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Une principauté d’Empire face au Royaume
ARTEM Atelier de Recherches sur les Textes Médiévaux
Volume 26 La collection est publiée à Nancy par le Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire (Université de Lorraine, EA 3945) L’accompagnement éditorial a été assuré par : Christelle Balouzat-Loubet et Isabelle Guyot-Bachy, avec la collaboration de Jean-Christophe Blanchard et Martin Picoche
Une principauté d’Empire face au Royaume Le duché de Lorraine sous le règne de Charles II (1390-1431)
par Christophe Rivière †
F
© 2018, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2018/0095/226 ISBN 978-2-503-58232-0 E-ISBN 978-2-503-58245-0 DOI 10.1484/M.ARTEM-EB.5.116380 ISSN 1782-0286 E-ISSN 2565-9278 Printed on acid-free paper.
Table des matières
Table des figures Préface Avertissement au lecteur Abréviations utilisées Introduction générale
7 11 13 15 17 Première partie Charles II en son duché
Chapitre 1 : Physionomie générale du duché de Lorraine Le territoire du duché Les hommes : l’entourage des ducs de Lorraine Les institutions
39 39 67 98
Chapitre 2 : Le duché au sein de l’espace lorrain Un espace politiquement morcelé Une identité lorraine spécifique ?
121 121 140
Chapitre 3 : Le duché de Lorraine entre Royaume et Empire Une double appartenance L’inégale pression du Royaume et de l’Empire (1350-1400) Une volonté d’indépendance Conclusion de la première partie
155 156 168 191 200
Deuxième partie Le duché de Lorraine dans la tourmente européenne (1400-1431) Chapitre 4 : Charles II et la menace orléanaise (1400-1418) La montée des tensions au sein de l’espace lorrain (1400-1404) La Lorraine, terre d’affrontement des puissances internationales (1404-1418) Le comportement politique de Charles II : une approche analytique
209 210 231 261
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ta bl e de s m at i è r e s
Chapitre 5 : La succession de Lorraine et le danger bourguignon (1419-1431) 281 Le bouleversement géopolitique de l’espace lorrain 282 Les prétentions du duc de Berg et la guerre de succession de Bar (1421-1422) 291 Au niveau international : l’indispensable et impossible neutralité 308 Conclusion de la deuxième partie 335 Troisième partie 1431. Les transformations du duché et leurs limites Chapitre 6 : L’hégémonie de Charles II dans l’espace lorrain Un regroupement territorial impressionnant, mais hétéroclite Une unification encore partielle et incomplète : limites et échecs de l’œuvre de Charles II Incertitudes et acquis pour l’avenir
345 345
Chapitre 7 : La mise en scène du pouvoir Fondements idéologiques : les progrès de la souveraineté ducale Les prétentions de Charles II à la souveraineté
399 400 415
364 385
Chapitre 8 : Le duché de Lorraine à la fin du règne de Charles II : une principauté mieux structurée 429 Des moyens à la hauteur des ambitions ducales : le renforcement des structures de l’État 429 Vers un État contrôlé par la noblesse ?463 Conclusion de la troisième partie 494 Conclusion générale Une principauté sous l’emprise de la féodalité Vers la constitution d’un État princier La Lorraine vers 1431 : archaïsme ou métissage ? Charles II, un prince en osmose avec son époque et avec son milieu
499 500 503 505 507
Annexes 509 Sources 511 Sources manuscrites 511 Sources imprimées 516 Bibliographie 519 Ouvrages 519 Articles 535 Comptes-rendus 547 Index des noms de personnes
549
Index des noms de lieux
563
Table des figures
Figure 1 : Les pays d’« Entre-Deux » vers 1390 Figure 2 : Le territoire du duché de Lorraine Figure 3 : Les bailliages du duché de Lorraine Figure 4 : Villes fortifiées et châteaux du duché de Lorraine Figure 5 : Les ducs de Lorraine et le contrôle de leur territoire Figure 6 : Le domaine ducal Figure 7 : Les fiefs du duché de Lorraine Figure 8 : Droits de garde et avoueries des ducs de Lorraine Figure 9 : La situation financière des ducs de Lorraine (1350-1400) : créances, emprunts, engagements, rachats Figure 10 : L’entourage des ducs de Lorraine Figure 11 : Limites de la Commune Trêve de Lorraine (1343-1348) Figure 12 : Le renforcement de la cohésion interne du duché de Lorraine à la fin du xive siècle (1390-1400) Figure 13 : L’espace lorrain durant la seconde moitié du xive siècle Figure 14 : Le choc des ambitions territoriales (1407) Figure 15 : Les sceaux du duc de Lorraine Figure 16 : Maison ducale de Bar Figure 17 : L’espace lorrain en 1431 Figure 18 : Origine géographique des vassaux du duc de Lorraine Figure 19 : Nombre d’hommages prêtés entre 1400 et 1431 par les vassaux de Charles II, en fonction de leur origine géographique Figure 20 : Dénombrements et hommages prêtés au duc Charles II entre 1400 et 1431, en fonction de l’origine géographique des vassaux Figure 21 : Origine géographique des serviteurs ducaux Figure 22 : Origine géographique des serviteurs militaires du duc de Lorraine Figure 23 : Origine géographique des mercenaires au service de Charles II Figure 24 : Origine géographique des serviteurs militaires de Charles II durant la guerre des Quatre seigneurs Figure 25 : Origine géographique des serviteurs militaires de Charles II durant les guerres contre la ville de Metz
30 45 47 49 50 52 55 57 66 77 125 136 139 216 249 283 363 401 402 403 475 480 480 481 482
À l’amitié Ich danke Euch allen Vivat harmonia animarum Stéphanie Krapoth
Préface
J’ai fait la connaissance de Christophe Rivière en novembre 2004, à l’occasion de sa soutenance de thèse, le Professeur Michel Parisse, qui avait dirigé ses recherches, m’ayant fait l’honneur de m’inviter à présider son jury. J’avais alors été impressionné par l’importance du travail accompli, non seulement en raison de la masse documentaire et bibliographique dépouillée mais aussi parce que, grâce à cette thèse, on disposait désormais d’une étude approfondie consacrée à l’histoire politique et institutionnelle du duché de Lorraine à la fin du Moyen Âge – un sujet jusqu’alors quelque peu négligé par les chercheurs. Christophe Rivière avait, dans son travail, fait preuve de toutes les qualités qui font le bon historien : la rigueur, l’esprit critique, le sens du document et du texte ; il ne s’en laissait jamais compter et ne reprenait jamais à son compte, sans les avoir confrontés aux sources et au bon sens, les jugements de ses devanciers. Par sa thèse, il apportait une remarquable contribution à l’histoire des États princiers à la fin du Moyen Âge. Il apparaissait évident alors à tous les membres de son jury que cette thèse méritait d’être publiée. Nous ne pouvions penser qu’elle ne le serait que quatorze ans plus tard et de manière posthume. Christophe Rivière fut, par la suite, associé à certaines initiatives auxquelles j’étais moi-même lié. C’est ainsi qu’il participa au colloque Noblesse et États princiers en Italie et en France au XVe siècle, organisé à l’École Française de Rome par Marco Gentile et Pierre Savy et dont les actes furent publiés en 2009. Sa contribution à la réflexion commune est, à mon sens, majeure en ceci qu’en montrant la part essentielle de la noblesse dans le gouvernement du duché de Lorraine, il définit ce dernier comme un « État nobiliaire », concept qui est incontestablement pertinent en dehors même du seul cas lorrain. Par la suite les organisateurs du colloque La bâtardise et l’exercice du pouvoir en Europe du XIIIe au début du XVIe siècle dont les actes furent publiés en 2015 jugèrent sa participation indispensable. L’étude de cas qu’il offrit alors, enrichit le travail collectif en analysant de façon complète les différents aspects du rôle que les princes lorrains firent jouer à leurs bâtards. Les thèmes qu’il mit en lumière pouvaient, là encore, être généralisés dans bien des cas. Son article fut malheureusement le dernier publié de son vivant. En relisant, pour les besoins de cette courte préface, les travaux de Christophe Rivière, j’ai retrouvé les impressions qui furent les miennes lorsqu’il m’a été donné de les lire au moment de leur parution : ils révélaient un chercheur de haute qualité qui maîtrisait remarquablement le large champ d’investigation qui était le sien. Sa brutale disparition nous a privés d’un historien médiéviste de haut vol qui avait encore bien des perspectives de recherche devant lui. C’est pourquoi il faut saluer l’initiative de Stéphanie Krapoth, sa femme, qui a relevé le difficile défi de faire éditer une thèse qui n’avait, qu’en partie, été retravaillée par l’auteur en vue de la publication. Il est juste
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p r é face
de dire, également, que cette courageuse entreprise a été rendue possible grâce à un collègue de l’Université de Clermont-Ferrand, Jean-Luc Fray, et deux collègues de l’Université de Lorraine, Isabelle Guyot-Bachy et Christelle Balouzat-Loubet : avec altruisme, ils se sont chargés de la tâche longue, ardue et ingrate consistant à revoir le travail d’un autre en s’adaptant à ses méthodes de travail, à sa forme de pensée et à son style d’écriture. Il faut souligner qu’une telle action n’est pas courante et qu’elle les honore. Bertrand Schnerb
Avertissement au lecteur
En septembre 2004, Christophe Rivière soutenait devant l’Université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne une thèse préparée sous la direction de Michel Parisse et intitulée Une principauté d’Empire face au Royaume. Le duché de Lorraine sous le règne de Charles II : 1390-1431. Au terme de la soutenance, le jury avait unanimement encouragé le nouveau docteur à publier ses travaux. Contraint par une lourde charge d’enseignement, ce n’est finalement qu’en 2012 qu’un contact fut pris avec la collection ARTeM. Le comité éditorial accueillit bien volontiers ce projet de publication, auquel Christophe Rivière s’attela avec une grande rigueur jusqu’à son décès brutal, survenu en novembre 2015. En accord avec son épouse Stéphanie Krapoth, avec le soutien de Jean-Luc Fray et de Bertrand Schnerb, le comité éditorial d’ARTeM s’est engagé à mener la publication à son terme. Seuls les trois premiers chapitres avaient été entièrement revus et actualisés par l’auteur. Les dossiers retrouvés dans ses papiers témoignent de l’ampleur du travail de révision, du recul pris par rapport au texte initial, du souci de le confronter, une décennie après sa rédaction, aux travaux produits entre-temps. Christophe Rivière avait établi un programme de lectures, dont il cochait au fur et à mesure les items. Des fiches témoignent ainsi d’une lecture serrée de la thèse de Mathias Bouyer (La principauté barroise (1301-1420) : l’émergence d’un État dans l’espace lorrain, L’Harmattan, 2014), de celle de Léonard Dauphant (Le royaume des quatre rivières. L’espace politique français (1380-1515), Champ Vallon, 2012), ou encore du livre de Jean-Marie Moeglin (L’Empire et le Royaume : entre indifférence et fascination (1214-1500), Presses universitaires du Septentrion, 2011) ; d’autres lectures étaient en cours et n’ont été que partiellement exploitées (Valérie Toureille, Robert de Sarrebruck ou l’honneur d’un écorcheur (v. 1400-v. 1462), Presses Universitaires de Rennes, 2014) ; un dossier se constituait qui devait nourrir un chapitre supplémentaire sur les représentations princières. Par ailleurs, dans une demi-douzaine de contributions – indiquées dans la bibliographie – Christophe Rivière avait personnellement approfondi, prolongé ou ouvert plusieurs enquêtes. Certaines d’entre elles devaient trouver une place naturelle dans le projet ANR-FNR TRANSSCRIPT « Écrit et gouvernance. Transferts culturels entre France et Empire (XIIIe-XVIe siècle) », auquel il avait accepté de s’associer. L’ouvrage qui suit n’est donc pas celui que Christophe Rivière aurait publié, si le temps lui en avait été donné. Il a fallu poursuivre le toilettage formel que nécessite tout passage d’un texte rédigé en vue d’une soutenance à une version destinée à s’inscrire dans une collection s’adressant à un public plus large, et achever le travail de révision dans le respect des choix de l’auteur. Les notes laissées par Christophe Rivière ont été pour ce faire un guide précieux. Elles proposaient pour l’ensemble de l’ouvrage un certain nombre de corrections mais suggéraient surtout des allègements,
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av e rtis s e m e nt au l ect e u r
des coupes à réaliser à l’intérieur du texte. Les réaménagements du plan initial ont été suivis autant que faire se pouvait, tout comme ont été insérés, ou du moins signalés, les éléments que l’auteur envisageait d’ajouter au texte initial. Des indications en italiques signalent au lecteur ces interventions éditoriales. L’autre principe adopté fut de veiller à livrer les éléments les plus originaux de la thèse, ceux sur lesquels les recherches à venir pourraient s’appuyer. Ainsi, toutes les citations tirées des documents d’archives inédits ont-elles été maintenues dans le corps du texte ou dans son apparat. Cependant, en raison de leur ampleur, les annexes sont proposées dans un fichier à part, accessible en ligne1. Les cartes ont été refaites par Martin Picoche sous Adobe Illustrator à partir des cartes originales, sans aucune modification des données d’origine. L’ouvrage enfin a été doté de deux index (personnes et lieux) réalisés par les soins de Christelle Balouzat-Loubet, assistée pour l’identification des lieux d’une petite équipe de mastérants. Le comité éditorial
1 Accédez au site web suivant pour consulter les annexes en ligne : http://dx.doi.org/10.1484/M.ARTEM-EB.5.116380.
Abréviations utilisées
A.D. Meuse A.D. Mos. A.D. V. A.D.M.M. A.N. BnF ASHAL BEC BSAL CRAIBL JSAL MSAL SHMESP
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Introduction générale
L’histoire lorraine comporte ses heures de gloire et ses personnages flamboyants, à l’image de Jeanne d’Arc. Comparé à elle, le duc Charles II, né vers 1375, arrivé au pouvoir quinze ans plus tard et mort le 25 janvier 1431, paraît, au premier abord, un personnage secondaire1. Pourquoi dès lors lui consacrer – comme au duché dont il fut le prince – l’étude qui suit ? La première raison tient à l’existence d’un vide bibliographique sur ce sujet. L’historiographie locale s’est peu intéressée au tournant des xive et xve siècles et a porté ses efforts sur d’autres périodes, jugées plus prestigieuses. Elle a privilégié le Haut Moyen Âge, au cours duquel la Lorraine pesait de manière décisive sur les destinées de la chrétienté occidentale2, et la période féodale, dont elle illustre parfaitement les enjeux, les problèmes et les conflits3. Plus tard, l’installation de la maison d’Anjou dans les duchés de Bar, puis de Lorraine en 1431 et, surtout, les guerres bourguignonnes des années 1470 et la bataille de Nancy en 1477, contribuent de nouveau à placer la région sous les feux de la rampe et à attirer l’attention des historiens4. Si la phase ultime de cette histoire, celle de l’affrontement entre les 1 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, Teil IV, Sarrebruck-Trèves, Akademische Buchhandlung Interbook, 1986, 497 p., p. 43 et 73. 2 Citons, entre autres ouvrages, F. Cardot, L’espace et le pouvoir. Étude sur l’Austrasie mérovingienne, Paris, 1987, 324 p. ; L. Dupraz, Le royaume des Francs et l’ascension politique des maires du palais au déclin du viie siècle (656-680), Fribourg, 1948, 426 p. ; E. Ewig, Trier im Merowingerreich, Trèves, 1954, 367 p. ; X. Delestre (dir.), Lorraine mérovingienne (ve-viiie siècle), Metz, éd. Serpenoise, 1988, 130 p. ; Saint Chrodegang. Communications présentées au colloque tenu à Metz à l’occasion du douzième centenaire de sa mort, Metz, 1967, 204 p. ; P. Riché, C. Heitz et F. Héber-Suffrin (dir.), Actes du colloque « Autour d’Hildegarde », Université de Paris X Nanterre, Centre de recherches sur l’Antiquité tardive et le Haut Moyen Âge, et Centre de recherches d’histoire et de civilisation de l’université de Metz, Cahier V, 1987, 127 p. ; L’avouerie en Lotharingie, Luxembourg, Publications de la section historique de l’Institut grandducal de Luxembourg, 1984, 270 p. ; E. Hlawitschka, Lotharingien und das Reich an der Schwelle der deutschen Geschichte, Sigmaringen, Schriften der Monumenta Germaniae Historica, 1968, 258 p. ; et R. Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens (843-923), Paris, Picard, 1898, 820 p. 3 On peut évoquer, sans souci d’exhaustivité, J. Choux, Recherches sur le diocèse de Toul au temps de la réforme grégorienne. L’épiscopat de Pibon (1069-1107), Nancy, 1952, 272 p. ; F.-R. Erkens, Die Trierer Kirchenprovinz im Investiturstreit, Cologne-Vienne, 1987, 336 p. ; M. Parisse, Noblesse et chevalerie en Lorraine médiévale, Nancy, P.U.N., 1982, 485 p. ; Remiremont, l’abbaye et la ville, Actes des journées d’études vosgiennes de Remiremont réunis par M. Parisse, Nancy, P.U.N., 1980, 369 p. 4 Même si les Angevins sont plus étudiés pour eux-mêmes que pour leurs liens avec la Lorraine, on trouve un certain nombre de travaux portant directement sur ce sujet, par exemple Cinq-centième anniversaire de la bataille de Nancy (1477), Nancy, 1979, 447 p. ; P. Marot, « Note sur l’intrusion bourguignonne en Lorraine au xve siècle. Les Neufchâtel et la maison d’Anjou », Annales de l’Est 44 (1930), p. 21-36 ; B. Schnerb, Bulgnéville (1431) : l’État bourguignon prend pied en Lorraine, Paris,
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maisons de Lorraine et de Bourgogne à partir de 1431, a été bien étudiée, il n’en va pas de même pour la période précédente, souvent reléguée en introduction ou résumée dans des chapitres préliminaires. C’est pourtant à cette époque que sont posés les jalons d’une évolution conduisant à la mort du Téméraire sous les murs de Nancy, en 1477. Ne serait-ce que pour cette raison, l’analyse du positionnement politique et diplomatique de Charles II revêt donc un grand intérêt. Géographiquement, le duché fait également figure de parent pauvre de l’historiographie lorraine, par comparaison avec les autres principautés régionales. En effet, à l’exception de l’étude de Heinz Thomas sur le Barrois et la Lorraine entre Royaume et Empire, l’essentiel des travaux consacrés aux ducs de Lorraine consiste en des catalogues de leurs actes, dont la liste se complète progressivement5. Mais, pour le duché à la fin du Moyen Âge, on ne trouve rien de comparable aux thèses consacrées au comte Édouard Ier de Bar et à la baronnie d’Apremont ou aux synthèses concernant le duché de Luxembourg, les comtés de Sarrewerden et de Vaudémont, ainsi que les seigneuries de Pierrefort et de Commercy6. Cela tient sans doute, au moins en partie, à la faiblesse intrinsèque de la principauté ducale de Lorraine. L’historiographie lorraine n’ignore toutefois pas complètement le personnage de Charles II. Les principaux historiens lorrains lui accordent toujours quelques lignes Economica, 1993, 186 p. ; Fr. Roth, Lorraine, Bourgogne et Franche-Comté. Mille ans d’histoire. Actes du colloque tenu les 13 et 14 novembre 2009 au conseil régional de Lorraine, Moyenmoutier, 2010, 372 p. Enfin, les travaux d’A. Girardot sur les Angevins en Lorraine font désormais référence : A. Girardot, « État et réformations en Lorraine angevine », in N. Coulet, J.-M. Matz (dir.), La noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Âge, actes du colloque international organisé par l’Université d’Angers, Angers-Saumur 3-6 juin 1998, École Française de Rome, diffusion de Boccard, 2000, 841 p., p. 49-69 ; A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », Le pays lorrain, 1978, p. 1-18 ; il a également grandement contribué à l’ouvrage de J.-M. Matz et E. Verry (dir.), Le roi René dans tous ses États, éd. du Patrimoine, Paris, 2009, 240 p. Citons enfin J.-M. Matz et N.-Y. Tonnerre (dir.), René d’Anjou (1409-1480). Pouvoirs et gouvernement, P.U.R., 2011, 400 p. 5 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium. Die Fürstentümer Bar und Lothringen zur Zeit Kaiser Karls IV, Bonn, 1973, 377 p. Pour ce qui est des catalogues d’actes, citons A.-M. Marionnet, Catalogue des actes de Thiébaut II, duc de Lorraine, université de Nancy, manuscrit, 1948 ; J. Bridot, Catalogue des actes de Ferry IV, duc de Lorraine (1312-1329), université de Nancy, manuscrit, 1949 ; H. Levallois, Catalogue des actes du duc Raoul de Lorraine de 1329 à 1346, manuscrit, 1902 ; Ch. Moreau, Catalogue des actes de Jean Ier, duc de Lorraine (1346-1390), mémoire de maîtrise de l’Université de Nancy II, dactylographié, 1986, 127 p. ; C. Rivière, Catalogue des actes de Jean Ier et de Charles II, ducs de Lorraine (1346-1431) : les origines de l’État lorrain, Mémoire de D.E.A. présenté sous la direction de M. le Professeur Michel Parisse, Université de Paris-I, dactylographié, 241 p. 6 F. Bichelonne, Édouard Ier, comte de Bar (1302-1336) et le redressement du comté, thèse de l’École des Chartes, dactylographié, 1962 ; M. Grosdidier de Matons, Le comté de Bar des origines au traité de Bruges (vers 950-1301), Paris, 1922, 737 p ; M. Auclair, Politique lignagère et ambitions comtales en Lorraine : famille et seigneurie d’Apremont des origines au début du xive siècle, 5 vol., Paris, École des Chartes, 1999 ; J. Goedert, La formation territoriale du pays de Luxembourg depuis les origines jusqu’au milieu du xve siècle, Luxembourg, 1963, 180 p. ; H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, Sarrebruck, 1959, 272 p. ; M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », in Mémoires de la Société d’Archéologie lorraine (MSAL), t. LXX, 1932, p. 181-408 ; t. LXXI, p. 1933, p. 209-354 et t. LXXIII, 1935, p. 1-137 ; H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », in MSAL, 1903, 283 p. ; S. François-Vivès, « Les seigneurs de Commercy au Moyen Âge (xie siècle – 1429) », in MSAL, 1936, 133 p.
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et présentent souvent de façon plus détaillée les circonstances de sa succession et le mariage de sa fille Isabelle avec René d’Anjou7. Dom Calmet, qui retrace la vie de tous les ducs de Lorraine, livre également de précieux renseignements8. Mais surtout, deux biographies de Charles II paraissent coup sur coup au début du xxe siècle. Si elles fourmillent d’informations, leur analyse reste tributaire des mentalités et des préoccupations de l’époque, marquées par le triomphe de l’État-nation et l’antagonisme exacerbé entre la France et l’Allemagne. Eugène Girod tente de disculper Charles II des accusations qui pèsent sur lui et de minimiser son rôle dans le camp bourguignon9. Plus neutre, Pierre Géant examine lui aussi le règne de ce duc à travers le prisme de la guerre de Cent ans et des progrès de l’influence française dans le duché10. Cette tendance marque d’ailleurs l’histoire de la Lorraine dans son ensemble. La plupart des auteurs focalisent sur les relations des Lorrains avec la France, négligeant du même coup les rapports, tout aussi fondamentaux, qu’ils entretiennent avec l’Empire11. Ces questions conservent aujourd’hui tout leur sens, même si elles ne se posent plus dans les mêmes termes. Le travail des deux érudits mérite cependant notre attention, à la fois pour la rigueur scientifique dont ils ont fait preuve et pour leur intuition du rôle charnière joué par Charles II dans l’histoire de la principauté ducale de Lorraine. Pour autant, notre but premier ne consiste pas à combler les lacunes de l’historiographie régionale. Nous nous inscrivons, plus largement, dans le cadre du renouveau qui caractérise l’histoire politique depuis maintenant plusieurs décennies. Un moment discréditée par l’école des Annales, celle-ci redevient actuellement l’un des principaux centres d’intérêt des chercheurs, après un profond renouvellement des questionnements et de la définition même du politique, non plus envisagé pour lui-même comme autrefois, mais inscrit désormais au cœur de la société et de son évolution12. Sans doute la physionomie des recherches lorraines sur la fin du Moyen Âge tient-elle partiellement à la perte provisoire de considération pour l’histoire politique. Toujours est-il que la plupart des travaux récents ont concerné l’économie ou la société. Dans ce domaine, les
7 Un manuscrit généalogique anonyme rédigé à la fin du xviie siècle consacre 20 lignes à Charles II. 16 d’entre elles concernent la transmission du duché à René d’Anjou (BnF Col. Lor., no 1, f.°60). Il en va, globalement, de même pour toutes les histoires de la Lorraine. 8 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, nouvelle éd., Nancy, 1745-1757, 7 vol., tome III, p. 493-620. 9 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, ses relations avec la France et l’Empire de 1390 à 1420, thèse manuscrite de l’École des Chartes, 1912, 162 p. À l’inverse de beaucoup d’autres historiens, cet auteur arrête ses recherches avec le mariage de René d’Anjou et d’Isabelle de Lorraine. 10 P. Géant, « Étude sur le règne de Charles II, duc de Lorraine », Annales de l’Est, Nancy, 1902, p. 432447, p. 441-442, conclut en effet le récit du règne de ce prince de la manière suivante : « La série de ces événements est en somme très secondaire. Les relations du duc avec la France ont emporté tout l’intérêt. (…) Le duché, détaché de l’Empire, se tourne définitivement vers la France ». Ce jugement nous semble excessif. 11 Cette disproportion transparaît à travers le titre même de certains ouvrages, tels que ceux de M. de Pange, Les Lorrains et la France au Moyen Âge, Paris, Champion, 1919, ou de Ch. Aimond, Les relations de la France avec le Verdunois de 1270 à 1552, Paris, Champion, 1910, 574 p. 12 On trouve un exposé des grandes lignes de ce renouvellement dans l’ouvrage collectif publié sous la direction de René Rémond, Pour une histoire politique, Paris, Le Seuil, 1988, 400 p.
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œuvres les plus marquantes sont celles d’Alain Girardot, qui s’est intéressé à l’impact de la crise économique des xive-xve siècles sur la société du Verdunois, et de Jean-Marie Yante, qui a reconstitué l’évolution économique et commerciale d’une petite région rurale sur plus de trois siècles, le Luxembourg mosellan13. Au croisement de l’histoire sociale, économique et politique, les villes ont également fait l’objet d’une attention constante de la part des historiens de la Lorraine. Aux ouvrages anciens, mais toujours valables, de Pierre Marot sur Neufchâteau et du doyen Schneider sur Metz ont succédé les études, plus récentes, de Jean-Luc Fray sur Nancy et sur le réseau urbain régional et celle de Damien Vaisse sur Toul14. Les chercheurs allemands de l’Université de Trèves ont quant à eux tenté de définir le concept de ville cathédrale, à partir des exemples toulois et verdunois15. En comparaison, les principautés et les structures politiques de l’espace lorrain ont été plus ou moins laissées de côté depuis près d’un siècle. Il a par conséquent paru utile, sinon indispensable, de réinterpréter les connaissances et les documents dont nous disposons sur le duché et sur Charles II à la lumière de ces nouvelles problématiques. L’homme en effet ne peut pas être dissocié de son entourage politique, ni de son environnement social et culturel. Le faible poids politique du duché de Lorraine n’explique pas à lui seul le désintérêt des historiens pour cette principauté et pour le règne de Charles II. La nature de la documentation disponible entre elle aussi en ligne de compte. Les sources ne manquent pas pour les deux derniers siècles du Moyen Âge, dispersées aux quatre coins de la France et dans plusieurs autres pays européens. L’invasion de la Lorraine par les troupes françaises, à plusieurs reprises au cours du xviie siècle, est en grande partie responsable de cet éparpillement. Le Trésor des chartes de Lorraine constitue le fonds le plus important16. Bon nombre de chartes ont disparu et sont actuellement portées en déficit. Mais deux précieux inventaires de l’époque moderne permettent de remédier à certaines pertes. Nous nous appuierons essentiellement sur celui d’Honoré Dufourny, plus complet et plus sérieux que celui de Lancelot17, qui contient de nombreuses erreurs de datation. Établi à l’occasion du transfert du Trésor à la citadelle de Metz sur ordre
13 A. Girardot, Le droit et la terre : le Verdunois à la fin du Moyen Âge, Nancy, P.U.N., 1992, 976 p. ; J.-M. Yante, Le Luxembourg mosellan : productions et échanges commerciaux 1200-1560, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1996, 540 p. 14 P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », in MSAL, 1932-33, 404 p. ; J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, Nancy, 1950, 606 p. ; J.-L. Fray, Nancy-le-Duc : essor d’une résidence princière dans les deux derniers siècles du Moyen Âge, Nancy, Société Thierry Alix, 1986, 344 p ; J.-L. Fray, Réseau urbain et perception de l’espace : essai d’application de la théorie de la centralité au cas de la Haute-Lorraine médiévale, Dossier d’Habilitation à diriger les Recherches, Université de Paris I, 1997 ; et D. Vaisse, La communauté urbaine de la cité de Toul du milieu du xive à la fin du xve siècles, Paris, École Nationale des Chartes, 1999, 3 vol., 865 p. 15 G. Bönnen, Die Bischofsstadt Toul und ihr Umland während des hohen und späten Mittelalters, Trèves, 1995, 687 p. ; F. G. Hirschmann, Verdun im hohen Mittelalter : eine lothringische Kathedralstadt und ihr Umland im Spiegel der geistlichen Institutionen, 3 vol., Trèves, 1996, (Trierer Historische Forschungen), 1027 p. 16 Le Trésor occupe les volumes 475 à 966 de la série B. 17 Archives départementales de Meurthe-et-Moselle (A.D. M.M) B 436 à B 468. Disponible en ligne : (page consultée le 13 novembre 2017).
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de Louis XIV après la suppression de la Chambre des comptes de Lorraine en 1670, le premier se trouve aux Archives Nationales18, le Trésor revint à Nancy, très mutilé, en 1699. Une partie fut emmenée en Toscane par le duc François III lors de son mariage avec Marie-Thérèse d’Autriche en 1737, et constitua le « fonds lorrain de Vienne »19. Quant aux documents restés à Paris, ils furent regroupés dans la collection de Lorraine de la Bibliothèque nationale, inventoriée à la fin du xixe siècle par Paul Marichal20. Ce sont là les sources les plus nombreuses. Il convenait toutefois de leur adjoindre les fonds de la bibliothèque municipale de Nancy21, ainsi que de nombreux documents des séries B, G et H des archives de Meurthe-et-Moselle22. Par ailleurs, le poids des abbayes et chapitres de chanoines vosgiens d’Étival, de Moyenmoutier, de Remiremont et de Saint-Dié au sein du duché de Lorraine a rendu nécessaire de consulter les fonds concernant ces établissements, conservés aux Archives départementales des Vosges, à Épinal23. Charles II entretient par ailleurs des contacts réguliers avec les autres princes et seigneurs de la Lorraine, du royaume de France et de l’Empire. Le morcellement politique de l’espace lorrain, l’imbrication et la proximité des différentes entités expliquent la fréquence des relations entre le duc de Lorraine et son voisin barrois, ainsi qu’avec les trois évêchés et cités de Metz, Toul et Verdun. Les archives départementales de la Moselle et de la Meuse en portent la trace24. Du côté du Royaume, nous avons déjà fait allusion à la pression exercée par les rois de France sur le duché de Lorraine, directement ou par l’intermédiaire du duché de Bourgogne. Les sources concernant la Lorraine dans les Archives nationales ou bourguignonnes ne sont pas très nombreuses25, mais ces 18 Archives nationales (A.N.) KK 1116 à KK 1128 : Honoré Dufourny, Inventaire du Trésor des chartes de Lorraine. Celles-ci sont regroupées en layettes, et classées par ordre alphabétique des prévôtés, seigneuries et domaines. Nous donnerons toujours le nom de chaque layette. Les sept tomes de cet inventaire sont désormais disponibles en ligne, sur Gallica (, page consultée le 7 août 2018). 19 A.D.M.M. 3 F. Voir également M. Dieterlin, « Le fonds lorrain aux archives de Vienne », MSAL, 1913, p. 5-52. 20 P. Marichal, Catalogue des manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale, sous les nos 1 à 725, de la collection de Lorraine, (Recueil de documents sur l’histoire de Lorraine, tome XVII), Nancy, 1896, 480 p. 21 Bibliothèque municipale de Nancy (B.M. Nancy), Ms. nos 39 (Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz), 189 et 237 (recueils d’ordonnances ducales) et 353 (Obituaire du chapitre de la collégiale SaintGeorges de Nancy). 22 A.D.M.M. B 337 à B 426 (Cartulaire de Lorraine, dressé par Thierry Alix) et A.D.M.M., séries G et H. Le cartulaire de Lorraine contient notamment la liste des fiefs de chacun des trois bailliages du duché. Il rassemble également les traités passés par les ducs avec les autres princes lorrains et les rois de France. Quant aux séries G et H, concernant le clergé régulier et séculier, elles abritent des documents relatifs à la politique religieuse de Charles II et au système judiciaire de la principauté lorraine. 23 Archives départementales des Vosges (A.D.V.) G 230 à G 800 pour Saint-Dié, G 838 à G 2180 pour Remiremont, H 1 à H 71 pour Moyenmoutier et sous-série XVII H pour Étival. 24 Archives départementales de la Moselle (A.D. Mos.) G 5, cartulaire des évêques de Metz ; A.D. Mos. B 2343-2344, chartes des abbayes de Saint-Martin devant Metz et Saint-Pierre-aux-Nonnains ; Archives départementales de la Meuse (A.D. Meuse), série B, comptes du duché de Bar. 25 Bibliothèque nationale de France (BnF), Col. Bourg., Ms nos 21, 23, 25 et 65 ; Archives départementales de la Côte-d’Or (A.D. Côte d’Or), série B, comptes du duché de Bourgogne ; A.N., notamment séries J et K.
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documents revêtent toujours une importance majeure pour notre sujet. Vers l’est, les choses se compliquent fortement, car le duché de Lorraine jouxte un grand nombre de seigneuries, de comtés et de principautés, dont les archives se dispersent dans les principales villes d’Alsace et des trois Länder allemands de Sarre, de Rhénanie-Palatinat et de Bade-Wurtemberg. Pour la plupart des forces politiques en question, la tradition germanique des Regesten est fort heureusement venue à notre secours, en nous permettant de recourir directement aux catalogues d’actes établis par les historiens allemands. Édités à la fin du xixe siècle, les Reichstagsakten rassemblent notamment la plupart des textes concernant les rapports entre les ducs de Lorraine et les empereurs26. Mais bien d’autres recueils existent également pour des seigneurs beaucoup plus proches de la principauté lorraine, comme l’électeur palatin, le duc de Luxembourg, l’archevêque de Trèves, les comtes de Deux-Ponts et de Sarrebruck dans la Sarre ou les sires de Ribeaupierre en Alsace27. À première vue plus éparpillée, la documentation de langue allemande s’avère dans une certaine mesure plus accessible à l’historien que les sources francophones. Tout cela constitue finalement une masse considérable28. Le principal obstacle à l’étude du duché de Lorraine sous le règne de Charles II ne réside pas tant dans la rareté des archives à notre disposition que dans leur uniformité. La majeure partie d’entre elles est en effet de nature diplomatique. Cela vaut pour les chartes émanant du pouvoir ducal – fondations religieuses, confirmation de privilèges, concession de fiefs, traités conclus avec d’autres princes, etc. – ou des principales institutions du duché – verdict des tribunaux lorrains, etc. – comme pour celles des suzerains, des voisins ou des sujets de Charles II. Toutes – ou presque – ont un aspect formel et une portée solennelle. Toutes – ou presque – entendent instituer une norme dont il est parfois difficile de savoir dans quelle mesure elle correspond vraiment à la réalité. Dans ces conditions, comment sortir des problématiques de l’histoire politique et diplomatique traditionnelle ? Comment renouveler nos questionnements ? Plus encore que l’obscurité du personnage, la nature de la documentation a peut-être contribué à décourager les historiens contemporains de se pencher sur le duché à l’époque de Charles II. On peut naturellement trouver d’autres types de sources, à la fois plus vivantes et plus concrètes, mais elles ne sont pas si nombreuses dans la Lorraine ducale de la fin du Moyen Âge. Prenons l’exemple des chroniques : la première Chronique de Lorraine, peutêtre rédigée par un membre de la cour de Nancy, date du temps de René II, à l’extrême 26 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, Munich, 1867-1888, tomes IV à IX. 27 K. Albrecht, Rappolsteinisches Urkundenbuch (759-1500), Colmar, 1891, 3 vol. ; A. de Circourt, N. van Werveke, Documents luxembourgeois à Paris, concernant le gouvernement de Louis d’Orléans, Luxembourg, Publications de l’Institut grand-ducal et royal de Luxembourg, 1889 ; A. Goerz, Regesten der Erzbischöfe zu Trier von Hetti bis Johann II, Trèves, 1859-1861, 382 p. ; A. Junck, « Regesten zur Geschichte der ehemaligen Nassau-Saarbrücker Lande », Mitteilungen des historischen Vereins für die Saargegend, 1913 ; A. Koch et J. Wille, Regesten der Pfalzgrafen am Rhein (1214-1508), Innsbruck, 1894, 521 p. ; C. Pöhlmann, Regesten der Grafen von Zweibrücken aus der Linie Zweibrücken, Spire, 1962, 465 p. 28 C. Rivière, Catalogue des actes de Jean Ier et Charles I, op. cit. Ce mémoire recense 1197 actes intéressant les ducs de Lorraine de 1346 à 1431, dont 776 pour le seul Charles II. Encore n’avions nous eu à cette époque accès qu’aux fonds de Nancy et de Paris. Depuis lors, des dépouillements beaucoup plus systématiques nous ont permis d’augmenter encore ce corpus dans des proportions très importantes.
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fin du xve siècle29. Ce texte pose de redoutables problèmes d’analyse et les affirmations de l’auteur relatives à la seconde moitié du xive et au début du xve siècle s’avèrent assez souvent fantaisistes. Plus talentueux et plus intéressants sont les chroniqueurs originaires de la ville de Metz ou du royaume de France, qui présentent également l’avantage d’être étrangers au duché et nous permettent par conséquent de confronter leurs points de vue avec celui du duc de Lorraine ou de ses conseillers, que nous connaissons par ailleurs30. En revanche, ils ne centrent pas leur récit sur la principauté lorraine. Pour cette période, les médiévistes font d’ordinaire grand usage des comptes. Mais dans le duché de Lorraine, les premiers registres n’apparaissent qu’au cours de la deuxième décennie du xve siècle et, en l’absence de toute série importante, ils ne nous livrent que des renseignements épars, disparates et d’interprétation souvent difficile31. Reste enfin la correspondance privée de Charles II, beaucoup moins codifiée et normative que les actes officiels, même si elle aussi obéit à des règles strictes. Malheureusement, les lettres et les mandements reçus ou envoyés par le duc ne sont pas parvenus jusqu’à nous, à une seule exception près : les Archives communales de Metz détiennent une centaine de missives échangées, dans les années 1410 et 1420, entre les dirigeants de la cité mosellane et le duc de Lorraine32 ! Elles présentent un grand intérêt, tant par leur nombre que par le ton adopté par les correspondants. Mais elles font regretter d’autant plus amèrement l’absence de tels dossiers pour les autres princes avec lesquels Charles II est entré en relation au cours de son règne.
29 L. Marchal (éd.), « La chronique de Lorraine », in Recueil de documents sur l’histoire lorraine, Nancy, Wiener et fils, 1859. L’auteur passe très rapidement sur les règnes de Jean Ier et de Charles II. Il n’y consacre guère plus d’une trentaine de pages, qui comprennent par ailleurs le récit de l’épopée de Jeanne d’Arc. L’abbé Marchal pense que cette œuvre a été écrite par Chrétien de Châtenois, secrétaire du duc René II, à la fin du xve ou au début du xvie siècle. Le récit des guerres menées par ce prince contre le duc de Bourgogne Charles le Téméraire entre 1473 et 1477 représente en effet le point central de la chronique. 30 À Metz, l’historiographie urbaine se développe au cours du xve siècle. Philippe de Vigneulles est bien entendu le chroniqueur le plus connu [Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, 4 vol., Metz, 1927-1933]. Mais la Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, B.M. Nancy, Ms. 39, plus centrée sur les événements locaux, fournit des renseignements plus précis sur les années 14201440. Enfin, un érudit lorrain a rassemblé en un seul volume l’ensemble des chroniques messines : J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, recueillies, mises en ordre et publiées pour la première fois, Metz, S. Lamort, 1838, 896 p. À la même époque, les chroniqueurs français sont évidemment légion. Nous nous appuierons surtout sur les œuvres d’Enguerran de Monstrelet et du religieux de Saint-Denis : L. Douët-d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, en deux livres, avec pièces justificatives (1400-1444), Paris, 1857-1862, 6 vol. ; et Chronique du religieux de Saint-Denys, concernant le règne de Charles VI de 1380 à 1422, publiée en latin et traduite par M.-L. Bellaguet, introduction de B. Guenée, Paris, CTHS, 3 vol., 1994. 31 Les quelques comptes disponibles se trouvent aux Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, sous les cotes B 1919, B 1920, B 1921 (bailliage des Vosges, 1424-1425 et 1426-1427), B 5241, B 5242 (châtellenie de Dieuze, 1419-1423 et 1425-1430), B 7232, B 7233, B 7234 (bailliage de Nancy, 1420-1421, 1424-1425 et 1427-1428), B 8466 (saline de Rosières, 1427-1428) et B 9352, B 9353, B 9354 (péage de Sierck-sur-Moselle, 1427-1428). 32 Archives communales de Metz (Arch. Com. de Metz), AA 11, nos 1 à 101. Ces documents couvrent une période de 23 ans, allant du 11 juillet 1409 au 16 février 1432 et marquée par des conflits incessants entre le duc de Lorraine et la cité de Metz.
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Les sources disponibles sur le duché de Lorraine au tournant des xive et xve siècles peuvent donc rebuter le chercheur soucieux de ne pas s’en tenir à une histoire politique traditionnelle de la principauté. Il demeure néanmoins possible de contourner cet obstacle, à condition d’adopter des grilles d’analyse transversales à l’ensemble des documents, de ne pas examiner uniquement leur dispositif et de leur poser de nouvelles questions. Nos questionnements sont en partie conditionnés par la période étudiée et la situation géographique du duché. Mais ils correspondent aussi aux interrogations actuelles des historiens du politique. Dans les principales monarchies européennes, la fin du Moyen Âge et tout particulièrement le tournant des xive et xve siècles sont marqués par la « genèse de l’État moderne », qui se traduit par un changement des méthodes de gouvernement et par la mise en place de nouvelles institutions administratives. Jean-Philippe Genet, qui a étudié l’évolution des pouvoirs en Europe occidentale depuis les années 1280, s’est fait le théoricien et l’infatigable promoteur de ce concept. Il a publié une vaste synthèse concernant le cas anglais33. Nous nous demanderons si le duché de Lorraine a été ou non touché par un processus qui a concerné la plupart des principautés de l’époque, en essayant d’appliquer à l’exemple lorrain la grille d’analyse mise en place par cet auteur. Dans cette optique, nous nous intéresserons tout particulièrement aux structures institutionnelles de la Lorraine ducale, car elles constituent le meilleur critère de mesure du niveau d’étatisation réel d’une principauté34. Selon nous, les institutions n’englobent pas seulement le domaine du droit public. Elles doivent être comprises dans un sens beaucoup plus large, proche de la définition que Gert Melville donne du terme « institutionnalité » : Il y a « institutionnalité » là où l’on peut constater l’efficacité réelle du travail de mise en ordre que représente la référence, par l’intermédiaire de la représentation symbolique des principes de mise en ordre (par exemple les « idées directrices ») et de leurs exigences de validité, à un univers de sens et des valeurs à fondement culturel devant être valables en toute situation, une référence qui est ainsi à même de conférer aux
33 J.-Ph. Genet, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, Paris, P.U.F. (Le nœud gordien), 2003, 401 p., a organisé de très nombreux colloques sur les différents aspects de la notion : École Française de Rome : Culture et idéologie dans la genèse de l’État moderne, 1985 ; J.-Ph. Genet et B. Vincent (dir.), État et Église dans la genèse de l’État moderne, Madrid, Casa de Velasquez, 1986 ; J.-Ph. Genet et M. Le Mené (dir.), Genèse de l’État moderne : prélèvement et redistribution, Paris, éd. du CNRS, 1987 ; J.-Ph. Genet et N. Bulst (dir.), La ville, la bourgeoisie et la genèse de l’État moderne, Paris, éd. du CNRS, 1988 ; J.-Ph. Genet et N. Coulet (dir.), L’État moderne : le droit, l’espace et les formes de l’État, Paris, éd. du CNRS, 1990 ; J.-Ph. Genet (dir.), L’État moderne. Genèse. Bilans et perspectives, Paris, Presses du CNRS, 1990 ; J.-Ph. Genet et G. Lottes (dir.), L’État moderne et les élites xiiie-xviiie siècles : apports et limites de la méthode prosopographique, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996. Enfin, la parution d’un manuel universitaire prouve l’importance de cette problématique pour l’historiographie actuelle des derniers siècles du Moyen Âge : J. Kerhervé, La naissance de l’État moderne (1180-1492), Paris, Hachette, Carré Histoire, 1998, 271 p. 34 La croissance du pouvoir et des organes administratifs tient une place essentielle dans le processus de dépersonnalisation du pouvoir que constitue la naissance de l’État moderne. J. Kerhervé, La naissance de l’État moderne…, op. cit., p. -23, 98-105, 172-178, 201-204 et 221-230.
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processus de déroulement de l’action et de la communication sociales une continuité et une répétitivité uniformes35.
Simplifions. Selon cette conception, l’ensemble des comportements sociaux et culturels possède un caractère institutionnel. Melville estime impossible de dissocier l’étude des institutions de celle du reste de la société, tout comme Jean-Philippe Genet considère que La liaison entre l’affirmation d’un État et celle d’une langue et d’une culture n’est pas seulement une coïncidence chronologique. Un État et, nous le verrons, tout particulièrement ce type d’État que l’on peut appeler l’État moderne, ne se développe et ne se renforce que par l’adhésion que lui apporte la société politique dont il est à la fois l’expression et l’instrument36.
Loin de se limiter aux seules instances gouvernementales de la principauté, notre travail englobera donc la totalité de la société politique du duché de Lorraine et s’interrogera sur les valeurs qui la cimentent et qui la rapprochent ou la distinguent des territoires voisins. Seule une approche comparative peut en effet permettre de dégager les spécificités de l’évolution politique de la Lorraine ducale à la fin du Moyen Âge. Reste à définir le niveau de comparaison le plus judicieux. De ce point de vue, il va de soi que les royaumes de France et d’Angleterre ne correspondent pas à des entités politiques du même type que le duché de Lorraine. L’échelon des principautés territoriales convient en revanche beaucoup mieux. Or, il se trouve que la réflexion historiographique française est dans ce domaine assez avancée. De nombreuses études, concernant par exemple les duchés de Bourbon, de Bourgogne ou de Bretagne, le comté de Savoie, la vicomté de Béarn ou encore, du côté de l’Empire, le Palatinat, ont forgé le concept d’État princier37. Les principautés qui relèvent de cette catégorie se dotent d’une administration hiérarchisée, souvent imitée du modèle royal, et le prince tend à y exercer toutes les prérogatives de la puissance publique (fiscalité, justice, monnaie, armée, indépendance diplomatique) […] ; en même temps, elles cherchent à rassembler la société politique autour de la dynastie princière par la réunion de fréquentes assemblées
35 G. Melville, « L’institutionnalité médiévale dans sa pluridimensionnalité », in J.-C. Schmitt et O. G. Oexle (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, 654 p., p. 243-264, p. 243. 36 J.-Ph. Genet, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, op. cit., p. 4. L’auteur accorde une très grande place à l’étude de la société et de la culture anglaises à la fin du Moyen Âge, expliquant que son « projet ne pouvait s’accommoder des objectifs traditionnels de l’histoire des idées (en l’occurrence, politiques) au sens habituel du terme, ni d’ailleurs de ceux de l’histoire politique proprement dite […] ». 37 A. Leguai, De la seigneurie à l’État : le Bourbonnais pendant la guerre de Cent ans, Moulins, 1970, 434 p. ; O. Mattéoni, Servir le prince : les officiers du duc de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, 507 p. ; B. Schnerb, L’État bourguignon (1363-1477), Paris, Perrin, 1999, 474 p. ; J. Kerhervé, L’État breton aux xive et xve siècles : les ducs, l’argent et les hommes, Paris, Maloine, 1987, 1078 p. ; R. Brondy, B. Demotz, J-P. Leguay, La Savoie de l’an mil à la Réforme, xie-début xvie siècle, Rennes, 1984, 455 p. ; P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn, Paris, 1961, 469 p. ; H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate in the fifteenth century, Oxford, 1965, 255 p. ; K.-H. Spiess, Lehnsrecht, Lehnspolitik und Lehnsverwaltung der Pfalzgrafen am Rhein im Spätmittelalter, Wiesbaden, 1978, 289 p.
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représentatives, et à susciter la cristallisation d’un sentiment identitaire, appuyé notamment sur l’histoire, indispensable à l’inscription dans la durée d’un État princier38.
Nous nous efforcerons donc de confronter, le plus régulièrement possible, notre analyse des structures politiques du duché de Lorraine avec les conclusions établies par les historiens mentionnés ci-dessus, afin de définir la nature de la principauté ducale à la fin du règne de Charles II : peut-on à son égard parler ou non d’État princier ? Restreindre la problématique de la genèse de l’État moderne à celle de la mise en place éventuelle d’un État princier dans la Lorraine ducale au début du xve siècle présente également l’avantage de limiter le champ de nos investigations. La naissance de l’État moderne s’étend en effet sur une très longue durée, allant de la fin du xiiie au milieu du xviie siècle39. Dans le cadre d’une thèse de doctorat, il était rigoureusement impossible d’embrasser une période aussi vaste. Mais on peut considérer que la formation des États princiers au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge constitue une transition entre la conception féodale du pouvoir et celle de la Renaissance, moins dépendante des relations personnelles. Dans ces conditions, il devient possible de prendre le duché de Lorraine comme exemple pour déterminer les circonstances dans lesquelles une principauté parvient à sortir du féodalisme : le fait-elle sur le mode de la rupture, ou bien les structures féodales sont-elles au contraire réinvesties dans l’État princier ? Cette question nous incitera à centrer notre attention sur les prémices de cette évolution, notamment à travers l’émergence d’institutions nouvelles. À cheval sur deux époques, le duc Charles II a deux suzerains, le roi de France et l’empereur40. La Lorraine constitue ce que l’on appelle un « pays d’Entre-Deux ». Certes, cette expression peut paraître quelque peu floue et galvaudée. Mais outre son caractère très pratique, elle a le mérite de mettre l’accent sur une réalité particulièrement prégnante pour la région en cette fin du Moyen Âge41. En effet, le royaume de France, ainsi que l’Empire dans une moindre mesure, deviennent à cette époque des États souverains. Au problème de la double vassalité s’ajoute par conséquent celui de la nature de la domination exercée par les deux monarques sur le duc, suzeraineté ou souveraineté, et celui du passage de l’une à l’autre. Se pose aussi la question de l’influence respective de la France et de l’Empire sur le duché de Lorraine et des différents modèles étatiques auxquels il se trouve confronté. Nous retrouvons ici le problème de la genèse de l’État, mais nous rencontrons également l’un des principaux centres d’intérêt de
38 Cl. Gauvard, A. de Libera, M. Zink (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, P.U.F., 2002, 1548 p., article « principautés territoriales », écrit par J. Kerhervé, p. 1147-1149, p. 1148. Cette définition, aujourd’hui admise par tous les médiévistes, représente l’aboutissement d’un long travail de réflexion collective, engagé notamment par l’article d’A. Leguai, « Les "États" princiers en France à la fin du Moyen Âge », Annali della Fondazione italiana per la storia economica, no 4, 1967, p. 133-157. 39 J.-Ph. Genet, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, op. cit., p. 367. 40 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium…, op. cit. ; il existe un compte-rendu de cet ouvrage en langue française, réalisé par J. Schneider, « Entre le Royaume et l’Empire : à propos d’un livre récent », Annales de l’Est, 1977, no 1, p. 1-27. 41 Les pays d’Entre-Deux au Moyen Âge : questions d’histoire des territoires d’Empire entre Meuse, Rhône et Rhin, Actes du 113e congrès national des sociétés savantes, Strasbourg, 1988, Section d’histoire et de philologie, Paris, 1990, 336 p. Voir également ci-dessous figure 1 : « Les pays d’"Entre-Deux" vers 1390 ».
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l’historiographie médiévale allemande, très soucieuse des relations qu’entretiennent entre elles les diverses principautés qui composent l’Empire à cette époque42. Dans ce domaine également, il importe de ne pas s’en tenir uniquement aux contacts entre les princes ou entre les institutions, mais de prendre en compte l’ensemble de la société politique, « constituée par tous ceux qui ont une relation au pouvoir, que cette relation soit directe ou indirecte, proche ou lointaine, centrale ou périphérique ». JeanPhilippe Genet a bien perçu l’ambiguïté de ce concept, notamment la difficulté qu’il y a à en délimiter précisément les contours43. Seule la démarche prosopographique permet d’y parvenir de manière satisfaisante. Nous l’adopterons donc, dans le but de reconstituer l’entourage des ducs de Lorraine au début puis à la fin du règne de Charles II44. Enfin, « toute histoire politique est nécessairement histoire culturelle prise au sens large d’histoire des idées, des croyances, des représentations, de l’imaginaire et des comportements »45. Saisir l’évolution politique du duché de Lorraine au tournant des xive et xve siècles suppose par conséquent de déterminer la culture politique de la société ducale et ses éventuelles modifications, sous le poids des événements et des influences qui s’exercent sur la principauté. Celle-ci est le fruit d’un processus historique qui combine, dans un ensemble solidaire, des idées, des événements qui prennent valeur de mythes fondateurs avec les aspirations de la population, pour constituer cet ensemble de représentations porteuses de valeurs et de normes, qui fait figure d’idéal mobilisateur d’un groupe à un moment donné de l’histoire. Cette élaboration est lente car elle se nourrit d’un devenir historique qui prend valeur signifiante46. Forgée dans un premier temps pour la période contemporaine, cette notion a également été adoptée par les médiévistes qui souvent cependant ne l’appliquent 42 En ce qui concerne la place de l’histoire politique et institutionnelle dans la tradition médiévistique allemande, voir F. Graus, « Verfassungsgeschichte des Mittelalters », Historische Zeitschrift no 243 (1986), p. 549-589. 43 J.-Ph. Genet, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, op. cit., p. 58-59 et 106. L’auteur évoque « l’ambiguïté structurelle de la notion même de société politique ». Elle peut être « entendue au sens restreint des classes dirigeantes formées de ceux qui participent au gouvernement ou qui influent sur lui », ou bien élargie à l’ensemble de la société civique. Mais, à la différence de l’Angleterre de la fin du Moyen Âge, la masse de la population du duché de Lorraine n’influe aucunement sur la vie politique, même dans des moments exceptionnels. J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 139, note que la première révolte des Nancéiens survient en 1431, à la mort de Charles II, et obéit « plus à des motivations morales et des rancœurs personnelles qu’à des mobiles politiques ». Il semble donc que nous puissions restreindre la société politique lorraine aux personnes qui participent, directement ou non, au pouvoir et à l’administration de la principauté ducale. 44 Pour tout ce qui concerne l’utilisation de cette méthode dans l’analyse du processus d’étatisation, voir J.-Ph. Genet et G. Lottes, L’État moderne et les élites (xiiie-xviiie siècles) : apports et limites de la méthode prosopographique, op. cit., passim. À propos de l’étude des cours, voir A. Marchandisse et J.-L. Kupper (éd.), « À l’ombre du pouvoir » : les entourages princiers au Moyen Âge, Liège, 2003, 412 p. 45 F. Collard, Pouvoirs et culture politique dans la France médiévale (ve-xve siècle), Paris, Hachette, Carré Histoire, 1999, 255 p., p. 3. 46 S. Berstein, « L’historien et la culture politique », Vingtième siècle, no 35, juillet-septembre 1992, p. 67-77, p. 73. Les grandes lignes de cet article ont également été reprises par l’auteur quelques années plus tard, dans « La culture politique », in J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, L’univers historique, 1997, 460 p., p. 371-386.
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pas à la société dans son ensemble, mais seulement à ceux qui d’une manière ou d’une autre participent au pouvoir. Nous examinerons donc la société et la culture politiques de la Lorraine ducale à l’aune des critères constitutifs d’un État princier, mais aussi en fonction de leurs rapports avec celles de l’Empire et du royaume de France. Ce faisant, nous nous situons au carrefour des préoccupations des médiévistes français et allemands, puisque les intentions et les points de vue ont eu récemment tendance à se croiser à la faveur d’une certaine « politisation » de l’histoire sociale côté français (le droit, la norme, l’État) et d’une certaine « socialisation » de l’histoire institutionnelle en Allemagne47.
Il semble donc acquis désormais que l’on ne puisse plus opérer une délimitation stricte entre les domaines politique, social et culturel. Ce constat permet de relier l’une à l’autre nos deux interrogations relatives à l’étatisation du duché de Lorraine et aux pressions contradictoires qui pèsent sur cette principauté. Les derniers siècles du Moyen Âge se caractérisent en effet par les progrès de la France dans la région. Somme toute, l’histoire du duché ne peut-elle pas être envisagée sous l’angle de l’acculturation progressive de la Lorraine aux conceptions politiques de la monarchie française, c’est-à-dire aux structures et aux institutions de l’État moderne ? Il peut paraître curieux d’utiliser un concept a priori réservé aux situations coloniales et abandonné par bon nombre d’historiens en raison de sa connotation péjorative très marquée. On notera toutefois qu’« utiliser le terme d’acculturation, c’est engager une réflexion, en aucun cas conclure sur l’interprétation d’une évolution culturelle »48, et que le champ de cette notion ne se limite pas « à la rencontre de cultures hétérogènes dans l’espace », [mais s’étend aussi] « à la coexistence dans une même société de différentes strates temporelles : aux dénivellations, aux conflits et aux modifications du sens qui résultent de la pluralité des durées historiques49.
Ainsi les travaux des anthropologues ont-ils abouti à une grille d’analyse permettant de décrire très précisément ces phénomènes. Nous nous en servirons le moment venu et montrerons qu’ils peuvent éclairer d’une manière nouvelle le comportement politique de Charles II et l’évolution de la principauté ducale tout au long de son règne. Le but de ce travail conditionne également la démarche adoptée. Étudier un processus d’acculturation suppose d’identifier une situation de départ et un point
47 P. Monnet, « Conclusions », in J.-C. Schmitt et O. G. Oexle (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, op. cit., p. 363-386, p. 364-365. 48 S. Abou, L’identité culturelle, relations interethniques et problèmes d’acculturation, Paris, 1981, 235 p., p. 24, cité par C. Courbot, « De l’acculturation aux processus d’acculturation, de l’anthropologie à l’histoire. Petite histoire d’un terme connoté », in Hypothèses 1999, Travaux de l’école doctorale d’histoire de l’Université de Paris-I, Publications de la Sorbonne, p. 129. 49 N. Wachtel, « L’acculturation », in J. Le Goff et P. Nora, Faire de l’histoire. Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard, 1974, 230 p., p. 124-145, p. 144. Cette notion est selon lui susceptible de renouveler complètement la science historique, à condition de l’aborder avec le bagage et les outils (de vocabulaire notamment) de l’anthropologie, de s’affranchir des débats de l’histoire coloniale qui ont abouti à son rejet et d’adopter « deux méthodes complémentaires : d’une part l’inventaire comparatif, d’autre part l’analyse à la fois structurale et historique de chaque cas concret. » (ibid., p. 144).
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d’aboutissement, même provisoire, et de caractériser les modalités selon lesquelles le modèle extérieur a été proposé à une société donnée et reçu par elle. Charles II accède au pouvoir à la fin du xive siècle, en 1390. Cet événement ne constitue pas en soi une rupture. Le nouveau duc hérite d’une principauté dont le contour et les cadres, délimités depuis plusieurs décennies, n’ont guère changé sous le règne de son père, Jean Ier (1346-1390), qui se distingue par son faible niveau d’étatisation et par des institutions encore largement informelles. Les catégories sociales qui composent l’entourage ducal, les valeurs de la société politique du duché sont largement partagées par toutes les entités politiques de l’espace lorrain, et elles déterminent des comportements étranges, voire répréhensibles, pour un sujet du Royaume, plus proches en revanche des mentalités impériales. Cette singularité relative rend possible le déclenchement d’un phénomène d’acculturation. Le début du xve siècle marque l’entrée de la Lorraine sur la scène internationale. Commence alors une série de bouleversements et de conflits qui transforment profondément le visage politique de la région. Le duc et la noblesse lorraine doivent réagir à des menaces extérieures incarnées successivement par les ducs d’Orléans et de Bourgogne, auxquelles ils répondent en fonction des lignes directrices et des valeurs de leur culture politique, sans pour autant que le duché puisse faire l’économie d’un certain nombre de transformations face aux défis posés par les progrès de la monarchie française dans la région et par l’apparition de méthodes de gouvernement plus modernes et plus efficaces. C’est le bilan des mutations survenues à l’échelle de la principauté ducale et de l’espace lorrain dans son ensemble, à la fin du règne de Charles II, qui permet de mettre en évidence l’étatisation à l’œuvre dans le duché de Lorraine à cette époque et d’expliquer les modalités du processus d’acculturation de la principauté ducale au modèle politique proposé par le royaume de France.
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Principales villes
Frontière entre le Royaume et l’Empire
Duché de Lorraine
Duché de Luxembourg
Duché de Brabant
Duché de Bar
Possessions du duc de Bourgogne
Comté de Hainaut
Figure 1 : Les pays d’« Entre-Deux » vers 1390
Première partie
Charles II en son duché
Le 21 août 1400, Robert de Bavière, beau-père de Charles II, est élu roi des Romains1. Cet événement entraîne le duché dans la tourmente des guerres civiles et des conflits internationaux et fait de la Lorraine un enjeu stratégique de premier ordre, bouleversant l’équilibre interne de la région et les structures de la principauté ducale. Avant cette date en revanche, le duché, sans être totalement refermé sur lui-même, ne participe que de façon marginale à la vie politique internationale. Les dix premières années du règne de Charles II se prêtent donc assez bien à l’analyse des caractéristiques essentielles de la société politique du duché de Lorraine. Mais c’est alors la documentation qui fait défaut. L’essentiel tient, nous l’avons dit, dans les traités et accords conclus par le duc avec ses voisins, dans des mandements adressés aux membres de son administration, dans des chartes destinées aux principales institutions religieuses de sa principauté et dans les innombrables quittances et reconnaissances de dettes que nous a laissées le Trésor des chartes de Lorraine2. De telles sources ne livrent, au total, que des renseignements sommaires et clairsemés sur les structures politiques du duché de Lorraine ; c’est pourquoi nous avons dû élargir le champ des investigations et prendre en compte, en amont, de l’avènement de Charles II, le règne de Jean Ier (1346-1390). Il dure suffisamment longtemps pour fournir une documentation importante ; il permet de mettre beaucoup plus facilement en évidence les lignes de force et les constantes de la vie politique de la principauté, en amortissant l’effet perturbant d’informations d’ordre événementiel ou conjoncturel ; il présente enfin de grandes similitudes avec le début de celui de Charles II3. Ainsi, sur une période d’un peu plus d’un demi-siècle, et à une époque où la Lorraine joue encore un rôle secondaire dans la diplomatie internationale, il devient possible de brosser le tableau du duché et de montrer la place qu’il occupe sur la scène politique régionale, ainsi que les liens qui l’unissent à ses deux grands voisins, le Royaume et l’Empire.
1 M. Parisse, Allemagne et Empire au Moyen Âge, Paris, Hachette, Carré Histoire, 2002, 288 p., p. 269. Charles II avait épousé en 1393 la fille de Robert de Bavière, Marguerite. Ce mariage intègre le duché de Lorraine au réseau d’alliances mis en place par le duc de Bourgogne Philippe le Hardi avec la maison des Wittelsbach. À la même époque, un parti ennemi se constitue autour du duc Louis d’Orléans, frère de Charles VI, et de la dynastie impériale des Luxembourg. Voir ci-dessous, chapitre 4 et 5. 2 Voir ci-dessus, dans l’introduction générale, la présentation des sources. 3 L’avènement de Charles II, en 1390, n’entraîne aucune rupture dans la politique ducale : l’entourage du duc, les structures administratives de la principauté et les relations du duché de Lorraine avec l’extérieur demeurent à peu près identiques à ce qu’ils étaient sous Jean Ier. Voir ci-dessous chapitres 1, 2 et 3.
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Tous les obstacles ne sont pas levés pour autant. Malgré leur ampleur, les sources disponibles pendant la seconde moitié du xive siècle présentent des lacunes : l’absence de livres de comptes, par exemple, rend illusoire toute description précise des limites de la principauté et toute cartographie du territoire ducal. Pour remédier à ce problème, il a fallu utiliser les premières sources comptables concernant le duché, qui datent des années 1419-14314. Fort heureusement, l’assise territoriale du duché de Lorraine demeure quasiment stable du milieu du XIVe siècle à la fin du règne de René II, en 15085. Inversement, il est vite apparu impossible de comprendre la nature des relations entretenues par les ducs avec la France et l’Empire, sans remonter bien au-delà du règne de Jean Ier et, même, du xive siècle. Dans ce cas, nous nous sommes appuyés sur les nombreux travaux disponibles sur la Lorraine du Moyen Âge central6. Nous n’avons donc pas hésité à dépasser les limites de notre propre périodisation, lorsque cela s’est avéré indispensable à la compréhension des structures internes de la principauté ducale, et de ses contacts avec l’extérieur. Le but de notre recherche consiste à étudier l’acculturation progressive du duché de Lorraine au modèle politique proposé par le royaume de France, au cours du règne de Charles II. Dans cette perspective, dresser le portrait d’une petite principauté située entre le Royaume et l’Empire revient à déterminer les principales caractéristiques de sa culture politique et à les comparer avec celle de ses deux grands voisins. L’emploi d’une telle expression ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes. Il n’existe pas en effet de définition précise, exhaustive et non ambiguë du terme de culture. Le mieux est sans doute de revenir à celle qu’en a donnée E. B. Taylor, dès 1871, qui reste aujourd’hui canonique, et de prendre le mot dans son sens le plus large, en la présentant comme un « ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les mœurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l’homme vivant en société »7 . La culture politique peut alors désigner les valeurs, les règles et les comportements qui régissent la vie politique d’une société donnée. Le questionnement central de cette première partie portera donc sur l’existence ou non, dans le duché de Lorraine et, plus généralement, dans l’ensemble de l’espace lorrain, d’une culture politique originale, différente de celle de la France comme de l’Empire. À ce stade de notre raisonnement, nous nous heurtons cependant à une seconde difficulté : comment délimiter de façon stricte les contours d’une culture ? Et, en 4 Pour le détail des registres disponibles, voir l’introduction générale. 5 R. Parisot, Histoire de Lorraine, tome I, Des origines à 1552, Paris, Picard et fils, 1919, 520 p., p. 312-373. Entre 1346 et 1508, le territoire contrôlé par les ducs de Lorraine s’accroît de manière considérable, grâce notamment à la réunion des duchés de Bar et de Lorraine et du comté de Vaudémont sous une même autorité. Mais le territoire propre du duché de Lorraine, quant à lui, n’évolue que fort peu au cours des xive et xve siècles. Sur ce sujet, voir ci-dessous les figures 13 : « L’espace lorrain dans la seconde moitié du xive siècle » et 17 : « L’espace lorrain en 1431 ». 6 Voir ci-dessus la présentation bibliographique de l’introduction générale. 7 Définition par E. B. Taylor, reprise par P. Bonte et M. Izard, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, P.U.F., 2002, 842 p., article : culture. Dès la fin du xixe siècle, Taylor incluait dans la notion de culture l’ensemble des manifestations de la vie sociale. Cette acception du terme semble aujourd’hui communément admise.
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étudiant de façon isolée la culture politique du duché de Lorraine, ne posons-nous pas en axiome l’existence de ce que nous voulons démontrer ? Ne serons-nous pas conduits à mettre uniquement l’accent sur les différences qui opposent le duché, le Royaume et l’Empire, et à leur accorder une importance exagérée, aux dépens de tout ce qui par ailleurs pourrait les rapprocher ? Toutefois, restreinte au seul domaine des mentalités politiques, la comparaison semble justifiée. De proche en proche en effet, les cultures sont à la fois semblables et différentes. Si l’on cherche à déterminer des écarts significatifs entre l’Amérique du Nord et l’Europe on les traitera comme des cultures différentes ; mais à supposer que l’intérêt se porte sur les écarts significatifs entre … Paris et Marseille, ces deux ensembles urbains pourront être provisoirement constitués comme deux unités culturelles8.
Selon le point de vue adopté par conséquent, deux groupes humains peuvent très bien être séparés en deux entités culturelles différentes. Inversement, il paraît tout aussi légitime de les regrouper, si l’étude est réalisée sur une échelle plus grande. Nous pouvons donc considérer comme légitime la recherche d’une spécificité lorraine dans le domaine de la culture politique. Pour ce faire, nous utiliserons les concepts mis au point par l’anthropologue Roger Bastide dans ses recherches sur l’interpénétration des civilisations et sur les processus d’acculturation qu’elle génère9. Sous le nom de foyer culturel, celui-ci désigne le fait que les intérêts d’un groupe humain tendent à se concentrer sur un aspect déterminé de la culture, regardé comme une des composantes fondatrices de l’identité du groupe en question. Le foyer culturel d’une société constitue par conséquent le point le plus résistant aux influences venues de l’extérieur. Il conditionne même la façon dont celles-ci seront perçues, la pente selon laquelle, en cas de contact, la culture preneuse va sélectionner les traits de la culture donneuse, ce que Bastide nomme la ou les tendances culturelles d’une civilisation. Celles-ci visent donc à préserver ou à renforcer le foyer culturel d’une société, en refusant les éléments externes incompatibles avec ce foyer culturel, ou en les réinterprétant d’une manière qui lui soit conforme. La culture politique d’un groupe social ne se restreint pas au seul niveau des mentalités. Elle se matérialise aussi à travers des comportements qui sont eux-mêmes canalisés par un certain nombre d’institutions. Or, en analysant le rôle social de ces
8 C. Lévi-Strauss, cité par P. Bonte et M. Izard, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, op. cit., article : culture. À la manière des poupées russes, les cultures forment des ensembles qui s’emboîtent les uns dans les autres. Selon la perspective adoptée, le duché de Lorraine peut donc constituer une entité sociale et culturelle à part entière ou être compris dans des unités plus vastes, la Lorraine, l’Empire ou le royaume de France, voire l’Occident chrétien. 9 Les différents concepts de la théorie de l’acculturation sont exposés dans la majeure partie des ouvrages de Roger Bastide. La synthèse la plus rapide se trouve dans « Problèmes de l’entrecroisement des civilisations et de leurs œuvres », in G. Gurvitch, Traité de sociologie, tome II, Paris, PUF, 1973, p. 315-330. Voir également l’Introduction aux recherches sur l’interpénétration des civilisations, cours Sorbonne, CDU, 1948, où il analyse et critique les différentes théories nordaméricaines et françaises sur l’acculturation. Toutes ses idées sont également rassemblées dans son ouvrage Anthropologie appliquée, Paris, Stock, 1998 (rééd.), 1ère édition 1971, 246 p., p. 46-66.
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institutions, la sociologue Mary Douglas, reprenant la terminologie de Ludwig Fleck, note qu’elles reflètent le style de pensée de la communauté qu’elles régissent10. On ne peut naturellement s’empêcher de faire le rapprochement entre ce concept et celui de foyer culturel élaboré par Roger Bastide. Dans les deux cas, les expressions désignent le point d’ancrage culturel d’une société, les spécificités constitutives de son identité. Ce sont ces notions que nous allons appliquer à la société politique du duché de Lorraine. Existe-t-il des institutions, des comportements et des mentalités spécifiques à cette principauté ? Peut-on définir un foyer culturel et un style de pensée, propres au duché, ou à l’espace lorrain dans son ensemble, et qui différencient cette région d’« Entre-Deux » du Royaume et de l’Empire ? Notre questionnement portera essentiellement sur la culture politique du duché. Naturellement, celle-ci ne peut être envisagée indépendamment des autres traits culturels de la Lorraine, à commencer par la langue, puisque la limite entre les zones de parler roman et germanique passe à l’intérieur même du territoire ducal11. Mais, pour des raisons pratiques, nous ne ferons référence aux autres composantes de la culture lorraine que de façon générale, et par comparaison avec les manifestations concernant la culture politique de la principauté ducale. Une telle démarche implique de ne pas considérer le duché de Lorraine de manière isolée. Seule en effet l’analyse des contacts qu’il entretient avec le Royaume, l’Empire et les autres principautés de la région peut nous permettre de résoudre la question de la spécificité des pratiques politiques du duché et de déterminer les caractéristiques des phénomènes d’acculturation qui peuvent éventuellement se produire. Ainsi s’explique la structure de cette première partie, qui consiste à élargir progressivement l’angle de vue. Dans un premier temps nous nous intéresserons au duché de Lorraine pour lui-même. Un chapitre préliminaire esquissera d’abord la physionomie générale de la principauté, en dessinant les contours territoriaux du duché et en présentant les richesses qu’il recèle. Nous décrirons ainsi le cadre dans lequel évolue la société politique ducale, celui d’une petite principauté d’Empire morcelée territorialement, divisée linguistiquement, mais disposant toutefois de certaines ressources naturelles. C’est dans le deuxième chapitre que nous entrerons vraiment dans le vif du sujet, en abordant les structures administratives du duché et la composition sociale de l’entourage des ducs. C’est alors que nous pourrons définir les caractéristiques essentielles de la 10 M. Douglas, Ainsi pensent les institutions, éd. française Usher 1989 (1ère édition : Syracuse, 1986), 130 p., p. 12. L’auteur reprend les expressions de « collectif de pensée » et de « style de pensée », qui correspondent à celles de « groupe social » et de « « représentations collectives » chez Durkheim. Le style de pensée correspond donc aux traits culturels dominants d’une société, donc à son foyer culturel. L. Fleck, Genesis and development of a scientific fact, Chicago, 1981, 203 p. « L’individu au sein du collectif n’est jamais, ou presque jamais, conscient du style de pensée dominant qui exerce pratiquement toujours une emprise absolue sur sa pensée et dont il lui est impossible de s’écarter ». (Cité par M. Douglas, Ainsi pensent les institutions, op. cit., p. 12) Les comportements d’un individu et le fonctionnement d’une institution doivent donc se conformer au style de pensée, ou au foyer culturel, du groupe social auquel ils appartiennent. 11 Voir figure 10 : « L’entourage des ducs de Lorraine », sur laquelle figure le tracé de la frontière linguistique en Lorraine au Moyen Âge.
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culture politique de la principauté lorraine ainsi qu’établir les premières comparaisons avec les territoires voisins du duché et les autres régions d’« Entre-Deux ». Dans le troisième chapitre, nous examinerons la manière dont le duché de Lorraine s’insère dans l’ensemble de l’espace lorrain, afin d’évaluer le poids politique régional de cette principauté et d’étendre le questionnement du chapitre précédent à toute la Lorraine. Nous chercherons ainsi à mettre en évidence, au-delà de l’extraordinaire morcellement politique de la région, les traits constitutifs de son identité, et les caractéristiques communes aux différentes seigneuries qui la composent. Enfin, le quatrième chapitre confrontera le duché à ses deux grands voisins, le royaume de France et l’Empire. Les relations personnelles entre les ducs et les souverains français et allemand occuperont naturellement une place importante, mais nous tenterons aussi d’analyser la nature des liens unissant les sociétés politiques lorraine, française et impériale. En fin de compte, à quel modèle politique le duché de Lorraine devra-t-il s’acculturer : à celui du Royaume ou à celui de l’Empire ?
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Chapitre 1
Physionomie générale du duché de Lorraine
Le duc de Lorraine tient petit pays et de son pays ne saroit tirer outre trois cens hommes d’armes, et n’y a guere a faire a la mettre a raison, qui aura voulenté de le faire.
Cette assertion méprisante à l’égard du duc de Lorraine émane de Jean Jouvenel des Ursins, avocat du roi au Parlement de Paris, lors du procès intenté au duc Charles II1. S’agit-il d’un jugement délibérément caricatural, destiné à humilier l’adversaire, ou du constat réaliste de la faiblesse inhérente à ce territoire d’Entre-Deux ? Toujours est-il que l’affirmation insiste sur deux caractéristiques du duché de Lorraine, vu depuis la cour du roi de France. D’une part, l’étendue du territoire ducal semble plutôt restreinte. De l’autre, les ressources – notamment militaires – qu’il peut espérer retirer de sa principauté, ne seraient pas à la hauteur du titre et de la fonction de duc. Au tournant des xive et xve siècles, le duché de Lorraine peut-il être qualifié de « petit pays » ?
Le territoire du duché « Une impossible cartographie »2 ?
Décrire, à gros traits, l’assise territoriale de la Lorraine ducale à la fin du Moyen Âge ne pose aucun problème : Le duché de Lorraine couvrait la plus grande partie du sud du pays et le plateau lorrain à l’est de la Moselle jusqu’à la Sarre. Mais les territoires du duc de Nancy étaient largement troués par les éléments dispersés du temporel messin : Épinal, Rambervillers, Moyen , Deneuvre, le cœur du Saulnois, Sarrebourg et les fiefs sarrois. Le duc franchissait les Vosges jusqu’aux mines d’argent de la vallée de Liepvre, avançait jusqu’en Bourgogne grâce à l’avouerie de Remiremont, poussait loin en terre allemande par le bailliage d’Allemagne, et ne touchait à la Champagne que par Neufchâteau, où son autorité était sans cesse mise en balance3.
Les zones placées sous la domination des ducs de Lorraine sont donc bien connues. À plus grande échelle en revanche, l’imbrication et le morcellement extrême des différentes seigneuries posent le problème de la continuité territoriale 1 A.N. J 681, no 48 : plaidoirie prononcée le 1er août 1412. Jean Jouvenel a exercé sa fonction de 1400 à 1413. 2 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, Nancy–Metz, 1990, p. 203. 3 M. Parisse, op. cit., p. 204.
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et rendent la tentative cartographique particulièrement difficile. Dans un autre de ses ouvrages, Michel Parisse précise la nature de la difficulté, en même temps qu’il en relativise l’ampleur : Si l’on s’en tenait à ces quatre ou cinq unités [temporels des évêchés, duché de Lorraine, comté de Bar], la représentation cartographique serait encore assez simple mais, ici ou là, des comtés vassaux se sont formés à l’intérieur d’ensembles plus vastes, tandis qu’à un échelon inférieur, les châtellenies et les seigneuries coexistent partout4.
Ne renonçons pas pour autant à cartographier le territoire ducal : l’entreprise est ardue, mais indispensable, si l’on veut saisir les forces et les faiblesses internes au duché de Lorraine et appréhender la nature de cette principauté. Les cartes présentées dans ce chapitre résultent d’une recension systématique de toutes les sources susceptibles de mentionner l’appartenance de telle ou telle localité au duché et de nous renseigner sur son statut à l’intérieur de la principauté5. Pour certaines régions moins documentées, comme le bailliage d’Allemagne, les travaux d’Henri Hiegel, quoique portant sur une époque postérieure, ont été utilisés6. Entendons-nous bien sur le résultat obtenu. Il ne saurait être question de prétendre à l’exactitude. Les entités politiques médiévales ne constituent pas des blocs homogènes – et le duché de Lorraine encore moins qu’une autre. Les zones incluses dans le territoire ducal sur les cartes ne relèvent sans doute pas en totalité de lui. Inversement, certains droits de nature territoriale, situés hors des limites du duché, n’ont pas toujours été cartographiés7. Mais nous faisons nôtres les conclusions de Léonard Dauphant concernant l’intérêt d’une représentation cartographique des réalités politiques médiévales : La carte elle-même présente une réalité appauvrie pour des raisons de clarté : on ne peut pas l’utiliser comme discours théorique suffisant. Mais son usage implique de toujours garder à l’esprit la dimension spatiale des faits. Bien conçue, comme un outil souple et clair, sa présentation totalisante stimule la cohérence du questionnement, permet d’exposer des résultats et en révèle certains aspects8.
4 M. Parisse (éd.), Histoire de la Lorraine, Toulouse, 1977, p. 153-154. 5 Les informations les plus abondantes ont été fournies par les comptes (A.D.M.M. B 1919 à 1921, B 5241 et 5242, B 7232 à 7234, B 8466, B 9352 à 9354), le cartulaire de Lorraine (B 377 à B 426) et le Trésor des chartes de Lorraine (B 475 à B 965). 6 H. Hiegel, Le bailliage d’Allemagne de 1600 à 1632, 2 vol., Sarreguemines, 1961, 310 p., et 1968, 272 p. La carte générale du bailliage d’Allemagne se trouve en annexe, à la fin du tome 2. Certaines seigneuries, indépendantes au début du xve siècle, ont été par la suite annexées par le duché de Lorraine, au cours du xvie siècle. Il a donc fallu procéder à une vérification systématique des informations fournies. 7 Le village de Pargny-sous-Mureau constitue en effet le seul fief dépendant du duché de Lorraine situé à l’ouest de la Meuse (A.D.M.M. B 789, no 12). 8 L. Dauphant, Le royaume des quatre rivières. L’espace politique français (1380-1515), Seyssel, 2012, p. 16.
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Les frontières : la délimitation du territoire9
Commençons donc par tracer les frontières du duché à la fin du xive siècle. Sont-elles linéaires, précises, connues de tous ? Ou le duché est-il séparé de ses voisins par des marches, des zones-tampon, aux limites définies de manière plus ou moins floue ? Nous retrouvons là le vieux débat, aujourd’hui en voie d’apaisement, qui oppose les tenants d’une frontière médiévale fixe et clairement définie à ceux qui voient dans les espaces-frontières des zones où s’imbriquent, d’une façon plus ou moins inextricable, les droits des différents seigneurs frontaliers. Un certain nombre de points semblent désormais acquis. Le terme de frontière apparaît pour la première fois en 1315 dans le royaume de France, mais il faut attendre la fin du xive siècle pour qu’il soit couramment employé10. Auparavant, on rencontrait essentiellement les termes de marche et de limite. Les trois termes ne désignent d’ailleurs pas des réalités exclusives l’une de l’autre : à l’échelle de l’Empire, la Lorraine est considérée comme une marche ; à Paris, on considère la Meuse comme l’une des limites du royaume, les quatre rivières permettant ainsi de simplifier, de styliser la complexité du tracé réel de la frontière, dont les populations locales ont souvent une connaissance très précise11. Marches, limites et frontières coexistent donc, dans le temps et dans l’espace. La fixation de frontières linéaires paraît toutefois étroitement corrélée avec la croissance de l’État. Ce sont en premier lieu les officiers du roi qui s’efforcent de délimiter précisément le territoire à l’intérieur duquel s’imposent les droits et les prérogatives, notamment fiscales et judiciaires, de leur souverain. Les princes suivent, plus ou moins rapidement, en fonction du degré d’étatisation de leur principauté. Cette évolution suscite naturellement des conflits de souveraineté : les populations locales en sont parfois à l’origine, soucieuses d’échapper à une juridiction trop proche ou trop pesante12. Qu’en est-il des frontières du duché de Lorraine ? La réponse varie selon les régions. Au sud, la frontière se dessine nettement avec la comté de Bourgogne : Cette frontière vraisemblable laisserait Sainte-Marie en Chaux à la Comté et débuterait à Conflans, éviterait Luxeuil et Francalmont pour rejoindre Saint-Loup-sur-Semouse puis Vauvillers, Richecourt, Jonvelle puis descendrait sur Blondefontaine, Jussey pour repartir sur Melay, Voisey, Fresnes-sur-Apance pour rejoindre Langres13.
9 Cf. carte n°2 : « le territoire du duché de Lorraine ». 10 Voir notamment R. Schneider (éd.), Grenzen und Grenzregionen. Frontières et régions frontalières, Saarbrücken, 1993, 288 p. et Cl. Gauvard, « L’opinion publique aux confins des États et des principautés au début du xve siècle », in Les principautés au Moyen Âge, Bordeaux, 1979, p. 127-152. 11 L. Dauphant, Le royaume des quatre rivières, op. cit., p. 234-235. 12 On peut citer à ce propos l’exemple de l’Ostrevant : J.-M. Moeglin, « La frontière introuvable : l’Ostrevant », in Une histoire pour un royaume, Paris, 2010, p. 467-483. Voir aussi B. Guenée, « Les limites de la France », in Politique et histoire au Moyen Âge. Recueil d’articles sur l’histoire politique et l’historiographie médiévale (1956-1981), Paris, 1981, p. 73-92. 13 E. Valette, Les limites de la Franche-Comté, de la Lorraine et du Barrois aux xive et xve siècles, Mémoire de maîtrise, Université de Franche-Comté, 1994, p. 70.
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Le tracé rejoint sur bien des points les conclusions auxquelles sont parvenues les chercheurs concernant d’autres principautés : il est linéaire, et les contemporains savent pertinemment à quel moment ils quittent le duché pour passer en territoire bourguignon, et vice versa. Passavant, Demangevelle, Fougerolles, Faucogney et Le Thillot sont ainsi cinq des principaux points frontaliers entre les deux territoires. Mais leur appartenance à la comté ou au duché ne souffre pas vraiment contestation : Demangevelle est de la comté, alors que Fougerolles relève du duché14. Pour les autres localités, les choses se compliquent parfois, mais la précision reste toujours aussi grande : les sires de Faucogney sont membres de la noblesse bourguignonne ; en revanche, ils doivent l’hommage au duc de Lorraine pour le péage qu’ils possèdent au Thillot, qui relève du duché15. Enfin, à Jonvelle, on connaît très exactement la limite entre duché et comté : elle se situe au milieu du pont qui franchit la Saône, si bien que la ville, sur la rive gauche, est lorraine, et le château, sur la rive droite, bourguignon16. Côté occidental, la situation est tout aussi claire : la Meuse fait office de limite entre le Royaume et l’Empire17. Mais le duché de Lorraine n’atteint le fleuve que vers le sud, entre Coussey et Neufchâteau18, ville que le duc reprend en fief du comte de Champagne, puis du roi de France ; inversement, un seul fief relève du duché à l’ouest de la Meuse19. La Lorraine ducale est donc terre d’Empire dans sa quasi-totalité. Ainsi, du Thillot jusqu’au nord de Neufchâteau, le tracé de la frontière entre duché de Lorraine et comté de Bourgogne, puis royaume de France, est à peu près linéaire. Rien d’étonnant à cela : « c’est en fait presque toujours le pouvoir royal qui a pris l’initiative de matérialiser ou de durcir la frontière (…) du royaume avec l’Empire »20. Au nord et à l’est, en revanche, la frontière entre la Lorraine ducale et les principautés voisines prend un aspect différent ; elle devient une zone où les droits s’entremêlent de manière inextricable. Aux alentours de Toul par exemple, il semble impossible de tracer une ligne séparant les différents pouvoirs, ecclésiastiques ou laïcs, qui se partagent la région : évêché, cité, duché de Lorraine, comté de Vaudémont. Les droits que possèdent les ducs sur les deux abbayes de Saint-Èvre et Saint-Mansuy leur permettent d’atteindre les portes de la ville. Inversement, les possessions de l’évêque comportent trente-quatre villages répartis dans les châtellenies de Blénod-lès-Toul, Liverdun, Brixey et Maizières, cette dernière étant située au cœur du bailliage ducal de Nancy. De plus, l’évêque est rarement le seul seigneur dans ces villages. Quant à la mense du chapitre cathédral, elle s’organise autour des villes de Void, Liverdun 14 A.N. KK 1118, layette Bourgogne et Bar, no 45 et A.D.M.M. B 379, f. 29v-30v : dans ces deux cas, les seigneurs interviennent en tant que suzerains, respectivement Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, à Demangevelle, et Jean Ier, duc de Lorraine, à Faucogney. 15 A.D.M.M. B 500, no 7. 16 E. Valette, Les limites de la Franche-Comté, op. cit., p. 23-24. 17 L. Dauphant, Le royaume des quatre rivières, op. cit. 18 A.D.M.M. B 700, no 13 : le 1er novembre 1390, Joffroy de Nancy prête hommage au duc de Lorraine Charles II pour le fief de Coussey. Nous reviendrons, longuement et à plusieurs reprises, sur le cas de Neufchâteau dans cet ouvrage. 19 Il s’agit du village de Pargny-sous-Mureau. A.D.M.M. B 789, no 12. 20 J.-M. Moeglin, L’Empire et le Royaume. Entre indifférence et fascination (1214-1500), Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq, 2011, p. 187.
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et Brixey. Encore à la fin du xvie siècle, certains villages sont partagés entre huit seigneuries différentes, dont chacune possède son maire, et il faut parfois payer des droits d’entrée et de sortie pour passer d’une maison à une autre21. Parfois, l’imbrication des seigneuries, des droits et des prétentions atteint un tel degré de complexité que les princes eux-mêmes décident de renoncer à toute forme de séparation. Au cours du xive siècle, le duc de Lorraine et l’archevêque de Trèves s’entendent au sujet de leurs droits respectifs sur la région du Saargau-Merzig, à l’extrême nord du duché. Face à l’impossibilité de partager leurs possessions, ils établissent un condominium sur ce territoire, et notamment sur le château de Montclair, qu’ils détiennent désormais en indivis22. C’est la notion même de frontière qui perd ici toute signification. Nous sommes aux antipodes de la situation des territoires jouxtant le royaume de France et la comté de Bourgogne. Comme pour le Toulois, cet état de fait perdurera jusqu’à la guerre de Trente ans, entraînant d’innombrables problèmes de juridiction et de coexistence entre les deux principautés23. On ne distingue pas davantage de frontière linéaire à l’est du duché : ni la ligne de crête du massif vosgien, ni le débouché sur la plaine d’Alsace ne jouent ce rôle. Le duc contrôle généralement les deux versants des cols des Vosges, comme celui de Sainte-Marie par exemple, grâce à l’avouerie du prieuré du Val de Liepvre et du chapitre de Saint-Dié24. De même, le duché déborde légèrement sur la plaine d’Alsace, même si les quelques fiefs qui en relèvent se situent généralement à proximité immédiate de la montagne vosgienne25. On retrouve ici la même impossibilité qu’au nord de tracer précisément les limites territoriales du duché de Lorraine. C’est que du côté de l’Empire, la question de la frontière n’a pas été véritablement posée : aucun pouvoir souverain n’a borné de manière stricte les territoires assujettis à sa justice et à sa fiscalité, comme cela s’est produit, en France, au cours du xive siècle. Les droits seigneuriaux, eux, portent sur les hommes. D’où le caractère flou des limites du territoire ducal au nord et à l’est, leur clarté et leur précision au contraire, face au Royaume et au duché de Bourgogne26.
21 H. Olland, « La principauté épiscopale de Toul à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècles) », in Principautés et territoires et études d’histoire lorraine, p. 225-236. Voir aussi G. Cabourdin, Terre et hommes en Lorraine du milieu du xvie siècle à la guerre de Trente ans : Toulois et comté de Vaudémont, Thèse d’État, Université de Nancy II, 1975, p. 34-43. 22 A.D.M.M. B 933, no 64, et A.D.M.M. B 950, no 16 : accord en date du 25 octobre 1368. Voir aussi la par figure 4 : « Villes fortifiées et châteaux du duché de Lorraine ». 23 H. Hiegel, Le bailliage d’Allemagne de 1600 à 1632, op. cit. p. 53-56. 24 A.D.M.M. G 393 pour le prieuré du val de Liepvre et A.D.V. 233 pour le chapitre de Saint-Dié. Voir aussi la figure 8 : « Droits de garde et avoueries des ducs de Lorraine ». 25 On peut citer notamment les villages d’Uttwiller (A.D.M.M. B 691 n.°254), de Houssen (A.D.M.M. B 384, f. 367) de Pfaffenhofen et de Froeschwiller (A.D.M.M. B 384, f. 231). Voir aussi la figure 7 : « Les fiefs du duché de Lorraine ». 26 P. Tucoo-Chala, « Principautés et frontières : le cas du Béarn », in Les principautés au Moyen Âge, op. cit. p. 117-126, constate le même phénomène de fixations de frontières au tracé précis dans certaines parties de la principauté au cours du xive siècle, notamment celles tournées vers le royaume de France et la Guyenne anglaise, alors que du côté pyrénéen, les tracés demeurent beaucoup plus souples et plus flous.
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Ainsi délimitée, la Lorraine ducale constitue une sorte de rectangle s’étendant, d’ouest en est, de Neufchâteau au début de la plaine d’Alsace, sur une distance d’environ 125 km, et, du nord au sud, de Merzig à Passavant-la-Rochère, sur une distance d’environ 175 km. Tout cela constitue un vaste patrimoine. Sans atteindre aux dimensions des grandes principautés françaises, le duché de Lorraine couvre une superficie non négligeable, et ne saurait être qualifié de « petit pays », comme le fait Jouvenel des Ursins. Son assise territoriale paraît même importante, comparée à celle de nombre de ses voisins allemands. Loin de remplir la totalité de ce quadrilatère, le territoire ducal comporte toutefois de nombreuses enclaves et excroissances. La châtellenie de Prény par exemple, sur la rive droite de la Moselle, au nord de Pont-à-Mousson, forme une enclave lorraine d’une douzaine de villages au sein du duché de Bar27. De même, l’office de Schaumberg, au nord-ouest de Merzig, devenu propriété ducale à la fin du xiiie siècle, constitue une exclave du duché de Lorraine en direction de l’Allemagne, à l’intérieur même de laquelle se trouve une enclave indépendante, l’abbaye de Tholey, dont les comtes de Veldenz détiennent l’avouerie28. Beaucoup plus nombreuses cependant, et de natures très diverses, sont les enclaves existant à l’intérieur de la principauté ducale. De nombreuses seigneuries indépendantes et des territoires appartenant aux principautés voisines viennent en rompre la continuité territoriale. Les possessions de l’évêché de Metz s’entremêlent étroitement avec celles du duc dans les Vosges, le Saulnois, et la région sarroise29. Au sud de Nancy, le comté de Vaudémont rassemble une cinquantaine de villages autour de sa capitale, Vézelise30, et se trouve complètement encerclé par les terres du duché. Dans les Vosges et la région sarroise enfin, les seigneuries indépendantes sont très nombreuses : certaines d’entre elles, comme les seigneuries de Fénétrange et de Blâmont, tout en constituant des alleux indépendants, gravitent dans l’orbite ducale par leur petite taille ou leur situation géographique. En revanche, les comtés de Salm, Sarrewerden, et la Petite-Pierre constituent de véritables micro-principautés31. Le morcellement géographique est donc beaucoup plus important dans la partie germanophone du duché, où les territoires ne constituent aucun bloc cohérent, que dans sa partie francophone. De manière générale, les possessions ducales ne
27 La châtellenie de Prény regroupe les villages de Bayonville, Onville, Rembercourt-sur-Madon, Vandelainville , Villecey-sur-Madon, Waville (A.D.M.M. B 7232, B 7233 et B 7234) et Onville, Pagnysur-Moselle, Prény, Viéville-en-Haye, Villecey-sur-Madon et Vilcey-sur-Trey (A.D.M.M. B 377 f. 146, 149 et 157, A.D.M.M. B 379, f. 449). 28 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, Sarrebruck-Trèves, 1986, p. 34. La situation politique et seigneuriale de ces territoires du sud-ouest de l’Empire est d’une complexité étourdissante. 29 H. Tribout de morembert (éd.), Le diocèse de Metz, Paris, 1970, p. 37-41, 62-68, et 91-92. Les villes d’Épinal, Rambervillers et Baccarat dans les Vosges relèvent de l’évêché de Metz, tout comme celles de Vic-sur-Seille, Moyenvic et Marsal dans le Saulnois, et celles de Sarrebourg, Hombourg et SaintAvold dans la région de la Sarre. Voir carte no 2. 30 M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », art. cit. 31 M. Parisse, Noblesse et chevalerie en Lorraine médiévale, Nancy, 1982, p. 83-159. Voir aussi H. Hiegel, Le bailliage d’Allemagne, op. cit. ; H. W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, Sarrebruck, 1959, 272 p. ; ainsi que la carte no 2.
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ARCHEVÊCHÉ DE TRÈVES
DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Sa
COMTÉ DE SARREBRUCK
r re
5
DUCHÉ DE BAR
COMTÉ DE DEUX-PONTS
Sarreguemines
Metz Pays de Metz 4
e
3
Seigneurie de Fénétrange
ÉVÊCHÉ DE TOUL
2
6 Toul
1
Nancy
Me
Mo sell e
u rt h
Seigneurie de Blâmont
e
Neufchâteau
TERRITOIRES ALSACIENS
Comté de Vaudémont
Rhin
Me us
Comté de Salm
Sélestat
Saint-Dié
DUCHÉ DE BAR
Mirecourt
Seigneurie de Ribeaupierre Colmar
Remiremont
0
10km
Le duché et ses enclaves :
COMTÉ DE BOURGOGNE Limites territoriales :
Principales villes :
Duché de Lorraine
Certaines
Nancy, capitale du duché de Lorraine
Évêché de Metz
Probables
Autres villes du duché de Lorraine
Seigneuries
Possibles
Autres villes
Figure 2 : Le territoire du duché de Lorraine
1 - Seigneurie de Réchicourt
4 - Comté de Sarrewerden
2 - Seigneurie de Lichtenberg
5 - Seigneurie de Boulay
3 - Comté de Petite Pierre
6 - Évêché de Toul
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présentent pas de réelle continuité territoriale. Ce phénomène expose le duc aux contestations permanentes de ses voisins, mais aussi des seigneurs de son duché, et constitue autant d’angles d’attaque possibles de la part d’éventuels adversaires extérieurs. Il pose également la question du contrôle et de l’organisation territoriale de la principauté. L’organisation du territoire : bailliages, châtellenies et prévôtés
Le duché de Lorraine s’organise d’une manière assez traditionnelle pour l’époque, en bailliages, prévôtés, et châtellenies. Ces circonscriptions administratives se sont mises en place d’une manière quasi-définitive au cours du xiiie siècle, soit avec un retard de cinquante à cent ans par rapport au royaume de France voisin32. Dans les années 1290-1295, un second bailli, à Poussay, puis Mirecourt, dans les Vosges, et un troisième, à Bouzonville, puis Vaudrevange, dans les territoires germanophones, viennent seconder le bailli de Nancy, qui conserve une primauté honorifique33. Ces trois circonscriptions constituent l’armature administrative essentielle du duché de Lorraine jusqu’à son incorporation au royaume de France, en 1766. De fait, à l’échelon inférieur, les prévôtés, plus nombreuses, ont également une moins grande visibilité dans les sources : on en compte 11 pour le bailliage de Nancy, 9 pour le bailliage des Vosges, et 1 seulement pour le bailliage d’Allemagne34. Que faut-il penser d’un tel déséquilibre ? La documentation mentionne beaucoup plus souvent les prévôtés francophones que celles du bailliage d’Allemagne. Doit-on conclure à une organisation beaucoup plus lâche de ce dernier ? Il faut se montrer très prudent en la matière. Il serait étonnant que Bouzonville et Vaudrevange, qui ont servi de chefs-lieux au bailliage d’Allemagne, ou d’autres possessions ducales très importantes, comme Sarreguemines ou Sierck-sur-Moselle, ne soient pas siège de prévôtés. L’absence de toute mention de ces prévôtés germanophones dans les sources n’en reste pas moins très surprenante, et constitue un premier indice de la plus faible emprise du duc sur le bailliage d’Allemagne. Dans son étude sur la capitale du duché, J.-L. Fray note que les prévôts, à Nancy et Frouard, ont remplacé les châtelains, ou du moins les ont réduits à un rôle strictement militaire. Il semble possible de généraliser cette affirmation à toute une partie du duché. Si les comptes du bailliage de Nancy classent les revenus ducaux par prévôtés, et, à l’intérieur de celles-ci, par localités, ceux du bailliage des Vosges en revanche les classent par châtellenies, qui correspondent chacune
32 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 32-34 et Cl. Gauvard, La France au Moyen Âge du ve au xve siècle, Paris, 1996, p. 224 et 290. 33 J.-L. Fray, ibid. 34 A.D.M.M. B 7232, B 7233, B 7234 pour le bailliage de Nancy (Amance, Einville, Frouard, Gondreville, Lunéville, Nancy, Ormes, Outre-Moselle, Prény, Rosières aux Salines et Saint-Dié) ; A.D.M.M. B 1919 et B 1920 pour celui des Vosges (Arches, Bruyères, Charmes, Châtenois, Darney, Dompaire, Mirecourt, Remoncourt, Valfroicourt) ; BnF Col. Lor., no 4, f. 20 pour celui d’Allemagne (Bérus). Voir aussi carte no 3 : « Les bailliages du duché de Lorraine ».
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ARCHEVÊCHÉ DE TRÈVES
DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Vaudrevange
Sa
Bérus
DUCHÉ DE BAR
r re
COMTÉ DE SARREBRUCK
COMTÉ DE DEUX-PONTS
Metz
Prény
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ÉVÊCHÉ DE TOUL
Frouard Amance
Toul
Gondreville
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Einville
Me
Outre-Moselle
TERRITOIRES ALSACIENS
Nancy
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Lunéville
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Ormes
Sélestat
Charmes Châtenois
DUCHÉ DE BAR
0
Mirecourt Saint-Dié
Remoncourt
Dompaire
Valfroicourt
Bruyères
Darney
10km
Arches
Colmar
COMTÉ DE BOURGOGNE
Bailliages et enclaves :
Limites territoriales :
Bailliage de Nancy Bailliage des Vosges Bailliage d’Allemagne Enclaves au sein du duché de Lorraine
Figure 3 : Les bailliages du duché de Lorraine
Principales villes :
Certaines
Siège de bailliage
Probables
Siège de prévôté
Possibles
Autres villes
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à une prévôté35. Or, partout dans le duché, la présence d’une prévôté se double de celle d’un château ducal – l’inverse n’est en revanche pas vrai. Plutôt qu’à une improbable absence de circonscriptions dans le bailliage d’Allemagne, mieux vaudrait alors conclure que le passage de la châtellenie à la prévôté, effectif dans le bailliage de Nancy, en cours dans le bailliage des Vosges, n’a pas encore été réalisé dans le bailliage d’Allemagne. De fait, la répartition des châteaux ducaux et villes fortifiées sur l’ensemble du territoire lorrain paraît nettement plus équilibrée que celle des prévôtés : 10 dans le bailliage de Nancy, 9 dans celui des Vosges, et 9 dans celui d’Allemagne36. Si l’on considère que le remplacement de la fonction de châtelain par celle de prévôt marque un progrès dans l’étatisation d’une principauté, par la dépendance plus grande qu’elle suppose à l’égard du prince, alors la faiblesse du bailliage d’Allemagne ne se situe pas tant dans la densité de l’encadrement territorial que dans son efficacité. Partout cependant, le maillage administratif du duché de Lorraine montre ses lacunes : les prévôtés, y compris celle de Nancy, ont généralement des limites assez floues et constituent davantage un ensemble de droits qu’une réelle circonscription territoriale37. Domaine, fiefs, avoueries
L’étude du domaine ducal s’avère assez délicate. Faute de séries comptables importantes, on ne peut avoir qu’une idée évanescente de l’ampleur du domaine avant le début du xve siècle. Seuls quelques fragments de la comptabilité de Raoul sont parvenus jusqu’à nous38. Mais si ces documents témoignent de la tenue de comptes par les officiers ducaux, les informations qu’ils livrent sur la structure territoriale de la principauté ducale demeurent parcimonieuses. Plus de traces comptables ensuite jusqu’aux années 1419-1420. Encore celles-ci se limitent-elles à cette époque à la partie francophone du duché39. Le bailliage d’Allemagne est beaucoup moins bien connu : les
35 A.D.M.M. B 1919, B 1920, B 7232 à B 7234. 36 La carte de la figure 4 a été établie à partir des documents suivants : A.D.M.M. B 384, f. 290v-291, A.D.M.M. B 422, f. 249 et. 251v, A.D.M.M. B 566, no 87, A.D.M.M. B 575, no 110, A.D.M.M. B 575, no 138, A.D.M.M. B 668, no 14, A.D.M.M. B 704, no 3, A.D.M.M. B 876, no 93, A.D.M.M. B 880, no 123, A.D.M.M. B 902, no 18, A.D.M.M. B 1919, A.D.M. B 2343, A.D.M.M. 3 F 436, f. 721, A.D.V. G 19, f. 20-21, A.N. KK 1126, no 65, Archives de Reinach no 733, B.M. Nancy, Ms. no 189, f. 48-49, BnF Col. Lor., no 4, f. 20, BnF Col. Lor., no 4, f. 11, BnF Col. Lor., no 47, f. 65 ; J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., passim ; G. Giuliato, Châteaux et maisons fortes en Lorraine centrale, Paris, 1992, p. 113-115 ; M. Parisse Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 117-118, M. Parisse, La noblesse lorraine : xie-xiiie siècles, Paris, 1976, p. 484. 37 J. L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 33. 38 Ils ont été édités par H. Levallois, Catalogue des actes de Raoul, duc de Lorraine, thèse de l’École des Chartes, 1902, p. 197-208. Il s’agit d’une lettre donnant quittance au prévôt de Morsberg pour ses comptes des années 1340-1341 (BnF Col. Lor., no 48, f. 70) et d’un compte du bailliage de Vosges daté de 1333-1334 (BnF Col. Lor., no 3, f. 36 et suiv.). Le siège de la prévôté de Morsberg (auj. Marimont-lèsBénestroff), est transféré par la suite à Château-Salins. 39 A.D.M.M. B 1919 et B 1920 (bailliage des Vosges), B 7232, B 7233 et B 7234 (bailliage de Nancy).
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Dompaire Bruyères
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Bailliages et enclaves : Bailliage de Nancy Bailliage des Vosges Bailliage d’Allemagne Enclaves au sein du duché de Lorraine
Limites territoriales : Certaines
Villes et châteaux : Villes fortifiées relevant du duc de Lorraine Châteaux du duc de Lorraine
Probables
Châteaux tenus en fief par des vassaux du duc de Lorraine
Possibles
Autres villes
Figure 4 : Villes fortifiées et châteaux du duché de Lorraine
49
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Localités …
… appartenant … relevant … placées … dont au domaine en fief du sous la le duc est ducal duché garde ducale l’avoué
Total des localités
… dans le bailliage de Nancy … dans le bailliage des Vosges … dans le bailliage d’Allemagne … dans l’ensemble du territoire ducal
156
77
55
15
303
87
70
6
42
205
83
65
16
0
164
326
212
77
57
672
Figure 5 : Les ducs de Lorraine et le contrôle de leur territoire
quelques registres conservés ne couvrent que la châtellenie de Dieuze40 et les comptes du péage de Sierck-sur-Moselle ne recensent que des flux commerciaux41. Les listes d’hommages, aveux et dénombrements en revanche, pour n’être pas exhaustives, se répartissent plus équitablement sur l’ensemble du territoire ducal42. La situation particulière des abbayes vosgiennes et les relations qu’elles entretiennent avec leurs avoués, les ducs de Lorraine, sont également bien documentées43. À travers toute cette documentation, nous avons recensé la liste des localités appartenant au domaine ducal, relevant en fief du duché, ou placées sous la sauvegarde et l’avouerie des ducs de Lorraine. Les données présentées ci-dessous permettent ainsi de dégager quelques lignes de force quant à la structure territoriale du duché de Lorraine. Le déséquilibre géographique de la documentation en rend l’interprétation parfois très délicate. Les statistiques concernant le domaine permettent, au mieux, de formuler quelques hypothèses. Pour les fiefs et les droits de garde et d’avouerie en revanche, nous pouvons parvenir à des conclusions plus solides. Malgré toutes les incertitudes et la prudence qui s’impose, plusieurs indications se dégagent de ces résultats. Certaines localités relèvent, pour partie, de plusieurs des catégories que nous avons déterminées. La liste de 672 mentions auxquelles nous parvenons ne correspond donc pas à un nombre équivalent de villages. Sur l’ensemble du duché de Lorraine, 326 localités appartiennent au domaine ducal, soit 48,5% de l’ensemble des mentions. La proportion peut paraître importante au
40 A.D.M.M. B 5241 et B 5242. 41 A.D.M.M. B 9352, B 9353 et B 9354. Ils ont été étudiés par J.-M. Yante, Le Luxembourg mosellan, op. cit., p. 165-173. 42 L’essentiel de ces actes sont conservés aux A.D.M.M. sous les cotes B 377, B 378, B 379 et B 384. 43 A.D.V. G 230 à G 800 (chapitre de Saint-Dié) et G 828 à G 2180 (chapitre de Remiremont).
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premier abord ; elle ne doit cependant pas faire illusion : étant données les lacunes de la documentation, le nombre réel de villages relevant du duché de Lorraine dépasse certainement de beaucoup le total obtenu dans ce tableau (672)44. Le pourcentage auquel nous arrivons doit donc être nettement revu à la baisse. La comparaison avec d’autres principautés se révèle désavantageuse pour la Lorraine ducale : le domaine y est vraisemblablement plus exigu qu’en Bretagne45 – où le duc possède des biens dans plus d’un tiers des localités du duché –, plus morcelé qu’en Bourgogne46 – où le domaine ducal est constitué de très grands ensembles d’un seul tenant. « Petit pays » : le duché ne mérite sans doute pas un tel qualificatif au regard de son étendue territoriale ; l’expression sonne en revanche plus juste, relativement aux biens personnels du duc. Or, s’ils ne constituent plus en général, dans les derniers siècles du Moyen Âge, la principale source des revenus princiers, leur importance demeure très grande, dans la mesure où ils assurent la présence des officiers du duc et donc le contrôle du territoire. La question de la répartition géographique du domaine ducal prend, de ce point de vue, tout son sens. Mais l’interprétation des données est encore plus difficile. L’absence de comptes pour le bailliage d’Allemagne rend en effet inopérante la comparaison avec ceux de Nancy et des Vosges, à l’exception de Dieuze, au sud, et de Sierck, au nord, qui rassemblent l’essentiel des mentions de biens dans la Lorraine germanophone. Cette concentration s’explique sans doute davantage par la présence de sources comptables dans ces deux localités que par leur situation géographique frontalière47. D’autre part, la plus faible part des possessions domaniales dans le bailliage des Vosges (87 mentions sur un total de 205 pour le bailliage, soit une proportion de 42,5%, contre 51,5% – 156 sur 303 – pour le bailliage de Nancy) est due pour l’essentiel à la présence de l’abbaye de Remiremont, dont les biens sont placés sous la sauvegarde ducale. Nous reviendrons plus loin sur ce cas bien spécifique. Faut-il pour autant se résoudre à ce constat d’impuissance ? La carte ci-dessous ne fait que traduire visuellement les données récoltées dans le tableau ci-dessus : elle laisse une nouvelle fois l’impression que le bailliage d’Allemagne se trouve un peu en marge du territoire ducal, impression qui demanderait toutefois à être confirmée48. Si le domaine représente pour le duc l’instrument de contrôle le plus direct, le système féodal revêt encore une grande importance dans l’Occident de la fin du Moyen Âge, et contribue aussi à l’affermissement de l’autorité ducale, quoique d’une manière différente, plus indirecte. Pour le prince, l’enjeu consiste alors à bien tenir
44 Cela ressort de la lecture des figures 6 : « Le domaine ducal », 7 : « Les fiefs du duché de Lorraine » et 8 : « Droits de garde et d’avouerie des ducs de Lorraine ». Les nuages de points de ces trois cartes sont loin de recouvrir l’ensemble du territoire et de correspondre à la densité de la population. 45 J. Kerhervé, L’État breton, op. cit., p. 75-78. 46 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 46. La comparaison n’a malheureusement pas pu être menée avec des principautés allemandes, faute d’une documentation suffisamment abondante et représentative les concernant à cette époque. 47 Cf. figure 6 : « Le domaine ducal ». La présence de salines à Dieuze et d’une résidence ducale à Sierck peuvent également contribuer à surévaluer la part du domaine dans ces deux régions. 48 H. Hiegel, Le bailliage d’Allemagne de 1600 à 1632, op. cit., parvient aux mêmes conclusions pour le xviie siècle.
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Bailliages et enclaves : Bailliage de Nancy Bailliage des Vosges Bailliage d’Allemagne Enclaves au sein du duché de Lorraine
Figure 6 : Le domaine ducal
Limites territoriales :
Villes et localités :
Certaines
Villes principales du domaine ducal
Probables
Localités du domaine ducal
Possibles
Autres villes
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en mains ses vassaux et à contrôler notamment un certain nombre de points forts, les châteaux les mieux fortifiés. Tout autant que le nombre de fiefs, c’est donc leur importance stratégique qu’il faut prendre en compte pour mesurer l’efficacité du maillage territorial mis en place par les ducs et estimer leur emprise sur la principauté. Des fiefs relevant du duché de Lorraine sont attestés dans 212 des 672 localités mentionnées dans nos sources, soit une proportion de 31,5%, nettement inférieure à celle du domaine ducal. Mais les variations entre les différents bailliages du duché sont plus fortes que pour le domaine : 65 mentions sur un total de 164 pour le bailliage d’Allemagne (40%), 70 sur 205 pour celui des Vosges (34%), contre 77 sur 303 (25,5% seulement) pour celui de Nancy. Autrement dit : le système féodal tient dans la Lorraine ducale une place considérable, souvent aussi grande que celle du domaine, à l’exception du bailliage de Nancy. L’hypothèse d’une place privilégiée de ce dernier, que nous n’avions fait qu’entrevoir avec le domaine, se dessine un peu plus nettement. Inversement, dans le bailliage d’Allemagne, les nobles semblent jouer le rôle de relais incontournable de l’autorité ducale. La féodalité ne constitue pas inévitablement une source de faiblesse pour une principauté. Le lien féodo-vassalique peut, selon les cas, se révéler un moyen de contrôle territorial efficace ou représenter au contraire une dangereuse source de contestation de l’autorité. Tout dépend du rapport de forces personnel qui existe entre le prince et son vassal. Naturellement, c’est pour les fiefs les plus importants, et notamment les châteaux les mieux fortifiés, que la question se pose avec le plus d’acuité. Les châteaux inféodés sont répartis de manière assez inégale à l’intérieur du territoire ducal. On en trouve en effet 3 dans le bailliage de Nancy, 4 dans le bailliage des Vosges, et 11 dans celui d’Allemagne49. Tous ont le même statut de fief rendable, qui assure théoriquement au duc de Lorraine un droit d’ouverture du château en cas de nécessité. Dans les bailliages de Nancy et des Vosges, le duc semble disposer d’un réel contrôle sur les châteaux de ses vassaux, ce qui renforce son pouvoir à l’intérieur du duché. Alors que les forteresses ducales se situent généralement au centre du territoire lorrain, les vassaux occupent souvent des positions-clés aux frontières du duché (Fougerolles, Fontenoy, Deuilly, Le Châtelet ), ou à proximité des enclaves épiscopales (Moyen, Gerbéviller, Romont) et du Saulnois, Parroy). Les ducs de Lorraine surveillent attentivement le comportement des détenteurs de ces fiefs stratégiques et n’hésitent pas à intervenir lorsque leur fidélité se relâche. En 1362, constatant que le château de Romont et ses dépendances avaient été aliénés par son détenteur sans l’aval du duc, Jean Ier le confisqua et le confia au seigneur de Ribeaupierre50. Huit ans plus tard, il
49 Cf. figure 4 : « Villes fortifiées et châteaux du duché de Lorraine ». Liste établie à partir des documents suivants : Catalogue des sceaux des Archives Départementales de Moselle, Nancy, no 58, A.D.M.M. B 370, f. 80v-81, A.D.M.M. B 377, f. 30v et 177, A.D.M.M. B 379, f. 5-6, 13v-14v, 29v-30v et 59v, A.D.M.M. B 384, f. 165v-166, A.D.M.M. B 532, no 83, A.D.M.M. B 566, no 67, A.D.M.M. B 570, no 9, A.D.M.M. B 644, no 24, A.D.M.M. B 691, no 214, A.D.M.M. B 880, no 120. Nous n’incluons pas dans cette liste les fiefs de Pierrefort, Bouconville, Nonsard, Sommedieue et Romont, qui se situent à l’extérieur du territoire ducal. 50 A.D.M.M. B 377, f. 175.
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mit le siège devant la forteresse de Fougerolles, dont le seigneur refusait de lui prêter hommage et causait de gros dégâts sur la terre du duché, s’en empara et en investit Thiébaut, seigneur de Blâmont. Les ducs usent donc de leur droit de confiscation et choisissent avec soin le nouveau détenteur du fief51. À la fin du xive siècle, la plupart des forteresses des deux bailliages francophones se trouvent soit dans les mains du duc, soit dans celles de familles sûres : les Toulon, Parroy, Ribeaupierre, Châtelet, Deuilly et Blâmont comptent en effet parmi les fidèles des ducs de Lorraine52. Seul le fief de Fontenoy-en-Vosges, contrôlé par la famille bourguignonne de Neufchâtel, échappe davantage à l’orbite ducale, car le lien féodal de cette maison avec les ducs de Bourgogne prime sur celui qui l’unit aux ducs de Lorraine53. La féodalité semble plutôt jouer ici un rôle de renforcement du contrôle territorial exercé par les ducs de Lorraine. Il faut d’ailleurs ajouter aux quelques grands fiefs que nous venons d’évoquer la présence de nombreuses maisons fortes. Elles ont été étudiées en Lorraine centrale, où l’on en dénombre vingt et une pour le seul bailliage de Nancy. Elles sont sans doute aussi nombreuses dans les autres régions du duché, mais nous n’en connaissons que quelques-unes, faute d’une étude systématique. Édifiées par des familles de la petite noblesse lorraine, modestes et mal fortifiées, elles sont incapables de résister bien longtemps à une armée et ne constituent donc aucun danger pour le pouvoir ducal. Mais, dans le contexte d’insécurité permanente des deux derniers siècles du Moyen Âge, elles permettent de sécuriser le territoire et peuvent servir de refuge contre des bandes de pillards faiblement armées54. Pour ces deux raisons, le duc encourage systématiquement leur construction. Châteaux et maisons fortes constituent donc un réseau fortifié relativement dense. Au total, le maillage territorial des bailliages de Nancy et des Vosges s’avère plus serré que ne pouvaient le laisser présager les cartes des biens domaniaux et des châteaux ducaux55. Il en va tout autrement pour le bailliage d’Allemagne. Onze châteaux importants y sont inféodés, auxquels il convient d’ajouter quelques maisons fortes, certainement beaucoup plus nombreuses en réalité que celles que nous avons repérées56. Mais
51 A.D.M.M. B 379, f. 29v-30v. 52 Voir l’Annexe 2 : « Les principaux serviteurs des ducs de Lorraine, leur place à la cour et leur assise sociale ». La famille de Toulon détient les forteresses de Bayon et Vaubexy (A.D.M.M. B 377, f. 30v), celle de Parroy le château éponyme (G. Giuliato, Châteaux et maisons fortes en Lorraine, op. cit., p. 61-65). La famille du Châtelet est issue d’une branche cadette de la maison ducale de Lorraine (A.D.M.M. B 379, f. 80v-81), et Perrin de Deuilly apparaît lui aussi, très régulièrement, dans l’entourage des ducs (A.D.M.M. B 572, no 41). 53 V. Muller, « L’implantation des Neufchâtel en Lorraine. De la politique familiale au service du Prince », F. Roth (éd.), Lorraine, Bourgogne et Franche-Comté. Mille ans d’histoire, Moyenmoutier, 2011, p. 35-57. 54 Pour le rôle et la localisation de ces maisons fortes, voir G. Giuliato, op. cit., passim. Deux d’entre elles appartiennent au duc, à Blainville et Pulnoy ; toutes les autres sont détenues en fief par la noblesse du duché. 55 Voir figures 4 : « Villes fortifiées et châteaux du duché de Lorraine », et 6 : « Le domaine ducal ». 56 Voir figure 4. Les maisons fortes se situent à Pange (A.D.M.M. B 822, no 97), à Goin (A.N. KK 1116, layette Amance, no 31), à Mengen (A.D.M.M. B 384, f. 154v-155) et à Sarreinsming (A.D.M.M. B 708, no 4). Les trois dernières sont tenues en fief, la première appartient au duc.
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Bailliages et enclaves :
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Bailliage de Nancy Bailliage des Vosges Bailliage d’Allemagne Enclaves au sein du duché de Lorraine
Figure 7 : Les fiefs du duché de Lorraine
Certaines Probables Possibles
Villes et localités : Fiefs relevant du duché de Lorraine Autres villes
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les interventions ducales semblent se faire rares dans les fiefs germanophones à l’exception, notable, de la confiscation des fiefs de Saint-Hippolyte, Koenigsbourg et Frankenbourg au comte d’Alsace, faute de reprise57. La noblesse germanophone serait-elle plus docile que celle du reste du duché ? Ou le duc ne se sent-il pas en situation suffisamment forte pour intervenir de manière autoritaire ? Quatre de ces forteresses sont tenues en fief par des familles de petite ou moyenne noblesse, sur lesquelles les ducs doivent disposer d’une réelle autorité. Pour autant, à une exception près, elles ne font pas partie de leur entourage immédiat58. Peut-être faut-il voir là un simple effet de la distance qui sépare la Lorraine germanophone de la capitale ducale, Nancy. En revanche, le contrôle ducal sur les forteresses de Bitche, Morhange et Faulquemont est, lui, beaucoup plus incertain : elles appartiennent en effet aux familles comtales de Deux-Ponts et de Salm. Celles-ci prêtent volontiers hommage aux ducs de Lorraine, mais elles mènent leur propre jeu politique, indépendant. Les ducs doivent les traiter en alliées, plus qu’en vassales59. Surtout, en cas de manquement aux devoirs féodaux, la reprise en main de telles forteresses, puissantes, stratégiques et bien armées, peut s’avérer extrêmement difficile. L’exemple de Faulquemont le montre bien : en 1389, Jean Ier confirme le traité de Burgfried signé par le comte de Deux-Ponts et d’autres seigneurs allemands, mais seul le comte lui prête hommage : il ne dispose donc, en réalité, que d’un droit de regard sur le château60. Il semble donc que les vassaux soient contrôlés de manière moins étroite dans le bailliage d’Allemagne que dans les terres francophones du duché. L’analyse de la répartition géographique des droits de garde et d’avouerie exercés par les ducs de Lorraine renforce enfin l’impression d’un pouvoir ducal inégalement assis dans les différentes circonscriptions du duché. Ce critère constitue un bon révélateur de l’influence réelle exercée par le duc sur un territoire. La sauvegarde, en effet, concerne de petites localités rurales et consiste en une promesse de protection, en contrepartie d’une taxe ; elle place les villages concernés dans la dépendance directe du prince. Une communauté qui décide, moyennant finance, de se placer sous la protection ducale, estime par là même que celle-ci est efficace, donc que l’autorité du prince est tangible. Elle l’est encore plus, si la lettre de sauvegarde est extorquée de force par les ducs. L’avouerie en revanche, constitue une sorte de coseigneurie entre le duc et la communauté placée sous sa protection, car elle s’applique à de puissants établissements religieux. Ceux-ci accordent également une part de leurs revenus au prince, mais ils rappellent leurs privilèges et leurs droits et bornent de manière parfois assez stricte le pouvoir ducal. Celui-ci se manifeste donc beaucoup
57 A.D.M.M. B 384, f. 139. 58 Seul Arnoul de Felsberg, détenteur du château éponyme et qu’il faut peut-être identifier à Arnoul de Sierck, appartient à une famille que l’on remarque fréquemment aux côtés des ducs de Lorraine. Voir Ch. Moreau, Catalogue des actes de Jean Ier, op. cit., p. 76. Jean d’Ellenz prête hommage pour le château de Freistroff (Catalogue des sceaux des Archives Départementales de Moselle, no 58), Jean de Mengen pour celui de Varsberg (A.D.M.M. B 384, f. 205v-206), et Jean de Hamberg pour la forteresse du même nom (A.D.M.M. B 566, no 67). 59 A.D.M.M. B 384, f. 146v, A.D.M.M. B 570, no 9, A.D.M.M. B 691, no 214. 60 A.D.M.M. B 384 f. 146v. Sur la notion de Burgfried, voir ci-dessous chapitre 2.
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Bailliages et enclaves : Bailliage de Nancy Bailliage des Vosges Bailliage d’Allemagne Enclaves au sein du duché de Lorraine
Limites territoriales : Certaines Probables Possibles
Figure 8 : Droits de garde et avoueries des ducs de Lorraine
Villes et localités : Droits de garde et d’avouerie des ducs de Lorraine Autres villes
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plus fortement par l’intermédiaire des lettres de sauvegarde que par l’exercice de ses droits d’avoué, qui demeurent parfois assez largement théoriques. Dans le bailliage de Nancy, les localités placées sous la garde des ducs de Lorraine représentent 18,2% du total des mentions (55 sur 303). La proportion tombe à 9,5% (16 mentions sur 164) pour celui d’Allemagne, et à 3% environ (6 sur 205) dans celui des Vosges. En revanche, dans ce dernier bailliage, le duc est l’avoué de 42 localités (20% du total des mentions du bailliage), ainsi que d’une quinzaine d’autres dans celui de Nancy. Cela tient à la présence de nombreuses communautés religieuses qui font de la montagne vosgienne une zone de seigneuries ecclésiastiques placées sous la protection ducale. Remiremont, Saint-Dié, Étival et Moyenmoutier s’échelonnent en effet au pied du versant occidental des ballons des Vosges ; quant au prieuré du Val de Liepvre, il se situe au cœur du massif, dans une vallée stratégique abritant des mines d’argent. Au total, c’est donc l’ensemble de la partie méridionale des Vosges qui se trouve soumise à l’influence dominante de ces établissements monastiques61. Tout confirme donc que, si l’autorité ducale s’exerce pleinement et souvent directement dans la région nancéienne, elle paraît plus faible dans les autres régions du duché, médiatisée par les communautés religieuses dans le bailliage des Vosges et par la noblesse dans celui d’Allemagne. Il ne s’agit certes que d’un nouvel indice, mais leur concordance donne à chacun d’entre eux une signification beaucoup plus forte. Le duché de Lorraine, une principauté rentière ?
Le concept d’État rentier est né à la fin des années soixante chez des économistes qui travaillaient sur les pays exportateurs de pétrole du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Au sens large, il désigne un État – ou une entité politique – dont les ressources proviennent essentiellement des rentes que lui procure la vente de ses richesses, minières ou autres62. La principauté ducale de Lorraine correspond, au moins partiellement, à cette définition. Évaluer les disponibilités financières des ducs de Lorraine à la fin du xive siècle n’est pas chose facile. L’absence d’institutions financières centrales et de sources comptables se fait cruellement sentir, empêchant par là même tout aperçu d’ensemble des finances ducales. Les actes fournissent naturellement des indications très nombreuses, mais toujours isolées et ponctuelles. L’accumulation d’emprunts, ou de prêts, sur une période assez courte, peut indiquer une gêne momentanée ou un accroissement des rentrées d’argent, mais il demeure impossible d’en mesurer l’ampleur ou d’en
61 M. Parisse (éd.), Remiremont, l’abbaye et la ville, Nancy, 1980, 369 p. ; J. Bridot et M. Parisse, « Les 52 bans de l’abbaye de Remiremont », in M. Parisse, J.-P. Rothiot, et P. Heili (éd.), Le pays de Remiremont des origines à nos jours, Remiremont, 2001, p. 65-87 ; A. Ohl des Marais, Histoire chronologique de la principauté de Salm, des abbayes de Senones et de Moyenmoutier, Saint-Dié, 1951, 255 p. ; P. Boudet, « Le chapitre de Saint-Dié en Lorraine des origines au xvie siècle », Annales de la Société d’émulation des Vosges, 90-97 (1914-1921), p. 1-109, et 98 (1922), p. 110-274, Épinal. 62 Y. Matsunaga, « L’État rentier est-il réfractaire à la démocratie ? », Critique internationale 8, 2000, p. 46-58. Dans le cas de l’Égypte, la rente provient non pas de gisements d’hydrocarbures, mais du tourisme.
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analyser les causes. Cette question des finances est pourtant incontournable, si l’on veut pouvoir jauger concrètement la puissance des ducs de Lorraine. Seul un document donne une estimation globale des ressources du duché, mais son interprétation s’avère délicate. Il s’agit d’une ordonnance de réformation prise par le gendre et successeur de Charles II, René Ier d’Anjou, en 144663. À en croire ce texte, le domaine ducal de Lorraine aurait procuré à Charles II, dans les dernières années de son règne, environ 50 000 francs annuels. Que faut-il en penser ? La somme n’a-t-elle pas été volontairement surévaluée, a posteriori, pour justifier les mesures radicales prises par René ? Les recettes domaniales ont-elles été globalement constantes tout au long du règne de Charles II ? L’état de la documentation laisse ces questions sans réponse. Avec toutes les précautions qui s’imposent, les chiffres donnés par les officiers de René d’Anjou paraissent toutefois loin d’être négligeables. Les recettes ordinaires, domaniales, de la Lorraine ducale équivaudraient à peu près, toutes proportions gardées, à celles des possessions bourguignonnes de Philippe le Hardi, le plus riche prince des fleurs de lys, à la fin du xive siècle64. Mais les ducs de Lorraine ne disposent, eux, d’aucune autre source de revenus. Sans être très riches, ils n’apparaissent donc pas dépourvus de moyens financiers. D’où ceux-ci proviennent-ils ? Le poids des campagnes
La ruralité marque de son empreinte la quasi-totalité du territoire ducal. Il se situe en effet à l’écart des grands pôles économiques lorrains. Les ducs ne contrôlent aucune des trois villes qui concentrent l’essentiel des richesses de la région, Metz, Verdun et Toul65. Certes, ces trois cités épiscopales connaissent, à partir du xive siècle, peut-être un peu plus tardivement pour Metz, un déclin relatif, qui rend moins exclusive leur domination économique sur la Lorraine66. Un réseau de bourgs plus modestes, mais actifs, se crée, dont un certain nombre dans le duché de Lorraine, comme Mirecourt, Neufchâteau, Saint-Dié, Nancy, Remiremont ainsi que, dans une moindre mesure, Sarreguemines, dans le bailliage d’Allemagne. Aucun d’entre eux toutefois ne constitue un centre économique important, à l’exception peut-être de Saint-Nicolas-de-Port, non loin du confluent de la Meurthe et de la Moselle67. Le développement du pèlerinage et la situation de carrefour dont bénéficie cette ville ont permis la naissance et l’essor d’une bourgeoisie marchande importante et très active. Mais elle relève de l’abbaye de Gorze, 63 A.D.M.M. B 417, f. 11r-14r. 64 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 56-58. Entre 1379 et 1384, le domaine ducal bourguignon rapporte environ 40 000 livres annuelles. Mais les trois quarts des recettes du duc de Bourgogne provenaient toutefois des revenus extraordinaires, impôts et dons du roi. 65 Voir la figure 13 : « L’espace lorrain à la fin du xive siècle ». 66 A. Girardot, Le droit et la terre : le Verdunois durant la seconde moitié du Moyen Âge, Nancy, 1992, 976 p. ; G. Bönnen, Die Bischofsstadt Toul und ihr Umland während des hohen und späten Mittelalters, Trèves, 1995, 687 p. ; J. Schneider, Recherches sur la vie économique de Metz au xve siècle, Metz, 1951, 105 p. 67 Les petites villes en Lotharingie. Die kleinen Städte in Lotharingien, Luxembourg, 1995, 611 p. ; O. Kammerer-Schweyer, La Lorraine des marchands à Saint-Nicolas-de-Port : xive-xvie siècles, SaintNicolas-de-Port, 1985, 208 p.
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qui constitue une semi-enclave à l’intérieur du duché et échappe, au moins partiellement, au contrôle ducal68 : le duc ne peut rien exiger des habitants, ni corvées, ni taxes, ni chevauchées ; il partage seulement quelques revenus avec le prieur de Varangéville et l’abbé de Gorze. Le voisinage de Nancy, capitale ducale, et de Port, montre en fait à quel point le duché se trouve en dehors des principaux circuits économiques régionaux. Nancy n’est à l’époque qu’une grosse bourgade de 1 000 habitants tout au plus, et elle ne doit son aspect urbain qu’à la présence de la cour ducale. C’est Saint-Nicolas-dePort qui capte à son profit l’essentiel du trafic commercial passant par la Lorraine. Le paysage économique de la principauté ducale à la fin du Moyen Âge demeure donc très traditionnel, à l’image de celui des environs de Nancy. Au détour de l’étude s’est dessinée, et pour longtemps, la géographie rurale de la région nancéienne : vignes et vergers au flanc de la côte de Moselle et des buttes-témoins, maraîchage autour de la ville, céréaliculture dans le Vermois, élevage des bovins et pisciculture sur le plateau oriental69. L’analyse du trafic commercial au péage de Sierck-sur-Moselle, menée par JeanMarie Yante, permet de prendre connaissance des principales productions exportées vers les pays rhénans, débouché commercial naturel de la Moselle. Les produits agricoles y occupent de loin la première place, notamment ceux issus de l’élevage, tout particulièrement porcin. L’exportation des grains vers la grande métropole ecclésiastique de Trèves occupe également une place non négligeable70. Ensuite seulement viennent les produits de l’artisanat, dont les laines et toiles vosgiennes, que l’on retrouve vers la fin du xive siècle dans les plus grandes villes européennes, Barcelone par exemple71. L’étude de la comptabilité disponible pour les années 1420 permet d’aboutir aux mêmes conclusions. Ces comptes datent, certes, de la fin du règne. Il paraît donc difficile d’en déduire, par extrapolation, l’importance des revenus domaniaux à la fin du xive siècle. Mais la nature des droits perçus est celle d’un modeste seigneur rural : tailles, corvées, droits de bourgeoisie, péages, taxes sur la pêche et sur les étalages, poids et mesures représentent l’essentiel des recettes domaniales. Les taxes prélevées sur les drapiers de la frairie de Port constituent le seul témoignage d’une activité urbaine et artisanale contrôlée en partie par le pouvoir ducal. Encore s’agit-il d’un droit prélevé sur la confrérie, et non sur l’activité textile elle-même72. Tout cela laisse au premier abord l’impression d’une grande modestie, d’un « petit pays », au sens économique du terme. Les sommes récoltées dans les comptes des bailliages de Nancy et des Vosges paraissent bien faibles, et irrégulières – entre 2 500 et 3 200 livres annuelles pour le premier, à peine 1 000 livres pour le second73 –, insuffisantes en tout cas pour permettre aux ducs de Lorraine de tenir leur rang. 68 A.D.M.M. G 433, liasse 5, no 1. 69 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 81-82 (pour la comparaison entre Nancy et Saint-Nicolas-de-Port) et p. 215 (pour la citation). 70 J.-M. Yante, Le Luxembourg mosellan, op. cit., p. 165-173. 71 M. Parisse, Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 210-212. 72 A.DM.M. B 1919 et B 1920 pour le bailliage de Nancy, B 7232, B 7233 et 7234 pour celui des Vosges. 73 Ibid.
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D’où viennent alors les 50 000 francs évoqués par l’ordonnance de René d’Anjou ? Il faut ici mentionner d’autres sources de revenus, beaucoup plus importantes, qui n’apparaissent qu’indirectement dans la documentation. Les richesses minières
Rurale, mais relativement étendue, la Lorraine ducale recèle d’abondantes ressources minières. Depuis l’Antiquité, le sel constitue une des principales richesses de la région. Durant les premiers siècles du Moyen Âge, la production était contrôlée par les grands établissements ecclésiastiques et par l’évêque de Metz, donnant aux seigneuries religieuses la prépondérance politique et économique sur l’ensemble de l’espace lorrain74. Mais les xiiie et xive siècles voient la découverte de nouveaux gisements, à Lindre, Sarralbe et Rosières-aux-Salines, soit, en partie, sur le territoire ducal75. Les ducs n’auront de cesse de mettre la main sur les réserves d’or blanc se trouvant à l’intérieur ou à proximité de leurs possessions, aux dépens des propriétaires seigneuriaux, ecclésiastiques ou laïcs : à la fin du xiiie siècle, par une politique d’échange avec les évêques de Metz et d’achat aux seigneurs locaux, ils se rendent seuls maîtres de la saline de Rosières, qui constituera désormais leur principale source de revenus76. Durant tout le xive siècle, ils s’évertuent à développer leur implantation dans le Saulnois, éliminant progressivement l’évêque de Metz de la région de Château-Salins. Plusieurs guerres seront nécessaires pour ce faire, de 1340 à 1358, en 1368, et la dernière en 1379-1381, à l’issue de laquelle l’évêque reconnaît n’avoir aucun droit sur la fontaine salée d’Amélécourt, proche de Château-Salins77. À la fin du xive siècle, les ducs de Lorraine disposent par conséquent de plusieurs salines, à Rosières, à Dieuze, mais aussi à Amélécourt et à Lindre-Basse, où ils sont associés respectivement au duc de Bar et au comte de Deux-Ponts78. L’acharnement dont ils ont fait preuve montre à lui seul l’importance des ressources que les mines de sel pouvaient leur procurer. Une estimation chiffrée du produit de ces salines, et a fortiori de la part qu’elles représentent dans l’ensemble des finances ducales, demeure malgré tout impossible. Elles sont tenues par des « gouverneurs » ou « gardiens », qui inscrivent dans leur comptabilité les quantités extraites, mais pas les recettes tirées de la commercialisation du sel79.
74 G. Cabourdin (éd.), Le sel et son histoire, Nancy, 1981, 542 p. 75 Ch. Hiegel, « Les nouvelles salines du Saulnois aux xiiie et xive siècles », ASHAL Metz, 1980, p. 51-67. 76 Ch. Hiegel, « Le sel en Lorraine du viiie au xiiie siècle », Annales de l’Est, 1981, no 1, p. 29. 77 Pour les traités de paix, voir A.D.M.M. B 814, no 3 (1358) ; A.D.M.M. B 424, f. 123v-124v (1368) ; A.D.M.M. B 422, f. 251v-253 v (1381). Les péripéties du conflit sont évoquées dans la Chronique de Praillon, J.-F. Huguenin (éd.), Les chroniques de la ville de Metz, recueillies, mises en ordre et publiées pour la première fois, Metz, 1838, 894 p. 78 Ch. Hiegel, « Le sel en Lorraine du viiie au xiiie siècle », art. cit., p. 48. 79 A.D.M.M. B 8466. Ce compte concerne la saline de Rosières (1427-1428). Aucun autre document de ce type ne nous est parvenu avant la mort de Charles II en 1431.
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Le même constat vaut pour les gisements métallifères des montagnes vosgiennes. Les mines de fer, de plomb, de cuivre, et surtout d’argent qu’elles contiennent intéressent au premier chef les ducs de Lorraine. Les principaux gisements se localisent à la fin du Moyen Âge dans le val de Galilée, autour de La Croix-aux-Mines et du Chipal, ainsi que dans la vallée de la Liepvrette, autour de Sainte-Marie-aux-Mines, Sainte-Croixaux-Mines et Rombach80. Dans cette zone, le pouvoir ducal doit composer avec le chapitre de Saint-Dié, qui contrôle le val de Galilée, mais aussi avec le prieuré du val de Liepvre, dépendant de la grande abbaye française de Saint-Denis81. On comprend d’autant mieux la politique de lent grignotage des temporels ecclésiastiques vosgiens, menée sans relâche par les ducs de Lorraine au cours des xiiie et xive siècles. Vers 1400, ils semblent contrôler une bonne part de la production métallurgique de la région82. Quel profit réel les ducs retirent-ils des mines d’argent ? La documentation sur leur exploitation étant presque inexistante avant le xvie siècle, nous ne pouvons que formuler un certain nombre d’hypothèses. Plusieurs raisons laissent croire qu’il ne faut pas exagérer le rendement de ces gisements, ni les revenus qu’ils procurent aux ducs de Lorraine. Tous ne semblent pas exploités à cette époque : jusqu’à la fin du règne de René II en effet, c’est le val de Galilée qui paraît fournir l’essentiel de la production. Production d’ailleurs modeste, sans doute bien inférieure à celle du siècle suivant, car le contexte troublé des xive-xve siècles freine les possibilités d’extraction. Enfin, la nature des gisements et les difficultés de leur mise en valeur réduisent considérablement les marges de profit : le minerai possède une faible teneur en argent, entre 0,078% et 0,28% selon les mesures effectuées, contre 6% de cuivre et 93% de plomb ; l’approvisionnement en bois et le transport du minerai posent aussi problème, de même que l’eau, qui menace constamment d’inonder les mines. Les établissements du val de Liepvre peuvent s’approvisionner dans la forêt de Lubine toute proche, mais le relief difficile de la région rend le transport du combustible particulièrement pénible. Au xvie siècle enfin, deux fonderies, à Wisembach pour le val de Galilée et à Musloch pour le val de Liepvre, permettaient d’affiner sur place le métal extrait des gisements et de réduire ainsi les quantités transportées, avant un long et coûteux trajet via le col de Sainte-Marie, Saint-Dié et la vallée de la Meurthe. Ces fonderies existaient-elles dès la fin du Moyen Âge ? Quoiqu’il en soit, même au xvie siècle, leur rentabilité demeure fragile83. Pour autant, plusieurs indices montrent que les ducs portaient un vif intérêt aux gisements métallifères de la montagne vosgienne dès le xive siècle. La présence de mineurs allemands en Lorraine, dans la région de La-Croix-aux-Mines, est attestée dès 1325. Or, « le métier de mineur passait partout pour une spécialité des Allemands84. » Leur présence prouve que des gisements sont alors en exploitation et que leur mise en 80 G. Cabourdin, « Les ducs de Lorraine et l’exploitation des mines d’argent : 1480-1635 », Annales de l’Est, 1969, p. 93. 81 Voir A.D.V. G 233 (recueil des privilèges de l’église de Saint-Dié) et A.N. S 2238 (droits des prieurs du val de Liepvre). 82 M. Parisse (éd.), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 194-196. 83 G. Cabourdin, « Les ducs de Lorraine et l’exploitation des mines d’argent : 1480-1635 », art. cit. 84 J.-M. Moeglin, L’Empire et le Royaume, op. cit., p. 176.
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valeur justifie les dépenses occasionnées par l’appel à cette main-d’œuvre, hautement qualifiée et par conséquent très chère. Leur nourriture provenant d’Alsace, il faut, pour éviter les commissions de change, les payer en monnaie non lorraine, ce qui engendre des frais supplémentaires pour le trésor ducal. C’est que l’essor de la monnaie ducale et la vitalité de l’atelier monétaire nancéien sous le règne de Jean Ier permettent non seulement aux ducs de Lorraine d’accroître notablement leurs revenus, mais leur apportent une inestimable source de prestige, la frappe monétaire constituant l’un des signes concrets d’une souveraineté qu’ils revendiquent de plus en plus ouvertement. En dehors de Nancy, les ducs de Lorraine disposent également de deux autres ateliers monétaires, à Sierck et à Sarreguemines, dans le bailliage d’Allemagne85. L’ardeur avec laquelle Charles II, au début du xve siècle, défend ses positions dans la vallée de la Liepvrette et les liens étroits des ducs de Lorraine avec la famille de Ribeaupierre, dont les possessions recouvrent partiellement les gisements, témoignent de leur caractère stratégique86, même s’il ne faut pas exagérer outre mesure l’importance de leur revenu, certainement bien inférieur à celui des salines. L’étude de l’exploitation des gisements de fer dans la région aboutit par ailleurs à des conclusions similaires87. De grandes quantités de bois sont nécessaires à l’exploitation des salines et des gisements métallifères. Or, le duché dispose de vastes étendues forestières. À proximité immédiate de Nancy, l’immense massif de la Haye approvisionne en bois de chauffe les salines de Rosières. Au sud du duché, les montagnes vosgiennes sont également couvertes de forêts, dont le duc partage la propriété avec les grandes abbayes de la région. Elles offrent en effet de multiples sources de revenus, qu’il s’agisse de la vente de charbon, des recettes provenant des droits d’affouage88, des amendes sanctionnant les infractions à la législation ducale sur les forêts et, surtout, de l’exportation, le flottage des bois sur le cours de la Moselle étant attesté au péage de Sierck en 142589. Toutes ne sont sans doute pas aussi efficacement exploitées que la Haye, mais les ducs de Lorraine font preuve d’un souci constant de l’administration des forêts dont ils disposent, particulièrement lorsqu’elles servent pour l’extraction du sel ou du minerai : le duc Raoul promulgue le 16 novembre 1340 une ordonnance spéciale concernant les bois de la saline de Château-Salins90. Une nouvelle fois, toute estimation chiffrée s’avère impossible, mais, au sein d’un territoire presque entièrement rural et agricole, les forêts comptent certainement, avec les salines et les mines d’argent, parmi les trois grands postes de recettes du trésor ducal. D’un point de vue économique, les ducs de Lorraine bénéficient donc d’un certain nombre d’atouts, de rentes de situation, pourrait-on dire, au vu de l’importance des richesses minières et forestières de la principauté. L’activité artisanale en revanche
85 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 131-132 ; J.-M. Yante, Le Luxembourg mosellan, op. cit., p. 282 ; et A.D.M. 4 E 511. 86 A.D. Mos. B 2344/27. Voir Annexe 2. 87 M. Leroy, « Autour de la minette, la perduration de la production de fer en bas fourneau en Lorraine à la fin du Moyen Âge », Congrès international d’archéologie médiévale (6), 1998, p. 145-150. 88 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 74-75. 89 J. M. Yante, Le Luxembourg mosellan, op. cit., p. 187. 90 B.M. Nancy, Ms. 237, f. 45-48.
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et même, dans une moindre mesure, la production agricole, paraissent bien faibles. La prospérité des finances ducales dépend donc largement de la capacité des ducs à tirer profit des axes du grand commerce européen traversant le duché d’est en ouest, entre Royaume et Empire, et du nord au sud, entre Méditerranée et mer du Nord. Le commerce de transit
Dans ce domaine, la situation, au xive siècle, n’est plus si favorable qu’aux siècles précédents, lorsque l’essentiel des échanges nord-sud en Europe se réalisait pendant les foires de Champagne. La Lorraine voisine bénéficiait alors d’un important trafic transversal en direction et en provenance de l’Allemagne, qui venait se greffer sur le réseau principal. La révolution commerciale de la fin du xiiie siècle en Europe, marquée par le déclin des foires de Champagne, l’essor des itinéraires rhénans et parisiens, et l’ouverture de la route maritime de Gibraltar, place la Lorraine − et le duché lui-même − davantage à l’écart des grands axes de circulation de la fin du Moyen Âge91. Toutefois, l’essor économique de l’Allemagne du Sud ravive le commerce transversal : depuis Strasbourg, les marchands de Nuremberg gagnaient ainsi Paris soit par la trouée de Saverne et le nord du duché de Lorraine, soit par la vallée de la Sarre, rejoignant la Moselle au nord de Sierck92. Les ducs contrôlent l’axe mosellan dans sa partie méridionale, de Thaon-les-Vosges à Frouard et, plus au nord, à Sierck93. Une voie transversale relie également la vallée du Rhin aux Pays-Bas bourguignons. Plusieurs itinéraires sont possibles, dont certains transitent par le duché : depuis Bâle, le franchissement des Vosges peut se faire par les cols de Bussang, du Bonhomme et de Sainte-Marie ; les deux derniers itinéraires se rejoignent à Saint-Dié, empruntent la vallée de la Meurthe à Raon-l’Étape, puis rejoignent la Moselle après Saint-Nicolas-de-Port94, où ils ont fusionné avec l’itinéraire du col de Bussang. L’ensemble du duché est donc parcouru de voies commerciales d’importance non négligeable, quoique secondaire. Les ducs de Lorraine n’ont naturellement pas manqué de profiter d’une telle situation pour s’assurer le contrôle de ces artères commerciales et ponctionner leur part des revenus en les jalonnant de très nombreux péages, au débouché des cols vosgiens (Le Thillot, Raon-l’Étape), le long de la Meurthe et de la Moselle (Azerailles, Frouard, Lunéville, Malzéville, Nancy, Sierck), de la Sarre (Sarreguemines, Vaudrevange), de la Nied (Siersberg) et du Sânon (Le Poncel), près des mines de sel (Angwiller, Dieuze, Haute-Lindre, Lostroff et Rohrbach), ou dans les chefs-lieux de prévôtés (Arches, Bruyères, Dompaire, Valfroicourt et Bérus)95. Les premiers comptes du péage de
91 M. Parisse (éd.), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 189-200. 92 J.-M. Moeglin, L’Empire et le Royaume, op. cit., p. 82 et J.-M. Yante, Le Luxembourg mosellan, op. cit., p. 200-203. 93 Voir carte no 4. 94 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 169. 95 BnF Col. Lor., n°48, f. 91 ; BnF Col. Lor., no 87, f. 224 ; A.D.M.M. B 377, f. 86 ; A.D.M.M. B 500, no 7 ; A.D.M.M. B 1919, f. 4v, 8r, 12v et 14v ; A.D.M.M. B 1921, f. 5r ; A.D.M.M. B 5241, f. 21r, 25r, 30v et 32r ; A.D.M.M. B 7232, f. 2v et 19r ; A.D.M.M. B 9352 ; A.D. Mos. 4 E 511 ; A.D.V. Édpt 379/AA1 ; J.-M. Yante, Le Luxembourg mosellan, op. cit., p. 426.
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Sierck datant des années 1424-1428 mentionnent environ 300 passages annuels, ce qui correspond à un trafic globalement inférieur de moitié à celui de la vallée du Rhin96. Si les ducs tirent ainsi parti du commerce de transit qui traverse leurs territoires, ils ne parviennent toutefois pas à créer de véritables étapes susceptibles de dynamiser l’activité de leur principauté. La plupart des bourgades du duché, Sierck, Sarreguemines, Lunéville, Neufchâteau, disposent d’une foire mais, à l’image de celle de Nancy créée de toutes pièces par le duc Raoul, elles ne rayonnent pas au-delà des environs immédiats et du territoire ducal. Le véritable carrefour commercial de la Lorraine se trouve à Saint-Nicolas-de-Port, aux marges du territoire ducal. L’analyse du trafic à Sierck montre que les marchands lorrains n’y jouent qu’un rôle très marginal au xve siècle ; il en est sans doute de même ailleurs97. Au total, le trafic transversal bénéficie certainement beaucoup plus aux villes de Port, Metz, Épinal et Trèves, qu’au duché de Lorraine. Les villes, en effet, constituent de véritables centres commerciaux ; le duché, lui, ne représente qu’une simple voie de passage. L’importance du commerce dépend beaucoup de la conjoncture : il est particulièrement sensible à la sécurité des itinéraires et à la politique fiscale ou douanière établie par les princes lorrains, allemands ou français. Or, les très nombreux péages qui jalonnent les voies de communication gênent certainement plus les échanges qu’ils ne remplissent les caisses des seigneurs de la région. À l’est et à l’ouest de la Lorraine, la politique des « hauts conduits » du roi de France et des Électeurs rhénans dresse également des barrières économiques de plus en plus élevées98. Enfin, la conjoncture des deux derniers siècles du Moyen Âge demeure le plus souvent défavorable. Le phénomène est bien connu, mais l’ampleur et la chronologie de la crise pour une région précise s’avèrent très difficiles à établir. Malgré tout, diverses études menées à l’intérieur de l’espace lorrain aboutissent à des conclusions assez semblables. En dépit de nuances locales, toutes s’accordent sur une phase particulièrement difficile dans les années 1360-1380 et sur une relative embellie au cours des trente années qui suivent. Il semble toutefois que le duché de Lorraine ait été moins touché que les principautés voisines. L’extension géographique de certaines villes ou bourgades du duché à la fin du xive siècle témoigne d’un essor démographique inexplicable sans une certaine prospérité économique99. Par ailleurs, tous insistent sur le rôle décisif du politique, notamment de la guerre, dans la conjoncture. Y a-t-il corrélation entre l’évolution économique de la Lorraine et les ressources dont disposent les ducs ? À défaut d’une vue d’ensemble des finances ducales, la liste des emprunts, des prêts, des biens engagés ou rachetés au cours de la deuxième moitié du xive siècle permet de formuler certaines hypothèses quant à l’aisance ou à la gêne financière des ducs lorrains.
96 J.-M. Yante, op. cit., p. 186-187. 97 J.-M. Yante, op. cit., p. 188 et 376. Voir aussi J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 96. 98 J. Schneider, « Entre le Royaume et l’Empire : à propos d’un livre récent », Annales de l’Est, 1977, no 1, p. 1-27. 99 J.-M. Yante, op. cit., p. 435-437 ; voir aussi J.-L. Fray, op. cit., p. 163-174 et A. Girardot, Le droit et la terre, op. cit., p. 504-517.
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Années
Total Biens engagés emprunts100
1351-1355 70 000 l. t. 1356-1360 9 384 flor. 1361-1365 26 820 flor. 200 l. t. 1366-1370 6 500 flor. 1371-1375 1 160 flor. 1376-1380 6 000 flor. 2 200 écus 17 902 frcs 1381-1385 3 500 flor. 1 500 frcs 1391-1395 1 025 frcs 1396-1400 2 174 frcs
Total prêts101 Biens rachetés 710 écus
Azerailles (1363) Dompaire (1363) Bailliage All. (1364)
200 flor.
Bailliage All. (1365)
Dompaire (1379) Wisembach (1382) Dalem (1382) 20 800 frcs 7 600 frcs 400 flor. 1 200 écus
Azerailles
Figure 9 : La situation financière des ducs de Lorraine (1350-1400) : créances, emprunts, engagements, rachats100 101
Deux périodes se distinguent nettement à la lecture de ce tableau. Jusqu’en 1385, les emprunts sont fréquents et parfois très importants. Lorsque les ducs ont quelques liquidités, ils les consacrent le plus souvent au rachat des biens domaniaux précédemment mis en gage. Les prêts consentis demeurent peu nombreux et concernent toujours des sommes assez faibles. En revanche, dans la dernière décennie du siècle, la situation s’inverse et Charles II semble beaucoup plus à l’aise que ne l’avait été son père : les emprunts se font rares ; le nouveau duc devient créancier et prend en gage une bonne partie du temporel de l’évêché de Metz102. On retrouve donc, pour les finances ducales, une évolution similaire à celle de la Lorraine et le retournement de tendance autour de 1390 paraît lui aussi plus marqué dans le duché que dans le reste de l’espace lorrain. Par comparaison, le duc de Bar se débat dans de grandes difficultés financières, liées à la rançon qu’il doit payer à la cité de Metz à la suite de sa capture en 1368103.
100 BnF Col. Lor., no 4, f. 24 ; BnF Col. Lor., no 4, f. 38 ; A.D.M.M. B 601, no 19 ; A.D.M.M. B 689, no 33 ; A.N. KK 1127, layette traités, accords et intelligences 2, no 14 ; Catalogue des Sceaux des Archives Départementales de Moselle, no 58. 101 A.D.M.M. B 933, no 7 ; A.D. Mos. G 5. 102 A.D. Mos. G 5 : cartulaire de l’évêché de Metz, qui regroupe tous les actes concernant les emprunts faits par l’évêque de Metz Raoul de Coucy à Charles II. 103 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420). L’émergence d’un État dans l’espace lorrain, Paris, L’Harmattan, 2014.
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La guerre constitue, dans le duché comme ailleurs, le principal facteur d’explication de l’évolution de la conjoncture. Sous le règne de Jean Ier, les difficultés financières des ducs tiennent à la fois aux nombreux conflits avec l’évêque de Metz à propos des salines de Château-Salins et à l’arrivée dans la région des Grandes Compagnies libérées par la signature du traité de Brétigny entre les rois de France et d’Angleterre104. À plusieurs reprises, ce sont les possessions du bailliage d’Allemagne qui sont mises en gage, de préférence à celles des territoires francophones : nouveau signe de la position marginale de ces territoires au sein du duché. Avec l’apaisement de la fin du xive siècle, les finances ducales redeviennent apparemment excédentaires. L’atonie économique relative de la principauté ducale n’a donc pas de conséquences déterminantes sur la situation des ducs, loin d’être aussi démunis qu’ils ne le paraissent au premier abord. *** « Petit pays » : l’expression du procureur du roi au Parlement de Paris a beau être volontairement désobligeante, elle n’en contient pas moins une part de vérité. Petit, le duché de Lorraine ne l’est pas tant par son étendue ou son manque de ressources que par son absence de continuité territoriale et par la proportion relativement restreinte du domaine ducal. Une fracture interne, qui n’est pas seulement linguistique, se dessine également entre les territoires francophones et germanophones. Les ducs de Lorraine ne disposent pas d’une principauté suffisamment dynamique et structurée pour avoir des ambitions à la hauteur de la dignité que leur confère leur titre ducal. À bien des égards, ils restent des princes modestes. Leur relative aisance financière semble même être davantage liée à la modération de leurs dépenses, notamment en matière d’administration, qu’à l’ampleur de leurs recettes. Celles-ci constituent néanmoins un atout dans l’entreprise de construction de la principauté et d’affirmation du pouvoir ducal.
Les hommes : l’entourage des ducs de Lorraine À la fin du Moyen Âge, la réalité du pouvoir princier repose tout autant sur le lien personnel, le zèle et l’initiative des serviteurs du prince que sur un maillage administratif encore assez lâche et à l’efficacité toute relative. Cela vaut tout particulièrement pour les ducs de Lorraine qui, faute d’une armature institutionnelle élaborée, ne peuvent espérer imposer leur autorité que par la qualité des relations qu’ils entretiennent avec leur entourage. La cour : l’entourage immédiat
Reconstituer l’entourage des ducs de Lorraine à la fin du xive siècle n’est pas chose facile. La difficulté réside comme toujours dans le caractère parcellaire et l’éparpillement des données. La tâche est toutefois incontournable, car la cour d’un 104 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 198-202.
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prince constitue le reflet le plus fidèle de sa puissance et de son rayonnement. Pour contourner l’obstacle de la documentation, la méthode prosopographique et le choix de la longue durée s’avèrent indispensables. L’étude de l’entourage ducal sur une période d’environ cinquante ans105 permet en effet de mieux saisir l’assiduité de certains personnages ou de certaines familles sur le long terme, par rapport à d’autres dont la présence à la cour de Nancy s’avère épisodique, voire exceptionnelle. Pour réaliser le tableau synthétique de l’annexe 2, dix critères ont été retenus. Dans un premier temps, les détenteurs d’offices de l’administration et de l’Hôtel ont été recensés106 : tous, quelle que soit leur fonction, sont en relation avec la cour, y résident ou s’y rendent, régulièrement ou occasionnellement, pour les besoins de leur charge. Mais bien d’autres indices révèlent la présence d’une personne à la cour de Nancy : mission confiée par le duc, témoignages ou cautions portés en sa faveur, prêt consenti ou don reçu de lui, présence dans ses armées. Toutes les personnes ayant rendu ce type de service aux ducs de Lorraine ont été répertoriées comme membres de l’entourage ducal. Les données ainsi récoltées sont suffisamment nombreuses et importantes pour pouvoir dégager des lignes de force concernant la composition de la cour de Nancy ; elles sont brutes, en revanche, et ne disent rien des personnages qui la fréquentent. Restait donc à mesurer de quel poids ceux-ci peuvent peser au service des ducs, non seulement par la place qu’ils occupent à la cour, mais également par leur assise sociale. Il fallait pour cela renverser la perspective et partir des serviteurs eux-mêmes, de leurs implantations et de leurs réseaux personnels et familiaux, abstraction faite de leur fonction dans l’entourage ducal. Trois aspects ont été pris en compte : les possessions foncières des serviteurs ducaux et les liens qu’ils entretiennent éventuellement d’une part avec d’autres seigneurs lorrains, d’autre part avec les grandes institutions religieuses lorraines (évêchés, abbayes, chapitres et collégiales). Ainsi se trouvait reconstituée la liste des personnes présentes, à un moment ou à un autre, dans l’entourage ducal au cours de la seconde moitié du xive siècle107. Mais rendre un service occasionnel au duc de Lorraine ne suffit pas à faire d’un personnage ou de sa famille un membre de la cour de Nancy. Pour délimiter les
105 La période délimitée correspond, comme pour toute cette première partie, au règne de Jean Ier (13461390) et à la première décennie de celui de Charles II. 106 Pour ce faire, il a fallu puiser dans l’ensemble de la documentation, qu’il s’agisse des sources ou des informations fournies par la bibliographie. De ce point de vue, quatre ouvrages notamment ont été d’une grande utilité. De Bermann, Dissertation historique sur l’ancienne chevalerie et la noblesse lorraine, Nancy, 1732 et H. Lepage, « Les offices des duchés de Lorraine et de Bar et la maison des ducs de Lorraine », art. cit., ont cherché à reconstituer l’ensemble de l’administration ducale. Mais ces deux ouvrages, surtout le premier, contiennent des erreurs importantes. Bon nombre de leurs affirmations, par ailleurs, ne sont pas étayées par des références précises. Nous les avons tout de même reprises, mais en faisant part de nos doutes par l’utilisation du signe*. La thèse de J.-L. Fray, Nancy-leDuc, op. cit., présente en revanche toutes les garanties scientifiques. Enfin, Dom A. Calmet, Histoire de Lorraine, Nancy, 1745-1757, fournit de précieuses indications. 107 L’ensemble des noms et des données se trouve dans la version manuscrite de notre thèse, conservée aux Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, sous un titre identique à cet ouvrage. Nous ne publions ici que le tableau de synthèse.
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contours de la société politique du duché de Lorraine se posait donc la question du nombre de mentions au service des ducs. Dans la mesure où une majorité de noms n’apparaissent qu’à une seule occasion en cinquante ans, on peut considérer leur présence auprès du duc comme exceptionnelle et non significative. Au-delà de ce seuil, pourtant particulièrement bas, on distingue en effet un ensemble de seulement soixante-quinze noms qui fréquentent la cour de Nancy à plusieurs reprises et dont on peut considérer qu’ils gravitent plus ou moins dans l’orbite ducale108. Nous nous sommes donc intéressé tout particulièrement à ce groupe plus restreint, qui constitue la base de notre étude et permet d’établir une typologie des serviteurs ducaux à l’aide du tableau présenté dans l’Annexe 2. Les serviteurs ducaux
À la lecture de ce tableau, une première catégorie de serviteurs ducaux se dégage très nettement, que l’on peut qualifier de noyau dur de la cour de Lorraine. Il se compose de vingt familles qui, pour la plupart, présentent les mêmes caractéristiques. À deux exceptions près (Nancy-2 et Rosières-2109), toutes ces familles appartiennent à la noblesse moyenne du duché, détentrice d’une ou plusieurs seigneuries et d’au moins un lieu fortifié, sans doute tenu en fief des ducs110. Le plus souvent aussi, plusieurs membres de la famille se placent à leur service : seuls Jean de Beauffremont, Jean de Toulon et Jean Wisse de Gerbéviller paraissent plus isolés. Enfin, et c’est là le plus important, les charges qu’elles occupent supposent une présence régulière auprès du prince : ce sont elles en effet qui monopolisent les fonctions de maréchal, sénéchal, maître d’hôtel et baillis, les plus importantes de l’Hôtel et de l’administration ducales. Lorsque d’autres familles y accèdent, c’est toujours pour une très courte durée. Quant aux familles, peu nombreuses (Beauffremont, Lenoncourt, Ogéviller, Pulligny, Toulon et Ville), qui ne détiennent pas de tels offices, elles sont fréquemment mentionnées dans l’entourage immédiat des ducs, à plus de dix reprises en moyenne sur toute la période, et forment, avec les autres membres du noyau dur, l’ossature du Conseil ducal, (72 mentions de conseillers sur un total de 104). Ce groupe constitue donc bien le point d’appui le plus solide pour le pouvoir ducal, ce que l’on pourrait appeler les « vassaux utiles » des ducs de Lorraine111. Leur fonction de relais du pouvoir princier, ainsi que leur dépendance par rapport aux ducs, transparaissent dans les relations entretenues avec les établissements religieux de l’espace lorrain. Beaucoup sont liés à la collégiale Saint-Georges, au couvent des Prêcheresses à Nancy, ou aux autres
108 Comme tout critère de cette nature, ce seuil de deux mentions comporte une part d’arbitraire : on ne peut considérer une famille présente à deux reprises à la cour de Nancy en cinquante ans comme réellement familière des ducs de Lorraine. On peut cependant estimer qu’il ne s’agit plus cette fois d’un simple hasard. Surtout, ce choix permet de mieux mettre en évidence, par contraste, le noyau dur de l’entourage ducal. 109 Lorsque plusieurs familles possèdent le même nom, comme Nancy, Rosières ou Prény, nous les avons numérotées, selon un ordre décroissant de statut social. 110 Voir ci-dessous dans ce même chapitre l’analyse des vassaux ducaux. 111 M. Parisse, La noblesse lorraine, op. cit., p. 604.
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abbayes ducales de Bouxières, Beaupré et Clairlieu. Mais certaines familles, comme les Ogéviller, les Parroy, les Ville ou les Wisse, sont également très bien implantées dans les abbayes vosgiennes de Remiremont, Saint-Dié, voire de Moyenmoutier, permettant ainsi aux ducs de disposer d’un certain nombre de fidèles à l’intérieur de ces institutions. Dernier trait, significatif : seules quatre familles de ce groupe (Amance, Lenoncourt, Ogéviller, Ville) parviennent à placer un de leurs membres dans une église située en dehors du duché. Encore s’agit-il toujours d’établissements très proches du territoire ducal (Gorze, Toul, Trèves), signe que le prestige social du noyau dur de la cour de Nancy doit encore beaucoup à la faveur princière. La seconde catégorie des serviteurs ducaux présente un profil sensiblement différent. Ils bénéficient d’une position sociale nettement supérieure à celle des familles constituant le noyau dur : ce sont soit des comtes, soit de grands seigneurs alleutiers, en tout cas de grands barons, dont les biens leur procurent une réelle indépendance par rapport aux ducs de Lorraine. Leur horizon dépasse nettement le cadre du duché, couvre l’ensemble de l’espace lorrain et déborde même sur la Bourgogne, ce que montrent les bénéfices qu’ils parviennent à obtenir pour les membres de leur famille ayant embrassé la carrière ecclésiastique. Les ducs de Lorraine ne représentent bien souvent pour eux qu’un seigneur parmi d’autres, pas toujours le plus important. Bon nombre de grands barons sont hommes-liges, en premier lieu, des évêques de Metz (Blâmont, Deux-Ponts, Petite-Pierre, Salm) ou des ducs de Bar (Vaudémont). Enfin, les vassaux que possèdent la plupart d’entre eux leur permettent de se constituer leur propre réseau de fidélité, qui empiète parfois sur celui des ducs112. Le service que ces derniers peuvent attendre d’eux n’a donc rien à voir avec celui de la catégorie précédente : leur confier des postes importants dans le gouvernement du duché présenterait le risque de les voir confisquer les avantages de telles responsabilités à leur propre profit. En revanche, le prestige et l’autorité dont ils disposent les rendent indispensables pour l’exercice de certaines fonctions : ainsi, lors de la minorité de Jean Ier en 1353, ou lors d’absences prolongées du duc hors de son territoire, comme en 1363, ce sont Brocard de Fénétrange, dans le premier cas, et les sires de Blâmont et de Ribeaupierre dans le second, que l’on désigne comme gouverneurs du duché, parce qu’ils sont seuls à pouvoir s’imposer à la noblesse lorraine et représenter le duc face aux autres princes lorrains. Ils apparaissent aussi comme les principaux bailleurs de fonds des ducs, lorsque ces derniers doivent faire face à d’importantes difficultés financières, personne d’autre ne disposant de ressources équivalentes à l’intérieur du territoire ducal. Les sires de Fénétrange, de Ribeaupierre et de Blâmont, les comtes de Deux-Ponts et de Linange prêtent de très grosses sommes aux ducs de Lorraine. Les familles du noyau dur, elles, rendent dans ce domaine des services plus modestes113. Les grands barons lorrains représentent
112 Ibid., p. 155-158. Les seigneurs de Fénétrange disposaient ainsi, au xiiie siècle, d’environ 140 vassaux qui constituaient autour d’eux une véritable cour. 113 Sur l’ensemble de la période, le montant total des prêts accordés par les grands barons aux ducs de Lorraine s’élève à 46 404 florins (A.D.M.M. B 384 f. 357 v., B 507 n.o 26, B 575 n.°s 121 et 139, B 657 n.o 16, B 659 n.o 142, B 668 n.o 14, B 689 n.o 33 ; A.N. KK 1127, layette traités 2, no 14 ; BnF
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donc pour les ducs de Lorraine des interlocuteurs incontournables. Pour autant, leur présence à la cour varie énormément d’un cas à l’autre : si les sires de Blâmont (vingt-trois mentions) et de Fénétrange, dont les possessions constituent des enclaves au sein des territoires ducaux, la fréquentent assidûment, d’autres, comme les comtes de Deux-Ponts, de Linange, de la Petite-Pierre (deux mentions) et de Salm, situés davantage aux marges du duché, ne figurent qu’occasionnellement aux côtés des ducs, au point qu’on peut presque les considérer comme des princes étrangers au duché. Cela montre le rôle de la géographie dans la physionomie générale de la cour de Lorraine : nous y reviendrons. Ces deux catégories forment bien évidemment la partie la plus visible de l’entourage ducal. Pour autant, en rester là serait méconnaître l’action de personnages et de familles dont le rôle, quoique plus obscur, n’en est pas moins essentiel. Ils ont en général une origine sociale assez modeste, issus de familles roturières ou de petite noblesse114 et, s’ils disposent de biens parfois assez importants, ils le doivent à l’enrichissement que leur a procuré le service du prince. Louvion Barneffroy, par exemple, parvient à se constituer un patrimoine foncier intéressant, constitué de terres, de rentes, du bail d’une forge et de maisons dans la capitale du duché. Une telle accumulation s’explique par son rôle auprès du duc, avant et après 1400, mais elle n’aurait pas été possible si son père, Barneffroy de Lay, n’avait pas exercé la charge de prévôt de Nancy, contribuant par là même à asseoir la fortune familiale115. Car les ducs apprécient ce genre de serviteurs pour leur fidélité inconditionnelle et pour leurs compétences. Cela explique qu’ils fassent souvent figure, à la cour, de personnages isolés. On le comprend aisément pour les clercs, qui y sont appelés à la fois pour assurer le service religieux du prince et en raison de leurs connaissances juridiques. Mais c’est également le cas d’un certain nombre de roturiers, qui font preuve d’habileté et d’initiative et qui, pour cette raison, sont employés à de multiples tâches au sein de l’administration ducale. C’est le cas de Jean de Prény, au milieu du xive siècle, à la fois bailli, receveur et maître des monnaies du duché de Lorraine. On peut également évoquer le parcours de Rénier Grossetête, issu de la bourgeoisie nancéienne (Nancy-3), dont la carrière présente, de manière très étrange, un profil descendant : lieutenant du bailli de Nancy en 1369, puis gruyer de Nancy avant 1382, enfin prévôt de cette ville entre 1382 et 1387, pour finir simple tabellion dans les deux dernières années de son existence (1387-1389). Parfois, la faveur du prince rejaillit également sur l’ensemble de la famille et permet à d’autres membres de s’implanter durablement à la cour et d’obtenir des prébendes dans certains établissements religieux du duché : c’est le cas des Barneffroy. Le critère de la compétence s’avère toujours déterminant et explique la remarquable longévité dont fait preuve ce type de serviteurs Col. Lor., no 4 f. 16, no 86 f. 40). Jean et Érard du Châtelet en revanche, ne lui avancent que 200 florins, Jean Wisse de Gerbéviller 140 livres messins, et Jean de Beauffremont 160 francs d’or (A.D.M.M. B 379, f. 80v-81r ; A.D.M.M. B 384, f. 347-348 ; et BnF Col. Lor., no 81, f. 404). 114 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 41 et 128. Jean de Prény 1 semble descendre du chevalier Godin de Prény. Il s’agit là d’une famille de petite noblesse. La plupart des autres personnages isolés et serviteurs de second rang sont d’origine bourgeoise. 115 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 125 et 217. Voir aussi ci-dessous chapitre 8.
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ducaux. Nombre d’entre eux en effet sont présents pendant au moins dix ans à la cour et, parfois, beaucoup plus. Ils restent toutefois des serviteurs de second rang, car leur assise sociale ne leur permet pas, sauf rares exceptions116, d’espérer atteindre le sommet de l’administration ou de l’Hôtel, même s’ils peuvent être amenés à exercer des fonctions importantes, comme celle de receveur et de gruyer, ou à détenir des charges convoitées, comme celles de chapelains et de secrétaires ducaux, qui leur permettent d’avoir l’oreille du prince. Enfin, le dernier type de serviteurs ducaux permet, par contraste, de mieux apprécier le poids des catégories précédentes. Il regroupe un certain nombre de familles nobles qui apparaissent occasionnellement à la cour des ducs de Lorraine dans la seconde moitié du xive siècle : leur présence n’est en effet attestée qu’à trois reprises en moyenne sur l’ensemble de la période, contre sept pour les grands barons et quatorze pour les membres du noyau dur. Ces serviteurs, disposant dans le duché ou les provinces avoisinantes d’une position sociale confortable, occupent des fonctions généralement assez prestigieuses, rendent à l’occasion aux ducs d’appréciables services, mais tout cela de manière exceptionnelle : ils sont assez souvent admis au Conseil ducal lors de leur passage à la cour et accèdent parfois aux fonctions les plus importantes, mais dans ce cas de manière toujours éphémère, voire incertaine117. Le duc peut aussi les employer comme châtelains, non loin de leurs terres d’origine, ce qui lui permet de s’assurer leur fidélité et les dispense de venir régulièrement à Nancy, plus éloigné de leur horizon. Quelques familles émergent de ce lot, comme les d’Haussonville, les Savigny, ou les Sierck, dont les liens avec la cour semblent plus étroits, mais elles ne disposent pas du prestige des grands barons lorrains et ne font pas preuve auprès des ducs de la même assiduité que les membres du noyau dur de l’entourage ducal, les personnages isolés ou les serviteurs de second rang. Étude sociale
Comparons maintenant la composition de la cour ducale en cette fin du xive siècle à ce qu’elle était 150 ans plus tôt. Michel Parisse distinguait, au milieu du xiiie siècle, plusieurs groupes de fidèles, parmi lesquels les héritiers d’anciennes seigneuries, les chevaliers d’origine plus récente et les cadets de grandes familles118. Pour chacune de ces trois catégories, un certain nombre de familles témoignent, d’un siècle à l’autre, d’une grande continuité au service des ducs, comme les Bioncourt, Châtelet, Dombasle, Gironcourt, Haussonville, Parroy, Rosières, Sierck ou Ville-sur-Illon. Et, si l’on tient compte de l’extinction inévitable de bon nombre de lignages seigneuriaux entre ces
116 Cf. tableau en Annexe 2. Jean de Prény a exercé pendant une courte période la charge de bailli de Nancy, en 1364-1365. 117 De Bermann Dissertation historique sur l’ancienne chevalerie…, op. cit., et H. Lepage, Les offices des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., mentionnent Jean de Sierck, puis Richard de Felsberg comme baillis d’Allemagne, Gérard de Mirecourt comme bailli des Vosges, et Jean d’Haussonville comme sénéchal. Mais ces affirmations ne sont étayées par aucun document et nous paraissent devoir être mises en doute. 118 M. Parisse, La noblesse lorraine, op. cit., p. 614-617.
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deux périodes, on peut dire que c’est le même groupe social, celui de la noblesse moyenne, seigneuriale et régionale, qui forme la base de l’entourage ducal. Certes, quelques évolutions se font jour. Les familles comtales paraissent plus présentes à la cour qu’elles ne l’étaient auparavant, ce qui tient, pour une grande part, à la constitution du bailliage d’Allemagne par les ducs de Lorraine à la fin du xiiie siècle et à la progression de leur influence dans la partie germanophone de l’espace lorrain, d’où proviennent ces familles119. D’autre part, quelques familles roturières ont acquis au sein de l’administration du duché une place à laquelle elles n’auraient pu prétendre un siècle et demi plus tôt. Mais dans l’ensemble, c’est l’impression de continuité qui l’emporte très nettement. De façon générale, d’ailleurs, la noblesse tient une place prépondérante en Lorraine, dans le duché comme à la cour de Nancy. Quelle que soit la nature du service demandé, ce sont toujours les nobles que l’on retrouve auprès des ducs, en plus grand nombre et au premier plan. Si toutes les catégories sociales sont présentes dans l’administration du duché et à l’Hôtel ducal, elles n’y occupent pas le même rang. En dehors des fonctions religieuses, qui leur incombent bien évidemment, les clercs se réservent les charges de secrétaires et de tabellions, qui requièrent une compétence particulière dans le domaine des écritures120. Les roturiers, eux, doivent se contenter des offices de second plan, à l’exception de ceux qui requièrent des compétences techniques (receveurs, gruyers notamment) : seuls deux d’entre eux, peut-être trois, accèdent aux fonctions de baillis au cours de la période121. Enfin, les nobles monopolisent les postes les plus prestigieux : gouverneurs du duché, lieutenants, maréchaux, sénéchaux, maîtres d’hôtel des ducs de Lorraine. Rien d’étonnant à cela, rien de bien original non plus. Mais c’est surtout dans la proximité quotidienne avec le prince, à laquelle tous peuvent avoir accès, que l’influence de la noblesse se révèle la plus déterminante. Être admis au Conseil, se voir attribuer des missions de confiance, accompagner le duc lors des grands événements de son règne, lui prêter de l’argent ou bénéficier de ses largesses, tout cela implique une familiarité plus grande et plus concrète avec le prince que de détenir un office important, mais honorifique, à la cour de Nancy. Or, 77% des conseillers, 90% des cautions, 92% des témoins, 93% des créanciers, et 95% des serviteurs militaires des ducs de Lorraine appartiennent à la noblesse, qui représente également 79% des personnes investies de missions de confiance. Ces chiffres, particulièrement élevés, montrent que la cour de Lorraine revêt bien un aspect essentiellement nobiliaire. Dans le duché de Bar voisin par exemple, l’hégémonie des nobles est moins sensible : ils représentent un peu plus de la moitié des conseillers, des baillis et des châtelains, mais sont exclus de certaines administrations, comme la Chambre des comptes ou la Chancellerie. « Ces familles, aussi puissantes soientelles, doivent pour le prince, rester dépendantes de son bon vouloir : il a la chance, contrairement au duc de Lorraine, de ne pas avoir affaire à une haute noblesse trop 119 Ibid., p. 44-45. 120 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 137. Il faut attendre 1415 pour voir apparaître le premier tabellion nancéien laïc, en la personne de Drouin de Lunéville. En ce qui concerne l’analyse sociale de la cour de Nancy, nous nous appuyons encore largement sur le tableau de l’Annexe 2. 121 Un dénommé Barthélemy est gratifié du titre de bailli du duché en octobre 1364, sans que nous ne connaissions rien de son origine ni de sa famille. BnF Col. Lor., no 48, f. 93.
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indépendante122 ». En France également, les serviteurs du roi proviennent de toutes les catégories sociales, sauf la paysannerie, et les non-nobles peuvent accéder aux plus hautes fonctions de l’administration et de l’Hôtel, même s’ils sont alors généralement anoblis123. Une fois de plus, c’est du côté de l’Empire qu’il faut se tourner pour constater la présence d’une situation analogue à celle de la Lorraine ducale : en Palatinat, jusqu’à la fin du xve siècle, l’Électeur continue de s’appuyer principalement sur les nobles dans le gouvernement de sa principauté et leur confie la majorité des offices et des missions diplomatiques. Ils lui procurent aussi une assistance financière importante et régulière, et le servent militairement à de nombreuses reprises124. Mieux encore : la domination de la noblesse dans l’entourage des ducs de Lorraine semble se renforcer sensiblement au cours de la deuxième moitié du xive siècle, alors qu’elle diminue légèrement dans le Barrois. Au milieu du xive siècle, les baillis de Nancy sont encore parfois des roturiers. Jusqu’à la fin de son règne, le Conseil de Jean Ier comporte également six roturiers sur un total de vingt-et-un, proportion non négligeable. Parmi eux figure le maître d’école Jean de Marbache, d’origine sociale très modeste125. Mais les choses changent par la suite : avec Jean de Prény, les membres de l’ancienne chevalerie lorraine mettent définitivement la main sur l’office de bailli de Nancy à partir de 1364. Dès les premières années du règne de Charles II, ils se réservent aussi la totalité des postes de conseillers ducaux, au point que l’on peut parler pour cette époque de réaction seigneuriale à la cour de Lorraine126. Le mouvement qui, depuis la fin du xiiie siècle, poussait une bourgeoisie nancéienne plus nombreuse et plus entreprenante à accroître son rôle au sein de l’administration et de l’Hôtel s’arrête brutalement. Les roturiers n’en sont pas chassés, mais ils voient leurs perspectives de carrière strictement limitées : alors qu’un Harman de Rosières ou un Simonin de Nancy s’étaient élevés jusqu’à la charge de bailli de Nancy127, leurs enfants, Jean Bailli Herman et Jean Bailli Simonin, ne sont plus que lieutenants de baillis. S’agit-il là d’une politique délibérée de la part des ducs ? On serait tenté de le croire, à entendre les déclarations de Charles II, sollicitant des membres de sa chevalerie, « sur leur foi, serment et feableté qu’eux et chacun d’eux ont a nous, leur conseil, avis et deliberation128 ». Ces propos relèvent certes du lieu commun, même à la fin du Moyen Âge. Ils montrent toutefois l’importance que le nouveau duc accorde à la vieille notion de conseil féodal, et le rôle qu’il entend conférer à la noblesse dans l’exercice de son pouvoir. Mais quoiqu’il en soit, avait-il vraiment le choix ? Pour restreindre le poids de la noblesse au sein du gouvernement ducal, encore aurait-il fallu disposer d’une solution de rechange, pouvoir compter sur une bourgeoisie nombreuse, dynamique et
122 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op. cit., p. 576-580 et 587 (citation). 123 P. S. Lewis, La France de la fin du Moyen Âge : la société politique, Hachette, Paris, 1977, p. 197-226. 124 H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate, op. cit., p. 161-169. 125 BnF Col. Lor., no 4, f. 41. 126 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 127-129. 127 Familles de Nancy-2 et Rosières-2 dans le tableau d’Annexe 2. 128 Cité par Dom N. Tabouillot et Dom J. François, Histoire de Metz par les religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne, Metz, 1769-1790, t. IV, p. 426.
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compétente. Or, Nancy ne dépasse pas le millier d’habitants à la fin du xive siècle, et les possibilités financières des bourgeois demeurent bien faibles129. À l’intérieur du duché de Lorraine, les seules villes où existe une réelle bourgeoisie commerçante sont celles de Saint-Nicolas-de-Port et de Neufchâteau, mais la première n’est que partiellement soumise au pouvoir ducal et la seconde se situe aux marges de la principauté, à la frontière avec le Royaume130. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison de la place de la noblesse, et notamment des grands barons lorrains, parmi les créanciers des ducs de Lorraine : eux seuls ont la capacité de répondre aux besoins d’argent de Jean Ier ou de Charles II. Encore n’y suffisent-ils généralement pas, ce qui contraint les ducs à se tourner vers les créanciers messins131 ou, plus loin encore, vers les bourgeois de Flandre ou du royaume de France132. Dans la composition de leur entourage, les ducs ne font que s’adapter à la réalité sociale des territoires qu’ils gouvernent. Enfin, le duché de Lorraine n’est pas la seule principauté dans laquelle se produit un retour en force de la noblesse à la fin du xive siècle. Le phénomène a été étudié, pour le royaume de France, par Raymond Cazelles, dans un ouvrage resté célèbre. L’auteur y notait d’ailleurs, en conclusion, qu’un tel phénomène pouvait être généralisé à l’ensemble de l’Europe occidentale, et qu’on en retrouvait des traces de la Pologne à l’Angleterre, et de la Castille au duché de Brabant133. Dans ces conditions, on voit mal comment le duché, où l’essor de la bourgeoisie demeurait très limité, aurait pu rester à l’écart d’une telle évolution et résister à la mainmise de la noblesse sur les charges de la cour. Le duc est donc principalement entouré, à Nancy, cœur du duché, de nobles. Capitale du duché, noyau de l’autorité ducale, Nancy ne peut véritablement l’être que si ces nobles proviennent de l’ensemble des territoires ducaux. Est-ce le cas ? Origines géographiques
La carte 10, intitulée « l’entourage des ducs de Lorraine » transpose géographiquement les données utilisées dans le tableau d’Annexe 2 pour l’analyse de l’entourage princier. Y figurent la plupart des soixante-quinze personnages et familles les plus présents dans l’entourage des ducs, chacune des différentes catégories de serviteurs ducaux s’étant vu attribuer un symbole spécifique134. Une telle carte s’avère riche d’enseignements quant au rayonnement et à l’attraction de la cour de Nancy.
129 J.-L. Fray, Nancy-le Duc, op. cit., p. 140 et 164. 130 O. Kammerer-Schweyer, La Lorraine des marchands à Saint-Nicolas-de-Port, op. cit., et P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », MSAL, 1932-1933. 131 BnF Col. Lor., no 4, f. 10 et no 86, f. 42 ; A.N. KK 1123, layette Metz cité 3, n°s 102 et 187, et layette Metz cité 4, n°s 59 et 118. 132 BnF Col. Lor., no 4, f. 29-33, no 48, f. 2-20, no 49, f. 30-32, 36 et 52 ; A.N. KK 1121, layette Flandre et Ascot, n°s 87 et 110. 133 R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève-Paris, 1982, p. 574-575. 134 Cinq d’entre eux en effet ne figurent pas sur la carte. Nous ne connaissons pas la région d’origine de quatre des dix personnages isolés : Conrran, maître Demoinge, Lambellin et Jean Vagadour. La famille des Prés n’a également pu être localisée.
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Première constatation : les ducs de Lorraine ne parviennent pas, sauf exceptions, à attirer auprès d’eux des sujets ou des vassaux d’autres princes, lorrains ou non. À l’ouest de Nancy, l’influence ducale est quasiment nulle, notamment dans le duché de Bar. Deux familles barroises seulement (Belrain et Watronville) fréquentent la cour de Lorraine, bien que la frontière orientale du Barrois soit toute proche de Nancy. Vers le sud ou le nord-est également, seuls le maréchal de Bourgogne Guy de Pontailler et quelques seigneurs germanophones (Sarrebruck, Deux-Ponts, Wurtemberg, Endingen) implantés hors du duché se trouvent présents de temps à autre auprès des ducs. Cela pourrait ne traduire qu’un relatif isolement du duché de Lorraine par rapport à ses voisins immédiats, n’était-ce le fait que certains membres de l’entourage ducal sont aussi vassaux d’autres princes. Les comtes de Vaudémont, mais aussi les ducs de Bar, les évêques de Metz et surtout les ducs de Bourgogne et les rois de France parviennent ainsi à s’assurer des fidélités, même secondaires, à l’intérieur du duché de Lorraine, ce que les ducs ne parviennent pas à faire en sens inverse135. Il s’agit donc, bien plutôt, d’un indice de faiblesse pour le pouvoir ducal, par rapport à ses voisins occidentaux. Bien plus : même à l’intérieur du duché, le rayonnement de la cour de Nancy semble particulièrement restreint. Si l’on trace un cercle de vingt-cinq kilomètres de rayon autour de Nancy, on s’aperçoit qu’il englobe vingt-sept des soixante-quinze familles au service des ducs : plus du tiers d’entre elles sont donc implantées à proximité immédiate de la capitale. Cette proportion est beaucoup plus forte pour les serviteurs ducaux dont la présence à la cour est quasi permanente : quatorze des vingt familles du noyau dur (70%)136, trois des cinq familles de serviteurs de second rang (60%)137, et quatre des six personnages isolés (66%)138 sont originaires du territoire ainsi délimité. Ce n’est le cas, en revanche, pour aucun des grands barons lorrains, et pour six seulement des trente-et-une familles apparaissant occasionnellement à la cour. La zone de forte attraction de la cour nancéienne se limite donc à une bien petite portion du territoire ducal. Dans une seconde zone en effet, située entre vingt-cinq et cinquante kilomètres de Nancy, on rencontre la présence de vingt-deux familles de serviteurs ducaux, soit un second tiers environ des membres de l’entourage ducal. Une majorité d’entre elles apparaissent occasionnellement à la cour ; sept autres en revanche témoignent d’une présence assidue à Nancy139. L’influence de la cour ducale sur les familles de cette région demeure donc encore sensible, mais elle diminue assez nettement par rapport à ce qu’elle était dans la zone précédemment délimitée. Au-delà d’un rayon de cinquante kilomètres, cette influence devient très faible. Vingt-et-une familles sont mentionnées à plusieurs reprises auprès des ducs, mais
135 Cf. tableau d’Annexe 2. 136 Amance, Bouxières, Fléville, Haraucourt, Haroué, Lenoncourt, Ludres, Lorraine, Nancy-1 et -2, Pulligny, Rosières-1 et -2 et Toulon. 137 Nancy-3, Barneffroy (originaire de Lay-sous-Amance, tout près de la capitale), Poiresson (origine : Nancy). 138 Poiret d’Amance, Jean de Lunéville, Maffroy (origine : Rosières) et Jean Escellet de Nancy. 139 Châtelet, Ogéviller, Parroy, et Wisse pour le noyau dur, Demenge de Gerbéviller pour les personnages isolés, Prény-1 et -2 pour les serviteurs de second rang.
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DUCHÉ DE LUXEMBOURG
ARCHEVÊCHÉ DE TRÈVES
Sa
DUCHÉ DE BAR
r re
Linange
COMTÉ DE SARREBRUCK Deux-Ponts
COMTÉ DE DEUX-PONTS
Metz
Wurtemberg Petite-Pierre
Fénétrange
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ÉVÊCHÉ DE TOUL
Toul
Mo
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TERRITOIRES ALSACIENS
Nancy
Blâmont
Lunéville
Rhin
Me us
Salm Vaudémont
Sélestat Me
urth e Ribeaupierre
DUCHÉ DE BAR 0
10km
Territoires :
Colmar
COMTÉ DE BOURGOGNE Limites territoriales :
Duché de Lorraine
Certaines
Enclaves au sein du duché de Lorraine
Probables
Autres villes
Possibles
Attractivité de la cour ducale :
Frontière linguistique
(Lorraine germanophone au NE/francophone au SO)
Figure 10 : L’entourage des ducs de Lorraine
Zone de 25 km autour de Nancy Zone de 50 km autour de Nancy
Typologie des familles : Noyau dur de l’entourage ducal Les grands barons lorrains Serviteurs de second rang Personnages isolés Famille apparaissant occasionnellement à la cour ducale
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quatre seulement de façon régulière140. Surtout, sept d’entre elles sont de grands barons, soit la quasi-totalité des membres de cette catégorie. Ceux-ci bénéficient, nous l’avons vu, d’une indépendance de fait par rapport aux ducs et ne viennent à Nancy que quand bon leur semble. C’est également le cas des autres familles qui, loin de la capitale, ne semblent pas se sentir très concernées par le service du prince. L’une d’entre elles fait cependant exception, la famille de Sierck, sans doute parce que le duc possède un château dans la ville et qu’il y réside assez souvent. La cartographie des serviteurs du prince confirme par ailleurs les conclusions tirées de l’étude du domaine ducal : le pouvoir des ducs, très bien ancré dans la région de Nancy, demeure assez fort au sud de la capitale, en direction des Vosges ; mais le bailliage d’Allemagne constitue quant à lui le maillon faible de la principauté. L’analyse de la cour nancéienne selon un critère linguistique met en effet en évidence la sous-représentation des personnages et des familles germanophones dans l’entourage des ducs de Lorraine. Seules dix-sept des soixante-quinze familles proviennent des régions situées à l’est de la frontière linguistique, soit une proportion de 22%, alors que le bailliage d’Allemagne représente le tiers du territoire ducal141. Si l’on s’en tient aux catégories les plus régulièrement présentes à la cour, le déséquilibre est encore beaucoup plus net : aucun des serviteurs de second rang et des personnages isolés ne parle l’allemand, et les Wisse de Gerbéviller sont la seule famille germanophone du noyau dur des serviteurs ducaux. Il s’agit d’ailleurs vraisemblablement d’une famille bilingue, originaire du village de Wuisse, tout proche de la frontière linguistique, car Jean Wisse a exercé successivement les fonctions de bailli de Nancy et d’Allemagne, ce qui suppose la maîtrise des deux langues. Les familles germanophones sont donc peu présentes à Nancy, sans doute parce qu’elles sont les plus éloignées de la capitale ducale. Mais pas seulement : historiquement, le bailliage d’Allemagne s’est constitué plus récemment, l’implantation ducale dans cette région ne datant que de la seconde moitié du xiiie siècle ; surtout, culturellement, le duché de Lorraine est une principauté française142. On ne trouve pas trace à la cour ducale de secrétaire de langue allemande au cours de cette période et les personnes qui détiennent cette charge ne paraissent pas non plus pratiquer l’allemand143. Par ailleurs, le bilinguisme reste l’exception au sein de l’entourage ducal. Dans les aveux et dénombrements, les nobles emploient leur langue maternelle dans la très grande majorité des cas144. Le critère linguistique semble également jouer un rôle 140 Beauffremont et Ville-sur-Illon pour le noyau dur, Ancel de Darnieulles pour les personnages isolés et Sierck, qui figure à huit reprises dans l’entourage ducal, soit nettement plus que la moyenne des autres familles apparaissant occasionnellement à la cour (trois mentions). 141 Deux-Ponts, Fénétrange, Linange, Petite-Pierre, Ribeaupierre, Salm, Wurtemberg pour les grands barons lorrains ; Bistorff, Créhange, Endingen, Felsberg, Mengen, Montclair, Morhange, Raville, Sierck pour les familles apparaissant occasionnellement à la cour, et Wisse de Gerbéviller pour le noyau dur. 142 M. Parisse, La noblesse lorraine, op. cit., p. 755-803. 143 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 154, et tableau d’Annexe 2. 144 Sur 120 vassaux recensés dans le duché de Lorraine, 13 seulement prêtent hommage aux ducs dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle : il s’agit de Brocard de Fénétrange (A.D.M.M. B 384, f. 138), Jean de Mengen (A.D.M.M. B 384, f. 205v-206), Brun de Ribeaupierre (A.D.M.M. B 377,
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majeur dans le choix des conjoints et dans les stratégies matrimoniales des familles, qui passent très peu la frontière des langues145. Un tel constat rejoint aussi les conclusions de Jean-Marie Moeglin sur la rareté du bilinguisme dans les territoires situés entre Meuse et Rhin, parfois même à proximité immédiate de la frontière linguistique146. Mais il fait aussi peser le risque d’une fracture au sein du territoire ducal. Dans leurs contacts avec le bailliage d’Allemagne, les ducs s’appuient donc sur quelques serviteurs germanophones qui, présents à la cour de Nancy et souvent possessionnés de chaque côté de la frontière linguistique, maîtrisent les deux langues. D’autre part, les ducs, quoique de culture française, se marient à des princesses allemandes et ont parfois été élevés en Allemagne, sans doute afin qu’ils deviennent personnellement bilingues. Jean Ier épouse vers 1362 Sophie de Wurtemberg et il a passé l’essentiel de sa jeunesse à la cour de son beau-père147, si l’on en croit le roi de France qui, en 1367, lui accorde son pardon « a ce qu’il a esté longuement absent en lointain pais148 ». Charles II, lui, se marie en 1393 avec Marguerite de Bavière, fille de l’Électeur palatin Robert. Dans la dernière décennie du xive siècle, certaines de ses lettres aux évêques de Strasbourg et aux sires de Ribeaupierre sont rédigées en allemand, alors qu’aucun secrétaire ducal ne maîtrise cette langue à l’époque. On peut donc supposer qu’il est, lui aussi, bilingue149. Finalement, le trait d’union principal entre les parties française et allemande du duché de Lorraine réside peut-être dans la personne même du prince. Toutefois, l’explication de cette faible présence des familles germanophones à Nancy n’est peut-être pas seulement géographique ou culturelle. Entrent également en ligne de compte les structures différentes de la noblesse de part et d’autre de la frontière linguistique. En territoire germanophone, la noblesse n’est pas vraiment un corps social constitué à la fin du xive siècle, bien qu’elle soit en passe de le devenir, et une conception très restreinte de la liberté en a fait le privilège exclusif d’un petit nombre de familles prestigieuses. Au sein de l’aristocratie, le niveau supérieur, celui des familles comtales et des grands barons, se distingue nettement, et il est beaucoup plus développé qu’en territoire francophone. Là, ce sont les familles seigneuriales qui dominent, car la noblesse s’est constituée à partir de la classe des hommes
f. 175), Jean de Salm (A.D.M.M. B 384, f. 146v), Waleran de Thierstein (A.D.M.M. B 377, f. 168v-169), Thierry de Kerpen (A.D.M.M. B 708, no 4), Folmar de la Petite-Pierre (A.D.M.M. B 384, f. 154), Jean de Raville (A.D.M.M. B 384, f. 305v), Arnoul de Sierck (A.D.M.M. B 384, f. 229), Henzelin de Lichtenberg et Jean Kerze de Siersberg (A.D.M.M. B 384, f. 318), Aymé de Linange (A.D.M.M. B 379, f. 215v-225v) et enfin Jean Wisse de Gerbéviller (A.D.M.M. B 384, f. 347-348). 145 M. Parisse, Noblesse et chevalerie, op. cit., p. 212 et suiv. 146 J.-M. Moeglin, L’Empire et le Royaume, op. cit., p. 195 : « L’impression d’ensemble est que, même si des populations de langue romane et de langue allemande se trouvaient réunies dans un seul cadre politique (…), cette coexistence semble avoir été plutôt de l’ordre du « côte à côte » que de la fusion. Pour autant, cela ne signifie pas l’affirmation d’un antagonisme viscéral entre ces deux groupes de population ». 147 G. Poull, La maison ducale de Lorraine, Rupt-sur-Moselle, 1968, p. 83. 148 A.D.M.M. B 833, no 36. 149 A.D.M.M. 3 F 438, f. 197-200 ; J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 154.
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libres, beaucoup plus nombreux, mais beaucoup moins puissants150. Or, les comtes germanophones ont leurs propres intérêts, éventuellement divergents de ceux des ducs de Lorraine, qu’ils rechignent à servir en permanence. Côté français, en revanche, les nobles voient dans le service du prince un moyen de promotion sociale et constituent pour lui un gage de fidélité bien supérieur à celui des grands barons lorrains. Dès lors, la prédominance de la noblesse française à la cour paraît tout à fait logique. Elle se manifeste dans l’attribution, par les ducs de Lorraine, des postes clés de l’administration et de l’Hôtel : tous les maréchaux, tous les sénéchaux, tous les secrétaires des ducs de Lorraine sont issus de la partie francophone du duché, ainsi que 87% des conseillers. Naturellement, ce sont également des Français que l’on retrouve au quotidien à proximité du prince, investis de missions de confiance, ou qui se portent témoins ou cautions pour lui151. Au total, le bailliage d’Allemagne fait bien figure de parent pauvre au sein de la principauté ducale et les ducs n’entretiennent de relations permanentes avec la noblesse du duché qu’à proximité immédiate de leur capitale. Dès que l’on s’éloigne un peu, les liens se relâchent. L’analyse géographique des serviteurs ducaux peut donc conduire à une conclusion assez pessimiste quant à la réalité du pouvoir ducal. De quels autres moyens les ducs disposent-ils alors pour contrôler la partie, majoritaire, de la noblesse qui ne se rend jamais, ou si rarement, à Nancy ? Le poids de la féodalité Les ducs et la noblesse lorraine
Les contacts entre les ducs et la noblesse lorraine qui ne fréquente pas la cour sont limités, irréguliers ; ils existent néanmoins. Les princes de la fin du Moyen Âge ne sont pas sédentaires : ils arpentent leur territoire pour manifester physiquement leur autorité, et disposent naturellement d’un grand nombre de résidences. Les ducs de Lorraine ne dérogent pas à cette règle. L’été, ils affectionnent tout particulièrement Lunéville ou la vallée de la Moselle et effectuent d’assez longs séjours à Gondreville, à Sierck dans le bailliage d’Allemagne. Quant à Marguerite de Bavière, la femme de Charles II, elle réside souvent dans son douaire d’Einville152. Ces voyages fournissent quelques occasions de rencontre. En Lorraine, comme ailleurs toutefois, le développement de l’administration rend la présence des ducs dans la capitale de plus en plus nécessaire et fait de Nancy leur lieu de séjour principal, sinon unique. Dans ces conditions, le lien féodal constitue le seul mode de relation à la fois direct et durable entre le prince et l’ensemble de sa noblesse.
150 M. Parisse, Allemagne et Empire au Moyen Âge, Hachette, Paris, 2002, p. 219-222. Voir aussi J. Morsel, La noblesse contre le prince. L’espace social des Thüngen à la fin du Moyen Âge (Franconievers 1250-1525), Stuttgart, 2000. 151 Cf. tableau d’Annexe 2. 152 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 167, et G. Giuliato, Châteaux et maisons fortes en Lorraine centrale, op. cit., p. 113-115 et p. 147-150.
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Le panorama des vassaux des ducs de Lorraine au cours de la seconde moitié du xive siècle diffère sensiblement de celui de leur entourage direct. Seule la moitié des nobles fréquentant la cour de Nancy à cette époque ont prêté hommage aux ducs153. La proportion paraît d’autant plus faible qu’elle concerne toutes les catégories de serviteurs ducaux, ou presque : dix des dix-huit familles nobles du noyau dur et treize des trente-et-une apparaissant occasionnellement à la cour sont explicitement mentionnées comme vassaux ducaux. Les grands barons figurent en revanche presque tous dans la clientèle vassalique des ducs lorrains, à l’exception du duc de Wurtemberg154. On comprend aisément pourquoi ceux-ci se montrent soucieux de renouveler l’hommage qui place les dynasties de comtes et de grands seigneurs alleutiers sous leur suzeraineté : il diminue d’autant l’indépendance de fait dont elles jouissent par rapport à eux. Inversement, faut-il conclure que la fidélité des familles présentes à Nancy leur soit si sûrement acquise qu’ils ne jugent pas nécessaire de doubler la relation personnelle qu’ils entretiennent avec elles par une autre, de nature vassalique ? Un tel raisonnement ferait bien peu de cas de la force intégratrice du lien féodal. Doit-on penser au contraire que l’hommage de ces serviteurs va tellement de soi qu’il devient inutile d’en garder une trace écrite ? Ce serait alors faire bien peu de cas des progrès dans la pratique de l’écrit, très importante à la fin du Moyen Âge. Faut-il invoquer les lacunes de la documentation, ou plutôt une attention beaucoup plus rigoureuse prêtée par l’administration ducale aux actes d’hommages émanant des grands barons lorrains, qui officialisent une relation de vassalité par ailleurs peu évidente ? Quoiqu’il en soit, tout laisse à penser que les membres de l’entourage ducal issus de la noblesse, souvent implantés près de la capitale, sont eux aussi intégrés dans le réseau vassalique des ducs de Lorraine, quand bien même le fait n’apparaît pas toujours dans nos sources. Dans un hommage au duc de Bar, Jean de Bouxières déclare ainsi réserver la fidélité qu’il doit au duc de Lorraine, sans que nous ayons trouvé de trace écrite de ce lien vassalique avec Jean Ier155. Dans le Palatinat en effet, principauté dont la situation, nous l’avons vu, présente certaines analogies avec la Lorraine ducale et où un livre des fiefs, constitué en 1401, rassemble tous les vassaux de l’Électeur, on note que les principaux membres de l’administration princière sont tous également vassaux du comte palatin156. Entre 1350 et 1400, les sources conservent la trace de 120 personnes ayant prêté hommage aux ducs de Lorraine157. En réalité, le nombre doit sans doute être revu
153 Il faut en effet se limiter aux familles nobles car, selon les coutumes du duché de Lorraine, aucun roturier ne peut détenir de fief. É Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 9-13. 154 Voir le tableau d’Annexe 2 : Les principaux serviteurs des ducs de Lorraine, leur place à la cour, et l’assise sociale de leur famille. 155 A.D.M.M. B 590, no 126, acte daté de 1386. 156 K.-H. Spiess, Lehnsrecht, Lehnspolitik und Lehnsverwaltung der Pfalzgrafen am Rhein im Spätmittelalter, Wiesbaden, 1978, p. 17. 157 Pour l’analyse qui suit, voir le tableau d’Annexe 3 : Liste des vassaux ayant prêté hommage aux ducs de Lorraine Jean Ier ou Charles II entre 1350 et 1400. Les 120 personnages correspondent à un total de quatre-vingt douze familles.
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légèrement à la hausse. Il tourne vraisemblablement autour de 150, si l’on y ajoute la totalité des nobles de l’entourage ducal. Parmi les vassaux, la proportion de germanophones s’avère beaucoup plus forte qu’à la cour de Nancy : cinquante – soit un tiers d’entre eux au minimum et même 42%, si l’on ne prend en compte que les actes d’hommage dûment répertoriés – proviennent du bailliage d’Allemagne. Par conséquent, du point de vue de la féodalité, le bailliage d’Allemagne n’est en rien délaissé par rapport aux deux bailliages francophones. Les ducs de Lorraine accordent une grande importance à leurs relations avec la noblesse de langue allemande. Quant à la nature des fiefs, elle varie également peu entre la partie française et la partie germanique du duché : les familles germanophones prêtent tout autant hommage pour des biens fonciers (43% du total) que pour des fiefs-rentes (47%). La noblesse allemande est donc bien intégrée dans la clientèle vassalique des ducs de Lorraine, au même titre que la noblesse française. Ce qui diffère en revanche, c’est l’importance des biens repris en fief de part et d’autre de la frontière linguistique. Une majorité des châteaux et des villages inféodés par les ducs de Lorraine (52%) le sont à des nobles provenant du bailliage d’Allemagne, tandis que les vassaux francophones reprennent beaucoup plus souvent en fief des maisons fortes (80% du total) et des biens et droits divers (69%) ; de la même façon, les familles germanophones détiennent des fiefs-rentes souvent beaucoup plus élevés que ceux des nobles originaires de la partie française du duché, à l’exception de Ferry de Lorraine, frère de Charles II, ce qui se comprend aisément. La noblesse allemande, numériquement restreinte, mais prestigieuse, possède des fiefs plus importants que ceux de la noblesse française, plus nombreuse, mais moins puissante. La féodalité tient une place essentielle dans le contrôle territorial du duché de Lorraine. Les vassaux ducaux se répartissent de façon beaucoup plus homogène sur le territoire ducal que les membres de la cour. Les trois bailliages du duché sont représentés de manière sensiblement identique et le réseau vassalique des ducs de Lorraine franchit même les frontières de la principauté : les ducs s’assurent ainsi de la fidélité, même relative, de certaines familles des duchés de Bar et de Bourgogne, ou même de la cité de Metz158. Le lien vassalique représente pour eux, notamment dans la partie allemande du duché, le moyen le plus efficace, et parfois le seul, pour entrer en contact avec la noblesse et lui faire reconnaître sa supériorité. Se constitue ainsi une seconde zone d’influence ducale, qui dépasse l’aire d’attraction, très restreinte, de la capitale et de la cour. Plus étendue géographiquement, cette influence est cependant plus diffuse, d’autant que le réseau féodal des ducs de Lorraine paraît numériquement restreint, comparé à celui de principautés voisines. Mathias Bouyer recense pour le duché de Bar, à la même époque, pas moins de 450 vassaux. Même s’il faut faire la part d’une pratique administrative plus élaborée dans le Barrois et donc d’une documentation plus abondante, la disproportion entre les deux duchés rivaux n’en reste pas moins flagrante. Cela ne confirme-t-il pas les propos du procureur du Parlement de Paris sur la faiblesse militaire des ducs de Lorraine ?
158 Il ne faut cependant pas surestimer cette influence à l’extérieur du duché, car nous avons vu plus haut qu’elle est beaucoup plus faible que celle des princes voisins à l’intérieur du territoire ducal.
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Vassalité et services militaires
Le service armé constitue une composante inhérente au contrat vassalique et, dans ce domaine, le nombre fait, du moins en partie, la force. Les vassaux ducaux, peu nombreux, répondent-ils tous aux convocations du prince ? Les ducs disposent-ils d’autres modes de recrutement, pouvant palier d’éventuelles défections ou compléter des effectifs insuffisants ? Partons des quelques chiffres à notre disposition. Les plus précis concernent la montre de la compagnie réunie par le duc Jean Ier au moment de l’expédition du roi de France en Flandre, en 1383. Ce document dénombre, outre le duc lui-même, « treze chevaliers baicheliers et quatre vins et dix et nuef escuiers et deux arbelestriers arméz159 », soit un total de 237 hommes d’armes, sachant qu’à l’époque, un chevalier banneret sert avec trois auxiliaires à cheval, un chevalier bachelier avec deux, et un écuyer avec un160. Dans le traité d’alliance conclu en 1373 entre les ducs de Bar et de Lorraine contre Pierre de Bar, seigneur de Pierrefort, chacun des deux protagonistes envisage de fournir cent lances, c’est-à-dire cent hommes d’armes, et de les placer sous le commandement de Jean de Bourgogne, comte de Vaudémont161. Vingt ans plus tard, en 1391, c’est une troupe équivalente que le nouveau duc Charles II met sur pied dans la guerre qu’il mène contre Henri Bayer de Boppard162. Et si les effectifs augmentent un peu lors des traités de Landfried conclus avec le duc de Bar et l’évêque de Metz ou le roi de France, ils ne dépassent qu’exceptionnellement les 200 lances163. Tout laisse donc à penser que les 300 hommes d’armes évoqués par le procureur du Parlement de Paris correspondent à la fois au maximum des moyens militaires dont peuvent disposer les ducs de Lorraine et au service armé de l’ensemble de leurs feudataires. Voilà qui est bien peu, même en ajoutant le service de chevauchée, les fournitures et les charrois qu’ils exigent des sujets de leurs domaines ou des établissements religieux dont ils ont la garde164. La réalité est cependant plus complexe. Par moments, les ducs parviennent à lever des armées plus importantes. Ainsi, lorsque Brocard de Fénétrange, gouverneur du duché de Lorraine au nom de Jean Ier, entre en conflit avec Yolande de Flandre, régente
159 Acte édité par P. Marot, « Les seigneurs lorrains à l’ost de 1383 », Annales de la Société d’émulation des Vosges, Épinal, 1924, p. 18. 160 Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, P.U.F., Paris, 1994, p. 243. À cette époque, l’expression « homme d’armes » désigne un combattant à cheval. Une « lance », quant à elle, correspond à un homme d’armes, accompagné d’un coutillier et d’un page. 161 A.D.M.M. B 424, f. 128v-129v. 162 A.D.M.M. B 424, f. 26-27. 163 C’est ce à quoi s’engage Charles II dans un Landfried signé en 1392 avec le duc de Bar, l’évêque et la cité de Metz (A.D.M.M. B 858, no 30). Dans un traité de même nature conclu avec le roi de France et le duc de Bar en 1366, Jean Ier avait promis de porter le contingent lorrain de 200 à 250 lances en cas de besoin : la situation créée par la présence des Grandes compagnies était toutefois exceptionnelle (A.N. J 582, no 24). 164 Les sources mentionnent souvent de telles obligations, pour les commanderies de l’ordre de SaintJean de Jérusalem situées dans le duché (B.M. Nancy, Ms. 189, f. 40-41) ou pour les habitants de la ville de Mangonville (A.D.M.M. H 3000), par exemple.
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du duché de Bar, en 1357-1358, il fait appel non seulement aux vassaux lorrains, mais à ses propres hommes, et rassemble une troupe deux à trois fois plus nombreuse que d’habitude, composée de 500 hommes d’armes et de 2 000 sergents165. En 1383, le sire de Blâmont figure également dans l’ost royal qui se rend en Flandre et il ne vient pas seul, mais avec sa propre compagnie, constituée de treize chevaliers bacheliers, trente écuyers et trois arbalétriers, soit un total de quatre-vingt-dix-neuf hommes d’armes. Même si ceux-ci ne sont pas comptabilisés dans la compagnie du duc de Lorraine, c’est Jean Ier qui a payé leurs gages. Il dispose donc d’une troupe nettement plus nombreuse qu’il n’y paraît au premier abord166. On comprend beaucoup mieux la sollicitude dont font preuve les ducs de Lorraine à l’égard des grands barons lorrains. Si les inféodations qui leur sont concédées contribuent à renforcer l’assise foncière de seigneurs déjà puissants, ceux-ci, en retour, mettent cette puissance au service de leur suzerain et peuvent à l’occasion mobiliser l’ensemble de leurs forces, financières et militaires, en sa faveur, même si, en matière de droit féodal strict, rien ne les y oblige. Ils peuvent donc renforcer considérablement le potentiel militaire et l’influence politique du duché de Lorraine. Tout cela mérite bien la plus grande attention et le plus grand respect de la part des ducs. En France, à la fin du xive siècle, le contingent féodal continue à jouer un rôle très important dans la composition des armées royales ; malgré tout, le recours aux contrats d’engagement volontaire, sous la forme de lettres de retenue, devient de plus en plus fréquent167. Si l’on en croit Dom Calmet en revanche, ce n’était pas alors l’usage en Allemagne d’entretenir des troupes réglées et soudoyées ; les seigneurs dans le besoin faisaient marcher leurs sujets, et ne les entretenaient que pendant le temps de leurs services. Ces soldats formaient l’infanterie de leurs armées. Les nobles, vassaux et feudataires fournissaient la cavalerie, et marchaient d’ordinaire eux-mêmes à la tête de leurs troupes. Les abbayes et les villes étaient obligées de donner une certaine quantité de blé, de chariots, de provisions de bouche, pour l’entretien de l’armée168.
Dans l’Empire pourtant, de nombreux fiefs-rentes accordés par les princes le sont également dans un but exclusivement militaire et l’apparence féodale du recrutement cache plus ou moins bien une réalité de plus en plus contractuelle169. Qu’en est-il du duché de Lorraine ? Les ducs peuvent-ils recruter d’autres hommes d’armes que leurs vassaux ou arrière-vassaux ? De 1350 à 1400, 190 personnes sont mentionnées par les sources comme serviteurs militaires des ducs de Lorraine170. Or, seules quatre-vingt-quatre d’entre elles figurent également parmi les vassaux ducaux ou les membres de la cour de Nancy. 106, soit plus de la moitié, n’ont pas prêté hommage aux ducs de Lorraine.
165 G. Poull, La maison souveraine et ducale de Bar, P.U.N., Nancy, 1994, p. 329. 166 P. Marot, « Les seigneurs lorrains à l’ost de 1383 », art. cit., p. 10. 167 Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 279-285. 168 Dom A. Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., t. III, p. 561. 169 Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 291-294. 170 Cf. Annexe 4 : Liste des serviteurs militaires des ducs de Lorraine (1350-1400). L’analyse qui suit se base sur les données contenues dans ce tableau, comparées à celles des annexes 2 et 3.
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Inversement, soixante-et-onze de leurs vassaux ne figurent à aucun moment dans les armées ducales. Ces chiffres doivent être interprétés avec prudence, les sources ne recensant de manière exhaustive ni les troupes ni les vassaux ducaux. Il semble bien malgré tout que la féodalité forme le noyau de l’armée lorraine, mais que les ducs n’excluent pas le recours à d’autres modes de recrutement, assez proches de celui des lettres de retenue. Ainsi, lors de la guerre contre l’évêque de Metz, en 1379, Jean Ier prend à son service Étienne, seigneur d’Oiselay. Selon les termes du contrat, dont la durée n’est pas précisée, celui-ci doit amener avec lui huit hommes d’armes ; le salaire de cette petite troupe s’élève à 550 francs, non compris le dédommagement de toutes les pertes de guerre qu’Étienne pourrait subir171. Quelques mois plus tard, durant le même conflit, Jean des Fontaines et Perceval d’Enneval reçoivent la somme de 248 francs, correspondant à un mois de leurs gages et de ceux des quarante-trois hommes d’armes qu’ils avaient amenés avec eux au service du duc172. Les effectifs concernés par ces contrats demeurent toutefois étiques : le roi de France, à la même époque, n’engage pas de compagnies inférieures à cent hommes d’armes173. En 1383 enfin, un groupe de treize citains de Metz, présents à l’ost du roi de France, se range de son plein gré sous la bannière ducale : ce geste ne s’explique ni par des liens vassaliques avec le duc de Lorraine, ni par un engagement contractuel qui aurait pour eux un caractère déshonorant174. C’est peut-être un sentiment d’appartenance à une même aire géographique et culturelle qui les a poussés à se regrouper derrière un prince considéré comme le représentant de la région. Cet aspect ne doit pas être négligé, car il rejoint ce que nous dirons plus loin de la nature du pouvoir ducal, reposant sur la double dignité de duc et de marquis. Ces deux modes de recrutement, vassalique et contractuel, ne s’excluent d’ailleurs pas l’un l’autre. La convocation d’un vassal par le duc de Lorraine n’empêche nullement le versement de gages pour le service militaire rendu, ainsi qu’un certain nombre de compensations : Érard du Châtelet, vassal de Jean Ier, reçoit ainsi en 1365 la somme de 200 florins à titre d’indemnisation pour plusieurs chevaux perdus au service du duc contre les routiers d’Arnaud de Cervolles. Au cours du même conflit, Jean Ier paie également les rançons de deux de ses vassaux, Brocard de Fénétrange et Brun de Ribeaupierre. La somme globale s’élève à 28 200 florins175. Comme dans le duché de Bar, « s’il veut que ses vassaux continuent à le servir, [le duc] doit les y aider, de manière plus forte qu’auparavant »176. Au total, le potentiel militaire du duché de Lorraine paraît bien modeste. Moyennant finance et avec l’aide des grands barons lorrains, il peut recruter au-delà des 300 hommes d’armes que lui procure son réseau vassalique, mais le plus souvent sur de courtes périodes. Au quotidien cependant, faute d’une véritable armature 171 A.N. KK 1123, layette mélanges, no 67. 172 BnF Col. Lor., no 4, f. 25. 173 Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 280. 174 P. Marot, « Les seigneurs lorrains à l’ost de 1383 », art. cit., p. 18. Voir aussi l’Annexe 4. 175 A.D.M.M. B 613, no 7 ; BnF Col. Lor., no 256, f. 14-15 ; BnF Ms. fr. 11823. Voir aussi l’Annexe 4. 176 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op. cit., p. 221.
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institutionnelle et d’une cour suffisamment brillante et attractive, le pouvoir ducal repose, avant tout, sur la féodalité. La féodalité au service des ducs de Lorraine
« C’est une opinion couramment admise qu’après 1300 la féodalité ne joue plus aucun rôle positif dans l’État moderne177. » Cette assertion, reprise par Bernard Guenée pour mieux la critiquer, trouve son expression la plus forte dans le concept de « féodalité bâtarde », utilisé par l’historien anglais Mac Farlane178 . Ce dernier voit dans la féodalité des deux derniers siècles du Moyen Âge et notamment dans le développement, puis la généralisation des fiefs-rentes, une forme abâtardie des relations féodo-vassaliques, qui préfigure leur déclin aux siècles suivants et constitue une sorte de transition entre l’État médiéval et celui de la Renaissance. À l’opposé de cette interprétation, les historiens allemands ont été parmi les premiers à montrer le rôle décisif de la féodalité dans l’expansion territoriale et la structuration des principautés aux xive et xve siècles. B. Diestelkamp insiste notamment, pour le comté de Katzelnenbogen, sur l’importance de plus en plus grande accordée au fief, au détriment du lien personnel. Cela contribue, dans la mesure où les devoirs féodaux se maintiennent, au renforcement de la seigneurie territoriale et constitue une sorte de pont entre la suzeraineté féodale et la souveraineté territoriale179. Étudiant le Palatinat, K.-H. Spiess parvient, quelques années plus tard, aux mêmes conclusions180. Peut-on les étendre au duché de Lorraine, dont la culture politique présente de nombreuses analogies avec les principautés du sud-ouest de l’Empire ? De quel pouvoir les ducs disposent-ils concrètement sur leurs vassaux à la fin du xive siècle ? La documentation ne donne que peu d’indications sur les rapports quotidiens de Jean Ier avec ses feudataires. C’est lorsque la situation devient anormale, ou exceptionnelle, que l’on peut véritablement se faire une idée de l’autorité dont il dispose. À cinq reprises au cours de son règne, il procède à des confiscations de fiefs. En 1362, le comte de Fribourg se voit retirer l’investiture des terres de Romont, SaintMaurice, Aconcourt, Saint-Pierremont, Vallois et Bouxières-lès-Gerbéviller181 ; deux ans plus tard, ce sont les biens du sire de Geroldseck qui sont saisis, et notamment le château du même nom182 ; en 1366, le duc reprend les territoires de Saint-Hippolyte, Frankenbourg, Koenigsbourg et la cure de Châtenois au comte d’Alsace, qui les tenait
177 B. Guenee, L’Occident aux xive et xve siècles : les États, P.U.F., Paris, 1971, p. 229. De façon significative, la série de colloques concernant la genèse de l’État moderne ne comporte aucune étude spécifique sur le rôle joué par la féodalité dans ce processus. 178 K. B. Mac Farlane, “Bastard feudalism”, Bulletin of the Institute of Historical Research, 20 (1943-1945), p. 161-180. 179 B. Diestelkamp, « Lehnsrecht und spätmittelalterliche Territorien », in H. Patze (dir.), Der deutsche Territorialstaat im 14. Jahrhundert, op. cit, p. 65-96. 180 K.-H. Spiess, Lehnsrecht, Lehnspolitik und Lehnsverwaltung der Pfalzgrafen am Rhein im Spätmittelalter, op. cit. 181 A.D.M.M. B 377, f. 175. 182 A.D.M.M. B 379, f. 59v.
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en fief du duché de Lorraine183 ; Jean Ier s’empare enfin de plusieurs forteresses, celle de Fougerolles en 1370184 et celle de Hardémont en 1379185, pour non respect de leurs obligations féodales par les vassaux qui les détenaient. Le cas de Fougerolles illustre de façon emblématique à la fois l’étendue et les limites de son pouvoir. La situation stratégique de ce fief, à la frontière du duché de Lorraine avec le comté de Bourgogne, nécessite une attention d’autant plus sourcilleuse de la part du duc que l’éloignement rend la fidélité du vassal plus aléatoire. De fait, quatre des cinq confiscations mentionnées concernent des châteaux situés à la périphérie du territoire ducal : Hardémont, voisine de Monthureux-le-Sec, jouxte la Bourgogne et le royaume de France. Geroldseck, Frankenbourg, Koenigsbourg, Saint-Hippolyte et Châtenois occupent également une position clé, sur le versant oriental de la montagne vosgienne186. C’est donc toujours aux confins du duché que la question du contrôle des vassaux se pose avec le plus d’acuité. C’est également dans ces régions que le pouvoir ducal s’impose avec le plus de difficulté. Dans un premier temps, la saisie de la forteresse de Fougerolles demeure purement théorique, car « en fuit li dis messire Hugues fuigitis, et que pis fuit ils fuit desobeissant ai nos de rendre la dite forteresse […] et, aidés en perseverant en son malefice de mal en pix, nos fit plusieurs dompmaiges de ladicte forteresse ». Le château, placé ensuite dans les mains d’un seigneur comtois par le sire de Fougerolles, devient le point de départ de raids de pillage au cours desquels « avindrent et furent fais plusieurs grands et griefs dapmaiges a nos et a nostre pays ». Pour le récupérer, le duc doit employer les grands moyens et il n’y parvient qu’à « grans coustenges, dapmaiges et missions »187. Les cas de rébellion ouverte sont toutefois assez rares. Le défaut de reprise188, ou la réinféodation d’un fief sans requérir l’autorisation princière189, restent les motifs de confiscation les plus fréquents. Jean Ier finit malgré tout par avoir le dernier mot, le plus souvent sans avoir besoin de recourir à la force, preuve qu’il dispose, jusque dans ces régions frontalières, d’une autorité et d’un prestige réels190. Parfois, l’intimidation suffit : dès que le duc de Lorraine parvient avec son armée sous les murs de Hardémont, Didier de Monthureux lui livre le château191. Enfin, si les fiefs saisis sont toujours réinféodés à de nouveaux vassaux, rien n’indique que cette pratique revête un caractère obligatoire. Jean Ier a même conservé la forteresse de Fougerolles « par loing temps en nostre main paisiblement, sans nuls debeir, comme nostre droict propre heritage et fied », avant de la confier à « nostre bien aymei et fiable signour, Thibaut signour de Blamont,
183 184 185 186 187 188 189 190
A.D.M.M. B 384, f. 138. A.D.M.M. B 379, f. 29v-30v. A.D.M.M. B 377, f. 17v-172. Cf. carte no 4, « Villes fortifiées et châteaux du duché de Lorraine ». A.D.M.M. B 379, f. 29v-30v. A.D.M.M. B 377, f. 177, concernant les biens du comte d’Alsace. A.D.M.M. B 377, f. 175, concernant les terres du comte de Fribourg. Ni le sire de Geroldseck, ni le comte de Fribourg, ni celui d’Alsace ne s’opposent à la saisie de leurs fiefs. 191 A.D.M.M. B 377, f. 171v-172.
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pour lui et pour ses hoirs, a tousioursmaix en fied et en arrier fied192 ». À la fin du Moyen Âge, le lien féodal conserve donc toute sa force et procure au prince l’assurance d’une fidélité au moins négative. Dans le cas contraire, la mainmise sur les biens du vassal entraîne l’affermissement de la seigneurie territoriale, preuve que la féodalité n’a rien d’incompatible avec l’exercice d’un pouvoir efficace. Que le duc réinféode systématiquement les terres rentrées en sa possession, alors que rien ne l’y oblige, plaide également en faveur de l’utilité du lien vassalique. À Hardémont, la saisie n’est que provisoire et Didier de Monthureux récupère ses biens, moyennant un nouvel hommage, sans qu’aucun litige ne se reproduise par la suite193. La relation féodale, décisive aux yeux du duc, prime alors sur le respect scrupuleux des obligations. Mais le plus souvent, la confiscation marque un point de non-retour et les fiefs changent de mains. Ils échoient alors toujours aux grands barons lorrains : Fougerolles est ainsi confiée au sire de Blâmont ; les seigneurs de Ribeaupierre reçoivent les terres de Romont, Saint-Maurice, Aconcourt, Saint-Pierremont, Vallois et Bouxières-lès-Gerbéviller ; et ceux de Fénétrange emportent la plus grosse part, avec les châteaux de Geroldseck, Frankenbourg et Koenigsbourg, la ville de SaintHippolyte et la collation de la cure de Châtenois194. De telles augmentations de fiefs permettent à Jean Ier de renforcer l’attache de ces puissants seigneurs au duché. Elles lui donnent aussi l’assurance que ces terres frontalières seront bien gardées, par des familles aux moyens militaires conséquents. L’image de grands feudataires faisant écran au pouvoir ducal, notamment dans la partie germanophone du duché, ne correspond donc que partiellement à la réalité : ils servent aussi de relais au prince, dans des régions où il est moins bien implanté et auprès d’institutions ecclésiastiques qui empiètent sur sa souveraineté territoriale. La culture politique du duché de Lorraine
Faut-il alors parler d’État féodal ? Qu’il s’agisse des prérogatives du pouvoir ducal ou du langage qu’il utilise dans ses relations avec les membres de la société politique lorraine, plusieurs indices convergents incitent à voir dans la féodalité la marque principale de la culture politique de la principauté. Les ducs de Lorraine, seigneurs ou princes ?
En 1360, des tabellions nancéiens établissent le vidimus d’un recueil des droits que le duc possède au château de Spitzemberg : le texte, « trait des anciens registres monsseigneur lou duc la value de sa terre » et reprend le contenu d’un acte beaucoup plus ancien195. Vingt ans plus tard, en 1380, Jean Ier renouvelle la charte de franchise
192 A.D.M.M. B 379, f. 29v-30v. 193 A.D.M.M. B 377, f. 171v-172. 194 A.D.M.M. B 377, f. 175 (biens du comte de Fribourg) ; A.D.M.M. B 377, f. 177 (biens du comte d’Alsace) ; A.D.M.M. B 379, f. 59v (Geroldseck). 195 A.D.M.M. B 902, no 18.
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de Sarreguemines, dans les mêmes termes que l’original, détruit lors de l’incendie de la ville196. Ces deux documents dressent la liste des droits que possède le duc sur le château, la ville et les habitants des terres qui en dépendent. Or, ceux-ci, très clairement, sont ceux d’un seigneur féodal, et non d’un prince souverain. À Spitzemberg, la plupart des redevances sont versées en nature, les corvées tiennent une place considérable, les habitants de la châtellenie exercent eux-mêmes le droit de garde au château et ils viennent y servir directement le duc lorsqu’il y réside. De même, la charte de franchise de Sarreguemines recense, plus ou moins pêle-mêle, la taille, les corvées, les banalités, les droits de chasse, de guet et de gîte. Ce qui frappe à la lecture de tels documents, c’est le caractère non médiatisé de la relation entre le duc et les habitants de ces deux communautés. Ils n’apparaissent pas comme des sujets placés sous le pouvoir d’un souverain, par le biais de son administration, mais comme des hommes soumis directement au droit de ban du seigneur. Certes, ces deux actes se revendiquent explicitement comme les témoins d’une situation passée, qui ne correspond peut-être plus à la manière dont le duc de Lorraine exerce concrètement son pouvoir en cette fin du xive siècle. Mais le fait que ce dernier se soucie de réactiver des droits remontant à une époque très ancienne et qu’il ne profite pas de l’incendie survenu à Sarreguemines pour élargir la portée de son affranchissement ou modifier la nature de ses prérogatives, semble particulièrement révélateur de l’aspect encore féodal du duché de Lorraine. À cette époque d’ailleurs, la capitale ducale, Nancy, est encore régie par la loi de Beaumont, datant du xiie siècle, alors que la plupart des villes princières bénéficient à la fin du Moyen Âge de privilèges beaucoup plus importants197. Le duc de Lorraine en revanche ne parvient pas à établir d’impôt durable, assis sur l’ensemble de la principauté. On trouve certes la trace, à plusieurs reprises, de prélèvements extraordinaires effectués sur des terres du duché. Mais ceux-ci ne sauraient en aucun cas constituer un système fiscal et les conditions dans lesquelles ils sont levés ne permettent pas non plus de parler d’impôt. Les « tonneuls198 », taxes sur la vente des marchandises, exigés des habitants de Saint-Dié en 1346, 1364 et 1374, le sont avec l’accord du prévôt de ce chapitre, qui détient la co-seigneurie sur ces terres, conjointement avec le duc de Lorraine. Celui-ci doit alors en justifier la nécessité, accorder le tiers de leur montant aux chanoines de Saint-Dié et affecter l’argent à un but précis, la réfection des fortifications de la ville en 1346 et 1374 ou la lutte contre les compagnies en 1364. Mais surtout, la durée de la taxation, limitée à trois ans pour le premier cas et quatre pour les deux autres, est toujours strictement respectée : le tonneul de 1364 est ainsi officiellement supprimé dans un acte du 24 avril 1368199. Tout cela ne tient pas seulement à l’entremêlement de seigneuries concurrentes au sein de l’espace vosgien. Même à Nancy, la capitale ducale, le duc doit user de semblables 196 A.D. Mos. 4 E 511. Il s’agit d’une traduction française, établie en 1576 par le tabellion général du duché de Lorraine. Le texte original de la charte, en allemand, n’est plus disponible actuellement. 197 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 139. 198 A.D.V. G 670, no 14 pour le premier, A.D.V. G 672, no 1 pour le second, A.D.V. G 670, no 17 pour celui de 1374. 199 A.D.V. G 672, no 3.
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précautions lorsqu’il veut lever des taxes extraordinaires : il parle ainsi de « l’aide que nos gens de Nancey nous ont accordei danriennement pour dous ans advenir pour nous aidier a paier nos debtes200 ». On retrouve ici les mêmes restrictions quant à la durée du prélèvement, à son assise territoriale, à l’utilisation de l’argent récolté, et la même nécessité de recourir au consentement des sujets, alors que la ville de Nancy ne jouit pourtant que d’une autonomie toute relative par rapport au pouvoir ducal. De ce point de vue, la situation du duché de Lorraine n’est pas sans analogie avec celle du Palatinat : si l’Électeur parvient à trois reprises, dans la seconde moitié du xive siècle, à prélever un impôt sur le capital – la Landschätzung – c’est également de manière temporaire et à condition d’en justifier la nécessité201. Pourtant, au cours du xive siècle, princes et souverains d’Europe occidentale font de plus en plus souvent admettre leur droit à lever un impôt sur l’ensemble de leurs sujets, régulièrement, et sans avoir à le justifier par un besoin particulier. Ils sont aussi en mesure d’édicter des lois, identiques pour tous, et valables pour l’ensemble d’un territoire. En France, un véritable système fiscal se met en place sous le règne de Charles V, qui accroît de façon considérable les capacités financières de la monarchie. La loi du roi devient aussi, progressivement, la loi de l’État202. Les ducs de Bretagne misent tout particulièrement sur l’indépendance financière, obtenue grâce à la mise en place d’une fiscalité princière203. Quant aux ducs de Bar, ils lèvent également l’impôt sur l’ensemble des habitants de leur duché, y compris les hommes de leurs vassaux, et ce assez régulièrement, semble-t-il204. Et en 1373, une ordonnance générale de réformation permet au duc Robert de procéder à un nouvel inventaire des biens de son domaine et à une reprise générale de tous les fiefs du duché. Fiscalité et législation constituent donc deux critères essentiels de la genèse d’un État moderne205. Moderne, le duché de Lorraine ne l’est manifestement pas, au regard de ces deux critères. Quelques ordonnances ont bien été émises par les ducs au cours du xive siècle. Elles concernent des domaines variés : la gestion des forêts et des salines ducales, l’organisation de l’activité et des confréries de métiers dans le cadre du duché, le droit féodal et même le droit privé. Une telle énumération pourrait faire croire à une intense activité législatrice de la part des ducs. En réalité, cela ne représente
200 A.D.M.M. B 834, no 157. 201 H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate, op. cit., p. 82-113. 202 B. Chevalier, « Fiscalité municipale et fiscalité d’État en France du xive à la fin du xvie siècle : deux systèmes liés et concurrents », in J.-Ph. Genet et M. Le Mené (dir.), Genèse de l’État moderne : prélèvement et redistribution, C.N.R.S., Paris, 1987, p. 137-151 ; A. Rigaudière, « Loi et État dans la France du Bas Moyen Âge », in J.-Ph. Genet et N. Coulet (dir.), L’État moderne : le droit, l’espace, et les formes de l’État, C.N.R.S., Paris, 1990, p. 33-59. Cet article montre le rôle déterminant joué par l’activité législatrice du prince dans la genèse de l’État moderne. 203 J. Kerhervé, L’État breton aux xive-xve siècles, op. cit., p. 943. 204 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés, op. cit., p. 53-56 ; M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op. cit., p. 353. 205 W. Janssen, « … na gesetze unser lande … : Zur territorialen Gesetzgebung im späten Mittelalter », Gesetzgebung als Faktor der Staatsentwicklung, Berlin, 1984, p. 7-40. Sur le lien entre l’impôt et l’État, voir L’impôt dans le cadre de la ville et de l’État, Colloque international de Spa, (6-9 septembre 1964), Bruxelles, 1966.
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guère qu’une dizaine de textes et encore une partie d’entre eux ne peuvent-ils être qualifiés de textes de loi. L’ordonnance sur l’interdiction des mariages clandestins du 13 juin 1350 et celle sur les fiefs du duché de Lorraine de 1362 ne sont que la mise par écrit de points de coutume206. Ici, le duc de Lorraine légifère conformément au droit. Or, le droit et la loi diffèrent en ceci que la loi est l’incarnation de la volonté du prince, alors que le droit coutumier impose au contraire un cadre très strict à son pouvoir de décision. Quant au texte exemptant les curés des châtellenies de Dieuze et de Morsberg de toute exigence de la part de l’administration ducale207, il établit un privilège et se situe donc aux antipodes de la loi, qui fixe une règle valable pour tous les membres du groupe auquel elle s’applique208. Prise sous cet angle, la législation ducale peut se résumer en de simples ordonnances de police, réglementant l’activité de quelques professions et d’un groupe de fonctionnaires ducaux. L’ordonnance de Raoul portant création de la confrérie des marchands est confirmée par ses successeurs Jean Ier et Charles II en 1377 et 1399209 ; des règlements sont également édictés pour les meuniers le 18 avril 1377 et pour les monnayeurs le 20 janvier 1378210 ; la confrérie des maçons et charpentiers de Lunéville se crée le 16 novembre 1386, sur une base cette fois beaucoup plus locale211 ; les ducs de Lorraine ordonnent aussi de fabriquer des marteaux permettant de marquer les arbres destinés à l’abattage et de mieux gérer les forêts ducales212. Or, ce type d’actes est le domaine privilégié de tous les princes ou États lorsqu’ils commencent à développer leur activité législatrice. Ce n’est que dans un second temps que celle-ci prend une ampleur et une portée plus larges213. Rien d’étonnant par conséquent à ce que le dictionnaire de Rogéville, qui rassemble les lettres-patentes des ducs de Lorraine, ne contienne que fort peu de textes antérieurs au règne de René II, à la fin du xve siècle214. La situation de la Lorraine ducale est d’ailleurs comparable à celle des principautés impériales voisines : si l’on considère que le pouvoir législatif du prince commence là où aucune tradition ne vient empêcher ou limiter son pouvoir de décision, alors les premières lois n’apparaissent dans ces régions que vers les années 1420-1430215. Ce que nous venons de dire concernant la fiscalité et la législation ducale découle directement de la faiblesse institutionnelle de la principauté ducale. Impossible en effet de lever un impôt, de promulguer et faire appliquer un texte de loi sans une administration suffisamment puissante et expérimentée. À la fin du xive siècle, celle-ci 206 B.M. Nancy, Ms. 189, f. 47-48 (mariages) ; A.D.M.M. B 377, f. 175 (fiefs). 207 B.M. Nancy, Ms 189, f. 48-49. 208 W. Janssen, « … na gesetze unser lande … », art. cit. 209 B.M. Nancy, Ms. 189, f. 37-40 (1340) ; B.M. Nancy, Ms 189, f. 43-44 (1377) ; A.D.M.M. H 2675, f. 24, (1399). 210 A.D.M.M. 3 F 225. 211 A.D.M.M. H 1021, f. C, no 3. 212 B.M. Nancy, Ms 189, f. 53-56 (27 janvier 1390) ; la même année, Jean Ier promulgue un édit punissant du bannissement ceux qui arrachent les bornes (B.M. Nancy, Ms 189, f. 45). 213 W. Janssen, « … na gesetze unser lande… », art. cit. 214 P.D.G. de Rogéville, Dictionnaire historique des ordonnances et des tribunaux de la Lorraine et du Barrois, Nancy, 1777. 215 W. Janssen, « … na gesetze unser lande … », art. cit.
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fait défaut au duché de Lorraine, dont le gouvernement central repose avant tout sur le conseil ducal, émanation de l’ancienne curia féodale216. Le conseil ducal, clé de voûte des institutions lorraines
Les membres de ce Conseil apparaissent régulièrement dans nos sources. À certains moments, il semble même possible de le saisir dans sa globalité, ou presque : le 15 septembre 1392, à propos de « l’entrecours de la chaussée de Rosières », le duc Charles II réunit ainsi une assemblée des représentants du duché, parmi lesquels figurent vingt-trois conseillers, soit tous ceulx de nostre consoil […] c’est assavoir nommement, nostre trechier et amei freire Ferri de Loherenne, nostre amei cousin monsignour Jehan conte de Salmes, monsignour Aubert bastard de Loherenne l’annei, monsignour Guy de Herwel, monsignour Roubert des Armoizes, monsignour Jaique d’Amance nostre mareschaul, monsignour Liebaul du Chastellet nostre baillif de Nancey, monsignour Jehan de Parroyes nostre seneschaul, monsignour Ancelz de Darnuelles, monsignour Jehan de Ville, monsignour Jehan de Ludes, monsignour Hanry d’Ougievillei, monsignour Ferry de Zierck, monsignour Olry de Rouzieres, monsignour Auffrich d’Esch, monsignour Petre de Rapville, chevalliers, Hanris d’Amance maistre de nostre hostel, Jehan de Buxieres, Jehan de Flueville nostre bailli de Vosge, Jehan Wisse de Gerbervilleir nostre bailli d’Allemengne, Nyqueles Guespach, escuiers, Demengin de Gerbervilleir et Poirat d’Amance nos secretairez217…
Le statut social joue manifestement un rôle essentiel dans la composition du Conseil, puisque tous les membres sont nobles, à l’exception des deux secrétaires. Rien d’étonnant à cela, vu la prépondérance de la noblesse dans l’entourage ducal et l’importance accordée par Charles II à la vieille notion de conseil féodal. Une telle liste pose toutefois question : huit des vingt-trois conseillers détiennent des offices dans l’administration ducale. Si la présence de Demenge de Gerbéviller et Poiret d’Amance, les deux roturiers, tient certainement à leur fonction de secrétaire, qu’en est-il des six autres ? Sont-ils membres du Conseil du fait de leur rôle dans le gouvernement du duché, ou en raison de leur appartenance à la chevalerie lorraine ? Les conseillers le sont-ils de droit, ou le duc appelle-t-il qui il veut, quand il veut ? La documentation ne permet pas de répondre avec certitude à ces questions, mais le Conseil ducal paraît dans cet acte particulièrement important. Il recrute largement au-delà des membres de l’administration et de l’Hôtel : tout laisse donc à penser que, tout comme dans le duché de Bar ou dans le royaume de France voisins, « le terme de conseiller ne désigne pas une fonction précise, mais plutôt une qualité qui caractérise l’entourage élargi du prince »218. Par ailleurs, le grand nombre de conseillers – une quinzaine en dehors des détenteurs d’offices, soit autant que le Conseil du roi de France à la même époque – et l’importance de l’affaire soumise à
216 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op. cit., p. 439. 217 A.D.M.M. B 880, no 126. 218 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op. cit., p. 443.
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délibération, pour laquelle le duc a également fait appel à « grant quantitei d’autres chevalliers, escuiers, bourjoys saiges et discreis en tel fait219… » nous permettent de conclure au caractère exceptionnel de cette session. Les vingt-trois conseillers mentionnés ne sont donc certainement pas des membres permanents, ce que confirme l’absence de versements de gages, pratique avérée dans les duchés de Bar, de Berry, ou de Bourgogne pour le noyau dur de cette institution220. La composition du Conseil des ducs de Lorraine paraît donc largement aléatoire, soumise au bon vouloir du prince. Signe supplémentaire du faible degré d’institutionnalisation de la principauté. Les premières années du règne de Charles II sont celles de la plus grande visibilité du Conseil dans nos sources, qu’il s’agisse de sa composition ou de ses attributions. Au cours de l’assemblée du 15 septembre 1392, le duc et son Conseil rappellent ainsi que des « gens de forains » peuvent être autorisés à résider dans la ville de Rosières-aux-Salines … … porveu toutevoie que ce ne se faice mie contre lours droit signours, quar contre lours droiz signours nous ne nous dis officiers, ne aultres de part nous, ne peons ou debvons tel maniere de gens ne lour biens retenir, deffendre, rescoulre et reclamei par nostre dite ville ou chalciée de Rouziere en maniere que soit ; porveu ausi que se ne soient mie gens de serve condition et de poursuite, quar gens de serve condition et de poursuite ne peons nous ou debvons retenir, deffendre, rescoulre ou reclamer, en corps ne en biens, contre la volunté de lours droit signours ; porveu ausi que se ne soient mie gens de nous fiedz et arrierfiedz, ne de nous ancienne wardez heritablez, quar selonc la costume notoirement wardée en nostre dit duchié et paiix de Loherenne d’anciennetei, nous ne peons ou debvons retenir gens que soient de nous fiedz, de nous arrierfiedz, ou de nous anciennez wardez heritablez, en nostre dite ville ou chalciée de Rouziere, ne aultre part, contre la volunté de lours droit signours221.
Ces conditions fixent des limites très strictes au pouvoir ducal : il ne peut soustraire aucun homme, qu’il soit de condition serve ou libre, à l’autorité de son seigneur, que ce dernier soit ou non vassal du duc de Lorraine. Celui-ci déclare d’ailleurs vouloir « delaixier aux dis complendans [en l’occurrence, la noblesse ducale] on fait dessur nommei lours drois et raison entierement»222. Trois ans plus tard, en 1395, Gérard de Haraucourt, conseiller, s’adresse en ces termes au duc de Lorraine : tres redouté sire, vous saveis coment vous, un poc apres le trespassement de notre dit signour votre pere que Dieu pardone, pristes et encomencestes votre gouvernement pour gouverner vous, votre hostel et votre pais par le moien de votre conseil ; mais par especial il vous plut nous recommander votre petit sael pour etre plus continuellement devers vous et vous aidier a faire votre gouvernement et vos besongnes […]. Or rewardons nous maintenant que la merci, messire vous estes bien eagiéz et aveiz suffisant sens et
219 A.D.M.M. B 880, no 126. 220 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op. cit., p. 443. 221 A.D.M.M. B 880, no 126. 222 Ibid.
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entendement pour entendre dès ores en avant au gouvernement de votre dit pais et de vosdites besongnes, par la moien de votre conseil223…
Ces deux actes éclairent la nature et le rôle du Conseil ducal dans la principauté lorraine. Ils correspondent certes à une situation provisoire, au cours de laquelle un gouvernement collégial du duché a été mise en place pour palier l’inexpérience du nouveau duc à la mort de Jean Ier. C’est bien une sorte de régence qui prend fin en 1395, même si le terme n’est pas officiellement employé. Le duc gouverne néanmoins, après comme avant cette date, « par le moien » du Conseil, qui apparaît dès lors comme la clé de voûte des institutions lorraines. Il apparaît également comme une institution encore pleinement féodale, dans la mesure où il ne peut se réunir sans la présence du prince et ne se détache pas de sa personne, ni de son pouvoir, à la différence d’autres principautés comme la Flandre ou l’Anjou, où le Conseil assure la continuité du gouvernement en l’absence du prince224. Il apparaît au contraire toujours comme l’émanation de la curia féodale, dans sa composition comme dans ses prérogatives. Non contents d’assister le duc dans ses décisions, les conseillers, presque tous nobles, disent le droit, quitte à restreindre le pouvoir ducal, comme le montre « l’entrecours de la chaussée de Rosières ». Les ducs de Lorraine paraissent d’ailleurs fort bien s’accommoder d’une telle situation. Jamais, au cours de la période qui nous intéresse, ils ne cherchent à empiéter sur les privilèges de la chevalerie lorraine pour lui imposer leur souveraineté. Toujours en septembre 1392, le Conseil ducal décide de maintenir à la famille d’Amance les droits dont elle disposait sur des sujets du duché, malgré l’opposition du bailli et du procureur ducal225. Charles II se satisfait visiblement d’une situation qui le place au sommet de la pyramide féodo-vassalique, mais sans le distinguer radicalement des autres membres de la noblesse, au sein de laquelle il fait figure, en quelque sorte de primus inter pares. Cela ne signifie pas qu’il ne dispose d’aucun pouvoir réel. Mais il doit utiliser, pour s’imposer, les structures féodales qui constituent le socle de la culture politique du duché de Lorraine. La prééminence du langage féodal
C’est donc à travers le prisme féodal que les ducs de Lorraine, tout au long du xive siècle, envisagent non seulement l’exercice de leur pouvoir, mais aussi le devenir des territoires placés sous leur autorité. Ils ne considèrent pas en effet le duché comme une entité supérieure à eux, dont ils auraient provisoirement la charge, et qu’ils seraient chargés de préserver et de faire prospérer, mais comme un bien personnel et familial, dont ils peuvent jouir plus ou moins à leur guise. Cette
223 Acte cité par le R. P. B. Picart, L’origine de la très illustre maison de Lorraine, op. cit., p. 367-368. Une nouvelle fois, nous retrouvons dans cet acte la nomination précise des douze conseillers qui ont assisté à cette session. 224 R. Lacour, Le gouvernement de l’apanage du duc Jean de Berry (1360-1416), thèse de doctorat, Paris, 1934, p. 158-161. 225 BnF Col. Lor., no 80, f. 9.
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conception se révèle pleinement au travers de leurs testaments. Certes, ces actes sont par nature personnels et familiaux. Mais ceux des princes revêtent aussi une dimension politique. Celle-ci paraît pourtant étrangement absente du testament rédigé par Jean Ier en 1377226. Il y élit sépulture dans l’église collégiale Saint-Georges de Nancy et fait de nombreuses donations aux membres de son hôtel et aux établissements religieux du duché et des diocèses de Toul et Metz, toutes choses en phase avec les mentalités de l’époque et qui témoignent, nous le verrons, d’un réel souci de représentation princière227. Mais on n’y trouve aucune clause relative à la succession du duché ou à une éventuelle régence, pourtant envisageable car à cette date ses deux fils ne sont pas encore en âge de gouverner. Même un futur partage des possessions ducales entre ses deux héritiers n’est pas envisagé. Les règles coutumières de la transmission des biens au sein d’une famille noble lui paraissent sans doute suffisamment évidentes pour qu’il ne soit pas besoin de les préciser par écrit. Pendant tout le xive siècle, d’ailleurs, les questions de succession du duché se règlent dans le cadre familial. Le duc Raoul, à la veille de la bataille de Crécy, décide de confier la régence du duché, au cas où il viendrait à disparaître, à sa femme, Marie de Blois : Item, je veil que après mon décet, ma tres chiere et amé fame devant dite ait la membournie dou tout de Jehan nostre fil et de mon pays, jusques ad ce qu’il soit aagiés pour governer la duchié… et s’ensi qu’elle se mariat ou qu’elle se morut, ceu que Deux ne veille, je veil c’on en ordenoit selonc la fourme et la maniere qu’il est contenu en unes lettres saellées de mon grant seel228.
Cette disposition testamentaire confond, de manière révélatrice, deux charges de nature différente, à savoir la « mainbournie », c’est-à-dire la garde des enfants mineurs, et la régence, c’est-à-dire le gouvernement du duché. Or, par l’expression « membournie (…) de Jehan nostre fil et de mon pays », Raoul montre qu’il ne sépare pas les deux choses, et qu’il considère le duché comme sa propriété personnelle, dont héritera son fils après sa mort. Il lui semble donc tout naturel de confier la régence à sa femme, qui possède de droit, selon la coutume de Lorraine, la tutelle de son fils mineur tant qu’elle ne s’est pas remariée229. Lorsque cela se produit, en 1353, la tutelle de Jean lui échappe en même temps que la régence, et elle échoit au comte de Wurtemberg, qui est nommé « gouverneurs, mainbourg et tuteur de la duchié de Lorraine, pour cause du mariage de nostre cher et amé seigneur Jean duc de Lorraine et marchis, et de Sophie nostre fille230 ».
226 Wien, Österreichisches Staatsarchiv, Lothringische Urkunden, 1377 ; A.D.M.M. B 414, f. 227v-229v. 227 Voir chapitre 7 ci-dessous. 228 Wien, Österreichisches Staatsarchiv, Lothringische Urkunden, 25 août 1346. 229 M. Bubenicek, « Quand les testaments règlent les régences : les prises de pouvoir de Yolande de Flandre, comtesse de Bar, et de Marie de Blois, duchesse de Lorraine, au xive siècle », Lotharingia VII, Société Thierry Alix, Nancy, 1997, p. 59-67. 230 B.M. Nancy, Ms. 189, f. 41-43.
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Ce choix ne relève pas non plus du hasard, puisqu’Eberhard de Wurtemberg hérite, en tant que beau-père de Jean Ier, des deux charges, une nouvelle fois confondues, de tuteur du duc et de gouverneur du duché. À la fin du xive siècle, pourtant, les concepts impersonnels, de couronne et de corps mystique du roi, tendent à définir le Royaume de France comme un État dont le souverain n’est plus le propriétaire, mais le gérant provisoire ; à l’échelon inférieur, le rituel des funérailles princières affirme, par le biais de l’effigie, la notion de continuité de l’État, indépendamment de la personne physique qui l’incarne231. Mais cette dissociation entre la personne du prince et la fonction qu’il exerce n’a pas encore cours dans le duché de Lorraine à cette époque. Brocard de Fénétrange, un grand baron lorrain, porte certes le titre de « gouvernour de la duchié de Loherainne232 » de 1357 à 1360, mais au nom du comte de Wurtemberg, qui conserve la « mainbournie » du jeune duc jusqu’à sa majorité. Le langage que la noblesse lorraine utilise pour s’adresser aux ducs est également marqué du sceau de la féodalité. Les vassaux ducaux s’adressent à lui comme à un seigneur suzerain, utilisant l’expression « mon très redoubtei seignour233 ». Les autres nobles lorrains, qui ne prêtent pas hommage au duc, le qualifient en revanche de « hault et puissant prince234 ». L’absence d’article possessif témoigne alors du fait qu’ils ne se considèrent pas comme assujettis à sa personne. Dans le duché de Lorraine, seuls les bourgeois, qui ne peuvent entrer dans la vassalité d’un prince, sont des sujets ; les nobles, eux, ne sont que des fidèles. Dans sa culture politique comme dans son armature institutionnelle, le duché de Lorraine se rapproche davantage de l’Empire que du Royaume. En France, à la fin du xive siècle, les liens de fidélité et de dépendance conservent toute leur force et leur importance, mais ils sont, de plus en plus souvent, doublés par d’autres structures qui mettent directement la noblesse en relation avec le prince. Sous couvert de maintenir les traditions féodales et d’affirmer la position prééminente de la noblesse, les ordres de chevalerie permettent par exemple de la rassembler autour de la personne du prince et donc de la contrôler beaucoup plus efficacement235. Dans l’Empire au contraire, et notamment dans cette partie centro-méridionale de l’Allemagne qui possède de nombreux points communs avec le duché de Lorraine, les sociétés de noblesse prennent un autre visage. À l’image du Kraichgau, dans le Palatinat, les nobles se regroupent de façon totalement libre et constituent des associations, des
231 J. Krynen, L’Empire du roi. Idées et croyances politiques en France, xiiie-xve siècles, Gallimard, Paris, 1993 ; M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2005. 232 A.N. KK 1127, layette traités no 3, no 93. 233 Ainsi Jacques d’Ancelles, en 1391 (A.D.M.M. B 810, no 21) ou Jean Wisse de Gervéviller, en 1397 (A.D. Mos. H 2456). 234 Ainsi Henri de Beauffremont, Didier de Rambervillers (BnF Col. Lor., no 81, f. 405) et Bullin de Seroncourt (BnF Col. Lor., no 4, f. 40), en 1384. 235 Citons par exemple l’étude sur la Toison d’Or, dans le duché de Bourgogne. G. Melville, « Rituelle Ostentation und pragmatische Inquisition : zur Institutionalität des Ordens vom Goldenen Vliess », in Im Spannungsfeld von Recht und Ritual : soziale Kommunikation in Mittelalter und früher Neuzeit, Böhlau, 1997, p. 215-271.
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alliances ou des ligues destinées à renforcer leur cohésion face au pouvoir princier236. Ces sociétés de noblesse se structurent de manière rigoureusement inverse aux ordres de chevalerie du Royaume. Les seconds s’organisent de manière verticale : dirigés par le prince, ils respectent scrupuleusement la hiérarchie interne du monde nobiliaire. Les premières, au contraire, ont un mode d’organisation horizontal : elles gomment d’éventuelles différences de titre entre leurs membres et les placent sur un pied d’égalité. Ainsi, tout en protestant de leur fidélité envers l’Électeur palatin, les nobles du Kraichgau, rassemblés au sein de la « société à l’Âne », refusent de le reconnaître comme Landesherr, c’est-à-dire comme seigneur territorial, et de se considérer comme ses sujets. Tout comme les vassaux du duché de Lorraine, ils ne s’adressent à lui que comme seigneur féodal ou Dienstherr237. Il ne s’agit pas là d’un archaïsme destiné à disparaître progressivement, mais d’une évolution originale, différente de celle de la France. Deux des principales sociétés de noblesse de ces régions en effet, les Fürspänger et la « société à l’Âne », sont fondées respectivement en 1392 et en 1398, soit très exactement au moment où, dans le duché de Lorraine, se produit une réaction seigneuriale qui bloque l’accès des roturiers aux postes les plus importants de l’administration et de l’Hôtel238. Du point de vue de la culture politique, c’est donc la frontière étatique qui est opératoire et non la frontière linguistique : les conceptions des communautés welsches d’Empire, francophones, ne diffèrent pas de celles de leurs voisines germanophones239. Dès lors, les princes n’ont d’autre choix que d’utiliser à leur profit les ressources offertes par le droit féodal pour s’imposer à leur noblesse et renforcer la cohésion de leur principauté. En Palatinat, comme en Lorraine, ils ne se privent pas de le faire. *** Le duché de Lorraine à la fin du xive siècle possède des traits caractéristiques d’une principauté welsche240, c’est-à-dire d’un territoire francophone inclus dans les limites de l’Empire. Welsche, la Lorraine ducale l’est avant tout sur le plan linguistique. Les familles germanophones sont peu présentes à la cour de Nancy ; les raisons en sont à la fois historiques, sociologiques et culturelles. Cette situation fait courir le risque d’une fracture au sein de la société politique lorraine, que seuls peuvent combler les ducs et quelques serviteurs également bilingues, souvent implantés de part et d’autre de la frontière linguistique. Politiquement en revanche, le duché de Lorraine est une principauté impériale et féodale. Cela ressort du langage utilisé par la noblesse comme par les ducs, des ressources dont ils disposent et de leur propre conception de l’exercice du pouvoir. La Lorraine ducale reste à l’écart de la genèse de l’État moderne en cours dans le royaume de France et présente au contraire
236 A. Ranft, Adelsgesellschaften, Gruppenbildung und Genossenschaft im spätmittelalterlichen Reich, Thorbecke, Sigmaringen, 1994. 237 H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate, op. cit., p. 169-174. 238 A. Ranft, Adelsgesellschaften, op. cit. 239 J.-M. Moeglin, L’Empire et le Royaume, op. cit., p. 191-195 : il convient de nuancer, sur ce point, l’idée d’une identité spécifique des populations welsches au sein de l’Empire. 240 Sur la question de l’identité welsche, cf. J.-M. Moeglin, L’Empire et le Royaume, op. cit., p. 191-195.
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des similitudes avec d’autres territoires d’Empire, notamment le Palatinat : son administration centrale, peu efficace, conserve un aspect embryonnaire et informel. Un tel duché devait paraître bien étrange au procureur du Parlement de Paris, d’où le mépris dont il fait preuve dans sa plaidoirie. Certes, l’armée ducale dépasse rarement 300 hommes d’armes, quantité négligeable à l’aune des grandes batailles de la guerre de Cent ans. Mais si Jean Ier ou Charles II ne soutiennent pas la comparaison avec les grands souverains d’Europe occidentale, ils peuvent toutefois compter sur leur réseau vassalique, direct et indirect. Cela suffit-il pour se faire respecter, si ce n’est dans le Royaume, du moins par ses voisins ?
Les institutions Vu de France et par Jean Jouvenel des Ursins, les « trois cens hommes d’armes » que le duc de Lorraine peine à rassembler autour de lui font pâle figure et semblent révéler la faiblesse de la principauté ducale241. Encore faut-il vérifier la véracité d’un tel jugement en centrant le regard sur le duché lui-même et sur son organisation. Comment les ducs gouvernent-ils leur principauté ? De quelles institutions disposent-ils ? Sur quels types de services peuvent-ils compter et de la part de qui ? Répondre à de telles questions ne peut se faire que par le biais d’une étude sur la longue durée, afin de contourner l’obstacle des lacunes de la documentation. Prendre en compte, outre la première décennie du règne de Charles II, celui de son père Jean Ier, permet d’accumuler des données suffisamment nombreuses pour que se dégagent quelques lignes de force. La nature du pouvoir ducal Le duc, un avoué
La fonction d’avoué désigne le duc comme protecteur officiel des établissements religieux du massif vosgien, qui lui accordent en échange un certain nombre de droits et/ou de revenus. Toutefois, entre devoir de protection et tentation d’empiéter sur les privilèges des communautés, la limite est toujours extrêmement ténue et l’avouerie source de bien des débats et conflits. Abbayes et chapitres s’efforcent ainsi de restreindre le plus possible les droits du duc sur leur temporel ; ils réaffirment également leurs privilèges, chaque fois qu’ils le jugent nécessaire, les couchent par écrit dans des recueils, à l’image de l’extrait ci-dessous, émanant du chapitre de Saint-Dié : Le chapitre, seigneur haut justicier, moyen et bas dans la ville, ban et finage de St Dié […] est en possession de punir ses vassaux délinquants […] ; crée le maire, […] connaît des crimes, a le droit de confiscation et d’épaves mobilières et immobilières […] et les amendes arbitraires, au-dessus de 60 sols ; […] ; son mayeur, lorsque les procès sont en état, crée un échevin qui collige les voix des sujets et prononce leur semblant dont le chapitre est
241 A.N. J. 681, no 48.
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réformateur en dernier ressort […] ; à eux [les chanoines] appartiennent les murs, les fossés et les barbacanes de la ville [de Saint-Dié] […] – A St Dié le duc a notamment la moitié de la Grande Rue, […] ; son prévôt connaît des actions personnelles où ses sujets sont défendeurs et des réelles concernant les biens dépendant de son domaine. Tous les moulins […] sont au chapitre et sont banaux. […] – Les sujets de la mairie de St Dié doivent une taille annuelle242…
Quant aux droits du prieuré du val de Liepvre, ils sont récapitulés d’une manière plus succincte, mais à peu près identique : Premierement, le prieur a la justice haulte, basse, et moyenne. […] et quant aucunes amendes se font monseigneur de Lorraine en doit avoir la tierce partie, et le prieur les deux pars […]. Item le prieur a telles franchises que nul ne doit chasser ès bois de la valée du Lyepvre, ne de Saint Ypolite, se ce n’est par son congié. Et quand monseigneur de Lorraine et le prieur veullent chasser ensemble, les bons hommes du Lyepvre, de Sainte Marie, et de Sainte Croix doivent faire la haye pour chasser. Item le prieur a telles franchises en toute la terre Saint Denys que nul ne doit ne peult ediffier maison ne chastel, se ce n’est par son congier243.
Chacun de ces deux recueils insiste d’abord sur les droits de justice dont disposent ces établissements religieux. Leur souci premier semble de les maintenir dans leur intégrité absolue et de ne permettre au duc de Lorraine aucun empiétement sur ce plan. De façon révélatrice, les deux textes commencent par affirmer que les seigneurs ecclésiastiques possèdent la haute, moyenne et basse justice, ce qui est une façon de revendiquer une forme de souveraineté et d’indépendance à l’égard de la tutelle ducale. L’ordre dans lequel sont énumérés les droits du chapitre et du prieuré traduit bien également la hiérarchie des préoccupations de ces églises : d’abord, l’affirmation du pouvoir judiciaire ; puis l’assise territoriale de ce pouvoir, notamment dans la ville de Saint-Dié ; les droits de nature économique (moulins, fours, droits forestiers) et fiscale (taille) ne viennent que dans un troisième temps. De façon générale, le chapitre et le prieuré s’efforcent de limiter au maximum les droits du prince qui, notamment à Saint-Dié, paraissent bien faibles et se limitent, pour l’essentiel, à la présence d’un prévôt ducal dans la ville, chargé d’en assurer la défense et de veiller au respect des droits de son seigneur. Cette remarque peut s’étendre à l’ensemble des abbayes vosgiennes. Encore la présence d’un officier du prince n’est-elle pas admise par toutes : la plus puissante d’entre elles, l’abbaye de Remiremont, est parvenue à exclure la présence ducale du bourg qui entoure l’abbaye. Face à une telle situation, il paraît logique que les ducs aient cherché à étendre leurs droits d’avoués au-delà des limites qui leur avaient été fixées. Les conflits provoqués par de telles tentatives d’empiétements sont innombrables. Bien plus qu’en termes d’oppression des monastères par un pouvoir ducal omniprésent, 242 A.D.V. G 233 : sans date, f. 1-5. 243 A.D.M.M. G 393.
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il faut les analyser en termes de concurrence entre deux pouvoirs aux objectifs incompatibles : les abbayes vosgiennes visaient manifestement à la création de véritables principautés ecclésiastiques, ce que le duc ne pouvait admettre, sous peine de voir son pouvoir et son prestige dans la région réduits à néant244. Il concentra donc l’essentiel de ses attaques sur la plus puissante d’entre elles, le monastère de Remiremont. À la fin du règne de Ferry III (1251-1303), au terme d’un demi-siècle de luttes et de procès, les rapports entre le duc et l’abbaye se trouvaient définis pour les deux siècles suivants, par le biais du traité dit de « l’Échappe-Noise245 ». Le duc renonçait à un certain nombre de revendications : il s’interdisait de prélever des biens ou des revenus sur les hommes du chapitre, sur les prébendes des chanoinesses ou sur la mense abbatiale, de construire des étangs ou des forteresses sur les terres du monastère, d’empiéter sur les droits judiciaires du monastère, de retenir les hommes du chapitre sur ses terres ou de leur imposer des gabelles et des corvées. Juridiquement, la communauté monastique sortait victorieuse de l’affrontement, car le duc promettait que lui et ses successeurs réitéreraient régulièrement le serment de respecter ses privilèges. Mais il conservait ses châteaux de Bruyères et d’Arches qui lui permettaient de la surveiller246, ainsi qu’une partie des avantages acquis par la force : les droits de pâture, de chasse et d’affouage dans les bois des Vosges étaient désormais détenus communément avec le chapitre et tous les revenus afférents partagés de manière égale ; les forestiers étaient également nommés d’un commun accord et un certain nombre de personnes étaient placées sous la souveraineté conjointe du prince et de l’abbaye247. Dans les faits, les ducs étaient parvenus à leurs fins : éviter la création d’une seigneurie ecclésiastique indépendante, sur laquelle ils ne disposeraient que d’un droit de regard théorique, pour établir une sorte de pariage, plaçant certaines parties au moins du temporel de l’abbaye sous une domination commune. La situation restait potentiellement conflictuelle, mais durant la période qui nous concerne, les compromis l’emportent largement et les querelles entre le duc et le chapitre n’atteignent pas l’intensité qu’elles avaient eue au cours des siècles précédents248. Un modus vivendi de même nature se met en place avec les autres abbayes vosgiennes au cours du xive siècle : en 1364, le duc Jean Ier, sous le poids de lourdes charges financières, obtient du chapitre l’autorisation de mettre à contribution la ville de Saint-Dié, à condition de faire lever les subsides par deux personnes, dont une nommée par le chapitre qui bénéficiera du tiers des 244 J. Schneider, « Le duc de Lorraine et l’abbaye de Remiremont », in M. Parisse (éd.), Remiremont, l’abbaye et la ville, op. cit., p. 163-179. 245 BnF nouv. acq. lat. 2530, no 54, en date du 18 juillet 1295. Il en existe également plusieurs copies (A.D.V. G 869, no 38). Nous en reprenons ici les dispositions principales. 246 Voir la carte no 4. 247 A.D.M.M. B 876, n°s 94 et 95. Le 3 janvier 1396, Jeanne d’Aigremont, abbesse de Remiremont, annonce à Charles II qu’elle a confié la charge de forestier des bois des Vosges à Érard, jadis sénéchal de Remiremont, nomination que le duc accepte et confirme le 17 janvier suivant. À la mort de ce dernier en 1397, l’office est transmis, de façon semblable, à Perrin de Bellevent (A.D.M.M. B 575, no 188). 248 A.D.M.M. B 876, no 93. Le 3 août 1393 par exemple, le bailli des Vosges et le représentant des dames de Remiremont règlent à l’amiable un litige sur l’utilisation des bois.
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sommes versées249. La répartition des revenus n’est pas toujours aussi favorable aux ducs, mais l’important pour eux est d’assurer leur présence au sein même du temporel des communautés religieuses. Aux yeux des ducs de Lorraine, l’abbaye de Remiremont revêt une importance toute particulière, beaucoup plus grande que celle des autres établissements religieux du massif vosgien. L’enjeu, pour le pouvoir ducal, dépasse largement celui de l’assise territoriale et des revenus qu’il peut tirer de sa fonction d’avoué. À la différence de celle de Saint-Dié, ou du val de Liepvre, l’avouerie de Remiremont est incluse dans la relation féodale entre le duc de Lorraine et l’empereur, donc inhérente à la fonction ducale. Elle arrive pour la première fois dans le patrimoine de la maison d’Alsace en 984, attribuée en fief par Otton III et, lorsque Gérard d’Alsace parvient à la tête du duché en 1048, elle apparaît comme intimement liée à l’exercice du pouvoir ducal250. Si bien qu’à la fin du xive siècle la cérémonie d’entrée des ducs de Lorraine à Remiremont, effectuée généralement dans les premières années du règne, constitue l’une des étapes obligées de la prise de pouvoir d’un nouveau duc251. C’est l’aspect qu’elle prend en tout cas pour le duc Charles II le 5 novembre 1392 : Charles, duc de Lohorenne et marchis, vint de prime face a Remiremont, […] et trouvait iqui nobles et religiouses dames […] lequel monsignour le duc, […] pour panre et avoir la garde, reconnaissance a lui par le roy des Romains, de l’englise, de la terre et de la ville du dit Remiremont […], estant en sa propre personne en la dite ville de Remiremont, c’est assavoir on leu que on dit à la pierre franche, […] fit sairement […] que il seroit fiaubles au monastere et a l’englise de Remiremont, et a toutes personnes dédiées en ycelle, et que il tanroit fermes et estaubles, et feroit tenir par ses subgeis toutes donnations, signories, liberteis et franchises de ladite esglise de la ville de Remiremont. […] Et cest present serment ensi fait, le dit monsseigneur le duc estant a l’entrée de la grant porte de lenglise, fit le second sairement en semblant meniere. Et puis apres, tiercement le dit monsseigneur le duc fit le tier sairement sur le grant aultey monsseigneur sainct Pierre de la dite englise252…
Les ducs de Lorraine prêtent donc à trois reprises le serment de maintenir l’abbaye de Remiremont dans l’intégralité de ses privilèges : une première fois devant la Franche-Pierre, c’est-à-dire envers l’ensemble des habitants dépendant de l’abbaye, une seconde fois devant l’église, soit envers la communauté monastique elle-même, et une troisième fois sur l’autel, soit envers les saints patrons de l’abbaye, véritables possesseurs des biens monastiques. Plus qu’une simple déférence envers le monastère, le rituel marque la reconnaissance de son autonomie. Mieux, l’abbesse de Remiremont peut interdire au duc l’entrée dans la ville s’il s’est auparavant rendu
249 A.D.V. G 672, no 2. 250 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 120-121. 251 B. Puton, « Entrées et serments des ducs de Lorraine à Remiremont », Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, 1888-1889, p. 24-25. Les ducs de Lorraine promettent également aux autres institutions religieuses le maintien de leurs privilèges, ainsi, Jean Ier pour Étival le 21 juillet 1362 (A.D.V. 17 H 6). Mais cela ne prend jamais un aspect aussi systématique ni aussi solennel qu’à Remiremont, preuve du rôle spécifique de cette abbaye au sein du duché de Lorraine. 252 A.D.M.M. B 876, no 90.
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coupable d’une violation de ses privilèges sans en avoir fait réparation253. Tout comme le traité de l’Échappe-Noise conclu à la fin du xiiie siècle, cette cérémonie nie aux ducs de Lorraine toute forme de souveraineté sur le territoire romarimontain. Elle n’en est pas moins essentielle pour eux, en ce qu’elle les intronise pleinement dans leur fonction d’avoués, sans laquelle le pouvoir ducal perd une grande partie de sa force symbolique. Ce n’est qu’en tant que protecteurs de cette abbaye qu’ils parviennent en effet à la pleine légitimité, aux yeux de l’Église bien évidemment, aux yeux de l’empereur qui les investit de cette charge, mais aussi aux yeux de la noblesse de la région dont les filles peuplent les diverses prébendes du monastère254. Enfin, l’abbesse de Remiremont a rang de prince d’Empire255, ce qui ne fait que rehausser le prestige de son protecteur. On le voit, la force essentielle du pouvoir ducal tient sans doute tout autant dans l’honneur que lui confèrent son titre et sa fonction que dans l’étendue des biens dont il peut disposer. En témoignent également la titulature des ducs de Lorraine, ainsi que l’hommage qu’ils prêtent à l’empereur. Duc de Lorraine et marquis
Telle est la titulature de Jean Ier et de Charles II et celle de tous leurs prédécesseurs depuis le xie siècle. Elle aide à comprendre pourquoi la délimitation du territoire sur lequel s’exerce le pouvoir ducal demeure par endroits si floue. Marquis, le duc de Lorraine exerce son autorité sur une marche, c’est-à-dire sur une zone de confins, aux contours mal définis. Plus qu’un territoire, ce titre détermine d’abord une fonction, dont l’hommage prêté à l’empereur précise la nature en même temps qu’il en constitue l’acte d’investiture. Certes – nous y reviendrons – à partir de 1361, les ducs de Lorraine ne reprennent plus de l’empereur ni leur duché, ni leur titre de marquis256. Mais ils demeurent vassaux de l’Empire pour un certain nombre de droits afférents à leur charge, énumérés dans l’acte d’hommage de Jean Ier en 1361 comme dans celui de Charles II le 9 mars 1398257.
253 B. Puton, art. cit., p. 18-19 : l’abbesse de Remiremont usa par exemple de ce droit à l’encontre du duc Raoul, en 1343. 254 M.-O. Boulard, « Les chanoinesses de Remiremont, du xive siècle au début du xviie siècle », in M. Parisse (éd.), Remiremont, l’abbaye et la ville, op. cit., p. 61-69. Toute fille désirant entrer à Remiremont doit à cette époque faire la preuve de quatre quartiers de noblesse. Les trois quarts des chanoinesses sont d’origine comtoise ou lorraine. 255 M. Parisse, La noblesse lorraine, op. cit., p. 729. 256 Voir ci-dessous chapitre 3. 257 A.D.M.M. B 405, f. 51-52. Copie de l’époque moderne traduite par nos soins : « Wenceslas, par la grâce de Dieu roi des Romains, Auguste, et roi de Bohême, faisons savoir à tous […] que notre cher cousin Charles, duc de Lorraine, s’est présenté devant notre majesté et nous a exposé les droits dont ses prédécesseurs ducs de Lorraine ont toujours joui, que lui-même tient de nous en fief, et que ses prédécesseurs ont détenu, selon la coutume. Le duc lui-même nous a expliqué que ces droits consistaient dans l’avouerie de la cité de Toul, dans l’avouerie du monastère de Remiremont au diocèse de Toul […], dans le conduit des chemins par terre et par eau, dans la ville d’Yve, avec sa monnaie. Le duc a également prétendu que quiconque voulait se battre en duel entre la Meuse et le Rhin devait le faire en sa présence ».
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À défaut de lui attribuer un territoire, l’investiture impériale accorde au duc de Lorraine une série de privilèges, dont l’avouerie du monastère de Remiremont. Celle de la ville de Toul lui procure à bon compte un revenu régulier258. Le droit de battre monnaie l’investit d’un droit régalien. Jean Ier porte d’ailleurs un intérêt beaucoup plus marqué que ses prédécesseurs à la qualité de frappe de sa monnaie. Le module des pièces s’élargit ; la légende se développe, insiste de plus en plus sur la dignité marquisale du duc ; enfin, un aigle vient surmonter le heaume ducal. La monnaie lorraine constitue donc, outre une source de revenus non négligeable, un instrument de prestige politique permettant aux ducs d’affirmer leur puissance et de tenir leur rang259. Enfin, la juridiction des chemins et des cours d’eau, la surveillance des duels et la seigneurie sur les enfants bâtards des clercs lui permettent d’intervenir un peu partout entre Meuse et Rhin, au-delà de ses simples possessions domaniales et féodales. On comprend pourquoi les ducs de Lorraine remplissent aussi scrupuleusement les devoirs qui leur incombent à cet égard. Ainsi, Jean Ier préside aux duels judiciaires opposant des nobles du Hainaut à deux reprises, en 1386 et 1387. Lors de la première confrontation, entre les sires de Chin et de Cavrines, le duc parvient à empêcher l’effusion de sang. Mais dans la seconde, l’ordalie se termine par la mort de Bernard de Saint-Ouen et la confiscation de ses biens. L’ampleur des préparatifs mis en œuvre par Jean Ier à cette occasion témoigne de l’importance qu’il accorde au titre de marquis, qui lui permet d’afficher une prééminence symbolique sur les autres princes de son rang dans les pays d’Entre-Deux. L’exercice de ces prérogatives revêt un enjeu d’autant plus considérable que d’autres les revendiquent également260 ; le duc accède ainsi à un rayonnement auquel il ne pourrait prétendre au vu de la relative fragilité de l’assise territoriale du duché de Lorraine. À l’origine en effet, le duc n’était qu’un représentant de l’empereur en Lorraine, chargé d’exercer le pouvoir en son nom ; la construction du territoire ne s’est faite que très progressivement, au fur et à mesure que se relâchait le lien personnel entre les empereurs et les ducs261. À la fin du Moyen Âge, le pouvoir ducal conserve encore la trace de cette fonction originelle, qui le différencie nettement des princes du royaume de France voisin. Pour bien mesurer la puissance effective du duc de Lorraine, il ne suffit donc pas de prendre uniquement en compte l’étendue de ses possessions.
258 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 34. L’orthographe Tholeia utilisée dans le texte latin peut faire penser à l’abbaye de Tholey, en Allemagne. Mais dans ce cas, l’expression civitatis Tholeia ne se justifie pas, car il n’existe aucune ville autour de l’abbaye. De plus, l’hommage de Jean Ier en 1361 mentionne la ville de Toul, en Lorraine, et non pas l’abbaye de Tholey (BnF Ms. fr. 11823, f. 9). Le changement de Toul en Tholey a sans doute été volontairement opéré par l’auteur de la copie, pour faire remonter l’avouerie du monastère de Tholey, obtenue par les ducs de Lorraine au xvie siècle, à une époque bien plus ancienne. 259 D. Flon, Histoire monétaire de la Lorraine et des Trois-Évêchés, 3 vol., Nancy, 2002, et J.-L. Fray, Nancyle-Duc, op. cit., p. 132. 260 J.-L. Fray, op. cit., p. 167-168 et BnF, Ms. fr. 11602 ; F. Brassart et Chastel de la Howarderie (éd.), Relation du champ clos de Nancy le 11 septembre 1386, f. 74v-75. Le manuscrit semble indiquer que le rôle de juge aurait aussi pu être confié au duc de Bar. Juridiquement, c’est toutefois au duc de Lorraine que la fonction est inféodée. 261 M. Parisse, La noblesse lorraine, op. cit., p. 673-753.
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En somme, la Lorraine ducale présente à la fin du xive siècle des spécificités qui la rapprochent davantage des principautés d’Empire que de celles du Royaume. L’absence de frontières nettement délimitées, l’existence de coseigneuries, le rôle de l’avouerie et l’exiguïté relative du domaine ducal sont autant de traits qui peuvent apparaître comme des sources de faiblesse, de fragilité au moins. Mais le titre ducal et l’investiture impériale confèrent aux ducs une dignité supérieure à celle de bon nombre de leurs voisins. Le gouvernement du duché Le retard institutionnel
La documentation fourmille d’informations concernant l’appareil administratif du duché de Lorraine, ses principaux offices et leurs détenteurs. Mais, tout autant que l’abondance des données, le silence des sources, dans certains domaines, s’avère riche d’enseignements. Une première liste d’offices et d’institutions peut être établie à partir des quelques ordonnances ducales parvenues jusqu’à nous. À la fin de ces textes en effet, le duc énumère les principaux officiers chargés de leur application : Sy mandons et commandons a tous noz baillifz, chastellains, recepveurs, prevostz, maiours, charriers, braconniers, doyens, sergens et autres officiers presens et advenir, qu’ilz veullent tenir et garder fermement et estaublement nostre presente aggreation262.
À travers cette liste, c’est une bonne partie de l’administration locale du duché de Lorraine et de sa hiérarchie qui est mise en évidence. À sa tête se trouvent les baillis, dont nous avons déjà pu mesurer l’importance. Faute de sources comptables, il s’avère parfois difficile de cerner leurs attributions ; comme en Barrois cependant, ils s’occupent pour l’essentiel de la justice et de l’armée263. Les receveurs exercent également leur charge sur toute l’étendue d’un bailliage et centralisent les recettes ducales à Nancy, Mirecourt, ou Vaudrevange264. Châtelains et prévôts opèrent à un niveau administratif inférieur et, nous l’avons vu, leurs fonctions ne sont pas toujours parfaitement différenciées ; les « maiours », ou maires, représentent et administrent les communautés villageoises, ils tiennent généralement leur charge à ferme de l’administration ducale265. Enfin, les offices mentionnés à la fin de cette liste sont ceux de simples exécutants, qu’ils soient mis à disposition des baillis et des prévôts, comme les sergents, ou qu’ils remplissent des missions plus spécifiques, comme les charriers et les braconniers266.
262 La formule revient à pluieurs reprises, à l’identique (A.D.M.M. H 3049 ; A.D.M.M. B 704, no 3) ou parfois simplifiée (B.M. Nancy, Ms. no 189, f. 53-56). 263 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op.cit, p. 184-185. 264 BnF, Col. Lor., no 81, f. 24 et BnF Col. Lor. no 85, f. 44. 265 A.D.M.M. B 7232, B 7233, B 7234, et B 1919 et 1920. 266 J.-L. Fray, Nancy le Duc, op. cit., p. 129-131 et H. Lepage, « Les offices des duchés de Lorraine et de Bar et la maison des ducs de Lorraine », MSAL, 1869, p. 317.
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Élargissons la recherche au-delà du cadre très restreint des ordonnances ducales : d’autres offices font alors leur apparition. Les gruyers prennent en charge la gestion des forêts domaniales ; des gouverneurs sont également chargés de surveiller la bonne marche des salines ducales. Étant donnée la place que tiennent les salines et les forêts dans les revenus ducaux, de telles fonctions revêtent une importance toute particulière. Enfin, dans chaque prévôté, des cellériers stockent les redevances en nature des sujets des ducs de Lorraine, tandis que les prévôts récoltent leurs redevances en argent, avant de les reverser aux receveurs de bailliage267. Ce rapide survol de l’administration locale du duché ne présente pas, semblet-il, de carence particulière. Les circonscriptions administratives sont certes moins nombreuses que dans le Barrois voisin, qui compte 4 bailliages et 27 prévôtés. La mise en place des circonscriptions lorraines, remontant aux années 1240-1250, accuse également un retard d’une quarantaine d’années sur cette principauté. Enfin, la gestion dissociée des recettes en argent et en nature ne facilite pas la vision globale des revenus ducaux268. Rien toutefois qui empêche un gouvernement et un contrôle efficace des populations par les ducs de Lorraine, à condition que ces structures soient coiffées par une administration centrale suffisamment développée. Or, c’est à ce niveau que réside la faiblesse du duché. Aucune Chambre des comptes n’existe à la fin du xive siècle. On sait pourtant le rôle fondamental que joue une telle institution dans le Royaume et les États princiers français à cette époque269. Plus étonnante encore est la quasi-absence de comptes conservés par les archives ducales avant 1419. Cela ne peut tenir aux aléas de la conservation des archives lorraines : seuls cinq actes mentionnent la tenue de comptes par les fonctionnaires ducaux avant 1400270. Cela témoigne de pratiques financières encore rudimentaires. Les autres constatations vont dans le même sens. Un seul acte mentionne la garde du petit sceau ducal par trois membres de la noblesse lorraine dans les premières années du règne de Charles II271 ; quant à l’office de Chancelier, gardien du grand sceau ducal, il n’existe pas. Les mentions de l’Hôtel du duc de Lorraine sont tout aussi rares. Le testament du duc Jean Ier attribue globalement la somme de 200 florins d’or « a ma mesnie de mon hostel (…) a ordonneir et distribuer pour chacun endroit soy tel portion272 » ; seul un maître d’Hôtel apparaît de temps à autres dans l’entourage ducal273 ; or, à la fin du Moyen Âge, l’Hôtel peut être considéré comme « un organe non seulement
267 B.M. Nancy, Ms. no 237, f. 45-48 (gouverneurs des salines et gruyers) ; A.D.M.M. B 704, no 3 (cellériers). 268 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op. cit., p. 118 et 184. 269 La France des principautés : les Chambres des comptes aux xive et xve siècles, Paris, 1996, 310 p. 270 B.M. Nancy, Ms. no 237, f. 45-48 ; A.D.V. XXII H 5 ; BnF Col. Lor., no 4, f. 38 ; A.D.M.M. B 834, no 157 et A.D.M.M. G 376. 271 R. P. B. Picart, L’origine de la très illustre maison de Lorraine, avec un abrégé de l’histoire de ses princes, Toul, 1704, p. 367-368. 272 A.D.M.M. B 414, f. 227v-229v. 273 A.D.M.M. B 601, no 19.
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domestique mais également politique274 ». Aucune assemblée d’États associant les représentants de la principauté – vassaux, ecclésiastiques, bonnes villes – aux décisions du prince ne se tient dans le duché de Lorraine au cours du xive siècle275. Certaines pièces maîtresses d’un gouvernement central font donc défaut, à l’exception du Conseil ducal, sur lequel nous reviendrons. Le maréchal et le sénéchal sont eux aussi très présents et jouent un grand rôle politique. On les voit remplir des missions diplomatiques au moment de la guerre des salines contre l’évêque de Metz en 1379, rendre la justice au nom du duc et témoigner de leur présence lors de l’entrée solennelle du duc Charles II à Remiremont le 5 novembre 1392, ou lors de la prestation d’hommage de l’abbé de Saint-Martin de Metz à ce même duc, le 26 août 1399276. Au final toutefois, l’administration centrale du duché de Lorraine ne répond pas aux critères de définition de l’État moderne277. Il semble bien que, dans le duché, la curia n’ait pas donné naissance à ces « organes de gouvernement spécialisés » et que le pouvoir ducal repose par conséquent sur une base largement féodale. Un indice supplémentaire réside dans les deux offices de sénéchal et de maréchal, les plus anciens des cours princières de la fin du Moyen Âge278, dont les détenteurs tiennent en Lorraine une place centrale dans l’administration ducale. Les institutions administratives centrales du duché de Lorraine manquent donc de visibilité. Faut-il s’en tenir toutefois à un constat purement négatif ? Pour ne prendre que ce seul exemple, il existe nécessairement, dans l’entourage ducal, une ou plusieurs personnes qui se chargent du travail de rédaction et de mise en forme des actes ducaux, sans qu’aucun d’entre eux ne reçoive pour autant le titre de Chancelier. L’absence d’un tel personnage officiel nous autorise-t-il à conclure que l’institution Chancellerie n’existe pas en Lorraine ? Replaçons la question dans la perspective de la phrase du sociologue Karl Acham, « nous sommes toujours en institutions279 ». Le terme doit être pris dans une acception assez large et le concept étendu au-delà des structures officielles, aux règles fixes, définies par des textes écrits et connus de tous, ce que l’historien Gert Melville appelle les « associations organisées ». Il englobe alors l’ensemble des « structures normatives de comportement », « visant au fonctionnement ou à la reproduction de cette société, résultant d’une volonté originelle et d’une adhésion, au moins tacite, à sa légitimité supposée280 ». Le processus d’institutionnalisation, ou de création, d’une institution 274 É. Gonzalez, Un prince en son Hôtel. Les serviteurs du duc d’Orléans au xve siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, 396 p., p. 46. 275 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar jusqu’à la majorité de Charles III (1559), Paris, Picard, 1904, 477 p. 276 A.D.M.M. H 3000 et B 880, no 126 ; A.D.M.M. B 876, no 90 ; A.D.M.M. B 379, no 10. 277 J.-M. Matz et E. Verry (éd.), Le roi René dans tous ses États, Éditions du Patrimoine, Paris, 2009, p. 131. 278 C. Gauvard, A. De Libera, M. Zink, Dictionnaire du Moyen Âge, P.U.F., Paris, 2002, p. 1319. 279 La formule est reprise d’un article de G. Melville, « Institutionen als geschichtswissenschaftliches Thema : eine Einleitung », Institutionen und Geschichte : theoretische Aspekte und mittelalterliche Befunde, Böhlau, 1992, p. 1-24. 280 Ibid., et P. Bonte et M. Izard (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, P.U.F., 1991, p. 378.
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ne consisterait donc pas dans le passage du non-institutionnel à l’institutionnel, mais dans celui d’une forme institutionnelle à une autre, plus élaborée, en un mot dans le renforcement de l’institutionnalité. Dès lors, peut-être convient-il de se demander non pas pourquoi il n’existe pas d’institutions administratives centralisées dans le duché de Lorraine, mais quelles formes particulières, encore peu organisées, prennent ces dernières. Revenons à notre exemple de départ. En l’absence d’un Chancelier en titre, qui se charge d’écrire ou de faire écrire les chartes, les ordonnances, de leur imprimer un caractère d’authenticité par l’apposition du sceau ducal, et de les contresigner ? Qui est par ailleurs le dépositaire de ce sceau ? L’importance de ces tâches suppose que le ou les personnages qui les assument gravitent dans l’entourage immédiat du prince. On pense donc aux secrétaires ducaux, naturellement impliqués dans le travail de rédaction des chartes et des ordonnances. On pense également aux chanoines de la collégiale Saint-Georges de Nancy, dont la proximité avec le pouvoir ducal est avérée à maintes reprises. On pense enfin au chapelain du duc, dont la fonction suppose une grande complicité avec ce dernier et une influence sur son esprit. Les chanoines de la collégiale semblent assurer, pour partie au moins, le service des écritures : un certain nombre d’entre eux font office de tabellions ducaux ; la collégiale sert de Trésor des chartes, lieu de conservation des archives ducales ; et certains chanoines cumulent cette fonction avec celle de secrétaire ou de chapelain du duc. Le cas le plus frappant est celui de Gérard d’Onville qui, en 1339, cumule les titres de « clerc du duc », « chapelain domestique » et « secrétaire spécial », tout en bénéficiant d’une prébende à la collégiale Saint-Georges. Faut-il y voir un chancelier officieux du duc Raoul ? Peut-être, mais une telle situation ne se reproduit plus par la suite, et il semble bien que le duc n’ait utilisé que de manière occasionnelle les compétences juridiques des membres de la collégiale281. Quant aux secrétaires, s’ils contresignent naturellement les chartes et les ordonnances ducales, ils remplissent également d’autres fonctions : ils sont parfois conseillers ; ils détiennent une des clés de la « huche » qui renferme les marteaux aux armes du duc utilisés pour l’exploitation des forêts ducales282. Ils peuvent parfois exercer leurs compétences ailleurs qu’à la cour du duc de Lorraine. Ainsi, la mention, dans l’obituaire de la collégiale Saint-Georges de Nancy, de « Monseigneur Demenge de Gerbeviller, tresorier de Metz, grand chancelier de Remiremont, et special secretaire et du conseil du duc de Lorraine283 », permet d’envisager que ce personnage ait pu œuvrer à la chancellerie ducale à la fin du xive siècle. Mais il ne s’agissait là que d’une de ses nombreuses attributions. L’homme dispose de la confiance du duc qui le charge de missions diplomatiques délicates, comme la libération de deux citains de Toul moyennant finance, en 1376 ou, trois ans plus tard, l’ambassade auprès des commissaires du Landfried de Lorraine pour
281 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc…, op. cit., p. 103-105. 282 A.D.M.M. G 355, liasse 24, no 3 ; BnF Col. Lor., no 80, f. 9 ; B.M. Nancy, Ms. no 189, f. 53-56. 283 B.M. Nancy, Ms. no 353, f. 29.
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dénoncer les attaques menées par l’évêque de Metz contre les possessions ducales à Château-Salins284. Que conclure de tout cela, sinon que les fonctions administratives ne sont aucunement spécialisées ? Les ducs de Lorraine possèdent dans leur entourage des hommes de confiance et de compétence. Ils leur confient sans aucun doute l’essentiel du travail de chancellerie, mais sans que les fonctions de chacun soient véritablement définies. Et ils les chargent également de bien d’autres missions, qui requièrent habileté et discrétion. Une chancellerie semble donc bien en activité dans la Lorraine ducale au xive siècle, mais elle ne dispose d’aucune règle de fonctionnement clairement établie et ne possède qu’un très faible degré d’institutionnalisation. Il en va de même pour l’Hôtel des ducs de Lorraine. Tout laisse à penser que le service quotidien de la personne ducale s’organise de la même manière que celui des autres princes du Royaume. Deux valets de chambre, « Hartemant de Nancey » et « Laurent de Sierck », apparaissent dans les sources : le premier revendique la possession de six journées de terre sur le ban d’Agincourt et le second reconnaît tenir des biens en location à Art-sur-Meurthe285. Par ailleurs, un certain « Willequin», le fauquenier monseigneur le duc » est mentionné dans un acte daté de 1381286 ; enfin, l’obituaire de la collégiale Saint-Georges de Nancy contient les notices d’un panetier, d’un ménétrier et d’un peintre du duc de Lorraine287. La présence d’un panetier laisse penser à une organisation classique des services de l’Hôtel en six métiers : la paneterie, l’échansonnerie, la cuisine, la fruiterie, l’écurie et la fourrière, même si nous ne pouvons l’établir avec certitude. Mais ces serviteurs apparaissent dans des documents qui n’émanent qu’indirectement du pouvoir ducal, indice de ce que leur office ne leur confère aucun rôle politique particulier. Les maîtres d’Hôtel, déjà évoqués, constituent la seule exception à cet état de fait. Dans bon nombre de principautés du Royaume pourtant, l’Hôtel devient un instrument de gouvernement. Certaines fonctions, comme celle de chambellan, conservent leur nature domestique, mais acquièrent aussi une signification socio-politique : le prince regroupe autour de sa personne les principaux lignages de ses États, en leur confiant des charges parfois honorifiques, mais toujours convoitées, parce qu’elles donnent accès à son intimité288. Rien de tel en Lorraine : l’Hôtel ducal ne s’institutionnalise pas, ce que symbolise selon nous l’inexistence de la fonction de chambellan à la cour de Nancy. Si la présence de la noblesse lorraine dans la capitale est avérée à maintes reprises,
284 BnF Col. Lor., no 4, f. 22 ; A.D.M.M. B 601, no 19. Pour prendre la mesure de l’activité du personnage à la cour des ducs de Lorraine, voir également le tableau de l’Annexe 2 : Les principaux serviteurs des ducs de Lorraine, leur place à la cour, et l’assise sociale de leur famille. 285 A.D.M.M. H 462 et A.D.M.M. G 459, en date du 15 mai 1391 et du 22 janvier 1393. 286 A.D.M.M. G 359. 287 B.M. Ms 353, f. 10, 11 et 71. 288 É. Lalou, « Le fonctionnement de l’Hôtel du roi du milieu du xiiie au milieu du xive siècle », in Vincennes aux origines de l’État moderne, Paris, 1996, 428 p., p. 145-155. Voir aussi É. Gonzalez, Un prince en son Hôtel…, op. cit., p. 305-323.
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elle ne s’y manifeste pas par la détention de charges officielles et institutionnalisées, mais de façon purement informelle. On peut tenir le même raisonnement en ce qui concerne l’absence de représentation politique structurée dans le duché de Lorraine. Si des assemblées officielles et régulières font défaut, en revanche, lorsque le besoin s’en fait sentir, le duc de Lorraine peut réunir autour de lui ceux qu’il considère comme les principaux représentants de ses États. Le cas se produit par exemple à propos de « l’entrecours de la chaussée de Rosières », concernant les droits de bourgeoisie que pouvait accorder la ville aux personnes venues de l’extérieur. Le texte donne une idée assez précise de la composition de cette assemblée : Et pour ceu faire voulons […] et, deliberei dehuement et mehurement en ceste besoingne, avons mandei et fait venir par devant nous lesdites parties et tous ceulx de nostre consoil de nostre dit duchié et paiix de Loherenne, tant d’Allemengne comme de romain paiix, C’es assavoir nommement [suivent les noms de vingt-trois membres du conseil ducal]289.
Au premier abord, il semble qu’une telle assemblée ne représente que « tous ceulx de nostre consoil ». En réalité, deux éléments au moins plaident pour une composition beaucoup plus large : le duc prend soin de préciser que les personnes présentes sont originaires de l’ensemble des territoires ducaux, tant germanophones que francophones ; et la liste mentionne ensuite de nombreux chevaliers, écuyers et bourgeois, ces derniers ayant été appelés à donner leur avis en raison de leurs compétences. On peut donc supposer qu’il s’agit d’un conseil élargi, formant en quelque sorte de l’embryon d’une assemblée représentative. Les membres de cette assemblée s’expriment bien au nom de l’ensemble du duché de Lorraine, mais de telles réunions se tiennent au coup par coup, sans qu’aucune règle ne fixe leur fréquence et leur composition. Le caractère encore largement informel du gouvernement ducal ne facilite pas la vision d’ensemble de son organisation, mais il ne permet pas pour autant de conclure à un vide administratif. De la même façon, la quasi-absence de comptes dans les archives lorraines avant le début du xve siècle ne nous autorise pas à conclure qu’ils n’ont pas existé, ni que les officiers n’ont pas eu à répondre de leur gestion devant le duc ou ses serviteurs. Les actes mentionnant les pratiques comptables du duché Lorraine à cette époque sont rares, mais toutefois suffisamment précis pour se faire une idée assez claire de la manière dont s’effectuait le contrôle des administrateurs locaux dans le duché. En novembre 1383, le duc Jean Ier se reconnaît débiteur de 130 francs d’or envers un de ses conseillers, Jean de Beauffremont : il assigne cette somme sur les revenus de la prévôté de Remoncourt et ordonne au prévôt de verser l’argent aussi vite qu’il le peut. Suit alors une description très précise de la procédure à laquelle ce dernier doit se conformer : En prenant copie de ces présentes sur le premier paiement, fasans avec bonne quictance tant dudit premier paiement comme des altres ensuivant, et au derrien paiement, en
289 A.D.M.M. B 880, no 126, acte du 15 septembre 1392.
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reprenant cez présentes dudit monseignour Jehan ou de son aiant cause, come dit est, pour les raporter et tenir leu avec lesdites quictances en ses comptes de nostre dite prevostei. Et nous volons que lesdis seix vingtz et deix francz soient descomptés a nostre dit prévost que est ou serait pour le temps des profis et emolumens de nostre dite prévostei, quant il en compterait a nous ou a nos gens, parmey raportant ces presentes avec les dictes quictances en ses comptes290.
Le prévôt fait donc une copie de la reconnaissance de dettes, il inscrit les différents paiements dans ses comptes, moyennant quittance, récupère ensuite l’original lors du dernier versement et ramène le tout à la cour pour justifier ses dépenses. Sans doute ne faut-il pas en déduire qu’une telle procédure est employée pour tous les paiements effectués par les officiers ducaux. Mais on peut penser qu’elle s’applique aux dépenses importantes et inhabituelles. Concernant les dépenses courantes et inhérentes à sa charge, le prévôt adopte certainement une démarche beaucoup plus simple. Quoiqu’il en soit, cette lettre prouve que la tenue de comptes par les officiers ducaux est chose courante, en Lorraine comme dans la plupart des principautés à l’époque : elle ne concerne pas seulement les prévôts, mais tous ceux qui sont amenés à manier l’argent du duc. On en trouve en effet mention pour les gruyers, pour les receveurs de la taille de Saint-Nicolas-de-Port, pour les hommes chargés de lever l’aide exceptionnelle accordée par les habitants de Nancy au duc de Lorraine et pour les gouverneurs des salines ducales291. Comment se fait-il, dès lors, que seul un fragment de comptabilité ait été conservé pour le xive siècle292 ? La réponse tient certainement dans la méthode adoptée pour la reddition des comptes qui, en l’absence de Chambre des comptes institutionnalisée, ne se fait pas toujours devant les mêmes personnes, mais « à nous ou à nos gens », c’est-à-dire devant les serviteurs ducaux disponibles au moment présent. Il y a également tout lieu de penser que ces comptes ne sont pas archivés, mais que l’officier les ramène chez lui après vérification. Une fois de plus, le particularisme lorrain porte davantage sur le degré d’institutionnalisation que sur les pratiques administratives, qui s’avèrent plus rigoureuses qu’elles ne le paraissent au premier abord293. Système judiciaire, carrières administratives : quelques signes d’évolution
Durant la seconde moitié du xive siècle, les structures administratives de la principauté ducale de Lorraine connaissent une évolution lente, mais réelle, bien que les lacunes de la documentation empêchent parfois d’en prendre la mesure exacte. Prenons d’abord l’exemple du système judiciaire lorrain, analysé par Étienne Delcambre.
290 BnF Col. Lor., no 4, f. 38. 291 Voir, respectivement, B.M. Nancy, Ms. n°237, f. 45-48 ; A.D.M.M. G 353, liasse 19, no 2 ; A.D.M.M. B 834, n°157 ; A.D.M.M. G 376. 292 H. Levallois, Catalogue des actes de Raoul…, op. cit., p. 197-208. 293 H. Olland, « Le personnel de la Chambre des comptes de Lorraine … », art. cit., p. 126.
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Reportons-nous à la situation telle qu’elle se présentait chez nous à cet égard au milieu du xive siècle. Les nobles jouissaient sans réserve alors du droit d’être jugés, en toutes matières, par des tribunaux autonomes, ceux des Assises, exclusivement composés de leurs pairs. Ces sièges aristocratiques servaient en outre, au civil, de ressort suprême à toutes les justices de l’ancien duché. Chaque seigneur haut-justicier enfin possédait une cour rendant, au criminel, des sentences sans appel294.
Il ressort de ces quelques lignes une impression de très grande faiblesse du pouvoir ducal en matière judiciaire. Quelques tribunaux d’alleutiers, ceux des monastères de Remiremont et de Saint-Dié, des comtes de Salm, des seigneurs de Blâmont et de Fénétrange, disposent à l’égard du duché d’une indépendance judiciaire complète. Ces tribunaux étaient appelés « buffets ». Ils sont aux mains des principaux seigneurs du bailliage d’Allemagne ou des grandes abbayes vosgiennes, qui disposent d’une large autonomie par rapport au pouvoir ducal295, et peuvent gêner considérablement son action. Le duc doit donc ménager ces forces politiques. Pour le reste, l’exercice de la justice revient en grande partie à la noblesse, par l’intermédiaire des tribunaux d’Assises. Ceux-ci possèdent le monopole de la juridiction sur les nobles et connaissent également en appel des sentences des cours inférieures. On trouve en théorie un tribunal d’Assises dans la capitale de chacun des trois bailliages du duché. Mais, s’il existe des témoignages de l’activité des Assises de Nancy et des Vosges dans la seconde moitié du xive siècle, on ne garde aucune trace de celles de Vaudrevange postérieure à 1302296. En 1519, la coutume de Lorraine précise que le bailliage d’Allemagne « n’a point de siege pour tenir assises ne plaids ordinaires. » Aux xive et xve siècles, les procès relatifs à cette partie du territoire ducal se tiennent aux Assises de Nancy, qui étendent peu à peu leur juridiction sur l’ensemble du duché de Lorraine, même si cette évolution n’est pas encore parvenue à son terme297. Dans ces conditions, de quels pouvoirs judiciaires disposent encore les ducs ? Leurs baillis président les séances des Assises et y prononcent les jugements, même s’ils ne peuvent en aucune manière influer sur le cours des délibérations. Ce sont eux aussi qui font appliquer les sentences des différents tribunaux à l’intérieur du bailliage. Si les nobles rendent donc eux-mêmes la justice lors des Assises, ils le font au nom du duc, qui possède par ailleurs, comme tout seigneur alleutier, la haute-justice sur ses propres sujets. Ainsi, dans chaque prévôté, il nomme des juges, les échevins, ce qui lui permet de disposer d’un personnel spécialisé et compétent. À Nancy enfin, la justice échevinale se mue au cours de la seconde moitié du xive siècle en un véritable tribunal, celui du Change298. L’un des jugements rendus par cette juridiction en 1384 donne de précieuses indications sur sa composition, son fonctionnement, et ses compétences :
294 É. Delcambre, « Les ducs de Lorraine et les privilèges juridictionnels de la noblesse », Nancy, Berger-Levrault, 1952, p. 208-209. 295 Ibid., p. 105-107. Voir également chapitre 1 ci-dessus. 296 A.D.M.M. H 124, no 2, pour les Assises de Nancy, et A.D.M.M. B 810, no 21, pour celles des Vosges. 297 É. Delcambre, « Les ducs de Lorraine et les privilèges… », art. cit., p. 46-47. 298 Ibid., p. 51-52.
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Je Jehan de Bouxières, ecuier, bailli de la duchié, Jehan dit Banzin, Thiriat dit le Berette, Thiesselin dit le Proindoin, Jehan des Jantres, et Jennin dit Bonpate, tuitz cinq eschevingz de Nancey pour le temps, faisons savoir a tous, que l’an mil trois cent quatre vingt et quatre, le sabmedi derrien jour du mois d’avril, se comparurent par devant nous religieuse dame Thoimenette de Ruppes, abbasse de l’esglise nostre dame de Bouxieres davant Nancey, pour ley et pour tout le chapiltre de ladite esglise de Bouxiere d’une part, et Thirion dit le Peligas de Lencourt, prevost d’outre mezelle pour le temps d’une part [sic]299
Cet acte est connu comme l’un des premiers témoignages de l’activité du tribunal du Change. Tout comme aux Assises, le rôle du bailli se limite à la présidence, à la promulgation et à l’exécution de la sentence. Les échevins, eux, délibèrent et disent « leur semblant », c’est-à-dire le droit. Mais ils sortent cette fois des limites de leur prévôté, puisque le procès concerne la circonscription d’Outre-Moselle. Le Change semble donc ici faire office de cour bailliagère300. Mieux même, on peut se demander dans quelle mesure il ne revendique pas une compétence s’étendant à l’ensemble du duché de Lorraine, dans la mesure où Jean de Bouxières prend le titre, désuet à l’époque, de « bailli de la duchié ». Il semble d’ailleurs que la création du Change soit à mettre en relation avec les responsabilités de gardien des établissements religieux qui incombent au duc, car c’est presque toujours un ecclésiastique qui prend l’initiative de saisir ce tribunal301. Or, ce devoir de protection s’étend également sur l’ensemble des territoires ducaux. À la fin du xive siècle, ce tribunal n’en est encore qu’à ses balbutiements. Mais, virtuellement, il n’en fournit pas moins aux ducs à la fois un moyen de centralisation efficace et une institution capable d’empiéter sur les privilèges juridictionnels de la noblesse. Par la suite, ceux-ci ne s’en priveront pas. La création de ce tribunal relève en tout cas d’une politique délibérée, tendant à créer à Nancy des institutions compétentes pour tout le bailliage, voire pour tout le duché302. À cette époque toutefois, la hiérarchie du système judiciaire du duché de Lorraine est loin d’être encore parfaitement fixée, même si elle se met progressivement en place. Au-dessus du tribunal du Change, à côté des Assises de Nancy et des Vosges, une quatrième institution peut faire office de cour supérieure pour le duché : il s’agit du Conseil ducal. Avant de rendre leur verdict dans le débat entre le prévôt d’Outre-Moselle et l’abbaye de Bouxières, les échevins de Nancy précisent qu’ils ont en effet pris soin de prendre l’avis du Conseil, qui vient conforter à la fois leur opinion et leur crédibilité : En droit furent et adonc devant le bailli et les eschevingz, qu’ilz s’en voulloient conseilz au grant conseil de monseigneur, et a esté trouvé par le tressorier de Mets, par messire Guys de Harouel chevalier, par Hanry d’Amance escuier, maistre de l’ostel monseigneur, et par plussiours autres chevaliers du conseil monseigneur, et aussi il le nous semble par nostre 299 A.D.M.M. H 3000, ainsi que pour le paragraphe qui suit. 300 É. Delcambre, « Les ducs de Lorraine et les privilèges juridictionnels de la noblesse », art. cit., p. 51-52, l’affirme explicitement. Il convient selon nous d’être plus prudent. 301 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 145. 302 É. Delcambre, « Les ducs de Lorraine et les privilèges », art. cit., p. 208-209, et J.-L. Fray, Nancy-leDuc, op. cit., p. 96-97.
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semblant, que on doit bien tenir lez lettres de point en point que dame Thoimenette, abbasse de Bouxiere, nous a apparié303.
Tout laisse à penser que le Conseil ne se cantonne pas ici dans un rôle purement consultatif : on voit mal en effet comment le Change, tribunal encore récent et aux compétences mal définies, pourrait avoir l’autorité nécessaire pour aller contre l’avis des conseillers du duc. La charte de franchise de Sarreguemines, dans le bailliage d’Allemagne, confirme, par ailleurs, que dans certains cas, et malgré l’autonomie judiciaire dont jouit la ville, le Conseil ducal peut être chargé de dire le droit, par le biais de la procédure de « chef de sens », qui consiste, en cas de doute, à solliciter l’avis d’une autre cour de justice, jugée plus compétente, en l’occurrence le Conseil304. Il joue donc bien le rôle d’un tribunal supérieur, dont les compétences s’étendent à l’ensemble du territoire ducal et auquel peuvent être soumis tous les habitants du duché, quelle que soit leur condition sociale. En 1388 en effet, Jean Ier et son Conseil font office de juges dans un litige opposant le sire de Blâmont à de nombreux autres barons du duché de Lorraine. Les termes employés par le document qui relate ces faits ne laissent subsister aucun doute sur la nature judiciaire de ce débat : sur tous les descorts estant entre lesdites parties, (…), mondit signor le duc, par lui et par son consoil, doit congnoistre, sentencier et termineir, par voie de droit, en son hostel a Dueze, de tous yceulx descors. Parties oiées en lour demandes et deffenses sommerement et de plain, sens long proces de plait, a une soule jornée ou a plussours jornées que mondit signor le duc poulrait assigneir et continueir quant il li plairait, pour la necessitei ou le bien de la besoingne, sens ce que les dictes parties, ne aucune d’elles, puissent ou doient demander ou requerir aucun recour ou retour devant aultre signor ou juge. Et doient les dictes parties donneir a mondit signor le duc bonne seurtei de tenir et escomplir tout ce que sur lesdis descors fait, sentenciei, et terminei sera audit hostel de mondit signor le duc, per lui et son consoil comme dit est305.
Les parties en présence, à savoir le seigneur de Blâmont d’une part, les comtes de Deux-Ponts, de Salm et le seigneur de Fénétrange de l’autre, possèdent toutes le droit de haute justice sur leur propre territoire. Très souvent, nous y reviendrons, la dignité éminente du duc de Lorraine lui confère le rôle d’arbitre entre des nobles de rang inférieur. Mais il ne s’agit pas ici de régler le conflit à l’amiable, mais « par voie de droit ». Le Conseil ducal s’érige également en tribunal souverain, dans la mesure où les parties s’engagent à ne pas recourir à une autre justice que celle du duc. Enfin, il se donne les moyens de faire appliquer le jugement, malgré la dignité éminente des parties en cause. Il apparaît donc comme un instrument de centralisation beaucoup plus concret et efficace que le tribunal du Change, et capable de borner l’autonomie judiciaire des grands barons du bailliage d’Allemagne. La hiérarchie du système judiciaire lorrain demeure donc encore très floue à la fin du xive siècle. Les compétences et attributions des Assises, du Change et du Conseil ducal peuvent se chevaucher dans bien des cas. L’absence de structuration et 303 A.D.M.M. H 3000. 304 A.D.M. 4 E 511, daté du 26 décembre 1380. 305 A.D.M.M. B 889, no 136.
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de spécialisation des institutions ducales s’applique également au domaine judiciaire. Au cours de la seconde moitié du xive siècle cependant, avec la création du tribunal du Change, on constate un renforcement des pouvoirs de justice du duc de Lorraine, ainsi qu’une plus grande centralisation autour de la capitale, Nancy. L’armature administrative locale de la principauté ducale se renforce à la même époque. Prenons l’exemple des receveurs ducaux : en l’absence de Chambre des comptes, leur fonction est stratégique, car ils réalisent la plus grande partie des opérations financières des ducs de Lorraine. Or, l’office évolue de manière assez sensible au cours de la seconde moitié du xive siècle. Vers 1350, on ne trouve mention que d’un seul receveur, Simonin de Nancy, qui prend tour à tour le titre de « receveur », « receveur du duché de Lorraine », ou « receveur de Nancy »306. Il en va de même pour ses deux successeurs, Jean de Prény, mentionné à ce poste de 1364 à 1378, et Demange de Nancy, qui opère dans les années 1380307. Mais eux ne sont plus seuls en fonction, puisqu’un document de 1370 révèle l’existence d’une recette dans la ville de Vaudrevange et que des receveurs des Vosges apparaissent régulièrement dans nos sources à partir de 1364308. On passe donc d’un receveur pour tout le duché à un receveur par bailliage, signe d’une densification réelle de l’encadrement administratif et financier des territoires ducaux. Enfin, en 1397, une lettre de Charles II fait mention, pour la première fois, d’un receveur à Arches. Sans doute le duc a-t-il installé un tel office dans cette ville en raison de sa proximité avec l’abbaye de Remiremont, pour mieux contrôler la perception des revenus d’avouerie de ce monastère, car aucune des autres prévôtés du duché ne bénéficie d’un receveur particulier309. Toujours est-il qu’à la fin du xive siècle, plus nombreux, bien répartis sur l’ensemble des possessions ducales, les receveurs lorrains semblent désormais capables de gérer plus efficacement les finances ducales, à l’exception peut-être du bailliage d’Allemagne, où l’office n’est mentionné qu’à une seule reprise en un demi-siècle, indice supplémentaire de la situation marginale des territoires germanophones au sein du duché de Lorraine. On observe le même phénomène à un niveau supérieur de responsabilité : les baillis, à qui incombent des tâches très nombreuses et qui ont en charge un territoire étendu, s’adjoignent, au moins dans le bailliage de Nancy, quelques collaborateurs pour les aider à mieux remplir leurs fonctions : à partir de 1369, ils se font suppléer, dans la capitale ducale, par un lieutenant310. Puis, à la toute fin du xive siècle, un procureur
306 Dans l’ordre, BnF Col. Lor., no 89, f. 6 (19 avril 1349) ; BnF Col. Lor., no 48, f. 67 (1er octobre 1346) ; BnF Col. Lor., no 85, f. 46 (26 novembre 1346). 307 BnF Col. Lor., no 81, f. 24 (20 mai 1364), A.D.M.M. B 384, f. 357v (7 avril 1365) et BnF Col. Lor., no 47, f. 86 (12 juillet 1365), pour Jean de Prény. A.D.M.M. G 405, liasse 13, no 1 (1383), pour Demange de Nancy. 308 B.N Col. Lor., no 81, f. 24 (20 mai 1364), BnF Col. Lor., no 86, f. 40 (9 juillet 1365), BnF Col. Lor., no 82, f. 121 (1369), A.D.M.M. B 668, no 16 (1371) et A.D.M.M. B 876, no 90 (1392), pour l’office de receveur des Vosges, confié respectivement à Jean de Rosières, Jean Vagadour et Jean de Pileis. B.N Col. Lor., no 85, f. 44, (3 février 1370), pour la recette de Vaudrevange. 309 A.D.V. G 882/26. 310 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 127.
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du bailliage, sans doute choisi pour ses compétences juridiques, vient également les seconder dans son travail judiciaire, de plus en plus important311. Autre signe d’une attention plus soutenue portée au recrutement des serviteurs ducaux, certains personnages présentent désormais ce que l’on pourrait appeler des profils de carrière. Ainsi Jean de Prény : cet homme apparaît régulièrement dans nos sources au cours du règne de Jean Ier, mais sa titulature évolue fortement au fil des années. En 1359, il occupe le poste de « recevour des monnoyes de Nancey »312. Puis, dans un document postérieur, en 1364, il semble cumuler les fonctions de maître de la monnaie du duché, bailli, et receveur. L’année suivante, il apparaît à nouveau plusieurs fois, tantôt comme receveur, tantôt comme bailli313. Et ce n’est qu’après cette date qu’il renonce définitivement à la charge de bailli pour porter désormais, de façon durable, le seul titre de receveur314. Il joue cependant, auprès du duc de Lorraine, le rôle d’un homme à tout faire. Cela montre à quel point les institutions du duché de Lorraine demeurent encore largement informelles. Le parcours de Simonin de Nancy, lui, offre une trajectoire plus régulière, puisqu’il est successivement gruyer, receveur, et bailli, signe d’une ascension progressive au sein de l’administration ducale. J.-L. Fray note également la mise en place d’un semblable cursus honorum au sein de la collégiale Saint-Georges de Nancy315. Ces deux carrières montrent donc bien que, pour certains offices, le choix des titulaires se fait parmi les hommes qui ont déjà fait la preuve de leur compétence. De tels serviteurs, expérimentés, contribuent aussi au renforcement des organes de gouvernement de la principauté ducale. Un retard à relativiser ?
Toute évaluation du niveau de développement et d’efficacité institutionnelle d’une entité politique repose sur la comparaison. C’est cette perspective qui motive l’appréciation dévalorisante du procureur général du Parlement de Paris. Vu de France, le caractère archaïque des instances gouvernementales de la Lorraine ducale apparaît dans toute son ampleur. La comparaison avec le Royaume tourne systématiquement au désavantage du duché : des institutions centrales apparaissent à Paris au tournant des xiiie et xive siècles, parmi lesquelles la Chambre des comptes, qui joue un rôle fondamental dans la pratique gouvernementale316. Rien de tel, nous l’avons vu, dans la Lorraine de cette époque. Mais la différence de taille et de statut entre le royaume de France et le duché fausse la comparaison. Toutefois, dans la seconde moitié du xive siècle, le processus d’étatisation touche à son tour la plupart des principautés du Royaume. Le modèle de l’État « moderne » ne se met que progressivement en place, toujours de manière inaboutie 311 BnF Col. Lor., no 80, f. 9. 312 A.D.M.M. B 689, no 33. 313 A.D.M.M. G 418, liasse 38, no 2 ; A.D.M.M. B 384, f. 357v ; BnF Col. Lor., no 4, f. 10 ; J.-L. Fray, Nancyle-Duc, op. cit., p. 127. 314 A.D.M.M. H 2683 (1376), et A.D.M.M. B 950, no 20 (8 novembre 1378). 315 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 127 et 188. 316 É. Lalou, « La Chambre des comptes de Paris : mise en place et fonctionnement », art. cit., p. 3-15.
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et avec d’importantes variations locales. Les ducs de Bourgogne privilégient le développement d’institutions politiques, telles que la Chancellerie, qui trouve son organisation définitive avec l’ordonnance ducale de 1385317. Les ducs de Bourbon, quant à eux, misent sur une meilleure gestion des finances et mettent en place en 1374, sur le modèle royal, une Chambre des comptes, initiative reprise dans de nombreuses principautés à la même époque318. L’évolution générale est la même partout en France et de simples seigneuries, comme celle de La Trémoille, semblent en avance sur le duché de Lorraine, puisque des comptes datant du début du xive siècle ont été conservés, qui sont de véritables modèles d’organisation, et que des auditeurs des comptes sont mentionnés dans les sources seigneuriales avant 1400319. On perçoit aisément les facteurs qui poussent à une telle évolution : Philippe le Hardi, frère du roi Charles V, ne fait qu’exporter les méthodes de la famille royale dans les États bourguignons. Les La Trémoille peuvent également se familiariser avec de telles institutions par les offices qu’ils occupent à la cour. De nombreux princes, comme les ducs de Bretagne, adoptent ces nouvelles techniques de gouvernement en raison de leur efficacité. La proximité biologique ou géographique avec le Royaume, ou l’appartenance à la cour, stimulent la modernisation administrative. Le duché de Lorraine, lui, reste à l’écart d’une telle évolution. Cela tient-il à sa situation excentrée par rapport au royaume de France ? Pourtant, d’autres principautés « d’Entre-Deux » ont mis en place des réformes et des structures calquées sur celles du Royaume. C’est le cas du Dauphiné, où un Parlement, une Chambre des comptes, des juges-mages et une université sont créées avant même l’achat de ce territoire par le roi de France320. Dans le comté de Savoie, une Chambre des comptes se développe dès la première moitié du xive siècle, qui contrôle toute la gestion du duché et devient l’organe principal du gouvernement savoyard321. Dans le duché de Bar voisin de la Lorraine ducale enfin, près de 300 registres de comptes ont été conservés pour la période 1301-1420, et la Chambre des comptes apparaît dans les sources en 1372. Des assemblées réunissent les vassaux ducaux ainsi que les représentants des « bonnes villes », même si elles demeurent purement consultatives. Et l’Hôtel princier regroupe environ 120 serviteurs, certainement beaucoup plus que celui de son homologue lorrain, ce qui fait dire à l’historien du Barrois, Mathias
317 J. Richard, « La chancellerie des ducs de Bourgogne de la fin du xiie siècle au début du xve siècle », in G. von Silagi (dir.), Landesherrliche Kanzleien im Spätmittelalter, Munich, 1984, p. 381-413. 318 A. Leguai, Les ducs de Bourbon, le Bourbonnais et le royaume de France à la fin du Moyen Âge, Société Bourbonnaise des Études Locales, Yzeure, 2005, p. 58-62. On constate la mise en place de Chambres des comptes dans de très nombreuses principautés du royaume, notamment les duchés de Bretagne, de Bourgogne et d’Orléans, pour ne citer qu’eux. J. Kerherve, L’État breton aux xive-xve siècles : les ducs, l’argent et les hommes, p. 341-405 ; B. Schnerb, L’État bourguignon (1363-1377), p. 98-100 ; J. Thibault, « Le personnel de la Chambre des comptes de Blois à la fin du Moyen Âge », in La France des principautés, op. cit., p. 149-163. 319 P. Contamine, « L’audition des comptes seigneuriaux : l’exemple de la maison de la Trémoille », in La France des principautés, op. cit., p. 259-266. 320 B. Bligny, « Le Dauphiné, quelques remarques », in Les principautés au Moyen Âge, op. cit., p. 79-94. 321 B. Demotz, « Une clé de la réussite d’une principauté aux xiiie et xive siècles : naissance et développement de la Chambre des comptes de Savoie », La France des principautés, op. cit., p. 17-26.
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Bouyer, que « le gouvernement central prend assurément une nouvelle dimension au xive siècle322 ». La situation géographique ne saurait donc, à elle seule, expliquer le manque de culture administrative du duché de Lorraine. Toutefois, celui-ci ne constitue pas une exception absolue à la fin du xive siècle. Certaines principautés présentent avec la Lorraine ducale un certain nombre de traits communs. L’exiguïté, le morcellement territorial et une situation politique « d’Entre-Deux » caractérisent également la vicomté de Béarn au temps de Gaston Fébus, prise entre la Guyenne anglaise, l’Espagne et le royaume de France. Certes, les pouvoirs du vicomte semblent plus étendus que ceux du duc de Lorraine. Mais on ne trouve pas de Chambre des comptes en Béarn. Et si une Chancellerie existe, son activité se limite à la notification écrite des décisions prises par la « Cour Majour », qui elle-même ne se réunit plus que très rarement. Quelques notaires et secrétaires suffisent pour rédiger l’essentiel des ordonnances et de la correspondance du prince. Enfin, l’Hôtel ne rassemble au mieux qu’une cinquantaine de personnes, dirigées par un seul maître d’hôtel. L’inexistence de la fonction de chambellan dans l’Hôtel de Gaston Fébus, comme dans celui de Jean Ier, témoigne notamment du fait que les deux princes ne se soucient pas d’institutionnaliser la présence à la cour des membres de la noblesse de leurs États. Tout cela correspond très exactement à la situation que nous avons décrite dans le duché de Lorraine et n’empêche nullement Gaston Fébus de gouverner ses territoires d’une main de fer, de 1343 à 1391. C’est lui en effet qui donne l’impulsion et qui, par son action, confère la cohérence nécessaire à l’administration de la vicomté323. Le faible niveau d’institutionnalisation d’une principauté ne constitue donc pas une preuve a priori de l’inefficacité et de l’impuissance du pouvoir princier. Comment expliquer une telle analogie entre deux territoires si éloignés ? Certes, la situation géographique n’explique pas tout, car, nous l’avons vu, bon nombre de pays « d’Entre-Deux » ont adopté assez tôt les pratiques administratives élaborées à la cour de France. Mais l’influence du Royaume, plus indirecte, y est également contrebalancée par le contact avec d’autres modèles et d’autres formes de gouvernement. Tournons donc maintenant notre regard vers les principautés d’Empire, pour compléter la perspective comparative. Par rapport aux structures étatiques en vigueur dans le royaume de France, l’Empire peut être considéré comme un contre-modèle. Il se caractérise en effet par une très grande faiblesse institutionnelle : seuls les services de la Chancellerie sont quelque peu développés et efficaces. La Bulle d’Or, promulguée en 1356, a clarifié les règles d’élection à la dignité impériale, mais elle n’a pas pour autant renforcé les pouvoirs de l’empereur, dont les ressources ne dépassent pas les 150 000 florins à la fin du règne de Charles IV324, chiffre dérisoire si on le rapporte à l’étendue des territoires impériaux. À la différence du royaume de France, où le pouvoir central donne le la, ce sont les 322 M. Bouyer, La principauté barroise (1301-1420), op. cit., p. 20, 283, 433, 470, 482 (citation). 323 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn, (1343-1391), Bordeaux, 1959, p. 121-127. 324 F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne : de Charles IV à Charles Quint, Aubier, Paris, 1989, p. 47-61. Ce montant doit être mis en relation avec les revenus des autres grands souverains d’Occident à la même époque : 770 000 florins pour le roi d’Angleterre, et 2 000 000 pour le roi de France.
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États princiers qui mettent en place l’État « moderne » en Allemagne, en développant leurs rouages administratifs325. Mais cette évolution, lente, tardive, ne démarre pas avant la première moitié du xve siècle. Entre le Royaume et l’Empire, le duché de Lorraine se trouve donc face à deux modèles et à deux influences contradictoires. Or, très clairement, ses structures institutionnelles le rapprochent beaucoup plus des principautés impériales que de celles du Royaume. Vu de l’Empire, l’archaïsme de la Lorraine n’a rien de flagrant. Dans le domaine financier, les faiblesses pointées pour le duché sont celles de toutes les principautés germaniques. Beaucoup de dépenses sont prélevées à la source, directement sur les revenus, ce qui rend impossible l’établissement d’un budget et d’une comptabilité générale. Pour le Palatinat par exemple, les premiers comptes dont on garde la trace sont ceux de fonctionnaires locaux et datent du xve siècle. La transformation de l’Hôtel en une institution politique ne s’opère également que tardivement, au cours du xve siècle. Certes, dès 1386, le Palatin fonde l’université de Heidelberg, destinée à procurer à l’Électorat le personnel administratif compétent qui lui fait encore défaut, alors que les juristes lorrains, par ailleurs peu nombreux, doivent se former hors de leur région d’origine, essentiellement dans les universités du Royaume. Entre les deux territoires, toutefois, ce sont, et de très loin, les points communs qui l’emportent326. Il en va de même pour les autres principautés d’Empire : tantôt des assemblées d’États apparaissent assez précocement327, tantôt l’activité de la Chancellerie gagne en rationalité et en précision328, mais dans aucun de ces territoires la convergence des évolutions n’est suffisamment forte pour que l’on puisse parler de genèse de l’État et qualifier ces principautés d’États princiers dès la fin du xive siècle. Du point de vue de la culture administrative, la Lorraine ducale fait donc bien partie intégrante de l’Empire et elle se démarque nettement du Royaume. Nulle part, d’ailleurs, le passage de l’État féodal à l’État moderne ne s’effectue de façon régulière et continue. L’évolution est chaotique, ponctuée par des avancées brutales, des reculs importants, des crises plus ou moins profondes. L’appareil bureaucratique français s’est développé très rapidement de Philippe III à Philippe VI, puis à partir du règne de Charles VII. Mais il a connu entre-temps un siècle de relative stagnation, au point que certains historiens y voient une des grandes caractéristiques de l’État des xive-xve siècles329. De façon générale d’ailleurs, toute l’Europe du xive siècle connaît une profonde crise de l’État, même si elle ne prend pas partout
325 Ibid., p. 102-115, chapitre intitulé « Les princes et la construction des États territoriaux ». 326 H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate in the fifteenth century, Oxford, 1965, p. 82-113 et 215-235. 327 R. Folz, « Les assemblées d’États dans les principautés allemandes (xiiie-xvie siècles) », Schweizer Beiträge für allgemeine Geschichte, no 20, 1962-1963, p. 167-187. 328 H. Rall, « Die Kanzlei der Wittelsbacher im Spätmittelalter », in G. von Silagi (dir.), Landesherrliche Kanzleien im Spätmittelalter, op. cit., p. 109-126. 329 C’est la thèse défendue par B. Guenée, « Y a-t-il un État des xive et xve siècles ? », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, mars-avril 1971, no 2, p. 399-406.
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le même aspect et n’atteint pas partout la même ampleur330. Dans ces conditions, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les ducs de Lorraine ne soient pas parvenus à faire évoluer en profondeur leurs organes de gouvernement. Malgré tout, le visage institutionnel du duché demeure nettement plus proche de celui de l’Empire que du celui du royaume de France. Passons maintenant des structures administratives aux hommes qui les font vivre. La ligne de fracture entre les cultures politiques française et impériale est-elle toujours aussi marquée ? Correspond-elle à la frontière politique entre les deux royaumes, ou sépare-t-elle, à l’intérieur du territoire ducal, les régions francophones des territoires germanophones ?
330 R. W. Kaeuper, Guerre, justice et ordre public. La France et l’Angleterre à la fin du Moyen Âge, Aubier, Paris, 1988, p. 123-137. Pour les territoires germaniques, voir par exemple W. Schlesinger, « Zur Geschichte der Landesherrschaft in den Marken Brandenburg und Meissen während des 14. Jahrhunderts », in H. Patze, Der deutsche Territorialstaat im 14. Jahrhundert, Sigmaringen, 1970, p. 101-125.
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Chapitre 2
Le duché au sein de l’espace lorrain
Considérons désormais la place que le duché de Lorraine occupe sur l’échiquier diplomatique régional et la manière dont il s’insère dans cet espace « d’Entre-Deux ». Morcellement et féodalité, ces deux marqueurs du territoire et des institutions ducales, caractérisent-ils aussi les autres entités politiques de la région ? La carte (fig. 2) témoigne de l’enchevêtrement des possessions du duc avec celles de nombreux autres princes et seigneurs1. Quels rapports de force structurent ce paysage politique très complexe ? Le duché lorrain peut-il jouer le rôle de puissance régionale ? Le morcellement territorial nuit-il à l’existence d’une identité commune ? Qu’en est-il de la culture politique des terres situées entre Meuse et Rhin ? Peut-on parler d’un espace lorrain qui dépasserait les frontières de la seule principauté ducale, et au sein duquel le duché pourrait constituer une force directrice capable, sinon de l’unifier, du moins de le marquer d’une empreinte décisive ?
Un espace politiquement morcelé Panorama du paysage politique lorrain : lignes de clivage et oppositions Principautés, seigneuries et pouvoirs urbains
Conclue en 1343 par les principaux seigneurs de la région, la Commune Trêve de Lorraine révèle la diversité et la hiérarchie des forces et des dignités au sein d’un territoire que les contemporains appelaient Lorraine et que nous qualifierons d’espace lorrain, pour ne pas risquer de le confondre avec le duché du même nom2. La liste des signataires du traité rassemble une grande partie des protagonistes de l’échiquier politique régional. Mais l’ordre dans lequel apparaissent personnages, principautés et seigneuries tient compte des différences de puissance et des questions de préséance. Le premier groupe est constitué par le roi de Bohême, Jean l’Aveugle, comte de Luxembourg, par la maison de Lorraine, représentée par le duc Raoul, sa mère Isabelle d’Autriche et sa tante Marguerite de Lorraine, ainsi
1 Voir chapitre 1. 2 Cf. Annexe 5. Voir aussi H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium. Die Fürstentümer Bar und Lothringen zur Zeit Karls IV., Bonn, 1977, p. 293-311. Les cartes no 9, « Limites de la Commune Trêve de Lorraine (1343-1348), et no 11 : « L’espace lorrain durant la seconde moitié du xive siècle », délimitent et cartographient cet espace lorrain.
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que par le comte Henri de Bar. Les trois duchés de Luxembourg, de Lorraine et de Bar représentent assurément les trois grandes forces politiques lorraines, de puissance à peu près équivalente. Les trois princes qui les gouvernent détiennent à la fois les dignités les plus prestigieuses et les territoires les plus étendus. En tant que représentants personnels de l’Empereur, les ducs de Lorraine furent longtemps les seuls à posséder ce titre mais, au cours du xive siècle, les deux comtés de Bar et de Luxembourg furent à leur tour érigés au rang de duchés3. Par ailleurs, si le Luxembourg et la Bohême restent jusqu’au début du xve siècle dans le patrimoine de la même famille, ils sont très rapidement confiés à deux membres différents de la dynastie luxembourgeoise4. Entre Bar, Lorraine et Luxembourg, l’équilibre est par conséquent à peu près respecté. Viennent ensuite les représentants des trois principales cités lorraines, Metz, Verdun, et Toul. Leur présence en si bonne place n’a rien d’étonnant. Au milieu du xive siècle, les bourgeois se sont émancipés de la tutelle épiscopale et les cités, villes libres d’Empire, constituent des puissances politiques à part entière. Autour de Metz notamment, un groupe de 136 villages reconnaît obéir à la juridiction des citains et constitue ce que l’on appelle habituellement le « pays messin5 ». Le choix de Metz comme lieu de réunion des commissaires de la Commune Trêve ne relève donc pas du hasard. La cité est la seule à posséder un contado à la manière des villes italiennes de la fin du Moyen Âge. À côté d’elle, les deux autres villes de Verdun et de Toul font bien pâle figure : leurs bourgeoisies n’ont pas l’assise financière des « paraiges6 » messins et ne sont pas parvenues à constituer un véritable État urbain. Elles ne doivent pas être négligées pour autant, car les bourgeois profitent des déchirements entre l’évêque et le chapitre pour jouer un rôle souvent hors de proportion avec leur puissance politique intrinsèque7. À la fin du Moyen Âge, les villes représentent des forces avec lesquelles il faut compter, dans l’espace lorrain comme partout ailleurs. Les comtes et les cadets de familles comtales forment un troisième groupe d’adhérents à la Commune Trêve. Ce sont des personnages de rang inférieur qui disposent d’une assise foncière beaucoup plus restreinte8. Assez nombreux,
3 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 199 ; H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 82-89. 4 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 214-223. 5 J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, op. cit., p. 443-448. 6 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 158. À Metz, « un paraige était un groupement de familles apparentées, rattachées à un même quartier, se réclamant d’un même sceau, bref constituant une communauté patricienne à l’intérieur de la ville ». Cinq d’entre eux se partagent le pouvoir dans la cité messine depuis le xiiie siècle : Port-Sailly, Outre-Seille, Porte-Moselle, SaintMartin et Jurue. Il s’en adjoint un sixième au cours du xive siècle, celui du Commun. 7 D. Vaisse, La communauté urbaine de la cité de Toul du milieu du xive à la fin du xve siècle, Paris, École Nationale des Chartes, 1999 ; A. Girardot (dir.), Histoire de Verdun, Metz, 1997. 8 Le comté de Vaudémont rassemble par exemple 48 villages au milieu du xive siècle : M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », art. cit., p. 241-246. Celui de Sarrrewerden, à la même époque, s’étend sur une trentaine de localités : D. Fischer, Histoire de l’ancien comté de Sarrewerden et de la prévôté de Herbitzheim, Mulhouse, 1877.
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notamment en Lorraine allemande, ils prêtent généralement hommage soit aux ducs, soit aux évêques de Metz, pour tout ou partie de leurs possessions, ou pour des fiefs de bourse, ce qui ne les empêche pas de jouir d’une totale autonomie de fait. Tout comme certains grands seigneurs, ils cherchent à la fois à préserver leur indépendance et à se placer dans la clientèle des princes lorrains, pour en retirer le maximum de bénéfices, sur le plan territorial et financier. Dans ce groupe, la Lorraine francophone est représentée uniquement par les comtes de Vaudémont et les sires de Blâmont9. Cela tient au fait que la dignité comtale est beaucoup plus répandue dans la partie germanophone de la Lorraine que dans sa partie francophone et que les traités de Landfried, au nombre desquels se range la Commune Trêve, ont vu le jour dans l’Empire, au cours du xiiie siècle10. Un petit groupe de seigneurs apparaît ensuite. Ils ne possèdent ni le prestige ni la richesse des comtes, et a fortiori des princes lorrains, mais ne doivent pas être négligés pour autant. Beaucoup d’entre eux possèdent les moyens de leur indépendance, à commencer par les sires de Fénétrange et leur centaine de vassaux. L’un des signataires, Hues de Fénétrange, occupe une place spécifique, en tant qu’abbé de Gorze. Le succès de ce monastère réformé aux xe et xie siècles procure à son titulaire une grande influence spirituelle dans l’espace lorrain et un patrimoine très important, qui s’étend jusqu’à Saint-Nicolas-de-Port et Varangéville, dans le duché de Lorraine11. La notoriété se puise également à d’autres sources. L’érection de la seigneurie d’Apremont en baronnie par l’empereur Charles IV en 1354 élève cette famille aux tout premiers rangs de la noblesse lorraine12. Enfin, même des seigneurs plus modestes, comme ceux de Boulay, disposent d’une relative autonomie à l’égard des princes de la région, et jouent eux aussi leur rôle sur la scène politique régionale13. La liste se clôt enfin par la mention des quatre villes d’Épinal, Sarrebourg, Vic et Marsal. Ces villes neuves, créées ou développées au cours des xiie et xiiie siècles à la faveur de l’essor économique de l’Occident médiéval, relèvent de l’évêché de Metz. Leur participation à la Trêve témoigne de leur volonté de bénéficier de l’instauration de la paix publique en Lorraine, indispensable à leur prospérité ; mais elle montre aussi leur capacité à se démarquer à l’occasion de la politique menée par leur évêque, qui n’apparaît pas parmi les signataires de ce traité. Même dans ces bourgades plus modestes, une élite bourgeoise est apparue, qui ne bénéficie toutefois que d’une autonomie très relative. Il ne s’agit pas là de
9 Cf. chapitre 1 ; pour les liens de féodalité entre les ducs et ces familles comtales, voir l’Annexe 3. 10 M. Parisse, Allemagne et Empire au Moyen Âge, op. cit., p. 263. Voir également ci-dessous dans ce même chapitre. 11 A. Wagner, Gorze au xie siècle : contribution à l’histoire du monachisme bénédictin dans l’Empire, Nancy, 1997, 541 p. 12 M. Auclair, Politique lignagère et ambitions comtales en Lorraine : famille et seigneurie d’Apremont des origines au début du xive siècle, 5 vol., op. cit., et M. Auclair, « Grandeur et décadence d’une famille seigneuriale lorraine », Lotharingia X, 2001, p. 127-177. 13 Sur le poids politique et l’assise territoriale des seigneurs et barons lorrains, voir ci-dessus dans ce même chapitre.
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cas isolés. Neufchâteau, Mirecourt, ou Saint-Nicolas-de-Port dans le duché de Lorraine, Thionville dans celui de Luxembourg, présentent des caractéristiques similaires14. La signature des deux princes place d’office ces villes sous la protection de la Trêve, sans qu’elles aient besoin de ratifier elles-mêmes le texte. Au total, le traité rassemble 37 signataires, représentant 28 forces politiques différentes. L’espace lorrain se fragmente donc en une trentaine de principautés et de baronnies, dont les terres se chevauchent ou s’entremêlent, ce qui renforce encore les effets du morcellement politique. Encore la Commune Trêve de Lorraine ne rassemble-t-elle pas l’ensemble des princes de la région. Les évêques de Trèves, Metz, Verdun, et Toul n’y participent pas. Conformément aux traditions de l’Église impériale, ils disposent pourtant de temporels très importants, à l’image de celui de Metz dont les biens forment en plusieurs endroits des enclaves territoriales au sein du duché de Lorraine. Ils représentent donc de véritables puissances politiques locales. Mais les évêques ne sont pas seuls en lice. Ils doivent également composer avec les prétentions des chanoines de leur cathédrale, qui administrent indépendamment une partie des biens de l’évêché. À Toul, par exemple, les prévôtés de Brixey et de Void étaient gérées directement par les chanoines. Ceux de Metz jouent également un rôle très important. Seul le chapitre de Verdun est plus ou moins exclu de la gestion du temporel épiscopal15. Enfin, même s’ils ne résident généralement plus dans la ville cathédrale, les évêques, tout comme les chanoines, y possèdent encore certains droits. Loin de représenter une force unique, chaque cité épiscopale regroupe donc à elle seule trois entités politiques différentes, représentées par l’évêque, le chapitre et les bourgeois. On mesure ainsi l’ampleur des divisions politiques au sein de l’espace lorrain à la fin du Moyen Âge. La Commune Trêve de Lorraine ne rassemble pas seulement des hommes ; elle délimite également l’espace, cartographié ci-dessous, sur lequel s’étend sa protection. Celui-ci englobe, outre les territoires des différents signataires, les principautés épiscopales de Metz, Toul, et Verdun. Il longe, à l’Est, le versant oriental du massif des Vosges de Belfort à Bergzabern, puis rejoint la Sarre à Montclair en contournant le comté de Deux-Ponts. Il couvre ensuite tout le duché de Luxembourg, touche la Meuse à Dinant, puis remonte le fleuve jusqu’à Stenay. De là, il suit à peu près la limite occidentale du duché de Bar, par Varennes, Clermont-en-Argonne, Revigny, Bar, Gondrecourt, Lamarche et Conflans, puis rejoint Belfort par Remiremont et Letraye.
14 Ch. Kraemer, « Épinal au Moyen Âge, une ville vosgienne comme les autres ? », in J.-P. Rothiot (dir.), Épinal : du château à la préfecture, Actes des Journées d’Études vosgiennes d’Épinal, 23-24 octobre 1999, no spécial des Annales de l’Est, P.U.N., 2000, 311 p., p. 45-66. L’article traite à la fois d’Épinal, de Neufchâteau, de Mirecourt et de Charmes. 15 Fr. Hirschmann, Verdun im hohen Mittelalter, op. cit., p. 624-633 ; G. Bönnen, Die Bischofsstadt Toul, op. cit., p. 367-374 ; H. Tribout de Morembert (dir.), Le diocèse de Metz, op. cit., p. 7-67.
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Limites de 1343
Agrandissement de 1346
Limites de 1348
TOUL : Participants de 1343
Figure 11 : Limites de la Commune Trêve de Lorraine (1343-1348)16
16 La carte est reprise de l’ouvrage de M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 196. Luimême l’a extraite du travail de H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit.
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Pour prendre toutefois pleinement conscience de la réalité de l’espace lorrain aux yeux des hommes de la fin du Moyen Âge, il importe de tenir compte des changements survenus au cours des années suivantes. Dès 1344 en effet, l’archevêque de Trèves se joint au traité et le temporel de l’archevêché est placé sous la protection des neuf gardiens de la Trêve. Quatre ans plus tard en revanche, la majeure partie du duché de Luxembourg, l’archevêché de Trèves et les territoires situés sur la rive gauche de la Meuse sont laissés en dehors de la zone protégée17. La Lorraine médiévale apparaît en somme comme un espace à géométrie variable : au sens large, elle s’étend de la Champagne aux Vosges et de Belfort à Coblence et à Dinant. Mais le duc de Bar est de plus en plus attiré vers l’ouest par le Royaume, celui de Luxembourg regarde vers le nord, et l’archevêque de Trèves se tourne vers le Rhin18 ; leurs principautés occupent une position marginale par rapport à la Lorraine, dont le cœur se situe entre la Meuse à l’Ouest, les Vosges à l’est, Trèves au nord et Remiremont au sud. L’émiettement politique est tel que toute délimitation précise des contours de l’espace lorrain s’avère impossible. Lignes de clivage et oppositions
Ce morcellement est source de nombreux conflits, qui se multiplient et se renouvellent sans cesse depuis le xiie siècle. Les seigneuries lorraines s’affrontent, signent des paix qui ne durent pas, se regroupent dans des coalitions hétéroclites et éphémères ; tout cela rend l’histoire régionale très confuse. Derrière l’écheveau des guerres, des alliances et des combinaisons diplomatiques se dessinent toutefois certaines lignes de clivage permanentes au sein de l’espace lorrain. La première, la plus ancienne, la plus importante, oppose les duchés de Lorraine et de Bar pour l’hégémonie sur la région. L’origine en remonte au début du xie siècle, lorsque l’empereur délègue ses pouvoirs sur la Lorraine à un membre de la maison d’Alsace, alors que le comte de Bar estimait être le candidat naturel au titre ducal19. Depuis lors règne une hostilité durable entre la maison de Bar, puissante, entreprenante et dynamique, et celle de Lorraine, plus faible, mais plus prestigieuse20. Les relations entre les deux grands connaissent des phases successives de tension, d’accalmie, voire d’amitié ; à long terme toutefois, la rivalité entre les deux principautés constitue une donnée structurelle de la vie politique régionale. Au xive siècle, la vassalité des princes barrois envers les ducs de Lorraine peut également fournir des motifs de friction supplémentaires : le 8 octobre 1370, Robert de Bar prête hommage à Jean Ier pour la tour de Bourmont, ainsi que pour les châteaux de L’Avant-Garde, Pierrefort, Bouconville, Nonsard et Sommedieue ; Édouard, son fils, reprend à son tour ces terres en fief de Charles II
17 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 303. 18 M. Parisse, « Les Communes Trêves de 1343-1348 et la définition de l’espace lorrain », in Mélanges. Yves Le Moigne (1935-1991), historien de la Lorraine, Metz, 1992, p. 262-264. 19 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 116 et 120-121. 20 La comparaison de la politique matrimoniale des deux familles par exemple, tourne nettement à l’avantage des comtes de Bar. M. Parisse, Noblesse et chevalerie en Lorraine médiévale, op. cit., p. 234.
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en 139921. Mais en définitive, l’hommage ne pèse pas beaucoup sur les ducs de Bar et il n’entame pas du tout leur souveraineté22. L’inimitié entre princes laïques et ecclésiastiques constitue une autre ligne de force de la vie politique lorraine. À l’heure du renforcement des structures territoriales et institutionnelles des principautés, les temps ne sont guère favorables aux seigneuries ecclésiastiques : d’une part, le partage des biens de l’évêché entre mense épiscopale et mense canoniale nuit à la bonne gestion du patrimoine ; d’autre part, l’élection régulière d’un nouveau titulaire donne souvent lieu à des contestations. Autant d’occasions d’empiétements sur les temporels ecclésiastiques dont les ducs de Bar et de Lorraine ne se privent naturellement pas et face auxquelles tous les évêques n’ont pas à leur disposition des moyens identiques pour se défendre. L’archevêque de Trèves, prince Électeur de l’Empire, est de loin le mieux placé23. Les difficultés qui le mettent aux prises avec le duc de Lorraine dans la région du Saargau-Merzig s’apaisent assez facilement, dans les années 1360, par l’établissement d’un condominium sur la région, notamment sur le château de Montclair, qui contrôle la circulation dans la vallée de la Sarre24. Mais les évêques de Metz, Toul et Verdun ne bénéficient pas d’un tel prestige ; de plus, leur temporel, dispersé au cœur de la Lorraine, est beaucoup plus exposé aux attaques des seigneurs locaux. Ceux-ci cherchent par exemple à accéder aux mines de sel du Saulnois, région placée sous le contrôle de l’évêque de Metz25. Les guerres qui s’ensuivent, longues et coûteuses, contraignent les prélats messins à s’endetter, donc à mettre en gage des portions de plus en plus importantes de leur territoire, quitte à diminuer d’autant leurs ressources futures ; elles fragilisent également leur clientèle, un certain nombre de vassaux rechignant de plus en plus ouvertement à remplir leurs devoirs d’hommage et d’obéissance26. Nous y reviendrons. Du moins les évêques de Metz possèdent-ils les moyens de se défendre, ce qui n’est pas vraiment le cas de ceux de Toul et de Verdun. Au cours du xive siècle, les possessions verdunoises sont progressivement phagocytées par le duché de Bar, qui les encercle presque totalement27. Quant à l’évêque de Toul, doté d’un temporel très étriqué, il place régulièrement les biens de l’évêché et du chapitre sous la sauvegarde des ducs de Lorraine28, quitte à en appeler, lorsque celle-ci se fait trop pesante, aux
21 A.D.M.M. B 532, no 83 ; A.D.M.M. B 377, f. 164. 22 M. Bouyer, La principauté barroise, op. cit., p. 300. 23 F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne, op. cit., p. 34-38. En 1356, la Bulle d’Or, proclamée par l’empereur Charles IV, déclare les territoires des sept princes Électeurs inaliénables et indivisibles, pour préserver la puissance et la stabilité de ces sept piliers de l’Empire, ce qui consolide le temporel de l’archevêché de manière décisive. 24 A.D.M.M. B 933, no 65 : le traité de Burgfried, conclu le 24 octobre 1368, fait suite à de nombreuses tensions et difficultés, rappelées dans un acte d’hommage prêté, en 1432, par Arnoul de Sierck pour la partie du château relevant du duc de Lorraine (A.D.M.M. B 384, f. 75-77). 25 Ch. Hiegel, « Les nouvelles salines du Saulnois aux xiiie et xive siècles », art. cit., p. 58-59. 26 H. Tribout de Morembert (dir.), Le diocèse de Metz, op. cit., p. 47-67. 27 A. Girardot, Le droit et la terre, op. cit., passim. 28 A.N. KK 1126, layette Toul évêché, no 54, acte de 1358 concernant la mense épiscopale. La sauvegarde ducale sur la mense canoniale est confirmée par le duc Jean Ier en 1362 (A.D.M.M. G 1384, no 104, p. 182).
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ducs de Bar ou aux rois de France tout proches. Mais c’est alors échapper à un danger pour tomber dans un plus grand29. En cette fin de Moyen Âge, les principautés épiscopales se retrouvent donc constamment sur la défensive. Une troisième ligne de clivage oppose enfin, au sein de l’espace lorrain, les principautés rurales aux pouvoirs urbains. Par leur richesse comme par le potentiel militaire qu’elles représentent, les villes suscitent la convoitise des princes lorrains. Face à eux, toutes ne disposent pas des mêmes capacités de résistance. Toul est de loin la plus pauvre. Mais Verdun n’a pas plus qu’elle les moyens de préserver totalement son indépendance. Ces deux cités doivent se trouver un protecteur : la géographie, pour l’essentiel, commande le choix du duc de Lorraine pour la première et du duc de Bar pour la seconde30. L’équilibre entre les deux duchés rivaux est ainsi préservé, mais il demeure précaire : les villes en effet ne manquent pas la moindre occasion de contester leur subordination envers l’autorité ducale, qui reste d’ailleurs toute relative. Elles tentent pour ce faire de profiter des rivalités entre princes lorrains : Toul essaie de jouer Bar contre la Lorraine, tandis que Verdun compte sur Luxembourg pour contrecarrer l’influence barroise31. Tout cela contribue aussi à aviver les tensions, déjà permanentes dans la région. Les relations ne sont pas meilleures avec Metz, bien au contraire. À la convoitise s’ajoute en effet la jalousie envers la puissance financière du patriciat messin, qui prête aux nobles lorrains des sommes parfois très importantes, moyennant la mise en gage de seigneuries entières. Pris aux pièges de l’endettement, ces nobles ne voient bien souvent d’autre solution que de s’en prendre à la cité. Si même les ducs ne peuvent espérer s’emparer d’une ville autrement plus puissante que ses voisines verdunoise et touloise, ils obtiennent souvent le remboursement partiel ou total de leurs dettes, en contrepartie du rétablissement de la paix32. La situation des ducs de Bar et de Lorraine à l’égard des financiers messins n’a toutefois rien de comparable33. Robert Ier de Bar a accumulé les dettes envers les citains de Metz durant la seconde moitié du xive siècle. Il doit en outre leur promettre le versement d’une rançon colossale de 120 000 florins, après avoir été fait prisonnier par les Messins au cours d’une de ses nombreuses chevauchées sur les terres de la cité. Les paiements effectifs se limiteront finalement à 20 000 florins, mais le duc de Bar n’en tombe pas moins dans la dépendance financière de la ville et ce, pour plusieurs décennies. Jean Ier et Charles II se sont montrés, eux, plus raisonnables et ont utilisé plus modérément les services des créanciers messins.
29 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, vol. I, Nancy, 1900, 602 p., p. 353-354. 30 A. Girardot, Le droit et la terre, op. cit., p. 137-145 et 154-156. Quant aux ducs de Lorraine, ils prennent régulièrement la cité touloise sous leur protection, moyennant finance, en 1352, 1358 et 1376. En 1375, les citains de Toul qualifient Jean Ier de « gardien spécial » de la cité (A.N. KK 1126, layette Toul cité, nos 13, 37, 69 et 71). 31 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 361 ; Ch. Aimond, Les relations de la France avec le Verdunois, op. cit., p. 154-156. 32 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 190-193. 33 J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, op. cit., p. 305-310.
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L’argent n’est toutefois pas seul en cause. Riches, puissants, les patriciens ont placé une bonne partie de leurs revenus dans la terre, ce qui leur a permis d’accéder à la noblesse et à la chevalerie. Ils entendent s’adresser aux ducs sur un pied d’égalité, prétention dont ces derniers prennent ombrage. Entre la chevalerie lorraine et le patriciat messin, des frictions naissent régulièrement, liées aux questions d’honneur et de préséance. En témoigne la croisade en Prusse effectuée conjointement par le duc Charles II et certains chevaliers messins en 1399 : Audit an, le mercredy, jour de feste de Saincte Catherine, partont de Mets, pour alleir en Prusse, sire Jaicque Dex, chevalier, Jehan Noiron, Jehan de Vy, Louis Paillat, Jehan de Wauldrevange, Perrin le Gournais, Jehan Crowellet dit Faulquenel, Guerciriat Boullay et Molrisat de Latour ; et s’en allont a Nancey pour alleir en la compaignie de Charles, duc de Loraine. Et quant ilz vinrent au pays de Prusse, le duc de Loraine leur eust vollentiers paie leur despens, mais qu’ilz se volcissent mettre dessoubz sa banniere en la reize. Mais les seigneurs qui estoient de Mets, respondont par la bouche du sire Jaicque Dex, qu’il ne luy volcisse mie desplaire, car ilz estoient venus au pays a leurs propres fraits et despens pour acquerir honneur, et qu’il ne leur seroit convenable eulx tireir soubz aultre banniere du pays. Dequoy ledit duc se tint pour mal content et y eult plusieurs aultres parolles qui seroient trop longues a reciteir34.
L’affaire ne porte pas à conséquence et le retour se fait sans heurts. Mais l’épisode est malgré tout révélateur : les citains dénient au duc de Lorraine toute forme de supériorité, même honorifique. Charles II, quant à lui, tente d’accroître son influence sur la cité en établissant des relations de clientèle avec certaines familles du patriciat messin, afin de constituer à l’intérieur de la ville un parti qui lui soit favorable. Les ducs de Bar et de Luxembourg, de leur côté, en font autant35. Les relations entre villes et seigneurs lorrains sont donc marquées du sceau de l’ambiguïté : contraints, pour des raisons économiques et politiques, de ménager les pouvoirs urbains, les princes leur tiennent souvent rancœur de leur richesse et gardent le secret espoir de les placer sous leur domination et de les incorporer à leurs États. Il faut y voir « la conséquence d’une tension irréconciliable entre deux modes de vie, deux modèles économiques et, pour tout dire, deux conceptions du pouvoir et de la société »36. Ce rapide tableau des forces politiques lorraines laisse entrevoir l’extraordinaire complexité de l’histoire régionale dans la seconde moitié du xive siècle. Les conflits 34 B. M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 25. Le récit est repris, en des termes tout à fait similaires, dans Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 122. Sur ce sujet, voir également W. Paravicini, Die Preussenreisen des europäischen Adels, Sigmaringen, 1989, vol. I, p. 81-84. 35 J. Schneider, La ville de Metz, op. cit., p. 489 : Un certain nombre de familles messines prêtent par ailleurs hommage aux ducs de Lorraine pour des fiefs de diverse nature : les Le Borgne (A.D.M.M. B 708, no 14) ; les Baudoche (A.D.M.M. B 379, f. 449 et A.D.M.M. B 377, f. 155) ; les Laître (A.D.M.M. B 379, f. 280, A.D.M.M. B 822, no 97 et A.D.M.M. B 377, f. 146) ; les Vy (A.D.M.M. B 377, f. 155 et A.D.M.M. B 377, f. 153) ; les Heu (A.D.M.M. B 377, f. 149) ; les Gournaix (A.D.M.M. B 377, f. 159v-160) ; et les Toul (A.D.M.M. B 377, f. 146v-147). 36 V. Toureille, Robert de Sarrebruck ou l’honneur d’un écorcheur (v. 1400-v. 1462), Presses Universitaires de Rennes, 2014, 272 p., p. 112.
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peuvent éclater à toute occasion. Toutefois, les clivages mentionnés n’empêchent nullement l’alliance momentanée de deux principautés a priori antagonistes. D’où le caractère instable, provisoire et très confus des combinaisons diplomatiques élaborées. Tentons cependant d’y voir un peu plus clair et d’évaluer le poids du duché de Lorraine à l’intérieur de l’espace lorrain. L’influence croissante des ducs en Lorraine (1350-1400)
Quelques grandes tendances se dessinent sur le long terme, à commencer par le renforcement du duché de Lorraine. Perceptible depuis le milieu du xiiie siècle37, l’évolution se confirme entre 1350 et 1400, résultat d’une politique suivie de la part de la maison ducale. L’emploi de la force : l’implantation dans le Saulnois
Pour la Lorraine médiévale, le sel représente une ressource essentielle. Les principaux gisements se situent dans le quadrilatère compris entre Château-Salins, Morhange, Fénétrange, et Gondrexange, que l’on appelle le Saulnois. Les évêques de Metz contrôlent la majeure partie de ce territoire ; ils exploitent le sel de très longue date à Vic, Moyenvic et Marsal. Mais l’augmentation considérable des puits à partir du xiiie siècle suscite la convoitise des autres princes, notamment des ducs de Lorraine. Ceux-ci disposent de salines à Rosières, à Dieuze et à Lindre, mais ce sont là des établissements d’importance secondaire. Entre ducs et évêques, le conflit éclate au début du xive siècle, lorsque les premiers manifestent leur volonté d’élargir leur implantation dans le Saulnois. En 1326, ils détruisent la saline épiscopale de Vic. Vers 1340, ils font bâtir une forteresse à Château-Salins, destinée à protéger la mise en service de nouveaux gisements, défi auquel l’évêque de Metz réplique par la construction du château de Beaurepaire, sur le ban du village voisin de Coutures. S’ensuit une série de conflits, dont le village d’Amélécourt, avec sa fontaine salée, et le droit de fortification des ducs à Château-Salins constituent l’enjeu principal38. Au fil des guerres et des traités qui y mettent fin – le plus souvent provisoirement – les ducs parviennent à grignoter les possessions épiscopales et à accéder plus directement aux ressources du sel. En 1345, un premier arbitrage rendu par le comte de Sarrewerden au nom de la Commune Trêve ordonne la destruction de Château-Salins39. Mais deux ans plus tard, l’évêque Adémar de Monteil reconnaît à la duchesse régente Marie de Blois la possession de cette forteresse, moyennant hommage40. À sa majorité toutefois, Jean Ier se garde bien de reprendre la forteresse
37 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 143-194. 38 Ch. Hiegel, « Les nouvelles salines du Saulnois », art. cit., p. 52-66. 39 H. Levallois, Catalogue des actes de Raoul, op. cit., nos 473 et 478. 40 A.D.M.M. B 601, no 8, traité en date du 11 juin 1347. Marie de Blois prête effectivement hommage un mois plus tard, le 12 juillet : Ch. Moreau, Catalogue des actes de Jean Ier, op. cit., p. 35.
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en fief : les ducs sont donc parvenus de facto à faire admettre la légitimité de leur établissement dans le Saulnois. Parallèlement, ils se rendent maîtres d’Amélécourt. En 1358, le traité de paix mettant fin à la première guerre des salines établit une sorte de condominium entre le duc et l’évêque sur les villages d’Amélécourt, Salonnes et Coutures et prévoit la construction d’un puits et d’une saline commune, alimentée par des bois eux aussi indivis41. Le conflit rebondit pourtant vingt ans plus tard, lorsque le duc de Lorraine envoie en 1379 trois de ses conseillers dénoncer l’attitude de l’évêque devant les commissaires de l’alliance conclue entre les duchés de Bar et de Lorraine et l’évêché de Metz : Comme par reverend pere en deu l’evesque de Mes, ou par ses gens, aient estei fais et porteis asses nouvellement alcuns attemptalz sur une fontenne sallée et une certenne place estant au ban de Sallonne pres d’Amelecour, (…) ès quelz leus (…) nous predecessours ducz de Loherenne et nous meisme pour tout nostre temps avons joy et usei seul et pour le tout de toute haltour, domination, signorie, justice, talles, cherroy, graxe, et altre droit, de sic long temps qu’il n’est memoire d’omme au contraire, (…) nous vouz mandons et commettons, et a chascun de vous, que vous en vous personnes vous veullies transporter par devers les seix commis de nos dites alliances, en eux priant et requerant, de par nous, qu’il, par vertu de lour commission contenue plux plennement ès dites alliances, veullent deffendre et commander au dit reverend père (…) qu’il, par li ne par alcun en nom de li, ne veulle plus attochier ne attempter aux dites fontenne et place par meniere que soit42.
Cette plainte scelle la fin du compromis de 1358. Sous couvert d’une attitude défensive, Jean Ier pousse cette fois beaucoup plus loin ses pions et revendique l’entière souveraineté sur le ban d’Amélécourt. Il s’agit bien d’une nouvelle tentative d’empiétement sur les possessions épiscopales du Saulnois, à laquelle les « attentats » de l’évêque ne font sans doute que répliquer. Même s’il tente officiellement de régler le conflit de manière pacifique, le duc de Lorraine pense déjà à la guerre puisqu’il avait conclu quelques jours auparavant avec le duc de Bar une alliance lui accordant le tiers de tout ce qu’il possédait sur le territoire de Château-Salins en contrepartie de son aide en cas de conflit avec l’évêque de Metz43. Cette seconde guerre des salines s’achève sur la victoire définitive de Jean Ier. En mai 1381, l’évêque, battu, renonce à tous ses droits sur les villages d’Amélécourt et de Salonnes44. Au terme de plus d’un demi-siècle de conflits, les ducs lorrains sont parvenus à établir leur domination sur deux villages, à y exploiter le sel à leur guise et à fortifier leur nouvelle possession. Le bilan peut paraître mince, mais il témoigne d’une inversion du rapport de force entre le duché de Lorraine et l’évêché de Metz. Surtout, Jean Ier
41 A.D.M.M. B 814, no 3. Ce traité reprend presque mot à mot les termes d’un premier accord, daté du lundi après les Bures, 27 février 1352 (BnF Col. Lor., no 254, f. 115), lui-même proche des termes de celui de 1347. 42 A.D.M.M. B 601, no 19, en date du 22 avril 1379. 43 A.D.M.M. B 601, no 17. Le traité est conclu le 4 avril 1379. 44 A.D.M.M. B 422, f. 251v-253v : ce traité est signé le 23 mai 1381. Voir aussi Ch. Hiegel, « Les nouvelles salines du Saulnois », art. cit., p. 65.
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parvient sans trop de mal à indemniser ses vassaux et alliés au cours des années 138045. L’évêque sort en revanche ruiné de ce conflit. Il doit mettre en gage de nombreux territoires, ainsi que l’atelier monétaire qu’il possède à Metz46. C’est le début d’un long déclin politique pour la principauté épiscopale. Réseaux et clientèles
La force ne constitue toutefois pas le moyen le plus sûr, ni le plus efficace, pour étendre l’influence ducale au sein de l’espace lorrain. Réseaux, clientèles, alliances matrimoniales et diplomatiques permettent souvent d’obtenir des résultats plus importants. Les succès obtenus par les ducs dans ce domaine à la fin du xive siècle en témoignent. La désignation des prélats au Moyen Âge ne laisse aucun prince indifférent. En Lorraine, elle représente toutefois un enjeu particulier, les évêchés constituant des puissances temporelles auxquelles aucune autorité supérieure ne peut véritablement en imposer. La réforme grégorienne avait confié l’élection des évêques aux chapitres, souvent peuplés par les cadets de la noblesse locale. À Metz, ceux-ci avaient par exemple élu un Jacques de Lorraine en 1239, ou un Renaud de Bar en 130247. Mais au cours du xive siècle, des papes centralisateurs s’étaient réservé la quasi-totalité des nominations, réduisant d’autant l’influence des princes locaux48. Jusqu’en 1378, seul Thomas de Bourlémont, évêque de Toul en 1330, élevé à la cour de Nancy, appartient à la clientièle ducale49. Après cette date, le Grand Schisme change cependant à nouveau la donne. La concurrence des papes romain et avignonnais les rend en effet beaucoup plus sensibles aux exigences des princes locaux, de peur de voir ces derniers basculer dans l’obédience adverse. Cette nouvelle conjoncture permet alors aux ducs de Lorraine de placer leurs candidats sur deux des trois sièges lorrains. Raoul de Coucy devient évêque de Metz en 1387. A priori, le personnage doit davantage son élection à la position de sa famille auprès du roi de France qu’à l’influence du duc de Lorraine. Enguerran de Coucy, cousin de Raoul, est à cette époque le protégé du duc d’Orléans, donc proche du roi50. Évoquant l’investiture
45 Les archives lorraines contiennent de nombreuses quittances concernant ce conflit. Elles concernent Jean de Beauffremont (BnF Col. Lor., no 4, f. 26), Thomas d’Endingen (BnF Col. Lor., no 86, f. 85), Jean des Fontaines et Perceval d’Enneval (BnF Col. Lor., no 4, f. 25), Wernlin de Güte (BnF Col. Lor., no 49, f. 38), Jean de Oberschaeffolsheim (A.D.M.M. B 492, no 41), Étienne d’Oiselay (A.N. KK 1123, layette mélanges no 67), Guillaume, bâtard de Poitiers (A.D.M.M. B 834, no 157), Guy le Port (A.N. KK 1123, layette mélanges, no 68), Bullin de Seroncourt (BnF Col. Lor., no 4, f. 40), et Gérard de Vehière (BnF Col. Lor., no 98, f. 76). Le dernier remboursement a lieu le 1er octobre 1388. Seul Bullin de Seroncourt a dû employer la force pour obtenir satisfaction. 46 BnF Col. Lor., no 320, f. 153 ; et Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 166-168. 47 H. Tribout de Morembert (dir.), Le diocèse de Metz, op. cit., p. 52 et 56. 48 J. Chélini, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, Hachette, 1991, 661 p., p. 519-521. 49 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 352. 50 B. Tuchman, A distant mirror. The Calamitous 14th century, New York, Paperback, 1987, 677 p.
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du nouveau prélat, les chroniques messines relatent ainsi la présence d’Enguerran et du vicomte de Meaux à ses côtés, nullement celle de Jean Ier : Raoult de Coucy fut le septante sixiesme evesque de Mets et fut receu a la grant eglise par le chappistre d’icelle, le jour de l’epiphanie, ledit an courant le milliaire par mil IIIc et LXXXVII ans. Et vint avec luy le seigneur de Coucy et le viez comte de Myaulx51.
Le duc de Lorraine ne peut toutefois que se réjouir de la désignation de Raoul. Il avait en effet marié sa fille, Isabelle de Lorraine, avec Enguerran de Coucy l’année précédente, comme le mentionne de façon révélatrice la chronique du doyen de Saint-Thiébaut : « en celle annee mariat le duc de Lorrenne sa fille au sire comte de Coussey52 ». Les liens familiaux rapprochent donc le duc et le nouvel évêque, dont les territoires s’imbriquent fortement par ailleurs. La complicité entre le successeur de Jean, Charles II, et son beau-frère Raoul de Coucy ne se démentira jamais ; elle transparaît dans les nombreuses alliances conclues entre eux, pour divers motifs53. Aux dires de l’historien lorrain Dom Calmet, l’influence du duc de Lorraine, peu évidente pour l’élection de Raoul, s’avère déterminante dans le choix de Philippe de Ville comme évêque de Toul, le 26 décembre 1398 : Charles II duc de Lorraine s’employa avec beaucoup d’ardeur à faire élire pour évêque de Toul Philippe de Ville son parent, qui était chanoine de la cathédrale. Il fit pour cela plusieurs voyages à Toul, et disposa les chanoines à lui donner satisfaction. Le duc était entré dans l’obédience de Benoît XIII, après la mort d’Urbain VI, et le chapitre de Toul se trouvait alors dans la même obédience. Les uns et les autres étaient fort persuadés que Benoît XIII n’aurait garde de refuser la confirmation et les bulles, à celui qui serait présenté par le duc et par le chapitre, dans la crainte qu’ils ne se départissent de son obédience. (…) Il [Charles II] vint à Toul le jour de l’élection, et y assista avec Ancelin d’Arguel, Henri d’Amance et Louis de Dammartin : mais Jean de Ville père de Philippe, fut obligé d’attendre à la porte du chapitre, avec ses deux fils Henri et Antoine, jusqu’à ce que l’élection fût faite54.
Philippe de Ville n’est certes pas le « parent » du duc de Lorraine, mais bien plutôt son familier : la maison de Ville appartient en effet au noyau dur de l’entourage ducal55. L’ensemble du récit est donc empreint d’une grande vraisemblance. L’élection permet à Charles II d’accroître son influence sur un évêché dont les territoires jouxtent la capitale du duché ; elle constitue également un excellent moyen de récompenser à peu de frais les services et la fidélité de cette famille. Le déroulement de la négociation montre quant à lui les pressions que le duc peut exercer sur le chapitre et même sur
51 J.-Fr. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 118. 52 B. M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut, op. cit., f. 22v. 53 En 1391, les deux princes signent tout d’abord un traité de Landfried (A.D.M.M. B 424, f. 139). Charles II vient ensuite en aide à l’évêque de Metz contre Henri Bayer de Boppard la même année (A.D.M.M. B 880, no 125), puis contre le comte de Linange dix ans plus tard (A.D.M.M. B 946, no 3). Il prête enfin des sommes considérables à son cousin, en proie à de graves difficultés financières (voir ci-dessous dans ce même chapitre). 54 Dom A. Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., t. III, p. 590-592. 55 Cf. Annexe 2.
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le souverain pontife, dans le contexte du Grand Schisme. Contesté jusque dans son propre camp, assiégé dans son palais d’Avignon par les troupes royales, Benoît XIII ne peut rien refuser aux personnes qui se prononcent encore en sa faveur56. Le chapitre non plus n’est pas en mesure de s’opposer aux volontés du duc, ni même à la présence physique du prince et de plusieurs de ses conseillers lors de l’élection ; il parvient seulement à sauver les apparences en maintenant à l’extérieur du lieu de réunion le père et les deux frères du candidat pressenti. L’événement reflète enfin l’autorité croissante des ducs de Lorraine dans la région. Le duc de Bar ne cherche visiblement pas à contrecarrer l’accession à l’évêché d’un fidèle de Charles II. Et le roi des Romains Wenceslas de Luxembourg, soucieux de défendre les intérêts du pape romain Boniface IX, ne dispose pas d’un crédit suffisant pour faire échec aux ambitions du duc de Lorraine : le gouverneur de Luxembourg, envoyé à Toul pour demander aux chanoines de choisir un candidat favorable au pape de Rome, ne peut rien obtenir d’autre qu’une prébende canoniale en faveur de son fils57. Vers 1400, deux des trois sièges épiscopaux lorrains sont donc occupés par des parents et clients de Charles II. La dynastie lorraine remporte également quelques beaux succès matrimoniaux. Nous avons déjà évoqué les heureuses conséquences du mariage d’Isabelle de Lorraine avec le sire de Coucy en 1386. Au terme de rapides négociations, Charles II parvient également à unir Ferry de Lorraine, son frère cadet, à Marguerite de Joinville, héritière de la baronnie du même nom et, surtout, du comté de Vaudémont. Il s’assure par là l’amitié et l’alliance d’une principauté constituant une enclave au sein du territoire ducal. Une future réunion du comté et du duché est même envisageable dans l’avenir : à 39 ans, Marguerite de Joinville n’a eu aucun enfant de ses deux premiers mariages ; tout porte à croire qu’elle n’aura pas d’héritier et que Ferry, âgé de 18 ans seulement, lui survivra. Le duc de Bar ne s’y trompe d’ailleurs pas : avant même la célébration de cette union, il s’empresse de rappeler sa suzeraineté sur le comté, que Marguerite, encore veuve, doit reprendre de lui en foi et hommage dans la salle de parement du château de Bar, en grande solennité, le 4 juin 139358. Le rapprochement LorraineVaudémont n’en est pas moins décisif, inscrit dans la titulature même du nouveau comte : « Ferry de Loherenne, comte de Valdemont, sire de Rumigny et de Boves59 ». L’évêché de Metz en 1387, le comté de Vaudémont en 1393, l’évêché de Toul en 1398 : trois entités politiques importantes entrent dans l’orbite ducale en un peu plus d’une décennie, modifiant ainsi sensiblement l’équilibre des forces au sein de l’espace lorrain. Ces succès paraissent plus probants que les laborieuses conquêtes réalisées aux dépens des évêques de Metz dans le Saulnois. Mais les deux se complètent. Les ducs ne renoncent pas non plus, bien au contraire, à d’autres formes d’expansion territoriale.
56 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons. La maudite guerre, Paris, Perrin, 2001, 309 p., p. 38-40. 57 Dom A. Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 590-592. 58 M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », art. cit., p. 176-181. 59 A.D.M.M. B 711, no 62, en date du 26 décembre 1396.
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L’argent
À la fin du xive siècle, les ducs de Lorraine bénéficient d’une plus grande aisance financière. Une fois remboursées les dettes consécutives à la crise des années 1360-1380 et aux guerres des salines, ils parviennent même à dégager quelques excédents60. Situation dont profite Charles II pour accroître ses possessions et donner une plus grande cohérence au territoire ducal. La carte de la figure 12 en témoigne. C’est une véritable offensive financière, répondant à une stratégie d’accroissement territorial, que mène le duc en direction de l’évêché de Metz dans les années 1390. Laissons parler les sources : le 12 mai 1395, l’évêque engage à Charles II les villes de Saint-Avold, Nomeny, Manoncourt et tout le ban de Delme, la moitié de la ville de Hombourg-Haut et le tiers de l’étang et de la châtellenie de Fribourg61. Le 14 février 1396, Charles II lui redonne le tiers de Nomeny et du ban de Delme, en contrepartie du château et de la ville de Baccarat62. Le 2 mars de la même année, Charles II reçoit la moitié des châtellenies de Rambervillers et d’Épinal, puis la ville de Sarrebourg le 7 juin, en échange de nouveaux prêts63. La tendance se confirme dans les années suivantes. En 1401, incapable d’empêcher les comtes de Linange et de la Petite Pierre, ses vassaux, d’établir un étang et un péage sans sa permission, Raoul de Coucy promet à Charles II la somme de 14 500 francs, pour prix de son aide64. En septembre 1402, les deux hommes décident enfin de gérer en commun leurs salines pendant une durée de huit ans65. Un tel accord profite davantage au duc de Lorraine qu’à l’évêque de Metz. Charles II accède ainsi beaucoup plus largement, et sans coup férir, aux ressources du Saulnois. La noblesse ducale n’est pas non plus en reste : le 2 mars 1396, Jacques d’Amance, maréchal du duché de Lorraine, et Henri d’Ogéviller, conseiller de Charles II, prennent en gage les villes de Moyen et de Vathiménil66. Au total, ce sont plus de 33 000 francs qui ont été déboursés par le duc de Lorraine. Une partie de cet argent est employé au rachat de territoires des mains d’autres engagistes. En choisissant Charles II comme unique créancier, le but de l’évêque est de faire de celui-ci, de facto, le protecteur du temporel épiscopal, en attendant des jours plus favorables. Ceci renforce l’alliance qui unit les deux princes, mais place du même coup l’évêché de Metz sous la tutelle du duc de Lorraine. Certes, la plupart des acquisitions de Charles II ne sont que partielles et provisoires, mais les biens engagés par Raoul de Coucy amoindrissent considérablement les ressources 60 Voir ci-dessus chapitre 1. 61 Ces engagements correspondent à trois prêts de 4 000, 7 000 et 800 francs consentis le même jour par le duc (A.D. Mos. G 5, f. 1-2, f. 7-9, et B 2343). 62 A.D. Mos. G 5, f. 11-13. 63 A.D. Mos. G 5, f. 2-6 pour le premier, et A.N. J 989 A no 14. Les montants versés par le duc de Lorraine s’élèvent à nouveau à 4 000, 800 et 2 000 francs. Raoul de Coucy veut également aider son cousin Enguerran à financer sa participation à la croisade contre les Turcs, au cours de laquelle il trouvera la mort à Nicopolis. 64 A.D.M.M. B 946, no 3 et A.D.M.M. B 808, no 8. Il s’agit en fait de deux traités d’alliance séparés contre chacun des deux comtes. 65 B.M. Ms 237, f. 59. 66 A.D. Mos. G 5, f. 13-16.
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ARCHEVÊCHÉ DE TRÈVES
DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Sa
r re
Hombourg
DUCHÉ DE BAR
Saint-Avold
Metz
Hellimer
ÉVÊCHÉ DE TOUL Me us
Nomeny
Deux-Ponts (Zweibrucken)
Sarrebruck
COMTÉ DE SARREBRUCK
Hornbach
COMTÉ DE DEUX-PONTS
Sarralbe Guéblange
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Fribourg
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Mo sell e
TERRITOIRES ALSACIENS
u rt h
e
Rhin
1 36
Vathiménil Gerbéviller
Baccarat
Moyen
Sélestat
Rambervillers
DUCHÉ DE BAR
0
Épinal
10km
Colmar
COMTÉ DE BOURGOGNE
Bailliages et enclaves :
Limites territoriales :
Places fortes et villes :
Bailliage de Nancy
Certaines
Totalement prises en gage par le duc Charles II
Bailliage des Vosges
Probables
Bailliage d’Allemagne
Possibles
Enclaves au sein du duché de Lorraine
Autres villes
Partiellement prises en gage par le duc Charles II Prises en gage par des conseillers du duc Charles II Nancy, capitale du duché de Lorraine
Figure 12 : Le renforcement de la cohésion interne du duché de Lorraine à la fin du XiVe siècle (1390-1400)
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épiscopales, rendant ainsi le redressement futur de ses finances d’autant plus difficile. En attendant le remboursement des prêts, le duc administre lui-même une part des biens de l’évêché. Ainsi Charles II et Raoul de Coucy concluent-ils dès le 28 août 1396 un traité de Burgfried qui règle les modalités de leur possession commune des forteresses partiellement mises en gage67. Les transferts de pouvoir ne s’opèrent d’ailleurs pas toujours dans le calme, notamment lorsque les villes concernées disposent d’une personnalité juridique. Sarrebourg et Épinal refusent ainsi de prêter serment au duc de Lorraine, prétendant que les franchises dont elles bénéficient les rendent non-gageables pour les dettes de l’évêché. Mais elles ne peuvent résister bien longtemps à la pression militaire conjointe du duc et de l’évêque. Avec Épinal, le conflit ne dure que quelques semaines68. Mais il faudra deux ans à Charles II pour soumettre Sarrebourg et lui faire reconnaître son droit à s’immiscer dans les affaires de la cité « comme si elles estoient les nostres69 » : le traité de paix l’autorise d’ailleurs à pénétrer dans la ville avec cinquante chevaux, alors qu’auparavant l’évêque, pourtant seigneur temporel de la cité, n’avait droit qu’à vingt. En contrepartie de leur soumission, le duc promet aux deux communes de les défendre contre toute attaque et reconnaît explicitement leurs privilèges70. Il n’empêche qu’il considère bien ces territoires comme pleinement siens, même s’il ne les possède qu’à titre de caution. Le choix de telles acquisitions ne doit naturellement rien au hasard. Il s’agit presque toujours d’enclaves du temporel messin au sein du duché de Lorraine. Ces biens, les plus difficiles à défendre pour l’évêque, font obstacle à la continuité territoriale de la principauté ducale. Baccarat, Rambervillers, Épinal, Moyen et Vathiménil sont autant de villes et de lieux fortifiés permettant de relier le cœur du duché, autour de Nancy et Mirecourt, aux possessions vosgiennes du duc. Les bailliages de Nancy et des Vosges gagnent ainsi en cohésion. L’acquisition du quart de la châtellenie de Gerbéviller, le 9 septembre 1399, des mains d’Isabelle de Bar, dame d’Arckel et de Pierrepont, obéit à la même logique71. Vers le nord-est, Saint-Avold, Hombourg et Sarrebourg représentent aussi trois points d’appui essentiels qui protègent les territoires du bailliage d’Allemagne des convoitises des nombreux et turbulents seigneurs sarrois, tels les Bayer de Boppard. Raoul de Coucy et Charles II s’étaient alliés contre eux en 1391 ; six ans plus tard, l’évêque engage au duc de Lorraine une partie des forteresses d’Albestroff, de Guéblange et de la ville d’Hellimer, dont il s’est rendu maître72. En 1401, Charles II complète son implantation dans la région lorsque Conrad Bayer de Boppard lui engage le quart de la ville de Sarralbe73. Le duc installe donc ses garnisons dans une série de forteresses qui relient le bailliage
67 A.D. Mos. G 5, f. 31-34. Sur la notion de Burgfried, voir ci-dessous. 68 A.D.M.M. B 675, no 53, et Arch. Com. Épinal, FF 44, no 14, tous deux datés de 1396. 69 A.N. J 989 A, no 17, septembre 1398. Voir aussi J.-Y. Le Moigne, Histoire de Sarrebourg, Metz, Serpenoise, 1981, p. 112-113. 70 A.N. J 989 A, no 17bis, septembre 1398. 71 A.D.M.M. B 379, f. 5-6. Sur ce point, voir également la figure 12 : « Le renforcement de la cohésion interne du duché de Lorraine à la fin du xive siècle ». 72 A.D. Mos. G 5, f. 18-19, 14 janvier 1397. 73 A.D.M.M. B 489, no 24.
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d’Allemagne à celui de Nancy et à la région de Dieuze et de Château-Salins. Même s’ils ne conduisent à aucune annexion, ces gains territoriaux n’en sont pas moins décisifs ; Charles II peut désormais se rendre d’un point à un autre de son duché en toute sécurité. Ce n’était pas vraiment le cas de son prédécesseur. Conquêtes, achats, réseaux, alliances : ces moyens ont permis aux ducs de Lorraine d’élargir leur assise territoriale et d’accroître leur prestige au sein du paysage politique lorrain. Celui-ci se clarifie d’ailleurs quelque peu, au tournant des xive et xve siècles. À première vue, rien n’a changé en Lorraine aux alentours de 1400. Le morcellement politique n’a pas diminué. Mais cette stabilité apparente masque des mouvements de fond. L’emprise croissante des ducs de Lorraine sur les évêchés de Metz et de Toul et sur le comté de Vaudémont vient d’être évoquée. Les cités de Toul, Trèves et Strasbourg leur versent également des pensions d’un montant respectif de cent livres, 400 florins et un marc d’argent, en échange de leur protection ou de leur neutralité, même si cela n’implique aucun lien de subordination envers l’autorité ducale74. De son côté, le duché de Bar voisin connaît depuis le début du xiie siècle une évolution parallèle et place progressivement sous sa coupe la cité et l’évêché de Verdun75. À fin du xive siècle, les principautés de Bar et de Lorraine dominent donc de plus en plus nettement l’échiquier politique régional. Entre ces deux puissances ascendantes, l’association peut-elle prendre le pas sur la confrontation ? Au cours de leurs règnes, Jean Ier et Robert Ier parviennent à mettre en sourdine la rivalité traditionnelle entre la Lorraine et le Barrois. Ils se rencontrent régulièrement : Robert se rend à sept reprises à Nancy ; il y séjourne parfois plusieurs jours, une semaine en 1362, un mois en 139576. Les deux princes combattent ensemble contre les compagnies, appelées en Lorraine par le comte Henri V de Vaudémont et Pierre de Bar, sire de Pierrefort77. Ils font également cause commune contre l’évêque de Metz au moment de la seconde guerre des salines78. Ils échafaudent enfin le projet d’une double alliance matrimoniale unissant leurs maisons. Deux mariages sont prévus : celui d’Henri de Bar, fils cadet de Robert, avec Isabelle de Lorraine, la fille de Jean Ier ; celui de Ferry de Lorraine, le deuxième fils de Jean, avec Bonne de Bar, la sœur d’Henri. Les deux accords79, signés respectivement fin 1370 et le 5 avril 1379, rendent envisageable la réunion future des deux duchés sous une même autorité, en cas de décès sans enfant de l’un des deux héritiers. Le désir d’unification l’emporterait-il enfin sur les divisions ?
74 A.N. KK 1126, layette Toul cité, nos 37 et 69 ; A.D.M.M. B 950, nos 14, 15 et B 951, no 5 (Trèves) ; Dom A. Calmet, Histoire de Lorraine, t. III, op. cit., p. 508 (Strasbourg). 75 M. Bouyer, La principauté barroise, op. cit. ; M. Grosdidier de Matons, Le comté de Bar des origines au traité de Bruges, op. cit. ; fr. Bichelonne, Édouard Ier, comte de Bar (1302-1336), op. cit. ; et A. Girardot, Le droit et la terre, op. cit. 76 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 165-166. 77 BnF Col. Lor., no 251, f. 143 ; H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », art. cit., p. 128-199. 78 A.D.M.M. B 601, no 17. 79 A.N. KK 1122, layette mariages des comtes de Bar, no 61 ; A.N. KK 1123, layette mariages, no 10.
l e d u c h é au se i n d e l’e space lo rrai n ÉTATS BOURGUIGNONS
DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Trèves
ROYAUME DE FRANCE
ARCHEVÊCHÉ DE TRÈVES PALATINAT
Luxembourg
S ar r e Sarrebruck
Verdun Metz
Sarreguemines
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DUCHÉ DE BAR NANCY Bar-le-duc
Toul
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Sélestat
Vaudémont Saint-Dié
Rh in
Neufchâteau
TERRITOIRES ALSACIENS
Colmar
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Mo s e
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ÉTATS BOURGUIGNONS
0
20 km
Duché de Lorraine
Forces politiques ennemies ou rivales du duché de Lorraine
Comtes et seigneurs vassaux des ducs de Lorraine
Nancy, capitale du duché de Lorraine
Territoires placés sous la protection des ducs de Lorraine
Villes du duché de Lorraine
Autres entités politiques lorraines
Autres villes
Figure 13 : L’espace lorrain durant la seconde moitié du XiVe siècle
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Ces beaux projets ne se concrétisèrent pas80. En 1386, Isabelle de Lorraine épouse non pas Henri de Bar, mais Enguerran de Coucy. À la mort de Jean Ier, les relations entre son successeur Charles II et Robert de Bar se refroidissent nettement. Les négociations concernant l’union de Ferry de Lorraine et Bonne de Bar se poursuivent dans un premier temps : Robert Ier écrit à Ferry dès le 8 janvier 1391. Le 20 novembre de la même année, Charles II charge Jacques d’Amance et Jean de Parroy de mener à bien les pourparlers. Mais dès le 20 avril suivant, le ton du duc de Lorraine se fait plus pressant. À la suite de cette seconde ambassade, le projet de mariage est annulé, sans que l’on sache vraiment pourquoi et Ferry de Lorraine épouse quelques mois plus tard Marguerite de Joinville, comtesse de Vaudémont81. Si aucune rupture majeure ne se produit entre les deux principautés, la méfiance, les arrière-pensées et les rivalités demeurent manifestement trop fortes pour permettre un rapprochement durable et conduire la Lorraine sur la voie de l’unification. N’existe-t-il pour autant aucun élément transcendant les lignes de clivage traditionnelles ?
Une identité lorraine spécifique ? Poser la question de l’identité revient à tenter de mettre en évidence des normes de comportement communes, admises par l’ensemble de la société politique lorraine, à définir par conséquent une culture politique propre à la Lorraine médiévale, en la confrontant à celles des territoires voisins du Royaume et de l’Empire. Présence de la guerre
La guerre tient une place fondamentale dans la vie politique lorraine de l’époque. Le fait n’est pas nouveau, et perdure jusqu’à la fin du Moyen Âge. Les Lorrains apparaissent comme « batailleurs », « mus par ce goût permanent des armes82 » qui les pousse à se lancer dans des conflits souvent aussi futiles qu’inextricables et qui place les diverses principautés dans un état de guerre quasi-permanent. Jugeons-en par l’exemple du duché de Lorraine au cours de la seconde moitié du xive siècle. Le règne de Jean Ier (1346-1390) et les dix premières années de celui de Charles II englobent une période de cinquante-cinq années, au cours de laquelle on dénombre seulement quinze années de paix (1360-1361, 1377-1378, 1382-1390, 1399-1400). Encore ne faut-il pas en déduire qu’aucune expédition n’ait eu lieu dans le duché. Mais les chevauchées mentionnées relèvent plus d’opérations de police et de maintien de l’ordre que d’un conflit militaire mettant aux prises des adversaires clairement identifiés. En 1377 par exemple, le duc capture le chevalier Henri de la Roche, le force à réparer les dégâts qu’il avait commis sur l’abbaye de Tholey et ne le relâche ensuite qu’après
80 Voir le tableau généalogique de la maison ducale de Lorraine. 81 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 15 ; A.N. KK 1123, layette mariages, nos 12 et 67. 82 V. Toureille, Robert de Sarrebruck, op. cit., p. 41-42.
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lui avoir fait prêter hommage83. Un tel incident prouve que la sécurité dans le duché de Lorraine en période de paix demeure très relative. Jean Ier se trouve par ailleurs mêlé à trois conflits majeurs au cours de son règne, qui le contraignent à faire appel à des troupes nombreuses et à construire de véritables coalitions. Il s’agit des deux guerres des salines menées contre les évêques de Metz entre 1346 et 1358, puis entre 1379 et 1381, et de la guerre contre le comte de Vaudémont, de 1363 à 1367. Un traité de paix provisoire conclu en 1352 montre que la régente Marie de Blois, mère de Jean, bénéficie du soutien des comtes de Deux-Ponts, de Salm, de Sarrebruck et des sires de Forbach et de Fénétrange, tandis que le comte de Bar et la cité de Metz prennent le parti de l’évêque84. En 1363, la guerre contre Vaudémont mobilise des troupes considérables : le comte recrute la compagnie de routiers dirigée par l’archiprêtre Arnaud de Cervolles, qui rassemble près de 60 000 hommes85. Dans les années 1360-1380, de loin les plus terribles, le duché ne connaît presque aucun répit. Les choses se calment un peu par la suite, mais la paix n’en demeure pas moins précaire. À aucun moment elle ne s’étend à l’ensemble de la région. La guerre représente donc une situation normale pour les Lorrains de la fin du xive siècle ; elle semble bien constituer à cette époque le trait le plus caractéristique de leur culture politique. Reste à savoir s’ils l’aiment ou s’ils la subissent. À première vue, l’aristocratie lorraine aime la guerre. La violence aussi. Princes et seigneurs ne sont guère regardants sur les soldats qu’ils recrutent, au point d’ailleurs de ne pas toujours rester maîtres de la situation. Nous venons de mentionner le recrutement des routiers d’Arnaud de Cervolles par Henri V de Vaudémont contre les ducs de Bar et de Lorraine, à qui il refuse de prêter hommage86. Les routiers trouvent en Lorraine un terrain d’action très favorable. Mieux armés et plus nombreux que les troupes ducales, ils parviennent sans mal à les vaincre lors de « la besongne devant Saint-Velin87 » en 1363, puis à confisquer à leur profit les 30 000 florins prévus pour les rançons de Brocard de Fénétrange, Jean de Toulon et Conrad de Hinnen, et à extorquer à Henri de Vaudémont la somme de 20 000 livres pour consentir à l’évacuation du comté88. L’archiprêtre est alors engagé par Thiébaut de Blâmont, qui l’emmène ravager les terres du comte de Salm et de l’évêque de Strasbourg89. En 1365, Pierre de Bar-Pierrefort utilise à son tour les « Bretons » contre la cité de Metz90.
83 A.D.M.M. B 930, no 27. 84 BnF Col. Lor., no 254, f. 115. 85 Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 47-52. 86 M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », art. cit., p. 150. Le comté relève dans sa totalité du duché de Bar. Les ducs de Lorraine disposent, quant à eux, de la suzeraineté sur Chaligny. 87 A.D. Meuse, B 1419, f. 43 ; Saint-Blin, Haute-Marne, arr. de Chaumont. 88 M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », art. cit., p. 152-153. Les quittances d’Arnaud de Cervolles à Jean Ier montrent que l’argent des rançons lui a été versé directement (BnF Col. Lor., no 256, f. 15-16), contrairement à ce que stipulait le traité de paix (BnF Col. Lor., no 258, f. 8). 89 A. Dedenon, Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance, op. cit., p. 111. 90 H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », art. cit., p. 113-114. Ce surnom vient de l’origine géographique de la plupart des membres de cette compagnie.
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Il faudra attendre 1367 et l’auto-dissolution de la compagnie pour que les routiers quittent la Lorraine91. Non contents de recourir aux mercenaires étrangers, les seigneurs lorrains se font parfois eux-mêmes routiers et proposent leurs services aux plus offrants. C’est le cas de Brocard de Fénétrange, « un appert et hardis chevaliers durement, et renommés et usés d’armes92 », archétype du chef de guerre lorrain de cette époque. On le voit d’abord chevaucher dans le Barrois en 1354, en tant que gouverneur du duché de Lorraine, puis défendre l’évêché de Verdun contre les incursions de la régente de Bar Yolande de Flandre, quatre ans plus tard, avant de le croiser au service du roi de France contre les Anglais en 1360, puis de se retrouver en 1366 face à Pierre de Bar, seigneur de Pierrefort, un autre homme du même acabit, pour le compte de la cité de Metz93. Il laisse derrière lui une sinistre réputation, dont l’historiographie se fait l’écho : combattant les Anglais, Brocard aurait selon Henri Lefebvre terni sa gloire par une conduite odieuse. Dans la pénurie où se trouvait le trésor de France, il y eut quelque retard dans le paiement de ce qui lui était dû pour ses services. Fénétrange se paya lui-même et ses gens, en commettant, en Champagne, les plus grands excès […]. Il alla jusqu’à défier le duc de Normandie ; remboursé enfin, par ce prince, au-delà de ce qui lui était dû, il s’en revint avec ses soudards, tous riches, en Lorraine94.
Brocard de Fénétrange, Thiébaut de Blâmont, Henri de Vaudémont, Pierre de Bar-Pierrefort : autant d’exemples incarnant une noblesse lorraine dont la guerre est l’activité première, peut-être le plus grand plaisir, du moins la principale source de revenus, au point d’évoquer pour la région une « économie de la guerre », aux mains « d’entrepreneurs »95. Aux yeux d’une noblesse lorraine parfois désargentée, le métier des armes offre la seule perspective à la fois conforme à son statut social et potentiellement rentable, quoique risquée. Les princes de la région, ducs et évêques notamment, ont une autre stature, des ressources abondantes et variées. D’autres missions leur incombent, à commencer par le maintien de la paix sur leurs territoires. Eux non plus n’hésitent pourtant pas à enrôler les routiers : on retrouve ainsi Pierre de Bar aux côtés de Jean Ier en 1371-1372, puis de l’évêque de Metz quelques années plus tard96. La différence entre mercenaires et troupes dites régulières paraît, quoiqu’il en soit, bien ténue. Les armées des ducs de Bar et de Lorraine qui délogent les Bretons de la forteresse de Brixey en 1367 commettent dans les campagnes environnantes des ravages tout aussi importants que 91 H. Lepage, « Épisodes de l’histoire des routiers en Lorraine », Journal de la société d’archéologie et du comité du musée lorrain, Nancy, 1866, p. 167-186. Voir également Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 52. 92 S. Luce et K. de Lettenhove (éd.), Chroniques de Jean Froissart, Collection de la Société de l’Histoire de France, t. V, Paris, 1875, 421 p., p. 164. 93 H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », art. cit., p. 64-119 ; G. Poull, La maison souveraine et ducale de Bar, op. cit., p. 329. 94 H. Lefebvre, Ibid., p. 119. 95 V. Toureille, Robert de Sarrebruck, op. cit., p. 154-160. 96 A.D.M.M. B 424, f. 237 ; H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort », art. cit., p. 185-194.
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ceux dont l’archiprêtre s’était rendu coupable97. Treize ans plus tard, les chanoines de Verdun déplorent eux aussi le comportement des troupes de la coalition formée pour mettre un terme aux exactions de Pierre de Bar, seigneur de Pierrefort : Très saint Père, la sérénité de nos jours vient d’être troublée par un noir et épouvantable orage que l’éternel ennemi du genre humain a déchaîné sur nous. Un homme, roche de pierre par son nom, exterminateur de fer par son bras, nous a attiré, pour la répression de ses furieuses audaces, l’hostilité des ducs de Bar, de Luxembourg, de Lorraine, auxquels se sont joints les comtes de Salm, de Deux-Ponts, et de la Petite-Pierre (…) Ils ont, après avoir durement et rudement maltraité le pays, dirigé leurs préparatifs de ruine contre deux forteresses épiscopales nommées Charny et Sampigny ; et l’empressement de leur convoitise à dévorer ce malheureux évêché est affreux à voir, etc98.
Les chanoines de Verdun décrivent les méfaits des princes et ceux de Pierre de Bar dans des termes similaires. Ils rejettent certes la responsabilité de leurs malheurs sur ce dernier, qualifié « d’exterminateur », « d’ennemi du genre humain », de « furieux ». Mais le champ lexical n’est guère plus tendre à l’égard des ducs et de leurs alliés : la « convoitise », « l’hostilité » et la rudesse dont ils font preuve les rabaissent également au rang de seigneurs pillards qui n’aspirent qu’à « dévorer » les terres de l’évêché. Même s’il convient de faire la part d’éventuels topoï et exagérations, ces conflits et ces déplacements de troupes incessants semblent avoir bel et bien ravagé le temporel épiscopal verdunois. Alain Girardot estime que les pertes démographiques pourraient y atteindre 75% sur les deux derniers siècles du Moyen Âge99. Mais les clercs eux-mêmes partagent la mentalité belliqueuse de la noblesse lorraine, dont ils sont d’ailleurs souvent issus. À Toul par exemple, « les jeunes chanoines avaient pris goût à la lutte ; ils convoquèrent les gens de leur prévôté, les armèrent, les rangèrent en bataille sous les remparts, prirent eux-mêmes le commandement et défièrent hardiment les bourgeois100 » qui les avaient injuriés. Des princes aux seigneurs, des clercs aux laïcs, il semble bien que les Lorrains dans leur ensemble se retrouvent donc dans un usage immodéré des armes et de la violence. D’où leur réputation désastreuse auprès des sujets du Royaume. Le jugement des Français : entre condamnation morale et incompréhension politique Pres de ceste duché de Luxembourcq sur le midi est la duché de Lorraine, et le pais de Més, et la marquisé du Pont […] Les nobles de ce pays sont gens de guerre, et d’estrange querelle contre leurs voisins. Et pour peu de chose meinent guerre les ungs aux autres ; et le plus fort de leur guerre est a prandre et a chasser vaches. Et quant ilz ont prins les 97 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 365-366. 98 L. Clouet, Histoire de Verdun et du pays verdunois, 3 vol., Verdun, 1867-1870, t. 3, p. 374. Traduction de l’original latin conservé dans R. de Wassebourg, Premier et second volume des antiquitez de la Gaule Belgique, Paris, 1549, f. 443. 99 A. Girardot, Le droit et la terre, op. cit., p. 504-517. 100 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 337.
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bestes de leurs voisins ilz s’asemblent et apointent. Et pour ung nient et recommencent guerre et est par faulte de justice. […] Et est leur voisin le duc Stese de Baviere et le conte de Salebrusse, le conte de Nauso, le conte de Selverne […] Ces gens chevauchent bien, et sont gens de guerre, et bons arbalestriers a cheval, et s’arment legierement, et sont tost pres a fuir leurs voisins en guerre en les frappant. Et se faulte y a de paiement ilz leur font guerre incontinent101.
À l’instar du Héraut Berry, les Français dénoncent le recours systématique de la noblesse lorraine à la guerre, pour des motifs le plus souvent futiles. Cette image détestable ne date d’ailleurs pas d’hier ; elle remonte au moins au xe siècle102. Elle ne tient pas seulement à des considérations diplomatiques et géographiques. Les Bourguignons montrent par exemple la même réprobation envers la conduite de leurs voisins, alors même qu’ils entretiennent avec eux des contacts réguliers et amicaux à cette époque. La chronique de Jean de Praillon évoque ainsi la réaction de Jean de Vienne après son élection à l’évêché de Metz en 1361 : quant il vint à l’evesché de Mets, le pays estoit plein de malvaises gens, de pillars, robeurs et murtreurs, a cause des guerres qui avoient esté au pays. Et y avoit gens de fait et de vollenté sans raison, et lui demandoient plusieurs debtes et rentes sur les terres de l’evesché ; qui luy fut chose fort griefve ; car il avoit acoustumé de vivre en paix avec les ducs et comtes de Borgoigne, auquel pays de Borgoigne on usoit de justice et raison. Et quant cestuit evesque vit la manière et condition des gens du pays de l’evesché de Mets, et bien consideré les moeurs et conditions des gens du pays dont il estoit parti, si fut moult triste et confus de ce qu’il estoit parti de si boin pays et venu avec si malvaises gens103.
Dépité, l’évêque demande alors au pape son transfert dans un autre diocèse, justifiant une nouvelle fois sa requête par le caractère et les mœurs des populations locales : Sainct Pere, nous vous saluons et supplions, pour l’amour de Dieu, que vous nous veuilliés pourveoir par vostre graice en aulcun aultre benefice de saincte église ; car vrayement en l’eveschié de Mets je n’y peulx plus estre ny demeurer ; car ce sont gens sans foy et sans loy et qui ne croient mie en Dieu, ains sont tels gens que je ne vous polroie raconter de leur estat ne de leur clergie, et plus n’en dis.
Ce n’est pas tant la guerre elle-même que condamne Jean de Vienne, que les motifs pour lesquels les Lorrains la déclenchent et leur comportement de « pillars, robeurs et murtreurs ». Au-delà de l’anathème jeté sur la région, l’évêque oppose, de manière plus intéressante, deux cultures politiques, celle de la Bourgogne, c’est-à-dire de la France, où « on usoit de justice et de raison », et celle de la Lorraine, peuplée, de « gens de fait et de vollenté sans raison ». En d’autres termes, les conflits se règlent
101 Gilles le Bouvier, dit le Heraut Berry, Le livre de la description des pays, E.-Th. Hamy (éd.), Paris, 1908, p. 112-113. 102 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 69-70. 103 J.-Fr. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 103-106. Ce passage et le suivant sont issus de la chronique de Praillon ; Chr. Rivière, « Lorrains et Bourguignons entre amitiés et affrontements durant les deux derniers siècles du Moyen Âge : cultures politiques, ambitions territoriales et sentiments identitaires », in Fr. Roth (dir.), Lorraine, Bourgogne et Franche-Comté, mille ans d’histoire, Comité d’Histoire Régionale, Moyenmoutier, 2011, p. 21-34.
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systématiquement par les armes dans l’espace lorrain, alors que la voie judiciaire, plus pacifique, est plus souvent utilisée dans le Royaume. L’antagonisme entre les cultures politiques française et lorraine tient donc, pour l’essentiel, dans le recours plus ou moins fréquent à la guerre privée. La limitation progressive, puis l’interdiction de la faide dans le royaume de France remonte au moins au règne de saint Louis. La politique des Capétiens, puis des Valois, présente de ce point de vue une continuité remarquable : la notion de lèse-majesté et la pratique de la sauvegarde royale, qui fait de toute agression envers qui en bénéficie une atteinte à l’autorité du roi, permet aux souverains de se poser en arbitres des querelles nobiliaires et de se réserver le privilège de décider de la guerre ou de la paix104. Le principe en est solennellement affirmé par l’ordonnance royale du 22 décembre 1438, ainsi résumée par Mathieu d’Escouchy : « nul n’a le droit de faire guerre […] sans l’auctorité et congié du roy105 ». Au final, le chemin qui a mené du droit de guerre privé à l’idée d’un monopole du droit de guerre dévolu au roi en tant que souverain semble avoir été parcouru avec la lenteur de déplacement d’un glacier ; mais même les glaciers finissent par avancer, avec de surcroît des résultats très notables ; ce changement au cours de la fin de la période médiévale est indéniable106.
En Lorraine au contraire, la faide, ou la « guerre vindicatoire », c’est-à-dire le droit de se faire justice, « est un élément d’un droit lorrain coutumier, né à l’intersection d’un jus bellum français et du jus bellum impérial »107. À plusieurs reprises au cours de son règne, le duc Jean Ier autorise certains nobles de son duché à employer la force contre lui, au cas où il ne rembourserait pas ses dettes par exemple108. La clause n’est pas purement théorique : en 1365, Geoffroy de Gombervaux pénètre dans la forteresse de Gondreville et récupère par la force l’argent que lui devait le duc : non seulement ce dernier ne lui en tient pas rigueur, mais il indemnise personnellement un de ses serviteurs, Jacquet d’Épinal, qui avait subi quelques dommages à cette occasion109. Un tel constat explique à la fois la présence permanente de la guerre dans la région et la mauvaise réputation des Lorrains dans le royaume de France. À vrai dire, la Lorraine ne constitue pas non plus un cas particulier. Claude Gauvard a montré que cette image négative concerne toutes les zones et populations frontalières du Royaume : « à lire les plaidoiries du Parlement de Paris, les textes
104 Fr. Cheyette, « The Royal Safeguard in Medieval France », Studia Gratiana, xv, Post scripta, Rome, 1972, p. 631-652 ; J. Chiffoleau, « Sur le crime de lèse-majesté médiéval », in Genèse de l’État moderne en Méditerranée, Rome, Collection de l’École française de Rome, 1993, p. 183-313. 105 Mathieu d’Escouchy, Chroniques, G. du Fresne de Beaucourt (éd.), 3 vol., Paris, 1863-1864, p. 18-19. 106 R. W. Kaeuper, Guerre, justice et ordre public, op. cit., p. 221-251. 107 V. Toureille, Robert de Sarrebruck, op. cit., p 191-192. 108 C’est le cas de Jean Sehencke de Ehenheim, à qui le duc reconnaît devoir 250 florins (BnF Col. Lor., no 4, f. 8). 109 BnF Col. Lor., no 4, f. 11.
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législatifs ou narratifs, les frontières du royaume sont les lieux privilégiés du crime110 » ; « la description passe facilement des risques de la frontière à l’énervement viscéral de ses habitants ». Les mêmes causes produisent donc les mêmes effets et conduisent aux mêmes jugements. Mais il ne s’agit pas seulement, côté français, de dénoncer des comportements et une mentalité. Le discours sur la violence frontalière possède aussi une fonction interne et permet, dans une perspective d’affirmation de l’État, de « durcir » la « communauté nationale », en présentant ceux qui se trouvent à ses marges comme « différents ». Et l’auteure de conclure : « plutôt que de révéler une réalité sociale, la rémission aux frontières fait du crime un instrument dans la construction de l’État ». Il convient donc de ne pas prendre pour argent comptant l’opinion des chroniqueurs français et d’analyser également les spécificités lorraines d’un désir de paix commun à toutes les populations de l’Occident chrétien à cette époque. Désir de paix
De 1350 à 1400, la guerre touche la Lorraine dans son ensemble, mais elle ne sévit pas toujours et partout avec la même intensité. Les années 1360-1380 sont certainement les plus terribles. Certaines principautés paraissent aussi plus systématiquement et plus gravement affectées. Dans le duché de Bar, les querelles liées à la régence du duc Robert et les conflits avec la branche cadette des sires de Pierrefort s’ajoutent aux traditionnels affrontements avec les seigneurs voisins111. Les évêchés de Toul et Verdun supportent pour leur part l’essentiel des assauts des routiers : Arnaud de Cervolles fait de Brixey son quartier général ; Pierre de Bar-Pierrefort occupe pendant une bonne dizaine d’années la forteresse de Charny112. Mal défendus, les territoires épiscopaux constituent les maillons faibles de l’espace lorrain. Ils représentent des proies faciles pour des troupes non soldées à la recherche de butin et subissent les interventions permanentes des princes désireux d’établir leur hégémonie politique sur la région. Si importantes soient-elles, les disputes entre évêques, chanoines et bourgeois n’expliquent pas tout. La Lorraine se trouve dans une situation analogue par rapport à la France. Elle forme un déversoir par lequel s’écoule le trop-plein des armées qui stationnent dans le Royaume. Le traité de Brétigny conclu en 1360 entre la France et l’Angleterre libère ainsi Arnaud de Cervolles de ses obligations envers le régent Charles, qui cherche par ailleurs à débarrasser le Royaume des routiers113. La faiblesse militaire
110 Cl. Gauvard, « De grace especial » : crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1989, 1025 p., p. 253-263, pour toutes les citations contenues dans ce paragraphe. 111 Pour le détail des événements, voir M. Bubenicek, Quand les femmes gouvernent. Yolande de Flandre : droit et politique au xive siècle, Paris, École des Chartes, 2002, 443 p. ; G. Poull, La maison ducale et souveraine de Bar, op. cit., p. 313-372. 112 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 365 ; H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », art. cit., p. 189. 113 J. Favier, La guerre de Cent ans, Paris, Fayard, 1980, 678 p., p. 215, 265-266 et 307.
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des princes lorrains leur garantit une totale impunité et le morcellement politique de la région procure à l’archiprêtre des employeurs, écartant ainsi le risque de dissolution de la compagnie. Sans être directement responsables des guerres qui sévissent en Lorraine, les routiers en aggravent considérablement l’ampleur et les dégâts. Les interventions du roi de France peuvent aussi y attiser les conflits, quand elles ne les provoquent pas directement. Nombre de seigneurs lorrains utilisent leur position à la cour pour pousser leurs pions plus avant sur la scène régionale. Le comte de Vaudémont aurait-il osé défier ses suzerains lorrain et barrois en 1363, sans le soutien financier et l’appui militaire du roi114 ? Les disputes entre Jeanne de Warren et Yolande de Flandre pour la régence du Barrois auraient-elles pris un tour aussi âpre si ces deux femmes n’avaient représenté en Lorraine le parti du roi de France pour Jeanne, et celui de son ennemi, Charles le Mauvais, pour Yolande115 ? Les divisions internes au Royaume ne constituent certainement pas le déclencheur des guerres qui touchent l’espace lorrain, mais elles contribuent, par ricochet, à les entretenir. Les Lorrains subissent donc la guerre, tout autant qu’ils ne l’aiment. Ils tentent également, à leur manière, de rétablir ou de maintenir la paix dans la région. Pourtant, malgré les apparences, les princes et seigneurs locaux aspirent à la paix et s’en préoccupent activement. Dès 1343, la Commune Trêve vise à faire taire les conflits pendant une période de deux ans, sur un espace clairement délimité116. Regroupant la majeure partie des forces politiques lorraines, elle montre leur volonté de limiter les effets du morcellement politique, à défaut de pouvoir y mettre fin. Des textes de même nature, intitulés « communes paix », sont également signés en 1348, 1354 et 1361, bien que la liste des adhérents varie d’une fois sur l’autre117. La présence du roi des Romains Charles IV en 1354 permet d’intégrer à nouveau le duc de Luxembourg et l’archevêque de Trèves, absents six ans plus tôt ; le traité de 1361 concerne une quarantaine de seigneuries, soit la quasi-totalité des entités politiques de la région, inquiètes de la menace que les routiers font peser sur elle. Après cette date, les ambitions deviennent plus modestes ; mais les ducs de Bar et de Lorraine, l’évêque et la cité de Metz persistent malgré tout dans leur volonté de paix et concluent des accords en ce sens en 1366, 1372, 1377, 1392 et 1399118. Malgré la réduction du nombre de signataires, ces traités couvrent toujours la plus grande partie de l’espace
114 A.N. KK 10 A 39 ; M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », op. cit., p. 150-151. 115 M. Bubenicek, Quand les femmes gouvernent. Yolande de Flandre, op. cit., p. 155-165. Yolande de Flandre est la belle-sœur de Charles le Mauvais. 116 Cf. Annexe 5 et figure 11 : « Limites de la Commune Trêve de Lorraine (1343-1348) » ; voir aussi M. Parisse, « Les Communes Trêves de 1343-1348 », art. cit. 117 A.N. KK 1123, layette Metz cité 2, no 48 (1348) ; A.D.M.M. B 880, no 15 (1354) ; BnF Col. Lor., no 246, f. 12 (1361). 118 A.D.M.M. B 424, f. 121v-123v, le 14 janvier 1366 ; BnF Col. Lor., no 246, f. 15, le 11 janvier 1372 ; A.D.M.M. B 424, f. 129v-133, le 5 août 1377 ; A.D.M.M. B 858, no 30, le 17 mars 1392 ; et BnF Col. Lor., no 252, f. 22, le 2 août 1399.
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lorrain, d’autant qu’ils peuvent s’étendre à d’autres seigneurs : les comtes de Ligny, Vaudémont, la Petite-Pierre, Deux-Ponts et Sarrewerden, les seigneurs de Bitche, Blâmont, Lichtenberg, Pierrefort, Lannoy, Ribeaupierre, Louppy et Beaufremont sont invités à s’y joindre le 11 janvier 1372, de même que le comte de Salm, s’il fait la paix avec le duc de Bar119. À partir de 1361 se produit un changement de vocabulaire : les seigneurs lorrains n’évoquent plus seulement la « trêve » ou la « paix », ils emploient aussi les termes, plus précis et plus lourds de sens, de « convenances », « alliances », « confédérations »120. Le prévôt de Saint-Mihiel fait quant à lui allusion à une journée tenue en 1375 « par les seigneurs de la Lanfritte121 » : même si le mot, ou son équivalent allemand Landfried, ne figure dans aucun des actes mentionnés, il s’agit bien de cela. Tous sont en effet rédigés sur un modèle identique, à quelques exceptions près, à celui que nous avons reproduit en Annexe 6. Les contractants partent du constat, stéréotypé, de la présence de malfaiteurs et de pilleurs semant la terreur dans leurs États. Une alliance est alors scellée, qui vise à maintenir la paix sur leurs territoires, interdisant notamment le recours à la Fehde, ou guerre privée. Les signataires s’engagent à régler par la voie judiciaire les éventuels litiges qui pourraient survenir entre eux et nomment pour ce faire des députés à une commission d’arbitrage. Des mesures concrètes sont ensuite énoncées pour lutter contre des seigneurs ou vassaux qui refuseraient de se soumettre à cette procédure : elles prévoient au besoin la levée de troupes, l’ouverture des forteresses et la punition immédiate et sans jugement des contrevenants. L’objectif des Landfrieden lorrains ou impériaux est donc le même que celui des rois de France : la pacification d’un territoire par la disparition progressive de la guerre privée. Une telle politique suppose d’ailleurs le renforcement de l’autorité des princes sur leurs sujets, comme dans le Royaume. Ainsi les commissaires du Landfried demandent-ils le 10 septembre 1395 à Charles II de forcer le seigneur de Boulay et Gérard de Virey à réparer les dommages qu’ils avaient commis sur les terres du duc de Bar : « pourtant que les diz Jehan de Virey et le sirez de Boulay sont hommez a mondit seigneur de Lohorenne, mondit seigneur de Lohorenne est tenus de les constraindre et les faire venir a jour et a droit sil lui plaist et il puet »122. Ce sont toutefois là les seuls points communs entre la France et la Lorraine. Car le Landfried témoigne en effet d’une conception de la paix opposée à celle du pouvoir royal. Tous les traités de ce type réaffirment la « haulteur », « signourie » et « juridiction » de chacun des membres123 ; et les commissaires qui rappellent Charles II à ses obligations accompagnent leur demande de la mention, révélatrice, « sil lui plaist et il puet ». En un mot, ils l’incitent à tenir ses engagements. Le Landfried a bien pour objectif le maintien ou le rétablissement de la paix. Mais celui-ci ne passe pas par la soumission de la noblesse à une autorité supérieure, comme dans le royaume de
119 BnF Col. Lor., no 247, f. 4. 120 Voir Annexe 6. 121 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 165. 122 A.D.M.M. B 584, no 36. 123 Cf. Annexe 6, article 7.
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France, mais par l’instauration d’un code de bonne conduite, librement accepté par elle et simplement parrainé par le pouvoir impérial124. L’initiative de la Commune Trêve, en 1343, est d’ailleurs à mettre au crédit du roi de Bohême, Jean l’Aveugle125. Neuf ans plus tard, au cours de son premier voyage en Lorraine, l’empereur Charles IV ranime un traité devenu moribond en raison de la guerre des salines et ramène les belligérants à la table des négociations126. Mais la Bulle d’Or qu’il proclame en 1356 reconnaît, sous certaines conditions, le droit des nobles à la Fehde : plusieurs estiment avoir suffisantes occasions et motifs d’envoyer aux autres lettres de défiance […] nous ordonnons que telle defiances n’aient lieu, si oncques elles ne sont notifiées trois jours devant a celui même auquel on les envoie, et que telle notification se puisse verifier par temoins127
La limitation de la guerre privée et le maintien de la paix publique reposent donc entièrement sur le bon vouloir de la noblesse. Les princes lorrains prennent d’ailleurs le relais d’un pouvoir impérial devenu très discret après 1356 et ils instaurent alors, de leur propre autorité, le Landfried sur leurs territoires respectifs128. Dans tous les cas, la pacification de la région est obtenue de manière horizontale, par le biais d’une alliance qui place les différents contractants sur un pied d’égalité et requiert la bonne volonté des participants, la négociation, le compromis. Ce mode de règlement des conflits diffère profondément de celui du Royaume, où le souverain impose sa paix, verticalement, à des nobles considérés comme ses sujets. Une fois de plus, la culture politique de la Lorraine la rapproche davantage de l’Empire que de la France. Il en va de même des autres procédures de conciliation. Car le Landfried ne convient pas pour toutes les situations. Il arrive souvent que différents seigneurs lorrains possèdent des droits sur un même lieu. Des contestations peuvent alors surgir à tout moment, susceptibles de dégénérer en conflits armés si le territoire en question représente un point d’appui stratégique ou détient des ressources convoitées. Pour calmer les différends, les parties en cause établissent alors un acte dit de Burgfried. La paix en question couvre cette fois une zone restreinte, souvent un château, qui se trouve en quelque sorte neutralisé, de façon qu’aucun de ses possesseurs ne puisse
124 E. Wadle, Landfrieden, Strafe, Recht. Zwölf Studien zum Mittelalter, Berlin, Duncker et Humblot, 2001, 304 p., p. 103-122. 125 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 197-198. 126 H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », art. cit., p. 64-65. La pratique du Landfried a fait l’objet de nombreuses études. Nous ne citerons que deux des ouvrages les plus complets : H. Angermeier, Königtum und Landfriede im deutschen Spätmittelalter, Munich, 1966, 592 p., p. 107 ; A. Buschmann et E. Wadle, Landfrieden : Anspruch und Wirklichkeit, Paderborn, Schöningh, 2002, 252 p. 127 A.D.M.M. B 405, f. 239 : « Recueil de tout ce qui est statué ès ordonnances et constitutions du Saint Empire, sur le fait de l’établissement, entretènement et conservation de la paix publique au Saint Empire, appellée Landfried, contenant ce qui a été promulgué en la Bulle d’Or de Charles IV ». Traduit en français dans le manuscrit. 128 H. Angermeier, Königtum und Landfriede im deutschen Spätmittelalter, op. cit., p. 436-448 et Annexe 6, art. 27.
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l’utiliser contre les autres. Le Burgfried de la ville d’Albe, conclu le 9 février 1400 entre Raoul de Coucy et Charles II, peut servir d’exemple : le duc et l’évêque s’accordent sur une défense commune de la forteresse ; ils nomment un prévôt, chargé de percevoir les revenus, de les répartir équitablement et d’arbitrer les litiges et les infractions éventuelles au traité ; la levée de nouvelles taxes ne peut se faire que d’un commun accord et l’entrée dans la ville est interdite aux ennemis notoires de l’une des deux parties129. Le Burgfried s’efforce donc bien de prévenir et régler d’éventuels conflits de manière égalitaire. Lorsqu’un pouvoir supérieur intervient dans ces traités, c’est uniquement pour parapher les décisions prises par les intéressés. Jean Ier se contente ainsi, en tant que suzerain, de sceller le Burgfried du château de Faulquemont signé par le comte Hanneman de Deux-Ponts et de nombreux autres seigneurs allemands, mais il n’intervient pas dans le contenu de l’acte130. Burgfried et Landfried présentent donc des dispositifs en tous points similaires. Ces deux modes de règlement des conflits visent à éviter le recours à la guerre, à remplacer par conséquent la voie de fait par l’arbitrage, procédure à laquelle les Lorrains ont fréquemment recours, indépendamment de tout accord préalable. Plutôt que d’en venir aux mains, les adversaires confient leur querelle à une tierce personne, en la chargeant de respecter les intérêts, le droit et l’honneur de chacun. La pratique, commune à toutes les civilisations et à toutes les époques, n’a rien d’original. Mais elle prend en Lorraine des formes spécifiques, compatibles avec la culture politique régionale. Au lieu d’en appeler à un empereur trop éloigné ou à un roi de France trop puissant, les seigneurs lorrains nomment généralement pour arbitre un de leurs pairs. Contentons-nous d’un exemple pris parmi beaucoup d’autres : en juin 1375, le duc de Bar tranche le conflit entre la cité de Metz et le duc de Lorraine. Ce dernier lui rend la pareille et négocie, au même moment, la paix entre le duché de Bar et la cité de Toul. Les deux princes se remercient des services qu’ils se sont rendus mutuellement et se quittent réciproquement des sommes de 2 000 florins qu’ils se devaient à cette occasion131. Tout se règle donc une nouvelle fois entre égaux, sans l’intervention d’une autorité supérieure. Le désir de paix des Lorrains au xive siècle s’avère donc tout aussi fort que celui des populations du Royaume. Mais il se concrétise d’une manière différente, se coule dans une culture politique soucieuse de respecter les droits et privilèges traditionnels de la noblesse, y compris celui de prendre les armes. Les principes retenus sont-ils toutefois à la hauteur des défis à relever ? Autrement dit : le Landfried fait-il preuve d’une réelle efficacité ? À première vue, la réponse semble évidente. Les textes de Landfried suivent certes un modèle préétabli et répètent à l’identique certaines formules d’une fois sur l’autre, mais l’évocation sans cesse renouvelée de l’insécurité qui règne dans l’espace lorrain n’est-elle pas la preuve de leur échec ? La diminution du nombre des contractants après 1361, le rétrécissement de l’espace couvert, surtout la disparition pure et simple de ce
129 A.D. Mos. G 5, f. 26-29. 130 A.D.M.M. B 691, no 214. 131 A.N. KK 1126, layette Toul cité, no 93, actes datés des 10 et 11 juin 1375.
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type d’actes après 1408 ne constituent-ils pas un démenti flagrant de leur efficacité ? « Il semblait que les protagonistes ne croyaient pas eux-mêmes à ce qu’ils soutenaient, ou qu’ils préféraient garder toute liberté d’action132 ». De fait, la Commune Trêve de 1343 s’avère incapable de mettre fin à la première guerre des salines, qui sévit depuis trois ans. Le renouvellement de 1348 fait suite au rétablissement provisoire de la paix entre l’évêque de Metz et la duchesse régente de Lorraine, l’année précédente ; mais dès 1349, Marie de Blois fait raser le château épiscopal de Beaurepaire, entraînant la reprise immédiate des hostilités ; et, au moment même où Brocard de Fénétrange adhère à la commune paix conclue sous l’égide de l’empereur Charles IV en 1354, il multiplie les incursions et les pillages dans le Barrois133. En 1379, le duc Jean Ier dénonce les attaques de l’évêque de Metz contre la fontaine d’Amélécourt auprès des commissaires du Landfried, mais il ne le fait qu’après s’être assuré de l’alliance du duc de Bar en cas de conflit134 ; et il n’attend pas d’avoir été débouté de sa plainte pour vider la querelle par les armes. Tout laisse croire qu’il utilise le traité comme prétexte, à seule fin de prouver son bon droit. Le renouvellement régulier de la paix n’a visiblement aucun effet réel sur la situation de la Lorraine à cette époque. À la fin de son séjour à Metz en 1357, l’empereur lui-même hésite à s’aventurer sur les routes mosellanes, tant elles sont peu sûres ; il préfère regagner Thionville par la voie fluviale135… À la fin du xive siècle, l’échec de la paix publique est donc patent, mais pas seulement dans l’espace lorrain. Le constat peut être élargi à tout l’Empire, où le Landfried, qui n’était d’ailleurs parvenu à instaurer qu’une paix relative, tombe en désuétude. Le roi des Romains Wenceslas de Luxembourg (1378-1400) abandonne peu à peu toute initiative dans ce domaine et se contente d’entériner l’action de princes qui détournent ces traités de leur objectif initial et les utilisent désormais à des fins personnelles. Le Landfried ne réunit plus les forces politiques d’une région autour d’un objectif de paix, mais devient une alliance diplomatique et militaire dirigée contre un ennemi commun, parfois désigné explicitement136. Dans le royaume de France également, la construction de l’État n’empêche pas le déclenchement de la guerre civile entre les partisans du Dauphin et ceux de Charles de Navarre, après le désastre de Poitiers. À la fin du xive siècle, la folie du roi Charles VI entraîne de nouveau les princes dans une lutte pour le pouvoir lourde de menaces pour la paix publique137. L’instabilité politique et l’insécurité touchent donc à cette époque l’ensemble de l’Occident chrétien.
132 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 199-200. Le dernier traité de Landfried est conclu le 2 juillet 1408 (A.D.M.M. B 859, no 20). À cette date, la pratique était déjà tombée en désuétude depuis une dizaine d’années. 133 A.N. KK 1123, layette Metz cité 2, no 48 ; A.D.M.M. B 601, no 8 ; Dom A. Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 355-359 ; H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort », art. cit., p. 64-65. 134 A.D.M.M. B 601, no 17 (4 avril), et no 19 (22 avril). 135 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 197 et 200. 136 H. Angermeier, Königtum und Landfriede, op. cit., p. 309-317. 137 Voir à ce propos A. Plaisse, Charles dit le Mauvais, comte d’Évreux, roi de Navarre, capitaine de Paris, Évreux, Société libre de l’Eure, 1972 ; B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit.
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L’efficacité du Landfried ne doit pas non plus être jugée uniquement à l’aune de l’intensité et du nombre des conflits. Par ce biais, les princes lorrains tentent pour la première fois de parler d’une seule voix et de faire passer leurs intérêts communs avant leurs querelles particulières. Les instances judiciaires mises en place ont également habitué les différentes administrations à travailler ensemble : les commissaires de la paix se réunissent très régulièrement et siègent tour à tour à Nancy, Pont-à-Mousson, Metz et Nomeny138. D’ailleurs, ces accords auraient-ils été renouvelés aussi régulièrement s’ils n’avaient donné aucune satisfaction aux parties contractantes ? En 1377, les ducs de Lorraine et de Bar, l’évêque et la cité de Metz renouvellent les « alliances » conclues entre eux depuis 1366, constatant qu’elles ont été « grantment prouffitable et honnorable a nous et a nosdis pays139 ». De fait, ces procédures ont donné parfois des résultats positifs. En 1349, les forces de la Commune Trêve contraignent ainsi le sire de Blâmont et les comtes de Deux-Ponts, la Petite-Pierre, Salm et Réchicourt à renoncer au défi qu’ils avaient lancé aux citains de Metz140. Le Landfried s’est également avéré efficace contre Pierre de Bar, seigneur de Pierrefort, que ses innombrables exactions avaient rendu célèbre dans toute la Lorraine, et même au-delà, dans les années 1360-1370. Il ne faudra toutefois pas moins de quatre coalitions pour débarrasser l’espace lorrain de ce pourfendeur de la paix publique. Les deux premières ne donnent rien : en 1366, les alliés se contentent d’une simple démonstration de force ; trois ans plus tard, le sire de Pierrefort parvient à obtenir le soutien de son suzerain et parent le duc de Bar, privant ainsi les troupes du Landfried de toute cohésion. En 1373, le ton des coalisés se fait cette fois plus menaçant et Pierre de Bar doit renoncer solennellement à la guerre contre les ducs de Bar et de Lorraine et l’évêque de Metz, en échange de la fin des hostilités. Comme il ne tient pas son engagement, Robert de Bar et Jean de Lorraine décident cette fois d’en finir, forment en 1380 une quatrième coalition et le poursuivent d’une forteresse à l’autre, jusqu’à ce qu’il succombe lors de l’assaut du château de Bouconville, où il s’était retiré. Certes, les princes lorrains considèrent longtemps Pierre de Bar comme un de leurs pairs et respectent son droit à la faide. Certes, les troupes dites régulières commettent autant de déprédations que celles du seigneur de Pierrefort. Certes, l’un ou l’autre fait défection, voire s’allie avec Pierre de Bar. Mais les Lorrains finissent par venir à bout de ce seigneur pillard. Tout porte également à croire que le sire de Pierrefort n’a pas reçu de sépulture chrétienne, ce qui traduit la réprobation profonde de la société politique lorraine face à son comportement141. On ne peut donc nier toute efficience aux modes de règlement des conflits en usage en Lorraine au xive siècle. Revenons pour finir à Jean de Vienne, l’évêque de Metz qui, ne supportant pas les mœurs de ses administrés, avait demandé à toute force au pape d’être muté dans
138 Annexe 6, art. 22 ; J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit. p. 165. 139 A.D.M.M. B 424, f. 129v-133. 140 A.D.M.M. B 575, no 108. 141 H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort », art. cit., p. 98-199.
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un autre diocèse. Il obtient satisfaction en 1365, quatre ans après sa demande. Or, si l’on en croit la chronique de Jean de Praillon : Si escheut l’evesché de Baisle, qui est près de la comté de Borgoigne et pres des amys dudit evesque. Si pourchassa tant ledit cardinal de Clugney, que ledit evesque de Mets fut transmué à l’evesché de Baisle. Mais quant ledit evesque sceut que son oncle, ledit cardinal, eult ainsy apoincté son fait, il en fut fort courroucé ; car depuis il avoit apprins à cognoistre le pays et les moeurs des gens : et faisoit tant que chascun luy laissoit la sienne chose en paix. Et en quaitre ans qu’il fut evesque de Mets, on ne meffit à l’evesché de la valleur d’ung denier, […] et ne se souvenoit plus de la lettre qu’il avoit eu envoyée a son oncle, le cardinal de Clugney. […] Et convint que ledit Jehan de Vienne, evesque de Mets, laissast sadite evesché bien envis et malgre luy, et s’en alla a Baisle, où il trouva les gens aussy mal raisonnables ou plus que en Lhoraine, et d’aussy grandes vollentés. Si vesquit là toutte sa vie en guerre et en tribulation, et comme on disoit, il molrut pauvre142.
Notre évêque, après avoir « apprins à cognoistre le pays et les moeurs des gens », s’est visiblement fort bien acclimaté à une culture politique dont les principaux traits le choquaient à son arrivée à Metz. Tout laisse à penser qu’il s’est progressivement acculturé à la pratique du Landfried, qui couvre les terres de l’évêché durant son épiscopat. En 1362, l’intervention des ducs de Lorraine, de Bar et de Luxembourg force d’ailleurs le comte de Deux-Ponts à respecter la paix publique et à ne pas s’en prendre au temporel épiscopal143. Le traité ne semble donc pas avoir été totalement inefficace, puisque « chascun lui laissoit la sienne chose en paix ». *** Ce tour d’horizon permet d’étendre à tout l’espace lorrain bien des caractéristiques mises en évidence auparavant pour la principauté ducale. La discontinuité territoriale du duché de Lorraine fait écho au morcellement politique de la région, source d’innombrables conflits, au point que l’amour de la guerre apparaît comme un trait majeur des mentalités locales aux yeux des populations du Royaume. En réalité, les Lorrains subissent la guerre plus qu’ils ne l’aiment. Leur propension à prendre les armes découle d’un droit coutumier féodal qui constitue l’élément-clé de leur culture politique et reconnaît à la noblesse la possibilité de se faire justice elle-même. Ceci ne les empêche pas de rechercher la paix. Mais ils le font par le biais de traités de Landfried, qui placent les différents seigneurs sur un pied d’égalité, quel que soit leur rang. D’ailleurs, même si le duc affermit notablement ses positions au cours de la seconde moitié du xive siècle, ni lui, ni aucun des autres princes lorrains n’est en mesure d’imposer la paix à ses voisins. Cette situation crée un vide politique que peuvent tenter de mettre à profit des souverains étrangers, à commencer par le roi de France. De quelle marge les ducs de Lorraine disposent-ils par rapport à eux ?
142 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 103. 143 BnF Ms. fr. 11823, f. 307.
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Chapitre 3
Le duché de Lorraine entre Royaume et Empire
L’édition suit pour ce chapitre le plan modifié prévu par Christophe Rivière Faible, morcelée, peu structurée, la Lorraine de la fin du Moyen Âge est soumise à l’influence de ses deux grands voisins que sont le Royaume et l’Empire, avec qui les Lorrains entretiennent naturellement des contacts réguliers. Du point de vue des structures administratives comme de la culture politique, nous l’avons vu, la Lorraine se rapproche plus de l’Empire que du Royaume. Mais la frontière linguistique, elle, ne recoupe pas les frontières politiques et bien des principautés lorraines, à commencer par le duché, rassemblent à la fois des populations francophones et germanophones Par ailleurs, le roi de France dispose, au xive siècle, d’un pouvoir bien supérieur à celui de l’Empereur ; surtout, ses officiers rendent sa présence effective aux quatre coins du Royaume, alors que, faute d’une telle administration, le pouvoir impérial dans une région se manifeste surtout lorsque le souverain y réside personnellement1. Pour toutes ces raisons, il importe maintenant de soupeser l’influence respective de ces deux grands États en Lorraine, non plus seulement au niveau des modèles politiques différents qu’ils proposent, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, mais en quelque sorte au quotidien, en prenant en compte l’ensemble des liens qui unissent les Lorrains à leurs voisins allemand et français. Qui plus est, le Royaume et l’Empire ne sont pas seuls en lice. Au cours de la seconde moitié du xive siècle en effet, le fils cadet du roi Jean le Bon, Philippe le Hardi, constitue, à la fois au nord et au sud de la Lorraine, une nouvelle principauté. En 1363, il reçoit en apanage le duché et la comté de Bourgogne ; puis, en 1384, la succession du comté de Flandre, qui lui échoit par son mariage avec Marguerite de Male, donne naissance à ce que l’on appelle désormais « l’État bourguignon2 ». Ainsi, trois États puissants, trois princes prestigieux entourent à cette époque les nombreuses et petites principautés qui composent l’espace lorrain. La Lorraine se trouve au carrefour de toutes les influences. Mais lesquelles se font sentir avec la plus grande force ? Et quel regard le roi de France, l’empereur et le duc de Bourgogne portent-ils sur la région ? La considèrent-ils comme un espace politique marginal et peu digne d’intérêt, ou au contraire comme un territoire stratégique ? Cette question revêt une importance capitale, car d’elle découle à la fois la pression plus ou moins
1 Cf. H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., passim. 2 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 36-74 et 95-114. En ce qui concerne la notion d’État princier, cf. A. Leguai, « Les ‘États’ princiers en France à la fin du Moyen Âge », art. cit.
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grande que les souverains exercent sur les princes lorrains et la marge de manœuvre dont ceux-ci peuvent disposer à leur égard. De la force de ces influences et de leur équilibre ou non, dépend la soumission de la région à une autorité supérieure ou, au contraire, la possibilité pour elle d’une relative indépendance.
Une double appartenance Un espace régional sous influences
L’influence de la France en Lorraine ne tient pas seulement à un rapport de forces favorable au roi ; bon nombre de Lorrains ont également le sentiment de partager avec les sujets du Royaume une culture commune. Lorrains et Champenois, qui parlent la même langue, entretiennent, dès le xiiie siècle, des relations de plus en plus nourries. De part et d’autre de la frontière politique, les alliances matrimoniales se multiplient. Le critère linguistique semble en effet jouer un rôle déterminant dans le choix du conjoint, notamment pour les couches inférieures de la noblesse3. Des solidarités se nouent ainsi, que l’on retrouve à la génération suivante, lorsqu’il s’agit de trouver des places dans l’Église pour les fils cadets des familles seigneuriales. Au cours de la seconde moitié du xiiie siècle, les chapitres et les abbayes lorraines se remplissent de noms champenois, de même que de plus en plus de religieux lorrains font carrière dans le Royaume4. Enfin, la noblesse des deux régions partage un même amour des vertus chevaleresques et se passionne pour les mêmes œuvres littéraires. La relation du tournoi de Chauvency d’une part, la geste de Garin le Lorrain de l’autre, montrent clairement que les familles lorraines fréquentent avec assiduité non seulement les terres champenoises, mais toutes celles situées au nord de la Seine, qui constituent le cœur du royaume de France5. Culturellement, la Lorraine appartient bien, dans sa plus grande partie, au monde roman. À cette communauté de culture viennent s’ajouter des liens politiques et économiques de plus en plus étroits et contraignants. Les foires de Champagne, alors à leur apogée, exercent une attraction considérable sur les marchands lorrains, qui cherchent par ailleurs à se placer à l’abri des barrières douanières du Royaume
3 M. Parisse, Noblesse et chevalerie en Lorraine médiévale, op. cit., p. 210-220. Dans les maisons seigneuriales et dans les familles comtales, les alliances matrimoniales se font le plus souvent d’un seul côté de la frontière linguistique. Cela s’avère déterminant pour le partage de la Lorraine en deux zones d’influence, française et impériale. Seuls les ducs balancent entre les pays de langue romaine et ceux de langue germanique dans le choix de leur conjoint. 4 M. Parisse, La noblesse lorraine : xie-xiiie siècles, op. cit., p. 760-764. Les papes renforcent ensuite ce mouvement, en intégrant les diocèses lorrains de langue romane avec ceux du royaume de France dans leurs registres. 5 M. Chazan et N. Freeman Regalado (éd.), Lettres, musique et société en Lorraine médiévale. Autour du Tournoi de Chauvency (ms. Oxford Bodl. Douce 308), Genève, Droz, 2012 ; Jean de Flagy, Garin le Lorrain : chanson de geste du xiie siècle, trad B. Guidot, Nancy, P.U.N., 1986, 271 p., voir la préface de Jean Lanher.
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et poussent ainsi leurs seigneurs à reconnaître la suzeraineté champenoise6. Au cours du xiiie siècle, le nombre des vassaux lorrains des comtes de Champagne s’accroît par conséquent de manière très sensible. Des familles possessionnées le long de la Meuse entrent dans l’orbite champenoise, intégrant ainsi toute la partie occidentale de la région à la sphère d’influence française7. Les princes lorrains, trop faibles et divisés, ne peuvent rivaliser avec le comte de Champagne, qui figure parmi les principaux barons du Royaume, devient, en 1234, roi de Navarre, et dispose de plus de deux mille vassaux8 : à l’instar des ducs de Bar et de Lorraine, ils finissent par se placer eux-mêmes dans sa vassalité et par reprendre en fief certaines terres auparavant considérées comme des alleux. Seul le comte de Bar parvient, non sans mal, à contenir la poussée champenoise en direction de l’Est9. Enfin, lorsqu’en 1284, le futur Philippe le Bel épouse Jeanne de Navarre, héritière du comté de Champagne, l’équilibre est cette fois définitivement rompu. À l’avènement de Louis X le Hutin, le roi de France est également comte de Champagne et il installe ses officiers au voisinage immédiat des principautés lorraines10. Un demi-siècle plus tard, aux débuts de la guerre de Cent ans, le roi de France est parvenu à étendre et à concrétiser sa domination sur l’espace lorrain. L’aspect le plus visible de l’expansion française réside naturellement dans la reprise en fief en 1301 par le comte de Bar, de toutes les terres qu’il possède sur la rive gauche de la Meuse, qui étaient auparavant libres de tout hommage et constituent désormais le Barrois mouvant. Principal point de résistance à la poussée champenoise au cours du xiiie siècle, il est logique que le Barrois ait été la cible principale, et première, des attaques du roi de France. Le déroulement de la crise est emblématique des moyens d’intervention dont dispose le souverain et de la réaction des Lorrains face aux empiétements du roi. Philippe le Bel utilise l’arme judiciaire, tandis que le comte de Bar recherche une protection extérieure, susceptible de faire contrepoids à la pression du Royaume. Ce jeu de balancier s’avère cependant totalement inefficace et conduit en réalité à précipiter l’intervention armée du roi de France11. À la suite à ce conflit, la maison de Bar change de stratégie et compte désormais parmi les principaux soutiens de la France dans la région. Avant de mourir, en 1344, le comte Henri IV confie la régence de sa principauté et la tutelle de ses enfants à sa parentèle française, aux dépens de la branche lorraine de sa famille12. On ne saurait traduire plus fortement l’ascendant dont disposait le roi de France sur le comté à la veille de la guerre de 6 J. Schneider, « Entre le Royaume et l’Empire », art. cit., p. 24-25. À la fin du Moyen Âge, les rois de France établissent, par une politique de « hauts passages », une véritable barrière économique aux frontières orientales du Royaume. La reconnaissance de la suzeraineté royale permet alors aux marchands lorrains, en relations constantes avec la France, d’être intégrés dans l’espace économique du Royaume et de ne pas trop souffrir de l’effet dissuasif de ces péages sur le commerce. 7 M. Parisse, La noblesse lorraine : xie-xiiie siècles, op. cit., p. 778-784. 8 Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., p. 245-246 : article « Champagne » de M. Bur. 9 M. Parisse, La noblesse lorraine, op. cit., p. 784. En ce qui concerne l’hommage des ducs de Lorraine, voir ci-dessous dans ce même chapitre. 10 J. Favier, Philippe le Bel, op. cit., p. 297-301. 11 M. Grosdidier de Matons, Le comté de Bar des origines au traité de Bruges, op. cit., p. 473-504. 12 M. Bubenicek, « Quand les testaments règlent les régences », art. cit., p. 62.
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Cent ans. Il semble bien que rien ni personne ne puisse s’opposer à la pénétration française en Lorraine à cette époque. Celle-ci ne se cantonne pas au seul territoire du comté de Bar. Au tournant des xiiie et xive siècles, les chanoines de Toul en 1291, puis les citains en 1300 et l’évêque de la ville en 1315 sollicitent la protection du roi de France, imités par les bourgeois et l’évêque de Verdun en 1315 et 133113. Le roi devient ainsi l’arbitre incontesté des querelles de deux des trois principales villes de la région, et cela même si les ducs de Lorraine et les comtes de Bar continuent à jouir de leurs droits de sauvegarde respectifs sur Toul et sur Verdun. En 1316, les seigneurs de Commercy, à leur tour, reprennent en fief leur seigneurie des rois de France, avant de la placer sous leur sauvegarde, vingt ans plus tard14. Au même moment, l’évêque de Toul, Thomas de Bourlémont, négocie le rattachement de la châtellenie de Vaucouleurs au Royaume. En 1338, il franchit même un pas décisif et crée un précédent lourd de conséquences, en concluant un traité de pariage avec Philippe VI pour l’ensemble du temporel épiscopal. Cela revenait à faire de l’évêché, situé à cheval sur les deux rives de la Meuse, une terre soumise à la juridiction du roi de France. Le duc de Lorraine, le comte de Bar, les citains et les chanoines de Toul parviennent à obtenir l’annulation du traité, quatre ans plus tard, mais la Meuse ne constitue plus désormais la limite ultime des revendications royales15. Elle représente toujours la frontière entre le Royaume et l’Empire et marque la limite de la souveraineté royale et de la juridiction du Parlement de Paris. Mais elle ne fait plus du tout obstacle à l’influence du roi de France, qui pénètre jusqu’au cœur de l’espace lorrain. Dans l’évêché de Verdun également, le roi, au nom de ses droits de sauvegarde, saisit des territoires de l’évêché qui relèvent de l’Empire16. Face aux atteintes de plus en plus graves portées à l’intégrité territoriale de l’Empire, les souverains allemands ne réagissent que mollement et épisodiquement. Ils ne possèdent pas de biens en Lorraine et le système de l’Église impériale, qui leur conférait une autorité indiscutable, par le biais des évêques et des abbés, a été largement mis à mal par les querelles incessantes entre les papes et les empereurs. Leur puissance diminue encore après le Grand Interrègne (1250-1275), qui a laissé l’Empire sans tête pendant un quart de siècle, au moment précis où la poussée française se faisait de plus en plus forte. Faute d’un personnel administratif suffisamment important, ils ne peuvent se faire obéir que lorsqu’ils sont physiquement présents dans la région et leur pouvoir, mal établi, ne leur permet que très rarement de quitter le berceau 13 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 96 et p. 122-123, G. Bönnen, Die Bischofsstadt Toul und ihr Umland während des hohen und späten Mittelalters, op. cit., p. 454, 459, et 642-643, et M. Parisse (dir.), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 191. 14 S. François-Vivès, « Les seigneurs de Commercy au Moyen Âge (xie siècle–1429) », op. cit., p. 53-55. 15 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 354-355. Par ce traité, le roi de France n’aurait pas seulement obtenu le droit de protection ou la simple suzeraineté sur les biens de l’évêché. Il aurait accédé cette fois à la souveraineté totale, exercée en commun avec l’évêque. Pour la première fois, la frontière entre le Royaume et l’Empire, fixée sur la Meuse en 843, aurait été franchie explicitement, ce que l’empereur ne pouvait accepter. Cela explique sans doute pourquoi Philippe VI admit sans trop de difficultés l’annulation de ce pariage. 16 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 129.
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des territoires impériaux17. Même la dynastie des Luxembourg, pourtant originaire de la Lorraine, délaisse de plus en plus ses terres d’origine au profit de son nouveau royaume de Bohême18. Les empereurs ne se désintéressent pas du sort de la Lorraine, mais ils ne peuvent s’opposer efficacement aux entreprises des rois de France. Ils se contentent généralement de mesures conservatoires et cherchent à s’entendre avec eux pour régler le problème de la frontière. Ainsi, en 1299, le roi des Romains Albert de Habsbourg rencontre Philippe le Bel à Quatre-Vaux, entre Toul et Vaucouleurs : les deux souverains fixent la limite réelle entre le Royaume et l’Empire sur la Meuse19 ; cela toutefois ne met pas fin aux tentatives d’empiétement de la monarchie française. Inversement pourtant, le sentiment d’appartenance à l’Empire reste fort chez de nombreux princes lorrains. L’archevêque de Trèves, les ducs de Luxembourg restent étroitement mêlés aux affaires impériales ; les seigneurs de la Lorraine germanophone se sentent encore peu concernés par les affaires du Royaume ; même les bourgeois de Toul et de Verdun se montrent soucieux de faire respecter dans leur cité les droits de l’empereur20. De façon générale, « la Moselle apparaît comme une ligne de partage : sur ses rives, l’Empire reste plus vivace21 ». Or, cette rivière constitue l’axe principal du duché de Lorraine, qui s’étend par ailleurs de la Meuse à la Sarre. Implantés à la fois dans les zones d’influence du roi et de l’empereur, comment les ducs se positionnent-ils par rapport à ces deux souverains ? Les ducs de Lorraine et la double vassalité
Au xive siècle, nul n’ignore que le duché de Lorraine appartient à l’Empire et nul ne le conteste, pas même le roi de France. L’importance du lien féodal avec l’Empire pour les ducs de Lorraine se mesure à l’aune du geste accompli par le duc Ferry III
17 Concernant la faiblesse du pouvoir impérial à partir du xiiie siècle, voir M. Parisse, Allemagne et Empire au Moyen Âge, op. cit., p. 117-118 et 257-262. 18 M. Parisse (dir), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 190, et M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 191-192. 19 M. Bur, « Recherches sur la frontière dans la région mosane aux xiie et xiiie siècles », art. cit., p. 153. Le traité de Verdun, en 843, faisait déjà de la Meuse la frontière entre les royaumes de Charles le Chauve et de Lothaire. Cette limite demeurait toutefois théorique : Toul et Verdun étant considérées comme cités impériales, le temporel de ces évêchés appartenait également à l’Empire, dont l’influence s’étendait par conséquent largement au-delà de ce fleuve. L’accord de 1299 en revanche a des conséquences inverses : le duché de Bar, dont la capitale est située sur la rive gauche de la Meuse, appartient désormais au Royaume. Le duc doit donc le reprendre en fief du roi de France, ce qu’il fait deux ans plus tard. 20 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 355 ; Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 195-208. Même s’ils agissent en fonction de leurs intérêts particuliers, les bourgeois de Toul en 1342, puis ceux de Verdun en 1391, obtiennent l’annulation des traités de pariage avec le roi de France au nom de l’appartenance de leur cité à l’Empire. L’influence française ne signifie donc pas l’acceptation de la souveraineté royale. À la veille de la guerre de Cent ans, les seigneurs sarrois ne figurent pas encore dans la clientèle des rois de France, à l’exception de la famille de Sarrebruck-Commercy, à cheval sur la Lorraine francophone et germanophone. 21 M. Parisse (dir.), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 193.
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qui en 1259 se déplace jusqu’à Tolède, en Espagne, pour recevoir des mains du roi des Romains Alphonse de Castille les cinq étendards (signa) du duché de Lorraine : Et, parmi toutes ces dignités et fiefs susdits, nous te donnons le premier étendard en fief pour ton duché, par lequel tu dois être sénéchal de notre cour en-deçà du Rhin, fonction en vertu de laquelle tu nous dois le premier service de table au banquet annuel. Et s’il advient que nous allions parlementer en armes avec le roi de France, tu dois nous escorter à l’avant-garde à l’aller et à l’arrière-garde au retour. Et tu dois nous fournir les victuailles nécessaires sur la terre de ton duché. Et s’il advient que nous partions en guerre contre le roi de France, tu dois engager le combat à l’avant-garde à l’aller et à l’arrière-garde au retour. Nous te donnons aussi le second étendard, signe que tu dois présider en notre nom les duels des nobles entre Meuse et Rhin, de sorte qu’ils éprouvent à ce sujet une crainte salutaire. Nous te donnons aussi le troisième étendard en signe de fief, pour le comté de Remiremont. Nous te donnons en outre le quatrième étendard, par lequel tu dois avoir la garde des chemins publics par terre et par eau, sur toute l’étendue de ton duché. Nous te donnons le cinquième étendard et l’investiture en fief de notre monastère de Saint-Pierre de Metz et de notre autre monastère de Saint-Martin de Metz, et tu dois avoir la garde des églises dans ton duché22.
Le duc ne reprenait pas du roi des Romains un territoire, mais une fonction23. Le premier étendard symbolise en effet la dignité de duc et de marquis dont est revêtu Ferry III. La nature du service d’ost dû par le duc de Lorraine à l’empereur s’explique par sa place de « marchis entre les trois roiaumes24 » d’Arles, de France et de Germanie. Ses devoirs lors du repas du couronnement tiennent, quant à eux, à son titre ducal qui en fait un prince d’Empire, habilité à intervenir dans le processus de l’élection impériale. Alphonse de Castille ne manque d’ailleurs pas de rappeler que cet étendard est confié au duc « pro ducatu in feudum ». Ferry peut considérer le territoire du duché comme indépendant de toute suzeraineté à l’égard de l’empereur, car il ne le reprend pas de lui. En revanche, il en reçoit la fonction de duc et de marquis, pour lesquels il prête explicitement hommage et qui lui confère des droits sur l’ensemble de la région comprise entre Meuse et Rhin. Par sa nature, le duché de Lorraine reste donc très solidement arrimé à l’Empire, beaucoup plus que la majorité des principautés lorraines, qui ne relèvent pas directement de lui. Après 1259, toute trace d’hommage des ducs de Lorraine aux empereurs ou aux rois des Romains disparaît de nos sources, jusqu’à celui prêté par le duc Jean lors de la diète de Nuremberg en 136125. Faut-il en conclure à un relâchement du lien entre
22 Acte publié dans K. Zeuner, Quellensammlung zur Geschichte der Reichsverfassung, 1913, p. 98, no 78. 23 Cf. ci-dessus chapitre 1. 24 J. Bretel, Le tournoi de Chauvency, édition complète par Maurice Delbouille, Paris, 1932, p. LXXVI-LXXVII. 25 H. Thomas, « Die lehnrechtlichen Beziehungen des Herzogtums Lothringen zum Reich von der Mitte des 13. bis zum Ende des 14. Jahrhunderts », art. cit. Une copie de l’hommage de 1361 est conservée à la BnF, Ms. fr. 11823, f. 9 et reproduite en Annexe 8. Voir également l’analyse qui en est faite ci-dessous dans ce même chapitre.
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le duché et l’Empire entre ces deux dates ? Rien n’est moins sûr. La mise par écrit des hommages, bien que plus fréquente, n’avait encore rien d’automatique dans l’Empire au xiiie siècle et les reprises faites en 1361 et 1398 prouvent, s’il en était besoin, que le sentiment d’appartenance du duché à l’Empire restait bien vivace à la fin du xive siècle. Toutefois, l’attachement des ducs de Lorraine à l’Empire, sans être remis en cause, semble diminuer au cours du xiiie siècle : ils interviennent moins dans les affaires impériales et leurs rencontres avec les empereurs deviennent plus rares26. Au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de l’Empire, les ducs se rapprochent du Royaume. Ce mouvement commence, lui aussi, au xiiie siècle. Déjà auparavant, les ducs de Lorraine se reconnaissaient vassaux du comte de Champagne pour un fief situé à Grand, à une quinzaine de kilomètres de Neufchâteau, sur la rive gauche de la Meuse. Mais les déboires impériaux du duc Thiébaut Ier en 1218 incitent son successeur, Mathieu II, à resserrer ses liens avec la Champagne27. Dès son arrivée au pouvoir, en 1220, il reprend en fief du comte de Champagne son alleu de Neufchâteau. L’acte revêt cette fois une importance beaucoup plus grande, car la ville constitue l’un des centres économiques et commerciaux du duché de Lorraine. Il traduit surtout une orientation politique complètement nouvelle de la part des ducs de Lorraine. L’initiative de l’hommage ne peut venir uniquement de bourgeois soucieux de bénéficier de « la paix légendaire du comté de Champagne », comme l’explique Pierre Marot, l’historien de Neufchâteau, sans cela les ducs s’en seraient tenus à cette seule ville28. Or, Ferry III (1251-1303) ouvre largement ses États à l’influence champenoise et accepte, parallèlement l’inféodation de nouvelles terres au comte de Champagne29. Aucun événement particulier ne venant justifier cette ingérence champenoise dans les affaires lorraines, il faut bien admettre qu’il s’agit, de la part des ducs, d’une politique délibérée de rapprochement avec la France qui, après 1284, contrôle directement la Champagne.
26 M. Parisse, La noblesse lorraine : xie-xiiie siècles, op. cit., p. 748-753. Le déclin de l’influence impériale sur le duché de Lorraine correspond aux dernières années de la dynastie des Staufen. Au début du xiiie siècle, Frédéric II entre en conflit avec le duc Thiébaut Ier. Celui-ci doit s’incliner, mais ses deux frères, Mathieu II, et Jacques de Lorraine, évêque de Metz, paraissent moins souvent à la cour. En 1247, ils abandonnent même définitivement le parti impérial, après la déposition de Frédéric II par le pape. Par la suite, le Grand Interrègne (1250-1275), durant lequel les prétendants à la couronne résident hors d’Allemagne, contribue aussi à éloigner les ducs de l’Empire. 27 Ibid., p. 740-748. 28 P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », op. cit., p. 32-33. L’auteur prend uniquement en compte le point de vue des bourgeois de Neufchâteau. La suzeraineté champenoise leur apporte effectivement une plus grande sécurité et facilite leur commerce avec la France en leur garantissant une politique douanière favorable. Mais le duc n’aurait pas consenti à un tel augment de fief en faveur d’un de ses ennemis s’il n’y avait trouvé son propre intérêt, ou sans y être contraint et forcé, ce qui ne semble pas avoir été le cas. Tout porte donc à croire que Mathieu II a opté résolument pour l’alliance champenoise, afin de ne pas subir, comme son frère Thiébaut, l’hostilité conjointe de la Champagne et de l’Empire sur les frontières du duché. 29 M. Parisse, La noblesse lorraine : xie-xiiie siècles, op. cit., p. 787-788. Sont concernées les villes d’Amance, Arches, Bruyères, Châtenois, Frouard, Gerbéviller, Laneuveville-devant-Nancy, Lunéville, Montfort, Nancy et Saint-Nicolas-de-Port, soit les principaux centres administratifs et économiques du duché.
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Cette attitude doit beaucoup aux échecs de la politique impériale des ducs de Lorraine : ceux de Thiébaut Ier, au début du xiiie siècle, ont été mentionnés. Cent ans plus tard, en 1322, Ferry IV, qui soutient son beau-frère Frédéric d’Autriche dans ses prétentions à la couronne impériale, est à nouveau vaincu et fait prisonnier, à Mühldorf, par le rival de celui-ci, Louis de Bavière. Une fois libéré, le duc Ferry IV se place délibérément au service du roi de France : il figure à ses côtés à la bataille de Cassel, en 1328 ; quant à son fils, Raoul, il meurt à Crécy en 134630. Les ducs de Lorraine se trouvent donc, vers 1350, dans une situation de double vassalité à l’égard du roi et de l’empereur. Mais les hommages qu’ils leur prêtent n’ont pas du tout la même signification. La vassalité envers les comtes de Champagne, puis les rois de France, ne concerne que quelques fiefs, précis et bien délimités. Mais elle les soumet à des obligations très contraignantes, quant au respect des libertés urbaines à l’intérieur de leur duché notamment. De plus, les officiers royaux, dotés de pouvoirs étendus, incarnent en permanence la présence de leur souverain aux frontières du territoire ducal. Inversement, les ducs relèvent de l’Empire l’ensemble de leurs prérogatives dans l’espace lorrain, ainsi que leur dignité de duc et de marquis. Mais cet hommage, si important soit-il, ne s’accompagne d’aucune exigence spécifique, tant le pouvoir impérial est faible et éloigné31. Comme pour les autres princes lorrains, le jeu de balancier auquel peuvent se livrer les ducs de Lorraine paraît bien déséquilibré. Mais, à la différence du comté de Bar, dont la majeure partie des terres relève du Royaume, le duché de Lorraine, lui, est territoire d’Empire. Au sein de l’espace lorrain, les ducs parviennent donc, mieux que les autres, à tenir l’équilibre entre leurs deux suzerains. Témoin de cette situation, la politique matrimoniale des ducs de Lorraine balance elle aussi entre le Royaume et l’Empire. Entre 1250 et 1350, les ducs choisissent leurs épouses tantôt en France, tantôt en Allemagne, selon une alternance rigoureuse. Le tableau généalogique de la maison de Lorraine, reproduit en Annexe 1, le montre clairement32. Ferry III épouse Marguerite, la fille du comte de Champagne, et son fils Thiébaut II, Isabelle de Rumigny ; Ferry IV, quant à lui, s’unit à Isabelle d’Autriche ; Raoul, son successeur, épouse en premières noces une lorraine, Aliénor de Bar, puis Marie de Blois, la nièce de Philippe VI ; à sa mort, son fils Jean Ier n’est pas encore né, mais son mariage avec Sophie de Wurtemberg semble déjà prévu. En ce qui concerne les cadets et les filles, la règle est un peu moins stricte et appliquée différemment, mais le principe reste le même. Les filles convolent plus souvent en terre d’Empire : Isabelle et Catherine, filles de Ferry III, épousent respectivement Louis de Bavière et Conrad de Fribourg ; Marguerite, la sœur de Raoul, est mariée à
30 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 179-181. De 1218 à 1322, les ducs de Lorraine ne subissent que des échecs lorsqu’ils interviennent dans les affaires impériales. En se tournant vers la France, ils ne se contentent donc pas de suivre leurs sentiments ou d’obéir servilement au roi. Contrairement à ce que pense Émile Dantzer, les ducs de Lorraine suivent une politique conforme à leurs intérêts. Cf. É. Dantzer, « Les relations des ducs de Lorraine avec les rois de France », art. cit., p. 585-586. 31 M. Parisse, La noblesse lorraine : xie-xiiie siècles, op. cit., p. 693-698. 32 Il a été réalisé à partir de l’ouvrage de G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 47-88.
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Olry de Ribeaupierre, en Lorraine germanophone, après qu’un projet d’union avec le futur empereur Charles IV a échoué. En revanche, Thiébaut II marque nettement sa préférence française, puisqu’il unit ses autres enfants aux familles de Dampierre, Bapaume, Chiny, Châtillon et Bar-Pierrepont. De même, des trois sœurs de Ferry III, seule la cadette, Catherine, avait été mariée à un prince de langue allemande. Dans les alliances matrimoniales de la maison de Lorraine, on retrouve par conséquent le souci d’équilibre entre la France et l’Empire. Celui-ci existait déjà à la période précédente et constitue bien la spécificité de la politique ducale par rapport à celle des autres princes lorrains33. Pourtant, génération après génération, la présence française se fait plus sensible, dans le duché comme dans le reste de la Lorraine. Les ducs de Lorraine et leurs souverains
Nous avons vu que la lutte d’influence que se livrent le roi et l’empereur au sein de l’espace lorrain dans les deux derniers siècles du Moyen Âge tourne très nettement à l’avantage du premier, qui fait sentir beaucoup plus concrètement son pouvoir aux ducs de Lorraine et aux autres princes de la région. Mais l’état de fait est une chose et la situation de droit une autre. À défaut de pouvoir trouver dans l’Empire un contrepoids efficace à la puissance française, les ducs parviennent-ils à équilibrer leur position juridique par rapport aux souverains ? Comment concilient-ils, dans ce domaine, leur double appartenance au Royaume et à l’Empire ? La double vassalité des ducs de Lorraine les amène à fréquenter leurs deux suzerains. Dans l’entourage d’un souverain médiéval, les questions de protocole revêtent naturellement une grande importance, puisqu’elles définissent le rang, l’honneur et la condition de chacun. Comparer la place réservée aux ducs de Lorraine lorsqu’ils figurent à la cour de France ou à celle de l’empereur permet donc de mesurer l’influence qu’ils possèdent dans le Royaume et dans l’Empire, et de renverser la perspective qui était jusqu’à présent la nôtre. Commençons par l’Empire : la situation y est plus claire. Le duc de Lorraine appartient, depuis sa création, à la catégorie des princes d’Empire ou Reichsfürstenstand, qui regroupe les vassaux directs de l’empereur. Ce titre le place au tout premier rang de la noblesse et lui confère un certain nombre de privilèges, parmi lesquels la souveraineté judiciaire, ainsi que l’inaliénabilité et l’indivisibilité du duché. Certaines obligations lui incombent en contrepartie, à commencer par les devoirs de fidélité, d’aide et de conseil à l’empereur. Si les ducs de Lorraine ne remplissent que très occasionnellement les deux derniers, en revanche, ils prennent bien soin de réserver, dans tous les traités conclus avec d’autres princes, la fidélité qu’ils doivent à l’empereur34.
33 M. Parisse, Noblesse et chevalerie en Lorraine médiévale, op. cit., p. 208-212. 34 Cette clause est inhérente aux traités de Landfried, qui ne peuvent être dirigés ni contre le pape, ni contre l’empereur, ni contre le roi de France (voir par exemple celui du 25 mars 1362 : BnF Col. Lor., no 246, f. 12). Mais, même lorsqu’ils contractent des alliances offensives et défensives, les ducs de Lorraine spécifient que celles-ci ne doivent pas nuire aux droits de l’Empire. Le 16 juin 1397 par
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Au milieu du xive siècle, nous l’avons vu, la Bulle d’Or remet en cause certains aspects de cette organisation. Une classe nouvelle est désormais créée, issue des princes d’Empire, celle des Électeurs, dont le duc ne fait pas partie. Ceux-ci deviennent les « colonnes de l’Empire » et reçoivent, pour eux-mêmes et pour leurs États, des prérogatives considérables : le cérémonial de la cour les élève à la hauteur des rois, lors des grandes assemblées diplomatiques, tandis que leurs principautés accèdent de fait à la souveraineté territoriale (Landeshoheit)35. Mis à l’écart, juridiquement au moins, de cette évolution, les ducs de Lorraine ne seront-ils pas tentés d’acquérir par eux-mêmes ce que l’empereur a refusé de leur octroyer ? La Bulle d’Or éloigne donc le duché de l’Empire, en ce qu’elle déclasse légèrement les ducs dans la hiérarchie princière : ils figurent désormais au second rang, immédiatement derrière les Électeurs. Qu’en est-il du côté du Royaume et quel rang les ducs de Lorraine peuvent-ils espérer tenir à la cour de France ? Le rôle de pilier du Royaume et de principal soutien de la monarchie, dévolu dans l’Empire aux sept Électeurs, est ici confié aux douze pairs de France36. La cérémonie du sacre traduit visuellement cette idée, puisque ceux-ci, appelés l’un après l’autre, s’approchent pour tenir la couronne et conduire le roi sur le trône dressé pour lui dans la cathédrale de Reims37. Jusqu’à la fin du xiiie siècle, les ducs de Lorraine ne peuvent aucunement prétendre au statut de pair du Royaume. Ils ne prêtent hommage qu’au comte de Champagne et ne figurent donc qu’au nombre des arrière-vassaux du roi. Mais lorsque Philippe le Bel recueille l’héritage du comté, en 1284, l’intermédiaire qui séparait les ducs des rois de France disparaît brutalement. Le comte était pair de France ; il faut donc désormais désigner un noble remplissant pour lui cet office lors du sacre d’un nouveau roi. Dans ces conditions, le duc de Lorraine peut paraître le candidat naturel à un tel poste, à la fois comme duc et comme principal vassal du comte de Champagne. Par ailleurs, la présence d’un prince d’Empire à l’avènement d’un roi ne peut que rehausser le prestige et le rayonnement de la monarchie française. Toutes ces raisons, ajoutées à une longue tradition historiographique, expliquent sans doute pourquoi de nombreux historiens lorrains affirment que Jean Ier a fait office de pair de France pour le comte de Champagne aux sacres de Charles V et
exemple, Charles II et Raoul de Coucy s’unissent pour contraindre la ville d’Épinal à l’obéissance, et s’engagent à combattre tous les princes qui tenteraient d’aider la cité, sauf s’il s’agit du roi, de l’empereur, du duc de Bourgogne ou du duc de Bar (A.D.M.M. B 673, no 145). 35 F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne, op. cit., p. 35. La Bulle d’Or prévoit que les Électeurs auront préséance sur les souverains étrangers dans les assemblées royales. Les crimes commis contre leurs biens ou leurs personnes sont considérés comme des crimes de lèse-majesté. Ils jouissent également dans leurs principautés, sauf en cas de déni de justice, des privilèges de non evocando et de non appellando, qui les rendent quasiment indépendants en matière judiciaire. La plupart des droits régaliens leur sont également accordés. Il ne leur manque que le titre pour devenir de véritables souverains. 36 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 42. Six d’entre eux sont ecclésiastiques — l’archevêque de Reims, les évêques de Laon, Langres, Beauvais, Noyon et Châlons-sur-Marne — et les six autres laïques : les ducs de Bourgogne, de Normandie et d’Aquitaine et les comtes de Flandre, de Toulouse et de Champagne. 37 R. Jackson, Vivat rex : histoire des sacres et couronnements en France, Strasbourg, 1985, 237 p., p. 146-149.
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de Charles VI. Cela demeure sujet à caution38. Rien ne prouve non plus que le duc de Lorraine soit la seule personne à qui ait pu échoir cette charge. Les ducs de Bar et de Luxembourg pouvaient tout aussi bien tenir le même rôle, ainsi qu’un grand nombre d’autres princes, à l’intérieur du Royaume. Au xive siècle, quatre des six pairies laïques font partie du domaine royal et n’ont, de fait, pas de représentant à la cérémonie39. Concrètement, le roi peut donc désigner qui il veut pour représenter les pairs manquants. Étant donnée la tiédeur de ses relations avec Jean Ier, rien n’indique qu’il se soit senti obligé de le choisir. De toutes ces incertitudes, il ressort toutefois que les ducs de Lorraine n’ont pas officiellement rang de pair de France, qu’ils peuvent en exercer la fonction lors du sacre des rois, mais qu’il n’est pas certain qu’ils l’aient effectivement fait. Tout comme dans l’Empire, le duc de Lorraine détient, dans la hiérarchie nobiliaire du Royaume, une place très importante mais pas incontournable. Les mêmes remarques peuvent être faites en ce qui concerne les liens de parenté entre les ducs et la dynastie des Valois. Le mariage de Raoul avec Marie de Blois en 1333 unissait la maison de Lorraine à la famille royale. Le roi ne manque pas une occasion de le rappeler dans les lettres de rémission qu’il envoie aux ducs. Il en fait même une des raisons qui justifient l’octroi de sa grâce, accordée en 1367 à Jean Ier en « considéracion […] qu’il est bien prouchain conioint à nous de sanc et de lignage40 », et en 1391 à Charles II « meismement à ceulx de nostre sang et lignaige41 ». Cette proximité de lignage rapproche en effet le duché de Lorraine du royaume de France. Toutefois, les liens familiaux entre les Valois et la maison ducale demeurent assez lâches et les rois ne se montrent pas particulièrement soucieux de les renforcer42. Tout compte fait, dans le Royaume comme dans l’Empire, les ducs de Lorraine occupent une place à peu près identique. Membres de la catégorie des princes d’Empire, considérés comme de grands barons du Royaume, ils figurent aux premiers rangs de la pyramide nobiliaire des deux États. Inversement cependant, ils sont exclus de la classe des Électeurs comme de celle des pairs de France et ne sont considérés ni comme des colonnes de l’Empire, ni comme des piliers du Royaume. Cette double appartenance peut être vécue par eux comme une source de prestige, mais elle peut
38 Il en va de même pour la présence de René d’Anjou, héritier du duc Charles II, au sacre de Charles VII à Reims en 1429 (B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. VIII-IX). Plusieurs chroniqueurs, à qui son absence posait problème, du fait de la proximité des deux personnages, l’y ont fait faussement figurer. Cette erreur, reprise par Dom Calmet, a ensuite trouvé sa place dans l’historiographie lorraine, donnant naissance à l’opinion selon laquelle la participation des ducs au sacre des rois de France allait de soi à cette époque (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 552-553). 39 Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., p. 246, 650, 1000-1001 et 1398, articles « Champagne » (M. Bur), « Guyenne » (B. Cursente), « Normandie » (F. Neveux) et « Touraine » (B. Chevalier). 40 A.D.M.M. B 833, no 36. 41 A.D.M.M. B 833, no 42. Acte reproduit en Annexe 9. 42 Marie de Blois était la nièce du roi Philippe VI, donc la cousine germaine de son fils, Jean le Bon. Il s’ensuit que le duc Jean Ier n’est qu’un cousin issu de germain de Charles V. Plus tard, Isabelle de Lorraine se voit refuser la main de Charles VI et le duc Charles II celle de la fille du duc de Berry, frère de Charles V. Voir le tableau généalogique des ducs de Lorraine en Annexe 1.
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aussi entraîner un sentiment de frustration et les conduire à privilégier une politique d’indépendance par rapport à leurs deux souverains. N’en fait-elle pas néanmoins, lorsque ceux-ci se rencontrent, des intermédiaires obligés ? Des intermédiaires obligés ?
Au Moyen Âge, lorsqu’ils souhaitent se parler directement, les souverains se rejoignent généralement à la frontière de leurs États. La Lorraine constitue donc une terre de prédilection pour de telles entrevues, même si elles demeurent peu fréquentes. Or, durant la seconde moitié du xive siècle, les rois (ou régents43) de France et les empereurs ont eu trois entretiens en tête à tête, ce qui est beaucoup pour l’époque. Le nombre de ces rencontres s’explique par l’amitié entre les Valois et les Luxembourg, qui ne se dément pas tout au long de la guerre de Cent ans44. Leur déroulement traduit aussi l’inégalité et l’évolution du rapport de forces entre la France et l’Empire. En 1356, au plus fort de la tourmente en France, le Dauphin Charles se rend à Metz, en terre d’Empire, pour obtenir le soutien de son oncle Charles IV. En 1378 en revanche, après que Charles V a achevé la reconquête du Royaume, c’est l’empereur qui se déplace jusqu’à Paris, de même que son fils Wenceslas, vingt ans plus tard, fait le voyage de Reims pour y conférer avec Charles VI des problèmes de la chrétienté occidentale45. Chacune de ces visites s’accompagne naturellement du déploiement de toute la pompe impériale et royale, destinée à manifester au grand jour l’éclat et la puissance des souverains. Dans ces conditions, il importe que leur suite se compose du plus grand nombre de leurs vassaux et sujets et qu’y figurent notamment les plus prestigieux d’entre eux. Où se trouvent donc les ducs de Lorraine lors de ces entrevues et quel rôle y tiennent-ils ? En 1356, lors de la diète de Metz et des entretiens entre le dauphin Charles et son oncle l’empereur, le duc de Lorraine, encore mineur, était le seul absent de marque parmi les princes lorrains46. En 1378, lors de la venue de Charles IV à Paris, Jean Ier prend prétexte des préparatifs d’une croisade en Prusse pour rester dans ses
43 On peut considérer en effet que les pourparlers de 1356 entre l’empereur Charles IV et le régent Charles à Metz équivalent à une négociation entre souverains, dans la mesure où le fils de Jean le Bon exerce alors le pouvoir au nom de son père, prisonnier des Anglais. 44 F. Autrand, Charles V le Sage, op. cit., p. 261 et 804. Un premier traité d’alliance est signé entre Charles IV, roi des Romains, et Jean le Bon, alors duc de Normandie, en 1346, au lendemain de la bataille de Crécy. Le voyage du Dauphin à Metz, dix ans plus tard, puis celui de l’empereur à Paris en 1378, permettent de renouveler à deux reprises ce pacte de famille. Il demeure également valable durant le règne de Wenceslas, le fils de Charles IV, même après sa destitution par les Électeurs allemands, le 20 août 1400. 45 Concernant les sommets diplomatiques de 1356 et 1378, voir F. Autrand, Charles V le Sage, op. cit., p. 258-263, et p. 779-805 ; pour celui de 1398, voir F. Autrand, Charles VI : la folie du roi, op. cit., p. 344-345, ainsi que l’ouvrage de A. Gerlich, Habsburg – Luxemburg – Wittelsbach im Kampf um die deutsche Königskrone, op. cit., p. 219-241. 46 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 199. Participent à la diète de Metz l’archevêque de Trèves, les évêques de Metz, Toul et Verdun, le duc de Bar, les comtes de Linange, Veldenz, Spanheim, Deux-Ponts, Sarrewerden, Salm, Sarrebruck, Vaudémont et Vianden, le sire de Roucy,
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États47.Quant à la dernière rencontre, celle de Wenceslas et de Charles VI à Reims, en mars 1398, impossible de dire si Charles II y a assisté. La chose semble probable. Le duc prête en effet hommage au roi des Romains le 9 mars 1398. Quelques mois plus tard, il se trouve à Paris, aux côtés du duc d’Orléans. Pendant ce laps de temps, aucun document n’atteste de sa présence en Lorraine48. Tout porte donc à croire qu’il a suivi Wenceslas jusqu’à Reims, avant de pousser ensuite vers la capitale. Cela signifierait cependant qu’il n’a escorté son suzerain qu’à l’aller du trajet. Pour cette période, par conséquent, deux fois sur trois au moins, les ducs se tiennent à l’écart des réunions diplomatiques entre les empereurs et les rois de France. S’agit-il là d’une simple coïncidence, ou d’une volonté délibérée de ne pas s’afficher dans les suites impériale ou royale ? La comparaison avec l’attitude des autres seigneurs lorrains dans les mêmes occasions peut fournir un élément de réponse. La plupart d’entre eux appartiennent également au Royaume et à l’Empire. Or, pour leur part, cela ne les empêche pas, bien au contraire, de servir d’intermédiaire entre les deux souverains, notamment lors des rencontres au sommet. Les comtes de Sarrebruck et le sire de Louppy par exemple figurent dans la suite du dauphin à Metz en 1356 ; vingt deux ans plus tard, le roi les charge de raccompagner l’empereur jusqu’aux frontières du Royaume, à la fin de son séjour à Paris49. Certes, le service du prince permet à des nobles de second rang d’acquérir un prestige largement supérieur à celui auquel ils pourraient prétendre par leur origine familiale. Il garantit également au roi une fidélité plus totale que celle des seigneurs plus puissants et donc plus indépendants. Mais même des princes de haut rang s’empressent de répondre à l’appel de leurs souverains : le duc de Bar figure ainsi en très bonne place dans la suite royale en 137850. La présence de la noblesse des pays d’« Entre-Deux » auprès des rois et des empereurs s’impose de manière
pour ne citer que les Lorrains (la liste est communiquée par les chroniques messines). Ni le comte de Wurtemberg, beau-père de Jean Ier, ni Brocard de Fénétrange, le gouverneur du duché, ne se rendent auprès de l’empereur. 47 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 234-236. 48 A.D.M.M. B 405, f. 51-52. Charles II reprend ses fiefs impériaux du roi des Romains en personne (in nostrae majestatis presentia). L’acte est accompli à Yvois (Datum Yvodii anno domini millesimo trecentesimo nonagesimo octavo, die nona martii). À Paris, le 15 juin de la même année, il se reconnaît homme-lige du duc d’Orléans pour une pension de 2 000 livres tournois par an. Vraisemblablement, le duc de Lorraine, qui vote la soustraction d’obédience avec le roi de France (E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 34-35), a pris part aux négociations entre Wenceslas et Charles VI qui, justement, avaient pour objet le rétablissement de l’unité religieuse en Occident (F. Autrand, Charles VI : la folie du roi, op. cit., p. 344-345). On ne trouve en tout cas aucun acte émanant de lui entre le 9 mars et le 15 juin 1398. 49 F. Autrand, Charles V le Sage, op. cit., p. 259 et 792. Cette mission illustre parfaitement le rôle d’intermédiaire entre la France et l’Empire rempli par les nobles originaires des régions frontalières et, spécifiquement, par les seigneurs lorrains. 50 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 235 et R. Delachenal (éd.), Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, Paris, 4 vol. 1910-1920, vol. II, p. 250. Le rédacteur de la chronique, Pierre d’Orgemont, mentionne explicitement la présence de Robert de Bar, aux côtés des ducs de Bourgogne, de Berry et de Bourbon, frères du roi de France, lors du dîner offert par Charles V au Louvre, le 8 janvier.
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évidente lorsque sont abordées les questions qui concernent les relations entre la France et l’Empire. Si les ducs de Bar, les comtes de Sarrebruck ou les sires de Louppy se trouvent logiquement du côté du roi de France51, pourquoi les ducs de Lorraine, princes d’Empire menacés par les progrès de la souveraineté française, ne se rangent-ils pas du côté de l’empereur ? Ils le font assurément, à plusieurs reprises. En 1389, par exemple, lors de l’entrée à Paris d’Isabeau de Bavière, le duc Jean Ier joue les premiers rôles. C’est lui qui, à la tête des autres princes d’Empire, accueille la reine au carrefour de la Chapelle, avant de la conduire dans la capitale. Il assiste ensuite à son couronnement, ainsi qu’au service funèbre célébré à cette occasion en l’honneur de du Guesclin. Sa fille, Isabelle de Lorraine, dame de Coucy, participe également en bonne place à ces festivités52. Le roi s’accommode donc fort bien de la double appartenance des princes lorrains au Royaume et à l’Empire. Il l’utilise même pour entretenir l’amitié et l’alliance qui le lie à la dynastie impériale alors au pouvoir. Autrement dit, il en fait des sortes d’intermédiaires. Il reconnaît également sans difficultés les liens étroits qui existent entre le duché et l’Empire. Dès lors, si le duc s’abstient de paraître dans la suite de l’empereur en 1378, ce n’est pas tant pour éviter d’avoir à choisir entre ses deux suzerains, que pour ne pas montrer publiquement les liens féodaux qui l’unissent au roi et à l’empereur. Il faut voir dans un tel geste l’affirmation, en négatif, de la volonté d’indépendance du duché de Lorraine, conséquence peut-être de la position ambiguë des ducs dans la hiérarchie princière du Royaume et de l’Empire.
L’inégale pression du Royaume et de l’Empire (1350-1400) Pour arriver à leurs fins, les ducs de Lorraine adoptent une politique de balancier, qui leur permet de maintenir l’équilibre entre les deux États. Concrètement toutefois, la France représente une menace beaucoup plus grande que l’Empire pour le duché. Sans renier leurs liens avec le Royaume, les ducs doivent se garder de toute initiative française qui remette en cause leur liberté d’action à l’intérieur du territoire ducal. Pourtant, l’influence croissante du Royaume dans la région n’a rien d’un processus linéaire et irréversible. Au milieu du xive siècle, les débuts de la guerre de Cent ans en France et l’avènement d’un nouveau souverain dans l’Empire semblent même un instant tout remettre en question.
51 F. Autrand, Charles V le Sage, op. cit., p. 58-63. 52 F. Autrand, Charles VI : la folie du roi, op. cit., p. 222-235. Lors des tournois qui ouvrent les fêtes de mai 1389, Isabelle de Lorraine accompagne Louis de Touraine, le futur duc d’Orléans, frère de Charles VI. Jean Ier, quant à lui, se tient aux côtés d’Isabeau de Bavière. Le père et la fille illustrent ainsi la position intermédiaire de la maison de Lorraine, entre le Royaume et l’Empire.
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L’empereur en Lorraine : une présence épisodique
Face aux difficultés qu’elle rencontre dans les années 1340-1360, la monarchie française se voit contrainte de relâcher un peu la tutelle qu’elle exerçait sur le duché depuis le début du xive siècle. Entre 1347 et 1349, face aux plaintes de la duchesse Marie de Blois53, le roi, sans doute soucieux de modérer ses exigences envers les principautés lorraines pour mieux s’assurer de leur alliance, donne finalement l’ordre à son bailli de Chaumont, Joffroy de Nancy, de renoncer à prélever l’impôt dans les fiefs ducaux tenus du roi de France54. Sans détourner leur attention de la Lorraine après Crécy, Philippe VI et Jean le Bon laissent assurément aux princes lorrains davantage de marge de manœuvre, se réservant d’intervenir lorsque que leurs intérêts essentiels sont en jeu55. L’effacement relatif des rois de France en Lorraine représente pour l’empereur Charles IV, prince luxembourgeois, élu roi des Romains en 1346, une occasion unique de réaffirmer, une fois son pouvoir fermement établi, ses droits sur les marches occidentales de l’Empire56. C’est avant tout par sa présence que l’empereur s’impose dans la région. Charles IV séjourne à deux reprises en Lorraine, en 1354 et 1356, à l’aller et au retour de son expédition d’Italie pour y recevoir la couronne impériale. La première fois, il réside sur ses terres luxembourgeoises, avant un bref passage à Metz. La seconde, il fait le chemin inverse et demeure la majeure partie du temps dans la grande cité lorraine. Cette seconde visite revêt un caractère beaucoup plus solennel, car elle s’accompagne de la promulgation de la Bulle d’Or, manifestation éclatante de la souveraineté impériale, et d’une rencontre au sommet avec le futur roi de France Charles V57. Elle laisse par conséquent une trace beaucoup plus forte dans l’esprit des Lorrains. Bon nombre d’entre eux prennent contact, pour la première fois, avec la réalité d’un
53 Jusqu’en 1360, les décisions relatives au duché de Lorraine sont prises par la duchesse douairière Marie de Blois, puis par le gouverneur Brocard de Fénétrange. 54 C’est dans ce sens également qu’il faut interpréter la décision de Jean le Bon de révoquer, en 1351, le traité de sauvegarde dont il disposait sur la cité de Verdun : cf. Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 149. 55 À propos de la guerre des salines notamment qui met aux prises, entre autres belligérants, les deux principaux vassaux et alliés du roi de France, les ducs de Bar et de Lorraine. Philippe VI s’emploie à plusieurs reprises, semble-t-il, à les réconcilier. Le 30 avril 1352 en effet, les deux régentes Marie de Blois et Yolande de Flandre promettent de faire la paix et de s’entraider et renouvellent le traité conclu sept ans plus tôt entre Yolande et Raoul, duc de Lorraine, « par l’entremise du roy Philippe ». A.N. KK 1127, layette traités n°2, f. 10. Ce nouvel accord n’aura d’ailleurs pas plus de succès que le premier. 56 F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne, op. cit., p. 29-33. 57 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 361-67 et p. 370-371 ; R. Parisot, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 332-333 ; M. Parisse (dir.), Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 199-200 ; J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 99. Toutes les histoires de la Lorraine au Moyen Âge mentionnent les deux séjours de Charles IV dans la région. Les chroniques messines, quant à elles, s’attardent plus longuement sur celui de 1356, considérant qu’il mettait davantage en évidence le rayonnement de la ville ( J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 99). Il est vrai que Charles IV déploie à cette occasion un faste extraordinaire, pour manifester le caractère inégalable de la majesté impériale face à l’héritier du roi de France. Cependant, les décisions prises lors de la diète de 1354 ont davantage pesé sur l’avenir de la région.
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pouvoir jusqu’à présent considéré comme lointain et inefficace. La grande faiblesse de l’empereur par rapport au roi de France résidait, nous l’avons dit, dans l’absence d’une administration permanente, capable de le représenter au quotidien. Par ses visites, Charles IV incarne physiquement le pouvoir impérial en Lorraine. Or la présence physique reste un élément déterminant du prestige et de l’autorité d’un souverain, même dans les derniers siècles du Moyen Âge. En 1354 par exemple, le roi des Romains met en jeu tout le crédit dont il dispose personnellement pour réunir autour de lui les princes lorrains et réactiver le Landfried de 1343, qui avait échoué en raison de la guerre des salines58. L’ennui, c’est qu’il ne peut être partout à la fois et que partout sa présence est réclamée : après 1356, il ne remet plus les pieds en Lorraine. Les deux séjours de Charles IV ont cependant le mérite de rappeler aux Lorrains leur appartenance, au moins nominale, à l’Empire. Ils les incitent à considérer à nouveau l’empereur comme le dépositaire de l’autorité publique et à lui demander la confirmation de leurs anciens privilèges ou l’obtention de nouveaux. En 1354, Charles IV prend des décisions qui modifient sensiblement l’équilibre des forces au sein de l’espace lorrain : il érige le comté de Luxembourg en duché et fait du comte de Bar un marquis d’Empire, pour la ville de Pont-à-Mousson, sur la rive gauche de la Meuse. Le duc de Lorraine n’est désormais plus seul à détenir les dignités ducale et marquisale dans la région. Certes, les princes de Luxembourg et de Bar se considéraient depuis fort longtemps comme ses égaux, mais ils sont désormais pleinement légitimés dans leurs revendications : la comtesse de Bar, Yolande de Flandre, en profite d’ailleurs pour usurper la dignité ducale au profit de son fils, Robert, avec l’accord du roi de France59. Toujours en 1354, l’érection de la seigneurie d’Apremont en baronnie participe de la même politique, même si les conséquences en sont moins importantes60. Deux ans plus tard, ce sont les évêques et les cités de Lorraine qui bénéficient de diplômes impériaux : Charles IV prend les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun sous sa protection particulière et confirme leurs privilèges, ainsi que ceux de la ville de Verdun. Les bourgeois de Toul, en revanche, qui avaient également sollicité les faveurs de l’empereur, n’obtiendront satisfaction qu’en 136761.
58 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 338. Le rétablissement du Landfried constitue logiquement la préoccupation première de Charles IV à son arrivée en Lorraine. La mission principale d’un souverain consiste en effet à maintenir la paix et l’ordre à l’intérieur de son territoire. 59 Ibid., p. 82-89. Le duc de Lorraine était jusqu’à cette date le seul prince d’Empire dans la région. L’érection du comté de Luxembourg en duché peut être interprétée comme la volonté de rehausser la dignité de la branche cadette de la famille impériale ; celle du comté de Bar en marquisat trahit, quant à elle, le souci de rapprocher de l’Empire une principauté résolument tournée vers la France depuis un demi-siècle, avec comme point d’appui Mousson, située à l’est de la Meuse, et non pas Bar, qui relève du Royaume. Le marquis du Pont devenait ainsi prince d’Empire, mais restait en retrait de ses rivaux lorrain et luxembourgeois. Pour cette raison, la chancellerie barroise a opéré la transformation subreptice du comté de Bar en duché, en usant d’abord oralement du titre ducal, avant de l’employer par écrit, sans doute avec l’accord tacite du roi de France. 60 M. Auclair, « Grandeur et décadence d’une famille seigneuriale lorraine », art. cit., p. 103. 61 M. Parisse (dir.), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 203 ; Ch. Aimond, Les relations de la France avec le Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 154-156 ; E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 361-366. De tels actes n’ont pas seulement une portée symbolique. En confirmant
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Les autres princes lorrains ne sont pas pour autant tenus à l’écart des préoccupations impériales. Ainsi, en 1354 par exemple, à l’occasion de la première visite de Charles IV, le duc de Lorraine et le comte de Vaudémont reçoivent une confirmation solennelle de leur droit de sauvegarde et de protection sur l’abbaye de Clairlieu, aux portes de Nancy : Charles par la grace de Dieu Roy des Romains toujours auguste roy d’Allemagne Au tres illustre prince Jean, duc de Lorraine, et recommandable Henri de Joinville, comte de Vaudemont, nos fideles amis et du saint Empire, nous vous accordons notre faveur royale et toute sorte de prosperité. Sachant que les religieux, abbe et couvent de Clairlieu, ordre de Citeaux, qui nous sont tres affectionnés et que nous cherissons, souffrent diverses tribulations et oppressions – a ce que nous avons appris avec douleur – de la part de certaines personnes qui, ne considerant pas Dieu, les vexent plutot par un principe de malice obstinée et une erreur volontaire que par aucun motif raisonnable de le faire, lesquelles persecutions nous ne devons pas dissimuler, ni laisser impunies, de peur de devenir comptables devant Dieu du sang de nos sujets. […] Nous declarons prendre et mettre ledit couvent sous notre protection et celle du Saint Empire aussi bien que ce qui appartient a l’ordre. […] Vous enjoignant de plus, – a chaque fois que vous serez requis de la part desdits abbe et religieux et de leurs procureurs pour les proteger – que vous le fassiez et que, avec l’appui de notre autorité, vous les conserviez en la possession de tous leurs biens et droits, et que vous les defendiez contre toutes sortes de vexations, en faisant reparer les griefs, torts, et pertes qui leur arriveraient, et en punissant tres severement les malfaiteurs et rebelles, que nous declarons indignes de notre grace royale, afin de donner exemple aux autres62.
Certes, l’empereur ne fait ici que confirmer les droits d’avouerie dont les ducs de Lorraine disposent depuis bien longtemps sur les églises de leur duché. Toutefois, il en rappelle le bien-fondé et fait des ducs les relais de l’autorité impériale sur l’abbaye. L’acte permet également de réaffirmer les droits de l’Empire sur le duché de Lorraine – même si ceux-ci, nous l’avons vu, n’ont jamais été remis en cause – mais aussi sur le comté de Vaudémont dont le détenteur, Henri de Joinville, « du Saint Empire », descend pourtant du célèbre compagnon de Saint Louis et compte parmi les principaux capitaines du roi de France63. Il ne faut donc pas voir dans ces diplômes impériaux le renouvellement automatique et sans conséquences des positions et des privilèges détenus par les princes lorrains, mais la reconnaissance indispensable
les privilèges des villes et des évêchés de Lorraine, l’empereur proclame leur appartenance à l’Empire. Ainsi, les diplômes accordés aux cités de Toul et de Verdun considèrent comme illégales toutes les sauvegardes obtenues par les bourgeois de la part des rois de France et les révoquent. 62 A.D.M.M. H 477, no 81, copie et traduction française de l’original latin. L’acte est « donné sous le sceau, témoin de notre majesté, à Toul, l’an 1354, le troisième des nones d’avril et de notre règne le huitième ». Il prouve donc que l’empereur s’est rendu en personne dans la cité leuquoise, certainement pour restaurer l’autorité impériale sur la ville et sur l’évêché, victime d’une tentative d’annexion par le roi de France, vingt ans auparavant. 63 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 3.
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de leur légitimité, ainsi que le rappel de la souveraineté impériale sur la plus grande partie de la région. Les empereurs disposent, en Lorraine comme dans tout l’Empire, d’un autre moyen d’action. Au xive siècle, l’Église impériale n’existe plus. Mais les évêques doivent cependant recevoir l’investiture du souverain pour le temporel de leur évêché, ce qui confère à celui-ci un certain droit de regard sur le choix du titulaire. Cela ne signifie naturellement pas, loin s’en faut, qu’au milieu du xive siècle tous les évêques lorrains soient les créatures de Charles IV. Du moins est-il préférable qu’ils ne lui soient pas ouvertement hostiles. La vacance de certains sièges épiscopaux est l’occasion pour l’empereur de placer des personnages de son choix et de renforcer par là son influence sur la Lorraine. La belle-mère de Charles IV, Béatrice de Bourbon, parvient ainsi à faire élire Jean de Bourbon à Verdun, en 136164. Quatre ans plus tard, si l’on en croit les chroniques de la ville de Metz, le choix de Thierry Bayer de Boppard comme évêque doit aussi beaucoup à la faveur impériale, puisque « […] le pappe, à la priere de Charles IV de ce nom, empereur et roy de Boheme, avoit jay prouveu Thiedrich de Bopart, evesque de Worms, de l’evesché de Mets […]65 ». Ces deux élections semblent donc bien la conséquence de la restauration du prestige impérial dans la région au cours de la décennie précédente. Elles montrent aussi l’existence en Lorraine d’un parti luxembourgeois, très influent notamment dans l’évêché de Verdun, et servant de relais au pouvoir de l’empereur. Quel bilan peut-on établir, pour finir, des séjours de Charles IV en Lorraine ? Les historiens se sont souvent montrés très sévères à ce sujet. Ils ont mis en avant les échecs de l’empereur à rétablir la paix dans la région, ainsi que le caractère provisoire et symbolique de la restauration du prestige impérial, uniquement due à l’affaiblissement temporaire de la monarchie française66. L’acquis est cependant loin d’être négligeable. En annulant l’ensemble des traités de sauvegarde conclus par les rois de France et préjudiciables aux droits de l’Empire, Charles IV restaure son autorité sur toute la région située à l’est de la Meuse et parvient à regagner le terrain perdu depuis plusieurs décennies. Par la suite, les diplômes impériaux des années 1350 seront constamment mis en avant par les Lorrains pour s’opposer à l’établissement de la souveraineté française dans la région. Mais curieusement, alors que l’on pouvait s’attendre à ce que le duché soit le premier bénéficiaire du retour de l’empereur sur la 64 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 481-482. 65 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 103. Thierry Bayer de Boppard appartient lui aussi au parti des Luxembourg qui gagne en influence, au milieu du xive siècle, dans les pays allemands du duché de Lorraine et de l’évêché de Metz. J. Schneider, « Entre le Royaume et l’Empire… », art. cit., p. 7. 66 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 200 et 205, considère que la présence de Charles IV ne fit que retarder les progrès de l’influence du Royaume sur la Lorraine. H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 323-338, a montré, quant à lui, que la politique de l’empereur était avant tout orientée vers l’Est et qu’il n’intervenait en Lorraine que de manière indirecte, par le biais du vicaire qu’il nommait dans la région. Si, sur le long terme, les progrès constants de la France en Lorraine ne peuvent être contestés, il n’en demeure pas moins que l’action de Charles IV met un terme à la dégradation des droits impériaux dans la région et ce, jusqu’au début du xvie siècle.
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scène politique lorraine, il apparaît au contraire singulièrement en retrait par rapport aux autres principautés et notamment le duché de Bar, pourtant largement soumis à l’influence de la France. Tout bien considéré, les deux séjours de Charles IV en Lorraine portent nettement préjudice à la position du duché. Le premier lui fait perdre la prééminence de rang dont bénéficiaient les ducs au sein de l’espace lorrain, en conférant la dignité ducale au comte de Luxembourg et celle de marquis au comte de Bar. Et le second l’exclut définitivement du processus de l’élection impériale. Les sept princes électeurs désignés par la Bulle d’Or sont d’ailleurs tous plus ou moins étrangers à la région. En même temps qu’il règle de manière définitive la procédure électorale, ce texte signifie aux Lorrains qu’ils se situent désormais en marge de l’Empire, contribuant ainsi à les en détacher encore davantage67. Certes, Charles IV ne fait ici que sanctionner en droit une situation établie depuis déjà bien longtemps dans la réalité, mais le duché de Lorraine, qui jusqu’au xiiie siècle avait été mêlé de près aux affaires impériales, ne pouvait manquer de se sentir lésé par les décisions de la diète de Metz. D’où l’attitude de réserve prudente adoptée par la noblesse lorraine à l’égard de l’empereur dans le contexte de la longue minorité du duc Jean, entre 1346 et 1361, période qui correspond précisément à celle durant laquelle le pouvoir impérial s’intéresse de nouveau à la région. Le décès de Raoul, mort au service du roi et laissant une veuve qui était la nièce de Philippe VI, aurait dû placer le duché dans l’orbite directe de la France. Mais le roi n’était pas en mesure d’exploiter les avantages d’une telle situation. Dès 1353, le remariage de Marie de Blois avec Ferry de Linange et sa conséquence, le transfert de la régence à Eberhardt de Wurtemberg, beau-père présumé du duc Jean, mettent donc le gouvernement ducal ainsi que l’entourage familial de Jean Ier sous la tutelle de la noblesse lorraine germanophone68. L’année suivante, Charles IV déclare Jean Ier apte à gérer ses États et retire la régence au comte de Wurtemberg, tout en le maintenant gouverneur du duché, flanqué de Brocard de Fénétrange comme lieutenant69. La
67 Cette thèse a été défendue notamment par Robert Parisot, Histoire de Lorraine, op. cit., tome I, p. 314. 68 Une clause du testament de Raoul prévoyait pareille situation : « et s’ensi qu’elle [Marie de Blois] se mariat ou qu’elle se morut, ceu que Deux ne veille, je veil c’on en ordenoit selonc la fourme et la maniere qu’il est contenu en unes lettres saelees de mon grant seel » (Wien, Lothringische Urkunden, acte cité dans M. Bubenicek, « Quand les testaments règlent les régences », art. cit., p. 62). Les lettres dont il est question ne sont pas parvenues jusqu’à nous, mais elles devaient certainement comporter une promesse de mariage entre Jean Ier et Sophie de Wurtemberg et confier la régence au père de Sophie en cas de remariage de Marie de Blois. Car, le 9 juillet 1353, le comte de Wurtemberg promettait de respecter les privilèges de la noblesse lorraine. Son arrivée au pouvoir dans le duché n’a donc fait l’objet d’aucune contestation (Rogéville, Dictionnaire historique des ordonnances et tribunaux de la Lorraine et du Barrois, op. cit., t. I, p. 29). 69 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 205. Le choix d’Eberhardt de Wurtemberg comme régent ne devait pas vraiment satisfaire l’empereur, sans quoi il ne lui aurait pas retiré la tutelle du duc Jean. Par ailleurs, le comte pouvait difficilement concilier le gouvernement de sa principauté et les charges de la régence en Lorraine, ce qui explique la décision de lui adjoindre comme lieutenant un Lorrain, Brocard de Fénétrange. Mais le non-respect de la Commune Paix de 1354 par la famille de Fénétrange remet tout en question. Eberhardt semble conserver la régence du duché, puisqu’on le
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situation de la noblesse lorraine germanophone s’en trouve renforcée sans que la position de l’empereur en soit pour autant consolidée. Ni le comte de Wurtemberg, ni Brocard de Fénétrange ne lui prêtent hommage au moment de leur entrée en fonction, comme ils seraient en principe tenus de le faire. C’est au contraire le roi de France qu’ils sollicitent : dès décembre 1354, Brocard de Fénétrange se reconnaît son vassal et lui offre les services de son épée ; peu de temps après, le comte de Wurtemberg se déplace jusqu’à Paris pour recevoir de Jean le Bon un fief de bourse, pour une somme globale de 12 000 florins70. Le roi semble donc avoir doublement retiré les marrons du feu : d’une part, il est parvenu à maintenir le duché de Lorraine dans sa vassalité et ce malgré des circonstances défavorables ; d’autre part, il compte maintenant parmi ses fidèles des seigneurs sarrois et des princes allemands, alors que jusqu’à présent son influence parvenait difficilement à franchir la frontière des langues. Paradoxalement, la venue de Charles IV en Lorraine coïncide avec un renforcement de la présence française dans le duché. Ce paradoxe tient en partie aux relations difficiles que les sires de Fénétrange entretiennent avec l’empereur. L’attitude d’un Brocard de Fénétrange contrecarre en effet les efforts déployés par Charles IV en 1354, pour réactiver la Commune Trêve de 1343. À cette date, Brocard multiplie les attaques dans le duché de Bar, en proie aux querelles liées à la minorité du duc Robert. Il n’épargne pas non plus l’évêché de Metz, qui jouxte la seigneurie de Fénétrange au nord, au sud et à l’ouest, et qui se trouve alors en guerre avec le duché de Lorraine71. Lors de sa seconde venue à Metz, en 1356, l’empereur choisit la manière forte : il contraint Brocard à respecter la Commune Paix et à indemniser Éléonore de Poitiers, dont le douaire avait été victime de ses incursions72; hormis cela, il annule le traité de garde et de protection que les Fénétrange avaient conclu avec la ville de Sarrebourg, relevant de l’évêché de Metz73. Brocard s’incline, mais attend patiemment que Charles IV quitte la région pour se livrer à nouveau à ses pillages. On le voit, le conflit larvé entre l’empereur et les sires de Fénétrange joue un rôle non négligeable dans la prise de distance du duché de Lorraine à l’égard de l’Empire.
voit intervenir, en tant que tuteur de Jean Ier, le 12 mai 1355 (A.D.M.M. B 739, no 9). Ce n’est qu’après la seconde visite de l’empereur en Lorraine que Brocard prend le titre de gouverneur (A.N. KK 1127, layette traités no 3, f. 93, acte daté du 24 mai 1357). 70 A.N. J 579 (9). 71 H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », op. cit., p. 64-82. Brocard de Fénétrange ravage à plusieurs reprises le duché de Bar (A.N. KK 1127, layette traités no 1, f. 11). Par ailleurs, les sires de Fénétrange interviennent également aux côtés des troupes ducales contre l’évêque de Metz, dans la guerre des salines : à ce titre, ils signent le traité de paix provisoire du 27 février 1352 (BnF Col. Lor., no 254, f. 115). C’est sans doute au cours de ce conflit que Brocard force la ville épiscopale de Sarrebourg, toute proche de la seigneurie de Fénétrange, à se placer, moyennant finance, sous sa protection. 72 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 339. Les Fénétrange promettent solennellement de respecter le Landfried conclu deux ans plus tôt par les princes lorrains. Peu de temps après, Brocard reçoit le titre officiel de gouverneur du duché de Lorraine, aux côtés du comte de Wurtemberg. 73 A.N. J 989 A, no 2 (4).
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Plus fondamentalement, peut-être les régents et les gouverneurs du duché n’ont-ils fait que continuer, entre 1354 et 1356, la politique traditionnelle d’équilibre entre le Royaume et l’Empire menée par les ducs de Lorraine depuis bien longtemps. Alors que la présence impériale se fait plus forte en Lorraine, ils se rapprochent d’un roi de France momentanément affaibli et contesté. Dans un tel cas de figure, le relèvement du Royaume, opéré par Charles V pendant les premières années de son règne, et l’influence de nouveau plus forte de la France dans la région devraient contribuer à rapprocher le duché de l’Empire et permettre de vérifier l’hypothèse du jeu de bascule mené par les ducs de Lorraine entre leurs deux souverains. Le Royaume de France : une pression croissante, un pôle d’attraction incontournable
Un des premiers actes politiques du dauphin Charles après Poitiers, au moment où son père est retenu prisonnier, consiste à se rendre en Lorraine, pour y conférer avec l’empereur74, mais aussi pour y affirmer sa présence auprès de vassaux qui n’ont ni renié leur alliance avec la France ni rechigné devant leurs obligations75. Les princes lorrains ne cherchent aucunement à profiter de la crise du pouvoir monarchique en France pour remettre en cause la suzeraineté royale. Néanmoins, après le départ de l’empereur de Metz en 1357 et parce que le roi recentre alors son action sur les régions situées au cœur du Royaume, l’espace lorrain se trouve, aux alentours de 1360, en quelque sorte livré à lui-même76. En proie à ses querelles incessantes et aux compagnies qui cherchent de nouveaux employeurs, il connaît alors l’insécurité, lot commun de toutes les régions frontalières, qu’elles se situent à l’intérieur ou à l’extérieur des limites du Royaume. La restauration de l’autorité royale en France passe donc nécessairement par une reprise en mains des espaces frontaliers, y compris les principautés lorraines. Le soutien apporté par le roi de France au comte de Vaudémont dans sa lutte contre les ducs de Bar et de Lorraine, en 1363-64, s’inscrit dans cette optique : il permet au souverain d’éloigner du Royaume des troupes devenues incontrôlables, en même temps qu’il renforce la position d’un de ses plus fidèles vassaux en Lorraine. Mais il ne s’agit là que d’un premier pas et d’une solution toute provisoire. Le comte s’avère rapidement incapable de préserver le territoire français de la menace des compagnies. 74 F. Autrand, Charles V le Sage, op. cit., p. 258-263. 75 En 1352, par exemple, la duchesse régente de Lorraine envoie une centaine de ses hommes à l’ost du roi Jean le Bon. (BnF Ms. fr. 11835, f. 205). Quant à Brocard de Fénétrange, il passe avec le roi, en 1354, un véritable contrat militaire et lui prête hommage pour un fief de bourse (H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 339). Après Poitiers, Brocard reste au service du dauphin jusqu’en 1360 (H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », op. cit., p. 93-94). Les Lorrains contribuent notamment à protéger les frontières orientales du Royaume contre les incursions des bandes anglaises du sire d’Auberchicourt. 76 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 340 : « Après 1357, à nouveau, on n’entend plus parler de lui [l’empereur] ». R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, op. cit., p. 497, montre qu’entre 1364 et 1375, les déplacements du roi ne dépassent pas Rouen, vers l’Ouest, Château-Thierry, vers l’Est, et Melun, vers le Sud.
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Il ne peut pas non plus imposer la volonté du roi de France à des princes dont il demeure le vassal77. S’il veut restaurer la paix aux frontières, le pouvoir royal doit donc intervenir directement. Le 19 novembre 1366, les ducs de Bar et de Lorraine signent avec le roi de France un traité qui ne laisse subsister aucun doute quant à la volonté de Charles V de replacer la Lorraine dans l’orbite du Royaume et de soumettre les princes de la région à son obéissance. Jugeons-en par les termes de cet accord : A tous ceulx qui ces presentes lectres verront, Jehans, dux, marchis de Lorraine, et Robert, dux de Bar et marquis du Pont, salut. Savoir faisons que pour bien de paix et pour rasister et contrester a la mal volenté et propos que aucunes gens de compaignie ont ou pourroient avoir de grever et porter domage a nous et a nos subgez, et pour le bien et prouffit du royaume de France et utilité du bien commun, nous somes alliez et avons fait certainnes aliances avecques treshault et puissant prince, nostre treschier et tresredoubté seigneur le roy de France, contre les gens de compaignie, jusques a deux ans commencens a la sainct André prouchain venant, et li avecques nous pareillement, et soubz les condicions et modifications que s’ensuivent. Premierement, que touttefoiz et quanttefoiz que gens de compaigne entreront ou venront ou royaume de France, c’est assavoir dedans les limes et mettes de nos terres et pays jusques a Maizieres sur Meuse, de Maizieres a Reims, de Reims a Nogent sur Seine, de Nogent a Sens, de Sens a Auxerre, d’Auxerre a Beaune, et de Beaune a la riviere de Saone, que touteffoiz que par nostre dit seigneur, ou par ses lettres, ou de ses officiers, en seriens requis, nous absens ou present, c’est assavoir nous duc de Lorraine a Nancey, a nous ou a nos gens là estans pour nous, et nous duc de Bar, a Bar, a nous ou a nos gens la estans pour nous, nous, sens aucuns delay, dedans apres la requeste et signifiement faiz a nous ou a nos dites gens, chascun de nous deux seriens tenuz de mener a noz propres fraiz, coutz et despens, deux cents homes d’armes a glayves par devers nostre dit seigneur, en son certain commandement, aux jour et lieu que mandez serons, dedans les lieux et termes devant diz, pour resister par l’ordennance de nostre dit seigneur ou de sa gent contre la puissance et male volenté des gens de compaignie […]78.
Les compagnies contre lesquelles il s’agit de lutter ravagent alors les territoires situés entre la France et l’Empire. Mais le ton du texte, comme son contenu, témoignent du caractère inégalitaire de cette alliance : si le roi concède que les routiers peuvent « porter dommage » aux duchés de Bar et de Lorraine, les signataires insistent sur le « bien et prouffit du royaume de France ». Le territoire délimité correspond en gros au comté de Champagne, province royale, que les ducs lorrains sont chargés de défendre contre les incursions des compagnies. Le roi cherche également à se prémunir contre toute tentative des ducs de se soustraire à leurs obligations et les contraint à répondre à son appel ou à celui de ses officiers, qu’ils soient personnellement présents ou non dans leur capitale. La suite révèle également la méfiance du souverain envers ses deux vassaux : les ducs s’engagent à payer tout ce dont ils auront besoin au cours des opérations ; ils promettent également de forcer leurs sujets à restituer toutes les
77 En ce qui concerne ce conflit, voir aussi M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », art. cit., p. 149-154. 78 A.N. J 582 (24). Un autre exemplaire de cet acte existe aux archives départementales de Meurthe-etMoselle, sous la cote 3 F 329, f. 49.
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prises qu’ils ont faites dans le Royaume au cours de l’année écoulée79. Inversement, le roi se contente d’une vague formule de réciprocité envers les deux princes80. Si un tel accord poursuit le même but que les actes de Landfried conclus par les seigneurs lorrains, il en diffère toutefois profondément par la teneur, puisque les contractants ne se situent pas sur un pied d’égalité. Derrière la sobriété du langage diplomatique, les présupposés de la cour et de la chancellerie royales se dévoilent très clairement : les Lorrains sont responsables, au moins partiellement, de l’anarchie qui règne aux frontières ; ils doivent donc la combattre et renoncer à toute forme de guerre privée envers les ressortissants du Royaume. On retrouve là l’incompréhension des sujets du roi de France envers le comportement politique de la noblesse lorraine. Ces accusations concernent d’ailleurs beaucoup plus directement le duc de Lorraine que celui de Bar. Au cours de la semaine sainte de 1367, Jean Ier rencontre les envoyés du roi de France à Vaucouleurs, pour préciser les modalités d’application du traité81. Les parties en présence conviennent de la mise en place d’une commission de six membres, trois nommés par le roi et trois par le duc. Se réunissant tantôt à Andelot, dans le Royaume, tantôt à Neufchâteau, dans le duché, cette commission est chargée de régler par la voie judiciaire tous les conflits en cours entre les hommes du duc et ceux du roi. Une telle institution n’est pas sans rappeler les procédures d’arbitrage prévues par les traités de Landfried. En apparence, elle respecte la souveraineté des deux princes, dans la mesure où ceux-ci s’obligent à soumettre leurs sujets à la juridiction commune. Mais quelques articles révèlent la pression mise par les envoyés du roi sur le duc de Lorraine au cours des négociations. Charles V exclut en effet de cet accord les griefs personnels qu’il formule à l’encontre du duc de Lorraine, ou de ses officiers, liés en particulier au « meffait de Passavant et de Coiffey »82.
79 Ibid., « nous prenrons senz rien paier aux champs et au plat pais, mais au cas où nous seriens en bonnez villes ou forteresses fermées, rien n’y ferons prenre senz paier ou faire paier, par nous ou par nos gens, le juste pris. Et nostre dit seigneur ou ses gens soient tenus a les nous faire bailler par pris convenable » ; plus loin, les deux princes s’avouent « tenus, chacun endroit soy, de contraindre nos homes ou subgez en pais romans a rendre tout ce que prins avoient sur nostre dit seigneur, ses homes ou subgez en son pais, depuis la sainct Martin que fut l’an mil trois cent soixante et cinq, par prinse de corps et de biens, senz aucun debat, ou senz les oir en aucune raison dire ou proposer, jusques a ce que recreance en fust faite ». 80 Ibid., « Et ce pareillement nous a promis nostre dit seigneur a faire de ses subgez de la conté de Champaigne ». Le caractère lapidaire de cette phrase contraste avec la précision et le détail des obligations auxquelles se soumettent les ducs de Bar et de Lorraine. En outre, elle ne porte que sur la restitution des dommages causés aux parties contractantes et ne prévoit aucune aide particulière des troupes royales au cas où les routiers commettraient des ravages en Lorraine. Il s’agit donc plus d’un mandement enjoignant aux deux princes de rétablir l’ordre en Champagne au nom du roi, que d’un traité prévoyant la défense commune d’un territoire menacé. 81 A.D.M.M. B 424, f. 283-285. Apparemment, rien n’indique que le duc de Bar ait été contraint à passer un accord du même type avec le roi. Les termes, très contraignants, de l’alliance conclue l’année précédente visaient donc avant tout le duc de Lorraine. H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 190. 82 A.D.M.M. B 424, f. 283-285. Peu de temps auparavant, Aubert de Lorraine, demi-frère et capitaine de Jean Ier, s’empare du bourg de Passavant (-la Rochère), relevant du Royaume et le livre au pillage et à l’incendie pendant toute une semaine. Il s’agit là, aux yeux du procureur royal, d’un crime de lèse-majesté, imputable au duc de Lorraine en personne, dans la mesure où celui-ci n’a pris aucune sanction à l’égard de son officier. (A.D.M.M. B 833, no 36).
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Au moment de la signature de ce traité, Jean Ier se trouve donc sous le coup d’une convocation devant le conseil du roi, pour y rendre compte des atteintes portées à la majesté royale, à ses biens et à ses sujets. Nous aurons l’occasion de revenir assez longuement sur la nature et la portée de ces attaques. Contentons-nous pour l’instant de constater que l’alliance conclue entre le duc et Charles V illustre le nouveau rapport de forces établi entre le royaume de France et le duché de Lorraine. Le 23 septembre suivant, en pleine séance du conseil, et après avoir écouté les doléances du procureur du roi, requérant contre lui la confiscation de tous ses fiefs et le bannissement du Royaume, Jean Ier doit solliciter humblement la grâce royale. Celle-ci lui est volontiers accordée, en considération « de ce qu’il a esté longuement absent en lointain pais senz autruy gouvernement ». En contrepartie, le duc doit renoncer à une ancienne dette de trente mille florins et à la reprise en fief du château de Passavant, ancien alleu du duché de Lorraine83. Charles V traite désormais Jean Ier comme un sujet autant que comme un vassal84. Ses deux prédécesseurs, soucieux de ménager la susceptibilité et l’alliance des ducs de Lorraine, n’auraient pu se le permettre. Après une brève éclipse, le poids du Royaume dans le duché paraît à nouveau prépondérant. De façon plus générale, on assiste à cette époque à une reprise en mains, par le roi de France, de l’ensemble de l’espace lorrain francophone. Un moment tenté par les faveurs impériales, entre 1354 et 1356, le duc Robert de Bar, une fois débarrassé de l’encombrante tutelle de sa mère Yolande de Flandre, retrouve à la cour du roi une place privilégiée : son mariage avec Marie de France, la sœur de Charles V, en 1364, en fait le principal soutien de la politique royale en Lorraine et l’amène à partager son temps entre Paris et ses États85. À la même époque, un autre Lorrain, Jean de Sarrebruck, seigneur de Commercy, accède à la fonction de bouteiller et devient l’un des principaux conseillers du roi86. À Verdun également, celui-ci rétablit sa position,
83 A.D.M.M. B 833, no 36. Il s’agit de la lettre de rémission accordée par le roi Charles V au duc de Lorraine. L’acte récapitule également l’argumentation du procureur, la sentence réclamée par ce dernier et la réponse de Jean Ier. La mention du séjour du duc hors de France nous amène tout naturellement à penser que celui-ci a été élevé en terre d’Empire. Au cours d’un autre procès devant le Parlement de Paris, en 1390, Jean Ier déclarera avoir été « norry en Alemanie jusques en l’aaige de XVII ans » (A.N. X1a 1475). Que cela soit considéré comme une des raisons justifiant l’octroi de la grâce royale constitue un indice supplémentaire de l’image fortement négative des régions situées à l’est du Royaume et tout particulièrement des territoires germanophones. Il est à noter également que si le bourg de Passavant (-la Rochère), victime des attaques d’Aubert de Lorraine, appartient au Royaume, le château du même nom, situé juste à côté, fait partie du duché. 84 Le terme est employé par le duc de Lorraine en personne. Le 29 septembre 1369, Jean Ier écrit au roi de France qu’il s’est porté caution pour lui de la somme que Charles V avait promis de verser à Brocard de Fénétrange, en échange de ses services. Au bas de cette lettre figure la signature suivante : « Le duc de Loherenne et marchis, vostre subiect ». A.N. J 514 (14). 85 M. Bubenicek, Quand les femmes gouvernent. Yolande de Flandre, op. cit., p. 302. Georges Poull, quant à lui, énumère les services rendus par le duc de Bar aux rois Charles V et Charles VI et les nombreux séjours du prince à Paris. La maison souveraine et ducale de Bar, op. cit., p. 330-335. 86 S. François-Vivès, « Les seigneurs de Commercy au Moyen Âge », art. cit. L’auteur constate que Jean IV, comte de Sarrebruck et sire de Commercy, vit essentiellement à la cour du roi de France, qui le charge en permanence de missions militaires et diplomatiques. Il ne passe donc que peu de temps en Lorraine.
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un moment compromise sous le règne de Jean le Bon, reprenant la ville et l’évêché sous sa sauvegarde et intervenant fréquemment dans les querelles opposant l’évêque aux bourgeois87. À Toul enfin, les chanoines, confrontés à la violence des citains, se retirent à Vaucouleurs, sous la protection du bailli de Chaumont, officier du roi de France88. Seule la Lorraine germanophone reste davantage à l’écart de l’influence française, sans même parler des exactions d’un Brocard de Fénétrange sur les terres du Royaume, envers qui Charles V se montre beaucoup plus prudent qu’envers Jean Ier89. En 1367, le roi a donc totalement restauré son prestige au sein de l’espace lorrain ; il peut désormais se consacrer, avec l’appui des princes de la région, à la reconquête des provinces annexées par les Anglais. Pour contrebalancer la pression exercée par le Royaume sur le duché de Lorraine, Jean Ier cherche à consolider les appuis dont il dispose du côté de l’Empire. C’est peut-être le sens qu’il faut donner à l’hommage prêté à l’empereur Charles IV en 1361, acte dont les ducs de Lorraine s’étaient abstenus depuis plus d’un siècle. Certes, la reprise de 1361 ne concerne plus les mêmes fiefs, mais il s’agit tout de même d’un geste en direction de l’Empire90. Puis, le 7 février 1367, au plus fort de ses démêlés avec la justice royale, le duc conclut avec son beau-père Eberhardt de Wurtemberg et son fils Ulrich un accord, aux termes duquel ils se lèguent mutuellement leurs principautés, au cas où l’un d’entre eux viendrait à décéder sans héritier91. Cette décision exprime le désir du duc de Lorraine d’arrimer sa principauté à l’Empire, face à la menace française. Mais quelle efficacité peut-elle avoir ? Comment, le cas échéant, un tel engagement pourrait-il réellement tenir et profiter à un comte de Wurtemberg, ou même à l’empereur, face à la poussée toujours plus forte du Royaume ? Autant le jeu de balancier se révèle efficace lorsqu’il s’opère au détriment de l’Empire, autant il apparaît dérisoire face au Royaume. À en croire la Chronique de Lorraine, le duc Jean Ier aurait entretenu d’excellentes relations avec Charles V, tout au long de son règne : « Or, disons du duc Jehan. Il 87 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 161-174. 88 G. Bönnen, Die Bischofsstadt Toul und ihr Umland, op. cit., p. 468. La châtellenie de Vaucouleurs, on s’en souvient, avait été rattachée au Royaume en 1338, par l’intermédiaire de l’évêque Thomas de Bourlémont. 89 A.N. J 681 (30). Brocard de Fénétrange réclamait au roi le versement d’une somme de 36 000 florins. Il disait ne pas avoir été indemnisé pour ses services lors de la campagne contre les Anglais en Champagne, en 1359 et demandait en outre quinze années d’arrérages d’une rente de 500 livres que lui avait accordée Jean le Bon. Inversement, les envoyés du roi répliquèrent que Brocard avait commis d’innombrables dégâts sur les terres du Royaume et volé les vivres, les munitions et l’artillerie d’un certain nombre de forteresses royales placées sous sa garde, à commencer par celle de Montéclair. Cette accusation était même incluse dans le procès intenté au duc Jean devant le conseil du roi, en 1367. Finalement, Charles V et Brocard se mirent d’accord pour confier l’arbitrage de la querelle au duc de Lorraine. Le roi accepta même de verser au sire de Fénétrange la somme de 20 000 florins, pour laquelle le duc se porta caution (voir ci-dessus les notes de ce même chapitre). Eu égard à la sévérité de la justice royale à l’égard de Jean Ier, la mansuétude témoignée envers Brocard de Fénétrange en dit long sur la peur qu’inspiraient encore, dix ans après, les ravages commis par ce routier. 90 BnF Ms. fr. 11823, f. 9. Acte reproduit en Annexe 8. 91 Cet acte est publié dans G. Wolfram (éd.), « Die lothringische Frage auf dem Reichstage zu Nürnberg », Jahrbuch der Gesellschaft für lothringische Geschichte 2, 1890, p. 226 et suiv.
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vacquait souvent en France, on temps du roy Loys, lequel en son vivant eut un fils nommé Charles92. » Partant de telles prémices, les historiens lorrains, en de multiples occasions, ont été tentés de faire figurer les ducs aux côtés des rois de France à la fin du xive siècle. Ils ont ainsi affirmé la présence de Jean Ier aux sacres de Charles V et de Charles VI et à la bataille d’Auray, en Bretagne, en 136493 ; ils ont évoqué sa venue à Paris en 1378, lors de la visite de l’empereur à son neveu le roi de France94. Ils ont spéculé sur l’origine du prénom de l’héritier ducal, le futur Charles II, ainsi que sur le lieu de son éducation95. Tout cela repose sur une base souvent bien fragile. Revenant au contraire à la réalité, Heinz Thomas a montré l’extraordinaire pauvreté des sources relatives aux rapports de Jean Ier avec le Royaume dans les décennies 1370 et 138096. Tenons-nous-en, par conséquent, à ce qui est certain et avéré. Le duc Jean paraît avoir rempli assez scrupuleusement ses devoirs de vassal envers le roi de France, et ce tout au long de la période. Il prend ainsi part à de nombreuses chevauchées, notamment lorsqu’elles concernent des territoires proches du duché. Tous ces services lui ont valu l’estime de son suzerain, ainsi que des récompenses sonnantes et trébuchantes. Certes, Jean Ier ne perçoit réellement qu’une partie de ces sommes. Mais bien d’autres princes à la fin du Moyen Âge ont également à se plaindre des retards et des défauts de paiement liés au manque de liquidités du trésor royal. Ces aléas ne doivent donc pas occulter le resserrement des liens entre le roi de France et son vassal par rapport au début du règne de Jean. Ceux-ci semblent de nouveau aussi étroits qu’à l’époque de Ferry IV et de Raoul, lorsque les ducs de Lorraine répondaient fréquemment aux convocations de l’ost royal, et mouraient pour la cause des Valois. Il ne s’agit là, en réalité, que d’une apparence. Rien ne prouve que Jean Ier ait vraiment assisté aux sacres de Charles V et de Charles VI, ni qu’il ait servi à Auray,
92 L. Marchal (éd.), La chronique de Lorraine, op. cit., p. 3. L’éditeur signale l’erreur commise par l’auteur de la chronique à propos du « roy Loys » : il s’agit naturellement de Charles V. 93 B. Picart, L’origine de la très illustre maison de Lorraine, op. cit., p. 356, mentionne la présence de Jean Ier au sacre de Charles V. Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 379-80, le cite parmi les compagnons de Du Guesclin faits prisonniers à la bataille d’Auray. Ces deux auteurs sont repris par G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 80, Toute une tradition historiographique, relayée par M. Parisse, Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 206, atteste donc de la présence du duc Jean aux sacres des rois de France dans la seconde moitié du xive siècle, mais aucun document d’archives ne prouve la chose avec certitude. Seul le testament du duc de Lorraine révèle la vénération particulière de celui-ci pour son oncle Charles de Blois, prétendant au duché de Bretagne et mort à Auray. Sur ce point, difficile à élucider, voir également ci-dessous. 94 G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 80. 95 B. Picard, L’origine de la très illustre maison de Lorraine, op. cit., p. 364, et Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 493, estiment que le fils aîné du duc Jean a eu pour parrain le roi Charles V et qu’il a été élevé à la cour de Bourgogne. De façon plus crédible, E. Girod, Charles II, duc de Lorraine…, op. cit., p. 4-5, met en relation le prénom du futur duc de Lorraine avec la dévotion de son père envers Charles de Blois. Il pense également que Charles II a passé son enfance à la cour de France. Mais tous ne voient dans la politique de celui-ci au cours de son règne que la simple prolongation des amitiés qu’il avait nouées dans sa jeunesse. Ce raisonnement semble quelque peu fragile. 96 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 230-239.
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dans l’armée de du Guesclin97. Plus étonnant encore : lors de la venue de Charles IV à Paris, en 1378, le duc de Lorraine ne figure ni dans la suite du roi, ni dans celle de l’empereur. Vraisemblablement, il s’est contenté d’envoyer ses jongleurs dans la capitale pour contribuer à l’éclat des festivités98. Au total, sur une période de quarante années, on ne dénombre que trois séjours du duc Jean à la cour du roi de France, dont deux s’expliquent par les procès intentés contre lui devant le conseil royal en 1367 et devant le Parlement de Paris en 139099. Quoique normalisées, les relations entre le duché de Lorraine et le Royaume manquent de chaleur et de suivi. Certains litiges menacent même, à plusieurs reprises, de dégénérer en conflit ouvert, comme nous le verrons plus loin avec l’affaire de Neufchâteau. Le roi cherche à les éviter, tandis que le duc de Lorraine s’efforce de garder ses distances par rapport à lui. En fait, Jean Ier semble bien tomber de plus en plus fortement sous la coupe de la France, d’autant qu’à la présence du roi et de ses officiers s’ajoute désormais celle du duc de Bourgogne. L’entrée en lice d’un nouvel acteur : la Bourgogne (1364-1400)
En effet, la donation du duché de Bourgogne à Philippe le Hardi, frère de Charles V, en 1363, acte de naissance de l’État bourguignon, resserre encore les liens entre la dynastie des Valois et les régions orientales du Royaume100. Le jeu de balancier auquel se livrent les princes lorrains doit désormais prendre en compte non plus deux puissances, mais trois, le Royaume, l’Empire et le duché de Bourgogne. Dès son avènement, Philippe le Hardi avait servi de relais au pouvoir royal dans les provinces de l’Est. Depuis 1369, son mariage avec l’héritière du comté de Flandre, Marguerite de Male101, confère à la Lorraine une position stratégique entre
97 Ni les Grandes Chroniques de France, ni aucune autre source, ne font allusion au duc de Lorraine lors des sacres de 1364 et 1380. Cela ne signifie naturellement pas qu’il ait été absent. Toutefois, en 1364, le duc passe le plus clair de son temps à rassembler les sommes nécessaires au versement de la rançon des seigneurs lorrains faits prisonniers à Saint-Blin par les troupes d’Arnaud de Cervolles. De nombreux documents attestent alors de sa présence dans le duché (BnF Col. Lor., no 49, f. 60, no 81, f. 24, no 256, f. 14, 15 et 16, et A.D.V. G 672, no 2, et Edpt 379/AA1) et rendent peu probable un déplacement à Reims et une expédition en Bretagne. Seize années plus tard, l’avènement de Charles VI survient en pleine guerre des salines et au plus fort de la lutte menée par les Lorrains contre Pierre de Bar (H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », art. cit., p. 189192). Dans de telles circonstances, on peut imaginer que Jean Ier, une nouvelle fois, n’ait pas souhaité s’éloigner durablement de ses États. 98 H. Thomas, Zwischen Regnum und Imperium, op. cit., p. 234-236. L’absence de Jean Ier dans la relation officielle de l’événement par Pierre d’Orgemont peut s’expliquer de deux manières. Ou bien le duc est resté en Lorraine ; ou bien le chroniqueur a volontairement ignoré la présence, dans la suite impériale, d’un vassal du roi de France. Toutefois, au moment du séjour de Charles IV à Paris, Jean mettait la dernière main aux préparatifs de son voyage en Prusse, ce qui pouvait lui fournir un prétexte idéal pour esquiver les difficultés protocolaires liées à sa double vassalité envers le roi et l’empereur. 99 Ibid., p. 230 et F. Autrand, Charles VI : la folie du roi, op. cit., p. 232. En tant que prince d’Empire, le duc de Lorraine a également joué un rôle de premier plan lors de l’entrée de la reine Isabeau de Bavière dans la capitale et de son couronnement, en 1389. 100 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 21-23 et 36-37. 101 Ibid., p. 59-63.
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les deux parties du territoire bourguignon. Car si les ducs font le plus souvent un détour par Paris lorsqu’ils se rendent de Flandre en Bourgogne ou de Bourgogne en Flandre, les marchands, eux, choisissent la route la plus directe, et celle-ci passe par la Lorraine102. Déjà une grande solidarité économique réunissait les pays de l’Entre-Deux, Bourgogne, Lorraine, Provence et Dauphiné. Elle se renforce désormais, avec la constitution de l’État bourguignon. Pour la Lorraine, confrontée à une série de barrières douanières qui freinent les échanges avec le Royaume comme avec les principautés de l’Allemagne rhénane, l’axe économique lotharingien revêt un caractère vital. De bonnes relations avec les ducs de Bourgogne s’avèrent donc indispensables à la prospérité économique de la région103. Or, l’amitié entre le duc Jean et Philippe le Hardi ne se dément pas, tout au long de la période. Sans doute, les deux personnages entretiennent des rapports inégaux, du fait de la différence de puissance entre les deux principautés, mais les liens qui les unissent sont manifestement beaucoup plus chaleureux que ceux qui relient le duc de Lorraine au roi de France. Le voisinage bourguignon soumet pourtant Jean Ier à des obligations très contraignantes104 : Philippe le Hardi lui demande sans cesse de l’accompagner aux quatre coins du Royaume contre les routiers ou contre les Anglais. Mais le frère du roi de France ne ménage pas non plus son soutien à son allié lorrain. Pendant plusieurs années, Guy de Pontailler, maréchal de Bourgogne, offre ses services à Jean Ier soit contre la cité de Metz, soit contre l’archevêque de Trèves105, et le fait chevalier au cours de la première de ces deux chevauchées106. C’est donc une alliance très solide qui se noue entre les duchés de Lorraine et de Bourgogne dans les années 1370 et qui explique la passivité dont fait preuve le roi de France à l’égard du duc de Lorraine. Il y a tout lieu de penser en effet que les consignes de modération données par Charles V à ses officiers puisent leur source dans l’influence exercée par Philippe le Hardi sur le conseil royal. La présence bourguignonne se manifeste un peu partout en Lorraine à cette époque, mais nulle part aussi fortement que dans le duché107. Tout se passe donc comme si le roi et son frère se partageaient les fidèles 102 J. Richard, « La Lorraine et les liaisons internes de l’État bourguignon », Le pays lorrain, 1977, p. 113-122. 103 J. Schneider, « Entre le Royaume et l’Empire », art. cit., p. 24-25. 104 P. Marot, « Les seigneurs lorrains à l’ost de 1383 », art. cit., p. 13-15. 105 A.D.M.M. B 834, no 174 : le 28 octobre 1371, Jean Ier accorde à Guy de Pontailler une rente annuelle de 100 florins, à prendre sur les revenus de la ville de Neufchâteau, en récompense de ses services contre la cité de Metz. Celui-ci donne ensuite quittance au duc de Lorraine pour d’autres versements, l’un de 100 francs, le 6 avril 1372 (BnF Col. Lor., no 90 bis, f. 40), et l’autre de 300 francs, le 13 avril suivant (BnF Col. Lor., no 90 bis, no 41). En 1376, Guy de Pontailler se trouve à nouveau au service du duc Jean, avec 50 hommes d’armes et 20 arbalétriers, cette fois contre l’archevêque de Trèves (P. Marot, « Les seigneurs lorrains à l’ost de 1383 », art. cit., p. 13-15). 106 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 111-112. Le fief-rente accordé à Guy de Pontailler par Jean Ier en 1371 le remercie explicitement d’avoir accompli ce geste (A.D.M.M. B 834, no 174), qui faisait du duc et du maréchal deux frères d’armes et renforçait ainsi la solidarité entre la Lorraine et la Bourgogne. 107 On trouve en effet d’autres traces de l’influence bourguignonne en Lorraine. Citons par exemple l’élection de Liébaud de Cusance à Verdun, en 1380, grâce au crédit de Philippe le Hardi (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 603), ou la place occupée par le duc de Bar lors des
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dans la région : à Charles le duc de Bar et à Philippe celui de Lorraine. N’en déplaise à Eugène Girod, Charles II hérite, à son avènement, de cette situation108. Jusqu’en 1388, le duc de Lorraine parvient à utiliser l’alliance bourguignonne pour contrebalancer la pression du Royaume. Il dispose là d’un contrepoids beaucoup plus efficace que celui de l’empereur, qui disparaît progressivement de l’horizon politique lorrain. Encore faut-il que Philippe le Hardi bénéficie de l’oreille du roi de France. Or, à la suite de l’expédition de Gueldre, en 1388, le jeune roi Charles VI décide de gouverner seul et de se passer des conseils de son oncle109. Mécontent, celui-ci se retire sur ses terres, compromettant du même coup le fragile équilibre établi entre le Royaume et le duché de Lorraine. La disgrâce relative de Philippe le Hardi à la cour de France prive le duc de Lorraine d’un protecteur influent. Jean Ier a-t-il mesuré le danger ? Toujours est-il que la prise du pouvoir par le jeune roi accroît brutalement la pression française en Lorraine. Les principautés traditionnellement soumises à l’influence de la France figurent de ce point de vue en première ligne. Dès 1389 par exemple, l’évêque de Verdun conclut avec Charles VI un traité de pariage établissant la co-souveraineté de l’évêque et du roi sur le temporel épiscopal110. Dans le duché, l’intérêt du souverain se porte évidemment sur la ville de Neufchâteau, où ses envoyés subissent, depuis de nombreuses années, toutes sortes de vexations. Nous n’entrerons pas ici dans le détail des événements mettant aux prises les bourgeois, le roi de France et le duc de Lorraine pendant cette période. Un rapide résumé suffira pour montrer le changement d’attitude du pouvoir royal envers le duc Jean. Difficile de dire qui se trouve à l’origine du conflit. Celui-ci éclate brusquement, dans nos sources, lorsque les habitants de Neufchâteau reconnaissent, le 26 octobre 1389, devoir payer au duc de Lorraine une amende de 10 000 francs pour avoir effectué, sans l’autorisation de Jean Ier, des travaux dans le château ducal situé à l’intérieur de la ville111. L’affaire est rapidement portée devant le Parlement de Paris. Au cours des funérailles du comte de Flandre Louis de Male, beau-père du duc de Bourgogne (B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 77-78). Tout cela ne peut cependant pas se comparer avec la situation du duché, où la noblesse bourguignonne également est très bien implantée. La famille de Neufchâtel notamment tient les places-fortes de Châtel-sur-Moselle, Bainville et Chaligny en fief des ducs de Lorraine (A.D.M.M. B 644, no 64, voir aussi Annexe 3). 108 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit. 109 F. Autrand, Charles VI : la folie du roi, op. cit, p. 161-178. 110 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 195-220. 111 A.D.M.M. B 833, no 57 : « A tous ceulx que voiront et orront ces presentes lettres, nous, li maiours, juréz, bourgois, et toute la communaltei du Nuefchastel, salut. Comme nostre tresredoubtei signour nostre signour le duc de Loherenne et marchis nous pourxuis et ehust fait mettre en procès de et sur ce que nous aviens de nostre auctoritei enclos son chastel dudit lieu du Nuefchastel de tours et de murs, par dairier icelui chastel copée la reuche au devant dudit murs, en tel meniere que, certenne yssue que de toute anciennetei estoit pour sailir hors dudit chastel aus champs, nous l’aviens condempnée, et la reuche du chamin d’icelle yssue copée, tellement que l’en ne peoit yssir dudit chastel aus champs se se n’estoit par les portes de ladite ville, en faisant sur ce plusours grosses conclusions contre nous, tant criminelles comme civiles, lequel cas nous aiens amendei cognissamment, et par nostre dit signour en soiens estei condempnéz en amende de deix mille frans d’or et de poix pour reparer ledit deffault, saichent tuit que nous ladicte somme de deix mille frans de
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débats, le procureur royal rappelle que la colère de Jean Ier à l’encontre de ses sujets tient à ce que les bourgeois « promirent [au roi] qu’ils seroient bons françois112 ». Le duc se trouve donc une nouvelle fois mis en accusation par le roi de France, pour crime de félonie et de lèse-majesté : il doit personnellement répondre des excès commis par lui ou par ses subordonnés contre les officiers du roi et les personnes placées sous sa sauvegarde ; parallèlement, le procès concerne aussi le statut féodal de Neufchâteau, ainsi que les droits respectifs du roi, des bourgeois et du duc sur la forteresse113. Nous évoquerons plus loin le contenu des plaidoiries et ce qu’elles révèlent des conceptions différentes du pouvoir et de la souveraineté chez les deux principaux protagonistes. Contentons-nous ici d’insister sur la menace que le pouvoir royal fait peser sur le duché de Lorraine et sur la gravité des sanctions réclamées par le procureur du Parlement : « le château sera mis en la main du roi et les biens que le duc tient du roi seront rattachés au domaine royal par voie de commise. De plus, le duc devra payer une amende de 100 000 livres au roi devant qui il fera amende honorable à genoux en disant : ‘Sire, j’ay fait injurieusement et mal, apparoit ce que je vous ai meffait et vous pri que vous le me voules pardonner’114 ».
L’indépendance concrète du duché de Lorraine par rapport au Royaume se trouvait ainsi indirectement remise en cause. Étant donné l’inégalité du rapport de forces, le duc ne pouvait que composer : avant même l’ouverture du procès, il avait une nouvelle fois prêté hommage au roi pour la ville de Neufchâteau115.
boin or et de juste poix […] cognissons et confessons devoir, et en icelle estre loyalment tenus audit nostre tresredoubtei signour nostre signour le duc. Laquelle somme nous promettons en bonne foy bien et loyalment paier a nostre dit signour le duc, ses hoirs ou aiant cause, en la meniere et aus termes qui s’ensuivent. » Devant le Parlement de Paris toutefois, les bourgeois contesteront cette version des faits, et prétendront s’être bornés à rétablir l’état originel de la forteresse, modifié par le duc. Aucun acte antérieur ne permettant de connaître précisément la configuration du château par rapport à la ville, il nous est impossible de dire qui, des bourgeois ou du duc, a pris l’initiative de ces travaux. 112 A.N. X1a 1475 : plaidoirie du 22 juin 1390. En échange de cette promesse, le roi acceptait de remettre aux Néocastriens l’amende de 4 000 livres à laquelle ils avaient été condamnés. Mais de telles paroles impliquaient la reconnaissance de la souveraineté et de la sauvegarde royales sur la ville, ce que le duc ne pouvait accepter. Il fit donc venir les bourgeois à Nancy, leur montra « certaines lettres royaux esquelles iceulx habitans avoient advoé le roy en seigneur et les contraigni à le desadvoer. » 113 En réalité, plusieurs procès s’imbriquent les uns dans les autres. L’accusation de félonie et de lèsemajesté ne concerne pas seulement le duc de Lorraine, mais aussi les habitants de Neufchâteau, pour toutes les exactions commises contre les représentants du roi depuis 1372 et pour leur désaveu de la souveraineté française sur la ville (cf. note précédente). Les bourgeois, quant à eux, portent plainte au Parlement contre Jean Ier pour violation de leurs privilèges, dont Charles VI était le garant. 114 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 63 ; et A.N. JJ 140, f. 192-194, no CLIII bis, cité par Girod. Cette décision aurait eu une portée considérable, si elle avait été appliquée. Elle aurait étendu la souveraineté française sur Neufchâteau, Châtenois, Montfort et Frouard, au cœur du territoire ducal, réduisant à néant toute velléité d’indépendance du duché de Lorraine par rapport au Royaume. Une fois de plus, l’administration royale tentait de franchir la frontière mosane. 115 A.D.M. B 2343. L’avènement de Charles VI en 1380 rendait en théorie indispensable le renouvellement de cet acte. Mais Jean Ier aurait eu de nombreuses occasions de le faire plus tôt, lors des expéditions de Flandre et de Gueldre en 1383 et 1388, par exemple. La date de l’hommage (10
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La mort de Jean Ier survient le 22 septembre 1390116. Elle ne met pas fin pour autant au procès. Si Charles II et Ferry de Lorraine ne peuvent être personnellement tenus pour responsables des actions de leur père et bénéficient rapidement de lettres de rémission de la part du roi Charles VI117, la question du statut de la ville et de la forteresse de Neufchâteau demeure en balance. De plaidoiries en reports et de reports en compléments d’enquête, le nouveau duc cherche bien à retarder l’échéance. Il doit cependant céder à deux reprises, reconnaître, en 1391, le caractère rendable du fief de Neufchâteau, puis admettre, quatre ans plus tard, qu’il ne peut modifier à son gré la structure de la forteresse118. D’autres échauffourées mettent aux prises le duc et les officiers du roi à Vioménil en 1395, mais rien n’y fait. Charles II ne parvient à imposer ses vues ni par la force, ni par le droit. Il doit, solennellement et définitivement cette fois, remettre aux habitants de Neufchâteau « le mantalent et ire qu’il avoit contre eux119 », après avoir toutefois obtenu de nouvelles lettres de rémission concernant Vioménil120. Il s’incline donc, non sans garder une rancœur certaine envers le Royaume et son souverain. Ces affaires, auxquelles s’ajoutent
juin 1390) et le fief concerné (« Nuefchastel en Lorraine et les appendices ») permettent de relier clairement ce geste au procès alors intenté contre le duc. Jean Ier cherchait ainsi à se prémunir contre l’accusation de félonie, tout en se gardant bien de préciser la nature du fief de Neufchâteau : « Et faix protestation et retenue de declairier plux a plain se mestier est et requis en suix […]et avec ce de adjouter en cest present denombrement selon ce que j’en poulrai plux a plain enformer. » 116 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine…, op. cit., p. 6-8. 117 A.D.M.M. B 833, no 42, le 10 mars 1391. Acte reproduit en Annexe 9. Le pardon royal est accordé au nouveau duc de Lorraine et à son frère « actendu lez bons et aggreables services que nous ont fait feu nostre dit cousin [ Jean Ier] et leurs predecesseurs en leur vivant, et qu’ilz sont prestz a faire touteffoiz que il nous plaira, et qu’ilz sont jeusnes et de jousne aage purs et innocens dez cas dessusdiz ». 118 Au cours du procès de 1391, Charles II admet tenir Neufchâteau en fief du Royaume, mais prétend que le roi ne dispose pas du droit de confiscation sur la ville (A.N. X1a 1475, plaidoirie du 8 mai 1391). Le 17 juin, un premier arrêt du Parlement affirme que, Neufchâteau relevant du droit féodal commun, le roi peut procéder à sa saisie ; il ne fait pas mention de la forteresse (A.N. X1a 38, f 228v-230). En 1392, un deuxième procès s’ouvre à ce propos, au cours duquel le duc essaie de dissocier la situation du château de celle de la ville (A.N. X1a 1476) et parvient à gagner du temps, puisque la cour ne rend son verdict que le 13 février 1395 et demande un complément d’enquête (A.N. X1a 42). Elle donne cependant une nouvelle fois tort au duc et reconnaît aux bourgeois la possibilité de contrôler les entrées et sorties de la forteresse. Voir aussi E. Girod, Charles II, duc de Lorraine…, op. cit., p. 63-69, et P. Marot, « Neufchâteau au Moyen Âge », op. cit., p. 91-94. Pour le contenu des plaidoiries, voir ci-dessous dans ce même chapitre. 119 Cette déposition aurait eu lieu devant le Parlement de Paris, le 5 janvier 1398, si l’on en croit le procureur du roi, qui en fait mention dans l’arrêt rendu le 1er avril 1412 contre le duc de Lorraine (A.N. J 681, no 48). Aucune autre source ne vient confirmer le fait, pas même les registres du Parlement pour l’année 1398. On peut toutefois le considérer comme vraisemblable, dans la mesure où, après cette date, le conflit opposant le duc de Lorraine aux bourgeois de Neufchâteau s’apaise, pendant une dizaine d’années environ. 120 A.N. JJ 153, no XVIII. C’est par ces lettres, datées de décembre 1397, que nous connaissons l’accrochage survenu auparavant entre le bailli du duc de Lorraine et le prévôt du roi dans cette localité placée sous la sauvegarde royale. Une petite troupe menée par le bailli avait assailli les officiers royaux venus prélever l’argent versé par les habitants en contrepartie de la protection du roi de France. L’attaque fit une vingtaine de blessés et peut-être un ou deux morts. Charles II libéra rapidement les prisonniers arrêtés à cette occasion, mais cela n’empêcha pas que des poursuites soient lancées contre lui.
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certaines déceptions matrimoniales121, marquent profondément les premières années du règne de Charles II et pèseront très lourd dans l’orientation future de sa politique. Pour lors, le duc de Lorraine en est réduit à mettre en œuvre le traditionnel jeu de balancier entre la France et l’Empire pour compenser les effets de la poussée française sur le duché. Un certain nombre de gestes de Charles II, au premier rang desquels l’hommage prêté au roi des Romains Wenceslas, le 9 mars 1398122, témoignent en effet de sa volonté de réaffirmer l’ancrage impérial de la principauté et de la maison de Lorraine. Dans les années 1380 déjà, le duc Jean avait adhéré à plusieurs traités de Landfried dans l’Empire, pour garantir ses possessions alsaciennes contre d’éventuels agresseurs et assurer la sécurité des routes commerciales entre Rhin et Moselle123. Parvenu au pouvoir, Charles II resserre les contacts avec les principautés germaniques, notamment le Palatinat, en épousant Marguerite, la fille de l’Électeur palatin Robert124. Quelques années plus tard, sa sœur Isabelle, veuve d’Enguerran de Coucy, se remarie avec Étienne, duc de Bavière-Ingolstadt125. Une alliance très étroite est donc nouée entre le duché de Lorraine et la maison de Bavière, destinée à faire contrepoids à l’influence du Royaume, tout comme Jean Ier avait resserré, trente ans auparavant et dans des circonstances identiques, ses liens avec le comte de Wurtemberg. Dans les deux cas, l’équilibre n’est pas rétabli. Mais la politique matrimoniale de Charles II s’intègre dans un ensemble stratégique plus vaste. En se rapprochant de l’Empire, en abandonnant à son frère Ferry les terres que son père possédait dans le Royaume, Charles II entend réduire au minimum les possibilités d’intervention du roi de France dans le duché de Lorraine126. Il ne renonce pas non plus à l’alliance bourguignonne. Certes, les relations entre les ducs de Lorraine et de Bourgogne n’ont plus, à l’extrême fin du xive
121 P. Marot, « Les seigneurs lorrains à l’ost de 1383 », art. cit., p. 15. Déjà, dans les années 1380, Jean Ier avait envisagé de marier sa fille Isabelle au roi Charles VI. Finalement, Isabeau de Bavière lui avait été préférée. Plus tard, en 1391, le roi empêche l’union de Charles II avec la fille du duc de Berry et intervient en faveur de Philippe d’Artois, son protégé (E. Girod, Charles II, duc de Lorraine…, op. cit., p. 17). 122 A.D.M.M. B 405, f. 51-52. Pour le contenu de l’hommage, voir ci-dessus chapitre 1 et ci-dessous dans le présent chapitre. 123 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 41. En 1382, une ligue princière, dirigée contre les villes d’Empire, se forme en Alsace, avec la participation de Jean Ier. Quatre ans plus tard, le duc de Lorraine, le comte palatin du Rhin et d’autres seigneurs de la région, s’engagent à protéger les marchands assurant le commerce de transit entre le Royaume et l’Empire. 124 A.D.M.M. 3 F 438, f. 197-200. Le mariage a sans doute eu lieu au mois de juin 1393. Afin de garantir le paiement de la dot de sa fille, Robert de Bavière engage au duc de Lorraine la moitié des villes de Deux-Ponts, Bergzabern et Hornbach, le 1er août 1393. Charles II en reçoit l’autre moitié l’année suivante, à la mort du comte de Deux-Ponts. Voir également W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 44. 125 G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 83. 126 A.N. J 932, no 1. Le 16 mars 1391, Charles II et Ferry de Lorraine se partagent la succession de leur père Jean Ier. Charles reçoit toutes les terres constituant le duché, tandis que Ferry hérite des seigneuries d’Aubenton, Boves, Martigny et Rumigny, ainsi que d’une rente annuelle de 1 800 livres sur les revenus de la ville de Damme, en Flandre. Tous ces biens sont situés dans le Royaume et le roi peut les confisquer à tout moment, en cas de conflit avec le duc, ce qu’il fait notamment au début du procès concernant Neufchâteau, en 1390.
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siècle, la densité et la chaleur qu’elles avaient du temps Jean de Ier. Charles II ne paraît pas régulièrement aux côtés de Philippe le Hardi, comme le faisait son père. Quelques frictions surviennent même entre les deux princes, à propos d’incidents de frontière ou d’intérêts commerciaux127. Plusieurs facteurs peuvent expliquer une telle prise de distance : moins bien en cour à Paris, Philippe le Hardi est désormais moins utile pour le duc de Lorraine, de même que la paix relative entre la France et l’Angleterre rend moins indispensable la présence de Charles II aux côtés du duc de Bourgogne128 ; peut enfin entrer en ligne de compte la différence d’âge entre les deux personnages129. Tout cela ne porte cependant pas à conséquence et ne remet pas vraiment en cause l’appartenance de Charles II à la clientèle bourguignonne. Bien plus, les mariages bavarois des membres de la famille ducale ne font que l’intégrer un peu plus dans le réseau familial et diplomatique du duc de Bourgogne, lui aussi très lié à la maison de Bavière130. Plus que jamais, le duché de Lorraine essaie donc de tenir la balance égale entre le Royaume, l’Empire, et la Bourgogne, même s’il n’y parvient qu’imparfaitement. En somme, la seconde moitié du xive siècle confirme l’évolution des rapports de forces amorcée au début du siècle précédent. La présence française se fait de plus en plus forte, dans le duché comme dans le reste de l’espace lorrain. Mais la progression du Royaume dans la région n’a rien de linéaire. Elle connaît des avancées soudaines, mais également des reculs importants. Les ducs, quant à eux, tentent de préserver l’équilibre de leur principauté entre les deux États, au moyen de la double vassalité. Les liens entre le duché et le Royaume ne se caractérisent pas par la chaleur et l’amitié que l’on a souvent décrites131. Pourtant, pas plus que les autres princes lorrains, les ducs ne peuvent se passer de la France. Ils maintiennent donc des contacts réguliers avec le souverain, ses proches, ou ses officiers. La puissance de la monarchie
127 En 1391, Charles II fait prisonnier un groupe de seigneurs bourguignons chevauchant sur ses terres. Rapidement, l’arbitrage de ce conflit est confié au gouverneur du comté de Bourgogne, Jean de Vergy (A.N. KK 1118, layette Bourgogne et Bar, no 45). Plus tard, en 1394, Philippe le Hardi se plaint de l’interdiction faite aux marchands comtois de faire le commerce du sel dans le duché de Lorraine (A.D. Côte d’Or, B 1500, f. 147r), et il prend des mesures de rétorsion envers les sauniers lorrains (U. Plancher, Histoire générale et particulière de Bourgogne, Paris, 1974, t. III, col. 177). Mais la liberté de commerce, indispensable aux deux principautés, est rétablie dès l’année suivante (A.D. Côte d’Or, B 11920, sans cote). Selon Girod, « ces désaccords suffisent à prouver […] que le duc de Lorraine n’éprouvait pas pour son voisin une sympathie particulière » (E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 20). Au contraire, ils nous semblent révélateurs de la nécessité absolue que représente pour lui l’entente avec la Bourgogne. 128 J. Favier, La guerre de Cent ans, op. cit., p. 408. Les conférences de Leulighen, chargées de rétablir la paix entre les deux royaumes, débutent en 1393. 129 Charles II, né en 1375, a 35 ans de moins que Philippe le Hardi. 130 F. Autrand, Charles VI : la folie du roi, op. cit., p. 149-158. Philippe le Hardi tisse un réseau de solidarité très étroit avec les Wittelsbach. En 1385, il négocie le mariage du roi Charles VI, son neveu, avec Isabeau de Bavière. Son fils, Jean sans Peur, épouse Marguerite de Bavière. On peut donc raisonnablement penser qu’il n’est pas étranger non plus au double mariage de Charles II avec la fille du comte palatin Robert de Bavière et d’Isabelle de Lorraine avec le duc Étienne de Bavière-Ingolstadt. 131 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre.
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française fait de la cour des Valois une source inégalable de prestige, d’honneur et de fortune. On touche là à l’une des causes fondamentales de la présence régulière de la noblesse lorraine dans les armées royales et de la progression inexorable de l’influence française en Lorraine. En un temps où s’effondrent les revenus de la rente seigneuriale et où les princes doivent faire face à des charges de plus en plus lourdes pour assouvir leurs ambitions et tenir leur rang, la cour du roi de France leur offre le soutien politique et financier dont ils ont besoin132. Devenu gouverneur du duché de Lorraine, Brocard de Fénétrange s’empresse d’obtenir un fief de bourse du roi Jean le Bon, puis de lui offrir ses services, pour poursuivre la guerre des salines contre l’évêché de Metz et le duché de Bar. Il en retire d’ailleurs des bénéfices colossaux133. Pareillement, au retour des expéditions de Flandre et de Gueldre, le duc Jean Ier reçoit de Charles VI des récompenses sonnantes et trébuchantes qui, si elles ne constituent pas la motivation essentielle de sa participation, représentent néanmoins pour lui des ressources d’appoint non négligeables134. Des ducs aux simples seigneurs, les Lorrains trouvent donc dans le service des rois de France des avantages que l’empereur, vu la faiblesse de ses moyens, ne saurait leur procurer : se créent ainsi, de part et d’autre de la frontière politique, des solidarités de plus en plus fortes. Car le roi, en contrepartie de sa générosité, attend de ses serviteurs la reconnaissance et la fidélité. Celles-ci se matérialisent essentiellement au travers du lien féodal, qui continue de structurer la société nobiliaire dans les derniers siècles du Moyen Âge. Progressivement, au cours des xiiie et xive siècles, un nombre croissant de nobles lorrains entre dans la vassalité des rois de France. Les ducs de Lorraine ne font pas exception à la règle. À aucun moment en effet ils ne remettent en cause l’hommage qu’ils doivent prêter au roi. Les réconciliations entre les
132 J.-Ph. Genet, « L’État moderne : un modèle opératoire ? », in J.-Ph. Genet (dir.), L’État moderne. Genèse. Bilans et perspectives, op. cit., p. 261-281. Voir notamment la partie intitulée : État et société, p. 265-269. Un système identique s’installe, plus modestement et plus tardivement, dans des principautés comme le duché de Bar. Cf. A. Girardot, Le droit et la terre : le Verdunois à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 599-628 : « une noblesse assistée du prince ». 133 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 205 ; H. Lefebvre, « Les sires de Pierrefort de la maison de Bar », op. cit., p. 93-94 ; et A.N. J. 681, no 30. Le gouvernement du duché représente en effet une lourde charge pour une famille seigneuriale comme celle des Fénétrange. La guerre des salines contraint Brocard à trouver des liquidités financières immédiates, afin de pouvoir payer les troupes ducales. Il s’adresse donc au roi de France. Le fief-rente s’avère très vite insuffisant, largement inférieur en tout cas au butin accumulé en 1359-60, lors des opérations menées contre les Anglais dans le comté de Champagne. Dix ans plus tard, le roi accorde encore la somme de 20 000 francs au sire de Fénétrange, pour solde de tout compte. Sans la guerre, jamais celui-ci n’aurait pu amasser une telle fortune. 134 Cf. BnF Ms. fr. 22, 423, pièce 35 et BnF Col. Lor., no 4, f. 45. Les liens très étroits entre les ducs de Lorraine et de Bourgogne constituent la raison essentielle de la présence de Jean Ier à l’ost royal. En plus de ses gages, le roi lui alloue cependant une somme de 1 000 francs en 1383, puis une autre de 4 000 francs cinq ans plus tard. Au même moment, le duc doit lui-même indemniser les seigneurs qui avaient combattu à ses côtés lors de la seconde guerre des salines, entre 1379 et 1381 (les paiements dont nous avons gardé la trace s’effectuent entre le 5 juin 1379 et le 1er octobre 1388 : cf. Annexe 2). L’aide du roi de France arrive donc à point nommé pour soulager les finances du duché de Lorraine en des temps difficiles.
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ducs et les souverains français, en 1367 et 1391, impliquent d’ailleurs toujours le renouvellement du contrat vassalique, qu’il s’agisse de biens traditionnellement repris en fief, ou de nouvelles inféodations135. De façon générale, les Lorrains acceptent sans grande réticence la suzeraineté royale, car ce mode de relations correspond à la culture politique féodale de la région et s’adapte parfaitement à leur conception du bon gouvernement, respectueux de la liberté et des privilèges traditionnels de la noblesse. La féodalité implique également la présence plus ou moins régulière des vassaux à la cour du roi de France. Cela représente pour les Lorrains une autre source de pouvoir et de fortune. En accédant à l’office de bouteiller du roi, Jean de Sarrebruck, par exemple, acquiert une notoriété qui dépasse très largement l’horizon régional, que son statut de comte de Sarrebruck et de sire de Commercy ne lui permettait pas de franchir. Loin de rechigner à remplir leur devoir féodal, les seigneurs lorrains se précipitent donc à Paris. Au cours des premières années du règne de Charles VI, on retrouve constamment Henri de Bar, le fils du duc Robert, auprès du souverain136. Son frère cadet, Édouard, reçoit de son père, en 1399, le marquisat de Pont-à-Mousson, pour lui permettre de briller et de tenir son rang à la cour137. Celle-ci constitue donc pour les princes lorrains un pôle d’attraction sans équivalent et un centre politique incontournable, dispensateur de puissance et de richesse. Inversement, le roi trouve auprès d’eux un relais indispensable à l’exercice de son pouvoir et à la progression de son influence dans la région : leurs relations se construisent sur la base d’un échange de services et d’une bonne compréhension de leurs intérêts mutuels. Les ducs de Lorraine feraient-ils exception à la règle ? On les voit certes beaucoup moins souvent à Paris que la plupart de leurs compatriotes, mais ils ne se détournent pas totalement en effet de la capitale du Royaume. Depuis le règne de Raoul, ils y possèdent une maison, située rue Pavée, qui leur sert de pied-à-terre personnel lors de leurs rares séjours à Paris, mais qui, beaucoup plus fréquemment, leur permet également d’héberger les nombreux émissaires qu’ils envoient au roi de France138. Ils
135 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre. 136 F. Autrand, Charles VI : la folie du roi, op. cit., p. 224, 227, 242, 285. 137 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 508-509. « Robert duc de Bar voulant avantager Édouard son fils, qui était alors l’aîné de sa famille, et lui donner un titre avec lequel il pût paraître avec plus d’honneur dans la cour de France et auprès du duc de Bourgogne son oncle, et qui pût lui procurer un mariage plus avantageux, lui fit donation, avec le consentement de Marie de France duchesse de Bar son épouse, du marquisat de Pont-à-Mousson. » On mesure, à travers cet exemple, la très grande intimité qui règne entre la dynastie des Valois et la maison de Bar et la position éminente de cette famille à la cour des rois de France. 138 J. Viard, Documents parisiens du règne de Philippe VI de Valois, 2 vol., Paris, Champion, 1899, vol. 1, no CLXXV, p. 266. Voir aussi É. Duvernoy, « L’hôtel de Lorraine à Paris », Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile de France, no 49, 1920, p. 183-194. Les ducs de Lorraine achètent cette maison aux alentours de 1336. Ils se trouvent régulièrement en contact avec des Parisiens liés ou non à la cour du roi. Pour ne prendre qu’un seul exemple, Jean de Lunéville, chapelain de Jean Ier, réside pendant plus d’un mois dans la capitale, pour y rembourser les dettes de son maître envers des bourgeois de Paris. Nul doute qu’il ait alors été hébergé rue Pavée, pour limiter les dépenses effectuées lors de sa mission. BnF Col. Lor., no 49, f. 30, 31, 32, 35, 36 et 41.
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n’ignorent pas non plus que leur intérêt consiste à obtenir l’oreille et la faveur royales. Leur éloignement les contraint alors à solliciter des intermédiaires influents qui se chargent de les représenter et, au besoin, de les défendre auprès du roi. Dans les années 1370-1380, le rôle d’avocat du duc Jean Ier à la cour de France avait été tenu par le duc de Bourgogne, en raison du voisinage de ses possessions avec le territoire ducal et de la position prééminente dont il disposait dans le Royaume. Celui-ci n’avait d’ailleurs pas peu contribué à la modération dont avaient fait preuve les officiers royaux à l’égard des habitants de Neufchâteau. Mais la brouille survenue entre Philippe le Hardi et Charles VI en 1388 laisse le duc de Lorraine sans défenseur, entraînant sa mise en accusation devant le Parlement de Paris. Son successeur, Charles II, comprend assez vite qu’il lui faut se trouver un nouveau protecteur dans l’entourage du roi de France. Pour ce faire, il entreprend un certain nombre de démarches auprès du frère de Charles VI, le duc d’Orléans, devenu le nouveau mentor de la politique royale. En 1397, il envoie son médecin personnel le prévenir de la naissance de son fils139. Et l’année suivante, il accepte de devenir son homme-lige « envers et contre tous qui pevent vivre et morir », pour une pension de « deux mille livres tournois par an, a prendre aus termes de la saint Jehan et de Pasques140 ». Les bénéfices d’une telle attitude ne se font pas attendre. Comme par enchantement, c’est à cette époque que le roi pardonne les attentats commis à Vioménil par Charles II qui, de son côté, renonce à toute vengeance contre les habitants de Neufchâteau141. Le règlement de ce conflit constitue sans doute le résultat tangible et immédiat de l’action de Louis d’Orléans en faveur du duc de Lorraine. Celui-ci ne cherche donc pas à se mettre à l’écart de la cour de France. Simplement, il procède différemment des autres seigneurs lorrains : refusant d’y paraître trop souvent, par souci d’indépendance, il entre dans la clientèle politique des princes des fleurs de lys et les utilise comme intermédiaire pour plaider sa cause auprès du souverain. Pour lui, comme pour tous les Lorrains, Paris est désormais devenu un pôle d’attraction incontournable.
139 BnF, Ms nouv. acq. fr. 3639, no 280 : lettre du 6 mars 1397 (n. st.), par laquelle « Boniface de Morez » , écuyer du duc d’Orléans, certifie qu’il a été payé « a un nommé Jehan Maguere, barbier de monsignour le duc de Lorrayne, la somme de dix escus d’or pour cause des nouvelles par luy apportées […] que la duchesse de Lorrayne estoit accouchée d’un filz ». 140 Cité par E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 35. L’auteur voit dans cet acte la preuve que les sympathies de Charles II penchent naturellement vers le duc d’Orléans plutôt que vers celui de Bourgogne. Par un tel argument, il montre cependant, avant toute chose, son désir de disculper le duc de Lorraine de toute accusation de trahison envers la France. L’explication d’un tel geste nous paraît beaucoup plus simple : depuis la première crise de folie de Charles VI, en 1392, la rivalité entre Louis d’Orléans et Philippe le Hardi pour le contrôle du conseil royal ne cesse de croître. Charles II tente de jouer des deux princes rivaux l’un contre l’autre pour lever la pression que le Royaume exerce depuis plusieurs années sur la ville de Neufchâteau. La politique traditionnelle d’équilibre du duché de Lorraine trouve désormais son application jusque dans l’entourage du roi de France. 141 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre.
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Une volonté d’indépendance La reconnaissance de leur vassalité à l’égard de l’empereur comme à l’égard du roi de France n’implique pas, pour les ducs de Lorraine l’acceptation d’une souveraineté française. Plus sûrs d’eux-mêmes et de leur pouvoir, Jean Ier et Charles II expriment également des revendications nouvelles par rapport à leurs deux suzerains. L’indépendance par omission : l’hommage à l’empereur en 1361
En 1361, Jean Ier, duc de Lorraine, prête hommage à l’empereur Charles IV142. A priori, il n’y a là rien de bien étonnant de la part d’un jeune prince qui atteint l’âge de la majorité et dont la principauté relève, depuis sa création, de l’Empire. Á plus d’un titre, cet acte s’avère pourtant marquant et novateur. Il semble à première vue renouer avec la tradition. Un siècle auparavant, Ferry III avait fait le voyage d’Espagne pour faire ses reprises au roi des Romains, Alphonse de Castille143 ; de même, Jean Ier se déplace jusqu’à Nuremberg pour aller trouver Charles IV, ce qui traduit l’intérêt que le nouveau duc accorde à l’investiture impériale144. Peut-être les ducs ont-ils également rempli leurs devoirs vassaliques entre ces deux dates, mais ni les archives lorraines, ni les archives impériales n’en ont conservé la trace jusqu’à aujourd’hui, signe de l’importance toute particulière que les contemporains et les gardiens du Trésor des chartes ont accordée aux hommages de 1259 et 1361145. La comparaison de ces deux actes montre en effet à quel point la nature du lien entre le duché et l’Empire s’est transformée au cours de la période146. En 1259, les cinq étendards que Ferry III recevait du roi des Romains symbolisaient la fonction ducale et la dignité marquisale. Certains de ces fiefs ne figurent plus dans l’acte d’hommage de 1361, qui ne mentionne ni l’office de sénéchal, ni les droits régaliens sur les abbayes de Saint-Pierre et de Saint-Martin de Metz. Jean Ier ne reprend plus de l’empereur le comté de Remiremont, mais l’avouerie de ce monastère. Enfin, quelques nouveautés apparaissent : le duc prête hommage à Charles IV pour le droit de battre monnaie à Yvois, pour l’avouerie de la cité de Toul, ainsi que pour la seigneurie sur les enfants des clercs nés sur le territoire ducal. Seules la garde des voies de terre et
142 BnF Ms. fr. 11823, f. 9, et K. Zeuner, Quellensammlung, op. cit., p. 98, no 78. 143 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre. 144 La prestation d’hommage est en effet réalisée au cours de la diète de Nuremberg, à laquelle a participé le duc de Lorraine. Faut-il y voir la volonté de Jean Ier de resserrer les liens entre le duché et l’Empire, après une enfance passée en Allemagne ? S’agit-il plutôt d’un acte indispensable pour la restauration d’un pouvoir ducal fragilisé par une longue régence de quinze années ? Ou est-ce tout simplement le reflet du poids de la féodalité dans le duché de Lorraine ? Toujours est-il que ses prédécesseurs n’avaient pas manifesté un pareil empressement à faire leurs reprises auprès de l’empereur. 145 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre. 146 H. Thomas, « Die lehnrechtlichen Beziehungen des Herzogtums Lothringen zum Reich… », art. cit., p. 166-202. Comme tous ceux qui ont étudié la question, l’auteur insiste sur l’ampleur des modifications survenues dans l’hommage de 1361 par rapport à celui du siècle précédent.
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d’eau et la surveillance des duels entre Meuse et Rhin se retrouvent à l’identique dans les deux documents147. Quel sens peut-on donner à ces changements ? Les suppressions paraissent plus intéressantes que les ajouts. Elles indiquent que Jean Ier ne reprend plus son duché en fief de l’empereur. La fonction de sénéchal, le commandement de l’avant et de l’arrière-garde de l’armée impériale symbolisaient les services de cour et d’ost que les ducs devaient à leur suzerain en tant que ducs de Lorraine148. De même, une légende qui circulait au Moyen Âge faisait d’eux les fondateurs des abbayes de Saint-Martin et Saint-Pierre à Metz149. Ne plus tenir ces fiefs de l’empereur revient donc à affirmer que le duché n’a plus de lien féodal direct avec l’Empire. L’investiture accordée à Jean Ier en 1361 ne concerne plus désormais que des biens et des privilèges dispersés sur l’ensemble de l’espace lorrain. Ils lui permettent encore de revendiquer une certaine prééminence par rapport aux autres princes de la région, ils lui confèrent un certain nombre de droits régaliens, ils maintiennent le duc dans la vassalité impériale, mais ils ne font plus du duché un fief d’Empire150. L’acte d’hommage ne dit pas ce qu’il advient, juridiquement parlant, du duché de Lorraine. La titulature des ducs ne change pas non plus avant et après 1361. Mais la conséquence de cette nouvelle inféodation ne laisse guère de place au doute. Si Jean Ier ne reprend plus sa principauté de l’empereur, alors il ne peut la tenir que de Dieu et de l’épée. Le duché de Lorraine devient un alleu, un territoire libre de toute sujétion, même s’il ne l’affirme pas explicitement. La déclaration d’indépendance du duché est faite, si l’on peut dire, par omission, et reconnue officiellement par Charles IV. Un tel acquis valait bien que le duc Jean fasse l’effort de se déplacer à Nuremberg et d’accomplir ses reprises à l’empereur dès son accession à la majorité. Il importait également au plus haut point que les clercs du duché conservent précieusement le souvenir d’une telle cérémonie. Pourquoi l’empereur accepte-t-il sans réticences une telle atteinte à sa suzeraineté ? Il ne faut pas forcément voir dans ce geste une marque de faiblesse. Celui-ci ne fait en réalité que sanctionner les modifications apportées à la structure de l’Empire par la Bulle d’Or, en 1356. Charles IV avait bien eu conscience que ce texte avait entraîné un déclassement relatif du duché de Lorraine dans la hiérarchie des principautés impériales. Il ne pouvait plus continuer à investir le duc de l’office de sénéchal, alors
147 Cf. Annexe 7 et Annexe 8. 148 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre. 149 A.D. Mos. B 2344, no 49. Cet acte relate l’enquête menée par Louvion Barneffroy, secrétaire de Charles II, auprès de Marguerite de Chérisey, abbesse de Saint-Pierre de Metz, pour savoir dans quelles conditions elle a reçu l’investiture de son office (voir ci-dessous troisième partie, chapitre 6). Il y est rappelé que l’abbaye a été fondée par les ducs de Lorraine et que, pour cette raison, elle relève d’eux au temporel comme au spirituel. Voir également A.D.M.M. B 909, no 4 et 10, A.D. Mos. B 2343, et l’Annexe 2 pour les hommages prêtés par Marie de Dun, abbesse de Saint-Pierre, Jean de Ligny et André de Fraisne-en-Woëvre, abbés de Saint-Martin. 150 Le droit de battre monnaie et la seigneurie sur les enfants bâtards des clercs sont des droits régaliens. Quant à la surveillance des duels entre Meuse et Rhin, elle permet au duc de Lorraine d’afficher ses prérogatives de marquis sur l’ensemble de l’espace lorrain, ce qu’il ne manque pas de faire dès que l’occasion s’en présente. Voir ci-dessus première partie, chapitre I, et J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 168-169.
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que celui-ci avait été confié au comte palatin du Rhin. Par ailleurs, le détachement du duché de Lorraine à l’égard de l’Empire constituait, depuis près d’un siècle, une réalité indéniable151. Dans l’esprit de l’empereur, l’acte de Jean Ier permettait sans doute de préserver l’essentiel, à savoir le lien féodal entre le duc et l’Empire. De fait, Charles II prête à son tour hommage au roi des Romains en 1398, dans les mêmes termes que son père152. Sans oser encore le proclamer haut et fort, les ducs de Lorraine revendiquent donc l’indépendance de leur principauté par rapport à l’Empire. Mais en 1361, cette revendication demeure virtuelle, car inavouée. Le refus de la souveraineté royale
Nous l’avons vu, les ducs de Lorraine ne peuvent pas se permettre de rester à l’écart des affaires du Royaume et de la cour des Valois. Pourtant, les accrochages et les incidents ne cessent pas entre leurs officiers et ceux du roi, dans les zones frontalières comme Passavant ou Neufchâteau. À lire les plaidoiries des procureurs royaux, les actes dont les ducs et leurs hommes se rendent coupables relèvent du brigandage et de la criminalité. En 1367 par exemple, les officiers de nostre dit cousin et habitans de la ville de Nuefchastel sur Meuse […] avoient pris et detenuz prisonniers aucuns de noz prevoz et sergens, et yceux mis a rançon en la dite ville. Et yceux officiers et habitans de Nuefchastel avoient pillé, rançonné et bouté feux en plusours villes et lieux de nostre royaume et de nostre garde, violé femmes, et occiz plusours personnes sur la frontiere d’environ153 ».
Le lecteur aura reconnu ici l’amour de la guerre et de la violence traditionnellement reprochés aux Lorrains par les sujets du roi de France154. En 1397 d’ailleurs, la lettre de rémission octroyée au duc de Lorraine décrit l’attaque du prévôt royal et de ses auxiliaires comme une chose habituelle : comme il est accoustumé de faire au pais, on fait de teles cours et assaux […] pour ce que c’est ès marches de Lorraine et ès extremitez de Bourgoigne et d’Alemaigne155. La condamnation est sans appel : les frontaliers, et tout particulièrement les Lorrains, rançonnent, brûlent, pillent, violent et tuent. Un tel discours, avons-nous dit, témoigne de la différence de culture politique entre la France et la Lorraine et de l’incompréhension qu’elle génère de part et d’autre de la frontière156. Prenons-en 151 F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne, op. cit., p. 35. Tous les grands offices de l’Empire sont désormais confiés aux princes électeurs : les trois ecclésiastiques sont nommés archichanceliers, tandis que les quatre laïcs se partagent les fonctions d’échanson, de sénéchal, de maréchal et de camérier de l’empereur. 152 A.D.M.M. B 405, f. 51-52. Pour le contenu de l’acte, voir ci-dessus première partie, chapitre 1. 153 A.D.M.M. B 833, no 36. Lettres de rémission accordées par le roi Charles V au duc de Lorraine, le 23 septembre 1367. 154 Cf. ci-dessus chapitre 2. 155 A.N. JJ 153, no XVIII. 156 Cf. ci-dessus chapitre 2.
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acte une fois de plus, tout en essayant de dépasser la simple description des faits, et de comprendre le sens des agressions commises par les ducs de Lorraine à l’encontre des populations du Royaume. La lettre de rémission adressée par le roi Charles VI à Charles II et à son frère Ferry de Lorraine le 10 mars 1391 présente l’intérêt de récapituler l’ensemble des attentats perpétrés par le duc Jean contre la majesté royale, pour lesquels il avait été traduit devant le Parlement de Paris157. Ils sont énumérés dans l’ordre chronologique. En 1367, Aubert, le bâtard de Lorraine, détruit le bourg de Passavant. Peu de temps après, les bourgeois de Neufchâteau assassinent un sujet du roi, Guy de Bourde. En 1381, ils interdisent à l’huissier du Parlement et au sergent du bailliage de Troyes de prélever l’amende à laquelle ils étaient condamnés et profèrent des injures et des menaces à leur encontre. Quelques temps plus tard, Gérard de Haraucourt, vassal du duc de Lorraine, s’empare des châteaux de Méraille et de Montcornet, situés dans le Royaume, et arrête les capitaines qui les gardaient au nom du roi. Enfin, vers 1389, les troupes ducales pénètrent dans Neufchâteau, chassent les officiers du roi venus procéder à la saisie de la ville, forcent les habitants à renier la souveraineté royale et modifient la structure du château ducal, de façon à le rendre indépendant de la cité. Malgré l’impression laissée par un tel inventaire, ces actes ne doivent rien au hasard. Tous visent en réalité une seule et même cible : la souveraineté royale. L’affaire de Neufchâteau ne laisse aucun doute à ce sujet. C’est en effet la décision des bourgeois de reconnaître le roi comme leur souverain qui provoque l’intervention musclée du duc de Lorraine158. De même, au cours des deux décennies précédentes, l’accord entre les Néocastriens et le duc s’était fait sur la base du refus de reconnaître la juridiction royale sur la ville159. Les Lorrains s’en prennent aussi aux représentants du roi, chargés par leur maître de faire appliquer sur le terrain ses décisions souveraines. À travers Guy de Bourde, les habitants de Neufchâteau s’attaquent indirectement à la personne du souverain. À en croire la lettre de rémission, ils le lui disent même explicitement, avant de le noyer : « et luy disoit on qu’il s’en feist vengier par son roy s’il povoit160 ». 157 A.D.M.M. B 833, no 42. Voir Annexe 9. Le paragraphe qui suit résume le contenu des accusations du procureur royal. Certains événements ne nous sont connus que par ce document, qui les date parfois de manière imprécise (« l’an mil CCC quatre vingts et ung ou environ »). Ces incertitudes toutefois ne prêtent pas vraiment à conséquence. La défense du duc de Lorraine ne portant jamais sur les faits eux-mêmes mais sur leur portée, on peut les tenir pour avérés. 158 Voir ci-dessus dans ce même chapitre et A.N. X1a 1475. Procès intenté au duc Jean Ier devant le Parlement de Paris, pour crime de lèse-majesté. Plaidoirie du 22 juin 1390. 159 En ce qui concerne le détail des vexations commises par le maire et les jurés de Neufchâteau à l’encontre des officiers royaux entre 1372 et 1388, voir ci-dessus dans ce même chapitre. Les bourgeois contestaient que la ville fasse partie du ressort de la prévôté d’Andelot et que les représentants du roi aient le droit de proclamer dans la ville la tenue des sessions judiciaires. Cela équivalait à nier la compétence en appel du Parlement de Paris sur Neufchâteau. Il s’agit là d’une attitude commune à toutes les populations lorraines, pour qui la frontière entre le Royaume et l’Empire signifie très concrètement la ligne où s’arrête le ressort du Parlement et donc la souveraineté du roi de France. (F. Autrand, Charles V le Sage, op. cit., p. 63). 160 A.D.M.M. B 833, no 42. Cette phrase n’est pas prononcée au hasard. Les gens du roi ne manquent pas une occasion en effet de vanter les mérites et l’efficacité de la protection royale pour inciter les populations à se placer sous la sauvegarde et la sujétion du roi de France. Cet acte et ces paroles
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Ainsi, des deux côtés, la frontière entre le Royaume et le duché est vécue comme une menace. Pour l’administration royale, elle constitue une zone d’insécurité, où la paix du roi ne s’applique que de manière très relative, et qui pour cette raison doit être pacifiée. Mais pour les ducs de Lorraine, elle symbolise le seul rempart contre la progression inexorable de la souveraineté française et les prétentions sans cesse croissantes de la monarchie. À chaque tentative des rois de France de la franchir et d’étendre le ressort de la justice royale, les ducs répliquent par des raids de pillage sur les villages ou les châteaux situés dans le Royaume. Ces actes, considérés par le pouvoir royal comme une atteinte à sa souveraineté et à sa majesté, ne représentent pour les Lorrains que l’application du droit de représailles, reconnu, sous certaines conditions, à l’ensemble de la noblesse de la région161. Prenons l’exemple de l’échauffourée survenue en 1395 à Vioménil, village situé à l’intérieur du duché de Lorraine, mais placé depuis plusieurs années sous la garde de la France162. Par cette pratique, le roi cherche avant tout à faire bénéficier de sa protection les régions situées de part et d’autre de la frontière, afin de mieux sécuriser les populations du Royaume. Pour Charles II en revanche, il s’agit d’une première étape préparant l’affirmation de la souveraineté française sur une nouvelle partie du territoire ducal, au lendemain des procès concernant Neufchâteau163. Par conséquent, lorsque le prévôt forain de Coiffy vient prélever sur les habitants de Vioménil la redevance qu’ils n’avaient plus payée au roi depuis six années en échange de sa sauvegarde, la réaction du bailli ducal ne se fait pas attendre : il rameute la population et les hommes d’armes présents aux alentours et pourchasse les officiers royaux aux cris de « vive le prince qui nous gardera bien sans le roi164 ! » Une nouvelle fois, c’est donc la conception française de la paix publique que refusent les Lorrains, en ce qu’elle empiète sur leurs privilèges et sur leurs libertés165. Partout d’ailleurs en Lorraine, l’établissement de la souveraineté royale rencontre les mêmes oppositions. Dans le duché de Bar, pourtant profondément marqué par l’influence française, les hommes du prince résistent par tous les moyens aux pressions exercées par les représentants du roi pour imposer les conceptions politiques du Royaume : ils se dérobent à leurs convocations, multiplient les arguties juridiques ou
constituent donc une insulte directe à la majesté du roi et cherchent à bafouer l’autorité du souverain. Par de tels procédés, les princes lorrains tentent de dissuader leurs sujets de se tourner vers la France : Charles II agira exactement de la même façon contre les habitants de Neufchâteau, en 1410. Cf. ci-dessous deuxième partie, chapitre 4. 161 Cf. ci-dessus chapitre 2. 162 A.N. JJ 153, no XVIII. Vioménil appartient au domaine ducal (cf. ci-dessus figure 6. La sauvegarde du roi sur ce village, moyennant le versement annuel d’une redevance d’un marc d’argent, porte directement atteinte aux droits seigneuriaux de Charles II. Il y a donc tout lieu de penser que les retards de paiement des habitants tiennent aux pressions exercées sur eux par les officiers du duc de Lorraine. 163 Cf. infra. L’arrêt du 17 juin 1391 avait reconnu la souveraineté royale sur la ville de Neufchâteau, ainsi que sur l’ensemble des fiefs que les ducs de Lorraine tenaient des rois de France. 164 Ibid. 165 Cf. ci-dessus chapitre 2.
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achètent les fonctionnaires royaux. « Il apparaît clairement que ni le duc de Bar ni ses officiers n’entendent laisser la suzeraineté du roi de France devenir une souveraineté, telle que la définissent les légistes du Parlement de Paris »166. Que l’on ajoute à cela le refus des Toulois et des Verdunois d’accepter les traités de pariage conclus par leurs évêques avec la France en 1338 et 1389 et l’on pourra mesurer l’ampleur du refus de la souveraineté française en Lorraine jusqu’à la fin du xive siècle, alors même que la suzeraineté royale ne suscite aucune contestation. Dès lors, l’étrange ambiguïté des relations entre rois de France et ducs de Lorraine s’explique aisément. Celles-ci suivent en effet un processus cyclique : pressions des officiers royaux – représailles violentes des ducs – mise en accusation et condamnation devant la cour du roi – reconnaissance de la suzeraineté royale par le duc et renouvellement de l’hommage – rémission accordée par le roi. Le scénario se répète à l’identique en 1367, 1390 et 1397167. Mais il repose sur des malentendus : la vassalité implique pour le roi la sujétion et pour le duc une simple prééminence. De ce fait, la souveraineté royale représente pour le duc une atteinte à sa dignité de vassal, tandis que le droit à la Fehde168 constitue pour le roi la négation de son autorité. Une nouvelle fois, l’incompréhension entre Français et Lorrains résulte bien de l’opposition de leurs cultures politiques. Les arguments développés par le duc et par le procureur du roi, lors du procès de 1367, traduisent cette incompréhension : disant nostre dit procureur que en ce avoient esté commis crimes de nostre maiesté blecée, murtres, roberies, et autres crimes, excès, et delis, concluant contre nostre dit cousin et ses diz subgez aus fins dessus dites. Et de par nostre dit cousin eust esté proposé au contraire que les choses dessus dites n’avoient pas esté teles ne si grieves comme dessus sont proposées169.
166 J. Schneider, « Entre le Royaume et l’Empire… », art. cit., p. 19-20. Les comptes du duché de Bar mentionnent de façon très précise le versement de pots-de-vin aux officiers du roi pour qu’ils soient « plus amiables et debonnaires as gens Madame [la comtesse régente de Bar, Yolande de Flandre] » (A.D. Meuse, B. 1413, compte 1345-1346). Faute de tels documents, nous ne pouvons dire si le duc de Lorraine a utilisé ce genre de procédés, mais il serait bien étonnant qu’il s’en soit privé. Le comportement de certains envoyés du roi semble parfois un peu laxiste. Guillaume de l’Épine par exemple, commis par Charles VI pour abattre la porte rajoutée par le duc à la forteresse de Neufchâteau, lui permettant de sortir sans passer par la ville, se contente de l’« etouper », c’est-à-dire de la murer sommairement (A.N. X1a 1477, f. 9 et suiv. : plaidoirie du 26 novembre 1392). A-t-il été séduit par les offres de Charles II ou effrayé par ses menaces ? Les deux choses n’ont rien d’incompatible. 167 Il subit une légère variation en 1397. La soumission du duc ne passe pas cette fois-ci par une prestation d’hommage, mais par la libération des prisonniers et la restitution de tous les biens saisis lors de l’attaque du prévôt royal. Cela ne modifie cependant en rien notre analyse. Par un tel geste, Charles II n’entend pas reconnaître la souveraineté du roi, mais opérer une restitution volontaire. Pour Charles VI au contraire, les lettres de rémission révèlent la sujétion du duc de Lorraine par rapport au roi de France, car elles sont l’apanage d’un pouvoir souverain. 168 Dans la réalité toutefois, ce droit est interprété comme une légitimation de la guerre privée, pratiquée de manière courante en Lorraine et sur le territoire impérial. Le roi de France, au contraire, s’efforce de l’interdire. 169 A.D.M.M. B 833, no 36. Dans la mesure où le duc de Lorraine ne se reconnaît pas comme un sujet, mais comme un vassal du roi de France, il paraît logique qu’il conteste l’accusation pour crime de lèse-majesté dont il fait l’objet.
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Même s’il faut naturellement faire la part de la mauvaise foi de Jean Ier en la circonstance, celui-ci ne nie pas la réalité des actes qui lui sont reprochés, mais leur nature et leur gravité. La double vassalité des ducs de Lorraine, envers le Royaume comme envers l’Empire, s’avère donc bien déséquilibrée. Alors que les empereurs laissent à leurs vassaux une très grande liberté d’action, les rois tentent de leur imposer les contraintes de leur souveraineté170. Indifférents à l’égard des premiers, les ducs se montrent très sourcilleux face aux tentatives d’empiétement des seconds. Les paroles et les actes : l’affaire de Neufchâteau
C’est tout l’enjeu du procès intenté aux ducs de Lorraine à propos de Neufchâteau. Jean Ier est personnellement menacé par les accusations de lèse-majesté et de félonie qui pèsent sur lui. Il adopte donc profil bas face à Charles VI171. Mais après sa mort, la question du statut de la ville et de la forteresse de Neufchâteau, restée en suspens, donne l’occasion au nouveau duc de revendiquer publiquement et solennellement l’indépendance du duché de Lorraine et la souveraineté des ducs sur le territoire de leur principauté, au cours des plaidoiries du 8 mai 1391 : Le duc propose et dit que la duchié de Lorraine est une des plus anciennes duchiéz qui soit en chrestienté et ne recognoissoit point de souverains et pour ce avec duc s’appelle marchy, en denotant que ceulx qui marchisent a lui ne sont que ses voisins172.
Par conséquent, poursuit Charles II, le fief de « Nuefchastel en Lorraine », situé au-delà de la Meuse, donc à l’intérieur des frontières du duché, ne peut être l’objet d’une confiscation. Le roi doit se contenter de l’hommage. Quant aux droits régaliens sur la ville, ils appartiennent au duc, sauf en cas de déni de justice. On ne saurait être plus clair : non seulement Charles II ne reconnaît pas le roi et l’empereur comme ses souverains, mais il ne les considère que comme des « voisins », c’est-à-dire des égaux. Un nouveau pas est donc franchi par rapport à l’hommage de 1361, dans la mesure où le duc rejette toute intervention du Royaume et de l’Empire dans ses États. Toutefois, ce que Charles II affirme par ses paroles, Jean Ier l’avait déjà manifesté par ses actes, en effectuant, en 1389, un certain nombre de modifications dans la forteresse de Neufchâteau. Celles-ci, décrites par le menu dans l’ouvrage de Pierre Marot173, avaient un but bien pratique : permettre au duc de rentrer et sortir de son château sans passer par la ville, donc sans dépendre de la bonne volonté des habitants, en faisant faire une porte donnant directement sur les champs, et en fortifiant aussi le château du côté de la cité. C’était renforcer considérablement son pouvoir militaire sur la ville, ce qui mécontentait les habitants, mais aussi y établir en quelque sorte 170 R. Parisot, Histoire de Lorraine, tome I, Des origines à 1552, op. cit., p. 309-312. 171 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 62. 172 BnF Ms. fr. 11823, f. 244. La plaidoirie de Charles II est également reprise dans P. Marot, « Neufchâteau au Moyen Âge », op. cit., p. 91-92. 173 Ibid., p. 84.
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visuellement sa souveraineté, ce que le roi ne pouvait admettre174. Il s’agissait bien d’une manifestation d’indépendance politique du duc de Lorraine à l’égard du roi de France et ce, jusque dans le fief pour lequel il lui rendait hommage. Exprimer ses prétentions face au pouvoir royal est une chose ; mais les lui faire admettre en est une autre. Tout comme son père, Charles VI n’est pas disposé à transiger sur les droits de la couronne. Quand bien même il ferait montre d’une certaine indulgence, ses légistes rappellent que « la liberalité du roy est telle que il octroie aulcunes foiz, ou par importunité, chose qui ne se deut pas octroier » et que dans un tel cas le droit du roi « demeure en son royaume »175. Les revendications de Charles II n’avaient donc aucune chance d’aboutir. De fait, les sentences du Parlement de Paris s’avèrent systématiquement défavorables au duc, qu’il s’agisse du statut de la ville, ou de la structure de la forteresse176. Mais le plus important pour lui n’est sans doute pas tant d’obtenir gain de cause que de poser en principe l’indépendance du duché. De ce point de vue, il a tout lieu d’être satisfait, en mesurant le chemin parcouru depuis l’hommage prêté à l’empereur par Jean Ier en 1361 : les ducs de Lorraine n’ont désormais plus peur de leurs ambitions. *** Entre le Royaume et l’Empire, ni les ducs de Lorraine, ni les autres princes de la région ne parviennent à tenir la balance égale. À partir du xiiie siècle, l’influence française se fait sentir trop fortement pour que les Lorrains soient en mesure de s’y opposer, d’autant que, parallèlement, l’absence et la faiblesse du pouvoir impérial deviennent patentes. La pénétration en Lorraine des idées et de la civilisation françaises semble irrésistible, surtout lorsque Philippe le Bel épouse l’héritière du comté de Champagne, en 1284. L’administration royale s’installe alors aux abords de l’espace lorrain et s’efforce d’étendre au maximum les limites de la souveraineté française. Tout au long du xive siècle, la poussée de la France vers les provinces de l’Est ne se relâche pas. La contre-offensive impériale des années 1353-1357, coïncidant avec la crise de la monarchie des Valois, vient stopper momentanément l’avancée du Royaume, mais se révèle rapidement inapte à tenir dans la durée. Cette présence française touche cependant les différentes principautés lorraines de manière inégale, selon qu’elles se trouvent d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique et qu’elles sont plus ou moins fortement structurées. Le duché de Bar, 174 Nicolas Faucherre, dans une conférence donnée le 16 février 1998 à l’Université de Besançon, sous le titre Les fortifications des villes à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècles), montre bien que la forteresse urbaine est l’instrument du pouvoir royal ou princier sur la ville et qu’à ce titre, elle est un instrument de souveraineté, et même un élément de la construction de l’État à la fin du Moyen Âge. Il précise que les forteresses ont toujours pour caractéristique essentielle de posséder une porte par laquelle on puisse entrer et sortir de la ville à couvert. 175 A.N. X1a 1475 : plaidoirie du 8 mai 1391. Cet argument est couramment employé par les juristes du Parlement de Paris au service du roi de France. Il permet en effet au souverain de renoncer à certains de ses droits si le contexte politique l’y oblige, tout en se réservant la possibilité de revenir ultérieurement sur les privilèges concédés. 176 P. Marot, « Neufchâteau au Moyen Âge », op. cit., p. 91-94. Les arrêts sont datés des 17 juin 1391 et 13 février 1395.
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la seigneurie de Commercy, à l’ouest de la Meuse, intègrent la mouvance française dans les premières années du xive siècle. À Toul et à Verdun, les cités et les temporels épiscopaux, faibles et menacés, subissent une pression de plus en plus forte de la part du Royaume, qui tente, mais sans succès, de les annexer. En revanche, la Lorraine germanophone demeure plus proche de l’Empire, à l’exception, notable, du comté de Sarrebruck et de la seigneurie de Fénétrange. Par rapport aux autres princes de la région, les ducs de Lorraine tiennent une position originale. Leur dignité de ducs et de marquis les rattache à l’Empire, alors que leur culture les rapproche du Royaume. Leur double vassalité envers le roi et l’empereur témoigne de leur position médiane entre ces deux souverains ; elle leur permet également de participer aux affaires des deux États. Attachés, plus que d’autres, à cette double appartenance, les ducs de Lorraine mènent entre la France et l’Empire une subtile politique d’équilibre, qui les conduit à resserrer leurs liens avec les principautés germaniques lorsque le pouvoir royal se montre trop entreprenant. Inversement, lors du bref retour de l’empereur sur la scène politique lorraine, au milieu du xive siècle, ils se tournent à nouveau vers le roi de France. La naissance de l’État bourguignon dans le dernier tiers du xive siècle vient encore compliquer ce jeu de balancier, que les ducs doivent désormais pratiquer entre les trois forces politiques qui les entourent et les dominent : le Royaume, l’Empire et le duché de Bourgogne. Globalement, la stratégie fonctionne, mais elle s’avère délicate à conduire et les résultats bien fragiles et précaires. Une telle attitude n’est pas spécifique au duché de Lorraine. On la retrouve dans bon nombre de principautés situées aux confins du Royaume. Une fois de plus, la comparaison entre le duché et la vicomté de Béarn met en évidence de nombreux points communs177. Cette dernière constitue, elle aussi, une terre d’« Entre-Deux », sise entre le duché de Guyenne, appartenant aux Anglais et la sénéchaussée de Toulouse, intégrée depuis 1271 au domaine royal178. Tout comme Jean Ier et Charles II, Gaston Fébus doit jouer double jeu face aux pressions exercées par des voisins plus puissants que lui : pris en tenailles entre les royaumes de France, d’Angleterre, de Castille et d’Aragon, Fébus voit ses territoires menacés sitôt que la guerre se rallume dans la région. Il utilise néanmoins les inimitiés entre les souverains qui l’entourent pour affirmer l’indépendance de sa principauté. Jouant de ses suzerains l’un contre l’autre, il refuse de prêter hommage pour le Béarn, qu’il prétend libre de toute sujétion. Il en va de même pour Jean Ier, qui met à profit la rivalité des rois et des empereurs en Lorraine pour rompre le lien féodal qui reliait le duché à l’Empire. La double vassalité lui permet de pratiquer une politique d’indépendance envers ses deux suzerains qui, si elle ne se manifeste pas encore par des résultats concrets, illustre les ambitions croissantes et révèle la montée en puissance du pouvoir ducal. Les ducs s’abstiennent par ailleurs de paraître trop souvent dans la suite impériale ou royale, évitent les
177 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn (1343-1391), op. cit., passim. 178 Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., article « Touraine », écrit par B. Chevalier, p. 1398.
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sommets diplomatiques entre le roi et l’empereur, pour ne pas montrer publiquement leur subordination envers ces deux souverains. Le royaume de France fait toutefois beaucoup plus fortement obstacle que l’Empire aux velléités d’indépendance des ducs de Lorraine. Cela ne tient pas seulement à la différence de puissance entre les deux États, mais aussi à la conception qu’ils ont de la nature du pouvoir ducal. La théorie de la souveraineté en France implique que les ducs doivent être soumis au roi, tout comme les autres membres de la noblesse. Les empereurs au contraire considèrent le pouvoir des princes comme une délégation de leur souveraineté et leur laissent par conséquent une très grande marge de manœuvre. Cette différence explique l’attitude ambiguë des Lorrains, et notamment des ducs, envers le Royaume. L’influence croissante de la civilisation française n’implique pas l’acceptation des pratiques et des conceptions politiques de la royauté. En même temps qu’ils subissent de plus en plus fortement la présence de la France, les Lorrains conservent une culture politique très différente de celle du Royaume, marquée par un très fort désir d’autonomie, voire d’indépendance, et par leur refus catégorique de se laisser imposer la souveraineté du roi. Territoire d’« Entre-Deux », l’espace lorrain ne constitue en rien un espace marginal et délaissé. Au croisement de l’Empire, du Royaume et de la Bourgogne, il se situe au carrefour de toutes les influences. L’alliance durable entre le Royaume et l’Empire durant la seconde moitié du xive siècle permet de maintenir une paix et une stabilité toute relatives dans la région. Mais à partir de 1400, une crise politique majeure secoue les monarchies française et impériale. La Lorraine, territoire stratégique, devient alors l’objet de toutes les convoitises.
Conclusion de la première partie Une petite principauté d’Empire face au Royaume : telle paraît bien être la situation du duché de Lorraine à la fin du xive siècle, si l’on considère à la fois ses structures internes et la manière dont il s’insère dans le concert diplomatique régional et international. Parvenu au terme de ce tour d’horizon, revenons à notre questionnement de départ : comment caractériser la culture politique du duché et, plus généralement, de l’espace lorrain ? Dans la seconde moitié du xive siècle, le paysage politique lorrain correspond encore à celui de l’époque féodale. Le morcellement territorial de la région demeure considérable. L’analyse des signataires de la Commune Trêve de 1343 permet d’en prendre la mesure : la liste des ducs, comtes, seigneurs et cités qui adhèrent à ce traité, longue d’une quarantaine de noms, donne une idée de l’émiettement des forces politiques régionales. Encore ne prend-elle pas en compte les princes ecclésiastiques, à l’exception de l’abbé de Gorze. Dans un tel contexte, les domaines, les droits, les mouvances s’enchevêtrent de manière inextricable et fournissent aux seigneurs lorrains d’innombrables prétextes pour prendre les armes. La guerre sévit donc de manière endémique dans la région. Le plus souvent, les conflits ne mettent aux prises que des effectifs modestes, mais, en entretenant en Lorraine un climat d’insécurité
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permanente, ils contribuent à la réputation déplorable dont jouissent les Lorrains aux yeux des souverains étrangers. Le duché de Lorraine ne fait naturellement pas exception à la règle. Des querelles incessantes l’opposent à ses voisins, qui pour la plupart trouvent leur origine dans l’imbrication territoriale des différentes principautés. De nombreuses enclaves viennent en effet faire obstacle à la continuité du territoire ducal, notamment dans les environs de la Sarre. Certaines zones sont aussi détenues en commun avec d’autres princes. Ici, le duc possède des biens domaniaux importants ; là, il n’intervient que comme avoué des abbayes et des chapitres placés sous sa protection. Dans ces conditions, il s’avère presque impossible de tracer de façon précise les frontières du duché. Les relations que les ducs entretiennent avec les nobles de leur principauté constituent une autre marque de la culture politique féodale du duché de Lorraine. Jean Ier et Charles II ne cherchent pas à imposer leur souveraineté à la noblesse de leurs États, qui refuse également de reconnaître sa sujétion envers le pouvoir ducal. Elle joue naturellement le premier rôle dans l’entourage des ducs. Tous les postes clé de l’administration lui sont réservés. Les missions les plus délicates lui sont généralement confiées. Elle ne ménage pas non plus son soutien aux ducs, notamment en matière financière et militaire. Mais la présence des nobles à Nancy ou dans les armées ducales s’explique le plus souvent par le lien vassalique qui les unit au prince. Tout cela se passe dans le plus strict respect de leurs privilèges et de leurs libertés, et notamment de leur droit à la Fehde ou guerre privée, auxquels les nobles lorrains sont tout particulièrement attachés. De même, dans le duché, la noblesse dispose, par le biais des tribunaux d’assises, de sa propre juridiction, relativement indépendante du pouvoir ducal. Dans leurs relations avec elle, Jean Ier et Charles II agissent donc en simples suzerains. Cela n’implique pas qu’ils ne puissent pas lui faire sentir leur autorité. Mais, à la cour de Nancy, le duc ne se place pas au-dessus de sa noblesse ; il se considère bien plutôt comme un primus inter pares. Le même rapport d’égalité régit également les relations entre les princes lorrains. Des ducs aux simples seigneurs, en passant par les comtes, les différences de titres établissent bien une hiérarchie et un ordre de préséance, mais ils n’entraînent aucune supériorité de fait. Les traités de Landfried rassemblent des hommes indépendants, qui acceptent librement de se soumettre à une juridiction de paix commune, pour un temps généralement limité. Aucun pouvoir ne parvient ni n’essaie d’imposer la paix de manière autoritaire dans la région. De ce point de vue, la Lorraine représente, dans le contexte de la fin du Moyen Âge, un vide politique. Cela ne signifie pas que le pays soit livré à l’anarchie. Mais le cadre traditionnel des principautés féodales ne satisfait plus les ambitions d’une noblesse désargentée et ne fournit plus aux princes lorrains les ressources nécessaires pour tenir leur rang. La conception du pouvoir princier dans la Lorraine de la fin du Moyen Âge apparaît donc comme une survivance archaïque de l’époque féodale. L’archaïsme caractérise également les structures institutionnelles du duché de Lorraine. Celui-ci ne dispose pas, vers 1400, des organes de gouvernement modernes de l’époque : il ne possède encore ni chancellerie, ni Chambre des comptes. La rédaction des actes ducaux, le contrôle des receveurs, toutes ces tâches indispensables au fonctionnement de la principauté sont vraisemblablement effectuées par des
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hommes à tout faire, que l’on retrouve en permanence aux côtés des ducs, mais qui ne reçoivent pas pour cela de titres particuliers. Certaines institutions toutefois se mettent progressivement en place au cours de la seconde moitié du xive siècle. Avec le tribunal du Change, le duché se dote d’une instance judiciaire nouvelle et plus centralisée. Toutefois, ce processus d’institutionnalisation demeure balbutiant et ne comble pas le fossé qui sépare le duché des grandes principautés du Royaume.
Deuxième partie
Le duché de Lorraine dans la tourmente européenne (1400-1431)
Dans son ouvrage sur les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, publié en 1904, Émile Duvernoy caractérisait ainsi la place des princes lorrains dans le « concert européen » des xive et xve siècles : Leur histoire y gagne en intérêt, ou, pour mieux dire, elle commence à devenir intéressante, parce qu’alors seulement la politique y pénètre, mais les ducs de Lorraine et de Bar y perdent leur quasi autonomie, leur liberté d’action, la meilleure partie de leur prestige sur leurs voisins et sur leurs sujets1.
Au-delà de son aspect volontairement provocateur, cette boutade saisit dans toute sa profondeur l’évolution majeure de la vie politique en Lorraine à cette époque ainsi que les dangers qui en résultent. La première partie de la guerre de Cent ans n’avait en effet concerné qu’indirectement la Lorraine. Même si la région avait subi les ravages des compagnies de routiers libérées par le traité de Brétigny au cours des années 1360, elle demeurait à l’écart des principaux terrains d’affrontement. À partir de 1400 au contraire, l’espace lorrain, séparant en deux parties les territoires bourguignons, occupe une position stratégique et représente désormais un enjeu de toute première importance. Le vide politique relatif qui le caractérise suscite également la convoitise de princes désireux de se tailler une principauté à la hauteur de leur rang et de leurs ambitions. Et les luttes permanentes entre les principaux seigneurs lorrains fournissent aux puissances extérieures d’innombrables prétextes d’intervention. Toutes ces raisons expliquent que la région se trouve désormais au centre des conflits européens du début du xve siècle. L’épisode de Jeanne d’Arc témoigne d’ailleurs de l’impact de la guerre civile et étrangère sur les populations lorraines à cette époque. Le duché n’échappe pas à la tourmente. Les problèmes internationaux marquent beaucoup plus fortement le règne de Charles II que celui de son père Jean Ier. La principauté ducale sort alors de son isolement relatif, tout comme la Lorraine dans son ensemble. Cette évolution justifie le changement de perspective opéré dans cette deuxième partie de l’étude. Après avoir mis en évidence le fonctionnement interne du duché de Lorraine et le cadre politique et diplomatique dans lequel il évolue, il nous faut maintenant nous plonger au cœur des événements. Nous nous limiterons à ceux qui, tout en intéressant directement Charles II et le duché, ont également une
1 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 87.
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portée internationale. Ce sera aussi l’occasion d’éclairer le versant lorrain de la guerre des Armagnacs et des Bourguignons, encore relativement mal connu2. Les documents concernant le duché, à la fois plus abondants, plus intéressants et plus variés pour cette période que pour la seconde moitié du xive siècle permettent de reconstituer les faits d’une manière assez précise3. Les chartes émanant du pouvoir ducal ont davantage attiré l’attention des historiens et des archivistes : elles ont été plus souvent recopiées, voire publiées. Peut-être aussi ont-elles été mieux conservées4. Mais surtout, les informations qu’elles procurent peuvent désormais être complétées par d’autres types de sources. Dans les chroniques, les passages concernant le duc et sa principauté sont plus nombreux et plus détaillés qu’auparavant, ce qui constitue un indice supplémentaire de la stature internationale désormais acquise par le duc de Lorraine. Cela vaut non seulement pour les chroniques messines, dans lesquelles Charles II devient l’un des personnages les plus souvent cités5, mais également pour les chroniques bourguignonnes ou françaises, qui prennent davantage en compte le rôle joué par les Lorrains6. Enfin, le duc entretient désormais des relations beaucoup plus suivies qu’auparavant avec les différents princes et souverains d’Occident.
2 Quelques historiens se sont toutefois intéressés à la question, notamment B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., mais cet ouvrage porte essentiellement sur la fin de la période que nous étudions ici et il ne consacre que quelques pages aux répercussions de la guerre civile sur l’espace lorrain lors des deux décennies précédentes. M. Nordberg, Les ducs et la royauté : études sur la rivalité des ducs d’Orléans et de Bourgogne : 1392-1407, Uppsala, 1964, 257 p., analyse l’origine du conflit entre les maisons d’Orléans et de Bourgogne et il accorde, dans cette optique, une assez large place à la politique allemande de Louis d’Orléans (ibid., p. 152-184). Mais il n’en saisit pas toute la portée et s’arrête à la mort de celui-ci. De plus, plusieurs des conclusions auxquelles il aboutit paraissent contestables. Voir ci-dessous chapitre 4. 3 Ce constat vaut pour tout le xve siècle et pour l’ensemble des principautés lorraines, cf. M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 215 : « La documentation est devenue abondante ; dispersée aux quatre coins de l’Europe, elle contient en différentes langues, latin, français, allemand, italien, des traités, des rapports, des récits que les spécialistes de la période sont encore loin d’avoir totalement exploités, dépêches d’ambassadeurs qui traitent des relations internationales, livres de comptes qui délivrent la vie au quotidien. » 4 Elles ont fait l’objet de publications, sous forme de recueils de documents, de preuves ou de pièces justificatives. Signalons notamment l’édition des actes impériaux par J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, Munich, 1867-1888, vol. IV à IX ; Dom Calmet, Histoire de Lorraine. Preuves, Nancy, 1745-1757, vol. 6. ; E. Girod, Charles II, duc de Lorraine…, op. cit., pièces justificatives ; B. Schnerb, Bulgnéville (1431)…, op. cit., pièces justificatives ; É. Duvernoy, « Deux documents sur le règne du duc Charles II de Lorraine », JSAL, 1895, p. 28-31 ; id., « Déclaration faite par les gentilshommes lorrains le 13 décembre 1425 », BSAL, 1907, p. 175-190 ; et id., « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar (1419-1431) », ASHAL, t. 39, 1930, p. 55-73. 5 Ce n’était absolument pas le cas de son père Jean Ier. Voir à ce sujet J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz., op. cit. ; B.M. Nancy, Ms 39, La chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit. et Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit. 6 Les mentions désormais plus nombreuses du duc de Lorraine et des Lorrains dans les chroniques du Royaume constituent un signe particulièrement révélateur du rôle nouveau joué par les princes de la région sur la scène internationale à partir des premières années du xve siècle. Nous utiliserons plus particulièrement les œuvres d’Enguerran de Monstrelet et du Religieux de Saint-Denis : L. Douëtd’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit. ; Chronique du religieux de Saint-Denys, op. cit.
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Cela transparaît par exemple à travers les archives bourguignonnes qui recèlent des informations éparses, mais précieuses, sur le rôle joué par Charles II dans le système d’alliances mis en place par les ducs de Bourgogne, et notamment Jean sans Peur7. À partir de cette documentation, nous nous efforcerons donc d’analyser l’attitude du duc de Lorraine face aux luttes qui déchirent le royaume de France et l’Empire, avant d’envisager dans une troisième partie les répercussions de ces événements sur les structures politiques de l’espace lorrain et du duché lui-même. L’affaiblissement de la monarchie française après 1400 n’entraîne pas pour autant une diminution de la pression qu’elle fait peser sur les principautés lorraines depuis le début du xive siècle, bien au contraire. Les répercussions de la guerre civile se font directement sentir dans l’espace lorrain, dans la mesure où les ducs de Bar et de Lorraine s’engagent activement dans les conflits politiques internes au royaume de France. Dès lors, les princes lorrains se trouvent de plus en plus fréquemment en contact avec le modèle politique français, ce qui ne peut que renforcer le processus d’acculturation entamé depuis déjà un siècle et demi. Que Charles II soit partisan ou adversaire du parti au pouvoir à Paris importe peu de ce point de vue : dans tous les cas, par sa participation à la querelle des Armagnacs et des Bourguignons, il se familiarise progressivement avec les structures administratives et les mentalités politiques du Royaume8. Or, jusqu’à présent, les ducs de Lorraine n’ont jamais caché leur hostilité à l’égard de la conception du pouvoir monarchique élaborée à la cour de France, qui ne correspond pas à leur culture politique. L’accroissement de la pression du Royaume conduira-t-il à un renforcement du phénomène de résistance à l’acculturation déjà constaté dans le duché à la fin du xive siècle ? Ou débouchera-t-il au contraire sur une acceptation, plus ou moins forcée, du modèle politique français ? Cette question en recoupe une autre, tout aussi importante, concernant l’avenir du duché de Lorraine par rapport au Royaume. Dès son accession au pouvoir, Charles II avait clairement affirmé devant le Parlement de Paris l’indépendance de sa principauté. Mais le duc possède-t-il les moyens de ses ambitions ? L’étroite imbrication entre les affaires lorraines et les problèmes internationaux ne remet-elle pas en cause cette revendication, en faisant planer la menace d’une intervention de la France dans la région ? L’étude de la diplomatie et de l’attitude de Charles II à l’égard de ses puissants voisins français et impériaux permet de mettre en évidence deux phases bien distinctes du règne de ce prince et du processus d’acculturation à l’œuvre dans le duché,
7 La Collection de Bourgogne à la Bibliothèque nationale de France et les comptes conservés dans la série B des archives départementales de la Côte d’Or contiennent notamment quelques pièces très intéressantes ayant trait à Charles II et au duché de Lorraine. 8 R. Bastide, Initiation aux recherches sur l’interpénétration des civilisations, op. cit, p. 5 : « Pour qu’il y ait vraiment une interpénétration des civilisations, il faut que des groupes soient en contact, et non pas simplement des individus, et il faut que ces contacts soient durables, soient prolongés… » La nature amicale ou hostile des relations entre les deux groupes sociaux influe donc sur les modalités du processus d’acculturation, mais pas sur l’acculturation elle-même. Or, depuis le début du xive siècle, les liens entre la noblesse lorraine et la cour du roi de France sont de plus en plus étroits. Voir ci-dessus introduction à la première partie.
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correspondant aux deux chapitres de cette partie. Dans un premier temps, nous évoquerons les manœuvres de Louis d’Orléans, le frère cadet du roi Charles VI, pour se construire une principauté dans les territoires d’« Entre-Deux » et les réactions de Charles II face à cette intrusion de la famille royale française dans l’espace lorrain. Après 1418 en revanche, le duc de Lorraine doit se prémunir contre les pressions exercées par le duc de Bourgogne Philippe le Bon, allié au roi d’Angleterre pour venger le meurtre de son père commis à Montereau. Le danger orléanais puis bourguignon paraît d’autant plus grand pour la Lorraine que le duc Charles II n’a pas de fils. Dans ces conditions, la préservation des intérêts de sa famille et de son duché pour l’avenir représente un véritable défi.
Chapitre 4
Charles II et la menace orléanaise (1400-1418)
Les premières années du xve siècle marquent un tournant décisif au sein des trois grands États d’Europe occidentale – les royaumes de France et d’Angleterre, et l’Empire – ainsi que dans leurs relations extérieures. Ces choses sont bien connues : qu’il nous suffise par conséquent de les résumer rapidement1. En France, la rivalité des ducs de Bourgogne et d’Orléans pour le contrôle du gouvernement royal, sensible depuis 1392 avec la première crise de folie de Charles VI, prend une tournure de plus en plus violente. Les deux princes se trouvent en désaccord à tout propos, qu’il s’agisse de leurs alliés en Empire, de la conduite à tenir vis-à-vis de l’Angleterre ou de la manière de procéder pour mettre fin au schisme pontifical. En décembre 1401, l’affrontement armé est évité de justesse, pour la première fois. Dans l’Empire, les plaintes formulées envers le roi des Romains Wenceslas depuis une dizaine d’années par les princes électeurs conduisent quatre d’entre eux, soit une courte majorité, à déposer le souverain luxembourgeois pour élire à sa place le comte palatin Robert de Bavière, le 21 août 1400, ce qui aboutit à un schisme impérial. En Angleterre, le roi Richard II, partisan d’une politique de paix à l’égard de la France, est renversé en septembre 1399, puis assassiné en février 1400 dans la tour de Londres par son successeur, Henri IV de Lancastre. Enfin, déchirée depuis plus de vingt ans entre les obédiences romaine et avignonnaise, la chrétienté occidentale ressent avec une urgence sans cesse croissante le besoin de rétablir son unité. Tous ces conflits s’emboîtent les uns dans les autres : alors que Louis d’Orléans soutient Wenceslas de Luxembourg, propose une politique de force à l’égard de l’usurpateur anglais et envisage de régler le schisme pontifical par la voie de fait, en installant à Rome le pape d’Avignon, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, partisan de Robert de Bavière, souhaite éviter à son comté de Flandre les conséquences désastreuses d’une guerre avec l’Angleterre et préconise la voie de cession et la tenue d’un concile pour en finir avec la division de l’Église. Face à une telle situation, l’Occident ne pouvait échapper à la crise. Au début du xve siècle, la guerre, apaisée depuis une vingtaine d’années, reprit ses droits, amenant avec elle son cortège de malheurs et de désolations. Située au cœur de l’Europe, au croisement du Royaume, de l’Empire et des principautés bourguignonnes, comment la Lorraine pouvait-elle rester à l’écart de tous ces affrontements ? Inéluctablement, les principautés lorraines furent entraînées, les unes après les autres, dans la tourmente qui emportait l’Occident chrétien dans son ensemble. Ces conflits internationaux vinrent par ailleurs se greffer sur les incessantes querelles locales, contribuant par là-même à les rendre encore plus inextricables.
1 Pour l’ensemble du paragraphe qui suit, voir, par exemple, F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 329-345.
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Brusquement, le fragile équilibre qui s’était constitué au cours du xive siècle entre les différentes forces politiques de l’espace lorrain et dans leurs relations avec l’extérieur se trouva remis en question.
La montée des tensions au sein de l’espace lorrain (1400-1404) En Lorraine comme dans le reste de l’Europe occidentale, la guerre n’éclata pas immédiatement. Les tensions augmentèrent progressivement, après le coup de semonce qu’avait constitué la destitution de Wenceslas et l’élection de Robert de Bavière. Très vite cependant, la perspective d’un conflit armé sembla inéluctable, étant donné la mise en place en Europe de deux systèmes d’alliances antagonistes et la convergence de leurs ambitions territoriales : la Lorraine devint ainsi, à partir de 1400, une région stratégique. La Lorraine, point de rencontre de deux systèmes d’alliances antagonistes
L’hostilité de Philippe le Hardi envers Louis d’Orléans a des raisons multiples. À la base toutefois, il faut en rechercher l’origine dans les alliances nouées par ces deux personnages, qui les orientèrent dans des directions opposées et ajoutèrent à leurs divergences de vues et à la contradiction de leurs intérêts des rancœurs personnelles et des haines familiales. Rien ne prédisposait pourtant les deux branches cadettes de la maison de Valois à une telle rivalité. La proximité de sang et de lignage aurait dû, au contraire, créer entre eux une solidarité de fait. Ainsi, le pacte de famille Valois–Luxembourg, conclu entre Jean le Bon et Charles IV peu après la bataille de Crécy et renouvelé ensuite à deux reprises par l’empereur et le roi de France Charles V, s’appliquait également aux ducs de Bourgogne et d’Orléans2. Philippe le Hardi pouvait même espérer y trouver des appuis pour ses tentatives d’expansion territoriale dans les régions d’Entre-Deux. En avril 1385 pourtant, il conclut une double alliance matrimoniale avec les Wittelsbach, principaux rivaux des Luxembourg pour la conquête de la dignité impériale : Guillaume d’Ostrevent, le fils aîné d’Albert de Bavière, régent des comtés de Hainaut, Hollande et Zélande, épousa Marguerite de Bourgogne ; inversement, Jean de Bourgogne, le futur Jean sans Peur, fils aîné de Philippe le Hardi, se maria avec Marguerite de Bavière, la sœur de Guillaume. Une telle union permettait avant tout d’éviter le mariage de Guillaume d’Ostrevent avec la fille du duc de Lancastre et d’empêcher ainsi les Anglais d’accroître leur influence sur les Pays-Bas : elle ne faisait donc pas du duc de Bourgogne un adversaire de la famille de Luxembourg, traditionnellement alliée aux rois de France contre la monarchie anglaise3. Elle créa cependant entre les maisons de Bourgogne et de Bavière un lien très étroit,
2 Voir ci-dessus, chapitre 3. 3 Sur la politique matrimoniale des ducs de Bourgogne, et tout particulièrement à propos de cette double alliance avec la maison de Bavière, voir B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 86-92.
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que Philippe le Hardi s’employa à utiliser au mieux de ses intérêts : en 1385 toujours, les noces du jeune Charles VI avec Isabeau de Bavière, la fille du duc Étienne III, marquèrent le triomphe diplomatique du duc de Bourgogne, et témoignèrent de son influence prépondérante à la cour du roi de France4. Quatre ans plus tard toutefois, l’année même de l’entrée de la reine Isabeau à Paris, le frère cadet de Charles VI, Louis d’Orléans, épousa Valentine Visconti, la fille du seigneur de Milan Jean-Galeas Visconti. Or, un drame familial séparait les deux femmes : en 1385, Jean-Galeas avait fait assassiner son oncle, Bernabo Visconti, qui régnait avec lui sur Milan et n’était autre que le grand-père d’Isabeau. Depuis lors, les Wittelsbach nourrissaient une haine tenace contre les Visconti, qui atteignit la cour du roi de France, opposant la reine à sa belle-sœur et, par le jeu des solidarités matrimoniales, les ducs de Bourgogne et d’Orléans5. L’affaire n’aurait cependant rien eu d’irrémédiable si d’autres sujets de discorde n’étaient pas venus séparer davantage l’oncle et le neveu. Le réseau des parents et alliés de Louis d’Orléans n’avait encore, aux alentours de 1390, ni la cohésion ni l’importance de celui du duc de Bourgogne. Mais il se renforça rapidement. En 1395, Wenceslas de Luxembourg, en butte à une opposition grandissante au sein de l’Empire, crut bon d’élever Jean-Galeas Visconti à la dignité de duc de Milan et de prince d’Empire, moyennant la somme de 100 000 florins, ce qui ne fit qu’accroître l’hostilité de la maison de Bavière à son égard6. Quant à l’alliance entre les familles de Valois et de Luxembourg, Louis d’Orléans la reprit personnellement à son compte lors de l’entrevue de Reims, entre le roi de France et le roi des Romains, en mars 1398 : à cette occasion, un projet de mariage fut élaboré entre Charles d’Orléans, le fils aîné de Louis, et la nièce de Wenceslas, Élisabeth de Görlitz, héritière du duché de Luxembourg7. Pour consolider leur amitié, Louis accorda également à Wenceslas un prêt de 10 000 francs8. Le duc de Bourgogne ne pouvait que regarder d’un mauvais œil de telles tractations, directement hostiles à la maison de Bavière, dont il avait fait son alliée principale. Ainsi, vers 1400, deux systèmes d’alliances antagonistes se consolident de part et d’autre de la frontière du Royaume et de l’Empire : d’un côté, Louis d’Orléans, allié
4 Sur le rôle décisif tenu par Philippe le Hardi dans la conclusion du mariage de Charles VI et d’Isabeau de Bavière, voir F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 152-158. 5 B. Guenée, Un meurtre, une société…, op. cit., p. 154-156. L’auteur fait également du mariage milanais de Louis d’Orléans à la fois le nœud et le point de départ de l’opposition entre les réseaux d’alliances élaborés par les deux princes. 6 Ibid., p. 155. 7 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 45. Un tel projet témoigne des convoitises que suscitait le duché de Luxembourg chez les princes du sang royal français. Le gouvernement de cette principauté constituera en effet l’une des principales pommes de discorde entre Philippe le Hardi et Louis d’Orléans dans les premières années du xve siècle. Voir ci-dessous dans ce même chapitre. 8 J.-M. Yante, « Louis d’Orléans, mambour et gouverneur du Luxembourg (1402-1407). Dessein politique et action intérieure », in Entre Royaume et Empire : frontières, rivalités, modèles. Rencontres de Porrentruy (27-30 septembre 2001), Publications du centre européen d’études bourguignonnes, 2002, 208 p., p. 35-53, p. 41.
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au duc de Milan Jean-Galeas Visconti et à la dynastie impériale des Luxembourg ; de l’autre, les maisons de Bourgogne et de Bavière, unies l’une à l’autre par de nombreuses alliances matrimoniales. Comment les princes lorrains se placent-ils par rapport à ces deux partis ? Le mariage contracté par le duc Charles II de Lorraine avec Marguerite de Bavière, la fille du comte palatin Robert III, en 1393, le rangeait bien évidemment dans le camp bourguignon. À cette union s’ajoutaient également les relations très suivies des ducs de Lorraine et de Bourgogne depuis le règne de Jean Ier et la position stratégique occupée par le duché de Lorraine, sis entre les parties septentrionale et orientale des principautés bourguignonnes et voisine également des territoires du comte palatin9. Face à l’alliance conclue entre Louis d’Orléans et Wenceslas de Luxembourg, les Wittelsbach ne pouvaient que chercher à renforcer leurs liens avec le duché de Lorraine. Ainsi s’explique le mariage contracté par Isabelle de Lorraine, la sœur de Charles II, devenue veuve par la mort d’Enguerran de Coucy à la bataille de Nicopolis, avec le duc de Bavière Étienne III, en 140010. Des solidarités très fortes reliaient donc les maisons de Lorraine, de Bourgogne et de Bavière. Toutefois, cela n’impliquait encore, aux yeux de Charles II, aucune hostilité envers Louis d’Orléans, dont il était par ailleurs l’homme-lige, pour une rente annuelle de 2 000 livres tournois11. Quant au duc Robert de Bar, son mariage avec Marie de France faisait de lui l’oncle par alliance du roi Charles VI et de Louis d’Orléans, mais aussi le beau-frère de Philippe le Hardi12. Il se trouvait donc dans une attitude de stricte neutralité par rapport aux partis en présence, même si les liens très étroits entre la cour de France et la dynastie barroise le rendaient peut-être un peu plus proche de Louis d’Orléans, dont l’influence à Paris se faisait de plus en plus forte. Son fils Édouard figure toutefois parmi les membres de l’hôtel du duc de Bourgogne, qui lui octroie une pension annuelle de 3 000 francs à partir du 14 juin 139813. Les deux systèmes d’alliances élaborés par les ducs de Bourgogne et d’Orléans ne trouvent donc que partiellement leur écho en Lorraine, puisque les deux principaux seigneurs de la
9 Voir ci-dessus, chapitre 3. Une copie du traité de mariage entre Charles II et Marguerite de Bavière est conservée aux archives de Nancy, A.D.M.M. 3 F 438, f. 197-200. 10 G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 83. Il est à noter que le duc Étienne III, également veuf, avait eu pour première épouse Thadée, la fille de Bernabo Visconti. Charles II pouvait donc se sentir indirectement concerné par la haine de la dynastie des Wittelsbach envers l’assassin de Bernabo, Jean-Galeas Visconti. 11 A.N. K 54 (48) : acte du 15 juin 1398. En échange d’une telle somme, Charles II promit de servir le duc d’Orléans « envers tous et contre tous qui pevent vivre et morir ». Cet engagement n’englobait pas les rois de France et des Romains, mais bien les ducs de Bourgogne, ainsi que la parenté bavaroise du duc de Lorraine. Il s’agissait là d’une alliance très étroite, que renforçaient visiblement des liens personnels très amicaux, cf. ci-dessus première partie chapitre 3. 12 Voir ci-dessus première partie, chapitre 3. 13 B.-A. Pocquet du Haut-Jussé, « Les pensionnaires fieffés des ducs de Bourgogne, de 1352 à 1419 », Mémoires de la société pour l’histoire du droit et des anciens pays bourguignons, Dijon, 1942, p. 137-150. Il ne faut pas exagérer la portée politique de cette pension. Il s’agit d’une rente à volonté, révocable à tout instant, et conférée à un jeune prince qui a peut-être été élevé à la cour de Philippe le Hardi. En revanche, le montant en est particulièrement élevé, ce qui témoigne des bonnes relations entretenues par le duc de Bourgogne avec la maison de Bar.
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région gardent des attaches dans chacun des deux camps. C’est aussi que l’espace lorrain constitue le point de rencontre des ambitions territoriales bourguignonnes et orléanaises. Les bases de la puissance bourguignonne
Au tournant des xive et xve siècle, le rassemblement territorial opéré par Philippe le Hardi est déjà très impressionnant et fait de celui-ci, après 1384, le plus puissant prince du Royaume, après le roi14. De ce point de vue, les mariages avec la famille de Wittelsbach répondaient aussi à des perspectives géopolitiques. La double union de Jean et Marguerite de Bourgogne avec Marguerite de Bavière et Guillaume d’Ostrevent assura au duc de Bourgogne à tout le moins l’alliance des comtés de Hainaut, Hollande, et Zélande, ainsi que celle de la principauté ecclésiastique de Liège dont l’Élu, depuis 1389, n’était autre que Jean de Bavière, le frère cadet de Guillaume d’Ostrevent15. Voisines du comté de Flandre, toutes ces seigneuries permirent à Philippe le Hardi d’étendre son hégémonie sur l’ensemble des Pays-Bas, l’un des centres d’impulsion de l’économie occidentale à la fin du Moyen Âge. Par ailleurs, les aléas de la vie ouvraient d’intéressantes perspectives successorales. Celles-ci se concrétisèrent au début du xve siècle : le 29 septembre 1401, la duchesse Jeanne de Brabant, principale instigatrice de l’alliance des maisons bourguignonne et bavaroise, reconnut officiellement sa nièce Marguerite de Male comme héritière des duchés de Brabant et de Limbourg. Pour obtenir l’accord des États de Brabant, soucieux de l’autonomie de la principauté, Philippe le Hardi décida le même jour de nommer à la tête de ces duchés son second fils Antoine, jusqu’alors comte de Rethel16. Ainsi, bien que réunis sous l’autorité de quatre princes différents, le comté de Flandre, les duchés de Hainaut, Hollande, Zélande, Brabant et Limbourg et la principauté de Liège formaient un ensemble territorial considérable, placé, directement ou non, dans l’orbite du duc de Bourgogne17. À cela s’ajoutaient les duché et comté de Bourgogne et le comté de Nevers qui, au sud, constituaient le second bloc des territoires bourguignons. L’objectif de Philippe le Hardi n’était pas tant d’établir une continuité territoriale entre les deux parties de ses principautés que de s’assurer de bonnes relations avec les seigneurs lorrains et champenois en les faisant entrer dans sa clientèle. Ainsi s’expliquent, pour s’en tenir uniquement à l’exemple lorrain, la place de Jean Ier aux côtés du duc de Bourgogne durant la seconde moitié du xive siècle, ainsi que la pension accordée au marquis du Pont, Édouard de Bar, à partir de 1398. Enfin, trois ans plus tard, le
14 B. Schnerb, L’État bourguignon, op cit., p. 88. Voir ci-dessous figure 14 : « Le choc des ambitions territoriales (1407) ». 15 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 87. 16 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 92-94. 17 À cette date [1401], Philippe le Hardi était comte de Flandre ; Antoine de Bourgogne, son fils cadet, était duc de Brabant et de Limbourg ; Albert de Bavière, père de Guillaume d’Ostrevent, gouvernait les comtés de Hainaut, Hollande et Zélande ; et Jean de Bavière possédait le titre d’Élu de Liège. B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., notamment p. 144.
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8 mars 1401, Philippe le Hardi obtint de Josse de Moravie l’engagement du duché de Luxembourg18. Ainsi, aucune des trois grandes principautés de l’espace lorrain ne pouvait se soustraire à l’influence bourguignonne. Les territoires, les alliés et les clients que détenait le duc de Bourgogne dans les pays d’Entre-Deux constituaient le socle de sa puissance politique dans le royaume de France ; jusque vers 1400, ils lui permirent de bénéficier d’une position dominante au sein du conseil royal. À l’Est, la constitution d’une principauté orléanaise
Pour contrebalancer l’influence de Philippe le Hardi à la cour et tenir son rang de frère du roi et de premier prince du sang, le duc d’Orléans devait également disposer d’une assise territoriale susceptible de lui fournir les moyens de ses ambitions. Or, de ce point de vue, Louis avait été bien petitement pourvu par son père, le roi Charles V, qui ne lui avait donné que les petits comtés de Valois et de Beaumont19. Fort de sa position à la cour et de l’amitié de son frère, il s’efforça, par tous les moyens, de se constituer sa propre principauté. Louis d’Orléans bénéficia en premier lieu de la générosité de Charles VI20. Il en reçut non seulement sa terre éponyme, le duché d’Orléans, en 1392, mais aussi les seigneuries de La Ferté-Bernard et de Forte-Maison-lès-Chartres et, surtout, le comté d’Angoulême en 1394, le comté de Périgord en 1400, et celui de Dreux en 1401. Ainsi se dessinait un axe d’expansion, du sud-ouest à la vallée de la Loire, que Louis d’Orléans compléta par une série d’achats, aidé en cela par son frère et par son office de « souverain-gouverneur des aides21 », qui lui assurait le contrôle de la majeure partie des finances royales. Entre 1390 et 1400, il acquit les comtés de Blois, de Dunois, de Porcien, ainsi que le comté de Soissons et la grosse baronnie de Coucy, arrachée à Isabelle de Lorraine, la sœur de Charles II, après une âpre négociation22. À cet ensemble hétéroclite vint s’ajouter en 1402 l’héritage du comté de Vertus que détenait son beau-père Jean-Galeas Visconti. La construction territoriale du duc d’Orléans 18 J.-M. Yante, « Louis d’Orléans, mambour et gouverneur du Luxembourg », art. cit., p. 39. Josse de Moravie tenait lui-même ses droits sur le duché en gage de son cousin, le roi des Romains Wenceslas de Luxembourg. Il est difficile de dire de qui vient une telle initiative, qui contredit les systèmes d’alliances que nous avons décrits ci-dessus. Les relations au sein de la maison de Luxembourg, entre Josse, Sigismond et Wenceslas, furent parfois conflictuelles, mais rarement au point de rompre la solidarité dynastique à l’encontre de la famille rivale des Wittelsbach. 19 Cela résultait d’une volonté délibérée de la part de Charles V. Cf. F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 385-386. 20 Pour tout ce paragraphe concernant la construction territoriale de la principauté orléanaise, voir F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 386-387. 21 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 52-53. C’est en avril 1402 que le conseil royal institua Louis d’Orléans dans cet office. Il contrôlait par là l’ensemble des impôts extraordinaires levés dans le Royaume pour les besoins de la guerre et de la diplomatie. À cette époque, les aides fournissaient la majeure partie des revenus dont disposait la monarchie. 22 E. Jarry, La vie politique de Louis de France, duc d’Orléans : 1372-1407, Genève, 1976 (2e éd.), 486 p., p. 239-242. Isabelle de Lorraine négocia avec Louis d’Orléans au nom de sa fille Marie de Coucy, héritière de la baronnie, placée dans une situation financière très délicate en raison des dettes contractées par son père Enguerran de Coucy lors de son départ pour la croisade de Nicopolis.
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progressait cette fois en direction du nord-est, vers ces pays « d’Entre-Deux » où le duc de Bourgogne avait exercé jusqu’alors une domination sans partage. De ce point de vue, le rachat des droits d’engagement du duché de Luxembourg, le 17 août 1402, constitua un véritable coup de maître. Moyennant 100 000 ducats, en plus d’une rente annuelle de 10 000 ducats versés à Josse de Moravie, Louis d’Orléans parvenait à s’implanter au cœur de la zone d’influence bourguignonne, à proximité immédiate des principautés de Liège et de Brabant. Les négociations ayant été menées dans le plus grand secret, la nouvelle, confirmée par Josse dès le lendemain, fit l’effet d’un coup de tonnerre. Les deux décisions confiant l’administration du Luxembourg successivement à Philippe le Hardi puis au duc d’Orléans, à dix-huit mois d’intervalle23, révèlent au grand jour la contradiction entre la politique territoriale de ces deux princes : alors que l’expansion bourguignonne se faisait selon un axe nord-sud, celle de la principauté orléanaise suivait une direction rigoureusement perpendiculaire. Et le point de rencontre de ces deux ambitions rivales se situait très exactement au Luxembourg, soit à la marge de l’espace lorrain24. Avant même qu’il n’ait dégénéré en lutte armée, le conflit opposant Louis d’Orléans aux ducs de Bourgogne concernait au premier chef la Lorraine. Non content d’accroître ses possessions dans les provinces de l’Est et de l’Empire, le duc d’Orléans chercha dans le même temps à s’y constituer une clientèle. Par là également, il s’en prenait à la chasse gardée de Philippe le Hardi. Distribuant les fiefs de bourse, il se constitua, entre 1398 et 1403, une véritable « collection de vassaux » dans les régions sises entre Meuse et Rhin25 : citons, pour nous limiter à l’espace lorrain proprement dit, Huart d’Autel, sénéchal de Luxembourg, Charles II lui-même, Gérard, seigneur de Boulay et d’Useldange, Hanneman, comte de DeuxPonts et seigneur de Bitche, Jean le Jeune, comte de Salm, Jean, comte de Linange et de Réchicourt, Frédéric, de Mörs, comte de Sarrewerden, ainsi qu’Édouard de Bar, marquis du Pont26. Dans les régions environnantes, des princes de tout premier rang entrèrent également dans sa vassalité27. En quelques années, Louis d’Orléans était donc parvenu, dans les territoires mosellans, à rassembler autour de lui une clientèle nobiliaire très importante, qui empiétait directement sur celle traditionnellement acquise au duc de Bourgogne dans la région28.
23 J.-M. Yante, « Louis d’Orléans, mambour et gouverneur du Luxembourg », art. cit., p. 39-40. 24 Voir la figure 14. 25 L’expression est tirée de l’ouvrage de M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 158. 26 Ibid., p. 156-162. 27 Ibid., On peut citer notamment le duc de Juliers-Gueldre (12 mai et 3 juin 1401), les comtes de Clèves (1er avril 1398) et de Veldenz (E. Jarry, La vie politique, op. cit., p. 275), aux abords immédiats des territoires bourguignons, ainsi que le marquis de Bade (le 7 novembre 1402), aux frontières du Palatinat. Il convient également d’ajouter à cette liste une bonne dizaine de seigneurs plus modestes, assez souvent choisis parmi les conseillers et vassaux de ces trois princes. 28 L’exemple le plus frappant est celui d’Édouard de Bar, marquis du Pont, qui prêta hommage à Louis d’Orléans en 1403, alors qu’il bénéficiait, depuis cinq années, d’une rente à volonté de la part du duc de Bourgogne. Beaucoup d’autres indices montrent qu’à partir de cette date, le duc de Bar intégra résolument le parti du duc d’Orléans. Cf. ci-dessous dans ce même chapitre.
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HOLLANDE
GUELDRE
FLANDRE
JULIERS
BRABANT LIÈGE HAINAUT
ARTOIS
LUXEMBOURG PORCIEN
BEAUMONT
VALOIS
RETHEL
VERTUS BAR LORRAINE ORLÉANS
BLOIS BOURGOGNE NEVERS DUCHÉ
COMTÉ
Frontière du royaume de France Possessions du duc Louis d’Orélans
Possessions du duc Jean sans Peur
Alliés du duc d’Orléans
Parents ou alliés du duc de Bourgogne
Figure 14 : Le choc des ambitions territoriales (1407)29
29 Cette carte est reprise de B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 16.
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À quels buts politiques répondait cette offensive générale du duc d’Orléans en direction des provinces situées aux confins du Royaume et de l’Empire ? La question a déjà été amplement débattue, mais il est légitime de la reposer ici, dans la mesure où elle concerne directement l’espace lorrain. Dans une perspective essentiellement nationale, Eugène Jarry30, puis Jean Schoos31, voient tous deux dans l’acquisition du Luxembourg et dans la multiplication des fiefs de bourse la volonté de Louis d’Orléans de constituer un État, ou tout au moins un centre de puissance pouvant rivaliser avec la principauté bourguignonne dans la région. Michael Nordberg a réfuté cette thèse et démontré que les fiefs-rentes, parce qu’ils portent sur des individus et non sur des territoires, ne peuvent en aucune manière être considérés comme les premier pas d’une politique d’annexion32. Pour autant, il nous semble que l’on ne peut exclure entièrement toute visée territoriale de la politique du duc d’Orléans dans la région. Ses acquisitions postérieures à la mort de Philippe le Hardi montrent clairement la volonté de réunir en un seul bloc des domaines jusqu’alors dispersés33. Simplement, la construction d’une principauté à cette époque ne passe pas uniquement par la détention de terres en pleine propriété, mais également par la conclusion d’alliances et la constitution d’une clientèle, comme nous l’avons vu à l’exemple des Pays-Bas bourguignons. Or, de ce point de vue, la volonté de Louis d’Orléans de se tailler une zone d’influence entre le Royaume et l’Empire paraît manifeste. Par ailleurs, contre qui cette politique était-elle dirigée ? Une nouvelle fois, Nordberg nuance l’idée d’une opposition systématique du duc d’Orléans aux maisons de Bourgogne et de Bavière. Pour lui en effet, celle-ci était avant tout subordonnée à la guerre contre l’ennemi héréditaire, l’Angleterre34. Dans une telle perspective, les craintes et la colère manifestées par Robert de Bavière et par Philippe le Hardi face aux progrès de Louis d’Orléans en direction de la Lorraine, de la Sarre et du Palatinat auraient été infondées. Nordberg les interprète comme des marques d’agressivité de la part d’un nouveau roi des Romains encore
30 E. Jarry, La vie politique, op. cit., p. 277 : « Tel était le résultat obtenu par le duc d’Orléans contre le prince [Robert de Bavière] qu’il combattait à la fois comme l’ennemi de Wenceslas et l’allié de l’Angleterre. Sa politique féconde allait propager l’influence française sur toute la rive gauche du Rhin et tendait naturellement à la détacher de l’Empire. » La première édition de cet ouvrage date de 1889, moment où la crise boulangiste bat son plein. 31 J. Schoos, Der Machtkampf zwischen Burgund und Orléans unter den Herzögen Philipp dem Kühnen, Johann ohne Furcht von Burgund und Ludwig von Orléans, mit besonderer Berücksichtigung der Auseinandersetzung im deutsch-französischen Grenzraum, Luxembourg, 1956, 217 p. Lui aussi pense que Louis d’Orléans a cherché à faire du duché de Luxembourg le centre d’une principauté nouvelle entre Meuse et Rhin, mais il ne précise pas comment cela s’est traduit dans la pratique. 32 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 162-177. Dans le cas des fiefs-rentes, la vassalité se base sur le versement d’une somme en argent liquide et non pas sur l’investiture de terres. 33 F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 401. Le 5 juin 1404, Louis d’Orléans se fit donner par le roi les seigneuries de Châtillon-sur-Marne, Crécy-en-Brie, Courtenay et Montargis. Ces terres constituaient autant d’étapes entre ses possessions de la vallée de la Loire et les comtés de Vertus et de Valois, au Nord-Est du Royaume. Il est donc possible d’y voir le début d’une politique d’unification de sa principauté. 34 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 177.
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très mal assuré de sa position dans l’Empire35. C’est faire bon marché d’une des premières mesures prises par Louis d’Orléans après l’élection de Robert, à savoir la levée de troupes pour soutenir militairement son allié Wenceslas36. De même, ne voir dans la multiplication des alliances avec des seigneurs proches du Luxembourg et du Brabant que des pactes défensifs conclus au cas où un conflit éclaterait avec le duc de Bourgogne relève, nous semble-t-il, d’un parti pris consistant à rejeter la faute et l’origine des tensions uniquement sur le camp bourguignon et bavarois37. En réalité, la politique vassalique de Louis d’Orléans ne pouvait qu’inquiéter Philippe le Hardi, dans la mesure où elle visait le cœur même de sa puissance. Le plus important n’est d’ailleurs pas tant de connaître les buts réels de la politique orléanaise, dans la mesure où ils n’ont pas abouti, que de mettre en évidence les craintes qu’elle provoqua, et pas seulement en Bourgogne et en Bavière : « c’est une principauté en train de naître et cette nouveauté même suscite la méfiance »38. Quels sentiments pouvaient éprouver les Lorrains face aux progrès de la domination orléanaise ? Ils ne se sont pas sentis immédiatement menacés par les ambitions du jeune prince. Bien au contraire, ils semblent avoir succombé à l’entreprise de séduction menée par Louis d’Orléans dans la région. Outre le duché de Luxembourg, dont il a obtenu le gouvernement, ce sont deux ducs, cinq comtes et plusieurs barons, soit une bonne partie des forces politiques de l’espace lorrain qui lui ont prêté hommage, et cela sans y avoir été contraints le moins du monde39. C’est que le moyen utilisé par le duc d’Orléans pour s’implanter dans l’espace lorrain s’adaptait parfaitement bien à la culture politique de la Lorraine. Les fiefs de bourse en effet ne représentaient pas une menace aux yeux de la noblesse locale, dans la mesure où ils n’impliquaient aucune sujétion territoriale ou personnelle à l’égard du prince qui les dispensait. Bien au contraire, ils représentaient une manne financière non négligeable pour des seigneurs souvent désargentés et régulièrement impliqués dans des conflits locaux ou des querelles personnelles la plupart du temps très coûteuses. Tout cela explique donc les nombreux succès rencontrés aux alentours de 1400 par Louis d’Orléans dans la région.
35 Ibid., p. 176. 36 BnF Ms. nouv. acq. fr. 20027, f. 213-215 et 217-220. Nordberg n’ignore pas que dès septembre 1400, soit deux mois après l’élection de Robert de Bavière, Louis d’Orléans fit pénétrer ses troupes en Allemagne, et qu’il ne les rappela qu’en raison de l’incroyable passivité de son allié Wenceslas de Luxembourg. Il paraît donc bien difficile de considérer, comme le fait Nordberg (op. cit., p. 173), que les manifestations d’agressivité provenaient uniquement de Robert de Bavière. 37 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 169 : « Les intentions de Louis d’Orléans nous restent étrangères, mais il est probable qu’il conclut ces alliances in casu quo ». Une telle affirmation nous semble intenable : l’implantation territoriale des vassaux impériaux du duc d’Orléans (notamment le duc de Gueldre-Juliers, le comte de Clèves et les seigneurs de Lecka, La Marck, Kronenbourg, Reifferscheidt, Schönvorst, Neuenahr et Loen) montre clairement la volonté d’encerclement des territoires bourguignons aux Pays-Bas. L’hommage du duc de Gueldre à Louis d’Orléans notamment, le 12 mai 1401, constituait une véritable déclaration de guerre à Philippe le Hardi. 38 F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 386. 39 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre.
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À plus long terme toutefois, les perspectives s’avéraient moins radieuses. En pénétrant ainsi au cœur de l’espace lorrain, le duc d’Orléans bouleversait complètement le fragile équilibre politique qui s’y était instauré durant la seconde moitié du xive siècle et compromettait les positions acquises par les ducs de Lorraine et de Bar dans la région40. Sa richesse personnelle, sa position à la cour du roi de France, le gouvernement du duché de Luxembourg, ainsi que le nombre et l’importance des vassaux dont il disposait en faisaient, et de très loin, le prince le plus puissant de la région. Le duc de Bourgogne, un moment surpris par une telle offensive, ne pouvait que réagir, d’autant que Louis continua de pousser ses pions le plus loin possible sur l’échiquier régional : reprenant à son compte les prérogatives des précédents ducs de Luxembourg, il plaça successivement sous sa sauvegarde, en septembre et octobre 1402, la cité, le chapitre et les localités de l’évêché de Verdun41. Deux ans plus tard, à la mort de Liébaud de Cusance, évêque bourguignon, il fit nommer sur le siège de Verdun Jean de Sarrebruck, frère cadet d’Amé de Sarrebruck, chambellan de Charles VI, entièrement dévoué au duc d’Orléans42. Si l’on ajoute à cela la protection de la ville de Toul que lui confia Charles VI en juillet 140143, on mesure l’étendue de la domination orléanaise sur la Lorraine à la fin du règne de Philippe le Hardi : des trois duchés de la région, l’un était en sa possession, et les deux autres gravitaient dans son orbite ; la moitié des comtes de la Lorraine germanophone faisaient partie de sa clientèle ; l’évêché de Verdun était aux mains d’un de ses protégés ; deux des trois cités épiscopales étaient soumises à son influence. Même si cette domination respectait les cadres traditionnels de la vie politique lorraine, n’y avait-il pas là, outre une attaque frontale contre les intérêts des ducs de Bourgogne, une menace indirecte contre l’autonomie dont bénéficiaient depuis plusieurs siècles les seigneurs lorrains ? Impressionnantes, les positions acquises par le duc d’Orléans en quelques années n’en étaient pas moins précaires. L’influence orléanaise ne pouvait se maintenir en Lorraine sans entraîner de conflit majeur. Vers un affrontement inéluctable en Lorraine ? Charles II, le représentant des Wittelsbach en Lorraine
La Lorraine ne pouvait pas rester indifférente à l’élection de Robert de Bavière, le 21 août 1400. Sept ans plus tôt en effet, par son mariage avec Marguerite de Bavière, le duc Charles II était devenu le gendre du nouveau roi des Romains. La noblesse germanophone du duché entretenait des relations permanentes et souvent très
40 Voir ci-dessus, première partie, chapitre 2. 41 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 223. En ce qui concerne la cité de Verdun, Louis d’Orléans ne fit que confirmer Huart d’Autel dans la fonction de gardien, qu’il exerçait déjà auparavant. Mais celui-ci agit désormais au nom du duc d’Orléans. En revanche, Louis exerça personnellement sa sauvegarde sur les biens du chapitre et de l’évêché. 42 Ibid., p. 224-225. Nous aurons par la suite de nombreuses occasions de constater la présence d’Amé de Sarrebruck au service du duc d’Orléans. 43 A. de Circourt, N. van Werveke, Documents luxembourgeois à Paris, op. cit., no 111. En ce qui concerne la protection de la ville de Toul, voir également ci-dessous.
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cordiales avec celle du Palatinat. Les structures politiques des deux principautés présentaient également de nombreux points communs44. L’élection de Robert peut être interprétée comme une manifestation de la solidarité d’intérêts qui unissait les régions situées au sud-ouest de l’Empire, et notamment les territoires rhénans45. Pour autant, le choix de Robert de Bavière n’était pas sans danger pour la stabilité politique de l’espace lorrain : le duché de Luxembourg appartenait encore, au moins nominalement, à la famille du souverain déposé, et le principal allié de Wenceslas, Louis d’Orléans, réalisait à cette époque des progrès décisifs dans la région. Est-ce pour cela que le duc de Lorraine s’est tenu à l’écart des tractations aboutissant au vote du 21 août ? Toujours est-il que Charles II se fit remarquer par sa discrétion absolue durant les mois qui précédèrent l’élection46. Certes, la croisade qu’il effectua en Prusse entre novembre 1399 et avril 1400 l’empêcha de prendre part aux négociations, mais ce voyage pouvait également constituer pour lui un prétexte idéal47. Charles mesurait les difficultés qui ne manqueraient pas de survenir avec les maisons de Luxembourg et d’Orléans à l’occasion d’un tel événement, difficultés auxquelles il lui serait impossible d’échapper. Instruit par l’expérience de ses prédécesseurs, peut-être pressentait-il qu’il avait plus à perdre qu’à gagner à se mêler directement aux conflits qui déchiraient l’Empire à cette époque48. Pour autant, il n’entendait pas se soustraire à ses devoirs de gendre et de vassal, ni à l’alliance conclue avec les comtes palatins en 1386 pour garantir la paix publique dans les territoires rhénans et protéger tout particulièrement les marchands qui transitaient entre Meuse et Rhin. Ainsi, le jour même de l’élection de Robert, on le trouve aux côtés de Louis de Bavière, occupé à assiéger le château d’Altwolfstein. Une lettre de Louis à son père Robert, dans laquelle il lui demande des renforts, en témoigne49. Le comportement du duc Charles II au cours des mois qui précédèrent
44 Voir ci-dessus chapitre 1 et chapitre 3. 45 A. Gerlich, Habsburg – Luxemburg – Wittelsbach im Kampf um die deutsche Königskrone, op. cit., p. 336. Dans cet ouvrage, l’auteur prend assez nettement parti pour Wenceslas et affirme que l’élection de Robert n’avait qu’une portée locale, car elle résultait de la conjuration des princes électeurs et de quelques autres seigneurs rhénans. Nous ne le suivons pas dans ce raisonnement, qui ignore l’une des composantes fondamentales d’un parti politique au Moyen Âge, à savoir la dimension géographique (cf. F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 455-458). Il n’en demeure pas moins que le schisme de 1400 témoignait de la convergence de vues de la majorité des princes implantés dans les régions occidentales de l’Empire. 46 Ibid., p. 306. Charles II ne participa à aucune des deux grandes assemblées qui préparèrent la déposition de Wenceslas, le 19 septembre 1399 et le 1er février 1400, alors que tous les autres princes de la moitié ouest de l’Empire étaient présents. Les liens de parenté qui unissaient le duc de Lorraine à Robert de Bavière rendaient cette absence d’autant plus révélatrice. 47 Si l’on en croit les chroniques messines, les troupes lorraines partirent pour la Prusse le mercredi, jour de la Sainte-Catherine 1399, et furent de retour aux environs de Pâques de l’année suivante. Cf. J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 120. 48 Il nous suffira ici de rappeler les déboires des ducs Thiébaut Ier et Ferry IV, dont nous avons fait mention ci-dessus, chapitre 3. 49 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, Munich, op. cit., t. IV, no 112, p. 127-128. Le comte de Sponheim et le sire de Hunolstein, perturbateurs de la paix publique, s’étaient réfugiés dans le château d’Altwolfstein. Louis de Bavière déplorait d’ailleurs dans cette lettre la faiblesse des moyens militaires dont disposait Charles II.
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l’élection de Robert témoignait donc d’une volonté de prendre ses distances à l’égard de l’Empire ; mais cela n’impliquait aucun relâchement des liens qui l’unissaient à sa belle-famille. À partir du 21 août 1400, le schisme impérial devint une affaire de famille et le duc de Lorraine épousa sans hésiter la cause de son beau-père. Robert de Bavière devait en effet faire accepter partout dans l’Empire la légitimité de son élection. Dans ces conditions, la neutralité ou l’absence de Charles II à ses côtés aurait été interprétée, désormais, comme un geste d’hostilité. Qui plus est, aux frontières occidentales de l’Empire, les intérêts du duc de Lorraine et du comte palatin coïncidant totalement, la reconnaissance de Robert comme roi des Romains en Lorraine ne pouvait qu’y rehausser le prestige et l’influence de Charles II. Dès les premiers jours de septembre 1400, les archevêques de Cologne, Trèves et Mayence et le roi des Romains assiégèrent la ville de Francfort qui maintenait sa fidélité au souverain luxembourgeois. Le 12 du même mois, le conseil de la cité écrivit à Wenceslas pour lui demander du secours et mentionna l’arrivée du duc de Lorraine, le jour même, aux côtés des assiégeants : « ce dimanche, le duc de Lorraine et les siens sont arrivés devant la ville50 ». Face à l’apathie de Wenceslas, Francfort se résigna, à la fin d’octobre, à reconnaître Robert comme roi des Romains et à lui ouvrir les portes de la ville : le 26 octobre, celui-ci y fit son entrée solennelle, aux côtés de son gendre51. Et dans les mois qui suivirent, le soutien militaire que lui apporta Charles II ne fit que se renforcer. Les motifs de la déposition de Wenceslas par quatre princes électeurs conféraient à son successeur deux missions bien précises. Les détracteurs du souverain luxembourgeois critiquaient son laxisme dans la question du schisme pontifical ; ils l’accusaient d’avoir négligé la défense de l’Empire face aux empiétements du roi de France ; enfin, ils lui reprochaient l’érection de la seigneurie de Milan en duché au profit de Jean-Galeas Visconti, l’allié de la France selon eux. Le choix de Robert de Bavière répondait à ces attentes : depuis sa fondation en 1386, l’université de Heidelberg apportait au pontife romain un soutien intellectuel et idéologique déterminant52 ; le meurtre de Bernabo Visconti faisait de Robert de Bavière l’ennemi personnel du duc de Milan53. La mission du nouveau roi des Romains consistait donc à faire triompher la cause du pape de Rome et à abattre la puissance milanaise. Pour remplir ces objectifs, une expédition en Italie s’avérait nécessaire. Rassemblée au cours de l’hiver 1400-1401, l’armée impériale quitta Augsbourg le 8 septembre en direction de la Lombardie54.
50 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. IV, no 149, p. 165 : « So ist uf hude suntag der herzoge von Lotringen mit den sinen darvur kommen. » [Les textes en moyen allemand sont traduits dans le corps du texte mais reproduits en note]. 51 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. IV, no 145, p. 161-162. En ce qui concerne l’organisation du cortège royal et le rang occupé par le duc de Lorraine, voir ci-dessous. 52 A. Gerlich, Habsburg – Luxemburg – Wittelsbach im Kampf um die deutsche Königskrone, op. cit., p. 340-345. L’acte de déposition de Wenceslas de Luxembourg contient l’exposé des motifs d’une telle décision. 53 Voir ci-dessus dans ce même chapitre. 54 A. Winckelmann, Der Romzug Ruprechts von der Pfalz, Innsbruck, 1892, 152 p., p. 16 et 41.
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Les détails de cette « lamentable équipée55 » sont suffisamment connus pour que nous puissions nous contenter de les évoquer rapidement. Intéressons-nous davantage à la place occupée par le duc de Lorraine dans ce voyage d’Italie. Le rôle des troupes levées par Robert de Bavière indique que Charles II amena avec lui une troupe de 400 lances56. Dans l’absolu, l’effort peut paraître assez modeste, mais il correspondait certainement aux capacités maximales de recrutement du duc de Lorraine, car il dépassait largement les effectifs prévus, par exemple, dans les traités de Landfried, ou ceux de la compagnie levée par le duc Jean Ier pour la campagne de Flandre en 138357. D’ailleurs, peu de princes apportèrent au roi des Romains un soutien aussi important : seuls les ducs d’Autriche et de Bavière mobilisèrent de plus gros contingents58. Le duc de Lorraine apparaît donc bien comme l’un des principaux partisans du nouveau roi des Romains et remplit parfaitement ses devoirs familiaux envers lui. Et comme en témoigne le rapport adressé le 31 octobre 1401 par le capitaine de Strasbourg au conseil de la ville, les Lorrains se firent remarquer lors du principal affrontement avec les Milanais, à la bataille de Brescia59. Le duc de Lorraine y aurait perdu la majeure partie de ses hommes, à commencer par Hanneman de Bitche, comte de Deux-Ponts, grièvement blessé au cou. Il semble que les troupes lorraines aient été attaquées au moment où elles se répandaient dans le pays pour y trouver du ravitaillement à bon compte. Militairement parlant, les conséquences de l’engagement étaient insignifiantes. Psychologiquement en revanche, l’effet sur le moral des troupes s’avéra désastreux. Les mercenaires soldés du duc de Milan avaient fait la preuve de leur supériorité face au contingent féodal du duc de Lorraine60. Par prudence, l’armée battit en retraite vers Padoue, en territoire neutre, mais la crainte d’un désastre futur poussa de nombreux combattants à vouloir rebrousser chemin61. Trois mois plus tard, en janvier 1402, Robert simula un retour vers l’Allemagne pour inciter son alliée,
55 Nous reprenons l’expression de l’ouvrage de B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 155. En revanche, le récit détaillé et complet des opérations figure dans l’étude d’A. Winckelmann, Der Romzug Ruprechts von der Pfalz, op. cit. 56 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. V, no 168, p. 212 et suiv., notamment art. 9, p. 222 : « Item in der forme und datum ist geben ein quitanze Karle herzogen zu Luthringen fur zehentusent gulden, von bezalunge wegen dez ersten mandes der 400 spiess, etc. » (Item […] une quittance de 10 000 florins donnée par Charles II, duc de Lorraine, pour le paiement du premier mois de la solde des 400 lances qui l’accompagnent). 57 Voir ci-dessus première partie, chapitre 1. 58 Un autre document récapitulant l’effort militaire fourni par chacun des princes soutenant Robert de Bavière indique que la compagnie du duc d’Autriche était forte de 1 000 lances et celle du duc de Bavière de 800. Charles II, quant à lui, n’aurait disposé que de 150 lances, au lieu des 400 mentionnées plus tard, mais l’article le concernant est rayé. J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. IV, no 388, p. 466. S’agit-il d’une erreur du scribe dans ce document ? Ou le duc de Lorraine est-il parvenu finalement à rassembler davantage de troupes qu’il ne le prévoyait au départ ? 59 Texte en allemand cité par J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. V, no 196, p. 258. 60 Pour la narration complète de la bataille de Brescia et l’analyse de ses conséquences politiques et militaires, voir A. Winckelmann, Der Romzug Ruprechts von der Pfalz, op. cit., p. 58-65. 61 Cf. le rapport du capitaine strasbourgeois cité par J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. V, no 196, p. 258.
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la ville de Florence, à lui verser les sommes qu’elle s’était engagée à payer. Les Strasbourgeois et la plus grande partie de l’armée impériale saisirent ce prétexte pour repasser les Alpes, en échange de la promesse d’un nouveau rassemblement de troupes en Italie pour le 23 avril. Charles II, en revanche, parut bien décidé à demeurer aux côtés de son beau-père jusqu’au terme de cette campagne, et ce malgré les pertes importantes qu’il avait subies. Il semble bien n’être revenu en Lorraine qu’au mois de mars 1402, soit peu de temps avant le renoncement définitif de Robert de Bavière à ses projets italiens62. En Lorraine, comme dans le reste de l’Empire, le parti des Wittelsbach avait également bien besoin d’être soutenu. Dès janvier 1401, sitôt après son couronnement à Cologne, Robert avait envoyé des ambassades à la ville de Metz, en lui demandant de le reconnaître comme nouveau roi des Romains63. Si la réponse des Messins témoigne de leur volonté de se tenir dans une prudente neutralité64, celle des citains de Toul, en revanche, fut franchement négative. Charles II ne pouvait manquer de saisir une telle occasion de défendre les intérêts de son beau-père et de rappeler en même temps les prérogatives que lui conférait le droit d’avouerie dont il disposait sur la cité. Le 11 mars 1401, les ducs de Bar et de Lorraine s’entendirent pour ne pas utiliser l’un contre l’autre leurs droits de protection sur les faubourgs Saint-Èvre et Saint-Mansuy65. Peu de temps après, aidés de Ferry de Lorraine, le frère de Charles II, ils entamèrent un blocus total de la ville. Les troupes lorraines la bombardèrent depuis le mont Saint-Michel, au nord ; le duc de Bar s’installa au sud ; quant au comte de Vaudémont, il s’employa à fermer le cours de la Moselle66. Enfin, l’évêque de Metz, Raoul de Coucy, toujours allié à Charles II, fit défense à ses marchands de faire aucun
62 A. Winckelmann, Der Romzug Ruprechts von der Pfalz, op. cit., p. 83-102. Peut-être est-il brièvement revenu en Lorraine au cours de l’hiver 1401-1402. Le 15 décembre en effet, il signa un traité avec l’évêque de Metz Raoul de Coucy, par lequel il s’engageait à aider le prélat contre les comtes de Linange et de la Petite-Pierre, qui empiétaient sur les revenus du temporel épiscopal. Incapable de solder ses troupes, Robert avait en effet autorisé ses alliés à regagner leurs États pour l’hiver, en échange de leur promesse de revenir en Italie au printemps suivant. 63 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 121 mentionnent explicitement l’arrivée des ambassadeurs de Robert de Bavière. De semblables ambassades ont certainement été envoyées aux cités de Toul et de Verdun, mais les archives lorraines n’en ont pas conservé la trace. Toujours est-il que le 8 juillet 1401, Robert de Bavière, dans une lettre au roi de France Charles VI, précisa qu’à deux reprises ses ambassadeurs avaient demandé aux habitants de la ville de Toul de le reconnaître comme leur souverain. La guerre menée contre eux par le duc de Lorraine étant la conséquence de leur refus, il priait le roi de France, pour finir, de ne pas se mêler des affaires de l’Empire. Cf. W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 46-47. 64 Ils cherchent visiblement à gagner du temps, cf. J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 121. 65 BnF Col. Lor., no 64, f. 44 : les ducs de Bar et de Lorraine se trouvaient en concurrence pour l’avouerie de la cité de Toul. Un premier conflit les avait opposés à ce sujet en 1356 (cf. ci-dessus première partie, chapitre 2). Dans ce traité, Charles II reconnut les droits du duc de Bar sur la rue Saint-Mansuy, dépendant de la prévôté de Foug ; Robert admit de son côté que la rue Saint-Èvre ressortait de la prévôté de Gondreville, dans le duché de Lorraine. 66 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 379.
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commerce avec la cité assiégée67. Durant le séjour de Charles II en Lombardie, Ferry de Lorraine prit le commandement des opérations. Après un pic d’hostilités en 14011402, le conflit s’apaisa progressivement68. Toutefois, le traité de paix définitif ne fut signé que le 21 avril 1406 : le duc de Lorraine renonçait à son droit d’avouerie sur la cité, en échange du paiement d’une somme de 8 000 francs, en deux termes. Quant à la question du schisme impérial, elle ne fut même pas évoquée69. La convergence des intérêts de Charles II et de Robert de Bavière en Lorraine contribua donc à imbriquer étroitement les affrontements internationaux et les querelles internes à l’espace lorrain. Elle fit également apparaître le duc de Lorraine comme l’un des principaux soutiens du nouveau roi des Romains. Dans les années qui suivirent son élection, Robert de Bavière le chargea d’un grand nombre de missions diplomatiques. Son rang de duc de Lorraine en faisait naturellement l’interlocuteur privilégié du souverain auprès des villes alsaciennes et lorraines. Dès le 30 octobre 1400, Charles II négocia à Mayence la reconnaissance de Robert par la ville de Strasbourg, en échange de la confirmation des privilèges de la cité70. Il obtint également de Robert de Bavière, le 1er septembre 1405, une procuration pour recevoir, au nom du roi des Romains, l’hommage de Raoul de Coucy, l’évêque de Metz, pour le temporel de son évêché71. Enfin, une lettre de Robert de Bavière à Charles II, écrite le 20 février 1403, fait état des nombreuses démarches diplomatiques entreprises par le duc de Lorraine au service de son beau-père : Réponse aux propositions faites par Frédéric, chapelain du duc de Lorraine : [1] Premièrement, le roi notre seigneur a été informé que certaines personnes se sont rendues chez le duc de Lorraine et lui ont parlé d’un arrangement à trouver entre le roi et ceux de Milan. Si cela plaît à monseigneur le roi, le duc de Lorraine
67 A.D.M.M. B 881, no 1, acte daté du 10 septembre 1402 : « le temps de la guerre, debas ou descencions que adpresent est entre nostre dit cousin le duc et ceulx de Toul nous ne debvons mie souffrir, s’il ne plait a nostre dit cousin le duc, que nulz marchans ou salniers mennent seil de nos dites sallines en la ville de Toul ne aux habitans d’icelle ne aultres nos subgis facent participation ou mennent vivres ou denrees en la dite ville de Toul la dite guerre ou discencion durant. » 68 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 512, repris par W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 47, évoque un premier accord conclu au bout de deux mois de siège. Aucun document de ce type n’est parvenu à notre connaissance. Il semble bien qu’il y ait de leur part confusion avec les termes du traité du 21 avril 1406 (voir note suivante), puisque les clauses qu’ils en donnent sont identiques. Après 1402 toutefois, les belligérants semblent s’être abstenus de toute opération militaire d’envergure. Voir également ci-dessous dans ce même chapitre. 69 A.N. KK 1126, layette Toul cité, no 34. Le texte du traité est également publié dans les preuves de Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., vol. VI, p. LXXX-LXXXVIII. 70 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. IV, no 169, p. 193-195. Le duc de Lorraine, l’archevêque de Mayence, les comtes de Nassau et de Talberg furent envoyés par Robert de Bavière auprès des délégués strasbourgeois. Ceux-ci voulaient profiter du schisme impérial pour obtenir du roi des Romains une confirmation « irrévocable » de leurs privilèges, ce que refusa le souverain. Les deux parties parvinrent cependant rapidement à un accord : dès novembre, Strasbourg se rangea dans le camp des Wittelsbach. 71 A.D. Mos. B 2344/28. Une telle délégation de pouvoir faisait du duc Charles II le représentant de Robert de Bavière en Lorraine, même s’il n’en possédait pas le titre officiel.
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veut bien s’en charger et y œuvrer fidèlement, etc. ; item, le roi a aussi été informé qu’il serait bon pour lui que le duc de Bourgogne négocie un mariage avec Milan, etc. [2] De plus, à propos de ce que le même seigneur Frédéric a dit du comte de Savoie, pour un mariage entre le duc Hans, le fils du roi, et la fille du comte de Savoie : tout cela, monseigneur le roi l’a bien compris, et fait savoir à son fils, le duc de Lorraine, que ce mariage lui convient parfaitement. [3] Item, à propos de ce que le susdit seigneur Frédéric a dit des gens de la ville d’Aix-la-Chapelle, il plaît bien au roi que son fils de Lorraine voie s’il peut les ramener à l’obéissance, etc., à condition que monseigneur le roi accorde à son fils de Lorraine sa grâce particulière, par devant tous ses autres amis. [4] Item, à propos de ce que Frédéric a dit des gens de la ville de Metz, il plaît à monseigneur que son fils de Lorraine les place également dans l’obéissance du roi : de la même manière, le roi lui fera grâce à lui, plutôt qu’à ses autres amis72. À travers ce document transparaît bien la position privilégiée de Charles II auprès de Robert de Bavière, ainsi que son double « statut » de duc de Lorraine et de gendre du roi des Romains. Lorsqu’il s’agit d’obtenir la reconnaissance de Robert par les villes d’Aix-la-Chapelle et de Metz, celui-ci fait plus confiance à Charles II qu’à n’importe qui d’autre. En revanche, lorsque les négociations touchent les problèmes internationaux, comme la réconciliation avec le nouveau duc de Milan, le duc n’est plus qu’un interlocuteur parmi d’autres, concerné tout particulièrement par les pourparlers relatifs aux stratégies matrimoniales de sa belle-famille. Charles II apparaît donc bien comme le représentant personnel du roi des Romains dans les régions comprises entre Meuse et Rhin. Mais la proximité de lignage entre les maisons de Lorraine et de Bavière lui conférait également une stature internationale qu’il ne pouvait aucunement revendiquer auparavant. Il chercha naturellement à utiliser cette nouvelle dimension au profit de ses intérêts personnels et familiaux. Ainsi, l’alliance matrimoniale avec la maison de Savoie, qu’il proposa à son beau-père, visait à détourner celui-ci d’un autre projet, consistant à marier son fils avec la fille du roi de France. Or, une telle union entre la France et le Palatinat aurait ruiné le subtil jeu de balancier que les ducs de Lorraine menaient entre le Royaume et l’Empire depuis déjà plusieurs générations, compromettant du même coup l’équilibre politique de la principauté ducale. Plongé bon gré mal gré dans le bain de la politique internationale, le duc de Lorraine avait donc à la fois beaucoup à perdre et beaucoup à gagner. Quelques années après l’accession au trône de Robert de Bavière, quel bilan pouvait-il dresser du soutien qu’il lui avait procuré ? Charles II, tout d’abord, a retiré un très grand honneur de sa présence permanente aux côtés du roi des Romains. Que l’on en juge, par exemple, par la place qu’il occupait lors de l’entrée de Robert de Bavière à Francfort, le 26 octobre 1400 : […] ensuite chevauche l’évêque de Trèves devant le roi ; ensuite le duc de Lorraine, qui porte l’épée nue du roi, ensuite le roi ; à côté de lui, à sa droite, l’évêque de Mayence, et à sa gauche, l’évêque de Cologne […]73
72 Texte en allemand cité par J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. V, no 353, p. 493-495. 73 Ibid., t. IV, no 145, p. 161.
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Au sein du cortège royal, Robert de Bavière était encadré par trois des quatre princes électeurs qui avaient voté pour lui deux mois plus tôt. Mais Charles II se trouvait immédiatement devant lui, tenant en mains l’épée du roi. Dans la hiérarchie des princes d’Empire, un tel ordonnancement le plaçait au même niveau que les Électeurs. Certes, il faut prendre en compte l’absence de tous ceux qui tenaient le parti de Wenceslas ou qui n’ont pu participer au siège de Francfort. Mais dans une telle cérémonie, les questions de préséance sont réglées minutieusement et Charles II retrouva à cette occasion un rang que les ducs de Lorraine avaient perdu depuis la promulgation de la Bulle d’Or, en 135674. L’événement n’a donc rien d’anecdotique et montre le crédit dont le duc de Lorraine disposait auprès du roi des Romains. Aux yeux de Charles II, il ne s’agissait pas seulement d’un avantage symbolique : l’honneur qu’il retirait de sa position aux côtés de Robert de Bavière constituait pour lui un réel atout politique, qui pouvait lui permettre de rehausser son prestige au sein de l’espace lorrain et de s’opposer plus fermement aux tentatives d’empiétements du roi de France et de ses officiers. Par ailleurs, le roi des Romains n’avait rien à refuser à un allié aussi constant et fidèle. Deux jours après son couronnement à Cologne, le 8 janvier 1401, Robert de Bavière investit une première fois son gendre pour l’ensemble de ses fiefs impériaux, sans toutefois les énumérer de manière précise75. Cinq années plus tard eut lieu une deuxième investiture, cette fois plus détaillée76. En apparence, l’hommage reprend, dans les mêmes termes, celui de Jean Ier en 1361 et celui de Charles II à Wenceslas en 139877. Mais l’expression civitatis in Tholeya peut cette fois s’appliquer non plus à l’avouerie de la cité de Toul, à laquelle le duc de Lorraine était sur le point de renoncer, mais désormais à celle de l’abbaye de Tholey, à l’est du bailliage d’Allemagne, dont la suzeraineté était disputée entre le duc de Lorraine et l’archevêque de Trèves. La chancellerie du roi des Romains aurait ainsi fait droit aux prétentions de Charles II. Elle risquait pourtant de mécontenter gravement l’archevêque de Trèves, dont le soutien était indispensable après la formation du Marbacher Bund, l’année précédente, coalisant une bonne partie des forces politiques rhénanes contre Robert de Bavière78. Aux yeux du souverain, le soutien du duc de Lorraine paraissait plus important que celui d’un prince électeur.
74 Voir ci-dessus première partie, chapitre 3. 75 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 45 et suiv. Pour l’ensemble de ce paragraphe concernant l’investiture accordée par Robert de Bavière au duc Charles II et la nature des biens inféodés, nous suivons le raisonnement de l’auteur, qui s’est livré à une étude détaillée du vocabulaire des actes de 1401 et de 1406. 76 A.N. KK 1120, layette Empire fiefs, no 3, acte daté du 13 janvier 1406. Une autre copie de ce document se trouve à la Bibliothèque nationale de France (BnF Ms. fr. 11823, f. 23-24). 77 Pour ces actes d’hommages, voir ci-dessus première partie, chapitre 3. 78 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. V, no 489, p. 750-761. Le Marbacher Bund désigne l’alliance de l’archevêque de Mayence, du margrave de Bade, du comte de Wurtemberg, de la ville de Strasbourg et de 17 autres villes de Souabe, valable jusqu’à la Chandeleur 1411, et dirigée contre quiconque troublerait la paix publique ou tenterait de s’attaquer à l’un des membres de l’alliance, y compris le roi des Romains. Sous couvert de maintenir la paix, ce traité constituait un désaveu formel de la politique menée par Robert de Bavière depuis son élection.
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L’alliance avec Robert de Bavière apporta donc au duc Charles II un surcroît d’honneur et de prestige. Mais elle soumit aussi le duc à des obligations très lourdes et à des charges financières qui excédaient largement les moyens dont il disposait. Or, de son côté, le roi des Romains n’était guère solvable. Lors de la campagne de Lombardie, la solde des troupes impériales ne fut pas versée à temps. En octobre 1400, Charles II reçut 10 000 florins sur ordre du roi des Romains. Mais les paiements suivants tardèrent à venir et c’est finalement le duc de Lorraine qui dut assurer le quotidien des 400 lances qu’il avait amenées avec lui. À cela s’ajouta l’indemnisation des morts et la rançon des nobles faits prisonniers à la bataille de Brescia, tels Gérard de Haraucourt, le maréchal du duché de Lorraine79. Le 22 mars 1403, Robert de Bavière se trouvait encore débiteur envers son gendre d’une somme de 21 041 florins et huit gros, qu’il se proposait de lui rembourser par le biais d’une rente annuelle de 2 000 florins assignée sur les revenus de la prévôté impériale d’Alsace et d’un prélèvement sur les recettes du péage de Seltz, sur le Rhin80. Mais Charles II mit encore plusieurs années à rembourser les marchands auprès de qui il s’était endetté, notamment Nicolas de Berne : les quittances de celui-ci au duc de Lorraine s’égrènent tout au long des années 1405, 1406 et 1407 et, en 1410, le solde définitif de la dette n’était toujours pas complètement réglé81. L’immixtion dans les affaires de l’Empire ne présentait donc pas que des avantages pour Charles II, d’autant qu’elle lui valait par ailleurs des adversaires redoutables. Charles II et Louis d’Orléans : les liens contradictoires de la parenté et de la clientèle
En soutenant ainsi la cause de son beau-père, le duc de Lorraine risquait de s’attirer l’hostilité de Louis d’Orléans. Celui-ci en effet avait renoncé, en septembre 1400, à une action militaire immédiate contre Robert de Bavière82. Mais il continuait à défendre par tous les moyens les intérêts de Wenceslas. Or, les régions situées entre le Royaume
79 Une quittance du 18 octobre 1403, accordée par Henri d’Ogéviller, mentionne deux voyages que celui-ci avait effectués en Lombardie, pour se rendre auprès de Gérard de Haraucourt. À cette date, l’armée de Robert de Bavière avait quitté l’Italie depuis 18 mois environ. Le maréchal du duché de Lorraine fut donc certainement retenu prisonnier sur les terres du duc de Milan. La mission du sire d’Ogéviller consistait sans doute à négocier le montant de sa rançon ou à verser les sommes nécessaires à sa libération. BnF Col. Lor., no 5, f. 5. 80 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. V, no 180, p. 240-242. Un tel accord ne satisfaisait pas pleinement le duc de Lorraine, loin de là. Dans cette même lettre, Robert expliquait en effet qu’il ne pouvait accorder à Charles II ce qu’il lui demandait, à savoir la remise en gage des forteresses de Kirkel et de Boppard, rachetables pour une somme de 5 000 florins. Le château de Kirkel occupait en effet une position stratégique trop importante, au cœur du Palatinat, pour être confiée au duc de Lorraine. Quant à la tour de Boppard, Robert ne la possédait qu’à titre viager. Pour cette raison, il ne pouvait s’en dessaisir. 81 BnF Col. Lor., no 5, f. 9, 10, 12 et 14. Chacun de ces documents précise que les sommes payées constituaient le remboursement partiel des prêts consentis par Nicolas de Berne au duc Charles II, lors de son voyage en Lombardie. 82 Cf. ci-dessus dans de ce même chapitre.
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et l’Empire représentaient un enjeu particulièrement important dans la lutte entre les deux prétendants au trône impérial. Charles II pouvait-il concilier ses obligations familiales envers Robert de Bavière et ses devoirs de vassal entre le duc d’Orléans ? Très vite, Robert de Bavière eut l’impression de rencontrer en Louis d’Orléans un adversaire irréductible. Le 23 avril 1401, il s’étonna de ce que « le duc d’Orléans s’opposait à lui en toutes choses83 ». Le duc Charles II ne pouvait espérer se tenir à l’écart de cet affrontement qu’à condition que celui-ci ne se déroule pas sur le territoire lorrain. Mais, comme nous l’avons vu précédemment, le refus de la cité de Toul de reconnaître Robert de Bavière comme roi des Romains avait déjà poussé Charles et Ferry de Lorraine à mettre le siège devant la ville84. Celle-ci fit alors preuve d’une attitude désormais habituelle aux forces politiques de la région : elle appela à l’aide le roi Charles VI, rendant ainsi possible une nouvelle intervention de la France dans l’espace lorrain. Le 14 mai, le roi prit la ville sous sa protection, moyennant le paiement d’une pension annuelle de 400 francs85. Le duc de Lorraine sollicita alors l’appui de Robert de Bavière qui, le 8 juillet, demanda au roi de France de renoncer à toute ingérence dans les affaires intérieures de l’Empire86. Pour toute réponse, Charles VI confia la garde de Toul au duc d’Orléans, le 21 juillet suivant87. Charles II et Louis d’Orléans se trouvaient désormais face à face. Près d’un an plus tard, constatant que le duc de Lorraine et son frère poursuivaient leurs exactions à l’encontre de la cité, Charles VI en personne écrivit au bailli de Chaumont, pour lui demander de saisir les terres de Ferry et de Charles II relevant du Royaume88. Pourquoi cette décision émanait-elle du roi de France et non du duc d’Orléans qui avait reçu pour mission d’assurer la sécurité de la ville ? Charles VI, en tant que seigneur suzerain du duc de Lorraine, était certes le seul à pouvoir confisquer les fiefs que celui-ci tenait de lui. Par ailleurs, il y a tout lieu de croire que Louis d’Orléans assista à cette séance du conseil royal. Mais, entre le 21 juillet 1401 et le 21 avril 1406, date de la signature du traité de paix entre Charles II et la cité de Toul, on ne voit pas que le duc d’Orléans ait pris personnellement l’initiative d’admonester le duc de Lorraine et de lui demander de mettre fin aux hostilités. Le roi de France, en revanche, s’y employa à plusieurs reprises89. Louis d’Orléans se montrait donc soucieux de ménager son vassal, au moins en apparence, quitte à faire retomber le poids des
83 Cité par J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. IV, no 267. 84 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre. 85 A.N. J 914, no 29. 86 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. IV, no 300. 87 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 44. 88 Acte daté du 14 juin 1402, et publié par le R. P. B. Picart, L’origine de la très illustre maison de Lorraine, op. cit., p. 370-371. Nous n’avons trouvé ni l’original ni la copie d’un tel document dans les archives lorraines. 89 En ce qui concerne le traité du 21 avril 1406, voir ci-dessus dans le présent chapitre. Par ailleurs, on conserve au moins deux lettres de Charles VI exhortant le duc de Lorraine et son frère à lever le blocus de la cité de Toul. La première date du 8 octobre 1401 (BnF Col. Lor., no 244, f. 37). La seconde, rédigée le 2 janvier 1402, les menace de la confiscation de tous les fiefs qu’ils tiennent du Royaume (BnF Col. Lor., no 64, f. 276), mesure finalement appliquée le 10 juin 1402 (voir note précédente).
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décisions désagréables sur les épaules de l’administration royale. Aucun des deux princes n’avait intérêt à ce que l’affaire de Toul aboutisse à un conflit armé. Le duc de Lorraine était l’une des pièces maîtresses du système d’alliances mis en place par Louis d’Orléans dans la région, de même que la puissance de celui-ci incitait Charles II à faire preuve de prudence à son égard. Celui-ci resta allié au duc d’Orléans au moins jusqu’en novembre 140590. L’acquisition du duché de Luxembourg par le duc Louis ne semble pas non plus l’avoir particulièrement inquiété, puisqu’il profita de la venue de Louis à Luxembourg pour lui rendre personnellement visite91. Rien n’a percé de la teneur de leurs discussions, mais on ne note aucune réaction agressive de la part du duc de Lorraine face aux progrès de Louis d’Orléans dans la région à cette époque. Dans les premières années du xve siècle, les rapports avec la Bourgogne ne furent d’ailleurs pas non plus toujours au beau fixe. Eugène Girod, systématiquement à l’affût des marques d’hostilité de Charles II à l’égard des Bourguignons, s’attarde assez longuement sur la destruction de la forteresse de Châtenois, en Franche-Comté, par un groupe de seigneurs lorrains et sur la mauvaise volonté évidente du duc de Lorraine à en indemniser les victimes92. Même s’il ne faut pas en exagérer l’importance ni la gravité, de telles actions montrent que la poussée orléanaise vers l’est du Royaume ne contribua pas forcément à rejeter la Lorraine dans le camp bourguignon. Mieux même, lors de la prise d’armes de 1405, au cours de laquelle le duc de Bourgogne Jean sans Peur enleva le Dauphin pour le ramener à Paris, Charles II figura parmi les princes qui répondirent à la convocation de Louis d’Orléans, lorsque celui-ci demanda le soutien de tous ses vassaux93.
90 Jusqu’à cette date en effet, la pension de 2 000 livres tournois que Charles II recevait de Louis d’Orléans lui avait été régulièrement versée (BnF pièces orig. 1749, no 6). Deux mois auparavant, le duc de Lorraine lui avait aussi fourni une aide militaire contre Jean sans Peur. 91 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 55. L’auteur fixe la date de cette entrevue au 28 septembre, soit quelques jours seulement après l’arrivée de Louis d’Orléans en Lorraine. Un tel empressement témoigne davantage du respect et de l’amitié que Charles II portait à son suzerain que de l’urgence qu’il y aurait eu à régler les litiges qui les opposaient. 92 Ibid., p. 50-51 : le coup de main des Lorrains se produisit en mai 1402. Le 10 juin suivant, Jean de Vergy, maréchal de Bourgogne et gouverneur du comté, se rendit à Remiremont pour obtenir réparation de ce forfait : « il trouva les gens et conseillers du duc de Lorraine auxquels il fit de bouche les requestes contenues ez lettres dessusditctes de mondit seigneur le duc de Bourgongne, mais ledit mareschal ne put avoir desdictz gens du duc de Lorraine aucune bonne réponse, pour l’absence de leur maistre qui lors estoit en France. » (BnF Col. Bourg., no 25, f. 82r). Charles II chercha ensuite à gagner du temps et ne se présenta pas aux rendez-vous fixés avec les officiers de Philippe le Hardi. De report en report, les négociations ne débutèrent qu’en septembre 1402. Les Bourguignons n’obtinrent d’ailleurs « aucune suffisante response » (BnF Col. Bourg., no 25, f. 82r). On convint alors d’une nouvelle réunion pour le mois de novembre suivant. 93 L. Douët-d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. I, p. 120. Le Religieux de Saint-Denis, quant à lui, estime à 200 le nombre de Lorrains qui suivirent le duc Charles II dans cette expédition. Chronique du religieux de Saint-Denys, concernant le règne de Charles VI de 1380 à 1422, op. cit., t. II, p. 337. À partir de la même source, Girod parle de 500 chevaliers et écuyers au service du duc de Lorraine (E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 56). Mais cela excède largement ses capacités militaires.
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Le duc de Lorraine se trouvait donc dans une situation apparemment contradictoire. Ses liens de parenté avec Robert de Bavière l’incitaient à s’opposer à la politique menée par le duc d’Orléans dans l’espace lorrain. Mais son devoir de vassal le poussait à soutenir Louis d’Orléans contre le duc de Bourgogne, allié de son beau-père. Face à cette situation, il chercha à éviter tout affrontement direct avec l’un ou l’autre prince. De leur côté, ceux-ci s’efforcèrent de maintenir avec lui des relations cordiales et firent preuve d’une grande patience à son égard. Virtuellement dangereuse, la position de Charles II présentait pourtant certains avantages : le duc pouvait en effet servir d’intermédiaire entre les parties en présence. Son activité diplomatique ne s’exerça pas uniquement au profit de Robert de Bavière. Ainsi, Henri d’Ogéviller, que le duc de Lorraine avait déjà envoyé en Lombardie pour obtenir la libération de son maréchal, Gérard de Haraucourt, fut également chargé d’autres ambassades auprès des ducs d’Orléans et de Bourgogne94. Visiblement, Charles II s’efforçait de tenir la balance égale entre les deux systèmes d’alliances contradictoires qui commençaient à s’affronter en France et dans l’Empire à partir de 1400. Pendant quelques années au moins, il y parvint à peu près. *** La volonté d’un prince ne fait cependant pas tout. À long terme, la position de Charles II n’était guère tenable : délicate tant que l’affrontement des ducs de Bourgogne et d’Orléans demeurait larvé, elle s’avérerait impossible à maintenir en cas de conflit ouvert. Jusqu’en 1405, la mise en place de deux systèmes d’alliances contradictoires dans le Royaume et l’Empire n’avait pas débouché sur une conflagration majeure. En Lorraine, le choc des ambitions territoriales bourguignonnes et orléanaises n’avait pas davantage eu lieu. Cet état de choses ne pouvait cependant perdurer bien longtemps. Or, l’avènement de Jean sans Peur au duché de Bourgogne en 1404 transforma les divisions entre les deux ducs en haine irréconciliable95. En Lorraine, elle provoqua une brutale montée des tensions. Avant même la mort de Philipe le Hardi (27 avril 1404), le duc prit deux décisions lourdes de sens : il modifia la nature du service de garde effectué la nuit dans sa capitale, Nancy96, et il fit procéder à la fabrication de « grosses bombardes »97 . Ces deux décisions montrent qu’il se préparait à la guerre. Bon gré mal gré, il était désormais contraint de choisir son camp.
94 BnF Col. Lor., no 5, f. 5. Dans cette quittance d’Henri d’Ogéviller au duc Charles II sont mentionnés, entre autres services rendus, les voyages effectués par Henri auprès des ducs d’Orléans et de Bourgogne. Mais le contenu des négociations n’est naturellement pas précisé. 95 B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 152-175. 96 A.D.M.M. H 2675, no 26 : acte du 23 avril 1404. Par souci d’efficacité, Charles II transforma le service de guet traditionnellement effectué par les habitants de Nancy en un impôt prélevé sur chaque foyer, servant à payer les gages d’une compagnie chargée exclusivement de la garde de la ville. Voir ci-dessous troisième partie, chapitre 8. 97 A.D.M.M. H 339 : acte du 8 novembre 1404. Cette information apparaît au détour d’un document dans lequel Charles II indemnisait les moines de l’abbaye de Beaupré. Les charpentiers du duc avaient en effet procédé à l’abattage d’un certain nombre d’arbres indispensables à la fabrication de ces bombardes.
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La Lorraine, terre d’affrontement des puissances internationales (1404-1418) La guerre civile et extérieure qui sévit à nouveau dans toute l’Europe occidentale, toucha directement la région, sous la forme d’un conflit localisé, que les historiens lorrains appellent habituellement « guerre des Quatre seigneurs »98. Enjeux et conséquences d’un conflit localisé (1404-1408)
La guerre des Quatre seigneurs débuta en septembre 1404. Elle opposa la ville de Metz aux comtes de Nassau, Salm et Sarrewerden et au seigneur de Boulay. Au premier abord, elle ne représente « qu’un genre de petite guerre locale dont est si riche l’histoire de l’Allemagne »99. Au cours des pages qui suivent, nous aurons l’occasion de démontrer le caractère erroné d’un tel jugement. La majeure partie des forces politiques lorraines participa en effet directement à ce conflit, dont la portée dépassa largement l’horizon régional. Parce qu’il concernait leur cité au premier chef, les chroniqueurs messins s’étendent longuement sur les péripéties de l’affrontement, complétant ainsi, de manière très utile, les quelques documents d’archives dont nous disposons100. Nous y ferons abondamment référence, pour expliquer notamment les origines du conflit et son déroulement. La guerre des Quatre seigneurs s’inscrit tout d’abord dans une longue tradition de ligues nobiliaires dirigées contre la ville de Metz. Tout comme les autres principautés lorraines, Metz ne put échapper aux innombrables Fehden qui sévissaient dans la région et à leurs conséquences directes ou indirectes. Elle devait en permanence se défendre contre les incursions des bandes armées sur son territoire, qu’il s’agît d’un simple passage ou d’un pillage plus systématique. C’est ainsi qu’en 1398, si l’on en croit les chroniques, les Messins avaient mis en déroute une bande de pillards basée à Boulay et Faulquemont, qui traversait le pays messin dans le but d’aller ravager le duché de Bar. L’affaire s’était soldée par une vingtaine de prisonniers et quelques exécutions capitales101. Mais elle avait aussi tourné au déshonneur de Guyot de Faulquemont, qui avait pris la fuite. La guerre des Quatre seigneurs constitua pour lui l’occasion idéale de prendre sa
98 Un autre conflit porte également ce nom : il opposa le duc de Lorraine, le comte de Bar, le roi de Bohême, comte de Luxembourg, et l’archevêque de Trèves à la ville de Metz, entre 1324 et 1327 (M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 192-193). Nous maintenons cependant cette dénomination, car l’expression revient régulièrement dans les actes de l’époque, notamment dans les quittances des paiements effectués par le duc Charles II à ses vassaux et alliés pour services de guerre (par exemple, BnF Col. Lor., no 5, f. 85). 99 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 184. L’auteur présente une analyse complète de cette guerre (ibid., p. 177 à 184). 100 Pour cette raison, nous avons reproduit l’essentiel des passages des chroniques de la ville de Metz qui se rapportent à cette guerre (cf. Annexe 10) d’après J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 126-140. 101 Cf. Annexe 10 : « ravages des bandes armées dans le pays de Metz ». L’auteur établit une relation directe entre la guerre des Quatre seigneurs et cet événement, qui s’était pourtant produit sept ans auparavant.
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revanche. Partout en Lorraine et à tout moment, une petite noblesse désargentée, dont la guerre constituait la principale source de revenu, était susceptible de s’en prendre aux propriétés foncières de la cité et à ses marchands. De fait, la richesse de la ville suscitait la convoitise. Les patriciens arrondissaient leurs fortunes avec les biens engagés, puis parfois vendus, par des seigneurs locaux incapables de rembourser leurs dettes102. Dans la dernière décennie du xive siècle, les comtes de Salm, de Sarrebruck et de Sarrewerden figurent ainsi parmi les débiteurs réguliers des financiers messins103. Il y a toutefois plus grave. Non seulement les paraiges profitaient des difficultés de la noblesse pour s’enrichir, mais ils ajoutaient à l’usure l’arrogance et le mépris. Le chroniqueur messin en fait une cause directe du défi lancé par les quatre seigneurs à la cité104. Bien souvent, les tensions internationales ne font que réactiver les rivalités locales. Lorsque le duc d’Orléans obtint l’engagement du Luxembourg, il hérita du même coup des problèmes en suspens entre la ville de Metz et le duché. Les citains comprirent bien le danger et cherchèrent immédiatement à aplanir les difficultés qui pourraient survenir avec un prince aussi soucieux de faire respecter ses droits et d’imposer son autorité105. Omniprésence des guerres privées, opposition traditionnelle entre les villes et la noblesse, problèmes récurrents entre deux puissances territoriales importantes au sein de l’espace lorrain, ces trois causes expliquent et caractérisent le déclenchement du conflit. En septembre 1403, le sire de Belrain attaqua la cité de Metz et s’empara de la forteresse de Montigny106. Cela s’apparentait à une simple action de pillage de la part d’un seigneur de second rang. Pourtant, lorsque les Messins contre-attaquèrent, ils découvrirent dans le château la présence d’une garnison française, porteuse de lettres de Louis d’Orléans demandant au gouverneur de Luxembourg de procurer un soutien logistique au sire de Belrain et de placer des troupes dans toutes les forteresses qui tomberaient entre ses mains. La collusion de la noblesse locale et du duc d’Orléans représentait pour les citains un danger important, annonciateur de conflits de plus grande envergure. Pour les prévenir, ils négocièrent un accord avec le frère du roi de France : le 7 novembre, Louis d’Orléans accepta les excuses de la cité et renonça en échange à toute prétention et à toute demande à l’égard de la ville107.
102 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 103 J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, op. cit., p. 313-314. 104 Cf. Annexe 10 : « la Commune de Metz en 1405 » ( J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit, p. 131). 105 Ibid. : « Louis d’Orléans prend possession du gouvernement du duché de Luxembourg. » La visite des ambassadeurs messins au duc d’Orléans eut lieu à peu près au même moment que celle du duc Charles II, peu après le 28 septembre, date d’arrivée de Louis dans la ville de Luxembourg. 106 Cf. Annexe 10 : « chevauchée du sire de Belrain sur les terres de la cité de Metz ». 107 J.-M. Yante, « Louis d’Orléans, mambour et gouverneur du Luxembourg », art. cit., p. 49. Le duc d’Orléans s’inscrivait ici dans la continuité de la politique des princes lorrains envers la ville de Metz. Il exerçait une pression militaire sur la cité, sans toutefois rompre officiellement et définitivement avec elle. Il n’y avait en effet aucun intérêt, car à cette date Metz hésitait encore entre Wenceslas et Robert de Bavière.
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L’année suivante, l’alerte fut plus sérieuse, lorsque les comtes de NassauSarrebruck et de Salm et les seigneurs d’Apremont et de Boulay lancèrent un défi aux Messins et se présentèrent dans le pays de Metz avec une armée forte d’environ 1 500 hommes108. Deux d’entre eux étaient vassaux du duc d’Orléans109. Quant au comte de Sarrebruck, il revendiquait une partie de l’héritage des sires de Pierrefort et reprenait à son compte les réclamations de cette famille à l’égard de la cité110. Le mode d’action choisi par ces quatre seigneurs et la date de leur intervention ne laissent aucun doute sur leurs objectifs. Ils ne cherchaient aucunement à s’emparer de la ville. Un tel but aurait été, de toute façon, totalement disproportionné par rapport aux moyens dont ils disposaient. En revanche, ils s’en prirent aux propriétés de Burthe Paillat, de Thiébaut le Gournaix, de Bertrand le Hongre et de Pierre Rengnillon, quatre membres des plus riches paraiges de la cité111. Ces pillages, pratiqués en septembre, au moment où les récoltes sont terminées et où les greniers regorgent de provisions, étaient destinés à faire pression sur le patriciat messin, pour obtenir une annulation déguisée des dettes nobiliaires en échange du retour de la paix. Très vite en effet, fut accordé que ilz averoient treze mille florins, sans causes et raisons, sinon qu’ilz les averoient. Et en eulrent lettre seellée de la cité, et avec ce eulrent ilz plesges de plusieurs seigneurs, chevaliers et escuiers, et aultres boins bourgeois, avec leur seel, de les paier et satisfaire, au jour nommé112.
La paix fut rétablie par l’entremise de Frédéric de Mörs, comte de Sarrewerden. En novembre 1404, les citains de Metz acceptèrent, après quatre ans d’hésitations, de reconnaître Robert de Bavière comme roi des Romains113. Depuis deux ans au moins, ils se heurtaient à une hostilité latente de la part du duc d’Orléans. D’un autre côté, Robert de Bavière avait plusieurs fois montré des signes d’impatience face à leurs atermoiements. Ils ne pouvaient se mettre à dos à la fois le roi des Romains
108 Cf. Annexe 10 : « première attaque des quatre seigneurs contre la ville de Metz ». Pour comparaison, la troupe que le sire de Belrain avait lancée à l’assaut de la forteresse de Montigny ne comptait que 200 lances. 109 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 157-160. Il s’agit de Gérard, sire de Boulay, et de Jean, comte de Salm. Mais les seigneurs d’Apremont et les comtes de Sarrebruck était également très liés au duc d’Orléans. Amé de Sarrebruck, seigneur de Commercy, était son chambellan, et Huart d’Autel, parent de Jean d’Autel, seigneur d’Apremont, recevait également du duc un fief de bourse de 500 livres. (cf, ci-dessus dans le présent chapitre). 110 J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, op. cit., p. 490. 111 Cf. Annexe 10 : « première attaque des quatre seigneurs contre la ville de Metz ». L’auteur de la chronique prend bien soin de préciser à qui appartenaient les terres prises ou saccagées par les troupes des quatre seigneurs, preuve qu’il ne s’agissait pas du pillage à l’aveugle du territoire de la cité. 112 Ibid. La décision fut prise par les citains dont les terres n’avaient pas encore été ravagées par les quatre seigneurs, dans le but d’éviter des pillages et des destructions plus importants. 113 Cf. Annexe 10 : « confirmation des privilèges de la ville par Robert de Bavière, roi des Romains ». Même si la chronique ne le dit pas en toutes lettres, une telle décision implique bien évidemment que la cité de Metz se soit auparavant rangée dans le camp des Wittelsbach, contre Wenceslas de Luxembourg. Le diplôme du roi des Romains, quant à lui, est conservé aux archives municipales de Metz, sous la cote AA 1, no 5.
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et le frère du roi de France. La ville avait peu à attendre de Wenceslas, avec qui elle entretenait des relations souvent difficiles et qui se souciait peu de venir au secours de ses alliés114. Au contraire, le parti bavarois disposait d’une forte implantation en Lorraine et Robert avait tout intérêt à défendre la cité contre d’éventuelles entreprises de la part de Louis d’Orléans115. Le choix fut donc aisément arrêté. Une telle résolution présentait toutefois l’inconvénient de s’aliéner encore davantage le duc d’Orléans, qui pouvait la considérer comme une offense personnelle. En revanche, deux des quatre seigneurs au moins tenaient déjà le parti de Robert de Bavière116. Il n’y avait donc rien à craindre de ce côté. À Metz toutefois, l’application du traité négocié avec le comte de Sarrewerden n’alla pas sans causer de graves difficultés internes. Les gens du Commun, qui ne possédaient pas de propriétés foncières en dehors de la ville, n’avaient pas souffert des attaques des quatre seigneurs. L’indemnité de 13 000 florins, dont la proposition était venue des citains eux-mêmes, leur sembla excessive. Par ailleurs les patriciens, estimant avoir déjà supporté le coût des destructions, firent retomber sur les marchands et sur les artisans le poids de l’impôt nécessaire au versement de la somme117. Tout cela explique le déclenchement de la Commune de Metz, le 25 juin 1405, insurrection au cours de laquelle les métiers prirent le pouvoir. Une partie des patriciens quitta la ville et l’un d’eux, Nicole Grognat, fut même tué par les émeutiers. Refusant de reconnaître la paix signée avec les quatre seigneurs, les Messins défièrent le comte de Salm et incendièrent les villes de Puttelange et de Morhange, qui étaient en sa possession. Il n’en fallait naturellement pas davantage pour relancer la guerre118. Jusqu’à la fin de l’année 1405, le duc de Lorraine se tint à l’écart du conflit. Officiellement du moins car, comme chacun des princes lorrains, il disposait à l’intérieur de la ville d’un groupe de citains qui étaient ses clients ; ainsi, la révolte de 1405 le concernait également, au moins de façon indirecte. L’exécution de Nicole Grognat par les insurgés ne tint pas tant à son statut de patricien qu’à celui de chef du parti du duc de Lorraine dans la cité119. Or, Charles II entretenait avec la cité des 114 J. Schneider, La ville de Metz au xiiie et au xive siècle, op. cit., p. 486. En 1394, Wenceslas avait placé la ville au ban de l’Empire, parce qu’elle était d’obédience avignonnaise. Il avait autorisé les commerçants et les princes rhénans à se saisir des biens des marchands messins. Depuis, les choses s’étaient arrangées, moyennant finance, mais la méfiance restait de mise entre la cité lorraine et le souverain luxembourgeois. 115 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. 116 H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 117-119. Philippe, comte de Nassau et de Sarrebruck, et Frédéric de Mörs, comte de Sarrewerden, s’étaient rangés du côté de Robert de Bavière dès son élection. Frédéric avait même pris une part active à l’expédition du roi des Romains en Lombardie, jusqu’à la bataille de Brescia. 117 Cf. Annexe 10 : « la Commune de Metz en 1405 ». 118 Cf. Annexe 10 : « la Commune de Metz en 1405 », et « ravages des bandes armées dans le pays de Metz ». L’insurrection de 1405 ne fit que rajouter des ennemis à la cité et donna aux quatre seigneurs l’occasion de reprendre la lutte avec une apparence de légitimité, puisqu’il s’agissait de « vengier la mort de sire Nicolle Grongnat ». 119 Cf. Annexe 10 : « la commune de Metz en 1405 ». Il s’agit là de la première mention du duc de Lorraine dans le récit de la guerre des Quatre seigneurs par les chroniques. La famille Grognat, du paraige de Porte-Moselle, dirigeait la faction du patriciat favorable à Charles II.
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relations parfois tendues120. De surcroît, il était vassal de Louis d’Orléans. L’appui d’un tel prince devait donc répugner à bon nombre de Messins. Lui-même, d’ailleurs, partageait la plupart des griefs que les autres princes pouvaient éprouver à l’égard de la cité. Pensait-il pouvoir s’emparer de la ville ? Toujours est-il qu’il ne pouvait espérer y parvenir qu’à la faveur d’une révolte urbaine121. Il n’est donc pas impossible qu’il ait joué un rôle dans la Commune de 1405, mais les documents ne permettent pas de l’affirmer, ni de dire quels furent ses objectifs et sa stratégie. La tournure des événements toutefois ne pouvait que l’inquiéter. Si la reconnaissance de Robert de Bavière par la cité de Metz allait dans le sens de ses intérêts, la mort de Nicole Grognat en revanche le privait d’un de ses principaux partisans dans la ville. Charles II allait-il être tenté de venger la mort de son client ? S’emploierait-il au contraire à défendre les intérêts de Robert de Bavière et à soutenir la cité contre les entreprises des quatre seigneurs et l’hostilité de Louis d’Orléans ? Préférerait-il s’abstenir de toute implication directe dans le conflit ? Manifestement, toutes les solutions étaient envisageables, puisque le roi des Romains comme le frère de Charles VI effectuèrent des démarches pour obtenir son aide ou, tout au moins, sa neutralité : alors que le duc d’Orléans lui envoyait son chambellan122, Robert de Bavière l’autorisa à arbitrer le conflit entre la ville de Metz et les quatre seigneurs, tout en lui défendant de prendre parti pour l’un ou pour l’autre des deux camps123, preuve qu’il ne lui faisait pas aveuglément confiance dans cette affaire. Pour finir sur la question des origines de la guerre, le rôle de Louis d’Orléans nous semble beaucoup plus important que ce que l’on en a dit jusqu’à présent. Les démarches faites par ce prince auprès de Charles II et l’entrée postérieure du duc de Bar dans la coalition témoignent de sa volonté de diriger l’ensemble de sa clientèle lorraine contre les citains de Metz, cela dans le but de mettre la main sur la cité. Dès lors, le choix des Messins de se ranger dans le camp de Robert de Bavière acquiert à son tour beaucoup plus de relief, puisqu’il fait du duc d’Orléans un adversaire irréconciliable de la ville. Les chroniques messines rendent donc parfaitement compte du faisceau de causes qui donnent à cette guerre un caractère inextricable. Par ailleurs, l’implication au moins indirecte du duc d’Orléans et du roi des Romains dans le conflit rendaient inévitable son extension à l’ensemble de l’espace lorrain, et même au-delà.
120 Voir à ce sujet les querelles entre les citains et le duc Charles II lors de leur croisade commune en Prusse en 1399 (cf. ci-dessus première partie, chapitre 2). La même année, un conflit faillit également éclater entre le duché et la ville : il fallut recourir à l’arbitrage du duc de Bar (A.D.M.M. B 522, no 269). 121 J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, op. cit., p. 489. Au cours d’un entretien oral que nous avons eu avec lui en août 2000, le doyen Schneider, décédé depuis, nous a également confié qu’il était intimement convaincu que le duc de Lorraine était pour quelque chose dans la Commune de 1405, mais que cette affirmation restait impossible à prouver, dans l’état actuel de la documentation. 122 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 79. Sans doute la mission de Louis de Montjoye consistait-elle à éviter que le duc de Lorraine ne prenne ouvertement le parti de la cité de Metz. Mais c’est le même homme que Louis d’Orléans chargea de négocier le traité conclu avec les quatre seigneurs, le 21 janvier 1406. Par conséquent, peut-être a-t-il un moment espéré intégrer Charles II dans la coalition. 123 Martène et Durand, Amplissima collectio veterum scriptorum et monumentorum, Paris, 1724, 9 vol. in-folio, t. IV, col. 130, cité d’après E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 79.
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Dès le début de l’année 1406 en effet, le jeu des systèmes d’alliances produisit en Lorraine un engrenage diplomatique qui plongea la région dans un conflit généralisé124. L’alliance du duc de Lorraine et des citains de Metz fut conclue le 2 janvier 1406125. Elle mettait, comme à Toul en 1401, le frère du roi de France et son vassal face à face. L’affrontement direct avait alors pu être évité. Mais les deux princes étaient seuls en cause et Louis d’Orléans devait encore compter avec l’influence dont disposait Philippe le Hardi dans la région. La mort de celui-ci en revanche lui avait permis d’affirmer beaucoup plus ouvertement ses ambitions et de tenter de mettre à profit la faiblesse momentanée de Jean sans Peur, exclu du pouvoir à Paris126. Charles II ne pouvait plus espérer mener un jeu de balancier entre les ducs d’Orléans et de Bourgogne, car la position respective de ces deux princes était déséquilibrée. L’alliance de Charles II avec la ville de Metz ne correspondait donc pas tant à un revirement de la diplomatie ducale qu’à une légère inflexion de l’équilibre des forces au niveau international et local, ce dont le duc de Lorraine ne prit peut-être que progressivement conscience, d’avril 1404 à janvier 1406127. L’accord du 2 janvier 1406 en tout cas entraîna la majeure partie des forces politiques lorraines dans la guerre. Aux quatre seigneurs et à leurs alliés s’opposaient désormais non seulement la cité de Metz et le duché de Lorraine, mais aussi l’évêché de Metz et le comté de Vaudémont128. Charles II reçut l’appui de ses parents, tout comme il avait apporté son aide à son beau-père quelques années auparavant. Comme en témoignent les instructions données à son ambassadeur envoyé auprès de son gendre, Robert de Bavière s’empressa de manifester sa solidarité et l’intérêt qu’il portait à l’évolution de la situation en Lorraine : [1] Premièrement, vous devez montrer la lettre de créance du roi et répondre en son nom les choses qui s’ensuivent : monseigneur le roi lui a proposé son amour et son amitié et a demandé des nouvelles de sa santé, et en particulier de ce qu’il en était de sa guerre ; monseigneur le roi souhaite particulièrement qu’elle se déroule selon ses vœux, et il lui demande de l’en informer. [2] Item, ensuite vous devez lui dire : monseigneur le roi lui fait dire que, si le duc d’Orléans ou quelqu’un d’autre veut lui faire violence et lui causer du tort, dans ce cas le roi ne l’abandonnera pas ; il veut lui envoyer notamment un de ses fils avec des hommes, pour qu’il le serve fidèlement. Il veut œuvrer pour que lui et son duché ne subissent aucun dommage ou préjudice ; et si cela s’avère nécessaire, monseigneur le roi est prêt à y contribuer personnellement129.
Il semble bien que le roi des Romains ait tenu parole et que Louis de Bavière, son fils, se soit rendu en Lorraine pour soutenir militairement la cause de Charles II contre les quatre seigneurs. Le conflit débordait ainsi du cadre régional où il s’était
124 Cf. Annexe 10 : « alliance de la cité de Metz avec l’évêque de Metz Raoul de Coucy, le duc Charles de Lorraine, et Ferry de Lorraine, comte de Vaudémont ». 125 A. de Circourt, N. van Werveke, Documents luxembourgeois à Paris, op. cit., no 234. 126 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 58-69. 127 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 79. 128 Cf. Annexe 10 : « alliance de la cité de Metz avec l’évêque de Metz Raoul de Coucy, le duc Charles de Lorraine, et Ferry de Lorraine, comte de Vaudémont ». 129 Document en allemand cité par J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. VI, no 30, p. 66-67.
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jusqu’alors cantonné. Par ailleurs, le duc de Lorraine battit le rappel de ses vassaux et de ses alliés : dès 1406, il obtint le soutien des comtes de Deux-Ponts, des sires de Bitche, de Daun, de Lichtenberg et de Ribeaupierre et parvint à rassembler autour de lui une coalition hétéroclite mais imposante, à laquelle vint se joindre le seigneur de Blâmont à partir du 22 février 1407130. Dans le même temps, les quatre seigneurs ne restèrent naturellement pas inactifs ; dès le 21 janvier 1406, ils rendirent officielle leur alliance avec Louis d’Orléans. Celui-ci leur accorda une somme de 6 000 francs pour couvrir les dépenses liées à la conduite des opérations, et chargea Amé de Sarrebruck, son chambellan, de son paiement effectif131. Le 3 mars suivant, Édouard de Bar, marquis du Pont, à qui le vieux duc Robert avait confié le gouvernement du duché, s’entendit à son tour avec le frère de Charles VI et lui promit son concours, à hauteur de 50 lances132. Le même jour, Philippe, comte de Nassau-Sarrebruck, devint vassal du duc d’Orléans pour une pension de 1 000 francs133. Tous ces traités étaient dirigés officiellement contre la ville de Metz « et leurs aidans ». Officiellement, les ducs d’Orléans et de Lorraine n’étaient pas ennemis. Dans la réalité cependant, leurs troupes pouvaient s’affronter à tout instant, Charles II ayant placé une garnison à l’intérieur de la cité. Au sein de l’espace lorrain, trois duchés, cinq comtés, un évêché, une cité et plusieurs seigneuries se trouvaient désormais directement concernées par la guerre des Quatre seigneurs, dans laquelle intervenaient également le duc Louis d’Orléans et le roi des Romains Robert de Bavière134. Il ne s’agissait donc pas d’une petite affaire.
130 Le traité d’alliance entre le sire de Blâmont et le duc de Lorraine est parvenu jusqu’à nous (A.D.M.M. B 576, no 12). Dans les autres cas, ce sont des quittances qui mentionnent le service de certains nobles lorrains aux côtés de Charles II contre les quatre seigneurs : BnF Col. Lor., no 5, f. 18 et 24 (Frédéric et Hanneman, comtes de Deux-Ponts) ; BnF Col. Lor., no 5, f. 20, et no 5 bis, f. 117 (Anselm et Godeman, seigneurs de Bitche) ; BnF Col. Lor., no 5, f. 48 et 50 (seigneurs de Lichtenberg) ; BnF Ms. fr. 11823, f. 162-163 (Smassmann, seigneur de Ribeaupierre) ; et BnF Col. Lor., no 86, f. 35 (Dietrich, seigneur de Daun) . 131 A.D.M.M. B 889, no 137 : chacune des deux parties contractantes (le duc d’Orléans et les quatre seigneurs) s’engagea à mettre sur pied une troupe de 150 hommes d’armes « a l’encontre des dessusdits de Mets et leurs aidans, la guerre durant. (…) Item est chargez messire Ame de Sairebruche de l’argent que mondit seigneur d’Orliens doit faire aux dits quatre seigneurs, lequel a raportez que ilz auront six mille frans. » 132 A.D.M.M. B 424, f. 238 : il s’agissait d’une alliance offensive et défensive, car « considerant ce qui pourra ensuir de ladicte poursuite, se faire la fault par voye de guerre, que son pays et marquise du Pont sont joingnans aux pays de ceulx de Mets, et les dommaiges que iceulx et leur pays pourroient souffrir se il n’y pouveoit », le duc de Bar se joignit au duc d’Orléans « tant pour le lignage dont il appartient a icelui monseigneur d’Orleans, comme pour certaines autres causes justes et raisonnables que a ce le muevent ». Cette dernière expression renvoie bien évidemment aux multiples conflits entre Robert de Bar et la cité de Metz dans la seconde moitié du xive siècle. Le duc souhaitait sans doute se venger de sa capture par les Messins en 1370. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. Depuis 1401 enfin, Robert, paralysé par la goutte, avait fait donation de ses États à son fils aîné, Édouard (G. Poull, La maison souveraine et ducale de Bar, op. cit., p. 373). 133 A.N. K 57 A, no 12, acte publié par A. de Circourt, N. van Werveke, Documents luxembourgeois à Paris…, op. cit., no 240. 134 Nous nous contentons ici de faire état des acteurs qui intéressent directement le duché de Lorraine.
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Parallèlement à la montée des tensions et à l’engrenage diplomatique provoqué par le jeu des alliances, les préparatifs militaires s’accélérèrent en Lorraine. Dès avant son alliance avec la ville de Metz, le duc Charles II avait lancé quelques incursions sur les terres du royaume de France et de l’évêché de Verdun135. Il ne faut pas exagérer l’importance de telles chevauchées, étant donné la fréquence des guerres privées et des raids de pillages dans la région. Les territoires contre lesquels elles étaient dirigées ne semblent pourtant pas choisis au hasard. À travers les officiers et les sujets du Royaume, à travers l’évêque de Verdun Jean de Sarrebruck, les attaques du duc de Lorraine constituaient un message d’avertissement à l’encontre de Louis d’Orléans, mentor de la politique royale, et dont la famille de Commercy-Sarrebruck défendait les intérêts en Lorraine136. Inversement, les quatre seigneurs, aidés par les troupes du duc d’Orléans et recevant un soutien logistique sur le territoire du duché de Bar, multiplièrent les ravages dans le pays de Metz137. Le morcellement politique de l’espace lorrain aggrava les effets de ces hostilités : à défaut d’une ligne de front bien définie, chaque camp disposait de bases multiples pour lancer ses opérations. Boulay, Viviers, Pierrefort, Bouconville, Nonsard constituèrent pour les quatre seigneurs à la fois un refuge et un point de départ, tandis que les Lorrains et leurs alliés pouvaient s’en prendre aux comtés de Sarrebruck et de Sarrewerden depuis Albestroff, Sarreguemines et Zweibrücken, au comté de Salm depuis Blâmont, Deneuvre et Turquestein, à la seigneurie de Boulay depuis les terres de l’évêché de Metz, et au duché de Bar depuis de la forteresse de Prény138. La région risquait ainsi d’être mise à feu et à sang. La chronologie du conflit est parfois difficile à cerner. Les combats véritables ne débutèrent pas avant le mois de mai 1406. Le duc de Lorraine semble avoir pris l’initiative de l’engagement des hostilités. Le 21 mai, ses troupes s’emparèrent de la forteresse barroise de l’Avant-Garde139. Ce coup de main décida le duc d’Orléans à agir contre Charles II. Mais comme lors du siège de Toul, il le fit d’une manière 135 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois, op. cit., p. 226, et A.N. J. 681, no 48. Cet acte, publié par Siméon Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy : recherches critiques sur les origines de la mission de la Pucelle, Paris, Hachette, 1887, 334 p. supplément aux Preuves, no XX, montre les saccages commis par les sires de Deuilly et de Thuillières sur quelques villages du Royaume proches du duché de Lorraine, pour les années 1404 et 1405. 136 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. 137 Cf. Annexe 10 : « extension du conflit ». Les chroniqueurs messins ne manquent pas l’occasion de rappeler que lors de sa libération en 1370, le duc Robert de Bar avait juré amitié avec la cité de Metz pour le restant de ses jours. 138 H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 121-125. Voir la localisation de certaines de ces forteresses sur la carte de la figure 4. Le 18 octobre 1406, par exemple, le duc Charles II demanda à quatre de ses vassaux, Érard de Saint-Menge, Jean de Bouxières et Érard et Burnequin de Vandières, d’envoyer les hommes d’armes dont ils disposaient dans le château de Prény, afin d’en renforcer la garnison (A.D.M.M. B 854, no 24). 139 Une mention d’un registre du receveur barrois de Condé donne la date exacte de cet événement : « Pour les despens de VIII compaignons d’armes, de IIII auboullestriers et de XXXVI ouvriers masson, charpentiers et bougerons pour aidier a garder la forteresse et pour l’enforcier, dez le XXIe jour de may, que l’Avangarde fuit woignée, jusques au XXVIe jour du dit moix » (A.D.M.M. B 4825, f. 35r).
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indirecte, par le biais de son frère le roi Charles VI. Prenant prétexte des atteintes permanentes portées par le duc de Lorraine et ses officiers contre les terres et les sujets du Royaume placés sous la sauvegarde royale, Louis d’Orléans réunit le grand conseil du roi, au cours duquel il fut « deliberé que le grant maistre d’hostel du roy [ Jean de Montaigu] et l’admiral de France […] Pierre de Breban, dit Clignet, a puissance de gens d’armes, yroient ou pays de Lorraine pour contraindre […] le duc a reparer » ses excès140. Dès le mois de juillet, une troupe de 1 000 hommes d’armes et de 500 arbalétriers se présenta sous les murs de Neufchâteau et se fit ouvrir les portes de la ville. Charles II fut incapable de résister à une telle pression militaire. Toutefois, le duc d’Orléans et ses alliés n’avaient pas la partie gagnée : une telle armée coûtait une fortune, d’autant que son ravitaillement s’avéra difficile en raison des ravages opérés par les compagnies de gens d’armes depuis plusieurs mois141. Dans de telles circonstances, un terrain d’entente put être trouvé. Par l’intermédiaire du comte de Saint-Pol et de Ferry de Lorraine, frère de Charles II, un traité fut conclu le 21 juillet 1406, aux termes duquel le duc de Lorraine promettait de se rendre à Paris avant Noël prochain pour répondre de ses actes et remettait aux officiers royaux, comme gage de sa bonne foi, les prévôtés de Neufchâteau et de Châtenois, ainsi que les forteresses du Châtelet, de Thuilllières et de Removille142. Moyennant quoi le roi de France renonçait à la guerre et licenciait ses troupes. Mais le retrait des troupes françaises ne signifiait nullement la fin de la guerre des Quatre seigneurs. En septembre par exemple, plus de 2 000 hommes au service du duc de Bar incendièrent le pays de Metz. Par la suite pourtant, Édouard de Bar fut appelé par le duc d’Orléans en Guyenne pour servir contre les Anglais. Les hostilités marquèrent donc une pause au cours des derniers mois de 1406143. Les Lorrains – et particulièrement les Messins – paraissaient cependant bien conscients des risques que faisaient peser sur eux l’extension du conflit en dehors de la région. Aux alentours de l’Ascension de 1406, les paraiges envoyèrent une ambassade auprès de Robert de Bar, en lui demandant de servir d’intermédiaire auprès de Louis d’Orléans, et de leur proposer des bases de négociations pour un rétablissement rapide de la paix. Pour toute réponse, les ducs de Bar et d’Orléans leur présentèrent un texte prévoyant que la ville serait placée sous la protection commune de ces deux princes, ce qui constituait une véritable provocation pour des citains soucieux de préserver l’indépendance de leur cité ainsi que son statut
140 Cité d’après P. Marot, « Neufchâteau au Moyen Âge », op. cit., p. 96. Il est à noter que Jean de Montaigu et Clignet de Brabant appartenaient à la clientèle de Louis d’Orléans. Après la mort de celui-ci, le 23 novembre 1407, ils figuraient encore parmi les principaux chefs du parti orléanais, puis armagnac. 141 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 87-88, et pièce justificative no XI (BnF pièces orig. 1517, dossier 24440). 142 A.D.M.M. B 834, no 175, et A.N. J 681, n°s 41-43. Neufchâteau et Châtenois étaient confisqués en tant que fiefs du duc de Lorraine relevant du roi de France. Quant aux places fortes du Châtelet, de Removille et de Thuillières, elles constituaient le point de départ des chevauchées que les sires de Deuilly et de Thuillières menaient régulièrement depuis deux ans sur les terres du Royaume. 143 H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 124.
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de ville libre d’Empire144. La guerre reprit donc, mais cette fois avec des objectifs plus clairs : Louis d’Orléans et Robert de Bar voulaient, en s’emparant de Metz, établir leur suprématie sur toute la Lorraine. Pour arriver à leurs fins, il leur faudrait briser l’opposition que le duc de Lorraine ne manquerait pas de mettre à un tel projet. Le 8 mai 1407, lors d’une entrevue à Épernay, Louis d’Orléans, Robert et Édouard de Bar et les quatre seigneurs renouvelèrent l’alliance conclue un peu plus d’un an auparavant. Le texte du traité était cette fois directement dirigé contre Charles II145. Mais leurs entreprises furent marquées par une succession d’échecs. Dès le 5 mars 1407, Amé de Sarrebruck, l’un des principaux chefs de guerre du duc d’Orléans, était tombé aux mains du duc Charles II au cours d’une embuscade à Condé-sur-Moselle. Quelques mois plus tard, en juillet, une tentative de coup de main contre Metz échoua lamentablement, mettant ainsi en évidence la capacité de résistance de la cité lorraine146. Pour la faire céder, les alliés décidèrent de s’en prendre au duc de Lorraine, levèrent une armée très puissante commandée par le sire de Bracquemont, nommé par Louis d’Orléans maréchal de Luxembourg, et marchèrent sur Nancy. Charles II ne se laissa pas assiéger dans sa capitale et décida de rencontrer les coalisés à Champigneulles, à quelques kilomètres au nord de la ville, avant le 2 août 1407147. Sa victoire fut complète : il parvint en effet à faire prisonniers le maréchal de Luxembourg et les comtes de Salm, de Sarrewerden et de Sarrebruck148. La puissance militaire des quatre seigneurs était momentanément anéantie.
144 Cf. Annexe 10 : « projet de garde de Louis d’Orléans et du duc de Bar sur la ville de Metz ». À la fin de l’année 1406, le duc de Lorraine envoya également trois de ses conseillers à Paris, sans doute pour négocier à propos de l’application du traité signé le 21 juillet précédent à Neufchâteau (BnF Col. Lor., no 5, f. 51). Mais « aucune indication ne nous permet de dire quel fut le succès de leur ambassade » (E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 90). 145 A.N. K 56, no 13 bis, acte publié par A. de Circourt, N. van Werveke, Documents luxembourgeois à Paris, op. cit., no 255 : « s’il advient que nous mouvions ou commencions guerre par nous ou par noz gens au duc de Loheraine ou a ses aliez, ou que le dit duc de Loheraine ou ses aliez […] nous meuve ou face aucune guerre ou a l’un de nous […] ». 146 Cf. Annexe 10 : « tentative de coup de main contre la ville de Metz ». J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècle, op. cit, p. 500, date cet événement du 9 juillet 1407. 147 La date de la bataille s’avère difficile à établir. E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 93, opte pour la seconde quinzaine de juillet. Nous le suivons sur ce point car, le 2 août suivant, Charles II reçut du roi de France un sauf-conduit pour se rendre à Paris. Si la bataille avait eu lieu après le 13 août, comme le pense H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 125, alors il faudrait admettre que le duc de Lorraine aurait été absent le jour du combat, ce que démentent toutes les relations qui en sont faites. Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi Louis d’Orléans aurait cherché à négocier avec un adversaire qu’il pensait être sur le point de vaincre. 148 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 93-94. H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 126, quant à lui, explique la défaite des quatre seigneurs par l’absence d’un commandement unique, confié dans l’armée adverse au duc de Lorraine. Tous les récits du combat mentionnent également le désaccord entre le sire de Bracquemont et Édouard de Bar. Celui-ci voulait prendre d’assaut la forteresse de Frouard avant de livrer bataille, pour pouvoir disposer d’un refuge en cas de problème. Devant le refus du maréchal de Luxembourg, Édouard préféra rentrer dans ses États, ce qui explique qu’il ne figure pas au nombre des prisonniers.
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La bataille de Champigneulles représente une date très importante dans l’histoire du duché de Lorraine à la fin du Moyen Âge. Pour la première fois, un duc de Lorraine s’opposait, dans une bataille rangée, aux troupes d’un prince du Royaume. Mieux même, il parvenait à les battre. Le silence des sources à propos de cet événement n’en est que plus assourdissant. Passe encore que les chroniques françaises et bourguignonnes n’en disent pas un mot. Admettons également que celles de la ville de Metz ne le mentionnent pas, préoccupées avant toute chose de mettre en valeur la gloire de la cité. Mais deux documents d’époque seulement y font directement allusion149. Un siècle plus tard, le souvenir semble également s’en être plus ou moins perdu, si l’on en juge par le récit très flou de la Chronique de Lorraine à ce sujet : Les ducs de Bar souventes fois la guerre en Loheregne faisoient, dont une rencontre des Loherains et des Barrisiens se rencontrerent a Pougny de Froward, dont il morut moult de gens de bien d’un coustel et d’altre. Une altre rencontre feirent après de Condé, dont la pluspart des Barrisiens furent prins et tués150 ».
La réalité de la rencontre et son issue ne font cependant aucun doute. Toutefois, pour être totale, la victoire de Charles II n’était en rien décisive. Maître du gouvernement royal, le duc d’Orléans pouvait aisément reprendre le combat. À long terme, aux yeux des contemporains, sa victoire pouvait même paraître inévitable. Sans doute est-ce pour cette raison que le duc de Lorraine accepta, ou proposa, de reprendre les négociations avec la partie adverse. Le 2 août, Charles VI lui accorda un sauf-conduit pour venir à Paris conférer avec lui et le duc d’Orléans. Rien n’a filtré de ces pourparlers151. Mais il est certain qu’ils n’aboutirent pas : dès le 13 août, Charles II revint en Lorraine et rédigea un premier testament dans lequel il interdit que l’on mariât ses filles avec un sujet du roi de France152. Il semble également avoir profité du trajet retour pour mener quelques razzias sur des villages du Royaume voisins de la Lorraine153. Quant au duc d’Orléans, s’il se désengagea momentanément des opérations militaires, il renouvela, dès le 7 septembre, le traité prévoyant une
149 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 93 : « L’histoire de cette rencontre ne nous est connue que par la tradition et par quelques mentions des registres de comptes barrois », sur lesquels s’appuie V. Servais, Annales historiques du Barrois, op. cit., t. II, p. 409-411. Un acte du sire de Bracquemont évoque également sa capture au cours de ce combat : BnF pièces orig. Bracquemont, no 78. Mais ni la Chronique du Religieux de Saint-Denis, op. cit., ni La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., ni Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., ne parlent de cette bataille. 150 L. Marchal (éd.), La chronique de Lorraine, op. cit., chap. VI, p. 9. 151 BnF Col. Lor., no 249, f. 14. Le duc pouvait venir à Paris avec une suite de vingt-cinq personnes, armées ou non. Il pouvait également amener qui il voulait, y compris des hommes bannis du Royaume en raison de leurs méfaits. Tout cela laisse penser qu’à cette date, la situation de Charles II s’était nettement améliorée. 152 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, Preuves, vol. VI, p. XC-XCIV. L’acte est également reproduit en Annexe 12 et analysé ci-dessous, dans ce même chapitre. 153 L’arrêt rendu par le Parlement de Paris, le 1er août 1412, mentionne le pillage des villages d’Amanty, de Landéville, de Melincourt, de Pargny-sous-Mureau et de Taillancourt durant l’automne 1407. Cf. S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves no XX, p. 42-45.
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garde commune avec le duc de Bar sur la ville de Metz154. Cet acte prouve, s’il en était encore besoin, le rôle de Louis d’Orléans dans la guerre des Quatre seigneurs. N’en déplaise à Nordberg155, pour qui le frère de Charles VI n’a agi qu’en tant que seigneur lorrain, chargé du gouvernement du duché de Luxembourg, le duc d’Orléans a bien tout fait pour provoquer l’intervention directe du roi de France en Lorraine, puis pour prolonger la lutte, après la défaite de Champigneulles. À l’automne 1407, la menace orléanaise sur le duché de Lorraine semblait donc toujours aussi forte. La ruine des ambitions orléanaises en Lorraine (1407-1408)
La mort du duc d’Orléans, assassiné à Paris le 23 novembre 1407, sur instigation de son cousin Jean sans Peur, duc de Bourgogne, paracheva l’évolution amorcée quelques mois plus tôt avec la bataille de Champigneulles : elle mit fin, cette fois définitivement, à la présence orléanaise en Lorraine et à la menace qu’elle faisait planer sur le duché. Charles II pouvait envisager de conclure avec ses autres adversaires une paix avantageuse. Il n’attendit d’ailleurs pas la mort de son ennemi pour agir dans ce sens. Sitôt après Champigneulles, il envoya ses troupes ravager les territoires des princes ennemis156. La tâche était d’autant plus aisée que la plupart d’entre eux étaient emprisonnés à Nancy. Non content de s’en prendre aux comtés sarrois ou au duché de Bar, il alla jusqu’à incendier les terres de l’évêque de Verdun, Jean de Sarrebruck, le frère du damoiseau de Commercy, ce qui contraignit celui-ci à acheter le départ des troupes lorraines contre une somme de 400 francs157. Tous ces pillages avaient un but bien précis : contraindre ses adversaires à signer la paix. Le Luxembourg n’avait sans doute été épargné, à l’été 1407, que parce que des négociations s’étaient engagées avec le duc d’Orléans et que ce personnage demeurait redoutable. La manœuvre avait échoué158. La mort de Louis rendit l’alliance du duc de Bar et des quatre seigneurs beaucoup plus fragile. Charles II et les citains de Metz s’employèrent désormais à rompre la cohésion interne de la coalition ennemie.
154 Cet acte ne reprend cependant pas mot à mot le projet de garde commune du mois de février précédent, tel qu’il est présenté dans les chroniques de la ville de Metz. En février, le premier texte prévoyait que « ladite ville et la seigneurie d’icelle nous sera baillée et délivrée par lesdits habitans, comme dit est » (cf. Annexe 10 : « projet de garde de Louis d’Orléans et du duc de Bar sur la ville de Metz »). En septembre, c’est la conquête de la ville par les armes qui est envisagée : « on çais que ladicte ville et seignorie sera conquise par les moyens de nosdis oncle et cousin [Robert et Édouard de Bar] » (A.D.M.M. B 424, f. 224-226). 155 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 184. 156 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 521. Le duché de Luxembourg en revanche semble avoir été épargné, ce que confirme E. Jarry, La vie politique de Louis de France, duc d’Orléans, op. cit., p. 354. 157 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 227. L’auteur se base sur une requête adressée par les chanoines du chapitre de Verdun au roi Charles VI, qui fait état du séjour de plus de 1 200 chevaux sur leurs terres et de la destruction des récoltes. Mais les pillages ne provenaient pas seulement des troupes du duc de Lorraine. Les compagnies du roi de France profitèrent elles aussi de la guerre et de l’insécurité pour mettre le pays à feu et à sang. 158 Voir ci-dessus, dans ce même chapitre, l’échec des pourparlers avec Louis d’Orléans.
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Dès le 24 novembre 1407, les citains de Metz concluaient une paix séparée avec Jean d’Autel, le seigneur d’Apremont159. Mais après la disparition de Louis d’Orléans, c’est la famille de Bar qui faisait figure de principal adversaire de la ville et du duc de Lorraine. Or, privé de l’aide de Louis d’Orléans, Robert de Bar pouvait difficilement espérer s’emparer de Metz. Dès lors, il avait tout à perdre à la prolongation des hostilités. Il lui fallait toutefois préserver son honneur et remplir ses devoirs à l’égard de ses alliés160. Le 10 février 1408, le duc de Bar et son fils se réunirent à Morhange avec les quatre seigneurs, pour tenter de les convaincre de la nécessité d’abandonner la lutte161. Face à leur obstination, Robert et Édouard se sentirent libérés de toute obligation envers eux et se décidèrent à négocier avec Charles II et les Messins. Le 2 juillet 1408 furent signés toute une série de textes rétablissant la paix entre le duché de Bar d’une part, celui de Lorraine et l’évêché et la cité de Metz de l’autre162. Le seul sujet de discorde concerna le sort des principaux responsables de la Commune de Metz en 1405, qui avaient été bannis de la cité lors du retour des patriciens et s’étaient réfugiés, qui dans le duché de Bar, qui dans le duché de Lorraine163. Comme entre-temps un traité avait également été signé entre Charles II, la ville de Metz et l’évêque de Strasbourg164, les quatre seigneurs se trouvaient désormais complètement isolés. Le 25 juillet 1408, un traité, signé par tous les belligérants, mit fin à la guerre des Quatre seigneurs165.
159 H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 127. Cette famille, vassale du duc d’Orléans, n’avait désormais plus de raison majeure de continuer la lutte. 160 Cf. Annexe 10 : « désengagement du duc de Bar ». Aucune alliance n’avait été officiellement conclue entre le duc de Bar et les quatre seigneurs. Mais chacun d’eux avait promis à Louis d’Orléans de ne pas faire de paix séparée avec leurs ennemis communs (voir ci-dessus). Robert de Bar considéra donc que le serment prêté au duc d’Orléans l’engageait aussi envers les comtes de Salm, Sarrebruck, Sarrewerden et le seigneur de Boulay. 161 H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 127. Voir également les chroniques de la ville de Metz en Annexe 10 : « rétablissement de la paix ». La conférence se tint apparemment entre le 10 et le 19 février 1408. 162 Le traité de paix proprement dit est mentionné dans l’inventaire Dufourny du Trésor des chartes de Lorraine, sous la cote A.N. KK 1123, layette Metz évêché, no 76. Mais, le même jour, Robert et Édouard de Bar et les citains de Metz se promettaient mutuellement de cesser entre eux toutes voies de fait (A.N. KK 1127, layette traités et alliances, no 31 et A.D.M.M. B 424, f. 238-239). Les ducs de Bar et de Lorraine, et l’évêque et la cité de Metz conclurent également un traité de Landfried, valable pour six ans, afin de rétablir l’ordre et la sécurité dans leurs principautés (A.D.M.M. B 859, no 20). Toutes les demandes que l’une des parties pouvait faire aux autres devaient être différées jusqu’au terme du Landfried (A.D.M.M. B 424, f. 30-31), qui n’empiétait en rien sur les alliances que chacun pouvait avoir conclues séparément (A.D.M.M. B 424, f. 29-30). D’autres textes concernaient également les bannis de Metz (voir note suivante), ou le comte de Sarrewerden (voir ci-dessous). 163 Les citains voulaient pouvoir agir librement contre eux pendant la durée du Landfried. Les ducs de Bar et de Lorraine et l’évêque de Metz au contraire entendaient les tenir en sécurité. Par un acte passé le 2 juillet, ils promirent de s’entraider, au cas où les Messins tenteraient de faire violence aux bannis réfugiés sur leurs territoires (A.D.M. 16 J 5). Charles II reconnaissait dans ce texte que certains d’entre eux se trouvaient dans le duché de Lorraine : « Car aussi en avons nous en nos pais des bannis et formigiez de ladite cité comme ilz ont ». 164 H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 127. L’évêque de Strasbourg avait pris le parti des quatre seigneurs en 1406. Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. 165 A.D.M.M. B 585, no 164.
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La paix ainsi retrouvée était toutefois conclue sur la base du statu quo ante. Vainqueur militairement, le duc de Lorraine ne tirait en apparence aucun profit de sa victoire. Aucune acquisition territoriale, aucune indemnité financière ne lui était octroyée. Charles II dut se contenter d’avoir écarté le péril que l’alliance des ducs de Bar et d’Orléans avait fait peser sur sa principauté. En réalité toutefois, il ressortit considérablement grandi de l’affrontement. Lorsque, le 10 juillet 1408, Ferry de Lorraine prêta à nouveau hommage au duc de Bar pour son comté de Vaudémont, le ton sur lequel Charles II s’adressa à Robert de Bar montre l’inégalité du rapport de forces qui existait désormais entre les deux ducs : lesd. mons. de Mes et mons. de Lorraine illuec presens prierent bien affectueusement mond. signour de Bar, ausquelles supplications et prieres led. monsignour de Bar obtempera, et tout ce que ledit mons. le conte avoit ou povoit avoir delinqué, meffait et offensé envers luy, pour les causes dont dessus est faicte mention, luy quicta, remist, et pardonna166.
De telles cérémonies étaient naturellement choses courantes après le rétablissement de la paix entre un seigneur et son vassal, mais l’emploi du terme « obtempera » par le scribe n’est pas neutre : il traduit la faiblesse momentanée du duc de Bar après la mort de son allié orléanais, et le prestige rehaussé du duc de Lorraine. Les conséquences du conflit toutefois ne furent pas seulement politiques. Victorieux à Champigneulles, Charles II avait fait prisonnier un grand nombre de ses ennemis. Il pouvait espérer en tirer de belles rançons. Évoquant les suites de cette bataille, Dom Calmet, repris par un certain nombre d’historiens locaux, affirme que les comtes furent taxés à hauteur de 60 000 écus, et les barons de 30 000167. Le duc de Lorraine aurait ainsi pu recevoir 180 000 écus de la part des comtes de Salm, Sarrebruck et Sarrewerden, et 60 000 de la part du maréchal de Luxembourg et d’Amé de Sarrebruck. Il semble toutefois que l’érudit bénédictin se soit quelque peu emballé et qu’il faille réviser très nettement à la baisse les sommes effectivement perçues par le duc Charles II. Partons donc des informations que nous livrent les documents. L’accord du 25 juillet 1408 comportait une clause explicite concernant les rançons dues par les hommes faits prisonniers de part et d’autre :
166 A.D.M.M. B 611, no 4. À l’époque, la pluralité des hommages et des liens de fidélité contraignait assez fréquemment des vassaux à entrer en guerre contre leurs suzerains. Ils perdaient alors, au moins théoriquement, la jouissance de leurs fiefs. Mais ils en retrouvaient le plus souvent la possession à la fin du conflit, à condition toutefois de prêter un nouvel hommage dans un délai d’un an et un jour après le rétablissement de la paix. 167 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 521. L’auteur se base sur une vie manuscrite du duc Charles II qui ne nous semble pas très fiable. Ces informations sont reprises par A. Servais, Annales historiques du Barrois, op. cit., p. 411, A. Ruppersberg, Geschichte der ehemaligen Grafschaft Saarbrücken, Sarrebruck, 1908, 4 vol, p. 195. La seule rançon dont nous pouvons confirmer le montant est celle d’Amé de Commercy. Elle s’élevait bien à 30 000 écus (A.D.M.M. B 629, no 102, cité par S. François-Vivès, Les sires de Commercy au Moyen Âge, op. cit., p. 116), mais rien n’indique qu’ils aient effectivement été payés.
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Item, parmi ceste presente paix, tous prisoniers d’un costei et d’autre, noble et non noble, tant de Mes comme autrez, tous doniers et rensons que paiée ne sont, sont et demourent tous quite168.
Autrement dit, peut-être le duc de Lorraine a-t-il effectivement fixé le montant des sommes à verser à 60 000 écus pour un comte. Dès le 4 septembre 1407 en effet, soit moins de deux mois après Champigneulles, les comtes de Salm, Sarrewerden et Sarrebruck ont été libérés et on imagine mal Charles II ne prendre aucune garantie au moment de leur élargissement169. Mais le traité final annula toutes les rançons qui n’avaient pas été effectivement payées et il est pour le moins très improbable que les quatre seigneurs, privés de surcroît des subsides de Louis d’Orléans, aient pu réunir une telle somme en moins d’un an170. Il y a donc tout lieu de penser que le duc de Lorraine n’a pu obtenir que bien peu d’argent de leur part. Deux personnages toutefois étaient exclus des clauses de la paix : Item, en ceste presente paix et escord n’est alcunement conpris mess. Ameis de Sairebruche, ne toz altrez prisoniers qui estoient en son servixe le jor qu’il furent pris, por cause de ceu que mess. Ameis dessus dis estoit en ladite guerre a ces peril et fortune sicome il dit. Et parellement, n’i sont point compris le sire de Braiquemon, jaidiz mairechal de feu monss. d’Orloians que Deu pardoint, ne autrez prisoniers pris en sa compaigniez, qui de part monss. d’Orliens que Deu pardoint ou de part lui estoient, le jour qu’il fuit pris sus les champz171.
Charles II a bien compris qui étaient ses adversaires les plus acharnés et d’où provenait le danger le plus important. Alors que les quatre seigneurs obtinrent très vite leur liberté, les hommes les plus proches du duc d’Orléans restèrent emprisonnés même après la conclusion de la paix172. Charles II s’entendit cependant avec eux quelques jours plus tard. Le 9 août 1408, Amé de Sarrebruck lui prêta hommage et promit de ne nuire ni au duché de Lorraine, ni à la cité et à l’évêché de Metz, jusqu’à ce qu’il se soit acquitté envers lui d’une somme de 9 000 francs173. Nous sommes loin des 30 000 écus exigés au départ, mais ce montant s’accorde beaucoup mieux avec les possibilités réelles du sire de Commercy et avec la somme de 6 000 francs exigée
168 A.D.M.M. B 585, no 164. 169 H.-W. Herrmann, Geschichte der Grafschaft Saarwerden, op. cit., p. 125. Plusieurs princes seraient intervenus auprès du duc de Lorraine pour qu’il leur rende leur liberté, notamment certains membres de la famille de Wittelsbach. 170 Par comparaison, la rançon du duc de Bar en 1370 avait été fixée par les Messins à 120 000 florins. Robert n’en avait payé que 20 000. Cela avait pourtant placé les finances barroises dans une situation catastrophique. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 171 A.D.M.M. B 585, no 164. 172 Cela constitue selon nous un indice supplémentaire du rôle déterminant joué par le duc d’Orléans dans la guerre des Quatre seigneurs. 173 A.D.M.M. B 629, no 102. Dans cet acte, Charles II multiplia les précautions envers Amé de Sarrebruck. Celui-ci ne serait libéré de ses obligations que six mois après le versement effectif de la rançon et à condition de renoncer publiquement à cet hommage. Le damoiseau de Commercy n’était pas seulement l’un des hommes les plus proches de Louis d’Orléans. Il figurait aussi parmi les chefs de guerre les plus redoutables de la région.
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par ailleurs du sire de Bracquemont174. Si l’on ajoute à cela les hommes capturés en même temps qu’eux, on peut estimer à 20 000 francs maximum l’argent des rançons obtenu par le duc de Lorraine. Encore faudrait-il savoir s’il a été versé en totalité. Le profit que Charles II a retiré de la guerre des Quatre seigneurs et de ses victoires, sans être négligeable, ne représentait pas pour autant une énorme manne financière. Dans l’immédiat, il lui permit d’indemniser sans trop de difficultés les pertes de ceux qui s’étaient placés à son service et de payer la solde de ses troupes, ce qui lui épargna de délicates négociations avec ses vassaux et alliés175. À moyen terme, il contribua à aggraver un peu plus la tutelle que le duc de Lorraine faisait peser sur l’évêché de Metz. Raoul de Coucy ne possédait pas les ressources de son allié et, s’il participa à la guerre, il ne récupéra rien des rançons des prisonniers. Le conflit ne fit qu’aggraver l’endettement chronique dont souffrait le temporel épiscopal : le 2 juillet 1409, Raoul dut engager à Charles II, en échange d’un prêt de 800 florins, la moitié de la châtellenie de Lutzelbourg, ce qui renforça l’implantation ducale dans le massif vosgien à l’est de la Sarre176. Pour Charles II, le bilan de la guerre des Quatre seigneurs s’avère donc mitigé. Il est certes parvenu à conjurer la menace orléanaise, mais au prix d’un conflit généralisé dans l’espace lorrain et du réveil du vieil antagonisme entre les duchés de Bar et de Lorraine. Le prestige et les finances ducales n’en ont pas vraiment souffert, mais le territoire du duché n’a pas été épargné par la guerre, sans que le duc puisse accroître ses possessions ou s’enrichir notablement. Le conflit a essentiellement sonné le glas des ambitions orléanaises dans les régions situées entre le Royaume et l’Empire. Dès lors, le véritable vainqueur n’était-il pas le duc de Bourgogne ? Le duc de Lorraine dans l’orbite bourguignonne (1408-1418) Charles II, client de Jean sans Peur
L’entrée de Charles II dans le parti du duc de Bourgogne peut être datée de façon très précise. Le 6 avril 1408, Jean sans Peur lui accorda une pension annuelle de 2 000 francs, plus quinze francs par jour passé à son service. En contrepartie, le duc de Lorraine s’engagea à répondre à chacune de ses réquisitions177.
174 V. Servais, Annales historiques du Barrois, op. cit., p. 411. Le sire de Braquemont ne retrouva la liberté que le 4 août 1409, soit près d’un an après Amé de Sarrebruck (BnF, pièces orig., Braquemont, no 98). 175 La collection de Lorraine, à la Bibliothèque Nationale, fourmille de quittances relatives au remboursement des frais de guerre supportés par les serviteurs du duc de Lorraine au cours de la guerre des Quatre seigneurs. Les documents les plus nombreux se trouvent dans les manuscrits no 5 et 5 bis. La plupart d’entre eux datent des années 1406 à 1408 ; certains paiements s’étalèrent toutefois jusqu’en 1417. 176 A.D.M. G 145. Une fois de plus, Charles II procéda au rachat d’une terre auparavant engagée à un autre seigneur. Le duc de Lorraine apparaissait donc de plus en plus comme le créancier unique de l’évêque de Metz. Voir également sur ce sujet ci-dessus première partie, chapitre 2 et figure 12. 177 Annexe 11.
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Certains historiens, dont Nordberg, font remonter la première rente versée par Jean sans Peur à Charles II au printemps 1406. Ils se basent sur quelques sources mentionnées par Dom Plancher178, qui ne sont malheureusement plus disponibles aujourd’hui. Ils évoquent par ailleurs, en guise d’explication, le revirement politique du duc de Lorraine, qui se serait tourné vers la Bourgogne au moment où il entrait en guerre contre le duc d’Orléans. Ces arguments ont leur cohérence. Ils ne tiennent pas compte toutefois de l’acte de 1408, qui à aucun moment ne fait mention d’une telle pension précédemment accordée au duc Charles II. Girod a également démontré que l’un des documents utilisés par Dom Plancher était mal daté179. Quant à Pocquet du Haut-Jussé, il ne trouve pas non plus de trace de paiement accordé par Jean sans Peur à Charles II en 1406180. D’ailleurs, si la guerre des Quatre seigneurs rendit à plus ou moins long terme inévitable le rapprochement de la Lorraine et de la Bourgogne, c’est la mort du duc d’Orléans qui contribua de façon décisive à l’accroissement de l’influence politique de Jean sans Peur et à la constitution d’un parti bourguignon homogène et soudé, en Lorraine comme ailleurs181. On peut donc tenir pour acquis que le duc de Lorraine n’appartenait pas à la clientèle politique de Jean sans Peur avant le printemps 1408. Mais il y fit alors une entrée remarquée. Le mandement du duc de Bourgogne lui accorda en effet « la somme de deux mil frans d’or de pension182 », ce qui montre quel prix Jean sans Peur accordait à son alliance. D’ailleurs, celui-ci demanda aussitôt à son receveur d’avancer la date du premier paiement « pour ce que darrenierement nostre dit cousin a eu et supporté de grans fraiz en nostre compaignie et service », et justifia une telle générosité par « plusieurs grans et notables services et plaisirs » que Charles II « nous ait fait par maintes foiz ». L’expression, conventionnelle et
178 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 183-184. U. Plancher, Histoire générale et particulière de Bourgogne, Paris, 1974, p. 241 et 579. Le 26 juillet 1407, Jean sans Peur, par mesure d’économie, supprima toutes les pensions accordées à ses alliés et serviteurs depuis son arrivée au pouvoir. Le 1er décembre suivant, il fit exception de cette décision pour le duc de Lorraine, ce qui implique que Charles II appartenait à la clientèle bourguignonne dès avant 1408. 179 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 103. L’auteur reprend les références de Dom Plancher et constate que le document du 1er décembre auquel il fait allusion doit être daté de 1408, et non de 1407. De ce fait, la rente attribuée par Jean sans Peur au duc de Lorraine pourrait bien avoir été versée, pour la première fois, le jour de Pâques 1408, comme le prévoit l’acte du 6 avril. 180 B.-A. Pocquet du Haut-Jussé, « Les pensionnaires fieffés des ducs de Bourgogne, de 1352 à 1419 », art. cit., p. 137-150. Lui aussi donne le 6 avril 1408 comme date pour l’octroi d’une pension au duc Charles II. 181 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 78-83. Dès décembre 1407, Jean sans Peur obtint le soutien de ses sujets, de ses parents et de ses alliés, qui déclarèrent approuver et justifier son crime. La disparition de Louis d’Orléans provoqua aussi un vide qui poussa de nombreux princes, comme Robert et Édouard de Bar, à se rapprocher du duc de Bourgogne. G. Poull, La maison souveraine et ducale de Bar, op. cit., p. 375. 182 Cf. Annexe 11. Les citations qui suivent sont également tirées de ce document. Une telle somme plaçait le duc de Lorraine parmi les principaux bénéficiaires de la générosité de Jean sans Peur. Seuls Jacques de Bourbon (10 000 francs), Waleran de Luxembourg (8 000 francs), Gui de la Trémoille (5 000 francs) le comte de Namur (4 000 francs), et Édouard de Bar (3 000 francs) reçurent des pensions plus élevées, mais durant une période souvent moins longue.
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stéréotypée, renvoie toutefois certainement à une réalité. Nordberg veut y voir l’opposition que le duc de Lorraine a mise aux projets d’expansion de la principauté orléanaise entre Meuse et Rhin183. Certes, Charles II a fait le jeu du duc de Bourgogne au cours de la guerre des Quatre seigneurs, mais tout porte à croire, comme nous l’avons vu, que Jean sans Peur s’est contenté d’observer de loin le déroulement du conflit. Il faut davantage y voir, selon nous, la récompense du déplacement parisien effectué par le duc de Lorraine et par son frère Ferry à Paris, « en armes », pour assister à la justification du meurtre du duc d’Orléans par le théologien Jean Petit, le 8 mars 1408184. Si la Lorraine constituait en effet pour le duc de Bourgogne un théâtre d’opérations important, l’enjeu essentiel se situait pour lui à la cour du roi, à Paris, puisque son objectif premier résidait dans le contrôle du gouvernement royal185. De ce point de vue, le soutien que lui fournit la maison de Lorraine était inappréciable. L’acte du 6 avril 1408 fixait très précisément les modalités de paiement et d’indemnisation du duc de Lorraine lorsqu’il se trouvait au service de Jean sans Peur186. Celui-ci attendait de la part du duc de Lorraine, deux formes de services. D’une part, il lui demandait de l’assister, autant que possible, de sa présence et de ses conseils, auquel cas il recevrait des « gaiges ». Et de l’autre, il faisait de Charles II l’un de ses capitaines de guerre, lui accordait dans ce cas un « estat » beaucoup plus élevé, et prenait à sa charge la solde de ses troupes187. Le duc de Lorraine se trouvait donc étroitement intégré à la clientèle de Jean sans Peur et devenait, aux yeux de tous, un fidèle du parti bourguignon. Charles II assuma d’ailleurs cette situation sans aucune difficulté. Les sceaux qu’il utilisa traduisent en effet très clairement l’évolution de ses idées et de ses choix politiques. Les ducs de Lorraine possédaient deux types de sceaux : un grand sceau équestre, où le duc se faisait représenter à cheval, brandissant son épée ; et un petit sceau armorial, où l’écu de Lorraine était supporté par deux animaux et surmonté d’un armet timbré d’une couronne et cimé d’un alérion188. Charles II ne dérogea pas à la tradition, et reprit dès les débuts de son règne un sceau équestre
183 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 184. 184 L. Douët d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. I, p. 176 : « Et pour ce, ledit duc de Bourgongne se party de Saint-Denis, en sa compaignie le conte de Nevers, son frere, et le conte de Cleves, son beau-filz ; et si y estoit le duc de Lorraine qui l’accompaignoit. Et tous ensemble, tres bien armez et grant compaignie de gens, entra dedens la ville de Paris en entencion de justifier son fait et sa querelle ». Cette action constitua en effet la première manifestation tangible du soutien apporté par Charles II au duc de Bourgogne. 185 B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 121-137. 186 Cf. Annexe 11. Dans le contrat qui liait Charles II à Louis d’Orléans en revanche, seul le montant de la pension était spécifié. 187 Cet aspect revêtait d’autant plus d’importance aux yeux du duc de Bourgogne que Charles II avait fait montre de sa valeur à la bataille de Champigneulles. 188 « Sceaux de l’histoire lorraine », in Lotharingia I, op. cit., p. 75-117. Deux des plus beaux exemples de sceau équestre et de petit sceau du duc Jean Ier se trouvent aux Arch. dép. de Meurthe et Moselle, sous les cotes B 880, no 120 et B 577, no 86. Cf. Figure 15.
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Arch. Meurthe-et-Moselle, B 577 no 86
Arch. Meurthe-et-Moselle, B 601 no 22
Arch. Meurthe-et-Moselle, B 816 no 2
Arch. Meurthe-et-Moselle, B 880 no 120
Figure 15 : Les sceaux du duc de Lorraine
très voisin de celui de son père189. Sur le petit sceau en revanche, il fit remplacer les griffons placés de chaque côté des armes de Lorraine à l’époque de Jean Ier par des lions190. L’apparition de cette nouveauté, postérieure à la guerre des Quatre seigneurs, proclamait aux yeux de tous l’appartenance du duc de Lorraine au parti de Jean sans Peur : le lion, emblème de la Bourgogne, était présenté comme 189 A.D.M.M. B 601, no 22. Les quelques différences concernent des détails : l’absence de chaîne au pommeau de l’épée, le décor ornant le fond du sceau, la position du cavalier sur sa monture. L’acte date de 1394. Cf. Figure 15. 190 A.D.M.M. B 816, no 2, reproduit ci-dessous. L’alliance entre Charles II et Jean sans Peur tarda toutefois à se matérialiser dans la cire, puisque ce type de sceau apparut pour la première fois au cours de l’année 1415.
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le soutien et le garant du duché de Lorraine et de son indépendance. Charles II misait donc lui aussi sur l’aide du duc de Bourgogne pour atteindre ses propres objectifs politiques. Les chroniques de l’époque, celle de Monstrelet surtout, mais aussi celle du Religieux de Saint-Denis, témoignent du rôle de premier plan tenu par le duc de Lorraine dans le parti bourguignon. Elles mentionnent très souvent sa présence lors des grandes phases de la guerre civile qui éclata en France entre les partisans de Jean sans Peur et ceux du défunt duc d’Orléans. Lorsque le duc de Bourgogne prit le pouvoir en France après la conclusion de la paix de Chartres, il fit convoquer Charles II à Paris pour les fêtes de Noël 1409 et l’invita au dîner au cours duquel réapparut l’argenterie royale retrouvée dans les propriétés de Jean de Montaigu, exécuté peu de temps auparavant191. Le duc de Lorraine participa ensuite régulièrement aux séances du conseil royal au cours des mois qui suivirent, puis répondit à l’appel à l’aide de Jean sans Peur à la suite de la formation de la ligue de Gien, réunissant contre lui la plupart des princes du sang royal192. Charles II prit également une part active aux campagnes de 1411 et 1412 contre les troupes armagnaques et se fit notamment remarquer lors du siège de Bourges, où il parvint à empêcher que les hommes du duc de Berry s’emparent d’un convoi d’or et d’argent destiné à payer la solde de l’armée royale193. L’année suivante, on le retrouve à Paris, lors des journées cabochiennes, au cours desquelles il semble avoir suivi pas à pas Jean sans Peur dans ses tentatives pour canaliser la colère des émeutiers contre ses ennemis194. La communauté de vues entre les deux princes se confirme enfin en 1415 lors du débarquement du roi d’Angleterre dans le Cotentin : ni le duc de Bourgogne, ni Charles II ne rejoignirent l’armée royale qui s’en alla combattre contre les Anglais. En revanche, leurs frères,
191 L. Douët d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. II, p. 51-53. L’organisation de ce dîner constitua l’un des moments forts de la propagande politique de Jean sans Peur. La paix de Chartres, conclue en mars 1409, lui avait permis de se rendre maître de Paris et du Royaume. Il en avait alors profité pour éliminer Jean de Montaigu, l’un des principaux serviteurs de Louis d’Orléans, et montrer ainsi à la fois la corruption de ses adversaires et sa propre volonté de réforme. 192 G. Poull, La maison souveraine et ducale de Bar, op. cit., p. 375, et BnF Col. Bourg., no 65, f. 98. La troupe menée par Charles II et son maréchal Gérard de Haraucourt rassemblait sept chevaliers bannerets, quinze chevaliers bacheliers, près de trois cents écuyers et soixante archers et arbalétriers, soit un total de 733 hommes d’armes (pour le mode de calcul, voir ci-dessus première partie, chapitre 1). 193 L. Douët d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. II, p. 277-279 et B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 111. Cet épisode du siège de Bourges ne constitue pas un fait militaire de première importance. Il semble cependant révélateur de la place acquise par les troupes lorraines et par le duc Charles II au sein des armées bourguignonnes. 194 L. Douët d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. II, p. 345-351. Proches des idées du duc de Bourgogne, le mouvement cabochien s’appuyait sur le groupe des commerçants, et plus particulièrement sur les bouchers. Il déclencha une insurrection à Paris en avril 1413, au moment où le Dauphin faisait une place de plus en plus large aux Armagnacs dans son entourage. La révolte renforça dans un premier temps la position de Jean sans Peur, puisqu’elle lui permit de faire arrêter ses principaux ennemis politiques. Charles II participa à la journée du 28 avril, au cours de laquelle son ennemi personnel Édouard de Bar fut emprisonné et, le 20 mai suivant, il tenta vainement, aux côtés de Jean sans Peur, de calmer la colère des Cabochiens.
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Antoine et Philippe de Bourgogne, ainsi que Ferry de Lorraine, furent tous trois retrouvés morts sur le champ de bataille d’Azincourt le soir du 25 octobre 1415195. Ce désastre ne ramena toutefois pas la paix intérieure dans le royaume de France : dans les semaines qui suivirent, le duc de Lorraine entra une nouvelle fois en campagne pour le compte de Jean sans Peur196. Une telle énumération peut paraître fastidieuse. Plus que tout autre cependant, elle montre l’étroitesse de l’alliance qui unissait les deux hommes. Tout au long de la vie de Jean sans Peur en effet, celle-ci ne se démentit pas, fondée sur les bases du contrat qui le liait à Charles II depuis le 6 avril 1408 : le duc de Bourgogne payait et le duc de Lorraine servait. Le compte-rendu, non daté, des négociations menées par un envoyé du duc de Bourgogne auprès de Charles II nous le prouve, s’il en était encore besoin. Item, mon dit seigneur de Loherenne, tantost lez novellez oies, ait parlé a aulcuns gens qui li puellent amener gens darmes, lesquelz li ont respondu par la maniere qu’il sensuit : Item, ilz vuellent servir mons. jusques a la sainct Remy ou a la sainct Martin a plus long, parmey que mons. de Bourgogne donne addes a deix homme d’armes mille francs, c’est assavoir a chascun homme d’armez C francs. Item, il fault que on se accordosse a capitennez pour les gaiges de lour corps, lesquelz ne sont point compris ez sommes dessus ditez, maix mons. y aiderait a traitier le mieulx quil polrait. Item, vuellent ceulz a cui que mons. a parlé que on lour respondosse pour lour perdes, ou se non, que tout ce qu’il gengneront soit a eulz, fuit de prisons ou d’aultre chose, et que le plain paiix lour soit abandonné pour panre vivres, soit qu’ilz fuissent logiez en bonne villez ou non. Item, se mons. de Bourgogne se vuelt accorder a cest mathiere et appointement, mons. de Loherenne li peult amener IIIIc hommes d’armes, oultre lesquelz il monneroit plus d’arbeltriers qu’il polrait, bien monté et armé, maix il falrait que on donnesse a dous arbeltriers tant comme a ung homme d’armez197.
Ce document jette une lumière très crue sur la nature de la relation entre les deux ducs. Charles II se charge de lever une troupe d’environ 400 hommes d’armes au service du duc de Bourgogne et mène personnellement avec les capitaines et les arbalétriers les discussions relatives au montant de leur solde et à la durée de l’engagement. Mais c’est à Jean sans Peur en revanche qu’il appartient de désigner
195 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 166-168. 196 L. Douët d’Arcq (éd), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. III, p. 126-127. « Mais non obstant ce [le désastre d’Azincourt], sans delat [ Jean sans Peur] se prepara a venir devers Paris, a tout grant puissance de gens d’armes. (…) Si estoit en la compaignie dudit duc de Bourgongne, le duc de Lorraine et bien dix mille chevaulcheurs. » 197 A.D. Mos. B 2344/17. Visiblement, le texte fait référence à une lettre de Jean sans Peur au duc de Lorraine, lui demandant de recruter pour son compte le plus grand nombre possible de gens d’armes. Peut-être peut-on dater ce document d’août 1411, au moment où le duc de Bourgogne dut répondre au défi que venait de lui lancer Charles, le fils de Louis d’Orléans.
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l’adversaire à combattre, de choisir le lieu où doit porter l’attaque et d’effectuer le paiement des hommes d’armes mobilisés198, Le duc Charles II apparaît ainsi comme un simple exécutant de la volonté du duc de Bourgogne, qui utilise l’influence dont il dispose dans l’espace lorrain pour ses propres besoins de recrutement dans la région. Car le duc de Lorraine ne se contenta pas d’un soutien individuel à Jean sans Peur : il lui apporta aussi l’appui de tout son réseau de parents, d’amis et de clients. Son frère Ferry de Lorraine figura lui aussi fréquemment dans l’entourage de Jean sans Peur et jura solennellement la paix de Chartres réconciliant les ducs d’Orléans et de Bourgogne, le 9 mars 1409199. Quelques années plus tard, au moment où la guerre civile battait son plein, il compta parmi les principaux capitaines bourguignons et s’illustra par la reprise de Saint-Cloud, tombé aux mains des Armagnacs, le 9 novembre 1411200. Au-delà de la famille ducale, ce sont d’ailleurs les Lorrains dans leur ensemble qui semblent avoir épousé la cause du duc de Bourgogne, si l’on en croit le Religieux de Saint-Denis : Pendant le siège de Paris, des messagers vinrent apporter de mauvaises nouvelles à ceux qui gouvernaient. Ils annonçaient que les Lorrains, auxquels le duc de Bourgogne avait recommandé de le suivre, s’étaient emparés de la ville de Provins et de son château fort, réputé jusqu’alors à peu près imprenable201.
Quelle réalité recouvre l’emploi du terme « Lorrains » par un chroniqueur d’Ile-de-France ? Si, dans son esprit, le mot ne se cantonne certainement pas aux habitants de la principauté ducale et désigne, de façon générale, les habitants de ces contrées situées entre le Royaume et l’Empire et leur « insatiable rapacité»202, il 198 Ibid. : avant de recruter des troupes, Charles II demande notamment à Jean sans Peur « qu’il me vuelle remander a cui et encontre cui et par quel maniere et s’il vuelt que nous nous en allissiens, et que sur ce nous aiens lettres de lui […] ». À la fin de l’acte, il insiste aussi sur l’absolue nécessité d’un paiement en temps et en heure, pour qu’il puisse répondre aux exigences formulées par Jean sans Peur : « Item, ont dit ceulz a cui que mons. ait parlé qu’il ne partiront point se ilz ne sont paié devant le cop du tout, et se la chose plait entendre a mons. de Bourgongne, il falroit que mons. de Bougongne le fatise savor a mon dit seigneur de Loherenne bien hativement, et mons. parlerait a capitennez pour savor combien qu’il volront avor pour lour corps, et le remanderoit hativement a mons. de Bourgongne, et se il plairoit adoncques a mons. de Bourgongne de accepter les choses dessus ditez, il falroit que mons. de Bourgongne envoiesse toute la somme d’argent […] a lieu de Metz ou de Toul, car les gens d’armes ne partiront point du paiix se ilz n’ont l’argent avant le cop. » 199 La chronique du religieux de Saint-Denys, op. cit., t. II, IV, liv. XXIX, p. 203, et G. Poull, La maison souveraine et ducale de Bar, op. cit., p. 375. 200 M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », op. cit., p. 188-194, a bien montré également la présence permanente du comte de Vaudémont dans les armées bourguignonnes, notamment au cours des dernières années de son règne, entre 1410 et 1415. 201 La chronique du religieux de Saint-Denys, op. cit., t. III, VI, liv. XXXVIII, p. 133-135. 202 Ibid. Alors que la garnison de Provins se préparait à soutenir le siège, les femmes de la ville auraient persuadé les soldats de se rendre pour éviter un massacre, en échange de la promesse d’épargner la vie et les biens des habitants. « Mais bientôt après, les Lorrains […] ont violé ce serment, et se sont mis à piller et à saccager tout ce qui appartenait aux vaincus. » Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3, pour tout ce qui concerne l’image des Lorrains dans le royaume de France durant les derniers siècles du Moyen Âge.
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semble bien toutefois que les troupes responsables de la prise et du pillage de Provins à la fin 1417 aient été composées essentiellement des vassaux du duché de Lorraine et commandées par le redoutable maréchal de Charles II, Charlot de Deuilly. Celui-ci d’ailleurs, tout au long de la période, plaça indistinctement son épée au service des ducs de Lorraine et de Bourgogne203. Quels profits le duc Charles II retira-t-il, au final, de son alliance avec Jean sans Peur ? Son rôle dans la guerre des Armagnacs et des Bourguignons lui conféra indubitablement une place de premier plan dans le royaume de France et une nouvelle dimension sur la scène internationale. Le duc de Bourgogne en fit par exemple l’un de ses principaux ambassadeurs au concile de Constance, en février–mars 1415204. S’il resta généralement dans l’ombre de Jean sans Peur, il bénéficia de ses succès politiques et militaires, d’autant que celui-ci n’était pas un ingrat et récompensait dignement ses serviteurs et ses alliés. Charles II bénéficia ainsi des subsides de Jean sans Peur : de ce point de vue, le fait qu’il ait reçu de lui une pension d’un montant égal à celle que lui octroyait auparavant le duc d’Orléans ne tient certainement pas du hasard ; cette somme correspond sans doute à des besoins financiers réels de la part du duc de Lorraine. Mais il y a mieux. Au terme d’une décennie de bons et loyaux services, Charles II se serait vu offrir, en janvier 1418, l’épée de connétable du royaume de France, lors de l’installation à Troyes du gouvernement de la reine Isabeau de Bavière, à la solde du duc de Bourgogne. Cela aurait fait du duc de Lorraine l’un des tout premiers personnages du Royaume, mais le fait, relaté par la chronique de Monstrelet, n’a rien de certain. Au mieux Charles II a-t-il dû exercer cette fonction pendant un très court laps de temps205. La nouvelle stature du duc de Lorraine s’avérait donc encore bien fragile. Car son entrée dans la clientèle de Jean sans Peur restreignait énormément sa marge de manœuvre. Elle faisait de lui un simple exécutant de la politique bourguignonne, ce que prévoyaient, dès le départ, les termes du contrat qui liait les deux hommes. En échange de sa pension, de ses gages, et de son « estat », Charles II promettait au duc de Bourgogne de nous acompaignier et servir de tout son povoir, toutes et quanteffoiz que mestier en aurons et nous lui ferons savoir, envers tous et contre tous ceulx qui pevent vivre et mourir, excepté l’empereur ou roy des Romains et par especial le roy [Ruprecht], 203 À la fin de l’année 1417, des ambassades furent envoyées, « a Provins, à Carlot de Duilly » (A.D.C.O., B 1601, f. 126v), et « vers mons. de Lorraine, a Provins ou quelque part qu’il soit » (BnF Col. Bourg., no 23, f. 49r). E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 153-154, constate également la présence d’un très grand nombre de Lorrains dans les armées bourguignonnes à cette époque. 204 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 137-138. On ne sait pas exactement en quoi consistait sa mission. Peut-être était-il chargé d’aller négocier avec l’empereur Sigismond, alors favorable au parti armagnac. 205 L. Douët d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. III, p. 240. Aucune autre source ne fait cependant mention de l’investiture de Charles II. On peut donc légitimement douter de la véracité de cette information. Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 532, la reprend à son compte, mais s’empresse d’ajouter que le duc de Lorraine n’a détenu cette charge que très peu de temps. Pour W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 58, la nomination de Charles II à cet office est restée purement symbolique.
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mons. le roy, ses aliez, l’evesque et la cité de Mes seulement, et aussi en toutes choses raisonnables nous aiderons et conforterons nostre dit cousin s’il en est mestier, comme nostre parent206.
Manifestement, à l’échelle du Royaume, l’alliance entre les deux ducs s’avéra nettement plus profitable à Jean sans Peur. Peut-être Charles II espérait-il quant à lui en recueillir les avantages à l’échelle de l’espace lorrain. La réactivation de l’opposition Bar–Lorraine
La mort de Louis d’Orléans, le 23 novembre 1407, permit à la Lorraine de bénéficier d’une relative accalmie. La guerre des Quatre seigneurs prit fin quelques mois plus tard. Il avait fallu, pour contraindre les quatre seigneurs à déposer les armes, la pression conjointe des ducs de Bar et de Lorraine, tous deux rallié au camp bourguignon207. Mais le traité de paix du 25 juillet 1408 rétablissant le statu quo d’avant-guerre n’avait réglé aucun des problèmes de fond. Les Quatre seigneurs considéraient Charles II, à juste titre, comme le principal responsable de leur échec devant Metz. C’est donc contre lui, et non plus contre la ville, qu’ils dirigèrent leurs efforts, lorsqu’ils décidèrent de reprendre les hostilités. Entre août et décembre 1409, l’ancienne alliance fut presque entièrement reconstituée208. Il semble que le duc de Bar ait également été tenté de reprendre la lutte209. En août 1411 le Religieux de Saint-Denis note que le duc de Lorraine, occupé à assiéger Rougemont pour le compte de Jean sans Peur, « fut alors obligé de s’éloigner aussi et d’aller défendre ses terres menacées par l’ennemi210 ». Malgré tout, il semble que la guerre soit restée pendant dans un premier temps à l’état endémique.
206 Cf. Annexe 11. Charles II promettait également la même chose au duc d’Orléans, pour le fief de bourse qu’il recevait de lui. Mais dans ce cas les termes du contrat n’ont été appliqués qu’à une seule occasion, en septembre 1405. Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. 207 G. Poull, La maison souveraine et ducale de Bar, op. cit., p. 375. Édouard de Bar se rapprocha de Jean sans Peur après l’assassinat du duc d’Orléans. Il assista par exemple, le 16 juillet 1409, au mariage d’Antoine de Bourgogne, duc de Brabant. 208 Jean d’Autel, seigneur d’Apremont, s’allia à Philippe, comte de Nassau-Sarrebruck, contre le duc de Lorraine. Le commandement des troupes fut confié au premier, qui s’engagea à faire défier Charles II par l’ensemble des vassaux du duché de Luxembourg (BnF Col. Lor., no 5 bis, f. 134). Huart d’Autel avait été sénéchal du duché de Luxembourg jusqu’à la prise en mains de cette principauté par Louis d’Orléans, en septembre 1402. Des liens très étroits unissaient donc les seigneurs d’Apremont à la noblesse luxembourgeoise ; deux mois plus tard, Amé de Sarrebruck fit entrer le comte de Salm dans la coalition (BnF Col. Lor., no 5 bis, f. 135) ; Gérard de Boulay, rejoignit l’ancienne alliance le 10 décembre (BnF Col. Lor., no 5 bis, f. 139. Le comte de Sarrewerden, quant à lui, ne reprit pas la lutte. Quelques mois plus tôt, il s’était opposé au damoiseau de Commercy qui l’avait fait prisonnier, le 25 juin 1409, avec plusieurs dizaines de ses alliés et compagnons. Ferry de Mörs ne retrouva la liberté que le 19 janvier 1412 (BnF Col. Lor., no 5 bis, f. 162). Il se tiendra ensuite, dans la mesure du possible, à l’écart des conflits qui secoueront l’espace lorrain. 209 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 56. 210 La chronique du religieux de Saint-Denys, op. cit., t. IV, liv. XXXII, p. 475. E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 111, pense, lui, que « le retour précipité de Charles en Lorraine était motivé par une irruption soudaine des Armagnacs sur ses terres. Depuis quelque temps, le duc d’Orléans essayait de
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Les hostilités prirent une ampleur nouvelle à partir de 1412. La renaissance, dans le royaume de France, d’un parti hostile au duc de Bourgogne incita la maison de Bar à se ranger dans le camp des Armagnacs. Lors du siège de Bourges, Édouard, devenu duc depuis la mort de son père l’année précédente, servit pourtant dans l’armée royale, aux côtés de Jean sans Peur et du duc de Lorraine, alors que son frère Jean tenait le parti du duc de Berry. Mais il fut convaincu par son cadet, qui comptait parmi les conseillers les plus influents du Dauphin, de prendre ses distances avec le duc de Bourgogne et d’entamer des négociations avec les assiégés211. La rupture entre Édouard de Bar et Jean sans Peur ne pouvait que renforcer les tensions qui existaient déjà entre les deux grands duchés lorrains. Dès 1412, les préparatifs militaires s’intensifièrent212. En 1413, Édouard, retenu à Paris par les affaires du Royaume, nomma son frère gouverneur du duché de Bar, puis le fit remplacer dans cette charge, l’année suivante, par Amé de Sarrebruck, le principal représentant du parti armagnac dans la région213. La guerre qui reprit entre les duchés de Bar et de Lorraine était donc la transposition directe de celle qui opposait dans le Royaume les Armagnacs et les Bourguignons. Et tout comme les Armagnacs et les Bourguignons en France, aucun des deux adversaires n’était en mesure de remporter une victoire totale et définitive, même s’il semble que le duc de Lorraine ait disposé d’une certaine supériorité militaire214. Les deux princes paraissaient condamnés à s’entendre ou à prolonger indéfiniment un conflit dont l’intensité et la durée s’avéraient catastrophiques pour la région215.
décider à l’action les partisans qu’il comptait dans la région […]. Bien qu’ami du duc de Bourgogne, Édouard de Bar servit en cette occasion la cause de Charles d’Orléans. » 211 Monstrelet se fait l’écho de ce revirement politique du duc de Bar, cf. L. Douët d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. II, p. 283. 212 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 125. Le 18 avril 1412, le duc de Bar conclut une alliance avec Jean d’Autel, dirigée contre le duc de Lorraine (BnF Col. Lor., no 239, f. 91). Peu de temps après, il fit approvisionner ses forteresses. De son côté, Charles II s’assura les services de plusieurs seigneurs allemands. 213 A.D.M.M. B 631, no 125. 214 Eugène Girod (cf. Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 125-131) s’est efforcé de retracer le fil des événements au cours de ces années de troubles : manifestement, Charles II était décidé à frapper un grand coup. Aidé du marquis de Bade et du comte Othon de Morsbach, il rassembla une armée importante et pénétra dans le Barrois. Mais un vent de panique s’empara des troupes, suite à la rumeur d’une attaque surprise de la part des ennemis, et tous ses efforts furent réduits à néant. On peut faire le parallèle avec l’un des événements de la guerre civile dans le Royaume : en septembre 1411, à la veille d’une bataille rangée décisive contre les Armagnacs, les milices flamandes abandonnèrent Jean sans Peur et décidèrent de retourner dans leur pays, le contraignant à la retraite. Cf. B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 114-115. La supériorité militaire de Charles II peut être supposée d’après les nombreuses traces de rançons payées au duc de Lorraine par des nobles capturés alors qu’ils étaient au service d’Édouard de Bar (notamment A.D.M.M. B 523, n°s 318 à 349). Du côté lorrain en revanche, les prisonniers semblent avoir été beaucoup moins nombreux. 215 Il n’entre pas dans notre propos de nous attarder sur les conséquences de ces guerres pour les populations lorraines. On mentionnera seulement que les chanoines de Verdun, réfugiés à Metz en 1412, refusèrent de rejoindre leur cathédrale, où l’office n’était plus célébré (M. Parisse, Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 203). Servais fait également état de la destruction des villages de Savonnièresdevant-Bar, Fains, Revigny, Louppy-le-Petit, Louppy-le-Château, Marat-la-Grande, Marat-la-Petite,
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Une fois de plus, les événements extérieurs à la Lorraine décidèrent de l’issue de la guerre. En avril 1413, Charles II obtint une victoire décisive à Paris, lorsque les insurgés cabochiens exigèrent en sa présence l’arrestation d’Édouard de Bar, dénoncé comme Armagnac216. Le duc de Lorraine profita sans doute des ennuis parisiens du duc de Bar pour lui extorquer, après sa libération, une paix toute provisoire, à des conditions visiblement très avantageuses pour lui, comme le rapporte un document légèrement postérieur : Charles, duc de Lorraine et marchis, a hault et puissant prince Eddouart, duc de Bar, marquix du Pont, signour de Cassel. Vous saves asses comment naigueres vous estes obligier a nous, de nous faire paier au lieu de Nancey, le darrien iour du moix de fevrier passé, pour certains noz prisonniers que a present detenons, la somme de unze mil escus de France de bon or et de juste pois du coing du roy de France, et, on cas que deffault averoit de paier ladite somme de onze mil escus a nous ou a noz gens sur ceu commix, au leu et terme dessudis, vous y estes obligier d’envoier quinze gentilz hommes de nom et d’armes en hostaige à Nancey, le premier jour du moix de mars darrien passé, chacun gentil homme a ung cheval et dous boins roncins, chacun des dis roncins en preix de vingt frans ou plux, pour tenir en la dite ville de Nancey hostaige continuellement en quelconque hostel qu’il nous plairait, en nombre de quinze gentilz hommes, de quinze varles, et de trente chevaulx, sans aulcun eschus217.
Un tel traité révèle la position de faiblesse dans laquelle se trouvait Édouard de Bar en janvier 1414, au moment de sa signature. Mais au cours de cette guerre civile, les retournements de situation furent fréquents et rapides. Au printemps suivant, les Armagnacs, maîtres de Paris, décidèrent de porter la guerre en Bourgogne et placèrent Jean sans Peur dans une situation très difficile218. Le duc de Bar, en Lorraine, en profita immédiatement pour dénoncer l’accord conclu avec Charles II. En mai 1414, celui-ci se plaignit de ce qu’il n’avait reçu que 4 500 écus sur les 11 000 que lui devait Édouard, et de ce que les otages, venus en nombre insuffisant, s’étaient enfuis de la ville de Nancy219. Le duc de Lorraine envoya donc son chevaucheur à Bar-le-Duc, pour demander le respect des engagements. Or, le traitement réservé par les officiers barrois au messager de Charles II exprime clairement la volonté d’Édouard de reprendre les hostilités : Et puis apres, sur le tart, quant on voloit fermer les portes, s’en vindrent devers le dit chevalchour environ trois ou quatre, et li dirent : – or sus levez vous […] et vous fault deslogier –. Et le firent mettre ses brides, et lui firent amener son cheval et […] ilz li disent :
Chaumont-sur-Aire, Courcelles-sur-Aire, Erize-la-Grande, Erize-la-Petite, Bleurville, Bazoilles et de toute la châtellenie de Bouconville, cela pour la seule année 1414 (V. Servais, Annales historiques du Barrois, op. cit., p. 56-57). Pour le duché de Lorraine, J.-L. Fray, Nancy-le Duc, op. cit, p. 229, mentionne la ruine du gagnage d’Anthelupt et du four de Laneuveville, « tout ruiné et ars par la weirre monseigneur de Bar » (B.M. Nancy, Ms no 353, f. 32 B et 33 E : cartulaire de la collégiale Saint-Georges de Nancy). 216 L. Douët d’Arcq, La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., p. 345-351. 217 A.D.M.M. B 532, no 54. L’acte, daté du 28 mai 1414, contient le procès-verbal de la mission accomplie par Guillemin, messager du duc de Lorraine. Celui-ci l’avait chargé de porter au duc de Bar des lettres lui rappelant les termes du traité qu’il avait signé le 27 janvier 1414. C’est la clause principale de cet accord que nous citons ici. 218 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 149-152. 219 A.D.M.M. B 532, no 54. Il s’agit du même document que celui cité plus haut.
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– or sus prenez ces lettres, et se vous ne les preneis, vous ferez la plux grande folie que vous feistes oncques –. Et il dit que vraiement non feroit. Et ilz li dirent encor deux fois, trois fois : – vraiement, se vous ne les prenez, sachiers que vous ferez la plus grande folie que vous feistes oncques –. Lequel leur respondit que non feroit. – Adonc, dit ung, et se vous ne les voles panre, et ie les panrez –. Lors le firent monter et a cheval et l’en meneront sur le pont de la ruviere, maix en menant tousjours y en avoit ung que li disoit en l’oreille, sil ne reprenoit ses lettres, qu’il feroit la plus grant folie que fist oncques. Et quant ilz furent venus sur le pont, l’ung d’eux disoit : – veez cy la plux profonde yallée, […] et tornerent la teste du cheval ou il estoit monter par les brides devers la plus profonde, et quant il vit son cheval torner il dit : – se vous me voler noier, il me faut descendre –. Lesquelx ne respondirent rien. Et lors prirent les lettres, et les getterent en l’iawe desous le pont, et li diroit : – va t’en tost, chevalcheur ! –. Et il leur dit : – Helas, messire, ou irai je, meshuit j’ai chevalcher tout le jour. Mon cheval est lasses, et il est nuit –. Lez quelz dirent : – Ilz ne nous en chault ! Va t’en tantost –. Adonc s’en parti le dit chevalchour, et s’en venit a Nancey, en recitant a mondit seigneur de Loherenne les parolles dessusdites, et a plusieurs aultres220.
L’histoire de ces années est donc celle d’une série de trêves et de paix mal respectées, vite rompues, au terme desquelles chacun des deux protagonistes s’empressait de vérifier la solidité de ses alliances. La solution ne pouvait venir que de l’extérieur. Le 25 octobre 1415, Édouard et Jean de Bar et leur neveu Robert, comte de Marle, trouvèrent la mort à Azincourt221. Louis, cardinal de Bar, hérita du duché. Mais il se trouva, en tant qu’ecclésiastique, dans une position difficile : il devait à la fois asseoir son autorité et préparer sa succession222. De tels défis ne lui permettaient plus de continuer la lutte avec le duc Charles II. Qui plus est, par rapport à ses frères, Louis s’était toujours montré un partisan du compromis et de la paix223. Dans ces conditions, l’accord redevenait possible. Le 5 décembre, les deux ducs décidèrent de nommer une commission de six membres pour régler les litiges qui les opposaient224. Mais il fallut attendre le 3 juillet 1417 pour que Louis de Bar prêtât hommage à Charles II pour les fiefs de Bourmont, L’Avant-Garde, Pierrefort, Bouconville, Nonsard et Sommedieue225. L’histoire des duchés de Bar et de Lorraine entrait alors dans une nouvelle phase.
220 Ibid. Il s’agissait là d’une véritable insulte faite au duc de Lorraine, en la personne de son messager. Charles II ne s’y trompa d’ailleurs pas : il rassembla en hâte une petite troupe et s’empressa d’aller saccager les prévôtés de Saint-Mihiel et de Bar. E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 134. 221 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 166-168. 222 Pour tout ce qui concerne les problèmes de succession dans les duchés de Bar et de Lorraine à cette époque, voir ci-dessous deuxième partie, chapitre 5. 223 L. Douët d’Arcq, La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. III, p. 443. Lorsque les Bourguignons s’emparèrent de la capitale le 29 mai 1418 et massacrèrent tous les Armagnacs, Louis de Bar fut dans un premier temps incarcéré, puis libéré « pour ce qu’il avait conseillé la paix ». 224 A.D.M.M. B 852, no 1. Le désaccord portait officiellement sur les fiefs barrois qui relevaient du duché de Lorraine, pour lesquels les ducs de Bar refusaient de prêter hommage. Mais en réalité, ce sont les choix opposés des deux princes dans la guerre des Armagnacs et des Bourguignons qui constituaient la cause profonde du conflit. 225 A.D.M.M. B 379, f. 10 : ces fiefs constituaient l’apanage des sires de Pierrefort, branche cadette de la maison de Bar, au cours du xive siècle. À la mort de Pierre de Bar, en 1380, ils étaient revenus en possession du duc Robert, qui les confia à son fils aîné Édouard. Celui-ci prêta hommage au duc Charles II le 7 novembre 1399. Voir ci-dessus chapitre 2.
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Le sentiment anti-français s’exacerbe dans le duché de Lorraine
En prenant une part active à la querelle des Armagnacs et des Bourguignons, Charles II intervenait directement dans les affaires du Royaume. Cette politique tranchait par rapport à celle que lui-même et son père avaient suivie jusque-là, faite de prudence et de distance à l’égard de la France. Mais la situation de guerre civile qui régnait en France faisait du duc de Lorraine tantôt un soutien de la couronne, tantôt un rebelle à l’autorité royale. Qui plus est, elle affaiblissait le prestige et le pouvoir du roi. Dès les premières années du xve siècle, les Lorrains reprirent leurs agressions contre les villages frontaliers du Royaume et l’hostilité des sujets du duché à l’égard de la France s’accrut au fur et à mesure des progrès du duc d’Orléans dans l’espace lorrain. En interdisant dans son testament le mariage de ses filles avec un sujet du Royaume, Charles II laissait transparaître un profond sentiment anti-français, qui s’exacerba au cours des années suivantes, surtout lorsque le parti armagnac fut maître du pouvoir à Paris. La plus importante et la plus spectaculaire des attaques qu’il mena contre les terres et les habitants du Royaume pendant cette période est assurément l’affaire de Neufchâteau226. Il y a beau temps que cette ville constituait le principal sujet d’affrontement entre le roi et le duc de Lorraine. Au cours de la dernière décennie du xive siècle et au terme de trente années de lutte, Charles II s’était incliné227. À présent, le conflit entre les Armagnacs et les Bourguignons et le soutien inconditionnel de Jean sans Peur lui fournissaient une occasion inespérée de prendre sa revanche. À la fin du mois de février 1410, le duc de Lorraine fit son entrée à Neufchâteau. Qu’ils fussent ou non rassurés par l’attitude pacifique de Charles II à leur égard depuis une douzaine d’années, les habitants ne pouvaient refuser de lui ouvrir leurs portes. Celui-ci en profita pour faire entrer dans la ville une importante troupe de gens d’armes, composée en majorité d’Allemands. Il décapita la résistance des bourgeois en mettant à mort l’un d’entre eux, Guillaume Hurel, en arrêtant la plupart des dirigeants, en s’emparant de leurs biens et en livrant la ville au pillage pendant plusieurs jours228. Les Néocastriens ne pouvaient résister bien longtemps à une telle pression. Ils demandèrent au roi l’autorisation de s’accorder à l’amiable avec Charles II. Incapable de les défendre, Charles VI accepta229. Et, le 13 avril 1410, les habitants de
226 Pour le détail, voir l’arrêt rendu par le Parlement de Paris contre Charles II le 1er août 1412, édité par S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., supplément aux Preuves, no XX, p. 28-68. Il détaille en effet la liste des atteintes portées par les ducs de Lorraine à la majesté royale depuis le procès ouvert contre Jean Ier en 1389-1390. E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 115-120, reprend lui aussi les principaux points de ce document. 227 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3. 228 Pour le récit détaillé de l’entrée des troupes lorraines à Neufchâteau en 1410, voir l’arrêt du Parlement de Paris in S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., ainsi que P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », op. cit., p. 99-104. L’ouvrage fournit aussi une présentation complète de la « grande Jacquerie » (1389-1412) des bourgeois de cette ville contre leur duc. Nous aurons l’occasion de revenir sur certaines des conclusions auxquelles aboutit l’auteur. 229 Les bourgeois de Neufchâteau donnèrent procuration à Jean Thirion, les 4 et 9 mars 1410, pour obtenir du roi qu’il renonce à saisir le Parlement de cette affaire. Il faut certainement voir dans cette démarche le résultat de la contrainte directe exercée par Charles II sur la ville. La réponse, positive,
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Neufchâteau reconnurent la souveraineté totale du duc de Lorraine sur la ville et son droit de modifier à sa guise la structure des fortifications. En échange, Charles II leur fit cadeau des 7 000 francs qu’ils lui devaient encore, au titre du reliquat de l’amende à laquelle les avait condamnés le duc Jean Ier, pour prix de leur désobéissance230. Le triomphe du duc de Lorraine était en apparence complet. Paralysé par sa folie et par la guerre civile, le roi de France demeurait inactif. Pourtant, dès le mois de mai, quelques bourgeois, ayant réussi à quitter la ville, dénoncèrent un traité signé sous la contrainte et firent appel à la justice royale. Le bailli de Chaumont cita le duc à comparaître devant le Parlement de Paris, désormais saisi de l’affaire. Charles II n’en tint naturellement aucun compte. Symboliquement, il fit fermer « les portes de la partie de France » à Neufchâteau et laissa ouvertes celles « de la partie de Lorraine231 ». Mais la machine administrative du Royaume était lancée. Le procès, sans doute retardé par les interventions du duc de Bourgogne en faveur de Charles II232, fut mené jusqu’à son terme. Le 1er août 1412, le duc de Lorraine fut banni du Royaume et condamné à une amende de 1 000 marcs d’or et de 1 000 marcs d’argent. Il devait en outre restituer les biens confisqués aux prisonniers, réhabiliter la mémoire de Guillaume Hurel et rétablir les fortifications de la ville dans leur état originel. Neufchâteau enfin était définitivement incorporée au royaume de France et soustraite à la tutelle des ducs de Lorraine233. Si lourde soit-elle, la sentence du Parlement demeurait théorique. Du moins Charles II pensa-t-il que la protection de Jean sans Peur le mettrait à l’abri de toute poursuite effective. Mais le duc de Bourgogne n’était pas tout-puissant à la cour :
du souverain arriva dès le 1er avril suivant. Charles VI demanda seulement aux habitants de fournir au Parlement le contenu de l’accord, une fois qu’il aurait été conclu avec le duc de Lorraine (A.D.M.M. B 833, n°s 45, 46, et 47). 230 BnF Ms. fr. 11823, f. 255r-261r. Le duc de Lorraine pouvait d’autant plus se montrer beau prince que le montant des dommages qu’il avait causés aux bourgeois de la ville s’élevait à la somme de 100 000 livres tournois environ. S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves no XX, p. 66. 231 P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », op. cit., p. 103. Voir aussi S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves, no XX, p. 57. 3. Ce geste constitue une affirmation de la souveraineté du duché de Lorraine sur la ville de Neufchâteau. Charles II avait déjà formulé une telle revendication au cours de la plaidoirie du 8 mai 1391. Voir ci-dessus première partie, chapitre 3. 232 B. N. Col. Bourg., no 65, f. 96r et A.N. XIa 1479, f. 210r. : « La prononciation du dit arrest [du 1er août 1412] a esté delayée par long temps, pour la priere et contemplecion d’aucun grans seigneurs qui l’empeschoient et pour eschiver piz, comme aucun disoient ». Or, à cette époque, Jean sans Peur était maître de Paris et du Royaume (B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 101-122). 233 S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves no XX, p. 66-68. On peut s’interroger sur la date à laquelle fut rendu le jugement. Faut-il y voir un geste de Jean sans Peur en direction de ses adversaires, juste après la conclusion de la paix de Bourges ? (B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 120-122) On sait toutefois que le duc de Bourgogne n’était pas coutumier du fait et soutenait ses alliés et ses serviteurs contre vents et marées (B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 187). Il faut davantage conclure, selon nous, à un geste d’indépendance de la part du Parlement. Cette cour de justice recrutait en effet ses membres par cooptation : elle était donc moins fortement soumise aux pressions contradictoires des Armagnacs et des Bourguignons que les autres institutions administratives de la monarchie française (M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 60).
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Le duc de Berry apres vint, et entra dans Paris en grand estat, et fut honorablement receu en ladite ville, et en fit-on grande joie. Apres vint et entra le duc de Lorraine. […] Il estoit venu a Paris a la seureté du duc de Bourgongne, lequel le devoit presenter au roy le lendemain a l’issue de la messe. Laquelle chose vint a la congnoissance de la cour de Parlement, laquelle ordonna aux advocats et procureur du roy qu’ils allassent a la cour requerir au roy qu’il fit justice dudit duc de Lorraine, ou qu’on le baillast a la cour de parlement pour en faire justice, et ce qu’il appartiendroit par raison. De ce le duc de Bourgongne et le duc de Lorraine n’estoient en rien advertis, que les gens du roy de Parlement y deussent aller. Lesquels y vinrent, et y avoit des seigneurs de la cour avec les advocats et procureurs, et arriverent comme le duc de Bourgongne presentoit au roy le duc de Lorraine. Quand le chancelier de France vid ceux de Parlement, il demanda ce qu’ils vouloient. Et lors s’agenouilla, et parla Juvenal seigneur de Traignel, lequel comme dessus est dit, estoit advocat du roy, qui recita les cas dessus dits, en requerant aussi ce que dit est. Lors ledit duc de Bourgongne dit : – Juvenal, ce n’est pas la maniere de faire. Et il respondit qu’il falloit faire ce que la cour avoit ordonné et requeroit que tous ceux qui estoient bons et loyaux vinssent et fussent avec eux, et que ceux qui estoient au contraire se tirassent avec ledit duc de Lorraine. Lors, ledit duc de Bourgongne laissa aller le duc de Lorraine, qu’il tenoit par la manche. L’issue fut que le duc de Lorraine pria au roy bien humblement qu’il luy voulust pardonner et qu’il le serviroit loyaument. Et lors le roy luy pardonna tout, et pardonna les bannissements et confiscations, et eut le duc remission234.
L’épisode est riche d’enseignements. Les historiens lorrains ont généralement insisté sur l’amitié entre Jean sans Peur et le duc de Lorraine, « qu’il tenoit par la manche ». De façon plus contestable, ils ont aussi interprété cet événement comme le symbole de l’impuissance totale du pouvoir royal à cette époque235. La démarche de Jouvenel des Ursins n’avait pourtant rien d’anodin. Elle contraignait Charles II à solliciter le pardon du roi, à s’agenouiller à ses pieds et donc, par ce geste, à reconnaître sa souveraineté236. Elle constituait donc pour le duc de Lorraine une nouvelle humiliation et contribua à renforcer l’animosité qu’il éprouvait déjà à l’égard du royaume de France. Quelques années plus tard, un nouvel incident manqua d’envenimer encore davantage les relations entre le roi de France et Charles II. En juin 1415, les ambassadeurs envoyés par Charles VI au concile de Constance furent attaqués et emprisonnés, alors qu’ils traversaient la Lorraine, par Henri de la Tour, Charlot de Deuilly et Henri de Chauffour. Ceux-ci agissaient au nom du duc de Bourgogne, contre des représentants du parti armagnac qui détenait alors le pouvoir à Paris, mais ils figuraient
234 J. Jouvenel des Ursins, Histoire de Charles VI, Paris, texte édité par J.-F. Michaud et J.-J.-F. Poujoulat, 1836, 569 p., p. 145-146. 235 P. Marot, « Neufchâteau au Moyen Âge », op. cit., p. 109-110. L’auteur commente la lettre de rémission obtenue par Charles II en quelques phrases laconiques : « La condamnation du duc de Lorraine fut de pure forme […]. Le duc de Bourgogne était alors tout puissant à la cour de France. L’avis du Parlement ne put prévaloir. Le duc de Lorraine demeura, d’ailleurs, un des plus fidèles serviteurs du duc de Bourgogne. » Il n’ignore rien de l’épisode raconté par Jean Jouvenel, mais il le considère comme un événement de second ordre. 236 B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 56.
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également parmi les principaux membres de l’entourage du duc de Lorraine237. L’affaire provoqua un tel scandale que les deux ducs désavouèrent leurs serviteurs et que Charles II aida – ou fit semblant d’aider – à la libération des envoyés du roi238. Les choses s’arrangèrent finalement. Le sauf-conduit accordé par le roi au duc de Lorraine, le 1er avril 1416, dans le but de permettre l’ouverture de négociations à Paris, résultait peut-être des pressions discrètes exercées par l’empereur Sigismond sur le gouvernement armagnac239. Cela montre en tout cas que, sans être définitivement rompues, les relations entre le royaume de France et le duché de Lorraine étaient devenues très difficiles et très tendues. Durant les deux premières décennies du xve siècle, le duc de Lorraine se trouva donc directement mêlé aux conflits internationaux. En soi, cette situation ne présente pas une grande nouveauté. Mais à la différence de la période précédente, les affaires du Royaume et de l’Empire s’enchevêtraient cette fois directement dans les querelles internes à l’espace lorrain. À l’antagonisme des duchés de Bar et de Lorraine sur le plan local répondit l’affrontement des maisons de Luxembourg et de Bavière dans l’Empire et la guerre civile en France. L’engagement du duc dans les problèmes qui secouaient la chrétienté occidentale s’articula désormais étroitement avec la défense des ses intérêts en Lorraine.
Le comportement politique de Charles II : une approche analytique Pour s’être affirmée de manière progressive et hésitante jusqu’en 1406, la ligne politique du duc de Lorraine n’en devint pas moins très ferme et très tranchée par la suite. S’agissait-il pour autant d’un choix mûrement réfléchi, répondant à des buts politiques clairement définis ? Ou bien son action resta-t-elle purement pragmatique, dépendante des circonstances et de la conjoncture diplomatique de l’époque ? La 237 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 139-142, relate l’événement avec force détails. En ce qui concerne le rôle de Charlot de Deuilly, Henri de la Tour et Henri de Chauffour auprès du duc de Lorraine, voir ci-dessous troisième partie, chapitre 8 et Annexe 20. 238 Les chroniques de Metz mettent fortement en doute la bonne volonté de Charles II : « Le duc Charles de Loraine fut adverti dudit fait ; il mandait au duc de Bar et a ceulx de Mets, au nom du roy, qu’ilz se volcissent traire devers le Saulcis […] S’il estoit ainsy, Dieu le sceit, et comment ledit duc de Loraine se portoit a cause qu’il estoit bon Borguignon ; car quant les malfaicteurs fuyoient d’ung costé, les Lorains chassoient de l’autre costé, affin de ne les rencontreir, et ainsy par eulx ne furent trouvez. […] Henry de la Tour, qui estoit Lorain et feauble audit duc de Loraine, fut au vrai adverti que le siege venoit devant ledit Saulcis ; il fist emmeneir hors les meilleurs prisonniers et la plus grant partie nuitamment ou boin luy pleust ; mais il convint que ledit duc de Loraine les fist revenir apres. » ( J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 141). 239 A.D.M.M. B 826, no 81. Sigismond se trouvait alors à Paris, pour tenter de trouver une solution au conflit entre la France et l’Angleterre et mettre fin au schisme impérial (M. Kitzinger, Westbindungen im spätmittelalterlichen Europa. Auswärtige Politik zwischen dem Reich, Frankreich, Burgund und England in der Regierungszeit Kaiser Sigmunds, Stuttgart, 2000, 475 p., p. 92). Mais dès la fin de l’année 1414, il avait écrit au roi de France pour lui demander de surseoir à une expédition prévue contre le duc Charles de Lorraine (E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 135).
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réponse à une telle question est essentielle pour mettre en évidence d’éventuels changements dans la situation du duché de Lorraine par rapport au Royaume et à l’Empire et saisir les mécanismes des processus d’acculturation qui furent à l’œuvre dans ce territoire « d’Entre-Deux ». Les raisons de l’alliance avec la Bourgogne Parentèle et voisinage : la force des choses
L’alliance de Charles II avec Jean sans Peur ne se démentit pas, tout au long de la querelle des Armagnacs et des Bourguignons. D’une certaine manière, elle était d’ailleurs logique. Dans la seconde moitié du xive siècle déjà, des liens très étroits unissaient Jean Ier à Philippe le Hardi. Le rapprochement des populations fut également favorisé par l’existence d’un axe commercial et économique nord–sud traversant les provinces lorraines et bourguignonnes. Même si la Lorraine ne constituait pas une région stratégique pour les ducs de Bourgogne, de telles solidarités continuèrent à jouer dans les premières années du xve siècle240. Les sources en fournissent de nombreux indices. L’entente entre les duchés de Lorraine et de Bourgogne constituait par exemple une condition indispensable à la stabilité et à la prospérité de l’abbaye de Remiremont, dont les chanoinesses se recrutaient essentiellement dans ces deux principautés241. La situation limitrophe de cet établissement le plaça très souvent en butte aux tracasseries des serviteurs de l’un ou l’autre prince. Soucieux d’augmenter les revenus de leur maître, ils s’efforçaient de soumettre les biens de l’abbaye à des taxes élevées, à chaque fois qu’ils franchissaient la frontière. En 1418, Jean sans Peur dut ainsi intervenir auprès des officiers de Faucogney pour leur demander de ne prélever aucun droit sur les marchandises du monastère au péage du Thillot242. Tant bien que mal, les deux ducs parvinrent à s’entendre pour préserver une relative liberté de commerce entre leurs territoires. Dans ces temps de guerre civile cependant, les impératifs militaires l’emportèrent bien souvent sur les préoccupations économiques. Face aux incursions des troupes armagnaques, la défense des frontières représentait pour Jean sans Peur un souci permanent. Dans cette perspective, une entente avec le duc de Lorraine s’avérait absolument nécessaire, au moins pour certaines positions clé, comme le château de
240 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3. Voir également l’article de J. Richard, « La Lorraine et les liaisons internes de l’État bourguignon », art. cit. 241 M.-O. Boulard, « Les chanoinesses de Remiremont, du xive siècle au début du xviie siècle », art. cit., p. 61-69. Le comté de Bourgogne et le duché de Lorraine fournissaient plus de la moitié des religieuses de l’abbaye. La part des Comtoises baissa cependant légèrement au début du xve siècle, au profit des dames originaires de Lorraine. 242 A.D.M.M. B 876, no 104, acte daté du 8 juillet 1418. Le duc de Lorraine et le duc de Bourgogne, en tant que seigneur de Faucogney, se partageaint les profits du péage frontalier du Thillot. Aux yeux de Jean sans Peur, l’exemption des chanoinesses se justifiait par leur condition sociale : elles devaient toutes en effet fournir la preuve de leur noblesse avant d’être admises dans l’abbaye et étaient donc dispensées de tout droit de passage.
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Passavant, situé aux confins des duchés de Bar et de Lorraine, de la comté de Bourgogne et du royaume de France. Cette place forte appartenait au duché de Lorraine, mais elle relevait du Royaume depuis la fin du xive siècle243. Jean sans Peur tenait par-dessus tout à ce qu’elle demeure sous le contrôle de son allié, ce que la faiblesse des moyens militaires du duc de Lorraine par rapport au Royaume ne pouvait garantir. Pour parer à tout danger, les deux hommes décidèrent alors d’une solution qui préservait à la fois les intérêts du duc de Bourgogne et l’honneur de Charles II. Le 13 mai 1408, celui-ci nomma comme châtelain de Passavant un bourgeois de Besançon, Aimé, sujet du duc de Bourgogne, à qui il devait la somme de 500 écus d’or244. Se mit ainsi en place, face à l’ennemi commun, une sorte de garde commune de la zone frontalière entre les deux duchés245. En s’engageant à financer un éventuel renforcement des fortifications, Aimé apportait à Jean sans Peur l’assurance d’une défense solide et efficace246. Et en prêtant hommage à Charles II, il respectait l’intégrité territoriale et la souveraineté du duché de Lorraine247. Dans les premières années du xve siècle, la collaboration militaire et économique entre Lorraine et Bourgogne se renforça donc. Peut-on la considérer comme le résultat de l’alliance conclue entre Charles II et Jean sans Peur le 6 avril 1408 ? Doit-on penser au contraire que l’accord des deux princes ait été favorisé par la solidarité et par la proximité de leurs territoires ? Les deux choses vont de pair et se renforcent mutuellement. Toutefois, on ne peut qu’être frappé par le poids des réalités géographiques dans la structure des partis armagnac et bourguignon au cours de la guerre civile. La majeure partie des régions limitrophes des principautés bourguignonnes se retrouvait dans le parti de Jean sans Peur248. Même les ducs de Bar, malgré tout ce qui les rattachait à la cause orléanaise, versèrent pendant quelques années dans
243 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3. Le duc de Lorraine reprit le château en fief, suite à la destruction du bourg de Passavant (-la Rochère), possession du roi de France, par les hommes de Jean Ier, en 1367. 244 A.D.M.M. B 850, no 12. Aimé reçut cette charge à titre viager. Sur les 500 écus d’or que lui devait le duc de Lorraine, 300 avaient déjà été remboursés. 245 Cette précaution n’était pas inutile. Entre 1413 et 1415, sur recommandation du duc Édouard de Bar, le gouvernement armagnac destitua le châtelain de Passavant (-la Rochère) et fit nommer à sa place Jacquemin de Villers. Celui-ci ne parvint pas à s’emparer de la place et confia cette mission, en février 1418, à Eustache de Vernancourt (A.D.M.M. B 850, no 14). L’emplacement stratégique de la forteresse en fit un enjeu localement important de la lutte entre les Armagnacs et les Bourguignons, entre les ducs de Bar et de Lorraine. 246 BnF Col. Lor., no 60, f. 337. Le 3 janvier 1417, le duc de Lorraine engagea à Aimé le château de Passavant, « pour la somme de dous mil escus d’or, et parmey trois cens escus que je doit mectre en fortiffication des murs, des tours et wirainot dudit chastel […] ». 247 La suzeraineté de Charles II est rappelée dans les deux actes de 1408 (A.D.M.M. B 850, no 12) et 1417 (BnF Col. Lor., n°60, f. 337 : « laquelle waigiere je, nos hoirs, nos successeurs et aiant cause debvons tenir et tenons de fied de mondit seigneur, de ses hoirs, successeurs et aiant cause, et lour en debvons foy, loyauté, et service. »). Le château était donc bien considéré comme relevant de la principauté ducale. 248 F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 455-464, a bien montré l’enracinement territorial de chacun des deux camps. Les Armagnacs contrôlaient la quasi-totalité des provinces situées au sud de la Loire, tandis que les Bourguignons dominaient dans le quart nord-est du Royaume.
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l’obédience bourguignonne249. Le duché de Lorraine avait donc peu de chances d’échapper à l’emprise de son puissant voisin, d’autant que s’ajoutait au poids des réalités territoriales la force des liens de parenté. Nous avons déjà évoqué l’intégration de la famille ducale de Lorraine dans le réseau d’alliances matrimoniales mis en place par les maisons de Bavière et de Bourgogne250. Le mariage de Charles II avec Marguerite de Bavière en avait fait à la fois le gendre de Robert de Bavière et le cousin du duc de Bourgogne. Cette union avait justifié les efforts déployés par le duc de Lorraine pour faire reconnaître son beau-père comme roi des Romains, en Allemagne, en Lorraine et en Italie. Avec Jean sans Peur, la proximité de lignage était beaucoup moins forte. Il semble pourtant qu’elle ait constitué l’un des motifs de la pension attribuée au duc Charles II et de l’aide mutuelle que se promirent les deux personnages. Si les services que le duc de Bourgogne attendait de son « tres chier et tres amé cousin » se justifiaient essentiellement par les subsides qu’il lui accordait, Jean sans Peur en échange promit qu’« en toutes choses raisonnables nous aiderons et conforterons nostre dit cousin s’il en est mestier, comme nostre parent »251. Une telle expression montre l’importance des stratégies matrimoniales dans la constitution du parti bourguignon. D’ailleurs, sitôt après avoir obtenu le soutien inconditionnel de Charles II, le duc de Bourgogne s’empressa de resserrer ses liens familiaux avec la maison de Lorraine252. Mais, l’alliance entre les deux ducs ne s’explique pas seulement par les liens du voisinage et de la parenté. Elle illustre aussi la convergence de leurs idées politiques. L’adhésion au programme politique de Jean sans Peur
La querelle des ducs d’Orléans et de Bourgogne, suivie de la guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons, ne se résume pas à une lutte pour le pouvoir ou à l’opposition de deux systèmes d’alliances antagonistes. Elle met également face à face deux conceptions opposées du gouvernement et de l’État en France au début du xve siècle, en un mot deux programmes politiques contradictoires, visant pourtant l’un et l’autre à la défense de majesté royale et au renforcement de l’efficacité de l’État253. Alors que les Armagnacs exaltent la loi, la justice et l’obéissance, les Bourguignons mettent en valeur la coutume, le contrat et la loyauté254. Or, autant les principes mis en avant par la thématique bourguignonne correspondent à la culture politique du 249 De 1408 à 1412, Édouard de Bar figura parmi les alliés de Jean sans Peur, avant de rejoindre définitivement le parti armagnac. 250 Cf. ci-dessus du présent chapitre. 251 Cf. Annexe 11. La formule employée par Jean sans Peur relève certes du stéréotype. Mais la solidarité familiale constituait aussi une valeur fondamentale de la société à cette époque (B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 107). 252 L. Douët d’Arcq, La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. II, p. 2. Philippe de Bourgogne, comte de Nevers, épousa en avril 1409 Marie de Coucy, fille d’Enguerran VII de Coucy et d’Isabelle de Lorraine, sœur de Charles II, et non pas Isabelle de Coucy, comme l’affirme une note de la chronique (cf. B. Tuchman, Der ferne Spiegel, op. cit., p. 207). 253 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 12. 254 B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 198.
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duché de Lorraine, autant ceux développés par les Armagnacs en sont éloignés. Le duc de Bourgogne préconisait en effet une réforme de l’État, mais au sens médiéval du terme, celui du retour à un temps ancien, considéré comme idéal. Il prônait la modération de l’administration royale, de ses effectifs comme de ses ambitions, alors que depuis plus d’un demi-siècle le duc de Lorraine se trouvait constamment en butte aux tentatives d’empiétements des officiers royaux. Il se prononçait contre l’impôt, que les baillis avaient plusieurs fois tenté de prélever sur les terres du duché relevant du Royaume255. Enfin, la bataille de Nicopolis, en 1396, au cours de laquelle le fils de Philippe le Hardi avait gagné le surnom de « sans Peur », fit de la maison de Bourgogne le porte-drapeau de l’idée de croisade et des vertus chevaleresques256. Tout cela ne pouvait manquer de plaire à la fois à Charles II et à la noblesse du duché. Les institutions de la principauté ducale et les relations que le duc entretenait avec les membres de son entourage étaient elles aussi, nous l’avons vu, basées sur les notions de contrat et de loyauté257. Celles-ci fournissent également la clé du comportement politique de Charles II avant la mort du duc d’Orléans. S’il répondit à la convocation de ce dernier à l’automne 1405, malgré les réticences ou l’opposition de ses vassaux et alors que la politique de ce prince en Lorraine allait directement à l’encontre de ses intérêts, c’est qu’il n’entendait pas se soustraire aux obligations contractées lors de sa prestation d’hommage, en 1398. Il tenta par conséquent, autant que faire se pouvait, de concilier et de remplir ses devoirs de parent et de vassal258. Mais par la suite, lorsque l’assassinat de Louis d’Orléans l’eut libéré de son serment, il se rangea résolument dans le camp bourguignon. Ses séjours à Paris auprès de Jean sans Peur sont d’ailleurs riches de signification politique. En participant au dîner de 1409, destiné à montrer la corruption des officiers du parti orléanais, en écoutant, quatre ans plus tard, les doléances de l’Université contre les exactions de l’administration royale, il apporta un soutien ostensible à la politique réformatrice du duc de Bourgogne259. Au-delà de la personne de Charles II d’ailleurs, c’est l’ensemble de la société politique du duché de Lorraine qui adhérait au programme politique bourguignon. Ferry de Lorraine, le frère du duc, plaça son épée au service de Jean sans Peur, mais il ne fut pas le seul. Charlot de Deuilly, maréchal de Charles II, figura aussi parmi les principaux capitaines des armées bourguignonnes ; Henri de Chauffour, le fils de Perrin de Deuilly, devint écuyer d’écurie de Jean sans Peur qui lui confia la garde de 255 F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 461-466. 256 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 119-124 et p. 305-318. 257 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 258 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre. 259 L. Douët d’Arcq, La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. II, p. 50-53, et la Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., t. II, IV., livre XXXIII, p. 745. Ces deux événements constituèrent des moments forts de la propagande politique du duc de Bourgogne. En 1409, le dîner auquel Jean sans Peur avait convié la plupart des princes du Royaume était destiné à exhiber la vaisselle du roi, découverte dans les propriétés de Jean de Montaigu, grand maître de l’hôtel du roi. En 1413, Charles II assista à la dénonciation par les membres de l’Université de Paris des abus de l’administration royale et de la corruption de ses membres. À chaque fois, il s’agissait de montrer la nécessité de contenir les progrès de l’État dans les limites du raisonnable.
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la ville de Vesoul260 ; Jean Ier et Jean II d’Haussonville, sénéchaux du duc de Lorraine, étaient également très liés au parti bourguignon, tout comme la maison de Blâmont, même si certains litiges mirent un moment aux prises les cadets de cette famille avec les officiers de la comté de Bourgogne261. Il semble bien que la noblesse lorraine, dans sa quasi-totalité, ait fait cause commune avec Charles II dans la défense de la politique de Jean sans Peur. Inversement, les idées du parti armagnac heurtaient de front la sensibilité et les pratiques nobiliaires de la Lorraine ducale. Elles reprenaient en effet les débris du programme des Marmousets, au pouvoir à la fin du règne de Charles V et pendant le gouvernement personnel de Charles VI entre 1388 et 1392 : De l’idée d’un État fort, il reste le refus du dialogue avec la nation, ou du moins avec les représentants de ce qui compte dans la société. De l’idée des finances saines, il reste le recours à une fiscalité imposée sans consentement. De l’appui sur des groupes de serviteurs de l’État, il reste l’esprit de corps et le népotisme. De l’indépendance des institutions, reste l’impossibilité de leur contrôle. Au total une certaine idée de l’État, mais comme appauvrie et durcie262.
L’obéissance, l’État, l’administration, l’impôt, rien de tout cela ne correspondait à la culture politique du duché de Lorraine. Présentées telles quelles, elles ne pouvaient que contribuer à le rejeter, par réaction, dans le parti de Jean sans Peur. Lorsqu’aux alentours de 1414 le duc d’Orléans écrivit à Charles II pour lui demander de rejoindre les troupes royales lancées à l’assaut des principautés bourguignonnes et de rallier le camp des Armagnacs, les arguments qu’il employa n’étaient pas de nature à pouvoir le convaincre : Tres chier et tres amé cousin, pour ce que tousiours suit desirant de savor de vous bons estat de sancté, lesquels dieu vuelle estre telz et si boins comme vous mesmes le voudriez et que de tout mon cuer je le desire, vous priant que par ceulz qui de par vous vendront par deça m’an vuelle escripre et mander, pour ma tres grant liesse et consolation Et se du mien vous plait savor a la facon de ceste, je estoie en bon point, la mercy de messeigneur, que ce vous vuelle octroier. Tres chier et tres amé cousin, vuellé savor que, per le commandement de monsseigneur le roy […] suy parti de Paris pour poursuir le duc de Bourgogne, ses adherens, aidans et complices, lesquels il ait reputé lour rebelles, ennemis et desobeissans, comme par les lettres envoiees […] son royaume peut clerement apparoir […]. Je vous
260 G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 30-33. En 1417 par exemple, Charlot de Deuilly attaqua les Armagnacs à Senlis à la tête d’une armée de 2 000 hommes, pour le compte de Jean sans Peur. L’année suivante, il commanda les troupes lorraines qui s’emparèrent de la ville de Provins. 261 A. Dedenon, Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance, op. cit., p. 118-124 et 145. Entre 1409 et 1411, Jean sans Peur s’empara des châteaux de Vellexon, d’Oricourt et de Vaire, possessions de la famille de Blâmont dans le comté de Bourgogne. Les deux parties parvinrent cependant à un accord le 14 août 1411. Peu de temps après, Thiébaut de Blâmont épousa Jeanne de Vergy, la fille d’un des principaux officiers de Jean sans Peur. Enfin, des membres de la maison de Blâmont ont été mentionnés en 1405 et en 1417 dans les armées bourguignonnes. 262 F. Autrand, Charles VI, op. cit., p. 461. C’est lorsque les Marmousets exerçaient le pouvoir à la fin du xive siècle que la pression de l’administration royale sur le duché de Lorraine se fit le plus fortement sentir, avec les procès intentés aux ducs Jean Ier et Charles II à propos de Neufchâteau.
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mande et prie de par moy […] de les poursuire par vostre pais en […] esperance […] confort et aide pour le roy […]263.
En dépit du ton volontairement cordial et aimable adopté au début de cette lettre, sans doute pour amadouer celui qui a été l’un de ses principaux adversaires et tenter de le débaucher, le langage du prince est celui du commandement – terme qu’il emploie à deux reprises en quelques lignes – de l’obéissance et donc de la sujétion. Charles II ne pouvait accepter l’assimilation faite dans ce document entre désobéissance et rébellion. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de le voir faire la sourde oreille aux offres en provenance du camp des Armagnacs264. En revanche, celles-ci trouvèrent davantage d’écho du côté du duché de Bar, où la rhétorique et les institutions de l’État moderne étaient beaucoup plus fortement implantées que dans le duché de Lorraine265. Les deux grandes principautés de la région ne se disputaient donc pas seulement la domination de l’espace lorrain. La guerre qu’elles se livraient répondait aussi à des motivations d’ordre idéologique. Le duché de Lorraine et l’Empire : un rapprochement durable ?
Toutes les études concernant Charles II ont insisté sur l’antipathie manifestée par ce prince à l’égard du Royaume. Elles ont en revanche considéré ses relations avec l’Empire comme un aspect secondaire de sa politique, résultant à la fois de l’élection de son beau-père comme roi des Romains en 1400 et de la nécessité de contrebalancer la pression française sur le duché par des liens plus étroits avec les principautés allemandes266. Nous avons suffisamment évoqué l’intervention de Charles II dans les affaires impériales aux côtés de Robert de Bavière jusqu’en 1406 pour qu’il soit inutile d’y revenir ici267. Tout au long de la période en effet, Charles II se montra soucieux d’affirmer plus nettement l’ancrage impérial de sa principauté et de corriger le déséquilibre entre les parties francophone et germanophone du duché de Lorraine.
263 A.D. Mos. B 2344/17 (15). La lettre est datée du 22 février. Il s’agit sans doute de l’année 1414, lorsque les troupes armagnaques, commandées par Charles VI en personne, décidèrent de porter la guerre en Artois et en Bourgogne. 264 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 57, mentionne plusieurs tentatives armagnaques pour détourner le duc Charles II du parti de Jean sans Peur. Mais celles-ci ont, semblet-il, fait long feu. 265 En ce qui concerne le pouvoir du duc de Bar dans sa principauté et l’avance de ce duché par rapport à celui de Lorraine en matière d’étatisation, voir ci-dessus première partie, chapitre 1. 266 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., ne traite spécifiquement de ses rapports avec l’Empire que dans le chapitre consacré à l’élection de Robert de Bavière. É. Dantzer, « Les relations des ducs de Lorraine avec les rois de France (1328-1431) », art. cit., p. 592-596, se contente, quant à lui, d’évoquer l’hostilité de Charles II à l’égard du Royaume. Enfin, P. Géant, « Étude sur le règne de Charles II, duc de Lorraine (1390-1431) », art. cit., p. 441, après un court récit du règne de ce prince, émet un jugement à la fois très sommaire et très révélateur : « La série de ces événements est en somme très secondaire. Les relations du duc avec la France ont emporté tout l’intérêt. » 267 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre.
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Le rééquilibrage interne de la principauté ducale
L’intérêt de Charles II pour les affaires de l’Allemagne et de l’Empire ne transparaît pas seulement au travers de sa diplomatie. Au sein même du duché, il prêta une attention plus grande que ses prédécesseurs au bailliage d’Allemagne et fit une plus large place, dans son entourage, à la noblesse germanophone. Le premier testament qu’il rédigea, en août 1407en porte témoignage. Les historiens lorrains, français pour la plupart, ont été frappés par l’interdiction faite à ses filles d’épouser un sujet du Royaume268. Mais cette mesure avait un corollaire tout aussi important, puisque les tuteurs de ses enfants étaient chargés de leur apprendre l’allemand : Item, s’il advenoit que nostredicte seur la duchesse se remariait ou alloit de vie a trespassement, ou perdait la mainbournie, nous volons que encontinent nosdicts enfans fuissent mis vers un de noz executours ; c’est a sçavoir, vers monsieur le Roy des Romains nostre seur, ou son ancien fil, se de mondict signour le roy estoit moinx, ou vers nostre cousin le comte de Vartembert, pour apanre a nosdicts enfans thias, sens, et doctrine269.
Si le bilinguisme des ducs de Lorraine représentait une condition indispensable au gouvernement d’une principauté politiquement impériale et culturellement française, c’était la première fois que la nécessité de connaître les deux langues était affirmée de façon aussi solennelle. On peut donc y déceler l’indice d’une plus grande préoccupation de Charles II pour la spécificité linguistique de la partie allemande du territoire ducal. Par ailleurs, la noblesse germanophone se fit désormais moins discrète à la cour de Nancy que durant la seconde moitié du xive siècle. Dès 1403, le duc de Lorraine sollicita les services d’un chapelain allemand du nom de Friedrich, qui lui servit à la fois de guide spirituel et de conseiller diplomatique auprès des princes de l’Empire270. D’autres personnages issus du bailliage d’Allemagne ou des territoires rhénans parvinrent également jusqu’aux plus hauts postes de l’administration ducale, ainsi Henri Bayer de Boppard, bailli d’Allemagne, et Henri Hase, seigneur de Château-Voué, maître d’hôtel de Charles II271. Enfin, lorsqu’il s’agit de lever des troupes pour combattre contre le duc de Bar et les quatre seigneurs, ce furent
268 Les quatre études citées plus haut, ainsi que M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 214, font tous quatre référence à cette clause du testament de Charles II. 269 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., Preuves, vol. VI, p. XC-XCIV. Ce texte figure également dans son intégralité en Annexe 12. Le terme thias, souligné par nous, vient de tudescum, et signifie allemand. 270 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. Une lettre de Robert de Bavière nous indique que herr Friederich des herzogen von Luthringen cappellan fut envoyé par Charles II en mission à Heidelberg, pour négocier, entre autres, le rétablissement de la paix entre le roi des Romains et le duc de Milan ( J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. V, no 353, p. 493). Cf. également le tableau de l’Annexe 20. Il fallait nécessairement que cet homme soit bilingue et tout porte à croire qu’il était allemand. Or, pour la seconde moitié du xive siècle, aucun indice ne permet de penser que l’un des chapelains des ducs de Lorraine parlait l’allemand. 271 Sur la carrière de ces deux personnages, voir ci-dessous Annexe 20.
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à nouveau les seigneurs allemands qui fournirent les plus gros contingents272. Pris individuellement, tous ces faits n’ont pas grande signification. Mis bout à bout en revanche, ils montrent que le duc de Lorraine se souciait désormais davantage de la partie orientale de sa principauté. Par rapport à son père, Charles II s’impliqua également beaucoup plus fortement dans les affaires alsaciennes. Les ducs de Lorraine avaient toujours été très bien implantés en Alsace : ils y possédaient des territoires étendus et y disposaient d’un assez grand nombre de vassaux et de clients273. Le morcellement politique extrême de la région favorisait également l’ingérence des princes voisins. Charles II ne s’en priva pas. Dès avant 1400, il avait soutenu les prétentions de la famille de Ribeaupierre contre Strasbourg274. Par la suite, on le vit intervenir à plusieurs reprises dans les querelles entre la ville et son évêque. Il en obtint le versement d’une pension, en échange de sa neutralité et de sa protection275. Il exerça des pressions du même ordre sur des cités plus modestes, comme Sélestat ou Colmar, qui s’engagèrent elles aussi à lui verser chaque année la somme de 200 florins276. Ainsi, alors que l’action de Jean Ier s’était limitée à maintenir des contacts réguliers avec ses vassaux alsaciens277, Charles II parvint à acquérir dans la région une influence beaucoup plus décisive. Il s’y montra aussi très soucieux du respect de ses droits et de ses privilèges. La charge d’avoué du prieuré du val de Liepvre, que lui conférait sa dignité de duc de Lorraine, le mit aux prises, dans les premières années du xve siècle, avec l’abbaye royale de Saint-Denis dont dépendait cet établissement. Or, les rapports des moines et des officiers du roi envoyés auprès de Charles II pour lui demander de mettre fin à ses empiétements témoignent de l’obstination du duc et de sa volonté d’imposer son autorité sur une vallée considérée comme stratégique278. Enfin, la rente annuelle de 2 000 florins
272 BnF Col. Lor., no 6, f. 65-88. Les sept compagnies passées à montre par les officiers de Charles II dans ce document étaient toutes commandées par des Allemands, originaires ou non du duché de Lorraine, à savoir Hanneman de Bitche, le seigneur de Sierck, Walter de Geroldseck, Henri Hase, seigneur de Château-Voué, Simon Mochenheimer, officier de Charles II dans la ville de Deux-Ponts, l’évêque de Strasbourg et Henri d’Urslingen. 273 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1 et ci-dessous troisième partie, chapitre 6. 274 Voir ci-dessus première partie, chapitre 2. Cf. également H. Angermeier, Königtum und Landfriede im deutschen Spätmittelalter, op. cit., p. 309-317. 275 L’accord définitif entre la cité, le duc de Lorraine et les sires de Ribeaupierre ne fut conclu qu’en 1399 (A.D.M.M. B 947, no 2). Quatre ans plus tard, un conflit éclatait entre Charles II et l’évêque de Strasbourg, mais il fut vite réglé (BnF Ms. fr. 11823, f. 22-23). Entre 1413 et 1417, le duc de Lorraine prit à plusieurs reprises le parti du prélat contre les bourgeois, dans la guerre qui les opposait (A.D. Mos. B 2344/17, n°s 9 et 10 et A.D.M.M. B 947, no 3). Dom Calmet fait état d’un tribut que la ville payait chaque année au duc Charles II depuis 1394, mais il n’en indique pas le montant (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 508). 276 BnF Col. Lor., no 49 bis, f. 100, acte daté de 1402. À la différence de Strasbourg, ces deux villes ne payaient pas auparavant de tribut au duc de Lorraine. 277 Cf. ci-dessus première partie, chapitres 1 et 2. 278 Deux procès-verbaux, établis le 28 mars 1405 (A.N. S 2238) et le 16 novembre 1405 (A.D. Mos., B 2344/27), mentionnent les plaintes de l’abbaye de Saint-Denis contre l’action du duc de Lorraine dans le val de Liepvre. Charles II levait des impôts sur les hommes et sur les biens du prieuré, empêchait le prieur de rendre la justice, exploitait le bois des religieux dans la vallée et récupérait
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que lui accorda Robert de Bavière sur les revenus de la prévôté impériale en Alsace lui permit de rémunérer les services de certains nobles locaux et de développer sa clientèle alsacienne279. On assiste donc bien, à partir de 1400, à un tournant important de la politique ducale en direction de l’Alsace et des princes allemands. L’ancrage impérial du duché de Lorraine
Le rappel constant par les ducs de Lorraine de l’appartenance de leur principauté à l’Empire leur permettait, on l’a vu, de faire contrepoids à l’influence du Royaume sur le duché et constituait la garantie de leur autonomie. Charles II poursuivit et approfondit cette politique dans les premières années du xve siècle et s’employa à multiplier les liens entre le duché de Lorraine et les territoires situés au sud-ouest de l’Empire, de façon à créer entre eux une véritable solidarité. Pour ce faire, il utilisa naturellement toutes les voies de la diplomatie. La première, et la plus sûre de toutes, restait celle des alliances matrimoniales. Charles II continua dans la voie inaugurée à ses débuts, lors de son mariage avec Marguerite de Bavière. Le 9 octobre 1408, il conclut un traité avec Bernard, marquis de Bade, selon lequel sa fille cadette, Catherine de Lorraine, devait épouser Jacques, le fils aîné du margrave. La cérémonie fut repoussée à une date ultérieure, étant donné l’âge des futurs époux. Mais surtout, le texte du traité envisageait le remplacement éventuel de Catherine par sa sœur aînée Isabelle280. L’objectif consistait donc bien à rapprocher l’un de l’autre le duc de Lorraine et le marquis de Bade, respectivement gendre et vassal de l’Électeur palatin, et à favoriser la convergence de vues et d’intérêts des principautés situées entre Rhin et Moselle. Quatre ans plus tard, entre mai et août 1412, Philippe, comte de Nassau et de Sarrebruck, se maria avec Isabelle de Lorraine, fille de Ferry, comte de Vaudémont, et nièce de Charles II. Une telle union peut surprendre au premier abord, étant donné les relations très hostiles de Charles II avec la famille de Commercy-Sarrebruck.
à son profit les dîmes et les cens qui leurs étaient dus. Lorsque les moines et les délégués du roi se présentèrent à Nancy, les officiers ducaux cherchèrent d’abord à gagner du temps, en prenant prétexte de l’absence de leur maître. Puis, face à leur obstination, le duc de Lorraine finit par leur répondre qu’il ne céderait rien et refusait de se soumettre à une autre justice que celle de son pays. Voir également ci-dessous chapitre 7. 279 Robert de Bavière accorda cette somme annuelle au duc de Lorraine pour rembourser les dettes qu’il lui devait, suite à l’expédition d’Italie en 1401 (cf. ci-dessus dans le présent chapitre). Quelque temps plus tard, le 21 mai 1406, Charles II demanda au landvogt d’Alsace, René Schwarz von Sickingen, de payer 200 florins au prévôt de Wissembourg, pour un cheval offert en son nom au comte de Deux-Ponts (BnF Col. Lor., no 5, f. 26). L’année suivante, ce sont 500 florins, sur les 2 000, qui furent attribués à Hans Kammerer, pour le récompenser de ses services (BnF Col. Lor., no 5, f. 105). 280 R. Fester, Regesten der Markgrafen von Baden und Hachberg (1050-1515), vol. I, Innsbruck, 1900, no 2538. La célébration du mariage de Catherine n’eut lieu qu’en 1422, après celui de sa sœur (E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit, p. 105-106). Un acte de Charles II concernant la succession au duché de Lorraine, en date du 10 septembre 1410, évoque, lui aussi, la possibilité d’unir à Jacques de Bade non pas Catherine mais Isabelle (Annexe 13).
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Elle représenta pourtant une grande victoire diplomatique pour le duc de Lorraine. Le comté de Sarrebruck occupait en effet une position stratégique entre Lorraine et Palatinat. Charles II espérait ainsi détacher Philippe de l’alliance des Quatre seigneurs et du duc de Bar et tisser un réseau de parenté qui facilite l’entente entre les princes de la région281. L’union des maisons princières constituait ainsi le socle d’une politique plus concrète, visant à renforcer la solidarité des populations lorraines, sarroises et rhénanes. Depuis une vingtaine d’années, les ducs de Lorraine avaient pris part aux traités de Landfried destinés à maintenir l’ordre et la liberté du commerce sur leurs territoires, afin d’arrimer plus fortement leur principauté à l’Empire282. Charles II paracheva en quelque sorte cette stratégie, lorsqu’il entra, le 31 mai 1414, dans une alliance défensive avec l’archevêque de Mayence, grand chancelier de l’Empire, le duc d’Autriche et le marquis de Bade283. Un tel accord constituait le couronnement d’une politique de rapprochement systématique avec les princes allemands, destinée non seulement à lui procurer des alliés et des protecteurs contre les agressions éventuelles en provenance du Royaume de France, mais surtout à affirmer l’ancrage impérial du duché de Lorraine. La double élection de Sigismond comme roi des Romains, en 1410 et 1411, témoigne de l’efficacité de cette politique. A priori, Charles II avait tout à craindre de l’arrivée au pouvoir du demi-frère de Wenceslas de Luxembourg. Les deux frères cependant ne s’entendaient guère284. Par ailleurs, Robert de Bavière était parvenu à décourager même ses plus fidèles partisans et à placer l’ensemble de sa famille dans une situation catastrophique285. À sa mort en 1410, son fils aîné, Louis de Bavière, comte palatin du Rhin, décida de soutenir la candidature de Sigismond contre Wenceslas, puis contre celle de Josse de Moravie. Le déroulement des négociations illustre également de manière flagrante la solidarité qui unissait désormais les principautés du sud-ouest de l’Empire : Louis de Bavière ne parla pas pour lui seul, il obtint aussi le maintien des 281 Dans un acte du 8 mai 1412, Philippe de Nassau-Sarrebruck parlait d’Isabelle de Lorraine comme de sa future épouse (A.D.M.M. B 920, no 7). Le 12 août suivant, il lui assignait une rente annuelle de 250 francs sur la terre de Morley, en guise de Morgengab, soit un don fait par le mari à sa femme, au lendemain de leurs noces, suivant la coutume germanique. (A.D.M.M. B 920, no 6). Ce mariage ne donna cependant pas les résultats escomptés, puisque le comte de Sarrebruck conclut quelques années plus tard une alliance défensive avec le duc de Bar . 282 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 283 B.N Col. Lor., no 6, f. 107. Cet acte s’apparente à un traité de Landfried, puisque les signataires précisaient qu’il ne devait pas être dirigé contre l’empereur Sigismond. Mais il montre aussi l’élargissement du champ d’action de la diplomatie ducale par rapport à la période précédente. Jean Ier en effet n’entretenait de relations suivies qu’avec les comtes sarrois et l’Électeur palatin, voisins immédiats du duché (cf. ci-dessus première partie, chapitre 3). 284 S. Wefers, Das politische System Kaiser Sigmunds, Stuttgart, 1989, 254 p., p. 9-11 et J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. IV, no 171, p. 196-197). 285 S. Wefers, Das politische System Kaiser Sigmunds, op. cit., p. 9-11. Robert avait été élu pour régler le schisme pontifical. Or il refusa d’envoyer aucun représentant au concile qui s’ouvrit à Pise en 1409 pour débattre de la question, prétextant qu’il s’agissait d’une manœuvre de la France pour attirer à elle les princes allemands. Son absence constitua une des raisons majeures de l’échec du concile. Dès lors, Robert de Bavière devint l’un des principaux obstacles au rétablissement de l’unité religieuse.
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privilèges du duc de Lorraine, des comtes de Bitche, de Deux-Ponts, de Linange, de Veldenz et de Sponheim, ainsi que des seigneurs d’Ochsenstein et de Lichtenberg286. C’est toute une région qui basculait en faveur de Sigismond. Même si le comte palatin disposa seul de la dignité électorale, le soutien des princes d’Empire pesa dans la balance. En nommant Charles II comme vicaire impérial dans les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun et en lui accordant l’investiture de ses fiefs le jour même de son couronnement, Sigismond montrait l’importance qu’il accordait au soutien du duc de Lorraine, tandis que ce dernier témoignait de l’intérêt qu’il portait aux affaires de l’Empire287. Entre l’empereur et le duc, l’accord alla d’ailleurs bien au-delà d’une simple communauté d’intérêts. Charles II en effet ne pouvait qu’adhérer au but que Sigismond s’était fixé de réunifier la chrétienté et de rétablir la paix entre les royaumes de France et d’Angleterre288. Lorsque celui-ci entama sa tournée diplomatique à travers l’Europe, en 1415, il s’arrêta d’abord à Heidelberg, pour y conférer avec l’Électeur palatin. Puis, constatant que l’impossibilité d’un retour à la paix et à l’unité de la chrétienté provenait surtout de l’intransigeance du parti des Armagnacs, il décida de s’allier avec le roi d’Angleterre Henri V et signa avec lui le traité de Canterbury, le 15 août 1416. Parallèlement, il se rapprocha progressivement des positions du duc de Bourgogne, malgré les craintes pour l’Empire que lui procurait l’expansion territoriale de cette principauté. Manifestement, l’empereur, le comte palatin et le duc de Lorraine avaient des vues assez proches à propos des conflits qui déchiraient l’Europe occidentale. Rééquilibrage interne de la principauté ducale, intérêt plus marqué pour les affaires alsaciennes, approfondissement des liens avec les territoires sarrois et rhénans et convergence de vues avec Sigismond sur les questions de politique internationale ne s’expliquent pas uniquement par la nécessité de contrebalancer l’influence de la France. Plus profondément, ce sont des expressions d’une culture politique commune qui différait sensiblement de celle du Royaume. Charles II : un prince anti-français ?
Aussi profond soit-il, le rapprochement du duché de Lorraine et de l’Empire ne constitue pas, nous l’avons vu à travers l’historiographie, l’aspect le plus spectaculaire
286 Ibid., p. 14. 287 Ch. Aimond, Les relations de la France avec le Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 230, et J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. VII, no 167, p. 243-245. Le duc de Lorraine prêta hommage à l’empereur au cours du repas qui suivit son couronnement, après les archevêques de Trèves et de Cologne, les évêques de Liège et de Wurzbourg, et les ducs de Bavière, de Saxe et de Gueldre-Juliers. 288 Pour tout ce qui concerne ce paragraphe, voir M. Kitzinger, Westbindungen im spätmittelalterlichen Europa, op. cit., p. 67-81. La politique internationale de Sigismond reposait sur l’idée d’une paix de compromis, destinée à ménager les intérêts et la susceptibilité de chacun, ce qui correspondait à la culture politique et diplomatique de l’Empire à cette époque. Cette conception allait directement à l’encontre des idées du parti armagnac, qui refusait de transiger avec les droits et les prérogatives de la couronne royale française. Entre l’empereur et le roi, le désaccord était donc inévitable.
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de la politique de Charles II. Pour autant, peut-on prêter à ce prince, comme beaucoup l’ont fait, des sentiments anti-français ? Malgré les apparences, la querelle des Armagnacs et des Bourguignons ne modifia en rien la nature des relations entre le duc de Lorraine et le roi de France par rapport à la période précédente. Les contacts permanents et le plus souvent amicaux se maintinrent, en dépit du refus de Jean Ier, suivi en cela par les nobles de sa principauté, de suivre le modèle politique mis en place par la monarchie des Valois, fondé sur l’exaltation de la majesté royale et sur la sujétion de tous les hommes du Royaume envers le roi289. Mais ce modèle progressait, en dépit de la folie de Charles VI, de la rivalité des ducs d’Orléans et de Bourgogne, puis de l’éclatement de la guerre civile290. Pour faire appliquer les décisions prises par le gouvernement, tous, y compris les princes du sang, prirent l’habitude de se reconnaître eux-mêmes comme des sujets du roi de France. Quant à Jean Petit, il fonda sa justification du meurtre de Louis d’Orléans sur la définition du crime de lèse-majesté que ce dernier aurait commis à maintes reprises291. Par une sorte de choc en retour, l’affaiblissement très sensible de la puissance réelle du roi entraîna un approfondissement de la réflexion théorique sur la nature et l’étendue de son pouvoir292. Une telle évolution ne pouvait manquer d’effrayer la société politique du duché de Lorraine. Trois quarts de siècle plus tard, la Chronique de Lorraine ne se fait-elle pas l’écho des pensées des contemporains de Jean Ier et de Charles II lorsqu’elle évoque et résume l’affaire de Neufchâteau ? Tous les plus grands [du Royaume] feirent une conspiration secrestement ensemble, lesquels avoient un secrestaire que du duc estoit familier. Tout secrestement une lettre feirent faire, comment le duc subject a roy se mettoit, en luy mettant la ville en ses reprinses por en reprendre de luy a temps advenir. Ladicte lettre moult bien dictée estoit. Le secrestaire la presentant a duc avec plusieurs altres, le duc cuydant avoir une lettre d’office ou de donation, la signa sans la regarder ; lesdicts a roy luy envoyerent. Incontinent quand le roy l’eut, le duc volloit tenir subject, combien qu’il consideroit que le duc rien n’en sçavoit. Quand le duc oyt le traficque, moult courroucé il fut293.
289 Cf. ci-dessus, première partie, chapitre 3. 290 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., avant-propos, p. 12. 291 B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 44. Bon nombre des propositions de Jean Petit durent faire tiquer le duc de Lorraine, présent lors de l’exposé du théologien, à condition toutefois qu’il en ait compris le sens et la portée. 292 Ibid., passim. On peut prendre pour exemple le monopole de la guerre revendiqué de plus en plus ouvertement par le roi de France au cours du xive siècle. Dans les deux premières décennies du siècle suivant, l’impossibilité de Charles VI à se faire obéir entraîna la multiplication des guerres privées partout dans le Royaume. Mais celles-ci à leur tour suscitèrent une floraison très importante de textes interdisant aux princes de prendre les armes sans l’autorisation du souverain. Ceux-ci servirent ensuite de base à l’ordonnance du 2 novembre 1439, proclamant que la levée des troupes était un droit régalien. A. Demurger, Temps de crises, temps d’espoirs, op. cit., p. 179. 293 L. Marchal (éd.), La chronique de Lorraine, op. cit., p. 4-5. En dépit de ses nombreuses erreurs l’intérêt de ce texte réside dans ce qu’il traduit de manière très juste la défiance des Lorrains à l’égard de la cour du roi de France au tournant des xive et xve siècles.
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L’auteur présente naturellement une version caricaturale des événements. Mais le fait qu’il mette uniquement l’accent sur la question de la sujétion est particulièrement révélateur. On sait que le débat opposant le roi et le duc à propos de Neufchâteau concernait en réalité la souveraineté sur la ville. Pour les officiers royaux, la souveraineté française et l’hommage rendu au roi faisaient des ducs de Lorraine des sujets de la couronne, ce que récusaient bien entendu ces derniers. Tout comme dans la seconde moitié du xive siècle, l’affrontement portait essentiellement sur les symboles de la souveraineté et de la majesté royales294. Bien entendu, un certain nombre des pillages mentionnés par l’arrêt du Parlement de Paris comme par la lettre de rémission octroyée quelques mois plus tard furent effectués « à l’aveugle » sur les villages du Royaume frontaliers au duché de Lorraine295. Mais la plupart du temps, le choix des lieux et des personnes attaqués ne tenait pas du hasard296. Les Lorrains s’en prirent avant tout aux villages et aux hommes placés sous la sauvegarde royale, à commencer par la ville de Neufchâteau. Mais à l’intérieur même de la ville, les bourgeois les plus directement touchés par les violences du duc furent ceux qui avaient sollicité une protection personnelle de la part du roi de France : Colard Belpigine fut ainsi totalement dévalisé, sa femme expulsée de la ville, et Guillaume Hurel noyé par le sire de Deuilly. Les officiers royaux servirent aussi de cible privilégiée : plusieurs sergents furent faits prisonniers ; le prévôt d’Andelot, venu demander réparation, fut même violemment frappé et ne dut la vie qu’à sa promesse de ne pas porter plainte contre le duc de Lorraine devant la justice du roi ; enfin, le bailli de Chaumont en personne fut insulté et blessé dans une embuscade tendue par les troupes ducales297. Mais il y eut plus grave : en janvier 1406, au début de la guerre des Quatre seigneurs, Charles II entra à la tête de ses troupes dans le village de Vrécourt, situé dans le bailliage de Chaumont. Il s’empara des insignes de la sauvegarde royale fixés aux portes des maisons, les accrocha à la queue de son cheval, et les traîna dans la boue, insultant à travers eux la personne même du souverain298. Année après année, 294 Cf. première partie, chapitre 3. 295 L’arrêt du Parlement de Paris a été publié par S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves no XX, p. 28-68. Tous les faits relatés dans la page qui suit sont extraits de ce document. La lettre de rémission du roi au duc Charles II, en février 1413, retrace, elle aussi le cours de ces événements (BnF Ms. fr. 11823, f. 263-273, et f. 175-185). 296 S. Luce, ibid., Preuves, no XX, p. 42-45. Le document ne mentionne pas la raison pour laquelle les Lorrains s’en prirent aux villages de Taillancourt, Landreilles, Amanty, Bourbonne et Sionne entre 1401 et 1405. Sans doute leur proximité avec le duché joua-t-elle un rôle déterminant, rendant plus facile la retraite des troupes ducales. 297 Ibid., p. 56-62. Les villages de Taillancourt et de Mellimont bénéficiaient de la protection du roi. Enfin, certains des officiers royaux arrêtés ou molestés par le duc de Lorraine l’avaient été sur le territoire même du Royaume. Tout cela accroissait bien entendu la gravité des actes de Charles II aux yeux du procureur du Parlement de Paris. 298 Ibid., p. 48. La localité de Vrécourt est située dans le bailliage de Chaumont, « laquelle est en la garde du roy et en signe d’icelle y avoir plusieurs pennonceaulx des armes du roy, lesquelx furent prins par aucuns des gens du dit duc en la presence d’icelui duc et les traynerent, apres celui qui les traynoit par la boe et fange estoient plusieurs qui par derrision disoient : – Or es-tu bien malade, roy ! Tu ne te peux ayder, roy ! Vecy le roy que j’ay prins ! – Et apres ce que les diz penonceaulx furent ainsi prins et
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village après village, les mêmes paroles et les mêmes gestes se répétèrent, prouvant la volonté délibérée du duc de Lorraine de nier la souveraineté du roi et de porter directement atteinte à sa majesté, par des infractions réitérées contre sa sauvegarde et par des injures proférées contre sa personne. Jacques Sorot constitue à cet égard un cas d’école : cet ancien tabellion royal de la prévôté d’Andelot souffrit, plus que d’autres bourgeois de Neufchâteau, des mauvais traitements des officiers ducaux qui l’outragèrent à la manière du Christ, en lui disant : « dy a ton roy qu’il te viengne aidier299 ! ». Aux yeux du procureur du Parlement de Paris, les hommes du duc de Lorraine ont commis un blasphème en offensant la majesté du roi. Pour Charles II en revanche, ils n’ont fait que s’opposer à la volonté du roi d’imposer sa souveraineté sur des territoires et sur des hommes qui ne relevaient pas du Royaume. De la part de la société politique du duché de Lorraine, ces actes témoignent donc d’une très forte résistance à l’acculturation au modèle politique français. Dans ces conditions, il ne faut pas interpréter le refus du duc de comparaître devant le Parlement de Paris comme une tentative de se soustraire à la condamnation qui le menaçait, mais comme un rejet pur et simple de la justice royale300. S’y soumettre serait revenu à reconnaître sa sujétion envers le souverain. Les religieux de Saint-Denis venus demander à Charles II de respecter l’immunité du prieuré du val de Liepvre, le comprirent bien, eux qui s’efforcèrent de ménager sa susceptibilité lorsqu’ils lui proposèrent de faire juger leur litige par le bailli de Chaumont : […] vous a esté offert par monseigneur l’Abbé, encore derechef vous offre, prie, somme et requiert que vous voulez prendre et eslire en ceste cause aucuns juges royal, si comme le bailly de Chaumont en Bassigny, ou autre dudit royaume tel qu’il vous plaira, et nous le prendrons et accepterons tres volontiers, lequel juge, non pas par maniere de souveraineté aucune par dessus vous, mais par maniere de juge arbitrateur, print et esleut du consentement des parties, sans prejudice de vous ne de votre exemption, jugera dudit fait et contentieux301.
Toutefois, malgré les précautions prises par les délégués de l’abbaye, la réponse du duc ne contint pas la moindre ambiguïté : « Vrayement je ne me sousmettray a autre juge ny a personnes quelconques fors a la justice de mon pays de Lorraine302 ».
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traynés, icellui qui ce faisoit les mist sur son espaule en disant publiquement : – Vecy beau mirouer ! ». Quant à Jouvenel des Ursins, Histoire de Charles VI, op. cit., p. 479, il accuse le duc d’avoir lui-même traîné les pannonceaux royaux dans la boue, mais n’indique pas le lieu où ce fait se produisit. Ibid., p. 63. La doctrine de la majesté royale reposait sur l’analogie entre le pouvoir du Christ dans les cieux et celui du roi sur la terre. Le procureur royal accusa donc le duc de Lorraine d’avoir commis à cette occasion le plus grave crime qui puisse exister, celui de lèse-majesté humaine et divine (B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 27). Le Parlement de Paris constata en effet à de très nombreuses reprises le défaut du duc Charles II : les 6 et 17 mai 1410 (A.N. J 681, n°s 44 et 46), mais aussi les 1er et 28 août, et les 18 et 22 décembre de cette même année. Cf. E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 122. A.D. Mos. B 2344/27. Ibid. La lutte se déroula cette fois à fronts renversés. Les moines de Saint-Denis et les envoyés du roi qui les accompagnaient n’avaient pas vraiment les moyens de contraindre le duc de Lorraine à renoncer à ses empiètements. Ils s’efforcèrent donc de se soumettre aux pratiques arbitrales en vigueur dans l’espace lorrain.
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L’attitude de Charles II à l’égard de la France répondait à des motivations idéologiques et à des buts politiques précisément définis : l’affirmation de l’indépendance du duché de Lorraine impliquait la résistance à la culture politique du Royaume. C’est à la lumière de cette réponse de Charles II aux moines de Saint-Denis dans l’affaire du val de Liepvre, qui nous fournit la clé de ses orientations diplomatiques, qu’il convient de réinterpréter la fameuse clause du premier testament de Charles II, que Les historiens lorrains du début du siècle dernier ont considéré d’un point de vue « national », largement étranger aux conceptions des hommes de la fin du Moyen Âge. Commençons par la citer dans son intégralité : Item, volons et ordonnons que au cas que nous n’averiens que filles nees et procrees en loyaul mariage, que nosdicts executours ne les puissent marier a homme que soit subjet au royaume de France, et le marit de la fille que seroit duchesse de Lorraine, deveroit faire serment qui seroit et tenroit sa demourance continuelment le plus dou temps au duchiet de Loherenne, sens malengin, et pourroient tenir lesdictes filles de costé eulx, jusques ad ceu qu’elles seroient mariees, par la maniere que dessus est dict sans malengin303.
La plupart des commentateurs en sont restés en effet à la première partie de la phrase, interdisant le mariage d’une des filles et héritières du duc de Lorraine avec un sujet du Royaume. Mais par là ils en dénaturent quelque peu le sens. Car Charles II souhaitait également avoir un gendre qui passe le plus clair de son temps dans la principauté ducale et qui ne possède pas d’autre seigneurie plus importante à ses yeux. Il devrait aussi porter les armes de Lorraine. On ne pouvait affirmer avec plus de force le désir de maintenir l’indépendance de fait dont bénéficiait la principauté ducale et de ne pas lier son destin à celui d’une puissance étrangère qu’elle soit française ou non. Ce que refuse le duc en effet, ce n’est pas tant d’unir sa fille à un prince français que de lui donner pour époux un sujet du roi de France, qui pourrait ainsi imposer la souveraineté de celui-ci sur l’ensemble du territoire ducal. Les dispositions testamentaires de Charles II se situent donc bien dans la même ligne politique que ses attaques permanentes contre les symboles de la majesté royale. Ce faisant, il n’agissait pas sous le coup de l’émotion. Bien au contraire, sa décision, mûrement réfléchie, répondait au souci de préserver dans l’avenir l’indépendance de fait et l’identité du duché de Lorraine. Bien évidemment dans cette perspective, l’absence d’héritier mâle représentait pour le duc de Lorraine un handicap supplémentaire. Des quatre enfants qu’il eut de Marguerite de Bavière, sa femme, seules Isabelle et Catherine parvinrent à l’âge adulte. Les deux garçons, Rodolphe et Louis, moururent en bas âge304. La question de sa succession prit au fil des années une importance sans cesse croissante305. Mais dès 303 Cf. Annexe 12. 304 G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 88. L’auteur place la naissance d’Isabelle aux alentours de 1410 et celle de sa sœur à peu près en 1411. En réalité, il faut reculer ces deux dates de plusieurs années, puisque le traité prévoyant le mariage de Catherine avec le fils du marquis de Bade fut signé dès le 9 octobre 1408. 305 Le problème de la succession au duché de Lorraine revêtit une acuité toute particulière dans la dernière partie du règne de Charles II, entre 1418 et 1431. Pour cette raison, nous avons rassemblé tous les documents concernant ce sujet de l’Annexe 12 à l’Annexe 16. Nous en analysons certains dès maintenant : le testament du 13 août 1407, et les prestations de serment de la noblesse lorraine, les 3 et 10 septembre 1410.
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1410, Charles II s’en préoccupa et s’efforça de prendre toutes les garanties possibles pour qu’elle se déroule selon sa volonté. Il rassembla à Nancy, le 10 septembre de cette année-là, les principaux membres de son entourage et leur fit prêter serment de reconnaître comme héritière sa fille aînée, au cas où il mourrait prématurément. Les modalités du choix de son futur époux furent cette fois réglées jusque dans les moindres détails306. Les différentes candidatures envisagées sont autant de précautions destinées à éviter que le duché de Lorraine ne tombe sous la coupe d’une principauté étrangère quelle qu’elle soit. Preuve que Charles II ne répugnait nullement à l’éventualité de marier sa fille à un Français, il envisageait de lui faire épouser le fils cadet du duc de Brabant, et neveu de Jean sans Peur307. Cette union ne présentait aucun danger à ses yeux : le Brabant étant situé en territoire d’Empire, aucun lien de sujétion ne le reliait au royaume de France. Ce mariage aurait permis par ailleurs de renforcer l’alliance entre les maisons de Bourgogne et de Lorraine. Enfin, le choix du fils cadet d’Antoine de Bourgogne écartait la perspective d’une domination brabançonne sur le duché de Lorraine. Le mariage d’Isabelle avec le marquis de Bade, seigneurie inférieure au duché en puissance et en prestige n’aurait pas comporté davantage de risque. Ce n’est donc pas à la France en tant que telle que s’opposait Charles II, mais à la menace que faisait peser sur le duché l’idéologie politique du Royaume, fondée sur les notions de souveraineté, de majesté et de sujétion. *** De 1400 à 1418, le duché de Lorraine se trouva brutalement lancé dans la tourmente des conflits internationaux qui déchirèrent l’Empire et le royaume de France. À partir de 1406, la pression exercée par le frère de Charles VI dans les pays « d’Entre-Deux » rencontra directement les intérêts du duc de Lorraine dans la région. Une double coalition se forma, à cheval sur l’espace lorrain et les royaumes voisins : d’un côté, le duc de Lorraine, la ville et l’évêché de Metz et le roi des Romains Robert de Bavière ; de l’autre, les ducs d’Orléans et de Bar, les quatre seigneurs et le duché de Luxembourg. Malgré la victoire obtenue par Charles II à Champigneulles, seul l’assassinat du duc d’Orléans le 23 novembre 1407 le débarrassa vraiment de la menace orléanaise. Par la suite, il rallia délibérément le camp bourguignon et devint l’un des plus précieux alliés de Jean sans Peur contre les Armagnacs. La guerre civile qui sévit dans le Royaume n’épargna pas la Lorraine, où Édouard de Bar, après avoir un moment basculé du côté du duc de Bourgogne, rejoignit le parti des Armagnacs.
306 Cf. Annexe 13. Cette promesse vint compléter celle déjà faite la semaine précédente par les mêmes hommes. Les deux actes sont d’ailleurs agrafés l’un à l’autre dans les archives de la maison de Bade. À propos du mariage d’Isabelle, ce premier serment se contentait de renvoyer au testament du 13 août 1407. 307 B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 87. À travers un tel projet, on mesure l’efficacité du réseau d’alliances matrimoniales et diplomatiques patiemment mis en place par Philippe le Hardi depuis les années 1360-1370. Dès son arrivée au pouvoir en 1404, Jean sans Peur récolta les succès politiques de son père et s’efforça de parachever l’œuvre entamée.
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L’affrontement entre les duchés de Bar et de Lorraine paraissait devoir s’éterniser, jusqu’au moment où le désastre d’Azincourt provoqua la ruine de la maison de Bar. On peut émettre des réserves à propos des analyses de Michaël Nordberg sur les relations entre le duc de Lorraine et Louis d’Orléans et sur ce qu’il nomme « l’affaire de Metz », à savoir la guerre des Quatre seigneurs. Nous devons en revanche lui rendre hommage d’avoir été l’un des tout premiers à tenir compte de l’étroite imbrication entre les querelles locales et les conflits internationaux et, surtout, à ne pas voir dans la politique du duc d’Orléans en Lorraine une manifestation de la conquête française en Allemagne, comme l’avaient fait bon nombre de ses prédécesseurs308. Charles II était tout d’abord enserré dans un réseau d’alliances et de solidarités qui définissaient, au moins partiellement, sa ligne de conduite. L’exemple de Robert de Bavière montre la force des liens de parenté : le duc de Lorraine ne pouvait ni ne voulait s’y soustraire, ce qui le poussa malgré lui à s’opposer aux entreprises de Louis d’Orléans dans l’espace lorrain. Mais la maison de Bavière unissait aussi de manière indirecte les ducs de Lorraine et de Bourgogne. Qu’il le voulût ou non, la parentèle de Charles II le plaçait dans le camp de Jean sans Peur. Le duché de Lorraine était également situé au cœur d’un triangle dont les pointes étaient constituées au nord du comté de Flandre, au sud de la Bourgogne proprement dite et, à l’est, du Palatinat. Aux obligations familiales s’ajoutèrent donc les contraintes du voisinage. Elles incitèrent Charles II à entretenir de bonnes relations avec le duc de Bourgogne, pour des raisons économiques et géopolitiques : la prospérité et la stabilité de la principauté ducale en dépendait. Car le prince, au Moyen Âge comme à n’importe quelle autre époque, n’agissait et ne décidait pas seul. Il devait tenir compte de l’opinion et des intérêts de ses sujets, et notamment de la noblesse qui seule, en réalité, avait voix au chapitre dans le duché de Lorraine. Charles II l’apprit à ses dépens au moment de la prise d’armes d’août 1405, lorsqu’il constata les réticences de ses vassaux à servir à ses côtés contre Jean sans Peur. Toutefois, il retint vite la leçon : cette décision constitua le dernier geste d’amitié du duc de Lorraine envers Louis d’Orléans. Par la suite, Charles II fut bourguignon, comme la noblesse ducale dans son ensemble. Mais la querelle des Armagnacs et des Bourguignons ne mit pas seulement face à face des lignages et des régions aux intérêts divergents. Elle fut aussi un affrontement idéologique. Or, entre les tenants bourguignons d’un État fondé sur la coutume, la loyauté, respectant les privilèges des princes et de la noblesse, et les partisans armagnacs de l’absolue primauté de l’État et du développement de l’appareil administratif de la monarchie, Charles II eut tôt fait de choisir. Depuis un demi-siècle au moins, les ducs de Lorraine refusaient de reconnaître leur sujétion envers le roi de France. Jean sans Peur apparut donc comme le défenseur naturel de l’autonomie des principautés et comme un rempart contre les empiétements permanents des officiers royaux sur les terres du duché de Lorraine. Mais, de façon plus globale, c’est la culture
308 M. Nordberg, Les ducs et la royauté, op. cit., p. 184 : « Cette allégation ne trouve aucun fondement dans les sources de l’époque. » Voir également ce qu’en disait E. Jarry, La vie politique de Louis de France, duc d’Orléans, op. cit., p. 308.
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politique du royaume de France que rejeta le duc Charles II, et pas seulement les idées armagnaques. Cette réticence à l’égard d’un pouvoir monarchique considéré comme exorbitant incita Charles II à se rapprocher des principautés allemandes, à réaffirmer l’ancrage impérial du duché de Lorraine et à interdire le mariage de ses filles, héritières du duché de Lorraine, avec un sujet du Royaume. La noblesse ducale avalisa toutes ces mesures et fit bloc derrière son prince dans son mouvement de résistance à l’acculturation au modèle étatique proposé par la cour du roi de France. L’action du duc de Lorraine au cours de ces dix-huit années ne peut finalement se comprendre que si l’on perçoit l’objectif ultime qu’il cherchait à atteindre : préserver l’autonomie de sa principauté dans l’avenir… Les convictions et les objectifs politiques de Charles II n’ont donc pas changé par rapport à ceux de son père et des premières années de son gouvernement. La conjoncture diplomatique en revanche, qui entraîne la Lorraine dans les conflits internationaux, lui rendit la tâche particulièrement ardue. L’absence d’héritier mâle laissait également entrevoir une succession assez délicate.
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Chapitre 5
La succession de Lorraine et le danger bourguignon (1419-1431)
L’assassinat de Jean sans Peur par les hommes du dauphin, le 10 septembre 1419 à Montereau, modifia la donne de la guerre civile en France et du conflit séculaire avec le royaume d’Angleterre. Pour venger son père, le nouveau duc de Bourgogne Philippe le Bon décida de faire alliance avec les Anglais contre le dauphin et les Armagnacs, ce à quoi Jean sans Peur ne s’était jamais résolu. Trois ans plus tard, en 1422, les morts successives d’Henri V et de Charles VI confirmèrent la division de la France en trois parties : le nord-ouest était contrôlé par les Anglais, le nord-est restait sous domination bourguignonne, tandis que Charles VII se repliait au sud de la Loire. La guerre, civile et étrangère, entra ainsi dans une nouvelle phase1. En Lorraine, dans les deux grandes principautés de la région, d’épineux problèmes obligèrent les princes à reconsidérer leur attitude. L’hécatombe subie par la maison de Bar sur les champs de bataille de Nicopolis et d’Azincourt avait contraint le cardinal-duc, Louis de Bar, dernier fils du duc Robert, à faire la paix avec Charles II pour mieux se préoccuper des problèmes internes à sa principauté : Louis, en tant qu’ecclésiastique, devait à la fois imposer son autorité et se trouver un héritier2. Quant à la position du duc de Lorraine, elle était à peine moins préoccupante. Certes, il bénéficiait dans le duché d’un prestige incontesté. À l’extérieur, ses fonctions de connétable du Royaume et de vicaire impérial dans les évêchés de Metz, Toul et Verdun en faisaient également un prince d’envergure internationale. Mais, vers 1418, Charles II exerçait le pouvoir depuis 28 ans, ce qui est beaucoup pour l’époque. Âgé de 43 ans, il atteignait désormais l’âge de la vieillesse et souffrait de la goutte, maladie qui, si elle ne le mit pas à l’agonie, restreignait progressivement ses possibilités de déplacement3. La perspective de sa succession devint désormais plus proche.
1 Ces événements sont bien connus. Pour plus de détails, voir par exemple B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 200-235. 2 Voir ci-dessus chapitre 4. 3 La lettre de rémission accordée à Charles II et Ferry de Lorraine par le roi de France, en 1391, indique au passage l’âge de ces deux princes : « est assavoir ledit duc en l’aage de seize et le dit Ferry de quinze ans, ou environ » (cf. Annexe 9). Cela incite à placer la naissance de Charles au cours de l’année 1375. Quant à sa maladie, elle est évoquée par les très nombreux auteurs qui relatent son entrevue avec Jeanne d’Arc. Au duc qui lui demandait les moyens de guérir de ses accès de goutte, elle aurait répondu qu’il devait cesser toute relation avec sa maîtresse, Alison du May (E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., introduction, p. I). Plusieurs documents font également référence à la santé fragile de Charles II (voir ci-dessous dans ce même chapitre). La chronique du doyen de Saint-Thiébaut de
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Les décisions de Charles II sur ce sujet constituent un angle d’attaque idéal pour évaluer la place du duc de Lorraine sur l’échiquier politique local et international. Quant aux réactions qu’elles provoquèrent en Lorraine et ailleurs, elles permettent d’analyser les processus d’interaction entre les cultures politiques des différents territoires et dynasties qui se côtoient à cette époque.
Le bouleversement géopolitique de l’espace lorrain Le 20 mars 1419, Louis, cardinal-duc de Bar et Charles II signèrent un traité prévoyant le mariage de René d’Anjou, héritier adoptif du premier, et d’Isabelle, fille et héritière du second4. Cet accord permettait la réalisation d’une très vieille idée, à savoir l’union des duchés de Bar et de Lorraine. Il représente par conséquent une rupture majeure dans le règne de Charles II, mais contribue également à modifier en profondeur la configuration politique de la Lorraine. Il faut donc revenir tout d’abord sur les origines et les clauses de ce texte5, avant de s’attarder plus longuement sur les difficultés de sa mise en application. Le traité de Foug
Au tournant des xive et xve siècles, aucun indice ne laissait envisager des crises de succession dans les duchés de Bar et de Lorraine. Marguerite de Bavière, la femme de Charles II, avait donné naissance à deux fils, Rodolphe et Louis6. Quant au duc Robert de Bar, il était « en son vivant doté par la grace de Dieu de grande et belle lignée masle et femelle7 ». Mais Rodolphe et Louis de Lorraine moururent en bas âge. Et des cinq fils de Robert ayant atteint l’âge adulte, deux, Henri et Philippe, furent tués à Nicopolis, et deux autres, Édouard et Jean, tombèrent à Azincourt, en même temps que son neveu, le comte de Marle8.
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Metz précise même qu’au cours d’une campagne contre la cité en 1429, les Lorrains « trainont tout a dos le Duc Charles de Lorrenne : car il ne pouvoit aller a pied ne a cheval » (B.M. Nancy, Ms no 39, f. 35). A.N. KK 1123, layette mariage des ducs et princesses de Lorraine, no 18. Le texte en a été publié par Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., Preuves, vol. VI, p. CXI-CXIV. Reproduit en Annexe 14. Cf. Annexe 1 : tableau généalogique des ducs de Lorraine. A.D.M.M. B 532, no 62. Cette phrase est extraite de l’acte par lequel Louis de Bar cède le duché à son fils adoptif, René d’Anjou, le 13 août 1419. Cf. figure 16 et B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 11. Des dix enfants de Robert, seuls survivent en 1415 les deux dernières filles ainsi que Louis, cardinal de Bar, dernier représentant masculin de la dynastie.
l a s ucce s s io n d e lo r r ai n e e t l e dan g e r b o u rgu i gno n ( 1419-1431) Yolande ép. Jean, roi d'Aragon Henri † 1396 ép. Marie de Coucy
Yolande ép. Louis d'Anjou
Robert † 1415
Philippe † 1396
Charles † 1392
Marie ép. Guillaume de Flandre Robert Ier † 1411
Édouard III † 1415
ép. Marie de France Bonne ép. Waleran de Luxembourg Louis † 1431 cardinal-évêque
Jean † 1415
Jeanne ép. Théodore II Paléologue Yolande la Jeune ép. Adolphe, duc de Berg
Figure 16 : Maison ducale de Bar9
9 Ce tableau généalogique est tiré de l’ouvrage de M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 204-205.
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Louis de Bar, cardinal, prit donc le titre de duc de Bar. Mais de nombreuses voix s’élevèrent immédiatement pour nier sa capacité, en tant qu’ecclésiastique, à prendre en mains le gouvernement de cette principauté. Un passage de la chronique de Philippe de Vigneulles atteste de l’ampleur de la contestation : Mais, pour revenir a parler dudit seigneur Loys de Bar, le cardinal, apres la devent dictes journée tenue, quant il vit que en la duchiez de Bar n’y avoit plus près hoirs de luy, il ce mist en la possession de la dite duchié. Et, avant, y vint le duc de Mont, lequelle avoit espousés une des filles dudit Robert, et amenait grand compaignie avec luy pour et en intencion d’avoir la dicte duchiez. Et, de fait, on les y vit tres voulluntier, et y furent haultement ressus, car aulcuns et la plus part des chevalier et escuiers de la dite duchié firent grand faveur et ayde audit duc de Mon. Et ne prisoient que ung bien peu le cardinal, leur droiturier seigneur. Et, de fait, en ce mocquant il l’appelloient prestre et teste pellée10.
Une bonne partie de la noblesse barroise refusait d’obéir à un clerc, d’autant que plusieurs prétendants au trône ducal faisaient connaître leurs prétentions. Philippe de Vigneulles mentionne le duc de Berg, qui avait épousé la quatrième fille du duc Robert, Yolande de Bar. Mais une autre sœur du cardinal, portant, elle aussi, le prénom de Yolande et mariée au roi d’Aragon, avait également des droits à faire valoir sur la succession paternelle et porta l’affaire devant le Parlement du royaume de France, le 30 septembre 141811. Pour le cardinal, la situation s’avérait intenable, la pression judiciaire du Royaume n’étant pas moins redoutable que les manœuvres militaires du duc de Berg. Qui plus est, les arguments des deux Yolande étaient fondés juridiquement, puisque la coutume du duché de Bar admettait la succession en ligne féminine12. Louis choisit alors comme héritier adoptif René d’Anjou, petit-fils de Yolande de Bar et du roi d’Aragon, et, dès le 13 août 1419, il lui abandonna la plus grande partie du duché de Bar. Les motivations d’une telle décision sont longuement exposées dans le préambule de l’acte de cession13. Le premier souci du cardinal vise à préserver l’honneur et l’intégrité du duché de Bar, « car divisions produisent ruynes et desolacions » : il lui fallait donc trancher entre ses deux sœurs et leur progéniture. De ce point de vue, le choix de René d’Anjou paraît plus logique que celui du fils du duc de Berg, car
10 La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 170-171. L’épisode est également relaté, presque dans les mêmes termes, par le doyen de Saint-Thiébaut de Metz (B.M. Nancy, Ms 39, f. 27v), qui a servi de source à plusieurs reprises à Philippe de Vigneulles. Le titre de duc des Monts attribué au mari de Yolande de Bar la jeune correspond naturellement à la traduction littérale de l’expression allemande « Herzog von Berg ». Nous utiliserons toujours le qualificatif de duc de Berg. 11 G. Poull, La maison souveraine et ducale de Bar, op. cit., p. 387 et 390. Le jugement est rendu un an plus tard, jour pour jour. Yolande avait alors renoncé à ses prétentions au trône ducal, suite à la conclusion du traité de Foug quelques mois plus tôt. Le Parlement condamne cependant le cardinal de Bar à lui verser une rente annuelle de 1 500 livres tournois, jusqu’à la fin de ses jours, à titre de dédommagement. 12 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 88. 13 A.D.M.M. B 532, no 62. Cet acte, daté du 13 août 1419, a fait l’objet d’une publication, au début du xxe siècle, par É. Duvernoy, « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 57-64. Toutes les citations figurant dans les trois paragraphes qui suivent sont tirées de ce document.
l a s ucce s s io n d e lo r r ai n e e t l e dan g e r b o u rgu i gno n ( 1419-1431)
[…] messire René est descendu en droit ligne de feu nostre tres chier seigneur et pere, Monseigneur Robert, duc de Bar, dont Dieu ait l’ame, par le moyen de nostre tres chiere et tres amée dame et seur aisnéee la royne d’Arragon […]
Rien d’étonnant à ce que le « droit de primogéniture » soit évoqué par le cardinal comme justification de sa décision : il prévaut à cette époque dans la plupart des cours européennes. Toutefois, il ne constitue pas l’argument principal en faveur de René. Ainsi, Louis de Bar a toujours été obsédé par le souci d’assurer la sécurité d’une principauté « marchisant a plusieurs grans seigneurs voisins dudict duchié, lesquelz ou temps passé ont souventes fois mené guerre a noz predecesseurs ». Depuis son arrivée au pouvoir, Louis était en effet parvenu à ramener la paix dans ses États, en s’accordant avec le duc Charles II, en décembre 141514, puis avec Jean sans Peur le 23 juillet 141815, et avec l’évêque de Metz quelques mois plus tard16. Mais le calme ainsi retrouvé demeurait très précaire et le duché de Bar, de sensibilité armagnaque, demeurait entouré d’ennemis. Or, personne n’était mieux à même de le défendre que René, alié par affinité a nostre tres redoubté seigneur, Monseigneur le roy de France, lequel a espousée Madame Marie d’Anjou, seur dudict messire René ; par lequel messire René, nostre nepveu, se devera vraysemblablement et pourra ledict duchié entierement entretenir et deffendre, au plaisir de Nostre Seigeur, contre l’entreprinse ou puissance des seigneurs voisins et tous autres qui sur icelui duchié vouldroient aucune chose entreprandre, mieulx selon raison que par nulz des autres noz prochains parens dessus nommez tendan a nostre succession17.
Le choix de René d’Anjou, un prince armagnac, aux dépens du duc de Berg, membre de la maison de Bavière18, permettait ainsi de confirmer l’orientation politique de la principauté barroise et l’alliance étroite que la dynastie ducale avait nouée avec la cour du roi de France depuis le milieu du xive siècle. En bref, il allait dans le sens de la culture politique du duché de Bar. A priori cependant, il avait peu de chances de plaire à Charles II, l’un des plus fervents partisans du duc de Bourgogne. Charles, de son côté, réfléchissait depuis déjà plusieurs années à sa succession. Dans son duché, la question se présentait différemment. Dès son premier testament, le duc de Lorraine avait tranché en faveur de sa fille aînée, Isabelle, aux dépens de son frère Ferry de Lorraine et de son neveu Antoine, excluant ainsi l’hypothèse
14 Le traité mettant fin à la guerre entre les duchés de Lorraine et de Bar fut signé le 4 décembre 1415. A.D.M.M. B 852, no 1. Voir ci-dessus chapitre 4. 15 BnF Col. Lor., no 184, f. 65. Il faut toutefois noter que Jean sans Peur avait contraint le duc de Bar à cette alliance, en le menaçant d’envahir le Barrois s’il refusait d’y souscrire. A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 4. 16 A.D.M.M. B 424, f. 157v-160. Ce pacte est conclu entre Louis de Bar et Conrad Bayer de Boppard, qui avait succédé à Raoul de Coucy à l’évêché de Metz en 1415. 17 A.D.M.M. B 532, no 62. 18 A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 3. Situé à l’est du Rhin, le duché de Berg est frontalier des principautés de Clèves et de Gueldre-Juliers. Il appartient de ce fait à la zone d’influence des maisons de Bourgogne et de Bavière, au voisinage des régions de langue flamande.
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d’une succession par ligne masculine19. Le poids de la coutume intervient sans doute peu dans cette décision : autant qu’on puisse la connaître avant sa mise par écrit au début du xvie siècle, la coutume du duché de Lorraine manque de clarté sur le sujet. Certes, Catherine, fille du duc Mathieu II, et Isabelle de Lorraine, fille de Jean Ier, avaient au moment de leur mariage renoncé à tout droit sur la succession paternelle. Cela signifie qu’elles en avaient initialement mais n’implique pas qu’elles auraient pu hériter du duché dans sa totalité. Par ailleurs, aucun précédent n’existait à ce propos, à la différence de la principauté voisine de Bar20. En l’absence de toute motivation explicite, il faut sans doute faire intervenir l’amour du duc Charles II pour sa fille Isabelle, qui ne se dément pas tout au long de son règne. Pour un prince soucieux de préserver l’indépendance de ses États, hostile à toute intervention de la monarchie française dans le duché et adversaire résolu des Armagnacs, le choix de René d’Anjou, beau-frère de Charles VII, comme futur gendre a de quoi surprendre. Les historiens lorrains ont tous évoqué le retournement politique de Charles II au moment du traité de Foug. Ils l’ont expliqué principalement par la perspective de l’union des duchés de Lorraine et de Bar, permettant de mettre fin à l’opposition stérile des deux principautés et d’envisager la pacification progressive de l’espace lorrain sous l’égide d’un prince désormais nettement plus puissant que les autres seigneurs de la région21. Toutes ces raisons sont bien évidemment valables, même si le scénario qu’elles envisagent repose sur des calculs bien optimistes et ne vaut que pour le long terme. Car le duc de Lorraine, en mariant sa fille avec René d’Anjou, n’a pas seulement agi « por bien de paix22 » et le traité de Foug ne représente pas un tournant diplomatique aussi complet qu’on ne l’a dit. Le choix de René rejoint en revanche tout à fait l’optique des dispositions testamentaires de 1407, puisqu’il s’agit du dernier fils de Louis II
19 Voir à ce propos ci-dessous dans ce même chapitre le tableau généalogique des ducs de Lorraine (Annexe 1), ainsi que l’Annexe 12. 20 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 90. Catherine de Lorraine notamment promit de ne « riens reclaimer en l’heritaige de la duchié ». On admettait donc au moins qu’elle puisse obtenir une part de la succession de son père. Mais on ne peut en aucun cas déduire d’une telle formule que les filles pouvaient hériter du duché lui-même. Le cas ne s’était d’ailleurs jamais produit. 21 On peut citer notamment les jugements émis, à deux époques différentes, par Dom Calmet et Robert Parisot. « Le mariage de René et d’Isabelle était si avantageux aux deux maisons de Bar et de Lorraine, et aux deux États dont il devenait le lien et le bonheur, que presque tout le monde y applaudit, et en témoigna son extrême satisfaction. On voyait deux augustes maisons heureusement réunies ; deux provinces, qui jusqu’alors avaient presque toujours été en guerre, étroitement liées d’intérêts. Leurs forces réunies promettaient une grande supériorité contre toutes les petites puissances voisines. On se flattait de voir enfin régner la paix dans la Lorraine, après y avoir vu si longtemps la discorde et la division. » (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 536) et R. Parisot, Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 327, se fait quant à lui moins lyrique : « L’union des deux principaux États féodaux de la région lorraine, si longtemps ennemis, était un événement de première importance, qui semblait présager la reconstitution future de l’ancienne Mosellane. » 22 L’expression revient à deux reprises sous la plume du rédacteur de La chronique de Lorraine, op. cit., p. 12 et p. 23.
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d’Anjou, donc d’un cadet qui n’avait été doté que du modeste comté de Guise23. Tout permettait donc de penser que René serait, avant toute chose, duc de Bar et de Lorraine24. D’autre part, l’avenir du duché reposait aussi sur les épaules de Catherine de Lorraine, la fille cadette de Charles, qui devait en hériter au cas où Isabelle mourrait sans héritier. Or, Catherine était promise, de longue date, au fils aîné du marquis de Bade, et ce mariage fut effectivement célébré quelques années plus tard, en 142225. On retrouve donc chez Charles II le souci de préserver l’équilibre de la principauté ducale entre la France et l’Empire, qui était aussi celui de ses prédécesseurs Enfin, le désir de réunir les duchés de Bar et de Lorraine sous une même autorité n’avait rien de nouveau : le traité de Foug faisait suite à de nombreuses tentatives, dont la plus récente datait de la fin du xive siècle, avec le double projet d’alliance matrimoniale entre les maisons de Bar et de Lorraine26. À bien des égards par conséquent, l’union d’Isabelle de Lorraine et de René d’Anjou se situe dans la continuité de l’action de Charles II et de la politique traditionnelle des ducs de Lorraine. La seule rupture véritable consiste dans l’acceptation du mariage de sa fille avec un sujet du roi de France. Mais nous avons déjà fait remarquer que la politique du duc, durant la période précédente, était plus dirigée contre le modèle politique de la monarchie française que contre la France elle-même27. Or, l’union des duchés lorrains et l’affaiblissement du Royaume après Azincourt permettait d’envisager une résistance plus efficace aux interventions éventuelles des officiers du roi. Mieux même, René d’Anjou, beau-frère de Charles VII, membre de la famille royale, était idéalement placé pour défendre l’autonomie de la principauté lorraine à la cour du roi. De tels avantages compensaient largement le renoncement à la clause anti-française du testament de 1407. Les princes, enfin, n’interviennent pas seuls dans le règlement de leurs successions. Leurs décisions sont toujours le fruit de discussions nombreuses et approfondies avec leurs conseillers. Ils doivent tenir compte, dans une certaine mesure, de l’opinion et des intérêts des couches dirigeantes de leur principauté. Le poids de la noblesse des deux duchés semble ainsi avoir beaucoup compté dans la réconciliation entre les maisons de Bar et de Lorraine, séparées pourtant par les séquelles de la querelle des
23 Cf. ci-dessus, chapitre 4. 24 C. de Mérindol, Le roi René et la seconde maison d’Anjou. Emblématique. Art. Histoire, Paris, Le Léopard d’Or, 1987, 210 p. + LXXII planches, p. 55. Encore René ne prit-il le titre de comte de Guise qu’à la mort de son père, lorsque son frère aîné Louis III hérita du duché d’Anjou et du royaume de Naples et de Sicile. A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 6, affirme que « le duc de Lorraine avait […] interdit en 1407 que son duché passe […] à un prince qui n’y résiderait point : René, prince français, ne cessera d’être tiraillé entre ses différentes possessions ». Cela dit, rien ne laissait prévoir qu’il en serait ainsi au moment de la conclusion du traité de Foug, en 1419. Ce n’est que quinze ans plus tard que René héritera de la totalité des possessions de son père. 25 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 64. 26 Celui-ci prévoyait le mariage de Bonne de Bar et de Ferry de Lorraine d’une part, d’Isabelle de Lorraine et d’Henri de Bar de l’autre. Cela laissait entrevoir une possibilité de réunion des deux principautés, au cas où l’un des ducs disparaîtrait sans héritier mâle. Voir ci-dessus première partie, chapitre 2. 27 Cf. ci-dessus chapitre 4.
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Armagnacs et des Bourguignons. Sans pouvoir affirmer, comme Dom Calmet, que ce sont les vassaux de Charles II qui l’ont poussé à surmonter son antipathie envers les Français, en lui montrant les avantages du traité de Foug28, on peut penser que de nombreux seigneurs barrois et lorrains, souffrant dans leurs biens d’une guerre interminable, et ayant des intérêts dans les deux principautés, ont applaudi à la perspective d’une union des duchés29. Celle-ci obéit en effet à une logique interne : l’heure est aux rassemblements territoriaux et aux regroupements des forces dans de grands ensembles régionaux30. Ainsi, dès 1416, sitôt la paix signée entre Charles II et Louis de Bar, des nobles du Barrois fondèrent la Compagnie du Lévrier blanc, destinée tout à la fois à maintenir la paix entre eux, à défendre le territoire ducal contre d’éventuels agresseurs et à soutenir la cause du cardinal Louis de Bar pour la succession du duché. Or, la liste des membres de cette confrérie comprend un certain nombre de seigneurs originaires du duché de Lorraine, dont certains sont également très liés au parti bourguignon31. Dans l’espace lorrain, le désir d’unité persistait donc, par-delà les divisions consécutives à la guerre civile. Le traité conclu à Foug, le 20 mars 1419, l’exprimait de manière particulièrement forte. Venons-en maintenant au traité proprement dit. Il prévoit non seulement le mariage de René et d’Isabelle et l’union des duchés de Bar et de Lorraine, mais précise aussi le processus de dévolution du Barrois à René et envisage tous les cas de figure possibles concernant l’avenir. Sitôt arrivé en Lorraine, soit au plus tard à la Pentecôte 141932, René sera officiellement désigné comme successeur de Louis de Bar. Ensuite, les nobles du duché de Bar devront prêter serment à René de le « tenir et obeir apres le trespas de mondit seigneur de Bar, pour et comme leur seigneur droicturier », tandis que le duc de Lorraine fera jurer à ses vassaux « de tenir et obeir apres son trespas a madite damoiselle [Isabelle de Lorraine], et a son mary a cause d’elle, comme leur droiturier seigneur33 ». La différence entre les deux formules indique que René héritera personnellement du duché de Bar, mais qu’il ne tiendra le duché de Lorraine que par sa femme. L’union des deux principautés sera donc purement personnelle.
28 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 534. 29 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 279. 30 A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 4. Les deux derniers siècles du Moyen Âge sont par ailleurs souvent désignés comme « le temps des principautés territoriales » (titre d’un chapitre de J. Kerhervé, La naissance de l’État moderne : 1180-1492, op. cit., p. 195-219). 31 Pour tout ce qui concerne cette confrérie, voir l’article de H. Collin, « Après Azincourt. Bar, capitale ducale, et la Compagnie du Lévrier blanc (1416) », in Bar-le-Duc, Annales de l’Est publiées par l’Université de Nancy II, mémoire no 52, publications de l’Institut de recherche régionale no 6, Journées d’études meusiennes, 4-5 octobre 1975, Nancy, 1976, p. 29-46, ainsi que P. de Villepin, L’Ordre de saint Hubert de Lorraine et du Barrois (1416-1852), Paris, Guénégaud, 1999, 255 p., p. 32 et 44-45. Un tiers environ des membres de cette confrérie, cités par l’auteur, figurent dans l’entourage des ducs de Lorraine : Thiébaut de Blâmont, Philibert, Pierre et Jean de Beauffremont, Renaud et Érard du Châtelet. Les cinq derniers notamment fréquentent régulièrement les armées bourguignonnes au cours de la guerre civile dans le royaume de France. 32 Cf. Annexe 14, article no 5. 33 Cf. Annexe 14, articles nos 2 et 3.
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Malgré l’âge des futurs époux, Louis de Bar et Charles II souhaitent aller très vite34. Le premier s’engage en effet à conduire René à Nancy dès que possible. Les fiançailles auront lieu le jour même de son entrée dans la capitale du duché de Lorraine, et le mariage sera célébré dès le lendemain. Le duc de Lorraine recevra à cette occasion la tutelle du jeune prince encore mineur, à qui Louis de Bar remettra en mains propres les parties nord et est du duché de Bar, à titre de garantie pour l’accomplissement des clauses du traité. Enfin, le douaire d’Isabelle, fixé à 5 000 livres tournois, est assigné sur les terres de la châtellenie de Foug35. Charles II s’assure ainsi, de son vivant, le gouvernement de la partie du Barrois la plus proche du duché de Lorraine. Cela montre la volonté des deux princes de concrétiser dans l’immédiat le regroupement de leurs seigneuries sous une même autorité. En 1419, celui-ci demeure toutefois à l’état de projet. Il faut donc parer à toute éventualité. René et Isabelle peuvent ne laisser derrière eux aucun enfant, auquel cas le duché de Bar retournera à Louis et celui de Lorraine à Catherine, la sœur cadette d’Isabelle, ou à leurs autres héritiers si ceux-ci ne sont plus en vie. Le duc de Lorraine devra alors restituer tous les territoires du Barrois qui lui auraient été confiés au titre de la tutelle de René. La dernière possibilité, manifestement la moins probable dans l’esprit des deux signataires, consiste dans la naissance tardive d’un fils de Charles II. Celui-ci dédommagera alors son gendre en lui donnant la somme de 40 000 livres tournois pour son mariage36. On le voit, au moment de la conclusion du traité de Foug, l’union des deux principautés barroise et lorraine restait hypothétique. Cela explique peut-être, au moins en partie, la rapidité avec laquelle les deux ducs le mirent en application. Dès le 24 juin 1419, Yolande d’Aragon, mère et tutrice de René d’Anjou depuis la mort de son mari, autorisa son fils à porter les armes de Bar37. Le cardinal-duc de Bar quant à lui ne se contenta pas d’exécuter les principales dispositions de l’accord signé avec le duc de Lorraine, il les devança largement, puisque le 13 août, il céda à René
34 Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., article « René d’Anjou », écrit par A. Strubel, p. 1202-1203. René d’Anjou est né en 1409. Il a donc 10 ans au moment de la signature du traité de Foug. Sa future femme, Isabelle, est sensiblement du même âge. 35 Cf. Annexe 14, articles nos 4, 5, 6 et 10. Les prévôtés et châtellenies du duché de Bar devant passer sous le contrôle de Charles II sont celles de Pont-à-Mousson ou de Saint-Mihiel (au choix de Louis de Bar), de Briey, Longwy, Marville, Sancy, Stenay, Longuyon, Foug, Pierrefort, Condé-sur-Moselle (aujourd’hui Custines), et L’Avant-Garde, soit 11 des 35 prévôtés que compte le duché de Bar. Une partie de ces territoires bordent les frontières occidentales du duché de Lorraine. 36 Cf. Annexe 14, articles n°s 7, 8, 9, 11, 12 et 13. La réussite de l’union des duchés repose en effet sur la longévité et sur la postérité du couple formé par René d’Anjou et Isabelle de Lorraine. Seul leur fils aîné portera, en son nom propre, le titre de duc de Bar et de Lorraine. 37 A.D.M.M. B 543, no 70, acte publié par Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., Preuves, vol. VI, p. CXV. Cette condition avait été posée par le cardinal Louis de Bar pour faire de René d’Anjou son héritier. Elle permettait de maintenir le renom et la postérité de la maison de Bar. En lui cédant le duché quelques mois plus tard, Louis concédera toutefois à René la possibilité de placer, sur les armes pleines de Bar, un petit écusson aux armes d’Anjou.
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l’ensemble du duché de Bar, dont il gardait seulement l’usufruit, alors que le pacte de Foug prévoyait seulement la remise d’une dizaine de châtellenies38. Les noces d’Isabelle de Lorraine et de René d’Anjou ne furent célébrées qu’un an plus tard, le 24 octobre 142039. Dans les jours précédant cet événement, Charles II avait apporté à Louis de Bar toutes les garanties prévues par le traité. Le 10 octobre, il avait réaffirmé sa volonté. que icelle nostre fille […] soit dame et duchesse de Lorraine et de toutes nos dictes terres, pays et seigneuries, […] se il advient qu’elle nous sorvive et que voissiens a trespassement sans hoir masle de nostre corps procreé en loyaul mariage40.
La veille du mariage enfin, il avait renouvelé son engagement de restituer l’ensemble du duché de Bar à René lorsqu’il atteindrait l’âge de quinze ans, ou à ses héritiers légitimes si celui-ci venait à mourir auparavant. Le duc de Lorraine avait aussi demandé à vingt des principaux membres de son entourage de se porter caution pour lui41. Deux mois plus tard, il se rendit dans le Barrois pour prendre en mains le gouvernement de cette principauté, au nom de son gendre René d’Anjou42. En un peu moins de deux ans, l’accord conclu à Foug bouleversa la donne géopolitique en Lorraine. Le duc Charles II se trouvait désormais à la tête de deux principautés, ce qui en faisait incontestablement le prince le plus puissant de la région. Naturellement, un tel changement se matérialisa dans sa titulature. Le 3 janvier 1421, dans une charte passée à Bar-le-Duc, il se qualifie ainsi : « Charles, duc de Lorraine et marchis, mainbour et aiant le bail et gouvernement de nostre tres cher et tres amé filz, le duc de Bar, marquis du Pont, conte de Guise »43. L’équilibre politique de l’espace lorrain était désormais rompu au profit de Charles II. Pour autant, sa liberté de manœuvre n’était pas totale, loin de là. Yolande 38 A.D.M.M. B 532, no 62. Louis de Bar se réserve uniquement les châteaux de Clermont, Varennes, Vienne et Stenay en pleine propriété, afin de pouvoir disposer d’un certain nombre de pied-à-terre dans le Barrois. Il ne renonce donc pas à tout droit de regard sur la principauté familiale, mais vise à ce que l’union des duchés de Bar et de Lorraine devienne une réalité concrète dès la célébration du mariage de René et d’Isabelle. 39 É. Duvernoy, « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar (1419-1431) », art. cit., p. 64. La Chronique de Lorraine assure, quant à elle, que « les nopces furent faictes en grand triumphe » (La chronique de Lorraine, op. cit., p. 23). Sur l’importance des fêtes dans la capitale nancéienne au cours du règne de Charles II, voir ci-dessous troisième partie, chapitre 7. 40 B.M. Nancy, Ms no 709, p. 169. 41 Acte publié par Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., Preuves, vol. VI, p. CXIX-CXXIII. Parmi les nobles qui se portent garants des promesses de Charles II, on retrouve les comtes de Salm et de Linange, les seigneurs de Lichtenberg, de Fénétrange, d’Haussonville, de Pulligny, de Savigny, de Lenoncourt, de Lignéville (alias Rosières), de Haraucourt, de Parroy, de Fléville, de Ville-sur-Illon et de Haroué. La plupart de ces familles figuraient déjà aux tout premiers rangs de la cour de Nancy durant la seconde moitié du xive siècle. Voir pour comparaison ci-dessus l’Annexe 2 (catégories « noyau dur de l’entourage ducal » et « grands barons lorrains ») et l’Annexe 20. 42 É. Duvernoy, « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar (1419-1431) », art. cit., p. 65. 43 A.D.M.M. B 340, f. 238v. Charles II adopte cette titulature jusqu’au 1er février 1424 (A.D.M.M. B 423, no 357), date à laquelle René, alors âgé de quinze ans, accède à la majorité, selon les termes du traité de Foug (Annexe 14).
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d’Aragon, la mère de René, conservait elle aussi le « bail, garde, gouvernement et administracion » de son fils, pour son comté de Guise, jusqu’à sa majorité44. Même si celle-ci demeurait largement théorique, cette situation lui fournissait, au moins juridiquement, un moyen de pression sur le duc de Lorraine, au cas où il ne respecterait pas ses engagements. Louis de Bar ne perdait pas non plus le contact avec son héritier adoptif : au moment du mariage de René d’Anjou et d’Isabelle de Lorraine, il décida d’abandonner l’évêché de Chalon, dont il était jusqu’à présent pourvu, pour celui de Verdun, dont il devient l’administrateur45. Cela lui permit de se rapprocher de son ancienne principauté et de maintenir un droit de regard sur les affaires concernant René d’Anjou et le duché de Bar46. Enfin, et surtout, pour Charles II, les tâches les plus difficiles restaient à accomplir : il lui fallait se faire accepter par la noblesse barroise, de sensibilité armagnaque, et imposer le traité de Foug aux princes à qui il portait préjudice, à savoir Adolphe, duc de Berg, et Antoine de Lorraine, comte de Vaudémont.
Les prétentions du duc de Berg et la guerre de succession de Bar (1421-1422) Dans le compromis qui règle la succession du duché de Bar en 1419, les intérêts de Yolande de Bar la jeune furent volontairement ignorés. Son mari, le duc de Berg, ne pouvait rester inactif. Dès la mort du duc Édouard, le 25 octobre 1415, il avait fait valoir ses prétentions à l’héritage de son beau-frère. Les intérêts d’Adolphe de Berg rencontraient ceux de l’empereur, soucieux de détacher les régions occidentales de l’Empire de l’influence de la France, et de lutter contre les Armagnacs, après l’échec de son séjour à Paris en 141647. Toutefois, Sigismond ne pouvait agir que sur la partie du duché de Bar qui relevait de l’Empire. Le 4 mai 1417, il investit donc le duc de Berg du marquisat de Pont-à-Mousson48 et s’efforça ensuite de gagner à sa cause le plus grand nombre de partenaires possibles. En juillet par exemple, il écrivit aux
44 A.D.M.M. B 527, no 35. Le 4 janvier 1424, Yolande d’Aragon, reine de Sicile et duchesse d’Anjou, émancipe son fils René, duc de Bar et comte de Guise « comme il soit ainsi que nostre tres chier et tres amé filz, René, duc de Bar, marquis du Pont et conte de Guise, soit aagié de plus de quatorze ans, et par ainsi, selon les coustumez du paiz de Picardie, ou ledit conté de Guise est assis, viengne a sa terre et seigneurie et soit de present hors de nostre bail […] ». 45 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 235-236. Louis de Bar échange son diocèse de Chalon-sur-Saône avec Jean de Sarrebruck, évêque de Verdun depuis 1404. Celui-ci, très lié au parti armagnac, ne devait pas être mécontent de quitter un diocèse où il avait eu à subir les agressions répétées des seigneurs favorables au duc de Bourgogne, notamment Charles II. 46 René est donc placé, en quelque sorte, sous une triple tutelle, celle de Charles II, celle de Yolande d’Aragon et celle de Louis de Bar. Certes, l’influence du duc de Lorraine s’avère prépondérante, car pendant les années qui suivent son mariage, il passe le plus clair de son temps à Nancy ( J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 230). Toutefois, René n’oublie pas ses origines familiales, loin de là. Son attitude à la fin du règne de Charles II le prouvera de manière éclatante. 47 Cf. ci-dessus seconde partie, chapitre 4. 48 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 59.
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bourgeois de Verdun et leur demanda de soutenir le parti du duc Adolphe contre celui du cardinal Louis de Bar49. La faiblesse des deux prétendants au trône de Bar les poussa bien évidemment vers la voie de la négociation. Mais leurs positions étaient irréconciliables et les rencontres qui eurent lieu en mai 1417 et de février à avril 1419 n’aboutirent pas, chacun ne cherchant qu’à gagner du temps et à se procurer des alliés sur la scène politique régionale50. Louis de Bar obtint bien évidemment l’aide de Charles II après la conclusion du traité de Foug. De son côté, le duc de Berg sollicita l’appui, en août 1420, de l’Électeur palatin, des archevêques de Mayence et de Trèves, du roi de France Charles VI et du souverain anglais Henri V51. Finalement, Adolphe de Berg dut se résigner à entamer la lutte contre les ducs de Bar et de Lorraine avec la sympathie affichée d’une bonne partie des princes d’Empire, mais sans obtenir aucune aide concrète de leur part52. Le déroulement des hostilités, qui débutèrent en 1421, demeure mal connu. Du reste, il nous importe, à vrai dire, peu. Les chroniques lorraines ne leur accordent que quelques lignes, obnubilées qu’elles sont par le traité de Foug et ses implications. Il semble que le duc de Berg ait obtenu au début quelques succès, si l’on en croit le doyen de Saint-Thiébaut de Metz53. Le conflit tourna cependant rapidement à l’avantage du duc de Lorraine, qui parvint à s’emparer de son adversaire quelques temps plus tard. Capturé par le capitaine de Longwy, Adolphe de Berg fut amené à Nancy, dans les prisons de Charles II54, et, pour obtenir sa libération, dut renoncer explicitement à tout droit à la succession du duché de Bar, pour lui et pour son fils55. Il s’engagea en outre à payer au duc de Lorraine une rançon de 40 000 florins, 49 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 235. 50 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 59-61. Conrad Bayer de Boppard joua les médiateurs, rôle auquel le destinaient à la fois ses fonctions d’évêque de Metz et ses origines rhénanes. 51 Ibid., p. 61-62. On retrouve là tous les sympathisants des maisons de Bourgogne et de Bavière, qui naturellement soutenaient les intérêts d’Adolphe de Berg, un Wittelsbach, contre ceux de Louis de Bar et de René d’Anjou, liés au parti des Armagnacs. La suite des événements montra cependant qu’il ne faut pas conclure à un changement de camp de la part du duc de Lorraine à l’égard de la guerre civile qui continue en France. Voir ci-dessous dans ce même chapitre. 52 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. VIII, nos 133 et 134. Le 9 août 1422, l’archevêque de Mayence et Frédéric de Brandebourg écrivent séparément au duc de Berg, qui vient d’être libéré des prisons du duc de Lorraine. Ils lui expriment leur souhait de voir le conflit se terminer à son avantage et le convient à la diète qui se tient alors à Nuremberg, pour y conférer avec l’empereur. Mais leur soutien se cantonne au domaine diplomatique. 53 B.M. Nancy, Ms 39, La chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, f. 29v. 54 Ibid, f. 30r : « Item en lad. mesme année fut le duc de Mont prins de la garnison de ceulx de Longwy, et meney en prison a Nancey. » Le récit de l’auteur, très succinct, concorde pour l’essentiel avec les autres sources dont nous disposons. Le traité de paix entre Adolphe de Berg et le duc de Lorraine, signé le 3 août 1422, précise que le duc de Berg, pris et vaincu par Charles II, a été enfermé en prison à Longwy, puis à Nancy. (A.N. KK 1120, layette duc des Monts, no 9). 55 A.N. KK 1120, layette duc des Monts, nos 9 à 14, et no 23 (1 à 8). Toute une série d’accords sont conclus les 3 et 4 août 1422, outre le traité de paix que nous avons évoqué dans la note précédente. Adolphe de Berg associe son fils Robert aux décisions qui sont prises à cette occasion. Tous deux promettent par exemple de n’entrer dans aucune alliance dirigée contre le cardinal Louis de Bar ou contre le duc
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qu’il semble avoir effectivement versée56. Par la suite, le personnage n’apparaît plus ni dans les sources concernant Charles II de Lorraine et René d’Anjou, ni dans les chroniques de la région. Le duc de Lorraine sortait donc grand vainqueur de cette première guerre de succession, René d’Anjou n’ayant désormais plus de compétiteur pour l’héritage du duché de Bar. Pour la première fois depuis le début de son règne, ce conflit met aux prises Charles II avec les principautés d’Empire voisines du duché de Lorraine, ainsi qu’avec l’empereur Sigismond en personne. La rupture n’est cependant ni complète, ni définitive. Le duc de Lorraine a obtenu l’aide du duc de Clèves, voisin et ennemi d’Adolphe de Berg, et vraisemblablement aussi celui du marquis de Bade, souscripteur du traité de paix57. D’autre part, l’électeur palatin et l’archevêque de Mayence, s’ils soutiennent officiellement le duc de Berg, se gardent bien de participer activement aux opérations militaires. Mieux même, le premier passe avec Charles II, le 6 avril 1422, un accord de Landfried valable pour la Lorraine et le Barrois, mais aussi pour le duché de Luxembourg et le comté de Chiny, placé à cette époque sous le gouvernement de Jean de Bavière58 Quant à l’empereur Sigismond, la guerre contre les Hussites et la menace que les Turcs ottomans font peser sur son royaume de Hongrie le retiennent dans les régions orientales de l’Empire. À l’ouest, la politique d’expansion territoriale du de Lorraine. Enfin, au cas où Adolphe ne remplirait pas ses autres engagements, son fils promet de se constituer volontairement prisonnier à Nancy, à condition toutefois d’être détenu chez un particulier, et non dans les geôles de Charles II. 56 A.N. KK 1120, layette duc des Monts, no 23 (1), acte daté du 3 août 1422. Deux ans et demi plus tard, dans son second testament, Charles II fait référence à la somme qu’il doit recevoir prochainement de la part du duc de Berg : « […] nous avons mis et mettons des maintenant, et pour adoncques, toutes nos terres, pays et seigneuries, et autres biens meubles et immeubles, presens et advenir par tout, et specialement deux mille viez florins d’or, que nostre tres chier et tres amé cousin le duc de Mons nous doit payer a cette prochaine Pasques communiant, pour parfaire, assevir et accomplir tout le contenu de cest nostre present testament, ordonnance et darrenne volunté […] » (A.N. KK 1126, layette testaments des ducs de Lorraine, no 29, cf. Annexe 15). Il s’agit sans doute soit du reliquat du montant initial de la rançon, soit d’un versement annuel sur lequel les deux princes seraient tombés d’accord. Par ailleurs, le compte de Jean de Lindre, châtelain de Dieuze, mentionne en 1425 le passage dans la ville du bailli d’Allemagne, chargé d’aller porter à Charles II l’argent payé par le duc de Berg (A.D.M.M. B 5242, f. 11r). 57 A.N. KK 1120, layette duc des Monts, no 23 (3). Le 4 août 1422, le duc de Berg pardonne au duc de Clèves l’aide qu’il a apportée à Charles II. En contrepartie, le duc de Lorraine avait engagé à Gérard de Clèves deux villages, dont le rachat a été effectué, trois jours plus tard, par Adolphe de Berg [A.N. KK 1120, no 23 (7)]. Manifestement, Charles II a posé des conditions extrêmement sévères pour libérer le duc de Berg et faire la paix avec lui. Quant à Jacques, marquis de Bade, il déclare dans un acte avoir été témoin de tous les accords passés les 3 et 4 août 1422 entre les belligérants [A.N. KK 1120, layette duc des Monts, no 23 (5)]. Cela ne signifie pas qu’il ait apporté son concours au duc de Lorraine, mais la chose est très probable, vu les excellentes relations qu’entretiennent les deux personnages au cours des années 1420. 58 BnF Ms. fr. 11823, f. 344-353. Aux termes de ce traité, Jean de Bavière, comte palatin du Rhin, gouverneur du Luxembourg, et le duc de Lorraine promettent de se défendre mutuellement contre tous leurs ennemis, militairement s’il le faut. Certes, l’accord ne vaut que pour le Luxembourg et n’engage pas les sujets du Palatinat. Sans doute également Adolphe de Berg avait-il déjà été capturé à cette date par Charles II. Mais un tel pacte montre à quel point l’appui que le duc de Berg pouvait attendre des autres princes de l’Empire était aléatoire.
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duc de Bourgogne, avec qui il n’est que provisoirement et artificiellement réconcilié, ne lui laissent guère le choix de ses alliances59. Il ne peut se reposer uniquement sur la maison de Bavière, rivale de la dynastie des Luxembourg dans la course au trône impérial, et doit donc ménager les intérêts du duc de Lorraine, même s’il voit d’un mauvais œil l’établissement d’un prince angevin sur des territoires situés entre Meuse et Rhin60. La guerre contre le duc de Berg n’éloigne donc pas le duc de Lorraine de l’Empire, avec lequel il continuera d’entretenir des relations suivies, et elle ne porte pas durablement atteinte à ses relations avec Sigismond, qui reprennent très vite leur cours normal et amical61. De ce point de vue également, le traité de Foug ne provoque pas un bouleversement complet de la politique de Charles II. L’une des clés du succès du duc de Lorraine dans sa lutte contre Adolphe de Berg résidait dans l’accueil que lui réserverait la noblesse barroise. Même si la réunion des deux principautés de Bar et de Lorraine et le choix de René d’Anjou comportaient des avantages évidents aux yeux de la noblesse du Barrois, son ralliement à la cause de Charles II n’allait pas de soi. Les rancœurs liées à la querelle des Armagnacs et des Bourguignons et aux ravages des troupes lorraines dans le duché de Bar avaient laissé des traces profondes dans les esprits, malgré le paiement des rançons des prisonniers de Charles II par le cardinal Louis de Bar62. Dans son ensemble, le comportement de la noblesse du Barrois pendant le gouvernement du duc de Lorraine est assez difficile à saisir. La plupart des seigneurs barrois paraissent avoir servi Charles II sans états d’âme, tels Henri de Dun ou Hentzichen de Boulay, qui était pourtant un fervent partisan des Armagnacs63. Quelques défections toutefois semblent avoir eu lieu. Ainsi, le 8 janvier 1424, Jean de Chambley écrivit au duc de Lorraine pour s’excuser auprès de lui des mauvaises intentions que certains lui prêtaient au sujet de la guerre contre le duc de Berg, pour l’assurer de sa loyauté et pour lui rappeler l’aide qu’il lui avait apportée à de nombreuses reprises dans le passé. Cette protestation de fidélité visait avant tout à faire taire les accusations de
59 En ce qui concerne l’hostilité manifestée par l’empereur Sigismond face à la construction de l’État bourguignon, voir S. Csernus, « Quelques aspects du conflit armagnac–bourguignon : Sigismond et la France des partis », dans Contestation et violence au Moyen Âge, Actes du 114e congrès des sociétés savantes, Paris, éditions du CTHS, 1989, p. 305-318. 60 Cela explique sans doute l’inaction de Sigismond à propos de la succession du duché de Bar après 1422. Lors de la diète tenue à Nuremberg cette même année, l’empereur réaffirma les droits du duc de Berg. Mais cette assemblée se préoccupa surtout de la préparation d’une expédition en Bohême, contre les Hussites. 61 Cf. ci-dessous troisième partie, chapitre 6. 62 A.D.M.M. B 523, nos 318 à 349. Lors du traité de paix signé le 4 décembre 1415, les ducs de Bar et de Lorraine se mirent d’accord sur le montant global de la rançon des prisonniers que détenait Charles II. Louis de Bar en paya la plus grande partie, ce qui permit leur libération dans un délai d’un à deux mois après la signature de l’accord. Les archives lorraines contiennent en effet de nombreuses quittances accordées au cardinal par les nobles du Barrois en février 1416, par lesquelles ils le remercient des efforts qu’il a réalisés pour obtenir leur élargissement. 63 A.D.M.M. B 524, no 239 et BnF Col. Lor., no 84, f. 22. Le sire de Boulay figurait parmi les quatre seigneurs qui, entre 1404 et 1408, avaient fait alliance avec le duc d’Orléans contre Charles II et la cité de Metz. Cf. ci-dessus seconde partie, chapitre 4.
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désobéissance qui couraient contre lui64. Toutefois, il s’agit vraisemblablement d’un cas isolé, car un autre membre de la famille, Ferry de Chambley, occupera dans les années qui suivent l’office de maréchal du Barrois65. La tutelle exercée par Charles II sur le jeune René d’Anjou le mit également en contact avec la machine administrative du duché de Bar, beaucoup plus élaborée que celle de la principauté lorraine, on l’a vu66. Des difficultés pouvaient apparaître de ce côté, liées à la méconnaissance des procédures et des rouages de la principauté par le duc de Lorraine, et au souci des officiers de ne pas voir Charles II utiliser l’argent prélevé pour d’autres usages que ceux auxquels il devait être affecté. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut interpréter la lettre adressée par le duc de Lorraine aux membres de la chambre des comptes du duché de Bar, dans laquelle il leur demande de lever une aide sur la prévôté de Bar, pour faire face aux charges financières liées aux séquelles de la guerre entre les duchés de Bar et de Lorraine, lors des années précédentes : Le duc de Lorraine et marchis, mainbour de nostre fils de Bar, A noz bien amez. Nous avons sceu que, combien qu’il ait esté remonstré aux habitans de la ville de Bar les grans charges et debtez qu’il convient necessairement payer, lesdis habitans ne nous ont octroié que la somme de XVIc frans, que nous ont rapportez nos gens qui derriennement ont esté par dela. […] vous mandons et ordonnons que incontinent ces presentes veues, sans aucun arrest ou delay quelxconques, vous faites appeller ceulx qui ont acoustumé getter et destorbier aides on la ville et prevosté de Bar, et leur ordonnez et commandez sur certains grosses peines qu’ilz gectent et distribuent au mieulx qu’ilz porront convenablement la somme de VIIIc florins pour les lever sur la ville et prevosté, et les avoir prest arrest prouchien noel, au quelx convient paier aulx du Fay et autres. Et de ce ayez bonne diligence. Et […] pour ceste constrainte ad ce vous envoions nos lettres de commission. Si faites en ce telement que vous saivez que le besoing y est, et qu’il ny ait deffault. Dieux soit garde de vous. Escript a Nancey, le XIIe jour de decembre [1423]67.
Une telle missive témoigne des réticences des bourgeois de la ville de Bar à payer l’impôt que leur demande le duc de Lorraine. Elle montre aussi une certaine mauvaise volonté, au moins de la part des officiers de la prévôté. Il ne faut pas s’exagérer pour autant l’importance de ces difficultés. Elles sont peut-être liées à la crise traversée par le duché de Bar au cours des premières années du xve siècle, et aux résistances 64 BnF Col. Lor., no 6, f. 119. Sans doute les griefs de Jean de Chambley à l’encontre de Charles II étaientils d’ordre privé. La lettre en tout cas ne précise pas la nature des reproches que lui avait faits le duc de Lorraine. 65 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 216. Ferry de Chambley a détenu cette fonction de 1424 à 1427. Il fait partie du groupe de nobles choisis par le duc Charles II pour encadrer René d’Anjou après son accession à la majorité. 66 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 67 A.D.M.M. B 523, no 367. L’année n’est pas précisée, mais la justification de l’aide prélevée par le duc de Lorraine, destinée à la famille du Fay, permet de dater ce document de façon plus précise. Le 10 juillet 1423 en effet, Charles II, en tant que tuteur de René d’Anjou, accorda la somme de 2 500 francs aux enfants du seigneur du Fay, pour les indemniser de la destruction du village de Bazeilles, qui avait eu lieu au cours de la guerre entre les duchés de Bar et de Lorraine (A.D.M.M. B 523, no 368).
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habituelles des populations envers la fiscalité, royale ou princière68. Hormis ces quelques indices, qui paraissent d’ailleurs assez ténus, rien ne laisse penser que la prise en mains du gouvernement du duché de Bar par le duc Charles II ait suscité des problèmes majeurs. Par ailleurs, la renonciation du duc de Berg à l’héritage de sa femme, en août 1422, leva la dernière hypothèque concernant l’avenir de René d’Anjou dans le Barrois69. Il n’en alla pas de même, en revanche, pour le duché de Lorraine. Vers une guerre de succession en Lorraine (1422-1431) Isabelle de Lorraine, héritière incontestée ?
La volonté de Charles II transparaît clairement à travers son premier testament et dans le traité de Foug. Il souhaite voir l’aînée de ses filles lui succéder. Mais les desiderata d’un prince n’ont pas force de loi et nous avons pu constater qu’au sujet de la succession des filles, la coutume du duché de Lorraine manque de clarté. Or, tout comme dans le duché de Bar, le mariage d’Isabelle et de René d’Anjou réduisait à néant les espoirs d’un autre prétendant au duché de Lorraine. Antoine, comte de Vaudémont, fils de Ferry de Lorraine, le frère cadet de Charles II, était le plus proche descendant de ce dernier en ligne masculine70. En cas d’exclusion des femmes, il hériterait de la principauté. Enfin, il pouvait faire valoir les arguments de ses origines lorraines et d’une continuité politique par rapport à son oncle : lui aussi était un fervent partisan des Bourguignons, à la différence de René d’Anjou, armagnac et considéré comme un étranger71. Pourtant, il figure en première position de la liste des témoins présents lors de la signature de l’accord de Foug, dont les dispositions prévoient que Charles II fera promettre à tous ses vassaux de reconnaître Isabelle comme duchesse de Lorraine à sa mort72. Nous en savons trop peu sur les fêtes auxquelles les noces de René et d’Isabelle ont donné lieu, en octobre 1420, pour affirmer que le comte de Vaudémont y a participé, mais tout porte à le croire, sans quoi son absence n’aurait pas manqué
68 À en croire René d’Anjou, le duché de Bar, dont les revenus étaient estimés à 20 000 francs en 1411, ne rapporte plus que 3 000 francs en 1446. Même en faisant la part de l’exagération, on peut voir là les conséquences des nombreuses guerres auxquelles ont participé les ducs de Bar, à commencer par celle menée contre Charles II, entre 1411 et 1416. A. Girardot, « État et réformations en Lorraine angevine », art. cit., p. 64. 69 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre. 70 Voir le tableau généalogique de la maison de Lorraine, Annexe 1. 71 M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », op. cit., p. 198-203. Dès 1419-1420, Antoine de Lorraine approuve publiquement l’alliance anglo-bourguignonne contre le dauphin Charles. Dans les années qui suivent, il apporte un soutien constant à Philippe le Bon et au roi d’Angleterre. Voir également ci-dessous dans ce même chapitre. 72 Cf. Annexe 14 : « Donné a Foug sous les seaux plaquiets de nosdit seigneurs de Bar et de Lorraine le vingtiesme jour de mars l’an mil quatre cens et deix huict, presens monseigneur le comte de Vaudemont […] ».
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d’être remarquée73. La même année enfin, on le retrouve aux côtés du duc Charles II durant la guerre qu’il mène contre la cité de Toul74. Pourquoi une telle absence de réaction chez un homme dont les événements postérieurs montrent au contraire toute la détermination ? De toute évidence, il ne peut s’agir de sa part que d’une attitude délibérée. Le traité de Foug ne rendait pas officiel en effet l’avènement de René et d’Isabelle au duché de Lorraine ; il ne faisait que le prévoir, et le préparer. Au moment de leur mariage, les deux époux étaient encore mineurs. Tant qu’ils n’ont pas eu d’héritier, Antoine a conservé encore quelque espoir de succéder à Charles II. Peut-être pensait-il aussi pouvoir mettre en avant le testament du duc de Lorraine, interdisant le mariage de sa fille avec un sujet du roi de France, que celui-ci n’avait toujours pas désavoué. Sans doute enfin, Antoine jugeait-il le moment inopportun pour dévoiler ses sentiments, l’état de santé de son oncle ne laissant pas augurer une succession imminente. En tout cas, il adopta à cette époque une attitude extrêmement prudente et réservée, de façon à ne pas heurter de front un prince à qui il prétendait succéder et à ne pas éveiller les soupçons du duc de Lorraine quant à son éventuelle intention de contester la dévolution du duché à sa fille aînée75. Une opposition aux projets de Charles II se dévoila toutefois en Lorraine, mais elle ne provint pas de la personne attendue et n’apparaît dans nos sources qu’au moment où la question venait d’être réglée. Le 26 septembre 1422 en effet, Marguerite de Lorraine et son mari Thiébaut de Blâmont renoncèrent officiellement à tout droit sur la succession du duché et à toute rancune à l’égard de Charles II. Or, le préambule de l’acte montre qu’il ne s’agissait pas d’une promesse préalable de fidélité mais plutôt du règlement d’un conflit : Thiebault, sire de Blamont, et Marguerite, fille feu mons Ferry de Lorraine que dieu absoile, en son vivant seignour de Rumigny, de Boves, et conte de Vaudemont, leaule femme et espouze de mondit seignour de Blamont […] faisons savoir a tous que, nous considerant que ja pieca nous conioins, mehus de noz volunteis, ayens fait aucune chose contre le grei et voluntei et au tres grant desplaisir de tres hault prince, nostre treschier et redoubtei seigneur mons Charles duc de Lorrainne et marchis, pour lequel cas avons
73 Les chroniques messines se contentent de mentionner le mariage de René d’Anjou et d’Isabelle de Lorraine, sans évoquer la cérémonie elle-même. Même la chronique de Lorraine est peu diserte sur le sujet : « a la feste y eut plusieurs nobles gens, comtes et barons ; les nopces furent faictes en grand triumphe » (La chronique de Lorraine, op. cit., p. 23). On peut penser toutefois qu’elle aurait fait état de l’hostilité du comte de Vaudémont, si celle-ci s’était alors manifestée. L’auteur paraît en effet beaucoup mieux renseigné sur la période postérieure au traité de Foug : le duc René II de Lorraine, à qui est dédié le texte, est à la fois le petit-fils de René d’Anjou et d’Antoine de Lorraine (M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 220). 74 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 159. L’auteur s’appuie sur la tradition historiographique lorraine léguée par Dom Calmet pour étayer cette affirmation, mais aucune source de l’époque ne confirme cette présence. Toutefois, l’histoire des relations entretenues par les comtes de Vaudémont avec la cité touloise est émaillée de nombreux conflits (M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », op. cit.). 75 À ce propos, voir également B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 15 : « les espoirs du comte de Vaudémont restèrent longtemps discrets ».
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estei et demourei par long temps en l’indignation et malle grace de nostredit seigneur, nous pour le grant desir et affection que nous avons ehu et avons de acquerir et recouvrer la bonne amour et grace de nostre dit seignour, et par grande et mehure deliberation de conseil sur ce ehue, et pour plusours causes justes et raisonnables que a ce nous ont meu et mouvent, nous, pour nous et pour tous nos hoirs, successours, et ayans cause avons accordei et accordons par ces presentes avec nostredit tresredoubtei seignour mons Charles, duc de Lorrainne et marchis dessus nomei, que nous coniointement ensemble, et ung chascun de nous ne de nos hoirs, successours, et ayans cause ne peons et debvons a nulz jours maix pour quelcunque cause, occasion, ne par quelcunque tiltre ne meniere que soit ou puist estre, aucune chose demander, reclamer, avoir, poursuire, ne requerir, en toute la duchié de Lorrainne, ne ès appartenances et appendences d’icelle, ne aussy en toute la terre signourie et païx que nostredit seignour tient et possede a present, ne en aucune d’icelles, ne aussy en ce qu’il pouroit au temps advenir acquerir, ne aussy en tout ce que ses hoirs et successours ducz de Lorrainne pourroient a tousioursmaix tenir et possider depart nostre dit seignour Charles dessusdit, fust a cause de succession ou autrement, a quelque tiltre que ce fuist ou puist estre, ne aussy a tout ce que sesdis hoirs ducz de Lorrainne polroient acquerir ou acquester ou temps advenir76.
Le retour en grâce de Marguerite de Lorraine et de son mari Thiébaut de Blâmont auprès du duc Charles II est directement subordonné à leur renonciation à la succession au duché de Lorraine, à laquelle Marguerite pouvait avoir droit en tant que sœur d’Antoine de Lorraine et nièce du duc. Il faut donc en déduire que celle-ci avait revendiqué, ouvertement ou non, une partie de l’héritage de Charles II. Toutefois, le fait que ce soit elle qui conteste les décisions successorales du duc de Lorraine, et non son frère Antoine qui y avait bien davantage intérêt, ne doit pas nous surprendre. Il est permis de supposer qu’il s’agit là d’une première banderille posée par le comte de Vaudémont pour tester la réaction de Charles II sur ce sujet, et qu’il est, d’une manière ou d’une autre, à l’origine du projet. L’affaire lui permet d’ailleurs de constater l’intransigeance totale du duc de Lorraine sur cette question, que l’on peut mesurer à l’aune des garanties prises par ce dernier, telles qu’elles sont édictées dans le texte par lequel, Marguerite et Thiébaut renouvellent leur promesse de fidélité à l’égard de Charles II : Et avec ce je, Thiebault dessus nomei, ay promis et jurei, promes, jure et creante par ces presentes, par la foy et sairement de mon corps, soubz mon honour, pour moy et pour mez hoirs, que je, ne mez dis hoirs ne seront a l’encontre de mondit seignour de Lorrainne ne de sez hoirs, successours et ayans cause ducz de Lorrainne, a nulz jours maix, et que nulz maulx ne dompmaiges ne vanrait ne serait fait, pourtei, ne pourchaciei, en appert ne a recoy, a la lour chose, par my, par mes hoirs, successours et ayans cause, ne par mez bonnes villes et forteresses, en quelcunque meniere ne pour quelcunque cause ou occasion que ce soit ou puist estre77.
76 A.D.M.M. B 576, no 33 : cet acte constitue la seule trace parvenue jusqu’à nous concernant la querelle entre le duc de Lorraine et Thiébaut de Blâmont à propos de l’héritage de sa femme. Il ne faut donc pas exagérer l’importance de cette affaire, révélatrice toutefois de la période troublée que traverse le duché de Lorraine dans la perspective de la succession de Charles II. 77 Ibid. La lecture de l’ensemble du texte montre à quel point Charles II a multiplié les précautions prises à leur encontre et l’ampleur de la méfiance qu’il leur témoigne, suite à leur comportement récent.
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Charles II profite donc des revendications formulées par le sire de Blâmont au nom de sa femme pour faire preuve d’autorité et imposer à l’un des grands barons lorrains la fidélité qui lui est due. Un tel acte en dit long sur l’évolution du pouvoir exercé par le duc de Lorraine dans sa principauté. Nous y reviendrons78. Cette clause en effet, loin d’être purement formelle, engage très fortement la famille de Blâmont, d’autant qu’elle s’accompagne de la mainmise des officiers du duc sur la ville de Deneuvre79. Par la suite, Thiébaut et Marguerite ne tenteront plus de faire valoir leurs droits à la succession : à la mort de Charles II, Thiébaut rejoindra l’armée de René d’Anjou et périra des suites de ses blessures, peu après la bataille de Bulgnéville80. La brouille entre le duc de Lorraine et Thiébaut de Blâmont n’a donc aucune conséquence sérieuse sur la suite des relations entre les deux personnages. Elle représente tout de même pour Charles II un premier avertissement et le pousse à prendre des dispositions supplémentaires pour mieux assurer l’avenir et contraindre Antoine de Lorraine à révéler ses véritables intentions. Le testament de 1425
Depuis le mariage de sa fille avec un prince français, le premier testament de Charles II était devenu caduc, le comte de Vaudémont pouvant même s’en servir comme argument pour exclure Isabelle de la succession au titre ducal. Le 11 janvier 1425, le duc de Lorraine le révoqua donc et en établit un second81. Cet acte revêt naturellement une portée considérable, dans la mesure où il confirme toutes les décisions prises précédemment et définit les règles selon lesquelles devra se faire l’investiture de René d’Anjou. L’analyse de ce texte révèle à la fois les objectifs de Charles II relatifs à sa succession et l’idée qu’il se fait de l’avenir et du statut de sa principauté. Comme il est de coutume dans ce type de documents, la première partie du testament comporte un certain nombre de mesures destinées à assurer le salut de l’âme du duc de Lorraine : choix du lieu de la sépulture, institution de services religieux pour l’âme de Charles II et de ses prédécesseurs, paiement des dettes, exécution intégrale du
78 Cf. ci-dessous troisième partie, chapitre 7. 79 BnF Col. Lor., no 26, f. 21 à 24. En août 1435, Marguerite de Lorraine écrit à plusieurs reprises aux habitants de Deneuvre pour leur demander de lui verser les sommes qu’ils lui doivent et qu’ils refusent de payer depuis que le duc Charles II s’est emparé de la ville. On peut penser que la querelle de 1422 a fourni un prétexte idéal au duc de Lorraine pour confisquer l’une des bourgades les plus importantes de la seigneurie de Blâmont. 80 A. Dedenon, Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance, op. cit., p. 128. Avant de s’engager aux côtés du gendre de Charles II, Thiébaut de Blâmont lui fait savoir qu’il n’a aucune revendication à formuler vis-à-vis de la succession du duché de Lorraine. 81 A.N. KK 1126, layette testaments des ducs de Lorraine, no 29. Ce document, publié par Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., Preuves, vol. VI, p. CXXIV-CXXX, constitue l’Annexe 15. L’article 43 contient notamment la clause suivante : « Nous revocquons et rappellons tous autres testaments, codicilles et ordonnances que nous pourriens avoir faictes devant la datte de cestuy, et voulons que cest nostre present testament soit de force et de valour par tout la meillour maniere que testament peut et doit mieux valoir par droit d’escript et non escript, par uz ou coustume du pays. »
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testament de Jean Ier et donations diverses82. Viennent ensuite des clauses concernant la postérité de Charles II. Curieusement, les premières dispositions énoncées ne concernent pas ses deux filles légitimes, Isabelle et Catherine, mais ses cinq enfants naturels. L’aîné, Ferry, reçoit, outre le château de Bildstein, 200 florinées de terre, à reprendre en fief des successeurs ducs de Lorraine. Le second, Jean Pillepille, bénéficie d’une dotation plus modeste, quoiqu’encore substantielle, puisque s’élevant à une centaine de florinées de terre. Les trois autres enfin doivent se contenter d’une somme d’argent : 300 florins pour Ferry de Lunéville, 1 000 pour Catherine, et 600 pour Isabelle83. Certes, l’ordre dans lequel sont évoqués les descendants du duc de Lorraine ne trahit pas forcément une quelconque préférence de Charles II et encore moins une hiérarchie entre ses différents héritiers. Il peut s’expliquer, tout simplement, par un souci de cohérence, visant à regrouper à la fin du texte l’ensemble des décisions concernant la principauté ducale. En revanche, il montre l’attention que portait le duc de Lorraine au sort de ses enfants naturels et son désir de leur assurer une existence digne et confortable. Cela fait pendant à la primauté que Charles II accordait à ses filles par rapport à son frère et à son neveu dans l’ordre de succession au duché de Lorraine. Dans les deux cas, c’est le même amour paternel qui perce à travers les choix opérés par le duc de Lorraine. Et les sentiments personnels constituent l’une des données à prendre en compte pour l’étude du comportement politique de Charles II durant les dernières années de son règne. La désignation d’Isabelle de Lorraine comme héritière du duché de Lorraine est donc réaffirmée dans le testament de 1425, mais la transmission du pouvoir à René d’Anjou, jusqu’à présent implicite, y figure également en toutes lettres : Item, voulons et ordonnons que nostre tres cher et tres amé filz René d’Anjou, duc de Bar, marquis du Pont, comte de Guise, a present marit et epoux de nostre tres chere et tres amée fille aisnée Ysabelle de Lorraine […] entre apres nostre trespas en sa seignorie, et en la possession de nostre duchié […]84.
Le duc de Lorraine ne s’en tient pas là. René et Isabelle peuvent éventuellement mourir sans laisser d’enfants derrière eux. Dans ce cas, prévoit Charles II, René se departira incontinent, et debvra departir […] de la seignorie et duchié, et rendera franchement et entierement sans debat ou contredit quelconques, tout nostre pays,
82 Cf. Annexe 15, articles 2 à 12 et 21 à 32. L’acte permet également de constater d’importantes négligences dans l’exécution du testament de ce dernier. Elles sont dues, au moins pour partie, aux exigences de Charles II, qui a notamment demandé aux chanoines de Saint-Georges de lui restituer une part des biens que leur avait légués Jean Ier. Enfin, on retrouve parmi les principaux bénéficiaires de la générosité de Charles les établissements religieux traditionnellement attachés à la maison de Lorraine, comme l’abbaye de Clairlieu ou le prieuré Notre-Dame de Nancy, mais aussi certains couvents situés dans des régions stratégiques, comme ceux de Longwy, au nord du duché de Bar, et Neufchâteau, à la frontière du Royaume. 83 Cf. Annexe 15, articles 13 à 20. Catherine et Isabelle, filles naturelles du duc, reçoivent des sommes supérieures à celles de leur frère Ferry de Lunéville, afin qu’elles puissent se constituer une dot. Par ailleurs, Charles n’oublie pas de faire profiter également de ses largesses sa maîtresse, Alison du May (articles 31 et 32). 84 Cf. Annexe 15, article 33.
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duchié, seignourie et princerie de Lorraine […] a nostre tres chere et tres amée fille maisnée Catherine de Lorrenne, marquise de Baude, si elle sourvit, ou a ses enfans […] néz et procreéz d’elle en leal mariage85.
Cette décision découle en toute logique de la règle de succession en ligne féminine établie en faveur d’Isabelle. René ne détiendra le titre de duc de Lorraine que du chef de sa femme. Si elle vient à mourir, il devra donc s’effacer et laisser la place à Catherine, devenue la plus proche descendante de Charles II. La clause suivante en revanche, beaucoup plus surprenante, traduit la défiance profonde que celui-ci éprouve désormais à l’égard de son neveu Antoine de Lorraine. Et se elle [Catherine] estoit allée de vie a trespassement sans delaixier hoirs de son corps, [René] delivrera ladite seigneurie et duchié en la main de noz chevalliers, escuyers, et de nos bonnes villes, lesquels la metteront en la main de ceux ou quel nous l’averons ordonné86.
Le comte de Vaudémont se trouvait désormais exclu de la succession du duché dans tous les cas de figure et ne détenait plus aucun droit sur l’héritage de Charles II. Selon les termes du strict droit successoral, il s’agissait là d’un déni de justice, ce dont se rendait bien compte le duc de Lorraine, qui se garda de préciser à qui il souhaitait léguer ses États au cas où ses deux filles n’auraient aucune descendance87. Les difficultés de sa succession amenèrent également Charles II à reconnaître à la noblesse et à la bourgeoisie un droit de regard sur les affaires du duché de Lorraine. Cela n’a rien de surprenant, tout au moins pour la chevalerie, qui disposait de privilèges juridiques et politiques très étendus. Il s’agit là toutefois de mesures d’un type nouveau, liées aux progrès institutionnels de la principauté ducale et à la naissance d’un sentiment identitaire lorrain, comme nous le verrons ultérieurement88. Mais elles montrent également le souci du duc Charles II de donner au duché les moyens de son indépendance face à d’éventuelles ingérences extérieures. Or, avec l’avènement d’un prince français, celles-ci ne pouvaient être totalement exclues. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les limites imposées par Charles II au pouvoir intérieur de René d’Anjou. Le duc de Lorraine soumet en effet l’investiture de son futur gendre à une prestation de serment, selon laquelle « bonnement et loyalement il gouvernera nostre pays tant comme il en sera duc et seigneur89 », et il lui interdit,
85 Ibid., article 33. Au moment même de son investiture, René prêtera serment d’abandonner le duché à Catherine, si lui et sa femme meurent sans héritier, cela afin de montrer à tous que le duché appartient de plein droit à Isabelle de Lorraine, et non à lui. 86 Ibid., article 34. 87 Toutes les coutumes de l’époque prévoient en effet la transmission d’une principauté d’oncle à neveu. Sans doute Charles II n’a-t-il pas cru bon de faire inscrire en toutes lettres l’interdiction d’investir le comte de Vaudémont du duché de Lorraine, parce qu’il savait qu’une telle décision serait de toute façon très difficile à faire appliquer. 88 Voir ci-dessous troisième partie, chapitre 7. Ce thème, prévu dans le plan révisé, n’a pas pu être développé. 89 Cf. Annexe 15, article 33. Un tel serment est une nouveauté. Auparavant en effet, les ducs de Lorraine se contentaient de promettre de respecter les privilèges des principales institutions religieuses de leur principauté, en particulier du monastère de Remiremont (voir ci-dessus première partie, chapitre 1).
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de manière encore plus significative, de pénétrer dans le Trésor des chartes du duché de Lorraine90. Une telle clause n’exprime pas une méfiance personnelle à l’égard de René d’Anjou, que Charles II connaît et prépare depuis plusieurs années à sa future tâche de duc de Lorraine ; elle vise encore moins à le brimer en le privant de certaines prérogatives symboliques d’un pouvoir souverain. Elle tient bien davantage au fait que celui-ci n’est pas « natif » de Lorraine et que cette situation nécessite de prendre un certain nombre de garanties. L’objectif consiste à éviter que les documents du Trésor des chartes ne soient utilisés au détriment des intérêts et de l’indépendance de fait dont bénéficie le duché, ce à quoi les officiers du prince originaires de Lorraine sont les mieux à même de s’opposer. Enfin, Charles II tente de contrebalancer l’accroissement de l’influence française dans sa principauté en désignant comme exécuteurs testamentaires sa femme, Marguerite de Bavière et son autre gendre, Jacques, marquis de Bade, tous deux originaires d’Allemagne. Cette décision rejoint la traditionnelle politique d’équilibre que menaient les ducs de Lorraine entre le Royaume et l’Empire. D’un testament à l’autre, les buts politiques de Charles II n’ont donc pas varié : transmettre son duché à sa fille et empêcher qu’il ne tombe sous la coupe d’une puissance extérieure dominatrice91. Une dernière question se pose toutefois : pourquoi le duc a-t-il attendu six années après le traité de Foug pour révoquer son premier testament, étant donné l’importance d’un tel acte ? La cause ne doit pas être recherchée dans l’attitude du comte de Vaudémont, qui n’a alors pas encore donné de signe de sa volonté de revendiquer la succession du duché de Lorraine92. Faut-il croire à une détérioration subite de l’état de santé de Charles II ? Mais aucun indice ne le laisse supposer. En revanche, la date à laquelle le duc de Lorraine rédige ce testament, le 11 janvier 1425, suit de près celle de l’émancipation de René d’Anjou et de son accession au gouvernement du duché de Bar, sous l’œil encore très vigilant de son beau-père93. Or, celui-ci demanda à son gendre de donner son accord à ses décisions en y apposant son sceau. Par ce geste, René
En 1353, Eberhard de Wurtemberg s’était également engagé à respecter les droits de la noblesse et les coutumes de la Lorraine. Mais il agissait en tant que gouverneur du duché, au nom de Jean Ier, et pas en tant que duc lui-même (voir ci-dessus première partie, chapitre 1). 90 Cf. Annexe 15, articles 35 et 36. Il s’agit du premier document faisant mention d’un Trésor des chartes dans le duché de Lorraine. Bien entendu, celui-ci ne date certainement pas de Charles II, mais cet extrait du testament montre qu’on lui accorde désormais une importance toute nouvelle et témoigne par conséquent des progrès institutionnels accomplis dans le gouvernement du duché de Lorraine sous le règne de ce prince (voir ci-dessous, troisième partie, chapitre 8). 91 Voir notre analyse du premier testament de Charles II en 1407, ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 92 Cf. ci-dessous dans ce même chapitre. L’enchaînement des événements montre que c’est Antoine de Lorraine qui a réagi à la promulgation du testament de Charles II. Le duc de Lorraine ne fait d’ailleurs aucune allusion à une éventuelle contestation de la part de son neveu dans le texte, alors qu’il ne manquera pas de la rappeler systématiquement par la suite. 93 É. Duvernoy, « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 66. Si Yolande d’Aragon, émancipe René d’Anjou en janvier 1424, pour le comté de Guise, celui-ci reste sous la tutelle de Charles II jusqu’au 12 août de la même année.
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s’engageait personnellement à prêter serment à la noblesse et aux villes du duché de Lorraine lors de son investiture et à respecter l’interdiction qui lui était faite de pénétrer dans le Trésor des chartes des ducs de Lorraine94. Mieux valait donc ne pas se précipiter et attendre que René, une fois majeur, puisse contresigner lui-même les clauses relatives à la succession de Lorraine. Celles-ci en tout cas étaient tellement contraires aux intérêts d’Antoine de Lorraine qu’elles allaient le contraindre à sortir de sa réserve. Une guerre d’abord localisée
Seul Dom Calmet évoque les mots qu’aurait prononcés Antoine de Lorraine à la fin des négociations aboutissant au traité de Foug, en 1419 : « À la fin il lui échappa quelques paroles de mécontentement, et on sut qu’il avait dit qu’il était légitime héritier du duché, au cas que Charles mourût sans enfants mâles95 ». Rien ne prouve que le neveu du duc ait formulé aussi clairement sa pensée dès cette époque. En revanche, il semble bien avoir fait connaître ses intentions de manière indirecte, si l’on en croit la lettre que lui adresse le duc de Lorraine le jour de Pâques 142596. Informé des rumeurs selon lesquelles Antoine proclamerait partout en Lorraine qu’il entend lui succéder et déshériter ses filles, il lui demande ce qu’il en est réellement et le prie de lui répondre au plus vite. S’ensuit alors une correspondance entre Charles II et le comte de Vaudémont, révélatrice de la tactique employée par ce dernier pour parvenir à ses fins. Dans sa réponse, envoyée quelques jours plus tard, Antoine accumule les précautions de langage97. Il proteste de sa fidélité envers le duc en lui écrivant que sa mort lui serait plus douloureuse qu’à nulle autre personne, l’assure de ce qu’il ne tentera rien contre lui ni contre les siens qui ne soit conforme à ses droits et promet de lui obéir, ainsi qu’à ses enfants après sa mort. Le comte de Vaudémont évite donc soigneusement de préciser quels droits il prétend détenir sur le duché et si son serment d’obéissance
94 Cf. Annexe 15, article 45 : « Et nous, René d’Anjou dessusdit, a la priere et requeste de nostre devantdit tres cher seigneur et pere, avons promis et promettons par ces presentes, par la foy de nostre corps sur ce donnée corporellement en lieu de serment, sur le peril de nostre ame, et sur nostre honneur, de tenir et faire tenir tout ledit testament de point en point sans riens ne acques excepteir ». 95 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 540-541. L’auteur n’indique pas la source d’après laquelle il tire cette phrase d’Antoine de Lorraine. Elle lui sert donc plus à expliquer la logique de l’enchaînement des événements qu’à étayer scientifiquement son discours. 96 A.D.M.M. B 959, no 9 (1). Cet acte est intégré dans une liasse de cinq documents qui rassemblent la courte correspondance entretenue par le duc de Lorraine et le comte de Vaudémont en avril-mai 1425, au sujet de la succession du duché de Lorraine. 97 A.D.M.M. B 959, no 9 (2), en date du 12 avril 1425. Sur les cinq lettres de cette correspondance, une seule malheureusement nous est parvenue dans son intégralité, publiée par É. Duvernoy, « Deux documents sur le règne du duc Charles II de Lorraine », art. cit. Pour les quatre autres, nous devons nous en tenir à l’analyse faite par Dufourny dans son inventaire du Trésor des chartes de Lorraine. Une étude précise du vocabulaire employé par le comte de Vaudémont s’avère donc impossible. Toutefois, le résumé est suffisamment précis pour que les grandes lignes de sa stratégie puissent être mises en évidence.
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s’adresse aussi bien aux filles de Charles II qu’au fils qu’il pourrait éventuellement avoir. Naturellement, le duc de Lorraine ne pouvait se contenter de propos aussi évasifs, ce qu’Antoine savait pertinemment. Ce n’est cependant pas tant à son oncle qu’il s’adressait qu’à la noblesse du duché de Lorraine. Pour avoir une chance de la rallier à sa cause, il ne pouvait ni accepter les clauses du testament de Charles II, ni se déclarer ouvertement rebelle à son autorité. Il se cantonnera dans cette attitude jusqu’à la mort de son oncle, malgré tous les efforts de celui-ci pour lui faire dévoiler ses véritables sentiments. Le 25 avril, Charles II récrit donc au comte de Vaudémont. Il lui demande cette fois de lui envoyer des lettres patentes, scellées de son sceau, contenant sa renonciation officielle à la succession du duché de Lorraine durant la vie du duc et de ses enfants, filles ou garçons, faute de quoi il le tiendra pour traître et félon98. Antoine de Lorraine cherche alors à gagner du temps, en faisant savoir le lendemain à Charles II qu’il a demandé conseil à ses parents et amis99. Plus d’un mois après, n’ayant toujours rien reçu de son neveu, le duc de Lorraine finit par lui adresser une lettre qui sonne comme un véritable ultimatum : Charles, duc de Lorraine et marchis, a vous, Anthoine, conte de Vaudemont, et seigneur de Joinville. Nous avons pieca receu vos lettres données le penultieme jour du mois d’avril, l’an mil quatre centz vinf cinqz darnierement passé, contenant en effect que il ne nous failloit point faire de doubte que bien brief sur la requeste par nous a vous faite par plusours nos lettres, etc., vous nous feriez bien brief telle et si bonne responce que par raison l’ariens aggreauble, et en seriens bien content ; laquelle avons attendue jusques a cy, et n’en avons aucune eue, dont nous merveillons. Sy vous requerons encor derechief que vostre responce nous veullez envoier selon le contenu de nos autres lettres, et tellement que nous saichiens a quoy nous en doiens tenir. Donné en nostre ville de Nancey, le premier jour du mois de jung, l’an dessus dict100.
L’absence de réponse d’Antoine de Lorraine à une telle demande peut cette fois être interprétée comme un refus d’obéissance. Charles II n’attendait que ce prétexte pour lui déclarer la guerre. Il décida donc de lever de son vivant l’obstacle à sa succession, en entreprenant la conquête du comté de Vaudémont. En apparence, le rapport de forces jouait entièrement en sa faveur101. Pourtant, la situation ne tourna pas nettement à son avantage. Si Vézelise, la capitale, finit
98 A.D.M.M. B 959, no 9 (3). 99 A.D.M.M. B 959, no 9 (4). Il ajoute également que lorsqu’il aura obtenu leur avis, il fera au duc de Lorraine une réponse dont il aura tout lieu de se satisfaire. Le comte de Vaudémont évite donc systématiquement toute forme de confrontation directe avec son oncle. 100 A.D.M.M. B 959, no 9 (5). Charles II place ainsi le comte de Vaudémont dans une situation inextricable. Soit il accepte les décisions de son oncle et renonce au duché, soit il nie la capacité du duc de transmettre sa principauté à ses filles, au risque d’ouvrir personnellement les hostilités avec le duc. Quant au silence, il n’ignore pas qu’il le conduira également à la guerre. Du moins pourra-t-il prétendre avoir été injustement attaqué. 101 Charles II et son gendre purent en effet mobiliser à leur profit les forces conjointes des duchés de Lorraine et de Bar, tandis qu’Antoine ne disposait de son côté que du modeste comté de Vaudémont et de la seigneurie de Joinville.
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par tomber après une résistance farouche, la citadelle de Vaudémont, principale place forte du comté, résista pendant trois ans au siège des troupes barroises et lorraines102. Le conflit s’enlisa. Bien plus, à partir de 1429, le défi lancé à la cité de Metz par le duc de Lorraine absorba l’essentiel de ses capacités militaires103. À sa mort, le 25 janvier 1431, Charles II n’était toujours pas parvenu à vaincre la résistance d’Antoine de Lorraine. En l’absence de toute solution armée et face à l’opposition de deux légitimités différentes104, l’appui de la noblesse des duchés de Lorraine et de Bar apparut bien vite comme l’un des principaux enjeux de la lutte. Charles II avait tenu à placer le comte de Vaudémont dans la position du rebelle avant de l’attaquer. De son côté, Antoine de Lorraine s’était bien gardé d’opposer un refus catégorique et public aux exigences de son oncle. Chacun des deux protagonistes cherchait donc à jouer le rôle de la victime. Dès le début de la guerre, en décembre 1425, Charles II demanda aux nobles du duché de Lorraine de promettre par serment qu’à sa mort, ils reconnaîtraient pour duc René d’Anjou, en vertu de son mariage avec Isabelle de Lorraine. Le 13 de ce mois, 61 vassaux du bailliage d’Allemagne et 85 des bailliages de Nancy et des Vosges satisfont à cette exigence, en la justifiant par le fait que Monseigneur Anthoine, comte de Wauldemont, ait pourchassé et pourchasse de jour en jour d’avoir la duchié, princerie et seigneurie de Lorrainne, comme heritier d’icelui, si comme il dit, apres le deces et trapessement de nostre dict tres redoubté seigneur, en volans desheriter et debouter nos dictes tres redoubtées dames, dame Ysabel de Lorrainne et dame Katherine, sa suer, filles naturelles et legitimes de nostre dict tres redobté seigneur, ses vraies et loyaules heritieres105.
Par un tel acte, la noblesse ne se contente pas d’enregistrer les décisions prises par le duc. Elle dit également le droit, et précise la teneur de la coutume du duché de Lorraine en matière de succession : Et nous, considerans pour verité la costume generale ancienne de tout le temp passei estre on duchié, princerie et seigneurie de Lorrainne, et la tenons estre tele par noz predecessours, et nous meismes la tenons tele, que toutes et quantes fois il est advenu on tem passei que aulcun des ducz de Lorrainne ait aller de vie en trapessement sen delaissier hoir maisle apres lui, né et procreé de son corp en loyaul mariage, et il ait delaissier en vie filles legitimes neés et procreés de son corp en loyaul mariage, que tousjours ycelles
102 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 16. 103 Ibid, p. 17. En ce qui concerne le conflit entre le duc de Lorraine et la cité de Metz, voir ci-dessous troisième partie, chapitre 6. 104 Ibid., p. 14-17. René d’Anjou fait valoir la coutume de Lorraine, qui reconnaîtrait aux filles la capacité à succéder à leur père, en l’absence d’héritier mâle. Il s’appuie également sur le testament et les décisions prises par son beau-père, Charles II. Quant à Antoine de Lorraine, son argumentation est simple : selon lui le duché de Lorraine ne peut être transmis par les femmes. 105 BnF Col. Lor., no 53, f. 81-83 (pour le bailliage d’Allemagne) et f. 88-90 (pour les bailliages de Nancy et des Vosges). Le texte est le même pour les deux documents.
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filles aient succeder et doient succeder et heriter comme vraies heritieres du dict duchié, princerie et seigneurie de Lorrainne sen aulcun contre dit […]106.
L’affirmation des vassaux lorrains paraît toutefois un peu surprenante. Pour justifier la règle de la succession en ligne féminine, ils ne se basent en effet ni sur des experts en lois, ni sur des témoignages, mais sur l’histoire de la principauté ducale, au cours de laquelle des filles auraient succédé à leur père à plusieurs reprises. Or, nous l’avons dit, le cas ne s’est jamais présenté. Cela n’a naturellement pas échappé à Émile Duvernoy, qui en conclut à une méconnaissance totale de leur passé par les nobles de la région107. Une telle remarque semble naïve. Plutôt que leur ignorance, il faut voir dans l’emploi de cet argument leur incapacité à établir de manière irréfutable l’héritage des filles dans le duché de Lorraine mais aussi, du même coup, l’ampleur du soutien que la noblesse apportait au duc de Lorraine. D’accord avec la politique de Charles II, la chevalerie lorraine ne donne pas pour autant un chèque en blanc à son successeur. René d’Anjou dut lui aussi se faire accepter dans ses futurs États. Dans le duché de Bar, la transition ne causa guère de souci car, depuis la défaite du duc de Berg, René n’avait plus de compétiteur. À partir de 1424, il gouverna conjointement avec un conseil nobiliaire mis en place par Charles II. Par ailleurs, la fréquence de ses séjours à Nancy lui permit aussi de prendre progressivement contact avec les vassaux du duché de Lorraine, notamment lors de l’assemblée du 13 décembre 1425108. Mais René comprit très vite que l’aide que lui apporterait la noblesse du duché serait d’autant plus précieuse et importante qu’il lui aurait auparavant garanti le maintien de ses prérogatives. Par conséquent, dès le 29 janvier 1431, soit cinq jours seulement après la mort de Charles II, il accorda aux nobles un quasi-monopole en matière judiciaire, et promit que tous ceux de laditte chevalerie dessus ditte, a qui on auroit fait aucun tort ou grief du vivant de nostre dit seigneur et pere, soient de ce redressée par le droit et jugement de leurs pairs en la forme et maniere que dessus est dit et declaré109.
Cet acte était d’autant plus habile qu’il était octroyé sans contrepartie aucune, dès les premiers jours du règne du nouveau duc, afin de faire comprendre aux vassaux du
106 Ibid. Ce passage montre à quel point la chevalerie occupe une place prépondérante dans le duché de Lorraine. C’est elle qui établit la coutume du duché dans ce texte, et c’est parce que les décisions prises par le duc de Lorraine se conforment à la coutume qu’elle promet d’obéir à René d’Anjou. 107 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 97. 108 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 230, M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 216, et B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 32. Parmi les membres de l’entourage de René d’Anjou figurent un certain nombre de vassaux de Charles II, comme Jean d’Haussonville, Robert de Haroué ou Érard du Châtelet. Le duc de Bar passe également une bonne partie des années 1428 et 1429 à Nancy. En 1427, la naissance de son fils aîné Jean eut lieu dans la capitale du duché de Lorraine, ruinant définitivement les espoirs de succession du comte de Vaudémont. L’assemblée du 13 décembre 1425 (cf. Annexe 16) put être pour Charles II l’occasion de présenter leur futur prince aux nobles du duché. 109 B.M. Nancy, Ms 189, f. 58-60. La tournure du texte présente les privilèges conférés à la chevalerie comme un retour au passé et à la coutume du duché de Lorraine. Mais la mise par écrit de ces avantages, dans un document émanant du pouvoir ducal, constitue une nouveauté.
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duché de Lorraine que l’arrivée d’un membre de la dynastie angevine sur le trône ducal ne modifierait en rien la place de la noblesse dans la principauté. Rien d’étonnant alors à ce que celle-ci se soit rangée quasi-unanimement derrière le mari d’Isabelle de Lorraine, comme en témoigne le récit de l’entrée de René d’Anjou à Nancy en 1431 : Tantost vient le comte de Guyse que René s’adpeloit ; en belle compaignie en Loheregne se vient presenter ; tous les nobles a davant s’en sont allés. Les seigneurs de Sainct-Georges tous luy ont faict bien venant. – Vos estes nostre duc. Or, en allant dedans Nancey se l’ont tous admené, devant Sainct-Georges se l’ont faict arrester ; de son cheval se l’ont faict se [de]monter ; en l’eglise devant le grand autel se l’ont mené ; de luy ont print le serment de bonnement entretenir les droicts de Loheregne et le bras seculier. Lesdicts seigneurs de Sainct-Georges eurent son cheval ; se l’en ont mené ; les petits enfants ont crié : Nouël ! Toute la seigneurie se l’ont duc clamé110.
Nous reviendrons plus loin sur le rituel de cette cérémonie d’investiture et sur ses implications111. Contentons-nous ici d’insister sur l’impression d’unanimité qui se dégage de ce texte et qui contraste avec l’accueil réservé quelques mois plus tard au comte de Vaudémont venu revendiquer la succession du duché : On mois de mars, le comte Anthoine se vient presenter, requesrant a estre duc, disant que la duchié luy adpartenoit, ad cause qu’il estoit hoir maisle du frere du duc Charles. La seigneurie et tout le conseil luy donnirent response qu’elle ne luy adpartenoit my. – Vostre oncle, des filles il a laissé ; selon les droicts et les coustumes, elles sont heritieres, principalement l’aisnée ; elle est ja en Loheregne receue por duchesse : c’est son propre heritaige –. Le comte Anthoine se veant ainsy refusé, jura son aame, que bientost duc en seroit112.
Logiquement, il ne faut pas attendre du chroniqueur officiel de René II qu’il remette en cause les droits de René Ier d’Anjou un demi-siècle plus tard, ni qu’il s’attarde sur d’éventuels déchirements internes au duché de Lorraine après la mort de Charles II. Mais son récit s’accorde avec ce que nous apprennent par ailleurs d’autres documents. Les cas de ralliement de nobles lorrains à la cause d’Antoine de Lorraine paraissent avoir été exceptionnels : outre Thiébaut de Blâmont qui, nous l’avons vu, est très vite rentré dans le rang, on peut noter l’exemple des seigneurs de Barbay, d’Ogéviller et de Varsberg, dont les motivations demeurent assez obscures113. Mais il s’agit là d’individus isolés, qui ne peuvent remettre en cause le soutien sans faille que la chevalerie lorraine a procuré à René lors de son avènement. 110 La chronique de Lorraine, op. cit., p. 32. 111 Cf. ci-dessous troisième partie, chapitre 7. 112 La chronique de Lorraine, op. cit., p. 32-33. Par ce geste, Antoine de Lorraine revendique pour la première fois officiellement la succession du duché de Lorraine, deux mois après la mort de Charles II. Son souci de préserver les apparences de la fidélité envers son oncle a donc perduré jusqu’à la mort du duc de Lorraine, malgré les attaques lancées par celui-ci contre ses territoires, entre 1425 et 1428. 113 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 31 ; A. Dedenon, Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance, op. cit., p. 172, explique l’attitude d’Henri d’Ogéviller par son mariage avec Jeanne de Joinville, qui en faisait un cousin de Ferry de Lorraine, père du comte de Vaudémont. Le lien de parenté semble toutefois trop lointain pour constituer la raison principale du choix politique opéré
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À la mort de Charles II, le 25 janvier 1431, son gendre hérita donc sans difficultés du duché de Lorraine, du moins dans un premier temps. Privé d’appuis à l’intérieur du territoire ducal, le comte de Vaudémont était provisoirement paralysé. Cette situation résultait de la prévenance constante dont Charles et René avaient entouré la noblesse du duché et de la perspective de l’union des principautés de Bar et de Lorraine. Antoine de Lorraine n’avait toutefois pas dit son dernier mot et pouvait solliciter l’aide d’un prince extérieur à la région. C’est pour cette raison que, pendant les dix dernières années de son règne, le duc de Lorraine s’était efforcé d’isoler diplomatiquement le comte de Vaudémont.
Au niveau international : l’indispensable et impossible neutralité Nous avons jusqu’à présent envisagé le traité de Foug et ses conséquences dans le cadre strictement délimité de l’espace lorrain. Mais depuis l’intervention de Louis d’Orléans en Lorraine au cours des premières années du xve siècle, la région se trouvait au cœur de la politique internationale114. Il nous faut donc analyser maintenant la question de la double succession aux duchés de Lorraine et de Bar dans la perspective des conflits qui opposèrent dans le royaume de France les Armagnacs, les Bourguignons et les Anglais, pour prendre la mesure des forces qui s’opposèrent à l’application de l’accord conclu à Foug et des menaces qu’elles firent planer sur l’autonomie des deux principautés réunies à cette occasion. L’échec des projets de Yolande d’Aragon (1419-1422) Les objectifs du traité de Foug à l’échelle du Royaume et de l’Europe
Depuis le renvoi à la cour de Bourgogne, en 1413, de Catherine de Bourgogne, mariée depuis trois ans à son fils aîné, Louis II, duc d’Anjou et roi de Sicile, faisait figure de chef du parti armagnac115. Après sa mort en 1417, son épouse Yolande d’Aragon, prit en main les intérêts de ses enfants. Elle unit sa fille Marie au futur
par un homme issu du tout premier cercle de l’entourage de Charles II. Bien davantage, il faut croire qu’Henri et les autres seigneurs qui se sont ralliés à Antoine de Lorraine l’ont fait parce qu’ils regardaient René d’Anjou comme un prince étranger. 114 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 115 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 145. Après l’assassinat du duc d’Orléans le 23 novembre 1407, Louis d’Anjou avait adopté une position médiane entre les partis orléanais et bourguignon. Mais le rôle de Jean sans Peur dans les émeutes cabochiennes du printemps 1413 le décida à rompre avec celui-ci, d’une manière extrêmement spectaculaire. En répudiant sa fille, il fit subir au duc de Bourgogne l’une des plus cuisantes humiliations qu’il ait connues au cours de son règne. Jean sans Peur voua depuis lors une haine tenace à l’égard des membres de la maison d’Anjou.
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Charles VII116. Mais la conquête de la Normandie par le roi d’Angleterre l’inquiétait au plus haut point et la poussa à trouver un terrain d’entente avec la maison de Bourgogne, afin de pouvoir résister plus efficacement à la pression que les Anglais exercent sur les frontières septentrionales des territoires angevins117. Cette intention rejoignait celle du cardinal Louis de Bar, alors en procès avec sa sœur Yolande de Bar pour la succession du duché118. Yolande d’Aragon perçut immédiatement tout le parti qu’elle pouvait tirer de la situation. Nul doute que le pacte prévoyant à la fois l’adoption de son fils René d’Anjou par le cardinal de Bar et son mariage avec la fille et héritière du duché de Lorraine ne soit en grande partie son œuvre. Il servait à la fois ses intérêts familiaux et favorisait la réalisation de son programme politique. En assurant au cadet de ses enfants un avenir politique largement supérieur à tout ce qu’il pouvait espérer, Yolande œuvrait pour le rapprochement des maisons d’Anjou et de Bourgogne et pour la fin de la guerre civile. L’idée est d’autant plus judicieuse qu’à la même époque Jean sans Peur, le duc de Bourgogne, compte sur le cardinal Louis de Bar pour retrouver la faveur du roi de France, ce dont ses finances ont grand besoin119. Le roi d’Angleterre Henri V comprit immédiatement le but de la manœuvre et tenta de l’enrayer. Quelques jours avant la conclusion du traité de Foug, il fit demander la main d’Isabelle de Lorraine pour son frère, le duc de Bedford120. Charles II avait également reçu des offres de la part du duc de Bavière Louis le Bossu121. L’alliance avec la maison de Bavière correspondait à la stratégie matrimoniale traditionnelle des ducs de Lorraine et confortait la ligne suivie depuis une vingtaine d’années par la politique ducale122 ; celle avec la famille royale anglaise renforçait le prestige de la dynastie. Le double refus du duc de Lorraine et sa décision en faveur de René d’Anjou ont donc été interprétés comme le signe d’un changement dans ses orientations diplomatiques123. En réalité, les motivations de Charles II ne lui permettaient pas de répondre favorablement aux propositions
116 Ibid., p. 172. L’accord avait été conclu du vivant de Louis II d’Anjou, en octobre 1413. Mais Charles n’était alors que le dernier fils du roi de France. La mort de ses frères aînés et son accession au rang de dauphin renforça sensiblement l’intérêt de cette alliance matrimoniale et augmenta encore le prestige déjà considérable de la dynastie angevine dans le Royaume. 117 M. Parisse (dir.), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 208. 118 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre. 119 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 156. Voir également ci-dessus dans ce même chapitre et B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 129-138 et 189-197. 120 É. Duvernoy, « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar (1419-1431) », art. cit., p. 56, note 5. Les lettres d’accréditation données aux ambassadeurs pour négocier cette union furent rédigées le 18 mars 1419, soit deux jours avant la signature de l’accord entre Charles II et le cardinal de Bar. Cette démarche de la dernière heure avait donc peu de chances d’aboutir. 121 Ibid., p. 56. Depuis le traité de Canterbury entre l’empereur Sigismond et le roi Henri V, la maison de Bavière apportait une aide concrète aux Anglais dans leur conquête du royaume de France. Le comte palatin notamment participa en personne à la campagne de Normandie entre 1417 et 1419. Les propositions du roi d’Angleterre et de Louis le Bossu allaient donc à peu près dans le même sens. Voir également M. Kitzinger, Westbindungen im spätmittelalterlichen Europa, op. cit., p. 96-118. 122 Voir ci-dessus seconde partie, chapitre 4. 123 Voir par exemple R. Parisot, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 336.
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anglaises et bavaroises : les intérêts du duché auraient alors été subordonnés à ceux de royaumes et de principautés plus prestigieuses et plus puissantes. Il s’y était opposé dès le début de son règne et l’avait clairement rappelé dans son premier testament, le 13 août 1407. Le mariage de René et d’Isabelle ne changea rien non plus aux convictions politiques pro-bourguignonnes de Charles II. Mais ses intérêts dynastiques le poussèrent désormais à la modération. Sa nouvelle position sur la scène internationale en fit un médiateur potentiel au cas où des négociations s’ouvriraient. Insensiblement, le travail de Yolande d’Aragon promettait de porter ses fruits. Dans le camp armagnac toutefois, tous ne partageaient pas ses convictions. Certains estimaient qu’il fallait d’abord se débarrasser de l’ennemi bourguignon, avant de se retourner contre l’Angleterre. Le 10 septembre 1419, l’assassinat de Jean sans Peur marqua la victoire des partisans de l’intransigeance dans l’entourage du dauphin Charles124. Mais surtout, il ruina définitivement les plans établis par Yolande d’Aragon, en supprimant toute chance de mettre fin à la guerre civile125. Le mois suivant, le nouveau duc de Bourgogne Philippe le Bon réclama justice pour le meurtre de son père et décida de faire alliance avec l’Angleterre pour obtenir réparation126. Comme toujours depuis le début de la guerre civile, ce retournement de situation dans le royaume de France se répercuta immédiatement dans l’espace lorrain. À la fin d’avril 1420, Robert de Baudricourt et Robert de Sarrebruck, deux armagnacs intransigeants, s’emparèrent de Gauthier de Beauffremont, seigneur de Ruppes, envoyé par Philippe le Bon auprès de Louis de Bar à Verdun pour l’inviter à assister à la signature du traité de Troyes et au mariage de Catherine de France, fille de Charles VI, avec le roi d’Angleterre. Or, l’ambassadeur du duc de Bourgogne, par ailleurs vassal de Charles II, bénéficiait d’un sauf-conduit du cardinal. Bien que celui-ci ait très vite obtenu la libération de Gauthier de Beauffremont, Philippe le Bon le rendit responsable de l’incident et lui déclara la guerre127. Certes, les capitaines responsables de cet attentat agissaient, au moins en partie, de leur propre chef128. Mais cette action avait également un but plus ambitieux. Dans un premier temps, elle visait à empêcher le rapprochement des maisons de Bar et de Bourgogne ; à plus long terme, elle pouvait même entraîner une rupture entre les duchés de Bar et de Lorraine, encore fraîchement réconciliés.
124 . Voir B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 265-281. 125 A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 5. 126 Voir B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 208-216. 127 Le fait est relaté par Ch. Aimond, Les relations de la France avec le Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 236. Dès le 8 mai 1420, le cardinal de Bar versa aux seigneurs de Commercy et de Baudricourt la somme de 1 000 écus pour racheter Gauthier de Beauffremont et ses compagnons (S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves no 26, p. 76). Mais les relations entre les maisons de Bar et de Bourgogne étaient trop tendues pour que Philippe le Bon passe l’éponge sur cet attentat. 128 Ch. Aimond, Les relations de la France avec le Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 241.
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Charles II face au meurtre de Montereau et au traité de Troyes
La mort de Jean sans Peur, suivie quelques mois plus tard de l’alliance anglo-bourguignonne et de la signature du traité de Troyes entre les rois de France et d’Angleterre, plaça le duc de Lorraine, considéré comme le plus fidèle soutien du duc de Bourgogne129, dans une situation très inconfortable. Il n’avait plus guère le choix : s’il voulait conserver l’espoir d’une union future des deux principautés lorraines, il lui fallait à la fois poursuivre son rapprochement avec la maison de Bar et plus généralement avec le parti armagnac, et maintenir de bonnes relations avec la Bourgogne, que la perspective d’une installation de la dynastie angevine en Lorraine ne réjouissait guère. En bref, le duc de Lorraine se trouvait contraint à la neutralité. Il s’engagea semble-t-il dans cette voie avant la signature du traité de Foug, peutêtre même avant le début des négociations. En effet, pour l’année 1418, il ne reçut aucun versement de la part du receveur général de Bourgogne, alors que sa pension de 2 000 livres tournois lui avait été jusque-là régulièrement payée130. Cela signifie qu’il ne servait plus dans les armées bourguignonnes à cette époque. Cette prise de distance à l’égard de Jean sans Peur se confirma l’année suivante. En mai 1419, Jean sans Peur entama des pourparlers avec l’Angleterre afin de faire pression sur les Armagnacs131. Il fit alors écrire à Charles II par l’intermédiaire du roi de France, qui le pria de venir le trouver le 22 mai 1419 pour assister à la conférence qui devait avoir lieu entre Pontoise et Mantes. La réponse du duc de Lorraine, quelque peu évasive, traduit bien son embarras : Tres redoubté seigneur, plaise vous savoir que j’ay receu vos dictes lettres led. XXIe jour de may, moy estant au lit pressé de grosse et grieves maladies, et ne porroie en maniere que fuit chevaucher ny aller. Pour ce, vous plaise m’avoir pour excusé, car en ce et en toutes autres choses je vous vorroie complaire, obtemperer et obeyr a tous vos commandemens132.
La maladie de Charles II n’est peut-être pas feinte et les lettres du roi de France peuvent lui être parvenues beaucoup trop tardivement. Il n’empêche cependant qu’il ne montre pas le même empressement à « obtemperer » à la requête de Charles VI qu’il ne le faisait quelques années auparavant, lorsque Jean sans Peur lui enjoignait de le rejoindre en emmenant avec lui le plus grand nombre possible de gens d’armes133.
129 En janvier 1418, Jean sans Peur lui avait fait remettre l’épée de connétable du royaume de France. Cf. ci-dessus seconde partie, chapitre 4. 130 BnF Col. Bourg., no 21, f. 49v : « et premierement, a monseigneur Charle, duc de Lorraine et marquis, pour sa pension a voulenté qui est de deux mil frans par an, ainsi comme plus a plain est contenu au compte precedent feni au derrain jour de decembre mil IIIIc et dix huict : neant cy, car rien ne lui a esté payé ou temps de ce present compte ; pour ce … neant. » 131 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 199. 132 BnF Col. Lor., no 89, f. 13. La lettre est datée du 21 mai, alors que le roi de France avait donné rendez-vous à Charles II pour le lendemain et que l’entrevue devait avoir lieu le 29 mai. Il était donc matériellement impossible au duc de Lorraine de se rendre en temps et lieu aux côtés de Charles VI. Mais nous aurons d’autres occasions de constater à quel point Charles II maîtrise l’art de gagner du temps et de prolonger les délais initialement prévus. 133 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4.
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Surtout, les excuses du duc de Lorraine se répètent trop systématiquement dans les années qui suivent pour ne pas apparaître comme l’expression d’une volonté délibérée de se tenir à l’écart des affaires du Royaume. L’année suivante en effet, Charles VI convie à nouveau Charles II à Troyes avec cinquante hommes d’armes, pour la signature de la paix avec l’Angleterre134. Quelques jours plus tard, c’est le souverain anglais en personne qui lui envoie le texte du traité et l’invite à venir le trouver le plus vite possible. Ces deux courriers sont bien entendu destinés à obtenir son approbation et à lui faire prêter serment de reconnaître Henri V comme roi de France et d’Angleterre à la mort de Charles VI. La réaction du duc de Lorraine, identique à celle de l’année précédente, témoigne de son malaise : Combien que de tout mon cuer, je suis tres desirant de vous complaire, et faire de mon pouvoir tous services et plaisirs, et avoie tres grant volenté de me traire pardevers vous, neanmoins pour certaines besoingnes et nouvelles que me sont survenues, touchant les guerres que de present j’ay, n’y puis pour present bonnement aller, comme vous dira plus a plain mondit conseiller. Mais, tres redoubté seineur, j’envoye par devers vous mes amez et feaulx conseillers, ledit Jehan Hassonville, Ferry de Parroies, et Jehan de Haraulcourt, enchargiez de par moi de vous dire certaines choses de bouche, touchant et de quoi avez parlei a mondit conseiller Jehan de Hassonville, et ly a vous. Se vous plaise a mes conseillers adjouter foi plainiere en tout ce qu’ilz vous diront, pour ceste foie de par moi touchant ledit fait135.
À cette époque, le duc de Lorraine est effectivement entré en guerre contre la cité de Toul136. Mais ce conflit demeure limité et localisé et ne l’empêcherait nullement, s’il le désirait, de s’absenter momentanément de ses États et de confier la direction des opérations à des hommes de confiance. Prenant acte de ce contretemps, le roi d’Angleterre réitère sa demande en janvier 1421 et lui propose une entrevue à Villeneuve, non loin de Sens dont il est occupé à faire le siège137. De nouveau, Charles II l’informe, huit jours plus tard, qu’il ne pourra pas se rendre auprès de lui, pour cause de maladie138. De toute évidence, le duc de Lorraine cherche à gagner du temps mais ne souhaite ni rompre avec le camp anglo-bourguignon, ni approuver publiquement les clauses du traité de Troyes.
134 BnF Col. Lor., no 6, f. 155. Ce courrier, envoyé le 26 avril 1420, convoque le duc de Lorraine à Troyes pour le 20 mai suivant. Celui-ci ne peut donc pas invoquer le manque de temps comme prétexte pour justifier son absence. 135 BnF Col. Lor., no 6, f. 153, en date du 28 mai [1420]. Ce document a également été publié par Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., Preuves, vol. VI, p. CXVIII-CXIX. Comme toujours à cette époque, Charles II reprend dans sa réponse le contenu de la lettre que le roi d’Angleterre lui avait envoyée auparavant. Cela nous permet de connaître l’existence de cette première missive. 136 Sur ce sujet, voir ci-dessous troisième partie, chapitre 6. 137 BnF Col. Lor., no 6, f. 152. Cet envoi rappelle, que dans un précédent courrier, Charles II avait accepté le principe d’une rencontre avec le roi Henri V. 138 BnF Col. Lor., no 6, f. 154. Une nouvelle fois, il s’avère difficile de faire la part de la maladie et du faux-fuyant. Il n’empêche que, quelques années plus tard, en 1429, un accès de goutte n’empêchera pas Charles II de participer directement à la guerre contre la cité de Metz, tant il jugera l’affaire importante.
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Sur le plan local, on retrouve le même souci de neutralité de la part de Charles II. Le traité de Foug a mis fin en effet à la guerre qui sévissait entre les duchés de Bar et de Lorraine, mais il n’a pas pour autant débarrassé la région des bandes de routiers combattant pour le compte du dauphin, des Bourguignons ou des Anglais. Les contacts que le duc de Lorraine entretient avec les uns et les autres traduisent non seulement ses hésitations, mais aussi la confusion de la situation en Lorraine. Il engage par exemple Henri de la Tour, un capitaine bourguignon, pour le servir contre le duc de Berg et assurer ainsi l’héritage du duché de Bar à René d’Anjou, beau-frère du dauphin139. Mais il offre également à La Hire, célèbre chef de guerre armagnac, un superbe coursier d’une valeur de 300 écus140. Pendant trois années environ, jusqu’en mai 1422, Charles II s’emploie à maintenir un subtil équilibre entre toutes les parties en présence et à conserver avec chacune d’elles des relations convenables. Il ne fait plus figure d’allié inconditionnel du duc de Bourgogne, comme pendant la période précédente. La perspective de réaliser l’union des principautés de Bar et de Lorraine rend indispensable ce changement dans le comportement politique du duc de Lorraine. Il lui faut désormais ménager les sensibilités politiques différentes des noblesses des deux duchés. Mais ne faut-il pas faire intervenir d’autres éléments d’explication ? Charles II ne s’aperçoit-il pas que l’expansion territoriale de la Bourgogne fait peser sur la Lorraine une menace équivalente à celle des progrès de Louis d’Orléans dans la région quelques années plus tôt141 ? L’avènement de Philippe le Bon s’accompagne en effet d’une évolution importante de la politique bourguignonne. Alors que Jean sans Peur avait lutté avec acharnement, tout au long de son règne, pour obtenir le contrôle du gouvernement royal à Paris, son fils délaisse quelque peu la capitale et fait de la constitution d’un État bourguignon sa priorité142. À terme, cette ligne de conduite représente un grave danger pour l’indépendance du duché de Lorraine, mais il aurait fallu que Charles II en prenne immédiatement conscience, ce qui ne semble pas avoir été le cas, en dépit de son grand sens politique. 139 A.D.M.M. B 521, no 104. Le 10 juin 1421, en tant que gouverneur du duché de Bar et tuteur de René d’Anjou, Charles II engage à Henri de la Tour la châtellenie de Pierrefort, parce qu’il lui est redevable d’une somme de 6 500 florins. « Cest assavoir, de cing mil desdis florins qu’il nous a presté et fait avoir, lesquelz nous avons mis et convertis on paiement de ce que nous debviens a nostre tres chier et tres amé cousin Gerhart de Clerve et de la Marche, pour ce qu’il est devenu aidant de nous et de nostre dit fils de la guerre que nous fait le duc des Mons, et nous doit servir a l’encontre de lui et de ses aidans, suivans, et complices. […] Item cinq cens desdis florins que nous li avons accordé pour estre servant et aidant de nous et de nostre dit fils, a l’encontre dudit duc des Mons, ses servans, aidans et complices. » En la circonstance, le seigneur de la Tour se fait le défenseur des intérêts de la maison d’Anjou, alors qu’il combat d’ordinaire pour la cause du duc de Bourgogne (voir ci-dessus seconde partie, chapitre 4). 140 S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves, no XXXIV, p. 81. On ne peut naturellement pas mettre ce cadeau sur le même plan que les services rendus par Henri de la Tour au duc Charles II. Mais le geste témoigne d’une volonté de rester en bons termes avec les représentants de chacun des deux camps dans la région. 141 R. Parisot, Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 336, pose lui aussi cette question, sans apporter de réponse. Mais ce raisonnement nous semble caractéristique d’une réflexion historique menée a posteriori, en tenant compte de l’évolution des relations entre les duchés de Lorraine et de Bourgogne tout au long du xve siècle. 142 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 234-235.
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En revanche, l’importance et la gravité des faits qui se produisent en 1419 et 1420 ne peuvent le laisser indifférent. Que peut-il ressentir face à l’assassinat de Jean sans Peur et à la conclusion de l’alliance anglo-bourguignonne ? Les sources à notre disposition ne nous permettent pas de donner une réponse définitive à cette question. Dans sa biographie de Charles II, Eugène Girod estime que « cette mort ne l’affecta pas autant que si elle était survenue quelques années auparavant : l’appui que cette mort enlevait au duc ne lui était, en effet, plus aussi nécessaire que par le passé. »143 Nous devons nous inscrire en faux contre un tel jugement. Outre que le duc de Lorraine pouvait trouver un soutien tout aussi efficace auprès de Philippe le Bon qu’auprès de son père, il faut également prendre en compte l’affection qui unissait deux hommes alliés depuis plus de dix ans. Seuls les partisans les plus intransigeants du dauphin se réjouirent ouvertement d’un meurtre commis sur l’ordre et en présence d’un fils du roi de France ; les autres comprirent instantanément quelles conséquences néfastes en résulteraient pour le Royaume. Quant aux Bourguignons, ils stigmatisèrent évidemment l’« orrible murtre et obmicide144 ». Bourguignon de cœur, mais réconcilié avec les Armagnacs les plus modérés, Charles II fut à coup sûr profondément frappé par un acte qui contrevenait aux règles les plus élémentaires de la morale et risquait de compromettre la réalisation de ses projets politiques. Dans ce cas, pourquoi s’est-il montré si réticent à accepter le traité de Troyes, conséquence directe du meurtre de Montereau ? En fait, sa réaction ressemble à celle de nombreux partisans du duc de Bourgogne. Le rejet du dauphin et des Armagnacs ne les poussa pas forcément dans les bras du roi d’Angleterre. Jean sans Peur lui-même n’avait jamais osé franchir ce Rubicon. L’alliance anglaise ne constituait qu’une solution parmi d’autres permettant à Philippe le Bon d’obtenir réparation pour la mort de son père, et nombre de ses sujets manifestèrent plus ou moins ouvertement leur hostilité ou leurs réserves lorsqu’il leur fallut prêter serment à Henri V de l’accepter pour légitime héritier du roi Charles VI145. Les sentiments de Charles II ne nous sont pas connus, mais ses hésitations tiennent peut-être tout autant d’une certaine répugnance à l’égard de l’Angleterre que du souci de ne pas remettre en cause l’application du traité de Foug. Bref, ses convictions personnelles tout autant que les nécessités politiques du moment incitaient le duc de Lorraine à adopter une attitude neutre et réservée. Mais l’époque n’était pas à la modération. Charles II devait choisir son camp. Il s’y décida 143 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 158. Cette assertion présuppose elle aussi, de la part des principaux acteurs de la vie politique du moment, la perception immédiate d’évolutions qui se déroulent sur le long terme. Elle repose également sur l’idée, constamment reprise par l’auteur, que l’alliance des ducs de Lorraine et de Bourgogne depuis 1406 n’implique aucun lien d’amitié personnelle entre les deux hommes. Or nous avons montré qu’il s’agissait là d’une affirmation purement gratuite (cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4). 144 B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 283-289. La citation est tirée des Ordonnances des rois de France de la troisième race, 22 vol., Paris, 1723-1849, t. XII, p. 270. Il s’agit du texte excluant le dauphin Charles de la succession au trône de France. Sa responsabilité dans le crime commis à Montereau constitue selon Charles VI la raison pour laquelle son fils « s’est rendu indigne de nostre succession et de tout aultre honneur et dignité ». 145 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 224-225.
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au début du mois de mai 1422, soit près de deux ans après la signature du traité de Troyes. Le 5, Charles II, au nom de son gendre René d’Anjou, conclut un accord avec Philippe le Bon, par lequel les deux princes s’engageaient à mettre fin à tout acte de guerre entre eux et entre leurs sujets, et à régler les litiges qui les opposaient par la voie de la négociation et du compromis146. Cette convention valait surtout pour le Barrois, dont les relations avec la Bourgogne avaient toujours été très tendues, même après le retrait du cardinal de Bar au profit de Charles II. Ce texte, destiné à apaiser les derniers feux de la guerre civile dans la région, préparait également le ralliement officiel des deux principautés lorraines à la cause anglo-bourguignonne. Dès le lendemain en effet, le duc de Lorraine prêta serment à Philippe le Bon, par vertu de la commission que nous en aviens de mondit seigneur le roy, de tenir le parti de mondit seigneur, de tres hault et tres puissant prince notre redoubté seigneur et frere Henry, roy d’Angleterre, heritier et regent de France, et le nostre, et que, aprez le decez de mondit seigneur, icellui notre cousin de Lorraine tenra mondit seigneur et frere d’Angleterre pour roy de France et obeira a lui selon la nature du fief qu’il tient de mondit seigneur147.
Charles II réintègre ainsi officiellement le parti bourguignon, qu’il n’avait d’ailleurs jamais vraiment quitté. Il reconnaît implicitement la légitimité de l’alliance entre l’Angleterre et la Bourgogne et de la modification des règles de succession au trône dans le royaume de France. Plus concrètement encore, il assure qu’il « se emploiera a son povoir ès marches d’environ ses pays et ceulx qu’il en a gouvernement, desobeissans et rebelles a mondit seigneur le roy, a les ramener en son obeissance […] », à condition toutefois que les rois de France et d’Angleterre, de leur côté, « lui prometterons de le amer, conforter, aidier et secourir en tous ses affaires, et de laborer et mettre peine a faire cesser ceulx des marches de France et d’Angleterre qui font ou feroient guerre ou euvre de fait a lui et ses pays et subgez […]148 ». Cet acte correspond donc à un nouveau changement dans la diplomatie de Charles II. Alors qu’il s’était toujours refusé depuis deux ans à se ranger dans le camp du roi d’Angleterre ou dans celui du futur Charles VII, il se résout tout à coup non seulement à reconnaître le traité de Troyes, mais à accorder également à Henri V un soutien militaire effectif. Même si celui-ci se limite à débarrasser la région des compagnies guerroyant pour le compte du dauphin, le duc de Lorraine renoue avec le comportement qu’il avait adopté lors de la période précédente et se mêle derechef
146 BnF Col. Lor., no 248, f. 79. Cet acte établit une sorte de trêve entre les duchés de Bar, de Lorraine et de Bourgogne, valable pour une durée d’un an, pendant laquelle tous les problèmes existants seront laissés en l’état. Il pourrait donc s’agir d’une de ces innombrables tentatives de pacification des régions situées entre le Royaume et l’Empire. Mais le serment prêté le lendemain par Charles II devant Philippe le Bon, représentant du roi d’Angleterre, lui confère une portée bien plus grande. 147 BnF Col. Lor., no 238, f. 2, cité par B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., pièces justificatives, p. 127128. Les deux passages cités par la suite sont également extraits de ce document. 148 Ibid. L’expression « ceux qu’il en a gouvernement » désigne le duché de Bar. Charles II agit donc en son nom propre, mais aussi en celui de son gendre, René d’Anjou, dont la tutelle lui a été confiée.
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aux luttes intestines qui ravagent le Royaume149. Il fait sans doute le constat de l’échec des tentatives de réconciliation menées, entre autres, par Yolande d’Aragon et de l’impossibilité de rester neutre alors que, partout en France, la guerre a redoublé d’intensité depuis le meurtre de Montereau150. Il reste à comprendre pourquoi il tranche en faveur de la Bourgogne et de l’Angleterre et surtout pourquoi il le fait précisément à ce moment-là. Fondamentalement, les raisons du choix opéré par Charles II ne varient pas par rapport aux premières années du xve siècle. Si le mariage d’Isabelle de Lorraine et de René d’Anjou vient tempérer le poids des maisons de Bavière et de Bourgogne dans le réseau d’alliances matrimoniales de la famille ducale de Lorraine, il n’en modifie pas encore la structure en profondeur. D’autre part, la proximité géographique des territoires bourguignons pousse toujours les princes et les seigneurs lorrains à entretenir de bonnes relations avec leur puissant voisin. Enfin, le traité de Foug n’a rien changé aux convictions ni à la culture politique de Charles II. La force des convictions et des réalités géopolitiques maintiennent donc le duc de Lorraine dans l’alliance bourguignonne. Philippe le Bon d’ailleurs semble ne pas avoir éprouvé beaucoup d’inquiétude à ce sujet : rien n’indique en effet qu’il ait tenté une quelconque démarche pour s’opposer à l’arrivée de René d’Anjou en Lorraine. La tutelle exercée par Charles II sur le jeune prince faisait au contraire basculer le duché de Bar dans son parti151. L’entente avec l’Angleterre s’avérait elle aussi absolument indispensable pour que le duc de Lorraine puisse espérer régler selon ses vues la question de sa succession. Elle posait toutefois davantage de problèmes. Le roi Henri V n’était pas aussi bien disposé que le duc de Bourgogne envers un prince qu’il connaissait peu et qui avait refusé de marier sa fille au duc de Bedford, pour lui faire épouser le beau-frère de son rival à la couronne de France152. Il n’avait donc aucun intérêt à permettre que René d’Anjou hérite des principautés de Bar et de Lorraine à la mort de son beau-père, à moins d’obtenir en contrepartie de solides garanties. Charles II de son côté avait tout à craindre de l’hostilité éventuelle du souverain le plus puissant de son temps, capable d’empêcher militairement l’application des clauses de l’accord de Foug. Le seul moyen de prévenir ce danger consistait à lui prêter serment de fidélité non seulement en son nom propre, mais aussi en tant que « mambour et ayant le bail et
149 Voir ci-dessus seconde partie, chapitre 4. Le duc ne s’implique toutefois pas aussi fortement aux côtés des Anglais et des Bourguignons que du temps de Jean sans Peur. Son aide se cantonne aux « marches d’environ ses pays ». En 1406 en revanche, il s’était engagé à répondre à toute convocation du duc de Bourgogne, quelle qu’en soit le lieu et le motif. 150 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 216-221. 151 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 13 : « Cependant, Henri V aussi bien que Philippe le Bon étaient confiants : Louis de Bar avait des sympathies bourguignonnes et Charles II, depuis 1406, était toujours resté fidèle à la cause du duc de Bourgogne ». Toutefois, ce jugement s’applique surtout à la relation entre Charles II et Philippe le Bon. Aux yeux de certains, Louis de Bar passait pour un « Armagnac convaincu ». Quant au roi d’Angleterre, il se montrait plus méfiant que son allié bourguignon à l’égard du comportement du duc de Lorraine. 152 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre.
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gouvernement des duchié et pays de Bar, marquisie du Pont, et conté de Guyse153 ». Cet acte préservait en effet les intérêts de chacune des parties : le roi d’Angleterre comptait désormais deux alliés de plus ; il pouvait en outre se targuer d’être parvenu à ruiner l’unité de la maison d’Anjou en faisant passer l’un de ses membres dans le camp anglo-bourguignon154. En contrepartie, Charles II pouvait espérer qu’Henri V ne s’opposerait pas à la réunion des duchés de Bar et de Lorraine sous l’autorité de René d’Anjou. Mais l’hommage de Charles II au roi d’Angleterre résulte aussi du contexte politique et militaire de ce début d’année 1422. La guerre civile continuait à sévir dans le Royaume et en Lorraine, où plusieurs chefs de guerre de l’un ou de l’autre camp maintenaient un climat d’insécurité permanente. Celui-ci nuisait gravement aux projets du duc de Lorraine, dans la mesure où ils donnaient aux deux adversaires de son gendre, à savoir le duc de Berg et le comte de Vaudémont, la possibilité de recruter très rapidement des troupes de combattants professionnels et expérimentés. Le souci principal de Charles II consista donc bien à cette époque à « épargner à ses États les calamités de la guerre155 », afin de préparer dans les meilleures conditions la succession de sa fille Isabelle et de son mari René d’Anjou. Or, en 1422, seul le parti du duc de Bourgogne et du roi d’Angleterre semble en mesure de pouvoir rétablir la paix dans le Royaume, à plus ou moins brève échéance. Après avoir été vaincues à Baugé, les armées anglo-bourguignonnes ont remporté à Mons-en-Vimeu, l’année précédente, une victoire décisive, qui leur assurait le contrôle de la moitié nord de la France en forçant le dauphin à se replier au sud de la Loire156. Certes, de nombreuses places fortes demeuraient entre les mains des capitaines armagnacs dans le nord-est du Royaume, aux confins de la Lorraine et de la Bourgogne, mais on pouvait espérer que ces bandes isolées et placées sur la
153 BnF Col. Lor., no 238, f. 2. D’un certain point de vue, cet acte liait les mains du roi d’Angleterre visà-vis de René d’Anjou. Henri V ne s’en prendrait pas à un prince qui avait officiellement reconnu le traité de Troyes, alors que le dauphin représentait encore une menace très sérieuse pour la succession au trône de France après la mort du roi Charles VI. 154 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. VIII (introduction). La désunion de la maison d’Anjou n’est toutefois qu’apparente. René n’a pas encore atteint l’âge de la majorité et les décisions le concernant sont prises en son nom par son tuteur, le duc de Lorraine. Enfin, bon nombre de grandes maisons princières se partagent entre les deux camps, sans que cela mette à mal leur unité. Cette stratégie leur permet même de préserver les intérêts familiaux, quelle que soit l’issue finale du conflit. 155 Ch. Aimond, Les relations de la France avec le Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 237-238. L’attitude politique du duc de Lorraine ne constitue qu’une préoccupation annexe dans la perspective d’un tel ouvrage. Mais le désir de paix de Charles II n’est pas vraiment lié au souci du bien-être des populations lorraines, comme l’auteur semble le croire. Il tient avant tout à la volonté d’éviter que les difficultés prévisibles au moment de sa succession n’interfèrent avec les conflits liés à la guerre civile et extérieure dans le royaume de France. 156 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 225-226. Les succès anglais et bourguignons dans les années 1421-1423 leur valent de nombreux ralliements, y compris de la part de farouches opposants au roi d’Angleterre : la lassitude gagne en effet les esprits, face à une guerre qui semble interminable.
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défensive seraient progressivement chassées de leurs derniers repaires157. Charles II s’engagea d’ailleurs auprès du roi d’Angleterre et du duc de Bourgogne à contribuer à la pacification de la région158. On touche sans doute là l’une des motivations profondes de son ralliement. Il faut enfin tenir compte des pressions militaires exercées par les Anglais sur le duché de Bar, dont il avait le gouvernement. Celles-ci se font discrètes, jusqu’en 1422. Mais le compte du châtelain de Dieuze Arnoul Wisse de Gerbéviller fait état, pour la période 1419-1423, de très nombreux passages de troupes dans la châtellenie. Le duc de Lorraine lui demande même de se rendre à plusieurs reprises à Briey, avec le plus grand nombre de chevaux possibles159. Certes, la raison de ces déplacements n’est pas précisée et peut très bien se justifier par les nécessités de la guerre contre le duc de Berg, autant que par les menaces des routiers anglais. Quelque temps plus tard cependant, le duc de Bedford lui-même, devenu régent du Royaume après les morts d’Henri V et de Charles VI en août et octobre 1422, écrit au duc de Lorraine et lui promet de faire cesser les attaques menées par les troupes du comte de Salisbury sur ses territoires : j’ay parlé a beau cousin de Salisbury de la matiere en lui ordonnant de par mon dit seigneur [le nouveau roi Henri VI] et par moy qu’il ne seuffre par les siens quelconque chose desraisonnable estre faicte a voz pays ne subgiez ne a ceulx aussi qui sont en vostre gouvernement160.
Le régent reconnaît donc implicitement que des incursions anglaises ont eu lieu sur les terres de la Lorraine et du Barrois161. Or, cette lettre date du 10 avril 1423, soit près d’un an après l’hommage prêté au roi d’Angleterre par Charles II. Le duc de Bedford précise d’ailleurs qu’il désire faire cesser tout acte de guerre à son encontre, car « […] de vostre bonne voulenté et affeccion sur ce m’est assez apparu, ores et autresfoiz162 », ce qui fait sans doute référence à l’acte du 6 mai 1422. Malgré les nombreuses formules amicales employées par le régent, le ton de ce courrier montre l’atmosphère de méfiance réciproque qui entoure les relations entre le duc
157 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 242-246. Quatre chefs de bande combattent encore dans la région pour le compte du dauphin. Outre Robert de Baudricourt, le célèbre capitaine de Vaucouleurs, Guillaume de Flavy détient les forteresses de Mouzon et de Beaumont-en-Argonne ; Édouard de Grandpré et Eustache de Vernancourt ont, quant à eux, installé des garnisons à Grandpré, La Ferté-sur-Chiers, Dannevoux, Malancourt et Passavanten-Argonne (à ne pas confondre avec Passavant-la-Rochère, dont nous avons parlé précédemment). 158 Voir le texte du serment prêté par Charles II ci-dessus dans ce même chapitre. 159 A.D.M.M. B 5241, f. 12. Ce compte récapitule les dépenses faites par le châtelain pour subvenir aux besoins des gens de guerre de passage à Dieuze entre 1419 et 1423. Il témoigne ainsi d’une activité militaire permanente dans le duché au cours de ces quatre années. En 1421 par exemple, Arnoul Wisse se rend deux fois consécutivement à Briey, avec une troupe de 34, puis de 52 cavaliers. 160 BnF Col. Lor., no 6, f. 157, cité par S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves supplément no XXIV, p. 317-318. 161 C’est toujours cette principauté que désigne en effet l’expression « ceulx aussi qui sont en vostre gouvernement ». 162 BnF Col. Lor., no 6, f. 157.
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de Lorraine et le roi de France et d’Angleterre163 : Bedford prend acte de ce que Charles II a toujours été personnellement fidèle à l’alliance bourguignonne, mais il demeure vigilant pour l’avenir. En se ralliant au parti anglo-bourguignon, le duc de Lorraine a donc à la fois agi par conviction, par rapport à la Bourgogne, et par opportunisme, par rapport à l’Angleterre. Son geste lui permet en effet d’obtenir l’accord tacite des ducs de Bedford et de Bourgogne quant à la succession de René d’Anjou dans les duchés de Bar et de Lorraine164. Pour autant, ces deux princes ne lui accordent pas un chèque en blanc, loin de là. Il lui reste donc à accomplir la tâche peut-être la plus difficile : faire de son gendre un ami de l’Angleterre et de la Bourgogne. René d’Anjou : un prince angevin en terre bourguignonne (1424-1429)
L’acte accompli le 6 mai 1422 désamorça l’éventualité d’une l’hostilité du roi d’Angleterre à l’égard du traité de Foug. Il ne donna cependant qu’un sursis au duc de Lorraine. L’arrivée de René d’Anjou à l’âge de la majorité reposa la question de l’orientation politique du duché de Bar et, à terme, de celui de Lorraine. René en effet put désormais parler en son nom propre. Le lent glissement de René d’Anjou vers le parti anglo-bourguignon (1424-1429)
Né le 19 janvier 1409165, René a quinze ans au début 1424, âge auquel Charles II devait lui remettre le gouvernement du duché de Bar, selon les termes de l’accord conclu à Foug. Sa mère Yolande de Bar l’émancipa le 4 janvier 1424 et, quelques mois plus tard, le 12 août, il sortit de la tutelle de son beau-père166. La même année, Isabelle de Lorraine fit sa première entrée dans la ville de Pont-à-Mousson et la solennité des fêtes qui marquèrent cet événement laisse penser que l’investiture de René d’Anjou 163 Ibid. Le début de la lettre commence par un échange de nouvelles sur l’état de santé respectif des deux princes : « j’ay receu voz lettres que derrainement m’avez envoyées par lesquelles m’avez moult gracieusement signiffié l’estat de vostre personne, la maladie que vous avez eue et le recouvrement de voste santé et garison, qui m’a esté parfaicte joye et consolacion et dont je vous remercie de tres bon cuer. Et se du mien estat vous plaist savoir, a la faisance de cestes, estoye en tres bonne prosperité de ma personne graces a Nostre Seigneur qui le semblable par son doulz plaisir vueille octroyer comme pour moy mesme le vouldroye souhaidier. » Bedford ironise visiblement sur le rétablissement de Charles II depuis qu’il a juré de respecter le traité de Troyes. La fin du texte montre cependant sa volonté d’entretenir avec lui des relations amicales et chaleureuses : « Hault et puissant prince, tres chier et tres amé cousin, s’aucune chose vous est aggreable que pour vous faire puisse, signifiez la moy, et je l’accompliray de tres bon cuer […] ». 164 Ibid. La missive du duc de Bedford ne fait aucune allusion au gendre de Charles II ni à la succession du duché de Lorraine. Mais elle évoque certaines « matieres et quereles » existant entre le régent et le duc. Or il y a tout lieu de penser que le mariage d’Isabelle de Lorraine avec un membre d’une famille ennemie du roi d’Angleterre constitue l’une des pommes de discorde les plus sérieuses entre les deux personnages. 165 C. de Mérindol, Le roi René et la seconde maison d’Anjou, op. cit., p. 55. 166 É. Duvernoy, « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar (1419-1431) », art. cit., p. 65-66.
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eut peut-être lieu par la même occasion167. Il exerçait désormais personnellement le pouvoir dans le duché de Bar et dans le comté de Guise. À son tour, il lui fallait choisir son camp. Les Anglo-Bourguignons ne lui laissèrent guère de répit. Dès le mois d’avril 1424, ils firent mettre le siège devant la ville de Guise, en Thiérache168. En s’attaquant au comté de Guise, possession qui lui venait de son père Louis II d’Anjou169, Philippe le Bon et le duc de Bedford font clairement comprendre à Charles II qu’ils tiennent son gendre pour un ennemi et qu’ils ne se contentent plus désormais du serment de fidélité prononcé en son nom par le duc de Lorraine, deux ans auparavant. Au même moment en effet, Antoine de Vergy multipliait les incursions dans le Bassigny, l’un des bailliages du duché de Bar, et de nombreux indices concordants laissaient présager une invasion du Barrois par les Anglais et les Bourguignons170. Cette agression plaçait Charles II et René dans une situation très délicate. Répondre à l’appel à l’aide du capitaine de Guise revenait à affronter directement les Anglo-Bourguignons, alors qu’ils régnaient en maîtres dans la région depuis plusieurs années. Mais laisser faire risquait de provoquer la chute de la ville et la perte du comté pour René d’Anjou. Face à un tel dilemme, Charles II rassembla quelques troupes pour « empeschier le siege qui […] a esté mis devant Guise » et écrivit au duc de Bedford pour défendre les droits de son gendre171. La réponse du régent anglais,
167 Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 182 : « Item, en la dite année, le Ve jour du moix de febvrier, ma damme la duchesse de Bar, fille du duc Charles de Loherenne, fist sa premiere venue et antrée au Pont a Mousson. Auquelle lieu y olt moult de vaillant chevalier et escuier et aultre vaillans gens, citoiens et bourgeois, qui joustairent et firent grant feste. » Cette cérémonie se déroula environ six mois avant que la « mainbournie » de Charles II sur son gendre ne soit officiellement levée. Mais la première entrée d’un prince ou d’une princesse dans sa capitale marque généralement le début de son gouvernement personnel, et il y a tout lieu de croire qu’Isabelle de Lorraine était accompagnée de son mari pour la circonstance. Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., p. 482, article : « entrées », écrit par N. Coulet. 168 L. Douët d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. IV, p. 184-185. Guise se situe à environ 30 km à l’est de Saint-Quentin, en Picardie, non loin du comté de Flandre, dans une région où la domination bourguignonne est solidement établie. En outre, le capitaine de la place, Jean de Proisy, ancien précepteur de René d’Anjou, a toujours servi la cause de Charles VII. Toutes ces raisons expliquent que Philippe le Bon ait jugé intolérable la présence d’une telle garnison à proximité immédiate de ses territoires. 169 Voir ci-dessus dans ce même chapitre. 170 S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves, p. 104 et 130. À trois reprises, en juin, septembre et novembre 1424, d’importants rassemblements de troupes anglo-bourguignonnes sont signalés aux confins de la Champagne et du Barrois. Antoine de Vergy, quant à lui, compte parmi les principaux chefs de guerre bourguignons dans la région à cette époque. Plus tard, il sera même nommé capitaine général des armées anglaises en Champagne et en Brie. Tout indiquait donc que Philippe le Bon et Henri V se préparaient à une attaque en règle contre le duché de Bar. 171 Cette réaction du duc de Lorraine nous est connue par le biais de la lettre que le duc de Bedford lui envoya quelques jours plus tard (BnF Col. Lor., no 6, f. 159, document publié par S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves supplément, no 21, p. 322-323). Le régent de France affirme avoir « eue congnaissance comment vous vous estes efforcié, si comme encore vous efforcez, de faire assemblée de gens pour faire guerre ou royaume de monseigneur le roy » pour « ce que vous maintenez que c’est l’eritaige de vostre dit filz ».
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menaçante, traduit l’hostilité désormais ouverte de la double monarchie française et anglaise et de la Bourgogne à l’égard de René d’Anjou. À propos des droits de René sur le comté de Guise, Bedford répliqua que « par adventure vostre filz est plus contens que les diz ennemis le tiengnent que mon dit seigneur ou ses gens », et que ce n’est pas l’entencion de mon dit seigneur de souffrir quelconque personne que ce soit avoir terre en son royaume, se il lui est ennemi et adversaire et s’il ne lui fait recongnoissance, service et obeissance comme il appartient : et par plus forte raison n’y doit pas souffrir place ne forteresses faisans guerre, nuisance et dommaige a lui et a ses subgiez, comme ont fait ceulx de Guise et plusieurs du pays de Barroiz qui ont recepté et receptent chascun jour les diz ennemis et adversaires172.
Il lui conseilla naturellement, pour finir, de ne pas s’opposer à la volonté du roi, en rappelant à la fois son statut de vassal de la couronne de France et sa constante fidélité, jusque-là, au duc de Bourgogne. René apparaît donc ici comme un adversaire nommément désigné du roi de France et d’Angleterre. En réalité, la rupture n’est pas définitive et cette lettre, tout comme le siège du comté de Guise, représente surtout un avertissement lancé au duc de Bar et, par voie de conséquence, à son beau-père, pour leur faire connaître ce qu’il leur en coûterait de faire obstacle aux intérêts de l’Angleterre et de la Bourgogne. La suite des événements montra clairement que Charles II avait fort bien compris le message. Il n’avait d’ailleurs pas vraiment le choix. Une expédition en direction de Guise aurait tenu du suicide politique, en l’entraînant dans une guerre avec les deux puissances dominantes de la région, qui auraient alors pu appuyer les prétentions du comte de Vaudémont à sa succession. Qui plus est, une telle opération aurait été militairement très risquée, étant donné la disproportion des forces en présence et la distance qui sépare la ville des duchés de Bar et de Lorraine Après quelques hésitations, Charles II décida donc de ne pas secourir la place, afin de préserver l’essentiel, c’est-à-dire l’avenir de René d’Anjou en Lorraine173. La garnison capitula en septembre 1424 et le duc de Bedford investit du comté Jean de Luxembourg, l’un des principaux chefs de guerre anglo-bourguignons,
172 BnF Col. Lor., no 6, f. 159. Dans un autre passage, le régent formule ses griefs contre le comte de Guise et le duc de Lorraine d’une manière encore plus précise : « Et me semble que, passé a quatre ans, vous aviez plus grant cause de faire assemblée pour recouvrer le dit Guise que tenoient les diz ennemis, dont estoit capitaine Olivier Leet, l’un des principaulx murdriers de feu beau pere de Bourgongne, que n’avez pour le present pour empeschier que les gens de mon dit seigneur ne mettent en son obeissance le dit Guise. » La maison d’Anjou, et René avec elle, passe désormais, aux yeux du duc de Bedford, pour la protectrice des assassins de Jean sans Peur à Montereau. Et le duc de Lorraine, en soutenant les prétentions de son gendre sur le comté de Guise, devient à son tour le complice des Armagnacs. 173 L. Douët d’Arcq, La chronique d’Enguerran de Monstrelet, op. cit., t. IV, p. 185. Les duchés de Lorraine et de Bar n’ont pas les moyens de résister à une éventuelle offensive anglo-bourguignonne. Charles II et René auraient donc tout à perdre à engager l’épreuve de force. Mais le chroniqueur s’empresse d’ajouter que le siège de la ville de Guise et les menaces du duc de Bedford « despleurent moult a iceulx ducz ».
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en récompense de ses bons et loyaux services174. Durant toute cette affaire, il est remarquable de constater à quel point René resta à l’écart de ces tractations. Le duc de Lorraine continua de parler en son nom, bien qu’il fût désormais majeur. Naturellement, son inexpérience, la complexité de la situation, l’importance de l’enjeu et surtout l’inimitié du régent à son égard justifient que Charles II ait pris personnellement les choses en main. Mais tout cela montre également que la tutelle que le duc de Lorraine exerçait sur son gendre ne se relâcha pas dans les faits, même après son émancipation. La question des rapports de René d’Anjou avec le parti anglo-bourguignon n’était cependant toujours pas réglée. Seule son adhésion à la double monarchie franco-anglaise rendrait envisageable un rapprochement franc et durable et lui procurerait le soutien éventuel d’Henri VI et de Philippe le Bon pour la succession du duché de Lorraine. Mais un tel geste allait à l’encontre de ses attaches familiales et de ses sentiments personnels et René ne put s’y résoudre. Peut-être même Charles II ne le lui demanda-t-il pas, considérant qu’une telle soumission publique au roi d’Angleterre nuirait à l’honneur de son gendre, après la perte du comté de Guise175. Fort heureusement pour lui, au même moment, Philippe le Bon et Charles VII, qui n’avaient jamais totalement rompu les négociations, signèrent à Chambéry un protocole d’accord établissant entre eux une trêve reconduite par la suite jusqu’en 1428, et dans lequel, pour la première fois, le duc de Bourgogne attribuait à son ennemi le titre de roi de France176. Un tel traité n’engageait certes en rien le roi d’Angleterre, mais il limitait considérablement sa marge de manœuvre, notamment en Lorraine, région placée dans la sphère d’influence bourguignonne. Le danger d’une offensive en règle sur le duché de Bar paraissait provisoirement écarté, sans que René ait eu à choisir entre les deux prétendants à la couronne de France. En revanche, l’insécurité persistait aux frontières du duché, où les capitaines anglais, bourguignons et armagnacs poursuivaient la lutte, indépendamment bien souvent des pactes conclus par les princes au nom desquels ils combattaient. À partir de 1424, la situation devient très confuse, dans le royaume de France comme en Lorraine. Sans être aucunement réconciliés, Charles VII et Philippe le Bon ont renoué le dialogue. Les combats continuent en revanche entre les deux prétendants au trône de France, mais ils perdent quelque peu en intensité. Pour compliquer le tout, les capitaines à la solde de l’un ou de l’autre camp jouent leur carte personnelle : pour pouvoir se maintenir sur le pied de guerre, ils doivent vivre sur le pays ou se trouver
174 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 14. Jean de Luxembourg, comte de Ligny, défenseur d’Arras en 1414, chevalier de la Toison d’Or de la première promotion, compte parmi les plus chauds partisans de l’alliance anglo-bourguignonne. Il se rendra également célèbre par la capture de Jeanne d’Arc, quelques années plus tard. B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 265. 175 L. Clouet, Histoire de Verdun et du pays verdunois, 3 vol., Verdun, 1867-1870 (t. III, p. 604 et 605), affirme que René d’Anjou a prêté hommage au roi de France et d’Angleterre Henri VI dès le mois de mai 1425. Cette opinion, reprise par plusieurs autres historiens et biographes de René d’Anjou, repose sur une erreur de datation d’un acte établi le 5 mai 1429 (A.N. J 582, no 27), dont il sera question plus loin. 176 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 246.
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un employeur177. Dès lors, bien des villes et des princes cherchent à se mettre à l’abri des attaques en louvoyant entre les différents partis en présence, à l’image de la cité de Verdun qui, placée officiellement sous la sauvegarde de Charles VII depuis 1423, abandonnée en fait à elle-même et exempte de toute redevance depuis 1425, avait fait plus ou moins cause commune avec les Anglo-Bourguignons178. Il faut tenir compte de cette complexité extrême pour comprendre la position des ducs de Bar et de Lorraine à l’égard de la France, de la Bourgogne, de l’Angleterre et surtout des différents chefs de guerre au cours de cette période. Le rapprochement de Charles VII et de Philippe le Bon avait momentanément éloigné la menace bourguignonne, mais il n’éliminait pas le danger anglais. Le duc de Bedford souhaitait maintenir la pression qu’il exerçait sur René d’Anjou, pour le contraindre à se rallier à lui. L’abandon du comté de Guise par René et Charles II ne mit donc pas fin aux incursions des troupes anglaises dans le Barrois et dans le duché de Lorraine. De 1425 à 1428, les attaques d’Antoine de Vergy dans le Bassigny et dans le sud du duché de Lorraine ne cessèrent pas, provoquant de gros dégâts, notamment dans la région de Darney et de Dompaire179. Les hommes de Villiers de l’Isle-Adam, maréchal des armées anglo-bourguignonnes, s’en prirent aussi au château de Louppy, dont le cardinal Louis de Bar s’était réservé la propriété à titre viager au moment où il avait cédé le duché à son fils adoptif180. Enfin, d’autres mercenaires, moins prestigieux mais tout aussi redoutables, vinrent seconder ces deux hommes, comme Guillaume de Châteauvillain ou Charles de Cervolles, le fils du célèbre archiprêtre qui avait déjà dévasté la Lorraine au cours des années 1360181. Louis de Bar et René d’Anjou de leur côté firent appel aux services de certains capitaines armagnacs, tels Eustache de Vernancourt, mais le déséquilibre des forces en présence dans la région s’avérait
177 Ibid., p. 236-250. 178 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 249. 179 S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves, p. 147 et 159. Les comptes du duché de Bar signalent plusieurs coups de main opérés par les Anglais dans le Bassigny au cours de l’année 1425. L’année suivante, Charles II confirme un vidimus des donations faites par les ducs de Lorraine au prieuré de Relanges, en précisant que l’acte original avait disparu lors de l’incendie de la ville de Darney par les hommes d’Antoine de Vergy [A.D.V. VIII H 3, no 9 (12)]. Enfin, le compte des bailliages de Nancy et des Vosges établi pour l’année 1426-1427 fait état de la destruction des fours et des étangs de la châtellenie de Dompaire et des vignes de celle de Châtenois. Quant à la recette de la prévôté de Darney, elle est entièrement consacrée à la reconstruction du château (A.D.M.M. B 1920, f. 8 et 19). 180 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 243-244. En 1425, le châtelain de Louppy demande au cardinal de Bar de lui envoyer du secours, car « les Angloix avoient bouté feux a Revigny et ou ban de Chaulmont » (A.D. Meuse, B 1316, f. 125), deux villages situés à quelques kilomètres seulement de la forteresse. 181 A.D.M.M. B 523, no 362. Le 15 mars 1425 (n. st.), Charles de Cervolles, libéré par le duc de Lorraine, promet de ne plus s’attaquer aux terres du duché. Guillaume de Châteauvillain semble, lui aussi, avoir eu maille à partir à plusieurs reprises avec Charles II : le 14 janvier 1424 (n. st.), les deux hommes nomment des arbitres pour vider leur querelle à l’amiable (BnF Col. Lor., no 249, f. 15). Mais dixhuit mois plus tard, le 15 octobre 1425, une nouvelle journée de négociation qui se tient à Jonvelle, à la frontière de la Lorraine et de la Bourgogne, montre que le différend n’est toujours pas réglé (A.D.M.M. B 631, no 102).
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trop important182. En 1428, les hommes d’armes rassemblés par René pour défendre les frontières du Barrois furent mis en déroute par Antoine de Vergy183. Pour le duc de Bar, le risque majeur résidait donc dans l’imbrication entre les conflits internationaux et les querelles internes à l’espace lorrain. Les Anglais naturellement n’ignoraient rien des prétentions du comte de Vaudémont sur la succession du duché de Lorraine et comprirent immédiatement tout le profit qu’ils pouvaient en retirer, d’autant qu’Antoine de Lorraine s’était toujours montré un fervent défenseur de la cause anglo-bourguignonne. Dès le 11 octobre 1425, il passa une alliance avec le sire de Châteauvillain et Antoine de Vergy pour obtenir leur aide contre les ducs de Bar et de Lorraine qui venaient de lui déclarer la guerre184. On comprend mieux dès lors l’impossibilité pour Charles II et René de venir à bout de la résistance du comte de Vaudémont. Antoine de Lorraine bénéficia du soutien sans faille du roi d’Angleterre, qui lui distribua très largement rentes et seigneuries en récompense de ses « grands, nobles et aggreaubles services185 ». Mais il savait aussi pouvoir compter sur la complicité bienveillante de Philippe le Bon. En effet, si les compagnies qui ravageaient les duchés de Bar et de Lorraine combattaient au nom d’Henri VI, bon nombre de leurs chefs étaient bourguignons186. Et à plusieurs reprises au cours de la période, Philippe le Bon intervint en leur faveur, pour obtenir leur libération, alors qu’ils avaient été faits prisonniers par Charles II, ou pour contraindre ce dernier à négocier une trêve, alors qu’ils se trouvaient dans une position difficile187. S’il voulait
182 A.D.M.M. B 850, no 17 : le 18 octobre 1425, Eustache de Vernancourt s’engage à servir Louis de Bar et René d’Anjou contre tous leurs adversaires, excepté le roi de France Charles VII, moyennant une pension annuelle de cent livres tournois. Cette alliance procurera toutefois bien peu de satisfaction aux deux princes, car Eustache consacrera beaucoup plus de temps à piller les terres de l’évêché et de la ville de Verdun qu’à défendre les frontières du Barrois contre les troupes anglo-bourguignonnes. 183 S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves, no CLXXVIII, p. 212. 184 Ibid., Preuves no CXIX, p. 168-169. Cet accord place René d’Anjou et Charles II dans une position très délicate, car il relie la question de la succession du duché de Lorraine à la guerre civile et extérieure qui sévit dans le royaume de France. Or, depuis la conclusion du traité de Foug, tous les efforts de Charles II tendaient à maintenir la Lorraine à l’écart des conflits internationaux. 185 Ibid., Preuves, p. 162 et 194, et M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », op. cit., p. 202-203. Il s’agit pour l’essentiel de terres situées dans le royaume de France et confisquées à des partisans de Charles VII. Le roi Henri VI déclare aussi vouloir dédommager Antoine de Lorraine des pertes importantes qu’il a subies. Peut-être fait-il ici allusion aux dégâts causés par René d’Anjou et Charles II dans le comté de Vaudémont entre 1425 et 1428. 186 Antoine de Vergy notamment est un « bourguignon de Bourgogne », issu d’une famille présente à la cour ducale depuis le règne de Philippe le Hardi (B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 151). Quant à Jean de Villiers, seigneur de l’Isle-Adam, il est nommé gouverneur du comté de Hollande par Philippe le Bon en 1426 (B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 263). Tous deux appartiennent par ailleurs à la première promotion des chevaliers de l’ordre de la Toison d’Or, fondé en 1430 (Ibid., p. 296). 187 En 1425, Charles de Cervolles affirme avoir été libéré par le duc de Lorraine grâce à l’entremise de Philippe le Bon (A.D.M.M. B 523, no 362). Quelques mois plus tard, lors des négociations qui se déroulent à Jonvelle entre René d’Anjou et Charles II d’une part, et Robert de Sarrebruck et Guillaume de Châteauvillain de l’autre, les procureurs des ducs de Bar et de Lorraine font allusion à un précédent compromis élaboré « par la main de tres hault et puissant prince nostre tres redoubté seigneur monseigneur le duc de Bourgongne » (A.D.M.M. B 631, no 102).
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pouvoir recueillir sans trop de difficulté l’héritage de son beau-père, René d’Anjou devait donc absolument se rapprocher du parti anglo-bourguignon, pour briser l’alliance déjà formée entre l’Angleterre et son rival et celle qui se dessinait entre le duc de Bourgogne et Antoine de Lorraine. Face à ses ennemis bourguignons et anglais, le duc de Bar ne disposait d’ailleurs pas vraiment de moyens de défense appropriés. Les troupes que lui et son beau-père pouvaient rassembler, loin d’être négligeables, ne pouvaient égaler celles de ses adversaires en importance ou en qualité. Quant aux hommes de guerre armagnacs, ils n’avaient ni la capacité ni la volonté de protéger efficacement les frontières du Barrois et de la Lorraine. Bien souvent, ils se montrèrent même aussi agressifs envers René d’Anjou et Charles II que les soldats anglais et bourguignons. Plusieurs facteurs expliquent cet état de fait. La faiblesse et l’isolement de ces capitaines dans une région fondamentalement hostile les obligeait à vivre sur le pays et à défier par là-même l’ordre que les forces politiques locales tentaient de maintenir ou de restaurer. Déçus par l’attitude hésitante de René d’Anjou et de Charles II et par leur ralliement officiel au roi d’Angleterre en 1422, ils se montrèrent beaucoup moins soucieux de ménager les terres du duché de Bar qu’ils ne l’étaient quelques années plus tôt, lorsque le duc Édouard faisait figure de chef du camp des Armagnacs en Lorraine et à Paris188. Depuis les débuts de la guerre civile d’ailleurs, les ducs de Bar avaient multiplié les dettes envers eux, et ils en demandaient maintenant le remboursement, l’épée à la main. Robert de Sarrebruck constitue de ce point de vue un cas d’école. Fils d’Amé de Sarrebruck, fidèle serviteur de Louis d’Orléans puis d’Édouard de Bar, il hérite du tempérament belliqueux de son père, dont il suit également les convictions politiques, ce qui le conduit très vite à s’opposer au duc de Lorraine, mais également à Louis de Bar et à René d’Anjou, coupables selon lui de ne pas honorer les engagements de leurs prédécesseurs. En 1423, il réclame à Charles II, en tant que tuteur du duc de Bar, une somme globale de 87 450 francs. Il justifie cette demande par les frais encourus lorsqu’Édouard avait confié à Amé de Sarrebruck le gouvernement du duché de Bar. Depuis treize ans également, sa rente annuelle de 100 livres de terre ne lui est plus versée. Enfin, les châtellenies de Pierrepont et de Conflans-en-Jarnisy, qui avaient été engagées par Isabelle et Édouard de Bar à Amé de Sarrebruck pour le récompenser de son aide et le dédommager de ses pertes, ont été injustement confisquées par son successeur189. On se rappelle en effet que, sitôt après la mort de son frère, Louis de Bar s’était rapproché des ducs de Lorraine et de Bourgogne190 : dès lors, la famille de Sarrebruck, dont l’engagement au côté des Armagnacs les plus intransigeants était
188 Voir ci-dessus seconde partie, chapitre 4 et ci-dessus dans ce même chapitre. 189 A.D.M.M. B 629, no 168. Ce document contient le détail des sommes dont Robert de Sarrebruck exige le remboursement. Les dettes de la maison de Bar à l’égard de son père remontent selon lui à l’année 1409. Cette date coïncide avec le début de la guerre ouverte entre Armagnacs et Bourguignons dans le Royaume. À plusieurs reprises en effet, le duc Édouard avait convoqué Amé de Sarrebruck en France, pour servir à ses côtés. Il lui avait aussi demandé de lever des troupes en son nom pour organiser la défense du duché de Bar. À chaque fois, le damoiseau de Commercy avait dû avancer les frais nécessaires à de telles opérations. 190 Cf. ci-dessus dans ce même chapitre.
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notoire, devenait un obstacle pour la réalisation des projets politiques du cardinal, qui avait annulé toutes les faveurs qu’Édouard lui avait précédemment octroyées191. [Les notes de révision font ici allusion à la nécessité de se référer aux travaux de Valérie Toureille] Cette décision donna lieu à un conflit entre le damoiseau de Commercy et les ducs de Bar et de Lorraine, qui se prolongea tout au long des années 1420. Après l’échec d’un premier compromis en 1422192, Charles II et René, aidés par les hommes du sire de Châteauvillain, mirent le siège devant la ville de Commercy et, en 1423, contraignirent Robert de Sarrebruck à renoncer à ses exigences193. Mais quelques mois plus tard, Robert reprit la lutte, en s’alliant cette fois avec Guillaume de Châteauvillain194. Les hostilités, faites de coups de main, de razzias et de chevauchées sur les terres de la Lorraine et du Barrois et entrecoupées de plusieurs trêves et arbitrages, se prolongèrent jusqu’en 1427 et même au-delà du règne de Charles II195. Les autres chefs de bande à la solde de Charles VII ne se comportaient pas différemment à l’égard du duché de Bar. En 1424-1425, René d’Anjou se trouva aux prises avec Eustache de Vernancourt qui, depuis sa forteresse de La Ferté-sur-Chiers terrorisait les populations de la ville et de l’évêché de Verdun, placées sous la double protection des ducs de Bar et de Lorraine. Et en septembre 1424, précisément au moment où la garnison de Guise capitulait, La Hire et Forte-Épice tentèrent conjointement de prendre d’assaut les châteaux de Lamarche et de Souilly196. Attaqué
191 A.D.M.M. B 629, no 168. À la mort d’Édouard, Louis de Bar s’était emparé du château de Pierrepont et de la forteresse de Conflans-en-Jarnisy, confiée à Winchelin de la Tour. Par la suite, René d’Anjou avait fait raser Pierrepont et avait levé à son profit les revenus de la châtellenie. Aucune des autres dettes contractées par Édouard de Bar envers Amé de Sarrebruck n’avait bien entendu été honorée. 192 A.D.M.M. B 629, no 126. Selon les termes de cet accord, conclu le 24 septembre 1422, le duc de Lorraine, au nom de son gendre René d’Anjou, reconnaissait la rente annuelle que Robert de Sarrebruck avait réclamée au cardinal Louis de Bar. Il acceptait même d’en doubler le montant, à condition que Robert lui prête hommage et soit désormais davantage enclin à le servir. 193 S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves no LIII, p. 101, et Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 180 : « Item, aucy en celle meisme année [1423], le duc Charles de Loherenne constraindit tellement le damoiseaulx de Commersy, nommés Robert, lequel alors luy estoit rebelle, qu’il le fist venir a mercy et a soy humilier. Car a l’ayde du dit duc Charles estoit venu le sire de Chasteaulx Villain avec VIIIc compaignon d’armes bien armés et en point. » 194 Dès le 14 janvier 1424, Robert de Sarrebruck et Guillaume de Châteauvillain obtinrent de Philippe le Bon la nomination d’une commission d’arbitrage pour régler à l’amiable les litiges qui les opposaient aux ducs de Bar et de Lorraine (BnF Col. Lor., no 249, f. 15). Il ne faut pas s’étonner d’une telle collusion entre le damoiseau de Commercy et le parti bourguignon. Robert de Sarrebruck, comme tous les autres chefs de guerre de l’époque, savait faire passer ses intérêts personnels avant ses convictions politiques. Quant au duc de Bourgogne, il tenait là une excellente occasion d’exercer une pression supplémentaire sur René d’Anjou et Charles II. 195 A.D.M.M. B 629, no 133. Un traité, signé le 16 novembre 1427, était censé régler définitivement les litiges entre le damoiseau de Commercy et les ducs de Bar et de Lorraine. Mais le 18 janvier 1432, soit un an après la mort de Charles II environ, René accepta une nouvelle fois de transiger à l’amiable avec Robert de Sarrebruck à propos des compensations dues à son père par les ducs de Bar pour les pertes subies et les frais engagés au cours de la guerre civile (BnF Col. Lor., no 294, f. 16). Depuis 1423, le règlement de cette question n’avait donc pas avancé d’un pouce. 196 S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, op. cit., Preuves, n°s LXXIII et LXXIV, p. 115.
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à la fois par les Anglais et par les Armagnacs, menacé par les Bourguignons, René se trouvait dans une situation identique à celle de son beau-père quelques années plus tôt : le contexte géopolitique et la nécessité de sauver le traité de Foug le forcèrent, progressivement et contre son gré, à se ranger dans le camp anglo-bourguignon. Ce ralliement se fit par étapes. Le comportement des hommes de guerre de Charles VII et d’Henri VI dans le Barrois et le Verdunois représentait un véritable défi à l’autorité encore mal assurée de René d’Anjou. Face aux agressions des routiers anglais, Charles II lui avait déjà conseillé de ne pas réagir trop violemment, afin de ne pas leur fournir de prétexte pour une offensive généralisée contre le duché de Bar. Les capitaines armagnacs en revanche étaient moins puissants : les déloger de leurs repaires présentait le double avantage de pacifier quelque peu la région et de donner des gages au duc de Bourgogne et au roi d’Angleterre. Telles furent sans doute les raisons qui décidèrent Charles II à envoyer en 1424 le comte de Salm, gouverneur du duché de Bar, assiéger les forteresses de Dannevoux et de Malancourt, occupées par les troupes d’Eustache de Vernancourt. L’année suivante, René en personne, aidé par les bourgeois de Verdun, s’empara du château de La Ferté-sur-Chiers, dont la garnison était commandée par La Hire pour le compte du sire de Vernancourt197. Cette campagne s’interrompit par la suite, sans doute en raison des trêves signées entre Charles VII et la Bourgogne, que René ne souhaitait pas rompre198. Jusqu’alors cependant, le duc de Bar avait agi pour son propre compte. Mais lorsqu’en 1428 les Anglais entreprirent de débarrasser définitivement les confins de la Champagne et de la Lorraine de la présence de garnisons ennemies, René fit un pas décisif en leur direction. Par l’intermédiaire de Louis de Bar, son père adoptif, il conclut une trêve avec Jean de Luxembourg, puis décida de mener, de concert avec les Anglo-Bourguignons, une campagne contre trois des derniers mercenaires à la solde de Charles VII, Guillaume de Flavy, Eustache de Vernancourt et Édouard de Grandpré. Successivement, les places de Mouzon, Beaumont-en-Argonne, Passavant-en-Argonne, Neuville et Grandpré furent enlevées. Au printemps 1429, seuls Robert de Baudricourt et la forteresse de Vaucouleurs demeuraient fidèles au « roi de Bourges » dans la région. Pour la première fois, les troupes anglaises avaient combattu aux côtés de celles de René d’Anjou199. Cela préfigurait son adhésion officielle à la cause de la double monarchie franco-anglaise. Une nouvelle fois, le cardinal de Bar fit office d’intermédiaire : le 5 mai 1429, Louis prêta solennellement hommage au duc de Bedford, régent du Royaume et au roi Henri VI pour la partie du duché de Bar relevant de la France200.
197 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 242. 198 Les accords de Chambéry prévoyaient notamment que le duc de Bourgogne ne tenterait rien contre les places-fortes que détenait encore Charles VII aux confins de la Champagne et du Barrois. Le maintien de ce statu quo ante avantageait René d’Anjou, car il mettait le duché de Bar à l’abri d’une attaque en règle de la part des Anglo-Bourguignons. 199 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 245-246. 200 A.N. J 581, no 27. Depuis 1301, les ducs de Bar reprenaient en fief du roi de France la moitié occidentale de leur principauté, appelée « Barrois mouvant » (cf. ci-dessus première partie, chapitre 3). Jusqu’au 5 mai 1429, les Anglais considéraient donc René d’Anjou comme un vassal rebelle à l’autorité de son seigneur.
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Il le fit au nom du duc René qui lui avait donné procuration et qui confirma par écrit, quelque temps plus tard, tous les actes que son père adoptif avait accomplis en son nom201. Après cinq années de pressions ininterrompues, les Anglais étaient parvenus à détourner le duc de Bar, héritier du duché de Lorraine, de la cause de son beau-frère, le roi Charles VII. Le contexte politique et militaire de l’époque joua bien évidemment un très grand rôle dans cette évolution. Mai 1429 correspond en effet à la période la plus critique du règne de Charles VII, lorsque les Anglais assiégeaient Orléans et tentaient de forcer sa ligne de défense, établie sur la Loire202. Un an plus tôt, René lui-même avait été vaincu par les hommes d’Antoine de Vergy. En Lorraine, la santé de Charles II se détériorait, laissant entrevoir une succession prochaine. René crut-il que l’offensive anglaise de 1428, dirigée contre les garnisons armagnaques, allait se poursuivre par la conquête du Barrois ? Fut-il finalement convaincu par les arguments du duc de Lorraine, qui devait lui suggérer de se ranger dans le camp du plus fort ? Songea-t-il enfin que seule la reconnaissance du roi Henri VI pourrait épargner à ses États les ravages d’une guerre meurtrière ? Cette dernière raison joua sans doute un rôle décisif, si l’on en croit du moins les motivations de l’acte d’hommage, dans lequel Louis de Bar affirme avoir œuvré pour maintenir l’« amitié, union, voisinage, concorde et communication » entre ceulx dudit Royaume de France et ceulx dudit pays de Barrois et autres subjets de nous et de nostre dit neveu, tant en fait de marchandises comme autrement, en telle maniere que doresenavant, toutes voyes de fait et de guerre cessent entre ceulx desdis pais […]203.
La réalité géopolitique s’imposait donc à René d’Anjou tout comme elle s’était imposée à Charles II. Mais à la différence de ce dernier, René, lui, agissait manifestement à contrecœur : répugnant à s’agenouiller lui-même devant le roi Henri VI, il avait envoyé le cardinal de Bar effectuer ce geste à sa place. Le duc de Lorraine quant à lui avait tout lieu d’être satisfait. Le ralliement de son gendre au parti anglo-bourguignon allait dans le sens de ses préférences personnelles et, surtout, il permettait d’envisager beaucoup plus sereinement l’avenir. Le duc de Bedford comme Philippe le Bon ne pourraient plus arguer de l’appartenance de René d’Anjou au camp adverse pour soutenir les prétentions du comte de Vaudémont à la succession de Lorraine. Mieux, ils auraient tout intérêt à ne pas se mêler de la question, pour ne pas susciter en retour l’intervention des partisans de Charles VII. Au terme d’une décennie de manœuvres politiques et diplomatiques pour le moins délicates, Antoine de Lorraine paraissait isolé, à l’intérieur comme à l’extérieur du duché. Pourtant, trois
201 A.N. J 582, no 29, en date du 15 juin 1429. Certes, René ne se déplaça pas lui-même à Paris pour aller trouver le duc de Bedford et le roi Henri VI. Ce ralliement paraît donc quelque peu contraint et forcé. Mais Louis de Bar agit sur son ordre, ce qui donna à ce geste une portée beaucoup plus grande que le serment prêté en son nom par son beau-père et tuteur Charles II, sept ans auparavant. 202 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 251-252. 203 A.N. J 581, no 27. Les raisons profondes d’un tel acte s’avèrent donc identiques à celles qui expliquent les bonnes relations entretenues par les ducs de Lorraine et de Bourgogne depuis le milieu du xive siècle. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3 et seconde partie, chapitre 4.
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jours après l’hommage prêté par le cardinal de Bar, Jeanne d’Arc forçait les Anglais à lever le siège d’Orléans204. Jeanne d’Arc, la chevauchée du sacre et ses conséquences pour l’espace lorrain (1429-1431)
L’épopée de Jeanne d’Arc, maintes fois exposée, est suffisamment connue de tous pour que nous nous contentions d’en présenter les conséquences pour les principaux acteurs de la scène politique lorraine et pour leurs relations avec les trois puissances qui dominaient alors en France205. L’irruption de la « pucelle d’Orléans » à la cour et dans les armées du roi Charles VII bouleverse en effet les rapports de force établis depuis quelques années à l’intérieur du Royaume. Pour la Lorraine, l’épisode essentiel réside dans la chevauchée du sacre en direction de Reims. Après la victoire de Patay, profitant du ralliement ou de la reddition de très nombreuses villes, les troupes françaises progressent à une vitesse fulgurante à travers la Champagne et en direction de la Picardie. Charles VII, prudent, se garde bien de pénétrer directement en territoire bourguignon et de rompre les trêves conclues avec Philippe le Bon. Mais il ouvre une brèche très importante dans la zone d’influence que le duc de Bourgogne s’était constituée dans le nord-est du Royaume206. Cette expédition influença René d’Anjou d’une manière décisive. Sur le plan personnel, elle raviva ses sentiments armagnacs péniblement refoulés depuis son arrivée en Lorraine. Sans doute commença-t-il aussi, à vingt ans, à se détacher progressivement de l’emprise d’un beau-père vieillissant et malade, et à suivre ses propres inclinations politiques. Charles II n’avait d’ailleurs pas été totalement insensible, lui non plus, à l’écho suscité par la mission de Jeanne d’Arc. À en croire la Chronique de Lorraine, la Pucelle d’Orléans serait venue le trouver pour lui demander de le conduire à Chinon auprès de Charles VII. [Christophe Rivière entendait ici modifier en profondeur ce qu’il avait dit dans la version initiale au sujet de l’entrevue de Jeanne d’Arc avec Charles II. Renonçant à s’appuyer sur le seul récit de la Chronique de Lorraine, qu’il qualifiait de farfelue, il aurait repris ici la démonstration faite dans sa contribution au colloque « De Domrémy… à Tokyo : Jeanne d’Arc et la Lorraine » (2012), pour laquelle il avait exploité les pièces du procès. Il voulait montrer, à cette occasion, que la Pucelle tenait Charles II pour un Bourguignon et René d’Anjou pour un Armagnac. Ce point lui paraissait décisif, car il soulignait que telle était leur réputation auprès des princes, alors qu’eux-mêmes, guidés par des raisons diplomatiques, pouvaient avoir des formulations plus nuancées207].
204 J. Favier, La guerre de Cent ans, op. cit., p. 498. 205 Pour une étude biographique concernant ce personnage, voir H. Thomas, Jeanne d’Arc. Jungfrau und Tochter Gottes, op. cit. et C. Beaune, Jeanne d’Arc, op. cit. 206 On peut trouver un récit détaillé de la marche de Charles VII sur Reims dans toutes les biographies de Jeanne d’Arc ou dans les ouvrages consacrés à la guerre de Cent ans. Voir par exemple J. Favier, La guerre de Cent ans, op. cit., p. 498-504. 207 C. Rivière, « La perception de Jeanne d’Arc à la cour de Lorraine au xve siècle », in C. Guyon, M. Delavenne, De Domrémy à Tokyo : Jeanne d’Arc et la Lorraine, Nancy, PUN–Éditions universitaires de Lorraine, 2013, 406 p., p. 279-292.
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La reconquête partielle de la Champagne par le roi de France brisa net l’isolement géographique de René d’Anjou. Le duché de Bar ne se trouvait plus cerné uniquement par des principautés et des seigneuries favorables à la cause anglo-bourguignonne. En cas de besoin, René pouvait désormais obtenir l’appui des garnisons installées par son beau-frère un peu partout en Champagne. Il disposait donc d’une marge de manœuvre beaucoup plus importante et ne se sentait plus comme auparavant contraint et forcé de se ranger dans le camp de Philippe le Bon et du roi Henri VI. Pour autant, René d’Anjou n’assista pas au sacre de Charles VII à Reims, le 17 juillet 1429, même si certaines chroniques l’y font fallacieusement figurer208. Peut-être avait-il manifesté dès le 6 juillet l’intention de se joindre à la marche victorieuse du roi de France, mais il fut retenu dans ses États jusqu’à la fin du mois, en raison de la « guerre de la hottée de pommes » lancée depuis peu par le duc de Lorraine contre la cité de Metz209. Il ne pouvait se soustraire à l’appel lancé par son beau-père à tous ses alliés et dut à son tour envoyer son défi à la cité le 10 juillet et participer personnellement aux opérations militaires durant les jours qui suivirent210. Il ne put rejoindre le roi Charles VII que le 3 août, à Provins211. En agissant de la sorte, René d’Anjou effectuait un revirement politique et diplomatique complet et spectaculaire. En un mois et demi212, il était passé du parti anglo-bourguignon à celui du roi de France. Pour mieux marquer le caractère définitif de sa rupture avec le roi Henri VI, il écrivit ce même jour au duc de Bedford pour renoncer à l’hommage que le cardinal de Bar avait prêté en son nom deux mois plus tôt :
208 Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 205 : « De là, [Charles VII] assaillit la ville de Reins qui, comme par force, obeyssait au Anglois. Mais, comme il virent leur droiturier seigneur, il furent tres joieulx de le recepvoir. En ce lieu vindrent le duc de Bar et de Lhoranne, semblablement le seigneur de Commercey, equipés de bonnes bandes de gens d’armes, qui n’estoient pas petitte, affin de servir le roy. » L’auteur commet d’ailleurs une erreur en ce qui concerne la titulature de René d’Anjou. Au moment du sacre, Charles II n’était pas encore mort : René ne portait donc que les titres de duc de Bar et de comte de Guise. 209 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., préface, p. IX. Voir également ci-dessous troisième partie, chapitre 6. 210 B.M. Nancy, Ms no 39, f. 85, La chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, f. 33. « L’an dessusdit, le Xe jour du moys de juillet, Rhené, duc de Bar, filz dou roy Lowys, et genre au duc Charles de Lorraine, envoyait pour ladite hotte de pommes, a la requeste doudit duc de Lorraine, son herault noblement vestus que portoit sa cotte d’armes deffier nos susdits seignours de Mets, et tous les habitans d’icelle. […] Et le lundy apres, XIe jour doudit moys de juillet, Charles duc de Lorraine, accompaignés dou duc de Bar, dou marquis de Baude ces deux genres, et dou duc Stephane de Bavieres, avecq eulx bien en nombre de XVm gens d’armes a chevalx et plus et de gens de pied XXm et plus, et se mirent au chemin pour tout destruire le bon pays de ceulx de Mets, et en oultre il cuidient bien panre la bonne cité de Mets ». René d’Anjou, entré en guerre contre la cité de Metz un peu à contrecœur, quitta l’armée lorraine le plus rapidement possible. 211 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., Préface, p. IX. René rentra à Bar-le-Duc le 29 juillet. Il se trouva ensuite à Château-Thierry le 2 août. Et le lendemain, il gagna Provins, où se tenait son beau-frère. 212 Le 15 juin 1429, René avait confirmé par écrit l’hommage prêté en son nom par le cardinal de Bar au roi d’Angleterre. A.N. J 582, no 29.
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A vous, hault et puissant prince Jehan, duc de Beddefort, je, René, filz de roy de Jherusalem et de Sicille, duc de Bar, marquis du Pont, conte de Guyse, vous faiz assavoir que [suit le rappel de l’acte de Louis de Bar] je, pour certaines causes qui ad ce m’ont meu et muevent, ay, dès maintenant et pour lors, renuncié et renunce par ces presentes, plennement et absolument, a tous les fiedz, terres et seignories dont mondit oncle a et pourroit avoir reprins de vous comme regent, et a tous hommaiges, foy, seremens et promesses quelconques qu’il pourroit avoit faiz pour moi et en mon nom, en tant comme a moy pourroit toucher, a vous comme regent le royaume de France ; et pareillement, d’aboindant, renonce a toutes promesses et choses quelconques par moy faites et passées par mesdictes lettres patentes a vous envoyées en quelconque maniere que ce soit ou puist estre, et a toutes les circonstances et deppendances. Et parmi ces presentes renunciacions et la teneur de ces presentes lettres, vueil et entendz de ce jour en avant, moy estre et demourer quictes et deschargié de tout et de tous lyens de foy, hommaige et promesses quelconques que mondit oncle pourroit avoir faiz en voz mains comme regent, pour moy et en mon nom, par vertu de mesdictes lettres patentes a vous et sur ce envoyées. Et ces choses vous signifie je et escrips par ces presentes, seellées de mon seel, pour y sauver et garder mon honneur. Donné le tiers jour d’aoust, l’an mil quatre cens vint neuf213.
Même s’il ne précise pas les « causes qui ad ce m’ont meu et muevent », celles-ci se laissent aisément deviner. Les liens familiaux et les sentiments personnels de René d’Anjou l’ont cette fois définitivement emporté sur les considérations géopolitiques et dynastiques, et sur la nécessité de préserver le traité de Foug. René renoue ainsi avec l’attitude politique commune à toute la maison d’Anjou. À vrai dire, la lenteur et les réticences avec lesquelles il avait accepté auparavant de reconnaître le traité de Troyes et la double monarchie franco-anglaise laissaient présager un tel basculement : l’aventure de Jeanne d’Arc, en redonnant espoir aux partisans de Charles VII, lui fournissait une occasion idéale d’accomplir son premier acte politique totalement personnel et indépendant214. Celui-ci fut suivi d’une participation très active aux campagnes militaires menées par les Français. À la fin de l’année 1430, il combattit aux côtés du capitaine armagnac Barbazan qui poursuivait la reconquête de la Champagne entamée par Jeanne d’Arc l’année précédente215. René avait en effet tout intérêt à débarrasser le plus possible cette région frontalière du duché de Bar de la présence bourguignonne. Après les succès remportés à Chappes et à Anglure, la menace qu’il fit peser sur les frontières du duché de Bourgogne décida le chancelier Rolin à mettre le pays en état de défense, ce qui traduisait un retournement de situation complet par rapport à la décennie précédente216.
213 A.N. J 582, no 33. Ce document est également publié dans B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., Pièces justificatives, no 3, p. 130. 214 René d’Anjou donne un caractère très solennel à sa rupture avec le roi d’Angleterre. Il cherche ainsi à la rendre irrémédiable. Cela montre sa volonté de se débarrasser définitivement de la surveillance tatillonne que le cardinal de Bar et surtout le duc de Lorraine continuaient à exercer sur ses décisions, même depuis son émancipation officielle en août 1424 (voir ci-dessus dans ce même chapitre). 215 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 270. 216 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 26-30.
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Le duc de Bar avait-il cependant parfaitement mesuré toutes les conséquences de son acte ? Avait-il conscience des répercussions inévitables que la modification de l’équilibre politique dans le Royaume ne manquerait pas de provoquer au sein de l’espace lorrain ? À cet égard, l’absence de réaction du duc de Lorraine et du cardinal de Bar aux victoires obtenues par Jeanne d’Arc paraît révélatrice de l’inquiétude que le changement d’attitude de René d’Anjou suscita chez ces deux princes prudents et expérimentés217. Charles II avait tenté de retenir son gendre le plus longtemps possible en Lorraine et de l’empêcher de rompre avec le roi Henri VI218. Même s’ils ne partageaient pas les mêmes idées politiques, tous deux souhaitaient voir se réaliser l’union prochaine des principautés de Bar et de Lorraine. Or, de ce point de vue, les choses se compliquaient de nouveau. La lettre de René d’Anjou au duc de Bedford, le 3 août 1429, le plaçait résolument dans le camp des ennemis du roi Henri VI. Mais les Anglais avaient toujours fait preuve d’une grande méfiance envers un prince angevin qui avait refusé de se déplacer en personne à Paris pour y prêter hommage à leur souverain. Il y avait tout lieu de croire qu’ils soutiendraient quoi qu’il arrive les prétentions du comte de Vaudémont à la succession de Lorraine, tant ce dernier présentait pour eux de bien meilleures garanties de fidélité que René d’Anjou. Dans ces conditions, le soutien, ou tout au moins la neutralité du duc de Bourgogne, s’avérait essentiel pour que René puisse espérer recueillir quand même l’héritage de son beau-père. Or, l’intervention de Jeanne d’Arc et la chevauchée du sacre furent interprétées par Philippe le Bon comme une rupture des trêves de la part de Charles VII, car elle remettait en cause la mainmise bourguignonne sur la partie nord-est du royaume de France. Dès le mois de juillet 1429, il se rendit à Paris, près du duc de Bedford, pour renforcer son alliance avec l’Angleterre. Et en avril 1430, la guerre reprit entre la France et la Bourgogne219. Dès lors, la présence de René d’Anjou dans les rangs des armées de Charles VII lui attira l’hostilité de Philippe le Bon. De plus, celui-ci ne pouvait voir que d’un mauvais œil la perspective de constitution d’une grande principauté lorraine placée sous l’autorité d’un membre de la maison d’Anjou, et coupant en deux parties les territoires bourguignons. La candidature d’Antoine de Lorraine, au contraire, présentait le triple avantage de resserrer l’alliance traditionnelle des duchés de Lorraine et de Bourgogne, de raviver l’antagonisme Bar – Lorraine et 217 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 248. Après le sacre de Charles VII, Louis de Bar continua de reconnaître Henri VI comme roi de France et d’Angleterre jusqu’à sa mort en 1430 et ses relations avec Philippe le Bon demeurèrent cordiales. On peut en dire autant du duc de Lorraine : rien n’indique que l’apparition de Jeanne d’Arc sur la scène politique du Royaume et le revirement diplomatique de son gendre aient modifié en quoi que ce soit sa position à l’égard du parti anglo-bourguignon. 218 Dès que René d’Anjou manifesta le désir de se rendre en France aux côtés de son beau-frère, vers le 6 juillet, le duc de Lorraine l’appela à son aide contre la cité de Metz. Même s’il avait effectivement besoin des forces du duché de Bar pour venir à bout de la résistance des Messins, on peut voir dans cette démarche de Charles II une volonté de retarder l’irréparable et d’éviter que René ne prenne ouvertement parti pour le roi Charles VII. [Dans son travail de révision, CR notait que jusque sur son lit de mort, Charles II conseillera à René de « ménager la Bourgogne »]. 219 B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons, op. cit., p. 258-259 et p. 264.
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de maintenir le morcellement politique de l’espace lorrain, gage du maintien de la domination bourguignonne dans la région220. Le basculement de René d’Anjou dans le parti du roi de France ruinait donc d’un seul coup tout le travail réalisé par Charles II entre 1422 et 1429 pour isoler diplomatiquement le comte de Vaudémont et le priver de toute aide extérieure au moment de la succession au duché de Lorraine. René pourrait compter sur le soutien sans faille des noblesses barroise et lorraine et sur l’aide désormais non négligeable de Charles VII. Mais le comte de Vaudémont bénéficierait quant à lui de l’appui des Anglais et des Bourguignons. La situation était désormais clarifiée mais l’autonomie du duché de Lorraine, pour laquelle Charles II s’était battu tout au long de son règne était compromise. *** À partir de 1418, il devint évident pour Charles II qu’aucun fils ne lui survivrait. Dès lors, la question de sa succession conditionna l’ensemble de sa politique durant les quinze dernières années de son existence. L’amour qu’il éprouvait pour ses enfants, naturels et légitimes, le poussa à faire de sa fille aînée Isabelle l’héritière du duché et à exclure de la succession Antoine de Lorraine, son plus proche descendant en ligne masculine. Mais l’objectif essentiel était le maintien de l’autonomie de la principauté lorraine par rapport au Royaume et à l’Empire. De ce point de vue, René d’Anjou présentait toutes les garanties pour l’avenir. Le traité de Foug, qui prévoyait à la fois la dévolution du duché de Bar à René et son mariage avec Isabelle de Lorraine, correspondait à un choix personnel de la part de Charles II et de Louis de Bar ; il obéissait également à une logique régionale. L’union des duchés de Bar et de Lorraine sous l’autorité d’un même prince permettait d’envisager pour la première fois depuis l’époque féodale l’instauration d’une puissance dominante au sein de l’espace lorrain. Elle contribuait également à donner à cette principauté les moyens de son indépendance : l’époque était en effet aux rassemblements territoriaux221. L’alliance avec la maison d’Anjou témoignait aussi d’une visée politique beaucoup plus large. Au niveau international, elle pouvait constituer un premier pas vers une réconciliation entre les Armagnacs et les Bourguignons et vers un retour à la paix civile dans le Royaume. Par la suite, de 1419 jusqu’à sa mort, le duc de Lorraine s’employa à concrétiser les perspectives contenues dans l’accord signé à Foug. L’affaire n’allait pas de soi. La célébration du mariage de René d’Anjou et d’Isabelle de Lorraine, l’année suivante, ne suffit pas à éliminer les compétiteurs du gendre de Charles II dans les deux principautés de Bar et de Lorraine. Par ailleurs, René devait aussi se faire accepter dans ses
220 Antoine de Lorraine ne peut en effet prétendre qu’à la succession de Charles II. Quoiqu’il arrive, René d’Anjou demeurera duc de Bar. Par conséquent, si le comte de Vaudémont recueillait l’héritage de son oncle, alors l’union personnelle des principautés de Bar et de Lorraine n’aurait pas lieu. Les deux duchés, redevenus ennemis, poursuivraient leur lutte stérile et s’affaibliraient mutuellement, contribuant ainsi à faire le jeu du duc de Bourgogne. 221 A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 4.
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nouveaux États. À cet égard, le succès s’avéra total. Lors des guerres menées contre le duc de Berg, pour l’héritage du duché de Bar, et contre le comte de Vaudémont, pour celui de Lorraine, René bénéficia du soutien sans faille de la quasi-totalité de la noblesse des deux duchés. Les nobles en effet comprirent rapidement les avantages qu’ils pouvaient retirer d’une telle situation et René d’Anjou n’hésita pas une seconde à confirmer, voire augmenter, les privilèges dont ils disposaient déjà en Lorraine. L’alliance du duc de Lorraine et de ses vassaux se renforça donc au cours de la période, reposant sur l’intérêt bien compris de chacun. Vis-à-vis de l’extérieur, la tâche se révéla cependant plus délicate. Charles II et René d’Anjou ne parvinrent pas à vaincre la résistance du comte de Vaudémont. Faute de pouvoir le réduire à sa merci, le duc de Lorraine s’efforça alors de l’isoler diplomatiquement. Pourtant, le contexte politique du moment ne favorisait plus la réalisation de ses projets. Le meurtre de Jean sans Peur à Montereau et la conclusion du traité entre l’Angleterre et la Bourgogne à Troyes avaient relancé la guerre civile et extérieure en France et contraignirent Charles II à choisir entre l’alliance bourguignonne et celle avec la maison d’Anjou. Philippe le Bon, de son côté, n’était pas disposé à tolérer l’avènement d’un prince ennemi aux frontières de ses États. Après un moment d’hésitation, le duc Charles se rallia au parti anglo-bourguignon, à la fois par conviction et par opportunisme. Il tenta également d’entraîner dans son sillage René d’Anjou, de façon à priver Antoine de Lorraine de l’appui du duc de Bourgogne et du roi d’Angleterre dans la guerre de succession qui ne manquerait pas d’éclater après sa mort. Il y réussit, non sans mal, en mai 1429. Mais l’irruption de Jeanne d’Arc sur la scène politique française fit à nouveau basculer le duc de Bar dans le camp du roi Charles VII et ruina en quelques mois tous les efforts accomplis au cours des cinq années précédentes. Au final, le bilan de cette période paraît donc mitigé. Le traité de Foug avait initié au sein de l’espace lorrain un processus d’unification politique susceptible de renforcer l’indépendance des duchés de Bar et de Lorraine par rapport à leurs puissants voisins. Avec la tutelle exercée sur son gendre par Charles II à partir de 1420, une politique commune s’était mise en place dans les deux principautés. Mais tout laissait à penser que la mort du duc de Lorraine allait provoquer l’intervention directe de la France, de l’Angleterre et de la Bourgogne dans la querelle de succession opposant René d’Anjou au comte de Vaudémont, ce qui pouvait remettre en cause l’union des duchés et leur autonomie par rapport au Royaume. Ce danger rendait indispensable la poursuite de la politique de rassemblement territorial et le renforcement des structures internes du Barrois et de la Lorraine. Charles II en avait pris conscience dans la dernière décennie de son règne.
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Conclusion de la deuxième partie La crise traversée par le royaume de France et la seconde partie de la guerre de Cent ans ont eu des répercussions considérables en Lorraine. Les manœuvres de Louis d’Orléans, la querelle des Armagnacs et des Bourguignons et les pressions exercées par Philippe le Bon et le duc de Bedford pour que Charles II, puis René d’Anjou reconnaissent la double monarchie franco-anglaise ont fait planer en permanence la menace d’une intervention directe de la France dans les duchés de Bar et de Lorraine. Tout au long de la période, le duc et la noblesse lorraine se trouvent donc confrontés aux conceptions politiques des princes français qui revendiquent le trône ou se disputent le contrôle du gouvernement royal. Les conséquences de cette situation se manifestent de façon différente avant et après 1418. Dans un premier temps, la résistance du duché de Lorraine à l’égard de la France, amorcée dès la seconde moitié du xive siècle, se renforce. La politique d’expansion territoriale de Louis d’Orléans en Lorraine et son alliance avec la maison de Bar vont en effet à l’encontre de la culture politique du duché de Lorraine et des intérêts familiaux et territoriaux de Charles II. Le conflit qui oppose celui-ci au frère du roi de France de 1406 à 1408 se prolonge pendant sept ans avec le duc de Bar et provoque dans le duché une très vive hostilité à l’égard du Royaume. Elle se manifeste par les exactions commises par le duc et par ses hommes dans la ville de Neufchâteau ainsi que par le refus de Charles II de marier ses filles à un sujet du roi de France. Par ailleurs, pour mieux contrebalancer l’influence de la France, le duc de Lorraine réaffirme l’ancrage impérial de sa principauté et se rapproche des maisons de Bade et de Bavière. Les ducs de Bar au contraire, plus familiarisés avec le modèle politique français se rangent résolument dans le camp des Armagnacs, partisans de la soumission de tous les habitants du Royaume, y compris les princes, à l’autorité du roi et de l’État. À partir de 1418 en revanche, l’attitude du duc de Lorraine se modifie sensiblement. Le traité de Foug constitue en effet une rupture dans la stratégie diplomatique de Charles II qui se rapproche de la maison de Bar et marie sa fille, héritière du duché, au futur duc de Bar, René d’Anjou. Ce retournement s’explique aisément par la perspective de l’union personnelle des duchés de Bar et de Lorraine, qui permet d’envisager à la fois une augmentation de la puissance et du prestige de la principauté ainsi formée et une pacification relative de l’espace lorrain. Mais il tient aussi au bouleversement du contexte politico-diplomatique en France. L’assassinat de Jean sans Peur en 1419 et la signature du traité de Troyes l’année suivante entraînent un changement d’orientation dans la politique bourguignonne. La priorité de Philippe Bon ne consiste plus dans le contrôle de la capitale du Royaume, mais dans la construction de l’État bourguignon. Le danger essentiel provient désormais de la Bourgogne et les partisans du roi Charles VII paraissent moins menaçants. Dès lors, Charles II n’a plus vraiment de raison de s’opposer au mariage de sa fille avec un prince français. Cette union consolide l’évolution en cours dans le duché de Lorraine depuis plusieurs siècles. René d’Anjou, beau-frère de Charles VII, est issu d’un lignage porteur de la tradition étatique française, qui pénètre dans le duché par son intermédiaire.
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A priori, ces phénomènes successifs de rejet puis de diffusion de la culture politique du royaume de France correspondent aux deux phases les plus courantes d’un processus d’acculturation. La plupart des études effectuées, synthétisées par Roger Bastide, montrent que l’on assiste d’abord à une période d’opposition de la culture native à la culture conquérante, avant que la seconde ne soit finalement adoptée222. Très souvent également, elle se réalise par le biais d’individus ou de groupes métis qui, tenant à la fois des deux cultures en contact, sont les mieux à même de faire accepter le passage de l’une à l’autre223. Cette « loi générale224 » se vérifie également dans le cas qui nous intéresse, si l’on considère que la principauté barroise sert de relais entre le duché de Lorraine et le royaume de France. Charles II accepte que sa fille Isabelle épouse René d’Anjou uniquement parce qu’il a été désigné comme fils adoptif du cardinal duc Louis de Bar et héritier présumé du duché. Or, le Barrois mélange certains traits de culture politique spécifiquement lorrains avec d’autres caractéristiques du Royaume. Il est certain qu’en choisissant pour gendre René d’Anjou, Charles II a vu en lui l’héritier du duché de Bar, bien plus que le fils cadet de Louis II d’Anjou. L’acceptation du modèle politique français par le duché de Lorraine semble donc se dérouler selon des modalités tout à fait classiques. Il convient toutefois d’aller au-delà de cette simple apparence, et de nuancer le contraste entre les périodes de refus et d’adoption des mentalités françaises. Pour contrer les progrès de Louis d’Orléans dans l’espace lorrain, Charles II fait alliance avec le duc de Bourgogne, au point de devenir l’un des principaux auxiliaires de Jean sans Peur et de prendre une part très active à la guerre civile en France. Or, si le programme bourguignon se rapproche beaucoup plus de ses convictions féodales que celui des Armagnacs, il n’en développe pas moins lui aussi la doctrine de la majesté royale et de la sujétion de tous les habitants du Royaume, quelle que soit leur condition sociale, envers la personne du roi. Ce sont là des idées qui heurtent la sensibilité politique de Charles II. Par conséquent, il convient de relativiser l’opposition du duc de Lorraine à la France, car le phénomène de résistance à l’acculturation qui touche le duché entre 1400 et 1418 se manifeste par rapport à l’emprunt, et non par rapport au prêteur : il concerne l’État et la nature du pouvoir monarchique en France, et non les princes français. Inversement, le mariage d’Isabelle et de René n’implique pas l’adoption intégrale et définitive de la culture politique française par la noblesse lorraine. Charles II entoure l’application du traité de Foug d’un certain nombre de garanties. Il limite la
222 R. Bastide, Introduction aux recherches sur l’interpénétration des civilisations, op. cit., p. 12-16. L’auteur reprend ici les résultats des premières études sur l’acculturation menées par les chercheurs nordaméricains, notamment M. Herskovits, Acculturation, the study of the culture contact, New York, 1958, 155 p. 223 Ibid., p. 108-119. 224 Ibid., p. 50. Selon Roger Bastide, ce terme correspond à un abus de langage, car les études concernant les phénomènes d’acculturation sont encore trop empiriques pour que l’on puisse parler de lois. En revanche, « il semble bien que nous puissions trouver un certain nombre de régularités, suffisamment générales pour que l’anthropologie appliquée puisse en tirer profit, en comparant entre elles les multiples monographies portant sur les processus acculturatifs ».
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marge de manœuvre du futur duc de Bar et de Lorraine en le contraignant à prêter serment de respecter les coutumes du duché et en lui interdisant l’accès au Trésor des chartes de Nancy. Ces mesures sont bien évidemment destinées à empêcher l’introduction en Lorraine des pratiques gouvernementales du Royaume et à placer René d’Anjou sous le contrôle de la société politique du duché. Tout en se décidant à remettre le destin de sa principauté à un Français, Charles II reste réticent à l’égard de son gendre. L’évolution s’avère donc plus linéaire qu’il n’y paraît au premier abord. À l’intérieur de chacune des deux phases coexistent des phénomènes de résistance et de diffusion du modèle étatique français. Seule l’importance respective de chacun d’entre eux varie d’une période à l’autre. À terme cependant, les pressions constamment exercées par la France sur le duché de Lorraine remettent en cause son autonomie. Au tout début du xve siècle, la menace provient d’abord du duc d’Orléans. Charles II y répond par la force. Il parvient à vaincre la coalition mise sur pied par le frère du roi de France à Champigneulles en 1407 et à protéger le territoire ducal des attaques d’Édouard de Bar au cours des années suivantes. Dans les années 1420 en revanche, ce sont les troupes au service du duc de Bourgogne et du roi d’Angleterre qui multiplient les incursions dans le Barrois et en Lorraine, car Philippe le Bon voit d’un très mauvais œil l’installation de la maison d’Anjou dans la région. Charles II fait alors usage de diplomatie, évite d’abord de se prononcer, avant de se rallier par la suite au parti anglo-bourguignon qui détient une position dominante dans la France du nord-est. Finalement, le duc de Lorraine réussit à préserver l’indépendance de fait de sa principauté, en jouant des rivalités entre les grands du Royaume. À sa mort toutefois, rien n’est encore acquis, et le risque d’une intervention française en Lorraine demeure toujours aussi présent. Face à ce danger, le duché de Lorraine, tel que nous l’avons présenté dans la première partie de cette étude, paraît bien faible. Pour pouvoir résister efficacement aux principautés du Royaume, plus étendues et plus étatisées, il lui faut à la fois renforcer ses structures administratives et élargir son assise territoriale, ce que permet le traité de Foug grâce à la réunion des duchés de Bar et de Lorraine. Il comble en partie le vide politique que constituait jusqu’à présent l’espace lorrain, met en contact le duc Charles II avec des méthodes de gouvernement plus modernes et accroît notablement ses capacités de mobilisation. S’il constitue par conséquent le signe le plus évident de la progression de l’influence française en Lorraine, il représente aussi le meilleur moyen de préserver dans l’avenir l’autonomie du duché par rapport à la France et revêt donc, du point de vue des relations entre la principauté lorraine et le Royaume, une double signification. Il semble enfin possible de définir un certain nombre de constantes dans l’action politique des princes situés dans les territoires d’« Entre-Deux » lors des deux derniers siècles du Moyen Âge. Un parallèle peut en effet être établi, une nouvelle fois, entre la politique menée par Charles II en Lorraine et celle de Gaston Fébus dans la vicomté de Béarn : Non seulement toute l’œuvre de Fébus fut dominée par deux « grands desseins » – l’indépendance du Béarn et la création d’un État pyrénéen homogène de Foix à Orthez
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– mais encore, pour atteindre ces buts, il ne cessa de louvoyer entre les rois de France et d’Angleterre d’une part, entre les comtes d’Armagnac et les rois de France d’autre part225.
Certes, à la fin du règne de Charles II, le conflit opposant René d’Anjou au comte de Vaudémont pour la succession du duché de Lorraine laisse entrevoir la perspective d’une intrusion du roi de France Charles VII et du duc de Bourgogne Philippe le Bon dans les affaires de la région et fait peser une hypothèque sur l’union personnelle des duchés de Bar et de Lorraine. Mais les objectifs politiques de Charles II et les moyens mis en œuvre pour les atteindre sont bien identiques à ceux de Gaston Fébus dans les Pyrénées. Charles II s’efforce lui aussi de préserver l’autonomie du duché et d’acquérir une position dominante en Lorraine, et il met à profit les divisions internes au royaume de France pour y parvenir. Jusqu’à présent toutefois, le processus d’acculturation en cours dans le duché de Lorraine, l’indépendance de cette principauté et son union avec celle de Bar n’ont été envisagés que d’un point de vue extérieur, à travers les relations entretenues par Charles II avec les princes et les souverains du Royaume et de l’Empire. Il convient désormais de rétrécir à nouveau l’angle de vue et de s’intéresser aux conséquences de la guerre civile et étrangère en France sur l’équilibre politique de l’espace lorrain et sur les structures internes de la principauté ducale.
225 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn (1343-1391), op. cit., p. 341. Les vicomtes de Béarn prêtent théoriquement hommage aux ducs de Guyenne pour leur principauté, mais Gaston III profite de la lutte que se livrent les souverains français et anglais dans la région pour se dérober à ses devoirs de vassal. À partir de 1370, il mène également une politique de rassemblement territorial et cherche à imposer sa suzeraineté à l’ensemble de la noblesse pyrénéenne.
Troisième partie
1431. Les transformations du duché et leurs limites
Plongé dans la tourmente des conflits internationaux durant les trois dernières décennies de son règne, Charles II a entretenu avec les princes du Royaume et les rois de France des contacts tantôt amicaux, tantôt hostiles, mais de plus en plus étroits. Or, les guerres n’ont pas seulement renforcé les relations entre le duché et la France, elles ont aussi modifié en profondeur la nature des liens entre cette principauté et le reste de l’espace lorrain, comme le montre la signature du traité de Foug. Il nous faut maintenant revenir à une perspective régionale et locale, afin d’étudier les répercussions de tous ces changements sur les mentalités et les institutions de la Lorraine ducale. Le contexte diplomatique contraint en effet le duc à adopter dans ses États, au moins partiellement, les méthodes modernes de gouvernement en vigueur dans le royaume de France. Par conséquent, il convient de déterminer la réponse de la société politique lorraine à cette exigence et de mettre en évidence les modalités concrètes du processus d’acculturation du duché au modèle étatique français. Plus abondantes et plus variées, les sources disponibles jettent sur la cour de Nancy et sur l’administration ducale une lumière plus vive pour le début du xve siècle que pour l’époque précédente. Ce constat, valable pour la politique extérieure du duc de Lorraine1, s’applique aussi à l’évolution intérieure de la principauté. Nous l’avons déjà dit, les premiers comptes font leur apparition dans les années 1420. Même si leur tenue demeure archaïque et si aucune série n’a pu être conservée, ces documents fourmillent d’informations précieuses, aussi bien sur les ressources princières et sur les structures internes du duché que sur l’activité des serviteurs ducaux2. D’autres actes, encore inconnus pendant la seconde moitié du xive siècle, se trouvent également déposés dans les archives ducales. Entre autres exemples, nous pensons notamment à cette « montre », ou revue des effectifs militaires mobilisés par Charles II contre le duc de Bar, rédigée en 1413 par un officier qui n’a pas laissé son nom3. L’accroissement
1 Cf. ci-dessus deuxième partie, introduction. 2 Les comptes du receveur Mengin Drouin couvrent les années 1420-1421 (A.D.M.M. B 7232) et la période allant d’août 1424 à août 1425 pour les bailliages de Nancy (A.D.M.M. B 7233) et des Vosges (A.D.M.M. B 1919). Ceux de son successeur, Jean Pariset de Lunéville, courent de mars 1426 à mars 1427 pour le bailliage des Vosges (A.D.M.M. B 1920 et B 1921) et de mars 1427 à septembre 1428 pour celui de Nancy (A.D.M.M. B 7234). Nous disposons enfin des comptes d’Arnoul Wisse (1419-1423) et de Jean de Lindre (1425-1426) pour la châtellenie de Dieuze (A.D.M.M. B 5241 et B 5242) et de celui de Jean de Darney et de Jean Moixel (mai 1427-mai 1428) pour la saline de Rosières (A.D.M.M. B 8466). Le contenu de ces registres est commenté ci-dessous troisième partie, chapitre 8. 3 BnF Col. Lor., no 6, f. 65-85. Document reproduit en Annexe 19. Voir également ci-dessous troisième partie, chapitre 8, pour le commentaire.
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de la masse documentaire à notre disposition permet également de dresser des listes de vassaux, de soldats et de membres de l’hôtel plus complètes, à défaut d’être exhaustives. Elle témoigne enfin, en elle-même, des modifications intervenues dans les pratiques administratives à partir de 1400. Nous y reviendrons4. Tout comme pour la première partie, il importait de définir un cadre chronologique précis. Cette fois cependant, en amont comme en aval, les dates s’imposaient presque naturellement. La mort de Charles II, le 25 janvier 1431, fournissait un point d’arrêt logique, avant les grands bouleversements engendrés par la bataille de Bulgnéville, en juillet de la même année5. Pour disposer de renseignements suffisamment nombreux et représentatifs, le choix a été fait de remonter jusqu’au 21 août 1400, date de l’élection à l’Empire de Robert de Bavière, terme de la première partie de l’étude. La période ainsi envisagée est plus courte, mais mieux connue que la précédente. Elle lui est en revanche immédiatement postérieure, ce qui peut avoir pour effet de masquer quelque peu l’importance des changements éventuellement survenus dans la dernière décennie du règne de Charles II, après le mariage d’Isabelle de Lorraine avec René d’Anjou. Pour cette raison, nous franchirons la borne du 25 janvier 1431 en quelques occasions, essentiellement pour vérifier la validité de certaines de nos hypothèses. La question de la genèse de l’État moderne dans le duché de Lorraine se pose à plusieurs niveaux et à plusieurs échelles, qui s’emboîtent les unes dans les autres. Le premier problème concerne naturellement l’évolution institutionnelle de la principauté, sous l’effet conjoint des exigences de l’époque et de la pression des modèles extérieurs. Mais ensuite, surgit immédiatement une autre interrogation, liée à la réponse de la société politique lorraine à cette étatisation. Nous avons en effet établi que les tendances culturelles de la noblesse et de la plupart des serviteurs ducaux allaient à l’encontre du modèle proposé par la monarchie des Valois et que leurs mentalités restaient profondément marquées par la féodalité, ce qui expliquait le phénomène de résistance à l’acculturation constaté à partir des années 1360 et plus encore après l’avènement de Charles II. Nous nous demanderons donc si ces transformations structurelles entraînent ou non un bouleversement de la culture politique de la Lorraine ducale. Mais ces phénomènes ne se limitent pas au seul duché de Lorraine. Ils valent aussi pour la totalité de l’espace lorrain. Les échelles régionale et locale interfèrent d’ailleurs l’une avec l’autre, à cette époque plus encore que pendant la seconde moitié du xive siècle. Comment les diverses forces politiques lorraines réagissent-elles aux guerres qui les déchirent ? En proie à des pressions croissantes de la part du royaume de France ou du duché de Bourgogne, la Lorraine peut-elle préserver son identité politique ? Multiples, les influences ne s’exercent pas non plus à sens unique : le duc
4 Cf. ci-dessous troisième partie, chapitre 8. 5 La défaite et la longue captivité de René obligent sa femme Isabelle à mettre en œuvre de profondes réformes pour assurer le gouvernement et la défense du duché, payer la rançon de son mari et dédommager ses partisans d’une partie au moins des pertes qu’ils avaient subies. Voir sur ce point É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 84-124, et B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 93-116.
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s’inspire des institutions et des pratiques mises en place par les autres princes lorrains, et inversement. Certes, l’étude des réponses apportées aux progrès de l’État, par les Lorrains dans leur ensemble et par les sujets du duché proprement dit, ne peut être menée que séparément. Mais il importe toutefois de ne pas perdre de vue les liens qui les unissent pour expliquer les réactions constatées. L’intérêt d’un tel questionnement dépasse largement le cadre relativement étroit de l’histoire lorraine. Nous l’étendrons donc à tous les territoires d’« Entre-Deux », en adoptant, dans la mesure du possible, une démarche comparative. Retrouve-t-on des comportements et des transformations comparables dans d’autres principautés, elles aussi situées entre deux royaumes à la fois plus modernes et plus puissants qu’elles ? Nous pensons bien entendu en tout premier lieu à Gaston Fébus et à la vicomté de Béarn, qui partagent avec Charles II et le duché de Lorraine bon nombre de caractéristiques. Mais de façon générale, toutes les entités politiques comprises entre Meuse et Rhin sont soumises à un processus d’acculturation semblable à celui que nous nous efforçons de décrire pour la Lorraine ducale.
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Chapitre 6
L’hégémonie de Charles II dans l’espace lorrain
Depuis le milieu du xive siècle, les seigneurs lorrains ont en effet clairement conscience que le morcellement politique représente la principale source de faiblesse de la région. S’ils voulaient conserver leur culture politique et garder les privilèges dont ils bénéficient, il leur fallait se regrouper derrière un prince qui les protège de la sujétion que les rois de France cherchaient à leur imposer d’une manière de plus en plus pressante. Personne n’avait eu jusqu’alors les moyens d’étendre son autorité sur l’ensemble de l’espace lorrain1. À la faveur de la crise qui secoua l’Occident après 1400 et fort du soutien du duc de Bourgogne, puis de la noblesse des duchés de Bar et de Lorraine, Charles II pouvait-il espérer acquérir en Lorraine une position hégémonique ?
Un regroupement territorial impressionnant, mais hétéroclite Durant la seconde moitié du xive siècle, les ducs Jean Ier et Charles II étaient parvenus à accroître de manière significative leur influence dans l’espace lorrain2. Or, l’irruption des conflits du Royaume et de l’Empire dans la région ne détourne pas le duc de Lorraine de cet objectif. La crise politique du début du xve siècle permet au contraire à Charles II de bouleverser à son profit l’équilibre politique qui régnait en Lorraine depuis l’époque féodale. Les implications territoriales du traité de Foug
Au cours du précédent chapitre, nous avons abordé sous un angle essentiellement dynastique et diplomatique les conséquences du mariage de René et d’Isabelle sur les relations entretenues par le duc de Lorraine avec les rois de France et d’Angleterre et le duc de Bourgogne. Il nous faut revenir à présent sur les implications territoriales du traité de Foug. Cet acte constitue en effet l’élément majeur de la politique d’hégémonie menée par Charles II au sein de l’espace lorrain, en ce qu’il lui assura une position dominante dans la région. Lorsqu’en octobre 1420, le duc de Lorraine reçoit la tutelle de son gendre René d’Anjou, il obtient le gouvernement des territoires que Louis de Bar avait cédés à son
1 Cf. ci-dessus, première partie, chapitre 2, notamment la conclusion. 2 Cf. ci-dessus, première partie, chapitre 2.
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fils adoptif l’année précédente et prend du même coup le contrôle de la quasi-totalité du duché de Bar. Le cardinal s’était en effet réservé « la proprieté et usufruit » de quatre prévôtés seulement, celles de Stenay, Clermont, Varennes et Vienne-le-Château3. Charles II se retrouve par conséquent à la tête d’un territoire environ deux fois plus grand que celui qu’il avait administré jusqu’alors, puisqu’aux bailliages d’Allemagne, de Nancy et des Vosges viennent désormais s’ajouter ceux de Bar, de Saint-Mihiel et de Clermont. Or, à la fin du Moyen Âge, la richesse foncière constitue encore l’un des critères essentiels du prestige princier4. Dans la dernière décennie de son existence, la puissance du duc de Lorraine s’accroît donc de manière considérable. L’union des duchés de Bar et de Lorraine permet tout d’abord à Charles II d’augmenter de façon substantielle les ressources dont il dispose. Si l’on en croit l’évaluation faite par René d’Anjou dans une ordonnance de 1446, le duché de Bar rapportait environ 18 000 à 20 000 francs par an à la mort du duc Robert en 1411, contre 50 000 francs pour le duché de Lorraine à la même époque. On peut donc estimer à 40% la hausse des revenus de Charles II consécutive à son accession à la régence du duché de Bar5. Mais le profit n’est pas seulement d’ordre financier. Le duc peut également compter sur l’appui de la noblesse du Barrois, nombreuse et beaucoup plus soumise au pouvoir ducal que celle du duché de Lorraine. Les vassaux des deux principautés accueillent d’ailleurs très favorablement la signature du traité de Foug et la symbiose des deux classes dirigeantes s’opère d’autant plus facilement que les liens entre elles ne cessaient de se renforcer depuis le milieu du xive siècle6. Aux alliances matrimoniales entre les familles des deux duchés viennent maintenant s’ajouter l’installation de Lorrains dans l’entourage de René d’Anjou et l’arrivée de nobles du Barrois à Nancy7. Tout cela consolide notablement l’assise territoriale, financière et humaine dont bénéficie Charles II après 1420. Enfin, son pouvoir progresse également sur le plan qualitatif. Le gouvernement du duché de Bar, qu’il exerce de 1420 à 1424, le met en contact avec des pratiques administratives modernes et efficaces et le familiarise avec une conception plus forte de l’autorité du prince sur ses vassaux et sur ses sujets. Tout cela s’étend progressivement au duché de Lorraine dans les années 14208. Le mariage d’Isabelle de Lorraine et de René d’Anjou représente donc un moment décisif de l’histoire de la Lorraine, pas seulement du règne de Charles II. Il initie en 3 A.D.M.M. B 532, no 62, cité dans « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 60. Voir également la carte no 13 : « L’espace lorrain en 1431 », concernant le rassemblement territorial opéré par Charles II au début du xve siècle, reproduite ci-dessous dans le présent chapitre. 4 Ph. Contamine, La noblesse au royaume de France de Philippe le Bel à Louis XII, Paris, P.U.F., 1997, 386 p., p. 103. 5 A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 10. Ces calculs sont effectués à partir de l’ordonnance de réformation du domaine promulguée par René d’Anjou en décembre 1446 (A.D.M.M. B 417, f. 11r-14r). 6 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1, et deuxième partie, chapitre 5. 7 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 216 ; J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 279. 8 Comme nous le verrons ci-dessous, chapitre 8.
l’h ég é m o n i e d e c h ar l e s i i dans l’e space lo rrai n
effet un mouvement d’unification de l’espace lorrain, qui marque un retournement de tendance par rapport aux siècles précédents, caractérisés par un morcellement politique très important. Quant au duc de Lorraine, il apparaît à la fois comme l’artisan et le bénéficiaire de cette évolution. Il ne s’agit toutefois que d’une première étape, dont les résultats demeurent fragiles et provisoires. L’union des principautés de Lorraine et de Bar, purement personnelle, peut encore être remise en cause à tout moment. Charles II gouverne les deux duchés jusqu’en août 1424 et continue à surveiller étroitement l’activité de son gendre jusqu’en 1431. Néanmoins, entre ces deux dates, le Barrois et la Lorraine sont placés sous l’autorité de deux princes différents. Par ailleurs, les revendications du comte de Vaudémont font planer une menace très sérieuse sur la succession de René au duché de Lorraine9. Enfin, et surtout, les termes de l’accord conclu à Foug prévoient un certain nombre de cas de figure dans lesquels les destinées des deux principautés pourraient se séparer à nouveau10. L’indivisibilité de l’ensemble Bar-Lorraine ainsi constitué n’est aucunement garantie dans l’avenir. L’œuvre d’unification entamée par Charles II et Louis de Bar en mars 1419 demande par conséquent à être approfondie et élargie à d’autres entités politiques de l’espace lorrain. La mainmise sur les principautés épiscopales
Depuis le début du xive siècle, les principautés ecclésiastiques, qui ont toujours bénéficié en Lorraine de temporels très vastes, se tiennent sur la défensive. Affaiblies, elles font l’objet d’attaques constantes de la part des ducs, désireux d’accroître leur richesse et d’étendre leur assise territoriale11. Cette évolution s’accentue au xve siècle : le duc de Lorraine, notamment, s’emploie à parfaire le noyautage financier de l’évêché de Metz commencé pendant les premières années de son règne12. Pour faire face à ses propres dépenses et aux dettes laissées par ses prédécesseurs, Raoul de Coucy avait été contraint de mettre en gage de larges portions du temporel de l’évêché de Metz entre 1390 et 1400. Cousin de Charles II, ce prélat avait décidé de faire du duc de Lorraine son principal créancier et de conclure avec lui une alliance très étroite, pour placer les territoires engagés sous sa protection13. Dans les années suivantes, l’état des finances épiscopales ne s’améliora pas : les conflits qui ravageaient la Lorraine rendaient le soutien du duc de plus en plus nécessaire et contraignirent Raoul à se ranger résolument dans le camp de la cité de Metz, de Robert de Bavière et de Charles II14. En contrepartie de son aide, ce dernier renforça encore son emprise sur les terres et les ressources de l’évêché.
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Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. Ibid. Cf. ci-dessus, première partie, chapitre 2. Cf. figure 12 : « Le renforcement de la cohésion interne dans le duché de Lorraine à la fin du xive siècle (1390-1400) », ci-dessus première partie, chapitre 2. 13 Cf. ci-dessus, première partie, chapitre 2. 14 Cf. Annexe 10 : « Alliance de la cité de Metz avec l’évêque de Metz Raoul de Coucy, le duc de Lorraine Charles II, et le comte de Vaudémont Ferry de Lorraine ». Les citains, en butte aux attaques des quatre seigneurs et à l’hostilité de Louis d’Orléans, sollicitent l’aide de leur évêque
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Après avoir obtenu une partie de la châtellenie de Fribourg en 140115, le duc de Lorraine racheta, le 2 juillet 1409 la moitié du chastel et chastellerie de Lutzelbourg, près de Saverne en Alsace, avec toutes les villes, terres, et appartenances dudit chastel et chastellerie, des mains des enfants de feu Lotz de Lempten, qui le tenoit en gaige pour une certaine plus grosse somme d’or devant la confection de ces presentes […] pour laquelle somme de huit cent florins dessus dit mondit cousin evesque de Mets, pour lui et ses successeurs evesques de Metz, a mis pour la forme et maniere de bonne et loyalle gaigie en la main de nous, pour nous et pour nos hoirs, la quarte partie dudit chastel et chastellerie de Lutzelbourg et de toutes les villes, terres et appartenances d’icelle […]16
Le mouvement de concentration de toutes les hypothèques épiscopales entre les mains de Charles II, amorcé dans les dernières années du xive siècle, se poursuit donc tout au long de l’épiscopat de Raoul de Coucy et même au-delà, si l’on prend en compte l’engagement par son successeur, Conrad Bayer de Boppard, des villages de Pallegney, Villacourt, Vaxoncourt et Zincourt à Ermenson d’Autel, la femme du maréchal de Lorraine Jean d’Haussonville, et celui de Vého au bailli de Nancy Jean de Parroy17. En apparence, cette situation favorise l’évêque de Metz. Non seulement Raoul de Coucy parvient à désengager le quart de la châtellenie de Lutzelbourg18, mais il peut compter sur le duc de Lorraine et ses conseillers pour le défendre contre les chevauchées et les raids de pillages menés par les troupes au service des Armagnacs. Pourtant, plus les années passent et plus le risque augmente de voir Charles II se considérer comme le légitime propriétaire des biens de l’évêché. Ainsi, en 1426, les terres concédées à Jean d’Haussonville tombent entre les mains de Ferry de Bildstein, fils naturel du duc de Lorraine19. Et l’année suivante, Jean Pariset de Lunéville inclut dans son « papier des receptes des piedz de la terre Raoul de Coucy qui accepte, mais leur conseille de faire également alliance avec Charles II et sert vraisemblablement d’intermédiaire dans la négociation. 15 A.D.M.M. B 946, no 3 : celle-ci lui avait été accordée par Raoul de Coucy en contrepartie de son aide contre le comte de Linange, qui avait fait creuser un étang à Gondrexange, au préjudice des revenus de l’évêché de Metz. 16 A.D. Mos. G 145. Située entre Sarrebourg et Saverne, à l’endroit où le massif des Vosges, très étroit, est aisément franchissable, cette ville occupe une position commercialement stratégique, sur la route qui mène de Strasbourg à Nancy et à Metz. Non loin de là, Charles II détenait déjà en gage le péage d’Emarthausen (actuelle Phalsbourg) : A.D.M.M. B 808, no 8. L’acquisition du quart de la forteresse de Lutzelbourg permet donc au duc de Lorraine de consolider ses positions dans la région, et d’améliorer la continuité territoriale de sa principauté (cf. carte no 13). Cette politique implique la prise de contrôle au moins partielle des enclaves que constitue le temporel de l’évêché de Metz au sein du duché de Lorraine. 17 A.D.M.M. B 671, no 29 et A.D. Mos. G 5, f. 146v-147r. Déjà, au cours de la dernière décennie du xive siècle, Raoul de Coucy avait engagé les villes et forteresses de Vathiménil et de Moyen à des conseillers ducaux (cf. ci-dessus figure 12). De ce point de vue, l’action de Conrad Bayer de Boppard se trouve en parfaite continuité avec celle de son prédécesseur. 18 A.D. Mos. G 145. Lotz de Lempen avait en gage la moitié du château de Lutzelbourg. Après le rachat effectué pour le compte de l’évêque de Metz, Charles II n’en reçoit que le quart. Sans bourse délier, Raoul de Coucy est donc parvenu à récupérer une partie de son bien. 19 G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 11.
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du bailliaige de Nancey » les « revenus et droitures de la terre et chastellenie de Baccarat » et de celle de Rambervillers20. Certes, ces deux territoires pris en gage jouxtent le bailliage de Nancy, ce qui explique que Jean Pariset, le receveur du duc, en perçoive lui-même les recettes21. Mais ne peut-on pas voir là le début d’une intégration progressive de ces deux parties du temporel épiscopal dans le domaine ducal ? Toutefois, les évêques de Metz ne tirent pas l’essentiel de leurs ressources de leur patrimoine foncier, mais de « l’or blanc » que représentent les salines du Saulnois. Celles-ci sont convoitées depuis bien longtemps par les princes laïcs et, notamment, par les ducs de Lorraine. Jean Ier avait ainsi dû batailler pendant plus de trente ans pour faire reconnaître son droit de fortifier Château-Salins et d’exploiter le sel à Amélécourt22. Charles II ne se désintéresse pas de la question, bien au contraire, mais il n’adopte pas la même stratégie que son père pour consolider ses positions dans le Saulnois : il tente de profiter des difficultés financières des évêques de Metz pour mettre personnellement la main sur les profits liés à l’extraction et à la vente du sel dans la région. Dès 1402, un acte de Raoul de Coucy fait état d’un traité prévoyant la gestion commune des salines du duché et de l’évêché pour une durée de huit ans23. Étant donné l’inégale importance des possessions ducales et épiscopales dans ce domaine, un tel accord profite avant tout à Charles II, qui possède désormais un droit de regard sur toute l’industrie salinière de l’évêché. Quasiment vingt ans plus tard, le 2 mai 1420, le duc de Lorraine obtient la signature d’un texte encore plus favorable que le précédent, puisque Conrad Bayer de Boppard lui confie cette fois personnellement la gestion de toutes les salines de sa principauté, à charge pour le duc de Lorraine de lui reverser une partie des profits réalisés : Nous Conraud, par la grace de Dieu et du sainct siege de Rome evesque de Metz, faisons savoir a tous, que nous, pour nous et pour nos successeurs evesques ou esleus et confermez administrateurs de Metz, avons laissié et admozonné, laissons et admozonnons par la teneur de ces presentes a hault et puissant prince et seigneur monseigneur Charles
20 A.D.M.M. B 7234, f. 1, 23v et 24r. Dans ces deux villes, Jean Pariset reçoit des mains du châtelain nommé par Charles II les sommes dues au trésor ducal, alors que dans le bailliage de Nancy proprement dit, il effectue en général lui-même les prélèvements. Mais les pratiques financières n’étant pas encore clairement définies et uniformisées dans le duché de Lorraine (cf. ci-dessous troisième partie, chapitre 8), la différence de gestion entre les biens domaniaux et ceux de l’évêché nous semble très ténue. 21 Cf. ci-dessus, figure 12. 22 Cf. ci-dessus, première partie, chapitre 2. 23 A.D.M.M. B 881, no 1. Ce document porte interdiction, de la part de Raoul de Coucy, de mener du sel dans la ville de Toul, alors en guerre avec le duc de Lorraine, quoique « nostre chier et amei cousin Charles, duc de Loherenne et marchis, et nous, nous soiens avuei et accompengniet ensemble de nos sallines par le terme de oct ans, par certennes fourme et meniere plus a plain contenues ès lettres que de nostre dict accompeignement sont faictes ». Ce traité prévoyait pourtant la libre circulation de tous les sauniers sur les territoires ducal et épiscopal, et cela, quelle que soit la situation politique du moment. Il y a bien là un signe de plus de la soumission de Raoul de Coucy à la volonté du duc de Lorraine.
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duc de Lorraine et marchis, pour luy, ses hoirs, successours ou ayans cause, toutes noz sallines de Vy, de Moienvy et de Marsal, ensemble toutes lours poursuites, drois, usaiges et coustumes de meires, de forges, de fonouelz, de poelles, de neifs, de bois et de toutes autres appartenances, […] desquelles salines, avec toutes lours dictes appartenances, mondit seigneur de Lorraine aura et tanra lui, ses hoirs et ayans cause pour salliner, a tant de poelles comme il ly plaira, et vendra le sel a tel prins qu’il ly plaira, et fera son proffit par cui qu’il ly plaira, par l’espace de seix ans continuellement et tantost ensuyvant l’ung apres l’autre, commenceant le jour de la datte de ces presentes, pour et paour la somme de trois milz florins dix gros monnoye, coursable en la duchié de Lorraine […] Encor debvra paier chacun an, lesdictes années durant aux fiefdves de nosditctes sallines deux milz et seix cens livres monnoye coursauble en nosdictes sallines et avec ce cinq cens et trente meudz de sel, tel sel et a tel moieson comme il est accoustumé de paier en nosdictes salines24.
Les seules obligations auxquelles se soumet Charles II concernent donc le paiement à Conrad d’une rente annuelle de 3 000 florins, ainsi que la prise en charge de tous les fiefs de bourse assignés par l’évêque à ses vassaux sur les salines de Vic, de Moyenvic et de Marsal. En dehors de cela, le duc peut exploiter comme il l’entend le sel de l’évêque, qui se retrouve en quelque sorte pensionné par Charles II sur les ressources de son propre temporel. Enfin, signe qu’il n’est plus véritablement maître chez lui, Conrad Bayer promet de ne pas mettre en service d’autres salines pendant la durée du contrat25. Cette clause entrave la liberté d’action de Conrad Bayer de Boppard sur son propre territoire et porte en cela directement atteinte à sa souveraineté. Conclu pour six ans, ce traité d’amodiation est renouvelé en 1426 et garanti par un certain nombre de vassaux du duché, qui se portent caution du respect des engagements financiers pris par le duc de Lorraine26. Il assure, concrètement, la mainmise de Charles II sur les revenus de l’évêché et instaure une sorte d’administration commune des principautés ducale et épiscopale. En témoigne également un autre accord, passé cette fois entre Charles II et Raoul de Coucy le 7 septembre 1413, par lequel les deux hommes décident de partager les revenus d’un certain nombre de leurs villages27. Ainsi, peu à peu, les officiers du duché de Lorraine et ceux de l’évêché 24 A.D.M.M. B 422, f. 28-30. Les villes de Vic, Moyenvic et Marsal constituent le noyau du temporel épiscopal messin. La première de ces trois villes sert même de résidence principale à l’évêque depuis le xiiie siècle (M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 187). 25 Ibid. 26 A.D.M.M. B 816, no 2. Ces vassaux appartiennent pour la plupart au noyau dur de l’entourage ducal (cf. Annexe 20) Il s’agit d’Henri d’Ogéviller, Ferry de Chambley, Jean de Lenoncourt, Warry de Haroué, Warry de Savigny, Jean de Haraucourt, Jean de Pulligny, Ferry de Parroye, Ferry de Ludres, Jean de Fléville, Henri de Barbas et de Joffroy de Tonnoy. Par ailleurs, trois ans auparavant, le 2 mai 1423, l’évêque de Metz avait donné quittance à Charles II du versement des 3 000 florins et du paiement des fiefs-rentes aux vassaux de l’évêque de Metz, preuve que le traité précédent a bien été mis en application (A.D.M.M. B 803, no 6). 27 A.D.M.M. B 881, no 5. Les villages en question correspondent à ceux du val de Metz pour l’évêché, à savoir Ancy-sur-Moselle, Châtel-Saint-Germain, Moulins-lès-Metz, Longeville-lès-Metz, Lessy, Scy-Chazelles, Montigny-lès-Metz et Ars-sur-Moselle, et, pour le duché, à ceux de Rebeuville, Buissoncourt, Velaine-sous-Amance et Escles. Une nouvelle fois, le déséquilibre en faveur de
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de Metz apprennent à travailler ensemble et une symbiose se développe entre le duché et l’évêché, à l’image de celle qui s’opère à la même époque entre le Barrois et la Lorraine. Mais Charles II ressort nettement gagnant de son association avec les évêques de Metz, placés sous sa dépendance financière, et plus ou moins contraints de se plier à ses volontés. Cette situation engendre toutefois un certain nombre de frictions entre les deux princes. Déjà, les relations entre Charles II et Raoul de Coucy n’ont plus la même chaleur à la fin de son épiscopat qu’au cours de la dernière décennie du xive siècle. Le 31 mai 1411, les deux hommes se promettent mutuellement de maintenir la paix entre eux et leurs sujets et de faire trancher les litiges qui pourraient survenir par une commission de trois membres28. Certes, un tel acte met en pleine lumière la solidarité de fait qui unit à la fois l’oncle et le neveu, le créancier et le débiteur. Mais il témoigne aussi de l’existence de conflits potentiels entre le duc et l’évêque, ce qu’aucun indice ne laissait présager avant 1400. Raoul aurait-il pris conscience de l’impasse à laquelle aboutissait sa politique d’engagements envers le duc de Lorraine ? Est-ce pour en sortir qu’il décide de quitter l’évêché de Metz pour celui de Noyon en 141529 ? Rien n’est moins sûr, car de tels changements sont monnaie courante à l’époque. Toujours est-il que la nature des rapports entre l’évêque de Metz et le duc Charles ne se modifie pas avec l’arrivée de Conrad Bayer de Boppard sur le trône épiscopal. Le pacte signé par Conrad et Charles II le 20 novembre 1422 reprend en effet presque terme pour terme celui de 141130. Mais la personnalité du nouvel évêque, plus marquée que celle de son prédécesseur, avive les tensions déjà perceptibles auparavant avec le duc de Lorraine. Après s’être mis au courant de l’état des finances épiscopales, Conrad Bayer se fixe pour objectif de décharger le temporel de l’évêché des dettes et des engagements qui pèsent sur lui. Naturellement, une telle politique va à l’encontre des intérêts du duc de Lorraine, qui cherche à maintenir son contrôle sur la principauté épiscopale. Des querelles éclatent très vite à propos des territoires partiellement mis en gage par Raoul de Coucy. À Nomeny par exemple, les officiers de Charles II refusent en 1420 d’ouvrir le château à l’évêque, qui en possède pourtant une partie, en arguant de la crainte qu’ils ont d’être chassés de la forteresse une fois que les troupes de Conrad
Charles II paraît flagrant. 28 A.D.M.M. B 424, f. 154v-155v. L’un des arbitres est nommé par le duc de Lorraine, l’autre par l’évêque de Metz et le troisième par ces deux princes en commun. La procédure s’apparente à celle des traités de Landfried du xive siècle. 29 H. Tribout de Morembert (dir.), Le diocèse de Metz, op. cit., p. 88. Cette mutation peut également s’expliquer par la volonté du prélat de se rapprocher de ses terres d’origine. Raoul devait se sentir davantage chez lui à Noyon, en Picardie, que dans le diocèse de Metz, à cheval sur la Lorraine francophone et germanophone. 30 A.D.M.M. B 424, f. 161. Peut-être depuis 1411 le traité a-t-il été régulièrement prolongé tous les trois ans, sans que nous ayons conservé un exemplaire de chaque renouvellement ? En tout cas, dès le 31 août 1413, il était reconduit pour trois années supplémentaires, avant même que la validité du précédent traité ne soit arrivée à expiration.
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Bayer y auront pénétré31. Par ce geste, le duc de Lorraine manifeste clairement son intention de conserver la possession des terres et des places fortes acquises depuis plusieurs décennies. Mais l’opposition entre le duc et l’évêque concerne également le domaine spirituel. Charles II revendique le droit de nomination dans deux abbayes messines détenues par ses prédécesseurs ducs de Lorraine, celles de Saint-Pierre-aux-Nonnains et celle de Saint-Martin32. Ces deux établissements revêtent pour lui une importance capitale, en ce qu’ils lui fournissent un point d’appui dans les faubourgs de la cité de Metz. Or, en tant qu’évêque de Metz, Conrad prétend disposer au moins d’un droit de regard sur le choix des titulaires de ces deux bénéfices ecclésiastiques, ce que lui conteste Charles II, qui y voit une atteinte à ses privilèges. En janvier 1419, celui-ci envoie deux de ses secrétaires, Louvion Barneffroy et Dominique François, enquêter sur les conditions d’investiture de Marguerite de Chérisey, abbesse de Saint-Pierre aux Nonnains depuis 1416. Après son élection, Marguerite avait repris le monastère en fief du duc de Lorraine, au temporel comme au spirituel. Charles II lui avait bien recommandé de n’accepter aucune confirmation de la part de l’évêque de Metz. Conrad Bayer de Boppard avait alors fait excommunier l’abbesse. Le conflit s’était ensuite apaisé, jusqu’à ce que Conrad affirme devant Charles II, preuve écrite à l’appui, avoir lui aussi investi Marguerite de Chérisey de son abbaye. L’affaire demeura obscure, mais elle montre que l’évêque supporte de moins en moins bien la mainmise du duc de Lorraine sur sa principauté, au temporel comme au spirituel33. Il lui faut pourtant faire contre mauvaise fortune bon cœur. Car Charles II n’est pas homme à transiger sur ses prérogatives ou à revenir sur ses positions. Ni sur la 31 A.D.M.M. B 743, no 13. Nomeny avait été engagée en totalité par Raoul de Coucy au duc de Lorraine le 12 mai 1395. Puis, le 14 février suivant, Charles II en avait redonné le tiers à l’évêque de Metz, en échange de la forteresse de Baccarat. Les deux princes avaient ensuite délimité leurs droits respectifs à Nomeny par un traité de Burgfried : chacun d’eux pouvait entrer et sortir à sa guise de la ville, à condition de ne pas y introduire d’ennemi déclaré de l’autre. 32 Lors de l’entrée en fonction de chaque nouveau titulaire, Charles II prend bien soin de préciser quels sont les privilèges dont il dispose sur ces abbayes. Il rappelle notamment qu’il est le seul à pouvoir investir l’abbesse de Saint-Pierre et l’abbé de Saint-Martin de leur charge : « Car, tantost que lesdis abbe et abbasse sont esleus, […] et paravant qu’il preignent l’aministration desdites abbayes, viengnent devers mondit seigneur et reprengnent lour dites abbayes. Et n’ont autre confirmacion que de mondit seigneur ». (A.D. Mos. B 2344, no 49). Ce droit a été accordé aux ducs de Lorraine en tant que « patron[s] et fondateur[s] » de ces deux monastères (A.D.M.M. B 909, no 16, acte concernant Saint-Martin de Metz). 33 A.D. Mos. B 2344, no 49. La rencontre entre l’abbesse et l’évêque a été interprétée différemment par chacun des deux personnages. L’évêque affirme que « par long temps aprez [son investiture] elle et son couvent vinrent par mondit seigneur de Mets, disans qu’elles avoient estée mal informées et que lour volsist pardonner et recepvoir en confirmacion et benediction, et de fait se fit confermer et benire comme les dictes requestes le constiennent […] ». Marguerite de Chérisey rétorque au contraire que « a confermer une abbasse y est requise certaine solempnité et fault que le couvent s’en entremette et l’arcediacre du lieu, lesquelx ne s’en meslerent oncques, ne n’a liet de confirmacion ne de benediction, ne n’eust onques, ne onques ne requis a avoir ». Visiblement, le duc de Lorraine n’est pas convaincu par la version de l’abbesse, car « encor les [Dominique François et Louvion Barneffroy] renvoia devers la dicte abbasse pour l’aviser et ly dire que se elle vouloit riens dire autre chose ou muer en la dicte responce, qu’elle le feist. » Mais Marguerite ne changea rien à sa déposition.
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question des abbayes messines, ni sur celle des forteresses engagées, Conrad Bayer n’obtiendra gain de cause : le 31 octobre 1430, l’évêque renouvelle le traité de Burgfried conclu par son prédécesseur Raoul de Coucy avec le duc de Lorraine pour la forteresse de Nomeny34. Jusqu’à la fin de sa vie, Charles II est donc parvenu à noyauter une grande partie des territoires et des ressources de l’évêché de Metz. Les évêchés de Toul et de Verdun disposent d’un temporel moins vaste que celui de Metz. Leurs ressources, plus faibles, permettent encore moins aux évêques et aux chanoines de se défendre contre les attaques venues de l’extérieur. Dès le milieu du xive siècle, ceux-ci avaient dû faire appel à la protection de leurs voisins, lorrains ou français. Une répartition des aires d’influence s’était alors progressivement mise en place : le duc de Lorraine étendait sa sauvegarde sur l’évêché de Toul et le duc de Bar sur celui de Verdun35. Quant au roi de France, il intervenait lui aussi d’une manière de plus en plus directe dans les affaires de ces deux principautés, en concluant avec certains prélats des accords de pariage qu’il n’avait pu toutefois mettre en œuvre36. De ce point de vue, le traité de Foug modifie sensiblement la donne géopolitique. L’emprise de Charles II et de René d’Anjou sur les seigneuries ecclésiastiques se renforce considérablement, dans la mesure où les ducs de Bar et de Lorraine ne se font désormais plus concurrence. Le roi de son côté n’étant plus vraiment en mesure d’assurer la sécurité des terres et des hommes dépendant des évêchés, ceux-ci se tournent naturellement vers leurs protecteurs lorrains. Ainsi, aux alentours de 1409, plutôt que de voir les Bourguignons s’emparer du château de Void, les chanoines de Toul demandent à Charles II d’y établir une garnison et installent son frère Ferry de Lorraine, le comte de Vaudémont, dans la forteresse de Vicherey37. L’évêché de Verdun, quant à lui, entretenait déjà des relations très étroites avec le duché de Bar depuis au moins l’épiscopat de Jean de Sarrebruck, dans les premières années du xve siècle. Mais l’arrivée du cardinal de Bar à Verdun et l’accession de René d’Anjou à la majorité conduisent à une mainmise de plus en plus étroite sur les évêchés de Toul et de Verdun. Mais Charles II ne se contente pas de la domination indirecte que lui procure René d’Anjou sur le temporel de Verdun. En 1424, il prend lui-même sous sa protection les biens du chapitre, à la fois comme duc de Lorraine et comme régent du duché de Bar. Puis le comte de Salm, gouverneur du Barrois, en fait autant38. Un tel système de sauvegardes multiples met en évidence la nature de la politique A.D.M.M. B 424, f. 161v. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3. Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 595-596. Les relations très tendues entre l’évêque et le chapitre à Toul facilitent également la tâche du duc de Lorraine. Les uns et les autres sont souvent tentés d’en appeler à lui pour obtenir gain de cause. 38 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 240-241. Les deux traités de sauvegarde de Charles II sur les biens du chapitre de Verdun sont conclus le 20 août 1423 pour le duché de Lorraine, et le 16 septembre suivant pour le Barrois (BnF Col. Moreau, no 248, f. 73 et 78). En 1424, lorsque le comte de Salm reçoit le gouvernement du duché de Bar après l’émancipation de René d’Anjou, il promet à son tour de protéger le Verdunois des incursions étrangères (BnF Col. Moreau, no 248, f. 64). 34 35 36 37
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conduite par le duc de Lorraine dans la région. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un rassemblement territorial, dans la mesure où Charles II ne cherche pas à annexer les seigneuries et les principautés voisines, mais plutôt à les placer dans l’orbite du duché de Lorraine. En 1431, dans les trois évêchés, comme dans le duché de Bar, il est parvenu à ses fins. Cela signifie-t-il que les évêques lorrains puissent être considérés comme ses créatures ? Comme tous les princes laïques du Moyen Âge, les ducs de Lorraine ont tenté d’imposer leurs candidats sur les sièges épiscopaux de la région. À la fin du xive siècle, ils avaient obtenu deux beaux succès avec l’élection de Raoul de Coucy à Metz en 1387 et celle de Philippe de Ville à Toul en 139839. Au cours de la période suivante, l’attention portée par Charles II sur le choix des prélats ne se relâche pas, bien au contraire. À Toul, Philippe de Ville meurt en 1408. Membre d’une des plus grandes familles du duché de Lorraine, il n’avait pour ainsi dire jamais résidé dans son diocèse40, ce qui avait permis au duc d’y installer ses troupes, sous couvert de protection. Rien d’étonnant par conséquent à ce que Charles II ait souhaité maintenir l’évêché entre les mains de la maison de Ville après la mort de Philippe et proposé comme successeur le propre frère de ce dernier, Henri. Manifestement, ni le chapitre, ni le pape ne firent cette fois de difficultés. Chanoine et trésorier de Toul, écolâtre de Verdun et clerc de la chambre apostolique, Henri bénéficiait des faveurs du duc de Lorraine, du chapitre de Toul et du pape Benoît XIII qui se trouvait dans une situation trop délicate, au moment où s’ouvrait le concile de Pise, pour refuser quoi que ce soit à l’un de ses plus ardents partisans41. Quant au pape romain, il semblait avoir définitivement renoncé à toute velléité de placer les évêchés lorrains sous son obédience. Élu « sur recommandation du duc de Lorraine »42 , le nouvel évêque paraissait tout désigné pour servir de relais à la mainmise de Charles II sur le temporel toulois. Le duc lui accorda d’ailleurs une rente annuelle de six muids de sel sur les salines de Rosières43. Enfin, Charles pouvait compter sur d’autres appuis dans les institutions religieuses du diocèse. Hermann d’Ogéviller par exemple, dont la famille appartenait au noyau dur de l’entourage ducal, exerçait la charge d’abbé de Saint-Èvre, sous les murs de Toul,
39 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 40 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 379-383. 41 Ibid., p. 384. « Nommé le 10 décembre 1408, le nouveau prélat obtint de Benoît XIII la dispense d’âge qui lui était nécessaire, fut sacré à Perpignan, le 20 mars suivant, en présence du souverain pontife et de sa cour, et fit son entrée à Toul au mois de mai. » Tout comme son frère, Henri de Ville jouissait d’un très grand crédit auprès du pape aragonais. Il accepta pourtant la décision du concile de Pise, quelques mois plus tard, et se plaça sous l’obédience d’Alexandre V. 42 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 595. Aucune trace ne subsiste de l’intervention de Charles II auprès de Benoît XIII et du chapitre. Pourtant, on peut la tenir pour certaine, tant cette nomination fait le jeu du duc de Lorraine. 43 A.D.M.M. B 881, no 8 : l’acte est daté du 20 juillet 1422, mais il s’agit d’une quittance donnée par l’évêque de Toul. Le fief-rente a donc été accordé antérieurement par le duc de Lorraine, très certainement dès les premières années de l’épiscopat d’Henri de Ville, et peut-être même du temps de son frère Philippe.
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depuis au moins 141344. À bien des égards, l’évêché de Toul semblait être entièrement tombé sous la coupe de Charles II. L’influence du duc de Lorraine dans la désignation de Conrad Bayer de Boppard comme évêque de Metz en 1415 est en revanche plus difficile à mettre en évidence. Certains historiens font de Conrad un client de Charles II, sans toutefois parvenir à étayer solidement cette affirmation45. Les Bayer de Boppard s’étaient implantés en Lorraine entre 1365 et 1387, grâce à l’épiscopat de Thierry à Metz46. Plusieurs indices montrent que le duc de Lorraine entretient des relations très cordiales avec les membres de cette famille au cours des trois premières décennies du xve siècle. À plusieurs reprises, Henri Bayer lui vient en aide, sans doute contre Schmassmann de Ribeaupierre en 1425, puis contre la cité de Metz quatre ans plus tard47. Toutefois, la maison de Boppard, puissante, originaire de l’Empire où elle conserve des biens très importants, est beaucoup plus indépendante du pouvoir ducal que les seigneurs de Ville-sur-Illon. De plus, traditionnellement, l’emprise des princes laïcs sur les temporels épiscopaux se fait moins fortement ressentir dans l’évêché de Metz que dans les diocèses de Toul ou de Verdun48. Par conséquent, même si Charles II ne voit certainement pas d’un mauvais œil l’arrivée de Conrad sur le trône épiscopal de Metz, il ne peut attendre de lui une subordination totale à sa politique et aux intérêts de sa principauté. Enfin, peu avant sa mort, le duc de Lorraine parvint à imposer un de ses hommes comme évêque de Verdun. Il faut naturellement y voir l’une des conséquences du traité de Foug : jusqu’alors en effet, la principauté verdunoise était phagocytée par les ducs de Bar49. Mais René d’Anjou ne dispose pas d’une autorité suffisante pour imposer un éventuel candidat à la place de son beau-père. Après le décès du cardinal de Bar, en 1430, Louis de Haraucourt, fils d’un maréchal du duché de Lorraine à la fin du xive siècle, devint évêque de Verdun50. À la fin de son règne, Charles II contrôle
44 A.D.M.M. H 135, no 4. À cette date en effet, il donne en récompense à Jean d’Épinal une seigneurie située sur les villages de Crévéchamps, Saint-Martin et Villers-lès-Nancy. En ce qui concerne la place de la famille d’Ogéviller à la cour du duc de Lorraine, voir le tableau d’Annexe 2 ainsi que celui de l’Annexe 20. 45 F.-Y. Lemoigne (dir.), Histoire de Metz, Toulouse, Privat, 1986, 445 p., p. 164. 46 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 221-222. 47 A.D.M.M. B 1921, f. 4r. Ce compte d’Arnoul Wisse de Gerbéviller, châtelain de Dieuze, mentionne le passage d’une troupe de 400 chevaux, composée de seigneurs allemands. Parmi eux figure Henri Bayer. Il s’agit sans doute d’une chevauchée en direction de l’Alsace. À cette époque en effet, Charles II est en conflit avec le seigneur de Ribeaupierre et les villes alsaciennes à propos de Guémar (voir également ci-dessous dans le présent chapitre). Plus tard, le 15 juillet 1429, Henri Bayer s’engage également à aider le duc de Lorraine dans sa guerre contre la ville de Metz, sur la demande de celui-ci (A.D.M.M. B 489, no 24). 48 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. Si le temporel messin se trouve en grande partie engagé au duc Charles II à partir de la fin du xive siècle, du moins est-il à la fois plus riche, plus étendu et plus cohérent que celui des évêchés de Toul et de Verdun, qui ne disposent pas vraiment des moyens de se défendre contre d’éventuels agresseurs. 49 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 50 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 250. En ce qui concerne la place de la famille de Haraucourt dans l’entourage du duc de Lorraine, voir les tableaux de l’Annexe 2 et de l’Annexe 20.
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donc, d’une manière ou d’une autre, les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun et il peut considérer les trois prélats lorrains comme ses clients. Cela n’implique pas pour autant que ces évêques se comportent en exécutants dociles de la volonté ducale. Même si des liens très forts les rattachent au duché de Lorraine, ils ne perdent de vue ni les obligations qui leur incombent, ni les intérêts de leur principauté, ce qui peut les amener à s’opposer à la politique de Charles II. Nous avons déjà traité des efforts de Conrad Bayer de Boppard à Metz pour désengager les terres de son évêché et pour faire respecter son pouvoir spirituel sur l’ensemble des établissements religieux de son diocèse. Mais à Toul également, Henri de Ville manifesta son intention de ne pas se laisser dicter sa conduite par le duc de Lorraine. Et lorsque celui-ci prétendit exiger certains droits des habitants de l’évêché en échange de la protection qu’il leur accordait, Henri menaça de réactiver l’accord de pariage avec le roi de France conclu par son lointain prédécesseur, l’évêque Thomas de Bourlémont51. Le duc fut contraint de faire machine arrière. L’affaire n’eut pas de suite, mais elle montre que, s’il exerce une influence déterminante sur les évêchés lorrains, Charles II ne peut s’y comporter en maître absolu. L’emprise sur les villes
Avec les principautés laïques et ecclésiastiques, les villes représentent la troisième grande force politique en Lorraine. Les trois cités épiscopales occupent naturellement une place majeure dans le réseau urbain régional, mais il faut également tenir compte d’un certain nombre de petites villes et de bourgades commerçantes qui bénéficient d’une autonomie plus ou moins grande, même lorsqu’elles appartiennent à une entité plus vaste. Le succès de la politique d’hégémonie de Charles II dans l’espace lorrain suppose donc que le duc parvienne à imposer son autorité, directement ou non, sur la plupart d’entre elles ou sur les plus importantes et les plus riches. Des trois cités épiscopales, Toul est à la fois la plus pauvre et la plus proche du duché de Lorraine. Elle suscite donc la convoitise de ses voisins barrois, lorrains ou français et ce, depuis fort longtemps. Les ducs de Lorraine disposent dans la ville de quelques points d’appui. Ils possèdent notamment la souveraineté dans le faubourg Saint-Èvre, en raison de la protection qu’ils accordent à l’abbaye du même nom. D’ailleurs, lors du siège de 1401-1402, les habitants de ce quartier prirent les armes aux côtés de Charles II52. Quelques années plus tard, en 1407, le duc étend sa sauvegarde sur le bourg et le couvent de Saint-Mansuy, qui relève pourtant du duché
51 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 595-596. Le danger était grand pour lui. Le traité de pariage prévoyait en effet la gestion en commun par le roi et l’évêque du temporel épiscopal et permettait au souverain français de s’implanter au cœur même de l’espace lorrain. Voir ci-dessus première partie, chapitre 3. 52 BnF Col. Lor., no 64, f. 44. Les deux grandes abbayes de Toul, Saint-Mansuy et Saint-Èvre, dépendent respectivement des duchés de Bar et de Lorraine et ressortissent aux prévôtés de Foug et de Gondreville. En 1401, la révolte des habitants de Saint-Èvre, à l’instigation du duc de Lorraine, se solda par l’incendie du faubourg et de l’église par les citains. D. Vaisse, La communauté urbaine de la cité de Toul du milieu du xive à la fin du xve siècle, op. cit., p. 326.
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de Bar53. Ces deux établissements religieux lui servent par conséquent de tête de pont pour les entreprises qu’il mène contre la cité. Celle-ci cependant veille jalousement au respect de ses libertés. À l’issue du conflit qui l’oppose au duc de Lorraine et à son frère Ferry de 1401 à 1406, elle accepte de verser au premier une somme de 8.000 francs en plus d’une pension annuelle de 400 francs, mais elle refuse de reconnaître officiellement Robert de Bavière comme roi des Romains, ce qui constituait pourtant le motif originel du conflit : la ville est donc vaincue, mais non soumise54. Charles II quant à lui ne se considère pas comme satisfait. Dans les premières années du xve siècle, une lutte s’engagea entre les ducs de Bar et de Lorraine pour le contrôle de la cité. Les deux princes s’étaient bien promis, en 1401, de ne pas utiliser l’un contre l’autre leurs droits sur l’avouerie de Toul. Mais ces bonnes résolutions ne résistèrent pas à la guerre qui éclata entre eux à partir de 140655. La ville aurait pu jouer de la rivalité des deux ducs pour maintenir son indépendance, mais les dissensions internes à la bourgeoisie touloise multipliaient les occasions de complot. Le 13 mai 1407, le duc de Bar tenta d’utiliser à son profit la rancune de quelques bourgeois bannis depuis peu de la cité à la suite d’une émeute populaire et qui s’étaient réfugiés dans ses États. Aidés par quelques complices restés à l’intérieur de la ville, ceux-ci organisèrent un coup de main pour se rendre maîtres de Toul, mais l’affaire fut dévoilée et se termina par un fiasco complet56. On ne peut naturellement s’empêcher de faire le parallèle avec l’assaut avorté contre la cité de Metz quelques mois plus tard57. Visiblement, Robert de Bar et son fils Édouard cherchaient à s’emparer des principales villes de la région, à la faveur de l’alliance qu’ils avaient conclue l’année précédente avec Louis d’Orléans. De son côté, Charles II ne restait pas inactif et ne cessait de formuler de nouvelles exigences à l’adresse des Toulois. Peu après sa querelle avec l’évêque Henri de Ville, il aurait tenté à son tour de conquérir la cité par la force. Ces faits ne sont pas bien établis, mais ils montrent qu’à cette époque l’idée d’une annexion des villes épiscopales faisait son chemin dans l’esprit des princes désireux d’unifier sous leur autorité les principales entités politiques de l’espace lorrain58.
53 A.D.M.M. B 481, no 24. Henri de Houdelaincourt, abbé de Saint-Mansuy, reconnaît que les habitants de ce faubourg ont promis au duc de Lorraine de lui payer un gros d’argent par conduit, en échange de sa protection. Il précise cependant que cet acte ne doit pas porter atteinte aux droits que possède le duc de Bar sur l’abbaye. 54 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 55 BnF Col. Lor., no 64, f. 44. Voir également ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 56 D. Vaisse, La communauté urbaine de la cité de Toul du milieu du xive à la fin du xve siècle, op. cit., p. 332-335. 57 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 58 Cette tentative de Charles II contre la ville de Toul est relatée par Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 596, et par E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 385-386. Mais aucun de ces deux auteurs n’indique ses sources et nous n’avons pas trouvé trace de ces événements dans les archives lorraines. On peut donc légitimement mettre en doute leurs affirmations. Pour autant, le désir du duc de Lorraine de mettre la main sur la cité de Toul demeure, quant à lui, incontestable, au vu des attaques qu’il lance contre elle tout au long de son règne et notamment à partir de 1420.
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Faute de moyens pour ce faire, le duc de Lorraine se contenta d’intervenir le plus souvent possible dans les querelles intestines de la ville. On peut prendre pour exemple le verdict qu’il rendit en 1416, au nom de l’empereur Sigismond, entre les citains et les bannis de Toul, au sujet d’un litige qui divisait la cité depuis une dizaine d’années. Il prit naturellement très à cœur une affaire qui lui permettait de se poser en juge souverain par rapport aux bourgeois59. Année après année, il accroissait son influence sur la ville, sans pouvoir toutefois prétendre lui imposer sa politique et sa volonté. L’union des duchés de Bar et de Lorraine allait cependant lui permettre d’arriver à ses fins. Le traité de Foug modifiait en effet profondément la nature des relations entre la cité de Toul et les principautés barroise et lorraine, dont les territoires encerclaient presque totalement la ville. Charles II en profita pour augmenter la pression qu’il exerçait sur les Toulois depuis plusieurs années. Il saisit pour prétexte les droits qu’il prétendait avoir sur les enfants de clercs natifs du duché. Ce privilège émanait d’une concession impériale régulièrement renouvelée lors de chaque cérémonie d’hommage, mais était considéré depuis bien longtemps comme purement honorifique60. Le duc de Lorraine voulut cependant le remettre au goût du jour et ordonna au prévôt de Gondreville d’aller arrêter un certain Gérardin le Retondeur, fils naturel d’un prêtre lorrain, mais à qui la cité de Toul avait accordé le droit de bourgeoisie. Cette action revenait à contester le pouvoir des magistrats toulois sur leurs propres sujets et à l’intérieur même de la ville : logiquement, les citains refusèrent donc d’ouvrir les portes au prévôt et offrirent à Charles II de porter le différend devant l’empereur Sigismond ou l’évêque Henri de Ville61. Le duc ne voulut rien entendre : en 1419, il déclara la guerre à la cité et déclencha immédiatement les hostilités. Elles durèrent environ une année. Les Toulois ne purent résister bien longtemps aux forces conjuguées de Charles II et d’Antoine de Lorraine qui disposaient par ailleurs de la neutralité bienveillante du cardinal duc de Bar. L’aide du damoiseau de Commercy Robert de Sarrebruck ne leur fut pas d’un grand secours et ne contribua même qu’à renforcer l’animosité du duc de Lorraine à leur égard. Celui-ci adopta la même stratégie que lors du conflit de 1402-1406 : il fit le blocus de la ville afin de « mettre discencion ou sedition populaire en la citez » et installa sur une hauteur qui la domine un « chastel de bois ou bastille » d’où « il faisoit traire les bombardes jusques en ladite cité de Toul62 ». Menacés par la famine et en butte aux pillages 59 A.N. KK 1126, layette Toul cité, no 74. 60 Elle figurait parmi les différents fiefs repris de l’empereur Charles IV par le duc de Lorraine Jean Ier en 1361 et avait été renouvelée au duc Charles II par le roi des Romains Wenceslas en mars 1398 : quod filii clericorum qui in terris suis nascuntur ad ipsum debeant pertinere (les enfants des clercs qui sont nés sur ses terres doivent lui appartenir). BnF Ms. fr. 1823, f. 9, voir également Annexe 8. 61 D. Vaisse, La communauté urbaine de la cité de Toul du milieu du xive à la fin du xve siècle, op. cit., p. 361. Par cette proposition, les citains s’en remettaient à une autorité supérieure pour vider la querelle qui les opposait au duc de Lorraine. Ils se plaçaient donc par rapport à lui dans une position d’égal à égal et rejetaient toute forme de juridiction ducale sur la cité. 62 BnF Col. Lor., no 243 bis, f. 106. Il s’agit d’une supplique adressée au duc de Lorraine par les citains le 23 septembre 1419. Ils lui rappellent qu’ils lui ont déjà exposé tous les griefs qu’ils peuvent avoir à son encontre dans une lettre précédente, à laquelle il n’a pas répondu.
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quotidiens des troupes ducales, les bourgeois durent se résoudre à la paix. Elle fut signée le 20 juillet 1420 et se solda par un traité entièrement à l’avantage du duc de Lorraine. Charles II en effet obtint gain de cause quasiment sur tous les sujets, à commencer par la question des enfants des clercs : Sur le fait des bastards, fils des prestres, natifs du pays de monseigneur le duc de Lorraine et marchis, pour lesquels ladite guerre est principalement venue, lesquels il demandoit a lui delivrer, il s’en sera doresenavant en cette maniere, c’est a scavoir, que quand mondit sieur le duc reclameroit, ou feroit reclamer a lui delivrer aucun desdits bastards demeurans en ladite cité, la justice d’icelle les feroit appeller pardevant eux, et iceux ainsi appellez, s’ils confessent estre bastards, fils de prestres natifs du pays dudit monseigneur le duc, la justice de la cité les devroit mettre fuer hors de la porte de la cité, en presence des officiers dudit monsieur le duc, sans debats ne contredits desdits citains, ne d’autres de par eux, et le tout sans malengin. Et si iceux bastards ainsi appellez nioient estre tels, lesdits maistre eschevin et justice de Toul doient estre seurs d’eux, et ledit monsieur le duc soit tenu de les monstrer tels, et se panront les informations par un tabellion juré de la cité […]63.
En d’autres termes, les citains de Toul s’engagent par ce texte à faire respecter les droits du duc de Lorraine sur le territoire même de la cité, moyennant quoi le duc renonce à toute intervention directe de ses officiers à l’intérieur de la ville. Mais par une telle clause, les bourgeois reconnaissent être en quelque sorte subordonnés à l’autorité ducale. Par ailleurs, si des négociations sont prévues pour régler à l’amiable les autres querelles en suspens, les charges que le duc de Lorraine fait peser sur la cité à titre de protection s’alourdissent d’une manière très substantielle. Chaque geste de Charles II en faveur des citains leur coûte une compensation financière souvent disproportionnée. Il en est ainsi notamment de la destruction de la fortification établie sur la montagne Saint-Michel par le duc de Lorraine64. Qui plus est enfin, cette pension n’annule en rien celle de quatre cents francs que les bourgeois devaient verser au duc de Lorraine aux termes du traité de 140665. Au total, c’est donc une rente annuelle de 1 000 francs que Charles II obtient de la cité. Les Toulois sont contraints de passer sous les fourches caudines du duc de Lorraine. Par la suite, celui-ci ne desserre pas son étreinte. En 1427, lorsqu’il apprend que la ville abrite dans ses murs un de ses ennemis, le capitaine Jean d’Ardenne, il 63 A.N. J 979, no 32 (3). Ce document a également été publié par Dom Calmet, Preuves de l’histoire de Lorraine, op. cit., p. CXV-CXVIII. La seule concession accordée par le duc de Lorraine aux bourgeois sur cette question consiste dans la promesse de traiter « benignement » Gérardin le Retondeur si celui-ci venait de son plein gré se placer sous sa sujétion. 64 Ibid. La chapelle Saint-Michel peut bien évidemment servir de base à une éventuelle fortification dans le cas où un nouveau conflit surgirait entre le duc et la ville. La destruction de la bastille édifiée sur cette colline par Charles II s’avère donc purement symbolique, à la différence de la somme que les citains s’engagent à payer au duc de Lorraine. 65 Ibid. : « Item, demourent et demoureront en lor vertu, les lettres de la paix derrenierement faite, avant la datte de ces presentes, entre ledit monsieur le duc et la cité, selon leur force et teneur. » Enfin, un dernier signe de la soumission totale de la ville au duc de Lorraine réside dans une lettre rédigée par les échevins, le 20 juillet 1420, par laquelle ils déclarent fonder une messe destinée à réparer les injures dont ils sont responsables envers la personne de Charles II. A.N. KK 1126, layette Toul cité, no 39.
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envoie ses principaux vassaux défier la cité, qui n’échappe à une nouvelle guerre que grâce à l’entremise de l’évêque Henri et à la condition de chasser le routier hors de la ville66. Au cours des années 1420, la cité de Toul est donc entrée à son tour, et par la force, dans l’orbite ducale. Rien ne le montre mieux que la plainte des bourgeois, rappelant à Charles II en 1420 que Jean Ier n’agissait pas ainsi, lui qui « pour les fais particuliers, faisoit poursuire les citeins devant leurs juges et, pour le commun, venoit jounier a sainct Eyvre, ou a sainct Mansuy, ou en la citey, doulcement et amiaublement. »67. On ne saurait mieux décrire le changement des relations entre la ville et le duc de Lorraine d’un règne à l’autre : au xive siècle, le duc Jean devait composer avec les citains et traiter avec eux sur un pied d’égalité. Trente ans plus tard, son fils leur fait ressentir tout le poids de son autorité. Plusieurs fois même, les bourgeois sollicitent d’eux-mêmes la protection de Charles II contre les chefs de bande qui ravagent le plat pays68. La cité de Toul s’est donc apparemment résignée à subir la tutelle du duc de Lorraine. Verdun se trouve, vis-à-vis du duché de Bar, dans une situation comparable à celle de Toul face au duché de Lorraine. Depuis au moins le début du xive siècle, la ville est comme prise dans un étau entre les principautés de Bar et de Luxembourg, qui en revendiquent toutes deux la vouerie69. Le mariage de René d’Anjou et d’Isabelle de Lorraine, en conférant le gouvernement du Barrois à Charles II, permet à ce dernier d’étendre son influence sur la cité, qu’il prend sous sa protection en tant que duc de Lorraine d’abord, puis en tant que régent du duché de Bar70. Toutefois, Charles II exerce une emprise beaucoup moins forte sur Verdun que sur Toul. Cela s’explique avant toute chose par des considérations d’ordre géographique. La cité est éloignée de la capitale du duché de Lorraine et présente un intérêt bien moindre que Toul, distante d’une vingtaine de kilomètres seulement de Nancy. De plus, sa position
66 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 599-600. Par ailleurs, les bourgeois s’engagent à aider militairement le duc de Lorraine contre la cité de Metz et à fournir à son armée les vivres dont elle a besoin pour un prix raisonnable. Cette fois-ci, la cité est donc réduite à l’obéissance avant même que le conflit n’éclate. 67 BnF Col. Lor., no 243 bis, f. 106. Il faut toutefois remarquer qu’aucune guerre n’a opposé la cité de Toul au duché de Lorraine au cours du règne de Jean. 68 A.N. KK 1120, layette États-Généraux du duché de Lorraine 1, no 118. En 1425, Charles II assigne en effet Henri de la Tour à rembourser aux Toulois les dégâts qu’il a commis sur leurs terres devant les assises de Nancy en vertu du droit de garde dont il dispose sur la ville. Le verdict fut prononcé par Jean de Lenoncourt, en présence de 34 des principaux seigneurs du duché de Lorraine ; A.N. KK 1126, layette Toul cité, no 42 : les citains demandent l’aide du duc de Lorraine contre leurs ennemis. Le nom du damoiseau de Commercy n’est pas précisé, mais nous savons qu’il tente plusieurs fois de prendre d’assaut la cité de Toul aux alentours de 1430. Robert de Sarrebruck avait pourtant prêté main forte à la ville contre Charles II en 1420, mais il estimait ne pas avoir été convenablement indemnisé pour ses pertes et pour les services rendus et avait alors pris les armes contre les Toulois. 69 A. Girardot, Histoire de Verdun, op. cit., p. 81. 70 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 240-241. Les deux actes datent respectivement du 20 août et du 16 septembre 1423. En fait, la sauvegarde du duc de Lorraine concerne à la fois le territoire de la cité et le temporel de l’évêché de Verdun.
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frontalière la place dans un système de gardes multiples qui se neutralisent l’une l’autre71. En somme, l’autorité du duc de Lorraine sur Verdun se manifeste de manière essentiellement indirecte, par le biais du duché de Bar. Il convient donc de la relativiser. Il n’en demeure pas moins qu’à la fin de son règne, Charles II parvient à faire sentir sa domination sur une ville située jusque-là hors du champ d’action traditionnel des ducs de Lorraine. La sauvegarde sur Verdun représente bien une innovation qui témoigne de l’extension du pouvoir ducal sur l’ensemble de l’espace lorrain à partir de 142072. Les trois cités épiscopales tiennent une place fondamentale dans la Lorraine de la fin du Moyen Âge, mais elles traversent à cette époque une phase de déclin, particulièrement marquée à Toul et à Verdun. Aux xive et xve siècles, le dynamisme urbain concerne surtout les villes d’importance secondaire, dont la vocation commerciale s’affirme de plus en plus, à l’image d’Épinal73. Bon nombre d’entre elles supportent de plus en plus mal la tutelle seigneuriale qui continue à peser sur elles, notamment dans l’évêché de Metz. Il y a là une situation tout à fait favorable pour Charles II, qui peut espérer profiter des dissensions entre les bourgeois et leur évêque, pour renforcer encore son contrôle sur le temporel épiscopal et capter à son profit une partie des courants commerciaux de la région. Dès les années 1390, il était parvenu à s’entendre avec les magistrats de Sarrebourg, ville que lui avait engagée Raoul de Coucy, et à conclure avec eux un accord qui lui donnait des droits supérieurs à ceux de l’évêque74. Les Sarrebourgeois prennent d’ailleurs l’habitude, au cours des premières décennies du xve siècle, de ne plus payer au prélat les contributions qu’ils lui devaient au titre de la charte de 122975. Dans le même temps, le duc de Lorraine
71 Ibid., p. 249. Cinq princes et seigneurs sont censés défendre la ville de Verdun aux alentours de 1430 : le roi de France Charles VII, le duc de Lorraine, René d’Anjou, le comte de Salm et Érard de Gymnich pour le duché de Luxembourg. Voir également ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. 72 É. Dantzer, « Les relations des ducs de Lorraine avec les rois de France : 1328-1431 », art. cit., p. 598, pense que les ducs de Lorraine ont perdu du terrain au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge, parce qu’« ils ne possèdent plus le droit de garde à Toul ni à Verdun ». Nous devons nous inscrire en faux contre une telle affirmation. C’est le phénomène inverse qui se produit à l’époque de Charles II : la mainmise ducale sur Toul se renforce sensiblement (voir ci-dessus) et son influence progresse même dans tout le Verdunois. 73 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 150-154, 202. Les cités épiscopales souffrent notamment de l’affrontement permanent entre les membres du patriciat et les gens du Commun, ce qui provoque de nombreuses révoltes. Voir ci-dessus deuxième partie, chapitre 4, pour Metz, et ci-dessus dans le présent chapitre, pour Toul. Dans les bourgades plus petites en revanche, la bourgeoisie marchande commence à prendre son essor et les conflits sociaux prennent une tournure beaucoup moins aiguë. 74 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. Charles II avait à cette occasion promis de s’occuper des affaires de la ville « comme si elles étaient les nostres ». 75 F.-Y. Lemoigne, Histoire de Sarrebourg, op. cit., p. 110-113. Les habitants de Sarrebourg prennent les armes à plusieurs reprises contre les évêques de Metz au cours du xive siècle. Des troubles plus ou moins graves sont mentionnés en 1316, 1350, 1373, 1376 et 1390. L’engagement d’une partie de la ville au duc de Lorraine leur procure une nouvelle occasion de se soustraire au pouvoir du prélat, sans doute avec la bénédiction tacite de Charles II.
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continue de porter une attention très soutenue à la vie de la cité : en 1427, il accorde à la collégiale une somme de 32 florins pour procéder à la restauration des verrières de l’église, en échange de la célébration par les religieux d’une messe pour le repos de l’âme des ducs de Lorraine76. Peu à peu, la ville de Sarrebourg se détache de l’influence épiscopale pour se rapprocher du duché de Lorraine. Avec Épinal, les choses se présentent différemment. Plus riche et plus puissante que Sarrebourg, la ville veille jalousement au respect de son autonomie par les princes, qu’il s’agisse de l’évêque ou d’un autre seigneur77. Ainsi, lorsqu’en 1422 Conrad Bayer de Boppard demande aux citains d’héberger Charles II de retour de Bourgogne avec son armée, ceux-ci acceptent de recevoir le duc et sa suite, mais exigent que ses troupes campent en dehors de la cité, où elles recevront l’approvisionnement dont elles ont besoin. Charles II décide alors de laver l’affront qui lui a été fait en organisant le blocus d’Épinal. Quant à l’évêque, il cherche à utiliser l’incident pour rétablir son autorité sur la ville et revenir éventuellement sur certaines de ses libertés78. Impitoyable, la lutte entre Épinal et Conrad se poursuit jusqu’au milieu du xve siècle. En revanche, les relations s’arrangent très vite avec Charles II. Celui-ci accorde aux bourgeois un sauf-conduit dès le 11 décembre 142279. Mieux même, un acte de René d’Anjou, en date du 1er janvier 1430 (n. st.), mentionne une lettre « desdis habitans et communalté d’Espinal » attestant du fait que […] hault et puissant prince, monsignour Charles, duc de Lorrenne et marchis, nostre tres chier et amé pere, ait heu prins et receu les bourgois et habitans et toute la communalté de la ville d’Espinal on diocese de Toul en sa saulvegarde et bourgeoisie hereditable, parmy certaine censive d’argent et d’avoine que ung chascun meneit et conduit de ladite ville doit et est tenu a paier chascun an a nostredit pere et a ses successeurs duc de Lorrenne et marchis […]80
76 Ibid., p. 89, et A.D.M.M. B 713, no 85. F.-Y. Lemoigne voit dans cette donation un indice de la « convoitise » de Charles II sur Sarrebourg. Sans être aussi catégorique, nous pensons également qu’elle témoigne d’un resserrement des liens entre le duc de Lorraine et la ville. F.-Y. Lemoigne, Histoire de Sarrebourg, op. cit., p. 89. 77 R. Javelet (dir.), Épinal. Images de 1 000 ans d’histoire, op. cit., p. 45. Depuis le début du xive siècle, Épinal jouit d’une très large autonomie à l’égard des évêques de Metz. En 1390, Raoul de Coucy avait engagé la ville à son cousin Enguerran contre une somme de 6 000 francs. Mais il avait dû revenir sur cette décision par la suite, car les franchises de la cité ne lui permettaient pas d’en disposer à sa guise. 78 Arch. Com. d’Épinal, AA 7 et FF 43, nos 1 à 9. Pendant le siège d’Épinal par le duc de Lorraine, Conrad Bayer se rend dans la cité et demande aux magistrats de lui ouvrir les portes du château. Cette exigence provoque une émeute qui le contraint à quitter la ville en toute hâte. Conrad se venge ensuite en faisant arrêter des bourgeois qui commerçaient sur les terres de l’évêché. L’affaire est alors portée devant l’évêque de Toul, puis devant l’empereur, puis en cour de Rome. À trois reprises, en 1425, 1427 et 1429, l’évêque est débouté de ses prétentions. 79 A.D.M.M. B 675, no 53. Cette décision permet aux marchands d’Épinal de commercer librement sur les terres du duché de Lorraine. On peut donc en déduire qu’à cette date, le blocus de la ville décrété par Charles II était entièrement levé. 80 A.N. J 983 B, no 9. Les lettres de sauvegarde du duc Charles II ont aujourd’hui disparu. Nous n’en connaissons l’existence que par le biais de ce document, dans lequel René s’engage à renoncer à tout droit sur la ville lorsqu’il héritera du duché de Lorraine, par respect de la souveraineté de l’évêque de Metz. Voir également ci-dessous dans le présent chapitre.
l’h ég é m o n i e d e c h ar l e s i i dans l’e space lo rrai n ÉTATS BOURGUIGNONS
DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Trèves
ROYAUME DE FRANCE
ARCHEVÊCHÉ DE TRÈVES PALATINAT
Luxembourg
S ar r e Sarrebruck
Verdun Metz
Sarreguemines
le
el Mos
DUCHÉ DE BAR NANCY Bar-le-duc
Toul
Strasbourg Me
u rth e
Meus e
Sélestat
Vaudémont Saint-Dié
lle
ÉTATS BOURGUIGNONS Comtes et seigneurs vassaux des ducs de Lorraine Territoires placés sous la protection des ducs de Lorraine Duché de Bar, territoire en symbiose avec le duché de Lorraine Évêché de Metz, territoire sous la dépendance financière de Charles II
Figure 17 : L’espace lorrain en 1431
Colmar
Épinal
Mo s e
Duché de Lorraine
Rh in
Neufchâteau
TERRITOIRES ALSACIENS
0
20 km
Forces politiques ennemies ou rivales du duché de Lorraine Autres entités politiques lorraines Nancy, capitale du duché de Lorraine Villes du duché de Lorraine Autres villes
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Pourquoi les Spinaliens se sont-ils subitement placés sous la protection de Charles II ? Leur démarche, surprenante au premier abord, paraît avant tout pragmatique. En butte à l’hostilité du duc et de leur seigneur temporel, ils font le choix de l’alliance avec le prince qui leur paraît le moins exigeant, donc le moins dangereux. L’évêque de Metz fait une fois de plus les frais de cette opération et perd tout ascendant sur l’un des centres vitaux de sa principauté. De son côté, Charles II est tout prêt à garantir les libertés d’Épinal, en échange de la reconnaissance d’un droit de regard sur les affaires de la ville. Après avoir établi sa sauvegarde sur Toul, Verdun, Sarrebourg et Épinal, il s’érige de plus en plus en protecteur naturel des cités lorraines. Résumons-nous. Au terme de son règne, Charles II est parvenu à accroître considérablement son prestige et son autorité en Lorraine. Le traité de Foug, qui lui procure la mainmise sur le duché de Bar, constitue naturellement l’étape décisive de cette évolution. Il lui permet non seulement de renforcer son emprise sur la cité et l’évêché de Toul, mais aussi d’étendre son influence à tout le Verdunois. Parallèlement, le duc de Lorraine poursuit avec constance le noyautage de l’évêché de Metz, en acquérant le contrôle des salines du Saulnois et en éloignant progressivement de l’orbite épiscopale les villes de Sarrebourg et d’Épinal. Il exerce ainsi une véritable hégémonie sur la région. Malgré tout, sa domination demeure fragile et provisoire. Elle repose sur des bases très diverses selon que Charles II gouverne en tant que seigneur souverain, régent, protecteur ou engagiste. Enfin, elle est encore loin de recouvrir l’ensemble de l’espace lorrain.
Une unification encore partielle et incomplète : limites et échecs de l’œuvre de Charles II Entre le tout début du xive siècle et 1431, le visage de la Lorraine a profondément changé. Vers 1400, aucun prince ne bénéficiait d’un réel ascendant dans la région. Trente ans plus tard au contraire, le duc de Lorraine y dispose d’une incontestable supériorité. Toutefois, les traces du morcellement politique du siècle précédent demeurent encore bien présentes. Le territoire ducal proprement dit ne s’est pas agrandi, pas plus que celui des autres principautés. Mais surtout, l’engagement de Charles II dans les rangs du parti bourguignon et les décisions relatives à sa succession lui ont attiré un certain nombre d’inimitiés. Plusieurs seigneuries lorraines font résolument obstacle à ses ambitions hégémoniques, à commencer par le comté de Vaudémont. Le comté de Vaudémont : une enclave ennemie aux portes de Nancy
À la fin du xive siècle, cette petite principauté paraissait pourtant destinée à suivre un destin parallèle à celui du duché de Lorraine, au sein duquel elle constituait une enclave. Peut-être même Charles II put-il à un moment donné envisager son retour dans le domaine ducal. En 1393, le mariage de Ferry de Lorraine avec Marguerite de Joinville, l’héritière du comté, représentait en effet pour le nouveau duc un succès
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politique majeur81. Jusqu’à la mort de Ferry à Azincourt, l’amitié entre les deux frères ne se démentit pas. Tous deux adoptèrent le parti de Jean sans Peur dans la querelle des Armagnacs et des Bourguignons et une synergie se créa entre les forces du duché et celles du comté, qui renforça considérablement le crédit de la famille ducale en Lorraine et dans le royaume de France82. De ce point de vue aussi, le traité de Foug ouvrait des perspectives très intéressantes. Les comtes de Vaudémont tenaient leur seigneurie en fief des ducs de Bar83. L’union du Barrois et de la Lorraine permettait de consolider l’alliance avec le comté de Vaudémont, en doublant les liens de la parenté par ceux de la féodalité. Ainsi pouvait être envisagée la constitution d’une vaste entité politique en Lorraine, regroupant trois des plus grandes principautés de la région. La réalisation d’un tel projet aurait constitué une étape décisive dans le processus d’unification politique de l’espace lorrain. Marguerite de Joinville n’avait pas eu d’enfants de ses deux premiers mariages et elle avait quinze ans de plus que Ferry de Lorraine. Tout laissait à penser que cette nouvelle union resterait inféconde, auquel cas le comté reviendrait dans le giron des ducs de Lorraine. Or, contrairement à toute attente, Marguerite procura à son mari une descendance assez nombreuse, tandis que seules deux filles survivaient à Charles II84. Dès lors, une évolution inverse se dessina, qui aboutit à la rupture complète et définitive entre les ducs de Bar et de Lorraine et Antoine, le nouveau comte de Vaudémont85. La brouille entre Charles II et son neveu porta non seulement un coup d’arrêt à la politique de rassemblement territorial entamée par Charles II, mais elle accrut notablement l’influence du duc de Bourgogne dans l’espace lorrain. Philippe le Bon trouve en la personne d’Antoine de Lorraine un allié tout disposé à favoriser la pénétration bourguignonne dans la région, en contrepartie de son soutien dans sa lutte contre René d’Anjou. Si l’on ajoute à cela l’implantation, depuis la fin du xive siècle, d’une famille bourguignonne, les Neufchâtel, au cœur du territoire ducal, on mesure la fragilité des succès obtenus par Charles II86. À quelques kilomètres 81 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 82 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 83 Le comté est entré dans la mouvance féodale du duché de Bar en 1206. Par ailleurs, les comtes prêtent également hommage aux ducs de Lorraine pour la forteresse de Chaligny. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 84 M. François, « Histoire des comtes et du comté de Vaudémont », op. cit., p. 159-176. Marguerite de Joinville, fille aînée du comte Henri V de Vaudémont, recueillit la succession de son père en 1365. Elle eut tout d’abord pour époux Jean de Bourgogne, sire de Montaigu (1367-1373), puis Pierre, comte de Genève (1374-1392). Née peu après 1353, elle était âgée de presque quarante ans lorsqu’elle se remaria avec Ferry de Lorraine qui, lui, en avait tout juste 18. Le couple donna naissance à trois enfants : Antoine, comte de Vaudémont, Isabelle, unie à Philippe, comte de Nassau et Sarrebruck, et Marguerite qui épousa Thiébaut, seigneur de Blâmont. G. Poull, La maison ducale de Lorraine, op. cit., p. 20. Cf. Annexe 1. 85 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. 86 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 3. Alix de Vaudémont, fille cadette du comte Henri V, avait reçu en héritage les fiefs que son père relevait du duché de Lorraine, à savoir Châtel-sur-Moselle, Bainville et Chaligny. En 1375, son mariage avec Thiébaut de Neufchâtel avait introduit en Lorraine ce puissant seigneur du comté de Bourgogne. Jusqu’à la fin du xve siècle, la maison de Neufchâtel servira de relais à l’influence des ducs de Bourgogne dans la région.
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seulement de Nancy87, ces deux enclaves ennemies faisaient échec à sa politique d’hégémonie dans les territoires d’« Entre-Deux ». Charles II et les territoires alsaciens
Le traité de Foug et le mariage d’Isabelle de Lorraine et de René d’Anjou avaient orienté la politique ducale en direction de l’ouest. Conscient toutefois des risques que faisait courir à sa principauté une trop grande implication dans les affaires du Royaume, Charles II s’efforça également de consolider ses positions dans la partie orientale de l’espace lorrain et, au-delà en direction de l’Empire, dans les territoires alsaciens. Loin de représenter un espace étranger et marginal pour les ducs de Lorraine, cette région revêt à leurs yeux un intérêt politique et économique très appréciable88. L’Alsace, plus encore que la Lorraine, se caractérise à la fin du Moyen Âge par un morcellement territorial extraordinaire. Il nous faut en dresser le tableau à grands traits, pour comprendre comment le duc de Lorraine s’insère dans le jeu diplomatique régional. Les villes tiennent une place considérable, d’autant qu’elles se regroupent au sein d’une ligue, la Décapole, et luttent de façon solidaire pour la défense de leurs intérêts89. La noblesse en est progressivement chassée au cours des xiiie-xve siècles, mais elle y joue encore parfois un rôle non négligeable. Quelques familles, comme les Ribeaupierre, sont parvenues à se tailler de petites principautés, plus ou moins indépendantes. Enfin, depuis le xive siècle, deux maisons princières acquièrent une grande influence en Alsace : les Habsbourg héritent en 1324 de tout le Sundgau et arrondissent par la suite leurs possessions au moyen d’une politique matrimoniale et financière avisée ; quant aux comtes palatins du Rhin, ils reçoivent de l’empereur Sigismond en 1408 la vouerie impériale ~ Landvogtei sur toutes les villes de la région, ce qui leur confère des droits et des revenus considérables90. Comme partout dans l’Empire, un clivage social et politique fondamental oppose en Alsace les villes et la noblesse, les évêques et les cités. Cela ne signifie pas que l’opposition soit systématique et permanente, ni qu’elle empêche toute alliance de circonstance entre nobles et bourgeois mais, la plupart du temps, les conflits répondent
87 Voir figure 17. 88 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1 et J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 169. Les comptes mentionnent à plusieurs reprises les voyages effectués par les officiers de l’hôtel en « Alemaigne », c’est-à-dire en Alsace, pour fournir en vin la cour ducale de Nancy. Ils se rendent généralement dans le val de Villé ou dans la région de Saint-Hyppolite, où les ducs de Lorraine détiennent des droits et des terres. 89 Ph. Dollinger (dir.), Histoire de l’Alsace, Toulouse, Privat, 1970, 526 p., p. 144. Fondée en 1354, la gemeine Richsstette ne fut appelée Décapole que beaucoup plus tard. Elle concernait les villes de Haguenau, Wissembourg, Obernai, Rosheim, Sélestat, Colmar, Turckheim, Kaysersberg, Munster et Mulhouse. 90 Pour une présentation plus complète des forces politiques alsaciennes à la fin du Moyen Âge, voir F. Rapp, L’Alsace à la fin du Moyen Âge, Wettolsheim, Mars et Mercure, 1977, p. 7-14. L’article « Alsace » du dictionnaire du Moyen Âge, rédigé par O. Kammerer, donne également un aperçu historique rapide de la région. Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., p. 44-46.
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à cette ligne de fracture principale91. L’attitude du duc de Lorraine correspond tout à fait à ce schéma. Autant ses rapports avec les seigneurs alsaciens paraissent dans l’ensemble assez cordiaux, autant ses relations avec les villes semblent souvent difficiles, comme le montre les considérants d’une alliance qu’il passe en décembre 1425 avec l’évêque de Strasbourg, le marquis de Bade et le seigneur de Lichtenberg : Nous, Guillaume, par la grâce de Dieu évêque de Strasbourg, Nous, Charles, par la même grâce de Dieu duc de Lorraine et marquis, Nous, Bernard, également par la même grâce de Dieu marquis de Bade, et Moi, Louis, seigneur de Lichtenberg, faisons savoir par ces présentes que nous, considérant la situation actuelle, les graves et mauvaises choses qui se déroulent actuellement dans le pays, et le fait que les villes s’opposent ouvertement à la noblesse et à la chevalerie, estimons indispensable, pour toutes ces raisons, que la noblesse et la chevalerie réfléchissent aux moyens de maintenir leurs possessions et seigneuries, etc. […]92
Déjà, à la fin du xive siècle, il avait répondu à l’appel de son vassal, Brun de Ribeaupierre, qui avait maille à partir avec la cité de Strasbourg93. Par la suite, au cours des trois premières décennies du xve siècle, il prend les armes à plusieurs reprises contre la ville, pour soutenir l’évêque dans sa lutte contre les bourgeois94, ou pour appuyer les revendications de son maréchal, Jean d’Haussonville95. Il maintient
91 L’idée d’une incompréhension totale entre bourgeoisie et noblesse à la fin du Moyen Âge est devenue un lieu commun dans l’histoire médiévale allemande. Cette opinion doit certes être relativisée, parce que les nobles fréquentent assidûment les villes, et que les bourgeois aspirent également assez souvent à un style de vie nobiliaire. Mais il n’en demeure pas moins qu’aux xive et xve siècles, un discours anti-urbain se développe dans la noblesse, notamment dans la partie centro-méridionale de l’Empire (K. Graf, « Feindbild und Vorbild. Bemerkungen zur städtischen Wahrnehmung des Adels », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins (1993), p. 121-154. Par ailleurs, la construction des États territoriaux qui démarre en Allemagne au début du xve siècle contribue à accroître l’hostilité entre les deux mondes : cf. F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne, op. cit., p. 102-115. 92 A.D.M.M. B 947, no 5 : Wir Wilhelm, von gottes gnaden Bischoff zu Starssburg. Wir Karle, von den selben gnaden gottes herzog zu Lutheringen und marggraf. Wir Bernhart, auch von den selben gnaden gots marggraff zu Baden. Un ich Ludewig, herre zu Lichtemberg, bekennen und tun kunt offenbar mit diesen briefe, daz wir aigentlichen besonnen betrachtet und fur uns genommen habent semeliche swere leuffe und sachen, die zu disen ziten in den landen sint, und daz sich die stette in billichkeit widder den adel und ritterschaft fezent und stellent. Darumb dem adel und aller ritterschaft ein notdurf ist zu gendenckend wie auch by iren herlichkeiten lauden lutten und yren herkommen bliben mogent herumb. […]. En ce qui concerne la titulature adoptée par le duc de Lorraine dans cet acte, voir ci-dessous troisième partie, chapitre 7. 93 Cf. ci-dessus, première partie, chapitre 1. 94 Le 12 juin 1413, Charles II passe avec l’évêque Guillaume de Diest une alliance dirigée contre la ville de Strasbourg (A.D.M.M. B 947, no 19). Quelques années plus tard, Guillaume est fait prisonnier par les Strasbourgeois. Une coalition nobiliaire se forme alors contre eux le 16 mars 1418, constituée du duc de Lorraine, de l’évêque de Metz Conrad Bayer de Boppard, des comtes de Deux-Ponts, Nassau et Salm, et de Jean, seigneur de Rodemack (A.D.M.M. B 947, no 3). 95 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 149-150. Un conflit survient en 1417 entre Jean d’Haussonville et les bourgeois de Strasbourg. L’empereur intervient en personne pour imposer son arbitrage. Mais, le 27 janvier 1420, le différend n’est toujours pas réglé, puisque Sigismond écrit une nouvelle fois à Charles II pour lui demander de forcer son vassal à renoncer à toute idée de guerre contre la ville.
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par conséquent une pression militaire constante sur les villes de la Décapole et sur Strasbourg. Le but de cette politique apparaît clairement à la lumière des résultats obtenus. Il ne s’agit en aucune manière de conquérir les cités alsaciennes, ni même de les soumettre à son autorité. Pareille entreprise dépasserait d’ailleurs de beaucoup les forces dont il dispose. Mais la tactique de harcèlement plus ou moins systématique qu’il adopte à leur égard vise à lui procurer des avantages immédiats, sous forme d’espèces sonnantes et trébuchantes. En 1394, Charles II obtient ainsi des Strasbourgeois le versement d’une pension, moyennant la promesse de ne pas s’en prendre aux intérêts de la cité96. Quelques années plus tard, Colmar et Sélestat lui accordent à leur tour la somme annuelle de 200 florins97. Le duc de Lorraine exerce donc un chantage constant sur les villes de la Décapole, auxquelles il monnaie très chèrement une paix qui reste le plus souvent très fragile. Il mène donc à leur égard une véritable politique de rançonnement. Charles II n’est toutefois pas le seul, loin de là, à adopter un tel comportement. Dans la région, la chose est monnaie courante. Les intérêts des différents princes et seigneurs qui veulent s’implanter en Alsace ou y renforcer leurs positions s’avèrent souvent contradictoires et les cités alsaciennes profitent bien évidemment des rivalités et des oppositions qui se font jour pour tenter de se débarrasser de tributs encombrants pour leurs finances et humiliants pour leur orgueil. Des alliances et des coalitions diplomatiques se mettent en place, qui peuvent parfois aboutir, tout comme en Lorraine, à une conflagration générale entre les principaux protagonistes de la scène politique alsacienne. Ainsi, investi en 1408 de la vouerie impériale ~ Landvogtei sur les cités, le comte palatin Louis III de Bavière bénéficiait-il en Alsace d’une position dominante. Or, après le concile de Constance, les relations entre le Palatin et l’empereur Sigismond s’étaient fortement dégradées, au point qu’en 1418, ce dernier lui retira l’engagement des villes alsaciennes, et chargea le marquis de Bade, son allié dans cette partie de l’Empire, de s’en emparer. Ce geste, d’une exceptionnelle gravité à l’égard d’un prince électeur, équivalait à un acte de rupture. Charles II, allié de longue date à la fois à la maison des Wittelsbach, au marquis de Bade et à l’empereur Sigismond, ne pouvait rester indifférent au conflit qui opposait ces deux derniers au comte palatin. D’ailleurs, l’attitude belliciste de Louis III dans la guerre franco-anglaise ne pouvait que lui déplaire, au moment où il négociait le traité de Foug et cherchait à se réconcilier avec le parti armagnac. Plus encore, les droits que détenait le comte palatin en Alsace en faisaient le défenseur des villes de la Décapole face aux agressions répétées des princes et des seigneurs laïcs, au premier rang desquels le duc de Lorraine. Tout cela contribua fortement à la dégradation des relations entre Charles II et Louis III de Bavière : en 1418, Sigismond promit son aide au duc de Lorraine, au cas où une guerre éclaterait entre eux ; en 1422, le mariage de Catherine de Lorraine et de Jacques, fils du marquis Bernard de Bade, scella l’alliance entre les deux princes.
96 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 508. Voir ci-dessus première partie, chapitre 4. 97 BnF Col. Lor., no 49 bis, f. 100. En 1402, Charles II assigne le paiement d’une dette qu’il devait à Henri Rotze, bourgeois de Strasbourg, sur la rente que lui versent chaque année les villes de Colmar et de Sélestat, suite à un traité qu’elles ont signé avec le duc. Voir ci-dessus deuxième partie, chapitre 4.
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Dès lors, deux coalitions antagonistes se formèrent : les archevêques de Cologne, Mayence et Trèves ainsi que les cités alsaciennes prirent parti pour le comte palatin, tandis que l’évêque de Strasbourg et le seigneur de Lichtenberg rejoignirent le camp de Bernard de Bade et de Charles II. Quant aux sires de Ribeaupierre, ils profitèrent de l’occasion pour régler leurs querelles familiales : Schmassmann, le frère aîné, se rangea du côté de Louis III, alors qu’Ulrich, le cadet, se rallia au marquis de Bade98. Mais les risques d’un tel conflit parurent bien grands en comparaison des bénéfices escomptés : dès le 2 juillet 1424, la paix fut rétablie entre les belligérants99. Toutefois, elle ne satisfaisait pas le duc de Lorraine, qui n’avait pas été indemnisé pour les dommages éprouvés au cours du conflit. Un an auparavant en effet, le 7 septembre 1423, il avait reçu en gage, de la part de Reinold d’Urslingen, la moitié de Guémar, en échange d’une somme de 5 000 florins. Or, Schmassmann s’était emparé de la ville au nom de Louis III et refusait de la lui restituer, même après la signature de la paix. Charles II voulut utiliser cette affaire comme prétexte pour ramener l’un de ses vassaux à l’obéissance et consolider son implantation territoriale dans la région. Il utilisa pour ce faire tous les moyens à sa disposition et s’appuya notamment sur le frère de Schmassmann, Ulrich, qui lui ouvrit, ainsi qu’au marquis de Bade, son château de Haut-Ribeaupierre100. Tour à tour, l’électeur palatin, l’évêque de Strasbourg, quelques seigneurs alsaciens, tentèrent sans succès de trouver un compromis101. Les deux hommes campaient sur des positions contradictoires : Charles II posait la restitution de Guémar comme préalable à tout accord, alors que Schmassmann, soutenu par les villes, refusait de rendre la ville à son suzerain avant d’avoir obtenu son pardon. Le ton monta rapidement de part et d’autre et la querelle prit un tour de plus en plus violent102. À partir de 1425, les rumeurs d’une attaque du duc de Lorraine contre les villes d’Alsace se multiplièrent103. Charles II enrôla à son service un capitaine allemand, Bechtold Krantz qui, le 5 mars 1426, se lança à l’assaut du château de Guémar et ramena un butin assez important104. Enfin, deux ans plus tard, le duc en personne leva une armée, passa les Vosges et fit semblant de marcher contre Kaysersberg pour contraindre ses adversaires à adopter une attitude plus conciliante105.
98 Cet épisode est évoqué avec force détails par L. Sittler, Un seigneur alsacien à la fin du Moyen Âge : Maximin ou Smassmann de Ribeaupierre (1398-1451), Strasbourg, 1933, 253 p., p. 79-94. 99 Ibid., p. 80-82. 100 K. Albrecht, Rappolsteinisches Urkundenbuch, op. cit., t. III, no 313. En 1426, Jean Pariset de Lunéville, receveur du duc de Lorraine, fait état dans ses comptes des sommes payées au prévôt de Saint-Dié « pour les despens de quatre arbolestriers qu’en alloient en la haulte Ribeaupierre » (A.D.M.M. B 1921, f. 1r). 101 L. Sittler, Un seigneur alsacien à la fin du Moyen Âge : Maximin ou Smassmann de Ribeaupierre, op. cit., p. 85-90 ; K. Albrecht, Rappolsteinisches Urkundenbuch, op. cit., t. III, nos 316, 322, 455 et 479. 102 K. Albrecht, Rappolsteinisches Urkundenbuch, op. cit., t. III, nos 288, 312 et 322. 103 Ibid., nos 357 et 364. En mai et juin 1425, les villes de Colmar, Sélestat et Kaysersberg demandent aux Strasbourgeois de leur prêter main forte contre le duc de Lorraine qui veut les attaquer. 104 Ibid., no 410. 105 Ibid., no 580. En septembre, les villes de Colmar, Sélestat et Kaysersberg écrivent au comte palatin et à Frédéric de Fleckenstein, représentant de Louis III en Alsace, en les priant de leur porter secours et en les engageant à déclarer la guerre au duc de Lorraine. Pour toute réponse, ce dernier les convie à de nouveaux pourparlers prévus avec Charles II à Ingwiller.
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Finalement, le différend se régla en deux temps, par l’intermédiaire du bailli d’Alsace, Frédéric de Fleckenstein. Le 14 août 1428, Schmassmann et Ulrich de Ribeaupierre se réconcilièrent : le premier redonna à Ulrich la moitié de Guémar qui lui appartenait ; le second s’engagea à faire évacuer la forteresse de Haut-Ribeaupierre par les troupes du duc de Lorraine et du marquis de Bade106. En revanche, ce n’est que le 17 décembre 1429 que Schmassmann renouvela son serment de fidélité à Charles II et promit de lui ouvrir toutes ses places-fortes, en échange du pardon ducal107. Curieusement, le traité ne fit aucune allusion à la ville de Guémar, qui demeura entre les mains de la famille de Ribeaupierre jusqu’à la mort du duc de Lorraine. Le bilan de cette intervention de Charles II dans les affaires alsaciennes révèle très clairement les limites de son pouvoir et de son prestige. Pendant quatre ans, le duc a multiplié les menaces verbales et militaires à l’encontre de son vassal et des villes de la région. Or, il n’a rien obtenu. Schmassmann parvient à signer avec lui une paix honorable, sans céder un pouce de terrain. Le duc de Lorraine éprouve donc les pires difficultés à s’imposer au-delà des Vosges et son hégémonie ne dépasse pas vraiment le cadre de l’espace lorrain. Qui plus est, même à l’intérieur de celui-ci, il se heurte à l’opposition irréductible de la cité de Metz. Un adversaire irréductible : la cité de Metz108
Au début de la guerre des Quatre seigneurs, le duc de Lorraine et la cité messine ont conclu une alliance solide et durable109. Toutefois, à partir de 1415, avec l’éloignement de la menace armagnaque sur la Lorraine, les sources de litige s’accumulent entre le prince et la ville. Les anciennes querelles resurgissent et s’ajoutent aux effets du bouleversement géopolitique de l’espace lorrain après 1419110. L’enchevêtrement des ressorts et des souverainetés multiplie également les sujets de discorde. Dans les zones limitrophes du pays de Metz et des duchés de Lorraine et de Bar, des altercations se produisent régulièrement entre les officiers et les sujets des différents seigneurs ou entre des personnes se réclamant de leur protection. Parmi bien d’autres exemples, on peut prendre celui du meurtre du châtelain de Nomeny, en 1417, par un certain Werry d’Onville, qui résidait dans l’enceinte de la cité. Charles II en demande justice aux treize jurés de Metz qui lui répondent qu’ils ne peuvent accéder à sa demande parce que Werry n’est pas soumis à leur juridiction et qu’il bénéficie simplement d’un
106 Ibid., no 571. Charles II montra autant de réticences à restituer le château de Haut-Ribeaupierre à Ulrich que Schmassmann à se retirer de la ville de Guémar. Malgré les accords signés, le statu quo ante demeura, dans les faits, jusqu’en 1431. W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 72. 107 K. Albrecht, Rappolsteinisches Urkundenbuch, op. cit., t. III, no 627. Une copie de cet acte est conservée à la Bibliothèque nationale de France : BnF Ms. fr. 11823, f. 130. 108 Ce sujet a fait l’objet d’une thèse de l’École nationale des Chartes : Ph. Schillinger, Les relations politiques des ducs de Lorraine et de la cité de Metz au xve siècle, Position des Thèses de l’École des Chartes, 1967. Mais nous n’avons pu avoir accès à cet ouvrage. 109 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 110 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2, et deuxième partie, chapitre 4.
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« asseurement » de la part des citains111. De tels incidents sont monnaie courante et paraissent a priori bien anodins, mais ils peuvent dégénérer à tout moment. Au cœur même de la ville de Metz, Charles II dispose de droits très importants sur un territoire que la cité considère comme relevant de sa compétence. Les abbayes de Saint-Pierre-aux-Nonnains et de Saint-Martin, situées dans les faubourgs de Metz, relèvent féodalement du duché de Lorraine, nous l’avons vu112. Les citains ne le contestent pas, mais ils prétendent soumettre les religieux à la justice de la cité. Un débat s’élève à ce propos en 1422, qui donne lieu à un échange de lettres entre Charles II et les magistrats messins. Dans l’une d’entre elles, le duc dénie à la ville toute capacité à connaître des causes touchant le monastère et les moines de Saint-Martin de Metz : Le duc de Lorrainne et marchis. Chiers et grans amis, nous vous saluons. Nous vous avons naguaires escript. Nous avons entendu que vous voulies constraindre ceulz de nostre eglise de sainct Martin devant Mets de respondre par devant vous des choses que muevent de noz fiedz, et vous saveis asseis que la cognoissance ne vous en appartient point, et s’ilz n’y vouloient respondre, vous les voulies punir de grosses punicions. Se vous priens et requariens que de ce vous voulsissies depourter, de quoy ne nous aveis point fait de responce, ainsois, depuis la reception de noz lettres ou bien poc après, aveis declairé certainne punicion a l’encontre d’eulz, que nous semble chose moult estrainge. Pour quoy encor vous prions et neantmoins requarons tres acertes que, de les repondre par devant vous des choses que muevent de noz fiedz, vous plaise du tout depourter, et aussi desdites punicions. Et se vous ne aucuns de voz concitains lour saveis que demander, nous les arons a jour et a droit par devant nous, pour a vous et vosdis concitains faire tout ce qu’ilz deveront par raison. Sur ce nous vueillies rescripre par le pourtour de cestes vostre bonne voulunté. Dieu soit garde de vous. Escript a Nancey le XXIIIe jour de janvier113.
Le lendemain, le maître échevin et les treize jurés rétorquent à Charles II qu’ils ont agi conformément au droit et lui demandent de bien vouloir se contenter de cette réponse114. Alors que les citains revendiquent une souveraineté territoriale sur l’abbaye, incluse dans les limites du pays de Metz, le duc de Lorraine fait valoir sa souveraineté sur les hommes du monastère, en tant que patron et fondateur de l’établissement. L’enjeu de la dispute est de taille, puisqu’il permet éventuellement à Charles II de faire intervenir ses officiers jusque sous les murs de la ville. Toutefois, tant que le duc et la cité ont intérêt à s’entendre, de telles discussions ne portent pas vraiment à conséquence : les rixes et les querelles s’apaisent aisément
111 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 14 et no 16 : lettres des 14 et 23 mars 1417. La châtellenie de Nomeny fait partie des territoires partiellement engagés par l’évêque de Metz au duc de Lorraine. Le châtelain de cette ville est donc nommé par Charles II. Quant à la pratique de l’« asseurement », elle permet à une personne de résider dans une ville et de bénéficier de sa protection, sans pour autant être considérée comme justiciable devant les tribunaux de la cité. 112 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1 et ci-dessus dans le présent chapitre. 113 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 24. 114 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 23. Ils ajoutent qu’ils n’ont pas réagi à la première lettre du duc de Lorraine sur le sujet parce qu’ils n’en avaient pas eu le temps. Le ton assez agressif de ce courrier témoigne de l’impatience des magistrats messins à l’égard des prétentions ducales.
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et les sujets plus épineux sont généralement passés sous silence. Dans l’ensemble, il en fut ainsi jusque vers 1415, Charles II et les Messins s’étant alliés contre le duc de Bar et les quatre seigneurs qui représentaient les intérêts du parti armagnac en Lorraine. Mais la guerre et l’insécurité qu’elle engendre ne peuvent qu’accroître les risques d’échauffourées, car les troupes, difficilement contrôlables, ne font guère de différence entre les territoires et les populations amis ou ennemis. Ainsi, en 1415, les Messins eurent-ils à se plaindre du comportement des hommes de la garnison de Prény qui s’étaient emparés de plusieurs hommes et bêtes à Xonville, pourtant placée sous la protection ducale, mais appartenant à un citain de Metz, Nicole Laître115. Le duc de Lorraine se justifia en évoquant l’aide apportée au duc de Bar par les habitants de ce village, tombé entre les mains de Jean d’Autel, sire d’Apremont, au cours du conflit116. Nicole Laître eut beau remontrer qu’il n’en était rien et que les sommes dues à Charles II au titre de la sauvegarde avaient toujours été régulièrement payées, il ne parvint pas à obtenir restitution des prises faites par les serviteurs ducaux117. Par ailleurs, Charles II avait également occupé la forteresse de Clémery, dépendant du couvent de Saint-Symphorien de Metz, pour éviter qu’elle ne tombe entre les mains de ses adversaires118. Il se servait donc de la lutte entre les Armagnacs et les Bourguignons comme d’un prétexte pour empiéter sur le territoire soumis à l’autorité de la cité de Metz et placer celle-ci devant le fait accompli. L’alliance avec le duc de Lorraine, rendue nécessaire par les attaques conjointes des quatre seigneurs et des ducs de Bar et d’Orléans contre la ville, s’avérait bien contraignante pour les Messins. Cela explique qu’ils aient été tentés de se débarrasser de la tutelle de leur encombrant protecteur. Selon les termes de l’accord conclu le 2 janvier 1406 entre le duc et la cité, il était convenu que Charles II enverrait un de ses officiers dans la ville à titre de conseiller militaire, et qu’il recevrait une pension annuelle de 500 livres messines jusqu’à la fin de sa vie119. Or, une fois écarté le danger barrois, après Azincourt, il semble bien que les citains aient renâclé à verser au duc de Lorraine la somme qu’ils lui devaient : 115 A.N. KK 1123, layette Metz cité 3, no 172 : lettre datée du 9 mai 1415. L’original de ce document ne figure plus aujourd’hui dans le Trésor des chartes de Lorraine, mais nous en avons connaissance à la fois par l’inventaire de Dufourny et par l’allusion qu’y fait le duc de Lorraine dans la réponse qu’il envoie aux citains deux jours plus tard (voir note suivante). 116 BnF Col. Lor., no 320, f. 3, le 11 mai 1415. Jean d’Autel s’était joint à la coalition mise sur pied par Louis d’Orléans contre la ville de Metz et le duc de Lorraine en 1406-1407. Deux ans plus tard, les quatre seigneurs lui avaient même confié le commandement des troupes recrutées pour reprendre la lutte contre Charles II (cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4). « Pour ce, repondit le duc, nous semble que nos gens ont bien cause de panre ce que panre puet sur lez dis habitans ». 117 BnF Col. Lor., no 320, f. 4. Selon lui, Xonville dépendait bien de la baronnie d’Apremont, mais Jean d’Autel n’était que seigneur suzerain dans cette localité. Il n’y possédait rien et aucun ennemi du duc n’y avait jamais été reçu. 118 A.D.M.M. B 424, f. 249, le 13 mars 1417 (n. st.). Par cet acte, l’abbé donne quittance au duc de Lorraine « de ladicte prinse, de la detenue par ledit temps, de tous les frais, coutz, despens, dommaiges, et interestz que nous et nostre esglise avons ehu, encourru, et soustenu a cause de ladicte prinse, de la detenue et de toutes les deppendances et circonstances d’icelles. » 119 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 132-133. Cf. Annexe 10 : « alliance de la cité avec l’évêque de Metz Raoul de Coucy, le duc de Lorraine Charles II, et le comte de Vaudémont Ferry de Lorraine. » Selon les chroniques, le duc de Lorraine avait demandé à Joffroy de Nancy,
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La duchesse de Lorrainne et marchise. Chiers et grans amis, nous vous saluons. Vous savez coment que vous y estes tenus a mons. le duc, pour cause de pention, la vie durant de mondits. seulement, chascun an en la somme de cinq cens livrez monnoie de Mets, laquelle pention mond. seigneur ait ordonné de la recepvoir par nostre amei Mengin Drowin de Rousieres par certaines années. Se nous ait remonstrei led. Mengin qu’il ly deffault le paement des dous cens et cinquante livrez de Mets pour le terme et estait de Noel darren passeil, et lez ait fait demander et requeryr a Goudefrin de Tournay vostre recepvour de ladite cytey de Mets, le quel Goudefrin ait respondui, si comme led. Mengin nous ait informei, que vous ne ly aviens rien ordonné ne mis ès mains pour paier nostre dite pention pour led terme120.
L’entente entre Charles II et la ville de Metz résultait donc bien des circonstances particulières de la guerre civile française et de ses prolongements lorrains. Les deux partenaires avaient un moment fait taire les motifs de discorde qui les opposaient traditionnellement. Avec le retour de la paix cependant, ils remontèrent à la surface, exacerbés par les désaccords territoriaux et financiers nés entre les alliés au cours du conflit. La ligne de clivage qui séparait en Lorraine les principautés laïques et les seigneuries urbaines réapparut donc avec force dès 1415 et le fossé se creusa encore davantage après 1419, à la suite du traité de Foug. Celui-ci place en effet la cité dans une situation particulièrement délicate. Confrontée aux convoitises des princes laïcs, elle était jusqu’à présent toujours parvenue à les contenir, en jouant de leurs rivalités et, notamment, de l’hostilité pluriséculaire des duchés de Bar et de Lorraine. Cela devenait impossible à l’avenir, le pays de Metz se trouvant presque totalement encerclé par la réunion des deux principautés. En dehors de la route menant à Luxembourg, toutes les communications de la ville avec l’extérieur passent par le Barrois et la Lorraine121. Inversement, le territoire de la cité représente désormais un obstacle à la politique d’unification mise en œuvre par le duc Charles II122. Fière de son passé et de sa puissance économique et financière, la ville de Metz constitue à bien des égards la principale force politique susceptible de contester la domination de Charles II en Lorraine123. Vieilles rancunes, nouvelles sources de litige, lutte pour l’hégémonie à l’intérieur de l’espace lorrain, tous les sire de Gombervaux, de se mettre au service de la ville de Metz. Par ailleurs, celle-ci aurait accordé à Charles II une rente annuelle de 1 000 francs pour prix de son alliance. Mais le texte du traité et le document que nous citons ci-dessous ne font état que d’un montant de 500 livres. Tout porte à croire que les chroniqueurs messins ont plus ou moins volontairement exagéré la générosité des citains à l’égard du duc (A. de Circourt, N. van Werveke, Documents luxembourgeois à Paris, op. cit., no 234). 120 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 7. Cette lettre est datée du 18 janvier 1416 (n. st.), soit trois mois seulement après la mort du duc Édouard de Bar, le grand ennemi de la cité, et à peine plus d’un mois après le rétablissement de la paix entre le cardinal duc Louis de Bar et Charles II. Cela témoigne de l’empressement des Messins à prendre leurs distances avec le duc de Lorraine, dès lors que son alliance paraissait moins indispensable. 121 F.-Y. Lemoigne, Histoire de Metz, op. cit., p. 152. Cette situation rendait notamment possible l’utilisation par le duc de Lorraine de l’arme du blocus en cas de conflit avec la cité. Cette arme avait déjà fait ses preuves lors des guerres de 1402 et de 1420 contre la ville de Toul. 122 Voir figure 17 : « L’espace lorrain en 1431 ». 123 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 33-46.
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indices convergent, aux alentours de 1415-1420, vers un affrontement inéluctable entre le duché de Lorraine et la cité de Metz. Dans un premier temps (1415-1429), les entreprises du duc et de ses vassaux contre la ville vont prendre la forme d’une guerre de harcèlement. Sitôt rétablie la paix avec le duc de Bar, Charles II adopte en effet à l’égard de Metz un ton beaucoup plus agressif et utilise manifestement tous les moyens dont il dispose pour nuire à la cité. En témoigne l’abondante correspondance que le duc et la ville entretiennent entre 1415 et 1431124. Soucieux de mettre au moins les apparences de son côté, Charles II écrit dès 1416 aux citains une lettre leur reprochant leurs mauvaises intentions à son encontre. La réaction des bourgeois montre leur étonnement face aux accusations qui leur sont adressées : A hault, noble, puissant prince et seigneur, mons. le duc de Loherenne et marchis, le maistre eschevin et lez treses jurez de Mets, honnour et toute reverence. Chier s., nous avons recehues voz lettres qu’il vous a pleu a nous escripre, ycelle contenant en effect que vous avez entandus que aucuns ont heu entencion de gaingnier aucunes de voz bonnes villes et forteresses estans en romant pays, et que pourtant que en vostre dit romant pays n’avez nulz voisins ausquelz avez neus a faire, se donc n’estoit que nous y voulcissiens entandre pour plusieurs requestes que nous vous avons faites […] et que ouvertement vous vuelliens rescripre se vous vous debvez warder de nous ou non, comme voz ditez lettrez plus a plain le contiennent. Sur quoy, hault, noble et poissant prince, vous rescripvons que nous ne scavons c’on vous puet avoir donnei a entandre, car quant ad ce ne scavons nous du tout riens ne n’eusmes onques entencion ne propos de sur vous entrepranre a gaingnier bonnes villes, forteresses, ne biens125.
Se plaçant délibérément dans la position de la victime, le duc de Lorraine évoque immédiatement la possibilité d’un conflit avec les Messins, ce qui traduit son envie d’en découdre avec eux, malgré l’alliance qui les unit toujours officiellement126. Il refuse les explications des magistrats messins selon lesquels la cité ne peut être tenue pour responsable d’actes commis par des hommes qui ne lui sont pas assujettis et n’ont pas non plus été soudoyés par elle127.
124 Elle se trouve aux archives communales de la ville de Metz, sous la cote AA 11, nos 1 à 101. La plupart des lettres contenues dans ce carton concernent les rapports entre Charles II et la cité. Quelques-unes émanent également de René d’Anjou, d’Antoine de Lorraine ou du cardinal Louis de Bar. 125 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 9, le 8 février 1416 (n. st.). Le précédent envoi de Charles II n’a pas été conservé, mais nous en avons connaissance par cette réponse du maître échevin et des treize jurés de Metz, qui en récapitule le contenu. 126 C’est ce qui ressort de l’expression « se vous vous debvez warder de nous ou non ». 127 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 19 : « Nous avons bien veu la response que nous aveis faite sur la lettre qu’escripte vous avons pour le fait de la course que ceulz de Soigne ont ehu fait sur nous, lesquelz ne sont point voz soudoieurs, servans, menans, judiciaubles, ne subges, ne ne vinrent en vostre cité que par asseurement que font aultres estraingiers, ne de lour fait, guerre ne entreprinse ne vous meslez en riens comme jay autreffois le nous aveis escript. Sur ce vous respondons que nous n’en saveriens a autre demander que a vous » […].
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Naturellement, la version présentée par le duc dans la suite de ce courrier rejette l’initiative de l’incident sur les citains128. Quelles que soient les responsabilités cependant, l’échauffourée traduit l’extrême tension des rapports entre le duc et les bourgeois de Metz à cette époque. Elle revêt les formes, somme toute traditionnelles, de la Fehde, mais reste à tout moment susceptible de dégénérer en une lutte de grande envergure, même si aucune des parties ne souhaite réellement en arriver à une rupture totale et définitive. Plutôt que de s’attaquer personnellement et ouvertement à la cité en effet, Charles II préfère agir par l’intermédiaire de ses vassaux. Déjà, en 1415, deux capitaines lorrains, Charlot de Deuilly et Henri de la Tour, avaient ravagé le pays de Metz, pour se venger de la destruction du château du Saulcy par les forces conjointes du duché de Bar et de la ville129. Du moins le duc pouvait-il s’abriter derrière l’excuse selon laquelle les deux hommes se trouvaient au service de Jean sans Peur130. Mais l’année suivante, lorsque Ferry de Chambley défia à son tour la cité, s’empara par surprise de la forteresse d’Ennery et la livra à Charles II, aucun doute ne subsista plus sur les procédés de celui-ci131. Tout comme les ducs de Bar et d’Orléans quinze ans auparavant, le duc de Lorraine suscitait sans cesse de nouveaux ennemis aux citains, pour exercer sur eux une pression militaire permanente et les inciter à se placer officiellement sous sa protection, ou, à défaut, à lui verser effectivement la pension prévue par le traité de 1406132. Ferry de Chambley en effet ne paraissait pas de taille à pouvoir tenir tête à la cité de Metz sans bénéficier du soutien plus ou moins discret de Charles II. Celui-ci eut beau assurer qu’aucun préjudice ne serait porté aux Messins depuis cette place forte133, il ne put ni les convaincre de ses intentions pacifiques, ni les dissuader de
128 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 30. Selon Charles II, Jean de Haraucourt rencontra les mercenaires à la solde de la cité sur les terres du duché de Bar. Comme ils parlaient allemand, il fit quérir un interprète pour leur demander leur identité. Lorsque ceux-ci comprirent qu’ils avaient affaire au bailli ducal, ils se jetèrent sur lui et sur sa petite troupe et le firent prisonnier. 129 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 141. Cette affaire fait suite à l’attaque menée par ces routiers contre les ambassadeurs du roi de France Charles VI au concile de Constance. Ceux-ci avaient été enfermés dans la forteresse du Saulcy. Indignés par un tel acte, Messins et Barrois s’étaient rapidement mobilisés pour assiéger la place et libérer les captifs, suscitant du même coup les représailles des deux chefs de guerre. 130 Pour ce qui concerne le rôle obscur joué par Charles II dans cette histoire, voir ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 131 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 143. En récompense de ses services, Ferry de Chambley sera promu maréchal du Barrois en 1424, sur ordre du duc de Lorraine. M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 216. 132 Parmi eux, on peut citer également Ferry de Ludres, dont la famille appartient au noyau dur de l’entourage ducal depuis la seconde moitié du xive siècle (cf. Annexe 2). Celui-ci déposa les armes en 1423 (Dom Calmet, Preuves de l’histoire de Lorraine, op. cit., p. CXxiii-CXXIV), à peu près au moment où Charles II signait la paix avec la ville de Metz (voir ci-dessous dans le présent chapitre). La collusion entre le duc de Lorraine et son vassal paraît donc une nouvelle fois éclatante. 133 BnF Col. Lor., no 6, f. 108. Sitôt après le coup de main contre Ennery, le 14 décembre 1416, Jean de Fléville, bailli d’Allemagne, et Henri de Barbas, bailli des Vosges, avaient fait savoir aux citains qu’il ne fallait voir dans l’occupation du château par les troupes du duc de Lorraine aucun acte d’hostilité et que celui-ci restait neutre dans le conflit qui opposait la ville de Metz à Charlot de Deuilly.
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tenter de reprendre Ennery par la force134. De fait, la cité se considérait comme en guerre avec le duché de Lorraine. Pas plus que Charles II, Metz ne souhaitait cependant s’engager dans un conflit généralisé. Ce qui importait avant tout aux yeux de ses gouvernants, c’était de se débarrasser des encombrantes obligations liées à l’alliance de 1406 et de récupérer Ennery, dont la situation stratégique constituait une menace permanente pour la sécurité de la ville135. Les négociations ne cessèrent donc pas entre les parties, parallèlement aux courses et aux chevauchées. Après une trêve signée en avril 1419 et plus ou moins régulièrement renouvelée par la suite136, elles débouchèrent sur un accord, conclu le 10 octobre 1423. Charles II redonnait aux citains les villes d’Ennery et de Verny qu’il occupait137, il renonçait également à toute pension de la part de la cité de Metz, mais recevait en contrepartie une indemnisation d’un montant de 16 000 francs138. L’affaire se terminait d’une façon comparable à celle de la plupart des attaques menées contre la ville au cours des siècles précédents : les bourgeois se servaient de leur immense fortune pour acheter la paix à des seigneurs laïcs impécunieux et incapables de venir à bout de la résistance de la cité139. A priori, chacun pouvait y trouver son compte : le même jour, les Messins dénonçaient les alliances conclues dix-sept ans auparavant avec le duc de Lorraine140. 134 Arch. Com. de Metz AA 11, no 12 : lettre du duc de Lorraine au maître échevin de Metz, datée du 27 février 1417 (n. st.) : « Si est advenu dairien que par l’entreprinse d’ung certain trahytié par vous pourchassier, que dedens Ennerey estoit, comme nous fummes infourmez, qu’il l’ait recongneu et confessei, que la dite forteresse vouliez gaingnier, et comme il fait peu apparoir que certenne quantitei de gens d’armes et de piet de la ville de Mets sunt estez venus assez pres de la dite forteresse pour affermir la dite entreprinse de gaingnier la dite Ennerey, comme nous en fummes infourmez, et avec fuit dit et huchyei a haulte voix par aucuns de vos gens au trahité que ceu vouloit entrepranre : - Han, tient ce bien, tu averons tantost secours ! […] » 135 À une douzaine de kilomètres au nord de Metz et à proximité immédiate du cours de la Moselle, la forteresse d’Ennery permet la surveillance et le contrôle de cette voie navigable essentielle pour le commerce et la sécurité de la cité. Le fleuve mène en effet vers Luxembourg et constitue la seule route qui, depuis Metz, ne traverse pas les territoires de la Lorraine et du Barrois. 136 A.D.M.M. B 424, f. 239 et 239v-240v. La trêve, décidée le 14 avril 1419, puis prolongée le 1er août et le 15 décembre suivants, laissait Ennery aux mains du duc de Lorraine. Charles II et les citains convinrent également de s’en remettre à l’arbitrage du comte de Salm et de l’évêque de Metz Conrad Bayer de Boppard [G. Wolfram (éd.), « Die Metzer Chronik des Jaique Dex über die Kaiser und Könige aus dem Luxemburger Hause », in Quellen zur Lothringischen Geschichte, t. IV, Metz, 1906, p. 425). Mais il semble que ceux-ci n’aient pas réussi à réconcilier les adversaires. D’autres chroniqueurs messins affirment que la cité aurait également dû verser au duc une indemnité de 3 000 florins ( J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 144). 137 A.D.M.M. B 424, f. 226 : « … par le moyen de la dicte paix et accort, la forteresse d’Annerey sera et demourra a nostredicte cité, et s’en depart du tout monsignour le duc […] Et avec ce, mondit seigneur le duc a renuncié en la main de Jehan Lohier de Virey, chevalier, a tel droit, raison et action comme il a cause dudit messire Jehan, avoit ou pretendoit avoir en la forteresse de Virey et en appartenances, et li a rendu toutes lettres qu’il avoit de lui comme cassées et de nulle valeur… » 138 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 144-145. 139 On peut prendre pour exemple le premier traité intervenu entre la ville de Metz et les quatre seigneurs en 1404, par lequel les citains accordaient à leurs adversaires la somme de 13 000 florins pour retrouver la tranquillité. Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 140 A.D.M.M. B 424, f. 227.
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À long terme cependant, Charles II ne pouvait se satisfaire d’un tel traité. Il poursuivait en effet un but autrement plus ambitieux, celui de soumettre, d’une façon ou d’une autre, la ville de Metz à son autorité. Dans ces conditions, toute paix durable s’avérait impossible avec des citains imbus de leur richesse et de leur indépendance. Assez vite, la litanie des accusations et des agressions mutuelles entre le duc et la cité reprit son cours. Une nouvelle fois, Charles II fit intervenir ses nobles et ses serviteurs. En 1425, Jean de Créhange revendiqua la seigneurie du village de Servigny-lès-Raville, que la justice de Metz avait autrefois confisquée à Charlot de Deuilly141. Quatre ans plus tard, c’est le secrétaire ducal en personne, Jean Denis, qui se dédommagea lui-même sur la cité des pertes qu’il prétendait avoir subies lors d’une incursion des Messins à Pargny-sur-Moselle, où il possédait des biens142. De leur côté, les citains ne restèrent pas inactifs et recrutèrent un certain nombre de mercenaires qui s’en prirent au territoire ducal, tel le dénommé Henzelin de Morhange143. Ces escarmouches incessantes entretenaient un état de tension permanent entre la ville et le duché de Lorraine, qui devait déboucher, un jour ou l’autre, sur une explication finale. Celle-ci se produisit en 1429-1430, avec la « guerre de la hottée de pommes » (1429-1430). De fait, en septembre 1427, Nicole Chaillos, abbé de Saint-Martin devant Metz, « fit cueillir environ une hostée de pomes, dont moult de maulx en vinrent come vous orrez cy apres, et les fit apporter en sa maison en Metz »144. À première vue anodin, voire ridicule145, ce geste entraîna pourtant le duché de Lorraine et la ville de Metz dans une lutte sanglante, beaucoup plus destructrice que toutes celles qui 141 Arch. Com. de Metz, AA 11, nos 44 à 49. La correspondance entre le duc et la ville sur ce sujet s’étale du 14 mai au 18 septembre 1425. Dans cette localité, les citains s’étaient emparés de trois hommes de Jean de Créhange, conseiller ducal. Celui-ci était venu s’en plaindre à Charles II et lui avait demandé de défendre ses intérêts. Selon les Messins, les habitants de Servigny relevaient des tribunaux de la cité. 142 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 69, le 2 mars 1429 (n. st.) : « Le maistre eschevin et lez treses jurez de Mets. A nostre bon ami Jehan Denix de Nancey, nostre admiable salut. Nous avons veu voz lettrez que escriptes nous avez faisant mension de certennes courses dairien faites par noz gens en la ville de Pargney desoubz Priney, en la queile dites avoir la moitié ad cause de messire Galchier d’Angleure, et combien que le dit messire Galchier et sez officiers nous en ont requis n’en avons vollus faire rendue ne recreence, et pour celle cause nous avez fait contrewagier ». 143 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 62, le 3 octobre 1428 : « Charles, par la graice de Dieu duc de Lorrainne et marchis. A toy, Hanzelin de Morhenges, et a tous les autres soldoieurs estans presentement aux gaiges en la cité de Metz. Nous avons receu voz lettres repondont aux nostres que vous avons derriennement envoiés touchant la requeste que vous avons eue faite, par lesquelles vos dites lettres nous escripvez que voz signeurs et maistres de la cité, comme ilz disoient, avoient estez de part nous et par nostre ordonnance par plusieurs fois waigiés et prins du leurz par noz gens et officiers, par plusieurs manieres et sans deffiance, dont ilz n’en peoient avoir rendue ne recrance, et que sur cela ordonnerent a toy, Hanzelin de Morhenges, et a plusieurs d’entre vous lez sodoieurs, de nous contrewaigier pour venir a raison. » 144 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, f. 32. Le chroniqueur fournit un récit très détaillé de la « guerre de la hottée de pommes », sur lequel nous nous appuierons fréquemment pour l’analyse du conflit. 145 F.-Y. Lemoigne, Histoire de Metz, op. cit., p. 152 ; R. Bour, Histoire de Metz, Metz, Serpenoise, 1979, 299 p., p. 93.
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avaient pu les opposer depuis au moins un siècle. Le déclenchement du conflit révèle à la fois l’enjeu du débat et le souci de chacun des deux protagonistes de mettre le droit de son côté. Averti par les religieux de Saint-Martin de Metz que l’acte commis par leur abbé empiétait sur ses prérogatives de seigneur de l’abbaye, le duc de Lorraine s’empressa de demander aux citains le versement d’une taxe pour ces fruits « a raison de leur sortie des États de Lorraine pour entrer dans Metz146 ». L’expression réaffirmait la souveraineté ducale sur ce couvent et ce faubourg de Metz, ce que les magistrats de la cité ne pouvaient accepter. Rien d’étonnant par conséquent à ce qu’ils opposent une fin de non-recevoir aux prétentions de Charles II147. Le duc fit alors « gager » la ville de Metz dans un village du pays messin ; à son tour, Metz demanda « recreance », suivie du refus ducal ; elle se vengea alors en envoyant un de ses soudoyés sur les terres du duc de Lorraine ; tout s’était donc passé le plus juridiquement du monde : avant la voie de fait, la voie de droit avait été utilisée et les deux parties pouvaient, la conscience tranquille, recourir à la force148. Toutes les précautions prises de part et d’autre le montrent : entamée sous un prétexte tout à fait futile, cette guerre est en réalité motivée par des causes profondes et essentielles, d’où la nécessité de se donner au moins les apparences de la légitimité. Il y va de la souveraineté de la ville sur le pays messin, ce dont témoigne l’acharnement des citains sur le bourg et l’abbaye de Saint-Martin, plusieurs fois incendiés149. Il y va de l’indépendance de la cité de Metz par rapport au duché de Lorraine. Le doyen de Saint-Thiébaut en a d’ailleurs parfaitement conscience, qui note à trois reprises dans sa chronique que les Lorrains « cuidient bien panre la bonne cité de Mets150 ». Un demi-siècle plus tard, l’auteur de la Chronique de Lorraine place les mêmes mots dans la bouche du duc, lorsqu’il prend connaissance du contenu du traité de paix négocié par le comte de Salm et l’évêque de Metz151. Il y va enfin de la suprématie de Charles II en Lorraine, ce que traduit le soin avec lequel celui-ci rapatrie à Nancy les reliques de l’ancien roi d’Austrasie saint Sigisbert152. À la fin de sa vie, il semble bien 146 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 541. Charles II justifie notamment cette prétention par une légende selon laquelle les ducs de Lorraine seraient les fondateurs de l’abbaye. 147 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 32 : « […] mais nosdits sires de Mets, considerant que c’il faixient telle chose, elle seroit a tousioursmais grevable aux franchises de lordite cité, et des habitans d’icelle, sy en firent respons souffisant […] » 148 Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 453-454. 149 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 33 et 34. Les mercenaires à la solde des Messins s’en prennent dès 1427 au bourg de Saint-Martin, mais ils laissent l’abbaye intacte. L’année suivante en revanche, elle fut détruite à son tour. 150 Ibid., f. 35. Dès le début de son récit, le chroniqueur affirme que Charles II « les [les citains] cuidoit mettre eschaic et mach » (ibid., f. 33). Plus loin, il mentionne la venue de trois prêtres nancéiens qui « cuidient ja qu’il eut prins la cité de Mets » (ibid., f. 38) et étaient accourus pour participer à la distribution d’éventuels bénéfices ecclésiastiques. 151 L. Marchal (éd.), La chronique de Lorraine, op. cit., p. 31 : « Le duc que sur une chaise seoit, dict : – O les traictres, m’ont ils ainsy deceu, je cuydois avoir de Mets la joyssance ! » 152 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 34. Cette relique permettait à Charles II de se présenter comme l’héritier d’un souverain qui avait étendu son autorité sur l’ensemble de l’espace lorrain, et même au-delà. Voir également ci-dessous dans le présent
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que le duc de Lorraine, lassé par une stratégie de harcèlement qui ne débouchait à long terme sur rien de concret, se soit résolu à engager avec la ville de Metz un combat qui se voulait décisif. Pourtant, cette guerre prit dans un premier temps une tournure assez habituelle. Charles II lança en effet contre la cité son vassal Didier de Chauffour et il le soutint de son mieux, en demandant à Henri de la Tour de lui céder sa forteresse de Frouard153. Très rapidement cependant, le conflit prit de l’ampleur. En 1428, le duc de Lorraine adopta à l’égard de Metz la tactique qui lui avait si bien réussi contre Toul : Il fis clorre tous les chemins de la Duchié, et impetrait de faire clorre tous les chemins d’entour Mets, excepteis les chemins de la duchié de Lucembourg, car la dame ne les volt point clorre, mais fist commander par tout son pays que nulz ne feist domaiges a ceulz de Mets, mais vendissent et achestessent en la dicte cité tout a lour plaisir154.
Le blocus de la ville s’avèra donc plus difficile et moins efficace que celui de Toul. Non seulement, Metz n’était pas totalement encerclée, mais elle disposait dans ses greniers de réserves de blé très abondantes, qui lui permettaient d’envisager un siège éventuel en toute sérénité155. Charles II se rendit vite compte qu’il lui fallait rassembler la totalité des forces sur lesquelles il sait pouvoir compter. Après avoir solennellement défié la cité en lui envoyant son héraut d’armes le 31 mai 1429156, il mobilisa contre elle l’ensemble des noblesses lorraine et barroise et mit sur pied en deux mois une vaste coalition, composée de ses deux gendres, René d’Anjou et le marquis de Bade, de l’archevêque de Cologne et du duc Étienne de Bavière157. L’effort de guerre du duc de Lorraine traduit la nature de ses objectifs et donne à ce conflit une portée largement supérieure à ceux des années précédentes : L’an dessusdit le VIIIe jour de jung, Charles, duc de Lorrenne dessusdit, envoya ses gens bien environ M et VC homes bien armés a chevalx et environ VM homes a piedz […] Et le lundy apres XIe jour doudit moys de juillet, Charles duc de Lorraine, accompaignés dou duc de Bar, dou marquis de Baude ces deux genres, et dou duc Stephane de Bavieres, avecq eulx bien en nombre de XVM gens d’armes a chevalx et
chapitre. 153 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 153. 154 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 33. En ce qui concerne les blocus instaurés par Charles II contre la ville de Toul en 1402 et 1420, voir ci-dessus deuxième partie, chapitre 4 et ci-dessus dans le présent chapitre. 155 Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 195 : « Et, alors, voiant lesdit seigneurs et cognoissant que en leur cité il y avoit plus de blef qu’il ne leur en failloit pour VII ans, firent commandement que l’en ne vendit la quairte du milleurs au plus hault de XIIII sols. […] Et, parmi ce, olrent les pouvres gens meilleur merchiez, et furent soubtenus et subtantés, maulgré en eussent les envieulx, lesquelles en crevoient de dueil ». 156 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 34. 157 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 153. Par ailleurs, dans une lettre adressée au duc de Bar René d’Anjou le 10 juin 1429, le maître échevin de Metz affirme que « tous ceulx dudit Pont ou la plus grant partie tant de la justice comme autres nous ont deffiez pour mons. de Lorrainne. Et aussi ont fait plussieurs voz officiers, chevaliers, escuiers, et autres… » Arch. Com. de Metz, AA 11, no 83.
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plus et de gens de pied XXM et plus, se mirent au chemin pour tout destruire le bon pays de ceulx de Mets158.
Il faut revoir considérablement à la baisse les chiffres donnés par le doyen de Saint-Thiébaut. Étant donné ce que nous avons dit des structures militaires du duché de Lorraine, il est totalement exclu que Charles II ait pu regrouper autour de lui une armée de 35 000 hommes, parmi lesquels 6 000 à 7 000 Lorrains159. Pourtant, tout dans le récit du chroniqueur laisse à penser que l’importance des effectifs, l’intensité des combats et l’étendue des dégâts ont cette fois atteint un niveau très élevé. Le duc de Lorraine a visiblement cherché à se donner les moyens de ses ambitions, même si le déploiement de ses forces dans le pays de Metz à l’été 1429 ne semble pas avoir véritablement impressionné les citains : Vous devés scavoir que tant comme ledit duc de Lorrenne et toute sa poussance fut oudit pays de Mets, les portes de Mets n’en furent gaires plus tost ne plus tard closez ne ouvertes, ne aussy on ne laissoit a aumnener vivres par nulles desdites portes. Et sambloit aussy que se ne fust que mocqueries de ceu que ledit duc et sa compaignie faixient. Et encor me semble il que le wait des murs ne des portes ne fut assés pou renforciés et que on ne faixoit compte, ne semblant : mais chacun estoit reconfortey pour son asme160.
Peut-être y a-t-il dans ces propos une part de fanfaronnade. Néanmoins, l’assurance des Messins tient aussi à la conscience de leur force. Bien à l’abri derrière leurs puissantes murailles, protégés également par un réseau de fortifications disséminées dans la campagne autour de la ville, ils n’ont en réalité pas grand chose à craindre des attaques de Charles II, qui, pas plus que ses prédécesseurs, n’est en mesure de conquérir la cité. Ils savent pertinemment que les finances du duc de Lorraine ne lui permettent pas de maintenir bien longtemps une armée aussi nombreuse sur le pied de guerre. Dès la fin juillet, certains alliés de Charles II montrent des signes de lassitude et en septembre, il doit se résoudre à conclure une trêve et à engager des pourparlers de paix161. Pour le comte de Salm et l’évêque de Metz qui avaient offert leur médiation, le conflit s’avère bien difficile à arbitrer. Charles II en effet a dû renoncer à la conquête
158 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 35. À l’exception de l’archevêque de Cologne, on retrouve aux côtés de Charles II les princes d’Empire auxquels il est allié depuis le début de son règne. Cette ligue illustre aussi l’antagonisme qui existe entre les villes et la noblesse dans toute l’Allemagne à cette époque. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3, deuxième partie, chapitre 4, et ci-dessus dans le présent chapitre. 159 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 160 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 39. Ne pouvant approcher de la ville en raison des « garnisons ez forteresses » qu’il y avait « en l’entour de Mets » ( J.F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 153), les troupes du duc de Lorraine et de ses alliés en étaient réduites à ravager les villages du pays messin. De leur côté, les citains répliquaient par des raids lancés régulièrement contre le territoire ducal. 161 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 39-40. René d’Anjou quitte l’armée lorraine le 20 juillet, pour rejoindre Charles VII qui venait d’être sacré à Reims (cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5).
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de Metz, mais il n’entend naturellement pas perdre totalement la face. De leur côté, les citains, en position de force, ne sont pas non plus disposés à céder. Dans ces conditions, le traité de paix élaboré puis paraphé le 1er janvier 1430, prévoyant le retour au statu quo ante, ne débloque pas la situation162. Le même jour, le duc de Lorraine obtient symboliquement restitution de sa hottée de pommes de la part de l’abbé de Saint-Martin de Metz, Nicole Chaillot : Et sur ce, lez gens du consoil de mondit seigneur de Lorrainne nous [le comte de Salm et l’évêque de Metz] demandarent par quel meniere et comment que ledit messire Nichole faisoit ledit restablissement, et comment qu’il avoit estei pourparlei. Aux quelx nous lour respondames que ledit restablissement que ledit messire Nichole faisoit, qu’il le faisoit par l’ordonnance de la ville de Mets, et qu’il ne l’eust ouzer faire, se ce ne fuit esté par icelle dite ordonnance. Sur quoy nous resquerrurent lez gens du conseil de mondit seigneur de Lorrainne d’en avoir lettre de recongnissance seellée de nostre seel, que ainsy fuit163.
Les conseillers ducaux posent ici la question de droit pour laquelle la guerre a éclaté. Bien entendu, le retour symbolique du panier de pommes ne les intéresse pas. Ce qui est en jeu, c’est la reconnaissance par la ville de Metz de la souveraineté ducale sur Saint-Martin, raison pour laquelle ils exigent que l’acte de l’abbé soit effectué non pas en son nom propre, mais « par l’ordonnance de la ville de Mets ». Or, pas plus à la fin qu’au début de la guerre, la cité ne peut réellement y consentir. Ce point constitue sans doute une nouvelle fois l’objet du débat qui oppose les citains à Charles II, quelques mois après la fin des hostilités. Une lettre des magistrats messins adressée au duc témoigne que la paix n’a pas apaisé les tensions, puisque le duc avait menacé d’« ensuyr le contenu » du courrier qu’il leur adressait, c’est-à-dire de reprendre les armes, s’il n’obtenait pas satisfaction164. Car il y a tout lieu de croire que Charles II ne s’était pas contenté de la parole donnée par les deux médiateurs, Jean de Salm et Conrad Bayer de Boppard, et qu’il a réclamé confirmation écrite au maître échevin de Metz à propos du « restablissement » de la hottée de pommes par Nicole Chaillot. Ce dernier prétextait l’inutilité d’une telle garantie, pour éviter d’engager solennellement la cité sur un problème aussi fondamental pour le respect de ses franchises et de son indépendance. On comprend par conséquent la réaction de colère de Charles II à l’issue de la conclusion de la paix avec Metz165. N’ayant rien obtenu, il refuse de libérer les prisonniers qu’il détient, comme le stipulait le texte de l’accord166. Dès lors, la guerre d’escarmouches et d’embuscades que se livrent la ville et le duché depuis
162 A.D.M.M. B 424, f. 227-228. Le duc et la cité doivent se pardonner les dommages qu’ils se sont réciproquement causés et libérer les prisonniers qui se trouvent encore entre leurs mains sans leur extorquer aucune rançon, si elle n’a pas déjà été payée. 163 A.D.M.M. B 909, no 21. Cet acte montre la très grande réticence des Lorrains à accepter la conclusion de la paix avec les Messins. 164 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 80, le 11 mars 1430 (n. st.). 165 L. Marchal (éd.), La chronique de Lorraine, op. cit., p. 31 : « – O les traictres, m’ont ils ainsy deceu, je cuydois avoir de Mets la joyssance ! – Il tira sa dague, apres luy la jecta. – Allez, je promets a sainct Georges, je m’en vengeray ! » 166 B.M. Nancy, Ms 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 41.
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une quinzaine d’années se poursuit et ne s’interrompt qu’à la mort de Charles II, en janvier 1431167. Avec ce conflit, le duc de Lorraine essuie donc un nouvel échec dans sa tentative d’établir son hégémonie sur l’ensemble de l’espace lorrain. La conquête de Metz reste un objectif encore inaccessible, à moins de disposer de complicités à l’intérieur de la cité. En faisant cantonner ses troupes dans le pays de Metz, le duc de Lorraine n’espère peut-être pas tant prendre d’assaut la cité que profiter d’éventuels soubresauts à l’intérieur de celle-ci. Comme toujours, la guerre et la présence toute proche de l’armée lorraine attisent en effet les clivages sociaux et politiques qui divisent la population citadine. À Metz, le conflit majeur oppose les patriciens aux marchands. Depuis la Commune de 1405, les premiers détiennent toutes les magistratures. En 1413, ils renforcent encore leur contrôle sur la ville par le biais d’une réforme du statut des corporations168. La lutte entre ces deux catégories sociales se transporte tout naturellement sur le terrain politique. À partir de 1418, elle prend aussi une connotation religieuse avec la fondation du couvent des Franciscains de l’Observance, les frères Baudes. Ceux-ci s’affrontent violemment aux ordres traditionnels installés auparavant dans la cité. Très vite, le peuple prend fait et cause pour les Baudes, tandis que les membres du patriciat restent plus proches des autres congrégations. Or, depuis 1428, Guillaume Josseaume, un prédicateur observant nouvellement arrivé à Metz, déchaîne les passions par ses sermons enflammés169, à l’image de celui qu’il prononce en juillet 1429, au moment où la guerre contre Charles II bat son plein170. Dans ce discours, Josseaume prend très clairement la défense des « marchants », des « pouvres laboureurs », du « peuple » contre les magistrats de la cité de Metz. Ces termes ne désignent pas la partie la plus pauvre de la population messine, mais des paysans, des marchands et des artisans suffisamment aisés pour être soumis à
167 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 78. Le 23 février 1430 (n. st.) par exemple, Isabelle de Lorraine, duchesse de Bar, se plaint de ce que les citains ont capturé son messager, « non obstant qu’il portast nos lettres et les lettres de son office par lesquelles vous pooit apparoir lui estre messagier de mons., et qu’il eust aussy sa boite armoyé, qu’il a accustumé de porter, et qu’il ne fust aucunement armez, ne se mellast en riens de fait de guerre… ». Et elle exige sa libération immédiate. 168 F.-Y. Lemoigne, Histoire de Metz, op. cit., p. 157. L’échec de la Commune de 1405 avait contribué à accroître encore la domination du patriciat sur la ville, en limitant l’accès au paraige du Commun, le seul ouvert aux marchands, et en consolidant la hiérarchie interne aux différentes corporations de métier. 169 H. Tribout de Morembert, Le diocèse de Metz, op. cit., p. 90. Les Observants sont nés, au milieu du xive siècle, d’une réforme de l’ordre de Saint-François et se distinguent par une interprétation plus littérale de la règle franciscaine. En 1418, ils s’installent à Metz, où ils reçoivent l’appellation de frères Baudes, du nom de leur fondateur. Ils entretiennent des relations très difficiles avec les autres ordres mendiants. En 1428, Guillaume Josseaume avait été envoyé à Metz pour tenter de trouver un compromis avec les franciscains conventuels. Mais il semble que cet ancien député de la nation française au concile de Constance n’ait pas eu les qualités de modération nécessaires pour y parvenir. 170 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 159. Les propos sont bien évidemment reconstitués par l’auteur. Mais ceux que l’on prête à Guillaume dans les autres chroniques messines ont une teneur à peu près identique (La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 206-207). Par ailleurs, ils correspondent aux thèmes chers aux franciscains de l’Observance. On peut donc leur accorder une assez grande fiabilité.
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l’impôt, mais néanmoins exclus du pouvoir par les membres du patriciat urbain. Les « grans tailles et subsides » représentent en effet la cible principale du prédicateur franciscain, car ils pèsent essentiellement sur ces classes sociales que constituent les gens de métier ou du Commun. La critique de la fiscalité va bien évidemment de pair avec celle de la guerre qui la rend nécessaire en même temps qu’elle en fournit la justification. Le fait que la colère de Guillaume se déclenche lors du passage des mercenaires à la solde de la cité ne tient naturellement pas du hasard : le Commun, qui supporte le gros des contributions, est directement touché par le conflit. Les laboureurs souffrent de l’insécurité qui règne dans les campagnes et de la destruction des récoltes et les marchands sont atteints dans leur activité par le blocus que le duc de Lorraine tente d’établir autour de la ville. En revanche, ils n’ont pas grand-chose à gagner à la poursuite de la guerre, à la différence des patriciens qui se battent pour la défense des immenses propriétés rurales qu’ils possèdent dans le pays de Metz. On retrouve ici les reproches formulés aux dirigeants lors de la première attaque des quatre seigneurs contre Metz en 1404, qui avait donné lieu au versement par les citains d’une très forte indemnité171. Mais, à la différence de la Commune de 1405, Josseaume donne en 1429 un contenu idéologique à l’opposition politique traditionnelle entre le patriciat et le Commun. Si la dénonciation de l’« orgueil » et de l’« envie » des paraiges messins n’a rien de nouveau, si l’exhortation qui leur est faite de s’« humilier » n’étonne guère dans la bouche d’un franciscain de l’Observance, les conclusions auxquelles il aboutit paraissent beaucoup plus radicales que par le passé. Le sermon a une tonalité assez nettement hostile à la souveraineté urbaine, considérée comme contraire à l’ordre naturel des choses : « toujours falloit il que les seigneurs et princes fussent seigneurs et qu’ilz demeuraissent seigneurs ». Dans la bouche du prédicateur, la subordination de la ville à une autorité supérieure devient même le gage de sa prospérité et de sa sécurité. Une nouvelle fois, ses propos reflètent le point de vue des artisans et des marchands, beaucoup moins « sensibles à l’indépendance urbaine qu’aux avantages économiques d’une annexion »172. Celle-ci leur procurerait à la fois la liberté de commerce et la protection dont ils avaient besoin, et leur éviterait d’être régulièrement victimes des attaques et des courses menées contre eux par les princes, leurs vassaux et leurs officiers. Quant à la fierté de ne pas être assujetti à un pouvoir extérieur à celui de la ville, Guillaume en fait assurément bien peu de cas : Car vous debvez scavoir que pouvres marchans et gens de mestier, qui ne se meslent d’autres choses que de leurs mestiers, et on les tient subgectz, si comme ilz font leurs
171 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 172 J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, op. cit., cité par F.-Y. Lemoigne, Histoire de Metz, op. cit., p. 157. Depuis un siècle, la ville de Metz connaît un inexorable déclin économique. Si les patriciens parviennent à maintenir leur richesse grâce à l’acquisition de biens fonciers et à leurs activités financières, les marchands, en revanche, sont progressivement ruinés par les guerres incessantes que la cité doit mener contre ses voisins. Ils se plaignent également « de ne pas être suffisamment protégés par les magistrats de la ville ; lorsqu’ils étaient rançonnés au cours de leurs voyages, affirment-ils, les magistrats les abandonnaient à leur sort » ( J. Schneider, La ville de Metz, op. cit., p. 491).
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serviteurs gaingnant journées, quant ilz scieent sur leurs culz en clowetant, en cousant et en faisant leur mestier, pensez et advisez ce qu’ilz puevent penseir ? Que si ung prince ou seigneur estoit en Mets, ilz n’en seroient jay plus subgectz ne qu’ilz sont ; et tout aussy chier aymeroient ilz avoir aultres seigneurs comme vous. Et si ung seigneur estoit en Mets, ilz ne polroient avoir pire nès qu’ilz ont, et oseroient bien alleir desduire seurement leurs marchandises, ce qu’ilz ne font mie173.
Naturellement, il ne faut pas aller chercher bien loin le prince auquel pense Guillaume Josseaume. Son discours appuie les prétentions hégémoniques de Charles II sur la Lorraine. Il ne se gêne d’ailleurs pas pour le nommer ouvertement, même en présence des magistrats de Metz : Aussy devez scavoir que le duc de Loraine est ung puissant prince, et que tousjours faut il et est droit que les princes tels comme luy, soient seigneurs, et que les bonnes villes soient subgectes et obeyssantes aux seigneurs, humbles et courtoises, doulces et amyables contre les princes, affin que les marchants et le peuple des cités puissent alleir et venir par les pays et meneir bone marchandise, bien et gracieusement, ce que vostre peuple ne peult faire. Et ne debvez mie commencier guerre contre vos seigneurs voisins ; car ce n’est mie droit, ne ne doit estre la coustume de nulles bonnes villes, ne de cités ; mais se doient tenir bien en la graice et amour de leurs seigneurs voisins, ce que vous ne faictes mie par vostre orgueil174.
Tout est dit. Le prédicateur et, derrière lui une bonne partie des gens du Commun, souhaitent plus ou moins ouvertement l’intégration de leur cité à la principauté de Bar-Lorraine en formation. Ces paroles témoignent également de la prégnance de la culture politique féodale de l’espace lorrain : même dans les cités les plus puissantes, l’idée de la prééminence naturelle de la noblesse trouve de nombreux adeptes. Faut-il voir dans le moine franciscain un agent à la solde de Charles II ? Le duc, nous le savons, bénéficie à Metz de certaines complicités175. Quoi qu’il en soit, la situation lui est favorable et il lui suffit d’attendre et d’espérer que les esprits s’échauffent suffisamment pour qu’une révolte éclate et lui permette de faire entrer ses troupes à l’intérieur de la ville. Dans la cité en guerre en effet, les sermons de Guillaume Josseaume ne laissent pas la foule insensible, bien loin de là176. Peu après son départ, fin 1429, les émeutes se succèdent177. Un complot est finalement élaboré en 1430, réunissant plusieurs centaines de conjurés, chiffre qui témoigne de l’ampleur de la contestation contre
173 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 161-162. Ce passage, ainsi que le suivant, est extrait de la liste des reproches adressés directement aux treize jurés de la ville de Metz par Guillaume Josseaume, au cours de l’audience que ceux-ci lui ont accordée en 1429. 174 Ibid., p. 161. 175 Cf. ci-dessus, première partie, chapitre 2. Voir également l’implication de Charles II dans la Commune de Metz, en 1405, ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 176 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 159 : « Et fut icelluy sermon si agreable au peuple, marchants et bourgeois, qu’ilz en faisoient leur droit Dieu. Et par icelle predication, les marchants et gens de mestiers commencerent a faire assemblée peu a peu, tant par la ville comme en allant au sermon » […] 177 J.-F. Huguenin, Les chroniques de la ville de Metz, op. cit., p. 170-171.
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le patriciat178. Le but consiste à livrer la ville au duc de Lorraine. Malheureusement pour Charles II, le projet, ébruité, avorte et la plupart des coupables sont exécutés. Seuls quelques-uns parviennent à s’enfuir et à trouver refuge sur le territoire ducal179. En réalité, les marchands n’ont pas les moyens de secouer le joug que les paraiges font peser sur la ville180. Pour Metz, l’heure du rattachement à une principauté ou à un royaume plus vaste n’a pas encore sonné. Harcèlement, offensive générale, déstabilisation interne : entre 1415 et 1431, Charles II aura donc tout tenté pour asseoir son pouvoir sur la cité de Metz. Au terme de ces quinze années d’efforts cependant, l’échec s’avère patent et remet en cause l’ensemble de la politique du duc de Lorraine dans la région. Au total en effet, le bilan apparaît fortement mitigé. Des succès nombreux et probants lui ont permis d’intégrer dans son orbite à la fois le duché de Bar, les temporels épiscopaux et les villes de Toul, Verdun, Sarrebourg et Épinal. Mais cette construction territoriale conserve somme toute un aspect hétéroclite et surtout incomplet. Le comté de Vaudémont et le pays messin demeurent deux enclaves ennemies aux portes de la capitale ducale, Nancy.
Incertitudes et acquis pour l’avenir Le processus d’unification amorcé par Charles II en Lorraine à partir de 1419 ne relève pas à proprement parler d’une politique de rassemblement territorial. Seuls les duchés de Bar et de Lorraine seront vraisemblablement réunis, à court terme, sous la même autorité. Encore avons-nous dit qu’il s’agissait simplement d’une union personnelle et que l’ensemble formé par ces deux principautés n’était aucunement considéré comme indivisible. Pour le reste, la suprématie du duc repose soit sur l’argent, soit sur la force, soit sur la nomination de prélats appartenant à son réseau d’amis et de clients. Tout cela souligne l’aspect encore largement inachevé de la construction ducale, composée d’un bric-à-brac de droits et de privilèges de natures différentes selon les seigneuries et les territoires concernés. La fragilité de l’œuvre réalisée par Charles II réside donc dans le fait qu’elle dépend plus du charisme de sa personne que de son statut de duc de Lorraine. De ce fait, tout peut être remis en cause au moment de sa succession. Nous illustrerons cette idée à l’aide de quelques exemples, pris parmi beaucoup d’autres possibles. Les conflits de 1402 et 1420 avaient laissé dans la mémoire des Toulois un ressentiment assez fort contre le duc de Lorraine et, à la première occasion, la proximité du royaume de France pouvait les inciter à secouer le joug qui pesait sur eux181. L’évêque de Toul Henri de Ville, pourtant membre d’une famille au service
178 Ibid., p. 171. L’un des conspirateurs, Jean de Tolloz, quitte la ville peu avant le moment prévu pour l’insurrection, trahit ses complices et avoue qu’ils « estoient bien deux cents ». 179 Ibid., p. 174. 180 J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, op. cit., p. 501. 181 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4, et ci-dessus dans le présent chapitre.
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des ducs de Lorraine depuis fort longtemps, n’avait pas hésité à brandir la menace de réactiver un ancien traité de pariage conclu avec le roi de France, pour faire taire des prétentions exagérées à ses yeux182. Il y avait donc tout lieu de craindre que les bourgeois, l’évêque ou le chapitre de Toul ne profitent de la mort de Charles II et de l’intronisation de son gendre, étranger et contesté, pour remettre en cause leur subordination à l’égard du duché de Lorraine. Fort heureusement pour René d’Anjou, la cité et l’évêché de Toul avaient aussi grand besoin de la protection ducale. La première subissait les attaques incessantes du damoiseau de Commercy Robert de Sarrebruck183. Quant au second, il ne possédait pas les moyens de se défendre lui-même. Ainsi René pouvait-il prendre sous sa sauvegarde personnelle les terres du chapitre de Toul dès le 29 janvier 1431, soit quatre jours seulement après la mort de son beau-père184 : la présence des garnisons lorraines dans les forteresses du temporel épiscopal, permanente depuis le début du xve siècle, paraissait assurée à l’avenir. Or, le territoire de l’évêché, situé non loin du comté de Vaudémont, représentait un enjeu stratégique très important pour le futur conflit entre René d’Anjou et Antoine de Lorraine185. La mainmise du duc de Lorraine sur l’évêché de Metz semblait a priori tout aussi forte. Charles II en exploitait lui-même les principales ressources et il tenait en gage une large part du temporel messin186. À sa mort, ces droits ne manqueraient pas d’être transférés entre les mains de son héritier et successeur, à condition toutefois qu’ils n’aient pas été rachetés d’ici là. Or, depuis son arrivée sur le trône épiscopal, Conrad Bayer de Boppard ne cachait guère son intention de redresser la situation financière de sa principauté et de récupérer les territoires hypothéqués par ses prédécesseurs. Dès 1420, il retirait des mains d’André de Joinville les villages d’Azelot, Pulligny, Vaucourt et Vaxoncourt187. Quelque temps plus tard, il accordait même un prêt de 700 francs à Colin de Nancy et recevait en garantie la moitié du château de Gombervaux jusqu’au complet remboursement de la somme188. Certes, cela représente peu de choses par rapport à la totalité des biens engagés. Symboliquement cependant, ces actes traduisent la volonté de Conrad de dégager le temporel épiscopal de l’emprise des ducs de Lorraine. Il y réussit d’ailleurs partiellement, quelques années après la mort de Charles II, si l’on en croit Philippe de Vigneulles :
182 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. 183 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 392-393. 184 Ibid., p. 396. 185 Voir figure 17 : « L’espace lorrain en 1431 ». 186 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. 187 A.D.M.M. B 671, no 25. Deux ans plus tard toutefois, le 1er décembre 1422, l’évêque de Metz dut réengager ces terres à Ermenson d’Autel, la femme du maréchal de Lorraine Jean d’Haussonville (cf. ci-dessus dans le présent chapitre). Cela témoigne de l’extrême difficulté de l’œuvre entreprise par Conrad Bayer, tant les finances épiscopales étaient obérées par les dettes laissées par ses prédécesseurs ainsi que par ses propres dépenses. 188 A.D. Mos. G 5, f. 193v-195v : Colin autorisait l’évêque à effectuer des travaux dans la place à hauteur de 500 francs. Il prêta également hommage à Conrad pour l’autre moitié de la forteresse.
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Aussy, en celle meisme année [1434], seigneur Conraird Baier, evesque de Mets, raicheta en la mains du duc Regnier de Bar plusieurs villes et prevostés de l’eveschié, lesquelles il tenoit en gaige. Premier, une partie de la ville de Nommeny, de Sainct Avol, de Baccarat, de Rosieres et du ban de Desme, et aultre plusieurs villes et gaignaige ; et en paiait environ la somme de XVM florin de Rin, d’or et de pois189.
Même si, après ce rachat, René d’Anjou garde encore le contrôle des salines et de nombreuses terres relevant de l’évêché de Metz, il n’en demeure pas moins que d’un seul coup, une part non négligeable des acquisitions faites par Charles II au cours de son règne lui échappe, sans qu’il puisse s’y opposer en quoi que ce soit. Cela montre à quel point son hégémonie au sein de l’espace lorrain peut à tout moment être remise en question, faute d’une intégration suffisante des différentes entités politiques qui subissent son ascendant. Pour maintenir sa domination, René doit donc absolument préserver l’essentiel, à savoir l’union de la Lorraine et du Barrois. Pour cela, il lui faut recueillir l’héritage de son beau-père et écarter son rival, le comte de Vaudémont, de la succession du duché de Lorraine. Mais celui-ci bénéficie du soutien tacite du duc de Bourgogne et de la faveur du roi d’Angleterre Henri VI et ce, dès avant la mort de Charles II190. Pour s’imposer, René aura donc besoin de l’aide des forces politiques lorraines, ou du moins d’une majorité d’entre elles. Celles-ci le savent et elles entendent bien profiter de l’occasion pour obtenir des avantages en contrepartie. Cette situation contraint René à leur faire des concessions et à revenir sur un certain nombre d’avancées réalisées par le duc de Lorraine à leurs dépens au cours des premières décennies du xve siècle. À l’égard de l’évêque de Toul, le geste accompli quelques jours seulement après la mort de Charles II, le 29 janvier 1431, révèle une inflexion sensible dans l’attitude du nouveau duc de Lorraine : Le jeune duc pria Henri de Ville de l’assister de ses conseils et, […] il écrivit au chapitre de Toul […] pour lui déclarer que l’église de Toul était la mère des églises de ses États ; qu’il devait s’y rendre tous les ans, à l’exemple de ses prédécesseurs et y recevoir les sacrements ; que l’évêque et le chapitre étaient ses maîtres spirituels et qu’il leur était entièrement dévoué191.
Cette lettre se limite, pour l’essentiel, à une déclaration de principe et elle n’engage pas véritablement René pour l’avenir. La demande d’assistance adressée à Henri de Ville se conçoit aisément : puisque la majeure partie du duché de Lorraine relève 189 Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 231. Le chroniqueur messin a manifestement commis une erreur à propos de Rosières. Chef-lieu d’une prévôté du bailliage de Nancy (cf. carte no 3), cette ville appartient en effet au duché de Lorraine. Il est donc impossible qu’elle figure parmi les territoires récupérés par l’évêque de Metz. 190 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. 191 E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, Nancy et de Saint-Dié, op. cit., p. 396-397. L’auteur ne cite malheureusement pas sa source et nous n’avons pas retrouvé la lettre en question dans les archives que nous avons consultées. Néanmoins, jusqu’à la mort d’Henri de Ville en 1436, René fera toujours preuve d’un très grand respect envers l’évêque de Toul qui exercera une influence déterminante sur le conseil ducal et se tiendra constamment aux côtés d’Isabelle de Lorraine et de ses enfants dans les moments difficiles.
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du diocèse de Toul, il paraît assez logique d’en associer l’évêque au gouvernement de la principauté. Toutefois, le ton adopté par René d’Anjou marque une déférence toute nouvelle envers le prélat et les chanoines de Toul, à laquelle Charles II ne les avait pas habitués. Mais le geste demeure très largement symbolique, étant donné la modestie du temporel toulois, enclavé dans les territoires barrois et lorrains. Plus puissant, l’évêque de Metz se montre également plus exigeant. René d’Anjou veut absolument conserver le contrôle des salines du Saulnois qui constituent une source de financement de toute première importance en cas de conflit avec Antoine de Lorraine. De son côté, Conrad Bayer de Boppard, qui souhaite rétablir son autorité sur le territoire de l’évêché, se heurte aux velléités d’indépendance et à la résistance des bourgeois d’Épinal192. Entre les deux princes, un compromis s’esquisse très facilement et ce dès avant la mort de Charles II, lorsque René, le 1er janvier 1430, abandonne toute prétention sur Épinal et renonce à la sauvegarde accordée à la ville par son beau-père193. Avant même de devenir duc de Lorraine, René d’Anjou abandonne donc tout droit sur l’un des fleurons du temporel messin, situé au cœur même du territoire ducal. Cet acte revêt une portée non négligeable : depuis les premières tentatives d’implantation dans le Saulnois, à l’époque de Raoul, les ducs avaient exercé une pression croissante sur l’évêché de Metz, le faisant progressivement tomber sous leur coupe194. À l’inverse, René est contraint de lâcher du lest, afin de se ménager le soutien du prélat dans la future guerre de succession de Lorraine. De la même façon, si quelques années plus tard le rachat par Conrad Bayer de certaines terres précédemment engagées à Charles II soulage le gendre de ce dernier, en proie à de graves difficultés financières, il contribue aussi à libérer l’évêché de la tutelle du duché de Lorraine. À plus ou moins long terme, tout le travail de sape entrepris par le pouvoir ducal depuis le début du xive siècle risque d’être anéanti. À la faveur de la succession de Charles II, les évêques de Metz et de Toul ont donc arraché à René certaines concessions. Toutefois, ils ne lui refusent pas leur soutien. Une alliance des citains de Metz et du comte de Vaudémont placerait René d’Anjou dans une position autrement plus délicate : il lui faut donc à tout prix obtenir au moins la neutralité des premiers. Or, en devenant duc de Bar, René avait hérité de la rancune de ses prédécesseurs envers la cité, qui remontait à la capture du duc Robert et à la rançon exorbitante que les Messins lui avaient extorquée en 1370195. Jusqu’en 1429, les rapports entre Metz et René d’Anjou restèrent convenables, même si quelques litiges,
192 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. Depuis 1422, les habitants d’Épinal refusaient de livrer à l’évêque le château de leur ville, arguant du fait que cela était contraire à leurs libertés et franchises. Ils obtinrent gain de cause devant toutes les juridictions ecclésiastiques, mais le conflit s’éternisa pendant près d’un demi-siècle. Voir également R. Javelet, Épinal. Images de 1.000 ans d’histoire, op. cit., p. 57-59. 193 A.N. J 983 B, no 9. Après avoir interdit l’entrée de leur ville aux troupes de Charles II, les Spinaliens avaient, entre le 11 décembre 1422 et le 1er janvier 1430, sollicité la protection du duc de Lorraine pour obtenir la levée du blocus qu’il avait instauré autour d’Épinal. Voir également ci-dessus dans le présent chapitre. 194 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2, ainsi que ci-dessus dans le présent chapitre. 195 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2.
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somme toute mineurs, opposèrent certains de leurs sujets196. Toutefois, lorsque la « guerre de la hottée de pommes » éclata entre Metz et Charles II, le duc de Lorraine demanda naturellement l’aide de son gendre. Dès le printemps 1429, les habitants de Pont-à-Mousson avaient répondu aux citains « qu’ilz ne […] oseroient ne volroient reffuser le passage [aux Lorrains] quant passer y volroient »197. Et, le 10 juillet, René d’Anjou défia la cité, prétextant qu’ordre avait été donné à tous les bourgeois de Metz en âge de porter les armes de se trouver devant la ville de Pont-à-Mousson et que des dégâts avaient été commis dans la prévôté de Briey198. Très vite cependant, René se démarqua de son beau-père et délaissa le siège de Metz pour aller retrouver Charles VII. Cette décision constitue, nous l’avons dit, son premier acte politique personnel et autonome, qui l’engage dans une voie périlleuse en lui aliénant définitivement les membres du parti anglo-bourguignon199. Afin de ne pas multiplier le nombre de ses ennemis, il recherche dès que possible un arrangement avec Metz. La cité a également tout intérêt à mettre fin à un conflit qui l’appauvrit et déstabilise le pouvoir patricien. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que la paix, impossible tant que vivait Charles II, soit très rapidement conclue après sa mort200. Une fois de plus, René renonce à toutes les revendications que son beau-père avait formulées à l’encontre de la ville de Metz, pour éviter d’avoir à lutter à la fois contre elle et contre Antoine de Lorraine et ses alliés. La démarche est marquée au coin du bon sens, tant les espoirs de Charles II paraissaient vains, au terme de quinze années de guerre. L’avènement de René d’Anjou au duché de Lorraine ouvre ainsi une période d’incertitudes quant à l’avenir de la politique d’unification de l’espace lorrain entreprise par son prédécesseur. Aux échecs de Charles II viennent en effet s’ajouter les
196 Arch. Com. de Metz, AA 11, nos 50 à 60. 197 Arch. Com. de Metz, AA 11, no 83, le 10 juin 1429. Ces paroles constituent une nouvelle preuve de l’autorité réelle dont disposait Charles II dans le Barrois, même si le duché était officiellement gouverné par René. 198 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5, et ci-dessus dans le présent chapitre. Arch. Com. de Metz, AA 11, no 83 : « A hault, noble, puissant prince et seigneur, mons. le duc de Bar, marquis du Pont, conte de Guise, le mastre eschevin et les treses jurez de Mets, honneur et toute reverence. Nous avons receu certennes voz lettrez ouvertes que escriptes nous avez faisant mension de certennes courses faitez devant vostre ville du Pont, et par cry general fait en nostre cité que tuit ceulx que pourroient pourter armes y fuissent, comme entendus l’avez, et pour autres courses faites en vostre presvosté de Briey, desqueilles courses nous demandez avoir rendue et restablissement. Et on cas que ainsi ne le feriens, nous faites savoir que telz avantaiges que comme voz ennemis ont ehus en nostre puissence et de noz forteresses, telz avantaiges averont noz ennemis ès vostres. » Malgré les dénégations vigoureuses des Messins contenues dans la suite de la lettre, ces accusations serviront de justification au duc de Bar pour déclarer la guerre à la cité, un mois plus tard. 199 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. 200 B.M. Nancy, Ms. 39, La chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 44. Le traité de paix, signé par l’intermédiaire de Conrad Bayer de Boppard et de Jean de Salm le 1er janvier 1430, n’avait toujours pas été appliqué, car Charles II exigeait une déclaration solennelle du maître échevin de Metz reconnaissant la souveraineté ducale sur le faubourg et l’abbaye de Saint-Martin et refusait de libérer les prisonniers qu’il détenait tant qu’il ne l’aurait pas obtenue. Voir ci-dessus dans le présent chapitre.
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concessions faites par René. L’ascendant du duc de Lorraine sur certaines principautés de la région se relâche, donnant à court terme le sentiment d’un échec relatif. Mais ces compromis étaient rendus indispensables par la nécessité de coaliser les forces politiques lorraines contre le comte de Vaudémont et ses alliés anglo-bourguignons. Or, de ce point de vue, l’œuvre de Charles II allait s’avérer plus solide que ce que les apparences laissaient supposer. Partons d’une constatation très simple. Même si le traité de Foug n’affirmait en rien le caractère indivisible du Barrois et de la Lorraine, la communauté de destin de ces deux duchés ne se démentira plus vraiment par la suite201. Mieux même, la principauté de Bar-Lorraine connaîtra pendant près de trois siècles et demi une existence indépendante et ne sera rattachée au royaume de France qu’en 1766202. Bien entendu, il convient de se montrer très prudent quant à ce type de raisonnement a posteriori. Mais il n’empêche qu’une telle longévité incite à rechercher les causes du succès posthume de la construction politique élaborée par Charles II et Louis de Bar le 20 mars 1419. Dans l’ensemble, l’accession de René d’Anjou au duché de Bar en 1419, puis à celui de Lorraine douze ans plus tard, n’a pas rencontré d’opposition importante au sein des noblesses des deux États. Sans doute ont-elles même assez largement contribué au mariage de René et d’Isabelle de Lorraine. Ce soutien constitue l’atout majeur du gendre de Charles II dans sa lutte contre ses rivaux, le duc de Berg et le comte de Vaudémont. Il justifie aussi la prévenance du nouveau duc envers ses vassaux et les privilèges qu’il leur accorde peu après la mort de Charles II. Mais l’appui de la société politique des deux duchés est aussi le signe d’un sentiment identitaire lorrain qui se renforce à la fin du Moyen Âge. Il ne le crée pas, car des manifestations très concrètes d’une forme de solidarité régionale se produisent en Lorraine dès le milieu du xive siècle. Mais celles-ci s’étaient heurtées à la fois au morcellement politique de l’espace lorrain et à l’exportation de la guerre civile française dans les territoires situés entre Meuse et Rhin203. Or, le traité de Foug sert de catalyseur aux différents facteurs d’unité qui existent dans la région depuis fort longtemps. Jean-Marie Moeglin a longuement étudié les processus de formation des identités nationales et locales en France et en Allemagne au cours des derniers siècles du Moyen Âge, en formulant, à partir de l’exemple bavarois, un certain nombre de
201 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 220-222. René Ier demeure duc de Bar et de Lorraine jusqu’à la mort de sa femme Isabelle en 1453. À cette date, son fils Jean II, puis son petit-fils Nicolas Ier, reçoivent l’héritage maternel, tandis que René garde pour lui le Barrois. La séparation reste toutefois assez théorique et, en 1474, René lègue le duché de Bar à son autre petit-fils René II qui, l’année précédente, était également devenu duc de Lorraine après la mort de Nicolas Ier. Dès lors, les deux États seront toujours soumis à l’autorité du même prince. Voir également le tableau généalogique de la maison de Lorraine, Annexe 1. 202 La France annexe la Lorraine à la mort de son dernier duc, Stanislas Leczinski, le 23 février 1766. 203 Voir ci-dessus première partie, chapitre 2, et deuxième partie, chapitre 4.
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propositions valables dans la plupart des cas. Il nous semble que le modèle bavarois peut s’appliquer, toutes proportions gardées, à la Lorraine du début du xve siècle204. Le sentiment d’appartenance à une communauté quelle qu’elle soit suppose que l’on puisse nommer le groupe en question et que celui-ci dispose d’une spécificité qui le distingue de ses voisins. La Lorraine remplit bien évidemment ces conditions : pendant tout le Moyen Âge, elle demeure une entité géographique clairement circonscrite205 ; par ailleurs, lorsque les chroniqueurs français évoquent les Lorrains, ils insistent toujours sur les aspects de leur comportement qui les différencient des gens du Royaume, à savoir, nous l’avons vu, leur culture politique, encore très marquée par la féodalité206. L’identité lorraine repose donc sur un substrat mental commun à l’ensemble de la noblesse de la région. Toutefois, cette communauté d’esprit ne se concrétise réellement que sous l’impulsion d’un « principe structurant ». Or, « pour l’époque médiévale et moderne, c’est la dynastie qui va peu à peu s’imposer (ou peut-être plutôt : être imposée) comme référence centrale pour l’affirmation d’un sentiment d’identité régionale ou nationale »207. Cette observation se vérifie également dans les deux duchés lorrains. L’accord conclu à Foug résulte avant tout d’un arrangement dynastique : il permet de régler d’un seul coup les problèmes de succession des maisons de Bar et de Lorraine. Mais il n’aurait pu être appliqué, ni même envisagé, s’il n’avait pas satisfait une aspiration déjà présente dans les classes dirigeantes des deux principautés. Les quatre-vingtquatre vassaux de Charles II qui reconnaissent Isabelle de Lorraine comme héritière du duché le 13 décembre 1425 agissent essentiellement pour deux raisons convergentes : d’une part, seul René d’Anjou répond, au moins partiellement, au désir d’unité qui parcourt la Lorraine depuis la signature des premiers traités de Landfried au milieu du siècle précédent ; d’autre part, Antoine de Lorraine apparaît comme le vecteur de l’influence anglo-bourguignonne dans la région, alors que René peut au contraire se présenter comme le garant de l’indépendance de la Lorraine vis-à-vis de l’extérieur208. L’union des familles de Bar et de Lorraine s’articule donc parfaitement avec l’existence
204 J.-M. Moeglin, « Nation et nationalisme du Moyen Âge à l’époque moderne (France-Allemagne », Revue historique, no 611 (1999), p. 537-553. L’auteur « ne considère pas qu’il y ait a priori une différence d’essence entre ces deux sentiments ; c’est l’histoire qui a tranché dans un sens ou dans l’autre — et pas toujours de la même façon selon les époques. » ( J.-M. Moeglin, « Nation et nationalisme, art. cit., p. 537). 205 Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., p. 848-849, articles : « Lorraine », et « Lotharingie », écrits par M. Parisse. La Lorraine est née des partages de l’ancien royaume de Lothaire effectués au cours des Xe et xie siècles. Celui-ci se divise progressivement en deux grands ensembles, les duchés de BasseLotharingie et de Haute-Lotharingie. Ce dernier recouvre à peu de choses près l’espace lorrain de la fin du Moyen Âge, et il correspond également plus ou moins à la Lorraine actuelle. Voir également M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 70-82, 116-124, et ci-dessus, clarifications terminologiques. 206 Cf. ci-dessus, première partie. 207 J.-M. Moeglin, « Nation et nationalisme du Moyen Âge à l’époque moderne (France-Allemagne) », art. cit., p. 543. 208 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5.
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d’une culture politique commune aux deux duchés, contribuant ainsi à faciliter la prise de conscience identitaire de la noblesse lorraine. Ainsi, le cri des troupes ducales à Champigneulles en 1407, « Prény ! Prény ! », est remplacé vingt plus tard, lors du siège de Metz, par ceux de « Nostre-Dame, Sainct-Nicolas, vive Loheregne ! »209. Pour être véritablement profond toutefois, le sentiment d’appartenance doit s’ancrer dans un passé commun. Ainsi, en Bavière, au cours du xve siècle, la rédaction de chroniques « réalisant une sorte d’identification des destinées du pays et de ses habitants avec celles d’une dynastie dont l’origine et l’histoire en viennent à se confondre avec l’origine et l’histoire du pays » tient une place fondamentale dans la formation de l’identité bavaroise210 ». En Lorraine en revanche, il n’en va pas du tout ainsi. Le morcellement politique interdit à la maison ducale de se parer d’un rôle historique remontant à la nuit des temps. Par conséquent, tout comme la politique d’unification engagée par Charles II, le sentiment identitaire lorrain demeure encore balbutiant et incomplet : non seulement il ne recouvre pas la totalité de l’espace lorrain211, mais il manque également de références historiques suffisamment lointaines pour lui permettre de s’imposer comme une évidence aux yeux des populations212. Mais dans ce domaine également, un processus commence à se mettre en place dans le duché à la fin du règne de Charles II. Nous avons déjà fait allusion au transfert
209 P. Géant, « Étude sur le règne de Charles II, duc de Lorraine : 1390-1431 », art. cit., p. 440, et L. Marchal (éd.), La Chronique de Lorraine, op. cit., p. 28. Cet indice ne prouve naturellement pas à lui seul la naissance de l’identité lorraine au cours du règne de Charles II. Mais, ajouté aux autres signes que nous avons mentionnés par ailleurs, il montre que l’idée d’unité progresse dans la région à cette époque. 210 J.-M. Moeglin, « Nation et nationalisme du Moyen Âge à l’époque moderne (France-Allemagne) », art. cit., p. 543. L’absence de toute chronique propre aux duchés de Bar ou de Lorraine avant la fin du xve siècle traduit de manière flagrante la faiblesse des repères identitaires dans ces deux principautés. 211 Dans les villes, le sentiment d’appartenance des habitants est beaucoup plus développé que dans les duchés, et il se rapporte exclusivement à la cité. À Metz notamment, toute une série de chroniques urbaines voient le jour au cours du xve siècle, qui glorifient l’indépendance de la ville et « se penchent sur son passé pour définir son identité et trouver dans ses origines sa vocation et son destin. » (M. Chazan, « L’historiographie médiévale en Lorraine : présentation générale », art. cit., p. 29). 212 Le passé lotharingien n’est pas ignoré par les populations lorraines de la fin du Moyen Âge, mais ce royaume a eu une existence beaucoup trop éphémère pour constituer le ciment de l’unité à laquelle aspire la noblesse lorraine à cette époque. B. Schneidmüller, « Regnum und Ducatus. Identität und Integration in der lothringischen Geschichte des 9. und 11. Jahrhunderts », Rheinische Vierteljahrsblätter, 51 (1987), p. 81-114. De même, R. Taveneaux, « La Lorraine et les Lorrains », Revue de psychologie des peuples, 1965, p. 167-173, estime que « de la diversité historique et du « puzzle » géographique de la région lorraine, une « race » n’a pu naître : la cohésion nationale elle-même est demeurée incertaine, ne trouvant ses rares points d’achèvement qu’au cours des affrontements guerriers avec les étrangers, les « barbares », disait Barrès. C’est la guerre de Bourgogne, soldée en 1477 par la mort du Téméraire, qui clarifia chez les Lorrains le sentiment de posséder une patrie — de même que les conflits récents fortifièrent leur attachement à la France en le renforçant parfois d’une nuance chauvine ». Nous souscrivons à ce jugement, à l’exception toutefois de certaines expressions employées par l’auteur, telles que la « race » et la « cohésion nationale » lorraines. Elles caractérisent cette revue, dont le titre même semble contestable, puisqu’il suppose l’existence, pour chaque « peuple », d’un caractère supposé intemporel.
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des reliques de saint Sigisbert du monastère de Saint-Martin de Metz à Nancy au cours de la « guerre de la hottée de pommes ». Le duc lui-même n’a peut-être pas mesuré la signification de cet acte, agissant essentiellement en tant que protecteur de l’établissement fondé par ses prédécesseurs. Ce roi d’Austrasie, mort en 656, faisait depuis 1063 l’objet d’un culte sans reconnaissance officielle dans l’abbaye messine. Au cours du xive siècle cependant, il acquiert un rayonnement sensiblement plus large, avant de devenir à l’époque moderne « le premier patron de la Lorraine »213. Or, en transférant ses reliques dans la capitale ducale, Charles II fait de ce saint l’une des figures tutélaires de sa principauté et il rattache la dynastie lorraine au roi mérovingien, fondateur historique de l’abbaye de Saint-Martin. Certes, Thomas Bauer a montré que le culte de saint Sigisbert ne se limitait pas seulement à l’espace lorrain, mais concernait toute la Lotharingie, et qu’il trouvait son expression la plus intense non pas à Metz ou à Nancy, mais dans le monastère de Stavelot-Malmédy, en Basse-Lotharingie214. Toutefois, la titulature des ducs de Lorraine et les fiefs dont l’empereur les investit montrent que leurs droits s’étendent également sur tout l’espace compris entre Meuse et Rhin215. Vers 1430, tous les éléments se conjuguent pour faire du roi austrasien l’ancêtre de la dynastie ducale et le fondateur du duché de Lorraine. Même si l’évolution est à peine entamée, elle témoigne du renforcement du sentiment d’appartenance à la principauté de Bar-Lorraine en cours de formation. Celui-ci semble même s’étendre, dans une certaine mesure, au-delà des territoires des deux duchés. Dès avril 1431, la guerre de succession de Lorraine éclate entre René d’Anjou et le comte de Vaudémont216. Ce conflit constitue un excellent critère pour mesurer l’efficacité réelle de la politique d’hégémonie menée par Charles II dans l’espace lorrain. Or, l’attitude des principaux seigneurs de la région montre qu’ils ont pleinement
213 Th. Bauer, Lotharingien als historischer Raum. Raumbildung und Raumbewusstsein im Mittelalter, Cologne-Vienne-Weimar, Böhlau, 1997, 689 p., p. 622-627. Lors de son séjour à Metz, Sigebert de Gembloux rédigea une Historia translationis I et miraculorum S. Sigeberti, relatant le déplacement du tombeau de Sigebert près de l’autel de Saint-Martin. Simplement toléré par les évêques de Metz jusqu’au début du xive siècle, le culte de ce roi se développa ensuite progressivement, mais il ne prit une réelle importance à la cour ducale qu’à l’époque moderne. Voir également sur ce sujet R. Folz, « Vie posthume et culte de saint Sigisbert, roi d’Austrasie », in Festschrift Percy Ernst Schramm zu seinem siebzigsten Geburtstag von Schülern und Freunden zugeeignet, Band I, Wiesbaden, 1964, p. 7-26. 214 Th. Bauer, Lotharingien als historischer Raum, op. cit., p. 609-637. Avec Zwentibold et Dagobert II, Sigebert III appartient, selon l’auteur, à un groupe de rois austrasiens béatifiés, dont le culte permet de mettre en évidence non seulement la persistance de certains facteurs d’unité dans l’espace lotharingien tout au long du Moyen Âge, mais également la perception de cet espace comme une « Lotharingie royale sacrée [regia Lotharingia sacra] ». Cette démonstration et l’utilisation de concepts tels que celui de « conscience d’un espace, « Raumbewusstsein », paraissent cependant assez flous. 215 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1, et ci-dessus dans le présent chapitre. 216 A.N. J 911, no 37. Le 11 avril 1431, les baillis de Bar et de Saint-Mihiel se présentent sous les murs de la forteresse de Vaudémont, et en demandent l’ouverture, au nom du duc de Bar. Le refus de Gérard de Pfaffenhoffen, gardien de la place, constitue un casus belli pour René d’Anjou qui accuse son vassal de félonie : le comté de Vaudémont est en effet compris dans la mouvance féodale du duché de Bar. Voir aussi B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 31-33.
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pris conscience de la nécessité de regrouper leurs forces pour défendre les intérêts lorrains face aux ambitions étrangères : la plupart d’entre eux en effet font preuve d’une réelle solidarité avec la cause de René d’Anjou. Depuis sa rupture avec Charles II en 1425, Antoine de Vaudémont n’avait cessé de rechercher des alliés dans toutes les directions. En Lorraine, à partir de 1429, la ville de Metz représentait pour lui un partenaire idéal, puisque la ville et le comte avaient en la personne du duc un ennemi commun. Qui plus est, une éventuelle victoire d’Antoine aurait mis fin au projet d’union des duchés de Bar et de Lorraine, permettant à la cité de continuer à jouer de la rivalité traditionnelle des deux principautés. En août 1430, Antoine essaya de nouer des contacts avec les citains217. En vain, car les Messins se montraient méfiants envers un prince qui les rendait responsables de quelques courses effectuées sur les terres du comté et qui partageait les préventions de la noblesse lorraine à l’égard de leur richesse et de leur indépendance218. Sitôt après la mort de Charles II, le comte de Vaudémont renouvela pourtant sa démarche, proposant à la cité de régler les litiges qui les opposaient par la voie de la négociation219. De leur côté, les bourgeois cherchaient visiblement à gagner du temps et ne souhaitaient évidemment pas s’engager dans une nouvelle guerre, au moment où l’avènement de René d’Anjou permettait enfin le rétablissement de la paix avec le duché de Lorraine. Sans doute jugeaient-ils qu’à terme, ils n’avaient rien à gagner à favoriser les prétentions d’Antoine de Lorraine. Toujours est-il qu’en décidant de ne pas contrecarrer le processus d’unification engagé par Charles II et poursuivi par René d’Anjou, ils contribuèrent, de manière passive en quelque sorte, à renforcer la solidarité entre les différentes entités politiques de la région. Quelque temps plus tard, celle-ci eut l’occasion de se manifester de façon beaucoup plus active. Après avoir déclaré la guerre au comte de Vaudémont en avril 1431, René leva une armée impressionnante, dont la composition recouvre la sphère d’influence acquise par Charles II en Lorraine à la fin de son règne, la dépassant même quelque peu : non seulement les vassaux et conseillers de ses deux duchés avaient répondu à son appel, y compris les grands barons d’Alsace et de Lorraine germanophone,
217 W. Mohr, Geschichte des Herzogtums Lothringen, op. cit., p. 73. Dans son esprit, il s’agissait surtout de profiter des séquelles de la « guerre de la hottée de pommes » et de la contestation interne du pouvoir patricien pour établir son influence sur la ville. Dans de telles conditions, tout accord durable s’avérait impossible. 218 Arch. Com. de Metz, AA 11, nos 85 et 86. Le 2 novembre 1430, Antoine de Lorraine écrivit au maître échevin et aux treize jurés de Metz pour leur demander restitution des biens pris par un dénommé Liénart et par ses complices, qui avaient trouvé refuge dans la cité. Les magistrats lui répondirent que celui-ci n’avait pas mis les pieds à l’intérieur de la ville depuis la signature de la paix avec le duc de Lorraine, le 1er janvier précédent. 219 Arch. Com. de Metz, AA 11, nos 87-89. Le 3 février 1431, Antoine de Lorraine dépêcha à Metz son secrétaire dans le but d’obtenir le soutien de la ville contre René d’Anjou. Mais il déclarait avoir également des griefs à formuler contre les citains, et leur proposait une rencontre, à Vic ou à Pierrefort. Ceux-ci prétextèrent que l’insécurité qui régnait dans la région rendait leurs déplacements périlleux. Le comte proposa alors d’envoyer ses ambassadeurs directement à Metz, mais à condition que la cité s’engage par avance à répondre à ses exigences, pour qu’ils ne fassent pas le déplacement pour rien.
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mais l’évêque de Metz, les villes épiscopales, le damoiseau de Commercy et même certains citains de Metz étaient accourus à son secours220. Une telle mobilisation, impensable au siècle précédent, démontre les progrès du sentiment identitaire des seigneurs lorrains au cours du premier tiers du xve siècle. Cela n’empêcha pas René d’Anjou de subir une cuisante défaite lors de la bataille livrée à Bulgnéville le 2 juillet 1431 contre les troupes bourguignonnes d’Antoine de Lorraine commandées par le maréchal de Toulongeon. René fut capturé221. Ce désastre compromettait gravement l’œuvre accomplie par Charles II, en faisant planer une lourde menace sur l’application du traité de Foug. Mais il procura aux évêques de Toul, Metz et Verdun une nouvelle occasion de faire la preuve de leur solidarité à l’égard du duc de Bar et de Lorraine. Conrad Bayer de Boppard et Louis de Haraucourt prirent en effet en mains le gouvernement de la principauté, conjointement avec Isabelle de Lorraine222. Quant à Henri de Ville, il multiplia également les interventions en faveur de la famille ducale223. La cohésion des princes lorrains finit d’ailleurs par avoir raison des prétentions du comte de Vaudémont qui, abandonné également par son allié bourguignon, dut renoncer à la succession du duché de Lorraine224. Par la même occasion, elle révélait la force du sentiment d’appartenance régionale qui unissait désormais les Lorrains, en dépit du maintien d’un morcellement politique assez important. *** Quels changements le règne de Charles II a-t-il apportés dans le paysage politique de l’espace lorrain ? En apparence, le bilan paraît bien maigre : le morcellement politique n’a pas vraiment diminué et le territoire ducal ne s’est pas étendu. Quant à l’union des principautés de Bar et de Lorraine, purement personnelle, elle reste menacée par les prétentions d’Antoine de Lorraine sur l’héritage de son oncle.
220 B. Schnerb, Bulgnéville (1431)., op. cit., p. 52-56. Sont présents aux côtés de René d’Anjou, à la bataille de Bulgnéville, les comtes de Salm, de Sarrewerden, de Linange, les seigneurs de Blâmont, de Bitche, de Dalberg, de Horscherheim, d’Ingelheim et de Montfort, ainsi qu’Érard du Châtelet, Jean d’Haussonville, Colard de Saulcy, Jean de Rodemack, Robert de Sarrebruck, Ulrich de Ribeaupierre et Robert de Baudricourt. L’évêque de Metz Conrad Bayer de Boppard et son frère Henri participent personnellement au combat. Enfin, l’ensemble des villes de Lorraine et du Barrois envoient au total un contingent de 1 500 fantassins. 221 Ibid., p. 73-82. 222 Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois de 1270 à 1552, op. cit., p. 250. 223 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 601. « Après la bataille de Bulgnéville, où le duc fut fait prisonnier, il n’épargna rien pour lui faire rendre la liberté. Il fit plusieurs voyages à Dijon, à Lille, à Lyon, pour traiter avec le duc de Bourgogne de la rançon de ce prince. Il exhorta les ecclésiastiques de son diocèse à fournir de l’argent pour cet effet ; et les chanoines de la cathédrale donnèrent une somme très considérable. La duchesse Isabelle de Lorraine, épouse de René, ne se conduisit pendant tout ce temps que par les avis de l’évêque. Elle lui confia les deux princes ses fils pendant la prison de leur père ; et ils demeurèrent dans le palais épiscopal de Toul, jusqu’à ce qu’ils furent envoyés en otage au duc de Bourgogne, afin qu’il permît au duc René d’aller défendre son droit au concile de Bâle. » 224 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 108.
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Mais une étude plus approfondie permet de déceler une évolution fondamentale. Sans procéder à aucune annexion, le duc de Lorraine est parvenu à établir son hégémonie sur la région. Le duc de Bar, René d’Anjou, demeure jusqu’en 1429 sous l’étroite surveillance de son beau-père, ce qui permet aux deux duchés de fonctionner en symbiose. Le noyautage du temporel épiscopal de Metz, déjà bien entamé dans la dernière décennie du xive siècle, s’accroît encore, au point de ne laisser aux prélats messins qu’une très étroite marge de manœuvre. Par ailleurs, Charles II étend sa protection sur les villes et évêchés de Toul et de Verdun, où il impose les candidats de son choix. En 1431, une bonne partie de la Lorraine est donc soumise à l’autorité du duc, qui laisse à son gendre et successeur une situation beaucoup plus favorable que celle qu’il a trouvée. Même si bien des hypothèques pèsent encore sur l’avenir de l’œuvre accomplie, le processus d’unification de l’espace lorrain semble désormais amorcé. Dans l’Europe de la fin du Moyen Âge, beaucoup de principautés connaissent une semblable expansion : « l’époque est aux rassemblements territoriaux225 », qu’il s’agisse du Bourbonnais ou de la vicomté de Béarn226. Dans ce second cas, la politique menée par Gaston III de Béarn offre une ressemblance frappante avec celle de Charles II. En utilisant à la fois la peur des routiers, la protection militaire et la pression financière, Fébus réussit à opérer la jonction entre ses deux possessions de Foix et de Béarn et à créer un véritable État pyrénéen. Toutefois, le rassemblement territorial réalisé par les ducs de Bourbon ne s’avéra pas très durable. De même, la domination de Gaston Fébus dans les Pyrénées n’eut aucune postérité227. René d’Anjou au contraire sut préserver et transmettre à ses successeurs l’héritage que lui avait légué Charles II, donnant ainsi naissance à un « État lorrain » qui perdurera jusqu’à la fin de l’époque moderne228. Comment peut-on expliquer un tel succès posthume, alors même que l’influence française, véhiculée successivement par le duc d’Orléans, le duc de Bourgogne et par la maison d’Anjou, ne fit que s’accroître en Lorraine tout au long du règne de Charles II ? C’est que la France, en exportant ses conflits dans la région, a finalement révélé les facteurs d’unité déjà présents dans l’espace lorrain : « des divisions du Royaume naissent les premières étapes de l’unité lorraine »229. En un sens, l’unification de la
225 A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 4. Les xive et xve siècles correspondent en effet à l’âge d’or des principautés autonomes ou indépendantes. Mais si elles veulent pouvoir résister à la convoitise de leurs voisins, celles-ci doivent posséder une assise territoriale suffisamment vaste. 226 A. Leguai, De la seigneurie à l’État : le Bourbonnais pendant la guerre de Cent ans, op. cit., p. 306. La faiblesse de la politique des ducs de Bourbon réside dans leur incapacité à unifier les territoires qu’ils contrôlaient et à développer entre eux une solidarité de fait. 227 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn, op. cit., p. 343. « Il ne pouvait en être autrement parce que la disproportion était trop grande entre les ambitions de Fébus et sa puissance réelle et, en particulier, le potentiel économique de ses États. » Tel n’est pas le cas, en revanche, de la principauté de Bar-Lorraine. 228 R. Parisot, Histoire de la Lorraine, op. cit., t. II, consacré à la période allant de 1552 à 1766, date de l’annexion de la Lorraine par la France. 229 M. Parisse, Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 205.
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Lorraine représente une conséquence inattendue de la querelle des Armagnacs et des Bourguignons. Environnés de forces hostiles, les Lorrains ont pris conscience de la nécessité de s’unir pour mieux résister aux ambitions des princes étrangers. Mais un tel bouleversement n’a été rendu possible que parce qu’existait de manière latente, depuis le milieu du xive siècle, un sentiment identitaire que la guerre n’a fait que révéler. Fragile à première vue, l’hégémonie de Charles II reposait en fait sur des bases assez solides. Si importants soient-ils, ces résultats ne doivent pas masquer les échecs subis par le duc de Lorraine à la fin de son règne. L’hostilité du comte de Vaudémont entretient le danger d’une intervention étrangère dans la région. Mais surtout, parmi les territoires entrés dans l’orbite ducale au début du xve siècle figurent majoritairement des seigneuries rurales. Face aux villes, Charles II éprouve beaucoup plus de difficultés. Lorsqu’il parvient à s’imposer, comme à Toul ou Épinal, c’est au terme d’un conflit susceptible d’entraîner un ressentiment des populations urbaines à l’égard du pouvoir ducal. Qui plus est, les villes alsaciennes et la cité de Metz opposent pendant plusieurs années une résistance victorieuse au duc de Lorraine et l’empêchent d’étendre sa suprématie sur l’ensemble de l’espace lorrain. La réussite de Charles II demeure donc très partielle, et l’unification de la Lorraine très relative. D’un autre point de vue, cette situation illustre l’ampleur du fossé qui sépare les villes et la noblesse entre Meuse et Rhin. Ce trait rapproche une nouvelle fois la Lorraine de l’Empire, plus que de la France. À cette époque en effet, les « bonnes villes » du Royaume tombent de plus en plus sous la coupe du pouvoir royal ou princier et perdent progressivement leur autonomie230. Dans l’Empire en revanche, elles conservent beaucoup plus souvent leur indépendance. Leur richesse provoque généralement un fort ressentiment anti-urbain et anti-bourgeois dans les milieux princiers et nobiliaires, à l’image de celui que Charles II éprouve à l’égard des citains de Metz231. Cela prouve que l’accroissement de l’influence française en Lorraine et l’acculturation qui en découle ne modifient en rien le fondement de la culture politique des Lorrains. Le traité de Foug et plus généralement le processus d’unification de l’espace lorrain peuvent donc être considérés comme une réponse à la pression exercée par le royaume de France et comme un moyen de préserver l’identité de la région. Mais le renforcement de la présence politique et diplomatique de la France dans les territoires d’« Entre-Deux », marquée par l’arrivée de René d’Anjou dans les duchés de Bar et de Lorraine, entraîne aussi, inévitablement, la diffusion du modèle étatique de la monarchie française dont ce prince est porteur. Or, ces conceptions vont à l’encontre de celles de Charles II et de la noblesse lorraine. Assiste-t-on à une diffusion pure et simple des pratiques et des institutions du Royaume ? Ou bien celles-ci peuvent-elles être adaptées à la culture politique de la Lorraine ? 230 Cette évolution a été mise en évidence par Bernard Chevallier dans une étude restée célèbre : Les bonnes villes de France du xive au xvie siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1982. Pour l’exemple des États bourguignons, voir B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 364-405. 231 F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne, op. cit., p. 129-216. K. Graf, « Feindbild und Vorbild. Bemerkungen zur städtischen Wahrnehmung des Adels », art. cit., pour le discours d’hostilité nobiliaire aux villes.
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Chapitre 7
La mise en scène du pouvoir
Au cours du précédent chapitre, nous avons mis en évidence les conséquences des conflits internationaux sur le rapport de forces entre les différentes seigneuries qui composent l’espace lorrain et nous avons voulu montrer comment Charles II était parvenu à étendre son hégémonie sur une bonne partie de la région. Il faut maintenant resserrer à nouveau la perspective et considérer l’évolution interne du seul duché de Lorraine au cours des trente premières années du xve siècle. Tout au long de la période, le duché subit en permanence la pression du Royaume, directement ou par l’intermédiaire des princes apanagés. Paradoxalement, cette situation favorise les contacts entre les sociétés politiques lorraine et française. Qui plus est, la signature du traité de Foug place Charles II à la tête des duchés de Bar et de Lorraine et y installe un prince de sang royal, René d’Anjou. Or, depuis fort longtemps, le Barrois se montrait beaucoup plus perméable aux mentalités politiques et aux pratiques administratives de la monarchie française que son voisin lorrain1. Il peut donc relayer efficacement l’influence du Royaume dans le duché. Les progrès de la France dans la région font en effet planer une lourde menace sur l’autonomie de la principauté et sapent les fondements de la culture politique de la noblesse lorraine. Charles II s’efforce donc de s’y opposer et de préserver l’indépendance effective du duché de Lorraine, en affirmant la prééminence ducale dans l’espace lorrain et entreprenant de regrouper sous sa domination l’ensemble des entités politiques régionales. Mais n’est-ce pas reprendre à son compte les conceptions véhiculées par le pouvoir royal ? Ne contribue-t-il pas à implanter dans le duché l’idée d’un renforcement des prérogatives du prince et de la soumission nécessaire de tous les habitants à son autorité ? Et ne témoigne-t-il pas finalement, quoique de manière indirecte, de la diffusion du modèle étatique français à l’intérieur du duché de Lorraine ? Jusqu’ici, nous avons surtout insisté sur les réticences de la société politique ducale à l’égard du royaume de France. Mais celles-ci n’impliquent pas un rejet global et absolu de l’idéologie et des méthodes de la monarchie ; elles contraignent même les Lorrains à s’y adapter. Et ce sont les modalités de cette adaptation qu’il faut à présent envisager. Les sources, plus précises et plus abondantes dans les premières décennies du xve siècle, en donnent la possibilité. À partir de 1420, elles changent même quelque peu de nature, avec l’apparition des premiers comptes concernant les bailliages de Nancy et des Vosges, la châtellenie de Dieuze et les salines de Rosières2. Ces documents jettent une lumière nouvelle sur le fonctionnement de l’administration
1 Voir ci-dessus première partie, chapitre 1. 2 Cf. ci-dessus troisième partie, introduction.
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ducale, en même temps qu’ils constituent une preuve concrète, parmi bien d’autres, de l’évolution des structures internes du duché de Lorraine. Car, face au bouleversement de la donne géopolitique de l’espace lorrain et au danger constant d’une intervention étrangère dans la région, le duc de Lorraine se trouve dans l’obligation de modifier ses moyens et ses principes de gouvernement. D’un autre côté, la victoire de Champigneulles, le mariage d’Isabelle de Lorraine et de René d’Anjou et le contrôle de l’évêché de Metz augmentent considérablement la puissance dont il dispose. Il faudra donc observer la façon dont il choisit de redéfinir la nature de son pouvoir. Nous verrons ensuite que les impératifs de la lutte contre le parti armagnac puis contre le comte de Vaudémont le poussent à développer et à perfectionner les institutions de sa principauté, accélérant ainsi le mouvement d’étatisation du duché entamé depuis le milieu du xive siècle. Mais ce faisant, Charles II risque de se mettre à dos une chevalerie lorraine soucieuse depuis toujours de préserver ses privilèges judiciaires et politiques. Nous examinerons donc les réactions de la noblesse lorraine face à ces changements, et les stratégies qu’elle élabore pour maintenir sa position dominante à la cour de Nancy.
Fondements idéologiques : les progrès de la souveraineté ducale Les victoires obtenues par le duc de Lorraine au début du xve siècle et le soutien que lui procure la maison de Bourgogne jusqu’à la mort de Jean sans Peur font de Charles II un personnage craint et respecté dans les territoires compris entre Meuse et Rhin. Bien entendu, une telle affirmation vaut également pour le duché lui-même, au sein duquel le pouvoir ducal se renforce de manière sensible à cette époque. Charles II : un prince ferme et autoritaire
Jusqu’à la fin du xive siècle, l’ascendant du duc de Lorraine sur la noblesse de sa principauté paraît bien fragile. À son égard, Jean Ier se comporte en effet non pas comme un souverain, mais plutôt comme un primus inter pares, et il en va de même pour Charles II lors des premières années de son règne. Avec l’âge, l’expérience et les victoires, celui-ci parvient toutefois à imposer son autorité aux nobles et aux églises de son duché, à tel point qu’un historien du début du xxe siècle, Émile Duvernoy, parle de lui comme d’« un prince ferme, et même, semble-t-il, un peu despote »3. Dans quelle mesure l’emploi d’un tel qualificatif peut-il se justifier ? Le contrôle des vassaux
Le poids de la noblesse constitue la caractéristique essentielle des structures politiques du duché de Lorraine. Elle dispose en effet à la cour de Nancy et dans toute la 3 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 122.
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principauté d’une position et de prérogatives susceptibles de limiter considérablement le pouvoir ducal. Cela représente une différence majeure par rapport au duché de Bar et aux seigneuries du Royaume, où la suprématie des princes semble beaucoup plus solidement assise4. Dans la Lorraine ducale, la féodalité tient une place telle que le duc ne peut espérer établir sa domination que s’il parvient à contrôler strictement la dévolution des fiefs et la fidélité de leurs détenteurs. Dans ce domaine, la situation s’améliore nettement après 1400. Les difficultés de sa succession ont en effet amené Charles II à rassembler autour de lui la plus grande partie de ses feudataires et des documents plus nombreux permettent de mieux saisir la nature des relations qu’ils entretiennent avec le duc5. Pour les trente dernières années du règne de Charles II, il est possible d’établir une liste de 250 vassaux6, qui se répartissent de la manière suivante :
Citains de Metz 5% Barrois 6%
France 7%
Empire 12%
Lorraine francophone 49%
Lorraine germanophone 21%
Figure 18 : Origine géographique des vassaux du duc de Lorraine
La distribution géographique des vassaux du duché de Lorraine n’a rien de surprenant. Les deux tiers d’entre eux proviennent naturellement du duché lui-même, à l’intérieur duquel la part des germanophones (cinquante-deux sur 173, soit 29 %) augmente un peu par rapport à la seconde moitié du xive siècle (20 %). Le très faible nombre de vassaux originaires du Barrois s’explique non pas par une quelconque
4 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 5 Le nombre des prestations d’hommage proprement dites n’augmente pas tellement : nous en avons recensé 97 pour les trois premières décennies du xve siècle, contre 119 pour les cinquante années précédentes. Cela tient pour l’essentiel à ce que deux changements de règne sont survenus entre 1346 et 1400, qui ont motivé le renouvellement d’un grand nombre d’hommages. Cette situation ne s’est pas reproduite au cours de la période suivante. Les registres de comptes en revanche fournissent alors une vision beaucoup plus concrète des rapports entre Charles II et les membres de la noblesse du duché de Lorraine. 6 L’essentiel des informations provient des registres B 377 à B 384 des Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, concernant les fiefs du duché de Lorraine. Mais bien d’autres textes mentionnent au passage le lien de vassalité existant entre le duc et tel ou tel personnage. Enfin, nous nous sommes également servi des indications bibliographiques lorsque celles-ci semblaient fiables. Voir l’Annexe 17 pour le répertoire complet des vassaux ducaux.
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hostilité à Charles II, mais par le fait que la plupart d’entre eux ont prêté directement hommage à son gendre, René d’Anjou. Quant aux citains de Metz, aux Français ou aux membres de l’Empire, leur nombre, non négligeable (soixante sur 250, soit 24 % des vassaux), témoigne de l’accroissement du prestige ducal à l’extérieur comme à l’intérieur de l’espace lorrain. La situation s’inverse en effet par rapport à la période précédente, où l’attraction des princes voisins sur les vassaux du duché de Lorraine était supérieure à celle du duc sur la noblesse des principautés limitrophes7. Si l’on s’en tient cette fois non plus aux vassaux, mais au nombre d’hommages effectivement prêtés, l’attention portée au respect des obligations vassaliques par Charles II apparaît également en pleine lumière : 150
123
100 50
52 15
26
15
0 1
2
3 vassaux
7
12 11 4
18
10
5
30 28 6
hommages
Figure 19 : Nombre d’hommages prêtés entre 1400 et 1431 par les vassaux de Charles II, en fonction de leur origine géographique8
Pour la période 1400-1431, les archives lorraines conservent un total de 97 actes d’hommages9. Par rapport aux 250 vassaux recensés, la proportion, de l’ordre de 40 %, peut paraître faible. Elle l’est encore davantage en réalité, car certaines personnes ont repris plusieurs terres en fief du duc de Lorraine, à des dates différentes10. Mais comme pour la seconde moitié du xive siècle, l’absence d’acte d’inféodation pour quelques familiers du duc de Lorraine ne signifie pas nécessairement qu’ils ne remplissent pas leurs devoirs de vassaux ou qu’ils n’entretiennent pas de relation féodale avec le prince11. Même si la mise par écrit de l’hommage devient plus systématique à la
7 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 8 Légende du graphique : 1 : Lorraine francophone ; 2 : Lorraine germanophone ; 3 : Barrois ; 4 : Citains de Metz ; 5 : royaume de France 6 : Empire. 9 Pour plus de détail, voir également la liste des vassaux ducaux en Annexe 17. 10 Prenons l’exemple de la famille de Sierck, dans le bailliage d’Allemagne. Arnoul prête six fois hommage à Charles II entre 1400 et 1431 : il reprend de lui les prébendes de Montclair (A.D.M.M. B 933, no 3) et le fief de Mengen (A.D.M.M. B 933 n.o 2) en 1415, puis la montagne de Manderen (A.D.M.M. B 384, f. 384) en 1419, celle de Niedensierck en 1426 (A.D.M.M. B 567, no 111) et enfin le bois de Kettenbusch en 1426 et de nouveau en 1427 (A.D.M.M. B 567, no 109 et B 384, f. 83v-84). 11 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1 : sans doute le lien vassalique entre Charles II et les nobles les plus proches de son entourage va-t-il tellement de soi que le prince ne juge pas nécessaire d’en conserver une trace écrite, comme il le fait pour les vassaux moins souvent présents à la cour de Nancy.
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fin du Moyen Âge, une simple cérémonie orale suffit à unir pour la vie le vassal à son suzerain. Le décalage entre le nombre de vassaux et le nombre d’hommages ne doit donc pas être interprété comme le signe d’un relâchement du lien féodal dans le duché de Lorraine au début du xve siècle. Au contraire, une analyse des six catégories de vassaux définies dans les diagrammes ci-dessus montre clairement toute l’importance que Charles II accorde à la féodalité comme moyen de gouvernement. Dans la partie francophone du duché de Lorraine, pourtant la mieux contrôlée par le pouvoir ducal, la part des vassaux ayant à coup sûr prêté hommage au duc ne dépasse pas 12 % ; elle s’élève en revanche à 50 % environ pour le bailliage d’Allemagne, pour le duché de Bar et pour le royaume de France, et elle s’approche même des 100 % pour les citains de Metz et pour les vassaux originaires de l’Empire. Ainsi, le duc de Lorraine multiplie les précautions à l’égard des vassaux établis à l’extérieur du duché de Lorraine ; pour les nobles les plus souvent présents à la cour ducale en revanche, une mise par écrit du contrat vassalique ne semble pas aussi indispensable. À la différence de la simple prestation d’hommage, le dénombrement d’un fief spécifie de la manière la plus précise possible l’emplacement, la nature et la valeur du bien inféodé. Or, sur les 97 actes à notre disposition, 41 sont des dénombrements. Leur proportion par rapport aux hommages varie également beaucoup en fonction de la région concernée : 30 25 20 15 10 5 0
28
26 15 8
1
6 2
11 9
7
10
7
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1 3
hommages
4
5
6
dénombrements
Figure 20 : Dénombrements et hommages prêtés au duc Charles II entre 1400 et 1431, en fonction de l’origine géographique des vassaux12
Presque insignifiant dans le Barrois (un sur sept, soit 15 %), le pourcentage des dénombrements reste faible dans la Lorraine germanophone (23 %) et dans l’Empire (35 %). En revanche, il s’élève à 53 % pour la Lorraine francophone, 70 % pour le royaume de France, et atteint même 82 % pour les citains de Metz. Une nouvelle fois, Charles II paraît plus tatillon à l’égard des vassaux étrangers à la principauté ducale.
12 Légende du graphique : 1 : Lorraine francophone ; 2 : Lorraine germanophone ; 3 : Barrois ; 4 : Citains de Metz ; 5 : royaume de France 6 : Empire.
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Au final, la situation peut se résumer de la manière suivante : dans les principautés de Bar et de Lorraine, la relative assurance de Charles II quant à la fidélité de ses vassaux explique la faible part des hommages et des dénombrements. Au contraire, le conflit plus ou moins permanent qui l’oppose à la cité de Metz contraint le duc de Lorraine à exercer un contrôle très strict sur les fiefs détenus par les citains13. Enfin, Charles II veille également scrupuleusement à ce que ses vassaux français et allemands respectent leurs obligations féodales : ceux-ci sont en effet proportionnellement plus nombreux à lui rendre hommage et à lui fournir leur dénombrement que les nobles originaires de la Lorraine ducale. Plus encore qu’à la prestation et au renouvellement des hommages qui lui sont dus, Charles II se préoccupe de la nature de la relation qu’il entretient avec ses feudataires, témoignant par-là de son souci de mieux contrôler les hommes et les terres placés dans la mouvance du duché de Lorraine. Or, à partir du début du xve siècle, les actes des vassaux ducaux montrent, d’abord timidement, puis de plus en plus souvent, la volonté de Charles II de préserver l’intégrité des fiefs et de faire respecter le principe de leur inaliénabilité. Des mises en gage et des donations pratiquées trop souvent par une noblesse désargentée et désireuse d’assurer son salut pourraient en effet mettre en danger le potentiel militaire du duché qui repose pour l’essentiel sur le service vassalique. Quelques exemples suffiront ici à étayer notre propos. En 1399, Elme, comte de Linange, engage la moitié de sa seigneurie d’Ormes à Henri d’Ogéviller, en contrepartie d’un prêt de 600 écus consenti par ce dernier14. Quatre ans plus tard, le 8 décembre 1403, il abandonne l’autre moitié à Warry de Haroué, contre une somme de 800 écus15. Conformément aux règles du droit féodal, il demande à son suzerain, le duc de Lorraine, de confirmer cet engagement, ce que fait Charles II cinq jours plus tard, « comme sire souverain du fied, des choses et lieus dessus dis », et à condition de pouvoir le racheter lui-même s’il le désire16. Le 3 août 1416, Charles II rembourse la somme globale de 1 400 écus, avant de réengager le tout à Warry de Haroué quelques mois plus tard, le 1er avril 141717. Dans ce cas concret, le duc s’emploie à maintenir l’intégralité de la châtellenie d’Ormes dans les mains d’un seul de ses vassaux, afin d’éviter un morcellement du fief préjudiciable aux
13 Sur ce sujet, voir ci-dessus troisième partie, chapitre 6. 14 A.D.M.M. B 623, no 33 (actes nos 1 et 2). L’acte émis par le comte de Linange en date du 4 juin 1399 est confirmé dès le lendemain par le duc de Lorraine qui se réserve toutefois un droit de préemption sur les biens engagés. 15 A.D.M.M. B 379, f. 226v-227r : Au tournant des xive et xve siècles, Elme de Linange, qui connaît de graves difficultés financières, admet que le prêt consenti par Warry de Haroué répond « a nostre grant besoing et urgent necessitei ». Néanmoins, en engageant ces biens à deux personnes différentes, il cherche à préserver la possibilité de les racheter, au moins partiellement, dans l’avenir. 16 A.D.M.M. B 379, f. 227v. La ville d’Ormes est le siège d’une des onze prévôtés du bailliage de Nancy (cf. ci-dessus figure 3). Elle relève, pour l’essentiel, du domaine ducal. Charles II s’assure donc que les fiefs de cette châtellenie ne tombent pas entre des mains étrangères ou hostiles au duché de Lorraine. De ce point de vue, Henri d’Ogéviller et Warry de Haroué, tous deux membres du noyau dur de l’entourage ducal, présentent toutes les garanties. 17 A.D.M.M. B 379, f. 228v-232v.
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services militaires que ses détenteurs doivent lui fournir. Il manifeste concrètement son droit d’ingérence dans la cession des fiefs du duché de Lorraine, à la différence de Jean Ier, qui ne s’immisçait dans les affaires de ses vassaux que lorsque ceux-ci avaient manqué à leurs obligations18. De même, quelques mois plus tard, un débat oppose le comte de Linange, Ferry de Ludres et le duc de Lorraine, à propos du village de Mont-le-Vignoble. Le premier conteste la validité de la « lettre de waigiere » que Ferry de Ludres prétend détenir et en revendique la possession. Charles II décide alors que Ladicte ville de Mont le Vinous et ses appartenances li estoit escheute et confisquée, et li debvoit appartenir comme seigneur souverain de qui elle muet, pour ce que par long temps avoit esté fuer des mains de ceulx ausquelz elle doit appartenir de droite ligne, sans confirmation de li ni de ses predecesseurs, et pour ce y avoit mis la main19.
Par la suite, il reconnaît les droits du seigneur de Ludres et accepte de le remettre en possession de ce fief, tout en précisant qu’il agit « comme seigneur souverain, de grace especial »20. Le duc de Lorraine entend donc bien faire respecter les prérogatives que lui confèrent les règles du droit féodal, sans chercher pour autant à s’approprier les biens détenus par ses vassaux. De la même manière, il veille à ce que les donations des nobles lorrains aux églises du duché ne diminuent pas l’importance des fiefs au-delà des limites du raisonnable. Elles sont désormais soumises à l’approbation ducale, Charles II ayant de plus en plus systématiquement recours à la procédure de l’amortissement qui lui permet de contrôler et de limiter la valeur des fiefs cédés par les fondateurs de chapellenies21. Il ne confirme ainsi la fondation d’une chapelle par Henri d’Amance dans l’église Saint-Martin de Bayon qu’à la condition expresse qu’à l’avenir les revenus qui lui sont octroyés continuent à être repris en fief par les futurs chapelains22. De même, il autorise la donation d’Alix de Dombasle à l’église Saint-Blaise du même lieu « saulf reserve et excepté les corps d’omes, lesquelz ne
18 Cf. ci-dessus première partie, chapitres 1 et 2. 19 A.D.M.M. B 623, no 36, acte daté du 31 août 1417. La saisie du village par le duc de Lorraine se justifie à la fois par l’absence de confirmation de l’engagement par le pouvoir ducal et par le désaccord existant entre le comte de Linange et le sire de Ludres. Cela autorise Charles II à trancher le litige survenu entre ses deux vassaux. 20 Ibid. 21 Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., p. 52, article « amortissement », écrit par R. Fossier. « La manus, c’est-à-dire les droits sur la gestion d’un bien, est dite « morte » lorsque cessent ces droits, soit à la mort du tenant, soit à l’abandon du bien, qui est alors « amorti » ou « tombé en mainmorte ». Ce peut être le cas d’un héritage servile, ou lors de la cession, par vente ou don, à l’Église dont le temporel est, par essence, non transmissible. Dans ce cas l’amortissement doit comporter l’approbation d’un propriétaire supérieur et la rédaction de lettres de garantie émanant d’un pouvoir au moins moral ». Ainsi, lorsque Charles II fonde une chapelle dédiée à Saint-Nicolas dans l’église paroissiale de Dieuze, le 26 octobre 1419, il déclare qu’il « amortira » tous les biens qui seront cédés à la chapelle et à son desservant dans l’avenir, ce qui lui confère un droit de contrôle sur tous les futurs donateurs. À la même époque, le duc de Bar a lui aussi fréquemment recours à l’amortissement pour éviter le morcellement excessif des fiefs de ses vassaux. A. Girardot, Le droit et la terre. Le Verdunois à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 614-616. 22 A.D.M.M. G 380, no 53, le 14 mai 1416.
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voulons point estre comprins en meniere que soit en ceste presente confirmacion et amortisation »23. Charles II cherche aussi à s’introduire de manière plus directe dans la gestion de certains fiefs, situés dans des zones considérées comme stratégiques. À plusieurs reprises, il parvient à doubler le lien féodal qui l’unit à ses vassaux par un autre, beaucoup plus contraignant. Il convainc ainsi Antoine de Hattstatt de lui céder nominalement une partie de ses biens alsaciens, tout en continuant à les gérer personnellement non plus en son nom propre, mais en celui du duc24. Le sire de Bubingen doit également reconnaître qu’il détient le château de Bruck-lès-Trèves à la fois en tant que vassal et en tant que châtelain de Charles II25. Enfin, le 23 avril 1430, Simon Wecker et Frédéric, comtes de Deux-Ponts, lui accordent à leur tour le droit de nommer les officiers qu’il lui plaira dans leur seigneurie de Bitche et ce, pour une durée de six ans26. Même si elles paraissent limitées dans le temps ou dans l’espace, de telles conditions vont bien au-delà du simple contrôle des fiefs par le seigneur suzerain et tendent à les intégrer au moins partiellement dans le domaine ducal. De façon identique, la pratique de la sauvegarde spéciale accordée par Charles II à certains villages relevant de sa mouvance féodale lui permet d’y intervenir directement et d’y prélever certaines redevances, même si les lettres octroyées à cette occasion stipulent toujours explicitement qu’elles ne doivent pas empiéter sur les droits de leur seigneur « naturel »27. L’emprise du
23 A.D.M.M. G 418, liasse 37, acte no 1, daté du 30 mars 1417. Les sommes octroyées par Alix de Dombasle et son frère Ferry (20 florinées de terre et 16 réseaux de froment par an), prélevées sur les biens de la famille, n’empiétaient en rien sur les revenus de Charles II. Celui-ci en revanche pouvait arguer de sa situation de seigneur « souverain » pour revendiquer des droits sur les hommes de ses vassaux, ce qui explique qu’il les ait exclus de la donation. 24 A.D.M.M. B 384, f. 127v-128. Il s’agit ici de droits concernant les châteaux de Bergheim et de Hattstatt, les villages de Sulzbach et de La Bresse, un gagnage à Colombier et un péage sur le Rhin. Étant donné l’importance de l’Alsace dans la politique ducale, on comprend aisément tout l’intérêt que revêt pour Charles II la possession, même partielle, de ces territoires. Antoine de Hattstatt conserve néanmoins certains privilèges, comme celui de ne pas avoir de compte à rendre au duc de Lorraine pour sa gestion, ce à quoi sont tenus les autres officiers. 25 A.D.M.M. B 384, f. 326v-327. Ce fief constitue une sorte de poste avancé du duché de Lorraine au sein de la principauté électorale de Trèves. Or, l’enchevêtrement des droits du duc et de l’archevêque dans la région du Saargau-Merzig, détenue en condominium par les deux princes, rend leurs relations parfois difficiles. Le château de Bruck occupe donc une position clé, dans une zone encore assez mal contrôlée par le pouvoir ducal. 26 A.D.M.M. B 384, f. 34v-35, le 23 avril 1430. Durant la seconde moitié du xive siècle, Jean Ier et Charles II s’étaient montrés particulièrement attentifs au renouvellement de l’hommage que leur devaient les comtes de Deux-Ponts pour leur fief de Bitche, au nord-est du duché (cf. ci-dessus figure 4). Mais en nommant ses propres officiers, le duc de Lorraine s’immisce cette fois directement dans les affaires des barons lorrains, jusqu’alors très jaloux de leur autonomie. Il s’agit là d’un progrès décisif de l’autorité ducale. 27 Après 1400, certains vassaux du duc de Lorraine prennent l’initiative de placer leurs biens sous sa protection, tels Jean de Montclair pour la ville de Merzig et les villages avoisinants en 1409 (A.D.M.M. B 493, no 790), Jean d’Aulnoy pour la terre d’Ajoncourt-sur-Seille le 13 mai 1411 (A.D.M.M. B 494, no 12), et Jean de Manonville pour ses fiefs de Manonville et de Domèvre le 31 octobre 1422 (Arch. Com. Metz, AA 11, no 38). La demande provient parfois des communautés elles-mêmes : les habitants de Barbonville en 1415 (A.D.M.M. H 1850) et ceux de Seicheprey en 1427
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duc de Lorraine sur les terres de ses vassaux se renforce donc notablement dans les trois dernières décennies du règne. Les relations entre le duc de Lorraine et ses feudataires se présentent différemment lorsque ceux-ci bénéficient de fiefs de bourse. Dans ce cas en effet, le contrôle du fief s’avère beaucoup plus facile, puisqu’il suffit au suzerain de cesser tout versement si le vassal se soustrait à ses obligations. Mais les possibilités d’intervention du seigneur ne s’arrêtent pas là. Le lien personnel peut également permettre une extension de la mainmise territoriale du prince, par le biais de la procédure du rachat de fief. Les contrats établissant des fiefs-rentes évoquent presque toujours l’éventualité d’une telle pratique : elle permet au duc, moyennant le versement d’une somme dix fois supérieure à la rente annuelle, de se dégager de ses obligations et contraint le bénéficiaire à reprendre en fief une terre d’une valeur équivalente, située sur le territoire de la principauté ducale ou à proximité immédiate de celle-ci. L’opération s’avère très profitable si le bien nouvellement inféodé était auparavant détenu en alleu par le vassal, comme dans le cas, par exemple, de Warry de Tonnoy, le 31 mai 1426 : Je, Werry de Tonnoy, chevalier, fais savoir a tous que comme hault et puissant prince mon très chier et très redoubté seigneur monsignour Charles, duc de Lorraine et marchis, ait presentement rachettei de mes mains […] les vingt livrées a petit tournois, que my et mesdis freres aviens chascun an sur la taille d’Amance, pour et parmey la somme de dous cens livres de fors que nous en avons ehus et receus de nostre dit seigneur […]. De ce est il que, ensuivant et acomplissant le contenu desdictes lettres de nostre dict seigneur le duc Rawoul cui Dieu pardoint, je, Werry de Tonnoy […] reprens par ces presentes dudict hault et puissant prince mon très chier et très redoubté seigneur, monsignour Charles, duc de Lorraine et marchis, de ses hoirs et successeurs ducz de Lorraine, pour et en leu desdictes vingt livrées de terre […] la quarte partie de toute la terre et seigneurie du grant seignoraige de la ville, ban et finage de Faulconcourt, et des appartenances et deppendences d’icelle […] laquelle quarte partie d’icelle terre […] estoit avant ces presentes propre franc allued de moy et de mesdis freres28.
Le duc de Lorraine réalise ici un triple bénéfice. Il diminue ses dépenses en se débarrassant du paiement d’une rente annuelle assez coûteuse ; il maintient également la relation vassalique qui l’unit au seigneur de Tonnoy ; enfin, par la reprise en fief du quart de Fauconcourt, il élargit la mouvance féodale de sa principauté. Rien d’étonnant par conséquent à ce que Charles II ait eu de nombreuses fois recours à
(A.D.M.M. B 582, no 97) sollicitent ainsi la sauvegarde de Charles II et de sa fille, Isabelle de Lorraine. Cette situation s’explique à la fois par l’insécurité qui règne en Lorraine au début du xve siècle et par l’accroissement du prestige ducal à cette époque. 28 A.D.M.M. B 379, f.°167, le 31 mai 1426. Peut-être faut-il voir dans le resserrement du lien féodal entre Warry de Tonnoy et Charles II la conséquence du rôle joué par les membres de cette famille à la cour de Nancy Durant les trois premières décennies du xve siècle, ils figurent en effet très souvent dans l’entourage ducal, ce qui n’était pas le cas dans la seconde moitié du xive siècle.
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un tel procédé, notamment dans les années 142029. Il constitue en tout cas un indice supplémentaire de l’autorité accrue dont dispose le duc de Lorraine sur la personne et sur les biens de ses vassaux à la fin de son règne. Le gouvernement de Charles II marque donc une étape importante dans le renforcement du pouvoir ducal. L’accroissement de son prestige sur la scène politique régionale et internationale lui donne l’occasion d’affermir son autorité vis-à-vis de la noblesse de sa principauté. À sa manière, la collégiale Saint-Georges de Nancy témoigne de cette évolution. Elle recueille les faveurs d’un nombre croissant de nobles, soucieux de montrer leur proximité avec la dynastie ducale30. D’ailleurs, tout comme les vassaux, les établissements religieux lorrains subissent à partir de 1400 une pression de plus en plus forte de la part du duc et de ses officiers. La limitation des franchises des établissements religieux
L’avouerie des abbayes constitue le noyau territorial originel du duché de Lorraine comme de la plupart des autres principautés de la région31. Jusqu’à la fin du xive siècle, la première entrée d’un duc à Remiremont fait même office de cérémonie d’investiture. Dès l’origine cependant, les relations entre les monastères et leurs avoués ont souvent pris une tournure houleuse ou conflictuelle, en raison des importants privilèges dont disposent ces institutions32. La mainmise sur les
29 Le 3 avril 1423, Jean de Loen reprend ainsi du duc de Lorraine son alleu de Groenin, dans le duché de Juliers, contre le remboursement de la rente annuelle de cent francs qui lui était jusqu’alors allouée (A.D.M.M. B 384, f.°288). De même, quelques temps plus tard, Antoine de Ville (A.D.M.M. B 379, f. 121, le 6 novembre 1425), Simon des Armoises (A.D.M.M. B 377, f. 62, le 9 juillet 1426), Frédéric de Dalheim (BnF Col. Lor., no 43, f. 24, le 24 septembre 1426) et Jean de Malaucourt (A.D.M.M. B 377, f. 75, le 2 août 1427) prêtent hommage à Charles II pour des terres qui leur appartenaient auparavant en propre, suite au rachat des fiefs de bourse dont ils bénéficiaient. Cela traduit le renforcement du contrôle exercé par le duc sur les terres de sa principauté dans la dernière décennie de son règne. 30 L’analyse détaillée des donations faites par la noblesse lorraine aux établissements religieux du duché dépasserait largement le cadre de ce travail. Nous nous contenterons donc d’indiquer les aspects les plus marquants qui ressortent d’un rapide sondage que nous avons effectué. La générosité des nobles s’adresse essentiellement aux églises situées dans les seigneuries qu’ils possèdent (Henri d’Amance pour Saint-Martin de Bayon, A.D.M.M. H 838, Ferry de Dombasle pour l’église du même lieu, A.D.M.M. G 418, liasse 37, no 1), aux vieilles abbayes cisterciennes de Clairlieu (Philippe de Lenoncourt, A.D.M.M. H 373) et de Beaupré ( Jean, comte de Linange, A.D.M.M. H 377, Jean, Arnoul et Jacques Wisse de Gerbéviller, A.D.M.M. H 377 et H 382), et à la collégiale Saint-Georges de Nancy (Warry de Haroué, A.D.M.M. G 363, Renaud de Nancy, A.D.M.M. H 2665, Vautrin de Bouxières, A.D.M.M. G 415, no 2, Colignon et Ferry de Ludres, A.D.M.M. G 380, no 8 et G 367, liasse 18, no 2, Colard de Lenoncourt, Charles de Haraucourt et Henri de Germigny, B.M. Nancy, Ms. 353, f. 59, 60 et 80). J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 186-196, quant à lui, s’est livré à une étude très approfondie des donateurs de la collégiale et il en conclut qu’« ils se partagent en deux groupes presque égaux : chanoines et vicaires du chapitre (auxquels on peut rattacher les ducs Jean Ier et Charles II, chanoines laïcs), d’une part et laïcs nancéiens de l’autre ; encore parmi ces derniers compte-t-on quelques officiers ducaux. Saint-Georges apparaît bien ici comme l’église de la Cour. » 31 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 98-99. 32 Sur ce sujet, voir ci-dessus première partie, chapitre 1.
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églises, et notamment les puissantes abbayes vosgiennes, s’avère donc tout aussi déterminante pour le pouvoir ducal que le contrôle de la noblesse. Les nombreuses interventions de Charles II dans les monastères messins ont déjà été évoquées à propos des relations entretenues par le duc de Lorraine avec la ville et l’évêché de Metz. Arguant de leur fondation par ses prédécesseurs, Charles II revendique une entière juridiction, à la fois temporelle et spirituelle, sur ces établissements : il interdit ainsi à Marguerite de Chérisey de faire confirmer son élection comme abbesse de Saint-Pierre par l’évêque Conrad Bayer de Boppard et prétexte du transport d’un panier de pommes à son insu, depuis Saint-Martin jusqu’à la cité de Metz, pour déclencher un conflit de grande envergure avec les citains33. Ce faisant, il entend préserver la souveraineté territoriale du duché de Lorraine. Mais il ne se contente pas de défendre ses droits et se préoccupe également de la réforme interne de ces abbayes. Le 16 août 1420, le duc, constatant que […] de loing tempz a esté, et est de present très petit gouvernement en nostre esglise de sainct Martin devant Mets, et de jour en jour se diminuent les rentes et revenues de ladicte esglise, et la loenge divine se laisse a faire comme elle se faisoit d’anciennetei, et que […] ladicte esglise et les edifices a elle appartenans vont du tout a ruyne et desolation, et le sainct lieu, que souloit estre habitation d’anges, lieu de prieres et orisons, est de present comme lieu d’orreur et dissolution […] ordonnons par ces presentes a nos bien amez le priour de Warengeville, et maistre Dominique Francois nostre secretaire, de se traire au lieu de ladicte abbaie, soy informer dudict gouvernement, et y pourveoir et remedier par la millour maniere qu’ilz porront et saront, et comme bon leur semblera34.
On le voit, Charles II ne se cantonne plus dans le rôle, longtemps dévolu aux ducs de Lorraine, de protecteur des églises de son duché. Il surveille de très près leur gestion, ne laisse aux personnes placées à leur tête qu’une étroite marge de manœuvre, les menaçant de destitution au cas où elles ne respecteraient pas ses volontés et n’appliqueraient pas ses décisions35. Cela ne vaut pas seulement pour les abbayes qui lui appartiennent, comme celle de Saint-Martin de Metz. Il empiète également sur les prérogatives, les biens et les revenus des autres établissements. Les moines du prieuré du val de Liepvre se plaignent ainsi à leur supérieur, l’abbé de Saint-Denis près de Paris, des abus de pouvoir auxquels se livrent les officiers ducaux, sur ordre de leur maître. Selon eux, le duc lève au moins trois fois par an
33 Cf. ci-dessus, troisième partie, chapitre 6. 34 A.D.M.M. B 909, no 12. On notera que Charles II confie cette mission à l’un de ses secrétaires. Cela constitue un nouvel indice de la confiance que les ducs accordent aux titulaires de ces charges. 35 Lorsqu’il apprend en 1419 que Marguerite de Chérisey, l’abbesse de Saint-Pierre-aux-Nonnains, a fait confirmer son élection par l’évêque de Metz, le duc de Lorraine « fuit moult indigné et corrocier, veu que ce estoit contre sa seignorie et haulteur. Et dit que se ensi estoit, ladicte abbasse seroit deposée. » (A.D. Mos. B 2344, no 49). De même, lorsque Nicole Chaillot sollicite l’investiture de la charge d’abbé de Saint-Martin de Metz en 1426, Charles II fait remarquer que « icellui frere Nicolle, pour occasion d’icelle abbatiaul dignitei, avoit envoier a court de Rome a lui proveoir de la dicte abbatiaul dignitei, laquelle choze estoit en prejudice dudit prince et de son droit », et il le force ensuite à renoncer à « quelcunques lettres et concessions […] de quelcunques et par quelcunques impetrées », avant d’accéder à sa demande. (A.D.M.M. B 909, no 16).
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la taille sur les hommes du prieuré, empêche le prieur Mathieu Cabus de rendre la justice, d’apposer son sceau sur les actes notariés et de percevoir les cens qui lui sont dus ; il prélève les amendes à sa place, exploite les forêts du val de Liepvre, occupe les moulins de la région, en fait construire d’autres et conserve pour lui-même le produit des dîmes ecclésiastiques36. Certes, l’acharnement de Charles II à l’égard du prieuré s’explique à la fois par sa situation dans une vallée argentifère, sur le versant oriental de la montagne vosgienne, et par sa dépendance à l’égard de l’abbaye royale française de Saint-Denis37. Mais il paraît bien révélateur de la volonté ducale de restreindre les droits et l’autonomie dont bénéficient de nombreux établissements ecclésiastiques à l’intérieur du duché de Lorraine. Charles II répond en effet par une fin de non-recevoir aux demandes des envoyés du roi de France et refuse l’arbitrage d’une juridiction étrangère à sa principauté38. Dans cette affaire, le duc affiche clairement ses prétentions à la souveraineté sur l’ensemble du territoire ducal, y compris les terres appartenant à l’Église. Ses exigences ne s’appliquent pas uniquement aux monastères situés aux frontières de sa principauté, mais, plus généralement, à tous ceux qui sont placés sous sa protection. Prenons l’exemple des chanoinesses de Remiremont. Cette institution tient une place considérable dans le duché. Outre les vastes domaines fonciers qu’elle possède, elle légitime d’une certaine manière la fonction ducale, dont l’origine réside dans l’avouerie de cette abbaye, confiée aux princes de la maison d’Alsace par l’empereur Henri III39. Jusqu’à la fin du xive siècle, l’abbesse, qui a rang de prince d’Empire, parle d’égale à égal avec les ducs de Lorraine40. Il semble toutefois que ce ne soit plus le cas au début du xve siècle, à en croire la déférence dont elle fait preuve dans ses relations avec Charles II, lorsqu’elle lui demande l’autorisation d’aménager le cours de la Moselle pour protéger les pâturages du monastère41. Certes, le texte rappelle que les dames de Remiremont détiennent leurs droits sur le cours de la Moselle « conjointement » avec le duc de Lorraine. Mais on peut interpréter cet acte comme une preuve de leur soumission à Charles II, dans la mesure où elles lui ont « remonstré en pitié » les dangers que la rivière faisait courir à leurs
36 A.N. S 2338, acte du 16 novembre 1405. Le document a été reproduit dans son intégralité par E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., Pièces justificatives no IX. 37 Les mines d’argent du val de Liepvre assurent aux ducs de Lorraine des revenus importants et lui permettent de frapper monnaie, ce qui constitue l’un des attributs essentiels de la souveraineté (cf. ci-dessus première partie, chapitre 1). Par ailleurs, Charles II considère que la défense des intérêts du prieuré par les moines de Saint-Denis et les officiers royaux sert de prétexte à une intervention directe de la France dans le territoire du duché, ce à quoi il s’oppose depuis le début de son règne (cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4). 38 A.N. S 2338 : « […] fu respondu [que] le dit seigneur ne se deporteroit en aucune meniere, se par droit n’en estoit deboutés, et que se ledict prieur ou lesdis religieux vouloient de ce faire poursuite, venissent par devant le dict monsignour le duc a sa cour ou aultre part […] » 39 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3. 40 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 41 A.D.M.M. B 876, no 107, le 18 juillet 1421. Le ton sur lequel les chanoinesses s’adressent au duc de Lorraine dans cet acte diffère profondément de celui adopté lors de la première entrée de Charles II à Remiremont le 5 novembre 1392 (cf. ci-dessus, première partie, chapitre 1).
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pâturages, et l’ont « humblement supplié » de leur permettre d’y porter remède, « de grace especial ». Encore le duc ne les autorise-t-il à faire les travaux demandés que moyennant « la somme de cent couronnes d’or » et à condition d’être « plus participans des prieres et bienfaiz que a toujours seront fait en lour esglise »42. À travers ce document, l’emprise ducale sur le monastère de Remiremont apparaît comme un fait établi et incontesté aux yeux des chanoinesses elles-mêmes. Quelques années auparavant il est vrai, Charles II avait eu l’occasion de leur faire sentir le poids et l’étendue de sa domination. En 1403, le décès de Jeanne d’Aigremont rendit vacante la charge d’abbesse de Remiremont. Après que les dames eurent élu Henriette d’Amoncourt, Henri, Thiébaut, Olry et Jean de Blâmont brisèrent les portes de l’église, y pénétrèrent à main armée, jetèrent Henriette hors de son siège, la maltraitèrent et mirent Catherine de Blâmont en possession de l’abbaye. Le duc de Lorraine était naturellement intéressé au premier chef par une telle affaire. Confronté à l’hostilité des ducs de Bar et d’Orléans, il avait besoin de l’aide des seigneurs de Blâmont et ne pouvait rien leur refuser. Bien qu’elle ait été condamnée par le tribunal de la Rote, il prit donc parti pour Catherine et menaça de changer d’obédience et de se ranger dans le camp du pontife romain si on jetait l’interdit sur le duché. Dans ces conditions, l’évêque de Toul Philippe de Ville, par ailleurs très proche de Charles II, s’abstint de toute sanction et renonça à faire appliquer la sentence pontificale43. Enfin, une dernière preuve du contrôle ducal sur le monastère de Remiremont réside dans la promulgation de nouveaux statuts pour le chapitre, le 10 avril 1427. Le détail des règlements n’intéresse pas notre sujet. Il suffit de savoir qu’ils furent rédigés par un dénommé Henri, secrétaire du duc44. Tout laisse donc à penser que celui-ci a influencé les dames dans leurs décisions, par l’intermédiaire de son serviteur. Ainsi, dans tous les domaines, l’influence ducale sur la puissante abbaye vosgienne s’est considérablement renforcée sous le règne de Charles II. Il en va de même pour les autres établissements situés dans les limites du duché de Lorraine.
42 Ibid. Charles II ne donne également son accord qu’après avoir pris « conseil de nostre bien amé Mengin Drouin de Rosieres, nostre recepveur de Nancey et de Vosge, et aultres de nos officiers de part nous commis et envoyés sur ledict lieu ». Toutes ces précautions visent essentiellement à rappeler aux dames de Remiremont qu’elles ne doivent rien entreprendre sans l’aval de leur avoué. 43 A.D.V. G 842 et G 854 (2), liasse dignité abbatiale, no 2. Le schisme pontifical favorise grandement les entreprises du duc de Lorraine. La sentence définitive, rendue en 1412 par le pape Jean XXIII, contraint toutefois Catherine de Blâmont à renoncer à ses prétentions à l’abbaye, sans que Charles II ne mette ses menaces à exécution. Catherine étant également abbesse d’Épinal, son élection à Remiremont conférait à la famille de Blâmont une position incontournable au sud-est du territoire ducal. Peut-être faut-il y voir une des raisons pour lesquelles le duc a finalement accepté la décision du souverain pontife (voir ci-dessous dans le présent chapitre). 44 A.D.V. G 22. Sans doute s’agit-il d’Henri Bailli de Nancy, mentionné comme secrétaire de 1424 à 1443 ( J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit, p. 312). Ce personnage occupe également la charge de prévôt du chapitre, ce qui justifie son rôle dans la rédaction des statuts. Le cumul des offices à la cour de Lorraine et dans le monastère de Remiremont n’est pas chose nouvelle : à la fin du xive siècle déjà, Demenge de Gerbéviller, chancelier de Remiremont, détenait également les fonctions de secrétaire et de conseiller du duc Jean Ier. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1.
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Au début du xve siècle en effet, les églises lorraines subissent de plus en plus fréquemment les interventions du duc et de ses officiers qui s’efforcent à la fois de restreindre leurs franchises et de présider au choix des personnes placées à leur tête. Comme toujours en pareil cas, le zèle des serviteurs du prince dépasse souvent les consignes données par le maître. En 1415 par exemple, le prévôt de Lunéville poursuit jusque dans l’abbaye de Saint-Rémi un certain Mengin le Coursenier qui y avait cherché refuge après avoir « feru ung varlet appellé Henry Sourdeil d’une daigue parmey le col de par en par ». […] sur ceu advint que ledit prevost et sergent scehurent que ledict Mengin estoinctz en la cusine de ladite englise de sainct Remeig de Luneville, se transporterent et allerent en ladite cusine d’icelle englise, et là trouverent ledit Mengin et le prinrent de faict, et l’emmenerent parmey la cour de ladite englise. Et adoncq vint l’abbé dudict leu et plusieurs de sez congenoires, et prierent et requerrent audit prevost et a ses complises qu’ilz n’enfraindissent ne bresaissent lad. franchise de son englise ne de ses appartenances. Sur ladite priere et requeste ne se volt deppourter ledict prevost, et adoncq ledict abbé fermait sa porte, pour aider et soustenir sa franchise de son englise. Adoncq ledict prevost et ses complises emmenont ledict Mengin, malfaitour, fuer de la cour de ladite englise par sur les murs de la ville, et le mirent ez la cour du chastel de ladite Luneville. Et ceu fait, ledit abbet, le priour, et plusours de lours congenoires s’en vinrent au leu de Nancey, par devers mon tres chier et redoubté seigneur, mons. Charles, duc de Lorraine et marchis, en luy remonstrant que par son prevost et ses officiers, la franchise de son englise estoit enfreinte par la prinse dudict Mengin […]45.
Aux yeux du prévôt, le droit d’asile dont dispose l’abbé de Saint-Rémi constitue une entrave à l’exercice de la justice ducale. Il l’interprète par conséquent de manière minimaliste et le restreint à l’église proprement dite, en en excluant les autres bâtiments conventuels. Il s’agit certes là d’un cas extrême, mais non isolé. Les membres du chapitre de Darney se plaignent eux aussi des « domaiges et empeschements que leur sont fait en leurs terres et ès villes que nos predecesseurs ducs de Lorraine ont ordonné et donné a ladicte chapelle pour la fondacion d’icelle46 ». Les Prêcheresses de Nancy quant à elles s’adressent à Marguerite de Bavière, la femme de Charles II, pour faire cesser les agissements des « gruiers et sergent » du duc47.
45 A.D.M.M. H 1508. Avant de procéder à l’arrestation du malfaiteur, le prévôt Waleran de Réméréville avait reçu des instructions précises de la part de Colignon de Ludres, bailli de Nancy, qui « ly commandi que se ledict prevost trouvoit ledict Mengin […] fuer de terre saincte et benette, qu’il le prenst ». Selon les conceptions de l’époque, cela empêchait Waleran d’intervenir dans l’enceinte du monastère. 46 A.D.V. G 20, le 6 janvier 1412 (n. st.). Il s’agit pourtant d’une fondation des ducs. On aurait donc pu s’attendre à ce que les officiers ducaux fassent preuve d’une plus grande modération envers cet établissement. Mais ceux-ci paraissent surtout préoccupés de prouver l’ardeur avec laquelle ils défendent les droits du prince dans leur circonscription, quitte à ce que le duc revienne ensuite sur certaines de leurs décisions. 47 A.D.M.M. H 2635, acte daté du 29 août 1401. Le couvent des Prêcheresses de Nancy a, lui aussi, été fondé par un duc de Lorraine, Ferry III. À partir du xive siècle cependant, les faveurs de la famille ducale envers cette institution deviennent plus rares, cf. J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 193.
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Après 1400, les protestations du clergé régulier lorrain contre les empiétements des officiers ducaux deviennent monnaie courante, ce qui traduit l’augmentation de la pression du pouvoir princier sur les institutions ecclésiastiques du duché. Charles II, qui n’a aucun intérêt à entrer en conflit ouvert avec elles, fait assez souvent droit aux réclamations des abbés et des prieurs, non sans avoir vérifié auparavant l’authenticité de leurs privilèges ou pris soin de préciser qu’il agissait par pure libéralité. À propos de l’infraction commise contre l’église de Saint-Rémi, il ordonne au bailli de Nancy d’enquêter « […] pour savoir par les bourgois et prodommes de ladicte Luneville comment que onz debvoit et avoit usé d’icelle franchise48 […] ». D’autre part, il accorde aux Prêcheresses de Nancy le droit de prélever du bois dans la forêt de Haye « jusques a tant qu’il plairait a nous ou a nos hoirs de […] revoquer » cette autorisation49. La précarité de cette concession fournit donc au duc une occasion de réaffirmer l’étendue de ses prérogatives et de consolider par là même son autorité. Charles II ne revient d’ailleurs pas toujours, loin s’en faut, sur les initiatives prises par ses serviteurs. Ainsi, le 22 mai 1473, dans une lettre concernant le prieuré de Lay, le duc Nicolas Ier rappellera qu’ […] au vivant de feu de glorieuse memoire le duc Charles de Lorraine, nostre grand ayeul, pour aucunne sinistre informations que luy furent faictes, tous lesdits preys furent mis joincts au domaine et recepte generale dudict duchié, soubs couleurs de ce que aucuns maintenoient que tous acquets d’eau devoient appartenir et competer au seigneur duc de Lorraine, et depuis lors ont yceux preys toujours estez tenus et substraits audict prieuré, au grand prejudice et desheritance d’iceluy50.
S’il respecte généralement les franchises des abbayes, le duc de Lorraine veille à ce qu’elles ne s’accroissent pas aux dépens de ses droits seigneuriaux et à ce qu’elles ne conduisent pas à une remise en cause de sa prééminence. Ce souci le conduit à intervenir dans le choix des titulaires des bénéfices ecclésiastiques. En 1406, il obtient ainsi de pouvoir nommer le gouverneur de la maladrerie de Rinvaux, près de Neufchâteau, alternativement avec les magistrats urbains51. En 1422, Mengin Drouin de Rosières, l’un de ses principaux hommes de confiance, 48 A.D.M.M. H 1508. La décision de rétablir l’abbaye de Saint-Rémi dans ses franchises émane donc du pouvoir ducal, par le biais du bailli Colignon de Ludres. L’affaire procure à Charles II l’occasion de s’ériger en arbitre entre ses officiers et les établissements religieux du duché, et d’étendre ainsi sa juridiction sur ces derniers. 49 A.D.M.M. H 2635. Charles II précise également que les sœurs Prêcheresses devront se contenter de ce dont elles ont besoin pour leur usage personnel. Le duc de Lorraine se réserve donc l’intégralité de l’exploitation commerciale du massif forestier de la Haye, qui représente pour lui une importante source de revenus. 50 A.D.M.M. H 185. Par cet acte, Nicolas Ier restitue au prieuré de Lay la propriété des acquêts d’eau confisqués par Charles II. Cela montre à quel point les prérogatives du pouvoir ducal avaient augmenté aux dépens de celles des églises lorraines sous le règne de ce dernier. 51 A.D.M.M. B 833, no 51. Cet accord amiable, conclu par le duc et les bourgeois de Neufchâteau, est enregistré par le tribunal des assises d’Andelot, dans le royaume de France. Selon Charles II, la léproserie relèverait du duc de Lorraine parce qu’elle se situe entre les ponts de Neufchâteau et non au sein de la ville elle-même. Les habitants prétendaient au contraire en posséder le droit de patronage, en arguant du fait qu’ils l’avaient fondée et dotée de tous ses revenus.
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assiste à l’élection du successeur de Jean Sauvage à l’abbaye Saint-Rémi de Lunéville52. Six ans auparavant d’ailleurs, Charles II avait contraint l’abbé, qui venait de déposer Alberius Bachotey, curé de la paroisse Saint-Jacques, à le rétablir dans ses fonctions53. Bref, l’ingérence du duc de Lorraine dans les affaires internes des établissements religieux du duché s’avère beaucoup plus grande dans les premières décennies du xve siècle que du temps de Jean Ier. Le règne de Charles II se caractérise donc par un renforcement notable du contrôle ducal sur les églises comme sur la noblesse lorraines. Mais les institutions religieuses n’entretiennent pas seulement des rapports d’autorité avec le duc. Les liens spirituels créés par les libéralités ducales et par les prières des religieux constituent un autre moyen d’intégrer le clergé dans les structures du duché de Lorraine. Cela vaut bien évidemment pour les églises directement liées à la maison de Lorraine, comme l’abbaye de Beaupré ou la collégiale Saint-Georges de Nancy54, mais également pour bien d’autres abbayes du duché, que Charles II tente de rattacher au culte dynastique. Non pas que ce prince ait fait preuve d’une générosité débordante à cet égard mais, beaucoup plus systématiquement que ses prédécesseurs, il met comme condition à l’octroi de biens et de faveurs la récitation de prières pour l’ensemble de la famille ducale. Ainsi, il ne prend les Cisterciens de Haute-Seille sous sa « saulvegarde, tutelle, deffence et protection » que […] pourvy que a tousioursmais aulx et lour successours feront quatre services en l’an en loures ecclise chacun an, le jeudy lendemain du mercredy ès quatre temps, pour nous, pour nos predecessours et successours ducs de Loherenne, lesquelx services seront selempnelz55 […].
Ce type de clauses se retrouve dans la plupart des actes de donation et de fondation accordés par le duc aux monastères de ses États. Certes, il ne s’agit pas à proprement parler d’une nouveauté. Mais de tels gestes créent entre le prince et les établissements
52 A.D.M.M. H 1507. Au bas du procès-verbal entérinant la décision des moines se trouve la mention suivante : Presentis honorabilis viris Mengino Drouini de Roseriis, receptore domini ducis Lotharingie (En présence de l’honorable Mengin Drouin de Rosières, receveur du duc de Lorraine). 53 A.D.M.M. H 1511 : Un résumé en latin figure au dos de l’acte : Transumptum quocumdam litterarum anni 1416, quibus dominus Alberius Bachotey destitutur per abbatem sancti Remigii ab officio Marticulariae parochialis ecclesie sancti Jacobi de Lunevilla ; et postea intercedente serenissimo principe et duce Lotharingiae, idem Alberius restitutur in idem officium per abbatem Johannem Sauvege, qui eum deposuerat a officio supradicto. (Transcription des lettres de 1416, par lesquelles Alberius Bachotey a été destitué de son office de la paroisse Saint-Jacques de Lunéville par l’abbé de Saint-Rémi ; après intercession du sérénissime prince et duc de Lorraine, il a été rétabli dans le même office par l’abbé Jean Sauvage, qui l’avait déposé de l’office susdit). 54 Depuis Jean Ier, la collégiale Saint-Georges sert de nécropole à la famille ducale de Lorraine. Auparavant, cette fonction était détenue par le monastère cistercien de Beaupré, « […] en laquel englise mondit seigneur le duc Raoul mon peire, et plusieurs autres de mes ancessours duc de Loherenne, ont estei et sunt ensevelis […] », cf. A.D.M.M. B 414 f. 227v-229v. 55 A.D.M.M. H 543, le 26 mai 1400. Ce faisant, Charles II s’inscrit dans les pratiques religieuses des deux derniers siècles du Moyen Âge, cf. J. Chiffoleau, La comptabilité de l’Au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge (v. 1320 – v. 1480), Rome, EFR, 1980, 494 p.
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religieux une relation de dépendance à la fois matérielle et spirituelle qui ne doit pas être négligée. La liste de ceux qui profitent des largesses de Charles II ne recoupe d’ailleurs que très partiellement celle de son père Jean Ier56. Elle témoigne elle aussi, à sa manière, de l’hégémonie du duc sur l’espace lorrain et de l’accroissement de son prestige au-delà des territoires d’« Entre-Deux »57.
Les prétentions de Charles II à la souveraineté L’augmentation du pouvoir de Charles II à l’extérieur et à l’intérieur du duché de Lorraine ne pouvait manquer de susciter chez lui des ambitions nouvelles. Elle lui permet d’afficher des prétentions que les ducs étaient jusqu’à présent obligés de taire, faute de moyens pour les faire reconnaître. Par ses actes comme par ses discours, Charles II laisse de plus en plus clairement transparaître sa volonté d’imposer sa souveraineté sur le territoire de sa principauté, en particulier à la fin de son règne. La souveraineté dans les faits : l’exemple de Neufchâteau
La lutte menée par le duc Charles contre le roi de France et ses officiers à Neufchâteau au tournant des xive et xve siècles avait pour enjeu, on s’en souvient, l’indépendance du duché de Lorraine par rapport au Royaume, question intimement liée à celle de sa souveraineté58. Les travaux effectués dans la forteresse de la ville visaient notamment à empêcher le contrôle des entrées et sorties du château par les bourgeois, symbolisant par là même l’établissement de la puissance souveraine du duc sur la cité mosane. D’ailleurs, la colère de Charles II à l’encontre
56 Les testaments de Charles II sont reproduits en Annexe 12 et Annexe 15. La collégiale Saint-Georges, le couvent des Prêcheresses et le prieuré Notre-Dame à Nancy, l’abbaye de Clairlieu et les frères Prêcheurs de Toul sont seuls à bénéficier à la fois de la générosité de Jean et de Charles. En revanche, les églises de Beaupré, des Mineurs, des Prêcheurs, des Carmes, de Saint-Martin et de Saint-Pierreaux-Nonnains à Metz, de Bouxières-aux-Nonnains et de Notre-Dame de l’Enstorff près de Sierck, ainsi que l’hôpital Saint-Nicolas de Nancy, mentionnées dans les dernières volontés de Jean Ier, sont délaissés par Charles II au profit d’institutions situées dans le duché de Bar ou en dehors de l’espace lorrain (voir notes suivantes). 57 Les donations octroyées par Charles II couvrent les territoires des différentes principautés lorraines entrées dans l’orbite ducale au cours de son règne. Dans le duché de Bar, Charles fonde le couvent des Clarisses de Pont-à-Mousson (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 548) et il accorde dans son testament cinquante florins à l’église Notre-Dame de Longwy (Annexe 15). La collégiale de Sarrebourg (A.D.M.M. B 713, no 85) et l’abbaye de Haute-Seille (A.D.M.M. H 543) dans l’évêché de Metz, ainsi que le monastère de Wadgassen dans le comté de Sarrebruck (A.D.M.M. B 713, no 83), reçoivent eux aussi des sommes plus ou moins importantes, en échange de services religieux en faveur de la dynastie ducale. L’abbé de Clairvaux en 1424 et celui de Cluny en 1426, de même que le ministre des frères Mineurs du royaume de France à la même date, promettent de faire participer le duc de Lorraine et sa postérité aux prières et oraisons de leur ordre, en reconnaissance des bienfaits que Charles II leur a accordés (A.D.M.M. B 713, nos 76, 76 bis et 81). 58 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitres 4 et 5.
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des Néocastriens provenait de ce qu’il s’estimait « tres grandement empeschiez en ses droiz et seignouries » par les habitants, qui avaient toujours « un roy en cuer ou une appellacion en la bouche », « prenoient gardes du roy, les faisoient signifier au dict lieu et les penonceaulx et armes du roy faisoient mettre sur leurs maison », « afin de le debouter du tout dehors de sa seignourie qu’il avoit en la dicte ville du Neuf Chastel »59. De son côté, le Parlement de Paris réagit aux agressions ducales contre Neufchâteau et contre les personnes placées sous la sauvegarde royale en affirmant que les terres du duc de Lorraine relevant en fief du roi de France constituaient la plus grande porcion du duchié de Lorraine, et est ladite duchié, la plus grant partie d’icelle, partie ou royaume de France, c’est assavoir ce qui est tenu du roy en fief et en ressort, comme dit est ; et l’autre partie en Lorraine plus avant et en Alemaigne, tout ainsi comme on dit la duchié de Bar dont grant partie est tenue du roy, et l’autre partie est en Alemaigne60.
À l’évidence, les parties en présence campent sur des positions contradictoires, même si la comparaison entre les duchés de Bar et de Lorraine relève de la pure polémique. Or, malgré l’arrêt du Parlement le bannissant du Royaume et proclamant l’annexion de Neufchâteau par la France, le duc de Lorraine demeure manifestement le maître du terrain sort manifestement vainqueur de la confrontation. Non seulement il obtient très vite le pardon royal61, mais après son coup de force de 1410, il jouit dans la ville d’une autorité incontestée, solidement installé dans la citadelle62, confisquant les biens de ses ennemis pour les redistribuer à ses partisans63 et s’adressant au maire comme à un de ses officiers et non comme au représentant d’une commune dotée
59 A.N. J 681, no 48. Ces propos sont prêtés au duc de Lorraine dans l’arrêt rendu contre lui le 1er août 1412 par le Parlement de Paris. Selon les juges royaux, ils fournissent le mobile des crimes commis par Charles II contre la majesté royale et contre les habitants de Neufchâteau au cours des années précédentes. 60 Ibid. Soucieux d’étendre au maximum les droits de leur souverain, les membres du Parlement exagèrent délibérément la dépendance du duché de Lorraine par rapport à la France. Ils n’ignorent pas en effet que la majeure partie de cette principauté est terre d’Empire et que seuls quelques fiefs relèvent du Royaume, à savoir Neufchâteau, Châtenois, Montfort, Frouard, Grand et Passavant (-la Rochère) (cf. ci-dessus première partie, chapitre 3). 61 BnF Ms. fr. 11823, f. 263-273, et f. 175-185. La lettre de rémission accordée par le roi Charles VI au duc de Lorraine en février 1413 annule toutes les décisions prises dans l’arrêt du Parlement de Paris quelques mois plus tôt et rétablit le statu quo ante entre le roi et le duc sur le territoire de Neufchâteau. Charles II reste « premier seigneur » de la ville (A.N. J 681, no 48), pour laquelle il se reconnaît vassal du roi de France. 62 P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », op. cit., p. 183-184. 63 A.D.M.M. B 834, no 177. Le 14 mars 1412 (n. st.), Henri d’Ogéviller, maître d’hôtel de Charles II, Colignon de Ludres, bailli de Nancy et capitaine de Neufchâteau, et Mengin Drouin de Rosières, receveur du duc, vendent à Henri, prêtre de Neufchâteau, et à la Rousse, femme de Jean Waldaire, les biens de Colin Colart, de son fils et de sa femme, qu’ils avaient saisis suite à leur fuite hors de la ville et à la plainte qu’ils avaient portée contre le duc de Lorraine devant le Parlement de Paris.
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d’importants privilèges économiques et judiciaires64. À partir du début du xve siècle, l’administration ducale s’implante peu à peu à Neufchâteau, dont elle était jusqu’alors absente, et le statut juridique de la cité tend à se rapprocher de celui des autres villes du duché, comme le note l’historien Pierre Marot : « Les revenus de la prévôté de Neufchâteau et de Châtenois étaient perçus par un cellérier […]. Au xiiie siècle, cet officier était désigné au duc par les jurés. À la fin du Moyen Âge, il était au choix du duc qui le désignait par lettres patentes. »65 Tous ces changements représentent des signes tangibles de l’instauration de la souveraineté ducale sur la ville. Toutefois, la nature toute provisoire du rapport de forces sur lequel repose le triomphe de Charles II confère à celui-ci un caractère très fragile. En témoigne l’importance qu’il accorde à la charge de capitaine de Neufchâteau, dont le titulaire est toujours choisi parmi les membres du noyau dur de son entourage. À partir de 1412, l’office est détenu par le bailli de Nancy en personne, Colignon de Ludres, alors que bon nombre de châtelains ont généralement une origine sociale et une fonction politique plus modeste66. La situation de la ville, à la frontière du royaume de France, n’explique pas tout ; le parti pris des principaux bourgeois en faveur du pouvoir royal joue certainement lui aussi un grand rôle dans une telle décision. La domination militaire de Charles II sur Neufchâteau ne règle en aucune manière la question de droit. Le roi de France ne reconnaît au duc de Lorraine qu’une « premiere juridiccion » sur la ville67, mais il ne renonce pas à sa suzeraineté. D’ailleurs, si le duc se garde bien de reprendre une nouvelle fois Neufchâteau en fief du roi de France, il ne dénonce pas pour autant l’hommage qu’il a prêté au début de son règne et ne conteste pas que la ville appartient à la mouvance féodale du Royaume depuis le règne de Mathieu II68. À son égard, il se contente par conséquent d’une souveraineté implicite. Vis-à-vis de l’Empire en revanche, il fait preuve d’une plus grande audace. 64 A.D.V. VI H 1. Le 2 juillet 1430, Charles II ordonne au maire de Neufchâteau de payer le sel dû au prieuré de Châtenois, en ajoutant la mention suivante, révélatrice de ses rapports avec les représentants de la cité : « et garde qu’il y ait faute ». L’ordre est exécuté dix jours plus tard. 65 P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », op. cit., p. 190. Selon les termes de la charte de franchises octroyée à la ville par le duc Ferry III en 1256 et garantie par les comtes de Champagne, puis par les rois de France, Neufchâteau bénéficiait d’une autonomie administrative quasi complète à l’égard du duc de Lorraine, à charge pour les habitants de lui verser les redevances qui lui étaient dues et de lui fournir une aide militaire en cas de besoin. 66 A.D.M.M. B 834, no 177 et P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », op. cit., p. 184. La plupart des capitaines nommés par Charles II dans les autres places fortes du duché de Lorraine sont des personnages de moindre importance, tels Hans de Neusswiller et Schellans à Sarreguemines (A.D.M.M. B 734, no 44). Et lorsqu’ils proviennent des familles de la chevalerie lorraine, comme Arnoul Wisse de Gerbéviller à Dieuze (A.D.M.M. B 5241), ils ne détiennent alors pas d’autre fonction à la cour de Nancy. 67 A.N. J 681, no 48. 68 A.N. J 579 (12). En août 1391, quelques mois seulement après une sentence du Parlement de Paris confirmant le caractère rendable du fief de Neufchâteau, Charles II « advoue tenir en foy et homaige de mon très redoubté seigneur, mons. le roy de France, a cause de son contey de Champagne et de son chastel de Montaclaire, les chastels et villes et choses qui s’ensuent. C’est assavoir, le Nuefchastel
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Le langage de la souveraineté
Le 4 décembre 1425, Charles II s’allie avec l’évêque de Strasbourg, le marquis de Bade et le seigneur de Lichtenberg69. Il s’agit au premier abord d’un simple accord de circonstance, conclu entre des princes aux intérêts convergents. Toutefois, la titulature adoptée par le duc à cette occasion donne à ce texte une portée politique plus grande : Nous, Guillaume, par la grâce de Dieu évêque de Strasbourg, nous, Charles, par la même grâce de Dieu duc de Lorraine et marquis, nous, Bernard, également par la même grâce de Dieu marquis de Bade, et moi, Louis, seigneur de Lichtenberg […]70.
Cette fois-ci, Charles II affirme explicitement une souveraineté qu’il revendiquait de façon subreptice depuis le début de son règne71. Désormais, son pouvoir provient directement de Dieu et de l’épée, et non d’une quelconque inféodation impériale. Le fait que ce pas décisif ait été franchi dans un acte concernant les problèmes de l’Empire ne tient naturellement pas du hasard. Le lien féodal avec le roi de France ne porte pas en effet sur la principauté elle-même, mais sur quelques terres bien délimitées. Nul n’ignore en revanche que le duché appartient à l’Empire, même si l’influence française y domine et si les ducs omettent de le reprendre en fief depuis 125972. Seul l’empereur peut nier ou reconnaître au duc de Lorraine le statut de prince souverain : c’est donc lui qu’il faut convaincre en tout premier lieu. Défier l’autorité impériale comporte par ailleurs beaucoup moins de risques que braver le pouvoir du roi de France. Charles II entretient d’excellentes relations avec Sigismond et celui-ci est trop occupé à défendre les royaumes de Hongrie et de Bohême contre les Turcs et les Hussites pour songer à intervenir personnellement dans les régions occidentales de l’Empire73. Le duc n’a donc pas grand chose à craindre d’une réaction éventuelle de l’empereur. Pour autant, la proclamation de la souveraineté ducale se produit d’une manière pour le moins timide, comme à la dérobée. Charles II et le marquis de Bade semblent s’abriter derrière l’évêque de Strasbourg pour faire admettre l’essence divine de leur
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en Loherainne et les appartenances, Chastenoy et les appartenances, Montfort et les appartenances, Fruhart et les appartenances, et tel partie come je ai a Grant et les appartenances, et mon chastel de Passavant et les appartenances, par la forme et meniere que mes predecesseurs ducs de Loherainne les ont tenu de mon dit seigneur et de ses predecesseurs les roys de France ». Par cet acte, il reconnaissait la validité du jugement émis par la justice royale. Cf. ci-dessus troisième partie, chapitre 6. A.D.M.M. B 947, no 5. L’original a bien entendu été rédigé en allemand : Wir Wilhelm, von gottes gnaden Bischoff zu Strassburg, wir Karle, von den selben gnaden gottes herzog zu Lutheringen und marggraff, wir Bernhart, auch von den selben gnaden gots marggraff zu Baden, und ich Ludewig, herre zu Lichtemberg […]. Voir ci-dessus première partie, chapitre 3. Ibid. Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4 et chapitre 5. Pour une vision plus générale de la politique extérieure de Sigismond, voir la biographie que lui a consacrée J. K. Hoensch, Kaiser Sigismund. Herrscher an der Schwelle zur Neuzeit 1368-1437, Munich, 1996, 652 p.
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pouvoir. Surtout – et c’est là le plus important –, ce geste n’aura pas de suite. Aucun autre acte ducal ne reprendra l’expression de la « grâce de Dieu » et, après 1425, Charles II et ses successeurs continueront d’employer la traditionnelle formule « duc de Lorraine et marquis ». Tout se passe comme si la tentative de faire reconnaître officiellement le caractère souverain du pouvoir ducal avait avorté dans l’œuf, sans que nous puissions déterminer les raisons qui ont poussé Charles II à mettre une sourdine à ses prétentions74. L’idée poursuit toutefois son chemin dans l’esprit des princes lorrains tout au long du xve siècle, puisque la Chronique de Lorraine, dans son premier chapitre, exalte l’indépendance du duc de Lorraine, dont ne bénéficient pas les princes du Royaume. Or, disons du duc Jehan. Il vacquoit souvent en France on temps du roy Loys, lequel en son vivant eut un fils nommé Charles. Ledict roy Loys estans avec ses princes, ledict duc Jehan en presence, ledict roy lui estant en sa majesté en son conseil, demandant a tous les ungs apres les altres ce qu’ils tenoient de luy ? L’un disoit : - Sire, je tiens la duchié d’Orleans – ; l’altre, Borbon ; l’altre, Alençon. – Et vos, cousin de Loheregne, que tenez de moy ? – Sire, je ne tiens rien de vous ; ma duchié de Loheregne je la tiens de Dieu et de l’espée75.
Hésitante vis-à-vis de l’extérieur, la notion de souveraineté accomplit des progrès beaucoup plus importants à l’intérieur du duché de Lorraine. Le vocabulaire employé par les rédacteurs des actes d’hommage subit en effet des modifications significatives. Certaines expressions font leur apparition : dans les lettres d’amortissement, le duc précise que les terres concédées aux églises relèvent de sa « jurisdiction, cohercion et constrainte »76, qu’il en est le « souverain seigneur »77, voire qu’il autorise la donation « de grace especial »78. De même, le 13 décembre 1425, lorsque les vassaux du duc de Lorraine promettent d’accepter Isabelle comme duchesse après la mort 74 Peut-être Sigismond a-t-il fait pression sur le duc de Lorraine, directement ou par l’intermédiaire de ses alliés. Peut-être Charles II a-t-il également estimé qu’il ne pouvait pas se mettre l’empereur à dos à la veille d’une succession qui s’annonçait pour le moins délicate. 75 L. Marchal (éd.), La chronique de Lorraine, op. cit., p. 3. Cette scène a manifestement été inventée de toutes pièces par le rédacteur de la Chronique. Ni Jean, ni Charles n’ont affirmé aussi explicitement la souveraineté de leur principauté en face des rois de France ou des empereurs. Mais l’épisode concorde avec les ambitions de ces deux ducs et avec la politique mise en œuvre pour les atteindre. 76 Cette formule, absente des actes ducaux dans la seconde moitié du xive siècle, apparaît par la suite à plusieurs reprises : Charles II l’emploie à propos des gages détenus par André de Joinville, seigneur de Pulligny, sur le temporel épiscopal de Metz (A.D. Mos. G 5, f. 77v-78r) et à propos de la donation de Colignon de Ludres à la collégiale Saint-Georges (A.D.M.M. G 380, no 8) et de celle de Jacquet de Fénétrange à l’église de Bayon (A.D.M.M. B 850, no 16). Elle s’applique également aux relations des ducs de Lorraine avec les sires de Blâmont à cette époque (A.D.M.M. B 876, no 90 et A.D.M.M. B 576, no 33). 77 Les allusions à la souveraineté ducale se multiplient dans les trente dernières années du règne de Charles II » : A.D.M.M. B 377, f. 176, 226v-227r, f. 227v ; A.D.M.M. B 379, f. 151-152v ; A.D.M.M. B 494, no 13 ; A.D.M.M. B 854, no 24 ; A.D.M.M. B 903, no 15 ; A.D.M.M. B 909, no 12 ; A.D.M.M. G 345, liasse 7, no 28 ; A.D.M.M. G 380, no 53 ; A.D.M.M. G 418, liasse 37, no 1. 78 Ces termes caractérisent également le pouvoir absolu du prince sur ses vassaux et sujets. Or, on les retrouve à cinq reprises dans des documents postérieurs à 1400 (A.D.M.M. B377, f. 176 ; A.D.M.M. B 876, no 107 ; A.D.M.M. B 903, no 15 ; A.D.M.M. H 339 ; A.D.M.M. H 2635), alors qu’avant cette date, ils ne faisaient pas partie du vocabulaire utilisé par les secrétaires ducaux.
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de Charles II, ils le font comme « bons, loyaulz gentilsz hommes et vrais subgetz du dict duchié »79. Pour la première fois, les nobles lorrains se reconnaissent « sujets » du duché de Lorraine, et plus seulement vassaux du duc. Cela implique qu’ils considèrent Charles II comme un prince souverain. Les termes employés renvoient à la fois au langage féodal traditionnel et à celui de l’État. La féodalité peut ainsi apparaître comme un moyen de consolider les structures étatiques encore embryonnaires de la principauté ducale. Non seulement elle n’entraîne pas forcément l’affaiblissement de la puissance princière, comme nous l’avons déjà montré80, mais elle représente un pont entre la seigneurie féodale régie par les liens personnels et la principauté territoriale soumise à une autorité souveraine81. L’évolution, en cours dans le duché de Lorraine au début du xve siècle, conserve toutefois un caractère inachevé, dans la mesure où la vassalité demeure liée à la personne du prince plus qu’au territoire ducal82. Que faut-il conclure de ces observations ? À la fin de son règne, Charles II peut-il être qualifié de prince souverain ? Tout dépend naturellement de la définition que l’on donne de ce mot. À l’évidence, le duc de Lorraine ne bénéficie pas d’une souveraineté absolue, en raison du double lien de dépendance qui l’unit au royaume de France et à l’Empire. Mais si l’on considère comme souverain tout pouvoir indépendant ou ne relevant, pour le moins, que d’une suzeraineté théorique83, il entre alors dans cette catégorie. Une fois de plus, la comparaison avec les autres principautés de l’Occident médiéval s’avère éclairante. Charles II possède manifestement un certain nombre d’attributs de la souveraineté : il frappe monnaie, se comporte de manière autonome vis-à-vis des puissances voisines et étrangères et instaure un contrôle rigoureux sur les vassaux et les églises implantés dans sa principauté. Il dispose d’un pouvoir comparable à la Landeshoheit (souveraineté territoriale) reconnue à la plupart des princes d’Empire au tournant des xive et xve siècles, à commencer par l’Électeur
79 A.N. J 933, no 4 bis, reproduite dans l’Annexe 16. 80 Cf. ci-dessus première partie et dans le présent chapitre. 81 Cela a été mis en évidence par B. Diestelkamp pour le comté de Katzelnenbogen, dans la région rhénane. B. Diestelkamp, « Lehnrecht und spätmittelalterliche Territorien », art. cit., p. 80-85. À la fin du Moyen Âge, le lien matériel l’emporte sur le lien personnel dans la relation entre le vassal et son suzerain. Loin de constituer une source d’affaiblissement, cette situation permet le passage de la suzeraineté féodale (Lehnshoheit) à la souveraineté territoriale (Landeshoheit) : les nobles s’avouent de plus en plus souvent vassaux de la principauté. 82 Aucun des 250 vassaux ducaux recensés pour la période 1400-1431 ne se déclare vassal du duché. De même, l’expression employée pour désigner les biens « mouvant de nous en fied » (A.D.M.M. B 920, no 9) renvoie toujours au duc lui-même et pas à la principauté lorraine. 83 C’est à cette conclusion qu’aboutit M. Pacaut, « Recherches sur les termes "princeps, prince, principatus, principauté" au Moyen Âge », in Les principautés au Moyen Âge, op. cit., p. 19-27. De même, Jean Gautier Dalché voit dans la principauté un territoire soumis à une autorité unique, disposant des attributs de la souveraineté, mais ne remettant pas en cause son appartenance à un ensemble plus vaste, ce qui correspond à la situation du duché de Lorraine. J. Gautier-Dalché, « Un échec de la principauté. Le cas des royaumes occidentaux de la Péninsule ibérique », in Les principautés au Moyen Âge, op. cit., p. 61-78, ici p. 61.
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palatin84. En revanche, il fait pâle figure à côté d’un duc de Bretagne ou de Bourgogne, à qui il ne manque guère qu’un titre royal pour pouvoir rivaliser avec les plus grands souverains d’Occident85. Les conceptions nouvelles, liées à la naissance de l’État moderne, progressent donc dans le duché de Lorraine comme partout en Europe à la même époque. Mais elles prennent des formes plus proches de celles de l’Empire que de celles du Royaume, s’adaptant ainsi à la culture politique de la principauté ducale. Les actes constitutifs d’un pouvoir souverain
Charles II ne se contente pas de l’affirmation de principe et de la reconnaissance théorique de ses prétentions. Dans la seconde partie de son règne en effet, il multiplie les gestes qui les matérialisent et contribuent à l’accroissement de son autorité à l’intérieur du duché de Lorraine. Les prérogatives d’un souverain : seigneurie, justice, rémission
Il utilise pour ce faire des procédés à la fois traditionnels et nouveaux. Depuis toujours, les empereurs investissent les ducs de Lorraine de certains droits régaliens, comme la garde des voies de terre et d’eau ou la surveillance des duels entre Meuse et Rhin86. Depuis le xive siècle, ils leur octroient aussi la succession des enfants de prêtres87. Or, pendant bien longtemps toutefois, la noblesse et le clergé avaient limité de manière très stricte la mise en œuvre de ces prérogatives, considérant qu’elles empiétaient gravement sur leurs propres privilèges. Mais Jean Ier par exemple avait déjà pris très au sérieux sa dignité de marquis et présidé à deux reprises les duels judiciaires
84 H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate in the fifteenth century, op. cit., p. 120-139 et p. 158-161. La noblesse du Palatinat s’adresse de plus en plus fréquemment à l’Électeur comme à son « prince naturel et héréditaire ». Les comtes palatins possèdent également certains droits régaliens, comme celui de frapper monnaie. Ils étendent enfin leur protection sur l’ensemble des églises de leur principauté, ce qui constitue selon Cohn « le mortier avec lequel on assemble les briques de la souveraineté territoriale » (Ibid., p. 128). 85 J. Kerhervé, L’État breton aux xive et xve siècles, op. cit., t. 1, p. 118. Les ducs de Bretagne détiennent en effet presque tous les attributs de la souveraineté. Ils refusent la dépendance lige à l’égard du roi de France et se contentent d’une vassalité atténuée ; ils exigent en revanche que leurs vassaux leur prêtent serment « contre tous ceux qui peuvent vivre et mourir » ; ils limitent le ressort de la juridiction royale en Bretagne aux deux seuls cas de déni de justice et de faux et mauvais jugement ; ils interdisent aux agents royaux d’exercer en Bretagne, car « duc de Bretaigne estoit aussi bien roy en son pays comme estoit le roy a Paris » ; ils prétendent à la garde des églises cathédrales du duché et à la régale des bénéfices vacants ; ils s’approprient la part bretonne des décimes accordés au Royaume par le pape ; ils frappent tous types de monnaie ; enfin, ils font constamment référence à l’existence d’un ancien royaume de Bretagne pour justifier l’importance de leurs privilèges. Quant aux ducs de Bourgogne, ils se détachent de plus en plus de la tutelle des rois de France. À partir de 1435, Philippe le Bon est personnellement dispensé d’hommage envers Charles VII et les prétentions de son fils Charles le Téméraire à un titre royal sont également bien connues. Cf. B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 184-188 et 406-423. 86 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3. Ces charges étaient symbolisées par deux des cinq étendards remis par le roi des Romains Alphonse de Castille au duc Ferry III en 1259. 87 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3.
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opposant des seigneurs lotharingiens88. Même si l’occasion ne se représente pas sous Charles II, celui-ci poursuit une politique identique à celle de son père. Nous l’avons vu mener une guerre très dure contre la ville de Toul à propos des fils de clercs auxquels les citains avaient accordé le droit de bourgeoisie89. Quelque temps auparavant il avait déjà saisi l’héritage de l’un d’entre eux, Jean Remoneix, mort sans descendance, rappelant qu’il agissait ainsi « comme a cause de nostre heritaige et sagnorie, tous lez enffans de prestres de tout nostre paiix doient estre et servir a nous et non a altres […] »90. Le but de l’action de Charles II ne laisse aucun doute : la succession de Jean Remoneix ne l’intéresse que dans la mesure où elle lui permet de rappeler ses droits seigneuriaux sur le personnage, même si la revente de ses biens lui procure également des revenus supplémentaires. Sa fonction ducale lui sert aussi de prétexte pour intervenir à Saint-Nicolas de Port, localité située dans le duché de Lorraine, mais dotée de franchises très importantes et forte des richesses de l’industrie drapière et du pèlerinage91. En décembre 1428, il autorise les bourgeois de Port à agrandir leurs maisons en contrepartie de nouvelles redevances versées au trésor ducal92. Une fois encore, l’acte commence par énoncer les prérogatives du prince, avant d’accorder la dérogation demandée en échange d’une compensation financière. Le bénéfice est double pour le duc de Lorraine, puisque l’opération augmente les prélèvements en sa faveur et rend effective la sujétion des habitants de Port à l’égard de Charles II. Le renforcement de la souveraineté ducale passe donc par le plein exercice des pouvoirs que lui confère l’investiture impériale, mais il ne se limite pas à cela. C’est le domaine judiciaire en effet qui permet le mieux de mesurer l’étendue et les progrès de la puissance princière dans le duché. De ce point de vue, les comptes 88 Ces deux ordalies se déroulèrent à Nancy en 1386 et 1387. Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1, et J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, p. 168-169. 89 Cf. ci-dessus troisième partie, chapitre 6. 90 A.D.M.M. B 902, no 38, le 25 septembre 1414. L’action menée ici par Charles II se place toujours dans le cadre traditionnel d’un pouvoir inféodé par l’empereur. Mais elle lui permet d’intervenir directement à Saint-Dié, ville qu’il ne possède que conjointement avec les membres du chapitre. Le duc multipliera ce genre d’initiatives au cours des années suivantes. 91 O. Kammerer-Schweyer, La Lorraine des marchands à Saint-Nicolas de Port, op. cit., p. 15 et p. 35. 92 A.D.M.M. B 919, no 7 : « Charles, duc de Lorrainne et marchis, a tous ceulx qui cez presentes lettres voiront, salut. Comme la congnissance, haulteur et signorie de tous chamins estans en nostre pais et duchier de Lorrainne ad cause de nostre princerie appartiengne a nos et ait appartenu a noz predecessours ducz de Lorrainne de toute ancienneté, et avec ce aiens aussi, ad cause de nostre dite princerie, la haltour et signorie du passaige de la ville de Port, et soit ainsi que Jennin le Clouetour ait avancier sur le chamin le mur frontal devant sa maison d’environ septz piedz […] laquelle avance sen nostre licence et consentement faire ne se poiroit ne deveroit ad cause que dessus, savoir faisons que ledit Jennin Clouetour, pour lui, pour sa femme et pour lours hoirs et aians cause, s’en a accordé et composé a nos et nous a lui, par ainsi que lui, sa femme, leurz hoirs ou aiant cause qui ladite maison tainront, paieront chascun an a tousiours maix, a nos et a noz hoirs successours, dous bons et suffizans chappons au terme de la sainct Martin d’yver ». Des accords identiques sont passés le même jour entre le duc de Lorraine et trente-quatre autres habitants de la ville de Port (A.D.M.M. B 919, nos 8 à 41). S’il est donc vrai que « ce n’est qu’en 1562 que le partage des droits fut réglé de façon définitive » (O. Kammerer-Schweyer, La Lorraine des marchands à Saint-Nicolas de Port, op. cit., p. 35), il n’en demeure pas moins que l’influence du duc sur la ville s’accroît dans les premières décennies du xve siècle.
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fournissent des renseignements très précieux, notamment lorsqu’ils contiennent un recueil des amendes judiciaires perçues par les receveurs93. Une partie d’entre elles sanctionne des infractions commises contre les officiers ducaux, contre la seigneurie ou contre la personne du duc de Lorraine. L’importance relative accordée à ces différents délits constitue un véritable baromètre de la souveraineté ducale en matière de justice. Or la négation de la seigneurie de Charles II est en général plus lourdement sanctionnée que les injures proférées contre lui ou les coups portés sur les serviteurs ducaux94. Cela marque les limites du renforcement de la prééminence princière dans le duché, comparée surtout au royaume de France voisin : le duc se préoccupe naturellement du respect de sa dignité et des versements qui lui sont dus à ce titre ; mais l’idée de majesté, si prégnante dans le Royaume, ne s’est pas encore implantée dans la principauté ducale. L’évolution conceptuelle conduisant de la seigneurie féodale à l’État territorial demeure encore largement inachevée95. Toutefois, certains actes caractéristiques d’un prince souverain témoignent de l’autorité croissante dont bénéficie Charles II dans le duché. Il en va ainsi des lettres de rémission, qui traduisent la souveraineté judiciaire du duc de Lorraine96. Les premiers documents de ce type émanant de la chancellerie ducale apparaissent dans les années 1420 et concernent Jean de la Côte et Jean Cummeur, tous deux sujets du chapitre de Saint-Dié97. Les détails de l’affaire concernant Jean Cummeur révèlent que le pouvoir ducal est parvenu à imposer sa tutelle sur les juridictions ecclésiastiques de la principauté98.
93 Celles-ci sont classées au titre des « recettes foraines » ou « recettes désordonnées ». On en trouve dans les comptes de Mengin Drouin en 1420-1421 (A.D.M.M. B 7232) et Jean Pariset de Lunéville en 1427-1428 (A.D.M.M. B 7234) pour les bailliages de Nancy et des Vosges. 94 Cela transparaît à travers les sommes exigées pour ces différents types de délits : ainsi Isembart, le tonnelier du château de Rosières, est condamné à 60 livres d’amende pour avoir renié le duc et dit qu’il était du seigneur d’Haussonville, tandis que Brocart de Rosières, qui avait brisé les portes de la prison, battu les officiers ducaux et désobéi au commandement du bailli et « Ferry de Haulqueville, qui avoit dit certaines paroles contre le duc », doivent payer respectivement seize et cinq livres. (A.D.M.M. B 7234, f. 45r, 46v et 60v). 95 Voir ci-dessus deuxième partie, chapitre 4, et B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 191-199. Dans le Palatinat comme en Lorraine et dans l’ensemble de l’Empire en revanche, le passage de la seigneurie à la principauté se fait plus tardivement, vers le milieu du xve siècle. H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate in the fifteenth century, op. cit., p. 189-201. 96 C. Gauvard, « De grace especial » : crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 263, a bien montré que les lettres de rémission, particulièrement nombreuses dans les zones frontalières du Royaume, révèlent les aspirations de l’État. 97 A.D.M.M. B 902, no 36, acte du 8 janvier 1421 (n. st.), et A.D.M.M. B 903, no 15, daté du 8 mars 1429 (n. st.). La concomitance entre la multiplication des allusions à la souveraineté ducale dans les actes de Charles II et l’apparition des lettres de rémission ne laisse subsister aucun doute sur la portée de ce type de documents. 98 A.D.M.M. B 903, no 15 : « Comme Jehan, fil Jehan Noxe de Sainct-Dié, soit esté prins par les officiers de chapitre de l’esglise dudit Saint-Dié, pour cause et occasion de ce que ledit Jehan, fil Jehan Noxe, estoit en nommée et encusée d’avoir prins et robéz a la femme de feu Nicollat dudit Sainct-Dié qui fuit, certaines sommes d’or et d’argent, liquel Jehan Cummeur, ainsy prins et arresté comme dit est, ait esté laxiér aller et mis a delivré par lesdis officiers de chapitre, sen ce que par eulx execution de justice en soit estée faicte, comme au meffait et delict appartenoit. Pour lequel deffalx ainsy venu
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La situation contraste très nettement avec celle du temps de Jean Ier. Jusqu’à la fin du xive siècle en effet, l’église de Saint-Dié disposait d’une autonomie judiciaire complète par rapport aux ducs de Lorraine, comme toutes les autres abbayes vosgiennes99. Dans le cas présent au contraire, Charles II prend prétexte d’un défaut de justice de la part des officiers du chapitre pour intervenir personnellement et confisquer aux religieux la « haulte justice » qu’ils détenaient. Or, le duc finit par relâcher le délinquant, tout comme les religieux l’avaient fait auparavant, sans doute également sur la requête des « parens et amis charnels » de Jean Cummeur. Le défaut de justice n’est donc rien moins qu’évident et le motif de l’action ducale réside plus dans le désir de soumettre à son contrôle les juridictions ecclésiastiques du duché que dans l’absence de jugement de la part des membres du chapitre. Dans le même temps d’ailleurs, Charles II surveille également l’exercice de la justice par ses vassaux et autorise Érard du Châtelet et Burnequin de Vandières à pardonner le vol commis par un dénommé Rémi de Vandières parce que « nostre prevost de Preney […] ne l’ait trowey plus chargiés que de celuy crime, et aussi nous informe qu’il ait fait de vray pouvretey »100. Une nouvelle fois, l’administration ducale empiète directement sur les prérogatives judiciaires de la noblesse. Le duc ne laisse ses feudataires pardonner eux-mêmes au malfaiteur qu’après avoir entendu les conclusions de l’enquête menée par un membre de son administration. Par conséquent, c’est au nom de Charles II en quelque sorte que les deux nobles accordent rémission de son crime à leur « homme », Rémi de Vandières. Un processus semble donc entamé à la fin du règne de Charles II, conduisant à établir la suprématie de la juridiction ducale sur celles des églises et de la noblesse
a nostre cognoissance avons mis la main a la haulte justice que lesdit du chapitre avoient audit leu de Sainct-Dié, laquelle tenons estre pour ce a nous encheute, venue et confiquée. Et, en oultre avec ce, avons mis la main audit Cummeur, et iceluy par certain temps en nostre prison detenu, pour en faire comme au cas appartenoit, selon le meffait et delictz dessusdits. Neantmoins, comme ainsy soit que, par les parens et amis charnel dudict Jehan, fil Jehan Noxe, piteusement nous soit esté suppliér que de nostre grace especial nous pleust a luy donner et octroier la delivrance et remission pour le meffait et delictz dessusdit, scavoir faisons que nous, inclinant a humble supplication des parens et amis charnel dudit Jehan Cummeur, considerans le cas en pitier, et voulans en ce fait misericorde preceder rigour de justice, de nostre certaine science, grace especiale, auctorité et plaint puissance qu’avons comme prince et souverain seigneur de nostre paix et duchié de Lorraine, avons audit Jehan, fil Jehan Noze, quittei, remis et pardonnéz, et par ces presentes quittons, remettons et pardonnons la meffection, fourfait et delictz dessusdit, avec toutes amendes criminelles, civilles et corporelles, que pour cestuy fait et fourfait ledit Jehan, fil Jehan Noxe, pouroit avoir encoureu envers nous et nostre justice. […] Car ainsy nous plait et volons estre fait, sur peine de la haulte amende appliquée a nous, et d’encourir nostre indignation. Lorsqu’il pardonne les crimes commis par Jean Ier et Charles II, le roi de France utilise exactement les mêmes expressions : grace especiale, auctorité et plaint puissance qu’avons comme prince et souverain seigneur de nostre paix et duchié de Lorraine ». 99 Cf. première partie, chapitre 1. 100 A.D.M.M. B 854, no 24, le 29 décembre 1420. Les deux nobles ont en fait sollicité l’autorisation du duc de Lorraine avant d’accorder leur rémission à Rémi de Vandières. Il s’agit pour eux d’éviter que Charles II ne prenne prétexte de l’absence de jugement pour rendre personnellement la justice à leur place, comme il le fera dans les années suivantes avec le chapitre de Saint-Dié.
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partout dans le duché de Lorraine. Cette innovation pouvait s’avérer capitale pour l’avenir du pouvoir ducal, à condition toutefois de se confirmer après la mort du duc. Les membres de la chevalerie lorraine ont eu tôt fait de percevoir le danger d’une telle évolution. Ils paraissent pourtant s’y résigner du vivant de Charles II. Peut-être n’osent-ils pas s’opposer à la volonté du duc. Plus vraisemblablement toutefois ont-ils compris tout le profit qu’ils peuvent retirer des difficultés de sa succession et préfèrent-ils attendre pour revenir sans coup férir sur les avancées obtenues par Charles II. La position de faiblesse dans laquelle se trouve René d’Anjou au moment de son avènement leur permet en effet de lui monnayer leur soutien. René s’empresse d’ailleurs d’accéder à leur demande dès le 29 janvier 1431, dans un acte par lequel il confirme les privilèges judiciaires de la noblesse du duché et dénonce les « nouvelletez » établies à la fin du règne de Charles II101. À la fin de sa vie, Charles II tend à se comporter en prince souverain dans le domaine judiciaire, ainsi que par rapport aux nobles et aux églises de sa principauté. Parallèlement, son activité législative se développe de manière importante. Peu à peu, les esprits s’habituent à l’idée de la souveraineté princière dans la Lorraine ducale, même si la mort de Charles II arrête momentanément le processus en cours. L’œuvre législative : le développement des corporations
Limitée à quelques ordonnances de police et à l’organisation de certaines professions, la législation des ducs de Lorraine était restée largement embryonnaire jusqu’à la fin du xive siècle102. Raoul s’était pourtant efforcé de créer des confréries regroupant les marchands et artisans des principales villes, et notamment de la capitale, à l’image de celle des boulangers qui existait au moins depuis 1301103. Les « charpentiers ouvrant de hache et maçons », les merciers de Nancy, de Port et de Rosières « et tous autres merciers habitant notre terre et pouvoir et spécialement aux foires de notre ville de Nancy » et les bouchers pratiquèrent également leurs dévotions dans un cadre professionnel à partir de 1341104. Mais Jean Ier n’avait pas repris à son compte la politique de son père dans ce domaine, faute de volonté ou peut-être de circonstances favorables. Charles II en revanche comprit très vite tout le profit qu’il pourrait tirer du contrôle exercé sur les métiers de Nancy et du duché de Lorraine et entreprit de relancer le mouvement confraternel né dans la première moitié du xive siècle. De nouvelles confréries virent donc le jour sous le règne de Charles II. La plus importante fut celle des drapiers, fondée en 1408 et confirmée ensuite à deux reprises
101 B.M. Nancy, Ms 189, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut, op. cit., f. 58-60. 102 Voir ci-dessus première partie, chapitre 1. 103 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 111. Cette date correspond à la première mention de la « frairie » des boulangers de Nancy, la plus ancienne des associations de métiers du duché de Lorraine. Elle a sans doute été fondée quelques années auparavant, à l’extrême fin du xiiie siècle. 104 Ibid. Établies dans la collégiale Saint-Georges de Nancy, ces trois confréries furent dotées de statuts par le duc Raoul en avril 1341 pour la première, et trois mois plus tôt pour la seconde. La troisième nous est connue par une lettre patente du duc Antoine datée de 1517, mais elle existait déjà au milieu du xive siècle.
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par le pouvoir ducal, en 1412 et 1414105. Elle rassemblait ceux de Nancy, de Port, de Rosières et de Lunéville, soit les principales localités du bailliage de Nancy. En 1419, les pelletiers et « les compagnons qu’on appelle mesguiens du mestier de poterie et chaudronnerie du pays de Lorraine » reçurent eux aussi des lettres de privilèges de la part de Charles II106. Enfin, la confrérie des courtiers de chevaux du duché de Lorraine naquit à son tour, en 1421107. Ces huit groupements correspondaient à autant de corporations, soucieuses de réglementer rigoureusement l’exercice de leur profession, mais ils n’exigeaient de leurs membres aucune exclusivité. D’autres organismes possédaient une structure transversale, comme la confrérie des bourgeois de Nancy qui réunissait autour du duc l’élite économique de la capitale depuis le milieu du xive siècle108. Car la tutelle du prince pèse fortement sur tous ces métiers. Même lorsque l’initiative de la corporation provient directement des marchands ou artisans, le duc en récupère très vite la direction. Ces confréries ne se contentent pas seulement de développer la solidarité entre les membres d’une même profession et de les protéger contre la concurrence des campagnes et des principautés voisines. Elles visent aussi à les rattacher à la dynastie ducale et à uniformiser, autant que faire se peut, les règlements et les statuts à l’intérieur du duché de Lorraine. Elles participent par conséquent d’une politique de centralisation menée par le duc Charles II au début du xve siècle. Plusieurs indices en témoignent. Sept des huit corporations ont leur siège dans la capitale109 et les bourgeois nancéiens y tiennent souvent une place de
105 A.D.M.M. B 832, no 76 et É. Duvernoy, Les corporations ouvrières des duchés de Lorraine et de Bar, Nancy, 1907, 41 p., p. 8. Comme pour les merciers de Nancy, cette association de métier n’était pas réservée aux seuls drapiers originaires des quatre villes mentionnées dans la charte de fondation, mais à tous ceux qui exerçaient dans la Lorraine ducale. La plupart d’entre eux toutefois étaient installés à Port, plaque tournante du commerce et de l’industrie textile en Lorraine à cette époque. O. Kammerer-Schweyer, La Lorraine des marchands à Saint-Nicolas de Port, op. cit., p. 121. 106 Nous connaissons l’époque de la fondation de ces deux « frairies » par les lettres de confirmation des ducs René II pour les chaudronniers (A.D.M.M. B 429, f. 98, en 1487) et Antoine pour les pelletiers (A.D.M.M. B 419, f. 101-102, en 1513). Par ailleurs, le compte des bailliages de Nancy et des Vosges établi par Mengin Drouin en 1420 mentionne les sommes payées par « Simonin d’Aubenton, maistre des pelletiers de Nancey » et par « Jehan Joffroy, maistre des mesguiers de Nancey » (A.D.M.M. B 7233, f. 9v). 107 É. Duvernoy, Les corporations ouvrières des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 18, no 3. Cette corporation apparaît pour la première fois dans le compte de Jean Pariset de Lunéville en 1427, au travers des redevances versées par son maître au trésor ducal (A.D.M.M. B 7234, f. 16r). 108 Créée en septembre 1340 par le duc Raoul (B.M. Nancy, Ms 189, f. 37-40), puis confirmée par Jean Ier le 15 avril 1377 (A.D.M.M. 3 F 224) et par Charles II en 1399 (A.D.M.M. H 2675, f. 24), cette association dédiée à saint Georges « manifeste l’entente profonde du prince et des notables de sa principale résidence » ( J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 110). Voir également ci-dessus première partie, chapitre 1. Nous employons indifféremment les termes de confrérie et de corporation qui recouvrent au Moyen Âge une seule et même réalité. On relève en effet dans les chartes des différentes « frairies » des prescriptions liées à la défense d’intérêts corporatifs. 109 Seule la confrérie des courtiers en chevaux n’est pas installée à Nancy, mais à Lunéville ( J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 207). Par ailleurs, dans la seconde moitié du xve siècle, les drapiers du duché de Lorraine prendront l’habitude de se réunir à Saint-Nicolas de Port et non plus à Nancy, en raison de la prépondérance des Portois dans cette activité (É. Duvernoy, Les corporations ouvrières des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 18, no 3).
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tout premier plan110. Généralement, le maître n’est pas élu par ses collègues pour une durée limitée, mais désigné à vie par le duc ou les chanoines de Saint-Georges, sur présentation d’une liste de quatre ou cinq personnes111. Toutes ces associations de métier sont en effet reliées à la collégiale : leurs membres s’y assemblent pour leurs offices au moment de la foire de mai à Nancy, lui versent un droit d’entrée et lui donnent à leur mort le plus beau de leurs vêtements112. Ce contrôle ducal n’était pas toujours très bien supporté, comme l’indiquent certaines amendes perçues par le receveur de Nancy et des Vosges sur des bourgeois ayant refusé d’entrer dans la corporation113. Bon gré mal gré cependant, les marchands lorrains durent se soumettre aux volontés du prince. La politique mise en œuvre par le duc dans ce domaine s’apparente à celle de la plupart des seigneurs voisins. Mais le regroupement territorial des métiers semble toutefois plus poussé dans le duché de Lorraine que dans les autres principautés114. Le règne de Charles II revêt donc une importance toute particulière non seulement parce qu’il marque une étape décisive dans le développement des confréries de métiers, mais aussi parce qu’il permet au duc d’affirmer son pouvoir législatif et d’imposer sa souveraineté dans la vie urbaine115. La législation de Charles II sur les corporations entraîne donc un affermissement important de l’autorité ducale. Or, un phénomène similaire se produit à la même époque aussi bien dans le Barrois que dans le royaume
110 « Au sein de la confrérie des maçons, sur les douze membres mandatés en 1413 pour négocier avec les chanoines de Saint-Georges, cinq étaient assurément nancéiens. » ( J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 207). Et dans les années 1420, deux des trois maîtres de la corporation des drapiers, Thierry Hartemant et Colin Baudoire, proviennent également de Nancy (A.D.M.M. B 7232, f. 3 et B 7234, f. 4r). 111 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 110-112. Ces prescriptions figurent notamment dans la charte de fondation des merciers de Nancy et du duché, qui a servi de modèle à la plupart des autres corporations de métiers créées ultérieurement. Le maître de la confrérie recevait généralement le titre de roi. Le plus souvent, il était secondé par un lieutenant qui pouvait le remplacer en cas d’empêchement. À partir de 1342, la désignation du maître des merciers revint au duc lui-même. 112 Ibid. 113 A.D.M.M. B 7234, f. 46r, compte de Jean Pariset de Lunéville pour 1427 : « Receu de plusseurs marchans de Loherainne, des quaitre hauts mestiers [= merciers, pelletiers, bouchers, courvoisiers] que n’estoient pas esteis a la foire de Nancey, aussi pourtant qu’ils auroient vendus denrées sen estre hanstey [= entrés dans le « han », la corporation], et que ceulx qui estoient hanstei avoient vendu en leur hostel. De quoy droy de mon signour y estoit fourcellé, VIIc frans pour partie, et M couronnes pour altre partie. » Par la suite cependant, le duc se montra plus généreux et réduisit presque à néant cette amende, puisque Jean Pariset ne préleva que 76 l. 18 s. (ibid., f. 76). 114 M. Parisse (dir.), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 202. Ce système, efficace contre la concurrence étrangère, s’avérait en revanche néfaste pour les artisans des grandes villes. Rien d’étonnant à ce que Charles II l’ait encouragé, puisque les principales cités lorraines étaient situées en dehors du territoire ducal. Dans le duché de Bar, par exemple, le cadre généralement choisi est celui de la prévôté, cf. A. Girardot, Le droit et la terre : le Verdunois à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 578-579. Là se situe la différence essentielle avec la Lorraine ducale. Car les corporations barroises sont elles aussi soumises au contrôle de l’administration princière et le duc se réserve aussi la possibilité d’en modifier les statuts, pour le bien de la chose publique. 115 R. Taveneaux (dir.), Histoire de Nancy, Toulouse, Privat, 1987, 506 p., p. 64.
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de France ou dans le Palatinat116. Il tient en partie à un réflexe de défense contre la crise économique qui touche les grands centres urbains de l’Occident médiéval, avec l’apparition dans les campagnes d’une production artisanale dégagée des contraintes du système corporatif ; mais il est également lié à la mise en place de l’État moderne dans la plupart des principautés du Royaume et de l’Empire117. En ce sens, il illustre la naissance d’un processus d’étatisation dans la Lorraine ducale au cours des deux premières décennies du xve siècle. À partir de 1400, l’idée de la souveraineté princière accomplit des progrès décisifs dans le duché de Lorraine. Ceux-ci se manifestent par le développement de la législation et la pratique de la rémission, mais aussi par un contrôle accru sur les vassaux et sur les églises de la principauté. Le pouvoir souverain du duc s’exprime désormais ouvertement à travers le vocabulaire utilisé par ses secrétaires et les actions menées par ses officiers aux frontières du Royaume. Il repose par ailleurs sur un perfectionnement de la machine administrative et un accroissement du nombre et de l’efficacité des serviteurs ducaux. Cela constitue le second aspect du renforcement des structures du duché de Lorraine sous le règne de Charles II. Dans le plan révisé, Christophe Rivière introduisait ici deux parties inédites B. le prince en représentation 1. Sceaux, monnaies, et autres images 2. Fondations et donations religieuses C. Le renforcement du sentiment identitaire lorrain 1. un attachement dynastique plus nettement affirmé 2. l’imaginaire du pouvoir : lieux et mémoires de la dynastie ducale de Lorraine Le reste du chapitre 8 initial faisait l’objet d’un chapitre 9
116 Voir A. Girardot, Le droit et la terre : le Verdunois à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 578-579 pour le duché de Bar, B. Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles. Les États, op. cit., p. 222-224 pour la France, H. J. Cohn, The government of the Palatinate in the fiftteenth century, op. cit., p. 174-176 pour le Palatinat. 117 A. Rigaudière, « Loi et État dans la France du Bas Moyen Âge », art. cit., p. 59.
Chapitre 8
Le duché de Lorraine à la fin du règne de Charles II : une principauté mieux structurée
L’apparition d’une législation dans le duché de Lorraine au cours des premières décennies du xve siècle traduit le niveau d’étatisation atteint par cette principauté. Il n’y a pas en effet d’activité législative sans une administration suffisamment puissante et docile pour la mettre en application, ni sans une pratique administrative suffisamment élaborée1. L’accroissement du pouvoir ducal à cette époque s’accompagne en effet de la naissance d’institutions et procédures nouvelles dans le duché et du perfectionnement de celles qui existaient déjà auparavant.
Des moyens à la hauteur des ambitions ducales : le renforcement des structures de l’État Le perfectionnement des institutions déjà existantes La hiérarchisation du système judiciaire lorrain
Même si elles demeurent très en retard par rapport aux principautés françaises, les structures institutionnelles du duché de Lorraine ont connu certaines transformations importantes au cours de la seconde moitié du xive siècle2. Dans le domaine judiciaire par exemple, la création du tribunal du Change avait doté le prince d’une cour dont la compétence s’étendait au civil à l’ensemble du bailliage de Nancy. Cette institution partageait désormais avec le conseil ducal et les Assises de Nancy le rôle de juridiction d’appel à l’intérieur du territoire lorrain. L’évolution toutefois n’était pas arrivée à son terme : la hiérarchie et les attributions de ces trois principaux sièges n’étaient pas clairement définies et le duc comme la noblesse revendiquaient également l’exercice de la justice suprême au sein de la principauté ducale. Or, les trente dernières années du règne de Charles II permirent de préciser les pouvoirs de chacun au sein du système judiciaire du duché de Lorraine.
1 W. Janssen, « … "na gesetze unser lande …" Zur territorialen Gesetzgebung im späten Mittelalter », art. cit., p. 7. L’auteur part d’un postulat inverse à la conclusion à laquelle aboutit Albert Rigaudière (voir dernière note du chapitre précédent). Cela témoigne de l’imbrication très étroite des processus conduisant à la genèse de l’État moderne et à l’affirmation de la capacité du prince à dire le droit. 2 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2.
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En l’absence de loi, c’est la pratique et l’usage qui établissent les règles de fonctionnement des différents tribunaux. Il faut donc se référer aux sources qui gardent la trace de quelques procès ayant eu lieu à cette époque. Ils permettent d’identifier un premier échelon, celui des prévôtés où se tiennent les plaids ordinaires et où la justice est rendue en première instance, dans le domaine ducal comme dans les seigneuries relevant en fief du duché de Lorraine3. Lorsque la sentence est acceptée par chacune des parties en présence, l’affaire en reste là. Dans le cas contraire en revanche, les choses se compliquent notablement. La procédure d’appel en vigueur dans le royaume de France est remplacée dans la principauté ducale par la pratique du « chef de sens » qui permet de consulter n’importe quelle autre instance pour obtenir la révision du premier jugement par la juridiction qui l’a prononcé4. Naturellement, les cours les plus fréquemment choisies sont celles qui bénéficient de la plus grande autorité, ce qui peut contribuer à alimenter la compétition entre le conseil du duc et les Assises nobiliaires. Or, jusqu’en 1431, l’avantage semble basculer très nettement en faveur du premier. Au tournant des xive et xve siècles par exemple, un dénommé Mengin Louis, habitant à Lunéville, conteste à Fourque, prieur de Notre-Dame de Nancy, la propriété sur une partie des eaux de la Meurthe. Débouté une première fois par la cour prévôtale de Nancy, il demande à être jugé par les siens, c’est-à-dire par les Assises, arguant du fait que les droits qu’il prétend avoir lui ont été cédés par les seigneurs d’Anglure et constituent un arrière-fief du duché de Lorraine. Le prévôt juge cet appel irrecevable, car le prieur a une preuve écrite supérieure aux seuls témoignages oraux présentés par Mengin. Mais il apporte aussi la précision suivante aux attendus de son verdict : « C’est le samblan de l’ostel mons. le duc qui dit que le maire n’est souffizement fondée pour ses seigneurs pour perde et pour waignier. Il ne doit point avoir de retour, ainsoix se doit tenir le tabellion de mons. »5. Le terme de « semblant » indique que la pratique du chef de sens a été utilisée dans le cas qui nous intéresse. Or le premier jugement est confirmé par l’hôtel ducal, réunissant en l’occurrence les principaux conseillers de Charles II, et non par les Assises de Nancy. On peut voir dans cette situation, qui se reproduit à plusieurs reprises, un signe de la prééminence du tribunal du prince sur celui de la noblesse6.
3 Les Archives départementales de Meurthe-et-Moselle conservent un certain nombre de départs de cour émis par ces juridictions. Il s’agit généralement de différends d’importance secondaire, portant sur des droits de propriété (A.D.M.M. G 416, liasse 53, prévôté de Nancy, août 1429) ou sur le versement de loyers dus pour une maison (A.D.M.M. H 2648 et H 528, prévôté de Nancy, août 1423 et septembre 1425) ou une parcelle de vigne (A.D.M.M. H 1099, prévôté d’Amance, 1431). Parfois cependant, la plainte est directement portée devant le tribunal du Change présidé par le bailli de Nancy (A.D.M.M. B 823, no 1, août 1410 et A.D.M.M. G 410, sans n°, novembre 1417). 4 É. Delcambre, « Les ducs de Lorraine et les privilèges juridictionnels de la noblesse », art. cit., p. 105. 5 A.D.M.M. G 335. La date de ce document n’est pas précisée dans la copie de l’époque moderne qui est parvenue jusqu’à nous. Toutefois, on sait que Fourque a exercé la charge de prieur de Notre-Dame de Nancy entre 1384 et 1409 ( J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 332). C’est donc certainement pendant cette période qu’a eu lieu le plaid en question. 6 En décembre 1424, la querelle opposant Thierry d’Ogéviller, abbé de Moyenmoutier, à Thierry d’Haussonville, pour l’héritage des biens de Vautrin de Barbonville, est tranchée directement par le conseil ducal qui donne tort au second, en considération du droit de mainmorte dont disposait
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Quelques années plus tard, le 8 avril 1419, un nouveau litige donne au duc de Lorraine l’occasion d’affirmer plus nettement encore sa suprématie en matière judiciaire. Les moines de Beaupré, qui s’opposaient à ce que les habitants de la Chapelle fassent paître leurs bêtes sur les terres de l’abbaye, monstrerent plusiours lettres, chairtres et ensegnemens faisans aul contraire de la demande desdis habitans, dont il en y avoit aulcuns faisans mention que par aultres foix et de long temps lesdis habitans avoient estés condompnés de ladicte cause aulx assises de Nancey. Et apres toutes demandes et altercations desdictes parties ouies, lesdis signours du consoil seans comme dessus feyrent yssir fuer les partiees, lesquelles apres longues deliberacions sur ceu heue rappellées, est venus ledict mess. Jehan de Lenoncourt, demandait aulz dicte partiees se chascune d’icelles se voulloit obligier de tenir ceu que seroit dit par eulx. A laquelle choze lesdites partiees ehu lour consoil, sur ce s’en consentirent entierement, sen jamaix aller aul contraire. Adonque ledict mess. Jehan de Lenoncourt, chevalier, dit par le consoil, accord, suite et consentement de tous les signours dess. nommeis, seant come dit est en la forme et meniere que s’ensuit. Nous disons et rapourtons que ceulx du ban de la Chapelle n’ont nulle cause ne droit d’aller pasturer atout lour bestes ne aultrement ad cause de pasturaige sur les haritaiges contenus ez niettes et confins de l’eglise de Belprei7.
Plutôt que d’un appel de la sentence rendue par les Assises de Nancy devant le conseil ducal, il s’agit ici d’un second procès intenté par les religieux à la suite du non respect du premier jugement par la communauté du ban de la Chapelle. Mais le transfert de juridiction qui s’opère de la cour nobiliaire à celle du duc témoigne des progrès accomplis par le pouvoir ducal en matière judiciaire, au détriment de la noblesse. Ces avancées doivent bien évidemment être mises en relation avec le développement de l’idée de la souveraineté princière dans le duché de Lorraine. Il demeure toutefois impossible d’établir une hiérarchie entre le conseil ducal et les Assises de Nancy, puisque les deux tribunaux ont eu à connaître de deux actions en justice séparées l’une de l’autre. En fait, la première trace d’une hiérarchisation du système judiciaire et d’une véritable procédure d’appel dans la Lorraine ducale date de l’extrême fin du règne de Charles II. Le départ de cour accordé le 1er août 1429 par Gérardin Mauloup, prévôt d’Amance, et les échevins Pierresson et Didier Rouhart, au monastère de Sainte-Marie-aux-Bois, montre les différents niveaux de juridiction présents dans la principauté à cette époque. L’affaire oppose l’abbé de Sainte-Marie au prieur de
l’abbaye de Moyenmoutier sur les villages de Barbonville et de Sainte-Marie (A.D.M.M. H 1839). De même l’année suivante, le jugement condamnant Henri de la Tour à réparer les dégâts qu’il avait commis sur les terres de la cité de Toul est rendu par le lieutenant de Charles II, Jean de Lenoncourt, en présence de 34 des plus grands seigneurs du duché. Ce procès, qui concernait un noble lorrain, aurait pourtant logiquement dû se tenir devant les Assises de Nancy (A.N. KK 1120, layette ÉtatsGénéraux du duché de Lorraine 1, no 118). 7 A.D.M.M. H 374 : les habitants du ban de Beaupré arguent qu’ils tirent leur droit d’une donation des seigneurs de Gerbevillers. Cette donation, relevant en fief du duché de Lorraine, justifiait qu’une première procédure ait été engagée devant les Assises de Nancy, et non devant le conseil ducal ou le tribunal du Change.
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Laître-sous-Amance, et porte sur les nuisances subies par le second lors de la vidange du grand moulin de Dommartin-sous-Amance. Le semblant des échevins d’Amance donna raison au premier, mais le prieur ne se tint pas pour battu : Et rappellait le dict prieur le semblans dez dis eschavins d’Amance au leu de Nancey. Et fuit tel le semblans de la justice de Nancey. C’est le semblans des eschavins de Nancey, que dit que du debas estans entre mons. l’abbei de saincte mairie au boix et le prieur de Laitre, pour le fais de la vendange de la cluze du grand mollin de Dompmartin, selond ce que ledict abbei en ait pris a monstrei son serment fuer, qu’il en ait asseis fait, selond l’escript que nous avons par devers nous et prin drois. Et ensemblans maniere rappaillait le dict prieur le semblans des eschavins de Nancey en l’ostel de monsignour le duc, disant le droit de l’ostel de monsigneur le duc, dit que le semblans des eschavins de Nancey est boins. Pour toutes les icellez chozes dessusdictes et une chascune d’ycelle estre plus ferme et estables, de millour force et vailour, requit a nous justice dessusdictes le dit Willaume, procurour comme dessus dudict abbei et couvent, ung depart de justice, pour cause de testification, tesmoignages des chozes dessusdictes. Lequel depart li avons ottroiés et li tesmoignons dès maintenant toutes les chozes dessusdictes eistre vraie et ensi eistre faictes. Et avons, nous Pieresson et Didier, eschavins dessusdicts, fait mettre et espendre le seel dudict Gerardin Mauloup, prevost dessusdict, en cept present depart de justice8.
Cette fois, les choses paraissent fixées de façon beaucoup plus officielle. D’une part, le terme « rappellait », prononcé à deux reprises, atteste de l’existence d’une gradation entre les différentes cours du duché de Lorraine. Dans chaque prévôté, les échevins et le prévôt connaissent toujours des procès en première instance. Mais la contestation éventuelle de leur décision ne peut plus désormais se faire n’importe où : elle doit être portée devant le tribunal du Change, dont la compétence s’étend à tout le bailliage de Nancy, puis, dans un second temps, devant celui du duc, dont les sentences possèdent un caractère irrévocable. Le document ne fait aucunement allusion aux Assises de la noblesse, à Nancy. Certes, les parties en présence ne sont pas des nobles, mais des établissements ecclésiastiques, et le village de Dommartin-sous-Amance appartient en partie au domaine ducal9. Mais il n’en demeure pas moins que les prétentions des Assises de Nancy à s’ériger en cour suprême de la principauté lorraine sont ici totalement rejetées. « Sous Charles II au moins, des restrictions avaient été apportées au fonctionnement de ce tribunal »10. La hiérarchisation du système judiciaire lorrain s’opère donc aux
8 A.D.M.M. H 1106. 9 Les comptes des bailliages de Nancy et des Vosges pour les années 1420-1421 (A.D.M.M. B 7232, f. 8v) et 1427-1428 (A.D.M.M. B 7234, f. 11r) en témoignent. Ils font notamment état des redevances versées au duc pour le four de cette localité. 10 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 101. La situation décrite par Étienne Delcambre pour le milieu du xi siècle, selon qui « les sièges aristocratiques servaient […] au civil, de ressort suprême à toutes les justices de l’ancien duché », s’était donc profondément modifiée dans les dernières années du règne de Charles II. É. Delcambre, « Les ducs de Lorraine et les privilèges juridictionnels de la noblesse », art. cit., p. 208-209.
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dépens des privilèges de la noblesse dans ce domaine, et au profit du pouvoir ducal qui en retire un surcroît de prestige. De nouveau, l’évolution du duché de Lorraine sous Charles II est comparable à celle de la vicomté de Béarn sous Gaston Fébus, puisque ce prince a eu lui aussi tendance à ignorer la Cour Majour, composée des principaux barons, et à rendre la justice en personne, aidé des membres de son conseil11. Partout d’ailleurs, dans le Royaume comme dans l’Empire, l’époque se caractérise par la mise en place de nouvelles institutions judiciaires, révélatrices d’un même processus d’étatisation, plus ou moins avancé selon les principautés12. Ainsi donc, sans procéder à aucune innovation, Charles II est parvenu à perfectionner les structures judiciaires de la Lorraine ducale et à les utiliser à son profit. Cette situation est inquiétante pour la noblesse lorraine et pour la position qu’elle entend conserver au sein du duché. Mais la perspective de la succession fragilise considérablement les acquis obtenus par le duc : René d’Anjou peut en effet être tenté de rétablir, voire d’augmenter les privilèges de ses vassaux, afin d’obtenir leur soutien dans sa lutte contre le comte de Vaudémont. Malgré cette hypothèque, le renforcement de la puissance ducale dans les premières décennies du xve siècle paraît d’autant plus indéniable qu’il ne concerne pas seulement ses prérogatives judiciaires, mais également ses capacités militaires. L’armée ducale : vers le mercenariat
Sous Charles II en effet, le visage et les structures de l’armée lorraine se modifient assez profondément. Et ces transformations témoignent, elles aussi, du processus d’étatisation en cours dans la principauté ducale à cette époque. L’augmentation des effectifs constitue sans doute le changement le plus visible, à défaut d’être le plus significatif. Les capacités de mobilisation du duc Jean Ier n’excédaient guère plus de 300 hommes d’armes, ce qui suscitait, nous l’avons dit, les railleries du président du Parlement de Paris13. Or, à plusieurs reprises au début du xve siècle, les sources nous donnent des chiffres plus importants. Lorsqu’il accompagne Robert de Bavière dans son expédition italienne durant l’hiver 1401-1402, Charles II
11 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn, op. cit., p. 161-164. Ce prince a aussi institué un juge de Béarn, qui rendait la justice en son nom, mais il préférait présider lui-même les audiences lorsqu’il le pouvait. De même, dans les villages, il diminua les pouvoirs judiciaires des jurats au profit des bailes qu’il contrôlait mieux. 12 Dans le Palatinat par exemple, le droit féodal est mis par écrit peu après l’avènement de Robert de Bavière, en 1398. Les procédures de renouvellement d’hommage sont désormais établies et un livre des fiefs rassemble à partir de 1401 tous les vassaux du comte. Ces réformes constituent une première étape dans l’affirmation de la souveraineté judiciaire de l’Électeur palatin. K.-H. Spiess, Lehnrecht, Lehnspolitik und Lehnsverwaltung der Pfalzgrafen am Rhein im Spätmittelalter, op. cit., p. 14-19. En revanche, le Reichskammergericht, ou tribunal de l’Empire, n’est, quant à lui, institué qu’en 1495. F. Rapp, Les origines médiévales de l’Allemagne moderne, op. cit., p. 317. Cela montre que la genèse de l’État moderne en Allemagne a concerné les principautés plutôt que l’Empire lui-même, au cours du xve siècle. 13 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1.
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amène avec lui 400 lances14 et, à l’occasion de certains conflits, il parvient parfois à réunir des troupes beaucoup plus nombreuses. Sans doute convient-il de ne pas prendre pour argent comptant les 15 000 cavaliers et 20 000 fantassins évoqués par le doyen de Saint-Thiébaut de Metz pour la « guerre de la hottée de pommes »15. Mais, sans se risquer à une estimation aussi précise, Philippe de Vigneulles parle lui aussi de « bonnes bandes de gens d’armes, qui n’estoient pas petitte » à propos de l’armée ducale à la fin du règne de Charles II16. Et contre Robert de Sarrebruck, le sire de Châteauvillain apporte à lui seul au duc le concours de 800 soldats17. Plus sûrement encore, les comptes d’Arnoul Wisse mentionnent le passage à Dieuze de groupes de 300 et 400 chevaux dans les années 142018. Enfin, nous connaissons le nom de 163 et de 261 serviteurs militaires du duc de Lorraine pour la guerre des Quatre seigneurs et pour la guerre contre le duc de Bar, en 1412-141519. La somme de ces indices convergents permet par conséquent de conclure sans trop de doutes à un accroissement sensible des forces ducales par rapport à la seconde moitié du xive siècle. Comment expliquer une telle évolution ? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, à commencer par l’union des duchés de Bar et de Lorraine sous la férule de Charles II, à partir de 1420. Celle-ci double en effet le nombre de vassaux tenus de le servir contre ses ennemis. Et nous avons vu que la noblesse barroise ne lui a pas ménagé son appui, ni contre le duc de Berg en 1421-1422, ni contre le comte de Vaudémont en 142520. Sans doute d’ailleurs les ressources du duché
14 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. V, no 168, p. 222. Dans le langage de la chancellerie impériale, une lance correspond à trois hommes d’armes. 15 B.M. Nancy, Ms. 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 35. Voir également ci-dessus troisième partie, chapitre VII. Ces données ne sont pas crédibles. Même les plus puissants souverains d’Occident parviennent à grand-peine à rassembler autant de combattants. En mobilisant l’ensemble des forces de l’Empire contre les Hussites par exemple, Sigismond réunit seulement 31 000 fantassins et 1 656 cavaliers en 1422 (cf. Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 250-257). Le doyen de Saint-Thiébaut exagère sans doute volontairement l’ampleur de la menace qui plane sur la ville de Metz, pour valoriser du même coup le prestige et la gloire de la cité. 16 Ch. Bruneau (éd.), La chronique de Philippe de Vigneulles, op. cit., p. 205. Cette expression s’applique à l’escorte que René d’Anjou aurait amenée avec lui au sacre du roi Charles VII à Reims, en juillet 1429. Or nous savons que René n’a pas participé à cette cérémonie et qu’il portait à cette date le seul titre de duc de Bar (cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5). Néanmoins, l’effort de guerre accompli par Charles II contre les Messins à cette époque accrédite le jugement du chroniqueur, tant il semble avoir fait forte impression sur les contemporains (cf. ci-dessus troisième partie, chapitre 6). 17 Ibid. 18 A.D.M.M. B 5241, f. 4r et A.D.M.M. B 5242, f. 4r. Ces informations figurent dans une rubrique intitulée : « dépenses et distributions faites aux gens de guerre par le cellerier de Dieuze, Jean de Lindre ». Ces attroupements ne peuvent donc avoir d’autre motif que la préparation d’expéditions militaires. 19 Cf. Annexe 18 : Tableau des serviteurs militaires des ducs de Lorraine (1400-1431). Ces calculs découlent des informations fournies par la rubrique « conflit » de ce tableau. À titre de comparaison, lors de la campagne de Flandre organisée par le roi de France en 1383, la compagnie du duc de Lorraine ne regroupait que treize chevaliers bacheliers, quatre-vingt-dix-neuf écuyers, et deux arbalétriers. 20 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5.
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de Bar dans le domaine militaire sont-elles supérieures à celle de la principauté lorraine, si l’on en croit du moins l’aide apportée respectivement par Charles II et Édouard de Bar au duc de Bourgogne Jean sans Peur contre ses adversaires réunis dans la ligue de Gien : Ils [le duc de Lorraine et son maréchal, Gérard de Haraucourt] avaient sous leurs ordres sept chevaliers bannerets, quinze chevaliers bacheliers, près de trois cents écuyers et soixante archers et arbalétriers, faible troupe si on la compare à celle menée par Édouard de Bar qui se composait de neuf chevaliers bannerets, deux écuyers bannerets, vingtdeux chevaliers bacheliers, cinq cent soixante trois écuyers, « 23 archers augmentés de 24 escuyers, 10 archers, 4 ménétriers, 2 trompettes »21.
D’après nos calculs, l’effectif global du duc de Lorraine s’élèverait à 733 hommes d’armes, contre 1315 pour le duc de Bar22. On peut ainsi considérer qu’à la veille de sa mort Charles II pouvait rassembler autour de lui un contingent de 2 000 à 3 000 personnes. Une telle évaluation peut également correspondre à celle donnée par Philippe Contamine pour l’extrême fin du xve siècle23. Elle amène à relativiser les progrès accomplis à l’époque qui nous intéresse : vers 1430, l’armée lorraine ne semble toujours pas bien impressionnante, même si le duc Charles peut alors lever des troupes beaucoup plus nombreuses qu’au début de son règne. Il convient toutefois de ne pas s’en tenir au seul aspect quantitatif. D’autres innovations concernent en effet le mode de recrutement des combattants au service du duc de Lorraine. Jusqu’à la fin du xive siècle, celui-ci reposait essentiellement sur les devoirs liés à la féodalité et les engagements de nature contractuelle demeuraient l’exception24. Or, si l’obligation de service des vassaux ducaux ne disparaît pas après 1400, Charles II a désormais de plus en plus systématiquement recours au mercenariat. Le contexte politico-diplomatique du début du xve siècle l’y pousse évidemment : les seules forces du duché de Lorraine s’avèrent manifestement insuffisantes pour résister à la menace conjuguée du rival barrois et de Louis d’Orléans en 1406, puis aux pressions des Anglo-bourguignons dans les années 142025. Charles II doit faire appel à tous les volontaires. Cela explique sans doute que les mercenaires forment la majeure partie des hommes d’armes (372 sur un total de 572) présents à un moment ou à un autre dans l’armée ducale entre 1400 et 1431.
21 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 108. L’auteur se base sur les comptes du duché de Bourgogne (BnF Col. Bourg., no 65, f. 98). Jean sans Peur réglait en effet lui-même la solde de ses alliés. Or, à ce moment de la guerre civile en France (juin 1410), Édouard de Bar avait provisoirement rallié le camp bourguignon. 22 Voir ci-dessus première partie, chapitre 1. À cette époque, chaque chevalier banneret sert avec trois auxiliaires à cheval, chaque bachelier avec deux, et chaque écuyer avec un. 23 Ph. Contamine, « René II et les mercenaires de langue germanique : la guerre contre Robert de la Marck, seigneur de Sedan (1496) », in Cinq-centième anniversaire de la bataille de Nancy, op. cit., p. 377394, ici p. 380. 24 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 25 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4 et chapitre 5.
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Ces chiffres résultent d’une liste des serviteurs militaires du duc de Lorraine que nous avons établie pour cette période26. La nature de la documentation interdit de prétendre à l’exhaustivité. Peut-être la part des vassaux est-elle un peu plus importante qu’il n’y paraît au premier abord : les mercenaires en effet exigent le versement régulier de leur solde et donnent quittance pour chaque paiement, tandis que les vassaux ne sont pas forcément rémunérés et peuvent par conséquent ne pas être mentionnés dans les sources27. Quoi qu’il en soit, la place des mercenaires dans la composition de l’armée ducale sous Charles II croît de manière décisive par rapport à la seconde moitié du xive siècle28. Le duché de Lorraine connaît en cela une évolution identique à celle des royaumes de France et d’Angleterre et de l’Empire. Partout désormais, la levée de troupes soldées l’emporte sur la convocation du ban et de l’arrière-ban29. Cette modification en appelle une autre. À la différence des fieffés, les mercenaires sont assez souvent étrangers à la principauté pour laquelle ils se battent. Ils reviennent également beaucoup plus cher. Or, pour les payer il faut connaître à la fois leur nom et leur nombre avec la plus grande précision possible. Cela suppose un renforcement du contrôle de l’administration princière sur l’appareil militaire du duché de Lorraine, qui se manifeste à travers la rédaction de « montres » dressant la liste des personnes engagées par le duc et des sommes qui leur sont dues. Ces revues d’effectifs apparaissent pour la première fois dans la Lorraine ducale à l’occasion de la guerre contre le duc de Bar, en 141330. Les serviteurs militaires de Charles II y sont tout d’abord regroupés par compagnies, puis classés en fonction de l’importance de la solde qui leur est versée. Or, si cinq d’entre elles sont commandées par des seigneurs lorrains ou par des officiers ducaux, les deux autres sont placées sous les ordres de nobles étrangers au duché, Walter de Geroldseck et Guillaume de Diest, évêque de Strasbourg, qui reçoivent des gages de Charles II et deviennent ainsi des
26 Cf. Annexe 18. Dans l’ensemble des sources à notre disposition, nous avons procédé à un relevé systématique des noms des hommes d’armes ayant servi le duc de Lorraine. Nous nous sommes efforcé de déterminer la raison pour laquelle ces personnes se trouvaient dans l’armée de Charles II. Lorsqu’elles n’étaient ni vassales, ni sujettes, ni alliées du duc et qu’elles recevaient un salaire, nous en avons déduit qu’elles avaient été recrutées en tant que mercenaires. 27 Ph. Contamine, « René II et les mercenaires de langue germanique », art. cit., p. 388-389. De notre côté, nous avons établi une liste de 250 vassaux ducaux, parmi lesquels on compte très peu de Barrois. Mais même si l’on double ce chiffre pour prendre en compte l’union des deux duchés après 1420, la part des mercenaires demeure beaucoup plus forte que par le passé, de l’ordre de 40 % environ (372 mercenaires contre 500 fieffés). 28 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1 et Annexe 4. 29 Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 275-296. 30 BnF Col. Lor., no 6, f. 65 à 85. « Cahier qui contient les noms des compagnons qui ont servi le duc de Lorraine contre le duc de Bar avec leurs appointements divisés en plusieurs classes », reproduit dans l’Annexe 19. Une autre revue a été réalisée à l’occasion de la guerre contre le duc de Berg (A.D.M.M. B 734, no 45), mais elle est portée manquante dans le Trésor des chartes de Lorraine. Pour la seconde moitié du xive siècle, nous disposions également de la montre de la compagnie amenée par Jean Ier à l’ost de Flandre en 1383, mais elle avait été effectuée par les officiers du roi de France, et non par ceux du duc.
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mercenaires au service du duc de Lorraine31. L’acte laisse par ailleurs entrevoir un recrutement géographiquement et socialement hétérogène : beaucoup de noms évoquent les régions du sud-ouest de l’Allemagne voisines du duché de Lorraine, comme l’Alsace ou le Palatinat32. Tous n’appartiennent pas non plus au monde de la noblesse, et n’en sont pas forcément moins bien payés pour autant33. Il y a donc tout lieu de voir en eux des professionnels de la guerre, dont Charles II loue les services pour combattre des adversaires potentiellement plus puissants que lui. De tels soldats, particulièrement redoutables, renforcent qualitativement l’armée lorraine et peuvent expliquer, au moins en partie, les succès obtenus par le duc tout au long de son règne. Ils incitent aussi Charles II à acquérir une vue d’ensemble des troupes mobilisées et à perfectionner ainsi les pratiques et les méthodes de son administration, ce qui contribue également à accroître son pouvoir à l’intérieur du duché. Au début du xve siècle, le potentiel militaire de la Lorraine ducale s’améliore donc sensiblement, puisque des troupes soldées viennent grossir le contingent des vassaux lorrains, auquel s’adjoignent désormais ceux du duché de Bar. Pour autant, certaines faiblesses demeurent patentes. Le caractère composite des forces lorraines peut ainsi être source de bien des malentendus. En témoigne la retraite précipitée de Charles II en 1413, à la suite des rumeurs infondées d’une attaque ennemie et au désaccord entre le duc et ses alliés34. Par ailleurs, l’armée ducale conserve un caractère rudimentaire : malgré l’appoint des mercenaires et même après l’union des principautés de Bar et de Lorraine, elle ne peut soutenir la comparaison avec celle de la plupart des princes du Royaume35. C’est dans le domaine technique surtout que les lacunes paraissent importantes. Aux xive et xve siècles, l’utilisation croissante des hommes de trait et les progrès de l’artillerie incitent les princes à acquérir de telles armes et à recruter des archers et des arbalétriers36. Or, dès 1400, au cours du siège d’Altwolfstein mené conjointement par
31 Cf. Annexe 19, f. 67 et 69 à 73. Trois des sept capitaines sont des vassaux de Charles II : il s’agit du « seigneur Hanneman » , de Bitche, comte de Deux-Ponts, d’Arnoul de Sierck et d’Henri, sire de Fénétrange. Quant à Henri Mochenheimer, officier ducal dans la ville de Deux-Ponts, et à Henri Hase, maître d’hôtel de Charles II, ils remplissent tous deux de très nombreuses missions au service du duc. Voir également l’Annexe 17 : Liste des vassaux du duc Charles II après 1400, et l’Annexe 20 : Évolution de l’entourage des ducs de Lorraine après 1400. 32 Cf. Annexe 19, f. 67-68. Pour s’en tenir à des exemples pris dans la seule compagnie d’Hanneman de Bitche, on peut citer Friedrich von Hochfelden et Friedrich von Thann, originaires d’Alsace, ainsi que Folmar von Medelsheim, Hanneman von Windsberg, Conrad von Sötern et Simon von Homburg, natifs du Palatinat. 33 Cf. Annexe 19, f. 67, 69 et 73. Les noms de Probest Hensel, Switzer Hans, Kralbe et Erbe Losel indiquent clairement une origine roturière. Ces personnages reçoivent cependant des soldes s’élevant respectivement à 60, 50, 50 et 100 florins. Cette dernière compte parmi les plus importantes et les autres se situent dans la moyenne des versements. 34 E. Girod, Charles II, duc de Lorraine, op. cit., p. 126-128. 35 Ph. Contamine, « René II et les mercenaires de langue germanique », art. cit., p. 394, fait le même constat pour l’extrême fin du xve siècle. 36 Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 246-275. Même si la prépondérance de la cavalerie lourdement armée n’est pas vraiment remise en cause à la fin du Moyen Âge, ces deux évolutions constituent un tournant majeur dans l’art de la guerre à cette époque, comme le montre le déroulement de la bataille de Crécy.
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Charles II et Louis de Bavière, ce dernier déplorait le manque d’arbalétriers lorrains et demandait à son père, l’Électeur palatin, de lui en envoyer une cinquantaine, faute de quoi le château ne pourrait être pris d’assaut37. Plus tard, les comptes du duché de Lorraine donnent également l’impression que l’on n’engage ces combattants qu’avec parcimonie tant ils semblent rares et précieux38. Peut-être le traité de Foug améliore-t-il quelque peu la situation dans ce domaine. Le maniement de ces armes requiert en effet une compétence spécifique, acquise au terme d’un entraînement régulier. Or, certaines cités barroises disposent de petits groupes d’arbalétriers, organisés en confréries et tenus de défendre la ville et de servir le prince dans chacune de ses guerres, en contrepartie d’une exemption d’impôts. La charte qui renouvelle les privilèges des arbalétriers de Saint-Mihiel prévoit un contrôle régulier de leur équipement et fait également allusion à un texte de même nature pour Bar-le-Duc et pour les principales localités du duché39. Mais la perte des lettres octroyées par les prédécesseurs de René d’Anjou laisse penser qu’un certain laxisme régnait dans l’organisation de leur compagnie, qui ne compte d’ailleurs que vingt-cinq membres40. Mieux pourvue que le duché de Lorraine, la principauté barroise ne paraît cependant pas en mesure de combler à elle seule l’insuffisance des hommes de trait dans les troupes de Charles II. Un constat identique peut être établi à propos de l’artillerie. Très conscient de la nécessité de se doter d’un tel matériel, le duc fait fabriquer des bombardes dès 1404, sans doute en vue de la lutte contre les ducs de Bar et d’Orléans qui se profile à l’horizon41. Pourtant, quatre ans plus tard, le traité de Landfried conclu par les ducs de Bar et de Lorraine et l’évêque et la cité de Metz prévoit de faire appel, en cas de besoin, à « gens estrainges pour nostre fait communement aussy comme artillours,
37 J. Weizsäcker, Deutsche Reichstagsakten, op. cit., t. IV, no 112, p. 127. Louis informait Robert de Bavière que son beau-frère, le duc de Lorraine, n’avait pas beaucoup de bons arbalétriers (unsers swagers von Lotringen freunde nit vile guter scheutzen bi in habent). 38 A.D.M.M. B 1921, f. 1r. En 1427, au plus fort de la querelle à propos de Guémar, le compte de Jean Pariset de Lunéville contient la mention suivante : « Item, paiés par la lettre de mons. au prevost de sainct Diey pour les despens de quatre arbolostriers qu’en alloient en la haulte Ribeaupierre, comme il appert par la dicte lettre, 17 s. 4 d. ». 39 B.M. Nancy, Ms 189, f. 56-58, en date du 16 décembre 1429. L’ordonnance, établie au vu de « la teneur des lettres de noz arbalestriers de nostre ville de Bar », leur enjoint de s’« assembler, tant pour le faict du gouvernement de la dicte confrairie comme pour la visitation de leurs arbalestres, traicts, et armes, chacun mois une fois, affin de scavoir sy chacun arbalestriers est suffisamment garny d’arbalestre, de traicts et harnois d’armes competamment… » 40 Ibid., Prenant acte de ce que « par petite diligence de bien garder les dictes lettres, aient icelles esté perdues, du moing ne sceyvent lesd. arbalestriers qu’elles sont devenues », René décide que « doresenavant nous aurons et seront ordonnés et establys en nostred. ville de sainct Mihiel le nombre de vingt cinq arbalestriers, bons, nobles, feables et experts compaignons jeusnes d’aage, competent, demourants et residants en icelle… ». Mais ce faisant, il ne fait que confirmer une situation qui existait « de longtemps ancien ». 41 A.D.M.M. H 339. L’information est contenue au détour d’une donation faite par le duc de Lorraine aux religieux de Beaupré, « […] considerant que nous charpentiers ont partout coupés ès bois desdicts religieux plusiours gros arbres portant parxonnage […] lesquels arbres que sont esté coupés, sont estés pour en faire grosses bombardes que nouvellement avons fait faire […] »
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minours, trallours, maistres de canons, bombardes, enginemens, et telz meniere d’ouvriers et d’artilerie»42. On ne saurait avouer plus clairement les carences de l’équipement des princes lorrains en la matière. Peut-être des progrès furent-ils faits au cours des deux dernières décennies du règne de Charles II, puisque sitôt après sa mort, la Chronique de Lorraine affirme qu’« une grosse bombarde que de Tullo porte le nom » joua un rôle décisif dans la prise de la capitale du comté de Vaudémont par les Lorrains43. Malgré tout, l’efficacité de l’artillerie ducale à cette époque demeure largement sujette à caution. Placée sur la montagne Saint-Michel proche de la cité de Toul, elle provoque sans doute des dommages importants dans la ville44. En revanche, elle ne parvient pas à faire plier la résistance des Messins en 1429. Le doyen de Saint-Thiébaut tourne au contraire en dérision les effets du bombardement de Metz par le duc de Lorraine : Et encor, devez sçavoir que le duc Charles de Lorenne commandat a son maistre de bombardes qu’il chargeat sa bombarde, tellement qu’il peust traire jusques a la grant eglise de Mets. Et adoncq fut brixiée la plus grosse de ces deux bombardes, et depuis il ne traict, ne cop ne demy45.
De tels propos n’auraient rien de surprenant pour la seconde moitié du xive siècle, lorsque la frayeur causée par les premiers canons était encore hors de proportion avec les dégâts occasionnés par cette nouvelle arme. Mais au début du xve siècle, l’artillerie est devenue beaucoup plus destructrice et meurtrière46. Or, le duché de Lorraine n’a manifestement pas intégré les progrès réalisés au cours des décennies précédentes. À bien des égards, le duc ne dispose pas encore d’un outil militaire moderne, à la hauteur de ses ambitions. Si importantes soient-elles, ces réserves ne doivent pas occulter les initiatives prises par Charles II ni les perfectionnements qualitatifs et quantitatifs apportés à l’armée lorraine après 1400. Sous la pression des événements, ce prince a en effet réussi à en augmenter les effectifs, à en accroître la puissance et à mieux en contrôler les membres. De tels changements supposent également la présence, dans la principauté ducale, d’un personnel administratif à la fois plus nombreux et plus compétent.
42 A.D.M.M. B 859, no 20. L’acte, daté du 2 juillet 1408, scelle la réconciliation entre les ducs de Bar et de Lorraine suite à l’assassinat du duc d’Orléans et à l’issue de la bataille de Champigneulles. Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 43 L. Marchal (éd.), La Chronique de Lorraine, op. cit., p. 38. Comme en 1425 toutefois, l’armée lorraine parvint à s’emparer de Vézelise, mais échoua devant Vaudémont. Elle se révélait donc incapable de venir à bout d’une place puissamment fortifiée et défendue par une garnison expérimentée. B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 41-45. 44 Cf. ci-dessus troisième partie, chapitres 4 et 6. Lors de la signature du traité de paix qui sanctionnait leur défaite, les Toulois obtinrent uniquement le retrait de l’artillerie ducale [A.N. J 979, no 32 (3)]. C’est dire à quel point celle-ci avait désorganisé la défense de la cité. 45 B.M. Nancy, Ms 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 37-39. 46 Ph. Contamine, La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 263. L’une des principales mutations à cette époque concerne le calibre des canons et la puissance des projectiles, qui deviennent de plus en plus impressionnants.
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L’augmentation du personnel administratif
Le perfectionnement des structures judiciaires et militaires du duché de Lorraine, le renforcement de la souveraineté du prince et le développement de sa législation supposent le recours de plus en plus fréquent à des personnes spécialisées, capables de remplir des missions délicates et d’une fidélité à toute épreuve. Pendant la seconde moitié du xive siècle, chapelains et secrétaires servaient déjà d’hommes à tout faire au duc Jean Ier47. Entre 1350 et 1400, cinq secrétaires ducaux sont présents à la cour de Nancy, dont deux simultanément48. Durant la période suivante (1400-1431), nous en avons recensé douze au total et le duc s’entoure de quatre secrétaires, voire cinq lorsque le besoin s’en fait sentir49. Parallèlement, le collège des tabellions nancéiens se développe aussi, et passe de trois membres au xive siècle à quatre en 1397, cinq en 1410, et six en 141950. Dans le bailliage des Vosges, la ville de Neufchâteau connaît la même évolution51. Enfin, le receveur et le gruyer de Nancy s’adjoignent les services d’un clerc et d’un « sergent des bois de monseigneur » chargés de les seconder dans leur tâche52. Tout cela amène à conclure, de façon générale, à un accroissement du rôle de l’écrit, et pas seulement de l’office de secrétaire et du statut social de leurs détenteurs. En témoigne la précision nouvelle apportée dans la rédaction des actes par les notaires lorrains, qui mentionnent désormais systématiquement la présence des témoins au bas des documents53.
47 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 48 Voir la rubrique « secrétaires » dans l’Annexe 2. 49 Cf. Annexe 20 : Évolution de l’entourage des ducs de Lorraine après 1400. Sur les douze secrétaires, sept restent au service de Charles II pendant plusieurs années, à savoir Poiret d’Amance (1390-1414), Renaud Prégny (1403-1412), Guillaume de Gabure (1402-1429), Louvion Barneffroy (1408-1432), Dominique François (1414-1425), Henri Bailli (1424-1443) et Jean Denis (1422-1429). Il y a donc le plus souvent quatre secrétaires présents en permanence aux côtés du duc. Les cinq autres personnes ne sont mentionnées qu’une seule fois dans cette charge : Pierre Esch en 1421, Bertrand de Castres (= Blieskastel) , Henzelin et Petreman Xolaire en 1424 et Jean d’Arrenges en 1429. Ils ne sont donc requis qu’occasionnellement, et le plus souvent en raison de leurs compétences linguistiques, puisque quatre d’entre eux sont germanophones. Ces données ont été rassemblées à partir de la liste des secrétaires ducaux établie par J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 312-313. Nos dépouillements nous ont également permis de la compléter ou de la modifier sur certains points. Sources : A.D.M.M. B 532, no 54, B 631, no 102, B 821, no 107, B 5242, f. 13r, 39 et 40 ; A.D.M.M. G 345, liasse 7, no 32 ; G 363, G 380, G 405, G 406, no 99 ; A.D.M.M. H 124 ; B.M. Nancy, Ms 353, f. 7 ; Arch. Com. de Metz, AA 11, no 69. 50 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 135. Les tabellions s’occupent de la rédaction des actes privés et ne travaillent pas directement pour le pouvoir ducal. Mais dans le duché de Lorraine, le prince exerce un contrôle très strict sur leur activité. 51 P. Marot, « Neufchâteau en Lorraine au Moyen Âge », op. cit., p. 193. À Neufchâteau, le développement du tabellionnage coïncide avec la reprise en mains de la ville par le duc de Lorraine. 52 En 1424-1425, Mengin Drouin sollicite l’aide d’un clerc, Jean d’Amance, pour l’aider à tenir les comptes du bailliage de Nancy (A.D.M.M. B 7233). Quant à Somelat de Gondreville, il assiste le gruyer dans l’exercice de ses fonctions (A.D.M.M. B 823, no 1, daté de 1410). 53 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 135-137. D’autres modifications affectent les actes notariés émis par les tabellions. Les formules finales deviennent également plus longues et plus précises. Cette évolution révèle les progrès accomplis par la pratique juridique dans le duché de Lorraine au début du xve siècle.
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À partir de 1400, le dialogue entre le prince et ses subordonnés emprunte de plus en plus souvent une forme écrite. Cela, lié à la laïcisation progressive des emplois de secrétaire et de tabellion, constitue un indice supplémentaire de la croissance de l’État dans le duché de Lorraine au début du xve siècle54. Par ailleurs, érudits et hommes de loi disposent désormais d’une influence beaucoup plus grande que celle de leurs prédécesseurs. Proches du duc, ses secrétaires le sont par définition, puisque leur travail leur demande de l’accompagner dans la plupart de ses déplacements et de transcrire ses volontés. Bon nombre d’entre eux également, invités au conseil, ne se contentent pas seulement de mettre en forme les décisions qui y sont prises, mais prennent une part active aux délibérations. De plus, les connaissances juridiques qu’ils possèdent toujours incitent le prince à leur confier le soin de démêler certaines affaires particulièrement difficiles55. Partout en Europe, les secrétaires deviennent des personnages considérables56. En Lorraine également, on voit leurs interventions se multiplier. Certaines d’entre elles rentrent pleinement dans le cadre de leur fonction, lorsqu’ils assistent à l’audition des comptes des châtelains, des cellériers ou des receveurs ducaux57, ou lorsqu’ils dressent procès-verbal de la déposition du messager du duc de Lorraine ou de l’abbesse de Saint-Pierre-aux-Nonnains de Metz58. Mais d’autres traduisent davantage la reconnaissance par le duc de leur loyauté et de leurs compétences. En novembre 1415 par exemple, Charles II demande à deux de ses secrétaires, Louvion Barneffroy et Guillaume de Gabure, et au bailli de Nancy Colignon de Ludres d’enquêter auprès des habitants de Lunéville pour savoir si le prévôt du lieu avait ou non outrepassé ses pouvoirs59. Le duc les charge aussi de certaines missions diplomatiques : Renaud Prégny fait partie de la délégation 54 Ibid., p. 137 : « La mutation se fait ici aussi sous le règne de Charles II : désormais, les tabellions nancéiens sont de moins en moins nombreux à embrasser la prêtrise, à porter le titre de notaire juré et, avec Drouin de Lunéville (1415-1432) apparaît le premier tabellion nancéien marié […] ». De leur côté, les secrétaires appartiennent eux aussi de plus en plus souvent au monde des laïcs, à l’image de Louvion Barneffroy (A.D.M.M. G 405) et de Guillaume de Gabure (A.D.M.M. H 1508). Le pouvoir ducal se dégage donc peu à peu de l’emprise des ecclésiastiques, qui monopolisaient toutes les activités de chancellerie jusqu’à la fin du xive siècle. 55 Cf. Annexe 2 et Annexe 20. 56 B. Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles : les États, op. cit., p. 195. 57 En 1424, Louvion Barneffroy et Petreman Xolaire figurent ainsi parmi la petite commission chargée de vérifier les comptes du châtelain de Dieuze Arnoul Wisse (A.D.M.M. B 5242, f. 39-40, actes reproduits en Annexe 21, Annexe 22 et Annexe 23). L’année suivante, Bertrand de Castres contrôle également ceux de l’officier nommé par Charles II à Faulquemont, en compagnie de Henri Hase, maître d’hôtel, et de Jean de Fléville, bailli d’Allemagne (BnF Col. Lor., no 87, f. 224). 58 A.D.M.M. B 532, no 54. En 1414, Charles II avait chargé Guillemin, son « chevalchour », de remettre au duc de Bar un courrier lui réclamant le versement d’une somme de 11 000 écus. Guillemin s’était fait molester par les officiers barrois, qui avaient jeté les lettres ducales dans l’Ornain et avaient menacé de le noyer. Il était ensuite retourné à Nancy pour rendre compte de sa mission à Dominique François, secrétaire du duc. Voir également ci-dessus deuxième partie, chapitre 4 ; A.D. Mos. B 2344, no 49, le 24 janvier 1419 (n. st.). Il s’agit de l’affaire concernant l’investiture de Marguerite de Chérisey et de la confirmation de son élection par l’évêque de Metz. Voir ci-dessus troisième partie, chapitres 3 et 6. 59 A.D.M.M. H 1508. Voir ci-dessus, chapitre 7, à propos de l’arrestation de Mengin le Coursenier par l’officier ducal dans les cuisines de l’abbaye Saint-Rémi.
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envoyée en France en 1406 pour tenter de trouver un compromis avec le roi à propos de la question de Neufchâteau et d’éviter la guerre sur le point d’éclater avec Louis d’Orléans60 ; en 1427, Louvion Barneffroy et Jean Denis défendent les intérêts de leur maître devant la justice de Toul61. Enfin, le 16 août 1420, Charles II ordonne à nos bien améz le priour de Warengeville et maistre Dominique François nostre secretaire de se traire au lieu de ladicte abbaie [Saint-Martin de Metz], soy informer dudict gouvernement, et y pouveoir et remedier par la millour maniere qu’ilz porront et saront, et comme bon leur semblera62.
On pourrait multiplier les exemples. Aucun d’entre eux cependant ne montre mieux la nécessité où se trouve le duc de Lorraine de s’entourer d’hommes de loi et la confiance qu’il leur accorde que l’acte par lequel il leur donne procuration pour agir en son nom dans toutes les affaires judiciaires concernant sa personne ou la principauté ducale63.
60 BnF Col. Lor., no 5, f. 51. Le 14 novembre 1406, Charles VI accorde un sauf-conduit à Conrad Bayer de Boppard, André de Ville et Renaud Prégny, envoyés de Charles II, ainsi qu’à 12 personnes de leur suite, pour venir négocier à Paris sur les litiges opposant le duc de Lorraine au roi de France. 61 A.D.M.M. B 7234, f. 71r. « Payé par Maloste pour les despens du maistre d’ostel, de Lowyon Berneffroy et Jehan Denix, dans la sepmaine de la sainct Barthelemy, pour estre allés a la justice de Toul pour les censives de mons. le duc, 4 l. 10 s. 8 d. » 62 A.D.M.M. B 909, no 12. Charles II confère ici des pouvoirs considérables à son secrétaire, puisqu’il l’autorise, le cas échéant, à déposer l’abbé en exercice et à le remplacer par la personne de son choix. Cela lui permet également de faire surveiller le prieur de Varangéville par un de ses proches. 63 « Charles, duc de Lorrainne et marchis, a tous ceulx qui ces presentes lettres verront, salut. Savoir faisons que nous avons fait, ordonné, constitué et establi, et par ces presentes faisons, ordonnons, constituons et establissons, noz bien améz maistre Jehan de Bruillon licencié en loy, Lowion Barneffroy de Nancey, maistre Hanry Baillif, noz secretaires, et Jennat de Braibant, ensembles et chacun pour luy et pour le tout, nos procureurs generalx et certains messaigers especiaulx en toute noz causes, querelles et besoingnes reelles et personnelles, mehues et a movoir en toute courez et leux on que ce soit : tant en demandant comme en deffendant contre toute personnes noz adversaires, et par davant tous seignours et juges, arbitres, commissaires, commis, deputéz ou leurs lieutenanz, de quelconque povoir, puissance ou auttorité ; et mandement especiaul de nous representei ; et pour nous estre en jugement, et dehors excusier, jurer, et besoinner ; de mettre lettres et instrumens en forme de procureurs, play, ou plus ; entamei, poursuir, demener et mettre a fin ; requerrir noz hommes, femmes, subgiez justiciables, biens, rentes, revenues et drois quelcunques ; d’entrer en guarant, panre fais de garantis, et deposer, respondre a tous poins et articles ; requerrir le retour et renvoy de nosdits hommes, femmes, subgiez et justiciables ; de poursuir et demander le restablissement de nostre justice ; advouer, desadvouer court et juge ; decliner, de opposer, plaidoier, et demeurer tous fais et cas de plaidoierie ; de oir droit, arrest, advis, jugement de sentence interlocutoires et deffinitives ; de appeller, poursuir l’appel et y renuncier si mestier est ; de traittier, pacifier, composer, compromettre et accorder ; de substituer ung ou plusieurs procureurs pour et en lieu de l’un d’eulx, aians pareil et semblable povoir ; et generalment de faire ez choses dessusdites et en chacune d’icelle leurs cerconstances et deppendences, tout autant et au teil que nous meisme en nostre personne porriens faire ou dire, ja fust que la chose requeist mandement plux especial. Promettons en bonne foy avoir aggreable et tenir ferme et estable a tous jours tout ce que par nos davandits procureurs, ou l’un d’eulx, ou par leurs substitué ou substituéz sera fait, procuré, besoingné, traictié ou ordonné, pour et en nostre nom, d’ester a droit et de paier l’adjugier se mestier est, sub l’obligation de tous noz biens quelcunques presens et advenir. En tesmoing de ce, nous avons fait
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Le choix des personnes qui y sont désignées pour défendre les droits du duc à l’intérieur et à l’extérieur de la principauté n’est naturellement pas laissé au hasard, puisqu’on trouve deux des trois secrétaires ducaux, Henri Bailli et Louvion Barneffroy, ce dernier jouissant d’un crédit tout particulier auprès de Charles II64. La présence de Jean De Bruillon s’explique par son grade de licencié en lois qui en fait un auxiliaire indispensable des deux personnages précédents. Celle de Jennat de Brabant en revanche ne tient ni à ses compétences ni à sa position à la cour de Nancy. Peut-être est-elle liée à une éventuelle maîtrise de la langue allemande, que les autres ne possèdent pas65. Enfin, la longue énumération de leurs prérogatives suffit à montrer l’autorité dont bénéficient ces quatre hommes : ils sont en quelque sorte les fondés de pouvoir du prince qui leur laisse toute latitude pour agir à leur guise dans les procès où ses intérêts entrent en jeu. Sans doute Charles II les juge-t-il plus capables que lui de plaider sa cause et d’obtenir des résultats favorables. Toujours est-il que cet acte marque une étape supplémentaire dans l’étatisation du duché de Lorraine, en même temps qu’il en marque les limites. Il préfigure d’une certaine manière la création de ce qui deviendra plus tard l’office de procureur général de Lorraine et Barrois66. Mais, il n’en institue pas réellement la charge, puisque le duc ne prend aucune décision visant à en fixer durablement les conditions d’exercice ou à en pérenniser l’existence et se contente d’une délégation de pouvoir purement personnelle et révocable à tout instant. Il soumet également certaines attributions des quatre procureurs à un « mandement plux especial », sans préciser lesquelles, se réservant ainsi la possibilité de moduler à sa guise leur marge de manœuvre. Enfin, ceux-ci s’intitulent « procureurs de hauls et puissans princes noz très redoubté seigneurs les ducs de Lorrainne et de Bar » : ils représentent donc la personne du prince et non la principauté67. Pour autant, un pas décisif est franchi dans la médiatisation et la dépersonnalisation de la fonction ducale, puisque Charles II confère à d’autres la capacité de parler en son nom et s’engage par avance à « avoir aggreable et tenir ferme et estable » tout ce qu’ils auront décidé. D’autre part, la présence renforcée d’hommes mettre nostre seel en cez presentes, données le deix septime jour d’octembre, l’an mil quatres cens et vingt quatre. » (A.D.M.M. B 821, no 37, original sur parchemin français, en date du 17 octobre 1424, scellé d’un sceau de cire rouge). 64 En ce qui concerne la carrière de Louvion Barneffroy, voir ci-dessous dans le présent chapitre. 65 L’ensemble des sources disponibles pour le règne de Charles II ne fait aucune autre allusion à Jennat de Brabant. Il n’occupe donc vraisemblablement qu’une place très effacée dans l’entourage ducal. Il n’est également affublé d’aucun titre particulier. Il y a donc tout lieu de supposer que c’est sa qualité de germanophone qui lui a valu une telle faveur de la part du duc de Lorraine. 66 H. Lepage, « Les offices des duchés de Lorraine et de Bar et la maison des ducs de Lorraine », op. cit., p. 133. L’auteur mentionne un certain Thirion Mélian comme premier procureur de Lorraine et Barrois en 1382. Mais cette affirmation semble fort douteuse, car nous n’avons retrouvé aucune trace de ce personnage dans les archives consultées. Par ailleurs, il paraît peu probable qu’à cette date un même homme ait pu défendre simultanément les droits des deux plus grands princes lorrains. Ce ne sera le cas qu’à partir de l’accession de René d’Anjou au duché de Bar en 1420. 67 A.D.M.M. B 631, no 102. Le 15 octobre 1425 par exemple, Jean De Bruillon et Henri Bailli se rendent à Jonvelle pour y plaider la cause de Charles II et de René d’Anjou devant les officiers du duc de Bourgogne, choisis pour arbitres de la querelle qui opposait le duc de Lorraine et son gendre au damoiseau de Commercy et au sire de Châteauvillain.
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de loi tels Jean de Bruillon dans l’entourage ducal révèle le poids grandissant du droit dans le duché de Lorraine. Or, le droit représente une des bases essentielles de l’État, dans la mesure où il évite au prince d’être physiquement présent pour imposer sa volonté et accroît le caractère impersonnel de la pratique gouvernementale68. Le processus d’institutionnalisation en cours dans la Lorraine ducale depuis le milieu du xive siècle se poursuit donc durant les trente dernières années du règne de Charles II. Le système judiciaire se hiérarchise, l’armée se modernise, et le personnel administratif augmente et devient plus rigoureux. Mais si importants soient-ils, tous ces perfectionnements ne paraissent pas aussi révélateurs de la genèse de l’État que l’apparition d’institutions et de procédures nouvelles dans la principauté lorraine à cette époque. Des institutions et des procédures nouvelles L’amélioration des techniques financières
Des changements majeurs apparaissent dans la documentation concernant les finances au premier tiers du xve siècle. Le premier compte disponible pour le duché de Lorraine date de 141969. D’autres ont également été conservés pour les années 1420 et concernent des circonscriptions ou des revenus de natures très variées70. Cela ne doit bien évidemment rien au hasard, même si les officiers ducaux tenaient sans doute une comptabilité écrite depuis assez longtemps71. Ces documents sont parvenus jusqu’à nous parce qu’ils ont été déposés dans le Trésor des chartes de Lorraine, ce qui n’était pas le cas auparavant. Leur préservation traduit donc les progrès réalisés par l’administration ducale dans la pratique de l’archivage : les comptes sont vraisemblablement établis désormais en double exemplaire et, à l’issue de leur vérification, l’un d’eux retourne dans la circonscription d’origine, tandis que l’autre est « laixiées en nostre court »72. Ce système permet aux auditeurs de se référer 68 M. Clanchy, « Literacy, law and the power of the State », in Culture et idéologie dans la genèse de l’État moderne, op. cit., p. 25-34. Selon cet auteur, la loi écrite véhicule une idéologie à travers un langage standardisé qui s’impose à tous ses utilisateurs, qu’il s’agisse du prince ou de ses sujets. C’est en cela qu’il apporte une contribution décisive à la genèse de l’État moderne. 69 A.D.M.M. B 5241. Le parchemin de couverture contient l’inscription suivante : « Compte Arnoul Wisse, chastellain de Dueze, fait l’an mil IIII et XXIII, le XIX jour d’avril, de toute recepte et mise qu’il ait en nostre chastellenie de Dueze, depuis le XIX jour d’aoust mil IIII et XIX qu’il fut commis pour chastellain jusques au jour dessusdict, ouquel temp puet avoir trois ans entiers et les trois quairts d’ung an ». 70 A.D.M.M. B 1919 (1424-1425), B 1920 et B 1921 (1426-1427) pour le bailliage des Vosges, A.D.M.M. B 7232 (1420-1421), B 7233 (1424-1425) et B 7234 (1427-1428) pour celui de Nancy, A.D.M.M. B 5242 (1424-1430) pour la châtellenie de Dieuze, et A.D.M.M. B 8466 (1427-1428) pour les salines de Rosières. Nous devons cependant insister une nouvelle fois sur la rareté de ce type de sources dans le duché de Lorraine, par comparaison avec les principautés du Royaume ou le duché de Bar voisin. 71 Sur ce point, voir ci-dessus première partie, chapitre 1. 72 A.D.M.M. B 5242, f. 39. Cet usage ne s’est toutefois pas encore généralisé, sans quoi nous disposerions dès cette époque de séries de registres plus ou moins ininterrompues. Il demeure au contraire assez exceptionnel.
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au bilan de l’année précédente et de déceler plus facilement d’éventuelles erreurs ou malversations. Il constitue un témoignage supplémentaire de la place nouvelle accordée à l’écrit dans la gestion de la principauté. On mesure ainsi la portée de la décision prise par Charles II d’interdire l’entrée du Trésor des chartes à son gendre René d’Anjou lorsqu’il lui aurait succédé73. Il s’agissait d’une restriction considérable à l’autorité du futur duc de Lorraine sur son administration. En même temps que les comptes, apparaissent les premières traces écrites de leur audition par le duc et quelques membres de son entourage. Trois actes de Charles II figurant dans le registre B 5242 des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle en attestent74. Les originaux, sans doute rapportés à Dieuze par le châtelain, ont aujourd’hui disparu, mais le secrétaire ducal avait auparavant pris soin de les recopier dans le « pappier des dictes recettes75 » demeurant à Nancy. Trois comptes sont examinés, celui de l’étang de Dieuze, celui du cellérier et celui de la châtellenie. La procédure suivie, à chaque fois identique, rappelle l’état du compte précédent, fait le total des recettes et des dépenses de l’année avec une plus ou moins grande précision, puis dresse un nouveau bilan, reporté dans l’exercice suivant76. Elle permet au duc de se faire une idée des revenus de cette circonscription et de procéder à une estimation du montant global de ses ressources, en consultant les différents comptes déposés dans la tour du Trésor. Pour autant, rien ne permet de conclure à la création d’une institution nouvelle dans les années 1420. Le contrôle de la gestion des serviteurs ducaux est effectué […] en la presence de nos amés et feaulx conseillers Jehan de Fleuville, nostre bailli d’Allemaigne, et Henri Hauze, maistre de nostre hostel, de messire Coneman de Dueuze, nostre amé chapelain, de Louvion Barnefroy de Nancey, Petreman Xolaire, et autres […]77
Ces personnages ne portent pas le titre d’auditeurs des comptes. À aucun moment non plus il n’est fait mention d’un lieu destiné exclusivement à cette activité, dont les modalités conservent un aspect assez largement informel78. Une nouvelle étape a certes été franchie, celle de la procédure écrite et de l’archivage. Mais une Chambre des comptes ne verra le jour dans la principauté ducale que bien après la mort de 73 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. 74 A.D.M.M. B 5242, f. 38, 39 et 40, les 23 avril et 27 juillet 1424. Ces trois lettres, reproduites en Annexe 21, Annexe 22 et Annexe 23, donnent quittance à Arnoul Wisse pour sa gestion depuis la dernière vérification de ses comptes qui avait eu lieu l’année précédente. 75 Cf. Annexe 22. 76 Cf. Annexe 23. La quittance pour la châtellenie par exemple intègre les 300 florins d’excédent de l’année précédente dans les recettes actuelles qui atteignent ainsi 786 l. 12 s. et 5 d. Elle déduit ensuite de cette somme les 772 l. 6 s. et 2 d. de dépenses et en conclut que « les recettes surmontent les mises de XIV livres, VI sous et III deniers, que ledict chastellain nous demeure devant », c’est-à-dire qui seront reversées dans le prochain compte. 77 Cf. Annexe 22 et Annexe 23, f. 39 et 40. Une fois de plus, chapelains et secrétaires apparaissent bien comme les hommes à tout faire du duc de Lorraine, bénéficiant de la confiance du prince. 78 A. Girardot, « État et réformations en Lorraine angevine », art. cit., p. 53, note 63. Il faut attendre le 14 avril 1437 et la demande de René d’Anjou pour qu’un local soit « advisé a Nancey » pour y conserver les « lettres ou papiers » nécessaires à la reddition des comptes des officiers du duché de Lorraine.
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Charles II. Jusqu’en 1463, « il manque l’attestation claire de l’existence d’une institution stable et d’un personnel régulièrement affecté à la vérification et à la conservation des comptes »79. L’amélioration des techniques financières dans le duché de Lorraine demeure donc assez limitée. Les observations tirées d’un examen attentif des sources disponibles aboutissent également à cette conclusion. Elles montrent que l’administration des finances de la principauté ducale est encore très faiblement hiérarchisée. La plupart des officiers rendent leurs comptes à Nancy, ce qui limite considérablement les pouvoirs et l’efficacité de personnages tels que le receveur, chargé en principe de faire le bilan des recettes et des dépenses effectuées au nom du duc à l’intérieur d’un bailliage. Nous venons de voir que la gestion du châtelain de Dieuze Arnoul Wisse avait été directement contrôlée par le maître d’hôtel et les secrétaires du duc de Lorraine. Cela ne tient pas uniquement à l’absence de receveur dans le bailliage d’Allemagne80, car Mengin Drouin et Jean Pariset, nommés par le duc dans les bailliages de Nancy et des Vosges, se trouvent souvent dans l’incapacité de disposer d’une vue d’ensemble des finances ducales dans leur circonscription. En témoignent des articles de ce type qui égrènent les quelques comptes qu’ils nous ont laissés : Item, de toute la chastellerie de Chastenoy niant receu, pourtant que le cellerier dudict Chastenoy en doit rendre compte a mons. Item, receu de Thiellequin, prevost de Chastenoy, apres les mise qu’il ait faiz, come il apparoit par ces pappiers, et a ce qu’il ait laixier en la cour de mondict seigneur, le terme du moy de may M IIIIc et XXV, receu 5 l. 5 s. 4 d81.
Ainsi donc, deux situations coexistent au sein d’une même prévôté : tandis que le cellérier porte sa recette à la cour ducale, le prévôt la remet au receveur. Cela ne facilite pas la mise en place de méthodes financières rigoureuses et efficaces. Au contraire, beaucoup de pratiques paraissent aberrantes. Passons sur le fait qu’une
79 H. Olland, « Le personnel de la Chambre des Comptes de Lorraine à la fin du Moyen Âge », art. cit., p. 126-128. Dans le duché de Lorraine, la chambre des Comptes n’émerge véritablement que sous le règne de René II, lorsqu’elle est dotée d’un président, d’un contrôleur général, d’un receveur général, d’un clerc de la Chambre et de deux auditeurs. Elle s’est par ailleurs constituée de manière pragmatique, « en fonction des nécessités locales, plutôt que par référence à un modèle extérieur ». Ibid., p. 133. 80 Aucune des sources que nous avons consultées ne fait allusion à cette fonction qui existe pourtant depuis le milieu du xive siècle à Nancy et dans les Vosges. On peut y voir le signe de la place relativement marginale occupée par la Lorraine germanophone dans la principauté ducale, même si un certain rééquilibrage se produit en sa faveur sous le règne de Charles II. Sur ce point, voir ci-dessus première partie, chapitre 1, et ci-dessous dans le présent chapitre. 81 A.D.M.M. B 1919, f. 16r. Il ne s’agit là que d’un exemple parmi bien d’autres. À Einville, le receveur ne perçoit que les taxes prélevées sur l’eau et sur la pêche, tandis que le châtelain rend compte des autres revenus directement devant le duc. Et à Lunéville également, le cellerier est personnellement responsable de la levée « de toutes autres droitures tant fours que cens, garde, gruerie, et autres droits ». A.D.M.M. B 7232, f. 13v et 15r.
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grosse part des revenus du duc est dépensée sur place, sous forme d’assignations82. Laissons aussi de côté les très nombreuses erreurs de calcul commises dans les sommes indiquées au bas de chaque page83. Tout cela se rencontre également dans bien d’autres principautés et royaumes84. Mais la longueur des exercices comptables varie d’une fois sur l’autre, nécessitant de temps à autre des adaptations un peu hasardeuses. Jean Pariset par exemple, receveur de Nancy du 30 mars 1427 au 26 septembre 1428, établit un premier « pappier » d’une durée d’un an, allant jusqu’à la date du 30 mars 1428. Que se passa-t-il ensuite ? Apprit-il seulement au dernier moment que le duc le renouvelait dans son office ? Toujours est-il que le deuxième compte ne couvrait que neuf jours, du 30 mars au 8 avril 1428, et qu’il lui fallut en faire un troisième pour les cinq mois et trois semaines qui lui restaient avant le terme de son mandat85. De telles incohérences rendent difficile toute comparaison avec l’année précédente et toute vérification scrupuleuse du montant des sommes perçues. Du moins le receveur n’inverse-t-il pas les recettes et les dépenses et ne relie-t-il pas les différents cahiers à l’envers les uns par rapport aux autres, comme le font les cellériers de Dieuze en 1419-1423 et en 1430-143186 ! On peut considérer que ce dernier cas traduit l’archaïsme traditionnel du bailliage d’Allemagne et qu’il n’est pas représentatif de l’ensemble du duché de Lorraine87. Mais nulle part dans la principauté ducale les techniques financières ne semblent parfaitement au point. Peut-être les choses progressent-elles toutefois avec le temps. Une certaine rationalisation des finances ducales et de leur organisation devient peu à peu perceptible au cours des années 1420 : Item, receu par la main du prevost Colin d’Ormes, pour toutes les receptes qu’il ait fait, tant d’argent comme de cire, laquelle cire est estée comptée a argent. C’est a scavoir, dès le XXVIIe jour d’apvril mil IIIIc et XXVI jusques au XXVIIe jour d’apvril mil IIIIc
82 A.D.M.M. B 1919, f. 2r. Prenons le cas des ventes de Mirecourt, particulièrement représentatif de l’ensemble des ressources ducales : « Premier, les vantes de la ville de Merecourt ont valeus, pour ung an acomensseant a la nostre dame demey caresme le melliaire courent par mil IIIc et XXIIII jusque a la nostre dame demi karesme mil IIIIc XXV, pour XLVI libvres de Mestz, que vault VIxx XVIII florins. Sy prennent les signours de Monsteruel le VIe, que vault XXIII florins. Item, les signours de Serieres de terre a raichay XL florins et demei. Item, les dames courdellieres de Nuefchastel de terre annuelle XXX florins. Item, les chanoines de Darney VII florins et demei. Some tous les assignals dessus dict : C et I florins […] demourant a mons. pour led. an XXXVII florins […] » 83 Elles portent sur des sommes très variables : 14, 9 et 91 livres (A.D.M.M. B 1919, B 1920 et B 1921) ; 273 et 331 livres (A.D.M.M. B 5241 et B 5242) ; 107, 6 et 312 livres (A.D.M.M. B 7232, B 7233 et B 7234). 84 B. Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles : les États, op. cit., p. 202-203. 85 A.D.M.M. B 7234. Les trois registres sont toutefois réunis dans le même cahier : le premier occupe les f. 1 à 27, le deuxième les f. 28 à 30, et le troisième les f. 31 à 42. 86 A.D.M.M. B 5242. Les f. 20 à 27 sont regroupés sous le titre suivant : « recepta an geld anno IVc XXX » (recettes en argent [faites par Simon, cellerier de Dieuze] en l’an 1430). Or, ils ne contiennent que des dépenses. Au contraire, les f. 31 à 37, intitulés « distributa an geld anno IVc XXX » (distributions d’argent pour l’an 1430), rassemblent toutes les taxes prélevées par l’officier ducal. Dans le compte de 1419-1423 (A.D.M.M. B 5241), les paiements du cellerier occupent les f. 1 à 15 (frais de mission des serviteurs du duc) et 48 à 56 (achats de vin). Quant aux rentrées en argent et en nature, elles viennent s’intercaler en sens inverse, du f. 47 au f. 16. 87 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. Voir également ci-dessous.
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et XXVIII, comme il appert par un pappier faisant mention desdictes receptes, qu’il ait laixier au recepvour, rabatus toutes les mises qu’il ait fait oudict tempz, comme il appert par ledict papier, on quel sunt contenues les mises et receptes de II ans. Lequel papier est esté compté et vereffier en la presence de Jehan Denix, secretaire de mondict signour, apres lesdictes mises rabatues IIIIxx et XIII florins III deniers, que vallent 62 l. 3 d88.
Les recettes de cire ont ici été converties en argent, ce qui facilite à la fois leur transport, leur utilisation par le duc, ainsi que la comptabilité finale du receveur. Tout comme auparavant, le prévôt s’est présenté à Nancy devant une commission composée, entre autres, d’un secrétaire ducal, pour obtenir quittance de sa gestion pour les deux années écoulées. Mais ensuite, il a reversé les excédents dans la caisse du receveur qui les a intégrés dans la liste des recettes du bailliage de Nancy. Le système financier de l’administration ducale se centralise et se hiérarchise donc progressivement. Les revenus de la principauté lorraine conservent, eux, un aspect encore largement archaïque. Les comptes des bailliages de Nancy et des Vosges, tout comme ceux de la châtellenie de Dieuze, rassemblent pour l’essentiel des recettes domaniales traditionnelles : tailles, gardes, cens, corvées, tonlieux, banalités, droits de bourgeoisie et de succession, redevances des confréries, vente d’offices, amendes, etc89. Elles varient sensiblement d’une année sur l’autre90. Par le biais de la documentation cependant et en fonction des aléas de la conjoncture politique régionale et internationale, d’autres sources de profit apparaissent pour le duc de Lorraine. Il faut prendre en considération les pensions reçues de la part des princes et des villes, au premier rang desquels le duc de Bourgogne et la cité de Metz91. À cela s’ajoute aussi l’argent des rançons extorquées sur les hommes capturés au cours des conflits qui ont émaillé le règne de Charles II. De ce point de vue, les succès n’ont pas manqué, que ce soit contre les quatre seigneurs, le duc de Bar ou le duc de Berg92. Nous avons déjà été amené à relativiser l’importance des sommes 88 A.D.M.M. B 7234, f. 19r. De la même façon, les recettes de cire des prévôtés d’Amance et de Gondreville sont récupérées par le receveur (Ibid. f. 82v). Néanmoins, la plupart des celleriers et des prévôts continuent de profiter de ce qu’ils rendent leurs comptes à Nancy pour remettre directement au duc le produit des redevances seigneuriales. 89 Toutes les ressources ducales proviennent de taxes de nature féodale : A.D.M.M. B 1919, 1920, 1921, 5241, 5242, 7232, 7233 et 7234. La comparaison avec les principautés du royaume de France laisse apparaître le retard pris par le duché de Lorraine en la matière. 90 Le montant des recettes du bailliage des Vosges passe ainsi de 974 l. 2 s. 9 d. en 1424-1425 (A.D.M.M. B 1919) à 1 712 l. 7 d. en 1426-1427 (A.D.M.M. B 1920). Les revenus du bailliage de Nancy, quant à eux, s’élèvent à 2 540 l. 8 s. en 1420-1421 (A.D.M.M. B 7232), à 2423 l. 3 s. 8 d. en 1424-1425 (A.D.M.M. B 7233), puis à 3189 l. 4 s. 12 d. (sic) en 1427-1428 (A.D.M.M. B 7234 : seule la période du 30 mars 1427 au 30 mars 1428 est comprise dans ce total, les six mois suivants sont laissés de côté). 91 Jean sans Peur accorde à Charles II une rente annuelle de 2 000 francs pendant dix ans (cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4). L’alliance avec les Messins lui rapporte également chaque année la somme de 500 livres entre 1406 et 1423 (cf. ci-dessus, chapitre 6). Le duc de Lorraine monnaie enfin très chèrement sa bienveillance envers les villes alsaciennes jusque dans les années 1420 (cf. ci-dessus, chapitre 6). Tout cela ne représente cependant qu’une faible part des ressources ducales et ne permet pas de pallier l’absence de fiscalité. 92 Voir ci-dessus deuxième partie, chapitre 4 et chapitre 5.
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acquises par le duc à l’issue de la bataille de Champigneulles93. Si l’on additionne les 20 000 francs alors obtenus aux 1 900 francs versés par Richard d’Apremont en 1412, aux 11 000 écus exigés du duc de Bar en 1414 et aux 40 000 florins payés par le duc de Berg en 1423, on arrive à un total d’environ 60 000 à 70 000 francs94. Sans être négligeables, ces montants ne représentent pour Charles II qu’un revenu d’appoint, si on le compare aux 50 000 francs que rapportait annuellement le duché de Lorraine95. Le duc ne bâtit donc pas sa fortune sur les victoires militaires, à la différence par exemple d’un Gaston Fébus96. Il paraît pourtant aussi à l’aise que ce dernier, financièrement parlant. Les recrutements de mercenaires auxquels il procède à plusieurs reprises le prouvent97. Il parvient en effet à régler ses dépenses militaires et à noyauter une grande partie de l’évêché de Metz sans engager le domaine ducal et sans recourir à l’impôt98. L’état de la documentation ne permet pas d’acquérir une vue d’ensemble des finances ducales, mais les raisons d’une telle situation ne font guère de doute. Ce sont les forêts, les mines d’argent et surtout les salines du duché de Lorraine qui lui procurent des bénéfices si importants99. Dès lors, Charles II n’éprouve pas le besoin d’augmenter les prélèvements. Dans la mesure où ses ressources lui permettent d’assouvir ses ambitions, il a au contraire tout à gagner à s’épargner les difficultés politiques que ne manquerait pas de créer la mise
93 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. Nous avons estimé à 20 000 francs maximum le montant des profits réalisés par Charles II à cette occasion. 94 Les sources attestent que le duc de Lorraine a effectivement touché les rançons dues par Richard d’Apremont (BnF Col. Lor., no 6, f. 105) et par le duc de Berg (A.D.M.M. B 5242, f. 11r). Il avait également reçu 4 500 écus de la part d’Édouard de Bar dès 1414 (A.D.M.M. B 532, no 54). Enfin, à son arrivée au pouvoir, le cardinal de Bar, soucieux de rétablir la paix avec Charles II, a fini par régler une grande partie des sommes qui demeuraient impayées (A.D.M.M. B 523, nos 317 à 389). Tout laisse donc à penser que le total de 11 000 écus prévu en 1414 a bien été atteint. Si l’on tient compte des rapports de conversion entre ces différentes monnaies [à l’époque, trois florins = deux francs (A.D.M.M. B 1919 à 1921 et B 7232 à 7234), et un écu = 1,25 francs (B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., p. 124-126)], on obtient un montant global d’environ 70 000 francs. 95 Ils se répartissent en effet sur une période allant de 1408 à 1423. Les rançons ont donc rapporté au duc un peu moins de 5 000 francs par an en moyenne et augmenté ses ressources d’environ 10 %. Voir également ci-dessus première partie, chapitre 1. 96 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn…, op. cit., p. 88-92. L’auteur estime que les succès de Gaston III lui ont permis d’obtenir environ 600 000 florins de rançon de ses différents prisonniers et qu’il a retiré également 800 000 florins des alliances diplomatiques qu’il a conclues. Toute la politique de Fébus repose donc sur cet apport financier, quinze fois supérieur à celui du duc Charles II. 97 Il en coûta par exemple 13 636 florins à Charles II pour régler la solde des troupes levées contre le duc de Bar en 1413 et indemniser ses hommes des pertes subies au cours des combats. Cf. Annexe 19. 98 A.N. KK 1123, layette mariage des ducs de Lorraine, no 20. Au cours de son règne, le duc de Lorraine n’a effectué qu’une seule mise en gage importante : le 10 juin 1426, les prévôtés d’Arches, Bruyères, Saint-Dié et Raon-l’Étape servirent de garantie au paiement de la dot de 40 000 florins qu’il avait attribuée à sa fille pour son mariage avec le marquis de Bade. Mais cet acte permettait aussi de concrétiser territorialement l’alliance des deux princes contre les villes alsaciennes et l’Électeur palatin et il ne devait entrer en vigueur qu’après la mort de Charles II. Voir ci-dessus troisième partie, chapitre 6. 99 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1.
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en place d’un système fiscal étendu à toute la principauté100. Cela explique pourquoi la modernisation financière du duché de Lorraine affecte essentiellement les structures administratives et pas la nature des revenus princiers. La seule modification intervenue dans ce domaine au cours du règne de Charles II demeure limitée à la capitale ducale et concerne la levée d’une taxe destinée à rétribuer des soldats professionnels chargés d’assurer la sécurité de Nancy et de remplacer le service de guet auparavant effectué par les bourgeois101. Peut-on y voir l’embryon d’une fiscalité ? Peut-être102, mais elle ne touche que la ville la plus marquée par le processus d’étatisation en cours dans la Lorraine ducale. L’essentiel des ressources de Charles II conserve un caractère féodal : le passage du tribut à l’impôt n’a pas encore été réalisé103. L’amélioration des techniques financières du duché de Lorraine se traduit donc par l’apparition de quelques procédures nouvelles. L’archivage des comptes nous paraît ainsi révélateur d’un changement des mentalités allant dans le sens d’une acceptation progressive de l’État. L’aisance financière de Charles II ne le pousse toutefois pas à accélérer le mouvement. Dans le domaine politique en revanche, la crise de succession qui se profile à l’horizon suscite une évolution beaucoup plus décisive. La création des États-Généraux ?
Pour imposer sa fille Isabelle comme héritière, Charles II doit obtenir le soutien de la plus large partie de la société politique du duché de Lorraine104. Cette situation le pousse à intensifier le dialogue avec les forces vives de sa principauté. L’accord de la noblesse, indispensable, s’avère à lui seul insuffisant. Il faut aussi impliquer le clergé et la bourgeoisie de la capitale dans les décisions prises par le traité de Foug, qui prévoyait d’ailleurs que mondit seigneur de Lorraine fera faire serment a tous les nobles, feaux, vassaux, hommes, subjets et communautez des bonnes villes de tous sesdits pays, de tenir et obeir apres son trespas a madicte mademoiselle et a son mary a cause d’elle, comme a leurs droicturiers seigneur et dame […]105
100 B. Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles : les États, op. cit., p. 173-176. 101 A.D.M.M. H 2675, f. 26, daté d’avril 1404. La portée de cette décision est analysée plus en détail ci-dessous dans le présent chapitre. 102 M. le Mené, « Conclusion » in Genèse de l’État moderne : prélèvement et redistribution, op. cit., p. 239241. L’impôt se définit avant tout par son caractère régulier et obligatoire. Il est également légitimé par le profit qu’en retire l’ensemble de la communauté. Ces critères sont remplis dans le cas qui nous intéresse, puisque tous les bourgeois de Nancy sont appelés à contribuer au financement de la garnison, pour le « prouffit commun de ladicte ville » (A.D.M.M. H 2675, f. 26). 103 M. Corbier, « De la razzia au butin. Du tribut à l’impôt. Aux origines de la fiscalité : prélèvements tributaires et naissance de l’État », in L’État moderne : genèse : bilan et perspectives, op. cit., p. 95-107. 104 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. 105 Cf. Annexe 14, art. 3. Cet engagement reprenait mot pour mot celui du cardinal-duc de Bar dans l’article précédent. Les villes sont ainsi tenues de donner individuellement leur accord à l’union des deux principautés, mais cela n’entraîne pas automatiquement la reconnaissance de l’appartenance de tous les bourgeois du duché de Lorraine à un corps constitué bénéficiant de privilèges politiques clairement définis.
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Charles II renouvela solennellement cette promesse le 10 octobre 1420, deux semaines avant le mariage d’Isabelle avec René d’Anjou106. Cette participation des villes à la vie politique de la Lorraine ducale ne constituait pas une nouveauté absolue, puisque dans son premier testament, le duc demandait à ce que son frère Ferry prêtât serment devant les vassaux du duché et « chascune de noz bonnes villes » que « bonnement et loyalment il gouvernerait nostre payx » au cas où la régence lui serait confiée107. Il convient toutefois de remarquer que le terme d’« état » n’est employé dans aucun de ces actes et que l’on ne demande pas au clergé de cautionner les règles successorales adoptées à cette occasion. Il n’est pas non plus prévu d’assemblées réunissant nobles et bourgeois dans un même lieu. On ne peut donc pas encore parler d’États-Généraux, puisque ceux-ci nécessitent la délibération commune des trois ordres reconnus dans la société de l’époque. Les revendications d’Antoine de Lorraine allaient cependant accélérer les choses. Si, dans son second testament, Charles II se contentait toujours d’évoquer « noz chevalliers, escuyers et nos bonnes villes108 », onze mois plus tard en revanche les nobles mentionnaient le consentement des trois Estais du dict duchié, princerie et seigneurie de Lorrainne, c’est assavoir des prelatz d’Ecglise, des gentisz hommes, des bourgois et des bonnes villes du dict duchié, princerie et seigneurie de Lorrainne, ou la plus grant partie des dis trois Estais109.
Entretemps, le comte de Vaudémont avait refusé de renoncer à ses droits sur le duché et le duc avait déclenché contre lui une guerre à l’issue incertaine110. La corrélation entre ces événements et la première allusion explicite aux États de Lorraine apparaît de manière évidente. La lutte entre Charles II et Antoine marque donc bien la naissance des États-Généraux dans la principauté ducale. Un doute subsiste cependant : la reconnaissance d’une institution implique-telle son existence effective ? Deux hypothèses contraires peuvent être avancées. La première, défendue par Émile Duvernoy, constate qu’aucun document ne prouve la tenue d’États-Généraux dans le duché de Lorraine avant l’année 1435, sous le règne de René d’Anjou. À la mort de Charles II, toutes les conditions étaient remplies 106 A.N. K 1185. Il s’agit d’une simple recension abrégée figurant dans un mémoire du xviie siècle. Elle paraît toutefois très crédible. Ce faisant, Charles II se conforme en effet aux garanties exigées de lui par Louis de Bar dans le texte de l’accord conclu à Foug le 20 mars 1419. Cf. Annexe 14, art. 7 à 15. 107 Cf. Annexe 12, art. 8. Par ailleurs, dès 1353, le nouveau gouverneur du duché de Lorraine Eberhard de Wurtemberg avait confirmé toutes les « franchises » et « libertés » dont disposaient les « bourgeoisies et communes » (B.M. Nancy, Ms 189, f. 41-43). Mais il faut ici distinguer « la concession de droits et l’exercice de ces droits » (É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 119). 108 Cf. Annexe 15, art. 38, en date du 11 janvier 1425. Le texte précisait cependant qu’en cas de décès prématuré d’Isabelle et de Catherine de Lorraine, la noblesse et les villes désigneraient d’un commun accord la personne qui recevrait le duché en héritage. Si par conséquent la place de la bourgeoisie se trouvait renforcée, les prérogatives du clergé semblaient, quant à elles, délibérément ignorées. 109 Cf. Annexe 16, le 13 décembre 1425. La formulation ne souffre plus cette fois d’aucune ambiguïté : les « états » du duché de Lorraine, au nombre de trois, sont amenés à prendre part aux décisions concernant l’avenir de la principauté. Il s’agit donc bien à proprement parler d’États-Généraux. 110 Voir ci-dessus deuxième partie, chapitre 5.
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pour leur apparition, mais seule la crise consécutive à la défaite de Bulgnéville et à la captivité du nouveau duc joua le rôle de catalyseur indispensable à leur mise en place111. À l’inverse, Jean-Luc Fray s’appuie sur le texte du premier testament de Charles II pour placer la création des États-Généraux à la fin du xive siècle ou au tout début du siècle suivant112. Que faut-il en penser ? Plusieurs points sont acquis : lorsqu’il a fallu établir les règles coutumières de la succession au duché de Lorraine, en décembre 1425, seuls les vassaux ducaux ont été convoqués et ont donné leur avis113. Par ailleurs, les serments auxquels il est fait allusion en août 1407, octobre 1420 et janvier 1425 ne nécessitent pas de réunir les trois ordres dans un même endroit : ils peuvent fort bien être prêtés de manière séparée par chacune des bonnes villes du duché114. Il semble donc difficile d’affirmer que les États-Généraux de Lorraine ont vu le jour au cours du règne de Charles II, en l’absence de tout acte y faisant expressément référence. Ce qui paraît certain en revanche, c’est que le processus conduisant à leur naissance germe dans les premières décennies du xve siècle et que ces assemblées sont à cette date en cours d’institutionnalisation. La formation de trois états dans la Lorraine ducale revêt une importance toute particulière. Comme partout en effet, ils représentent un relais indispensable à l’intégration des différentes catégories sociales dans l’État et permettent la constitution d’une communauté à partir de laquelle peut se construire et se développer un sentiment identitaire régional115. Ils fondent également les règles du dialogue entre le prince et la société politique lorraine sur des bases nouvelles. La conception patrimoniale du pouvoir ducal cède ainsi progressivement le pas devant les notions de bien et d’intérêt communs. L’émergence des États-Généraux dans une principauté correspond donc inévitablement à une étape essentielle de la transition entre l’État féodal et l’État moderne116. Comme toujours, il faut constater le retard considérable du duché de Lorraine par rapport à ses voisins, qu’ils soient français ou impériaux. La plupart des assemblées 111 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 119-120. 112 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 239. 113 Cf. Annexe 16. Cent quarante six d’entre eux (soixante-et-un du bailliage d’Allemagne et quatrevingt-cinq des bailliages de Nancy et des Vosges) ont attesté que la coutume du duché de Lorraine prévoyait la transmission en ligne féminine et qu’à ce titre ils recevraient René d’Anjou comme duc, en raison de sa femme Isabelle, à la mort de Charles II. La bourgeoisie lorraine en revanche n’a jamais été consultée. 114 Cf. Annexe 12 et Annexe 15, et A.N. K 1185. En 1362 par exemple, peu de temps après son émancipation, Jean Ier se rendit successivement à Saint-Dié (A.D.V. G 250, no 22), Saint-Nicolas de Port (A.D.M.M. B 919, no 6), Moyenmoutier (A.D.V. 1 H 1) et Étival (A.D.V. 17 H 6) et il confirma ou renouvela leurs privilèges. Il reconnaissait ainsi les droits de la bourgeoisie et du clergé, sans pour autant procéder à la tenue d’une assemblée d’états. 115 B. Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles : les États, op. cit., p. 229-243. 116 B. Diestelkamp, « Lehnrecht und spätmittelalterliche Territorien », art. cit., p. 86-94, montre que l’« état » nobiliaire regroupe presque exclusivement les vassaux du prince. Les États-Généraux ou Landtage proviennent donc d’une transformation de la vieille notion de conseil féodal et de son extension au clergé et à la bourgeoisie, tout comme l’État moderne plonge ses racines et trouve son origine dans la féodalité.
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d’états instituées dans les territoires allemands datent de la seconde moitié du xive siècle et connaissent leur apogée dans le premier tiers du xve siècle117. Une fois de plus, il n’y a guère que le Palatinat dont le rythme corresponde à celui de la Lorraine ducale. Peut-être même l’évolution y est-elle encore plus lente118. Mais ces disparités chronologiques ne s’expliquent pas tant par l’archaïsme de telle ou telle région que par les aléas de la conjoncture politique. Les crises, successorales ou financières, jouent toujours un rôle décisif dans le développement des États-Généraux. Ils ne tiendront qu’une place modeste dans le Palatinat qui reste à l’abri de telles secousses pendant la majeure partie du xve siècle119. Il en va de même pour le duché de Lorraine jusqu’à la mort de Charles II. Mais la gravité de la situation dans les premières années du règne de René d’Anjou fera alors de cette institution l’un des principaux organes de gouvernement de la principauté120. L’amélioration des techniques financières et l’apparition des États-Généraux témoignent donc du renforcement des structures administratives de la Lorraine ducale au début du xve siècle. La société politique lorraine abandonne peu à peu les réticences qu’elle avait jusqu’à présent toujours manifestées face à la croissance de l’État. Cette acceptation d’un modèle jusqu’alors considéré avec méfiance traduit-elle une forme de résignation et d’accoutumance à son égard, ou révèle-t-elle les nouvelles influences qui s’exercent désormais dans le duché ? Le rôle du Barrois dans l’évolution du duché de Lorraine
Même avec la folie de Charles VI et le déclin de l’autorité royale, la pression française sur la Lorraine ne s’est guère relâchée au début du xve siècle. Louis d’Orléans et les ducs de Bourgogne ont en effet pris le relais du roi, tout en exportant la guerre civile dans la région. Et les Armagnacs, si violemment combattus par Charles II, étaient porteurs du même modèle étatique que les ducs de Lorraine refusaient depuis le début du règne de Jean Ier. Dès lors, on ne s’explique pas vraiment pourquoi Charles II aurait fini par adopter dans ses États les méthodes de gouvernement préconisées par ses adversaires et ce, au moment où leurs positions dans les territoires situés entre
117 R. Folz, « Les assemblées d’États dans les principautés allemandes (fin xiiie–début xvie siècles) », art. cit., p. 183-184. Par leurs assemblées régulières et par la création de commissions pour la défense de leurs intérêts, [les Stände] [états] sont devenus une puissance avec laquelle le prince avait à compter, d’autant plus qu’ils disposaient de la force militaire et de l’argent ». Jamais en Lorraine les états n’obtiendront de telles prérogatives. 118 H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate in the fifteenth century, op. cit., p. 189-195. Dans la première moitié du xve siècle, les Électeurs acceptent l’intervention croissante des nobles dans les affaires de la dynastie et instituent à plusieurs reprises des conseils de régence qui se muent peu à peu en états avec l’adjonction des prélats et des bourgeois installés dans la principauté. Mais il faut attendre 1451 pour que les représentants de la noblesse et du clergé soient solennellement convoqués et 1505 pour que la plupart des villes participent à ces assemblées. 119 Ibid., p. 198. Aucun conflit violent n’a éclaté au sein de la famille régnante. Les dangers de partition, les régences, les minorités ont existé, mais les Électeurs sont toujours parvenus à maintenir fermement la décision entre leurs mains, même lorsque des assemblées ont été réunies. 120 R. Parisot, Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 340.
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Meuse et Rhin étaient pratiquement réduites à néant. Il paraît également impossible que l’arrivée de René d’Anjou à la cour de Nancy ait pu sensiblement modifier la donne, car ce dernier reste sous la férule de son beau-père jusqu’à ce qu’il décide de rallier le parti de Charles VII en 1429. Il faut donc rechercher d’autres facteurs à l’origine de l’étatisation progressive de la principauté lorraine au cours de la dernière décennie du règne de Charles II. Le duché de Bar semble avoir joué un rôle décisif. Il est vrai qu’il dispose en la matière d’une avance considérable sur son rival. L’acte par lequel le cardinal Louis de Bar cède son duché à son fils adoptif René d’Anjou le 13 août 1419 est passé « en la presences des gens des Trois Estats de nostre dict duché, aujourd’huy assemblez pour ceste cause en ceste nostre ville de sainct Mihiel121 ». Les États-Généraux du Barrois précèdent donc d’une quinzaine d’années ceux du duché de Lorraine, où la première mention explicite des trois ordres intervient dans un document relatif à l’application de l’accord conclu à Foug. Cela ne relève certainement pas du hasard. Les difficultés de sa succession n’ont pas suffi à elles seules pour pousser Charles II à solliciter l’appui officiel des représentants de sa principauté. L’exemple du duché de Bar, lui ayant montré les bénéfices qu’il pouvait retirer d’un tel procédé, l’a sans doute amené à envisager la possibilité de réunir une assemblée d’états et a peut-être contribué ainsi à accélérer la mise en place de cette institution dans la Lorraine ducale. Une autre concomitance apparaît également entre le traité de Foug et le renforcement des structures étatiques du duché de Lorraine. Le 24 octobre 1420, le mariage de René et d’Isabelle confère à Charles II la régence du Barrois. Or, le jour de Pâques 1421, Mengin Drouin, receveur des bailliages de Nancy et des Vosges, clôture le compte de l’année écoulée et, pour la première fois, le fait déposer dans la tour du Trésor des chartes de Nancy. C’est à partir de cette date, nous l’avons vu, que la pratique de l’archivage se répand peu à peu dans le duché de Lorraine et que des comptes plus nombreux commencent à être conservés122. Il y a là aussi tout lieu de croire que le gouvernement de la principauté barroise a permis à Charles II de se familiariser avec les méthodes de gestion de ce duché et d’en apprécier l’efficacité. La lettre qu’il envoie aux membres de la Chambre des comptes de Bar à peu près à la même époque en fournit d’ailleurs un témoignage exemplaire123. La modernisation
121 Cité par É. Duvernoy, « Documents sur les débuts de René d’Anjou dans les duchés de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 59. Par ailleurs, dès le milieu du xive siècle, deux réunions avaient eu lieu, la première à Clermont-en-Argonne, en 1352, et la seconde à Saint-Mihiel, deux ans plus tard, « pour ordener l’estat dou paiis, où li gentilhomme et bourgeois de la contey estient mandei » (V. Servais, Annales du Barrois, op. cit., t. I, p. 3, 24). Mais aucun membre du clergé n’avait participé à ces deux assemblées. 122 A.D.M.M. B 7232. Le compte tenu par Arnoul Wisse pour la châtellenie de Dieuze commence, quant à lui, dès 1419, mais il ne se termine qu’en 1423 (A.D.M.M. B 5241). Il n’a donc été versé aux archives ducales qu’après celui de Mengin Drouin. Voir également ci-dessus dans le présent chapitre. 123 A.D.M.M. B 523, no 367. Il s’agit d’un courrier leur demandant de lever dans la prévôté de Bar une somme de 800 florins pour dédommager la famille du Fay des pertes qu’elle avait subies au cours de la guerre menée par le duc de Lorraine contre Édouard de Bar entre 1412 et 1415.
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de l’administration lorraine doit sans doute beaucoup à la symbiose qui s’établit avec le voisin barrois à partir de 1420. Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à ce que la société politique lorraine montre une moins grande réticence à accepter l’influence du Barrois plutôt que celle du Royaume. Cette principauté lui présente en quelque sorte une version hybride de l’État moderne, par conséquent beaucoup moins menaçante pour ses privilèges et plus conforme à sa culture politique. La taille équivalente des deux duchés, leur appartenance à une même aire géographique, l’alliance des deux dynasties princières, les liens matrimoniaux entre les deux noblesses, tout concourt à rapprocher les serviteurs de Charles II de ceux du duc de Bar. Les hommes du roi au contraire leur sont étrangers, tant par leurs origines que par leurs mentalités124. L’union des principautés de Bar et de Lorraine n’a donc pas pour seule conséquence une modification de l’équilibre des forces sur l’échiquier politique régional125. Elle compte aussi pour beaucoup dans l’étatisation progressive du duché de Lorraine tout au long du xve siècle. Les progrès de l’État dans la Lorraine ducale à la fin du règne de Charles II se manifestent donc à travers de nombreux exemples, pris dans les domaines judiciaire, militaire, financier ou politique. Toutefois, ils ne se répartissent pas de manière équitable sur l’ensemble du territoire ducal et concernent essentiellement la capitale, Nancy. Nancy : le nouveau visage d’une capitale
Cette partie devait être amplifiée et déplacée dans le chapitre supplémentaire (9) que Christophe Rivière entendait consacrer à la mise en scène du pouvoir princier. Nancy apparaît en effet comme le siège de toutes les innovations administratives ou institutionnelles qui touchent le duché de Lorraine dans les derniers siècles du Moyen Âge. Elle peut aussi être définie comme une garnison financée par l’impôt. En avril 1404, Charles II remplaça l’ancien service de guet, auquel les bourgeois de Nancy étaient astreints, par une contribution destinée à financer une garnison de soldats professionnels chargés d’assurer la garde nocturne de la ville126.
124 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 2. 125 Cf. ci-dessus troisième partie, chapitre 6. 126 A.D.M.M. H 2675, f. 26 : « Nous Charles, duc de Loherenne et marchis, faisons savoir a tous que nous, desirant que nostre ville de Nancey soit bien wardée et waultié chascune nuit, pour ce que nous et noz gens y puissiens estre et demourer seurment touteffois qu’il nous plairait et que besoing serait, pour ce aussy que plussieurs de noz personnes et habitans de nostre dicte ville de Nancey nous ont fait remonstres que, pour icelle warder et waultier de nuit, il soit de necessitei et vaulroit mieulx, pour le prouffit commun de ladicte ville, que certaines bonnez personnes fuissent lowés chascun an, tant qu’il nous plairoit, et que l’argent que lesdicts waites waigneroient fuit prix et levéz chascun an a deux termes sur chascun conduit demorant en ladicte ville de Nancey, et sur ceulx aussi qui ont leurs maisons seans en ladicte ville de Nancey, reservés et mis fuer ceulx qu’il nous plairoit, Nous, ehus consideration aux choses dessus dictes, nous plait et volons que, par l’ordonnance de nostre baillif de Nancey, les dites waites se mectent sus tant qu’il nous plairait, de tel nombre et sy souffisant personnes comme il plairait à nostre dict baillif, pour bien justement et loyaulment warder et waitier
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Cette taxe présente toutes les caractéristiques de l’impôt, au sens moderne du terme. La taxation étatique, régulière, obligatoire, fonde sa légitimité sur un besoin précis, alors que le prélèvement féodal est au contraire extorqué en fonction d’un rapport de forces127. Toutes ces conditions sont ici remplies, puisque l’argent sera « prix et levéz chascun an a deux termes » « pour le prouffit commun de ladicte ville ». Comme toujours, la guerre se trouve à l’origine de l’impôt, qui répond à la nécessité de renforcer la sécurité des Nancéiens128. Comme souvent également, la mise en place d’une fiscalité contraint le prince à obtenir le consentement de ses sujets129. À en croire le texte, « plussieurs de noz perdonnes et habitans de nostre dicte ville de Nancey » ont eux-mêmes proposé l’instauration de cette nouvelle contribution. Si le dialogue entre le duc et les bourgeois ne prend pas une forme institutionnelle, il n’en modifie pas moins fondamentalement la nature des rapports que Charles II entretient avec la communauté de Nancy : ceux-ci reposent désormais sur la reconnaissance mutuelle des droits et des devoirs de chacun, même si la domination seigneuriale n’est aucunement remise en question. Les exemptions dont bénéficient les nobles, les clercs et les membres de l’hôtel ducal ne diminuent en rien la portée de cet acte : elles correspondent en effet à des faveurs personnelles, et non pas à des franchises statutaires, et concernent partout les mêmes catégories sociales130. Il ne faut certes pas s’exagérer l’importance d’une décision qui ne s’applique qu’à la capitale de la principauté lorraine131. Mais elle représente néanmoins le remplacement
de nuit nostre dicte ville de Nancey, et que l’argent pour paier lesdictes waites soit prix et levéz par ung ou deux citain, commis sur chascun conduict de ladicte ville, et sur ceulx aussy de deffuer qui ont leurs maisons en ladicte ville, comme dit est. Saulf et reservéz tous nos chapellains de sainct George, les prestres de Nancey, tous ceulx que sont de nostre hostel, tous les nobles gens qui chevaulchent demorant à Nancey, et lesdicts clers de Nancey qui usent de leur clergie, et non aultres. En signe de veritei nous avons fait mectre nostre seel pendant a ces presentes lettres, que furent faictes le mardi apres la sainct George, l’an mil IIIIc et quaitre ». La garde des remparts de Nancy était auparavant assurée à la fois par les bourgeois et par certains vassaux du duc de Lorraine ( J.-L. Fray, Nancy-leDuc, op. cit., p. 174). La réforme de Charles II doit également être mise en parallèle avec l’évolution du recrutement de l’armée ducale, dans laquelle les mercenaires soldés tiennent une place de plus en plus grande (cf. ci-dessus dans le présent chapitre). 127 J.-Ph. Genet, « Introduction », in Genèse de l’État moderne : prélèvement et redistribution, op. cit., p. 7-12. Même s’il découle souvent de l’auxilium que les vassaux doivent à leur suzerain, l’établissement d’un impôt suscite un réaménagement complet du champ du politique et une rupture radicale avec les structures de la féodalité. 128 La date de ce document coïncide avec la montée des tensions au sein de l’espace lorrain (cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4). Par ailleurs, les nécessités de la défense du territoire fournissent au prince une justification idéale à la levée de taxes nouvelles (M. Le Mené, « Conclusion », in Genèse de l’État moderne : prélèvement et redistribution, op. cit., p. 239-241). 129 J.-Ph. Genet, « L’État moderne : un modèle opératoire ? », art. cit. 130 B. Chevalier, « Fiscalité municipale et fiscalité d’État en France du xive à la fin du xvie siècle… », art. cit. Dans presque toutes les principautés, le prince accorde une exonération fiscale plus ou moins complète à la noblesse et au clergé. C’est le cas, par exemple, du Palatinat. H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate in the fifteenth century, op. cit., p. 107-113. 131 M. Corbier, « De la razzia au butin. Du tribut à l’impôt. Aux origines de la fiscalité : prélèvements tributaires et naissance de l’État », art. cit., p. 97-98. Le duché se trouve de ce point de vue dans une situation très particulière. D’ordinaire en effet, la capitale est plutôt privilégiée par rapport à l’espace pacifié qui l’entoure, sur lequel repose le gros de la charge fiscale, tandis que les régions frontalières,
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d’une obligation militaire de type féodal par un prélèvement financier d’ordre fiscal et constitue en cela un indice supplémentaire de l’étatisation du duché de Lorraine. Un pas est franchi par rapport à la fin du xive siècle132, même si l’échelle des changements demeure encore très restreinte. Manifestement, les signes de la genèse de l’État dans la Lorraine ducale apparaissent d’abord à Nancy. Le visage et le statut politique de la ville évoluent d’ailleurs profondément sous le règne de Charles II. Quelques jours seulement après la mort de Charles II, la Chronique de Lorraine relate l’entrée solennelle de René d’Anjou à Nancy ; elle marque la prise du pouvoir par le nouveau duc133. Pareille cérémonie avait-elle déjà eu lieu auparavant ? Plusieurs indices permettent de le supposer. Il semble que les chanoines de Saint-Georges aient conservé pendant fort longtemps les procès-verbaux des entrées de Jean Ier et de Charles II. La charte de fondation de la collégiale, promulguée par Raoul en 1339, contraignait d’ailleurs ses successeurs à prêter serment de respecter les privilèges de cette église à leur avènement134. Enfin, depuis assez longtemps déjà Nancy faisait figure de capitale incontestée de la principauté ducale135. Dès le xive siècle, la ville tenait donc une place importante dans le rituel d’intronisation des ducs de Lorraine. Faut-il en conclure que l’investiture de René d’Anjou se conforme en tous points à des règles déjà bien établies et réputées intangibles ? Contentons-nous pour le moment de constater que les circonstances de la succession de Charles II renforcent le rôle de Nancy comme siège de la légitimité ducale. C’est le sens qu’il faut donner à la démarche accomplie par Antoine de Lorraine lorsqu’il se présente devant la capitale pour revendiquer l’héritage du duché, en mars 1431136. Manifestement, il faut tenir Nancy pour être véritablement considéré comme duc. En ce sens, la situation diffère profondément de celle du siècle précédent. Non seulement les sources insistent bien plus sur la ville qu’elles ne le faisaient auparavant, mais elles relèguent presque aux oubliettes le monastère de Remiremont. Jusqu’à Charles II en effet, le pouvoir des ducs se fondait essentiellement sur l’inféodation par
plus ou moins maîtrisées, parviennent à ne pas payer d’impôt ou à en négocier le montant à la baisse. 132 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. En 1385, l’aide extraordinaire que le duc Jean Ier était parvenu à obtenir de la part des bourgeois de Nancy était limitée à une durée de deux ans, et il lui avait fallu y renoncer par la suite (A.D.M.M. B 834, no 157). 133 L. Marchal (éd.), La Chronique de Lorraine, op. cit., p. 32, passage cité ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. De plus en plus fréquent à la fin du Moyen Âge, ce cérémonial, inspiré de l’accueil réservé aux souverains dans l’Antiquité grecque et romaine, exalte la majesté du prince et constitue par conséquent un signe tangible de l’étatisation d’une principauté. Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., p. 482, article « entrées », écrit par N. Coulet. 134 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 239-240. La perte des documents concernant Jean Ier et Charles II rend malheureusement vaine toute tentative de reconstituer le déroulement de ces cérémonies. Toute la population de Nancy y prit-elle part, ou ne concerna-t-elle que les seuls chanoines de SaintGeorges ? Cette question reste sans réponse. Elle est pourtant essentielle pour savoir si les deux ducs ont fait ou non une entrée solennelle dans leur capitale. 135 Ibid., p. 90 suiv. L’essor de Nancy en tant que capitale du duché de Lorraine commence véritablement avec le règne du duc Raoul, dans les années 1330. 136 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. Tout au long de la guerre de succession en effet, Nancy demeure l’enjeu essentiel de la compétition entre les deux prétendants au trône ducal de Lorraine.
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l’empereur de l’avouerie de cet établissement137. Or, si René se rend dès le 4 mai 1432 dans la grande abbaye vosgienne pour y promettre de défendre son immunité, il n’y retourne plus par la suite et il faudra attendre plus de trente ans pour que Jean II fasse revivre le rituel en vigueur depuis 1295138. Au xve siècle, Nancy a définitivement pris le pas sur Remiremont comme centre principal de l’autorité ducale. Cette évolution traduit à sa manière le passage de la Lorraine ducale du stade féodal au stade étatique. L’affirmation de la souveraineté du duché de Lorraine à partir de 1400 s’accompagne de l’accession de Nancy au rang de capitale et de l’accroissement du rayonnement de la ville sur l’ensemble de la région. La nouvelle stature acquise par Charles II à la fin de son règne propulse également Nancy au rang de centre diplomatique régional, voire international. Dans ce domaine, les premiers changements étaient apparus sous le règne de Jean Ier, lorsque la ville avait reçu plusieurs fois le duc de Bar et accueilli un tournoi ainsi que deux duels judiciaires139. Mais le mouvement s’accélère au début du xve siècle, avec la participation directe de Charles II aux combinaisons matrimoniales et aux conflits du Royaume et de l’Empire. Rencontres, fêtes et spectacles se multiplient dans la capitale ducale et servent de prétexte au déploiement d’un faste de plus en plus grand. Déjà, lors du retour du duc à Nancy en 1393, après son mariage avec Marguerite de Bavière, la Chronique de Lorraine notait que les époux furent receus moult honorablement et fournys de grandes provisions par l’espace de IIII jours, où il fut faict grands esbastements, jostes, tornoys ; danserent les dames et damoyselles. Tous ceulx que ce veoient, grand plaisir prenoient. Quand les IIII jours furent passés, toute la seigneurie du duc de Bavière, dames, damoyselles, speciaulement la mere de la fille, laquelle la recommanda le duc Charles, lequel luy promit de bien et honnestement l’entretenir. Tous commandirent a Dieu le duc et leur fille. Apres, tous despartirent140.
Près de trente ans plus tard, en 1420, les noces d’Isabelle et de René, « faictes en grand triumphe141 », assurent à la capitale du duché de Lorraine une renommée à
137 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 138 B. Puton, « Entrées et serments des ducs de Lorraine à Remiremont », art. cit., p. 29-31. L’auteur attribue ce désintérêt aux guerres extérieures qui occupent en permanence les ducs de la maison d’Anjou. Il est vrai qu’ils séjournent assez peu en Lorraine à cette époque. Mais le fait qu’ils ne rendent aucune visite à l’abbaye n’en témoigne pas moins de la relégation de cette institution au second plan des préoccupations ducales. 139 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. Durant la seconde moitié du xive siècle, Robert Ier de Bar se rend à sept reprises à Nancy, parfois pour plusieurs jours : une semaine en 1362, quatre en 1395. J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 165-166. 140 L. Marchal (éd.), La Chronique de Lorraine, op. cit., p. 8. L’auteur reprend à son compte la légende selon laquelle l’union de Charles II et de Marguerite de Bavière aurait été décidée par le roi Sigismond de Hongrie, auquel le duc de Lorraine était venu prêter main forte contre les Turcs. En réalité, la seule croisade à laquelle Charles II ait participé fut le voyage de Prusse de 1399-1400. Néanmoins, tout porte à croire que le duc Charles se rendit en terre palatine pour y épouser Marguerite. 141 Ibid., p. 23. En dehors des ducs de Bar et de Lorraine naturellement, aucun prince n’assiste à la fête, car le chroniqueur n’aurait pas omis de mentionner leur présence. Or il évoque seulement celle de « plusieurs nobles gens, comtes et barons », sans préciser lesquels.
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laquelle elle n’était guère accoutumée jusqu’alors. Monstrelet lui-même, pourtant habitué à la pompe des ducs de Bourgogne, parle d’une cérémonie célébrée « realment ou chastel de Nansi le duc142 ». En 1424, c’est une nouvelle fois à Nancy que Catherine de Lorraine, la fille cadette de Charles II, s’unit au fils du marquis de Bade « en grande solemnité143 ». Enfin, à l’occasion de la naissance du fils aîné d’Isabelle de Lorraine, le doyen de Saint-Thiébaut note que l’on fit « grand joye en la duchié de Lorreigne et de Bar pour ceste raison, car c’estoit de la plus haulte lignie de la chrestientey144 ». La plupart des chroniqueurs, lorrains ou non, s’accordent donc à reconnaître l’éclat de la cour ducale de Lorraine sous le règne de Charles II. Il convient assurément de garder une certaine mesure. La comparaison avec d’autres principautés amènerait certainement à relativiser le constat que nous venons de faire145. Mais le contraste entre l’époque de Charles II et celle de ses prédécesseurs n’en demeure pas moins très important. Certes, l’accroissement du luxe princier constitue une tendance commune à toute l’Europe occidentale à la fin du Moyen Âge. Mais il participe d’une mise en scène du pouvoir destinée à mettre en valeur la richesse et la puissance de celui qui le détient146. Charles II en a parfaitement conscience lorsqu’il s’efforce, dans la mesure de ses moyens, d’encourager le développement artistique de sa principauté. Il fait ainsi exécuter un reliquaire pour l’église de Saint-Nicolas de Port qui attire des pèlerins en provenance de toute la Lorraine et des royaumes voisins147. Et il manifeste une prédilection toute particulière pour la musique, art qu’il pratiquait
142 L. Douët d’Arcq (éd.), La chronique d’Enguerran de Monstrelet…, op. cit., t. IV, p. 21. Le lignage de René, « frere du roy de Cecile », contraignait Charles II à organiser une fête digne du rang de son gendre. Cela lui permettait également d’affirmer son prestige et de hisser sa maison à la même hauteur que celle d’Anjou. 143 L. Marchal (éd.), La Chronique de Lorraine, op. cit., p. 24. La différence avec l’expression utilisée pour le mariage de René et d’Isabelle (« en grand triumphe ») laisse penser à des festivités cette fois plus modestes. Cela peut correspondre à la réalité. Mais peut-être ne s’agit-il que d’une simple précaution de langage de l’auteur, soucieux de montrer la prééminence d’Isabelle, la sœur aînée. 144 B.M. Nancy, Ms 39, La chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 32. On ne saurait pourtant suspecter le doyen d’exagérer délibérément les choses, étant donné le peu de sympathie dont il témoigne à l’égard de Charles II dans le reste de sa chronique. 145 On pense notamment à la cour de Bourgogne, l’une des plus brillantes d’Europe à la fin du Moyen Âge (voir à ce sujet B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 319-337). Pourtant, malgré l’inégalité des moyens dont disposent Philippe le Bon et Charles II, le faste qu’ils déploient possède exactement la même signification politique. 146 Ibid., p. 319 : « Cette pure entreprise de théâtralisation du pouvoir avait pour but d’impressionner les assistants, d’intimider les adversaires, de rassurer les partisans. Il ne s’agissait pas d’un goût naïf pour l’ostentation mais d’un véritable instrument de propagande politique. Le décor, l’identité et les costumes des participants, le déroulement des cérémonies avaient une signification forte qui n’échappait pas aux spectateurs ». 147 M. Bretagne, « Charles II et le reliquaire de Saint-Nicolas de Port », in MSAL, 1873, p. 336-339. Il s’agit d’un bras d’évêque en argent, renfermant le doigt de saint Nicolas, sur lequel figurent l’écusson des armes de Lorraine et la mention de Charles II. Ce prince est le premier à s’être préoccupé de la décoration de la relique la plus populaire de la région. Tout comme pour la translation des restes de saint Sigebert (cf. ci-dessus troisième partie, chapitre 7), il faut voir dans ce geste une revendication de souveraineté et de prééminence du duc sur tout l’espace lorrain.
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d’ailleurs personnellement, si l’on en croit la tradition148. De fait, il introduit des orgues dans l’église collégiale Saint-Georges et y établit une « chapelle » musicale dédiée à la Vierge, composée de six enfants de chœur et d’un maître de chapelle auxquels sont adjoints peu après plusieurs chantres adultes répartis dans les voix de « ténoriste, haut-contre, bas-contre »149. Le duc de Lorraine ne peut certes pas encore rivaliser avec les rois de France et les ducs de Bourgogne, qui emploient respectivement quinze et vingt-trois chantres en permanence à leur service150. Mais les sources mentionnent à plusieurs reprises les musiciens de Charles II, qui paraissent avoir été assez nombreux151. La personnalité de ce prince fait sortir le duché, et spécialement Nancy, du désert culturel dans lequel il se trouvait depuis le xiiie siècle152. La volonté du duc de Lorraine de se doter d’une capitale à la hauteur de ses ambitions se mesure enfin à la politique d’urbanisme qu’il entreprend à Nancy et qui modifie profondément le visage de la ville. Le 1er juillet 1421, désirant « l’augmentation et agrandissement des ouvraiges et edifices de nostre dicte ville de Nancey », il charge un maître charpentier et un maître maçon d’inspecter les principaux chantiers de la ville153. Jean-Luc Fray a fait le tour de cette question dans son ouvrage sur la capitale
148 P. Desaux, « La musique sacrée à la cour de Lorraine au xve et au début du xvie siècle », Le Pays lorrain, 1998, p. 152-158, ici p. 152. À la suite de beaucoup d’autres, l’auteur affirme que Charles II « possédait assez bien la vocale », sans préciser ses sources. Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 558, assure, quant à lui, « qu’il aimait extrêmement la musique et qu’il avait des musiciens à sa suite. Il aimait aussi la littérature, principalement l’histoire, et il portait toujours dans ses voyages et expéditions Tite-Live et les commentaires de César, et ne passait guère de jours sans qu’il n’en lût quelques feuillets. Souvent en parlant de soi-même, il disait qu’en comparaison de César, il lui semblait n’être qu’un apprenti dans le métier de la guerre ». Si la passion musicale de Charles II paraît avérée, son goût pour la littérature n’est en revanche aucunement confirmé par la documentation. 149 P. Desaux, « La musique sacrée à la cour de Lorraine au xve et au début du xvie siècle », art. cit., p. 152. Cette chapelle, fondée le 19 mai 1421 (A.D.M.M. G 345, liasse 7, no 30), bénéficiait d’une dotation de 160 florins sur les tailles de Lunéville, à prendre avant tous les autres revenus, et de dix quartes de cire sur la prévôté de Nancy. Les membres devaient chanter une messe quotidienne, accompagnée par l’organiste chaque fois que cela était possible. 150 P. Desaux, « La musique sacrée à la cour de Lorraine au xve et au début du xvie siècle, art. cit., p. 152. 151 En 1421, le duc attribue à Coniosse, son ménestrel, une somme de vingt florins sur les tailles de Lunéville (A.D.M.M. B 7232, f. 14v). Le compte de Mengin Drouin pour la période 1427-1428 fait aussi état d’une dépense de trente-deux sous pour un musicien qu’Isabelle de Lorraine avait fait venir à Nancy (A.D.M.M. B 7234, f. 75v). Enfin, l’obituaire du chapitre de Saint-Georges contient une donation faite par « Hannus, menestrel de mons. le duc », mort le 6 février1416 (B.M. Nancy, Ms 353, f. 10). Voir également l’Annexe 20. 152 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 276. Durant le règne de Ferry III en effet, sa femme Marguerite de Champagne, héritière d’une famille de poètes, avait tenté de créer à Nancy un petit foyer littéraire et composé quelques œuvres. Mais la greffe ne prit pas et après sa mort toute production importante disparut à la cour de Lorraine. Ce sont les villes qui fournissent les principaux écrivains lorrains à cette époque. On pense notamment à la tradition historiographique de la cité de Metz. M. Chazan, « L’historiographie médiévale en Lorraine : présentation générale », art. cit. 153 A.D.M.M. B 821, no 36. Il ne s’agit pas seulement d’un vœu pieux puisque le duc de Lorraine constate dans ce même acte que « les ouvraiges de maconnerie et charpenterie que on fait en nostre ville de Nancey s’apperent augmenter et accroistre chascun jour ».
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du duché154. Nous nous contenterons de rappeler les principaux travaux entrepris sous le règne de Charles II. L’ouvrage principal concerne le palais ducal, dont il restaure la couverture et qu’il agrandit en achetant plusieurs maisons en la Neuve-rue155. Quelques années plus tôt, « pour l’aisance et necessitei de nostre hostel, et aussi pour nostre tres grant proffit et utilitei », il en avait également augmenté les dépendances en faisant « faire et ediffier une bowerie et aultres amasonnemens en ung meix seant devant la porte sainct Nicollay de nostre ville de Nancey »156. Le duc de Lorraine s’intéresse aussi aux infrastructures de Nancy. Il fonde un nouvel hôpital, toujours devant la porte Saint-Nicolas157, renforce les remparts158, autorise les boulangers à disposer de leur propre four159, rénove l’équipement du bac de Frouard qui permet aux habitants de traverser la Meurthe160. Peut-être même améliore-t-il la salubrité de la ville161. On le voit, ces transformations nombreuses traduisent le passage de Nancy au rang de capitale d’une principauté modernisée. Mais Charles II n’intervient pas seul. La conjoncture, favorable, incite d’autres institutions urbaines à se lancer elles aussi dans des aménagements plus ou moins importants. Une nouvelle campagne de construction et de décoration commence pour la collégiale Saint-Georges au début du xve siècle : la tour du trésor est rehaussée ; un peintre, Classequin de Zuerbes, y œuvre, sans que l’on puisse connaître la nature précise de ses travaux ; enfin, plusieurs bourgeois de Nancy et un maître d’hôtel de Charles II font cadeau à l’église d’objets liturgiques de grande valeur162. À la même
154 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 176-178. Nous reprendrons pour l’essentiel les propos de l’auteur sur ce point, en modifiant toutefois légèrement l’angle de vue. Ce ne sont pas tant les transformations urbaines qui nous intéressent que le témoignage qu’elles portent sur la mise en place de l’État dans la Lorraine ducale. 155 A.D.M.M. B 7232, f. 4. Le compte tenu par Mengin Drouin en 1420-1421 atteste que toute la production de la tuilerie de Brichambeau a été employée à la remise en état du toit de « l’hostel » et de la halle de Nancy. Les actes d’achats immobiliers datent, quant à eux, de 1425 (A.D.M.M. B 821, no 40). 156 A.D.M.M. G 352, liasse 16, no 8, le 14 avril 1418. L’extension concomitante de la résidence ducale et de ses communs constitue un signe indubitable de l’augmentation du personnel au service de Charles II et du rayonnement accru de la cour de Lorraine. 157 Le second testament de Charles II, le 11 janvier 1425, y fait explicitement référence. Cf. Annexe 15, art. 12. 158 A.D.M.M. B 7234, f. 77v : en 1428, le moulin de l’hôtel ducal est devenu inutilisable, suite à la construction d’un « ouvraige » dans les fossés de Nancy. Le receveur Jean Pariset doit donc louer celui des boulangers de la ville. 159 A.D.M.M. G 358, no 13, le 4 avril 1418. L’acte accorde un revenu annuel de deux quartes de cire aux chanoines de Saint-Georges de Nancy, pour les dédommager de la perte que pourrait représenter pour eux la construction d’un four par les boulangers à proximité du leur, dans le quartier du Bourget. 160 A.D.M.M. B 1921, f. 5v : « Item, paiés pour la reffection de la neif de Frowart, que Dedier Cognée ait descomptés au recepvour ». 161 Une tradition, rapportée par Jean d’Aucy (B.M. Nancy, Ms 81, f. 252, cité par J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 178) puis par Dom Calmet, veut que Charles II ait fait « agrandir la ville de Nancy, et assécher les marais qui étaient entours de ses murs, et qui en rendaient l’air malsain ». Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 558. 162 B.M. Nancy, Ms 353, f. 36 (27 mai 1406 : « Jehan de Merbeche, maistre des escolles de Nancey, et Esseline sa femme. XXX flor., en l’ouvraige de la tour de nostre tresor quant elle fut rehaussée, l’an M IIIIe et VI ») et f. 71 (« le sabmedi après la sainct Andreu M IIIIc et VIII : Classequin de Zuerbes, le peintre. VI flor. »). Voir également J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 191. « Au début du
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époque, le couvent des Prêcheresses et le prieuré Notre-Dame réorganisent leur temporel et procèdent à des réfections plus ou moins importantes163. Les membres de l’entourage ducal ne sont pas non plus en reste. Son frère, Ferry de Lorraine, restaure l’ancien palais du duc Ferry III et y installe son hôtel particulier164. Quelques serviteurs, dont Louvion Barneffroy, construisent ou achètent des maisons à Nancy165. Un véritable quartier administratif se forme, dont on perçoit l’existence à travers les sources. Le 20 mai 1412 par exemple, Vautrin de Rosières et Guillaume de Gabure élisent sépulture au monastère Saint-Rémi de Lunéville et lui donnent pour cela une maison qu’ils « ont acquestei si com ilz dient a Mellard le Fevre de Nancey, et siet celle dicte maison a Nancey devant l’ospital sainct Julien apres la maison Poirat d’Amance secretaire mons. le duc d’une part, et la maison le repcevere Lowyon d’altre part »166. Ainsi Guillaume de Gabure, Poiret d’Amance et Louvion Barneffroy, les trois secrétaires de Charles II, habitent-ils côte à côte. Cette proximité s’explique par la nature de leur charge qui exige leur présence permanente auprès du duc. Mais il en va plus ou moins de même pour la majorité des officiers ducaux. Leur regroupement autour du château confère à cette partie de la ville une physionomie particulière et une grande homogénéité167. En 1431, Nancy conserve par conséquent une taille très modeste, mais elle commence à prendre le visage d’une capitale, de même que le duché ressemble davantage à une principauté. La ville devient le siège incontesté de la légitimité ducale et la résidence privilégiée du duc et de sa cour, ce qui suscite la naissance d’une activité artistique encore inconnue auparavant. Un phénomène similaire se produit également à cette époque pour d’autres principautés en voie d’étatisation, comme le Bourbonnais étudié par André Leguai168. Le règne de Charles II coïncide donc avec le renforcement notable de la souveraineté ducale et avec le début de l’étatisation du duché de Lorraine. Ce mouvement suppose en parallèle, une modification sensible de l’entourage princier et de la culture politique xve siècle, le lieutenant de bailli Simonin III de Nancy offrait de son côté les stalles du chœur et un antiphonaire, le maître d’hôtel Jean de Haroué un missel et un graduel, le valet de chambre Nicolas Batault, un évangéliaire en argent. » 163 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 192-200. L’aspect et les dimensions de ces deux établissements restent très modestes. Mais sous le règne de Charles II et grâce à l’action de dirigeants énergiques, ils se relèvent de la crise des années 1360-1380 qui les avait durement touchés. 164 Ibid., p. 177. 165 Ibid. « Un texte de 1411 fait allusion à la maison que le receveur Lowyon "a fait faire neuve en la rue des juifs " ». (A.D.M.M. H 2640). 166 A.D.M.M. H 1508. Louvion Barneffroy porte ici le titre de receveur, charge qu’il a effectivement exercée pendant quelques années, en 1400, puis entre 1411 et 1413. Mais dans un document daté du 23 novembre 1408, il se présentait déjà comme secrétaire du duc de Lorraine (A.D.M.M. G 363). Sur la carrière de ce personnage, voir ci-dessous dans le présent chapitre, ainsi que l’Annexe 20. 167 Elle possède une tonalité plus nettement aristocratique que le reste de la cité. Presque tous les baillis de Nancy, des Vosges et d’Allemagne et plus de la moitié des conseillers de Charles II possèdent en effet un pied-à-terre dans la capitale, le plus souvent dans les environs du palais ducal. J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 124. 168 A. Leguai, De la seigneurie à l’État : le Bourbonnais pendant la guerre de Cent ans, op. cit., p. 425 et O. Mattéoni, Servir le prince, op. cit.
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féodale de la Lorraine. Comment la noblesse, jalouse de ses prérogatives, peut-elle réagir et s’adapter à cette évolution ? En d’autres termes, assiste-t-on à la remise en cause de la suprématie de la noblesse dans le duché de Lorraine ?
Vers un État contrôlé par la noblesse ? Jusqu’en 1400, la chevalerie lorraine disposait d’une prééminence incontestée à la cour de Nancy. Vue de Paris, cette situation, identique à celle des territoires du sud-ouest de l’Empire, pouvait paraître un rien archaïque. Pourtant, la genèse d’un État plus moderne dans la Lorraine ducale au début du xve siècle traduit l’acculturation relative de la principauté aux mentalités et aux structures politico-administratives du Royaume. Ce processus s’accompagne-t-il de la montée en puissance d’un personnel issu de la bourgeoisie et promu en fonction de ses compétences plutôt que de son ascendance, comme ce fut le cas en France au siècle précédent ? L’évolution de l’entourage ducal
Dans la première partie de cette étude, nous avons analysé l’entourage des ducs de Lorraine dans la seconde moitié du xive siècle. Cela nous a permis de mettre en évidence cinq catégories de serviteurs, classés en fonction de leur appartenance sociale et de leur influence politique169. Reprenant la même démarche prosopographique et méthodologique, nous avons répertorié 185 familles ou personnages gravitant plus ou moins fortement autour de Charles II entre 1400 et 1431170. Elles n’étaient que soixante-quinze entre 1350 et 1400171. Une telle augmentation peut paraître d’autant plus impressionnante qu’elle s’accompagne la plupart du temps d’un nombre de mentions lui aussi beaucoup plus important172. Pour l’essentiel, ce gonflement provient sans doute de l’accroissement de la documentation, lié au développement du recours à l’écrit et de la pratique de l’archivage. S’il s’avère impossible de comparer la fréquence d’apparition des principaux membres de la cour de Nancy entre la fin du xive et le début du xve siècle, le procédé demeure en revanche pertinent à l’intérieur d’une même tranche chronologique. Il permet en effet d’établir une hiérarchie des différents officiers ducaux en fonction de leur plus ou moins grande proximité avec le prince, en privilégiant le nombre d’offices détenus au cours de leur carrière. Ce critère semble en effet plus révélateur de l’importance d’un personnage que les diverses missions qu’il peut remplir pour
169 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. Voir également le tableau reproduit en Annexe 2. – Les principaux serviteurs du duc de Lorraine, leur place à la cour, et l’assise sociale de leur famille. Nous renvoyons également aux explications méthodologiques fournies dans ce chapitre. 170 Voir les listes complètes dans les tableaux reproduits en Annexe 20. 171 Cf. Annexe 2. 172 Durant la seconde moitié du xive siècle par exemple, les seigneurs de Parroy figurent à vingt-neuf reprises aux côtés des ducs de Lorraine et ils sont les plus assidus, alors qu’au cours des trois décennies suivantes, une dizaine de familles environ atteignent ou dépassent ce chiffre.
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le compte du duc. Ainsi s’explique la présence de deux chiffres différents dans les deux dernières colonnes de l’Annexe 20173. Pour bien mesurer les modifications structurelles survenues dans l’entourage de Charles II entre le début et la fin de son règne, il fallait enfin pouvoir aller au-delà des individus et effectuer une comparaison entre les différents types de serviteurs ducaux. Nous avons donc transposé la typologie définie pour l’époque de Jean Ier à celle de Charles II, sans modifier l’appartenance des personnes et des familles qui apparaissaient après comme avant 1400, et nous avons classé à part les nouveaux arrivants, sans préjuger de leur importance sociale ou politique dans le duché de Lorraine. Cette méthode présentait en effet le double avantage de mettre directement en évidence le taux de renouvellement du personnel au service de Charles II et de comparer l’importance respective de chaque catégorie entre la seconde moitié du xive et les trois premières décennies du xve siècle. Nous avons regroupé l’ensemble de ces informations dans le tableau reproduit en Annexe 20174. Quels changements mettent-elles en évidence dans la composition sociale de l’hôtel et de l’administration ducales ? L’effacement relatif des barons
Jusqu’à la fin du xive siècle, les grands barons jouaient un rôle important dans la vie politique du duché de Lorraine. Ils apparaissaient à la fois comme des concurrents redoutables et comme les auxiliaires indispensables du pouvoir ducal. Même s’ils ne fréquentaient pas assidûment la cour de Nancy, ils entretenaient des contacts très réguliers avec les ducs, qu’ils suppléaient lorsque ceux-ci devaient s’absenter momentanément de leurs États et auxquels ils prêtaient régulièrement d’importantes sommes d’argent. Les sires de Blâmont et de Fénétrange notamment figuraient au tout premier plan de l’entourage ducal175. Or, un rapide coup d’œil sur le tableau de l’Annexe 20 montre qu’il en va tout autrement pour la fin du règne de Charles II. La famille de Fénétrange n’occupe que le vingt-troisième rang et celle de Blâmont le vingt-neuvième. Elles demeurent pourtant beaucoup mieux loties que les autres membres de cette catégorie, qui ne font plus que de rares apparitions auprès du duc ou désertent même complètement la capitale de la principauté176. Au total, les grands barons ne semblent plus en mesure, comme ils le faisaient auparavant, de peser sur les destinées de la Lorraine ducale. Comment expliquer un déclin aussi rapide de leur influence politique ?
173 Cf. tableau reproduit en Annexe 20. Le second, en caractères gras, fait la somme de tous les services rendus au duc de Lorraine ; le premier indique, quant à lui, le nombre de fonctions exercées au cours des trente dernières années du règne de Charles II. 174 Cf. tableau d’Annexe 20. 175 Cf. Annexe 2 et ci-dessus, chapitre 1, pour le nombre de mentions de la famille de Blâmont aux côtés des ducs de Lorraine durant la seconde moitié du xive siècle. 176 Cf. Annexe 20. Les seigneurs de Ribeaupierre (32e), les comtes de Linange (39e) et surtout de Salm (66e), de Deux-Ponts (73e) et de Sarrebruck (90e) sont relégués au rang de serviteurs occasionnels du duc de Lorraine. Quant aux comtes de la Petite-Pierre, ils ne remplissent même plus le critère minimal de deux mentions défini pour figurer dans ce tableau.
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Prenons l’exemple des seigneurs de Blâmont, souvent présents à Nancy à l’époque de Jean Ier. À l’avènement de Charles II et jusque vers 1415 environ, ils conservent leur position privilégiée à la cour. Le duc a trop besoin de leur alliance contre les quatre seigneurs et Louis d’Orléans pour leur marchander son soutien. Le 22 février 1407, il accorde 2 400 florins d’or à Henri de Blâmont en échange de ses services contre les comtes de Salm, Sarrebruck et Sarrewerden et contre le sire de Boulay177. Non seulement il paie cette somme rubis sur l’ongle178, mais il traite son vassal avec les plus grands égards. Henri ayant permis au duc de Lorraine et à l’évêque de Metz de renforcer les fortifications de Baccarat pour les besoins de la lutte, ce qui pouvait menacer sa ville de Deneuvre toute proche, ceux-ci lui promettent en retour par ces presentes et par noz foidz et sermens et sus nostre honnour, et avec ce sus l’obligation de tous nos biens, que tantost incontinant que serait paix de ladicte werre, de faire deffaire les dis enforcemens que mon dict seignour de Blammont nous ait ottroyer de faire179.
À cette date on le voit, Henri de Blâmont se place encore plus ou moins sur un pied d’égalité avec Charles II. Ce dernier s’efforce même de transiger avec lui à propos des empiétements dont il se rend coupable sur les biens et les personnes des chapitres de Remiremont et de Saint-Dié180. Au tout début du xve siècle en effet, Jean de Blâmont, le frère d’Henri, détient la charge de prévôt de Remiremont. Or, non content de ne pas payer les droits qu’il devait verser à l’abbaye pour cet office, il empêche la tenue des plaids ecclésiastiques qui avaient lieu ordinairement et ordonne à son chapelain Olry de rendre la justice en son nom181. Sollicité par les chanoinesses d’arbitrer le conflit, le duc de Lorraine tarde à intervenir et reporte sa décision à plusieurs reprises, entre décembre 1406 et mai 1407182. Celles-ci en sont réduites à 177 A.D.M.M. B 576, no 12. Encore l’aide d’Henri de Blâmont se limite-t-elle à la personne des quatre seigneurs « exceptei messire Amei de Sarebruche et Jehan d’Auteil, et encor avec les signours dudict de Blamont ou qu’il ait son serment, c’est assavoir le roy de France, le roy d’Allemeagne, le duc de Braibant, le duc de Bar et le marquis du Pont » Or, une bonne partie d’entre eux appuient ouvertement les quatre seigneurs. En fait, Charles II compte surtout sur « le recept qu’il nous doit faire a Blamont, a Denneure et a Durquestain ». 178 A.D.M.M. B 576, no 14. Cette expression est presque à prendre au pied de la lettre, puisque le 28 juin 1407 le duc de Lorraine reconnaît avoir engagé à Henri de Blâmont les joyaux de sa femme Marguerite de Bavière. Par ailleurs, il ne lui doit déjà plus que 500 florins à cette date. 179 A.D.M.M. B 881, no 2, acte du 1er mars 1408 (n. st.). La forteresse de Baccarat appartient à Raoul de Coucy, qui l’a mise en gage auprès de Charles II depuis une bonne dizaine d’années (cf. ci-dessus première partie, chapitre 2 et figure 12). En théorie, le duc et l’évêque sont libres d’y effectuer les travaux qu’ils désirent sans en référer à qui que ce soit. Ce geste vise donc à la fois à rassurer et à honorer la maison de Blâmont. 180 A.D.V. G 799, no 192. En 1416, les chanoines de Saint-Dié se plaignent au duc de Lorraine des agissements du seigneur de Blâmont, qui prétend encore se faire obéir des habitants de Vardenal, alors qu’il ne détient plus aucun droit sur ce village depuis plus de vingt ans. 181 A.D.M.M. B 876, no 90 (3). Le conflit éclate en septembre 1406, lorsque les religieuses constatent que Jean ne tient aucune des promesses qu’il avait faites lors de son entrée en fonction, trois ans auparavant (A.D.M.M. B 876, no 90 (2), le 20 juillet 1406). 182 A.D.M.M. B 876, no 90 (7). Il s’agit d’un cahier en papier dans lequel sont recopiées quatre lettres de Charles II adressées « a mes chieres et amées doyenne et chapiltre de Remiremont ». Elles font suite à un projet de compromis élaboré par le duc entre le couvent et le seigneur de Blâmont, selon
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supplier « ma dame la duchesse que les gardoit de tort et de force contre le sire de Blammont et que les faice descoutangier et rendre les missions, querelles, ot frais en lui poursuigant, ainsi comme il est contenu en lours lettres »183. Trois années avant que n’éclate ce conflit entre les dames de Remiremont et la maison de Blâmont s’éteignait l’abbesse Jeanne d’Aigremont. Les sœurs choisirent alors Henriette d’Amoncourt pour lui succéder. Cela eut pour effet d’exaspérer Henri de Blâmont qui, comme nous l’avons vu, jeta Henriette hors de son siège en la traitant sans ménagement et porta sur l’autel Catherine de Blâmont, déjà secrète de l’abbaye et abbesse du chapitre Saint-Goëric d’Épinal184. Il fallut attendre le 20 juin 1415 pour qu’Henriette puisse effectivement prendre la direction de l’abbaye à la tête de laquelle elle avait été élue douze ans plus tôt185. À cette date, nous y reviendrons, l’attitude du duc de Lorraine à l’égard des sires de Blâmont avait complètement changé186. Mais dans la première décennie du xve siècle, le contexte diplomatique régional ne permettait pas à Charles II de s’aliéner le soutien d’une famille seigneuriale dont les possessions se situaient au cœur même du territoire ducal187. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, le traité de Foug modifia radicalement la donne. Certes, le désaccord manifesté par Thiébaut II de Blâmont, le beau-frère du comte de Vaudémont, quant aux dispositions prises par Charles II relativement à sa succession, explique en partie la détérioration des relations entre les deux hommes188. Mais cela tient encore davantage au bouleversement géopolitique de l’espace lorrain. Duc de Lorraine, régent du duché de Bar, plus ou moins maître du temporel des trois évêchés et des cités de Toul et de Verdun, Charles II n’éprouve plus le besoin, après 1420, de ménager la susceptibilité et le désir d’indépendance des barons. Au contraire, ceux-ci font désormais obstacle à l’établissement de la souveraineté ducale sur la Lorraine. En refusant de reconnaître Isabelle de Lorraine comme héritière du duché, Thiébaut offrait au duc une occasion de réduire son vassal à l’obéissance. Charles II ne manqua pas de la saisir. Et en 1422, le sire de Blâmont
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lequel Henri s’obligerait à régler ses dettes envers le monastère, en se soumettant à la « juridiction et constrente » du duc de Lorraine (A.D.M.M. B 876, no 90, (6)). Mais la journée prévue pour la signature de l’accord, le jeudi après Noël 1406, fut d’abord repoussée de huit jours, puis remise successivement au mois de janvier 1407, puis au jeudi après la saint Georges en avril, puis au jeudi après la saint Barnabé en juin. Encore l’abbesse dut-elle réaffirmer qu’elle ne consentirait pas à « condescendre en aultre appointement sur le fait dudict debait fors que ainsy comme y fuit adviser et appointier par nostre tres chier amey et redoubtey signour lou duc » (A.D.M.M. B 876, no 90 (7.1. à 7.4)). A.D.M.M. B 876, no 90 (7.4.). Cette note, rajoutée par le receveur du chapitre au bas du cahier contenant les quatre missives ducales, est destinée à justifier les dépenses provoquées par les nombreux allers-retours effectués entre Remiremont et Nancy à propos de cette affaire. A.D.V. G 854 (2), liasse dignité abbatiale no 2 : il s’agit d’un rouleau en papier contenant plusieurs pièces du procès qui s’ensuivit de 1403 à 1411, entre Henriette d’Amoncourt et Catherine de Blâmont, et dont nous résumons les principales informations. Voir également ci-dessus, chapitre 7. A.D.V. G 852, no 15. Ce fut fait lorsque l’empereur Sigismond accorda les régales à Henriette d’Amoncourt, avec les dignités et émoluments qui y étaient affectés. Cf. ci-dessous dans le présent chapitre. Cf. ci-dessus figure 2. Voir à ce sujet ci-dessus deuxième partie, chapitre 5.
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dut non seulement renoncer à tout droit sur l’héritage ducal, mais aussi reconnaître le duc de Lorraine comme son souverain seigneur189. Cette soumission se traduisit immédiatement dans les faits. Quelques années après la mort des deux protagonistes, un courrier de Marguerite de Lorraine à la communauté de Deneuvre nous apprend que le duc s’était emparé de la ville et précise que son mari n’avait pu faire valoir ses droits parce que Charles II était un prince puissant190. Comme l’écrit Albert Dedenon, « le temps n’était plus où un comte de Blâmont se croyait l’égal d’un duc191 ». Le maintien du rôle des barons dans le gouvernement du duché s’avérait incompatible avec l’étatisation progressive de la principauté. Il ne faut donc pas s’étonner de la fréquence des conflits qui mirent le duc aux prises avec cette catégorie de serviteurs. Les sires de Blâmont ne sont en effet pas seuls en cause. Les comtes de Salm, de Sarrebruck, et les seigneurs de Ribeaupierre se sont eux aussi opposés à Charles II, avec un succès inégal192. Dans l’ensemble par conséquent, la place des barons dans l’entourage ducal déclina considérablement au cours des trois premières décennies du xve siècle. Au mieux, ils furent ignorés et tenus à l’écart des décisions les plus importantes et des principales responsabilités.
189 A.D.M.M. B 576, no 33, acte du 26 septembre 1422 : « Et avec ce je, Thiebault de Blamont dessusdict, ay promis et promes par ces presentes comme dessus, que toutes lez edis, cris, ordonnances et commandemens generalz qui par mondit seignour de Lorrainne et par ses hoirs et successours et ayans cause ducz de Lorrainne seront fais et ordonnez en toute la duchié de Lorrainne et ez appartenances, tent de ordonnance de monoye et des vivres comme de marchandises, je et mesdis hoirs, successours et ayans cause tanrons et serons tenus garder, observer et accomplir de point en point par toute madite terre et seignorie sens aucunement aller au contraire en quelcunque meniere que ce soit, tout par la forme et meniere que lesdis cris, edis et ordonnances seront ordonnées et publiées ». L’application de la législation ducale dans la seigneurie de Blâmont manifeste concrètement le passage d’un rapport de type vassalique à une relation de souverain à sujet entre Charles II et Thiébaut II. D’autre part, un lien de fidélité direct est établi entre le duc de Lorraine et les habitants du Blâmontois : « et aussy des maintenant jureroit par meniere de communaltei, pour eulx et pour tous leurs hoirs, toutes les justices, hommes, bourgois, habitans et communaltei de mez bonnes villes et forteresses de Blamont et de Deneuvre qu’ilz ne souffreront ne laisseront entrer aucun nouveil seignour que en mesdites bonnes villes et forteresses vanront apres moy, ne aussy lui obeiront, ne feront sairement d’obeissance quelcunque, ne le tanront pour seignour, jusques a ce que ledict seignour averoit fait ledict sairement, tout par la meniere que je le fais a present et qu’il est contenu en cez presentes, et que j’ay promis et promes que mesdis hoirs le feront et seront tenus de faire ». 190 BnF Col. Lor., no 26, f. 21, en date du 5 août 1435. La confiscation de Deneuvre représentait sans doute aux yeux du duc de Lorraine un gage de la fidélité future du sire de Blâmont. De fait, Thiébaut II mourra des suites de la bataille de Bulgnéville, après avoir combattu aux côtés de René d’Anjou (A. Dedenon, Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance, op. cit., p. 128). Sa femme, considérant que pareille preuve de dévouement justifie le retour de Deneuvre dans sa seigneurie, sommera alors les bourgeois de lui obéir à nouveau. Mais ceux-ci lui répondront le jour même qu’ils ne sauraient le faire sans en avoir reçu l’ordre de la part de la duchesse Isabelle de Lorraine (BnF Col. Lor., no 26, f. 24). 191 A. Dedenon, Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance, op. cit., p. 126. 192 On pense naturellement à la guerre des Quatre seigneurs, au cours de laquelle les comtes de Salm et de Sarrebruck embrassèrent la cause de Louis d’Orléans (cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4), mais également à l’affaire de Guémar, lorsque Schmassmann de Ribeaupierre s’empara de la ville qui était partiellement engagée au duc de Lorraine (cf. ci-dessus troisième partie, chapitre 6).
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On pourrait bien sûr trouver quelques exceptions à cette règle générale. Le comte Jean V de Salm par exemple, réconcilié avec Charles II, fut nommé par ce prince gouverneur du duché de Bar en 1422193. Mais une nouvelle maison surtout, les Bayer de Boppard, absente de la cour de Lorraine durant la seconde moitié du xive siècle, y occupe désormais une position prépondérante194. Or son statut social et ses possessions foncières incitent à la classer sans la moindre hésitation parmi les grands barons. On notera toutefois que son prestige provient surtout de ses seigneuries rhénanes et que ses biens lorrains paraissent à cette époque relativement modestes195. Ce cas n’a par conséquent rien de comparable avec celui des grandes familles sarroises, vosgiennes ou alsaciennes. La genèse de l’État moderne dans la Lorraine ducale à la fin du règne de Charles II s’accompagne donc du recul de l’influence politique de la haute noblesse d’origine germanophone. Le pendant de cette évolution réside dans l’ascension d’hommes nouveaux, issus le plus souvent de la bourgeoisie et de la partie francophone du duché de Lorraine. L’ascension d’hommes nouveaux
Nous avons vu plus haut la montée des secrétaires et des hommes de loi et de finance dans le gouvernement de la principauté lorraine au début du xve siècle. Ce changement accompagne le processus d’étatisation de la Lorraine ducale qui se traduit par la plus grande complexité des affaires à traiter. La nature même des fonctions qu’ils exercent procure à ce type de serviteurs une grande proximité avec le prince. L’importance croissante des missions qui leur sont désormais dévolues ne pouvait que renforcer sous le règne de Charles II la confiance que leur manifestait déjà Jean Ier durant la seconde moitié du xive siècle. À l’époque précédente, aucun roturier ne figurait aux tout premiers rangs de l’entourage ducal. Ils se cantonnaient le plus souvent à l’office qu’ils détenaient. Sauf exception, leur condition sociale limitait leurs perspectives de carrière196. Dès le début du xve siècle, ils disposent d’une visibilité beaucoup plus grande.
193 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 216. Voir également ci-dessus troisième partie, chapitre 6. À l’inverse du seigneur de Blâmont, le traité de Foug ne pouvait que rapprocher du duc de Lorraine le comte de Salm, cet ancien membre du parti armagnac au cours de la décennie précédente. 194 Cf. Annexe 20. Les Bayer de Boppard sont mentionnés à quarante-six reprises dans l’entourage de Charles II entre 1400 et 1431, ce qui, d’après le mode de classement que nous avons adopté, les place au troisième rang parmi les serviteurs du duc de Lorraine. 195 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 221-222. L’installation de cette famille en Lorraine date de la nomination de Thierry Bayer à l’évêché de Metz en 1365 et du mariage de son frère Conrad avec Marie de Parroy. Ils tenaient quelques terres et châteaux dans la région, notamment celui de Faulquemont, mais la ville de Boppard, sur les bords du Rhin, demeurait le point d’ancrage essentiel du lignage. 196 Cf. tableau de l’Annexe 2. Entre 1350 et 1400, les « serviteurs de second rang » et les « personnages isolés » apparaissent très peu dans la ligne « services rendus », lorsqu’ils n’appartiennent pas à la noblesse. Cela traduit la distance qui les sépare de la personne du prince, en raison de leur position sociale inférieure. Les portes de l’administration ducale ne leur sont pas pour autant complètement
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Mengin Drouin, de Rosières, et Louvion Barneffroy, de Nancy, comptent parmi les personnages les plus présents aux côtés du duc de Lorraine197. Et si les autres secrétaires et receveurs ducaux ne jouent pas un rôle comparable à celui de ces deux hommes, ils interviennent de plus en plus fréquemment et paraissent aussi influents que les grands barons, ce qui n’était pas le cas auparavant198. Enfin, leur ascension politique constitue le socle sur lequel ils bâtissent leur fortune et représente pour eux un moyen de promotion au sein de la hiérarchie sociale de la principauté lorraine. Observons donc les cas de Mengin Drouin et Louvion Barneffroy. Le premier apparaît pour la première fois dans nos sources dans un acte du 9 octobre 1404, avec le titre de châtelain de Rosières. À cette date, il possède déjà une solide assise foncière, puisqu’il fait don aux Prêcheresses de Nancy de plusieurs cens sur des terrains situés à Sommerviller, Saint-Nicolas-de-Port, et Laneuveville-devant-Nancy199. En 1412, il devient receveur de Nancy et des Vosges, poste qu’il occupe pendant une quinzaine d’années et qui fait de lui le principal officier de finances du duché de Lorraine200. Il en profite tout naturellement pour arrondir considérablement son patrimoine : le 4 janvier 1421 par exemple, la communauté de Rosières, très endettée, lui engage l’ensemble de ses pâturages et acquêts d’eau pour la coquette somme de 800 francs201. De telles acquisitions ont certainement été rendues possibles par les revenus qu’il tire de sa charge. Comme souvent à cette époque, le receveur ne perçoit pas un salaire fixe de la part du duc, mais il est autorisé à prélever directement, pour son propre compte, certaines des redevances ducales202. Ces nombreuses assignations sont censées
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fermées, du moins à un niveau subalterne. Seuls Demenge de Gerbéviller et Jean de Lunéville échappent à cette règle. Encore ne peut-on pas affirmer qu’ils ne soient pas nobles d’origine. Voir également ci-dessus première partie, chapitre 1. Cf. Annexe 20. Avec respectivement vingt-six et vingt-cinq mentions, Louvion Barneffroy et Mengin Drouin occupent les 13e et 14e rangs des serviteurs ducaux. Cela les place dans le noyau dur de la cour de Nancy pour le début du xve siècle. Durant la période précédente, Demenge de Gerbéviller et Jean de Lunéville étaient légèrement en retrait, puisqu’ils totalisaient neuf et douze mentions, contre quatorze en moyenne pour les membres du noyau dur. Cf. Annexe 20. D’après le classement, Jean Denis se trouve en 27e position, entre les sires de Fénétrange (23e) et ceux de Blâmont (29e) ; Dominique François (34e) et Jean Pariset (40e) se situent à peu près au même niveau que les seigneurs de Ribeaupierre (32e) et les comtes de Linange (39e) ; Henri Bailli (44e) et Renaud Prigney (45e) devancent les comtes de Salm (66e) et Guillaume de Gabure (67e) ceux de Deux-Ponts (73e). A.D.M.M. H 2670. Modeste à Sommerviller (cinq gros), le montant du loyer s’élève à treize sous à Saint-Nicolas de Port, pour atteindre deux florins à La Neuveville. Cela correspond dans ce dernier cas à une importante propriété de treize fauchées de pré. A.D.M.M. B 834, no 177. Un acte du 14 mars 1412 (n. st.) concernant Neufchâteau contient la première allusion à « Mongin Drouwin de Rousieres, receveur de mondit seignour ». C’est lui également qui a rédigé les comptes des bailliages de Nancy et des Vosges pour les années 1420-1421 et 1424-1425 (A.D.M.M. B 1919, B 7232 et B 7233). A.D.M.M. B 881, no 6. La copie du contrat dont nous disposons précise que ces terres sont comprises « depuis le champ le prevost jusques au rupt sis pres du moullin ». Ce système est adopté par exemple dans les duchés de Bretagne et de Bourgogne, deux principautés qui utilisaient pourtant des techniques financières beaucoup plus modernes que celles de la Lorraine ducale. J. Kerhervé, L’État breton aux xive-xve siècles, op. cit., p. 945 et A. van Nieuwenhuysen,
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récompenser les bons et loyaux services qu’il rend à son seigneur. Il est impossible de les quantifier de manière précise, mais elles s’élèvent à coup sûr à plusieurs centaines de livres par an203 et cela, sans tenir compte d’éventuels détournements, procédé très courant et presque admis à l’époque dans toutes les administrations princières204. Toujours est-il que même après son remplacement, Mengin Drouin apparaît encore comme l’une des personnes les plus fortunées de sa ville natale205. Ce constat vaut encore davantage pour le secrétaire ducal Louvion Barneffroy. L’homme est bien connu des historiens qui fréquentent les archives lorraines des xive et xve siècles. La dotation des deux chapelles qu’il fonde dans l’église NotreDame de Nancy par son testament en 1432 repose sur un nombre impressionnant de propriétés206. Certaines d’entre elles sont regroupées et remembrées de façon à constituer de grandes exploitations d’un seul tenant, appelées gagnages, dont l’un se trouve à proximité immédiate de Nancy, sur le ruisseau de l’Étanche, devant la porte Saint-Nicolas. La faveur du prince explique d’ailleurs certainement la permission d’y établir un four, que lui accordent les procureurs de la collégiale Saint-Georges, le commandeur du Vieil-Aître de Nancy et le chevalier Renaud de Richarménil, tous trois détenteurs de cet équipement dans la capitale207. Mais l’essentiel n’est pas là.
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Les finances du duc de Bourgogne Philippe le Hardi (1384-1404). Le montant des ressources, Bruxelles, Académie Royale de Belgique. Mémoires de la classe des lettres, 2e série, t. LXVIII, fascicule 3, 1990, 309 p., passim. Mengin Drouin prélève chaque année soixante livres sur la taille de Saint-Nicolas-de-Port et trois quartes de cire sur les habitants de Rosières. Il conserve également pour lui les revenus d’un des fours de Rosières et ceux de la sauvegarde ducale sur le village des Rouges-Eaux, près de Saint-Dié (A.D.M.M. B 7232, f. 5v, 17r et 24r, A.D.M.M. B 7233, f. 6r). Enfin, il reçoit chaque année une somme de cent francs assignée sur les droits de Landécourt, Franconville, Seranville et Einvaux, en guise de remboursement d’un prêt de 1 000 francs accordé au duc pour lui permettre de se rendre à Constance en 1415 (A.D.M.M. B 7232, f. 18r, et B 7233, f. 27v). Sur l’ambassade de Charles II à ce concile pour le compte de Jean sans Peur, voir ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. Prenons l’exemple de la Bretagne ducale sous la dynastie des Montfort. Les gens de finances « réussirent à faire rentrer l’argent dans les caisses. Certes, ils en détournèrent ou ils en perçurent plus qu’on ne leur en demandait, au préjudice de l’État et au grand dam des contribuables, mais c’était une attitude tellement banale en leur temps qu’il n’y a pas lieu d’épiloguer. Que le service du prince dût enrichir tous ceux qui s’y consacraient, quel esprit chagrin aurait eu l’idée de prétendre le contraire ? » J. Kerhervé, L’État breton aux xive-xve siècles, op. cit., p. 948. A.D.M.M. B 7234, f. 17r : le compte tenu par Jean Pariset pour l’année 1427-1428 mentionne le versement de plusieurs cens par Mengin Drouin au duc de Lorraine pour les propriétés qu’il possède à Rosières, à savoir une maison, une exploitation agricole, une grange et un four. Aucun autre sujet du duc ne semble disposer de biens aussi importants dans cette localité. A.D.M.M. G 405, acte du 26 mai 1432 et J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 125. « Ses biens fonciers paraissent assez considérables : on lui connaît au moins trois maisons à Nancy, des terres et des rentes à Jarville, Nancy, Saint-Dizier, Ville-en-Vermois, Lunéville, Lay-Saint-Christophe. » A.D.M.M. H 3043, f. 93-94, le 11 septembre 1411. Jean de Deux-Maisons, Gérard d’Haraucourt, Pierre de Beauffremont et Renaud de Richarménil, constatant que « il ait en la fermeté et ville de Nancey trois fours banaulx, un appartenant a l’esglise collegiaul monsignour sainct Georges de Nancey, l’aultre a la maison du Vieil Astre devant Nancey, et l’aultre a messire Regnauld de Richarmeny, chevallier, aux quels fourgs les mesnants et habitans dudict Nancey doivent cuire leur pain […] agréent par ces presentes especial que Louvion Barneffroy de Nancey, secretaire monseigneur le duc faice, et ait a tousioursmaix un four en son waignaige qu’il ait fait nouvellement devant Nancey,
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La fortune considérable amassée par Louvion Barneffroy permet à plusieurs de ses descendants d’intégrer la noblesse lorraine et assure à tous les membres de sa famille une vie plus que confortable, ce que Jean-Luc Fray a bien mis en évidence dans son étude sur la société nancéienne208. À quoi tient une telle réussite ? La carrière de Louvion fournit bien évidemment le principal élément d’explication. Tour à tour secrétaire ducal, receveur de Nancy et des Vosges, procureur général du duc et prévôt de Nancy, Louvion Barneffroy représente le type achevé du serviteur en qui Charles II place toute sa confiance et à qui il confie les missions les plus difficiles209. Mais à la différence de Mengin Drouin, le personnage n’est pas isolé. Son père, Barneffroy de Lay, était déjà prévôt de Nancy à la fin du xive siècle210. Lui-même est peut-être apparenté au gruyer Colin Baudoire, au cellerier Durand d’Anthelupt, à Jacquet Prigney, bouteiller de Marguerite de Bavière, et donc au frère de ce dernier, Renaud Prigney, secrétaire du duc de Lorraine211. Les familles qui exercent le service princier forment donc entre elles un réseau très serré d’alliances matrimoniales qui leur permet de se renforcer l’une l’autre et d’augmenter notablement leur influence politique et leur prestige social à la cour de Nancy. Louvion et deux membres de sa famille figurent d’ailleurs parmi les nobles qui promettent de respecter les clauses du traité de Foug, le 13 décembre 1425212. La montée en puissance d’officiers d’origine roturière, choisis en fonction de leurs compétences, ne constitue naturellement pas une spécificité du duché de Lorraine. Une évolution comparable touche la plupart des principautés occidentales, de façon plus ou moins précoce213. Elle ne doit pas être relativisée pour autant. L’ascension davant la porte sainct Nicholay, sur le rupt de la Tainche, on quel four on puet et polront cuire le pain a tousioursmaix pour ledict fruyt dudit waignaige, moytriers, familiers, servants et bargiers que demouront audict waignaige ». C’est en effet à partir de 1380, mais plus encore sous le règne de Charles II, que les grands serviteurs ducaux commencent à acquérir des terres dans les environs de Nancy et à contester aux nobles et aux ecclésiastiques le monopole de la propriété foncière. J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 217. 208 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 287. 209 Cf. Annexe 20. Louvion est mentionné comme receveur en 1400 et 1407, puis de 1411 à 1413, et comme prévôt en 1412. Il est nommé le 17 octobre 1424 procureur général du duc de Lorraine. Mais tout cela ne l’empêche pas d’exercer les fonctions de secrétaire ducal de 1408 jusqu’à la mort de Charles II.. 210 Cf. Annexe 2. 211 La nature précise du lien de parenté semble difficile à déterminer. Mais dans un acte du 9 juin 1434, Jacquet Prigney se qualifie de « conhoir » de Colin Baudoire et de Durand d’Anthelupt (A.D.M.M. B 821, no 42). Quant à Jean Barneffroy, le frère de Louvion, il intervient aux côtés des Baudoire de Lunéville à propos de terres qu’ils vendent en commun à la collégiale Saint-Georges de Nancy, ce qui laisse penser que Luciette, la femme de Jean, appartient peut-être à la famille de Colin (A.D.M.M. G 363). 212 BnF Col. Lor., no 53, f. 88-90. Parmi les vassaux des bailliages de Nancy et des Vosges apparaissent en effet, outre Louvion Barneffroy, Jean Louvion et Thiriat Louvion. 213 On pourrait multiplier les exemples. Contentons-nous d’évoquer des États princiers auxquels nous avons déjà fait référence, comme la vicomté de Béarn (P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn, op. cit., p. 115-135), le Palatinat (H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate in the fifteenth century, op. cit., p. 215-225) ou le duché de Bourgogne (B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 237-247).
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sociale de cette catégorie de personnel et les nombreuses acquisitions foncières auxquelles elle procède « témoignent dans les campagnes de la puissance accrue de l’État214 ». Ajouté à l’effacement relatif des barons, ce phénomène traduit le passage progressif de la Lorraine ducale de l’âge féodal à l’âge étatique. Il ne faut toutefois pas en conclure à un bouleversement total de la culture politique de la Lorraine ducale et à un déclin généralisé de la présence de la noblesse aux côtés de Charles II. Maintien et renouvellement des familles seigneuriales
Durant la seconde moitié du xive siècle, l’aristocratie tenait une place beaucoup plus importante à Nancy que dans la plupart des capitales des principautés du Royaume215. Pendant la période suivante, la montée en puissance d’hommes de loi issus de la bourgeoisie ne remet pas fondamentalement en cause cette situation. Chacun demeure en effet à sa place. La chevalerie lorraine conserve son monopole sur les offices majeurs de l’hôtel et de l’administration ducale. Les charges de maître d’hôtel, de maréchal, de sénéchal et de baillis sont réservées à ses membres216. Quant aux roturiers, ils doivent se contenter des tâches auxiliaires et des postes subalternes, ceux de lieutenants du maître d’hôtel et du bailli de Nancy par exemple217. Par ailleurs, notre classement des serviteurs ducaux, établi en fonction du nombre d’apparitions aux côtés du duc, révèle pleinement la domination nobiliaire et ce, quel que soit le niveau d’observation. Sur les soixante-quinze familles les plus présentes à Nancy, cinquante trois appartiennent à la noblesse, soit environ 70%. Ce pourcentage augmente encore au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie, puisque seize des vingt premiers noms (80%) sont ceux de seigneurs lorrains. Enfin, les nobles occupent les douze premières places du tableau218. Par conséquent, le renforcement de la souveraineté ducale et l’étatisation de la principauté lorraine ne s’accompagnent pas d’un bouleversement complet dans 214 M. Parisse (dir.), Histoire de la Lorraine, op. cit., p. 212. 215 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 216 Le tableau reproduit en Annexe 20 permet d’établir la liste des principaux officiers du duché de Lorraine entre 1400 et 1431. On dénombre ainsi cinq maîtres d’hôtel (Henri Hase de Diemlich, Gérard de Haraucourt, Henri d’Ogéviller, Warry de Haroué et Jean Denis), cinq maréchaux (Gérard de Haraucourt, Jean d’Haussonville, Charlot de Deuilly, Erard du Châtelet et Henri de Fénétrange), un sénéchal ( Jean d’Haussonville), quatre baillis de Nancy ( Jean Wisse de Gerbéviller, Colignon de Ludres, Ferry de Parroy et Jean de Lenoncourt), deux baillis des Vosges (Henri de Barbas et Colin Wisse de Gerbéviller), quatre baillis d’Allemagne (Charles de Haraucourt, Henri Bayer de Boppard, Jean Wisse de Gerbéviller et Jean de Fléville), trois baillis de Saint-Mihiel après 1420 (Thierry d’Autel, Jean de Haraucourt et Winchelin de La Tour) et un bailli de Bar, Philibert de Doncourt. Tous sont nobles, à une exception près, celle du maître d’hôtel Jean Denis (A.D.M.M. B 1921, f. 3v). 217 Cf. Annexe 20. Conrad Parspergaire, lieutenant du maître d’hôtel au début du xve siècle, est un bourgeois de Nancy, de même que Thierry Pourcelot, Simonin de Nancy-2 et Jean Bailli Herman de Nancy-3, lieutenants de bailli à Nancy. 218 Dans l’Annexe 20 les familles roturières ont leur nom indiqué en italique, pour les différencier des autres. J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 278, signale également que « sous Charles II, on avait atteint [à Nancy] la proportion la plus élevée de familles de chevaliers et écuyers avec près de 12% de la population recensée. »
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la composition sociale de l’entourage de Charles II, à la différence d’un Gaston Fébus qui avait fait de la diminution de l’influence de l’aristocratie un principe de gouvernement219. La mise en place de l’État moderne ne se fait donc pas aux dépens de la noblesse, dans le duché de Lorraine encore moins qu’ailleurs220. Une nouvelle fois, il faut se tourner vers l’est, vers l’Empire et notamment vers le Palatinat, pour constater une évolution similaire221. Mais le maintien de la suprématie nobiliaire à la cour de Lorraine ne signifie pas l’absence de tout renouvellement dans le personnel au service de Charles II. Les seigneurs qui entourent le duc au début du xve siècle sont-ils les descendants de ceux qui se trouvaient aux côtés de son père, Jean Ier ? La réponse à cette question dépend du degré de proximité entre le prince et ses serviteurs. Sur les vingt familles les plus présentes à Nancy à la fin du règne de Charles II, dix d’entre elles figuraient déjà parmi les membres du noyau dur de la cour au xive siècle, quatre y apparaissaient occasionnellement et une autre appartenait à la catégorie des « serviteurs de second rang222 ». Quant aux cinq dernières, elles constituent le groupe des « nouveaux arrivants » qui représente un quart de ce total, proportion somme toute non négligeable à ce niveau de la hiérarchie curiale223. Élargissons maintenant la perspective, en prenant en compte les soixante-quinze premiers noms224. Les « nouveaux arrivants », au nombre de quarante-trois, 219 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn, op. cit., p. 277-281. La liste des membres de l’hôtel et de l’administration de Gaston III n’est pas très fournie. On y trouve d’abord les membres de la famille princière, ainsi qu’un groupe de « techniciens », souvent de simples bourgeois choisis pour leurs compétences. Quant à la noblesse des pays de Foix et de Béarn, elle semble peu représentée à la cour d’Orthez. 220 J. Kerhervé, L’État breton aux xive-xve siècles, op. cit., p. 949 et B. Schnerb, L’État bourguignon, op. cit., p. 234-235. La croissance de l’État fournit à bon nombre de nobles besogneux l’occasion d’un nouveau départ et d’un enrichissement important, à une époque où la diminution des revenus seigneuriaux traditionnels ne leur permet plus de tenir leur rang. De la Bourgogne à la Bretagne, dans toutes les principautés du Royaume, ils investissent massivement les offices nouvellement créés et bénéficient largement de l’augmentation des ressources princières et de leur redistribution, au point qu’Alain Girardot parle dans le duché de Bar d’une « noblesse assistée du prince ». A. Girardot, Le droit et la terre. Le Verdunois à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 599-628. 221 H. J. Cohn, The government of the Rhine Palatinate in the fifteenth century, op. cit., p. 162 et 225. Les familles seigneuriales y occupent aussi la majorité des postes de l’administration et de l’hôtel. Elles soutiennent la dynastie dans les crises politiques, assistent financièrement les Électeurs et les représentent lors des diètes impériales et des tournois. Le prince les considère de plus en plus comme des sujets, mais elles reçoivent en contrepartie d’importantes compensations pour leurs services : concession de châteaux, de mines et de chasses, fiefs, exemptions de taxes, pensions et autres faveurs, en plus de leurs salaires. 222 Les maisons de Haraucourt, Wisse, Ludres, Ogéviller, Haroué, Lenoncourt, Ville, Parroy, Fléville et Pulligny se trouvent dans le premier cercle de l’entourage ducal après comme avant 1400. En revanche, les Sierck, Haussonville, Deuilly et Savigny appartenaient aux « familles apparaissant occasionnellement à la cour » durant la seconde moitié du xive siècle. Quant à celle de Louvion Barneffroy, elle ne jouait qu’un rôle encore modeste dans l’administration ducale. 223 Il s’agit des Hase de Dieblich, Bayer de Boppard, Drouin de Rosières, Neusswiller et Mochenheimer. 224 Au-delà de ce seuil, la comparaison entre les deux périodes n’a plus rien d’opérant, dans la mesure où l’accroissement de la masse documentaire à notre disposition nous met en présence de personnages restés jusqu’à présent dans l’obscurité. Logiquement, les 111 dernières familles sont donc presque toutes des « nouveaux arrivants ». Très souvent également, elles ne sont représentées que par une
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deviennent cette fois majoritaires, ce qui confirme l’impression d’un changement très important dans l’entourage du duc de Lorraine au cours des trois premières décennies du xve siècle. Nous pouvons en conclure que le maintien de la base sociologique sur laquelle s’appuie le pouvoir ducal, à savoir l’aristocratie seigneuriale, n’empêche pas le renouvellement partiel des personnes à qui Charles II accorde sa confiance. Peut-être faut-il y voir le souci bien compréhensible de ne pas permettre la transmission d’un office de manière héréditaire à l’intérieur d’une même maison225. Mais plus simplement, ce phénomène illustre l’extension de l’influence du pouvoir ducal à tout l’espace lorrain après 1400. L’apparition de nobles barrois ou originaires de l’évêché de Metz par exemple résulte directement de l’union des principautés de Bar et de Lorraine après 1420 et de la prise de contrôle d’une grande partie du temporel messin par Charles II sous l’épiscopat de Raoul de Coucy226. Inversement d’ailleurs, certains familiers des ducs de Lorraine peuvent être attirés par les princes des régions voisines. Les Beauffremont passent ainsi du service de Jean Ier à celui des ducs de Bourgogne Jean sans Peur et Philippe le Bon227. Un dernier constat s’impose. Durant la seconde moitié du xive siècle, les ducs de Lorraine ne recrutaient pas leurs serviteurs à l’extérieur du territoire ducal. Or, quinze des soixante-quinze premières maisons de la cour de Charles II sont étrangères au duché de Lorraine. Sept d’entre elles viennent d’Allemagne (Bade, Bavière, Couze, Daun, Hussen, Morsberg et Neusswiller), quatre du Barrois (Chambley, Jaulny, La Tour et Rodemack), une du Luxembourg (Esch), une autre du Toulois (Alye) et une dernière de l’évêché de Metz (Fontenoy). Charles II : un prince germanophile ?
Les aléas de la conjoncture diplomatique du début du xve siècle et les options politiques prises par Charles II lui ont valu auprès de la plupart des historiens lorrains la réputation de prince germanophile. De fait, en s’opposant à la poussée du roi de France et de Louis d’Orléans dans les territoires d’« Entre-Deux », en épousant Marguerite de Bavière et en participant activement aux démêlés de la politique impériale et aux querelles entre villes et seigneurs alsaciens, le duc de Lorraine a eu maintes fois l’occasion de se tourner vers l’Allemagne228. Ces événements ont-ils influencé le choix des membres de son hôtel et de son administration ?
seule personne, et ne détiennent qu’un office secondaire. 225 Jamais une même charge n’est confiée à deux proches parents au cours de la période qui nous intéresse. Les Wisse de Gerbéviller par exemple sont nommés plusieurs fois baillis, mais Jean officie d’abord à Nancy, puis en Allemagne. Quant à Colin, il est qualifié pour la première fois de bailli des Vosges le 7 juin 1420 (A.D.M.M. B 576, no 48). 226 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1 et troisième partie, chapitre 6. 227 Cela explique qu’après 1400, ils ne figurent qu’en 58e position dans le classement, alors qu’ils appartenaient au « noyau dur » des serviteurs ducaux pendant la période précédente. Nous avons eu l’occasion d’évoquer l’ambassade malheureuse de Gauthier de Beauffremont auprès du cardinal-duc de Bar pour le compte de Philippe le Bon en 1420. Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. 228 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 3, deuxième partie, chapitre 4 et troisième partie, chapitre 6.
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Le renforcement de la présence allemande à la cour de Nancy et ses limites
Tout comme la composition sociale de la cour de Lorraine, l’aire de recrutement des serviteurs de Charles II ne se modifie pas de manière radicale à partir de 1400. On assiste plutôt à une correction du déséquilibre qui existait jusqu’alors entre francophones et germanophones. C’est en tout cas l’impression que laissent les données statistiques rassemblées à partir du tableau de l’Annexe 20. Soixante-treize des 185 familles au service du duc durant cette période sont d’origine germanique, soit environ 40 % du total. Et si l’on restreint l’étude aux soixante-quinze premiers noms, on obtient un pourcentage quasiment identique (36%)229. Globalement, un tiers des personnes présentes aux côtés du duc de Lorraine parlent l’allemand, proportion nettement supérieure à celle de la période précédente (dix-sept sur soixante-quinze, soit 23%)230. La différence devient encore plus forte pour les vingt maisons les plus en vue : six d’entre elles (30%) viennent du bailliage d’Allemagne ou de l’Empire, alors que seuls les Wisse de Gerbéviller figuraient parmi les membres du « noyau dur » de l’entourage ducal durant la seconde moitié du xive siècle (5%)231. Affinons l’outil d’analyse, en cherchant à déterminer la provenance des officiers ducaux non plus selon le seul critère linguistique, mais en fonction de leur implantation familiale. Les résultats précisent et confirment à la fois les remarques précédemment formulées. reste espace Lorrain 3%
Empire 13%
France 3%
Lorraine francophone 49%
Barrois 6%
Lorraine germanophone 26%
Figure 21 : Origine géographique des serviteurs ducaux
229 Sur les soixante-quinze maisons, on en dénombre vingt-sept de langue allemande, dont dixsept lorraines, huit impériales, une barroise et une luxembourgeoise. 230 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 231 Le groupe des six est constitué par les familles Hase de Dieblich, Bayer de Boppard, Wisse de Gerbéviller, Sierck, Neusswiller et Mochenheimer. Voir également ci-dessus première partie, chapitre 1, pour la comparaison avec l’époque de Jean Ier et le début du règne de Charles II.
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Plusieurs conclusions se dégagent de la lecture de ce diagramme232. La part non négligeable du personnel étranger au duché de Lorraine (26%) traduit l’élargissement sensible du rayonnement de la cour de Nancy à la fin du règne de Charles II. Mais au sein du territoire ducal, un équilibre paraît désormais atteint entre le bailliage d’Allemagne et ceux de Nancy et des Vosges233. Depuis sa constitution au cours du xiiie siècle, le premier faisait figure de parent pauvre de la principauté234. Ce n’est désormais plus le cas. On peut naturellement être tenté de voir dans cette évolution le reflet des sympathies personnelles de Charles II et de sa préoccupation pour les affaires de l’Empire. Mais d’autres éléments plaident davantage en faveur d’une politique d’unification menée par le duc de Lorraine à l’intérieur de ses États. Certes, la nomination de nobles issus de la Lorraine française dans la partie allemande du duché ne constitue pas en soi un phénomène nouveau235. Deux des quatre baillis d’Allemagne après 1400, Charles de Haraucourt et Jean de Fléville, ont le français pour langue maternelle. Mais à l’inverse, deux des cinq baillis de Nancy et des Vosges, Jean et Colin Wisse de Gerbéviller, sont germanophones236. Et à un niveau inférieur, treize des trente-neuf détenteurs d’offices subalternes de l’hôtel ducal viennent de la Lorraine allemande237. On peut voir dans ces quelques signes la volonté de Charles II d’unifier les différentes parties du duché, même si l’application de cette politique reste encore quelque peu hésitante238.
232 Il rassemble les informations contenues dans la colonne « origine géographique » du tableau reproduit en Annexe 20 et prend en compte la totalité des serviteurs ducaux. 233 On trouve à Nancy deux fois plus de Lorrains francophones que de Lorrains germanophones. Cela reflète très exactement les superficies relatives des parties française et allemande de la principauté ducale. 234 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. 235 Cf. Annexe 2. Il nous semble toutefois moins fréquent qu’au début du xve siècle : à l’exception de Jean de Rosières-1 en 1369-1370, tous les détenteurs de la charge de bailli d’Allemagne (Guillaume de Bérus, Jean Wisse de Gerbéviller et peut-être Jean Priol de Sierck et Richard de Felsberg) avaient été recrutés parmi les familles germanophones. Par ailleurs, la prépondérance francophone à la cour de Nancy explique que le franchissement de la frontière linguistique par les officiers ducaux ne se soit effectué que dans un seul sens. 236 La comparaison peut paraître biaisée. En effet, si Charles de Haraucourt et Jean de Fléville sont implantés au cœur du bailliage de Nancy, les Wisse possèdent, quant à eux, des seigneuries de part et d’autre de la frontière linguistique, à Wuisse et à Gerbéviller. L’origine géographique de ces quatre personnages et les postes qu’ils occupent supposent toutefois qu’ils maîtrisent parfaitement les deux langues. 237 Par l’expression « offices subalternes », nous désignons les fonctions de lieutenant du maître d’hôtel, bouteiller, fourrier, ménétrier, fauconnier, parementier, panetier, cellerier et portier de l’hôtel, maître de cuisine, valet de chambre, valet et peintre. Elles sont généralement confiées à des roturiers, signe de leur importance secondaire dans le duché de Lorraine à cette époque. 238 Il en va de même entre le Barrois et la Lorraine après 1420. 6% seulement des serviteurs de Charles II sont originaires du Barrois. Cela tient au fait que l’union des deux principautés ne se concrétise pas avant la mort de ce prince. L’interpénétration du personnel administratif des deux duchés commence pourtant de son vivant. Plusieurs Lorrains sont envoyés par Charles II pour seconder René d’Anjou . Mais quelques Barrois arrivent aussi à Nancy. Deux d’entre eux, Jean et Gillequin de Rodemack, portent le titre de conseiller du duc de Lorraine (Arch. Com. de Metz, AA 11, no 37). D’autres, comme
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Les serviteurs d’origine germanique parviennent également beaucoup plus souvent au sommet de la hiérarchie curiale, ce qui n’arrivait qu’exceptionnellement à l’époque précédente. Les Hase de Dieblich, les Bayer de Boppard, les Wisse de Gerbéviller et les Sierck occupent ainsi les 1ère, 3ème, 4ème et 5ème positions du classement239. Prenons l’exemple de Henri Hase, seigneur de Château-Voué. Le rôle de tout premier plan qu’il joue auprès du duc ne vient pas seulement de ce qu’il traite l’essentiel des affaires alsaciennes240, en raison des liens très étroits qu’il entretient avec la famille de Ribeaupierre. Sa fonction de maître d’hôtel l’amène à intervenir en toutes occasions, comme en témoigne le nombre des postes qu’il occupe, la variété des missions qu’il accomplit pour le compte de son maître241 et les reconnaissances de dettes de Charles II à son égard : Nous Charles, duc de Lorraine et marchis, faisons savoir a tous que nous avons comptey a nostre amé escuier et conseillier Hanry Haulze, de tout cey que nous poiens estre tenu a lui et lui a nous, de tout le tempa passei jusques au jourduy, tant de recepte comme de mise. Et est ensi que nous demourons debvant audit Hanry la somme de mil florins de Rin ou autre bonne monnoie valisant lesdis florins, tant pour douzevingt escus d’or que nous debviens a reverend peire en dieu Raul de Coucy, jadit evesque de Mets, que ledit Hanry ait paier pour nous, comme pour plusours chevaulx qu’il a achatez pour nous [pour le comte de Virnebourg, Jean d’Haussonville, Bertrand, secrétaire ducal, Ferry de Chambley, le comte de Saarwerden, Robert des Armoises, Gérard de Magnières, Henri de Barbas et pour Jean Lederhose de Boulay]. Et ait encore paier pour nous cent viez florins d’or a Jehan de Hassonville, que nous debviens audict Jehan242 .
On le voit, les responsabilités exercées par Henri Hase concernent tous les aspects de la vie politique lorraine, la diplomatie comme les relations avec la noblesse ou l’approvisionnement quotidien du palais ducal. Il n’y a donc pas vraiment de spécialisation institutionnelle ou géographique des membres de l’administration centrale de Lorraine au début du xve siècle, situation d’ailleurs commune à toutes les principautés de l’époque243. Qu’ils soient germanophones ou francophones, tous les Simon des Armoises, obtiennent le versement de rentes sur la halle de Nancy (A.D.M.M. B 7232, f. 1r). Enfin, le premier tabellion de Nancy originaire du duché de Bar apparaît à cette époque en la personne de Collignon Simon, de Mangiennes ( J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit, p. 137). 239 Cf. Annexe 20. Les trois premières de ces familles figurent également parmi les principaux détenteurs d’offices au cours de la période, ce qui montre que leur prééminence vient de la faveur que leur accorde le duc de Lorraine et pas seulement d’une connaissance de l’allemand qui les rendrait indispensables dans les territoires germanophones. 240 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 154, note 29. Celles-ci en effet ne tiennent une place importante qu’à partir de 1422. Or, Henri Hase est présent à la cour tout au long de la période. 241 Voir notamment le nombre de paiements qu’il effectue au nom du duc de Lorraine. Cela vient de l’absence de séparation rigoureuse entre les finances privées du prince, gérées par le maître d’hôtel, et les ressources publiques du duché, confiées au receveur. 242 A.D.M.M. B 743, no 11, daté de 1420. Cinq ans auparavant déjà, Charles II avait confessé devoir à son maître d’hôtel une somme de 2341 florins et six gros et demi pour ses services contre le duc de Bar, à quoi s’ajoutaient 450 florins demeurés impayés depuis la fin de la guerre contre les quatre seigneurs, en 1408 (A.D.M.M. B 743, no 10). 243 Jean Kerhevé parvient à la même conclusion pour la Bretagne ducale, pourtant beaucoup plus étatisée que le duché de Lorraine à la fin du Moyen Âge. cf. L’État breton aux xive-xve siècles, op. cit., p. 339.
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maîtres d’hôtel, à une exception près, appartiennent au premier cercle de l’entourage ducal, figurent parmi les personnages les plus en vue de la cour et s’occupent de toutes les affaires concernant le duché244. Le rééquilibrage entre le bailliage d’Allemagne et ceux de Nancy et des Vosges se perçoit enfin à travers le choix des résidences princières. Jusque-là, tous les ducs avaient privilégié Nancy et s’étaient cantonnés dans la partie francophone de la Lorraine245. De ce point de vue non plus, Charles II ne bouleverse pas totalement la tradition. Son lieu de prédilection demeure Nancy, ce qui permet à la ville, nous l’avons vu, de conforter son statut de capitale de la principauté. Mais le duc affectionne les rives de la Moselle : il se rend fréquemment à Gondreville et également à Sierck246. Sa femme Marguerite de Bavière apprécie elle aussi beaucoup cette localité, qui lui rappelle peut-être davantage son pays natal, et jette son dévolu sur Einville, qu’Isabelle de Lorraine et René d’Anjou lui laisseront en douaire à la mort de son mari247. Comme tous les princes de son temps, Charles II mène une existence en partie itinérante. Les sources contiennent d’ailleurs de nombreuses allusions à ses voyages « en Alemaigne »248. Choix personnel ou contrainte politique ? Il est bien souvent difficile de le dire, mais l’un n’exclut pas l’autre. Dans tous les cas, l’intérêt que porte le duc à la partie germanophone de ses États ne peut que renforcer le poids du bailliage d’Allemagne et de ses ressortissants à l’intérieur de la principauté lorraine. Si l’on considère les principaux offices de l’administration et de la cour, la progression du personnel de langue allemande dans l’entourage de Charles II montre cependant ses limites. Le duc continue à préférer les francophones aux germanophones pour le 244 Jean Denis (27e) se trouve en retrait par rapport aux autres maîtres d’hôtel de Charles II, Henri Hase (1er), Gérard de Haraucourt (2e), Henri d’Ogéviller (7e) et Warry de Haroué (12e). Mais il est aussi le seul roturier à exercer cette fonction. 245 Toutes les prévôtés et les châtellenies pouvaient à l’occasion servir de pied-à-terre aux ducs et à leur suite lors de leurs nombreux déplacements (cf. ci-dessus figure 3). Mais Nancy et Einvilleau-Jard accueillaient la cour pour les séjours de longue durée. C. Rivière, « Das Herzogtum von Lothringen », in Höfe und Residenzen im spätmittelalterlichen Reich, hrsg. von der ResidenzenKommission der Akademie der Wissenschaften in Göttingen, Residenzenforschung Bd. 15, Ostfildern, Thorbecke, 2003, vol. 1, p. 53-58 ; et G. Giuliato, Châteaux et maisons fortes en Lorraine centrale, op. cit., p. 113-115. 246 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 167. Les comptes des bailliages de Nancy et des Vosges laissent penser que la duchesse passe une partie de l’hiver à Einville et que le duc réside assez souvent à Gondreville pendant l’été (A.D.M.M. B 7232 et B 7234). Quant au biographe de Marguerite de Bavière, il insiste sur les nombreux passages du couple princier et de la duchesse à Sierck, où ils fondent un monastère de chartreux le 3 août 1415 (A.D. Mos. H 3569). Voir également E. Martin, Marguerite de Bavière, duchesse de Lorraine…, op. cit., p. 13. Rien d’étonnant par conséquent à ce que l’on retrouve la famille de Sierck présente en si bonne place (5e) aux côtés de Charles II (Annexe 20). 247 A.N. KK 1123, layette mariages des princes et princesses de Lorraine avec les ducs de Bavière, no 18 et 19. Le 18 avril 1431, René et Isabelle réassignent à Marguerite le château d’Einville que Charles II lui avait octroyé et auquel elle avait renoncé quelques jours auparavant. 248 Arch. Nat. S 2238. Lorsqu’en 1405 par exemple les religieux de Saint-Denis viennent se plaindre au duc de Lorraine de ses empiétements incessants sur les droits du prieuré du val de Liepvre, ils ne trouvent à Nancy que le bailli Colignon de Ludres et le maître d’hôtel Warry de Haroué, qui lui répondent que le duc se trouve « en Alemaigne ».
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recrutement des maréchaux, des sénéchaux, des maîtres d’hôtel et des conseillers : on ne trouve en effet qu’un seul maréchal et qu’un seul maître d’hôtel d’origine germanique, et les conseillers issus de la Lorraine allemande, au nombre de sept sur trente-cinq, soit 20% du total, sont toujours sous-représentés par rapport à leurs collègues des bailliages de Nancy et des Vosges249. La proportion a beau être légèrement supérieure à celle de la période précédente (13%250, l’équilibre n’en est pas pour autant rétabli. Il en va de même pour les secrétaires, dont la fonction suppose une très grande proximité avec le prince. À première vue, la situation après 1400 contraste fortement avec celle de la seconde moitié du xive siècle, où les sources ne faisaient état d’aucun secrétaire germanophone251. Quatre des douze personnes ayant exercé cette charge durant les trois premières décennies du xve siècle ont un nom à consonance allemande252. Mais les apparences s’avèrent trompeuses, car si les secrétaires francophones suivent Charles II dans presque tous ses déplacements, les autres se montrent en revanche très discrets : les premiers figurent en effet soixante-dix fois aux côtés du duc, alors que la présence des seconds n’est signalée qu’à onze reprises253. Charles II s’efforce par conséquent de faire une plus grande place aux serviteurs de langue allemande à Nancy, mais il se sent toujours moins proche d’eux que de la noblesse seigneuriale française ou de la bourgeoisie de la capitale. Le rééquilibrage du duché de Lorraine au profit du bailliage d’Allemagne est donc réel, mais il conserve un caractère encore très partiel. Les mercenaires allemands de Charles II : le poids du contexte diplomatique international ?
Il nous reste à examiner un dernier aspect du renforcement de la présence allemande dans le duché de Lorraine, celui de la part croissante des éléments germaniques dans les armées ducales. Nous avons déjà évoqué l’engagement de mercenaires par Charles II dans les premières décennies du xve siècle254. Or, les deux phénomènes
249 Le maître d’hôtel en question n’est autre que Henri Hase de Dieblich, seigneur de Château-Voué. Quant au poste de maréchal, il est détenu pendant une courte période par Henri de Fénétrange, entre 1424 et 1426. Enfin, Henri Hase, Conrad, Thierry et Henri Bayer de Boppard, Colin Wisse de Gerbéviller, Schmassmann de Ribeaupierre et Jean de Créhange ont le titre de conseiller de Charles II. 250 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1. Entre 1350 et 1400, tous les maréchaux et tous les maîtres d’hôtel des ducs de Lorraine appartenaient à des familles implantées dans la partie française de la principauté. 251 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1, et Annexe 2. 252 Il s’agit d’Henzelin, de Petreman Xolaire, de Bertrand de Castres (= Blieskastel) et de Pierre Esch. 253 Ces totaux sont obtenus en additionnant le nombre de mentions des secrétaires allemands et français. Ils montrent que des hommes comme Bertrand de Castres ou Petreman Xolaire ne servent le duc que de manière occasionnelle, alors qu’un personnage comme Louvion Barneffroy bénéficie de l’oreille du prince et participe au conseil ducal. 254 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre.
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semblent corrélés. Dans leur ensemble en effet, les soldats au service du duc de Lorraine sont majoritairement germanophones255 : Lorraine germanophone 17%
Empire 13%
Lorraine francophone 15%
France 7%
Figure 22 : Origine géographique des serviteurs militaires du duc de Lorraine
Cette situation tranche avec celle de la cour, où la domination du personnel de langue française, comme nous venons de le voir, n’est pas remise en question. Elle provient sans aucun doute de l’apparition du mercenariat, puisque la proportion d’Allemands est encore plus importante pour cette catégorie de combattants que pour l’ensemble des serviteurs militaires de Charles II256 : Lorraine germanophone 17%
Lorraine francophone 3% France 7%
Empire 84%
Figure 23 : Origine géographique des mercenaires au service de Charles II
255 Les informations contenues dans la dernière colonne du tableau de l’Annexe 18 ont servi de base à l’élaboration de ce diagramme ; elles portent sur 572 personnages. Nous avons déterminé l’origine géographique de chaque personnage en prenant en compte la langue dans laquelle il s’exprimait ainsi que le lieu de sa naissance lorsque nous le connaissions. Dans le doute, nous avons classé les hommes dont nous ne savions pas s’ils étaient Lorrains ou non parmi les ressortissants du Royaume ou de l’Empire. Peut-être le pourcentage de ces deux catégories est-il par conséquent légèrement surévalué. 256 Ce camembert a été constitué à partir de l’Annexe 18 et selon les mêmes critères que le précédent. Nous n’avons toutefois sélectionné que les seuls mercenaires, en écartant les vassaux, les membres de l’hôtel, les alliés et les parents de Charles II.
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Ainsi, le duc Charles II recrute la plupart de ses mercenaires en Allemagne. Par conséquent, l’augmentation des effectifs mobilisés accroît inévitablement le caractère germanique de l’armée lorraine. Jean Ier quant à lui faisait appel de préférence aux vassaux des bailliages de Nancy et des Vosges257. Sous Charles II, les régions situées au sud-ouest de l’Empire apparaissent de plus en plus comme un réservoir d’hommes dans lequel le duc de Lorraine peut puiser pour faire face aux menaces venues de l’ouest258. La part réduite des Lorrains dans ces deux diagrammes témoigne en effet de l’insuffisance criante des ressources militaires internes à la principauté. Peut-être faudrait-il nuancer ce constat, en tenant compte de la présence de vassaux ducaux apportant leur aide à Charles II sans qu’il en soit fait mention dans nos sources, mais cela ne remettrait certainement pas en cause le bilan d’ensemble. À quoi tient cette préférence ducale pour les mercenaires allemands ? Constitue-telle un élément structurel, lié à la situation démographique et sociale des principautés d’Empire ? Ou bien faut-il invoquer au contraire le contexte politico-diplomatique de l’époque comme élément principal d’explication ? La question mérite que l’on dépasse l’analyse des données globales et que l’on se penche plus spécifiquement sur certains conflits. Prenons pour exemples les guerres des Quatre seigneurs et de la hottée de pommes. La composition des armées réunies lors de ces deux occasions donne en effet des résultats contraires259 : Lorraine francophone 6%
Lorraine germanophone 20%
Empire 74%
Figure 24 : Origine géographique des serviteurs militaires de Charles II durant la guerre des Quatre seigneurs
257 Ils représentaient en effet 81% des serviteurs militaires des ducs de Lorraine (142 sur 176) pendant la seconde moitié du xive siècle. Voir ci-dessus première partie, chapitre 1. 258 Voir Annexe 19. La plupart des mercenaires proviennent des territoires alsaciens et du Palatinat. Ph. Contamine, « René II et les mercenaires de langue germanique… » art. cit., p. 390, fait la même remarque pour la fin du xve siècle et intègre la Franconie et la Souabe dans la zone de recrutement. 259 Cf. Annexe 18. Ces deux graphiques ont été construits de la même manière que les précédents, en ne retenant toutefois dans le premier cas que les noms cités au cours des opérations dirigées contre les quatre seigneurs et, dans le second, que ceux mentionnés lors des expéditions lancées contre la cité de Metz. D’autres guerres viendraient conforter l’image de conflits intéressant en priorité tantôt les Français, tantôt les Allemands. Les troupes mobilisées par Charles II contre le duc de Bar notamment sont en grande partie germanophones (237 personnes sur 261, soit 90 % du total). De même, l’affaire de Guémar mobilise presque exclusivement des hommes d’origine germanique, à une exception près.
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Empire 14% Lorraine germanophone 13%
Lorraine francophone 46%
France 27%
Figure 25 : Origine géographique des serviteurs militaires de Charles II durant les guerres contre la ville de Metz
Lors de la guerre des Quatre seigneurs, une partie importante des belligérants provient des comtés et seigneuries situées dans la partie germanophone de l’espace lorrain, alors que la « guerre de la hottée de pommes » mobilise plutôt les Lorrains260. Sans doute l’implantation du duc d’Orléans dans les territoires d’« Entre-Deux » explique-t-elle que la petite noblesse des régions germanophones se sentit plus concernée par la menace que la famille royale française faisait planer sur ses privilèges et sur son autonomie. A contrario, la conquête de la ville de Metz, au profit d’un prince autoritaire et de plus en plus puissant, objet de la « guerre de la hottée de pommes », la laissait relativement indifférente. On peut également suggérer que la participation la guerre des Quatre Seigneurs était une forme de choix entre deux conceptions de l’État261. Dans le cadre de ce conflit, sans doute Charles II se méfia-t-il de son côté des sympathies que certains francophones éprouvaient à l’égard de la cause armagnaque et des liens qu’ils entretenaient avec la maison ducale de Bar et avec les familles du Barrois262. Toujours est-il qu’il mobilisa presque exclusivement des Allemands contre les comtes de Salm, de Sarrebruck et de Sarrewerden, alors qu’il recruta majoritairement des Français dans le contexte plus féodal et régional de la « guerre de la hottée de pommes ». La provenance des troupes enrôlées par le duc reflète sans doute « moins l’état du marché que les circonstances politiques »263.
260 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 4. 261 Ibid. 262 A.D. Mos. 24 J 117. Ainsi, le 15 septembre 1410, en pleine querelle des Armagnacs et des Bourguignons, le duc Robert de Bar inféode-t-il à Henri de Varsberg, le fils de Jean de Blâmont, un fief-rente de vingt livres de terre assignées sur les revenus des salines de Château-Salins, « pour les boins et leaulx services que le dict Hanry et ses hoirs feront et deveront faire a nous et a nos hoirs ducs de Bar on temps advenir ». Henri ne renonce pas pour autant à sa vassalité envers Charles II. Mais vu les circonstances, l’hommage lige qu’il doit au duc de Lorraine n’assure à celui-ci qu’une fidélité toute relative. 263 Ph. Contamine, « René II et les mercenaires de langue germanique », art. cit., p. 394. Même s’il faut les indemniser, la convocation de ses vassaux revient beaucoup moins cher au duc de Lorraine que le financement de compagnies de mercenaires. Il paraît donc logique qu’il se contente de leurs services pour des opérations militaires limitées dans le temps et dans l’espace.
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Certaines observations, valables pour des époques antérieures et postérieures à celle que nous étudions, doivent toutefois attirer notre attention. À l’extrême fin du xve siècle, René II fait appel lui aussi à des mercenaires de langue germanique pour lutter contre les attaques de Robert de la Marck, le seigneur de Sedan264. Et dès le xiie siècle, Philippe Auguste ou Richard Cœur de Lion avaient engagé les premiers contingents de « Brabançons », originaires des pays mosans et rhénans265. Cela démontre l’existence, « dans cette vaste zone située de part et d’autre du Rhin […], pour des raisons démographiques, économiques, voire ethnographiques », de « toute une faune de larrons, pipeurs et paillars, de liffrelofres, de mauvais et joyeux garçons, de laufende Knechte, prête à participer aux entreprises de guerre, même de faible durée »266. Tout concourt en effet à entretenir dans ces régions la présence de capitaines et de compagnies de plus ou moins grande envergure : outre les règles successorales et la dégradation des revenus fonciers, la légitimité du recours à la guerre privée et l’indépendance relative de la noblesse par rapport aux princes ne peuvent qu’inciter certains cadets de famille à tenter d’arrondir leur fortune en plaçant leur épée au service du plus offrant. Le développement du mercenariat à la fin du règne de Charles II ne constitue donc pas seulement un indice de l’étatisation relative du duché de Lorraine dans les premières décennies du xve siècle ; il témoigne aussi de la permanence d’une culture politique commune à tous les territoires compris entre Meuse et Rhin. Tout compte fait, l’acculturation de la principauté lorraine au modèle étatique se traduisit moins par l’adoption des mentalités politiques du Royaume et par la mise en place de structures institutionnelles conformes à celles de la monarchie, qu’elle ne passa par un rééquilibrage des forces politiques de la Lorraine ducale au profit du bailliage d’Allemagne. Cette opération qui visait à l’affermissement de la souveraineté princière, toucha en priorité la noblesse, sans entraîner toutefois son affaiblissement politique au sein du duché de Lorraine, bien au contraire: non seulement elle conserva sa position à la cour de Nancy, comme nous l’avons vu, mais elle parvint aussi à augmenter ses prérogatives politiques. Le contrôle des structures étatiques par la noblesse La limitation du pouvoir ducal
Les circonstances de l’avènement de René d’Anjou et la position délicate dans laquelle il se trouve face au comte de Vaudémont donna à la noblesse l’occasion de contrôler l’État naissant et de fixer des limites très étroites à l’autorité ducale. Mais elle n’attendit pas la mort de Charles II pour affirmer ses prétentions. Le duc lui-même n’envisageait pas l’arrivée d’un prince étranger à la région sans une certaine méfiance
264 Ibid., p. 377-394. Les combats, ponctués de multiples trêves et de nombreuses journées de négociation, s’étalent sur une durée de cinq ans, de 1493 à 1497. 265 Dictionnaire du Moyen Âge, op. cit., p. 902-903 : article « mercenaire », écrit par B. Schnerb. 266 Ph. Contamine, « René II et les mercenaires de langue germanique… », art. cit., p. 394.
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et chercha avant toute chose à préserver ses États de la subordination à une puissance extérieure267. Peut-être est-ce là le sens qu’il faut donner à l’une des clauses de son testament, par laquelle il contraint son gendre à prêter serment de maintenir intactes les coutumes du duché de Lorraine. Item, voulons et ordonnons que nostre tres chier et tres amé filz René d’Anjou, duc de Bar, marquis du Pont, comte de Guise, a present marit et epoux de nostre tres chiere et tres amée fille aisnée Ysabelle de Lorraine, avant qu’il entre apres nostre trespas en sa seignorie et en la possession de nostre duchié, qu’il face serement a nos chevaliers et escuyers, et a chascune de nos bonnes villes, que bonnement et loyalement il gouvernera nostre pays, tant comme il en sera duc et seigneur […]268
Ce passage soulève deux questions essentielles. Quels engagements précis René d’Anjou est-il tenu de respecter ? Et dans quelle mesure a-t-il observé les dernières volontés de son beau-père ? Dans un premier temps, il convient de noter que l’acte doit être accompli devant les membres de la chevalerie lorraine et les représentants de la bourgeoisie, ce qui diffère fondamentalement de la promesse de garantir les privilèges de la collégiale Saint-Georges faite par les ducs de Lorraine depuis le règne de Raoul269. On peut en effet considérer cette assemblée de nobles et de bourgeois comme une ébauche d’États-Généraux et comme un indice de la distinction désormais opérée entre la personne du duc et la principauté elle-même. Le contenu du serment, consistant à gouverner « bonnement et loyalement » le duché, confirme d’ailleurs cette impression. À la fin du règne de Charles II, les formes d’un dialogue entre le prince et le pays se mettent en place dans la Lorraine ducale270. Et même s’il ne s’agit pas encore d’un contrat très précis, les termes employés ne laissent guère de doute quant à la nature des obligations auxquelles René devra se soumettre : dans l’esprit des contemporains, elles concernent forcément le maintien des coutumes traditionnelles du duché de Lorraine, par conséquent les franchises de chaque ordre271. Celles des villes ne sont certainement pas très contraignantes, mais celles de la noblesse limitent
267 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5. 268 Cf. Annexe 15, article no 33. Cf. ci-dessus conclusion de la deuxième partie. Voir également B. Guenée, Un meurtre, une société, op. cit., p. 44, p. 191-199. 269 M. Parisse, Austrasie, Lotharingie, Lorraine, op. cit., p. 194, et J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 240. Dans la charte de fondation de la collégiale en mai 1339, Raoul impose à ses successeurs de prêter serment devant le chapitre lors de leur entrée en fonction. 270 B. Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles : les États, op. cit., p. 244-245. Le duché de Lorraine suit en cela une évolution conforme à celle de la plupart des royaumes et des principautés de l’époque : « ce sont bien en général ces serments prêtés et ces contrats conclus qui ont défini de façon plus ou moins précise et plus ou moins durable le cadre constitutionnel dans lequel s’est situé le dialogue du prince et du pays. Ces serments et ces contrats marquent profondément la vie politique de ce temps. » 271 W. Janssen, « "… na gesetze unser lande …" Zur territorialen Gesetzgebung im späten Mittelalter », art. cit., p. 16-20. Comme le Moyen Âge prend ce qui est habituel pour ce qui est juste, il met généralement la loi et la coutume sur un pied d’égalité. La première intervient uniquement pour des situations complexes que la seconde s’avère incapable de régler. Seule la mise par écrit des coutumes donne réellement le pouvoir au prince de les modifier. Mais en Lorraine le phénomène ne se produit pas avant le règne du duc Antoine, au début du xvie siècle.
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fortement la marge de manœuvre dont dispose le duc à l’intérieur de ses États272. L’apparition des assemblées représentatives constitue donc un pas important dans le processus d’étatisation de la principauté ducale, mais elle s’accompagne également de la mainmise de la classe seigneuriale sur les institutions nouvellement créées. Cela dit, que s’est-il réellement passé après la mort de Charles II ? Les sources divergent fortement sur ce point. Le procès-verbal de l’entrée de René d’Anjou à Nancy en 1431 n’a été rédigé que vingt-deux ans plus tard, à l’occasion de l’avènement de son fils Jean II. Si l’on en croit ce document, René se serait contenté de promettre de respecter les libertés du chapitre de Saint-Georges, au terme d’une procession le conduisant à travers la ville, depuis la porte de la Craffe jusqu’à la collégiale273. Mais la Chronique de Lorraine présente une autre version des faits : Tantost vient le comte de Guyse que René d’adpeloit ; en belle compaignie en Loheregne se vient presenter ; tous les nobles a davant s’en sont allés. Les seigneurs de Sainct-Georges tous luy ont faict bien venant. – Vos estes nostre duc. Or, en allant dedans Nancey se l’ont tous admené, devant Sainct-Georges se l’ont faict arrester ; de son cheval se l’ont faict se [de]monter ; en l’esglise devant le grand autel se l’ont mené ; de luy ont print le serment de bonnement entretenir les droicts de Loheregne et le bras seculier274.
Selon cet auteur, la cérémonie se serait bien déroulée conformément aux prescriptions du duc Charles II. En effet, l’allusion aux « droicts de Loheregne » que René Ier s’engage à « bonnement entretenir » correspond sans aucun doute aux prérogatives des trois états, au premier rang desquels figure la chevalerie. Lequel de ces deux récits faut-il croire ? Nous nous rallions aux arguments formulés par Jean-Luc Fray dans son étude sur la capitale du duché, selon qui la relation la plus vraisemblable de ces événements est celle présentée par la Chronique de Lorraine275. On peut donc conclure que la succession de Charles II a permis à la noblesse de borner de manière très stricte le pouvoir princier. Mais elle lui a aussi fourni un prétexte idéal pour renforcer son poids politique à l’intérieur de la principauté et pour arracher au duc de nouveaux privilèges. L’une des raisons majeures de l’accession de René d’Anjou au trône ducal réside dans le soutien indéfectible que la société politique lorraine lui a apporté. Mais c’est essentiellement la classe seigneuriale qui a joué un rôle déterminant dans la dévolution du pouvoir au gendre de Charles II, la bourgeoisie et le clergé se contentant le plus souvent d’une approbation tacite276. Cette omniprésence des nobles apparaît dès les premières années du xve siècle, au moment où la question de la succession ducale 272 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 98-99. À l’époque de Charles II, le clergé et la bourgeoisie ont des droits, mais ils n’exercent pas vraiment d’influence politique. En revanche, toutes les décisions engageant l’avenir du duché de Lorraine doivent recevoir l’adhésion de la chevalerie. 273 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 239-240. René d’Anjou aurait alors suivi une tradition sans doute elle-même respectée par les ducs Jean Ier et Charles II. 274 L. Marchal (éd.), La Chronique de Lorraine, op. cit., p. 32. Ce sont naturellement les termes du serment qui nous intéressent ici. 275 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 240-241. 276 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5.
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ne se pose pas encore avec une très grande acuité. Ainsi, en 1410, lorsque Charles II envisage l’union d’Isabelle avec le fils cadet du duc de Brabant, il demande à la chevalerie lorraine, et à elle seulement, de sanctionner la décision qu’il vient de prendre et de promettre de ne pas donner pour époux à sa fille aînée un sujet du Royaume, s’il venait à mourir avant qu’elle ne fût mariée277. Par la suite, il procédera toujours d’une manière identique. En 1420, quelques mois après la conclusion du traité de Foug et la cession du Barrois à René d’Anjou, seuls des vassaux de Charles II se portent caution pour lui et s’engagent à forcer leur suzerain à abandonner la régence du duché de Bar au cas où René décéderait sans laisser aucune descendance278. Cette démarche semble particulièrement révélatrice : si Louis de Bar ne compte que sur la noblesse pour contraindre le duc à tenir sa parole, c’est qu’il estime qu’elle constitue la seule force politique importante de la principauté lorraine, en dehors de Charles II lui-même279. Enfin, le 13 décembre 1425, les nobles sont invités une dernière fois à dire le droit et à affirmer que la coutume autorise la transmission du duché en ligne féminine. Le groupe des participants à cette assemblée dépasse d’ailleurs le cercle des familles qui fréquentent assidûment la cour de Nancy280. Manifestement, le duc a voulu s’appuyer sur l’ensemble de la chevalerie lorraine. De fait, durant ces quinze années, ni les membres du clergé, ni les représentants des villes ne sont intervenus pour approuver les décisions prises par le duc. Peut-être ne se sentaient-ils pas autorisés à s’exprimer sur une question d’ordre dynastique. Apparemment, on ne considérait pas leur accord comme indispensable281. Les conséquences d’une telle situation apparaissent clairement dès la mort de Charles II. Face aux prétentions affichées par le comte de Vaudémont et en l’absence de René d’Anjou, les conseillers ducaux prennent en « main, bail et commande
277 Cf. Annexe 13. Au total, quarante-sept chevaliers et écuyers lorrains ont prêté serment. 278 Cet acte est recensé dans Dom Calmet, Preuves de l’Histoire de Lorraine, op. cit., p. CXIX-CXXIII (aucun original ni aucune copie ne se trouve à notre connaissance dans les Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle). Il est souscrit par une vingtaine de personnes, dont la plupart avaient déjà signé le document de 1410 (voir note précédente). Parmi les nouveaux venus, on trouve Jean, comte de Salm, Jean, comte de Linange et de Réchicourt, Ludeman de Lichtenberg, Jean de Rodemack, Ferry de Lignéville (alias Rosières-1 au xive siècle), Jean de Parroy et Ferry de Savigny. 279 Cf. Annexe 14, art. no 7 et 8. Selon cet article du traité de Foug, le cardinal-duc pouvait prendre en effet toutes les mesures qui lui sembleraient nécessaires pour obtenir la restitution du duché de Bar au cas où « mondit seigneur de Guise allast de vie a trespassement sans laisser hoirs de son corps en loyal mariage » ou « s’il advenoit que madite damoiselle, que Dieu ne vuelle, allast de vie a trespassement sans hoir procreé de son corps avant mondit seigneur de Guise ». Louis de Bar a donc estimé que les bourgeois et le clergé ne pouvaient lui apporter aucune garantie dans cette affaire. 280 Cf. Annexe 16 et BnF Col. Lor., no 53, f. 81-83. Certains des vassaux signataires de ces deux actes ne sont que très rarement mentionnés aux côtés de Charles II, comme Hugues de Bulgnéville, Philippe de Berney, Werner Hutzing et Petreman de Kemeren, pour ne citer que quelques exemples. 281 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar…, op. cit., p. 99. Nous ne pensons pas que ces deux états « manquaient d’esprit politique », comme l’affirme l’auteur. Nous croyons plutôt que leurs droits n’étaient pas encore suffisamment ancrés dans les esprits pour leur permettre de se prononcer sur la succession du duché de Lorraine.
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la duchié de Lorrainne, villes, places et paiis282 ». Ce faisant, ils ne reviennent en rien sur leur promesse de reconnaître Isabelle comme héritière de la principauté, mais ils affirment leur capacité à seconder le nouveau duc dans des circonstances particulièrement difficiles. Tout comme pour la seconde moitié du xive siècle, nous ne connaissons pas la composition complète du conseil ducal283. Mais les personnes présentes lorsque René Ierexigea d’Antoine de Lorraine l’ouverture des places fortes du comté de Vaudémont appartiennent toutes au monde de la noblesse, à l’exception de Jean de Bruillon. Beaucoup figuraient également en bonne place dans l’entourage de Charles II284. La classe seigneuriale retire donc tous les bénéfices du soutien qu’elle accorde au pouvoir ducal et détient une position dominante dans toutes les institutions du duché de Lorraine, qu’il s’agisse du conseil ou des États-Généraux. Ceux-ci se réuniront en effet pour la première fois quelques années plus tard, en 1435, pour discuter des négociations engagées à Arras en faveur de René d’Anjou, fait prisonnier à la bataille de Bulgnéville. L’avis des nobles y prévaudra largement sur ceux de la bourgeoisie et du clergé285. À la fin du règne de Charles II comme dans les premiers temps de celui de René Ier, l’étatisation de la principauté lorraine n’empêche pas la noblesse de peser d’une manière décisive dans la définition de la politique ducale. Qui plus est, « la chevalerie étant seule venue en aide à son souverain stipula pour elle seule des garanties et des privilèges quand le moment fut arrivé de payer les services rendus »286. L’accroissement des privilèges judiciaires de la noblesse
Il faut revenir ici sur les concessions octroyées par René d’Anjou aux seigneurs lorrains quatre jours seulement après la mort de Charles II, le 29 janvier 1431287. Par cet acte, René Ier entend « entretenir et garder loyaument et bonnement » le duché de
282 Arch. Com. Metz, AA 11, no 91. Le 27 janvier 1431, Antoine de Lorraine écrit au chef du conseil Jean d’Haussonville et lui demande de maintenir « la chose en l’estat qu’elle est […] en vostre garde et commande sens en faire aucun transport jusques a ung an a contei de la datte de la mort de nostre dict tres chier seigneur et oncle ». Mais Jean d’Haussonville n’accédera pas à cette requête. 283 Sur ce sujet, voir ci-dessus première partie, chapitre 1, ainsi que l’Annexe 2. La première ordonnance fixant des règles durables pour cette institution date du règne de René II, à l’extrême fin du xve siècle. Cela montre que le retard administratif du duché de Lorraine par rapport au Royaume persiste jusqu’à la fin du Moyen Âge et même au-delà. R. Parisot, Histoire de Lorraine, op. cit., t. I, p. 384. 284 Arch. Nat. J 911, no 37, acte du 11 avril 1431 publié par B. Schnerb, Bulgnéville (1431), op. cit., pièces justificatives, no 4, p. 131-132. Les seigneurs de Beauffremont, Dommartin, Fléville, Haussonville, Lenoncourt, Parroy, Proisy et Ville assistaient au conseil ce jour-là. Parmi eux, seul Jean de Proisy n’appartient pas au groupe des serviteurs ducaux entre 1400 et 1431 (cf. Annexe 20). Les autres sont membres des soixante-quinze familles les plus présentes à Nancy durant cette période. 285 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. Voir également sur ce sujet É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar…, op. cit., p. 117-123 et 147 : « Aussi, pendant les six ou sept premières années de la période angevine, la Lorraine présente-t-elle l’aspect d’une république aristocratique. » L’expression employée par l’auteur, naturellement très exagérée, traduit cependant bien la domination politique de la classe seigneuriale dans le duché de Lorraine à cette époque. 286 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar… op. cit., p. 99. 287 Cf. ci-dessus deuxième partie, chapitre 5.
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Lorraine « et ses anciens coutumes et usaiges »288. Cette formulation prouve, s’il en était encore besoin, que le serment prononcé lors de l’entrée solennelle du duc dans la capitale de ses nouveaux États concernait à coup sûr les prérogatives traditionnelles des gentilshommes lorrains. Ceux-ci ne se sont d’ailleurs pas contentés de cette cérémonie d’intronisation et ont exigé une confirmation écrite des droits dont ils prétendaient disposer. Elle conduisit dans les faits à une réforme du système judiciaire lorrain et, notamment, de la procédure d’appel, puisque les Assises de Nancy connurent désormais en dernier ressort de tous les procès intentés dans les limites de la principauté ducale289. Le tribunal nobiliaire de Nancy est ainsi érigé en cour suprême du duché de Lorraine. Il est également déclaré compétent pour tout litige auquel des nobles se trouveraient mêlés : Et en outre, toutes et quante fois que la chevalerie dessus ditte, conjointement ou plusieurs, ou aucuns d’eux particulierement, prieront et requerront a nous, nos hoirs et ayans cause, ducs de Loraine, avoir droit et jugement par leurs pairs, comme dit est cy dessus, des debats et demandes que pouroient estre et mouvoir, en tout tems advenir, entre nous, nos hoirs et ayans cause ducs de Loraine, et laditte chevalerie conjointement, ou particulierement, leurs hoirs et ayans cause, nous, nos hoirs et ayans cause ducs de Loraine ne pouvons et ne devons aucunement refuser a laditte chevalerie conjointement, ne a plusieurs, ne a aucuns d’eux particulierement, ne a leurs hoirs, ne a aucuns d’eulx ayans cause, ledict droit et jugement de leurs dicts pairs, par la maniere que dessus est dit et declaré290.
Enfin, et c’est sans doute là le plus important, René déclare soumettre tout conflit survenant entre les ducs de Lorraine et la noblesse ducale au jugement des Assises de Nancy : […] toutes et quantes fois que nous et nosdits hoirs et ayans cause ducs de Loraine, ou nos officiers et aultres de par nous, volons aulcune chose demander a laditte chevalerie dudict duchié de Lorraine ou a aulcuns et plusieurs d’entre eulx particulierment, leurs hoirs et ayans cause, en quelque maniere que ce soit ou puisse estre, nous et nosdicts hoirs et ayans cause en devons laisser juger par la chevalerie native dudict duchié de Lorraine, et aultres nobles fiefvés dudict duchié, leurs pairs […]. Et pareillement se laditte chevalerie conjointement, plusieurs et aulcuns d’eux particulierement, leurs hoirs et ayans cause veuillent aulcune chose demander a nous, nos hoirs, successeurs et ayans cause, nous
288 B.M. Nancy, Ms. 189, f. 58-60. Les adverbes « bonnement » et « loyaument » figuraient déjà dans l’article du testament de Charles II exigeant de son gendre qu’il prête serment devant les chevaliers et écuyers et devant les bonnes villes du duché de Lorraine (cf. Annexe 15), ce qui incite à penser que le contenu de cette charte ne fait que reprendre et préciser le sens de la promesse faite par René lors de son accession au pouvoir. 289 B.M. Nancy, Ms. 189, f. 58-60 : « Et voulons aussi que tout apel des jugemens de ladicte duchié de Loraine soit porté faire par ladicte chevalerie […] sans ce que autres juges s’y puissent attendre, ne avoir connoissance ». Cette mesure rétablit une situation quasiment analogue à celle du règne de Jean Ier, lorsque les Assises étaient théoriquement compétentes pour réviser les jugements prononcés sur toute l’étendue du territoire ducal. À l’époque cependant, le duc pouvait trancher définitivement certaines querelles entre nobles, si ceux-ci déclaraient se soumettre par avance à sa décision (cf. ci-dessus première partie, chapitre 1). 290 Ibid.
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en devons laisser juger par la ditte chevalerie native dudict duchié de Loraine, et aultres nobles fiefvés dudict duchié, leurs pairs […]. Et tout ce que par laditte chevalerie sera dit et jugié par droit pour nous, contre nous, pour nos hoirs et ayans cause et contre eulx, nous, nosdits hoirs et ayans cause ducs de Loraine le devons tenir fermement, et en estre content sans aller faire, ne souffrir aller au contraire en quelconque maniere que ce soit ou puisse estre291.
Ainsi la classe seigneuriale du duché de Lorraine bénéficie-t-elle, au lendemain de la mort de Charles II, de privilèges considérables en matière de justice. Pour obtenir son soutien, René d’Anjou accepte en quelque sorte de se lier les mains et de compromettre l’autorité de ses successeurs qui se trouvent eux aussi engagés par sa promesse. Il se place volontairement sous la juridiction des Assises nobiliaires de Nancy, c’est-à-dire sous la tutelle des nobles, puisque ceux-ci peuvent faire condamner toute décision contraire à leurs intérêts. À l’inverse, il n’obtient aucune contrepartie de la part de la chevalerie qui n’est tenue à aucune obligation vis-à-vis du duc et dont les membres possèdent désormais une totale autonomie judiciaire292. Il semble donc que les progrès de la souveraineté ducale obtenus sous le règne de Charles II aient été réduits à néant dès l’avènement de son gendre. L’acte se présente en effet comme un retour aux « us et coustume ancienne dudict duchié » et au bon vieux temps de « feu de bonne memoire nostre tres chier grand pere monseigneur Jehan duc de Lorraine, dont Dieu ayt les ames293 ». Charles II était certes parvenu à renforcer son contrôle sur les vassaux ducaux, ce dont témoignent les « nouvelletez » auxquelles cette charte fait allusion et que nous avons déjà évoquées294. Pour autant, les avantages qui leur sont reconnus dans ce document ne correspondent pas au rétablissement d’usages précédemment appliqués et tombés en désuétude. Ils représentent au contraire une véritable innovation que la noblesse a cherché à vieillir délibérément en la rattachant à la tradition. Jamais en effet le pouvoir ducal n’avait paru aussi faible dans le domaine judiciaire. Même du temps de Jean Ier, le conseil ducal contestait aux Assises de Nancy le rôle de tribunal suprême de la principauté lorraine295. Enfin et surtout, ces pratiques, stipulées pour la première fois dans une ordonnance, quittent le domaine de la coutume pour acquérir
291 Ibid. Ces deux articles visent sans aucun doute à permettre à la noblesse d’échapper à la juridiction du tribunal du Change de Nancy qui relève du duc et dont les compétences s’étaient considérablement étendues du temps de Charles II. 292 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar…, op. cit., p. 103. L’auteur insiste lui aussi sur le caractère inégalitaire des relations entre le duc et les gentilshommes lorrains à partir de janvier 1431 : « […] tous les ducs de Lorraine sont liés à ce corps puissant par un acte qui n’est pas un contrat bilatéral, puisque la chevalerie n’a rien promis au duc […] ». 293 B.M. Nancy, Ms 189, f. 58-60. L’allusion à la coutume du duché de Lorraine revient de manière plus ou moins identique à sept reprises dans ce document. Cela témoigne du besoin des nobles lorrains de se référer constamment au passé pour légitimer les mesures prises, bien que deux d’entre elles constituent des nouveautés. 294 Cf. ci-dessus dans le présent chapitre. 295 Cf. ci-dessus première partie, chapitre 1.
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désormais force de loi. De fait, le texte promulgué par René Ier en 1431 sera confirmé par tous ses successeurs jusqu’en 1626296 … Il ne s’agit cependant pas d’une remise en cause du travail entrepris par le duc Charles II depuis le tout début du xve siècle pour établir sa souveraineté sur le duché de Lorraine. Tandis que dans son ensemble, l’ancienne chevalerie lorraine possède d’importants privilèges, tient même dans les États-Généraux le duc en échec, jouit enfin dans ses Assises d’une juridiction étendue, ses membres pris individuellement voient […] l’autorité ducale, bien secondée par ses agents, empiéter de plus en plus sur leurs prérogatives297.
Ce jugement, formulé par Robert Parisot pour la fin du xve siècle, semble valable dès l’époque qui nous intéresse. Il résout en effet la contradiction apparente entre l’étatisation progressive de la Lorraine ducale après 1400 et l’augmentation du poids de la noblesse dans la principauté. Elle s’est parfaitement adaptée à l’évolution des institutions et au développement de l’administration ducale en établissant son contrôle sur les structures de l’État naissant. Ce faisant, elle gagne en influence, en tant que corps politique ; la marge de manœuvre de chaque individu, quant à elle, diminue sensiblement. *** Quel bilan peut-on dresser de l’évolution du duché de Lorraine à la fin du règne de Charles II ? La comparaison avec l’époque précédente, celle de la seconde moitié du xive siècle, a permis de mettre en évidence un certain nombre de changements importants. Récapitulons-les. Au cours des premières décennies du xve siècle s’amorce le processus d’étatisation de la Lorraine ducale. Il se manifeste à travers la création de nouvelles institutions, le perfectionnement de celles qui existaient déjà auparavant et l’adoption de méthodes de gouvernement plus efficaces. Ainsi, le système judiciaire lorrain se hiérarchise et la procédure d’appel se clarifie, conduisant du tribunal prévôtal à celui du Change, puis au conseil ducal. Enfin, à partir de janvier 1431, les Assises de Nancy deviennent officiellement la cour suprême de la principauté lorraine. L’armée ducale se modernise elle aussi. Les effectifs s’accroissent sensiblement, même s’ils demeurent encore bien modestes. Les vassaux ne suffisant plus à la défense du duché, le recours aux mercenaires se généralise, à tel point que la majorité des serviteurs militaires ducaux recensés entre 1400 et 1431 appartient à cette catégorie de combattants. Timidement, de nouvelles armes, comme l’artillerie, font leur apparition. Tout cela permet au duc de Lorraine de faire face aux multiples conflits auxquels il se trouve mêlé au cours de la période. Mais le signe le plus révélateur de la genèse de l’État réside sans doute
296 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar…, op. cit., p. 14. C’est en effet la première fois que les ducs de Lorraine s’engagent de manière aussi contraignante vis-à-vis des nobles de leur principauté. La promesse de respecter les libertés traditionnelles de la chevalerie lorraine faite par Eberhard de Wurtemberg en 1353 n’engageait alors que sa personne ; elle était formulée dans des termes très généraux. Voir ci-dessus première partie, chapitre 1. 297 R. Parisot, Histoire de Lorraine, op. cit., t. I, p. 396.
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dans l’augmentation du personnel administratif et dans l’importance des missions confiées aux hommes de loi. Quatre secrétaires entourent le prince en permanence, au lieu d’un seul au temps de Jean Ier. Les charges qui reposent sur ces personnages sont elles aussi de plus en plus importantes. La pratique de l’écrit rend nécessaire l’archivage de tous les documents administratifs dans la tour du Trésor de la collégiale Saint-Georges. Les premiers comptes parvenus jusqu’à nous datent ainsi des années 1420. Parallèlement, les finances ducales se rationalisent quelque peu. Les secrétaires jouent un rôle clé dans cette évolution puisqu’ils contrôlent les comptes des officiers ducaux, rédigent les « montres » des compagnies de soldats levées et financées par le duc et lui servent d’avocats, lorsqu’il doit comparaître devant le Parlement de Paris, ou de procureurs lorsqu’il s’agit de défendre ses droits sur les abbayes messines face aux revendications de l’évêque de Metz. Plus nombreux, le personnel au service de Charles II réside également à proximité immédiate du palais ducal et contribue à la croissance de Nancy, qui prend de plus en plus l’allure d’une vraie capitale de principauté. Sous l’effet de la volonté du prince et des commandes des principales institutions religieuses, des bourgeois et des membres de l’hôtel, la ville s’embellit et s’agrandit. Elle prend définitivement la place de Remiremont comme siège principal du pouvoir et de la légitimité du duc, ce dont témoigne l’entrée solennelle de René d’Anjou, quelques jours après la mort de Charles II. Impulsé depuis la capitale, Nancy, ce mouvement touche également l’ensemble du territoire ducal et de la société politique du duché de Lorraine. Au moment où éclate le conflit entre René d’Anjou et Antoine de Lorraine à propos de la succession de Charles II, la population se structure en trois ordres bien définis. De la formation des états à la réunion des États-Généraux, il y a un pas qui sera franchi rapidement, quelques années plus tard, lorsqu’Isabelle de Lorraine demandera l’avis de tous ses sujets sur la défense de la principauté et le paiement de la rançon de son mari.
Le duché est aussi mieux équilibré territorialement. Le bailliage d’Allemagne rattrape en effet une partie de son retard par rapport à ceux de Nancy et des Vosges. Cela ne concerne pas le domaine institutionnel, mais le service du prince. Les Lorrains d’origine allemande paraissent beaucoup plus présents à Nancy et représentent environ le tiers du personnel administratif de Charles II. Les germanophones se spécialisent notamment dans le domaine militaire, où ils fournissent la majorité des mercenaires, cela pour des raisons à la fois culturelles et conjoncturelles. Dans tous les domaines par conséquent, la principauté ducale se renforce notablement. Plusieurs facteurs interviennent dans un tel phénomène. La pression qu’exerce constamment la monarchie française au cours de la période explique en partie l’expansion de son mode d’organisation politique aux territoires d’« Entre-Deux ». Mais au début du xve siècle, Charles II regarde le plus souvent la France comme une ennemie, ou au moins comme une menace. Dès lors, on ne peut comprendre pourquoi le duc se serait empressé d’adopter un modèle qu’il considérait comme étranger si l’on ne tient pas compte de ses contacts avec les princes voisins. Et de ce point de vue, nous avons mis en évidence le rôle du duché de Bar et de la signature
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du traité de Foug comme catalyseur du processus d’étatisation de la principauté lorraine. Le mariage d’Isabelle et de René confère en effet à Charles II la régence du Barrois et lui permet de se familiariser avec les méthodes modernes de gouvernement et de mesurer leur efficacité. L’apparition des premiers comptes et l’émergence des États-Généraux datent en Lorraine des années immédiatement postérieures à l’union des deux duchés : cela ne tient pas du hasard. Mais des causes internes entrent également en jeu. L’affirmation de la souveraineté ducale représente l’un des buts politiques majeurs de Charles II. Elle passe naturellement par un meilleur contrôle des vassaux et par la limitation des franchises dont disposent les principaux établissements religieux du duché. Mais elle suppose aussi la reconnaissance par les Lorrains de leur sujétion à l’égard du duc, ainsi que l’acceptation de son droit de législation et de son pouvoir de rémission. De tels acquis n’ont pas été obtenus sans mal. Ils ont été rendus possibles à la fois par le charisme et l’autorité dont a su faire preuve Charles II et par les progrès institutionnels réalisés sous son règne dans le duché de Lorraine. Enfin, les prétentions hégémoniques du duc sur l’ensemble de l’espace lorrain favorisaient aussi cette évolution. La Lorraine ducale se trouve une fois de plus en phase avec les principautés d’Empire, où la genèse de l’État débute elle aussi dans les premières décennies du xve siècle298. Pour autant, si le rythme des réformes est celui de l’est, l’inspiration vient de l’ouest, de la France, via le duché de Bar. En dépit des apparences, l’évolution de la principauté lorraine révèle donc bien l’existence d’un phénomène d’acculturation au modèle politique proposé par le Royaume. Le tableau ainsi brossé mérite cependant d’être nuancé sur bien des points. Par rapport à ses voisins français, le duché de Lorraine reste une principauté archaïque. Le duc doit toujours se contenter de ses revenus traditionnels, par bonheur suffisamment importants pour lui permettre d’atteindre ses objectifs politiques. La seule trace d’une véritable fiscalité réside dans la contribution payée par les bourgeois de Nancy pour financer une garnison de soldats professionnels, chargés de garder les remparts de la ville. Les pratiques comptables des officiers ducaux défient encore assez souvent le bon sens et ne permettent pas au receveur de Nancy et des Vosges de centraliser l’ensemble des ressources de ces deux bailliages. Malgré les quelques perfectionnements que nous avons évoqués, l’armée ducale se révèle toujours incapable 298 S. Wefers, Das politische System Kaiser Sigmunds…, op. cit., p. 34-39, montre le développement de la chancellerie et de la cour impériales sous le règne de Sigismond au début du xve siècle. Mais E. Isenmann, « Les caractéristiques constitutionnelles du Saint Empire Romain de nation germanique au xve siècle », in L’État moderne : le doit, l’espace, et les formes de l’État, op. cit., p. 143-166, p. 166 constate que « l’Empire se limita à être un cadre légal et politique, une alliance de défense et, d’une certaine façon, un recours pour la petite noblesse et les villes impériales. Au xve siècle, les territoires les plus importants se souciaient de consolider intérieurement leur pouvoir et leurs terres, de les protéger contre toute atteinte extérieure, et aussi de s’agrandir et de consolider leur système d’hégémonie. Dans un mouvement encore accéléré par la Réforme religieuse et par la mainmise sur les églises nationales et leurs biens, appuyé sur un corps d’administrateurs en pleine croissance, et négociant avec leurs États, les grands Landesherren concentrèrent, de plus en plus, les pouvoirs politiques, militaires et financiers, et obtinrent la Landeshoheit (souveraineté). »
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de venir à bout de la résistance des citains de Metz ou de se mesurer à celle d’un duc de Bretagne, de Bourgogne ou même de Bourbon. Bien que plus présents au conseil ou dans l’entourage de Charles II, les hommes de loi occupent toujours une place de second rang à la cour, derrière les familles seigneuriales. Enfin Nancy, la capitale du duché, qui ne compte pas plus de 2 500 habitants à la fin du xve siècle299, reflète parfaitement les faiblesses d’une principauté encore en cours d’institutionnalisation, à l’image des trois ordres, qui existent et bénéficient de droits politiques, mais ne se sont toujours pas réunis une seule fois à la mort de Charles II. Ces limites ne remettent pas en cause la réalité du processus d’étatisation du duché de Lorraine au cours des trois premières décennies du xve siècle. Peut-on toutefois le qualifier d’État princier ? Reportons-nous d’abord à la définition qu’André Leguai donne de ce concept dans l’introduction de sa thèse sur le Bourbonnais : En définitive, l’ensemble bourbonnais est un État dans la mesure où il dispose : 1°) d’institutions d’État analogues à celles de la royauté, beaucoup plus importantes que celles dont dispose un simple seigneur : conseil ducal, chambre des comptes, hôtel ducal, grands jours. […] 2°) d’une faible mais réelle puissance militaire. […] 3°) de finances médiocres, insuffisantes mais alimentées par des ressources qui ne sont pas toutes d’origine domaniale. […] 4°) d’une base territoriale élargie […]300
Force est de constater qu’en l’absence de tout système fiscal et de chambre des comptes, la Lorraine ducale ne remplit pas toutes ces conditions, notamment en matière financière. À cette époque toutefois, la notion ne saurait se réduire à des critères trop stricts. N’enfermons pas ‘État’ dans une définition trop précise et trop moderne. Et si l’on estime raisonnable d’admettre qu’il y a État dès qu’il y a, sur un territoire, une population obéissant à un gouvernement, dans ce cas, il va de soi qu’il y a eu aux xive et xve siècles en Occident des États dont il convient d’étudier les structures301. Le duché de Lorraine correspond pleinement à cette acception plus large du terme. De fait, l’assise territoriale de la principauté, le rayonnement politique et diplomatique de Charles II, le développement de l’administration et des institutions princières interdit de considérer le duché comme une simple seigneurie. Sortie de l’ère proprement féodale, l’étatisation s’y est réalisée dans le respect des valeurs traditionnelles de la société lorraine. Elle ne s’est pas faite contre les nobles, mais
299 J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 307. Encore cette estimation lui semble-t-elle un peu optimiste. 300 A. Leguai, De la seigneurie à l’État : le Bourbonnais pendant la guerre de Cent ans, op. cit., p. 9-10. Cette définition est aujourd’hui admise par la plupart des historiens. B. Schnerb, L’État bourguignon…, op. cit., p. 8-9, en donne une autre, assez voisine. « Ce type d’État se caractérisait par l’existence d’un pouvoir politique incarné dans une dynastie princière, par la création d’institutions administratives, judiciaires, financières et militaires propres, par le développement d’une idéologie spécifique, enfin par l’affirmation d’une diplomatie autonome. » 301 B. Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles : les États, op. cit., p. 62-63. De même, J.-Ph. Genet, « L’État moderne, un modèle opératoire ? », art. cit., p. 279, constate que « l’exercice qui consiste à diagnostiquer comme perversions du modèle général des accidents présentés comme des anomalies peut facilement verser dans un redoutable dogmatisme. […] Un autre danger inhérent à la notion de modèle est en effet celui de l’uniformisation ».
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avec eux et même pour eux, pourrait-on dire. La classe seigneuriale maintient sa prépondérance à la cour, même si elle doit désormais laisser un peu plus de place au personnel issu de la bourgeoisie nancéienne. Elle conserve également ses prérogatives judiciaires et son poids politique et parvient même à contrôler le pouvoir ducal, en lui imposant la juridiction des Assises de Nancy et en contraignant chaque nouveau duc à prêter serment de gouverner conformément à la coutume de Lorraine, lors de sa première entrée dans la capitale. Certes, les familles présentes dans l’entourage ducal se renouvellent assez fortement entre le xive et le xve siècle. Les individus perdent de leur autonomie, à l’image des barons lorrains. Les sires de Blâmont apprennent par exemple à leurs dépens qu’ils ne peuvent plus traiter d’égal à égal avec le duc. Mais la noblesse constitue maintenant le premier corps politique du duché de Lorraine, que l’on prend l’habitude de désigner par le terme de « chevalerie302 » L’expression, désormais consacrée, révèle le poids toujours considérable de la féodalité dans les mentalités politiques de la principauté ducale. Les progrès institutionnels viennent ensuite se greffer sur cette matrice féodale.
Conclusion de la troisième partie Cette troisième partie nous a permis de décrire la recomposition des forces politiques au sein de l’espace lorrain ainsi que l’évolution de l’entourage de Charles II et des structures institutionnelles du duché, sous l’effet de l’influence croissante du royaume de France. Quelles réponses les sujets du duc et des autres princes lorrains ont-ils apportées à l’exigence d’acculturation de leur région et de leur principauté au modèle politique français ? La première consiste dans le regroupement, autour du duc de Lorraine, d’un grand nombre de territoires et de seigneuries, parmi lesquels on peut citer le duché de Bar, les temporels épiscopaux de Toul, Verdun et Metz – ce dernier provisoirement –, les cités de Toul et de Verdun et la ville d’Épinal. La chose ne s’est pas faite sans mal et n’est pas allée sans provoquer des conflits violents et meurtriers, notamment entre les deux grands duchés de la région. Cette politique de rassemblement territorial s’est déroulée tantôt avec l’accord des populations et des princes concernés, tantôt sans leur consentement. Si le traité de Foug a reçu l’adhésion massive des noblesses barroise et lorraine, Charles II n’a pu maintenir sa protection sur Toul qu’en exerçant une pression militaire constante sur la cité. Soulignons aussi le caractère incomplet et fragile des résultats obtenus. Les citains de Metz et le comte de Vaudémont refusent la tutelle ducale et tiennent en échec l’armée lorraine pendant plusieurs années. Surtout, la construction politique élaborée par Charles II demeure toute provisoire, dans la mesure où le duc ne procède à aucune annexion : elle peut à tout moment être remise en cause, en cas de rétablissement des finances de l’évêché de Metz ou de victoire d’Antoine de Lorraine dans la guerre de succession qui s’annonce. Malgré
302 Il se trouve répété à maintes reprises dans la charte par laquelle René d’Anjou garantit à cet ordre le maintien de ses privilèges. B.M. Nancy, Ms. 189, f. 59-60.
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tout, la mobilisation des principaux seigneurs lorrains aux côtés de René d’Anjou et l’accueil de ce dernier à Nancy, sitôt la mort de Charles II témoignent de la prise de conscience par les Lorrains de la nécessité de s’unir face à un danger extérieur. Des progrès considérables ont été accomplis par rapport à la période précédente : la juxtaposition de deux cartes, celle de l’espace lorrain à la fin du xive siècle et celle établie pour la fin du règne de Charles II, le prouve d’ailleurs amplement. La menace française, puis bourguignonne, sur le duché de Lorraine a sans doute aussi facilité la mise en place de nouvelles institutions et le développement de l’administration princière, par souci d’efficacité. À la fin du règne de Charles II, nous l’avons vu, le processus conduisant à la genèse de l’État moderne semble lancé. Le duc contrôle beaucoup mieux les vassaux et le clergé de sa principauté, développe son activité législative et affirme de plus en plus fortement sa souveraineté. Secrétaires et hommes de loi deviennent des personnages importants, bénéficiant de l’oreille du prince. Les pratiques financières se perfectionnent, l’armée augmente ses effectifs, le système judiciaire se hiérarchise et les États-Généraux se mettent progressivement en place. Le duché de Lorraine se modernise et quitte peu à peu le stade féodal pour mieux résister aux ingérences étrangères. L’unification des forces régionales et le renforcement interne de la Lorraine ducale constituent deux réactions logiques face au défi lancé par les rois de France et les ducs de Bourgogne. Pour qu’elles puissent entrer en action, il fallait cependant que la société politique lorraine consente à faire taire ses querelles incessantes et accepte l’accroissement du pouvoir princier, ce à quoi elle s’était jusqu’à présent toujours refusée. Elle ne l’a fait qu’en contrepartie de la préservation de son identité et par le biais d’une réinterprétation du modèle étatique proposé par la monarchie française. Dans le Royaume en effet, l’étatisation a presque exclusivement profité au roi et donné naissance, à la fin du Moyen Âge, à une première « monarchie absolue de droit divin »303. En Lorraine au contraire, le même processus a débouché sur un « régime constitutionnel », dans lequel la noblesse détient des privilèges encore plus considérables que ceux dont elle disposait auparavant304. La notion d’État a donc été reprise et intégrée dans le duché sous une forme adaptée, compatible avec les mentalités politiques de la société lorraine. Ce phénomène d’adaptation ou de réinterprétation, fréquemment observé par les anthropologues, représente l’une des constantes définies par Roger Bastide dans son étude sur les processus d’acculturation305. 303 L’expression est tirée de l’ouvrage de P. S. Lewis, La France de la fin du Moyen Âge : la société politique, op. cit., p. 551. La victoire de Charles VII à partir de 1429 réside selon l’auteur dans l’attachement à un souverain fort, dont la fortune fait celle de son peuple, et dans le triomphe de l’idée monarchique sur les théories opposées, plus ou moins appliquées pendant un temps au cours de la guerre civile. Dans son esprit, il ne s’agit naturellement pas de nier l’ampleur des résistances provinciales et catégorielles ou de comparer le système politique de la fin du Moyen Âge à celui du siècle de Louis XIV. 304 R. Parisot, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 340, voit dans ces événements une conséquence de l’avènement de la dynastie angevine. Mais cette évolution correspondait aussi aux volontés exprimées par Charles II dans son second testament et aux garanties exigées de son gendre. Cf. Annexe 15, art. nos 33 à 40. 305 R. Bastide, Initiation aux recherches sur l’interpénétration des civilisations, op. cit., p. 13 . Voir également R. Bastide, Anthropologie appliquée, op. cit., p. 54-55.
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Celle-ci se fait presque toujours en tenant compte des spécificités du milieu interne ou du foyer culturel du groupe preneur – c’est-à-dire, dans le cas qui nous intéresse, du poids de la chevalerie et des mentalités féodales306. Cette constatation semble particulièrement pertinente pour la formation des États-Généraux du duché de Lorraine. Émile Duvernoy a clairement montré l’origine féodale de ces assemblées307. Or, pour Mary Douglas, les institutions dirigent de façon systématique la mémoire individuelle et canalisent nos perceptions vers des formes compatibles avec le type de relations qu’elles autorisent. […] Les solutions qu’elles prônent ne proviennent que du domaine restreint de leurs expériences. Si l’institution est fondée sur la participation de chacun, sa réponse à une question cruciale sera : « Plus de participation ! » ; si elle repose sur une relation d’autorité, elle répondra : « Plus d’autorité ! ». Les institutions ont la mégalomanie pathétique de cet ordinateur qui verrait le monde à travers son programme308.
Transposons ces propos dans la Lorraine ducale du début du xve siècle. La « question cruciale » posée au pouvoir princier ne fait aucun doute : il s’agit de la nécessaire étatisation de la principauté. L’autorité du duc y est déjà fortement limitée, depuis plusieurs siècles, par un conseil presque entièrement composé de nobles. La solution proposée passe donc nécessairement par une participation encore plus grande de la classe seigneuriale au gouvernement de la principauté, sous la double forme de conseils de régence et d’États-Généraux qui se mettent en place dès les premières années du règne de René d’Anjou309. Elle seule permettait de préserver le style de pensée de la société politique lorraine310. Ainsi s’explique l’évolution institutionnelle du duché à la fin du règne de Charles II. L’historien Gert Melville, qui s’est longuement penché sur cette question, définit trois principes essentiels qui régissent selon lui la vie des institutions : le principe de stabilisation, selon lequel ces organismes tendent avant toute chose à se perpétuer eux-mêmes ; le principe de déstabilisation, qui tient à leur incapacité à répondre à certains changements internes ou externes ; et enfin le principe de restabilisation, qui se traduit par l’ajustement à des exigences nouvelles311. La France a clairement joué le rôle de facteur déstabilisant pour les structures féodales du duché de Lorraine ; la
306 C. Rivière, « Les structures politiques et administratives du duché de Lorraine sous Charles II (1390-1431). Un exemple de résistance à l’acculturation ? », in Hypothèses 1999, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 151-157. 307 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 117. 308 M. Douglas, Ainsi pensent les institutions, op. cit., p. 84, mais aussi Gert Melville (« Institutionen als geschichtswissenschaftliches Thema : eine Einleitung », art. cit., p. 1-21. 309 R. Parisot, Histoire de Lorraine, op. cit., p. 340-341. La domination des membres de la chevalerie dans les instances gouvernementales du duché de Lorraine ne se relâche pas avec l’arrivée des Angevins, bien au contraire. 310 Sur cette notion, définie par Ludwig Fleck et reprise par M. Douglas, Ainsi pensent les institutions, op. cit., p. 12, voir ci-dessus première partie, introduction. 311 G. Melville, « Institutionen als geschichtswissenschaftliches Thema : eine Einleitung », art. cit., p. 18-21.
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création des États-Généraux visait quant à elle à les restabiliser, tout en les adaptant aux conditions nouvelles de l’époque. Placé dans une situation intermédiaire entre la principauté lorraine et le Royaume, le duché de Bar tient une place fondamentale dans ce processus d’acculturation. Nous avions déjà formulé ce constat dans la deuxième partie de l’étude312. Mais le retour à une échelle régionale et locale a permis de préciser les choses et de délimiter deux domaines dans lesquels l’influence barroise s’est avérée décisive. L’accession de Charles II à la régence de ce duché a entraîné presque immédiatement l’amélioration des pratiques financières de l’administration ducale de Lorraine : difficile de n’y voir qu’une simple coïncidence chronologique. Mis en présence de méthodes de gestion beaucoup plus modernes, le duc a tenté de les introduire dans sa principauté et il y est en partie parvenu. Quant aux ÉtatsGénéraux, leur réunion était explicitement stipulée dans le traité de Foug. Pour Charles II comme pour la chevalerie lorraine, la principauté de Bar présentait certainement une version de l’État moderne beaucoup plus acceptable que celle de la monarchie française. Mais les contacts ne se font pas à sens unique. La noblesse barroise en effet comprend rapidement qu’elle a tout à gagner à l’union des deux duchés, et pas seulement la pacification de l’espace lorrain. En soutenant la cause de René d’Anjou dans la succession de Charles II, elle se rend indispensable et peut ainsi augmenter les avantages dont elle bénéficie et poser des bornes très strictes à l’autorité ducale, à l’image de celles qui existent dans le duché de Lorraine. Elle contraint ainsi René d’Anjou à solliciter le consentement des États avant de prélever des aides extraordinaires, alors que les précédents ducs de Bar pouvaient prendre seuls ce type de décision313. Très différente au départ, la situation des seigneurs barrois et lorrains vis-à-vis de leur souverain tend peu à peu à se rapprocher, sous l’effet de la symbiose qui s’établit entre les deux principautés à partir de 1420. Mais de ce point de vue, c’est la Lorraine ducale qui fournit le modèle. Cette évolution conduit à un renforcement sensible de la culture et de l’identité politiques de la région314. Elle se produit au moment même où s’amorce dans le duché la genèse de l’État. Le paradoxe n’est qu’apparent, puisqu’il constitue la réponse de la société nobiliaire à cette étatisation. Peut-on étendre ces conclusions, valables pour l’espace lorrain, à d’autres territoires d’« Entre-Deux » ? La politique menée par Charles II dans le duché de Lorraine présente un certain nombre de points communs avec celle de Gaston Fébus dans la vicomté de Béarn. Tous deux tentent en effet d’agrandir l’assise de leur principauté et d’établir leur hégémonie sur les territoires voisins afin de bâtir un État indépendant, lorrain dans le premier cas, pyrénéen dans le second315. Tous deux s’efforcent aussi d’affirmer leur souveraineté et de renforcer leur autorité sur
312 Cf. ci-dessus deuxième partie, conclusion. 313 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 53. 314 Nous les avons définies dans la première partie ci-dessus, chapitre 2. 315 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn…, op. cit., p. 301-321 : « Vers un grand État pyrénéen ».
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les populations soumises à leur domination316. Toutefois, si leurs buts paraissent identiques, les méthodes qu’ils utilisent divergent profondément, ce qui explique peut-être l’inégale postérité de leur œuvre. Après la mort de Gaston III, le pouvoir vicomtal reçut un coup dont il ne se releva jamais. À l’annonce de la disparition du comte, les délégués des cours nobles et bourgeoises se réunirent et créèrent une institution nouvelle, les États de Béarn. Le vicomte dut partager avec ces États son pouvoir exécutif, législatif et judiciaire, jurer devant eux de respecter les Fors. En quelques jours, toute l’œuvre d’une vie s’effondra. De même le pillage du trésor d’Orthez réduisit à néant une partie de sa réorganisation financière317. La réunion des États de Béarn et le serment exigé du successeur de Gaston Fébus rappellent étrangement la confirmation, dès le 29 janvier 1431, des privilèges de la chevalerie lorraine par René d’Anjou et la réunion des États-Généraux du duché, quelques années plus tard. Pourtant, à la différence du Béarn, et bien que la succession de Charles II ait été à première vue beaucoup plus délicate à assumer que celle de Gaston Fébus, le duc de Lorraine parviendra assez rapidement à restaurer son pouvoir318. Peut-être cette différence tient-elle au fait que Charles II n’a pas cherché à aller contre le style de pensée dominant et les mentalités féodales de la société lorraine, tandis que la politique anti-nobiliaire et le « despotisme administratif » de Gaston Fébus lui avaient attiré la sourde hostilité d’une grande partie de ses sujets319.
316 Ibid., p. 115-168 : « La réorganisation du Béarn au profit du pouvoir vicomtal ». 317 Ibid., p. 343. 318 En ce qui concerne l’évolution du pouvoir ducal sous la dynastie angevine, voir A. Girardot, « État et réformations en Lorraine angevine », art. cit., p. 49-69. 319 Cette expression est employée par P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn…, op. cit., p. 133-135. L’hostilité de la population béarnaise prit des formes diverses. Dans les années 1350, la ville d’Orthez fut lourdement rançonnée : elle avait profité de l’absence du vicomte pour se révolter contre son lieutenant-général Arnaud-Guilhem de Béarn. En 1379, Gaston III apprit que son propre fils avait projeté de l’empoisonner, sur les conseils de quelques courtisans et de Charles le Mauvais. Fébus le fit alors enfermer dans le château d’Orthez et le tua de ses propres mains quelques mois plus tard, au cours d’un accès de fureur. Ibid., p. 316-321.
Conclusion générale
L’an mil IIIIC et trante ans Le mardy, lendemain de la sainct Vincent1, Encomenceait a faire moult grant vent. Et en celle mesme jour et propre houre, Car en poc d’oure Dieu laboure, Charles, duc de Lorreigne, Commenceat sa derniere alleigne A laisier et a panre fin, Car le merquedy bien matin, De cestui siecle trespassa. Et dès celuy jour ne laissa De faire le plus grant moleste De foudre, de vent et de tempeste Que c’estoit la plus grant merveille Qu’oncques ne vit la pareille, Car des maixons et des clochiers, Les tuilles et les cailles abbatirent Tellement et a sy grand bandon Qu’on n’osoit yssir des maixon Jusques au jeudy bien matin Que de sainct Pol fut lendemain. De ce vous ay dict tout le vray. Prions a Dieu le tout parfait, Que son asme, cum omnibus sanctis Vueille losgier en paradis. Amen2
Le style grandiloquent de ce poème du doyen de Saint-Thiébaut de Metz et la comparaison implicitement établie entre la mort du duc de Lorraine et celle du Christ peuvent prêter à sourire, même si presque tous les princes du Moyen Âge ont fait l’objet de tels panégyriques. Charles II apparaît aujourd’hui, y compris aux yeux des Lorrains, comme un prince de second rang3. Pourtant, instigateur de la réunion des duchés de Lorraine et de Bar, il laisse à sa mort une œuvre inachevée, mais
1 24 janvier 1431 (n. st.). 2 B.M. Nancy, Ms 39, Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz, op. cit., f. 43v. 3 Outre le roi Lothaire II, les ducs Ferry III, Raoul, René Ier, René II, Antoine, Charles III, Charles V et naturellement Stanislas bénéficient d’une rue, d’un square ou d’une place à leur nom dans la ville de Nancy. Charles II, quant à lui, n’a pas eu droit à un tel honneur.
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beaucoup plus solide qu’elle ne le paraît au premier abord, puisqu’elle lui survivra pendant plus de trois siècles, jusqu’au rattachement définitif au royaume de France en 1766. Charles II ne mérite donc pas le jugement sévère que certains historiens ont parfois porté sur lui4.
Une principauté sous l’emprise de la féodalité Reportons-nous à la définition que donne Serge Berstein de la culture politique. En d’autres termes, la culture politique telle qu’elle apparaît à l’historien est un système de représentations fondé sur une certaine vision du monde, sur une lecture signifiante, sinon exacte, du passé historique, sur le choix d’un système institutionnel et d’une société idéale, conformes aux modèles retenus, et qui s’exprime par un discours codé, des symboles, des rites, qui l’évoquent sans qu’une autre médiation soit nécessaire5.
Le duc et son entourage se réfèrent constamment aux normes et aux valeurs de la chevalerie. C’est le sens qu’il faut donner aux expéditions prussiennes entreprises respectivement par Jean Ier et Charles II en 1378 et 1399. Ils ne font d’ailleurs que suivre en cela une mode très répandue à cette époque dans l’Occident chrétien, qui mêlait à l’accomplissement d’un vœu de croisade le désir de vivre « une épopée chevaleresque dans une atmosphère de roman6 ». Mais il ne s’agit pas d’un jeu destiné à reconstituer artificiellement un monde désormais révolu. Dans le duché de Lorraine en effet, les privilèges de la classe seigneuriale et la place qu’elle occupe à la cour de Nancy lui confèrent un rôle beaucoup plus important que celui de la noblesse française à Paris et dans la plupart des principautés du Royaume. À la fin du xive siècle, les nobles lorrains disposent par exemple de leur propre juridiction et détiennent la totalité des offices supérieurs de l’administration ducale ; certains barons possèdent même des tribunaux alleutiers et peuvent prétendre traiter d’égal à égal avec le duc. Ni chez les ducs, ni parmi les membres de leur entourage, nous n’avons trouvé trace d’une grande culture historique. Cela ne les empêche pas toutefois de se forger leur propre conception du passé, de l’histoire de leur dynastie et du territoire sur lequel ils règnent. Celle-ci perce notamment à travers les textes relatifs aux abbayes de SaintPierre-aux-Nonnains et de Saint-Martin de Metz, dans lesquels Jean Ier et Charles II n’oublient jamais de préciser qu’ils interviennent en tant que fondateurs de ces deux
4 Nous pensons tout particulièrement à cette phrase, d’ailleurs partiellement fausse, d’Émile Duvernoy : « Raoul, Jean Ier et Charles II perdent leur temps et usent leurs ressources dans des expéditions lointaines, plus brillantes qu’utiles, qui les conduisent du Niémen au Guadalquivir, de la Serbie à la Bretagne. » É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 86. 5 S. Berstein, « L’historien et la culture politique », art. cit., p. 71. Voir également ci-dessus l’introduction générale. 6 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn…, op. cit., p. 75-76, rappelle qu’au château de Marienbourg, les douze chevaliers qui s’étaient le plus distingués prenaient place autour d’une table ronde, étaient admis dans l’ordre de la Table et recevaient le droit de se parer de la devise "Honneur vainc tout". » (ibid.) La décision de Charles II de participer à une telle aventure doit sans doute également beaucoup à cette mise en scène de la légende arthurienne.
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établissements religieux. De telles affirmations sont naturellement destinées à défendre leurs intérêts sur des monastères situés aux portes mêmes de la cité messine. Mais elles constituent également un témoignage révélateur du sens que les deux princes donnent à leur mission. Tous deux se considèrent manifestement comme les protecteurs naturels des clercs et des églises situées dans le duché, ce qui leur donne en contrepartie un droit de regard sur la gestion des biens ecclésiastiques. L’investiture que leur accordent les empereurs ne peut d’ailleurs que les renforcer dans cette conviction, puisqu’elle comprend l’avouerie de Remiremont et la seigneurie sur les fils de prêtres nés entre Meuse et Rhin. Or, ces privilèges ont une origine clairement féodale. L’organisation institutionnelle de la principauté ducale est, elle aussi, profondément marquée par la féodalité. Son armature administrative demeure rudimentaire et les relations vassaliques structurent encore très largement les relations entre le duc et la noblesse lorraine. Au début de son règne, Charles II s’accommode très bien d’une telle situation et n’exige pas des membres de la chevalerie qu’ils reconnaissent leur sujétion à son égard. Le voudrait-il d’ailleurs qu’il ne le pourrait pas. À la fin du xive siècle, les liens personnels occupent donc une place fondamentale dans le système de gouvernement du duché de Lorraine. Symboles, rites et discours en révèlent la nature profonde. Lorsque Charles II sollicite l’avis des nobles de son duché « sur leur foi, serment et feableté qu’eux et chacun d’eux ont a nous »7, il entend respecter les prérogatives traditionnelles de ses vassaux et en fait ses conseillers naturels. Lorsqu’il se plie à la cérémonie d’entrée des ducs de Lorraine à Remiremont et prête à trois reprises le serment de respecter les franchises de l’abbaye et de la ville, il manifeste publiquement l’importance qu’il accorde à ses droits, mais aussi à ses devoirs d’avoué. Enfin, l’absence de sceau de majesté et l’adoption d’un sceau équestre, sur lequel le duc se fait représenter à cheval et brandissant l’épée nue, montre qu’il se considère comme un chevalier plutôt que comme un souverain. Par conséquent, la féodalité apparaît bien comme le dénominateur commun des différentes facettes de la culture politique du duché de Lorraine. Dans ces conditions, il paraît évident que la société politique de la principauté ducale ne saurait s’étendre à l’ensemble des sujets de Jean Ier et de Charles II. Elle se restreint au contraire au cercle étroit des personnes qui fréquentent la cour de Nancy ou participent, directement ou non, au pouvoir. La classe seigneuriale s’y trouve naturellement en position dominante. On pourrait même parler d’une situation de quasi-monopole, puisque seuls quelques roturiers, issus pour la plupart d’entre eux de la bourgeoisie nancéienne, ont réussi à se frayer un chemin auprès de la personne du prince, pour lequel ils accomplissent des missions et remplissent des fonctions importantes, mais discrètes. Leur visibilité demeure donc faible. Quant aux membres de l’aristocratie, ils tendent à constituer une véritable caste fermée, réservée aux seules familles dont la noblesse remonte aux croisades ou se perd dans la nuit des temps, et qui sera désignée plus tard par l’expression de « chevalerie lorraine ». Au sein de
7 Dom Tabouillot et J. Dom François, Histoire de Metz par les religieux bénédictins, op. cit., t. IV, p. 426, cité par J.-L. Fray, Nancy-le-Duc, op. cit., p. 124.
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cette société d’égaux, le duc ne représente qu’un simple primus inter pares, ce qui limite considérablement son autorité et diminue fortement sa marge de manœuvre. Ces caractéristiques ne s’appliquent d’ailleurs pas au seul duché ; elles peuvent être étendues à l’ensemble de la Lorraine, au sein de laquelle n’émerge aucune force politique réellement dominante. Le morcellement extrême de la région, l’éloignement des deux seuls monarques en mesure de s’imposer, le roi de France et l’empereur, contraint les différents protagonistes à négocier entre eux sur un pied d’égalité, qu’ils soient ducs, comtes, magistrats urbains ou simples seigneurs. Les traités de Landfried qui tentent, sans grand succès, de pacifier la Lorraine, établissent des commissions d’arbitrage où siègent des délégués de toutes les entités politiques représentées. Tout comme le conseil dans le duché de Lorraine, ces assemblées, presque exclusivement composées de nobles, forment une sorte de société politique régionale et permettent aux Lorrains de prendre progressivement conscience de leur unité. Les liens personnels et les relations féodo-vassaliques jouent au sein de l’espace lorrain exactement le même rôle que dans la principauté ducale. Il n’en demeure pas moins que dans le reste de l’Europe occidentale, l’époque est à la croissance de l’État et au développement des structures administratives. Or, « une culture politique, si elle survit, ne peut le faire qu’en s’adaptant aux problèmes nouveaux posés par l’évolution. À défaut, elle se trouve condamnée à la disparition à plus ou moins court terme8 ». Pour la Lorraine ducale, l’heure de la mutation sonne pendant le règne de Charles II, dans les premières années du xve siècle. Tout comme ailleurs, la guerre sert de catalyseur au processus9. Non pas qu’elle ait été absente de la région au cours du xive siècle, bien au contraire ! Mais à partir de 1400, les conflits prennent un visage nouveau. Ils durent désormais plus longtemps, mobilisent des troupes beaucoup plus nombreuses et mettent le duc aux prises avec des adversaires nouveaux et bien plus redoutables que ceux de l’époque précédente. Derrière les ducs de Bar, de Luxembourg ou le comte de Vaudémont, rivaux traditionnels du duché de Lorraine, se profilent des ennemis autrement menaçants, le duc d’Orléans puis les Armagnacs jusqu’en 1415, le duc de Bourgogne à partir de 1420. Leur puissance dépasse très largement celle de Charles II et leurs conceptions politiques diffèrent profondément des siennes, même si l’entente conjoncturelle avec l’un ou l’autre peut amener à la conclusion d’une alliance très étroite. D’une manière ou d’une autre, le duc doit s’adapter à la culture politique des princes français s’il ne veut pas courir le risque d’être vaincu et de passer sous leur domination. La lutte contre Louis d’Orléans puis la résistance aux pressions exercées par Philippe le Bon témoignent donc, vis-à-vis de l’extérieur, d’un phénomène de résistance à l’acculturation au modèle politique du Royaume ; mais elles nécessitent aussi, à l’intérieur, un ajustement important des structures politiques du duché de Lorraine.
8 S. Berstein, « L’historien et la culture politique », art. cit., p. 75. 9 J.-Ph. Genet, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, op. cit., p. 11-32, consacre le premier chapitre de son ouvrage à ce qu’il appelle « le primat de la guerre […] moteur de l’État moderne ». Ce constat vaut également pour le duché de Lorraine.
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Vers la constitution d’un État princier La situation du duché de Lorraine vers 1431 répond-elle aux critères de définition de ce type d’État, tels que nous les avons établis dans l’introduction de ce travail ? L’existence d’un État suppose la mise en place d’une administration hiérarchisée et suffisamment développée. Même s’il reste encore beaucoup à faire, des progrès ont été accomplis dans ce domaine au cours du règne de Charles II. L’augmentation du nombre de familles présentes à la cour de Nancy en témoigne. Plus nombreux, le personnel est aussi plus spécialisé : le duc ne rechigne plus désormais à s’entourer de roturiers et d’hommes de loi recrutés en fonction de leurs compétences et non de leur ascendance. Certains d’entre eux, tel Louvion Barneffroy, accéderont même à la noblesse, perspective interdite aux serviteurs ducaux avant 1400. L’amélioration se ressent également dans la rédaction des actes émanant du pouvoir ducal. Les formules s’allongent et se précisent, traduisant un souci de rigueur plus marqué qu’auparavant. L’archivage devient plus fréquent et de nouveaux documents font leur apparition, comme les lettres de reddition de comptes ou les montres des compagnies militaires recrutées par le duc. Les avancées concernent donc tout particulièrement deux secteurs étroitement liés et révélateurs de la croissance de l’État : les finances et l’armée. Pour faire face aux menaces qui pèsent sur sa principauté, Charles II a dû lever des troupes de plus en plus importantes et faire massivement appel au mercenariat. Le coût engendré par cette évolution ne pouvait manquer de se répercuter sur les pratiques financières de l’administration ducale et de susciter des réformes importantes. Elles ne sont qu’ébauchées à la mort de Charles II, mais l’évolution amorcée paraît irréversible, même s’il faudra attendre encore plusieurs décennies avant de constater la présence d’une Chambre des comptes de Lorraine, calquée sur le modèle de celle du duché de Bar10. Enfin, la hiérarchisation du système judiciaire lorrain constitue un indice supplémentaire du processus d’étatisation à l’œuvre dans la principauté ducale durant les trois premières décennies du xve siècle. L’institutionnalisation du duché est en cours, à l’image des États-Généraux, dont le principe est adopté, mais qui n’ont pas encore été réunis. En dehors des structures institutionnelles, l’autre changement majeur concerne la nature du pouvoir princier. Au fur et à mesure des années, Charles II s’enhardit et affirme de plus en plus fortement sa souveraineté, à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire ducal. De l’omission du duché dans l’hommage prêté par Jean Ier à l’empereur Charles IV en 1361 à la mention « de la grâce de Dieu et de l’épée »au détour d’un acte de 142511, on mesure le chemin parcouru. L’évolution de l’attitude de Charles II à l’égard des sires de Blâmont et les lettres de rémission émises par le duc montrent elles aussi de manière saisissante le renforcement interne du pouvoir ducal. Les vassaux ducaux qualifient de plus en plus souvent leur prince de souverain.
10 H. Olland, « Le personnel de la Chambre des comptes de Lorraine à la fin du Moyen Âge », art. cit., p. 125-126. 11 A.D.M.M. B 947, no 5, cité et analysé ci-dessus troisième partie, chapitre 7.
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Justice, monnaie, armée, indépendance diplomatique, Charles II exerce donc, à sa mort, toutes les prérogatives de la puissance publique, à l’exception de la fiscalité. Cette lacune peut certes s’expliquer par l’abondance des revenus tirés des salines ou des forêts ducales, mais elle dénote aussi le retard persistant de la principauté ducale par rapport à ses voisines du Royaume. En 1431, les ducs de Lorraine doivent encore se contenter des ressources financières de leur domaine, ce qui constitue un handicap majeur et réduit sensiblement leurs moyens d’action ! Pour durer, un État doit rassembler à la fin du Moyen Âge la société politique autour de la famille princière et parvenir à faire naître dans la population un sentiment identitaire qui lui permette de surmonter d’éventuelles crises politiques. De ce point de vue, les faiblesses de la Lorraine ducale s’avèrent patentes. Charles II se préoccupe bien de multiplier les prières prononcées dans les monastères lorrains en faveur des ducs, mais ses donations, au total peu nombreuses, sont plutôt effectuées dans un souci de salut individuel que dans une perspective de continuité dynastique. D’autre part, il tente de se poser en défenseur de l’identité lorraine, en transférant à Nancy les reliques du roi Sigebert III d’Austrasie et en établissant son hégémonie sur une grande partie de l’espace lorrain. Mais les résultats de cette politique demeurent partiels et fragiles, soumis aux aléas de la guerre de succession qui s’annonce entre René d’Anjou et Antoine de Lorraine. Il manque aussi une construction théorique conférant à la maison de Lorraine une mission historique précise dans un territoire clairement délimité. Rappelons que la première chronique produite dans l’entourage ducal date seulement de l’extrême fin du xve siècle12 … Toutefois, le handicap majeur réside sans doute dans la double appartenance de la Lorraine ducale aux mondes francophone et germanophone. Le duc et, semble-t-il, une part de plus en plus grande de ses officiers et serviteurs, ont beau manier sans problème les deux langues, il n’en va pas de même pour l’ensemble de la société politique. La frontière linguistique a creusé un fossé entre les deux populations, qui se marient rarement entre elles et suivent des règles différentes en matière d’héritage et de transmission des fiefs13. Dans ces conditions, il paraît difficile d’envisager la formation d’une culture commune14. Malgré toutes ces réserves, il semble bien que l’évolution en cours dans la principauté lorraine conduise à la mise en place d’un État princier. Certes, le duché à la mort de Charles II n’en remplit pas encore tous les critères, loin s’en faut. Il est néanmoins sorti du stade féodal. L’étude du règne de ce prince a en effet permis de montrer à quel point ce qu’il est désormais convenu d’appeler « État moderne » plonge ses racines au cœur de la féodalité. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ? Bon nombre d’historiens
12 Il s’agit de Ch. Bruneau (éd.), La Chronique de Lorraine, op. cit. 13 Cette conclusion se dégage de la thèse de M. Parisse, La noblesse lorraine : xie-xiiie siècles, op. cit., p. 625-660 et p. 756-788. Elle est reprise par le même auteur dans Noblesse et chevalerie en Lorraine médiévale, op. cit., p. 13. 14 Sur ce point, voir ci-dessus l’introduction générale, et les préalables posés par Jean-Philippe Genet au début de son analyse concernant le cas anglais. J.-Ph. Genet, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, op. cit., p. 1-8.
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ont insisté sur ce lien, à tel point que Jean-Philippe Genet avoue que « l’expression "féodalisme d’État" […] dépeindrait plus exactement » cette structure politique15. Cette notion s’applique parfaitement à la Lorraine ducale du début du xve siècle et ce, d’autant plus que la noblesse y pèse d’un poids beaucoup plus lourd que dans le royaume d’Angleterre étudié par cet auteur. En apportant un soutien massif et constant à la politique de Charles II, elle participe directement à la croissance de l’État, dont elle bénéficie d’ailleurs très largement, vu la position dominante qu’elle détient au sein des États-Généraux et les privilèges judiciaires exorbitants qu’elle arrache au nouveau duc René d’Anjou. Individuellement, les nobles sont plus fortement soumis qu’auparavant au pouvoir ducal. Mais celui-ci en revanche est désormais beaucoup plus dépendant de la classe seigneuriale dans son ensemble, qui contrôle la plupart des institutions nouvellement créées. Encore une fois, le retard le plus important du duché de Lorraine en matière d’étatisation concerne le domaine de la fiscalité. Mais le « primat de la guerre » conduira finalement le gendre et successeur de Charles II à mettre en place, à son tour, ce type de prélèvement. Dans la principauté ducale comme ailleurs – et peut-être même plus qu’ailleurs – le processus d’étatisation s’étend sur une très longue durée.
La Lorraine vers 1431 : archaïsme ou métissage ? Le retard dans l’évolution institutionnelle et administrative de la Lorraine ducale a été souligné à l’envie par la plupart des historiens, lorrains ou non16. Tout dépend en fait du point de vue où l’on se place et des comparaisons que l’on établit. Il va sans dire qu’à côté de la Bourgogne ou de la Bretagne, le duché de Lorraine fait pâle figure. L’anthropologue Serge Gruzinski souligne toutefois à quel point il convient de se méfier des étiquettes trop rapidement accolées à certaines choses ou à certaines situations17. Faut-il juger les structures gouvernementales du duché et la nature du pouvoir princier à l’aune d’un modèle considéré comme valable pour tout l’Occident – si ce n’est davantage – ou bien y voir une variante et une adaptation à la réalité locale
15 Ibid., p. 11-12. L’auteur déclare avoir opté pour l’expression « État moderne » « un peu par hasard ». 16 Limitons-nous à deux exemples. Ph. Contamine, « René II et les mercenaires de langue germanique », art. cit., p. 394, termine ainsi son article sur l’armée lorraine : « à tout prendre, l’armée de René II, à la fin du xve siècle, ne paraît pas bien impressionnante. Son organisation est sommaire, archaïque. […] Et cette faiblesse même n’est sans doute que le reflet du caractère rudimentaire de la principauté lorraine ». A. Girardot, « Les Angevins, ducs de Lorraine et de Bar », art. cit., p. 14 aboutit à un constat identique. « Dans le duché de Lorraine, en effet, René, Jean, puis Nicolas se heurtent à un sérieux obstacle : les particularismes locaux — la puissance institutionnelle de la noblesse par exemple — entretiennent un archaïsme administratif inconnu dans le Barrois. » 17 S. Gruzinski, La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999, 345 p., p. 19 : « Quantité d’endroits (…) continuent d’appartenir au passé – c’est ainsi, du moins, que nous désignons tout ce qui nous semble archaïque et rustique […]. Comment expliquer ce réflexe, cette inclination irrésistible qui nous pousse à rechercher l’archaïsme sous toutes ses formes, au point d’ignorer, volontairement ou non, ce qui touche de près ou de loin à la modernité ?
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d’un système importé de l’extérieur ? Cette question ramène à celle des pressions qui s’exercent sur la Lorraine du xve siècle et à la problématique de l’acculturation. Un fait au moins paraît indéniable : l’État tel qu’il se présente à la fin du Moyen Âge s’est forgé tout d’abord en Angleterre, puis en France18. C’est avec sa version française que le duché de Lorraine se trouve en contact. Nous l’avons dit, les menées successives des ducs d’Orléans et de Bourgogne dans la région font peser sur lui un tel danger que l’adoption de pratiques politiques inspirées de celles de la monarchie française constitue la seule réponse efficace que le duc Charles II soit en mesure d’apporter au défi lancé par ses adversaires. Pour autant, si l’État vient de France, la culture politique de la Lorraine ducale la rapproche de l’Empire. Tout au long de cette étude, de nombreux points communs sont apparus entre la principauté lorraine et le Palatinat – et plus généralement tous les territoires situés dans la partie sud-ouest de l’Empire. Ils concernent notamment la place de la noblesse, le fonctionnement de la cour et la législation princière. Le jeu des influences s’avère par conséquent beaucoup plus complexe et équilibré qu’il n’y paraît au premier abord. À partir de l’exemple latino-américain, Serge Gruzinski a montré que l’acculturation ne se résumait pas au remplacement d’une culture par une autre ou à la juxtaposition de deux cultures concurrentes, l’une dominante et l’autre dominée, mais qu’elle provoquait aussi des métissages issus de leur rencontre, qui représentent une création réellement originale, formée de traits différents, voire contradictoires, que l’on fait vivre ensemble19. Cette grille d’analyse est-elle transposable, avec la prudence qui s’impose, dans la Lorraine du xve siècle ? La société politique du duché peut-elle être qualifiée de métisse ? La question paraît saugrenue au premier abord, mais elle stimule en réalité la réflexion. Suivons l’anthropologue dans son raisonnement : le métissage suppose, en fait, un troisième terme […]. C’est une sorte d’ « attracteur » qui permet d’ajuster entre elles des pièces disparates en les réorganisant et en leur donnant un sens20. Existe-t-il quelque chose qui joue le rôle d’« attracteur » entre la culture politique de la principauté lorraine et celle du royaume de France ? Plusieurs notions, communes aux deux entités, n’y possèdent pas la même signification et sont, à ce titre, susceptibles de servir de trait d’union. Prenons l’exemple des États-Généraux. Ils reposent sur un double principe, celui du rassemblement des représentants de la société politique et du dialogue avec le prince. Mais ils sont aussi interprétés, selon les cas, de deux manières différentes. La première, féodale, consiste à voir dans de telles
18 J.-Ph. Genet, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, op. cit., p. 4-5. 19 G. A. Beltran, El proceso de acculturacion, Mexico, Universidad Iberoamericana, 1970 (1ère édition 1958), 238 p., cité par S. Gruzinski, La pensée métisse, op. cit., p. 39. 20 S. Gruzinski, La pensée métisse, op. cit., p. 194. Pour illustrer son propos, l’auteur prend l’exemple des fresques de Puebla, au Mexique. Elles mêlent un mode d’expression – les grotesques – et un imaginaire – la fable, qui appartiennent aux deux cultures en contact. « En ouvrant le domaine occidental sur le monde indigène en même temps qu’il rattache l’élément indigène au cadre occidental, le couple formé par la Fable et l’ornementation agit à la manière d’un aimant qui attirerait dans un même espace, en les faisant converger sur la surface à peindre, des éléments de provenance européenne et amérindienne, à l’origine étrangers les uns aux autres ».
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assemblées la réunion d’une société d’égaux – ou d’une « hiérarchie des égaux », pour reprendre l’expression de Jacques Le Goff – dont le duc serait tenu de suivre les conseils avisés. La seconde, étatique, en fait un simple instrument de gouvernement chargé d’approuver les décisions prises au préalable par le souverain et ses conseillers. Or, pour le duché de Lorraine, Émile Duvernoy a bien montré la double origine d’une institution qui tiendra une place fondamentale dans la principauté de Bar-Lorraine au cours des deux siècles qui suivront le règne de Charles II21. La création des États-Généraux correspond donc à une double réinterprétation : les assemblées nobiliaires qui s’étaient réunies à de nombreuses reprises dans la Lorraine ducale ont été élargies à la bourgeoisie et au clergé et sont ainsi devenues une institution étatique. Mais elles sont restées aux mains de la noblesse qui en a fait un instrument de contrôle du pouvoir ducal. D’une manière générale, nous l’avons vu, c’est ainsi que s’est déroulé l’ensemble du processus d’acculturation de la principauté lorraine au modèle politique proposé par la France. Dans l’introduction de ce travail, nous nous sommes demandé s’il était possible d’écrire une histoire des pays d’« Entre-Deux » . La chose semble envisageable, à condition de l’aborder sous l’angle des métissages. Cette problématique présenterait l’avantage de transcender l’accumulation de cas particuliers qui constitue l’obstacle essentiel à une entreprise de cette nature. Certes, la confrontation des cultures n’y prend pas un caractère aussi spectaculaire et visible qu’en Amérique du Sud ou dans les autres continents colonisés par les Européens. Néanmoins, l’exemple lorrain démontre que certains phénomènes de ce type se produisent, au moins pour la fin du Moyen Âge et pour l’époque moderne, avant que la Lorraine ne se fonde définitivement dans le modèle de l’État-nation à la française.
Charles II, un prince en osmose avec son époque et avec son milieu En ce sens et pour revenir sur la réflexion initiale de cette conclusion, le duc Charles II apparaît bien comme un pur produit de son temps et de son milieu. Bilingue, marié à une Allemande mais baignant dans une atmosphère à dominante francophone, il se montre à la fois très autoritaire et très respectueux des prérogatives politiques de la noblesse. La manière dont il règle sa succession en témoigne. Il soumet à son obéissance des récalcitrants tels que le seigneur de Blâmont, l’un des principaux barons du duché, et impose ses vues à l’ensemble de ses vassaux. Mais il s’attache à maintenir un dialogue permanent avec la classe seigneuriale, à qui il demande d’avaliser ses décisions à plusieurs reprises. Ce faisant, il n’agit pas seulement par nécessité, mais aussi par conviction politique. Ainsi, dès le début de son règne, il accorde à l’aristocratie
21 É. Duvernoy, Les États-Généraux des duchés de Lorraine et de Bar, op. cit., p. 122 : « Les ÉtatsGénéraux, d’origine féodale quant à la chevalerie, sont donc d’origine ducale quant à la bourgeoisie, et sans doute aussi quant au clergé ». À partir de postulats théoriques et d’interrogations très différents des nôtres, l’auteur parvient à des conclusions identiques.
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une position de quasi-monopole au sein du conseil ducal. Quelques années plus tard en 1405, lorsqu’il répond à l’appel de Louis d’Orléans après l’enlèvement du Dauphin par Jean sans Peur, certains de ses hommes refusent de le suivre : il n’insiste pas et rallie l’année suivante le groupe des partisans du duc de Bourgogne. Il s’efforce à la fois de faire reconnaître sa souveraineté par les nobles lorrains et d’entretenir avec eux de bonnes relations. À cheval sur deux époques, Charles II n’est déjà plus tout à fait un seigneur féodal, mais il n’est pas encore pleinement un prince souverain. Peut-être est-ce d’ailleurs la raison pour laquelle il tient si peu de place dans la postérité, par rapport à ses prédécesseurs et successeurs ducs de Lorraine ou par rapport à ses contemporains. Revenons une dernière fois sur la comparaison que nous avons souvent établie avec Gaston Fébus. Pourquoi Charles II semble-t-il si effacé à côté de ce dernier ? Une remarque faite par Mary Douglas au détour de son ouvrage sur les institutions peut fournir un élément de réponse : Il y a quelque chose de paradoxal dans le jugement de l’histoire. En effet, plus on pourra montrer qu’un penseur influent n’a fait que répéter les slogans favoris de son temps, plus il sera décrié par la génération suivante. Le bruit de sa célébrité n’était que l’écho de ce que tout le monde pensait à l’époque. Il n’était pas un penseur original mais un simple copiste, alors qu’il aurait dû résister à son époque. Il n’était que l’instrument passif que faisait vibrer l’esprit du temps. Le mépris des générations futures a une connotation morale : quel courage que d’adopter paresseusement la dernière tendance de l’opinion sur l’esclavage, la folie, l’eugénisme, ou l’empire colonial !22
Les hommes en avance sur leur temps bénéficient donc d’une meilleure image, d’un jugement plus favorable et d’une plus grande publicité que ceux qui incarnent parfaitement les comportements et les idées des hommes de leur génération. De ce point de vue, le succès du vicomte de Béarn ne s’explique pas seulement parce qu’il est parvenu à « jouer un rôle politique hors de proportion avec les forces réelles dont il disposait »23, mais aussi parce qu’il paraît plus flamboyant et plus moderne qu’un duc de Lorraine encore marqué, en plein xve siècle, par l’esprit du féodalisme. Cela rend-il pour autant plus solide et plus importante l’œuvre accomplie par ces esprits novateurs ? La comparaison des destinées de la principauté de Bar-Lorraine et de la vicomté de Béarn après les morts de Charles II et de Gaston Fébus incite tout au moins à se poser la question.
22 M. Douglas, Ainsi pensent les institutions, op. cit., p. 83. Cette attitude ne fait d’ailleurs que traduire le conformisme intellectuel et social de celui qui l’adopte, « car critiquer les anciennes institutions c’est aider les structures institutionnelles naissantes de notre époque à se défendre contre le passé. » 23 P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn, op. cit., p. 341. On ne peut pas en dire autant du duc Charles II.
Annexes*
Annexe 1 : La maison ducale de Lorraine au cours du XVe siècle Annexe 2 : Les principaux serviteurs des ducs de Lorraine, leur place à la cour, et l’assise sociale de leur famille Annexe 3 : Liste des vassaux ayant prêté hommage aux ducs de Lorraine Jean Ier ou Charles II entre 1350 et 1400 Annexe 4 : Liste des serviteurs militaires des ducs de Lorraine (1350-1400) Annexe 5 : Texte de la Commune Trêve de Lorraine, 1343 Annexe 6 : Traité de Landfried, 1392 Annexe 7 : Hommage prêté par Ferry III à Alphonse de Castille, 1259 Annexe 8 : Hommage prêté par Jean Ier à l’empereur Charles IV, 1361 Annexe 9 : Lettres de rémission accordées à Charles II et à son frère Ferry, 1391 Annexe 10 : Textes relatifs à la Guerre des Quatre seigneurs Annexe 11 : Récompense accordée par le duc de Bourgogne au duc de Lorraine, 1408 Annexe 12 : Premier testament de Charles II, 1407 Annexe 13 : Acte par lequel Charles II réaffirme le principe de la succession de ses filles au duché de Lorraine, 1410 Annexe 14 : Traité de Foug, 1419 Annexe 15 : Second testament de Charles II, 1425 Annexe 16 : Acte concernant la succession en ligne féminine, 1425 Annexe 17 : Liste des vassaux du duc Charles II après 1400 Annexe 18 : Tableau des serviteurs militaires des ducs de Lorraine (1400-1431) Annexe 19 : « Monstre », 1413 Annexe 20 : Évolution de l’entourage des ducs de Lorraine après 1400 Annexe 21 : Lettre attestant de la reddition des comptes de l’étang de Dieuze au duc Charles II, 1424 Annexe 22 : Lettres attestant de la reddition des comptes du cellérier de Dieuze au duc Charles II, 1424 Annexe 23 : Lettre attestant de la reddition des comptes de la châtellenie de Dieuze au duc Charles II, 1424
* Pour l’accès aux annexes en ligne, accédez au site web : http://dx.doi.org/10.1484/M.ARTEM-EB.5.116380.
Sources
Sources manuscrites Archives nationales Série J J 579 à J 586 : traités conclus entre les ducs de Lorraine et les rois de France. J 681 : arrêt rendu par le Parlement de Paris contre Charles II, duc de Lorraine, le 1er août 1412. J 911 : relations entre le comté de Vaudémont et les duchés de Bar et de Lorraine. J 914 : relations entre la cité de Toul et le royaume de France. J 932 : partage de la succession de Jean Ier, duc de Lorraine, entre ses deux enfants, Charles II et son frère Ferry. J 933 : déclaration faite par les gentilshommes lorrains le 13 décembre 1425. J 979 : relations entre la cité de Toul et le duché de Lorraine. J 983 : relations entre la ville d’Épinal et le duché de Lorraine. J 989 : actes concernant la ville de Sarrebourg. Sous-série JJ JJ 103 : actes concernant les relations entre les bourgeois de Neufchâteau et le roi de France. JJ 140 et JJ 153 : affaire de Vioménil, opposant les officiers du roi de France à Charles II, duc de Lorraine. Série K K 54 à K 57 : relations entre Louis, duc d’Orléans, et les ducs de Luxembourg, de Bar et de Lorraine. K 1184 à K 1194 : documents relatifs à la succession du duché de Lorraine en 1431. Sous-série KK KK 10 : relations entre le comté de Vaudémont et le royaume de France. KK 1116 à 1128 : Inventaire du Trésor des chartes de Lorraine, réalisé par Honoré Dufourny, archiviste du roi de France, entre 1670 et 1699.
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Série S S 2338 : actes concernant le prieuré du val de Liepvre. Série X XIa 38 à XIa 42 et XIa 1475 à XIa 1479 : plaidoiries faites devant le Parlement de Paris à l’occasion du procès entre les ducs de Lorraine Jean Ier et Charles II d’une part, et le procureur du roi et les habitants de la ville de Neufchâteau de l’autre. Bibliothèque nationale Collection de Lorraine Lor. nos 3 et 4 : pièces relatives au duc Jean Ier. Lor. nos 5, 5 bis, et 6 : quittances et paiements effectués pour services de guerre rendus au duc Charles II. Lor. nos 21, 26, 43, 47, 48, 49, 49 bis, 53, 60, 64 et 68 : pièces diverses. Lor. nos 80 à 98 : pièces concernant les seigneurs lorrains. Lor. no 184 : pension accordée par Jean sans Peur, duc de Bourgogne, au duc de Lorraine Charles II. Lor. nos 238 à 258 : pièces concernant les seigneuries lorraines. Lor. no 294 : actes relatives aux damoiseaux de Commercy. Lor. no 320 : relations entre les ducs de Lorraine et la cité de Metz. Lor. no 443 : salines de Rosières. Manuscrits français Fr. no 22 : versements effectués par le roi de France au duc de Lorraine Jean Ier. Fr. no 11602 : relation du champ clos de Nancy le 11 septembre 1386. Fr. n° 11823 : relations des ducs de Lorraine avec les rois de France, les empereurs, et les autres seigneurs lorrains. Fr. no 11835 : troupes envoyées par la duchesse de Lorraine Marie de Blois à l’ost du roi de France. Collection de Bourgogne Bourg. nos 21, 23, 25 et 65 : rapports entre les duchés de Lorraine et de Bourgogne. Nouvelles acquisitions françaises Nouv. acq. fr. nos 3639 et 20027 : relations entre Louis, duc d’Orléans, et Charles II, duc de Lorraine.
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Collection Clairambeau Clairamb., rouleaux nos 63, 67 et 69 : gages versés par le roi de France Charles VI au duc de Lorraine Jean Ier. Collection Moreau Mor. no 248 : sauvegarde du duc Charles II sur l’évêché de Verdun. Nouvelles acquisitions latines Nouv. acq. lat. no 2350 : traité de l’Échappe-Noise entre le duc de Lorraine et le chapitre de Remiremont (1295). Pièces originales Pièces orig. Bracquemont nos 78 et 98 : pièces relatives à la rançon versée par le maréchal de Bracquemont au duc de Lorraine Charles II (1407). Pièces orig. nos 1517 et 1749 : relations entre Louis, duc d’Orléans, et Charles II, duc de Lorraine. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle Série B B 340 : Charles II, régent du duché de Bar. B 370 : divers. B 377 à B 426 : Cartulaire de Lorraine, dont : B 377 à B 379 et B 384 : fiefs du duché de Lorraine ; B 377 à B 379 et B 384 : fiefs du duché de Lorraine ; B422 à B 424 : traités conclus par les ducs de Lorraine B 475 à B 965 : Trésor des chartes de Lorraine. B 4825 : compte du receveur de Condé-sur-Moselle. B 1919 à B 1921, B 5241-5242, B 7232 à B 7234, B 8466, B 9352 à B 9354 : comptes du duché de Lorraine (1420-1431). 3 F 224, 3 F 225 : divers. 3 F 426 à 3 F 441 : fonds lorrain de Vienne. Série G : clergé séculier G 335 à G 341 : fonds du prieuré de Nancy. G 342 à G 419 : fonds de la collégiale Saint-Georges de Nancy. G 420 : prieuré de Vandœuvre. G 429 à G 453 : prieurés de Varangéville et de Port. G 459, G 1164, et G 1354 : paroisses diverses.
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Série H : clergé régulier H 1 : Saint-Èvre de Nancy. H 108 à H 146 : prieuré de Flavigny. H 185 : prieuré de Lay. H 330 à H 409 : abbaye de Beaupré. H 461 à H 540 : abbaye de Clairlieu. H 1106 à H 1099 : Sainte-Marie aux Bois. H 1503 à H 1511 : Saint-Rémi de Lunéville. H 2633 à H 2685 : Prêcheresses de Nancy. H 2950 à H 3022 : Bouxières et collégiale de Vaudémont. H 3043 à H 3132 : Hospitaliers du Vieil-Aître de Nancy. divers : H 410, H 543, H 838, H 1021, H 1513, H 1839, H 1850, H 2368, H 2904, H 3657. Archives départementales des Vosges Edpt 379/AA 1 Actes concernant Raon-l’Étape. Série G : clergé séculier G 19 et G 20 : collégiale de Darney. G 22 : statuts du chapitre de Remiremont. G 230 à G 800 : chapitre de Saint-Dié. G 838 à G 2180 : chapitre de Remiremont. Série H : clergé régulier I H 1 à 1 H 71 : abbaye de Moyenmoutier. VI H : prieuré de Châtenois. VIII H : prieuré de Relanges. XVII H : abbaye d’Étival. Archives départementales de la Moselle Série B B 2343 et B 2344 : recueils de pièces diverses intéressant le duché de Lorraine. Série E 4 E 511 : Charte de franchises de la ville de Sarreguemines.
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Série G G 5 : Cartulaire de l’évêché de Metz. G 145 : pièces concernant Lutzelbourg. Série H H 2456 : sauvegarde du duc de Lorraine sur le village de Courcelles-sur-Nied. H 3569 : Sierck-sur-Moselle. Série J 24 J 117. Archives communales de Metz Série AA AA no 1 à AA no 101 : correspondance entre les ducs de Lorraine et la cité de Metz. Bibliothèque municipale de Nancy Ms 39 : Chronique du doyen de Saint-Thiébaut de Metz. Ms 81 : Histoire des ducs de Lorraine, par Jean d’Aucy. Ms 189 : ordonnances des ducs de Lorraine. Ms 237 : pièces relatives aux salines du duché de Lorraine. Ms 353 : obituaire du chapitre de Saint-Georges de Nancy. Ms 709 : actes relatifs à la succession du duc Charles II. Archives communales d’Épinal Série AA Récit de la réception de l’évêque de Metz Conrad Bayer de Boppard par les bourgeois d’Épinal, et du refus de ceux-ci de lui remettre le château de la ville. Série EE EE 2 : relations entre la ville d’Épinal et les nobles du duché de Lorraine. Série FF FF 43 : relations entre la ville d’Épinal et l’évêque de Metz. FF 44 : relations entre la ville d’Épinal et le duc de Lorraine.
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Autres fonds d’archives Archives départementales de la Côte d’Or Série B : B 1601 : comptes du receveur général du duché de Bourgogne. Archives départementales de la Meuse Série B : B 1316, B 1413, B 1419 : comptes du duché de Bar. Berlin Geheimnisstaatsarchiv, 310, no 1 : Traité de Landfried concernant la Lorraine, octobre 1343 Karlsruhe Haus und Staatsarchiv, I. Personalien. Alt-Baden, 23 A. Vienne Österreichisches Staatsarchiv, Lothringische Urkunden.
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Bibliographie*
Les ouvrages publiés par l’auteur après sa soutenance de thèse et donc non inclus dans la version initiale de cette bibliographie sont indiqués par un astérisque (*) final.
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* La liste que nous présentons ne prétend naturellement pas à l’exhaustivité. Elle rassemble toutefois toutes les études concernant les ducs Jean Ier et Charles II, les familles appartenant à son entourage et les institutions du duché de Lorraine. Nous y avons également inclus les œuvres de l’historiographie lorraine qui ont fait date, qu’elles fassent aujourd’hui encore autorité ou qu’elles aient suscité la polémique dès l’époque de leur parution. S’ajoutent à cela les ouvrages et articles qui ont permis d’enrichir notre réflexion théorique et de confronter l’exemple lorrain à celui d’autres principautés de la fin du Moyen Âge.
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bibl i o gr a p hi e
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Index des noms de personnes
A Adémar de Monteil (évêque de Metz) 130 Adolphe de Berg (duc de Berg ou duc des Monts) 284, 285, 291-294, 296, 306, 313, 317, 318, 334, 390, 434, 436, 448, 449 Aimé de Besançon (bourgeois de Besançon, châtelain de Passavant) 263 Alberius Bachotey (curé de la paroisse Saint-Jacques de Lunéville) 414 Albert de Bavière (comte de Hainaut, Hollande et Zélande) 210, 213 Albert de Habsbourg (roi des Romains) 159 Alexandre V (pape) 354 Aliénor de Bar (femme de Raoul de Lorraine) 162 Alison du May (maîtresse de Charles II) 281, 300 Alix de Dombasle 405, 406 Alix de Vaudémont 365 Allemagne (bailli d’) 293 Alphonse de Castille (roi des Romains) 160, 191, 421 Alsace (comte d’) 56, 86, 87 Amé de Sarrebruck (chambellan du roi de France) 219, 233, 237, 240, 244-246, 254, 325, 326 Ancel de Darnieulles 78, 92 Ancelin d’Argueil 133 Andelot (prévôt d’) 274 André de Fraisne-en-Woëvre (abbé de Saint-Martin devant Metz) 192 André de Joinville (seigneur de Pulligny) 386, 419 André de Ville 442
Angleterre (roi d’) 117, 118, 250, 251, 296, 309, 310, 312, 314-319, 322, 324, 325, 327, 330, 331, 334, 337 Anselm de Bitche (seigneur de Bitche) 237 Antoine de Bourgogne (duc de Brabant et de Limbourg) 213, 277, 278, 486 Antoine de Hattstatt 406 Antoine de Lorraine (comte de Vaudémont) 285, 286, 291, 296, 298, 299, 301-308, 321, 324, 325, 328, 332-334, 338, 347, 358, 365, 374, 386-397, 400, 434, 435, 451, 457, 466, 483, 484, 486, 487, 491, 494, 495, 504, 506 Antoine de Lorraine (duc de Lorraine) 425, 484, 499, 502 Antoine de Vergy (capitaine anglobourguignon) 320, 323, 324, 328 Antoine de Ville 408 Antoinette de Ruppes (abbesse de Notre-Dame de Bouxières-lès-Nancy) 112, 113 Aragon (roi d’) 284 Arnaud de Cervolles (dit l’Archiprêtre) 85, 141, 142, 146 Arnaud-Guilhem de Barbazan (capitaine) 331 Arnaud-Guilhem de Béarn (lieutenantgénéral à Orthez) 498 Arnoul de Felsberg 56 Arnoul de Sierck 56, 79, 127, 402, 437 Arnoul Wisse de Gerbéviller (châtelain de Dieuze) 318, 341, 355, 408, 417, 441, 444, 445, 454 Auberchicourt (sire d’-, capitaine) 175
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i n de x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Aubert de Lorraine (bâtard de Lorraine, maître et capitaine du duc de Lorraine) 92, 177, 178, 194 Auffry d’Esch 92 Autriche (duc d’) 222, 271, 272 Aymé de Linange (comte de Linange) 79 B Bade (marquis de) 215, 270-272, 276, 277, 369, 370, 379, 418, 419, 449 Barneffroy de Lay (père de Louvion Barneffroy) 71, 471 Barthélemy (bailli du duché de Lorraine) 73 Béatrice de Bourbon (femme de Jean l’Aveugle) 172 Bechtold Krantz (capitaine allemand) 369 Benoît XIII (pape d’Avignon) 133, 134, 354 Bernabo Visconti (seigneur de Milan) 211, 212, 221 Bernard de Bade (marquis de Bade) 226, 227, 270, 367-369, 418 Bernard de Saint-Ouen 103 Bertrand de Castres (Blieskastel) (secrétaire ducal) 440, 441, 477-479 Bertrand du Guesclin (connétable de France) 168, 180, 181 Bertrand le Hongre (citain de Metz) 233 Boniface de Morez (écuyer du duc d’Orléans) 190 Boniface IX (pape de Rome) 134 Bonne de Bar (fille de Robert Ier de Bar) 138, 140, 287 Bracquemont (seigneur de, maréchal de Luxembourg) 240, 241, 246 Brocard de Fénétrange (gouverneur du duché de Lorraine) 70, 78, 83, 85, 96, 141, 142, 151, 167, 169, 173-175, 179, 188 Brocart de Rosières 423 Brun de Ribeaupierre (seigneur de Ribeaupierre) 78, 85, 367 Bubingen (seigneur de) 406
Bullin de Seroncourt 96, 132 Burnequin de Vandières 238, 239 Burthe Paillat (citain de Metz) 233 C Catherine de Blâmont (abbesse de Remiremont et d’Épinal) 411, 466 Catherine de Bourgogne (fille de Jean sans Peur) 308 Catherine de France (femme d’Henri V, roi d’Angleterre) 310 Catherine de Lorraine (femme de Jacques, marquis de Bade) 270, 276, 287, 289, 300, 301, 368, 451, 459 Catherine de Lorraine (fille de Ferry III, duc de Lorraine) 162 Catherine de Lorraine (fille de Mathieu II, duc de Lorraine) 163, 286 Catherine de Lorraine (fille naturelle de Charles II) 300 Charles de Blois 180 Charles de Cervolles (fils d’Arnaud de Cervolles) 323, 324 Charles de Haraucourt (bailli d’Allemagne) 408, 472, 476 Charles d’Orléans (duc d’Orléans) 211 Charles III (duc de Lorraine) 499 Charles II le Chauve (roi des Francs) 159 Charles II le Mauvais (roi de Navarre) 147, 151, 152, 498 Charles IV de Luxembourg (empereur germanique) 117, 123, 147, 148, 151, 163, 166, 167, 169-175, 179, 181, 191-193, 210, 358, 503 Charles le Téméraire (duc de Bourgogne) 18, 23, 392, 421 Charles V (dauphin puis roi de France) 90, 116, 164-167, 169, 175-182, 193, 210, 214, 266, 499 Charles VII (dauphin puis roi de France) 118, 281, 286, 287, 309, 315, 316, 320, 322324, 326-336, 338, 361, 380, 381, 389, 421, 434, 454, 495, 496 Charles VI (roi de France) 33, 151, 152, 165-168, 178-181, 183-188, 190, 194, 196-
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
198, 209, 211, 212, 214, 219, 223, 228, 235, 237, 239, 241, 242, 258-261, 266, 267, 273, 274, 277, 278, 281, 292, 310-312, 314, 315, 317, 318, 375, 416, 442, 453 Charlot de Deuilly (maréchal de Lorraine) 253, 260, 261, 265, 266, 375, 377, 472 Chaumont (bailli de) 259, 274, 275 Chrétien de Châtenois (secrétaire de René II de Lorraine) 23 Clairvaux (abbé de) 415 Classequin de Zuerbes (peintre) 461 Cluny (abbé de) 415 Coiffy (prévôt forain de) 195 Colard Belpigine (bourgeois de Neufchâteau) 274 Colard de Lenoncourt 408 Colard de Saulcy 395 Colignon de Ludres (bailli de Nancy) 412, 413, 416, 417, 419, 441, 472, 478, 479 Colin Baudoire (maître des drapiers et gruyer) 427, 471 Colin Colart (bourgeois de Neufchâteau) 416 Colin de Nancy 386 Colin (prévôt d’Ormes) 447 Colin Wisse de Gerbéviller (bailli des Vosges) 472, 476, 479 Collignon Simon (tabellion) 477 Cologne (archevêque de) 379, 380 Coneman de Dieuze (chapelain du duc) 445 Coniosse (ménestrel du duc) 460 Conrad Bayer de Boppard (conseiller ducal) 442, 468, 479 Conrad Bayer de Boppard (évêque de Metz) 137, 285, 292, 348-353, 355, 356, 362, 367, 381, 386-390, 395, 409 Conrad de Fribourg (comte de Fribourg) 162 Conrad de Hinnen 141 Conrad Parspergaire (lieutenant du maître d’hôtel) 472 Conrad von Sötern 437 Conrran (chapelain du duc) 75
D Dagobert II (roi d’Austrasie) 393 Demange de Nancy (receveur ducal) 114 Demenge de Gerbéviller (secrétaire ducal) 76, 92, 411, 469 Demoinge (maître) 75 Didier Cognée 461 Didier de Chauffour 379 Didier de Monthureux 87, 88 Didier de Rambervillers 96 Didier Rouhart (échevin d’Amance) 431, 432 Dietrich de Daun (seigneur de Daun) 237 Dominique François (secrétaire ducal) 352, 409, 440-442, 469 Drouin de Lunéville (tabellion) 73, 441 Durand d’Anthelupt (cellérier) 471 E Eberhardt de Wurtemberg (gouverneur du duché de Lorraine) 96, 173, 174, 179 Édouard de Grandpré (capitaine armagnac) 318, 327 Édouard Ier de Bar (comte de Bar) 18 Édouard III de Bar (marquis de Pont-àMousson, duc de Bar) 126, 189, 212, 213, 215, 237, 239-241, 243, 247, 248, 250, 251, 254-258, 263, 264, 277, 278, 282, 291, 325, 326, 373, 435, 454 Éléonore de Poitiers 174 Élisabeth de Görlitz 211 Elme de Linange (comte de Linange) 404 Enguerran de Coucy (mari d’Isabelle de Lorraine) 132-134, 140, 186, 212, 214, 264, 265 Érard de Gymnich 361 Érard de Saint-Menge 238 Érard de Vandières (seigneur de Vandières) 238 Érard du Châtelet (maréchal de Lorraine) 71, 85, 288, 306, 395, 424, 472 Érard (sénéchal de Remiremont puis forestier des bois des Vosges) 100
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i n de x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Erbe Losel 437 Ermenson d’Autel (femme de Jean II d’Haussonville) 348, 386 Étienne d’Oiselay (seigneur d’Oiselay) 85, 132 Étienne III de Bavière (duc de BavièreIngolstadt) 186, 187, 211, 212, 379 Eustache de Vernancourt (capitaine armagnac) 263, 264, 318, 323, 324, 326, 327 F Ferry de Bildstein (fils naturel de Charles II) 300, 348 Ferry de Chambley (maréchal du Barrois) 295, 350, 375, 477, 478 Ferry de Dombasle 406, 408 Ferry de Haulqueville 423 Ferry de Lignéville 486 Ferry de Linange (comte de Linange) 173 Ferry de Lorraine (comte de Vaudémont) 82, 92, 134, 138, 140, 186, 187, 194, 223, 224, 228, 239, 244, 251, 252, 265, 270, 285-287, 297, 307, 308, 347, 353, 364, 365, 372, 373, 462 Ferry de Ludres 350, 375, 405, 408 Ferry de Lunéville (fils naturel de Charles II) 300 Ferry de Mörs 254 Ferry de Parroy (bailli de Nancy) 350, 472 Ferry de Savigny 486 Ferry de Sierck (conseiller ducal) 92 Ferry III (duc de Lorraine) 100, 159-163, 191, 412, 417, 421, 422, 499, 502 Ferry IV (duc de Lorraine) 162, 180, 220 Folmar de la Petite-Pierre (comte de la Petite-Pierre) 79 Folmar von Medelsheim 437 Forte-Épice (capitaine armagnac) 326 Fourque (prieur de Notre-Dame de Nancy) 430 François III de Lorraine (duc de Lorraine) 21
Frédéric d’Autriche (beau-frère de Ferry IV de Lorraine) 162 Fréderic de Bitche (comte de DeuxPonts) 237 Frédéric de Brandebourg 292 Frédéric de Dalheim 408 Frédéric de Deux-Ponts (comte de DeuxPonts) 406 Frédéric de Fleckenstein (bailli d’Alsace) 369, 370 Frédéric de Mörs (fils aîné de Mörs, comte de Sarrewerden) 215, 233, 234 Frédéric II (empereur germanique) 161 Fribourg (comte de) 86, 87 Friedrich (chapelain de Charles II) 268 Friedrich von Hochfelden 437 Friedrich von Thann 437 G Garin le Lorrain 156 Gaston III Fébus de Béarn (vicomte de Béarn) 117, 199, 200, 337, 338, 396, 433, 449, 473, 497-499, 508, Gauthier de Beauffremont (seigneur de Ruppes) 310, 474 Geoffroy II de Nancy, seigneur de Gombervaux (bailli du duché de Lorraine) 145 Gérard d’Alsace (duc de Lorraine) 101 Gérard de Boulay (seigneur de Boulay) 215, 233, 243, 254, 294, 465 Gérard de Clèves (duc de Clèves) 293 Gérard de Haraucourt (maréchal de Lorraine) 93, 194, 227, 230, 250, 435, 472, 478 Gérard de Magnières 477 Gérard de Mirecourt (bailli des Vosges) 72 Gérard de Vehière 132 Gérard de Virey 148 Gérard d’Onville (secrétaire ducal) 107 Gérardin le Retondeur (bourgeois de Toul) 358, 359 Gérardin Mauloup (prévôt d’Amance) 431, 432
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Gillequin de Rodemack (conseiller ducal) 476 Godefroy de Tournay (receveur de la cité de Metz) 373 Godeman de Bitche (seigneur de Bitche) 237 Godin de Prény 71 Gueldre (duc de) 215, 218, 272 Guerciriat de Boulay (citain de Metz) 129 Gui de la Trémoille 247 Guillaume (bâtard de Poitiers) 132 Guillaume de Bérus, ou Belrain (bailli d’Allemagne) 476 Guillaume de Châteauvillain 323-326 Guillaume de Diest (évêque de Strasbourg) 367, 436 Guillaume de Flavy (capitaine armagnac) 318, 327 Guillaume de Gabure (secrétaire ducal) 440, 441, 462, 469 Guillaume de l’Épine 196 Guillaume d’Ostrevent 210, 213 Guillaume Hurel (bourgeois de Neufchâteau) 258, 259, 274 Guillaume Josseaume 382-385 Guillemin (messager de Charles II) 256, 441 Guy de Bourde (sujet du roi de France) 194 Guy de Pontailler (maréchal de Bourgogne) 76, 182, 183 Guy le Port 132 Guyot de Faulquemont 231 H Hanneman de Bitche (comte de DeuxPonts) 150, 215, 222, 237, 269, 437 Hanneman von Windsberg 437 Hannus (ménestrel du duc) 460 Hans de Neusswiller (châtelain de Sarreguemines) 417 Harman de Rosières (bailli de Nancy) 74
Hartemant de Nancy (valet de chambre du duc) 108 Henri Bailli (secrétaire ducal) 411, 440, 443, 469 Henri Bayer de Boppard (conseiller ducal, bailli d’Allemagne) 268, 472, 479 Henri Bayer de Boppard (frère de l’évêque de Metz) 395 Henri Bayer de Boppard 83, 133, 355 Henri d’Amance (maître d’hôtel du duc) 92, 112, 133, 405, 408 Henri de Barbas (bailli des Vosges) 375, 376, 477, 478 Henri de Bar (fils de Robert Ier de Bar) 138, 140, 189, 282, 287 Henri de Beauffremont (seigneur de Scey) 96 Henri de Chauffour 260, 265, 266 Henri de Dun 294 Henri de Fénétrange (maréchal de Lorraine) 437, 472, 479 Henri de Germigny 408 Henri de Houdelaincourt (abbé de SaintMansuy) 357 Henri de Joinville (comte de Vaudémont) 141, 142, 171, 175, 365 Henri de la Roche 140 Henri de la Tour (seigneur de La Tour) 260, 261, 313, 360, 375, 379, 431 Henri de Varsberg 482 Henri de Ville (évêque de Toul) 354, 356-358, 385-388 Henri d’Ogéviller (maître d’hôtel du duc) 92, 135, 227, 230, 307, 350, 404, 416, 417, 478 Henri d’Urslingen 269 Henriette d’Amoncourt (abbesse de Remiremont) 411, 466 Henri Hase von Dieblich (maître d’hôtel du duc) 268, 269, 437, 441, 477-479 Henri III (empereur germanique) 410 Henri IV de Bar (comte de Bar) 122, 157 Henri IV de Blâmont (seigneur de Blâmont) 84, 113, 237, 411, 465, 466
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i n de x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Henri Mochenheimer (officier ducal à Deux-Ponts) 437 Henri (prêtre de Neufchâteau) 416 Henri Rotze (bourgeois de Strasbourg) 368 Henri Sourdeil (valet) 412 Henri V de Lancastre (roi d’Angleterre) 272, 281, 292, 309, 312, 314-318, 320 Henri VI de Lancastre (roi d’Angleterre) 318, 322, 324, 327, 328, 330, 332, 387 Hentzichen de Boulay (seigneur de Boulay) 294 Henzelin de Lichtenberg 79 Henzelin de Morhange (capitaine) 377 Henzelin (secrétaire ducal) 440, 479 Hermann d’Ogéviller (abbé de SaintÈvre de Toul) 354 Huart d’Autel (sénéchal du duché de Luxembourg) 215, 219, 233, 254 Hugues de Bulgnéville 486 Hugues de Fénétrange (abbé de Gorze) 123 I Isabeau de Bavière (reine de France) 168, 181, 186, 187, 211, 253 Isabelle d’Autriche (femme de Ferry IV de Lorraine) 121, 162 Isabelle de Bar (dame d’Arckel et de Pierrepont) 137 Isabelle de Lorraine (femme d’Enguerran de Coucy puis d’Étienne de Bavière) 133, 134, 138, 140, 168, 187, 212, 214, 264, 265 Isabelle de Lorraine (femme de Philippe, comte de Nassau-Sarrebruck) 270, 271, 365 Isabelle de Lorraine (femme de René d’Anjou) 19, 270, 271, 276, 287, 288, 290, 291, 296, 297, 300, 301, 305, 307, 309, 316, 319, 320, 333, 334, 342, 346, 360, 366, 382, 387, 388, 390, 391, 395, 407, 451, 454, 458-460, 466, 467, 478, 491 Isabelle de Lorraine (fille de Ferry III, duc de Lorraine) 162
Isabelle de Lorraine (fille de Jean Ier, duc de Lorraine) 286 Isabelle de Lorraine (fille naturelle de Charles II) 300 Isabelle de Rumigny (femme de Thiébaut II de Lorraine) 162 Isembart (tonnelier du château de Rosières) 423 J Jacquemin de Villers (capitaine armagnac) 263 Jacques d’Amance (maréchal de Lorraine) 92, 135, 140 Jacques d’Ancelles 96 Jacques de Bade (marquis de Bade) 270, 271, 293, 302, 368, 459 Jacques de Bourbon 247 Jacques de Lorraine (évêque de Metz) 132, 161 Jacques Sorot (bourgeois de Neufchâteau) 275 Jacques Wisse de Gerbéviller 408 Jacquet de Fénétrange 419 Jacquet d’Épinal 145 Jacquet Prigney (bouteiller de la duchesse de Lorraine) 471 Jean Bailli Herman de Nancy (lieutenant de bailli) 74, 472 Jean Bailli Simonin (lieutenant de bailli) 74 Jean Banzin (échevin de Nancy) 112 Jean Barneffroy (frère de Louvion Barneffroy) 471 Jean Bonpate (échevin de Nancy) 112 Jean Crovellet (citain de Metz) 129 Jean Cummeur (sujet du chapitre de Saint-Dié) 423, 424 Jean d’Amance (clerc) 440 Jean d’Ardenne (capitaine) 359 Jean d’Arrenges (secrétaire ducal) 440 Jean d’Aulnoy 406 Jean d’Autel (seigneur d’Apremont) 233, 243, 254, 255, 372
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Jean de Bar (fils de Robet Ier de Bar) 257, 282 Jean de Bavière (archevêque de Liège, duc de Bavière-Straubing) 213 Jean de Bavière (comte palatin du Rhin, gouverneur du Luxembourg, fils de Robert Ier) 293 Jean de Beauffremont (conseiller) 69, 71, 109, 132, 288 Jean de Bedford (duc de Bedford, régent de France) 309, 316, 318-323, 327, 328, 330, 332, 335 Jean de Berry (duc de Berry) 165, 186, 250, 255, 260 Jean de Blâmont (frère d’Henri de Blâmont, prévôt de Remiremont) 411, 465, 482 Jean de Bohême (roi de Bohême) 231 Jean de Bourbon (évêque de Verdun) 172 Jean de Bourgogne (seigneur de Montaigu, comte de Vaudémont) 83, 365 Jean de Bouxières (bailli du duché) 81, 92, 112, 238 Jean de Bruillon (procureur ducal) 443, 444, 487 Jean de Chambley 294, 295 Jean de Créhange (conseiller ducal) 377, 479 Jean de Darney (gouverneur des salines de Rosières) 341 Jean de Deux-Maisons (chanoine de Saint-Georges) 470 Jean de Fléville (bailli des Vosges et d’Allemagne) 92, 350, 375, 376, 441, 472, 476 Jean de Hamberg 56 Jean de Haraucourt (bailli de SaintMihiel) 472 Jean de Haraucourt 350, 375 Jean de la Côte (sujet du chapitre de Saint-Dié) 423 Jean de Lenoncourt (bailli de Nancy) 350, 360, 431, 472 Jean de Ligny (abbé de Saint-Martin) 192
Jean de Linange (comte de Linange et de Réchicourt) 215, 408, 486 Jean de Lindre (châtelain de Dieuze) 293, 341 Jean d’Ellenz 56 Jean de Loen 408 Jean de Ludres 92 Jean de Lunéville (chapelain du duc) 76, 189, 190, 469 Jean de Luxembourg (comte de Ligny et de Saint-Pol) 321, 322, 327 Jean de Malaucourt 408 Jean de Manonville 406 Jean de Marbache (maître des écoles de Nancy) 74 Jean de Mengen 56, 78 Jean de Montaigu (grand maître de l’hôtel du roi) 239, 250, 265, 266 Jean de Montclair 406 Jean Denis (maître d’hôtel du duc) 472, 478 Jean Denis (secrétaire ducal) 377, 440, 442, 469 Jean de Oberschaeffolsheim 132 Jean de Parroy (sénéchal de Lorraine) 92, 140, 348, 486 Jean de Pileis (receveur ducal) 114 Jean d’Épinal 355 Jean de Prény (bailli de Nancy) 71, 72, 74, 114, 115 Jean de Proisy (capitaine de Guise) 320, 487 Jean de Pulligny 350 Jean de Raville 79 Jean de Rodemack (conseiller ducal) 367, 476, 477, 486 Jean de Rosières (bailli d’Allemagne) 476 Jean de Rosières (receveur ducal) 114 Jean de Sarrebruck (évêque de Verdun) 219, 238, 242, 291, 353 Jean des Fontaines 85, 132 Jean de Sierck (bailli d’Allemagne) 72 Jean des Jantres (échevin de Nancy) 112 Jean de Tolloz (bourgeois de Metz) 385
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i n de x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Jean de Toulon 69, 141 Jean de Vaudrevange (citain de Metz) 129 Jean de Vergy (maréchal de Bourgogne) 187, 229 Jean de Vienne (évêque de Metz) 144, 152 Jean de Ville (seigneur de Ville-sur-Illon) 92, 133 Jean de Villiers (seigneur de l’Isle-Adam, capitaine anglo-bourguignon) 324 Jean de Vy (citain de Metz) 129 Jean du Châtelet 71 Jean Escellet de Nancy (gruyer du duc) 76 Jean-Galeas Visconti (seigneur de Milan) 211, 212, 214, 221 Jean Ier d’Haussonville (seigneur d’Haussonville) 266 Jean Ier (duc de Lorraine) 29, 33, 34, 53, 56, 63, 67, 70, 74, 75, 79, 81, 83-85, 87, 88, 91, 95, 96, 98, 100-103, 105, 109, 113, 117, 127, 128, 130-133, 138, 140-143, 145, 151, 152, 162-168, 173, 174, 177-194, 197-199, 201, 202, 205, 206, 212, 213, 226, 248-250, 258, 259, 262, 263, 266, 267, 269-273, 286, 300, 302, 349, 358, 400, 405, 406, 408, 414, 415, 421, 422, 424-426, 433, 436, 440, 452, 453, 457, 458, 464, 465, 468, 473, 474, 481, 488-491, 500-503, 505 Jean II d’Anjou (duc de Lorraine) 390, 458, 485 Jean II d’Haussonville (maréchal puis sénéchal de Lorraine) 72, 266, 348, 367, 386, 387, 395, 472, 477, 478, 487 Jean III de Salm (comte de Salm) 79, 233 Jean II le Bon (roi de France) 155, 165, 166, 169, 174, 175, 179, 188, 210 Jean IV de Salm (comte de Salm) 92, 381, 389 Jean IV de Sarrebruck (bouteiller du roi de France) 178, 189 Jean Jouvenel des Ursins (magistrat et chroniqueur) 39, 44, 98, 260, 275 Jean Kerze de Siersberg 79
Jean l’Aveugle (roi de Bohême, comte de Luxembourg) 121, 149 Jean Lederhose de Boulay 477 Jean le Jeune ( Jean V, comte de Salm) 215 Jean Lohier de Virey (citain de Metz) 376 Jean Maguere (barbier du duc) 190 Jean Moixel (gouverneur des salines de Rosières) 341 Jeanne d’Aigremont (abbesse de Remiremont) 100, 411, 466 Jeanne d’Arc 17, 23, 205, 281, 322, 329, 331, 332, 334 Jeanne de Bar (comtesse de Warren) 147 Jeanne de Brabant (duchesse de Brabant) 213 Jeanne de Joinville (femme d’Henri d’Ogéviller) 307 Jeanne de Navarre (femme de Philippe le Bel) 157 Jeanne de Vergy (femme de Thiébaut de Blâmont) 266 Jean Noiron (citain de Metz) 129 Jean Noxe (habitant de Saint-Dié) 423, 424 Jean Pariset de Lunéville (receveur ducal) 341, 348, 349, 423, 426, 427, 438, 446, 447, 461, 469, 470 Jean Petit (théologien) 248, 273 Jean Pillepille de Lorraine (fils naturel de Charles II) 300 Jean Priol de Sierck (bailli d’Allemagne) 476 Jean Remoneix (fils de prêtre) 422 Jean sans Peur (duc de Bourgogne) 187, 207, 210, 213, 229, 230, 236, 242, 246266, 277-279, 281, 285, 308-314, 334, 335, 400, 474, 508, Jean Sauvage (abbé de Saint-Rémi de Lunéville) 414 Jean Sehencke de Ehenheim 145 Jean Thirion (bourgeois de Neufchâteau) 258 Jean Vagadour (receveur ducal) 75, 114
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Jean Waldaire (bourgeois de Neufchâteau) 416 Jean Wisse de Gerbéviller (bailli de Nancy puis d’Allemagne) 69, 71, 78, 79, 92, 96, 408, 472, 476 Jean XXIII (pape) 411 Jennat de Brabant 443 Joffroy de Nancy (bailli de Chaumont, seigneur de Gombervaux) 169, 372, 373 Joffroy de Tonnoy 350 Josse de Moravie (marquis de Moravie) 214, 215, 271, 272 K Kralbe Losel 437 L La Hire (capitaine armagnac) 313, 326, 327 Lambellin Vagadour 75 La Rousse (femme de Jean Waldaire) 416 Laurent de Sierck (valet de chambre du duc) 108 L’Avant-Garde (cne Pompey, Meurtheet-Moselle, arr. Nancy, c. Val de Lorraine Sud) 126, 257, 289 Liébaud de Cusance (évêque de Verdun) 182, 183 Liébaut du Châtelet (bailli de Nancy) 92 Liénart (bourgeois de Metz) 394 Lothaire II (roi de Lotharingie) 499 Lotz de Lempen 348 Louis de Bar (cardinal et duc de Bar) 257, 258, 281, 282, 284, 285, 288-292, 294, 309, 310, 316, 323-328, 331-333, 336, 345, 347, 373, 374, 390, 451, 454, 486 Louis de Bavière, dit le Bossu (duc de Bavière) 309 Louis de Dommartin (conseiller ducal) 133 Louis de Haraucourt (évêque de Verdun) 355, 395
Louis de Lichtenberg (seigneur de Lichtenberg) 367, 369, 418 Louis de Lorraine (fils de Charles II) 276, 282 Louis de Male (comte de Flandre) 183 Louis de Montjoye (ambassadeur de Louis d’Orléans) 235 Louis d’Orléans (duc d’Orléans) 190, 191, 206, 208-212, 214, 215, 217-220, 227-230, 232, 234, 235, 237-240, 242, 243, 245, 246, 248, 250-252, 254, 265, 273, 274, 278, 279, 313, 325, 335, 336, 347, 357, 372, 442, 453, 465, 474, 502, 505, 508, Louis II d’Anjou (roi de Sicile) 287, 308, 309, 320, 336 Louis III d’Anjou (roi de Sicile) 287, 308 Louis III de Bavière (comte palatin du Rhin) 162, 163, 220, 236, 271, 368, 369, 438 Louis Paillat (citain de Metz) 129 Louis XIV (roi de France) 21 Louis X le Hutin (roi de France) 157 Louvion Barneffroy (secrétaire ducal) 71, 352, 440-443, 445, 462, 469-471, 473, 479, 503, 505 Luciette Baudoire (femme de Jean Barneffroy) 471 Ludeman de Lichtenberg 486 M Maloste (serviteur ducal) 442 Marguerite de Bavière (femme de Jean sans Peur) 187, 210, 213 Marguerite de Bavière (fille de Robert Ier de Bavière, femme de Charles II) 79, 80, 187, 212, 219, 270, 276, 277, 282, 412, 413, 458, 465, 471, 474, 475, 478, 479 Marguerite de Bourgogne 210, 213 Marguerite de Champagne (femme de Ferry III de Lorraine) 460 Marguerite de Chérisey (abbesse de Saint-Pierre aux Nonnains de Metz) 192, 352, 409, 441
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i n de x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Marguerite de Joinville (femme de Ferry de Lorraine, comtesse de Vaudémont) 134, 365 Marguerite de Lorraine (femme de Louis de Looz) 121 Marguerite de Lorraine (femme de Thiébaut II de Blâmont) 297-299, 365, 467 Marguerite de Lorraine (femme d’Olry de Ribeaupierre) 162 Marguerite de Male (femme de Philippe le Hardi) 155, 181, 213 Marie d’Anjou (femme de Charles VII) 285 Marie de Blois (femme de Raoul de Lorraine, régente du duché) 95, 130, 131, 151, 162, 163, 165, 169, 173 Marie de Coucy (fille d’Enguerran de Coucy) 264, 265 Marie de Dun (abbesse de Saint-Pierre aux Nonnains de Metz) 192 Marie de Parroy (femme de Conrad Bayer de Boppard) 468 Marie-Thérèse d’Autriche 21 Mathieu Cabus (prieur du val de Liepvre) 410 Mathieu II (duc de Lorraine) 161, 286, 417, 418 Mellard le Fèvre 462 Mengin Drouin de Rosières (receveur ducal) 341, 373, 411, 413, 414, 416, 417, 423, 426, 440, 446, 454, 460, 461, 469-471 Mengin le Coursenier 412, 441 Mengin Louis (habitant de Lunéville) 430 Morisat de La Tour (citain de Metz) 129 N Nicolas Batault (valet de chambre du duc) 462 Nicolas de Berne (marchand) 227 Nicolas (habitant de Saint-Dié) 423 Nicolas Ier d’Anjou (duc de Lorraine) 390, 413
Nicolas Rolin (chancelier de Bourgogne) 331 Nicole Chaillot (abbé de Saint-Martin de Metz) 381, 409 Nicole Grognat (citain de Metz) 234, 235 Nicole Guespach (conseiller ducal) 92 Nicole Laître (citain de Metz) 372 O Olivier Leet (capitaine armagnac) 321 Olry de Blâmont (chapelain de Jean de Blâmont) 411, 465 Olry de Ribeaupierre (mari de Marguerite de Lorraine) 163 Olry de Rosières 92 Othon de Morsbach (comte de Morsbach) 255 Otton III (empereur germanique) 101 P Perceval d’Enneval 85, 132 Perrin de Bellevent (forestier des bois des Vosges) 100 Perrin de Deuilly 265, 266 Perrin le Gournaix (citain de Metz) 129 Petreman de Kemeren 486 Petreman Xolaire (secrétaire ducal) 440, 441, 445, 479 Philibert de Beauffremont 288 Philibert de Doncourt (bailli de Bar) 472 Philippe Auguste (roi de France) 483 Philippe d’Artois 186 Philippe de Bar (fils de Robert Ier de Bar) 282 Philippe de Berney 486 Philippe de Bourgogne (comte de Nevers) 251, 264 Philippe de Lenoncourt 408 Philippe de Sarrebruck (comte de Nassau-Sarrebruck) 234, 237, 254, 270, 271, 365 Philippe de Ville (évêque de Toul) 133, 134, 354, 411 Philippe III (roi de France) 118
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Philippe IV le Bel (roi de France) 157, 159, 164, 198 Philippe le Bon (duc de Bourgogne) 208, 281, 310, 313-316, 320, 322-324, 326, 328-330, 332, 334, 335, 337, 338, 365, 421, 459, 474, 502, 505 Philippe le Hardi (duc de Bourgogne) 33, 59, 116, 155, 181-183, 187, 190, 209-215, 217-219, 229, 236, 262, 265, 277, 278, 324 Philippe VI (roi de France) 118, 158, 162, 163, 169, 173 Pierre de Bar (seigneur de Pierrefort) 83, 138, 141-143, 146, 152 Pierre de Beauffremont (commandeur du Vieil-Aître de Nancy) 288, 470 Pierre de Genève (comte de Genève et de Vaudémont) 365 Pierre de Raville (conseiller ducal) 92 Pierre, dit Clignet de Brabant (amiral de France) 239 Pierre d’Orgemont (chancelier de Charles V) 167, 168 Pierre Esch (secrétaire ducal) 440, 479 Pierre Rengnillon (citain de Metz) 233 Pierresson Rouhart (échevin d’Amance) 431, 432 Poiret d’Amance (secrétaire ducal) 76, 92, 440, 462 Probest Hansel 437 R Raoul de Coucy (évêque de Metz) 66, 132, 133, 135, 137, 150, 164, 223, 224, 246, 285, 347-354, 361, 362, 372, 373, 465, 474, 477 Raoul (duc de Lorraine) 48, 63, 65, 91, 95, 107, 121, 162, 165, 173, 180, 181, 189, 190, 425, 426, 457, 484, 499, 500, 502 Reinold d’Urslingen 369 Rémi de Vandières 424, 425 Renaud de Bar (évêque de Metz) 132 Renaud de Nancy (chanoine de SaintGeorges) 408 Renaud de Richarménil 470 Renaud du Châtelet 288
Renaud Prégny (secrétaire ducal) 440, 442, 469, 471 René Ier d’Anjou (duc de Bar et de Lorraine) 19, 59, 61, 282, 284-297, 299-303, 305-310, 313, 315, 317, 319-338, 342, 345, 346, 353, 355, 360-362, 365, 366, 374, 379-381, 386-400, 402, 433, 438, 443, 445, 451-454, 457, 458, 467, 476, 478, 479, 483-491, 495-499, 502, 504, 505, 507 René II de Lorraine (duc de Lorraine) 22, 34, 62, 91, 297, 307, 390, 426, 446, 483, 487, 499, 502 René Schwarz von Sickingen (landvogt d’Alsace) 270 Rénier Grossetête (prévôt de Nancy) 71 Richard d’Apremont 449 Richard de Felsberg (bailli d’Allemagne) 72, 476 Richard Ier Cœur de Lion (roi d’Angleterre) 483 Richard II (roi d’Angleterre) 209 Robert de Baudricourt (capitaine de Vaucouleurs) 310, 318, 327, 395 Robert de Berg (fils d’Adolphe de Berg) 284 Robert de Haroué (maître d’hôtel du duc) 306 Robert de la Marck (seigneur de Sedan) 483 Robert de Marle (comte de Marle) 257, 282 Robert des Armoises 477, 478 Robert de Sarrebruck (damoiseau de Commercy) 310, 324-326, 358, 360, 386, 395, 434 Robert Ier de Bar (duc de Bar) 90, 126, 128, 138, 140, 146, 152, 167, 174, 176, 178, 179, 212, 223, 237-240, 243, 244, 247, 257, 258, 281, 282, 357, 458, 482, 483 Robert Ier de Bavière (comte palatin du Rhin, roi des Romains) 33, 79, 187, 209, 210, 212, 217, 219-228, 230, 232-237, 264, 267, 268, 270-272, 277-279, 347, 433, 434
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i n de x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Rodolphe de Lorraine (fils de Charles II) 276, 282 S Schellans (capitaine de Sarreguemines) 417 Schmassmann de Ribeaupierre (seigneur de Ribeaupierre) 355, 369, 370, 467, 479 Sigebert de Gembloux (chroniqueur) 393 Sigisbert (saint, roi d’Austrasie) 378, 379, 393, 459, 504 Sigismond (empereur germanique) 214, 253, 261, 262, 271-273, 294, 309, 358, 366368, 418, 419, 434, 458, 466, 492 Simon (cellerier de Dieuze) 447 Simon des Armoises 408, 477 Simonin d’Aubenton (maître des pelletiers de Nancy) 426 Simonin de Nancy 115 Simonin de Nancy (receveur ducal) 114 Simonin II de Nancy (bailli de Nancy) 74 Simonin III de Nancy (lieutenant de bailli) 462, 472 Simon IV Wecker (comte de DeuxPonts) 406 Simon Mochenheimer (officier ducal à Deux-Ponts) 269 Simon von Homburg 437 Somelat de Gondreville (sergent) 440 Sophie de Wurtemberg (épouse de Jean Ier) 79, 95, 162, 173 Stanislas Leczinski (duc de Lorraine) 499, 502 Switzer Hans 437 T Thadée Visconti 212 Thiébaut de Neufchâtel (seigneur de Châtel-sur-Moselle) 365 Thiébaut Ier de Blâmont (seigneur de Blâmont) 54, 88, 141, 142
Thiébaut Ier (duc de Lorraine) 161, 162, 220 Thiébaut II de Blâmont (seigneur de Blâmont) 266, 288, 297-299, 307, 308, 365, 411, 466, 467 Thiébaut le Gournaix (citain de Metz) 233 Thiellequin (prévôt de Châtenois) 446 Thierry Bayer de Boppard (conseiller ducal) 479 Thierry Bayer de Boppard (évêque de Metz) 172, 355, 468 Thierry d’Autel (bailli de Saint-Mihiel) 472 Thierry de Kerpen 79 Thierry d’Haussonville 430 Thierry d’Ogéviller (abbé de Moyenmoutier) 430 Thierry Hartemant (maître des drapiers) 427 Thierry Pourcelot (lieutenant de bailli) 472 Thiesselin le Poindrin (échevin de Nancy) 112 Thiriat le Berette (échevin de Nancy) 112 Thirion de Lencourt 112 Thirion Mélian 443 Thomas de Bourlémont (évêque de Toul) 132, 158, 179, 356 Thomas d’Endingen 132 Toulongeon (maréchal de Bourgogne) 395 U Ulrich de Ribeaupierre 369, 370, 395 Ulrich de Wurtemberg 179 Urbain VI (pape) 133 Valentine Visconti (femme de Louis d’Orléans) 211 Vautrin de Barbonville 430 Vautrin de Bouxières 408 Vautrin de Rosières 462 Waleran de Luxembourg (comte de Saint-Pol) 247
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Waleran de Réméréville (prévôt de Lunéville) 412 Waleran de Thierstein (comte de Thierstein) 79 Walter de Geroldseck (capitaine) 436 Warry de Haroué (maître d’hôtel du duc) 404, 408, 472, 478, 479 Warry de Savigny (conseiller ducal) 350 Warry de Tonnoy 407 Wenceslas de Luxembourg (roi des Romains) 102, 134, 151, 166, 167, 186, 209-212, 214, 218, 220, 221, 226-228, 232234, 271, 272, 358 Werner Hutzing 486 Wernlin de Güte 132 Werry d’Onville 370 Willequin (fauconnier du duc) 108
Winchelin de la Tour (bailli de SaintMihiel) 326, 472 Y Yolande d’Aragon (mère de René d’Anjou) 289, 291, 302, 303, 308-310, 316 Yolande de Bar (fille de Robert Ier de Bar, reine d’Aragon) 284, 309, 319 Yolande de Bar (la jeune, fille de Robert Ier de Bar, épouse du duc de Berg) 284, 291 Yolande de Flandre (régente du duché de Bar) 83, 142, 147, 170, 178, 179, 196 Z Zwentibold (saint, roi d’Austrasie) 393
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Index des noms de lieux
A Aconcourt, Voir Ajoncourt-sur-Seille 86, 88 Agincourt (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 108 Aix-la-Chapelle (Allemagne) 225 Ajoncourt-sur-Seille (Moselle, arr. Sarrebourg-Château-Salins, c. Le Saulnois) 406 Albestroff (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 137, 238 Albe, Voir Sarralbe 150 Alençon (Orne, ch.-l. dép.) 419 Allemagne 19, 28, 44, 64, 84, 96, 103, 118, 162, 182, 191, 218, 222, 231, 264, 268, 278, 279, 302, 367, 390, 391, 437, 474, 475, 481 Allemagne (bailliage) 39, 40, 46, 48, 51, 53, 54, 58, 59, 63, 67, 73, 78-80, 82, 111, 113, 114, 137, 226, 268, 269, 346, 402, 403, 446, 447, 475, 476, 478-480, 483, 491, 492 Alpes 223 Alsace 22, 43, 44, 63, 186, 269, 270, 348, 355, 366, 368, 369, 394, 395, 406, 437 Alsace (prévôté impériale) 227 Altwolfstein (château) 220, 437 Amance (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 46, 94, 161, 162, 407, 430, 448 Amanty (Meuse, arr. Commercy, c. Ligny-en-Barrois) 241, 274 Amélécourt (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 61, 130, 131, 151, 349
Ancy-Dornot (Moselle, arr. Metz, c. Les Coteaux de Moselle) 350 Andelot-Blancheville (Haute-Marne, arr. Chaumont, c. Bologne) 177, 275, 413, 414 Angleterre 25, 75, 146, 187, 199, 209, 217, 261, 272, 273, 311, 312, 315, 316, 319, 323, 332, 334, 436, 505-508 Anglure (Marne, arr. Epernay, c. VertusPlaine Champenoise) 331 Angoulême (comté d’–, Charente, ch.-l. dép.) 214 Angwiller (cne Belles-Forêts, Moselle, arr. Sarrebourg-Château-Salins, c. Sarrebourg) 64 Anjou (duché d’–) 94 Anthelupt (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-1) 256 Apremont-la-Forêt (Meuse, arr. Commercy, c. Saint-Mihiel) 18, 123, 170, 254, 372 Aragon (royaume d’–) 199 Arches (Vosges, arr. Épinal, c. Épinal-1) 46, 64, 100, 114, 161, 449 Arles (royaume d’–, Bouches-du-Rhône, ch.-l. arr.) 160 Arras (Pas-de-Calais, ch.-l. dép.) 322, 487 Ars-sur-Moselle (Moselle, arr. Metz, c. Les Coteaux de Moselle) 350 Artois (comté d’—) 267 Art-sur-Meurthe (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 108 Aubenton (Aisne, arr. Vervins, c. Hirson) 186 Augsbourg (Allemagne) 221
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Auray (bataille d’–, Morbihan, arr. Lorient, c. Auray) 180, 181 Auxerre (Yonne, ch.-l. dép.) 176 Avignon (Vaucluse, ch.-l. dép.) 134 Azelot (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Jarville-la-Malgrange) 386 Azerailles (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Baccarat) 64 Azincourt (Pas-de-Calais, arr. Montreuil, c. Auxi-le-Château) 251, 257, 278, 281, 282, 287, 365, 372, 373 B Baccarat (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, ch.-l. c.) 44, 135, 137, 349, 352, 387, 465 Bade-Wurtemberg (Land, Allemagne) 22 Bainville-aux-Miroirs (Meurthe-etMoselle, arr. Nancy, c. Meine au Saintois) 183, 365 Bâle (Suisse) 64, 395 Barbonville (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville,c. Lunéville) 406, 407 Barcelone (Espagne) 60 Bar (duché) 44, 73, 76, 82, 84, 85, 92, 93, 116, 117, 127, 138, 141, 146, 150, 173, 174, 188, 195, 196, 198, 199, 231, 232, 238, 243, 267, 284, 285, 288-296, 300, 302, 303, 306, 313, 315, 316, 318-320, 322, 323, 325-327, 330334, 336, 346, 353, 354, 357, 360, 361, 364, 365, 375, 385, 390, 393, 394, 401, 403, 415, 427, 428, 435, 437, 443, 444, 454, 466, 468, 473, 477, 486, 491-495, 497, 503, 505 Bar-le-Duc (Meuse, ch.-l. dép.) 124, 256, 290, 330, 438 Barrois 327 Barrois mouvant 157, 327 Basse-Lotharingie (duché) 391, 393 Bassigny (région) 320, 323 Baugé-en-Anjou (Maine-et-Loire, arr. Saumur, c. Beaufort-en-Vallée) 317 Bavière (Allemagne) 392 Bayon (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-2) 405, 419, 420
Bayonville-sur-Mad (Meurthe-etMoselle, arr. Toul, c. Pont-à-Mousson) 44 Bazeilles-sur-Othain (Meuse, arr. Verdun, c. Montmédy) 295 Bazoilles-et-Ménil (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Vittel) 256 Béarn (vicomté) 117, 199, 200, 337, 396, 433, 471, 472, 497, 498, 508, Beaumont (comté) 89, 214 Beaumont-en-Argonne (Ardennes, arr. Sedan, c. Mouzon) 318, 327 Beaune (Côte-d’Or, ch.-l. arr.) 176 Beaupré (abbaye, cne Lunéville, Meurthe-et-Moselle, ch.-l. arr.) 70, 230, 231, 408, 414, 415, 431, 438 Beaurepaire (château, cne ChâteauSalins, Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 130, 151 Belfort (Territoire de Belfort, ch.-l. dép.) 124, 126 Berg (duché, principauté rhénane) 285 Bergheim (Haut-Rhin, arr. ColmarRibeauvillé, c. Sainte-Marie-auxMines) 406 Bergzabern (Allemagne) 124, 186 Berry (duché) 93 Bérus (châtellenie) 64 Bérus (prévôté, Allemagne) 46 Besançon (Doubs, ch.-l. dép.) 263 Bitche (Moselle, arr. Sarreguemines, c. Bitche) 56, 406 Blainville-sur-l’Eau (Meurthe-etMoselle, arr. Lunéville, c. Lunéville 2) 54 Blâmont (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Baccarat) 44, 238, 299, 467 Blancs-Coteaux (Marne, arr. Épernay, c. Vertus-Plaine Champenoise) 214, 217 Blénod-lès-Toul (Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, c. Meine au Saintois) 42 Bleurville (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Darney) 256
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Blois (comté, Loir-et-Cher, ch.-l. dép.) 214 Blondefontaine (Haute-Saône, arr. Vesoul, c. Jussey) 41 Bohême (royaume) 159, 418, 419 Boppard (Allemagne) 227, 468 Bouconville-sur-Madt (Meuse, arr. Commercy, c. Saint-Mihel) 126, 152, 153, 256-258 Boulay-Moselle (Moselle, arr. ForbachBoulay-Moselle, ch.-l. c.) 123, 148, 231, 238 Bourbon (duché) 25, 396 Bourbonnais 396, 462, 493 Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne, arr. Langres, ch.-l. c.) 274 Bourges (Cher, ch.-l. dép.) 250, 255, 259, 327 Bourgogne 39, 70, 144, 181-183, 247, 249, 250, 256, 257, 263, 278, 279, 315, 319, 321, 323, 334, 335, 362, 392, 393, 473, 505, 507 Bourgogne (comté) 41-43, 87, 155, 187, 213, 262, 263, 266 Bourgogne (duché) 21, 25, 43, 51, 93, 116, 155, 181, 182, 199, 230, 313, 331, 332, 342, 435, 469, 470 Bourmont-entre-Meuse-et-Mouzon (Haute-Marne, arr. Chaumont, c. Poissons) 126, 257 Bouxières-aux-Dames (abbaye, Meurtheet-Moselle, arr. Nancy, c. Entre Seille et Meurthe) 70, 112 Bouxières-lès-Gerbéviller (cne Vallois, Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville 2) 86, 88 Bouzonville (Moselle, arr. ForbachBoulay-Moselle, c. Bouzonville) 46 Boves (Somme, arr. Amiens, c. Amiens 5) 186 Brabant 75, 213, 215, 218 Brabant (duché) 213 Brescia (bataille, Italie) 222, 227, 234 Bretagne 180, 477, 478, 500, 502, 505, 507 Bretagne (duché) 25, 51, 180, 469, 470
Brétigny (traité, cne Sours, Eure-et-Loir, arr. Chartres, c. Chartres-2) 67, 146, 205 Brie (région) 320 Brixey-aux-Chanoines (Meuse, arr. Commercy, c. Vaucouleurs) 42, 43, 124, 142, 146 Bruck-lès-Trèves (château, Allemagne) 406 Bruyères (Vosges, arr. Épinal, ch.-l. c.) 46, 64, 100, 161, 449 Buissoncourt (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Grand-couronné) 350 Bulgnéville (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Vittel) 299, 342, 395, 452, 467, 487 Bussang (col, Vosges, arr. Épinal, c. Le Thillot) 64 C Capavenir Vosges (Vosges, arr. Épinal, c. Golbey) 64 Cassel, bataille (Nord, arr. Dunkerque, c. Bailleul) 162 Castille (Espagne) 75, 199, 421 Chaligny (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Neuves-Maisons) 141, 183, 365 Chalon (évêché, Saône-et-Loire, ch.-l. arr.) 291 Chambéry (accords de, Savoie, ch.-l. dép.) 322, 327 Champagne 39, 42, 64, 126, 142, 156, 157, 161, 162, 164, 176, 177, 179, 188, 198, 320, 327, 329, 330 Champigneulles (bataille, Meurthe-etMoselle, arr. Nancy, c. Val de Lorraine Sud) 240-242, 244, 245, 248, 277, 278, 392, 400, 439, 449 Chappes (Aube, arr. Troyes, c. Bar-surSeine) 331 Charmes (Vosges, arr. Épinal, ch.-l. c.) 46, 124 Charny (Meuse, arr. Verdun, c. Bellevillesur-Meuse) 143, 146 Chartres (paix de, Eure-et-Loir, ch.-l. dép.) 250, 252
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Château-Salins (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, ch.-l. c.) 61, 63, 67, 108, 130, 131, 138, 349, 482, 483 Château-Thierry (Aisne, ch.-l. arr.) 175, 330 Châtel-Saint-Germain (Moselle, arr. Metz, c. Moulins-lès-Metz) 350 Châtel-sur-Moselle (Vosges, arr. Épinal, c. Charmes) 183, 365 Châtenois (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Mirecourt) 46, 86-88, 161, 162, 184, 185, 229, 239, 323, 416-418 Châtillon-sur-Marne (Marne, arr. Epernay, c. Dormans-Paysages de Champagne) 217 Chaumont (bailliage) 274 Chaumont-sur-Aire (Meuse, arr. Bar-leDuc, c. Revigny-sur-Ornain) 256 Chinon (Indre-et-Loire, ch.-l. arr.) 329 Chiny (comté, Belgique) 293 Clairlieu (abbaye, cne Villers-lès-Nancy, Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Laxou) 70, 171, 300, 408, 415 Clémery (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Entre seille et Meurthe) 372 Clermont-en-Argonne (Meuse, arr. Verdun, ch.l. c.) 124, 290, 346, 454 Clèves (principauté rhénane) 215, 285, 293 Coblence (Allemagne) 126 Colmar (Haut-Rhin, ch.-l. dép.) 269, 366, 368, 369 Cologne (Allemagne) 223, 226 Colombier (Haute-Saône, arr. Vesoul, c. Vesoul-2) 406 Commercy (Meuse, ch.-l. arr.) 18, 199 Conflans (Conflans-sur-Lanterne, Haute-Saône, arr. Lure, c. Saint-Loupsur-Semouse) 41, 124 Conflans-en-Jarnisy (Meurthe-etMoselle, arr. Briey, c. Jarny) 325, 326 Constance (concile, Suisse) 253, 260, 368, 375, 382, 470 Cotentin 250
Coucy-le-Château-Auffrique (Aisne, arr. Laon, c. Vic-sur-Aisne) 214 Courcelles-sur-Aire (Meuse, arr. Bar-leDuc, c. Revigny-sur-Ornain) 256 Courtenay (Loiret, arr. Montargis, ch.-l. c.) 217 Coussey (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Neufchâteau) 42 Crécy-en-Ponthieu (bataille, Somme, arr. Abbeville, c. Rue) 95, 162, 166, 169, 210, 437 Crécy-la-Chapelle (Seine-et-Marne, arr. Meaux, c. Serris) 217 Crévéchamps (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Meine au Saintois) 355 Custines (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Entre Seille et Meurthe) 240, 289 D Damme (avant-port de Bruges, Belgique) 186 Dannevoux (Meuse, arr. Verdun, c. Clermont-en-Argonne) 318, 327 Darney (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Darney) 46, 323, 412 Dauphiné (région) 116, 182 Décapole (villes d’Alsace) 366, 368 Delme (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 135 Demangevelle (Haute-Sâone, arr. Lure, c. Jussey) 42 Deneuvre (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Baccarat) 39, 238, 299, 465, 467 Deuilly (cne Sérocourt, Vosges, arr. Neufchâteau, c. Darney) 53 Deux-Ponts/Zweibrücken (Allemagne) 124, 186, 269 Dieuze (châtellenie) 50, 91, 341, 399, 448 Dieuze (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 51, 61, 64, 130, 138, 318, 405, 417, 434, 445 Dijon (Côte-d’Or, arr. Dijon, c. Dijon 1-6) 395
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Dinant (Belgique) 124, 126 Domèvre-en-Haye (Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, c. Le Nord-Toulois) 406 Dommartin-sous-Amance (Meurtheet-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 432 Dompaire (Vosges, arr. Épinal, c. Darney) 46, 64, 323 Dreux (comté, Eure-et-Loir, arr. Dreux, c. Dreux 1-2) 214 Dunois (comté) 214 Dun-sur-Meuse (Meuse, arr. Verdun, c. Stenay) 192 E Einvaux (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-2) 470 Einville-au-Jard (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-1) 80, 446, 478, 479 Emarthausen, Voir Phalsbourg 348 Ennery (Moselle, arr. Metz, c. Le Pays Messin) 375, 376 Épernay (Marne, ch.-l. arr.) 240 Épinal (Vosges, ch.-l. dép.) 21, 39, 123, 124, 135, 137, 164, 361, 362, 364, 385, 388, 397, 494, 495 Erize-la-Grande (cne Raival, Meuse, arr. Bar-le-Duc, c. Bar-le-Duc-1) 256 Erize-la-Petite (Meuse, arr. Bar-le-Duc, c. Revigny-sur-Ornain) 256 Escles (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Darney) 350 Espagne 117, 160, 191 Étival (abbaye, Vosges, arr. Saint-Dié-desVosges, c. Raon-l’Étape) 58, 101, 452 F Fains-Véel (Meuse, arr. Bar-le-Duc, c. Bar-le-Duc-2) 255 Faucogney-et-la-Mer (Haute-Saône, arr. Lure, c. Mélisey) 42, 262, 263 Fauconcourt (Vosges, arr. Épinal, c. Charmes) 407
Faulquemont (Moselle, arr. BoulayMoselle, c. Faulquemont) 56, 150, 231, 441, 468 Fénétrange (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Sarrebourg) 44, 130, 199 Flandre 222 Flandre (comté) 75, 83, 94, 147, 155, 181, 183-186, 188, 213, 278, 279, 320, 436 Florence (Italie) 223 Foix (Ariège, ch.-l. c.) 337, 396, 473 Fontenoy-le-Château (Vosges, arr. Épinal, c. Le Val-d’Ajol) 53, 54 Forte-Maison-lès-Chartres (cne Chartres, Eure-et-Loir, arr. Chartres, c. Chartres-1 à 3) 214 Fougerolles (Haute-Saône, arr. Lure, c. Saint-Loup-sur-Semouse) 42, 53, 54, 87, 88 Foug (Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, c. Toul) 223, 282, 286-292, 294, 296, 297, 302, 303, 308, 309, 311, 313-317, 319, 324, 327, 331, 333-337, 341, 345, 347, 353, 356, 358, 364-366, 368, 373, 390, 391, 395, 397-399, 438, 450, 451, 454, 468, 471, 486, 494, 495, 497 Francalmont (Haute-Saône, arr. Lure, c. Saint-Loup-sur-Semouse) 41 Francfort (Allemagne) 221, 225, 226 Franche-Comté 229 Franconie (Allemagne) 481 Franconville (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-2) 470 Frankenbourg (château, cne Neubois, Bas-Rhin, arr. Sélestat-Erstein, c. Mutzig) 86, 88 Freistroff (château, Moselle, arr. ForbachBoulay-Moselle, c. Bouzonville) 56 Fresnes-sur-Apance (Haute-Marne, arr. Langres, c. Bourbonne-les-Bains) 41 Fribourg (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Sarrebourg) 135, 348
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Froeschwiller (Bas-Rhin, arr. HaguenauWissembourg, c. Reichshoffen) 43 Frouard (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Val de Lorraine Sud) 46, 64, 161, 162, 184, 185, 240, 241, 379 G Galilée (val de) 62 Gerbéviller (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-2) 53, 137, 161, 162 Germanie 160 Geroldseck (château, vallée de la Sarre) 86-88, 269 Gibraltar (route maritime) 64 Gien (ligue de –, Loiret, arr. Montargis, ch.-l. c.) 250, 435 Goin (Moselle, arr. Metz, c. Faulquemont) 58 54 Gondrecourt-le-Château (Meuse, arr. Commercy, c. Ligny-en-Barrois) 124 Gondreville (Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, c. Le Nord-Toulois) 46, 80, 145, 146, 223, 356, 440, 448, 478 Gondrexange (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Sarrebourg) 130, 348 Gorze (abbaye, Moselle, arr. Metz, c. Les Coteaux de Moselle) 59, 70, 123, 200 Grandpré (Ardennes, arr. Vouziers, c. Attigny) 318 Grand (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Neufchâteau) 161, 416, 418 Groenin (Pays-Bas) 408 Guadalquivir (Espagne) 500 Gueldre-Juliers (principauté rhénane) 184, 185, 285 Guémar (Haut-Rhin, arr. ColmarRibeauvillé, c. Sainte-Marie-auxMines) 355, 369, 370, 438, 467, 481 Guise (Aisne, arr. Vervins, c. Guise) 320, 321, 326 Guise (comté) 287, 291, 302, 303, 321-323 Guyenne 43, 117, 199, 239, 338
H Haguenau (Bas-Rhin, ch.-l. arr.) 366 Hainaut (comté) 103, 210, 213 Haraucourt (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 470 Hardémont (cne La Chapelle-aux-Bois, Vosges, arr. Épinal, c. Le Val-d’Ajol) 87, 88 Haroué (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Meine au Saintois) 462 Hattstatt (cne Hattstatt, HautRhin, arr. Thann-Guebwiller, c. Wintzenheim) 406 Haute-Lotharingie (duché) 391 Haute-Ribeaupierre (cne Ribeauvillé, Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, c. Sainte-Marie-aux-Mines) 438 Haute-Seille (abbaye, cne Gelucourt, Moselle, arr. Sarrebourg-ChâteauSalins, c. Le Saulnois) 414, 415 Heidelberg (Allemagne) 118, 221, 268, 272 Hellimer (Moselle, arr. Forbach-BoulayMoselle, c. Sarralbe) 137 Hollande (comté) 210, 213, 324 Hombourg-Haut (Moselle, arr. ForbachBoulay-Moselle, c. FreymingMerlebach) 44, 135, 137 Hongrie (royaume) 293, 418 Hornbach (Allemagne) 186 Houssen (Haut-Rhin, arr. ColmarRibeauvillé, c. Colmar-2) 43 I Ingwiller (Bas-Rhin, arr. Saverne, c. Ingwiller) 369 Italie 169, 221-223, 227, 264, 270 J Jarville-la-Malgrange (Meurthe-etMoselle, arr. Nancy, c. Jarville-laMalgrange) 470 Joinville (Haute-Marne, arr. Saint-Dizier, c. Joinville) 140, 304, 305 Jonvelle (Haute-Saône, arr. Vesoul, c. Jussey) 41, 42, 323, 324, 443
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Juliers, Voir Gueldre 408 Jussey (Haute-Saône, arr. Vesoul, c. Jussey) 41 K Katzelnenbogen (comté, Allemagne) 86, 420 Kaysersberg Vignoble (Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, c. SainteMarie-aux-Mines) 366, 369 Kettenbusch (bois) 402 Kirkel (château) 227 Koenigsbourg (cne Kintsheim, Bas-Rhin, arr. Sélestat-Erstein, c. Sélestat) 86, 88 Kraichgau (région du Palatinat) 96 L La Bresse (Vosges, arr. Épinal, c. La Bresse) 406 La Croix-aux-Mines (Vosges, arr. SaintDié-des-Vosges, c. Saint-Dié-desVosges-2) 62 La Ferté-Bernard (Sarthe, arr. Mamers, c. La Ferté-Bernard) 214 La Ferté-sur-Chiers (Ardennes, arr. Sedan, c. Carignan) 318, 326, 327 La Haye (bois) 63 Laître-sous-Amance (prieuré, Meurtheet-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 432 Lamarche (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Darney) 124, 326 Landécourt (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville,c. Lunéville 2) 470 Landéville (cne Donrémy-Landéville, Haute-Marne, arr. Saint-Dizier, c. Bologne) 241 Laneuveville-devant-Nancy (Meurtheet-Moselle, Arr. Nancy, c. Grand couronné) 161, 162, 256 La Neuveville-sous-Montfort (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Vittel) 161, 162, 184, 185 Langres (Haute-Marne, arr. Langres, c. Langres) 41
La Trémoille (cne Saint-Geniès, Dordogne, arr. Sarlat-la-Canéda, c. Terrasson-Lavilledieu) 116 L’Avant-Garde (cne Pompey, Meurtheet-Moselle, arr. Nancy, c. Val de Lorraine Sud) 126, 257, 289 Lay-Saint-Christophe (Meurthe-etMoselle, arr. Nancy, c. entre Seille et Meurthe) 470 Lay-sous-Amance, Voir Lay-SaintChristophe 76 Le Bonhomme (col du –, Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, c. SainteMarie-aux-Mines) 64 Le Châtelet (cne Harchéchamp, Vosges, arr. Neufchâteau, c. Neufchâteau) 53, 239 Le Chipal (Vosges, cne La Croix-auxMines, Vosges, arr. Saint-Dié-desVosges, c. Saint- Dié-des-Vosges) 62 Le Poncel (péage) 64 Les Rouges-Eaux (Vosges, arr. Saint-Diédes-Vosges, c. Bruyères) 470 Lessy (Moselle, arr. Metz, c. les coteaux de Moselle) 350 Le Thillot (Vosges, arr. Épinal, c. Le Thillot) 42, 64, 262 Letraye (lieu-dit, entre Belfort et Remiremont) 124 Liège (archevêché, Belgique) 213, 215 Liepvre (prieuré, Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, c. SainteMarie-aux-Mines) 39, 43, 58, 62, 99, 101, 269, 270, 275, 409, 410, 478 Liepvrette (vallée) 62, 63 Liepvre (val de) 62 Lille (Nord, ch.-l. dép.) 395 Limbourg (duché) 213 Lindre-Basse/Lindre-Haute (Moselle, arr. Sarrebourg-Château-Salins, c. le Saulnois) 61, 130 Lindre-Basse (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. le Saulnois) 61 Lindre-Haute (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. le Saulnois) 64
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Liverdun (Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, c. le Nord-Toulois) 42 Loire 214, 217, 263, 264, 281, 328 Lombardie 221, 224, 227, 230, 234 Londres 209 Longeville-lès-Metz (Moselle, arr. Metz, c. Montigny-lès-Metz) 350 Longuyon (Meurthe-et-Moselle, arr. Briey, c. Mont-Saint-Martin) 289 Longwy (Meurthe-et-Moselle, arr. Briey, c. Longwy) 289, 292, 300, 415 Lostroff (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. le Saulnois) 64 Lotharingie 393 Louppy-le-Château (Meuse, arr. Bar-leDuc, c. Revigny-sur-Ornain) 255 Louppy-le-Petit (cne Les Hauts de Chée, Meuse, arr. Bar-le-Duc, c. Revigny-surOrnain) 1 255 Louvre (palais) 167 Lubine (Vosges, arr. Saint-Dié-desVosges, c. Saint-Dié-des-Vosges 2) 62 Lunéville (Meurthe-et-Moselle, ch.-l. arr.) 46, 64, 65, 80, 91, 161, 162, 412, 414, 426, 427, 430, 441, 446, 460, 471 Lutzelbourg (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Phalsbourg) 246, 348 Luxembourg 20, 128, 217, 218, 232, 242, 373, 376, 474 Luxembourg (comté puis duché) 18, 124, 126, 170, 211, 214, 215, 218-220, 229, 242, 254, 277, 278, 293, 361 Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône, arr. Lure, c. Luxeuil-les-Bains) 41 Lyon (Rhône, ch.-l. dép.) 395 M Maizières-sur-Meuse (cne CharlevilleMézières, Ardennes, ch.-l. dép.) 42 Malancourt (Meuse, arr. Verdun, c. Clermont-en-Argonne) 318, 327 Malzéville (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Saint-Max) 64 Manderen (Moselle, arr. Thionville, c. Bouzonville) 402
Mangonville (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Meine au Saintois) 83 Manoncourt-en-Woëvre (Meurthe-etMoselle, arr. Toul, c. Le Nord-Toulois) 135 Mantes-la-Jolie (Yvelines, arr. Mantes-laJolie, c. Mantes-la-Jolie) 311 Marat-la-Grande (cne Les Hautsde-Chée, Meuse, arr. Bar-le-Duc, c. Revigny-sur-Ornain) 255 Marat-la-Petite (cne Les Hauts-de-Chée, Meuse, arr. Bar-le-Duc, c. Revigny-surOrnain) 255 Marienbourg (château, Prusse) 500 Marimont-lès-Bénestroff (châtellenie) 91 Marimont-lès-Bénestroff (Moselle, arr. Sarrebourg-Château-Salins, c. Le Saulnois) 48 Marsal (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 44, 123, 130, 350 Martigny (Aisne, arr. Vervins, c. Hirson) 186 Marville (Meuse, arr. Verdun, c. Montmédy) 289 Mayence (Allemagne) 224 Melincourt (Haute-Saône, arr. Lure, c. Port-sur-Saône) 241 Melun (Seine-et-Marne, arr. Melun, c. Melun) 175 Mengen (cne Courcelles-Chaussy, Moselle, arr. Metz, c. Le Pays Messin) 54, 402 Merzig (Allemagne) 44, 406 Metz (diocèse) 95 Metz (évêché) 44, 66, 123, 131, 134, 135, 138, 144, 170, 174, 175, 188, 236, 238, 245, 246, 272, 277, 281, 347, 351, 353356, 361, 364, 386-388, 400, 409, 449, 474, 494 Metz (Moselle, ch.-l. dép.) 20, 21, 23, 59, 65, 66, 82, 122, 124, 128, 129, 132, 141, 142, 147, 150-153, 166, 167, 172-175, 182, 223, 225, 231, 232, 234-238, 240-243, 252, 254, 305, 330, 347, 355-357, 361, 370-379,
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381-385, 388-390, 392-394, 409, 438, 439, 448, 481, 482, 494, 495 Meurthe 59, 62, 64, 430, 461 Meuse 41, 42, 79, 102, 103, 121, 126, 157-161, 170, 172, 173, 192, 197, 199, 215, 217, 225, 248, 294, 343, 393, 397, 400, 421, 422, 454, 501, 503 Milan (Italie) 221, 222, 224, 225, 227 Mirecourt (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Mirecourt) 46, 59, 104, 124, 137, 447 Mons-en-Laonnais (Aisne, arr. Laon, c. Laon-1) 317 Montargis (Loiret, arr. Montargis, c. Montargis) 217 Montclair (château, Moselle, arr. Thionville, c. Bouzonville) 43, 124, 127, 402 Montcornet (château, Aisne, arr. Vervins, c. Vervins) 194 Montéclair (château) 179 Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne, arr. Provins, c. Montereau-FaultYonne) 208, 281, 311, 314, 316, 321, 334 Monthureux-le-Sec (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Vittel) 87 Montigny-lès-Metz (forteresse, Moselle, arr. Metz, c. Montigny-lès-Metz 232, 350 Mont-le-Vignoble (Meurthe-et-Moselle, Toul, Meine au Saintois) 405 Morhange (Moselle, arr. ForbachBoulay-Moselle, c. Sarralbe) 56, 130, 234, 243 Morley (Meuse, arr. Bar-le-Duc, c. Lignyen-Barrois) 271 Morsberg, voir Marimont-lès-Bénestroff Moselle 39, 44, 59, 60, 63, 64, 80, 159, 186, 223, 270, 376, 410, 478 Moulins-lès-Metz (Moselle, arr. Metz, c. Les Coteaux de Moselle) 350 Mousson, Voir Pont-à-Mousson 170, 320 Mouzon (Ardennes, arr. Sedan, c. Carignan) 318, 327 Moyen (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-2) 39, 53, 135, 137, 348
Moyenmoutier (abbaye, Vosges, arr. Saint-Dié-des-Vosges, c. Raonl’Étape) 21, 58, 70, 431 Moyenvic (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 44, 130, 350 Mühldorf (bataille, Allemagne) 162 Mulhouse (Haut-Rhin, arr. Mulhouse, c. Mulhouse-1 à 3) 366 Munster (Haut-Rhin, arr. ColmarRibeauvillé, c. Wintzenheim) 366 Musloch (cne Sainte-Croix-aux-Mines, Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, c. Sainte-Marie-aux-Mines) 62 N Nancy (bailliage) 48, 51, 53, 58, 60, 137, 305, 346, 399, 426, 446, 448, 452, 454, 476, 478, 479, 491, 492 Neufchâteau (Vosges, ch.-l. arr.) 20, 39, 42, 44, 59, 65, 75, 124, 161, 177, 178, 181187, 190, 194-198, 239, 258, 259, 266, 267, 273-275, 335, 413-418, 442, 469 Neuville-en-Verdunois (Meuse, arr. Commercy, c. Dieue-en-Meuse) 327 Nevers (comté) 213 Nicopolis (bataille) 135, 212, 214, 265, 281, 282 Niedensierck (colline) 402 Nied (rivière) 64 Niémen 500 Nogent-sur-Seine (Aube, arr. Nogentsur-Seine, c. Nogent-sur-Seine) 176 Nomeny (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Entre Seille et Meurthe) 135, 152, 351-353, 371, 387 Nonsard-Lamarche (Meuse, arr. Commercy, c. Saint-Mihiel) 126, 238, 257, 258 Normandie 309 Noyon (évêché, Oise, arr. Compiègne, c. Noyon) 351 Nuremberg (Allemagne) 64, 160, 191, 192, 292, 294
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O Obernai (Bas-Rhin, arr. Sélestat-Erstein, ch.l. de c.) 366 Onville (Meurthe-et-Moselle, arr. Briey, c. Pont-à-Mousson) 44, 370 Oricourt (château (Haute-Saône, arr. Lure, c. Villersexel) 266 Orléans (duché) 116 Orléans (Loiret, ch.-l. dép.) 329 Ormes-et-Ville (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Meine au Saintois) 46, 404 Ornain (rivière) 441 Orthez (Pyrénées-Atlantiques, arr. Pau, c. Orthez et Terres des Gaves et du Sel) 337, 498, 499 Outre-Moselle (prévôté) 46, 112 P Padoue (Italie) 222 Pagny-sur-Moselle (Meurthe-et-Moselle, arr. Commercy, c. Vaucouleurs) 44 Palatinat (Allemagne) 25, 74, 81, 86, 90, 96-98, 118, 186, 217, 220, 225, 227, 271, 278, 279, 293, 423, 428, 433, 437, 453, 456, 471-473, 481, 506, 508 Pallegney (Vosges, arr. Épinal, c. Bruyères) 348 Pange (maison forte, Moselle, arr. Metz, c. Le Pays Messin) 54 Pargny-sous-Mureau (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Neufchâteau) 42, 241, 242 Paris 21, 35, 39, 41, 64, 166, 167, 174, 178-181, 187, 189-191, 207, 211, 212, 236, 239-242, 248, 250-252, 255, 256, 258-261, 265-267, 291, 313, 314, 332, 409, 421, 463, 500, 502 Paris (Parlement) 178, 183-185, 194, 195, 198, 241, 242, 258, 259, 274-276, 416, 417, 433, 491 Paris (Université) 265 Parroy (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Baccarat) 53, 54
Passavant-en-Argonne (Marne, arr. Châlons-en-Champagne, c. Argonne Suippe et Vesle) 318, 327 Passavant-la-Rochère (Haute-Saône, arr. Lure, c. Jussey) 44, 177, 178, 263, 318, 416 Patay (bataille, Loiret, arr. Orléans, c. Meung-sur-Loire 329 Pays-Bas bourguignons 64, 217 Périgord (comté) 214 Perpignan (Pyrénées-Orientales, ch.-l. dép.) 354 Petite-Pierre (comté, Bas-Rhin, arr. Saverne, c. Ingwiller) 44 Phalsbourg (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Phalsbourg) 348 Picardie 291, 320, 329, 351 Pierrefort (cne Martincourt-sur-Meuse, Meuse, arr. Verdun, c. Stenay) 18, 53, 83, 126, 238, 257, 258, 289, 313 Pierrepont (Meurthe-et-Moselle, arr. Briey, c. Mont-Saint-Martin) 325, 326 Pise (concile, Italie) 271, 272, 354 Poitiers (bataille) 151, 175 Pologne 75 Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Pont-à-Mousson) 44, 152, 170, 189, 289, 319, 320, 389 Pontoise (Val d’Oise, arr. Pontoise, c. Pontoise) 311 Porcien (comté) 214 Poussay (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Mirecourt) 46 Prény (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Pont-à-Mousson) 44, 46, 238, 239, 372 Provence 182 Provins (Seine-et-Marne, ch.-l. arr.) 252, 253, 266, 330 Prusse 129, 166, 181, 220, 235, 458 Pulligny (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Neuves-Maisons) 386 Pulnoy (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 54
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Puttelange-aux-Lacs (Moselle, arr. Sarreguemines, c. Sarralbe) 234 Pyrénées 338, 396 R Rambervillers (Vosges, arr. Épinal, c. Saint-Dié-des-Vosges-1) 39, 44, 135, 137, 349 Raon-l’Étape (Vosges, arr. Saint-Dié-desVosges, ch.-l. c.) 449 Rebeuville (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Neufchâteau) 350 Reims (Marne, ch.-l. arr.) 164-167, 176, 211, 329, 330, 380, 381, 434 Relanges (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Darney) 323 Rembercourt-sur-Mad (Meurthe-etMoselle, arr. Toul, c. Le Nord-Toulois) 44 Remiremont (abbaye) 21, 51, 58, 70, 99-101, 111, 114, 262, 301, 302, 410, 411, 457, 465 Remiremont (avouerie) 39, 101-103, 501 Remiremont (comté) 160 Remiremont (Vosges, arr. Épinal, c. Remiremont) 59, 106, 124, 126, 191, 408, 410, 466, 491, 501, 503 Remoncourt (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Vittel) 46, 109 Removille (Vosges, arr. Épinal, c. Châtenois) 239 Rethel (comté) 213 Revigny-syr-Ornain (Meuse, arr. Bar-leDuc, ch.-l. c.) 124, 255, 256 Rhénanie-Palatinat (Land, Allemagne) 22 Rhin 64, 65, 79, 102, 103, 126, 160, 186, 192, 193, 215, 217, 220, 225, 227, 248, 270-272, 294, 343, 390, 397, 400, 406, 421, 422, 468, 483, 501, 503 Richecourt (Meuse, arr. Commercy, c. Saint-Mihiel) 41 Rinvaux (léproserie, cne Neufchâteau, Vosges, ch.-l. arr.) 413
Rohrbach-lès-Bitche (Moselle, arr. Sarreguemines, c. Bitche) 64 Rombach-le-Franc (Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, c. SainteMarie-aux-Mines) 62 Rome 209, 221, 362, 409 Romont (Vosges, arr. Épinal, c. Charmes) 53, 86, 88 Rosheim (Bas-Rhin, arr. Molsheim, c. Molsheim) 366 Rosières-aux-Salines (Meurthe-etMoselle, arr. Nancy, c. Lunéville-2) 46, 61, 63, 92-94, 109, 130, 341, 354, 387, 399, 444, 470 Rouen (Seine-Maritime, arr. Rouen, c. Rouen 1-3) 175 Rougemont (Côte-d’Or, arr. Montbard, c. Montbard) 254 Rumigny (Somme, arr. Amiens, c. Amiens-6) 186 S Saargau-Merzig (condominium) 43, 127, 406 Saint-Avold (Moselle, arr. ForbachBoulay-Moselle, ch.l. c.) 44, 135, 137, 387 Saint-Blin (bataille, Haute-Marne, arr. Chaumont, c. Poissons) 141, 181 Saint-Cloud (Hauts-de-Seine, arr. Nanterre, ch.l. c.) 252 Saint-Denis (abbaye, Seine-Saint-Denis, ch.-l. arr.) 62, 248, 269, 270, 275, 276, 478, 479 Saint-Dié 21, 43, 58, 62, 70, 98, 111, 465 Saint-Dié (Saint-Dié-des-Vosges, Vosges, ch.-l. arr.) 43, 46, 59, 62, 64, 89, 99-101, 422-424, 452, 470 Saint-Dizier (Haute-Marne, ch.-l. arr.) 470 Sainte-Croix-aux-Mines (Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, ch.-l. c.) 62, 99 Sainte-Marie-aux-Bois (monastère, cne Dommartin-sous-Amance, Meurthe-
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et-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 431 Sainte-Marie-aux Chênes (Moselle, arr. Metz, c. Rombas) 41, 43, 64, 431 Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, ch.l. c.) 62, 99 Sainte-Marie (col de) 62 Saint-Èvre (abbaye, Toul) 223, 356 Saint-Goëric (chapitre de chanoinesses, Épinal) 466 Saint-Hippolyte (Haut-Rhin, arr. Colmar-Ribeauvillé, c. SainteMarie-aux-Mines) 86, 88, 99, 366 Saint-Loup-sur-Semouse (Haute-Saône, arr. Lure, ch.-l. c.) 41 Saint-Mansuy (couvent, Toul) 42, 223, 356 Saint-Martin (abbaye, Metz) 106, 160, 191, 192, 352, 371, 378, 381, 389, 390, 393, 409, 415, 442, 500 Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Baccarat) 355, 378, 409 Saint-Maurice (Bas-Rhin, arr. SélestatErstein, c. Mutzig) 86, 88 Saint-Michel (colline) 223, 359, 439 Saint-Mihiel (Meuse, arr. Commercy, ch.-l. c.) 257, 289, 346, 393, 438, 454 Saint-Nicolas-de-Port (Meurthe-etMoselle, arr. Nancy, c. Jarville-laMalgrange) 59, 64, 65, 75, 110, 123, 124, 161, 162, 470 Saint-Pierre-aux-Nonnains (abbaye, Metz) 191, 192, 352, 371, 409, 415, 441, 500, 503 Saint-Pierremont (Vosges, arr. Épinal, c. Raon-l’Étape) 86, 88 Saint-Quentin (Aisne, ch.-l. arr.) 320 Saint-Symphorien (couvent, Metz) 372 Salm (comté, cne La Broque, Bas-Rhin, arr. Molsheim, c. Mutzig) 44, 238 Salonnes (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 131 Sampigny (Meuse, arr. Commercy, c. Dieue-sur-Meuse) 143 Sancy (Meurthe-et-Moselle, arr. Briey, c. Pays de Briey) 289 Sânon (rivière) 64
Saône 42 Sarralbe (Moselle, arr. Sarreguemines, ch.-l. c.) 61, 137 Sarre 39, 44, 64, 124, 127, 159, 201, 217, 246 Sarrebourg (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, ch.-l. c.) 39, 44, 123, 135, 137, 174, 175, 348, 361, 362, 364, 385, 415 Sarrebruck (Allemagne) 199, 415 Sarrebruck (comté) 238 Sarreguemines (Moselle, ch.-l. arr.) 46, 59, 63-65, 89, 113, 238, 417 Sarreinsming (Moselle, arr. Sarreguemines, c. Sarreguemines) 54 Sarre (Land, Allemagne) 22 Sarrewerden (comté) 18, 44, 238 Saulnois (région) 39, 44, 53, 61, 127, 130, 131, 134, 135, 349, 364, 388 Saverne (Bas-Rhin, ch.-l. arr.) 64, 348 Savoie (comté) 25, 116 Savonnières-devant-Bar (Meuse, arr. Barle-Duc, c. Bar-le-Duc-1) 255 Schaumberg (château, Allemagne) 44 Scy-Chazelles (Moselle, arr. Metz, c. Montigny-lès-Metz) 350 Seicheprey (Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, c. Le Nord-Toulois) 406 Seine 156 Sélestat (Bas-Rhin, arr. Sélestat-Erstein, c. Sélestat) 269, 366, 368, 369 Seltz (Bas-Rhin, arr. HaguenauWissembourg, c. Wissembourg) 227 Senlis (Oise, ch.-l. arr.) 266 Sens (Yonne, ch.-l. arr.) 176, 312 Seranville (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-2) 470 Serbie 500 Servigny-lès-Raville (Moselle, arr. Metz, c. Le Pays Messin) 377 Sierck-les-Bains (Moselle, arr. Thionville, c. Bouzonville) 46, 51, 63-65, 80, 269, 415, 478 Siersberg (Allemagne) 64 Sionne (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Neufchâteau) 274
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Soissons (comté) 214 Sommedieue (Meuse, arr. Verdun, c. Dieue-sur-Meuse) 126, 257, 258 Sommerviller (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-1) 469 Souabe 226, 227 Souilly (Meuse, arr. Verdun, c. Dieuesur-Meuse) 326 Spitzemberg (château, cne La-PetiteFosse, arr. Saint-Dié-des-Vosges, c. Saint-Dié-des-Vosges-2) 89 Stavelot-Malmédy (monastère, Belgique) 393 Stenay (Meuse, arr. Verdun, ch.-l. c.) 124, 289, 290, 346 Strasbourg (Bas-Rhin, ch.-l. dép.) 64, 138, 224, 226, 227, 269, 270 Sundgau (région) 366 T Taillancourt (Meuse, arr. Commercy, c. Vaucouleurs) 241, 274 Ternuay-Melay-et-Saint-Hilaire (HateSaône, arr. Lure, c. Mélisey) 41 Thiérache (région) 320 Thionville (Moselle, arr. Thionville, c. Thionville et Yutz) 124, 151 Tholey (abbaye, Allemagne) 44, 103, 140, 141 Thuillières (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Vittel) 239 Toscane 21 Toul (avouerie) 102, 103 Toul (diocèse) 95, 355, 362, 388 Toul (évêché) 134, 138, 146, 170, 281, 353356, 364 Toul (Meurthe-et-Moselle, ch.-l. arr.) 20, 21, 42, 59, 70, 122, 124, 128, 134, 138, 143, 150, 159, 171, 179, 191, 192, 199, 219, 223, 228, 229, 236, 238, 239, 252, 272, 297, 312, 349, 354, 356-361, 364, 373, 379, 385, 386, 396, 397, 422, 431, 439, 442, 466, 494, 495 Toulois 43, 474 Toulouse (sénéchaussée) 199 Trèves (Allemagne) 65, 70, 126, 138, 406
Troyes (Aube, ch.-l. dép.) 194, 253, 310313, 315-317, 319, 334, 335 Turckheim (Haut-Rhin, arr. ColmarRibeauvillé, c. Wintzenheim) 366 Turquestein (château, TurquesteinBlancrupt, Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Phalsbourg) 238 U Uttwiller (Bas-Rhin, arr. Saverne, c. Bouxwiller) 43 V Vaire (Doubs, arr. Besançon, c. Besançon 5) 266 Val de Briey (Meurthe-et-Moselle, ch.-l. arr.) 289, 318, 389 Val-de-Guéblange (Moselle, arr. Sarreguemines, c. Sarrable) 137 Val de Moder (Bas-Rhin, arr. HaguenauWissembourg, c. Reichshoffen) 43 Valfroicourt (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Vittel) 46, 64 Vallois (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville 2) 86, 88 Valois (comté) 214, 217 Vandelainville (Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, c. Pont-à-Mousson) 44 Varangéville (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Lunéville 1) 60, 123, 442 Varennes-en-Argonne (Meuse, arr. Verdun, c. Clermont-en-Argonne) 124, 290, 346 Varsberg (Moselle, arr. Forbach-BoulayMoselle, c. Boulay-Moselle) 56 Vathiménil (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville 2 135, 137, 348 Vaubexy (Vosges, arr. Épinal, c. Darney) 54 Vaucouleurs (Meuse, arr. Commercy, c. Vaucouleurs) 158, 159, 177, 179, 318, 327 Vaucourt (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Baccarat 386 Vaudémont (comté, Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Meine au Saintois) 18, 34, 42, 44, 122, 134, 135, 138, 171, 236, 304, 305, 364, 386, 439
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Vaudémont (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Meine au Saintois) 393, 394 Vauvillers (Haute-Saône, arr. Lure, c. Jussey) 41 Vaxoncourt (Vosges, arr. Épinal, c. Golbey) 348, 386 Vého (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Baccarat) 348 Velaine-sous-Amance (Meurtheet-Moselle, arr. Nancy, c. Grand Couronné) 350 Vellexon-Queutrey-en-Vaudey (HauteSaône, arr. Vesoul, c. Scey-sur-Sâoneet-Saint-Albin) 266 Verdun (diocèse) 355 Verdun (évêché) 138, 146, 170, 219, 238, 281, 291, 353, 355, 356, 360 Verdun (Meuse, arr. Verdun, c. Verdun 1-2) 21, 59, 122, 124, 128, 142, 143, 169, 171, 172, 178, 179, 182, 183, 199, 219, 223, 242, 272, 324, 326, 360, 361, 364, 385, 395, 396, 466, 494, 495 Verdunois 20, 327, 361, 364 Verny (Moselle, arr. Metz, c. Faulquemont) 376 Vesoul (Haute-Sâone, ch.-l. dép.) 266 Vézelise (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Meine au Saintois) 44, 304, 439 Vicherey (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Mirecourt) 483 353 Vic-sur-Seille (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 44, 123, 130, 350, 394 Vienne-le-Château (Marne, arr. Châlonsen-Champagne, c. Argonne Suippe et Vesle) 290, 346 Vilcey-sur-Trey (Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, c. Le Nord-Toulois) 44 Villacourt (Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, c. Lunéville-2) 348 Villecey-sur-Mad (Meurthe-et-Moselle, arr. Briey, c. Pont-à-Mousson) 44 Ville-en-Vermois (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Jarville-la-Malgrange) 470 Villeneuve-sur-Yonne (Yonne, arr. Sens, c. Villeneuve-sur-Yonne) 312
Villers-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Laxou) 355 Villé (val de —, Bas-Rhin, arr. SélestatErstein, c. Mutzig) 366 Vioménil (Vosges, arr. Épinal, c. Le val d’Ajol) 185, 190, 195 Viviers (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Salnois) 238 Void-Vacon (Meuse, arr. Commercy, c. Vaucouleurs) 42, 124, 353 Voisey (Haute-Marne, arr. Langres, c. Bourbonne-les-Bains) 41 Vosges 39, 43, 44, 46, 48, 64, 78, 100, 111, 112, 114, 124, 126, 348, 369, 370, 375, 376, 446, 481 Vosges (bailliage) 46, 48, 51, 53, 58, 60, 137, 305, 346, 399, 423, 426, 440, 446, 448, 452, 454, 476, 478, 479, 491, 492 Vrécourt (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Vittel) 274 W Wadgassen (monastère, Allemagne) 415 Wallerfangen (Allemagne) 46, 64, 104, 111, 114 Waville (Meurthe-et-Moselle, arr. Briey, c. Pont-à-Mousson) 44 Wisembach (Vosges, Saint-Dié-desVosges, Saint-Dié-des-Vosges-2) 62 Wissembourg (Bas-Rhin, arr. HaguenauWissembourg, c. Wissembourg) 270, 366 Wuisse (Moselle, arr. SarrebourgChâteau-Salins, c. Le Saulnois) 78, 476 X Xonville (Meurthe-et-Moselle, arr. Briey, c. Jarny) 372 Y Yvois/Carignan (Ardennes, arr. Sedan, ch.-l. c.) 167, 191 Z Zélande (comté) 210, 213 Zincourt (Vosges, Épinal, Bruyères) 348 Zweibrücken, Voir Deux-Ponts 22, 238