidoirie que vous venez d’entendre a duˆ exciter en vous. Ce sentiment n’est pas incompatible avec le calme et l’impartialite´ de vos fonctions. Nous savons tous ce qu’il faut accorder a` la liberte´ de la de´fense : mais il est des bornes au-dela` desquelles la liberte´ de´ge´ne`re en licence... L’homme qui de´savoue la doctrine qu’on lui reproche d’avoir publie´e, l’homme qui se plaint de n’avoir pas e´te´ compris, celui-la` est digne de la faveur des magistrats. S’il fut coupable, il se repent du moins. Mais celui qui ose dire : ce que j’ai imprime´, je ne le de´savoue pas, je le soutiens a` la face de toute la terre ; j’ai proclame´ les vrais prin cipes... Ah ! celui qui tient un pareil langage aggrave son de´lit, ou plutoˆt il en commet un nouveau. Dans le sens de la loi du 9 novembre 1815, une plaidoirie de cette nature peut devenir un de´lit. Est-il un lieu plus public que le sanctuaire de la justice ? Quelles maximes pourraient germer avec plus de danger que celles qui sont professe´es, a` la face d’un tribunal, si, a` l’instant meˆme, une juste mesure du ministe`re public et du tribunal ne venait frapper et re´duire en poussie`re cette affreuse cre´ation a» ? Apre`s ces remarques, M. de Vatisme´nil a conclu a` l’aggravation de la peine, et le tribunal, sans adopter ses conclusions dans toute leur e´tendue, a ne´anmoins admis et applique´ le principe que la peine pouvait, et devait eˆtre aggrave´e. Avant de m’occuper des assertions de M. l’avocat du Roi, sous le rapport judiciaire, qu’il me soit permis de dire un mot sur sa doctrine relative aux de´saveux. Est-il bien vrai qu’il soit bon d’offrir aux de´saveux une prime ? a
Re´plique de M. l’avocat du Roi a` M. Rioust1.
13 digne ] la source porte digue Q2 19 lieu ] la source porte lien faute que nous corrigeons ; BC cite la meˆme phrase ci-dessous, p. 711, lignes 12–13, correctement Q2 1
Moniteur, no 90, 31 mars 1817, p. 370c : citation exacte a` quelques modifications de ponctuation pre`s, avec une omission signale´e par des points de suspension et sans italique, donc sans grande porte´e.
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Est-il bien prouve´ que l’action de de´savouer son opinion, quand cette opinion peut avoir des dangers, soit digne de tant de faveur ? Est-il bien certain que, lorsqu’il est ouvertement proclame´ que pour avoir droit a` l’indulgence, il faut re´tracter les pense´es qui de´plairont au pouvoir, la re´tractation soit toujours du repentir ? Est-il bien clair enfin qu’une nation ou` les individus, avertis par les de´nonciations, les poursuites, les chaˆtimens, les incarce´rations et les amendes, que les opinions sont punies, de´savoueraient tout ce qu’ils auraient dit, aussitoˆt qu’on leur en ferait un crime, fuˆt une nation plus estimable, plus ve´ridique, plus franche, plus morale, qu’avant que ce me´rite des de´saveux euˆt e´te´ reconnu ? Imposer a` un homme l’obligation de mentir, en lui montrant de la douceur s’il faiblit, et de la se´ve´rite´ s’il persiste, ne serait-ce pas travailler a` le corrompre ? Cette intention peutelle eˆtre celle de la loi, et ce but celui de la justice ? Dans nos circonstances, apre`s une re´volution, ou` les hommes n’ont e´te´ que trop inclins a` de´savouer tout ce qu’ils avaient pense´, et ou` ils ont marche´ de re´tractations en re´tractations, et de palinodies en palinodies, est-ce bien ce penchant qu’il faut encourager comme une vertu ? Manquons-nous d’hommes qui aient de´savoue´ ? M. l’avocat du Roi trouve-t-il qu’en ce genre il y ait disette ? Je passe maintenant a` ce qui s’applique plus spe´cialement au cas particulier. Je ne veux point exage´rer les privile´ges des accuse´s ; je conviens, avec M. l’avocat du Roi, que la liberte´ peut de´ge´ne´rer en licence. Je crois qu’il y a des bornes a` la latitude de de´fense qui appartient a` des pre´venus, bien que des pre´venus soient pourtant toujours des objets d’inte´reˆt, par leur situation seule, aussi long-temps que leur crime n’est pas de´montre´. Je reconnaıˆtrai donc, pour premier principe, qu’un pre´venu se rendrait coupable, quelle que fuˆt la nature de l’accusation porte´e contre lui, s’il annonc¸ait des projets de re´sistance, s’il invitait les spectateurs a` la rebellion, s’il invoquait d’eux, contre les lois, une assistance illicite. Je reconnaıˆtrai de plus que, lorsqu’il s’agit de certains de´lits, le mode de de´fense peut devenir une aggravation du crime. Si l’homme traduit en jugement pour vol ou pour meurtre, e´rigeait le meurtre ou le vol en principe, au lieu de nier les faits ou de les rejeter sur des motifs qui les atte´nuent, son apologie serait criminelle. Mais je ne crois pas qu’il en soit ainsi dans les de´lits d’opinions politiques. Je pourrais aller jusqu’a` pre´tendre que, d’apre`s l’intention du le´gislateur, il n’y a point de pareils de´lits. J’en trouverais la preuve dans le rapport fait a` la chambre des pairs, sur la loi relative a` la liberte´ de la presse, rapport dont j’ai de´ja` cite´ des fragmens.
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«Il ne faut pas confondre, dit le rapporteur, un e´crit le´galement inculpe´, avec un ouvrage purement philosophique ou politique dans lequel un auteur aurait pousse´ trop loin la liberte´ de penser, et serait tombe´ dans quelque the´orie errone´e, mais sans provocation, sans excitation a` la re´volte ou a` la de´sobe´issance. Ce dernier genre d’ouvrages, dans notre le´gislation criminelle, ne paraıˆt pas atteint par des dispositions pe´nales. En matie`re de doctrine, on pense que c’est a` la science a` e´clairer l’ignorance, a` la ve´rite´ a` redresser l’erreur a.» Il est clair que le rapporteur parle ici d’erreurs politiques ; car on n’a jamais songe´, du moins dans notre sie`cle, a` poursuivre devant les tribunaux des ge´ome`tres pour de mauvais calculs, ou des physiciens pour de mauvaises hypothe`ses de chimie. Il est donc e´vident que, dans l’opinion de la chambre des pairs, une doctrine politique, meˆme errone´e, n’est pas justiciable des tribunaux, si elle est se´pare´e de toute provocation, de toute excitation a` la re´volte ou a` la de´sobe´issance. Mais j’abandonne ce terrain, et je me place sur celui de mes adversaires. J’admets qu’une opinion politique, se´pare´e de tout acte et de toute invitation a` agir, puisse eˆtre coupable, au moins est-il suˆr que dans ce cas la justification de cette opinion, en supposant qu’elle ne l’excuse pas, ne saurait constituer un nouveau de´lit. Cette justification n’est que l’expose´ des motifs qui ont fait concevoir cette opinion. Ce n’est pas un fait nouveau, c’est l’explication d’un fait existant, et cette explication, bonne ou mauvaise, ne saurait constituer qu’un seul et meˆme de´lit avec le fait qu’elle explique. Elle peut atte´nuer le de´lit, en rendant plus concevable l’erreur qu’on reproche a` l’accuse´, mais elle ne saurait aggraver son crime. Deux autres questions se pre´sentent a` moi ; je prie le lecteur de les examiner. 1o. Ce que la loi n’a pas de´clare´ de´lit, peut-il en eˆtre un, aux yeux des organes de la loi ? Or, dans nos lois sur la presse, ou` est celle qui de´clare que l’homme qui ne de´savoue pas une opinion spe´culative (s’il s’agissait d’une alle´ gation calomnieuse, ce serait une autre chose) aggrave son de´lit ou en commet un nouveau ? Si cette loi n’existe pas, M. l’avocat du Roi peut-il la supposer, la cre´er, et le tribunal peut-il juger d’apre`s cette loi non existante ? Or, cette loi n’existe pas : elle ne peut pas exister. La raison en est simple. Les de´lits de la presse ne consistent que dans la publicite´ donne´e a` des opinions re´pute´es coupables. La pense´e n’est pas au nombre de ces a
Rapport de M. le comte Abrial a` la chambre des pairs. Moniteur du 12 mars1.
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Moniteur, no 71, 12 mars 1817, p. 292b : citation exacte. Voir ci-dessus, p. 689, n. 1.
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de´lits. Or, l’homme pre´venu d’avoir publie´ ce qu’il n’aurait pas duˆ publier, a commis de´ja` par-la` meˆme le seul de´lit qu’il puisse commettre. En de´clarant qu’il nourrit dans son cœur l’opinion qu’il a manifeste´e, il ne commet pas un nouveau de´lit ; car il ne publie rien a. Il re´pond a` une interpellation qu’on lui fait, et a` laquelle il est force´ de re´pondre. On lui demande ce qu’il pense, et il le dit. Il a pu eˆtre coupable dans ce qu’il a publie´ ; mais il ne l’est pas, en ne de´savouant pas ce qu’il a publie´. Car dans cette circonstance, il se borne a` ne pas mentir a` sa conscience. Qu’il ait tort ou raison, peu importe. Il aurait tort dans l’opi nion qu’il avait e´mise, qu’il aurait encore raison, cent fois raison de ne pas de´savouer ce qu’il croirait vrai. E´trange doctrine, qui aboutirait a` promettre l’impunite´ a` la peur et au mensonge, et qui offrirait un adoucissement a` l’auteur condamnable, pourvu qu’il ajoutaˆt a` sa premie`re faute un crime d’une nature plus laˆche et plus me´prisable ! 2o. (Et ceci me semble encore plus important), ou l’hypothe`se de M. l’avocat du Roi sur l’aggravation du de´lit ancien est fonde´e, ou elle ne l’est pas. Si elle ne l’est pas, et que le de´lit soit reste´ le meˆme, de quel droit, a` quel titre la peine est-elle aggrave´e ? Si l’hypothe`se de M. l’avocat du Roi est fonde´e, et qu’il y ait un nouveau de´lit, ce nouveau de´lit exige une nouvelle de´nonciation, une instruction nouvelle. Un tribunal peut-il prononcer sur un nouveau de´lit, sur un autre de´lit que celui qui lui a e´te´ de´fe´re´, en mettant de coˆte´ toutes les formes prescrites pour l’instruction de tous les de´lits ? Ainsi donc, dans la premie`re supposition, l’accuse´ se trouve condamne´ sous un faux pre´texte. Dans la seconde, s’il y a nouveau de´lit, il se trouve puni, sans avoir e´te´ juge´ : car il n’y a pas de jugement sans instruction, et il n’y a pas d’instruction sur le de´lit nouveau. Et remarquez que c’est pre´cisement pour le de´lit sur lequel il n’y a pas d’instruction que la peine est la plus se´ve`re. M. l’avocat du Roi requiert que l’e´crivain, «attendu qu’il vient de tenter de nouveau d’affaiblir le respect duˆ a` l’autorite´ du Roi, soit condamne´ a` deux anne´es d’emprisonnement (au lieu de trois mois), a` 20,000 fr. d’amende (au lieu de 3000), a` dix ans de surveillance (au lieu de deux), et a` un cautionnement de 20,000 fr. (au lieu de trois.)1» Chacune des paroles de M. l’avocat du Roi, en prenant ces conclusions nouvelles, fortifie mes raisonnemens. Si une plaidoirie peut devenir un de´lit, il faut prouver qu’elle l’est devenue. Il faut une instruction pour cette a
On verra plus loin ma re´ponse a` l’assertion que la de´fense e´tant publique, la persistance dans une opinion re´pre´hensible en renouvelle la publicite´.
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Moniteur, no 90, 31 mars 1817, p. 370c : citation exacte a` cela pre`s que les indications entre parenthe`ses n’y figurent pas.
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preuve. Ce doit eˆtre un nouveau proce`s pour un nouveau fait. Il y a ille´galite´ dans l’accumulation de deux faits, dont l’un s’instruit, et dont l’autre se juge, sans avoir e´te´ instruit, comme le premier. Je le re´pe`te ; ou il n’y a pas de nouveau de´lit, alors toute cette partie des conclusions de M. l’avocat du Roi tombe, et l’aggravation de la peine est une violation de toutes les re`gles de la justice, ou s’il y a nouveau de´lit, il faut commencer de nouvelles proce´dures a. Sans doute, nous entrons ici dans un cercle vicieux. On met un auteur en jugement pour le de´lit qu’on a cru de´couvrir dans la publication d’un ouvrage. Il se de´fend ; sa de´fense est un nouveau de´lit. On le remet en jugement une seconde fois pour cette de´fense. Il se de´fend de nouveau sur cette seconde accusation : sa seconde de´fense est un troisie`me de´lit ; il faut une troisie`me poursuite. Ainsi, de de´fenses en poursuites et de poursuites en de´fenses, on pourrait aller jusqu’a` l’infini. Cette marche est absurde ; mais il n’en re´sulte pas que, pour e´viter une absurdite´, il faille tomber dans une a
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Cet objet est assez important pour me´riter quelques de´veloppemens ulte´rieurs. En admettant, ce qui n’est pas, que la de´fense d’un accuse´, sur-tout pour opinion, puisse devenir un de´lit, c’est un de´lit commis a` l’audience, en pre´sence des juges. Or, le Code d’instruction criminelle a pourvu a` la punition des crimes commis en ce lieu et de la sorte. Ce Code autorise le tribunal a` prononcer, se´ance tenante et imme´diatement apre`s que les faits ont e´te´ constate´s, art. 505 ; mais il suppose toujours une nouvelle instruction ; car l’art. 507 porte : la Cour entendra les te´moins, le de´linquant et le conseil qu’il aura choisi, ou qui lui aura e´te´ de´signe´ par le pre´sident, et apre´s avoir constate´ les faits, et ouı¨ le procureur ge´ne´ral, elle appliquera la peine par un arreˆt qui sera motive´. Rien de tout cela n’a e´te´ observe´ dans l’affaire de M. Rioust. Il n’y a point eu de nouvelle instruction ; les juges se sont servis de te´moins a` eux-meˆmes ; il n’y a point eu de nouvel arreˆt. Le fait est que le pre´venu a e´te´ condamne´, pour son premier de´lit, la publication de son ouvrage, par une proce´dure re´gulie`re, a` trois mois d’emprisonnement, 3000 fr. d’amende, deux ans de surveillance, 3000 fr. de cautionnement ; et pour son second de´lit, c’est-a`-dire sa de´fense, sans avoir e´te´ juge´, sans qu’aucune formalite´ ait e´te´ remplie, il a e´te´ condamne´ en sus a` neuf mois d’emprisonnement, a` 7000 fr. d’amende, a` trois ans de surveillance, a` 7000 fr. de cautionnement. Si sa de´fense n’a pas e´te´ un de´lit, rien de plus injuste que cette punition. Si sa de´fense a e´te´ un de´lit, rien de plus irre´gulier que cette manie`re de proce´der. Ou il y a eu une punition sans de´lit, ou s’il y a eu punition d’un de´lit, il y a eu punition sans formes. Si l’on objectait que les articles 505 et 507 du Code d’instruction criminelle ne s’appliquent point a` un tribunal de police correctionnelle, il ne resterait alors que les articles 83, 91 et 92 du Code de proce´dure civile, dont le premier n’autorise qu’une de´tention de 24 heures, le second une de´tention d’un mois au plus, et une amende dont le maximum est de 300 fr., et dont le troisie`me ordonne le renvoi a` un autre tribunal1. Les articles 91 et 92 du code de proce´dure civile et 505 et 507 du code d’instruction criminelle, e´voque´s par Constant, sont exactement cite´s et interpre´te´s. En revanche, ce n’est pas l’article 83 du code de proce´dure civile qui pre´voit une de´tention de 24 h a` l’encontre de celui qui perturbe un tribunal : il s’agit de l’article 89.
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injustice. C’est votre principe qui rend ne´cessaire cet enchaıˆnement ridicule de proce`s sans terme ; c’est a` ce principe qu’il faut renoncer. Examinons en effet de pre`s cette jurisprudence qui fait de la de´fense d’un accuse´ un pe´ril inattendu pour cet accuse´. Quoi ! le tribunal l’e´coute ; il croit parler sous la protection de la loi ; il fait ses efforts pour e´chapper au danger qui l’entoure : il se de´fend comme il le peut, dans la persuasion bien fonde´e (car telle a e´te´ la volonte´, tel a e´te´ l’ordre du le´gislateur, ordre implique´ virtuellement dans l’autorite´ discre´tionnaire dont il a reveˆtu le pre´sident du tribunal) ; il se de´fend, dis-je, dans la persuasion que s’il s’e´gare dans sa de´fense, ce pre´sident qui en a le droit, qui en a le devoir, l’avertira qu’il sert mal sa cause, qu’il la compromet, qu’il se livre a` des divagations blaˆmables qui lui seront nuisibles. Mais non, le pre´sident ne l’interrompt point ; on le laisse s’engager dans ce sentier funeste ou` son trouble le pre´cipite ; on enregistre chaque parole que la crainte ou l’irritation lui dictent, ou qu’il a trace´e d’une main rapide dans un moment de ressentiment ou de terreur, et l’on convertit en crimes nouveaux ces paroles qu’on aurait duˆ arreˆter ! J’ai assiste´ a` des proce´dures en Angleterre1. Les juges n’attendent pas en silence que l’accuse´ se perde a` son insu ; ils ne le contemplent pas qui marche a` sa ruine, comme s’ils comptaient chaque pas imprudent qui l’approche de l’abıˆme. Ils l’avertissent avec soin de ne rien laisser e´chapper qui puisse lui nuire ; ils le rame`nent avec bienveillance dans les limites qu’il ne doit pas fran chir pour sa propre suˆrete´ ; ils le garantissent en quelque sorte contre lui-meˆme ; ils sont attentifs a` ce qu’un infortune´, de´ja` frappe´ par la socie´te´, n’aggrave pas son sort par son ignorance des formes, par la passion qui l’e´gare, par l’irritation naturelle dans une situation douloureuse. Organes de la loi, il sont en meˆme temps, dans leur paternelle sollicitude, les protecteurs du faible, tant qu’il n’est pas reconnu coupable. C’est alors une bien auguste fonction que celle des juges a. Est-ce le respect pour le droit naturel de la de´fense, qui interdit aux noˆtres d’interrompre l’accuse´, et leur commande de l’entendre, quoiqu’il puisse dire ? Mais alors comment ce respect pour la de´fense leur permettrait-il de faire de cette de´fense meˆme un sujet d’accusation sur lequel ils prononceraient sans instruction et sans formes ? Qu’ils abjurent plutoˆt ces e´gards de´plorables dont l’objet devient la victime ; qu’ils empeˆchent ce qu’ils se verraient ensuite force´s de punir, ou qu’ils ne punissent pas ce qu’ils n’ont pas voulu empeˆcher. a
The judge, in the humane theory of the english law, ought to be counsel for the prisoner. Erskine’s speach on the Trial of the Dean of Saint Asaph2.
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Voir ci-dessus, p. 679, n. 2. Sur la plaidoirie de Thomas Erskine en faveur du Dr. W. D. Shiley, doyen de Saint-Asaph, voir ci-dessus, p. 682, n. 1.
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D’ailleurs, est-il donc sans exemple parmi nous qu’on ait oblige´ des accuse´s a` supprimer une portion de leur de´fense ? Dans plus d’un proce`s, ce me semble, les juges ont re´clame´ ce pouvoir. Ne faisons pas dire a` la malveillance qu’on n’e´coute les accuse´s avec ce scrupule que lorsqu’il s’agit d’aggraver leur sort, et qu’on ne tole`re leurs paroles que pour y puiser des armes contre eux. Arreˆtons-nous encore un instant sur ce nouveau point de vue d’apre`s lequel on applique a` la re´ponse d’un accuse´, re´ponse a` laquelle il est contraint (car puisqu’on le poursuit, il faut qu’il se de´fende), une le´gislation dirige´e contre les cris se´ditieux pousse´s spontane´ment dans les lieux publics. «Dans le sens de la loi du 9 novembre 1815, dit M. de Vatisme´nil, une plaidoirie de cette nature peut devenir un de´lit. Est-il un lieu plus public que le sanctuaire de la justice1 ?» M. de Vatisme´nil n’a pas senti qu’il transformait sans le vouloir en embuˆches pour les accuse´s une garantie cre´e´e toute entie`re en leur faveur, la publicite´ des proce´dures ! Ce serait frapper l’homme traduit devant la justice du bouclier meˆme dont la justice a voulu le couvrir ! Si cette doctrine e´tait admise, aurait-il eu tort, le noble pair, qui, parlant contre la nouvelle loi, disait que ce que l’on pre´sentait comme un bienfait, deviendrait un pie´ge2 ? Une dernie`re re´flexion se pre´sente a` moi. Si chaque mot que profe`re un pre´venu peut lui eˆtre impute´ a` crime, quelle ne doit pas eˆtre la situation de tout pre´venu, dans un pays ou`, depuis trente ans, il est de tradition et d’usage que le ministe`re public accable d’injures ceux qui sont traduits devant les tribunaux, avant que leur crime soit prouve´, avant que la loi ait prononce´ sur leur destine´e ? ` toutes les Je n’ai malheureusement pas besoin de citer des exemples. A e´poques de la re´volution, sous tous les Gouvernemens qui se sont renverse´s et remplace´s, le ministe`re public, par un e´trange renversement de tous les principes, par un exce`s de ze`le que n’ont jamais fatique´ ni refroidi, soit la nature des lois dont il invoquait l’application, soit la qualite´ des pouvoirs qu’il servait, s’est cru le droit, et l’on dirait presque le devoir, de conside´rer l’accuse´ comme convaincu, et de verser sur lui, en sa pre´sence, tout l’odieux et tout l’opprobre qu’aurait me´rite´ le crime prouve´. Il s’est introduit de la sorte, au de´triment des malheureux accuse´s, avant la peine porte´e par la loi, et lorsqu’il est incertain que cette peine soit prononce´e, un supplice plus affreux peut-eˆtre, celui de subir en silence toutes les insultes dont les accablent des hommes qui semblent ne voir 19 bienfait ] la source porte bien- ait Q2 1 2
Moniteur, no 90, 31 mars 1817, p. 370c : citation exacte. Voir ci-dessus, p. 677, n. 2.
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qu’un sujet d’e´loquence dans ce qui de´chire l’aˆme de leurs semblables et doit souvent les conduire a` la mort. La re´volution, que je n’aime pas a` accuser trop le´ge`rement, est pourtant une des causes de cette de´plorable habitude. L’esprit de parti, la fureur des factions, l’expliquaient sans la justifier. Mais aujourd’hui, puisque la re´volution est finie, ce de´testable usage aurait duˆ cesser. Qu’on relise ne´anmoins la plupart des proce`s qui ont eu lieu depuis deux anne´es, l’on verra, comme auparavant, l’invective, le me´pris, l’ironie, prodigue´es de`s les premie`res lignes, dans les re´quisitoires et les plaidoiries du ministe`re public. Or, je le demande, si tel est le traitement que les accuse´s e´prouvent, a` la face des juges, en pre´sence d’auditeurs nombreux, avant la conviction, quand il se peut qu’ils soient innocens, quand on doit les pre´sumer tels, puisque rien encore n’est prouve´ contre eux ; quelle patience ou quelle prudence humaine re´sisterait a` l’indignation qu’inspire un tel abus de la force ? Et c’est apre`s que le pre´venu a de´vore´, sans pouvoir re´pondre, ces longues heures d’humiliations et d’outrages, quand tout ce qu’il a d’irritable ou de ge´ne´reux dans sa nature, a e´te´ provoque´ de mille manie`res ; c’est alors qu’on exige que dans sa de´fense, il soit impassible, respectueux, mode´re´ ! C’est alors que l’on pe`se chaque expression qui lui e´chappe ; et si le sentiment de son honneur blesse´, de ses intentions aggrave´es, de toute sa vie souille´e de couleurs odieuses lui arrache une re´plique anime´e ou un cri d’indignation, l’on travestit en de´lit nouveau ce mouvement qui serait honorable dans un coupable meˆme, et on le punit de ne s’eˆtre pas laisse´ fouler aux pieds par une autorite´ fie`re de parler seule et de s’acharner sur la faiblesse. Je ne sais si je me trompe : mais il me semble que les fonctions d’un avocat du Roi se bornent a` indiquer au tribunal la question qu’il doit juger, a` pre´senter cette question sous ses divers points de vue, a` rassembler les faits, a` rapprocher les circonstances, a` peser les probablilite´s. Sans doute, il y a, dans l’exercice de ces fonctions meˆmes, un degre´ de blaˆme que le magistrat qui poursuit un accuse´ ne peut s’empeˆcher de diriger contre lui, s’il le croit coupable ; mais ce degre´ de blaˆme qui doit toujours eˆtre accompagne´ d’une expression de regret, est mitige´ par l’humanite´, et circonscrit par la convenance, et toute invective qui le de´passe, toute ironie sur tout, qui au lieu du regret de´ce`lerait le secret triomphe, est un luxe de barbarie et un abus de pouvoir. Dans les causes relatives a` la liberte´ de la presse, il me paraıˆt de plus, que le magistrat doit s’abstenir de ces insinuations faciles et insultantes sur le me´rite litte´raire de l’ouvrage poursuivi. Ce me´rite est parfaitement e´tranger 1 l’aˆme ] la source porte l’ame Q2 34 toute invective ] toute conviction faute corrige´e dans une note sur le dos de la page de couverture ; toute invective Q1 toute invective Q2
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a` la question. Le magistrat n’est que l’organe de la loi. Son opinion personnelle sur ce qui n’est pas de la compe´tence de la loi, ne doit pas s’exprimer dans un lieu ou` la loi seule doit se faire entendre. Parlant contre un homme qui ne saurait lui re´pondre, il ne doit rien se permettre qui ne soit indispensable a` sa cause. L’autorite´ qui se´vit contre les crimes, n’a pas le droit de se donner le passe-temps pue´ril d’humilier les amours propres. Le magistrat, en sa qualite´ de magistrat, doit eˆtre tout entier a` ses fonctions, et comme citoyen, il doit bien plutoˆt eˆtre afflige´ d’avoir a` provoquer contre un citoyen un chaˆtiment se´ve`re, qu’occupe´ encore, dans cette occasion triste et solennelle, d’une frivole envie de briller. Quand je vois, dans le premier des deux proce`s qui m’ont sugge´re´ ces re´flexions, l’un de MM. les avocats du Roi, apre`s avoir de´clare´ qu’il ne ferait pas un crime a` l’auteur de je ne sais quelle e´pigraphe qu’il avait choisie1, la qualifier pourtant d’insolente ; quand, non content de dire que l’e´crivain est un se´ditieux, ce qui est de son ressort, il ajoute qu’il est un menteur ; quand il verse, a` tort ou a` raison, le ridicule sur des phrases qu’il ne de´nonce point comme condamnables, et que, reconnaissant un peu tard que ces digressions sont e´trange`res a` la cause, il finit par s’e´crier de´daigneusement : j’abandonne ces sottes et belles choses2, je sens mon sang bouillonner dans mes veines ; et je prendrai la liberte´ de lui dire que sa mission est de de´finir les choses qu’il trouve coupables, et non de relever les choses qu’il trouve sottes ; qu’il peut de´montrer qu’une doctrine est attentatoire a` l’ordre public, sans adresser a` un pre´venu une injure que la convenance interdit, dont l’honneur s’indigne, injure qu’un magistrat peut d’autant moins appliquer a` un accuse´, qu’il est a` l’abri des conse´quences que cette injure appelle ; enfin que le moment n’est pas heureux pour les antithe`ses et les e´pigrammes, quand il est question de peines afflictives, d’amendes et de cachots. Je me re´sume ; si MM. les avocats du Roi ont le droit de fle´trir des e´pithe`tes les plus insultantes les e´crivains qu’ils poursuivent ; si les tribunaux, charge´s de juger ces e´crivains, ont celui de les condamner pour une de´fense qu’ils n’ont pas interrompue ; si la de´fense d’un accuse´ qualifie´e de de´lit, peut eˆtre juge´e sans instruction spe´ciale et sans un examen a` part, je ne vois plus quelle est la garantie des accuse´s, ni le refuge de l’innocence.
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Laboulaye (Cours de politique constitutionnelle, t. I, p. 540, n. 1) indique l’e´pigraphe : «Fruitur fama sui» (Tacite, sur Germanicus, Annales, II, 13.1), phrase tire´e du re´cit d’une visite entreprise nuitamment incognito par Germanicus dans le camp pour connaıˆtre l’e´tat d’esprit de ses troupes. Moniteur, no 120, 30 avril 1817, p. 477a : «j’abandonne toutes ces belles et sot[t]es choses».
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Et consultons les faits ; ils sont nombreux et frappans, ces faits, dans les deux seuls proce`s qui aient e´te´ instruits jusqu’a` ce jour. Le premier des deux pre´venus se de´fend devant le tribunal de premie`re instance, et sa peine est triple´e. Il s’abstient de paraıˆtre et il confie sa de´fense a` un avocat devant le tribunal d’appel, et sa non comparution est interpre´te´e en confession de son crime, et M. l’avocat du Roi le peint comme honteux de sa faute et craignant l’œil de la justice a. Dans le second proce`s, le pre´venu se contente de relire les phrases de l’autorite´ accusatrice : on le taxe d’ironie b. Ne pouvant faire imprimer sa justification, il y renonce : on le menace de le condamner par de´faut. Ainsi, la de´fense constitue un de´lit ; le silence entraıˆne la coutumace ; la pre´sence est un danger ; l’absence un aveu. Dans ce de´dale inextri cable, je demande a` MM. les avocats du Roi, je demande a` MM. les juges, ce que les accuse´s doivent faire pour ne pas aggraver leur sort c. La solution de la quatrie`me question ne me semble pas douteuse. Le Roi qui a voulu la liberte´ de la presse, les ministres qui ont travaille´ dans leurs dernie`res lois a` la mieux garantir, les chambres qui n’ont vote´ deux lois d’exception que sur la promesse que la publicite´ e´tant assure´e re´primerait tous les abus, n’ont pas entendu que les e´crivains fussent soumis a` un genre de proce´dure qui les livrerait, sans protection, a` la merci du pouvoir, puisqu’ils ne pourraient se de´fendre sans encourir de nouvelles peines. a b c
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Moniteur du 1er. mars1. Moniteur du 30 avril2. M. Hua semble avoir aperc¸u dans le second proce`s les conse´quences d’un pareil mode de proce´der : car il a cru devoir donner a` M. Chevalier, en l’invitant a` se de´fendre, l’assurance que sa de´fense ne lui attirerait pas de nouvelles peines, lors meˆme qu’il persisterait dans son opinion. Mais quelle le´gislation ne serait-ce pas, que celle ou` les accuse´s trembleraient de faire usage de leur droit le plus naturel et le plus sacre´3 !
Moniteur, no 121, 1er mai 1817, p. 481b : lors de l’audience du 30 avril 1817, l’avocat explique que Raoust est indispose´. Re´plique de l’avocat ge´ne´ral : «Le sieur Rioust annonc¸ait hier qu’il re´pliquerait en personne, et je le cherche vainement dans cette audience [...] Il vient donc un temps ou` l’homme coupable, honteux de sa propre faute craint l’œil de la justice». Moniteur, no 113, 23 (et non du 30) avril 1817, p. 450b-c : lors du proce`s qui lui est fait, Chevalier affecte de prendre la place du ministe`re public, parlant de lui a` la troisie`me personne, invitant a` ce qu’on le condamne s’il est un de ces «turbulents apoˆtres d’une philosophie parricide» (etc. ce qui n’est e´videmment pas le cas). Il s’attire cette remarque finale du pre´sident du Tribunal de police : «il convient surtout d’e´viter l’emploi de termes ironiques qui tiennent de l’injure et qui ne peuvent s’accorder avec le respect duˆ aux magistrats qui rendent la justice au nom du roi». Moniteur, no 120, 30 avril 1817, p. 476c–477a : plaidoirie de Hua dans le proce`s Rioust.
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Cinquie`me question. L’imprimeur qui a rempli toutes les formalite´s prescrites par les lois et par les re´glemens de la librairie, peut-il ne´anmoins eˆtre condamne´ comme complice de l’e´crivain ?
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M. de Vatisme´nil, dans les deux proce`s qui ont eu lieu, en vertu de la nouvelle le´gislation de la presse, a e´tabli en principe que «lorsqu’un livre e´tait condamnable, l’imprimeur n’e´tait point a` l’abri des poursuites judiciaires, bien qu’il euˆt obe´i aux lois et aux re´glemens de la librairie ; que les deux imprimeurs mis en jugement n’e´taient pas accuse´s d’y avoir manque´ ; mais que la pre´sence de l’auteur responsable ne faisait point disparaıˆtre la responsabilite´ de l’imprimeur, et que celui qui avait preˆte´ son ministe`re a` la publication d’un e´crit coupable e´tait ne´cessairement complice de ce de´lit1.» Le tribunal de premie`re instance, qui avait rejete´ les conclusions de M. l’avocat du Roi, dans la premie`re cause, les a adopte´es dans la seconde, et a condamne´ un imprimeur qui avait rempli toutes les formalite´s, «parce qu’il avait imprime´, vendu et distribue´ l’ouvrage ; que meˆme il l’avait fait sciemment, et avait ainsi aide´ et assiste´ l’auteur, et s’e´tait rendu par-la` son complice2.» M. l’avocat ge´ne´ral, devant la Cour royale, a persiste´ dans les conclusions de son colle`gue en premie`re instance, et le tribunal, en cassant l’arreˆt et en acquittant l’imprimeur, n’a point motive´ son jugement sur ce que les formalite´s avaient e´te´ remplies, mais «sur ce qu’il n’avait e´te´ clairement e´tabli, ni dans les de´bats, ni dans l’instruction, que l’imprimeur euˆt reconnu l’esprit se´ditieux de l’e´crit ; sur ce qu’il e´tait possible que, dans une lecture rapide, il n’euˆt point remarque´ l’intention criminelle dans laquelle il avait e´te´ compose´ ; et sur ce qu’en conse´quence il ne pouvait eˆtre conside´re´ comme complice3.» 1
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Moniteur, no 90, 31 mars 1817, p. 370c : plaidoirie de Vatimesnil contre l’imprimeur veuve Perroneau ; Moniteur, no 113, 23 avril 1817, p. 450c : plaidoirie de Vatimesnil contre l’imprimeur Dentu. Le texte entre guillemets de Constant est un me´lange de ces deux plaidoiries. Moniteur, no 122, 2 mai 1817, p. 485b : «Attendu que Dentu a reconnu avoir imprime´, vendu et distribue´ cet ouvrage ; que meˆme il l’a fait sciemment et connaissant son contenu ; qu’ainsi il a aide´ et assiste´, avec connaissance, ledit Chevalier, et s’est par la`, rendu son complice». Moniteur, no 166, 15 juin 1817, p. 656a-b : plaidoirie de Hua dans le proce`s Chevalier.
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Le cinquie`me axioˆme de la nouvelle jurisprudence est donc que l’imprimeur qui a rempli toutes les formalite´s prescrites par les re´glemens de la librairie pour la publication d’un ouvrage, peut ne´anmoins eˆtre condamne´, s’il est convaincu d’avoir compris l’ouvrage qu’il a publie´. Les habiles de´fenseurs des deux imprimeurs poursuivis ne m’ont presque rien laisse´ a` dire sur cette maxime destructive par ses conse´quences de toute liberte´ de la presse. Ils ont prouve´ que l’e´tat d’imprimeur e´tant un e´tat exclusif et privile´gie´, les imprimeurs devaient leurs presses a` quiconque les invoquait pour publier ou des ide´es qu’il croyait utiles, ou des re´clamations qu’il pre´tendait fonde´es ; qu’ils ne pouvaient se constituer juges, ni de la ve´rite´ des unes, ni de la justice des autres ; que leur seul devoir e´tait d’e´viter toute clandestinite´ ; qu’ils e´taient a` l’abri de toute reproche, quand ils ne dissimulaient ni leur imprimerie, ni leur demeure, ni leur nom, ni celui de l’auteur ; que la liberte´ de la presse deviendrait tout-a`-fait illusoire, si ceux qui en sont les instrumens ne´cessaires craignaient d’eˆtre compromis dans l’exercice le´gitime et le´gal de leur e´tat ; qu’ils trouvaient leur code politique, civil et criminel dans la loi du 21 octobre 18141 ; que la` e´taient indique´es toutes les causes qui pouvaient leur faire perdre ou leur privile´ge ou leur liberte´, et que lorsqu’ils observaient religieusement cette loi, lorsqu’ils marchaient sans de´tour sur la ligne qu’elle leur avait trace´e, lorsqu’ils mettaient les autorite´s a` meˆme de surveiller, et que ces autorite´s gardaient un silence approbateur, rien, sans un bouleversement de tous les principes ne pouvait eˆtre alle´gue´ contre eux. MM. les avocats du roi ont re´pondu a` ces raisonnemens par une application de la loi du 9 novembre 18152, et c’est aussi sur cette loi que le tribunal de premie`re instance a fonde´ son jugement. D’apre`s la nouvelle jurisprudence, je n’oserais gue`re imprimer pour la premie`re fois ce que j’ai e´crit a` ce sujet il y a quatre mois, comme si j’avais pre´vu l’influence de cette loi sur la le´gislation de la presse ; mais je me flatte que ce qui n’a pas e´te´ traite´ alors de proposition se´ditieuse, et ce qui a obtenu l’approbation d’un censeur nomme´ par l’autorite´, ne me sera pas aujourd’hui impute´ a` crime. «La loi du 9 novembre, e´crivais-je, dans le Mercure du 1er. fe´vrier, est tre`s-se´ve`re, et ce qui est beaucoup plus faˆcheux, tre`s-vague. Personne ne peut avoir oublie´ dans quelles conjonctures cette loi fut rendue. Pre´sente´e par le ministe`re dans un moment de crise, aggrave´e par les chambres alors assemble´es, elle fut le premier symptoˆme du syste`me de se´ve´rite´ et meˆme de violence que voulait faire pre´valoir un parti que des souvenirs et des 1 2
Voir ci-dessus, p. 673, n. 1. Voir ci-dessus, p. 695, n. 1.
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calamite´s re´centes avaient rendu puissant. Le ministe`re eut le me´rite de n’accorder a` ce parti qu’un demi-triomphe : mais la loi du 9 novembre ne s’en ressentit pas moins de l’influence des circonstances a.» Cependant, cette loi du 9 novembre, toute rigoureuse qu’elle est, n’a manifestement pour but que d’empeˆcher les cris se´ditieux, les provocations a` la re´volte, les pamphlets incendiaires ; et si le vague de sa re´daction peut inquie´ter les e´crivains, cette re´daction n’autorise point la mise en jugement d’un imprimeur, comme complice de l’auteur coupable, quand cet imprimeur, en remplissant toutes les formalite´s, a non-seulement averti l’autorite´ de ce qu’il voulait faire, mais l’a consulte´e sur ce qu’il avait fait. Car la de´claration qui pre´ce`de l’impression d’un ouvrage est un avertissement a` l’autorite´. Le de´poˆt qui pre´ce`de la mise en vente de cet ouvrage e´quivaut a` une consultation. L’autorite´ a le temps de prendre connaissance de l’ouvrage et d’empeˆcher qu’il n’acquie`re une publicite´ dangereuse. Si, apre`s avoir ordonne´ les formalite´s qui facilitent la surveillance, l’autorite´ ne veut pas s’en pre´valoir, ce n’est pas l’imprimeur qui est coupable. Si l’autorite´, e´tant avertie a` temps, laisse paraıˆtre l’ouvrage dangereux, ce n’est pas l’imprimeur qu’on peut taxer de complicite´. «Mais, dit le tribunal de premie`re instance, si l’administration peut examiner les ouvrages de´clare´s et de´pose´s, elle n’est pas force´e de le faire. Cette obligation est laisse´e toute entie`re a` la charge des auteurs et des imprimeurs b.» Cette re´ponse serait peut-eˆtre valable, si l’ordre de de´clarer et de de´poser les ouvrages, n’e´tait pas e´mane´ de l’autorite´, mais si c’e´tait une offre volontaire des auteurs ou des imprimeurs. L’on pourrait dire alors qu’ils n’ont pas le droit d’importuner le Gouvernement en le consultant sur les publi-
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Des chambres, art. V, Examen du projet de loi sur la liberte´ de la presse1. Conside´rans du jugement contre les sieurs Chevalier et Dentu2.
Mercure de France du 1er fe´vrier 1817, p. 209, et ci-dessus, p. 435 : citation exacte a` cela pre`s que Constant, se citant, simplifie le de´but de sa phrase : «Je vois en premier lieu que ce projet, si j’en juge du moins par le discours du ministre, au lieu de renvoyer au code pe´nal les de´lits de la presse, les soumet a` une loi beaucoup plus se´ve`re et, ce qui est plus faˆcheux, beaucoup plus vague, celle du 9 novembre 1815 sur les cris se´ditieux. Personne ne peut avoir oublie´ dans quelles conjonctures cette loi fut rendue [le reste identique]». Moniteur, no 122, 27 avril 1817, p. 485b : la construction de la citation est modifie´e et le contenu simplifie´ pour s’adapter a` la phrase de Constant : «que l’administration peut bien examiner ou faire examiner, si elle le juge a` propos, les ouvrages de´pose´s ou de´clare´s, et les faire saisir et juger, mais qu’elle n’est pas force´e de le faire ; que cette obligation est toute entie`re a` la charge des auteurs et des imprimeurs».
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cations qu’ils projettent ; que c’est a` eux a` bien examiner ce qu’ils publient, et a` se de´cider, en vertu de la liberte´ de la presse a` leurs risques et pe´rils. Mais la de´claration et le de´poˆt des ouvrages e´tant ordonne´s par l’autorite´, implique qu’elle a eu un but en les ordonnant. Ce but est manifestement de se donner le moyen de ve´rifier que les ouvrages preˆts a` paraıˆtre ne contiennent rien de pre´judiciable a` l’ordre public. C’est donc l’autorite´ qui a volontairement pris sur elle le soin de s’en assurer. Elle a choisi ce mode, de pre´fe´rence aux autres modes, qu’elle aurait pu e´galement prescrire. Maintenant si elle se plaıˆt a` rendre ses propres pre´cautions illusoires, que pourra faire l’imprimeur ? Solliciter une permission formelle, il ne l’obtiendrait point : elle n’est pas dans la loi. On lui re´pondrait avec raison, et avec une indignation ge´ne´reuse, qu’une telle permission serait ille´gale, qu’elle e´quivaudrait a` la censure qui est abolie, et que nous jouissons de la ple´nitude de la liberte´ de la presse. Devra-t-il lire et relire attentivement l’ouvrage, pour de´couvrir ce qu’un avocat du Roi pourra y trouver ? Quelque soin qu’il y mette, je le de´fie de pre´voir le sens secret, indirect, occulte, que de´meˆle dans les phrases les plus simples, une sagacite´ exerce´e a` ce genre d’interpre´tation. Remarquez bien qu’il n’y a point de prescription pour cette nature de de´lits. L’une des brochures qui ont cause´ la mise en cause de deux imprimeurs e´tait publique depuis trois mois. Ainsi, chaque imprimeur est e´ternellement sous la main de M. l’avocat du Roi. Chaque ouvrage publie´ devient pour lui l’e´pe´e de Damocle`s, suspendue inde´finiment sur sa teˆte. Je ne fais point a` MM. les avocats du Roi l’in jure de supposer qu’ils soient accessibles a` des passions personnelles. Mais si, par impossible, une fois, dans l’avenir, l’un d’entre eux e´tait moins que ses colle`gues au-dessus de toutes les erreurs de l’humanite´, un imprimeur qui aurait eu le malheur de lui de´plaire, n’aurait-t-il pas a` craindre de voir soudain interpre´ter quelques-uns des ouvrages qu’il aurait publie´s, n’importe quand ? Un magasin de librairie serait un arsenal d’armes terribles contre tout libraire ou tout imprimeur. «Non, dit M. l’avocat du Roi pre`s la Cour royale. Si l’imprimeur a pu douter du sens des choses qu’il a imprime´es, si l’on peut penser qu’il ne les a pas comprises, il sera absous a.» S’il a pu douter ! si l’on peut penser ! Ainsi les jugemens des tribunaux se composeront de conjectures sur l’intelligence de chaque imprimeur, car a
Re´plique de M. Hua dans le proce`s de M. Dentu1.
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Moniteur, no 166, 15 juin 1817, p. 656a-b : le sens ge´ne´ral de la plaidoirie est respecte´, a` de´faut des termes reproduits dans le Moniteur.
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un brevet ne confe`re pas a` tous ceux qui en jouissent un e´gal degre´ d’intelligence. Il faudra de plus rechercher la clarte´ ou l’obscurite´ relatives de chaque phrase, autre recherche assez difficile ; car ce qui est obscur pour l’un est clair pour un autre : et qu’arrivera-t-il, si le tribunal trouve clair ce que l’imprimeur a trouve´ obscur ? Comment prouver a` un homme qu’il a compris tel passage, qu’il a pris telle expression dans tel sens ? Si, par exemple, pour rappeler un fait de´ja` rapporte´ plus haut, un imprimeur affirme qu’il a donne´ au mot de´bonnaire une acception favorable, parce qu’il s’est nourri des beaux vers de Cinna, comment lui de´montrer le contraire1 ? Ne voit-on pas a` quelles pue´riles disputes de mots, a` quelles chicanes, a` quelles tortures grammaticales cette jurisprudence donne lieu ? Ce ne sera pas tout. Il faudra constater comment l’imprimeur a lu l’ouvrage, combien de minutes il a employe´es a` le parcourir : car la Cour royale n’a acquitte´ le sieur Dentu qu’en conside´ration de ce que sa lecture de la lettre a` M. de Cazes avait e´te´ une lecture rapide : ce qui, soit dit en passant, serait dans la nouvelle doctrine une assez mauvaise justification : si l’imprimeur est responsable, l’inattention n’est en lui qu’une faute de plus, faute d’autant plus ne´cessaire a` re´primer qu’admise une foi comme apologie, elle sera toujours alle´gue´e. Il y a vraiment une fatalite´ dans les questions relatives a` la liberte´ de la presse. Par la portion de la loi du 21 octobre 1814, qui est maintenant abroge´e, et qui n’exceptait de la censure que les ouvrages au-dessus de vingt feuilles, on invitait les e´crivains a` eˆtre diffus. Par la nouvelle doctrine, on invite les imprimeurs a` se de´clarer de´pourvus d’intelligence, et les auteurs a` eˆtre obscurs. «Mais, demandent MM. les avocats du Roi, ou` serait le mal si les imprimeurs se constituaient les censeurs des livres2 ?» Le mal, je le dirai. J’aime a` rendre aux imprimeurs la meˆme justice que leur a rendu M. l’avocat du Roi pre`s la Cour royale. Je pense, comme lui, qu’on trouve dans cette classe estimable, beaucoup de gens instruits et meˆme de litte´rateurs distingue´s ; et j’adhe`re d’autant plus volontiers a` cet e´loge que je n’en fais pas une pre´face pour reque´rir contre eux des amendes et des de´tentions. Mais, comme l’a fort bien remarque´ M. Blacque dans la de´fense de M. Dentu, il n’en est pas moins vrai que les imprimeurs ne peuvent re´unir en politique, en the´ologie, en litte´rature, en le´gislation, les connaissances re-
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Voir ci-dessus, p. 691, n. 3. La formule ne figure pas dans le compte rendu du Moniteur.
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quises pour juger les ouvrages qu’ils impriment. Leur brevet ne leur donne pas la science universelle. Si vous les rendez responsables des erreurs contenues dans ces ouvrages, ils n’auront qu’un parti a` prendre, celui de suivre l’axioˆme de Zoroastre : Dans le doute, abstiens-toi : et ils s’abstiendront de tout ce qui leur paraıˆtra propre a` les compromettre1. Qui pourrait en effet leur en faire un crime ? Il leur faudrait une vertu plus qu’humaine pour exposer leur e´tat, leur fortune, l’aisance de leurs familles, leur liberte´, leurs inte´reˆts les plus chers enfin, en publiant ce qu’on leur pre´senterait comme des ve´rite´s utiles ou des re´clamations courageuses. Ils n’en recueillent pas la gloire, ils n’en voudront pas courir le danger. Ceci n’est pas une hypothe`se chime´rique, une gratuite supposition. La nouvelle jurisprudence est d’une date re´cente ; elle n’est pas encore, on peut s’en flatter, solidement e´tablie. Nous voyons cependant de´ja` vingt-deux imprimeurs refuser d’imprimer l’apologie de M. Chevalier, et un accuse´ re´duit a` ne pouvoir faire connaıˆtre sa justification au public. Cela est un peu diffe´rent des espe´rances que nous avions conc¸ues, quand M. le ministre de la police et M. Becquey, commissaire du Roi, disaient a` la tribune, «que les e´crits de tout genre, les pamphlets, les re´clamations des citoyens, circuleraient en liberte´, que mille portes leur e´taient ouvertes, et que rien de ce qui e´tait e´carte´ des journaux ne serait empeˆche´ de paraıˆtre sous toute autre autre forme a.» Le public a pu croire qu’il y avait quelqu’exage´ration dans les vingt-deux refus dont M. Chevalier s’est plaint a` la Cour royale2. Je conviendrai franchement que je l’avais cru moi-meˆme, et comme cette impossiblite´ d’imprimer e´tait un des meilleurs moyens de de´fense que cet e´crivain puˆt employer, j’avoue que je le soupc¸onnais de n’avoir pas mis beaucoup d’insistance dans ses efforts pour vaincre un obstacle qui servait sa cause. Mes doutes ont cesse´, lorsque m’e´tant adresse´, pour publier ces Questions, a` un imprimeur estimable et distingue´, avec lequel j’avais des relations anciennes, j’ai rec¸u de lui la re´ponse suivante. Je la transcris litte´ralement, en supprimant le nom de l’e´crivain qui peut-eˆtre s’inquie´terait de la publicite´ de ses inquie´tudes. a
Voy. les citations des premie`res pages3.
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Il est difficile de mettre une citation plus banale sous l’autorite´ d’un personnage plus illustre : Zoroastre ou plutoˆt Zarathustra ve´cut aux VIIe et VIe sie`cles av. J.-C. dans l’actuel Iran. Il re´forma la religion mazde´enne. En fait, il s’agit d’une attitude morale que Zarathustra preˆte aux Persans : «dans les doutes sur le bien et le mal, il faut s’abstenir». BC a de´ja` utilise´ cette citation dans le Mercure du 1er fe´vrier 1817 (voir ci-dessus, p. 437). Moniteur, no 166, 15 juin 1817, p. 655c. Citation re´alise´e par un me´lange assez libre et presque infide`le des textes commente´s cidessus, p. 673, sous les notes 1–3.
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«Depuis trois mois que les tribunaux m’ont fait connaıˆtre la le´gislation actuelle de la presse en France, je suis force´ de refuser d’imprimer tout ce qui est relatif aux inte´reˆts de mon pays. Il faut espe´rer qu’une nouvelle loi expliquera les anciennes, et fera connaıˆtre d’une manie`re positive les devoirs et les droits des imprimeurs. Jusque-la` ce serait risquer de perdre mon e´tat, ce que je ne veux faire, parce qu’il est toute la fortune de ma famille. Recevez l’assurance de tous les regrets de votre de´voue´ et reconnaissant serviteur1.» Si telle chose est arrive´ a` un e´crivain qui ne passe pas, que je sache, pour un auteur se´ditieux, a` un e´crivain qu’on a plutoˆt accuse´, sinon d’eˆtre dans les opinions ministe´rielles, car j’en ai combattu plusieurs, au moins d’incliner en faveur d’un ministe`re qui, je le pense, a rendu, le 5 septembre 1815, un grand service a` la France, a` un e´crivain enfin qui est attaque´ chaque jour, comme partisan de ce ministe`re, dans un journal anglais, enrichi tous les couriers2, par ses illustres correspondans de Paris, d’anecdotes un peu fausses, mais bien re´dige´es a, quelles difficulte´s les meˆmes alarmes n’opposeraient-elles pas a` la publication d’ouvrages qui pourraient eˆtre beaucoup moins mode´re´s, sans eˆtre coupables ? «Menacez, enfermez un imprimeur, disait un de nos de´pute´s dans la session dernie`re, et la frayeur, car je n’ose dire la terreur, sera telle que, ne manquant jamais d’e´crivains pour dire la ve´rite´, vous ne trouverez jamais personne pour l’imprimer b.» De la sorte, on ane´antirait la liberte´ de la presse bien plus efficacement que par tous les moyens de violence ouverte que la constitution re´prouve et qui souleveraient l’opinion ; on frapperait cette liberte´ sourdement dans sa racine ; on la tuerait avec ironie. On dirait aux e´crivains, imprimez, et ils ne
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Le New-Times, journal dirige´ par un homme renvoye´ du Times3. Moniteur du 30 janvier 18174. Il s’agit de la lettre que Louis-Franc¸ois Fain adresse le 27 juin 1817 a` BC (Lausanne, BCU, Co 3960) ; Fain avait imprime´ les deux e´ditions de De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France, alors que c’est Renaudie`re qui imprime les Questions sur la le´gislation actuelle de la presse. La phrase de BC est mal construite. Il faut sans doute lire quelque chose comme «... dans un journal anglais qui enrichit tous les couriers d’anecdotes un peu fausses, mais bien re´dige´es par ses illustres correspondants de Paris, quelles difficulte´s ...». la maladresse est identique dans toutes les e´ditions du texte. Il s’agit de John Stoddart (1773–1856), un des principaux re´dacteurs du Times de 1812 a` 1816 ; il a cre´e le New Times en 1817, pe´riodique qui a aussi porte´ le nom de The Day & New Times ou The Day or New Times (The Gentleman’s Magazine and Historical Review, vol. 44, May 1856, pp. 524–525). Moniteur, no 30, 30 janvier 1817, p. 114c : citation exacte extraite d’un discours de Josse de Beauvoir. Auguste-Guillaume Josse [de] Beauvoir (1771–1853) est de´pute´ de Loir-et-Cher de 1815 a` 1827 et sie`ge a` droite.
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trouveraient plus de presses ; on dirait aux opprime´s, plaignez-vous, et leurs plaintes seraient e´touffe´es a. La condamnation des imprimeurs, quand ils ont rempli les formalite´s qu’on leur a prescrites, serait dans la le´gislation de la presse, ce que la condamnation des avocats qui de´fendent les accuse´s, serait dans la le´gislation criminelle : elle serait plus injuste en core, car il resterait aux accuse´s la ressource de se de´fendre eux-meˆmes, et nos lois sur l’imprimerie interdisent a` tout autre qu’aux imprimeurs brevete´s de rien imprimer. Tel n’a pas e´te´ le vœux de la loi ; telle n’a pas e´te´ l’intention du gouvernement ; telle n’est pas non plus, je le pense, celle de MM. les avocats du Roi. Entraıˆne´s par leur ze`le, et marchant dans une carrie`re toute nouvelle, a` pas peut-eˆtre pre´cipite´s, il n’ont ni calcule´ ni pre´vu les conse´quences de ces premiers pas.
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Tout cela n’est que de la de´clamation, a dit M. Hua a` M. Chevalier, qui demandait un imprimeur d’office. Imprimez votre de´fense, vous en eˆtes parfaitement le maıˆtre. M. Hua ne voulait pas sans doute insulter a` l’impuissance ou` se trouvait M. Chevalier de suivre son conseil. Mais la position du pre´venu, entre un magistrat qui lui disait, imprimez, et des imprimeurs qui lui re´pondaient, on nous ruinerait, si nous imprimions, e´tait exactement telle que je l’ai peinte.
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VIII.
Conclusion.
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J’ai fini ce travail, dans lequel j’ai, pour la quatrie`me fois, de´fendu la liberte´ de la presse1. Les axioˆmes que MM. les avocats du Roi ont pris pour base de leur nouvelle doctrine, sont destructifs de cette liberte´. Ces axioˆmes et la pratique qui s’en est suivie sont donc contraires et a` la lettre de notre charte, et a` l’esprit des lois promulgue´es, sur cette importante portion de nos droits. J’ai de´clare´, en commenc¸ant cet e´crit, que je n’attribuais point aux magistrats contre les as sertions desquels j’ai ose´ m’e´lever, l’intention d’e´touffer une liberte´ que notre pacte constitutionnel consacre et que le Roi a promise. Leur ze`le, leur peu d’expe´rience sur des questions neuves, la difficulte´ d’asseoir des re`gles fixes avant de les avoir e´prouve´es, telles sont les causes de leurs erreurs : mais ces erreurs sont graves. Quand je n’en aurais pas fourni la preuve de´taille´e, cette preuve re´sulterait encore des seules pe´roraisons qui ont termine´ les plaidoiries e´loquentes de ces magistrats. Car l’un et l’autre ont professe´ les meˆmes principes, et ont marche´ fide`lement dans le meˆme sentier. Ceu duo nubigenæ descendunt montibus altis centauri...2
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«Un exemple est encore ne´cessaire» a dit M. de Vatisme´nil dans ses conclusions contre M. Chevalier. «La condamnation que vous avez prononce´e re´cemment, et le jugement que vous rendrez dans cette cause, Messieurs, apprendront aux auteurs que ce n’est pas sans pe´ril qu’on se livre avec emportement a` la critique des personnes et des choses que l’on doit respecter. Ils apprendront que la mesure, le tact, la bonne foi, la purete´ d’intention, et surtout le respect pour le Roi, sont des qua lite´s indispensables pour tout e´crivain qui veut traiter sans danger des matie`res de 1
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Allusion a` trois articles parus en fe´vrier 1817 dans trois livraisons successives du Mercure de France : «Projet de loi sur la liberte´ de la presse» (p. 203 a` 215) ; «Projet de loi sur les journaux» (p. 222 a` 272) ; enfin «Projet de loi sur les journaux» (p. 301 a` 319). Citation latine extraite de l’E´ne´ide de Virgile. BC cite de me´moire. La phrase comple`te est la suivante : «ceu duo nubigenae cum vertice montis ab alto descendunt Centauri Homolem Othrynque nivalem linquentes cursu rapido» (VII, 674–676) c’est-a`-dire : «On dirait deux centaures, ne´s de la nue´e, qui descendent du sommet de la montagne, quittant dans leur course rapide l’Homole et l’Orthrys enneige´s».
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Gouvernement.... Si vous ne re´unissez pas toutes ces qualite´s, hommes de lettres, fuyez la carrie`re pe´rilleuse de la politique. Le domaine des sciences et des arts est assez vaste... Si votre ge´nie vous pousse vers les matie`res d’inte´reˆt public, que le commerce, les finances, l’e´conomie politique, l’ame´lioration des codes, soient l’objet de vos me´ditations.... Faites-mieux encore. Les saines doctrines, la morale, la religion, le gouvernement monarchique, ont e´te´ e´branle´s : employez vos efforts a` les raffermir : alors, au lieu de pe´rils vous trouverez la gloire.... Et vous, imprimeurs, si les saisies vous fatiguent, si vous voulez e´viter la peine de la complicite´, constituez-vous les censeurs des auteurs a.» Quand je compare ce langage a` celui de nos ministres et de nos de´pute´s, je crois comparer deux pays, deux sie`cles, et deux codes diffe´rens. Quoi ! M. Camille Jordan, conseiller d’e´tat, affirmait en janvier dernier «qu’un e´crit imprudent de´fendrait plutoˆt son auteur d’une arrestation d’ailleurs me´rite´e, qu’il ne l’exposerait a` une arrestation injuste b», et M. de Vatisme´nil nous parle six fois en 28 lignes des pe´rils qui entourent les e´crivains ! Il veut les e´pouvanter par des exemples, et fatiguer les imprimeurs par des saisies ! Que sont devenues, et cette libre circulation de pamphlets c, et ces re´clamations de la nation arrivant de toutes parts aux pieds du troˆne d, et ces ve´rite´s re´fugie´es dans tous les e´crits, hors les journaux, et du sein de ce brillant exil e´levant leur voix inde´pendante e ? M. de Vatisme´nil veut que nous fuyions la carrie`re politique. Mais comment le flambeau du gouvernement brillera-t-il dans cette carrie`re de´serte ? Il nous exhorte a` cultiver les sciences et les arts. Mais ne serait-il pas un peu triste d’eˆtre re´duits a` des poe´sies le´ge`res au moment de l’e´lection de nos de´pute´s et a` des expe´riences sur l’oxyge`ne, quand il sera question de la liberte´ individuelle et du jugement par jure´s. Il nous permet de travailler a` l’ame´lioration des codes. Mais «censurer une loi que le Roi a sanctionne´e, c’est accuser le Roi de manquer de lumie`res, et commettre le de´lit pre´vu par la loi du 9 novembre» f. Les a b c d e f
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Moniteur du 16 avril1. Moniteur du 30 janvier 18172. Discours de M. de Cazes3. Discours de M. Ravez4. Discours de M. Camille-Jordan5. Discours de M. de Vatisme´nil contre M. Chevalier. Moniteur du 23 avril6. Moniteur, no 106, 16 avril 1817, p. 422b : citation exacte avec quelques omissions par rapport au texte du Moniteur mais signale´es par des points de suspension et dont l’absence ne modifie pas le sens. Moniteur, no 30, 30 janvier 1817, p. 116a : citation exacte. Voir ci-dessus, p. 676, n. 1. Voir ci-dessus, p. 673, n. 2. Voir ci-dessus, p. 674, n. 3. Voir ci-dessus, p. 676, n. 2. Reprise simplifie´e de la citation traite´e ci-dessus, p. 695, n. 1.
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codes ne se composent-ils pas de lois sanctionne´es ? Comment e´viter de censurer ces lois sanctionne´es, en travaillant a` l’ame´lioration des codes ? Il nous accorde des spe´culations sur la morale. Mais M. l’avocat du Roi pre`s la cour royale a de´couvert un tort dans l’e´loge de la probite´. Il nous invite a` raffermir les saines doctrines. «La`, dit-il, au lieu de pe´ril, nous trouverons la gloire1». Raffermir les saines doctrines sans les discuter, trouver la gloire dans un monologue, et en de´fendant des opinions, quand les opinions contraires n’osent se montrer ? M. l’avocat du roi ne s’aperc¸oit pas que son ze`le met obstacle au noˆtre ; son assistance non sollicite´e nous force a` l’inaction ; nous ne pouvons entrer dans une carrie`re ou` nos contradicteurs seraient accable´s du poids de l’autorite´ ; et nul e´crivain qui se respecte, ne de´fendra meˆme les saines doctrines contre des adversaires qu’un avocat du Roi guette et que la prison attend. Je le reconnais avec plaisir, M. l’avocat du roi pre`s la cour royale, est un peu moins se´ve`re : «Parlez, e´crivez, dit-il aux auteurs. Dites la ve´rite´ au Roi, aux chambres, aux ministres. Savez-vous ou` est votre garantie ? Elle est dans l’amour du bien public» a». L’amour du bien public est sans doute un puissant motif d’e´crire ; mais l’expe´rience a malheureusement prouve´ que ce n’e´tait pas toujours une garantie suˆre pour ceux qui e´crivaient. Il y a des pays et des e´poques ou` cette garantie n’a eu que peu d’efficacite´. Je croyais, j’en conviens, en avoir quelques autres. Je croyais avoir des garanties dans la charte, dans les de´clarations du Roi, dans les promesses solennelles des ministres ; je le crois encore, et je serais un peu de´sappointe´ de me voir re´duit tout-a`-coup aux garanties que me donnerait mon amour du bien public contre tel pouvoir, auquel j’aurais peut-eˆtre, par amour du bien public, le malheur de de´plaire. «Un auteur est traduit en justice, continue M. l’avocat du Roi ; quel est donc son de´lit ? Il a fait une brochure. Grande consternation dans la re´publique des lettres... C’est bien la peine d’avoir une constitution ; car il est clair qu’une constitution n’a e´te´ faite que pour donner la liberte´ d’e´crire et de parler sur tout ce que l’on voudra2.» a
Discours de M. Hua contre M. Chevalier. Moniteur du 15 juin3.
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Moniteur, no 166, 15 juin 1817, p. 656a : Hua invite les jeunes auteurs a` suivre «une route plus glorieuse et plus suˆre» que celle qui consiste a` critiquer. Idem : citation exacte a` cela pre`s que cette phrase est prononce´e avant la pre´ce´dente et non apre`s. Moniteur, no 166, 15 juin 1817, p. 656b : citation exacte mais Constant omet de reproduire la suite qui est moins bienveillante : «Si vous en eˆtes anime´s, vous ne serez peut-eˆtre pas utiles, mais vous ne serez jamais dangereux».
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Une constitution n’a point e´te´ faite uniquement pour donner la liberte´ d’e´crire et de parler sur tout ce que l’on voudra ; une constitution a e´te´ faite pour assurer tous nos droits, et celui d’e´crire et de parler comme tous les autres. Une constitution a e´te´ faite pour eˆtre observe´e. Il n’y a point une grande consternation dans la re´publique des lettres, parce qu’un auteur est traduit en justice. Les auteurs savent qu’ils sont responsables. Mais si un auteur mis en jugement e´tait prive´ plus qu’un autre citoyen des garanties protectrices ; si le ministe`re public le traitait avec de´dain dans la forme, et avec iniquite´ dans le fonds ; si des intentions qu’il n’a point eues lui e´taient attribue´es ; si des lois qui devraient point l’atteindre lui e´taient applique´es ; si des peines qu’il ne me´rite pas le frappaient, comme l’injustice exerce´e envers un seul membre du corps social les menace tous, comme l’arbitraire est contagieux, comme la charte serait viole´e, il y’aurait alors, et avec raison, une grande consternation, non-seulement dans la re´publique des lettres, mais parmi tous les vrais amis du gou vernement et de la patrie, parmi tous les esprits e´claire´s. «Cependant il faut que l’E´tat subsiste,» dit M. l’avocat du Roi, «primo vivere1.» Certes tout le monde desire que l’E´tat subsiste : la suˆrete´ de tous est dans l’existence de l’E´tat : Mais tout le monde sait, par une triste expe´rience, que l’E´tat n’a qu’une existence pre´caire, quand on s’e´carte des lois, ou qu’on les applique a` faux, ce qui est les de´truire. Tout le monde sait de plus, que le primo vivere, dont la traduction franc¸aise est connue, est de tous les pre´textes le plus flexible et le plus dangereux. Pour l’inte´reˆt du repos, comme pour celui de la liberte´, pour le troˆne comme pour le peuple, revenons a` des maximes plus simples, plus constitutionnelles, et sur-tout plus franches. Cette question de la presse, e´ternelle quand on la conteste, funeste quand on veut lui e´chapper par l’artifice, est en meˆme temps de la solution la plus facile, si l’on veut y mettre de la loyaute´. Depuis 1789, e´poque a` laquelle les principes furent pose´s, l’on s’en est e´carte´ sans cesse, et le malheur a suivi de pre`s la faute. Je ne suis pas seul a` le dire, je puis invoquer une autorite´ bien plus imposante que la mienne, et sous le rapport de la position, et sous celui des preuves d’attachement donne´es au Gouvenement qui nous re´git. «J’ai toujours e´te´ fermement persuade´» disait, a` la chambre des pairs, le 28 fe´vrier dernier, M. le mare´chal duc de Tarente «que le repos ge´ne´ral de la France n’avait d’autre garantie que l’inviolabilite´ de la charte. Ma conviction a` cet e´gard s’est manifeste´e dans toutes les occasions, ou` j’ai cru reconnaıˆtre que l’on s’e´cartait de son esprit et de ses principes, et notam1
Idem : citation exacte.
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ment a` cette meˆme tribune, le 30 aouˆt 1814, dans la discussion sur la liberte´ de la presse. Il est trop vrai que les inquie´tudes qui se re´pandirent alors sur la crainte d’alte´ration a` la charte, sur la stabilite´ des lois et des institutions nouvelles, pre´pare`rent en secret, et favorise`rent les de´sastreux e´ve´nemens qui ont ouvert l’abıˆme ou` la patrie a e´te´ plonge´e1.» Etablissons donc une the´orie libe´rale et rassurante. Cela est facile. Il suffit de prendre le contrepied de tout ce qui s’est fait dans les deux proce`s que je viens d’examiner. Au lieu d’interpre´ter pe´niblement, et d’une manie`re subtile et force´e, des phrases isole´es, pour trouver les e´crivains en de´faut, jugeons des ouvrages par l’esprit et par la tendance de leur ensemble. Confions a` des jure´s le jugement de ces causes. La preuve est acquise, que si la garantie que les auteurs ne seront soumis qu’aux tribunaux est un commencement de liberte´ de la presse, ce n’est encore qu’un commencement. Il peut y avoir moins de liberte´ sous les tribunaux que sous la police. Car si l’on persistait dans le mode de proce´der qui a e´te´ suivi, il y aurait de moins, constitutionnellement, la responsabilite´ du ministre, et moralement, cette mode´ration possible de l’arbitraire, quand il est dans la main d’un homme, dernie`re ressource qui disparaıˆt quand l’arbitraire est dans les organes de la loi. J’ai de´ja` prouve´, dans les pages pre´ce´dentes, combien les jure´s e´taient indispensables. J’ajouterai deux conside´rations qui de´montreront qu’il est dans l’inte´reˆt du Gouvernement de les e´tablir. 1o. Les jugemens des tribunaux contre les e´crivains que l’autorite´ de´nonce, n’ont point sur l’opinion publique l’autorite´ du jugement par jure´s. Cette opinion ombrageuse soupc¸onne toujours les tribunaux, dans les causes qui tiennent a` la politique, d’eˆtre de´voue´s au Gouvernement. Elle respecte dans les jure´s l’inde´pendance de la condition prive´e, de laquelle ils ne sortent que momentane´ment, et dans laquelle ils rentrent. 2o. Si les tribunaux acquittent les e´crivains accuse´s par l’autorite´, il s’e´tablit entre eux et le Gouvernement, une hostilite´ au moins apparente, et qui est toujours faˆcheuse, quand elle se place dans des corps inamovibles. Rien de pareil n’est a` craindre de la part des jure´s, simples citoyens, redevenant tels apre`s le jugement, et ne formant point un corps. Reconnaissons qu’on peut attaquer les ministres sans attaquer le Roi. Ne re´clamons pas pour eux une inviolabilite´ que la constitution leur refuse.
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Etienne-Jacques-Joseph-Alexandre Macdonald, duc de Tarente (1765–1840) : mare´chal de Napole´on, rallie´ non sans he´sitation a` la Restauration, il fit toujours preuve, y compris a` la
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Restons fide`les a` nos lois actuelles, en leur donnant plus de pre´cision et plus de douceur a. N’exhumons pas les lois anciennes, arsenal ignore´, ou` des re´glemens barbares resteraient en embuscade, pour apparaıˆtre au premier signal. Ma taˆche est remplie. Je crois avoir respecte´ les personnes et les choses qu’on doit respecter. Meˆme en indiquant ce qui m’a paru eˆtre des erreurs dans quelques-uns de nos magistrats, j’ai de´clare´ que leurs intentions ne devaient point eˆtre juge´es d’apre`s ces erreurs. La liberte´ des individus est suspendue. Les journaux sont dans la main de l’autorite´. Les chambres se´pare´es interrompent le droit de pe´tition. La liberte´ des livres est la seule qui nous reste. J’ai duˆ essayer de la de´fendre.
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Il est impossible par exemple de laisser subsister dans notre code sur la presse la disposition qui rend justiciables des tribunaux les e´crits livre´s a` l’impression. Un auteur qui livre a` l’impression un ouvrage peut vouloir le modifier pendant l’impression. Alors, en jugeant son manuscrit, vous le jugeriez sur une intention qu’il n’a pas eue, et sur un e´crit qu’il ne voulait pas faire paraıˆtre dans l’e´tat ou` vous le trouvez. Je puis me citer par exemple. Croyant utile de soumettre au public ces observations, dans un moment ou` beaucoup de livres sont saisis, beaucoup d’e´crivains mis en jugement, j’ai envoye´ a` l’impression chaque page de cette brochure sans la relire. Je ne l’ai corrige´e que sur les e´preuves. Beaucoup d’expressions trop fortes, ou dont le sens e´tait e´quivoque ont e´te´ retranche´es. Si l’on m’avait juge´ sur ce manuscrit, livre´ a` l’impression, on m’aurait juge´ sur un livre que je ne voulais pas publier.
13 justiciables ] la source porte justiciabels Q2 justiciables Q3
Chambre des Pairs, d’une inde´pendance d’esprit qui lui valut l’estime de ses contemporains. BC cite le de´but du discours du 28 janvier (et non fe´vrier) 1817, a` propos de la loi sur les colle`ges e´lectoraux (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XVIII, p. 343) ; le citation est exacte a` cette nuance pre`s que «autre garantie» et «crainte d’alte´ration» sont au pluriel dans la source cite´e.
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Article pour le Journal ge´ne´ral de France Sur Madame de Stae¨ l. 18 juillet 1817
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Introduction
Cet article ne´crologique a paru anonymement au lendemain de la mort de Mme de Stae¨ l dans le Journal ge´ne´ral de France. Constant en a envoye´ une copie aux enfants de la de´funte avec sa signature autographe1. Simone Balaye´ est la premie`re a` avoir repe´re´ cet article auquel il est fait allusion dans la bre`ve notice parue dans le Mercure du 19 juillet. Le Journal ge´ne´ral de France e´tait un organe favorable aux Libe´raux. Y e´crivaient des amis de Constant dont Fauriel et Michel Berr. Le premier paragraphe de cet hommage est d’abord un hymne a` la personnalite´ de Mme de Stae¨ l : le ton oratoire avec les reprises anaphoriques, le recours a` l’hyperbole et a` la pre´te´rition doivent exprimer le caracte`re exceptionnel de la de´funte sur le plan moral d’abord. Par la suite, cette notice rele`ve du biographique, retrac¸ant les principales ` la diffe´rence du e´tapes de la vie et de l’œuvre de l’auteur de Corinne. A portrait qui sera au centre de l’article du Mercure, Constant e´crit «une biographie morale qui de´roule en meˆme temps qu’une vie, le parcours d’un e´crivain, dans un ordre qui e´pouse globalement la chronologie de l’œuvre2.» Parmi les premie`res œuvres de son amie, il met en e´vidence sa pre´cocite´ dans ses Lettres sur Rousseau, mais surtout il rappelle ses interventions «politiques» en faveur de Marie-Antoinette, la reine martyre, ses appels a` la mode´ration et a` la paix entendus meˆme sur les bancs du parlement de Westminster, sa sagesse politique he´rite´e de son pe`re. Il fait ainsi de Mme de Stae¨ l une femme de cœur en meˆme temps qu’une teˆte politique. L’image qu’il donne ensuite est celle de l’exile´e, perse´cute´e tant par un gouvernement faible (le Directoire) que par un pouvoir absolu (Bonaparte). C’est dans son exil qu’elle a e´crit ses ouvrages les plus importants. Il est inte´ressant de noter que, si Constant cite De l’influence des passions, ses deux romans Delphine et Corinne et De l’Allemagne, il omet peut-eˆtre a` dessein de mentionner De la litte´rature, ouvrage nettement a` contre-courant dans ces premie`res anne´es de la Restauration. Plus que sur l’œuvre, du reste, c’est sur la femme que Constant met l’accent, sur les souffrances de l’exile´e, injustement chasse´e de sa patrie, la
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Cette copie se trouve dans les archives du Chaˆteau de Coppet. Ste´phanie Tribouillard, Le Tombeau de Madame de Stae¨l, Les discours de la poste´rite´ stae¨lienne en France (1817–1850), pre´face de Florence Lotterie, Gene`ve : Slatkine, 2007 (Travaux et recherches de l’Institut Benjamin Constant, t. 9), p. 59.
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France, que son pe`re «avait fide`lement aime´e et vainement servie.» En passant sous silence ses origines helve´tiques, Constant parle indirectement en faveur de sa propre appartenance a` la France. Durant son exil, Mme de Stae¨ l a partage´ son temps entre ses travaux et ses voyages au cours desquels elle e´tait accueillie partout «comme en triomphe» et apre`s avoir entoure´ son pe`re de son amour, elle s’est consacre´e apre`s sa mort a` de´fendre sa me´moire. L’e´vocation de sa fuite – qu’elle a de´crite elle-meˆme dans les Dix anne´es d’exil – n’est pas faite sur le ton de l’exploit : Constant met l’accent sur le fait que si Mme de Stae¨ l a duˆ trouver refuge chez les ennemis de Napole´on, elle l’a fait, contrainte et sans jamais oublier sa patrie. Rentre´e a` Paris, elle avait tout pour eˆtre heureuse : fortune, famille, alliance prestigieuse avec un pair de France ayant le me´rite d’eˆtre libe´ral, tout concourait a` ce bonheur brise´ soudain par la maladie et par la mort. Le dernier paragraphe de cet article anticipe sur celui du Mercure, mettant en relief les qualite´s morales et le caracte`re exceptionnel de la de´funte ; de manie`re implicite, cet hommage s’ache`ve aussi sur le motif de la re´conciliation des amis longtemps se´pare´s. R. F. E´tablissement du texte Nous avons choisi pour texte de base l’article publie´ dans le Journal Ge´ne´ral de France. L’article e´largi qu’on trouve dans les Annales encyclope´diques est une reprise du texte de Constant, avec des de´veloppements qui ne sont pas de sa plume. La bibliographie des œuvres de Mme de Stae¨ l, remarquable a` cause de l’exactitude des renseignements qu’elle fournit, est due a` Auguste de Stae¨ l ou peut-eˆtre a` Millin1. Imprime´s : 1. «Sur Madame de Stae¨ l», Journal ge´ne´ral de France, 18 juillet 1817, pp. 3a–4b. Courtney, Guide, D100. Nous de´signons ce texte par le sigle JGF 2. «De toutes les pertes que les lettres ont faites depuis le court espace d’un mois», Annales encyclope´diques re´dige´es par A. L. Millin, t. IV, 1817, pp. 160, 163–173. Meˆme texte que le pre´ce´dent, mais e´largi au de´but par un aline´a supple´mentaire, deux notes, un portrait de Mme de Stae¨ l d’apre`s Dawson Turner, et, a` la 1
Nous ne suivons pas Ste´phanie Tribouillard, Le tombeau de Madame de Stae¨l, pp. 68–69, qui propose d’attribuer cette bibliographie a` BC.
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fin, par une bibliographie des ouvrages de Mme de Stae¨ l et d’un aline´a qui identifie l’auteur du portrait. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Nous de´signons ce texte par le sigle AE Le texte a fait l’objet de deux e´ditions : Simone Balaye´, «Benjamin Constant et la mort de Madame de Stae¨ l», Cahiers stae¨liens, 9, 1969, pp. 17–38, (le texte : pp. 21–28). Ephraı¨m Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, Introduction, notes et commentaires par E´phraı¨m Harpaz, Gene`ve : Droz, 1978, pp. 262–265. K. K.
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Sur Madame de Stae¨ l.
Parler de la ce´le´brite´ litte´raire de madame de Stae¨ l, du talent e´leve´ qui la distinguait, de tous les titres qui la placent parmi les premiers e´crivains du sie`cle, serait dire des choses connues de la France et de l’Europe ; rappeler ses opinions ge´ne´reuses, son amour pour la liberte´, sa confiance dans le pouvoir des lumie`res et de la morale, confiance qui honore l’aˆme qui l’e´prouve, serait peut-eˆtre, au milieu des partis encore agite´s, provoquer des impressions malveillantes. J’e´prouve le besoin de ne parler que de ce qui doit re´unir l’assentiment de quiconque l’a connue, quelqu’opinion qu’il nourisse, quelque e´tendard qu’il suive. Ce que je voudrais peindre, ce que tous ses amis trouveraient encore un douloureux plaisir a` de´crire, si une affliction profonde ne portait pas plutoˆt ceux qui l’ont che´rie a` se re´fuser tous les genres de consolation, c’est cette bonte´, cette noblesse, cette constante e´le´vation dans les sentimens, cette chaleur dans l’amitie´, cette pitie´, ce respect pour la faiblesse, cette ardeur a` plaider la cause des opprime´s, cette puissance d’affection enfin, qui re´pandait sur la vie de tous ceux qui l’approchaient un charme qu’il est impossible de remplacer, et dont ils ne sauraient pre´voir comment ils pourront supporter la perte. En entrant fort jeune dans la carrie`re des lettres, quand le rang de son pe`re, celui de son mari, les faveurs de la fortune, les dissipations du monde semblaient lui indiquer des plaisirs plus entraıˆnans pour son aˆge, madame de Stae¨ l obe´it a` ce besoin qu’e´prouvent les esprits supe´rieurs, de consacrer E´tablissement du texte : Imprime´ : 1. Journal ge´ne´ral de France, 18 juillet 1817, pp. 3a–4b [=JGF]. 2. Annales encyclope´diques, t. IV, 1817, pp. 163–173 [=AE]. 2 Parler ] l’article est pre´ce´de´ dans AE d’un aline´a et d’une note que nous attribuons au re´dacteur du journal De toutes les pertes que les lettres ont faites dans le court espace d’un mois, la plus grande est celle de madame de Stae¨ l ; l’attachement du public en faisoit a` chaque instant rechercher des nouvelles, et les circonstances de sa mort ont inspire´ le plus grand inte´reˆt : on est avide de de´tails sur sa vie [texte de la note : M. Portal e´crit qu’il va les publier ; cette annonce a produit une re´clamation dans les journaux, ou` l’on se plaint qu’on veuille, en produisant ces de´tails au public, de´chirer de nouveau le cœur de ses enfans et de ses amis.] ; nous ne pouvons mieux satisfaire le lecteur qu’en re´pe´tant le magnifique e´loge que l’amitie´ lui a consacre´ dans le Journal ge´ne´ral de France : elle a trouve´ un digne pane´gyriste dans un des e´crivains les plus distingue´s, publiciste profond qui joint a` la hauteur du talent la noblesse des sentimens et la justesse des pense´es. AE
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toute leur existence au noble de´veloppement de leurs faculte´s. Les Lettres sur Rousseau furent son premier ouvrage1. Une femme de vingt ans osa juger Jean-Jacques, et le pane´gyriste se plac¸a par plus d’une page a` coˆte´ de l’objet de ses e´loges. Quelques anne´es apre`s, elle fit paraıˆtre la de´fense de la Reine2, quand cette malheureuse princesse e´tait de´ja` sous le fer des bourreaux. Plus tard, dans ses Re´flexions sur la paix inte´rieure3, elle prononc¸a des paroles de mode´ration et d’humanite´, d’autant plus courageuses, qu’en affrontant le pouvoir qui dominait alors sur la France, elle ne chercha point, comme tant d’autres, a` flatter les ennemis de la liberte´ et de sa patrie. Cet ouvrage, qui ne pe´ne´tra qu’imparfaitement en France, fut cite´ dans le parlement d’Angleterre4, comme une auto rite´, par le plus e´nergique et le plus 9 patrie. ] une note est accroche´e a` ce mot dans AE Nous citerons ici ce passage honorable pour la me´moire de madame de Stae¨ l, extrait d’une lettre inse´re´e dans le meˆme journal : / «Dans l’horrible anne´e 1793, Copet e´toit devenu le commun hospice de ceux qui fuyoient la tyrannie. Mon mari et moi, nous y rec¸uˆmes l’accueil le plus tendre, sans autre recommandation que notre malheur. Que je savois gre´ a` madame de Stae¨ l de pouvoir surmonter l’horreur dont elle e´toit saisie, pour s’occuper toujours de sauver de nouvelles vitimes qui e´toient reste´es en France ! les aˆmes e´toient alors si abattues que c’e´toit presqu’un courage que de fuir a` travers un pays tout he´risse´ de comite´s re´volutionnaires. Madame de Stae¨ l envoyoit de la Suisse, a` ses amis, des guides fide`les, qui venoient leur dire : Suivez-moi ; je sais des chemins suˆrs ; je re´ponds de vos jours a` madame de Stae¨ l. Jamais elle ne trouvoit sa colonie assez nombreuse. Point de de´tails dont elle me s’informaˆt, point de ressources qui ne s’offrissent a` son esprit. S’agissoit-il de ces ordres rigoureux que le cantons suisses laissoient de temps en temps e´chapper contre les e´migre´s, elle voloit de Copet a` Nyon, a` Lausanne, a` Berne, a` Zurich, faisoit honte aux magistrats de leur foiblesse, obtenoit au moins que les rigueurs ne fussent qu’apparentes, et que des lois dicte´es par la fureur fussent e´lude´es par la pitie´. Je l’ai vue a` Paris, a` diverses e´poques, user du meˆme ascendant sur des hommes qui, dans leur courte autorite´, ne croyoient pouvoir se montrer trop de´fians, trop inflexibles. Ses angoisses e´toient les meˆmes que celles de la me`re ou de la sœur d’un e´migre´ qu’on alloit traduire a` une commission militaire.» AE 1 2 3
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Les Lettres sur les e´crits et le caracte`re de Jean-Jacques Rousseau ont paru en 1788. Mme de Stae¨ l avait 22 ans. Les Re´flexions sur le proce`s de la reine par une femme ont paru en Suisse, en aouˆt 1793, sans nom d’auteur. La reine Marie-Antoinette a e´te´ exe´cute´e le 16 octobre 1793. Comme le note Simone Balaye´ dans son article (p. 22, note 19), «il y a ici une confusion. A la fin de 1794, Mme de Stae¨ l publie la 1e`re e´dition des Re´flexions sur la paix, re´imprime´e en 1795. A la fin de juillet, elle fait imprimer des Re´flexions sur la paix inte´rieure, puis renonce a` les publier. C’est du premier qu’il s’agit ici comme le montre ce que dit Constant ensuite.» Nous reprenons la note 20 (art. cite´, p. 22) de Simone Balaye´ : «Fox cite l’ouvrage au Parlement dans son discours du 24 mars 1795 contre Pitt et contre la guerre et reprend certaines ide´es de Mme de Stae¨ l, qui de son coˆte´, attaquait Pitt elle aussi. Cette approbation causa a` Mme de Stae¨ l une grande joie qui se refle`te dans une de ses Lettres a` Ribbing», (Paris : Gallimard, 1960, p. 306).
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e´loquent de´fenseur de la constitution britannique. On put de`s lors pre´voir a` quelle hauteur de pense´e et d’aperc¸us politiques s’e´le`verait la fille de M. Necker, ministre-citoyen1, que tous les partis ont attaque´ tour a` tour, parce qu’il a toujours combattu e´galement les pre´tentions des uns, les erreurs et les exce`s des autres. Rentre´e en France, sous un gouvernement ombrageux, parce qu’il sentait sa faiblesse, madame de Stae¨ l fut bientoˆt en butte a` ces soupc¸ons absurdes que chaque faction accueille, et a` ces perse´cutions que chaque autorite´ e´phe`me`re exerce. Lorsqu’a` la place de ce directoire qui fatiguait la nation sans la gouverner, s’e´leva un pouvoir qui aspirait a` devenir absolu, ce pouvoir que sa force irre´gulie`re et violente ne rassurait pas, s’indigna d’autant plus du courage et de la pe´ne´tration d’une femme, que peu d’hommes se montraient alors pre´voyans et courageux. Madame de Stae¨ l fut exile´e2. Dans son exil, elle publia les ouvrages qui lui assignent une place si e´minente parmi nos e´crivains supe´rieurs. En 1797, elle avait fait paraıˆtre l’Essai sur l’influence des passions3, livre qui n’est pas acheve´, dont le plan est de´fectueux, parce qu’il est trop vaste, et dont le style est bien au-dessous de celui de Delphine, et surtout de Corinne, mais qui est une mine ine´puisable de pense´es fortes et justes, et dont l’introduction traite en peu de pages les questions les plus profondes et les plus neuves de l’organisation sociale dans les temps modernes. En 1803, elle publia Delphine4, dont les deux premiers volumes sont une peinture si exacte et si fine des souffrances que le monde inflige, et des fautes que produisent ces souffrances. Je ne parlerai point ici de Corinne5 : tout le monde connaıˆt ce magnifique tableau de la belle contre´e de l’Europe. Enfin, en 1811 parut son ouvrage sur l’Allemagne6. Elle y peignait un peuple moral, parce qu’il est e´claire´ ; e´claire´, parce qu’il jouit d’une liberte´ de fait tre`s grande, et tre`s rarement viole´e. 1
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Constant a toujours manifeste´ une profonde estime pour Jacques Necker et pour sa position politique mode´re´e. L’appellation peu usite´e de «ministre-citoyen» doit-elle rendre compte de l’importance du roˆle civique du personnage ? Mme de Stae¨ l s’exila d’abord en 1792 apre`s les massacres de septembre. Rentre´e a` Paris en 1795, elle fut plusieurs fois menace´e d’expulsion sous le Directoire. Elle fut ensuite exile´e en 1803 par ordre de Napole´on (voir Dix anne´es d’exil, e´dition critique par Simone Balaye´ et Mariella Vianello Bonifacio, Paris : Fayard, 1996.) De l’influence des passions parut en 1796. La deuxie`me partie pre´vue ne parut jamais. C’est peut-eˆtre en pensant a` cet ouvrage que Constant e´voque dans son article du Mercure les incorrections de son style dues aux circonstances chaotiques dans lesquelles l’ouvrage a e´te´ e´crit. Delphine a paru en de´cembre 1802. Corinne a paru en 1805. Constant en fit la critique dans Le Publiciste en mai 1805. C’est cette critique qu’il reprendra en 1829 dans l’article des Me´langes. De l’Allemagne, de´truit sur l’ordre de Napole´on, comme n’e´tant pas «franc¸ais», ne put paraıˆtre en France. Mme de Stae¨ l publia cet ouvrage a` Londres en 1813.
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Elle y vantait une litte´rature inde´pendante ; elle s’y montrait persuade´e que le talent, dans aucun genre, n’existe sans liberte´. L’ouvrage fut supprime´ ; et cette suppression fit e´ve´nement en Europe, au milieu de la chute des troˆnes, et du renversement des empires ; tant le nom seul de l’auteur inspirait d’inte´reˆt, et excitait de curiosite´ ! Celle qui avait ainsi la force de se livrer, loin de son pays et des souvenirs de son enfance, a` l’e´tude et a` la composition, n’e´tait point cependant insensible a` l’exil. Madame de Stae¨ l luttait noblement contre le sort ; mais elle en ressentait toute l’amertume. Elle regrettait ce beau pays de France, loin duquel on ne saurait vivre quand on y a ve´cu, ce pays de France ou` se re´unissaient pour elle tant de jouissances de l’esprit, a` tant d’affections, ce pays que son pe`re avait fide`lement aime´, et si vainement servi ; ce pays ou` elle se sentait bien plus qu’ailleurs dans sa ve´ritable sphe`re. Admire´e dans l’e´tranger, elle ne pouvait se livrer qu’en France a` ce talent de conversation qui lui assurait chaque jour, et a` chaque heure, des succe`s brillans et inconteste´s. L’exil a fait le tourment de sa vie. Il en a peut-eˆtre avance´ le terme. On lui niait alors ses souffrances. On les lui reprochait comme des faiblesses. On lui offrait ces consolations banales, par lesquelles les indiffe´rens croient s’acquitter envers le malheur ; et parmi ces indiffe´rens qui recommandaient le stoı¨cisme a` une femme, ou` sont-ils ceux qui ont supporte´ l’exil mieux qu’elle ? Les uns, pour abre´ger cet exil, n’offraient-ils pas avec ardeur au pouvoir ce qu’elle refusait de lui accorder ? Les autres, moins heureux dans leurs efforts, ont-ils su comme elle anoblir leur souffrance, et consoler de loin leur patrie par un langage d’amour, d’inde´pendance et d’espoir ? Exile´e douze ans1, madame de Stae¨ l a marque´ cette douloureuse et longue e´poque par d’utiles et nobles travaux. Elle a refuse´ ses hommages a` la force injuste qui la poursuivait ; et jamais sa bouche n’a profe´re´ un mot, jamais sa plume n’a trace´ une ligne qui ne fussent dignes de la cause pour laquelle elle souffrait. Durant son exil, elle partageait son temps entre des voyages dans les divers pays de l’Europe2, ou` sa re´putation la faisait accueillir comme en triomphe, et de fre´quens se´jours aupre`s de son pe`re, auquel l’unissait un attachement qui tenait du culte3. C’e´tait un doux et touchant spectacle que celui de M. Necker et de sa fille. Suˆr d’obtenir un jour la justice unanime qu’obtiennent toˆt ou tard les intentions pures, les sacrifices ge´ne´reux, et la 1 2
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Constant ajoute aux dix anne´es d’exil sous Napole´on, les deux ans d’exil a` l’e´poque de la Terreur et sous le Directoire. Mme de Stae¨ l a se´journe´ en Allemagne en 1803–1804, en Italie en 1804–1805, a` Vienne en 1807–1808. Lors de chacun de ses de´placements, elle e´tait rec¸ue comme le serait aujourd’hui une star. Constant reviendra sur ce culte de Necker par sa fille dans son article du 25 juillet dans le Mercure.
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lutte de la moralite´ et des lumie`res contre l’ignorance et l’e´goı¨sme, M. Necker avait porte´ dans sa retraite la dignite´ des souvenirs, le calme de la conscience, la finesse et la graˆce de l’esprit, tempe´re´es par l’aˆge, sans eˆtre affaiblies. Sa fille brillante d’imagination, de force et d’activite´, l’entourait de son affection, rapportait tout a` lui, n’existait que pour lui plaire, et ajoutait a` la varie´te´ de sa conversation ine´puisable, tout le charme d’un de´vouement passione´. Pendant un des voyages de madame de Stae¨ l, la mort frappa M. Necker1. Elle s’e´tait e´loigne´e avec re´pugnance. Son pe`re l’y avait engage´e. Heureux de ses succe`s, il ne voulait pas qu’elle lui en fıˆt trop longtemps le sacrifice. Il aimait a` recevoir, dans ses lettres, le de´tail de ses observations, toujours piquantes, sur tant d’objets si varie´s. Il se plaisait a` en e´couter les re´cits a` son retour. Elle partit et ne le revit plus. L’espe´rance de le conserver longtemps, autorise´e par toutes les apparences, l’avait cruellement abuse´e. Ce malheur fut le plus grand de sa vie. Elle revint en haˆte, mais trop tard, ou` son pe`re avait ve´cu. Elle se voua au culte de sa me´moire ; elle publia cette esquisse de sa vie prive´e2, e´bauche imparfaite, mais touchante, de l’ouvrage qui l’a occupe´e jusqu’a` sa mort ; et pendant longtemps, accable´e de cette perte, elle sembla n’avoir plus meˆme la force de s’affliger de son exil. Cependant l’autorite´ qui re´gnait en France redoublait contre elle de mesures vexatoires. L’exil ne suffisait plus ; l’isolement lui e´tait destine´ et le maıˆtre du monde, assis sur le premier troˆne de la terre, observait, d’un œil soupc¸onneux, ceux qui osaient aller voir une femme, qu’il avait rele´gue´e dans une habitation hors de France. Madame de Stae¨ l, plus inquie`te pour ses amis que pour elle-meˆme, se de´termina, non sans de longues he´sitations et de vifs regrets, a` se soustraire a` cette puissance hostile. Elle ne pouvait, dans l’e´tat de l’Europe, trouver de refuge que chez les ennemis de l’homme qui la repoussait de son pays. Mais en acceptant, malgre´ elle, cet asile qu’elle n’aurait pas choisi, elle n’oublia pas un instant sa patrie3. Depuis trois ans, elle jouissait de cette France, objet dans sa famille, d’un amour he´re´ditaire. Ella avait obtenu, de la justice e´claire´e et bienveillante du Roi pour lequel elle conserva toujours une reconnaissance profonde, la 1
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Necker est mort le 9 avril 1804 a` Coppet. Mme de Stae¨ l e´tait alors a` Berlin. Benjamin Constant, rentre´ plus toˆt en Suisse, reprit la route de l’Allemagne pour aller au-devant de son amie et lui annoncer la funeste nouvelle. «Du caracte`re de M. Necker et de sa vie prive´e», en teˆte des Manuscrits de Mr. Necker, publie´s par sa fille, Gene`ve : J. J. Paschoud, an XIII. Pour e´chapper a` la surveillance de la police napole´onienne, Mme de Stae¨ l s’enfuit de Coppet le 23 mai 1812 et, passant par Vienne, Moscou et Saint-Pe´tersbourg, gagne Stockholm, puis Londres. Ayant trouve´ refuge chez les ennemis de Napole´on, elle s’abstiendra de toute attaque contre la France durant son se´jour en Angleterre.
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restitution du de´poˆt sacre´, confie´ par M. Necker a` la foi nationale1. On peut espe´rer qu’elle e´tait heureuse. Un fils2 qui tient d’elle toutes ses opinions, le plus pur amour de la liberte´, la noblesse de caracte`re ; une fille3 digne de l’aimer comme elle l’aimait, et l’on n’aime ainsi que ceux a` qui l’on ressemble ; une fille unie a` un homme dont le rang meˆme est agre´able aux amis de l’e´galite´, parce que ses talens sont une de leurs forces, et ses principes une de leurs garanties, e´taient rassemble´s autour d’elle. Des amis fide`les qui avaient eu le bonheur de la soigner dans l’adversite´, partageaient le temps plus prospe`re ; des amis, longtemps se´pare´s, la retrouvaient et reconque´raient sa bienveillance4. La me´moire de son pe`re l’occupait ; elle charmait ses regrets en pre´parant un ouvrage qui l’aurait fait connaıˆtre tel qu’il e´tait, tel qu’elle l’avait aime´. Jeune encore, de longs jours lui e´taient promis. La maladie, la douleur, l’angoisse, la mort, apre`s cinq mois de souffrances presque sans interruption, l’ont arrache´e a` ceux dont elle recevait, et a` qui elle donnait le bonheur. Tous ceux qui ont eu des relations avec elle, en ont remporte´ des impressions ineffac¸ables. Aucun malheureux ne s’est approche´ d’elle sans eˆtre secouru, aucun afflige´ sans eˆtre console´, aucun proscrit sans trouver un asile, aucun opprime´ sans qu’elle plaidaˆt sa cause, aucun esprit supe´rieur sans eˆtre captive´ par elle, aucun homme puissant et me´ritant la puissance, sans reconnaıˆtre et sans respecter son ascendant. Nul ne pouvait avoir passe´ une heure avec elle, sans donner a` cette heure une place a` part dans son souvenir ; et sa vie e´tait ne´cessaire a` ceux qui l’avaient connue, meˆme lorsqu’ils ne la voyaient plus.
24 ne la voyaient plus. ] suit dans AE la bibliographie des ouvrages de M de de Stae¨l (voir ci-dessus, pp. 732–733) et un aline´a sur le portrait de M de de Stae¨l reproduit en teˆte de l’article ne´crologique Le portrait qui est joint a` cet article a e´te´ dessine´ en Angleterre par un homme passionne´ pour les arts, et pour tout ce qui est noble et e´leve´, M. Dawson Turner, et grave´ par sa femme, digne aussi d’appre´cier madame de Stae¨ l. AE
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Les deux millions que Jacques Necker avait preˆte´s au Tre´sor royal au moment de son de´part du ministe`re furent rendus par Louis XVIII a` Mme de Stae¨ l en 1815, apre`s les Cent-Jours. Auguste de Stae¨ l, ne´ en 1790, mourra en 1827. Albertine de Stae¨ l, ne´e en 1797, marie´e au duc de Broglie en fe´vrier 1816. Constant pre´sente Victor de Broglie comme un esprit ouvert aux ide´es libe´rales qui e´taient les siennes. Allusion a` lui-meˆme (voir l’introduction).
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Au re´dacteur du Journal ge´ne´ral de France J’ai lu hier, Monsieur, avec un sentiment tre`s pe´nible 26 juillet 1817
/DSUHPLqUHSDJHGHODOHWWUHGXDRWGXGRFWHXU)ULHGODQGHUj$XJXVWHGH 6WDsO$UFKLYHVGX&KkWHDXGH&RSSHW&RSSHW
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Introduction
Bien qu’elle ne soit pas signe´e, cette lettre au re´dacteur du Journal ge´ne´ral de France est due a` la plume de Benjamin Constant. Nous en avons la preuve dans les archives de Coppet, le texte du journal ayant e´te´ envoye´ aux enfants de Mme de Stae¨ l, avec la signature autographe de Benjamin Constant. De`s la mort de Mme de Stae¨ l le 14 juillet, des bruits circule`rent sur l’embaumement du corps de la de´funte et des me´decins indiscrets communique`rent a` la presse des «de´tails d’une nature propre a` de´chirer le cœur de tous ceux qui l’ont aime´e.» Le jour meˆme du de´ce`s, le Journal de Paris e´crit : «C’est d’une hydropisie de poitrine qu’est morte Madame de Stae¨ l» et il annonce «la publication prochaine du tableau de la dernie`re maladie de Mme de Stae¨ l, travail nosographique de M. Portal1.» Cette nouvelle est reprise par le Journal du Commerce du 25 juillet2 : «On annonce la publication prochaine du tableau de la dernie`re maladie de Mme de Stae¨ l. Ce travail nosographique, qu’on dit plein d’observations curieuses non moins propres a` inte´resser les gens de l’art que les hommes du monde, est duˆ a` M. le D. Portal. Le corps de cette femme ce´le`bre a e´te´ ouvert et cette ope´ration a, dit-on, donne´ quelques de´mentis a` certaines opinions e´mises par les me´decins au lit de la malade. Dans l’autopsie du cadavre on a eu lieu de remarquer, non sans e´tonnement, la dimension extraordinaire du cerveau de Mme de Stae¨ l. Sa teˆte a e´te´ moule´e, et la sculpture pourra reproduire ces traits sur lesquels la nature, au de´faut de la beaute´ physique, avait re´pandu d’une main si libe´rale tous les caracte`res, toutes les formes d’une belle aˆme et d’un beau ge´nie. Mme de Stae¨ l laisse des manuscrits parmi lesquels on cite un paralle`le entre les re´volutions d’Angleterre et de France. Ce sujet a de´ja` fourni beaucoup d’amplifications oratoires. Mme de Stae¨ l a pu penser que l’ouvrage restait encore a` faire3.» 1
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Cite´ par Ste´phanie Tribouillard, Le Tombeau de Madame de Stae¨l, p. 45 (St. Tribouillard e´crit par me´garde «monographique» pour «nosographique»). Sur Portal, voir ci-dessus, p. 350, n. 5. «Supprime´ a` la suite de l’article anonyme que Benjamin y a publie´ le 6 aouˆt 1815 pour sauver la teˆte de Labe´doye`re, l’Inde´pendant reparaıˆtra sous le titre de L’Echo du soir, de l’Ami du prince, du Courrier, du Constitutionnel, et le 24 juillet 1817, sous le nom de Journal du Commerce, de politique et de litte´rature» (E. Harpaz, L’e´cole libe´rale sous la restauration, Gene`ve : Droz, 1968, p. 5). Cet article, recopie´ a` la main, se trouve dans les archives de Coppet, de meˆme que celui du 27 juillet.
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La protestation de Constant provoque une re´ponse imme´diate dans le Journal du Commerce du 27 juillet 1817 : «Nous avons vu aujourd’hui avec surprise dans le Journal ge´ne´ral, l’exce`s de sensibilite´ d’un ami de Mme de Stae¨ l, qui trouve que les de´tails anatomiques que nous avons donne´s avanthier sur cette femme ce´le`bre sont de nature a` de´chirer et a` re´volter le cœur. Nous ne nous serions pas attendus que quelques observations physiologiques, qui se rattachent aux syste`mes de plusieurs savans sur les rapports de l’organe du cerveau avec les faculte´s intellectuelles, et qui par la` peuvent inte´resser ceux qui aiment a` conserver le souvenir de l’e´clat avec lequel ces faculte´s ont paru chez Mme de Stae¨ l, fussent capables d’affliger a` ce point un de ses amis. Nous pouvions d’autant moins pre´voir ce re´sultat, que nous nous rappelons que l’ouverture du corps de M. le Comte de Buffon et de M. d’Aubenton donna lieu a` des remarques de meˆme nature, sans que personne ait trouve´ alors qu’elles eussent rien d’offensant pour ces illustres morts ou qu’elles blessassent en quoi que ce soit ce respect que tout homme doit aux de´pouilles du moindre de ses semblables. Ce meˆme ami semble craindre encore que les yeux de l’art n’aient outrepasse´ les engagements formels qu’ils avaient pris de ne pas exce´der dans leur ope´ration ce qu’exigeait, pour accomplir les derniers vœux de Mme de Stae¨ l concernant la translation de ses restes aupre`s de ceux de son pe`re, une ne´cessite´ douloureuse. Pourrait-il ignorer que, dans ce cas, l’extraction du cerveau est une des mesures les plus indispensables ? Au reste, nous avons e´te´ nous-meˆmes trop attache´s a` Mme de Stae¨ l vivante ; morte, nous respectons, nous che´rissons trop sa me´moire pour croire, ou que ses manes, ou que ses enfans, ou que ses amis puissent eˆtre offense´s de l’empressement que nous avons mis a` recueillir ces derniers de´tails sur cette femme extraordinaire, dont on voudroit disputer a` la mort jusqu’au moindre souvenir.» Cet e´change courtois dans lequel les re´dacteurs du Journal du Commerce tentent de se disculper en insistant sur le ge´nie de Mme de Stae¨ l et en maniant l’hyperbole ne mit pas fin a` la pole´mique. Alors que le Journal ge´ne´ral de France multipliait les te´moignages d’admiration pour la de´funte1, l’inte´reˆt du public sur les circonstances des obse`ques de Mme de Stae¨ l ne semble pas avoir faibli. Le Docteur Antoine Portal (1742–1832), me´decin personnel de Louis XVIII, est donne´ par les re´dacteurs du Journal du Commerce comme la source des indiscre´tions ; comme il semble que certains de ses confre`res aient mis en cause le traitement qu’il avait applique´ a` Mme de Stae¨ l, il de´cide de publier une Notice sur la maladie et la mort de madame la baronne de
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Comme le montre Simone Balaye´ dans son article des Cahiers stae¨liens, 9, 1969, pp. 17–38.
J’ai lu hier, Monsieur, avec un sentiment tre`s pe´nible – Introduction
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Stae¨l dont un extrait paraıˆt le samedi 2 aouˆt dans les Annales politiques, morales et litte´raires1. Dans l’introduction de sa notice qui n’est pas reprise par les Annales, Portal avoue avoir de´ja` «donne´ verbalement l’histoire de la maladie dont madame de Stae¨ l est morte, au Cercle me´dical (socie´te´ acade´mique dont les membres s’assemblent de temps en temps pour se rendre compte des re´sultats de la clinique plus ou moins importants)2. On peut penser que de la` ont de´coule´ toutes les indiscre´tions dont la presse s’est empare´e. Certes le docteur Portal semble un personnage peu scrupuleux, mais il est pousse´ a` cette publication par les querelles presque molie´resques entre les divers me´decins qui ont soigne´ Mme de Stae¨ l dans les derniers mois de sa vie. C’est ce que fait apparaıˆtre l’extrait suivant publie´ dans les Annales : «Mme la baronne de Stae¨ l, fille du ce´le`bre M. Necker, dernier ministre des finances du malheureux Louis XVI, et aussi ce´le`bre elle-meˆme par ses e´crits e´galement estime´s, que par ses opinions politiques qui lui avaient attire´ l’exil de la France, sa patrie, pendant la re´volution, et me´rite´ l’accueil des principaux princes de l’Europe ; Mme de Stae¨ l, dont j’avais e´te´ le me´decin de`s sa premie`re jeunesse, ainsi que de son pe`re a, m’a consulte´ a` son retour a` Paris, pour une enflure œde´mateuse aux jambes, qu’elle portait depuis quelque temps et qui avait fait des progre`s. Son teint naturellement brun, s’e´tait encore plus rembruni, et ses yeux meˆme avaient une couleur jaune. Ses digestions e´taient pe´nibles ; elle e´prouvait des insomnies fatigantes qu’elle ne pouvait diminuer depuis longtemps que par l’usage d’un ou deux grains d’opium gommeux qu’elle prenait tous les soirs b.» Ce long article qui fait l’historique de la dernie`re maladie de Mme de Stae¨ l donne e´galement des de´tails sur son embaumement : «Son corps a e´te´ ouvert et embaume´, pour eˆtre transporte´ a` Coppet (en Suisse), terre de Mme de Stae¨ l. Je n’ai pas e´te´ appele´ a` cette ope´ration ; mais j’ai appris de M. Jurine3, qui y avait assiste´, qu’on n’avait reconnu ni hydropisie de poitrine, ni aucune alte´ration dans la moelle alonge´e, ni dans la moelle e´pinie`re, ni dans le canal verte´bral, dans lequel il n’y avait aucun e´panchement. Les a
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J’ai donne´ dans mon ouvrage sur les maladies du foie, l’histoire d’une colique he´patique avec jaunisse et hydropisie anasarque, dont M. Necker fut atteint et gue´ri, pag. 443. Dont elle n’a pas suspendu l’usage pendant sa maladie, quelques observations que je lui aie faites a` cet e´gard. Annales politiques, morales et litte´raires, no 595, 2 aouˆt 1817, pp. 3a–4b. Notice sur la maladie et la mort de Madame la Baronne de Stae¨l ; par M. Portal. Cette notice se trouve a` la BGE de Gene`ve, c’est une photocopie de l’exemplaire de la BnF (Paris) : 8 Ln2. Sur Jurine, voir ci-dessus, p. 351, n. 2.
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visce`res e´taient en bon e´tat, le foie a seulement paru endurci dans quelques endroits de son e´tendue ; mais on n’a pu reconnaıˆtre dans cette le´ge`re alte´ration, la cause d’une aussi grande maladie. Je crois que le traitement administre´ avait produit d’utiles effets.» Et Portal de s’interroger sur la manie`re dont la malade a e´te´ traite´e au cours des derniers mois de sa vie, faisant remarquer que les reme`des qu’il avait lui-meˆme prescrits auraient e´te´ pre´fe´rables «a` tant d’autres reme`des qui ont e´te´ donne´s». ` cette intervention du docteur Portal du 2 aouˆt succe´da le 5 une lettre au A re´dacteur des Annales signe´e par le docteur Friedlander1 qui avait dirige´ les ope´rations d’embaumement de Mme de Stae¨ l : «Je viens de lire l’article que vous avez inse´re´ dans votre journal du 2 aouˆt, sur la maladie et la mort de Mme. la baronne de Stae¨ l. Le public doit s’e´tonner que, malgre´ le succe`s du ce´le`bre me´decin ordinaire, on ait eu recours a` d’autres me´decins. Appele´, le 14 juin dernier, je trouvai cependant la malade dans un e´tat d’e´touffement si e´pouvantable et si soutenu, que, dans la seconde nuit, un vessicatoire me parut urgent. A la consultation de cinq me´decins qui eut lieu le lendemain, non-seulement il fut approuve´, mais on ne le trouva pas meˆme assez grand, et long-temps on n’a ose´ le supprimer. [...] L’ouverture n’a offert que peu de grosseur dans la rate et dans le foie, sans la moindre alte´ration du tissu ; un peu de faiblesse dans le diaphragme, et d’autres petites observations nullement capables d’expliquer entie`rement la cause de la maladie. La moe¨ lle e´pinie`re qui pouvait la cacher n’a point e´te´ examine´e. L’ordre formel de la famille e´tait de n’entreprendre que ce qui e´tait absolument ne´cessaire pour l’embaumement. Je ne me permettrai pas d’ailleurs, sur l’expose´ auquel je re´ponds, aucune autre remarque qui ne pourrait amener que des discussions oiseuses ou des difficulte´s personnelles. [...] M. Friedlander, D.M., rue Neuve St.-Augustin, No 4.» Le meˆme docteur Friedlander e´crit le 8 aouˆt a` Auguste de Stae¨ l : «Je viens de recevoir votre Lettre du 3 aouˆt, cher et estimable Baron. Mr. Portal que je n’ai plus revu depuis que je l’ai rencontre´ dans Votre maison, a en effet fait imprimer dans la Gazette de sante´ du ler aouˆt une histoire peu exacte et peu convenable de la maladie de Votre illustre Me`re. Je n’en ai eu connaissance que par la re´impression presque comple`te qu’on m’a montre´e dans les annales politiques, morales et litte´raires du 3 aouˆt, et que je vous envoie. Tous mes amis m’ont presse´ de re´pondre a` l’attaque dirige´e contre le traitement, et contre tous les me´decins qui ont e´te´ appele´s apre`s lui, et je
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Ne´ a` Königsberg en 1769, mort a` Paris en 1824, le docteur Friedlander est l’auteur de nombreux ouvrages et de contributions parues dans les Annales d’e´ducation de F. Guizot.
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vous adresse en meˆme tems la re´ponse que j’ai communique´e avant de la livrer a` l’impression a` Mr. Benjamin de Constant, qui s’e´tait de´ja` explique´ dans le Journal ge´ne´ral du mois passe´ contre toute publication de ce genre a` l’occasion d’un petit article, d’ailleurs respectueux qui s’est glisse´ dans le Constitutionnel (ou Journal du Commerce d’aujourd’hui) et qui a e´te´ aussitoˆt repare´ par un des re´dacteurs. M. B. de Constant e´tait d’avis que ma re´ponse est devenue indispensable pour de´truire la mauvaise impression que devait ne´cessairement produire l’ide´e qu’on avait pu prolonger la dure´e d’une existence aussi pre´cieuse, et pour re´tablir autant que cela me concerne la ve´rite´ des faits. Le ton de ma lettre ne lui a d’ailleurs paru rien offrir qui puisse blesser Votre volonte´ et celle de votre respectable famille, ou les maˆnes de Votre illustre me`re. Je n’ai pas [he´site´] de me fier au jugement d’un ami aussi de´voue´ et qui devait le mieux connaıˆtre toutes les convenances. [...] Je vous repeterai au reste que jamais embaumement n’a e´te´ fait avec plus de de´monstration de respect de la part de ceux qui en e´taient occupe´s, et qui avaient presque tous lu avec la plus grande admiration les œuvres de cette aˆme immortelle dont ils cherchaient a` conserver les de´pouilles terrestres1.» Ainsi se clot cet e´pisode qui te´moigne de la curiosite´ morbide du public de tous les temps lorsqu’il s’agit de personnalite´s aussi connues que Mme de Stae¨ l. L’intervention de Benjamin Constant ne s’est pas borne´e au bref communique´ publie´ dans le Journal ge´ne´ral de France ; il a, comme l’affirme le docteur Friedlander, e´te´ consulte´ sur l’opportunite´ d’une re´ponse au docteur Portal dont la notice imprime´e, publie´e en partie dans les Annales politiques, morales et litte´raires du 2 aouˆt, a e´te´ la source des indiscre´tions parues dans la presse. R. F. E´tablissement du texte Imprime´ : «J’ai lu hier, Monsieur, avec un sentiment tre`s pe´nible», Journal ge´ne´ral de France, 26 juillet 1817, p. 5b. Courtney, Guide, D102. Le texte a fait l’objet de deux e´ditions : Simone Balaye´, «Benjamin Constant et la mort de Madame de Stae¨ l», Cahiers stae¨liens, 9, 1969, pp. 17–38 (le texte : p. 28). 1
Lettre autographe ine´dite, signe´e par M. Friedlander, Rue Neuve St. Augustin No 4 (Archives du Chaˆteau de Coppet).
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
Benjamin Constant, Recueil d’articles 1795–1817, Introduction, notes et commentaires par E´phraı¨m Harpaz, Gene`ve : Droz, 1978, p. 266. K. K.
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Au re´dacteur du Journal ge´ne´ral de France
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Paris, 25 juillet 1817 J’ai lu hier, Monsieur, avec un sentiment tre`s-pe´nible, un article de journal relatif a` madame de Stae¨ l, et qui donne, d’une manie`re bien inattendue, des de´tails d’une nature propre a` de´chirer et a` re´volter le cœur de tous ceux qui l’ont aime´e : madame de Stae¨ l avait ordonne´ que ses restes fussent re´unis a` Coppet, a` ceux de son pe`re, et il a fallu se re´signer aux mesures ne´cessaires pour que cette volonte´, qui devait eˆtre sacre´e, fuˆt accomplie. Mais en s’y soumettant, ses enfans ont de´sire´ e´viter tout ce qui exce´derait cette ne´cessite´ douloureuse. Ils en ont exige´ et obtenu la parole positive ; et ce ne pourrait eˆtre que par une infide´lite´ coupable, puisqu’elle serait la violation d’un engagement formel, qu’on entretiendrait le public de ces cruels de´tails, et que, pour satisfaire je ne sais quel amour-propre de me´tier, on blesserait le cœur de ses enfans et de ses amis. Agre´ez, monsieur, mes salutations, ..... a
a
(Note du re´dacteur du journal). Nous recevons a` l’instant cette lettre. Celui qui nous l’e´crit n’a pas cru ne´cessaire de la signer ; mais il nous a autorise´s de le nommer a` ceux qui de´sireraient savoir son nom.
E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal ge´ne´ral de France, 26 juillet 1817, p. 5b.
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Des E´lections prochaines 29 aouˆt 1817
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Introduction
I Le retour de Constant a` Paris a` la fin septembre 1816, apre`s son long se´jour a` Londres, avait coı¨ncide´ avec les e´lections ge´ne´rales pour le renouvellement de la Chambre, conse´cutives a` la dissolution de la Chambre introuvable par l’ordonnance du 5 septembre 1816. Constant n’avait donc pas pu participer aux de´bats provoque´s par ces e´lections. En revanche il s’e´tait imme´diatement lance´ dans la discussion politique, en publiant notamment De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France (de´cembre 1816), l’un des ouvrages politiques importants de l’e´poque, re´action a` De la monarchie selon la Charte de Chateaubriand parue quelques mois plus toˆt. Le succe`s de l’ouvrage de Constant ne´cessita une seconde e´dition de`s janvier 1817. C’est a` ce moment que Constant, ayant rachete´ le vieux Mercure de France avec quelques-uns de ses amis libe´raux, le transforme en un organe libe´ral de combat. Il suffit pour s’en convaincre de lire les articles re´unis dans le pre´sent volume. Dans le me´canisme des institutions e´tablies par la Charte, la Chambre e´tait renouvele´e par cinquie`me chaque anne´e. Le premier renouvellement apre`s les e´lections ge´ne´rales de 1816 devait avoir lieu en octobre 1817. C’est en vue de cette e´lection que Constant publie deux brochures de re´flexion politique, Des e´lections prochaines et Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme, initialement anonyme. Il re´pondra ensuite aux re´actions de la presse ministe´rielle a` la premie`re de ces brochures par des Notes sur quelques articles de journaux et aux attaques contestant sa nationalite´ franc¸aise par une Note sur les droits de cite´ de la famille Constant de Rebecque, suivie d’une Seconde re´ponse de Benjamin Constant. Publie´s sur quelques semaines (septembre et octobre 1817), ces e´crits te´moignent de l’activite´ intense de Constant. En vue des e´lections de 1817, il se cre´e un comite´ qui se charge de proposer des candidats libe´raux (appele´s a` l’e´poque inde´pendants) dans toute la France. Constant en fait partie et son nom figure dans cette liste. Trois de ces candidats seront e´lus a` Paris : Laffitte, Casimir-Perier et Delessert. La Fayette et Constant obtiendront un nombre important de voix («honore´ des suffrages de pre`s de trois mille citoyens», e´crira-t-il quelques semaines plus tard au de´but de la Seconde re´ponse) mais ne franchissent pas
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
la barre de la majorite´. Au total, les inde´pendants (qui deviendront bientoˆt les libe´raux) obtiennent douze sie`ges a` la faveur du renouvellement partiel de la Chambre, ce qui fait passer leur groupe parlementaire a` vingt-cinq de´pute´s.
II Dans Des e´lections prochaines, Constant propose un programme d’action dont, selon sa de´monstration, la re´alisation ne peut eˆtre confie´e qu’aux inde´pendants. En d’autres termes, les e´lecteurs qui veulent obtenir les re´sultats que propose Constant ne peuvent que choisir a` cet effet des de´pute´s attache´s tant aux acquis de la Re´volution qu’a` la Charte et qui sont en meˆme temps inde´pendants du gouvernement. En fait, il s’agit du programme politique des libe´raux. Pour l’essentiel, ce programme vise a` re´tablir celles des liberte´s constitutionnelles qui avaient e´te´ successivement suspendues par diverses lois d’exception vote´es par les Chambres lors de sessions pre´ce´dentes. Constant porte donc le de´bat politique sur le terrain constitutionnel. Certes, il n’ignore pas le proble`me politique majeur du moment : comment obtenir prochainement la libe´ration du territoire franc¸ais occupe´ par les arme´es allie´es en exe´cution du Traite´ de Paris ? C’est ce que re´ussira Richelieu un an plus tard au congre`s d’Aix-la-Chapelle (septembre-octobre 1818). Au de´but de sa brochure, Constant rappelle en quelques mots l’importance de ce grave proble`me, mais il concernait avant tout le gouvernement beaucoup plus que la Chambre. Sur le fond, Constant de´montre que le premier devoir de la Chambre renouvele´e sera d’abroger les lois qui suspendent certaines des liberte´s fondamentales que garantit la Charte. L’ouvrage de Constant de´borde ainsi nettement des limites souvent e´troites d’un programme e´lectoral : il s’agit de re´tablir un ordre constitutionnel garantissant la liberte´ des citoyens et le fonctionnement harmonieux des institutions. Constant s’y montre au meilleur de lui-meˆme. Le raisonnement serre´ s’e´claire souvent des ces formules brillantes dont il a le secret et que ses contemporains admiraient comme une «magie de style». La premie`re des lois d’exception qu’attaque Constant est celle qui suspend la liberte´ individuelle. Il s’agit de la «loi de suˆrete´ ge´ne´rale du 29 octobre 1815» qui permet de de´tenir provisoirement, sans le traduire devant les tribunaux, tout individu pre´venu de crime ou de de´lit contre l’autorite´ du Roi, contre les personnes de la famille royale ou contre la suˆrete´ de l’E´tat. Comme souvent avec les lois de ce genre, celle-ci n’avait the´oriquement
Des E´lections prochaines – Introduction
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qu’une validite´ limite´e dans le temps (une anne´e) mais elle avait de´ja` e´te´ proroge´e pour une nouvelle anne´e en janvier 1817. Le but des libe´raux est de faire e´chec a` une nouvelle prorogation. Le second objectif propose´ par Constant est l’e´tablissement d’une ve´ritable liberte´ de la presse, un sujet auquel il avait de´ja` consacre´ plusieurs ouvrages, en particulier son importante brochure de 1814 De la liberte´ des brochures, des pamphlets et de journaux conside´re´e sous le rapport de l’inte´reˆt du gouvernement1. ` la Restauration, la censure de la presse avait de´ja` une ve´ne´rable traA dition. Elle avait re´gne´ pendant toute la pe´riode impe´riale. Et bien que Louis XVIII ait garanti la liberte´ de la presse dans la Charte2, la censure pre´alable des publications pe´riodiques avait e´te´ re´tablie par la loi du 21 octobre 1814 et renforce´e par celle du 9 novembre 1815. Dans les mois qui avaient pre´ce´de´ les e´lections de 1817, le ministe`re avait propose´ le maintien de ces lois jusqu’en 1818. Dans Des e´lections prochaines l’attaque de Constant vise deux aspects de la le´gislation sur la presse : la censure pre´alable des e´crits pe´riodiques et l’absence de jury pour le jugement des de´lits de presse. Sur la censure, Constant de´montre, avec une verve heureuse, l’impossibilite´ d’une intervention intelligente du gouvernement. Et surtout il de´veloppe l’argumentation selon laquelle la liberte´ de la presse est ne´cessaire pour e´clairer le gouvernement et l’opinion. C’est un point sur lequel Constant partage les vues de´fendues par Chateaubriand. Quant a` la garantie que repre´sente le recours au jury dans le jugement des de´lits de presse, il s’agit d’une re´clamation classique des libe´raux. Ils n’obtiendront satisfaction qu’apre`s la Re´volution de juillet 1830. La troisie`me des lois attaque´es par Constant est la «loi du 27 de´cembre 1815 e´tablissant des cours pre´voˆtales». Dans la tradition juridique franc¸aise, on appelait cours pre´voˆtales les tribunaux extraordinaires charge´s de re´primer certains crimes, en l’occurrence les crimes et de´lits portant atteinte a` la se´curite´ publique. Les cours pre´voˆtales e´taient pre´side´es par un officier supe´rieur. Leur jugement e´tait sans appel. Constant n’a pas de peine a` de´montrer le danger que repre´sentent ces pre´tendus tribunaux, dont l’un avait condamne´ a` mort un enfant de seize ans et demi. Les cours pre´voˆtales devaient eˆtre abolies en 1817. Ce serait appauvrir le texte de Constant que de le re´sumer. Ce texte parle de lui-meˆme, avec un foisonnement d’ide´es qui trahit l’effervescence intellectuelle dans laquelle Constant a travaille´, probablement dans la haˆte, comme d’habitude. 1 2
OCBC, Œuvres, t. IX,1, pp. 57–115. Art. 8 du Titre «Droit public des Franc¸ais».
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
On remarquera en particulier le portrait politique des repre´sentants des diffe´rents partis qui donne lieu chaque fois, pour les adversaires des libe´raux, a` des re´futations serre´es de leur doctrine, ainsi qu’a` des arguments de´veloppe´s en faveur du vote pour les inde´pendants. On trouve meˆme quelques conseils pour ne pas eˆtre victime des manœuvres du parti ministe´riel, un phe´nome`ne que Constant devait rencontrer a` plusieurs reprises. Dans quelques passages, signale´s dans les notes qu’il a ajoute´es a` son texte, Constant s’amuse a` reprendre des fragments censure´s de ses articles pour le Mercure, en relevant que ces meˆmes passages avaient e´te´ publie´s sans difficulte´ plusieurs anne´es auparavant, notamment dans De l’esprit de conqueˆte. C’est une manie`re e´le´gante de de´montrer la vanite´ de la censure. Dans l’ensemble, Des e´lections prochaines est un manifeste e´lectoral de haut niveau, avec des aspects pole´miques que Constant feint de dissimuler. La marche du raisonnement et l’allure du texte sont bien diffe´rents de ceux des grands e´crits de doctrine politique comme De l’esprit de conqueˆte ou De la doctrine politique qui peut re´unir les partis en France. Cette varie´te´ dans la conduite du raisonnement et dans le style sont une preuve de plus du ge´nie de l’auteur. C’est dire aussi que l’inte´reˆt de cet ouvrage n’est pas limite´ aux e´lections en vue desquelles il a e´te´ compose´. C’est pourquoi Constant l’a repris tel quel dans le Cours de politique constitutionnelle de 1819, sous le titre Des e´lections de 1817. La brochure de 1817 n’a pas passe´ inaperc¸ue. Elle a provoque´ des articles pole´miques dans la presse ministe´rielle, auxquels Constant a aussitoˆt re´pondu dans Notes sur quelques articles de journaux (septembre 1817). On renvoie le lecteur a` ce texte1 ou` l’on trouvera e´galement quelques indications sur les comptes rendus moins partisans de quelques autres auteurs de l’e´poque. E´tablissement du texte La brochure Des e´lections prochaines date indiscutablement de 1817. Selon la Bibliographie de Courtney (No 23a), la de´claration de l’imprimeur est du 29 aouˆt 1817 et l’annonce dans la Bibliographie de la France du 13 septembre 1817. Le succe`s fut tel qu’il en fut fait un second tirage de mille exemplaires en septembre 1817 de´ja`, selon de´claration de l’imprimeur du 12 septembre 1817. Courtney ne signale pas d’autre e´dition, sinon une contrefac¸on belge de la meˆme anne´e.
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Voir ci-dessous, p. 809.
Des E´lections prochaines – Introduction
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On retrouve cet ouvrage dans le Cours de politique constitutionnelle, publie´ par Constant en 1819, mais sous le titre Des e´lections de 1817. Cette re´e´dition est pre´ce´de´e d’un avertissement ou` Constant explique que la re´impression de ce petit ouvrage lui avait semble´ utile. On trouvera cet avertissement au de´but du texte qui suit. La modification du titre est logique dans le cadre du Cours de politique constitutionnelle qui reprend les ouvrages de Constant dans l’ordre chronologique de leur parution. Dans cette perspective, le titre Des e´lections prochaines n’avait gue`re de sens. Constant a e´te´ plus spe´cifique en intitulant la re´e´dition de son ouvrage Des e´lections de 1817. Il y avait de`s lors syme´trie dans le Cours puisqu’on trouve dans le meˆme volume la brochure de Constant intitule´e Des e´lections de 1818 (tome III, 6e partie). Dans son e´dition du Cours de politique constitutionnelle, Laboulaye publie ce meˆme ouvrage sous son titre original Des e´lections prochaines, en mentionnant 1817 comme date de publication, mais en ajoutant «deuxie`me e´dition 1819». Comme il n’a e´te´ trouve´ aucune trace d’une e´dition se´pare´e en 1819, on doit penser que la mention de Laboulaye vise la publication de l’ouvrage dans le seul Cours de politique constitutionnelle de 1819 avec les adjonctions de Constant a` l’e´dition de 1817. Le texte paru dans le Cours de politique constitutionnelle est identique a` celui de 1817. L’imprimeur n’e´tant pas le meˆme (Renaudie`re en 1817, Gueffier en 1819), la seule diffe´rence typographique est l’emplacement des nume´ros de chapitres que l’imprimeur de 1819 a place´s en de´but de ligne. Il y a deux adjonctions au texte de 1817. L’une, date´e du 2 fe´vrier 1819, est inse´re´e dans le texte du chapitre I ; l’autre est une sous-note de la note No 1 de l’e´dition de 1817, au chapitre V. Ces deux adjonctions seront signale´es comme telles dans le texte ci-apre`s, qui suit l’e´dition originale de 1817. Imprime´s : 1. DES E´LECTIONS PROCHAINES, PAR M. BENJAMIN DE CON STANT. [filet enfle´] A PARIS, CHEZ PLANCHER, LIBRAIRE, RUE SER PENTE, no. 14 ; DELAUNAY, LIBRAIRE, PALAIS ROYAL, Galerie de Bois ; ET HUBERT, LIBRAIRE, PALAIS ROYAL, Galerie de Bois n. 222. [filet ondule´] 1817. 8o, 215 × 135 mm. Pp [i] faux titre, [ii] adresse de l’imprimeur Renaudie`re, rue des Prouvaires, No 16, [iii] titre, [iv] publicite´s, [1]–56 texte, 57–64 Notes, 64, au bas de la page, adresse de Renaudie`re. Courtney, Bibliography, 23a. Courtney, Guide, A23/1.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
Exemplaire utilise´ : BCU, Lausanne, AZ 643. Nous de´signons cet ouvrage par le sigle EP. 2. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES Publie´s sur le Gou vernement repre´sentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espe`ce de Cours de politique constitutionnelle ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [ligne ondule´e] TROISIE`ME VOLUME. [ligne ondule´e] Cinquie`me partie de l’Ouvrage. A PARIS, CHEZ P. PLANCHER, E´ DITEUR DES OEUVRES DE VOLTAIRE ET DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, no 7. [filet] 1819. Le texte de la brochure se trouve sous le titre Des e´lections de 1817, pp. [3]– 48. Courtney, Bibliography, 131a(3). Courtney, Guide, E1/1(3). Exemplaire utilise´ : Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Politik oct. 964. Nous de´signons cet ouvrage par le sigle CPC. Le texte a fait l’objet des comptes rendus et re´pliques suivants : 1. C. D. B., Annales politiques, morales et litte´raires, no 637, 13 septembre 1817, p. 4a–4b1. 2. D.Y.C.L., On doit s’attendre a` voir tous les ans», Journal des De´bats, 13 septembre 1817, pp. 1b–2a. 3. Anonyme, «On adresse tous les jours de toutes parts de forts bons conseils aux e´lecteurs», Journal des De´bats, 14 septembre 1817, pp. 2a-b. 4. Le Moniteur universel, no 259, 16 septembre 1817, pp. 1021c–1023a2. 5. Anonyme, «Il y a des gens qui ne parlent plus aujourd’hui que d’inde´pendance et d’inde´pendants», Journal des De´bats, 16 septembre 1817, pp: 1b–2b. 6. Anonyme, Gazette de France, no 259, 18 septembre 1817, pp. 1031a– 1032b3. 7. Anonyme, «La brochure de M. Benjamin de Constant sur les e´lections», Journal des De´bats, 19 septembre 1817, pp. 1b–2a. 8. Anonyme, Annales politiques, morales et litte´reaires, no 643, 19 septembre 1817. 1 2
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Voir la re´ponse de BC ci-dessous, p. 825. Il s’agit, comme le dit Ch. Viredaz («Compte rendus contemporains», p. 108, n. 31), plutoˆt d’une re´plique pole´mique. BC re´pond par une lettre adresse´e au Moniteur, au Journal du Commerce et au Journal ge´ne´ral de France ; voir ci-dessous, p. 814. La suite annonce´e ne semble pas avoir paru (Viredaz, «Compte rendus contemporains», p. 109, n. 32). Le Journal de Paris, no 262, 19 septembre 1817, pp. 2b–3b en publie des extraits. Voir aussi ci-dessous, p. 815.
Des E´lections prochaines – Introduction
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9. Anonyme, Le Moniteur, no 263, 20 septembre 1817, p. 1040b1. 10. Anonyme, Journal ge´ne´ral de France, no 1104, 19 septembre 1817, pp. 3b–4b. 11. Anonyme, Sur l’ouvrage de M. Benjamin de Constant, intitule´ : «Des elections prochaines», Paris : Denugon, s.d. [1817], 12 pp4. 12. [Joseph-Franc¸ois Nicolas Dusaulchoy de Bergemont], dans Lettres Parisiennes, «Lettre troisie`me, A M. le comte de N... a` Stockolm», Paris : Delaunay, L. E. Herhan, 1817, pp. 36–38. 13. [Esprit-Michel Foulon], «Lettre premie`re a` M. Dumesnil, ne´gociant, e´lecteur. Les e´lections», (date´e du 18 septembre), Lettres Normandes, ou petit tableau moral, politique et litte´raire, adresse´es par un Normand devenu Parisien, a` plusieurs de ses compatriotes, Paris : Bureau des Lettres Normandes, t. 1, 1818, pp. 1–42. Le texte a e´te´ publie´ par E´douard Laboulaye dans son e´dition du Cours de politique constitutionnelle ou collection des ouvrages publie´s sur le gouvernement repre´sentatif, avec une introduction et des notes par M. Edouard Laboulaye, Paris : Guillaumin, 1861, t. II, pp. 309–346. C. R.
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Reproduit le texte pre´ce´dent. Voir ci-dessous, p. 816.
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Beaucoup de brochures et d’articles de journaux paraissent aujourd’hui sur les e´lections. C’est un heureux symptoˆme. Il annonce la renaissance de l’esprit public. De quelque manie`re que les citoyens s’occupent de leurs inte´reˆts, la chose importante, c’est qu’il[s] s’en occupent. L’on doit convenir qu’ils n’ont jamais eu plus de motifs d’y penser. Jamais e´lections ne furent plus de´cisives et les devoirs de nos de´pute´s seront divers et difficiles a` remplir. Je ne parlerai pas de ce qu’ils auront a` faire pour appuyer le gouvernement dans ses ne´gociations avec l’e´tranger1. Les engagemens sont sacre´s, mais il est un terme aux demandes. Elles ne sauraient se grossir chaque jour de pre´tentions individuelles, qui deviendraient enfin non moins impossibles a` e´valuer qu’a` satisfaire2. Les gouvernemens de la France ont toujours eu, aux yeux de l’Europe, une force immense, quand elle a vu qu’ils e´taient d’accord avec la nation. La sagesse de nos repre´sentans, leur courage, qui sera aussi une sagesse, leurs vœux unanimes, haˆteront peut-eˆtre l’e´poque de
E´tablissement du texte : Imprime´s : 1. Des E´lections prochaines, Paris : Plancher, Delaunay et Hubert, 1817 [=EP]. 2. Des E´lections de 1817, Cours de politique constitutionnelle, t. III, pp. 3–48, Paris : Plancher, 1819 [=CPC]. 1 prochaines. ] de 1817. Avertissement. Cette brochure, publie´e au mois de septembre 1817, contient un tableau que je crois exact, de l’e´tat dans lequel la France se trouvait a` cette e´poque, et des espe´rances que les bons citoyens aimaient concevoir. Comme plusieurs de ces espe´rances restent encore a` re´aliser, la re´impression de ce petit ouvrage m’a semble´ utile. S’il a conserve´ quelqu’a`-propos, il en est redevable au dernier ministe`re. Ce ministe`re n’ayant pas re´pondu aux vœux de la France, a laisse´ a` l’expression de ces vœux si long-temps de´c¸us, tout l’inte´reˆt qui s’attache a` la raison de´daigne´e et a` la ve´rite´ me´connue. CPC 1 2
Il s’agit des ne´gociations visant a` obtenir la libe´ration du territoire franc¸ais, occupe´ par les arme´es allie´es en exe´cution du Traite´ de Paris ; voir l’Introduction, ci-dessus, p. 754. Allusion aux cre´ances particulie`res, dont le paiement avait e´te´ accepte´ en 1814 et pre´cise´ dans une convention annexe´e au traite´ de Paris du 20 novembre 1815. Cela concernait toute dette que l’arme´e franc¸aise avait contracte´e aupre`s de particuliers e´trangers depuis 1792 : les re´clamations faites a` ce titre s’e´levaient en mars 1817 a` un milliard six cents millions ; elles e´taient souvent impossibles a` ve´rifier. Le duc de Richelieu s’efforc¸a de limiter ces exigences exorbitantes a` deux cents millions. Voir Emmanuel de Waresquiel, Le duc de Richelieu, 1766–1822, Paris : Perrin, 1990, pp. 335–336.
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la libe´ration de la France, et alors affranchie de toute influence et de toute intervention non nationale, elle prouvera au monde que sa raison lui suffit pour maintenir son repos chez elle et respecter le repos de ses voisins. Les garanties que la charte nous a assure´es, les droits qu’elle nous a reconnus, attendent une existence re´elle : car des lois d’exception pe`sent encore sur nous. Nos repre´sentans examineront si ces lois d’exception peuvent et doivent eˆtre prolonge´es. La liberte´ de conscience, la plus sacre´e de nos proprie´te´s intellectuelles et morales, a e´te´ formellement proclame´e1. Il faut que rien ne jette du doute sur ces proclamations solennelles. La liberte´ de la presse est incertaine et pre´caire. On n’en jouit qu’avec inquie´tude, et par conse´quent sans calme et sans mode´ration : car la mode´ration et le calme n’existent point sans se´curite´. Nos de´pute´s sauveront la liberte´ de la presse des lois temporaires qui la tuent. Ils corrigeront les lois permanentes en vertu desquelles tous les e´crivains sont condamne´s. Ils rechercheront s’il ne faut pas de´livrer le ministe`re de cette surveillance des journaux, qu’il s’est impose´e et qui le condamne a` des soins si pue´riles, et a` une responsabilite´ si minutieuse. La charte consacre et la nation re´clame la liberte´ individuelle2 ; mais des lois de de´tail, e´mane´es de tous les re´gimes, et que leur date seule fle´trit, semblent destine´es a` faciliter sa violation. Il faut que notre le´gislation, a` cet e´gard, cesse d’eˆtre confuse et captieuse, et que les agens qui me´connaıˆtraient nos droits n’aient plus de pre´textes ou plus d’excuses. Notre Code pe´nal est un monument de rigueur despotique, et il est doux pour les amis du gouvernement de pouvoir l’attribuer a` une autorite´ ante´rieure. Mais il est indispensable de revoir ce Code, dans lequel les peines sont sans proportion avec les de´lits, qui prodigue la mort et prolonge les de´tentions avec une le´ge`rete´ barbare, et qui a fait revivre ces supplices absurdes, dont l’effet est de forcer les condamne´s fle´tris a` jamais, a` perse´ve´rer dans le crime, lors meˆme qu’ils l’ont expie´ par le chaˆtiment3. L’institution du jury, subordonne´e au choix des pre´fets, perdrait son efficacite´ si 3 voisins. ] voisins. (C’est ici le seul point sur lequel nos espe´rances aient e´te´ re´alise´es. Il est heureux, mais il est bizarre que les e´trangers aient rendu plus de justice a` la nation franc¸aise que ses propres ministres. Les premiers ont senti que sa sagesse me´ritait leur confiance. Les seconds n’ont pas cru encore pouvoir lui donner la jouissance constitutionnelle de ses droits. Au moment ou` j’e´cris, rien de raisonnable n’a e´te´ fait sur la presse, sur le jury, sur le re´gime municipal. On ne nous trouve pas dignes d’eˆtre affranchis de la loi du 9 novembre ; cependant on annonce que les nouveaux ministres nous jugent moins de´favorablement. Nous verrons bien. 2 fe´vrier 1819.) CPC 1 2 3
Art. 5 du Titre de la Charte intitule´ «Droit public des Franc¸ais». Art. 4 ibid. Dans ces pages, BC reprend, sous forme de propositions, les conclusions de certaines de ses Re´flexions sur les constitutions de 1814, OCBC, Œuvres, t. VIII,2, Notes M, N et O, pp. 1204–1210.
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on n’assurait mieux son inde´pendance. Les cours pre´voˆtales ont heureusement besoin d’une sanction nouvelle. La responsabilite´ des ministres n’existe qu’en principe. La loi qui en re´glera les formes ne saurait eˆtre trop mode´re´e, si l’on veut qu’elle soit exe´cutable : mais elle fera cesser enfin cette confusion entre le pouvoir ministe´riel et le pouvoir royal, confusion qui met en danger la monarchie et la liberte´1. Il n’y a, dans un e´tat, de vie politique, que lorque les droits des fractions sont respecte´s. Ils ne sauraient l’eˆtre quand ils ne sont pas de´fendus par les fractions elles-meˆmes. Le syste`me municipal, qui seul peut faire jouir les habitans des monarchies modernes, des avantages du fe´de´ralisme, en le combinant avec l’action ne´cessaire du pouvoir central, doit eˆtre organise´ sans retard2. Pour remplir des fonctions si importantes et si varie´es, quels hommes faudra-t-il nommer ?
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Choisissons, nous dit-on, de bons citoyens, des hommes mode´re´s, ennemis des deux extreˆmes. Mais tout le monde se pre´tend bon citoyen. Tout le monde se croit mode´re´, et chacun l’est, quand on se compare a` d’autres. Personne ne convient qu’il veuille un des deux extreˆmes. On nous recommande les grands proprie´taires, ou les capitalistes, ou les commerc¸ans, ou les hommes de lettres, et chacun se de´cide plus particulie`rement, suivant son inclination, en faveur de l’une ou de l’autre de ces classes. Mais la force des choses fera pencher la balance d’apre`s les circonstances locales, et non d’apre`s une doctrine exclusive : et aucune de ces classes ne manquera de repre´sentans. Le commerce et l’industrie sont aujourd’hui les re´gulateurs des e´tats et les arbitres des gouvernemens. J’ai prouve´ ailleurs3 que ces deux puissances avaient change´ la face du monde. Tandis que les peuples anciens e´taient presque uniquement guerriers, les peuples modernes sont essentiellement commerc¸ans. Toutes nos institutions doivent subir les changemens que cette diffe´rence rend ne´cessaires ; et ces changemens sont un bien re´el, un pas immense dans le sens de la liberte´ et des lumie`res. Car le commerce ne vit 1 2 3
Ici encore BC se cite lui-meˆme, dans son ouvrage De la responsabilite´ des ministres, OCBC, Œuvres, t. IX,1, pp. 413–495. Re´fe´rence a` la note «Du pouvoir municipal», dans les Re´flexions sur les constitutions, OCBC, Œuvres, t. VIII,2, pp. 1172–1174. Dans De l’esprit de conqueˆte, 4e e´dition, 1e`re partie, chap. II, OCBC, Œuvres, t. VIII,2, pp. 699–701.
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que par la liberte´. Il l’introduit partout sans convulsions et sans violences. Il la fonde sur des bases solides. Il limite la puissance des gouvernemens sans les attaquer. Il donne a` la proprie´te´ une qualite´ nouvelle, la circulation ; par-la` meˆme, non-seulement il affranchit les individus, mais en cre´ant le cre´dit, il rend l’autorite´ de´pendante. Quand le cre´dit n’existait pas, les gouvernemens e´taient plus forts que les particuliers. Mais par le cre´dit, les particuliers sont plus forts que les gouvernemens de nos jours. La richesse est de toutes les puissances la plus disponible dans tous les instans, la plus applicable a` tous les inte´reˆts, et par conse´quent la plus re´elle et la mieux obe´ie. La philosophie a pu de´clarer les principes de la liberte´ : le courage he´roı¨que a pu la de´fendre ; mais c’est au commerce et a` l’industrie, a` ces deux forces, d’autant plus inde´pendantes qu’elles ne demandent a` l’autorite´ que de ne pas se meˆler d’elles ; c’est au commerce, dis-je, et a` l’industrie, a` fonder la liberte´, par leur action lente, graduelle, que rien ne peut empeˆcher. Il re´sulte de la` que, chez toute nation, libre a` la manie`re des peuples modernes1 (car je ne parle pas de la liberte´, pour ainsi dire, antique, de quelques de´mocraties rele´gue´es dans des montagnes), le commerce doit avoir une influence tre`s-e´tendue, et cette influence se fera naturellement sentir dans les e´lections de toutes les grandes villes de France. Dans les parties de ce royaume, moins riches et moins avance´es, ou` la proprie´te´ foncie`re domine, les grands proprie´taires seront e´lus s’ils le veulent. Les patrons, qui ont de nombreux cliens, sont toujours porte´s par leur clientelle. Enfin, ceux qui ont re´pandu le plus de lumie`res, apparentes, ou re´elles, sur les discussions politiques, auxquelles l’esprit public met tant d’inte´reˆt, ont aussi des chances. Ce n’est pas la` qu’est la question. Je vais essayer de la poser.
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III. Si tout le monde s’entendait bien, tout le monde serait d’accord sur la liberte´ ; car tout le monde la veut au fond. Il n’y a personne qui ne veuille le repos, la se´curite´, la jouissance de ses biens, la suˆrete´ de sa vie ; enfin tous les avantages que la liberte´ donne. Mais bien des gens veulent la conse´quence sans songer au principe, et pre´tendent cueillir les fruits sans prendre soin de l’arbre. Il y a donc parmi les proprie´taires, les capitalistes, les commerc¸ans et les e´crivains, des nuances d’opinions diffe´rentes. 1
C’est un the`me sur lequel BC revient souvent, notamment dans De l’Esprit de conqueˆte, 4e e´dition, OCBC, Œuvres, t. VIII,2, pp. 753–756 et plus tard dans son discours de 1819 a` l’Athe´ne´e royal, De la liberte´ des Anciens compare´e a` celle des Modernes.
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On peut re´duire ces nuances a` trois principales. Je place dans la premie`re les partisans de l’ancien re´gime ; dans la seconde, ceux qui croient qu’en respectant le nouveau, il faut l’appuyer du secours momentane´ des lois d’exception ; dans la troisie`me, ceux qui voudraient essayer de faire marcher la monarchie constitutionnelle ; sans autre assistance que la liberte´ constitutionnelle. Je suppose ces trois nuances d’opinion ou ces trois partis e´galement amis de la charte. Le premier veut seulement la concilier avec ses souvenirs, et la rapprocher, sans la de´truire, des anciennes institutions qu’il regrette. C’est par amour pour la charte que le second craint de l’exposer trop vıˆte au grand air ; et s’il en use sobrement, c’est afin de la laisser se fortifier dans l’ombre. Le troisie`me parti, enfin, aime la charte pour en jouir. La re´volution, dit-il, a e´te´ faite pour la liberte´. La charte a consacre´ ce que la re´volution avait conquis de bon, en e´cartant ce qu’elle avait eu de de´plorable. Affermissons la charte, terminons la re´volution, en donnant a` la nation ce qu’elle a voulu, et faisons-lui che´rir sa constitution, en lui en accordant les avantages. Comme on le voit, je n’accuse personne ; je n’inculque la de´fiance contre personne ; je ne suppose point un quatrie`me parti, me´ditant le renversement de nos institutions actuelles. Si je supposais qu’un tel parti existaˆt, je ne le ferais encore entrer pour rien dans mes calculs. Il n’aura jamais de force, si le gouvernement ne lui en preˆte. Le gouvernement ne pourrait lui en preˆter, qu’en me´connaissant son propre inte´reˆt ; et alors, comme tous les maux seraient de´chaıˆne´s, toutes les spe´culations seraient inutiles. Voila` donc la ve´ritable question. A quelle nuance d’opinion nos de´pute´s doivent-ils appartenir ?
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Je dirai peu de mots sur les hommes connus par leur attachement a` l’ancien re´gime, et je placerai d’abord ce parti dans l’hypothe`se la plus favorable, en pre´venant meˆme le lecteur que je ne me sers du mot de parti que pour de´signer l’identite´ d’opinion, et nullement dans une acception faˆcheuse ou malveillante. Ce parti donc, e´claire´ par l’expe´rience, a renonce´, je veux le croire, a` remonter le fleuve dont le cours uniforme et irre´sistible nous entraıˆne depuis trente ans. Il a vu qu’on ne pouvait re´tablir le re´gime de´truit, dans l’e´tat dans lequel la re´volution l’avait trouve´. Mais conside´rant cette re´volution comme une grande erreur ou comme un grand crime, il voudrait, en se
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re´signant a` ce qui est irre´parable, effacer les vestiges d’un bouleversement qui lui semble coupable et funeste. Il travaille a` rapprocher la charte des anciennes formes, a` y faire pe´ne´trer l’esprit qui animait autrefois la monarchie. Il tend sur-tout a` n’en confier la garde et l’exe´cution qu’aux hommes anciens. La re´introduction dans le langage le´gal d’une de´nomination abolie, lui paraıˆt une conqueˆte, et il voit un sujet d’espoir et de triomphe dans toute portion du pouvoir, remise au nom de la charte a` un ennemi de la re´volution. On ne trouvera, je l’espe`re, cette de´finition ni se´ve`re, ni injuste. Maintenant, examinons ce syste`me. J’ai reconnu moi-meˆme souvent1 qu’il fallait apporter la plus grande prudence dans les changemens politiques qu’on voulait ope´rer ; qu’il e´tait bon, quand la chose e´tait possible, de rattacher les ame´liorations aux institutions de´ja` e´tablies, et que re´parer valait mieux qu’abattre pour reconstruire. Mais quand tout a e´te´ abattu, quand une re´volution a eu lieu, quand on ne peut pas faire que cette re´volution n’ait pas eu lieu, quand toute la ge´ne´ration jeune, forte, active, est ne´e ou du moins a rec¸u ses premie`res impressions pendant ou depuis les bouleversemens que cette re´volution a cause´s, quand l’un des effets de cette re´volution a e´te´ de persuader a` toute cette ge´ne´ration nouvelle que des droits pre´cieux ont e´te´ reconnus, des abus intole´rables de´truits, il est dangereux de rattacher ce qui existe et ce qui doit eˆtre conserve´ a` ce qui existait. Agir ainsi, quand il est question d’ame´liorations paisibles, qu’on peut graduer a` sa fantaisie, c’est appuyer le pre´sent de toute l’autorite´ du passe´. Mais apre`s une chose faite, qui a frappe´ le passe´ d’une de´faveur, juste ou injuste, n’importe, ce serait reporter la de´faveur du passe´ sur le pre´sent. Or, une grande partie de notre ge´ne´ration est convaincue que l’ancien re´gime e´tait tre`s-vexatoire. Elle a e´te´ e´leve´e dans cette ide´e. Ce qu’on lui a dit sur ce re´gime, ce qu’elle en a lu dans des ouvrages e´crits pendant qu’il existait, a fait sur elle une forte impression. Il est oiseux de rechercher jusqu’a` quel degre´ cette impression est fonde´e, et si les philosophes qui l’ont produite, ont ou n’ont pas e´te´ coupables d’exage´ration. L’effet est la`. Ce n’est pas la peine, pour e´claircir une question historique, d’exciter des alarmes, et de prolonger des inquie´tudes. Ce qu’on a raconte´ a` cette ge´ne´ration des exce`s re´volutionnaires ne l’a point re´concilie´e avec l’ancien re´gime. La loi des suspects ne l’a point conduite a` regretter les lettres de cachet, ni l’horrible proscription des preˆtres en 1793, a` trouver justes les dragonades et le supplice des ministres protestans. En conse´quence, tout ce qui lui semble avoir pour but de ramener l’un ou l’autre syste`me, lui est e´galement odieux. Ce qui lui rappelle 1793 l’effraie : mais elle est tre`s-de´cide´e a` ne pas remonter a` 1787. 1
Voir De l’esprit de conqueˆte, OCBC, Œuvres, t. VIII,2, pp. 805–814.
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En vain tirerait-on de quelques apparences contraires des conclusions qui seraient fausses. On a cherche´ a` parer la haine de la re´volution d’un vernis d’e´le´gance et de mode, et quelques jeunes gens s’y e´taient laisse´ prendre, charme´s, comme on l’a dit, de se mettre du coˆte´ des ruines, pour se donner l’air d’avoir e´te´ renverse´s avec ce qu’il y avait eu de plus illustre. Mais toutes les fois qu’on en est venu aux choses positives, le sentiment re´el, le sentiment ne´ de la re´volution, celui de l’e´galite´ des droits et de la re´volte contre les privile´ges, s’est manifeste´. Je prendrai pour exemple ce qui s’est passe´ re´cemment. L’on a voulu profiter d’un le´ger ridicule, pour re´introduire dans l’opinion ce grand axioˆme du despotisme, que nul ne doit sortir de la condition ou` le hasard l’a place´1. Tant qu’on a de´guise´ cette maxime sous des plaisanteries plus ou moins gaies, l’opinion a pris le change, et s’est amuse´e. Mais aussitoˆt que le succe`s, ayant donne´ plus de hardiesse aux de´veloppemens et d’impertinence aux railleries, a laisse´ percer une intention que, malgre´ la de´faveur de ce mot, j’appelerai aristocratique, l’opinion est revenue sur ses pas. Elle a reconnu la ne´cessite´ de proclamer de nouveau que toutes les professions utiles e´taient honorables, que la pre´tention meˆme pue´rile de ressembler aux de´fenseurs de la France avait pour base un sentiment digne de respect, et elle a de´savoue´ formellement les mesures rigoureuses, les jeux de mots de´place´s et les insolentes e´pigrammes. C’est donc rendre un mauvais service a` la charte que de l’associer aux souvenirs de l’ancien re´gime. Cet amalgame, qui satisfait quelques hommes me´thodiques, inquie`te et de´soriente la masse. Ma conviction, a` cet e´gard, est tellement profonde, que bien diffe´rent de ceux qui, lorsque leur raison, plus puissante que leur esprit de parti, les contraint a` reconnaıˆtre quelque chose de bon dans ce que la re´volution a e´tabli, cherchent a` en retrancher l’air de nouveaute´, et a` en reporter la date trente anne´es plus haut ; je voudrais, si je ne croyais la ve´rite´ au-dessus de toutes choses, que tout ce qu’il peut y avoir eu de bon dans l’ancien re´gime, se puˆt attribuer a` la charte seule, pour qu’elle en recueillıˆt tout le me´rite, et n’euˆt rien a` craindre d’une alliance plus ou moins suspecte. La charte doit paraıˆtre un ouvrage neuf, e´galement e´loigne´ de la tyrannie re´volutionnaire et du despotisme de Louis XIV. On en saura plus de gre´ a` son auguste auteur ; on s’appuiera sur elle avec plus de confiance. Voila` pour le principe en lui-meˆme. Tout parti qui voudra faire disparaıˆtre l’intervalle qui se´pare et qui doit se´parer la charte et l’ancien re´gime, nuira a` l’une sans servir l’autre. 1
Allusion a` des pie`ces ridiculisant les calicots (garc¸ons de boutique) qui affectaient une tenue imite´e de celle des jeunes gens de la noblesse. Les lecteurs de Balzac penseront au Bal de Sceaux.
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Quant aux hommes qui peuvent ou qui ont pu se laisser se´duire par ce principe, je suis loin de penser qu’il n’y ait point parmi eux d’amis since`res de la liberte´. Je crois a` la raison de plusieurs, a` la loyaute´ d’un plus grand nombre ; mais je demande quelque temps encore pour me livrer, sans he´sitation, a` ces pre´somptions favorables, et pour confier le maintien des doctrines constitutionnelles a` ceux qui, durant trente ans, ont tout essaye´ pour que ces doctrines ne triomphassent pas. Chaque jour, sans doute, ajoute a` leurs lu mie`res. Ils ont profite´ des lec¸ons de l’expe´rience. Mais sont-ils de´ja` bien suˆrs, eux-meˆmes, de ce qu’ils seraient, s’ils se retrouvaient en majorite´ ? Je crains pour eux l’atmosphe`re d’une assemble´e, l’entraıˆnement des paroles, l’ardeur qu’on puise dans l’assentiment des auxiliaires, l’irritation qu’excite la re´sistance des opposans. Je crains les succe`s de l’e´loquence, l’envie de passer d’un triomphe a` l’autre, les engagemens contracte´s par les assertions anime´es, par les me´taphores hardies, dont les plus violens s’emparent comme d’un symbole politique, qu’ensuite on n’ose plus re´tracter. Je crains la responsabilite´ des partis et la solidarite´ des alliances. Si, par impossible, les e´lections donnaient la majorite´ a` cette nuance d’opinion, je tremblerais de voir l’assemble´e rentrer dans la route interrompue. Un nouveau 5 septembre1 ne peut eˆtre le but des ope´rations qui vont avoir lieu. D’autres appre´hensions me tourmentent encore. Les hommes dont je parle ont vaillamment combattu, l’anne´e dernie`re2, pour nos liberte´s les plus pre´cieuses. Tous ont montre´ du ze`le, plusieurs du talent, quelques-uns de l’adresse. L’e´vidence, la justice e´taient de leur coˆte´. Ils ont cependant toujours e´te´ entoure´s de certains soupc¸ons, qui affaiblissaient leurs argumens et qui de´cre´ditaient leur logique. Au lieu de traiter avec eux les questions de droit, on rappelait des faits personnels. Au lieu de discuter leur opinion, on leur objectait des discours, he´las ! trop re´cens dans un sens contraire : mauvaise dialectique, mais d’un effet infaillible dans une assemble´e, et grace a` laquelle la peine de l’erreur retombe sur la ve´rite´. Ainsi, redoutables ennemis, ils ont e´te´, malheureusement, des de´fenseurs assez inutiles. Les lois se´ve`res de 1815 avaient e´te´ vote´es parce qu’ils les voulaient ; les lois se´ve`res de 1816 et de 1817 ont e´te´ vote´es parce qu’ils ne les voulaient pas3. L’opinion que j’exprime me paraıˆt eˆtre l’opinion nationale. La nation n’a pas de rancune, mais elle a de la me´moire. 1 2 3
5 septembre 1816, date de l’ordonnance de dissolution de la Chambre introuvable. BC fait ici allusion aux de´bats parlementaires de 1816 et 1817 sur les lois d’exception dont il sera question plus loin. Il s’agit ici encore des lois d’exception.
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La lutte sera donc, je le pense, entre la seconde nuance d’opinion que j’ai indique´e et la troisie`me, c’est-a`-dire, entre ceux qui pre´tendent que, pour affermir une constitution, le meilleur moyen est de la suspendre, et ceux qui pensent que, lorsqu’on a une constitution, l’on ne saurait en jouir trop comple`tement. 17
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Il y a, en faveur de la suspension des constitutions, en faveur des lois d’exception et de circonstance, en faveur des mesures extraordinaires, de tre`s-belles choses a` dire. Si je voulais les reproduire, avec toute la pompe de l’e´loquence, avec toute la chaleur de la conviction, j’ouvrirais le Moniteur au hasard, pour le copier depuis 1792. Je ne sais pas trop quand je le fermerais. Mais cette collection volumineuse me fournirait des raisonnemens a` choix. J’y trouverais «que les premiers momens d’une constitution ne sont point propres a` laisser aux citoyens les garanties de cette constitution ; que les constitutions sont des citadelles assie´ge´es1, et que la garnison doit en sortir pour disperser les assie´geans ; que ceux qui plaident pour les constitutions les embrassent pour les e´touffer.» J’y trouverais «que la ne´cessite´ des lois de circonstance e´clate d’autant mieux, qu’elles rencontrent plus d’opposition ; qu’au premier aspect de ceux qui les combattent on de´meˆle que leur re´pugnance vient de la crainte qu’ils ont d’en eˆtre frappe´s ; qu’une telle crainte, a` la proposition seule, annonce combien la loi sera salutaire.» J’y trou verais «que ce n’est point pour les exe´cuter qu’on demande de pareilles lois, que leur existence rend leur exe´cution inutile ; qu’arme´e de plus de force, l’autorite´ sera moins souvent dans le cas d’y recourir, et qu’on a toujours vu que les gouvernemens sont d’autant plus doux, qu’ils ont plus de moyens d’eˆtre arbitraires.» Voulons-nous entendre, pour la centie`me fois, toutes ces belles choses ? Choisissons les hommes qui nous les ont dites sans interruption depuis vingt-cinq ans. Notre espe´rance ne sera pas trompe´e. Nous pouvons eˆtre suˆrs qu’ils nous les rediront. Avant ne´anmoins de nous de´cider, voyons ou` ces choses nous ont conduits toutes les fois qu’on nous les a dites. Si, depuis la re´volution, la France a duˆ eˆtre sauve´e par des lois d’exception et de circonstance, certes, jamais pays ne fut sauve´ plus souvent. Toutes les lois de ce genre, qu’on a demande´es a` ceux qui nous repre´sentaient, ont e´te´ vote´es. Il n’y a pas d’exemple qu’une assemble´e se soit refuse´e aux raisonnemens, et sur-tout aux me´taphores que j’ai rapporte´es. Une seule a
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La comparaison de la constitution avec une citadelle assie´ge´e remonte a` De la possibilite´ d’une constitution re´publicaine (OCBC, Œuvres, t. IV, p. 658, apparat), ce qui permet de dater les citations du Moniteur au de´but du Consulat.
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re´siste´1. Toutes les autres ont livre´ au gouvernement, quel qu’il fuˆt, la constitution pour la garantir du danger d’eˆtre observe´e. Celle qu’on a nomme´e de l’an 3 a e´te´ secourue, meˆme avant sa naissance, par la loi du 3 brumaire, qui suspendait plusieurs de ses articles, et vers sa chute par la loi des oˆtages qui l’ane´antissait2. Celle qu’on a nomme´e de l’an 8, a eu pour appuis les mises hors de la constitution, les tribunaux spe´ciaux, les se´natus-consultes organiques3. Les lois de circonstance n’ont donc manque´ ni a` la constitution de l’an 3, ni a` la constitution de l’an 8. Si Pergama dextra Defendi possent, etiam hac defensa fuissent4. Elles ont disparu toutes les deux. Je suis loin de penser que le meˆme pe´ril nous menace. Notre charte est meilleure que nos constitutions pre´ce´dentes : et je ne compare point nos ministres aux gouvernans inexpe´rimente´s, ombrageux, mal adroits, divise´s, que nous avons eus si long-temps. Cependant, quand une chose essaye´e par beaucoup d’hommes re´ussit toujours mal, il devient probable que la faute en est moins a` la malhabilete´ des hommes qu’a` la nature de la chose meˆme. Reproduire des ide´es ge´ne´rales sur les lois de circonstance, serait re´pe´ter ce que tout le monde sait par cœur. Depuis qu’on en souffre, on a eu tout le temps de comple´ter ses me´ditations et de varier ses plaintes. Je ne pourrais trouver, a` ce sujet, une phrase que je n’aie e´crite vingt fois sous tous les re´gimes. J’aime mieux passer tout de suite aux applications particulie`res, et laissant de coˆte´ tout le passe´ jusqu’a` ce jour, examiner quel effet aurait a` l’avenir la prolongation des lois de cette espe`ce, si les de´pute´s que nous allons nommer donnaient aux partisans de ces lois, une majorite´ contre laquelle se briseraient les raisonnemens et les expe´riences. 1 2
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La Chambre des repre´sentants des Cent-Jours (1815). La constitution de l’An III (1795) est celle du Directoire. La loi du 3 brumaire an IV excluait des fonctions publiques les parents d’e´migre´s, les jacobins amnistie´s et ceux des conventionnels qui avaient e´te´ de´clare´s ine´ligibles. Quant a` la loi des otages du 24 messidor an VII (12 juillet 1799), elle conside´rait comme otages, sur leur personne et sur leurs biens, les parents des e´migre´s et les adversaires notoires de la Re´publique. En cas d’assassinat ou d’enle`vement de certaines cate´gories de citoyens, le Directoire pouvait de´porter cinq otages. De plus, les otages e´taient reponsables d’une amende et d’une indemnite´ pour chaque crime commis. La constitution de l’an VIII (1799) est celle du Consulat. Elle pouvait en effet eˆtre modifie´e par des se´natus-consultes organiques et elle l’a e´te´ plusieurs fois, notamment pour le consulat a` vie et pour le passage a` l’Empire. Quant aux tribunaux spe´ciaux auxquels BC s’e´tait oppose´ au Tribunat (OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 211–246), ils avaient e´te´ autorise´s par le Corps le´gislatif. Virgile, Ene´ide, Chant II, v. 291–292 : «Si le bras d’un mortel pouvait sauver Pergame [Troie], le mien l’euˆt de´fendue» (Trad. Marc Chouet, Gene`ve : Jullien, 1984).
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Nos lois d’exception sont au nombre de quatre, la suspension de la liberte´ individuelle, l’arbitraire sur les journaux, la loi sur la presse, et la cre´ation des Cours pre´voˆtales1. Car je place parmi les lois d’exception la loi sur la presse, bien qu’elle ait e´te´ pre´sente´e comme permanente, parce qu’il est clair, d’apre`s ce qui s’est passe´ re´cemment, et aussi d’apre`s les explications inse´re´es presque officiellement dans le Moniteur, que cette loi a manque´ son but, et qu’elle doit eˆtre entie`rement refondue. Je place aussi dans cette cate´gorie l’e´tablissement des Cours pre´voˆ tales, bien que permis par la charte, parce que ces Cours sont des tribunaux extraordinaires et reposent sur le principe des lois d’exception. J’ai de´ja` dit que je laissais de coˆte´ le passe´, et en effet je ne pre´tends nullement examiner si le ministe`re a fait ou non, de ses pouvoirs extraordinaires, un usage mode´re´. Mon de´sir n’est point d’attaquer des hommes, et j’aime toujours a` raisonner d’apre`s la supposition la plus favorable. Mais je demanderai, et j’en appellerai au ministe`re, si toutes les fois qu’il s’est pre´valu de la pre´rogative inquie´tante que lui confe´rait la suspension de la liberte´ individuelle2, il n’a pas de´meˆle´, dans l’opinion, un sentiment de peine et d’alarme, s’il n’a pas aperc¸u que ce sentiment ne s’appaisait point, meˆme quand l’objet d’une se´ve´rite´ non motive´e e´tait rendu a` la liberte´. Ce sentiment n’aurait pas existe´, si la marche le´gale euˆt e´te´ suivie. Quand on s’en tient aux lois ordinaires, un de´tenu peut eˆtre absous, et le ministe`re est toujours cense´ avoir rempli son devoir. L’arrestation n’est qu’un accident inse´parable de la condition sociale. Pourvu qu’une autre condition sociale soit remplie, celle de laisser ve´rifier les faits par les tribunaux, l’autorite´ ne peut eˆtre blaˆme´e d’avoir voulu que les faits fussent ve´rifie´s. Mais les de´ tentions arbitraires ont cet inconve´nient, pour l’autorite´, que leur re´paration meˆme ressemble a` un tort, parce que le public concluˆt de leur cessation a` leur inutilite´. Pourquoi donc blesser l’opinion par des mesures inconstitutionnelles quand les lois suffisent ? Bien que la suspension de la liberte´ individuelle confe`re aux ministres le droit d’arrestation sans causes connues, elle ne leur donne pas celui d’arrestation sans causes re´elles. Or, ces causes re´elles doivent eˆtre des commencemens de preuves. Pourquoi ne pas soumettre aux tribunaux ces commencemens de preuves ? Est-ce pour ne pas avertir les complices ? Mais ils sont avertis par l’arrestation, sans motifs exprime´s, comme ils le seraient par l’arrestation motive´e. Est-ce pour ne pas laisser 1 2
Voir ci-dessus, p. 755 de l’Introduction. Loi sur la suˆrete´ ge´ne´rale du 29 octobre 1815.
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aux suspects le moyen d’achever le crime ? Mais l’autorite´ qui les surveille peut les saisir, avant qu’ils n’aient fait un pas pour l’exe´cution. Est-ce pour se dispenser de la surveillance ? Sans doute, on n’a plus besoin d’observer ceux qu’on enferme. Mais il est beau dans les ministres de sacrifier leur repos au noˆtre, et suˆrement ils ne voudraient pas nous enlever notre liberte´ pour se relaˆcher de leur vigilance. N’est-ce pas de plus donner aux gouverne´s une dangereuse ide´e de la faiblesse d’un gouver nement, que de le leur peindre comme en pe´ril par la liberte´ pre´caire d’un individu de´ja` suspect, suivi dans ses de´marches, entoure´ de te´moins invisibles, et contre lequel toute la force sociale est en armes ? Croit-on que cet aveu de faiblesse encourage la fide´lite´ ? Il invite au contraire, il sollicite la de´fection. «Je ne connais pas les faits particuliers, dira-t-on, je ne puis juger du mal que cette loi d’exception a empeˆche´. C’est pre´cise´ment son existence qui a pu en rendre l’application mode´re´e.» Ou` nous conduit ce raisonnement ? a` consacrer les lois d’exception dans toutes les circonstances, dans les temps calmes, parce que la crainte de ce pouvoir pre´vient le de´sordre, dans les temps orageux, parce que l’exercice de ce meˆme pouvoir re´tablit le calme. Autant vaut dire que nous ne sortirons jamais de ces lois, invoque´es tour a` tour, comme pre´caution et comme reme`de. Il n’est gue`res besoin de parler de la loi sur la presse1. Encore une fois, le passe´ m’est e´tranger, et bien que je pusse argumenter de ce que les jugemens prononce´s ne sont pas de´finitifs, je ne veux traiter en rien la chose juge´e. Mais si la chambre prochaine n’apportait a` la loi existante les changemens de´montre´s indispensables par la nature meˆme des explications donne´es dans les journaux, si elle n’introduisait le jury dans tout jugement sur les e´crits et les e´crivains, c’en serait fait de toute possibilite´ d’imprimer. Vainement ferait-on valoir que les principes favorables a` la liberte´ de la presse sont universellement reconnus, comme je ne sais quel personnage de come´die disait a` ses cre´anciers, qu’il aimerait mieux ne les payer de sa vie que de nier sa dette un seul jour. Vainement nos magistrats chercheraient, par quelques paroles adoucies, a` faire illusion sur les conse´quences des maximes qu’ils auraient pose´es. Ces paroles sans effet contrasteraient bizarrement avec chacun de leurs actes : ils auraient beau reconnaıˆtre avec une candeur me´ritoire, leur inexpe´rience dans les matie`res que le gouvernement les a charge´s de traiter, ils seraient bientoˆt ramene´s, malgre´ eux, dans la route qu’ils auraient trace´e, et paraıˆtraient seulement avoir remplace´ 11 cet aveu ] la source porte cette aveu EP 1
Lois du 21 octobre 1814 et du 9 novembre 1815.
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la menace par le persiflage, n’avoir rendu hommage a` la ve´rite´ que pour mieux la me´connaıˆtre, et s’eˆtre repenti de leur repentir. Au moment ou` fut adopte´ la loi destructive de toute liberte´ des journaux, j’avais pre´vu qu’on abuserait plus souvent de cette loi que de celle qui suspendait la liberte´ individuelle, et que les vexations e´tant plus obscures et paraissant moins importantes, seraient plus nombreuses1. Les chambres auront a` rechercher si le gouvernement y a gagne´, si sa dignite´ s’est accrue par cette censure, dont les censeurs eux-meˆmes ge´missent tellement, qu’on ne peut leur refuser sa pitie´, quand on les voit, attriste´s de leurs fonctions, en rejeter l’odieux sur ceux qui les emploient, et se consoler d’eˆtre les agens de l’arbitraire, en se disant meilleurs que l’autorite´2. Je ne m’e´tendrai point sur l’ine´vitable pue´rilite´ de chaque mesure de ces autorite´s subalternes. Je n’entrerai point dans le de´tail de ces ordres donne´s pour qu’on ne parle pas de ce dont tout le monde s’entretient ; puis de ces ordres intime´s ensuite, pour que les premiers ne soient pas connus, puis de ces ordres supple´mentaires de´fendant de publier la de´fense faite de parler de la de´fense rec¸ue. Je tairai ces efforts infructueux pour travestir en actes volontaires la soumission qu’on commande, cette proscription du moindre signe des suppressions qu’on exige, cette terreur des points, ce de´nombrement des mots, cette crainte d’avouer ce qu’on fait, de laisser des traces de ce qu’on veut ; singulier spectacle d’une autorite´ qui, par de bons motifs sans doute, mais entraıˆne´e par ces motifs meˆme dans une route ou` elle ne saurait que s’e´garer, se condamne a` combattre corps a` corps quelques journalistes enchaıˆne´s, est prise au de´pourvu par les plus adroits d’entre eux, ne peut re´parer ses inadvertences que par des vexations, ne sait a` quelles repre´sentations entendre, quelles directions donner, et rappelle par cette lutte e´trange les taˆtonnemens du ge´ant aveugle auxquels ses captifs e´chappaient ! Si ces mesures se perpe´tuent, qu’en re´sultera-t-il ? le me´pris de ce que les journaux disent, le doute sur les faits, la de´faveur pour les raisonnemens, l’odieux dans les attaques, le ridicule dans les e´loges. Le public repoussera ce que lui pre´senteront ces journaux esclaves, pour arriver, s’il le peut, a` ce qu’on voudra lui de´rober. Son e´tude sera de de´couvrir dans chaque phrase ce qui aura e´lude´ la surveillance. On me dira peut-eˆtre, comme a` l’occasion de la liberte´ individuelle, que je ne sais pas a` quels exce`s la loi d’exception sur les journaux met obstacle, et l’on se croira fort, en combattant les faits par des hypothe`ses. J’admets l’assertion, parce qu’il ne m’est pas donne´ de la ve´rifier. Mais je pense 1 2
Il ne semble pas que BC se re´fe`re ici a` un passage particulier. C’est le sens ge´ne´ral de ses e´crits de 1814 a` 1817 sur la liberte´ de la presse. Voir la note 1 de BC, ci-dessous, pp. 788–789.
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encore que le bien qu’on a cru atteindre est trop che`rement achete´. Avant l’organisation re´gulie`re des re´pressions le´gales que nous de mandons tous, quelques individus auraient souffert de la licence des journaux. J’aurais e´te´ probablement de ce nombre, et si par hasard quelque homme puissant jette les yeux sur ces pages, il m’accusera d’ingratitude pour un bienfait que je n’ai pas demande´. Mais il vaut mieux subir ces inconve´niens, que nuire au peuple et au gouvernement, en restreignant la liberte´ de l’un, et en rabaissant la dignite´ de l’autre. Je m’abstiendrai de toute remarque sur les jugemens des Cours pre´voˆtales1. Les faits particuliers me sont inconnus. Je ne parle d’ailleurs que pour l’avenir. Des jure´s n’ont-ils pas un inte´reˆt pressant a` la punition des attentats qui menacent les proprie´te´s et le gouvernement qui les garantit ? Les formes militaires dirige´es contre des coupables disperse´s, sans moyens, sans re´union, sans chefs, sans appui, ne sont-elles pas un luxe de se´ve´rite´ ? La conscience publique ne sera-t-elle pas plus satisfaite, quand elle verra les formes conserve´es avec toutes leurs lenteurs protectrices ? N’est-elle pas toujours froisse´e, quand elle aperc¸oit parmi les juges des hommes dont le veˆtement seul annonce qu’ils sont voue´s a` l’obe´issance ? Est-il bon, est-il e´quitable de soumettre les de´lits politiques a` des guerriers nourris sous la tente et ignorans de la vie civile ? Enfin, si les tribunaux ordinaires apportent dans leurs sentences un peu moins de rigueur, y aura-t-il un grand mal a` ce qu’ils ne condamnent les enfans de seize ans et demi qu’a` la de´tention perpe´tuelle2 ? Que le ministe`re ait ou n’ait pas abuse´ des lois d’exception, me semble importer peu, et je reconnaıˆtrai, si on l’exige, que je ne sais point s’il en a abuse´. Ce qui m’importe, c’est qu’on reconnaisse de´sormais qu’il vaut mieux, pour la France et pour le gouvernement, que les lois d’exception n’existent pas. L’opinion sera plus unanime. De faˆcheuses impressions ne troubleront pas les esprits. Il n’y aura pas une sorte d’impatience contre ces lois perpe´tuellement demande´es, au nom du salut public, depuis vingt-huit ans. La malveillance ne trouvera point, dans leur prolongation, des occasions trop faciles de rapprochemens de´favorables. Car enfin, que re´pondre a` cette malveillance, quand elle compare nos lois d’exception a` des lois qui existaient a` d’autres e´poques ? Sous plus d’un gouvernement, maintenant renverse´, l’on pouvait enchaıˆner la presse, supprimer les journaux, arreˆter les citoyens sans les faire juger, ou les traduire, pour les faire juger, devant
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Cre´e´es en application de la loi du 27 de´cembre 1815 e´tablissant des cours pre´voˆtales. Voir la note 2 de BC, ci-dessous, p. 789 et la n. 3, a` la meˆme page.
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des tribunaux extraordinaires. Ne sera-ce pas un heu reux moment pour le ministe`re que celui ou` il abdiquera ces pre´rogatives de triste me´moire ? Toutes nos autorite´s pre´ce´dentes se sont mal trouve´es de ces voies extraconstitutionnelles ; et un homme dont l’opinion sur la le´gitimite´ n’est pas suspecte, M. de Ville`le, a dit a` la tribune que la le´gitimite´ sur le troˆne ne pouvait donner seule a` nos institutions la force de re´sister a` des causes destructives de tous les gouvernemens 1. Or, les lois d’exception sont des causes destructives de tous les gouvernemens. Elles les ont tous perdus jusqu’a` ce jour. Il ne faut pas les choisir pour maintenir le noˆtre. La force d’une constitution est dans l’attachement du peuple. Un peuple ne s’attache a` une constitution que par la jouissance. Il ne croit point a` une constitution dont il ne jouit pas.
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En pre´sentant, sur les lois d’exception, les conside´rations que l’on vient de lire, je n’ai eu pour but d’inculper personne. Mais recherchant dans quelle nuance d’opinion les e´lecteurs qui vont s’assembler doivent choisir nos repre´sentans, j’ai duˆ prouver que les lois d’exception e´taient un mauvais syste`me, pour arriver a` la conse´quence qu’il faut nommer de´pute´s des hommes oppose´s a` ce syste`me. Si nous choisissons ses partisans, nous ne sortirons pas de la route ou` ils sont accoutume´s a` marcher. Ils arriveront avec leurs locutions consacre´es, louant les principes, e´cartant leurs conse´quences, admirant la re`gle, appuyant sa violation, e´rudits dans l’apologie de l’arbitraire, apoˆtres doucereux de la rigueur, et le´gitimes he´ritiers de nos le´gislatures successives, dans ce qu’un noble Pair appelait, avec une ve´rite´ piquante, l’oraison fune`bre de la liberte´2. Ils seront dirige´s, je veux le croire, par les meilleures intentions du monde. Ce n’est point leur moralite´, ce sont leurs lumie`res dont je doute. Ils sont convaincus qu’un e´tat ne saurait supporter la liberte´ ; et quand l’e´tat s’e´croule au milieu de toutes leurs mesures vexatoires, c’est encore le trop de liberte´ qu’ils en accusent3. La question se re´duit donc a` ces termes. Veut-on que les lois d’exception soient maintenues, que la liberte´ de chacun soit un bienfait des ministres, que la liberte´ de la presse aboutisse a` la suppression des livres et a` la prison des e´crivains ? Veut-on que les journaux ne rapportent que ce que l’autorite´
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Citation quasi textuelle du discours de Ville`le a` la Chambre du 27 janvier 1817 (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XVIII, p. 339). Que ce soit a` propos de ce discours ou a` celui du 13 janvier 1817 (ibid., p. 146) contre le projet de loi sur la liberte´ individuelle, BC aurait pu les citer in extenso, tant son opinion est proche de celle du de´pute´ royaliste. Voir ci-dessus, p. 768, ligne 3, ou` il rend hommage a` l’esprit raisonnable de quelques royalistes ; peut-eˆtre pense-t-il a` Ville`le. Expression emprunte´e au discours du 8 fe´vrier 1817 de Victor de Boglie a` la Chambre des Pairs (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XVIII, p. 630). Voir la note 3 de BC, ci-dessous, p. 790.
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desire qu’on croie ? Veut-on la prolongation des tribunaux extraordinaires ? qu’on choisisse des hommes de la seconde nuance. Ce qu’ils ont fait, ils le feront toujours ; ils sont en permanence contre les principes. Voulons-nous, au contraire, que les citoyens soient entoure´s de garanties protectrices, que la presse soit libre, et les e´crivains le´galement responsables, que les journaux racontent les faits tels qu’ils sont, et que la France ne devienne pas une ˆıle, ou` l’on ignore ce qui se passe en Europe, et Paris une autre ˆıle ou` l’on ignore ce qui a lieu dans les provinces ? Voulons-nous que les formes protectrices de la justice ordinaire reprennent leur cours ? cherchons, pour exprimer ce desir, de fide`les interpre`tes ; nommons des hommes inde´pendans.
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C’est donc vers le troisie`me parti, si l’on peut appeler parti l’immense majorite´ des Franc¸ais, et la totalite´ des Franc¸ais raisonnables, c’est vers le troisie`me parti qu’il faut tourner nos regards. C’est la` qu’il faut chercher les organes de nos vœux, les appuis de nos droits. Mais ou` sont-ils, me dira-t-on, ces hommes auxquels j’attribue l’honneur exclusif de l’inde´pendance ? La de´signation que j’emploie, est- elle moins vague que celles que j’ai rejete´es en commenc¸ant cet e´crit ? A quelles marques certaines, a` quels signes infaillibles reconnaıˆtra-t-on ces inde´pendans que je recommande ? Une pareille question donne toujours un avantage apparent a` qui la propose, parce que la re´ponse exige des de´tails qui ressemblent trop a` des indications personnelles, et qu’alors, au lieu d’e´tablir une re`gle, on est accuse´ de faire une liste. Pour e´viter ce pie´ge, je dirais qu’on sait tre`s-bien au fond quels hommes sont de´signe´s sous la de´nomination d’inde´pendans. L’instinct des e´lecteurs ne s’y trompera point, s’ils sont une fois de´cide´s sur la nuance d’opinion qui doit fixer leur choix : et, j’en suis convaincu, a` la seule lecture de cette phrase, le nom des capitalistes, des proprie´taires, des commerc¸ans, des e´crivains, des citoyens, en un mot, qui, distingue´s par leur conduite, ou militaire ou civile, me´ritent d’eˆtre conside´re´s comme inde´pendans, s’est de´ja` pre´sente´ a` la pense´e de ceux qui me lisent. Si l’on veut, cependant, une de´finition plus pre´cise, elle n’est pas difficile a` donner. Les inde´pendans sont ceux qui, depuis trente ans, ont voulu les meˆmes choses ; ceux qui ont re´pe´te´ a` tous les gouvernemens les meˆmes ve´rite´s, oppose´ a` toutes les vexations, meˆme quand elles portaient sur autrui, les meˆmes re´sistances ; qui n’ont adopte´ aucun symbole, pour offrir les principes en holocauste a` ce symbole ; qui, lorsqu’on proclamait la souverainete´ du peuple, disaient au peuple que sa souverainete´ e´tait limite´e par la justice ; qui, lorsqu’on passait de la tyrannie orageuse de cette sou-
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verainete´ au despotisme simme´trique d’un individu, disaient a` cet individu qu’il n’existait que par les lois ; que les lois qu’il prenait pour des obstacles e´taient ses sauvegardes, qu’en les renversant il sappait son troˆne. Les inde´pendans sont ceux qui, sous la re´publique, ne s’e´criaient pas : nous aimons mieux la re´publique que la liberte´ ; et qui, sous la royaute´, ne pre´tendent point qu’il faut l’asseoir, sur les de´bris de tous les droits et le me´pris de toutes les garanties1. Les inde´pendans sont ceux qui aiment la monarchie constitutionnelle, parce qu’elle est constitutionnelle, et qui respectent la transmission de l’he´re´dite´ au troˆne, parce que cette transmission met le repos des peuples a` l’abri de la lutte des factions, mais qui pensent que c’est pour le peuple que le troˆne existe, et qu’on nuit e´galement aux rois en foulant aux pieds les droits des citoyens, et aux citoyens en essayant de renverser la puissance le´gale des rois. Les inde´pendans, enfin, sont cette ge´ne´ration innombrable, e´leve´e au milieu de nos troubles, et qui, froisse´e de`s sa jeunesse dans ses inte´reˆts et dans ses affections les plus che`res par l’arbitraire de tous les re´gimes, de´teste l’arbitraire sous toutes les de´nominations, et de´meˆle la faussete´ de tous les pre´textes. Les inde´pendans sont tous ceux qui, n’ayant ni la pre´tention d’arreˆter, de de´pouiller, de bannir ille´galement personne, ni celle d’eˆtre paye´s par ceux qui arreˆtent, qui de´pouillent, qui banissent, ne veulent aucune loi qui les expose a` eˆtre arreˆte´s, de´pouille´s, bannis ille´galement. C’est parmi ces hommes qu’il faut choisir ceux a` qui nous confierons nos destine´es. Nous avons essaye´ assez long-temps d’e´carter, de fausser, d’ajourner les principes. A l’e´poque de l’e´tablissement de chaque constitution, je l’ai de´ja` dit, nous avons e´te´ salue´s des meˆmes phrases. Les dangers de l’e´tat, l’urgence des circonstances, ont toujours glace´ de terreur nos le´gislatures successives. Les constitutions suspendues ont e´te´ brise´es et leurs e´clats ont frappe´ nos teˆtes. Essayons une fois d’hommes moins timides, d’hommes qui croient que la liberte´ et que la justice ont aussi quelque force, et qui osent penser qu’on peut gouverner un peuple sans le priver de ses droits, et exe´cuter une constitution sans la suspendre. Certes, le re´sultat, quel qu’il soit, ne sera pas plus faˆcheux que l’expe´rience contraire. Si la tentative nous re´ussit mal, elle ne nous re´ussira pas plus mal que les autres, et a` une e´lection prochaine, de´sabuse´s des hommes de principes, nous reviendrons aux hommes de circonstance. Ils ne manqueront pas a` l’appel. Ils sont toujours la` au service de qui les emploie, de`s qu’il est question de mettre de coˆte´ les lois et les formes. 1
Ce passage, cite´ de fac¸on errone´e dans Le Moniteur, devait donner lieu a` une lettre de protestation de BC, mentionne´e a` la fin de ses Notes sur quelques articles de journaux. Voir ci-dessous, pp. 813–815 et 834.
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Mais une fois, au moins, prions-les de faire tre`ve a` leur ze`le, et laissons la liberte´ exister, quand ce ne serait que pour nous convaincre qu’elle est impossible. Sans elle, nous avons fait vingt naufrages. Que peut-il nous arriver de pis avec elle ? Et si par hasard elle n’est pas impossible, la de´couverte en vaudra la peine : car, et ceci me´rite quelque attention, la jouissance de la liberte´ n’est pas importante uniquement pour ceux qui paraissent en profiter de la manie`re la plus imme´diate. Il y a surement, parmi les e´lecteurs, des hommes bien intentionne´s, e´claire´s meˆme, qui, ne sentant pas l’e´troite liaison de toutes les liberte´s entre elles, voient avec assez d’indiffe´rence s’introduire des lois d’exception qu’ils croient ne devoir jamais les atteindre. On leur a dit que la suspension de la liberte´ individuelle ne regardait que les conspirateurs ; ils ne conspirent pas : que la violation de la liberte´ de la presse n’atteignait que les e´crivains ; ils n’e´crivent pas : que l’asservissement des journaux n’inte´ressait que les journalistes ; ils ne re´digent point de journaux : que les Cours pre´voˆtales ne prononc¸aient que sur les de´lits commis a` main arme´e ; ils ne touchent jamais une arme : ils sont donc tranquilles ; mais qu’ils re´fle´chissent. La suspension de la liberte´ individuelle ne regarde pas seulement les conspirateurs, mais ceux qu’on soupc¸onne d’eˆtre dispose´s a` conspirer, et ceux par conse´quent que des ennemis secrets de´noncent comme tels. Les restrictions mises a` la presse n’atteignent pas seulement les e´crivains, mais ceux qui veulent e´crire ou faire e´crire pour exposer a` l’autorite´ supreˆme leurs re´clamations, ou pour se de´fendre devant l’opinion contre la calomnie. L’asservissement des journaux n’inte´resse pas seulement les journalistes, mais ceux qui n’ont de ressource que le ministe`re des journalistes pour donner a` la rectification de faits de´figure´s une publicite´ qui importe a` leur re´putation, a` leur cre´dit, a` leurs entreprises. Les Cours pre´voˆtales ne jugent pas seulement ceux qui ont commis des de´lits a` main arme´e, mais ceux qui sont accuse´s d’en avoir commis, ceux qui se sont trouve´s dans un rassemblement, et ne sauraient prouver que c’est par hasard, ceux qu’on a cru y apercevoir, quand ils n’y e´taient pas : car tel est l’effet de l’abre´viation des formes, que ce n’est pas la nature du de´lit qui prive un citoyen de cette sauve-garde, mais la nature de l’accusation1. Or, un homme peut bien eˆtre suˆr de ne jamais commettre un de´lit ; mais nul ne peut eˆtre assure´ qu’il ne sera jamais l’objet d’une accusation fausse. Nous ne re´clamons donc pas des liberte´s dont quelques-uns seulement jouissent, mais des liberte´s dont tous peuvent avoir besoin. Et ici une conside´ration me frappe. L’on pre´tend que ce n’est point apre`s une re´volution longue et violente qu’on peut appliquer avec scrupule les principes constitutionnels, et qu’il 1
Voir la note 4 de BC, ci-dessous, pp. 790–792.
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faut, a` de pareilles e´poques, investir le gouvernement d’une puissance discre´tionnaire. J’affirme que c’est pre´cise´ment alors que la fide´lite´ la plus stricte aux principes constitutionnels est indispensable, et que toute puissance discre´tionnaire dans les de´positaires de l’autorite´ est dangereuse ; car c’est alors que les passions e´tant plus anime´es, les de´nonciations, les calomnies, les impostures, sont plus fre´quentes, et que l’examen le plus scrupuleux, le plus lent, le plus re´gulier est ne´cessaire. Dans les temps calmes, peu d’hommes ayant a` se plaindre l’un de l’autre, les agens investis de la terrible pre´rogative des lois d’exception ne se voient pas cerne´s par toutes les haines de´guise´es, par tous les ressentimens voile´s sous le nom du bien public. On peut au moins espe´rer alors que les lois d’exception, toujours faˆcheuses, toujours injustes, ne s’appliqueront qu’a` des pe´rils soudains et a` des cas extraordinaires. La masse des citoyens, paisible, et unie entre elle, ne paraıˆt pas en eˆtre menace´e. Mais apre`s une crise politique, quand tout le monde est coupable aux yeux de son voisin, quand il n’est personne qui n’ait eu quelque tort, commis quelque faute, concouru plus ou moins a` quelque injustice, les lois d’exception sont des armes que chacun ambitionne et saisit a` son tour. Contradiction e´trange ! Presque toujours apre`s les re´volutions violentes, on proclame des amnisties, parce qu’on sent que les lois ordinaires ellesmeˆmes deviennent inapplicables. Or, pourquoi le deviennent-elles ? parce que leur application constante et multiplie´e tiendrait tous les esprits en alarme ; et c’est dans le moment ou` l’on reconnaıˆt cette ve´rite´, dans le moment ou` l’on de´sarme les lois ge´ne´rales, de peur que leur action ne perpe´tue l’inquie´tude qui pousse aux re´solutions de´sespe´re´es ; c’est dans un tel moment que l’on institue des lois extraordinaires, plus rigoureuses, plus alarmantes, plus vagues ! On proclame une amnistie, parce qu’on ne veut pas que tous les coupables, meˆme convaincus, soient punis, et l’on e´tablit des re`gles de suspicion en vertu desquelles tous les suspects sont menace´s. Mais quand il y a vingt mille coupables, il y a deux millions de suspects. Aussi, voyez ce que disent sur les effets de ces lois leurs de´fenseurs meˆmes. E´coutez le plus e´loquent, et j’ajouterai le plus libe´ral d’entre eux ; car, meˆme en de´fendant un mauvais syste`me, il a rendu un digne hommage aux principes, et prouve´ que son caracte`re e´tait aussi noble que son esprit est distingue´. E´coutez-le, dis-je, quand il de´crit les re´sultats de la loi du 29 octobre1 : Le reste des partis se disputant l’usage du pouvoir discre´tionnaire, l’esprit de de´lation se couvrant du masque du ze`le, de´truisant toute confiance au sein des familles, sappant avec les fondemens de la tranquillite´ publique et prive´e ceux de la morale a a
Discours de M. Camille Jordan2.
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La loi de suˆrete´ ge´ne´rale du 29 octobre 1815. Discours sur le projet de loi relatif a` la liberte´ individuelle, a` la se´ance du 14 janvier 1817,
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Il parlait ainsi, je le sais, d’une loi abroge´e. Mais ne jugeons pas les lois d’exception par ce qu’on en dit tant qu’elles subsistent. On ne s’explique publiquement sur leur compte, comme sur celui des rois, qu’apre`s leur mort. Or, voila` ce qu’on dit de chaque loi d’exception, de`s l’instant qu’elle est re´voque´e. Ceux qui vantent la loi d’aujourd’hui s’en vengent sur celle d’hier. N’est-ce pas un pre´juge´ faˆcheux pour ces lois que la ne´cessite´ de cette tactique ? Elles sont tellement odieuses a` la majorite´ des hommes, que, pour en faire adopter une, il faut commencer par fle´trir toutes celles qui l’ont pre´ce´de´e.
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Je n’ai, comme je l’ai dit plus voulu, dans cet e´crit, diriger aucun blaˆme sur aucun individu. J’ai parle´ d’un syste`me ge´ne´ral, abstraction faite des hommes qui le suivent et de son exe´cution, qui est un accident. Je crois avoir prouve´ ce dont la de´monstration me semblait utile. Les e´tats pe´rissent, quand on veut combiner la pratique du despotisme avec la the´orie de la liberte´. La France serait en pe´ril, si pour la gouverner on fondait ensemble les pre´juge´s de l’ancien re´gime et les traditions de l’arbitraire impe´rial. Les lois d’exception qui nous ont toujours perdus ne sauraient nous sauver. Notre salut ne se trouvera que dans les hommes qui les repoussent. Ce sont eux que j’ai nomme´ les inde´pendans. Maintenant je n’ignore pas ce qu’on pourra dire aux e´lecteurs pour les de´tourner de choix pareils. Je veux les mettre en garde contre des discours spe´cieux, des alle´gations plausibles, et des ruses d’autant plus adroites, qu’elles auront l’air de la bonhomie et de la candeur. «Les inde´pendans, leur dira-t-on, ne sont pas de vrais amis de la charte. Elle contrarie trop leurs the´ories. Ils se laisseront entraıˆner par le desir vague d’ame´liorations chime´riques.» Si je le pensais, ma douleur serait extreˆme ; car ne voyant de ressources ni dans les partisans de l’ancien re´gime, ni dans les hommes qui sont toujours a` la disposition de l’autorite´, et force´ de reconnaıˆtre dans les inde´pendans des instrumens de de´sordre, je ne saurais plus ou` chercher des motifs d’espoir. Mais ma conviction heureusement est toute contraire. Les inde´pendans savent que la charte contient tout ce qui est ne´cessaire pour la liberte´. Si quelques articles, ceux sur-tout du nombre et de l’aˆge, mettent dans l’opinion de beaucoup de gens des restrictions faˆcheuses a` la liberte´ des choix et a` l’e´nergie des assemble´es, les bourgs corrompus de l’Angleterre, et trois
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Discours de Camille Jordan, Paris : Jules Renouard, 1826, p. 76. Voir ci-dessus, p. 771.
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cents de´pute´s, nomme´s par l’influence de moins de cent personnes, sont bien d’autres vices, et pourtant l’Angleterre a e´te´ libre cent trente-neuf anne´es. Les inde´pendans savent qu’il faut tirer parti de ce qu’on posse`de. Ils se fe´licitent du point fixe autour duquel les Franc¸ais ont pu se rallier durant les orages. Ils n’oublient point que notre charte est aux yeux de l’Europe un de nos plus solides remparts. Elle nous a puissamment servi a` deux me´morables e´poques1. Sans elle, nous aurions e´te´ momentane´ment, dans l’inte´rieur, un peuple d’esclaves, et pour l’e´tranger un peuple conquis. Nous ne serions reste´s ni conquis ni esclaves, je le sais. Mais le nom de la charte nous a e´pargne´ de douloureuses ne´cessite´s. Nous avons regagne´ plus doucement et plus facilement les droits qui nous sont chers, et le rang qui nous est duˆ. Quant a` l’attachement aux the´ories absolues, a` l’aversion pour les milieux raisonnables, au janse´nisme de principes que l’on reproche aux inde´pendans, ces accusations me font penser toujours a` l’homme qui se trouvait entre deux personnes, dont l’une soutenait que deux et deux faisaient quatre, et l’au tre, que deux et deux faisaient six. Vous eˆtes e´galement dans l’extreˆme, leur dit-il, deux et deux font cinq. «Les inde´pendans, continuera-t-on, seront ennemis des ministres.» Si l’on entend par ces paroles qu’ils seront les ennemis des hommes, on a tort. Si l’on veut dire qu’ils ne se condamneront pas a` cet assentiment aveugle, qui est l’abne´gation honteuse de toute raison et de toute dignite´, l’on a raison. Ils ne seront point les ennemis des ministres qui ont sauve´ la France par l’ordonnance du 5 septembre. Ils ne seront point les ennemis des ministres qui ont propose´ et fait adopter la loi des e´lections2. Mais ils seraient ennemis de la politique ombrageuse et e´troite qui ne voudrait gouverner la France que par des lois d’exception. Ils seraient ennemis de la suspension de la liberte´ individuelle, ennemis des tribunaux extraordinaires, ennemis de l’asservissement de la presse, et de la de´pendance des journaux. Ils seraient oppose´s a` ce que les ministres exce´dassent leur budget. Ils seraient oppose´s a` cette tactique timide et pue´rile qui e´toufferait, si on la laissait faire, toute publicite´, comme si ce dont on ne parle pas en existait moins. Loin d’eˆtre dangereux pour les ministres, les inde´pendans seuls, il me serait facile de le prouver, seront pour eux des appuis solides. Si ces ministres doivent exiger de la nation de nouveaux et pe´nibles sacrifices, quelle force d’opinion puiseraient-ils dans une assemble´e de´cre´dite´e d’avance par sa complaisance habituelle, son langage bannal, et sa soumission infati1 2
Lors de la premie`re Restauration en 1814 et apre`s les Cent-Jours en 1815. La loi sur les e´lections du 5 fe´vrier 1817, dite loi Laine´, qui instaure l’e´lection directe des de´pute´s par un colle`ge re´uni au chef-lieu du de´partement et qui accorde le droit de vote a` tous les citoyens justifiant de 30 ans d’aˆge et payant 300 francs d’impoˆt direct (voir p. 799, n. 1).
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gable ? S’ils ont a` ne´gocier avec l’e´tranger, quels motifs de re´sistance a` ses pre´tentions alle´gueraient-ils, si l’e´tranger savait qu’ils disposent des chambres, et pouvait s’en prendre a` eux du courage manifeste´ soudain par ces chambres dociles, qui ne seraient devenues courageuses que par ordre ? On insinuera aux e´lecteurs que la nomination des inde´pendans effraierait l’Europe. Mais l’Europe n’a-t-elle pas rendu constamment hommage a` notre inde´pendance par toutes ses paroles, quand l’occasion s’en est pre´sente´e ? N’a-t-elle pas reconnu tous les gouvernemens successifs qui avaient l’apparence d’eˆtre soutenus par la force nationale ? N’a-t-elle pas rec¸u, accueilli, feˆte´ tous les hommes que ces gouvernemens lui ont envoye´s ? Et maintenant qu’il ne s’agit que de nos affaires inte´rieures, de nos inte´reˆts de famille, en quelque sorte, la nomination de quelques de´pute´s, qui n’ont en rien le droit d’intervenir dans nos relations avec les autres peuples, et qui, renferme´s par la charte dans le cercle de leurs fonctions, peuvent de plus eˆtre renvoye´s dans leurs foyers par une seule parole royale, effraierait cette Europe, si bien garantie aujourd’hui par les pre´cautions qu’elle a prises, par la bonne intelligence des souverains entre eux, et sans doute aussi par les satisfactions donne´es par ces souverains a` leurs sujets, en re´compense de leurs efforts et de leurs sacrifices. C’est trop vouloir aussi que nous ressemblions a` la Pologne, et sur ce sujet de´licat il n’y a, selon moi, qu’un mot a` dire. Si les e´trangers sont de bonne foi, comme j’en suis convaincu, ils doivent desirer qu’un gouvernement libre s’e´tablisse en France ; car la liberte´ seule est calme. La France ne sera pas tranquille, si elle n’est pas libre, et l’Europe sera toujours agite´e, si la France n’est pas tranquille. Si, par impossible, contre la conviction que je professe et que je proclame, contre la saintete´ des traite´s, contre leurs inte´reˆts propres, les e´trangers n’e´taient pas de bonne foi, ce que nous ferions ou ce que nous ne ferions point, serait indiffe´rent. Ils trouveraient toujours assez de pre´textes, et nous nous serions refuse´s tout ce qui peut nous eˆtre honorable ou salutaire que nous n’en serions pas plus avance´s. Un homme d’esprit me disait un jour, que, quoique la mort fuˆt la chose la plus de´cisive de la vie, il fallait la compter pour rien, sans quoi cette ide´e empeˆcherait tout. J’en dis autant des e´trangers. S’ils agissent avec loyaute´, nous n’avons rien a` craindre en remplissant avec scrupule nos devoirs de Franc¸ais : et dans l’hypothe`se contraire, nous gagnerions pourtant a` remplir ces devoirs. Les e´trangers nous estimeraient en nous opprimant, et peut-eˆtre nous opprimeraient-ils d’autant moins qu’ils nous estimeraient davantage. Aux argumentations fonde´es sur la politique et sur la prudence, on en joindra d’autres qu’on appuiera sur le sentiment. «Le ministe`re, dira-t-on, me´rite notre reconnaissance par cette loi sur les e´lections qu’il nous a donne´e. Nous servirions-nous de cette loi pour le contrister ? Nommons plutoˆt,
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en te´moignage de gratitude, des hommes qui puissent lui eˆtre agre´ables.» Mais si le ministe`re a des droits, et je pense qu’il en a beaucoup, a` notre reconnaissance par la loi sur les e´lections, c’est sans doute parce qu’il a voulu que cette loi nous mıˆt a` meˆme de faire de bons choix. Lui prouver notre reconnaissance en nous abstenant des choix que nous croyons les meilleurs, serait l’affliger beaucoup plus suˆrement ; ce serait tromper ses civiques espe´ran ces. D’ailleurs, le syste`me repre´sentatif ne saurait eˆtre un e´change de madrigaux, et des e´lections ne ressemblent pas a` un bouquet pour un jour de feˆte. On nous mettra en garde contre l’impatience. «Les inde´pendans, nous dira-t-on, seront d’excellens choix pour l’anne´e prochaine ; c’est encore trop toˆt ;» et l’on nous proposera d’ajourner les hommes, comme on nous a propose´ sans cesse d’ajourner les principes. Mais d’abord, il n’y aura pas d’e´lection l’anne´e prochaine pour les de´partemens qui choisissent cette anne´e leurs de´pute´s : et j’en reviens, en second lieu, a` mes raisonnemens ante´rieurs sur l’ajournement des principes. Il ne nous a pas re´ussi : celui des hommes nous re´ussira-t-il mieux ? Ne serait-ce pas, en re´alite´, ajourner les principes ? Car, si l’assemble´e est compose´e de leurs ennemis, qui les de´fendra ? Que si l’on nous promet que leurs adversaires deviendront cette fois leurs de´fenseurs, le re´sultat sera donc le meˆme que si nous nommions des inde´pendans ; pour quoi donc redouter l’e´lection de ceux-ci, et forcer les autres a` sortir de leurs douces habitudes ? Personne ne pourrait entrer dans tous les de´tails de la tactique qui sera mise en usage, parce qu’il est dans sa nature de se de´guiser, de se contredire, de se replier sur elle-meˆme, d’agir par des bruits vagues, par des alle´gations d’une ve´rification impossible, par des come´rages, si le mot est permis, qui ne pourront nous tromper qu’un jour ou qu’une heure, mais qui auront obtenu le succe`s qu’on desire, si nous nous laissons tromper pre´cise´ment au jour ou a` l’heure de´cisive. Tel homme est trop vieux, ses faculte´s baissent ; tel autre est trop jeune, ses quarante ans ne lui ont pas donne´ la maturite´ requise ; tel n’est pas e´ligible, ses proprie´te´s ou ses droits sont conteste´s ; tel est sur le point d’obtenir une fonction du Gouvernement ; celui-ci n’acceptera pas ; celui-la` n’a point de chance, et les voix qu’on lui donnerait seraient perdues. Si le premier e´tait si vieux, si l’aˆge avait affaibli son ze`le, amorti son courage, on ne redouterait pas tant de le voir e´lu. C’est parce qu’il est preˆt a` servir la liberte´ aujourd’hui comme dans sa jeunesse, qu’on vous le peint hors d’e´tat de la servir. Si tel autre n’e´tait pas e´ligible, on ne se donnerait pas tant de peine pour vous de´tourner de le choisir. Lui-meˆme serait empresse´ de vous e´clairer sur
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des obstacles qu’il ne peut vaincre. Que lui servirait une fraude inutile ? Et quel homme voudrait se de´shonorer aux yeux de la France et de ses concitoyens en s’attribuant des droits, des qualite´s, ou des proprie´te´s qu’il n’a pas ? Si un troisie`me e´tait a` la veille d’obtenir de l’autorite´ des faveurs ou des places, on ne travaillerait pas a` vous empeˆcher de le nommer. Ne nous recommande-t-on pas l’e´lection des fonctionnaires publics comme un moyen de paix et d’union ? Si l’acceptation d’un quatrie`me e´tait douteuse, ceux qui le proposent ne l’auraient pas mis sur les rangs. L’on ne vous pre´dit son refus, que parce que son acceptation est certaine. Enfin, si les chances d’un cinquie`me e´taient si nulles, on l’abandonnerait a` sa nullite´. Pourvu qu’il ne soit pas e´lu, qu’importe a` ceux qui le repoussent, que les voix de quelques e´lecteurs soient perdues ? Leur tendre inte´reˆt pour l’influence de vos suffrages n’a pour but que de vous donner le change, et la crainte d’une majorite´ vraisemblable accre´dite le bruit que l’objet de vos choix ne re´unirait qu’une faible minorite´. D’ailleurs, est-ce perdre sa voix que voter suivant sa conscience ? Le devoir n’est-il rien sans le succe`s ? Une minorite´ e´nergique, qui rend hommage au citoyen qu’elle estime, fait du bien meˆme en ne re´ussissant pas. Elle avertit l’opinion attentive, mais flottante, qu’il y a une conscience publique : elle avertit les hommes honneˆtes, mais disperse´s, inconnus l’un a` l’autre, qu’il y a un centre, autour duquel ils peuvent se rallier. Il y a vingt ans environ que j’e´crivais sur le caracte`re des majorite´s en France : elles se cherchent au lieu de se de´clarer. Leur ambition est pour ainsi dire d’eˆtre pre´ce´de´es, et elles pre´fe`rent adopter au second rang les mesures qu’elles blaˆment, plutoˆt que se mettre au premier pour faire triompher celles qu’elles approuvent1. Cette disposition a fait dans les assemble´es un mal incalculable. Je me souviens qu’apre`s une journe´e alarmante, qui heureusement n’eut pas toutes les conse´quences que l’on redoutait, un homme de mœurs fort douces disait naı¨vement : Nous allons voter a` l’unanimite´ des choses exe´crables : en effet il vota ces choses, non pas a` l’unanimite´ absolue, mais a` une grande majorite´. Il se de´solait de n’avoir pas e´te´ dans la minorite´ courageuse. D’autres s’en de´solaient comme lui. Mais il avait de´sespe´re´ de la re´sistance : il n’avait pas voulu eˆtre seul : il ne voulait pas perdre sa voix.
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Citation, sous une forme le´ge`rement modifie´e, du premier ouvrage politique de BC, De la force du gouvernement actuel (1794), OCBC, Œuvres, t. I, p. 358.
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Cette disposition n’est pas moins nuisible dans les e´lections. J’ai vu dans une assemble´e e´lectorale, dont j’e´tais membre, et ou` sie´geaient quatre cents e´lecteurs, un de´pute´ qui n’avait pas cinquante partisans, presqu’unanime´ment re´e´lu, parce qu’un adroit ami, lors du dernier scrutin, alla dans les diffe´rens bureaux annoncer que tous les autres l’avaient nomme´. Les e´lecteurs de chaque bureau se dirent : nous ne voulons pas perdre notre voix. En exposant ainsi quelques-uns des nombreux artifices, qu’on emploiera peut-eˆtre pour tromper les e´lecteurs, je suis loin de penser que le gouvernement ou le ministe`re recoure a` ces artifices. Mais la bassesse et la servilite´ taˆchent de deviner la puissance, et se me´prennent sur ses intentions, parce qu’elles les jugent d’apre`s elles-meˆmes. L’on a vu jadis, dans les tribunaux, des juges coupables, voter la condamnation de tel ou tel accuse´ pour satisfaire un vœu qu’ils attribuaient faussement a` l’autorite´ ; et je me souviens que, sous un gouvernement ante´rieur, des courtisans voulaient repousser un e´crivain ce´le`bre de l’acade´mie, parce qu’ils le disaient de´sagre´able a` ce gouvernement1. De meˆme, dans les e´lections, nous verrons se glisser des hommes incapables d’attribuer au pouvoir des ide´es ge´ne´reuses. Ils croiront lui plaire et le servir en e´cartant tout ce qui ne leur semblera pas assez docile, et ils feront de la sorte au gouvernement et a` la France un tort irre´parable. Car il ne faut pas se me´prendre sur notre situation politique. Nous ne sommes point encore parvenus a` l’e´poque ou` les constitutions se soutiennent par la seule force des habitudes et inde´pendamment de l’e´nergie de ceux qui ont mission de les de´fendre. En Angleterre, le parlement peut, jusqu’a` un certain point, eˆtre complaisant pour les ministres. Les institutions sont affermies. Les droits des citoyens, les attributions des corps de´libe´rans, les pre´rogatives de la couronne ont une solidite´ garantie par cent cinquante ans d’existence. L’inte´reˆt du Roi, accoutume´ a` trouver sa force dans les moyens constitutionnels, l’habitude contracte´e par les ministres de se plier a` ces moyens, dont le respect leur est inculque´ de`s l’enfance, l’ine´branlable aristocratie d’une pairie antique, investie de temps imme´morial d’immenses proprie´te´s ; la vigoureuse activite´ des communes, fortifie´e a` la fois et mode´re´e par une tradition de plusieurs sie`cles, toutes ces choses rame`nent ne´cessaire ment la nation, les corporations qui la repre´sentent, et l’autorite´ qui la gouverne a` la route ordinaire, consacre´e, connue de tous, et conside´re´e comme l’unique route a` suivre, comme celle vers laquelle il faut tendre et dans laquelle il est aussi utile que juste de rentrer de`s qu’on le peut2. Meˆme quand on en sort dans la the´orie, on y reste dans la pratique 1 2
Allusion probablement a` Chateaubriand qui, e´lu a` l’Acade´mie, n’avait pas pu prononcer son discours de re´ception en se´ance publique. Voir la note 5 de BC, ci-dessous, p. 792.
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bien plus qu’on ne pense. Toutes les tendances, tous les souvenirs, toutes les habitudes en rapprochent chaque citoyen, chaque agent du pouvoir. Mais aucun de ces pre´servatifs n’existe parmi nous. Nous n’avons aucune habitude de notre constitution. Graˆce aux lois d’exception, nous la connaissons a` peine. Nous ne pouvons e´prouver pour elle cette affection qui, chez les Anglais, est un sentiment du cœur, non moins qu’un jugement de l’esprit. Nos ministres, quelque bien intentionne´s, quelqu’e´claire´s que nous les supposions, sont pourtant novices dans l’art de concilier les traditions de deux re´gimes, dont ni l’un ni l’autre n’e´taient constitutionnels, avec une constitution qu’ils n’ont point essaye´ de faire aller par ses propres forces. Si notre malheur et notre imprudence nous donnent des repre´sentans qui ne de´fendent pas notre constitution, elle restera pour nous une the´orie. Les de´positaires du pouvoir se familiariseront avec l’ide´e qu’on peut l’e´carter par des politesses, sous pre´texte de la pre´server, en annonc¸ant toujours une e´poque ou` elle rentrera dans tous ses droits, et en ajournant toujours cette e´poque. Je n’he´site pas a` l’affirmer : c’est a` pre´sent que notre constitution doit eˆtre observe´e, ou elle ne le sera jamais. On trouvera toujours des raisons suffisantes pour en retarder l’observance ; et comme nous n’avons point ve´cu comple´tement sous son empire, le moindre embarras du moment l’emportera sur le desir de mettre en action une charte e´crite, dont on se de´barrasse par des e´loges. Nous resterons sous le re´gime des lois d’exception, si nos repre´sentans ne nous en retirent. Or, nous ne pouvons y rester sans nous perdre : je crois l’avoir prouve´. L’inte´reˆt du ministe`re n’est donc nullement de nous empeˆcher de nommer des hommes dont l’attachement a` la constitution ne soit pas douteux, et qui la de´livrent de tout ce qui lui est contraire. Le desir de ce ministe`re est conforme a` sa volonte´. Il a pre´pare´ la loi sur les e´lections. L’exe´cution vient d’en eˆtre ordonne´e. Il prouve ainsi sa confiance, et ces hommes la calomnient qui le peignent de´fiant, faible, et par faiblesse capable de tromper. Telle est ma conviction : je me suis refuse´ en conse´quence a` indiquer, comme on me le conseillait, les pre´cautions a` prendre pour nous mettre a` l’abris de fraudes mate´rielles que je rougirais de supposer. Sans doute a` d’autres e´poques de pareils moyens furent mis en usage. Mais ces e´poques sont bien diffe´rentes ; les assemble´es qui vont commencer n’auront, j’en suis suˆr, que des scrutateurs consciencieux et des secre´taires fide`les1. J’ai rempli ma taˆche : Les e´lecteurs sont responsables des destine´es de la France ; car ses destine´es sont entre leurs mains. Les e´lecteurs sont respon-
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Les e´lections de 1818 verront apparaıˆtre des proce´de´s assez douteux dont BC sera lui-meˆme la victime.
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sables du mal que feraient leurs de´pute´s ; car s’ils nomment de mauvais de´pute´s ce sera leur faute. Celui qui aurait e´lu un homme sans inte´grite´ et sans courage, re´pondrait moralement des budgets exce´de´s qui doubleraient la mise`re du peuple : car il avait la faculte´ de nommer des gardiens fide`les de la fortune publique. Celui qui aurait e´lu un ennemi de la liberte´ individuelle re´pondrait moralement a` tous les de´tenus de toutes les de´tentions arbitraires. Celui qui aurait donne´ son suffrage a` un partisan des tribunaux extraordinaires serait comptable a` Dieu et a` sa patrie de toute ne´gligence des formes, de toute erreur, de toute se´ve´rite´ excessive ou pre´cipite´e dans les jugemens. Je n’ajoute qu’un mot. Ceux-la` ne sont pas amis des re´volutions, qui demandent qu’on les de´livre de tout ce que les re´volutions apportent aux peuples de mauvais et de funeste. Or, ce sont les re´volutions qui introduisent les lois d’exception et de circonstance ; ce sont les orages re´volutionnaires qui livrent a` la merci des de´positaires du pouvoir la liberte´ individuelle, qui e´touffent la liberte´ de la presse, qui suppriment ou abre`gent les formes tute´laires. Les inde´pendans, qui veulent rendre inviolables la liberte´ individuelle, celle de la presse, les lenteurs sages de la justice ne sont donc point amis des re´volutions. Ceux-la` ne sont point ennemis des gouvernemens, qui tentent d’affranchir les gouvernemens du joug des traditions re´volutionnaires, qui sont la perte des gouvernemens. Les inde´pendans, qui veulent rendre au gouvernement ce service, et l’appuyer sur la liberte´, sur les principes, sur la se´curite´, et par-la` meˆme sur l’amour de tous, ne sont point ennemis du gouvernement. Ils sont ses meilleurs amis, ses seuls amis sages.
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(1) Ce que je dis sur les inconve´niens de la censure des journaux me paraıˆt eˆtre d’autant plus fonde´, que je me crois, de tous les e´crivains qui ont publie´ des articles de journaux dans ces derniers temps, celui que cette censure a traite´ avec le moins de se´ve´rite´1. Aussi, en m’e´levant contre les fonctions, je suis loin de vouloir rien insinuer contre les personnes, parmi lesquelles je connais plusieurs litte´rateurs distingue´s. Mais j’ai fait l’expe´rience des bornes ne´cessaires de leur libe´ralite´ d’opinion. Le desir de connaıˆtre par moimeˆme cette partie curieuse de notre administration litte´raire a e´te´ mon unique motif, quand je me suis associe´ a` la re´daction du Mercure. Maintenant l’expe´rience est faite, et je de´clare que tout ce que les de´fenseurs de la liberte´ des journaux avaient pre´dit, dans la session dernie`re, s’est ve´rifie´ sous tous les rapports. J’ajouterai cependant par esprit de justice, que le ministe`re actuel n’a presque jamais fait de son empire sur les journaux qu’un usage ne´gatif. Il a prescrit a` ses e´crivains de ne pas attaquer ceux auxquels il e´tait interdit de se de´fendre ; et quand il a cru ne´cessaire de commander un e´crit, il a enjoint la mesure et meˆme la politesse ; c’est ce qui est arrive´ a` mon e´gard, dans les articles publie´s contre mes questions sur la le´gislation de la presse2, et j’ai e´te´ d’autant plus sensible a` ce proce´de´, que j’avais vu la prohibition e´crite de ne rien inse´rer sur cet ouvrage dans les feuilles quotidiennes. Mais il y a pourtant quelque chose d’e´trange dans une argumentation dirige´e contre un e´crivain qui ne peut pas re´pliquer un mot. Je me souviens que dans un autre temps un homme qui aimait fort a` parler seul en public3, commenc¸ait naı¨vement par dire a` ceux qu’il voulait accabler de son e´loquence, ne me re´pondez pas. Puis venait le monologue le plus anime´, dans lequel, pour comple´ter la bizarrerie, la forme favorite e´tait l’interrogation. Il fallait eˆtre un courtisan bien discipline´ pour ne pas sourire. 18 politesse ; ] politesse ; On voit bien que ce passage est ante´rieur aux articles inse´re´s et aux libelles distribue´s par ordre durant les e´lections. la phrase ajoute´e est une note CPC 22 quelque chose ] la source porte quelques chose EP 1 2 3
Note 1 : Note de BC annonce´e ci-dessus, p. 773, ligne 11. Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, 1817, ci-dessus, pp. 669–670. Napole´on.
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Ajoutons que les me´nagemens que l’on observe aujourd’hui, tenant aux hommes, et pouvant eˆtre abjure´s par d’autres hommes, il est bon de conside´rer que, lorsque les journaux sont ainsi soumis a` l’autorite´, il peuvent devenir un instrument terrible contre les individus, et accre´diter les faits les plus faux et les calomnies les plus absurdes. Nous avons vu sous d’autres re´gimes des femmes distingue´es, en butte a` des assertions qu’elles ne trouvaient aucun moyen de faire de´mentir1. Nous avons vu un litte´rateur ce´le`bre, M. de Laharpe, repre´sente´ au public comme en de´mence, sans qu’il puˆt inse´rer dans un journal une ligne en re´futation de cette imposture2. La diffamation peut ainsi aller de front avec l’arrestation ou l’exil. Je me rappelle que lorsque j’essayai dans le tribunat de combattre le syste`me, qui a perdu la France, on voulut oˆter a` mes raisonnemens le poids que la ve´rite´ pouvait leur donner, en faisant imprimer dans les journaux que j’e´tais e´tranger et que je n’avais point de proprie´te´ en France. J’e´tais franc¸ais et fils d’un pe`re franc¸ais comme religionnaire. J’avais de´ja` pre`s de Paris et a` Paris des proprie´te´s. Tous les habitans de mon de´partement m’avaient vu habiter ces proprie´te´s et exercer depuis plusieurs anne´es des fonctions qui constataient mes droits. Mais l’assertion des journaux ne pouvant eˆtre contredite, diminuait le poids quelconque qu’auraient eu des paroles raisonnables, et l’intention e´tait remplie. Ce qui s’est fait contre des individus re´duits au silence pourrait se faire aujourd’hui, si le ministe`re le voulait ; et comme le ministe`re est une chose amovible, ceux meˆmes qui comptent les hommes pour tout et les principes pour rien, doivent craindre un pareil danger. (2) Je ne pre´tends point par ces paroles juger un jugement dont je ne connais point les motifs, ni inculper un tribunal dont j’ignore les proce´dures ; c’est contre la rigueur de la loi et la nature des formes que je m’e´le`ve3. Si, comme je dois le supposer, les juges n’ont fait que suivre a` la lettre une loi rigoureuse et rapide, il est clair qu’il faut la changer. A aucune e´poque, chez aucun peuple, un enfant de seize ans et demi n’a me´rite´ la mort4, sur-tout quand il s’agit d’opinions politiques ou d’actes se´ditieux qui tiennent a` ces opinions. Un enfant de seize ans et demi n’a point d’opinions, il n’en comprend aucune, il ne professe que celles qu’on lui dit de re´pe´ter ; il ne commet d’actions que celles qu’on lui fait commettre. Ce qu’il faut alors pour empeˆcher le mal qu’il peut faire, c’est le renfermer et l’instruire, mais ce n’est pas le tuer. 29 sur-tout ] la source porte surt-out EP 1 2 3 4
Allusion a` Mme de Stae¨ l. Sur les accusations dirı´ge´es contre Jean-Franc¸ois de Laharpe, voir les Me´moires de Juliette, (OCBC, Œuvres, t. IX,1, pp. 301–302 et 317–318. Note 2 : Note de BC annonce´e ci-dessus, p. 774, ligne 23. ` la suite du jugement de la conspiration de Didier a` Grenoble en 1816, un enfant de seize A ans fut exe´cute´ comme complice.
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(3) Durant notre longue et triste re´volution, beaucoup d’hommes s’obstinaient a` voir les causes des e´ve´nemens du jour dans les actes de la veille1. Lorsque la violence, apre`s avoir produit une stupeur momentane´e, e´tait suivie d’une re´action qui en de´truisait l’effet, ils attribuaient cette re´action a` la suppression des mesures violentes, au relaˆchement de l’autorite´2 a ; mais il est dans la nature des de´crets iniques de tomber en de´sue´tude ; il est dans la nature de l’autorite´ de s’adoucir meˆme a` son insu. Les pre´cautions, devenues odieuses, se ne´gligent ; l’opinion pe`se malgre´ son silence ; la puissance fle´chit ; mais comme elle fle´chit de faiblesse, elle ne se concilie pas les cœurs. Les haines se de´veloppent ; les innocens, frappe´s par l’arbitraire, reparaissent plus forts ; les coupables, condamne´s sans avoir eu le be´ne´fice des formes, semblent innocens ; et le mal qu’on a retarde´ de quelques heures revient plus terrible, aggrave´ du mal qu’on a fait. Article retranche´ par la censure dans le Mercure du 16 aouˆt dernier. Ce qu’il y a de bizarre, c’est que cet article e´tait tire´ mot pour mot d’un ouvrage que j’ai publie´ en mars 1814, qui a eu quatre e´ditions successives, et dans lequel personne n’avait trouve´ d’opinions re´pre´hensibles3. Comment ce qui e´tait innocent alors serait-il devenu coupable aujourd’hui ? (4) Les formes sont une sauve-garde4 : l’abre´viation des formes est la diminution ou la perte de cette sauve-garde : l’abre´viation des formes est donc une peine. Si vous infligez cette peine a` un accuse´, c’est donc que son crime est de´montre´ d’avance ; mais si son crime est de´montre´, a` quoi bon un tribunal, quel qu’il soit ? et si un crime n’est pas de´montre´, de quel droit le placez-vous dans une classe particulie`re et proscrite, et le privez-vous sur un simple soupc¸on du be´ne´fice commun a` tous les membres de l’e´tat social ? a
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Les auteurs des dragonades faisaient le meˆme raisonnement sous Louis XIV. Lors de l’insurrection des camizards, dit Rhulie`res (Eclaircissement sur l’e´dit de Nantes. 11, 278), le parti qui avait sollicite´ la perse´cution des religionnaires, pre´tendait que la re´volte des camizards n’avait pour cause que le relaˆchement des mesures de rigueur. Si l’oppression avait continue´, disaient- ils, il n’y aurait point eu de soule`vement ; si l’oppression n’avait point commence´, disaient ceux qui s’e´taient oppose´s a` ces violences, il n’y aurait point eu de me´contens. Note 3 : Note de BC annonce´e ci-dessus, p. 775, ligne 29. Ce passage (de «beaucoup d’hommes» a` «de l’autorite´») est repris des Principes de politique de 1806. Livre VI, chap. 1, p. 108 de l’e´d. Droz (1980). De l’Esprit de conqueˆte, 4e e´d., OCBC, Œuvres, t. VIII,2, p. 789. Ce passage figure de´ja` dans les Principes de politique de 1806, p. 108. Voir ci-dessus, pp. 587–591, l’article du Mercure censure´. Note 4 : Note de BC annonce´e ci-dessus, p. 778, ligne 33.
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Ce sont des se´ditieux, dit-on, des conspirateurs auxquels on enle`ve le be´ne´fice des formes, Mais avant de les reconnaıˆtre pour tels, ne faut-il pas constater les faits ? Or, que sont les formes, sinon les meilleurs moyens de constater les faits ? S’il en existe de meilleurs ou de plus courts, qu’on les prenne : mais qu’on les prenne alors pour toutes les causes. Pourquoi y aurait-il une classe de faits sur laquelle on observerait des lenteurs superflues, ou bien une autre classe, sur laquelle on de´ciderait avec une pre´cipitation dangereuse ? Le dile`me est clair. Si la pre´cipitation n’est pas dangereuse, les lenteurs sont superflues ; si les lenteurs ne sont pas superflues, la pre´cipitation est dangereuse. Ne dirait-on pas qu’on peut distinguer a` des signes certains et infaillibles, avant le jugement, les hommes innocens et les hommes coupables ; ceux qui doivent jouir de la pre´rogative des formes, et ceux qui doivent en eˆtre prive´s ? C’est parce que ces signes n’existent pas, que les formes sont indispensables ; c’est parce que les formes ont paru l’unique moyen de discerner l’innocent du coupable, que tous les peuples libres et humains en ont re´clame´ l’institution, Et remarquez que lorsqu’il s’agit d’une faute le´ge`re, et que l’accuse´ n’est menace´ ni dans sa vie ni dans son honneur, l’on instruit sa cause de la manie`re la plus solennelle : mais lorsqu’il est question de quelque attentat qui entraıˆne et l’infamie et la mort, l’on supprime d’un mot toutes les pre´cautions tute´laires, l’on ferme le code des lois, l’on abre`ge les formalite´s, comme si l’on pensait que plus une accusation est grave, plus il est superflu de l’examiner. Article retranche´ par la censure du Mercure du 16 aouˆt dernier. L’observation par laquelle la note pre´ce´dente se termine, se reproduit ici. Tout ce morceau est tire´ de mes re´flexions sur les constitutions et les garanties publie´es en 1814, et qu’on avait trouve´es pleines de mode´ration, ou plutoˆt, j’avais transporte´ dans ces re´flexions cette partie d’un discours prononce´ au tribunat en 1801 contre les tribunaux spe´ciaux1 : car je n’ai dit en 1814 que ce que j’avais dit en 1801, et je ne dis, en 1817, que ce que je disais en 1814. Mais pourquoi ce morceau a-t-il e´te´ retranche´ par la censure actuelle ? comment peut-il y avoir de l’inconve´nient a` imprimer que les formes sont une sauve-garde, que la pre´cipitation est dangereuse, et qu’il ne faut pas soumettre un homme a` une peine, avant qu’il ne soit juge´ ?
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Le passage censure´ figure dans les Re´flexions sur les constitutions (1814), 2e e´d., OCBC, Œuvres, t. VIII,2, pp. 1128–1129. Il reprend en effet une partie du discours de BC au Tribunat sur les tribunaux criminels spe´ciaux, du 5 pluvioˆse An IX, OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 241–242. Voir ci-dessus, p. 790, n. 3
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Tel est le mauvais effet de la censure, que ceux qui l’exercent ne savent ni ce qu’ils doivent proscrire, ni ce qu’ils doivent tole´rer. Plusieurs censeurs, ceux du Mercure entr’autres sont tre`s-e´claire´s, tre`s bien intentionne´s ; mais ni les lumie`res ni les bonnes intentions ne servent quand on est charge´ d’une fonction dont l’arbitraire est la base. On marche sans re`gle, on s’agite, on se tourmente, on tourmente les autres, et le re´sultat est pourtant que ce qui ne s’e´crit pas se pense, que ce qui ne s’imprime pas se dit, avec plus d’amertume seulement, parce qu’on est irrite´ des geˆnes qu’on rencontre, comme un homme parle ne´cessairement plus haut, lorsqu’on essaie d’e´touffer sa voix. (5) Peut-eˆtre une portion de ce que je dis sur l’Angleterre n’est-il applicable qu’a` l’e´tat ou` elle se trouvait il y a quelque temps1. Des observateurs judicieux ont cru s’apercevoir que son esprit national et la marche de son gouvernement avaient pris dans ces dernie`res anne´es une direction nouvelle. Mais je n’y verrais qu’une raison de plus d’eˆtre fide`le a` la liberte´ en France. Ce serait un bel he´ritage a` recueillir, et aucune gloire ne manquerait a` notre patrie, si elle devenait a` son tour la terre classique de la liberte´.
12 quelque temps ] la source porte quelques temps EP
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Note 5 : Note de BC annonce´e ci-dessus, p. 785, ligne 38.
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Introduction
` la de´monstration serre´e, Voila` un texte inattendu de la part de Constant. A dans une langue e´le´gante, succe`de une brochure faussement bonhomme, attribue´e a` un e´lecteur bourgeois, ne´gociant de pe`re en fils et justement pre´occupe´ de la se´curite´ et du de´veloppement de ses affaires. Sur le fond, il s’agit de la reprise des the`ses et du programme des libe´raux, tels qu’exprime´s par Constant dans Des e´lections prochaines. Les textes sont exactement contemporains (septembre 1817). Nous pouvons donc renvoyer le lecteur a` l’Introduction de Des e´lections prochaines pour tout ce qui concerne le cadre politique du de´bat et les lois dont l’abrogation doit eˆtre demande´e, selon le programme des libe´raux. Pourquoi avoir choisi la forme de la re´flexion d’un e´lecteur imaginaire, alors que Constant est si a` l’aise dans la discussion abstraite des ide´es politiques ? Il ne faut pas oublier qu’un des the`mes auxquels il revient souvent est celui du caracte`re spe´cifique de la liberte´ des modernes : «Le commerce et l’industrie, e´crit-il dans Des e´lections prochaines, sont aujourd’hui les re´gulateurs des Etats et les arbitres du gouvernement1». Or «le commerce ne vit que par la liberte´2». Cette nouvelle classe bourgeoise a besoin du plein exercice des liberte´s constitutionnelles pour assurer la se´curite´ et le de´veloppement de ses affaires. L’Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme a pour but de l’en convaincre, d’ou` les exemples frappants imagine´s par Constant. C’est dans ce monde qu’il pense trouver le plus naturel des appuis. C’est donc a` ce monde qu’il s’adresse ici, celui que Balzac de´crira un peu plus tard avec Ce´sar Birotteau, le parfumeur cre´ateur de la «Double paˆte des Sultanes» et de «l’Eau carminative» ou Longueville, inte´resse´ dans le commerce de Palma, Werbrust et compagnie, rue du Sentier (mousselines, calicots et toiles peintes en gros) et qui finira Pair de France sous la Monarchie de juillet3. L’ouvrage est d’un anonymat tout relatif. Il figure comme une «brochure tre`s piquante» avec trois autres brochures de Constant dans la liste des titres libe´raux disponibles chez ses libraires, annonce´s dans les Notes sur quelques articles de journaux qui paraıˆtront simultane´ment. 1 2 3
Voir ci-dessus p. 763. Voir ci-dessus pp. 763–764. Voir Le bal de Sceaux.
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Il semble que Constant n’en ait pas e´te´ me´content, a` telles enseignes qu’il en publiera une re´impression a` l’occasion des e´lections de 1818, mais cette fois sous son nom. C. R. E´tablissement du texte Cette brochure a connu trois e´ditions. La premie`re (E1) a paru a` l’occasion des e´lections de 1817, sans nom d’auteur vu la fiction du titre. Constant en a publie´ une seconde e´dition (E2), a` l’occasion des e´lections de 1818, mais cette fois en apparaissant dans le titre, sous la forme : Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme recueilli et publie´ par M. Benjamin-Constant, e´ligible. Cette e´dition est pre´ce´de´e d’un «Avis de l’e´diteur». Cette e´dition a connu un second tirage (E3) sans changements, a` l’exception de la page de titre. Dans le Cours de politique constitutionnelle, Constant a repris le texte de 1818, sans l’«Avis de l’e´diteur». La pre´sente e´dition reproduit le texte de 1817, en signalant les modifications apporte´es en 1818, a` l’exception des variantes de l’orthographe de CPC (appurer/apurer ; Ministre/ministre ; charte/Charte ; Huguenots/huguenots, etc.). Imprime´s : 1. ENTRETIEN D’UN E´LECTEUR AVEC LUI-MEˆME. [petit filet ondule´] A PARIS. Chez PLANCHER, Libraire, Editeur des Œuvres de Voltaire, en 35 volumes in 12, et du Manuel des Braves, rue Poupe´e, no. 7. DELAUNAY, Libraire, au Palais-Royal. [petit filet enfle´] 1817. 8o, (210 × 127 mm). Pp. [1] faux-titre, [2] adresse de l’imprimeur Doublet, [3] titre, [4] blanche, [5]–20 texte. Courtney, Bibliography, 24a. Courtney, Guide, A24/2. Nous de´signons ce texte par le sigle E1. Exemplaire utilise´ : Bibliothe`que nationale suisse, Berne. 2. ENTRETIEN D’UN E´LECTEUR AVEC LUI-MEˆME. RECUEILLI ET PUBLIE´ PAR M. BENJAMIN-CONSTANT, E´LIGIBLE. [petit filet ondule´] A PARIS, Chez PLANCHER, E´ DITEUR DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, no. 7. [filet] 1818. 8o, (206 × 127 mm). Pp. [1] faux-titre, [2] adresse de l’imprimeur Madame Jeunehomme-Cre´-
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mie`re, rue Hautefeuille, no 20, [3] titre, [4] publicite´, [5]–6 Avis de l’e´diteur, [7]–21 texte. Courtney, Bibliography, 24b. Courtney, Guide, A24/2. Nous de´signons ce texte par le sigle E2. Exemplaire utilise´ : collection particulie`re. 3. ENTRETIEN D’UN E´LECTEUR AVEC LUI-MEˆME. RECUEILLI ET PUBLIE´ PAR M. BENJAMIN-CONSTANT, E´LIGIBLE. [petit filet ondule´] A PARIS, Chez PLANCHER, E´ DITEUR DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, no. 7. [petit filet ondule´] 1818. 8o, (180 × 110 mm). Courtney, Bibliography, 24c. Courtney, Guide, A24/3 Nous de´signons ce texte par le sigle E3. E´dition non consulte´e. 4. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES Publie´s sur le Gouvernement repre´sentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espe`ce de Cours de politique constitutionnelle ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [ligne ondue´e] TROISIE`ME VOLUME. [ligne ondule´e] Cinquie`me partie de l’Ouvrage. A PARIS, CHEZ P. PLANCHER, E´ DITEUR DES OEUVRES DE VOLTAIRE ET DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, no 7. [filet] 1819. Le texte de la brochure se trouve sous le titre Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme pp. [49]–62. Courtney, Bibliography, 131a(3). Courtney, Guide, E1/1(3). Exemplaire utilise´ : Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Politik oct. 964. Nous de´signons cet ouvrage par le sigle CPC. La brochure a donne´ lieu a` un compte rendu, a` deux re´pliques et a` une annonce : 1. Journal de Paris, no 261, 18 septembre 1817, pp. 1a–2b. 2. [Joseph-Franc¸ois Nicolas Dusaulchoy de Bergemont], dans Lettres Parisiennes, Paris : Delaunay, 1817, no 3, pp. 45–46. 3. Monologue d’un e´lecteur, pour faire pendant a` l’entretien d’un autre E´lecteur avec lui-meˆme, Paris : Denugon, 18171. 4. Journal du Commerce, no 79, 10 octobre 1817, p. 2. 1
Voir ci-dessous, p. 816.
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Traduction italienne : Pensieri sugli ultimi avvenimenti, seguiti dal Ragionamento di un elettore da se stesso. Pubblicati da V. Balsamo. Lecce il 15 luglio 1820. Ce texte a e´te´ publie´ par E´douard Laboulaye, dans son e´dition du Cours de politique constitutionnelle : ou collection des ouvrages publie´s sur le gouvernement repre´sentatif, par Benjamin Constant. Avec une introduction et des notes par M. E´douard Laboulaye, Paris : Guillaumin, 1861, 21872, t. I, pp. 347–358. C. R., K. K.
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Entretien d’un Electeur avec lui-meˆme.
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Je suis Electeur, je ne l’e´tais pas il y a un an. Bonaparte m’avait enleve´ ce droit en e´tablissant ses Colle´ges e´lectoraux1. Je ne concourais donc plus en rien aux choix de ceux qui pre´tendaient me repre´senter. Ces choix se fesaient en haut, sans que j’y eusse part. Mon industrie servait l’e´tat : mais elle e´tait favorise´e ou geˆne´e par des lois sur lesquelles on ne me consultait pas. Je payais les impoˆts, mais l’assiette, la nature, la re´partition de ces impoˆts m’e´taient e´trange`res. Nomme´ par des colle´ges e´lectoraux qui E´tablissement du texte : Imprime´s : 1. Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme, Paris : Plancher, 1817. [=E1] 2. Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme, Paris : Plancher, 1818. [=E2] 3. Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme, Paris : Plancher, 1818. [=E3] 4. Entretien d’un e´lecteur avec lui-meˆme, Cours de politique constitutionnelle, t. III, pp. 49–62, Paris : Plancher, 1819. [=CPC]. 1 lui-meˆme. ] lui-meˆme. l’e´dition de 1818 est pre´ce´de´e du texte suivant Avis de l’e´diteur. Je publiai l’anne´e dernie`re cet Entretien d’un Electeur avec lui-meˆme, en sortant d’assister aux re´flexions qu’avaient sugge´re´es a` ce brave citoyen les souvenirs qu’il avait conserve´s de plusieurs e´poques ante´rieures. Il pre´tend que, depuis qu’il a assiste´ aux Elections, d’apre`s la loi actuelle, il a fait beaucoup d’autres re´flexions. S’il me les communique a` temps, je m’empresserai d’en faire part au Public. E2, E3 cet «Avis de l’e´diteur» n’est pas repris dans CPC 2 un an ] deux ans CPC 1
Comme il le fait souvent, BC situe approximativement son texte par rapport aux circonstances. Si l’indication «il y a un an» se comprend tre`s bien en 1817, elle est vague pour octobre 1818. Rappelons les faits essentiels : Sous l’Empire, un me´canisme complexe d’e´lections de notables, successivement au niveau communal, de´partemental et national, mettait a` la disposition du Se´nat une liste de notables parmi lesquels il choisissait les membres du Corps le´gislatif. En revanche, l’Acte additionnel pre´voyait que la Chambre des repre´sentants serait e´lue par le peuple (OCBC, Œuvres, t. IX,2, p. 613). Mais en fait, les e´lections le´gislatives de juin 1815 se sont faites par les colle`ges e´lectoraux qui e´taient ceux de l’Empire, forme´s, comme le dit Houssaye, par «les royalistes rallie´s, les proprie´taires, les magistrats, les riches industriels, les commerc¸ants notables» (1815, La premie`re Restauration, p. 557). Cela explique la premie`re phrase. Les conditions du vote ont e´te´ modifie´es une nouvelle fois par la loi e´lectorale propose´e a` la Chambre des De´pute´s le 28 novembre 1816 et promulgue´e le 8 fe´vrier 1817, apre`s des de´bats tre`s anime´s dans les deux Chambres. Cette loi pre´voyait que seraient e´lecteurs «les citoyens justifiant de 30 ans d’aˆge et payant 300 francs d’impoˆts directs» (Bertier de Sauvigny, La Restauration, p. 146). Voir sur cette question et l’analyse des de´bats a` la Chambre la brochure de BC, Conside´rations sur le projet de loi relatif aux e´lections, ci-dessus, pp. 619–648, qui approfondit la question.
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m’e´taient ferme´s, mes de´pute´s n’avaient nul lien avec moi. Ils ne me demandaient point mon suffrage. Je n’en avais point a` donner. Tout est change´. Je vais concourir au choix de mes de´pute´s. Les candidats sentent mon importance : ils me sollicitent : ils entrent en explication : ils recueillent mon vœu sur mes inte´reˆts. Pour la premie`re fois, depuis 17 ans, je suis quelque chose dans l’e´tat. Maintenant voyons ce que j’ai a` faire. Je n’ai gue`re le temps de lire. Je m’en tiens aux faits que j’ai vus et a` mon expe´rience. J’avais 22 ans quand la re´volution a commence´1. J’ai vu alors qu’elle e´tait cause´e par la dilapidation du tre´sor public, d’ou` vint le de´ficit. Je ne veux plus de re´volution : celle qui a eu lieu m’a trop fait souffrir. Puisque c’est la dilapidation du tre´sor public qui l’a occasionne´e, il faut, pour que nous n’en ayons jamais d’autres, que le tre´sor ne soit plus dilapide´. La charte y a pourvu, en soumettant a` la chambre des de´pute´s ce qu’on nomme le budjet des ministres, c’est-a`-dire, le montant des de´penses qui leur sont permises. Si les ministres n’exce`dent jamais leur budjet, il n’y aura point de dilapidation, ni par conse´quent de re´volution a` craindre, au moins pour cette cause. Les de´pute´s sont charge´s de surveiller les Ministres. C’est a` eux a` empeˆcher que ceux-ci n’exce`dent leur budjet. Ma premie`re re`gle doit donc eˆtre de nommer des hommes qui exercent avec courage cette surveillance. Pour cela, il faut que ces hommes n’ayent pas d’inte´reˆts contraires. Je me souviens a` ce sujet que mon pe`re, qui e´tait plus riche que moi, parceque le maximum2 ne l’avait pas ruine´, avait un caissier qui dirigeait ses affaires. A la fin de l’anne´e, il examinait ses comptes, ou quelquefois, faute de temps, il les fesait examiner par un autre. Un jour son caissier lui proposa de charger de cet examen un homme que ce caissier employait et payait comme secre´taire. Me croyez-vous fou, lui dit mon pe`re ? Prendrai-je pour appurer vos comptes, votre oblige´, votre salarie´, votre de´pendant ? ce serait comme si je vous prenais vous-meˆme. Depuis que je suis Electeur, j’applique cette re´ponse de mon pe`re a` l’e´lection de nos de´pute´s. Les Ministres sont charge´s de ge´rer les affaires de la Nation, les de´pute´s, d’examiner la gestion des Ministres. Si mon pe`re, ne´gociant, euˆt e´te´ fou de faire appurer les comptes de son caissier par un homme a` lui, je serais fou, moi, citoyen, de faire examiner la gestion des 24 parceque ] parce que CPC 1 2
29 de´pendant ? ce ] de´pendant ! Ce CPC
BC, ne´ en 1767, s’amuse a` s’imaginer l’exact contemporain de son personnage. Plusieurs de´crets de la Convention avaient instaure´ un blocage des prix de certaines denre´es qui ne pouvaient pas eˆtre vendues au-dessus d’un prix maximum.
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Ministres par des hommes a` eux. Seconde re´gle : je ne nommerai pas les oblige´s ou les de´pendans des Ministres pour les surveiller. J’ai connu un homme qui donnait a` son intendant le cinq pour cent de la de´pense de sa maison. Il chargea cet intendant de re´duire sa de´pense. L’intendant le promit et n’en fit rien, parce que chaque re´duction aurait proportionnellement diminue´ son salaire. Je ne chargerai point du vote et par conse´quent de la re´duction des impoˆts, ceux qui sont d’autant mieux paye´s que les impoˆts sont plus forts. Je n’ai pas oublie´, que lorsque la re´volution e´clata, ce qu’on appelait les lettres de cachet et la Bastille avait monte´ les teˆtes : c’e´tait une manie`re d’arreˆter et de de´tenir les gens sans les juger. Cette manie`re d’agir a donc e´te´ encore une cause ou un pre´texte de la re´volution. On me dit qu’arreˆter et de´tenir les gens sans les juger, c’est ce qu’on nomme la suspension de la liberte´ individuelle1. Je ne nommerai point de partisans de cette suspension, parce que je ne veux pas que les teˆtes se montent. Depuis 1792, jusqu’en 1814 inclusivement, j’ai vu bien des gouvernemens s’e´tablir sur ma teˆte. On m’a dit chaque fois qu’il fallait leur accorder tout ce qu’ils demandaient, pour arriver a` un temps tranquille, ou` on leur reprendrait ce qu’on leur aurait accorde´ ! On m’a re´pe´te´ cela sur-tout sous Bonaparte, et j’en ai e´te´ dupe. Je prenais pour des re´volutionnaires tous ceux qui parlaient contre les mesures de l’autorite´, et quand MM. tels et tels, dans l’assemble´e qui eut un instant la faculte´ de parler2, nous pre´disaient de grands malheurs, si nous nous livrions pieds et poings lie´s, je les appelais des Jacobins. Je regardais, au contraire, comme des esprits sages ceux qui criaient, laissez faire, n’entravez pas, laissez la chose se consolider : vous aurez la paix et la tranquillite´ inte´rieure. La chose s’est consolide´e, et nous avons eu le systeˆme continental, et la guerre d’Autriche, et celle de Prusse, et celle d’Espagne, et celle de Russie, ou` j’ai perdu mon fils, et des insurrections, et des conspirations, et des chaˆteaux forts. J’en conclus que ceux que j’ai cru m’ont attrape´. Je ne crois point qu’on veuille m’attraper, cependant je ne nommerai pas ceux qui me tiendront de beaux discours pour me persuader qu’il faut violer la charte. Je suis bon catholique. Je crois la religion ne´cessaire a` la morale. J’aime que ma femme, mes enfans, ma servante, m’accompagnent a` l’e´glise. Mais j’ai a` traiter, a` cause de mon commerce, avec des gens de religion diffe´rente. Il m’importe que ces gens soient tranquilles et en suˆrete´ : car ce n’est qu’alors qu’ils remplissent leurs engagemens, qu’ils payent avec exactitude, et que les affaires qu’on fait avec eux sont actives et sans danger. Mon 1 2
BC vise ici la loi de suˆrete´ ge´ne´rale du 29 octobre 1815, v. l’Introduction de Des e´lections prochaines, pp. 754–755. Le Tribunat.
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bisayeul a e´te´ ruine´, parce que des Huguenots qui e´taient ses de´biteurs se sont enfuis nuitamment de France, a` cause des dragonades : et il n’y a pas extreˆmement longtemps qu’une lettre de change que j’avais tire´e sur un ne´gociant de Nismes, l’ayant trouve´ mort1, m’a mis dans le plus grand embarras, en me revenant proteste´e. J’applaudis donc de tout mon cœur a` l’article de la Charte qui a proclame´ la liberte´ des cultes et garanti la suˆrete´ de ceux qui les professent2. Je tiens fort a` ce que rien ne remette en doute cette liberte´ ; car si, par des vexations directes ou indirectes, on jetait le de´sordre dans les affaires des protestans qui me doivent, ce ne serait pas eux mais moi qu’on ruinerait. Je nommerai donc pour de´pute´s des hommes bien de´cide´s a` maintenir cet article de la Charte. On m’a beaucoup parle´ depuis quelques temps, d’une autre liberte´ qu’on appelle celle de la presse et des journaux. Autrefois je ne m’y inte´ressais gue`res. Mais il me revient a` l’esprit que, sous Bonaparte, j’avais une affaire dans le Calvados. Un de mes correspondans m’avait indique´, du mieux qu’il avait pu, qu’il y avait de l’agitation dans cette contre´e. Pour eˆtre bien au fait je consulte les journaux ; et voila` que le Journal de l’Empire m’apprend que tout y est parfaitement tranquille. Je me mets en route a` cheval, sur cette assurance. Je trouve pre`s de Caen, en 1811, ce peuple en rumeur, la gendarmerie tirant des coups de fusils a` des insurge´s, les insurge´s re´pondant par des coups de pierre dont quel ques-unes m’atteignent. Me voyant venir du coˆte´ de Paris, on me prend pour un agent de la police. Je m’enfuis ; mais les gendarmes qui m’aperc¸oivent me prennent pour un des chefs des rebelles. Je passe vingt jours en prison ; l’on me traduit devant une cour qui s’appelait alors spe´ciale : je suis ne´anmoins acquitte´. Je reviens a` Paris, et je lis dans mon journal que depuis un mois l’union la plus touchante re´gne dans le Calvados. Je conclus de ce fait que si les journaux avaient dit la ve´rite´, je n’aurais pas entrepris ce malencontreux voyage. Tout bien pese´, je nommerai pour De´pute´s ceux qui veulent la liberte´ des journaux. Je n’ai point achete´ de biens nationaux ; j’ai toujours re´serve´ tous mes capitaux pour mon commerce. Mais, en 1813, un de mes oncles m’a laisse´ en mourant une cre´ance de 20,000 francs sur l’acque´reur d’une abbaye ; cette cre´ance devait eˆtre rembourse´e fin de 1815, j’en ai demande´ le remboursement ; mon de´biteur avait bonne volonte´, mais il manquait de fonds ; il a voulu vendre son domaine, personne n’a voulu l’acheter. Il a voulu 1 bisayeul ] bisaı¨eul CPC 1 2
14 gue`res. Mais ] gue`res ; mais CPC
Allusion a` la Terreur blanche de´clenche´e par la re´action en 1815 et qui fit de nombreuses victimes parmi les protestants du Midi. Art. 5 du Titre de la Charte intitule´ Droit public des Franc¸ais.
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emprunter sur ce domaine, personne n’a voulu lui preˆter un sol. J’avais compte´ sur ce remboursement : j’ai e´te´ sur le point de faire faillite. Si les de´pute´s que nous avions alors n’avoient pas e´branle´, sans le vouloir, la confiance que la charte doit inspirer pour les acquisitions nationales, rien de tout cela ne me serait arrive´ ; mon de´biteur auroit trouve´ a` vendre sa terre, j’aurais e´te´ paye´ a` l’e´che´ance, et je n’aurais pas e´te´ oblige´ de ce´der a` vil prix mes marchandises, et de fournir des effets a` gros inte´reˆts pour faire honneur a` ma signature. Je ne nommerai de´pute´s que des hommes qui de´fendent l’inviolabilite´ des biens nationaux1, parce que je ne veux pas que les acque´reurs de ces biens qui me doivent ou qui pourront me devoir soient hors d’e´tat de me payer ; et comme la valeur d’une proprie´te´ de´pend de l’opinion aussi bien que de la loi, j’exigerai de mes de´pute´s qu’ils veillent a` ce que la sanction religieuse donne´e a` ces biens ne leur soit pas retire´e. Ainsi donc : 1o. Ordre dans les finances, afin que le de´sordre des finances ne produise pas une nouvelle re´volution ; et pour maintenir cet ordre dans les finances, nomination de de´pute´s qui soient inde´pendans des ministres, et qui, ne recevant point de salaires, n’aient pas inte´reˆt a` l’augmentation des impoˆts, sur lesquels ces salaires sont assis. 2o. Liberte´ des personnes, afin d’e´viter le me´contentement que les citoyens e´prouvent quand on les arreˆte et qu’on les retient sans les juger ; et pour cela nomination de de´pute´s qui ne votent pas contre la liberte´ des personnes. 3o. Mise en activite´ de tous les articles de la Charte, parce que l’expe´rience m’a appris que lorsqu’une constitution n’est pas observe´e, c’est comme s’il n’y en avait pas du tout, et qu’en les ajournant, on n’arrive jamais qu’a` les ajourner encore ; et afin de mettre la Charte en activite´, nomination de de´pute´s qui veuillent faire aller la constitution par ellemeˆme. 4o. Liberte´ des cultes, afin que je ne sois pas oblige´, avant de vendre a` terme, de demander de quelle religion est mon acheteur, et que je ne sois pas ruine´, si parmi mes de´biteurs il se trouve quelque protestant perse´cute´ ; et pour cela nomination de de´pute´s qui s’opposent a` toute re´introduction de l’intole´rance. 1 sol ] sou CPC 1
Bien que la Charte (art. 9 du Titre Droit public des Franc¸ais) ait spe´cifiquement proclame´ que toutes les proprie´te´s e´taient inviolables, «sans aucune exception de celles qu’on appelle nationales», des voix s’e´taient e´leve´es du coˆte´ des ultras pour contester la validite´ de l’acquisition des biens nationaux durant la Re´volution. Le de´bat fut finalement clos en 1815 par l’octroi d’une indemnite´ d’un milliard aux proprie´taires de´posse´de´s (le «milliard des e´migre´s»).
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5o. Liberte´ de la presse et des journaux, afin que je sache ce qui se passe a` dix lieues de Paris, et que je n’aille pas donner dans un gueˆpier, sur la foi de quelque journal menteur ; et pour cela nomination de de´pute´s qui votent pour que les journaux disent ce qui est. 6o. Protection des acque´reurs de biens nationaux, afin que je puisse recouvrer les cre´ances que je pourrai avoir sur un ou deux des cinq ou six millions d’acque´reurs de biens nationaux qui sont en France ; et pour cela nomination de de´pute´s qui ne se permettent pas de menacer les acque´reurs de biens nationaux, ou de les insulter, ce qui est tout aussi mauvais ; mais qui, au contraire, repoussent les mesures qui invalideraient leurs droits ou qui alarmeraient leurs consciences. Voila` les premie`res re`gles, les re`gles ge´ne´rales que je me prescris, en participant aux e´lections. Ce n’est pas tout : je suis E´lecteur pour la France en ge´ne´ral ; mais je suis aussi E´lecteur en particulier pour mon de´partement et pour son chef-lieu. Je veux bien que mes de´pute´s sacrifient mon de´partement a` la France, quand c’est ne´cessaire ; mais je veux qu’ils examinent bien cette ne´cessite´. Je ne serais pas meˆme faˆche´ qu’ils n’y souscrivissent qu’avec re´pugnance. Les de´pute´s des autres de´partemens, e´tant toujours en majorite´, sauront bien re´tablir l’e´quilibre. Or, je crois me souvenir qu’a` toutes les e´poques Paris a e´te´ malheureux a` cet e´gard. Cela tient peut-eˆtre a` ce que plusieurs des de´pute´s de Paris e´taient toujours de grands fonctionnaires publics, devant s’occuper de grandes questions et de beaucoup de choses fort importantes ; mais j’aurais voulu quelques petits mots aussi de leur part sur nos octrois, sur certains emprunts, et sur des impoˆts qui nous inte´ressent. Je me souviens qu’un d’entre eux fit un beau rapport sur une loi, en 1815 ; je crois que c’e´tait au mois d’octobre1 (j’e´tais alle´ expre`s pour l’entendre, quoique ce fut un samedi, jour ou` j’ai beaucoup a` faire) : en l’e´coutant, je me disais : Comme ce brave orateur de´fendra bien nos inte´reˆts, quand il s’agira du budjet et des contributions indirectes ! et j’ai e´te´ tout chagrin, quand j’ai vu qu’apre`s avoir si bien parle´ pour que ceux qui e´taient suspects fussent arreˆte´s, il ne disait pas une syllabe pour que ceux qui n’e´taient pas suspects ne payassent pas trop. On me re´pliqua qu’il occupait une autre grande place dans l’E´tat, et qu’il e´tait fatigue´, parce qu’il avait beaucoup travaille´ dans cette autre place. Cette anne´e-ci, espe´rant qu’il aurait plus de temps, j’ai cru qu’il allait se montrer, pour nous, notre de´pute´,
18 pas meˆme ] meˆme pas CPC 1
La loi de suˆrete´ ge´ne´rale du 29 octobre 1815. L’allusion vise probablement E´tienne Pasquier, ministre et de´pute´ de la Seine depuis 1815, qui s’e´tait montre´ dans son discours du 23 octobre 1815 convaincu de la ne´cessite´ d’une loi d’exception. Comme il se pre´sente aux e´lections d’octobre 1817, les propos de BC servent aussi a` critiquer un adversaire, qui du reste sera e´lu.
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et je me suis de´range´ quatre fois pour aller l’entendre ; je n’ai pas eu ce bonheur. Voila` ce que c’est que d’avoir pour de´pute´s de grand fonctionnaires. Les de´pute´s des de´partemens ont de´fendu pied a` pied leur cause ; ils ont obtenu des diminutions, et quand ils n’en ont pas obtenu, ils ont console´ leurs commettans en leur montrant qu’ils fesaient leur possible. Nous autres Parisiens, nous avons entendu de´clarer, en notre pre´sence, a` la tribune, que Paris supporterait les trois cinquie`mes de l’impoˆt sur les huiles, et pas un de nos de´pute´s n’a re´clame´. Les grands fonctionnaires ont beaucoup de bon ; mais ils ont ce de´faut que pour mener les affaires publiques ils doivent se faire un parti, et pour se faire un parti ils sacrifient Paris aux de´partemens, afin que les de´ pute´s des de´partemens votent avec eux. Je me promets donc de nommer pour de´pute´s des hommes qui pensent a` moi, qui parlent pour moi, qui ne laissent pas emprunter le´ge`rement ce que je dois payer, qui empeˆchent qu’on ne taxe trop les objets que j’emploie, l’huile qui e´claire mes ouvriers, l’eau-de-vie ou le vin que je bois, et dont, en de´finitif, la cherte´ retombe sur moi. Je ne demande pas a` mes de´pute´s de sacrifier le bien de l’E´tat a` mes inte´reˆts ; mais c’est bien le moins qu’ils tiennent compte de ces inte´reˆts, et qu’ils ne se taisent pas quand on les attaque. Voila qui est bien. Je crois avoir re´capitule´ tout ce que j’ai a` faire pour user utilement de mes droits. Mais il faut penser a` l’exe´cution. Le colle´ge s’ouvre a` huit heures. Les premiers arrive´s forment le bureau provisoire, qui influera sur le bureau de´finitif. Il m’importe que les scrutateurs et le secre´taire soient des citoyens en qui j’aye confiance. Ce n’est pas que je me de´fie de personne, mais on est toujours bien aise de voir au bureau des hommes qu’on aime. J’irai donc avant huit heures au lieu d’assemble´e. Les journaux me disent de n’y pas manquer, parce que les factieux s’y rendront en foule. Je ne crois pas qu’il y ait tant de factieux, je sais que les journaux sont peu dignes de foi. Je sui vrai pourtant ce conseil, parcequ’il est bon d’ailleurs. Il parait que la liste des e´ligibles ne sera remise qu’au Pre´sident1. C’est singulier et facheux. Car nous ne la connaıˆtrons gue`re et nous n’aurons pas 3–8 Les de´pute´s ... n’a re´clame´. ] supprime´ dans E2, E3, CPC 10–11 ils sacrifient ... votent avec eux ] pour se faire un parti, ils sacrifient tant qu’on veut leurs commettans E2, E3, CPC
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Sur le scrutin en deux temps, voir la Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille de Constant-Rebecque, Introduction, p. 886. La liste officielle des e´ligibles donnait le nom, l’adresse et l’aˆge des citoyens qui remplissaient les conditions d’e´ligibilite´, ainsi que le montant des contributions directes acquitte´es par eux. La liste e´tait imprime´e et on ne voit pas pourquoi elle n’aurait e´te´ remise qu’au pre´sident du bureau. On connaıˆt la liste sur laquelle figurait BC lors des e´lections de 1817, voir ci-dessous, p. 886, n. 1.
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le temps de la lire. On dit qu’on y supple´era par des listes abre´ge´es sur le bureau, qui nous dispenseraient de cette lecture. Je ne veux me dispenser de rien : il me plaıˆt de prendre de la peine, et je ne consulterai point les petites listes sur le bureau. Je m’assurerai d’avance que ceux que je veux nommer sont e´ligibles, et j’apporterai mon bulletin avec moi pour qu’il soit e´crit bien lisiblement, avec toutes les de´signations de chacun, sans quoi il serait nul et mes pas seraient perdus. J’ai une raison d’apporter mon bulletin tout fait : c’est que nous serons cinq a` six cents e´lecteurs, et que le scrutin ne sera ouvert qu’environ six heures ; or, s’il fallait que cinq a` six cents personnes e´crivissent chacune huit noms sur le bureau meˆme, l’ope´ration de s’asseoir, de prendre une plume, de se rappeler les huit noms et de les e´crire, prendrait pour chaque votant plus d’une minute, et il faudrait neuf a` dix heures pour eˆtre suˆr de voter. Avant que l’empire nous eut de´pouille´ de notre droit, par l’invention des colle´ges e´lectoraux, j’avais e´te´ membre deux fois d’assemble´es e´lectorales. Taˆchons de me rappeler les ruses qu’on a essaye´es pour me tromper. Une fois, on m’a dit que le candidat que je voulais nommer e´tait mort, une autre fois qu’il avait fait banqueroute. Il se portait a` merveille, il ne devait rien a` personne, et il e´tait plus riche que moi. J’en conclus qu’il faudra que je n’e´coute pas les bruits qu’on fera courir dans l’assemble´e meˆme. Je mettrai tous mes soins a` bien savoir les faits d’ici la` ; mais une fois de´cide´, je ne me laisserai plus e´branler. Si je me laissais e´branler, le moment du scrutin passerait, et quand je de´couvrirais qu’on m’a pris pour dupe, il serait trop tard. Je me souviens encore que nous e´tions deux cents Electeurs sur quatre a` cinq cents, re´solus a` nommer un tre`s brave homme : un faux fre`re se glissa parmi nous, et nous dit, en nous montrant le plus grand chagrin, que les trois cents Electeurs, dont nous ne connaissions pas les intentions, avaient donne´ leurs voix a` un autre, et que nommer notre candidat serait peine perdue. Nous ne vouluˆmes pas perdre notre voix. Nous nous reportaˆmes sur celui que nous croyions e´lu et qui valait bien moins que le noˆtre. Au de´pouillement du scrutin, il se trouva que celui que nous aurions pre´fe´re´ avait eu cent voix de l’autre coˆte´, et que c’e´tait nous qui lui avions oˆte´ la majorite´ en l’abandonnant. Je ne preˆterai l’oreille a` aucun conte de ce genre. Je resterai fide`le a` mes choix, j’aime mieux perdre ma voix en nommant celui que je veux, qu’en nommant celui que je ne veux pas.
11 huit ... meˆme, ] le nom de leurs candidats sur le bureau meˆme CPC 12 plume ... e´crire, ] plume et d’e´crire ces noms, CPC 32 croyions ] croyons E1, E2, E3 croyions CPC
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Une autre fois on vint nous dire que si nous nommions tel ou tel homme, nous offenserions le gouvernement : cela nous fit peur ; nous en choisıˆmes un autre. Quatre jours apre`s le pre´sident de notre assemble´e, ayant vu les ministres, vint nous dire qu’on aurait trouve´ fort bonne la nommination que nous avions voulu faire. Je n’e´couterai point ceux qui viendront me parler des pre´tendues intentions du gouvernement : il veut le bien, il veut donc que j’agisse suivant ma conscience. Enfin, je n’ai pas oublie´ que la seconde fois que j’e´tais E´lecteur, l’assemble´e fut convoque´e le jour d’une feˆte a` Romainville ; j’y avais alors une petite campagne ; ma femme m’engagea a` l’y conduire au lieu d’aller voter. Beaucoup de mes amis et de mes confre`res en firent autant pour leurs femmes. Il y avait un homme que nous de´sirions beaucoup voir e´lu, parce qu’il e´tait mode´re´, et qu’il avait lutte´ l’anne´e pre´ce´dente contre le directoire qui nous tourmentait ; mais l’e´lection eut lieu sans nous, et un commissaire du pouvoir exe´cutif, comme on l’appelait alors, fut choisi a` sa place. Si, par hasard, l’e´lection a lieu un dimanche, ma femme dira ce qu’elle voudra, je n’irai pas a` la campagne. Si nous avons de bons de´pute´s, nous aurons assez de jours de feˆtes.
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Introduction
I La brochure Des e´lections prochaines, tire´e au total a` 2800 exemplaires, provoqua des re´actions imme´diates dans la presse ministe´rielle. Dans le de´bat politique, des re´actions de ce genre appellent a` leur tour une re´ponse imme´diate, destine´e d’ailleurs autant aux partisans de l’auteur, qui l’attendent avec impatience comme le dira Constant dans sa Seconde re´ponse, qu’a` ses adversaires. Mais les libe´raux ne disposaient pas d’un organe de presse quotidien. Il n’e´tait pas possible d’attendre la prochaine livraison du Mercure de France. D’ailleurs la censure pre´alable des pe´riodiques aurait permis de baˆillonner Constant. De`s lors la seule re´ponse possible e´tait de lancer une nouvelle brochure, d’autant plus que la date des e´lections approchait. Ainsi, une fois de plus, Constant se mit au travail dans la haˆte. Les articles auxquels il voulait re´pondre avaient paru entre les 10 et 16 septembre 1817. Selon la de´claration de l’imprimeur, ses Notes sur quelques articles de journaux ont paru le 16 septembre de´ja`. Le plus souvent, le pole´miste politique s’attache a` une ou deux phrases de l’adversaire et de´montre que l’on a mal compris sa pense´e. Dans cette brochure, Constant est plus pose´. Il reproduit les passages auxquels il veut re´pondre et il le fait dans des notes de´taille´es, ce qui donne l’impression d’une sorte de dialogue. En fait, ce dialogue donne surtout a` Constant l’occasion de souligner sa pense´e, parfois de la pre´ciser. C’est dire qu’il n’apporte pas beaucoup d’ide´es nouvelles par rapport a` la brochure initiale de re´flexion que repre´sente Des e´lections prochaines.
II La me´thode choisie par Constant, qui commence par de larges extraits de l’article auquel il entend re´pondre, dispense d’une introduction de´taille´e de chaque article. On se bornera a` en rappeler les grandes lignes. Le premier journal auquel Constant re´pond est La Quotidienne, l’organe de re´fe´rence des ultras. Parlant du triste M. de Mortsauf, Balzac e´crit dans Le Lys dans la valle´e : «Le libe´ral le plus haineux, mot qui n’e´tait pas encore monnaye´, aurait facilement reconnu chez lui la loyaute´ chevale-
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
resque, les convictions immarcescibles du lecteur a` jamais acquis a` La Quotidienne». Selon les re`gles du genre, l’article de La Quotidienne commence par un compliment : «M. Benjamin de Constant a pris les devants ; sa brochure intitule´e Sur les e´lections prochaines, est sans doute e´crite avec un talent remarquable, avec un don de politesse et d’urbanite´ qui me´rite de trouver des imitateurs ; mais le raisonnement qui en fait la base n’est fonde´ que sur un inge´nieux sophisme, pour ne pas dire sur un jeu de mots. «Il nous faut des e´lecteurs inde´pendants» dit M. de Constant et tout le monde lui re´pondra d’une commune voix : «Nous le pensons comme vous. Mais a` quelle marque certaine et infaillible reconnaıˆtrons-nous un inde´pendant ?» Pour re´pondre a` cette question, le journaliste reprend la description des trois nuances d’opinion dans lesquelles Constant classe les e´lecteurs. Puis il en vient a` sa critique fondamentale : l’expe´rience et l’histoire ne prouvent-elles pas que les constitutions doivent parfois eˆtre limite´es par des lois d’exception ? C’est l’objet de la premie`re note de Constant, qui s’e´tait d’ailleurs de´ja` exprime´ a` ce sujet dans Des e´lections prochaines. La seconde attaque fausse la pense´e de Constant. L’auteur de l’article tire de la de´finition stricte que donne Constant des inde´pendants la conse´quence qu’il exclurait les autres cate´gories de citoyens de la jouissance des droits politiques. Il est e´vident que Constant ne l’a jamais pre´tendu. La re´ponse e´tait donc facile.
III Constant consacre plus de temps aux critiques des Annales litte´raires. Ce journal avait consacre´ un article entier de pre`s de deux colonnes a` la brochure de Constant. Mais l’auteur de´clarait d’emble´e qu’il limitait la discussion. «Mais je ne veux, dit-il, qu’indiquer une erreur dans laquelle M. Benjamin de Constant me semble eˆtre tombe´, sur un point qui forme toute la base de son syste`me et qui, e´tant e´carte´, entraıˆne les conse´quences qui en sont de´duites». L’auteur poursuit par le premier passage reproduit dans la brochure, ce qui donne a` Constant l’occasion d’une re´ponse solide qui occupe les premie`res notes. Puis le journaliste des Annales litte´raires poursuit par des interrogations sur les inde´pendants loue´s par Constant. Ils lui «paraissent une abstraction dont il serait difficile de trouver la re´alite´», ce qui permet a` Constant de re´pondre avec vivacite´.
Notes sur quelques articles de journaux – Introduction
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Quant au journaliste des Annales litte´raires, il poursuit son e´loge du ministe`re en concluant que «ce n’est pas sous le gouvernement du meilleur des Rois que l’on peut redouter ni les exce`s des ministres ni l’abus de la mission confie´e aux Chambres». IV Constant re´plique ensuite a` deux articles du Journal des de´bats. Il ne retient qu’un passage du premier de ces articles, celui paru dans le nume´ro du 14 septembre, ce qui est peut-eˆtre regrettable car, de tous les articles auxquels il a entendu re´pondre, celui-ci e´tait peut-eˆtre le plus inte´ressant. Il de´fend notamment la the`se selon laquelle «il y a pe´ril a` produire des hommes de parti pour leur confe´rer la mission d’assurer la pleine et loyale exe´cution de la Charte, qui certainement satisfait et suffit aujourd’hui aux besoins de la France». Constant re´pond habilement a` cet argument en de´nonc¸ant ceux qui «voudraient que la Re´volution ne fut qu’un de´placement d’hommes et nullement un e´tablissement de principes». Il s’e´tend plus sur un autre article, paru dans le nume´ro du 16 septembre du meˆme journal, qui examinait les diverses cate´gories de pre´tendants a` l’inde´pendance et visait clairement Constant en soulignant que «le talent de bien dire ne suppose pas toujours la faculte´ de bien agir ; que la chaleur de teˆte et la vivacite´ d’un esprit brillant ne sont pas toujours unies a` un caracte`re ferme, noble et inde´pendant». Constant ne s’y est pas trompe´ et il rappelle l’attitude courageuse de plusieurs membres du Tribunat, dont la sienne. Dans sa dernie`re note, il cite l’engagement de nombre de ceux qu’attaque le journaliste. Selon l’usage du temps, Constant n’articule aucun nom et il est difficile aujourd’hui de voir s’il vise des groupes ou des individus. On a pu en identifier quelques-uns, dont Constant lui-meˆme. V ` A la fin de sa brochure, Constant e´crit : «Le de´faut de temps m’oblige a` renvoyer a` un autre moment mes observations sur l’article contenu dans le Moniteur, a` commencer par une faute d’impression» dont il e´crira qu’elle e´tait bizarre. On trouve en effet dans le Moniteur du 16 septembre 1817 un long article «Sur les inde´pendants» qui contient des citations de Des e´lections prochaines1. Celle qui devait produire la premie`re re´action de Constant contenait une erreur grave, qui donna lieu imme´diatement a` une lettre de Constant, 1
Le Moniteur, no 259, 16 septembre 1817, pp. 1021b et sv.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
exerc¸ant son droit de re´ponse. Pierre Cordey, qui avait eu en main une copie de cette lettre publie´e par le Moniteur du 18 septembre, l’a reproduite dans son e´dition des Cent lettres, d’ou` nous la reprenons en indiquant entre crochets les coupures effectue´es par le journal1. Monsieur, Il y a dans votre journal d’aujourd’hui une faute d’impression [bizarre] contre laquelle je dois re´clamer. J’ai dit, en traitant des e´lections, p. 33 : «Les inde´pendants sont ceux qui sous la Re´publique ne s’e´criaient pas : nous aimons mieux la Re´publique que la liberte´». Le «Moniteur» cite cette phrase comme il suit : «Les inde´pendants, ajoute-t-on, ne s’e´criaient pas : nous aimons mieux la monarchie que la liberte´», et l’auteur part de la` pour insinuer que ceux que j’ai nomme´ les inde´pendants n’aiment pas la Monarchie constitutionnelle. [Je crois que dans tout Tribunal l’auteur serait condamne´ comme coupable d’un acte de faux.] J’aime mieux ne voir2 qu’une erreur dans cette substitution du mot Monarchie au mot Re´publique, mais elle est e´trange, et [comme elle a tous les effets d’une falsification pre´me´dite´e,] je vous invite a` la re´parer, sans renoncer d’ailleurs a` re´pondre aux autres parties de cet article du «Moniteur». [Votre refus que je ne saurais pre´voir m’obligerait a` recourir aux moyens de droit. Je vous pre´sente mes salutations.]» Pour rendre l’affaire publique, Constant adressa le meˆme jour une lettre d’un contenu identique au Journal du Commerce et au Journal ge´ne´ral de France qui la publie`rent tous deux3. Toujours dans son nume´ro du 18 septembre, le Moniteur fait suivre la lettre de Constant du commentaire suivant4 : «Une faute d’impression s’est en effet glisse´e dans l’article inse´re´ dans notre no du 16 sur les inde´pendans. On y lit ces paroles attribue´es a` M. B. de Constant. Les inde´pendans sont ceux qui sous la monarchie ne s’e´crient pas qu’ils aiment mieux la monarchie que la liberte´. Il y a ici une erreur e´vidente. Mais il est assez singulier que le prote, en se trompant sur les mots, n’ait fait que donner plus d’e´nergie a` ce que l’on pourrait croire eˆtre
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Benjamin Constant, Cent lettres, choisies et pre´sente´es par Pierre Cordey, Lausanne : Bibliothe`que romande, 1974, pp. 198–199. Le document dont s’est servi P. Cordey n’a pas e´te´ retrouve´. Le Moniteur e´crit : «J’aime a` ne voir». Voir ci-dessous, pp. 837–842. Le Moniteur no 261, 18 septembre 1817, p. 1030c.
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la pense´e de cet inge´nieux e´crivain. En effet on lit, page 33 ligne 13 de sa brochure la phrase suivante : Les inde´pendans sont ceux qui, sous la re´publique, ne s’e´criaient pas : nous aimons mieux la Re´publique que la liberte´ ; et qui sous la Royaute´ ne pre´tendent point qu’il faut s’asseoir sur les de´bris de tous les droits et le me´pris de toutes les garanties. Nous nous empressons dans l’inte´reˆt de la ve´rite´ de re´tablir les choses telles qu’elles sont imprime´es, et nous laissons a` nos lecteurs a` juger si cette correction affaiblit ou non le reste de l’article1.» ` la date de la parution de la lettre rectificative de Constant, ses Notes A sur quelques articles de journaux e´taient de´ja` imprime´es. Constant n’a pas donne´ suite a` sa pole´mique avec le Moniteur. VI Dans ses Notes, Constant n’a re´pondu qu’a` quelques-uns des articles de ses adversaires politiques. Il y en a eu bien d’autres et meˆme quelques brochures qui l’attaquaient personnellement. Nous reproduisons en fin de volume celles qui concernent la question de sa nationalite´. On peut signaler ici deux brochures anonymes qui re´pondent spe´cifiquement a` celles de Constant. La premie`re est intitule´e Sur l’ouvrage de M. Benjamin de Constant intitule´ : Des e´lections prochaines2. Elle commence e´videmment par jeter le doute sur la nationalite´ de Constant. Puis l’auteur s’attelle a` sa critique des lois d’exception, en reprenant la the`se habituelle des adversaires de Constant : les circonstances tragiques que la France a traverse´es exigeaient des lois d’exception. De plus, rien ne permet d’affirmer que le gouvernement ne proposera pas lui-meˆme leur abolition. Puis l’auteur examine, de manie`re critique e´videmment, la de´finition que Constant donne des inde´pendants, avec cette phrase perfide : «Et qui peut se flatter d’eˆtre inde´pendant ? Qui n’est pas de´pendant, meˆme a` son insu ? Je ne parle point des viles de´pendances de l’inte´reˆt, de ces de´pendances qui attachent un homme au char de l’usurpation, le lendemain du jour ou` il l’a foudroye´. M. B. de Constant ne m’entendrait pas». Il termine sa de´monstration par des phrases du genre de celles-ci : «A moins d’eˆtre faiseur de livres de profession ou de´clamateur de tribune, il n’y a pas moyen de passer pour inde´pendant», ou «L’inde´pendant sera, par exemple, le publiciste qui aura fonde´ sa renomme´e sur des the´ories douteuses, et de subtiles abstractions3 !» 1 2 3
Des e´lections prochaines, ci-dessus, p. 777 et ci-dessous, pp. 841–842, l’article du Journal du Commerce du 17 septembre 1817. ` Paris, de l’imprimerie de Denugon, rue Saint-Jacques No. 877, s.d. [1817]. Voir ci-desA sus, p. 758. Voir pour la premie`re des citations p. 9 de la brochure, pour les deux autres p. 10.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
La conclusion ne manque pas de panache : «L’inde´pendant est celui qui aime la monarchie constitutionnelle, parce qu’elle est constitutionnelle. Ici la politique de l’auteur est en de´faut ; car elle jette le masque. Il me semble que sous l’empire du Roi, qui nous a donne´ la Charte, c’est une singulie`re pe´tition de principes, de l’aimer a` cause de la Charte, plutoˆt que d’aimer la Charte a` cause de lui». Sans le savoir, l’auteur, trac¸ait avec sa formule la ligne de de´marcation entre les ultras et les constitutionnels. La seconde brochure est plus ironique. Le titre de´ja` parodie Constant : Monologue d’un Electeur, pour faire pendant a` l’entretien d’un autre Electeur avec lui-meˆme1. Elle commence en disant : «... la lecture du Monologue d’un de mes confre`res m’a inspire´ le projet de me parler aussi a` moi-meˆme ; bien entendu que le public sera dans la confidence». Puis elle rappelle les de´sastres politiques, financiers et humains de la Re´volution, dont elle attribue la responsabilite´ a` ceux qui, a` l’e´poque, se pre´tendaient inde´pendants. Ce parcours historique ne manque pas de sel. La de´monstration contient quelques allusions perfides a` Constant lui-meˆme, comme celles-ci : «Je n’ai jamais fait ni journal ni brochure, et je ne sais si mon confre`re a, sur ce point, la conscience aussi nette que moi» ou encore : «Que si parmi les candidats il s’en trouvait quelqu’un qui se fut fait une douce habitude du tapis vert et de la banque de pharaon, j’exclurais impitoyablement celui-la` de peur qu’il n’exposaˆt la fortune publique aux chances d’un de´, comme il expose la sienne» ou encore : «J’y regarderai a` deux fois avant de choisir un bel esprit2.» Mais il existe e´galement des re´actions plus ire´niques, ainsi celle d’un auteur anonyme qui parle de la situation de la France : «M. Benjamin de Constant a publie´ aussi une brochure. Comme les autres ouvrages du meˆme auteur, elle est spirituellement e´crite ; on y trouve une grande force, et souvent de la profondeur. Je ne sais si je me trompe ; mais, dans cet ouvrage comme dans tous ceux qu’il a compose´s depuis 1815, l’auteur semble dire a` chaque page : Oubliez le 20 mars ! Ce repentir est juste ; il devrait peut-eˆtre de´sarmer les ennemis de M. Benjamin de Constant. Que celui qui est sans pe´che´ lui jette la premie`re pierre. Beaucoup de gens qui l’accusent aujourd’hui lui avaient donne´ l’exemple de la versatilite´, et je cherche en vain les hommes qui lui ont donne´ l’exemple de la re´paration des fautes3.»
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Meˆme imprimeur, s.d. [1817]. Voir ci-dessus, p. 797. Monologue, p. 9 et, pour les deux dernie`res citations, p. 14. Esprit-Michel Foulon, «Lettre premie`re a` M. Dumesnil, ne´gociant, e´lecteur», dans Lettres normandes, t. I, 1818, p. 2. Voir ci-dessus, p. 758.
Notes sur quelques articles de journaux – Introduction
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E´tablissement du texte Notre e´dition reproduit le texte de la brochure en corrigeant quelques fautes d’impression signale´es en note. La disposition du texte est celle de la brochure. On trouve en haut des pages les citations tire´es des journaux qui attaquent Constant, et, se´pare´es de celles-ci par une ligne, les re´pliques de Constant appele´es par les nume´ros des notes entre parenthe`ses. Nous n’avons pas corrige´ l’erreur de la nume´rotation de ces notes ; la note 20 n’existe pas. Cette lacune peut eˆtre la trace d’une note supprime´e que nous ne connaissons pas. Imprime´ : NOTES SUR QUELQUES ARTICLES DE JOURNAUX ; PAR M. BEN JAMIN DE CONSTANT. [entre deux filets : citation de six lignes tire´e de Des E´lections prochaines, p. 58] PARIS, PLANCHER, Librairie. E´diteur des Œuvres de Voltaire, en 35 volumes in–12, et du Manuel des Braves, rue Poupe´e, no 7 ; DELAUNAY, Libraire, au Palais-Royal. [filet] 1817. 8o, (214 × 130 mm). [1] faux-titre, [2] adresse de l’imprimeur Madame Jeunehomme-Cre´mie`re, rue Hautefeuille, no 20, [3] titre, [4] publicite´, [5]–7 Avant-propos, [8] blanche, [9]–34 texte, [35]–[36] blanches. Courtney, Bibliography, 25a. Courtney, Guide, A25/1. Exemplaire utilise´ : BCU, AZ 643. Nous de´signons cette brochure par le sigle N. La «2e e´dition revue et augmente´e» annonce´e le 20 septembre 1817 par la Vve Jeunehomme ne semble pas avoir e´te´ publie´e. Cette publication a provoque´ la re´plique suivante : Anonyme, «M. Benjamin de Constant vient de publier une troisie`me brochure sur les e´lctions», Annales politiques, morales et litte´raires, no 646, 22 septembre 1817, p. 3b. C. R.
Notes sur quelques articles de journaux
«Un homme qui aimait fort a` parler seul en public, commenc¸ait naı¨vement par dire a` ceux qu’il voulait accabler de son e´loquence, ne me re´pondez pas ; puis venait le monologue le plus anime´, dans lequel, pour comple´ter la bizarrerie, la forme favorite e´tait l’interrogation». Des E´lections prochaines, page 581.
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Il s’agit de Napole´on. Voir ci-dessus, p. 788.
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Avant-propos.
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Plusieurs journaux ont publie´ des observations sur, ou pour mieux dire, contre quelques pages que j’ai fait paraıˆtre il y a peu de jours. Aucun n’a eu la faculte´ de rien inse´rer en faveur de mon ouvrage. Je re´ponds donc par une brochure a` des critiques, qui ne´cessairement seront plus re´pandues que cette brochure. La lutte est ine´gale ; mais n’importe. Comme, lorsqu’on est de bonne foi, on aime a` convenir des erreurs qu’on a commises, je commencerai par en reconnaıˆtre une dont je suis coupable, et je de´sire que mon aveu la re´pare. Dans ce que j’ai fait imprimer sur les e´lections, j’ai dit «que l’on prescrivait aux e´crivains qui attaquaient par ordre dans les journaux ceux auxquels il e´tait interdit de se de´fendre dans les journaux, la mesure et meˆme la politesse1.» Je confesse franchement que ma remarque ne subsiste pas. Ayant peu de temps, et mes devoirs d’e´lecteur devant bientoˆt remplir toutes mes heures, je n’essayerai point de soumettre au public une re´futation re´gulie`re de ce que les journaux ont publie´. D’ailleurs, je voudrais, meˆme en me de´fendant, parler de moi le moins qu’il sera possible, et re´pondre seulement aux objections et aux attaques dirige´es contre des principes que je crois utiles, plus encore que contre moi. En conse´quence, et pour abre´ger, j’extrairai textuellement des journaux les phrases qui me paraissent exiger des e´claircissemens. J’indiquerai le nume´ro du journal, pour qu’on ve´rifie que mes citations sont exactes, et je re´pondrai en note.
E´tablissement du texte : Imprime´ : Notes sur quelques articles de journaux, Paris : Plancher, 1817 [=N]
19 utiles ] la source porte utile N
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On trouve en effet cette remarque dans les notes de BC sur Des e´lections prochaines, ci-dessus, p. 788. Dans le Cours de 1819, il a comple´te´ ce passage par la phrase suivante : «On voit bien que ce passage est ante´rieur aux articles inse´re´s et aux libelles distribue´s sur ordre durant les e´lections» (voir ci-dessus, p. 788, la variante a` la ligne 18).
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Notes sur quelques articles de journaux.
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QUOTIDIENNE, du 11 septembre1. 10 11
«Peut-on gouverner les peuples et les e´tats, sans aucun e´gard (1) aux souvenirs et aux circonstances ? N’a-t-on pas toujours cru que le ve´ritable homme d’e´tat doit combiner le passe´, le pre´sent et l’avenir ; qu’il doit profiter des souvenirs, et maıˆtriser les circonstances ? L’homme d’e´tat qui se croirait inde´pendant du passe´, inde´pendant du pre´sent, ne serait-il pas un fou, de´pendant et tre`s-de´pendant de tous les hasards de l’avenir ?....»
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(1) Je n’ai jamais dit qu’il fallut gouverner les peuples sans aucun e´gard aux souvenirs et aux circonstances, et qu’il ne falluˆt pas profiter du passe´, sous le pre´texte de s’en rendre inde´ pendant ; j’ai, au contraire, beaucoup d’e´gards pour les souvenirs, puisque tous mes raisonnemens se fondent sur les exemples que la re´volution nous a laisse´s. Je suis bien loin de dire qu’il ne faut pas profiter du passe´, puisque je tire du passe´ la preuve de ce qu’il ne faut pas faire dans le pre´sent ; mais avoir e´gard aux souvenirs, ce n’est pas marcher dans la route que ces souvenirs nous apprennent avoir toujours perdu ceux qui l’ont suivie. Il ne faut pas prendre la routine pour de l’expe´rience. Profiter du passe´, ce n’est pas imiter le passe´ dans ce qu’il a de fautif et de funeste. Ce sont ceux qui agissent ainsi qui n’ont aucun e´gard aux souvenirs, et qui ne profitent point du passe´. J’ai dit : les lois d’exception ont e´te´ la ruine de tous les gouvernemens depuis vingt-huit ans : ne vous servez donc pas des lois d’exception. On me re´pond : tous les gouvernemens, depuis vingt-huit ans, se sont servis des lois d’exception : nous ne voulons pas innover, et nous nous en servirons comme eux. Que penserait-on d’un pilote a` qui l’on mon trerait l’e´cueil contre lequel tous ses pre´de´cesseurs se seraient brise´s, et qui, par respect pour l’usage, voudrait aller droit a` l’e´cueil et appellerait contempteurs du passe´ ceux qui lui crieraient qu’il va s’y briser comme les autres ; l’homme d’e´tat qui se croirait inde´pendant du passe´ serait un fou ; mais l’homme d’e´tat qui ferait ce 1
La Quotidienne, no 254 du 11 septembre 1817, p. 2b–3a. Citations conformes.
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«Enfin, en supposant que les hommes qui ne veulent compter pour rien les souvenirs et les circonstances, aient seuls raison, ont-ils pour cela le droit d’affirmer qu’on ne saurait eˆtre un Franc¸ais inde´pendant, lorsqu’on a le malheur de ne pas partager leur opinion ? Peut-on imaginer quelque chose de plus despotique que d’exclure de la jouissance de ses droits politiques, tel ou tel citoyen qu’on reconnaıˆt ami de la Charte royale, parce qu’il est d’une telle nuance d’opinion ?» (2)
qui a renverse´ tous les e´tats, serait pre´cise´ment le fou qui se croirait inde´pendant du passe´. 12
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(2) Il n’a jamais e´te´ question d’exclure tel ou tel citoyen de ses droits politiques. Il est question de savoir de quelle manie`re chacun se servira de ses droits pour e´lire des de´pute´s propres a` assurer la liberte´ de la France, conforme´ment a` la Charte qui garantit cette liberte´. J’ignore quel sera le re´sultat des choix qui sont a` faire ; mais une chose est certaine : tous les suffrages qu’auront les inde´pendans que je pourrais aussi nommer constitutionnels (car il n’y a de constitutionnels que ceux qui veulent qu’une constitution soit observe´e), tous ces suffrages, dis-je, ils ne les devront qu’a` euxmeˆmes ; ils ne peuvent rien pour les e´lecteurs qui les nommeront, sinon de´fendre les principes qu’ils aiment et les droits dont ils sont fiers ; ils ne peuvent offrir a` ces e´lecteurs aucune re´compense, s’ils le nomment ; leur faire aucun mal, s’ils ne les nomment pas ; leur retirer aucun avantage, leur oˆter aucune place. Ils n’ont ni agens, ni autorite´, ni influence publique ou secre`te : simples citoyens, c’est a` leur vie entie`re, a` leurs principes, a` leur ze`le pour la liberte´, qu’ils doivent d’avoir e´te´ de´signe´s par une masse d’hommes qui n’obe´issent qu’a` leur propre opinion qui est e´claire´e, et a` leurs intentions qui sont pures ; heureuse correspondance morale qu’e´tablit le gouvernement repre´sentatif entre les citoyens de tous les e´tats, lien de de´sinte´ressement et de conscience, qui honore e´galement et les auteurs et les objets d’un tel choix !
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ANNALES LITTE´ RAIRES, du 13 septembre1.
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«C’est uniquement la crainte de lois d’exception qui a de´termine´ M. de Constant a` e´crire sur les e´lections et a` de´signer a` ses concitoyens les hommes courageux qui peuvent nous pre´server du malheur des lois extra-constitutionnelles. C’est, selon moi, pousser un peu loin la pre´voyance. Qui donc a re´ve´le´ a` l’auteur que le ministe`re veuille maintenir les actes qui ont temporairement modifie´ la loi fondamentale ? (3) Les lois d’exception, dont l’auteur de la brochure tire un si grand parti (4), ont e´te´ un moyen de salut et non d’oppression ; quelques abus partiels (5) ne suffisent pas pour en condamner le motif. Au sortir d’une longue maladie, la prostration des forces
(3) Je pourrais re´pondre que si l’on est de´cide´ a` renoncer aux lois d’exception, l’on ne doit pas eˆtre si faˆche´ contre ceux qui disent qu’il faut y renoncer, et meˆme ajouter que parmi les motifs de cette renonciation, il faut compter peut-eˆtre l’opinion qui exige hautement ce sacrifice, et ne pas blaˆmer ceux qui se sont rendus les organes de cette opinion ; mais j’aime mieux m’emparer de ce qui profite a` la liberte´, et je prends acte de l’espe´rance que le journaliste nous donne. Il ne nous l’aurait pas donne´e sans l’aveu du ministe`re, puisque c’est le ministe`re qui lui permet de parler. Ainsi, nous n’aurons plus de lois d’exception ; on ne viendra plus nous parler de pe´rils douteux, pour nous faire un mal certain : car, le mal que causent les lois d’exception est inde´pendant de la manie`re dont on les applique ; il est dans le principe meˆme sur lequel reposent ces lois.
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(4) Si j’ai pu en tirer un si grand parti, c’est qu’elles sont odieuses ; on ne tire parti que de ce qui y preˆte ; on n’agit sur l’opinion que lorsqu’on dit ce que l’opinion pense. (5) Quelques abus partiels, c’est toujours le mot ; mais les abus ne sont jamais que partiels. Quelque despotique que soit un gouvernement, ce n’est jamais qu’une partie de la nation qu’il enferme ; il faut toujours qu’une autre partie reste libre, ne fuˆt-ce que pour enfermer la premie`re. On se fait une fausse ide´e quand on parle des abus partiels ; on se repre´sente la socie´te´ comme d’un coˆte´, et les individus de l’autre, et l’on croit ne faire a` l’ensemble que le sacrifice de quelque faible partie ; mais chacun a` son tour 1
Les passages regroupe´s sous ce titre sont tire´s d’un article des Annales politiques, morales et litte´raires, no 637, 13 septembre 1817, p. 4a–4b, signe´ C. D. B.
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ne nous permet pas d’user tout a` coup de la li berte´ d’agir (6) ; il n’appartient qu’a` la divinite´ de dire au paralytique, surge et ambula (7).» «Otez a` l’enfant ses lisie`res, a` l’aveugle son conducteur, au convalescent son appui, leur chute devient ine´vitable (8). Il en est de meˆme du corps
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se trouve dans la partie immole´e. La socie´te´ se divise en une foule de minorite´s que l’on opprime successivement ; chacune d’elles, isole´e pour eˆtre victime, redevient, par une bisarre me´tamorphose, partie du grand tout pour servir de pre´texte au sacrifice d’une autre minorite´ ; et l’on offre au peuple en masse l’holocauste du peuple en de´tail1.
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(6) Quand il y a prostration de force, il n’y a pas envie d’agir ; et quand un malade est hors d’e´tat de marcher, on n’a jamais vu le me´decin le garroter de peur qu’il ne marche. (7) Nous sommes donc des paralytiques, a` la bonne heure ; mais, en ce cas, on peut s’en remettre a` la paralysie, pour que nous restions immobiles, et il est inutile que l’autorite´ se charge de faire l’office de la paralysie. On ne lui demande pas de dire a` des paralytiques, levez-vous et marchez ; on lui demande de ne pas dire a` des gens qui ont l’usage de tous leurs membres, couchez-vous et ne marchez pas.
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(8) Au milieu de cette profusion de me´taphores, une crainte me frappe. Depuis vingt-huit ans on nous e´le`ve par des lois d’exception, et nous sommes encore des enfans ; depuis vingt-huit ans on nous e´claire par des lois d’exception, et nous sommes encore des aveugles ; depuis vingt-huit ans on nous gue´rit par des lois d’exception, et notre convalescence est a` peine commence´e. Il faut convenir que les moyens curatifs ne sont pas rapides. Mais a-t-on jamais dit a` cent mille e´lecteurs, qui vont exercer leurs droits, qu’ils e´taient des paralytiques, des aveugles, des malades, des enfans ? Quels articles pre´paratoires pour les e´lections ! Quant a` ceux qui sont le conducteur, l’appui, la lisie`re, ils ont certes un merveilleux privile`ge ; ce ne sont pas des hommes comme nous : car, tandis que nous sommes toujours a` la veille de faire un e´norme abus de la moindre liberte´, ils sont assure´s de ne jamais faire le moindre abus d’un e´norme pouvoir.
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Le passage depuis «chacun a` son tour» (p. 825, ligne 35) jusqu’a` «en de´tail.» (ci-dessus, ligne 10) provient des Principes de politique de 1806, Livre 2, chap. 2, et l’expression «offre au peuple en masse l’holocauste du peuple en de´tail» se retrouve aussi dans De l’esprit de conqueˆte (OCBC, Œuvres, t. IX,1, p. 591.
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social ; c’est le terme de la convalescence qui indique le terme des restrictions (9).» «Il resulte, de ce que nous avons dit, que tout le systeˆme de l’auteur ne repose que sur une hypothe`se qui est, que le ministe`re e´tant favorable aux lois d’exceptions, il ne convient pas de nommer des hommes de´voue´s a` ce meˆme ministe`re. Mais, admettez pour l’avenir, et meˆme pour le pre´sent, que le ministe`re ait reconnu l’inutilite´ des lois d’exceptions..... voila` les e´ligibles connus sous le nom de ministe´riels devenus les de´fenseurs les plus ze´le´s des vrais principes (10) ....» «Les inde´pendans dont il est question dans cette brochure me paraissent une abstraction dont il serait difficile de trouver la re´alite´. On ne rencontre pas tous les jours, et par-tout, des hommes qui, pendant toute leur vie, aient voulu les meˆmes choses.... En bon et loyal de´pute´, je suis dispose´ a` donner ma voix a` M. Constant, qui, sans doute, s’est peint avec fidelite´ dans ce portrait (11) ; mais je cherche vainement autour de moi, pour comple´ter ma liste, deux ou trois inde´pendans. Je ne vois que des magistrats, des guerriers et des administrateurs, qui ont a` la ve´rite´ des vertus, des talens et des
(9) Qui est-ce qui jugera de la convalescence ? Le me´decin qui gagne a` la prolongation de la maladie ? J’ai bien peur, en ce cas, qu’il ne soit toujours tendrement inquiet pour notre sante´. (10) «Si l’on nous promet, disais-je dans ma brochure, que les adversaires des principes deviendront leurs de´fenseurs, le re´sultat sera donc le meˆme que si nous nommions des inde´pendans ? Pourquoi donc redouter l’e´lection de ceux-ci, et forcer les autres a` sortir de leurs douces habitudes1 ?» Mais je remarque de plus la plaisante inde´pendance que le journaliste attribue a` ceux qu’il nomme ministe´riels. Quand le ministe`re aura reconnu l’inutilite´ des lois d’exeption, ces hommes ne feront pas violence au ministe`re pour le forcer a` les conserver, c’est-a`-dire, ils de´fendront les principes quand ces principes ne seront plus attaque´s. Le beau courage ! Vraiment le journaliste traite ses prote´ge´s trop se´ve`rement. Quoi ! de`s que le ministe`re aura change´ d’ide´es, ils deviendront les plus ze´le´s de´fenseurs des ide´es nouvelles du ministe`re ! quel ze`le me´ritoire ! quelle brillante inde´pendance ! et quel adroit apologiste ! (11) Je remercie fort l’e´crivain, et s’il tient parole, je ne lui saurai nullement mauvais gre´ de son article. 1
Citation de Des e´lections prochaines, voir ci-dessus, p. 783.
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lumie`res ; mais qui, par leurs emplois, de´pendent des ministe`res (12) ; de bons proprie´taires dont plusieurs regrettent tout ou en partie de l’ancien re´gime (13), et qui n’ont contrecarre´ ouvertement (14) aucun gouvernement ; beaucoup de gens enfin, qui pensent que la France, depuis trois ans, a e´te´ sauve´e et non opprime´e par des mesures temporaires approprie´es a` sa situation (15) ....» «Que si le ministe`re est sage, s’il ne fait de ses pouvoirs qu’un usage prudent et utile, qu’importe que les suffrages se re´unissent sur les citoyens qui sont les partisans de la sagesse (16) ? Ces partisans augmen teront en raison des services qu’il aura rendus a` la chose publique, et leur de´vouement sera un titre plus re´el qu’une inde´pendance sans objet (17).»
(12) Le journaliste ne voit pas tout. A coˆte´ des magistrats, des guerriers et des administrateurs qui de´pendent des ministres, je vois des commerc¸ans, des manufacturiers, des banquiers et capitalistes, qui n’en de´pendent pas.
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(13) Parmi ces proprie´taires, les seuls dont le journaliste parle, et qui regrettent l’ancien re´gime, y aurait il par hasard des acque´reurs des biens nationaux ?
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(14) D’ou` vient cet e´loge de ceux qui n’ont contrecarre´ aucun gouvernement ? pas meˆme celui de Robespierre ? Serait-ce qu’on aime la soumission implicite ? ou l’e´loge porte-t-il sur le mot ouvertement ? L’auteur veut-il dire qu’il faut e´carter les gens qui ont re´siste´, mais qu’on peut admettre les gens qui ont trahi ? (15) On ne trouvera nulle part dans ma brochure, que j’aie dit formellement que la nation a e´te´ opprime´e ; et je conclus de l’assertion du journaliste que je ne veux point contester, que le ministe`re ne peut que gagner en ne geˆnant point les journaux, en n’empeˆchant point les gens qu’on attaque de re´pondre, et en laissant un libre essor a` la reconnaissance publique.
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(16) Meˆme remarque que ci-dessus. Les hommes qui ne sont pas partisans du ministe`re sont en tre`s petit nombre : donc la voix de ce petit nombre ne couvrira pas, meˆme si elle est libre, le concert unanime d’e´loges que la multitude de ses partisans fera entendre. (17) Que veut dire ceci ? Le de´vouement des partisans de la sagesse du ministe`re sera un titre. Un titre a` quoi ? a` eˆtre de´pute´ ! Mais si le de´voue33 (17) ] la source porte (16) faute e´vidente que nous corrigeons
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(Suite de la note 17 de la page pre´ce´dente.) ment aux ministres est un titre a` eˆtre de´pute´, pourquoi des de´pute´s ? Pourquoi pas des ministres seuls ? Les ministres se sont certainement plus de´voue´s que personne. Au reste, nous verrons plus loin, dans le Moniteur, «que si les e´lecteurs veulent donner leur confiance a` de ve´ritables inde´pendans, ils peuvent les chercher ; et ils les trouveront aussi dans les rangs de ceux qui suivent la ligne trace´e par le gouvernement et le ministe`re1.» Je propose de mettre cette phrase dans le dictionnaire de l’acade´mie, comme de´finition du mot inde´pendant ; l’article sera ainsi conc¸u : Inde´pendant, homme qui suit la ligne trace´e par le gouvernement et le ministe`re.
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Le Moniteur, no 259, 16 septembre 1817, p. 1022b.
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«Quiconque a des inte´reˆts diffe´rens des inte´reˆts nationaux ; (18) quiconque peut eˆtre le´gitimement soupc¸onne´ de vouloir, soit que la re´volution re´trograde, soit qu’elle se prolonge ou se renouvelle, n’est pas propre a` eˆtre de´pute´, et ne convient pas a` la France.» (19)
(18) Avoir une place, est-ce un inte´reˆt national ? Garder sa place est-ce un inte´reˆt national ? De´pendre d’un ministre, est-ce un inte´reˆt national ? Eˆtre ministre, est-ce un inte´reˆt national ? Ce n’est pas qu’on ne puisse eˆtre un excellent citoyen, en ayant une place, en voulant la garder, en e´tant de´pendant des ministres, en e´tant soi-meˆme ministre ; mais, si l’on n’est pas propre a` eˆtre de´pute´, quand on a des inte´reˆts diffe´rens des inte´reˆts natio naux, pourquoi veut-on pre´cise´ment pour de´pute´s ceux qui ont l’inte´reˆt de leurs places, de la conservation de leurs places, de la faveur du ministe`re, ou de leur e´le´vation au ministe`re meˆme. Ce sont la` des inte´reˆts diffe´rens des inte´reˆts nationaux. (19) Il y a encore, selon moi, une classe d’hommes qui ne seraient pas propres a` eˆtre de´pute´s et ne conviendraient pas a` la France : ce seraient ceux qui, sans vouloir que la re´volution re´trograde, parce qu’elle les a tire´s d’une position de laquelle ils sont bien aises d’eˆtre sortis, et sans vouloir que la re´volution se renouvelle ; parce que son renouvellement pourrait leur oˆter une situation ou` ils sont charme´s d’eˆtre, voudraient que la re´volution ne fuˆt qu’un de´placement d’hommes, et nullement un e´tablissement de principes. Ces hommes formeraient une cotterie, qui, marchant entre toutes les opinions sur une lame de couteau, voudraient exploiter la re´volution a` leur profit, et faire une Mace´doine des abus de l’ancienne monarchie et de ceux du despotisme impe´rial. Ils seraient impropres a` eˆtre de´pute´s, comme les re´volutionnaires, s’il y en a encore, et comme les partisans de l’ancien re´gime : les re´volutionnaires, s’il y en a encore, parce qu’ils ne pre´senteraient qu’un bouleversement avenir ; les partisans de l’ancien re´gime, parce qu’ils ne repre´senteraient qu’une chose de´truite ; et les hommes dont je parle, parce qu’ils ne repre´sentaient qu’eux meˆmes.
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Journal des De´bats, 14 septembre 1817, p. 2a-b.
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«Il est encore une troisie`me classe de pre´tendans a` l’inde´pendance dont il faut rigoureusement examiner les titres, je veux parler de ces e´crivains, qui, du fond de leur cabinet re´gentent les peuples et les gouvernemens (21)2 .... N’oublions pas que le talent de bien dire ne suppose pas toujours la faculte´ de bien agir ; que la chaleur de teˆte et la vivacite´ d’un esprit brillant ne sont pas toujours unis a` un caracte`re ferme, noble et inde´pendant ; en un mot, que l’e´crivain le plus inge´nieux et le plus habile est quelquefois un de´pute´ faible et meˆme un de´pute´ infide`le (22).... Il est plus dangereux pour un
(21) Pourquoi pas du haut de leur grenier ? c’e´tait plus d’accord avec le reste de la phrase. Que signifie re´genter les peuples et les gouvernemens ? dire aux peuples ce qu’on croit leur eˆtre utile ; dire aux gouvernemens ce qu’on regarde comme pouvant leur eˆtre funeste : si on se trompe, on a tort ; mais si on ne se trompe pas, on a raison de dire ces choses, et quand l’intention est pure, la mission est noble. Certains e´crivains commettent une erreur de dates ; il ne sentent pas que le temps des de´dains est passe´, que tout ce qui est vrai est puissant ; tout ce qui est utile, honorable ; et que, ni l’e´pe´e, ni la plume ni la demi aune, c’est-a`-dire le courage, la pense´e, ou l’industrie, ne doivent eˆtre insulte´s3. (22) Je ne veux point nier que le talent ne soit quelquefois se´pare´ de l’inde´pendance. J’aurais trop d’avantages, si, dans ma re´ponse, je citais des exemples parmi les hommes qui m’attaquent. J’ai vu des e´crivains e´le´gans eˆtre des courtisans tre`s-serviles. Cependant je cherche a` me rappeler les noms de ceux qui ont de´fendu la liberte´, et j’y trouve beaucoup d’e´crivains. En me bornant au tribunat seul, je compte MM. Say, Ganilh, Ginguene´, Andrieux4 ; et moi-meˆme enfin, si j’ose me nommer, durant la courte dure´e 1 2 3
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Ibid., 16 septembre 1817, p. 1a et suiv. BC passe de la note 19 a` la note 21, soit par inadvertance, soit parce qu’il en a supprime´ une. Constant combat ici les me´pris de certains milieux ultras a` l’e´gard des professions modestes : le soldat, l’e´crivain, le commerc¸ant (qui manie la demi-aune du drapier) ont une activite´ aussi honorable qu’utile. Jean-Baptiste Say (1767–1832), le grand e´conomiste, avait fait partie du Tribunat avec Constant ; il en fut e´limine´ pour avoir vote´ contre l’e´tablissement de l’Empire. Charles Ganilh (1761–1836), l’e´conomiste, avait e´te´ e´galement membre du Tribunat jusqu’a` son e´limination en 1802. Il est souvent question de lui dans le volume IV des OCBC contenant les discours de BC au Tribunat. Pierre-Louis Ginguene´ (1748–1816) avait e´te´ lui aussi exclu du Tribunat en 1802. Il dirigeait La De´cade philosophique, publication libe´rale supprime´e
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homme d’e´tat de de´pendre de sa vanite´ que de de´pendre de son inte´reˆt (23).... Ignore-t-on combien il existe de fonctionnaires qui, possesseurs d’une fortune inde´pendante, n’ont cherche´ dans les places qu’une occupation honorable, et un titre a` la conside´ration publique (24) ?.... Lorsqu’autrefois, le roi ap pelait a` son conseil d’e´tat les administrateurs, les magistrats, est-ce qu’ils y gardaient un complaisant silence vis-a`-vis d’un
de mes fonctions dans cette assemble´e, je n’ai jamais parle´ qu’en faveur des principes. J’ai tente´ de mettre la nation en garde, j’ai annonce´ ce qui re´sulterait de la soumission absolue qu’on preˆchait aussi alors comme la vertu d’un bon citoyen ; j’ai reclame´ le droit de pe´tition, comme la seule ressource du peuple ; j’ai combattu les tribunaux extraordinaires qui, sous l’e´ternel pre´texte du salut de l’e´tat et de la punition des conspirateurs, e´tendaient sur la France leur odieux empire. Je me suis oppose´ au re´tablissement des rentes fe´odales. Le jour ou` la victoire de Marengo semblait affermir a` jamais le pouvoir qui disposait de nos destine´es, j’ai de´mande´ l’indispensable liberte´ de la presse et la suˆrete´ des citoyens ; voila` ce que j’ai fait, quand, devenu l’un des derniers organes du peuple, je me suis senti responsable envers lui de toutes mes actions et de toutes mes paroles. Je puis rendre le meˆme te´moignage a` tous ceux de mes colle`gues que j’ai nomme´s. Nous n’avons point e´te´ des de´pute´s faibles ni des de´pute´s infide`les. (23) Je conc¸ois qu’on aime mieux les hommes inte´resse´s que les hommes vains. Pour captiver la vanite´, il faut la flatter, ce qui est fatigant. Pour captiver l’inte´reˆt, il ne faut que le paier, ce qui est plus commode et ne ruine jamais ceux qui paient.
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(24) Ces fonctionnaires tiennent donc a` leur place, pour avoir une occupation honorable et un titre a` la conside´ration publique ; mais les ministres peuvent leur oˆter cette occupation et ce titre auxquels ils tiennent. Ils sont donc dans la de´pendance des ministres ; peu m’importe qu’ils y soient par amour du salaire ou par amour du titre, tant y a que les ministres peuvent leur enlever ce qu’ils ont peur de perdre ; or, des hommes a` qui d’autres peuvent par leur seule volonte´, ravir ce qu’ils veulent conserver, ne sont pas des hommes inde´pendans. 5 administrateurs ] la source porte administratrateurs inadvertance
8 qu’en ] ces deux mots re´pe´te´s par
en 1807. Franc¸ois Andrieux (1759–1833) avait e´galement e´te´ exclu du Tribunat en 1802. Il devait faire ensuite une brillante carrie`re litte´raire, mais on ne le connaıˆt plus gue`re aujourd’hui que par le souvenir de sa fable Le meunier de Sans-Souci : «Il y a des juges a` Berlin.»
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ministre qui proposait de fausses mesures ?... (25) Nous voulons des de´pute´s inde´pendans de tout inte´reˆt oppose´ a` l’inte´reˆt national, inde´pendans de tout esprit de systeˆme e´tranger a` la charte. (26) Voila` la ve´ritable inde´pen dance de l’homme d’e´tat, et particulie`rement du de´pute´.... Il faut sans he´sitation pre´fe´rer cet homme a` tous ceux qui ont fait parade d’inde´pendance et me´tier de servitude. (27)»
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(25) J’ignorais que la chambre des de´pute´s duˆt eˆtre un conseil d’e´tat : pourquoi donc nous donner la peine de nommer ces conseillers d’e´tat de´pute´s ? (26) Voila` une tre`s-belle de´finition de l’inde´pendance, et d’autant plus commode, qu’elle n’engage a` rien. On peut juger si un homme est de´pendant par le salaire qu’il rec¸oit, ou la place amovible qu’il occupe. Mais il y une heureuse obscurite´ dans ce qui fait qu’on est de´pendant ou inde´pendant de ses passions, de´pendant ou inde´pendant de ses syste`mes, qui permet a` tout le monde de re´clamer l’honneur de l’inde´pendance. (27) Me´tier de servitude. L’e´crivain y a-t-il bien pense´ quand il e´crit ce mot ? Son ze`le n’a-t-il pas trouble´ un peu sa me´moire ? N’a-t-il pas tire´ sur ses troupes ? Soldat maladroit ! parmi les hommes qu’il attaque, j’en vois qui ont e´te´ dans les cachots e´trangers pendant la retraite sous Bonaparte1, et qui ont vote´ contre le consulat a` vie et contre l’empire2. Ceux-la` n’ont pas fait me´tier de servitude ; j’en vois qui n’ont approche´ de nos gouvernemens que lorsque les besoins de la France exigeaient des secours qui pre´servassent l’e´tat et les particuliers d’une ruine entie`re, et qui n’ont eu d’ailleurs ni places ni appointemens : ceux-la` n’ont point fait me´tier de servitude ; j’en vois qui, apre`s s’eˆtre e´loi gne´ quinze ans du maıˆtre du monde, ont brave´, et le danger et la de´faveur, pour contribuer a` mettre un terme a` la dictature, et pour rendre a` la nation les organes qu’elle avait perdus3, et qui ont, dans le 22 les besoins ... exigeaient ] la source porte le besoin ... exigeaient 1 2
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Nous n’avons pas pu identifier tous ceux a` qui BC a pu faire allusion dans cette note. Le premier est e´vident : il ne peut s’agir que de La Fayette. BC pense au premier chef a` Camille Jordan qui avait publie´ en 1801, «pendant qu’on recueillait les suffrages» une brochure Vrai sens du vote national sur le Consulat a` vie qui l’e´carta par la suite de fonctions politiques sous Napole´on (Augustin Jordan, Une ligne´e de Huguenots dauphinois et ses avatars, Paris : Sorep, 1983, pp. 133–134) ainsi qu’a` J.-B. Say, e´carte´ du Tribunat pour avoir vote´ contre l’Empire. Voir ci-dessus, pp. 831–832, la note 4. Ne s’agit-il pas de Constant lui-meˆme ?
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(Suite de la note 27 de la page pre´ce´dente.) meˆme instant, publie´ des opinions aussi oppose´es a` toute tyrannie que lorsqu’ils e´taient en lutte contre l’autorite´ : ceux-la` n’ont pas fait me´tier de servitude ; j’en vois qui n’ont eu d’autres fonctions que celle d’une bienfaisance active et e´claire´e : ceux-la` n’ont pas fait me´tier de servitude ; j’en vois d’autres qui n’ont exerce´ de profession que celle qui est l’appui du faible, et dont la re´putation rapide n’est due qu’a` l’union du courage et du talent ; d’autres qui ont subi l’exil, d’autres qui l’ont choisi : tous ceux-la` n’ont pas fait me´tier de servitude ; maintenant je regarde ailleurs et je m’e´crie : Quis tulerit Gracchos de seditione querentes1 ! N. B. Le de´faut de temps m’oblige a` renvoyer a` un autre moment mes obervations sur l’article contenu dans le Moniteur2 : je rappellerai en attendant, a` mes lecteurs, que l’auteur de l’article a e´te´ oblige´ de convenir de´ja` d’une erreur, d’autant plus singulie`re, que son commentaire reposait sur cette erreur, et qu’il semble avoir pre´vu dans ses raisonnemens la faute d’impression du prote ; et j’ajouterai, que par d’autres fautes d’impression sans doute, la lettre que je lui ai adresse´e est toute autre dans son journal que je ne l’avais e´crite. Il y a des journaux malheureux en fait de fautes d’impression.
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Juve´nal, Satires, II, v. 24 : «Qui tole´rerait que les Gracques de´plorent une re´volte ?» Le Moniteur no 261, 16 septembre 1817.
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Lettre au re´dacteur du Journal du Commerce Il y a dans le Moniteur d’aujourd’hui 17 septembre 1817
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Introduction
La lettre publie´e d’abord dans le Journal du Commerce, puis le jour suivant, avec des changements significatifs, dans le Moniteur incrimine´ et dans le Journal ge´ne´ral de France, est un document typique des luttes pre´ce´dant les e´lections de 1817. Dans un long article, le Moniteur a attaque´, en re´pondant a` la brochure de Constant Des e´lections prochaines, les positions politiques des «inde´pendants» d’un point de vue monarchique. Comme l’a releve´ Christian Viredaz dans les commentaires accompagnant l’e´dition de cet article, c’est le passage suivant qui a provoque´ les protestations de Constant : «A les en croire, les inde´pendans fide`les a` leurs principes apporteront dans les affaires publiques un ze`le vierge, auquel on devra porter toute confiance, de´gage´ de toute expe´rience. Ce ze`le un peu novice nous promet d’eˆtre ennemi de toutes les concessions, [...] il sera preˆt a` tout perdre plutoˆt que de compromettre une maxime. Est-ce bien la` la disposition d’esprit qui doit concilier les suffrages de ceux qui aiment la monarchie constitutionnelle, non parce qu’elle est constitutionnelle, mais parce qu’elle nous assure la jouissance de tous les biens que l’ordre social promet a` l’homme. Les inde´pendans, ajoute-t-on, ne s’e´crient pas : «Nous aimons mieux la monarchie que la liberte´.» Mais qui donc a jamais tenu un pareil langage ? L’excellence du gouvernement monarchique vient pre´cise´ment de ce qu’il garantit aux hommes une somme de liberte´ ne´cessaire pour qu’ils se livrent avec assurance et sans distractions aux devoirs qui leur sont impose´s dans la socie´te´. [...] On aime la monarchie, parce qu’on aime la liberte´ : mais une liberte´ qui compromettrait la monarchie se de´truirait elle-meˆme1.» La re´action de Constant est prompte et e´nergique. Le jour meˆme, il adresse une lettre relevant l’erreur au Moniteur ainsi qu’au Journal Ge´ne´ral de France, et, pour eˆtre suˆr de rendre l’affaire publique, la meˆme lettre au Journal du Commerce. Tissot, e´diteur de ce dernier, a fait inse´rer la lettre sans he´siter, comme il ressort d’une lettre de remerciement que B. Constant lui adresse le jour meˆme ; le Journal ge´ne´ral de France la reproduit aussi, tandis que le Moniteur n’en a pas tenu compte tout de suite. Mais Constant n’en de´mordra pas. Il s’est adresse´ a` son avocat pour assigner le Moniteur «en calomnie ou en faux», car «il est clair que substituer le mot Monarchie a` Re´publique dans le sens ou il l’a fait, c’est comme si on pre´tendoit qu’un homme 1
«Sur les inde´pendans», Le Moniteur, no 259, 16 septembre 1817, pp. 1021–1023.
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qui a crie´ vive le Roi a crie´ vive l’Empereur»1. Cette strate´gie semble aboutir, car le Moniteur publie avec la protestation de Constant une rectification qui, tout en convenant de l’accident mate´riel, maintient en meˆme temps la pole´mique : «Une faute d’impression s’est glisse´e dans l’article inse´re´ dans notre no du 16, sur les inde´pendans. On y lit ces paroles attribue´es a` M. B. de Constant : Les inde´pendans sont ceux qui sous la monarchie ne s’e´crient pas qu’ils aiment mieux la monarchie que la liberte´. Il y a ici une erreur e´vidente. Mais il est assez singulier que le prote, en se trompant sur les mots, n’ait fait que donner plus d’e´nergie a` ce que l’on pourrait croire eˆtre la pense´e de cet inge´nieux e´crivain. En effet, on lit, page 33, ligne 13 de sa brochure, la phrase suivante : Les inde´pendans sont ceux qui sous la re´publique ne s’e´criaient pas : nous aimons mieux la re´publique que la liberte´ ; ET QUI, SOUS LA ROYAUTE´ , NE PRE´ TENDENT POINT QU’IL FAUT S’ASSEOIR SUR LES DE´ BRIS DE TOUS LES DROITS ET LE ME´ PRIS DE TOUTES LES GARANTIES. Nous nous empressons dans l’inte´reˆt de la ve´rite´ de re´tablir les choses telles qu’elles sont imprime´es, et nous laissons a` nos lecteurs a` juger si cette correction affaiblit ou non la suite de l’article2.» La coquille, si c’en est une, qui de´figure la citation de Constant, met bien en relief l’esprit de l’article du Moniteur du 16 septembre auquel Constant voulait re´pondre3. Nous n’avons pas retrouve´ cette re´ponse ; Constant n’a probablement pas poursuivi la pole´mique. E´tablissement du texte Pour l’e´tablissement du texte, il fallait se de´cider entre le manuscrit de la lettre au Moniteur, retrouve´ par Pierre Cordey, et une des publications dans les journaux de l’e´poque. Le manuscrit n’a pu eˆtre localise´. Nous avons adopte´ finalement comme texte de base pour notre e´dition celui du Journal du Commerce qui en donne la premie`re e´dition et le fait entrer ainsi dans la discussion publique accompagnant les e´lections de 1817. Le texte du manuscrit est cite´ dans l’introduction a` la brochure Notes sur quelques articles de journaux4. Nous signalons les variantes des autres journaux et de la lettre 1 2 3
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Lettre de BC a` Tissot, 17 septembre 1817, cite´e d’apre`s Viredaz, «Vingt textes oublie´s», pp. 43–44, n. 1. Rectification publie´e dans le Moniteur no 261, 18 septembre 1817, p. 1030c. La coquille, souligne´e aussi par Viredaz («Vingt textes oublie´s», p. 45, n. 15), consiste en ceci que le Moniteur imprime dans le passage souligne´ «s’asseoir» au lieu de «l’asseoir», comme le dit BC, et surtout dans le croisement entre «monarchie» et «re´publique». La re´ponse de Constant est annonce´e aussi dans le post-scriptum de ses Notes sur quelques articles de journaux. Voir ci-dessus, p. 834. Voir ci-dessus, p. 814.
Journal du Commerce, 17 septembre 1817 – Introduction
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manuscrite en note. Ces variantes sont d’un inte´reˆt certain pour e´tudier les petites ruses des re´dacteurs des journaux dans cette pole´mique politique acharne´e. Manuscrit : A Monsieur le re´dacteur du Moniteur. Collection particulie`re inconnue. Le manuscrit a e´te´ utilise´ dans la publication de Pierre Cordey, cite´e ci-dessous sous le no 4. Imprime´s : 1. A M. le re´dacteur du Journal du Commerce, Journal du Commerce, no 56, 17 septembre 1817, p. 2a. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Nous de´signons ce texte par le sigle JC 2. Au Re´dacteur, Journal ge´ne´ral de France, no 1102, 17 septembre 1817, p. 3b. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Nous de´signons ce texte par le sigle JG 3. Au Re´dacteur, Le Moniteur universel, no 261, 18 septembre 1817, p. 1030c. Courtney, Guide, D104a. Nous de´signons ce texte par le sigle M 4. A Monsieur le re´dacteur du Moniteur, Benjamin Constant, Cent lettres, choisies et pre´sente´es par Pierre Cordey, Lausanne : Bibliothe`que romande, 1974, pp. 198–199. Courtney, Guide, F15. Nous de´signons ce texte par le sigle CL Le texte a fait l’objet d’une e´dition par Christian Viredaz, «Vingt textes oublie´s», pp. 43–45. Il a e´te´ publie´ d’apre`s le manuscrit retrouve´ dans Benjamin Constant, Cent Lettres, choisies et pre´sente´es par Pierre Cordey, Lausanne : Bibliothe`que romande, 1974, pp. 198–199. K. K.
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Il y a dans le Moniteur d’aujourd’hui
A M. le re´dacteur du Journal du Commerce. Paris, ce 16 septembre 1817. Il y a dans le Moniteur d’aujourd’hui une faute d’impression bizarre, contre laquelle je dois re´clamer. Comme il ne s’agit que d’un fait mate´riel, j’espe`re que vous voudrez bien inse´rer ma lettre dans votre journal. J’ai dit1, dans ce que je viens de publier sur les e´lections, page 33 : «Les inde´pendans sont ceux qui, sous la re´publique, ne s’e´criaient pas : nous aimons mieux la re´publique que la liberte´.» Le Moniteur cite cette phrase comme il suit : «Les inde´pendans, ajoute-t-on, ne s’e´crient pas : nous aimons mieux la monarchie que la liberte´» : et l’auteur part de la` pour insinuer que ceux que j’ai nomme´s inde´pendans n’aiment pas la monarchie constitutionnelle. Je crois que devant tout tribunal l’auteur serait condamne´ comme coupable d’un acte de faux. Mais j’aime mieux ne voir qu’une erreur dans cette substitution du mot monarchie au mot re´publique. Cependant, comme elle est e´trange, et qu’elle a tous les effets d’une falsification
E´tablissement du texte : Imprime´s : Journal du Commerce, no 56, 17 septembre 1817, p. 2a. [=JC] Journal ge´ne´ral de France, no 1102, 17 septembre 1817, p. 3b. [=JG] Le Moniteur universel, no 261, 18 septembre 1817, p. 1030c. [=M] Lettre au re´dacteur du Moniteur, Cent lettres, pp. 198–199. [ CL]
2 A M. le re´dacteur du Journal du Commerce. ] Au redacteur M, JG 3 ce ] manque JG 4 dans le Moniteur ] dans votre journal M, CL bizarre ] ce mot manque dans M 5–6 Comme il ... journal. ] cette phrase manque dans M, CL Comme il ne s’agit que d’un fait, j’espe`re ... journal. JG 7 J’ai dit ... e´lections. ] J’ai dit, en traitant des e´lections M, JG 12 inde´pendans ] «les inde´pendans» M, JG, CL 13–15 Je crois ... mieux de ne voir qu’une erreur ] J’aime a` ne voir qu’une erreur M J’aime a` ne voir qu’une erreur typographique JG 15 – p. 842.1 re´publique. ... de la relever, ] re´publique ; mais elle est e´trange, et je vous invite a` la re´parer M re´publique ; mais elle est e´trange, et comme elle a ... falsification, je m’empresse de la relever, JG Re´publique, mais elle est e´trange, et comme elle a tous les effets d’une falsification pre´me´dite´e, je vous invite a` la re´parer, CL
1
Voir ci-dessus, p. 777 et, pp. 813–815, les commentaires dans l’introduction des Notes sur quelques articles de journaux.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
pre´me´dite´e, je m’empresse de la relever, sans renoncer d’ailleurs a` re´pondre aux autres parties de cet article du Moniteur. Recevez, Monsieur, toutes mes salutations. Benjamin Constant.
2 Moniteur. ] Moniteur. Votre refus que je ne saurais pre´voir m’obligerait a` recourir aux moyens de droit. CL 3 Recevez ... salutations. ] Je vous pre´sente mes salutations. M, JG, CL
[Note aux journaux sur la liste des e´ligibles] 22 septembre 1817
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Introduction
La lettre est purement technique et indique aux e´lecteurs potentiels la candidature de Benjamin Constant. Les fautes mate´rielles qu’elle contient n’ont aucune importance1. Les e´lections se de´roulent du 21 au 25 septembre 1817. Le re´sultat des e´lections est le suivant : Le banquier Jacques Laffitte est e´lu au premier tour (3866 voix, sur 9677 inscrits et 6625 votants). Constant obtient 2346 (septie`me). Au second tour, le 23 septembre, il re´unit 2856 voix et occupe la 9e place ; sont e´lus Benjamin Delessert et Antoine Roy. Le scrutin de ballotage fera passer Guillaume-Louis-Isidore Goupy, l’avocat Nicolas-Franc¸ois Bellart, Louis-Henri Breton, E´tienne-Denis Pasquier, ministre de la Justice en 1817, et Casimir Pe´rier. Constant tout en re´unissant 2944 voix (9e place), n’en obtient pas assez pour passer. C’est donc les candidats de la droite qui obtiennent la majorite´.
E´tablissement du texte Imprime´s : 1. Les listes supple´mentaires, Journal du Commerce, no 61, 22 septembre 1817, p. 3a. [=JC] Courtney, Guide, non re´pertorie´. 2. M. Benjamin Constant nous adresse une lettre, Le Moniteur universel, no 265, 22 septembre 1817, p. 1047a. [=M] Courtney, Guide, D104b. 3. «M. Benjamin Constant invite les journaux de la capitale», Annales politiques, morales et litte´raires, no 647, 23 septembre 1817, p. 2a. [=AP] Courtney, Guide, non re´pertorie´. Le texte a fait l’objet d’une e´dition par Christian Viredaz, «Vingt textes oublie´s», pp. 45–46. K. K.
1
L’organisation et le de´roulement des e´lections sont tre`s complexes. On se reportera au t. XI des OCBC ou` l’on trouvera une description de´taille´e des proce´de´s e´lectoraux.
8QH SDJH GH OD /LVWH VXSSOpPHQWDLUH SRUWDQW OH QRP GH %HQMDPLQ &RQVWDQW FRPPH FDQGLGDWjOD&KDPEUHGHVGpSXWpV%LEOLRWKqTXHFDQWRQDOHHWXQLYHUVLWDLUH/DXVDQQH &R
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Les listes supple´mentaires
Les listes supple´mentaires des e´ligibles1 n’ayant paru qu’hier 20 tre`s-tard, et n’ayant pas meˆme e´te´ distribue´es a` toutes les sections avant la cloˆture de la se´ance, je vous prie d’inse´rer que je me trouve sur cette liste supple´mentaire comme suit : no 2830. Constant Rebecque (Benjamin-Henri), proprie´taire, rue SaintHonore´, no 4662, aˆge 49, contrib. 1071 fr. Agre´ez, monsieur, toutes mes salutations. Benjamin Constant Paris, le 21 septembre 1817.
E´tablissement du texte : Imprime´s : Journal du Commerce, no 61, 22 septembre 1817, p. 3a. Annales [=JC] Le Moniteur universel, no 265, 22 septembre 1817, p. 1047a. [=M] politiques, morales et litte´raires, no 647, 23 septembre 1817, p. 2a. [=AP]
2 Les listes ] M. Benjamin Constant nous adresse une lettre par laquelle il nous invite a` annoncer que les listes M M. Benjamin de Constant invite les journaux de la capitale a` annoncer que les listes AP des e´ligibles ] d’e´ligibles M omis AP qu’hier 20 ] que le 20 M, AP 3 distribue´es ] envoye´es M, AP 4 je vous prie ... que je me ] son nom se AP 6 Benjamin-Henri ] M Benjamin Fleuri JC proprie´taire ] manque M 7 466 ] 66 JC 466 M, AP
1
2
Liste supple´mentaire des e´ligibles du De´partement de la Seine. La BCU en posse`de un exemplaire (Co 4860). Constant y figure a` la p. 146. Voir Viredaz, «Vingt textes oublie´s», p. 45, n. 3. BC habitait en fait 366, Rue Saint-Honore´, comme il ressort de sa correspondance.
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Seconde re´ponse de Benjamin Constant fin septembre 1817
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Introduction
I La Seconde re´ponse de Benjamin Constant est le dernier des textes publie´s par lui en relation avec les e´lections de 1817. Pour situer les proble`mes politiques de l’heure et le programme des constitutionnels (qui deviendront bientoˆt les inde´pendants, puis les libe´raux), on se permet de renvoyer le lecteur a` l’introduction du premier de ces textes, Des e´lections prochaines1. La Seconde re´ponse fait suite aux Notes sur quelques articles de journaux, dans lesquelles Constant avait re´pondu aux attaques des journaux ministe´riels contre les the`ses politiques des libe´raux. Il avait laisse´ de coˆte´ les attaques personnelles dont il e´tait l’objet, principalement sur sa nationalite´ et sur son roˆle pendant les Cent-Jours. Sous la pression de ses e´lecteurs, il de´cida, au dernier moment semble-t-il, de re´pondre e´galement a` ces attaques. C’est ce qui explique le titre de Seconde re´ponse. Constant s’e´tait de´ja` exprime´ sur sa nationalite´ dans les premie`res e´ditions de sa Note sur les droits de cite´ de la famille de Constant Rebecque. Dans la Seconde re´ponse, il se borne a` rappeler sur cette question qu’il avait demande´ le be´ne´fice du de´cret du 9 de´cembre 1790 relatif aux biens des descendants de religionnaires fugitifs vingt-six ans plus toˆt (en fait, en 1796 seulement, mais Constant est parfois brouille´ avec les dates). La re´ponse relative a` son activite´ pendant les Cent-Jours est plus inte´ressante. Constant s’amuse d’abord a` relever que le ministe`re que soutiennent les journaux qui l’attaquent comprend, dit-il, au moins deux et peut-eˆtre trois membres qui avaient occupe´ des fonctions plus e´minentes pendant les Cent-Jours. Mais il ne cite qu’un seul nom, celui de Mole´2 qui avait e´te´ nomme´ au Conseil d’E´tat de`s le retour de Napole´on et avec qui Constant avait travaille´ lors de l’examen du projet d’Acte additionnel par le Conseil ` l’e´poque de la Seconde re´ponse, Mole´ venait en effet d’eˆtre nomd’E´tat. A me´ ministre de la Marine et des Colonies. Le seul autre membre du premier ministe`re Richelieu qui ait exerce´ d’e´minentes fonctions pendant les Cent-Jours e´tait l’obscur Corvetto3, d’ailleurs excellent ministre des Finances, qui avait e´te´ maintenu par Napole´on 1 2 3
Voir ci-dessus, pp. 753–756. Sur Mathieu-Louis Mole´, voir ci-dessous, p. 853 et p. 859, n. 1. Louis-Emmanuel Corvetto (1756–1822). Voir la liste des ministe`res 1815–1830 dans Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, pp. 487–489.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
au Conseil d’E´tat. Constant a-t-il e´galement pense´ au Chancelier Pasquier1, qui e´tait reste´ a` Paris pendant les Cent-Jours mais qui n’avait exerce´ aucune fonction publique bien qu’il ait e´te´ question de lui pour un important ministe`re ? Quoi qu’il en soit, il e´tait plus important, aux yeux de Constant, de souligner qu’il avait contribue´ a` introduire dans l’Acte additionnel des dispositions qui garantissaient la liberte´ des citoyens (liberte´ de la presse, notion de la repre´sentation nationale, suppression des tribunaux militaires). Comme il le dit superbement : «Certes, lorsqu’apre`s m’eˆtre oppose´ au 20 mars2, avec quelque courage peut-eˆtre, je me suis rapproche´ du Gouvernement nouveau, pour contribuer a` rendre a` la Nation des organes, et a` mettre un terme a` la dictature qui e´tait imminente, j’ai su que je bravais des jugements se´ve`res ; je m’y suis re´signe´, me confiant au temps, qui rame`ne toujours a` la justice.» Dans les dernie`res pages de la brochure, Constant rattache chacun des principaux chefs du parti libe´ral aux ide´es qu’ils de´fendent et auxquelles ils doivent la confiance des e´lecteurs. Puis, par un de ces retours sur lui-meˆme qui le rendent si attachant, Constant ajoute qu’il doit sa de´signation comme candidat au fait qu’il n’a d’autre me´rite que celui de proclamer «quelques principes qui sont dans toutes les aˆmes». Il conclut par un beau retour sur son passe´, mais ou` perce le regret qu’il a exprime´ parfois d’avoir sacrifie´ son repos et sa fortune litte´raire au combat politique. Ces phrases annoncent celles qu’il e´crira quelques anne´es plus tard a` Goyet de la Sarthe, un jour de de´couragement : «J’ai plus de cinquante ans, j’ai de´voue´ ma vie a` la liberte´, j’ai ne´glige´ ma fortune, use´ ma sante´, abandonne´ mes occupations litte´raires, et renonce´ a` la re´putation qu’elles m’auraient acquise, le tout pour voir les hommes que je croyais associe´s a` la meˆme cause s’endormir ou se rebuter, et le monde en proie pour longtemps peut-eˆtre au despotisme de la plus vile canaille qui ait jamais habite´ des antichambres et porte´ des habits dore´s3». II La Seconde re´ponse pose un petit proble`me bibliographique. La brochure est connue. Elle figure dans la Bibliographie de Courtney (nume´ro 26a) et on la trouve dans plusieurs bibliothe`ques publiques et prive´es. Mais on ne la retrouve pas telle quelle dans le Cours de politique constitutionnelle de 1819. 1 2 3
E´tienne, plus tard duc Pasquier (1767–1862). Voir sur lui ci-dessus, p. 804, n. 1. Le 20 mars 1815, date de l’arrive´e de Napole´on a` Paris abandonne´ par Louis XVIII. Lettre du 15 juin 1822 (Benjamin Constant et Goyet de la Sarthe, Correspondance 1818– 1822, publie´e par Ephraı¨m Harpaz, Gene`ve : Droz, 1973, p. 690).
Seconde re´ponse de Benjamin Constant – Introduction
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En revanche, on trouve dans le Cours une Re´ponse de Benjamin Constant aux attaques dirige´es contre lui durant les e´lections1, qui est comple´te´e par la note suivante : «Cette re´ponse me fut, pour ainsi dire, arrache´e par une suite de libelles auxquels les e´lecteurs qui m’avaient honore´ de leur voix me pressaient de re´pondre. Comme ces meˆmes e´lecteurs m’ont accorde´ de nouveau leurs suffrages l’anne´e suivante, et comme les libelles re´fute´s ont e´te´ reproduits, j’ai consigne´ ici ma re´ponse ; elle pourra servir encore, parce qu’il paraıˆt que les moyens des agents du pouvoir, quelques noms qu’ils portent, sont les meˆmes dans tous les temps.» On ne connaıˆt aucun exemplaire se´pare´ de cette Re´ponse. Son texte est identique a` celui de la Seconde re´ponse, sauf sur trois points : le titre, qui n’est pas le meˆme ; la premie`re phrase qui de´bute par les mots : «Jusqu’a` pre´sent j’ai parle´ de moi le moins qu’il m’a e´te´ possible. Je n’avais que moi seul a` de´fendre», alors que la premie`re phrase de la Seconde re´ponse est la suivante : «Dans ma Re´ponse pre´ce´dente aux attaques de quelques journaux, j’ai parle´ de moi le moins qu’il m’a e´te´ possible. Je n’avais alors que moi seul a` de´fendre.» Enfin et surtout, la Seconde re´ponse contient un passage important sur la collaboration de Constant et de Mole´ au Conseil d’E´tat, qui ne figure pas dans la Re´ponse. Que peut-on conclure ? Faut-il admettre que Constant a publie´ successivement deux fois le meˆme texte, d’abord la Re´ponse puis la Seconde re´ponse, ce qui serait assez dans ses habitudes ? Cette hypothe`se se heurte a` la difficulte´ que cre´e´ l’absence de tout exemplaire se´pare´ de la Re´ponse et au peu de vraisemblance de la publication d’une nouvelle e´dition de la Seconde re´ponse apre`s les e´lections, puisqu’il est clair que l’e´crit de Constant, quel qu’il soit, a e´te´ publie´ dans l’urgence, dans l’intervalle entre la de´signation des candidats et l’e´lection proprement dite. Ces conside´rations ame`nent a` penser que le texte paru dans le Cours est une version le´ge`rement revue de la Seconde re´ponse. Comme Constant ne reprenait pas dans le Cours les Notes sur quelques articles de journaux, le titre de Seconde re´ponse ne pouvait pas eˆtre maintenu. Constant l’a modifie´, comme il l’a fait pour celui de la brochure Des e´lections prochaines qui est devenu Des e´lections de 1817. Il a modifie´ en conse´quence la premie`re phrase pour supprimer toute re´fe´rence aux Notes. Reste la difficulte´ de la suppression, dans le Cours, du rappel de la collaboration de Constant et de Mole´ lors de l’examen de l’Acte additionnel au Conseil d’E´tat pendant les Cent-Jours. Constant voulait-il, en 1819, passer sous silence cette collaboration a` l’e´poque ou`, dans ses Lettres sur les Cent-Jours, il critiquait l’attitude ambigue¨ de Mole´ pendant et apre`s les Cent-Jours2 ? Il y a d’ailleurs 1 2
Cours de politique constitutionnelle, 1819, t. III, pp. 63–68. Voir Me´moires sur les Cent-Jours, OCBC, Œuvres, t. XIV p. 216 et n. 1.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
un myste`re dans les relations de Constant et de Mole´. Il existe en effet dans les Archives Decazes, malheureusement inaccessibles, une liasse qui porte le nume´ro 127 et a pour titre «Rapport de police sur Benjamin Constant qui posse´derait des documents compromettants contre le comte Mole´ et sa conduite pendant les Cent-Jours (1818)1». Si tel est bien le cas, on comprend d’autant mieux la suppression relative a` la collaboration de Constant et de Mole´ au Conseil d’E´tat. En conclusion, nous conside´rons qu’il y a eu une seule publication, la Seconde re´ponse, reprise et le´ge`rement modifie´e sous un titre plus explicite dans le Cours de politique constitutionnelle. Nous reproduisons donc la Seconde re´ponse telle qu’elle a e´te´ publie´e a` l’occasion des e´lections de 1817, en mentionnant en note les modifications apporte´es a` ce texte dans le Cours. On connaıˆt depuis quelques anne´es2 une copie manuscrite contemporaine de la Seconde re´ponse provenant d’archives prive´es. Le texte est identique a` celui de l’imprime´, a` quelques diffe´rences de graphie pre`s. L’e´criture n’est en tout cas pas celle de Constant, mais d’une main inconnue. Les pages sont cousues, ce qui parle en faveur d’un manuscrit destine´ a` eˆtre conserve´. En l’absence d’information sur l’origine de ce manuscrit et meˆme sur les archives prive´es ou` il est actuellement conserve´, on ne peut que se livrer a` quelques conjectures. S’agit-il d’une copie que Constant aurait conserve´e par se´curite´ apre`s avoir remis son texte a` l’imprimeur ? S’agit-il d’une copie mise en circulation avant la sortie du texte imprime´ ? S’agit-il au contraire d’une copie faite sur un imprime´ e´puise´ ? Peu importe en de´finitive, car ce ` tout manuscrit, identique au texte imprime´, n’apporte rien de nouveau. A hasard, les variantes seront ne´anmoins mentionne´es en notes. C. R. E´tablissement du texte On reproduit ci-apre`s le texte de la Seconde re´ponse. Les modifications et adjonctions de la Re´ponse de Benjamin Constant aux attaques dirige´es contre lui durant les e´lections et de la copie manuscrite de cet ouvrage sont signale´es en note. Manuscrit : Seconde Re´ponse de Benjamin Constant. Archives particulie`res inconnues. 1 2
Sur ce dossier voir ci-dessous, p. 859, n. 1. Maurice De´chery, «Un texte partiellement ine´dit de Benjamin Constant», ABC, t. 22 (1999), pp. 137–140 ; voir aussi ABC, t. 25 (2001), pp. 311–312.
Seconde re´ponse de Benjamin Constant – Introduction
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3 fo, 10 p. de la main d’un copiste, plie´s au milieu, emboite´s et cousus pour former un cahier. Les deux dernie`res pages sont blanches. Hofmann, Catalogue, non re´pertorie´. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle R2. Imprime´s : 1. [double filet] SECONDE REPONSE DE BENJAMIN CONSTANT. [petit filet ornemental] 8o (202 × 129 mm), 8 pp. Pp. [1]–7 texte. Sur la dernie`re page, en bas, l’adresse de l’imprimeur Porthmann, rue Ste.-Anne, no 43, p. [8] blanche. Le texte est signe´ a` la fin : BENJAMIN CONSTANT. La date de publication, 1817, n’est indique´e nulle part. Courtney, Bibliography, 26a. Courtney, Guide, A26/1. Exemplaire utilise´ : Collection particulie`re. Nous de´signons cette publication par le sigle R1. 2. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES Publie´s sur le Gouvernement repre´sentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espe`ce de Cours de politique constitutionnelle ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [ligne ondule´e] TROISIE`ME VOLUME. [ligne ondule´e] Cinquie`me partie de l’Ouvrage. A PARIS, CHEZ P. PLANCHER, E´ DITEUR DES ŒUVRES DE VOLTAIRE ET DU MANUEL DES BRAVES, rue Poupe´e, no 7. [filet] 1819. Le texte de la brochure se trouve sous le titre Re´ponse de Benjamin Constant aux attaques dirige´es contre lui durant les e´lections, pp. [63]–68. Courtney, Bibliography, 131a(3). Courtney, Guide, E1/1(3). Exemplaire utilise´ : Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Politik oct. 964. Nous de´signons cet ouvrage par le sigle CPC. L’e´dition de 1820 donne le meˆme texte sans changements. Le texte manuscrit a e´te´ publie´ par Maurice De´chery, «Un texte partiellement ine´dit de Benjamin Constant», ABC, 22, 1999, pp. 137–140. Voir aussi Claude Reymond, «A propos d’un texte partiellement ine´dit de Benjamin Constant», ABC, 25, 2001, pp. 311–312. K. K.
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Seconde re´ponse de Benjamin Constant.
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Dans ma Re´ponse pre´ce´dente aux attaques de quelques journaux1, j’ai parle´ de moi le moins qu’il m’a e´te´ possible. Je n’avais alors que moi seul a` de´fendre. Honore´ aujourd’hui des suffrages de pre`s de trois mille Citoyens2, je leur dois de prouver que je n’en suis pas indigne. Me calomnier maintenant, c’est dire a` l’Europe que pre`s de trois mille habitans de Paris, tous de cette classe ou` re´sident la raison, l’industrie, la richesse et la force nationale, sont assez aveugles ou assez coupables pour choisir un factieux pour repre´sentant. C’est insulter leur moralite´ et leurs lumie`res. Je vais donc re´pondre encore. Je serai court : le temps nous presse. Je serai mode´re´, parce que la mode´ration est mon caracte`re, et qu’il y a d’ailleurs un degre´ de me´pris qui inspire du calme. On a re´pandu que j’e´tais Etranger. Je suis Franc¸ais, fils d’un Franc¸ais protestant, rentre´ en France il y a vingt-six ans, comme des milliers de protes tans dont l’intole´rance avait frappe´ les familles, et qu’une loi positive a rappele´s3. J’ai produit mes titres alors ; jamais leur validite´ n’a e´te´ contesE´tablissement du texte : Manuscrit : Seconde Re´ponse de Benjamin Constant [=R2] Imprime´s : Seconde Re´ponse de Benjamin Constant [=R1] Re´ponse de Benjamin Constant aux attaques dirige´es contre lui durant les e´lections, Cours de politique constitutionnelle, t. III, pp. 63–68 [=CPC] 1 Seconde re´ponse ... Constant. ] Dans la version du Cours de politique constitutionnelle, le texte est intitule´ ainsi Re´ponse de Benjamin Constant aux attaques dirige´es contre lui durant les e´lections. Le texte est pre´ce´de´ de la note suivante Cette re´ponse me fut, pour ainsi dire, arrache´e par une suite de libelles auxquelles les e´lecteurs qui m’avaient honore´ de leur voix me pressaient de re´pondre. Comme ces meˆmes e´lecteurs m’ont accorde´ de nouveaux leurs suffrages l’anne´e suivante, et comme les libelles re´fute´s ont e´te´ reproduits, j’ai consigne´ ici ma re´ponse ; elle pourra servir encore, parce qu’il paraıˆt que les moyens des agens du pouvoir, quelques noms qu’ils portent, sont les meˆmes dans tous les temps. CPC 2–4 Dans ma ... de´fendre. ] Jusqu’a` pre´sent, j’ai parle´ de moi le moins qu’il m’a e´te´ possible. Je n’avais que moi seul a` de´fendre. CPC 4–5 trois mille Citoyens ] 3.000 citoyens R2 6 trois mille ] 3.000 R2 10 re´pondre encore. ] re´pondre CPC 14 vingt-six ] 26 R2 16 J’ai ... ] a` la ligne R2 1 2 3
Il s’agit des Notes sur quelques articles de journaux, publie´es en septembre 1817. Voir ci-dessus, pp. 811–834. Constant avait obtenu en effet, au second tour, 2858 voix (sur 7378), au premier tour, il avait obtenu 2346 voix (sur 6625). Le de´cret du 9 de´cembre 1790 relatif aux biens de religionnaires fugitifs.
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te´e par les autorite´s compe´tentes. Le Gouvernement les a reconnus, par cela meˆme qu’il m’a inscrit sur la Liste officielle des E´lecteurs, des E´ligibles et des Candidats ayant obtenu des voix1 : ou bien croit-on que c’est par faveur qu’il m’ait compris sur ces Listes ? Il faut donc que mes adversaires changent de moyen d’attaque. Il en est qu’ils ont employe´ avec succe`s en 1815, contre les Protestans, a` Nismes et ailleurs2. Les autres sont inutiles. Ils peuvent tout, sinon faire que je ne sois pas Franc¸ais. L’on a voulu rattacher mon nom a` des e´poques funestes. On n’en citera pas une, depuis vingt-cinq ans, ou` je n’aie recommande´ la mode´ration et la justice. On m’a reproche´ les fonctions que j’ai occupe´es apre`s le 20 mars3. Chose e´trange ! Les journaux qui m’imputent ces fonctions a` crimes, sont sous l’empire d’un ministe`re dont deux membres au moins, et trois si je ne me trompe, ont occupe´, a` la meˆme e´poque, des fonctions plus e´minentes qu’ils n’ont de´pose´es qu’apre`s la journe´e de Waterloo4. On m’a de´signe´ comme l’auteur de l’acte additionnel auquel j’ai concouru, je l’avoue sans peine, pour y inse´rer l’article sur la liberte´ de la presse, sur les jure´s, sur le nombre de la repre´sentation nationale, et sur la limitation des tribunaux militaires ; et cet acte additionnel a e´te´ corrige´ au conseil d’Etat, a` coˆte´ de moi, sur le meˆme exemplaire, par M. le comte Mole´, ministre aujourd’hui, et redevenu alors conseiller d’Etat le 23 mars, tandis que ma nomination est du 20 avril. En citant ce fait, je n’inculpe point M. Mole´. Je dirai meˆme que, dans cette se´ance, il s’est e´leve´, ainsi que tous ses colle`gues, contre le re´tablissement de la confiscation, courage d’autant plus me´ritoire, qu’il n’a fait d’ailleurs, contre aucun autre article de l’acte additionnel, aucune objection quelconque. 8 L’on ] On pas de nouveau paragraphe R2 funestes. On ] funestes on R2 9 vingt-cinq ] 25 R2 aie ] aye R2 12 mars. Chose e´trange ! Les ] mars, chose Etrange ! les R2 16–17 additionnel ... concouru, ] additionnel ; j’y ai concouru, CPC 19 – p. 859.5 et cet acte additionnel .... son colle`gue. ] passage supprime´ dans CPC 20 M. le comte ] le Cte R2 23 Mole´. Je ] Mole´, je R2 25 confiscation, ] confiscation ! R2 1
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Les services officiels e´tablissaient d’abord la liste des e´lecteurs et celle des e´ligibles, selon les conditions du re´gime censitaire. Ces listes e´taient imprime´es. Les e´lecteurs pouvaient voter pour tout e´ligible inscrit sur la liste officielle ; tous ceux qui obtenaient des voix e´taient re´pute´s candidats. Constant fait allusion a` la Terreur blanche de 1815 qui fit nombre de victimes parmi les protestants du Midi. Le 20 mars 1815, jour de l’arrive´e de Napole´on a` Paris abandonne´ par Louis XVIII. BC rencontrera Napole´on le 14 avril. Mole´, ministre de la Marine et des Colonies depuis le 12 septembre 1817 et Corvetto, ministre des Finances du 26 septembre 1815 au 7 de´cembre 1818. Voir l’Introduction.
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Je ne le blaˆme donc pas ; mais si j’e´tais Ministre, et que le ministe`re euˆt pris sur lui la responsabilite´ de tous les Journaux, je m’opposerais a` ce que cette ignoble artillerie fuˆt dirige´e contre un homme avec lequel j’aurais sie´ge´, et chez lequel, ne le connaissant pas jusqu’alors, je serais venu, deux jours apre`s sa nomination, me fe´liciter d’eˆtre son colle`gue1. Je cherche si j’ai encore quelqu’accusation a` re´futer. Je ne trouve aucun fait dans les invectives dicte´es contre moi. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque a` ces libellistes. S’il ne disent rien, c’est qu’ils n’osent rien dire, et que ma vie entie`re n’offre aucune prise a` la fureur grossie`re qui les anime contre quiconque parle pour la justice et re´clame pour la liberte´. Aussi, l’opinion ne prend pas le change. En de´pit de leur tentative, elle persiste a` porter un homme sans clientelle, sans alentours, sans pouvoir, sans autre force que quelques principes qui sont dans toutes les aˆmes et qu’il n’a eu que le me´rite de proclamer. Trente articles de journaux sont commande´s, trente libelles me de´chirent, et trois mille Electeurs re´pondent par leurs suffrages. C’est que ces Electeurs veulent le bien, c’est qu’ils adoptent ce qui est juste ; c’est que leur esprit est e´claire´, parce que leurs intentions sont pures. Les individus ne sont rien pour eux ; les principes sont tout ; et le nom propre de chaque Candidat n’est autre chose qu’une de´claration de principe, faite librement par la Nation. Quand ils porte`rent avant hier M. Lafitte, c’e´tait dire : Un Ministre ne doit pas bouleverser les finances, en exce´dant son budjet2. 1 Je ... ] pas de nouveau paragraphe R2 donc pas ] donc mot omis R2 3 fuˆt ] fut R2 4 pas ] mot omis R2 6 Je ... ] pas de nouveau paragraphe R2 quelqu’accusation ] quelque accusation R2 8 libellistes. S’il ] libellistes, s’ils R2 n’osent rien dire ] n’ont rien a` dire CPC, R2 11 Aussi ... ] pas de nouveau paragraphe R2 leur tentative ] leurs tentatives CPC 23 budjet ] budget R2 1
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Les arrie`re-fonds de cette attaque nous e´chappent. Le comte Mathieu-Louis Mole´ (1781– 1855), administrateur et fonctionnaire fide`le pendant l’Empire, avait e´te´ sans fonctions publiques pendant la Premie`re Restauration. Pendant les Cent-Jours, il avait e´te´ charge´ de la direction des Ponts-et-Chausse´es, et il avait repris ses fonctions au Conseil d’E´tat, ou` il sie´geait depuis le 23 mars, et plus tard a` coˆte´ de Constant. Pendant la Deuxie`me Restauration, il redevint Conseiller d’E´tat de`s le 24 aouˆt 1815 et fut nomme´ dans le ministe`re Richelieu Ministre de la Marine et des Colonies (12 septembre 1817). La visite, dont parle Constant ici, n’est pas mentionne´e dans le J.I. Il est inte´ressant de savoir que les Archives de la Grave conservent un dossier intitule´ «Rapport de police sur Benjamin Constant qui posse´derait des documents compromettants contre le comte Mole´ et sa conduite pendant les Cent-Jours» (Archives de la Grave, Catalogue, p. 227, liasse 123, inaccessible). Constant cite ici les noms des principaux chefs du parti constitutionnel : Jacques Laffitte (1767–1841), l’un des principaux banquiers franc¸ais sous l’Empire et sous la Restauration ; Casimir Pe´rier (1877–1832), un autre grand banquier ; La Fayette (1757–1834) demeure´ a` l’e´cart du pouvoir pendant l’Empire et qui s’e´tait engage´ aux coˆte´s des constitutionnels de`s le de´but de la Restauration ; Jacques-Antoine Manuel (1775–1827), qui s’e´tait montre´ particulie`rement hostile au retour des Bourbons. Laffitte et Casimir Pe´rier ont e´te´ e´lus a` la Chambre en 1817, Manuel en 1818.
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Quand ils portent aujourd’hui M. Casimir Perrier, c’est dire : La garde de la France appartient a` des Franc¸ais. Quand ils portent M. de Lafayette, ils disent : Nous adoptons les principes de 1789 et nous de´testons les exce`s de 1793. Quand ils portent M. Manuel, c’est dire : Nous honorons le courage qui dans toutes les circonstances reclame la dignite´ et l’inde´pendance nationale. Quand ils daignent me porter enfin, c’est dire : Nous consacrons la liberte´ individuelle, la liberte´ de la presse et la suˆrete´ des garanties judiciaires. J’ignore quel sera le re´sultat de cette lutte ; mais le spectacle que la France pre´sente a` l’Europe n’en est pas moins imposant et admirable. D’une part, tous les moyens sont mis en usage ; toutes les forces sont de´ploye´es, toutes les calomnies re´pandues. De l’autre, des e´lecteurs paisibles, silencieux, obe´issans a` la loi, protestent, par leurs suffrages re´¨ıtire´s, en faveur des principes de liberte´ que n’ont pu e´touffer ni la terreur ni le despotisme. Ce ne sont pas des factieux que des hommes qui se rassemblent ainsi pour exercer leurs droits selon leur conscience, et qui n’opposent que la re´gularite´ et le calme a` tous les efforts qu’on fait pour les e´garer ; Ce ne sont pas des factieux, que des citoyens estimables, dont un grand nombre, apre`s avoir glorieusement de´fendu le sol de la France, servent l’Etat par leurs travaux et l’enrichissent par leur industrie ; Ce ne sont pas non plus des factieux, que les citoyens que ces hommes choisissent, et dont plusieurs vivant dans la retraite, ne leur sont connus que par leurs principes. Singuliers factieux, que des individus qui n’ont d’autre tort que d’exercer avec calme, mais librement, les droits qu’on leur a dit d’exercer ! Singu liers factieux, que ces capitalistes et ces commerc¸ans, dont toute la fortune repose sur le maintien de l’ordre public, et ces e´crivains qui ont toujours de´clare´ qu’il fallait profiter de ce qui existait, et qu’il valait mieux ame´liorer que de´truire ! Les factieux sont ceux qui s’agitent, qui menacent, qui injurient, qui frappent leurs ennemis sans de´fense, et qui leur imposent silence pour les de´chirer.
5–6 Quand ils ... inde´pendance nationale ] aline´a de´place´, il pre´ce`de celui qui parle de M. Lafayette R2 11 imposant ] important R2 14 obe´issans ] obe´issant CPC protestent ] protestants R2 15 n’ont pu e´touffer ] n’ont pas e´touffe´s R2
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S’il ne s’agissait que de moi, tous mes de´sirs seraient remplis. J’ai travaille´ 20 ans de ma vie pour prendre rang parmi les amis de la liberte´. Je n’ai compte´ pour rien le repos, la fortune, et l’opinion meˆme, quand j’ai cru de mon devoir de me se´parer d’elle momentane´ment. Certes, lorsqu’apre`s m’eˆtre oppose´ au 20 mars1 avec quelque courage peut-eˆtre, je me suis rapproche´ du Gouvernement nouveau, pour contribuer a` rendre a` la Nation des organes, et a` mettre un terme a` la dictature qui e´tait imminente, j’ai su que je bravais des jugemens se´ve`res ; je m’y suis re´signe´, me confiant au temps, qui rame`ne toujours a` la justice. Mon espe´rance ne m’a point de´c¸u. La moitie´ des E´lecteurs de Paris m’a donne´ son suffrage, sans me connaıˆtre personnellement. Cette moitie´ d’une population si e´claire´e et si honorable, m’a de´clare´ par-la` qu’elle appre´ciait mes intentions, et que ma conduite lui e´tait explique´e. L’avenir est inde´pendant de moi ; mais, quoi qu’il arrive, je n’aurai point a` me plaindre. Je serai reconnaissant pour le sort. J’ai rec¸u en deux jours la re´compense de vingt anne´es. Mais il s’agit aussi de la France. Les principes des candidats, du nombre desquels je m’honore d’eˆtre, sont des principes d’ordre et de paix, en meˆme temps que de liberte´. Ce sont des principes qui, non-seulement, ne produisent pas de re´volutions, mais empeˆchent que les fautes de l’autorite´ n’en produisent. Les ve´ritables re´volutionnaires sont ceux qui, en violant ces principes, mettent e´galement en pe´ril, et les Gouvernemens, et les Peuples. Benjamin Constant.
9 toujours a` la justice ] toujours la justice R2 ne m’a point de´c¸u ] n’a point e´te´ de´c¸ue R2 13 L’avenir ... ] a` la ligne R2 14 Je ... ] a` la ligne R2
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Le 20 mars 1815 est la date de l’entre´e de Napole´on a` Paris abandonne´ par Louis XVIII. En rappelant son opposition au retour a` l’Empire, BC fait allusion a` ses articles des 11 et 19 mars 1815 (OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 525–538).
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[Programme des lectures sur la religion a` l’Athe´ne´e royal de Paris] 26 (?) octobre 1817
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Introduction
Nous savons par la lettre de Benjamin Constant adresse´e le 26 octobre 1817 a` Laurent-Franc¸ois Feuillet, sous-bibliothe´caire de l’Institut, qu’il a accepte´ de donner une se´rie de lectures sur la religion a` l’Athe´ne´e royal de Paris1. Le projet de ces lectures remonte a` l’anne´e 1815, ou` Constant, sollicite´ par Destutt de Tracy2 et Casimir Pe´rier, a pense´ a` donner des lec¸ons sur une matie`re de recherche qui lui tenait a` cœur. Ce n’est qu’en 1817 que ce projet se re´alisera. L’esquisse du plan pour les trois lectures, jointe a` la lettre a` Feuillet, est publie´e, avec quelques changements mineurs, mais significatifs, au mois de novembre 1817 dans le Programme de l’Athe´ne´e pour l’anne´e 1817–1818. Ce que nous ne saurions reconstituer, ce sont les de´libe´rations a` l’inte´rieur de l’administration de l’Athe´ne´e et au sein de l’assemble´e ge´ne´rale (ou` Constant e´tait pre´sent) qui portaient sur le programme de l’anne´e 1818. La lettre a` Feuillet permet de de´tecter des vues diffe´rentes sur la nature des lec¸ons demande´es a` Benjamin Constant : «La dernie`re fois meˆme que M. Perrier voulut bien m’en entretenir, il ne fut question que d’une se´ance tous les quinze jours. Je ne croyais donc nullement me mettre au rang des Professeurs re´guliers de l’Athe´ne´e, et j’aurais fait cette observation a` l’assemble´e ge´ne´rale, si M. de Tracy ne m’eut dit avant la re´union, qu’on avait re´dige´ la chose si vaguement, que je conservais toute liberte´. Cependant j’ai vu que le retranchement de la phrase par laquelle j’avais annonce´ seulement quelques se´ances changeait tout a` fait mes engagemens et le point de vue sous lequel je me pre´sentais3.» Cette observation vise un document que nous ne connaissons pas et qui pre´sentait probablement les interventions de 1
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La lettre a` Feuillet (1768–1843) est conserve´e dans les Archives communales de Mantesla-Jolie, Fonds Clerc de Landresse, no 924. Voir l’e´tude de Leana Quilici et Renzo Ragghianti, «Lettres curieuses sur la Renaissance Orientale des fre`res Humboldt, d’August Schlegel et d’autres...», www.eliohs.unifi.it. L’ide´ologue Antoine-Louis-Claude Destutt de Tracy (1754–1836), auteur de l’ouvrage Ele´ments d’ide´ologie, paru entre 1803–1815, membre de l’Institut de`s 1795, nomme´ au comite´ de l’instruction publique, entrant en 1808 a` l’Acade´mie, Se´nateur sous Napole´on et membre de la Chambre des Pairs sous la Restauration, est un personnage re´pute´ pour sa doctrine philosophique, baˆtie sur une pense´e peut-eˆtre peu originale. Constant le rencontre assez souvent, comme il ressort des notes de son journal intime. Voir l’article du Dictionnaire Napole´on. Leana Quilici et Renzo Ragghianti, «Lettres curieuses», ELIOHS, www.eliohs.unifi.it.
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Constant comme un cours sur cette matie`re. Constant craint effectivement, comme il ressort du passage qui suit imme´diatement dans la lettre cite´e, de s’engager dans une entreprise qui pourrait geˆner ses ambitions politiques : «Dans l’e´tat ou` est mon ouvrage, qui, apre`s m’avoir occupe´ toute ma vie, est reste´ fort imparfait, par l’effet des autres objets qui m’ont absorbe´ depuis trois ans, il me serait impossible de commencer un ve´ritable cours, sans me livrer a` un travail que je n’ai point cet hiver la faculte´ d’entreprendre. De plus la nature de ces recherches exige tant de de´veloppemens que si je les prenais dans leur ordre et dans leur e´tendue, il me faudrait plusieurs anne´es pour en exposer le re´sultat avec ce´le´rite´ ou succe`s1.» L’allusion a` ses activite´s politiques et de publiciste, et l’aveu de l’imperfection relative de son ouvrage sur la religion, ce qui annonce d’ailleurs qu’il n’a pas perdu de vue les progre`s de la recherche dans cette matie`re, montrent tre`s bien que Constant ne pense nullement a` s’engager dans une obligation, meˆme s’il la conside`re comme flatteuse, qui pourrait lui nuire dans sa carrie`re politique. Il serait preˆt pourtant, «uniquement comme homme de lettres, membre luimeˆme de l’Athe´ne´e» de donner des lectures ou` il traitera, sans demander d’eˆtre re´mune´re´, «les e´poques les plus frappantes de la marche de l’esprit humain dans les opinions religieuses2.» E´tablissement du texte Manuscrit : 1. «Histoire. Mr Benjamin de Constant s’est charge´ de retracer, dans quelques se´ances ...» Texte pour le programme des cours a` l’Athe´ne´e royal de Paris, anne´e 1817–1818. 1 feuille, 340 × 230 mm, plie´e au milieu pour obtenir 2 fos, 3 pp. a. Le titre «Histoire» et la suppression de deux phrases sont probablement d’une autre main. Date : Octobre 1817. Mantes-la-Jolie, Archives communales, fonds Clerc de Landresse, no 925. Hofmann, Supple´ment. Nous de´signons ce manuscrit par le sigle P1. Imprime´s : 1. Athe´ne´e Royal de Paris. Programme pour l’an 1818, Paris, Adrien Egron, s.d. [1817], pp. 15–17. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Nous de´signons ce texte par le sigle P2. 1 2
Ibid. Ibid. – La Gazette de France annonce, en tout cas, dans un petit article du 5 novembre 1817 (no 105, p. 4a) les lec¸ons de BC comme «un cours de l’histoire conside´re´e dans les faits qui ont rapport a` l’e´tablissement et aux progre`s du christianisme», en rappelant le se´jour de BC a` Göttingue, «la terre classique de l’e´rudition».
Programme des lectures sur la religion a` l’Athe´ne´e
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2. Annales Encyclope´diques re´dige´es par A. L. Millin, 1817, t. VI, pp. 117– 119. Courtney, Guide, non re´pertorie´. Nous de´signons ce texte par le sigle P3. E´ditions : 1. A[nne] H[ofmann], «Catalogue raisonne´ de l’œuvre manuscrite de Benjamin Constant. Cinquie`me supple´ment», ABC, 22, 1999, pp. 141–142. 2. Leana Quilici et Renzo Ragghianti, «Lettres curieuses sur la Renaissance Orientale des fre`res Humboldt, d’August Schlegel et d’autres ...», ELIOHS, www.eliohs.unifi.it. K. K.
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Histoire Mr Benjamin de Constant s’est charge´ de retracer, dans quelques Se´ances, les principales e´poques des anciennes religions, telles qu’il les a traite´es dans un ouvrage encore ine´dit. Cet expose´ de la marche graduelle & re´gulie`re des ide´es religieuses aura de l’interet, dans un moment ou` l’esprit humain paraıˆt e´prouver cette agitation & ces besoins moraux, qui, a` la distance souvent de beaucoup de sie´cles, viennent tout a` coup l’inquie´ter, & sur ce qu’il a cru longtems, & sur ce qu’il semble avoir cesse´ de croire. La premie´re religion des hommes abandonne´s a` leurs propres lumie`res, la formation du pouvoir sacerdotal, favorise´ dans certaines contre´es par des Circonstances soit accidentelles, soit locales, & restreint ou repousse´ par d’autres e´ve´nemens a d’autres circonstances dans d’autres contre´es, la Nature des Cultes de l’Orient & du Midi, soumis au Sacerdoce & fac¸onne´ d’apre`s ses calculs, les modifications successives de la Religion des Grecs, qui, apre`s avoir emprunte´ de l’Egypte des rites, des traditions & des alle´gories en partie Indiennes, brise`rent le joug venu de l’e´tranger, & restitue´rent, je ne dirai pas a` la raison, mais au raisonnement son inde´pendance & a` l’imagination ses droits, la combinaison, a` Rome, des dogmes du Sacerdoce de l’Etrurie avec les fables de la Gre`ce, ou` la Preˆtrise e´toit presque sans pouvoir, l’influence de la religion dans ces deux pays, sur la litte´rature & de la litte´rature sur la religion, la lutte de la Philosophie contre le Polythe´isme, & la victoire de cette philosophie, toute puissante, quand elle ne veut que de´truire, les efforts inutiles de l’Autorite´ pour relever un culte de´chu, les
E´tablissement du texte : 1) Manuscrit : Mantes-la-Jolie, collection Clerc de Landresse, 2) Imprime´ : Athe´ne´e royal, Programme pour l’an 1818, pp. 15–17 no 925. [=P1] [=P2] 3) Annales encyclope´diques, anne´e 1817, t. VI, pp. 117–119. [=P3] 3 Histoire ] titre ajoute´ par une autre main P1 3–4 Histoire ... retracer ] M. Benjamin de Constant a promis de faire plusieurs lectures sur l’histoire. Il retracera P3 la premie`re phrase de P3 reprend une phrase de P2, p. 9 M. Benjamin Constant a promis de faire plusieurs Lectures sur l’Histoire, dont le sujet est indique´ dans l’Analyse qui suit. P2 7 l’inte´reˆt ] l’inte´reˆt, dit-il, P3 8–9 a` la distance ... sie`cles, ] souvent, a` la distance de plusieurs sie`cles, P2, P3 13–14 par d’autres ... contre´es ] dans d’autres contre´es, par d’autres e´ve´nemens et d’autres circonstances P2, P3 15 fac¸onne´ ] fac¨ onne´s P2, P3 18–19 je ne dirai ... raisonnement ] si ce n’est pas a` la raison, du moins au raisonnement P2 22 la religion ] la 〈litte´r〉 religion P1 dans ces deux pays ] supprime´ P2, P3
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e´garemens de l’esprit & les souffrances de l’ame, quand le besoin religieux eut perdu tout moyen de se satisfaire, l’apparition ine´vitable, mais inattendue, d’une doctrine plus pure, & la renaissance de l’espe`ce humaine, par l’adoption de cette doctrine, tels sont les objets sur lesquels M. Benjamin de Constant essayera de fixer l’attention de l’Athe´ne´e. Il ne peut se flatter de traiter toutes les questions, ni de les approfondir suffisamment, en un petit nombre de se´ances : mais il tachera d’e´veiller la curiosite´ & peut-eˆtre la me´ditation sur cette matie´re importante & il ose dire peu connue. Il ne peut fixer encore ni le jour des se´ances, ni l’e´poque ou commencera ce cours, si l’on peut donner le nom de cours a` une suite d’essais peu nombreux & ne´cessairement imparfaits.
2 mais inattendue ] bien qu’inattendue P2, P3 4 doctrine, ] doctrine, 〈bientoˆt de´nature´e a` son tour〉 correction peut-eˆtre par une autre main P1 5 Athe´ne´e. ] Athe´ne´e. 〈Il espe`re ne blesser aucune conviction since`re, ne choquer l’opinion d’aucun homme de bonne foi.〉 correction peut-eˆtre par une autre main P1
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[Lettre au re´dacteur du Journal du Commerce] Un article du Journal des De´bats d’aujourd’hui 9 novembre 1817
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Introduction
Les lectures de Benjamin Constant sur la religion ont suscite´ de`s la publication du programme de l’Athe´ne´e royal des commentaires dans la presse. Ceci s’explique plutoˆt par le roˆle politique de Constant que par un inte´reˆt manifeste pour le sujet annonce´. C’est en tout cas ce qui ressort de l’article moqueur et malveillant publie´ par le Journal des De´bats le 7 novembre 18171. L’entrefilet anonyme inse´re´ dans le Journal des De´bats, ou` le journaliste se permet, avec une allusion ironique a` l’e´chec e´lectoral de Constant, un re´sume´ narquois du programme propose´, ne reste pas sans re´ponse. Constant se voit oblige´ de rectifier les choses dans le petit article qu’il publie dans le Journal du Commerce. Cet article trahit un double souci. D’une part, comme le prouve la dernie`re phrase, Constant veut a` tout prix rester pre´sent sur le plan politique apre`s avoir e´choue´ aux e´lections de septembre. D’autre part, et ceci est le sujet principal de la lettre, il de´sire eˆtre plus pre´cis en ce qui concerne le sujet de ses lectures a` l’Athe´ne´e, peut-eˆtre par honneˆtete´ professionnelle, peut-eˆtre parce qu’il craint des interventions et les pole´miques de l’orthodoxie. Effectivement, l’article du Journal des De´bats est quelque peu e´quivoque : «Les heureux loisirs de M. Benjamin de Constant lui permettront de faire plusieurs lectures sur l’Histoire, auxquelles il se propose de meˆler l’examen de beaucoup de questions the´ologiques qui ne peuvent manquer d’avoir de l’inte´reˆt dans un moment ou`, suivant le prospectus, l’esprit humain paroıˆt e´prouver cette agitation et ces besoins moraux qui souvent, a` la distance de plusieurs sie`cles, viennent tout a` coup l’inquie´ter, et sur ce qu’il a cru longtemps, et sur ce qu’il semble avoir cesse´ de croire2.» Le Journal du Commerce donne un texte tronque´ du petit article. Dans la lettre du 9 novembre 1817 que Benjamin Constant adresse a` Feuillet, il dit ceci : «En lisant le Journal du Commerce d’aujourd’hui, Monsieur, je m’aperc¸ois qu’il y a eu dans la lettre que j’y ai fait inse´rer une omission qui me choque parce qu’elle ne dit pas quelle a e´te´ ma pense´e en l’e´crivant.
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Journal des De´bats, 7 novembre 1817, p. 2a. Ibid.
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Apre`s ces mots, ‘je n’ai aucun droit, aucune pre´tention au titre de professeur a` l’Athe´ne´e’, j’avais ajoute´ : ‘ce titre si honorable suppose et exige des connaissances que je n’ai pas, et il y aurait eu de la pre´somption en moi a` la prendre.’ Je ne conc¸ois pas cette omission, a` moins qu’elle ne vienne de ce que les trois phrases e´taient en renvoi1.» Cette correction fait voir assez clairement que les attaques du Journal des De´bats ont e´te´ ressenties comme dangereuses. La correction de ce passage, annonce´e dans la lettre a` Feuillet, n’a pu eˆtre re´pe´re´e dans le Journal du Commerce.
E´tablissement du texte Manuscrit : Lettre de Benjamin Constant a` Laurent-Franc¸ois Feuillet du 9 novembre 1817, Mantes-la-Jolie, Archives Communales, fonds Clerc de Landresse, no 926. Courtney, «Inventaire», fichier de´pose´ a` l’IBC, Lausanne. Imprime´ : A M. le re´dacteur du Journal du Commerce, Journal du Commerce, no 109, 9 novembre 1817, p. 2b. [=JC] Courtney, Guide, D104a. Le texte a fait l’objet d’une e´dition par Viredaz, «Vingt textes oublie´s», pp. 46–47. K. K.
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Mantes-la-Jolie, Archives communales, fonds Clerc de Landresse, no 926, texte cite´ d’apre`s Leana Quilici et Renzo Ragghianti, art. cit.
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[Lettre au re´dacteur du Journal du Commerce]
A M. le re´dacteur du Journal du Commerce. Paris, 7 novembre 1817. Monsieur, Un article du Journal des De´bats m’oblige a` vous prier d’inse´rer les e´claircissemens suivans, qui sont relatifs aux lectures sur la religion que j’ai promis de donner a` l’Athe´ne´e1. Occupe´ depuis plusieurs anne´es de recherches sur les religions des peuples anciens, j’ai cru qu’il serait peut-eˆtre utile de soumettre quelques fragmens d’un tre`s-long ouvrage a` une re´union e´claire´e. Le Journal des De´bats nomme l’examen de la mythologie grecque, e´gyptienne ou scandinave, des questions the´ologiques. Je ne m’y oppose pas, tout en me fe´licitant de n’eˆtre pas l’auteur de ce rapprochement plus ou moins profane. Quant a` la phrase que ce journal cite, et d’apre`s laquelle il voudrait pre´juger mes intentions, il me semble que dans un moment ou` les feuilles anglaises nous parlent sans cesse des me´thodistes2, les feuilles allemandes des sectateurs de Peschel3 et autres, et les gazettes de toute l’Europe
E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal du Commerce, no 109, 9 novembre 1817, p. 2b. [=JC] 1 2
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Les lectures ont eu lieu les 6 fe´vrier, 17 mars et 22 mai 1818. On en trouvera les textes dans le t. XI des OCBC. Le mouvement puissant des me´thodistes, fonde´ au XVIIIe sie`cle par les fre`res Wesley et largement re´pandu par leur pre´dication inlassable et des publications sans nombre, connait finalement un succe`s durable meˆme en dehors du royaume. BC puise son information sur Thomas Pöschl (1769–1837) dans le Moniteur qui a publie´ en 1817 une dixaine d’articles sur ce preˆtre catholique de Braunau (le Moniteur e´crit ce nom en trois variantes : «Petzel», «Peschel», «Poeschel») et son mouvement mysticiste. Pöschl a re´ussi a` faire des prose´lites, les «Pöschlianer», qui ont reconnu dans Napole´on l’incarnation du mal, selon les visions de Magdalena Sickinger, la sœur d’un autre preˆtre, ce qui correspond a` une expe´rience personnelle de Pöschl qui a duˆ accompagner en 1806 le libraire Johann Philipp Palm au supplice, condamne´ a` mort sur la demande de l’empereur pour avoir publie´ un pamphlet anti-franc¸ais. Les activite´s et la doctrine sociale de Pöschl et surtout celles de ses disciples ont provoque´ la me´fiance de Metternich et des autorite´s eccle´siastiques de l’Autriche, ce qui lui valut des poursuites juridiques et l’examen de sa croyance par l’archeveˆque de Vienne. Voir, le Moniteur, anne´e 1817, no 119, 29 avril, p. 471a ; no 123, 3 mai, p. 487a ; no 124, 4 mai, p. 491a ; no 128, 8 mai, p. 505b-c (re´sume´ de la doctrine) ; no 129, 9 mai, p. 509a ; no 167, 16 juin, pp. 657c–658a ; no 234, 22 aouˆt, p. 923a ; no 246, 3 septembre, p. 970a ; no 252, 9 septembre, p. 993b. Pour la discussion the´ologique de l’e´poque on consultera l’ouvrage de Jakob Salat, Versuche über Superna-
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
des prophe´ties de Mme de Krudener1, l’on peut, sans se compromettre, affirmer que l’esprit humain e´prouve une certaine inquie´tude, semblable, a` quelques e´gards, a` celle qui agitait le monde civilise´, dans les trois premiers sie`cles de notre e`re. Du reste, je n’ai aucun droit, aucune pre´tention au titre de professeur a` l’Athe´ne´e ; j’en ai refuse´ les avantages ; je n’en ai point contracte´ les obligations, et les lectures que j’ai promises ne prendront point sur ce que le Journal des De´bats nomme mes loisirs. Mon ouvrage, presqu’acheve´ il y a quatre ans2, aurait paru depuis deux, si je n’avais e´te´ de´tourne´ de ce travail par d’autres publications, qui, a` en juger par quelques re´ve´rences, ont obtenu l’approbation d’une partie au moins des citoyens de Paris3. Je pourrai donc lire des morceaux de cet ouvrage, sans renoncer a` ce qui inte´resse plus imme´diatement la cause que j’ai toujours de´fendue et que je de´fendrai de´sormais avec d’autant plus de ze`le, que d’honorables suffrages m’ont de´ja` servi d’encouragement et de re´compense4. Agre´ez, etc. B. Constant 5 l’Athe´ne´e ; j’en ai refuse´ ] l’Athe´ne´e ; ce titre si honorable suppose et exige des connaissances que je n’ai pas, et il y aurait eu de la pre´somption en moi a` le prendre. j’en ai refuse´ phrase omise dans le texte de l’article, re´tablie par BC dans sa lettre a` Feuillet du 9 novembre 1817
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turalismus und Mystizismus. Auch ein Beytrag zur Kulturgeschichte der höhern Wissenschaft in Deutschland. Mit historisch=psychologischen Aufschlüssen über die vielbesprochene Mystik in Bayern und Oberösterreich, Sulzbach : in des Kommerzienraths J. E. von Seidel Kunst- und Buchhandlung, 1823, pp. 266–275, 433–490 et 541–543. On consultera encore Biographisch-bibliographisches Kirchenlexikon, Nordhausen : Verlag Traugott Bautz, t. VII, col. 775–777, ainsi que Max Geiger, Aufklärung und Erweckung. Beiträge zur Erforschung Johann Heinrich Jung-Stillings und der Erweckungstheologie, Basel : EVZVerlag, 1963, p. 399. L’article «Erweckungsbewegung» de la RGG, 2e e´d, t. II, col. 298–304, 3e e´d., t. II, col. 621–628 ne le mentionne pas. Il est peut-eˆtre inte´ressant de se rappeler que la lutte d’Andreas Hofer contre Napole´on e´tait fortement conditionne´e par ses convictions religieuses. Ceci n’est pas exage´re´. Outre les articles mentionne´s ci-dessus, p. 655, n. 1, citons un commentaire malveillant des Lettres normandes, paru a` peu de distance de la lettre de BC au Journal du Commerce, au de´but de l’anne´e 1818 (t. I, 1818, pp. 275–276), ou` l’on trouve ceci : «Elle [i.e. Julie de Krüdener] dit beaucoup de choses sur le passe´ et l’avenir, sur les re´volutions politiques ou morales dont le monde est menace´», sur la sainte alliance, dont elle s’attribue avec componction la premie`re ide´e. [...] elle annonce souvent une scission prochaine entre les princes et les peuples puis elle preˆche le partage e´gal des biens entre les riches et les pauvres.» Metternich reconnaıˆt en elle une personne qui preˆche la re´volution (voir l’ouvrage de Max Geiger, op. cit., p. 399). BC pense e´videmment a` la «Copie bleue», qui donne une premie`re re´daction presque acheve´e de cet ouvrage. BC la laissera a` Göttingen en 1813, au moment ou` il s’engage dans la politique au service de Bernadotte. La se´rie des publications surtout politiques, Adolphe mis a` part, est effectivement impressionnante : 15 titres (livres et brochures) a` partir de De l’esprit de conqueˆte, sans compter les innombrables articles de journaux. Allusion aux re´sultats honorables des e´lections. Voir ci-dessus, p. 845.
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Article pour le Journal ge´ne´ral de France De la nomination des jure´s 30 de´cembre 1817
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De la nomination des jure´s
Le Journal ge´ne´ral de France publie dans son nume´ro du 30 de´cembre 1817 un article anonyme tout en pre´cisant qu’il s’agit d’extraits d’un ouvrage de Benjamin Constant, a` paraıˆtre. Les passages reproduisent les notes I et K de la seconde e´dition des Re´flexions sur les constitutions qui paraıˆtra dans le premier tome du Cours de politique constitutionnelle, en 1818. Le texte de l’article publicitaire, le´ge`rement abre´ge´, n’apporte rien de nouveau. Nous renvoyons donc au t. VIII,2 (pp. 1198–1203) des Œuvres comple`tes qui donne ce texte avec les variantes. K. K.
Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille de Constant-Rebecque [septembre 1817 – octobre 1818]
([OLEULVGXJpQpUDO6DPXHOGH&RQVWDQW± JUDQGSqUHGH%HQMDPLQ &RQVWDQWDX[DUPHV&RQVWDQWGH5HEHFTXH©FRXSpG¶$UJHQWjO¶DLJOHGHVDEOH FRXURQQpG¶RUHWGHVDEOHDXVDXWRLUG¶RUª/¶DGMRQFWLRQPDQXVFULWHGXQRP &RQVWDQWHVWSUREDEOHPHQWGXHDXJpQpUDOTXLDYDLWO¶KDELWXGHGHFRPSOpWHUGHODVRUWH VRQH[OLEULVSXUHPHQWKpUDOGLTXH6XU&ODXGLXV$HOLDQXV'HDQLPDOLXPQDWXUD OLE;9,,*HQqYH-GH7RXUQHV&ROOHFWLRQSDUWLFXOLqUH
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Introduction
I Presque a` chaque e´tape de sa carrie`re politique, Constant a duˆ faire face a` des adversaires qui contestaient son e´ligibilite´ au motif qu’il ne serait pas franc¸ais. Tel a e´te´ le cas d’abord en 1796, au moment ou`, e´tabli depuis peu a` Luzarches, il avait sollicite´ divers mandats e´lectifs. On trouve dans les E´crits de jeunesse deux textes de Constant relatifs a` sa nationalite´, tout d’abord sa pe´tition au Conseil des Cinq Cents, puis son article «De la restitution des droits politiques aux descendans de religionnaires fugitifs», paru dans Le Re´publicain Franc¸ais du 5 fructidor an IV (22 aouˆt 1796) et repris quelques jours plus tard dans Le Moniteur. Deux ans plus tard, en avril 1798, Constant, candidat a` la de´putation, justifiait sa nationalite´ dans un discours devant l’Assemble´e e´lectorale de Seine-et-Oise1. Vu le mode autoritaire de de´signation des membres du Tribunat (ils e´taient nomme´s par le Se´nat), la question de la nationalite´ de Constant n’a pas e´te´ souleve´e a` cette occasion. Elle devait l’eˆtre de fac¸on re´ite´re´e a` presque chacune des e´lections ou` Constant a e´te´ candidat. Dans la Seine par ses adversaires, tout d’abord en 1817 et 1818. La question fut e´galement souleve´e apre`s son e´lection dans la Sarthe en 1819. Mais sa nationalite´ fut admise par la Chambre sans opposition sur le rapport du premier bureau, au double motif de la possession d’e´tat, en raison du fait qu’il avait figure´ sur la liste des citoyens e´ligibles au Tribunat, et du fait que son pe`re avait e´te´ reconnu au be´ne´fice des dispositions e´dicte´es en faveur des descendants de religionnaires fugitifs2. Il ne devait pas en eˆtre de meˆme lors des e´lections de 1824, lorsque Constant fut e´lu dans la Seine. Sa nationalite´ franc¸aise fut conteste´e lors de la ve´rification des titres d’e´ligibilite´, ce qui donna lieu a` deux de´bats successifs a` la Chambre, le second pre´ce´de´ du rapport d’une commission ad hoc. Les deux discours de Constant, prononce´s lors des se´ances des 27 mars et 22 mai 1824, sont bien connus3. Ils reprennent la position que Constant 1 2 3
E´crits de jeunesse, OCBC, Œuvres, t. I, pp. 391–399 ; 401–411 ; 609–625. Voir le rapport dans E´phraı¨m Harpaz, Campagne d’e´ligibilite´ autour de Benjamin Constant, Paris : Champion, 2002, pp. 3–4. «Sur l’e´ligibilite´ des descendans de religionnaires fugitifs». Se´ance du 27 mars 1824 ; «Sur la meˆme question», se´ance du 22 mai 1824 ; dans Discours de M. Benjamin Constant a` la Chambre des De´pute´s, Paris : Ambroise Dupont et Compagnie, J. Pinard, 1828, t. II, pp. 203–215 et 216–243. Voir aussi Harpaz, Campagne d’e´ligibilite´, pp. 5–178 qui reproduit les de´bats de 1824, malheureusement avec des coupures.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
de´fendait depuis 1796 et re´futent les arguments de ses adversaires. On y renvoie le lecteur. On rappellera simplement ici que la Chambre finit par admettre l’e´ligibilite´ de Constant, par 214 voix contre 168. C’est dans l’introduction a` ces discours que l’on trouvera un expose´ complet des proble`mes de fait et de droit qu’a souleve´s la question de la nationalite´ de Constant. On se bornera donc a` rappeler ici que Constant, apre`s son pe`re qui l’avait fait en 1791 de´ja`, invoquait l’article 22 du de´cret relatif aux biens des descendants de religionnaires fugitifs, adopte´ par l’Assemble´e nationale le 9 de´cembre 1790 et approuve´ par le Roi le 12 de´cembre 1790, qui disposait ce qui suit : «Toutes personnes qui, ne´es en pays e´tranger, descendant en quelque degre´ que ce soit d’un Franc¸ais ou d’une Franc¸aise expatrie´s pour cause de religion, sont de´clare´es naturels franc¸ais et jouissent des droits attache´s a` cette qualite´, si elles reviennent en France, y fixant leur domicile et preˆtant le serment civique»1. Cette disposition devait eˆtre reprise a` l’art. 2 du titre 2 de la Constitution du 3 septembre 1791. En revanche, elle ne figurait dans aucune des constitutions suivantes, ce qui devait permettre a` certains de soutenir en 1796 et 1798 que le de´cret du 9 de´cembre 1790 n’e´tait plus en vigueur. D’ou` les de´marches de Constant aupre`s du Directoire et du Conseil des Cinq Cents en 1796. L’argument ne devait pas eˆtre repris sous la Restauration. Au contraire plusieurs descendants de re´fugie´s, moins conteste´s que Constant, avaient invoque´ a` cette e´poque le de´cret de 1790 et avec succe`s. Il vaut la peine de relever ici que le principe qu’il e´dictait est reste´ en vigueur, avec quelques modifications quant aux conditions d’application, jusqu’a` la grande ordonnance portant code de la nationalite´ franc¸aise du 19 octobre 1945. Nombreux sont ceux qui l’ont invoque´, parmi lesquels on peut citer Henry Dunant, le fondateur de la Croix Rouge, et Guy de Pourtale`s. Le second argument oppose´ a` Constant e´tait le fait qu’a` l’e´poque ou` son anceˆtre Augustin Constant s’e´tait re´fugie´ a` Gene`ve, l’Artois d’ou` il venait faisait partie des Pays-Bas espagnols, ce qui permettait de contester qu’il ait quitte´ la France pour cause de religion. Aussi a` la fin du de´bat de 1824, Constant invoqua-t-il e´galement sa filiation maternelle comme descendant d’Antoine de Chandieu, compagnon d’Henri IV, re´fugie´ a` Gene`ve apre`s la Saint-Barthe´lemy. C’est cette origine qui, coupant court aux questions relatives a` Augustin Constant, a entraıˆne´ la de´cision de 1824. Deux e´tudes approfondies ont e´te´ consacre´es a` la question de la nationalite´ de Constant. Pour la pe´riode du Directoire, il s’agit du chapitre VIII de 1
Archives parlementaires, Assemble´e Nationale, Se´ance du 9 de´cembre 1790, p. 360, Harpaz, Campagne d’e´ligibilite´, pp. 277–289.
Note sur les droits de cite´ – Introduction
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l’ouvrage de Be´atrice W. Jasinski sur L’engagement politique de Benjamin Constant qui re´pond au livre haineux d’Henri Guillemin1. Pour le de´bat de 1824, on dispose de la solide contribution de Rudolf von Thadden, «Das Mandat Benjamin Constants» parue dans la Festschrift Percy Ernst Schramm2. Nous renvoyons les lecteurs a` ces deux e´tudes qui concluent cate´goriquement a` la nationalite´ franc¸aise de Constant. On ne saurait rien y ajouter. II Les trois versions successives cite´es ci-apre`s par N1, N2 et N3 de la Note sur les droits de cite´ de la famille Constant de Rebecque sont de toute e´vidence des e´crits de circonstance, compose´s a` l’occasion des e´lections le´gislatives auxquelles Constant s’est pre´sente´ dans la Seine, ce qui permet de les situer entre 1815 et 1818. Peut-on les dater plus exactement ? Courtney3 date N1 de 1815 en raison de l’indication de 24 ans depuis la loi de 1790, ce qui donne en effet 1814 ou 1815, ainsi qu’en raison de la diffe´rence de vocabulaire avec N3 : N1 parle de l’autorite´ d’alors, N3 du Roi ; Buonaparte n’apparaıˆt que dans N3. Ces arguments ne manquent pas de poids, surtout celui des 24 ans, mais l’hypothe`se de Courtney ne trouve aucun appui dans ce que l’on sait sur la candidature de Constant lors des e´lections de mai 1815 pour la Chambre des repre´sentants. Constant se borne a` mentionner dans son journal, le 1er mai 1815 «Serai-je de´pute´ ?» et le 10 mai «Tentative d’e´lection»4, mais le Journal intime ne contient aucune mention d’une note sur sa nationalite´, alors que Constant mentionne le plus souvent les textes auxquels il travaille. Et s’il rele`ve dans son journal les attaques de ses adversaires, elles ne portaient pas sur sa nationalite´, mais sur son article dans le Journal des De´bats du 19 mars 1815, dont ils diffusent le texte dans un fac-simile´ du Journal des De´bats ou` figure e´galement sa nomination au Conseil d’E´tat5. En revanche, la comparaison attentive des originaux des notes N1 et N2 permet de constater que leur typographie est identique : meˆmes caracte`res, meˆme composition, meˆme pagination. Les quelques erreurs typographiques 1
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Be´atrice W. Jasinski, L’engagement de Benjamin Constant : amour et politique (1794– 1796), Paris : Minard, 1971. Henri Guillemin, Benjamin Constant muscadin : 1795–1799, Paris : Gallimard, 1958. Rudolf von Thadden, «Das Mandat Benjamin Constants : eine Grundsatzdebatte in der französischen Kammer 1824», dans : Festschrift Percy Ernst Schramm zu seinem siebzigsten Geburtstage von Schülern und Freunden zugeeignet, Wiesbaden : F. Steiner, 1964, to. II, pp. 154–168. Bibliography, pp. 43–44, no 16a. OCBC, Œuvres, t. VII, pp. 224 et 225. Journal intime, 29 et 30 avril 1815, ibid. p. 223.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
de N1 sont corrige´es dans N2 qui garde le meˆme aspect. Tout permet de penser que l’imprimeur avait garde´ la composition de N1 pour en faire e´ventuellement un second tirage, plus rapidement re´alisable dans la haˆte des e´lections. Or la note ajoute´e par Constant au bas de la dernie`re page de N2 permet de la dater exactement. Dans cette note, Constant invoque, a` l’appui de l’argument de la possession d’e´tat, le fait qu’il a e´te´ inscrit sur la liste des e´ligibles, c’est-a`-dire des citoyens qui remplissent les conditions d’aˆge et d’imposition fixe´es par la loi1, ainsi que dans «la liste officielle de ceux qui ont obtenu des voix»2. N2 se situe donc entre l’e´lection des candidats et l’e´lection proprement dite. Le seul exemplaire connu de N2 (Bibliothe`que de Montpellier) est comple´te´ par la liste officielle des candidats3, ce qui permet de dater N2 du 23 ou 24 septembre 1817. Du coup, N1 est e´galement datable de 1817, probablement juste avant avant le de´but des e´lections4. Ces constatations permettent d’e´carter de´finitivement l’hypothe`se d’une premie`re e´dition en 1815. Il subsiste e´videmment l’e´nigme des 24 ans, mais Constant ne paraıˆt pas avoir attribue´ beaucoup d’importance a` ce calcul, puisqu’il ne l’a pas corrige´ l’anne´e suivante. N3 pre´sente des diffe´rences substantielles avec N1 et N2 : la typographie est diffe´rente, ce qui parle pour un autre imprimeur ; le titre parle de la famille de Constant-Rebecque, alors que N1 et N2 parlent de la famille Constant de Rebecque et de´signe l’auteur comme M. Benjamin de Constant, comme dans le titre d’Adolphe et dans celui de L’esprit de conqueˆte, alors que N1 et N2 e´taient simplement signe´s Benjamin Constant. N3 marque meˆme un retour a` l’orthographe ancienne («avoit» etc.), mais ce peut eˆtre une pratique de l’imprimeur et non une de´cision de Constant. Selon son habitude, Constant a repris trois fois le meˆme texte, en y apportant des modifications mineures, ainsi qu’on l’a vu plus haut. Les adjonctions sont plus inte´ressantes. ` la fin de N3, Constant ajoute deux paragraphes dont l’un re´pond a` A l’objection qui lui avait e´te´ faite de sa naissance hors de France et dont l’autre, plus substantiel, rappelle qu’en s’opposant a` la tyrannie naissante de Buonaparte au sein du Tribunat, il s’e´tait montre´ aussi franc¸ais de cœur qu’il 1
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BC avait conserve´ dans ses papiers (BCU, Co 4680) la «Liste supple´mentaire des e´ligibles du de´partement de la Seine», date´e du 22 septembre 1817 et dans laquelle figure, sous le nume´ro 2830 «Constant-Rebecque (Benjamin-Henri), proprie´taire, rue St-Honore´ 466, 49 [ans], 1071 [francs de contributions directes]». Voir ci-dessous, p. 892. Voir ci-dessous, p. 895, variante a` la ligne 9. La date est solidement prouve´e par le c. r. anonyme de cette brochure parue le 25 septembre 1817 dans le no 649 des Annales politiques, morales et litte´raires (p. 3a), qui re´sume d’une manie`re pre´cise l’argumentation de BC et cite un passage du texte.
Note sur les droits de cite´ – Introduction
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l’e´tait de droit. C’e´tait en effet l’un des moments les plus courageux de sa vie politique. Comme il paraıˆt peu vraisemblable que Constant ait publie´ une troisie`me e´dition de sa note en 1817, apre`s les e´lections, nous pensons que N3 date des e´lections de 18181. On verra plus loin, dans la pre´sentation des e´crits des adversaires de Constant, qu’il re´pond dans N3 a` un certain nombre de leurs attaques, ce qui parle e´galement en faveur d’une note nettement poste´rieure a` N1 et N2. En conclusion, nous datons N1 et N2 de 1817 et N3 de 1818, ce qui nous a conduit a` ne reproduire que ce dernier texte, en signalant en note les changements et les additions apporte´s a` celui de 1817. III C’est dans une autre brochure, la Seconde re´ponse de Benjamin Constant, publie´e en octobre 1817, que l’on trouve sa premie`re re´action aux attaques de ses adversaires concernant sa nationalite´. On retrouve cette brochure dans le Cours de politique constitutionnelle de 1819 sous le titre de Re´ponse de Benjamin Constant aux attaques dirige´es contre lui durant les e´lections2. Une pre´cieuse note de l’auteur nous apprend ceci : «Cette re´ponse me fut pour ainsi dire arrache´e par une suite de libelles auxquels les e´lecteurs qui m’ont honore´ de leurs voix me pressaient de re´pondre». IV Une phrase du texte de Constant exige quelques de´veloppements. Invoquant l’histoire, il e´crit : «Mes anceˆtres e´taient Franc¸ais» et cite six passages des Me´moires de Sully3. Il est exact que Sully mentionne a` plusieurs reprises un capitaine Constant parmi les chefs huguenots. Malheureusement pour Benjamin, qui l’a lu peut-eˆtre un peu haˆtivement, l’une des dernie`res mentions de ce Constant figure dans le passage suivant : «Ce sera une honte e´ternelle pour le duc de Bouillon, du Plessis, d’Aubigne´, Constant, St-Germain et quelques autres, mais surtout, je le re´pe`te, pour Lesdiguie`res d’avoir souscrit a` un me´moire, dont l’existence n’est que trop bien prouve´e, dans lequel on jetait les fondements d’une re´publique calviniste au milieu de la France, libre et absolument inde´pendante du souverain»4. 1 2
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Voir ci-dessus, pp. 849–861. Il existe une lettre de BC a` son cousin Charles du 16 de´cembre 1818 qui lui demande «tous les renseignemens» que celui-ci pourrait donner sur l’origine de la famille (BGE, Gene`ve, Ms. Constant 34, ff. 91–92). BC semble pre´voir les pole´miques qui ne tarderont pas a` reprendre de plus belle. Dans l’une des nombreuses e´ditions publie´es au XVIIIe sie`cle d’apre`s celle de l’abbe´ de l’E´cluse des Loges : Me´moires de Maximilien de Be´thune, duc de Sully, mis en ordre par M.L.D.L.D.L., Londres [pour Paris] : 1745. Me´moires de Sully, e´d. de Paris, 1788, t. VI, p. 95.
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Articles de journaux et brochures publie´s en 1817
Ce passage ne passera pas inaperc¸u et les adversaires de Constant l’invoqueront lors des de´bats de 1824, en arguant que si Augustin Constant avait quitte´ la France, c’e´tait pour e´chapper aux conse´quences de sa conspiration qui le rendait coupable de le`se-majeste´1. La seule chronologie permet d’e´tablir que le capitaine Constant de Sully ne pouvait pas eˆtre Augustin Constant, l’anceˆtre de Benjamin. En effet, le passage de Sully se re´fe`re a` 1605, soit douze ans apre`s la mort d’Augustin, survenue a` Lausanne le 14 mai 15932. De meˆme, lors du de´bat de 1824, Benjamin Constant citera le nom du capitaine Constant qui aurait sauve´ la vie du futur Henri IV a` la bataille de Coutras (1587)3. Ici encore le capitaine Constant ne peut pas eˆtre identifie´ a` Augustin, qui avait e´te´ reconnu habitant de Gene`ve de`s 1570. Selon une note du grand e´rudit qu’e´tait Auguste Bernus (1844–1904), le capitaine Constant de Sully n’e´tait ni Augustin, ni un autre membre de la famille Constant de Rebecque. Il s’agirait de Jacques Constans, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi et gouverneur des Isles et chaˆteau de Marans (Charente Maritime)4. Le nom de Constant est d’ailleurs tre`s re´pandu, a` telles enseignes que l’Armorial ge´ne´ral de Rietstap ne cite pas moins de neuf familles de ce nom en France, dont les Constant de Rebecque5. Les affirmations de Constant dans ses discours de 1824 ont conduit nombre d’auteurs a` parler du roˆle d’Augustin Constant, comme soldat et comme politique, ce qui lui donne une stature historique6. La confusion est parfois augmente´e lorsqu’il est question de la bataille de Coutras a` laquelle, a` l’inverse d’Augustin, Antoine de Chandieu, anceˆtre maternel de Benjamin, avait assiste´ comme «ministre de camp» (aumoˆnier) de l’arme´e du roi de Navarre. Car c’est des Constant de Rebecque, une ancienne famille de l’Artois, que se re´clamaient les descendants d’Augustin de`s le XVIIe sie`cle. Cette ascendance a e´te´ parfois conteste´e7. Quoi qu’il en soit, de`s la seconde moitie´ du XVIIe sie`cle, ils ont porte´ le nom et les armes des Constant de Rebecque. Cela a e´te´ notamment le cas du ge´ne´ral Samuel de Constant (1676–1756), grand-pe`re de Benjamin, dont l’ex-libris armorie´ est reproduit 1 2 3 4 5 6
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Voir Harpaz, Campagne d’e´ligibilite´, pp. 12–14. Recueil des ge´ne´alogies vaudoises, Constant, t. III, p. 206. Discours, t. II, pp. 211–212 ; Harpaz, Campagne d’e´ligibilite´, p. 22. Bulletin de la Socie´te´ de l’histoire du protestantisme franc¸ais, t. 51 (1902) p. 699 ; voir Harpaz, Campagne d’e´ligibilite´, pp. 13–14, n. 24. Armorial ge´ne´ral par J. B. Rietstap, 2e e´d., Gouda : G. B. van Goor Zonen, 1884, t. I, pp. 455–456. Voir p. ex. P. Bastid, Benjamin Constant et sa doctrine, Paris : A. Colin, 1966, t. I, pp. 18– 19. C’est a` E. Harpaz que l’on doit d’avoir signale´ l’article d’A. Bernus, paru en 1902, aux milieux constantiens (voir ci-dessus, n. 4.). Voir P. Bastid, ouvr. cite´, pp. 16–17 ; D. L. Galbreath, Armorial Vaudois, Baugy-sur-Clarens : s.e´d., 1934 (Reprint : Gene`ve : Slatkine, 1977), t. I, p. 147. Almanach ge´ne´alogique suisse, t. V, 1933, p. 141.
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ci-dessus. C’est lui d’ailleurs qui a fait reconnaıˆtre la noblesse de sa famille par le Gouvernement de la Re´publique de Berne en 1725, au motif de son ascendance. V La bibliographie de Cecil P. Courtney est comple´te´e par la liste assez conside´rable des e´crits a` caracte`re personnel des adversaires de Constant1. Bien qu’il n’entre pas dans le but de la pre´sente e´dition des Œuvres comple`tes qui sont celles de Constant d’y inclure les e´crits de ses contradicteurs, des exceptions s’imposent toutefois lorsqu’ils permettent d’e´clairer le texte de Constant par l’indication des attaques auxquelles il re´pond. C’est le cas de trois e´crits que Courtney date tous trois de 1817, encore qu’ils ne soient pas eux-meˆmes date´s. On les trouvera en fin de volume2. Nous les de´signerons par A1, A2 et A3 : A1 : M. Benjamin Constant de Rebecque, suisse d’origine, est-il ami de la Charte ? Est-il inde´pendant ? A2 : M. Benjamin Constant est-il Franc¸ais ? Est-il e´ligible ? A3 : Note sur la note de M. Benjamin Constant de Rebecque. La brochure A1 n’aborde pas la question de la nationalite´ de Constant, sinon de fac¸on de´tourne´e puisque son titre mentionne son origine suisse et que le texte fait e´tat de sa naissance hors de France. A1 ne contient d’ailleurs pas de re´fe´rence spe´cifique a` la Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille Constant de Rebecque. En revanche l’auteur anonyme, qui fait preuve d’une connaissance redoutable des e´crits de Constant de l’an VI a` 1815, en cite de nombreux passages dont il conclut que Constant, adversaire re´solu de la monarchie dans ses e´crits de l’e´poque re´volutionnaire, ne peut pas eˆtre conside´re´ comme un ami de la Charte qui la consacre. Il rappelle aussi, ce ne sera ni le premier ni le dernier cas, le malheureux article de Constant dans le Journal des De´bats du 19 mars 18153 qui contient la trop ce´le`bre phrase : «Je n’irai pas, mise´rable transfuge, me traıˆner d’un pouvoir a` l’autre, couvrir l’infamie par le sophisme, et balbutier des mots profanes pour racheter une vie honteuse». Comme A1, A2 paraıˆt ante´rieur a` la version de 1817 de la Note de Constant. Il soule`ve deux questions, clairement annonce´es dans le titre : M. Benjamin Constant est-il Franc¸ais ? Est-il e´ligible ? Apre`s avoir ine´vitablement rappele´ l’article du Journal des De´bats du 19 mars 1815, A2 conteste la nationalite´ franc¸aise de Constant au motif qu’il est ne´ en Suisse et qu’il n’a rapporte´ aucune preuve de sa naturalisation, ni du fait qu’il aurait accompli les de´clarations voulues par la loi. Ce dernier argument est infonde´. Comme le rele`vera la commission ad hoc de la 1 2 3
Courtney, Bibliography, Appendix E, Pamphlet Replies and Writings on Constant to 1833, pp. 221–238. Voir ci-dessous, pp. 1193–1202. Voir OCBC, Œuvres, t. IX,1, pp. 531–538.
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Chambre, lors des de´bats de mai 1824, il est e´tabli que Constant s’est pre´sente´ le 10 ventoˆse an V (28 fe´vrier 1797) devant la Municipalite´ de Luzarches, de´clarant qu’il se mettait au be´ne´fice de la loi du 9 de´cembre 1790 et que son intention e´tait d’e´tablir son domicile au hameau d’He´rivaux1. De meˆme, dans les de´bats de mars 1824, le Ge´ne´ral Foy avait fait e´tat d’un certificat des autorite´s de Luzarches, de l’an VII, duquel il re´sultait que Constant e´tait proprie´taire du domaine d’He´rivaux dans cette commune, qu’il avait preˆte´ le serment civique et qu’il avait fait le service de la garde nationale2. L’auteur de A2 met e´galement en doute la de´claration de Constant concernant le paiement des impoˆts au montant requis par la loi. Il cite un montant d’imposition relatif a` une maison acquise par Constant le 30 aouˆt 1817. Il est exact qu’a` cette date Constant avait acquis une maison rue Saint-Denis, pour laquelle il avait paye´ un acompte de 5.000.–– Frs3. Bien que le prix d’acquisition n’ait e´te´ paye´ en totalite´ qu’en 1819, Constant a probablement paye´, comme proprie´taire, l’imposition relative a` cet immeuble dans sa totalite´. Or, pour le calcul du cens, la seule proprie´te´ immobilie`re e´tait de´terminante, que le prix ait e´te´ paye´ ou non4. Il est vrai que le montant total de 1071 francs d’impoˆts directs figurait dans la liste officielle des e´ligibles du de´partement de la Seine, ce qui le dispensait de re´pondre sur ce point5. A2 et A3 font clairement partie de la pole´mique a` laquelle Constant a re´pondu dans la troisie`me version de sa Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille Constant de Rebecque. La publication de la note de Constant a provoque´ une re´ponse probablement imme´diate, la Note sur la note de M. Benjamin Constant de Rebecque (A3) qui conteste les arguments de Constant pour conclure qu’il n’a pas la nationalite´ franc¸aise. Toujours dans A3, les notes finales rele`vent que Constant n’a pas re´pondu a` ce que l’auteur avait affirme´ pour prouver qu’il n’e´tait pas e´ligible, comme ne payant pas 1.000.–– Frs d’impoˆt, ce qui paraıˆt la preuve de ce que A2 et A3 e´manent du meˆme auteur. C’est en revanche dans la troisie`me version de sa Note que Constant re´pond a` l’un des arguments de la note A3. Celle-ci objectait en effet a` la nationalite´ de Constant le fait qu’il e´tait ne´ 1 2 3 4 5
Harpaz, Campagne d’e´ligibilite´, p. 71. Discours du Ge´ne´ral Foy, Paris : Moutardier, 1826, t. II, p. 244 ; voir Harpaz, Campagne d’e´ligibilite´, p. 36, ou` la citation est incomple`te. Voir le Livre de de´penses, OCBC, Œuvres t. VII, p. 375 et le Re´pertoire des proprie´te´s et logements de Benjamin Constant a` Paris (1814–1830), ibid. pp. 666–667. Bertier de Sauvigny, La Restauration, 2e e´d., Paris : Flammarion, 1999, p. 216. Voir ci-dessus, p. 886, n. 1.
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hors de France. La re´ponse de Constant est quelque peu haˆtive. Si l’on se re´fe`re en effet au texte du de´cret de 1790, on constate qu’il vise pre´cise´ment les descendants de re´fugie´s vivant hors de France et qui de´cident de s’e´tablir en France pour acque´rir la nationalite´ franc¸aise. Par de´finition, la naissance hors de France ne pouvait pas eˆtre un motif de refus. En revanche la troisie`me version de la note de Constant ne re´pond pas a` l’argument de ses adversaires sur la question du montant de contributions acquitte´es par lui, condition ne´cessaire pour eˆtre e´ligible. On peut penser que l’indication de ce montant dans la liste officielle des e´ligibles lui paraissait suffisante. L’inte´reˆt de cette comparaison est qu’elle permet de suivre un moment de la pole´mique sur la nationalite´ de Constant.
E´tablissement du texte Imprime´s : 1. NOTE Sur les droits de Cite´ appartenant a` la Famille CONSTANT DE REBECQUE. PAR BENJAMIN CONSTANT. [filet] 200 × 125 mm. Deux feuilles sans adresse de l’imprimeur, s.l.n.d. [1817]. Pp. [1]–4, texte. Courtney, Bibliography, 16a Courtney, Guide, A16/1 Exemplaire utilise´ : BCU, Lausanne : AZ 643 Nous de´signons cette e´dition par le sigle N1. 2. NOTE Sur les droits de Cite´ appartenant a` la Famille CONSTANT DE REBECQUE. PAR BENJAMIN CONSTANT. [filet] 214 × 130 mm. Deux feuilles sans adresse de l’imprimeur, s.l.n.d. [1817]. Pp. [1]–4, texte, avec, a` la fin, une note : Nota. p. 4 : Signature de l’auteur : B. CONSTANT. Courtney, Bibliography, 16b Courtney, Guide, A16/2 Exemplaire utilise´ : Bibliothe`que municipale, Montpellier : V 12026(6) Nous de´signons cette e´dition par le sigle N2. 3. [Double ligne grasse et fine] NOTE Sur les droits de Cite´ appartenant a` la famille de CONSTANT-REBECQUE, PAR BENJAMIN DE CONSTANT. [filet] 220 × 135 mm. Deux feuilles sans adresse de l’imprimeur, s.l.n.d. [1818]. Pp. [1]–4 texte. Courtney, Bibliography, 16c Courtney, Guide, A16/3 Exemplaire utilise´ : BCU, Lausanne : Co 4826. Nous de´signons cette e´dition par le sigle N3.
La brochure a fait l’objet d’un compte rendu : Anonyme, «M. Benjamin Constant a fait distribuer aujourd’hui, dans Paris, une note imprime´e», Annales politiques, morales et litte´raires, no 649, 25 septembre 1817, p. 3a. C. R.
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Ma famille avoit e´te´ force´e de quitter la France pour cause de religion. Une loi formelle de l’Assemble´e Constituante, du 22 de´cembre 1790, a rappele´ les religionnaires fugitifs, qui prouveroient leur origine, et reprendroient leur domicile en France. Mon pe`re, sur la foi de cette loi, est rentre´ imme´diatement dans notre ancienne et ve´ritable patrie. C’est M. de Montciel1, depuis Ministre de l’Inte´rieur en 1792, et connu par une courageuse proclamation a` l’e´poque du 20 juin2, qui a signe´, dans le Conseil municipal de Dole, l’acte qui a constate´ les droits de mon pe`re : je l’ai suivi peu de temps apre`s. Sur la foi de la loi positive, nous avons renonce´ a` tous les droits de cite´ dans le pays qui nous avoit servi d’asyle. Nous avons rempli les obligations prescrites, et joui des bienfaits assure´s par cette loi. Mes anceˆtres e´toient franc¸ais. (Voyez les Me´moires de Sully, I, 476 ; II, 342 ; III, 89, 132, 498 ; IV, 1673.) Mon pe`re est mort dans ses proprie´te´s de Franche-Comte´, en pleine jouissance de tous ses droits de franc¸ais. J’ai re´clame´, obtenu, he´rite´, exerce´ les meˆmes droits. Je suis donc franc¸ais, fils de franc¸ais, descendant de franc¸ais. C’est comme tel que j’ai exerce´, dans le de´partement de Seine-et-Oise, diverses fonctions municipales et e´lectorales depuis 1797 ; c’est comme tel que j’ai e´te´ porte´ sur la liste des Notables, par les Administrateurs de mon Canton ; c’est comme tel que j’ai e´te´ excepte´ de la loi sur les nobles, par le Ministre de la Justice, en ma qualite´ de religionnaire fugitif ; c’est comme tel que j’ai e´te´ nomme´ Tribun par le Se´nat, alors E´tablissement du texte : Imprime´s : Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille Constant de Rebecque, s.l. [Paris], s.d. [1817] [=N1] Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille Constant de Rebecque, s.l. [Paris], s.d. [1817] [=N2] Sur les droits de Cite´ appartenant a` la famille de Constant-Rebecque, par Benjamin de Constant. s.l. [Paris], s.d. [1818] [=N3] 9 patrie. C’est ] patrie. Sa declaration et la de´libe´ration du Conseil municipal de Dole [Doˆle : N2] est du mois de novembre 1791. C’est N1, N2 12 Dole ] Doˆle N2 14 avoit ] avait N1, N2 d’asyle ] d’asile N2 16 e´toient ] e´taient N1, N2 17 Mon pe`re ] Monpe`re N1 18 franc¸ais ] Franc¸ais N1, N2 19 franc¸ais, fils de franc¸ais ] Franc¸ais, fils de Franc¸ais N1, N2 24 nobles ] Nobles N2 1 2 3
Antoine-Marie-Rene´ marquis de Terrier de Montciel (1757–1831), ministre de l’Inte´rieur du 6 juin au 21 juillet 1792. La journe´e re´volutionnaire du 20 juin 1792, pre´curseur de celle du 10 aouˆt. Voir le chap. IV de l’Introduction.
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Corps e´lectoral. Je ne puis eˆtre place´ dans la cate´gorie de ceux qui, devenus franc¸ais par la re´union de leur pays, redeviennent e´trangers, par sa se´paration d’avec la France. Ils retrouvent une patrie ; je n’en retrouverois aucune. Nulle loi, chez aucun peuple, d’apre`s les premie`res notions du droit naturel, ne peut avoir l’effet re´troactif d’annuler un contrat qui imposoit une condition irre´vocable, un sacrifice irre´parable, quand cette condition a e´te´ remplie, ce sacrifice consomme´ sans retour. Les Allemands, les Italiens, les Ge´nevois, les Belges qui sont redevenus e´trangers sont re devenus Belges, Italiens, Ge´nevois, Allemands ; mais je ne puis jamais eˆtre ni redevenir autre chose que franc¸ais. La loi, sanctionne´e par le Roi, avoit invite´ les religionnaires fugitifs a` quitter tout autre pays, pour retourner dans leur patrie. Cette invitation, dont les effets ont e´te´ consomme´s depuis 24 ans1, ne peut eˆtre annule´e. La Nation, la Loi et le Roi ne peuvent avoir tendu un pie´ge aux religionnaires fugitifs, pour leur faire perdre les droits qu’ils avoient ailleurs, et les priver aujourd’hui des droits qu’ils ont rec¸us en e´change. La loi ne peut les avoir engage´s a` sacrifier une patrie qui les avoit adopte´s durant leur bannissement, en leur en assurant une autre, et leur retirer celle-ci sans pouvoir jamais leur rendre la premie`re : car l’Assemble´e Constituante et le Roi, en nous de´clarant franc¸ais, nous ont oˆte´ irre´vocablement toute autre patrie que la France, et il n’est pas plus dans notre pouvoir que dans notre volonte´ d’y renoncer. Le fait de la naissance hors de France ne nous est donc point applicable. Ce qui le prouve, c’est que les fils de franc¸ais fonctionnaires, ou de franc¸ais e´migre´s, ne´s hors de France, les uns durant la mission, les autres durant l’exil de leurs pe`res, et qui sont dans la meˆme position que nous, ne sont pas e´trangers, et que les de´pute´s des portions de territoire qui demeurent re´unies a` la France sie´gent dans l’Assemble´e repre´sentative, bien qu’ils soient ne´s dans un territoire qui, a` l’e´poque de leur naissance, n’e´toit pas franc¸ais. J’ajouterai qu’en re´sistant a` Buonaparte dans le Tribunat quand j’en avois rec¸u la mission comme franc¸ais, en m’opposant a` sa tyrannie naissante, en e´crivant contre lui avant sa chute, je me suis montre´ aussi franc¸ais de cœur que je le suis de droit. 3 retrouverois ] retrouverais M1, N2 5 imposoit ] imposait N1, N2 9 redevenir ] redevir N1 10 le Roi, avoit ] l’autorite´ d’alors, avait N1, N2 13 La Nation, la Loi et le Roi ne peuvent ] La Loi [loi : N2] ne peutN1 14 pie´ge ] pie`ge N1 17 bannissement, en leur en assurant ] bannissement en leur assurant N1 19 l’Assemble´e Constituante et le Roi, en nous de´clarant franc¸ais ] l’Assemble´e Constituante, en nous de´clarant Franc¸ais N1, N2 fran22 Le fait ... je le suis de droit. ] manque dans N1, N2 c¸ais, ] Franc¸ais, N1 Franc¸ais N2 1
Voir l’introduction chap. IV.
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Je dis que c’est comme franc¸ais que j’avois rec¸u la mission de repre´senter le peuple franc¸ais dans le Tribunat, et non pas comme ge´nevois ; car j’ai e´te´ nomme´ a` cette Assemble´e comme e´tant du de´partement de Seine-et-Oise. C’est la` que j’ai e´te´ pre´sident de mon Canton en 1797, avant la re´union de Gene`ve, qui n’a eu lieu qu’en 1798 : c’est la` que j’ai e´te´ e´lecteur en 1798, avant cette meˆme re´union : c’est la` encore que j’ai e´te´ compris dans la liste des Notables. La re´union de Gene`ve n’avoit rien change´ a` mes droits politiques. Sa se´paration n’y peut rien changer non plus. Je suis franc¸ais apre`s la dernie`re comme j’e´tois franc¸ais avant l’autre.
1 Je dis que c’est comme franc¸ais ] C’est comme Franc¸ais N1, N2 2 ge´nevois ] Ge´nevois N1, N2 j’ai e´te´ nomme´ ] j’ai e´te nomme´ N2 5 e´lecteur ] Electeur N2 6 j’ai e´te´ compris dans ] j’ai e´te´ ocmpris dans N1 8 franc¸ais ] Franc¸ais N1 Franc¸ais, N2 9 avant l’autre. ] N2 ajoute encore un aline´a, la signature et un tableau des e´ligibles Nota. Tout ce qu’on vient de lire est reconnu par le Gouvernement, et les religionnaires fugitifs exercent leurs droits sans difficulte´. Aussi le Colle´ge e´lectoral de la Seine m’a-t-il fait inscrire dans la liste officielle de ceux qui ont obtenu des voix, de meˆme que le Pre´fet m’a fait inscrire sur la liste des E´ligibles. B. CONSTANT. suit encore, sur la page suivante, la liste des candidats avec le nombre des voix obtenues Nombre des votans 7032 / Majorite´ absolue 3517 / colonne gauche Constitutionnels. / Cas. Perrier 3474 / Gilbert des Voisins 3158 / Manuel 3084 / Benj. Constant 2858 / Lafayette 2459 / 15033 / Delessert 5351 / Total 20384 / colonne droite Ministe´riels. / Bellard 3430 / Goupy 3083 / Pasquier 3033 / Breton 2738 / Olivier 2227 / 14511 / Roi 3684 / Total 18195 / en bas de la page MM. les Electeurs sont invite´s a` lire avec attention la liste des Candidats, parmi lesquels ils ont a` e´lire les cinq De´pute´s.
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Annales de la session de 1817 a` 1818
Annales de la session de 1817 a` 1818 I novembre 1817 – avril 1818
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Introduction
Les Annales de la session de 1817 a` 1818. C’est le parlementarisme qui fait finalement figure de ve´ritable patrie pour Benjamin Constant. Il ne s’est pas re´solu d’entre´e de jeu a` lui accorder cette place. D’emble´e, son attachement a` la liberte´ individuelle donne son unite´ ide´ologique a` sa carrie`re politique. Elle se manifeste d’autant plus toˆt qu’ici ses convictions rejoignent comple`tement ses inte´reˆts personnels. Dans un premier temps, confronte´ a` la dictature napole´onienne, il compte surtout sur les de´clarations de droits et les me´canismes constitutionnels pour prote´ger les citoyens contre les tendances naturellement autoritaires de l’Etat. En te´moignent, outre ses e´crits publie´s ou pas, son action politique non seulement sous le Consulat puis pendant les Cent Jours avec la confection de l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire, mais e´galement avec une forte attention porte´e, de`s la Premie`re Restauration et au de´but de la seconde Restauration, aux modalite´s d’application de la Charte. Une fois chasse´ du Tribunat, les de´bats des assemble´es ne l’inte´ressent plus gue`re, marque´s par la docilite´ de de´pute´s choisis par le Se´nat napole´onien, puis appliquant le programme re´actionnaire de la Chambre introuvable de 1815. Tout change avec la dissolution prononce´e le 5 septembre 1815 par le roi a` l’encontre de cette dernie`re, fin 1816, et l’entre´e dans un cycle ou` libe´raux, mode´re´s et, parfois, ultras alternent au pouvoir. Constant commence a` gouˆter les se´ductions et les poisons du parlementarisme d’autant que, battu a` la de´putation en 1817 et 1818, il parvient a` se faire e´lire en 1819. Dans ces conditions, on comprend que «l’anne´e 1817 est une anne´e importante pour la carrie`re politique de Constant»1. Il se passionne pour les de´bats des assemble´es et en rend compte avec minutie et enthousiasme. C’est d’abord le Mercure de France qui lui sert a` pre´senter les discussions dont les Chambres des de´pute´s et des pairs sont le the´aˆtre, a` l’occasion des lois sur les e´lections, sur la liberte´ individuelle, sur la presse, sur le budget, ... Au total treize articles et pre`s de cent cinquante pages publie´s. Pour ce qui est des se´ances suivantes, c’est donc dans une publication a` part, les Annales de la session de 1817 a` 1818, que Constant les analyse en se concentrant sur ce qui lui paraıˆt essentiel, la loi sur la liberte´ de la presse. Son propos gagne en cohe´rence et surtout s’ouvre par une explication qui 1
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Annales de la session de 1817 a` 1818
e´claire l’ensemble : en Angleterre, constate-t-il, l’annonce d’une prochaine re´union du Parlement ne suscite qu’une curiosite´ paisible tandis qu’en France, elle suscite toutes sortes d’interrogations et de craintes ; cela tient a` ce que, chez nous, l’opinion publique n’a pas encore l’habitude d’une vie parlementaire re´gulie`re et apaise´e. Son objectif est e´vident : il entend contribuer a` cette accoutumance des Franc¸ais au syste`me parlementaire, essentiellement en pre´sentant un commentaire des ste´nographies que donne le Moniteur et en insistant sur le roˆle protecteur des liberte´s que doit jouer le Parlement. Cela passe par une relecture des de´bats – parfois une petite re´e´criture de certains discours – qui, fonde´es sur le refus d’un plat re´cit des interventions, insistent d’abord sur la conversion au libe´ralisme d’une partie de l’extreˆme-droite avec des motivations dont il n’est pas dupe mais sans refuser ce renfort inattendu et fragile (I), qui portent ensuite sur le gouvernement un regard empreint de critique constructive, constatant des efforts encore insuffisants pour remplacer les lois d’exception les plus autoritaires, mais les encourageant, parfois les anticipant (II), qui participent enfin d’une tentative de construction du parlementarisme, te´moignant d’une bonne compre´hension de ses me´canismes et, parfois, des petites manœuvres a` la limite de la bonne foi qui l’accompagnent souvent (III). I Le ralliement des ultras au libe´ralisme est e´videmment lie´ aux circonstances, a` la perte du pouvoir et a` la recherche d’arguments contre un gouvernement dont ils ne sont pas. Constant ne se fait pas d’illusion. Sa premie`re re´action est de se moquer de ces convertis re´cents, de tel ou tel de´pute´ «qui, en 1815, aurait parle´ avec violence et vote´ pour priver les Franc¸ais de la liberte´ individuelle ou de celle de la presse [puis] qui, au commencement de 1817, se serait e´leve´ non moins violemment pour ces liberte´s contre les ministres»1. Il n’est pas dupe quant aux causes de tels revirements et le terme de palinodie vient naturellement sous sa plume. En fait, cette attitude dure peu chez lui : il n’y a pas de raison de refuser un renfort, si impur qu’il puisse paraıˆtre. Les votes se comptent, et peu importent leurs origines et leurs motivations. Par inte´reˆt personnel comme par conviction since`re, Constant re´pugne a` trop remuer le passe´ et a` paraıˆtre douter de la since´rite´ d’une personnalite´ quelconque en lui opposant ses prises de position passe´es. Par inte´reˆt personnel, d’une part : il a trop souffert des critiques suscite´es par son attitude pendant les Cent-Jours, ces attaques contre Napole´on – nouveau «Gengis Khan» – puis son ralliement jusqu’a` accepter un poste au Conseil d’E´tat et a` participer de tre`s pre`s a` la re´daction de l’Acte addition1
Annales de la session de 1817 a` 1818, p. 26 (ci-dessous, p. 952).
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nel. Cela lui vaut une inscription dans le Dictionnaire des girouettes1 ou` il se retrouve il est vrai en fort bonne compagnie. Par conviction since`re d’autre part : il faut savoir oublier, surtout lorsque l’on vit dans une pe´riode si riche en rebondissements que chacun est expose´ a` eˆtre taxe´ de contradiction : apre`s quelques anne´es ou meˆme simplement quelques mois, «il n’y aurait plus ni nouveaute´ ni bon gouˆt a` pre´tendre re´futer un orateur, en lui disant qu’autrefois il ne pensait et ne parlait pas ainsi»2. En ne refusant pas ces ralliements, il a le sentiment tout a` la fois de satisfaire les Franc¸ais et de servir ses ide´aux de lutte contre l’autoritarisme du pouvoir : l’opinion rejetterait a` juste titre «quiconque voudrait la de´gouˆter de la liberte´, sous pre´texte que quelques-uns de ses de´fenseurs ne sont pas since`res»3. Au surplus, ce serait fort maladroit : pour faire une majorite´ parlementaire, il ne faut refuser aucun allie´ : si l’on veut repousser, a fortiori changer une loi liberticide, il serait absurde de de´courager un renfort d’ou` qu’il vienne. Et Constant de de´plorer l’attitude de ces de´pute´s qui «avaient mieux aime´ ajourner les principes que voter avec tel homme d’une nuance contraire»4. Constant e´vite de de´signer nomme´ment ces nouveaux libe´raux, venus des rangs des ultras. Tout au plus en devine-t-on l’existence, notamment, de-ci de-la`, par une allusion se re´fe´rant a` une personnalite´ mal repe´rable. Parfois, il est plus explicite : ainsi dans ce passage ou` il e´voque un auteur «qui a merveilleusement a` sa disposition les faits et les paroles»5 mais qui s’appuie sur un motif inverse du sien ; les contemporains y reconnaissent Chateaubriand, ultra mais prenant la de´fense de la liberte´ de la presse dans La monarchie selon la charte. Mais c’est Ville`le auquel Constant fait le plus volontiers allusion. Sans doute devine-t-il, dans ce me´ridional que certains de ses compagnons de route jugent un peu rustique, un futur chef parlementaire. Constant pressent cette ascension avec un don de la prophe´tie qu’il applique aussi a` Casimir Perier ou a` Jacques Laffitte dans lesquels il pressent des libe´raux de talent et de grande influence. Ainsi Constant utilise-t-il le discours de Ville`le reprochant au gouvernement de ne pas se contenter d’obliger les journaux a` oˆter ce qui ne plait pas mais d’aller jusqu’a` leur imposer d’inse´rer des articles sur ordre6. Emporte´ par la volonte´ de re´cupe´rer ces nouveaux allie´s, Constant a tendance a` simplifier leur discours : il insiste sur l’hostilite´ de Ville`le a` l’e´gard des pre´le`vements financiers induˆment impose´s aux journaux7. En fait, ce qui pourrait eˆtre interpre´te´ comme le re´sultat d’une volonte´ d’alle´ger la censure sur la presse pe´riodique s’explique, tre`s logiquement par la pre´occupation principale sur 1 2 3 4 5 6 7
Le Dictionnaire des girouettes, Paris : A. Eymery, 1815. Ibid., p. 25 (ci-dessous, p. 952). Ibid. (ci-dessous, p. 952). Ibid., p. 12 (ci-dessous, p. 934). Ibid., p. 17 (ci-dessous, pp. 943–944). Ibid., p. 82–83 (ci-dessous, p. 991). Ibid., p. 82 (ci-dessous, p. 989).
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laquelle Ville`le fait sa re´putation, consistant a` imposer des re`gles budge´taires garantissant un bon controˆle parlementaire : ce qu’il reproche aux taxes sur les journaux, c’est de n’avoir pas e´te´ vote´es par les Chambres. En revanche, il se dit tout a` fait favorable au maintien du syste`me de l’autorisation pre´alable, ce qui n’est pas faire preuve d’un grand libe´ralisme. Ici, Constant travestit un peu la re´alite´ par omission. Il va plus loin, toujours a` propos de Ville`le, en lui preˆtant une de´nonciation des pratiques policie`res consistant a` mettre des espions dans les milieux du journalisme pour y obtenir des renseignements confidentiels : une comparaison avec le texte officiel du discours montre que si Ville`le de´nonce en effet ces pratiques dans les tribunaux, dans les administrations et dans l’arme´e, il n’en parle pas a` propos de la presse1. Il est vrai qu’il est assez fre´quent que Constant transforme un peu telle ou telle intervention pour mieux la faire cadrer avec sa de´monstration ge´ne´rale. On ne sait si c’est par inadvertance ou par volonte´ de´libe´re´e d’augmenter artificiellement le nombre des libe´raux. Indulgent aux convertis, meˆme s’il doute de leur since´rite´, Constant est se´ve`re pour ceux qui demeurent des ennemis de´termine´s de la liberte´. Simplement, lorsqu’il s’agit de simples de´pute´s, tel Jollivet, il utilise plus volontiers l’ironie que l’indignation. Il sait la premie`re plus efficace que la seconde. Il s’emploie a` ridiculiser l’adversaire et y met la relative mauvaise foi que l’on peut attendre d’un politicien professionnel, roˆle qu’il commence a` jouer. Il s’essaie a` ce me´tier de debater politique dans lequel il pourra s’e´panouir lorsqu’il aura lui-meˆme acce´de´ a` la Chambre des De´pute´s. Qu’on juge de la pertinence de ses arguments. Jollivet explique qu’il fallait un mode particulier de surveillance pour «ces ouvrages de tous les jours et pour ainsi dire de tous les instants» ; Constant s’esclaffe d’un propos si e´vident : parler d’une quotidien comme paraissant tous les jours rele`ve de la tautologie : il y a la` une «ve´rite´ incontestable et meˆme grammaticale»2 ! Jollivet justifie l’autorisation pre´alable en expliquant qu’elle a pour «principal objet la moralite´ prive´e et publique des re´dacteurs»3 ; Constant s’amuse de cette censure qui pre´tend ve´rifier la moralite´ prive´e des re´dacteurs, accusation un peu spe´cieuse. Derrie`re ces petites pole´miques qui n’enrichissent gue`re la re´flexion doctrinale de haut niveau dont tend a` se re´clamer Constant, se dissimule mal une conception du parlementarisme en train de se former. La nouvelle attitude de nombreux ultras lui fournit l’occasion d’esquisser une the´orie de l’opposition parlementaire : il se re´fe`re a` l’Angleterre et a` l’opposition entre Torys et Whigs et affecte d’y assimiler la diffe´rence entre conservateurs et 1 2 3
Ibid., p. 90 (ci-dessous, p. 1000). Ibid., p. 92–93 (ci-dessous, p. 1003). Ibid., p. 94 (ci-dessous, p. 1004).
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libe´raux en France, les premiers victorieux aux e´lections de 1815, les seconds prenant leur revanche fin 1816. A l’e´poque, il s’en re´jouit pour le parlementarisme : «Ce sont les Whigs qui ont fonde´ la liberte´ d’Angleterre ; mais l’opposition des Torys l’a quelquefois servi : et je conside`re notre constitution ayant fait un pas immense, depuis que l’opposition est dans les rangs des Torys»1. Il est si convaincu qu’il y revient dans les Annales de la session de 1817 a` 18182 : une cure d’opposition est toujours salutaire, notamment pour de´couvrir les charmes de la liberte´ lorsque l’on n’est plus au gouvernement. ... Pour autant, la confiance de Constant n’est pas absolue dans le durable attachement des ultras a` la liberte´. Il retrouve toute sa capacite´ d’indignation a` la perspective qu’a` la suite on le suppose de quelque promesse gouvernementale, ils puissent revenir a` leur politique liberticide d’avant leur apparente conversion. Bienvenue aux convertis pourvu qu’ils ne soient pas relaps. Si le parti ultra «de´sertait la cause qu’il a si re´cemment embrasse´e [...] l’on ne verrait plus dans ses membres que des ambitieux a` vue courte, avides de places faute de pouvoir, ayant aspire´ au premier rang, descendant au second, n’ayant ni conviction ni prudence, et de´pourvus meˆme de ce degre´ ordinaire de force d’aˆme qui rend les hommes capables de persister, par calcul, dans ce qu’ils ont adopte´ par inte´reˆt, et qui les aide a` supporter le non succe`s d’un jour, comme moyen de succe`s plus vraisemblable pour le lendemain»3. C’est toujours la meˆme technique de persuasion de la part de Constant : les bons principes libe´raux bien et fide`lement de´fendus constituent le meilleur investissement pour une de´fense efficace, par chacun, de ses inte´reˆts prive´s et publics. A l’inverse, affirmet-il, celui qui reviendrait a` ses convictions autoritaires, «ne se rele`verait jamais de cette se´rie de de´fections redouble´es»4. Ici, croit-il vraiment a` ce qu’il e´crit ? Ne sait-il pas qu’une carrie`re politique n’est jamais de´finitivement compromise et que tout s’oublie ? Son propre itine´raire n’en est-il pas la de´monstration et se rend-t-il compte qu’en condamnant ces mise´rables transfuges, «constants dans la versatilite´», il utilise la formule meˆme qu’on lui applique ? D’ailleurs, en ces anne´es 1817–1818, lui-meˆme adopte une position ambigue¨ face au gouvernement, une forme d’opposition constructive, meˆme s’il n’emploie pas la formule que populariseront, plus tard, plusieurs de´cennies de pratique parlementaire, ce qui, apre`s tout, est bien son objectif. II Il porte donc sur le gouvernement un regard critique mais qui n’exclut pas une certaine connivence et beaucoup d’espoirs en un ralliement plus marque´ 1 2 3 4
Mercure, 4 janvier 1817, p. 31 (ci-dessus, p. 378). Annales de la session de 1817 a` 1818, p. 4 (ci-dessous, p. 922). Ibid., p. 26 (ci-dessous, p. 952). Ibidem (ci-dessous, p. 952).
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en faveur du libe´ralisme. Son argumentation est limpide et il n’entend a` aucun moment trahir ses convictions, plutoˆt y amener le plus grand nombre possible de personnalite´s politiques. Il constate des efforts encore insuffisants de la part des ministres pour remplacer les lois d’exception extreˆmement autoritaires dont ils ont he´rite´ de la majorite´ pre´ce´dente ; il les encourage, parfois anticipe leur e´volution vers plus de libe´ralisme, ce qui participe de sa volonte´ d’implantation du parlementarisme. Ce sont les e´lections intervenues fin 1816 et fin 1817, marque´es par les succe`s des libe´raux, puis des mode´re´s, qui re´veillent ses espoirs. Il e´vite toute critique contre le Parlement, invitant simplement tous les de´pute´s, d’ou` qu’ils viennent, de l’extreˆme droite a` la gauche, a` se mobiliser pour des lois moins rigoureuses que celles vote´es par la Chambre introuvable. Il a des mots louangeurs pour l’assemble´e issue du suffrage censitaire, ainsi lorsqu’elle vote une adresse au roi, l’appuyant dans sa politique de libe´ration du territoire par e´vacuation des troupes e´trange`res alors que certains ultras reˆvent de les maintenir en France pour re´tablir l’ordre en cas d’e´meutes populaires : «Les de´pute´s ont re´pondu noblement au noble appel parti du troˆne»1. Sans jamais se lasser, il exhorte le gouvernement a` s’engager dans la voie du libe´ralisme. Il exerce une pression constante sans souhaiter sa chute, comme il le re´pe`te a` plusieurs reprises, par peur de de´sordres qui iraient contre son objectif : «Si plusieurs parties des ope´rations ministe´rielles lui de´plaisent, [la nation] demande a` ses de´pute´s plutoˆt de re´primer les ministres, que les renverser, et croirait un changement de ministe`re beaucoup trop che`rement paye´ par toute espe`ce de secousse»2. Cela n’implique e´videmment pas une confiance aveugle a` l’e´gard du gouvernement bien que plusieurs articles de journaux l’y invitent, mais sans succe`s3. Il suit une voie e´troite. Il garde son franc parler mais en e´vitant trop d’hostilite´, allant jusqu’a` revenir sur certains propos anciens qu’il a tenus et qu’il juge de´sormais trop violents. Ainsi reprenant un passage extrait d’un livre pre´ce´dent, les Re´flexions sur les constitutions et les garanties, il supprime un passage fort ve´he´ment contre les ministres, ou` il stigmatisait «leurs vues e´troites, leurs faux calculs, leurs intentions secre`tes, leur avidite´ d’une autorite´ qui ne profite qu’a` eux»4. Tout ceci disparaıˆt de la citation par ailleurs fide`lement reprise dans les Annales de la session de 1817 a` 1818. Parmi les ministres, il en est un qui be´ne´ficie d’une particulie`re bienveillance de la part de Constant : il s’agit de Decazes, qui dispose alors du portefeuille de la Police ge´ne´rale. Il observe sans de´plaisir le de´veloppement de sa carrie`re et son ascension politique, d’abord dans la faveur du roi, 1 2 3 4
Ibid., p. 33 (ci-dessous, p. 960). Ibid., p. 27 (ci-dessous, p. 953). Ibid., p. 15 (ci-dessous, p. 941). Ibid., p. 120 (ci-dessous, p. 1022, n. 1). Le passage supprime´ se lit dans la note F de la deuxie`me e´dition des Re´flexions sur les constitutions, parue dans le t. Ier du Cours de politique constitutionnelle. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII,2, p. 1187.
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puis au sein du gouvernement. Il lui sait gre´ d’avoir plaide´ en faveur de la dissolution de la «Chambre introuvable». La haine dont l’entourent les ultras est un titre de plus a` ses yeux. Tout en regrettant que les lois propose´es, surtout sur la presse, ne soient pas plus libe´rales, il affecte de lui garder confiance et de voir dans chaque petit progre`s une e´tape vers la disparition de la censure contre les journaux et leurs re´dacteurs. Il a de´ja` donne´ un compte rendu favorable du discours de Decazes dans son ouvrage consacre´ aux Questions sur la le´gislation actuelle de la presse. Il y revient sur le meˆme ton dans les Annales de la session de 1817 a` 1818, parlant de la «since´rite´ parfaite» du ministre1. Il le prote`ge jusqu’a` atte´nuer certaines attaques dont il fait l’objet. Ainsi lorsque le de´pute´ ultra Corbie`res s’en prend a` Decazes et a` l’influence qu’il exerce sur les journaux pour influencer l’opinion publique, Constant dilue la philippique explicitement dirige´ contre le ministre de la Police en la pre´sentant comme une plainte contre le roˆle des ministres en ge´ne´ral2. Constant utilise e´galement, a` l’e´gard des ministres la technique e´voque´e plus haut vis-a`-vis des ultras : il oriente leurs propos dans un sens plus libe´ral qu’ils ne le sont en re´alite´. Il pratique la prophe´tie cre´atrice sans retenue. Ainsi a` l’e´gard du de´pute´ Martin de Gray qui e´voque, en termes tre`s ge´ne´raux et un peu dubitatifs «la confiance que nous avions que le Gouvernement nous pre´senterait dans la session actuelle une loi sur la presse» et qui rapporte une vague promesse selon laquelle «le ministe`re espe`re pouvoir en pre´senter une [loi sur la presse] a` la session prochaine». Ces propos rien moins que pre´cis se transforment en engagements fermes sous la plume de Constant : «le ministe`re avait promis solennellement cette loi pour cette anne´e»3. Il en use de meˆme a` l’e´gard du ministre de la Justice auquel il preˆte des formules bien plus affirmatives qu’elles ne le sont en re´alite´4. Il sous-estime de´libe´re´ment les pouvoirs de police du gouvernement. Il compare l’autorisation de parution donne´e aux journaux a` ces passeports remis au voyageur pour les autoriser a` se de´placer : il soutient que l’administration ne peut pas plus supprimer une autorisation de parution qu’elle n’est fonde´e a` retirer un passeport5. L’assimilation du statut de la presse au re´gime juridique du passeport ne constitue sans doute pas une garantie absolue. La volonte´ de Constant d’attirer dans le camp des libe´raux le plus de monde possible s’e´tend – re´ve´rence garde´e – jusqu’au roi. La pre´sentation qu’il fait du discours prononce´ par Louis XVIII a` l’occasion de l’ouverture 1 2 3 4 5
Ibid., Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,
p. p. p. p. p.
40 82 91 96 54
(ci-dessous, (ci-dessous, (ci-dessous, (ci-dessous, (ci-dessous,
p. 967). pp. 989–990). p. 1000, n. 1). p. 1005, n. 2). p. 977).
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de la session des Chambres en novembre 1817, les interpre´tations qu’il en donne et parfois, les transformations de sens qu’il y introduit en fournissent un bon exemple. En deux phrases, il annonce ses intentions : «ce discours est plutoˆt un objet de respect que d’examen, et l’on y rele`ve avec bonheur les phrases qui preˆtent a` l’espe´rance1». Tout est dit : sous une affectation de de´fe´rence, il va tirer chaque phrase vers les promesses libe´rales. Le roi annonce la signature d’un nouveau concordat avec la papaute´, en faisant une place spe´ciale, dans les objectifs poursuivis, au respect de ces «liberte´s de l’Eglise gallicane, pre´cieux he´ritage de nos pe`res» ; Constant insiste plutoˆt sur un autre objectif beaucoup plus rapidement e´voque´ : la mise «en harmonie avec la charte», ce qu’il interpre`te audacieusement comme impliquant la prise en compte des «droits qu’elle [la charte] a garantis aux autres cultes», ce qui est peut-eˆtre beaucoup demander a` un concordat2. De meˆme, l’annonce que le roi «ne juge pas ne´cessaire la conservation [des] cours pre´voˆtales au-dela` du terme fixe´ par la loi qui les institue» devient une proclamation de «l’abolition des cours pre´voˆtales»3. Enfin, le fait que le monarque ait fait part de son intention d’informer pre´cise´ment les chambres des de´penses qu’il a faites pour venir en aide aux victimes des mauvaises re´coltes de 1816 afin de les faire approuver, est imme´diatement pre´sente´ comme impliquant un engagement de soumettre au vote, a fortiori, les «actes de rigueur» que l’exe´cutif pourrait eˆtre amene´ a` prendre dans l’urgence4 ; l’enjeu est d’importance et Constant ne le dissimule pas : pour le roi, adopter une telle position reviendrait a` renoncer au be´ne´fice de cet article 14 qui lui permet notamment de le´gife´rer pour «la suˆrete´ de l’Etat». En fait, Constant va trop loin : rien n’indique que Louis XVIII ait l’intention de renoncer a` cette pre´rogative et mal en ira a` Charles X lorsqu’en 1830, il l’utilisera pour tenter de controˆler la presse et le corps e´lectoral : il sera renverse´ et devra partir en exil. Apre`s tout, de la part de Constant, c’est bien joue´ : rien n’interdit de preˆter au souverain des intentions plus libe´rales qu’il n’en a l’intention ; il n’y a rien a` perdre en cas de de´saveu et tout a` gagner dans l’hypothe`se d’une approbation, voire meˆme d’un silence. Constant de´couvre la technique du de´bat parlementaire, avec ce qu’elle implique de pratiques a` la limite de la mauvaise foi. III Les efforts de Constant en vue de consolider le parlementarisme en France en y faisant prendre habitude et gouˆt a` ses compatriotes constitue l’apport le plus important de ces Annales. A la premie`re lecture, l’impression est celle d’un monde enchante´ dans lequel Constant invite les Franc¸ais a` s’e´pa1 2 3 4
Ibid., p. 31 (ci-dessous, p. 941). Ibid., p. 31 (ci-dessous, p. 941). Ibidem (ci-dessous, p. 942). Ibidem (ci-dessous, p. 942).
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nouir. Les bons sentiments le disputent aux grandes envole´es. Le mode`le est l’Angleterre, re´habilite´e depuis la fin des guerres napole´oniennes et meˆme valorise´e par sa victoire. Constant insiste sur les avantages de ce syste`me ou` la liberte´ est garantie, ou` le calme de la vie politique rassure tant les industriels que le monde des affaires, ou` l’alternance au pouvoir dissuade ceux qui sont au gouvernement de rien commettre d’irre´parable contre leurs adversaires politiques puisque bientoˆt, a` la faveur d’un revers e´lectoral, ils vont se trouver dans la meˆme situation que ceux qu’ils ont perse´cute´s. Il ne faut e´videmment pas se faire d’illusion : il ne suffit pas, pour installer ce genre de syste`me, de se doter d’une constitution e´quilibre´e ; une longue pratique est ne´cessaire, qui habitue chacun a` respecter le camp oppose´. C’est a` quoi Constant s’e´vertue, preˆchant le respect des plus belles vertus dans ce monde de la politique que l’on ne conside`re habituellement pas comme celui ou` elles s’e´panouissent le plus volontiers. Il encourage d’abord au respect des engagements : ceci vise particulie`rement les ministres qui doivent comprendre qu’il est, a` terme, calamiteux d’arracher un vote par des promesses qui ne seront pas tenues : a` la prochaine occasion, nul ne les croira plus, meˆme s’ils sont alors de bonne foi. Il exhorte ensuite a` la loyaute´ : pas d’obe´issance aveugle aux consignes d’un parti mais pas non plus de revirements brutaux que nul ne pardonnera, ni ceux qui ont e´te´ trahis, ni meˆme ceux auxquels l’on s’est rallie´ et qui n’auront gue`re confiance ; seule exception : lorsqu’il s’agit de prendre la de´fense de la liberte´ dans la mesure ou` une telle cause justifie tout. De ce dernier point de vue, il s’emploie a` convertir tout le monde aux avantages d’une abolition de la censure puisque c’est le grand enjeu de la session : chacun y trouvera son avantage et d’abord l’opinion publique qui, bien et contradictoirement informe´e, pourra se faire une ide´e juste des positions de chaque parti et se prononcer en connaissance de cause ; une ambiance de confiance ge´ne´rale profitera a` tous et remplacera une impression de tromperies et de mensonges dont la classe politique se voit largement soupc¸onne´e et dont elle est la premie`re victime, meˆme lorsqu’elle ne le me´rite pas. Cette premie`re impression d’une description idyllique d’une monde politique tendant a` la perfection, n’est pas comple`tement inexacte mais elle dissimule une seconde image du parlementarisme, plus re´aliste, parfois jusqu’au cynisme. La de´monstration de Constant gagne en force de conviction ce qu’elle perd en ange´lisme. On ne peut douter de son enthousiasme since`re pour la liberte´ individuelle d’autant qu’il y est personnellement fort attache´, et d’abord pour en be´ne´ficier lui-meˆme. Vis-a`-vis de ceux a` l’e´gard desquels un tel argument ne suffit pas, il rajoute quelques de´monstrations place´es, a` mots couverts, sous le signe d’un calcul d’inte´reˆts bien compris. D’abord, il faut convaincre tous ceux qui croient pouvoir baˆtir leur popu-
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larite´ sur la censure : il n’est aucune expe´rience du passe´ qui ne montre que tout finit par se savoir, cre´ant une sensation d’autant moins favorable que l’on aura pris plus de soin a` dissimuler la ve´rite´. Au surplus, et meˆme si chaque parti successivement parvenu au pouvoir s’y croit installe´ pour longtemps, ses membres doivent savoir qu’un jour ou l’autre, ils seront en position de se voir imposer ces contraintes rigoureuses qu’ils ont instaure´es ou simplement utilise´es. Constant reprend la de´monstration de Casimir Perrier sur la liberte´ de la presse, condition du cre´dit public. La de´monstration est prophe´tique d’autant que, au-dela` de l’obligation d’informer exactement le public de la situation des finances publiques et d’un e´ventuel de´ficit, elle annonce l’ide´e de transparence du marche´ : la liberte´ des journaux est une des bases du cre´dit public et «ce cre´dit n’existera point tant que toutes les ope´rations se feront dans l’ombre. Les affaires d’argent doivent eˆtre claires et connues de tous. La publicite´ seule appelle la concurrence»1. Enfin, supreˆme argument, il appelle au secours de la liberte´ de la presse le droit de proprie´te´, ce qui, en ces temps de valeurs bourgeoises triomphantes, constitue un principe qui doit entraıˆner l’adhe´sion du plus grand nombre. Constant y revient fre´quemment : lorsque l’administration s’en prend a` un journal, elle nuit a` son proprie´taire et donc au droit de proprie´te´ lui-meˆme2. Les plus me´fiants a` l’e´gard de la liberte´ de la presse, les plus conservateurs devraient eˆtre convaincus par un tel argument fonde´ sur l’indispensable respect dont doit profiter la proprie´te´ prive´e. Constant reˆve de re´former l’organisation du de´bat parlementaire. Les projets de re´vision du re`glement de la Chambre des De´pute´s pre´sente´s par M. de Serre qui vient d’acce´der a` la pre´sidence de cette assemble´e lui fournissent l’occasion de se rallier a` certaines propositions audacieuses et a` en rejeter d’autres, avec des arguments d’ailleurs ine´galement convaincants. Parmi les suggestions qui lui semblent pertinentes et destine´es a` tenter de re´gler l’e´ternel proble`me de la prise de parole en se´ance ple´nie`re, il se rallie a` l’ide´e de pre´voir trois de´bats sur chaque texte, mais en n’autorisant les discours lus que lors du premier3. Cela devrait limiter ensuite les interventions, peu de de´pute´s alors e´tant capables d’improviser a` la tribune. En revanche, il s’oppose a` deux autres propositions en des termes qui re´ve`lent sa capacite´ a` s’adapter aux pratiques du parlementarisme avec ce qu’elles supposent d’un peu de mauvaise foi. Ainsi, il reconnaıˆt qu’il paraıˆt plus naturel que ce soit la Chambre en se´ance ple´nie`re qui compose chaque commission charge´e d’examiner un projet de loi et non, comme jusqu’alors, l’un des deux bureaux, rassemblant chacun la moitie´ des de´pute´s par tirage 1 2 3
Annales de la session de 1817 a` 1818, p. 92 (ci-dessous, p. 1002). Ibid., p. 97 (ci-dessous, p. 1006). Ibid., p. 37 (ci-dessous, p. 963).
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au sort ; pour autant, il pre´fe`re conserver l’ancien syste`me puisque le proce´de´ du tirage au sort pour chaque bureau donne des chances a` la minorite´ d’eˆtre mieux repre´sente´e dans l’un des deux et, donc, de placer des membres au sein de telle ou telle commission. Apre`s tout, son raisonnement se situe dans la logique de sa de´monstration ge´ne´rale : lorsque les de´pute´s auront pris, «par l’expe´rience [l’] habitude de l’impartialite´»1, le proble`me ne se posera plus et la minorite´ se verra re´server des places au sein des commissions. Dans le meˆme esprit, celui d’une prise en compte des menus calculs qui doivent pre´sider a` l’organisation du travail parlementaire, il s’oppose a` une proposition de baisse du quorum pour de´libe´rer valablement, pre´sente´e afin d’empeˆcher un petit groupe de bloquer le de´bat en quittant inopine´ment l’he´micycle. Il n’ose pas se faire l’avocat de telles pratiques destine´es a` faire obstruction au de´bat ; il pre´fe`re brandir le danger de votes surprises, effectue´s par un petit nombre de de´pute´s reste´s en se´ance. Il montre e´galement son aptitude a` maıˆtriser les techniques du de´bat parlementaire a` propos du vote de la loi sur la presse. Le texte en vigueur est applicable jusqu’au 1er janvier 1818. Le de´bat sur les vingt-sept articles organisant le nouveau re´gime traıˆne en longueur si bien que, le 21 de´cembre 1817, le gouvernement se rend compte qu’il n’arrivera jamais a` obtenir un vote avant la fin de l’anne´e. Il propose alors de proce´der a` l’examen rapide d’un seul article qui maintiendra une certaine surveillance sur les journaux et de renvoyer les autres dispositions a` plus tard. L’objectif est e´videmment d’e´viter un vide le´gislatif et de se retrouver en janvier avec des gazettes entie`rement libres auxquelles l’on ne pourrait imposer aucune contrainte. C’est justement ce qu’espe`re Constant mais, ayant compris qu’il n’est pas toujours efficace d’eˆtre since`re, c’est un autre argument qu’il met en avant, d’ordre proce´dural : concentrer le de´bat sur un seul article revient en fait a` proposer une nouvelle loi ce qui suppose de reprendre la proce´dure au de´but, de proce´der a` un examen en commission, etc. ce qui exclut de parvenir a` un vote avant la fin de l’anne´e. L’argument de Constant est sans doute spe´cieux ; du moins l’objectif est-il clair : rendre impossible le vote d’un nouveau statut de la presse. Dernie`re occasion de manifester un peu de cynisme : a` propos des e´lections. C’est un the`me classique pour l’opposition que de de´noncer les pressions que le gouvernement fait subir au corps e´lectoral et qui risquent de fausser les re´sultats. Constant affecte de se montrer plus raisonnable. De`s janvier 1817, dans le Mercure de France, il affirme que «[d]ans tout gouvernement repre´sentatif, il est naturel au ministe`re de vouloir influer sur les e´lections ; pourvu qu’il n’emploie ni fraude, ni violence, ses efforts sont 1
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excusables». Et d’ajouter dans un grand e´lan de confiance dans le scrutin censitaire : «Si la Nation n’est pas d’accord avec lui, c’est a` elle a` se soustraire a` son influence»1. Malgre´ ce qu’elle a de provoquant et d’apparemment lie´e aux circonstances e´lectorales du moment, la formule est muˆrement re´fle´chie par Constant. Il la reproduit et la de´veloppe dans les Annales de la session de 1817 a` 1818. Il souligne qu’il n’a pas change´ d’avis en fonction de l’e´volution des partis au pouvoir au cours de l’anne´e 1817. Il pre´sente une liste de pratiques, distinguant ce qui est interdit de ce qui est autorise´ au gouvernement : ne pas encourager ni prote´ger les calomniateurs mobilise´s contre des adversaires politiques ; imposer le respect de la re´glementation aux ennemis politiques mais n’en pas dispenser les amis ; ne pas pre´senter comme une incapacite´ a` argumenter le fait que la censure re´duise les opposants au silence sur certaines questions ; ne pas donner «l’occasion de penser» qu’il y a eu des votes ille´gaux ce qui n’empeˆche pas de mobiliser les suffrages de ses partisans. C’est un ve´ritable petit traite´ de de´ontologie que Constant destine aux ministres en place. Bien que l’objectif fut ambitieux, touchant a` rien moins qu’aux habitudes nationales pour les faire e´voluer, l’on ne peut exclure que Constant l’ait atteint, ou en tous cas ait contribue´ de fac¸on notable a` l’atteindre. Il s’agit tout simplement que de faire faire aux Franc¸ais l’apprentissage du parlementarisme. Une pratique ave´re´e est le re´sultat de longs efforts et il ne me´nage pas sa peine. Il est vrai que Constant n’a pas mis au service de cette cause uniquement les Annales de la session de 1817 a` 1818. Bien d’autres œuvres vont poursuivre son effort : articles, brochures, parfois ve´ritables livres. Il s’emploie a` de´coder le de´bat politique pour ses contemporains. Il s’efforce d’introduire une logique la` ou` la plupart des observateurs voient un combat confus, opposant la droite et la gauche, avec des revirements de position, avec des renversements d’alliance, avec la recherche impure de rassemblement d’une majorite´ disparate, moins pour faire triompher une politique que pour les se´ductions de l’exercice du pouvoir. Il met en lumie`re les strate´gies des uns et des autres. L’objectif sur lequel la plupart du moins se retrouvent, c’est d’e´viter les conflits ouverts, les guerres civiles qui ont ensanglante´ la France. Les acteurs du de´bat politique se retrouvent autour de re`gles communes qui excluent les luttes ouvertes. Les Franc¸ais doivent expe´rimenter les meˆmes protocoles que les Anglais ont connus au cours de multiples de´cennies. Quand ils se seront vraiment approprie´s ces modes de de´bats, le parlementarisme sera durablement installe´. Constant demeure re´aliste et d’abord par son affirmation qu’il ne suffit pas d’eˆtre en de´saccord avec tel ou tel aspect de la politique gouvernemen1
Mercure, 4 janvier 1817, p. 31 (ci-dessus, p. 378).
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tale pour souhaiter la chute du gouvernement. Sur cela aussi, il revient a` plusieurs reprises. Il n’est pas ne´cessaire de renverser les ministres comme beaucoup le souhaitent, en ge´ne´ral pour les remplacer. Lui-meˆme, l’aˆge venant, semble s’eˆtre libe´re´ de telles ambitions. Officiellement, il craint les de´sordres, ces «secousses» comme il dit, qui pourraient perturber la pratique paisible du parlementarisme. Sans doute aussi est-il influence´ par la pratique britannique ou` le de´part d’un ministe`re est plus fre´quemment le re´sultat d’une de´faite e´lectorale du parti jusque la` dominant que d’une manœuvre de couloir aboutissant a` de´baucher quelques de´pute´s appartenant auparavant a` sa majorite´. Si la confiance dans le roˆle protecteur de la constitution en matie`re de liberte´s publiques apparaıˆt comme l’apport actuellement le plus appre´cie´ dont nous sommes redevables a` Benjamin Constant, si son e´loge du parlementarisme semble avoir un peu vieilli par rapport a` des re´gimes politiques modernes qui privile´gient le roˆle d’impulsion de l’exe´cutif, et singulie`rement du chef de l’E´tat, du moins doit-on lui reconnaıˆtre des analyses prophe´tiques sur les dangers d’un de´clenchement trop facile et fre´quent des proce´dures de renvoi du ministe`re. L’instabilite´ gouvernementale fut l’e´le´ment de faiblesse de trop de de´mocraties parlementaires pour que l’on ne donne pas raison a` Constant sur ce point et qu’on ne l’admire pas de l’avoir pressenti. A. C. et O. D.
Historique du texte Les Annales de la session de 1817 a` 1818 sont un ouvrage composite. Lance´ sans doute par Benjamin Constant soit pour atteindre un autre public que les lecteurs du Mercure de France, soit parce qu’il craignait de´ja` au moment ou` la nouvelle Chambre entrait en fonction la suppression du pe´riodique, il adoptait un mode de publication irre´gulier. Des cahiers formant finalement un volume paraissaient irre´gulie`rement avec des textes re´dige´s par Constant lui-meˆme ou par des amis. La premie`re livraison du tome premier (il restera le tome unique) est sortie au de´but du mois de de´cembre, au moins un autre cahier, comprenant avec des textes de Constant une contribution de Page`s, suit la meˆme anne´e. Les troisie`me et quatrie`me ca-
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Voir l’article «Ganilh» du Dictionnaire de l’e´conomie politique de Coquelin, Paris : Guillaumin, 1864.
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hiers avec une analyse du budget sont confie´s a` Saint-Aubin et paraissent probablement tous les deux au de´but de l’anne´e 1818. Le cinquie`me et dernier cahier re´dige´ par Constant est mis en vente autour du 25 avril 1818. Le projet sera abandonne´ par la suite. Constant annonce de`s le de´but qu’il va faire appel a` d’autres collaborateurs, comme il ressort d’un passage de la premie`re contribution de Constant1. Les raisons pour cette de´cision nous e´chappent. Il aurait pu parler tre`s bien lui-meˆme des affaires relatives a` la presse ; e´galement des finances, comme il ressort de ses articles sur le budget qu’il a publie´s dans le Mercure de France, bien qu’il ait fait appel aussi a` cette occasion a` la compe´tence de Saint-Aubin. A ce souci de rompre avec la monotonie des critiques qui allaient re´pe´ter toujours les meˆmes arguments2 s’ajoute une autre difficulte´ impre´vue, dont il parle allusivement dans le dernier cahier qu’il re´dige lui-meˆme, en disant qu’il e´tait «de´tourne´ momentane´ment de la continuation d’un travail qu’une partie du public avait honore´ de quelque bienveillance3». Il se peut que ce soit son engagement dans la grande affaire politique du proce`s contre Wilfrid Regnault qui est la raison ve´ritable de l’interruption. Constant, pas tout-a`-fait satisfait des Annales4, ne reniera pourtant pas les textes qu’il a re´dige´s, comme toujours, dans une optique de critique et d’e´ducation civile. Il reproduira ceux qu’il a signe´s lui-meˆme dans le tome IV du Cours de politique constitutionnel, avec quelques modifications mineures, mais supprime les textes de ses amis. Nous avons pre´fe´re´ de maintenir le plan primitif en reproduisant le texte inte´gral des Annales, mais re´parti en deux «sections». Les pages de Constant gagnent en importance et en clarte´ en maintenant le contexte indispensable des de´bats politiques et financiers. C’est pourquoi nous les donnons dans le pre´sent volume avec les essais de Page`s et de Saint-Aubin, qui, en comple´tant les essais de Constant, font de ce livre une analyse critique des de´libe´rations parlementaires de la session de 1817 a` 1818. Cette premie`re section est de loin la plus longue. La seconde section, ne contenant que le dernier texte de cette collection, la tre`s spirituelle pole´mique contre Marchangy, ouvrira le tome suivant des OCBC. Ce texte est consacre´ au proce`s intente´ en 1818 contre le journaliste Fie´ve´e ; il appartient exclusivement au contexte politique de cette anne´e, de sorte qu’il nous a paru pre´fe´rable de le donner avec les ouvrages que B. Constant publie en 18185. 1 2 3 4 5
Voir ci-dessous, p. 928. BC ne donne pas les noms, mais il est e´vident qu’il pense a` Page`s et a` Saint-Aubin. Voir ci-dessous, p. 930, ou` BC e´voque la «monotonie» de son travail. On trouvera ce cahier dans le t. XI de OCBC, a` paraıˆtre. Voir dans le meˆme chapitre la critique adresse´e a` Saint-Aubin (OCBC, Œuvres, t. XI). Signalons que ce texte a connu une e´dition par E´douard Laboulaye, Cours de politique constitutionnelle : ou collection des ouvrages publie´s sur le gouvernement repre´sentatif, par
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E´tablissement du texte Nous reproduisons dans le pre´sent volume pour des raisons de cohe´rence la premie`re section du texte inte´gral des Annales, comme nous l’avons dit ci-dessus. Les textes de Page`s et de Saint-Aubin dans un corps re´duit pour signaler qu’il s’agit de textes qui ne sont pas de Constant. Les variantes des textes de Constant par rapport a` la version remanie´e du Cours de politique constitutionnelle sont re´pertorie´es dans l’apparat critique, a` l’exception des diffe´rences de l’orthographe, sans importance pour le contenu (p. ex. tems/temps). Imprime´s : 1. ANNALES DE LA SESSION DE 1817 A 1818 ; PAR M. BENJAMIN DE CONSTANT. [monogramme de l’imprimeur] PARIS, F. BE´CHET, LIBRAIRE, RUE DES GRANDS-AUGUSTINS, No 11. 1817. 8o (210 × 136 mm). Pp.[i] faux-titre, [ii] publicite´ et adresse de Poulet, Quai des Augustins, no 9, [iii] titre, [iv] blanche, [1]–57 texte sous le titre interme´diaire : ANNALES DE LA SESSION DE 1817 A 1818. PARTIE PO LITIQUE., 58 blanche, 59 faux-titre, 60 publicite´ et adresse de Poulet, comme ci-dessus, 61 titre, comme ci-dessus, 62 blanche, [63]–120 texte, sous le titre interme´diaire : ANNALES DE LA SESSION DE 1817 A 1818. DEUXIE` ME CAHIER PARTIE POLITIQUE., 121–268 textes de J. P. Page`s et de Saint-Aubin, et, entre les pp. 196 et 197, pagine´ se´pare´ment de 1 a` 4, le propectus des Annales de Grammaire, 269–290 texte, sous le titre interme´diaire comme ci-dessus, avec la mention 5e livraison du tome Ier. 291– 327 Du Discours de M. DE MARCHANGY, avocat du Roi, devant le tribunal de police correctionnelle, dans la cause de M. FIE´ VE´ E., [328] blanche, 1–3 CATALOGUE des Ouvrages nouveaux, publie´s depuis un an, chez BE´ CHET, libraire, quai des Augustins, n o 57, pre`s du Pont-Neuf. Exemplaire utilise´ : BCU, Lausanne, 1S 863. Nous de´signons cet ouvrage par le sigle A1. Courtney, Bibliography, 27a(1) et 27a(5). Description incomple`te. Courtney, Guide, A27/1 2. COLLECTION COMPLE`TE DES OUVRAGES PUBLIE´S SUR LE GOUVERNEMENT REPRE´SENTATIF ET LA CONSTITUTION AC TUELLE, OU COURS DE POLITIQUE CONSTITUTIONNELLE, PAR M. BENJAMIN CONSTANT. [ligne ondue´e] QUATRIE`ME VOLUME. [ligne ondule´e] SEPTIE`ME PARTIE. PARIS, BE´ CHET aıˆne´, Libraire, Benjamin Constant., avec une introduction et des notes par Edouard Laboulaye, Paris : Guillaumin, 1861, 21872, t. II, pp. 1–24.
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quai des Augustins, no 57. ROUEN, BE´ CHET fils, Libraire, rue GrandPont, no 73. [filet] 1820. Le texte des Annales de la session de 1817 a` 1818 se trouve pp. 75–231. Exemplaire utilise´ : Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Politik oct. 964. Nous de´signons cet ouvrage par le sigle A2. Courtney, Bibliography, 131a(4) et 131b(4). Courtney, Guide, E1/1(4) et E1/2. 3. Œuvres diverses sur la politique constitutionnelle, par Benjamin Constant. A Paris, chez J. P. Aillaud, libraire, Quai Voltaire, No 11. 1829, 2 vol. Le t. II contient (une partie ?) des Annales de la session de 1817 a` 1818. Ouvrage non consulte´. Nous de´signons cet ouvrage par le sigle A3. Courtney, Bibliography, 135a. Courtney, Guide, E4/1. Comptes rendu ou re´pliques : 1. Anonyme, Journal du Commerce, 22 de´cembre 1817. 2. Anonyme, Journal des De´bats, 7 janvier 1818. 3. Anonyme, Annales philosophiques, politiques et litte´raires, t. II, 1818, pp. 252–253. 4. Anonyme, «Politique spe´ciale. Annales de la session de 1817 a` 1818 ; par M. Benjamin de Constant. – Seconde partie», Archives philosophiques, politiques et litte´raires, t. V, Paris : Fournier, 1818, pp. 257–277. 5. [Charles Loyson], «De quelques opuscules politiques de M. Benjamin Constant», Guerre a` qui la cherche, ou petites lettres sur quelques-uns de nos grands e´crivains, par un ami de tout le monde, ennemi de tous les partis, Paris : Delaunay et Pe´licier, 1818, pp. 131–1351. K. K.
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On trouve des re´ponses a` ce texte dans les pe´riodiques suivants : Journal de Paris, no 48, 17 fe´vrier 1818, p. 4a–4b, signe´ *** ; La Quotidienne, no 59, 28 fe´vrier 1818, pp. 1b–2b ; [Esprit-Michel Foulon], Lettres Normandes, t. II, no 4, 5 mars 1818, p. 117 ; Anonyme, Archives philosophiques, politiques et litte´raires, t. II, pp. 257–277, no 4, [fe´vrier] 1818, pp. 507–512.
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Chaque anne´e, quelques jours avant l’ouverture de la session des Chambres1, l’on dit et l’on imprime que cette session sera de´cisive, que des questions fondamentales vont eˆtre agite´es, que le salut de la France est entre les mains de ses repre´sentans. En Angleterre, l’on attend la convocation du parlement avec curiosite´, avec inte´reˆt, mais sans inquie´tude. On sait que lorsqu’il est assemble´, il y a plus de liberte´ pratique, que les ministres prennent moins de licences, que leurs agens sont plus circonspects ; mais ce n’est pas ne´anmoins une e´poque de crise, et l’on ne croit pas que l’Angleterre ait la perspective d’eˆtre sauve´e ou d’eˆtre perdue tous les six mois2. D’ou` vient cette diffe´rence ?
E´tablissement du texte : Imprime´s : 1. Annales de la session de 1817 a` 1818, Paris : F. Be´chet, 1817 [=A1] 2. Cours de politique constitutionnelle, t. IV, pp. 75–231, Paris : Be´chet aıˆne´, 1820 [=A2].
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Aux termes de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, le pouvoir le´gislatif est confie´ a` deux Chambres : la Chambre des Pairs, compose´e de membres nomme´s par le roi a` titre viager ou he´re´ditaire ainsi que des membres de la famille royale et des princes du sang, membres de droit (art. 24 a` 34) et la Chambre des De´pute´s, e´lue pour cinq ans au suffrage censitaire (art. 35 a` 53). C’est le roi qui, chaque anne´e (art. 50), convoque les Chambres (art. 25) (Jean-Baptiste Duvergier, Collection comple`te des lois, de´crets, ordonnances, re`glemens, avis du Conseil d’E´tat, Paris : A. Guyot et Scribe, t. XIX, 1836, pp. 59–73). En Angleterre, le Parlement dispose de la ple´nitude du pouvoir le´gislatif, la premie`re Re´volution de 1644 et la Glorious Revolution de 1688 ayant abouti a` l’instauration d’une monarchie constitutionnelle et parlementaire remplac¸ant le gouvernement autocratique des Stuart, le Bill of Rights de 1689 garantissant des e´lections libres, le renouvellement du Parlement et rendant ille´gale une arme´e en temps de paix. De´tentrices du pouvoir le´gislatif, les Chambres disposent e´galement d’une supre´matie politique re´gulie`re et permanente puisque le gouvernement est issu de la majorite´ parlementaire et les ministres politiquement ` la diffe´rence de ce qu’a connu la France dans le passe´ et qu’elle connaıˆtra responsables. A de nouveau dans l’avenir, la violence re´volutionnaire n’y est plus ne´cessaire pour s’assurer la domination politique.
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C’est qu’en Angleterre les principes de la liberte´, consacre´s par l’autorite´ du tems, reposent sur une espe`ce de tradition salutaire1. Le ministe`re assure´ment cherche a` empie´ter, et il empie`te ; mais toutes les victoires ne´cessaires ont e´te´ rem porte´es anciennement, et les partisans de l’arbitraire sont oblige´s d’attaquer pie`ce a` pie`ce l’e´difice constitutionnel. Il en re´sulte que la liberte´ a l’avantage d’exister ; elle n’a besoin que d’eˆtre de´fendue, et l’on en jouit pendant qu’on la de´fend2. Chez nous, c’est autre chose. Aucune de nos constitutions n’a eu deux jours d’existence intacte3. Les agens du pouvoir, qui nous ont fait preˆter
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Les institutions anglaises se sont forme´es lentement depuis le Moyen-aˆge, presque toujours de fac¸on coutumie`re non e´crite : apparition, au XIIIe sie`cle, d’un magnum concilium compose´ de barons et de pre´lats dont se distingue ensuite le commune concilium compose´ de la totalite´ des vassaux. Le parlement se scinde ensuite en deux chambres (Chambre des lords, Chambre des communes), conquiert progressivement le pouvoir le´gislatif en passant d’un simple roˆle consultatif a` un roˆle de de´cision sous re´serve de la sanction royale, le monarque cessant d’ailleurs d’exercer son veto en 1707 et ne pouvant plus, depuis le XVIIe sie`cle, le´gife´rer sous forme de proclamation ce qui, sous couvert d’explication ou d’application, lui permettait auparavant d’ajouter a` la loi. S’y ajoute la Magna Carta que la fe´odalite´ anglaise a arrache´e a` Jean sans Terre en 1215 ; limitant l’arbitraire royal, e´tablissant l’habeas corpus, elle a e´te´ renouvele´e durant tout le Moyen-aˆge, puis au temps des Stuart et des Tudor et aux XVIIe et XVIIIe sie`cles. Contrairement a` l’Angleterre qui, depuis le XVIIe sie`cle, a opte´ pour le pragmatisme politique visant a` reme´dier aux me´contentements avant qu’ils ne de´bouchent sur des mouvements plus radicaux, la France proce`de re´gulie`rement par re´formes dans l’urgence et par flambe´es de violences re´volutionnaires : la Chambre des Pairs connaıˆt des crimes de haute trahison et des attentats a` la suˆrete´ de l’E´tat (art. 33 de la Charte). La Chambre des De´pute´s dispose du droit d’accuser les ministres et de les traduire devant la Chambre des Pairs pour fait de haute trahison ou de concussion (art. 55 et 56). Il n’existe donc qu’une responsabilite´ pe´nale des ministres. Cependant, le fait qu’ils puissent, pour la premie`re fois de l’histoire constitutionnelle franc¸aise depuis 1789, eˆtre choisis dans les chambres (art. 54) joint a` l’irresponsabilite´ du roi (art. 13), a` la faculte´ pour ce dernier de dissoudre la Chambre des de´pute´s (art. 50) et au principe ge´ne´ral de responsabilite´ des ministres (art. 13) permettra a` la pratique de faire apparaıˆtre assez rapidement la responsabilite´ politique des ministres et donc le re´gime parlementaire. Il suffit de rappeler ici qu’aucune des constitutions franc¸aises, depuis celle du 3 septembre 1791 jusqu’a` la constitution du Consulat, n’a re´siste´ aux luttes politiques. La Constitution du 22 frimaire an VIII (13 de´cembre 1799) instituant le Consulat pour dix ans sera modifie´e moins de trois ans plus tard par senatus-consulte du 14 thermidor an X (2 aouˆt 1802) proclamant Bonaparte Premier Consul a` vie ; moins de deux ans plus tard, l’empire sera instaure´ par senatus-consulte du 28 flore´al an XII (18 mai 1804). La Charte du 4 juin 1814 quant a` elle, meˆme si elle octroie aux chambres des pouvoirs plus importants que sous l’Empire, donne au roi, par l’article 14 inspire´ des dispositions de l’an VIII, le droit de «faire les re`glements et ordonnances ne´cessaires pour l’exe´cution des lois et la suˆrete´ de l’E´tat», ce qui lui confe`re un pouvoir absolu si les circonstances paraissent l’exiger. C’est d’ailleurs
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serment a` ces constitutions, et qui leur ont eux-meˆmes preˆte´ serment, ont toujours cru, sans doute avec les meilleures intentions du monde, ne pas devoir se donner le tems de reprendre haleine avant de nous proposer de suspendre ce qu’ils venaient de jurer. Il s’ensuit que, chaque anne´e, tout est a` faire, a` obtenir, a` revendiquer, et que l’instinct de la nation l’avertit qu’aucun de ses droits n’e´tant e´tabli ni consolide´, tous peuvent eˆtre remis en question1. De la`, un avenir qui n’est jamais sans nuages, une anxie´te´ pe´riodique dans tous les esprits, une espe`ce de loterie de liberte´, si l’on me permet ce mot, en vertu de laquelle la France se demande tous les ans : y aura-t-il se´curite´, tranquillite´, garantie ? Cependant, il faut eˆtre juste. Nous avanc¸ons vers la liberte´. Les pas que nous avons faits depuis deux ans2 ne sont pas contestables. Mais a` qui les devons-nous ? Ne soyons pas moins e´quitables dans notre re´ponse a` cette question que nous ne venons de l’eˆtre en reconnaissant l’ame´lioration qui a eu lieu. Nous devons ces progre`s, dont on ne saurait trop se fe´liciter, a` l’e´nergique raison que la nation a montre´e dans toutes les circonstances, et aux hommes qui, n’importe par quels motifs, a` quelle e´poque, a` quel titre, se sont constitue´s les organes de cette raison nationale. Je ne suis assure´ment pas l’apoˆtre d’une opposition inconside´re´e ni surtout d’une opposition factieuse. Mon principe, sous tous les gouvernemens, a e´te´ de chercher si, dans ces gouvernemens, il y avait quelques e´le´mens, quelque possibilite´ de liberte´, pour conserver avec soin ces e´le´mens, pour seconder cette possibilite´ avec ze`le, et pour profiter de ce qui existait, parce qu’on connaıˆt toujours mieux ce qui existe que ce qui viendra, et que si
4 Il s’ensuit que, chaque anne´e, ] Il s’en suit que chaque anne´e A2
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24 existait, ] existait ; A2
en application de cet article que Charles X prendra, en juillet 1830, les ordonnances de Saint-Cloud (suspension de la liberte´ de la presse, modification de la loi e´lectorale) qui conduiront a` la Re´volution et a` la chute des Bourbons en France. En Angleterre, a` la diffe´rence de la France ou` rien de tel n’existe encore, les bases des institutions parlementaires consistent en une opinion publique nettement canalise´e en deux partis cohe´rents seulement (les Whigs et les Tories), issus de la lutte entre deux dynasties, l’un libe´ral, l’autre conservateur. Formant des e´quipes ayant vocation a` se relayer au pouvoir pour y mettre en œuvre des conceptions politiques diffe´rentes, ces deux partis se caracte´risent aussi par leur commun loyalisme envers le troˆne. Bien que les auteurs franc¸ais du temps ne semblent pas le percevoir, il y a la` une diffe´rence notable avec la France ou` rien de tel n’existe encore ve´ritablement, ce qui constitue un obstacle majeur a` l’enracinement du mode`le parlementaire anglais. Depuis la fin des Cent-Jours et les de´buts de la Seconde Restauration.
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c’est la volonte´ qui de´truit, c’est d’ordinaire et malheureusement le hasard qui remplace1. Mais qui peut douter que si le ministe`re, qu’il ne faut pas juger autrement que tous les ministe`res du monde, car tout ministe`re veut empie´ter ; qui peut, dis-je, douter que si ce ministe`re n’euˆt pressenti, a` plusieurs e´gards, et dans les repre´sentans de la nation, et dans l’opinion meˆme, une re´sistance courageuse, nous serions encore a` une distance immense du point ou` nous sommes arrive´s1 ! Ce ministe`re a fait deux grandes et bonnes choses : l’ordonnance du 5 septembre2, et la loi sur les e´lections3. Je suis d’avis qu’on doit savoir gre´
8 arrive´s ! ] arrive´s ? A2
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9 choses : ] choses, A2
«Libe´ral d’opposition», BC, soucieux de pre´server les acquis de 1789, n’a jamais cesse´ de de´noncer les abus des diffe´rents re´gimes, y compris de ceux auxquels il participera. Il s’agit du ministe`re Richelieu. Armand-Emmanuel du Plessis de Chinon, duc de Fronsac, puis duc de Richelieu (1766–1822), e´migre´ en 1790, sert dans l’arme´e russe contre les Turcs et obtient le gouvernement de la province d’Odessa (1803–1814). Rentre´ en France lors de la Restauration, il succe`de a` Talleyrand comme ministre des Affaires e´trange`res et pre´sident du conseil, signe le second traite´ de Paris (nov. 1815), le´galise la Terreur blanche sous la pression des ultras. Son ministe`re est remplace´ en 1818 par celui plus libe´ral de Decazes mais revient au pouvoir apre`s l’assassinat du duc de Berry. Face a` l’opposition libe´rale, il tente d’adopter des mesures de re´action mode´re´e. Mais sa politique e´tant juge´e trop libe´rale par les ultras et trop re´actionnaire par les libe´raux, il est contraint a` la de´mission (1821). E´lue le 14 aouˆt 1815, la «Chambre introuvable», selon une expression de Louis XVIII, domine´e par les ultra-royalistes comme les appellent leurs adversaires (eux-meˆme se de´signant par les termes de «royalistes» ou «royalistes purs») s’illustre par son ze`le en faveur de l’aristocratie et du clerge´, l’e´tablissement des cours pre´voˆtales, le bannissement de tous les conventionnels ayant vote´ la mort de Louis XVI, sa politique re´actionnaire tendant au re´tablissement de l’Ancien Re´gime. Inspire´ par son favori, E´lie Decazes, de´pute´ de la Seine et ministre de la Police dans le gouvernement Richelieu, le roi de´cide la dissolution de cette Chambre par ordonnance du 5 septembre 1816 (Collection des lois, t. XXI, pp. 34–35). Les ` la nouvelle de la e´lections qui s’en suivent le 4 octobre donnent la majorite´ aux mode´re´s. A dissolution, BC, qui s’est exile´ en Angleterre depuis la fin des Cent-Jours, regagne Paris. Apre`s la dissolution de la Chambre introuvable et l’e´lection de la nouvelle assemble´e en octobre 1816, le vote de la loi e´lectorale apparaıˆt comme la taˆche principale de la session de 1816–1817. Pre´sente´ par Laine´, ministre de l’Inte´rieur, le projet est adopte´, apre`s pre`s de deux mois de de´bats acharne´s, par 132 voix contre 100 a` la Chambre des De´pute´s et par 95 voix contre 77 a` la Chambre des Pairs. Promulgue´e le 8 fe´vrier 1817, la loi e´tablit un syste`me conforme a` la Charte de 1814.
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aux hommes des services qu’ils rendent, et ne pas scruter leurs motifs avec trop de rigueur. Je dirai plus. Ordinairement on est injuste quand on attribue de bonnes actions ou de bonnes mesures uniquement a` des motifs personnels. Mais il faut pourtant faire entrer ces motifs en ligne de compte, pour ne pas se livrer a` une confiance aveugle, et de peur de reperdre le bien meˆme qu’on a obtenu. Or, on ne saurait nier que l’inte´reˆt du ministe`re ne fuˆt d’accord avec celui de la nation dans l’ordonnance du 5 septembre. Une re´action de quatorze mois se tournait enfin contre lui1. On peut en dire autant de la loi qu’il a propose´e sur les e´lections ; elle lui e´tait ne´cessaire pour lui donner, contre un parti qui le menac¸ait, l’appui d’une majorite´ populaire qu’il fallait cre´er2. Laissons-lui sa part de me´rite : c’est toujours beaucoup, dans l’autorite´, que de sentir qu’elle ne peut se sauver qu’avec la nation. Mais reconnaissons que c’est a` l’opposition de divers genres que le ministe`re a rencontre´e, que nous devons les progre`s dont nous avons a` nous re´jouir. Je dis a` l’opposition de divers genres, car toutes les oppositions ont e´te´ utiles : toutes ont bien me´rite´ de la France. Celle qui, par un bizarre et heureux de´place-
17 de la France ] la France A2
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A l’issue des Cent-Jours, les ultra-royalistes, qui apre`s la Premie`re Restauration avaient e´te´ de nouveau contraints a` l’exil par le retour de Napole´on, reviennent en France de´cide´s a` se venger avec e´clat ; de juillet a` aouˆt 1815 se´vit ainsi la «Terreur blanche», mene´e par les Verdets portant les couleurs vertes du comte d’Artois et marque´e par des assassinats d’anciens re´volutionnaires jacobins et des bonapartistes tels que, a` Toulouse, le ge´ne´ral Ramel (royaliste mode´re´ nomme´ par Louis XVIII commandant militaire du de´partement de la Haute-Garonne), ou le mare´chal Brune, en Avignon. Le gouvernement le´galise cette Terreur blanche en faisant bannir les re´gicides et exe´cuter des hommes rallie´s a` Napole´on tels que les ge´ne´raux Charles de La Be´doye`re (voir ci-dessus, pp. 91–108), Ce´sar et Constantin de Faucher, Re´gis Mouton-Duvernet, le mare´chal Ney. Vainqueur des e´lections du 14 aouˆt 1815, les ultras (350 de´pute´s sur 402) dominent massivement la «Chambre introuvable». Apre`s le changement de majorite´ le ministe`re Richelieu adopte une politique plus libe´rale car les exce`s ultras menac¸aient la stabilite´ du re´gime et faisaient craindre une nouvelle Re´volution. Œuvre des doctrinaires, ce texte favorise le parti constitutionnel et ministe´riel (mode´re´s) en permettant au gouvernement d’agir sur les e´lecteurs graˆce a` l’influence conjointe du pre´fet qui dresse la liste des e´lecteurs (art. 5) et du bureau du colle`ge e´lectoral. Il est en revanche de´favorable aux ultras qui n’obtiennent pas la constitution d’assemble´es e´lectorales primaires de canton ou d’arrondissement dans lesquelles l’influence du clerge´ et de la noblesse locaux auraient pu s’exercer. De plus, les ope´rations e´lectorales se de´roulant au chef-lieu du de´partement et pouvant durer jusqu’a` dix jours (art. 12), les bourgeois, citadins et essentiellement mode´re´s, sont avantage´s au de´triment des proprie´taires fonciers, souvent ultras, contraints a` de longs de´placements.
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ment, s’est trouve´e tout-a`-coup proclamer des principes qu’on l’avait vue long-tems repousser, n’a pas e´te´ la moins salutaire1. Je le pre´voyais il y a un an. Notre constitution, e´crivais-je, a fait un pas immense depuis que l’opposition est dans les Torys2. Au moment de la restauration de 1814, nous e´tions menace´s d’un imminent danger. Des cour tisans qui ne reconnaissent aucun droit au peuple, arrivaient en grand nombre avec la the´orie du despotisme, et rencontraient d’autres courtisans qui en avaient la pratique3. Ces deux partis pouvaient s’allier. Des ve´te´rans de la corruption des deux re´gimes s’offraient, comme ils s’offrent encore, comme ils s’offriront toujours, pour ne´gociateurs du traite´4. Ils pre´sentaient les traditions de l’arbitraire impe´rial pour dogmes a` la monarchie reconstitue´e. Il s’en est peu fallu qu’ils ne re´ussissent5.
12 Il ... re´ussissent. ] passage supprime´ dans A2
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BC ne s’est pas toujours montre´ aussi optimiste. Dans son journal intime, il notait en effet, le 25 septembre 1816, apre`s avoir appris la dissolution du 5 septembre : «je vais donc en France. je n’espe`re rien de ce pays. le Ministe`re marche entre la nation et les exage´re´s, sur une lame de couteau. il n’ira pas longtems» (OCBC, Œuvres, t. VII, p. 289). Opinion surprenante sous la plume de BC que cet e´loge des Torys puisqu’il s’agit de l’anceˆtre du Parti conservateur, a` l’e´poque oppose´ aux Whigs, au Parti libe´ral, a priori plus proche de BC. En fait, BC est favorable a` l’alternance au pouvoir et surtout il conside`re qu’une cure d’opposition est formatrice pour un parti, surtout pour le Parti conservateur. La citation replace´e dans son contexte est la suivante : «Ce sont les Whigs qui ont fonde´ la liberte´ d’Angleterre ; mais l’opposition des Torys l’a quelquefois servie : et je conside`re notre constitution ayant fait un pas immense, depuis que l’opposition est dans les Torys» (Mercure de France, 4 janvier 1817, voir ci-dessus, p. 378). En 1814, lors de la Premie`re Restauration, Louis XVIII rentre en France entoure´ d’e´migre´s, partisans convaincus du re´tablissement de l’Ancien Re´gime et dont le chef de file est le comte d’Artois (futur Charles X). Ils ont pour interlocuteurs des hommes issus de l’appareil impe´rial, tels que Talleyrand ou Fouche´, les membres du Se´nat, les mare´chaux, etc. qui entendent conserver leurs places et les avantages qui y sont attache´s. On peut, par exemple, songer aux ne´gociations de´cisives entre le royaliste Vitrolles, proche du comte d’Artois, e´migre´ en 1790 puis rentre´ en France et qui n’a pas de´daigne´ de servir Napole´on qui lui a octroye´ le titre de baron en 1812, et Talleyrand dont on sait que Napole´on le couvrıˆt d’honneurs et de pensions et qu’il trahit sans cesse. BC fait allusion a` la tentative de revenir a` l’Ancien Re´gime. Le 6 avril 1814, jour de l’abdication de Napole´on Ier, le Se´nat adopte un projet de constitution, e´galement ratifie´ le lendemain par le Corps le´gislatif, aux termes duquel «le peuple franc¸ais appelle librement au troˆne de France, Louis-Stanislas-Xavier de France, fre`re du dernier Roi...», garantit tous les inte´reˆts des dignitaires de l’Empire et subordonne le roi a` la nation, c’est-a`-dire au Se´nat qui s’arroge le droit de parler en son nom.
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Nous avons couru les meˆmes chances un an plus tard1 ; et c’est une succession de hasards propices qui nous en a encore pre´serve´s. Ainsi la liberte´ s’est comme glisse´e de nouveau jusques a` nous2. L’inimitie´ de la majorite´ de 1815, contre les deux ministe`res successifs3, n’a pas e´te´ inutile a` cette renaissance de la liberte´ : elle a force´ le dernier de ces ministe`res a` disperser cette majorite´ menac¸ante, qui, devenue minorite´, a, sous cette nouvelle forme, re´prime´ et contenu les ministres4. Tous ont donc servi la liberte´ publique, et tous ceux qui l’ont servie de quelque manie`re, ont des titres a` notre reconnaissance. Mais il faut la servir encore, et la consolider apre`s l’avoir retrouve´e. Nous le pouvons d’autant mieux qu’il ne s’agit point d’efforts violens. La perse´ve´rance, le calme, l’attachement a` la Charte, qui, sans eˆtre parfaite, sera suffisante ; voila` tout ce que les circonstances exigent. Les esprits les moins e´claire´s, ceux meˆmes auxquels des regrets ou des passions avaient imprime´ une direction fausse, ont appris qu’il n’y avait rien a` faire par la force ouverte. Ils sont re´signe´s aux systeˆmes en masse, sauf a` essayer quelques de´viations de de´tail. Il ne reste qu’a` leur de´montrer que les de´viations partielles sont aussi impossibles que le renversement de tout le systeˆme, et que leur re´signation doit eˆtre complette. Elle le sera.
5 liberte´ : ] liberte´ ; A2 syste`me A1
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12 suffisante ; ] suffisante : A2
16 systeˆmes ] la source porte
En 1815, le premier et e´phe´me`re ministe`re (juillet-septembre) de la Seconde Restauration est domine´ par le couple Talleyrand-Fouche´. Talleyrand, ministre des Affaires e´trange`res, ` la Chambre s’impose comme chef du gouvernement ; Fouche´ est ministre de la Police. A des Pairs, aux coˆte´s de royalistes convaincus, le roi nomme des hommes proches de Talleyrand et Fouche´. Le triomphe des ultras en aouˆt, lors des e´lections le´gislatives, sonne le glas de la carrie`re politique de Talleyrand et Fouche´. Louis XVIII charge le duc de Richelieu de former le nouveau gouvernement. On trouve ici comme un e´cho du journal intime dans lequel, le 22 juin 1815, BC notait : «abdication de l’Empereur. Re´gence d’Orle´ans. Louis 18 se glissera entre deux» (OCBC, Œuvres, t. VII, p. 233). Il s’agit du ministe`re dans lequel les anciens collaborateurs de Napole´on, notamment Talleyrand, pre´sident du conseil et Fouche´, ministre de la Police, apparaissent comme l’he´ritage de la dictature de´chue (juillet-septembre 1815) auquel succe`de, le 26 septembre, le premier ministe`re Richelieu. Nouvelle re´fe´rence a` la dissolution de la Chambre des De´pute´s domine´e par les ultras. Les e´lections le´gislatives qui s’en suivent ayant donne´ la majorite´ aux mode´re´s, l’opposition ultra limitera les emportements des libe´raux comme ces derniers s’e´taient auparavant employe´s a` le faire au de´triment des ultras.
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Mais il faut que l’opposition constitutionnelle se perpe´tue. Gardons-nous de conclure, parce que nous avons gagne´ quelque chose, qu’il n’y ait plus rien a` conserver ou a` conque´rir. Le camp, garde´ par des sentinelles vigilantes, n’a pas e´te´ surpris par ceux dont la tendance naturelle est de le surprendre. S’ensuit-il qu’il faille renvoyer les sentinelles ? L’opinion n’est pas de cet avis. Elle encourage ses de´fenseurs : elle ne les abandonnera pas dans la lutte. Elle est avertie, anime´e. De toutes parts elle donne des signes de son existence. L’ouverture des Chambres e´tait nague`res le mot qu’on re´pe´tait a` toute occasion. Les discussions des Chambres, a` peine commence´es, sont le sujet de tous les entretiens1. On s’abonne en foule aux journaux qui s’engagent a` pre´senter l’analyse des se´ances. On les lit avec avidite´, bien qu’on soit suˆr de n’y trouver qu’imparfaitement ce qu’on y cherche, et par une persistance qui serait niaise, si elle n’e´tait louable dans son principe, on est infatigable a` leur demander ce qu’on sait bien n’en pouvoir pas obtenir2.
5 S’ensuit-il ] S’en suit-il A2
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6 de´fenseurs : ] de´fenseurs ; A2
13 cherche, ] cherche ; A2
Avec la Restauration et le retour a` une ve´ritable vie parlementaire, les Franc¸ais qui en ont e´te´ longtemps frustre´s sous l’Empire se passionnent de nouveau, et a` un point que l’on ne peut imaginer aujourd’hui, pour les de´bats a` la Chambre des De´pute´s, notamment lorsqu’il s’agit de sujets sensibles tels que la liberte´ de la presse. Dans son journal intime, BC notait d’ailleurs, a` la date du 5 aouˆt 1814, jour fixe´ pour le de´but de la discussion de la loi sur la presse : «se´ance des de´pute´s. invasion du public» (OCBC, Œuvres, t. VII, p. 168). Selon Achille de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, jusqu’a` l’ave`nement de LouisPhilippe (de janvier 1813 a` octobre 1830), Paris : Perrotin, 1855–1858, 8 vol., t. II, pp. 106– 107, «la discussion fixe´e au 5 aouˆt ne put avoir lieu ce jour la`. De´shabitue´e depuis douze ans du spectacle des assemble´es de´libe´rantes, le public avait attendu avec la plus vive impatience le moment ou` l’ancien Corps le´gislatif, de´livre´ du mutisme auquel le condamnaient les Constitutions impe´riales, entrerait enfin en possession du droit de discussion et de la publicite´ de ses de´libe´rations [...]. Les escaliers, les couloirs inte´rieurs, les tribunes, tout, jusqu’aux bancs re´serve´s aux de´pute´s, avait e´te´ imme´diatement envahi. Vainement le pre´sident [...] donna aux spectateurs, entasse´s dans l’inte´rieur de l’enceinte, l’ordre de laisser place libre. Personne ne bougea». Le pre´sident Laine´ dut lever la se´ance qui fut reporte´e au lendemain. Si les de´libe´rations de la Chambre des De´pute´s e´taient publiques (Charte du 4 juin 1814, art. 44), en revanche celles de la Chambre des Pairs e´taient secre`tes (art. 32). L’observation tre`s juste de BC pre´suppose la le´gislation restrictive de la presse. On sait que, durant la Premie`re Restauration, BC s’est vivement e´leve´ contre la volonte´ des Bourbons de ` maintenir le strict re´gime de controˆle de la presse e´tabli durant le premier Empire. A l’occasion des de´bats qui aboutirent au vote de la loi du 21 octobre 1814 e´tablissant la censure pour tout imprime´ de 20 feuilles et au-dessous, il fait paraıˆtre De la liberte´
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Des raisons trop e´videntes pour eˆtre explique´es, de´montrant que les journaux ne suffisent pas, j’ai pense´ qu’un mode de publication non pe´riodique, assurerait a` des Annales parlementaires et plus d’e´tendue et plus d’inde´pendance : j’ai forme´ le projet de l’essayer, et je publie un premier cahier de ces Annales. Toutefois je ne prends aucun engagement pour l’avenir. Comme le besoin de liberte´ multiplie beaucoup les publications non-pe´riodiques, il n’est pas impossible qu’elles soient assimile´es aux journaux, de meˆme que la lithographie l’a e´te´ a` l’imprimerie, par une ordonnance1. Alors j’y renonce. J’ai e´prouve´ que, soit par de´faut de flexibilite´, soit par vice de caracte`re, je ressentais quelque chose qui ressemblait au remords, quand, meˆme a` bonne intention, je mutilais ma pense´e. Lorsqu’on ne dit pas tout ce qu’on pense
2 non pe´riodique, ] non-pe´riodique A2
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des brochures, des pamphlets et journaux, conside´re´e sous le rapport de l’inte´reˆt du Gouvernement (voir OCBC, Œuvres, t. IX,1), opuscule qui connaıˆt un grand retentissement. Sous la Seconde Restauration, l’ordonnance du 20 juillet 1815 (Collection des lois, t. XX, p. 11), si elle maintient le re´gime de l’autorisation pre´alable de 1814, supprime la censure. Cette suppression ayant favorise´ les audaces, une ordonnance du 8 aouˆt (ibid., p. 25) re´voque toutes les autorisations accorde´es aux journaux, «de quelque nature» qu’ils fussent, les obligeant a` en solliciter une nouvelle aupre`s du ministre de la Police. De plus, la censure est re´tablie pour tous les e´crits pe´riodiques, une «commission des journaux» est cre´e´e, sous controˆle du ministre de la Police. Dans chaque journal, les inte´resse´s doivent pre´senter un «re´dacteur principal» responsable «personnellement et en leur nom» qui recevra les instructions de la commission et lui soumettra les articles a` paraıˆtre. Si les re´dacteurs principaux ne se soumettent pas aux de´cisions de la commission ou se montrent ne´gligents, leur journal peut eˆtre suspendu, voire supprime´. Le syste`me des re´dacteurs responsables (prise de consignes et visa des e´preuves) fut mis au point par ordonnance royale du 9 novembre 1815 relative a` la re´pression des cris se´ditieux et provocation a` la re´volte et par un arreˆte´ signe´ le 29 novembre par le nouveau ministre de la Police, Decazes (ibid., pp. 107–108). Le titre Ier de la loi du 21 octobre 1814, venant a` expiration a` la fin de la session de 1816 (loi du 21 octobre 1814, titre II, art. 22, ibid., t. XIX, p. 224), on se borna a` voter, le 28 fe´vrier 1817 (ibid., t. XXI, p. 98), un nouveau texte qui, «pour raison d’inte´reˆt national», maintint l’autorisation pre´alable pour les journaux et e´crits pe´riodiques jusqu’au 1er janvier 1818. Un projet d’ensemble menac¸ant d’eˆtre repousse´, le gouvernement se contentera, par la loi du 30 de´cembre 1817 (ibid., p. 254), d’une nouvelle mesure provisoire prolongeant l’autorisation pre´alable jusqu’a` la fin de la session de 1818 pour les journaux et e´crits politiques traitant de «matie`res et nouvelles politiques». Ordonnance du 8 octobre 1817, Collection des lois, t. XXI, p. 219 : «L’art de la lithographie a rec¸u, depuis une e´poque tre`s re´cente, de nombreuses applications qui l’assimilent entie`rement a` l’impression en caracte`res mobiles et a` celle en taille-douce ; et il s’est forme´ pour la pratique de cet art, des e´tablissements de la meˆme nature que les imprimeries ordinaires.
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sur une question, il faut se taire, parce que ce qu’on dit, incomplet et incohe´rent, signifie souvent toute autre chose que ce qu’on a voulu dire. La ve´rite´ meˆme devient mensonge, lorsqu’elle n’est pas pre´sente´e dans son inte´grite´. Par exemple, louer ce qui est bien, semble tout naturel, et cependant, si l’on n’ose ou si l’on ne peut blaˆmer ce qui est mal, l’e´loge, reste´ seul, paraıˆt une approbation complette. Je ne veux pas m’exposer a` ce que l’e´loge reste seul. Si donc l’on en revenait a` cette invention de 1814, qui mesurait le danger en sens inverse du nombre des feuilles, je cesserais de publier ces Annales, et je me re´fugierais dans des volumes : car si l’on veut e´crire, il faut eˆtre libre, duˆt-on reculer jusqu’a` l’in-folio1. Deux hommes de lettres tre`s e´claire´s veulent joindre a` cette publication, si elle continue, un compte rendu des mesures de finances, et de la le´gislation ordinaire2. En re´unissant mes essais aux leurs, je n’en marche pas moins seul : je ne m’en de´clare pas moins seul responsable de ce que j’e´cris, et responsable aussi seulement de ce que j’e´cris. Je ne traiterai que des lois fondamentales qui auront un rapport imme´diat avec notre Charte constitutionnelle, et des lois d’exception, destine´es a` suspendre cette Charte. J’ai peut-eˆtre tort d’appeler exclusivement fondamentales les lois de la premie`re espe`ce : car jusqu’a` pre´sent les lois d’exception me´ritent ce titre, si ce qui est permanent est fondamental. Je parlerai donc d’une part des lois ge´ne´rales qui doivent eˆtre pre´sente´es sur plusieurs parties de notre administration inte´rieure, telle que la nouvelle organisation militaire, qui, sans faire de la conscription ce qu’elle e´tait a` de certaines e´poques, le fle´au des sciences, des professions paisibles ou studieuses et de l’industrie, doit pourtant re´introduire dans la formation de l’arme´e ce que la conscription a de national3 ; les lois eccle´siastiques, qui 12–16 Deux ... j’e´cris. ] passage supprime´ dans A2 avait A2 1
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20 espe`ce : ] espe`ce ; 18A2
27 a ]
Aux termes de la loi du 21 octobre 1814, titre Ier, art 1 a` 10 (Collection des lois, t. XIX, pp. 221–222), la censure pre´alable s’appliquait aux publications ne de´passant pas 20 feuilles d’impression, soit 320 pages in–8o. En e´taient seuls excepte´s les e´crits en langue morte ou e´trange`re, les mandements, lettres pastorales, cate´chismes et livres de prie`res, les me´moires sur proce`s signe´s d’un avocat ou d’un avoue´, les me´moires des socie´te´s litte´raires et savantes e´tablies ou reconnues par le roi, les opinions des de´pute´s et des pairs. C. Saint-Aubin et J.-P. Page´s. Voir ci-dessous, pp. 1041–1117. La loi du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798) (Collection des lois, t. X, pp. 343–348) qui restera la base du recrutement sous le Consulat et l’Empire e´tablit le syste`me de la conscription pour l’arme´e de terre en cre´ant le service militaire obligatoire et e´gal pour tous, tout Franc¸ais e´tant soldat et se devant a` la de´fense de la Patrie. La conscription comprend tous les citoyens valides de 20 ans re´volus a` 25 ans accomplis qualifie´s de «de´fenseurs conscrits», divise´s en cinq classes dont chacune se compose des hommes ne´s la meˆme
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devront se concilier avec une entie`re et absolue tole´rance1 ; l’e´ducation publique, qu’il ne faudra pas e´riger en un systeˆme exclusif, attentatoire aux droits des parens et a` la liberte´ des doctrines2 ; la responsabilite´ des ministres, cette garantie dont on parle tant, et qui jusqu’ici plane, comme au haut des cieux dans un nuage, sans communication avec notre terre ; enfin la
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anne´e. En quinze anne´es, Napole´on ayant leve´ plus de deux millions et demi d’hommes, on comprend que la conscription ait e´te´ de´teste´e et que l’article 12 de la Charte de 1814 dispose : «La conscription est abolie : le mode de recrutement de l’arme´e de terre et de mer est de´termine´ par une loi». Apre`s les Cent-Jours, l’ordonnance des 16 juillet et 11 aouˆt 1815 organise la nouvelle arme´e (ibid., t. XX, p. 9). Il faut cependant attendre la loi GouvionSaint Cyr des 10–12 mars 1818 (ibid., t. XXI, pp. 283–291) pour que soit ope´re´e une vaste re´forme d’acce`s a` l’arme´e selon un mode plus de´mocratique. Si l’article 5 de la Charte de 1814 proclame la liberte´ des cultes en affirmant que «chacun professe sa religion avec une e´gale liberte´, et obtient pour son culte la meˆme protection», l’article 6 pre´cise : « Cependant, la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’E´tat», l’article 7, quant a` lui, ne garantissant de traitement fait sur le Tre´sor royal qu’aux ministres de la religion catholique. En de´pit des souhaits exprime´s par BC, durant la Seconde Restauration, chaque pe´riode de domination ultra sera marque´e par une inflation de mesures favorables a` la pre´e´minence du catholicisme. Depuis la fin de l’Ancien Re´gime, le controˆle de l’appareil e´ducatif fait figure d’enjeu politique majeur. Les re´volutionnaires ont, sans succe`s, tente´ de controˆler l’appareil e´ducatif en vouant l’enseignement prive´ a` la disparition. Au sortir de la tourmente re´volutionnaire, le syste`me d’enseignement constitue l’une des «masses de granit» que Napole´on Bonaparte entend a` son tour e´tablir pour affermir une nouvelle socie´te´ franc¸aise dans le cadre d’un monopole de l’enseignement public. Ainsi, apre`s la cre´ation des lyce´es le 11 flore´al an X – 1er mai 1802 (Collection des lois, t. XIII, p. 175, art. 9), la loi du 10 mai 1806 cre´e-t-elle l’Universite´ impe´riale, «corps exclusivement charge´ de l’enseignement et de l’e´ducation publics dans tout l’Empire» (ibid., t. XV, p. 359). Organise´ par de´cret du 17 mars 1808 (ibid., t. XVI, pp. 239–248), ce corps est soumis a` une meˆme autorite´, astreint a` preˆter serment, prend pour bases fondamentales de son enseignement les pre´ceptes de la religion catholique, la fide´lite´ a` l’Empereur et a` sa dynastie. Les e´tablissements prive´s subsistent, mais leurs directeurs et enseignants doivent e´galement eˆtre membres de l’Universite´ qui leur de´livre les grades indispensables, les autorise a` exercer, les surveille. De plus, afin de limiter la concurrence exerce´e par les institutions prive´es et les se´minaires sur les e´tablissements publics, une lourde fiscalite´ s’abat sur eux. Le de´cret du 15 novembre 1811 (ibid., t. XVIII, pp. 49–60) renforce encore l’emprise de l’Universite´ en n’autorisant les e´coles secondaires prive´es des villes posse´dant un lyce´e a` n’accueillir de pensionnaires que si l’internat du lyce´e est complet. De plus, leurs e´le`ves doivent suivre obligatoirement les cours dispense´s par le lyce´e, cette re`gle s’appliquant aussi au seul petit se´minaire maintenu dans chaque de´partement. Symbole de la dictature napole´onienne, tre`s ge´ne´ralement de´teste´e, l’Universite´ semble donc devoir disparaıˆtre avec le retour des Bourbons, le gouvernement provisoire de´cidant, de`s le 8 avril 1814, de «rendre les formes et la direction des enfants a` l’autorite´ des pe`res et me`res, tuteurs ou familles» (ibid., t. XIX, p. 9). Elle est pourtant maintenue par l’ordonnance du 22 juin 1814 (ibid., p. 88), en de´pit de quelques ame´nagements (ordonnances des 5 octobre 1814, ibid., p 212, et 17 fe´vrier 1815, ibid., pp. 341–346). Re´tablie dans sa forme premie`re durant les Cent-Jours (de´cret du 30 mars
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refonte de´sire´e dans le mode de formation du jury, refonte indispensable, pour que le jury ne soit plus une commission au choix des pre´fets1 a. J’examinerai de l’autre part ces lois d’exception si vivaces, qui cre´ent les circonstances pour en naıˆtre ensuite, et qui, de la sorte, par un cercle habile, et une re´action inge´nieuse, se pre´parent a` elles-meˆmes leur apologie, en perpe´tuant en apparence leur ne´cessite´. Je ne puis me de´guiser que ce travail ne sera pas exempt de monotonie. Il y a vingt-cinq ans que nous jouissons des lois d’exception2 ; il est difficile que tout n’ait pas e´te´ dit sur elles. a
La plupart de ces lois n’ayant pas e´te´ pre´sente´es aux chambres, dans la session dont j’e´crivais l’histoire, je n’ai pu en traiter : mais on voit que ce n’a pas e´te´ ma faute, si je n’ai pas tenu tout ce que j’avais promis.
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10–12 La plupart ... promis. ] la note manque dans A1
1815, ibid., p. 385), elle est maintenue lors de la Seconde Restauration (ordonnance du 15 aouˆt 1815, ibid., t. XX, pp. 29–30). En 1816, les libe´raux l’ont utilise´e comme rempart contre les pre´tentions de l’E´glise et des ultras a` la main-mise sur l’enseignement. En 1820, les ultras la renforceront avec pour objectif de fac¸onner une arme au service de leur cause, l’E´glise ne changeant de strate´gie pour se faire le chantre de la liberte´ d’enseignement ` ce sujet, O. Devaux, La pique et la qu’apre`s la victoire e´lectorale des libe´raux en 1827. A plume. L’enseignement a` Toulouse pendant la Re´volution, Toulouse : Eche´-EUS, 1989 ; L’enseignement a` Toulouse sous le Consulat et l’Empire, Toulouse : Presses de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse-CTHDIP, 1990 ; L’enseignement a` Toulouse sous la Restauration, Toulouse : Presses de l’Universite´ des Sciences sociales de Toulouse, 1994. Le code d’instruction criminelle de 1808 fait presque entie`rement disparaıˆtre ce qui subsistait des re´formes re´volutionnaires pour lesquelles le jury avait pour raison d’eˆtre la souverainete´ populaire. Le jury d’accusation disparaıˆt. Ne subsiste que le jury de jugement. Il est compose´ de douze citoyens tire´s au sort sur une liste compose´e par le pre´fet a` partir des noms de notables, garants de l’ordre social. Voir ci-dessus, p. 877. Si l’on ne peut ici e´nume´rer l’ensemble des lois d’exception intervenues depuis 1792, il est cependant possible de rappeler quelques-unes des plus connues. En matie`re judiciaire, le de´cret du 17 aouˆt 1792 cre´e un tribunal criminel extraordinaire charge´ de juger sans appel ni recours en cassation les crimes commis le 10 aouˆt 1792 (Collection des lois, t. IV, pp. 317– 318, art. 6). Il sera remplace´ par le tribunal re´volutionnaire, cre´e´ le 10 mars 1793, devant lequel ce qui subsiste de la proce´dure criminelle de droit commun garantissant les droits de l’accuse´ (ibid., t. V, pp. 190–191) est rapidement e´carte´ par le de´cret du 8 brumaire an II (29 octobre 1793) et, surtout, par le de´cret du 22 prairial an II (10 juin 1794) supprimant l’interrogatoire avant audience (art. 12), laissant l’audition des te´moins a` la discre´tion du tribunal (art. 13), privant l’accuse´ de l’assistance d’un de´fenseur, permettant aux jure´s de condamner sur simple «preuve morale» (art. 8) a` de´faut de preuves physiques (ibid. t. VII, pp. 190–192). Le tribunal re´volutionnaire est, aux termes de la loi 10 mars 1793 («Terreur le´gale»), compe´tent pour connaıˆtre «de toute entreprise contre-re´volutionnaire, de tout attentat contre la liberte´, l’e´galite´, l’unite´, l’indivisibilite´ de la Re´publique, la suˆrete´ inte´rieure et exte´rieure de l’E´tat, et de tous les complots tendant a` re´tablir la royaute´, ou a` e´tablir toute autorite´ attentatoire a` la liberte´, a` l’e´galite´ et a` la souverainete´ du peuple, soit que les
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J’avais cherche´ un moyen de donner a` mes observations sur ces lois un air de nouveaute´. Comme je viens de le dire, a` plusieurs e´poques on en a propose´es et adopte´es. On les a de´fendues, suivant les e´poques, par divers raisonnemens, souvent aussi par les meˆmes1. La comparaison des raisonnemens et des e´poques m’avait semble´ propre a` donner lieu a` des recherches qui n’auraient pas e´te´ sans quelqu’inte´reˆt2. Je voulais suivre les lois d’exception depuis leur origine, en retracer les modifications successives, indiquer les transformations qu’elles ont subies, rapporter les argumens employe´s, les principes mis en avant, par la se´rie longue mais varie´e de leurs defenseurs. Comme le hasard a voulu que ces lois se perpe´tuassent assez re´gulie`rement, a` commencer meˆme par l’assemble´e constituante, il en serait re´sulte´ une espe`ce d’histoire de chacun des droits garantis aux Franc¸ais depuis vingt-huit ans3. Ils auraient vu comment ils ont joui, comment ils jouissent
3 propose´es et adopte´es ] propose´ et adopte´ A2
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accuse´s soient fonctionnaires civils ou militaires, ou simple citoyens». De meˆme en est-il des lois des 18 pluvioˆse an IX et 23 flore´al an X inte´gre´es dans le code d’instruction criminelle de 1808 (art. 553 a` 599) cre´ant les cours spe´ciales jugeant sans jury les crimes commis par les vagabonds, les gens sans aveu, les auteurs de re´bellion arme´e a` la force arme´e, etc. alors que la Constitution de l’an VIII (art. 62) spe´cifie que le jugement des faits qualifie´s crimes est de la compe´tence d’un jury. La Restauration, quant a` elle, e´tablira les cours pre´voˆtales. Un autre exemple est la liberte´ de la presse ou` les mesures d’exception abondent. Ainsi, en 1814, dans ses Observations sur le discours prononce´ par S. E. le ministre de l’Inte´rieur en faveur du projet de loi sur la presse, BC reprend les termes du ministre, l’abbe´ de Montesquiou, pour les critiquer : «La censure, qui inspire tant d’alarmes, devient opportune aux bonnes lettres. Rappelez-vous qu’a` Rome, lorsqu’il n’y eut plus de censeurs, les bonnes mœurs se perdirent» ; «Sous le beau sie`cle de Louis XIV [...] n’existoit-il pas une censure bien terrible ? Vous vous rappelez avec quelle se´ve´rite´ des auteurs qui avoient e´crit sur des matie`res politiques e´toient poursuivis par les cours judiciaires. Eh bien ! a-t-elle empeˆche´ que notre litte´rature soit parvenue au plus haut degre´ de gloire ?» Et BC de remarquer : «Personne ne peut comparer les e´poques» (OCBC, Œuvres, t. IX,1, p. 163). En 1814, dans De la liberte´ des brochures il ajoute aux comparaisons entre e´poques des comparaisons entre les le´gislations de divers pays. A quoi pense BC ? Citons, a` titre d’exemple, le cas suivant : en re´ponse aux troubles survenus a` Paris, au Champ-de-Mars, le 17 juillet 1791, l’Assemble´e nationale constituante porte, par de´cret adopte´ le 18, un si rude coup a` la liberte´ de la presse que Danton (tenu pour l’un des organisateurs de la pe´tition antimonarchique du Champ-de-Mars et du massacre qui s’en suit), Fre´ron (d’abord successeur, en 1774, de son pe`re a` la teˆte de L’anne´e litte´raire qui s’en prend aux ide´es philosophiques au nom de la religion et de la monarchie, il fonde en 1790 la tre`s violente feuille re´volutionnaire L’Orateur du peuple), Desmoulins (fonda-
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de la liberte´ de la presse, de la liberte´ individuelle, de la protection des tribunaux ; quelles circonstances ne´cessitent la suspension toujours provisoire de ces droits ; ce qu’opposaient chaque fois, ce qu’opposent encore a` cette suspension ceux qui s’obstinent a` la croire inutile ; ce qu’on re´pondait et ce qu’on re´pond victorieusement a` ces opposans obstine´s. Ce rapprochement aurait eu plusieurs avantages. Premie`rement, il aurait prouve´ que nous marchons vers le mieux, ce que je me plais a` reconnaıˆtre. En second lieu, les partisans actuels des lois d’exception auraient vu ce qui a e´te´ dit avant eux, par qui ces choses ont e´te´ dites. Ils auraient puise´, s’ils l’eussent voulu, des moyens dans les discours de leurs pre´de´cesseurs, et se seraient appuye´s, soit de l’autorite´ de leurs noms, soit de la force de leur e´loquence. Enfin, ceux qui ont des pre´ventions contre les mesures de ce genre, auraient trouve´ aussi dans le tableau du passe´ quelques raisonnemens a` reproduire, quelques expe´riences a` invoquer. Mais l’on m’a dit qu’en agissant ainsi, je paraıˆtrais rapprocher des hommes et des e´poques qui pre´fe`rent qu’on ne les rapproche pas, et qui, a` beaucoup d’e´gards, car j’aime a` eˆtre juste, ne doivent pas eˆtre rapproche´s. Je laisse en conse´quence l’Histoire pour ce qu’elle est, bien qu’il y ait peut-eˆtre quelque e´tourderie a` croire que ce qu’on ne dit pas ne se pense point, et que les faits qu’on efface cessent d’eˆtre. Je me bornerai donc a` prendre les lois d’exception, comme si elles nous arrivaient vierges et pures des applications qui les ont quelquefois souille´es. Mais on me permettra d’examiner la logique actuelle de leurs partisans, et de rappeler leur logique de l’anne´e dernie`re, ainsi que les promesses qu’ils entremeˆlaient a` leur dialectique. Je ne les offenserai pas en ne les comparant qu’a` eux-meˆmes. Tel est mon plan : je le crois simple, et je de´sire que l’exe´cution en soit utile.
teur du journal Les Re´volutions de France et de Brabant) s’enfuient pour e´chapper a` l’arrestation a` laquelle He´bert (re´dacteur du Pe`re Duchesne), Royou (associe´ avec son neveu Fre´ron a` L’anne´e litte´raire puis co-fondateur, en 1790, du journal royaliste L’Ami du roi) et Suleau (collaborateur du journal ultra-royaliste les Actes des Apoˆtres) ne parviennent pas a` se de´rober. Le de´cret 18 juillet 1791 vise, dans son article 1er, les provocations au meurtre, a` l’incendie, au pillage et a` la de´sobe´issance aux lois commises par voie de presse (Collection des lois, t. III, p. 131).
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La Chambre nomme´e en 1816 avait e´te´ ajourne´e en avril 18171. J’ai de´crit ailleurs2 le spectacle qu’elle avait offert durant sa session. Une opposi tion tre`s-ve´he´mente y e´tait soutenue par des hommes dont plusieurs avaient jusqu’alors inculque´ l’obe´issance passive, et qui, apre`s avoir combattu longtems les principes de la liberte´, s’exposaient a` des objections plausibles, en de´fendant ces principes d’une manie`re subite3 : un petit nombre de de´pute´s inde´pendans votait avec ces hommes, sur les questions constitutionnelles, et le ministe`re profitait de cette coalition de deux minorite´s4 qui ne contrebalanc¸aient point la majorite´ ministe´rielle, pour dire que puisqu’il e´tait en 8 subite : un ] subite. Un A2
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10–11 contre-balanc¸aient ] contrebalanc¸aient A2
Il s’agit, a` la suite de la dissolution de la «Chambre introuvable» le 5 septembre 1816 et des e´lections le´gislatives d’octobre 1816, de la session parlementaire 1816–1817. Sous la Restauration, les sessions ne durent que 4 ou 5 mois. BC rend compte et commente les de´bats des Chambres dans treize articles parus dans le Mercure de France entre le 4 janvier et le 29 mars 1817 (voir ci-dessus, pp. 375–550). On le voit, BC a inse´re´ un article sur les Chambres pratiquement chaque semaine sans interruption (sauf fin fe´vrier et de´but avril), sur des the`mes parfois tre`s techniques et totalisant pre`s de 150 pages. Le terme «d’obe´issance passive» est caracte´ristique de l’attitude re´clame´e aux militaires. De fait, un certain nombre d’officiers napole´oniens se sont reconvertis dans la politique et sie`gent de´sormais a` la Chambre des De´pute´s aux coˆte´s de ceux qui, membres du Corps le´gislatif sous l’Empire, y ont fait preuve d’une extreˆme docilite´ a` l’e´gard des volonte´s de Napole´on. On peut ainsi songer a` Mole´, Pasquier, Barante. Le renouvellement de la Chambre consacre la de´faite des ultras qui ne disposent que de 92 de´pute´s sur 238 (24 sie`ges n’ont pas e´te´ pourvus, faute de quorum dans certains colle`ges e´lectoraux a` la suite de manœuvres des ultras qui, redoutant une de´faite, empeˆche`rent les e´lections en se retirant en masse). Les autres de´pute´s soutiennent le ministe`re meˆme ceux qui ne sont pas des e´lus ministe´riels. Le Dictionnaire des girouettes (Paris : A. Eymery, 1815) cite de nombreux membres du Corps le´gislatif sous l’Empire sie´geant sous la Restauration dans les rangs des de´pute´s royalistes. Rappelons que Decazes lui-meˆme qui, apre`s avoir e´te´, sous l’Empire, magistrat, conseiller de cabinet de Louis Bonaparte, conseiller de Pauline Bonaparte, secre´taire des commandements de la me`re de l’Empereur, ne se rallie aux Bourbons qu’en 1814, est nomme´ pre´fet de police de Paris en juillet 1815, puis, en septembre 1815, ministre de la Police de Louis XVIII dont il est de´sormais le favori avant de devenir chef du gouvernement en 1818. Allusion a` l’alliance des inde´pendants et des ultras contre le gouvernement.
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butte aux deux partis extreˆmes, il tenait seul le juste milieu1. Ce raisonnement n’est pas en lui-meˆme d’une grande force : il serait possible de concevoir un ministe`re qui, blessant tour-a`-tour toutes les opinions et tous les inte´reˆts, de´plairait a` tous les partis2, sans que ces de´sapprobations partielles fussent un titre bien incontestable a` une approbation ge´ne´rale. Je ne pre´tends point que cela fut ainsi dans la circonstance. Je dis seulement qu’en the´orie l’impossibilite´ n’y est pas. Cependant ce raisonnement avait produit son effet. Plusieurs de´pute´s avaient mieux aime´ ajourner les principes, que voter avec tel homme d’une nuance contraire3. Trois lois d’exception avaient passe´. Je dis trois, car j’ai 6 fut ] fuˆt A2 1
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seulement ] la source porte seulelement A1
Apre`s les e´lections d’octobre 1816, trois groupes se constituent a` la Chambre : les ultras, minoritaires (chefs de file : Ville`le, Corbie`re, La Bourdonnaye, Castelbajac, etc.) ; les «constitutionnels», issus des rangs des royalistes mais que les exce`s ultras regroupent derrie`re le ministe`re. Groupe moins cohe´rent que celui des ultras, il comprend une droite, plus oppose´e aux me´thodes des ultras qu’a` leurs the´ories et une gauche, dite des «doctrinaires», oppose´e aux the`ses des ultras (Royer-Collard, Guizot, Camille Jordan, Barante, le duc de Broglie, le comte de Serre) ; enfin, le parti des «inde´pendants» (on dira ensuite les «libe´raux»), qui se distinguera du parti constitutionnel, et qui est constitue´ de re´publicains, bonapartistes et orle´anistes, peu nombreux, mais farouches adversaires du re´gime des Bourbons (a` partir de 1817, Voyer d’Argenson, le ge´ne´ral Foy, Comte, Dunoyer, le ge´ne´ral Thiard, Casimir Pe´rier, Dupont de l’Eure, le banquier Laffitte). Lafayette les rejoindra en 1818, BC en 1819. Au de´but de l’anne´e 1817 deux projets sont pre´sente´s par le ministe`re, l’un sur la liberte´ individuelle (toute arrestation de´pend de la signature du pre´sident du conseil et du ministre de la Police), l’autre sur le re´gime de la presse (maintien de l’autorisation pre´alable jusqu’au 1er janvier 1818). Tous deux paraissent insuffisants aux inde´pendants de gauche (p. ex. Voyer d’Argenson), rejoints, sur ce point, par les ultras, ce qui n’empeˆche pas leur adoption. La meˆme coalition de gauche et de droite contre les ministe´riels se reconstitue fin 1817 a` propos d’un projet de loi sur le re´gime de´finitif de la presse qui sera ensuite rejete´ par la Chambre des Pairs. A propos des projets de de´but 1817 (voir la note pre´ce´dente), les ultras avoue`rent qu’ils auraient vote´ ces textes s’ils e´taient e´mane´s de leur parti. Ainsi, Joseph de Ville`le qui, concernant le projet sur la presse, «confessa que, partisan de la loi, il ne la repoussait que parce qu’elle mettait toute l’influence de la presse au service des ministres actuels» (Vaulabelle, ouvr. cite´, t. IV, p. 403). Il s’agit de l’application du principe anglais de l’opposition syste´matique des minorite´s parlementaires aux projets gouvernementaux. Ainsi en sera-t-il, apre`s les e´lections d’octobre 1816 de l’aile gauche de la Chambre qui, quoique fermement oppose´e au re´gime des Bourbons, votera avec les ministe´riels, apparaissant ainsi, par crainte de la re´action ultra, comme un allie´ objectif du ministe`re. De meˆme, lors du vote de la loi du 12 fe´vrier 1817 sur la liberte´ individuelle, les ultras se sentant menace´s, se pose`rent-ils en de´fenseurs de la Charte de 1814 contre les libe´raux alors que ces derniers s’e´taient oppose´s au texte pre´ce´dent, d’inspiration ultra, adopte´ le 29 octobre 1815. Sur ces deux lois, voir la note suivante.
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conside´re´ de`s son origine comme une loi d’exception celle qui concernait la saisie des livres1 ; et l’e´ve´nement ne m’a pas de´menti, puisqu’on vient de proposer a` ce sujet une loi nouvelle2. A ces trois lois d’excep tion, il faut ajouter la continuation des cours pre´voˆtales, dont l’expiration n’e´tait pas arrive´e3.
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S’agissant des deux premie`res lois d’exception, la premie`re, vote´e le 12 fe´vrier 1817, concerne la liberte´ individuelle. Les personnes pre´venues de complots ou de machinations contre la personne du roi, les membres de la famille royale ou la suˆrete´ de l’E´tat peuvent eˆtre arreˆte´es et de´tenues sur ordre du pre´sident du conseil des ministres et du ministre de la Police sans qu’il soit ne´cessaire de les traduire devant les tribunaux (art. 1er) (Collection des lois, t. XXI p. 91). Plus se´ve`re, la loi du 29 octobre 1815 confe´rait le droit de de´cerner les mandats d’amener contre ces meˆmes individus «aux fonctionnaires a` qui les lois confe`rent ce pouvoir», a` charge pour eux d’en rendre compte dans les vingt-quatre heures au pre´fet du de´partement, celui-ci devant ensuite informer le ministre de la Police, ce dernier en re´fe´rant ensuite au conseil du roi (ibid., t. XX, p. 103). Elle est abroge´e (loi du 12 fe´vrier 1817, art. 3), les mesures prises en exe´cution de ses dispositions cessant de produire leurs effets un mois apre`s la promulgation de la loi du 12 fe´vrier 1817, «a` moins qu’il n’en soit autrement ordonne´» (ibid.). Tandis que la loi du 31 octobre 1815 disposait qu’elle cesserait de plein droit de produire ses effets si elle n’e´tait pas renouvele´e (art. 4), la loi du 12 fe´vrier 1817 pre´cise qu’elle cessera de plein droit de produire les siens au 1er janvier 1818 (art. 4) ; on voit clairement ici que la Charte de 1814 n’assure qu’une protection fragile de la liberte´ individuelle en l’abandonnant a` la discre´tion du le´gislateur qui, pour la violer plus aise´ment, ne la suspend que provisoirement et peut ainsi faire valoir qu’il ne porte pas atteinte au principe. Outre la question de la saisie des livres, la deuxie`me loi d’exception a` laquelle fait allusion BC concerne la suspension de la liberte´ de la presse du 28 fe´vrier 1817. Voyez ci-dessus, p. 926, n. 1. Concernant «la saisie des livres», de`s son retour en 1814 Louis XVIII prend une ordonnance (10 juin) maintenant le re´gime re´pressif napole´onien, tout en annonc¸ant un projet de loi qui conciliera «les inte´reˆts d’une sage liberte´» avec «le maintien de l’ordre public et le respect duˆ aux institutions e´tablies» (Collection des lois, t. XIX, p. 82). Pre´sente´ le 5 juillet 1814, le projet est notamment attaque´ par BC qui publie De la liberte´ des brochures, des pamphlets et des journaux, conside´re´s sous le rapport de l’inte´reˆt du gouvernement. Le texte, tre`s contraignant, est vote´ le 21 octobre 1814. Apre`s les Cent-Jours, interviennent ensuite les lois des 8 aouˆt 1815, 9 novembre 1815. Sur le contenu de ces textes, voyez ci-dessus, p. 926, n. 1. La session de 1817–1818 sera marque´e par le vote de la loi du 8 octobre 1817 puis de celle du 30 de´cembre 1817. Sur le contenu de ces textes, voyez p. 927, n. 1 et p. 926, n. 1 in fine. Bien que la Charte de 1814 insiste sur le fait que nul ne puisse eˆtre «distrait de ses juges naturels» (art. 62) et qu’elle proscrive les juridictions d’exception (art. 63), elle pre´voit cependant un tempe´rament en ne comprenant pas sous la de´nomination de «tribunaux extraordinaires [...] les juridictions pre´voˆtales, si leur re´tablissement est juge´ ne´cessaire» (art. 63). Elles sont effectivement re´tablies par la loi du 20 de´cembre 1815 qui «cessera d’avoir ses effets apre`s la session de 1817, si elle n’a e´te´ renouvele´e dans le courant de ladite session» (Collection des lois, t. XX, pp. 149–152). Reprenant la compe´tence des cours de justice criminelle spe´ciales de l’Empire, elles sont forme´es dans chaque de´partement au
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Ces diverses lois n’avaient e´te´ sanctionne´es qu’apre`s les explications les plus positives et les promesses les plus rassurantes. Les ministres avaient dit que la suspension de la liberte´ individuelle n’e´tait qu’une pre´caution dont l’existence suffirait, a` elle seule, pour que l’emploi de cette pre´rogative redoutable ne fuˆt point ne´cessaire ; que les journaux, doucement re´prime´s, jouiraient de toute la latitude compatible avec le bon ordre ; que la loi sur la presse, pre´cieuse garantie, droit inconteste´, flambeau du gouvernement, e´tait un bienfait qu’il serait injuste, et presque coupable, de regarder comme un pie´ge1. D’ailleurs, quand il s’e´tait agi de la liberte´ individuelle, on avait
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lieu du sie`ge de la cour d’assises. Chacune est compose´e d’un pre´sident venant du tribunal de premie`re instance, d’un pre´voˆt charge´ de la recherche et de l’instruction qui est officier de l’arme´e de terre ou de mer ayant au moins le grade de colonel, tous deux nomme´s par le roi, et de quatre juges du tribunal de premie`re instance nomme´s par le ministre de la Justice la premie`re fois, puis par le premier pre´sident de la cour royale du ressort. Le ministe`re public est assure´ par le procureur pre`s le tribunal de premie`re instance ou l’un de ses substituts. La compe´tence des cours pre´voˆtales est tre`s e´tendue : re´bellion arme´e fomente´e par les civils ou les militaires, assistance a` une telle re´bellion par fourniture d’armes, de munitions ou de vivres, prise de commandement sans titre ou motif le´gitime d’une place forte, d’un port ou d’une ville, menaces e´crites ou verbales contre la personne du roi ou un membre de la famille royale, appel au renversement du gouvernement ou au changement dans l’ordre de successibilite´ au troˆne, cris se´ditieux dans le palais du roi ou sur son passage, port d’un drapeau autre que celui de la royaute´, assassinats ou vols avec port d’armes commis sur les grands chemins, vols ou actes de violence qualifie´s de crimes commis par les militaires en activite´, en non-activite´ ou licencie´s toutes les fois que ces actes « ne pourront eˆtre conside´re´s comme des infractions aux lois sur la subordination et la discipline militaire». Les arreˆts sont rendus en dernier ressort, sans recours possible en cassation et exe´cutoires dans les vingt-quatre heures, a` moins que le condamne´ ne soit recommande´ par la cour pre´voˆtale qui a rendu le jugement, «a` la commise´ration du roi». Les cours pre´voˆtales assureront ainsi une re´pression, parfois violente, qui se de´veloppe au lendemain des Cent-Jours en institutionnalisant la «terreur blanche» qui se de´veloppera contre les jacobins et bonapartistes. Elles sont supprime´es le 16 mai 1818 et laissent un si mauvais souvenir que la Charte de 1830 s’engagera a` ne pas cre´er «de commissions et de tribunaux extraordinaires, a` quelque titre et sous quelque de´nomination que ce puisse eˆtre» (art. 55). La «pre´cieuse garantie», le «bienfait» que constitue, aux dires du ministe`re, la le´gislation sur la presse ne met pas pour autant La monarchie selon la Charte a` l’abri des poursuites. Chateaubriand, y qualifiant la dissolution de la Chambre introuvable d’attentat contre la France et appelant les e´lecteurs a` ne pas se laisser tromper par les manœuvres du ministe`re, le directeur de la librairie Villemain et le ministre de la police Decazes ordonnent la saisie de l’e´dition entie`re chez l’imprimeur Lenormand. On voit alors Chateaubriand, assis sur l’un des ballots saisis, haranguer, au nom de la de´fense de la Charte et de la liberte´ de la presse, les ouvriers imprimeurs qui l’acclament avant d’arracher aux inspecteurs de police les exemplaires saisis et de briser les scelle´s appose´s sur les formes. L’attroupement ne sera disperse´ et Chateaubriand contraint a` la retraite que graˆce a` l’intervention de la gendar-
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re´pondu que si les arrestations se multipliaient, la publicite´ par les journaux ferait justice de cet abus1. Quand il avait e´te´ question des journaux, on avait calme´ les imaginations alarme´es, en leur indiquant la ressource des brochures2. Ainsi, ces trois liberte´s se servant d’appui l’une a` l’autre, l’assemble´e s’e´tait sentie rassure´e, et les trois liberte´s avaient e´te´ suspendues. Ces mesures, hors de la re`gle ordinaire, et du reste la Charte, telle qu’elle pouvait exister avec ces mesures, constituaient donc, lors de la se´paration des Chambres3, l’e´tat politique et constitutionnel de la France. Je profite volontiers de ce que je n’ai point a` e´crire l’histoire du ministe`re, durant l’intervalle des sessions, et je ne dirai sur cette e´poque que ce qui est indispendable pour caracte´riser la disposition de l’opinion, lors-
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merie. Le´gale au sens des lois des 21 octobre 1814 et 9 novembre 1815, la publication ayant pre´ce´de´ le de´poˆt, la saisie n’empeˆchera pas de nombreux exemplaires de la brochure d’eˆtre vendus dans Paris et dans d’autres grandes villes de France. Si une ordonnance de non-lieu fut finalement rendue contre les poursuites engage´es a` l’encontre de son ouvrage, Chateaubriand, destitue´ par Louis XVIII, y perdit cependant son titre de ministre d’E´tat (Henri Avenel, Histoire de la presse franc¸aise depuis 1789 jusqu’a` nos jours, Paris : Flammarion, 1900, pp. 238–239). – Voir, pour une autre piste, ci-dessus, p. 677, n. 2. A propos de la loi sur la liberte´ individuelle, Duvergier de Hauranne (orateur ministe´riel) : «L’anne´e dernie`re [re´fe´rence a` la loi du 29 octobre 1815], nous ne pouvions rendre des lois trop se´ve`res ; tout ce que l’arbitraire a de plus rigoureux e´tait permis. Cette anne´e, au contraire, on a une confiance sans bornes ; nous n’avons plus d’ennemis inte´rieurs a` craindre ; il faut rentrer dans le cercle trace´ par les lois ordinaires». Salaberry (ultra), reprenant les propos le´nifiants du ministre de la Police (Decazes) pour s’en gausser : «S. E. le ministre de la police nous a esquisse´ le tableau le plus rassurant de notre situation actuelle et de notre prospe´rite´ future. Les e´lections vont eˆtre libres ; les choix deviendront de jour en jour meilleurs [...]. L’instruction va eˆtre re´ge´ne´re´e [...]. Il n’existe plus aujourd’hui en France qu’une douzaine de jacobins dont on se moque, cinq ou six bonapartistes visionnaires, et quelques cerveaux malades qui reˆvent le retour du vieux temps ; tout le reste est de´voue´ au roi et a` son auguste famille. Si ce tableau est vrai, la loi est inutile ; s’il est faux, ` comme je le crois, la loi est insuffisante» (Vaulabelle, ouvr. cite´, t. IV, pp. 401–402). A propos des cours pre´voˆtales, Pasquier indique que leur organisation est «ge´ne´ralement de´sire´e par tous les amis de l’ordre et de la paix publique». Barbe´-Marbois, ministre de la Justice en 1815, donne lecture d’un pre´ambule qui devait figurer en teˆte du projet indiquant «que le gouvernement aurait voulu laisser aux tribunaux ordinaires la re´pression de tous les de´lits ; mais qu’apre`s d’aussi longs troubles, et lorsque les passions s’agitaient encore, il y avait ne´cessite´, pour les comprimer, d’adopter des formes plus simples, des peines plus fortes et une justice plus rapide ; que la juridiction des cours pre´voˆtales, ayant en sa faveur l’expe´rience des temps et les plus heureux re´sultats, semblait exige´e par les circonstances...» (ibid., pp. 138–139). Re´fe´rence a` la loi du 21 octobre 1814 (art. 1) excluant de la censure pre´alable les e´crits de plus de 20 feuilles, soit 320 pages in–8o. Il se peut aussi que BC pense au discours de Ravez du 16 janvier 1817, qui e´voque l’avantage des brochures pour e´chapper a` la censure (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XVIII, p. 210). En avril 1817.
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qu’elle fut appele´e a` renouveler, par ses choix, un cinquie`me de ses organes1. Il paraıˆt qu’elle avait trouve´ que la suspension de la liberte´ individuelle autorisait, surtout dans les provinces, des mesures de pre´caution trop fre´quentes ou trop prolonge´es2 ; que les cours pre´voˆtales apportaient, dans leur justice rapide, un ze`le qui ne tenait pas suffisamment compte de l’aˆge, de l’ignorance et de la mise`re3 ; que les journaux, souvent suspendus, toujours mutile´s, ne re´pandaient pas toutes les lumie`res possibles sur des faits notoires, et laissaient leurs lecteurs dans l’espe`ce d’inquie´tude qui re´sulte des te´ne`bres4 ; enfin, que malgre´ les efforts me´ritoires du ministe`re, qui avait 1
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Article 37 de la Charte du 4 juin 1814 : «Les de´pute´s sont e´lus pour cinq ans et de manie`re que la Chambre soit renouvele´e chaque anne´e par cinquie`me». Le renouvellement a lieu en septembre 1817 et traduit une pousse´e des inde´pendants formant de´sormais un groupe distinct, antiministe´riel, a` l’extreˆme gauche de la Chambre. Il faut rappeler ici les dates de la discussion sur le projet de loi sur la liberte´ individuelle (du 9 au 16 janvier 1817 a` la Chambre des De´pute´s, du 6 au 8 fe´vrier a` la Chambre des Pairs). Le rapporteur Serre dit dans son discours du 16 janvier : «[la France] saura que si le pe´ril venait un jour des ministres, par l’abus qui pourrait eˆtre fait de la loi, les meˆmes hommes qui, souvent ici, ont au me´pris de leurs inte´reˆts, de leurs affections personnelles de´fendu les inte´reˆts du pays, attaqueraient avec le meˆme courage et la meˆme inde´pendance, des ministres coupables, et sauraient alors de´couvrir les lois de la responsabilite´ et les routes de l’accusation.» BC approuve les propos rassurants de Serre. Les cours pre´voˆtales prononcent de nombreuses condamnations a` mort. Ainsi, entre autres, deux individus reconnus coupables d’avoir e´te´ les chefs d’un rassemblement se´ditieux, condamne´s a` mort le 21 juillet 1817 par la cour pre´voˆtale de l’Orne et guillotine´s le lendemain a` Alenc¸on ; le 9 juin 1817, trois paysans condamne´s par la cour pre´voˆtale d’Auxerre sont exe´cute´s a` Sens, imme´diatement apre`s le prononce´ de la sentence. Les cours d’assises ne sont pas en reste ; celle de Melun condamne a` mort, le 22 juillet, quatre paysans reconnus coupables d’avoir, de concert avec un cabaretier hongrois contumace, organise´ un complot visant a` s’emparer de la ville de Fontainebleau apre`s avoir de´sarme´ la garnison, puis a` se porter sur Melun pour lui faire subir le meˆme sort et, enfin, de marcher sur Paris pour y renverser le gouvernement royal ! (Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. IV, pp. 412–413). Il est cependant e´tabli que ces affaires, et bien d’autres, ne sont pas lie´es a` une fermentation ge´ne´rale de nature politique mais, comme l’indique BC, a` la mise`re : se´quelles de l’occupation e´trange`re et de ses e´crasantes re´quisitions, tre`s mauvaises re´coltes. Le prix de l’hectolitre de ble´ passe ainsi de 19,53 francs en 1815, a` 46,50 francs en mai 1817. Cette mauvaise conjoncture provoque, ici et la`, la re´surgence d’e´meutes de la faim comparables a` celles qu’avait connues l’Ancien Re´gime. Le gouvernement est a` ce point conscient des causes re´elles des troubles, qu’une ordonnance du 13 aouˆt 1817 (Collection des lois, t. XXI, p. 196) accorde pleine amnistie a` tous les individus condamne´s correctionnellement pour faits relatifs a` la rarete´ des subsistances et de´cide la cessation imme´diate des poursuites engage´es pour cette cause. Ce qui n’empeˆche pas les autorite´s de Lyon de donner a` cette agitation les apparences d’un mouvement de nature politique et a` la cour pre´voˆtale de prononcer cent-vingt deux condamnations dont onze condamnations a` mort. Sur la situation e´conomique, voyez Bertier de Sauvigny, La Restauration, p. 217 ; Vaulabelle, t. IV, pp. 415–446. Dans ses Me´moires, t. IV, p. 127 et sv., Pasquier indique que, apre`s la dissolution de la Chambre introuvable le 5 septembre 1816, les journalistes royalistes demeurent a` peu pre`s
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tant travaille´ a` garantir la liberte´ de la presse, par sa loi nouvelle, MM. les avocats du Roi1 avaient e´mis, et les tribunaux adopte´, des doctrines peu en harmonie avec cette liberte´. En effet, le principe qu’attaquer les ministres
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les seuls a` avoir la parole, les autres e´tant ge´ne´ralement re´duits au silence par crainte de la re´pression. Certains journaux d’opposition sont meˆme contraints a` l’exil, tel le Nain jaune qui, de Bruxelles ou` il paraıˆt sous le nom de Nain Jaune re´fugie´, publie 42 nume´ros de mars a` novembre-de´cembre 1817 avant que, sur pression de la France, de l’Angleterre et de l’Autriche, le gouvernement ne´erlandais et la de´saffection de ses lecteurs ne le conduisent a` la disparition. Ce qui vaut pour les feuilles hostiles au re´gime, ne s’applique pas aux autres. Ainsi, lors des troubles lie´s aux subsistances, ces derniers seront libres d’intervenir pour ne pas laisser leurs lecteurs «dans l’espe`ce d’inquie´tude qui re´sulte des te´ne`bres» et les rassurer sur la fide´lite´ des Franc¸ais aux Bourbons ; tel est le cas du Journal des De´bats («Malgre´ l’effervescence des esprits, aucun cri se´ditieux ne s’est fait entendre ; la re´volte e´tait dans les actes sans eˆtre dans les dispositions») ou de La Quotidienne («La multitude a demande´ du ble´ et du pain ; elle a e´te´ imprudente, malavise´e, tumultueuse, mais nulle part re´volutionnaire»). BC fait peut-eˆtre ici allusion au mouvement insurrectionnel de Lyon, survenu le 8 juin 1817 et impliquant des rassemblements arme´s qui, apre`s s’eˆtre forme´s dans onze commune environnantes, marche`rent sur la ville, drapeau tricolore en teˆte. Durement re´prime´ (voyez la note pre´ce´dente, in fine), ce mouvement, qui eut un fort retentissement dans le pays, s’ave´ra finalement le fait d’agents provocateurs de la police, du ge´ne´ral Canuel, commandant militaire de la re´gion et peut-eˆtre – mais cela est plus douteux – du pre´fet, le comte Chabrol, de´sireux de s’attirer la reconnaissance du roi par une re´action e´nergique. Le mare´chal Marmont, charge´ d’enqueˆter sur l’affaire, fit arreˆter les poursuites et demanda la mise en accusation du ge´ne´ral Canuel. Le gouvernement se contenta de les de´placer en leur confiant des fonctions plus importantes. Marmont et son chef d’e´tat-major, le tre`s libe´ral colonel Fabvier, porte`rent alors l’affaire devant l’opinion, par le biais de brochures auxquelles Canuel et Chabrol re´plique`rent e´nergiquement, Decazes laissant s’envenimer la pole´mique qui lui permit de rejeter la responsabilite´ des troubles sur les ultras, accuse´s de vouloir faire e´chec a` son œuvre de re´conciliation de la Nation. Sur ces e´ve`nements, Bertier de Sauvigny, La Restauration, pp. 150–151 ; Vaulabelle, t. IV, pp. 418–446. Apre`s le vote de la loi du 28 fe´vrier 1817 prorogeant jusqu’au 30 de´cembre 1817 les pouvoirs que la loi du 21 octobre 1814 avait accorde´s au gouvernement en matie`re de presse, de nombreux proce`s furent intente´s aussi bien aux ultra-royalistes qu’a` ceux qui e´taient suspecte´s d’eˆtre favorables aux ide´es bonapartistes. Ainsi le Journal des de´bats pourtant favorise´ par Louis XVIII depuis que son proprie´taire, Bertin l’aıˆne´, l’avait suivi avec Bertin de Vaux dans son exil passager a` Gand qui, pour avoir e´volue´ vers l’ultra-royalisme et publie´ de violents articles de Chateaubriand et Bonald contre le ministe`re Decazes, fut plusieurs fois re´primande´. Bertin l’aıˆne´, que Louis XVIII avait nomme´ censeur de son propre journal, fut remplace´ et son fre`re, Bertin de Vaux, nomme´ secre´taire ge´ne´ral du ministe`re de la police par le roi, fut destitue´. Ainsi le Constitutionnel, qui fut supprime´ ; ainsi encore, Rioust, qui fut condamne´ a` deux ans de prison et une forte amende pour avoir publie´ des textes subversifs. De meˆme, les re´dacteurs du Censeur, Comte et Dunoyer, furent-ils, en juillet 1817, condamne´s chacun a` un an d’emprisonnement et 3.000 francs d’amende pour avoir re´imprime´ un e´crit intitule´ Manuscrit venu de l’ıˆle Sainte-He´le`ne attribue´ a` Napole´on. Il ne fut pas tenu compte de la re´futation dont les re´dacteurs avaient pris soin de faire suivre le texte, qui fut juge´e plus re´publicaine que monarchique, l’antidote e´tant de`s lors tout aussi dangereux que le poison (Avenel, Histoire de la presse franc¸aise, ouvr. cite´, pp. 241–243 ; Vaulabelle, ouvr. cite´, t. IV, p. 411 et, sur le proce`s Rioust, cidessus, pp. 659–728.).
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c’est attaquer le Roi1, la mise en cause des imprimeurs, observateurs exacts des formalite´s prescrites, la peine sextuple´e parce que l’accuse´ avait persiste´ dans son opinion, et sur quatre e´crivains pre´venus, un fugitif et trois prisonniers, tous ces faits ne re´pondaient pas aux espe´rances qu’avaient fait2 naıˆtre deux discours ministe´riels, pleins de libe´ralite´ et d’e´loquence, dont l’un, surtout, prononce´ a` la Chambre des pairs, respirait une ge´ne´reuse indignation contre ceux qui me´connaissaient les bienfaits et se complaisaient dans de sinistres augures. L’opinion e´tait donc assez dispose´e a` repousser des nominations qui allaient avoir lieu, les partisans des mesures de circonstance : et le ministe`re semblait s’apercevoir de cette disposition, car dans plusieurs articles semiofficiels, inse´re´s dans les journaux un mois a` peu pre`s avant les e´lections, et destine´s a` re´futer des brochures aux auteurs desquelles les journaux e´taient ferme´s, on trouve la promesse presque positive de ne pas reproduire les lois d’exception ; et le reproche le plus souvent, le plus ame`rement dirige´ contre les e´crivains qu’on re´fute est celui de supposer, sans motifs, que ces lois seraient renouvele´es. Cette supposition est pre´sente´e comme une espe`ce de calomnie, comme une injure faite au gouvernement a. Si par hasard la a
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«C’est uniquement la crainte des lois d’exception qui a de´termine´ M. Benjamin Constant a` e´crire sur les e´lections, et a` de´signer a` ses concitoyens les hommes courageux qui peuvent nous pre´server du malheur des lois extra-constitutionnelles. C’est, selon moi, pousser un peu trop loin la pre´voyance. Qui donc a re´ve´le´ a` l’auteur que le ministe`re veuille maintenir les actes qui ont temporairement modifie´ la loi fondamentale ? et si ce ministe`re, qui, dans la dernie`re session, a de lui-meˆme fait a` la Charte, et aux principes d’une sage liberte´, toutes les concessions que les circonstances permettaient, me´dite en ce moment l’abolition des mesures d’exception, que deviennent alors et les appre´hensions de l’auteur et les conseils qu’il donne ?» (Oui, mais a` pre´sent que le ministe`re a de´ja` demande´ une des lois d’exception, que devient l’argument du journaliste ? et que deviendra-t-il surtout si le ministe`re demande aussi l’autre loi ?) «Tout ce systeˆme de l’auteur ne repose que sur une hypothe`se, qui est que le ministe`re e´tant favorable aux lois d’exception ; il ne convient pas de nommer les hommes de´voue´s a` ce ministe`re : mais admettons pour l’avenir, et meˆme pour le pre´sent, que ce ministe`re ait reconnu l’inutilite´ de ces lois, et veuille nous oˆter ces lisie`res, voila` les e´ligibles, connus dans la de´nomination de ministe´riels devenus les de´fenseurs les plus ze´le´s des vrais principes.» (A la bonne heure ; mais a` pre´sent qu’il faut admettre pre´cise´-
1 Roi, ] Roi ; A2 2 prescrites, ] prescrites ; A2 3 persiste´ ] persiste´ A2 persiste A1 opinion, ] opinion ; A2 4 ne ] me A2 10 circonstance : ] circonstances, A2 11 disposition, car ] disposition ; car, A2 16 motifs ] motif A2 33 dans ] sous A2 1
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BC revient ici a` une doctrine dont il a parle´ amplement dans les Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France. Voir ci-dessus pp. 681 et 693–694. La meˆme maxime sera discute´e a` la fin des Annales de la session de 1817 a` 1818 dans la pole´mique contre Marchangy. BC a de´ja` parle´ de ces faits dans les Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France. Voir ci-dessus, pp. 684 et sv. Mais on peut pre´ciser aussi a` quel discours BC fait
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prolongation des lois d’exception e´tait propose´e, il serait curieux de voir les meˆmes hommes blaˆme´s aujourd’hui de combattre ce que hier on les blaˆmait de pre´voir1. Au milieu de cette espe`ce de lutte entre des e´crits, libres le´galement, mais environne´s d’obstacles mate´riels qui contre-balanc¸aient cette liberte´ le´gale, et lus ne´anmoins avec avidite´, et des journaux re´pandus avec profusion, et lus pourtant avec indiffe´rence2, le moment des e´lections arriva. Je ment le contraire, que dirons-nous ?) «Des quatre lois d’exception, trois cessent de plein droit a` l’ouverture de la session prochaine.» (Oui, mais de ces trois en voila` de´ja` une dont le ministe`re demande le renouvellement, et pour trois ans.) Annales Politiques, 13 septembre 18173. «Est-il bien vrai que le ministe`re s’occupe uniquement des lois d’exception, qu’il ne reˆve que d’elles, qu’il ne veuille gouverner que par elles ? a-t-on pe´ne´tre´ dans le secret des conseils, pour s’assurer qu’il ne s’occupe point a` modifier ces lois de rigueur qui l’importunent peut-eˆtre lui-meˆme, plus que d’autres, puisqu’enfin il n’est aucune loi d’exception sur la responsabilite´ ?» Journal de Paris, 19 septembre 1817. «Les lois d’exception vont passer,» e´tait-il dit dans le Moniteur du 16 septembre, «et la Charte restera4.»
5 contre-balanc¸aient ] contrebalanc¸aient A2 qu’elles A2
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12 bien vrai ] vrai A2
12 que d’elles ]
allusion, a` savoir au discours de Decazes du 25 fe´vrier 1817 devant la Chambre des Pairs, a` propos de la loi sur la saisie des e´crits. Le ministre attaque surtout Victor de Broglie qui avait parle´ avant lui. Voir ci-dessus, p. 677, n. 2. Sur la prorogation des mesures d’exception en matie`re de presse, voyez ci-dessus, p. 926, n. 1. Meˆme si l’ordonnance du 20 juillet 1815 adoucit le re´gime de la presse e´tabli par la loi du 21 octobre 1814 en supprimant la censure, elle maintient l’autorisation pre´alable pour les journaux et e´crits pe´riodiques. Cependant, l’ordonnance du 8 aouˆt 1815 re´tablit la censure pour les pe´riodiques et cre´e une «commission des journaux» controˆle´e par le ministre de la Police, avec instauration, pour chaque journal, d’un «re´dacteur responsable» tenu de prendre les consignes gouvernementales et d’obtenir un visa des e´preuves. De facto reveˆtus de cette sorte d’estampille officielle, les journaux sont l’objet de la suspicion de nombre de lecteurs. Les Annales philosophiques, politiques et litte´raires paraissent de juillet 1817 a` de´cembre 1818 patronne´es par Royer-Collard et dirige´es par Guizot, avec la participation de Victor Cousin, Charles Loyson, Pauline de Meulan et Re´musat. C’e´tait une feuille doctrinaire (Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou, Histoire ge´ne´rale de la presse franc¸aise, t. II : De 1815 a` 1871, Paris : PUF, 1969, p. 29). Citation exacte extraite d’un long article anonyme paru dans le Moniteur, no 259, 16 septembre 1817, pp. 1021c–1023a : l’auteur conteste l’analyse de BC dans sa brochure Des e´lections prochaines : il ne faut pas inciter les soi-disants inde´pendants a` voter contre le gouvernement pour obtenir plus de liberte´, il faut faire confiance aux ministres du roi pour
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dois observer, pour eˆtre juste, qu’a` mesure que ce moment approchait, les protestations ministe´rielles de respect pour la Charte et de renoncement aux lois d’exception devenaient plus explicites et plus re´ite´re´es. Ce fut un Crescendo jusqu’au 20 septembre1 : mais je dois observer (aussi pour eˆtre juste) qu’a` dater du 26 ces protestations furent chaque jour plus mitige´es ; et par une marche habilement gradue´e, le ministe`re se retrouva, quinze jours apre`s cette e´poque, pre´cise´ment au point ou` il e´tait auparavant. Les e´lections commence`rent. Si je trac¸ais l’histoire de celles de Paris, on pourrait me soupc¸onner de partialite´2. Un auteur inge´nieux, qui a merveilleusement a` sa disposition les faits et les paroles, a juge´ la conduite des divers partis dans cette circonstance avec une grande rigueur. Il y a eu peut-eˆtre dans son jugement une partialite´ dont les motifs sont en sens inverse de celle dont je crains d’eˆtre accuse´ : mais cet auteur n’en est pas moins l’un des observateurs les plus spirituels de notre marche politique : son dernier ouvrage, dont je blaˆme la se´ve´rite´ envers les e´lecteurs de la
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11–12 eu peut-eˆtre ] peut-eˆtre A2
appliquer le plus libe´ralement possible la Charte, la meilleure constitution qu’ait jamais eu la France. Dans l’opuscule commente´ ici, BC se de´fend de souhaiter la chute du ministe`re (voir ci-dessous, p. 953 n. 1). L’ordonnance du 20 aouˆt 1817 convoque pour le 20 septembre suivant les colle`ges e´lectoraux dont la de´putation formera le cinquie`me de´signe´ par le sort pour eˆtre renouvele´ le premier. Les de´partements concerne´s sont : les Hautes-Alpes, la Coˆte-d’Or, la Creuse, la Dordogne, le Gers, l’He´rault, l’Ille-et-Vilaine, l’Indre-et-Loire, le Loiret, la Loze`re, la Meuse, l’Oise, le Haut-Rhin, le Rhoˆne, la Seine, les Deux-Se`vres. Cinquante et un de´pute´s les repre´sentent. S’y ajoutent douze e´lections a` effectuer dans les autres se´ries en raison de vacances survenues par de´ce`s ou de´mission. Soit, au total, soixante-trois sie`ges a` pourvoir (Collection des lois, t. XXI, pp. 200–203). BC, lui-meˆme candidat aux e´lections et ayant e´choue´, peut eˆtre accuse´ de partialite´. On peut se demander aussi s’il fait allusion aux menaces planant sur les inde´pendants, plus tard baptise´s libe´raux ? Distincts a` la fois des ultras et des candidats ministe´riels, se re´clamant des conqueˆtes re´volutionnaires, ce groupe, initialement illustre´ par quelques personnalite´s telles que Voyer d’Argenson, Comte, Dunoyer ou Ge´vaudan, a pris l’habitude de se re´unir re´gulie`rement chez Lafayette depuis la pre´ce´dente session parlementaire. Il s’est de´sormais e´toffe´ comptant, entre autres, BC, le ge´ne´ral Thiard qui ont, l’un et l’autre, ouvertement soutenu Napole´on durant les Cent-Jours, mais aussi Savoye-Rollin, Grammont, Dupont de l’Eure, Laffitte, Casimir Pe´rier, etc. Ces re´unions tombent ainsi sous le coup de l’article 291 du code pe´nal interdisant la constitution, sans agre´ment du gouvernement, de toute association de plus de vingt personnes se rassemblant quotidiennement ou a` jours fixes pour s’occuper de questions religieuses, litte´raires, politiques «ou autres». Les inde´pendants de´cident donc de se retrouver tantoˆt chez Lafayette, tantoˆt chez BC, tantoˆt chez le ge´ne´ral
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capitale, est plein d’ide´es saines, de re´clamations hardies, de principes justes et de mots heureux. On voit qu’il n’a pas rendu la ve´rite´ responsable de l’espe`ce d’ingratitude dont il accuse ses de´fenseurs. C’est un grand me´rite ; d’ailleurs les attaques non me´rite´es dont il est l’objet de la part d’une foule d’e´crivains avec lesquels on n’aimerait pas eˆtre confondu, doivent lui servir d’e´gide1. Les deux premiers jours des e´lections, le ministe`re, se reposant sans doute sur l’effet des de´clarations dont les journaux e´taient remplis, parut s’eˆtre impose´ une sorte de neutralite´. Mais le re´sultat des deux premiers scrutins n’ayant probablement pas re´pondu a` son attente, il se crut oblige´, le troisie`me jour, de regagner le temps perdu2. Les hommes qui ont eu dans leurs forces une trop grande confiance e´prouvent ce malheur, qu’ils doivent sortir a` la haˆte et avec agitation de l’embarras ou` leur incurie les a jete´s, et pour ressaisir l’influence qu’ils ont laisse´ e´chapper, ils sont re´duits a` sacrifier un peu de cette conside´ration qui ne naıˆt que de la mode´ration et du calme. J’e´crivais, il y a un an a, que dans tout gouvernement repre´sentatif, il e´tait naturel au ministe`re de vouloir influer sur les e´lections, et que si la nation n’e´tait pas d’accord avec lui, c’e´tait a` elle a` se soustraire a` son influence. Je
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Mercure de 1817, p. 303.
3 un ] und A2
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12 ont ] on A2
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13 agitation ] indignation A2
Thiard, tous trois domicilie´s rue d’Anjou, au faubourg Saint-Honore´ (Vaulabelle, ouvr. cite´, t. IV, pp. 448–450). L’auteur de cette histoire des e´lections de septembre 1817 n’a pu eˆtre identifie´. Les e´lections le´gislatives de 1817 se de´roulent entre les 21 et 25 septembre. BC commente ici probablement des commentaires de la presse de cette e´poque, comme on peut de´duire d’une note du Journal des De´bats du 25 septembre, p. 1b : «Avertis par leurs adversaires, tous les amis du Roi et de la Charte se sont rallie´s. Au mot exclusif d’inde´pendans, ils opposent les mots de royaute´, de constitution de stabilite´ ; aux apoˆtres du 20 mars, devenus inde´pendans depuis qu’ils ne sont rien, ils opposent le nom des royalistes qui ont de´fendu la Charte [...].» C’est a` ce type de discours, tout a` fait dans la ligne du ministe`re, et qui, en l’occurrence, semble meˆme viser BC lui-meˆme, que se rapporte l’aline´a ci-dessus. Mercure du 4 janvier 1817, p. 31 ; voir ci-dessus, p. 378, lignes 15–27. L’observation de l’aline´a commenc¸ant par «J’e´crivais, il y un an», se rapporte sans aucun doute aux e´lections de 1816.
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ne me re´tracte point. Ce qui me paraissait vrai lorsqu’il s’agissait d’hommes d’opinions contraires aux miennes, n’en est pas moins vrai parce qu’il s’est agi de moi et d’hommes qui valaient beaucoup mieux que moi. Je ne fais donc point un tort aux ministres d’avoir voulu diriger les choix. La question consiste a` savoir quels moyens ils avaient le droit de prendre, et comme tout retour sur le passe´ serait inutile, j’e´tablirai seulement des re`gles pour l’avenir. Le ministe`re a le droit de pre´senter ses candidats sous les couleurs les plus propres a` captiver le suffrage national. Il a me`me celui d’alle´guer contre les candidats oppose´s, des faits, pourvu que ces faits soient vrais, et des argumens tire´s de leur caracte`re, de leur position, et si l’on veut, car j’accorde tout, de leur vie ante´rieure1. Mais il exce´derait les bornes le´gitimes, s’il autorisait des libelles contenant des alle´gations fausses, pour lesquelles leurs auteurs me´riteraient des condamnations en calomnie. Lorsqu’il existe des re`gles de librairie, quelque se´ve`res qu’elles soient, le ministe`re a le droit de les faire exe´cuter ; mais il n’a pas celui de permettre que ses partisans les violent, pendant qu’il les applique a` ses adversaires. Si par malheur il tient dans ses mains le monopole des journaux, il est assez simple qu’il employe ce monopole pour les doctrines ministe´ rielles. Mais il manquerait de ge´ne´rosite´, s’il s’en pre´valait pour faire attaquer les individus, et surtout s’il insinuait a` la nation que les individus attaque´s n’ont rien a` re´pondre, puisqu’ils se taisent, tandis que l’insertion de leurs re´ponses serait impossible. Le ministe`re serait excusable, s’il tirait parti des nombreux e´crivains toujours a` sa solde, pour leur dicter l’e´loge de son syste`me2.
5 prendre, et ] prendre ; et, A2
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Ainsi lors de la campagne e´lectorale pre´ce´dant les e´lections d’octobre 1816 qui suivirent la dissolution de la Chambre introuvable, les candidats du ministe`re furent-ils de´crits comme des «hommes purs mais mode´re´s, qui n’appartiennent a` aucun parti, a` aucune socie´te´ secre`te, [...] qui ne croyent pas qu’aimer le roi et avoir bien servi dispense d’obe´ir aux lois», ce qui les pre´sentait sous un jour rassurant et les de´marquait e´videmment des «exage´re´s», autrement dit les ultras (Bertier de Sauvigny, La Restauration, p. 141). Face aux attaques dont il est la cible, Decazes contre-attaque mettant en œuvre, pour discre´diter ses adversaires aupre`s de l’opinion publique et de Louis XVIII, tous les moyens dont il dispose et, notamment, la police. Le «cabinet noir» place ainsi sous les yeux du roi les propos de´sobligeants tenus a` son e´gard dans les correspondances prive´es, surveille´es de tre`s pre`s ; le bulletin de police destine´ a` eˆtre communique´ a` Louis XVIII impute aux ultras tous les de´sordres. Les bureaux de Decazes re´digent e´galement des articles qui sont ensuite envoye´s a` Londres et en Allemagne, inse´re´s dans les journaux e´trangers comme venant de leurs correspondants a` Paris et non suspects de partialite´ puis publie´s sans commentaire par les journaux ministe´riels.
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Mais il aurait tort pour lui-meˆme, s’il faisait un appel a` la classe infime de ces auteurs qui sont dans la litte´rature ce que les espions et les de´lateurs sont dans les gouvernemens et s’il leur commandait les diffamations1 ; enfin, le ministe`re n’outre-passerait point ses pouvoirs, s’il engageait tous les e´lecteurs qui le favorisent a` concourir aux e´lections ; mais il se nuirait a` lui-meˆme, s’il donnait a` la de´fiance l’occasion de penser que des votes ille´gaux ont e´te´ sollicite´s ou admis2. Telles sont les re`gles que, dans les e´lections futures, il faudra, ce me semble, e´tablir et pratiquer.
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2
Voyez ci-dessus, p. 945, n. 2. Il est cependant ne´cessaire de noter que les «inde´pendants» ne sont pas en reste. Apre`s la dissolution de la Chambre introuvable, leur propagande pre´ce´dant l’e´lection de la nouvelle Chambre multiplia, dans les zones rurales, des brochures anonymes pre´sentant, d’un coˆte´, un e´migre´ beˆte et poltron associe´ a` un cure´ me´chant et hypocrite et a` un fonctionnaire subalterne intrigant et bas ; de l’autre, un paysan acque´reur de biens nationaux, un philosophe de village, un officier a` la demi-solde, tous intelligents, courageux, mode`les d’honneur et de loyaute´. Ces caricatures outre´es pouvaient cependant passer, aux yeux de bien des lecteurs, comme constituant un tableau fide`le de la situation des campagnes. (H. Avenel, Histoire de la presse franc¸aise, p. 243). Encourager les e´lecteurs favorables aux candidats ministe´riels a` voter, par le biais des pre´fets et des pre´sidents des colle`ges e´lectoraux, e´tait relativement aise´ dans la mesure ou` le suffrage censitaire re´duisait a` environ 90.000 le nombre total des e´lecteurs (soit environ un e´lecteur pour cent Franc¸ais majeurs) et que, compte tenu des difficulte´s de de´placement, le vote au seul chef-lieu de de´partement, conduisit pre`s d’un tiers des e´lecteurs a` s’abstenir en 1817. La moitie´ des colle`ges e´lectoraux de de´partements ne comptaient pas plus de 1.200 e´lecteurs, les chiffres extreˆmes e´taient ceux de la Seine avec 10.000 a` 12.000 e´lecteurs, et de la Corse avec 40. Quant au nombre des e´ligibles, il e´tait, en tout et pour tout, de 16.052 en 1817. Dans certains de´partements, il arrivait ainsi qu’a` peine une dizaine de personnes fussent e´ligibles et, sur ce nombre, certains se pre´occupaient peu de briguer un mandat qui les aurait contraints a` re´sider a` Paris durant plusieurs mois de l’anne´e sans aucun traitement, ni indemnite´ (loi du 5 fe´vrier 1817, art. 19, Collection des lois, t. XXI, p. 89). La pre´occupation premie`re du ministe`re e´tait donc, dans un premier temps, d’e´liminer les e´lecteurs hostiles puis, dans un second temps, de trouver des candidats a` la de´putation qui lui soient favorables, tout en e´cartant les autres. Pour y parvenir, pouvaient eˆtre mises en œuvre de multiples pratiques plus ou moins frauduleuses. Concernant l’e´tablissement de la liste des e´lecteurs, les manœuvres les plus courantes consistaient a` de´grever d’impoˆt les e´lecteurs hostiles pour les placer en dessous de la barre minimale des 300 francs de contributions directes (il fallait en outre eˆtre aˆge´ d’au moins trente ans), a` faire durer les formalite´s d’inscription, a` «oublier» de les inscrire sur les listes et, inversement, a` inscrire les partisans du ministe`re meˆme s’ils n’y avaient pas droit, a` afficher les listes au dernier moment pour e´viter les re´clamations, a` les placarder en un seul endroit et sans respecter l’ordre alphabe´tique a` une hauteur telle qu’elles e´taient illisibles sans le secours d’une e´chelle ou, a` Paris, a` regrouper les opposants de´clare´s dans une seule section afin de laisser le champ libre dans les autres aux partisans du ministe`re.
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Je reprends mon re´cit. Les chances des candidats e´prouve`rent un changement notable a le troisie`me, et surtout le cinquie`me jour ; car, comme on sait, la loi qui voulait que les e´lections continuassent durant trois jours conse´cutifs, ne fut pas observe´e1. Au dernier scrutin, surtout, beaucoup d’e´lecteurs nouveaux parurent. On euˆt pense´ que le colle`ge e´lectoral s’e´tait multiplie´ dans la nuit. Graˆce a` cet accroissement inattendu, une assez forte majorite´ se prononc¸a pour des candidats qui, la veille, e´taient reste´s tre`s-infe´rieurs en suffrage ; et l’on peut dire, qu’e´prouvant pour la premie`re fois une loi qu’il avait propose´e, peut-eˆtre sans bien l’appre´cier, le ministe`re sortit de cette e´preuve a` son honneur ; car, dans un combat, le mot d’honneur signifie victoire2. Cependant, trois de ceux que l’opposition, pour employer le terme constitutionnel, avait de´signe´s, furent e´lus ; et l’on ne doit pas conside´rer un succe`s incomplet comme une de´faite3. Dans les de´partemens, le re´sultat des e´lections a e´te´ divers. Quelquesuns ont choisi leurs de´pute´s dans des candidats d’opinions varie´es. Des a
Un journal l’observa naı¨vement dans le tems, pour s’en fe´liciter. «D’apre`s le de´pouillement du scrutin, dit-il, la re´partition des votes, entre les candidats, a e´prouve´ un changement tre`s-sensible.» Annales litte´raires, 24 septembre 1817.
10 e´preuve ] e´prouve A2 1
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19 litte´raires ] politiques A2
«Il n’y a que trois tours de scrutin», loi du 7 fe´vrier 1817, art. 13, al. 4 (Collection des lois, t. XXI, p. 89). «Chaque scrutin est, apre`s eˆtre reste´ ouvert au moins pendant six heures, clos a` trois heures du soir et de´pouille´ se´ance tenante» (ibid., al. 5). Nul ne pouvait eˆtre e´lu aux deux premiers tours s’il ne re´unissait la majorite´ absolue des suffrages exprime´s et au moins un quart plus une voix des membres composant le colle`ge (ibid., art. 14), ce qui permettait a` une minorite´ d’empeˆcher l’e´lection de ses adversaires par une abstention massive ; si apre`s le deuxie`me tour, des sie`ges restaient a` pourvoir, les suffrages ne pouvaient de´sormais se porter que sur les noms des candidats ayant obtenu le plus de suffrages au second tour, l’e´lection ayant lieu a` la simple pluralite´ des suffrages (ibid., art. 15, al. 1 et 4). Apre`s le renouvellement du cinquie`me, la Chambre des De´pute´s des de´partements compte 75 ultra-royalistes, 155 royalistes ministe´riels et 25 inde´pendants. L’accroissement du nombre d’e´lecteurs votants signale´ par BC est documente´ : le 21 septembre, ils sont 6625 ; le 23, 7030 ; le 25, 7378 (proce`s-verbal des e´lections de 1817, AN, C 1294). Au nombre des derniers e´lus inde´pendants figurent Dupont de l’Eure, Hernoux (ancien maire de Dijon), Caumartin, de Chauvelin, Bignon et Casimir Pe´rier. Au total, la droite ultra perd une douzaine de sie`ges au profit du parti ministe´riel qui en perd autant au be´ne´fice de l’opposition, c’est-a`-dire des inde´pendants ou libe´raux, souvent de´signe´s sous le nom de ` l’un de «parti du canape´», dont l’origine doit eˆtre trouve´e dans un bon mot de Beugnot. A ses amis qui s’e´tonnait de le voir figurer dans ses rangs : «Ce parti des doctrinaires est donc bien nombreux, bien puissant ?», il aurait en effet re´pondu : «J’ai voulu m’assurer de sa force ; je suis alle´ le visiter ; il tiendrait tout entier sur mon canape´» (cite´ par H. Avenel, Histoire de la presse franc¸aise, p. 244).
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coalitions, dont on a voulu s’affliger, bien qu’on euˆt duˆ s’y attendre, se sont effectue´es. Un inte´reˆt imme´diat, un meˆme vœu, ont fait ajourner les arrie`re pense´es. Dans d’autres provinces, les colle`ges, plus souples, ont nomme´ ceux qui leur e´taient de´signe´s par la faveur de la pre´sidence. Dans plusieurs, les ope´rations se sont ressenties de l’inexpe´rience, et de l’espe`ce d’e´tonnement qu’e´prouvaient des citoyens appele´s pour la premie`re fois, depuis vingt ans, a` l’exercice de leurs droits. Mais, en somme totale, ces e´lections ont eu pour l’esprit public un effet salutaire. Elles ont averti le pouvoir de l’existence de la nation, chose que le pouvoir est assez dispose´ a` oublier : elles ont re´ve´le´ a` la nation meˆme son existence et sa force. L’arme´e nationale s’est regarde´e, s’est compte´e : c’est la` ce qu’il fallait1. Tout s’est passe´ avec un calme d’autant plus me´ritoire, que c’est au parti qu’on appelait factieux, qu’en est le me´rite2. Des liens de reconnaissance d’une part, de confiance de l’autre, se sont forme´s entre les fractions des colle`ges et les candidats moins heureux. Notre e´ducation politique a fait deux grands progre`s. Nous avons appris la perse´ve´rance et la patience. L’attachement au re´gime constitutionnel et a` la Charte, est devenu plus re´el, parce que dans la jouissance de l’un de leurs droits, les Franc¸ais ont vu la re´alite´ de tous. L’Europe a duˆ contempler avec surprise et avec satisfaction (car la ve´ritable Europe veut notre liberte´ pour son propre repos) ce peuple si calomnie´, proce´dant, avec une re´gularite´ admirable, aux ope´rations qui mettent le plus en fermentation tous les inte´reˆts, et en mouvement toutes les pre´tentions ; j’ose affirmer que ces e´lections ont fait e´poque dans l’esprit de nos voisins, et qu’elles haˆteront le moment d’une de´livrance qu’il vaut encore mieux devoir a` notre raison qu’a` notre seul courage3.
2 arrie`re pense´es ] arrie`re-pense´es A2
1 2
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7 droits. Mais, ] droits ; mais, A2
11 qu’il ] qui A2
«L’arme´e nationale» e´tait en re´alite´, on le sait, bien peu nombreuse du fait du suffrage censitaire (voir ci-dessus, p. 946, n. 2). Quoi qu’en dise BC l’ordre et le calme qui pre´side`rent aux e´lections ne doivent pas eˆtre exclusivement impute´s «au parti qu’on appelait factieux» – entendons les doctrinaires ou inde´pendants – mais au fait que, en de´pit des passions politiques, on se trouvait avant tout entre personnes de bonne compagnie. Apre`s les Cent-Jours, en application du second traite´ de Paris (20 novembre 1815) les de´partements frontaliers du nord et de l’est de la France (ramene´e a` ses frontie`res du 1er janvier 1790) seront occupe´s par 150.000 hommes de troupes e´trange`res pendant cinq ans au plus et trois ans au moins, les frais d’occupation (150 millions par an) e´tant a` la charge de la France. En avril 1817, le corps d’occupation a e´te´ re´duit de 30.000 hommes. Mais il faudra attendre un accord signe´ dans le cadre du congre`s d’Aix-la-Chapelle pour que soit de´cide´ le retrait total des troupes e´trange`res, fixe´ au 30 novembre 1818.
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Ainsi donc, je le pense, dans ce qui a rapport a` l’esprit public, le re´sultat de ces e´lections a e´te´ heureux. De´cider ce qu’on peut en augurer pour la composition de la Chambre actuelle, serait pre´mature´. Certes, si les de´pute´s re´fle´chissent a` l’effet que leur re´union produit d’un bout de la France a` l’autre, ils seront orgueilleux a` la fois, et presqu’effraye´s de l’importance de leur mission1. Dans les pays despotiques, lorsque le hasard accorde a` ces pays un prince bienfaisant, et que ce monarque parcourt ses provinces, les cœurs renaissent a` l’espoir : on se flatte que les abus vont cesser, les prisons s’ouvrir, les vexations des subalternes eˆtre re´prime´es2 ; de meˆme, sous un gouvernement repre´sentatif, quelque bien administre´ qu’il puisse eˆtre, quand les organes de la nation se rassemblent, tout le monde respire plus librement. Le peuple voit dans ceux qu’il a honore´s de ses suffrages, des oblige´s et des de´fenseurs3. Il a compte´ sur leur courage et leur inte´grite´ en les choisissant : il compte, apre`s les avoir choisis, sur leur reconnaissance et leur ze`le. Malheur, malheur a` eux, s’ils me´connaissent leur devoir sacre´, s’ils s’affranchissent le´ge`rement de leur responsabilite´ morale, s’ils pensent a` eux seuls, a` leurs familles, a` leurs inte´reˆts, ou seulement si, faibles, faciles a` captiver, e´mus par cette flatterie des hommes en place, moyen de se´duction non moins efficace, et plus noble que la corruption, ils oublient qu’ils sont les sentinelles avance´es du peuple, et tiennent
5 presqu’effraye´s ] presque effraye´s A2 19 que ] de A2
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2
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10 re´prime´es ] supprime´es A2
16 leur ] un A2
BC illustre ici la mentalite´ et les pratiques du temps ; les de´pute´s e´taient tre`s assidus, non seulement parce qu’ils avaient une haute conscience de leur mission mais aussi parce que le vote a` la Chambre e´tait strictement individuel. On peut ici songer, pour le XVIIIe`me sie`cle, aux «despotes e´claire´s» tels que Catherine II en Russie, ou Fre´de´ric II en Prusse, ou encore a` Joseph II en Autriche. Peut-eˆtre BC songe-t-il e´galement a` Louis XVI. En toute hypothe`se, il y a ici re´fe´rence a` la conviction populaire, solidement ancre´e, selon laquelle les re´gimes despotiques sont davantage le fait des ministres et de leurs subordonne´s qui isolent le monarque et que «si le roi savait...» Rappelons cependant que «le peuple» restait encore tre`s souvent e´tranger a` la vie politique du fait de l’extreˆme e´troitesse du corps e´lectoral, de l’isolement de bien des communes rurales en raison des difficulte´s de communication, de l’analphabe´tisme, etc. Par ailleurs, les «de´pute´s des de´partements» ne repre´sentaient pas la nation face au roi, unique souverain, mais leurs seuls commettants. Il n’en demeure pas moins que la Chambre des De´pute´s (ainsi que celle des Pairs) dont les se´ances e´taient publiques (a` la diffe´rence de celles de la Chambre des Pairs), disposait de pouvoirs bien plus importants que sous l’Empire : vote des lois propose´es par le roi et initiative indirecte graˆce a` la faculte´ de « supplier» ce dernier de proposer le vote d’une loi, vote annuel du budget ne´cessairement pre´sente´ en priorite´ a` la Chambre des De´pute´s. De plus, a` la diffe´rence des pairs, dont la nomination de´pendait du seul bon plaisir du roi, les de´pute´s tenaient leur mandat de l’e´lection.
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entre leurs mains sa vie, sa liberte´, les fruits de son active industrie, et le produit che`rement achete´ de ses pe´nibles travaux. Les meˆmes e´le´mens qui e´taient rassemble´s, sans eˆtre unis, dans la Chambre de l’anne´e dernie`re, se retrouvent en nombre ine´gal dans celle-ci : mais ces e´le´mens sont place´s d’une manie`re tre`s-diffe´rente1. Les hommes qui, en 1815, avaient alarme´ la France par l’aversion qu’on les accusait de nourrir contre la Charte, ont pris envers les liberte´s qu’elle consacre, des engagemens solemnels2. Ceux qui, par d’autres motifs, par des motifs de principes, votaient pour ces liberte´s contre le ministe`re, doivent s’eˆtre convaincus que la nation est avec eux, dans tout ce qui inte´resse re´ellement ses droits et ses garanties constitutionnelles3. Enfin les membres de la majorite´ ministe´rielle ont aussi duˆ acque´rir, par diverses expe´riences, de nouvelles lumie`res4. Ils savent que des lois dont 7 envers ] encers A2 1
2 3 4
9 principes ] principe A2
Le nombre des de´pute´s, de 402 en 1815 avait e´te´ ramene´ a` 262 par l’ordonnance du 5 septembre 1816 mais 238 seulement avaient e´te´ e´lus en octobre en raison des manœuvres des ultras qui, se retirant en masse de certains colle`ges e´lectoraux, avaient empeˆche´ que l’on atteigne le quorum indispensable (voyez p. 947, n. 1). Les de´pute´s sie`gent dans la salle construite en 1797 pour accueillir le Conseil des Cinq-Cents. Le parti ultra-royaliste a e´te´ le premier a` prendre forme en re´action contre la politique de compromis de la Premie`re Restauration et le re´gime des Cent-Jours. Le parti «constitutionnel» naıˆt d’une re´action contre les exce`s des ultras et prend consistance lors des e´lections d’octobre 1816. Le parti des «inde´pendants», regroupant les adversaires du re´gime (bonapartistes, orle´anistes, re´publicains), se diffe´rencie du parti « constitutionnel» au cours de l’e´te´ 1817 ; votant dans un premier temps avec les constitutionnels, il constitue, apre`s les e´lections d’octobre 1817, l’aile gauche antiministe´rielle de la Chambre avec Casimir Pe´rier, Dupont de l’Eure, le banquier Laffitte rejoints, en octobre 1818, par BC et, en 1819, par Lafayette. Rappelons que les e´lections d’octobre 1817 se traduisent, pour les ultras, par la perte d’une douzaine de sie`ges au profit du parti ministe´riel qui en perd autant au profit des inde´pendants lesquels, avec vingt-cinq sie`ges, constituent de´sormais un groupe suffisant pour formuler des exigences. Il s’agit des ultras. Il s’agit des inde´pendants dont BC est proche. Pour la plupart, les de´pute´s sont des hommes nouveaux puisque 84 seulement d’entre eux ont sie´ge´ dans de pre´ce´dentes assemble´es. Parmi les hommes e´lus en 1815 a` la Chambre introuvable et qui adopte`rent par la suite des postures mode´re´es, Decazes faisait figure d’ultra-royaliste et prit une part active a` la pre´paration et a` la mise en œuvre des lois qui, de la fin octobre 1815 a` janvier 1816, organise`rent la deuxie`me Terreur blanche (loi de suˆrete´ ge´ne´rale, loi sur les discours et e´crits se´ditieux, loi re´tablissant les cours pre´voˆtales, loi d’amnistie) ; Royer-Collard (par la suite the´oricien et de´pute´ de la tendance libe´rale) et Pasquier (ministre de la Justice en janvier 1817) en furent rapporteurs et de´fenseurs a` la tribune.
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l’exe´cution est tole´rable a` Paris, parce que l’opinion y est forte et vigilante, deviennent terribles dans les provinces1. Ils savent que voter pour ces lois, n’est pas un moyen de se cre´er une faveur locale dont plusieurs d’entr’eux auront besoin a` une e´poque assez rapproche´e2. Ils savent qu’une des ressources que le pouvoir employe alors qu’il veut re´parer ses fautes, c’est d’abandonner ses instrumens, qui se trouvent juge´s plus se´ve`rement, a` cause de leurs sanctions complaisantes, que ne le sont, pour les propositions seules, ceux qui les ont engage´s a` soutenir ces propositions. Ils doivent sentir que ce qui convient le mieux a` tout homme, meˆme pour son inte´reˆt, c’est d’avoir une existence et une opinion a` lui, et que sous un gouvernement libre, l’inde´pendance est un bon calcul et devient une haute dignite´. Il est donc probable que les trois fractions de la Chambre des de´pute´s se subdiviseront cette anne´e autrement que l’anne´e dernie`re. La portion de la minorite´ qui avait besoin, pour tourner contre les ministres les ide´es libe´rales, d’une sorte de palinodie, a subi les inconve´niens de cette transition, et n’a plus a` en recueillir que les avantages3. L’espe`ce de ridicule qui re´sultait d’une e´volution trop rapide, s’est use´ par le tems, et plus encore par l’abus qu’en ont fait les adversaires. Il n’y aurait plus ni nouveaute´ ni bon gouˆt a` pre´tendre re´futer un orateur, en lui disant qu’autrefois il ne pensait et ne parlait pas ainsi. La nation, qui n’est dupe de rien, ne le serait pas de cette vieille plaisanterie. Si elle est loin d’avoir une entie`re confiance dans les intentions de ceux qui seraient l’objet de ce mode suranne´ d’attaque4, elle aurait de tre`s-justes de´fiances contre quiconque vou1
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En province, la mise en œuvre des lois d’exception constituant l’armature de la seconde Terreur blanche donna lieu a` de nombreux exce`s. Voyez, concernant l’action des cours pre´voˆtales de meˆme que «l’affaire de Lyon» en juin 1817, ci-dessus, p. 939, n. 2 et p. 940, n. 1. Du fait des e´che´ances e´lectorales, les de´pute´s e´tant e´lus pour cinq ans avec renouvellement par cinquie`me tous les ans (art. 37 de la Charte du 4 juin 1814). Ainsi, apre`s les e´lections d’octobre 1816 qui suivirent la dissolution de la Chambre introuvable, les ultra-royalistes de´sormais dans l’opposition se firent les chantres de la liberte´ de la presse en s’opposant au gouvernement qui demandait aux Chambres de proroger les ` la Chambre des pouvoirs que lui attribuait la loi du 21 octobre 1814 sur les journaux. A de´pute´s, Castelbajac, Bonald, Corbie`re, La Bourdonnaye, Ville`le se de´clare`rent partisans de la liberte´ de la presse alors que quelques mois auparavant ils avaient re´clame´ les mesures les plus restrictives. BC affecte un profond me´pris a` l’e´gard de ceux qui rappellent les variations d’opinion des uns et des autres au cours des trente dernie`res anne´es. Il affecte d’y voir de basses attaques, relevant de la «vieille plaisanterie». L’opuscule le plus ce´le`bre de l’e´poque se livrant a` cette forme de moquerie est l’Almanach des Girouettes ou Nomenclature d’une grande quantite´ de personnages marquans dont la versatilite´ d’opinions donne droit a` l’Ordre de la Girouette. Avec leurs e´crits en paralle`le, Paris : l’E´crivain [Hocquet], 1815. Les protestations de BC contre de telles de´nonciations sont d’autant plus ve´he´mentes qu’il sait s’y eˆtre expose´, notamment a` cause de son attitude pendant les Cent-Jours. Pour autant, il lui arrive de rappeler, quoique toujours avec une feinte commise´ration, les positions anciennes des
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drait la de´gouˆter de la liberte´, sous pre´texte que quelques-uns de ses de´fenseurs ne sont pas since`res. Sans doute le parti auquel je fais allusion, perdrait tout le fruit de son noviciat d’une session, noviciat qui n’a pas e´te´ sans embarras et sans amertume, s’il de´sertait la cause qu’il a si re´cemment embrasse´e. L’on ne verrait plus dans ses membres que des ambitieux a` vue courte, avides de places faute de pouvoir, ayant aspire´ au premier rang, descendant au second, n’ayant ni conviction ni prudence, et de´pourvus meˆme de ce degre´ ordinaire de force d’ame qui rend les hommes capables de persister, par calcul, dans ce qu’ils ont adopte´ par inte´reˆt, et qui les aide a` supporter le non succe`s d’un jour, comme moyen de succe`s plus vraisemblable pour le lendemain. Le de´pute´ qui, en 1815, aurait parle´ avec violence et vote´ pour priver les Franc¸ais de la liberte´ individuelle ou de celle de la presse, qui, au commencement de 1817, se serait e´leve´ non moins violemment pour ces liberte´s contre les ministres, et qui, a` la fin de la meˆme anne´e, constant dans la versatilite´, aiderait les meˆmes ministres a` suspendre encore ces liberte´s, ne se releverait jamais de cette se´rie de de´fections redouble´es1. Ceux qu’on a de´signe´s sous le nom d’inde´pendans, n’auront qu’a` perse´ve´rer dans leur conduite accoutume´e. Seulement deux re`gles leur seront indispensables a` observer : 1o. Ils ne doivent jamais fournir de pre´textes au soupc¸on mal fonde´ qu’ils nourrissent des arrie`re-pense´es. La nation veut la Charte avant tout et plus que tout. Elle a le bon sens d’eˆtre convaincue qu’une Charte observe´e est toujours excellente. Elle ne veut pas de renversement. Tre`s-indiffe´rente aux individus, elle a de la bienveillance pour qui la sert, pendant qu’il la sert. Mais elle n’attache pas aux noms propres une grande importance : elle les prend comme e´tendart de principes. Si plusieurs parties des ope´rations ministe´rielles lui de´plaisent, elle demande a` ses de´pute´s plutoˆt de re´primer les
11 non succe`s ] non-succe`s A2 21 mal fonde´ ] mal-fonde´ A2 Tre`s-diffe´rente A2 25–26 sert. Mais ] sert : mais A2
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24 Tre`s-indiffe´rente ]
uns et des autres, ainsi quelques pages plus loin contre Fontanes (p. 976, n. 2). De meˆme, dans les Me´moires sur les Cent-Jours qu’il publiera deux ans plus tard, il se moque sans le nommer mais de fac¸on assez transparente des changements d’opinions de Mole´ (OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 216). Menaces non voile´es de BC : les libe´raux de longue date comme lui sont preˆts a` accueillir les convertis re´cents sans leur demander de compte sur leur autoritarisme passe´ mais ne leur pardonneront pas de revenir a` leurs anciens errements. Ces menaces ne suffiront pas a` les dissuader d’une nouvelle volte-face, en 1820, affectant de croire que l’assassinat du duc de Berry est imputable a` la trop grande liberte´ de ton laisse´e aux journalistes.
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ministres, que de les renverser, et croirait un changement de ministe`re beaucoup trop che`rement paye´ par toute espe`ce de secousse1. Sa raison l’invite a` penser ainsi ; sa conscience l’y porte. Elle veut n’avoir rien a` se reprocher, quoiqu’il arrive. 2o. Ceux qui veulent ve´ritablement la liberte´, doivent de´poser, au moins en votant, leurs pre´ventions anciennes. Pendant toute la re´volution l’on a toujours fait peur a` la France d’un parti qui n’e´tait plus redoutable, pour l’engager a` livrer a` un autre parti qui l’e´tait, les liberte´s qu’elle aurait duˆ mettre a` l’abri de tous deux2. Sous Bonaparte, quand il a voulu et quand ses courtisans voulaient que son pouvoir fuˆt sans bornes, on ne parlait que des jacobins. Vous donnerez de la force aux jacobins, nous disait-on, quand nous re´clamions le respect pour les personnes, pour la pense´e, pour les proprie´te´s, pour les droits de tous, choses assure´ment fort oppose´es a` ce qu’on nommait le jacobinisme3. Aujourd’hui, qui sait si l’on ne pre´sentera pas aux esprits cre´dules, l’e´pouvantail d’un parti contraire ? Vous donnerez, criera-t-on peut-eˆtre, de la force a` ce parti, si vous votez dans le meˆme sens. L’esprit courtisan fera valoir ce pre´texte, pour sacrifier un peu plus dignement les liberte´s nationales, et pour annoblir, par une haine affecte´e contre les ennemis de la Charte, la complaisance avec laquelle il livrera la Charte aux lois d’exception qui la suspendent. Songeons que, toujours en garde contre les morts, nous n’avons jamais e´te´ en garde contre les vivans, et que le fantoˆme des dangers de la veille nous a fait oublier sans cesse les dangers du jour. Il faut enfin savoir se de´fier de cette logique. Sans la crainte que nous avions au 18 brumaire, nous aurions eu la liberte´. Il ne faut pas qu’une crainte inverse nous empeˆche de l’avoir apre`s le 5 septembre4. Quant a` la majorite´ ministe´rielle (car, sur la plupart des questions, il est indubitable que le ministe`re aura la majorite´), elle conservera sans doute sa 1
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BC ne souhaite pas la chute du ministe`re, dirige´ par Richelieu et ou` Decazes est ministre de la Police (voir les rencontres et lettres de BC avec Decazes, de`s 1815, rapporte´es dans ses Journaux intimes : OCBC, Œuvres, pp. 235–250). Cette phrase allusive et complique´e, comme BC les aime, e´voque le fait que, durant la re´volution, les royalistes («un parti qui n’e´tait plus redoutable») ont e´te´ utilise´s comme e´pouvantail par les re´volutionnaires les plus avance´s («un autre parti qui l’e´tait») pour obtenir du peuple des pouvoirs liberticides alors qu’il aurait fallu se me´fier des uns comme des autres. C’est notamment apre`s l’attentat de la rue Saint-Nicaise, en de´cembre 1800, auquel le Premier Consul e´chappe mais qui fait 22 morts et une centaine de blesse´s, que Bonaparte de´nonce le danger que repre´sentent les jacobins, obtenant du Se´nat que 130 d’entre eux soient proscrits. En fait, l’attentat e´tait l’œuvre des royalistes comme le prouva Fouche´, ce qui ne correspondait pas a` ce que souhaitait Bonaparte et qui contribua a` lui faire perdre provisoirement son poste de ministre de la Police. Rapprochement audacieux de la part de BC entre le 18 brumaire an VIII ou`, par crainte du
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physionomie d’usage. Il est possible, toutefois, qu’elle se divise en deux nuances. Parmi les hommes qui, dans la dernie`re session, ont le plus utilement soutenu les ministres, plusieurs ont des connaissances e´tendues, des opinions libe´rales, des moyens oratoires, qui leur donnent une influence tre`s-me´rite´e1. Quelques-uns se sont condamne´s a` de´fendre, pendant six mois, des the´ories contraires a` leur conviction, a` l’aide de sophismes au-dessous de leurs talens. Cette ge`ne, de`s-lors, semblait leur eˆtre importune. Elle leur peserait suˆrement bien plus aujourd’hui. Les circonstances qui les justifiaient a` leurs propres yeux, n’existent plus au meˆme degre´. Les pe´rils re´els ou imaginaires qu’ils s’impose`rent le devoir pe´nible de conjurer, aux de´pens d’une partie au moins de leur conside´ration politique, sont dissipe´s ou fort affaiblis. Ils doivent avoir, et j’ose affirmer qu’ils ont, le besoin de se pre´senter tels qu’ils sont aux yeux de la France. J’ignore jusqu’a` quel point des liens individuels pourront les retenir. Si les ministres leur ont te´moigne´ toute la reconnaissance qu’ils avaient droit d’attendre ; si l’on a senti l’importance de leurs services ; si l’on a de´fe´re´ a` la sagesse de leurs conseils, ils seront plus doux peut-eˆtre et plus re´serve´s dans leurs dissentimens. Mais alors meˆme, ils ne ne´gligeront pas ce qu’ils doivent a` leur re´putation propre ; et il est a` pre´sumer que tantoˆt ils renforceront l’opposition contre le ministe`re, et que d’autrefois, ce qui ne sera pas moins salutaire, ils engageront le ministe`re lui-meˆme a` ne pas les forcer de se re´unir a` l’opposition. Tels sont les e´le´mens que je crois apercevoir dans la Chambre des de´pute´s, depuis les e´lections dernie`res. Je les ai de´crits avec une complette impartialite´. J’ai commence´ par reconnaıˆtre que nous avions fait des progre`s vers le bien. Il est naturel que chaque parti s’en attribue le me´rite a` lui seul. Mais j’ai prouve´, ce me semble, qu’il e´tait permis de penser, sans malveillance, que ces progre`s tenaient autant a` la re´sistance que le ministe`re a e´prouve´e ou pre´vue qu’a` ses intentions personnelles2. La tendance de tout ministe`re est d’empie´ter3. La tactique de tout ministe`re est de nier cette tendance. Mais je suis convaincu que les ministres 7 de`s-lors ] de`s lors A2
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14 des ] les A2
20 d’autrefois ] d’autres fois A2
retour des de´sordres de la Re´volution, l’opinion publique se re´signe facilement a` la dissolution du Conseil des Anciens et du Conseil des Cinq-Cents et au de´part des directeurs pour permettre l’installation du Consulat, et le 5 septembre 1816 ou`, par crainte d’une trop forte re´action royaliste provoque´e par la Chambre introuvable, l’opinion a plutoˆt bien accueilli la dissolution de cette dernie`re. BC pense probablement a` Camille Jordan. Fortes manœuvres de se´duction de BC pour rallier au libe´ralisme le maximum de de´pute´s. Quelle qu’ait e´te´ son influence exacte, nombre de personnalite´s vont en effet adopter une posture mode´re´e, de sorte qu’on peut parler d’une «dissidence doctrinaire» (Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, p. 222. Voir aussi p. 950, n. 4). Cette belle formule re´pond, comme en e´cho, a` la ce´le`bre affirmation de Montesquieu : «tout
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eux-meˆmes ont l’esprit assez juste pour ne pas exiger au fond de leur cœur que nous ajoutions foi a` ces protestations d’e´tiquette. Le systeˆme repre´sentatif est un systeˆme de lutte. S’il n’y avait pas de lutte, le systeˆme repre´sentatif serait le plus mauvais des systeˆmes. L’important n’est pas que le ministe`re actuel reste en place ou qu’il en sorte. C’est une question tre`s secondaire pour nous, spectateurs et gouverne´s. L’important est que le ministe`re quelconque appele´ a` re´gir la France, soit circonscrit dans les limites de son pouvoir constitutionnel, qu’il sente que ce pouvoir qu’il tient fort a` conserver, n’est en suˆrete´ que dans ces limites, et qu’il se persuade qu’en marchant au jour le jour, en sautant d’une loi d’exception a` l’autre, comme de branche en branche, il n’e´tablira rien de national.
5 ou ] ou` A1
6 sorte. C’est ] sorte ; c’est A2
homme qui a du pouvoir est porte´ a` en abuser» (L’Esprit des Lois, livre XV, chap. 4). En somme, BC l’adapte au parlementarisme. De meˆme, quelques lignes plus loin lorsqu’il fait l’e´loge d’un «systeˆme de lutte», il rejoint le «Il faut que [...] le pouvoir arreˆte le pouvoir» de Montesquieu (ibidem).
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II. Convocation des Chambres, discours du Roi, adresses des deux Chambres.
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Je ne m’e´tendrai pas sur les ope´rations pre´liminaires des Chambres. Dans celle des de´pute´s, les pouvoirs ont e´te´ ve´rifie´s avec e´quite´ et bien veillance. Le public avait pu craindre que malgre´ le sens litte´ral et positif de la Charte, dans l’article qui de´termine l’aˆge ne´cessaire aux de´pute´s, une interpre´tation fausse et force´e n’en repoussaˆt deux, sur lesquels les amis de la liberte´ ont place´ des espe´rances qui rendront l’opinion a` leur e´gard attentive et peuteˆtre exigeante1. L’e´ve´nement a prouve´ que cette crainte n’e´tait pas fonde´e ; l’assemble´e a de´cide´ cette anne´e comme l’anne´e dernie`re ; et une pre´diction peu obligeante, qui avait de´ce´le´ trop naı¨vement une partialite´ de´place´e, a e´te´ de´mentie. Dans la formation des bureaux de la Chambre des pairs, un choix a cause´ quelque surprise2 : mais on ne s’est pas occupe´ long-tems d’une
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Il s’agit de Casimir Pe´rier, e´lu du de´partement de la Seine, et de M. Hernoux, e´lu du de´partement de Coˆte-d’Or. C’est surtout le premier (1777–1832) qui est promis a` une belle carrie`re. BC fait preuve de prescience en e´voquant les espoirs que placent en lui les amis de la liberte´ : au de´but de son mandat, Casimir Pe´rier, banquier et connu pour ses compe´tences financie`res, se consacre au controˆle du budget. C’est progressivement que son libe´ralisme s’affirme. Il s’oppose au ministe`re Polignac tout en restant un homme d’ordre, finit par se rallier a` Louis-Philippe qui l’appelle a` la pre´sidence du conseil en 1831, fonction qu’il exerce jusqu’a` sa mort l’anne´e suivante, emporte´ par l’e´pide´mie de chole´ra. Pour revenir a` son premier mandat : lors de la validation des e´lections par la Chambre, l’e´lection de Casimir Pe´rier fait difficulte´ puisque, e´lu le 26 septembre 1817, il n’a eu quarante ans que le 11 octobre 1817, date ante´rieure a` l’ouverture de la session de la Chambre. Or, l’article 38 de la Charte prescrit que «Aucun de´pute´ ne peut eˆtre admis dans la Chambre, s’il n’est aˆge´ de quarante ans». Finalement, en se´ance ple´nie`re, il est rappele´, comme le souligne BC, que le proble`me s’e´tait de´ja` pose´, pour la session de 1816, a` l’e´gard de M. de Fargue et qu’il avait e´te´ admis. Casimir Pe´rier est donc confirme´ (Moniteur, no 315, 11 novembre 1817, p. 1244b). Le proble`me se pose un peu plus tard pour M. Hernoux qui a eu quarante ans le 30 octobre. Malgre´ quelques voix discordantes, la meˆme jurisprudence lui est applique´e et il est confirme´ (Moniteur, no 315, 11 novembre 1817, p. 1244c). Sont e´lus membres du bureau de la Chambre des Pairs : le vicomte de Lamoignon, le marquis Dessolle, le mare´chal duc de Feltre et le mare´chal duc de Raguse (Moniteur no 317, 13 novembre 1817, p. 1251b). C’est l’e´lection de ce dernier qui pose quelques proble`mes au point qu’il faut lui re´server un troisie`me tour de scrutin. Ce mare´chal d’Empire, familier de Napole´on, avait e´te´ a` l’origine directe de la premie`re abdication en 1814 en ordonnant a` ses troupes d’abandonner la de´fense de Paris ce qui lui vaut d’eˆtre a` l’origine du mot «ragusade» pour de´signer une trahison, avec une re´putation de fe´lon qui le poursuit jusqu’a` sa mort, meˆme chez les royalistes qui en ont e´te´ les be´ne´ficiaires.
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singularite´ sans importance. A moins que les individus ne soient dangereux, on les oublie vite, et le discours e´mane´ du trone a bientoˆt absorbe´ toutes les pense´es. En Angleterre ce discours est reconnu pour l’ouvrage des ministres, et l’opposition, de meˆme que les e´crivains, s’arroge le droit de le critiquer1. En France, conside´re´ comme appartenant au Roi lui-meˆme, ce discours est plutoˆt un objet de respect que d’examen, et l’on y rele`ve avec bonheur les phrases qui preˆtent a` l’espe´rance2. De ce nombre est la de´claration que les lois sont pre´pare´es pour mettre les dispositions du concordat en harmonie, non-seulement avec les liberte´s de l’Eglise gallicane, ce qui n’euˆt rassure´ que les catholiques, mais avec la Charte, ce qui corrobore les droits qu’elle a garantis aux autres cultes a.
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Je dois observer, comme ve´rite´ de fait, que cette phrase e´tait e´crite avant que le concordat euˆt paru3.
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Ce fut une pratique a` peu pre`s constante, sous les monarchies traditionnelles, que le chef de l’E´tat ouvre la re´union des assemble´es qu’il venait de convoquer pour leur faire part de la situation du pays, de sa politique et des mesures qu’il entendait leur proposer. Avec la monte´e du parlementarisme en Grande-Bretagne et le principe selon lequel le roi re`gne et ne gouverne pas, le «discours du troˆne» est devenu l’occasion pour le monarque de lire, avec plus ou moins de conviction, un texte entie`rement pre´pare´ par le gouvernement et qui n’engage que la responsabilite´ de ce dernier. Telle est la situation encore de nos jours : nul ne songerait a` imputer a` la reine d’Angleterre les mesures annonce´es dans son «discours du ` l’inverse, c’est le discours du l’e´tat de l’Union, prononce´ au de´but de chaque troˆne». A anne´e par le pre´sident des E´tats-Unis qui e´voque le mieux ce qu’e´taient les discours du troˆne dans les monarchies traditionnelles : un ve´ritable discours-programme. Si, en 1817, la crainte du retour de l’instabilite´ des de´cennies pre´ce´dentes, contribue a` l’accueil plutoˆt respectueux re´serve´ au discours du troˆne de Louis XVIII, par la suite cet exercice donnera lieu a` pas mal de pole´miques qui s’expriment notamment lors du vote de l’adresse re´dige´e en re´ponse a` ce discours, de´clenchant le processus qui conduira a` la chute de Charles X, incitant Napole´on III a` attendre 1860 pour autoriser le Corps le´gislatif a` re´pondre par une adresse a` son discours du troˆne. Moniteur, no 31, 6 novembre 1817, p. 1221a-b : extrait du discours de Louis XVIII pour l’ouverture de la session des chambres le 5 novembre 1817 : «Le traite´ avec le Saint-Sie`ge que je vous ai annonce´ l’anne´e dernie`re a e´te´ conclu [11 juin 1817]. J’ai charge´ les ministres, en vous le communiquant, de vous proposer un projet de loi ne´cessaire pour donner la sanction le´gislative a` celles de ses dispositions qui en sont susceptibles, et pour les mettre en harmonie avec la Charte, les lois du royaume, et ces liberte´s de l’Eglise gallicane, pre´cieux he´ritage de nos pe`res [...]». En re-ne´gociant un Concordat avec le pape, re´glant les rapports de l’Eglise de France avec la papaute´, Louis XVIII souhaitait annuler l’accord signe´ par Bonaparte en 1801 et revenir a` celui accepte´ par Franc¸ois 1er en 1516. Le nouveau texte pre´sente´ a` la Chambre le 22 novembre 1817 me´contente autant les libe´raux que certains traditionalistes attache´s au gallicanisme, surtout dans la mesure ou` il pre´voit l’augmentation
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De ce nombre est encore l’abolition des cours pre´voˆtales1. Une autre partie du discours royal consacre un principe d’une juste se´ve´rite´ dans ses conse´quences : c’est que meˆme les sacrifices faits dans l’intention louable de soulager le peuple, ont besoin, pour n’eˆtre pas des actes irre´guliers, de l’approbation le´gislative, doctrine constitutionnelle et importante ; car si, meˆme pour des actes ne´cessaires, mais anticipe´s, de soulagement et de bienfaisance, la sanction des repre´sentans de la nation est indispensable aux ministres, ce principe s’applique, a` plus forte raison, a` tous les actes de rigueur2, et une latitude alarmante qu’on a voulu donner plus d’une fois au 14e article de notre Charte3, est solennellement interdite.
6 meˆme pour ] pour A2
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du nombre des sie`ges e´piscopaux (art. 4) et qu’il comporte un engagement du roi tre`s chre´tien de mettre en œuvre «tous les moyens qui sont en son pouvoir pour faire cesser le plus toˆt possible les de´sordres et les obstacles qui s’opposent au bien de la religion, et a` l’exe´cution des lois de l’E´glise» (art. 10). Beaucoup, et notamment BC, espe`rent qu’une discussion devant les Chambres permettra de remettre en cause certaines concessions trop vite accorde´es, sous couleur d’interpre´tation et un peu comme Bonaparte l’avait fait avec les «articles organiques». Le de´bat ira au-dela` de leurs souhaits puisque, aucun accord ne se de´gageant, le Concordat de 1817 ne s’appliquera pas, laissant en place celui de 1801 jusqu’a` la se´paration des Eglises et de l’E´tat en 1905, et meˆme jusqu’a` nos jours dans l’Alsace-Moselle, allemandes entre 1871 et 1918. Comme souvent, BC interpre`te de fac¸on optimiste («abolition des Cours pre´voˆtales») ce qui n’est qu’une promesse de ne pas les proroger : «Toutefois, j’e´prouve la satisfaction de vous annoncer que je ne juge pas ne´cessaire la conservation de ces cours pre´voˆtales au dela` du terme fixe´ pour leur existence par la loi qui les institue» (Moniteur, no 310, 6 novembre 1817, p. 221b). En fait ces Cours, ressuscite´es par la loi du 27 de´cembre 1815, reprenaient une tradition de l’Ancien re´gime et du re´gime napole´onien (contre les Vende´ens) permettant une justice expe´ditive contre les geˆneurs : en l’occurrence des jugements sans jury et sans appel a` l’encontre des crimes politiques. La loi pre´voyant de ne plus s’appliquer «apre`s la session de 1817, si elle n’a e´te´ renouvele´e dans le courant de ladite session» (Collection des lois, t. XX, p. 152), les Cours pre´voˆtales disparurent en mai 1818. Voir pp. 936–937, n. 4. Moniteur, no 310, 6 novembre 1817, p. 221b : autre extrait du discours de Louis XVIII pour l’ouverture de la session des Chambres le 5 novembre 1817 : le roi indique qu’a` la suite des mauvaises re´coltes de 1816, il a duˆ «pour adoucir les malheurs des tems [...] demander au tre´sor des sacrifices extraordinaires». Il annonce qu’un tableau de ces de´penses non pre´vues sera communique´ aux Chambres et qu’il compte sur leur approbation. De´cide´ment optimiste, BC interpre`te cette annonce comme une renonciation a` prendre des mesures de rigueur sans un vote des Chambres. L’article 14 de la Charte pre´voit : «Le roi est le chef supreˆme de l’E´tat, il commande les forces de terre et de mer, de´clare la guerre, fait les traite´s de paix, d’alliance et de commerce, nomme a` tous les emplois d’administration publique, et fait les re`glements et ordonnances ne´cessaires pour l’exe´cution des lois et la suˆrete´ de l’E´tat». BC a raison de se me´fier des mesures liberticides qui risquent d’eˆtre impose´es, en application de cet article, par des ordonnances soi-disant prises au nom de la suˆrete´ de l’E´tat : c’est ainsi que Charles X tentera, en 1830, de re´tablir la censure sur la presse et de modifier la loi e´lectorale. Apre`s sa chute, la Charte de 1830 retirera cette faculte´ au monarque.
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Les adresses par lesquelles les deux Chambres ont re´pondu au discours du Roi, renferment, a` quelques de´veloppemens pre`s, les meˆmes ide´es que S.M. avait e´mises. Celle des pairs excitait a` juste titre la curiosite´ publique, parce qu’elle partait d’une plume exerce´e a` ce genre de travail, et dont le talent, de´ploye´ a` toutes les e´poques avec un e´gal succe`s, a duˆ se muˆrir et se fortifier par une pratique aussi constante1. On a reconnu en effet, dans cette adresse, ce talent invariable depuis 1800 jusqu’en 1813, et depuis 1814 jusqu’a` pre´sent. Il est a` regretter qu’un mouvement peu explicable d’aristocratie ait pousse´ le noble re´dacteur a` insinuer que c’e´tait surtout dans la carrrie`re militaire que les meˆmes dangers avaient droit aux meˆmes honneurs ; comme si l’e´galite´ n’e´tait pas consacre´e dans toutes les carrie`res2. Il euˆt mieux valu aussi plaindre la France d’eˆtre victime de trop de gloire, que
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La commission charge´e de pre´parer le projet d’adresse de la Chambre des Pairs en re´ponse au discours du troˆne comprend les marquis de Fontanes, de Lally-Tolendal, de Garnier et de Marbois ainsi que le duc de Lavauguyon (Moniteur, no 313, 9 novembre 1817, p. 1236a). L’allusion fielleuse de BC qui pourtant se pique de ne pas e´voquer les positions passe´es, vise Louis de Fontanes (1757–1821) qui, a` coˆte´ de ses fonctions de Grand-Maıˆtre de l’Universite´ sous le re´gime impe´rial, se fit une spe´cialite´ des discours louangeurs a` l’e´gard du chef de l’E´tat, Napole´on d’abord, Louis XVIII ensuite. Certains sont reste´s comme des classiques, tel l’e´loge fune`bre de Georges Washington prononce´ en 1800 sur l’ordre expre`s du Premier Consul et qui est a` l’origine de son retour aux affaires, tel le discours marquant en 1807 le transfert aux Invalides de l’e´pe´e de Fre´de´ric II, tels ceux prononce´s en 1814 pour accueillir le comte d’Artois et pour marquer l’arrive´e du roi a` Paris, tel encore celui pour accueillir Louis XVIII a` Saint-Denis en 1815. L’outrance de ses compliments et la rapidite´ de ses revirements lui valent pas mal de moqueries. En meˆme temps la qualite´ de son style incite a` faire syste´matiquement appel a` lui, comme membre puis pre´sident du Corps le´gislatif, puis comme se´nateur enfin comme pair de France (Aileen Wilson, Fontanes (1757– 1821) : essai biographique et litte´raire, Paris : Boccard, 1928). L’adresse de la Chambre des Pairs en re´ponse au discours du troˆne est d’une noble platitude, sans aucune aspe´rite´ que l’on puisse imputer a` ses auteurs (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1257a-c). Il faut toute la me´chancete´ de BC qui n’en est pourtant pas coutumier pour y trouver a` redire. La premie`re remarque est la plus mordante et la plus injuste. L’adresse se termine en fe´licitant le monarque d’avoir annonce´ un projet de loi sur le recrutement de l’arme´e : «Cette loi qui n’admettra d’autre distinction que les talens [sic] et les services, e´tait vivement de´sire´e par la valeur franc¸aise. C’est surtout dans cette carrie`re que le partage des meˆmes dangers justifie l’ambition des meˆmes honneurs» (Moniteur no 319, 15 novembre 1817, p. 1257c). BC interpre`te cette formule banale sur l’e´galite´ dans les camps et devant les dangers comme impliquant l’absence d’e´galite´ parmi les carrie`res civiles et affecte de s’en e´tonner de la part d’un «noble re´dacteur» victime d’un «mouvement peu explicable d’aristocratie», ce qui revient a` rappeler, pour s’en moquer, ce titre de marquis confe´re´ par le roi a` Fontanes le 31 aouˆt 1817, donc trop re´cemment pour qu’il soit pris au se´rieux et pour des motifs au premier rang desquels beaucoup affectent de placer la flagornerie a` l’e´gard de tous les re´gimes.
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la montrer en ayant e´te´ punie1 ; et je ne sais s’il fallait parler de doctrines pernicieuses, tandis que le Roi n’avait inse´re´ dans son discours aucune expression de blaˆme2. Mais il faut excuser une habitude contracte´e, et conserve´e depuis si long-tems, au milieu de circonstances diverses3. Dans l’adresse des de´pute´s, l’on s’est e´tendu davantage sur l’objet fondamental, sur l’objet unique qui doit re´unir tous les vœux, et qui, s’il en e´tait besoin, re´unirait tous les efforts des Franc¸ais. Les de´pute´s ont re´pondu noblement au noble appel parti du troˆne. «Vos peuples, ont-ils dit au Roi, ont subi avec douleur, mais dans le silence, les traite´s du mois de novembre 1815 : apre`s avoir fait les derniers efforts pour les exe´cuter fide`lement, apre`s que des anne´es calamiteuses ont infiniment ajoute´ a` la rigueur des conditions explicites de ces traite´s, nous ne pouvons croire qu’ils rece`lent des conse´quences exorbitantes, qu’aucune des parties contractantes n’avait pre´vues4.» L’on assure que dans un comite´ secret, cette question a e´te´ aborde´e avec plus de franchise encore ; et quelque de´licat que ce sujet puisse eˆtre, comme l’ame d’aucun Franc¸ais, ne peut en approcher sans qu’il
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Autre allusion a` une formule fort classique a` l’e´poque faisant l’e´loge «de cette nation franc¸aise qui, retrouvant toutes ses vertus dans les e´preuves des malheurs, n’a point murmure´, jusqu’ici, d’avoir e´te´ punie de trop de gloire» (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1257b). Il n’y a gue`re d’un peu inhabituel, dans cette phrase, que de faire allusion a` la gloire qui a entoure´ le re´gime pre´ce´dent, sujet plutoˆt tabou sous la Restauration, ce qui ne fait de ce texte ni un exemple de courtisanerie, ni un te´moignage de courage. Autre formule a` laquelle l’on ne peut reprocher que son manque d’originalite´ en ces temps de contre-re´volution triomphante, faisant re´fe´rence aux souverains allie´s «contre ces doctrines pernicieuses qui, d’un bout de l’Europe a` l’autre, menac¸aient les anciennes dynasties et la socie´te´ tout entie`re» (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1257b). En contrepoint de cette phrase qui se veut le coup de graˆce a` l’e´gard d’un habitue´ de la courtisanerie, on rappellera que Fontanes fut un des rares pairs de France a` ne pas voter la condamnation du mare´chal Ney. Citation exacte du texte figurant dans le Moniteur, no 323, 19 novembre 1817, p. 1273b. BC a visiblement envie de faire l’e´loge de cette Chambre des De´pute´s dans laquelle il met beaucoup d’espoir depuis que les re´centes e´lections ont sanctionne´ l’e´chec des ultras. En meˆme temps, il fait allusion a` des rumeurs qui e´voquent un risque de refus d’e´vacuation des troupes e´trange`res qui occupent encore la France, soit en application de clauses secre`tes des traite´s de 1815 (BC y fait expresse´ment allusion), soit sous la pression d’ultras qui craignent une arrive´e au pouvoir de la gauche (ce sera le the`me d’une note secre`te adresse´e en 1818 par un ultra, Vitrolles, semble-t-il avec l’accord du comte d’Artois, aux gouvernements e´trangers pour qu’ils profitent de la proximite´ de leurs troupes pour imposer au roi le retour de l’extreˆme droite au gouvernement. Habilement exploite´e par Decazes, cette note contribue a` l’impopularite´ des ultras et vaut a` Vitrolles d’eˆtre radie´ de la liste des ministres d’E´tat). Entre-temps, Richelieu obtient, le 2 octobre 1817, la libe´ration du territoire, beau succe`s diplomatique qui ne l’empeˆche pas de perdre son poste de Premier ministre le mois suivant.
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sente le devoir de s’expliquer, au moins pour son compte, et de prendre rang parmi les de´fenseurs de son pays, je ne reculerai pas devant l’occasion, et je dirai aussi ma pense´e. Je le puis avec d’autant plus de liberte´, que lorsque nos arme´es e´taient pousse´es, par l’insatiable ambition d’un homme, sur le territoire e´tranger, je ne partageais point l’espe`ce de triomphe avec lequel des esprits trop sensibles a` la gloire, apprenaient ces victoires innombrables qui nous e´taient inutiles et qui devaient toˆt ou tard nous devenir funestes. Te´moin, dans l’exil, des maux ine´vitables qui pesaient sur tant de peuples, je ge´missais de voir des Franc¸ais en eˆtre les instrumens, et si le sang Franc¸ais n’avait pas coule´, l’affranchissement de l’Allemagne m’aurait semble´ une e´poque heureuse. Mais enfin ces maux de la guerre, est-il bien vrai que les Franc¸ais seuls en soient les auteurs ? Ces arme´es qu’on accuse aujourd’hui des de´vastations pour lesquelles d’impossibles de´dommagemens sont, dit-on, re´clame´s1 ; ces arme´es n’e´taient-elles compose´es que de Franc¸ais ? J’y vois des Allemands de toutes les parties de cette contre´e immense, marchant a` notre suite, ou dans nos avant-gardes, nous frayant la route, nous ouvrant leur patrie, nourris comme nos soldats par les habitans, et entraıˆne´s comme nos soldats aux de´sordres inse´parables de toutes les ope´rations militaires, des rencontres, des attaques, des sie´ges, des retraites, des combats. Avant d’exiger des paysans de la Normandie ou de la Champagne, des indemnite´s ruineuses, il faudrait savoir si les dommages, les destructions et les ruines qui motiveraient ces indemnite´s, ne sont pas en partie l’ouvrage des Wurtembergeois, des Westphaliens et des Bavarois. Car tous entouraient nos drapeaux : tous obe´issaient aux ordres de Bonaparte : et je ne conc¸ois gue`re d’apre`s quel principe nous serions tenus de de´dommager les e´trangers du mal qu’ils se sont fait a` eux-meˆmes. On objecte que nous les y contraignions : mais ils oublient qu’a` leur tour ils nous forc¸aient de les y contraindre. L’Europe entie`re n’e´tait-elle pas l’allie´e de ce gouvernement impe´rial, dont on veut maintenant rendre la France seule complice, pour l’en rendre seule solidaire ? Ou` e´tait, dans les e´tats voisins, ou meˆme dans les e´tats les plus e´loigne´s de nous, l’asyle qu’aurait pu chercher un ennemi de´clare´ de l’autorite´ sans bornes qui nous gouvernait ? Nos malheureux conscrits avaient-ils des moyens de re´sistance, quand l’univers, s’ils avaient re´siste´, les euˆt punis comme rebelles, ou livre´s comme de´serteurs ? pouvaient-ils, par exemple, dans la de´sastreuse expe´dition de Russie, ne pas marcher au centre d’une arme´e dont les Prussiens formaient l’aile gauche, et dont les Autrichiens formaient l’aile 10 instrumens, et ] instruments ; et, A2 A2 1
Voir ci-dessus, p. 761, n. 2.
28 y contraignions ] contraignions A2
32 ou ] ou`
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Convocation des Chambres, discours du Roi, adresses des deux Chambres
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droite ? Si les conqueˆtes de quinze anne´es ont e´te´ un fle´au pour toute la terre, nul ne peut se le reprocher, car tous ont subi ce fle´au, et tous successivement l’ont fait subir aux autres. L’e´poque de la paix de l’Europe doit eˆtre celle en meˆme tems de la re´conciliation et de la justice europe´enne. Les e´trangers eux-meˆmes doivent applaudir a` ce vœu. Ils doivent estimer les voix courageuses qui l’expriment, car ils ont estime´ ceux de leurs compatriotes qui re´clamaient contre nous : et ce qui alors e´tait vertu n’est pas devenu crime.
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III. Proposition de M. de Serre. Projet de loi sur la liberte´ de la presse.
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Si la proposition de M. de Serre1 sur les changemens a` introduire dans le re´glement de la Chambre n’avait pas e´te´ accueillie de manie`re a` ce que son adoption semble tre`s-douteuse, je me serais livre´ a` l’examen d’un projet dont le de´faut principal n’a consiste´ peut-eˆtre que dans le nombre et dans la diversite´ de ses articles. En embrassant des objets trop varie´s, l’auteur de ce projet a fait rejaillir sur les dispositions les plus sages et les mieux conc¸ues une de´faveur occasionne´e par d’autres dispositions dont l’utilite´ paraissait moins e´vidente. Ainsi, rien de plus raisonnable que l’e´tablissement de trois de´bats successifs2, l’interdiction des discours e´crits dans le second de´bat3, la 1
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Pierre-Franc¸ois-Hercule comte de Serre (1776–1824) e´migre sous la Re´volution. Il est magistrat sous l’Empire, de´pute´ de 1815 jusqu’a` sa mort, monarchiste constitutionnel, pre´sident de la Chambre en 1816 et 1817, Garde-des-sceaux de 1818 a` 1821. Ses propositions de modifications du re`glement de la Chambre suivent de tre`s peu son e´lection comme pre´sident en 1817 : c’est le 10 novembre 1817 qu’au terme d’un scrutin qui lui permet de rassembler 123 voix sur 190 votants, il est inscrit en premier sur la liste propose´e au roi pour la pre´sidence (Moniteur, no 315, 11 novembre 1817, p. 1244c). Il est nomme´ pre´sident par ordonnance royale du 12 novembre 1817 (Moniteur, no 318, 14 novembre 1817, p. 1255a). Sa proposition tendant a` admettre plusieurs changements dans le re`glement de la Chambre des De´pute´s est pre´sente´e le 14 novembre 1817 (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1260). Cette proposition est accompagne´e d’un expose´ des motifs (Moniteur no 321, 17 novembre 1817, p. 1266 et 1267) qui s’ouvre par le constat que la Chambre pre´ce´dente (dite «Chambre introuvable» par les contemporains, voir p. 937, n. 2) a duˆ travailler dans l’improvisation (par un manque d’expe´rience en matie`re de «syste`me repre´sentatif») et l’urgence (par la crainte de la dissolution). Le temps est venu de tenir compte des premie`res expe´riences acquises et de la perspective de disposer d’une dure´e plus longue. La proposition d’imposer trois de´bats successifs pour le vote d’une loi (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1260b) s’appuie sur le constat que le travail pre´alable en commission ne suffit pas a` garantir la qualite´ des votes e´mis et des textes vote´s pour ce qui est de «l’œuvre la plus importante a` laquelle l’homme puisse eˆtre appele´, celle de dicter des lois a` ses semblables ; nous ne trouverons cette garantie que dans le principe tire´ de la nature des choses adopte´es par les assemble´es publiques les plus sages, la division du de´bat, le partage de la discussion en e´poques d’examens successifs» (Moniteur, no 321, 17 novembre 1817, p. 1267a). De Serre re´pond a` l’avance a` l’argument consistant a` craindre un allongement des de´bats en faisant valoir qu’il ne devrait pas y avoir beaucoup plus d’orateurs souhaitant intervenir : simplement, ils se re´partiront entre les trois de´bats. De toute fac¸on, la perspective que des de´bats plus longs se traduisent par le vote d’un nombre de lois moins important n’est pas pour de´plaire a` BC qui se me´fie d’un trop grand nombre de lois, dangereuses pour la liberte´ des individus. Voir A. Cabanis et O. Devaux, «La liberte´ contre la loi chez Benjamin Constant», Pense´e politique et loi, Aix-en-Provence 2000, pp. 249–263. La proposition d’interdire que les orateurs intervenant dans le cadre du second de´bat puis-
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faculte´ laisse´e au pre´sident d’accorder la parole a` qui la demande, sauf la de´cision de l’assemble´e en cas de re´clamation1, l’obligation impose´e a` tout de´pute´ que deux de´partemens ont e´lu, de choisir celui des deux qu’il veut repre´senter2. Mais la nomination des commissions par l’assemble´e entie`re, quelque naturel et meˆme pre´fe´rable que ce mode paraisse au premier coup d’œil, aurait aujourd’hui cet inconve´nient, que la majorite´ se trouverait investie du droit de nommer toutes les commissions, avant d’avoir contracte´ par l’expe´rience cette habitude d’impartialite´ qui la portera un jour a` composer les commissions d’un nombre a` peu pre`s e´gal de ministe´riels et d’opposans. Il n’est malheureusement pas encore dans notre caracte`re de rendre hommage aux lumie`res de ceux dont l’opinion n’est pas conforme a` la
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sent lire leur discours (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1260b) s’appuie sur le constat de «l’impatience que manifeste habituellement la Chambre, lorsque de longues lectures viennent occuper le de´bat des articles et amendements». De Serre sait pourtant qu’a` l’e´poque, la plupart des orateurs ont l’habitude d’intervenir en s’appuyant sur un texte entie`rement re´dige´ ; il affecte de minimiser la difficulte´ : «C’est un effort de´sirable pour lequel la volonte´ nous manque bien plus que la capacite´» (Moniteur, no 321, 17 novembre 1817, p. 1267a). La proposition de renoncer a` e´tablir un ordre pre´de´termine´ de prise de parole pour chaque de´bat et donc de confier au pre´sident le soin de donner la parole, apre`s chaque orateur, au premier membre qui la demande, avec possibilite´ de faire trancher par la Chambre toute contestation en ce domaine, occupe l’article 28 dans les propositions de modification du re`glement de la Chambre (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1260a). Elle s’appuie sur le constat que «le mode actuel d’inscription pour la parole a e´te´ reconnu essentiellement vicieux ; toutes les fois qu’il y a concours, il produit des sce`nes peu dignes de la gravite´ des Chambres ; elles ont meˆme parfois de´ge´ne´re´ en scandales» (Moniteur, no 321, 17 novembre 1817, p. 1267b). La crainte que plusieurs orateurs se pre´cipitent pour intervenir avant les autres est sans doute atte´nue´e, chez les partisans de ce syste`me comme BC, par le constat que la plupart souhaitent intervenir le plus tard possible pour avoir de plus grandes chances d’influencer le vote. La proposition d’obliger les de´pute´s e´lus dans plusieurs de´partements d’indiquer leur choix a` la Chambre et, a` de´faut, de se soumettre a` un choix de´termine´ par tirage au sort, occupe l’article 5 dans les propositions de re´forme du re`glement de la Chambre (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1260a). Elle s’appuie sur le constat que les doubles ou triples repre´sentations se traduiraient par une diminution du nombre des de´pute´s, ce qui serait regrettable du point de vue de la composition de la Chambre (Moniteur, no 321, 17 novembre 1817, p. 1267b). Malgre´ ces inconve´nients mais parce qu’elle multipliait les chances d’eˆtre e´lu, surtout pour les personnalite´s be´ne´ficiant d’une notorie´te´ au niveau national, l’autorisation des candidatures multiples ne sera de´finitivement supprime´e que par une loi du 17 juillet 1889, apre`s qu’elle ait failli permettre au ge´ne´ral Boulanger de re´aliser un ve´ritable ple´biscite sur son nom en se pre´sentant dans tous les de´partements comme il en avait eu l’intention.
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noˆtre. Il faut donc laisser a` la minorite´ toutes les chances du hasard ; et le mode actuel de nommer les commissions d’apre`s la division en bureaux, division a` laquelle pre´side le sort, prote´ge jusqu’a` un certain point cette minorite´ contre l’exclusion qui la menace. Ce mode est donc salutaire dans la circonstance1. L’autorisation donne´e a` soixante membres de de´libe´rer et de voter sur les projets de loi ou sur les propositions soumises a` la Chambre, aurait, dans un tems de parti, un danger du genre oppose´ ; et aussi long-tems que les lois seront des armes que les partis emploient l’un contre l’autre, il est bon d’empeˆcher les premiers arrive´s ou les derniers restant, de faire des lois2. Quant a` l’emprisonnement, qui est un usage imite´ des Anglais, la de´sapprobation qu’a te´moigne´e l’assemble´e me dispense de m’e´lever contre une rigueur dont l’abus serait trop facile3. J’espe`re seulement que nos de´pute´s,
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La proposition que les commissions charge´es d’e´tudier les projets de loi avant leur passage en se´ance ple´nie`re, soient de´signe´es par la Chambre tout entie`re au lieu d’eˆtre l’e´manation de celui des bureaux auquel le projet a e´te´ confie´, figure parmi les plus longues propositions de re´forme du re`glement de la Chambre (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1260a-c). Elle s’appuie sur le constat que «ce fut une ve´ritable inconstitutionnalite´, dans notre re`glement, de faire sortir les commissions des bureaux ; c’e´tait admettre que les bureaux repre´sentaient la Chambre ; les commissions en conclurent qu’elles repre´sentaient les bureaux ; le rapporteur qu’il repre´sentait la commission ; leur inde´pendance et leur pouvoir devinrent exorbitants» (Moniteur, no 321, 17 novembre 1817, p. 1266a). De fait, l’article 45 de la Charte pre´voit que «La Chambre se partage en deux bureaux pour discuter les projets qui lui ont e´te´ pre´sente´s de la part du roi». L’explication un peu complique´e pre´sente´e par BC s’explique par le fait qu’au sein des bureaux, ou` les de´pute´s sont re´partis par tirage au sort, donc ou` la minorite´ est repre´sente´e de fac¸on ale´atoire, l’ambiance est moins tendue qu’en se´ance ple´nie`re, si bien que la minorite´ peut obtenir des places au sein des commissions lorsque ces dernie`res sont de´signe´es pour examiner un projet de loi. BC craint que, dans la chaleur des de´bats en se´ance ple´nie`re, la majorite´ de´cide de se re´server tous les sie`ges dans certaines commissions charge´es d’e´tudier des projets de loi particulie`rement importants ou discute´s. La proposition de fixer le quorum a` soixante de´pute´s, et non plus a` la moitie´ de la Chambre comme auparavant, occupe l’article 50 dans les propositions de re´forme du re`glement de la Chambre (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1260a). Elle s’appuie sur le constat qu’il peut arriver qu’une minorite´ de de´pute´s tente de bloquer le de´bat en quittant inopine´ment la se´ance (Moniteur, no 321, 17 novembre 1817, p. 1267b). BC y est oppose´ par crainte de votes-surprises e´manant d’un petit groupe de de´pute´s pre´sents en se´ance a` une heure d’assiduite´ re´duite. La proposition de pre´voir qu’en cas de «manquements graves ou insultes» d’un membre de la Chambre envers un autre membre ou envers la Chambre elle-meˆme, cette dernie`re puisse de´cider une peine de prison de ... jours au plus (le chiffre maximum n’est pas pre´cise´) occupe l’article suivant l’article 24 dans les propositions de re´forme du re`glement de la Chambre (Moniteur, no 319, 15 novembre 1817, p. 1260a). Elle s’appuie sur le constat que le rappel a` l’ordre, la censure ou l’inscription au proce`s-verbal pris a` l’encontre des
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lorsqu’il s’agira de la prison pour nous, c’est-a`-dire de la suspension de la liberte´ individuelle, n’oublieront pas ce qu’ils ont e´prouve´ quand il s’est agi de la prison pour eux. On n’a pas besoin d’eˆtre de´pute´ pour trouver un emprisonnement, meˆme de quelques jours, une chose faˆcheuse. Du reste, le discours de M. de Serre contient des ide´es saines, libe´rales et bien exprime´es. Rien n’est plus frappant, rien ne saurait eˆtre plus utile que le tableau qu’il trace de nos craintes excessives, avant l’exercice de chacun de nos droits constitutionnels, ainsi que des expe´riences qui sont venues toujours de´mentir nos craintes ; et l’on doit remarquer avec plaisir que ce qu’il dit, il le prouve ; car il suffit de comparer a` son discours de cette anne´e quelques-unes de ses phrases de la session dernie`re1, pour se convaincre que sa propre e´ducation politique a fait des progre`s. Je me proposais d’examiner ici le projet de loi sur la liberte´ de la presse, tribut annuel que les ministres payent a` l’opinion, et qui a ce rapport avec les autres effets publics, que la valeur nominale est d’ordinaire un peu diffe´rente de la valeur re´elle. Mais ce projet contient des dispositions obscures, que la discussion e´claircira sans doute, et je me sens hors d’e´tat de le juger, avant que ces obscurite´s, qui existent pour moi, peut-eˆtre par ma faute, ne soient dissipe´es. Je me bornerai dont a` quelques conside´rations ge´ne´rales. Tout ami de la liberte´ doit lire avec plaisir, dans le discours de S.E.M. le garde-des-sceaux2, «que l’esprit qui a pre´side´ a` la confection de la loi propose´e, est conforme a` l’esprit de la Charte...... que si l’on s’est pe´ne´tre´, en re´digeant cette loi, du danger d’une liberte´ sans bornes, on n’a point perdu de vue le danger d’enchaıˆner cette liberte´ salutaire, qui a jete´ un si grand jour sur les matie`res les plus hautes comme sur les plus communes, et qui est elle-meˆme un si puissant moyen de gouvernement. On a ce´de´ sans cesse au de´sir d’en assurer l’usage : on a interroge´ toutes les lois existantes : on les a compare´es avec cette liberte´ pre´cieuse, et on les a modifie´es a` son profit, toutes les fois que la suˆrete´ de l’e´tat, qui est la condition premie`re de tous les droits, a pu le permettre3.»
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de´pute´s trop violents «sont, dans des circonstances aussi affligeantes, d’impuissants moyens de re´pression». De Serre pense qu’il n’y a pas lieu de craindre une application trop rigoureuse de cette faculte´ : «Pre´voir le de´sordre, c’est souvent le pre´venir» (Moniteur, no 321, 17 novembre 1817, p. 1267b). Dans ses articles sur la session de 1816–1817 dans le Mercure, BC cite les formules rigoureuses de de Serre en faveur du maintien de l’ordre. C’est Etienne Pasquier (1767–1862) qui, comme ministre de la Justice et Garde des Sceaux, depuis janvier 1817 et jusqu’en de´cembre 1818, pre´sente le nouveau projet de loi sur la presse qui, menac¸ant d’eˆtre repousse´, sera remplace´ par un texte provisoire du 30 de´cembre 1817. Texte du discours du chancelier Pasquier, dont l’extrait est ici exactement rapporte´, dans le Moniteur, no 322, 18 novembre 1817, p. 1270a (pour ce qui est de la citation).
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Mais je me rappelle que j’ai lu, le 8 de´cembre 1816, dans le discours d’un autre ministre, que la loi propose´e le 7, e´tait destine´e «a` garantir et a` consolider cette pre´cieuse liberte´ de la presse, que la Charte consacre, qui doit e´clairer de son flambeau le gouvernement et la nation, et dont les abus meˆmes ne pourront de´sormais eˆtre re´prime´s que par les tribunaux, gardiens de tous les droits, aussi-bien que protecteurs de l’ordre public, du repos des familles, et de l’honneur des citoyens1.» Plus je suis convaincu de la since´rite´ parfaite du ministre qui prononc¸ait il y a un an ces paroles, plus il m’est e´vident que les ministres peuvent se tromper ; car, sans exhumer les faits assez re´cens qui de´montrent que cette loi, si vante´e d’avance, n’a ni garanti ni consolide´ la liberte´ de la presse, la seule proposition d’une loi nouvelle, qui est sans doute une preuve de la bonne intention pre´sente, en est une en meˆme tems de l’erreur passe´e. Si la loi du 28 fe´vrier dernier avait atteint son but, la loi actuelle serait inutile. Si ce but a e´te´ manque´ par la premie`re loi, les assurances ministe´rielles qui l’avaient pre´ce´de´e, perdent un peu de leur force, quand on nous les re´pe`te aujourd’hui2. Reconnaissons toutefois une ame´lioration importante. Dans le nouveau projet de loi, la responsabilite´ des imprimeurs est enfin de´termine´e3. On ne pourra l’e´tendre au-dela` de ses limites le´gales. S’il n’y a pas de provocations directes au crime, l’imprimeur ne sera passible de poursuites4, quel
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C’est Decazes qui pre´sente, en de´cembre 1816, le projet de loi sur la presse. BC le cite en utilisant non le Moniteur, no 343, 8 de´cembre 1816, p. 1374, mais la citation qu’il en a de´ja` faite, en juillet 1817, dans Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France et sur la doctrine du ministe`re public relativement a` la saisie des e´crits, a` la responsabilite´ des auteurs et des imprimeurs (voir ci-dessus, p. 672), citation qui pre´sente une petite variante par rapport au texte du Moniteur, au de´but de l’extrait : «Ainsi sur un point de´cisif, sera garantie et consolide´e cette pre´cieuse [le reste identique]» (p. 1374b). Dans Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, BC rend compte, a` l’e´poque avec une certaine bienveillance, du discours de Decazes (ci-dessus, pp. 672–673). Article 4 du projet de loi : «L’imprimeur n’est responsable que lorsque l’auteur, ou le traducteur, ou l’e´diteur ne sont pas connus, ou ne sont pas domicilie´s en France, ou lorsque l’auteur ou le traducteur n’ont pas consenti a` l’impression de l’ouvrage» (Moniteur, no 322, 18 novembre 1817, p. 1276a). Dans Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, BC commente deux proce`s de presse qui ont eu lieu de´but 1817, dirige´s non seulement contre les auteurs de deux opuscules (MM. Rioust et Chevalier) mais e´galement contre leurs imprimeurs : la veuve Perronneau et Jean-Gabriel Dentu. Il consacre a` condamner de telles poursuites la septie`me partie de sa brochure, sous le titre «Cinquie`me question. L’imprimeur qui a rempli toutes les formalite´s prescrites par les lois et par les re`glements de la librairie peut-il ne´anmoins eˆtre condamne´ comme complice de l’e´crivain ?» (ci-dessus, pp. 715–722). Il s’indigne que l’on veuille mettre a` la charge des imprimeurs une obligation d’e´valuer le
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que soit le contenu de l’ouvrage, que lorsque ni l’auteur, ni le traducteur, ni l’e´diteur ne seront connus ou domicilie´s en France. Suˆrement les Chambres pourvoiront a` ce qu’on n’abuse pas du mot de provocations directes, et a` ce que l’erreur des tribunaux, qui sont ce qu’ils e´taient l’an passe´, ne puisse donner a` ce mot une extension force´e. Sans cette pre´caution, toute la loi serait illusoire. Combien les ministres remercieront les de´pute´s de pre´server leur ouvrage d’un de´faut si grave, dont ils s’affligeraient les premiers ! Cette pre´caution prise, cette disposition de la loi sera une ame´lioration tre`s-pre´cieuse. On n’e´valuera plus, d’apre`s je ne sais quelle mesure ide´ale, l’intelligence d’un imprimeur. On ne lui fera plus l’honneur dangereux de le proclamer homme d’esprit, pour le de´clarer coupable. On ne supputera plus le nombre de minutes qu’il aura employe´es a` lire le manuscrit d’un auteur, afin de l’absoudre si la lecture a e´te´ rapide, et de le condamner si elle a e´te´ attentive ; c’est-a`-dire afin de le punir s’il s’est acquitte´ de son devoir avec scrupule, et de le re´compenser, s’il ne l’a rempli qu’avec insouciance1. C’est un grand pas, c’est une ve´ritable conqueˆte pour la liberte´ de la presse. Ceux qui ont contribue´ a` l’obtenir, doivent s’en fe´liciter. Elle est d’autant plus importante, qu’il e´tait a` craindre qu’elle ne fuˆt conteste´e. Des e´crivains vieillis dans la noble vocation de commenter les volonte´s, meˆme pre´sume´es, de l’autorite´, et qui, je suppose, se rendent tous les jours chez les ministres, pour leur demander chaque matin : «Qu’est-ce que votre Excellence ordonne aujourd’hui que je de´montre,» avaient de´ja` consacre´ leur flexible logique a` prouver qu’un imprimeur e´tait responsable des ide´es dont il favorisait la circulation. L’autorite´ les a de´savoue´s, et voila` encore de la bassesse et du sophisme en pure perte. Mais apre`s cet hommage, que je rends au projet de loi, je demande pourquoi, dans ce projet, je ne vois point de jure´s. Je sais que le jury a e´te´
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caracte`re plus ou moins se´ditieux des e´crits qu’ils publient alors qu’il y a la` une responsabilite´ a` la charge des auteurs. Au surplus, une telle contrainte pesant sur les imprimeurs pourrait les conduire a` refuser d’imprimer tout ce qui ne leur paraıˆtrait pas parfaitement anodin et BC de citer le cas de M. Chevalier, l’un des auteurs mis en cause, qui se serait heurte´ a` rien moins que «vingt-deux refus» (Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, ci-dessus, p. 720), lorsqu’il a voulu, selon l’habitude de l’e´poque, faire imprimer ses moyens de de´fense. Re´fe´rence explicite au fait que, dans le proce`s e´voque´ a` la note pre´ce´dente, M. Dentu a be´ne´ficie´ de l’indulgence de l’avocat du roi parce que «Si l’imprimeur a pu douter du sens des choses qu’il a imprime´es, si l’on peut penser qu’il ne les a pas comprises, il sera absous». BC s’indigne de cet argument consistant a` acquitter M. Dentu «en conside´ration de ce que sa lecture [...] avait e´te´ une lecture rapide». Et d’ajouter : «Par cette nouvelle doctrine, on invite les imprimeurs a` se de´clarer de´pourvus d’intelligence, et les auteurs a` eˆtre obscurs» (Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, ci-dessus, p. 719). Le projet de loi tendrait donc a` mettre fin a` de telles absurdite´s.
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propose´ dans le conseil-d’e´tat. Je sais que des hommes e´claire´s, amis de la liberte´ de leur pays, l’ont victorieusement de´fendu. C’est une raison pour insister et pour essayer, afin de l’obtenir, tous les efforts en notre puissance1. Ne nous lassons donc pas de redire, que tant que le jury n’existera pas, il n’y aura pas de liberte´ de la presse ; que le jury seul est juge compe´tent de la tendance, de l’effet, et de l’intention d’un ouvrage. Qu’il me soit permis de re´pe´ter ici ce que j’e´crivais pre´ce´demment sur cette matie`re a Je ne saurais comment varier mes phrases quand ma pense´e est la meˆme, et je crois que lorsqu’on a trouve´ pour une ide´e l’expression la plus claire ; on aurait tort d’en changer. Le sens d’un livre de´pend d’une foule de nuances. Mille circonstances aggravent ou atte´nuent ce qu’il peut avoir de re´pre´hensible. La loi e´crite ne saurait pre´voir toutes ces circonstances, se glisser a` travers ces nuances diverses. Les jure´s de´cident d’apre`s leur conscience, d’apre`s le bon sens naturel a` tous les hommes. Ils sont les repre´sentans de l’opinion publique, parce qu’ils la connaissent ; ils e´valuent ce qui peut agir sur elle. Ils sont les organes de la raison commune, parce que cette raison commune les dirige, affranchie qu’elle est, des formes qui ne sont impose´es qu’aux juges, et qui ne devant avoir lieu que pour assurer l’application de la loi, ne peuvent embrasser ce qui tient a` la conscience, a` l’intention, a` l’effet moral.. Vous n’aurez jamais de liberte´ de la presse, tant que les jure´s ne de´cideront pas de toutes les causes de cette nature. a
Questions sur la le´gislation de la presse2.
6 Qu’il ... insuffisantes. ] passage supprime´ dans A2 1
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C’est une revendication re´currente chez BC que la compe´tence des jurys en matie`re de proce`s de presse. Pour s’en tenir a` un exemple : «l’introduction du jury peut seule simplifier les difficulte´s et garantir re´ellement la liberte´ de la presse» («Projet de loi sur la liberte´ de la presse», dans le Mercure de France du 1er fe´vrier 1817, voir ci-dessus, p. 436). Les «hommes e´claire´s» sont en l’occurence les doctrinaires favorables au jury. Dans Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, BC consacre plusieurs pages de la troisie`me partie («Premie`re question. Quelles limites faut-il assigner au droit d’interpre´ter les phrases des e´crivains, et a` qui l’exercice de ce droit doit-il eˆtre confie´ ?») a` de´velopper l’ide´e suivante : «le droit de juger de l’interpre´tation des ouvrages de´nonce´s doit eˆtre confie´ a` des jure´s» (ci-dessus, p. 683). Il oppose les jure´s, dote´s du «bon sens naturel a` tous les hommes», qui sont «les repre´sentants de l’opinion publique» et «les organes de la raison commune» (p. 683), qui «de´clarent le fait» (p. 683), qui «sont mis en garde contre l’exage´ration ine´vitable et meˆme oblige´e de l’accusateur» (p. 684) et qui «tiennent le juste milieu» (p. 684) aux magistrats professionnels qui «sont pre´venus par l’accusation contre l’ouvrage» (p. 683), qui «pencheront toujours pour l’autorite´ contre l’e´crivain» (p. 684), qui «inclineront toujours en faveur de l’avocat du Roi qu’ils connaissent contre l’e´crivain qu’ils ne connaissent pas, et seront dispose´s, sans s’en douter, a` condamner l’auteur, par politesse pour le magistrat» (p. 685).
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Dans les autres causes, les jure´s de´clarent le fait. Or, le sens d’un livre est un fait : c’est donc aux jure´s a` le de´clarer. Les jure´s de´clarent de plus si le fait a e´te´ le re´sultat de la pre´me´ditation. Or, le de´lit d’un e´crivain consiste a` avoir pre´me´dite´ l’effet du sens contenu directement ou indirectement dans son livre, s’il est dangereux. C’est aux jure´s a` prononcer sur cette pre´me´ditation de l’e´crivain1. Les jure´s sont plus ne´cessaires peut-eˆtre dans cette sorte de causes que dans toutes les autres, si toute fois, dans ce qui est indispensable pour la suˆrete´ de l’innocence et pour la justice, il pouvait y avoir des degre´s. Il y a cette diffe´rence entre les de´lits de la presse et les autres de´lits, que les premiers com promettent toujours plus ou moins l’amour-propre de l’autorite´. Quand il s’agit d’un vol ou d’un meurtre, l’autorite´ n’est nullement compromise par l’absolution du pre´venu : car elle a simplement requis d’office l’investigation d’un fait. Mais dans la poursuite des e´crits, l’autorite´ paraıˆt avoir voulu faire condamner une opinion ; et l’absolution de l’e´crivain ressemble au triomphe de l’opinion d’un particulier sur celle de l’autorite´. Les tribunaux ne sauraient alors juger impartialement : institue´s par l’autorite´, ils en font partie, ils ont un inte´reˆt de corps avec elle. Ils pencheront toujours pour l’autorite´ contre l’opinion. Les jure´s tiennent au contraire un juste milieu. Comme individus, et pouvant a` leur tour se trouver dans la position d’un e´crivain accuse´, ils ont inte´reˆt a` ce qu’une accusation mal fonde´e ne soit pas admise. Comme membre du corps social, amis du repos, proprie´taires, ils ont inte´reˆt a` l’ordre public ; et leur bon sens jugera facilement si la repression est juste, et jusqu’a` quel degre´ de se´ve´rite´ il faut la porter2. Il est meˆme de l’inte´reˆt du gouvernement d’introduire, pour juger les questions de liberte´ de la presse, la proce´dure par jure´s. Les jugemens des tribunaux contre les e´crivains que le pouvoir de´nonce, n’ont point sur l’opinion la meˆme autorite´. Cette opinion ombrageuse soupc¸onne toujours les tribunaux d’eˆtre de´voue´s au pouvoir qui les nomme. Elle respecte dans les jure´s l’inde´pendance de la condition prive´e, de laquelle ils ne sortent que 1
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A partir de «Le sens d’un livre de´pend [...]» (p. 986), ces deux paragraphes sont repris in extenso, sans autre diffe´rence que quelques changements de ponctuation, dans Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, ci-dessus, pp. 683–684. A partir de «Il y a cette diffe´rence [...]», ce paragraphe est repris de Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France, ci-dessus, pp. 684. Deux diffe´rences : d’une part les tribunaux «pencheront toujours pour l’autorite´ contre l’opinion» e´tait e´crit diffe´remment : ils «pencheront toujours pour l’autorite´ contre l’e´crivain» (la modification donne plus de porte´e a` la formule) ; d’autre part, au milieu de ce paragraphe figurait un de´veloppement sur le fait qu’il est normal que l’autorite´ puisse essuyer des e´checs lorsqu’elle poursuit des e´crivains, argument qui n’ajoute pas grand chose a` la de´monstration et auquel BC renonce donc ici.
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momentane´ment et dans laquelle ils rentrent. 2o. Si les tribunaux acquittent les e´crivains accuse´s par l’autorite´, il s’e´tablit entr’eux et le gouvernement une hostilite´ au moins apparente, et qui est toujours faˆcheuse quand elle se place dans des corps inamovibles. Rien de pareil n’est a` craindre de la part des jure´s, simples citoyens, redevenant tels apre`s le jugement, et ne formant point un corps. Telle est donc la ve´ritable question importante ; toutes les autres pre´cautions sont des palliatifs trompeurs et inefficaces. On fera chaque anne´e des lois sur la liberte´ de la presse, on les proclamera chaque fois permanentes, de´finitives, excellentes, et chaque fois l’impossibilite´ de re´primer sans jure´s la liberte´ de la presse, a` moins de l’e´touffer, se fera sentir. L’on reviendra, l’anne´e suivante, parler de nouveau de sauve-garde, de formalite´s, de garanties. L’on conviendra que la loi excellente e´tait de´fectueuse ; que la loi permanente doit eˆtre change´e ; que, par la loi de´finitive, rien n’a e´te´ fini, et l’on proposera des modifications qui, au bout de six mois, seront reconnues, comme les autres, pour insuffisantes. Lorsque le rapport sur le projet actuel aura e´te´ fait, et que la discussion aura commence´, je pourrai l’examiner article par article. Maintenant je conclus par deux conside´rations qui m’ont frappe´. Quand le ministe`re proposa la loi du 28 fe´ vrier 1817, dont le projet actuel est destine´ a` remplir les lacunes, un noble pair qui avait profonde´ment e´tudie´ l’esprit de cette loi, s’exprima en ces termes : «La re´daction du §. 3 de l’article 15 de la loi du 21 octobre 1814, qui sert de base a` celle que nous discutons, tend a` introduire dans la le´gislation de la presse une fiction de droit ; je veux parler des poursuites personnellement dirige´es contre une chose mate´rielle, contre un objet inanime´. Cette possibilite´ de personnifier un livre, et de suivre une action contre lui isole´ment, en laissant de coˆte´ l’auteur, lorsqu’il serait trop embarrassant de le mettre en cause, est une invention tre`s inge´nieuse, dont il est de mon devoir de vous de´velopper les conse´quences.» «Le livre est conside´re´ non pas comme un de´lit, mais comme un de´linquant. C’est un suspect, c’est un criminel arreˆte´ au moment ou` il allait commettre le crime. Quant a` l’auteur et a` son proce`s, il n’en est pas question.... L’intention secre`te du le´gislateur est d’avoir a` faire, a` son choix, soit au livre, soit a` l’auteur, suivant la circonstance. Cette conception est savante, et elle de´note une ve´ritable intelligence des faux-fuyans de la proce´dure. En effet, un auteur est un homme, il faut l’entendre, et avant de le condamner il faut extraire de son livre quelque chose dont on puisse construire un corps de de´lit. Cet auteur peut trouver un avocat habile qui couvre 19 conclus par ] ne pre´senterai que A2
28 une invention ] un invention A1
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de ridicule` tous les chefs de l’accusation. Il faut d’ailleurs plaider la cause a` l’audience : l’opinion publique intervient. Un livre est au contraire de bien meilleure composition. Il se laisse condamner sans mot dire : on lui fait son proce`s a` huis clos.» a S.E.M. le ministre de la police se re´cria sur cette manie`re de pre´senter la loi propose´e. «Le noble pair a suppose´, dit-il, que par un de´tour adroit, l’on a voulu substituer a` la personne de l’auteur qui pourrait se de´fendre, et dont les re´clamations seraient quelquefois embarrassantes, la personne muette de son livre, sorte de pre´venu d’une bien meilleure composition ; il s’est re´crie´ sur la nouveaute´, sur la commodite´ de cette the´orie. Mais elle lui appartient tout entie`re. La loi propose´e ne se´pare point le de´lit et le pre´venu. Elle poursuit a` la fois l’un et l’autre, ou plutoˆt c’est a` celui-ci qu’elle demande compte des torts cause´s par celui-la`. Le ministre, en pre´sentant a` l’autre Chambre la loi qu’attaque le noble duc, a professe´ hautement ces principes.» b Eh bien ! qui le croirait ? cette the´orie que S.E. repoussait avec tant de force, je dirais volontiers avec tant d’indignation ; cette the´orie qui lui semblait un moyen de jeter de l’odieux sur les intentions, sur la bonne foi, sur la loyaute´ du gouvernement ; cette the´orie, soudain re´habilite´e, sert de base au projet de loi qui vient d’eˆtre pre´sente´ : et c’est meˆme, a` l’exception de la disposition relative aux imprimeurs, la seule modification re´elle que ce projet apporte a` la le´gislation de la presse. S’il subit l’examen que la France a droit d’attendre de la vigilance et de l’impartialite´ des Chambres, il sera prouve´ que toutes les pre´cautions qu’on
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Discours de M. le duc de Broglie sur le projet relatif aux livres saisis1. Discours de M. le comte de Cazes. Proce`s-verbal de la Chambre des Pairs, se´ance du 25 fe´vrier, p. 8082.
6 de´tour, ] de´tour adroit A1
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20 projet ] sujet A2
Cette singulie`re de´monstration sur les poursuites dirige´es contre un livre et non contre un auteur ne figurait pas dans Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France. Cette longue citation du discours du 25 fe´vrier 1817 de Victor de Broglie ne figure pas dans le compte rendu de la se´ance de la Chambre des Pairs (voir Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XIX, pp. 136–137 et ci-dessus, p. 677, n. 2). Moniteur, no 72, 13 mars 1817, p. 296b : citation exacte a` cela pre`s que l’entame est un peu diffe´rente : «Le noble duc a suppose´» et que la citation est alle´ge´e de deux incidentes sans grande porte´e : «dans la loi propose´e» apre`s «on a voulu» et «comme toutes les lois criminelles» apre`s «La loi propose´e».
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semble prendre dans les articles 9, 11, 12 et 13, pour abre´ger et re´gulariser la saisie des livres, et pour en pre´venir la prolongation illimite´e, sont e´lude´es de fait, et de´truites par les articles 21 et 251. Ce qu’il y a de ve´ritablement neuf, c’est l’article 10, qui est ainsi conc¸u : «Si, dans les trois jours de la notification du proce`s-verbal, et dans le cas ou` aucune distribution de tout ou partie de l’ouvrage saisi, n’aurait e´te´ faite, l’inculpe´ responsable de´clare qu’il renonce a` le publier, et qu’il consent a` ce que tous les exemplaires en soient de´truits, la suppression de l’ouvrage et la destruction des exemplaires saisis et de tous ceux qui pourront l’eˆtre ulte´rieurement, seront ordonne´es par le tribunal, et il ne sera fait aucune autre poursuite, sauf dans le cas ou` l’e´crit imprime´ provoquerait ou exciterait directement a` des crimes2.» Certes, la loi se´pare ici le de´lit et le pre´venu. elle ne poursuit point a` la fois l’un et l’autre. Elle ne demande point a` celui-ci compte des torts cause´s par celui-la`. Elle laisse e´chapper l’auteur, pre´venu d’une espe`ce embarrassante. Elle s’attache au pre´venu muet qui est de meilleure composition. Elle 15 meilleure ] meileure A2 1
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Moniteur, no 322, 18 novembre 1817, p. 1272a-b : texte du projet de loi : «Art. 9 : Lorsqu’un e´crit imprime´ aura e´te´ saisi en vertu de l’article 15 du titre II de la loi du 21 octobre 1814, l’ordre de saisie et le proce`s-verbal seront, sous peine de nullite´, notifie´s dans les 24 heures a` la partie sur laquelle la saisie aura e´te´ faite, et transmis dans le meˆme de´lai au procureur du Roi ou au juge d’instruction, avec un exemplaire dudit e´crit. Art. 11 : Le juge d’instruction est tenu de faire, dans la huitaine de la re´ception du proce`s-verbal de saisie son rapport a` la chambre du conseil. Art. 12 : Si la chambre du conseil est d’avis qu’il n’y a pas lieu de poursuivre, elle prononce la mainleve´e de la saisie, et la mise en liberte´ du pre´venu, s’il est arreˆte´. Dans le cas contraire, elle ordonne, suivant la gravite´ des faits ou le renvoi de l’affaire au tribunal de police correctionnelle, ou l’envoi des pie`ces au procureur-ge´ne´ral pre`s la cour royale, pour eˆtre proce´de´, ainsi qu’il est dit au chapitre du Code d’instruction criminelle, article des mises en accusation. Art. 13 : A de´faut de jugement qui, dans les trois jours du rapport fait par le juge d’instruction, ordonne le renvoi de l’affaire au tribunal de police correctionnelle ou l’envoi des pie`ces au procureur-ge´ne´ral, ou a` de´faut de citation de la partie saisie devant le tribunal de police correctionnelle dans le meˆme de´lai augmente´ d’un jour a` raison de trois myriame`tres de distance a` compter de l’ordonnance de renvoi, la saisie est de plein droit pe´rime´e et sans effet. Tous de´positaires de l’ouvrage saisi sont tenus de le remettre au proprie´taire sur la simple exhibition d’un certificat du greffier, constatant qu’il n’y a pas eu de jugement ou de citation dans le de´lai de trois jours ci-devant fixe´, lequel certificat servira de de´charge. Art. 21 : En matie`re de crime et de de´lit, l’annulation du proce`s-verbal de saisie pour vice de forme, ne fera, dans aucun cas, obstacle a` la continuation des poursuites et au jugement contre l’ouvrage. Art. 25 : L’action publique, pour abus de la liberte´ de la presse, est prescrite apre`s un an re´volu, a` compter du jour ou` le de´poˆt de l’e´crit imprime´ a e´te´ fait en vertu de l’article 14 de la loi du 21 octobre 1814. L’action publique, s’il n’y a pas eu de de´poˆt, et dans tous les cas l’action civile ne se prescrit qu’apre`s le tems fixe´ par le Code d’instruction criminelle». Moniteur, no 322, 18 novembre 1817, p. 1272a : texte conforme.
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fait, en un mot, pre´cise´ment ce que S.E.M. le Ministre de la police louait la loi de 1817 de n’avoir pas fait, ce dont S.E. justifiait cette loi de 1817, comme d’une accusation fausse et d’une perfide interpre´tation. Dans la le´gislation actuelle, il y aura des de´lits sans qu’il y ait des coupables, et des poursuites sans qu’il y ait des pre´venus. Voulez-vous, me dira-t-on, fermer tout acce`s au repentir ? N’est-ce pas une loi bienveillante, que celle qui permet a` l’auteur imprudent de se soustraire a` une peine qu’il avait me´rite´e, peut-eˆtre a` son insu ? N’est-il pas possible qu’un e´crivain publie des doctrines dont il n’aperc¸oive pas luimeˆme les conse´quences funestes, et n’est-il pas juste alors, n’est-il pas humain de le sauver des rigueurs de la loi, s’il abandonne et de´savoue ces doctrines ? Il faut distinguer ici deux choses qu’on pourrait confondre par inadvertance, ou qu’on voudrait peut-eˆtre confondre par un calcul qui ne serait pas sans habilete´. Il est certain que les e´crivains sont sujets a` l’erreur. Un e´crivain n’est pas plus infaillible qu’un ministre. J’admets donc, bien que le cas soit fort rare, qu’un ouvrage puisse eˆtre coupable, et l’intention de son auteur innocente ; que, par exemple, un e´crivain livre a` l’impression des maximes se´ditieuses, sans avoir voulu provoquer a` la se´dition. Que doit faire la loi ? que doit faire le juge ? Ce que le juge et la loi font dans tous les cas semblables, examiner la pre´me´ditation, et prononcer suivant que cette question aura e´te´ re´solue. Mais ce n’est point ce que le projet de loi propose. Ce n’est point par un jugement que l’auteur, irre´prochable dans ses intentions, sera de´clare´ innocent ; c’est au contraire pour re´compenser l’auteur, peut-eˆtre coupable, de ce qu’il n’insiste pas sur un jugement, qu’on le traite comme si son innocence e´tait reconnue. L’indulgence est mise a` ce prix. La loi menac¸ante est devant l’auteur, pour le faire reculer jusqu’au de´saveu, sous peine de poursuites. Elle le sollicite de sacrifier le droit d’eˆtre juge´, droit sacre´ qui appartient a` tous les hommes : elle le paie d’y avoir renonce´. Etrange jurisprudence ! D’ordinaire on sait gre´ aux accuse´s de se pre´senter devant les tribunaux. La comparution volontaire est conside´re´e comme un indice de la bonte´ d’une cause. La fuite est une pre´somption de culpabilite´. Ici la loi exhorte pour ainsi dire les accuse´s a` fuir devant elle. Sa rigueur est re´serve´e pour ceux qui l’in voquent, et ce sont en quelque sorte les contumaces qui obtiennent sa faveur. Je n’he´site pas a` le dire ; de toutes les lois faites ou propose´es sur la liberte´ de la presse, aucune ne m’a paru aussi de´sastreuse pour cette liberte´, 4–5 coupables, ... il y ait des ] passage supprime´ dans A2
8 insu ] insc¸u A2
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que le projet actuel, par ce seul article. Cet article, se´parant les auteurs de leurs ouvrages, ravit a` ces derniers leurs de´fenseurs naturels. L’autorite´, comme l’avait pre´vu le noble pair auquel on a tant reproche´ cette pre´diction qui se re´alise, l’autorite´ n’a plus a` faire qu’a` des pre´venus d’espe`ce nouvelle, muets, insensibles, contre qui on pourra tout dire, et qui ne re´pondront rien, qu’on ane´antira dans les te´ne`bres, en faveur desquels aucune voix ne s’e´le`vera, que l’opinion ne pourra de´fendre, parce qu’elle ne parviendra point a` les connaıˆtre. Pre´tendra-t-on que j’exage`re les conse´quences de cet article, et que les auteurs ne se re´signeront pas si facilement a` la perte des avantages de re´putation ou de fortune qu’ils espe`rent de leurs e´crits ? Quelques-uns sans doute de´fendront leurs droits, et par-la` en acquerront de nouveaux a` l’estime. Mais qui ne sent que dans une classe d’hommes qui doivent a` leur profession paisible une sorte de timidite´, et qui, vivant dans la retraite, sont d’autant plus enclins a` eˆtre e´blouis par la puissance, qu’ils ne la contemplent que de loin, beaucoup pre´fe´reront s’e´pargner, par un sacrifice qui aura l’apparence de la modestie et de la sagesse, les chances tou jours importunes de poursuites judiciaires ? Qui sait meˆme si quelques-uns ne calculeront pas qu’un pareil sacrifice leur vaudra quelque bienveillance, quelque de´dommagement peut-eˆtre de la part d’une autorite´ reconnaissante, qui les trouvera si prompts a` se soumettre, et si faciles au repentir ? Qui n’entend d’ici les repre´sentations des femmes, des parens, des alentours, des amis surtout, toujours faˆche´s qu’on se compromette, parce qu’on les place dans l’alternative de la de´fection ou de la de´fense ? J’irai plus loin, et j’affirmerai que l’opinion publique elle-meˆme sera fausse´e par cette mesure. Quand un auteur est aujourd’hui mis en jugement, l’opinion s’inte´resse a` lui, parce qu’elle voit un homme peut-eˆtre victime de son courage, et qui est oblige´ d’en subir les conse´quences. Ce sera autre chose si cet auteur a la faculte´ de s’en affranchir. Il ne sera plus un pre´venu force´ a` se de´fendre, mais un re´clamant dont les re´clamations auront l’air de l’attaque. Il lui serait si aise´ de rester tranquille, diront les indiffe´rens ! S’il est condamne´, il l’aura voulu. Ainsi, au lieu d’eˆtre sur la de´fensive, excellent terrain contre l’arbitraire, les e´crivains se trouveront devoir prendre l’offensive, et toute la question sera de´place´e. Certes, dans l’inte´reˆt du pouvoir, c’est une conception fort habile ; mais c’est pre´cise´ment parce qu’elle est habile sous ce rapport, qu’elle est e´minemment dangereuse dans l’inte´reˆt de la liberte´.
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Ce ne sont pas les lois rigoureuses, ce ne sont pas les jugemens iniques, ce ne sont pas les actes arbitraires qui sont les choses les plus a` craindre. Les mesures qui de´corent l’injustice d’une feinte douceur, et puisqu’on suppose des saisies mal fonde´es, on suppose la possibilite´ de l’injustice, les mesures qui la de´pouillent de ce qu’elle a de plus manifestement odieux, qui lui donnent un air d’indulgence, et font peser sur l’opprime´ le tort apparent d’une insistance obstine´e et d’une te´nacite´ turbulente, voila` les mesures redoutables. Gardons plutoˆt la loi du 28 fe´vrier 1817. S. Exc. M. le ministre de la police nous en a de´veloppe´ le me´rite. Elle ne permet pas qu’on supprime les livres sans poursuivre les auteurs. Elle contraint ainsi les e´crivains a` se de´fendre. L’opinion s’e´claire. Les de´bats publics la tiennent e´veille´e. Conservons cette loi, je le re´pe`te, elle a e´te´ salutaire. J’en atteste les proce`s de M. Chevalier1 et des courageux auteurs du Censeur2. Mes dernie`res observations porteront sur l’article 27 du projet. Il place les journaux et autres ouvrages pe´riodiques sous la de´pendance du gouvernement. Il e´tend a` trois anne´es le terme de cette de´pendance, qui e´tait 9 Exc. ] Ex. A2 1
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14 des ] les A2
15 observations ] obsesvations A1
Voir ci-dessus, p. 965, n. 1 : allusion a` l’un des auteurs pour lequel BC a pris fait et cause dans ses Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France. Adolphe-ThierriFranc¸ois Chevalier, homme de lettres et Jean-Gabriel Dentu, imprimeur pour le livre intitule´ selon le Moniteur : Premie`re lettres [sic] a` M. le Comte de Cazes (titre re´el : Premie`re lettre a` M. le comte Decazes, en re´ponse a` son Discours sur la liberte´ individuelle, par A.-F.-T. C., Paris : J.-G. Dentu, 1817). BC n’a pas trop de difficulte´s a` montrer que les accusations du ministe`re public re´sultent plus de l’interpre´tation malveillante de quelques phrases sorties de leur contexte que d’une volonte´ se´ditieuse de l’auteur : est par exemple conside´re´e comme une attaque inadmissible contre la Charte, le fait de l’avoir qualifie´e de «belle femme qui a des faiblesses» ; de meˆme est pre´sente´ comme une offense au roi d’avoir imagine´ qu’il puisse eˆtre tente´ un jour de graˆcier un ministre condamne´ pour des arrestations arbitraires : jamais le roi ne mettra en cause une de´cision de justice rendue contre un ministre indigne, etc. (compte rendu de l’audience tenue apparemment le 15 avril 1817 devant le Tribunal de Police correctionnelle dans le Moniteur, no 106, 16 avril 1817, p. 422a-c ; audience du 22 avril 1817 dans le Moniteur, no 113, 23 avril 1817, p. 450b-c ; indication de la condamnation dans le Moniteur, no 120, 30 avril 1817, p. 477a-b ; audience du 29 avril 1817 et texte de la sentence dans le Moniteur, no 122, 2 mai 1817, p. 485a-b ; audience des 13 et 14 juin 1817 devant la Chambre d’appel de Police correctionnelle dans le Moniteur, no 166, 15 juin 1817, pp. 655c–656c ; confirmation de la condamnation par la Chambre d’appel : 4 mois de prison, 500 F d’amende, 1 an de surveillance, 800 F de cautionnement et 5 ans de privation de droits civiques dans le Moniteur, no 159, 8 juin 1817, p. 666b ; renonciation a` se pourvoir en cassation dans le Moniteur, no 174, 23 juin 1817, p. 688a ; pre´sentation a` la prison de Sainte-Pe´lagie pour subir sa peine d’emprisonnement dans le Moniteur, no 181, 30 juin 1817, p. 716a. Voir ci-dessus, p. 956, n. 3.
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jusqu’a` pre´sent annuelle, parce que, dit M. le garde-des-sceaux, un vote annuel a l’inconve´nient d’e´tablir une sorte d’habitude, et que, selon son excellence, on s’habitue d’autant moins a` une chose, qu’on la supporte plus long-tems1. Je laisse cet argument de coˆte´, et je remarque d’abord que cet article du projet de loi ne dit point ce qu’il veut dire. Montrez cet article a` tout homme ignorant ce qui se pratique en France. Que verra cet homme dans la disposition qui ordonne que les journaux ne pourront paraıˆtre qu’avec l’autorisation du gouvernement ? Il y verra l’interdiction d’e´tablir un nouveau journal, sans cette autorisation. Mais certes, il ne supposera pas que cet article signifie qu’un journal autorise´ puisse eˆtre suspendu, supprime´ arbitrairement, sans motifs e´nonce´s, sans formes le´gales, souvent sans que l’ordre de la suspension soit meˆme signe´. Une patente est une autorisation ne´cessaire a` toute industrie. S’ensuit-il qu’on puisse retirer a` volonte´ cette autorisation2 ? Un passe-port est une autorisation pour voyager. S’ensuit-il que lorsqu’un voyageur a un passeport, on puisse le reprendre, et traiter ce voyageur comme s’il n’en avait pas3 ? 14 volonte´ ] velonte´ A1 1
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Article 27 du projet de loi : «Les journaux et autres ouvrages pe´riodiques qui traitent de matie`res et nouvelles politiques, ne pourront, jusqu’au 1er janvier 1821, paraıˆtre qu’avec l’autorisation du Roi» (Moniteur, no 322, 18 novembre 1817, p. 1272c). Justification de cet article par le Garde des Sceaux : «Sans doute, on pourrait n’en demander la continuation que pour une anne´e [...] mais n’y aurait-il pas dans ce vote annuel et successif l’inconve´nient d’introduire une sorte d’habitude plus dangereuse que ne peut l’eˆtre l’assignation d’une e´poque plus e´loigne´e, mais dont le terme doit aussi paraıˆtre plus certain» (Moniteur no 322, 18 novembre 1817, p. 1272a). Contrairement a` une opinion fort re´pandue jusqu’en 1975, jusqu’au remplacement de la patente par la taxe professionnelle dont le nom ne permet pas la meˆme erreur, la patente n’est pas une «autorisation ne´cessaire a` toute industrie» : c’est un impoˆt cre´e´ par la loi des 2–17 mars 1791, dite loi d’Allarde, qui supprime les maıˆtrises et jurandes et donc les obstacles corporatifs au libre exercice de nombreuses professions. Il est vrai que la formulation de l’article 7 de la loi donne l’impression d’une sorte de formalite´ proche d’une ` compter du 1er avril prochain, il sera libre a` toute personne de autorisation pre´alable : «A faire tel ne´goce, ou d’exercer telle profession, art ou me´tier qu’elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d’une patente, d’en acquitter le prix [...] et de se conformer aux re`glements de police qui sont ou pourront eˆtre faits.» L’erreur de BC est courante : longtemps, celui qui ouvre par exemple un commerce dira «j’ai pris une patente». En fait, on n’imagine pas que l’administration fiscale refuse l’argent d’un contribuable. Le re´gime juridique des passeports remonte alors aux lois du 28 mars 1792 et du 26 fe´vrier 1793 et aux de´crets du 10 vende´miaire an IV, puis du 18 septembre 1807 et du 11 juillet 1810. C’est un re´gime rigoureux qui restera en vigueur jusqu’au XXe sie`cle mais en faisant l’objet d’une application moins se´ve`re. «La de´livrance des passeports est une mesure purement administrative» (Edouard Fuzier-Herman, Re´pertoire ge´ne´ral alphabe´tique du droit franc¸ais, t. XXII, Paris : Librairie de la Socie´te´ du Recueil ge´ne´ral des Lois et Arreˆts, 1902, p. 899). C’est dire que BC est optimiste en excluant qu’un passeport puisse eˆtre suspendu.
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Ainsi l’article n’exprime nullement l’intention de ses auteurs. L’article ne justifie point ce qui a eu lieu en vertu de la faculte´ qu’il accorde. Pourquoi cette diffe´rence entre l’e´nonce´ et le re´sultat ? Craindrait-on que l’assemble´e, bien qu’elle connaisse suffisamment l’effet re´el de la loi, n’euˆt toutefois quelque re´pugnance a` la sanctionner, si l’on en de´clarait naı¨vement toutes les conse´quences ? Que n’adopte-t-on la re´daction claire et loyale que M. Cornet-d’Incourt a propose´e l’anne´e dernie`re1 ? ou, si l’on en veut une plus exacte, que ne proclame-t-on ce qui est ? Les ministres auront le droit de suspendre et de supprimer tout journal ou` l’on aurait inse´re´ un article qui de´plaira aux ministres, tout journal ou` l’on aurait refuse´ un article que les ministres auront envoye´, tout journal qui annoncerait un ouvrage dont les ministres voudront empeˆcher la circulation, tout journal qui ne louerait pas un ouvrage dont les ministres voudront prote´ger la renomme´e, tout journal qui de´fendrait un individu que les ministres auront fait attaquer, tout journal qui attaquerait un individu qui jouira de la bienveillance de quelque ministre. Voila` le ve´ritable sens de cet article. Car enfin, si tout cela ne se fait pas, tout cela peut se faire. Tout cela peut re´sulter d’une mesure en apparence de simple police. On peut de´fendre d’annoncer dans les journaux les brochures qui me´ritent le plus l’attention publique. Plusieurs personnes ont suppose´ que cette de´fense avait eu lieu a` l’e´gard de l’excellent ouvrage de M. Aignan a, et a
De la justice et de la police2.
18 faire. Tout ] faire ; tout A2 1
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21 l’attention publique ] d’attention A2
suppose´ ] cru A2
Charles-Nicolas Cornet d’Incourt (1773–1852) : de´pute´ de la Somme de 1815 a` 1827 ; de tendance d’abord ultra-royaliste, il fit sensation en proposant, le 29 fe´vrier 1817, de remplacer le projet de loi sur la presse propose´ par le ministe`re par un article unique d’une re´daction en effet «claire et loyale» pour reprendre la formule de BC, c’est-a`-dire ne dissimulant pas sa volonte´ d’obtenir une soumission entie`re des journaux : «La liberte´ de la presse est suspendue en ce qui concerne les journaux ; le gouvernement en disposera comme il le jugera convenable». Ou encore : «Ne cherchons pas a` de´guiser vainement l’arbitraire sous une parure le`gale». Par la suite, ses opinions se firent plus mode´re´es, y compris sur le statut de la presse (voir le libelle : Opinions de MM. Cornet d’Incourt, le comte de Marcellus et Clausel de Coussergues, sur un article additionnel a` la loi sur la liberte´ de la presse tendant a` re´primer les de´lits de la presse contre la religion. De´claration de Mgr le garde-des-sceaux Pasquier sur le meˆme sujet... 24 de´cembre 1817, Paris : A. E´gron, 1817). Etienne Aignan (1773–1824), journaliste et auteur dramatique ; sous Napole´on, aide des ce´re´monies puis secre´taire ge´ne´ral de la pre´fecture de police, e´lu a` l’Acade´mie franc¸aise en mars 1814 ; sous Louis XVIII, collaborateur de la Minerve comme BC, auteur de De la justice et de la police, ou Examen de quelques parties de l’instruction criminelle conside´re´es dans leur rapport avec les mœurs et la suˆrete´ des citoyens (Paris : Plancher, 1817) : il y
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n’ont pu s’empeˆcher de sourire quand elles ont vu ensuite les correspondans des journaux e´trangers insister sur l’insignifiance de cette brochure, puisque les journaux franc¸ais eux-meˆmes de´daignaient d’en parler. Que si leur conjecture n’e´tait pas fonde´e, la confiance qu’elle a obtenue n’en de´montre que mieux l’inconve´nient de la de´pendance des journaux : car cette confiance accorde´e a` un bruit vague, est une preuve qu’un pouvoir pareil favorise les rumeurs errone´es, et attire sur les ministres des soupc¸ons injustes. Ils doivent de´sirer qu’on les mette a` l’abri de ces soupc¸ons, en leur retirant la pre´rogative dangereuse qui les accre´dite. Il n’y a point de liberte´ de la presse, quand les journaux sont esclaves. L’expe´rience le de´montre assez. Cet esclavage des journaux, comme l’a tre`s-bien dit un pair e´claire´, cache au public les faits, au gouvernement les opinions. Le premier s’agite, et l’autre s’avance au milieu des te´ne`bres ; et, dans cette obscurite´, les chutes sont fre´quentes, et les rencontres sont dangereuses1. Que si ne´anmoins la liberte´ des journaux effraie encore les gardiens de nos droits, qu’ils la restreignent au moins par des lois positives. Que si le ministe`re doit conserver le pouvoir d’accorder des privile´ges, qu’au moins il ne puisse pas les retirer chaque jour. On a peint l’empire des journaux comme une espe`ce de magistrature ; que ces magistrats choisis par l’autorite´, soient ensuite inamovibles ; qu’il n’y ait pas une classe d’hommes livre´s au ministe`re, tellement qu’ils sont condamne´s, sous peine de ruine, non-seulement a` se taire quand il l’ordonne, mais a` parler dans son sens, a` reveˆtir ses opinions, a` prendre sur eux la responsabilite´ de´plorable d’un assentiment commande´.
17 des ] les A2
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traite des proce`s criminels, du fonctionnement des jurys et du roˆle des preuves (notamment le te´moignage des de´lateurs et l’utilisation des lettres intercepte´es par l’autorite´ publique). Il publiera l’anne´e suivante De l’E´tat des protestants en France depuis le XVIe sie`cle jusqu’a` nos jours, avec des notes et des e´claircissements historiques, comparant les perse´cutions de Louis XIV contre les protestants avec les pratiques des montagnards sous la Terreur. Critique´ pour cette comparaison, il be´ne´ficiera de l’appui mesure´ de BC (Quelques re´flexions sur la brochure de M. Aignan, De l’E´tat des Protestants en France, et sur des critiques dirige´es contre cette brochure», dans La Minerve franc¸aise, 20 mai 1818, voir Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, pp. 413–415). BC re´sume le discours de Chateaubriand du 22 fe´vrier 1817 devant la Chambre des Pairs (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XIX, pp. 64–70).
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J’e´crivais de meˆme quand, devenu coope´rateur d’un journal1, afin de m’instruire par mon expe´rience, et de pe´ne´trer dans ce de´dale, je pouvais eˆtre soupc¸onne´ d’inte´reˆt personnel. Je de´fends aujourd’hui cette cause avec plus de force, parce qu’elle m’est e´trange`re, et que l’asservissement des journaux ne ge`ne plus ma pense´e a. J’ajouterai que je crois servir le gouvernement constitutionnel autant que la liberte´, en exposant sans de´guisement mon opinion. Un gouvernement ne gagne rien a` des lois mauvaises ; et ceux qui de´sirent que la Charte s’affermisse, que l’autorite´, rencontrant des barrie`res, ne rencontre jamais de pe´rils ; que ce qui est subsiste, d’accord avec les droits et les franchises que la nation a si bien me´rite´s par ses sacrifices et par sa sagesse, sont les meilleurs amis de la paix, de l’ordre et de la dure´e.
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La bienveillance avec laquelle quelques articles de moi ont e´te´ accueillis, m’engagera peut-eˆtre a` continuer d’en donner dans le Mercure : mais ils seront uniquement litte´raires2.
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Ephraı¨m Harpaz, spe´cialiste des rapports entre BC et le Mercure, indique les limites de nos connaissances : «On ignore la teneur du contrat conclu par Benjamin Constant et ses collaborateurs avec les anciens proprie´taires du Mercure de France». Il pre´sente les membres de la «coope´rative» – a` supposer que ce soit le mot juste – lors du lancement du nouveau Mercure, le 1er juin 1817 : «A coˆte´ de Benjamin Constant, figurent a` titre de re´dacteurs ou simplement de collaborateurs Dufresne Saint-Le´on, Esme´nard, Jay, Jouy, Lacretelle aıˆne´, Tissot, Be´naben et le ge´ne´ral Beauvais» (Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, t. I, p. X). BC n’aura pas le temps de mettre ses intentions a` exe´cution : le dernier nume´ro du Mercure paraıˆt le 27 de´cembre 1817, jusqu’a` ce qu’intervienne une mesure de censure dont le pre´texte est fourni par «quelques phrases sur le Concordat tire´ d’une brochure de Jube´, publie´e avec l’autorisation de la censure» (Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, p. X).
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IV. Discussion de la Chambre des de´pute´s sur le projet de loi relatif a` la liberte´ de la presse.
Ce cahier des Annales ne contiendra que l’analyse de la discussion relative a` la nouvelle loi sur la presse. Ce n’est pas que cette question ne soit passablement e´puise´e. L’e´crivain le plus fertile en aperc¸us nouveaux chercherait en vain des argumens non encore employe´s sur cette matie`re. Mais les discours de plusieurs orateurs, l’accueil qu’ont obtenu ces discours, l’effet qu’ils ont produit, tant au dehors que dans l’assemble´e, peuvent eˆtre conside´re´s comme des symptoˆmes de l’e´tat de l’opinion, de la disposition des partis, et du syste`me suivi par le ministe`re ; sous ce rapport, cette discussion me paraıˆt eˆtre d’un inte´reˆt prodigieux, et contient peut-eˆtre le germe des destine´es de la France. La Chambre des de´pute´s a dignement re´pondu a` l’attente nationale. Les de´bats qui viennent de commencer se distinguent de ceux de toutes nos assemble´es pre´ce´dentes par une profondeur de logique, une certitude de principes, un calme de raison, une franchise, une mode´ration, un courage qui ne laissent rien a` de´sirer. On voit que tous les partis, s’isolant a` l’envi d’un ministe`re qui lutte seul contre l’e´vidence, se sont e´claire´s par nos expe´riences longues et varie´es. Les uns, fide`les a` leur constante aversion pour l’arbitraire, le repoussent, parce qu’ils le haı¨ssent. Je ne pre´tends point insinuer que d’autres ne l’attaquent que parce que sa direction actuelle a trompe´ leurs espe´rances. Je crois qu’ils ont de´couvert comme leurs colle`gues qu’il ne fait jamais que du mal. Mais au sentiment qu’a fait naıˆtre en eux cette de´couverte un peu tardive, se joint peut-eˆtre quelque rancune ; et il en est qui poursuivent l’arbitraire, non-seulement comme un ennemi, mais comme un transfuge. Enfin, des hommes auxquels on doit des actions de graces, ce`dent noblement a` leur conviction, et subjugue´s pour ainsi dire par la tyrannie de leur conscience, ils se se´parent de leurs amis et de leurs colle`gues. Ils s’en se´parent avec regret, mais leur regret ajoute a` l’autorite´ de leur exemple, et leur re´probation acquiert d’autant plus de poids, qu’elle semble leur eˆtre arrache´e par l’empire d’une ve´rite´ irre´sistible, en de´pit de leurs calculs personnels et de leurs affections ante´rieures. La nation s’associe, de toutes les puissances de sa sympathie et de ses vœux, aux efforts honorables de ses interpre`tes. Des e´crits en foule parais18 l’envi ] l’envie A2
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sent chaque jour, et se frayent leur route jusqu’a` l’attention publique, malgre´ des entraves astucieuses qui n’ont pour re´sultat que de les entourer de plus de faveur. Les de´partemens, si long-tems prive´s de toute connaissance des faits, de toute circulation des ide´es, rec¸oivent par torrens ces ide´es et ces faits dont l’inondation, pe´riodique comme celle du Nil, fertilise une fois par an des re´gions frappe´es durant neuf mois d’une ste´rilite´ artificielle. L’opinion qui se croyait faible et divise´e, parce qu’elle e´tait isole´e et prisonnie`re, de´couvre tout a` coup son e´nergie et son unanimite´. Elle s’e´tonne de son sommeil factice et du de´couragement dans lequel on lui avait persuade´ qu’elle e´tait plonge´e. Elle apprend qu’il n’y a rien de re´el, rien de vraiment fort dans ce qu’on lui oppose. Prudente, ne´anmoins, et consciencieuse, elle attend, elle s’observe, elle se mode`re. On dirait que dans ses scrupules elle se craint elle-meˆme, et qu’elle implore un traite´ pour se dispenser d’une victoire. Le ministe`re, cependant, voue´ au syste`me d’exception, par je ne sais quelle fatalite´ remune´ratrice qui semble toujours poursuivre les auteurs de ce syste`me, reste obstine´ment retranche´ derrie`re des circonstances que, pour comble de bizarrerie, il est force´ de nier et d’affirmer tour-a`-tour. Il est force´ de les nier, car si les circonstances e´taient tellement graves, si la nation, divise´e dans l’inte´rieur, e´tait menace´e par les e´trangers, certes le ministe`re qui, investi durant une anne´e de pouvoirs illimite´s, aurait amene´ cet e´tat de choses, aurait gouverne´ de´plorablement. Mais en meˆme tems il est force´ d’affirmer ces circonstances, car s’il ne pre´sentait a` nos regards ce redoutable et myste´rieux spectre, il serait e´trange qu’un ministe`re re´clame des pre´rogatives inconstitutionnelles contre une nation paisible, unie entre elle, et que l’Europe respecterait. Tandis que le ministe`re se renferme dans des assertions vagues, appuye´es par des e´nigmes, les de´fenseurs du projet reproduisent ce qui a e´te´ dit dans tous les tems contre la liberte´ de la presse, la ne´cessite´ de pre´venir les de´lits au lieu de les punir, comme si ce pre´texte n’autorisait pas tous les despotismes, et la coupe empoisonne´e qu’il faut de´tourner des le`vres du peuple, comme s’il n’e´tait pas e´vident que l’autorite´ traitera toujours de poison tout ce qui contrariera ses vues, et meˆme pour son bien lui indiquera ses erreurs ; et la protection offerte aux sciences et aux lettres, comme s’il s’agissait de mathe´matiques ou de poe´sie, quand il est question du droit de re´clamer contre les abus du pouvoir, et que sais-je encore ? Au dehors, les journaux enre´gimente´s comme les ne`gres, contre leur propre affranchissement, rec¸oivent des ordres modifie´s, re´tracte´s, mitige´s, 5 ide´es et ces ] ide´es, ces A2
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agrave´s vingt fois par jour, et meˆme vingt fois par nuit1. Leurs re´dacteurs sont perpe´tuellement en course de leurs bureaux. a` la police, et de la police a` leurs bureaux. Si l’on en croit des soupc¸ons qui peut-eˆtre ne sont pas fonde´s, mais qu’un pareil re´gime autorise, on commande quelquefois a` ces journaux de petits gestes d’inde´pendance ; puis on s’e´pouvante, on s’irrite de ces gestes qu’on oublie avoir e´te´ commande´s, et l’on s’en prend aux pauvres journalistes, qui n’avaient e´te´ que dociles dans leurs airs de liberte´, comme le bourgeois gentilhomme accusait Nicolle2 qu’il avait oblige´e a` s’escrimer contre lui. On surveille chaque parole, on interpre`te chaque ligne, on voit des insinuations dans le fait le plus simple. On fait comparaıˆtre les gazettes e´trange`res pour qu’elles aient a` rendre compte de ce qu’elles disent chacune de leur pays. D’adroits traducteurs sont ensuite charge´s de pourvoir a` ce qu’elles ne disent que ce qui convient. Heureux quand ils trouvent quelque part un exemple a` citer en faveur des restrictions qu’on veut introduire. Comme ils amplifient ! comme ils s’extasient ! Mais aperc¸oivent-ils de la liberte´, n’importe en quel lieu, aussitoˆt ils pre`tent aux souverains re´unis de l’indignation contre cette licence. Si les e´trangers lisent nos feuilles esclaves, ils doivent avoir quelque peine a` s’y reconnaıˆtre. Et c’est vraiment une nouvelle Europe, comme une nouvelle France, que la France et l’Europe des journaux. Tel est l’e´tat des choses. Avant de nous livrer aux de´tails, posons une question qui ne laisse pas que d’eˆtre importante. Comme je l’ai dit, le ministe`re, dans les mesures qu’il a propose´es jusqu’a` pre´sent, se trouve isole´. L’opinion toute entie`re est contre ces mesures. Il le reconnaıˆt, car il proteste contre cette opinion qu’il dit e´phe´me`re. Protestation de sinistre augure ! Il invoque l’opinion du lendemain ; mais s’il persiste, le lendemain viendra avec une opinion plus de´favorable. Ses amis l’abandonnent, les inde´pendans lui opposent des faits. Le parti qu’il a disperse´ l’anne´e dernie`re, jette en avant d’effrayans pre´sages. Que re´sultera-t-il de cette lutte ? Beaucoup de maux, s’il s’obstine ; aucun mal, si, fide`le au syste`me repre´sentatif, il satisfait le vœu national, ce vœu qui est juste, sage, mode´re´, et qui se prononce avec une force e´gale contre le de´sordre et contre l’arbitraire. Mais les momens sont chers, il est tems pour nous de dire, et pour lui d’entendre la ve´rite´. La France ne veut que ce qui lui a e´te´ promis : mais la 1 agrave´s ] aggrave´s A2 1 2
De la part de BC, vision pour le moins simplifie´e de la position de la quasi totalite´ des noirs quant a` leur affranchissement. Allusion a` la sce`ne 3 de l’acte 3 de la pie`ce de Molie`re, Le bourgeois gentilhomme, ou` ce dernier demande a` sa servante Nicole de croiser l’e´pe´e avec lui pour prouver l’efficacite´ des lec¸ons de son maıˆtre d’arme et manque se faire transpercer.
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France veut ce qui lui a e´te´ promis. Elle n’a cesse´ de le vouloir depuis que cette promesse lui a e´te´ donne´e. Cette volonte´ est un hommage qu’elle rend a` l’auguste auteur de cette promesse ; car c’est rendre hommage a` un prince que de compter sur sa bonne foi. Depuis quatre ans la France n’a jamais e´te´ trouble´e que lorsque des agens du pouvoir ont tente´ d’e´luder ces promesses, ou d’en ajourner l’exe´cution ; et, chose remarquable, c’est toujours par la liberte´ de la presse qu’ils ont commence´. Tout e´tait tranquille en 1814, lorsque la loi du 21 octobre a e´te´ propose´e au mois de juil let1. De`s-lors des nuages se sont amoncele´s sur notre horizon. Ces nuages ont grossi, parce qu’on a de´daigne´ de les dissiper, en abjurant les mesures qui avaient re´pandu la de´fiance. Une catastrophe de´sastreuse a e´te´ la conse´quence d’une persistance de´plorable. Ce que je dis, d’autres l’ont dit avant moi : et si l’on voulait m’en faire un crime, il faudrait accuser en meˆme tems un noble pair qui a donne´ a` la cause royale des preuves e´clatantes de de´vouement et de ze`le. «Le repos ge´ne´ral, en France, a-t-il dit, n’a d’autre garantie que l’inviolabilite´ de la Charte. Ma conviction a` cet e´gard s’est manifeste´e dans toutes les occasions ou` j’ai cru reconnaıˆtre qu’on s’e´cartait de son esprit et de ses principes, et notamment a` cette meˆme tribune, le 30 aouˆt 1814, dans la discussion sur la liberte´ de la presse. Il est trop vrai que les inquie´tudes qui se re´pandirent sur les craintes d’alte´ration dans la Charte, sur la stabilite´ des lois et institutions nouvelles, pre´pare`rent en secret et favorise`rent les de´sastreux e´ve´nemens qui ont ouvert l’abıˆme ou` la patrie a e´te´ plonge´e.» (Discours du duc de Tarente, 28 janvier 18172.) Il en est de meˆme encore aujourd’hui. La question de la presse est devenue nationale. Tous la comprennent, tous s’y inte´ressent. Il est impossible, sur ce point, de tromper personne. Les ministres n’ont, a` cet e´gard, que l’alternative de satisfaire l’opinion ou de la blesser.
12–22 Ce que ... 28 janvier 1817.) ] passage supprime´ dans A2
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Loi du 21 octobre 1814 : voir ci-dessus, p. 942, n. 1. La citation provient du discours du duc de Tarente devant la Chambre des Pairs lors du de´bat sur le projet de loi relatif a` l’organisation des colle`ges e´lectoraux. La citation est conforme, sauf quelques changements de la ponctuation sans importance (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XVIII, p. 343). BC l’avait de´ja` cite´ dans le Mercure du 15 fe´vrier 1817 (voir ci-dessus, p. 471). Etienne-Jacques-Joseph-Alexandre duc de Tarente (1765–1840) occupe une place a` part parmi les mare´chaux de Napole´on, moins par le courage dont il fit effectivement preuve notamment a` Wagram et Leipzig, que par son inde´pendance d’esprit qui le poussa a` encourir la disgraˆce de Napole´on lors du conflit de ce dernier avec le ge´ne´ral Moreau, puis a` ne se joindre qu’en dernier a` la fronde des mare´chaux contre Napole´on en 1814, enfin a` refuser tout emploi pendant les Cents-Jours.
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Cette ve´rite´ s’applique a` toutes les autres lois. La disposition de la France est connue. L’homme le plus borne´ pourrait, comme le plus instruit, pre´dire, au seul aspect d’un projet, l’effet qu’il doit produire. Quand l’e´vidence est telle, c’est aux ministres a` calculer cet effet. S’il est funeste, c’est a` eux qu’en est la faute. Il est injuste d’en accuser soit la nation, soit l’opposition, soit les partis, soit les individus qu’on dit me´contens. Ni cette nation, ni cette opposition, ni ces partis, ni ces individus ne provoquent les projets qu’on leur pre´sente. On vient les chercher. Si on les effraye, si on les fatigue, si on exige d’eux un assentiment qu’on sait n’eˆtre pas dans leur ame, et qu’alors ils re´sistent, qu’en re´sistant ils s’agitent, ils murmurent, la faute, je le re´pe`te, n’en est pas a` eux. La paix inte´rieure de la France est donc dans les mains du gouvernement ; si les ministres, comme je n’en doute pas, de´sirent cette paix inte´rieure, ils savent comment on l’obtient. Nul ne souhaite le trouble, nul ne songe a` violer la Charte, ni a` s’en e´carter ; mais tous demandent a` l’envi que la Charte ne soit pas viole´e. La question des e´trangers n’est pas plus complique´e. J’admets que les e´trangers contemplent d’un œil observateur la disposition politique et l’attitude des partis en France1. Ils y sont inte´resse´s, je le reconnais ; car le repos de la France est ne´cessaire au leur. Mais, par cela meˆme, ils doivent souhaiter, et ils souhaitent que les ministres gouvernent la France de ma nie`re a` conserver ce repos. Par cela meˆme, les mesures qui la troublent, les restrictions qui l’irritent, les lois d’exception qu’elle a en horreur, l’esclavage de la pense´e contre lequel elle proteste, la servitude des journaux qui lui inspire du de´gouˆt, leurs mensonges qu’elle n’e´coute qu’avec impatience, toutes ces choses e´tant des germes de discorde, des causes d’agitation, sont contraires aux vœux de ces puissances qu’on invoque pour nous imposer. Et qu’on ne pense pas que je preˆte aux maıˆtres de l’Europe des intentions trop magnanimes. Mon usage n’est pas de flatter la force ; je n’ai pense´ jamais a` plaire aux vainqueurs, et je n’entrerai certes pas dans cette route, quand ces vainqueurs sont des e´trangers. Je parle de l’inte´reˆt des puissances, et je laisse de coˆte´ leur philantropie. Je dis que l’esprit du sie`cle a fait ce progre`s, que les souverains aiment mieux eˆtre tranquilles par notre tranquillite´, que de courir la chance incertaine de l’agrandissement par nos malheurs. 27 discorde ] discordes A2 1
La Re´volution franc¸aise a e´branle´ toute l’Europe. Le calme une fois revenu plus d’un quart de sie`cle plus tard, en 1815, les gouvernements appre´hendent tout retour des de´sordres.
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Et ce que je dis, je le de´montre. Les journaux e´trangers sont connus du ministe`re. Il nous en jette des fragmens plus ou moins mutile´s. Mais il en voit l’ensemble. Il m’arrive quelquefois de le voir aussi. Or, quelle disposition envers la France, annoncent ces feuilles qui, bien que moins geˆne´es dans les pays ou` il n’existe pas de constitution, qu’elles ne le sont parmi nous sous l’empire de la Charte, se ressentent ne´anmoins de la surveillance des souverains ? Elles expri ment le de´sir que nous restions calmes sous un gouvernement constitutionnel. Elles travaillent a` amortir les haines allume´es par des guerres dont il faut effacer le souvenir. Elles accueillent avec empressement tous les progre`s de notre ame´lioration politique, tous les symptoˆmes de notre attachement a` la ve´ritable liberte´. Que la France soit paisible, est le vœu de tous les gouvernemens, parce que ces troubles seraient contagieux. Que la France soit libre, est le vœu de tous les peuples, parce que sa liberte´ sera d’un bon exemple. Or, si les calculs et les vues des e´trangers doivent entrer pour quelque chose dans nos mesures inte´rieures, la connaissance de ces vues et de ces calculs invite le ministe`re a` donner au plutoˆt a` la France la liberte´ qui lui assurera du calme. On nous dit que tout ce qui annoncerait de l’agitation et du me´contentement, alarmerait les e´trangers, et provoquerait leur intervention. Donc il faut e´viter tout ce qui causerait l’agitation et le me´contentement. Les lois d’exception, les lois inconstitutionnelles produisent cet effet. La liberte´ nous en pre´serve. Il faut donc renoncer aux lois d’exception. Il faut nous laisser jouir de notre liberte´ le´gitime. Ceux qui porteraient atteinte a` cette liberte´, seraient les ve´ritables auteurs des maux qu’il auraient pre´dits. Eux seuls, par des mesures qui ame`neraient ne´cessairement les troubles, auraient provoque´ les inquie´tudes et l’intervention des e´trangers. J’ai parle´ franchement, je le pense. Le re´sultat m’est indiffe´rent. Je ne suis l’homme d’aucun parti ; je ne de´sire ni ne crains la chute d’aucun ministe`re. Les mesures me sont tout, les personnes rien. Au moment ou` j’e´crivais cette dernie`re phrase, les journaux m’apprennent que l’article 27 du projet de loi, je veux dire celui qui les maintient dans la de´pendance de l’autorite´ ministe´rielle, a e´te´ subitement se´pare´ de ceux qui le pre´ce´daient, et qu’il a e´te´ adopte´ avant tous les autres1. Cette de´viation impre´vue de la marche re´gulie`re et constitutionnelle m’oblige a`
2 ministe`re. Il ] ministe`re ; il A2 1
Texte de l’article 27 : voir p. 977, n. 1. Mais il faut souligner ici, que la situation a profonde´ment change´. BC fait allusion aux de´bats du 20 de´cembre 1817, au de´but desquels le gouvernement proposa de retirer cet article 27 pour en faire une loi a` part entie`re, mais provisoire. Le proce´de´ e´tait conside´re´ par un nombre conside´rable de de´pute´s comme une violation de la proce´dure parlementaire. La loi fut cependant adopte´e dans cette proce´dure d’urgence. BC revient a` cette question plus loin. Voir pp. 1018–1019 et les n. 2 et 3 de la p. 1018.
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laisser de coˆte´ toute la partie historique de la discussion, et a` me borner uniquement a` ce qui se rapporte aux journaux. Encore, pour donner a` mon travail une chance d’utilite´, bien faible, sans doute, me vois-je force´ de re´unir a` la haˆte les principaux raisonnemens relatifs a` cette question. Car le but, naı¨vement avoue´, de ce renversement de l’ordre e´tabli, e´tant de ne pas laisser aux feuilles pe´riodiques un seul jour de libre, il est possible qu’on pre´cipite la de´cision de la Chambre des pairs, comme celle des de´pute´s a e´te´ pre´cipite´e ; et je crois entendre d’ici retentir le cri ministe´riel, la cloˆture ! J’ai donc besoin, plus que jamais, de re´clamer l’indulgence de mes lecteurs. Ils seraient injustes si cette fois ils me re´pondaient : le tems ne fait rien a` l’affaire ; ce n’est pas ma faute si une loi qui prononce sur l’une de nos plus importantes liberte´s s’est de´cre´te´e plus vite que dix pages ne peuvent s’e´crire : et au milieu de cette ve´locite´, j’espe`re que les esprits e´quitables ne me blaˆmeront pas de leur rappeler que j’aurai a` peine la faculte´ de relire manuscrit ce qu’ils liront incessamment imprime´. Je commencerai par rassembler les argumens de ceux qui ont de´fendu la liberte´ des journaux. J’ajouterai quelques de´veloppemens aux ve´rite´s qu’ils ont e´nonce´es. J’analyserai de meˆme les discours de leurs adversaires, et je joindrai mes observations a` cette analyse. La censure exerce´e sur les journaux, ont dit les premiers, de´truit la partie active et vraiment efficace de la liberte´ de la presse a. Chez un peuple tre`soccupe´ de ses affaires et de ses plaisirs, on ne lit gue`re que les journaux. Les pamphlets, les brochures, tous les autres modes de publication, quels qu’ils soient, ne les remplacent pas. Ils ne les remplaceraient dans aucun tems, mais ils sont insuffisans, surtout aujourd’hui, puisque le ministe`re de´fend qu’on les annonce b, et puisqu’un journal nomme´ de la Librairie est reveˆtu a b
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M. Martin de Gray1. M. de Chauvelin2.
Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1367c : la citation exacte d’Alexandre Martin de Gray est un peu diffe´rente : «La censure sur les journaux de´truit la partie vraiment active et influente de la liberte´ de la presse». – Alexandre-Franc¸ois-Joseph baron Martin de Gray (1773–1864), avocat et maire de Gray (Haute-Saoˆne), de´pute´ au Corps le´gislatif de 1807 a` 1812, puis a` la Chambre des De´pute´s de 1816 a` 1822, de tendance libe´rale. BC e´voque a` plusieurs reprises et de fac¸on favorable ses interventions a` la tribune dans la Minerve, notamment et longuement a` propos de la loi sur les e´lections («Session des chambres», La Minerve franc¸aise, 24 mars 1819, voir Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, pp. 778–783). Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1374a : Chauvelin regrette que les journaux ne puissent pas jouer leur roˆle normal pour la formation de l’opinion publique. Il critique ceux qui pre´tendent que les livres et les opuscules qui be´ne´ficient d’une plus grande liberte´ pourraient jouer ce roˆle : leur audience n’est pas assez importante. «Offrira-t-on les bro-
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a` cet e´gard d’un monopole dont la cre´ation fut ille´gale, et dont l’exe´cution est vexatoire. En asservissant les journaux, les ministres mettent donc obstacle a` la circulation de toutes les ve´rite´s. Ils empeˆchent l’opinion de se faire connaıˆtre a` ceux qui sont ses organes. Deux cent cinquante hommes disposent des destine´es de la France, et le ministe`re, en obstruant les canaux de l’opinion, tient ces deux cent cinquante hommes isole´s de tout ce qui constate les besoins et les vœux de la nation a. On affirme que l’autorisation de publier un journal est un privile´ge que l’autorite´ conce`de. Quoi ! la pense´e des citoyens, leurs re´clamations, les actes du gouvernement, les de´bats et les jugemens des tribunaux, les discours des repre´sentans du peuple, proprie´te´s e´minemment nationales, seraient l’objet d’une concession, le patrimoine de la police b ! Quoi ! les discussions des Chambres elles-meˆmes ne parviendraient a` la France que sous le bon plaisir de l’autorite´ ministe´rielle ! instrua b
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M. Paccard1. M. Martin de Gray2.
chures, pamphlets et autres ouvrages comme suffisants pour remplacer ce moyen ? [...] ils ne sont vus que par une classe de lecteurs tre`s-peu nombreuse, et de´ja` elle-meˆme assez e´claire´e, pour que ces e´crits ne soient gue`re profitables qu’a` la re´putation de leurs auteurs, tre`s souvent circonscrite dans un cercle e´troit ; ils demeurent du reste ignore´s, et sur-tout, lorsqu’en proportion de leur importance et du degre´ d’affinite´ qu’ils ont avec les inte´reˆts les plus chers et les plus compromis des moindres citoyens, il est absolument interdit aux journaux de les annoncer, dans quelque but utile qu’ils soient conc¸us, avec quelqu’esprit de sagesse qu’ils soient pre´sente´s [...]». – Bernard-Franc¸ois marquis de Chauvelin (1766– 1832), sous la Re´volution : successivement ambassadeur a` Londres, puis ministre ple´nipotentiaire a` Florence ; sous le Consulat et l’Empire : membre du Tribunat, pre´fet de la Lys, conseiller d’E´tat et intendant ge´ne´ral de Catalogne ; sous la Restauration : de´pute´ de 1817 a` 1829. Il sie`ge a` l’extreˆme-gauche de la Chambre. BC e´voque a` plusieurs reprises et de fac¸on favorable ses interventions a` la tribune dans La Minerve et prend meˆme sa de´fense lorsqu’il est attaque´ («Session des chambres», La Minerve franc¸aise, 26 de´cembre 1818, voir Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, p. 636). Moniteur, no 353, 19 de´cembre 1817, p. 1407b : BC de´veloppe la pense´e de Paccard sans en changer le sens. Paccard s’e´tait borne´ a` soutenir que la liberte´ de la presse e´tait ne´cessaire a` un gouvernement repre´sentatif, notamment pour e´clairer les 250 de´pute´s : «On veut que 250 hommes disposent du sort de la France et qu’ils soient isole´s de tout ce qui pourrait les e´clairer sur les besoins et les vœux de la nation ?» – Antoine-Marie Paccard (1748–1826), de´pute´ de Chaˆlon-sur-Saoˆne aux E´tats ge´ne´raux de 1789 a` 1791, puis a` la Chambre des De´pute´s de 1816 a` 1820 ou` il appartient a` l’opposition libe´rale mode´re´e. Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1367c : la citation exacte d’Alexandre Martin de Gray est la suivante : «Cette autorisation est, dit-on, un privile`ge conce´de´ par le Gouvernement, qui peut en re´gler les conditions. Quoi ! le droit de publier les opinions, les re´clamations des citoyens, les actes authentiques du Gouvernement, les de´bats des tribunaux, est un privile`ge ! Quoi la pense´e, l’opinion est le patrimoine de la police !».
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mens passifs de cette autorite, les journaux pourraient mutiler ces discussions, les alte´rer, les omettre1 a ! Cette hypothe`se mercantile, applique´e aux faculte´s intellectuelles de l’homme, son plus noble attribut, et a` la publicite´, sa plus suˆre de´fense, me´rite a` peine d’eˆtre re´fute´e. Admettons-la, ne´anmoins, pour un instant. Une autorisation e´tant un contrat, ce contrat ne peut eˆtre annulle´ arbitrairement par l’une des parties, sans une atteinte formelle au droit sacre´ de proprie´te´. Dans le cas actuel, la police se constitue, a` l’e´gard des journaux, juge a` la fois et partie b. Elle est tellement une partie a
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Je conviendrai, pour eˆtre juste, que jusqu’a` pre´sent les discussions des Chambres ont e´te´ rendues dans les journaux avec assez de fide´lite´. Il serait peut-eˆtre difficile de les de´naturer sous les yeux meˆmes du public curieux et avise´ de Paris. Mais comme les journaux ne parviennent aux de´partemens que sous le bon plaisir de la poste, et qu’ils y sont parfois arreˆte´s, cette liberte´ apparente finit a` la barrie`re, et il de´pend des ministres de tenir pendant plusieurs jours des villes ou meˆme des de´partemens entiers dans une ignorance comple`te de ce que disent leurs repre´sentans. J’ajouterai que, malgre´ la fide´lite´ a` laquelle je viens de rendre hommage, j’ai vu, dans une feuille re´cente, qu’un discours ministe´riel avait e´te´ fre´quemment interrompu par des murmures d’approbation, tandis qu’il est constant que ces murmures e´taient en partie au moins d’un tout autre genre2. Or, les de´partemens jugent les Chambres, tant d’apre`s les discours qui s’y prononcent, que d’apre`s les te´moignages d’assentiment qu’elles donnent ou qu’elles refusent. Les induire en erreur sur ce point, n’est-ce pas les tromper sur des dispositions auxquelles se rattachent ou leurs craintes ou leurs espe´rances ? M. Martin de Gray3. Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1367c : la citation exacte d’Alexandre Martin de Gray est la suivante : «il faut que la nation connaisse les discussions des chambres, mais les discussions n’ont une vraie publicite´ que par les journaux, et les journaux, instruments passifs de l’autorite´, peuvent alte´rer, mutiler, omettre les discussions». C’est une accusation classique a` toutes les e´poques que d’affirmer que le gouvernement fait pression sur les services postaux pour retarder l’acheminement des journaux d’opposition. Quant au discours ministe´riel qu’un journal re´cent aurait, de fac¸on trop bienveillante, pre´sente´ interrompu par des murmures d’approbation, il paraıˆt difficile de le repe´rer avec certitude puisque l’habitude des journaux est, en effet, d’indiquer la fac¸on dont les discours sont accueillis mais avec toute la difficulte´ qu’il peut y avoir a` interpre´ter les murmures d’une assemble´e parlementaire. Le discours qui correspond le mieux a` ce que dit BC, est celui de Decazes du 15 de´cembre 1817 dont il parle longuement plus loin et dont le Moniteur (no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1401c) indique qu’il «a excite´, a` diverses reprises des signes d’approbation», re´actions confirme´es par le proce`s-verbal reproduit dans les Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XIX, p. 788. Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1367c : la citation exacte d’Alexandre Martin de Gray est la suivante : «Mais j’accorde qu’un droit si sacre´ soit un droit octroye´ par un brevet de police ! Au moins est-ce un contrat passe´ entre les proprie´taires du journal et le Gouvernement [...] ce n’est point a` la police de prononcer arbitrairement un arreˆt qui de´pouille des citoyens de leurs e´tablissements et de´truit leurs engagements envers le public. La police peut-elle eˆtre juge et partie ?»
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contractante, qu’en re´compense de ses concessions, elle exige d’eux des impoˆts arbitraires que la loi interdit expresse´ment a. Mais, ce n’est pas la` seulement qu’est la question. Sous le pre´texte d’une surveillance, c’est un monopole que le ministe`re demande b. Il ne se contente pas de forcer les journalistes a` retrancher l’expression de leurs pense´es, il les contraint a` inse´rer des articles re´dige´s par ordre, dans l’opinion oppose´e c. Il s’agit donc de savoir si les ministres pourront seuls se servir a b c
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M. de Ville`le1. M. Ganilh2. M. de Ville`le3. Moniteur, no 348, 14 de´cembre 1817, p. 1377a : Ville`le se dit favorable au maintien du syste`me de l’autorisation pre´alable pour cre´er un journal «mais de´gage´e des conse´quences arbitraires et fiscales qu’on en a tire´es». Il insiste : «Je le de´clare ici, Messieurs, je crois notre honneur inte´resse´ a` ne pas prolonger l’e´tat absurde autant qu’inique de notre le´gislation sur ce point. De ce que les journaux ne peuvent paraıˆtre sans l’autorisation du Roi, on en conclut qu’on peut annuler chaque jour, et sans motif, l’effet de cette autorisation ; on se croit libre d’exiger d’eux un impoˆt arbitraire expresse´ment interdit par les lois ; [...]». Parmi les pre´le`vements impose´s par les gouvernements de la Restauration pour peser sur le budget des journaux et les affaiblir, il y a le cautionnement, verse´ lors de la cre´ation du journal et cense´ garantir qu’il paiera les amendes auxquelles il pourrait eˆtre condamne´s, ainsi que le droit de timbre sur le papier et les frais de poste. Ce sont autant de moyens de pression d’autant plus efficaces que les feuilles d’opposition sont souvent financie`rement fragiles. Ville`le, de´fenseur attentif de l’orthodoxie budge´taire, de´nonce ces pre´le`vements notamment sous l’angle de leur ille´galite´ formelle. – Jean-Baptiste-Guillaume-Joseph comte de Ville`le (1773–1854), aristocrate exile´ par la Re´volution, de retour en France sous Napole´on, ses convictions monarchistes lui valent d’eˆtre e´lu a` la Chambre des De´pute´s pour repre´senter la Haute-Garonne de`s 1815 et d’y rester jusqu’en 1828 ou` il sera nomme´ a` la Chambre des Pairs. Son habilete´ manœuvrie`re a` la teˆte du parti ultra-royaliste lui permettra d’acce´der aux postes de ministre sans portefeuille en 1820, de ministre des Finances en 1821, enfin de pre´sident du conseil de 1822 a` 1828. BC de´noncera vigoureusement sa volonte´ de «re´tablissement de l’ancien re´gime» (La Minerve, 23 janvier 1820, voir Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, p. 1139). En fait, arrive´ au pouvoir, Ville`le s’efforcera plutoˆt de limiter certains exce`s re´actionnaires de ses amis ultras. Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817 : cette phrase ne figure pas exactement dans le discours de Charles Ganilh mais, a` deux reprises, il condamne tout monopole du gouvernement sur les journaux : «Bien loin de vous proposer la suppression des journaux, il [le garde des Sceaux] vous en demande le monopole pour le gouvernement» (p. 1370c) et «Jugez, Messieurs, par ces faibles aperc¸us s’il convient de confe´rer au gouvernement le monopole des journaux» (p. 1371a). – Charles Ganilh (1758–1836), avocat a` Paris, membre du Tribunat de 1799 a` 1802, de´pute´ du Cantal a` la Chambre des De´pute´s de 1815 a` 1822. Plutoˆt dans l’opposition au gouvernement, il se spe´cialise dans les questions budge´taires et e´conomiques. Moniteur, no 348, 14 de´cembre 1817, p. 1377a : la citation exacte de Ville`le est la suivante : «On ne se contente pas d’obliger un journaliste a` oˆter de sa feuille les articles qu’il y a faits, on l’oblige a` inse´rer ceux qu’on lui fournit dans une opinion oppose´e». Sur les motivations de Ville`le, de´pute´ ultra qui se donne par moment des allures d’opposant a` des mesures de rigueur contre les journaux, voir p. 935, n. 3.
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de l’arme des journaux, s’ils continueront a` eˆtre investis du privile´ge exclusif de parler chaque jour et sans contradicteurs, pour ou contre tous les principes, pour ou contre les individus qui les professent a. Si cette pre´rogative inouı¨e leur est maintenue, il n’y aura plus de liberte´ d’examen, il n’y aura plus de suˆrete´ personnelle. Le ministre de la police disposera chaque jour d’une multitude de feuilles qui pourront diriger impune´ment contre des individus de´sarme´s des attaques auxquelles ces individus ne pourront re´pondre. De´ja` d’officieuses Annales, sous la protection de la censure, ont transforme´ les meilleurs citoyens en de´magogues anglais b. Il est contre l’essence de tout bon gouvernement, et surtout d’un gouvernement repre´sentatif, de laisser a` qui ce soit un pouvoir aussi de´sastreux, dont il est impossible qu’un ministe`re n’abuse pas. N’avons-nous pas vu, a` une e´poque re´cente, les journaux remplis d’articles injurieux, et le ministe`re, ou, si ce n’e´tait pas le ministe`re, ses agens directs ou indirects, ses partisans, ses flatteurs, enfoncer a` loisir le poignard dans le cœur de citoyens prive´s du bouc-
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M. de Corbie`res1. M. Martin de Gray2.
10 gouvernement, et surtout d’un gouvernement repre´sentatif ] gouvernement repre´sentatif A2
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Moniteur, no 354, 20 de´cembre 1817, p. 1412b : ici BC adoucit les propos de Corbie`re en en dispersant l’attaque sur les ministres alors que Corbie`re vise explicitement le ministre de la Police, en l’occurrence Decazes que BC a plutoˆt tendance a` me´nager : «Il s’agit de savoir si le ministre de la police pourra seul se servir de cette arme, s’il continuera d’eˆtre investi du privile`ge exclusif de parler chaque jour et sans contradicteur, pour ou contre tous les principes, pour ou contre tous ceux qui les professent». – Jacques-Joseph-Guillaume-Franc¸ois-Pierre Corbie`re (1766–1853), avocat, membre du Conseil des Cinq-Cents de 1795 a` 1799, de´pute´ d’Ille-et-Vilaine a` la Chambre des De´pute´s de 1815 jusqu’en 1828 ou` il est nomme´ a` la Chambre des Pairs. Membre du parti ultra, il sera ministre de l’Inte´rieur et de l’Instruction publique dans le ministe`re Ville`le. Dans Le Mercure et La Minerve, BC de´coche a` l’occasion quelques fle`ches a` Corbie`re (Mercure, 15 mars 1817, voir ci-dessus, p. 512). Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1367c : la citation exacte d’Alexandre Martin de Gray, dans son propos en vue de faire prendre conscience aux de´pute´s des dangers de la censure, y compris pour eux, est la suivante : «La censure, en donnant aux ministres le droit de faire attaquer vos opinion par l’essaim de tous les journaux, sans que vous puissiez les faire de´fendre par un seul, ne livre-t-elle pas votre re´putation politique et en quelque sorte votre re´e´lection, a` la discre´tion du ministe`re. Ne peut-on pas, avec la baguette magique de la censure, et graˆce a` d’officieuses Annales, transformer les meilleurs Franc¸ais, les meilleurs amis de la patrie, en de´magogues anglais ?» En bas de page, une note pre´cise : «Allusion a` l’article des Annales, du 9 de´cembre». Sur ce pe´riodique, voir ci-dessus, p. 942, n. 3.
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lier d’une le´gitime de´fense1 a ? On conc¸oit l’ine´galite´ d’un pareil combat. On sait trop s’il y a paralle`le entre une accusation re´pe´te´e le meˆme jour a` vingt mille exemplaires, et une re´futation tardive, renferme´e dans quelques centaines d’exemplaires d’un e´crit dont les gazettes refusent meˆme d’inse´rer le titre. Qui ne sent que, surtout d’apre`s notre nouveau mode d’e´lection, la liberte´ des journaux est indispensable ? Ce mode a e´te´ destine´ a` re´aliser au profit de la nation une garantie promise. Il consiste a` fournir aux citoyens les moyens de se faire repre´senter par ceux d’entr’eux qui auront re´ellement leur confiance, et d’e´chapper au danger d’avoir pour repre´sentans des a
M. Bignon2.
2 s’il ] qu’il A2 1
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7 fournir ] fournor A2
Moniteur, no 351, 17 de´cembre 1817, p. 1396b : la citation exacte de Bignon est la suivante : «Aujourd’hui, en meˆme temps que la de´pendance des journaux est sans utilite´ vraiment nationale, elle est dans les mains du ministe`re une arme dangereuse dont il est presque impossible qu’il n’abuse pas. Qui de nous n’a e´prouve´ autant de surprise que de chagrin en lisant dans les gazettes certains articles publie´s a` une e´poque re´cente, articles auxquels toute re´ponse e´tait interdite par la meˆme voie, en sorte que le ministe`re, ou si ce n’e´tait pas le ministe`re, ses agens directs, ses partisans ou ses flatteurs, ont pu, a` loisir, enfoncer le poignard dans le cœur des citoyens auxquels e´tait enleve´ le bouclier d’une le´gitime de´fense ?» Louis-Pierre-Edouard baron de Bignon (1771–1841) exerce plusieurs fonctions diplomatiques sous la Directoire, le Consulat, l’Empire et jusque pendant les Cent-Jours ou` il est nomme´ sous-secre´taire d’E´tat au ministe`re des Affaires e´trange`res en meˆme temps qu’e´lu a` la Chambre des De´pute´s. Il y est de nouveau e´lu en 1817 et occupe ces fonctions de de´pute´ jusqu’en 1837, repre´sentant successivement l’Eure, le Haut-Rhin et la Seine infe´rieure. Il sie`ge d’abord a` l’extreˆme-gauche puis, sous la Monarchie de juillet a` gauche. De`s 1817, il prend fermement parti contre les proscriptions ce qui lui vaut des attaques de´termine´es des journaux ultras. En 1818, il publie un petit ouvrage Coup d’œil sur les de´meˆle´s des cours de Bavie`re et de Bade ; pre´ce´de´ de conside´rations sur l’utilite´ de l’intervention de l’opinion publique dans la politique exte´rieure des e´tats (Delaunay Libraire) qui traite des proble`mes de succession a` la teˆte du grand-duche´ de Bade, par rapport aux ambitions du royaume de Bavie`re. Il explique qu’en cas d’extinction des descendants en ligne directe d’une famille royale, l’on ne saurait faire appel aux branches collate´rales que «avec le consentement de la nation». Une telle affirmation soule`ve des protestations dans la presse dans la mesure ou` c’est introduire un e´le´ment de souverainete´ nationale dans l’ordre de succession au troˆne et puisque le duc de Berry – dernier descendant de Louis XV – n’a pas encore d’enfant le´gitime. Dans La Minerve du 3 octobre 1818 (voir Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, pp. 539–545), BC prendra la de´fense de Bignon en expliquant que sa demande d’intervention de la nation ne peut concerner, pour ce qui est de la France, que l’appel e´ventuel aux Bourbons d’Espagne ou de Naples (ce qui revient a` faire silence sur la question des Orle´ans). BC en profite pour citer longuement le passage ou` Bignon appelle de ses vœux les bienfaits de la liberte´ de la presse : «Puissent les espe´rances de M. Bignon se re´aliser ! et nous ne doutons point qu’elles se re´alisent» (p. 390).
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hommes impose´s par une faction ou par l’autorite´. Mais si le ministe`re venait a` rendre ce mode illusoire dans l’exe´cution ; si, effraye´ lui-meˆme de son propre ouvrage, reculant par faiblesse ou par erreur devant les principes qu’il a consacre´s, alarme´ de cette liberte´ qu’il a cru ne´cessaire pour consolider le repos de la France, il cherchait a` l’ane´antir et a` soumettre de nouveau les choix des de´pute´s a` l’influence du pouvoir ; si sa terreur panique e´tait porte´e au point de lui faire perdre toute re´serve ; et si, pour comprimer l’e´lan de l’opinion, il employait contre les hommes favorablement signale´s par elle, jusqu’aux moyens de la calomnie, comment ceux que je suppose les amis d’une sage liberte´ e´chapperaient-ils a` ce combat a` outrance, si les journaux sont a` la disposition exclusive des ministres, si, toujours preˆts a` se rendre l’e´cho des attaques, ils n’admettent pas une seule ligne en re´futation des invectives ou en rectification des faits ? Il est probable que le ministe`re obtiendrait quelque avantage : mais ce triomphe serait-il moins funeste au gouvernement qu’a` la liberte´ ? Ne serait-il pas a` craindre que la nation ne se cruˆt qu’imparfaitement repre´sente´e, et que, de´courage´e de voir ses plus chers inte´reˆts confie´s a` des hommes qui lui auraient e´te´ impose´s, elle ne conside´raˆt sa cause comme se´pare´e de celle du gouvernement a ? Et cette liberte´ des journaux que nous re´clamons, non a
M. Lafitte1.
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Moniteur, no 353, 19 de´cembre 1817, p. 1408c : pour mesurer la capacite´ de synthe`se de BC et constater les points qui lui paraissent importants dans l’argumentation de Laffitte, voici le texte de l’intervention de ce dernier sur ce point : «Mais, si la liberte´ des journaux est un des e´le´ments les plus ne´cessaires pour former le cre´dit, peut-eˆtre est-elle encore plus indispensable pour que le bienfait du nouveau mode d’e´lection ne soit point illusoire. / Ce mode a e´te´ destine´ a` re´aliser, au profit de la nation, une garantie promise de ses droits et de ses liberte´s ; elle consiste a` fournir aux citoyens le moyen de se faire repre´senter par ceux d’entre eux qui auront re´ellement la confiance de la masse, d’e´chapper au danger d’avoir pour repre´sentants des hommes impose´s par une faction ou par l’autorite´, comme cela arrivait dans les anciens colle`ges e´lectoraux trop peu nombreux, et choisis par l’autorite´ elle-meˆme. / Mais, si le ministe`re apre`s avoir provoque´ cette garantie, pour laquelle nous lui devons des actions de graˆce, venait a` la rendre illusoire par les moyens d’exe´cution, que deviendrait le bienfait ? / S’il arrivait qu’effraye´ lui-meˆme par son propre ouvrage, reculant par faiblesse ou par erreur devant les principes qu’il a fait consacrer, alarme´ de cette liberte´ qu’il a crue ne´cessaire pour consolider le repos de la France, il se crut oblige´ de chercher a` l’ane´antir, et a` soumettre de nouveau les choix des de´pute´s a` l’influence de l’autorite´ par tous les moyens qui peuvent de´pendre d’elle ? / S’il arrivait que cette terreur panique fut porte´e au point de lui faire perdre toute re´serve, et que, pour comprimer l’e´lan de l’opinion, il en vint a` employer, contre les hommes favorablement signale´s par elle, jusqu’aux injures et jusqu’a` la calomnie ; s’il allait jusqu’a` avilir les fonctions publiques en faisant de quelques fonctionnaires de vils e´missaires de ces calomnies et de ces injures ! / Dans ce cas, je le demande, quelle re´sistance le ministe`re aurait-il a` redouter ? Par quels moyens ceux que je suppose les amis d’une sage liberte´, e´chapperont-ils a` ce combat a` outrance, si les journaux sont a` la disposition exclusive des ministres ; si, toujours preˆts a` se rendre les
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seulement comme un utile auxiliaire pour la ve´rite´, mais afin que leur monopole n’en fasse pas une arme empoisonne´e, cette liberte´ n’est-elle donc pas conforme a` la Charte, et strictement voulue, ordonne´e par elle ? La Charte, en assurant a` tout Franc¸ais le droit de publier ses opinions, n’a point e´tabli de diffe´rence entre les journaux et les autres e´crits a. Comment les ministres osent-ils s’e´carter d’un article formel de la Charte, quand il s’agit d’ajouter a` leur pouvoir, eux qui se sont de´clare´s lie´s par elle, quand il s’est agi de modifications qu’ils avaient reconnues pour des ame´liorations importantes ? Une ordonnance de juillet 1815, conforme, y e´tait-il dit, a` la lec¸on de l’expe´rience et au vœu bien prononce´ de la nation, avait autorise´ la re´vision des conditions d’e´ligibilite´ a` la Chambre, du nombre des de´pute´s, de l’initiative des lois, et du mode des de´libe´rations. Ce bienfait, garanti par un acte solennel, on n’he´sita pas a` le sacrifier a` l’avantage de conserver intacte la Charte constitutionnelle. Par quelle fatalite´ cette Charte, qui inspire un respect si inviolable lorsqu’il ne s’agirait de la toucher que pour ajouter ce qui a paru manquer aux garanties nationales, n’inspire-t-elle plus la meˆme ve´ne´ration, de`s qu’il s’agit d’attaquer celles de ces garanties qui s’y trouvent si formellement stipule´es ? Le danger de changer nos re`gles constitutionnelles n’existe-t-il donc que lorsqu’il est question de les ame´-
a
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M. Ganilh1.
e´chos des attaques, ils refusent une seule ligne a` la de´fense la plus le´gitime ! Que deviendraient, dans une lutte aussi ine´gale, l’opinion et le choix de cette masse de citoyens trop peu e´claire´s pour de´meˆler la ve´rite´ du mensonge, ou trop faibles pour re´sister seuls aux menaces du pouvoir ? Il est probable que le ministe`re obtiendrait quelque avantage ; mais ce triomphe serait-il moins funeste au Gouvernement qu’a` la liberte´ ? Ne serait-il pas a` craindre que la nation ne se cruˆt qu’imparfaitement repre´sente´e, et que, de´courage´e de voir ses plus chers inte´reˆts confie´s a` des hommes qui lui auraient e´te´ impose´s, elle ne crut sa cause se´pare´e de celle du Gouvernement ?» – Jacques, chevalier Laffitte (1767–1844), banquier, gouverneur de la Banque de France sous l’Empire, de´pute´ pendant les Cent-Jours, de´pute´ de 1816 jusqu’a` sa mort ; sa fortune et sa re´putation lui valent d’apparaıˆtre comme un des membres les plus influents du parti libe´ral. Il contribuera a` l’arrive´e au pouvoir de Louis-Philippe dont les modes d’exercice du pouvoir le de´cevront. Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1370c : la citation exacte de Charles Ganilh est la suivante : «Mais, Messieurs, la Charte a reconnu que les Franc¸ais ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions ; elle ne fait aucune distinction entre les opinions publie´es dans d’autres ouvrages ; elle n’assujettit toutes les publications imprime´es qu’a` la re´pression de leurs abus». Il fait re´fe´rence a` l’article 8 de la Charte : «Les Franc¸ais ont le droit de publier et de faire publier leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent re´primer les abus de cette liberte´».
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liorer dans l’inte´reˆt des citoyens ? N’y a-t-il aucun pe´ril a` leur porter atteinte, lorsqu’elles sont destine´es a` garantir la liberte´ publique a ? Rentrons franchement dans la constitution. Pour les inte´reˆts publics comme pour les inte´reˆts prive´s, pour la stabilite´ de l’Etat comme pour la suˆrete´ des individus, ce retour sera salutaire. S’il existe un danger re´el, n’est-ce pas a` livrer volontairement nos armes a` ceux contre lesquels elles furent destine´es a` nous de´fendre On nous parle des habitudes des peuples : est-il moins important d’empeˆcher le gouvernement d’en contracter de funestes ? On caresse, on che´ri le systeˆme pre´ventif ; mais quel meilleur moyen de pre´venir les abus que la certitude qu’ils seront de´voile´s le lendemain b ? Qu’on ne nous cite plus des exema b
M. Lafitte1. M. Bignon2.
7 de´fendre ] de´fendre ? A2 1
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9 che´ri ] che´rit A2
Moniteur, no 353, 19 de´cembre 1817, p. 1408b. Pre´sente´e simplement, l’argumentation de Laffitte est la suivante : le projet de loi sur la presse viole la Charte qui prote`ge la liberte´ de la presse ; il est paradoxal que le gouvernement qui a renonce´, au nom du respect de la Charte, a` une ordonnance de juillet 1815 (portant sur la composition et le fonctionnement de la Chambre des De´pute´s) alors que chacun la jugeait utile, ne manifeste pas ici autant de scrupule : «[La Charte] a dit seulement que les abus auxquels la liberte´ de la presse pourraient donner lieu seraient re´prime´s, ce qui supposait ne´cessairement que cette liberte´ resterait toute entie`re. / Priver les Franc¸ais, les en priver en totalite´ ou en partie, pour toujours ou pour un temps limite´ ; c’est donc incontestablement porter atteinte a` la Charte, violer les garanties qu’elle a promise. / Et de´ja`, Messieurs, avant meˆme de soumettre a` l’examen les motifs sur lesquels on se fonde pour excuser cette violation, n’est-il pas raisonnable de s’e´tonner qu’elle nous soit propose´e par le meˆme ministe`re a` qui nous devons l’ordonnance du 5 septembre ? Il vous souvient de l’e´norme sacrifice par lequel cette ordonnance a fait acheter a` la nation l’avantage d’essayer une nouvelle chambre des de´pute´s. / Une ordonnance pre´ce´dente, conforme, y e´tait-il dit, a` la lec¸on de l’expe´rience et au vœu bien prononce´ de la nation, avait autorise´ la re´vision de divers articles de la Charte, bien importants sans doute : il s’agissait des conditions d’e´ligibilite´ a` la chambre, du nombre des de´pute´s, de l’initiative des lois et du mode des de´libe´rations. / Ce bien, garanti par un acte solennel, dans une circonstance qui semblait ajouter a` sa force, on n’he´sita pas a` le sacrifier a` l’avantage de conserver intact la Charte constitutionnelle. / Par quelle fatalite´ cette Charte qui inspire un respect si inviolable, lorsqu’il ne s’agirait de la toucher que pour ajouter a` ce qui a paru manquer aux garanties nationales, n’inspire-t-elle plus la meˆme ve´ne´ration de`s qu’il s’agit d’attaquer celle de ces garanties qui s’y trouvent si formellement stipule´es ? le danger de changer nos re`gles constitutionnelles n’existe-t-il donc que lorsqu’il est question de les ame´liorer dans l’inte´reˆt des citoyens ? N’y a-t-il aucun pe´ril a` leur porter atteinte ` noter que BC explicite la lorsqu’elles sont destine´es a` garantir la liberte´ publique ?» A citation de Laffitte en pre´cisant la date (juillet 1815) de l’ordonnance pre´ce´dente. Moniteur, no 351, 17 de´cembre 1817, p. 1396b : la citation exacte de Bignon est la suivante : «Puisque le ministe`re s’attache avec tant de pre´dilection a` tout syste`me pre´ventif, la liberte´ de la presse peut merveilleusement seconder ses vues. Combien d’actes ille´gaux ou illicites dont s’abstiendraient les agents du pouvoir, s’ils craignaient de voir leur honte affiche´e le lendemain ?»
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ples e´trangers, alors meˆme qu’on repousse ces exemples quand ils sont favorables aux principes. Ou si l’on veut e´tablir des comparaisons avec l’histoire anglaise, qu’on dise si rien de ce que les Anglais ont e´prouve´ peut se comparer a` ce que nous e´prouvons. Se sont-ils vus prive´s de la liberte´ de la presse au moment ou` elle venait de leur eˆtre accorde´e ? Les ministres leur ont-ils dit qu’ils n’e´taient pas en e´tat de commencer l’usage de cette liberte´, pre´cise´ment parce qu’ils n’en jouissaient pas depuis long-tems ? que cette liberte´ e´tait un droit bien cher, et une garantie bien suˆre, mais que par cette raison meˆme, ils devaient y renoncer pour leur propre inte´reˆt ? Non, ce n’est point chez les nations e´trange`res que nous trouvons de pareilles doctrines. C’est notre propre histoire qui a e´gare´ nos ministres. Ce sont nos gouvernemens qui, sous le pre´texte de veiller plus suˆrement a` notre repos, nous ont toujours prive´ de nos liberte´s. Le succe`s a-t-il couronne´ cette tactique ? Ces gouvernemens n’ont manque´ ni de talens, ni de force, ni d’allie´s, ni de soutiens. Vainqueurs de l’Europe, ils sont tombe´s par l’opinion. Encore si l’on pouvait accuser de leur chute la liberte´ de la presse ; mais toujours promise et toujours suspendue, elle n’a jamais e´te´ qu’un vain mot, ou, pour mieux dire, la presse, en France, n’a jamais e´te´ complice que du pouvoir a. Ce qui d’anne´e en anne´e a e´te´ funeste a` tous les gouvernemens, serait-il tout-a`-coup devenu salutaire ? Les meˆmes causes ne doivent-elles pas proa
M. Lafitte1.
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Moniteur, no 353, 19 de´cembre 1817, p. 1409a : comme pre´ce´demment, on peut juger de la capacite´ de synthe`se de BC en comparant l’intervention de Laffitte avec les paroles de notre auteur : «Mais, puisque nos adversaires veulent e´tablir des comparaisons, je les prie de me dire si rien, dans l’histoire anglaise, est comparable a` ce que nous e´prouvons. S’il lui est arrive´, comme a` nous, de se voir prive´ de la liberte´ de la presse au moment meˆme ou` elle venait de lui eˆtre accorde´e ; si, comme nous, elle a vu les ministres lui dire qu’elle n’e´tait pas en l’e´tat de commencer l’usage de cette liberte´, pre´cise´ment parce qu’elle n’en jouissait pas depuis longtemps ; que cette liberte´ e´tait un droit bien cher et une garantie bien suˆre de tous ses droits, mais que, pour cette raison-la` meˆme, elle devait y renoncer pour son plus grand inte´reˆt. Non, ce n’est pas dans les nations e´trange`res que nos adversaires ont puise´ de pareils exemples et de pareilles doctrines. Il faut le dire, c’est en France meˆme, c’est notre propre histoire qui les a e´gare´s ; c’est nous qui, pendant de longues anne´es, avons offert cet affligeant spectacle d’une nation, stipulant a` tout prix des garanties pour ses liberte´s, et pour qui ces garanties ont toujours e´te´ illusoires. Ce sont nos gouvernements qui, sous pre´texte de veiller plus suˆrement a` notre repos, nous ont constamment prive´s de nos liberte´s. / Mais le succe`s a-t-il couronne´ cette tactique ? S’ils ont ainsi perdu l’amour et la confiance de la nation, ont-ils du moins consolide´ leur puissance ? Vous le savez, Messieurs, les faits sont encore sous vos yeux ; on l’a de´ja` dit a` cette tribune. La France, pendant vingt ans, s’est montre´e redoutable a` l’Europe sous les diffe´rents gouvernements qui se sont succe´de´s ; pendant vingt ans, les droits politiques de la France ont e´te´ foule´s par des lois d’exception. Que sont devenus ces gouvernements qui n’ont manque´ ni de talens, ni de forces, ni d’allie´s, ni de soutiens ? Vainqueurs de l’Europe par les armes, ils sont tombe´s vaincus par la puissance me´prise´e de l’opinion. / Encore si, au milieu de toutes ces catastrophes, nos
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duire les meˆmes effets ? Aussi, qu’on observe les symptoˆmes, qu’on juge les mesures par les re´sultats. Ici l’un des orateurs est entre´ dans des de´veloppemens a` travers lesquels je ne le suivrai pas a. Nous diffe´rerions sur plusieurs de´tails ; mais sa conclusion est d’accord avec la mienne. Les re´sultats de la dictature du ministe`re sur les journaux n’ont certes pas e´te´ heureux. L’aveu des ministres eux-meˆmes le prouve. Le ministe`re avait demande´ cette dictature pour un an. A ce prix, il promettait que l’opinion serait ame´liore´e ; et l’opinion, graˆce a` cette dictature, est si bien ame´liore´e que le ministe`re aujourd’hui demande cette dictature pour trois ans. En effet, comment l’esclavage des journaux pourrait-il ame´liorer l’opinion ? Cet esclavage avertit les lecteurs de se de´fier de tout ce qu’ils lisent. Pre´tendre diriger l’esprit public par des jour naux asservis, c’est vouloir, comme un lieutenant ge´ne´ral de police, donner une livre´e aux espions b. a b
M. de Ville`le1. M. de la Bourdonnaye2.
13 de police ] de la police A2
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adversaires e´taient assez heureux pour en trouver une qu’ils puissent imputer a` la liberte´ de la presse ! mais non, cette liberte´ toujours promise ne fut jamais qu’un vain mot ; et si la presse ne fut pas toujours innocente des crimes ou des fautes que cet intervalle de temps a vu commettre, elle ne fut complice que du pouvoir». Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817 : on ne peut s’e´tonner que BC affecte de se de´marquer de certaines propositions de Ville`le, membre du mouvement des monarchistes ultras, ce qui le conduit, par exemple ici a` soutenir que, sur certains points, la le´gislation laisse le gouvernement de´sarme´ face aux journalistes se´ditieux. Par exemple : «Nous demanderons avec quels tribunaux, quel code et par quels moyens on re´primera ces e´crits destine´s a` corrompre la nation en propageant les doctrines anti-religieuses, anti-monarchiques et anti-sociales. Nous sommes fonde´s a` dire qu’ils n’existent point ou sont insuffisants car des ouvrages de ce genre inondent notre pays sans que le Gouvernement le´gitime dont ils sapent les fondements s’opposent a` leur publication et fassent poursuivre leurs auteurs» (p. 1376c). BC ne pouvait adhe´rer a` cela, meˆme s’il se retrouve alors avec Ville`le pour re´clamer l’intervention du jury pour les de´lits de presse. BC ne peut non plus adhe´rer aux de´monstrations de La Bourdonnaye qui centre son intervention sur l’inefficacite´ du ministe`re dans sa volonte´ de controˆle des livres et des pe´riodiques. En revanche, une formule lui plait : «En voyant le ministe`re pre´tendre diriger l’opinion avec des journaux asservis, on se rappelle malgre´ soi ce lieutenant ge´ne´ral de police qui voulait donner une livre´e a` ses espions (On rit)» (Moniteur, no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1402c). – Franc¸ois-Re´gis de La Bourdonnaye, comte de La Brete`che (1767–1839), aristocrate e´migre´ sous la Re´volution, il demeure attache´ a` l’Ancien Re´gime mais capable de comprendre les me´canismes du parlementarisme. Ayant tente´ de revenir en France de`s le Directoire, puis durablement sous le Consulat, il accueille avec enthousiasme le retour du roi en 1814. De´pute´ de 1815 a` 1830, il appartient au parti ultra et se fait remarquer par des propositions d’une grande se´ve´rite´ a` l’e´gard de ceux qu’il juge les adversaires de la monarchie le´gitime. Il exerce quelques mois les fonctions de ministre de l’Inte´rieur en 1829, a` la veille de la chute de Charles X.
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Aussi le discre´dit des journaux est tel, qu’apre`s avoir rempli d’articles commande´s les vingts feuilles de la capitale, les ministres pourraient eˆtre oblige´s, afin d’obtenir soit pour leurs opinions, soit pour leurs re´cits, soit surtout pour leurs e´loges, un peu moins de de´faveur, de les travestir en langue e´trange`re et sous cette forme nouvelle, de leur faire deux fois traverser la1 mer a. Et remarquez que chaque anne´e cet arbitraire s’aggrave, parce qu’il est de la nature de l’arbitraire de s’aggraver par sa dure´e. En 1816 les journaux e´taient censure´s, geˆne´s, comprime´s, retenus dans leur marche : mais enfin cette marche e´tait la leur, et quelques discussions e´taient tole´re´es. En 1817 les journaux, dirige´s par la meˆme pense´e, combine´s dans un systeˆme unique, se meuvent tous comme un seul homme, partent tous du
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M. Chauvelin.
12 M. Chauvelin ] M. de Chauvelin A2
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Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1374a : Chauvelin de´nonce le manque de cre´dibilite´ des journaux franc¸ais e´troitement controˆle´s, et leur oppose, a` mots couverts que son auditoire sait de´crypter, la confiance dont be´ne´ficient au contraire les journaux anglais dont on sait qu’ils jouissent d’une assez large liberte´. Il fait allusion au proce´de´, de´ja` utilise´ sous le re´gime de Napole´on, consistant pour les dirigeants franc¸ais a` faire inse´rer une information utile dans une feuille anglaise complaisante, puis a` la faire reprendre par les journaux franc¸ais en indiquant son origine anglaise, conside´re´e par les lecteurs comme a priori plus fiable : «la puissance d’une feuille officielle accre´dite´e et dirige´e avec sagesse et habilete´, est nulle au milieu de la servitude des autres journaux, et il ne serait pas surprenant de voir des ministres dictant chaque jour toutes les colonnes des vingt journaux d’une capitale, eˆtre ne´anmoins force´s, lorsqu’ils tentent d’y accre´diter quelque opinion et quelques pre´ventions utiles a` leurs fins, d’emprunter une langue e´trange`re et de faire passer deux fois la mer a` quelque mauvaise plaisanterie ou a` quelque pre´diction hasarde´e. (Une vive agitation se manifeste)». On peut trouver un exemple de cette utilisation des journaux anglais pour de´fendre la position du gouvernement franc¸ais dans un long extrait (publie´ dans le Moniteur no 330, 26 novembre 1817, p. 1302c) du journal anglais Courrier a` propos du projet de loi sur la presse : apre`s une discussion assez nuance´e sur les caracte´ristiques du projet, la conclusion est clairement favorable : «Quand les institutions d’un peuple sont solidement fixe´es, ces dangers [ceux qui viennent des journaux] deviennent comparativement peu a` craindre ; mais ils sont imminents dans les intervalles qui suivent la destruction d’une puissance et le re´tablissement d’une autre. Ces e´poques sont les crises des E´tats : la France est en ce moment dans une de ces crises ; et nous pouvons en conse´quence approuver dans sa le´gislation, ce a` quoi nous trouverions peut-eˆtre des motifs de condamnation dans la noˆtre». On voit bien l’objectif d’une telle citation : convaincre l’opinion publique franc¸aise que les Anglais eux-meˆmes conside`rent que leur le´gislation libe´rale ne conviendrait pas a` la France.
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meˆme bureau. Ces feuilles qui, a` force de devenir suspectes, deviennent totalement nulles, produiraient a` la longue l’illusion de n’offrir a` nos yeux sur le papier que des caracte`res d’imprimerie jete´s au hasard, si toutefois nous ne voyions a` des e´poques solemnelles, dans des articles commande´s, ces carac te`res se reformant au meˆme signal, reprendre leurs lignes de bataille pour porter des coups victorieux a` des victimes sans de´fense a. Ce systeˆme politique ne peut continuer : il est use´, fle´tri, frappe´ de re´probation. Le pouvoir qui doit re´gir un grand peuple, un peuple e´claire´, ne saurait avoir pour soutien les divisions seme´es entre les partis et les ruses de la police. Que les ministres cessent enfin de s’armer de lois d’exception pour faire planer sur ceux-la` meˆmes qui de´fendent la Charte contr’eux l’absurde soupc¸on de vouloir la de´truire. Qu’ils ne de´figurent plus dans leurs journaux esclaves les opinions de leurs adversaires qui protestent contre chacune des pense´es, chacune des expressions qu’ils leur attribuent. Qu’ils cessent d’entourer de leurs agens tous les tribunaux, toutes les administrations militaires et civiles, et jusqu’aux bureaux des journalistes, pour que la discorde et le soupc¸on soient partout, et que ces agens, avides d’importance, inventent, enveniment, exage`rent, et trompent, par leurs rapports mensongers, leur chef, qui, trompe´ de la sorte, trompe a` son tour le Roi sans le vouloir, sur l’e´tat de son royaume b. Cependant le moment a b
M. de Chauvelin1. M. de Ville`le2.
3 au ] aux A1 1
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4 voyions ] voyons A2
5 lignes ] ligne A2
Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1374b : Chauvelin de´nonce la politique gouvernementale consistant a` controˆler e´troitement les journaux par l’interme´diaire d’un bureau du ministe`re. Il en re´sulterait que les journaux soient habituellement sans inte´reˆt, ternes et insipides et qu’ils ne s’animent que lorsqu’un ordre du gouvernement leur enjoint d’attaquer un adversaire politique : «Ces entreprises des journaux se sont toutes plus ou moins ressenties du de´cri attache´ a` des feuilles qui, a` force de devenir suspectes, deviennent totalement nulles, et qui produiraient presque, a` la longue, l’illusion de n’offrir a` nos yeux sur le papier, que des caracte`res d’imprimerie jete´s comme au hasard ; si toutefois nous ne voyons, a` des e´poques solennelles, dans des articles commande´s, ces caracte`res se reformant au meˆme signal, reprendre leur ligne de bataille, pour porter des coups victorieux a` des victimes sans de´fense». Moniteur, no 348, 14 de´cembre 1817, p. 1377b : c’est une pratique constante des gouvernements du XIXe sie`cle que de placer des mouchards, des «mouches» comme on dit alors, dans tous les milieux ou` se fait l’opinion publique, pour savoir ce qui se dit et repe´rer ceux ` noter une petite diffe´rence entre le propos de Ville`le et ce qu’en qui ont mauvais esprit. A dit BC : Ville`le ne de´nonce pas la pre´sence de tels agents parmi les journalistes : il faut que «les ministres soient tenus de se conformer a` la Charte [...] Qu’ils cessent de faire obse´der les tribunaux, les administrations et les corps militaires par ces agents de police qui ont inte´reˆt a` tout brouiller, tout envenimer, tout exage´rer pour se donner de l’importance ; qui trompent leur chef sur l’e´tat des choses, et font qu’il se trompe lui-meˆme en rendant compte au Roi de ce qu’il croit savoir».
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vient ou` les ve´rite´s se font entendre. A l’e´poque de la re´union des Chambres, ces ve´rite´s s’e´chappent d’autant plus terribles qu’elles ont e´te´ plus tar dives a. La publicite´ e´pure tout, rectifie tout, donne la ve´ritable mesure de tout, et les journaux sont les organes de cette publicite´ bienfaisante. Ils font connaıˆtre l’opinion, les Chambres la sanctionnent b. Les de´fenseurs des droits que la Charte nous a garantis ne veulent point la licence, mais la liberte´ le´gale. Ils demandent une loi re´pressive, se´ve`rement re´pressive. Cette loi sera d’autant moins difficile a` faire que les lieux ou` les journaux s’impriment sont officiellement connus. L’on peut exiger des entrepreneurs un cautionnement : on peut re´gler les cas ou`, pour les de´lits publics ou prive´s, le privile´ge serait retire´ ou suspendu. Le gouvernement avait promis solennellement cette loi pour cette anne´e c. A ce prix seul il a b c
M. de Chauvelin1. M. Ganilh2. M. Martin de Gray3.
4 publicite´ ] publicite A1 1
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Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1374a : Chauvelin souligne qu’en imposant le silence aux journaux, en les empeˆchant de de´noncer les abus dont ils peuvent avoir connaissance au fur et a` mesure qu’ils se commettent, on aboutit a` ce que cette de´nonciation, lorsqu’elle est effectue´e en bloc et d’un coup par les parlementaires, lors de leur session annuelle, produit une sensation beaucoup plus vive et, finalement, plus de´favorable au gouvernement : «Mais ce silence meˆme, Messieurs, si nuisible au fond, a` l’autorite´, il faut bien le rompre, chaque anne´e, dans un Gouvernement repre´sentatif ; elle arrive pourtant cette e´poque ou` doivent e´clater, sans re´serve, les ve´rite´s se´ve`res que les mandataires du peuple lui doivent d’autant plus, lorsque, contre leur vœu, ils sont devenus les seuls organes de ses plaintes ; alors ces ve´rite´s tardives, et depuis longtemps comprime´es, produisent, en s’e´chappant au dehors, une sorte d’explosion cent fois plus redoutable et affligeante dans ses effets, que l’expression journalie`re et habituelle de l’opinion e´pure´e par la contradiction». Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1371a : la citation exacte de Charles Ganilh est la suivante, s’adressant aux de´pute´s : «les journaux sont les organes de l’opinion publique, vous en eˆtes les re´gulateurs. Les journaux la proclament et vous la sanctionnez ; admirable accord qu’il faut bien prendre garde de ne pas rompre parce que sans lui, le syste`me repre´sentatif est incomplet et imparfait». Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1367b : Martin de Gray est un peu moins affirmatif sur les engagements gouvernementaux que BC ne le dit : «La censure des journaux, autorise´e par la loi de 1814, et qui devait cesser a` la fin de la session de 1816, a e´te´ confirme´e pour un an ; l’espoir, bien de´c¸u, que la loi du 7 de´cembre, sur la saisie, garantissait la liberte´ des e´crits a fait prolonger cette mesure inconstitutionnelle. / Nous avions d’ailleurs la confiance que le Gouvernement nous pre´senterait dans la session actuelle une loi comple`te sur les journaux». Suit, dans le discours de Martin de Gray, le texte de l’engagement pris en son temps par l’orateur du Gouvernement qui est encore moins affirmatif et qui se termine par «Je suis formellement autorise´ a` de´clarer que le ministe`re espe`re pouvoir en pre´senter une [loi sur la presse] a` la session prochaine», ce qui ne constitue e´videmment pas une promesse ferme.
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avait obtenu la prolongation, pour l’anne´e dernie`re, d’un arbitraire provisoire. Qu’il remplisse ses engagemens. Que la liberte´ de la presse, cette sauve-garde de toutes nos liberte´s a existe enfin dans sa portion la plus importante. Que les citoyens apprennent par des faits, et non pas seulement par les discours de quelques orateurs a` la tribune, qu’ils sont libres comme ils doivent l’eˆtre b. Le gouvernement y gagnera de la force, le peuple du bonheur1. Le gouvernement y gagnera l’espe`ce de force qui, dans nos circonstances, lui est le plus e´minemment ne´cessaire. Le cre´dit, que toute loi d’exception effraye, le cre´dit que toute affectation d’obscurite´ tue, se rele`vera. Ce cre´dit n’existera point, tant que toutes les ope´rations se feront dans l’ombre. Les affaires d’argent doivent eˆtre claires et connues de tous. La publicite´ seule appelle a b
M. Bignon2. M. d’Argenson3.
5 les ] des A2 1
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12 d’argent ] d’agens A1 ; corrige´ dans A2
Le passage qui suit utilise un morceau de Casimir Pe´rier (Moniteur, no 349, 15 de´cembre 1817, p. 1384c). Celui-ci se fonde sur ses compe´tences reconnues en matie`re financie`re pour pre´senter la liberte´ de la presse comme la condition du cre´dit public, comme ne´cessaire pour que les financiers aient confiance. Prise dans sa signification la plus e´troite, cette intervention constate simplement qu’avec la liberte´ des journaux, le public est a` meˆme de savoir si le budget de l’E´tat est en e´quilibre ou en de´ficit et de combien. Prise dans un sens plus large, elle annonce des analyses e´conomiques re´centes sur l’information maximum comme condition d’une concurrence parfaite ; c’est un peu le sens de la dernie`re phrase que BC reprend textuellement, peut-eˆtre en ayant conscience de son caracte`re d’anticipation : «La liberte´ des journaux a un avantage que j’ai d’autant plus a` cœur d’e´tablir, qu’il a un rapport aux objets qui me sont le moins e´trangers ; elle est une des bases du cre´dit public et ce cre´dit n’existera point tant qu’il faudra lire des volumes pour avoir une ide´e de votre situation financie`re, tant que vos ope´rations seront pre´pare´es dans l’ombre. Les affaires d’argent doivent eˆtre claires comme le jour ; la publicite´ seule appelle la concurrence». Moniteur, no 351, 17 de´cembre 1817 : la formule sur «la liberte´ de la presse, cette sauvegarde de toutes nos liberte´s» ne figure pas dans la ste´nographie du discours de Bignon mais c’en est bien le sens ge´ne´ral. Moniteur, no 353, 19 de´cembre 1817, p. 1410a : la phrase de Voyer d’Argenson est assez diffe´rente et d’ailleurs sortie de son contexte : il e´voque les me´nagements que les journaux doivent avoir a` l’e´gard des puissances e´trange`res : «Messieurs, quand le le´gislateur sera juste, il faudra bien que l’e´tranger le soit a` son tour. Assurez a` vos concitoyens la jouissance de leurs droits ; qu’ils n’apprennent pas seulement par les discours de quelques orateurs, et par les proce`s-verbaux de vos se´ances, qu’ils sont libres autant qu’ils peuvent l’eˆtre, et qu’ils le sont plus qu’un peuple que jusqu’a` pre´sent on avait dit libre [allusion a` l’Angleterre qui be´ne´ficie de´ja` d’une relative liberte´ de la presse]». – Marc-Rene´-Marie de Voyer de Paulmy d’Argenson (1787–1842) exerc¸a des responsabilite´s militaires au de´but de la Re´volution, fut pre´fet d’Anvers sous l’Empire, enfin de´pute´ de fac¸on quasi continue de 1815 a` 1834. Son appartenance a` une famille aristocratique ne fut pas un obstacle a` des ide´es avance´es. BC citera plusieurs fois ses discours de fac¸on ge´ne´ralement favorable dans la Minerve.
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la concurrence a. Une constitution observe´e est le meilleur de tous les plans de finance b. J’ai fort abre´ge´ cette analyse des raisonnemens allegue´s contre l’esclavage des journaux. J’ai passe´ sous silence beaucoup d’argumens qui n’e´taient pas sans force. Il y a plusieurs orateurs recommandables que je n’ai pas meˆme trouve´ l’occasion de citer. Je re´parerai ces omissions quand je rendrai compte du reste de la discussion sur la liberte´ de la presse. Je vais maintenant exposer avec autant d’impartialite´ qu’on peut en avoir quand on nourrit soi-meˆme une opinion de´cide´e, les re´ponses que les de´fenseurs du projet ont oppose´es a` leurs adversaires. Un premier orateur1, ayant commence´ par observer que les journaux e´taient des ouvrages de tous les jours, ve´rite´ incontestable et meˆme
a b
M. Casimir Perrier2. M. Lafitte3.
6–7 Je re´parerai ... de la presse. ] phrase supprime´e dans A2
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Il s’agit de Rene´-Marie Jollivet (1763–1854), de´pute´ du Morbihan de 1815 a` 1820. Ministe´riel, il ne be´ne´ficie pas, d’apre`s les te´moignages du temps, d’une grande re´putation comme orateur. Le texte de son intervention figure dans le Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1368 a-c. BC va extraire de cette intervention trois phrases qui n’en donnent qu’une ide´e tre`s partielle. En fait, il cherche davantage a` ridiculiser cet adversaire qu’a` argumenter se´rieusement avec lui. Casimir-Pierre Pe´rier (1777–1832), banquier et homme politique franc¸ais, il est e´lu de´pute´ de 1817 jusqu’a` sa mort. Il appartient au groupe des libe´raux mode´re´s et y affirme des opinions a` la fois mode´re´es dans leurs caracte´ristiques et fermes dans leur expression. Il se ralliera a` Louis-Philippe qui le nomme pre´sident du conseil et ministre de l’Inte´rieur en 1831. Il est emporte´ par l’e´pide´mie de chole´ra. Moniteur, no 353, 19 de´cembre 1817, p. 1408c : la formule reproduite par BC n’est pas des plus explicites ; elle est cependant plus claire que celle effectivement prononce´e par Laffitte : «Une constitution de fait est la meilleure de tous les plans de finances». En fait, BC a raison de regrouper les analyses de ces deux banquiers que sont Pe´rier et Laffitte : elles portent toutes deux sur les rapports entre cre´dit public et liberte´ de la presse. Cette remarque a` l’emporte-pie`ce de Laffitte conclut une de´monstration serre´e sur la meilleure fac¸on pour un gouvernement d’inspirer confiance aux capitalistes (le terme – rarement utilise´ a` l’e´poque – figure dans le discours de Laffitte) et de mobiliser les cre´dits dont le pays a besoin : avec la compe´tence que lui donne son expe´rience de banquier, il explique qu’il faut fournir des garanties, puis les respecter ; c’est ainsi que, passant au domaine politique, il pre´sente les garanties constitutionnelles comme devant eˆtre pre´serve´es pour inspirer cette confiance ne´cessaire, mieux que ne saurait le faire un budget serre´.
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gram maticale, en a conclu que les moyens ordinaires de re´pression ne pouvaient leur eˆtre applique´s1. Cette conclusion n’est pas, au moins pour moi, d’une e´vidence complette. Les moyens de re´pression pour les de´lits des journaux, comme pour tous les autres, c’est la punition de ces de´lits. Cette punition de´tourne ceux qui seraient tente´s d’en commettre, de se livrer a` leurs penchans condamnables ; et les journalistes peuvent eˆtre punis comme tous les autres citoyens. Ils ont donc les meˆmes motifs que tous les autres citoyens de ne pas braver la vengeance des lois. Si l’orateur a voulu dire que les moyens pre´ventifs qu’on a introduits magre´ la Charte dans la le´gislation de la presse, tels que la saisie et la destruction des livres avant la publication, ne sont pas applicables aux journaux, il a eu raison. Mais alors il ne fallait pas employer le mot de re´pression la` ou` celui de pre´vention ou de pre´caution exprimait seul la pense´e. Il fallait en revenir au grand axiome, qu’il vaut mieux pre´venir les crimes que les punir, axiome sur lequel il y a de si belles choses a` dire, et en vertu duquel on peut empeˆcher les citoyens de porter un baˆton pour s’appuyer ou pour se de´fendre, parce que ce baˆton pourrait devenir entre leurs mains une arme offensive ; les empeˆcher de sortir de leurs maisons, parce qu’ils pourraient, en se rencontrant, se battre dans les rues ; les empeˆcher de se re´unir, parce qu’ils pourraient conspirer ; de parler, parce qu’ils pourraient pro fe´rer des cris se´ditieux ; d’avoir de la lumie`re la nuit, parce que la lumie`re peut eˆtre une cause d’incendie. Une certaine quantite´ de pre´cautions de ce genre seraient des moyens de pre´vention efficaces, et introduiraient surtout une merveilleuse aisance dans les habitudes et la vie d’une nation : et comme les batailles, les querelles, les conspirations, les cris se´ditieux et les incendies sont des choses faˆcheuses, on de´montrerait que c’est pour le plus grand bien des individus que ces mesures d’exception leur sont applique´es, comme l’orateur dit que c’est dans l’inte´reˆt des journalistes qu’on propose contre eux la mesure d’exception. L’autorisation a pour objet, a-t-il continue´, la moralite´ prive´e et politique des re´dacteurs2. Je respecte beaucoup la moralite´ prive´e : mais je ne
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BC se moque de ce qu’il pre´sente comme un truisme (dire qu’un journal paraıˆt tous les jours : quoi de plus e´vident ?) et comme une manifestation de brutalite´ (lie´e au mot «re´pression»). La citation exacte de Jollivet est un peu diffe´rente : «Il est e´vident que les moyens ordinaires de re´pression contre les abus de la presse ne peuvent eˆtre applique´s a` ces ouvrages de tous les jours et pour ainsi dire de tous les instants» (Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1368b). Ici encore, BC isole une phrase de Jollivet pour s’en moquer : en fait il est assez maladroit de pre´senter la censure d’une part comme voue´e a` de´fendre les inte´reˆts des journalistes, d’autre part comme destine´e a` ve´rifier la moralite´ prive´e des re´dacteurs. La citation authentique est un peu diffe´rente, en tous cas un petit peu moins ridicule : «c’est dans l’inte´reˆt
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sais si le gouvernement, ou le ministe`re, ou, pour mieux dire, un ministre peut s’e´riger en juge de la moralite´ prive´e des citoyens, avant de les autoriser a` user d’un droit que la Charte leur a assure´, sans ajouter qu’ils ne s’en pre´vaudraient que dans le cas ou` leur moralite´ prive´e serait satisfaisante aux yeux des ministres. Quant a` la moralite´ politique, je ne sais trop ce que cette expression signifie. En sommes-nous a` croire qu’un homme dont l’opinion politique diffe`re de la noˆtre est un homme sans moralite´ ? Si nous ne vivions pas dans des tems plus heureux, je craindrais que la moralite´ politique ne devıˆnt l’e´quivalent du civisme d’une certaine e´poque ou`, si l’on n’avait un certificat de civisme, on ne pouvait ni voyager, ni se marier, ni exercer paisiblement son industrie, ni vivre tranquille1. J’ignore si, sans m’en apercevoir, j’ai quelque inquie´tude sur ma moralite´ politique ; mais je pense que le gouvernement n’est juge de celle des citoyens que lorsqu’ils implorent des faveurs. Sans doute il ne doit ces dernie`res qu’a` ceux dont la moralite´ politique lui plaıˆt et lui sert : mais quand il s’agit de droits positifs, garantis, consacre´s, il ne saurait, ce me semble, eˆtre question de moralite´ politique. L’orateur a fini par repre´senter a` l’assemble´e que la de´pendance des journaux ne menace point les e´crivains dont la plume lie nos hauts faits modernes a` nos fastes antiques, ou le`gue de beaux ouvrages a` la poste´rite´, et que surtout cette de´pendance ne nous priverait pas du re´cit touchant des vertus des augustes descendans de Henri IV2. Je reconnais toutes ces ve´ri-
1 ministe`re ] ministre A2
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ministre ] ministe`re, A2
meˆme des e´crits pe´riodiques que la mesure d’exception est propose´e ; l’autorisation du roi a pour principal objet la moralite´ prive´e et publique des e´diteurs, et leur responsabilite´ sous ces deux rapports» (Moniteur, no 346, 12 de´cembre 1817, p. 1368b). C’est sous la Re´volution qu’un de´cret de la Convention du 1er novembre 1792 impose l’obtention d’un «certificat de civisme» susceptible d’eˆtre de´livre´ a` tout citoyen qui le me´rite. Cette proce´dure donne lieu a` toute sorte d’abus de la part des membres des comite´s ou commissions charge´s de de´cider et qui se rendent compte du pouvoir qui leur est ainsi confe´re´. Autre manifestation du don de BC a` isoler une phrase – extraite de l’intervention de Jollivet – pour s’en moquer : l’orateur s’efforce de convaincre la Chambre des De´pute´s que le projet de loi n’est pas dangereux pour la liberte´ des auteurs et le fait maladroitement : «Menacet-il les e´crivains dont la plume, liant nos hauts faits modernes a` nos fastes antiques, transmet a` la poste´rite´ cette vaste gloire qui alle´geait pour nous le joug du despotisme et nous faisait oublier nos malheurs ? Arreˆtera-t-elle les partisans de la concorde ? Condamnera-t-elle au silence les amis de la patrie et les apoˆtres de la liberte´ ? Nous privera-t-elle enfin du re´cit touchant des vertus des augustes descendants d’Henri IV ? / Non, Messieurs».
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te´s : mais inde´pendamment de nos exploits re´cens et de nos fastes antiques, il se passe parfois de certaines choses quotidiennes dont les contemporains sont bien aises d’eˆtre instruits. Comme je ne suis pas la poste´rite´, je ne m’inte´resse pas uniquement aux ouvrages qui sont destine´s pour elle. Ceux qui de´voilent des abus actuels me semblent utiles, dussent-ils ne pas survivre aux abus dont ils auraient provoque´ ou haˆte´ la re´forme. Pour la poste´rite´ meˆme, il est de´sirable qu’on puisse dire la ve´rite´ aujourd’hui, pour qu’elle soit transmise telle qu’elle est a` cette poste´rite´, quand elle viendra ; cette poste´rite´ perdra quelques faits, si dans les journaux qui servent de mate´riaux a` l’histoire, les ministres se font leurs propres historiographes ; quant au dernier point, l’e´loge des bons rois et des grands princes est suˆrement fort doux a` lire ; mais on ne peut gue`re renfermer la lecture d’une nation dans ces bornes, et la mettre toute entie`re exclusivement a` la die`te du pane´gyrique. Un ministre a conside´re´ les journaux comme reveˆtus, par la nature des choses, d’un privile´ge constant qui leur cre´e dans l’Etat une ve´ritable puissance1. Si je comprends bien ce qu’on appelle le privile´ge des journaux2, il consiste a` paraıˆtre plus souvent, a` eˆtre plus courts, d’une lecture plus facile, et a` circuler plus rapidement. C’est un avantage et non un privile´ge. Mais qu’on le nomme comme on voudra, s’ensuit-il que ce soit au ministe`re a` le confe´rer ? Un homme a` cheval a, d’apre`s le langage du ministre, un privile´ge sur les gens a` pied. En re´sulte-t-il que le gouvernement doive accorder et puisse refuser le privile´ge d’aller a` cheval ? Si les journaux sont une puissance, est-ce une raison, dans un pays libre, pour re´unir cette puissance a` la puissance ministe´rielle ? Plus les orateurs favorables a` l’asservissement des journaux m’assurent que ces journaux ont une influence irre´sistible, plus ils me de´montrent que si nous ne voulons point eˆtre sous le joug de nos ministres, il ne faut pas fortifier une autorite´ de´ja` tre`s-grande de cette irre´sistible influence. 7 pour ] afin A2 1
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20 s’ensuit-il ] s’en suit-il A2
Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1371c : le propos du Garde des Sceaux est un peu moins affirmatif que ne le pre´sente BC : «Est-il donc vrai que ces sortes d’e´crits [les journaux] puissent eˆtre assimile´s a` tous les autres ? et serait-ce un paradoxe que de soutenir qu’ils ont, par la nature meˆme des choses un privile`ge constant qui leur cre´e une ve´ritable puissance dans l’Etat ?» BC, en utilisant les termes «privile´ge des journaux» affecte de rapprocher le syste`me de l’autorisation pre´alable en vigueur en ce de´but du XIXe sie`cle avec le syste`me du privile`ge applique´ sous l’Ancien Re´gime. Les deux techniques sont un peu diffe´rentes du point de vue juridique : l’autorisation pre´alable est un acte administratif, le privile`ge est – comme son nom l’indique – a` la fois une autorisation et une protection. De toutes fac¸ons, ce n’est pas dans ce sens que le Garde des Sceaux parle de privile`ge mais pour e´voquer la puissance des journaux sur l’opinion.
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C’est une erreur, a poursuivi le ministre, de croire que les journaux appartiennent a` tout le monde1. Assure´ment c’est une erreur aujourd’hui : car il est bien certain que les journaux n’appartiennent actuellement qu’au ministe`re. Mais est-ce une erreur de croire qu’ils ne devraient pas lui appartenir ? Sous le rapport des opinions, les opinions doivent eˆtre libres. La Charte les de´clare telles. Comment, sous l’empire de la Charte, les ministres auraient-ils le droit d’en accorder le monopole a` leurs prote´ge´s ? Sous le rapport de la proprie´te´, des avances et des frais, ce ne sont pas les ministres qui font les frais et concourent aux avances des journaux. Comment pourraient-ils, avec des lois qui consacrent la proprie´te´, de´truire ou saisir une proprie´te´ dans laquelle ils ne sont entre´s pour rien ? De ce que les journaux n’appartiennent pas a` tout le monde, il ne s’ensuit pas qu’ils n’appartiennent point a` quelqu’un. Ils appartiennent a` ceux qui les ont e´tablis sous leur responsabilite´ le´gale. A quel titre les ministres sont-ils autorise´s a` les en de´pouiller ? Ma maison n’appartient pas a` tout le monde : elle n’appartient qu’a` moi. En conclurez-vous que le ministe`re puisse me la prendre ? Mais devant une re´union de Franc¸ais, devant des hommes de conscience, le silence des minis tres est le plus e´loquent de leurs motifs2. Je conviens qu’il n’est pas le moins e´loquent. Mais son e´loquence est-elle de´terminante ? J’ai re´pondu plus haut a` ce que cette phrase et toutes les phrases de cette espe`ce insinuent. Veut-on parler de la disposition inte´rieure de la France ? cette disposition sera d’autant plus calme, qu’on observera mieux la Charte. Veut-on parler des e´trangers ? les e´trangers seront d’autant plus enclins a` ne pas se meˆler de nos affaires, que nous les arrangerons plus 2 monde. Assure´ment ] monde : assure´ment A2 3 n’appartiennent ] n’appartiennet A2 10 des ] les A2 12 s’ensuit ] s’en suit A2 25 plus ] d’autant plus A2 1
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Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1371c : la citation exacte est la suivante : «Ce serait une grande erreur que de croire que les journaux appartiennent a` tout le monde, que tout le monde peut s’y faire jour et que toujours un journal peut faire justice d’un autre journal». Le Garde des Sceaux veut dire que tout le monde n’a pas acce`s aux journaux de la meˆme fac¸on et que l’audience des journaux est ine´gale. BC exploite cette phrase pour re´pe´ter sa position fre´quemment rappele´e : pour l’administration, perse´cuter un journal, c’est nuire a` son proprie´taire, donc nuire a` la proprie´te´ elle-meˆme, ce qui est conside´re´ comme fort critiquable en ces temps de bourgeoisie triomphante. Moniteur, no 347, 13 de´cembre 1817, p. 1371c : la citation exacte est la suivante : «Je trouve en moi-meˆme un sentiment qui me dit que, dans cette enceinte, et de toutes parts ouverte a` tous les regards, devant cette re´union de Franc¸ais, devant des hommes de conscience comme nous, le silence des ministres est l’expose´ le plus e´loquent des motifs de la proposition qu’ils vous ont faite relativement aux journaux». Il veut simplement dire que chacun sait a` quoi s’en tenir sur la puissance et les dangers de la presse.
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paisiblement, et nous les arrangerons d’autant plus paisiblement qu’il y aura moins de lois d’exception et de mesures vexatoires. Un troisie`me orateur a propose´ d’attendre, pour e´manciper les journaux, c’est-a`-dire, a-t-il ajoute´, pour les soumettre a` une le´gislation forte et rigoureuse, l’e´poque de l’ache`vement de nos institutions et celle ou` nos mœurs politiques seront plus forme´es1. Mais qu’appelle-t-on l’ache`vement de nos institutions ? Qui de´cidera jamais si elles sont acheve´es ? Ne les regarderat-on comme telles que lorsqu’il n’y aura plus d’ame´liorations a` y apporter ? Ce serait un ajournement passablement long. D’ailleurs l’opinion publique n’est-elle de rien dans l’ache`vement des institutions ? Si les discussions des journaux e´taient permises, ne serviraient-elles pas a` cet ache`vement ? De deux choses l’une : ou nos institutions sont acheve´es ; dans ce cas, e´mancipez les journaux, vous le devez d’apre`s votre propre doc trine : ou elles ne le sont pas ; laissez les journaux libres, pour que chaque citoyen puisse apporter a` ses repre´sentans le tribut de ses lumie`res. Pourrait-on, dans l’e´tat actuel, inse´rer dans les journaux un article qui indiquerait un perfectionnement ne´cessaire, qui discuterait une the´orie constitutionnelle ? Je ne le pense pas, et j’ai des raisons de ne pas le penser. J’ai envoye´, il y a quelque tems, a` un journal, un article qui n’e´tait pas de moi, et qui traitait une question purement spe´culative, celle de la place que le ministe`re doit occuper dans la Charte. C’est assure´ment un objet de pure the´orie. Il ne peut eˆtre construit en provocation, meˆme indirecte, a` la se´dition. Ce n’est pas une attaque personnelle ; ce n’est pas un de´lit de calomnie. Le re´dacteur, qui n’avait publie´ que la premie`re moitie´ de l’article, a e´te´ censure´, et la seconde moitie´ n’a pas pu paraıˆtre, tandis que des re´futations ame`res ont e´te´ commande´es a` d’autres journaux. Ainsi la juridiction qu’exercent les ministres n’est pas purement re´pressive ou pre´ventive. Elle ne s’e´tend pas uniquement aux attaques dirige´es contre le gouvernement ou les individus. Elle s’e´tend aux doctrines abstraites, pour peu que ces doctrines inte´ressent le ministe`re2. Que veut-on dire par la formation de nos mœurs politiques ? Les mœurs politiques d’un peuple ne se forment que par l’e´ducation de la liberte´. Si vous le privez de tout ce qui peut contribuer a` ce qu’il rec¸oive cette e´du1
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Ce de´pute´ dont BC ne veut meˆme pas dire le nom est Auguste-Simon-Hubert-Marie Ravez, juriste et de´pute´ de la Gironde de 1816 a` 1829 puis, brie`vement, en 1849. Il se situe re´solument a` droite, ge´ne´ralement dans le camp ministe´riel. Dans le Moniteur, no 349, 15 de´cembre 1817, p. 1381c, ses propos sont rapporte´s dans les termes suivants : «Hors de la classe des pamphlets et des livres, ils [les journaux] devront eˆtre gouverne´s et maintenus, lors de leur e´mancipation, par une le´gislation spe´ciale et se´ve`re. Je suis toujours convaincu que nous devons attendre pour l’e´tablir l’ache`vement de nos instituions et que nos mœurs politiques soient plus forme´es». Article non identifie´.
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cation, ses mœurs politiques ne se formeront jamais. Que penseriez-vous d’un instituteur qui, pour former les yeux de ses e´le`ves a` la lumie`re, les tiendrait renferme´s dans un cachot obscur ? Plus ils y seraient renferme´s long-tems, plus le moindre rayon de soleil produirait sur eux un effet pe´nible. L’instituteur conclurait de cet effet de ses pre´cautions a` la ne´cessite´ de ces pre´cautions meˆmes, et il pourrait arriver que les e´le`ves restassent dans les te´ne`bres pour toute leur vie, parce que le moment ne viendrait jamais ou` ils pourraient supporter la clarte´ du jour. Encore, j’accorde trop en admettant cette comparaison banale et vicieuse a. Les mi nistres ne sont point des instituteurs, les citoyens ne sont point des e´le`ves. Plus e´claire´s que la portion infe´rieure de la socie´te´, les ministres sont moins e´claire´s que beaucoup de membres de la portion supe´rieure de cette meˆme socie´te´. Ils ne sont point les dispensateurs des lumie`res. Ils n’ont point a` juger quel est le degre´ de nos faculte´s intellectuelles. Ils ont des devoirs, la Constitution les leur indique : ils sont la` pour les remplir. Nous avons aussi des devoirs, la loi nous les fait connaıˆtre. Mais a` coˆte´ de ces devoirs nous avons des droits ; nous sommes la` pour les exercer, et remarquez bien qu’en les exerc¸ant nous importunons plus ou moins les ministres, qui aimeraient fort a` parler seuls, de sorte que si vous les autorisez a` restreindre arbitrairement l’usage de nos droits, de crainte d’abus, vous les constituez juges dans une cause dans laquelle ils sont parties. D’ailleurs, est-il bien vrai que nos mœurs politiques ne soient pas forme´es ? Je vois partout dans la nation des symptoˆmes de sagesse, de prudence, et d’un empire sur elle-meˆme qu’on ne saurait trop admirer. Depuis quatre ans, il n’y a pas une classe parmi nous qui n’ait donne´ des preuves multiplie´es d’une raison difficile et d’une re´signation me´ritoire. Voyez l’arme´e a` l’e´poque de son licenciement, les acque´reurs de biens nationaux a
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Je crois d’autant plus ne´cessaire de protester contre cette comparaison souvent employe´e, que le ministe`re s’en est servi d’une manie`re vraiment naı¨ve au moment des e´lections. Il nous comparait, dans ses journaux, a` des paralytiques, a` des enfans et a` des aveugles. Mais si nous sommes des paralytiques, on peut s’en remettre a` la paralysie pour que nous restions immobiles, et il est inutile que l’autorite´ se charge de cet office1. Dans tous les cas, il faut convenir que les moyens curatifs ne sont pas rapides. Depuis vingt-huit ans on nous e´le`ve par des lois d’exception, et nous sommes encore des enfans ; depuis vingt-huit ans on nous e´claire par des lois d’exception, et nous sommes encore des aveugles ; depuis vingt-huit ans on nous gue´rit par des lois d’exception, et notre convalescence est a` peine commence´e. Que de graces nous avons a` rendre au ciel qui nous a donne´ des ministres tellement privile´gie´s ! Ce ne sont pas des hommes comme nous ; car tandis que nous sommes toujours a` la veille de faire un e´norme abus de la moindre liberte´, ils sont assure´s de ne jamais faire le moindre abus d’un e´norme pouvoir.
5 conclurait ] concluerait A2 supprime´ dans A2 1
16 les fait ] les a fait A2
Voir ci-dessus, p. 826, la note (7) de BC.
34 enfans ; ... encore des ] passage
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et les amis de la liberte´ pendant la re´action de 1815, les e´lecteurs de tous les de´partemens dans les colle`ges e´lectoraux, les Franc¸ais de tous les de´partemens, dans leur conduite a` l’e´gard des e´trangers1. Depuis quatre ans, je l’affirme, les ministres qui se sont succe´de´s ont fait beaucoup de fautes, la nation pas une. «Tant qu’il y aura des passions et des inte´reˆts ennemis de l’inte´reˆt ge´ne´ral, a continue´ l’orateur, il ne faut pas leur fournir des armes2.» Dans une re´union nombreuse d’hommes de professions diffe´rentes et de proprie´te´s ine´gales, il y aura toujours des passions et des inte´reˆts particuliers. Est-ce a` dire que tant que ces passions et ces inte´reˆts existeront, il ne faudra pas nous donner de liberte´, et attendra-t-on, pour laisser les opinions libres, qu’il n’y ait plus en France qu’une opinion ? Il y a un an qu’un de´pute´ qui, dans cette session, a me´rite´ beaucoup d’estime et meˆme de gloire, par sa de´claration courageuse et conscienscieuse en faveur du jury, disait, en parlant pour la de´pendance des journaux (et certes il doit compter son discours d’alors parmi les sacrifices les plus pe´nibles qu’il ait cru devoir faire aux circonstances) : Il faut que les partis meurent, pour que nous puissions jouir des bienfaits de la Charte3. Les
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Allusion aux mesures adopte´es ou envisage´es dans le cadre de l’effort de reprise en main du pays au lendemain des Cent-Jours par la Seconde Restauration : loi du 16 juillet 1815 dite de licenciement de l’arme´e (Collection des lois, t. XX, p. 9) ; discours de Chateaubriand, le 3 novembre 1815, a` la Chambre des Pairs, tendant a` retirer du projet de loi sur les cris se´ditieux l’article 8 dirige´ contre ceux qui «re´pandraient ou accre´diteraient soit des alarmes touchant l’inviolabilite´ des proprie´te´s qu’on appelle nationales, soit des bruits d’un pre´tendu re´tablissement des dıˆmes ou des droits fe´odaux» : finalement l’article 8 est maintenu dans la loi mais la proposition de suppression a inquie´te´ les proprie´taires de biens nationaux (Vaulabelle, ouvr. cite´, t. IV, pp. 145–147) ; quoi qu’il en soit, cette loi relative a` la re´pression des cris se´ditieux et des provocations a` la re´volte indigne les «amis de la liberte´» (Collection des lois, t. XX, pp. 107–108) ; loi du 13 juillet 1815 portant dissolution de la Chambre des De´pute´s et convocation des colle`ges e´lectoraux (Collection des lois, t. XX, p. 5). Dans le Moniteur, no 349, 15 de´cembre, p. 1381c, les propos de Ravez sont rapporte´s dans les termes suivants : «Si l’opinion publique n’est autre chose, Messieurs, que l’expression de l’inte´reˆt ge´ne´ral, j’aperc¸ois dans la socie´te´ des inte´reˆts et des passions ennemies de cet inte´reˆt commun et qui travaillent a` usurper la puissance et le nom de l’opinion publique. Elles veulent des armes, n’ayons pas l’imprudence de leur en donner». Il s’agit de Royer-Collard dont le discours est reproduit dans le Moniteur, no 29, 29 janvier 1817 (pp. 109–110 : la formule sur la mort des partis comme condition pour pouvoir jouir des bienfaits de la Charte n’y figure pas mais c’est bien le sens ge´ne´ral) et dont, a` l’e´poque, BC rend compte en ces termes : «Laissons le gouvernement et la ve´ritable opinion publique croıˆtre et s’e´lever a` l’abri des orages, et pousser des racines plus profondes que celle des partis, et laissons ceux-ci de´pe´rir dans l’ombre et se consumer dans le silence jusqu’a` ce qu’il tombent, jusqu’a` ce qu’ils meurent ; car il faut qu’ils meurent pour que nous n’ayons plus a` les craindre» (Mercure du 8 fe´vrier 1817, voir ci-dessus, pp. 449 et 456) Le discours
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journaux ont e´te´ livre´s aux ministres, les partis sont-ils morts ? A entendre les ministres, il n’y paraıˆt pas. A quoi donc a servi la suspension d’une de nos plus pre´cieuses garanties ? Si les partis sont morts, la liberte´ des journaux n’a plus de danger ; si les partis ne sont pas morts, une assez longue expe´rience prouve que les moyens qu’on a pris ne les font pas mourir : et en effet, ils ne peuvent ni ne doivent mourir, ces partis qui sont inhe´rens au gouvernement repre´sentatif. La constitution les cre´e en meˆme tems qu’elle les contient, et, comme je l’e´crivais en rendant compte de l’opinion du de´pute´ que je viens de citer a, je n’ai jamais vu les partis morts que la` ou` la liberte´ e´tait morte1. Une autre re´flexion me frappe. On nous effraye des passions et des inte´reˆts particuliers, que l’on attribue aux citoyens. Pourquoi ne dit-on rien des passions et des inte´reˆts particuliers des ministres ? S’il est dangereux de livrer les journaux a` des individus qui n’ont aucune force le´gale, parce qu’ils peuvent avoir des inte´reˆts diffe´rens de l’inte´reˆt ge´ne´ral, ne l’est-il pas mille fois plus de les livrer a` des hommes de´ja` reveˆtus d’une force immense, et qui peuvent avoir aussi leurs inte´reˆts particuliers ? n’ont-ils pas l’inte´reˆt de rester ministres ? et pre´tendra-t-on que rester ministres soit un inte´reˆt national ? Je reviens fre´quemment a` cette ide´e, parce que c’est la ve´ritable question, et que les de´fenseurs du projet la de´placent ; ils parlent comme si les ministres ane´antissaient les journaux : mais ils ne les ane´antissent pas, ils s’en saisissent. Si l’on y re´fle´chit, l’on verra que toutes les raisons alle´gue´es pour prouver que les journaux libres sont une arme terrible entre les mains de tous, aboutissent a` de´montrer que les journaux esclaves sont une arme plus terrible encore entre les mains de quelques-uns. Si des magistrats de´couvraient une bande d’empoisonneurs, je concevrais qu’ils enlevassent a`
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Mercure du mois de fe´vrier 1817.
11 passions ] passion A2
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18 ministres ] ministre A2
27 bande ] foule A2
si loue´ par BC et prononce´ par Royer-Collard en faveur du jury figure dans le Moniteur no 352, 18 de´cembre 1817, pp. 1403a–1404c. Voila` le passage du Mercure sur lequel se fonde BC dans ce paragraphe : «L’annonce, qu’il faut que les partis meurent, pour que nous puissions jouir de la ple´nitude des bienfaits de la Charte, rele`gue un peu loin l’e´poque de cette jouissance ; car je ne connais aucune constitution repre´sentative qui ne cre´e des partis, et que je n’ai jamais vu de partis morts que la` ou` la liberte´ e´tait morte» (voir ci-dessus, p. 449). La formule finale est assez re´ussie pour que l’on comprenne que BC se soit souvenu l’avoir e´crite.
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ces empoisonneurs les substances de´le´te`res qu’ils pre´parent ; mais je ne concevrais pas qu’apre`s les avoir arrache´es de ces mains malfaisantes, ils s’en pre´tendissent les he´ritiers, et en re´clamassent le monopole. Point de journaux, ou des journaux libres, est la seule doctrine raisonnable. Que les ministres concluent a` la suppression de tous les journaux, leur systeˆme sera despotique, mais il sera conse´quent. Dans l’assemble´e, a poursuivi l’orateur, on peut dire tout ce qui est utile : et les journaux n’instruiraient pas mieux les de´pute´s de leurs devoirs que leur conscience1. Puisqu’on se re´pe`te toutes les anne´es, on me pardonnera de me re´pe´ter aussi. A chacune des e´poques ou` l’on a voulu porter atteinte a` la liberte´ de la presse ou des journaux, on nous a vante´ la liberte´ de la tribune ; mais la tribune n’est point garantie quand la presse et quand les journaux ne sont pas libres. Il y avait une tribune sous Bonaparte : ou` e´tait la liberte´2 ? Quel est en outre ce monopole qu’on re´clame pour un petit nombre d’hommes ? A-t-on mis dans la Charte que la nation, en nommant des de´pute´s qui auraient le droit de parler, contractait implicitement l’obligation de se taire ? Ce serait une singulie`re application du systeˆme repre´sentatif. J’ai beaucoup de respect pour la conscience des de´pute´s ; j’ai surtout beaucoup d’estime pour nos de´pute´s actuels. Mais la conscience a besoin de lumie`res, et l’on ne pre´tend pas que deux cent cinquante de´pute´s ayent le privile´ge de toutes les lumie`res franc¸aises. Or, ces de´pute´s, accable´s d’affaires, de se´ances, de travaux, ont-ils le tems de chercher dans des livres qu’ils ne portent pas avec eux, dans des brochures dont ils peuvent ignorer l’existence, les connaissances de faits ou de the´orie qui leur sont ne´cessaires ? Les journaux libres les mettraient en e´tat de comparer la situation des de´partemens respectifs ; les journaux libres leur offriraient la discussion des questions constitutionnelles : et c’est pour les de´pute´s meˆmes qu’il faudrait avoir la liberte´ des journaux.
3 en ] s’en A2 4 est ] et A2 supprime´ dans A2
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7–30 Dans l’assemble´e, ... liberte´ des journaux. ] passage
Dans le Moniteur, no 349, 15 de´cembre, p. 1381c, les propos de Ravez sont rapporte´s dans les termes suivants : «Ici, Messieurs, ou` les passions doivent inspirer ou se taire, on peut dire tout ce qui est utile, et nous avons prouve´ plus d’une fois que nous savions tout entendre. Les journaux nous instruiraient-ils mieux de nos devoirs que notre conscience ?» Cette phrase e´voque, pour la plupart des lecteurs, cette assemble´e du Consulat – le Tribunat – dont BC fut membre, ou` il crut pouvoir be´ne´ficier de la liberte´ de parole et d’ou` il fut promptement e´vince´, le maıˆtre n’ayant pas supporte´ la critique.
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Le discours dont je vais rendre compte actuellement est plus important que tous ceux que j’ai taˆche´ d’analyser jusqu’ici. Prononce´ par le ministre meˆme qui doit recueillir tout l’avantage de la pre´rogative, ou du monopole demande´, imprime´ seulement deux jours apre`s avoir e´te´ prononce´, et par conse´quent d’autant plus officiel dans l’ensemble de sa doctrine, et dans chaque expression en particulier, qu’il est devenu en quelque sorte, par cette publication retarde´e, une e´dition nouvelle et soigneusement revue, embrassant d’ailleurs tous les articles du projet, abordant toutes les objections, et traitant leurs auteurs avec une e´loquence se´ve`re, ce discours me´rite une attention se´rieuse. Mais je dois me borner maintenant a` ce qui regarde les journaux, et renvoyer a` un autre tems l’examen du reste. «Le sort particulier de cette loi, a dit S.E. M. le ministre de la police, est d’eˆtre attaque´e par des partis ou plutoˆt par des opinions oppose´es. Ce concours d’attaques diverses e´tait pre´cise´ment ce qu’avait cherche´ le ministe`re, et le triomphe qu’il espe´rait1.» He´las ! dans le premier cahier de ces Annales, je l’avais pre´vu. Voila` de nouveau les de´sapprobations partielles transforme´es en une approbation ge´ne´rale. Je sais bien que dans la grammaire deux ne´gations font une affirmation ; mais j’ai peur que cette re`gle ne s’applique pas aussi bien a` l’administration d’un empire. J’en ai peur, parce que durant toute la re´volution j’ai vu nos gouvernemens qui sont tombe´s, se vanter de meˆme d’une marche habile entre les parties qu’ils comprimaient, et j’ai toujours eu le chagrin de voir que cette compression des partis aboutissait a` la chute du gouvernement. L’homme d’e´tat doit eˆtre bien plus
1–11 Le discours ... du reste. ] autre re´daction de ce paragraphe J’arrive au discours de M. le ministre de la police, le plus important de tous ceux que j’ai taˆche´ d’analyser jusqu’ici. Prononce´ par celui-la` meˆme qui doit recueillir tout l’avantage de la pre´rogative ou du monopole demande´, imprime´ seulement deux jours apre`s avoir e´te´ prononce´, et par conse´quent d’autant plus officiel dans l’ensemble de sa doctrine, et dans chaque expression en particulier, qu’il est devenu en quelque sorte, par cette publication retarde´e, une e´dition nouvelle et soigneusement revue, embrassant d’ailleurs tous les articles du projet, abordant toutes les objections, et traitant leurs auteurs avec une e´loquence se´ve`re, ce discours me´rite une attention se´rieuse. A2
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Moniteur, no 351, 17 de´cembre 1817, p. 1397a : la citation exacte est la suivante, moins nerveuse que BC ne la re´sume : «Messieurs, vous avez bien pre´sume´ que nous n’avions pas attendu les observations de l’honorable membre qui descend de cette tribune, et celle de quelques-uns de ses amis qui l’ont pre´ce´de´ dans les autres se´ances pour nous apercevoir du sort particulier de cette loi attaque´e, comme on vous l’a fait remarquer, par des partis ou plutoˆt par des opinions oppose´es car j’aime a` croire qu’il n’y a point de partis dans cette enceinte. Mais vous n’avez pas non plus attendu ma re´ponse pour penser que ce concours d’attaques diverses e´tait pre´cise´ment ce que le ministe`re avait cherche´, et le triomphe qu’il avait espe´re´.» C’est Louis-Pierre-Edouard Bignon qui est intervenu avant Decazes.
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occupe´ de l’opinion du lendemain que de celle de la veille, a poursuivi le ministre. Sans doute les gouvernemens ne doivent pas me´priser l’opi nion ; mais ils doivent marcher a` sa teˆte, et non a` sa suite1. Pour marcher soit a` la teˆte, soit a` la suite de l’opinion, il faut la connaıˆtre, et pour la connaıˆtre la laisser parler. Il faut surtout ne pas lui dire d’injures, car elle parle plus haut, et plus long-tems que ceux qui l’injurient. Elle a toujours le dernier mot : c’est ce qu’il serait bon de ne pas oublier avant de commencer une lutte avec elle. L’opinion, comme le dit tre`s-bien M. de Corbie`res, est un juge qu’il ne suffit pas d’insulter pour le re´cuser2, et j’ajouterai qu’il ne suffit pas de le de´daigner pour le soumettre. En second lieu, comment un gouvernement peut-il marcher a` la teˆte de l’opinion ? Est-ce en allant au-dela` de ce qu’elle veut ? ce serait mal fait. C’est le tort qu’ont eu plusieurs de nos re´volutionnaires. Est-ce en lui faisant vouloir ce qu’on veut ? comment s’y prendra-t-on ? Je crains que la phrase de S.E. n’ait pas un sens bien clair, a` moins que S.E. n’ait pense´ que les gouvernemens devaient se mettre en teˆte de l’opinion pour marcher dans une direction oppose´e. Quelques-uns des actes du ministe`re me feraient adopter cette interpre´tation. Mais savez-vous ce qui arrive alors ? Comme l’opinion avance, le gouvernement marche a` reculons, et cette marche n’est ni suˆre ni e´le´gante. La manie`re dont les lois d’exception ont e´te´ applique´es, a donne´ au ministe`re plus de popularite´ que n’ont pu en acque´rir ses de´tracteurs3. J’aime les autorite´s peu exigeantes, et je suis charme´ que le ministe`re soit content de sa popularite´. 6 long-tems ] souvent A2 1
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Moniteur, no 351, 17 de´cembre 1817, p. 1397b : la citation exacte est la suivante, plus nuance´e, plus circonspecte et moins pre´tentieuse que BC ne la re´sume : «L’homme d’Etat doit eˆtre bien plus occupe´ de l’opinion du lendemain que de l’opinion de la veille. Rarement celle-ci ratifie ses premiers hommages ; l’idole qu’elle encense la veille est le lendemain brise´e par elle [...]. Sans doute pour cela les gouvernements ne doivent pas me´priser l’opinion pre´sente ; ils doivent l’e´tudier pour s’e´clairer par elle, ou pour l’e´clairer elle-meˆme ; ils doivent marcher avec elle, mais a` sa teˆte et non a` sa suite. / Je sais bien qu’on me dira qu’en marchant a` sa teˆte on a besoin de n’en pas eˆtre renverse´, de moins mesurer la rapidite´ de sa propre marche que la rapidite´ de la sienne ; mais croyez-vous vous-meˆme en la suivant en aveugles que vous puissiez plus facilement l’arreˆter et vous arreˆter avec elle ?» Moniteur, no 354, 20 de´cembre 1817, p. 1412b : citation exacte : «l’opinion n’est pas un juge qu’il suffise d’insulter pour le re´cuser». Cette phrase ne figure pas dans le discours de Decazes reproduit dans le Moniteur, mais on la trouve dans les Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XIX, p. 786. «Si la manie`re dont les lois d’exception ont e´te´ applique´es a donne´ au ministe`re plus de popularite´ que n’en ont pu acque´rir ses de´tracteurs, c’est que la nation, qui veut avant tout eˆtre gouverne´e par les lois et par la justice [...] sent que son premier inte´reˆt comme son premier besoin est la stabilite´ [...]». Il est vrai que ce discours est pre´sente´ comme «entie`rement improvise´» (Moniteur, no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1401c).
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On s’est plaint de ce que les ministres ne pre´sentaient pas un Code complet sur la presse. Ou` donc est le pe´ril en la demeure ? comment un e´tat de choses qui dure depuis vingt-cinq ans sans inconve´niens, du moins sans plaintes, a-t-il pu exciter tout-a`-coup de si vives re´clamations1 ? C’est donc l’e´tat de choses qui dure depuis vingt-cinq ans que l’on veut maintenir ? Que ne le disait-on plus toˆt ? Cet aveu aurait fort e´claire´ la discussion. Cet e´tat de choses, qui est celui de Bonaparte, si je ne me trompe, n’a pas existe´ sans inconve´niens, on le reconnaıˆt : mais il a existe´ sans plaintes. Est-ce la` tout ce qu’on veut ? Je ne pense pas que la nation le veuille. C’est une mince consolation pour elle, quand elle e´prouve les inconve´niens, d’eˆtre prive´e du droit de se plaindre. C’est pre´cise´ment parce que cet e´tat de choses dure depuis vingt-cinq ans, comme dit S.E., que la France de´sire qu’il ne dure plus ; et c’est pour cela que lorsque, sous des de´nominations d’une varie´te´ inge´nieuse, l’on nous reproduit ce meˆme e´tat de choses, nous le repoussons de tout notre pouvoir. On demande ou` est le pe´ril dans la demeure ? il est dans les jugemens des tribunaux, dans la doctrine de MM. les avocats du Roi2, dans tout ce que nous avons vu pendant la se´paration des Chambres. A quelle e´poque les journaux ont-ils e´te´ l’organe de la ve´ritable opinion publique ? Durant les cent jours n’ont-ils pas fatigue´ de leurs e´loges l’usurpateur du troˆne de ses maıˆtres ? Ils e´taient esclaves alors ! esclaves sans doute, mais de leurs inte´reˆts : car l’usurpation, quelle que fuˆt sa puissance, ne pouvait les contraindre qu’au silence3. J’ai relu deux fois cette 1
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Moniteur, no 351, 17 de´cembre 1817, p. 1398c : l’argumentation de Decazes est assez simple : il y a des priorite´s plus e´videntes qu’une loi sur la presse : «On a reproche´ au Gouvernement de n’avoir pas pre´sente´ un Code pe´nal de la presse, et l’on a rappele´ l’engagement tacite qu’il avait pris a` la dernie`re session de le faire [...]. Mais dans une telle situation qu’il me soit permis de demander ou` est donc le pe´ril en la demeure ? Comment un tel e´tat de choses qui dure depuis vingt-cinq ans sans inconve´nients, du moins sans plaintes, a-t-il pu tout a` coup exciter de si vives re´clamations ?» Dans son opuscule Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France BC de´nonce vigoureusement les positions de deux repre´sentants du ministe`re public dans le cadre de deux proce`s contre des livres : voir ci-dessus, le texte de l’ouvrage ainsi que p. 984, n.4 et p. 985., n. 1. Moniteur, no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1401a : la citation exacte est la suivante, gue`re diffe´rente, sinon que BC a un peu ame´liore´ la formulation a` la fin : «Les journaux que j’ai cependant entendus qualifier par les meˆmes bouches de mise´rables gazetiers, sont les seuls et les ve´ritables organes de l’opinion [...] mais a` quelle e´poque l’ont-ils e´te´ ? – Durant les cent jours, n’ont-ils pas fatigue´ de leurs e´loges l’usurpateur du troˆne de ses maıˆtres ? Ils e´taient esclaves alors ! esclaves sans doute, mais de leurs inte´reˆts car l’usurpation meˆme, quelle que fut sa puissance, ne pouvait que les contraindre au silence». En fait, la presse fut relativement libre sous les Cent-Jours (voir Bellanger et al., Histoire ge´ne´rale de la presse franc¸aise, ouvr. cite´, t. II, 1969, p. 45 : «La liberte´, plus ou moins since`rement voulue, dont
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phrase. Quoi ! l’usurpation terrible et toute-puissante n’a pu contraindre les journaux qu’au silence ! Mais s’il e´tait vrai qu’aujourd’hui le ministe`re contraignit les journaux a` plus qu’au silence, n’en re´sulterait-il pas que le ministe`re serait aujourd’hui plus despotique que l’usurpateur ? Je ne m’arreˆte pas a` cette ide´e, parce que je suis de bonne foi, et que je la crois fausse : mais les paroles sont doue´es d’une faculte´ bien enivrante, et l’e´loquence a de grands dangers. L’on a reproche´ aux ministres d’avoir de´fendu aux journaux d’annoncer certains ouvrages. Mais si ces ouvrages e´taient dangereux, si meˆme ils e´taient coupables1 ? Ceci est se´rieux pour les e´crivains. Tous les ouvrages dont les journaux n’ont pas la permission de parler, sont donc coupables ou dangereux ! Ainsi M. Aignan, dont aucun journal n’a pu annoncer la brochure sur la justice et sur la police, e´tait l’auteur d’un libelle2 ? Ainsi l’interdiction que j’ai vue et que j’ai fait lever pour le Mercure seul, d’indiquer dans aucune feuille pe´riodique mes Questions sur la le´gislation de la Presse, de´clarait ce livre un de´lit. Cependant quand on a refute´ cet ouvrage, un mois apre`s sa publication, on lui a prodigue´ les plus grands e´loges. Jamais coupable ne fut tant loue´3. Mais de quel droit ne juge-t-on pas des e´crits de´clare´s dangereux ou coupables ? Le ministe`re a-t-il le droit de graˆce ? Il est de son devoir de faire poursuivre ceux qu’il proclame criminels ; et je prendrai cette occasion de remarquer que ce qu’a dit un autre ministre sur la licence de la presse, comme preuve de sa liberte´, n’est pas fonde´ en justice. On pourrait fort bien fermer les yeux sur quelques coupables, pour se re´server un pre´texte de tourmenter beaucoup d’innocens. Ce serait une double faute. Ce serait tendre un pie´ge aux auteurs, qui, jugeant de ce qu’on peut e´crire par ce qu’on tole`re, encourraient des peines qu’ils n’auraient pu pre´voir. Il n’y a
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la presse jouit pendant les Cent-Jours, se traduisit par une re´elle diversite´ dans ses productions») mais BC auquel l’on reprochait ses complaisances pour Napole´on durant cette pe´riode ne pouvait s’en faire l’avocat sans risquer de re´veiller de vieilles pole´miques. Moniteur, no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1401a : BC modifie un peu la phrase de Decazes en l’amputant de sa chute : «On a reproche´ aux ministres d’avoir de´fendu aux journaux d’annoncer certains ouvrages ; mais si ces ouvrages e´taient dangereux, si meˆme ils e´taient coupables, ne se serait-on pas bien plus justement e´tonne´ que l’autorite´ leur eut donne´ plus de publicite´ par les journaux ?» Voir p. 978, n. 2. Allusion a` l’opuscule publie´ par BC quelques mois plus toˆt : Questions sur la le´gislation actuelle de la presse en France. Comme a` l’accoutume´e, BC affecte d’eˆtre victime d’une conspiration du silence (voir ci-dessus, p. 667, n. 1) et e´galement comme a` l’accoutume´e, il fait l’objet d’une belle couverture de presse (ci-dessus, p. 669 et 670 : une douzaine de comptes rendus).
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point d’e´quite´, quand la meˆme action peut, au gre´ de quelques hommes, avoir pour deux individus des suites diffe´rentes. On s’est plaint du silence garde´ par les feuilles publiques sur le naufrage de la Me´duse. Ce silence fut rompu, a` l’insu toutefois du gouvernement, qui ne crut pas l’humanite´ inte´resse´e a` la publicite´ d’un e´ve´nement si douloureux, et dont le re´cit ne pouvait malheureusement apporter aucun reme`de aux infortune´s qui en avaient e´te´ victimes1. Quel me´nagement pour notre sensibilite´ ! Je suppose que de´sormais on ne nous parlera plus ni des maladies contagieuses, ni des incendies, ni des tremblemens de terre. Mais ou` est l’ar ticle constitutionnel qui charge les ministres de veiller a` ce qui pourrait affliger nos ames ? Est-il bien vrai, de plus, que le re´cit des e´ve´nemens douloureux n’ait jamais de re´sultat favorable aux victimes ? Si nous avions ignore´ toujours le naufrage de la Me´duse, nous aurions eu de moins sans doute une e´motion pe´nible : mais les naufrage´s auraient eu de leur coˆte´ une souscription de moins2. 1 d’e´quite´ ] d’e´quite A1 1
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Moniteur, no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1401b : la citation exacte est la suivante : «L’orateur qui descend de cette tribune, et qui est du nombre de ceux qui pensent que les journaux sont le reme`de et les re´parateurs de tous maux, s’est plaint du silence garde´ par les feuilles publiques sur le naufrage de La Me´duse ; le ministre re´pondra a` l’honorable membre qu’il a e´te´ mal informe´, et que ce silence fut rompu a` l’e´poque de cet e´ve´nement, a` l’insu toutefois du Gouvernement [le reste identique]». Donc BC retranche la re´fe´rence au de´pute´ qui a formule´ cette critique sur le silence de la presse a` l’e´gard du naufrage. Il s’agit de LouisPierre-Edouard Bignon (Moniteur, no 351, 17 de´cembre 1817, p. 1397b : «L’humanite´ meˆme re´clame a` plus d’un titre la liberte´ des journaux ; et sans cette espe`ce de liberte´ qu’on leur accorde vers l’e´poque de la re´union des chambres, quel serait le sort des naufrage´s de La Me´duse ? Les huit infortune´s qui ont surve´cu a` leurs malheureux compagnons [...] auraient retrouve´ la faim et le de´sespoir sur le sol meˆme de la patrie»). L’affaire du naufrage de la fre´gate La Me´duse le 2 juillet 1816 au large de la Mauritanie fit un effet de´plorable sur l’opinion a` cause de l’accumulation des fautes commises par le capitaine, Hugues Duroy de Chaumarey, ancien e´migre´, aristocrate et royaliste mais peu expe´rimente´ : e´chouage suite a` des erreurs de navigation, abandon de l’e´pave avec dix-sept hommes a` bord dont trois seulement seront retrouve´ vivants, surtout abandon par les chaloupes qui devaient le remorquer, du radeau ou` plus de 250 personnes s’e´taient entasse´es, qui de´rive`rent pendant treize jours dans d’incroyables souffrances qui les conduisirent jusqu’au cannibalisme pour se nourrir ; il n’y eut que quinze survivants. Le capitaine de Chaumarey fut condamne´ a` mort mais sa peine commue´e en trois ans de prison. Le chirurgien et l’inge´nieur-ge´ographe du navire publie`rent un re´cit parfois tendancieux de l’e´ve´nement mais qui accrut l’e´motion publique : Jean-Baptiste-Henri Savigny et Alexandre Corre´ard, Naufrage de la fre´gate La Me´duse faisant partie de l’expe´dition du Se´ne´gal, en 1816 ; relation contenant les e´ve´nements qui ont eu lieu sur le radeau, dans le de´sert de Saara, a` Saint-Louis et au camp de Dacard, Paris : Eymery et al., 1817. Ce livre a notamment fait l’objet d’une re´e´dition en 2005 (Paris : e´diteur Cartouche). L’opposition exploita l’affaire en la pre´sentant comme un te´moignage de l’incompe´tence du personnel recrute´ sous la Restauration, sur des crite`res politiques de fide´lite´ a` l’Ancien Re´gime. C’est la presse libe´rale qui organisa en 1817 et 1818 une souscription en faveur des naufrage´s, qui rencontra un certain succe`s.
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Le reste du discours de S. Exc. m’engagerait dans un examen que ne permettent pas les bornes de ces Annales, et je finirai par quelques observations tre`s-rapides. Le ministre a reproche´ a` un orateur d’avoir parle´ de l’encens bruˆle´ en l’honneur du pouvoir du tems, et il a affirme´ que le pouvoir du tems e´tait le pouvoir du jour. Cette de´finition n’est pas exacte. Dans le systeˆme monarchique, le pouvoir du Roi est e´ternel. Le Roi ne meurt pas. Le pouvoir du tems, c’est celui des ministres1. Son Exc. a de´clare´ que pendant toute la dure´e de la de´pendance des journaux, peu de citoyens avaient e´te´ attaque´s. Peu, je ne veux pas contester le nombre ; un seul est trop, et quand des e´crivains distingue´s dont les opinions ne doivent pas faire me´connaıˆtre les talens, ont e´te´ livre´s a` la de´rision et a` l’ironie dans les journaux soumis a` l’autorite´ a, l’on a pu s’e´tonner de l’usage que l’autorite´ faisait de son privile´ge, ou de l’in souciance avec laquelle elle tole´rait qu’il fuˆt exerce´ par ses de´le´gue´s. Les feuilles e´trange`res, a dit le ministre, sont si loin de ressentir de l’influence ministe´rielle, qu’elles attaquent surtout le ministe`re avec virulence. Il y a plusieurs feuilles e´trange`res. Le New-Times n’est pas le seul dont plusieurs articles soient traduits du franc¸ais2. a
Voyez les journaux de janvier 18173.
5 tems ] jour A2 A1 le seul A2 1
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tems ] jour A2
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18 le seul ] la seul
Moniteur, no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1401b : la citation exacte est la suivante : «Un honorable membre, M. le marquis de Chauvelin, s’est e´leve´ contre les journaux des de´partements, ve´ritables cassolettes, a-t-il dit, incessamment occupe´es a` bruˆler de l’encens en l’honneur du pouvoir du temps et du pre´fet du jour [...] l’honorable membre a-t-il re´fle´chi que ce qu’il appelle le pouvoir du temps est le pouvoir de ce roi que la France re´ve`re, que sans doute on ne peut dignement louer, mais que l’on ne saurait assez be´nir». Sur le meˆme ton que le ministre, c’est-a`-dire plutoˆt humoristique, BC s’amuse a` l’e´pingler sur un point de la doctrine monarchique. Moniteur, no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1401b-c : Decazes affecte de se plaindre des attaques des journaux e´trangers contre le gouvernement parce qu’il de´fend efficacement les inte´reˆts de la France. New Times : journal paraissant a` Londres, sous la direction du docteur Stoddart et conside´re´ comme de tendance ultra, donc ne convenant pas a` Decazes. Une rumeur va courir a` Paris : Decazes a adresse´ un e´missaire a` Stoddart pour obtenir l’insertion d’articles plus satisfaisants, en vain (Jacques Peuchet, Me´moires tire´s des archives de la police de Paris pour servir l’histoire de la morale et de la police, depuis Louis XIV jusqu’a` nos jours, t. V, Paris : Bourmance´ e´diteur, 1838, p. 70). Voir ci-dessus, p. 945, n. 2 et p. 721, n. 3, ou` la question relative au journal New Times est de´ja` e´voque´e. Allusion non e´lucide´e. On n’a pu identifier ni les «e´crivains distingue´s» ni les journaux.
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Un dernier orateur, qui, par un paradoxe historique e´trange, a choisi Louis XI pour le surnommer l’ami du peuple1, comme si la perse´cution d’une classe e´tait la justice envers les autres, s’est applique´ surtout a` de´crire la liberte´ dont nous jouissons. La loi re`gne, a-t-il dit, le peuple y concourt. Les de´pute´s s’e´noncent sans geˆne. Tout Franc¸ais est maıˆtre de sa personne et de ses biens. Tout ce que la France convoitait en 1789, tout ce dont elle n’a jamais joui de`s-lors, la Charte aujourd’hui le lui confe`re. Je le desire et je reconnais qu’a` plusieurs e´gards l’assertion est vraie. Mais ce que la Charte nous confe`re doit-il nous eˆtre repris par des lois d’exception ? Et ne devons-nous nous fe´liciter de ses bienfaits que pour renoncer a` en jouir ? Telle a e´te´, dans la discussion du projet de loi sur la presse, la partie de cette discussion qui a eu spe´cialement en vue de re´gler le sort des journaux. L’assemble´e avait ferme´ les de´bats, et le pre´sident venait de les re´sumer, lorsque M. le Garde-des-Sceaux a de´clare´, de la part du Roi, que Sa Majeste´ consentait a` ce que la disposition relative aux feuilles pe´riodiques fuˆt se´pare´e de l’ensemble de la loi2. L’assemble´e avait de´sire´ cette se´paration, et en effet, une mesure provisoire ne saurait entrer convenablement dans une loi permanente. Mais a` cette proposition juste et naturelle, M. le Gardedes-Sceaux en a joint une autre3, tendante a` ce que la chambre intervertıˆt l’ordre usite´ dans ses ope´rations, pour voter sur les journaux avant de s’occuper du reste. Cependant, une question qu’on isole d’un corps de loi dont auparavant elle faisait partie, devient par cela meˆme une nouvelle question, 1 e´trange ] e´tranger A2 1
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C’est en ge´ne´ral Louis XII que l’on surnomme «le pe`re du peuple» a` la suite des E´tats ge´ne´raux de 1506. Apparemment, l’orateur a fait une confusion, malicieusement releve´e par BC, avec le titre d’un journal re´volutionnaire : L’Ami du peuple de Marat. Louis XI avait une re´putation de´testable fin XVIIIe de´but XIXe sie`cle (voir le jugement de Mme de Stae¨ l cite´ par BC dans La Minerve de fin juillet 1818, p. 601 : «les cruaute´s perfides de Louis XI». Les historiens modernes lui ont partiellement rendu justice : Paul Murray Kendall, Louis XI, Paris : Fayard, 1974). Moniteur, no 355, 21 de´cembre 1817, p. 1418a : annonce par le Garde des Sceaux de l’accord du roi pour la disjonction de l’article 27 de la loi. Voir ci-dessus, p. 986, n. 1. Moniteur, no 355, 21 de´cembre 1817, p. 1418a : le Garde des Sceaux explique clairement la position de l’exe´cutif : dans la mesure ou` «la loi relative aux journaux expire au 1er janvier», il est ne´cessaire de voter tout de suite sur l’article 27 de la loi qui concerne les journaux. Sinon, on sera dans une situation de vide juridique, c’est-a`-dire de liberte´ absolue. En revanche, il n’y a pas la meˆme urgence a` voter les 26 autres articles relatifs a` la presse, au sens ou` on l’entend a` l’e´poque, c’est-a`-dire aux livres. Cette solution ne peut satisfaire ceux qui, comme BC, ne veulent pas d’une loi sur les journaux : ils essaient de tirer argument du fait que l’article 27 isole´ constituerait une sorte de nouveau projet de loi pour demander un nouveau passage du texte en bureau de l’Assemble´e, ce qui pourrait geˆner pour voter le texte dans les de´lais. C’est ce que veut e´viter le gouvernement. Voir ci-dessus, p. 986, n. 1.
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et doit en conse´quence eˆtre l’objet d’une loi nouvelle. Cette nouvelle loi doit eˆtre pre´sente´e par une ordonnance a` part. Elle doit eˆtre renvoye´e dans les bureaux, y eˆtre examine´e, eˆtre soumise a` une commission. Ce n’est qu’apre`s ces formalite´s diverses et successives que le re´glement de l’assemble´e lui permet de voter. Si l’on y re´fle´chit, l’on trouvera qu’il y a des inconve´niens de plusieurs genres a` ce que les ministres choisissent a` leur gre´ dans les projets de loi tel ou tel article en particulier. Cette marche, pour laquelle ce qui vient d’arriver sera de´sormais cite´ comme un pre´ce´dent, fournirait a` ces ministres l’expe´dient dangereux, d’accumuler en un seul projet beaucoup de dispositions diffe´rentes ; puis ils saisiraient l’occasion favorable de pre´cipiter l’adoption de celle de ces dispositions qui leur paraıˆtrait facile ou avantageuse a` faire passer. L’assemble´e n’aurait plus de route trace´e : les de´pute´s ne pourraient plus se reposer sur les lenteurs si ne´cessaires des formes ; les discussions ne seraient plus re´gulie`res. Une nouvelle espe`ce d’urgence inconnue meˆme a` nos assemble´es pre´ce´dentes qui, pourtant, faisaient amplement usage de tous les moyens d’acce´le´ration, s’introduirait non seulement pour haˆter les de´crets le´gislatifs, mais pour les morceler d’une manie`re soudaine et inattendue. Cette urgence se de´guiserait sous le nom de changement dans l’ordre du travail a, ou d’alte´ration dans le mode de voter b, comme si l’ordre du travail et le mode de voter n’e´taient pas d’importance premie`re dans les assemble´es, si expose´es a` se laisser tromper sur le fond, quand on parvient a` les de´sorienter par la forme. Cette urgence serait de la pire espe`ce. Elle ravirait aux discussions leur e´tendue le´gitime, aux delibe´rations leur gravite´, aux lois leur ensemble. Si l’on me disait que j’exage`re, je re´pondrais que je ne veux nullement insinuer que la discussion qui vient d’avoir lieu n’a pas e´te´ suffisamment libre ou suffisament approfondie. Je la reconnais au contraire pour une des discussions les plus inde´pendantes et les plus remarquables qui aient jamais honore´ une assemble´e. Je parle en ge´ne´ral d’une habitude qui peut s’introduire : mais j’aurais voulu que, meˆme dans la circonstance actuelle, on n’euˆt pas termine´ une belle et me´ morable discussion par un incident qui ressemble a` la ruse, et qui manquait selon moi de dignite´. a b
Discours de M. Courvoisier1. Discours de M. Rivie`re»2.
26 la ] le A2 1
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Moniteur, no 355, 21 de´cembre 1817 : il semble que BC ait interverti le nom des orateurs : c’est Rivie`re qui explique : «Il ne s’agit que d’un ordre de travail» (p. 1418b). – JeanJoseph-Antoine de Courvoisier (1775–1835), e´migre´, magistrat, de´pute´ du Doubs de 1816 a` 1820, d’opinion plutoˆt conservatrice, il sera Garde des Sceaux sous le ministe`re Polignac. Moniteur, no 355, 21 de´cembre 1817, p. 1418a : c’est Courvoisier qui re´duit la question a` «une manie`re de voter». – Jean-Louis Rivie`re (1766–1848), magistrat, de´pute´ a` partir de 1816, appartenant au centre droit et ministe´riel a` partir de 1819.
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Le motif alle´gue´ pour cette innovation me paraıˆt sans force. Je serais faˆche´, pour le gouvernement et pour la France, que ce motif en euˆt plus que je ne lui en attribue. L’institution politique qui ne pourrait supporter deux jours la liberte´ de quelques feuilles, suˆres d’eˆtre enchaıˆne´es de nouveau, me paraıˆtrait bien peu stable, et je regrette since`rement que la terreur ministe´rielle ait proclame´ a` la face de l’Europe que tout serait perdu si, durant un seul jour, un seul journal disait la ve´rite´. J’espe`re que l’Europe ne le croira pas, elle aurait tort de le croire. Renferme´ dans les bornes que la Charte lui a trace´es, le gouvernement n’a rien a` craindre ni des journaux ni des citoyens. A la ve´rite´, le ministe`re, dans ses assurances et dans ses de´clarations positives, est peu consolant pour les hommes qui conside`rent sa marche comme aventure´e. «Les regrets de ceux qui blaˆment cette marche, a dit un ministre, seront longs sans doute, car elle n’est pas preˆte a` changer : elle ne changera jamais1.» Mais j’oserai nier l’assertion. La marche du ministe`re a change´ : elle changera encore. La marche du ministe`re a change´ : car en 1815, le ministe`re a propose´ la loi des pre´venus, la loi des cris se´ditieux, et s’est exprime´ sur les opposans a` ces lois, avec une amertume e´gale a` celle qu’il dirige contre les opposans d’aujourd’hui. En 1816, le ministe`re a fait adopter sur les meˆmes objets des lois diffe´rentes, traitant toujours tre`s-se´ve`rement ceux qui ne regardaient pas ses propositions comme parfaites. En 1817, le ministe`re a modifie´ la loi sur la presse qu’il avait de´clare´e de´finitive. Il n’y a d’immuable que sa volonte´ sur les journaux. Que dis-je ? La marche du ministe`re a change´, meˆme dans ce qui a rapport a` cette volonte´. Ce qu’il demandait pour trois ans, il l’accepte pour une anne´e. Certes les derniers discours des ministres sur la question du jury diffe´raient beaucoup de ceux par lesquels ils avaient repousse´ l’introduction de cette institution salutaire. La marche du ministe`re a donc change´ : la marche de tout ministe`re doit changer, quelqu’infaillibles que les ministres se croient : il y a une force de choses a` laquelle aucune pre´somption ne re´siste ; les paroles restent les meˆmes, mais les mesures deviennent autres, et par cette combinaison plus ou moins adroite, l’on me´nage son amour-propre et l’on pourvoit a` sa suˆrete´. Dans tout ministe`re ou` il y n’aurait pas changement de marche, il y aurait bientoˆt changement de ministres, et, sur ce point, il est bon de s’expliquer. J’ai de´ja` dit en commenc¸ant, que je ne craignais ni ne de´sirais la chute d’aucun ministe`re. En effet, puisque je me permets de blaˆmer plusieurs ope´rations des ministres actuels, dire que je m’affligerais de les voir rem-
24 Certes ] Enfin A2 1
Ni le ministre ni la citation n’ont pu eˆtre identifie´s.
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place´s, serait une flatterie dont ils auraient tort de me savoir gre´. Mais en meˆme tems, parmi les changemens qui peuvent avoir lieu, il en est dont j’aurais tort a` mon tour de me re´jouir. J’ai oui parler d’un traite´ en vertu duquel, dans une circonstance critique, on avait stipule´, en recompense d’un effort contre des candidats populaires, un changement dans la loi des e´lections1 et d’autres mesures anti-nationales : Je ne puis souhaiter que ceux qui re´clament l’exe´cution de ce traite´, he´ritent du pouvoir ministe´riel. J’aperc¸ois a` coˆte´ d’eux d’autres hommes dont j’ai de´ja` parle´ dans le cahier pre´ce´dent de ces Annales a, hommes qui se tiennent en permanence derrie`re tous les ministe`res pour les remplacer2. A l’aide de professions de foi qu’ils oublient, ils arrivent d’ordinaire par des re´volutions qu’ils ne savent pas conduire, a` saisir un gouvernail qu’ils ne savent pas manier, et disparaissent ensuite comme des ombres, nous laissant a` la merci des factions, qu’ils sont hors d’e´tat de contenir. Cette perspective ne me tente pas. Je voudrais que cet e´pisode, use´ comme ses acteurs, nous fuˆt e´pargne´. Il serait utile sans doute a` l’histoire, en fournissant a` nos neveux un centie`me exemple du machiave´lisme e´ternellement dupe : mais la France payerait les frais de cette nouvelle lec¸on morale, qui ne profiterait qu’a` la poste´rite´. Au milieu de ces diverses chances, que faire ? Suspendre ses vœux, se de´tacher des hommes, rester fide`les aux principes, re´clamer sous tous les ministres, la Charte toute entie`re, et l’e´mancipation le´gitime, promise au peuple franc¸ais. Un troisie`me cahier qui ne paraıˆtra que dans quelque tems, parce que je voudrais traiter avec toute la re´flexion dont je suis capable, l’introduction du jury dans le jugement des e´crivains, et la the´orie des amendemens qui me semble encore eˆtre mal comprise, contiendra l’histoire de la discussion entie`re, dont je n’ai pre´sente´ ici qu’une petite partie. Je comptais y joindre quelques observations sur l’habitude que les ministres contractent de mettre en avant le nom du roi et la volonte´ royale3. Mais comme je trouve ce morceau e´crit dans la collection d’ouvrages dont j’ai publie´ le premier a
Premier cahier, page 5.
4 oui ] ouı¨ A2 5 recompense ] re´compense A2 6 d’autres ] dautres A1 18 de cette ] d’une A2 22 promise au ] promise du A2 23 – p. 1019.29 Un troisie`me cahier ... sont despotes. ] passage supprime´ dans A2, y comprise la note a de BC 1 2 3
Voir ci-dessus, p. 937, n. 3. Au de´but de l’ouvrage, BC e´voque l’alliance possible des partisans du despotisme d’un roi avec ceux qui avaient la pratique d’un despotisme impe´rial (pp. 939–940). BC pense sans doute a` re´pondre au discours de Laine´ du 18 de´cembre 1817 a` la Chambre des de´pute´s, aux discours de Mole´ du 29 de´cembre 1817 et de Pasquier du 5 janvier 1818 a` la Chambre des Pairs.
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Sur le projet de loi relatif a` la liberte´ de la presse
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volume, j’en extraits quelques phrases, parce que je crois que les ide´es qu’il e´nonce peuvent, si elles sont justes, n’eˆtre pas inutiles dans des occasions prochaines. «Placer le nom du Roi dans la discussion d’un projet de loi, c’est sortir tout-a`-fait le pouvoir royal de sa sphe`re, c’est l’appeler dans la meˆle´e de toutes les opinions. Tandis que la constitution veut que les ministres soient responsables pour le Roi, c’est vouloir que le Roi soit responsable pour les ministres. Elle avait mis sagement le ministe`re entre le monarque et le peuple, pour que le ministe`re servıˆt de bouclier au monarque dans toutes les altercations politiques, et vous mettez le nom du monarque entre le peuple et le ministe`re, comme si le monarque devait servir de bouclier a` ses ministres. Ou` est l’utilite´ de ce renversement des ide´es ? Vous ne voulez pas sans doute que les projets de loi ne puissent pas eˆtre rejete´s ? Que vous sert-il donc de les attribuer au pouvoir royal, et de faire que de la sorte la de´faveur du rejet retombe sur lui ? C’est par respect pour la royaute´ autant que par de´fe´rence pour le sens commun, qu’il faut laisser chaque chose a` sa place, et ne pas compromettre ce qu’on professe vouloir conserver. Qui est-ce qui gagne a` ce qu’en proposant leurs projets les ministres se couvrent du nom du Roi ? Ce n’est pas le Roi ; il n’y gagnerait que dans l’hypothe`se ou` ces projets devraient eˆtre adopte´s sans amendement. Mais puisqu’ils peuvent eˆtre change´s par un amendement quelconque, il n’y gagne pas, il y perd. La nation, non plus, n’y trouve aucun avantage. Il n’est assure´ment pas utile que des projets qui sont suppose´s pouvoir encore eˆtre de´fectueux, puisqu’ils doivent eˆtre discute´s, soient pre´sente´s aux chambres sous une forme qui leur impose, qui affaiblit leur re´sistance, qui ge`ne leur jugement. Ceux qui y ga gnent, ce sont les ministres, quand ils veulent des lois oppressives, inconstitutionnelles ou vicieuses. Il leur est alors commode de se mettre derrie`re le Roi ; mais un Roi constitutionnel n’en est que moins puissant quand ses ministres sont despotes» a. a
Collection comple`te des ouvrages sur le gouvernement repre´sentatif et la constitution actuelle de la France, page 228–229, chez Plancher, libraire, rue Poupe´e, no. 71.
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BC renvoie ici a` la deuxie`me e´dition des ses Re´flexions sur les constitutions (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1187) : le texte est un peu diffe´rent. Si l’on met a` part une ame´lioration de style apporte´e par BC : «Vous ne voulez pas sans doute que les projets de loi ne puissent pas eˆtre rejete´s ?» au lieu de «Vous ne voulez pas sans doute que les projets de loi ne puissent eˆtre rejete´s» (p. 228), BC supprime surtout tout un passage violent contre les ministres. Entre «Il leur est alors commode de se mettre derrie`re le Roi» et «mais un Roi constitutionnel n’en est pas moins puissant quand les ministres sont despotes», il ajoute «de rejeter sur le pouvoir inviolable qu’il ne devrait jamais eˆtre permis d’exposer aux agitations incalculables d’une discussion, toutes leurs vues e´troites, leurs faux calculs, leurs intentions secre`tes, leur avidite´ d’une autorite´ qui ne profite qu’a` eux [le reste de la phrase identique]» (p. 229).
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Premie`re annexe Annales de la session de 1817 a` 1818 Textes comple´mentaires
Annales de la session de 1817 a` 1818. Textes comple´mentaires
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Introduction
Page`s : De la le´gislation de la presse conside´re´e dans ses rapports juridiques Dans cet opuscule publie´ sous le nom de l’ancien procureur impe´rial JeanPierre Page`s1 qui s’est fait remarquer en 1817 par ses Principes ge´ne´raux du droit politique, confre`re journaliste de Constant et futur collaborateur de La Minerve et de La Renomme´e, il y a l’occasion et il y a le the`me de fond. L’occasion c’est, une fois de plus, une discussion parlementaire en vue de l’e´laboration d’une nouvelle loi sur la presse et surtout cette formule du Garde-des-sceaux paraissant conside´rer qu’il suffit de dire qu’un ouvrage est dangereux ou nuisible pour qu’il me´rite d’eˆtre sanctionne´ par le juge. Page`s s’enflamme comme le fait Constant : une cole`re a` froid, avec des arguments qui s’accumulent contre un proce´de´ liberticide consistant a` consacrer de longs de´veloppements, dans la loi, a` la de´signation des responsables et a` la de´termination de la proce´dure, mais en ne´gligeant ce qui devrait eˆtre l’essentiel : la de´finition du de´lit. Sa since´rite´ ne fait aucun doute : pour que les auteurs soient en se´curite´ lorsqu’ils e´crivent, il faut qu’ils sachent avec pre´cision ce qui est autorise´ et ce qui est interdit. Il demeure since`re lorsqu’il consent a` ce que le Parlement, en l’absence de jury, de´finisse les e´crits dangereux «avec une extreˆme se´ve´rite´»2. Il proteste qu’il ne cherche pas a` rendre «la le´gislation plus libe´rale» mais simplement a` ce que chacun sache a` l’avance a` quoi il est tenu et ce qu’il risque. Il a raison : contrairement a` ce que l’on pourrait imaginer, les lois les plus douces en matie`re de statut de la presse sont les plus de´veloppe´es, les plus pre´cises, celles qui laissent le moins de part a` l’appre´ciation du juge. Disons le : ce sont celles 1
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Jean-Pierre Page`s de l’Arie`ge (1784–1866), ayant fait ses e´tudes de droit a` Toulouse, fut rec¸u avocat au barreau a` l’aˆge de 20 ans. Procureur impe´rial a` Saint-Girons de 1811 a` 1816, place´ ensuite sous surveillance de la police, il vint a` Paris en 1816 ou` il se lia avec La Fayette, Laffitte et BC. Page`s collabora entre autres a` La Minerve, au Constitutionnel, a` La Renomme´e et au Courrier franc¸ais. On a de lui le traite´ Principes ge´ne´raux du droit politique, dans leur rapport avec l’esprit de l’Europe et avec la monarchie constitutionnelle (Paris : Be´chet, 1817), et une brochure De la reponsabilite´ ministe´rielle, et de la ne´cessite´ d’organiser le mode d’accusation de jugement des ministres (Paris : Be´chet, 1818), sujet cher a` BC. De retour a` Toulouse en 1827, ou` il fonda un journal, il joua un roˆle actif dans la Re´volution de juillet. E´lu de´pute´ a` la Chambre, il sie`gea toujours a` gauche. Rappelons encore qu’il re´e´ditera en 1837 le Cours de politique constitutionnelle de BC. Voir ci-dessous, p. 1045.
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Premie`re annexe
qui permettent au journaliste habile de critiquer, de contester, d’insinuer en des termes choisis qui lui permettront de ne pas tomber sous le coup d’une condamnation parce qu’il s’applique a` ce qu’il manque toujours un e´le´ment pour que l’infraction soit constitue´e. Le the`me de fond, c’est la question ge´ne´rale de l’arbitraire dans la de´termination des de´lits. Page`s n’affaiblit pas son argumentation en faveur de la liberte´ de la presse en e´largissant les perspectives. Au contraire, il e´le`ve le de´bat et place son combat dans le cadre plus vaste et traite´ par de nombreux juristes, surtout des pe´nalistes, du proble`me de la protection des justiciables par une de´finition stricte des de´lits et des peines. Ce fut une des grandes discussions du XVIIIe sie`cle que de de´montrer les avantages et les inconve´nients d’un tel syste`me et une des grandes conqueˆtes de la Re´volution que de s’eˆtre re´solument engage´e dans cette voie. L’Ancien Re´gime a laisse´ le souvenir d’un syste`me soigneusement mis au point par les Parlements en faisant une large part a` l’arbitraire des Parlements. Tout le combat judiciaire du XIXe sie`cle sera d’e´viter le retour a` ces abus. Page`s et Constant y tiennent leur place. Le propos de Page`s commentant un de´bat parlementaire est marque´ de quelques menues habilete´s destine´s a` attirer la bienveillance des de´pute´s et des pairs. Ainsi lorsqu’il affecte de croire que l’adjonction, dans la loi, du mot «directement» au de´lit d’excitation a` commettre des crimes suffit a` rendre la le´gislation plus libe´rale alors qu’il s’agit seulement d’empeˆcher celui qui a participe´ a` un e´crit de tenter de s’exone´rer en de´nonc¸ant celui qui lui a livre´ l’e´crit conteste´, exone´ration pre´vue par ailleurs par le code pe´nal1. Petite habilete´ aussi lorsqu’il proteste avec enthousiasme ne pas douter de l’inte´grite´ des magistrats2. Il refuse de s’associer a` «toutes ces inculpations que quelques brochures ont de´verse´ sur la magistrature» : que des erreurs aient pu eˆtre commises dans certaines condamnations, il l’admet ; il affirme refuser de croire a` quelque manifestation de bassesse de la part de tribunaux qui se montreraient soumis au pouvoir. On n’est pas suˆr qu’il en soit convaincu mais ce genre de propos ne peut que lui attirer la sympathie des juridictions. Surtout, avec ces commentaires minutieux, Page`s fait preuve d’authentiques qualite´s de juriste en de´cortiquant les lois dans ce qu’elles disent et surtout dans ce qu’elles ne disent pas. Il cherche l’intention des ministres lorsqu’ils proposent un texte et de´meˆle les intentions menac¸antes derrie`re la ge´ne´rosite´ des promesses. Il n’est pas simple spectateur, il intervient dans le de´bat et cherche a` l’orienter de sa plume. A. C. 1 2
Voir ci-dessous, p. 1044–1045, n. 1. Voir ci-dessous, p. 1046.
Annales de la session de 1817 a` 1818 – Textes comple´mentaires
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Le budget moderne en France En France, le budget moderne est une cre´ation de la Restauration. Sans doute, le terme lui meˆme revenu de l’ancien franc¸ais par l’anglais apparaıˆtil sous le premier Empire : budjet, puis budget. Mais, et ce n’est pas bien suˆr un hasard, s’il est introduit en meˆme temps que le parlementarisme moderne en France. Le vote des de´penses et des recettes publiques par des chambres e´lues, et la ve´rification de leur exe´cution de´finissent largement un tel re´gime. Comme l’e´crivait M. Bruguie`re, s’il «y eut sous l’Empire a` peu pre`s une loi budgetaire par an (bien que celle de 1809 ait attendu 1810, et que 1812 n’en ait pas eu) [...] les renvois d’un exercice a` l’autre e´taient nombreux ; les revenus et les de´penses de l’extraordinaire (qui absorbait le produit des conqueˆtes militaires) e´chappaient a` tout controˆle1.» Cette citation de la the`se classique de M. Bruguie`re introduit e´galement une dichotomie essentielle : celle entre les de´penses (et les recettes) ordinaires : disons les charges courantes de la souverainete´ y compris la de´fense en temps de paix, les impoˆts habituels, directs et indirects, ainsi que les de´penses et recettes extraordinaires : sous l’Empire, le produit des conqueˆtes militaires, rappelle Bruguie`re, sous la pe´riode de la Restauration qui nous occupe, le re`glement de l’arrie´re´ (de l’Empire et de l’exil de Louis XVIII), celui des frais d’occupation de la France par les vainqueurs et enfin le versement de l’indemnite´ au pays vaincu. L’extraordinaire est finance´ par des recettes qui le sont e´galement : pillage des pays vaincus sous l’Empire, «cre´dit public», c’esta`-dire emprunts et «privatisations» (vente de bois publics), sous la Restauration. Le budget moderne est aussi contemporain de l’e´tablissement de l’unite´ de caisse de l’E´tat dans le Tre´sor public, qui facilite le controˆle par les chambres, alors que l’Empire jonglait avec les «cassettes», le Tre´sor n’e´tant que l’une d’entre elles. La marche a` cette modernite´ a e´te´ longue, des «e´tats au vrai» de l’Ancien Re´gime a` la loi de finances promulgue´e par le Roi apre`s le vote des chambres, en passant par le Compte rendu au Roi (Louis XVI) duˆ a` Necker et aux pratiques dictatoriales de Napole´on Ier. Pour ce qui concerne le Compte rendu, ce grand succe`s de librairie e´tait en fait un ve´ritable «conte bleu», qui sous-estimait les de´penses, notamment les charges d’inte´reˆt de la dette publique, annonc¸ant du coup un exce´dent la` ou` il y avait un fort de´ficit2 ! 1 2
M. Bruguie`re, La premie`re Restauration et son budget, Gene`ve : Droz, 1969, p. 3. Voir e´galement P. Branda, Le prix de la gloire, Napole´on et l’argent, Paris : Fayard, 2007. C’est ainsi que Calonne, controˆleur ge´ne´ral de 1783 a` 1786, a montre´ que le compte effectif de 1781 s’est solde´ par un de´fit de 46 millions, la` ou` Necker annonc¸ait un exce´dent de recettes de 10 millions. Marcel Marion montre que l’on peut le suivre sur ce point : voir son Histoire financie`re de la France depuis 1715, t. I, Paris : Rousseau, 1914, pp. 465–470.
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Premie`re annexe
A la suite d’Adam Smith qu’ils connaissent bien1, les libe´raux franc¸ais n’ont cesse´ de s’interroger sur le budget et le cre´dit public. Ils ne sont pas d’accord sur tout, comme on le verra. Pour ce qui concerne Constant, on trouve quelques pages dans ses Principes de Politique de 1806. L’e´crit de Saint-Aubin s’inscrit dans cette optique. La conjoncture difficile des anne´es 1814–1818. La conjoncture politique et e´conomique des premie`res anne´es de la Restauration est particulie`rement difficile. Pour ce qui concerne l’e´conomie, elle s’inscrit toutefois dans une phase de croissance longue – «d’e´tat progressif» disait-on depuis Smith, expression reprise par Saint-Aubin qui explique que rapidement ensuite, la situation devrait s’ame´liorer, ainsi qu’il ressortira notamment de ce barome`tre de la confiance qu’est le cours de la rente. Les difficulte´s politiques. Il n’est gue`re besoin d’insister longuement sur les difficulte´s politiques : Rappelons seulement l’invasion de la France, la premie`re abdication de Napole´on (11 avril 1814), la Premie`re Restauration, les Cent-Jours. La de´faite de Waterloo (21 juin 1815), suivie de la seconde abdication de l’empereur, n’apportera pas, avec la Deuxie`me Restauration, le repos. La «terreur blanche» inquie`tera l’opinion, les e´lections du 25 aouˆt conduisent a` une Chambre ultra-royaliste («l’Introuvable» dans les termes du Roi lui-meˆme), qui s’oppose a` la volonte´ d’apaisement de Louis XVIII et du pre´sident du conseil Richelieu (pour qui la Re´volution est «un mal, mais irre´me´diable»). La Chambre introuvable «pre´sente l’e´trange paradoxe de de´fendre la primaute´ du pouvoir parlementaire et la liberte´ d’expression au nom de la Contre-Re´volution»2. La Chambre impose ses exceptions a` l’amnistie et, dans notre domaine, refuse la vente d’anciens bois du clerge´, devenus proprie´te´ de l’E´tat, destine´e a` gager les emprunts publics ne´cessaires. Louis XVIII finit par dissoudre cette Chambre en aouˆt 1816. «Ge´re´es» par le favori royal Decazes, les e´lections de septembre-octobre de la meˆme anne´e sont victorieuses pour le gouvernement. Il convient toutefois d’ajouter que, durant la pe´riode, des e´lections a` un suffrage censitaire tre`s restreint renouvellent annuellement la Chambre par cinquie`me, ce qui ne facilite pas l’apaisement.
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Les Re´volutionnaires semblent l’avoir tous lu : Saint-Just e´voque «Smits» a` la tribune de la Convention le 29 novembre 1972, il est vrai pour le critiquer (M. Lutfalla, Aux origines de la pense´e e´conomique, Paris : Economica, 1981, p. 117). Saint-Aubin cite lui aussi e´logieusement le grand Ecossais, e´voquant les principes «que Smith a si bien de´veloppe´s» (voir ci-dessous, p. 1056). Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, p. 170. Voir aussi G. de Bertier de Sauvigny, La Restauration.
Annales de la session de 1817 a` 1818 – Textes comple´mentaires
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Dans la France occupe´e jusqu’a` la fin de 1818, les de´bats sont intenses sur l’ampleur des sommes a` verser aux vainqueurs, et sur leur financement. La libe´ration du territoire acquise, les diffe´rends entre Richelieu et Decazes conduisent a` la de´mission du premier, qui ne reviendra aux affaires qu’en 1820. Economie : de´tresse passage`re et e´tat progressif. Si, comme on va le voir, l’agriculture est gravement touche´e durant la pe´riode, l’industrie manufacturie`re, apre`s le choc initial de la fin de l’Empire, qui s’analyse comme une crise typique de reconversion suivant une guerre, se de´veloppe de fac¸on relativement rapide. Les contemporains ne s’y trompent pas : Saint-Aubin insiste sur «l’e´tat progressif» de l’e´conomie franc¸aise1 ; Les difficulte´s agricoles sont doubles : L’agriculture franc¸aise est fortement e´prouve´e par les dernie`res campagnes napole´oniennes (manque d’hommes et manque de chevaux)2 ; la re´colte de 1815 est mauvaise. 1816 est la fameuse anne´e sans e´te´ de l’ensemble de l’he´misphe`re nord, sous l’influence de l’explosion en avril 1815 du mont Tambora, dans l’actuelle Indone´sie – «la plus forte e´ruption volcanique connue de l’histoire – dont les poussie`res vont se re´pandre dans l’atmosphe`re, bloquant une partie de l’irradiation solaire»3 ; 1817, quant a` elle, est une anne´e de forte se´cheresse, de´favorable elle aussi aux re´coltes. Suivant le me´canisme bien connu des crises d’ancien re´gime e´conomique, qui sont celles de´crites par la ce´le`bre loi des de´bouche´s de J. B. Say, la hausse des prix due a` la sous-production alimentaire entraıˆne la sous-consommation de produits manufacture´s, et donc la sous-production industrielle4. Heureusement, cet effet ne joue plus ensuite, permettant une re´cupe´ration, d’autant plus que le progre`s technique a atteint la terre : la de´tresse ne sera donc que passage`re. L’industrie manufacturie`re : la crise de reconversion et l’e´tat progressif. Saint-Aubin de´peint la crise de reconversion, lorsqu’il e´crit que «les de´bouche´s force´s que le syste`me de Bonaparte avait ouverts dans l’e´tranger a` plusieurs de nos manufactures venaient d’eˆtre ferme´s, et l’invasion des arme´es coalise´es avait inonde´ de manufactures tous nos de´partements frontie`res, et plusieurs de l’inte´rieur»5. 1 2 3 4 5
Voir ci-dessous, pp. 1062–1063. J. Marczewski, «Le produit physique de l’e´conomie franc¸aise de 1789 a` 1913», Cahiers de l’ISEA, se´rie AF, Histoire quantitative de l’e´conomie franc¸aise, juillet 1965. Voir p. XIII. E. Le Roy-Ladurie, Histoire humaine et compare´e du climat, t. II, Paris : Fayard, 2006, pp. 280–281. Voir J.-B. Say, Cours complet d’e´conomie politique pratique, Paris : Guillaumin, 1840, t. I, p. 390, chap. 11 sur les de´bouche´s. Voir ci-dessous, p. 1058.
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Premie`re annexe
La` aussi, la situation se re´ve´lera passage`re, car la tendance (le trend des e´conomistes modernes) est celle d’un «e´tat progressif». L’e´quipe de l’ISEA de´ja` cite´e estime a` 2,4 % le taux annuel moyen de progression de l’industrie (mines, extraction, e´nergie et constructions inclues) entre 1815 et 1824, ce qui est rapide pour la pe´riode ; il s’agit notamment de la chimie, mais aussi de la presse, des papiers et cartons et du verre et, dans l’alimentation, du sucre ; enfin, dans les textiles, du tissage de coton et de la soie1. Saint-Aubin est un bon te´moin des progre`s de l’e´conomie franc¸aise ; il e´voque «une culture infinement mieux raisonne´e et une industrie singulie`rement perfectionne´e» ; il poursuit : «la nation franc¸aise en masse est non seulement plus riche, mais elle a tout ce qu’il faut pour accroıˆtre sa richesse [...] elle travaille avec plus d’intelligence [...]. Il s’ensuit que sa de´tresse actuelle ne peut eˆtre que passage`re, puisque la grande masse de la population est dans un e´tat progressif»2. Les proble`mes budge´taires sont e´voque´s dans une lettre de Mme de Stae¨ l, qui e´voque les conditions tre`s dures impose´es par les Allie´s a` la France occupe´e : «Singulie`re ide´e que de donner un roi a` un pays et de lui oˆter tous les moyens de s’y faire aimer. C’est un receveur des impositions des allie´s qu’ils ont mis sur le troˆne de la France»3. Il reste que cette e´conomie, passage`rement en difficulte´s, affronte au meˆme moment une situation budge´taire exceptionnelle. L’e´poque est celle du milliard de francs de de´penses totales, chiffre qui a frappe´ les contemporains, qui pensaient bien ne plus le revoir : Nation vaincue, la France se voit pre´senter la facture des exactions des arme´es de la Re´volution et de l’Empire, qui ont largement ve´cu sur les pays occupe´s : c’est pour l’essentiel ce que l’on nomme les arrie´re´s de l’Empire, qu’il faudra aˆprement ne´gocier car les vainqueurs de Waterloo ont tendance a` «forcer la note» ; s’y ajoutent les dettes de Louis XVIII en exil ; Aux arrie´re´s s’ajoutent e´galement l’entretien des troupes d’occupation et l’indemnite´ a` verser pour obtenir leur de´part. Comme l’e´crit Calmon4, la France, non seulement, devait payer une indemnite´ de 700 millions sur cinq ans, mais aussi entretenir les 150.000 hommes de l’arme´e d’occupation (logement, chauffage, vivres, fourrages, habillement, e´quipements, soldes...) pour un couˆt total annuel de 130 millions. «De plus, elle s’engageait a` acquitter toutes les sommes qu’elle pourrait devoir dans les pays soumis aux souverains allie´s, a` des particuliers, des commerces, des e´tablissements publics, pour fournitures, prestations, avan1 2 3 4
J. Marczewski, «Le produit physique de l’e´conomie franc¸aise de 1789 a` 1913», ouvr. cite´, p. CIV. Voir ci-dessous, p. 1069. «De´tresse actuelle», «passage`re» : nous soulignons ces mots. Lettre de Mme de Stae¨ l du 20 de´cembre 1815 a` la duchesse de Devonshire, cite´e par Gh. de Diesbach, Madame de Stae¨l, Paris : Perrin, 1983, p. 525. A. Calmon, Histoire parlementaire des finances de la Restauration, Paris : M. Le´vy Fre`res, 1868, t. I, p. 139.
Annales de la session de 1817 a` 1818 – Textes comple´mentaires
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ces de fonds, de´gaˆts ou occupation d’immeubles constate´s par des engagements e´mane´s d’autorite´s franc¸aises, ainsi que pour soldes et traitements arrie´re´s de militaires ou employe´s devenus sujets des dits souverains, a` la condition toutefois que les re´clamations seraient produites dans le de´lai d’un an a` partir de l’e´change des ratifications, et reconnues valables par une commission compose´e de repre´sentants franc¸ais et allie´s. La France devra affronter dettes e´normes; a` savoir : Les exigences financie`res des vainqueurs furent a` la mesure des exactions des gouvernements et des troupes de la France tant sous la Re´volution que sous l’Empire. Les demandes furent conside´rables, «extravagantes» e´crivent Waresquiel et Yvert – puisqu’elles s’e´leve`rent initialement a` 1,6 milliard – un petit souverain germanique revendiquant une dette du temps de Henri IV ! L’arrie´re´ ante´rieur au 5 avril 1814 fut d’abord fixe´ a` 593 millions. Le chiffre de´finitif a e´te´ arreˆte´ en 1824 a` 650 millions ; il ne sera comple`tement liquide´ qu’en 1830. S’y ajoutait un compte spe´cial de cre´ances de sujets britanniques atteints par les se´questres de la Re´volution et la banqueroute de 1797. A cela s’ajoutent les dettes de Louis XVIII en exil. Le Roi ayant voulu que «toutes les dettes le´gitimes de l’ancien gouvernement fussent acquitte´es comme dettes de l’E´tat, la nation doit vouloir que les dettes que le Roi a contracte´es pendant son absence soient mises au rang des dettes de la Nation1». La somme, modique au regard de l’arrie´re´, ne s’en e´le`ve pas moins a` 30 millions. Les traite´s de 1815 impose`rent a` la France, outre la liquidation de l’arrie´re´, une indemnite´ de guerre de 700 millions payable en cinq ans ainsi qu’une occupation militaire par une arme´e de 150.000 hommes paye´s et entretenus aux frais du pays, pour une dure´e maximale de cinq ans, pouvant eˆtre re´duite a` trois si les progre`s de l’ordre et de la tranquillite´ cessaient de la rendre ne´cessaire. «Le budget normal de la France a` cette date allait se trouver alourdi de pre`s de moitie´ au lendemain de deux guerres de´sastreuses et de deux invasions»2. Les budgets a` partir des Cent-Jours. Les besoins ne se limitaient pas a` l’arrie´re´ ou plutoˆt celui-ci s’est gonfle´ des de´ficits dus aux difficulte´s politiques et e´conomiques rappele´es plus haut, et ce malgre´ la compression des de´penses ordinaires (notamment militaires : on cre´e alors la cate´gorie des demi-soldes, qui constituent autant de Franc¸ais de´saffecte´s envers les Bourbons).
1 2
M. Bruguie`re, p. 53. M. Marion, Histoire financie`re de la France depuis 1715, t. II, p. 394.
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Premie`re annexe
L’anne´e 1816 est la premie`re ou` la nouvelle Chambre issue de la dissolution de l’«Introuvable», peut examiner avec moins de parti pris les options budge´taires. Aussi comprend-on mieux l’importance des discussions du budget de 1817 et des suivants, qui inpire`rent notamment Constant et SaintAubin. On trouvera ci-apre`s une tentative de re´sume´ des budgets de la Restauration, apre`s les Cent Jours, de 1815 a` 1818 – ce dernier exercice e´tant officiellement le premier du «milliard» de de´penses dans un projet vote´ (en fait, on enregistrera ce milliard de`s 1816, mais on ne le saura que tre`s ulte´rieurement). Le «projet» est celui du ministe`re, le vote celui des Chambres. Comme on vient de le rappeler, la re´alisation peut n’eˆtre connue que plusieurs anne´es plus tard : c’est ainsi que la loi des comptes de mai 1818 fixe les comptes de´finitifs de 1815 a` 1817. Sur le tableau, figurent : les de´penses totales, les de´penses extraordinaires – alors principalement les charges d’indemnite´ et d’occupation – les recettes totales, et enfin les emprunts1. Les premie`res ont e´te´ constamment sous e´value´es, contraignant a` une augmentation des recettes, par surcroıˆt d’impoˆts (les «centimes additionnels») et surtout par emprunts en rentes. Les premiers budgets de la Restauration, projets, votes et re´alisations Exercice
de´penses dont de´p. «extraordinaires»
recettes
dont emprunts
1815 1er projet 2e projet (de´c. 1814) re´alisation 1816 projet vote´ re´alisation 1817 projet vote´ re´alisation 1818 projet vote´ re´alisation
548 814
n.d. n.d.
618 945
– –
798,6 826 839 1036,8 1088 1061 1415,7 993 1098 1155
n.d. 275 291 n.d. 459 n.d. n.d. 312 301 n.d.
n.d. 826 839 709 1088 758 926 993 1098 n.d.
– – – – 314 – 301 – 222 –
1
Le tableau re´sume les donne´es qu’on trouve dans les ouvrages de´ja` cite´s de Bruguie`re, Calmon et Marion. (Millions de Francs ; n.d.= non disponible).
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Nous n’avons pas fait figurer les de´ficits tels qu’ils sont alors calcule´s, car la notion n’a pas grand sens, les emprunts e´tant range´s dans les recettes extraordinaires1 – et elles le seront officiellement en France jusqu’au milieu du XXe sie`cle ! Ce qui compte, c’est l’augmentation de la dette publique durant la pe´riode. Cette augmentation se fait essentiellement par l’e´mission de dette perpe´tuelle. Le de´bat sur le cre´dit public. Un long martyrologue des rentiers jusqu’en 1797. Le proble`me de l’endettement du souverain n’a cesse´ de hanter l’histoire franc¸aise. La cause principale de cet endettement a e´te´, jusqu’au milieu du XXe sie`cle, la guerre, les recettes ordinaires ne permettant pas de financer un conflit arme´ de fac¸on durable, qu’il s’agisse pour les premie`res du domaine, puis de l’impoˆt (la taille est pourtant pre´vue pour entretenir l’arme´e royale permanente). Sous l’Ancien Re´gime, au de´but d’un conflit, le roi va devoir faire fle`che de tout bois, empruntant a` un taux e´leve´ qui comprend ce que nous appelons aujourd’hui une forte prime de risque. La plupart du temps, il se trouve dans l’incapacite´ de rembourser ; aussi fait-il banqueroute, c’est-a`-dire qu’il re´duit, par divers moyens plus ou moins coe¨ rcitifs, et le montant de sa dette, et son taux d’inte´reˆt. De Henri II a` la premie`re Re´volution, se produit un «long martyrologue des rentiers», des cre´anciers de l’E´tat. La dernie`re banqueroute officielle, celle dite des Deux Tiers en 1797 – sous le Directoire – ruine, en meˆme temps que l’a fait l’inflation re´volutionnaire (assignats, puis mandats territoriaux), de nombreux Franc¸ais de toutes conditions2. Encore aurait-elle pu eˆtre totale. Saint-Aubin, alors secre´taire du banquier Lecouteulx de Canteleu, semble avoir joue´ un roˆle important, en menant une campagne de presse, dans la limitation de la banqueroute3. Le souvenir de cette banqueroute est tel que le long du XIXe sie`cle, jusqu’en 1914, sera l’aˆge d’or du rentier, de´sormais prote´ge´ (de meˆme que tant les re´volutionnaires de 1848 que les Communards de 1871 n’auront pas recours a` la planche de billets). Napole´on Bonaparte refle`te bien l’esprit du temps lorsqu’il critique le recours au cre´dit (d’autant que le 1 2
3
On trouvera les «de´ficits» ainsi de´finis dans l’article sur la loi 1816 cite´ plus loin. Pour l’essentiel des porteurs, la dette de l’E´tat est divise´e en deux parties : un tiers est «consolide´», c’est-a`-dire maintenu et inscrit dans le Grand livre alors cre´e´, les deux tiers restants e´tant «rembourse´s» en bons au porteur, admis seulement en paiement de la portion des biens nationaux payables en effets. Dans la conjoncture politique trouble´e d’alors, ces bons perdent tre`s vite presque toute valeur ; le 17 brumaire, a` la veille du coup d’E´tat de Bonaparte, et malgre´ le tre`s bon marche´ des biens nationaux, ces bons valaient moins de 1% de leur valeur faciale : 20.000 francs de bons des Deux Tiers ne repre´sentaient plus qu’une valeur de 190 francs ! Guy Antonetti, article «Ramel», dans Les ministres des finances de la Re´volution franc¸aise au Second Empire, Dictionnaire biographique, t. I, Paris : Comite´ pour l’histoire e´conomique et financie`re de la France, 2007.
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Premie`re annexe
cours de la rente est un barome`tre «re´publicain» de la confiance) ; mais il ne pourra s’en abstenir que tant que ses arme´es seront victorieuses, vivant du pillage des pays vaincus. On a vu la vengeance de ces derniers apre`s Waterloo. Le contrat entre les Bourbons restaure´s et les nouveaux posse´dants. Les anne´es 1814 et 1815 ont e´te´ propices en retournements politiques – les Cent Jours e´tant exemplaires en la matie`re ! La nouvelle classe posse´dante issue des spoliations re´volutionnaires ne s’est, en effet, rallie´e aux Bourbons restaure´s que contre leur engagement de ne pas remettre en cause celles-ci – au grand dam des e´migre´s revenus avec le roi, qui ne seront indemnise´s qu’en 1825. La Charte constitutionnelle «octroye´e» par Louis XVIII contient un article ainsi re´dige´ : «La dette publique est garantie. Toute espe`ce d’engagement pris par l’E´tat avec ses cre´anciers est inviolable». Certes, tout au long du XVIIIe sie`cle, pour rassurer ses preˆteurs, le roi n’avait cesse´ de proclamer une telle inviolabilite´ pour la remettre en cause a` la guerre suivante. Mais, en 1815 encore une fois, la Re´volution est passe´e par la`. Les ultras avaient bien tente´ de persuader au roi qu’il n’e´tait pas tenu des dettes de «l’usurpateur». Mais, soit parce qu’ils avaient pu observer dans leur exil la pratique britannique1, soit parce qu’ils avaient e´te´ les «e´le`ves» du banquier vaudois Panchaud2, the´oricien de la dette publique, tels Talleyrand ou Louis, les partisans de l’inviolabilite´ l’emporte`rent, fondant la dette publique moderne en France. Privatiser, imposer ou emprunter pour financer les de´penses extraordinaires. a) Privatiser ? Outre le maintien des impoˆts supple´mentaires, essentiellement des additions aux droits indirects, le baron Louis pre´voyait la vente de foreˆts de l’E´tat et communales – ce que nous appelerions des privatisations. Les ultras re´ussissent a` bloquer cette vente, qui leur rappelait celle des biens dits nationaux durant la Re´volution. Pour l’essentiel proprie´taires fonciers, ils continuent de s’opposer aux de´tenteurs de valeurs mobilie`res, et notamment aux rentiers, et a` ce qu’on de´nommait les «cre´ditistes», c’est-a`dire les adeptes du de´veloppement d’un ve´ritable cre´dit public. Si l’e´lection de la Chambre introuvable emporta provisoirement la teˆte de ces adeptes, le 1
2
` L’issue de la La dernie`re banqueroute anglaise fut le stop de 1672 du dernier Stuart. A «glorieuse re´volution» de 1688, il fut remplace´ par son gendre Guillaume d’Orange, jusque la` dirigeant du pays le plus moderne en matie`re de dette publique, les Provinces Unies. En Angleterre, apre`s 1688, l’E´tat tient de´sormais sa parole ; notamment la paiement des inte´reˆts, des arre´rages, est re´gulier. Michel Lutfalla, «Economistes britanniques et franc¸ais face a` la question de l’amortissement d’Isaac Panchaud aux lendemains de la loi de 1816», 1816 ou la gene`se de la foi publique, Gene`ve : Droz, 2006, pp. 23–42.
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baron Louis, son successeur, le Geˆnois Corvetto maintint l’essentiel des propositions d’augmentation des impoˆts, meˆme s’il dut abandonner la vente des ex biens nationaux. b) Imposer ? L’ampleur des sommes ne´cessaires au financement des de´penses extraordinaires de´passait, et de loin, les possibilite´s fiscales. Il fallait emprunter et cette ne´cessite´ finit par l’emporter sur les re´ticences des ultras envers la proprie´te´ mobilie`re. Mais des impoˆts demeuraient indispensables, pour assurer le paiement des inte´reˆts de la dette additionnelle et convaincre par la` que ce paiement aurait bien lieu. Le de´bat a alors porte´ sur la nature des impoˆts a` lever. Le syste`me fiscal re´volutionnaire, dont avait he´rite´ la Restauration, e´tait largement fonde´ sur la proprie´te´ foncie`re – en e´cho aux the´ories physiocratiques qui s’imposaient encore dans un grand E´tat agricole. Napole´on avait re´tabli les impoˆts sur la consommation (accises, octrois...). L’impopularite´ de ces «droits re´unis» avait conduit le fre`re de Louis XVIII, le futur Charles X, a` promettre leur suppression. Mais la durete´ des temps ne le permettait pas. On trouve l’e´cho de ce de´bat chez Saint-Aubin. Notre auteur est re´solument partisan des impoˆts sur la consommation. En effet, frapper la proprie´te´ foncie`re est de´favorable a` l’essor de l’agriculture, indispensable a` la reprise et au de´veloppement de l’e´conomie. De plus, ajoute-t-il, les impoˆts directs sont plus aise´s a` pre´lever : «Je de´montrerai que, a` ce budget base´ sur un syste`me d’emprunts et de cre´dit public, et dans lequel, par conse´quent, une portion conside´rable du produit des impoˆts est consacre´e au paiement des cre´naciers de l’E´tat, soit rentiers, soit pensionnaires, il importe pour la facilite´ de la perception, aussi bien que pour la juste re´partition des impoˆts, que la majeure partie de ceux-ci soient assis sur des objets de consommation ge´ne´rale. De cette manie`re, l’impoˆt atteint le rentier aussi bien que le proprie´taire foncier»1. c) Emprunter ? Pour Benjamin Constant, si «l’existence d’une dette publique [est] comme moralement et politiquement faˆcheuse [elle est ne´anmoins] un mal ine´vitable2.» Il fallait donc emprunter. Les e´conomistes franc¸ais de l’e´poque3 sont toutefois divise´s sur le chapitre de la dette publique. Say et Constant ne lui sont gue`re favorables, Constant ne l’est pas pour des raisons 1 2 3
Voir ci-dessous, pp. 1059–1060. BC, Principes de politique, livre X, chap. 8, «De la proprie´te´ dans les fonds publiques», p. 219. On sait combien Napole´on me´prisait les Ide´ologues, c’est-a`-dire les intellectuels franc¸ais ` strictement parler, seul he´ritiers des Lumie`res des pe´riodes re´volutionnaire et impe´riale. A Say, ancien secre´taire de la De´cade Philosophique, appartient a` ce groupe. Mais, lato sensu, on peut conside´rer que BC et Saint-Aubin en font e´galement partie. Voir M. Lutfalla, «19th Century Enlightment : French Economic Liberals, 1789–1851», Economia delle Scelte Pubbliche, t. IV, 1986, pp. 165–176.
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Premie`re annexe
notamment morales : «La proprie´te´ dans les fonds publics est d’une nature essentiellement e´goı¨ste et solitaire et qui devient facilement hostile parce qu’elle n’existe qu’aux de´pens des autres [...]. La cre´ation d’une dette publique fait que l’inte´reˆt d’une partie de chaque nation est l’accroissement des impoˆts»1. Say insiste quant a` lui sur les risques de gaspillage et plus encore des conflits arme´s qu’entraıˆne la facilite´ pour un E´tat d’emprunter pour financer l’extraordinaire2. Saint-Aubin est moins critique. Comme on le verra dans son texte, il pense notamment que «les emprunts sont moins nuisibles que les impoˆts» [...] «meˆme en temps de paix, une nation active et industrieuse qui sait faire valoir ses capitaux et n’en a jamais de trop, ferait sagement de couvrir, par des emprunts, une partie des de´penses ordinaires, afin de payer par le moyen de l’amortissement, dans un grand nombre d’anne´es, les meˆmes sommes que sans cet expe´dient, elle serait oblige´e de payer dans l’anne´e. Par la`, les contribuables gardent devers eux, moyennant le paiement d’un inte´reˆt annuel modique, une foule de petits capitaux qu’ils font valoir avec un profit bien plus fort dans les diverses branches de leur industrie, et que l’impoˆt leur enle`verait»3. Mais le de´veloppement de l’emprunt suppose que l’E´tat tienne sa parole, ne fasse pas banqueroute, ce qui fera disparaıˆtre la «prime de risque» qu’il doit payer et rame`nera le taux de la rente au dessous de celui de l’e´conomie – ce qui n’a pas e´te´ le cas sous la Re´volution, l’Empire et le de´but de la Restauration. Contemporain de la banqueroute des Deux Tiers et bon connaisseur du Royaume-Uni, Saint-Aubin insiste sur ce point. Son programme est d’abord et avant tout «une fide´lite´ inviolable aux engagements contracte´s envers les cre´anciers de l’Etat»4. Sur un dernier point, Saint-Aubin est «moderne» : son opinion concernant l’amortissement, c’est-a`-dire le remboursement de la dette. Dans l’ivresse de la de´couverte au XVIIIe sie`cle du jeu des inte´reˆts compose´s, certains des premiers the´oriciens du cre´dit public avaient imagine´ un syste`me qui devait permettre de rembourser la dette sans douleur5. Il suffisait de mettre de 1 2
3 4 5
BC, Principes de politique, livre X, chap. 8, «De la proprie´te´ dans les fonds publiques», p. 218. La meˆme ide´e se trouve chez BC, qui, citant Smith, parle du fait que les emprunts facilitent l’entreprise de la guerre parce qu’ils sont «faciles a` obtenir, a` cause des se´ductions qui les accompagnent». Voir Principes de politique, livre X, chap. 8, «De la proprie´te´ dans les fonds publiques», additions, p. 559. Voir ci-dessous, p. 1071. Voir ci-dessous, p. 1085. Il s’agit du pasteur dissident Price au Royaume-Uni et de son «disciple» le vaudois Panchaud, dont on a dit qu’il fut maıˆtre a` penser en finances de Talleyrand, selon ce dernier, ainsi que de l’abbe´ puis baron Louis et de bien d’autres.
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coˆte´ au sein d’une Caisse d’amortissement (Sinking Fund en anglais) une partie du produit de l’emprunt. Le paiement des arre´rages de cette partie e´tant lui-meˆme accumule´ au sein de la Caisse, celle-ci finirait par amortir comple`tement la dette existante. Au-dela` de l’absurdite´ du raisonnement ainsi pousse´ a` la limite, deux faits persistaient : l’un est qu’il aurait alors fallu cesser d’emprunter, ce qui fut loin d’eˆtre le cas. L’autre, fondamental, est qu’il demeurait qu’il fallait bien financer le paiement desdits arre´rages par le maintien des impoˆts supple´mentaires. De nombreux contemporains avaient bien compris, tant outre Manche qu’en France, cette ve´rite´. La Restauration avait ne´anmoins re´tabli l’amortissement, pensant ainsi rassurer ses cre´anciers. En fait, l’essentiel fut, on le re´pe`tera, le paiement re´gulier des arre´rages de la dette. Pour Saint-Aubin, une Caisse d’amortissement n’a pour seule utilite´ que de pouvoir intervenir pour «lisser» les cours de la rente – ce qui e´tait de´ja` son roˆle sous Napole´on. Un «miracle» du cre´dit public. Et le «miracle» s’est produit. En quelques anne´es, vingt ans apre`s la banqueroute Directoriale, le cre´dit public de la France a e´te´ re´tabli. L’E´tat a pu emprunter massivement, permettant a` Richelieu d’obtenir de`s trois ans la libe´ration du territoire. Il fallut d’abord s’adresser a` des banquiers e´trangers – l’anglais Baring et le hollandais Hope – puis l’e´pargne franc¸aise retrouva le chemin de la rente. Du retour des Bourbons a` juillet 1830, il aura en tout e´te´ e´mis pour 139 millions de rentes, qui sont venus s’ajouter aux 69 subsistants en avril 1814. En capital, la dette publique consolide´e s’e´le`ve a` 3,46 milliards en 1820, a` comparer a` un peu plus d’un milliard a` la fin de l’Empire ; avec le milliard des e´migre´s, elle sera de 4,63 milliards en 1829. Paralle`lement, la France a pu emprunter a` des taux d’inte´reˆt toujours plus bas – encore que, jusqu’a` la fin de la Restauration, le rendement de la rente est reste´ supe´rieur a` celui de l’e´conomie prive´e, ce qui peut contribuer a` expliquer la relative lenteur de la croissance de l’activite´ globale en France durant la pe´riode, en comparaison de ce que l’on observait au meˆme moment au Royaume-Uni, l’achat de rente publique primant en France l’investissement agricole ou manufacturier. On estimait depuis les physiocrates a` 2,5 – 3% le rendement de l’agriculture, secteur encore dominant. Or, en France, la rente 5% n’a trouve´ le pair qu’en 1824, c’est-a`-dire un rendement de 5%. Au meˆme moment, la rente britannique e´tait passe´e au dessous de 4%, dans un pays ou` la croissance de l’e´conomie, notamment manufacturie`re, e´tait rapide. On trouvera reproduit ci-dessous un tableau des taux extreˆmes de la rente, duˆ aux travaux de Loutchich dans les anne´es 19201. 1
Re´sultats eux-meˆmes reproduits dans la «bible» de Sidney Homer, A History of Interest Rates, New Brunswick : Rutgers University Press, 1963.
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Premie`re annexe
Rendement le plus haut et le plus bas de la rente franc¸aise 5% (en %)
1797 1814 1815 1816 1817 1818 1819 1924
Plus bas 13,80 6,25 6,10 7,75 7,25 6,25 6,80 4,80
Plus haut 82,00 11,11 9,60 9,30 9,0 8,15 7,70 5,60
Le retour en pair en 1824 a conduit Ville`le a` proposer une conversion – c’est-a`-dire une diminution du taux facial de la rente, d’abord de 5% a` 4,5%. L’e´conomie ainsi re´alise´e devait servir a` financer l’indemnisation de ceux des e´migre´s qui n’avaient pas obtenu la restitution de leurs biens. Ce sera, en 1825, apre`s un premier e´chec a` la Chambre des Pairs, le «milliard des e´migre´s», en fait 30 millions de rentes. Ainsi sera ve´ritablement close la Re´volution – en tout cas sur le plan financier. On sait qu’il faudra attendre la IIIe Re´publique pour qu’elle le soit politiquement1. Saint-Aubin et Ganilh. La conjoncture politico-e´conomique tre`s difficile dans laquelle se sont de´roule´s les de´bats budgetaires du de´but de la Restauration a e´te´ de´crite plus haut. Il convient ici d’e´voquer des aspects plus techniques ainsi que la personnalite´ et quelques-une des the`ses de Charles Ganilh, e´voque´es dans les Annales. Quelques conside´rations de texhnique budge´taire. On a dit que la Restauration marque le de´but de la modernite´ budge´taire en France et notamment le controˆle par les Chambres, puis la Cour des comptes, des lois de finances et de leur exe´cution. Une se´rie de textes le´gislatifs et gouvernementaux vont petit a` petit ordonner des processus jusque la` assez de´ordonne´s. On rappellera que l’Empire avait maintenu plusieurs caisses publiques diffe´rentes, le Tre´sor n’e´tant que l’une d’elles, Napole´on «jonglant avec celles-ci. L’unite´ autour du Tre´sor sera peu a` peu re´tablie. Surtout, tout au long du XIXe sie`cle, la comptabilisation des de´penses et des recettes obe´isait au syste`me dit de l’exercice, lequel retient leur naissance juridique, et non pas leur encaissement ou leur paiement effectif. Il suit que, jusqu’a` ce que ces derniers aient lieu, parfois un long temps ou «pe´riode comple´mentaire» 1
Telle est en tous cas l’interpre´tation de F. Furet dans son Penser la Re´volution franc¸aise (Paris : Gallimard) de 1978.
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pouvait s’e´couler. Avant les textes ulte´rieurs de la Restauration qui limiteront cette pe´riode, les «arrie´re´s», par exemple des de´penses effectue´es mais non liquide´es, pouvaient atteindre des anne´es (dix ans pour celui de l’Empire, mais il s’agissait, on l’a vu, de dettes internationales ne´es des exactions des arme´es impe´riales). Aussi, comme l’e´crira P. Leroy-Beaulieu en 1888, «le budget est en perpe´tuel devenir1». Il en de´coule une grande fragilite´ des chiffres contemporains en matie`re de finances publiques, qui ne deviennent de´finitifs qu’apre`s de longues, parfois tre`s longues anne´es. Et il faudra attendre le XXe sie`cle pour que l’exercice soit, en deux e´tapes, remplace´ par le syste`me dit de la gestion, qui ne retient «que les de´penses et les recettes effectivement paye´es ou encaisse´es entre le 1er janvier et le 31 de´cembre de l’anne´e2». L’Auvergnat Charles Ganilh (178–1836), avocat a` Paris, avait e´te´ favorable au coup d’E´tat de Brumaire. Nomme´ par Bonaparte au Tribunat, ou il voisinera avec Constant et Saint-Aubin, il en fut comme eux e´limine´ en 1802, car pas assez docile. Il sera e´lu a` la Chambre par le Cantal aux e´lections de 1815, 1816 et 1819, ou` «ses principaux travaux le´gislatifs se rapportent [...] aux finances3». La plupart de ses discours ont paru en brochures. Quoique politiquement proche des re´dacteurs des Annales, il est, sur le plan des principes e´conomiques, moins suˆrement libe´ral. Il fait ainsi l’e´loge de Colbert, celui du syste`me colonial et propose l’instauration d’un impoˆt sur le revenu (il faut attendre la premie`re guerre mondiale pour que cet impoˆt soit introduit en France). Surtout sa maıˆtrise des chiffres paraıˆt tre`s incertaine. Ainsi, dans ses Conside´rations ge´ne´rales sur la situation financie`re de la France en 1816 (parue a` Paris en 1815), il sous-estime gravement le revenu national franc¸ais. Dans les Annales, Saint-Aubin «de´truit» ve´ritablement un autre de ses e´crits, De la le´gislation, de l’administration et de la comptabilite´ des finances de la France en faisant ressortir que Ganilh s’est trompe´ dans ses calculs et a commis de nombreux doubles emplois. On doit toutefois rappeler a` la de´charge de l’Auvergnat que le recours a` la comptabilite´ par exercice, en regard des chiffres effectifs du Tre´sor, ne l’a pas aide´ ! En tout cas, Constant, au nom sans doute de son passe´ communavecGanilh,n’acceptepaslevitrioldesproposdeSaint-Aubinet souhaite que ce dernier calme son ardeur. On ajoutera que les propos de
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P. Leroy-Beaulieu, Traite´ de la science des finances, Paris : Guillaumin, 1888, p. 124. P. Lalumie`re, Les finances publiques, Paris : A. Colin, 1970. p. 303. Voir l’article «Ganilh» du Dictionnaire de l’e´conomie politique de Coquelin, Paris : Guillaumin, 1864.
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Premie`re annexe
Ganilh ont peu impressionne´ les spe´cialistes. Calmon, dans son Histoire des finances de la Restauration, ou` il relate de fac¸on de´taille´e les de´bats budge´taires a` la Chambre, ne le mentionne meˆme pas. M. L.
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De la le´gislation de la presse conside´re´e dans ses rapports juridiques.
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Depuis long-tems la France n’a manque´ ni de le´gislateurs ni de lois. Les lois sont mortes avant les le´gislateurs ; et celles qui e´chappaient a` tous les partis, n’ont pu survivre a` une re´daction e´quivoque et trompeuse1. Que reste-il en 1817 ? les meˆmes principes qui voulurent triompher en 1789 : on les retrouve dans toutes les utopies, dans toutes les constitutions qui sont aussi des utopies2 ; mais entre la the´orie et l’application, il est une barrie`re difficile a` franchir, car si les principes suffisent a` l’opinion, il faut des garanties aux inte´reˆts fonde´s3. Toute liberte´, pour eˆtre re´elle, doit eˆtre garantie : sans cette pre´caution salutaire, elle de´ge´ne`re en licence dans les mains du peuple, en arbitraire dans les mains du gouvernement. Toutes les nations ont des garanties politiques : la France les a place´es dans les formes constitutionnelles et dans l’opinion ; a` Alger elles se trouvent dans les re´voltes et dans les re´volutions4. 1
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On peut prendre cette entame dans son sens le plus simple : depuis 1789, les le´gislateurs successifs ont e´te´ fort productifs, notamment pour ce qui est du re´gime impose´ a` la presse ; peu de textes ont dure´. On peut aussi la prendre en la replac¸ant par rapport a` la pense´e de BC : les auteurs du XVIIIe comme du XIXe sie`cle a` ses de´buts ont tendance a` mettre la loi sur un pie´destal, soit qu’ils la pre´sentent comme l’expression d’une sorte de droit naturel, soit qu’ils y voient le re´sultat de la volonte´ ge´ne´rale. BC a tendance a` se de´marquer de cette opinion assez ge´ne´rale : il relativise la loi qui ne vaut pas en elle-meˆme mais pour autant qu’elle prote`ge la liberte´ individuelle (Andre´ Cabanis et Olivier Devaux, «La liberte´ contre la loi chez Benjamin Constant», dans Pense´e politique et loi, Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille III, 2000, pp. 249 a` 263). Une formule aussi cynique a` l’e´gard des constitutions ne correspond gue`re aux ide´es de BC : le terme d’utopie, emprunte´ au titre du livre de Thomas Morus (De optimo statu rei publicae deque nova insula Utopia, 1516) et interpre´te´ habituellement comme marquant un lieu qui n’existe pas (ou-topos en grec) de´signe en ge´ne´ral un projet d’organisation politique tre`s contraignant, ide´al et irre´aliste, ce qui ne correspond pas du tout a` ce que souhaite BC ; a` l’inverse il compte sur les constitutions pour prote´ger la liberte´ individuelle. La suite e´claire et nuance le caracte`re abrupt du propos. Ceci correspond aussi a` la pense´e de BC : il faut prote´ger les inte´reˆts le´gitimes, parmi lesquels la liberte´ mais aussi la proprie´te´, contre tous les exce`s, qu’ils viennent du peuple ou des e´lites gouvernantes. Vision e´videmment caricaturale du re´gime du dey d’Alger qui rele`ve the´oriquement de l’Empire ottoman mais qui be´ne´ficie en re´alite´ d’une forte autonomie. Au-dela`, la formule renvoie a` l’image sommaire que l’on se fait a` l’e´poque des re´gimes orientaux dont les dirigeants sont cense´s n’accepter aucune autre limite a` leurs pouvoirs que celles qui re´sultent de la crainte des conse´quences des mauvaises re´coltes ou des re´volutions de palais. BC utilise a` plusieurs reprises comme repoussoir cette image des re´gimes orientaux, cense´s arbitraires et capricieux.
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Premie`re annexe
Si les garanties politiques sont diffe´rentes dans les divers Etats, il est des garanties civiles qui sont toujours et partout identiques. Les premie`res assurent le degre´ de liberte´ dont un peuple doit jouir, elles forment sa constitution ; les secondes prote`gent la jouissance de cette liberte´, quelque che´tive qu’elle puisse eˆtre, elles composent sa le´gislation. Les lois qui punissent l’abus, garantissent l’usage : mais pour re´primer l’abus, le le´gislateur doit le connaıˆtre ; et pour que les citoyens ne prennent point l’abus pour l’usage, le le´gislateur doit le de´finir. Cette co-re´lation naturelle et ne´cessaire entre la faute et la peine, prouve que dans la le´gislation tout doit eˆtre direct, rien ne peut eˆtre vague ; tout doit eˆtre de´termine´, rien ne peut eˆtre arbitraire. Cette ve´rite´ est bien vieille : est-ce pour cela qu’on la de´daigne ? Les uns veulent la restreindre a` la le´gislation civile, ou` l’on suppose que tout doit eˆtre pre´vu, et ou` l’on ne peut tout pre´voir. Les autres pensent que les sce´le´rats ont tant de ruses pour e´chapper a` la justice, qu’il faut laisser aux tribunaux la possibilite´ de les atteindre sur le terrein trompeur des pre´somptions. Que ne pourrais-je pas dire sur les probabilite´s juridiques ? Les pre´somptions le´gales sont quelquefois ne´cessaires ; les pre´somptions de l’homme ne sont qu’arbitraire et de´ception ; lorsque la loi pre´sume, elle juge sur une re`gle, injuste peut-eˆtre, mais du moins certaine : lorsque le magistrat pre´sume, il ne juge pas, il assassine1. Descendons sur le terrein de l’application ; prenons pour exemple les lois sur la liberte´ de la presse, et n’oublions pas que je ne puis les en visager que dans ce qui les assimile aux lois ordinaires, je veux dire dans leur re´daction. On ne peut demander si la presse doit eˆtre libre : elle est un mode d’e´criture ; l’e´criture, c’est la parole ; la parole, c’est la pense´e ; la pense´e, c’est
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Dans ces deux paragraphes, l’auteur prend position sur une controverse qui a marque´ le XVIIIe et le de´but du XIXe sie`cle : celle de la marge d’appre´ciation laisse´e au juge. Les Parlements, ces «cours souveraines» de l’Ancien re´gime, se sont attribue´s, au nom de l’e´quite´, un large pouvoir d’appre´ciation et d’interpre´tation par rapport notamment a` la le´gislation royale ce qui suscite a` l’e´poque de vives protestations au nom de la lutte contre l’arbitraire et qui s’exprime dans l’adage «Dieu nous prote`ge de l’e´quite´ des Parlements». Dans sa de´nonciation du juge qui prend des liberte´s par rapport a` la loi, l’auteur rejoint une revendication classique des libe´raux du sie`cle des Lumie`res et d’abord de Montesquieu, ancien magistrat mais the´oricien d’un pouvoir judiciaire strictement encadre´, d’un juge «bouche qui prononce la parole de la loi» (De l’Esprit des lois, livre XI, chap. 6) ce qui ne veut pas dire que le juge puisse parler a` la place de la loi mais au contraire qu’il ne doit rien dire d’autre que ce que lui dicte la loi.
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l’homme meˆme. Cependant le ge´nie du mal pourrait seul re´clamer pour la presse une liberte´ illimite´e. Il est des ouvrages que la morale condamne, que le soin de la paix publique re´prouve, que la suˆrete´ de l’honneur individuel repousse. Si la presse, comme tous les actes exte´rieurs de l’homme, a sa liberte´, elle peut avoir sa licence. Le ge´nie du le´gislateur consiste ou a` pre´ciser cette liberte´, ou a` de´finir cette licence ; car ou` l’une finit, l’autre commence. Ou` doit-on placer la limite qui se´pare l’usage de l’abus ? cette question touche a` nos liberte´s politiques ; elle sort du cercle dans lequel je me suis circonscrit. Mais, lors meˆme que l’on prendrait la liberte´ pour la licence, il faut qu’on nous dise ce qui est de´fendu, afin que nous sachions ce qui est permis. Tout de´lit doit eˆtre de´fini : on ne peut se soustraire a` ce principe ni en Angleterre ni en Turquie1. Punir le crime, c’est affermir la liberte´ : peut-on le punir cependant sans savoir en quoi il consiste ? Le premier objet d’une loi pe´nale n’est-il donc pas de caracte´riser l’acte qu’elle de´clare punissable ? Le projet de loi veut assurer la repression des abus de la presse, et il commence par les responsabilite´s particulie`res auxquelles peut donner lieu la publication d’un e´crit2. Mais la responsabilite´ en matie`re criminelle naıˆt du crime ou de la complicite´. Ne faudrait-il pas d’abord s’occuper du crime, le de´terminer, le de´finir ? Si l’on ne connaıˆt pas le de´lit, comment pourrat-on connaıˆtre le coupable, les complices, et la responsabilite´ ? Il est aise´ de voir qu’on n’offre jusqu’ici qu’un e´difice sans fondement. Apre`s avoir re´gle´ les responsabilite´s, on s’occupe de la proce´dure spe´ciale pour la repression des de´lits de la presse3. Sans doute les formes de 1
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En plac¸ant coˆte a` coˆte l’Angleterre et la Turquie, l’auteur rapproche les deux pays qui passent a` l’e´poque le premier comme le plus protecteur des liberte´s, le second comme le plus marque´ par des modes de gouvernement arbitraires (toujours ce pre´juge´ a` l’encontre des re´gimes orientaux, voir ci-dessus, p. 1041, n. 4) : c’est dire que la ne´cessite´ de de´finir strictement tout de´lit ne saurait subir aucune exception, nulle part. Allusion aux huit premiers articles du projet de loi figurant dans le Moniteur no 322, 18 novembre 1817, p. 1276a. L’objectif est e´videmment d’avoir toujours quelqu’un a` poursuivre : art. 1 : «L’auteur connu et domicilie´ en France d’un e´crit imprime´ est seul responsable de son contenu» ; art. 2 : «L’auteur connu et domicilie´ en France de la traduction imprime´e d’un ouvrage, en est responsable» ; art. 3 : «L’e´diteur d’un ouvrage dont l’auteur est de´ce´de´ avant de l’avoir publie´, ou n’est pas connu, ou n’est pas domicilie´, en est responsable» ; art. 4 : «L’imprimeur n’est responsable que lorsque l’auteur, ou le traducteur, ou l’e´diteur ne sont pas connus, ou ne sont pas domicilie´s en France, ou lorsque l’auteur ou le traducteur n’ont pas consenti a` l’impression de l’ouvrage» etc. Allusion aux articles 9 a` 25 du projet de loi figurant dans le Moniteur no 322, 18 novembre 1817, p. 1272a-b qui pre´voient le mode de saisie du juge, la transmission au procureur de la Re´publique, les de´lais entre les divers actes de proce´dure, la prescription de l’action publique, les tribunaux compe´tents, etc.
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proce´der sont une garantie pour les liberte´s. Mais en quoi consistent-ils donc, ces de´lits qu’on veut re´primer ? qu’importe que les juges sachent comment ils proce´deront, s’ils ne connaissent point le crime contre lequel ils doivent proce´der ? On abuse de la liberte´ de la presse en publiant des ouvrages dangereux ou nuisibles 1. C’est ainsi qu’on a de´fini l’abus. Est-ce la` une de´finition ? Qu’est-ce que des ouvrages nuisibles ou dangereux ? En le´gislation criminelle, il importe de s’entendre : la`, comme ailleurs, il ne s’agit que de mots : mais ces mots qui disposent de l’honneur, de la liberte´, de la fortune des hommes, exigent qu’on de´termine leur valeur. «Il est essentiel, dit Montesquieu, que les paroles des lois re´veillent chez tous les hommes les meˆmes ide´es. Le cardinal de Richelieu convenait que l’on pouvait accuser un ministre devant le Roi, mais il voulait qu’on fuˆt puni si les choses qu’on prouvait n’e´taient pas conside´rables : ce qui devait empeˆcher tout le monde de dire quelque ve´rite´ que ce fuˆt contre lui, parce qu’une chose conside´rable est entie`rement relative, et que ce qui est conside´rable pour quelqu’un ne l’est pas pour un autre2». Si, grace au mot conside´rable, l’ide´e de Richelieu ne pouvait produire aucun effet, grace aux mots nuisibles, dangereux, l’ide´e de M. le Garde-des-Sceaux produira tous les effets qu’on voudra lui faire produire. Supposons que notre Code de proce´dure criminelle soit un bon Code3 ; et supposons, qu’apre`s avoir gradue´ les peines, une loi pe´nale livraˆt aux tribunaux le droit de les appliquer aux actes nuisibles ou dangereux : quel serait alors le Franc¸ais assez te´me´raire pour oser ouvrir les feneˆtres ou la porte de sa maison ? Cependant on peut dire, les ouvrages nuisibles constituent un crime : il consiste dans ce fait que l’e´crit imprime´ provoque ou excite directement a` des crimes. Le mot directement ajoute´ a` la loi, pre´cise l’acte punissable mieux que ne le fait l’article 285 du Code pe´nal4 ; et si la pre´cision n’est pas 1
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La formule figure dans la pre´sentation du projet de loi par le Garde des Sceaux lors de la se´ance de la Chambre des De´pute´s du 17 novembre 1817 (Moniteur no 322, 18 novembre 1817, p. 1270a). De l’Esprit des lois, livre XXIX, chap. 16 «Choses a` observer dans la composition des lois» : citation exacte. Elle renvoie a` un passage du Testament politique de Richelieu (t. I, chap. 8, section 6). L’opinion des juristes sur le code d’instruction criminelle promulgue´ en 1810 est nuance´e : si Napole´on souhaitait la disparition du syste`me des jurys d’accusation et de jugement emprunte´ a` l’Angleterre, l’opposition de plusieurs membres de la commission de re´daction compose´e de conseillers d’E´tat a permis de maintenir les jurys de jugement. On sait que BC est tre`s favorable au jury en cas de proce`s de presse. Le mot «directement» figure dans l’article 6 du projet de loi (Moniteur no 322, 18 novembre 1817, p. 1272a) : «Ne´anmoins, les auteurs, traducteurs, e´diteurs et imprimeurs d’un e´crit qui provoquerait directement a` des crimes, et les libraires ou tous autres qui en feraient la vente ou la distribution, en sont tous e´galement responsables en meˆme temps en raison dudit e´crit». De fait, le mot «directement» ne figure pas dans l’article 285 du code pe´nal : «Si
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rigoureuse, ce qu’elle a de vague disparaıˆtra devant les jure´s. Ainsi le nouveau projet offre une garantie nouvelle a` ces grands criminels qui pourraient preˆcher la re´volte, l’incendie, le re´gicide ; et l’ide´e attache´e au mot nuisible, est fixe et de´termine´e. Les ouvrages dangereux constituent un de´lit ; il est soumis a` des tribunaux correctionnels. L’absence des jure´s force le le´gislateur a` de´finir les e´crits dangereux avec une extreˆme se´ve´rite´. La de´finition ne rendra point la le´gislation plus libe´rale, mais elle fera connaıˆtre le de´lit, et celui-la` seul sera coupable qui aura voulu l’eˆtre. Si au contraire le sens du mot dangereux est abandonne´ a` l’arbitraire de l’accusateur ou du juge, la loi manque de cette e´quite´ juridique que l’on retrouve dans les Codes des Etats les plus absolus. L’e´crivain n’est plus accuse´ pour avoir e´crit un ouvrage dangereux, mais pour avoir e´crit un ouvrage qu’il convient au tribunal d’appeler dangereux. Ce n’est pas la loi qui indique les caracte`res auxquels on peut connaıˆtre le danger, c’est le magistrat qui le pre´sume. De`s lors toute se´curite´ s’e´vanouit. Que deviendrait Bossuet1 devant des Juifs, Calvin2 devant des catholiques, Arnault3 devant des re´forme´s, M. de Pradt devant M. Hofman4, et la Quo-
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l’e´crit imprime´ contient quelques provocations a` des crimes ou de´lits, les crieurs, afficheurs, vendeurs et distributeurs seront punis comme complices des provocateurs, a` moins qu’ils n’aient fait connaıˆtre ceux dont ils tiennent l’e´crit contenant la provocation. / En cas de re´ve´lation, ils n’encourront qu’un emprisonnement de six jours a` trois mois ; et la peine de complicite´ ne restera applicable qu’a` ceux qui n’auront point fait connaıˆtre les personnes dont ils auront rec¸u l’e´crit imprime´, et a` l’imprimeur, s’il est connu». L’auteur affecte de conside´rer comme une mesure libe´rale, offrant une garantie nouvelle, ce qui est en re´alite´ une aggravation de la le´gislation : avec l’art. 285 du code pe´nal, les diffuseurs d’e´crits provoquant a` commettre des crimes ou des de´lits sont punis s’ils ne font pas de de´lation ; avec l’art. 6 : tous ceux qui ont collabore´ pour un e´crit provoquant directement a` commettre des crimes sont punis qu’ils se de´noncent mutuellement ou pas. Jacques-Benigne Bossuet (1627–1704) : e´veˆque de Meaux, pre´dicateur connu en son temps, the´oricien de la monarchie absolue de droit divin, de´fenseur d’une pre´sentation providentialiste de l’histoire ce qui le conduit notamment a` interpre´ter la de´faite des juifs face aux Romains et la diaspora a` laquelle fut contraint ce peuple comme la conse´quence d’une punition divine pour avoir joue´ un roˆle dans la crucifixion du Christ en choisissant de gracier Barrabas plutoˆt que Je´sus. Il pre´sente cette the`se entre autres lors d’un sermon prononce´ en 1652 a` Metz ou` la communaute´ juive e´tait importante. Jean Calvin (1509–1564), l’un des fondateurs, avec Luther, du courant re´formateur et protestant. Il joua un roˆle important a` Gene`ve, imposant ses conceptions religieuses et morales en s’appuyant sur un syste`me tre`s efficace de controˆle de la population, dirige´ notamment contre les tenants du catholicisme. Antoine Arnauld (1612–1694), personnalite´ importante du courant janse´niste ; dans Perpe´tuite´ de la foi de l’Eglise catholique touchant l’Eucharistie de´fendue contre le livre du sieur Claude, ministre de Charenton, il combat les calvinistes, notamment pour montrer son attachement au catholicisme, ce qui ne l’empeˆchera pas de se re´fugier aux Pays-Bas lorsque les perse´cutions de Louis XIV l’obligent a` quitter la France. Dominique-Fre´de´ric de Riom de Paulhiac de Fourt de Pradt (1759–1837), archeveˆque de
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tidienne au tribunal du Mercure1 ? Sans doute il est des e´crits dangereux ; il faut que la loi les signale, que la justice les condamne. Mais ce n’est pas au juge a` cre´er a`-la-fois le de´lit et le coupable. Si les craintes s’exage`rent l’avenir, si l’on n’ose fixer le mal, parce qu’en ne l’envisageant point tout entier, on s’enle`ve la possibilite´ d’appliquer le reme`de convenable, est-ce une raison pour donner aux tribunaux le droit d’imaginer une maladie, en grouppant quelques symptoˆmes ? Puisqu’on a cru devoir accorder des garanties aux crimes de la presse, peut-on en refuser aux simples de´lits, a` la bonne foi qui laissera, par me´garde, tomber un mot e´quivoque sur le papier ; meˆme a` la finesse qui, sous le voile trompeur de l’ironie ou de ces nombreuses figures, ornemens du langage, aura cache´ plus de malignite´ que de se´dition ? Quelque coupable que puisse eˆtre un e´crivain trop confiant, un esprit inge´nieux, ils seront toujours moins criminels que ces grands perturbateurs qui tentent d’e´branler tout le corps politique. Pourquoi donc ne pas leur donner une e´gale sauvegarde ? Loin de moi les doutes les plus le´gers sur l’inte´grite´ des magistrats. Doit-on rejeter sur eux le vice de la loi ? Ce vice est plus grand qu’ils ne le pensent, car il leur enle`ve la possibilite´ de juger selon leur propre conscience. Dans les affaires ordinaires, on va du subalterne au supe´rieur ; et celui-ci peut vous accorder la justice que celui-la` vous a refuse´e. Dans les de´lits de la presse le premier coup part du plus haut degre´ de la hie´rarchie. Je suppose, contre toute vraisemblance, que le ministe`re trouve dangereuse la phrase que j’ache`ve, qu’il la signale et qu’il ordonne de me poursuivre. Qui ne voit que l’ordre de juger est un ordre de condamner ? Le magistrat pourra me dire : Je sais ce que sont le meurtre, le vol, sous quelques formes qu’ils se pre´sentent ; mais j’ignore ce que peut eˆtre un e´crit dangereux, parce que la loi ne l’a point de´fini. Dans le silence du le´gislateur, le ministre
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Malines, charge´ de diverses missions diplomatiques par Napole´on. Franc¸ois-Benoıˆt Hoffmann (1760–1828) auteur dramatique et critique de livres dans le Journal de l’Empire puis le Journal des De´bats. Il est ici fait allusion a` une pole´mique du moment : dans sa Lettre a` un e´lecteur de Paris (Paris : F. Bechet, 1817) Pradt attaque Hoffmann, «un des pauvres e´crivains du Journal des De´bats», l’accusant de confondre pouvoir au sein et de la famille et au sein de la socie´te´ et concluant avec une note assassine : «Quant on est parvenu a` ce degre´ d’ignorance, ne serait-il pas de l’honneˆtete´ publique de se taire ?» (p. 18, n. 1). La Quotidienne est conside´re´e comme plus a` droite, plus conservatrice que Le Mercure, organe des libe´raux. Ces deux pe´riodiques n’ont donc aucune bienveillance a` attendre l’un de l’autre, surtout a` une e´poque ou` les journaux pole´miquent volontiers entre eux.
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n’est-il pas le juge naturel du danger ? L’ouvrage attaque´ est dangereux, non parce qu’il est ve´ritablement dangereux, quoique cela puisse eˆtre, mais parce que le ministe`re la juge´ dangereux. La liberte´ du tribunal ne peut aller que du minimum au maximum de la peine. On m’a dit que quelques e´crivains accuse´s s’e´taient puissamment de´fendus : cependant ils ont e´te´ condamne´s. Moi, au rebours, si jamais j’e´tais inculpe´, fuˆt-ce d’eˆtre l’e´diteur de l’Evangile, je resterais sans de´fense, parce que je crois toute de´fense illusoire. Dans ce que je viens de dire, je suppose une bonne foi parfaite au ministe`re, au tribunal et a` l’e´crivain : car je ne puis admettre toutes ces inculpations que quelques brochures ont de´verse´es sur la magistrature : lorsqu’ils sont e´xage´re´s, l’e´loge et le blaˆme perdent tout leur poids dans mon opinion. Je crois volontiers a` l’erreur ; j’ai peu de foi a` la bassesse. On caracte´rise le crime lorsqu’il gıˆt dans des faits, et on ne le pre´cise point lorsqu’il n’a qu’une existence morale ! Aussi les tribunaux qui obe´issent a` l’autorite´, heurtent l’opinion qui se range du coˆte´ du malheur. Ici l’accuse´ jouit de quelque e´clat, son infortune n’est pas sans gloire ; les coups qu’on lui porte retentissent dans tous les cœurs, et son innocence est proclame´e par la seule raison que sa condamnation est certaine. Dans cette lutte du juge contre la voix publique, la justice perd de sa dignite´, parce que ses organes ne sont que des instrumens passifs. N’avons-nous pas vu un magistrat, honorable a` bien des titres, fausser son opinion propre, et dire qu’il se contentait des suffrages de sa compagnie ? C’est une e´trange erreur ; il faut a` un honneˆte homme l’estime de tous les honneˆtes gens : il n’est pas de chef qui ne soit applaudi par ceux qu’il dirige. Le personnage inte`gre qui parlait ainsi jouit de l’estime ge´ne´rale ; il la me´rite : mais, froisse´ par l’opinion, il voulait la froisser a` son tour, et il n’a point vu que c’e´tait impossible. Il y a plus encore : ceux qui sont dans la ne´cessite´ d’accuser sans pouvoir convaincre, veulent qu’on soit convaincu par la seule raison qu’on est accuse´. «De toutes les erreurs, disent-ils, la plus dommageable, peut-eˆtre pour la socie´te´, est celle qui consisterait a` pre´senter dans la de´fense des accuse´s, les griefs qu’on leur impute comme imaginaires1.» Il suivrait de cette doctrine que si j’e´tais accuse´ d’avoir, pour troubler l’Etat, emporte´ le Louvre2 dans ma poche, je ne pourrais point, sans un grand dommage pour la socie´te´, dire que le grief qu’on m’impute est imaginaire. De`s-lors les avocats sont inutiles, les te´moins sont inutiles, l’innocence est 3 le ] la source porte l’e A1 1 2
4 maximum ] la source porte maximun A1
Origine de la citation : non repe´re´e. Le Louvre : le plus grand palais d’Europe, s’e´tendant actuellement sur une surface baˆtie de plus de treize hectares, construit a` partir du XIIe sie`cle et dote´ d’ailes qui vont s’e´tendre de´mesure´ment dans un effort de construction qui durera jusqu’apre`s la mort de BC, sous Napole´on III.
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inutile, tout est imaginaire ; l’accusation seule est re´elle, et la sentence qui doit la suivre ! Ici le cœur se serre, et l’esprit se refuse au rapprochement des doctrines cruelles que la me´moire lui vient offrir. D’ou` naissent ces ide´es fausses, ces sentimens perfides, repousse´s par l’ame de ceux-meˆmes qui les proclament ? e´videmment de la ne´cessite´ ou` on les a place´s de juger arbitrairement, et d’appliquer des peines parfaitement connues a` des de´lits qu’on ne leur a point fait parfaitement connaıˆtre. Les crimes doivent eˆtre de´finis : le soin de nos liberte´s le demande, la justice l’ordonne, la dignite´ des tribunaux l’exige. Mais cette de´finition est impossible ? ne serait-ce pas une erreur ? Ou on connaıˆt le de´lit, ou on ne le connaıˆt pas : si on le connaıˆt, on peut le de´finir ; si on ne le connaıˆt point, on ne peut le punir ; car il n’a point alors une existence re´elle. Mais cette de´finition est difficile ? essayons. Le Code pe´nal a pre´cise´ l’injure, la calomnie, l’attentat a` la morale publique, a` la suˆrete´ ou a` la majeste´ du troˆne1. Voila` tous les crimes de l’e´crivain. Quel forfait peut-on commettre encore en jetant de l’encre sur du papier ? n’est-il pas e´vident que tout ce qu’on peut reprocher a` un ouvrage doit rentrer dans l’une de ces quatre hypothe`ses ? S’il est ainsi, le Code n’est-il pas suffisant ? Il ne peut suffire, dit-on, parce que les faits qu’il pre´cise doivent eˆtre directs pour eˆtre punissables, et qu’il existe des de´lits indirects qu’il importe aussi de punir. Des de´lits indirects ! Sait-on bien ce que ces mots veulent dire ? Non ; aussi ne les de´finit-on point, parce qu’on ne sait pas en quoi ils consistent. Comment donc les tribunaux pourront-ils les reconnaıˆtre ? au moyen de leur conscience ? Mais quelle est la limite qui se´pare la conscience du ze`le ou de l’erreur ? Quelle supe´riorite´ de ge´nie a rendu un homme en simarre2, juge infaillible des convenances que l’esprit humain doit s’imposer ? Les de´lits indirects n’existent pas, ils ne peuvent exister. Tout est direct dans un e´crit. Les pre´cautions adroites, les expressions e´quivoques, peuvent couvrir la marche de l’e´crivain, mais elles ne sauraient interrompre la tendance directe de l’esprit qui a pre´side´ a` l’ouvrage. Ici se trouve la limite qui se´pare les e´crits politiques en nuisibles et en dangereux : dans les premiers, 1
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Enume´ration des incriminations faite visiblement de confiance, sans connaissance pre´cise du code pe´nal qui, cependant, ne de´c¸oit pas sur ce point puisqu’en effet, il de´finit et sanctionne l’injure (art. 375–377), la calomnie (art. 367 a` 374), l’attentat aux mœurs (art. 330–340), enfin les atteintes a` la suˆrete´ inte´rieure de l’E´tat (art. 86 a` 102) dont les atteintes au chef de l’E´tat et a` sa famille (art. 86–90). Simarre : espe`ce de soutane que portait les magistrats sous leur robe. Dans le langage parfois fleuri du XIXe sie`cle auquel BC, pour sa part, sacrifie d’ailleurs peu, la simarre est devenue le symbole de la magistrature.
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les mots et les choses preˆtent au crime un mutuel secours ; dans les seconds, le de´lit est atte´nue´ par l’innocence des paroles : mais, dans tous les deux, la tendance de l’esprit suit une route e´gale, quoiqu’avec une ine´gale intensite´. Or, cette tendance, qui est toujours directe, est le cachet unique de l’intention de l’auteur, et peut seule eˆtre punissable. Sortez de ce cercle, vous entrerez dans le domaine de l’injustice. Voulez-vous mettre les mots sous une presse juridique pour que les magistrats en expriment des de´lits ? quel livre pourrait re´sister a` ne pas confesser des crimes durant cette nouvelle torture ? Voyez combien d’impie´te´s Voltaire a imagine´es dans le Pater1 ! Si l’esprit d’un ouvrage forme seul un de´lit, si ce de´lit est toujours direct, l’intention de l’auteur peut seule eˆtre punie ; il est facile de de´terminer les caracte`res qui signalent cette tendance constitutive de la culpabilite´. Mais si l’on de´clare la guerre a` des phrases isole´es, a` des mots e´pars ; si les tribunaux font pour les principes politi ques, ce que Fre´ron faisait pour les re`gles d’Aristote2, les Aristarques contemporains passeront pour des Zoı¨les, parce que les Zoı¨les voudront passer pour des Aristarques ; rien ne pourra eˆtre puni avec justice, parce que rien ne pourra eˆtre de´termine´ avec clarte´3 ; et l’on re´alisera la cruelle supposition de ce digne magistrat qui disait a` ses confre`res : Qu’on me donne trois lignes de l’e´criture d’un homme, et je le ferai pendre4. Hors l’esprit qui a cre´e´ l’ouvrage et qui l’a dirige´ vers un but criminel, tout le reste est involontaire, et ne peut eˆtre dangereux que par la se´curite´ de l’e´crivain qui n’a pas su voir le danger, ou par l’ombrageuse perspicacite´ du juge qui pre´sume le crime. Mais, dans ce cas, faut-il censurer ou punir ? Est-ce un ge´nie supe´rieur dont les yeux de lynx aperc¸oivent, de plein saut, 1
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Nous n’avons pas trouve´ le passage de Voltaire ou` il accuse la prie`re Pater noster d’eˆtre porteuse d’impie´te´ mais il est bien dans sa me´thode de s’employer a` prendre l’Eglise catholique a` ses propres contradictions. Stanislas Fre´ron (1754–1802) est le fils d’E´lie Fre´ron (1718–1776) ce dernier journaliste pole´mique, connu par les attaques auxquelles Voltaire, furieux de ses critiques contre ses œuvres, se livra contre lui, le pre´sentant comme envieux, de´lateur et fielleux. Stanislas succe´da a` son pe`re a` la teˆte de l’Anne´e litte´raire ou` en 1785 (t. IV) figure un article traitant des re`gles d’unite´ de temps, de lieu et d’action que les auteurs classiques entendent imposer aux dramaturges. C’est l’occasion de citer, un peu pour s’en moquer, l’opinion d’Aristote : «la trage´die taˆche, autant qu’il est possible, de renfermer son action dans une re´volution du soleil» (pp. 232–233). Allusion a` deux e´coles de critique litte´raire de l’Antiquite´ grecque : l’on oppose alors Zoı¨le (fin IVe sie`cle), pre´sente´ comme un critique e´troit, envieux et partial, y compris contre un poe`te aussi incontestable qu’Home`re, a` Aristarque de Samothrace (v. 220–143 av. J.-C.) conside´re´ comme ayant joue´ un roˆle pionnier en matie`re de critique rigoureuse et minu` noter que dans l’article de l’Anne´e litte´raire cite´e a` la note tieuse des textes d’Home`re. A pre´ce´dente, il est longuement question de Zoı¨le (pp. 219–222). Auteur de la phrase : non repe´re´.
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ce qui est mal et ce qui est bien, qui doit pre´venir l’auteur de son impre´voyance, ou un huissier, escorte´ de quelques gendarmes, doit-il l’e´crouer dans une prison pour eˆtre juge´ par des hommes qui peut-eˆtre ne sauront pas, ne voudront pas ou ne pourront pas le comprendre ? Ici, le voile tombe. Ce qu’on veut ajouter au Code pe´nal, c’est la censure ; et pour la de´guiser, on la transporte d’un tribunal civil a` un tribunal correctionnel. Je ne ferai point le paralle`le de cette censure par laquelle un e´crivain, juge´ par ses pairs, voit une pre´voyance ombrageuse mutiler son esprit et rapetisser sa gloire future, avec des tribunaux qui saisissent l’ouvrage entier meˆme lorsqu’ils n’en condamnent qu’une partie, et qui emprisonnent l’auteur apre`s l’avoir ruine´ : la balance ne pencherait pas du coˆte´ de la justice ; mais je dirai qu’il ne faut point de censure, parce que la Charte l’a dit1, que les ministres l’ont reconnu, et que l’opinion l’a prouve´. Il est de´montre´ que la definition de tous les de´lits de la presse existait de´ja`. Si les e´ve´nemens ont fait de´couvrir au ministe`re des de´lits nouveaux, il doit les de´finir ; il le doit par inte´reˆt pour tout ce qui est juste et sacre´ parmi les hommes. La pre´cision pourra ne point nous donner une loi libe´rale, mais elle nous enle`vera une loi arbitraire. Une justice se´ve`re est plus libe´rale qu’une censure juridique. Si l’on peut refuser a` l’opinion des institutions libres, parce que le gouvernement qui trouve du vague et du de´saccord dans l’opinion, attend qu’elle se fixe pour connaıˆtre sa valeur re´elle, on ne peut refuser a` la justice de faire connaıˆtre ce qu’est un crime, un de´lit, une contravention, puisque c’est la`, et la` seulement que s’arreˆte la liberte´ de l’homme dans une socie´te´ quelconque, que sans cette pre´cision on ne peut jouir d’aucune espe`ce de se´curite´, que tout est permis lorsqu’on ne sait pas ce qui est de´fendu, et que tout est de´fendu lorsqu’on ne sait pas ce qui est permis. Je n’insisterai point sur la ne´cessite´ de confier a` des jure´s le soin de statuer sur les e´crits dangereux, comme on les a investis de celui de juger des e´crits nuisibles. On a fait plusieurs objections. 1o. La Charte n’a point donne´ de jure´s aux tribunaux correctionnels. − Il ne s’agit point de re´unir des jure´s a` ces tribunaux, mais de traduire les accuse´s devant les Cours d’assises. 2o. Les Cours d’assises ne peuvent connaıˆtre que des crimes qui entraıˆnent des peines afflictives ou infamantes. − L’art. 365 du Code d’instruction criminelle2 et la jurisprudence journalie`re prouvent qu’elles peuvent juger les de´lits. D’ailleurs si cette objection, prise de la compe´tence, 1 2
Article 8 de la charte de 1814 : «Les Franc¸ais ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent re´primer les abus de cette liberte´». Article 565 du code d’instruction criminelle : «Le procureur ge´ne´ral impe´rial et son substitut le procureur impe´rial criminel exercent respectivement, dans les cours spe´ciales, les
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peut eˆtre bonne chez un jurisconsulte, elle est sans poids chez un le´gislateur. 3o. Le de´lit est trop conside´rable. − Bien moins que le crime : les e´crits nuisibles ne sont-ils pas soumis a` des jure´s. 4o. Les nuances en sont trop de´licates, trop fugitives pour qu’un jury puisse les saisir. − Il juge du crime de faux, des complots contre l’Etat, et la trame de ces forfaits est ourdie avec quelque finesse. Cette injure gratuite ne pourrait-elle pas eˆtre re´torque´e contre les tribunaux ? J’ajoute que les crimes qui n’ont qu’une existence morale ne peuvent eˆtre appre´cie´s que par la conviction intime, et que le tribunal correctionnel est un ve´ritable jury. Pourquoi donc refuser les jure´s ? La solution de cette question serait-elle honorable pour les magistrats ? On le voit : pour que la le´gislation de la presse soit parfaite, selon le degre´ de liberte´ e´tabli par la Charte, deux conditions sont impe´rieusement ne´cessaires : la de´finition des de´lits, et les jure´s. Pour que la le´gislation soit juste, sans eˆtre libe´rale, la pre´cision des faits est indispensable a. Avec a
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On ne peut, sans un tort tre`s grave, rapprocher des e´poques qui repoussent toute analogie : Mais pour l’inte´reˆt de la ve´rite´, on doit rapprocher les erreurs, lorsqu’elles sont analogues ou plutoˆt identiques. Or, les annales de toutes les nations prouvent que la tyrannie des lois criminelles n’a d’autre cause qu’un vague de re´daction qui met les accuse´s a` la merci des caprices du juge. Aussi lorsque je publiais n’a gue`re des principes ge´ne´raux pris dans une politique plus spe´culative qu’applique´e, «non-seulement, disais-je, la peine doit eˆtre connue et limite´e, mais encore tout crime doit eˆtre de´termine´ et de´fini clairement par le le´gislateur. Les crimes inde´termine´s ont bien moins pour objet la suˆrete´ publique, que des vengeances injustes et tyranniques : tels e´taient les crimes de Majeste´ sous Tibe`re1, d’he´re´sie devant l’inquisition2 ; d’irre´ve´rence envers la Majeste´, sous le despotisme de Catherine II3. Ces exfonctions qui leur sont attribue´es pour la poursuite, l’instruction, le jugement, dans les affaires de la compe´tence des cours d’assises, et qui sont re´gle´es par les articles 271 272, 273, 274, 275, 276, 277, par la premie`re disposition de l’article 278, par l’article 279 et suivants, jusque et compris l’article 290». Dans ces articles qui figurent dans le titre «Des affaires soumises au jury» se trouve en effet le terme «de´lit». Tibe`re (42 av. J.-C.- 37 apre`s J.-C.), succe`de a` Auguste a` la teˆte de l’Empire romain. Sue´tone l’accuse d’avoir e´tendu la notion de crime de le`se-majeste´ et donne quelques exemples de condamnations a` ce titre (Sue´tone, Vie des 12 Ce´sars, «Tibe`re», LVIII : «Il fait de tout un crime de le`se-majeste´»). Le terme d’Inquisition de´signe les tribunaux mis en place par la papaute´ a` partir du XIIe sie`cle pour lutter contre l’he´re´sie et d’abord contre les cathares du Midi de la France. Les juges inquisiteurs (donc ayant l’initiative des poursuites) ont tendance a` e´tendre la notion d’he´re´sie (en principe crime contre la foi) a` des actes d’une autre nature, tels la sorcellerie ou le fait de refuser de payer la dıˆme au clerge´. Catherine II (1729–1796), impe´ratrice de Russie. Elle affecte d’abord de se pre´senter comme une souveraine e´claire´e et inte´resse´e par les philosophes des lumie`res, tout en gouvernant le pays avec une grande autorite´ surtout a` partir du moment ou` elle craint la contagion dans toute l’Europe des ide´es se´ditieuses qui triomphent en France contre Louis XVI.
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0 elle, on pourra accuser un e´crivain d’un crime qu’on lui a fait connaıˆtre et dont il e´tait le maıˆtre de s’abstenir. Sans elle, un auteur ne peut eˆtre accuse´ que pour avoir eu le malheur de composer un ouvrage qui a de´plu a` l’autorite´ ; et comme ce malheur est ide´al, chacun pourra eˆtre condamne´, parce que chacun pourra eˆtre accuse´ du malheur d’avoir de´plu. On le voit aussi : il n’importe point de savoir comment on sera accuse´ et juge´, lorsqu’on ne sait pas pourquoi on pourra eˆtre condamne´. Si la le´gislation ne manquait point par la base, on pourrait affirmer que le projet pre´sente des ame´liorations sensibles, singulie`rement augmente´es par les amendemens de la chambre des de´pute´s. Qu’elles soient une conqueˆte de l’opinion ou un pre´sent du ministe`re, prenons toujours ce qui est moins mal, et combattons toujours pour ce qui est bien. Nous l’obtiendrons aussi : j’ai pour garant du succe`s, cette providence qui a imprime´ son esprit a` la Charte, cette opinion franc¸aise, sentinelle vigilante qui fait pour notre liberte´ ce que nague`re elle faisait pour notre gloire, et peut-eˆtre meˆme cette tendance ministe´rielle qui de´molit avec lenteur cet e´difice politique de malheurs et d’exceptions, que la me´morable session de 18151, avait e´leve´ avec une
pressions vagues peuvent s’e´tendre a` tout ce qu’on veut ; ce sont des re´servoirs immenses ou` les inte´reˆts, la faiblesse et la crainte vont puiser les crimes que ces passions veulent imputer a` ceux a` qui on ne peut point imputer de crime. La re´volution qui fit disparaıˆtre de la France tant de talens et de vertus, se servit toujours des crimes inde´termine´s, qu’elle nommait conspiration, se´dition. La ge´ne´ralite´ de ces expressions est l’arsenal de la tyrannie.» (Principes ge´ne´raux du Droit politique, dans leur rapport avec l’Esprit de l’Europe et avec la Monarchie constitutionnelle. Par J. P. Page´s. − Paris. − Bechet, − 1817, − page 198.)2 J’ajoute que dans les crises politiques, la tyrannie de la loi s’augmente de la tyrannie des fonctionnaires, et que dans les jours de calme l’arbitraire le´gal s’affaiblit en passant a` travers la conscience des magistrats : alors on voit des hommes qui valent plus que les lois ; il ne faudrait pas remonter fort loin dans nos Annales pour en trouver quelques heureux exemples.
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Session de 1815 : celle tenue par la «Chambre introuvable», e´lue les 14 et 22 aouˆt 1815 donc apre`s les Cent-Jours, compose´e en majorite´ d’ultras qui votent une se´rie de lois re´pressives : permettant de de´tenir sans jugement les personnes pre´venus de crimes ou de de´lits contre la personne et l’autorite´ du roi, contre la famille royale ou contre la suˆrete´ de l’E´tat (29 octobre 1815), contre les cris se´ditieux et les provocations a` la re´volte (9 novembre 1815), re´tablissant les juridictions pre´voˆtales» (20 de´cembre 1815) et condamnant a` l’exil les membres de la famille de Bonparte ainsi que les re´gicides ayant vote´ l’acte additionnel ou accepte´ des fonctions de Napole´on pendant les cent Jours (12 janvier 1816). Citation exacte a` cela pre`s que la phrase se terminant par «[...] imputer de crime» est attribue´e a` Pline, que l’extrait se termine par «[...] l’arsenal des tyrans» et que l’ensemble figure aux pp. 198–199 de l’ouvrage.
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promptitude si de´sastreuse, et qui ne nous fait des concessions si parcimonieuses de liberte´ que pour nous habituer a` en jouir avec tempe´rance. J. P. Page´s1.
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Jean-Pierre Page`s (ge´ne´ralement avec un accent grave sauf sur la couverture de l’ouvrage Principes ge´ne´raux du Droit politique ou` il figure avec un accent aigu) (1784–1866), journaliste appartenant a` la gauche libe´ral et qui collabore notamment a` la Minerve. Il publie en 1817 Principes ge´ne´raux du Droit politique ; il collabore a` la composition des Annales de BC (De la session de 1817 a` 1818) et signera en 1818 De la responsabilite´ des ministres dont BC fera un e´loge vibrant dans la Minerve du 14 fe´vrier 1819 : «Un homme d’un esprit tre`s-e´tendu, d’un sens tre`s profond, et qui promet d’eˆtre un des de´fenseurs les plus e´claire´s et les plus sages des ve´rite´s constitutionnelles» (p. 85). Il sera de´pute´ de l’Arie`ge de 1831 a` 1842 et de la Haute-Garonne de 1847 a` 1849.
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Annales de la session de 1817 a` 1818. Partie financie`re, par M. Saint-Aubin, Ancien Membre du Tribunat.
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Je ne connais aucunement le budget qui va eˆtre pre´sente´ cette anne´e a` la chambre des de´pute´s ; j’ignore meˆme le montant approximatif des de´penses projete´es, ainsi que les voies et moyens propose´s pour y faire face a. Tout ce que je sais se borne au passage suivant, extrait du discours du Roi. «Si les changes re´sultantes des traite´s et de la de´plorable guerre qu’ils ont termine´e, ne permettent pas encore de diminuer les impoˆts vote´s dans les sessions pre´ce´dentes, j’ai du moins la satisfaction de penser que l’e´conomie que j’ai recommande´e, me dispense d’en demander l’augmentation, et qu’un vote de cre´dit infe´rieur a` celui du dernier budget suffira a` tous les besoins de l’anne´e.» Ces paroles rassurantes annoncent : 1o. Que, graces a` l’e´conomie ordonne´e dans les de´penses, il n’y aura point d’augmentation d’impoˆts.
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Telle e´tait effectivement ma position lorsque j’avais acheve´ toute cette premie`re partie de mon travail, dont la publication n’a e´te´ retarde´e que par celle plus urgente des discussions sur la loi relative aux journaux, qui forme le second nume´ro des Annales. Depuis ce tems, a paru le budget particulier de cette anne´e, dont j’espe`re donner l’analyse raisonne´e dans un prochain cahier ; mais quoique je l’aie lu et relu, je n’ai pas cru devoir changer en rien mon premier travail, dont les re´sultats ou principes ge´ne´raux sont applicables a` l’examen du budget d’une anne´e quelconque, ainsi que le lecteur pourra facilement s’en convaincre.
Camille Saint-Aubin (ne pas confondre avec Alexandre Rousselin de Saint-Albin, ami de Barras et de BC) est ne´ en Allemagne (duche´ des Deux-Ponts, Zweibrücken, dans l’actuel Land de Rhe´nanie-Palatinat) en 1752 ou 1755 d’une famille huguenote refugie´e. D’abord professeur de droit public outre-Rhin, «il vint en France au commencement de la Re´volution, dont il embrassa les principes» (Larousse du XIX e sie`cle). Au moins trilingue, il parle allemand, franc¸ais et anglais (c’est ainsi qu’il publie en 1797 une traduction de la The´orie des lois pe´nales de Bentham), il enseigne d’abord les langues. Il a e´galement beaucoup e´crit sur les finances, notamment au moment de la banqueroute des Deux Tiers. Appele´ au Tribunat par le gouvernement consulaire, il s’y fit remarquer dans les rangs de l’opposition et fut e´limine´ en mai 1802, en meˆme temps que BC. Sa collaboration avec ce dernier se traduit notamment par les Annales de la session de 1817 a` 1818. Il meurt pre´cocement en 1820, comme le signalera J.-B. Say, autre corre´ligionnaire, qui, par ailleurs, le critique sur sa conception de l’emprunt. Voir Cours complet d’e´conomie politique, Paris : Guillaumin, 1840, t. II, p. 439.
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2o. Que le de´ficit, encore ine´vitable dans les recettes, sera couvert par un vote de cre´dit infe´rieur a` celui du dernier budget. Donc la de´pense sera moindre que celle de l’anne´e dernie`re, et l’emprunt en rentes sera moindre aussi ; deux points importans dans un budget dont le cre´dit public doit former un des principaux e´le´mens. Ce petit nombre de donne´es suffira, j’espe`re, pour mettre le lecteur a` meˆme d’appre´cier les conside´rations ge´ne´rales que je vais lui soumettre. L’examen de tout budget pre´sente´ aux de´pute´s d’une nation qui a le bonheur de vivre sous un gouvernement repre´sentatif (et les autres ne valent gue`re la peine qu’on s’en occupe), peut eˆtre ramene´ a` trois principes ge´ne´raux qui restent les meˆmes, quels que soient le montant et la nature des de´penses aussi-bien que des recettes. 1o. L’ensemble du budget, ainsi que les principales lois financie`res dont il est compose´, doivent eˆtre en harmonie avec le gouvernement repre´sentatif, et ne pas contrarier surtout la grande fin, le but essentiel pour lequel il est institue´. 2o. Il doit y re´gner, autant que possible, une certaine unite´ de plan et de vues, de manie`re que telle loi financie`re ne se trouve pas, par sa nature et ses effets ne´cessaires, en opposition e´vidente avec telle autre loi du meˆme budget, ou avec le syste`me entier et l’esprit dans lequel il est re´dige´. 3o. Les dispositions principales du budget doivent encore eˆtre en harmonie avec la position dans laquelle la nation se trouve dans l’inte´rieur et a` l’exte´rieur. Tels sont les principes ge´ne´raux d’apre`s lesquels je pense que tout budget pre´sente´ a` la chambre des de´pute´s doit eˆtre examine´, avant d’en discuter les de´tails ou les diverses donne´es nume´riques. Les de´veloppemens suivans, constituant principalement en exemples tire´s de nos lois financie`res les plus connues, rendront, j’espe`re, facile l’application de ces principes au budget particulier de cette anne´e, dont l’analyse est re´serve´e pour un autre cahier. Quelque convaincu que je sois, au reste, de la ge´ne´ralite´ et de la justesse de ces principes, qui ne sont que des conse´quences ne´cessaires de ceux que Smith a si bien de´veloppe´s dans son premier livre sur les forces productives du travail, source de toutes richesses, je suis loin de croire qu’on puisse les appliquer de suite a` notre budget, de manie`re a` ope´rer brusquement un changement radical dans les bases meˆmes de notre syste`me financier, et particulie`rement dans l’assiette et la re´partition des impoˆts. Les ame´liorations en ce genre ne peuvent eˆtre que lentes et successives ; mais toujours est-il bon d’avoir constamment sous les yeux les principes qui doivent y conduire, afin d’en faire l’application toutes les fois et aussitoˆt que l’occasion et les circonstances en offrent la possibilite´. Je dis aussitoˆt, parce que ces occasions sont rares, et qu’une fois qu’on les a laisse´ e´chapper, il faut souvent bien des anne´es pour les faire renaıˆtre.
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Prenons pour exemple ce qui s’est passe´ sous nos yeux et tout re´cemment en 1814, lors de la chute du blocus continental, base´ sur la con ception la plus gigantesque et la plus niaise a quant a` son but, et la plus atroce par ses con se´quences qu’on puisse imaginer. Celles-ci, en effet, ne tendaient a` rien moins qu’a` priver l’immense majorite´ des habitans de l’Europe, c’est-a`-dire la portion la plus civilise´e et la plus industrieuse de l’espe`ce humaine, d’une foule d’objets de consommation ge´ne´rale, qui tous contribuaient aux douceurs et aux conforts de la vie, et dont plusieurs e´taient devenus depuis long-tems des objets de premie`re ne´cessite´ pour une grande partie de la population, qu’on aurait fait re´trograder de plusieurs sie`cles. Si a` cette e´poque le gouvernement ou plutoˆt la masse des gouverne´s, dont l’opinion finit toujours par l’emporter en ces matie`res, avait e´te´ plus e´claire´e sur ses ve´ritables inte´reˆts ; si tous avaient e´te´ bien convaincus de a
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L’ide´e du blocus continental, toute gigantesque qu’elle paraissait, e´tait niaise au fond. D’abord elle e´tait inexe´cutable, mais c’e´tait la` son moindre vice ; quand elle aurait e´te´ exe´cute´e, elle n’aurait pas atteint le but que son auteur se proposait. Ce but, avoue´ dans toutes les notes officielles du Moniteur a` ce sujet, dans les allocutions de Napole´on au se´nat et a` l’arme´e, etc., e´tait d’oˆter aux Anglais toutes les ressources pour continuer la guerre, de fermer tous les ports du continent a` leur commerce et a` leurs navires, en bruˆlant leurs e´toffes manufacture´es, et brisant a` coups de marteau leurs clinquailleries, afin de les empeˆcher de de´biter leurs marchandises. Pour prouver la niaiserie de cette conception, il suffit de comparer les be´ne´fices possibles que l’Angleterre a pu faire pendant chaque anne´e de guerre sur la vente de ses marchandises au dehors, avec les sommes e´normes qu’elle de´pensait. D’apre`s les tableaux pre´sente´s par MM. Rose et Irwing au parlement, les plus fortes exportations (en manufactures aussi-bien qu’en denre´es coloniales) n’ont jamais exce´de´ 40 millions sterling. Ajoutons-y autant pour les importations, et l’on aura 80 millions. Supposons que les be´ne´fices nets (toutes pertes de´duites), tant sur les exportations que sur les importations, se soient e´leve´s a` 10 pour 100, ce qui est e´norme pour un pays ou` l’on preˆte au gouvernement a` 5 pour 100, tout ce commerce exte´rieur aurait rapporte´, dans l’anne´e la plus heureuse, 8 millions sterl. Allouons 15 pour 100, ce ne sera jamais que 12 millions nets. He´ bien, dans la meˆme anne´e, les de´penses du gouvernement ont e´te´ rarement au-dessous de 70 millions, et dans les dernie`res anne´es, elles se sont e´leve´es de 90 a` 100 millions sterl. D’ou` ve naient donc les ressources exce´dantes ? De la production et consommation inte´rieure de tous les genres de richesses, de trente millions de moutons, de tant de millions de bœufs, etc., auxquels nous ne songeons pas meˆme. Contre une paire de bas, contre une aune de drap ou de toile de coton exporte´es au dehors, il s’en consommait dix au dedans ; et toutes ces productions et consommations de l’industrie manufacturie`re e´taient, en dernie`re analyse, les re´sultats des produits du sol de l’Angleterre, qui, comme tous les pays un peu peuple´s et e´tendus, est et sera toujours un pays essentiellement agricole, et subsidiairement commerc¸ant et manufacturier. Le plaisant de tout ceci e´tait que tandis que Napole´on pre´disait ou faisait pre´dire tous les ans la ruine de l’Angleterre par la chute de son commerce et de ses manufactures, sir Franc¸is d’ Ivernois calculait, pour la fin de chaque anne´e, le renversement du gouvernement franc¸ais par le de´faut de ses ressources financie`res. L’un et l’autre ne comptaient pour rien les produits du travail inte´rieur de tant de millions d’habitans industrieux.
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tous les inconve´niens attache´s au syste`me mercantile ou manufacturier a, et aux lois prohibitives qui en sont la suite ne´cessaire, rien n’euˆt e´te´ plus aise´ que de re´former ce vice radical dans la constitution commerciale et industrielle d’une nation civilise´e quelconque, et surtout dans celle de la France, pays essentiellement agricole, et ou` l’agriculture a plus besoin qu’ailleurs, des capitaux que ce syste`me lui enle`ve. D’une part, les de´bouche´s force´s que le syste`me de Bonaparte avait ouverts dans l’e´tranger a` plusieurs de nos manufactures, venaient d’eˆtre ferme´s, et l’invasion des arme´es coalise´es avait inonde´ de manufactures e´trange`res tous nos de´partemens frontie`res, et plusieurs meˆme de l’inte´rieur. D’un autre coˆte´, les conscriptions dernie`res, suivies d’une leve´e en masse, avaient de´peuple´ les grands ateliers de nos fabriques, et ferme´ entie`rement les petits ; en sorte que le territoire de la France pre´sentait sous ce rapport une espe`ce de table rase. En adoptant alors un syste`me financier plus conforme aux principes d’une saine e´conomie politique, en modifiant les lois prohibitives et en abolissant plusieurs touta`-fait, on aurait pu non seulement procurer au tre´sor public un revenu additionnel de 100 millions dont il est prive´ aujourd’hui, mais enrichir toutes les branches de l’industrie et du commerce, a` qui ces lois prohibitives ne profitent pas, l’agriculture surtout et la masse entie`re des consommateurs, a` qui elles nuisent, de toutes les richesses, de toute l’aisance que procurent au grand nombre, la concurrence des producteurs et des vendeurs. Il euˆt suffi pour cela de changer en une simple branche de revenu public, les douanes, regarde´es aujourd’hui comme un e´tablissement protecteur de l’industrie nationale, qu’elles ne font qu’harrasser et arreˆter dans ses progre`s. Ce serait meˆme, comme je l’ai de´montre´ dans l’Essai sur les contributions de l’an 7, de tous les impoˆts leve´s sur les consommations, le plus facile a` percevoir, puisque, e´tant perc¸u a` la circonfe´rence du royaume, il dispense les consommateurs de l’inte´rieur du de´sagre´ment d’avoir affaire aux percepteurs de l’impoˆt. Sans doute cette ame´lioration aurait eu beaucoup d’inconve´niens graves (et quelle est l’ame´lioration qui n’en pre´sente pas) pour plus d’un e´tablissement qui e´tait de nature a` ne pouvoir continuer son existence actuelle sans le secours des prohibitions que le blocus continental avait e´tablies. Mais outre que ces inconve´niens n’eussent e´te´ que passagers, il n’euˆt pas e´te´ extreˆmement difficile d’y reme´dier soit par des indemnite´s, soit par des avances sans inte´reˆt, alloue´es aux chefs de manufactures qui en auraient le plus souffert. Quels qu’eussent e´te´, au reste, ces inconve´niens, les plaintes a
Le syste`me du blocus continental n’e´tait, au fond, que le syste`me manufacturier de Colbert, conc¸u sur une plus grande e´chelle, exe´cute´ avec des moyens bien supe´rieurs a` ceux qu’avait Louis XIV, et poursuivi avec une impitoyable e´nergie et perse´ve´rance.
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isole´es qui en seraient re´sulte´es n’auraient jamais pu donner lieu a` des reproches fonde´s contre le gouvernement actuel, qui n’e´tait pas responsable des suites de la fausse direction que celui auquel il succe´dait, avait donne´e a` l’industrie et aux capitaux de la nation. Ajoutez a` tout cela l’aversion, l’horreur meˆme toute re´cente qu’avaient inspire´es a` la majorite´ de la population, contre toute loi prohibitive, les geˆnes et vexations insupportables qu’on avait e´prouve´es de la part des agens charge´s d’exe´cuter les lois atroces cre´e´es a` l’appui du syste`me qui venait de s’e´crouler. Toute nouvelle loi favorable aux consommateurs et a` la liberte´ du commerce, euˆt e´te´ alors accueillie comme un ve´ritable bienfait, qui aurait fait taire toutes les re´clamations de la faible minorite´ inte´resse´e au maintien de l’une ou l’autre des lois prohibitives qu’on aurait re´forme´es ou abolies. Un concours malheureux de circonstances et de conside´rations purement politiques, et par conse´quent e´trange`res a` mon travail, empeˆcha les ministres dans les attributions desquels se trouvait cette partie importante de l’administration publique, et qui n’ignoraient aucunement les vrais principes sur cette matie`re, de profiter de cette occasion unique dans son espe`ce, et qui ne se pre´sentera pas de sitoˆt, pour de´barrasser, sans coup fe´rir pour ainsi dire, la France, et par la suite la majeure partie de l’Europe, des entraves sans nombre que le syste`me mercantile et les lois prohibitives qu’il ne´cessite, mettent depuis plusieurs sie`cles a` la libre circulation et aux e´changes des divers produits de l’industrie agricole, commerciale et manufacturie`re, entraves e´videmment nuisibles a` toute la masse des consommateurs, et formant par conse´quent autant d’obstacles aux progre`s de la richesse nationale et a` l’aisance du grand nombre. Aujourd’hui que les lois prohibitives qui, en 1814, se trouvaient abolies par le fait, ont e´te´ remises en vigueur, et que, sur la foi du gouvernement actuel qui les a maintenues, des milliers d’hommes industrieux ont consacre´ leurs capitaux et ceux qu’on a bien voulu leur confier, a` former ou a` recre´er des e´tablissemens a` chacun desquels sont attache´s des centaines d’ouvriers qui n’ont d’autre moyen d’existence, la table rase qui existait en 1814 a disparu, et avec elle la possibilite´ d’introduire de sitoˆt dans cette partie de notre syste`me financier, l’ame´lioration d’ailleurs inappre´ciable qui re´sulterait de l’application du principe ge´ne´ral de la libre concurrence, principe qui n’en est pas moins incontestable. Autre exemple. En de´veloppant plus bas, page 1691, le second principe ge´ne´ral d’apre`s lequel il convient d’examiner un budget quelconque, je de´montrerai que, dans tout budget base´ sur un syste`me d’emprunts et de cre´dit public, et dans lequel, par conse´quent, une portion conside´rable du 1
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produit des impoˆts est consacre´e au paiement des cre´anciers de l’e´tat, soit rentiers, soit simplement pensionnaires, il importe, pour la facilite´ de la perception, aussi-bien que pour la juste re´partition des impoˆts, que la majeure partie de ceux-ci soient assis sur des objets de consommation ge´ne´rale. De cette manie`re l’impoˆt atteint le rentier aussi bien que le proprie´taire foncier, tandis que dans nos budgets, ou` les deux tiers des impoˆts consistent en impoˆts directs, parmi lesquels il faut compter la presque totalite´ des droits d’enregistrement, la charge tombe presque exclusivement sur les proprie´taires fonciers. Certes, c’est un grand vice dans notre syste`me actuel des impoˆts, et nul doute que si le ministre des finances de 1814 avait pu y reme´dier, ou si le ministre actuel le pouvait faire aujourd’hui, ni l’un ni l’autre n’eussent manque´ de proposer ce changement, si de´sirable ; mais a` l’une et a` l’autre e´poque, et l’anne´e dernie`re surtout, il fallait pre´senter aux cre´anciers de l’e´tat et aux capitalistes dont on pouvait avoir besoin pour faire un emprunt, des rentre´es certaines qui ne pussent faire craindre ni non-valeurs, ni de´ficit, et les centimes addi tionnels ajoute´s aux contributions directes, et particulie`rement a` l’impoˆt foncier, pre´sentaient seuls cette suˆrete´, en quelque sorte mate´rielle. D’ailleurs, abstraction faite meˆme de cette conside´ration particulie`re, la mauvaise re´colte en ble´, dont la cherte´ influe d’une manie`re funeste sur l’aisance ge´ne´rale et sur toutes les consommations quelconques, et particulie`rement plusieurs re´coltes successives presque nulles en vin, ne permettaient aucunement d’espe´rer un grand produit des droits sur les boissons, quand meˆme on aurait voulu passer sur l’injustice qu’il y aurait eu a` les e´lever dans des circonstances aussi de´sastreuses. Mais de ce que ce changement salutaire dans notre syste`me d’impoˆts n’a pu s’effectuer jusqu’ici, il ne s’ensuit aucunement qu’il faille y renoncer. Une fois bien convaincu de la justesse du principe ge´ne´ral, que je crois avoir de´montre´e jusqu’a` l’e´vidence, il suffit de ne pas le perdre de vue, pour ope´rer successivement, et cela de`s l’anne´e prochaine, le changement propose´, qui meˆme pourra s’effectuer par la force des choses, et sans aucune disposition financie`re adopte´e ad hoc. D’une part, si une anne´e plus abondante en vin et une re´colte moins mauvaise en ble´ augmentent le produit des droits sur les consommations, les de´penses ou charges restant les meˆmes, on pourra diminuer d’autant les centimes additionnels de l’impoˆt foncier, ou les droits d’enregistrement, e´videmment trop e´leve´s, sur les mutations par suite de vente, droits qui entravent la circulation et les ame´liorations des proprie´te´s foncie`res. Et la meˆme diminution sur les contributions directes pourra s’effectuer sans qu’il y ait augmentation dans le produit des droits sur les consommations, si, comme il faut l’espe´rer, le montant des de´penses diminue, ainsi que cela paraıˆt de´ja` avoir lieu cette anne´e-ci. Dans trois ans
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d’ici, le changement propose´ pourra meˆme eˆtre effectue´ en totalite´, par suite de la cessation d’une charge de pre`s de 300 millions que nous sommes aujourd’hui force´s de payer annuellement aux puissances e´trange`res pour les contributions de guerre et l’entretien de leurs troupes. Ces deux exemples suffisent, je crois, pour faire voir l’importance extreˆme qu’il y a pour le gouvernement aussi-bien que pour les contribuables, a` ce que des lois d’exception ne fassent pas perdre de vue les principes ge´ne´raux auxquels il faut revenir toˆt ou tard, quand les circonstances particulie`res qui en empeˆchaient l’application imme´diate, viennent a` changer. Toute de´viation de ces principes e´tant un mal, tout retard qu’on met a` y revenir, soit par erreur, soit par ne´gligence, retarde d’autant le soulagement des contribuables et les progre`s de l’aisance ge´ne´rale, et augmente, ce qui pis est, la difficulte´ toujours assez grande de corriger les abus inse´parables de toutes les lois ou re`glemens de circonstances. Apre`s ces observations pre´liminaires, je vais passer a` la discussion des trois principes ge´ne´raux que j’ai e´tablis plus haut.
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Les lois financie`res qui composent le budget ne doivent pas eˆtre oppose´es au but essentiel pour lequel le gouvernement repre´sentatif est institue´. Voyons d’abord quel est ce but ? La belle demande, dira-t-on : tout le monde sait cela depuis qu’il y a socie´te´ et gouvernement au monde. C’est le but pour lequel les hommes se re´unissent en socie´te´, et se soumettent a` un gouvernement quelconque, celui d’assurer a` chaque membre de la socie´te´ sa liberte´ individuelle, avec la jouissance et la libre disposition de sa proprie´te´. C’est la`, en effet, la re´ponse qu’on trouve dans tous les livres, et qu’on entend re´pe´ter tous les jours sous toutes les formes. Si cependant la garantie de la liberte´ individuelle et de la proprie´te´ particulie`re e´taient l’unique but pour lequel les hommes civilise´s se re´unissent en socie´te´ ou en corps de nation, et se soumettent a` un gouvernement re´gulier, ils pourraient, a` la rigueur, trouver ces avantages dans une association de brigands. Les Arabes, qui ne vivent que du vol fait a` main arme´e sur la grande route, savent tre`s-bien se garantir entre eux la liberte´ individuelle et la proprie´te´ mobiliaire (car ils n’en ont pas d’autre) des membres de la meˆme tribu. Les flibustiers, chez qui la piraterie e´tait l’unique profession, respectaient la proprie´te´ de leurs associe´s. Les peuples barbares, qui, lors de la chute de l’empire romain, quitte`rent leur sol natal pour ravager et piller en vrais brigands toute l’Europe me´ridionale, les Francs, les Saxons, les Nor-
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mands surtout, ne manquaient aucunement de lois destine´es a` garantir la liberte´ et la proprie´te´ des particuliers membres de leurs peuplades respectives. Les Romains, qui e´taient des brigands a` leur manie`re, vivant en bonne partie des tributs des peuples vaincus, et s’enrichissant de leurs de´pouilles, mettant au sac les villes qui osaient leur faire re´sistance, et emmenant par milliers les malheureux habitans, pour leur servir d’esclaves ; les Romains, dis je, avaient, pour assurer la liberte´ et la proprie´te´ des citoyens, des lois civiles et une jurisprudence qui ont e´te´ adopte´es par plus d’une nation civilise´e, long-tems apre`s que le peuple romain qui les avait faites, eut cesse´ d’exister. Enfin, l’histoire ancienne et moderne, celle de nos jours meˆme, nous fournissent plus d’une preuve qu’une association vicieuse dans son but, et un gouvernement de´testable, peuvent, jusqu’a` un certain point, garantir la liberte´ individuelle et la proprie´te´ particulie`re des gouverne´s. A la ve´rite´, ces deux garanties sont celles que les gouverne´s de tout peuple un peu civilise´, cherchent a` se procurer de la part du gouvernement sous lequel ils vivent. Mais chez une nation assez avance´e en civilisation pour eˆtre parvenue a` jouir en re´alite´ d’un gouvernement repre´sentatif, elles ne suffisent pas ; elles sont tout au plus conditio sine qua` non, sans quoi ce gouvernement ne saurait exister. Chez cette nation, le gouvernement doit se proposer un but plus e´leve´, plus noble que celui de garantir simplement aux gouverne´s la liberte´ individuelle et la jouissance de leur proprie´te´. Ce but, qui est clairement indique´ par plus d’un article fondamental de la Charte, est de favoriser, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, le perfectionnement de leurs faculte´s intellectuelles, et le libre de´veloppement de leur industrie, qui en est toujours la suite ne´cessaire. En visant constamment a` ce but, qui est celui de toute association d’hommes conside´re´s comme des eˆtres doue´s de raison et d’intelligence, le gouvernement non-seulement augmente ses revenus et sa puissance, mais il s’assure mieux que par tout autre moyen, le respect et l’amour des gouverne´s, a` qui il pre´sente ainsi la perspective d’un bonheur, d’une prospe´rite´ toujours croissante. Car l’homme en ge´ne´ral, et l’homme civilise´ surtout, n’est heureux qu’autant qu’il est, sous un ou plusieurs rapports, dans un e´tat progressif. Les Turcs, a` qui la religion et le gouvernement interdisent a` la fois tout perfectionnement de leurs faculte´s intellectuelles, tout de´veloppement de leur industrie, languissent dans l’apathie ; ils se re´voltent d’ennui. Chez les Chinois, la grande majorite´ du peuple est malheureuse et mise´rable ; il ne s’y passe pas d’anne´es qu’une ou plusieurs provinces ne se re´voltent, que des milliers d’individus ne pe´rissent de faim et de mise`re, uniquement parce qu’une le´gislation vicieuse et un mauvais gouvernement les rendent stationnaires depuis des sie`cles ; et cependant c’est la nation la plus riche du monde connu. La crise effrayante enfin que l’Angleterre vient d’e´prouver, crise trop connue pour qu’il soit
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ne´cessaire de la de´crire, n’avait d’autre cause que l’e´tat stationnaire ou` se sont trouve´es beaucoup de branches de commerce et d’industrie (toutes celles notamment qui travaillaient et fournissaient pour la guerre de terre et de mer), par suite du passage subit de la guerre la plus ge´ne´rale qu’il y ait jamais eu, a` la paix. La voila` de nouveau dans un e´tat progressif, et la crise a cesse´. De´sirant e´carter, dans le travail dont je me suis charge´, toute discussion e´trange`re a` l’e´conomie politique, au commerce, et particulie`rement aux finances ; je laisserai de coˆte´ les nombreux avantages qui, sous le rapport de la politique et de la morale, re´sultent pour le gouvernement, du perfectionnement des faculte´s intellectuelles des gouverne´s, et dont le moindre est la gloire d’eˆtre a` la teˆte d’une nation e´claire´e, active et intelligente, pour m’occuper uniquement de l’influence prodigieuse que ce meˆme perfectionnement a sur les progre`s de la richesse nationale, qui seule peut alimenter le tre´sor public. Or, celle-ci n’est pas bien difficile a` de´montrer. La source de toute richesse e´tant le travail productif, et les produits de ce travail e´tant d’autant plus conside´rables qu’il est conduit avec plus d’intelligence, une nation e´claire´e doit, toutes autres choses e´gales, eˆtre plus industrieuse, avoir des ouvriers plus intelligens et adroits, fournir une masse de travail productif plus forte, et faire par conse´quent des progre`s plus grands en richesse et en aisance, que celle chez qui la majeure partie de la population croupit dans l’ignorance, ne sachant souvent ni lire ni e´crire, n’ayant aucune occasion, aucun moyen meˆme d’exercer leur jugement et de de´velopper les faculte´s intellectuelles que la nature leur a donne´es. Cet argument a` priori est corrobore´ par l’expe´rience. Qu’on parcoure les diffe´rens e´tats qui composent l’Europe, on verra partout que toutes les branches d’industrie, l’agriculture aussi bien que le commerce et les manufactures, y fleurissent en raison directe des lumie`res plus ou moins re´pandues parmi ce qu’on appelle le bas-peuple, qui fournit presque exclusivement les travailleurs et ouvriers dans tous les genres. Les habitans de l’Ame´rique septentrionale et des E´tats-Unis sont supe´rieurs, sans comparaison aucune, a` ceux de toutes les autres parties du nouveau continent, en intelligence et lumie`res, comme ils les surpassent e´galement en travail productif et en aisance. Qu’on prenne au hasard cent paysans espagnols ou portugais, et qu’on compare leur manie`re de vivre, leur aisance, avec celle de cent paysans hollandais, anglais ou normands, et l’on se convaincra bientoˆt que, meˆme chez ce qu’on appelle le peuple des campagnes, l’aisance et les douceurs de la vie se trouvent eˆtre en raison directe de l’intelligence et des lumie`res re´pandues parmi cette classe nombreuse qui forme la principale 21 majeure ] la source porte jeure A1
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richesse et force de l’e´tat. Que dire maintenant d’un conseil ge´ne´ral de de´partement qui, au commencement du 19e. sie`cle, ose proposer au ministe`re de l’inte´rieur d’une des nations les plus e´claire´es de l’Europe, d’empeˆcher la propagation des lumie`res parmi les classes infe´rieures !! A coˆte´ du perfectionnement des faculte´s intellectuelles de la grande masse des gouverne´s, qui de´pend essentiellement de la multiplication et surtout de la bonne organisation des e´coles primaires, et que l’enseignement mutuel seul avancera plus en dix ans que les anciennes me´thodes ne l’auraient fait en un sie`cle, il faut placer le libre de´veloppement de tous les genres de travail et d’industrie. Et qu’on ne croie pas qu’il faille pour cela faire une de´pense conside´rable ou de grands efforts de ge´nie dans la conception du plan, joints a` un travail difficile et opiniaˆtre dans son exe´cution ; il suffira simplement d’e´carter les obstacles que les pre´juge´s et l’inte´reˆt particulier opposent constamment, et malheureusement trop souvent avec succe`s, a` ce de´veloppement qui est dans la nature meˆme de l’homme et des choses, et qui ne demande qu’a` ne pas eˆtre contrarie´ pour faire journellement des progre`s. C’est sous ce point de vue, le plus important peut-eˆtre de tous pour les contribuables, qu’il faut avant tout examiner les diverses dispositions d’un budget ; c’est sous ce rapport surtout que l’ancien syste`me financier e´tait vicieux. Il y avait des maıˆtrises et jurandes a, a
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A chaque session des chambres, des financiers officieux, les uns simplement partisans des anciens us et coutumes, les autres spe´culant sur les places que pre´sente tout nouvel e´tablissement, proposent de ressusciter, par une loi ge´ne´rale, les anciennes maıˆtrises et jurandes. On leur objecte les progre`s visibles qu’ont fait en France les arts et me´tiers, et surtout les manufactures de toute espe`ce, depuis qu’elles sont abolies. On leur oppose l’exemple bien plus frappant encore de l’Angleterre, qui, dans le dix-septie`me sie`cle, en avait pour tous les me´tiers et dans toutes les villes, et ou` la loi commune, qui ne les connaıˆt point, jointe a` l’opinion, les a successivement fait disparaıˆtre, au point qu’il n’y a plus une seule ville commerc¸ante ou manufacturie`re qui en ait. A Londres meˆme, il n’y en a que dans la cite´ ; Southwark et Westminster, les quartiers les plus commerc¸ans et manufacturiers de cette capitale, n’en ont pas davantage que Manchester, Birmingham et Liverpool. C’est meˆme le progre`s de l’industrie manufacturie`re qui a fait tomber ces institutions gothiques, comme incompatibles avec tout perfectionnement et avec la liberte´ qu’exige le commerce. Alors ces MM. opposent des calculs pour prouver qu’outre l’avance che`rement paye´e de quelques millions pour le moment, le gouvernement en retirera un revenu annuel supe´rieur a` celui qu’il retire des patentes qui les ont remplace´es. Si je pouvais ici entrer dans quelques de´tails, il me serait facile de prouver que la plupart des donne´es sur lesquelles ces calculs sont base´s, sont aussi inexactes que les conse´quences qu’on voudrait en tirer sont fausses. Mais admettons pour un moment que les maıˆtrises rapportent effectivement le double du produit des patentes ; he´ bien, dans cette supposition meˆme, il vaudrait mieux, pour les contribuables industrieux, payer ce double droit, ou, pour le gouvernement, renoncer a` cette malheureuse ressource additionnelle, que de se la procurer en arreˆtant les progre`s de l’industrie et de la richesse nationale, par le re´tablissement de corporations dont la de´cadence et les ruines, telles qu’on les voit en Angleterre a` coˆte´ des manufactures les plus florissantes, attestent les vices et les inconve´niens.
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obstacles presque invincibles au de´ veloppement de l’industrie manufacturie`re, des douanes inte´rieures, des pe´ages sur les rivie`res, des entraves de toute espe`ce mises au commerce inte´rieur et exte´rieur, a` la libre circulation des capitaux et des proprie´te´s ; et toutes ces entraves tendantes a` appauvrir les contribuables, formaient autant de branches du revenu public !! Qu’on ajoute a` cela les privile´ges de toute es pe`ce, l’ine´galite´ proportionnelle des impoˆts, tant de millions d’acres de terres greve´s de substitutions, de mainmorte et de dıˆmes, les droits fe´odaux et autres institutions vicieuses qui tendaient directement ou indirectement a` arreˆter les progre`s de l’industrie et du travail productif, et l’on cessera d’eˆtre surpris en voyant l’embarras ou` se trouvait, en 1788, l’ancien gouvernement, pour lever environ 500 millions, apre`s tant d’anne´es de paix, avec un commerce exte´rieur des plus florissans, avec des colonies et des milliards de capitaux et richesses mobiliaires, que la re´volution et la guerre ge´ne´rale ont engloutis, tandis qu’aujourd’hui il a moins de peine a` lever une somme presque double, apre`s vingt anne´es de re´volution et de guerre, apre`s une invasion des plus de´sastreuses, a` la suite d’une mauvaise re´colte, sans commerce exte´rieur ni colonies, et apre`s la perte de tant de milliards de richesses mobiliaires accumule´es pendant des sie`cles !! J’ai de´ja` pre´sente´ plus d’une fois, dans mes pre´ce´dens e´crits, ce rapprochement de faits notoires, et je le reproduis ici parce que je le crois, dans les circonstances actuelles surtout, d’une importance extreˆme. Bien me´dite´, il suffit pour de´montrer (ce qui, au reste, est prouve´ depuis long-tems par l’expe´rience que fournit la comparaison de l’administration anglaise avec celle des autres grands e´tats de l’Europe), que chez une nation e´claire´e et in dustrieuse, l’e´conomie dans les de´penses, quelque de´sirable qu’elle soit, n’est pas toujours l’unique, que parfois meˆme elle n’est pas le principal objet sur lequel ses commettans doivent fixer leur attention en examinant un budget. Les impoˆts et autres moyens propose´s pour faire face aux de´penses, sont-ils de nature a` favoriser ou a` contrarier le de´veloppement de l’industrie et l’accroissement de la richesse nationale ? Voila` la grande question, et c’est celle dont on s’occupe ge´ne´ralement le moins ; car je ne compte pour rien ces discussions faites dans l’esprit du syste`me mercantile, qui ne tendent qu’a` favoriser, par des prohibitions et des lois pe´nales, des branches particulie`res de l’industrie manufacturie`re au pre´judice de toutes les autres, et particulie`rement de l’agriculture et du commerce, et dont les re´sultats, loin d’eˆtre favorables au de´veloppement ge´ne´ral de l’industrie et a` l’accroissement de la richesse nationale, en arreˆtent puissamment les progre`s. Je sais qu’une partie de ce que je viens d’avancer peut ne pas eˆtre tre`s-populaire ; 35 particulie`res ] la source porte parparticulie`res A1
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ce n’en est pas moins une ve´rite´ pour moi. Rien de plus e´conome que le gouvernement prussien sous Fre´de´ric-le-Grand, et le gouvernement autrichien sous Joseph II. Rien de moins e´conome que le gouvernement anglais a` la meˆme e´poque ; et cependant, graˆce a` une constitution particulie`rement favorable au de´veloppement de l’indus trie, et graˆce encore au syste`me des emprunts et du cre´dit public adopte´ par le gouvernement anglais (car du reste les trois gouvernemens cite´s adhe´raient tous plus ou moins au syste`me mercantile). tous les genres d’industrie, et l’agriculture plus que toute autre branche, ont fait des progre`s bien plus conside´rables, et l’aisance des contribuables a augmente´ dans une proportion incomparablement plus forte en Angleterre, qu’elle n’a fait en Prusse et en Autriche aux e´poques correspondantes ; et cela n’est pas e´tonnant. Il en est, sous ce rapport, de l’administration d’un grand e´tat comme de celle d’un domaine particulier. Un re´gisseur bien e´conome, mais peu intelligent, pourrait gagner 20 pour 100 sur les frais de re´gie, et administrer d’ailleurs assez mal pour que le proprie´taire perdıˆt 40 pour 100 sur le revenu, sans compter la perte re´sultante de l’appauvrissement de la terre qui est son capital. A Dieu ne plaise, toutefois, que je veuille de´tourner l’attention de la chambre des de´pute´s ou celle du public de l’examen se´ve`re des diverses de´penses qui pourront se trouver en projet dans le budget ! Toute de´pense inutile d’e´lague´e, toute de´pense outre´e re´duite a` ce qu’elle doit eˆtre, est non seulement un soulagement, un bienfait pour les contribuables, c’est un acte de justice rigoureuse qu’ils ont droit d’exiger de leurs commettans. J’ai de´ja` preˆche´ d’exemple lors de la discussion du dernier budegt, en critiquant les deux de´penses qui jouissent ge´ne´ralement d’une grande faveur en France, celle du de´partement de la guerre et de la marine, parce que, comparativement a` notre position, elles me paraissaient vraiment trop fortes. Mais tout en plac¸ant la re´duction des de´penses au premier rang, je ne voudrais pas qu’elle absorbaˆt l’attention publique, exclusivement ou a` peu pre`s, comme cela est arrive´ l’anne´e dernie`re, et comme cela doit arriver assez naturellement lorsque l’ensemble des de´penses re´duites et juge´es indispensables, paraıˆt encore bien fort, comparativement aux moyens des contribuables et aux charges dont ils sont de´ja` greve´s. Sous ce rapport, au reste, l’e´conomie dans les de´penses est devenue tellement populaire, qu’elle ne manquera pas de de´fenseurs, et il est plus que probable que les divers ministres, chacun dans son de´partement, iront, autant qu’ils pourront, au-devant de l’opinion publique sur ce point. Mais il pourra fort bien n’en eˆtre pas de meˆme pour les lois financie`res contraires au de´veloppement de l’industrie et a` la libre circulation des pro24 budget ] la source porte budegt A1
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prie´te´s mobiliaires et immobiliaires. Outre que l’urgence des besoins ne permet pas toujours de faire a` cet e´gard les ame´liorations qu’on voudrait, l’influence funeste de plusieurs de ces lois sur les deux grandes sources de la richesse et de la prospe´rite´ pu blique, n’est pas encore assez sentie en France, pour que l’habitude ou plutoˆt la routine, jointe a` l’inte´reˆt particulier et aux intrigues de ceux a` qui ces mauvaises lois profitent, ne l’emportent contre la saine raison et l’expe´rience. Il y a si peu de tems que le public s’occupe de ces matie`res, et pendant ce tems-la` meˆme on ne pouvait les traiter qu’en e´crivant dans le sens du gouvernement, qui seul avait a` sa disposition la liberte´ de la presse, et cependant il n’y a pas de matie`res dont la discussion ait plus besoin de cette liberte´. C’est pour faire sentir toute l’importance de l’examen de ces lois, que je vais ajouter les re´flexions suivantes. L’influence funeste que de mauvaises lois financie`res peuvent avoir sur le de´veloppement de l’industrie, n’est pas la meˆme chez toutes les nations, et elle n’est pas la meˆme chez une nation dans tous les tems. En ge´ne´ral elle est d’autant plus nuisible qu’une nation est plus e´claire´e, plus active, plus industrieuse, plus avance´e, en un mot, en civilisation, parce que dans cette position le gouvernement a des rapports plus nombreux avec les gouverne´s, et que l’industrie de ceux-ci se trouve plus en contact avec lui et avec les agens charge´s de l’exe´cution de ces lois. Chaque mauvaise loi de cette espe`ce attaque alors des milliers de producteurs, elle entrave leur industrie de mille manie`res ; de´tourne les capitaux du chemin qu’ils auraient naturellement pris, pour leur donner une fausse direction ; non seulement elle empeˆche ou diminue l’accroissement des productions, mais, ce qui pis est, elle arreˆte la faculte´ de produire ; et tous ces effets sont d’autant plus sensibles qu’une nation est davantage dans un e´tat progressif, quelle que soit d’ailleurs sa richesse ou sa pauvrete´ absolue. Or c’est pre´cise´ment l’e´tat dans lequel se trouve en ce moment la nation franc¸aise. Apre`s avoir traverse´ vingt-cinq anne´es de re´volution et de guerre, a` la fin de laquelle elle a vu une partie conside´rable de son territoire envahi, la France a sans doute perdu une quantite´ e´norme de richesses, mobiliaires a, accumule´es avant la re´volution, et dont le papier monnaie seul, qui agit sur ces richesses comme un fondant sur les matie`res vitrifiables, a fait disparaıˆtre plusieurs milliards. Mais comme le nouvel ordre de choses a procure´ aux Franc¸ais mille moyens pour en acque´rir qui leur manquaient autrefois, et comme ils en ont profite´ autant que les circonstances le permettaient, il y a
Telles e´taient les caves des grands seigneurs et financiers, remplies de vins fins ; la vaisselle platte et l’argenterie, les ameublemens pre´cieux, le linge de table, les bijoux, etc., appartenans a` la meˆme classe ; les grands magasins de draps fins, de lingerie, de soierie, de orfe´vrerie, de bijouterie, etc., appartenans aux six corps des marchands, etc.
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a du tems que cette perte est re´pare´e et au-dela` : Loin qu’il y ait aujourd’hui en France moins de richesses mobiliaires meˆmes qu’il n’y en avait autrefois, il suffit d’avoir parcouru quelques de´partemens pour se convaincre que la quantite´ en est conside´rablement augmente´e. Je n’en excepte pas meˆme Paris, quoique ce soit de toutes les villes du royaume celle qui ait le plus souffert et perdu en ce genre par la re´volution, avant laquelle elle e´tait le domicile de presque tous les grands proprie´taires. Sans doute il n’y a plus autant de ces richesses mobiliaires accumule´es depuis de longues anne´es dans les grands hoˆtels et chaˆteaux de la noblesse, de la robe et de la finance, qu’il y en avait sous l’ancien re´gime, mais la masse de la population en est mieux pourvue qu’elle ne l’e´tait jadis ; ce qu’on appelle le peuple est en ge´ne´ral mieux veˆtu, mieux loge´, et surtout mieux meuble´. C’est dans les campagnes surtout, chez les fermiers et les cultivateurs petits proprie´taires, que cette ame´lioration se fait remarquer. Mais le mobilier le plus important en valeur re´elle, et en utilite´ ou en produit annuel, dont l’augmentation incalculable appartient en entier aux proprie´taires fonciers, fermiers et cultivateurs des dernie`res quinze a` vingt anne´es, consiste dans le be´tail nourri dans les fermes et les paˆturages singulie`rement augmente´s des prairies artificielles, et dans les troupeaux de beˆtes a` laine, dont le nombre et la valeur sont aujourd’hui plus que double´s. Que deviennent aupre`s de ces grandes richesses mobiliaires, productives a` la fois et en quelque sorte impe´rissables, ces anciennes richesses purement mobiliaires, accumule´es jadis en grosses masses dans des maisons opulentes, ou dans les magasins isole´s des marchands de´taillans de la capitale, richesses non seulement en grande partie improductives, mais de´truites journellement par la consommation et l’usage, sans pouvoir eˆtre reproduites que par de nouveaux achats ou une nouvelle de´pense ! Et qu’on ne dise pas que toutes ces richesses mobiliaires, disse´mine´es aujourd’hui sur toute la surface du royaume, qui ont remplace´ les anciennes et au-dela`, proviennent des de´pouilles des anciens possesseurs. Celles qui provenaient de cette source impure ont disparu depuis long-tems ; elles ont e´te´ gaspille´es et de´vore´es par le papier-monnaie, aussi vite qu’elles avaient e´te´ acquises. Voici la ve´ritable source de ces nouvelles richesses mobiliaires, laquelle fait voir en meˆme tems qu’elles ne peuvent qu’augmenter d’anne´e en anne´e, tant que l’industrie et les capitaux des possesseurs actuels ne seront pas de´range´s par la guerre, ou par de mauvaises lois. J’ai de´ja` dit que si, dans le cours de la re´volution et de la guerre, la France a perdu beaucoup de richesses mobiliaires, ses habitans avaient acquis en revanche, par le nouvel ordre de choses, mille moyens d’en acque´rir qui leur manquaient autrefois. Au premier rang de ces moyens ou instrumens de richesses, il faut mettre une culture infiniment mieux raisonne´e des
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terres, et une industrie singulie`rement perfectionne´e, par cela seul que la re´volution, dont certes aucun homme juste, humain et raisonnable n’excusera les horreurs et les exce`s, a ne´anmoins, en dernie`re analyse, augmente´ d’une part, et cela conside´rablement, le nombre des proprie´taires et cultivateurs inde´pendans, et fait disparaıˆtre d’un autre coˆte´, les nombreux obstacles qui s’opposaient au de´veloppement de l’industrie agricole aussi-bien que manufacturie`re et commerc¸ante. La grande masse de la population a incontestablement plus de lumie`res, plus d’expe´rience, et, par-dessus tout, plus d’activite´ et d’e´nergie qu’elle n’en avait ; et comme, sous un gouvernement constitutionnel, chacun est assure´ de jouir du fruit de son travail et de ses e´conomies, les hommes qui ont le bonheur de vivre sous sa protection, deviennent ne´cessairement travailleurs et e´conomes. C’est la` aussi la raison pour laquelle le bas peuple, dans les villes aussi-bien que dans les campagnes, est ge´ne´ralement mieux loge´, mieux meuble´ et veˆtu, ainsi que je l’ai de´ja` dit. Toutes les circonstances e´nume´re´es plus haut ayant augmente´ le nombre des proprie´taires, ouvriers et cultivateurs inde´pendans, ont duˆ ne´cessairement amener une hausse re´elle dans les salaires et journe´es de travail, et cette hausse a permis aux individus qui autrefois gagnaient a` peine, dans leur journe´e, de quoi se nourrir eux et leur famille, d’e´conomiser successivement de quoi se loger, meubler et veˆtir avec plus d’aisance. Cette ame´lioration saute aux yeux de tout e´tranger qui revient a` Paris apre`s l’avoir quitte´ en 1789. Et cependant, encore une fois, Paris est, de toutes les villes de la France, celle qui a le plus souffert de la re´volution et de ses suites. Je n’ai parle´ jusqu’ici que des richesses mobiliaires que posse`de la France actuelle, et des moyens nouveaux qu’elle a acquis pour les entretenir et augmenter. Que serait-ce si je pouvais e´nume´rer ici toutes les richesses nouvelles qu’elle a acquises depuis vingt ans, en chemins et canaux, en forges et usines de toute espe`ce, en e´tablissemens, machines et ateliers, en baˆtimens d’exploitation, en toutes ces choses pre´cieuses enfin qui composent le capital fixe d’une nation industrieuse, et dont chacune est non-seulement une richesse re´elle, mais un moyen d’augmenter et d’entretenir celles que la nation posse`de de´ja`. De toutes ces circonstances re´unies, il re´sulte que la nation franc¸aise en masse est non-seulement plus riche, mais qu’elle a tout ce qu’il faut pour accroıˆtre sa richesse. Et comme, d’un aute coˆte´, elle est plus dispose´e au travail, et qu’elle travaille avec plus d’intelligence, il s’ensuit que sa de´tresse actuelle, quelle qu’elle soit, ne peut eˆtre que passage`re, parce que la grande masse de la population est dans un e´tat progressif. Or, c’est dans cette position surtout qu’il importe de veiller a` ce que les lois financie`res ne contrarient pas trop le de´veloppement si naturel du travail et des faculte´s
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productives des contribuables, soit en les forc¸ant de donner, contre leur gre´, telle ou telle direction a` leur industrie ou a` leurs capitaux, soit en entravant la vente et le de´bit de leurs productions, ou les e´changes en ge´ne´ral. Mille fois mieux vaudrait-il, pour eux et pour le tre´sor public, leur faire payer dix centimes par franc de plus, et les de´barrasser de ces entraves qui les empeˆchent d’en gagner vingt par un travail plus profitable. Lors de la discussion du budget particulier de cette anne´e, nous aurons plus d’une fois occasion d’appliquer ce principe ; en attendant, je me contenterai d’en indiquer simplement une. Un article de la loi sur le concordat dit que les nouveaux e´veˆche´s seront dote´s en terres et en rentes ; j’aurais mieux aime´ qu’il y euˆt dans le texte : ou en rentes, parce que l’e´tat aurait eu l’alternative ; mais au moins la proportion reste-t-elle a` de´terminer. Cela pose´, et admettant qu’un e´veˆche´ dote´ un quart en terres qu’il faudrait acheter, et trois quarts en rentes, couˆtaˆt, avec le se´minaire, les chanoines et les autres accessoires, 100 mille francs ; tandis qu’en le dotant trois quarts en terres, dont l’e´tat pourrait disposer, et un quart en rentes, la de´pense annuelle ne s’e´leverait qu’a` 60 mille francs : je dis qu’il vaudrait mieux payer la premie`re somme, parce qu’il en re´sulterait d’autant moins de biens de main-morte, qui, apre`s les dıˆmes, sont le plus grand obstacle aux progre`s de l’agriculture. Par une raison semblable, les contribuables gagneraient a` payer 20 millions de plus par an sur les consommations, s’ils pouvaient obtenir une re´duction de 10 millions seulement sur les droits d’enregistrement, qui empeˆchent efficacement les mutations et e´changes des proprie´te´s foncie`res.
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Dans tout budget il doit, autant que possible, re´gner une certaine unite´ de plan et de vues, de manie`re que les diverses lois financie`res qui le composent ne soient pas en opposition entre elles, et surtout avec le syste`me entier sur lequel le budget est base´. En examinant sous ce rapport les divers budgets qui ont paru depuis la restauration, il se pre´sente au premier aspect, et comme l’on dit, ad aperturam libri, une contradiction e´vidente entre le syste`me entier des impoˆts et celui du cre´dit public qui forme ou doit former un des principaux e´le´mens de tous. Ce dernier suppose que non seulement on paiera exactement les arre´rages de toute la dette de´ja` constitue´e, mais que pendant un certain nombre d’anne´es on augmentera le capital et les arre´rages de celle-ci par de nouveaux emprunts, afin de pouvoir couvrir le de´ficit des recettes sur les de´penses. Ce syste`me a e´te´ adopte´, moins comme re´sultat d’une the´orie
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raisonne´e du cre´dit public ou comme e´le´ment indispensable d’un bon plan de finances, que comme un expe´dient sugge´re´ par l’impossibilite´ morale de pouvoir lever par les impoˆts, et dans l’anne´e meˆme, tout le montant des de´penses ordinaires et extraordinaires. On a eu recours aux emprunts, et on va y recourir encore, parce qu’on ne pouvait et qu’on ne peut faire autrement, et comme le paiement exact des arre´rages des emprunts de´ja` faits est conditio sine qua` non, pour pouvoir en faire de nouveaux, nous avons et nous conserverons probablement un syste`me de cre´dit public, parce qu’il a fallu faire de ne´cessite´ vertu a. N’importe, au reste, de quelle manie`re nous a
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C’est une opinion ge´ne´ralement rec¸ue en France, et meˆme en Angleterre, ou` cependant le cre´dit public fait, depuis plus de cent ans, la base de tout le syste`me financier, qu’il ne faut jamais emprunter que pour les besoins extraordinaires que le produit des impoˆts ou recettes ordinaires ne peut couvrir. Aussi le gouvernement anglais n’emprunte-t-il ordinairement qu’en tems de guerre, ou dans la premie`re anne´e de paix, lorsqu’il s’agit de fonder ou de consolider la dette contracte´e pendant la guerre. Je ne partage aucunement cette opinion ; je pense que, meˆme en tems de paix, une nation active et industrieuse qui sait faire valoir ses capitaux et n’en a jamais de trop, ferait sagement de couvrir, par des emprunts, une partie des de´penses ordinaires, afin de payer, par le moyen de l’amortissement, dans un grand nombre d’anne´es, les meˆmes sommes que, sans cet expe´dient, elle serait oblige´e de payer dans l’anne´e. Par-la`, les contribuables gardent par devers eux, moyennant le paiement d’un inte´reˆt annuel modique, une foule de petits capitaux qu’ils font valoir avec un profit bien plus fort dans les diverses branches de leur industrie, et que l’impoˆt leur enlevait. D’un autre coˆte´, les capitalistes preˆteurs qui avancent les fonds de l’emprunt au gouvernement, y gagnent e´galement, parce qu’autrement ils ne preˆteraient point. De cette manie`re, l’emprunt ame´liore le sort de tous, tandis que l’impoˆt tend a` appauvrir tous les travailleurs productifs en leur enlevant les capitaux disse´mine´s dont ils ont un besoin journalier. C’est ainsi, n’en doutons pas, que l’Angleterre, qui, pendant la guerre, emprunte toujours ouvertement, et qui en tems de paix meˆme emprunte sourdement en e´mettant des billets d’e´chiquier portant inte´reˆt par jour, est parvenue a` faire face a` des de´penses e´normes, et en grande partie improductives, sans que cela ait empeˆche´ la nation de prospe´rer dans toutes les branches d’industrie. Sans doute elle euˆt prospe´re´ davantage si le gouvernement n’euˆt pas fait les de´penses qui ont ne´cessite´ l’emprunt ; mais de`s que celles-ci ont e´te´ juge´es ne´cessaires, l’emprunt e´tait le seul moyen de les rendre moins one´reuses pour la nation. C’est sous ce rapport seul que les emprunts sont utiles ; ils sont moins nuisibles que les impoˆts ; car d’ailleurs c’est une ve´ritable niaiserie que d’y chercher une source, une cre´ation de richesses. Moins le gouvernement de´pense, moins il cre´e d’impoˆts et d’emprunts, plus il soulage les contribuables, plus il les enrichit ; le meilleur serait de pouvoir se passer des uns et des autres. Je crois avoir de´veloppe´ assez clairement, dans mon dernier ouvrage, et plus encore dans mon Cours sur le syste`me financier de l’Angleterre, cette doctrine que j’avais avance´e, il y a vingt ans, dans la Bibliothe`que Ame´ricaine, et dans plusieurs autres ouvrages pe´riodiques dont j’e´tais alors un des collaborateurs. Je l’ai soutenue depuis avec une constance imperturbable contre l’opinion presque ge´ne´rale qui voyait la ruine ine´vitable de l’Angleterre dans ce meˆme syste`me qui seul a fait son salut. La crise effrayante meˆme dont elle vient de sortir, crise produite par le passage subit de la guerre a` la paix, et qui n’avait rien de commun avec la dette publique a` laquelle on l’attribuait faussement, loin d’affaiblir cette
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l’ayons obtenu, il est adopte´ et va eˆtre pour suivi ; il fait et fera un des principaux e´le´mens du budget prochain, et sans doute de ceux de plus d’une anne´e a` venir. Par une conse´quence ne´cessaire de ce syste`me, une portion conside´rable du produit annuel des impoˆts de toute nature sera employe´e a` payer les arre´rages des rentes, plus les sommes affecte´es au fonds d’amortissement, et cette portion qui est de´ja` de plus de 160, et qui avant deux ans s’e´levera a` plus de 200 millions, formant le tiers environ de toutes les recettes ordinaires, sera re´partie annuellement, par semestre, directement ou indirectement, entre les rentiers ou cre´anciers de l’e´tat pour toute la partie constitue´e de la dette. Sous le rapport seul de l’e´quite´ et de la justice distributive, il faudrait donc que notre syste`me d’impoˆts fuˆt organise´ de manie`re a` ce que les rentiers qui profitent exclusivement presque de la charge impose´e aux contribuables en masse pour le paiement de la dette publique, supportassent au moins leur quote-part dans les impoˆts que ce paiement ne´cessite. Or, ce but ne peut eˆtre rempli que par les impoˆts sur les consommations, les seuls par lesquels on puisse atteindre les rentiers, a` moins qu’on ne veuille recourir a` l’absurde expe´dient d’imposer la rente par une retenue, ce qui aurait le double inconve´nient d’une violation du contrat envers les anciens preˆteurs, et de l’impossibilite´ d’en trouver de nouveaux. Mais il s’en faut bien que l’e´quite´ et la justice distributive soient les seuls motifs qui doivent porter a` augmenter les impoˆts sur les consommations, et a` diminuer proportionnellement les autres dans tout budget ou` le paiement des arre´rages de la dette publique forme ou doit former par la suite une partie conside´rable de la de´pense ge´ne´rale. Il y a une conside´ration majeure et que je crois neuve en faveur de cette mesure, a` laquelle tient en grande partie le succe`s des nouveaux emprunts, et la consolidation de toute dette publique d’une certaine e´tendue. Supposons pour un instant que les rentiers ou les cre´anciers de l’e´tat forment une classe de citoyens absolument isole´s du reste, de manie`re qu’il ne se trouve dans le nombre pas un seul proprie´taire foncier, et que, d’un autre coˆte´, tous les impoˆts cre´e´s pour le paiement des arre´rages et l’amortissement de la dette publique, ou meˆme simplement la majeure partie des impoˆts quelconques, consiste en contributions directes, paye´es par les proprie´taires fonciers. Dans cette position, 150 millions d’arre´rages a` payer annuellement, formeront de´ja`, pour ces derniers, une charge conside´rable, et en augmentant pendant un certain nombre d’anne´es cette charge, a` raison de 10 millions par an, par la cre´ation de nouveaux emprunts, il peut arriver un doctrine, n’a fait que la confirmer par le taux e´leve´ ou` sont monte´s les fonds publics de`s que la crise a cesse´, et ou` ils se soutiennent encore.
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moment ou` les proprie´taires, ne pouvant hausser proportionnellement le prix des produits de leur sol, verront s’enlever tout ou majeure partie de leur revenu net par les rentiers. Non seulement la culture des terres en souffrira, mais la leve´e des sommes affecte´es au paiement de la dette publique deviendra tous les jours plus difficile, la valeur ve´nale ou le cours des rentes baissera progressivement, les nouveaux emprunts deviendront impossibles, et tout le syste`me du cre´dit public s’e´croulera. Je viens de supposer le cas ou` toute la charge de la dette tomberait exclusivement sur les proprie´taires fonciers ; c’est une supposition extreˆme, un maximum inadmissible. Faisons une supposition contraire, d’apre`s laquelle, par une combinaison quelconque, la majeure partie de cette charge serait supporte´e par les rentiers, alors la leve´e des impoˆts affecte´s au paiement des arre´rages ne souffrirait presque plus de difficulte´s, parce que les cre´anciers de l’e´tat paieraient d’une main, en taxes, ce qu’ils auraient rec¸u de l’autre en arre´rages. Le seul inconve´nient qui re´sulterait de cette autre position extreˆme, c’est que le me´tier de rentier deviendrait si peu profitable, qu’on ne pourrait plus trouver de nouveaux preˆteurs qui voulussent l’embrasser ; mais toujours devient-il e´vident par ces deux suppositions extreˆmes, dont aucune ne peut se re´aliser, que plus le budget approchera de la premie`re, plus le paiement des arre´rages deviendra one´reux pour tous les contribuables, les rentiers seuls excepte´s, et plus le gouvernement e´prouvera de difficulte´s a` lever les contributions affecte´es a` cet objet. Plus, au contraire, la masse des impoˆts sur les consommations, les seuls qui affectent le rentier en commun avec les autres contribuables, sera relativement forte ; moins la perception sera difficile, et plus le paiement des arre´rages sera assure´. Ajoutons a` cela la ve´rite´ de fait, devenue aujourd’hui notoire, que les impoˆts sur les consommations non seulement se paient en quelque sorte volontairement au moment de l’achat de la boisson ou denre´e impose´e, mais qu’a` la longue et tant qu’ils ne sont pas exorbitans, ils se consolident avec le prix de l’objet impose´, de manie`re a` eˆtre paye´s journellement, sans que le contribuable consommateur s’en doute. L’impoˆt sur le vin vendu en de´tail a` Paris est certes tre`s-fort, puisqu’a` raison de 4 s. par bouteille il s’e´le`ve, en tems ordinaire, au tiers du prix de la denre´e, et au-dela` ; cependant cent mille ouvriers, et autres individus de la classe la moins aise´e de cette capitale, le paient tous les jours de l’anne´e, sans qu’ils y songent seulement. Enfin (et cette conside´ration seule suffirait pour faire rejeter sur les consommations tous les impoˆts ne´cessaires pour payer les arre´rages de la dette publique, et les charges du fonds d’amortissement) les droits sur les consommations sont les seuls qui, sans aucune augmentation du tarif, donnent tous les ans un accroissement de produit proportionnel a` l’accroissement de
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l’aisance des consommateurs qui forment la masse de la population ; leur produit devient, sous ce rapport, un thermome`tre infaillible de la prospe´rite´ ou de la mise`re publique. Et comme, d’un autre coˆte´, la facilite´ de faire des emprunts augmente e´galement avec cette aisance ge´ne´rale qui permet aux gouverne´s de faire des e´pargnes, et de les placer dans les emprunts, ces deux circonstances re´unies tracent naturellement au gouvernement la limite au-dela` de laquelle il deviendrait dangereux d’emprunter, quand meˆme l’offre d’un inte´reˆt tre`s-e´leve´ attirerait quelques nouveaux preˆteurs. Le produit des taxes sur les consommations augmente-t-il de manie`re a` fournir un exce´dant qu’on appelle en Angleterre le surplus du fonds consolide´ ? alors le gouvernement peut hardiment ouvrir un nouvel emprunt, les preˆteurs ne manqueront pas, parce que, graˆces a` l’accroissement de l’aisance, les particuliers auront pu faire plus d’e´conomies, et que le produit des taxes fournira amplement de quoi payer les arre´rages. Ce produit diminue-t-il ? les emprunts deviendront plus difficiles, et le gouvernement sera force´ de s’arreˆter ou de se mode´rer malgre´ lui. L’histoire financie`re de l’Angleterre, qui, depuis plus d’un sie`cle, a base´ son syste`me d’emprunts sur le paiement exact des arre´rages, a` l’aide de taxes mises sur des objets de consommation plus ou moins ge´ne´rale, fournit la preuve la plus comple`te de cette ve´rite´. C’est ce syste`me d’impoˆts surtout qui m’a fait soupc¸onner, il y a trente ans, et avancer il y a plus de vingt ans, contre l’opinion ge´ne´rale de presque tous les e´crivains sur cette matie`re, que tant que la dette de l’Angleterre ne se composera que d’emprunts volontaires ouverts successivement, et dont les arre´rages et le fonds d’amortissement seront paye´s par des taxes sur les consommations cre´e´es ad hoc, le gouvernement anglais ne pourra faire banqueroute qu’autant que lui et la grande majorite´ de la nation seraient assez insense´s pour vouloir la faire gratuitement et de propos de´libe´re´. Aujourd’hui cette opinion, confirme´e par l’expe´rience, est devenue pour moi une des ve´rite´s les mieux de´montre´es. Quoi qu’il en soit, au reste, de cette dernie`re assertion, toujours est-il certain que dans tout budget ou` les charges de la dette publique forment une partie conside´rable de la de´pense, et dans lequel le syste`me des emprunts entre comme e´le´ment indispensable des ressources ou voies et moyens, les droits sur les consommations doivent eˆtre proportionnellement plus nombreux et plus conside´rables. D’apre`s ce que nous avons vu plus haut, ils doivent meˆme eˆtre affecte´s spe´cialement au paiement de ces charges, comme c’est le cas en Angleterre. Ce principe est-il suivi dans nos budjets ? il s’en faut bien. Non-seulement les contributions directes, parmi lesquelles il faut compter les droits d’enregistrement, l’emportent de beaucoup sur les droits de consommation, mais par une bi zarrerie qui forme un contraste singulier avec les budgets
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anglais, on les a exclus des impoˆts dont le produit a e´te´ affecte´ spe´cialement au ment de la dette publique. Donc il y a, sous ce raport, manque d’unite´ dans le plan meˆme du budget, et le syste`me entier des impoˆts est en opposition avec le syste`me des emprunts qui entre dans ce plan comme un e´le´ment indispensable. On peut encore regarder comme deux dispositions financie`res contradictoires entre elles, celle qui, d’une part, affecte 40 millions a` la caisse d’amortissement, et celle qui, d’un autre coˆte´, prend les meˆmes 40 millions sur le produit d’un emprunt fait en rentes. Car tant qu’il n’y aura pas un exce´dant de revenu, et qu’au contraire il y aura annuellement une portion de dette exigible a` payer, l’effet de toute caisse d’amortissement sera nul pour l’extinction de la dette que l’emprunt des 40 millions augmentera ne´cessairement d’un coˆte´, tandis que les rachats faits sur la place avec ces meˆmes 40 millions, la diminueront de l’autre. Je crois avoir bien rendu sensible, dans mon dernier e´crit sur le budget de 1817, cette ve´rite´ arithme´tique ; mais j’ai observe´ en meˆme tems qu’en conside´ration de l’opinion publique, bien prononce´e en faveur de cet e´tablissement, il convenait de le conserver, ne serait-ce que pour trouver une caisse d’amortissement toute cre´e´e a` l’e´poque ou` nos finances ame´liore´es permettront de lui assurer la re´alite´ qui aujourd’hui lui manque. Ces exemples suffisent pour rendre sensible la justice de ce second principe. Quant aux autres dispositions contradictoires qui pourront se trouver dans le budget particulier de 1818, nous les discuterons quand il aura e´te´ pre´sente´ a. Troisie`me principe.
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Les dispositions principales d’un budget doivent eˆtre en harmonie avec la position dans laquelle la nation se trouve a` l’inte´rieur et a` l’exte´rieur. C’est contre ce principe surtout que heurtent tous nos syte`mes financiers, tous nos budgets de l’ancien re´gime aussi-bien que du nouveau. On ne finirait pas si l’on voulait indiquer seulement tous les exemples de cette e´trange discordance. En voici quelques-uns. Tous nos e´crivains et administrateurs regardent avec raison la France comme un pays essentiellement agricole, tandis que, d’un autre coˆte´, ils regardent avec moins de raison, et contre l’e´vidence des faits, l’Angleterre comme un pays essentiellement manufacturier et commerc¸ant. Nous avons meˆme entendu dire l’anne´e dernie`re a` la tribune, et nous avons lu imprime´e cette phrase e´trange : l’Angleterre condamne´e par sa position a` faire le a
Lorsque j’ai livre´ cette partie a` l’impression, le budget n’avait pas encore e´te´ pre´sente´.
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commerce du monde ; ce qui, en supposant le fait de la position exact, voudrait dire que la malheureuse Angleterre est condamne´e a` se procurer facilement et en abondance, toutes les aisances et agre´mens de la vie a, a` voir ses habitans bien veˆtus, nourris, loge´s, chauffe´s, etc. ; car c’est la` ce que procure e´videmment le commerce. Mais l’inspection de la premie`re carte de l’Europe, qu’on peut voir gratis sur le quai Malaquais, prouve que la position de la France au centre de l’Europe, entre trois mers, est bien plus favorable pour faire le commerce du monde que ne l’est celle de l’Angleterre, place´e a` l’extre´mite´ et ne pouvant entrer dans la Me´diterrane´e, qui baigne nos coˆtes, qu’en forc¸ant le de´troit. D’ailleurs, comme le commerce du monde, aussi-bien que celui d’une province, ne se fait pas avec rien, mais avec des denre´es et marchandises, la France, qui produit du ble´, du sel, des huiles, des soies et surtout des vins uniques dans leur espe`ce, est encore mieux place´e sous ce rapport que ne l’est l’Angleterre. En the`se ge´ne´rale, tout pays un peu e´tendu et ayant seulement deux ou trois millions d’habitans, est essentiellement agricole, c’est-a`-dire, que le produit de son sol et la valeur des capitaux employe´s a` l’agriculture, l’emportent de beaucoup sur ceux du commerce exte´rieur et des manufactures b. L’Angleterre surtout est e´minemment agricole, a` raison de la culture perfectionne´e de ses terres, et des capitaux e´normes qui s’y trouvent en be´tail et en troupeaux. Les re´sultats des enqueˆtes faites a` diverses e´poques a` ce sujet, d’accord avec les comptes de la taxe sur les revenus perc¸us pendant plus de dix ans, ont fourni la preuve mate´rielle que les revenus et capitaux de l’agriculture, en Angleterre, e´taient plus que doubles de ceux de son commerce et de ses manufactures, et que les profits et capitaux de son commerce inte´rieur e´taient presque triples de ceux de son commerce exte´rieur. Ce sont la` au tant de ve´rite´s de fait qui donnent le de´menti a` cette assertion bannale, mise en avant par les partisans du despotisme, pour nous persuader qu’en sa qualite´ de peuple essentiellement commerc¸ant la nation anglaise doit jouir d’une constitution plus libre et d’institutions plus libe´rales que la nation franc¸aise, peuple essentiellement agricole, a` qui, selon ces messieurs, la monarchie pure, ente´e sur la the´ocratie, conviendrait davantage. Mais en admettant que la France soit essentiellement agricole, ce qui est vrai pour tout pays d’un territoire e´tendu, et d’une population un peu conside´rable, comment se fait-il que presque toutes nos lois financie`res et coma
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Ce qui ne comprend pas toutefois les grosses abbayes, les riches pre´bendes et autres agre´mens de cette espe`ce, que ne procure pas le commerce dont il s’agit ici. Cela e´tait vrai meˆme pour la Hollande lorsque son commerce exte´rieur e´tait dans toute sa splendeur. Ses beurres et fromages, ses troupeaux et autres productions de son sol, valaient bien plus que les cargaisons de ses navires.
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merciales soient en opposition avec cette ve´rite´ si ge´ne´ralement reconnue ? Sur dix il y en a neuf qui favorisent les manufactures, au pre´judice de l’agriculture, des proprie´taires fonciers et des fermiers, qui d’ailleurs supportent directement les quatre cinquie`mes des charges. Et qu’on ne pense pas que ce disparate choquant date d’aujourd’hui. Si l’on excepte le ministe`re de Sully et celui de Turgot, il existe depuis qu’il y a une administration de l’inte´rieur et des finances en France. Un expose´ comparatif tre`s-succinct des principales lois et re`glemens suivis en France sur ce point important, avec ceux qu’on suit en Angleterre, rendra cette ve´rite´ bien sensible. Les impoˆts d’abord qui en France sont paye´s directement par les proprie´taires fonciers, savoir, l’impoˆt foncier et la presque totalite´ des droits d’enregistrement, forment plus des deux tiers de l’ensemble des contributions ordinaires. En Angleterre, les meˆmes impoˆts, en y comprenant meˆme la taxe des pauvres, qui toutefois est loin d’eˆtre supporte´e en entier par les revenus fonciers, comme on le croit par erreur en France, ne forment pas le sixie`me de la masse. Parmi les 41 millions sterl., notamment de taxes affecte´es au paiement des arre´rages de la dette et du fonds d’amortissement, il n’y en a pas pour un million qui soit paye´ par les proprie´taires ; l’impoˆt foncier meˆme, proprement dit, est, comparativement a` la masse des impoˆts, absolument nul. Mais comme, a` la longue, les impoˆts les plus ine´galement assis se nivellent plus ou moins, et finissent par tomber, en bonne partie du moins, sur d’autres contribuables que sur ceux qui les ont paye´s directement, il se peut que ce ne soit pas la` la plus forte surcharge qui, en France, pe`se sur les proprie´taires fonciers et sur l’agriculture en ge´ne´ral. La disproportion suivante, a` laquelle le public franc¸ais ne paraıˆt pas meˆme faire attention, les gre`ve bien davantage, puisqu’elle tend a` de´pre´cier la principale production du sol, qui est le ble´. Chez nous, en France, l’exportation des ble´s est ge´ne´ralement de´fendue, ou sujette a` des droits ; jamais surtout on ne lui accorde des primes. L’importation, au contraire, est presque toujours exempte de droits, et jouit meˆme, parfois, de primes conside´rables. (J’excepte toujours le petit nombre d’anne´es du ministe`re de Sully et de Turgot). C’est la` le fond de notre le´gislation et des re´glemens sur le commerce des grains. Dans la pratique c’est encore pis, parce que les entraves le´gales et administratives mises a` l’exportation se trouvent encore augmente´es des geˆnes et obstacles sans nombre qu’oppose la populace au transport des grains, de`s qu’ils approchent des ports ou frontie`res, ainsi que de la de´faveur attache´e a` ce genre de commerce. Il ne faut pas une grande sagacite´ pour voir que l’esprit de cette le´gislation et de ces re`glemens est contraire aux inte´reˆts de l’agriculture, puisque toutes ces dispositions ont pour re´sultat ine´vitable de tenir aussi bas que possible le prix moyen du ble´, qui est la principale production et le fonds de la richesse du laboureur.
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En Angleterre c’est tout-a`-fait l’inverse ; de`s que le ble´ tombe au-dessous d’un certain taux, il jouit, a` l’exportation, d’une prime dont le montant s’est e´leve´, dans plusieurs anne´es, a` plus d’un million sterling. En the`se ge´ne´rale, l’importation du ble´ e´tranger y est de´fendue, ou sujette a` de forts droits, tant que dans l’in te´rieur le ble´ n’est pas monte´ au prix de´termine´ par la loi, qui, en ce moment, est de 80 schellings par quartier, environ 48 francs le septier de Paris, ou 30 fr. l’hectolitre a. Je n’entends aucunement approuver ces primes et de´fenses, que Smith de´montre meˆme assez clairement n’eˆtre au fond que des niaiseries re´glementaires. Je ne les cite que pour faire voir l’esprit qui dirige, sous ce rapport, la le´gislation et l’administration anglaises, comparativement a` celui qui dirige la noˆtre. Mais ce n’est pas le tout. Tandis que, dans les anne´es ordinaires, le proprie´taire ou le fermier franc¸ais est oblige´ de donner son ble´ au forgeron, au taillandier, au tisserand, au fabricant, a` 10 ou 20 pour 100 a` meilleur marche´ qu’il ne le ferait sans la concurrence au ble´ e´tranger, il est oblige´ de payer a` ces derniers 20 pour 100 de plus les instrumens aratoires, la toile pour ses chemises, le drap et autres e´toffes pour ses habits, qu’il ne les paierait si les meˆmes objets, fabrique´s a` l’e´tranger, pouvaient entrer en concurrence avec ceux fabrique´s dans le pays. Il n’entre aucunement dans l’objet de cette discussion, de critiquer ici ces lois re`glementaires et prohibitives, surtout dans l’e´tat actuel ou` se trouvent les manufactures et fabriques franc¸aises en ge´ne´ral, et d’apre`s les encouragemens que ces lois re`glementaires leur ont donne´s, et sur la foi desquelles les chefs ont fonde´ leurs e´tablissemens, et employe´ leurs capitaux a` ce genre d’industrie ; je les cite seulement pour faire voir l’incohe´rence et la contradiction palpables qui re`gnent dans nos lois financie`res et commerciales. On dira peut-eˆtre que, relativement a` cette dernie`re partie, le reproche tombe e´galement sur l’Angleterre, qui la premie`re a adopte´ le syste`me mercantile avec ses prohibitions, et qui paraıˆt le vouloir constamment maintenir. Je re´ponds qu’il n’y a ici aucune parite´. Tous les objets manufacture´s dont le laboureur a besoin pour lui ou pour sa famille, sont a` si bon marche´ en Angleterre, que les effets des prohibitions, a` cet e´gard, sont nuls pour lui. Il n’y a que les soieries, les draps fins, les modes et autres objets de luxe dont le laboureur ne fait pas usage, qui soient affecte´s par le re´gime prohibitif. Il y a plus ; les manufactures de coton paient en Angleterre, outre le droit d’entre´e sur la matie`re brute, des impoˆts attache´s a` la vente en de´tail, et a` la consommation dans l’inte´rieur, qui ne sont rendus sous la forme de a
En ce moment meˆme le ble´, dont nous encourageons l’importation en France, ce pays essentiellement agricole, ne peut entrer dans aucun des ports de l’Angleterre, pays qu’on dit eˆtre essentiellement manufacturier et commerc¸ant.
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drawbak1 que lors de leur exportation a` l’e´tranger. En rapprochant les diverses dispositions les unes des autres, on obtient, en der nie`re analyse, le re´sultat assez paradoxal que l’Angleterre, ce pays soi-disant essentiellement manufacturier, prote´ge et favorise l’agriculture de pre´fe´rence aux manufactures, tandis que la France, pays essentiellement agricole, prote´ge et favorise les manufactures de pre´fe´rence et au pre´judice de l’agriculture. Encore une fois, je ne cite rien de tout cela dans l’ide´e de blaˆmer aucune de ces dispositions, ni de provoquer a` cet e´gard des changemens brusques, dont le moindre vice pourrait eˆtre de ne pas eˆtre praticables dans les circonstances actuelles. Mon unique but est de de´montrer comment les diverses lois financie`res qui composent un budget, peuvent eˆtre en contradiction avec l’ensemble du syste`me, et avec la position dans laquelle le le´gislateur suppose que se trouve la nation pour laquelle le budget est fait. Or, certes, c’est un grand vice qui me´rite bien l’attention du gouvernement et des chambres, toutes les fois que les circonstances permettront d’y reme´dier successivement par des re´formes partielles, ce qui est peut eˆtre moins rare et moins difficile qu’on ne le pense. Lors de la discussion du budget, je pourrai traiter plus particulie`rement quelques-unes de ces disparite´s dont la le´gislation des douanes surtout offre de nombreux exemples. Quant a` notre position a` l’inte´rieur, la France n’a plus ni colonies, ni commerce exte´rieur et maritime actif a qui soit de quelque importance ; et quand il y aurait possibilite´ d’obtenir des possessions lointaines plus conside´rables, ou donner a` notre commerce avec les colonies, et en ge´ne´ral au commerce exte´rieur, plus d’e´tendue, ce serait une ve´ritable folie d’envoyer a` quelques milliers de lieues d’ici, pour y faire du sucre et du cafe´, nos capitaux, dont nous avons en ce moment un besoin si urgent pour faire du ble´ et des bœufs chez nous. Ce n’est pas sans raison que je place les bœufs a` coˆte´ du ble´ ; ils rappellent le phe´nome`ne notoire qui eut lieu en Angleterre il y a six ans, pendant le blocus continental, et qui, mieux que toute autre a
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Je dis commerce actif, qui se fait avec nos vaisseaux et pour le compte de nos armateurs. Car quant au commerce passif, qui consiste dans l’exportation de nos productions, telles que le vin, le ble´, les huiles, les soieries, le sel, les fruits, etc., que nous e´changeons contre les productions des pays e´trangers, ce qui constitue au fond le ve´ritable commerce, et meˆme la branche la plus lucrative du commerce exte´rieur, la France n’a, sous ce rapport, rien a` envier a` l’Angleterre. C’est avec les produits de ce commerce que nous payons toutes les contributions de guerre aux puissances e´trange`res, ainsi que l’entretien de l’arme´e d’occupation. Je ne de´fends au reste aucunement les termes barbares de commerce actif et passif, invente´s par les partisans de la balance de commerce. Il s’agit en fait de l’anglais «drawback», qui consiste dans le remboursement du droit de douane paye´ par les matie`res premie`res importe´es ayant servi a` la fabrication des articles exporte´s.
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chose, prouve le vice de la fausse direction que le syste`me colonial et mer cantile fait prendre a` l’industrie et aux capitaux. Les encouragemens donne´s aux planteurs de la Jamaı¨que par le gouvernement anglais, qui assuje´tit a` des droits exorbitans le sucre de l’Inde, afin de maintenir le de´bit exclusif du sucre de la Jamaı¨que en Angleterre, avaient successivement multiplie´ les plantations de sucre, au point que les Anglais ne sachant plus que faire du surplus des sucres bruts dont tous leurs magasins e´taient remplis, s’en servirent pour engraisser les bœufs. Que des particuliers qui ont des relations commerciales toutes forme´es avec les colonies, qui y ont mal a` propos place´ ou ont e´te´ force´s d’y laisser leurs capitaux, continuent ces relations, qu’ils y emploient les capitaux qu’ils croient ne pouvoir mieux employer ailleurs, rien de mieux ; mais que le gouvernement franc¸ais fasse des sacrifices pe´cuniaires conside´rables, des armemens plus ou moins couˆteux, qui grossissent d’autant le folio` de´ja` trop conside´rable des de´penses du budget ; qu’il ait recours a` des primes ou exemptions de droits d’une part, et a` des prohibitions ou droits one´reux de l’autre, pour encourager cette branche de commerce et d’industrie aussi peu lucrative que pre´caire, et qui ne pourrait se soutenir sans ces encouragemens dispendieux et mal entendus, cela me paraıˆt non seulement contraire aux principes d’une saine e´conomie po litique, mais en contradiction e´vidente avec la position dans laquelle se trouve aujourd’hui la France sous le rapport de sa puissance maritime compare´e avec celle de l’Angleterre. C’est une ve´rite´ de fait qu’il serait inutile de nier, puisqu’elle saute aux yeux, que l’Angleterre a et aura encore pendant bien des anne´es, une marine militaire tellement supe´rieure en nombre a` celle que la France et l’Espagne re´unies meˆme, pourraient lui opposer, que toutes les fois qu’il ne s’agira que de de´cider une querelle uniquement par la force, elle pourra faire la loi sur mer quand et comme elle voudra. Il importe donc a` la France de se mettre le moins possible dans la de´pendance de l’Angleterre sur mer a, et d’exposer a` sa merci le moins de navires et de capitaux qu’elle pourra ; car, a` la premie`re guerre, ce sera autant de pris b. En vain voudrait-on, sous le pre´texte du patriotisme et du souvenir de notre ancienne gloire navale, ou par le motif plus plausible, mais non moins faux, de maintenir l’e´quilibre a
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Sur terre, la France non seulement n’a rien a` craindre de l’Angleterre, mais elle aura toujours une supe´riorite´ marque´e. On objectera les rapports d’amitie´ et de bonne intelligence qui existent entre les deux gouvernemens, et qui oˆtent jusqu’au soupc¸on d’une rupture prochaine. Je conviens de la re´alite´ de ce fait ; mais c’est a` mes yeux une raison de plus pour ne pas de´penser de l’argent a` des armemens inutiles.
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sur terre et sur mer, se gendarmer contre cette supe´riorite´ maritime, de ce qu’on appelle, mal a` propos encore, notre ancienne rivale, elle n’en existe pas moins, et existera probablement encore pendant bien des anne´es. C’est, comme je l’ai de´ja` dit, une ve´rite´ de fait claire et notoire, une chose existante ; et, comme disait Turgot : On a tort de se faˆcher contre les choses, car cela ne leur fait rien du tout. Cela pose´, je demande a` tout homme sense´ si, dans cette position inde´niable des choses, et avec cette perspective qui n’a pas l’air de devoir changer de sitoˆt, l’on peut proposer se´rieusement, comme cela a e´te´ fait l’anne´e dernie`re, par le ministre de ce de´partement et par les trop nombreux partisans de son syste`me, d’affecter une cinquantaine de millions par an a` la marine, pour que celle-ci reprenne son ancienne splendeur, son ancien rang parmi les puissances maritimes ? Si l’on peut raisonnablement songer a` revenir a` l’ancien syste`me colonial, qui s’e´croule de toutes parts, dont les capitalistes anglais eux-meˆmes retirent journellement leurs capitaux pour les placer ou faire valoir aux Etats-Unis et dans l’Inde, devenue pour eux un immense continent agricole, syste`me que le gouvernement anglais lui-meˆme aurait abandonne´ depuis long-tems, si son maintien n’e´tait pas un e´le´ment essentiel du pouvoir et de l’influence ministe´rielle en Angleterre ? Si l’on peut, avec le moindre e´gard pour sa proportion dans les de´penses, consacrer annuellement des millions a` frayer et assurer a` grands frais les routes sur l’Oce´an Atlantique, lorsque, de l’aveu meˆme du ministre de l’inte´rieur, corrobore´ par le re´cit unanime des voyageurs, et surtout des voituriers et rouliers, l’on manque des fonds ne´cessaires pour re´parer et entretenir nos routes infiniment plus fre´quente´es et plus productives de l’inte´rieur, les chemins vicinaux surtout, que tout le monde convient eˆtre dans un e´tat de´plorable, et du bon e´tat desquels de´pend cependant essentiellement l’e´galite´ du prix des ble´s et des fourrages, le bon marche´ des subsistances, du bois, des charbons, etc. ? Au reste, la re´pugnance presqu’invincible qu’on rencontre chez nombre de personnes qui d’ailleurs sont absolument de´sinte´resse´es a` la question, a` appuyer la re´duction de ce genre de de´penses si mal conc¸ues et approprie´es, tient beaucoup au gouˆt que les Franc¸ais ont naturellement pour le grandiose, auquel on voit tant de particuliers sacrifier l’utilite´. C’est ce gouˆt, dominant surtout du tems de Louis XIV, qui, bien plus que les guerres, a contribue´ a` rendre si malheureuses les vingt dernie`res anne´es du brillant re`gne de ce monarque, et a laisse´ a` son successeur une agriculture ruine´e, des finances dans le plus affreux de´sordre, et des milliards de dettes exigibles, a` la suite desquelles sont venues le papier-monnaie de Law et la banqueroute. C’est a` ce gouˆt pour le grandiose qu’il faut attribuer l’importance attache´e jadis au commerce du Levant et de l’Inde, tandis qu’on ne
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disait ni ne dit encore mot du commerce bien plus important, quant a` l’emploi des capitaux, et bien plus lucratif quant aux profits, des moutons de la Champagne, ou du beurre de Bretagne. Heureusement ce gouˆt funeste, qui aujourd’hui se trouve d’ailleurs en contradiction manifeste avec notre position, indique´e par le budjet, commence visiblement a` ce´der au gouˆt pour l’utile, et ceux qui veulent s’en convaincre sans sortir de Paris, peuvent en trouver une preuve dans la rue du Bac, ou` les portes coche`res disparaissent a` vue d’œil pour faire place a` des boutiques et ateliers remplis d’ouvriers et de travail productif. Les exemples que j’ai cite´s suffisent, je crois, pour faire voir, d’une manie`re ge´ne´rale, comment un budget, qui serait d’ailleurs a` l’abri de toute critique sous le rapport du montant entier de la de´pense, et de l’emploi rigoureusement fide`le des recettes, peut ne´anmoins contenir une foule de dispositions contraires a` l’esprit de la Charte et au but du gouvernement repre´sentatif, incohe´rentes avec le syste`me financier adopte´ pour base du budget, ou oppose´es entre elles, et qui enfin ne sont pas conformes a` la position ou` se trouve la nation pour laquelle ce budget est fait. L’analyse raisonne´e du budget particulier de cette anne´e, qui fera la matie`re du cahier suivant, rendra, j’espe`re, cette ve´rite´ bien sensible.
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Avertissement.
C’est principalement pour le public, pour la masse des contribuables, que j’e´cris ce cahier de budget. Ce sont eux surtout qu’il importe d’e´clairer sur leurs ve´ritables inte´reˆts, pour l’inte´reˆt meˆme du gouvernement et des chambres, force´s souvent de laisser subsister ou d’adopter meˆme de mauvaises lois, parce que l’opinion publique e´gare´e par les pre´juge´s, et par l’attachement a` la routine et aux anciennes habitudes, oppose aux ame´liorations projete´es, des obstacles insurmontables. C’est a` leur porte´e que j’ai taˆche´ de me mettre, parce qu’ils sont moins instruits et ont moins de moyens de s’instruire. Cette conside´ration doit me faire pardonner, non-seulement plusieurs remarques superflues pour des hommes e´claire´s et verse´s dans cette matie`re, mais encore quelques comparaisons et expressions qui pourraient ne pas eˆtre a` l’abri de toute critique dans un ouvrage qui aurait une autre destination.
2 Avertissement ] sur la page pre´ce´dente re´pe´tition du titre ge´ne´ral du texte de Saint-Aubin que nous avons supprime´ Annales de la session de 1817 a` 1818. / Partie financie`re, / par M. Saint-Aubin, ancien membre du tribunat.
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Annales de la session de 1817 a` 1818. Analyse raisonne´e du Budget de 1818. Avant-propos, Contenant ma profession de foi sur le re´gime prohibitif a.
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Mes principes en e´conomie politique, et particulie`rement ceux qui regardent la the´orie et l’ad ministration du revenu public ou les finances, datent de trop loin et sont trop connus pour que j’aie besoin d’en faire ici une longue e´numeration ; et comme ce sont au fond les meˆmes que ceux de Smith, corrobore´s par toutes les donne´es que nous ont fournies l’inde´pendance de l’Ame´rique, la re´volution franc¸aise, le blocus continen tal, et tant d’autres e´ve´nemens majeurs dont un seul e´quivaut a` un sie`cle d’expe´rience en tems ordinaire, je n’ai pas meˆme besoin de les justifier. Une fide´lite´ inviolable aux engagemens contracte´s envers les cre´anciers de l’e´tat ; Les emprunts avec un amortissement proportionne´ a` la masse de la dette publique, pre´fere´s aux impoˆts trop e´leve´s qui en enlevant aux contribuables les capitaux dont ils ont besoin pour faire valoir leur industrie, les e´puisent sans leur laisser le moyen de se re´cupe´rer par le produit de leur travail ; La plus grande liberte´ possible laisse´e au commerce et aux e´changes tant dans l’inte´rieur qu’avec l’e´tranger ; La proscription de tout monopole, ainsi que de toute direction force´e donne´e par le gouvernement aux capitaux et au travail vers une branche quelconque de l’industrie nationale ;
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Cet avant-propos devait se trouver a` la teˆte de la livraison pre´ce´dente, mais il n’a pu y eˆtre inse´re´ faute de place. Je l’aurais encore renvoye´ a` une autre livraison, afin de pouvoir passer de suite a` l’analyse du budget, si le projet de loi sur les douanes, le rapport fait au nom de la Commission, ainsi que plusieurs discours prononce´s a` la tribune, l’opinion enfin de S. Exc. le ministre des finances e´mise a` ce sujet dans son rapport au Roi, ne m’avaient fait entrevoir que le re´gime prohibitif, momentane´ment favorable a` une seule branche d’industrie privile´gie´e, et perpe´tuellement nuisible a` tous les autres ; ce re´gime, ennemi ne´ de l’industrie agricole et du commerce, qui jusqu’ici n’avait e´te´ pre´sente´ et de´fendu que comme une loi temporaire et de circonstance, commenc¸ait a` eˆtre regarde´ et propose´ se´rieusement comme une loi permanente, indispensable pour les progre`s de l’industrie manufacturie`re, et pour l’accroissement de la richesse nationale. Comme je pense avec Smith que cette doctrine est absolument errone´e, j’ai cru ne pas devoir diffe´rer plus long-tems a` pre´senter au public quelques e´claircissemens propres a` dissiper cette illusion funeste dont le blocus continental aurait duˆ gue´rir a` jamais la population europe´enne toute entie`re, et a` plus forte raison, la masse des consommateurs franc¸ais parmi lesquels se trouvent les manufacturiers et fabricans privile´gie´s eux-meˆmes, pour tous les articles qu’ils ne fabriquent pas.
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L’e´laguement impitoyable de toute de´pense improductive et meˆme de toute de´pense publique dont la ne´cessite´ n’est pas e´videmment de´montre´e, et par dessus tout, l’utile toujours pre´fe´re´ a` la magnificence, au grandiose ; Une comptabilite´ enfin qui ne laisse plus de secret soit du coˆte´ des recettes, soit du coˆte´ des de´penses ; Tels sont en resume´ les principes ge´ne´raux qui m’ont paru de tout tems devoir former les bases d’un bon syste`me financier, adapte´ au gouvernement d’une grande nation civilise´e, e´claire´e et industrieuse, telle que la nation franc¸aise. Tels qu’on les retrouve ici, ces principes, je les ai constamment professe´s depuis plus de vingt ans, dans tous mes e´crits, y compris les nombreux articles inse´re´s dans les divers journaux du tems, notamment dans l’historien re´dige´ par feu mon ami Dupont de Nemours dont j’ai e´te´ le collaborateur le plus assidu jusqu’a` l’e´poque ou` cette feuille remplie d’ide´es libe´rales, et respirant partout le respect des proprie´te´s, de la justice et de l’ordre, fut proscrite. Ce sont ces principes d’ou` j’ai de´duit il y a vingt ans, toutes les objections qu’on trouve dans le Moniteur a du 13 vende´miaire an cinq (octobre 1796), contre la fameuse banqueroute consacre´e par la loi du 9 du meˆme mois, et connue sous le nom, ou si l’on veut, par le sobriquet de mobilisation des deux tiers de la dette publique. Elles forment toute la premie`re partie du rapport fait au conseil des anciens, par feu M. Cretet a` qui je les ai fournies et qui m’a fait l’honneur de me citer. En comparant ces objections avec les raisons alle´gue´es par le meˆme rapporteur en faveur de cette mesure e´trange, on voit qu’elles contenaient tout ce qui, dans l’e´tat ou` e´tait la science a` cette e´poque, pouvait eˆtre dit, contre toute espe`ce de banqueroute faite et a` faire aux cre´anciers de l’e´tat. Toutefois on y chercherait en vain le meilleur argument de tous, celui que j’ai de´veloppe´ dans la premie`re partie de mon e´crit sur les finances publie´ l’anne´e dernie`re, et que j’avais de´ja` indique´ dans la Bibliothe`que ame´ricaine en 1808, en discutant le rapport de M. Galatin sur la situation financie`re des Etats-Unis de l’Ame´rique a` cette e´poque. Cet argument qu’on ne saurait trop re´pe´ter a` ceux qui, sous une forme ou de´nomination quelconque, proposent de manquer aux engagemens pris envers les cre´anciers nationaux, soit en re´duisant, soit en ajournant sans une indemnite´ convenable, le remboursement des capitaux exigibles, ou le paiea
Non omnia possumus omnes. Cela signifie entre autres choses : Tout le monde ne peut pas citer avec avantage le moniteur ; je prends cette liberte´ grande.
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ment des arre´rages qui leur sont duˆs, soit en les payant en rentes, valeur nominale, le tout dans la vue ou sous le pre´texte de soulager l’e´tat ou la masse des contribuables ; cet argument, dis-je, se re´duit a` la re´flexion bien simple que voici : Comme ces cre´anciers sont tous Franc¸ais et sujets de l’e´tat, et que leurs de´biteurs, compose´s de la masse des contribuables, sont e´galement Franc¸ais et sujets de l’e´tat, le soulagement qu’on croit procurer a` ceux-ci ou a` l’e´tat, en re´duisant ou ajournant le paiement de ce qu’ils doivent aux premiers, est aussi imaginaire que celui qu’on croirait procurer a` la ville de Paris ou a` la masse de ses habitans, en re´duisant au tiers, par exemple, les capitaux et les rentes constitue´es que les de´biteurs particuliers Parisiens doivent en vertu d’obligations notarie´es, a` leurs cre´anciers e´galement Parisiens, ou en ajournant le remboursement des capitaux exigibles et le paiement des arre´rages, a` l’an 1851. Cette belle ope´ration soulagerait a` la ve´rite´ les de´biteurs ; mais, comme d’un autre coˆte´ elle ruinerait les cre´anciers, la ville de Paris ou la masse entie`re de ses habitans ne se trouverait ni plus riche, ni plus pauvre ; loin d’eˆtre soulage´e, elle e´prouverait toutes les suites faˆcheuses d’un bouleversement incalculable dans les fortunes, accompagne´ de la perte de tout cre´dit particulier. Cette objection contre toute banqueroute aux cre´anciers de l’e´tat, que je crois aujourd’hui sans re´plique, ne se trouve point parmi celles que j’ai fournies dans le tems a` feu M. Cretet pour son rapport, par la raison que je l’ignorais alors moi-meˆme. Elle ne m’est venue a` l’esprit que quelques anne´es apre`s, et quoique je l’aie de´veloppe´e depuis dans plusieurs de mes e´crits, et qu’elle ne soit que la conse´quence ne´cessaire d’une ve´rite´ de fait notoire, je vois par une foule d’e´crits qui paraissent journellement en Angleterre aussi bien qu’en France, sur la dette publique des deux pays, que loin d’eˆtre appre´cie´e ce qu’elle vaut, elle n’est pas meˆme connue de la plupart des e´crivains qui s’occupent de cet objet. Je ne connais pas cependant de ve´rite´ en finances qui soit aujourd’hui plus importante que celle-la`, savoir, qu’une dette publique une fois contracte´e a par des emprunts volontaires b faits aux cre´anciers nationaux c, n’est pas plus une charge pour la a
Je dis : Une dette une fois contracte´e pour une de´pense faite ; car ce serait toute autre chose s’il s’agissait d’une dette a` contracter pour une de´pense a` faire, qui pourrait fort bien eˆtre inutile ou meˆme nuisible, et qui lors meˆme qu’elle est indispensable, ne laisse pas de faire une charge, une perte en revenu ou en capital pour la nation qui en fait les frais. L’emprunt fait pour payer la de´pense, et la de´pense qui a ne´cessite´ l’emprunt sont deux choses tre`sdiffe´rentes, que les antagonistes du cre´dit public et du syste`me des emprunts confondent ou affectent de confondre. Avant d’ordonner ou d’allouer la de´pense on doit y regarder a` deux fois ; une fois alloue´e et faite, elle doit eˆtre paye´e, que ce soit en imposant ou en empruntant.
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masse entie`re des contribuables, que ne l’est la masse des dettes particulie`res contracte´es par suite des milliers d’emprunts que les de´biteurs particuliers ont faits et font journellement a` d’autres particuliers leurs cre´anciers. Cette ve´rite´ capitale bien comprise suffit a` elle seule pour faire regarder comme absolument oiseuses toutes les discussions et dole´ances sur la magnitude et les dangers de la dette publique de l’Angleterre (et a` plus forte raison de celle incomparablement moindre de la France), dole´ances accompagne´es de plans et de projets imagine´s pour de´barrasser en totalite´ ou en partie la nation de´bitrice de cet e´pouvantable fardeau, et dont la collection formerait plus d’une volumineuse bibliothe`que. Quand on est bien pe´ne´tre´ de cette ve´rite´, la caisse d’amortissement meˆme, toute ne´cessaire qu’elle est pour soutenir les fonds publics dont la valeur ve´nale inte´resse aujourd’hui tant de milliers de citoyens aussi bien que le gouvernement, devient un e´tablissement absolument oiseux de`s qu’on le conside`re comme institue´ pour amortir la dette publique. En effet, a` quoi aboutirait en dernie`re analyse cette ope´ration, si elle n’avait pas d’autre objet ? a` faire racheter successivement sur la place, aux de´pens de la masse entie`re des contribuables qui fournissent les fonds annuels de l’amortissement, les capitaux duˆs par eux a` une partie de ces meˆmes contribuables qui les leur ont preˆte´s contre une rente annuelle. Et pourquoi ce rachat ? cui bono ? A e´pargner au chancelier de l’e´chiquier ou au ministre des finances qui administrera dans 38 ans d’ici (terme moyen de l’amortissement du capital emprunte´) une migraine que lui pourra donner la perception des taxes affecte´es au paiement des arre´rages, si celles-ci sont mal assises a. Quant a` la masse des contribuables et a` l’e´tat, cet amortissement ne leur fera pas plus de bien et ne leur procurera pas plus de soulagement, que n’en e´prou verait la ville de Paris si a
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Je dis volontaires ; des emprunts force´s, des re´quisitions faites a` main arme´e, des pre´emptions au maximum, etc. loin de pouvoir entrer dans un syste`me d’emprunts base´ sur le cre´dit public, ne sont que des atteintes a` la proprie´te´ particulie`re, de ve´ritables vols de´guise´s. Je dis aux cre´anciers nationaux ; car les dettes contracte´es envers les e´trangers, qu’elles soient force´es ou volontaires, forment toujours une ve´ritable charge pour la nation de´bitrice. Mais en dernie`re analyse, les neuf dixie`mes de la dette publique de toute grande nation, telle que l’Angleterre, la Hollande, la France, l’Autriche meˆme et la Prusse, sont dus a` des cre´anciers nationaux. Les 26 millions meˆme de rentes ne´gocie´es l’anne´e dernie`re par le gouvernement franc¸ais a` des capitalistes e´trangers, se trouvent aujourd’hui a` peu de chose pre`s, entie`rement entre les mains des Franc¸ais ; les banquiers ne´gociateurs n’ont servi que d’interme´diaires, ou d’agens de change en gros. Je dis si elles sont mal assises ; car si les taxes affecte´es au paiement des arre´rages de la dette publique et du fonds d’amortissement, sont entie`rement assises sur les consommations, comme cela doit eˆtre, et comme cela est en Angleterre ou` l’ensemble des charges annuelles de la dette publique s’e´le`ve en ce moment a` 41 millions sterling (dont 15 millions pour les fonds d’amortissement), elles se consolident insensiblement avec le prix des objets impose´s, et ne causent meˆme plus de migraine au ministre.
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le conseil-ge´ne´ral du de´partement de la Seine s’avisait d’ajouter tant de centimes additionnels a` la contribution foncie`re ou aux droits d’octroi, et consacrait le produit a` faire racheter successivement par une caisse d’amortissement Parisienne, les obligations notarie´es que les Parisiens se doivent entr’eux. Encore une fois, le seul but raisonnable d’une caisse d’amortissement, conside´re´e uniquement sous le rapport de son utilite´ pour les contribuables et pour l’e´tat, est ou doit eˆtre de soutenir constamment le cours des fonds publics, dont la valeur ve´nale n’inte´ressait autrefois qu’une tre`s-petite portion de capitalistes ou de gens de finance, tandis qu’aujourd’hui elle influe puissament sur la valeur ve´nale des biens fonds, affecte directement ou indirectement la fortune, l’existence meˆme de millions d’individus, et est enfin le thermome`tre du cre´dit public sur lequel doit eˆtre base´ tout syste`me de finances bien entendu d’une nation civilise´e du sie`cle dans lequel nous vivons. Or rien ne soutient mieux cette valeur ve´nale des fonds publics qu’un acheteur journalier et riche tel que la caisse d’amortissement, qui se pre´sente tous les jours au marche´, ou a` la bourse, pour rembourser, a` l’aide du rachat, les cre´anciers les plus presse´s, qui sans cet acheteur seraient force´s de vendre leurs cre´ances a` vil prix. Je viens de dire que ce doit eˆtre la` le seul but raisonnable de cet e´tablissement conside´re´ uniquement sous le rapport de son utilite´ pe´cuniaire soit pour le gouvernement, soit pour les contribuables, ou en d’autres mots dans ses rapports avec le syste`me financier d’un e´tat. C’est autre chose lorsqu’on conside`re la dette publique comme tendant a` donner au gouvernement ou au ministe`re une influence pre´judiciable aux inte´reˆts de la liberte´, ainsi qu’on le croit assez ge´ne´ralement, et selon moi assez mal a` propos, en Angleterre et surtout en Ame´rique. Ceux qui ont cette croyance, que je ne partage aucunement, et qui ne sont pas assez de´pourvus de bon sens, et d’ide´es de morale, d’ordre et de justice distributive, (toutes choses inse´parables du respect pour la proprie´te´ quelle qu’elle soit), pour demander d’eˆtre de´barrasse´s de la dette publique par la banqueroute, doivent naturellement insister a` ce que non seulement il y ait une caisse d’amortissement destine´e uniquement a` amortir la dette, mais a` ce que cette caisse soit assez richement dote´e pour que ses rachats sur la place puissent eˆtre regarde´s apre`s un petit nombre d’anne´es comme de ve´ritables remboursemens a` des termes rapproche´s, d’une portion conside´rable des capitaux emprunte´s. C’est sur cette croyance qu’est fonde´ le syste`me financier adopte´ en Ame´rique par le gouvernement depuis l’arrive´e de M. Jefferson a` la pre´sidence. Non seulement on y a affecte´ a` la caisse d’amortissement un fonds annuel proportionnellement bien plus conside´rable qu’en Angleterre et en Hollande, mais on y a fait des emprunts remboursables par portions a` des e´poques plus ou moins
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rapproche´es, afin de diminuer d’autant plus vite la masse de la dette publique, et le nombre de cre´anciers de l’e´tat, et avec eux l’influence du pouvoir exe´cutif sur ces meˆmes cre´anciers qu’on croit eˆtre plus ou moins dans sa de´pendance. Il serait aise´ de faire voir par le raisonnement aussi bien que par l’expe´rience combien cette crainte est peu fonde´e ; mais comme cette discussion entrerait dans la politique qui n’est point dans mes attributions, je suis force´ de renvoyer ceux des lecteurs qui de´sireraient avoir des de´tails ulte´rieurs sur cette question, a` la Bibliothe`que ame´ricaine, ou` je l’ai traite´e en analysant le rapport de M. Galatin sur la situation des finances des E´tats-Unis en 1810. Enfin quant a` mes principes sur le choix, l’assiette et la re´partition des impoˆts et des contributions de toute espe`ce, on les trouve consigne´s avec beaucoup de de´tails dans l’Essai sur les contributions de l’an VII, publie´ dans la meˆme anne´e 1798 (il y a vingt ans), par M. Lecouteux qui a bien voulu me prendre pour son collaborateur et dont un extrait se trouve dans le Dictionnaire de la ge´ographie commerc¸ante de M. Peuchet, a` l’article Angleterre, Finances. Si je voulais faire une nouvelle e´dition de cet e´crit, j’aurais sans doute bien des donne´es a` y ajouter, que nous ont fournies les e´ve´nemens majeurs qui ont eu lieu depuis cette e´poque ; mais je ne me croirais pas oblige´ d’en retrancher une seule erreur importante de raisonnement ou de fait. Je n’ai donc pas besoin de faire ici, soit une profession de foi, soit une apologie quelconque, quant a` ceux de mes principes qui regardent particulie`rement la the´orie du revenu public, ou les finances. Mais il est une autre partie importante de l’e´conomie politique sur laquelle je dois quelques e´claircissemens pre´liminaires aux lecteurs qui pourraient croire leurs inte´reˆts les plus chers compromis par l’application e´ventuelle des principes ge´ne´raux qui sur ce point font la base de la doctrine de Smith, la seule vraie, la seule vraiment libe´rale parce qu’elle est conforme a` l’inte´reˆt de tous, quoiqu’elle contrarie parfois l’esprit de monopole d’un petit nombre d’individus. C’est la partie qui regarde les loix prohibitives, lois qui ne sont qu’une suite du syste`me mercantile par lequel le gouvernement favorise l’industrie manufacturie`re aux de´pens de l’industrie agricole. Cette matie`re est assez se´rieuse par ses conse´quences, et par les inductions que les manufacturiers inte´resse´s au maintien du re´gime prohibitif pourraient en tirer contre mes intentions, pour que je croie devoir entrer dans quelques explications a` ce sujet. En e´conomie politique, comme en politique, on rencontre souvent a` coˆte´ des principes ge´ne´raux qu’on pourrait appeler les lois constitutives de la science, des lois d’exception ou de circonstance, en vertu desquelles l’application du principe ge´ne´ral est suspendue pour un tems limite´, parfois
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meˆme inde´fini, a` l’e´gard de classes entie`res d’hommes ou de choses qui se trouvent ainsi mises en quelque sorte provisoirement hors la loi. Telles sont presque toutes les lois prohibitives du syste`me mercantile qui sous pre´texte d’encourager ou de prote´ger l’industrie nationale, mais en re´alite´ pour en favoriser quelques branches particulie`res d’industrie aux de´pens de toutes les autres a, et surtout aux de´ pens de l’industrie agricole et commerc¸ante, et ce qui pis est, aux frais de tous les consommateurs, prohibent sous des peines plus ou moins se´ve`res, l’entre´e aux frontie`res, et le de´bit dans
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Je dis : aux de´pens de toutes les autres branches de l’industrie, sans en excepter l’industrie manufacturie`re elle-meˆme. En effet, chaque classe isole´e de fabricans ou manufacturiers qui sollicite une loi prohibitive en faveur des produits de sa fabrique, afin de pouvoir les vendre plus cher et souvent meˆme de qualite´ infe´rieure qu’elle ne le pourrait faire avec la libre concurrence de l’e´tranger, est inte´resse´e a` voir cette meˆme concurrence accorde´e aux produits de toutes les autres fabriques e´trange`res qui n’ont rien de commun avec ceux de la sienne. Le coutelier, par exemple, qui s’oppose a` l’entre´e des ciseaux et rasoirs anglais, de´sirerait voir entrer affranchi de tous droits, le fer de Sue`de et de Remscheidt, que les proprie´taires de nos forges voudraient faire prohiber sous les peines les plus se´ve`res. On a vu un exemple assez comique de cette opposition d’inte´reˆts entre les manufacturiers eux-meˆmes, dans les contestations et confe´rences qui eurent lieu sous le pre´ce´dent gouvernement, au sein du conseil d’e´tat, entre les diverses branches de la manufacture de coton, a` l’e´poque ou Bonaparte commenc¸a par e´tablir les lois prohibitives qui bientoˆt forme`rent la base du blocus continental. Les fabricans de toiles peintes, tout en demandant avec instance la prohibition absolue de toutes les toiles peintes venant de l’e´tranger, demandaient avec les meˆmes instances, la libre entre´e des toiles blanches, comme formant la matie`re premie`re de leurs fabriques. Cette demande e´tait repousse´e avec horreur par les fabricans de toiles blanches qui voyaient leurs e´tablissemens, et avec eux, toute l’industrie franc¸aise ruine´s si on l’accordait. Se´ve`res sur ce point, ces messieurs e´taient toutefois fort indulgens pour les cotons file´s venant de l’e´tranger, a` l’importation desquels ils auraient volontiers fait allouer une prime, si cette proposition n’avait pas fait jeter les hauts-cris aux proprie´taires des filatures, qui se voyaient perdus si cette concurrence anti-nationale e´tait admise. En ce moment-ci meˆme, les fabricans de toiles de lin et de chanvre, demandent tout haut que le droit d’entre´e mis sur les cotons bruts qui sont une matie`re premie`re, in dispensable pour nos filatures et manufactures de coton de toute espe`ce, et qui comme tels, devraient, conforme´ment aux principes du syste`me mercantile et manufacturier, entrer exempts de tous droits, non-seulement soit maintenu, mais encore augmente´, afin d’encourager, disent-ils, les manufactures de toiles de lin et de chanvre dont la matie`re premie`re croıˆt sur notre sol. Le consommateur inte´resse´ naturellement a` obtenir le tout de meilleure qualite´ et au meilleur marche´ possible, en e´coutant et lisant tous les argumens de part et autre, sur ce qui constitue la matie`re fabrique´e et la matie`re brute, se rappelle involontairement le bon mot de Turgot, qui comparait toutes ces lois prohibitives contre l’introduction des objets fabrique´s, accole´es a` des primes pour l’importation des matie`res premie`res, aux primes qu’on accorderait a` l’importation des œufs, tandis qu’on de´fendrait sous des peines se´ve`res celle des omelettes, et vice versa´ pour l’exportation. La difficulte´ vient de ce que ce qui est regarde´ par tel fabricant comme une omelette, devient un œuf pour l’autre.
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l’inte´rieur du royaume, de tous les objets presque, qui sont manufacture´s ou fabrique´s a` l’e´tranger. Ce sont autant de lois d’exception au principe fondamental de toute saine e´conomie politique, qui est de favoriser autant que possible les e´changes de toute espe`ce, et la libre concurrence au marche´ national de tous les producteurs et de tous leurs produits, comme le meilleur moyen de procurer aux consommateurs nationaux au meilleur marche´ possible, toutes les denre´es et mar chandises dont ils ont besoin non-seulement pour se nourrir, mais encore pour se veˆtir, chausser et meubler, et jouir ainsi de toutes les aisances et conforts de la vie. Ces lois d’exception aux principes fondamentaux de l’e´conomie politique ont cela de commun avec celles qui tiennent plus particulie`rement a` la politique, (telle que la loi qui soumet les journaux a` la censure par exception a` l’article fondamental de la charte qui consacre la liberte´ de la presse) que les unes et les autres ont besoin d’eˆtre justifie´es ou du moins pallie´es aux yeux de la majorite´ des gouverne´s et administre´s qui naturellement les repoussent par cela seul qu’elles font exception a` la re`gle ge´ne´rale. Par une conse´quence ne´cessaire de cette disposition ge´ne´rale, ceux qui les provoquent ou qui en demandent le maintien, ne commencent jamais par les pre´senter comme des lois permanentes, d’apre`s lesquelles les citoyens devront eˆtre gouverne´s ou administre´s en tems ordinaire, et qu’ils doivent prendre pour re`gle constante de leur conduite. Toutes nous sont pre´sente´es comme e´tant ne´cessite´es par les circonstances extraordinaires ou` se trouve d’une part le gouvernement, sous le rapport de la politique, de la tranquillite´ inte´rieure, de la paix a` l’exte´rieur, etc. ; ou d’un autre coˆte´, telle ou telle branche particulie`re de l’industrie nationale, ou meˆme toute l’industrie manufacturie`re du royaume. Provoque´es ou maintenues a` regret, ces lois doivent, dit-on, cesser avec les circonstances qui les ont fait naıˆtre, et c’est pour cela meˆme qu’on les appelle lois de circonstance. Mais si ces deux classes de lois d’exception se ressemblent sous ce raport, elles diffe`rent essentiellement sous plusieurs autres, assez importans. Les lois d’exception politiques sont ge´ne´ralement provoque´es par les ministres, et quoiqu’elles aient pour but avoue´ de maintenir la suˆrete´ et la tranquillite´ publique au dedans et la paix au dehors, ce qui doit naturellement inte´resser tous les gouverne´s, ne´anmoins comme les moyens propose´s pour atteindre ce but salutaire, tendent tous e´videmment a` accorder au gouvernement et a` ses agens, plus de pouvoirs qu’ils n’en auraient en s’en tenant a` la loi ge´ne´rale, elles sont rarement populaires, et les e´crivains qui ne les approuvent pas, peuvent les combattre sans risquer de de´plaire au public. En e´conomie politique au contraire, les lois d’exception au principe ge´ne´ral de la libre concurrence des producteurs et vendeurs, de laquelle de´-
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pendent essentiellement le bon marche´, la bonne qualite´ et l’abondance des denre´es et marchandises, sont provoque´es et appuye´es par toutes les classes de producteurs a` qui la loi d’exception profite, en ce qu’elle leur permet de fabriquer et de vendre plus cher et souvent en qualite´ infe´rieure, qu’ils ne pourraient faire avec la libre concurrence. Toute loi prohibitive, quelque mauvaise qu’elle soit par ses effets, quelque geˆnante qu’elle puisse eˆtre dans son exe´cution, doit donc trouver toujours dans le public meˆme un nombre plus ou moins conside´rable de de´fenseurs, qui ne sauraient voir de bon œil l’e´crivain qui de´fend les principes contre la loi d’exception. Et qu’on ne dise pas que si cette loi a pour elle une classe particulie`re d’industrieux a` qui elle profite, elle a contre elle toutes les autres branches d’industrie, et meˆme la masse entie`re des consommateurs qui font le grand nombre, et dont l’opinion doit ne´cessairement pre´valoir. Cela serait vrai, s’il y avait chez ces deux classes parite´ d’inte´reˆt ; mais, a` cet e´gard, il n’y a entre elles aucune comparaison. Le fabricant d’une marchandise que l’e´tranger pourrait fournir a` meilleur marche´ a` qualite´ e´gale, ou de meilleure qualite´ a` prix e´gal, voit dans l’abolition de la loi prohibitive la ruine de son e´tablissement. Il doit donc mettre tout en œuvre pour s’y opposer, parce qu’il y va de son existence ; il y a un inte´reˆt majeur et direct. D’un autre coˆte´, la masse entie`re des consommateurs, compose´e de millions d’hommes, parmi lesquels se trouvent meˆme tous les industrieux quelconques, a` l’exception de ceux que la loi prohibitive en question regarde, gagnerait sans doute e´normement a` son abolition ; mais chaque consommateur n’y gagnerait individuellement que la diffe´rence du prix sur la portion de la marchandise prohibe´e qu’il consomme, diffe´rence qui, compare´e a` la perte e´ventuelle du fabricant inte´resse´ au maintien de la loi, ne peut jamais eˆtre qu’un minimum. Le consommateur n’a donc dans cette question qu’un inte´reˆt faible et indirect. Loin de s’opposer avec chaleur a` la loi d’exception, qui lui est cependant re´ellement pre´judiciable, il doit souvent ce´der aux sophismes et aux clameurs de ceux qui la provoquent, et se joindre meˆme a` eux pour l’appuyer. De la` vient que ces derniers non seulement entraıˆnent si souvent de leur coˆte´ la majorite´ d’une assemble´e de´libe´rante, mais meˆme une portion conside´rable du public contre son ve´ritable inte´reˆt a. Il y a plus ; et c’est encore la` une diffe´rence entre les lois d’exception politiques, et celles qui concernent l’e´conomie politique. Les lois prohibia
Cette diffe´rence importante entre l’inte´reˆt direct et l’inte´reˆt indirect, que peuvent avoir les orateurs au rejet ou a` l’adoption d’une loi, est rarement appre´cie´e ce qu’elle vaut, par la majorite´ des assemble´es de´libe´rantes. Elle forme cependant un e´le´ment essentiel de la confiance que les auditeurs doivent accorder aux diverses assertions ou argumens de celui qui est a` la tribune.
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tives, de´fendues constamment et avec chaleur par ceux qui y ont un inte´reˆt majeur et direct, contre les de´fenseurs des principes qui n’y ont qu’un inte´reˆt faible, finissent souvent par ne plus eˆtre regarde´es comme des lois d’exception, des lois temporaires, mais comme des lois essentielles aux progre`s de l’industrie, qui ne saurait se maintenir ou prospe´rer sans elles. C’est-la`, n’en doutons pas, l’une des principales causes pour lesquelles le syste`me mercantile et les lois prohibitives qui en sont la conse´quence, se maintiennent encore dans la majeure partie de l’Europe, et surtout en Angleterre, en de´pit des raisonnemens et des faits par lesquels Smith, Condillac, et tant d’autres e´crivains distingue´s les ont si victorieusement combattus. En Angleterre, toutefois, il existe plusieurs autres raisons, tenant en partie a` la politique inte´rieure, qui ont empeˆche´ jusqu’ici l’abolition le´gale du syste`me mercantile, manufacturier et colonial, qui depuis long-tems y commence a` s’e´crouler par le fait, ou dans l’opinion publique. La premie`re est l’inte´reˆt particulier qu’a le gouvernement au maintien de ce syste`me, a` cause de l’influence incalculable que les lois re`glementaires, encourageantes aussi bien que prohibitives, les primes et exemptions de droits, aussi bien que les droits impose´s, donnent au parti ministe´riel, sur toute la classe des manufacturiers, sur celle des armateurs et des ne´gocians inte´resse´s au maintien du syste`me colonial et des lois prohibitives. Ici ce sont les ne´gocians et fabricans qui demandent une mode´ration sur les droits d’entre´e impose´s aux cotons en laine ; la` ce sont des armateurs inte´resse´s a` telle ou telle peˆche, qui demandent une prime, ou exemption de droits pour leurs navires, ou par le produit de leur peˆche ; la` se pre´sente une ville entie`re pe´titionnant en faveur de telle ou telle colonie dont elle rec¸oit les produits. Toutes ces faveurs accorde´es ou meˆme refuse´es, augmentent la clientelle du ministre charge´ de cette partie (c’est aujourd’hui le C. Bathurst,) et les places de gouverneur, d’intendant, de juges de l’amiraute´, et autres qu’il faut pour chaque colonie, qui sont toutes a` la nomination du gouvernement. Le monopole seul de la compagnie des Indes, tout restreint qu’il est aujourd’hui, ne laisse pas d’augmenter conside´rablement l’influence ministe´rielle. L’existence meˆme des esclaves dans les colonies, met celles-ci dans une de´pendance bien plus grande du gouvernement, que ne le sont les autres provinces. En second lieu, une grande partie des droits de douane sur les denre´es et manufactures e´trange`res, coloniales et autres, e´tant affecte´e au paiement des arre´rages de la dette publique, on re´pugne a` toucher cette corde de´licate. Troisie`mement, l’attachement aux anciens us et coutumes sur lesquels est fonde´e toute la jurisprudence anglaise, est plus forte en Angleterre que partout ailleurs. Cet attachement, qui ne laisse pas d’avoir de grands incon-
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ve´niens, et qui en aurait de bien plus grands encore, si au lieu de pre´ce´dens il y avait comme chez nous des lois e´crites, tient a` une crainte respectable, celle de porter atteinte a` la proprie´te´, en rompant indirectement par un effet re´troactif, les nombreux contrats forme´s sur la foi d’une loi ou d’un usage existant depuis longues anne´es, que la re´forme ane´antirait. Enfin, et c’est-la` une conside´ration majeure, depuis plus de cinquante ans que les me´caniques et la pompe a` feu, joints aux capitaux accumule´s qui favorisent la division du travail, ont procure´ aux manufactures et fabriques de l’Angleterre, les moyens de fournir a` meilleur marche´ et souvent en meilleure qualite´, les produits manufacture´s des matie`res brutes auxquelles cette division est particulie`rement applicable, et qui sont le coton, la laine et le fer, les effets pernicieux des lois prohibitives sont devenus absolument nuls pour les neuf-dixie`mes des habitans de l’inte´rieur de la Grande-Bretagne, qui ne consomment gue`re que les produits de ces manufactures-la`. Les inconve´niens de ces lois ne tombent que sur les gens aise´s qui consomment des soieries, des dentelles, de la bijouterie, des vins, etc. Certes, personne ne s’avisera d’y introduire en fraude des bas de coton ou de laine, du calicot, des clincailleries, etc. Cette circonstance seule doit oˆter presque toute la de´faveur attache´e ailleurs aux lois prohibitives, et aux pre´pose´s des douanes charge´s de leur exe´cution. Je fais ces observations pour l’usage de ceux qui, voyant que le gouvernement anglais n’a pas encore entie`rement adopte´ les principes de Smith, et e´tant e´leve´s eux-meˆme dans l’ornie`re du syste`me mercantile, osent traiter de reˆve-creux ce grand homme, que Pitt, et en ge´ne´ral, les ministres anglais ne citent jamais qu’avec les plus grands e´gards, avec le plus grand respect pour son opinion, qui, en principe ge´ne´ral, fait toujours autorite´. D’apre`s les principes que j’ai professe´s sur cette matie`re, et que j’ai constamment soutenus depuis tant d’anne´es dans mes e´crits, on doit naturellement s’attendre a` trouver en moi un partisan de la libre concurrence dans tous les genres de commerce et d’industrie, comme le seul moyen de leur donner tout le de´veloppement dont l’une et l’autre sont susceptibles. Si donc nous avions en France table rase, je me prononcerais pour l’abolition imme´diate de toute loi prohibitive, et particulie`rement de celles dont l’exe´cution exige des visites dans l’inte´rieur, et qui entravent meˆme la circulation des marchandises de nos propres fabriques, en les assuje´tissant a` des formalite´s plus ou moins geˆ nantes, source de mille vexations pour les voyageurs a. a
J’ai e´prouve´ une de ces vexations lors de mon retour de Mu¨ lhausen, en septembre dernier. Ayant oublie´ d’y acheter quelques schals et coupons de calicot pour des robes, commission qu’on nous avait soigneusement recommande´e en partant de Paris, ou` cependant l’on trouve
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Mais il s’en faut bien que nous soyons dans cette position. Une classe nombreuse de manu facturiers et fabricans a fait des e´tablissemens manufacturiers conside´rables sous la foi du gouvernement, qui a rendu ou maintenu les lois prohibitives en question, dans la vue de favoriser l’industrie nationale. A coˆte´ d’eux et sous leur direction, se sont fixe´s et e´tablis des milliers d’ouvriers qui n’ont d’autre e´tat, d’autre ressource pour vivre que toutes ces jolies choses au meˆme prix dans les de´poˆts, nous cruˆmes pouvoir faire l’emplette en passant a` Colmar. Arrive´s a` dix heures, nous de´jeuˆnons et allons dans une boutique apre`s avoir commande´ les chevaux de poste pour midi. Le marchand e´tant absent, avait laisse´ pour le remplacer, sa femme, bonne allemande qui ignorait les sapiens re´glemens des douanes, qui ne veulent pas qu’un voyageur emporte sans fac¸on et sans remplir les formalite´s prescrites, les marchandises franc¸aises qu’il a achete´es et paye´es dans une boutique franc¸aise et duement patente´e. En conse´quence elle coupe les pie`ces choisies, y joint les schalls, prend notre argent et porte le tout a` l’auberge, ou` les chevaux de poste nous attendaient. L’aubergiste, en voyant mettre ces marchandises dans la voiture, nous demanda si nous avions un passavant ? Sur notre re´ponse ne´gative, il nous recommanda d’aller de suite avec la marchande a` la douane en prendre un, sans quoi nous risquerions d’avoir le tout saisi en route, et la voiture par-dessus le marche´, comme e´tant charge´e de marchandises de contrebande. Mais elles sont de la fabrique de Mu¨ lhausen, dit la marchande ; mon mari les y a achete´es de MM. Koechlin. – N’importe, il faut un passavant, cela ne couˆtera qu’un gros sol a` ces messieurs et dames, et peut leur e´pargner beaucoup d’argent et de chagrin. En conse´quence, nous allons a` la douane, accompagne´s de la mar chande qui pestait et jurait alternativement en allemand et puis en franc¸ais, donnant au diable la douane et ses passavans. Malheureusement le bureau e´tait ferme´ et ne rouvrait qu’a` deux heures, parce qu’il faut bien que les douaniers dıˆnent comme tout le monde. Il fallut donc renvoyer les chevaux qui ne demandaient pas mieux, mais il n’en fut pas de meˆme du postillon, qui, le re`glement a` la main, nous demanda une demi-poste pour indemnite´. Voila` le passavant qui nous couˆtait de´ja` un sou, plus une demi-poste, plus deux heures au moins de retard dans notre voyage. Retourne´s a` deux heures au bureau, on se met a` auner les coupons, a` examiner les schals et a` dresser un inventaire du tout, qu’on e´crit sur un petit carre´ de papier. Enfin le passavant nous allait eˆtre de´livre´, et je tenais de´ja` mon gros sou tout preˆt, lorsque le commis, charge´ de cette besogne, homme d’ailleurs tre`s-honneˆte, complaisant et actif, s’avise de demander a` la marchande si elle avait un certificat d’origine. C’e´tait de l’he´breu pour cette pauvre femme, qui re´ellement n’en put produire ; il fallut donc appeler des te´moins attestant l’absence de son mari, la bonne re´putation dont jouissait sa boutique ; enfin on nous remit le passavans. Vous allez croire que tout e´tait fini par la` ; vous vous trompez. De meˆme qu’il y a plus d’un chemin de Paris a` Rome, il y en a plus d’un de Colmar a` Paris ; on avait de´signe´ sur notre passavant la route par Gray, tandis que nous voulions passer par Lune´ville et Nancy. Il fallut encore re´parer cette erreur la`, qui aurait pu devenir grave en nous faisant soupc¸onner de fraude ; car c’e´tait la` le cas d’appliquer l’axioˆme de droit : mieux vaut n’avoir pas de titre du tout, que d’avoir un titre vicieux ; en d’autres mots : mieux vaut ne pas avoir de passavant du tout, que d’en avoir un avec une fausse route. Notez bien que ces vexations sont inhe´rentes a` la nature meˆme des choses ; le personnel, dont je n’ai eu qu’a` me louer dans cette occasion et dans d’autres, n’y entre absolument pour rien. C’est en effet une remarque faite par tous les voyageurs, que les pre´pose´s des douanes franc¸aises sont les plus honneˆtes et les plus expe´ditifs de tous ceux qui exercent cet e´tat en Europe, et je me plais a` leur rendre ce te´moignage.
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leur travail, dont une bonne partie est le re´sultat de l’espe`ce de monopole que la loi prohibitive assure a` la fabrication de leurs chefs. Ces derniers a` leur tour ont emprunte´ a` des capitalistes et a` d’autres proprie´taires e´conomes, une partie des avances ne´cessaires pour fonder leurs e´tablissements et les maintenir en activite´. Si dans cette position on revenait aux vrais principes, en abolissant les lois prohibitives rendues ou maintenues en faveur de ces e´tablissemens d’industrie, ou si on y faisait seulement des modifications assez importantes pour influer sur le de´bit de leurs produits dans l’inte´rieur, la ruine de la plupart des chefs, et en partie meˆme celle des capitalistes qui leur ont fait des avances, quelque grave qu’elle puisse paraıˆtre, serait le moindre inconve´nient re´sultant de ce changement. Des re´sultats bien plus se´rieux seraient produits par la mise`re a` laquelle se trouveraient re´duits des milliers d’ouvriers, avec leurs femmes et enfans, que ce changement mettrait de suite hors de travail, et a` la charge du public. Dans cette position donc, aucun homme raisonnable et juste ne conciliera un changement subit un peu important a` ces lois prohibitives, quelque contraires qu’elles soient d’ailleurs aux principes et aux inte´reˆts bien entendus de l’immense majorite´ des consommateurs, et sous ce rapport je m’y opposerais e´galement, si j’avais l’honneur d’eˆtre membre de la chambre des de´pute´s. Mais cette concession faite de ma part, et je crois de la part de tout homme un peu e´claire´ sur les ve´ritables inte´reˆts de l’industrie nationale, ne doit s’entendre qu’autant que les fabricans inte´resse´s au maintien de ces lois, ne les pre´senteront que comme des lois d’exception, des lois de circonstance, qui doivent eˆtre modifie´es successivement a` mesure que les circonstances changeront, et enfin abolies entie`rement quand elles auront cesse´. Dans cette supposition, que je regarde comme la condition sine qua` non, j’irai meˆme plus loin, et je proposerai un moyen de de´sinte´resser dans quelques anne´es entie`rement les manufacturiers les plus inte´resse´s au maintien et a` l’exe´cution rigoureuse des lois prohibitives. Quel est en effet le but de ces lois ? D’empeˆcher toute entre´e aux frontie`res, et toute vente dans l’inte´rieur des manufactures e´trange`res. Si nos manufacturiers pouvaient fabriquer celles-ci au meˆme prix, et meˆme a` quinze pour cent au-dessus du prix auquel les manufactures anglaises reviennent au fabricant en Angleterre, les lois prohibitives deviendraient par le fait aussi inutiles chez nous qu’elles le sont en Angleterre pour les manufactures d’e´toffes de laine et de coton, pour les ouvrages de clincaillerie, et en ge´ne´ral pour des articles de consommation ge´ne´rale, a` l’usage de la grande masse de la population, en mettant a` part les soieries, les draps fins, et autres objets de luxe, que consomme le tre`s-petit nombre.
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Mais qu’est-ce qui empeˆche donc nos manufacturiers de donner tous ces articles au meˆme prix que les Anglais ? Qu’est-ce qui les empeˆche de se contenter meˆme de quinze pour cent au-dela` de ce prix, dont les manufactures e´trange`res se trouvent renche´ries uniquement par les frais de transport, d’assurance, sans compter le de´sagre´ment d’avoir ses marchandises et ses capitaux loin de chez soi ? Ce ne sont certainement point les salaires : ils sont et ont e´te´ de tous tems plus e´le´ve´s en Angleterre qu’en France, ou` les vivres et surtout le pain, base de la nourriture des ouvriers, sont en ge´ne´ral a` meilleur marche´. (Je mets, comme de raison, hors de ligne les dernie`res anne´es de´sastreuses pour la France, envahie d’une part par un demi-million de troupes e´trange`res, et de´sole´e d’un autre coˆte´ par la plus mauvaise re´colte en tout genre qu’on ait e´prouve´e depuis long-tems). Ce n’est point le de´faut d’adresse ou d’intelligence de la part des ouvriers franc¸ais, a` qui ces deux qualite´s ne manquent aucunement, et qui l’emportent meˆme pour beaucoup d’ouvrages, lorsqu’on veut leur tenir compte de la diffe´rence du prix. Ce n’est point le de´faut de connaissance des machines et des usines qu’exige la division du travail ; elles existent chez nous dans plus d’une ville manufacturie`re, et notamment a` Mu¨ lhausen, aussi parfaites, et conduites avec autant d’e´conomie et d’intelligence qu’a` Birmingham, Sheffield, Leeds, Manchester, etc. Sans doute, elles ne sont ni aussi e´tendues, ni aussi nombreuses chez nous, qu’en Angleterre, parce que les capitaux accumule´s dans la meˆme manufacture sont plus rares chez nous. Et cette rarete´ meˆme vient en bonne partie du maintien des lois prohibitives. L’espoir que tout fabricant a de de´biter, a` l’aide de ces lois, aux consommateurs de l’inte´rieur, les produits de sa manufacture, quelque chers et quelque infe´rieurs en qualite´ qu’ils soient, engage une foule de gens a` former des e´tablissemens avec un capital tellement modique, qu’ils sont force´s malgre´ eux de compenser par des profits e´normes, l’exiguı¨te´ des produits de leur fabrication. Encore moins la cherte´ relative des produits de nos fabriques tient-elle a` la cherte´ des matie`res premie`res. L’Ame´rique septentrionale et le Bre´sil nous fournissent le coton au meˆme prix qu’a` l’Angleterre ; la Sue`de et la Russie en font autant pour le fer, dont nous avons d’ailleurs une bonne quantite´ chez nous ; l’Espagne nous fournirait au besoin a` meilleur marche´ encore, les laines fines, si nous n’avions pas nous-meˆmes des milliers de me´rinos acclimate´s, et quant aux laines communes, nous n’en manquons certainement pas. Enfin, nous avons presque toutes les matie`res premie`res des manufactures au meˆme prix et souvent a` meilleur marche´ qu’en Angleterre, ou` d’ailleurs plusieurs d’entr’elles, et notamment le coton, sont sou-
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mis a` des droits de douane bien plus conside´rables que chez nous, droits qu’on ne rend, et en partie seulement, que pour la portion manufacture´e, exporte´e a` l’e´tranger, tandis que la portion plus que quintuple qui est consomme´e dans l’inte´rieur, en supporte tout le poids. Ce qui rend plus chers chez nous les produits des manufactures qui exigent une grande division de travail, des machines et des avances de salaires a` un grand nombre d’ouvriers, suite ne´cessaire de cette meˆme division ; c’est d’une part, le taux plus e´leve´ des profits, et d’un autre coˆte´, le taux plus e´leve´ de l’inte´reˆt qui croıˆt ge´ne´ralement avec les profits. L’un et l’autre de ces inconve´niens graves, sont a` leur tour les conse´quences ne´cessaires de la modicite´ des capitaux employe´s dans le meˆme e´tablissement. Quant aux profits, le proprie´taire d’une manufacture qui n’y peut employer qu’un capital de cinquante mille francs, doit, toutes autres choses e´gales, exiger des profits bien plus conside´rables de son industrie, que celui qui peut y employer cinq cent mille francs, parce que toutes autres choses e´gales, cinq pour cent de profits sur l’emploi de cette dernie`re somme e´quivalent a` cinquante pour cent sur l’emploi de la premie`re. Celui qui a un capital de cinq cent mille francs peut en outre employer une portion conside´rable de ce capital a` e´tablir des machines et des usines plus parfaites et mieux adapte´es a` la division du travail en grand, a` augmenter le nombre des me´tiers, et en ge´ne´ral tout ce qui compose le capital fixe de sa manufacture, tandis que le capital de cinquante mille francs suffit a` peine pour faire les avances en matie`res brutes et en salaires qui composent le capital circulant. Quant au taux d’inte´reˆt qui monte avec les profits, il influe, a` diffe´rence e´gale, beaucoup plus sur le prix des ouvrages manufacture´s, que ne le fait le taux des salaires ou le prix de la matie`re premie`re. La raison est qu’a` chaque modification nouvelle que rec¸oit cette matie`re depuis l’achat primitif jusqu’au moment ou` elle passe entie`rement fabrique´e dans la boutique du marchand en de´tail, celui qui a fait l’avance de la nouvelle fac¸on se fait rembourser ses avances avec l’inte´reˆt ; celui qui revend la seconde fac¸on se fait a` son tour rembourser ses avances avec l’inte´reˆt, ensorte que le consommateur qui rembourse le dernier toutes les avances pre´ce´dentes, paie l’inte´reˆt accumule´ ou les inte´reˆts des inte´reˆts de toutes ces avances successives. En un mot, l’inte´reˆt s’accroıˆt avec chaque ope´ration successive dans une progression ge´ome´trique, et augmente le prix de la marchandise fabrique´e dans la meˆme proportion, tandis que la diffe´rence des salaires ne la renche´rit que dans une progression arithme´tique compose´e des diffe´rences sur tous les salaires qu’il a fallu payer pour mettre la marchandise en e´tat d’eˆtre vendue. Quant au taux d’inte´reˆt e´leve´, il de´pend essentiellement de la rarete´ des capitaux. Or c’est une ve´rite´ de fait notoire qu’en ge´ne´ral les capitaux
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accumule´s sont plus rares en France qu’en Angleterre, et que parmi ces meˆmes capitaux la quantite´ de ceux employe´s dans les manufactures est sans comparaison quelconque plus petite chez nous qu’en Angleterre. Nous avons surtout peu d’e´tablissemens manufacturiers qui emploient un capital accumule´ un peu conside´rable ; ce sont assez ge´ne´ralement des capitaux bien modiques qui sont employe´s dans des e´tablissemens de cette espe`ce. La meˆme manufacture qui en France est mise en activite´ et entretenue avec cent mille francs, aura en Angleterre un million a` sa disposition. Chez nous les 100 mille francs, si on les emprunte pour un pareil e´tablissement, couˆteront sept a` huit pour cent, tandis qu’en Angleterre le capitaliste qui preˆte sur hypothe`que, est souvent bien aise d’en retirer quatre. Les fabricans anglais doivent donc, toutes autres choses e´gales, livrer leurs marchandises au marche´, a` un prix bien infe´rieur comparativement a` celui que nos manufacturiers sont oblige´s d’en retirer, pour ne pas vendre a` perte. Le vrai moyen de procurer a` nos fabricans le moyen de vendre les produits de leur fabrication a` aussi bon marche´ que le font les Anglais, les seuls concurrens vraiment dangereux que nous ayons a` craindre, serait de faire a` ceux qui ont des e´tablissemens tout forme´s, et en activite´, des avances de fonds a` bas inte´reˆt, proportionne´s a` l’e´tendue de leurs manufactures et aux ouvriers qu’ils emploient. Je dis, a` ceux qui ont des e´tablissemens tout forme´s et meˆme en activite´ depuis un certain tems ; car il serait absurde de faire des avances a` ceux qui n’ayant pas forme´ des e´tablissemens sur la foi des lois prohibitives existantes, et a` qui par conse´quent le gouvernement ne doit aucune indemnite´, voudraient en former aujourd’hui, pour profiter de la libe´ralite´ que le gouvernement exercerait par un esprit de justice envers ceux qui pourraient eˆtre les victimes du rappel des lois prohibitives et de l’effet re´troactif que ce rappel exercerait sur eux. Des avances indiscre`tes faites indistinctement a` tous les entrepreneurs futurs qui se pre´senteraient avec des garanties, finiraient par me´tamorphoser quantite´ de bouchers et de boulangers, ou fabricans de viande et de pain, et autant de fabricans de drap et de calicot. Et qu’on ne croie pas que cette mesure pre´paratoire et indispensable, lorsqu’on voudra modifier le re´gime des prohibitions, exigerait un sacrifice e´norme de la part du tre´sor public. En ne distribuant ces avances que d’apre`s les renseignemens fournis par les autorite´s locales sur la moralite´ des emprunteurs, la perte sur les capitaux avance´s serait peu conside´rable, et il n’y aurait a` supporter pour le gouvernement que la diffe´rence de 3 ou 4 pour % entre le taux de l’inte´reˆt auquel il ferait les avances, et celui auquel il se les serait procure´es. Quelque1 puisse eˆtre au reste ce sacrifice, il faudra 1
Orthographe encore tole´re´e pour «quel que».
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bien qu’on en vienne toˆt ou tard a` une mesure de cette espe`ce, a` moins qu’on ne veuille courir la chance des maux incalculables qui re´sulteront d’un changement que la force des choses ne peut manquer d’amener prochainement dans le syste`me commercial de tous les e´tats de l’Europe, et le plus toˆt que l’on prendra ce parti, le mieux on fera, et moins la perte du tre´sor public sera grande. Une fois que les lois prohibitives auront engage´ une foule d’hommes industrieux a` former de petits e´tablissemens avec de faibles capitaux, le mal sera sans reme`de. Je dis qu’il faudra en venir a` une mesure de cette espe`ce toˆt ou tard. Le progre`s des lumie`res, le raisonnement et le sens commun re´pandus davantage parmi la masse des consommateurs, et ce qui plus est, l’expe´rience che`rement achete´e que nous a fournie le blocus continental, ou le syste`me mercantile exe´cute´ en grand et avec une rigueur vraiment tyrannique, le peu de succe`s qu’ont eu les lois prohibitives dans divers pays, les entraves sans nombre qu’elles mettent non-seulement aux e´changes avec l’e´tranger, mais encore a` la libre circulation des marchandises dans l’inte´rieur, les visites domiciliaires qu’elles ne´cessitent, la de´moralisation de milliers d’individus qui cherchent a` les e´luder, et de milliers d’autres individus charge´s de les faire exe´cuter, le poids avec lequel elles pe`sent sur toute la masse des consommateurs, enfin l’esprit de haine, d’animosite´ et de jalousie mercantile qu’elles entre tiennent entre les nations industrieuses, toutes inte´resse´es a` e´changer entre elles la plus grande portion possible du produit de leur travail, toutes ces causes re´unies, dis-je, pre´disent aux yeux de tous les hommes e´claire´s et de´sinte´resse´s a` la question, la chute entie`re et assez prochaine meˆme de ce syste`me mercantile ainsi que du syste`me colonial qu’on peut regarder comme un accessoire de l’autre. Ces deux chime`res, qu’on s’est accoutume´ pendant long-tems a` regarder comme les sources, sinon uniques, du moins principales de toute richesse, ont cause´, depuis trois sie`cles, plus de guerres et ont fait verser plus de sang sur terre et sur mer, que ne l’ont fait le fanatisme religieux et l’esprit de conqueˆte. Quand elles auront disparu, quand il se sera forme´ entre les nations aujourd’hui sottement rivales, ainsi qu’entre leurs gouvernemens, force´s de ce´der aux pre´juge´s actuels de la multitude, une nouvelle sainte alliance ayant pour objet le libre e´change des produits de leur travail et de leur industrie, que deviendront alors les e´tablissemens multiplie´s qui se seront forme´s dans la croyance que ces lois prohibitives, sans lesquelles ils ne pourraient subsister, seraient e´ternelles ? que deviendront les milliers d’ouvriers qui auront base´ sur elles leur existence pre´caire ? On voit par la` de quelle importance il est que les manufacturiers qui ne peuvent en ce moment se passer des lois prohibitives, se pe´ne`trent bien de la ve´rite´ que ces lois ne peuvent eˆtre que temporaires, et qu’en attendant
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leur abolition ine´vitable, ils doivent accumuler, par beaucoup de travail et d’e´conomie, assez de capitaux pour pouvoir re´duire leurs profits, de manie`re a` n’avoir plus a` redouter la concurrence des fabricans e´trangers. Ce sera d’autant plus facile que ces derniers, moins favorise´s qu’eux par l’abondance et le bon marche´ des subsistances, auront a` supporter en outre, les frais de transport, la commission, les risques de l’assurance, et enfin les droits de consommation raisonnables que les denre´es et marchandises quelconques, venant de l’e´tranger, devront toujours payer aux douanes, conside´re´es comme charge´es de la perception d’un des impoˆts indirects les moins one´reux pour les contribuables et les plus productifs pour le tre´sor public, de`s qu’il sera re´duit a` un simple impoˆt de revenu, et que les pre´tendues lois protectrices de l’industrie nationale n’y entreront pour rien. En re´sume´, tant que les hommes industrieux, inte´resse´s au maintien des lois prohibitives, n’en demanderont la continuation, que pour un tems limite´, suffisant pour les mettre en e´tat de se passer de ces lois d’exception, qui geˆnent et appauvrissent la popualtion entie`re au profit d’un petit nombre de privile´gie´s, je serai le premier a` appuyer leur demande, quelque contraire qu’elle soit aux principes et au bien-eˆtre de tous. Mais lorsqu’ils voudront en faire une doctrine permanente, en recre´ant le vieux syste`me mercantile base´ sur la balance du commerce, dont Pitt lui-meˆme a fini par reconnaıˆtre et avouer le vide a, et en entretenant une arme´e de douaniers et d’agens de police, pour mettre cette belle the´orie en pratique, il me sera moralement impossible d’eˆtre de leur avis ; en l’appuyant, je croirais agir contre ma conviction et ma conscience. C’est a` cette occasion que se ve´rifie surtout la remarque qu’on trouve a` la teˆte de cet e´crit, sur la ne´cessite´ d’e´clairer les contribuables, les gouverne´s et les administre´s sur leurs ve´ritables inte´reˆts, de pre´fe´rence a` ceux qui gouvernent et administrent, parce que ces derniers ont plus de moyens de s’e´clairer, et que d’un autre coˆte´ ils sont par leur position e´leve´e, moins dispose´s a` se laisser influencer par les pre´juge´s et les inte´reˆts particuliers du petit nombre, toujours oppose´s a` l’inte´reˆt ge´ne´ral.
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Voyez son discours prononce´ au parlement en 1799, et mieux encore, l’excellent ouvrage de sir Francis d’Yvernois sur le blocus continental, dont je ne saurais assez recommander la lecture a` ceux qui veulent se former une ide´e nette de la ve´ritable balance du commerce, qui n’est autre chose que la diffe´rence des journe´es de travail, qu’une nation gagne, en se procurant par la voie des e´changes avec l’e´tranger, les meˆmes objets pour deux journe´es de travail, qu’elle ne pourrait fabriquer chez elle qu’en y en consacrant trois. C’est la` le marche´ qui a lieu dans tous les e´changes quelconques avec l’e´tranger aussi bien que dans l’inte´rieur avec nos propres concitoyens ; les acheteurs y gagnent aussi bien que les vendeurs, autrement ils ne les feraient point.
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Bien des gens qui de´testent avec raison le re´gime prohibitif a` cause des entraves qu’il met au commerce et a` toutes les branches de l’industrie, excepte´ celles qu’il favorise par le monopole et les privile`ges qu’il leur accorde, a` cause surtout des vexations sans nombre qui en sont inse´parables, en rejettent la faute exclusivement sur l’administration des douanes, et particulie`rement sur M. le Directeur Ge´ne´ral qui non content d’une arme´e de pre`s de 25 mille hommes de chefs et de pre´pose´s sous ses ordres, voudrait encore la faire augmenter afin d’opposer une barrie`re insurmontable a` l’entre´e d’une pie`ce de calicot sur les frontie`res du royaume. S’il n’y avait que cet obstacle-la` qui empeˆchaˆt de rendre au commerce, a` l’agriculture et a` l’industrie elle-meˆme, la liberte´ que l’une et l’autre re´clament en masse, il serait bien aise´ de le lever. Il ne s’agirait que d’entrer avec ce chef de l’administration, qu’on peut bien regarder comme une puissance du troisie`me ordre, dans une ne´gociation semblable a` celle qu’on avait entame´e avec succe`s, il y a deux ans, avec les puissances allie´es pour l’e´vacuation graduelle du territoire franc¸ais par leurs troupes, a` raison d’un cinquie`me par an. On pourrait de meˆme traiter avec M. le directeur ge´ne´ral des douanes pour faire e´vacuer graduellement a` son arme´e le territoire du commerce franc¸ais qu’elle de´sole, sauf a` conserver les deux cinquie`mes qui seraient plus que suffisans pour percevoir les droits des douanes re´duites a` une simple branche du revenu public, joint a` la prime que les manufactures nationales peuvent raisonnablement demander pour le maintien de toute industrie qui me´rite d’eˆtre conserve´e ; car celles qui ne peuvent se soutenir sans e´lever de 30 a` 50 % la prime d’assurance en faveur de la contrebande, ne me´ritent pas qu’on les soutienne. Par la` les douanes proprement dites (car l’impoˆt du sel ne doit pas eˆtre compris sous cette de´nomination), rapporteraient annuellement au moins 100 millions de plus, et le commerce aurait mille entraves de moins. A cette condition ou pourrait meˆme conserver a` l’arme´e licencie´e la totalite´ de sa solde et des traitemens attache´s a` tous les grades. Ce seraient a` la ve´rite´ 15.000 pensionnaires de plus a` la charge de l’e´tat ; mais outre l’augmentation prodigieuse du revenu public qui re´sulterait de cette e´vacuation, la masse des contribuables aurait la consolation de penser que si d’une part ils leur couˆtaient une somme assez conside´rable, d’un autre coˆte´ ils ne les empeˆcheraient pas de s’enrichir en faisant valoir librement leur industrie, comme cela n’arrive que trop souvent aujourd’hui. Malheureusement ce n’est pas uniquement a` l’administration des douanes, ni encore moins a` M. le Directeur ge´ne´ral que tient la religieuse conservation, le renforcement meˆme du re´gime prohibitif avec tous ses inconve´niens. La moitie´ peut-eˆtre des contribuables, sans en excepter ceux qui en souffrent le plus, regardent ces prohibitions comme essentielles non-
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seulement aux progre`s de l’industrie manufacturie`re, mais encore a` ceux de toutes les branches d’industrie, et surtout a` la richesse nationale qu’elle favorise, disent-ils, en conservant le bienheureux nume´raire et en nous assurant ce qu’on appelle dans le langage du syste`me mercantile, l’inappre´ciable balance du commerce. En conse´quence, loin d’e´lever leur voix contre les prohibitions qui les geˆnent et appauvrissent, ils applaudissent aux fouilles sur les frontie`res, aux visites domiciliaires dans l’inte´rieur, aux confiscations et amendes, a` toutes les mesures de rigueur enfin que nous a laisse´es l’auteur du blocus continental comme un legs de male´diction. − Tant que cette opinion radicalement fausse subsistera parmi un aussi grand nombre de contribuables, il serait inutile de provoquer un changement quelconque dans les lois ou dans les mesures administratives.
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Diffe´rence essentielle entre la marche qu’on suit en Angleterre pour la formation et la pre´sentation du budget, et celle qu’on a suivie jusqu’ici en France. Vices de la comptabilite´ par exercices, inconnue en Angleterre ; elle rend inintelligibles pour le public, les comptes faits avec le plus grand soin. Le mot budget, en passant de la langue anglaise dans la noˆtre, a rec¸u dans le public franc¸ais une signification bien plus e´tendue qu’il n’a dans son pays natal. La` il ne comprend autre chose que ce qu’on y appelle les voies et moyens, ou les divers impoˆts, emprunts et autres ressources que le chancelier de l’e´chiquier propose pour faire face aux de´penses juge´es ne´cessaires dans l’anne´e a` laquelle le budget se rapporte, et que le parlement a de´ja` vote´es. Chez nous, au contraire, on entend par ce mot ge´ne´rique non seulement les recettes propose´es pour faire face aux de´penses pre´sume´es, mais encore l’e´tat des de´penses pre´sume´es et projette´es pour chaque ministe`re, le tout pre´ce´de´ d’un rapport du ministre des finances sur la situation ge´ne´rale des finances du royaume, et appuye´ ou plutoˆt accompagne´ d’un compte ge´ne´ral des de´penses et recettes ainsi que des comptes particuliers de chaque ministe`re, les uns et les autres par exercice avec un me´lange ine´vitable de comptes de gestion pendant l’anne´e financie`re a` laquelle ils se rapportent. Avez-vous lu le budget ? cela veut dire : Avez-vous lu tout cela et encore quelques autres accessoires inutiles a` e´nume´rer ici, tout en un mot ce qu’on trouve dans le budget de 1818, distribue´ aux deux chambres et formant un volume de plus de 300 pages grand in–4o ? Une bien plus grande diffe´rence existe entre l’ordre d’apre`s lequel le budget (en prenant ce mot dans le sens e´tendu que nous lui donnons), est pre´sente´ et discute´ en Angleterre, et l’ordre qu’on a suivi jusqu’ici en France a` cet e´gard, et auquel le ministre aussi bien que la commission du budget ont de´ja` fait et proposent vouloir apporter encore des ame´liorations remarquables. Comme cette diffe´rence est d’une importance extreˆme pour la formation d’un budget, aussi bien que pour la discussion d’un budget tout fait, et surtout pour rendre l’une et l’autre intelligible aux parties essentiellement inte´resse´es qui sont les contribuables, je vais essayer de tracer ici en peu de mots la marche qu’on a constamment suivie et qu’on suit encore annuellement en Angleterre, lorsque ce grand objet d’inte´reˆt national est pre´sente´ et discute´ dans la chambre des communes. Observons d’abord qu’en Angleterre on ne connaıˆt pas plus une comptabilite´ par exercice, qu’on ne la connaıˆt chez nous dans un me´nage. Tout s’y re´duit a` une simple comptabilite´ de gestion par anne´e financie`re qui
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commence invariablement au 5 janvier de l’anne´e e´coule´e et finit au 5 janvier de l’anne´e dans laquelle le budget est pre´sente´. Ce budget, qui ne pre´sente et ne peut possiblement pre´senter qu’un aperc¸u de ce que rapporteront re´ellement les divers impoˆts et autres ressources propose´es pour faire face aux de´penses vote´es d’apre`s les aperc¸us pre´sente´s par le ministre, n’est e´galement dresse´ et calcule´ que pour l’anne´e financie`re commence´e ou a` commencer au 5 janvier, a` l’expiration de laquelle le ministre se re´serve de rendre un compte de´finitif de ce qui aura e´te´ re´ellement recouvre´ et de´pense´ dans l’anne´e e´coule´e. Cela pose´, a` quelque e´poque que soit convoque´ le parlement qui doit s’occuper des finances et du budget, que ce soit un peu avant ou apre`s le 5 janvier, les divers ministres lui pre´sentent successivement, chacun de son coˆte´, ce que nous appelons le budget des de´penses pre´sume´es de leurs de´partemens respectifs. Le ministre de la guerre demande tant d’hommes d’infanterie, tant de cavalerie, couˆtant telle ou telle somme, en un mot, tant pour le personnel, tant pour le mate´riel ; le chef du de´partement de l’artillerie qui, en Angleterre, forme un de´partement se´pare´ de la guerre, demande tant de canonniers, tant de canons e´value´s a` tant ; le ministre de la marine demande tant de matelots, tant de vaisseaux en armement, etc. Les e´tats de´taille´s de toutes ces demandes avec le montant de chaque objet, a` coˆte´, sont mis sous les yeux de la chambre, qui passe deux mois et plus a` les discuter et de´battre, au point qu’on a vu une se´ance absorbe´e en grande partie a` discuter la ne´cessite´ d’un second sous-secre´taire d’e´tat au de´partement de la marine, celle de deux ou de trois places de commandans de port, etc. L’ensemble de ces demandes discute´es et vote´es successivement forme ce que nous appelons le budget des de´penses. Pendant que les de´bats sur les demandes des divers ministres, ainsi que sur d’autres objets relatifs ou e´trangers aux finances, ont lieu au parlement, le chancelier de l’e´chiquier a soin de faire dresser les comptes ge´ne´raux et de´taille´s de toutes les sommes entre´es et sorties de l’e´chiquier a dans le cours de l’anne´e financie`re qui vient de s’e´couler. L’ensemble de ces comptes tous clos au 5 janvier de l’anne´e courante, pre´sente d’une manie`re suivie, extreˆmement claire et simple, toute la comptabilite´ en recette et de´pense, avec l’origine de chaque nature de recette, et la de´signation de chaque nature de de´pense. Tous ces comptes sont mis sous les yeux de la chambre ; un comite´ est nomme´ pour les examiner et faire un rapport sur chaque partie. Ces rapports sont successivement imprime´s et distribue´s a` tous les membres du parlement, et comme les comptes qui y entrent, sont constamment dresse´s de la meˆme manie`re, et range´s dans le meˆme ordre, on a
Caisse unique qui est aujourd’hui assez bien repre´sente´e par le tre´sor royal en France.
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y retrouve chaque anne´e les meˆmes articles de de´pense et de recette a`-peupre`s a` la meˆme page et a` la meˆme place qu’ils occupaient l’anne´e pre´ce´dente, sauf les changemens que l’addition ou le retranchement d’une nouvelle taxe, ou d’une nouvelle de´pense peuvent y introduire d’une anne´e a` l’autre, et surtout lors du passage de la paix a` la guerre, ou de la guerre a` la paix. Par ce moyen tout homme un peu au fait de la comptabilite´, qui veut s’en donner la peine, peut, en comparant entre eux les comptes de plusieurs anne´es de suite, suivre non-seulement chaque chapitre de de´pense ou de recette, mais meˆme chaque article particulier du meˆme chapitre, d’anne´e en anne´e, depuis son origine jusqu’au moment actuel, avec tous les accroissemens et de´croissemens qu’il aura e´prouve´s. Tous ces comptes sont e´galement critique´s et de´battus, par les divers membres de la chambre des communes ; ce qui, vu l’ordre, la clarte´ et l’uniformite´ surtout, qui y re`gnent, absorbe bien moins de tems qu’on ne croirait. En re´sume´ il en re´sulte que, d’une part, les recettes, dans l’anne´e qui vient de s’e´couler, se sont e´leve´es a` tant, sur quoi il reste a` recouvrer tant ; et que, d’un autre coˆte´, les de´penses se sont e´leve´es a` tant, sur quoi il reste a` payer tant : ce qui se trouve en caisse, et ce qui reste a` recouvrer forme le premier article des ressources, ou des voies et moyens du nouveau budget ; ce qui reste a` payer sur les de´penses faites, forme de meˆme le premier article des de´penses a` couvrir. Si l’ensemble des sommes qui se trouve en caisse le 5 janvier (ce qu’on appelle l’AVOIR EN CAISSE), joint aux sommes a` recouvrer, exce`de ce qui reste a` payer a` la meˆme e´poque sur les de´penses faites, il y a un surplus qui augmente d’autant les voies et moyens de l’anne´e courante ; si au contraire ce dernier article exce`de le premier, il y a un de´ficit qu’on comble avant tout par les recettes propose´es dans le nouveau bugdet. Il peut donc exister momentane´ment un de´ficit en Angleterre aussi bien que chez nous, mais jamais il ne peut y germer un de ces malheureux arrie´re´s qui, jusqu’en 1814, avaient constamment traıˆne´ chaque anne´e, ouvertement ou sourdement, a` la queue de nos budgets et comptes rendus, et dont on ne pouvait se de´barrasser que par des banqueroutes de´guise´es sous diverses formes et de´nominations plus ou moins bizarres. Ce n’est qu’apre`s que tous les comptes des divers ministe`res et de´partemens ont e´te´ examine´s et de´battus, et que toutes les de´penses futures ont e´te´ vote´es, et pas auparavant, que le chance lier de l’e´chiquier pre´sente, ce qu’on appelle proprement le budget a, ou les voies et moyens, qui, apre`s avoir e´te´ de´battus, accepte´s, modifie´s ou rejete´s en partie, sont vote´s a` leur tour, et complettent ainsi la discussion parlementaire de la session sur les a
Le mot budget, au sens propre, signifie un sac ou une poche, contenant les papiers relatifs au budget pris au sens figure´.
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finances. Je dis : pas auparavant ; car lorsque le ministre a besoin de fonds avant cette e´poque, il demande un vote de cre´dit de tant de millions sterling, en a` compte sur les subsides de l’anne´e, et sur les recouvremens a` faire des impoˆts a` voter. Ajoutez a` cela qu’en Angleterre l’e´chiquier prend et rec¸oit tout en e´cus, ou en billets de banque rec¸us et passant comme des e´cus, et cela depuis plus d’un sie`cle, tandis que chez nous, on a, depuis plus de vingt ans, toujours paye´ une portion plus ou moins grande des de´penses, et souvent les de´penses les plus sacre´es, en diverses valeurs dites de l’arrie´re´ perdant de 20 a` 40 pour cent contre e´cus, et qui exigent une comptabilite´ a` part. Re´unissez maintenant toutes ces conside´rations, et vous cesserez d’eˆtre e´tonne´s de la clarte´ qui re`gne dans les comptes pre´sente´s annuellement en Angleterre, surtout lorsqu’on a sous les yeux une suite comprenant plusieurs anne´es conse´cutives. Ils sont vraiment transparents, et ceux qui, comme M. B., ex-cre´ancier de l’e´tat, leur reprochent de n’eˆtre pas clairs, de manquer de me´thode, etc., ou bien ne les ont pas lus avec l’attention requise, ou avaient besoin, pour un but particulier, de faire entendre que nos comptes par exercice, transmis par la routine de l’aˆge d’or au sie`cle actuel, valaient mieux. Je me ferais fort, au besoin, de faire comprendre un compte de gestion anglais, a` la blanchisseuse que M. Fie´ve´e paraıˆt avoir consulte´e, en discutant le budget du ministre de la police ge´ne´rale, au chapitre intitule´, blanchissage du linge des bureaux, quoiqu’elle ne paraisse pas eˆtre doue´e elle-meˆme d’une conception bien claire et nette. Mais quand j’aurais e´te´ pendant dix ans premier commis des finances a` la teˆte de la comptabilite´, il me serait, je crois, impossible de suivre celle d’une blanchisseuse, qui, au lieu d’offrir tout bonnement les releve´s de ses de´penses et recettes par mois, me pre´senterait une se´rie de comptes par exercices, compose´s, d’une part, des de´penses et recettes appartenantes a` chaque lessive, et d’un autre coˆte´, des frais de me´nage, du loyer et autres de´penses absolument e´trange`res au blanchissage, faites pendant cette pe´riode inde´termine´e, a` l’acquittement desquelles le produit net de ce meˆme blanchissage ou exercice serait spe´cialement affecte´. Qui est-ce qui pourrait se retrouver au milieu de cette confusion de comptes, empie´tant l’un sur l’autre, et tous s’encheveˆtrant les uns dans les autres, sans pre´senter aucun re´sultat clair et pre´cis ? En discutant le titre dernier et unique du projet de loi amende´ par la commission, titre qui a` lui seul vaut un bon budget, je traiterai se´pare´ment cette grande question de la comptabilite´ par exercices qui, sans l’aveugle attachement a` l’ancienne routine, ne devrait plus exister depuis long-tems, et dont on paraıˆt enfin avoir reconnu les vices dans les bureaux de la comptabilite´ du tre´sor, aussi bien que dans la commission des finances ; car les comptes pre´sente´s depuis 1814, jusqu’a` ce jour, s’en e´loignent de plus
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en plus en se rapprochant des comptes de gestion, aussi sont-ils devenus bien plus clairs et plus intelligibles. Le titre 12 de la loi du 25 mars 1817, joint au titre 12 et unique, ajoute´ par la commission au projet de loi actuel, qui ordonne que les comptes a` rendre chaque anne´e par les ministres, seront dore´navant pre´sente´s aux chambres a` l’ouverture de leur session, pour qu’elles puissent proce´der a` leur examen et entendre le rapport, quelle que soit l’e´poque ulte´rieure de la pre´sentation du budget ; ces deux titres, dis-je, nous rapprochent de´ja` beaucoup de la marche suivie en Angleterre, dont j’ai donne´ un pre´cis plus haut ; et leur exe´cution suivie pendant quelques anne´es, nous conduira par la force des choses, a` une comptabilite´ centrale et de gestion, aussi claire que celle qu’on vient de prendre pour mode`le dans une de ses parties. En attendant, j’observerai que c’est principalement a` la confusion ine´vitable qu’entraıˆne la comptabilite´ par exercices dans les comptes, dresse´s avec le plus de soin et de me´thode, ainsi qu’aux diverses valeurs cre´e´es successivement pour payer les divers arrie´re´s, et qui toutes exigent des comptes se´pare´s, que nous devons le spectacle e´trange que nous a offert tout re´cemment un e´crit intitule´ : de la Le´gislation, de l’Administration et de la Comptabilite´ des finances de la France, depuis la restauration. Dans cet e´crit vraiment paradoxal, on voit comme quoi : Il y a eu dans le budget et dans les comptes de chaque anne´e, depuis 1814, une atte´nuation de cent et tant de millions dans les recettes, et une exage´ration d’autant dans les de´penses ; Que notamment le budget des neuf derniers mois de 1814 avait exage´re´ les besoins et atte´nue´ les ressources de la somme e´norme de 358 millions ; Qu’entre les recettes et les de´penses de la tre´sorerie, depuis le 1er avril 1814 jusqu’au 20 mars 1815, il existe un deficit de 84 millions, qui ne peut s’expliquer par les comptes ; que ce serait perdre son tems de chercher a` supple´er par des conjectures aux faits qui nous manquent a` cet e´gard ; que par conse´quent on ne sait ce que cet item de 84 millions est devenu. On y voit, comme quoi en 1815, il y a eu une exage´ration de quatrevingt-douze millions dans les de´penses, et une atte´nuation de cent vingtdeux millions dans les ressources, ce qui produit une erreur totale de deux cent soixante-six millions, et que dans le meˆme intervalle, il y a eu une circulation inutile de pre`s de six cents millions, en effets e´mis par le tre´sor. On y voit comme quoi en 1816, le ministre a commis dans l’e´valuation des de´penses de son budget, la monstrueuse erreur de quatre-vingt-quatre millions quatre cent quatre-vingt-douze mille francs (elle e´tait effectivement monstrueuse, car c’e´tait en moins), et que les chambres ont fait pis, puisqu’elles ont accorde´ a` Son Excellence plus qu’elle ne demandait, ce qui porte l’auteur a` s’e´crier : «Cette libe´ralite´ est contraire aux devoirs qui leur
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sont impose´s, et l’on n’en pourrait trouver des exemples que dans ces tems de calamite´, ou` les corps repre´sentatifs ont e´te´ courbe´s sous le joug de la tyrannie, et ou` ses vils suppoˆts ont abreuve´ le tyran des sueurs du peuple.» Et ainsi de suite, jusqu’a` la fin du chapitre, ou si l’on veut, de la brochure. Si cet e´crit avait e´te´ publie´ par un simple particulier, par un e´crivain obscur et inconnu, ces exage´rations par lesquelles on voudrait persuader au public, que pendant quatre ans de suite, il y a eu chaque anne´e pour quelques centaines de millions d’erreurs en plus ou en moins dans les budgets et dans les comptes pre´sente´s par le ministre aux chambres a, et que 84 millions y sont encore e´gare´s, sans qu’on puisse savoir ce qu’ils sont devenus ; ces exage´rations, dis-je, ne seraient que risibles. Mais qu’elles aient e´te´ publie´es par un membre de la chambre des de´pute´s, et ce qui plus est, de la commission des finances, qui, par sa position a e´te´ a` meˆme de se procurer tous les documens et renseignemens officiels et authentiques ; par un e´crivain qui s’est constamment occupe´ de ces matie`res, et qui a publie´, il y a pre`s de quinze ans, un ouvrage sur le revenu public, qui, malgre´ les erreurs graves contenues dans le second volume, n’e´tait pas sans me´rite b ; c’est une ve´ritable calamite´. Et qu’on ne dise pas que ces de´clamations exage´re´es, qu’on ne peut attribuer qu’a` une de ces boutades de mauvaise humeur contre les ministres des finances en exercice, auxquelles l’auteur est assez sujet, n’en peuvent imposer a` personne. Je le croyais aussi, mais j’ai e´te´ bientoˆt de´trompe´. Avant que cet e´crit euˆt e´te´ re´fute´, j’ai rencontre´ plus de vingt personnes de la bonne socie´te´, parmi lesquelles plusieurs qui ne manquaient ni d’esprit, ni d’instruction, qui m’en recommande`rent ite´rativement la lecture, comme d’un ouvrage plein de faits et de de´couvertes e´tonnantes, dont l’auteur avait pris le ministre et les bureaux du tre´sor sur le fait. Je le lus, et je me convainquis bientoˆt que l’auteur, graˆces a` son activite´ et a` sa position comme membre de la commission des finances, s’e´tait procure´ une foule de donne´es exactes, de chacune desquelles il avait eu l’art de tirer une conse´quence fausse. Bientoˆt parurent deux re´futations, e´crites l’une et l’autre par des gens de l’art (anciens ou actuels employe´s au ministe`re des finances) a
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Parmi ces assertions il y en a dont une seule, si elle e´tait fonde´e, suffirait pour faire mettre en e´tat d’accusation les ministres et les membres de la commission a` la fois. J’ai fait dans le tems un e´loge raisonne´ de la premie`re partie, qui recommandait le paiement exact des cre´anciers de l’e´tat, et le respect pour tous les engagemens pris envers eux, a` une e´poque ou` il y avait quelque courage a` publier ces principes, qui contrastaient singulie`rement avec ceux qu’on suivait a` la liquidation ge´ne´rale de la dette publique, place Vendoˆme. Je n’ai rien dit de la seconde partie, qui recommandait le syste`me mercantile et colonial de Colbert, et par dessus tout la reprise de Saint-Domingue. C’e´tait le cas de dire : In caudaˆ venenum.
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qui de´montre`rent, a` l’aide des Comptes faits de Bareˆme et de la logique de Port-Royal, que dans cette brochure de moins de 200 pages, il s’e´tait glisse´ une cinquantaine d’errata, consistant en doubles emplois (dont un seul de 81 millions avoue´ par l’auteur), en erreurs de calcul proprement dites, en confusion de valeurs d’arrie´re´ avec celles en nume´raire, en conse´quences directement oppose´es aux donne´es ou aux pre´misses, etc., etc. J’ai lu les re´futations ; et apre`s avoir ve´rifie´ les cinquante errata, ce qui n’e´tait pas bien difficile, j’e´tais reste´ convaincu que tous et chacun d’eux e´taient sans re´plique. L’auteur, ne´anmoins, en a publie´ une ; je l’ai encore lue, et je suis faˆche´ de le dire, elle m’a rappele´ involontairement la re´ponse d’un homme assistant a` un plaidoyer qui inte´ressait un de ses amis. Que pensez-vous de ma cause, lui demanda ce dernier ? − Elle me paraıˆt scabreuse. − Oh mais ! celui que vous venez d’entendre est l’avocat de mon adversaire ; attendez, voila` le mien qui se le`ve. Quand il eut fini, le plaideur demanda de nouveau a` son ami : He´ bien, qu’en dites-vous, maintenant ? − Ma foi, re´pondit celui-ci, apre`s avoir entendu l’avocat de la partie adverse, je croyais votre cause scabreuse ; j’ai entendu le voˆtre, et je la crois de´sespe´re´e. Cette malheureuse incartade de M. G. et l’impression qu’elle a faite pendant un mois entier sur une bonne partie du public, sont comme je l’ai de´ja` dit, une ve´ritable calamite´, en ce qu’elles prouvent que si nous posse´dons parmi les de´pute´s et les fonctionnaires publics reveˆtus de dignite´s et de charges e´minentes, aussi bien que parmi ceux qui ne sont reveˆtus de rien, des hommes d’un me´rite supe´rieur, qui nous ont donne´ et nous donnent encore journellement des preuves d’une grande e´tendue de connaissances et de lumie`res en finance, la masse du public est encore bien arrie´re´e sur ces matie`res a` la connaissance desquelles sont cependant lie´s, plus ou moins, leurs plus chers inte´reˆts. Or, tant que cet e´tat de choses subsistera, le ministre et la chambre des de´pute´s re´unis auront bien de la peine a` faire adopter et suivre un bon syste`me de finances, qui avant tout exige que l’opinion publique l’approuve, et que les dispositions diverses non seulement soient bonnes en elles-meˆmes, mais qu’elles paraissent telles a` la masse des contribuables. C’est donc le public qu’il faut taˆcher d’e´clairer et d’instruire, et cela n’est pas tre`s-aise´, parce que l’instruction trouve sur son chemin une foule d’inte´reˆts particuliers qui l’arreˆtent dans sa marche. Et ce sont pre´cise´ment ces critiques mal fonde´es, ces de´clamations hardies et tranchantes, qui nuisent le plus au progre`s des lumie`res en cette partie, parce que la multitude qui a vu que des hommes qu’elle croyait du me´tier, qui par e´tat et plus encore par devoir, s’en e´taient occupe´s depuis tant d’anne´es, se trompaient aussi grossie`rement sur les bases meˆmes des comptes et des budgets, ne veut plus se donner la peine meˆme de lire un e´crit sur les finances. Les uns prennent le parti de douter de tout, et les autres de ne douter de rien.
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Voila` le ve´ritable mal que produisent des critiques aussi e´videmment mal fonde´es. Car du reste je ne crois aucunement avec plusieurs de ceux qui dans des brochures ou dans les journaux ont e´crit en faveur des ministres, que ces critiques hasarde´es et intempestives produisent le re´sultat faˆcheux de harceler et de tourmenter l’administration, ou en d’autres mots qu’elles ne donnent la migraine a` ceux qui la dirigent. Je me rappelle avoir lu un vieux livre de me´decine intitule´ : de sedibus morborum, dans lequel se trouvoient range´es par classes, espe`ces et varie´te´s, les mille et une maladies qui peuvent affecter les divers organes et membres du corps humain, pris un a` un. On y trouvait, par exemple 30 diffe´rentes espe`ces de maladies d’yeux, 20 diffe´rentes espe`ces de maux d’oreilles, de maux de dents, etc., dont chacun peut provenir de cinq a` six causes diffe´rentes et exiger autant de reme`des diffe´rens, ce qui par parenthe`se, prouve l’extreˆme adresse et sagacite´ des me´decins qui savent de´meˆler tout cet imbroglio. Dans le nombre se trouvaient aussi quelques douzaines d’espe`ces de migraines ; mais je ne me rappelle pas y en avoir vu une seule que les critiques les plus hasarde´es d’un budget pouvaient donner au ministre et a` ses collaborateurs. Il est vrai que le livre avait e´te´ e´crit avant que le Compte rendu par M. Necker, source de toutes les migraines de ses successeurs, euˆt e´te´ communique´ au public. Au contraire, plus les critiques paraissent mauvaises, plus elles doivent accre´diter dans l’opinion publique ceux qu’elles atta quent ; car devant ce tribunal aussi bien qu’au palais de justice, il y a deux moyens de gagner sa cause ; l’un est de la faire plaider par un bon avocat, l’autre de faire plaider par un mauvais avocat celle de la partie adverse. En supposant d’ailleurs qu’une critique bien ou mal fonde´e puˆt donner la migraine au ministre ou a` ses collaborateurs, elle ne pourrait jamais eˆtre bien dangereuse pour eux, a` cause de la position dans laquelle ils se trouvent. Les critiques bonnes ou mauvaises, que fait l’e´crivain au coin de son feu, les reme`des bons ou mauvais qu’il propose, sont a` prendre ou a` laisser ; mais les mauvaises drogues qui peuvent se glisser dans les meilleurs recipe des hommes qui sont a` la teˆte de l’administration, ne sont pas a` prendre ou a` laisser par les contribuables ; quand une fois ces recipe sont convertis en lois ou en ordonnances, il faut qu’ils les avalent, bon gre´, mal gre´. Une chose assez singulie`re, et qui est la source de plus d’une erreur grave, est que la plupart de ceux qui e´crivent ou parlent contre le budget, ainsi que contre les rapports et les comptes y annexe´s, adressent leurs reproches bien ou mal fonde´s exclusivement aux ministres des finances qui les pre´sentent a` la chambre, tandis qu’a` l’exception de l’addition des comptes ge´ne´raux de la recette et de´pense de tous les ministe`res re´unis, qui 12 peut ] la source porte peuvent A1
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effectivement est exclusivement dans les attributions du ministre des finances, celui- ci n’y entre que pour les de´penses et la comptabilite´ particulie`re de son ministe`re qui ne fait qu’une petite partie du tout. Quant au reste, le ministre des finances ne fait que pre´senter les demandes, les propositions et les comptes que ses colle`gues le ministre de la guerre, de la marine, de l’inte´rieur, etc. lui ont adresse´s ou remis tout faits et re´dige´s. Et ceux-ci a` leur tour, ne font souvent que pre´senter les comptes et budgets particuliers que leur ont remis les directeurs ge´ne´raux, ou premiers commis de leurs de´partemens respectifs. Si M. G.... avait fait cette re´flexion bien simple, il se serait e´pargne´ bien des erreurs de sa part, et autant d’errata de la part de ses re´futateurs. Combien, par exemple, lui et beaucoup d’autres orateurs et e´crivains, ne se sont-ils pas re´crie´s sur la pre´tendue exage´ration de l’arrie´re´ ante´rieur au 1er avril 1814 ! Avec quelle amertume n’ont-ils pas reproche´ dans le tems et long-tems apre`s, au ministre des finances de cette e´poque, de l’avoir e´value´ arbitrairement, comme ils disaient, a` l’e´norme somme de sept cent cinquante-neuf millions ! M. G. ne pre´tendait-il pas encore, dans son avant dernie`re brochure, que l’assertion du ministre du dernier gouvernement a, que cet arrie´re´ ne s’e´levait pas a` deux cent cinquante millions, se ve´rifierait ? Eh bien, ve´rification faite, il s’est trouve´ que, loin d’eˆtre exage´re´, ce meˆme arrie´re´ exce´dait l’e´valuation, et s’e´levait a` 789 millions, ainsi qu’on peut le voir de´montre´ dans le plus grand de´tail, dans les errata de M. Bricogne, page 28 et suiv1. Mais quand meˆme il y aurait eu de l’exage´ration (ce qui n’est point) dans cette e´valuation provisoire faite au milieu du chaos ou` le renversement de Bonaparte, joint a` l’entre´e et au de´part des troupes e´trange`res avaient laisse´ la comptabilite´, et l’administration de la majeure partie des de´partemens et des ministe`res, ce n’e´tait certainement pas au ministre des finances seul, ni meˆme principalement, qu’il euˆt fallu s’en prendre. Il existait incontestablement un arrie´re´, et un arrie´re´ conside´rable dans tous les ministe`res. Le Roi qui dans cette occasion s’est cre´e´ un monument impe´rissable de sa loyaute´, avait re´solu de payer inte´gralement tout ce qui e´tait le´gitimement duˆ, sans en excepter meˆme les dettes que le gouvernement pre´ce´dent avait contracte´es pour l’empeˆcher de remonter sur le troˆne de ses anceˆtres ; et son ministre qui entrait dans ses vues, voulait de son coˆte´, fonder un ve´ritable syste`me de cre´dit public, et ce syste`me e´tait incompatible, soit avec un
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De M. le duc de Gae¨ te qui, au reste, a pris la liberte´ de nier cette assertion.
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Errata du rapport de M. le comte Beugnot sur les voies et moyens de 1819, pour faire suite a` la situation des finances au vrai, Paris : Pe´licier, 1818.
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attermoiement, soit avec une liquidation interminable a` laquelle on aurait renvoye´ les cre´anciers. Il fallait donc connaıˆtre de suite, ne fuˆt-ce meˆme que par approximation, le montant de tout l’arrie´re´, afin de pourvoir d’avance a` son paiement inte´gral, et d’avoir des valeurs toutes preˆtes pour de´livrer aux cre´anciers a` fur et mesure de leur liquidation. A qui aurait-on voulu que le ministre des finances s’adressaˆt pour acque´rir cette connaissance ? Ne´cessairement a` ses colle`gues, aux ministres de la guerre, de la marine et de l’inte´rieur, etc., qui avaient fait les de´penses et contracte´ les dettes, qui seuls pouvaient en connaıˆtre le montant, et qui e´taient charge´s de la liquidation de´finitive des cre´anciers. Si ceux-ci s’e´taient re´ellement trompe´s dans leur e´valuation, c’est sur eux que devait tomber le reproche d’exage´ration ; le ministre des finances n’y entrait pour rien. Mais les autres ministres, ses colle`gues, s’e´taient-ils re´ellement trompe´s ? C’est une autre question qui vaut bien la peine qu’on l’examine. L’affirmative d’abord ne paraıˆt pas douteuse, puisque le ministre de la guerre avait pre´sente´, en 1814, un arrie´re´ de 487 millions, qui est fixe´ aujourd’hui a` 266 millions, liquide´s ou a` liquider, et qu’il y a aussi une diminution sensible dans l’e´valuation ancienne de l’arrie´re´ du ministe`re de la marine. Mais ce re´sulat nume´rique n’est pas la seule donne´e qu’il faut examiner ; il y a, quant au quantum exact, une autre donne´e, a` la ve´rite´ un peu plus ou moins inde´termine´e, qu’il faut prendre en conside´ration. C’est le montant des milliers de petites cre´ances a` la charge de ces deux ministe`res ; toutes celles de 10 francs, par exemple, que les cre´anciers oublient, ou ne se soucient pas de re´clamer, parce que la re´clamation avec les pie`ces a` produire, et les de´marches a` faire couˆteraient plus que la cre´ance ne vaut. Ce sont ensuite les cre´ances plus ou moins conside´rables des individus qui ont pe´ri depuis 1814, et dont les he´ritiers ne se sont pas pre´sente´s avec les titres ; celles qui ont e´te´ forcloses, parce que les proprie´taires n’ont pas produit leurs re´clamations ou titres en tems utile ; celles en plus grand nombre encore, dont le montant, quoique duˆ en totalite´ dans l’origine, a e´te´ re´duit par la liquidation, en vertu de lois ou de dispositions auxquelles on n’avait pas pense´ lors de la pre´sentation des titres, etc. En re´unissant tous ces retranchemens non pre´vus lors de l’e´valuation primitive de l’arrie´re´ de ces deux ministe`res de la guerre et de la marine, on trouvera que ni l’un ni l’autre n’avaient exage´re´ leur quotepart, et que si tous ces cre´anciers s’e´taient pre´sente´s, l’e´valuation aurait e´te´ plutoˆt au-dessous qu’au-dessus du montant effectif des cre´ances. Je suis surpris de ce que cette re´flexion ait e´chappe´ a` tous ceux qui ont essaye´ de justifier le ministre des finances de 1814, dont le budget, malgre´ toutes les critiques non fonde´es qu’en ont faites ceux qui ne l’entendaient pas, ou qui feignaient de ne pas l’entendre, parce qu’il contrariait leurs vues, fera toujours e´poque dans nos annales
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financie`res, comme ayant pose´ les premie`res bases de la restauration du cre´dit public a. M. G...., a` la ve´rite´, aurait bientoˆt re´duit tout cet arrie´re´ de moitie´ et au-dela`, en faisant attendre les cre´anciers pendant quelques anne´es, jusqu’a` ce qu’une liquidation bien muˆrie euˆt fait connaıˆtre le montant exact des cre´ances, dont une bonne partie se serait e´teinte par l’inanition des cre´anciers ; puis, en donnant a` ces derniers la plus haute valeur que le gouvernement, selon lui, pouvait leur offrir, c’est-a`-dire, une inscription, portant 5 pour 100, prise pour valeur nominale. Mais c’euˆt e´te´ leur faire une banqueroute de 40 pour 100, et le gouvernement voulait loyalement payer ce qui e´tait duˆ. En passant a` l’examen du budget, nous trouverons plus d’un exemple des erreurs dans lesquelles on est sujet a` tomber, en confondant les comptes et les demandes des divers ministres, avec le compte ge´ne´ral rendu par le ministre des finances, lors de la pre´sentation du budget. Ici devrait se trouver l’analyse proprement dite du budget de 1818, ainsi que des comptes et rapports qui s’y attachent, des amendemens propose´es par la commission etc. Mais comme l’espace me manque, je suis force´ de renvoyer cette discussion a` la livraison prochaine qui paraıˆtra sous peu de jours. En attendant, je terminerai ce cahier-ci par quelques observations sur une erreur de calcul assez grave, e´chappe´e a` celui des orateurs en faveur du a
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L’historique de ces critiques, examine´es aujourd’hui de sang-froid, pre´sente un aspect assez plaisant. De`s que le budget parut, ses adversaires, pour le de´crier, eurent recours au futur. Les obligations a` huit pour cent, dirent-ils, se vendront a` vil prix sur la place, et le gouvernement aura paye´ inutilement un inte´reˆt usuraire (ce qu’il ne fait point en vendant des rentes au cours qui porte l’inte´reˆt a` 9 pour cent, et qui force a` la fin de rembourser un capital augmente´ de plus de moitie´), les rentes tomberont, les bois ne se vendront pas, tout s’e´croulera, etc. Du ra et du ront sans fin, comme lors de la discussion de la dernie`re loi sur les e´lections, qui renversera la monarchie et bouleversera le royaume. Aucune de ces prophe´ties ne s’accomplit, les obligations e´mises en novembre avec perte, avaient remonte´ au pair, le cours des rentes approchait de 80, les bons de la caisse de service se ne´gociaient au taux du bon papier de commerce, les bois enfin se vendaient a` merveille. Au milieu de cette prospe´rite´ croissante, car c’en e´tait une, arrive`rent le 20 mars, Bonaparte et ses accessoires. Comme il euˆt e´te´ trop effronte´ d’attribuer aux vices du plan du ministre la baisse des obligations et des rentes, qui survint apre`s un e´ve´nement qui devait de´truire tout plan de finances imaginable, et comme d’un autre coˆte´ les critiques ne pouvaient plus faire usage du futur, ils recoururent au conditionnel passe´. Quand meˆme le 20 mars ne serait pas venu, dirent-ils, les obligations n’en seraient pas moins tombe´es, a` cause de la quantite´ qui restait a` e´mettre (nous avons vu depuis vendre et e´mettre 30 millions de rentes, faisant 600 millions de capital nominal, et les rentes monter nonobstant clameurs de haro des joueurs a` la baisse), les bois ne se seraient pas vendus a` cause de la quantite´ qu’il y avait a` vendre, etc. C’e´tait du rait et du raient, au lieu de ront et de ra ; le passe´ et le pre´sent n’entraient pour rien dans cette conjugaison financie`re.
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budget qui par e´tat, et a` raison de ses habitudes, paraissait devoir moins que tout autre donner lieu a` une critique fonde´e sur ce point. M. Lafitte dans son discours, marque´ d’ailleurs au coin du talent, e´crit avec beaucoup de clarte´, de franchise et de noblesse, voulant tracer le tableau vraiment de´plorable des pertes que la France a e´prouve´es par suite de la dernie`re invasion par les troupes e´trange`res, s’exprime ainsi : «Faut-il mettre sous vos yeux un aperc¸u de l’appauvrissement de la France pendant ces tems de de´sastres et de calamite´s ?» «D’une part nous verrons que nous avons de´ja` paye´ aux e´trangers en argent a, savoir : En 1815, 180.000.000 ; en 1816, 304.000.000 ; en 1817, 319.000.000 ; en 1818, 301.000.000 ; − Ensemble.... 1.104.000.000. Que si l’on re´unit a` cette somme la valeur des 9 millions de rentes de´ja` inscrites pour les re´clamations ; et celle de 12 a` 14 millions que l’on suppose a` cre´er pour le meˆme objet ; plus les 280 millions qu’il faudra payer pour solder la contribution de guerre : on arrivera a` un re´sultat de 1800 millions.» «Et si, a` ces masses de´ja` si effrayantes on veut ajouter les dommages que les invasions ont fait supporter a` l’E´tat dans ses arsenaux et dans ses magasins ; si l’on veut e´valuer aussi ceux qu’elles ont cause´s aux individus, dommages d’autant plus funestes qu’ils n’ont pas e´te´ e´galement re´partis, on restera fort au dessous de la ve´rite´ en e´valuant le tout a` 3 milliards, dont la France est re´ellement appauvrie depuis 1815, par le seul fait des invasions.»
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C’est sans doute un e´quivalent pour exprimer la valeur e´cus des denre´es et marchandises que nous a couˆte´ cette visite ; car je ne pense pas que M. Lafitte croie avec les partisans de la balance du commerce que la cause re´elle de notre appauvrissement soit la pre´tendue perte en nume´raire, dont les hommes de´plorent continuellement la rarete´, quoique ce soit un fait constant et facile a` constater, par le change aussi bien que par le prix du lingot, que toutes les sommes paye´es tant pour les contributions de guerre que pour l’arme´e d’occupation n’ont pas fait sortir de la France, ni une pie`ce de vingt francs en or, ni une pie`ce de cinq francs en argent. Et cependant la France a e´te´ horriblement appauvrie par ces paiemens ; mais ce n’est pas en nume´raire, dont la banque de France est en ce moment meˆme sature´e jusqu’a` indigestion, mais en ble´, fourrages, viande, vin, et autres denre´es et marchandises qui valent mieux que du nume´raire. La triste expe´rience que nous avons faite l’anne´e dernie`re aurait bien duˆ convaincre les hommes les plus encrouˆte´s de ce vieux pre´juge´ sur la rarete´ du nume´raire, qu’avec du ble´ et des fourrages on a toujours de l’argent, mais qu’avec de l’argent on n’a pas toujours du ble´ et des fourrages. Le nume´raire, si jamais il pouvait manquer dans un grand pays civilise´, se remplacerait facilement par des billets de banque ; que ces MM. nous fassent des billets qui remplacent le ble´ ou le fourrage quand ils manquent !
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Je crois cette e´valuation aussi exacte qu’elle peut l’eˆtre ; il n’en est pas de meˆme de ce qui suit : «D’un autre coˆte´, il aura e´te´ pre´leve´ sur les capitaux, pour supple´er a` l’insuffisance des taxes : En 1815, 136.000.000, pour l’emprunt force´ et l’alie´nation de 500.000 fr. de rentes ; En 1816, 127.000.000, par la vente de 6 millions de nouvelles rentes, et 63 millions de cautionnement, ve´ritables emprunts force´s ; En 1817, 342.000.000, par la nouvelle alie´nation de 30 millions 669.755 fr. de rentes ; En 1818, 225.000.000, pour l’emprunt de 16 millions ; Et plus tard, 600.000.000, environ, tant pour solder la contribution de guerre, que pour le produit des rentes alie´ne´s pour les liquidations. − En tout, 1,430.000.000.» «Voila` donc un capital de plus de 4 milliards 500 millions, en majeure partie perdu sans retour, et dont la totalite´ est enleve´e, pour long-tems, a` l’agriculture, a` l’industrie, au commerce !» En examinant avec un peu d’attention ces deux releve´s, on voit bientoˆt que le dernier e´tant ajoute´ au premier, forme e´videmment un double emploi de pre`s de 1.200 millions valeur e´cus, compose´s du prix des rentes que le ministre a alie´ne´es pour payer a` fur et mesure, et pour ainsi dire, jour par jour, les sommes que re´clamaient les puissances allie´es en vertu du dernier traite´, et qui se trouvaient de´ja` comprises dans le premier releve´ montant a` 1.800 millions. Car puisque tous les budgets dresse´s et adopte´s depuis 1815, e´poque a` laquelle ont commence´ les emprunts par voie d’alie´nation de rentes a` un cours convenu avec les preˆteurs, nous pre´sentent constamment un exce´dent conside´rable des recettes ordinaires sur les de´penses ordinaires, ces alie´nations de rentes n’ont eu d’autre objet que de payer ce que les e´trangers demandaient en raison des traite´s. Une fois ces re´clamations satisfaites avec l’argent qu’a produit la vente des rentes, ainsi que le prouvent les comptes rendus, on ne peut plus porter la valeur ve´nale de celles-ci a` la charge de la France, ou au de´bit des e´trangers. Le double emploi est donc aussi e´vident que le serait celui que commettrait un ne´gociant qui apre`s avoir de´bite´ le compte de son correspondant de 3.000 fr. a` raison d’une traite de pareille somme accepte´e par lui, de´biterait le meˆme compte une seconde fois, en payant la traite lors de son e´che´ance. Mais comment M. Lafitte a-t-il pu commettre une me´prise pareille ? Je re´ponds que c’est par suite du pre´juge´ ge´ne´ralement re´pandu en France, et qui re`gne encore plus ou moins en Angleterre, d’apre`s lequel on regarde toute dette publique contracte´e par suite d’un emprunt, comme une charge, comme un fardeau pour la nation oblige´e d’en payer les arre´rages. Cette
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erreur que j’ai combattue en vain depuis quinze ans et que je viens de mentionner encore aujourd’hui dans l’avant-propos ci-dessus, a e´te´ et sera encore la source de me´prises de la part des hommes les plus instruits en matie`re de finances. C’est le capital mange´, de´pense´ ou paye´ au dehors sans e´quivalent qui forme la ve´ritable charge a` supporter par la nation qui l’a emprunte´ ; l’emprunt en lui-meˆme, ou la dette contracte´e par suite de cet emprunt, e´tant rempli en presque-totalite´ par les nationaux devenus ainsi les cre´anciers de leurs compatriotes ne forme pas plus une charge pour la nation, pour l’ensemble des contribuables, que les contrats notarie´s faits entre un habitant de Paris et l’autre, n’appauvrissent la masse des habitants de Paris. Aussi suis-je convaincu que M. Lafitte n’aurait jamais fait cette me´prise, s’il avait eu sous les yeux toute autre valeur que des rentes sur le grand livre. C’est la` le cas de dire : principiis obsta etc. Une fois une erreur capitale de cette espe`ce entre´e dans la meilleure teˆte, il est rare qu’elle s’en de´barrasse tout a` fait. St.-Aubin.
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L’affaire du mare´chal Ney
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Introduction
Le proce`s du mare´chal Ney est une des grandes affaires politiques de la Seconde Restauration. Meˆme si tout est dit sur cette affaire qui a tant agite´ les premiers mois apre`s la seconde abdication de Napole´on, marque´s par un climat de vengeance et de haine, ou` l’on exigeait des jugements se´ve`res et des victimes offertes en holocauste a` la cause des ultras, marque´s par des actions d’auto-justice (l’assasinat du mare´chal Brune en est un exemple) aussi bien que par des proce`s spectaculaires qu’on doit qualifier de proce`s politiques, entre autres contre Labe´doye`re, Lavalette ou Drouet d’Erlon. Mais le proce`s qui a le plus agite´ l’opinion publique est celui contre le mare´chal Ney, le braves des braves, he´ros militaire le´gendaire qui occupe une place exceptionnelle dans la conscience collective pas seulement du moment, mais pour les anne´es a` venir1. Nous savons que Benjamin Constant a joue´ un roˆle actif et courageux dans la cause Labe´doye`re2. Ce qui est moins connu, c’est son intervention discre`te dans l’affaire Ney, que nous pouvons entrevoir en nous rapportant a` la lettre qu’il a adresse´e autour du 15 aouˆt 1815 a` la mare´chale3 en re´ponse a` une lettre perdue dans laquelle elle a sollicite´ l’appui de Constant pour la re´daction de la de´fense du mare´chal esquisse´e par l’avocat Berryer pe`re, une des sommite´s du barreau de cette e´poque4. Cette esquisse e´tait sans aucun doute incluse dans la lettre de la mare´chale Ney, car Constant s’y refe`re dans sa re´ponse. Nous identifions ce document avec la minute de la de´fense5 conserve´e aux Archives nationales (A3). Elle nous donne quelques 1
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Des tre`s nombreux ouvrages sur le mare´chal Ney, nous ne citons ici que le livre d’Henri Welschinger, Le mare´chal Ney, 1815, Paris : Plon, 1893, et, en de´pit d’une certaine de´pre´ciation qu’on porte a` l’Histoire de la Restauration et des causes qui ont amene´ la chute de la branche aıˆne´e des Bourbons de Capefigue, le re´cit du proce`s de Ney qui se trouve dans le t. III de cet ouvrage (pp. 337–405) qui cite un certain nombre de documents utiles. Voir encore notre e´tude «Une lettre ine´dite de Benjamin Constant a` la Mare´chale Ney», ABC 20, 1997, pp. 127–151 (plus part. p. 127, n. 1 et p. 128, n. 1). Il est a` souligner que des publications souvent d’inspiration libe´rale, en tout cas anti-royalistes, commencent a` paraıˆtre de´ja` avant la fin du proce`s. Voir ci-dessus, pp. 91–108. Voir le texte dans «Une lettre ine´dite», ABC, 20, 1997, p. 134. Sur Pierre-Nicolas Berryer (1753–1841), son fils Pierre-Antoine (1790–1868) et le travail de leur e´tude pour la de´fense du mare´chal Ney voir «Une lettre ine´dite», ABC 20, 1997, p. 129, n. 2. Voir la minute de cette de´fense, Archives nationales, 137 AP 15, piece 238.
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Premie`re annexe
de´tails pre´cieux sur la strate´gie choisie par Berryer pour de´fendre une cause perdue d’avance, et elle nous re´ve`le les efforts d’en ame´liorer les structures et de rendre les arguments plus fappants. Ce document est identique dans ses grandes lignes et dans ses arguments a` la de´fense que nous lisons dans l’Expose´ justificatif pour le mare´chal Ney, avec le de´faut toutefois d’un certain de´sordre, ce qui aurait nui a` la de´monstration. Meˆme si Constant doit de´cliner une participation active a` la re´daction, surtout pour des raisons de prudence, mais peut-eˆtre aussi pour des raisons pratiques (il parle d’un de´lai trop bref pour les investigations ne´cessaires), il propose ne´anmoins dans la seconde partie de sa lettre la re´daction d’un passage de cloˆture qui re´sume avec force les arguments de Berryer. Ce passage se retrouve point par point et parfois litte´ralement dans le texte imprime´, de sorte que nous n’he´sitons pas d’y reconnaıˆtre une influence directe prise par Constant sur le texte de la de´fense du mare´chal Ney. Le manuscrit de la minute et une copie de la version remanie´e prouvent notre hypothe`se1. Aglae´ Ney de´ploie d’ailleurs depuis l’arrestation de son mari une activite´ e´tonnante, habile et de´sespe´re´e a` la fois, pour l’aider dans un proce`s dont elle craint l’issue, parce qu’elle se rend compte que le mare´chal est condamne´ d’avance par l’opinion publique qui «semble dans sa rigueur avoir de´ja` frappe´ le mare´chal», ve´ritable signe d’un temps re´volutionnaire ou` «la pre´vention sie`ge dans les tribunaux a` coˆte´ des juges2». Ces phrases, tire´es du me´moire qu’elle adresse vers le meˆme moment au roi et qu’elle re´ussit meˆme a` lui remettre3, saisissent bien le climat peu propice pour ce proce`s, 1
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Voir la lettre de BC a` la mare´chale Ney, art. cite´, ABC, 20, p. 134, et les mss de la plaidoirie, Archives nationales, 137 AP 15, pie`ces 238 et 240. Le premier est le texte de la minute autographe de Berryer de la de´fense du mare´chal que BC a pu consulter ; le second est la copie, de la main du mare´chal, du texte de la de´fense corrige´e et conside´rablement remanie´e. Cette copie est faite d’apre`s l’imprime´. Voir ci-dessous, p. 1130. Les circonstances peuvent illustrer l’ambiance enve´nime´e de cette e´poque. Aglae´ Ney sollicite l’aide de Fouche´, alors ministre de la Police par la lettre suivante, qui n’atteint le ministre que par l’interme´diaire d’un ami ; Fouche´ ne re´pond meˆme pas : «Ce dimanche (13 aouˆt). / Monsieur le Duc, / Je ne cesse de vous importuner, mais en ve´rite´ vous me traitez bien rigoureusement. N’auriez-vous plus pitie´ de mon affreuse position ? Je ne puis le croire pourtant. Vous aimez tant a` soulager les malheureux ! J’ai rec¸u des nouvelles d’Aurillac du 9. Il y e´tait encore a` cette e´poque, et la personne qui m’e´crit n’avait pas l’air de croire qu’il duˆt le quitter encore ; vous devez connaıˆtre tous ces de´tails. He´las ! cette connaissance ne servira-t-elle a` rien ? Laissera-t-on le Roi dans la ne´cessite´ de faire un tel sacrifice ? / Je joins ici une copie d’une lettre que j’e´crivais a` Sa Majeste´ quelques jours avant cette fatale arrestation. Veuillez y jeter les yeux et vous mettre plus au fait de tout ce qui s’est passe´ dans ces terribles instants. / Pardonnez a` tant d’inoportunite´s. Mon malheur est mon excuse. / La mare´chale Ney». Le roi a donc de´ja` lu ce placet, il a meˆme rec¸u Mme Ney en audience, mais de´cide´ d’avance de ne pas ce´der : «Elle peut venir, mais ce sera en vain. Il faut que justice soit faite» (Me´moires du duc de Raguse, cite´es d’apre`s Welschinger, Ney, p. 129). Les autres de´marches aupre`s des Allie´s ont le meˆme re´sultat (Welschinger, Ney, pp. 208– 223).
L’affaire du mare´chal Ney – Introduction
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au cours duquel le duc de Broglie constate des fautes tre`s graves dans la manie`re d’amputer la de´fense du mare´chal Ney1. Constant en parle aussi dans ses Me´moires sur les Cent-Jours : «Le proce`s de ce guerrier malheureux et illustre prouve assez que sa de´fection, amene´e avec un art si perfide, repre´sente´e sous des couleurs si fausses et punie si rigouresuement, fut l’effet et non pas la cause de l’obstination que l’on avait apporte´e a` de´sorganiser tous les moyens militaires2». Citons encore cet autre passage tire´ d’un e´tat pre´ce´dent de ces Me´moires : «L’on a motive´ la de´termination de renoncer a` toute de´fense sur la de´fection du Mare´chal Ney. mais il est prouve´ par son proce`s, que cette de´fection a e´te´ l’effet & non la cause de l’obstination qu’on a semble´ mettre a` organiser aucune re´sistance. Certes, je ne le justifie pas. Dans sa situation de´sespe´re´e, il falloit mourir. Il falloit marcher seul contre les phalanges ennemies. Il avoit donne´ sa parole, il avoit accepte´ la confiance. Il falloit tenir l’une & me´riter l’autre, au prix de son sang. Mais tous les de´tails de ses interrogatoires, les de´positions de tous les te´moins, de´montrent jusqu’a` l’e´vidence qu’il n’est devenu coupable que parcequ’il s’est vu abandonne´ de ceux qui avoient le devoir & l’interet de le soutenir : & sa de´fection peut eˆtre a porte´ la joye dans l’ame du parti qui poussoit le Roi a` la fuite, & dont une trahison pareille appuyoit les insidieux argumens3.» Ces phrases e´voquent les plus sombres soupc¸ons possibles. Les documents que nous reproduisons ici dans le souci d’illustrer la part qu’a pu prendre Constant dans cette affaire semblent justifier en quelque sorte les jugements se´ve`res qui ne laissent pas d’e´tonner. E´tablissement des textes Nous donnns ici le texte de la Supplique au Roi d’Aglae´ Ney et le Me´moire justificatif de Me Berryer en guise de documentation d’une affaire ou` Constant avait un roˆle. Le premier texte est transcrit d’apre`s deux manuscrits conserve´s aux Archives nationales. Le but e´tait de donner un texte correct, mais pas d’e´dition critique de ce me´moire. Le second ouvrage est reproduit ici d’apre`s l’imprime´ de 1815 qui donne l’e´tat de´finitif du texte. Les deux 1 2
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Voir «Une lettre ine´dite», ABC 20, 1997, p. 133. Me´moires sur les Cent-Jours, OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 148. Le commentaire de Welschinger, Ney, p. 368, est tout-a`-fait malveillant et faux. Welschinger lit la phrase, dans laquelle BC dit que, «s’il faut une victime, ce n’est pas celle-la` qu’il faut» (voir ci-dessus, p. 108) comme une de´nonciation du mare´chal Ney. Il ne l’aurait peut-eˆtre pas fait s’il avait eu connaissance de la lettre de BC a` la mare´chale. Me´moires sur les Cent-Jours, OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 408.
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Premie`re annexe
manuscrits des Archives nationales, a` savoir la minute du texte de Berryer, et la copie du texte de´finitif d’apre`s l’imprime´, de la main du mare´chal, sont cite´s ici comme des preuves pour l’intervention de Constant. Le premier manuscrit donne un e´tat pre´ce´dent de cette plaidoirie, profonde´ment remanie´e et corrige´e pour obtenir la version de´finitive, et nous fournit ainsi la preuve que les propositions de Constant ont e´te´ prises en conside´ration par Berryer. Les fac-simile´s des pages en cause permettent de s’en rendre compte. La copie de ce texte, faite par le mare´chal d’apre`s l’imprime´, peuteˆtre avant la mise en vente de la brochure, prouve que le texte remanie´ jouait un roˆle important pendant le proce`s. Manuscrits : [Supplique adresse´e par Aglae´ Ney a` Louis XVIII] Archives nationales, 137 AP 15, pie`ce 230. 4 fos, nume´rote´s 230e a` 230h, e´crits recto et verso, 8 pp. de la main d’un secre´taire (?), sans ratures. Nous de´signons ce ms. avec le sigle A1. [Me´moire d’Aglae´ Ney adresse´ a` Louis XVIII] Archives nationales, F7 6683 (2.) Ney. I A. 4 fos, 7 pp., de la main d’un secre´taire. Mise au net du texte, presque sans ratures. Quelques petites diffe´rences avec le texte pre´ce´dent. Le passage qui re´sume le message de´cisif de Napole´on au mare´chal Ney est souligne´ dans le texte. Nous de´signons ce ms. avec le sigle A2. Expose´ justificatif pour le Mare´chal Ney. Archives nationales, 137 AP 15, pie`ce 238, fos 238b–238m. 12 f’s, 24 pp., de la main d’un secre´taire, avec des corrections a. de Berryer. Premier e´tat connu du texte imprime´. Nous de´signons ce ms. avec le sigle A3. Expose´ Justificatif Pour Le Mare´chal Ney. Archives nationales, 137 AP 15, pie`ce 240, fos 240, 240a–240k. 12 fos, page de garde et 21 pp. de texte, copie a. du texte de Berryer, par le mare´chal Ney. Nous de´signons ce ms. avec le sigle A4. Imprime´ : Expose´ justificatif pour le mare´chal Ney, s.l.n.d. [Paris : aouˆt 1815], 20 pp. Le texte est signe´ a` la fin : Me Berryer pe`re, Avocat. En bas de page l’adresse de l’imprimeur : De l’imprimerie d’Ant. Bailleul, rue SainteAnne, no 71. K. K.
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XVIII]
Sire, Humilie´e comme e´pouse, de´sespe´re´e comme me`re, je me jette aux pieds de Votre Majeste´ pour la supplier de m’e´couter avec Bonte´1. Je ne m’aveugle point sur l’e´tendue de mes malheurs & je ne me suis jamais fait illusion sur les conse´quences ine´vitables de la conduite du Mare´chal Ney ; mais Sire, si je n’ai pas meˆme la triste consolation de pouvoir pre´tendre a` justifier entie`rement le pe`re de mes enfans, il me reste du moins la certitude que s’il m’est permis de faire connaitre a` Votre Majeste´ les ve´ritables causes de son e´garement je le sauverai du plus fle´trissant de tous les reproches auxquels il s’est expose´ : celui de pre´me´ditation & de perfidie. Le Mare´chal Ney avait e´te´ de tous les ge´ne´raux, celui qui s’e´tait le plus fortement prononce´ pour l’abdication de Fontainebleau, et il e´tait fier de penser qu’il avait contribue´ par son e´nergie a` empeˆcher alors la Guerre civile et a` marquer ainsi la restauration du sceau de l’unanimite´. Depuis cette e´poque, bien traite´ de Votre Majeste´ et des Princes, se plaisant a` le dire, satisfait de ses emplois, sentant tout le prix d’une tranquilite´ qu’il n’avait jamais connue, le Mare´chal e´tait reste´ constamment e´tranger a` ces malheureuses discordes de salon qui bientot apre`s divise`rent la socie´te´ ; il s’e´tait meˆme de´cide´, pour se de´rober a` la ge`ne qu’elles lui faisaient e´prouver, et pour n’eˆtre pas meˆle´ aux propos me´contens, a` se retirer a` trente lieues de Paris dans sa terre qu’il habitait depuis un mois lorsque Bonaparte de´barqua. Ce fatal e´ve´nement ayant fait donner a` tous les gouverneurs l’ordre de se rendre a` leur poste le mare´chal partit pour la Franche-Comte´, & sa route passant par Paris, il fut prendre conge´ de Votre Majeste´ ; il lui exprima avec E´tablissement du texte : Manuscrits : [Supplique adresse´e par Aglae´ Ney a` Louis XVIII], Archives nationales, 137 AP 15, pie`ce 230, [=A1]. [Me´moire adresse´ par Aglae´ Ney a` Louis XVIII], Archives nationales, F7 6683 (2.) Ney. I A, [=A2]. 10 sauverai ] sauverai, du moins, A2 lui fit A2 1
15 marquer ] re´crit sur un grattage A2
26 il fut ]
Le texte de cette supplique fort bien re´dige´e se distingue par une argumentation solide et riche en sous-entendus politiques. BC en a-t-il connu le texte ? C’est probable, mais nous n’avons aucune preuve pour cette hypothe`se.
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la ve´hemence qui lui est propre la volonte´ de la bien servir et son langage dans sa famille et avec ses plus intimes amis fut le meˆme qu’aux thuileries. Il est bien certain pour les personnes qui le connaissent le mieux que tel e´tait en effet le fond de sa pense´e ; la franchise et la loyaute´ de sa vie, sa loquacite´, la violence de son caracte`re, en un mot, toutes ses qualite´s, tous ses de´fauts : tout concourt a` prouver qu’il e´tait since`re & qu’en promettant a` Votre Majeste´, de la de´barrasser de son unique ennemi, il se livrait avec autant de bonne foi que d’enthousiasme a` ce reˆve de gloire ; je dirai plus, Sire, mon mari n’aurait pu dissimuler a` ce point quand il en aurait eu l’infaˆme dessein : la nature le lui a de´fendu. Arrive´ le 10 mars a` Besanc¸on & le 11 a` Lons-le-Saulnier, le mare´chal rec¸ut sur les dispositions des troupes des renseignemens propres a` lui donner des espe´rances qu’il s’empressa de faire partager a` Monsieur, au Ministre de la Guerre & aux Mare´chaux Oudinot & Suchet ; il ordonna la re´union a` Lons-le-Saunier des 5 a` 6 mille hommes re´pandus dans son gouvernement ; ces troupes lui e´taient inconnues ; la dislocation & l’amalgame de l’arme´e avaient transforme´ les vieux re´gimens en des corps nouveaux, et il n’e´tait plus possible a` aucun chef d’exercer sur eux cette espe`ce d’influence qui prend sa source dans les souvenirs de la guerre. Dans ce meˆme tems Bonaparte marchant avec une incroayable rapidite´ faisait son entre´e a` Lyon ou` l’exemple de la de´fection e´tait donne´ sous les yeux des Princes1 et de l’un des mare´chaux2 les plus aime´s et les plus estime´s de l’arme´e. Ces nouvelles de´sastreuses ne tarde`rent pas a` se re´pandre, les proclamations de l’usurpateur commence`rent aussitoˆt a` criculer, et les symptoˆmes les plus allarmans se manifeste`rent de toutes parts. Cependant le 13, le rassemblement de Lons le Saulnier e´tait effectue´ a` l’exception toutefois de l’artillerie que le mare´chal avait fait venir du de´poˆt d’Auxonne & que l’insurrection polpulaire avait enleve´e ; dans cette meˆme journe´e du 13 il rec¸ut dans son cabinet & a` sa table un grand nombre d’officiers, et il ne cessa de les exhorter a` se de´vouer pour la cause de Votre Majeste´ & de la patrie ; le soir il e´crivit dans le meˆme sens aux mare´chaux Oudinot & Suchet, et cette circonstance est une preuve irre´fragable des bonnes dispositions ou` il e´tait alors ; car s’il euˆt eu de´ja` le projet de se mettre en de´fection le 14 a` quoi bon e´crire le contraire le 13 ? et que pouvait lui servir de tromper pour douze heures deux de ses colle`gues qui e´taient a` 18 exercer ] e´veiller A2 13 ? ] manque A2 1 2
22 les plus aime´s et les plus estime´s ] les plus estime´s A2
C’est-a`-dire sous les yeux du comte d’Artois et du duc d’Orle´ans. Macdonald. Voir Houssaye, 1815, La premie`re Restauration, pp. 256–264.
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50 lieues de lui & qui ne pouvaient recevoir sa lettre que longtems apre`s l’e´ve´nement ? Mais, il faut bien l’avouer ici, le sort avait re´serve´ au mare´chal une e´preuve trop forte pour lui ; cet homme e´minemment remarquable par sa valeur militaire, n’est point doue´ a` un e´gal degre´ du courage d’esprit. Autant il est propre aux combinaisons d’un champ de Bataille, autant il se trouve de´place´ quand le hazard le force a` jouer un roˆle politique. Dans la nuit du 13 au 14 il apprit inopine´ment que le Bataillon du 76e qui formait son avant garde s’e´tait livre´, que Chaˆlons-sur-Saone qu’il devait traverser pour couper a` Bonaparte la route de Paris, avait arbore´ le drapeau tricolore & barricade´ son pont ; que Dijon et les villes environnantes e´taient preˆtes a` lever l’e´tendard de la re´volte ; il rec¸ut cette meˆme nuit deux e´missaires de Bonaparte qui lui dirent de sa part que tout ce qui se passait e´tait concerte´ avec l’autriche et qu’il e´tait suˆr de la neutralite´ de la Russie & de la Prusse ; que les ne´gaciations de Vienne avaient indispose´ contre la maison de Bourbon, que le Comte d’Erlon avait marche´ sur Paris avec ses troupes de Flandre, & que Votre Majeste´ avait quitte´ sa capitale pour aller s’embarquer en Normandie. Ces e´missaires lui remirent en meˆme tems le mode`le de cette extravagante proclamation qu’il eut la faiblesse de lire le lendemain a` ses troupes. Ane´anti par ces Nouvelles accablantes, le Mal crut voir en effet dans cette coincidence des de´fections de l’arme´e et des insurrections populaires, l’exe´cution d’un vaste plan et la manifestation d’une volonte´ ge´ne´rale et irre´sistible ; plus e´claire´, il n’eut apperc¸u que le rigoureux devoir ; mais, dans son e´tourdissement, il ne fut plus frappe´ que d’une seule ide´e : de la ne´cessite´ d’e´viter du moins a` la malheureuse France les horreurs d’une guerre civile ; et il se livra a` un torrent qu’il lui parut impossible ni d’arreˆter ni de diriger. Le reste de sa conduite fut la conse´quence de cette funste conception. Tel est, Sire, l’enchaıˆnement de circonstances & de fourberies qui a amene´ les fautes du Mare´chal ; mais Votre Majeste´ ne le jugera peut-eˆtre pas indigne de pitie´, si Elle conside`re de quel abandon de tout inte´reˆt, de quelle abne´gation de soi-meˆme ces fautes ont e´te´ accompagne´es ; Elle remarquera qu’il pouvait e´chapper aux embarras de sa position, soit en attendant quelques jours les arreˆts de la fortune, soit en favorisant en secret la de´sertion des troupes, et peut-eˆtre daignera-t-Elle voir dans la brusquerie du parti qu’il a pris l’erreur d’un homme naturellement honneˆte mais peu e´claire´, que des ide´es chime´riques e´cartaient de la ligne du devoir, alors meˆme qu’il 1 recevoir ] re´crit sur un grattage A2 3 ici ] manque A2 13 Que tout ... Normandie. ] passage souligne´ dans le ms A2 18 le mode`le de ] manque A2 26 d’une guerre ] de la guerre A2 31 conside`re ] daigne conside´rer A2 37 e´cartaient ] e´carte`rent A2
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croyait la suivre. La conduite poste´rieure du Mal donne de nouvelles preuves de son de´sinte´ressemt. Apre`s la bataille de Waterloo, il se montre supe´rieur a` toutes les conside´rations du moment ; il paraıˆt a` la tribune, pour y de´clarer que le parti de la soumission est le seul qui reste a` la France, il demande qu’on y ait recours a` l’instant meˆme, & si le nom de Votre Majeste´ ne sort pas de sa bouche la ne´cessite´ de votre retour n’est pas moins la conse´quence naturelle de sa proposition ; cependant Sire, ses regrets l’avaient e´claire´ sur les dangers de sa situation. Bientot apre`s il refuse tous les commandemens que lui offre le ministre de la Guerre1, & quoiqu’il ne se dissimule pas qu’en s’isolant il se prive de tous les moyens de se me´nager un arrangement particulier, il persiste a` s’e´loigner de l’arme´e parce qu’il regarde la prolongation de la re´sistance comme un malheur publique. Sire, je me le suis dit cent fois dans l’amertume de ma douleur : si cette fatale nuit du 13 au 14, qui fut le terme de la gloire de mon mari, euˆt e´te´ le terme de sa vie il serait mort digne sujet de Votre Majeste´ et vos regrets auraient honore´ sa tombe. Se peut-il cependant qu’un seul instant d’erreur efface vingt anne´es des plus nobles travaux, et m’est-il interdit de chercher quelque lueur d’espoir dans ces exemples nombreux de repentir & de pardon dont notre histoire a conserve´ le souvenir ! Daignerez-vous du moins, Sire, me permettre de vous exposer que l’opinion publique semble dans sa rigueur avoir de´ja` frappe´ le Mare´chal, que dans les tems de re´volution la pre´vention sie`ge dans les tribunaux a` coˆte´ des juges & serai-je admise a` supplier Votre Majeste´ de faire suspendre l’exe´cution de l’ordonnance qui met mon mari en jugement jusqu’a` des tems plus tranquil[l]es ou` les passions exercent moins d’emprise sur les esprits. De´ja`, Sire, Votre Majeste´, a daigne´ me faire porter des paroles de bonte´ et de consolation par le Mal Macdonald, Elle a daigne´ promettre de ne pas abandonner quatre fils que le mare´chal laisse presque sans aucune fortune,
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La mare´chale Ney e´voque dans ce passage la fameuse intervention de Ney devant la Chambre des Pairs le 22 juin, ou` il contredit Carnot, le Ministre de l’Inte´rieur, ayant lu une lettre qui disait que le ge´ne´ral Grouchy avait pu sauver du de´sastre de Waterloo une partie de l’arme´e, soixante mille hommes en tout. Pour Ney, cette nouvelle est fausse, la bataille ayant ane´anti les troupes de Napole´on. «Il n’y a plus d’autre moyen pour le salut de public que de faire des propositions a` l’ennemi.» (Welschinger, Ney, p. 73.) Ce que Aglae´ Ney pre´sente ici, comme d’ailleurs Berryer dans sa plaidoirie, comme un acte patriotique, est juge´ par plusieurs historiens, dont Houssaye, comme un discours insense´ qui avait beaucoup nui aux inte´reˆts de la France. Ce jugement est peut-eˆtre conditionne´ par un parti-pris nationaliste des historiens. Nous ne savons pas quel commandement le Ministre de la Guerre, Davout, a pu offrire a` Ney. Peut-eˆtre aurait-il duˆ prendre un commandement dans l’arme´e du Nord qu’on essayait de reconstituer dans la mesure du possible (Houssaye, 1815, La seconde abdication, p. 105–112).
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oui Sire, sans fortune ; leur me`re oserait-elle vous en imposer ? Que ces enfans e´leve´s dans l’amour de Votre Majeste´, connus de´ja` par l’expression naı¨ve et franche de ce sentiment pour Elle ne payent pas une faute que chaque jour ils de´plorent. Qu’un Prince, dont tous les sentimens sont ge´ne´reux & les volonte´s justes ne les prive pas de l’espoir d’un avenir reparateur de l’infortune la plus imme´rite´e ; Enfin, Sire, qu’ils ne meˆlent pas les larmes de l’innocence aux larmes de la joie publique. Pour moi, Sire, accable´e d’un malheur sans reme`de, je viens vous implorer pour eux avec ce sentiment profond de confiance & de respect que votre ine´puisable bonte´ inspire a` tous vos sujets.
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Quel changement et subit et terrible s’est ope´re´, dans l’opinion, sur le compte du mare´chal Ney ! Jusqu’en mars 1815, son nom, illustre´ par vingt-cinq anne´es de services e´minens et de brillans exploits, e´tait cher a` la patrie. Les ennemis meˆmes de la France admiraient en lui le grand capitaine ; tous lui accordaient autant de ge´ne´rosite´ dans les sentimens, que de bravoure et d’habilete´ a` la teˆte des arme´es. Aucun trait, ni de faiblesse, ni d’adulation, ni de cupidite´, n’avait fait ombre a` sa loyaute´, a` sa franchise militaires. Ses seuls de´fauts avaient paru eˆtre une certaine ve´he´mence de caracte`re et d’expression, qui le rendait peu propre aux affaires publiques. Depuis le mois de mars 1815, le mare´chal Ney tout a` coup serait devenu un autre homme ! Apre`s avoir, l’anne´e pre´ce´dente, a` Fontainebleau, notifie´ hautement a` Buonaparte qu’il ne lui restait d’autre parti a` prendre que celui de l’abdication, le mare´chal Ney se serait montre´ assez laˆche, assez inconse´quent pour conspirer en sa faveur1 !... Il aurait fait violence a` son naturel, au point de se transformer en un courtisan ve´nal et dissimule´ ! il serait venu tromper le Roi par de fausses de´monstrations de ze`le, par des protestations perfides ! Apre`s avoir rec¸u de S.M. une forte somme d’argent, il serait alle´ de suite se vendre a` Buonaparte, en lui conduisant les forces qu’il commandait ! Ah ! sans doute, s’il e´tait vrai que la faute commise par le mare´chal Ney fuˆt signale´e par de si me´prisables mene´es, sa position, quoiqu’affreuse, n’aurait rien que de me´rite´ ; il serait indigne de tout inte´reˆt ; et la disgrace du Monarque dans laquelle il est tombe´ ; et l’appareil d’un proce`s criminel, et ce qui n’est pas une moindre infortune, la de´faveur extreˆme qui semble eˆtre partout attache´e a` son nom : tous ces revers accumule´s seraient le juste chaˆtiment du plus insigne des forfaits. Mais si, au contraire, il vient a` eˆtre de´montre´ que le mare´chal Ney n’a nullement conspire´ ; que ses promesses, que ses sermens au Roi ont e´te´ E´tablissement du texte : Imprime´ : Expose´ justificatif pour le mare´chal Ney, s.l.n.d. [Paris, 1815]. 1
C’est le 4 avril 1814 que Napole´on, pousse´ par Lefebvre, Ney, Oudinot et Macdonald, se de´cide a` abdiquer en faveur de son fils.
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aussi since`res que de´sinte´resse´s ; qu’il n’a rec¸u aucune somme ; qu’il est parti pour son Gouvernement, avec la ferme re´solution de faire son devoir ; qu’il a servi de bonne foi la cause royale, jusqu’au moment ou` la force majeure la plus irre´sistible l’a entraıˆne ; S’il est prouve´, surtout, que cet entraıˆnement du mare´chal Ney, blaˆmable sans doute, n’a eu d’autre principe que la crainte de voir e´clater une guerre civile ; que c’est l’amour mal-entendu de son pays, qui seul lui a fait encourir ce reproche d’avoir trahi ; s’il demeure constant que la de´fection du mare´chal n’a point servi aux succe`s de Buonaparte, que le mare´chal n’en a retire´ aucune espe`ce d’avantages, qu’il y a fait preuve de quelque vertu ; Alors, du moins, ces nuages e´pais d’une pre´vention aveugle, qui obscurcissent la gloire du mare´chal Ney, devront commencer a` se dissiper ; alors, du moins, il commencera a` recouvrer cette pre´cieuse estime publique, le plus beau patrimoine qu’il puisse transmettre a` ses enfans ; alors, s’il en est re´duit a` l’extre´mite´, douloureuse pour tout homme d’honneur, et plus encore pourun mare´chal de France, de figurer sur le banc des accuse´s, quelques vœux, du moins, l’y suivront encore ; Et la France, de´sabuse´e sur de honteuses imputations, continuera de l’honorer comme l’un de ses plus recommandables guerriers. Dans d’autres circonstances, il euˆt suffi au mare´chal Ney, pour de´tourner de lui jusqu’au soupc¸on de la moindre bassesse, d’invoquer sa vie tout[e] entie`re ; il lui euˆt suffi d’indiquer sommairement a` quoi Buonaparte a duˆ, en effet, l’inconcevable re´ussite de sa marche, pour convaincre qu’il n’y a aucunement contribue´ par son adhe´sion. Mais, dans une situation aussi affligeante que celle ou` ce funeste e´ve´nement a plonge´ la France, quand le sentiment actuel des maux ne permet ni de discerner les causes, ni d’admettre de distinction entre ceux que la fatalite´ a mis en sce`ne ; et lorsque les actions a` juger se pressent dans le court intervalle de quelques jours, de quelques heures, il est indispensable d’entrer dans des explications qui forcent d’en observer les nuances. Avant de pre´ciser les faits, qu’il soit permis de s’arreˆter un peu sur le personnel du mare´chal Ney. C’est a` l’histoire qu’il appartient de recueillir tous les traits qui on rendu sa carrie`re militaire si brillante, si glorieuse pour son pays ; Elle dira comment il a assiste´ a` plus de cinquante batailles range´es ; Comment il s’est trouve´ a` plus de cinq cents combats ; Elle dira qu’il en sortit tout couvert d’honorables blessures ; Que ce fut sa rare intre´pidite´ qui lui fit donner le surnom de brave des braves ; Elle rendra compte, par exemple, de son habilete´ et de son ine´branlable constance, dans cette de´sastreuse retraite de Moscow ; elle dira que c’est
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lui qui a conserve´ a` tant de familles franc¸aises et allie´es des chefs ou des enfans adore´s. Mais ce qui distinguera e´minemment le mare´chal Ney aux yeux de la poste´rite´, ce sont les principes d’humanite´, de droiture, de franchise, qu’il conserva toujours dans les camps, comme dans toutes les autres situations ou` il s’est trouve´ : On l’a vu occupe´ sans cesse du soin de diminuer les maux inse´parables de la guerre ; Usant envers les prisonniers de ces proce´de´s ge´ne´reux qui s’allient avec le vrai courage ; Faisant de ses traitements l’emploi le plus convenable pour le rang qu’il tenait a` l’arme´e. On l’a vu, en Allemagne, a` l’e´poque ou` les lois e´taient si terribles contre les e´migre´s qui tombaient au pouvoir des armes franc¸aises, leur accorder sauve-garde, au risque de sa propre surete´ a ; Plus tard, en Espagne, au milieu des insurrections populaires, s’interdire tout acte de se´ve´rite´. Envoye´ en Helve´tie, sous le consulat, avec la double qualite´ de ministre ple´nipotentaire et de ge´ne´ral en chef, il y termine honorablement une mission difficile, moins par son habilete´ que par la noblesse des sentimens qu’il manifeste dans les ne´gociations. Ce sont des succe`s d’affection qu’il obtient : ce sont toujours des victoires que, chez lui, le fond remporte sur la forme. En aucune occurence, le mare´chal Ney ne compose avec son devoir ; jamais il ne fle´chit devant Buonaparte, qui en imposait a` tant d’autres ; son caracte`re bouillant, impe´tueux, le porte, avec force, vers tout ce qui, dans son opinion, lui paraıˆt eˆtre le bien ge´ne´ral. De la`, dans Fontainebleau, sa proposition a` Buonaparte d’abdiquer. Le meˆme naturel va bientoˆt se reproduire dans deux occasions plus re´centes et non moins importantes. Une seule passion le domine, l’amour de sa patrie, la gloire du nom franc¸ais. Il lui est impossible d’obe´ir a` une autre impulsion. Quelle apparence, on le demande, qu’un homme de cette trempe, e´prouve´ par vingt-cinq anne´es d’une conduite uniforme, ait e´te´ capable de se faire, a
En 1792, le mare´chal Ney, commandant une avant-garde qui suivait les Prussiens dans leur retraite sur Longwy, fit prisonniers une grande quantite´ d’e´migre´s, et particulie`rement du re´giment de la Couronne, il fut assez heureux pour leur sauver la vie a` tous, malgre´ les lois qui existaient alors. Au passage du Rhin, exe´cute´ par le ge´ne´ral Kle´ber vis-a`-vis Dusseldorf, le mare´chal fit encore un grand nombre de prisonniers des re´gimens de Saxe, Royal-Allemand, Bussy et Carneville ; il parvint, de concert avec le ge´ne´ral Kle´ber, a` les faire tous absoudre par un conseil de guerre compose´ d’hommes suˆrs.
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en un jour, un syste`me de la feinte, et d’agir avec une duplicite´ soutenue ! D’ou` lui serait donc venue la force morale ne´cessaire pour concevoir l’infaˆme dessein de dissimuler ? Et quand il aurait eu la perversite´ de le former, comment l’aurait-il exe´cute´ ? la nature le lui avait de´fendu. «Ainsi que la vertu, le crime a ses degre´s1.»
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Ce n’est pas assez de rencontrer, dans celui que l’on accuse de trahision, une ame assez fourbe pour se plier a` toutes les bassesses que comporte une semblable entreprise ; il faut encore, pour donner quelque consistance a` l’accusation, trouver un motif, et un motif puissant, un grand inte´reˆt qu’il ait eu a` me´diter le crime et a` le commettre. Au mois de mars 1815, y avait-il quelque raison qui puˆt engager le mare´chal a` entrer dans une conspiration ? Observe-t-on la moindre particularite´ qui indique de sa part une telle disposition ? Il ne devait qu’a` son me´rite personnel les grades qu’il avait successivement obtenus dans l’arme´e : Ge´ne´ral en chef depuis dix-huit ans, Mare´chal de France depuis la cre´ation2, En possession du titre le plus e´minent, il n’avait rien a` de´sirer du coˆte´ des honneurs. Quant a` sa fortune, ce qu’il en pouvait avoir, joint a` ses traitemens, suffisait a` son ambition. La restauration, loin qu’elle l’euˆt place´ au nombre des me´contens, lui offrait toutes les garanties de´sirables ; elle lui assurait un repos, dont jusquela` il n’avait jamais connu les douceurs. Comment croire, encore une fois, que, sans aucun sujet de se plaindre, sans l’ombre de motif pour de´sirer un changement, le mare´chal Ney ait e´te´ gratuitement tremper dans un complot qui aurait eu pour objet le retour de Buonaparte3 ? Ceci choque trop ouvertement toutes les vraisemblances. 1 2
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Racine, Phe`dre, acte IV, sce`ne IV. C’est-a`-dire, depuis le se´natus-consulte du 18 mai 1804 qui re´tablit la dignite´ de mare´chal de France sous le nom de mare´chal de l’Empire. Le mare´chal Ney e´tait de la premie`re promotion. La conspiration pour faire revenir Napole´on est une mystification. Constant en parle dans ses Me´moires sur les Cent-Jours (voir OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 154–161). Mais il est vrai aussi que cette ide´e e´tait fort de´battue ime´diatement apre`s la seconde abdication. Citons a` titre d’exemple la brochure suivante : M. Lamartelie`re, Conspiration de Buonaparte contre Louis XVIII, Roi de France et de Navarre, ou Relation succincte de ce qui s’est passe´ depuis la capitulation de Paris du 30 mars 1814 jusqu’au 22 juin 1815, e´poque de la seconde abdication de Buonaparte, Paris : J. G. Dentu, 1815. Il y a un compte rendu de cet ouvrage signe´ B. dans le Journal des De´bats du 22 juillet 1815, pp. 3b–4b.
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Une faute pourtant, et une faute grave, a e´te´ commise par le mare´chal Ney, par une fatalite´ qui a besoin d’eˆtre explique´e. C’est de´ja` beaucoup, que la certi[t]ude morale qu’il ne peut y avoir eu, dans la conduite du mare´chal Ney, ni pre´me´ditation, ni ve´nalite´, ni parjure re´fle´chi, ni aucune mauvaise intention. Laissons aux faits a` donner le mot de l’e´nigme, le seul mot qui doive rester. Quand on parle de conspiration, sur le champ on se reporte a` l’ide´e d’individus qui se rapprochent, qui se re´unissent, et entretiennent entre eux, dans le myste`re, de fre´quens conciliabules. Ou` e´tait le mare´chal Ney bien avant que parvıˆnt a` Paris la nouvelle tre`s-inattendue du de´barquement de Buonaparte ? Il y avait plus d’un mois que, fatigue´ des conversations qui se tenaient dans les salons de la capitale, il avait pris le parti de s’en e´loigner ; il s’e´tait retire´ dans sa terre pre`s Chaˆteaudun, a` trente lieues de Paris. La`, il vivait tout a` fait isole´, sans aucune correspondance, sans aucune communication qui l’associaˆt aux combinaisons de la politique, matie`re a` laquelle, notoirement, il est fort e´tranger. Dans la journe´e du 6 mars 1815, il rec¸oit dans sa retraite une lettre du ministre de la guerre1, date´e du 5 (de la veille), que lui apporte un aide-de-camp. Le ministre mande au mare´chal qu’il ait a` se rendre, en toute diligence, dans la sixie`me division militaire, dont le gouvernement lui est confie´. Le ministre n’entre en aucune explication qui motive cet ordre ; pas un mot ne lui est prononce´ sur Buonaparte, ni sur son apparition. L’officier, qui n’en savait rien lui-meˆme, n’entretient le mare´chal que des plaisirs de la capitale. Aussitoˆt cet ordre rec¸u, le mare´chal se met en route pour sa destination : il passe par Paris. La`, il apprend le de´barquement de Buonaparte. Le 7 mars, de grand matin, le mare´chal se pre´sente chez S. A. R. le duc de Berry ; de la` chez le ministre de la guerre. L’un et l’autre lui font craindre qu’il n’ait pas la possibilite´ de prendre conge´ du Roi : ils l’engagent a` partir de suite. Le mare´chal, re´solu de regagner sur son sommeil une ou deux heures de retard, persiste a` attendre le moment ou` il pourra avoir l’honneur d’eˆtre admis aupre`s de S.M. Pourquoi cette insistance ? Ce n’e´tait pas assure´ment, comme on l’a de´bite´, pour aller demander au Roi de l’employer dans l’expe´dition contre Buonaparte, pour solliciter un commandement. Le mare´chal e´tait en activite´ de service, et presse´ de se rendre a` son poste meˆme par la lettre du ministre. Le mare´chal n’est pas venu s’offrir, il a obe´i a` l’ordre qui l’appelait. 1
Du mare´chal Soult, alors ministre de la Guerre. Louis XVIII lui retire le portefeuille le 11 mars 1815, pour le confier a` Clarke, duc de Feltre, qui suivra le roi a` Gand.
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A l’auguste aspect du Monarque, dont les traits respirent la bonte´, le mare´chal, e´lectrise´ par les paroles flatteuses qu’il daigne lui adresser, partage vivement la sollicitude dont tous les esprits se montrent pre´occupe´s. Pour qui connaıˆt l’ardeur de son ame expansive, et la promptitude de son langage a` la seconder, rien de ce que le mare´chal a pu exprimer au Roi ; meˆme en style hardiment figure´1, ne sera pris pour faussete´ ni pour stratageˆme. La duplicite´, quand elle aurait pu, chez lui, e´mettre de tels accens, ne le conduisait a` rien. C’est ici le lieu de de´mentir hautement une calomnie lance´e contre le marm ´ echal Ney, dans la vue de le de´conside´rer sans retour. On a suppose´ et re´pandu avec affection dans le public, que le Roi lui avait fait compter, a` son de´part, une somme : les uns ont dit 500,000, les autres de 6, de 7, et meˆme de 800,000 francs, afin de s’assurer d’autant plus de sa fide´lite´. C’est une imposture. Il n’est pas vrai que le Roi ni aucun de ses ministres aient fait compter au mare´chal Ney une somme quelconque, ni de 500,000 francs, ni toute autre ; sur ce point, il invoque, avec la plus respectueuse confiance, le te´moignage de S. M. Tout le monde, ne´anmoins, a jusqu’ici pris croyance dans cette fausse et inconvenante insinuation : comme si un prince aussi judicieux aurait pu fondre le moindre espoir sur un ge´ne´ral qu’il aurait fallu acheter ! Au sortir de chez le Roi, le mare´chal re´pe`te, au sein de sa famille et de ses amis, le meˆme langage qu’il a tenu aux Tuileries : il monte en voiture, et part pour Besanc¸on. Tous les mare´chaux, tous les officiers ge´ne´raux s’e´tant de´ja` rendus a` leur poste, il n’a ni la pense´e ni la possibilite´ de se concerter avec qui que ce soit. Ce fut dans la journe´e du 10 mars seulement que le mare´chal Ney put arriver a` Besanc¸on. Dans quel e´tat y trouva-t-il les choses ? Quelles e´taient les dispositions de´ja` faites sans lui ? A quel point en e´tait de`s lors, a` soixante lieuses de lui, l’extravagante entreprise de Buonaparte ? Enfin, quels ont e´te´ les ordres successivement e´mane´s du mare´chal Ney, avant l’instant fatal qui a produit son erreur ? Ceux qui cherchent de bonne foi la ve´rite´, ne manqueront pas de s’enque´rir scrupuleusement de la moindre de ces circonstances. Le mare´chal trouve Besanc¸on et le 6e. gouvernement presqu’entie`rement de´garnis de troupes. De`s le meˆme jour 10 mars, il informe MONSIEUR, fre`re 1
Allusion a` la phrase fameuse de Ney, qui pre´tendait ramener Napole´on dans une cage de fer.
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du Roi, et le ministre de la guerre, que presque toutes se sont dirige´es sur Lyon. Jugeant sa pre´sence a` Besanc¸on a` peu pre`s inutile, il prie S. A. R. MONSIEUR de l’employer aupre`s d’elle et a` l’avant-garde ; il mande au ministre ce qu’il vient d’apprendre sur Buonaparte, qu’il s’est pre´sente´ devant Grenoble, et qu’il est probable qu’il se jetera en Italie par le Simplon. Dans la matine´e du lendemain 11 mars, le duc de Maille´1 arrive de Lyon, pour apprendre au mare´chal Ney que les troupes de Grenoble ont passe´ du coˆte´ de Buonaparte ; que MONSIEUR s’est retire´ de Lyon pour s’e´tablir a` Roanne ; qu’on suppose que Buonaparte peut avoir fait (ce jour 11 mars) son entre´e a` Lyon. Sur le champ, le mare´chal transmet ces nouvelles au ministre de la guerre ; il lui annonce qu’il se rend a` Lons-le-Saulnier, pour y rassembler les troupes du 6e. gouvernement ; qu’il fera occuper Bourg et Maˆc¸on. «Si je trouve l’occasion favorable, ajoute-t-il, je n’he´siterai pas a` attaquer l’ennemi.» Le mare´chal rend compte au ministre d’autres dispositions et de ses ressources. Le meˆme jour 11 mars, lettre du mare´chal Ney au mare´chal duc d’Albufera2, alors a` Strasbourg. Il l’entretient des meˆmes de´tails sur Buonaparte : «Il est faˆcheux, lui dit-il, qu’on n’ait pas ose´ le combattre.» Le mare´chal ignorait encore la nouvelle de´fection des troupes de Lyon, leur insubordination envers le mare´chal Macdonald3, l’un des ge´ne´raux les plus estime´s et les plus aime´s du soldat. Arrive´ a` Lons-le-Saulnier, le mare´chal emploie les journe´es des 12 et 13 mars a` e´chelonner ses troupes de Lons-le-Saulnier sur Bourg, de manie`re a` pouvoir marcher sur Maˆcon ou sur Lyon. En quoi consistaient ses troupes ? Uniquement en deux brigades ou quatre re´gimens. Le mare´chal confie le commandement de celle en avant, au lieutenantge´ne´ral Lecourbe4, et celui de la seconde au lieutenant-ge´ne´ral de Bourmont5. 1
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Charles-Franc¸ois-Armand de la Tour Landry, duc de Maille´ (1770–1837), pair de France, en 1815 a` Lyon, pre`s de Monsieur, le futur Charles X. C’est lui qui apprit au duc de Berry les e´ve´nements de Grenoble et qui concerte avec Ney un plan d’ope´ration qui ne re´ussit pas. Il accompagne Louis XVIII a` Gand. Louis-Gabriel Suchet, duc d’Abulfe´ra (1770–1826), a passe´ la plus grande partie de sa carrie`re militaire en Espagne. En 1814, il rejoint le camp du roi revenu sur le troˆne. Depuis le mois de novembre 1814, il est commandant de la 5e division militaire a` Strasbourg et ne rejoint Napole´on qu’apre`s la fuite du roi. E´tienne-Jacques-Joseph-Alexandre Macdonald (1765–1840). Apre`s l’abdication de Napole´on en 1814, il rejoint les Bourbons et accompagne le roi, apre`s le retour du Bonaparte, a` la frontie`re. Claude-Jacques, comte Lecourbe (1759–1815), mis a` l’e´cart pendant l’Empire a` cause de son amitie´ pour Moreau, il est nomme´ inspecteur ge´ne´ral de la 6e division militaire. Il refuse d’abord de suivre Ney dans le camp de Bonaparte, mais finit par accepter une charge militaire pendant les Cent-Jours. Louis-Auguste-Victor de Ghaines de Bourmont (1773–1846). Il se laisse entraıˆner par le
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Encore le 13 mars le mare´chal n’avait pas a` sa disposition une seule pie`ce d’artillerie. Plusieurs bataillons e´taient sortis de Besanc¸on, sans avoir de cartouches : le mare´chal avait e´te´ force´ de donner des ordres, pour en faire venir en poste. Toutes ces particularite´s sont retrace´es dans deux lettres du mare´chal au ministre de la guerre, date´es de Lons-le-Saulnier, 12 mars : Il y blaˆme la contre-marche des troupes, ordonne´e sur Moulins : «je l’ai, dit-il, fait contremander ; ces troupes eussent e´te´ perdues pour le Roi : tout le pays depuis Auxonne jusqu’a` Besanc¸on restait a` de´couvert». Il instruit le ministre des positions qu’il fait prendre aux divers corps, pour les rapprocher et faire masse. Du meˆme jour 12 mars, le mare´chal, qui ne se dissimule pas l’insuffisance de ses moyens, de´peˆche deux courriers aux mare´chaux Oudinot et Suchet, pour les presser de se re´unir a` lui, et d’arriver surtout avec de l’artillerie bien attele´e. Dans la matine´e du lendemain 13 mars, le mare´chal Ney expe´die une nouvelle de´peˆche au mare´chal Oudinot1 : celle-ci est tre`s-remarquable. «Dans les circonstances, il est bien important de haˆter l’arrive´e des troupes dont me parle le ministre de la guerre : nous sommes a` la veille d’une grande re´volution ; ce n’est qu’en coupant le mal dans sa racine, qu’on pourrait encore espe´rer de l’e´viter. Il faudrait faire arriver les troupes en poste ; c’est-a`-dire, inviter les pre´fets a` pre´parer, dans tous les lieux d’e´tapes des relais de voitures du pays, et pouvoir ainsi faire parcourir aux troupes quatre a` cinq e´tapes par jour : car ce n’est qu’a` la vıˆtesse de la marche de Buonaparte qu’il faut attribuer ses premiers succe`s : tout le monde est e´tourdi de cette rapidite´, et malheureusement la classe du peuple l’a servi en divers lieux de son passage ; la contagion est a` craindre parmi le soldat : les officiers se conduisent ge´ne´ralement bien... J’espe`re, mon cher mare´chal, que nous verrons bientoˆt la fin de cette folle entreprise, surtout si nous mettons beaucoup de ce´le´rite´ et d’ensemble dans la marche des troupes». Ici l’on adjure les ennemis meˆmes du mare´chal ; d’apre`s cet appel a` des auxiliaires aussi estimables, par lequel il pressait de tant de vœux la jonction de leurs troupes aux siennes ; d’apre`s l’opinion que le 13 mars, il e´nonc¸ait
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mare´chal Ney et se rallie a` Napole´on. Peu de jours avant la bataille de Waterloo, il abandonne l’Empereur et rejoint les Allie´s, ce qui lui valut une belle carrie`re militaire pendant la Seconde Restauration. Nicolas-Charles Oudinot, duc de Reggio (1767–1847). Pendant les Cent-Jours, Oudinot se retire dans ses terres et refuse de servir Napole´on.
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encore sur la tentative de Buonaparte, y a-t-il moyen de douter de la fide´lite´ que, ce jour-la`, le mare´chal gardait encore au Roi ? A quel propos, s’il euˆt eu de`s lors la pense´e de trahir, euˆt-il e´crit dans des termes si contraires aux inte´reˆts de Buonaparte, si propres a` dissuader de prendre aucune confiance dans l’issue de ses efforts ? Mais si, avant que les de´peˆches eussent pu eˆtre rec¸ues a` quarante ou cinquante lieues de distance, la conduite du mare´chal avait duˆ en de´mentir le contenu, a` quoi bon ce ridicule stratage`me ! E´tait-elle douteuse la foi du mare´chal, alors que, dans la meˆme journe´e du 13 mars, a` Lons-le-Saulnier, en pre´sence du chef d’escadron de la gendarmerie, il ordonnait a` deux gendarmes de´guise´s d’aller e´pier la marche de Buonaparte ? Lorsqu’au meˆme moment, il indiquait une foule de dispositions a` faire des troupes, au marquis de Sauran1, accouru vers lui, et qui repartait pour avoir de MONSIEUR des nouvelles attendues avec une anxie´te´ inexprimable ? Avait-il chancele´, alors qu’en toutes rencontres, a` tous les instans, il exhortait hautement, autour de lui, officiers et soldats a` demeurer fide`les ? Alors qu’il menac¸ait de faire fusiller la premie`re vedette qui aurait communication avec celles de l’ennemi ? Alors qu’il faisait arreˆter un des officiers de sa troupe les plus exalte´s, et qu’il ordonnait au lieutenant-ge´ne´ral Bourmont de l’envoyer a` la citadelle de Besanc¸on ? Alors qu’il s’efforc¸ait de composer des masses pour opposer une barrie`re respectable, e´crivant au lieutenant-ge´ne´ral Heudelet2, toujours le 13 mars : «Il faut e´viter de faire de petits de´tachemens : re´unissez a` Chaˆlons toutes les troupes sous vos ordres. Il serait bien que vous vous y rendissiez de votre personne, ou qu’au moins vous vous y fissiez remplacer par un mare´chalde-camp ferme et intelligent. Envoyez a` Auxonne les de´poˆts, magasins et effets inutiles. Je dirige le 6e. de hussards sur cette place, ou` il serait e´galement a` de´sirer que vous pu[i]ssiez paraıˆtre un instant, afin de rassurer les esprits, et de vous convaincre, d’accord avec le ge´ne´ral Pellegrin3, si tous les moyens de de´fense sont sagement combine´s. Faites-moi connaıˆtre ce que je puis tirer d’artillerie et de munitions de cette place, afin que rien ne puisse me manquer, lorsque je serai en mesure de prendre l’offensive. Surveillez bien le cours de la Saoˆne jusqu’a` Villefranche ; e´crivez a` M. le comte Germain4, pre´fet, pour l’inviter a` me tenir exactement informe´ de tout ce qui peut inte´resser le bien du service du Roi, etc., etc.» 1 2 3 4
Le marquis de Sauran est l’aide de camp du comte d’Artois, le futur Charles X. E´tienne Heudelet, comte de Bierre (1770–1857), ge´ne´ral. Il rejoint Napole´on mais ne prend part a` aucune action militaire. Non identife´. Auguste-Jean Germain, comte de Montforton (1786–1821), d’abord partisan de Napole´on, dont il fut un des chambellans, il se rallie en 1814 aux Bourbons. Nomme´ pre´fet de Saoˆneet-Loire en 1814, il essaya, mais en vain, de re´primer l’esprit bonapartiste dans son de´partement. Il reste a` l’e´cart pendant les Cent-Jours.
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C’est donc un point bien ave´re´, qu’encore au 13 mars, le mare´chal Ney, de cœur et d’intention, servait loyalement la cause du Roi qu’il avait embrasse´e avec chaleur ; qu’il ne lui e´tait pas venu une minute en l’esprit de seconder le parti de Buonaparte ; qu’il l’avait, au contraire, sans cesse contenu, comprime´, affaibli et mis en pe´ril, par tout ce qu’il avait pu imaginer de tactique, de ressources, de combinaisons. Maintenant, comment s’est-il fait que ce que le mare´chal Ney e´tait si loin de vouloir le 13 mars, il l’ait consenti et exe´cute´ le lendemain 14 ? Il faut le dire franchement, jamais concours d’e´ve´nemens plus extraordinaires, plus impre´vus, ne se forma pour venir e´branler les re´solutions de l’homme le plus fermement attache´ a` ses devoirs. Ils ont e´te´ bien impe´rieux, bien irre´sistibles, puisqu’ils ont donne´ tout a` coup, aux yeux du mare´chal, la teinte de la ne´cessite´ et du salut de la patrie, a` de fausses et trompeuses apparences. On a vu de´ja`, par sa lettre au mare´chal Oudinot, que le mare´chal Ney n’apercevait pas sans inquie´tude, quoiqu’a` soixante lieues de Buonaparte, la rapidite´ de sa marche : pourtant il n’e´tait pas te´moin des causes qui l’acce´le´raient, il lui e´tait re´serve´ d’en juger malheureusement, a` mesure qu’approchait la masse, incessamment grossie, de cet envahisseur. Jusque-la`, le mare´chal n’avait entrevu, dans la de´fection partielle de quelques corps, que des principes de de´sordre, a` la ve´rite´ dangereux, mais qu’il croyait pouvoir arreˆter dans leur cours. Il ignorait encore a` quel degre´e de fermentation toutes les teˆtes e´taient monte´es ; ce qu’avait produit de faux enthousiasme l’entre´e, sans coup fe´rir, de Buonaparte dans Lyon. Tout a` coup, dans la soire´e du 13 mars, il apprend, par le pre´fet de l’Ain1, que le bataillon du 76e., qui lui servait d’avant-garde a` Bourg, avait passe´ tout entier a` l’ennemi ; Que les deux autres bataillons du meˆme corps gardaient a` vue le ge´ne´ral Gautier2, leur chef. Il apprend que le peuple insurge´ de Chaˆlons-sur-Saoˆne s’est empare´ d’un train d’artillerie tire´ d’Auxonne, sur lequel il comptait, apre`s avoir maltraite´ les canonniers et les soldats du train. Il apprend que la gendarmerie elle-meˆme, ce corps ordinairement si suˆr, fle´chit de tous coˆte´s ; Qu’a` Lyon et en dec¸a`, tout le peuple, les habitans des campagnes surtout, se le`vent en foule, pour eˆtre te´moins de l’apparition de Buonaparte, comme d’une chose miraculeuse, et pour y applaudir ; 1
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Guillaume-Antoine-Benoıˆt Capelle (1775–1843), jusqu’au 1er janvier 1814 pre´fet de Gene`ve, pendant la Premie`re Restauration pre´fet de l’Ain. Capelle suivit le roi a` Gand, pre´fet du Doubs pendant la Seconde Restauration. Capelle est un des te´moins a` charge au proce`s de Ney. Le mare´chal de camp Gauthier, un des te´moins a` charge au proce`s de Ney.
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Que l’impulsion est donne´e a` tous les corps arme´s, se´duits, e´lectrise´s par ces mouvemens populaires et par l’exemple de leurs camardes, qui, les premiers, se sont rendus. Des de´tails lui parviennent sur cette inconcevable immobilite´ des troupes dans Lyon, en pre´sence du prince auguste et du mare´chal si respecte´ nague`res, qui les commandaient1. De´ja` Chaˆlons est occupe´ par Buonaparte ; Autun est insurge´. Cet esprit d’insurrection a gagne´ jusqu’a` Dijon. Le 13, on y a pris la cocarde tricolore : des groupes nombreux parcourent la ville, en criant vive l’Empereur ! La gendarmerie et les troupes refusent de les re´primer. Ainsi, a` la hauteur de Lons-le-Saulnier, ou` se trouve le mare´chal Ney, il est, en quelques sorte, au foyer de l’insurrection. Disons mieux, les troupes de Buonaparte l’ont de´ja` devance´ de beaucoup : le mare´chal Ney, avec des forces tre`s-infe´rieures, se trouve place´ en arrie`re, quoique late´ralement ; il lui est impossible de rien entreprendre. En vain il l’aurait tente´ : une nue´e d’embaucheurs, le 13, avait inonde´ sa petite arme´e : des proclamations avaient e´te´ re´pandues, qui avaient e´chauffe´ l’imagination du soldat ; l’exaltation e´tait a` son comble. Nul espoir de contenir des teˆtes de´sormais perdues, encore moins de les faire marcher contre Buonaparte. Enfin, le mare´chal Ney en acquiert la triste conviction : il n’a plus d’arme´e. Des perturbateurs sans frein l’ont alie´ne´e ; elle est rebelle a` sa voix, elle le menace meˆme de violence, dans le cas ou` il voudrait l’empeˆcher d’aller a` Buonaparte. Le mare´chal n’est pas plus heureux que plusieurs autres ge´ne´raux qui ont eu la douleur de se voir de´serter par les leurs. Dans la nuit du 13 au 14 mars, des e´missaires de Buonaparte arrivent jusqu’au mare´chal ; ils le trouvent dans une extreˆme agitation, dans une espe`ce de bouleversement d’esprit, accessible a` toutes les impressions, et tremblant pour le sort de la France. Ils sont porteurs d’une lettre du ge´ne´ral Bertrand2, qui lui peint avec force la nullite´ de sa position, la certitude du succe`s pour Buonaparte. Suivant cette lettre, Buonaparte a concerte´ son entreprise avec l’Autriche, par l’entremise du ge´ne´ral autrichien Kolher3. 1
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Allusion aux e´ve´nements de´courageantes de Lyon. Les troupes ont ouvertement refuse´ d’obe´ir aux ordres du mare´chal Macdonald et a` plus forte raison aux ordres du duc d’Artois. Ils on tout juste re´ussi a` s’enfuir. Henri-Gatien comte Bertrand (1773–1844), ge´ne´ral, toujours fide`le a` Napole´on. Il e´tait avec lui lors du de´barquement a` Golfe-Juan, et accompagnait l’Empereur, avec sa femme, a` Saint-He´le`ne. Il revint apre`s la mort de Napole´on (1821) en France, le Cahier de SaintHe´le`ne dans ses bagages. Il s’agit de Franz Freiherr Koller (1767–1826), feld-mare´chal autrichien. Il e´tait membre de
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L’Angleterre a favorise´ son e´vasion. Murat1, triomphant, s’avance a` grands pas vers le nord de l’Italie, pour donner la main a` son beau-fre`re. Les troupes de la Russie sont rentre´es dans leurs quartiers e´loigne´s. La Prusse toute seule ne peut pas se mesurer avec la France. Inutilement le mare´chal Ney essaiera-t-il de faire re´sistance ; les moyens n’en sont plus a` son pouvoir. Ce sont les sous-lieutenans et les soldats qui ont ramene´ Buonaparte ; propos que celui-ci a vingt fois depuis re´pe´te´ lui-meˆme. Que si le mare´chal Ney re´ussit a` entretenir un foyer d’opposition arme´e, quel en sera le re´sultat ? qu’il va livrer la France a` toutes les horreurs d’une guerre civile. Ces derniers mots ache`vent de triompher des meilleures re´solutions du mare´chal Ney. Dans son trouble extreˆme, le mare´chal est vivement combattu par le sentiment de ses devoirs, par celui du salut de la patrie qu’il voit en pe´ril. Ce dernier sentiment finit par l’emporter sur tout autre dans son ame. Il fre´mit a` l’ide´e des de´chiremens inte´rieurs que peut amener la moindre scission. Sa de´termination individuelle, apre`s tout, n’est pas de nature a` fortifier le parti de celui qui, d’avance, par tous ses artifices, s’est assure´ du de´vouement du soldat. D’apre`s tout ce qu’il voit autour de lui, d’apre`s tout ce qu’il entend, la masse entie`re de la nation lui paraıˆt e´branle´e. L’aveuglement ou` il est re´duit est d’autant plus complet, qu’aucune nouvelle de Paris ne vient lui dessiller les yeux. Son adhe´sion de´sormais n’est plus qu’une vaine forme, qui ne peut compromettre que lui. Un officier ge´ne´ral de plus ou de moins n’est plus rien pour Buonaparte : la suite a bien prouve´ que Buonaparte, pour ses projets et pour ses plans, n’avait effectivement pas besoin de lui ; elle a prouve´ aussi que le mare´chal a ce´de´ sans aucune vue ambitieuse.
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la commission charge´e d’accompagner Napole´on, en 1814, dans l’ıˆle d’Elbe. Il prote´geait l’empereur de´chu contre les attentats inspire´s par les ultras du midi de la France, en lui preˆtant son uniforme, et il a su gagner l’estime de Napole´on (voir Wurzbach, Biographisches Lexicon des Kayserthums Oesterreich et Michaud, Biographie ou` cette affaire est raconte´e). L’argument de Berryer n’a rien d’absurde, il fait plutoˆt e´tat d’une image de Koller qui semble eˆtre assez proche de la re´alite´. Allusion a` la tentative en fin de compte ne´faste pour le sort de Murat de vouloir forcer l’Autriche, et avec elle, les puissances du Congre`s de Vienne, de le reconnaıˆtre roi de Naples (voir OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 189–267, les documents relatifs a` Constant de cette affaire). La campagne, commence´e apre`s le de´barquement de Napole´on, se termine, apre`s une avance´e fougueuse, par la de´faite et le proce`s contre Murat, son exe´cution et le retour des Bourbons de Naples. Pendant les Cent-Jours, Napole´on tenait Murat a` l’e´cart.
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Ah ! sans doute elle a e´te´ bien grave l’erreur qui a pre´cipite´ le mare´chal Ney vers cette fausse de´marche ; non qu’elle ait rien ajoute´ aux forces de l’usurpateur, qui a su les attirer a` lui, au point de pe´ne´trer jusque dans la capitale, sans tirer un seul coup de fusil ; mais parce qu’elle a signale´ en lui un amour malentendu de la patrie ; mais parce qu’elle semble avoir e´te´ le re´sultat d’une de´libe´ration dont il e´tait incapable. Qui a pu de bonne foi lui attribuer un moment cette procalamation qu’il avait rec¸u tout re´dige´e, dont le style seul ne de´ce`le que trop l’extravagant auteur ? Les agens qui la lui remirent ont-ils fait autre chose que d’atteindre le but familier de la perfidie de leur commettant, de compromettre ceux dont le me´rite personnel lui portait ombrage ? Est-ce cette proclamation, devance´e par tant d’autres, accompagne´e de tant de jongleries politiques, qui a valu a` Buonaparte un soldat de plus, qui lui a fait gagner un pouce de terrein ? Non, assure´ment : que l’on cesse donc d’y voir aucune profession de foi de la part du mare´chal Ney, et dans sa publicite´ aucun acheminement re´el pour Buonaparte vers le terme de son usurpation : le mare´chal, dans cette position qui n’eut jamais d’exemple, fut subjuge´ par des illusions ; mais il ne fut pas gagne´, dans le sens des traıˆtres. Rien ne le de´montre mieux que la conduite qu’il a tenue bientoˆt apre`s ce fatal moment d’erreur. Ce n’est ni en esclave, ni en courtisan, qu’il aborde Buonaparte : celui qui jamais n’avait encense´ l’idole, alors que tant d’adulateurs lui dressaient des autels ; celui qui, plus qu’aucun autre, a` Fontainebleau, avait contribue´ a` lui faire abdiquer le rang supreˆme, alors qu’il le retrouve aspirant seulement a` y remonter, n’ira pas fle´chir humblement le genou devant l’usurpateur. Avant de se rendre a` Auxerre1, le mare´chal re´dige a` la haˆte une longue se´rie de griefs dont Buoaparte devra entendre la lecture : il y de´bute par les qualifiactions les plus dures et les reproches les plus amers. «Je ne suis pas venu vous rejoindre, lui dit-il en substance, par conside´ration, ni par attachement pour votre personne. Vous avez e´te´ le tyran de ma patrie ; vous avez porte´ le deuil dans toutes les familles et le de´sespoir dans plusieurs ; vous avez trouble´ la paix du monde entier, etc. Jurez-moi, puisque le sort vous rame`ne, que vous ne vous occuperez a` l’avenir qu’a` reparer les maux que vous avez cause´s a` la France ; que vous ferez le bonheur du peuple...... Je vous somme de ne plus prendre les armes que
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C’est la` que le mare´chal Ney rencontrera Napole´on, le 18 mars. Rappellons que Ney ne prend pas de charges militaires pendant les Cent-Jours. Il se retire dans sa terre pre`s de chaˆteaudun et rejoindra les troupes seulement peu de jours avant la campagne de Belgique.
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pour maintenir nos limites, de ne plus les de´passer pour aller tenter au loin d’inutiles conqueˆtes, etc. A ces conditions, je renonce a` contrarier vos projets ; je me rends pour pre´server mon pays des de´chirements dont il est menace´, etc., etc.». Plusieurs personnes ont eu connaissances de cette pie`ce avant qu’elle fuˆt lue et remise : elles sont en e´tat d’en certfier le contenu substantiel. Buonaparte souscrivit a` tout ce qui lui e´tait demande´ par le mare´chal : il promit meˆme beaucoup plus pour la prospe´rite´ de la France. Satisfait de ses promesses, le mare´chal Ney ne songe a` retirer de son aveugle condescendance aucune espe`ce d’avantages pour lui-meˆme ; on ne le voit rechercher aucunement les faveurs de la nouvelle cour. Peu de temps apre´s l’entre´e de Buonaparte dans Paris, le mare´chal se retire dans sa terre. Le bruit a couru (sans doute d’apre`s la harangue d’Auxerre) qu’il e´tait en pleine disgrace. La ve´rite´ est que le mare´chal, de´trompe´ bientoˆt sur les fausses assurances donne´es par Buonaparte d’une prochaine composition avec les puissances, ne voulut plus reparaıˆtre devant lui. Rien ne put le de´terminer a` quitter sa retraite. Ce qu’il y a de certain encore, c’est que dans les trois mois du fol empire, on ne vit le mare´chal briguer aucun emploi, solliciter aucune re´compense. Buonaparte ne le consulta point sur ses plans de campagne : il ne se ressouvint de lui que comme d’un guerrier toujours dispose´ a` combattre pour l’inte´grite´ du territoire. Un moment le mare´chal Ney a conc¸u l’espoir de soustraire son pays aux calamite´s de la guerre e´trange`re : son attente est de´c¸ue dans la journe´e du 18 juin. Sur le champ il revient a` Paris. Et dans quelles dispositions ? On peut en juger par la de´claration pleine d’e´nergie et de franchise qu’il fit a` la chambre des Pairs, dans la se´ance du 22 juin. Buonaparte e´tait encore, ce jour-la`, environne´ de partisans nombreux : le prestige, presque invincible, attache´ a` sa funeste existence, e´tait loin d’eˆtre dissipe´. Il conservait l’espoir de se relever encore : un de ses ministres se pre´sentait a` la chambre, porteur d’un message audacieusement imposteur1. Mais le mare´chal Ney est la` avec l’inflexibilite´ de son caracte`re, trop honneˆte homme pour composer avec sa conscience, trop ami de son pays pour souffrir qu’on l’abuse encore par de nouveaux mensonges. 1
Allusion a` la fameuse intervention de Ney a` la Chambre des Pairs le 22 juin 1815, ou` Carnot, le ministre de l’Inte´rieur, lisait une lettre de deux militaires qui affirmaient que le ge´ne´ral Grouchy avait pu reconduire environ 25.000 hommes de Waterloo. Ney qualifie cette nouvelle d’entie`rement fausse et ne voit qu’une seule issue : entrer sans tarder en ne´gociations avec les Allie´s pour e´pargner de plus grands maux a` la France. Voir ci-dessus, p. 1130, n. 1.
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Deuxie`me annexe
Il de´clare hautement que la journe´e du 18 ne laisse d’autre parti a` prendre que celui d’une prompte soumission. Que si sa brusque proposition euˆt e´te´ suivie, si, le 22 juin, on euˆt sur le champ arreˆte´ de ne´gocier, e´videmment la ne´gociation, conforme au traite´ signe´ a` Vienne le 25 mars par toutes les puissances, rendait plus toˆt le Roi a` son peuple. Et qui sait si, dans ce cas, le territoire franc¸ais euˆt e´te´ occupe´ par tant de troupes e´trange`res ? Qui sait si de grands maux n’eussent pas e´te´ de´tourne´s ? Quoi qu’il en soit, on retrouve ici dans le mare´chal Ney la meˆme droiture d’intention qui caracte´rise sa vie entie`re, la meˆme ve´racite´ qu’il a montre´e dans ces derniers temps envers Buonaparte, a` Fontainebleau, a` Auxerre. Dans toutes ces occurences, c’est toujours la chose publique qui l’emporte sur son inte´reˆt personnel. Dans cette dernie`re encore, il ne´glige totalement ce que tant d’autres ont observe´ avec succe`s, de prendre une position militaire qui lui facilite du moins quelque moyen de faire oublier ses torts1. Voila`, sans nul de´guisement, ce qu’a fait le mare´chal Ney depuis le mois de mars 1815. En peut-il re´sulter, nous ne disons pas la pre´vention du crime odieux de tahision, mais meˆme un ve´ritable avilissement moral ? Tout crime, dans l’acception le´gale de ce mot, suppose une pre´me´dition, un inte´reˆt plus ou moins dominant. Le crime de trahision se compose de mene´es longues, successives, de combinaisons laˆches et perfides. Une erreur du moment, effet du concours vraiment inoui des incidens les plus e´tranges ; une erreur dont on n’entrevoit le principe que dans un sentiment louable en soi, mais mal dirige´ ; une erreur enfin qui n’a servie en rien l’usurpateur, qui n’a nullement profite´ a` celui qui l’a commise : une telle erreure est-elle autre chose qu’un fatal e´garement ? Ne sera-t-il donc pas permis au mare´chal Ney d’appeler a` son secours ce jugement porte´ par le Monarque sur ceux de ses sujets qui ne furent qu’e´gare´s ? Ne sont-ce pas exclusivement les instigateurs des de´sordres, les auteurs de la trame ourdie en faveur de Buonaparte, que S. M. avait primitivement de´signe´s a` la vengeance des lois ? Il est prouve´ que, loin d’avoir forme´ aucune conspirations, le mare´chal Ney, malgre´ sa faute, n’y est point entre´ ; qu’il e´tait de bonne foi dans ses promesses au Roi ; qu’il n’a ce´de´ qu’a` l’irre´sistible influence du salut de l’E´tat, compromis a` ses yeux par une guerre civile imminente ; que ses mains sont reste´es pures, son caracte`re inde´pendant, inaccessible a` toutes les se´ductions de l’inte´reˆt personnel ; qu’au premier instant ou` il lui fut 1
Nous supposons, sans en avoir la preuve, que le mare´chal Ney refuse de prendre un engagement dans l’arme´e du Nord qu’on s’efforce de reconstituer.
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possible de re´parer son erreur, alors qu’il y avait encore quelque danger a` se prononcer contre l’usurpateur et en faveur du souverain le´gitime, le mare´chal n’a point he´site´ a` de´couvrir son ame tout entie`re, et a` voter, pour la France, le parti de la soumission1. Par quelle funeste exception le mare´chal Ney serait-il donc traite´ comme criminel ? Certes, il e´tait loin de le redouter, lorsqu’en dernier lieu l’enceinte de sa retraite a e´te´ cerne´e. Se cacher ou fuir lui euˆt e´te´ facile ; mais l’un et l’autre re´pugnent a` un grand cœur. Dans la se´curite´ d’une conscience d’ou` l’honneur ne fut jamais banni, le mare´chal s’est offert de lui-meˆme a` ceux charge´s de s’assurer de sa personne ; dernier trait qui ache`ve de donner la mesure de son caracte`re, et qui atteste sa haute confiance dans les institutions d’apre`s lesquelles il doit eˆtre juge´. Me. BERRYER pe`re, Avocat.
1
C’est, comme nous l’avons explique´ dans notre introduction, le paragraphe ajoute´ sur la proposition de Constant au texte de Berryer. Voici le texte de BC tel que nous le donne la lettre : «La cause sera aussi bien de´fendue qu’elle peut l’eˆtre, si M. le Mare´chal prouve / 1o qu’il n’a pas e´te´ de la conspiration qui a fait revenir Bonaparte, s’il y en a eu une. / 2o qu’il e´toit de bonne foi dans ses promesses au Roi. / 3o qu’il n’a ce´de´ qu’a` l’ide´e que se re´sistance exciteroit inutilement la guerre civile. / 4o qu’il n’a point cherche´ a` profiter des titres que sa de´fection sembloit lui donner a` la reconnoissance de Bonaparte meˆme. / 5o qu’il a de´clare´, a` la Chambre des Pairs, qu’il n’y avoit aucue possibilite´ de de´fense, et que cette de´claration provoquoit manifestement la rentre´e de S. M. / 6o enfin qu’il a sans doute commis une faute infiniment grave, mais que cette faute n’a point amene´ le re´sultat ge´ne´ral et funeste qui a eu lieu et que Bonaparte eut triomphe´ sans lui.» (ABC 20, 1997, p. 134. On notera que le dernier argument de BC figure dans le plaidoyer de Me Berryer a` un autre endroit (voir ci-dessus, p. 1144, lignea 1–4). On notera aussi qu’une partie des arguments revient dans le placet de Mme Ney.
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Troisie`me annexe Compte rendu de John Cam Hobhouse, The Substance of some Letters
Compte rendu de l’ouvrage de John Cam Hobhouse, The Substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napoleon
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Introduction
Le compte rendu de l’ouvrage de Hobhouse, The Substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napoleon, London 1816, qui a paru, sans nom d’auteur, dans le cahier LI, fe´vrier 1816, du volume XXVI de la Edinburg Review, est un texte en rapport direct avec Benjamin Constant. Nous ignorons l’auteur. Il pourrait s’agir de James Mackintosh, l’ami de Constant, ou d’un personnage non identifie´. Hobhouse ne semble pas avoir devine´ l’auteur non plus. L’attribution a` Mackintosh n’a rien de surprenant en soi, mais ne re´siste pas a` un examen attentif des donne´es. Le biographe de Mackintosh, Patrick O’Leary, admet que beaucoup de ses articles anonymes n’ont pu eˆtre identifie´ avec certitude1. Nous savons que Mackintosh avait un inte´reˆt particulier pour les questions touchant la France, qu’il avait passe´ en 1814 quelques mois a` Paris apre`s la chute de l’empereur, ou` il avait rencontre´ re´gulie`rement Mme de Stae¨ l et Constant2. Nous savons aussi que Constant lui a parle´, en 1816, de son intention d’e´crire un livre sur les Cent-Jours. Cela seraient des motifs se´rieux pour envisager le compte rendu d’un ouvrage sur cette e´poque, sorti depuis peu, ouvrage qu’il avait lu et dont il connaissait l’auteur. Le texte se lit en effet comme le re´sultat d’une conversation avec Constant qui avait lu l’ouvrage de Hobhouse avant sa publication. Il y a un autre argument a` avancer pour l’attribution de ce texte a` Mackintosh. Une particularite´ de son e´criture est l’usage fre´quent du tiret comme signe de ponctuation pour remplacer ou renforcer un point, un point-vrigule ou une virgule. Cette habitude est atteste´e pour les manuscrits de Mackintosh3. Un usage semblable du tiret se remarque aussi dans cet article. Ce searit donc un indice, faible a` vrai dire, pour appuyer une telle hypothe`se. 1 2
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Patrick O’Leary, Sir James Mackintosh, the Whig Cicero, Aberdeen : University Press, 1989, p. 210. Voir les Memoirs of the Life of the Right Honourable Sir James Mackintosh, t. II, chap. 5, pp. 294 et sv. On y trouve des de´tails qui peuvent e´claircir certaines notes du J. I. de BC et des renseignements le concernant qui n’ont pas laisse´ de traces dans le J. I. de Constant. Mais il n’y est pas fait mention du compte rendu de Hobhouse. Ibid., p. IX : «Like many Georgians he used the dash as an all-purpose mark of punctuation.»
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Troisie`me annexe
Mais cette hypothe`se est peu probable, comme il ressort des circonstances que voici : Nous savons que Hobhouse se pre´occupait des comptes rendus de ses ouvrages, et en particulier de son re´cit sur les Cent-Jours. Une note de son journal intime, date´e du 25 mai 1816, parle d’un diner chez Lady Holland, ou` il recontre, entre autres, Mackintosh. Au cours de cette soire´e il est question du compte rendu de´favorable qui avait paru sans nom d’auteur dans le nume´ro du mois de janvier 1816 dans la Quaterly Review. Hobhouse pensait re´pondre a` cette publication, mais se laissait convaincre de ne rien faire : «Sir James Mackintosh, Lord Holland, and Whishaw, all advised me not to answer the Quaterly Review of January 1816. Mackintosh said, ‘Never defend ; attack, if you please.’ Sebastiani said, ‘Il faut attendre et se venger’1.» A la lumie`re de cette conversation (Constant n’e´tait pas pre´sent2) il faut admettre que la proposition d’attribuer le texte du compte rendu de l’Edinburg Review a` Mackintosh n’est gue`re soutenable. Car il faudrait penser que Mackintosh aurait e´te´ capable d’un acte de mauvaise foi en cachant a` son interlocuteur le projet d’un compte rendu ou` il allait formuler, outre des e´loges, aussi des critiques, qu’il entendait avancer contre son ouvrage3. Ceci est contraire a` tout ce que nous savons sur Mackintosh. L’attribution du compte rendu a` Constant n’est pas a` exclure peremptoirement. On peut avancer deux raisons pour cette opinion, a` savoir l’inte´gration sans rupture perceptible du morceau sur Fouche´ dans le texte du compte rendu et la cohe´rence des vues exprime´es dans cet essai de critique litte´raire qui sont tre`s proches de celles de Constant. Mais il n’en parle point dans son Journal intime, ce qui est assez contraire a` ses habitudes. Et la soire´e qu’il passera le 9 juin 1816 avec Hobhouse est domine´e, d’apre`s les Me´moires de celui-ci par un re´cit assez gai de Constant sur les pre´dication 1
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Recollections of a long Life, t. II, pp. 339–340. Le compte rendu anonyme en cause (The Quaterly Review, vol. XIV, cahier de janvier 1816, pp. 443–452) est un exemple e´tonnant d’une mauvaise lecture d’un livre, soit par incompre´hension, soit par mauvaise foi. Son unique me´rite est d’avoir re´ve´le´ le nom de Hobhouse comme auteur de ce livre. Ce critique soutient surtout que l’ouvrage est une parodie du langage ide´ologique des Bonapartistes et termine par cette observation : «On the whole, we cannot recommand Mr. Hobhouse’s book : if any reader were dull enough to mistake it for seriousness, it would certainly appear one of the most infamous libels on the name and character of an Englishman that was written» (p. 452). Il passe la soire´e chez Miss Berry. Voir le J. I. du 25 mai 1816 (OCBC, Œuvres, t. VII, p. 276). Nous apprenons positivement par une note du journal intime de Hobhouse, date´e du 1er mars 1816, que Mackintosh avait de´ja` lu son ouvrage, et qu’il l’avait loue´, comme les autres qui se retrouvaient ce soir-la` en socie´te´ (Recollections of a long Life, t. I, p. 332). Rappelons dans ce contexte qu’un reproche de ce genre est fait par Hobhouse a` Constant. Voir cidessus, p. 216, n. 1.
Compte rendu de Hobhouse – Introduction
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de Mme de Krüdener1. Nous devons laisser la question inde´cise. Il n’y a, avec les informations dont nous disposons actuellement, qu’une re´ponse possible : l’auteur de ce compte rendu reste un inconnu pour nous. Pour plus de de´tails sur les circonstances qui conditionnent ce texte, nous renvoyons a` l’introduction de l’article sur Fouche´2.
E´tablissement du texte Nous reproduisons l’article d’apre`s le texte imprime´ de l’Edinburgh Review. Imprime´ : Anonyme, «Letters from France». The Edinburgh Review or Critical Journal for Feb. 1816 ... June 1816, t. XXVI, (no LI, Febr. 1816), 1816, pp. 215–233. Exemplaire utilise´ : Universitätsbibliothek Tübingen. Nous de´signons cet article par le sigle ER. K. K.
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Voir Seznec, art. cite´, pp. 212–213. Voir ci-dessus, pp. 205–213.
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Letters from France
Art. IX. The Substance of some Letters written by an Englishman resident at Paris, during the last Reign of the Emperor Napoleon : With an Appendix of original Documents. Two vol. 8vo. pp. 950. London, 1816.
This is undoubtedly a very curious and interesting work ; – though for our parts we should have liked it better if it had not been quite so long, and if it hat contained more facts and fewer reasonings. It is not unlikely, however, that we have taken up this opinion, from our not agreeing with the author in many of the speculations in which he has indulged. He is more intolerant to the Bourbons, and a great deal more indulgent to Bonaparte, than we think reasonable. The book, indeed, is as stout an apology for the Emperor and his party as we can conceive any intelligent Englishman to have written, – and, we doubt not, will be received with all reprobation by the champions of legitimacy, and those who hanker after the complete restoration of the old order of things. Though we do not agree with all the doctrines of the author, however, we think he has done quite right in publishing them ; and are rather well pleased to see a writer of ability and information go a little too far on one side of a question, on which such a herd of servile scribblers have gone a great deal too far on the other. The book is written throughout in the manner of a gentleman and a man of talents, and, above all, with, with a firmness and manliness that stoops to no disguise or equivocation on the one hand, and breaks out into no bursts of mere passion or folly on the other. The author maintains his opinions with earnestness, and is noways sparing of his sarcasms on those whom he censures : But his tone is always that of reasoning and reflection ; – and those who are most likely to be offended with his doctrines, will sometimes find it hard to refute them, without endangering the foundations upon which English liberty is built. The great evil of Bonaparte’s despotism, next to the hazard to which it exposed national independence, was the insensibility which is produced to all other sorts of misgovernment. Every state that was opposed to him, was to be flattered or spared, however tyrannically or basely it might conduct itself ; and every one that allied itself to him was to be reprobated without mercy, wahtever might be the prudence or correctness of its general policy. The great danger then was, lest all the world should be subdued by the E´tablissement du texte : Imprime´ : Edinburgh Review,
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pp. 215–233 [=ER].
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military power of France ; and it was held as a sort of treachery to the common cause, to run the risk of offending or disuniting those who were associated in its support, by taking any notice of the habitual tyranny and oppression of which some of them might be guilty. Even now that the danger is over, we do not very well like to hear of any body’s tyranny but Bonaparte’s ; and the merit of having opposed him seems almost to be regarded as an atonement for every species of injustice. Nothing, however, can be more absurd or alarming, than the prevalence of this way of thinking. The great danger now is from the abuse of legitimate power, and the corruptions of ancient establishments ; and the most effectual way of betraying the cause of good government, and ultimately encouraging the return of revolution, is to interdict the free discussion of the political errors and crimes that may still afflict the world – though Bonaparte has disappeared from the scene. The enormities of the restored Spanish government have fortunately been too great to admit of any palliation. The errors of the same famely in France are less flagrant indeed, and far more excusable ; but it would be to the last degree dangerous to shut either ou eyes or our mouths with regard to them. Nor can we conceive any thing more truly ominous to English liberty itself, than the prevalence of a doubt wether Englishmen have right to publish their opinions upon the faults and errors of foreign governments, and in particular to point ount to their countrymen the defects or maladministration of the governement of France ; – a topic, the discussion of which has, from the time immemorial, been popular and perpetual, and productive of the greatest benefits to this country. Though we think it right, however, to protest for this liberty whenever we may see cause to exercise it, we do not propose at present to enter at any length into that subject. Nor have we referred to the work before us so much for the purpose of discussing any of the matters of controversy which it suggests in abundance, as of calling the attention of our readers to some of the inportant facts which it discloses. The author, we think, has by far too favorable an opinion of French virtue and Imperial sincerity. But at present we shall not argue these or any other points with him. We wish merely to give an idea of the very interesting Narrative which the work contains. This Narrative may be divided into three periods, – the last week of the King’s first reing, – the hundred days of his successor, – and the final abdication of Bonaparte, and its consequences. No one who contemplates the state of France for the last twenty-five years, and who remembers the opinion uniformly manisfested in her greatest distresses, and recognized by the Allies at Chatillon in 1814, can believe that the Bourbon dynasty was recalled by the affection or desire of the people of France. Although indications of such a wish were perceptible
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in the South, where the royalists have always had the majority, yet nothing like a national will was manifested ; and in Paris, the city above all others where «bread and shows» have the most effect, that novelty was so little coveted or expected, that the restoration was notoriously effected without any participation on the part of the people. No popular enthusiasm, no loyal effusions, no Bourbon standard even – intimated the general whish of the Sovereigns of Europe assembled to decide the fate of France. A few ladies in the Fauxbourg St. Germaine, with white handkerchiefs in their hands, and the cries of fifty urchins in the Place de Louis Quinze, was all the demonstration of regard for the exiled family which Mons. de Talleyrand could exhibit to the Emperor of Russia, to induce him to support the Bourbon cause. Strange as it may appear, there is no doubt that the declaration of that minister, with respect to that important crises, is perfectly authentic, namely, that «the people were unwilling – the Legislature alarmed – the Allies incredulous ; that the Senat was prevailed upon to receive the King by the promise of a Constitution – the popular feelings allayed, by the bargain with the Regicides ; and, lastly, the Emperor of Russia overpersuaded by his arguments, and by the concerted demonstration above alluded to.» But although a miserable manœuvre thus succeeded, in placing the exiled family on the throne ; yet the positive advantages conceded to France in consequence of its adoption of that dynasty – the cessation of a power become odious from its abuse – the prospect of peace, and renewed commercial intercourse with all nations, together with the fatigue of all parties, afforded to a wise monarch many chances of preserving a throne which he had reascended by a sort of miracle. Our author, in Letters V and VI, inquires how these chances were improved, and traces the conduct of the restored Sovereign – his refusal to subscribe the act which recalled to the throne – his renunciation of the title decreed to him by the Senate, of the 6th of April – his silly enumeration of the 19 years during which he had reigned over his kingdom in partibus infidelium – his mention of the Prince Regent of England and of his own rights, to the exclusion of those of his people in his earliest proclamations – his disputed election – his violations of the charter octroye´ to his people – and lastly, the tone and character of his court and government, defamatory of the revolution to which he succeeded, and offensive to the habits, character, and interests, of the nation he ruled over. With an attention to dates and particulars, infinitely valuable in an inquiry of this nature, our author cites the several violations of the charter by the King ; and as almost any one of them would have been construed into a virtual abdication, had it been committed by our Sovereigns, notwithstan-
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ding that he reigns, as well as the King of France, by the grace of God, these violations must, in fairness to the rebellious people of that country, be deliberately examined. 1. The first regarded the freedom of religious habits ; and in the face of the 5th and 68th articles, (the first of which secures to every worship the same protection, and the second establishes the civil code, and the laws actually existing, not contrary to the charter), an ordinance enforced the discontinuance of labour – shut the shops on Sundays and Holidays – and commanded that all individuals, of every religion, should rigidly renew the observances formerly insisted on in the procession of the Holy Sacrament. 2. On the 10th June, contrary to the 8th article, which proclaims the liberty of the press, a censorship is established. 3. By Royal ordinances, of the 15th June and 15th July, the recruitment of the King’s guard is fixed, which, by the 12th article, was expressly reserved for the consideration of the Legislature at large. 4. On the 21st June, a high commission court, for trial of public functionaries is established, contrary to the 63d article, which says – «There cannot be created any extraordinary commission or tribunal.» 5. On the 27th June is violated the 5th article of the charter, declaring the legislative power to reside in the King, Peers, and Deputies ; – an impost law of the year 12, regulating port duties, is annulled by the royal authority. 6. On the 16th December, contrary to the 69th article, the officers of all ranks, and military administrators not employed, as well as those absent on leave, are reduced to half-pay. 7. On the 30th July, a Royal Military School is established, giving to the Nobles of the kingdom the enjoyement of those advantages which had been granted them by th Edict of 1751. «One hundred years of previous nobility were necessary to procure admission for any pupil of this ancient school ; and this drew a line at once between the old and new noblesse, in opposition to the 3d article of the charter, which made all employs, civil and military, equally open to all Frenchmen.» Vol. I, p. 88. 8. The court of Cassation was re-organized by the King, contrary to the 59th article of the Charter. 9. The 11th article was violated in the expulsion of fifteen members of the Institute. 10. The impost upon the provision of Judges upon letters of naturalization ; and upon journals by the Chancellor, without the consent of the Legislature, violated the 48th article of the Charter. Now, we are at a loss to know what answer can be given to those charges, by the Monarch «who never promised in vain». But even these, according
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to our author, were feeble in their effect, compared with the incessant industry of the King, his family and his court, in separating his interests from those of New France. We shall extract some passages, which give, at once, a speciment of our author’s style, and an account of various attacks made upon the people, in as far as regards the army, their religious habits, and the general character of the country. 1. The sixth letters details the pretensions of the nobles and the priests, and the sanction given to them by the conduct of the Court. The former protested against the Constitutional Charter. The King, on the 4th June, expressed a wish to restore the unsold national property to the ancient proprietors ; and his minister, in his speech proposing the law, speaks openly of «the sacred inviolable rights with those who have followed the right line must have in the properties, of which, by the revolutionary form, they have been despoiled.» «When the fears of the King and his friends extorted, during the march of Napoleon, some attempts at justice, a committee was appointed, in the Chamber of Deputies, to examine into the petitions lying umpresented in the Parliament offices. Amangst them were discovered nearly three hundred, which had been kept back by the Abbe´ Montesquiou, from individuals complaining that they had been refused absolution by their priests, on account of being possessors of national properties. The restitution of these properties was thus made the sine quaˆ non of salvation ; and, indeed, at Savenay on the Lower Loire, a sermon was preached on the 5th of March, in which the audience were told, that those who did not return ‘their own’ to the nobles and to the cure´s, as the representatives of the monks, should have the lot of Jezebel, and should be devored by dogs.» I.96 The fear entertained of the encroachments of the priests, is thus powerfully depicted. «The latter played their usual part – God forgive them ! From M. de Talleyrand, Archbishop of Rheims, Grand Ahmoner, corresponding with the Bishop of Orthosia at Rome to procure a bull for the reestablishment of the Gallican church, down to the wretched cure´ of St. Roch, refusing sepulture to his ancient hostess Mademoiselle Raucour. With the return of the Saturnian sceptre of the Bourbons, religion was also to revisit France, so long deprived of the consolation of continuing the Levitical law. The professors of arts and arms, the scientific sons of the impious Institute, having eaten and drunk, and played their fill, yielded up the stage to the linsey-woolsey brothers of a more decently wanton court, and its reinvigorated retainers. Sixty covers, spread daily at the Tuilleries, kept alive the gratitude, and the 19 Montesquiou ] la source porte Montesquieu ER
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zeal of as many champions of God and the King, whose brethren of the departments, inhaled, at a distance, the steams of the royal refectory. The Court carpenter preferred his useless block from scarecrow to a saint ; – the waxchandlers contemplated the inevitable re-illumination of all the extinguished candlesticks of every shrine ; – days and nights, all the gates of all the churches were expanded expanded, whilst their rival shops were shut. Relics rattled together from the four quarters of the capital, to be re-adjusted ans re-enshrined by a second St. Louis. But the King might have given their daily bread to his sixty priests, – he might have said his thousand masses, – he might have devoted his France to the Virgin – or grubbed up his brother’s bones ; – his Antigone might have shut the Sunday shops, or even have gone the greater length of forbidding the masquerade of the mi-careme (dangerous as refusing both bread and shows at once must be to modern Rome) ; she might cherish the town of Nismes, and its vow of a silver baby for God Almighty, as the lure and promised reward of her conception of a Man Child. These offenses might habe been forgotten, or been condemned to ridicule, with the gaiters of his Majesty, and the English bonnet of Madame ; but when the people, in the pious propensities of the new Court, foresaw the reinvestiture of the Clergy, when they saw the barns rebuilding which were to receive a portion of their own bread, and the very fluctus decumanus of ancient despotism, the fatal tenth wave about to burst upon their heads, the religion of the Royal Family being likely to prove so chargeable, could then no longer be a matter of indifference, or be visited only with contempt. In Paris, the decent piety of the King excited only a smile, whilst the sombre superstition of the Duchess inspired a more serious disgust ; but in several of the departments, the triumphant Clergy being more than suspected of a conspiracy against the manners, feelings, and properties of the people, had, in conjunction with their coadjutors the Nobles, excited a hatred which was in daily danger of breaking out into acts of violence. It is undoubted that the mass of Nobles, in many provinces, are indebted for their lives to the return of Napoleon, who, by removing the fears of the lower classes, has also laid asleep their revenge. Lord Chesterfield might fairly say, that a man is neither the better nor the worse for wearing a black coat ; but when that colour denotes a class of persons at variance with, and in direct opposition to all interests and habits of the community, we must not be surprized that it should be at first unpopular, and at last proscribed.» I. p. 103. 2. The Army. After commenting the breach of the charter regarding their pay, our author says – «It was easy to see that the part of the King’s conduct which required the utmost prudence, was the treatment of the Army, which, in France, is more
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national, both by its constitution and by the circum stances of the times, than in any other country. The great majority of all the male population having served at some time or other, sympathize with the character and fortune of a corps to which they consider themselves still in some measure attached ; and by a happy complacence, fixing their recollections only on the glories, without counting the disasters of their brethren in arms, look upon the soldiery as the repositories of their honour, as the representatives, as the last hope of their country.» I. p. 83. He then recites the campaign of 1814, and the admiration it excited. «In short, the French considered the honour of their armies untarnished by the issue of the campaign of 1814 ; and they were therefore inclined to comtemplate the reduction of their pay and force as a treason of the restored family, in unison with their whole system and with their declared wish to efface from the memory of their contemporaries, and the page of history, allthe twenty-five years of misfortunes ; or, in other words, the triumphs of republican and imperial France. At the same time, there were many patriotic and thinking persons, who would have found some excuse for this step, in the poverty of the Royal treasury, and in the difficulty of supporting an army calculated for fortyfour millions of subjects, in a kingdom reduced to a population of twentyeight millions – had there not been repeated proofs of profusion in other instances, and had not the restored Family betrayed, in many ways, a settled disregard of this great national body. Every saloon in Paris abounds with stories of the insults and the vulgar pleasantries of the Duke of Berri, adressed to many officers of distinguished merit. Does he inquire of one, in what campaign he served ? and is told ‘in all ;’ – In what capacity ? ‘Aid-deCamp to the Emperor’ : he turns upon his heel with a contemptuous smile, and the officer is noticed no more. Does he learn from another that he has served twenty-five years ? ‘Vingt-cinq ans de brigandage’, is his reply. Do the old Guard displease that great Commander the Duke of Angoule`me, in performing some manœuvre ? They are told that they must go to England and learn their exercice. Lastly, is a Colonel to be degraded ? the Duke of Berri tears off his epaulets with his own hand – another time he strikes a soldier upon the parade. The Swiss regiments return to the Tuilleries ; but, in addition to this foreign guard, six thousand Nobles, the very old, and the very young, tricked out in fancy dresses, which draw down the fatal curse of ridicule, compose a household force, the laughter of the Citizens, and the envy of the Army. The old Imperial Guard outrageously banished from the the capital, and suddenly recalled at the beginning of the ninistry of Marshal Soult, are scarcely on their route towards Paris, when fresh jalousies create fresh orders, and the indignant victims are marched back to theirs quarters.
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Certain Chouan Chiefs are sent into Brittany, and there distribute decora tions and recompenses to those rebels, whom the armies had routed and quelled. Another Chouan lays a plan for enrolling a sort of sacred batallion against the plots of the army ; and though apparently prosecuted for this treason, is never punished. Lastly, the invaders of France, destroyed by the army at Quiberon, are to have a monument raised on the spot, as a perpetual commemoration of their loyalty, and the treason of the troops by whom they fell. The apologists and defenders of the King lament and admit the imprudencies I habe just detailed. Connected with this debasement of the army, was the suppression of the establishments for the female orphans of the Legion of Honour, which the King was, however, obliged to restore, and the reduction of the pay of the invalids ; – add to this, also, the evident attempt to degrade the decoration of the Legion, by the profusion with which the crosses were granted to the lowest agents of Government, even to the clerks of the Post-Office, and the care with which the higher ministers laid them aside. The deductions drawn from this conduct, were most unfavourable to the Royal cause, and left no doubt in the mind of the military, nor of the nation, that the honourable existence of the French army was considered as incompatible with the system of the new Court.» I. p. 84. «I must not forget to mention, that the reduction of the army was scarcely so unpopular, as the attempt to new model it, by renewing the regiments, and chiefly by the appointment of nearly five thousand officers, either old emigrants or young nobles, totally devoid of all military character or merit. The abolition of the national colours, and the adoption of the flag of La Vende´e, though it afflicted the nation, was more particularly affecting to the army, who saw in this step the same determination to tear from them all memorial of their former existence. The Imperial Guard burnt their eagles, and drank their ashes ; some regiments concealed, and all regretted their cockades. The friends of the Court affected to consider the mere change of a flag as a trifle ; and, in spite of all experience, did not recollect, that nothing is a trifle to which any importance, however imaginary, is attached by a whole nation. They showed, that the King was determined to illegitimize all proceedings, as he said in his letter to the Sovereigns, as far back as the Assembly of the States-General – aye, even his own ; or that he forgot that he had worn the tri-coloured cockade himself, from the 11th of July 1789 to the 21st of June 1792.» I. p. 87. But, above all, the jealousy and hatred of every thing, and of every person appertaining to the Revolution, is well pourtrayed in the following passage. – «Il may be only justice to charge many of the follies of the last short reign upon a weak, discordant administration ; but this consideration, alt-
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hough it may diminish the personal culpability of the King, does not prove that the people were wrong in judging him unfit to reign. He might have chosen his ministers amongst theirs friends ; he might have thrown himself into their arms ; – whereas, on the contrary, on many occasions, he gave evidence of his looking upon them in some sort as the accomplices or immediate actors in his brother’s murder : For, not content with excluding from public duties, such as had actually been concerned in that deed, he took care to refresh, at every opportunity, his indignant abhorrence against the act, which, wether of justice or vengeance, was at least national, and which, therefore, it was absolutely necessary, for the pride or the repose of all Frenchmen, either to justify or forget. Louis began his reign, by saying mass for the soul of his brother ; – he next instituted a fete similar to that of the day, ‘when every Sovereign in Europe rises with a crick in his neck’ ; and he quoted the example of Charles II, as a worthy precedent for his proceeding. Little doubt have I, but that his Ministers, at least, would have liked to complete the parallel. Carnoˆt and Fouche would have looked as well in an execution list as Harrison and Cooke1. – Then was performed the last office of paternal piety, by this bone-collecting Court. Between these acts, there was a perpetual playing off of Court horrors and antipathies, and the very sound or smell of regicide. The coaches of the King never drove over the ‘Place de Louis Quinze’, because in that square his brother lost his head ; as little would the Royal Family walk upon the Terrace of the Seine raised by Napoleon, for that commanded a view of the same fatal spot. The Duchess of Angouleˆme never looked at a Parisian crowd without shuddering, as if beholding the children and champions of revolution. If at the Tuilleries she saw a Lady of the Imperial Court, she passed over on the other side. Her jealousy descended upon the children of those that had hated her father ; and from this jealousy the representative of the Orleans branche of the Royal Family was by no means exempt. The manners of this Prince, tinctured with the kindness and facility generally acquired by a variety of fortune and experience, the education he had received in the arms as it were of the Republic, the fate of his father which conferred upon him the fraternity of a common crime ; all these considerations endeared him to the French, and drew upon him the suspicion and the hatred of the Court, which arose at last to a height so indecent and ridiculous, that the Court confessor, in his sermon at St. Denis, over the interment of Royal bones, took the opportunity of what is called in our vernacular preaching at the Duke of Orleans, who was twice or thrice tempted to rise and leave the Church. The Court at the Palais Royal became too well attended. I hear that it was shut by a proposal coming from his Majesty.» I. p. 174. 1
Carnot, Fouche´, Harrison, Cooke : quatre re´gicides.
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We cannot help observing, that the anecdote relating to a plot proposed to the Duke of Orleans, and disclosed by that Prince to the King, does not appear to us probable, and at any rate ought not to have been inserted by our author, upon such informaion as disappointment and jealousy are too likely to have furnished upon such a subject. The 6th Letter contains a concise and interesting account of the progress of Napoleon from Porto Ferrajo to Paris ; and the 8th describes the Royal Court in its expiring moments. A question, by no means uninteresting, suggests itself at the close of this period, viz. Wether a successful resistance could have been made at any, and at what moment, to the advance of Napoleon. It is manifest, we think, from the facts and observations contaiend in this work, and from subsequent events, that neither the popularity of Napoleon with the people, nor the attachment of the army, would of themselves have been sufficient to give him so conspicuous a triumph over a rival in possession of the Crown and the capital. If any one will call to mind the opprobious usage Bonaparte met with but one year before in the very Provinces which now hailed his return, he will be convinced that hatred to the Royal House which now governed them, rather than attachment to their ancient Chief, obtained from the people of France their ready acquiescence in his designs. – The existence of a previous conspiracy in his favour is no longer asserted ; and the government of France has ineffectually attempted to give the colour of such a charge to any one of the trials which have already taken place at Paris. As to the army, it is notorious that their allegiance had been offered to other persons, and that the conspiracy of Drouet and Lefevre Desnouettes, (the only one which broke out during the eleven months), had not only no connexion with Bonaparte, but had avowedly another chief in view1. By comparing dates, it will be found that neither did the commanders swerve, nor the regiments revolt, until the conviction of the perfidy and imbecility of the Government which they had serverd when it most needed their assistance, had become irresistible in the whole body. It is true the disgust was universal ; but, on the first intimation of the approching danger, the leaders of the constitutional opposition, among whom our author particularly cites M. Constant and the author of the Censeur, rallied around he throne, from a conviction, no doubt, that liberty had more to fear from the power of Napoleon, than from the feebleness of the Bourbons ; and, in the hope of profiting by the difficulties of the Sovereign, to extend the rights, and to confirm the liberties of the People2. 1
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La meˆme opinion, et tre`s proche d’ailleurs dans l’arrangement de la de´monstration, se trouve chez BC dans les Me´moires sur le retour, le dernier re`gne, et la chute de l’Empereur Napole´on (OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 415). BC reviendra a` ce passage de l’ouvrage de Hobhouse : Me´moires sur les Cent-Jours, OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 119.
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Wise and liberal councils were undoubtedly recommended ; and the unimpeachable virtue of Lafayette and D’Argenson was offered to mediate between the King and his people. It may be doubted, indeed, wether this reconciliation would have been an available defence ; but there is no question, that although a seeming acquiescence was given in the councils proposed, and although the King was made to appear eager to embrace a Constitutional system, yet no act of popular conciliation – no symptom of re pentance appeared. – Chateaubriand prayed – and Lally Tollendal wept – and Laine´ recanted1 ; but the insincerity and weakness of the Court counteracted the effect of their protestations, and paralyzed the efforts of their more able and patriotic supporters. With us, indeed, it is a matter of serious doubt, wether the priests and nobles, and, in general, those who surrounded the person of the Monarch, did not, upon calculation, prefer flight, and the chance of return with foreign arms, to such a reconciliation with the people as would have alone secured its cooperation in that terrible crises2. There are, however, among those who displayed the most noble energy in that moment, persons eminently qualified to satisfy the world upon those transactions ; and to them we look with confidence for a narrative, illustrating the caracter of the Nation, which demanded liberty, and of the Court, which hated it too much to purchase its own safety at such a price3. In the night of the 19th of March, the King leaves his capital ; and, on the following evening, Napoleon arrives. «Paris, on the entry of Napoleon, presented but a mournful spectacle. The crowd which went out to meet the Emperor, remained in the outskirts of the city ; the shops were shut – no one appeared at the windows – the Boulevards were lined with a multitude collected about the many mountebanks, tumblers, &c. which, for the two last days, had been placed there in greater numbers than usual by the Police, in order to divert the populace. There was 1
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Cette triade (Chateaubriand, Lally-Tollendal, Laine´) revient dans les e´crits de BC sur les Cent-Jours, (voir p. ex. OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 394), mais sans les de´tails qui les caracte´risent ici, a` savoir les prie`res, les pleurs et l’ambiguite´ des paroles. Cette explication est de´veloppe´e par BC dans les Me´moires sur le retour, le dernier re`gne, et la chute de l’Empereur Napole´on ; voir p. ex. le chap. 5 de la deuxie`me section de ce texte (OCBC, Œuvres, t. XIV, pp. 405–406) et le chap. 2 de la troisie`me section (ibid., pp. 410–414). Cet ouvrage a e´te´ re´dige´ probablement au moment de la publication du compte rendu de Hobhouse. «Des personnes, qui montraient a` ce moment-la` le plus noble engagement» : probablement une allusion a` l’action de BC dans les jours pre´ce´dant la fuite du roi de Paris, et, avec ce qui suit, l’annonce discre`te, mais pourtant pre´cise, d’un ouvrage historique de sa plume sur cette e´poque me´morable de l’histoire de France. On trouvera plus loin encore d’autres allusions qui sont pour nous, avec la note du J. I. du 17 fe´vrier 1816, l’argument le plus solide pour l’attribution de ce compte rendu a` Mackintosh.
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no noise, nor any acclamations ; a few low murmurs and whispers were alone heard, when the spectators of these open shows turned round to look at the string of six or eight carriages, which preceded the Imperial troops. The regiments then passed along, and cried out Vive l’Empereur ; – not a word from any one. They tried to more popular and ancient exclamation, Vive Bonaparte ; – all still silent. The patience of the dragoons was exhausted ; some brandished their swords, others drew their pistols, and rode into the alleys, amidst the people, exclaiming, ‘crie donc, Vive l’Empereur !’ but the crowd only gave way, and retreated, without uttering a word.» I. p. 179. True it is, that although the Bourbons fled from their palace, unpitied and unregretted, yet the return of the adventurer was marked by gloom, and he was saluted by fewer acclamations than had greeted hin in the smallest town. Yet it was difficult to say, that the royalist faction was the predominant one in Paris ; for never did a Sovereign receive less consolation than did Louis, when he invited the National Guard to defend his faithful city. But passion had since given way to reflection. The fugitive dynasty appeared by its weakness to offer more satisfactory chances to the lovers of freedom, than the return of a conqueror, strengthened by a popularity to which he had long been a stran ger, and who, by the unauthorized resumption of a title which he had forfeited, and by the violent tenor of his proclamations from Lyons, seemed to seek the recovery of his throne, in the same spirit which had formerly deprived him of it. Our limits prevent us from entering into any detail of the public acts of that short lived reign, or following our author in those numerous disquisitions with which he has, we think, somewhat overloaded the narrative of that interesting period. Suffice it to say, that his style, rather wordy and diffuse – his arrangement prejudicial to the story – and an eagerness of opinion, rather dangerous in the historian, are amply compensated by the able and honest spirit of his political views, and, above all, by his industrious and impartial relation of the measures and faults of the Imperial Government, during the hundred days of its duration. The usurpation of power – the return to despotic passions – the appeal to public feeling and national vanity on the part of the monarch – the menial vassalage and submission of a corrupt aristocracy – the crouching repentance of the ancienne noblesse on the one hand ; and on the other, the resistance of popular feeling – the manly spirit of the public bodies – the license of the press – the unanimous devotion of literary men to the cause of liberty – the republican spirit, the constitutional jealousy of the people, and the submission of the Crown – the desire of peace, even in the army – and the general will in the nation to be free, are alternately offered in the great pivture which no common industry or skill have here presented to our observation.
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We shall offer but one or two remarks upon the charakter of the Gorvernment and the Nation, during that unparalleled crises. Confidently as we maintain the privilege of discussing the character and conduct of all those who fill the eye of the world, and influence its destinies, we desire not at all to enter into competition with those of our contemporaries, who, in an loathsome recapitulation of private vices, endeavour to complete the portrait which they sketch in ignorance and passion ; nor can we admire their patriotc distrust of the national feeling, which they seem to think cannot be made sufficiently adverse to a defeated and degraded Monarch, without heaping on his head imputations of a nature only to be gathered in controverse with the basest of human beeings. For us it is sufficient that he was ambitious, and a hater of liberty ; and, by all that we can collect from his work, and from other sources of information, we doubt wether his disposition was in the smallest degree altered, in this respect, by his year of mortification. Like many others, corrupted by high station, he seems always to have been willing to extend the promise of freedom on the peril of the moment ; but never to have been satisfied of its actual advantage to the people, or of its beeing compatible with the existence of a powerful government. In all the conversations he held with the eminant persons then labouring to extort from him concessions to the people, he is said to have manifested a total insensibility on this point. And in the Council of State, held to discuss the subject of confiscation, he was so irritated at the attempt to deprive the Crown of this power, that he exclaimed, ‘Je vois bien ce que vous voulez, Messieurs ; mais cela ne sera pas. Il faut encore le bras, le vieux bras de l’Empereur ; – et vous le sentirez.’ Neither had his misfortunes destroyed that entire confidence in himself, nor that belief in the superior intelligence which guided him, and made it impossible for him to share his power. His insensibility to reproach can only be accounted for by this favourite belief, which, indeed, appears at all times to have relieved his conscience from the torment of self-accusation. It is reported, and, we believe, with perfect truth, that when the suicide of Berthier was related to him by one of his ministers, he replied, ‘See the power of conscience ! Berthier left France with his family, and all his fortune ; but he had betrayed me, and he could not survive ist, – while I have never for one night been deprived of sleep. !’ By far the most interesting and important part of this book, is the account given of the last of the three periods into which we divided it, in the commencement of this Article ; and it would, we presume, be difficult to obtain a more accurate, detailed, and imparial narration of the unparalled crisis which took place after the return of Bonaparte to Paris, than is given by this anonymous writer, who seems, indeed, to be eminently qualified, by
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his general accomplishments, he opportunities he enjoyed, and the time he has since had to correct his first impressions, to settle our belief as to the leading events of that memorable period. We have already stated, that there are many matters of opinion upon which we entirely disagree with him ; and although we give him credit for a most faithful relation of all the outward acts of the French authorities during this struggle, we must be allowed to differ with him in the confidence with which it would rather seem that certain characters had inspired him. We own, that several of those persons, to whom our author inclines to attribute virtues of a higher order, appear to us to have been feeble or treacherous ; nor can we join with him, in attributing great merit to Lanjuinais, the President of an Assembly, which is so well described in the following passage, that we cannot refuse to insert it. «Thus the king, amongst the other benefits which must make his name dear to Frenchmen, may join that of having brought to a close the labours of a representation as moderate, as enlightened, and as truly national, as it is possible to assemble in France ; a representation less tinctured, perhaps, than might be expected, with the faults incident to popular bodies, – and developing, each day, in circumstances of unparalleled difficulty and danger, qualities both of the head and heart, which will reflect honour on their labours, and, however unsuccessful, will not be wholly lost ; for they will serve as an incitement and example for those whose future efforts shall meet with more deserved and a better fate. The king himself, as well as his nation, must be considered infinitely their debtor, as the resolution of the secret committee, on the 22d of June, compelled Napoleon to abdicate, and saved his capital, if not his crown. It redounds, however, to their glory, that none of them made any merit of this action, as if performed in his favour, or from any other motive than that of saving their country from extremities. The royalists would not have had the requisite courage, which, in France, is to be found only amongst the friends of freedom. These partisans insult them with surviving their functions, and ridicule M. Manuel’s quotation from Mirabeau, with a spite which shows how happy they would have been to witness the extirpation of the patriots. Their spirit has been already sufficiently displayed. They did not die on their curule chairs, it is true ; but personal exposure is rendered respectable and useful by the time in which it is employed. The senators of Rome who were massacred by Brennus had a very different fate with postery from those who were whipped naked in the squares by the German Otho, yet the courage of both and their cause were the same. The representatives would not have been shot, but sent to jail1.» Vol. II. p. 168. 1
BC parle de cette page dans le Carnet de notes, OCBC, Œuvres, t. XIV, p. 502.
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We believe a more accurate investigation would have informed the writer of these Lettres, that great suspicion attaches to the character of Lanjuinais, for having adjourned the Assembly on the 7th of July, contrary to the remonstrances of many of its Members ; and by those who had formerly most confidence in his fidelity, it is generally believed that he was informed of the determination to obstruct their reassembling. But the chief point upon which we would warn our readers against the excessive charity of this acute writer, is the character of Fouche´, Duke of Otranto, the real Sovereign of France during that eventful time, and to whom he gives credit for many more virtues than, upon a fair examination of the facts, we can ever think him entitled to. His repeated reflexions on this subject, indeed, and the very prominant figure which the personage in question makes in this extraordinary crises, have induced us to attempt a short sketch of his life and character, taken from a pretty careful observation of his public acts during the manifold changes of the last quarter of a century. He plunged into the Revolution at an early age ; [...] and he is now wandering over the face of the earth, perhaps less respected than any one of those whom he had, but a few weeks before, delivered to the vengeance of the Court1. We have not room to comment upon, or to extract several passages which we had marked of characteristic description, of which the third letter affords an admirable specimen ; and which, even in that style, may be advantageously contrasted with certain quaint, glaring, and elaborate performances on the same subject, which have probably perused, and by this time nearly forgotten, by most od our readers. It is here, indeed, that an exuberant zeal in the cause of political justice, and somewhat of an excessive tendancy to argumentative discussion, have diversified the work with dissertations upon Congress, the Slave Trade, and the merits and demerits of individual politicians, to a digree that takes somewhat from the unity of the design, and deprives the work of that character of perfect impartiality which ought always to prevail in an Historical Memoir : But we venture nevertheless to affirm, that these Letters afford materials for the future hsitorian, considarably more valuable, both as to accuracy, copiousness, and connexion, than any other work of the same description which the unparalleled interest of the subject has yet brought before the public. Perhaps a less conscientious adherence to the form and substance of the communications actually made to his friends at the several dates, might have improved the volume now submitted to the world at large, by suppressing reasonings important no 1
Nous ne donnons ici que la premie`re et la dernie`re phrase du texte sur Fouche´ qu’on trouve en entier ci-dessus, pp. 221–226.
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Troisie`me annexe
doubt in themselves, but, as our author must well know, not very likely, however deserving of attention, to guide the conduct of nations, even if the same circumstances were to recur. On the other hand, the scrupulous and intrepid fidelity of the writer in narrating events which refute his own predictions, – his eagerness to speculate, and his willingness to retract, – his admiration converted to blame, – his uniform preference of principles to persons – afford pledges of undeviating truth which we have rarely witnessed, and abundantly compensate for those defects of arrangement, and that general looseness and diffuseness of style, which, in an author of such powers, can only be accounted for by the fact of having now published, with little alteration, a series of letters, actually written to his private friends, with the copiousness and carelessness which belongs to such compositions.
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Quatrie`me annexe Articles attribuables a` Benjamin Constant
Articles pour le Journal des Arts
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Introduction
Le 1er octobre 1815, Benjamin Constant note dans son journal intime avoir «fait un petit article pour le Journal des Arts». Cet article a sans doute paru ; il n’y a aucune raison de supposer un refus des e´diteurs, car Constant e´tait un des fondateurs de ce journal effe´me`re. Les quatre petites pages, ou` aucun des articles n’est signe´, comme c’est la re`gle dans ce journal, ne laissent d’ailleurs pas beaucoup de choix : aucun des petits articles relatant des faits divers ne peut eˆtre attribue´ a` Constant. Le compte rendu anonyme d’un ouvrage de R. F. Durdent intitule´ Cent-dix Jours du Re`gne de Louis XVIII, ou Tableau historique des e´ve´nemens politiques et militaires, depuis le 20 mars jusqu’au 8 juillet 18151 est trop long – plus d’une colonne – pour pouvoir l’appeler un «petit article», et en de´pit du sujet qui devait inte´resser Constant, il est trop me´diocre et trop mal e´crit pour qu’on pense a` le lui attribuer. Un autre compte rendu litte´raire, qui s’occupe du roman Ade´laı¨de de Me´ran de Pigault-Lebrun, ne saurait eˆtre pris en conside´ration non plus. Le sujet en est trop banal. Mais ce nume´ro contient deux petits articles dont l’un pourrait eˆtre celui que nous cherchons. Le premier est une re´flexion morale au sujet d’un petit ouvrage d’un auteur inconnu, J. Sanial Dubay2 qui a publie´ en 1813 un livre intitule´ Pense´es sur l’homme, le monde et les mœurs, compose´ de maximes. Cet ouvrage partage le sort de son auteur qui n’a jamais attire´ l’attention du public, de sorte qu’aucun des dictionnaires encyclope´diques ne parle ni de l’un ni de l’autre. Le livre a pourtant excite´ la curiosite´ de l’auteur de ce petit article que nous proposons d’attribuer e´ventuellement a` Benjamin Constant. Il y a deux arguments qu’on peut avancer : Les ouvrages auxquels on fait allusion au de´but de cet article se rencontrent dans les e´crits de Benjamin Constant3. Et l’on croirait reconnaıˆtre dans les premie`res phrases des tournures que Constant pourrait utiliser. De plus, les citations reproduites a` la fin ne contredisent en rien les ide´es de Constant sur les hommes, sceptiques, lorsqu’il les observe, ide´alistes lorsqu’il dresse des re`gles mo1 2
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Deuxie`me e´dition, revue et corrige´e, Paris : Alexis Eymery, 1817. J. Sanial Dubay (1754–1817), auteur des Pense´es sur l’homme, le monde et les mœurs, Paris : Le Normant, 1813. On connaıˆt de lui encore un autre ouvrage intitule´ Quelques pense´es sur les mœurs, par J. S. D., Paris : Marchands de nouveaute´s, 1808. Voir p. ex. son essai «Fragmens d’un essai sur la litte´rature dans ses rapports avec la liberte´», OCBC, Œuvres, t. III,1, p. 515.
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Quatrie`me annexe
rales. Une objection toutefois ne saurait eˆtre passe´e sous silence. L’article fait partie d’une se´rie d’entrefilets regroupe´s sous le titre «Mes Tablettes». Cette rubrique revient de temps a` autre dans le Journal des Arts. E´tait-elle confie´e a` la responsabilite´ d’un collaborateur non identifie´ ? Dans ce cas, Constant aurait duˆ obtenir de ce re´dacteur que son petit article soit inclus dans la rubrique. Le second article, e´galement dans la rubrique «Mes Tablettes», raconte une anecdote sur le Premier Consul. Elle est place´e dans le temps du Tribunat et tourne autour d’un auteur appre´cie´ par Constant, Antoine-Vincent Arnault, dont il posse´dait les œuvres. Les deux circonstances, a` savoir Bonaparte et le Tribunat et la re´plique spirituelle d’Arnault, pourraient eˆtre avance´es pour justifier l’attribution de cet entrefilet a` Constant. Il est donc possible, mais pas du tout suˆr, qu’un de ces articles soit de Benjamin Constant. Parce que le doute subsiste, nous les donnons ici dans l’annexe1.
E´tablissement des textes Imprime´s : 1. «Tel est le me´pris», Journal des Arts et de la politique, no 23, 2 octobre 1817, Rubrique «Mes Tablettes», pp. 2a-b. Courtney, Guide, non re´pertorie´. 2. «Bonaparte, entre autres de´fauts», Journal des Arts et de la politique, no 23, 2 octobre 1817, Rubrique «Mes Tablettes», pp. 2a. Courtney, Guide, non re´pertorie´. K. K.
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Voir Harpaz, Recueil d’articles, 1795–1817, p. 245, n. 1.
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Tel est le me´pris
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Tel est le me´pris et l’abandon ou` sont tombe´es les lettres que je pose en fait qu’Athalie, l’Art poe´tiqe ou la Henriade paraissant aujourd’hui pour la premie`re fois, ne trouveraient pas en France vingt lecteurs. Sans avoir a` signaler des injustices de cette espe`ce, je ne serais pas embarasse´ de citer plusieurs ouvrages publie´s, depuis trois ans, qui, dans tout autre temps, auraient procure´ quelque re´putation a` leurs auteurs. Cette re´flexion m’a e´te´ sugge´re´e par la lecture d’un petit volume qui m’est tombe´ par hasard sous la main ; il est intitule´ : Pense´es sur l’homme, par M. Sanial Dubay ; j’avoue bien since`rement que le nom de l’auteur ne m’e´tait pas moins inconnu que le titre de l’ouvrage, c’est un reproche que je me suis adresse´ apre`s avoir lu ce recueil, ou` j’ai trouve´ des pages en tie`res que nos meilleurs moralistes ne de´savoueraient pas : je citerai, pour l’acquit de ma conscience, quelquesunes des pense´es qui justifient cet e´loge : «La conscience est l’instinct de l’homme moral. Apre`s les de´fauts des autres, il n’est rien que nous connaissions mieux que leurs devoirs. La modestie est la pudeur du me´rite. Il semble que le vice soit l’histoire de l’homme, et que la vertu n’en soit que le roman. L’amour n’a qu’une saison ; la haine les a toutes. Le ge´nie cre´e ou regene`re les empires ; le caracte`re seul les soutient et les e´le`ve. Nos vœux sont pour le repos ; notre vie est pour l’agitation. Nous aimons mieux l’esprit chez nous, et le bon cœur chez les autres. Plus on se`me en de´sirs, moins on recueille en bonheur. Il n’y a rien a` faire pour eˆtre naturel, et beaucoup pour ne l’eˆtre pas. Tout a e´te´ de mode, dans le monde, excepte´ la vertu.»
E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal des Arts, no 23, 2 octobre 1817, pp. 2a-b.
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Quatrie`me annexe
Bonaparte, entre autres de´fauts
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Bonaparte, entre autres de´fauts, en avait un qui peut passer pour un vice chez un homme en qui re´side la puissance supreˆme : il e´tait prodigue envers les autres des ve´rite´s les plus dures, et ne permettait pas meˆme qu’on euˆt l’air de le trouver mauvais. Je ne connais qu’un homme (l’un de nos premiers litte´rateurs, et sans contredit l’un des plus spirituels de France) qui ait eu la hardiesse de lui re´pondre avec une noble fermete´. Bonaparte, alors premier consul, venait de former le tribunat ; un de ses fre`res, en lui pre´sentant M. Arnault, te´moignait son e´tonnement de ce qu’il ne l’avait point compris au nombre des gens de lettres appele´s a` sie´ger dans cette chambre. «Je le connais, interrompit le premier consul, il aurait parle´ contre moi ; il aurait voulu faire le petit Brutus. – Ge´ne´ral, vous n’eˆtes point Ce´sar, re´pondit M. Arnault».
E´tablissement du texte : Imprime´ : Journal des Arts, no 23, 2 octobre 1817, p. 2a.
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Cinquie`me annexe Textes attribue´s a` tort a` Benjamin Constant
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Article pour l’Inde´pendant Sur l’autorisation donne´e aux pre´fets d’ajouter vingt membres aux colle`ges e´lectoraux incomplets L’article paru le 1er aouˆt 1815 dans l’Inde´pendant a e´te´ attribue´ par E´phraı¨m Harpaz a` Benjamin Constant. Cette attribution est douteuse, bien qu’elle soit dans une certaine mesure de´fendable. On peut avancer, pour appuyer cette dernie`re hypothe`se, le contenu de l’article parce que «les e´lections d’aouˆt 1815 n’auguraient rien de bon pour les constitutionnels»1. On pourrait ajouter encore la connaissance pre´cise des dispositions juridiques et pratiques tre`s complique´es, voire e´quivoques du se´natus-consulte du 16 thermidor an X2 qui sont e´tale´es ou e´voque´es indirectement dans cet article pour indiquer les limites constitutionnelles de la mesure propose´e et pour de´noncer les abus possibles de l’ordonnance royale du 21 juillet 1815. Mais il n’est gue`re possible de renforcer ces arguments en renvoyant a` la note du journal intime du 1er aouˆt 1815 qui dit : «Fait un article pour l’Inde´pendant». Cette note concerne au contraire de toute e´vidence l’article paru le 4 aouˆt dans le meˆme journal. Sans l’appui du te´moignage du journal intime, les autres re´flexions en faveur d’une attribution de l’article a` Benjamin Constant ne sauraient convaincre. Nous pensons donc que l’article du 1er aouˆt, en de´pit de son inspiration constitutionnelle, aucunement contraire a` la doctrine politique de Constant n’est pas de lui. Le style d’ailleurs, plus ponde´re´, plus sec, moins hardi que ce que nous connaissons de sa plume pourrait eˆtre un faible argument supple´mentaire contre l’attribution propose´e. La question n’est pas facile a` trancher, mais nous croyons que l’absence de tout te´moignage mate´riel et positif en faveur de l’authencite´ de cet article nous oblige de l’e´carter de la liste des e´crits de Benjamin Constant3. K. K.
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Recueil d’articles, 1795–1817, p. 205, n. 1. On consultera sur cette question l’excellent article du Dictionnaire Napole´on. Le texte se trouve dans Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 204–205.
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Cinquie`me annexe
Article pour le Courrier Sur la Garde nationale
L’article sur la Garde nationale qui a paru le 9 septembre 1815 dans le Courrier a e´te´ attribue´ par E´phraı¨m Harpaz a` Benjamin Constant1. La raison mise en avant pour justifier cette attribution est tre`s faible : «Il est fort plausible que cet article [...] soit de la plume de Benjamin Constant2.» Effectivement, l’argumentation de l’article qui essaie de prouver que la Garde nationale de Paris «soit compose´e [...] d’excellents citoyens qui aiment la liberte´ fonde´e sur les lois3» s’accorde tout-a`-fait avec la doctrine politique de Constant qui d’ailleurs regardait d’un œil sceptique la re´organisation des forces arme´es de la France. Mais ceci n’est pas une raison suffisante pour risquer une attribution sans l’appui d’aucun autre e´le´ment exte´rieur et positif. Nous e´cartons donc cet article de la liste des textes de Constant. K. K.
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Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 216–218. Ibid., p. 218, n. 1. Ibid., p. 218.
Textes attribue´s a` tort a` Benjamin Constant
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Article pour le Courrier Des discours e´crits dans les assemble´es
L’obligation d’improviser dans les assemble´es le´gislatives est une ide´e che`re a` Constant. Il en parle dans ses Re´flexions sur les constitutions, il y revient dans ses Principes de politique en 1815, il veille a` ce que cette obligation soit prescrite dans l’Acte additionnel, et enfin, il comptait publier un article sur ce sujet le 14 juin 1815, vers le moment ou` les arme´es se pre´paraient pour la campagne de Belgique1. Cette question est a` nouveau a` l’ordre du jour dans la nouvelle Chambre des de´pute´s, comme il ressort des comptes rendus des se´ances, ou` Maine de Biran avait propose´ de pre´voir un re`glement qui s’inspirait des ide´es de Benjamin Constant2. L’article publie´ le 19 octobre 1815 dans le Courrier reproduit effectivement les ide´es de Constant, comme le souligne E´phraı¨m Harpaz dans son e´dition3. Les rapprochements sont possibles, en particulier la distinction entre des propositions de loi ou des rapports d’un ministre sur une loi a` adopter et la de´libe´ration a` proprement parler au sein de l’assemble´e souligne une diffe´rence importante qu’il a toujours mise en avant ; mais le style un peu trop ponde´re´, voire maladroit, peut nous faire he´siter d’y reconnaıˆtre sa plume. Nous proposons, en de´pit des e´chos de la doctrine de Constant re´pe´rables dans cet article, de ne pas l’inte´grer dans la liste des œuvres de Constant4. Il est pourtant e´vident que cet article est un te´moignage e´loquent de la pre´sence de sa pense´e dans les de´bats politiques de la Restauration. K. K. 1
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Voir les Re´flexions sur les constitutions, premie`re e´dition, chap. IV,4 OCBC, Œuvres, t. VIII, 2 pp. 1002–1003 ; deuxie`me e´dition, chap. IV, ibid., pp. 1117–1119 et la note Hbis, pp. 1195– 1197 ; l’Acte additionnel, art. 26, OCBC, Œuvres, t. IX, 2, p. 615 ; les Principes de politiques, e´d. de 1815, chap. VII, t. IX, 2, pp. 745–749 et la notice relative a` l’article perdu sur les discours e´crits, t. IX, 2, pp. 895–896. Voir le discours du 12 fe´vrier 1818 de Maine de Biran. L’orateur y aborde, dans la seconde partie de son intervention, la question des trois de´bats a` la Chambre et en particulier de l’ordre des discussions, dont il pre´voit l’ame´lioration «a` mesure que l’habitude de l’improvisation se formera, que les discours e´crits seront plus rares et qu’on suivra plus le mouvement des affaires que celui des sentiments ou des passions» (Archives parlementaires, deuxie`me se´rie, t. XX, p. 720. Recueil d’articles, 1795–1817, p. 253, n. 1. Pour le texte voir Recueil d’articles, 1795–1817, pp. 252–253.
Sixie`me annexe Pole´mique contre Benjamin Constant
Trois pamphlets contre Benjamin Constant
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Introduction
Il a paru inte´ressant de reproduire certains pamphlets dirige´s contre B. Constant lors des e´lections de 1817, lorsqu’il leur a spe´cifiquement re´pondu dans ses propres e´crits. Tel est le cas des textes qui suivent. On trouvera la pre´sentation et le commentaire de ces brochures dans l’introduction a` la Note sur les droits de cite´ appartenant a` la famille de Constant-Rebecque1.
E´tablissement des textes Imprime´s : 1. M. Benjamin Constant, de Rebecque, Suisse d’origine, est-il ami de la Charte ? Est-il Inde´pendant ?, Paris : de l’Imprimerie F. Buisson, s.d. [1817], 8 pp. Courtney, Bibliography, p. 221. Exemplaire utilise´ : BCU, Lausanne. Nous de´signons cette brochure par le sigle A1. 2. M. Benjamin Constant est-il Franc¸ais ? est-il E´ligible ?, s.l.n.d. [Paris] : Imprimerie de P. Gueffier, [1817], 2 pp. Courtney, Bibliography, p. 221. Exemplaire utilise´ : BnF, Paris. Nous de´signons cette brochure par le sigle A2. 3. Note sur la note de M. Benjamin Constant de Rebecque, s.l.n.d. [Paris ?, 1817], 4 pp. Courtney, Bibliography, p. 221. Exemplaire utilise´ : BnF, Paris. Nous de´signons cette brochure par le sigle A3. C.R.
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Voir ci-dessus, le chap. V de l’introduction, pp. 889–891.
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M. Benjamin de Constant, de Rebecque, Suisse d’origine, est-il ami de la Charte ? Est-il Inde´pendant ?
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C’est comme ami de la Charte et comme inde´pendant que M. Benjamin de Constant se pre´sente pour Candidat a` la Chambre des De´pute´s ; c’est a` sa conduite et a` ses e´crits de prouver s’il est ve´ritablement ami de la Charte et Inde´pendant. En l’an VII, M. Benjamin de Constant dans une brochure intitule´e : Des suites de la contre-Re´volution de 1660 en Angleterre a, s’exprimait ainsi : «Je conc¸ois l’horreur d’une aˆme libre contre les hommes qui de´honorent les institutions re´publicaines ; mais mon indignation n’est pas moins vive contre les INSTITUTIONS ROYALES que la tyrannie seule peut maintenir1. Des hommes de tous les partis semblent annoncer, par leurs e´crits et par leurs discours, qu’une transaction serait de´sirable, que des conditions seraient possibles. Je veux prouver que des condidtions entre la Re´publique et la Royaute´, ne sont jamais que des stipulations mensonge`res, pour de´sarmer ceux qu’on veut punir ; que LES TRANSACTIONS AVEC LES ROIS SONT TOUJOURS SANS GARANTIE ; que la meˆme impulsion qui porte a` relever la puissance monarchique porte ine´vitablement a` renverser toutes les barrie`rres dont on veut entourer cette puissance, et que la nation qui ne sait pas vivre sans un maıˆtre, sait encore moins le contenir. Quelque soit le succe`s de mes efforts, un sentiment qui m’est doux ne pourra m’eˆtre enleve´ ; j’aurai pris envers la Re´publique un engagement de plus. Je ne crois pas au danger qui semble nous menacer, et qu’on exage`re avec complaisance. Mais s’il existait, ce danger, l’ambition d’un Re´publi cain serait de re´clamer sa part de la proscription qui se pre´pare et de profiter du tems qui lui reste, pour marquer encore mieux sa place parmi les amis de la liberte´2. Pre´venir la contre-re´volution, maintenir la Re´publique est donc l’inte´reˆt commun de toutes les classes de Franc¸ais. D’ou` vient ne´anmoins cette ina
Paris, de l’Imprimerie de F. Buisson, rue Hautefeuille, n. 203. E´tablissement du texte : Imprime´ : M. Benjamin Constant, de Rebecque, Suisse d’origine, est-il ami de la Charte ? Est-il Inde´pendant ?, Paris : de l’Imprimerie F. Buisson, s.d. [1817], [=A1]
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OCBC, Œuvres, t. I, p. 645 ; la citation est le´ge`rement modifie´e. Ibid. p. 647. OCBC, Œuvres, t. I, pp. 643–691.
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diffe´rence universelle, ce sommeil profond, dans lequel le peuple paraıˆt plonge´, au milieu des dangers qui l’environnent1 ?» Serait-il donc ami de la Charte, celui qui professait hautement que les TRANSACTIONS AVEC LES ROIS E´ TAIENT TOUJOURS SANS GARANTIE ? Quelle garantie un e´tranger offre-t-il lui-meˆme a` la nation franc¸aise, et depuis quand ces libe´raux si fiers, qui refusaient a` la Royaute´ le droit de prendre a` sa solde, pour la garde du Troˆne, des soldats Suisses, ont-il[s] conc¸u l’ide´e de confier a` un Suisse le mandat de Repre´sentant des Franc¸ais ? Constant de Rebecque (Benjamin), est ne´ a` Gene`ve en 1767, de parens protestans, et vint en France dans les premie`res anne´es de la re´volution. Ce fut lui qui ouvrit les se´ances du Club de Salm, (en 1798), par un discours2 dont nous citerons quelques fragmens et dont les divisions roulaient sur les dangers de l’arbitraire, la haine que lui Benjamin Constant, portait au royalisme et sur la ne´cessite´ des Elections re´publicaines. Apre`s avoir parle´ avec enthousiasme du Directoire, il ajoutait : «La re´volution a e´te´ faite contre deux fle´aux dont se compose la monarchie, l’arbitraire et l’he´re´dite´ ; elle a voulu de´truire l’he´re´dite´, parce que l’he´re´dite´ est une insulte aux droits de la nature, de la force et de la raison, les seules puissances qui doivent commander ; elle est un dernier anneau de cette chaıˆne immense qu’a traıˆne´e pendant des sie`cles le genre humain de´grade´... Cette he´re´dite´ n’est-donc plus a` craindre. Au moment ou` se prononce le mot magique d’e´galite´, tout ce qui lui est oppose´ s’e´croule ; et depuis l’exemple de la France, nous voyons autour d’elle disparaıˆtre toutes les absurdes distinctions de la naissance...3 Nous nous rallierons au gouvernement pour terrasser les royalistes, parce que ce n’est qu’apre`s leur de´faite, lorsque la liberte´ est e´galement dans tous les cœurs, lorsque le salut de la re´publique est la premie`re pense´e de tous, que les bornes de l’autorite´ peuvent eˆtre rigoureusement trace´es, et les droits des citoyens proclame´s sans re´serve et de´fendus victorieusement4.» M. Benjamin de Constant dans une brochure qu’il publia en l’an V et qui a pour titre : Des Re´actions Politiques5, parle en ces termes de l’he´re´dite´ de la royaute´. «On plaide pour l’he´re´d´ite´, pour cette institution qui provoque tour a` tour la violence de´vastatrice des passions soudaines, et le calcul victorieux des lumie`res progressives, et qui est tellement contre nature, que les hommes grossiers tendent par le crime, au but ou` les hommes e´claire´s arrivent par la raison6.» 1 2 3 4 5 6
Ibid. p. 675. Discours du 9 Ventoˆse an VI (27 fe´vrier 1798), OCBC, Œuvres, t. I, pp. 581–601. Ibid. p. 594. Ibid. p. 595. OCBC, Œuvres, t. I, pp. 419–506. Ibid. pp. 470–471.
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Plus loin, en parlant d’une re´publique naissante et de la diversite´ des opinions, il donne a` craindre que la royaute´, digne comple´ment de toutes les erreurs, ne vienne couronner l’e´difice des pre´juge´s royaux qu’on re´ve`re avec tant de soin1. «Des e´crivains, qui, pendant trop long-tems ont abuse´ de leur talent d’amertume et de la force de leur logique pour diriger contre les Re´publicains une haine qui devait retomber sur la Re´publique meˆme, verront que leur cause est inse´parable de celle de tous les amis de liberte´. Ils grossiront la phalange re´publicaine, qui combat pour la pre´servation de tout ce qu’il y a de sain dans le droit et d’e´tendu dans les lumie`res2.» M. Benjamin de Constant en parlant des ressources qui restent aux amis de la liberte´, dit : «Dans ce de´pe´rissement de l’opinion, dans cette dissolution apparente de tout esprit national, quel espoir peuvent conserver encore les amis de la liberte´ et des lumie`res ? quel[s] moyens ont-ils ? quels plans doivent-ils suivre ? Leur cause n’est point perdue. Ils ne la trahiront point. Ils ne composeront avec aucun genre de re´action. Ils n’accepteront ni le despotisme, ni une ROYAUTE´ MITIGE´ E3. La royaute´ qui les immolerait, devenant bientoˆt toute puissante, demanderait de nouvelles victimes4.» En parlant aux apoˆtres de la Re´publique, il leur dit : Votre sort a` tous est de´cide´. A vous, «qui fuˆtes coupables, la vie sous la Re´publique, elle vous l’a promise ; sous la Royaute´, la mort. A vous qui ne fuˆtes qu’ambitieux, le pardon sous la Re´publique, elle vous le doit ; vous avez, malgre´ vos erreurs, servi la liberte´ ; sous la royaute´, la mort. A vous, dont la conduite toujours toujours pure, n’irrite que la tyrannie, sous la Re´publique, gloire et reconnaissance toujours croissante ; sous la Royaute´, la mort5.» Voila` l’ami de la Charte ! Examinons l’Inde´pendant : Le 19 mars 1815, la veille de l’entre´e de Bonaparte a` Paris, M. Benjamin de Constant e´crivait «JE N’IRAI POINT, VIL TRANSFUGE, ME TRAINER D’UN ` L’AUTRE6». POUVOIR A Huit jours apre`s7, il fut nomme´ CONSEILLER D’ETAT par Bonaparte. ................... 1 2 3 4 5 6
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Ibid. p. 473. Ibid. p. 474. Ibid. p. 479. Ibid. p. 479. Ibid. p. 482–483. La phrase exacte est : «J’ai vu le Roi se rallier a` la nation : je n’irai pas, mise´rable transfuge, me traıˆner d’un pouvoir a` l’autre, couvrir l’infamie par le sophisme, et balbutier des mots profane´s pour racheter une vie honteuse» (OCBC, Œuvres, t. IX, 1, p. 538). En fait un mois plus tard, le 21 avril 1815.
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Sixie`me annexe
Le sixie`me volume du Censeur, publie´ pendant les cent jours, s’exprimait ainsi sur cette apostasie politique : «M. Benjamin Constant vient de publier une brochure1 qui sera probablement aussi recherche´e que tous ses autres ouvrages. On serait curieux de savoir s’il est possible de devenir l’ennemi de la liberte´ de son pays sans cesser d’eˆtre irre´prochable : il paraıˆt que quelques personnes respectables ont pense´ que cela n’e´tait pas possible, car M. Benjamin Constant apre`s avoir observe´ que ne pas fuir, ce n’est pas eˆtre transfuge, ajoute : Sans doute, en se rendant ce solennel te´moignage, on e´prouve encore des sentimens amers. L’on apprend, non sans e´tonnement et sans une peine que ne peut adoucir la nouveaute´ de la de´couverte, a` quel point l’estime est un lourd fardeau pour les cœurs, et combien quand on croit qu’un homme a cesse´ de l’eˆtre on est heureux de le condamner. L’avenir re´pondra : Car la liberte´ sortira de cet avenir, quelqu’orageux qu’il paraisse encore, etc.2» La brochure de M. Benjamin Constant est intitule´e : Principes de politique applicables a` tous les gouvernemens repre´sentatifs et particulie`rement a` la constitution actuelle. Il est inte´ressant de remarquer avec quelle juste se´ve´rite´ les libe´raux jugeaient alors la de´marche de M. Benjamin Constant qu’ils s’efforcent d’excuser aujourd’hui : C’est a` eux que nous appelons d’eux-meˆmes. Voila` ce que fut M. Benjamin Constant : jugez ce qu’il sera s’il devient De´pute´ : il y a encore des places de Conseiller d’Etat disponibles. FIN.
1 2
Il s’agit des Principes de politique, publie´s en mai 1815, OCBC, Œuvres, t. IX, pp. 668–858. Ibid. p. 858. Le mot transfuge est e´videmment l’e´cho de l’article du Journal des De´bats du 19 mars 1815.
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Pole´mique contre Benjamin Constant
M. Benjamin Constant est-il Franc¸ais ? est-il E´ligible ?
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M. Benjamin Constant de Rebecq se meˆle des longtemps de nos affaires publiques ; le 18 fructidor, le 20 mars, ou plutoˆt le 19 et le 25, le 19 ou` il disait : On ne me verra point, transfuge volontaire, passer d’un pouvoir a` l’autre1 ; le 25 il accepta, transfuge volontaire, la place de Conseiller d’Etat de cet autre pouvoir, en sont d’illustres te´moignages ; mais s’en meˆlait-il du droit qu’a tout citoyen de discuter les droits de son pays ? s’en meˆlait-il, je ne dirai pas en bon Franc¸ais, je laisse la re´ponse a` faire, mais comme Franc¸ais ? Est-il Franc¸ais enfin ? M. Benjamin Constant est ne´ en Suisse, est-il naturalise´ en France ? Non. Il est ne´ de parens franc¸ais. L’a-t-il prouve´ ? Je ne l’ai vu nulle part, et j’attends cette preuve ? A-t-il fait, dans le cas meˆme de l’affirmative a` cette dernie`re question, les de´clarations voulues par la loi ? Je ne le crois pas, j’attends, pour le croire, qu’il en ait justifie´ ; ce qu’il aurait fait s’il l’avait pu. Je crois donc que M. Benjamin Constant n’est pas Franc¸ais de droit et de fait, car il est bien entendu que je ne parle pas des sentimens. M. Benjamin Constant est-il e´ligible ? Il annonce payer 1071 francs d’impoˆts ; l’a-t-il prouve´ ? J’ai e´te´ curieux de m’en assurer. – Je trouve dans son compte un certificat de 477 francs 15 centimes d’imposition, au nom du sieur Sane´2. Ce nom n’est pas celui de notre candidat Suisse. – Le 30 aouˆt 1817, M. Benjamin Constant est reste´ adjudicataire, aux crie´es du Tribunal civil, de la maison du sieur Sane´, pour laquelle celui-ci payait cette somme. – S’il est adjudicataire, est-il proprie´taire ? A-t-il purge´ les hypothe`ques ? A-t-il transcrit son contrat et les hypothe`ques le´gales ? N’y a-t-il pas eu de surenche`re, de folle enche`re ? A-t-il paye´ son prix ? S’il n’a pas fait tout cela, il n’est pas proprie´taire ; s’il l’avait fait, il l’aurait dit, il l’aurait prouve´. E´tablissement du texte : Imprime´ : M. Benjamin Constant est-il Franc¸ais ? est-il E´ligible ?, s.l.n.d. [Paris] : Imprimerie de P. Gueffier, [1817], [=A2] 1 2
Citation tronque´e de l’article du Journal des De´bats du 19 mars 1815 ; voir ci-dessus, p. 889, la note 3. La citation exacte figure ci-dessus, p. 889. Voir sur la question du cens e´lectoral le chap. V de l’introduction de la Note sur les droits de cite´ de la famille de Constant-Rebecque, ci-dessus, p. 890. Le chiffre de 1071 francs d’impoˆts figurait dans la liste officielle des e´ligibles du de´partement de la Seine, voir ci-dessus, p. 886, n. 1.
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Sixie`me annexe
Il ne l’a pas prouve´ ; je ne sache meˆme pas qu’il l’ait dit. Qu’en faut-il conclure ? Que M. Benjamin Constant n’est ni Franc¸ais ni E´ligible. Avis aux E´lecteurs de la Seine.
Pole´mique contre Benjamin Constant
Note sur la note de M. Benjamin Constant de Rebecque.
[1]
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M. Benjamin Constant est ne´ en Suisse, cela est prouve´. Il dit que sa famille avoit e´te´ force´e de quitter la France pour cause de religion. Il le dit, mais ne le prouve pas. Puis, qu’entend-il par sa famille ? Pourquoi ne nous dit-il pas que tel de ses aı¨eux, en telle anne´e, a duˆ quitter la France ; car il ne suffit pas qu’un de ses grands-oncles ou de ses grands-cousins aient e´te´ dans ce cas faˆcheux. Il faudroit ensuite prouver de quelle religion ses aı¨eux, grands-oncles ou grands-cousins e´toient, et de quelle religion il est lui-meˆme ; mais je pourrai, en insistant sur ce dernier point, eˆtre soupc¸onne´ de malice : aussi-bien cette question importe peu a` Messieurs les Inde´pendans, dont la religion n’est pas toujours bien de´termine´e, ou plutoˆt dont les circonstances de´terminent l’inde´pendance comme la religion politique. Passons ce point. M. Benjamin Constant prouve-t-il que le loi du 22 de´cembre 17901 lui est applicable ? Les siens ou lui n’ont jamais accepte´ de fonctions e´trange`res ? N’a-t-il pas e´te´ conseiller de Bernadotte, alors qu’il e´crivoit pour cet antagoniste de Buonaparte, et contre Buonaparte, par conse´quent avant le temps ou` lui Constant est devenu conseiller de Buonaparte, et a e´crit pour Buonaparte ? n’a-t-il pas porte´ a` son cou je ne sais quel ordre e´tranger, Sue´dois je crois ? Avoit-il pour tout cela l’autorisation sans laquelle il auroit perdu par ce seul fait la qualite´ de citoyen franc¸ais (articles 17 et 21 du Code civil) ? J’ai entendu dire qu’il avoit servi en qualite´ de major dans un re´giment de Brunswick. Si cela n’est pas, M. Benjamin Constant nous le dira ; mais j’ai dans l’ide´e qu’il ne nous le dira pas. M. Benjamin de Constant nous assure que c’est comme Franc¸ais, comme e´tant du de´partement de Seine-et-Oise qu’il a rec¸u la mission de repre´senter le Peuple franc¸ais au tribunat. Pour un libe´ral et un inde´pendant, voila` un singulier titre que celui de cette mission. Croit-il que le Peuple franc¸ais se vit bien repre´sente´ par des tribuns nomme´s par les sieurs Sieyes, Roger-Ducos ...2 ? A cette e´poque M. Benjamin Constant e´toit du E´tablissement du texte : Imprime´ : Note sur la note de M. Benjamin Constant de Rebecque, s.l.n.d. [Paris ?, 1817], [=A3] 1 2
Sur cette loi, voir le chap. I de l’Introduction de la Note sur les droits de cite´, ci-dessus, pp. 883–885. Sieye`s et Roger-Ducos (1754–1816) sont e´videmment cite´s comme membres du Consulat, les points de suspension appelant le nom de Bonaparte.
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Sixie`me annexe
de´partement de Seine-et-Oise ; qu’il s’adresse donc a` MM. les Electeurs du de´partement de Seine-et-Oise, il en obtiendra peut-eˆtre plus de voix qu’a` Metz ou` il a eu jusqu’a` vingt-neuf en 1815, a` Paris ou` il en eut neuf1. Mais, chose e´trange, pre´tention plus e´trange encore ! le conseiller d’Etat des cent-jours, qui n’a pu, sous les yeux de son maıˆtre Corse, obtenir trente suffrages, seroit nomme´ de´pute´ a` Paris, sous les yeux du Roi, par des amis de cette Charte qu’il a parodie´e, de cette he´re´dite´ de qui il a dit qu’elle e´toit un des fle´aux dont se compose la monarchie, qu’il a appele´e une insulte aux droits de la nature et de la force a, de cette France ou` il n’est pas ne´, et qui attend des Electeurs de Paris, si ce n’est des De´pute´s Parisiens, au moins des De´pute´s FRANC¸ AIS. Nota. M. Benjamin Constant n’ayant eu rien a` re´pondre a` ce que nous avons dit pour prouver qu’il n’e´toit pas e´ligible, comme ne payant pas 1.000 fr. d’impoˆts, nous n’avons rien a` lui re´pliquer sur ce point. FIN
a
Discours de M Benjamin Constant au club de Salm, en 17982.
1
On ne connaıˆt pas de candidature de Constant a` Metz lors des e´lections a` la Chambre des repre´sentants pendant les Cent Jours. On sait en revanche que Constant, candidat a` Paris, n’a pas e´te´ e´lu. Selon Roulin et Roth, il n’aurait obtenu qu’une dizaine de voix (OCBC, Œuvres, t. VII, p. 225, n. 3). L’auteur reprend ici deux fragments du discours au club de Salm du 9 ventoˆse an VI de´ja` cite´s dans le pamphlet A1, voir ci-dessus, p. 1196.
2
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Instruments bibliographiques
Abre´viations
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Bibliographie
Sous les noms des auteurs, cite´s dans l’ordre alphabe´tique, les publications, volumes d’abord, articles de revues et contributions a` des collectifs ensuite, sont classe´es dans l’ordre chronologique de leur parution ; les diffe´rentes e´ditions d’un meˆme texte sont regroupe´es sous la premie`re d’entre elles.
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Ouvrages cite´s par Constant
La liste suivante contient un grand nombre de discours prononce´s devant la Chambre des De´pute´s et cite´s par Constant d’apre`s les comptes rendus des de´bats de la Chambre publie´s dans le Moniteur, ou` ces discours n’ont pas de titre. Pour pouvoir les re´pertorier ici et pour en assurer l’identification, nous avons adopte´ la disposition suivante : Nom de l’auteur (ou le trait qui en tient lieu), *«Chambre des De´pute´s (des Pairs). Se´ance du [la date], Opinion sur [le sujet]», Moniteur, [nume´ro, la date les pages].
ABRIAL, Andre´-Joseph, comte, «Chambre des Pairs. Se´ance du 25 fe´vrier 1817. Rapport au nom de la commission d’examen du projet relatif a` la forme de proce´der a` l’e´gard des e´crits saisis en vertu de la loi du 21 octobre 1814», Moniteur no 71, 12 mars 1817, pp. 292a–293b. L’Ambigu, anne´e 1815. AMBRUGEAC, Louis-Alexandre-Marie Valon de Boucheron, comte d’, «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 15 fe´vrier 1817. Opinion sur la centralisation des pensions militaires», Moniteur no 48, 17 fe´vrier 1817, p. 204c. ANGOULEˆ ME, Louis-Antoine de Bourbon, duc d’, «Discours d’ouverture du colle`ge e´lectoral du de´partement de la Gironde», Moniteur no 241, 29 aouˆt 1815, p. 958b-c (Journal des De´bats, 28 aouˆt 1815, p. 2b). Annales philosophiques, politiques et litte´raires, anne´e 1817. Annales politiques, morales et litte´raires, anne´e 1817. ANONYME, «Sur la brochure de M. Casimir Pe´rier», Moniteur no 28, 28 janvier 1817, p. 105a-b. ARGENSON, Marc-Rene´-Marie Voyer de Paulmy, comte d’, «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 23 octobre 1815. Opinion sur le projet de loi restrictif de la liberte´ individuelle», Moniteur no 297, 24 octobre 1815, p. 1170b-c. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 24 de´cembre 1816. Opinion sur le projet de loi tendant a` autoriser les e´tablissemens eccle´siastiques a` recevoir des donations et a` faire des acquisitions», Moniteur no 360, 25 de´cembre 1816, pp. 1440b–1441a. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 15 janvier 1817. Opinion sur le projet de loi restrictif de la liberte´ individuelle», Moniteur no 17, 17 janvier 1817, pp. 69c–70a.
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Ouvrages cite´s par Constant
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– *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 3 mars 1817. Opinion sur l’affectation de tous les bois de l’Etat a` la dotation de la caisse d’amortissement», Moniteur no 66, 7 mars 1817, p. 272a-c. BENTHAM, Je´re´mie, Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, publie´s en Franc¸ois par E´t. Dumont, de Gene`ve, d’apre`s les Manuscrits confie´s par l’Auteur, t. II, Principes du code pe´nal, Paris : Bossange, an X (1802). – Traite´s de le´gislation civile et pe´nale, pre´ce´de´s de principes ge´ne´raux de le´gislation ez d’une vue d’un corps complet de droit, termine´s par un essai sur l’influence des tems et des lieux relativement aux lois, publie´s en franc¸ois par Et[ienne] Dumont, de Gene`ve, d’apre`s les manuscrits confie´s a` l’auteur, Paris : Bossange, Masson et Besson, an X [1802], 3 vol. BERRY, Charles-Ferdinand de Bourbon, duc de, «Discours d’ouverture du colle`ge e´lectoral du Nord», Moniteur no 239, 27 aouˆt 1815, p. 950b (Journal des De´bats, meˆme jour, p. 2a). – «Discours a` la cloˆture du colle`ge e´lectoral du Nord», Moniteur no 243, 31 aouˆt 1815, p. 965c (Journal des De´bats, 30 aouˆt 1815, p. 2b). BEUGNOT, Jacques-Claude, comte, «Chambre des De´pute´s. Rapport sur la loi de finances au nom de la commission nomme´e pour l’examen du budget de 1817», Moniteur no 25, 25 janvier 1817, 2e suppl., pp. 5c–3e suppl., p. 16c. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 5 mars 1817. Re´plique de M. Beugnot, rapporteur de la commission des finances, aux objections propose´s contre le titre IX du projet de loi», Moniteur no 66, 7 mars 1817, suppl., pp. 2c–4c. BEURNONVILLE, Pierre Riel, marquis de, «Discours a` l’ouverture du colle`ge e´lectoral du de´partement de la Moselle», Moniteur no 245, 2 septembre 1815, p. 974a-b (Journal des De´bats, 31 aouˆt 1815, p. 2a-b, extraits). BIGNON, Louis-Pierre-E´douard, baron, «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 15 de´cembre 1817. Opinion sur le projet de loi relatif a` la presse», Moniteur no 351, 17 de´cembre 1817, pp. 1395b–1397a. BLACKSTONE, William, Commentaires sur les lois angloises de M. Blackstone, traduits de l’anglois par M. D. G. (Damiens de Gomecourt), sur la quatrie`me e´dition d’Oxford, Bruxelles : J.-L. de Boubers, 1774–1776, 6 vol. – Commentaries on the Laws of England, by William Blackstone, Knt., one of the Justices of his Majesty’s Court of Common Pleas. A new Edition with the last Corrections of the Author ; also containing Analyses and Epitome of the whole Work with Notes by John Frederick Archbold, Esq., London : William Reed, 1811, 4 vol.
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Instruments bibliographiques
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Ouvrages cite´s par Constant
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– *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 25 janvier 1817. Opinion sur le projet de loi relatif aux journaux», Moniteur no 27, 27 janvier 1817, pp. 102b– 103b. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 3 mars 1817. Opinion sur le projet d’emprunt de trente millions de rente», Moniteur no 64, 5 mars 1817, pp. 264b–265a. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 16 de´cembre 1817. Opinion sur le projet de loi re´pressif des abus de la presse», Moniteur no 352, 18 de´cembre 1817, p. 1402a-c. LA CURNE DE SAINTE-PALAYE, Jean-Baptiste de, Me´moires sur l’ancienne chevalerie, Paris : Duchesne, 1759, 21781. LAFFITTE, Jacques, chevalier, «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 10 fe´vrier 1817. Opinion sur le projet de loi sur les finances», Moniteur no 44, 11 fe´vrier, 1817, pp. 177a–178c. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 3 mars 1817. Opinion sur le projet d’emprunt de 30 millions de rente», Moniteur no 64, 5 mars 1817, p. 265b-c. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 17 de´cembre 1817. Opinion sur le projet de loi relatif aux abus de la presse», Moniteur no 353, 19 de´cembre 1817, pp. 1408a–1409c. LAINE´ , Joseph-Louis-Joachim, vicomte, «Discours a` la cloˆture du colle`ge e´lectoral du de´partement de la Gironde», Moniteur no 245, 2 septembre 1815, p. 972b-c (Journal des De´bats, 1er septembre 1815, pp. 1a–2a). – *«Chambre des Pairs. Expose´ des motifs du projet de loi tendant a` autoriser les e´tablissemens eccle´siastiques a` recevoir par donation ou a` acque´rir des immeubles et des rentes», Moniteur no 324, 19 novembre 1816, pp. 1295c–1296a. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 28 novembre 1816. Expose´ des motifs du projet de loi sur l’organisation des colle`ges e´lectoraux», Moniteur no 335, 30 novembre 1816, pp. 1339a–1340b. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 28 fe´vrier 1817. Opinion sur la continuation des secours a` accorder aux re´fugie´s», Moniteur no 61, 2 mars 1817, p. 252a-b. LALLY-TOLENDAL, Trophime-Ge´rard, marquis de, «Chambre des Pairs. Se´ance du 26 novembre 1816. Rapport au nom du comite´ des pe´titions, Moniteur no 332, 27 novembre 1816, p. 1328a. – Chambre des Pairs. Se´ance du 30 novembre 1816. Opinion sur la pe´tition de la Dlle Robert, Moniteur no 339, 4 de´cembre 1816, p. 1356b. LE´ VIS, Pierre-Marc-Gaston, duc de, L’Angleterre au commencement du dixneuvie`me sie`cle, Paris : Antoine-Augustin Renouard, 1814.
Ouvrages cite´s par Constant
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Ouvrages cite´s par Constant
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[MORGAN, Lady Sydney], Fragmens patriotiques sur l’Irlande, par Miss Owenson [Lady Sydney Morgan], traduit de l’anglais par Mme A. E. [A. d’Esme´nard], Paris : L’Huillier, 1817. MUYART DE VOUGLANS, Pierre-Franc¸ois, Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel, Paris : Merigot, Crapart, Morin, 1780. NECKER, Jacques, Sur le Compte rendu au Roi en 1781 en 1781. Nouveaux e´claircissements, Paris : Hoˆtel de Thou, 1788. – Manuscrits de Mr Necker, publie´s par sa fille, Gene`ve : J.-J. Paschoud, an XIII. – De l’administration des finances de la France (1784), dans : Œuvres comple`tes de M. Necker, t. IV, Paris : Treuttel et Würtz, 1820–1821. The New Times, 1817. L’Observateur Belge, tome IX (1817). OWENSON voir Morgan, Lady Sydney. PACCARD, Antoine-Marie, «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 17 de´cembre 1817. Opinion sur le projet de loi relatif aux abus de la presse», Moniteur no 353, 19 de´cembre 1817, p. 1407a-b. PAGE` S, Jean-Pierre, Principes ge´ne´raux du droit politique, dans leur rapport avec l’esprit de l’Europe et avec la monarchie constitutionnelle, Paris : Be´chet, 1817. PASCAL, Blaise, Lettres provinciales. – Pense´es. PASQUIER, Etienne-Denis, baron, «Adresse au Roi», Moniteur no 321, 16 novembre 1816, p. 1285a-c. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 3 mars 1817. Discours sur l’affectation des bois de l’Etat a` la dotation de la caisse d’amortissement», Moniteur no 66, 7 mars 1817, pp. 272c–273a. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 17 novembre 1817. Pre´sentation et expose´ des motifs du projet de loi relatif aux abus de la presse», Moniteur no 322, 18 novembre 1817, p. 1269c–1272a. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 11 de´cembre 1817. Discours sur le projet de loi relatif a` la re´pression des abus de la presse», Moniteur no 347, 13 de´cembre 1817, pp. 1371a–1373a. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 20 de´cembre 1817. Proposition tendant a` distraire du projet ge´ne´ral sur la presse l’article relatif aux journaux, et a` proroger a` leur e´gard, jusqu’a` la fin de la session de 1818, la loi du 28 fe´vrier 1817», Moniteur no 355, 21 de´cembre 1817, p. 1418a. PE´ RIER, Casimir-Pierre, Re´flexions sur le projet d’emprunt, Paris : Bailleul, s.d. [1817]. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 15 de´cembre 1817. Opinion sur le projet de loi relatif a` la re´pression des abus de la presse», Moniteur
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Instruments bibliographiques
SAULNIER, Pierre-Dieudonne´-Louis, chevalier, «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 13 janvier 1817. Opinion sur le projet de loi restrictif de la liberte´ individuelle», Moniteur no 15, 15 janvier 1817, p. 58a-b. SAVOYE-ROLLIN, Jacques-Fortunat, baron, «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 29 janvier 1817. Opinion sur le projet de loi relatif aux journaux», re´sume´ dans Moniteur no 31, 31 janvier 1817, p. 120b. SCHLÖZER, August Ludwig von, Stats-Anzeigen [sic], gesammelt und zum Druck befördert von August Ludwig Schlözer, D., Göttingen : in der Vandenhoeck-Ruprechtschen Buchhandlung, 1782–1793. SE´ GUR, Louis-Philippe de, Abre´ge´ de l’Histoire universelle ancienne et moderne, a` l’usage de la jeunesse, avec cent cinquante cartes ou gravures, par M. le comte de Se´gur. Paris : Alexis Eymery, 1817. SE´ MONVILLE, Charles-Louis Huguet, marquis de, «Discours d’ouverture du colle`ge e´lectoral de la Manche», Moniteur no 242, 30 aouˆt 1815, pp. 961c–962b. SERRE, Pierre-Franc¸ois-Hercule de, *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 9 janvier 1817. Rapport au nom de la commission d’examen du projet de loi restrictif de la liberte´ individuelle», Moniteur no 11, 11 janvier 1817, pp. 43c–44c. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 16 janvier 1817. Re´sume´ de la discussion du projet restrictif a` la liberte´ individuelle», Moniteur no 17, 17 janvier 1817, pp. 70c–71a. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 14 novembre 1817. Proposition tendant a` admettre plusieurs changemens dans le re`glement de la Chambre», Moniteur no 319, 15 novembre 1817, p. 1260a-c. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 14 novembre 1817. De´veloppement de la proposition de M. de Serre ayant pour objet quelques changemens a` faire au Re`glement de la Chambre», Moniteur no 321, 17 novembre 1817, pp. 1266c–1267c. – «Adresse au Roi», Moniteur no 323, 19 novembre 1817, p. 1273a-c. SOPHOCLE, Antigone. – Œdipe a` Colonne STAE¨ L, Mme de, Lettres sur les e´crits et le caracte`re de Jean-Jacques Rousseau, Paris : C. Pougens 21789. – Re´flexions sur le proce`s de la Reine, par une femme, s.l., aouˆt 1793. – Re´flexions sur la paix adresse´es a` M. Pitt et aux Franc¸ais, s.l., [1795]. – Re´flexions sur la paix inte´rieure, Paris : Dupont, 1795. – De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, Lausanne : J. Mourer, 1796. – «Du caracte`re de M. Necker», dans : NECKER, JACQUES, Manuscrits de Mr Necker, publie´s par sa fille, Gene`ve : J. J. Paschoud, an XIII.
Ouvrages cite´s par Constant
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Instruments bibliographiques
VILLE` LE, Jean-Baptiste-Guillaume-Marie-Anne-Se´raphim-Joseph, comte de, «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 6 fe´vrier 1816. Rapport sur l’organisation des colle`ges e´lectoraux», Moniteur no 38, 7 fe´vrier 1816, pp. 138b–139a. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 28 novembre 1816. Opinion sur la pe´tition de la Demoiselle Robert», Moniteur no 334, 29 novembre 1816, p. 1335a. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 26 de´cembre 1816. Opinion sur le nouveau projet d’organisation des colle`ges e´lectoraux», Moniteur no 361/362, 26 et 27 de´cembre 1816, pp. 1448a–1449c. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 13 janvier 1817. Opinion sur le projet restrictif de la liberte´ individuelle», Moniteur no 15, 15 janvier 1817, p. 59a-c. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 27 janvier. Opinion sur le projet relatif aux journaux», Moniteur no 29, 29 janvier 1817, p. 112a-c. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 6 fe´vrier 1817. Opinion sur le projet de loi relatif aux finances», Moniteur no 39, 8 fe´vrier 1817, pp. 163a– 165b. – *«Chambre des De´pute´s. Se´ance du 3 mars 1817. Opinion sur le projet d’un emprunt de 30 millions de rente et sur le cre´dit demande´ pour couvrir les frais de ne´gociations», Moniteur no 63, 4 mars 1817, pp. 261a– 262c. – «Chambre des De´pute´s. Se´ance du 12 de´cembre 1817. Opinion sur le projet de loi tendant a` re´primer les abus de la presse», Moniteur no 348, 14 de´cembre 1817, pp. 1376b–1377b. VIRGILE, E´ne´ide. VOLTAIRE, Le Temple du gouˆt. – Poe`me sur la loi naturelle.
Index
Index des noms de personnes Cet index contient les noms des personnes re´elles ou fictives mentionne´es dans les textes et dans les notes, a` l’exclusion de ceux des critiques modernes et de celui de Benjamin Constant lui-meˆme. Les graphies ont e´te´ uniformise´es, en principe sous la forme franc¸aise la plus usite´e aujourd’hui. Les noms ne sont suivis de la profession ou de la fonction que lorsqu’il faut distinguer des homonymes ou pre´ciser une identification. L’absence de toute pre´cision signifie, soit que la personne est parfaitement connue, soit au contraire qu’elle n’a pu eˆtre identifie´e.
Abrial, Andre´-Joseph 689, 704, 707 Achille 153 Agrippine la Jeune 197 Aignan, E´tienne 338, 614, 975–976, 1012 Alexandre Ier, tsar de Russie 86, 340, 392– 393, 398, 486, 569, 1161 Alexandre le Grand 395 Alie´nor d’Aquitaine 197 Alzire 613 Ambrugeac, Louis-Alexandre-Marie de Valon du Boucheron, comte d’ 507 Ame´naı¨de 613 Andrieux, Franc¸ois-Guillaume-Jean-Stanislas 831–832 Andromaque 611 Angouleˆme, Louis-Franc¸ois d’Artois, duc d’ 148–149 Angouleˆme, Marie-The´re`se de Bourbon, duchesse d’ 1167 Anna Ivanovna, impe´ratrice de Russie 656 Anna Pavlovna, sœur du tsar Alexandre Ier 569 Anne-Sophie d’Anhalt-Zerbst 391 Antigone, fille d’Œdipe et sœur de Polinice 1164 Apollonius de Thyane 572 Archbold, John Frederick 474 Arenberg, comte de La Marck, Auguste d’ 553–554 Arenberg, Louis-Englebert, duc d’ 553 Argenson, d’ voir Voyer d’Argenson Aristarque 1049 Aristote 1049 Arnauld, Antoine, dit le Grand 1045 Arnault, Antoine-Vincent 1180, 1182 Arndt, Ernst Moritz 399 Artois, Armand d’ voir Dartois Artois, Charles-Philippe, comte d’ voir Charles X, roi de France
Assas, nom fictionnel 173 Aubignac, Franc¸ois, abbe´ d’ 614 Aubigne´, The´odore Agrippa d’ 887 Aubry, le pe`re, personnage d’Atala 159 Augereau, Charles-Pierre-Franc¸ois 154 Augier, Jean-Baptiste 508 Auguste-Guillaume, roi de Prusse 397 Auguste, personnage de Cinna 691 Auguste (Augustus, Caius Julius Caesar Octavianus), empereur romain 197, 581, 1051 B., ex-cre´ancier de l’E´tat 1107 Bacon 598 Baert-Duholant, Charles-Alexandre-Balthazar-Franc¸ois de Paule de 537 Balzac 767, 795 Barante, Amable-Guillaume-Prosper Brugie`re, baron de 102, 351, 379, 511, 514, 545, 615, 687, 931–932 Barbe´-Marbois, Franc¸ois, comte 151–152, 935, 956 Barbeyrac, Jean 95 Baring 1037 Barrabas 1045 Barras, Paul-Franc¸ois-Jean-Nicolas, vicomte de 222, 1055 Barthe-Labastide, Louis-Jacques-Guillaume 460 Bathurst 1093 Bayard, Pierre Terrail, seigneur de 170 Beauharnais, Hortense de 557 Beauvais, Charles-The´odore 977 Be´chet, Ftanc¸ois 341 Becquey, Louis 448, 452, 642, 675, 697, 720 Bedford, famille de Lancaster, ducs de 294 Beeke, Henry 537, 539–540 Bellart, Nicolas-Franc¸ois 845, 895 Belle´rophon 657
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
Belloy, Pierre-Laurent Buyrette, dit Dormont de 614 Be´naben ou Benaben, Claude-Louis 977 Benoıˆt, ou Benoist, Pierre-Vincent, comte de 465, 508–509, 548, 631, 639 Bentham, Je´re´mie 356, 598–600, 1055 Be´ranger, Pierre-Jean de 338 Bernadotte, Charles-Jean-Baptiste, prince royal de Sue`de 41, 78, 81, 85, 218, 394, 876, 1201 Bernardin de Saint-Pierre, Jacques-Henri 656 Bernstorff, Andreas Peter von 342, 394 Bernstorff, Christian-Günter 394 Bernstorff, Johann H. 342, 394 Berr de Turique, Michel 590, 731 Berry, Charles-Ferdinand d’Artois, duc de 148, 672, 920, 949, 989, 1136, 1138 Berry, Mary 1156 Berryer, Pierre-Nicolas 1123–1126, 1130, 1143, 1147–1150 Berthier, Louis-Alexandre, prince de Neufchaˆtel, prince de Wagram 217, 1171 Bertin l’aıˆne´ 937 Bertin de Vaux 937 Bertrand, Henri-Gatien, comte 93, 1142 Beugnot, Jean-Claude, comte 238, 492, 545, 944, 1112 Beurnonville, Pierre Riel, marquis de 150 Bignon, Louis-Pierre-Edouard, baron de 268, 944, 989, 992, 998, 1009, 1013 Billaud-Varenne, Jacques-Nicolas 604 Blackstone, William 472, 474 Blacque, jurisconsulte 719 Boileau, Nicolas 181, 372 Boisgelin, Paul-Gabriel Bruno, comte de 158 Bon, E´lisabeth de 337 Bonald, Louis-Gabriel-Ambroise de 339, 344, 439, 463–464, 546, 651–652, 948 Bonaparte, famille de 223 Bonaparte, Joseph 89 Bonaparte, Louis 557, 931 Bonaparte, Lucien 573 Bonaparte, Napole´on, voir Napole´on Ier Bonaparte, Pauline 931 Bonnaire, Fe´lix 46 Bonnecarre`re, Guillaume (?) 431 Bory de Saint-Vincent, Jean-Baptiste-Genevie`ve-Marcellin 239 Bossuet, Jacques-Benigne 470, 573, 1045 Bouillon, Henri de La Tour d’Auvergne, duc de 887 Boulainvilliers, Henri de 165
Boulanger, Georges-Ernest-Jean-Marie, ge´ne´ral 961 Bourbons de Naples, famille 1143 Bourbons, famille 37, 68, 165, 223, 341, 387, 579, 859, 919, 924, 927, 931–932, 937, 989, 1034, 1037, 1123, 1129, 1138, 1140, 1159–1161, 1163, 1168, 1170 Bourmont, Louis-Auguste-Victor de Ghaines de 1138, 1140 Boyd, Hugh 431 Brennus 1172 Breton, Louis-Henri 845, 895 Bricogne, Ambroı¨se-Jacques 1112 Brigode, Romain-Joseph, baron de 447, 456, 460 Brissac voir Cosse´ Brissot-Thivars, Louis-Saturnin 342 Broglie, Victor de, duc de 350, 352, 740, 775, 932, 939, 969, 1125 Broglie, Maurice de 566 Broglie, famille de 349 Brosses, Charles de 45 Brougham, Henri lord 294 Brun, Friderike 349 Brune, Guillaume-Marie-Anne 105, 132, 267, 273, 921, 1123 Brunet voir Mira Brunswick voir Charles-Guillaume-Ferdinand Brutus 1182 Bruye`res de Chalabres, Jean-Louis-Fe´licite´ comte de 508 Buffon, Georges-Louis-Leclerc, comte de 744 Burke, Edmund 294, 431 Burnet, Gilbert 473 Butini, Pierre, me´decin 351 Caligula 581 Callas, Jean 569, 701–702 Calonne, Charles-Alexandre de 1027 Calvin, Jean 1045 Canuel, Simon, ge´ne´ral 937 Capelle, Guillaume-Antoine-Benoıˆt 1141 Cardonnel, Pierre-Salvi-Fe´lix 631 Carnot, Lazare 224–225, 661, 686, 1130, 1145, 1167 Castelbajac, Marie-Barthe´lemy, vicomte de 386, 425, 447, 457, 516, 630, 932, 948 Castellane-Novejean, Boniface-Louis-Andre´ de 158 Catellan-Caumont, Jean-Antoine, marquis de 10, 42
Index des noms de personnes Catherine II, impe´ratrice de Russie 391, 946, 1051 Catilina 588 Cauchois-Lemaire, Louis-Franc¸ois-Auguste 342 Caulaincourt, Armand-Augustin marquis de, duc de Vicence 225 Caumartin, Jacques-E´tienne 944 Caumont de La Force, Franc¸ois-PhilibertBertrand Nompar, comte de 386–387, 410, 629–631, 637, 640, 642 Cavendish, William, 4th duke of Devonshire 294 Cavendish-Bentinck, William Henry, 3d duke of Portland 294, 431 Ce´sar 691, 1182 Chabrol de Volvic, Gilbert-Joseph Gaspard, comte de 937 Chandieu, Antoine de 884, 888 Chapuy, Hyacinthe-Adrien-Joseph 69 Charlemagne 118, 547 Charles Ier, roi d’Angleterre 473 Charles II, roi d’Angleterre 453, 473, 682, 1167 Charles VI, empereur germanique 395 Charles VII, e´lecteur de Bavie`re, empereur germanique 475 Charles IX, roi de France 199, 273 Charles X, roi de France 59, 80, 147, 149, 224, 238, 908, 919, 922, 954–957, 994, 1035, 1128, 1137–1138, 1140, 1142, 1165 Charles XIII, roi de Norve`ge et de Sue`de 394 Charles-Albert, e´lecteur de Bavie`re 475 Charles-Auguste, grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach 484, 486 Charles-Guillaume-Ferdinand, Erbprinz puis duc re´gnant de Brunswick-Wolfenbüttel 482, 557 Charles-Quint 478, 562, 578 Chasteler, Johann-Gabriel, marquis du Chasteler de Courcelles 478 Chateaubriand, Franc¸ois-Rene´ de, vicomte 48, 60, 102, 139, 159, 161, 214, 233, 281, 295–296, 298, 315, 324, 328–329, 337, 348, 372, 455, 467, 573, 687, 753, 785, 903, 934–934, 937, 976, 1006, 1169 Chatham voir Pitt, William Chaumarey, Hugues Duroy de, capitaine de la Me´duse 1013 Chauvelin, Bernard-Franc¸ois de 46, 471, 944, 984–985, 995–997, 1014 Che´nier, Marie-Joseph 161–162, 611, 614 Chesterfield, Philip Dormer Stanhope, comte 1164
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Chevalier, Adolphe-Thierri-Franc¸ois 661– 663, 679, 689, 698, 714, 717, 720, 723, 964–965, 973 Ching-Tang 582 Choiseul, E´tienne-Franc¸ois, comte de Stainville, duc de 154 Choiseul-Stainville, Claude-Antoine-Gabriel, duc de 154 Christian-Fre´de´ric, demi-fre`re de Fre´de´ric VI, roi du Danemark 393 Chu-Ven 582 Cice´ron 200, 587, 601 Cinna 719 Clarke, Henri-Jacques-Guillaume, duc de Feltre 153, 490, 497, 696, 952, 1128, 1136, 1139 Claude, empereur romain 197 Clausel de Coussergues, Jean-Claude 379, 511, 975 Clermont-Tonnerre, Stanislas-Marie de, comte de 441–442 Clovis 116, 199 Clytemnestre 611 Colbert, Jean-Baptiste 1039, 1058, 1109 Coleridge, Samuel Taylor 372 Collot d’Herbois, Jean-Marie 221 Colquhoun, Patrick 539 Comte, Charles 932, 937, 940, 1168 Condillac, E´tienne Bonnot de 1093 Confucius 580 Constans, Jacques, capitaine 888 Constant de Rebecque, famille 888 Constant, Augustin 884, 888 Constant, Charlotte de 15, 207, 337 Constant, Charles de 887 Constant, Juste de 51, 59 Constant, Rosalie de 338, 351 Constant, Samuel de 888 Constant-Rebecque de Villars, GuillaumeAnne de 342 Constant-Rebecque, Jean-Victor de 342 Cooke, John, re´gicide 1167 Corbie`re, Jacques-Joseph-Guillaume-Franc¸ois-Pierre, comte de 387, 466, 512, 907, 932, 948, 988, 1010 Corneille, Pierre 372, 614, 691 Cornet d’Incourt, Charles-Nicolas 507–508, 975 Corre´ard, Alexandre 1013 Corvetto, Louis-Emmanuel, comte 379, 489, 696, 851, 858, 1035, 1084 Corvisart des Marets, Jean-Nicolas 350 Cosse´, Augustin-Marie-Paul-Timole´on de, duc de Brissac 698
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
Cotin 181 Coulmann, Jean-Jacques 101 Courvoisier, Jean-Joseph-Antoine de 450, 452–453, 639, 675, 1016 Cousin, Victor 600, 939 Couthon, Georges, conventionnel 605 Cretet, Emmanuel 1085–1086 Cuvier, Georges 641 Cybe`le 575 Cyclopes 671 Dalberg, Carl Theodor von, prince-primat 486 Dambray, Charles-Henri, vicomte 273 Dambrugeac voir Ambrugeac Damocle`s 718 Danton, Georges-Jacques 221, 929 Dartois ou d’Artois, Armand, e´crivain 183 Daubenton, Louis-Jean-Marie 744 Davout ou D’Avout, Louis-Nicolas, duc d’Auerstaedt, mare´chal 107, 225, 1130 Decazes, Elie, duc 36, 45, 55, 72, 93, 101, 233, 236, 281, 296, 350, 386, 415, 422, 424, 427, 432, 434, 448, 454, 465, 663, 672–673, 676, 689, 692, 696, 719–720, 724, 906–907, 920, 925, 931, 934–935, 937, 939, 942, 947, 950, 957, 964, 969, 973, 986, 988, 1009–1012, 1014, 1028– 1029 Decrusy, F. 700 De Foere, Le´on 567–568 Dege´rando ou De Ge´rando, Joseph-Marie de 46 Delamalle, Gaspard-Gilbert 422, 450, 452, 675 Delaunay, e´diteur 283, 341 Delessert, Benjamin 753, 845, 895 Delhougne, avocat 568 Delille, Jacques 372 Delolme, Jean-Louis 458 De´mosthe`ne 200 Denis l’Ancien, tyran de Syracuse 718 Dentu, Jean-Gabriel 661–662, 679, 689, 715, 717–719, 964–965, 973, 1135 Desbrosses, Charles voir Brosses, Charles de Desmoulins, Camille Benoist 929 Destut de Tracy, Antoine-Louis-Claude, comte de 865 Deterville, e´diteur 341 Didier, Jean-Paul 304, 774, 789 Diebitsch, von 399 Diome`de, roi d’Argos 577
Domitien 197 Don Pedro, dauphin du Portugal, puis empereur du Bre´sil 341, 479 Doncker, avocat 568 Drouet, Jean-Baptiste, comte d’Erlon 1123, 1129, 1168 Drouot, Antoine, ge´ne´ral 89 Dubos, Jean-Baptiste, abbe´ 165 Dubouchage, Franc¸os-Joseph de Gratet, vicomte 490, 696 Ducherray, Jacques Le Bourgeois 507 Dudon, Jean-Franc¸ois-Pierre-Ce´cile, baron 379, 520 Dufresne Saint-Le´on 977 Dumont, Etienne 603 Dumouriez, Charles-Franc¸ois Du Perrier, dit 151, 553 Dunant, Henry 884 Dunoyer, Charles, journaliste 932, 937, 940 Dupont de l’E´tang, Pierre 153, 157 Dupont, dit Dupont de l’Eure, Jacques-Charles 932, 940, 944, 947 Dupont de Nemours, Pierre-Samuel 460, 1085 Durbach, Charles-Fre´de´ric 36–37, 72 Duroy de Chaumareys, Hugues 1013 Dussault, Jean-Joseph, journaliste 115 Duvergier de Hauranne, Jean-Marie 452, 674, 694, 935 Elisabeth Petrovna, impe´ratrice de Russie 391 E´ne´e 464, 671 Enghien, Louis-Antoine-Henri de BourbonConde´, duc d’ 223 Epicure 573 Ernouf, Jean-Augustin 508, 518 Erskine, Thomas 682, 710 Esme´nard, Jean-Baptiste 338, 977 Esparron, Pierre-Jean-Baptiste 350 Euripide 200, 325, 573 Fabvier, Charles-Nicolas 937 Faget de Baure, Jacques 156 Fain, Louis-Franc¸ois 721 Fargue, Jean-Joseph Me´allet comte de 953 Faucher, Marie-Franc¸ois-E´tienne-Ce´sar de 921 Faucher, Pierre-Jean-Marie, dit Constantin de 921 Fauriel, Claude 731 Favard de Langlade, Guillaume-Jean, baron 451–452, 639
Index des noms de personnes Ferdinand Ier, empereur germanique 479 Ferdinand III, grand-duc de Toscane 554 Ferrand, Antoine-Franc¸ois-Claude 354, 579, 585 Feuillet, Laurent-Franc¸ois 865, 873 Fichte, Johann Gottlieb 399 Fie´ve´e, Joseph 115–116, 165, 170, 328, 372, 375, 1107 Figarol, Jean-Bernard-Marie de 418, 448, 697 Fitz-James, E´douard duc de 105–106, 236 Flahaut de la Billarderie, Auguste-CharlesJoseph, comte de 215 Foere, abbe´ de voir De Foere Fontanes, Louis de 149, 372, 949, 956–957 Fontenelle, Bernard Le Bovier de 368 Fouche´, Joseph, duc d’Otrante 15–16, 35, 41, 45, 47, 50, 68, 72, 82, 93, 165, 213, 221, 233, 239–240, 267, 433, 922–923, 925, 939, 950, 1124, 1156–1157, 1167, 1173 Foulon, Esprit-Michel 759, 816, 916 Fouquier-Tinville, Antoine-Quentin 605 Fournier-Pescay, Gustave-Franc¸ois 570 Fox, Charles James 414, 643, 736 Foy, Maximilien-Se´bastien, comte 447, 890, 932 Franckenberg, Jean-Henri, comte de 552 Franc¸ois Ier, roi de France 197, 954 Franc¸ois Ier, empereur d’Autriche 340, 342, 475, 480 Franc¸ois II, empereur romain germanique, puis empereur d’Autriche 86, 480 Franc¸ois de Lorraine 475, 477 Fre´de´ric Ier, duc du Würtemberg 484 Fre´de´ric II, roi de Prusse 86, 391, 395–396, 400, 431, 476, 482, 502, 946, 956, 1066 Fre´de´ric VI, roi du Danemark 393 Fre´de´ric-Guillaume Ier, roi de Prusse 395 Fre´de´ric-Guillaume II, roi de Prusse 397, 482 Fre´de´ric-Guillaume III, roi de Prusse 86, 340, 397, 399 Fre´ron, E´lie 1049 Fre´ron, Stanislas 929–930, 1049 Fresnel, Le´onor 41 Friedlander, me´decin 746 Froc de la Boullay, Jean-Baptiste-Louis 418– 419 G.... 1110, 1112, 1114 Gae¨ te, Martin-Michel-Charles Gaudin, duc de 1112 Gagern, Friedrich von, fils du suivant 487
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Gagern, Hans-Christoph, baron von 342, 487 Gagern, Heinrich von, fils du pre´ce´dent 487 Gagern, Max von, fre`re du pre´ce´dent 487 Gallatin, Abraham-Alphonse-Albert 1085, 1089 Ganilh, Charles 831, 987, 991, 997, 1038– 1040 Garnier, Germain, marquis de 646, 956 Gauthier, mare´chal de camp 1141 Gengis Khan 582 Gentz, Fre´de´ric 539 Georges III, roi d’Angleterre 294 Germain, Auguste-Jean, comte 1140 Germanicus 713 Ge´vaudan, Antoine 940 Gibbon, Edward 371, 578 Ginguene´, Pierre-Louis 831 Gneisenau, comte Neithardt von 399 Goethe, Johann Wolfgang 484 Goubau d’Hovorst, Melchior-Joseph-Franc¸ois-Ghislain, ministre du royaume des Pays-Bas 561 Goupy, Guillaume-Louis-Isidore, dir Goupy pe`re 845, 895 Gouvion-Saint-Cyr, Laurent, marquis de, mare´chal 156, 233, 927 Goyet de la Sarthe, Charles-Louis-Franc¸ois 852 Gracques, Tiberius et Caius Sempronius Gracchus 587 Grammont, Alexendre-Marie-Franc¸ois-The´odule, marquis de 940 Gravina, Gian-Vincenzo 192, 195 Grenier, Paul, ge´ne´ral 225 Grenville, William Windham, Lord 154–155 Grotius, Hugo 95 Grouchy, Emmanuel, marquis de 1130, 1145 Guillaume Ier, roi du Würtemberg 486 341–342, Guillaume Ier d’Orange-Nassau 561, 563 Guillaume II d’Orange-Nassau 342, 566, 569 Guillaume III, d’Orange-Nassau, roi d’Angleterre 453 Guillaume V d’Orange-Nassau 482, 556, 563–564 Guillaume, grand-duc de Luxembourg 487 Guindon, dit Roquefort, meurtrier du ge´ne´ral Brune 105 Guise, famille 273, 588 Guizot, Franc¸ois-Pierre-Guillaume 358, 371, 746, 932, 939 Guyet, journaliste , 342
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
Hardenberg, Karl-August, prince de 400 Harel du Tancrel, Franc¸ois-Auguste 342 Harrison, Thomas, re´gicide 1167 Haspinger, moine capucin 478 He´bert, Jacques-Rene´ 930 Henri II, roi de France 1033 Henri III, roi de France 588 Henri IV, roi de France 884, 888, 1001, 1031 Henri II Platagenet, roi d’Angleterre 197 Henri, prince de Prusse 397 Hermione 611 Hernoux, E´tienne-Nicolas-Philibert 944, 953 He´siode 323, 576 Heudelet, E´tienne 1140 Hobbes, Thomas 192, 603 Hobhouse, John Cam 16, 213–214, 218, 226 Hochet, Claude 610 Hoensbroeck, Constantin-Franc¸ois-Ce´sar de 558 Hofer, Andreas 477, 876 Hoffmann, Franc¸ois-Benoıˆt 1046 Holland, Lady voir Vassal, Elizabeth Holstein-Gottorp, Pierre de 391 Home`re 573, 576, 1049 Hope, famille de banquiers en Hollande 1037 Horace 613 Hua, Eustache-Antoine 439–440, 663, 691– 692, 714–715, 718, 721, 725 Humboldt, Wilhelm von 191, 611 Hume, David 371, 472 Hyppolite 611 Iobate`s, roi de Lycie 657 Irving, Washington 1057 Isambert, Franc¸ois-Andre´ 700 Ivan V, tsar de Russie 391 Ivernois ou Yvernois, Franc¸is d’ 1057, 1101 Jacquemont, M. de, garde du corps 51, 59 Jacques II, roi d’Angleterre 155 Jacquinot de Pampelune, Claude-JosephFranc¸ois-Catherine 388, 448, 450 Jahn, Friedrich Ludwig 399 Jaucourt, Arnail-Franc¸ois, marquis de 233, 238 Jay, Antoine 338, 359, 977 Jean sans Terre, roi d’Angleterre 293, 918 Jeanne la Folle, reine de Castille 479 Jefferson, Thomas 1088 Je´roˆme, saint 571 Je´sus-Christ 1045 Je´zabel 1163
Jobez, Jean-Emmanuel 520 Jollivet, Rene´-Marie 508–509, 904, 999– 1001 Jordan, Camille 419, 451–452, 454, 548, 676, 697, 724, 779, 833, 932, 951 Joseph II, empereur d’Autriche 476, 551– 552, 554–555, 946, 1066 Josse de Beauvoir, Auguste-Guillaume 425, 465, 721 Jouslin de la Salle, Armand-Franc¸ois 440 Jouy, E´tienne de 338, 503, 977 Jube´ de La Pe´relle, Augustin 338, 977 Jung-Stilling, Johann Heinrich 651 Junius, pseudonyme d’un auteur anglais non identifie´ 431 Junon 577 Jupiter 577, 671 Jurine, Louis 351, 745 Juve´nal 834 Kant, Immanuel 191, 356, 603, 609 Karsch, Anna Louisa 590 Katte, Hans Hermann von 396 Kia, empereur chinois 582 Kle´ber, Jean-Baptiste 1134 Koechlin, Nicolas 1095 Koller, Franz Freiherr 1142–1143 Körner, Theodor 401 Krüdener, Julie de Wietinghoff, baronne de 37, 125, 651, 655–656, 876, 1157 La Barre, Franc¸ois-Jean-Lefebvre de, chevalier de 701–702 La Be´doye`re, Charles-Franc¸ois Huchet de 15, 36, 81, 88, 93, 95, 101, 105, 107, 145, 161, 214, 233, 236, 743, 921, 1123 Laboulaye, E´douard 102, 104, 288, 670, 713, 757, 579, 798, 914–915 La Bourdonnaye, comte de La Brete`che, Franc¸ois-Re´gis de 387, 426, 447, 458, 460–461, 527, 630, 639, 932, 948, 994 La Bruye`re, Jean de 691 Lacretelle, Pierre-Louis 338, 977 Laetitia 672 Lafayette ou La Fayette, Marie-Joseph-PaulYves-Roch-Gilbert du Motier, marquis de 49, 57, 61, 552, 753, 833, 859–860, 895, 932, 940, 947, 1025, 1169 Laffitte, Jacques 496, 520, 753, 845, 859, 903, 932, 940, 947, 990–993, 999, 1025, 1115–1117 Laforest, Antoine-Rene´-Charles-Mathurin, comte de 38, 57–58
Index des noms de personnes La Harpe, Fre´de´ric-Ce´sar de 392 La Harpe (ou Laharpe), Jean-Franc¸ois 789 Laine´, Joseph-Louis-Joachim, vicomte 149, 381, 511, 627, 635, 645, 696, 781, 920, 924, 1018, 1169 Lallemant, Guillaume 342 Lally Tollendal, Trophime-Ge´rard, marquis de 385, 956, 1169 La Maisonfort, Antoine-Franc¸ois-Philippe du Bois, marquis de 148 Lamballe, Marie-The´re`se-Louise de SavoieCarignan, princesse de 132 Lambrecht, Charles-Joseph-Mathieu, se´nateur 82 Lamoignon, Anne-Pierre-Chre´tien, vicomte de 953 Lanjuinais, Jean-Denis comte 216, 1172– 1173 La Re´vellie`re-Le´peaux, Louis Marie de 222 Lavalette, Antoine-Marie Chamans, comte de 36, 1123 Lavauguyon, Paul-Franc¸ois de Quelen, duc de 956 Law, John 1081 Laya, Jean-Louis 359 Lecourbe, Claude-Jacques, comte 1138 Le Couteulx de Canteleu, Jean-Barthe´le´mie 1033, 1089 Lefebvre, Franc¸ois-Joseph, duc de Dantzig, mare´chal 1132 Lefebvre Desnouettes, Charles, comte 1168 Legouve´, Gabriel-Marie-Jean-Baptiste 614 Lenormand, e´diteur 934 Le´onidas 89 Le´opold II, empereur germanique 341, 477, 480, 552, 555 Le´opoldine, archiduchesse d’Autriche, puis impe´ratrice du Bre´sil 479 Lerminier, The´ophile-Niammon 350 Lesdiguie`res, Franc¸ois de Bonne, duc de, mare´chal 887 Letellier 440 Le´vis, Pierre-Marc-Gaston 155 Lien-Pang, empereur chinois 582 Lien-Yu, empereur chinois 582 Lobkowitz, Ferdinand Marie, e´veˆque de Gand 553 Locke, John 355, 357, 599 Lolme, J.-H. 431 Lombard-Taradeau, Jacques-Athanase 222 Lome´nie de Brienne, E´tienne-Charles de 517 Louis, Joseph-Dominique, baron 1034–1036 Louis IV, le Gros, roi de France 293
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Louis VII, le Jeune, roi de France 197 Louis IX ou Saint Louis, roi de France 148, 199 Louis XI, roi de France 606, 1015 Louis XII, roi de France 1015 Louis XIII, roi de France 169 Louis XIV, roi de France 120, 170, 700, 767, 790, 929, 976, 1014, 1045, 1058, 1081 Louis XV, roi de France 154, 197, 989 Louis XVI, roi de France 132, 176, 234, 480, 661–662, 686, 745, 920, 946, 1027, 1051 Louis XVIII, roi de France 35, 38, 46–47, 48, 56, 60, 69, 78, 80, 82–83, 88, 90, 93, 96– 97, 102, 105, 129, 131, 147, 156, 161–162, 182–183, 193, 196, 201, 214, 223, 226, 233–234, 267, 293, 297, 314, 349, 377, 672, 690, 740, 744, 755, 852, 858, 861, 901, 907, 920–923, 931, 933, 935, 937, 942, 954–957, 960, 975, 994, 1015, 1027– 1028, 1030–1031, 1034–1035, 1055, 1084, 1112, 1126–1130, 1132, 1135–1141, 1146, 1167–1170 Louis-Philippe Ier, roi des Franc¸ais 154, 924, 956, 991, 999, 1128, 1142, 1167–1168 Loyson, Charles 916, 939 Lucain 96 Lucre`ce 440 Lucullus 173 Luther, Martin 545, 1045 Lützow, Adolf Wilhelm, Freiherr von 401 Maccarthy-Le´vignac, Robert-Joseph, comte de 386, 461 Macdonald, E´tienne-Jacques-Joseph-Alexandre, duc de Tarente, mare´chal 471, 726– 727, 981, 1128, 1130, 1132, 1138, 1142 Machiavel, Nicolas 407, 635 Mackintosh, James 217, 294, 1155–1156, 1169 Maille´, Charles-Franc¸ois-Armand de la Tour Landry, duc de 1138 Maine de Biran, Marie-Franc¸ois-Pierre Gonthier de Biran, dit 1187 Maleville, Jacques de 676–677 Manuel, Jacques-Antoine 217, 859, 895, 1172 Marat, Jean-Paul 1015 Marc-Antoine 702 Marc-Aure`le 193, 196 Marcellus, Louis-Auguste Demarin de Tyrac, comte de 379, 975 Marchangy, Louis-Antoine-Franc¸ois de 16, 435, 439–440, 713, 716, 718, 722, 914– 915, 938, 1011
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
Marie-Antoinette, reine de France 132, 736 Marie-Louise d’Autriche, impe´ratrice des Franc¸ais 70 Marie-The´re`se de Habsbourg 341, 395, 475, 552 Marignie´, Jean-Etienne-Franc¸ois 652 Marmont, Auguste-Fre´de´ric-Louis Viesse de, duc de Raguse, mare´chal 150, 157, 698, 937 Martignac, Jean-Baptiste Gay, comte de 685 Martin, Alexandre-Franc¸ois-Joseph, dit Martin de Gray 907, 984–986, 988, 997 Maupertuis, Pierre-Louis Moreau de 396 Maximilien Ier, empereur germanique 479 Mazarin, Giulio Mazarini, dit 118, 449 McCulloch, John Ramsay 539 Me´an, Franc¸ois de 566 Mecklembourg-Strelitz, Louise de 398 Me´dicis, Catherine de, reine de France 273 Me´rime´e, Prosper 41 Merlin, Philippe-Antoine, dit Merlin de Douai 222, 273 Metternich, Cle´ment-Wenceslas-Ne´pomuce`ne-Lothaire 340, 399, 480, 486, 567, 875– 876 Meulan, E´lisabeth-Charlotte-Pauline de 371, 939 Millin de Grandmaison, Aubin-Louis 732 Mira, Jean-Joseph, dit Brunet 657 Mirabeau, Victor Riqueti, marquis de 1172 Mole´, Mathieu-Louis 273, 851, 853, 858– 859, 931, 949, 980, 1018 Molie`re 372, 980 Montaigne, Michel Eyquem de 601 Montcalm, Louis-Pierre-Marie-Paulin-Hippolyte-De´cadon, marquis de 638 Montesquieu 151, 192, 195, 407, 458, 486, 606, 635, 951–952, 1042, 1044, 1163 Montesquiou-Fe´zensac, abbe´ Franc¸ois, duc de 238, 299, 381, 929, 1163 Montlosier, Franc¸ois-Dominique de Reynaud de 165, 167, 176, 268 Montmorency, Mathieu de 354 More ou Morus, Thomas 603, 1041 Moreau, lieutenant de police 50, 82 Moreau, Jean-Victor 223, 324, 981, 1138 Morgan voir Owensen Mouton-Duvernet, Re´gis 921 Münnich, Anna Ulrica von 656 Münnich, Burkhard Christoph 655 Münnich, Ernst Graf von 656 Murat, Joachim 38, 63, 1143 Musnier-Desclozeaux, Ernest 41
Mutin, Jean, journaliste 239 Muyart de Vouglans, Pierre-Franc¸ois 701 Napole´on Ier 35, 39, 42, 45, 47, 56, 69–70, 72, 78, 81–82, 87, 93, 96, 101, 103, 105– 106, 108, 129, 149–150, 153, 155, 158, 160, 167, 170, 182, 197, 214, 216–217, 222–223, 226, 233–234, 237, 270–271, 297, 314, 316, 323, 341, 347, 349–350, 392, 398, 404, 430, 433, 452, 462, 471, 477, 481, 483, 502, , 555–557, 560, 563, 581, 605, 609, 631, 672, 686, 698, 727, 731–732, 737, 788, 799, 801, 819, 833, 851, 858, 861, 865, 875, 894, 902, 918, 921–923, 927, 931, 937, 940, 950, 953– 956, 958, 975, 981, 987, 995, 1008, 1011– 1012, 1027–1029, 1033, 1035, 1037–1039, 1044, 1046–1047, 1052, 1057–1058, 1090, 1112, 1114, 1123, 1126–1130, 1132, 1135, 1137–1140, 1142–1144, 1149, 1153, 1155, 1159–1160, 1163–1164, 1167–1172, 1180, 1182, 1185, 1197, 1201 Napole´on II 41, 70 Narcissus, Tiberius Claudius 197 Necker, Jacques 119, 349, 353, 407, 431, 507, 517, 596, 634, 732, 737, 740, 744, 1027, 1111 Ne´lis, Corneille-Franc¸ois de 552 Ne´ron 273, 581, 691 Ney, Aglae´ 1122, 1124, 1126–1127, 1130 Ney, Michel, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa, mare´chal 16, 36, 88, 101, 150, 157, 214, 921, 957, 1119, 1121, 1123– 1130, 1132–1139, 1141–1146, 1149–1150 Nicolas Ier, tsar de Russie 569 Nicolle, personnage du Bourgeois gentilhomme 980 North, Frederick, lord 431 Octave 581 Olivier, candidat aux e´lections de 1817 895 Oreste 611 Orle´ans, duc de voir Louis-Philippe Orle´ans, famille 1167 Ossian 345, 548 Otho 1172 Oudinot, Nicolas-Charles, duc de Reggio, mare´chal 1128, 1132, 1139, 1141 Owenson, Sydney, lady Morgan 590 Paccard, Antoine-Marie 985 Page`s, Jean-Pierre 16, 375, 913–915, 926, 1025–1026, 1052–1053
Index des noms de personnes Palm, Johann Philipp 875 Panchaud, Isaac 1034, 1036 Pascal, Blaise 116, 356, 598 Paschoud, Jean-Jacques, e´diteur 358 Pasquier, E´tienne-Denis, baron 233, 379, 548, 696, 845, 852, 895, 931, 935–936, 947, 960, 963, 974–975, 987, 1002–1003, 1015, 1018, 1044 Paul Ier, empereur de Russie 392 Pellegrin, ge´ne´ral 1140 Pe´rier, Casimir 528, 753, 845, 859–860, 865, 895, 903, 910, 932, 940, 944, 947, 953, 998–999 Perronneau, veuve 661, 679, 685, 715, 964 Pestre de la Ferte´, comte de 342 Peuchet, Jacques 1014, 1089 Phe`dre 611, 613 Phidias 201 Philippe II, roi de Mace´doine 395, 581 Philippe Ier le Beau, roi d’Espagne 479 Philippe II, roi d’Espagne 562 Philonoe´ 657 Pichegru, Jean-Charles 223, 556 Pierre Ier, le Grand, tsar de Russie 391 Pierre III, empereur de Russie 656 Pigault-Lebrun, Charles Pigault de l’E´pinay, dit 1179 Pitt, William, comte de Chatham, pe`re du suivant 294 Pitt, William 154–155, 294, 414, 537–539, 643, 648, 736, 1094, 1101 Plasschaert, Jean-Baptiste-Joseph-Ghislain 562 Platon 201, 572 Pline 1052 Plutarque 454, 575 Polignac, Jules de, prince 685, 953, 1016 Polyphonte 613 Ponsard, Louis-Joseph 423–424 Pope, Alexander 372 Portal, Antoine 350, 735, 743–745 Pöschl, Thomas 875 Potier des Cailletie`res, Charles-Gabriel 657 Pourtale`s, Guy de 884 Pradt, Dominique-Fre´de´ric de Riom de Paulhiac de Fourt de 341, 1045–1046 Praxite`les 201 Pre´sident du tribunal de police correctionnelle 705 Price, Richard, pasteur dissident 1036 Pufendorf, Samuel 95 Pyrrhus 611 Pythagore 572
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Quinette, Nicolas-Marie, baron de Rochemont 225 Racine, Jean 372, 611, 1135 Raguse voir Marmont Ramel, Jean-Pierre, ge´ne´ral 267, 273, 921, 1033 Raucour, Franc¸oise-Marie-Antoinette Saucerotte, dite Mlle 1163 Ravez, Auguste-Simon-Hubert-Marie 388, 422, 448, 674, 694, 724, 935, 1004, 1006, 1008 Raynouard, Juste-Franc¸ois-Marie 614 Re´al, Eulalie 41 Re´al, Pierre-Franc¸ois 36, 38, 41, 50, 55 Re´camier, Juliette 36–38, 63, 73, 125, 187, 207, 354, 651 Regnault, Wilfrid 914 Regnier, Claude-Ambroise 223 Re´musat, Charles de 939 Renaudie`re 721 Reubell, Jean-Franc¸ois 222 Rhulie`res, Claude-Carlomann de 790 Richard III, roi d’Angleterre 606, 613 Richard, Charles-Marie 496, 613 Richelieu, Armand-Emmanuel de Vignerot du Plessis, puis duc de 118, 273, 338, 435, 696, 753, 761, 851, 920–921, 923, 950, 957, 1028–1029, 1037, 1044 Richelieu, Armand-Jean du Plessis, duc de 887 Riouffe, Honore´-Jean 471 Rioust, Mathieu Noe¨ l 661, 679, 685–686, 691, 705, 709, 714, 937, 964 Rivie`re, Jean-Louis 1016 Robert, Antoinette 303, 385, 387, 389–390 Robertson, William 371 Robespierre, Maximilien 221, 460, 599, 605, 661, 934, 936 Roger, Franc¸ois 359 Roger-Ducos, Pierre Roger Ducos, dit 1201 Romanova, Sophia Alexeievna, demi-sœur du tsar Pierre le Grand 391 Rome, roi de voir Napole´on II Rose, membre de Chambre des communes 1057 Rosenkranz, Niels 394 Rousseau, Jean-Jacques 191, 328 Rousselin de Saint-Albin, Alexandre 1055 Roxane 613 Roy, Antoine 492–493, 496, 504, 509, 516, 519–521, 845, 895 Royer-Collard, Pierre-Paul 355, 421, 428, 449, 454–455, 641, 698, 932, 939, 947, 1006–1007
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Textes politiques, 1815–1817 – Mercure de France
Royou, Jacques-Corentin 930 Russel, John 294 Saint-Aubin, Camille 16, 345, 375, 488, 512, 523, 535, 542, 914–915, 926, 1028–1030, 1032–1033, 1035–1039, 1054–1055, 1083, 1117 Saint-Aulaire, E´douard Beaupoil de 375 Saint-Aulaire, Eulalie Beaupoil de 595 Saint-Just, Louis de 605, 1028 Saint-Germain 887 Sainte-Aldegonde, Charles-Se´raphin-Joseph Genech, comte de 457 Sainte-Palaye, Jean-Baptiste de La Curne de 368 Salaberry d’Irumbery, Charles-Marie 935 Sane´ 1199 Sanial-Dubay, Joseph 1179 Sartelon, Antoine-Le´ger, chevalier 507 Saulnier, Pierre-Louis, chevalier 424 Sauquaire-Souligne´, Martial 338 Sauran, marquis de 1140 Savigny, Jean-Baptiste-Henri 1013 Savoie-Carignan, Euge`ne, dit le Prince Euge`ne 655 Savoye-Rollin, Jacques-Fortunat, baron 447, 466, 940 Say, Jean-Baptiste 345, 369, 831, 833, 1029, 1035–1036, 1055 Scharnhorst, Gerhard von 399 Schiller, Friedrich 358, 400 Schlegel, August Wilhelm 351, 610 Schleiermacher, Friedrich 382 Schlözer, August Ludwig 482 Schoenfeld, von 553 Se´bastiani, Horace Franc¸ois-Bastien, comte de La Porta 215 Secretan, Louis, avocat lausannois 349 Se´gur, Louis-Philippe, comte de 590 Se´jan, favori de Tibe`re 197 Semonville, Charles-Louis Huguet marquis de 151 Se´ne`que 96, 691 Serre, Pierre-Franc¸ois-Hercule, comte de 417–418, 422, 424, 426, 521, 696–697, 910, 932, 936, 960–961, 963 Shakespeare, William 613 Sheridan, Richard Brinsley Butler 294 Shiley, W. D. 682, 710 Sickinger, Magdalena 875 Sidney (ou Sydney), Algernon, 2e comte de Leicester 682 Sieye`s, Emmanuel-Joseph 222, 1201
Sirven, Antoinette, e´pouse du suivant 702 Sirven, Pierre-Paul 569, 701–702 Sismondi, Jean-Charles-Le´onard Simonde, dit 595, 603 Schinina di Sant’Elia, Mario 63 Smith, Adam 539, 602, 1028, 1036, 1056, 1078, 1084, 1089, 1093–1094 Socrate 201 Solon 454, 635 Sophie, demi-sœur du tsar Pierre le Grand, voir Romanova Sophocle 200, 576 Soult, Jean de Dieu, duc de Dalmatie, mare´chal 153, 1136, 1165 Spinoza, Baruch 602 Stae¨ l, Albertine de 349, 740 Stae¨ l, Auguste de 732, 740, 746 Stae¨ l, Germaine de 41, 93, 101, 213, 217, 245, 349–350, 356–357, 372, 377, 471, 507, 590, 592, 594, 596, 600, 603, 607, 609, 612, 731, 735, 737, 743, 749, 789, 1015, 1030, 1155 Staps, Friedrich 399 Stein, Heinrich von 399 Stoddart, John, e´diteur anglais 721, 1014 Stuart, famille 155, 473, 917–918, 1034 Suchet, Louis-Gabriel, duc d’Albufera, mare´chal 1128, 1138–1139 Sue´tone 1051 Suleau, journaliste 930 Sully, Maximilien de Be´thune ?– 888, 893, 1077 Sylla ou Sulla 691 Tabarie´, Michel-Marie-Etienne-Victor, vicomte 495, 497, 507, 519 Tacite 713 Taillandier, Alphonse-Honore´ 700 Talleyrand-Pe´rigord, Charles-Maurice de, Prince de Benevent 35, 214, 223, 233, 238, 240, 267, 594, 920, 922–923, 1034, 1036, 1161, 1163 Tarente voir Macdonald Tarquin Collatin ou Collatinus Lucius Tarquinius 440 Tarquin le Superbe ou Tarquinius superbus 440 Tarquin, Sextus ou Sextus Tarquinius 440 Terrier de Montciel, Antoine-Marie-Rene´, marquis de 893 Tertullien 577 Texier-Olivier, Louis 46 The´aulon, Marie-Emmanuel-Guillaume, e´crivain 183
Index des noms de personnes Thiard de Bissy, Auxonne-Marie-The´odose, comte de, ge´ne´ral 932, 940–941 Thierri, Adolphe 689 Thiesse´, Le´on 471 Thomson, James 372 Thurot, Joseph 222 Tibe`re 193, 196, 581, 1051 Tissot, Pierre-Franc¸ois 338, 837–838, 977 Tite-Live 440 Titus 197 Tocqueville, Alexis de 358, 600 Tournemine, Jean-Baptiste-Charles Vacher, baron de 385 Toussaint, Franc¸ois-Dominique, dit Toussaint Louverture 80 Trublet, Nicolas-Charles-Joseph 368 Tudor, famille 918 Turgot, Anne-Robert-Jacques 1077, 1081, 1090 Turner, Dawson 732, 740 Ursel, Charles-Joseph, 4e duc d’ 561 Ursel, Wolfgang-Guillaume, 3e duc d’ 3, 342, 553–554 Van der Mersch, Jean-Andre´ 554 Van der Noot, Henri 341–342, 552, 554 Van Eupen, Pierre 341, 552 Van Meenen 568 Vandamme, Dominique-Joseph-Rene´, comte d’Unsebourg 89 Vargas Mexia, Don Juan de 562 Vassal, Elizabeth, Lady Holland 1156 Vatimesnil, Antoine-Franc¸ois-Henri Lefebvre de 439–440, 663, 685–686, 688, 690–691, 693–695, 699, 705, 711, 713–716, 718, 722–725 Ve´nus 577 Ve´ron, Louis-De´sire´ 102, 236 Vietinghoff, Otto Armand von 656
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Ville`le, Jean-Baptiste-Guillaume-Marie-Anne-Se´raphin-Joseph, comte de 345, 377, 387, 425, 447, 462, 465, 468, 489, 496, 508, 514, 518, 523, 527, 630, 637, 685, 775, 903–904, 932, 948, 987–988, 994, 996, 1038 Villemain, Abel Franc¸ois 934 Villers, Charles de 349 Vincent de Paul, saint 603 Virgile 464, 671, 723, 770 Vitrolles, Euge`ne-Franc¸ois-Auguste d’Arnaud de, baron 45, 50, 58, 226, 234, 922, 957 Voisis, Gilbert de 895 Voltaire 368, 372, 396, 464, 568, 571, 580, 613, 701–702, 1049 Vonck, Jean-Franc¸ois 554 Voyer d’Argenson, Marc-Rene´-Marie de Paulmy, marquis d’Argenson 381, 383, 385, 426, 932, 940, 998 Voysin de Gartempe, Jean-Baptiste 509 Vulcain 671 Walckiers 553 Washington, Georges 173, 956 Wellington, Arthur Wellesley, duc de 224 Wesley, John et Charles 875 Wessenberg, Johann-Philipp baron von 479 Whishaw 1156 Wilde, John 666 Wittgenstein, von 400 Witzleben, Lucretia von 656 Wordsworth, William 372 Yorck von Wartenburg 399 Yvernois, Francis d’ voir Ivernois Zarathustra 437, 580, 720 Zoı¨le 1049