Toussaint Louverture; ou, la vocation de la Liberté [2 ed.] 2920862049, 9782920862043

La brève histoire qui est ici retracée, de 1789 à 1802, dépasse de beaucoup l’aventure personnelle de cet homme sur

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French Pages [276] Year 1987

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Toussaint Louverture; ou, la vocation de la Liberté [2 ed.]
 2920862049, 9782920862043

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Roger

Dorsinville

CIDIHCA

BOSTON PUBLIC LIBRARY

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Kahle/Austin Foundation

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i

l\

Toussaint Louverture

TOUSSAINT LOUVERTURE (c)

CIDIHCA

1987 Éditions du

Tous

droits réservés

Conception graphique: Garry Saint-Germain

Dépôt

légal:

premier trimestre 1987

Québec du Canada

Bibliothèque nationale du Bibliothèque nationale

Deuxième édition Imprimé au Québec

février 1987

Première édition: René Juliard Éditeur France 1965

ISBN: 2-920862-04-9

Québec

Diffusion exclusive au

et

au Canada

CIDIHCA Le Centre International de Documentation et d’information Haïtienne Caraïbéenne et Afro-canadienne 417, rue St-Pierre

Suite 408

Montréal, Québec, Canada

H2Y 2M4 Tél.: (514) 845-0880

(514) 845-6218 B.P. 835

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Roger Dorsinville

Toussaint Louverture /

ou La vocation de

la

Les Éditions du Montréal 1987

Liberté

CIDIHCA

DU MÊME AUTEUR Livres

Théâtre

a)

Barrières^ Port-au-Prince, Fxlitions

Henri Deschanips, 1946.

b) Poésie:

Pour célébrer la terre, Port-au-Prince, Presses Libres, 1955. Le Grand devoir, Madrid, Taller Grafico, 1%2. (Ces deux titres sont reproduits dans l’édition Kraus Reprint, Liechtenstein, c)

1970.)

Histoire:

Toussaint Louverture ou

De

vocation de la

la

liberté, Paris,

JuUiard,

1%5.

Fatras bâton à Toussaint Louverture, Alger, Enal, 1983.

d) pAhnologie:

Dans un

Mythcéo^ de FHinterland

peuple de dieux:

Tloe Bossa

mask:

A

stranppr in the

House

libérien,

Alger, Sned, 1971.

(en collaboration avec

Mario Meneghini), Zurich,

FacTilté d’Ethnologie, 1973.

e) Roman: Kimby ou la

loi

de Niang,

Paris,

Présence Africaine, 1973. TraducTlon russe, incluant

Homme en trois morceaux et Gens de Dakar, Un Homme en trois morceaux, Paris, U.G.E.

Moscou, Xoudogestvenaia 10/18, 1975.

TraducTlon

Jaca, 1977.

L'Afrique des

rois,

Paris,

U.G.E.

10/18, 1975.

Renaître à Dendé, Paris, L.’Harmattan, 1980.

Mounr pour f)

Haïti ou

les croisés

d’Esther, Paris,

L’Hannattan, 1980.

Nouvelle:

Gens de Dakar, Dakar, Nouvelles Editions

Africaines, 1978.

Critique:

Jacques Roumain, Paris,

Marche

arrière,

Africaine, 1981.

Montréal, Éditions du collectif Paroles, 1986.

Pamphlets aux hommes

Lettre

Prince

clairs,

Port-au-IVince, Imprimerie de l’Eut, 1946.

Lettre à Serge Corvington, Port-au-Prince, Imprimerie

de

Lettre à Daniel Figwlé, Port-au-Prince, Imprimerie

l’F^ut, 1947.

f .77/

de

l’Etat, 1947.

Un

litteratura, 1983.

italienne,

Rome,

LIVRE

1

INTRODUCTION A LA RÉVOLUTION

CHAPITRE PREMIER

SAINT-DOMINGUE ET LA REVOLUTION FRANÇAISE

Jamais Saint-Domingue, vieux repaire de Ilibiistiers, n’avait été une terre de tout repos créée rebelle j)ar les j)irates de La Tortue, puis colonisée par des jiirates assagis, la rébellion y faisait jiartie des rites du travail mais les conditions favorables à la confiscation de l’Etat ;

;

par les nègres de la base servile n’y auraient sans doute pas été créées sans la Révolution française qui fit perdre à la « mère jiatrie » le contrôle administratif de ses colonies tout en y disséminant des idées libérales profondément subversives à l’égard de l’ordre établi. C’est ce (|ue les chroniqueurs du siècle dernier entendaient par les mots « Haïti, fille de la Révolution française », évoijuant une réalité incontestable dans un langage (jui n’en rendait pas entièrement compte, la Révolution ayant dû, à SaintDomingue, être accouchée de sa fille au forccjis. Vers la fin du xviC siècle, après cent cinquante ans passés à établir sur les côtes des nouvelles terres la jurisprudence impudente non pas meme du jiremier occupant mais du plus fort, l’Europe avait exporté vers l’Amérique ses rivalités et ses querelles. La Flibuste était née. :

TOUSSAINT LOUVERTURE et avait établi

10

généraux à La Torde Saint-Domingue, pré-

un de

ses quartiers

grande île sumée espagnole, où elle s’infiltra, y établissant ses « boucans » pour le traitement des viandes et des peaux, bientôt des plantations, et créant un droit que sanctionna en 1697 le Traité de Ryswick par lequel était concédé à la France le tiers occidental de l’île. Entre-temps, en 1660, un capitaine de flibuste avait été nommé officiellement gouverneur de La Tortue, et le traité de 1697 étendait son domaine. La mère patrie entreprit de noyer ses loups de mer dans une masse de nouveaux colons mais comme, pour faire nombre, elle avait dû puiser assez profond dans son rebut social, l’alliage qu’elle obtint fut de moins franche qualité que l’ancienne Flibuste. Le régime des Grandes Compagnies Fermières substituant, moyennant redevances, à l’administration débile de la couronne la dictature des intérêts d’exploitation allait prendre en charge la nouvelle communauté ce ne serait pas sans tracas il y eut des révoltes en 1722 et 1768. Mais les Compagnies finirent par imposer à Saint-Domingue et aux autres colonies les principes du Pacte Colonial, tue,

en face de

la

;





;

;

qui devait leur survivre, définissant l’exploitation et le commerce des colonies comme étant du domaine exclusif de la métropole. En sorte que, entre le bas prix relatif des denrées sur le marché métropolitain, la cherté du caractère usuraire du ravitaillement en marchandises européennes et les tracasseries de l’administration locale, le mécontentement était, chez les

fret,

l’incertitude et

le

colons, de tradition L

Au-dessous des blancs, les hommes de couleur libres espèce nouvelle mais de génération non spontanée (des métis truffés de noirs qui avaient gagné ou acheté leur liberté, tous méprisés, victimes d’abus légaux ou coutumiers dans une société essentiellement raciste) codi-





1.

Voir

les

notes en fin de volume.

SAINT-DOMINGUE ET LA REVOLUTION

11

doléances dans un mémoire que l’un d’eux, Julien Raymond, établi en France, présentait en 1784 au ministère de la Marine et des Colonies. Plus bas encore, les esclaves noirs, produits de la traite, dont le marronnage, les campagnes aveugles d’empoisonnement, les rébellions sporadiques (la plus ancienne, celle de Padrejean, en 1679, la plus connue, celle de Mackandal, en 1758) complétaient le mélange fiaient leurs

explosif.

Les propriétaires coloniaux virent dans la convocation des états généraux l’occasion de faire passer leurs revendications de l’antichambre du ministre des Colonies à l’audience publique de la nation. Ils associaient ainsi les problèmes de Saint-Domingue à la révolte parlementaire du tiers état qui allait provoquer la Révolution. Quand, effrayés par la masse des idées libérales au sein desquelles leurs propres revendications perdaient tout caractère convaincant, les colons voulurent sortir de l’engrenage, il était trop tard la machine mise en mouvement n’allait pas s’arrêter sans avoir détruit la structure et invalidé la pertinence même de leurs intérêts. Le tiers état, à qui les colons allaient se confier, c’était les marchands et les manufacturiers, les armateurs et commanditaires, dont les intérêts de classe rencontraient, à la frontière fermée d’une noblesse terrienne et fonctionnariste, les préoccujiations d’une intelligentsia professionnelle qui se sentait domestiquée. :

En

une bourgeoisie s’était formée qui pouvait se penser en tant que « classe >, se définir comme séparée bourgeoisie de négoce, de la Cour et s’en satisfaire héritière en un sens de la tradition « bien française » réalité,

:

des Charles Martel. Comme elle n’était ni juive, ni protestante, ni transalpine, elle ne pouvait être dépouillée sous les prétextes que d’anciens rois avaient trouvés

commodes. Nationale

et confiante,

son pouvoir de construction

et

malgré

d’expansion,

en entendait

les crises, elle

TOUSSAINT LOUVERTUHE

12

comme

créée autour d’elle-même plutôt qu’autour de classes dont les privilèges ne se justifiaient plus ni par leur puissance ni par leur contribution à la définir la nation

richesse nationale.

mieux encore, La nouvelle élite avait les coffres elle tenait en main les moyens d’expansion de l’ensemble social. Elle connaissait le mécanisme des banques, le pouvoir rayonnant des moyens de communication. Elle ;

avait des avocats, des rhéteurs, des

déjà la vapeur faiturbines, encore un pas et la première

aussi des physiciens, des chimistes

tourner

sait

les

électrique allait

pile

ouverts, dans

philosophes, mais

être

créée

;

;

on

entrait,

les

yeux

champ

des possibilités, dans l’âge de l’invention mécanique, et il s’agissait de savoir si le progrès allait être confisqué par les classes traditionnelles. M. Necker, qui avait convoqué les représentants des grandes catégories sociales de la nation pour leur parler finances et impôts, se trouvait en présence de maîtres d’école qui lui enseignaient ce qui s’appellerait en termes d’aujourd’hui « les conditions politiques du le

développement ». Ainsi une institution comme la monarchie absolue en France était-elle arrivée à son terme parce que, sans le

savoir,

elle

cessé de représenter des intérêts société l’ayant mise en jugement, le tiers

avait

dynamiques. La

trouvait ses privilèges abusifs, tandis que préparait déjà ses questions explosives :

la

terre, le

On

pain

et

a beaucoup

1793, la part de la

le

profit

du

travail

le «

prolétariat

A

qui vont

? »

événements de 1789 à faiblesse personnelle du roi Louis XVI. fait,

dans

les

La légende en

persiste et continue d’être objet d’Histoire parce qu’on oublie trop que la force des rois n’est que

de

des nobles, et que le noble ne vaut que par le consentement des vassaux. Or une noblesse appauvrie qui, nourrissant mal sa clientèle rurale, avait commencé à se mésallier avec les fortunes récentes, dut celle

la caste

SAINT-DOMINGUE ET LA REVOLUTION

13

brusquement faire face à la réalité du nouveau commandement social. Des plébéiens tonnaient dans l’Assemblée faubourgs applaudissaient. A ce moment de l’Histoire, joua contre le dernier Capet cette même réforme centralisatrice qui avait assis la puissance de la monarchie. Messieurs les barons, jadis seigneurs, n’étaient plus, sous leurs brillants oripeaux, que des domestiques aux noms sonores qui avaient appris à tout attendre du bon plaisir du roi. Lui atteint, ils ne pouvaient })lus qu’émigrer. Le chemin se trouva donc rapidement déblayé pour un nouvel Etat à forme constitutionnelle. Le transfert du pouvoir ayant été effectué du « Nous » du bon plaisir à des lois organiques, on se fût peut-être arrêté, la majorité semblant le désirer, à la monarchie constitutionnelle, si les clameurs des émigrés n’avaient ameuté l’Europe. Forcée de brûler ses vaisseaux, la Révolution jeta à la coalition européenne la tête de Louis XVI. Le tiers, débordé sur sa gauche, ne put s’arrêter avant d’avoir consommé la Terreur, freinant enfin avec Thermidor.

et les

Une

société

nouvelle,

mal assurée,

se protéger, elle créa César,

le

était

née.

Pour

tirant de son sein, fait

à son image, grêle et impatient, symbole de ses ambitions géantes mais aussi de son vide doctrinal et de ses douteuses motivations.

Armée de codes dont

grandes lignes n’allaient pas changer en cent cinquante années (|ui verraient se succéder dix régimes, se livrer dix guerres et se ramasser des colonies comme des fruits mûrs, la bourgeoisie, nantie de ses libertés essentielles de projiriété, d’association et d’investissements par la « tourmente révolutionnaire », réalisa avec le nouveau siècle sa conversion une science industrielle sur les voies qu’indiquait physico-chimique hardie. Cependant, le débat entre la France et l’Europe coalisée s’étant répercuté dans les colonies allait favoriser les

TOUSSAINT LOUVERTURE

14

rémancipation de Saint-Domingue. D’une part, la maîtrise des mers par la flotte anglaise devait rendre de plus en plus rares les communications entre la France et sa d’autre part, l’Anglecolonie à une époque de troubles terre et l’Espagne, tour à tour ou ensemble, allaient soutenir à Saint-Domingue les rébellions successives. ;

convocation des états généraux, les planteurs blancs avaient affirmé leur droit d’être représentés à ce haut parlement. C’était l’époque où l’administration prétendait garantir par des saisies réelles pratiquées sur leurs biens les dettes contractées en France par les planteurs ou les arriérés dus au fisc c’était aussi l’époque où un effort menaçant était fait par les services du cadastre pour restituer au domaine privé de la Couronne les terres octroyées sous la condition d’être mises en valeur et qui étaient restées en friche 2 La voie parlementaire enfin semblait fournir l’instrument rêvé pour une liquidation du pacte colonial, qui, en réservant l’exclusivité du commerce colonial à la métropole, permettait à l’intermédiaire parasitaire de créer à son profit des marges

Dès l’annonce de

la

;

.

exorbitantes.

Les colons blancs allaient donc être les premiers à formuler les revendications de Saint-Domingue et à organiser des

démarches révolutionnaires. La deuxième étape

serait l’entreprise des affranchis, noirs et

métis libres, pour obtenir l’égalité civique qu’allait reconnaître à tous les hommes libres la Déclaration des droits de Vhomme et du citoyen, charte de la nation nouvelle. Enfin, la troisième étape, qui bouleverserait entièrement les calculs et les entreprises des deux premières catégories, serait l’insurrection des esclaves réclamant la liberté et sa «

conséquence naturelle

>

:

l’égalité

3.

CHAPITRE

II

LES MAITRES DE SAINT-DOMINGUE

La terre et les biens de Saint-Domingue mains de deux catégories de propriétaires

étaient :

les

aux

colons

métis et noirs libres. Quant au reste, il y avait en baut l’administration, représentée par ses fonctionnaires et ses soldats, en bas les esclaves, main-d’œuvre corvéable, considérée comme à peine supérieure au cbej)tel Nous avons vu au chapitre précédent comment Saint-Domingue passa sous régie officielle en deux étapes, en 1660 et 1697. La métropole entreprit alors de la coloniser par le seul moyen d’y assurer une paisible j)ermanence en y provoquant les vocations agricoles. L’histoire de cette mise en culture est longue et pleine d’avatars. On la trouve contée tout du long dans Vaissière Dès l’origine, les colons se trouvaient répartis en les habitants ou chefs d’entreprise, en deux groupes possession de crédits, d’instruments aratoires et d’une « habitation » (ainsi étaient désignées non les maisons mais les propriétés foncières), et les engagés, gens pauvres liés aux précédents par un contrat, en général de blancs et

les

afîrancbis,

:

:

TOUSSAINT LOUVERTURE

16

leur devenait possible, théoriquement, de se convertir à leur tour en habitants. En fait, l’histoire de la colonisation sous la régie des trois ans, à l’expiration

duquel

il

grandes compagnies est loin d’être édifiante. Les engagés n’étaient autre chose que des serfs corvéables et traités en conséquence. Des lois spéciales les protégeaient cependant contre une exploitation qui pouvait devenir cruelle mais que pouvaient les lois pour des plébéiens, si loin de la mère patrie ? La petite histoire de Saint-Domingue ne semble guère avoir retenu que des engagés fussent devenus à leur tour grands planteurs. Ayant été, au départ, des hommes sans qualifications techniques partiils consticulières et, dit-on aussi, sans vertu tuèrent à la longue une classe de manœuvres vouée plutôt ;



aux



,

petits métiers et à l’exercice d’activités parasitaires

En dehors

de ces peu enviables qualifications, le caractère temporaire des contrats d’engagement faisait des domestiques européens un investissement d’un rapport insuffisant. Les chefs d’entreprise du vingtième siècle sauront sans doute apprécier les préoccupations d’un entrepreneur invité à amortir en trois ans, et à remplacer tous les trois ans, sa machinerie. La main-d’œuvre offerte j)ar la traite des nègres convenait donc mieux aux intérêts des habitants. La métropole dut légiférer pour garantir l’ahsorption par ses colonies américaines du jirolétariat blanc qu’elle avait jugé indisjiensable d’y déverser. Elle stipula que la main-d’œuvre rurale serait composée au plus d’un nombre égal d’x\fricains et d’engagés, sous peine de confiscation des esclaves en excédent. Ces disjiositions ne purent résister à la dilatation du marché de la main-d’œuvre de traite. Avec le temps, d’ailleurs, l’état civil des habitants avait évolué jusqu’aux plus grands noms de l’armorial, et il devenait difficile d’imposer une stricte observance des lois et règlements coloniaux aux cadets ou exilés des grandes familles. On manque de précisions sur la date à laquelle prit

LES MAITEES DE SAINT-DOMINGUE

17

système des engagements. Sans doute est-ce au commencement du xviii* siècle, époque où la traite atteignit les proportions d’un grand commerce international Les engagements abolis, il n’y eut plus de confusion entre Euroj)éens et Africains dans les basses besognes agricoles, et les raj)ports entre les deux espèces furent dès lors gouvernés par une conscience de caste d’autant plus exigeante chez le « petit blanc » que ses origines et sa vocation étaient })lus modestes. Entre-temps, toutefois, étaient nés les métis. Fruits de l’union, ils en portaient témoignage mais ils témoignaient aussi de la contradiction entre une certaine forme d’alTectivité et les intérêts, les colons n’étant prêts fin,

à Saint-Domingue,

le

;

à ])artager ni l’autorité ni la propriété avec leurs rejetons tropicaux. Ce (jue ceux-ci j)ossédaicnt, ils l’avaient gagné à partir d’un lopin de subsistance, par leur travail, leur



en termes du temj)s par leur « industrie V involontairement aidés en cela (nous verrons plus loin comment) par les tenants de la classe « supérieure », dont le destin était déjà de se dissoudre dans la facilité, la licence, et dans la ruine de ses établissements. Au moment où s’ouvre la j)ériode révolutionnaire, il y a, à Saint-Domingue, deux classes de blancs bien dif-

économie



:

même

car il faut bien, parmi les blancs de [)oids, séparer les fonctionnaires, serviteurs du pouvoii métropolitain, des planteurs, (jue leurs intérêts férenciées,

et

trois,

ont traditionnellement dressés contre de ce pouvoir.

les

empiétements

La Hévolution, s’accentuant à partir de 1789, j)récisera à travers ces strates son entame verticale, y précipitant de contradictoires agencements de panique. Dans un premier temj)s, les fonctionnaires allaient devoir faire face à une coalition dynami(|uc de planteurs et de i)etits blancs décidés à entrer avec leurs revendications aux états généraux. Puis les grands blancs, clTrayés de se trou-

TOUSSAINT LOUVERTURE

18

révolutionnaire, regagneraient les bords et, contre la subversion totale préconisée par les petits blancs, tendraient la main aux fonctionnaires. Plus loin encore, la Révolution en France devenant dictature

ver en plein

flot

avec ses conséquences subversives pour l’ordre colonial, fonctionnaires et planteurs blancs feront la part du feu en scellant alliance avec les propriétaires de couleur contre les petits blancs gloutons et contre

d’assemblée

l’insurrection des esclaves.

Puis

il

n’y aura plus de ressource contre l’esclave



triomphant pour le latifundiaire (blanc ou sangmêlé) et pour le petit blanc raciste, menacé à la fois dans son avarice et dans sa seule dignité, la race que d’en



appeler à l’Anglais et à l’Espagnol. Alors, contre l’alliance apatride, les fonctionnaires devenus républicains passeront par-dessus les classes nanties et les apôtres de la suprématie blanche, pour tendre la main aux esclaves et les lier, en hommes libres, à la Révolution... ...Jusqu’à ce que Bonaparte, renonçant à la Révolution, réalise contre l’homme nouveau la coalition de tous les blancs, fonctionnaires, planteurs et gens de rien, et qu’ils soient, tous ensemble, vidés de Saint-Domingue. En 1789, on était encore loin d’une telle échéance les fonctionnaires représentaient une force solide. ;

A

gouverneur et l’intendant, généralement des « patriciens ». Mais comme l’administration employait inévitablement aux échelons inférieurs des gens socialement moins bien situés, elle apparaissait aux planteurs comme une entreprise de nuisance exercée par des croquants. Les fils de famille, qui en étaient arrivés à identifier la France aux noms qu’ils portaient, leur

tête

s’irritaient

régenter

se

des

situaient

le

prétentions

de

l’administration

à

les

8.

Le rôle des administrateurs coloniaux aura toujours été, au mieux, difficile. Au moment où la Révolution abolira la monarchie absolue, lui substituant la monar-

LES MAITRES DE SAINT-DOMINGUE

19

chie

constitutionnelle,

puis

dictature parlementaire,

la

leurs efforts pour accorder leur pas

ques

aux nouvelles musi-

vieux vin dans des outres neuves seront pathétiques. Ainsi api)araîtront inefficients, parce que constamment dépasses, des gouverneurs comme Peinier, Blanchelande, qui, flottant entre les factions avec des gestes bénisseurs, seront l’un après l’autre humiliés et chassés. Aux habitants de l’é[)oque, nobles ou parvenus administrant personnellement leurs biens, il faut ajouter les grands seigneurs absentéistes (c’était devenu la mode d’avoir un bien « aux îles ») qui exploitaient leurs terres par personnes interposées, entretenant avec ces « gérants » une correspondance grincheuse, et se donnant peu ou pas du tout la peine de traverser la mer. Les absentéistes allaient revêtir une grande importance aux premiers jours des démarches révolutionnaires, ayant eux-mêmes provoqué l’intérêt des habitants pour les états généraux, conseillé les formes de leur intervention et engagé la députation de Saint-Domingue dans l’engrenage sans retour de l’Assemblée constituante. Quant aux petits blancs, menu peuple d’artisans, commis, tenanciers, bouti(juiers, étoffé de voyous et de gens sans métier avouable, ils comj)létaient la caste des « maîtres » })lancs en y ajoutant leurs revendications contre les propriétaires propres et leurs folles haines contre les de couleur, dont la j)rospérité les insultait esclaves, cette haine active étant leur seule satisfaction et contre les grands blancs, qui représentaient l’inacet

mettre

le

:

;

;

cessible absolu.

premiers mois de crise, le magistère blanc, divisé par ses buts de classe, ne sera unanime (|ue sur la nécessité de contenir les affranchis et, à traC’est que les maîtres vers eux, la masse serve tout en poursuivant leurs buts respectifs blancs ne pouvaient ignorer la présence des libres, dont les

Pendant



les



TOUSSAINT LOUVERTURE

20

revendications, en partie, se confondaient avec les leurs mais ils affectaient de croire que ceux-ci s’accorderaient à rester à la place de second rang que leur avait assignée Bâtards de blancs: la violence des anciennes traditions ;

naissance ou ayant bénéficié de libertés octroyées, nègres authentiques ayant reçu leur liberté en récompense de services rendus ou l’ayant péniblement achetée, les affranchis formaient pourtant une classe en marche, sur le dynamisme de laquelle il n’y avait guère lieu de se tromper. Plusieurs, parmi les métis, avaient été élevés en France, fournissant ainsi à leurs pairs des chefs informés. La sobriété de leur style de vie offrant peu d’occasion de dissipation, ils s’enrichissaient, étendant leurs domaines, quelques-uns parvenant même à se hisser au niveau des latifundiaires européens. Le blanc colonial recourait contre eux aux tabous de la ségrégation leur assignant leur place de façon méprisante, ainsi qu’en témoigne cet Extrait d^un mémoire des administrateurs de Saint-Domingue au ministère de la Marine « ... Cette espèce d’hommes commence à remplir la colonie, et c’est le plus grand des abus de la voir, devenue sans cesse plus nombreuse au milieu des blancs, l’emporter souvent sur eux par l’opulence et la richesse. Ne vivant que de racines comme leurs auteurs accoutumés à la plus exacte sobriété, ne consommant point de vin et ne connaissant que l’eau de vie de canne pour toute liqueur forte, ils ne contribuent en rien à la consommation qui est essentielle pour entretenir le commerce, et leur étroite économie leur faisant mettre en caisse cha(jue année le produit de leur revenu, ils amoncellent des capitaux immenses, ils deviennent arrogants parce (ju’ils sont riches et dans la proportion qu’ils le sont. Ils mettent l’enchère aux biens qui sont à vendre dans tous les quartiers, ils les font porter à une valeur chiméricjue à laquelle les blancs qui n’ont pas tant d’or ne peuvent atteindre, ou qui libres

de

:

LES MAITRES DE SAINT-DOMINGUE

21

ruine lorsqu’ils s’y entêtent. De là vient que dans bien des quartiers les plus beaux biens sont en la possession des sang-mêlé, et ils sont j)artout les moins empressés à se soumettre aux corvées et aux charges publiques. Leurs habitations sont le repaire et l’asile de tous les libres désœuvrés et sans aveu et d’un grand nombre d’esclaves fugitifs et déserteurs de leurs ateliers. les

En

possession de ces richesses, ces gens de couleur imitent bientôt le ton des blancs et cherchent à faire perdre le souvenir de leur première origine. On les voit ils aspirer à monter aux revues de la milice avec nous ne craignent pas de se juger dignes de remplir des emj)lois dans cette milice, et se croient très en état d’occuj)er des places dans la judicature s’ils ont des talents (jui puissent faire oublier le vice de leur naissance. En sorte que, pour peu qu’on continue à leur permettre de changer ainsi leur état, il arrivera (ju’ils parviennent à faire des mariages avec des gens de familles distinguées du royaume, sortes de mariages qui porteront dans ces familles des alliances qui tiendront à une partie des nègres esclaves des ateliers où les mères ont été «

;

prises

Ce document, adroit et malfaisant, rassemblait toutes les rengaines que chante à Chain, depuis le déluge, la fraction noble des fils de Noé. On ne s’y attardera que le temps de signaler comment les pères proposaient d’abâtardir définitivement leurs fils. Les mesures proposées étaient en effet: de reléguer dans les montagnes, en les contraignant à les défricher de leurs propres mains, tous les sang-mêlé jusqu’au degré de quarteron a)

;

h) tiers)

bles

de leur interdire la gestion (pour le compte de de tous biens en plaine et l’acquisition d’immeu-

dans ces secteurs

c)

de

les

;

contraindre, ainsi que ceux des blancs qui

TOUSSAINT LOUVERTUBE s’étaient mésalliés,

22

de vendre leurs esclaves

«

sous un

an pour tout délai ». Ces propositions tendaient à assurer à perpétuité l’indigence des « libres ». Mais s’ils dévoilaient leur racisme avec une impudeur tranquille, les colons prenaient « Car ce sont des gens aussi la peine de le justifier dangereux, disait ensuite le rapport, amis des esclaves auxquels ils tiennent encore par bien des liens, plus que de nous qui les gênons par la subordination que nous exigeons et le ton de mépris que nous avons pour eux. Dans une révolution, dans un moment malheureux, ils secoueraient les premiers un joug qui leur pèse d’autant plus qu’ils sont riches, qu’ils prennent l’habitude d’avoir des blancs à leurs gages, et que dès lors ils n’en honorent pas assez l’espèce. » Ceci écrit trente-quatre ans avant l’entreprise armée des hommes de couleur, précédant l’insurrection des esclaves démontre qu’il ne manquait pas de prophètes à Saint-Domingue. Mais la connaissance ne suffit pas à la sauvegarde des sociétés. Il y faut la décision de contribuer au progrès. Alors seulement la connaissance prend sa pleine valeur illuminante en indiquant les che:





mins de

la paix.

CHAPITRE

III

LA REVOLUTION DES GRANDS BLANCS UN MARCHE DE DUPES

:

Les arguments présentés au roi par une délégation convenablement titrée de Saint-Domingue, pour obtenir l’autorisation de siéger aux Etats généraux, ne manquaient pas de logique. Nous formons, disaient-ils en substance, la province de France sans conteste la plus productive, et notre fidélité n’a jamais été mise en doute ;

l)uis(iue le roi a autorisé la représentation

aux Etats des

qui n’avaient provinces continentales nouvelles (/. e. pas encore été rattachées à la France au moment de la I)récédente convocation des Etats généraux en l’an 1614), il était logique que la mesure s’étendît à Saint-Domingue. Le roi et son conseil ne l’entendaient [>as ainsi. A leurs yeux, Saint-Domingue restait une colonie et ne pouvait être assimilée aux provinces continentales. En réalité, l’enjeu était plus important qu’une définition de dictionnaire. Du statut de l’île comme jirovince ou colonie dépendait l’application d’une régie industrielle et commerciale non restrictive ou le maintien du régime spécial des lois et monopoles par quoi se définissait le :

TOUSSAINT LOUVERTURE

24

Pacte Colonial. Les colons le savaient aussi bien que le roi, et bien que chacun prétendît parler logique et sentiment, c’était le sort des vieilles revendications coloniales pour la liberté du commerce qui était en cause. (Il est



mais ceci ne vaut que comme vue par ailleurs évident que les colons, en pourrétrospective de l’historien suivant aveuglément ce qui était leur revendication essentielle, jouaient dans l’intégration le régime social qui avait fait leurs fortunes. Comment une « province française

»



pu revendiquer l’esclavage ?) renvoya Saint-Domingue à une pro-

aurait-elle

Le conseil du

roi

chaine convocation des états généraux. On n’ose rappeler ici que la plus récente s’était tenue cent soixantequinze ans auparavant. Sa Majesté avait l’air d’ajouter le mépris au refus. Cependant, Elle voulait bien manifester sa sollicitude en autorisant une Assemblée coloniale consultative et en se réservant de saisir, en temj)s opportun, la Constituante de ses appréhensions de voir la métropole entreprendre de légiférer pour les territoires lointains. On verrait... En attendant, Saint-Domingue, déboutée de ses revendications, entra en fureur, jurant d’envoyer des députés à Paris, et déclarant la guerre à la métropole avec une vigueur accrue par la présence au ministère des Colonies de M. de la Luzerne. Celui-ci était en effet devenu ministre en sortant du gouvernement de Saint-Domingue, où il s’était révélé un zélateur du Pacte Colonial. Il avait formé avec l’intendant Barbé de Marbois un couple d’administrateurs particulièrement détesté. C’est sous leur autorité (jue s’étaient précisées les pires menaces de saisies et d’expropriations. La Luzerne au Ministère et Barbé de Marbois à l’Intendance, c’était l’impossibilité

pour

colons d’en appeler désormais de Port-au-Prince à Paris, ou d’obtenir sur place des accomles

modements.

meme

démontré (jue, entre l’ancien gouverneur maintenant installé au conseil du roi et l’intenIl

avait

été

25

LA REVOLUTION DES GRANDS BLANCS

dant, les gouverneurs nouveaux pouvaient être mis dans l’incapacité d’adopter une politicjue souple, favorable à leurs administrés. Le gouverneur Du Chilleau en fit l’expérience, pour avoir

sur lui, à titre exceptionnel et afin d’animer un marché déprime, d’autoriser un certain nombre de transactions avec les Américains. Entorse au Pacte Colonial l’intendant Barbé de Marbois refusa d’accorder les licences nécessaires, et en appela au ministre des décisions du gouverneur. Celui-ci dut partir pour j>ris

:

métropole dans l’espoir d’éclairer mieux le conseil du roi sur les besoins de son ressort, mais les paris étaient ouverts quant à son retour, et le scepticisme dominait « Je ne retournerai au Port-au-Prince, écrivait un colon, qu’au retour du marquis Du Chilleau, ou de celui qui le remplacera » En fait. Du Chilleau ne devait pas revoir Saint-Domingue, et la situation de Barbé de Marbois fut réglée, (juelques semaines plus tard, grâce à l’entêtement de son allié le ministre, par l’émeute des planteurs qui le chassa, ayant à grand-peine sauvé sa vie. Les élections, décrétées à Saint-Domingue au mé})ris la

:

des autorités métropolitaines et locales, avaient été organisées dans chacune des trois grandes divisions territoriales (les provinces du Nord, de l’Ouest et du Sud) par des comités dits « secrets », cpii, loin de se dissoudre une fois cette mission accomj)lie, allaient se constituer en

Assemblées provinciales délibérantes. Trente et un députés, chilTre prétentieux

absurde, étant sortis de la consultation électorale, leurs frais de voyage furent couverts par une souscription extraordinaire. Bientôt, en France, ils réduiront leurs prétentions à obtenir vingt sièges, lesquels seront à leur tour réduits à six dans des circonstances qu’on rappellera plus loin. En fait, tous ces députés avaient été élus illégalement et se présentaient à Paris sans titres. Mais, pendant qu’à Saint-Domingue les colons manipulaient foules et assemblées, à Paris le temps travaillait pour eux. I.a résistance et

TOUSSAINT LOUVERTURE du

26

députation de SaintDomingue arrivait en plein tournant du Jeu de Paume. Les colons qui, au cours de leur dialogue de sourds avec le conseil du roi, avaient accepté l’éventualité de siéger avec le tiers état, s’enfermèrent avec celui-ci dans la salle du Jeu de Paume manœuvre habile, qui leur ouvrit les portes de l’Assemblée nationale au moment où celleci reprit ses travaux en tant que Constituante. confirmée,

tiers état s’étant

la

:

L’événement eut des répercussions immédiates à Saint-Domingue, où la révolution des blancs prit de l’ampleur, chassant l’intendant Marbois en novembre « Il y a eu fermentation ici dans la jeunesse des villes, la cocarde a exalté tout le monde se croit égal. Les :

clercs de procureur, les pilotins de navires sont les repré-

sentants de la nation. Les chefs plient à leur volonté. On appelle cela prudence » « Les jeunes gens des villes l’ont regardée (la cocarde) comme la procuration de ceux des villes de France et se sont arrogé les droits de police, de réformateurs des abus et de juger en dernier ressort des délits à eux contraires... C’est à l’inten-

dant

et

à ses adjoints qu’on en veut particulièrement.

Au

Cap, ils ont mis en fuite M. Jovin, commissaire ordonnateur... Ils viennent de proscrire le médecin du roi, un notaire et une maison de commerce... Le médecin

du

promené sur un âne avec plusieurs coups de fouet tant sur lui que sur la monture » « Dans ce moment-ci, un ministre, un gouverneur n’est rien. On imprime ici par la permission du comité. Le désir de roi a été

détruire l’autorité est le dant a eu peur. Il s’est

même

qu’en France..., l’inten-

embarqué précipitamment

En métropole, l’Assemblée

»

acceptait six députés de

Saint-Domingue mais, déjà au Jeu de Paume, Mirabeau, combattant la représentation disproportionnée à laquelle ;

colons avaient prétendu, leur avait donné un avantgoût de ce qui les attendait. « Sur quoi fondez-vous le chiffre de vingt députés auquel vous prétendez ? leur les

LA REVOLUTION DES GRANDS BLANCS

27 avait-il

demandé. Les noirs

libres sont propriétaires et

paient les impôts, vous leur avez refusé le droit de vote ils ne sont donc pas représentés par vous et vous ne pouvez tirer prétention de leur nombre quant aux esclaves, ;

;

sont des hommes ou ils n’en sont pas s’ils sont considérés comme des hommes, il faut les alTranchir et sinon, avonsleur donner le droit de vote et d’éligibilité

ou

ils

;

;

nous, en proportionnant le nombre des députés à la population de nos régions, pris en considération le nombre de nos chevaux et de nos mulets ? » Les planteurs se trouvaient en compagnie de gens bien mal élevés. Hélas, leurs malheurs commençaient à peine. A Saint-Domingue, ils avaient mobilisé les petits blancs en soutien, et les avaient fait voter, mais ils ne pouvaient plus les renvoyer à leurs occupations. Les Assemblées provinciales avaient en (juelque sorte décrété la permanence. Celle du Nord, composée en majorité de grands planteurs et de professionnels aisés, occupa spectaculairement le devant de la scène révolutionnaire j)ar une série d’initiatives brouillonnes, prenant le commandement de l’armée, distribuant des grades, disposant des caisses mais, alors que, en dépit de ses mauvaises manières, elle se fût volontiers contentée de mettre les anciennes structures autoritaires au service des intérêts latifundiaires, les deux autres assemblées avaient en vue une révolution j)lus large, dans la mesure où leur composition était plus « radicale ». ;

Ce|)endant, en métropole, les grands planteurs réunis au « Club Massiac » (ju’ils avaient fondé et dont ils avaient j>ris le nom, in(|uiets du désordre [)arlementaire aïKjuel les délégués qu’ils j)ilotaient se trouvaient mêlés,

ramener leurs dé|)utés à Saint-Domingue si on leur donnait une Assemblée coloniale législative. Le Conseil du roi, inquiet aussi du tour que prenaient les travaux de la Constituante, voulait t)ien arracher les colonies à son intluence, mais ne désiindi(juaient qu’ils étaient j)rêts à

TOUSSAINT LOUVERTURE

28

pas pour autant remettre la législation coloniale à une assemblée locale qui risquait de codifier les vieilles prétentions des planteurs. Sa décision fut donc bâtarde. Il autorisa, par décret du 26 septembre 1789, une Assemblée coloniale qui n’était qu’une espèce de « parlote » sans autorité législative réelle, la décision finale appartenant au Conseil. C’est dans la même pensée que, un mois plus tard, le 27 octobre, le Conseil soumettait à la Constituante un projet de résolution tendant à faire admettre le principe d’une distinction légitime entre la métropole et les colonies quant au régime des lois. En d’autres termes, le Conseil, s’il en eût eu l’autorisation, dessaisissait l’Assemblée au profit d’une législature coloniale, celle-ci s’effaçant devant son autorité dernière en pleine marée montante, le ministre de la Marine, ne pouvant dicter sa volonté, essayait de finasser. Les colons étaient bien d’accord, toutefois, pour que les lois gouvernant les colonies ne s’élaborassent point dans l’atmosphère redoutable de Paris mais si l’autorité était transférée en terre coloniale, elle devait y être souveraine. rait

:

;

L’Assemblée provinciale du Nord, toujours branchée sur les grands blancs, et qui attendait d’une assemblée centrale l’occasion de modérer l’esprit frondeur des deux autres provinces, entreprit de les convaincre de l’opportunité d’assises générales.

Les élections eurent lieu, et, en mars 1790, se réunit à Saint-Marc la première Assemblée coloniale, qui démontra aussitôt

aux grands blancs

qu’ils

avaient perdu

le

commandement de l’Ouest

et

de leur révolution. En effet, les délégués du Sud, débordant l’aile modérée du Nord,

refusèrent de fonder leur Assemblée sur les instructions ministérielles qui en fixaient la procédure et en limitaient la portée, et décrétèrent d’emblée rité

reposait

sur

leurs

mandants,

que leur auto-

c’est-à-dire

sur

le

29

LA REVOLUTION DES GRANDS BLANCS

S’engageant à n’obéir qu’à eux-mêmes, ils se vouèrent à l’élaboration d’une Constitution. De l’un et de l’autre côté de l’eau, les privilégiés, pour s’être mêlés de révolution, étaient en train de le payer chèrement. A l’Assemblée révolutionnaire française, ils s’étaient donné pour compagnons Mirabeau, Danton, Robespierre, Grégoire à Saint-Domingue, ils s’asseyaient à côté « des clercs de procureurs et des pilotins de navires >. Les petits blancs ne les lâcheraient plus. peuple.

;

CHAPITRE

IV

LA REVOLUTION DES PETITS BLANCS UNE DICTATURE BORNEE

fut

:

La dictature de l’Assemblée coloniale de Saint-Marc sans grandeur. Dans une époque fertile en « mots

Rome

Grèce, l’Histoire n’a retenu à Saint-Domingue aucune de ces phrases puissantes qui, jaillies à Philadelphie, Boston ou Paris, émeuvent encore après deux siècles. C’est que le « tiers » soutenait à

nourrie de

et

de

la

Saint-Domingue une révolution étroite, prise entre les intérêts des grands blancs et ceux de la base opprimée ou serve, et ne se permettait pas une parole libérale qui pût être revendiquée par ceux d’en bas. Au moment de l’élection de l’Assemblée, on avait naturellement exclu des opérations les hommes de couleur libres. L’une des premières mesures décrétées fut la confiscation des biens de tous les affranchis rebelles. Or, pour être jugé tel, il suffisait qu’un affranchi refuse de prêter le serment civiijue par lequel il s’engageait à « être docile, respectueux et prêt à verser son sang » pour la cause blanche. Les biens des métis avaient de tout temps provoqué la convoitise des blancs. On l’a

31

LA REVOLUTION DES PETITS BLANCS

bien vu dans le mémoire de 1755 aux termes duquel les colons envisageaient de les déposséder. A la faveur de la Révolution, les petits blancs

croyaient venu le temps de larges compensations. Les incidents violents ne manquèrent pas, on l’imagine. Les blancs qui osèrent réclamer en faveur des hommes de couleur furent maltraités eux aussi (juelques-uns même furent tués. L’Assemblée alla jusqu’à débattre de l’opportunité d’une proscription en masse des « libres ». Elle se contenta finalement de leur enlever le droit de libre circulation, mais elle rangea à leurs C(Més, sous cet interdit, les blancs mésalliés Lancée contre les hommes de couleur, l’Assemblée n’oubliait cependant pas qu’elle avait à régler avec l’administration locale la querelle de l’autorité. Elle se décréta Assemblée exécutive et créa en son sein des comités de enfin, elle la Guerre, de la Marine et de la Diplomatie vota sa Constitution. Cependant, elle n’était rien, n’ayant à son service ni armée ni masses mobilisables. Tout au plus était-elle soutenue par les Assemblées pro\inciales qui, loin de se débander après l’élection de l’Assemblée générale, s’en étaient trouvées consolidées et en quelque sorte légitimées. Mais ces Assemblées provinciales ellesmêmes, (jui certes faisaient marcher les petites gens à ;

;

leur gré, disposaient de

si

peu de j)uissance elTective





(jue celle qu’on entende bien de « force de frappe » de l’Ouest fit venir le gouverneur j)our obtenir « l’assurance qu’il ne ferait pas marcher contre elle la troupe ». L’Assemblée coloniale n’aurait-elle pas dû modérer son :

proj)ortionnant les étapes à ses forces ? Mais, n’ayant rien, elle voulut être tout. L’Assemblée du Nord trouvait que ceux de Saint-Marc dépassaient la mesure. On en arriva au jour où le Nord rappela ses délégués, mais comme cette amputation ne suffit pas à disloquer l’Assemblée qui continuait à siéger allure,

TOUSSAINT LOUVERTURE

32

rapprocha du gouverneur, proposant une coalition contre le « croupion ». Mais, nouvel Saint-Marc, qui n’était qu’une fille bâtarde du avatar ministère, allait être consacrée fille légitime de la Révolu-

et à légiférer, le

Nord

se

;

tion par le décret

du 8 mars 1790.

complété par des « instructions » datées du 23 du même mois, autorisait pour la première fois, au nom de l’Assemblée nationale, la constitution d’une Assemblée coloniale. De nouvelles élections allaient avoir lieu. Savamment manipulées par les maîtres de l’électorat, elles renvoyèrent à la nouvelle Assemblée de Saint-Marc les mêmes trublions qu’avant. Mais le décret du 8 mars allait soulever un autre problème après de nombreux et pénibles débats, la Constituante s’était mise d’accord sur un texte ambigu qui ne comportait ni une validation formelle des droits civiques des hommes de couleur ni un refus de les reconnaître. On y lisait à l’article IV « Toutes les personnes âgées de vingt-cinq ans... se réuniront pour former l’Assemblée paroissiale j>. Sans doute, la majorité de l’Assemblée avait-elle refusé de suivre les colonialistes enragés qui demandaient que les hommes de couleur fussent nommément exclus de l’exercice des droits civiques, mais elle avait aussi refusé à l’abbé Grégoire de spécifier nettement que les hommes de couleur étaient électeurs et éligibles. « Ils sont compris sous l’appellation toutes les personnes », assurait l’équipe coloniale soutenue par Barnave. Ce dernier en appela même aux principes on ne pouvait rien ajouter au décret qui laissât supposer que les droits des hommes de couleur étaient contestables ou contestés. Il était au-dessous de la dignité de l’Assemblée et de la majesté des lois que l’on fît de telles suppositions. Peu ini{)ortait à Barnave que ces droits eussent été contestés violemment, grossièrement, sur les lieux mêmes et en sa présence, par des racistes comme le délégué Cocherel. L’avocat d’une mauvaise cause se réfugiait derCe décret, en

effet,

:

:

:

:

LA REVOLUTION DES PETITS BLANCS

33

mots et des attitudes nobles. Le décret, apj)licable sous cette forme dans une colonie qui n’aurait pas été raciste, allait provoquer à Saint-Domingue la rière l’écran des

première série d’explosions (|ui devaient porter atteinte d’une façon irréversible au statut colonial de l’île. Ce décret étant arrivé à Saint-Domingue à la fin du mois de mai, accomj)agné des commentaires et apaisements du Club Massiac, le gouverneur appela à des élections dont s’emparèrent les Assemblées provinciales: elles les organisèrent de façon à ne rien changer à l’orientation de Saint-Marc. Les hommes de couleur furent, bien sûr, soigneusement écartés. Quand ils tentèrent de protester, on les fit taire, soit par la violence, soit par les admonestations solennelles des autorités, qui les invitaient à rentrer en eux-mêmes. Le gouverneur lui-même, M. de Peinier, intervint en ce sens. (Cependant, M. de Peinier n’était-il pas obligé de tenir comjite du

fait (ju’il

avait les

Un mois avant

sa mort,

Constitution,

la

mêmes ennemis

(ju’eux

?

colon de La Harre constatait « La colonie a formé son Assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue. Elle n’est pas composée des têtes les jilus froides. Ils ont les mêmes ])rétenlions (|ue l’Assemblée nationale. Par son décret du 8 mars elle autorise chaejue colonie à faire connaître son vœu sur la le

législation

:

et

l’administration

(|ui

conviennent à la ])rospérité et au bonheur des habitants, à la charge de se conformer aux principes généraux (jui tiennent les colonies à la métropole et (fui assurent la conservation de leurs intérêts respectifs. Hien n’est plus sage, mais l’Assemblée coloniale ne me paraît pas disposée à soumettre ses o[)érations. Elle rend des décrets » et les met en exécution L’Assemblée des trublions avait déjà poussé l’un vers l’autre le Nord et le gouvernement central. Le fait que te décret du 8 mars, s’il était lu sans parti pris, validait les droits civiques des hommes de couleur, ne pouvait

TOUSSAINT LOUVERTUEE

34

être sans influence sur le gouverneur, qui n’était ni

un

un plébéien raciste, mais un fonctionnaire de passage et un « homme de famille ». S’il n’avait pas puissance d’imposer aux colons une interprétation de l’article IV autre que celle du Club Massiac, il pouvait du moins, en ayant l’air de se prêter à l’injuspetit blanc avide ni

préparer sa revanche. C’est ce qu’il fit, prenant contact clandestinement avec les hommes de couleur de tice,

l’Ouest au

moment même où

sa politique officielle était

de leur prodiguer des semonces enfin, son chef d’étatmajor, le colonel de Mauduit, qui n’était pas plus que lui lié aux intérêts et préjugés coloniaux, autorisa la mise sur pied de milices « libres » qui vinrent étoffer les forces de l’ordre. Ainsi le gouverneur pouvait-il compter désormais à son service outre les maigres troupes régulières de l’Ouest, encore fidèles, et les garnisons et milices du Nord, ses alliés quelques centaines de libres, pas bien aguerris encore mais très résolus. 11 pouvait sembler contradictoire que les libres, apparemment révolutionnaires nés de la société saint-dominguoise rejoignissent contre le jacobinisme local les grands seigneurs du Nord et le gouvernement royaliste mais le jacobinisme raciste de Saint-Marc n’était-il pas réac;

— —

:

tionnaire, l’ordre social fasciste du petit blanc ne pouvant se consolider qu’en opposition à l’ordre de marche

de la Révolution ? Les Libres étaient fondés à rejoindre contre Saint-Marc tout ce qui soutenait ou promettait de soutenir le décret du 8 mars. Par ailleurs, n’y avait-il pas une logique de classe essentielle, une logique de propriétaires, à ce

riens

que

les libres se coalisassent

du Nord contre

avec

les ter-

conspiration des démunis ? Les affranchis se trouvèrent donc liés à un couverO la

nement et à une droite coloniale qui servaient provisoirement leurs intérêts, dans cette phase de l’histoire de Saint-Domingue qui vit se dérouler la guerre dite des «

pompons

»

entre royalistes arborant

le

pompon

blanc

LA REVOLUTION DES PETITS BLANCS

35

extrémistes arborant le pompon rouge. Ce ne fut pas une véritable guerre avec des batailles rangées, mais les engagements entre partisans en armes et les actes sporadiques de cruauté servirent à polariser les factions d’une manière irrémédiable. et

Si le il

gouvernement colonial prétendait

lui fallait liquider la

se maintenir,

dictature des Assemblées. Peinier,

avant de s’attaquer à Saint-Marc, frappa l’Assemblée de



réunie à sa porte, à Port-au-Prince, le siège même du gouvernement défiait d’autant plus son autorité qu’elle rassemblait autour d’elle un sousprolétariat agressif et braillard et qu’elle s’était attachée la Garde nationale. Le colonel de Mauduit poussait le gouverneur à agir, et, son blanc-seing obtenu, il s’empara des locaux de l’Assemblée dans la nuit du 29 au 30 juillet, quinze jours seulement après que le gouverneur eût entériné dans les formes voulues l’Assemblée générale de Saint-Marc. L’épisode fut sanglant, Mauduit n’ayant pu éviter la bagarre avec le détachement de la Garde nationale qui surveillait les lieux. Les petits blancs avaient désormais leurs martyrs et leur révolution devel’Ouest qui



nait irrépressible.

Saint-Marc réagit avec violence, mais les motions contradictoires s’entrecroisaient dans les séances. Il fallait

selon l’im porter

la bataille

à Port-au-Prince, selon

autres périr sur place en se défendant. Saint-Marc savait bien qu’elle avait été elle-même visée à travers les événements de Port-au-Prince. Refusant d’admettre la dissolution de l’Assemblée de l’Ouest, elle prononça à son tour la destitution du gouverneur, et fit appel à des volontaires pour sa défense. des La bataille se préj)arait et semblait inévitable de volontaires commençaient à arriver sur les lieux les

:

;

son côté, Mauduit se mettait en route, comptant deux en même cents miliciens de couleur dans ses elTectifs temps, selon un plan concerté avec l’Assemblée du Nord, ;

TOUSSAINT LOUVERTURE six cents

hommes

36

laissaient le Cap-Français par

mer en

direction de la ville rebelle que l’on comptait prendre entre deux feux. Alors l’Assemblée renonça à se battre

fulminant contre le gouverneur, décida d’aller en France dénoncer sa conduite réactionnaire. Quatre-vingtcinq délégués s’embarquèrent sur le Le Léopard, c’est pourquoi ils sont connus sous le nom de « léopardins ». La déroute de Saint-Marc ne devait cependant pas arranger les affaires du gouverneur. M. de Peinier et son impulsif adjudant militaire avaient commis la faute assez commune dans l’Histoire de sous-estimer leurs adversaires. Le mouvement de revendications populaires dont l’Assemblée de Saint-Marc avait pris la tète avait des racines profondes dans le monde des petits blancs. Au moment où leur classe semblait décapitée, elle manifesta sa vigueur et ses convictions par une série d’actes de résistance qui allaient paralyser, ridiculiser puis chasser Peinier, concluant provisoirement en faveur du tiers la guerre des pompons. C’est du Sud que partirent les premières protestations organisées. Le 24 août, les délégués de toutes les paroisses de la région réunis à Léogâne, à trente-cinq kilomètres seulement du siège du gouvernement, signèrent un pacte aux termes duquel les assemblées dissoutes étaient considérées comme encore existantes. Le gouverneur allait-il procéder contre le Sud avec la vigueur naguère employée contre Saint-Marc ? La logique l’eût voulu, mais il préféra parlementer, proposant d’aller à de nouvelles élections pour reconstituer l’Assemblée de SaintMarc. Proposition absurde. Peinier aurait dû se rappeler qu’à aucun moment, depuis les premiers démêlés de 1789, le gouvernement n’avait été en mesure d’influencer les élections. Il ne put même pas organiser valablement celles qu’il proposa « Plusieurs paroisses, après en avoir délibéré, se prononcèrent contre la mesure. Le 30 octobre, celle des Cayes arrête à l’unanimité qu’il et,





:

LA BEVOLUTION DES PETITS BLANCS

37

n’y a pas lieu de se rendre à l’invitation de M. de Peinier

formation d’une nouvelle Assemblée elle confirme à nouveau, en tant que besoin, celle ci-devant séante à Saint-Marc qu’elle considère comme la seule valable et la seule existante elle confirme également ses députés à ladite Assemblée ainsi que les pouvoirs qu’elle leur a donnés et déclare prendre eux, leurs femmes, leurs enfants et leurs propriétés sous sa sauvegarde, et invite elle dit qu’elle les autres paroisses à faire de même approuve le départ de l’Assemblée générale pour la France et attend avec respect et confiance la décision de l’Assemblée nationale... La même attitude fut adoptée par les paroisses de Petit-Goâve, des Cayes-Jacmel, du Port-à-Piment, du Nord et de Plaisance... L’abstention fut, à peu de chose près, générale là où les paroisses s’assemblèrent, c’était seulement pour confirmer les députés qu’elles avaient précédemment nommés à l’Assemblée générale de Saint-Marc 20. Cet échec ayant enlevé toute autorité à Peinier, il abandonna la colonie et y fut remplacé par Blanchelande.

pour

la

;

;

;

;

CHAPITRE V

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

En

1789, à côté de Julien

Raymond



le

même

qui

en 1784 présentait un mémoire au ministère de la Marine se trouvait un autre quarteron de Saint-Domingue, autrement impulsif et bouillant, qui allait marquer de son sceau particulier de nouvelles démarches. Vincent



Ogé incarnait

les

qualités et les insuffisances des affran-

N’admettant pas la ségrégation dont ils étaient frappés, il allait lutter farouchement contre elle, mais, propriétaire d’esclaves, il se solidariserait avec le régime de la production coloniale. Raymond et lui s’adressèrent au Club Massiac. Ogé exposa aux grands blancs l’intérêt qu’avaient tous les

chis.

propriétaires à ne pas renier leur solidarité d’espèce

:

ne prend pas les mesures les plus promptes, les plus efficaces, si la fermeté, le courage, la constance ne nous unissent tous, si nous ne réunissons pas vite en faisceaux toutes nos lumières, tous nos movens, tous nos efTorts, si nous sommeillons un instant au bord de « Si

l’on

frémissons de notre réveil. Voilà le sang qui coule, voilà nos terres envahies... nos foyers incendiés l’abîme,

;

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

39

nos amis, nos voisins, nos femmes, nos enfants égorgés et mutilés, voilà l’esclave qui lève l’étendard de voilà

la révolte... >

Naïf jeune homme. Dans l’instant même où il dit « NOS proj)riétés, NOS femmes » il se désigne au colon à la haine, aux persécutions par ces impertinentes assimilations. Raymond aussi parla. Le Cluh Massiac entendit les deux jeunes hommes dans un silence glacial, « tous les membres étant assis 3», dit le procès-verbal, auquel ne manquent que les mots « le chapeau sur la tête ». C’était l’échec devant la première instance des racistes. L’Assemblée nationale les admit à présenter en octobre 1789 un mémoire contenant leurs doléances et finit, après de honteux incidents par rendre les «Décrets» et «Instructions» de mars 1790, décisions de fuite qui cachaient si bien les affranchis derrière réti(|uette « toutes les personnes » qu’on ne les y voyait j)lus. Ogé savait à quoi s’en tenir sur l’interprétation que cependant, les colons donnaient au décret du 8 mars :

;

contre l’avis de Raymond, il gagna Saint-Domingue, dépistant la police des ports en passant par l’Angleterre il débarqua au Caj)-Français sous un et les Etats-Unis déguisement, et de là se rendit sur ses terres au Doudou. ;

Le déguisement, le chemin détourne disaient assez qu’à Saint-Domingue le décret du 8 mars était lettre morte. C’est de cet instrument cependant qu’Ogé allait se réclamer. Ayant d’emblée, j)ar surprise, enlevé avec quelques partisans le bourg de la Grande-Rivière du Nord, il adressa une pétition aux autorités provinciales « Nous réclamons l’exécution de ce et au gouverneur évitez donc par votre prudence un mal (jiie vous décret ne pourriez calmer. Ma profession de foi est de faire exécuter le décret que j’ai concouru à faire obtenir, de :

;

repousser la force par la force et enfin de faire cesser un préjugé aussi injuste que barbare. » Prenant soin de faire ressortir que, se fondant sur des droits légale-

40

TOUSSAINT LOUVERTURE

ne voulaient pas aller plus « Je n’ai point compris dans mes réclamations, loin dit-il, le sort des nègres qui vivent dans l’esclavage... Nous n’avons réclamé que pour une classe d’hommes

ment acquis,

les affranchis

:

libres. »

Si

Ogé comptait trouver audience au moins auprès

du gouverneur,

il

se

faisait

illusion

sur

le

pouvoir

éminent fonctionnaire de se faire obéir. L’Assemblée du Nord, qui commandait effectivement la province, ne tint aucun compte à Ogé de ses réserves. Elle le liquida en deux engagements. Jean-Baptiste Chavannes, compagnon d’Ogé, proposa de faire appel aux esclaves des « ateliers ». Mais c’était trop tôt, à bien des égards. Ogé refusa. Il ne pouvait, dans l’instant, considérer que la cause des siens qui, en qu’avait

cet

droit sinon en fait, était tout de

même

reconnue.

Il

est

plus surprenant que sa mobilisation ait été faible et non coordonnée avec les autres forces affranchies existantes, ce qui témoigne sans doute de l’impétuosité de son carac-

mais aussi des fortes illusions qu’il entretenait de pouvoir gagner sans engager une lutte à mort. Mais le gouvernement, qui aurait pu lui faire droit, étant déjà engagé dans une alliance avec les Affranchis de l’Ouest,

tère,

gouvernait plus. C’est l’Assemblée provinciale du Nord qui partit en guerre contre le rebelle et, l’ayant vaincu, fit son procès et procéda à son assassinat juridique. Pourquoi Ogé ne prit-il pas langue avec les affranchis de l’Ouest déjà engagés du côté du gouverneur ? Il ne sut ni prendre conseil ni attendre d’être intégré dans une coalition puissante. Le décret était « son oeuvre ». Ingénu et pathétique, il le revendiquait levant sa bannière, il défendait le décret qu’il avait « concouru à faire obtenir». Au nom de cet objectif, l’impétueux jeune homme bouleversait les calculs des autres, jetant le froid et la méfiance entre Mauduit et les affranchis de l’Ouest, précipitant ainsi les mouvements mal coor-

ne

;

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

41

donnés qui allaient éclater après sa mort dans l’Artibonite et dans le Sud. Mauduit lui-même, l’allié des affranchis de l’Ouest, dut marcher contre les libres en armes de l’Artihonite qu’il débanda à Plessac, faisant quelques prisonniers qui furent enfermés dans des pontons transformés en cachots dans la rade de Port-au-Prince. De même, s’étant porté dans le Sud contre un groupement que commandait André Rigaiid, il le dispersa sans combat et s’empara de ses chefs. Il importe de signaler que, intervenant dans le Sud, Mauduit portait l’autorité du gouvernement central dans une dépendance j)rovinciale et sauvait certainement Rigaud et les siens, en les faisant prisonniers, du sort lamentable que l’Assemblée du Nord avait fait aux partisans d’Ogé deux avaient été roués vifs, vingt et un pendus, et treize condamnés aux galères. L’entreprise des affranchis de Plessac, dans l’Artibonite, et celle de Rigaud, dans le Sud, consé(juence directe de la condamnation d’Ogé, démontrent qu’il existait des :

éléments mobilisables et des chefs résolus qui auraient pu combiner avec les libres du Nord une entreprise solide, si Ogé en avait pris le temj)s. Quant à Rigaud, il était sauvé pour la Révolution nous verrons plus loin dans quelles circonstances où Mauduit fut tragiquement implicjué il sortit des j>risons de Port-au-Prince.

— ;



Aux yeux du

tiers

et

du

,

sous-prolétariat

saint-

dominguois, le gouvernement était associé à la réaction pour avoir cherché l’appui des grands blancs, et à la plus pernicieuse des démagogies pour avoir utilisé des milices de couleur. Les contradictions de leurs proj)res objectifs révolutionnaires ne frappaient pas les petits blancs, qui étaient à la fois farouchement égalitaires et qui pratiquaient donc un opportunisme au en face moins égal à celui du gouverneur. Celui-ci disposait de de l’hostilité croissante de Port-au-Prince

racistes,





TOUSSAINT LOUVERTURE

42

peu de troupes, de moins en moins fidèles, gagnées peu à peu par le jacobinisme populaire. Quant aux Gardes nationaux, depuis l’affaire du 29 juillet, ils ne demandaient qu’à régler leur compte au gouverneur et à son adjoint militaire. Ceux-ci, en l’absence de troupes régulières, pouvaient difficilement compter sur les milices de couleur, qui n’étaient ni assez nombreuses ni assez sûres depuis l’affaire Ogé. Deux régiments envoyés par l’Assemblée nationale au secours du pouvoir local défaillant étaient attendus ceux d’Artois et de Normandie. Mais le vin des nouveaux principes travaillait les esprits au moment où l’Assemblée nationale trouvait en métropole sa foulée révolutionnaire, le pouvoir colonial semblait rétrograde en ne collaborant pas avec les Assemblées du peuple. Les léopardins étaient devenus légendaires à une époque où les nouvelles allaient vite, colportées par cent feuilles, déformées par les passions, les racistes de Saint-Marc étaient devenus en France les victimes de l’oppression réactionnaire, et les deux beaux régiments de la République attendus par le gouvernement venaient plutôt pour le déposer que pour affermir son pouvoir. En vain, au dernier moment, essaya-t-on de les garder à bord ou de les débarquer ailleurs qu’à Port-au-Prince ils se mutinèrent, exigeant d’être menés à destination. Le débarquement de cette troupe furieuse scella le sort de Rlanchelande qui prit en vitesse le chemin du Cap, cherchant protection auprès de l’Assemblée du Nord. Les deux régiments furent aussitôt rejoints par les garnisons locales et par la foule de fraternisation en fraternisation entre soldats et avec les petites gens, le « peuple souverain » se trouva à l’attaque, mais il n’y avait pas d’ennemis en face de lui. Quant à Mauduit, il paya toutes les haines accumulées il fut mis en pièces par la foule. l’actif de cet officier, qui fut le premier allié sérieux de la classe :

;

;

;

;

:

LA HEVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

43

indigène des libres, il faut encore ajouter qu’il semble n’avoir pas été un mauvais maître, car ce qui restait de son corps après la boucherie fut pieusement recueilli et enterré par un de ses esclaves qui se laissa, dit-on, mourir de chagrin sur sa tombe. Mauduit tué, le gouverneur en fuite, la ville de Portau-Prince passait aux mains du « peuple souverain ». Caradeux, dit le Cruel, fut nommé commandant de la place un aventurier sans titre, Praloto qui deviendra bientôt tristement célèbre, se décerna le brevet de capitaine d’artillerie. L’Assemblée de l’Ouest se reconstitua. ;

L’Assemblée nationale ne pouvait que difficilement suivre, de France, ce qui se passait à Saint-Domingue, mais elle savait que son décret de mars n’y avait pas apporté la paix. Clubs et Journaux révolutionnaires s’étaient saisis de l’affaire Ogé pour faire le procès de on passa à d’autres la réaction, puis la vague s’étala soucis. Seule l’Assemblée aurait pu faire acte d’autorité en faveur de la justice elle se tut. Cependant les délégués coloniaux, démasqués devant l’opinion publique, avaient compris qu’il n’était pas question de faire reconils se contennaître leurs préjugés par la Constitution tèrent d’obtenir de leurs coJlègues, en octobre 1790, la promesse officielle de ne pas clore les travaux de la ;

:

;

Constituante sans y avoir inscrit le droit des colonies de légiférer elles-mêmes sur l’état des « personnes » (entendez le statut civicjue des affranchis) et des « biens » (entendez la propriété des esclaves). Cet accord de principe obtenu, le silence officiel régna.

Cependant leur train, et

événements n’en allaient pas moins c’est pendant ces mois de silence (jue se les

succédaient les incidents relatés plus haut qui devaient aboutir à l’anarchie d’une société sans loi où la soidisant révolution des petits blancs racistes et revanchards n’avait su remplacer par aucune organisation

TOUSSAINT LOUVERTURE progressiste

44

gouvernement

le

qu’elle venait de détruire.

délégués régionaux remirent Saint-Domingue à l’ordre du jour de l’Assemblée. En effet, on pouvait déjà prévoir le moment où, la matière constitutionnelle étant épuisée, l’Assemblée allait devoir se séparer pour faire place à une Législative. Les colons en profitèrent pour rappeler à leurs collègues leur promesse d’autoriser constitutionnellement une législation coloniale spéciale sur les personnes et les biens.

Mais

les

Sans l’intervention de quelques trublions libéraux, une formule d’apparence innocente aurait pu être trouvée pour instituer la ségrégation souhaitée. Mais les temps semblaient bien avoir changé. L’abbé Grégoire, berné l’année précédente, monta à la tribune et interl’Assemblée sur les résultats de sa politique de compromis « Que l’on ne s’y trompe pas, cette politique étroite n’a qu’un succès momentané, et à la fin les turpitudes se révèlent, et ceux-là même qui veulent suivre cette marche oblique et odieuse sont démasqués, décou” Vous êtes compris sous verts. On disait aux mulâtres la dénomination de ” toutes personnes ” et je me rappelle très bien que dans cette tribune, quand j’insistai pour pella

:

:

que

les

hommes

ment dans

de couleur fussent désignés nominative-

M. Barnave que j’interpelle luimême, et M. Charles de Lameth, et une foule d’autres, s empressèrent de crier qu’ils y étaient compris, qu’il désignait tous ceux qui y étaient propriétaires. On disait donc aux hommes de couleur ” Vous êtes compris dans ces mots toutes personnes ”, mais on disait aux blancs Assemblée nationale ne désigne pas les hommes de couleur, vous pouvez argumenter de ce silence... ” Qu’estl’article IV,

:

:

1

arrivé de cette double marche ? Rien autre chose que les querelles et les ressentiments des deux parties, des trames, des oj)presseurs se coalisant avec le pouvoir exécutif au moyen duquel on continue d’opprimer, de tenir il

sous

le

joug

les

hommes

de couleur... Quelle étrange

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

45

contradiction ne serait-ce pas qu’après avoir décrété la liberté de la France vous fussiez par vos décrets les oppresseurs de l’Amérique Je demande la question préalable sur le projet de décret que vous présente votre Comité, et voici ce que je j)ropose d’y substituer ” L’Assemblée nationale décrète que les hommes de couleur et nègres libres, propriétaires et contribuables, sont !

:

compris dans l’article IV du décret du 28 mars ” » Le plaidoyer de l’abbé Grégoire n’était pas isolé. Pétion 22 ajoutait aux arguments de principe certaines considérations pratiques « Que sont, en elTet, les hommes libres de couleur ? Ce sont eux qui sont le boulevard de la liberté dans les colonies. Ce sont toujours eux qui ont volé à la défense des colonies. Ils sont là, les propriétaires indigènes. Ce sont eux c|ui cultivent des propriétés qui sont ou abandonnées ou négligées par les colons passagers (jui pour des jouissances éphémères viennent amasser des capitaux immenses dans les colonies... > C’était, o})posant l’intérêt collectif à celui de quelques familles, démontrer que l’activité sobre et tenace et non la vaine gloire fondait la nation. Lanjuinais23 raillait les aristocrates de la peau « Ils n’ont pas le teint aussi blanc (jue vous ? » La belle atTaire semblait penser et disait à la tribune cet aristocrate authentique. « Craignez une exj)losion terrible si vous prononcez contre eux une exclusion éternelle ren:

:

!

dant leurs tyrans leurs juges. » « Avant tout, il Il y eut la logicjue de Hobesj)ierre est important de fixer le véritable état de la (juestion elle n’est pas de savoir si vous accorderez les droits politiques aux citoyens de couleur, mais si vous les leur conserverez, car ils en jouissaient avant vos décrets... > Fouaillant les timides, il les ramenait à leur vocation « Vous perdrez vos colonies, vous dit-on, républicaine si vous ne dépouillez pas les citoyens libres de couleur de leurs droits. Et j)ourquoi perdrez-vous vos colonies ? :

:

:

TOUSSAINT LOUVERTURE

46

parce qu’une partie des citoyens, ceux que l’on appelle des blancs, veulent exclusivement jouir des droits de cité. Et ce sont eux-mêmes qui osent vous dire par si vous ne nous attribuez l’organe de leurs députés exclusivement les droits politiques, nous serons méconC’est

:

tents

;

votre

décret

portera

le

mécontentement

et

le

il peut avoir des suites funestrouble dans les colonies craignez les suites de ce mécontentement. Voici tes donc un parti factieux qui vous menace d’incendier vos colonies, de dissoudre les liens qui les unissent à la ;

;

Je vous ne confirmez ses prétentions demande d’abord à l’Assemblée nationale s’il est bien

métropole

si

!

de la dignité des législateurs de faire des transactions de cette espèce avec l’intérêt, l’avarice, l’orgueil d’une classe de citoyens. Je demande s’il est bien politique de se déterminer par les menaces d’un parti pour trafiquer des droits des hommes, de la justice et de l’humanité. Ensuite, messieurs, il me semble que cette objection menaçante est bien faible... » L’orateur rejoignait Lanjuinais sur l’interprétation du rapport des forces « Si les blancs vous font cette objection d’un côté, les hommes de couleur de leur côté ne peuvent-ils pas vous en faire une semblable et vous dire si vous nous dépouillez de nos droits, nous serons mécontents, et nous ne mettrons pas moins de courage à défendre les droits sacrés et imprescriptibles que nous tenons de la nature que nos adversaires ne mettent d’obstination à vouloir nous en dépouiller. » Sous la pression des événements, que de voix se faisaient entendre pour le libéralisme Des vocations soudaines se manifestaient de plus anciennes retrouvaient :

:

!

;

de

vigueur.

la

désolidarisait

Un

Monneron, colon lui-même, se du racisme de ses collègues. Dupont de certain

Nemours 24 avant Robespierre, disait « Ne craignez pas, messieurs, la nies ^

:

!

devait avoir lieu,

si

périssent les colo-

séparation. Si elle

vous vous trouviez dans

la nécessité

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

47

pressante de sacrifier ou la justice ou l’humanité, je vous dirais que votre puissance unique tient à l’équité, que si vous abandonniez cette base, alors vous exposeriez le salut de tant de travaux fameux que vous avez faits pour l’humanité, et qu’ainsi votre intérêt, celui de l’Europe, celui du monde exigerait que vous n’hésitassiez pas dans le sacrifice d’une colonie plutôt que d’un principe.

»

Robespierre,

le

même

son éloquence particulière

thème avec pouvais soupçonner

jour, reprenait :

« Si je

le

que parmi les adversaires des hommes de couleur il se trouvât quelque ennemi secret de la liberté et de la Constitution, je croirais que l’on a cherché à se ménager un moyen d’attaquer toujours avec succès vos décrets pour affaiblir vos principes, afin qu’on puisse vous dire un jour,

quand

il

s’agira de l’intérêt direct de la métropole

:

vous nous alléguez sans cesse la Déclaration des droits de l’homme, les j)rincipes de la liberté, et vous y avez si peu cru vous-mêmes que vous avez décrété constitutionnellement l’esclavage. L’intérêt suprême de la nation et des colonies est que vous demeuriez libres et que vous ne renversiez pas vous-mêmes de vos propres mains les hases de votre liberté. « Périssent les colonies s’il doit vous en coûter votre périsbonheur, votre gloire, votre liberté. Je le répète sent les colonies si les colons veulent, par des menaces, nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts. Je déclare au nom de l’Assemblée, au nom de ceux des membres de cette Assemblée qui ne veulent pas renverser la Constitution, au nom de la nation entière qui veut être libre, que nous ne sacrifierons aux députés des colonies ni la nation, ni les colonies, ni l’humanité :

entière. >

Cette éclatante éloquence ne peut cacher que le propos de Robespierre était moins d’en finir avec l’injustice que d’empêcher qu’elle ne prît force de loi. Le grand

TOUSSAINT LOUVERTURE

48

de ce que

colons voulussent transporter leurs mauvaises manières de la semi-clandestinité de l’outre-mer à la consécration des lois. Les colons pourtant ne prétendaient pas à moins, et ils défièrent le camp libéral en démasquant ses contraprêtre

du libéralisme

était

irrité

les

dictions.

Messieurs, dit Barnave sarcastique, à la chaleur avec laquelle on discute la question, on croirait que c’est au moins la cause des principes contre celle de l’intérêt «

Eh

national.

bien, messieurs, ce n’est pas

même

la

cause

des principes, car ceux qui se refusent à une mesure de prudence que j’ose dire nécessaire, indispensable dans les circonstances, altèrent eux-mêmes les principes de la manière la plus importante. Suivant eux, on ne peut, sans les blesser, laisser suspendre pendant quelque temps, avec la certitude de résoudre conformément à la raison,

des droits politiques de quehjues hommes mais on peut bien laisser suspendre sans terme la liberté civile individuelle de six cent mille personnes... Il est absurde, lorsqu’on consent pour des raisons d’Etat, pour des raisons d’utilité publique, à laisser six cent mille hommes dans l’esclavage, de ne vouloir pas suspendre pendant quelque temps par une marche l’exercice ;

prudente

conforme aux promesses de l’Assemblée nationale l’exercice des droits politiques pour un petit nombre d’hommes qui ne seront que momentanément privés.

et

>

Le cynique Barnave disait donc « Vous jouez la comédie taisez-vous et votez » Toute l’artillerie réactionnaire donna précisément dans la même direction. « Pas d hypocrisie, semblait dire l’abbé Maurv vous savez bien que c’est une barrière contre l’éventuel affranchissement des esclaves que nous voulons élever » D’autres, plus dangereusement encore, établissaient un :

;

!

\

!

parallèle entre la situation des classes en métropole et la situation dénoncée à Saint-Domingue. Plusieurs mil-

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

49

de citoyens blancs en France (analphabètes et nonpropriétaires) demeuraient sans droits politiques et on s’occupait de nègres Ils indiquaient ainsi à Robespierre les limites de sa révolution... qui n’était pas prolétaliers

!

rienne.

On

plus loin encore dans l’insulte. Moreau de Saint-Méry voulut faire inscrire dans la Constitution le mot « esclaves ». Puisque, sous le déguisement des litotes et des synonymes, l’esclavage était chose entendue, pourquoi ne pas en parler ? Robespierre bondit, tonna mais, alla

;

en retirant sa proposition, Saint-Méry le giflait encore « Il ne s’agit pas de se battre sur les mots persuadé que les choses sont bien entendues, qu’elles le sont comme je les entends moi-même, je retire l’amendement du :

:

mot

” esclave

”... »

Le débat colonial mettait le tiers en face de ses contradictions, qu’il n’était pas prêt à résoudre. Trop de choses pourtant avaient été dites j)our (jue l’Assemblée constituante ne fît pas un pas en avant. Ce fut un pas timide.

On

pourrait

même, sans plaisanterie, « ramcndement Rewbell

dire

:

un

pas d’écrevisse, car », (|ui fut de guerre lasse volé, s’il renonçait à ré(juivo(|ue du texte de mars 90, reprenait à la majorité des alTranchis des droits qui leur étaient acquis, en ne consacrant la citoyenneté que des gens de couleur « nés de père et mère libres ». Une minorité remplissait ces conditions les autres étaient remis sous la coupe des racistes blancs, « leurs tyrans devenant leurs juges » selon l’expression de Lanjuinais. Le décret et les instructions de mars 1790 n’étaient j)as entrés dans de telles distinctions et j)ou;

vaient s’appliquer à

«

tous les

hommes

libres et contri-

buables » sans excei)lion. Robespierre comprit si bien qu’en ayant l’air d’aller de l’avant on reculait, qu’il refusa de voter le texte. Cependant, l’abbé Maury, accordant sa conscience religieuse avec ses préjugés racistes, entendait réduire

TOUSSAINT LOUVEFTURE

50

encore le nombre des bénéficiaires du décret, en proposant de n’admettre à la citoyenneté que ceux issus d’un mariage catholique. Selon l’état civil de la colonie, c’était ne proposer le paradis qu’à une poignée d’élus. Maury fut débouté par une majorité peu encline à s’entacher de scrupules religieux.

De toute manière, en obtenant un

texte

clair

en

faveur de quelques métis, l’équipe libérale pouvait se féliciter d’avoir fait une brèche dans le mur du racisme. « Les gens de couleur Le texte final était rédigé ainsi nés de père et mère libres seront admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s’ils ont :

d’ailleurs les qualités requises.

»

constate Césaire ^5, c’était une victoire... Une victoire tronquée, mutilée, mais enfin une victoire pour la première fois le législateur européen osait contes«

De

fait,

:

ter le bien-fondé et le caractère sacro-saint

du

privilège

de la peau pour la première fois le mur d’un privilège jusque-là indiscuté, le privilège racial, était entamé. La chose considérable, malgré les réserves justifiées de Robespierre, c’était cela, et riche d’infinis prolongements. ;

Dans

y avait à la fois semence Le plus important était la semence. » la loi votée,

il

et débris.

Les délégués coloniaux, en signe de protestation, se retirèrent de l’Assemblée, se préparant à rentrer sur leurs terres pour y défendre les vieux privilèges, les armes à la main. Les léopardins ne manquèrent pas au rendezvous. Ils avaient été sévèrement blâmés par l’Assemblée nationale, mais le retour dans la colonie ne leur avait pas été interdit ni l’exercice de leur mandat. Absentéistes, léopardins, députés retournaient donc à Saint-Domingue, décidés à aller jusqu’à la sécession. De la colonie d’ailleurs, on les exhortait à grands cris à rentrer pour « coopérer au grand œuvre des lois qui doivent régir désormais la colonie dans l’indépendance des lois de la

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

51

France

>

(Arrêté de

la

commune

de Gros-Morne, du 17

juillet 1791).

L’Assemblée nationale, de son côté, avait décidé d’envoyer à Saint-Domingue une commission exécutive chargée d’y appliquer ses décisions. En 1790, il avait bien été question de déléguer à la colonie des commissaires munis des pleins pouvoirs mais il fallait alors maintenir l’équivoque et l’on en était resté là. En 1791, la situation se présentait autrement. Il y avait un texte clair, et les commissaires de l’Assemblée nationale ne seraient ni sans arguments ni sans autorité. Les colons se rabattirent sur Blanchelande, le gouverneur chassé de son poste par la révolution de Port-au-Prince, et le gagnèrent à leur dessein de maintenir intactes les coutumes coloniales. On résisterait donc aux commissaires. Pour j>rix de sa collaboration, Blanchelande rentrait dans ses pouvoirs et était ramené du Cap à son siège de Port-au-Prince. Mais cela fait, avant même que la commission ne s’annonçât, les hommes de couleur enlevaient le sommeil au gouverneur ;

nouveaux alliés. C’est que la résistance des colons blancs au décret du 15 mai n’olTrait d’autre alternative aux « libres > que la soumission abjecte ou le combat. Par bonheur, André Rigaud et les autres chefs du Sud emj)risonnés avec lui par Mauduit avaient été délivrés le jour de les faubourgs de Port-au-l^rince l’assassinat de Mauduit avaient, en elTet, marché sur les geôles du gouvernement et emporté eux aussi leur Bastille. Les chefs que la classe alîranchie s’était donnés et à

ses

:

:

Baiivais,

Pinchinat,

étaient des

hommes

Rigaud, Chanlatte, bientôt Pétion, cultivés.

Leur instruction leur per-

de comprendre, leur condition leur imposait d’adopter les mots d’ordre républicains (jui étaient en train de changer les structures politiques et sociales de la métropole. Bien que vivant dans un univers d’opprimés, leur attitude mentale avait toujours été celle

mettait

TOUSSAINT LOUVERTURE d’hommes responsables,

52

naturellement que, à la faveur de la Révolution, leurs revendications s’établirent sur la même ligne que celle des planteurs blancs. Si l’élément irrationnel du racisme avait porté ceux-ci à séparer brutalement leur cause de celle de leurs collègues de couleur, ces derniers une fois mobilisés n’allaient pas s’arrêter avant d’avoir, par la persuasion ou par la violence, dépouillé de ses scories une vérité essentielle la similitude de leurs positions de classe. et c’est tout

:

A la vérité, les colons savaient bien à quelle frontière commune les deux causes se mêlaient « Ils ont les mêmes intérêts que nous comme propriétaires » et en :

tiraient la conclusion

rassurante qu’ILS hésiteraient à mettre en péril un édifice dont ils étaient solidaires. C’était vouloir que la solidarité n’imposât de devoirs qu’à une fraction d’une même classe. Dès lors, la solidarité n’existait plus, la classe se scindait, la lutte était ouverte. Dès octobre 89, Julien Raymond, le quarteron, avait dit que la solidarité était fonction de l’égalité :

« Il

est de l’intérêt

même

des colons d’accorder le droit de citoyens aux hommes de couleur pour cela seul qu’en leur donnant plus de droits, plus de douceurs ils se les attacheront davantage que quand même les nègres voudraient se révolter ils ne le pourront pas, parce que les ;

personnes de couleur, intéressées à les maintenir dans 1 esclavage, se réuniront avec les blancs qui ne feraient alors qu’une même classe 27. » Mais le racisme provoque toujours des options irrationnelles, et c’est décidément sans raison que les blancs attendaient des « libres » une attitude raisonnable alors qu’il leur était possible de consolider leur rébellion. Les alTranchis se fédérèrent. Ceux de l’Ouest se réunirent en congrès le 7 août à Mirebalais, sous la présidence de Pincbinat. Le conseil exécutif qui fut nomme a ce congres recevait mission de faire pour l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale,

notam-

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

53

ment celui du 15 mai... toutes diligences, réclamations auprès de l’Assemblée, du et démarches nécessaires... s>

des commissaires civils ou de toutes autres personnes.

roi,

Le gouverneur désapprouva leur

initiative,

mais loin

de se laisser impressionner, ils invitèrent le Sud et le Nord « affranchis > à concerter avec eux leurs entreprises. Au gouverneur, ils réj)ondaient « C’est lorsque nous avons l’honneur de vous supplier de faire cesser les excès d’horreurs auxquels on se porte contre nous, que vous nous ordonnez de nous séparer, comme si nous étions assemblés pour faire le mal c’est lorsque nous réclamons la |)rotection du gouvernement et celle des lois anciennes et nouvelles, que vous nous prescrivez d’attendre paisiblement et avec résignation la promulgation des lois qui pourront nous concerner, comme si depuis rétablissement de la colonie, et surtout depuis la Révolution, les anciennes et nouvelles lois autorisaient les citoyens blancs à nous j)ersécuter et à nous égorger. > C’est un jugement terrible contre la prétendue révolution « et surtout depuis des jacobins coloniaux que ces mots la Révolution ». Les confédérés ajoutaient en outre que leurs rassemblements armés devenaient d’autant plus légitimes (jue l’insurrection des esclaves avait éclaté dans la province du Nord. :

;

:

La réunion de Mirebalais avait eu lieu le 7 août. Dès le 23 du même mois, des cantonnements étaient solidement établis sur l’habitation Diègue, sur les confins de la plaine du Cul-de-Sac, dans une position (jui assurait leurs communications d’un côté avec le Plateau Central

par

et

ses

prolongements vers

nord, de l’autre, Morne-de-riIôi)ital, avec l’Ouest le

Coui>e et le et le Sud. De Diègue, des messagers partirent dans toutes les directions afin de donner à la mobilisation le caracla

tère de coalition qui avait

heureuse d’Ogé.

manqué

à l’entreprise mal-

TOUSSAINT LOUVERTURE

54

le 30 août, à y eut une première escarmouche Nérette, avec la milice blanche commandée par JeanBaptiste de Lespinasse. Les confédérés, sous les ordres de Bauvais et de Lambert, mirent en déroute ce détachement qui perdit trois hommes. Aussitôt les confédérés se replièrent sur l’habitation Métivier, en direction Il

du lagon du Trou-Caïman. Les blancs de Port-au-Prince furent si irrités de la défaite de Lespinasse que, dans la nuit du 1" au 2 septembre, ils envoyèrent un détachement de cinq cents hommes, soutenus par six pièces de campagne, à la recherche des révoltés. Des soldats professionnels, dont deux cents fusiliers marins, composaient cette force. L’artillerie était sous les ordres du capitaine Praloto en personne. Cette troupe imposante fut pourtant battue à Pernier par les hommes de couleur, aux mains desquels Praloto, en fuite, abandonnait ses six canons. Port-au-Prince qui, sous la pression des planteurs de la Croix-des-Bouquets, accepta de signer une trêve avec les « libres ». Plusieurs traités, dits Concordats, allaient être signés en septembre et octobre entre blancs et hommes de couleur. Le premier document, daté du 7 septembre, fut signé entre les habitants de la Croix-des-Bouquets et les « libres », par l’entremise d’un grand [)lanteur Hanus de Jumécourt. Cette initiative fut suivie d’un Concordat plus détaillé signé par les colons de Port-au-Prince le 11 septembre. Un autre fut signé, le 19 octobre, sur l’habitation Goureau. Le traité définitif fut scellé à Damien. Voilà donc une abondance de textes et de signatures pour reconnaitre et garantir l’égalité, la fraternité. Ces documents réhabilitaient même, de manière formelle, Vincent Ogé. D’émouvantes cérémonies mirent, comme on dit en langage noble, le « sceau du cœur » sur la fraternité civique « Te Deum d’actions de grâces, banquets patriotiques, rien ne manqua pour célébrer et sceller la paix. Cette

défaite

terrorisa

:

:

LA REVOLUTION DES HOMMES DE COULEUR

55

Une promenade émouvante

eut lieu à travers la ville au son du tambour et des fanfares Caradeux, commandant ;

des gardes nationales de l’Ouest, marchait en tête et donnait le bras à Bauvais, chef de l’armée des hommes de couleur. Les autres chefs des deux armées suivaient deux à deux et portaient à leurs chapeaux des feuilles de laurier 28 Voilà sans doute un spectacle auquel on était peu préparé. Cependant, à côté de l’opticjue limitée et violemment raciste du petit blanc, n’y a-t-il pas toujours eu celle, plus large, du planteur, une optique de solidarité ? Ce n’est pas par hasard que le premier Concordat avait été signé par des planteurs en plein cœur d’une zone de culture, et que les autres documents se trouvaient cautionnés j)ar les j)lanteurs du Cul-de-Sac. C’est le grand blanc qui a pris l’initiative des démarches de paix et a contraint le petit blanc des villes à le suivre. Anticipant sur le récit des faits, disons tout de suite que, en général, le grand blanc respectera sa signature quand le petit blanc aura unilatéralement rompu l’alliance. Bientôt les blancs du Cul-de-Sac se trouveront aux côtés des « libres », au siège de Port-au-Prince. C’est qu’il était devenu urgent d’abandonner les rivalités entre planteurs j)Our présenter un front sans tissure l’insurrecà la menace commune qui venait de surgir .

:

tion des esclaves.

CHAPITRE

VI

LA REVOLUTION DES ESCLAVES

La quiétude manifeste des blancs en face de leurs esclaves n’a pas fini d’étonner. Ecoutons le colon de La de nos troubles pour que des nouvelles contournées ne t’inquiètent pas. Il n’y a point de mouvement parmi nos nègres. Ils n’y pensent même pas. Ils sont très tranquilles et soumis. Une révolte parmi eux est impossible. » Les mêmes mots reviennent dans une autre lettre « Nous ne devons rien craindre de la Et part des nègres ils sont tranquilles et soumis. » « Les nègres sont très soumis et le seront touencore jours... Nous dormons portes et fenêtres ouvertes. » On veut bien (ju’en mari attentionné La Barre ait eu le souci de rassurer son épouse, mais lorsqu’il fait un examen détaillé de la situation il se montre tout aussi convaincu que les esclaves ne constituent pas un danger « La liberté des nègres est une pour l’ordre public chimère, écrit-il... Ici on est sur scs gardes et on ne

Barre

«

:

Je

jiarle

te

:

;

:

:

0

LA REVOLUTION DES ESCLAVES

/

un calcul vrai et tranquillisant il y a peu de communication parmi cette espèce d’hommes. Leur recensement est de trois cent mille sur cent lieues de côtes. Il faut en soustraire les deux tiers en femmes, enfants et vieillards. Restent cent mille dont plus de la moitié sont bons sujets, tiennent à leurs craint rien. Je vais te faire :

Les cinquante mille restant, en leur supposant l’intrigue qu’il faut pour une révolution, n’ont point de chefs, sont dispersés sur plus de mille habitations, et pour les contenir, nous sommes quarante mille blancs et quinze mille mulâtres ou nègres libres, tous concourant à la conservation de leurs biens et de leurs personnes. Ainsi la liberté des nègres ne peut être qu’un rêve de (juelques philanthropes qui ne connaissent j)as les colonies. » Un an plus tard, les faits auront réduit cette argumentation à néant. La Rarre et les autres colons ne croyaient donc pas (jue, dans le })ire des cas, la situation pût écba])j)er au contrôle d’une coalition armée des propriétaires. L’hypothèse reste à prouver. En attendant, eux-mêmes avaient tout fait pour rendre imj)ossihle la coalilion (ju’ils jugeaient salutaire. Ils avaient même roué vif le premier j)rophète de l’union sacrée. Quant aux dispositions des esclaves, objet de tant de spéculations, elles étaient tout simplement fonction de la situation. Soumis ou non, les esclaves constituaient une classe révolutionnaire toujours susce{)tihle d’engager le combat. Raisonner aiilremenl c’était, comme La Rarre, se bercer de vaines paroles sans tenir enfants

et

à leur petite propriété.

compte des positions

réelles.

Si

la

violence

collective

encore de règle ])armi les esclaves, c’est (ju’elle ne peut résulter que d’un état de crise provoqué soit par une suite particulièrement cruelle d’actes de persécution, soit par une faiblesse particulièrement manifeste de l’apn’était j>as

pareil d’oppression.

Mais

il

y avait assez d’actes indi-

TOUSSAINT LOUYERTURE

58

viduels de violence pour renseigner

de sa

«

propriété

le

colon sur l’esprit

».

Sous son aspect négatif, le « inarronnage » n’était qu’une fuite sous son aspect positif, il frappait le maître chaque marron était un coup en lui enlevant son bien porté à l’atelier de plus, le marron, en prenant sa liberté, devenait une menace. L’empoisonnement, malgré ;

;

;

son caractère furtif, sournois, était un acte de violence. Rarement exercé sur la personne sacralisée du maître blanc, il l’atteignait, par un phénomène de substitution qui satisfaisait à la fois la peur et l’esprit de vengeance, à travers ses domestiques les plus proches, ses esclaves préférés.

La

Barre

les esclaves

bien

établissait

une

parmi hommes dans la

distinction

d’un côté, les force de l’âge les seuls dont on pourrait éventuellement avoir à se méfier de l’autre, une masse trantjuille faite de femmes, d’enfants et de vieillards. Mais comment être sûr de la passivité de ces derniers dans un

combat pour

:

il

y



avait,



,

la liberté ?

faudrait leur nier toute conscience d’être asservis. C’était assez la mode de les prétendre heureux dans le servage. « En les rendant libres, ce serait les rendre cent fois plus malheureux qu’ils ne sont. » Il

Le maître colonial dormait portes et fenêtres ouvertes, mais ne pouvait s’empêcher de penser, toutes soustractions rassurantes faites, au résidu des « cinquante Or, cinquante mille hommes ne se lancent pas à l’aventure sans mot d’ordre et sans organisation le maître fondaît donc sa sécurité sur leur dispersion entre mille habitations et sur l’impossibilité où ils se troumille

».

;

vaient, dès lors, de conspirer.

Le maître faisait encore un autre calcul apaisant les mauvaises têtes n’auraient pas de chefs puisque le « système » assimilait les intelligents, les souples, en en faisant des domestiques choyés, et les durs en les plaçant comme chefs d’équipes, ou :

LA REVOLUTION DES ESCLAVES

59

commandeurs,

à

de fouet autant

la

et

tête des ateliers

plus que



ils

avaient droit

maître.

le

Echafaudage pour temps de paix qui avait été silencieusement sapé, de 1789 à 1791, pendant que les maîtres se battaient entre eux. Leur vigilance, prise en défaut par deux années de députations, de bagarres, de service de milice et de débats parlementaires, fit place à l’incobérence, à la confusion, à l’anarcbie, (|uand, après mai 1791, il leur fallut en même temps organiser la sécession et se battre entre blancs et alTrancbis. Les domestiques et les commandeurs de la province du Nord donnèrent le mot d’ordre et déclenchèrent l’insurrection

dans

ateliers.

les



Certains prétendent c’était la thèse de Sonthonax fjue la révolte des esclaves du Nord avait été combinée par les planteurs royalistes et le gouverneur Blanchelande avec Toussaint, afin d’occuj)er les sécessionistes et de les faire rentrer dans le devoir. Roj^alistes et gouverneur auraient été dépassés j)ar l’événement.



défend Toussaint de cette complicité, verse pourtant au dossier des documents qui, interprétés d’une certaine manière, confirmeraient la thèse de Sonthonax. Laurent veut, en elTet, (jue Toussaint ait été, sans se manifester ouvertement, le cerveau j)enil aurait louché les comsant de l’insurrection du Nord mandants, organisé les combats et, au moinonl voulu, il

Mentor Laurent

qui

;

donné

aurait

à

Boukman

rimj)ulsion

décisive.

Si

des

recherches devaient établir un jour l’cnlenle de Toussaint avec les royalistes, cet essai d’utilisation des hases serviles par le gouvernement et les royalistes débordés désorrévélerait seulement l’inconséquence des maîtres :

mais

la

brèche par

la(|uelle devait

j)asser l’insurrection

victorieuse des noirs était ouverte.

Même

s’il

fallait

placer Toussaint Louverture à

gine des événements,

la

l’ori-

première étape active de l’insur-

TOUSSAINT LOUVERTURE

60

rection n’en porterait pas moins le nom de Boukman, l’homme inculte et dévastateur, irremplaçable à ce

Grâce à un pouvoir réel dû à sa position de sorcier, il magnétisait la masse des opprimés. Il sut choisir les mots d’ordre qui convenaient pour les entraîner à la violence et les lancer contre l’appareil de leur servitude. Déclenchée dans la frénésie des tam-tams, après les invocations violentes, le baptême et la communion passionnés dans le sang sacrificiel, l’attaelle dévasta que de Boukman fut une lame de fond la plaine du Nord comme un raz de marée. « La Plaine du Nord, la Petite Anse, le Quartier Morin et Limonade avaient disparu. Pas une case, pas un pied de canne n’étaient restés debout. Les flammes gagnèrent la Grande Rivière, Sainte-Suzanne, le Dondon, la Marmelade d’un côté. Plaisance et le Port-Margot de l’autre. Après trois semaines, elles s’arrêtèrent d’elles-mêmes faute d’ali-

moment

de

l’Histoire.

;

ment

31.

Cette ruée devait, inévitablement, se heurter en plein flux à quelque digue infranchissable, en l’occurrence la

du Cap et quelques localités voisines de moindre importance qui se défendirent et ne purent être submergées. La réaction du Cap à l’intérieur de ses murailles fut violente. Gouvernement et peuple s’imaginant que la conspiration avait déjà gagné la ville elle-même, entreprirent d’y liquider la « cinquième colonne ». Les esclaves furent exterminés sans jugement par l’appareil officiel. Quant aux hommes de couleur, bien qu’on ne pût les accuser de complicité dans la destruction de leurs propres biens de la plaine, ceux d’entre eux qui ne réussirent pas à s’enfuir furent massacrés par les petits blancs sous l’œil complaisant du pouvoir. Mais le Cap ne disposant pas d’assez de troupes pour pacifier la plaine, on devait se contenter de rapides sorties pour dégager les abords des postes de protection (établis en un système dit « de cordon » dans le langage ville

LA REVOLUTION DES ESCLAVES

61

militaire de l’époque),

«

l’un allant de

Limonade au Trou

pour protéger les paroisses encore intactes de l’Est l’autre du Port-Margot au Dondon pour empêcher

et la

32 .

propagation de l’insurrection vers l’ouest Ces cordons continrent les insurgés qui, n’ayant ni but stratégique défini ni expérience tactique, tournaient en rond entre les habitations saccagées.

A

partir de cette période de flottement, l’insurrection

semblait condamnée, et sa défaite aurait pu être totale si la guerre n’avait éclaté à ce moment, dans la partie orientale de l’île, entre les Français et leurs voisins espagnols, et surtout si l’exemple du Nord n’avait été promptement suivi par l’ensemble des esclaves de la colonie.

Boukman

fut pris et exécuté. C’est l’instant

que choi-

Toussaint, qui paraît avoir vécu jusqu’alors tranquillement sur l’habitation Bréda, pour placer ses maîtres en lieu sûr et passer à l’insurrection. les Libertat Mais il ne la rejoignait pas en qualité de chef, ce qui tend à infirmer les thèses de Sonthonax et de Laurent. L’héritage de Boukman était tombé aux mains de ses lieutenants Jean François et Biassou. Toussaint, ayant le choix entre deux fractions de la troupe révolutionnaire, choisit celle commandée par Biassou, où il entra avec le titre de secrétaire puis celui de médecin. sit





Jean François était un impulBiassou semble avoir eu des vertus sif et un < glorieux > plus simples. Ni l’un ni l’autre n’étaient instruits, mais ils n’étaient pas inaccessibles à l’idée d’organisation. Aussi l’insurrection, sous leur conduite, perdit-elle son caractère improvisé pour se stabiliser sur des j)ositions fortifiées, face aux cordons défensifs de l’armée et des milices officielles. A cette phase de l’entreprise, les hommes de couleur échappés aux massacres du Cap les avaient rejoints ainsi que des contumaces de l’affaire Ogé qui tenaient les bois depuis plus longtemps encore. D’après

les historiens, ;

TOUSSAINT LOUVERTURE Cette époque

est

62

marquée cependant par l’absence

d’un plan stratégique véritable. C’est que toute stratégie se détermine et se définit en fonction de buts politiques poursuivis. Les noirs auraient pu prétendre enlever aux blancs leur suprématie. Il aurait fallu alors détruire le Cap et les villes secondaires, s’emparer de toute la plaine du Nord pour en faire une grande base de départ. Plus modestement, ils auraient pu chercher à obtenir une transformation radicale du statut de la masse des noirs l’abolition de l’esclavage. Dans ce cas, il aurait fallu détruire d’abord les cordons qui protégeaient le Cap, puis investir la ville, et enfin ouvrir des pourparlers à partir de positions stratégiques fortes. Mais c’eût été trop attendre de cette époque où s’ébauchaient à peine de nouvelles figures. Les buts exprimés dans un mémoire à l’Assemblée provinciale allaient être « Un certain nombre de libertés » et quelques améliorations des conditions du travail. Après le passage du fléau Boukman, les nouveaux chefs pensaient pouvoir jouer la carte de la modération. Si les blancs avaient accepté les modestes propositions faites par les chefs nègres, nous aurions été fondés à croire que Jean François, Biassou et Boukman lui-même avaient été, par l’intermédiaire de Toussaint, leurs instruments. Ils refusèrent. Si les chefs noirs, de leur côté, avaient été rodés à l’exercice d’une réflexion rigoureuse sur les buts à poursuivre, s’ils avaient été ce que se ;

:

révéleront bientôt des chefs affranchis comme Bauvais, Lambert, Rigaud, Pinchinat, ce que se révélera Toussaint, ils auraient aussitôt changé de tactique en durcissant leurs objectifs.

Mais, dépités,

ils

vont se contenter de

coups de main, regagnant ensuite leurs positions retranchées au lieu d’exercer une pression systématique. Les deux chefs s’étaient partagé sommairement le territoire investi. Jean François occupait la zone allant de la Grande-Rivière à Fort-Liberté, ses arrières touchant la

LA REVOLUTION DES ESCLAVES

63

frontière espagnole

;

Biassoii contrôlait

le

territoire allant

Grande-Rivière du Nord à la Bande-du-Nord dans le voisinage immédiat du Cap. Jean François enleva Quanaminthe, Biassou faillit prendre le Cap « Le 15 janvier, les bandes de Jean François attaquèrent et enlevèrent Ouanaminthe dans la nuit du 22 au 23, Biassou manqua de s’emparer du Cap par surprise. Après avoir tourné le village du Haut-dii-Cap, il tomba sur l’bôpital de la Providence dont les malades furent impitoyablement massacrés. 11 surprit et emporta le fort Belair jetant l’épouvante dans la ville. Mais loin de marcher sur celle-ci, il s’était contenté d’enlever sa mère, esclave à la Providence et de regagner le camp Gallifet... Tel était apparemment l’iinicpie but de son expédition 33^ » conclut Sannon d’un ton désabusé. de

la

:

;

11

était inévitable

que

dans un contexte plus

cette action flottante s’intégrât

également dynamique, qui allait la porter vers des buts déterminés. Elle aurait pu s’intégrer dans l’action des hommes de couleur si ceuxci avaient ])u et s’ils avaient voulu lui offrir un cadre. Il n’en était j)as question. Quant au gouvernement colonial en lutte avec les sécessionisles, il faudra encore attendre deux pénibles années de défaites et l’arrivée de Sonthonax j)our qu’il ose envisager une telle intélarge,

gration.

un grand élan vers la liberté, mais aux(|uelles man(|uaient une évaluation précise de leurs moyens et une conscience Ces masses

(|ui

s’élaienl

soulevées dans

exacte de leurs buts, furent utilisées par les Espagnols, maîtres de la partie orientale de File, (jui étaient entrés en guerre contre la France. Le gouverneur de la partie

espagnole de Saint-Domingue offrit, au nom de Sa Majesté catholique, la liberté et des terres à tous les noirs qui s’enrôleraient sous son commandement. Jean François, Biassou et Toussaint n’eurent qu’à traverser la frontière pour trouver des cadres qui les situassent.

TOUSSAINT LOUVERTURE

64

L’école espagnole fut pour eux une école incomparable. Si

Jean François ne sut qu’y acquérir des

indiscutable conscience de sa dignité

titres et

d’homme

une

libre

^4,

que Toussaint apprit non seulement à diriger une armée invincible mais encore à la mettre au service

c’est



d’une politique bien définie de

la liberté.

CHAPITRE

VII

LA GUERRE A MORT DES AFFRANCHIS

Au moment même

où, en septembre et octobre 1791, les alTrancbis arrivaient avec les blancs de l’Ouest à la

paix des Concordats, ils avaient déjà été poignardés dans le dos par l’Assemblée constituante qui, à la veille de clore ses travaux, vota la « loi constitutionnelle > du 24 septembre. Revenant sur le décret du 15 mai, cette loi

replaçait les libres dans

On sont

en vient à douter

là.

On

s’interroge

:

:

le «

statu qiio ante.

Les faits trouvé dans l’Assem-

Est-ce possible

« S’est-il

? >

une majorité pour se renier ? » Oui, comme il s’en était trouvé une en mars 90 pour ruser avec les textes. « Etait-ce donc cela, la Révolution ? » C’était cela, la révolution de la Constituante. Elle allait heureusement s’affermir, poussée par les masses de Saint-Domingue qui menaçaient de lui échajijier si elle ne se transformait, et qui lui échappèrent en effet dès qu’elle mit un terme à son développement. Car au centre de l’histoire il y a l’Homme tenant l’Homme à la gorge, prisonnier chaque progrès, chaque émancipation étant l’œuvre, la conquête blée

;

de la violence.

TOUSSAINT LOUVERTURE Cette

nant

loi

l’état

66

du 24 septembre stipulait des personnes non libres

:

«

et

Les

lois

l’état

concer-

politique

nègres libres, ainsi que les règlements relatifs à l’exécution de ces mêmes lois, seront faites par les Assemblées coloniales, s’exécuteront provisoirement avec l’approbation des gouverneurs des colonies, et seront portées directement à la sanction du roi, sans qu’aucun décret antérieur puisser porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent des

hommes

de couleur

et

aux Assemblées coloniales. » Exécution provisoire, sanction directe du roi sans débats d’Assemblée, rétroactivité, la Constituante donnait aux colons tout ce qu’ils

article

avaient souhaité. Mais, était-ce bien TOUT ? En fait, cette apparente victoire consacrait, nous allons le voir, la capitulation des colons habilement manœuvrés par

Barnave.

Qui

Joseph Barnave, intimement mêlé aux avatars de Saint-Domingue sans y avoir jamais mis les pieds ? 11 était le rapporteur du Comité colonial de l’Assemblée constituante. Ni violent colonialiste ni particulièrement raciste, cet homme du tiers avait pour mission de s’opposer aux prétentions des colons qui voulaient mettre en discussion le régime, dit prohibitif, des monopoles du Pacte Colonial Barnave était l’avocat du commerce métropolitain et des grands ports, de tous ceux qui trafiquaient sur les transports, l’emmagasinage, était

ce

les cours, l’avocat

des fournisseurs qui « fournissaient > dans les deux sens, de cette gent de l’import-export que le planteur sentait grouiller autour de lui, pompant sa substance, et à laquelle il avait voué une guerre à mort.

Très vrer les

Barnave avait compris que, pour manœucolons, il fallait attiser dans l’Assemblée la quesvite,

tion des droits des profiler

hommes

de couleur, laisser

comme un cauchemar

la silhouette

même

se

de l’esclave émancipé, puis, le colon ayant bien eu peur, se placer à ses côtés comme son allié, son défenseur de sorte que. ;

67

LA GUERRE A MORT DES AFFRANCHIS

sous l’assaut des orateurs libéraux, incisifs comme Robespierre, puissants comme Mirabeau, influents comme les « Amis des Noirs >, les colons effrayés trouvaient des défenseurs dans le comité colonial, et singulièrement dans son rapporteur Barnave qui, les défendant vigoureusement sur l’accessoire, leur préparait la pilule amère du régime prohibitif. C’est ainsi que cette même loi constitutionnelle qui consacrait les vœux des colons sur la question des « personnes » constatait leur défaite sur l’essentiel, les laissant liés au monopole de la mère patrie. < L’Assemblée nationale législative, disait l’article 1 de cette loi, statuera exclusivement, avec la sanction du roi, sur le régime extérieur des colonies. En conséquence, elle fera les lois qui règlent les relations commerciales des colonies », etc.

Barnave triomphait donc et les colons voyaient consacrer leur suprématie raciale, mais ces habiletés et ces victoires allaient précipiter la ruine des objectifs que les uns et les autres poursuivaient. La misérable loi n’aurait pu arriver à Saint-Domingue à un plus mauvais moment. Faisant suite au Traité de Damien (octobre 91), de nouvelles élections avaient été organisées pour renouveler l’Assemblée provinciale de l’Ouest avec la partici-

pation des hommes de couleur. La loi constitutionnelle bouleversa ces disj)ositions. Armés du nouveau visage de la légalité, les colons de Port-au-Prince considérèrent comme nuis Concordats et Traités. Au jour fixé pour

déjà ouvert, une série d’incidents délibérément provocjués entraîna une attaque surprise du cjuartier général des libres par l’artillerie et l’infanterie blanches. En même temps commençait dans la ville le massacre des aflranchis. Il s’en fallut de peu que les troupes affranchies de l’Ouest ne fussent anéanties. Elles se dégagèrent parce qu’elles savaient se battre. Pétion, le meilleur artilleur les élections, alors ([ue le scrutin était

.s

TOUSSAINT LOUVERTURE de

la colonie, soutint leur retraite

68

par un feu précis de

ses canons, chargés, dit-on, de pierres

quand

les

boulets

vinrent à lui manquer. Sauvant ce qu’ils pouvaient, ils se retirèrent vers la Croix-des-Bouquels, sous la protection de leurs alliés, les planteurs.

jeux étaient faits. Dans le Nord, sous le fallacieux prétexte de l’insurrection des esclaves d’août 1791, dans le Sud où Rigaud venait d’échapper de justesse à un guet-apens, ayant dû lui aussi se réfugier dans la plaine avec ses hommes, et à Port-au-Prince, dans le sang des massacres, le racisme à l’état pur venait de se démasquer. Rigaud avait ordonné la mobilisation immédiate de tous les affranchis du département du Sud contre « ceux qui veulent égorger notre parti et le réduire à l’esclavage ». Chanlatte, dans l’Ouest, lança une proclamation tonnante « Amis, la patrie est en danger de tous côtés nos frères armés marchent à la défense de leurs droits méprisés et à la vengeance de la foi des Traités violés il n’y a pas un instant à perdre. Quiconque balance ou diffère à marcher est, à trop juste titre, suspect, coupable de crime de lèse-nation, déclaré traître à la patrie, indigne de vivre, ses biens confisqués et son nom voué à l’exécration contemporaine et future. Volons, chers amis, vers le siège de Port-au-Prince, plongeons nos bras ensanglantés, vengeurs du parjure et de la perfidie dans le sein de ces monstres d’Europe... Détruisons nos

Désormais,

les

:

;

;

tyrans... »

Pour la première fois à Saint-Domingue, rejetant toute prudence paralysante, une classe en révolte osait emprunter le ton de Marat. On devait entendre à nouveau ces accents lors de la guerre des esclaves ils allaient bientôt se lever, au nom de l’indépendance, contre :

toutes les coalitions.

Les libres n étaient d ailleurs pas sans amis. Jamais l’ancienne alliance scellée par Mauduit n’avait été entiè-

LA GUERRE A MORT DES AFFRANCHIS

69

rement dénouée entre pompons blancs et hommes de couleur. On Ta vue réapparaître dans les traités et concordats de septembre et octobre 91. Au tournant tragique que venait de prendre la guerre des affranchis, les planteurs du Cul-de-Sac étaient à nouveau à leurs côtés, formant avec eux contre le résidu tenace des « pompons rouges

>

de

la

capitale ce qu’ils appelaient

eux-mêmes

armée combinée La position des coalisés dans les deux plaines de l’Archaie et du Cul-de-Sac coupait Port-au-Prince du Plateau Central et de la province du Nord. Rigaud, accourant du Sud à marches forcées, acheva le bouclage de la ville dont on prévoyait déjà la capitulation quand elle fut sauvée in extremis par l’arrivée de la Commission r

«

civile.

fameuse Commission exécutive promise à Saint-Domingue depuis le mois de mai, et contre laquelle C’était la

colons avaient pensé devoir prendre des précautions anticipées. Ils auraient pu en vérité chasser toute inquiétude. La Commission civile arrivait pour faire exécuter non pas le décret du 15 mai, mais la loi constitutionnelle du 24 septembre. Elle était bien modérée cette Commission révolutionnaire, composée de trois honnêtes républicains Roume, Mirbeck et Saint-Léger. Son mandat aussi était très mesuré et elle dût être bien surprise en découvrant qu’il ne correspondait plus du tout à la situation réelle des forces. Les libres tenaient Port-au-Prince à les

:

cernaient Jacmel, et étaient maîtres des campagnes dans la province du Sud. Saint-Léger entreprit de j)arlementer avec « l’armée pour obtenir la levée du siège de Port-aucombinée Prince. Les libres n’avaient pas encore appris que toute situation favorable créée par la force des armes doit être exploitée à fond avant toute discussion. Ayant accepté de parlementer avec Saint-Léger, ils lui cédèrent. Or, qu’apportait Saint-Léger ? Rien de valable pour eux leur

merci,

TOUSSAINT LOUVERTURE

70

sinon l’amnistie qu’octroyait généreusement l’Assemblée nationale à tous les responsables des troubles des dernières années, qu’ils soient blancs ou libres. Exactement le statu quo ante belliim. Après bientôt trois ans de luttes, l’Assemblée nationale remettait les parties sur leurs lignes de départ. La cause du blanc n’était pas

reconnue par le régime exclusif, ni celle du tiers saintdominguois par la caste des « habitants », le mulâtre quant à l’esclave... Mais, restait sans droits civiques comment voudrait-on qu’une terre livrée à l’anarchie pendant trois années de guerres civiles retrouvât un équilibre à partir des positions qui avaient justement précipité l’épreuve de force ? Les guerres sociales, contrairement aux guerres de conquêtes qui souvent s’achèvent sur des compromis, provoquent inévitablement l’écrasement du droit ou celui de l’injustice. La Commission obtint cependant, sans effort, la levée du siège de Port-au-Prince, tant était grande pour l’élite républicaine des hommes de couleur l’autorité de l’Assemblée révolutionnaire qui l’avait déléguée. Quant aux esclaves, l’arrivée de la Commission faillit mettre un terme à leur entreprise. Ils demandèrent euxmêmes à causer avec les Commissaires. Roume les rencontra dans le Nord pendant que Saint-Léger négociait dans l’Ouest. Les esclaves demandaient, pour mettre fin au soulèvement, un certain nombre de libertés et l’amélioration des conditions du travail dans les ateliers. C’était cette deuxième étape de l’insurrection qui, sans buts politiques d’envergure, s’en tenait au maintien du statu quo et aux coups de main. Les chefs réclamèrent d’abord trois cents libertés, puis, devant le refus des colons, cent, enfin, soixante. Certaines scènes de ce dialogue de sourds entre le colon arrogant et l’insurgé désorienté sont d’un pathétique angoissant. « Les masses nègres en la circonstance ne durent leur salut qu’au triple airain de préjugés qui cuirassaient ;

LA GUERRE A MORT DES AFFRAMCIIIS

71

colons de sottises. Quand, au bout de dix jours, Duplessis et Raynal (leurs mandataires) retournèrent au Cap, ce fut pour s’entendre donner j)ar le président de rAsseinblce coloniale une réponse insultante « Emissaires des nègres en révolte, vous allez entendre les intentions de l’Assemblée coloniale. L’Assemblée fondée sur la loi et par la loi, ne peut correspondre avec des gens armés contre la loi, contre toutes les lois. L’Assemblée pourrait faire grâce à des coupables repentants et rentrés dans leurs devoirs. Elle ne demanderait pas mieux que d’être à même de reconnaître ceux qui ont été entraînés contre leur volonté. Elle sait toujours mesules

:

rer sa bonté et sa justice

En

;

retirez-vous

^6. »

L’insolente majesté de Juj)iter renvoyait à la guerre. vain Roume essayait-il d’arranger les choses. Dépassé

n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles, et accusait des influences occultes « Des

d’ailleurs j)ar les événements,

il

:

hommes, plus criminels

plus barbares encore que les nègres auxquels ils ont mis les armes à la main, ont empêché les heureux efforts de notre médiation... On a j)ersuadé ces esclaves que notre dessein était de les désar-

mer pour

et

les exterminer...

Tels sont

les

moyens affreux

employés j)our les empêcher de se rendre. » ON ? En réalité, dans une situation où la violence était devenue (ju’on a

besoin d’être avertis par personne. Ils j)ouvaient juger eux-mêmes d’une situation qui, dans la paix comme dans la guerre, ne leur offrait que l’extermination. Aussi rejoignirent-ils, comme nous l’avons dit précédemment, les Espagnols. Dans l’Ouest, la violence l’emportait à nouveau du fait des racistes impénitents de Port-au-Prince. L’arrol’arbitre, les esclaves n’avaient

gante suffisance du commissaire allait jirécipiter l’agression venue de la ville. Saint-Léger, en effet, après avoir obtenu la levée du siège, avait sommé l’armée combinée de se dissoudre. En jirincijie, les coalisés n’avaient pas le droit de lever une armée et, la seule désignation

TOUSSAINT LOUVERTURE

72

dénonçait l’anarchie. Les hommes de couleur devaient soi-disant se résigner à observer la loi aussi longtemps qu’elle était en vigueur. Plutôt que d’écouter ces étranges paradoxes qui transformaient en rebelles ceux qui s’étaient mis ensemble pour combattre les sécessionistes, les affranchis auraient dû chasser le Commissaire et poursuivre leur guerre. Ils lui obéirent cependant et 1’ « armée combinée » se débanda. Quand il fut évident au bout de quelques jours d’ «

armée combinée

»

que la coalition s'était défaite, que chacun avait repris le chemin de ses habitations ou de ses campements éloignés, Praloto sortit de Port-au-Prince à la tête de ses

canonniers et d’une multitude en armes. La plaine du Cul-de-Sac fut balayée, les habitations saccagées, les maisons incendiées. Planteurs blancs et métis étaient passés par les armes. Le Cul-de-Sac était déjà perdu quand surgit l’esclave Hyacintbe menant les esclaves de la plaine armés de serpes, de piques, de machettes. Se jetant sur la troupe de Praloto, ils la défirent au prix de pertes sévères.

En ter

fait, la

Commission

son impuissance

:

ne pouvait que constaMirheck, délégué dans le Sud, pris civile

entre les sécessionistes et les esclaves insurgés, n’avait pas eu plus de succès que ses deux collègues. Pour

Saint-Domingue, les bonnes intentions ne suffisaient pas. Il fallait une législation progressiste, dans le sens de l’Histoire, et une armée pour l’imposer. SaintLéger et Mirbeck retournèrent en France pour y faire rapport de la situation, tandis que Roume décidait de rester sur place pour étayer le gouverneur chancelant. La série des événements tragiques de Saint-Domingue conditionnait les esprits en métropole. On parlait d’un pacifier

retour à la justice sociale. Il est juste de reconnaître que, dès la promulgation de la loi constitutionnelle rétrograde du 24 septembre, les clubs et la presse révolutionnaire s’étaient agités, mais ce seront les intérêts

LA GUERRE A MORT DES AFFRANCHIS

73

menacés du commerce métropolitain qui conduiront à une révision politique. Les débats de la nouvelle Assemblée, la Législative, s’ouvraient en octobre 1791 à la lueur, oserait-on dire, des flammes de Saint-Domingue. La plus riche des colonies de la France était en pleine subversion, en passe d’être perdue. Les caisses de ces messieurs des ports étaient en feu. Pour faire face à une situation qu’elles n’avaient pu maîtriser en se montrant intransigeantes, les puissances commerciales retirèrent Barnave de la scène et firent donner Brissot. On est forcé, quoi qu’on en ait, de présenter sur la scène aux marionnettes le grand Girondin qui, à la différence de Barnave, ignorait

probablement quels intérêts

principes.

commerce

étroits

servaient

décidé de lâcher les colons, et se servait pour cela d’un agent libéral. L’argumentation nouvelle peut se résumer ainsi < Si la colonie est dans cet état de subversion où une insurrection des esclaves a été rendue possible, c’est la faute des colons dont le racisme a rendu impossible la coalition des propriétaires. Nous sommes coupables aussi de les avoir laissé faire, de les avoir encouragés par nos palinodies, nos hésitations, nos législations rétrogrades, ah, battons notre coulpe. Mais, attention, plus d’atermoiements, de reculades. En avant pour la justice. Blancs et mulâtres viennent, sous la pression des circonstances, de signer des concordats, respectons-les. > ses

Bref,

le

avait

:

Hélas, Brissot retardait. Toujours, la métropole aura été en retard d’un ou plusieurs événements sur ce qui

Saint-Domingue. Au moment où parlait Brissot, traités et concordats avaient été déchirés. Aux guets-apens de Port-au-Prince et des Cayes avait répondu se

passait

à

mobilisation des affranchis. La parole était à l’armée combinée qui assiégeait Port-au-Prince. Mieux ou pis encore, selon l’optique de chacun, au moment où Brissot rêvait de lier colons et libres, l’Histoire avait déjà franla

TOUSSAINT LOUVERTURE

74

une ligne de non retour en attachant à plus d’un poste, auprès des propriétaires de couleur, les démunis de la base servile. Les rescapés des massacres du Cap, les contumaces de l’affaire Ogé avaient déjà rejoint Jean les « Suisses ^7 » avaient combattu François et Biassou avec les Libres à Pernier, et Hyacinthe venait de sauver la plaine gagnant pour lui-même la liberté et le grade de capitaine de milice. On en était au temps où l’insurrection des esclaves était devenue une réalité avec laquelle il fallait compter, un élément de la stratégie métisse. Avec le soulèvement des esclaves du Sud, André Rigaud n’avait plus à se préoccuper de ses arrières ou de ses communications. Jamais un coup de feu ne fut échangé chi

;

entre les esclaves et les libres

du Sud.

En France

pourtant, on voyait si mal la situation que les propositions de Brissot tendant à sacrifier les préjugés des colons en vue d’une reprise des affaires semblaient valables. Le projet n’en traîna pas moins six mois devant l’Assemblée législative qui n’avait pas abandonné les habitudes de lenteur de la Constituante. Enfin on aboutit au décret dit du 4 avril, un décret bien net, bien clair, sur les droits civiques des libres, et qu’une nouvelle Commission civile allait recevoir mission de faire appliquer.

Mais pendant ces six mois de nouveaux tâtonnements à Paris, la colonie n’était pas restée sans bouger. Les noirs du Nord étaient définitivement passés à l’Espagnol, et les blancs de l’Ouest allaient une nouvelle fois essayer d’en finir avec les hommes de couleur. Ici entre en scène une nouveau personnage, Borel, un grand propriétaire dont les immenses plantations, situées à l’arrière de l’Artibonite, étaient devenues un lieu de

rassemblement pour

troupes de main blanches de la région. Il s’était livré à une série d’expéditions punitives sur les terres des mulâtres et des blancs négrophiles, entretenant autour de lui une atmosles

LA GUERRE A

75

MORT DES AFFRANCHIS

phère d’agitation et d’insécurité. Il était de mèche avec un autre j)ropriétaire nommé Dumontelier (habitation Comon). Ceux de Port-au-Prince le soutenaient et lui avaient même envoyé un renfort de trois cents

hommes Quand on

passa des simples coups de main à la bataille rangée, Borel fut battu par les troupes de couleur qui le chassèrent et se trouvèrent maîtresses des paroisses de la Petite-Rivière et des Verrettes. La mainmise sur ces positions importantes était pour eux un atout considérable. Ils avaient coupé l’Ouest du Nord et, par les approches septentrionales du Morne-à-Cabrit, commandaient l’entrée de la Plaine du Cul-de-Sac où ils avaient des alliés. Les blancs de l’Artibonite, battus, demandèrent à entrer en pourparlers et un concordat fut signé à la Petite-Rivière-de-l’Artibonite. Ratifié par Blanchelande et le commissaire Roume, il prit une valeur officielle que n’avaient pas eu les documents précédents. Sous l’influence du gouverneur et du commissaire, cet accord fut reconnu et approuvé par l’Assemblée coloniale, ce qui lui donnait en quelque sorte force de jurisprudence. On fit mieux encore en instituant un organisme de sécurité permanent appelé Conseil de paix et d’union, dont le siège devait être Saint-Marc. On aurait presque tendance à penser que, dans ces conditions de bonne volonté universelle, Brissot et sa sagesse nouvelle devenaient inutiles. Hélas, le décret du 4 avril fut reçu avec fureur par les colons. Que dire donc ? Qu’ils se contredisaient ? Non, sans doute, mais

concordats locaux, j)our eux, n’étaient que des manœuvres tandis qu’un décret de l’Assemblée nationale avait force de loi. nos assassins, tel était le texte « Nos bourreaux, d’une des proclamations 39, les monstres qui ont fertilisé la terre des ossements de nos frères triomphent donc Le décret du 24 mars (promulgué le 4 avril) est une

que

traités et

!

TOUSSAINT LOUVERTURE

76

horreur, une turpitude... Plus de colonies, plus d’esclaves. Le décret du 24 mars est un brevet de liberté pour cent soixante mille révoltés. Ce décret est une monstruosité au

nom

de la politique saine philosophie. >

;

c’est

un crime aux yeux de

la

Le salut de Saint-Domingue est impossible si l’on ne prend le parti d’être juste et sévère envers les mulâtres, en les exterminant ou du moins en les déportant dans l’île de l’Ascension près des îles du Prince, en Guinée, en leur fournissant des vivres pour un an et des instruments aratoires, en leur donnant pour évêque ce coquin de Grégoire et pour maire ce lâche Et encore

:

«

Brissot qui défendait en 1789 les intérêts de Saint-Domin-

gue

qui chante aujourd’hui la palinodie, parce qu’il compte sur les sept millions promis par Raymond. » et

Le centre de la nouvelle révolte se trouvait inévitablement à Port-au-Prince où étaient réunis les vieux ennemis des affranchis Borel, Caradeux, Praloto. Mais Roume, aussitôt connu le décret du 4 avril, avait offi:

ciellement autorisé la reconstitution des milices de couleur. Il décida de prendre Port-au-Prince. Du Sud, on rappela Rigaud, pour qu’il mette à nouveau le siège

devant

la ville,

pendant que

se préparait à bloquer le

gouverneur Blanchelande port avec les bateaux de guerre le

qui étaient sous ses ordres. Cet investissement de Portau-Prince se trouvait donc être une réalité encore plus impressionnante que l’entreprise précédente, et les factieux n’avaient d’autre ressource que de céder. Ils se rendirent, mais toute la province, toute la colonie étaient infestées d’îlots de réfractaires. Blanchelande

dans

département du Sud.

se

porta

ne put provoquer aucune réconciliation entre les blancs des villes et Rigaud qui tenait les campagnes, adossé à une insurrection d’esclaves qu’il avait l’air d’ignorer mais qui, en fait, le servait. Statu quo malaisé dans le Sud, fièvre un peu partout la maladie sécessioniste n’avait pu évoluer, mais se trale

Il

:

LA GUERRE A MORT DES AFFRANCHIS

/ /

par de violentes éruptions et amorçait déjà une courbe vers la trahison finale. Des pourparlers clandestins étaient engagés avec les Anglo-Espagnols pour leur remettre la colonie. Mais une nouvelle Commission civile avait été formée pour prendre Saint-Domingue en main. Mandée en principe pour administrer les intérêts d’une coalition intelligente, elle allait s’apercevoir que son autorité n’était que très partiellement reconnue les seuls citoyens dignes de ce nom, les seuls fidèles, étaient encore les citoyens nouveaux, les hommes-du-4-avril, les hommes de couleur; depuis le 10 août jes blancs, même les pompons blancs royalistes, étaient résolument hostiles. Quant aux esclaves contre l’insurrection desquels les cadres légaux de la coalition avaient été mis en jilace, ils étaient maîtres de l’arrière-pays, maîtres d’eux-mêmes, maîtres des frontières espagnoles, et liés sur plus d’un point et de plus d’une manière à la fraction fidèle des hissait

ici

et



:

citoyens.

modification profonde, ce véritable retournement d’un ordre social qu’elle était en droit d’espérer trouver inchangé, ne devait jias manquer d’inlUiencer profondément la Commission civile. Elle allait se trouver aux prises avec une réaction apatride et une Révolution qui manifesterait bientôt une volonté et des buts nationalistes. Ici intervient un facteur personnel important l’homme, le discijile (juc Brissot avait mandaté pour accomplir à Saint-Domingue la mission qu’il avait définie. Cette

:

De

la

personnalité de cet

allaient

dépendre.

homme beaucoup

de choses

J

LIVRE

LES

II

HOMMES NOUVEAUX

I

i

CHAPITRE PREMIER

LA DEUXIEME COMMISSION CIVILE

Les nouveaux commissaires étaient Ailhaud, Polvérel et Sontlîonax. La personnalité d’Ailhaud ne marquera pas Saint-Domingue Polvérel était énergique et bon républicain. Cependant, l’histoire de la deuxième Commission civile est celle de son président Léger Félicité Sonthonax. Ce fut, en vérité, une figure extraordinaire. Ami de Brissot, nommé par celui-ci président de la Commission, il aurait pu ne refléter, dans la tempête sociale qui l’attendait, que les vues plutôt limitées de son patron. Mais il ira si loin dans le libéralisme que Robespierre luimême l’accusera d’avoir voulu « en un instant affranchir et armer tous les nègres », ce qui était vrai, mais non comme ajoutait Robespierre avec une injustice sinc’était plutôt pour gulière « pour détruire nos colonies » garder Saint-Domingue à la République. Ainsi aura-t-il été taxé d’extrémisme par la gauche aussi bien que par la droite. Barbé de Marbois, ancien intendant de SaintDomingue chassé par les événements de 1789, le traitait de « criminel ». Son nom faisait écumer de rage les escla;

:

;

TOUSSAINT LOUVERTURE vagistes.

« Il

Vaublanc. Et qu’il

82

du sang des blancs », rugissait vrai. Mais l’orateur n’ajoutait pas

est couvert c’était

s’agissait là de rebelles sécessionistes,

eux-mêmes

couverts de sang français. « Il a promulgué, ajoutait-il, des lois atroces que les tigres de la Libye ne feraient pas, si par malheur les tigres avaient besoin de lois. » Toussaint Louverture, après l’avoir traité en ami, en bienfaiteur, l’exi)ulsera de Saint-Domingue sous prétexte de conspiration « nationaliste », le traitant de « méchant incorrigible ». Pour le chef affranchi Rigaud, il était « le méchant, l’astucieux ». A d’autres cependant, il aura su inspirer un attachement durable. Des officiers de l’armée indigène refuseront à Toussaint, leur chef, de

document

dénonciation qui devait légitimer l’expulsion du commissaire. Il disait lui-même « Le peuple était consterné de mon départ. » Des témoins le confirment « Le nom de Sonthonax était dans toutes les bouches h » L’objet de cette affection populaire dans un pays sans tendresse, déchiré par les factions, où la violence semblait croître comme un fruit spontané de la vie, était un fonctionnaire et un blanc, mais un blanc dont les nègres avaient appris à identifier le nom avec leur liberté, un blanc qui, dès 1791, avait écrit « que les terres de Saint-Domingue doivent appartenir aux noirs qui les ont acquises à la sueur de leur fronts ». En plein combat contre les racistes et les Anglais, ce blanc dira à des soldats noirs « Il faut dresser une double et triple rangée de fossés... Nous n’aurons d’autre abri que des canons, d’autre nourriture et d’autre boisson que de l’eau et des bananes, mais nous vivrons signer

le

collectif de

:

:

;

mourrons libres 3. » De plus, l’année qui portera, à Saint-Domingue, le sceau de Sonthonax est la grande année de la Révolution 1793. L’Assemblée que représentera Sonthonax pendant la plus longue partie de son mandat ne sera

et

:

pas une Constituante vacillante ni

même

la

Législative

LA DEUXIEME COMMISSION CIVILE

83

qui avait fait les hommes du 4 avril, mais la Convention nationale. Saluons en la Convention une Révolution qui avait grandi.

monarchie constitutionnelle et proclamer la république, prononcer la condamnation du roi, confier la dictature au Comité de salut public, écraser la Vendée réactionnaire, bousculer la coalition européenne et lui casser les reins. Avec la Convention, la France officielle atteignait un sommet qui n’a pas été dépassé. Elle fut violente mais préoccupée de Elle allait briser les entraves de la

culture, elle créa les grandes écoles (Normale, Polytechni-

que, Arts et Métiers, Conservatoire de musique), le musée d’Histoire naturelle, elle organisa l’Institut, imposa le

système métrique, montrant une étonnante sûreté dans l’établissement des bases d’une culture nouvelle largement orientée vers les classes montantes. Ce fut une grande Assemblée où il devint quelquefois possible de perdre de vue les intérêts étroits des groupes à privilèges. A travers les dissensions et les violences qui reflétaient des tendances inconciliées, elle tendait

obstinément vers le progrès social. Elle prêtait l’oreille aux masses qu’elle avait su organiser pour soutenir son programme. Le peuple ainsi mobilisé sur sa gauche la garantissait contre ses propres faiblesses. A Saint-Domingue, un serviteur modéré de la Convention aurait été découragé par l’intransigeance des racistes et il aurait j)lié devant leur alliance avec les Anglo-Espagnols. Faute de moyens, la Convention aurait dû accepter l’occupation

de

sa

colonie

j)ar

des

forces

étrangères.

Mais Sontbonax n’était pas un modéré. Il suscita des défenseurs de l’ordre républicain en l’alTrancbissant des esclaves et en créant des bommes nouveaux. La Convention, quoi qu’elle en eût, n’osa i>as renier l’œuvre de son commissaire. Elle le suivit jusqu’à cette extrémité inattendue de la logique révolutionnaire, aux applaudisseles clubs et les journaux. ments de ses supporters :

TOUSSAINT LOUVERTURE

Un

révolutionnaire

84

un républicain (Ailhaud) formaient la Commis«

grand

teint »,

honnête, un royaliste sion, qui reflétait bien les indécisions de la Législative qui l’avait mandatée pour soutenir à Saint-Domingue les « Droits du 4 avril ». A peine arrivée, la Commission s’attacha à se laver du soupçon de s’intéresser aux esclaves. C’était encore après trois ans passés le langage réactionnaire de Vincent Ogé, le seul qui pût rassurer les propriétaires d’âmes. Mais étaient-ils rassurés ? Pouvaient-ils être rassurés ? Sans doute pas plus par la Commission que naguère par Ogé, car ils savaient que le royaume de l’injustice ne peut se diviser sans être détruit.

Aux yeux du maître

que le libre de couleur figurât au premier rang des opprimés pour que l’ordre social fût stable. Toute montée du libre préfigublanc,

il

fallait

rupture des digues de l’esclavage. Aussi, dès lors que la Commission entendait rester fidèle à son mandat et être intraitable sur les droits « des hommes du 4 avril » elle perdait sa peine lorsqu’elle flattait, par la bouche de Polvérel, les bas instincts esclavagistes « Je vous déclare au nom de mes collègues, sans crainte d’être désavoué, je vous déclare que si, par impossible, l’Assemblée nationale changeait quelque chose à vos propriétés mobilières, j’abdiquerais sur-le-champ toute mission et remettrais entre les mains de la nation tous les pouvoirs qu’elle m’a confiés, plutôt que de me rendre complice d’une erreur aussi funeste à la colonie. » Et encore « Invariablement attachés aux lois que nous venons faire exécuter, nous déclarons, au nom de la métropole, de l’Assemblée nationale et du roi, que nous ne reconnaîtrons désormais que deux classes d’hommes dans la colonie de Saint-Domingue, les libres sans aucune distinction de couleur et les esclaves... Nous déclarons que l’esclavage est nécessaire à la culture et à la prospérité des colonie, et qu’il n’est ni dans les principes ni dans la volonté de l’Assemblée rait la

:

:

,

LA DEUXIEME COMMISSION CIVILE

85

nationale ni du roi de toucher à cet égard aux prérogatives des colons. »

La Commission

destitua

le

gouverneur Blanchelande, municipalités entièrement

déclara que les assemblées et composées de citoyens blancs allaient être reconstituées par de nouvelles élections étendues aux affranchis, et

une commission administrative de douze membres, dont six hommes de couleur, pour conseiller et aider les commissaires dans leur tâche. institua

Ailhaud ayant démissionné aussitôt parvenue à SaintDomingue la nouvelle de la déposition du roi, Sonthonax et Polvérel allaient bravement de l’avant, essayant de concilier des intérêts inconciliables. Ils durent se préoccuper des esclaves du Nord qui, sous le commandement de Jean François, Biassou et Toussaint avaient débordé au nord-est la frontière espagnole mais ils ne poussèrent que mollement ces opérations de guerre, ayant les yeux tournés vers une situation interne peu rassurante qui explosa, coup sur coup, en trois tentatives de coups ;

La troisième devait dépasser les possibilités de résistance de la Commission et de ses alliés de couleur, [)rovoquant l’entrée en scène, aux côtés du gouvernement, d’Etat.

des esclaves en armes.



La Première tentative d'écrasement : d'Esparbès. Commission, pour exécuter son mandat dans une contrée considérée

Une frais

vieille

comme

rebelle, disposait

tradition

voulait

(jue

de six mille soldats. les

soldats

arrivés

émoulus d’Europe rejoignissent «la révolution»

contre l’autorité les soldats « républicains » de Sonthonax ne manquèrent pas à cette règle, ayant peu de goût mais ce furent pour la montée sociale des nègres l’état-major donc des commissaires leurs officiers d’Esparbès, des messieurs titrés dont les noms ;



;



:

d’Hénisdal, de Montesquiou-Fezenzac, étaient

synonymes

86

TOUSSAINT LOUVERTURE

de contre-révolution, qui les premiers trahirent les commissaires. Ceux-ci ayant destitué Blanchelande avaient nommé général-comte d’Esparbès gouverneur intérimaire. le C’est donc avec d’Esparbès agissant comme gouverneur qu’ils avaient entrepris de dissoudre les assemblées provinciales et les municipalités, et organisé les nouvelles élections municipales intégrant les libres. La démocratie d’Esparbès avait ses limites. Circonvenu par les colons, a peu il épousa la cause de la suprématie blanche. On

de détails sur la conspiration d’Esparbès à laquelle n’auraient pas été étrangers ses sentiments royalistes. On sait seulement que les commissaires le prirent de vitesse et le renvoyèrent en France avec la plupart des officiers

de son état-major et des civils compromis dans l’affaire. « Il est venu faire Cet échec fit dire à un contemporain quand on a soixante-douze ans ici une sotte campagne d’âge, cinquante-sept ans de service et la goutte, on ne doit pas venir à Saint-Domingue dans les temps :

;

orageux

»



A la d^écrasement : Borel. suite de la victoire de Blanchelande et des hommes de couleur sur la faction de Port-au-Prince, les chefs des Deuxième

tentative

révoltés, faits prisonniers, avaient été internés à Saint-

Marc. Praloto y mourut assassiné, mais Borel survécut n’ayant rien appris ni rien oublié. Au commencement de l’année 1793, il était chef de la Garde nationale de Port-au-Prince.

d’Esparbès et un court intérim du général Rochambeau 5, gouverneur de la Martinique transitait par Saint-Domingue lorsqu’il y avait été il retenu et utilisé par Sonthonax la commission avait nommé gouverneur le général de la Salle Port-auPrince parut alors être le lieu où devait s’établir à nouveau le gouvernement après le long hiatus de deux

Après

l’affaire





;

LA DEUXIEME COMMISSION CIVILE

87

années depuis l’assassinat de Mauduit et la fuite de Blanchelande. Mais de La Salle se heurta à Borel qui, appuyé par la Garde nationale, exerçait dans la ville une dictature violente. La Garde nationale avait des traditions « civiques > dont elle s’enorgueillissait. Gardienne de l’Assemblée nationale de l’Ouest, elle avait eu ses martyrs en juillet 1790 elle avait fait des victimes notoires comme Mauduit elle avait brisé des gouverneurs, résisté héroïquement à deux sièges. Qu’était-ce qu’un de La Salle ? On refusa de le recevoir. Le gouverneur désigné dut camper dans la plaine du Cul-de-Sac avec son étatmajor et ses troupes, comme naguère les affranchis. Seule une entreprise décidée pouvait débarrasser la ;

;

commission de Borel. Pour

troisième

la

fois,

le

siège

Sonthonax y participait Blanchelande l’année précé-

fut porté devant Port-au-Prince

;

personnellement, comme dente, de l’iin des bateaux de guerre (jui bloquaient l’entrée du port. « Une proclamation de Sonthonax, du 21 mars, par laquelle il annonçait sa résolution de soumettre la faction Borel, parvint à Port-au-Prince le 24, où elle mit le comble à l’agitation. La proclamation fut publiquement lue... Borel fit connaître aussitôt son intention d’opposer la force à la force... Sonthonax et La Salle lancèrent des réquisitions aux municipalités... Chacune des paroisses des Gonaïves, des Verrettes et de la PetiteRivière devait fournir deux cents hommes, le Mirebalais, six cents l’Arcabaie, quatre cents Léogâne, trois cents Jacmel, deux cents, Bainet, cent Petit-Goâve, soixante et Cayes-, Jacmel, cent... Bauvais reçut l’ordre de marcher avec La Salle pour attaquer Port-au-Prince j)ar terre les commissaires civils se réservaient d’opérer par mer » avec le vaisseau America et la frégate La Fine Il y eut sommation, j)uis bataille. Borel ne pouvant résister aux forces combinées contre lui, la ville céda. ;

;

;

;

;

;

La commission y créa une force armée composée d’hommes de couleur et qui prit le nom de « Légion de l’Egalité

TOUSSAINT LOUVERTUBE

88

Légion de l’Egalité du Nord >. La composition et le nom de ces troupes étaient tout un programme. Mais une question se pose « Où étaient les six mille soldats de métier de Sonthode rOuest

>.

Il

existait déjà

une

«

:

nax

? >



Troisième tentative d’écrasement : Galbaud. Dépassant encore en importance l’affaire Borel, l’entreprise Galbaud allait mettre en péril le mandat de la commission et la personne même des commissaires. François Galbaud était un gouverneur récemment nommé à Saint-Domingue par la Convention. Or, il y était né, il y était propriétaire, et l’article XV du décret du 4 avril, refusant à juste titre l’accès de l’autorité gouvernementale aux « pieds-noirs » des Antilles, avait formellement spécifié que les « officiers généraux, administrateurs ou ordonnateurs, et les commissaires civils qui ont été ou seront nommés, pour cette fois seulement, pour le rétablissement de l’ordre dans les colonies des Iles du Vent ou Sous le Vent particulièrement pour l’exécution du présent décret, ne pourront être choisis parmi les citoyens ayant des propriétés dans les colonies de l’Amérique 7 Les colons, et c’était naturel, se préparaient à recevoir



le



pied-noir

comme un

mais Sonthonax, s’appuyant sur le décret du 4 avril, le somma de rembarquer. Galbaud donna sa démission, puis, pressé par les colons, la reprit. Sonthonax, alors, le destitua d’autorité, et veilla à ce qu’il s’embarquât. Mais Galbaud regagna la terre avec tout ce que la flotte put lui offrir de fusiliers, environ deux mille, que rejoignirent les débris des anciennes garnisons du Cap et une masse de volontaires. La ville du Cap se leva aux cris de « Vive Galbaud > «

»

sauveur,

!

Déjà, contre la faction de Borel, Sonthonax avait dû recourir à la conscription. En matière de troupes blan-

LA DEUXIEME COMMISSION CIVILE

89 elles fidèles, la

Commission

était

ment. (Toujours cette question mille

six

Seuls

?)

les

libres

:

se

au comble du dénuequ’étaient devenus les battaient pour l’au-

France. C’était, à ce tournant, se battre pour le droit, pour la justice et pour leur propre survie. Ralliés autour des commissaires, ils combattaient avec un courage désespéré. La chronique a retenu la vision de leur légion montée passant et repassant comme la faux, comme la foudre, mais fondant aussi dans cette fournaise, et revenant un peu moins nombreux de chaque de

torité

la

engagement. Les commissaires fléchissaient. Alors Sonthonax, décidé à vaincre à quelque prix que ce fût, se retourna vers les esclaves insurgés qui, du haut de leurs montagnes, étaient restés les témoins inactifs d’un combat qui n’était pas le leur, et il promit la liberté à ceux qui le rejoindraient sous les armes. Les chefs marrons Pierrot, Macaya, Pierre Michel, Barthélémy, Paul Lafrance, Zé|)byrin accoururent, et dix mille noirs s’abattirent sur

Galbaud. La ville du Cap en fut submergée. Pillée par ses défenseurs en fuite, incendiée j)ar ses attaquants, elle succomba.

A

juin 1793, Saint-Domingue n’est Ceux qui vivent l’Histoire, ceux qui

cette date, le 21

déjà plus la même. la font, n’ont pas toujours le privilège d’en reconnaître ni d’en nommer le visage c’est le bonheur de ceux qui l’étudient après qu’elle leur a été transmise. Reconnaissons dans l’entrée tumultueuse et sanglante de dix mille nouveaux libres sur la scène du Cap l’événement à j)artir l’histoire de Saintqu’on le veuille ou non duquel Domingue ne pourra plus faire marche arrière. L’affaire Galbaud avait mis en lumière l’impuissance de la métropole et du gouvernement colonial, la faiblesse relative des libres et la force déterminante du nombre chez ;





l’esclave.

Dès

les

premières difficultés entre

la

colonie et sa

TOUSSAINT LOUYERTUBE

90

planteurs avaient commencé à se faire à l’idée de passer entre des mains anglaises ou espagnoles. « Indubitablement, écrivait La Barre en mai 1790, nous deviendrons la conquête de qui voudra

métropole en révolution,

les

de nous. Si on nous prend, ce ne sera ni pour nous égorger ni pour nous ruiner mais bien pour partager nos fortunes pour le commerce... Ce sera un mal passager... » Il faudrait être assez sage })our ne pas désirer mieux Il y a loin sans doute de cette sagesse quelque peu naïve à la trahison, mais il suffisait d’envisager avec philosophie, en 1790, l’hypothèse de devenir anglais ou espagnol pour être conduit deux ans plus tard à rechercher la protection, contre la métropole, des pays avec lesquels elle se trouvait en guerre. On fait remonter à 1791 les premières prises de contact entre colons de Saint-Domingue et Anglais quoi qu’il en fût, les événements ayant, en deux ans, fait mûrir la situation, les colons se trouvèrent prêts à faire le saut définitif après l’échec de Galbaud. Mais, les sécessionistes ne venaient-ils pas d’être vaincus ? Etait-il encore en leur pouvoir de livrer Saint-Domingue ? Sans doute leur suffisait-il d’ouvrir les ports à des forces étrangères d’occupation. Etaient-ils maîtres de tous les ports ? Saint-Marc était sous commandement « libre » à Léogâne commandait l’alTranchi Labuissonnière, à Fort-Liberté l’alTranchi Candy, à l’Arcahaie l’affranchi Lapointe. Et jiourtant les villes s’ouvraient à l’occupant étranger Jérémie le 20 septembre, MôleSaint-Nicolas le 22, Saint-Marc le 18 décembre, Arcahaie le 24. Quand Port-au-Prince tomba longtemps après, en juin 1794, Polvérel jiouvait encore écrire « Cet ouvrage est l’œuvre des anciens libres de toutes les couleurs » On croirait être en pleine déroute du bon sens. Mais c’est que la guerre de la deuxième Commission civile qui, jusqu’à l’affaire Galbaud, avait été essentiellement la guerre des droits du 4 avril, était devenue, à partir ;

;

:

:

!

LA DEUXIEME COMMISSION CIVILE

91

de juin 1793, celle des dix mille nouveaux libres du Nord; plus encore, à partir d’août 1793, elle était devenue celle de tous les oj)i)rimés puisque le 29 août, contrainte par la logique d’un événement qu’on ne pouvait ni atténuer ni renverser, la Commission proclamait rémanci})ation de tous les esclaves. En s’associant aux blancs racistes pour se livrer aux Anglais, les affranchis métis et noirs punissaient la Commission d’avoir libéré du servage leurs frères et demi-frères. Ce n’était pas la déroute du bon sens. C’était plutôt la panique des propriétaires sur lesquels on lâchait trois cent mille démunis à nantir. Rien ne prouve mieux (jue ce n’était pas la race ou la couleur qui déterminait la fraternité, mais la communauté des intérêts de classe. L’élite affranchie restée fidèle à sa vocation républicaine les Rigaud, Bauvais, Pinchinat, Pétion, etc. n’en avait que plus de mérite. La Commission, devant les trahisons crucifiantes qui l’atteignaient, fut obligée de s’appuyer sur eux, puis de jilus en jilus sur les hommes nouveaux qu’elle avait créés, et l’histoire de Saint-Domin1794 gue allait devenir, à partir de l’année suivante celle d’une classe d’hommes en marche et de celui qui et dans la personnifie dans son héroïque résolution ses erreurs TOUSSAINT LOUVERTURE.







— —



CHAPITRE

II

TOUSSAINT LOUVERTURE

au moment de passer aux ordres de la France, Toussaint Louverture expliquera au général français Lavaux les raisons de son service chez les « Les Espagnols m’offraient leur protection Espagnols et la liberté pour tous ceux qui combattraient pour la cause des Roys et ayant toujours combattu pour avoir cette même liberté, j’adhérai à leur offre, me voyant abandonné par les Français, mes frères 9. » Souvent, pendant la durée de son service chez les Espagnols, Toussaint employa un langage en apparence réactionnaire. Plus d’un historien s’en est trouvé dérouté. Mais si Toussaint revendiqua le patronage d’un roi, voire de deux rois,

En

1794,

>

:

;

comprendre ? Pendant que le roi de France promulguait en faveur des affranchis les décrets de mars 1790, mai 1791 et avril 1792, les racistes qui prenaient les armes pour en empêcher l’application se disaient révolutionnaires. Au moment où les jacobins de Saint-Domingue (l’Assemblée coloniale) refusaient les « soixante libertés > aux esclaves du Nord, en octobre 1791, l’Espagne proposait de renest-ce tellement difficile à

TOUSSAINT LOUVERTURE

93

dre libres, et rendait libres en efTet, tons ceux qui traversaient la frontière pour combattre sous ses drapeaux. Est-il étonnant que l’esclave eût identifié pendant un temps sa liberté avec la cause des rois ? Etait-ce la faute de l’opjirimé de Saint-Domingue si le roi de France et lui avaient les mêmes ennemis ?

En

révolution à Saint-Domingue était nettement réactionnaire, et Toussaint, rejoignant l’armée du roi d’Espagne, était à n’en pas douter le vrai révolufait,

tionnaire

la

puisqu’il

se

battait

pour sa du camp

liberté.

Ce qui

importe, ce n’est pas l’étiquette (}ue l’on choisit, mais le but de la guerre. Les contradictions sur la scène de Saint-Domingue dataient du jiremier jour. Elles allaient meme parfois jusqu’à la confusion, si l’on considère de quelle manière se faisaient et se défaisaient les alliances, comment chaque loi, chacjue décret remettaient en (juestion des posiHanus de Jumétions jamais stabilisées. Un exemj)le court, grand j)Ianteur blanc du Cul-de-Sac soutint, pendant trois ans, au péril de sa vie, la cause des afTranchis, j)uis, après le 10 août, blessé dans ses sentiments royalistes, il lâcha tout ])our rejoindre contre la Républi(jue les factieux de Port-au-Prince. A travers les contradictions, ce qui demeure constant, ce sont les grandes lignes :

ne ])eut même j)as admettre comme élément décisif le préjugé raciste du blanc. La position raciste n’apj)araît déterminante (ju’autant cjue l’on éclaire son cortège de convoitises, et surtout le système et les structures (ju’elle légitimait. CluKiue fois qu’un compromis devenait nécessaire, le raciste, j)lus particulièrement le raciste nanti, savait oublier sa suprédes intérêts de classes.

On

matie pour signer de généreux traités et faire d’émouvants discours. A Saint-Domingue, tout esclave (|ui se battait pour la liberté, embrassait successivement la cause des nègres, celle des métis, celle des blancs, la cause des royalistes.

TOUSSAINT LOUVERTURE

94

cause des jacobins, celle des gouverneurs et des commissaires, celle des chefs anglais ou espagnols, selon des circonstances qui lui échappaient mais qui n’en étaient pas moins contraignantes. Tel fut le cas de Toussaint. C’est en se battant pour l’Espagnol contre la France (jiie Toussaint Bréda était devenu Toussaint Couverture D’abord « secrétaire » puis « médecin » dans l’armée de Biassou, il saisissait toutes les occasions de se battre et il constitua rapidement sa propre troupe qui n’avait de compte à rendre qu’à lui-même. S’expliquant en mars 1794 dans une lettre au gouverneur espagnol sur l’indépendance qu’il avait prise vis-à-vis de Biassou, il écrivait « J’instruisais et rendais comj)te au général Biassou de mes opérations, non point que je me considérasse comme son subalterne... » Ceci est peu convaincant. En 1794, Toussaint Louverture ne reniait-il pas les débuts de Toussaint Bréda ? Convenons d’ailleurs qu’il n’y a pas encore de réponse précise à la question « Avant 1794, (jui était vraiment Toussaint ? » C’était un nègre qui débordait sans cesse ses limites, qui brisait, quel qu’il fût, le carcan de sa condition. Lorsqu’il est le cocher de Bréda, un simple chef du personnel, en somme, on le veut maître occulte de la conspiration. Modeste secrétaire de troupe, le voici représentant des insurgés du Nord devant la première Commission civile à l’époque des soixante libertés. Ancien domestique, le voici chef militaire. 11 jugeait médiocres les supérieurs que le destin lui avait donnés. En 1794, il ne se souviendra pas de leur avoir obéi. Ainsi grandissait-il sous Biassou, fanatisant des troupes auxquelles il apprenait à vaincre à cbacjue rencontre, et s’entourant de lieutenants vigoureux, intelligents, tels que Moyse, Belair, tels ceux dont on lira les noms, onze années plus tard, au palmarès de l’indépendance Dessalines, Christophe, Gabart, Clerveaux, Vernet. la

:

:

:

TOUSSAINT LOUVERTURE

95

Cependant,

ses

collègues

noirs

le

jalousaient,

et

sûr de lui. De Jean François et de Biassou, la jalousie paraît d’autant plus inévitable que ces rudes commandeurs, chefs d’équipes l)uis de troupes, se voyaient surclasser dans le domaine des armes par le malingre Fatras-Bâton, ancien domestique des Libertat. Si, par ailleurs, il pouvait être prouvé que Toussaint fût vraiment j)etit-fils de roi investi donc j)ar droit d’hérédité, d’une incontestable autorité tribale, il faudrait recourir, pour expliquer la haine de Jean François et Biassou et les attentats qu’ils montèrent contre lui, à des hypothèses pour l’instant invérifiables. Un fait est certain et exj)li(jue rincjuiétude des Espagnols très vite Toussaint commença à croître sur son j)ropre fonds, avec une indépendance qui ne rassurait pas sur ses intentions. En juin 1793, les insurgés qui avaient rallié Sonthonax dans le Nord multiplièrent les démarches auprès des chefs noirs qui étaient de l’autre côté de la frontière. Les Espagnols pouvaient être relativement assurés que Jean François et Biassou, qu’ils comblaient de faveurs, ne feraient pas défection, mais le mystérieux Toussaint, tout en refusant de s’engager avec les Français, maintenait des relations avec l’Ouest. Il se battait, conquérant des places j)Our l’Esj)agnol, mais j)arlait à ses hommes de liberté générale, alors (|ue les Espagnols n’avaient pris d’engagements (|u’envcrs ceux cjui défendaient leurs armes. I.es dénonciations contre Toussaint ne man(|uaient j)as. Si elles étaient fondées, les Espagnols avaient à leur service un étrange subordonné: «Déjà, écrit le colon Laj)lace, le fidèle Biassou était campé sur l’babiil avait fait replier tation Larivière, chef-lieu d’Phincry dans ce camp plusieurs petits j)ostes inutiles que Toussaint Louverture avait établis, soi-disant pour protéger le voyageur, tandis que ses agents qui les occupaient l’Espagnol, qui

l’utilisait, n’était j)as

:

;

TOUSSAINT LOUVERTURE

96

commettaient chaque jour des vols

des assassinats de là les plaintes et les murmures de tous les habitants planteurs. Toussaint profite de ces clameurs des habitants pour les dénoncer comme suspects, enlève et arme tous les esclaves de leurs habitations. Il prêche la désobéissance, l’insubordination à leur général il se déclare chef de révolte lui-même il adresse un manifeste à son général Biassou, finit par tenter un assassinat contre sa personne. Nous demandons que la tête du coupable tombe. Il l’est comme ayant séduit des troupes auxiliaires pour assassiner leur chef. Il l’est encore comme ayant, contre les promesses sacrées du roi, promis la liberté générale à tous les esclaves déjà rentrés dans l’ordre et

;

;

;

et le devoir. »

Sur

les terres françaises

du Nord, devenues espagno-

grâce aux conquêtes des chefs noirs, Biassou se comportait en serviteur docile de l’ordre ancien, cependant que Toussaint n’entendait pas que son entreprise servît des fins esclavagistes. Il empêchait donc les esclaves de rester « dans l’ordre et le devoir », molestait les les

colons, dispersait les ateliers,

hommes au nom de la Biassou comme un suppôt de

les

La

danger suprême, armait liberté, en leur désignant

et,

l’ancien régime.

de Laplace offre un intérêt d’une autre nature. Elle date d’avril 1794. Or, depuis août 1793, Sonlettre

thonax avait proclamé

générale. Les colons français restés sur leurs terres, sous protection espagnole, refusaient de respecter le décret Sonthonax et s’attachaient à l’Espagne, garante de l’ancien statut. Lisons les la

liberté

premiers paragraphes de la lettre de Laplace « Le géné< ral Biassou, voulant tous les chasser dans un même « lieu afin de les forcer à mettre bas les armes ou les « exterminer d’un seul coup, avait proposé de se rendre < maître d’abord de toutes les hauteurs du Borgne, Plai:

La Marmelade, Dondon

«

sance,




:

verture est sur le jioint de mettre à exécution le plan d’indépendance... » etc. Avec une logicpie peu discutable,

Sonthonax, se défendant devant le Directoire, disait « Si quelqu’un pouvait être soupçonné de favoriser le système de l’indépendance, ce serait sans doute celui dont la vie politique n’a été qu’une révolte continuelle contre la France. > :

Les proches de Toussaint ouvraient les yeux, et ce n’était pas toujours sans inquiétude. Christoj)he aurait « C’est une folie à nous de j)enser que dit à Vincent nous pouvons nous gouverner î>, et Moyse « Que veut le vieux fou ? Il se croit roi de Saint-Domingue. > :

:

Les discours, les proclamations et autres écrits de Toussaint n’indiquent en rien qu’il était conscient de jeter les bases de l’indépendance. Cependant, au soir de nous sommes en 1798 l’affaire du Fort-Liberté





TOUSSAINT LOUVERTURE

190

dans un moment de forte émotion, cet homme fermé a laissé échapper des paroles qui révèlent qu’il se savait en mesure d’imposer à la France l’autonomie de sa colonie « Hédouville, dit-il, a fait dire qu’il allait en France chercher des forces et qu’il va revenir. Hédouville croit-il me faire peur ? Il y a longtemps que je fais la guerre, et s’il faut la continuer je suis prêt. J’ai eu :

affaire avec trois nations, je trois

;

je

suis bien

les ai

tranquille.

Mes

vaincues toutes soldats seront

les

tou-

jours fermes pour défendre leur liberté. Si la France a du monde, qu’elle le garde pour combattre les Anglais, elle n’en a pas trop. Elle a déjà perdu vingt-deux mille hommes dans notre pays, et ceux qu’elle enverrait pourraient bien avoir le même sort. Je ne veux pas faire la guerre avec la France, je lui ai conservé ce i)ays jusqu’à présent, mais si elle vient m’attaquer je me défendrai.

Le général Hédouville ne sait donc pas qu’à la Jamaïque, il y a dans les montagnes des noirs qui ont forcé le gouvernement anglais à faire des traités avec eux ? Eh bien, je suis noir comme eux, je sais faire la guerre, et outre cela j’ai des avantages (ju’ils n’avaient pas, car je puis coni[)ter sur des secours et une pro«

tection

On

47...

»

ne

peut

douter

de

la

véracité

de

ce

texte

un

témoin auriculaire, Delatte, secrétaire de Moyse. II nous révèle (|ue Toussaint était conscient d’avoir lui-mème gardé Saint-Domingue à la France, (ju’il avait une pleine confiance dans sa valeur militaire et ([ue, éventuellement, i! rejuendrait les armes, identifiant son combat avec celui de la liberté. Mentionnons aussi (ju’il croyait en l’amitié anglo-américaine 48. Mais, mieux (jue ses paroles, il y a la personne môme de Toussaint (jui occupe sur la scène de Saint-Domingue rédigé

i)ar

(luasiment toute brisera ses liens.

la

place.

Un

tel

homme,

s’il

est

défié,

TOUSSAINT AU PINACLE

191

La campagne de Test, premier élément de la décision. Nous j)roposons, coniine moyen d’approche psychologique, d’ohserver maintenant le comportement de Toussaint dans l’Est. qu’elle

ressort

Son

activité précise et débordante, telle

des

citations

précédent, stupéfie. Voici un

au chapitre qui parcourt d’un

rai)portées

homme

bout à l’autre le territoire dominicain organisant, créant, plantant, exhortant, légiférant, mettant sur j)ied en quel(pies mois une œuvre que des générations n’avaient pas été capables de faire. C’est un homme enfin seul, dégagé de toute contrainte, qui n’a })lus à solliciter ni décrets ni arrêtés, qui a achevé sa croissance en mettant Roume à la disposition de ses mandants. 11 ordonne, il « arrête ». rythme propre, qui est Il a trouvé en (pielque sorte son celui d’un chef. qu’il prolonge, dans Cette ])êriode « espagnole » lacpielle il s’attarde même, est décisive. La Constitution de 1801 cpii fait de Saint-Domingue une « réi)uhlique » autonome est en route. Il n’est pas étonnant (|ue ce soit de l’P'st cpie Toussaint ait fait convoejuer l’Assemblée constituante.

L'ambition personnelle et le contexte, deuxième et Si l’on considère la troisième éléments de la décision. part d’éléments secondaires, il faut mentionner aussi les ambitions ]>ersonnelles de Toussaint. En 1801, on pourrait ]>enser (ju’elles ont été déjà satisfaites, dépassées même et (fu’il ne peut plus asj)irer (|u’à une retraite paisible et honorée. Mais à supj)oser cpie cette ambition eût été de l’espèce la plus commune, la moins intelligente, celui fjui trouvait désormais à ses ])ieds le pays où il avait été esclave et ses maîtres ou ses été avîiient misère, accej)terait-il aisément de L’accueil dans chaque ville libérée de l’Anglais était déjà, en 1798, celui qu’on réservait habituellement aux



TOUSSAINT LOUVEHTURE

192

anciens gouverneurs. Mais, à son retour de l’Est, Portau-Prince se surpassa, pour le recevoir, faisant pâlir tous les témoignages antérieurs d’adulation. Arc de triomphe, encensoirs, dais, rues jonchées de fleurs, Ces acclamations de blancs délirants, de noirs enivrés petits événements ont certainement leur place dans la grande Histoire. Que de chemin parcouru depuis août 1793. « Je suis Toussaint Louverture, mon nom s’est peut-être fait connaître jusqu’à vous », disait-il alors. Son apostrophe à Manigat, maire de Fort-Liberté, en octobre 1798, est d’un tout autre ton « Souvenez-vous qu’il n’y a qu’un Toussaint Louverture à Saint-Domingue, et qu’à son nom tout doit trembler. » Quant aux masses, leur respect pour ce héros prend les formes de l’adoration. Le jour de l’attaque des positions de Rigaud, à l’Acul, au petit matin. Dessalines est en train de disposer les troupes. Soudain éclatent des clairons. C’est la garde de Toussaint qui survient, dramatique, inattendue. Elle n’a pas encore l’uniforme somptueux de la période du « pinacle », mais la brise joue dans les plumets, le soleil étincelle sur le cuivre des baudriers, sur les galons, les épaulettes, les visières, et de la masse chatoyante surgit le petit homme grandi par sa monture, grandi par son escorte. L’armée surprise tombe à genoux et explose en vivats 5o. Toussaint est désormais trop porté en avant pour reculer. Il aurait dit à Vincent, qui, bien que Français, n’avait pas tardé à devenir son ami « qu’il lui était impossible de ralentir son allure gigantesque et qu’il était entraîné par une force occulte à laquelle il ne pouvait résister 5i. > Ces propos ne témoignent pas forcément d’un messianisme superstitieux. Ils sont bien plutôt l’expression d’un homme peu instruit et dépourvu de vocabulaire pour traduire son identification avec la dynamique de sa classe. Remises en patois, les paroles emphatiques que lui :

TOUSSAINT AU PINACLE

193

proie Placide Justin se colorent de cotte sagesse populaire, profonde sans effort et cjui, nourrie d’images,

s’exprime en méta])hores « J’ai jiris mon vol dans la région des aigles il faut (|ue je sois prudent en regagnant la terre je ne puis être placé que sur un rocher, et ce rocher doit être l’institution constitutionnelle qui me garantira le pouvoir tant (jiie je serai parmi les hommes. » Une lecture superficielle suggère un aigle sur un rocher. Il n’en est rien. Il s’agit de deux métaphores distinctes l’une est d’un aigle (mansféni) qui I)lane et doit redescendre où l’attendent scs ennemis l’autre est incontestablement suggérée par la « maison sur le roc » de l’Kvangile, dont Toussaint, nous dit-on, :

;

;

;

;

était

un lecteur assidu.

Le nouveau statut des

quatrième élément de Mais, plus encore que par les réactions la décision. impulsives de Toussaint ou les décisions que lui dictait sa situation, Saint-Domingue se trouvait conduite à l’aulonomie par le nouveau statut de ses biens fonciers. Dès 1792-93, les biens du Sud étaient passés aux



terres,

mains des hommes de couleur. Ces derniers s’étaient également assurés d’une partie des biens ruraux et urbains du Nord et avaient éprouvé le besoin de se prémunir ce fut contre toute mise en discussion de leurs litres l’origine du 30 ventôse. :

A])rès l’échec de Villatte, tandis (jue les anciens libres

dans leur fief du Sud, les biens fonciers avaient été distribués, dans le Nord par Julien Raymond et Sonthonax, dans l’Ouest j)ar Toussaint, selon un système de dons et de baux plus ou moins réglementés. Toussaint, bien qu’il fondât alors une aristocratie noire terrienne et militaire, s’était cependant montré généreux avec les blancs, tandis que Sonthonax était plutôt coulant pour les noirs, civils et militaires. D’anciens propriétaires revenus à Saint-Domingue se retranchaient

TOUSSAINT LOUVERTURE

194

permission de Toussaint avaient de la peine à rentrer en possession de leurs biens, sur lesquels s’étaient installés des généraux ou des colonels de l’armée nouvelle. Nombre de petits blancs au contraire, anciens gérants d’habitations, étaient devenus planteurs grâce avec

la

Beaucoup d’anciens domaines s’étaient élargis, plus ou moins légalement, au profit des fidèles du général en chef, tandis que d’autres, pris d’assaut par

à Toussaint.

morcellement qui allait devenir la règle du pays nouveau. Les directives imposées pour la mise en valeur des terres, aussi sévères, aussi indigestes pour le nouveau citoyen du Nord que pour celui de l’Ouest ou du Sud, donnaient des résultats tant bien que mal (« très bons », dit Toussaint dans ses Mémoires, « plutôt mauvais », disent les contemporains). Mais l’important n’était pas le rendement, c’était que des droits se soient fondés sur un régime organisé en dehors de la métropole, et dans une certaine mesure, contre elle. Pour s’implanter, de futurs colons devraient donc d’abord abolir le nouveau statut de la propriété foncière. Mais la mutation était déjà trop bien accomplie, ainsi qu’en témoigne ce jugement, parfaitement exact dans sa concision, émis par un économiste à propos de l’expédition Leclerc 0 802-1803) les

noirs,

petits

subissaient déjà

le

:

«Depuis 1793,

le

Statut Colonial a subi de très fortes

quasiment méconnaissable. L’intermède Leclerc-Rochambeau n’est qu’une tentative absurde, et de fait vouée à l’échec, pour rétablir un ordre de choses périmé depuis près de dix ans 5i. » Or voilà qu’à la fin de l’année 1800, Toussaint achète aux Etats-Unis trente mille fusils, 175 milliers de poudre, une grande quantité de sabres, de pistolets, d’équipements de cavalerie. « Je tiens le fait de l’officier d’artillerie Jean-Baptiste qui a vu et inspecté la plus grande atteintes

;

il

est

partie de ces objets 52», écrit à Hédouville

Gerbier.

La guerre du Sud étant achevée,

un

certain

l’Anglais et

TOUSSAINT AU PINACLE

195

l’Américain théoriquement amis et effectivement fournisseurs du général en chef, ces armes ne pouvaient être destinées qu’à combattre une invasion française. Quant à la discipline des troupes, nous avons déjà vu Toussaint à l’œuvre en 1797 (p. 133). Madiou apporte d’autres précisions sur ses préoccupations quant à la tenue j)hysique et morale des soldats ^3, Toussaint s’est toujours montré très strict sur l’entraînement et la préparation techniques des troupes. Trois mois après être passé aux Français, il écrivait à « J’attends avec la plus grande impatience le Lavaux « code militaire et l’état militaire pour la formation de « mes troupes, tant infanterie que cavalerie 5'*. » En « Je vous envoie en outre un livre d’exercice rédi1795 « gé par ce même Quincarnon (officier français capturé « au service des Anglais) pour servir à l’instruction du « corps des volontaires de Dessources lequel livre a été « trouvé dans la bataille. Après que le commissaire« auditeur des guerres en aura tiré les preuves au pro« cès de Quincarnon, dont je crois ce livre susceptible, « je vous prie de me le renvoyer. Je tâcherai aussi d’en « tirer quelque profit pour l’instruction de ma trouDe telles préoccupations expliquent que les « pe 55... > troupes de Toussaint aient été convenablement entraînées et bien disciplinées. En 1801, elles n’en étaient d’ailleurs j)lus à leur bai)tême du feu. « L’armée coloniale, bien « armée et parfaitement disciplinée, formait trois divi« sions depuis la chute de Rigaud. Elle exécutait les évo« lutions les plus savantes et pouvait rivaliser avec les elle était aguerrie j)ar onze « troupes européennes :

:

;

années de guerres 56... » Les officiers de Toussaint nous sont déjà en partie connus. Au cordon de l’Ouest étaient à ses côtés ses jeu«

Gabart, nes compagnons de la « période espagnole » Moyse, Vernet, Dessalines, Christophe, Desrouleaux, Clervaux, Maurepas, etc. Lavaux en 1794 écrivait à la :

TOUSSAINT LOUVERTURE

196

« J’eus l’occasion de louer son intelligence Convention « par la disposition des postes, la discipline des trou« pes et le choix de ses officiers supérieurs qu’il me pré« senta, tels que Moyse, Dessalines, Christophe, Desrou« leaux, Clerveaux, Dumesnil, Maurepas, Bonaventu:

«

re

»

1801, d’autres noms se sont ajoutés aux premiers. Dessalines est général de division et inspecteur général

En

de la culture dans l’Ouest, Moyse, général de brigade et Clervaux, général inspecteur de la culture dans le Nord de brigade commandant à Saint-Yague Maurepas, généPaul Loural de brigade commandant de Port-de-Paix verture, général de brigade commandant de SantoDomingo Christophe, colonel commandant du Cap Charles Belair est à l’Arcahaie, Gabart à Saint-Marc. Dans le Sud, on trouve Laplume aux Cayes, Nérette à Saint-Louis, Mamzelle à l’Anse-à-Veau, Desravines à Tiburon, Dommage à Jérémie. Quant à la répartition de l’armée sur le territoire, voici ce qu’en dit Madiou « Les troupes étaient cantonnées ainsi qu’il suit la 2* demi-brigade au Cap et au Limbé, la 5® au Fort-Liberté, la 9® au Port-de-Paix, les 13® et 14® au Port-Républicain (anciennement Portau-Prince), la 4® à Saint-Marc et à Jérémie, la 7® à l’Arcahaie, la 8® à Léogâne, les 11® et 12® aux Cayes, la P® à Samana, la 6® à Saint-Yage, la 10® à Santo-Domingo. La Garde d’honneur, forte de 1 600 hommes, tenait garnison tantôt au Cap, tantôt au Port-Réi)ublicain. Cent hommes de cavalerie accompagnaient toujours le gouverneur quand il faisait ses tournées. » Selon Madiou, l’effectif total de l’armée comprenait 18 183 hommes. Toussaint pouvait encore compter sur la paysannerie. Mais il faut signaler dès maintenant les faiblesses de l’organisation de Toussaint qui étaient de celles auxquelles il ne pouvait échapper, deux ordres et d’autres dont il fut directement responsable. ;

;

;

;

;

:

:

:

TOUSSAINT AU PINACLE

197

Les faiblesses inévitables étaient l’insuffisance des effectifs de l’année régulière et leur dispersion. Après la liquidation de l’armée du Sud, les forces de Toussaint auraient dû être doublées, triplées après la conquête de l’Est mais le long répit nécessaire à une telle organisation ne lui fut pas laissé. Il aurait pu cependant éviter de placer des officiers peu sûrs à des j)ostes importants (tels les blanc Agé et Dalban à Port-au-Prince, Nérette, un rallié, à Saint-Louis du Sud) ou des officiers loyaux mais insuffisants à des jiositions clefs (comme Paul Louverture à Santo-Dominguo). Enfin, son erreur capitale, celle (pii porte, en en dénonçant les limites, l’estampille de la révolution louvcrturienne, c’est de n’avoir pas préparé d’une manière systématique, matériellement et psychologiquement, la jiaysannerie à assumer la défense de sa révolution. Il comptait vaguement sur un jieuple libre pour défendre la liberté et mourir pour elle, mais la liberté a ses condiun tions, sa teclinicpie, (pii en font plus (pi’un mot Bien. C’est en tant que Bien et non en tant que Mot (pi’elle commande et le style de la vie et l’instant de mourir. Mais c’est déjà évoquer les points à travers lesquels nous entreprendrons maintenant d’étudier le style et le contenu du régime de Toussaint Louverture. ;

:

Inorganisation économique.

— Toussaint ne connais-

pour cxjiorter. Dans la colonie, il n’y avait pratiquement pas d’industries à part le raffinage du sucre (on recueillait aussi sait (pi’une politi(pie

:

i)roduire, et produire

mélasse) et la préparation de l’indigo. On ne trouvait par ailleurs (pi’un artisanat utilitaire répondant aux besoins des classes pauvres. Dans le domaine de l’habillement, aux belles années qui auraient pu voir naître une industrie importante, Fouchard n’a pu citer que la

TOUSSAINT LOUVERTURE

198

chaussures en peaux tannées sur place et le travail d’une écorce connue sous le nom de bois à dentelle dont on faisait des manchettes pour les hommes et des coiffes. 5» » En ce qui concerne l’alimentation, bien que l’élite se soit adaptée d’une manière étonnante à la nourriture tropicale, ainsi qu’en témoigne Fouchard dans Plaisirs de Saint-Domingue ^9, on manquait de toutes sortes de vian-

les «

chapeaux en

latanier, les

des, de pâtes et surtout de farine de blé.

Quant aux besoins en équipement de l’armée, ils étaient considérables. Pour y répondre il fallait à Tousdonc, à tout prix, exporter. Il n’avait d’ailleurs pas attendu d’être le chef de la colonie pour manifester sa préoccupation de maintenir l’organisation latifundiaire, indispensable aux cultures d’exportation, telle qu’il l’imposera, en faveur il est vrai d’une nouvelle élite, quand il en aura le pouvoir. Le 19 juillet 1794, deux mois après être entré au service de la France, alors qu’il n’avait pas encore de titre officiel, qu’il n’était ni général de brigade ni même commandant attitré du cordon de l’Ouest qu’il tenait seulement par la force des circonstances, il écrivait déjà à Lavaux « Pour ce dont « vous parlez au sujet des partages que vous désirez « faire entre les cultivateurs, vous pouvez compter, géné« ral, sur mon zèle à cet égard mais, en ce moment, les « circonstances ne me permettent pas encore de le faire « nous n’avons pas plus de cinq ou six propriétaires « avec nous et les habitations ont été toutes dévastées. « Tout a été cassé et brisé. En un mot, il ne reste rien, « nous ne faisons donc que commencer à rétablir ces « propriétés et lorsqu’on fera du revenu, je serai à même « de remplir vos intentions. Le quartier de Plaisance a « été absolument incendié il ne reste qu’une habita« tion qui ne le soit pas c’est là l’ouvrage de Jean « François et de Thomas Mondion dans la plaine de saint des

«

devises

»,

et

:

;

;

;

;

;

«

Pilate et au suivant,

il

reste encore plusieurs habita-

TOUSSAINT AU PINACLE

199 «

lions intactes, là on pourra trouver quelque chose. Les

nègres travailleurs de ce quartier étaient tous rendus « au Port-Margot, et ne se sont rendus sur les habita« lions qu’après les ordres que j’ai donnés à la prise du « cainj) Berlin » Ce texte important révèle déjà l’hoinine qui organisera le système des latifundia moins sous l’influence des « émigrés » que parce que c’était sa i)roi)re conception de l’exploitation agricole. Il trouve naturel que les j)ropriétés retournent à leurs anciens maîtres, et voici que celui qui, en terre espagnole, dislocpiait les ateliers pour armer leur j)ersonnel, fait ici réintégrer les fermes aux «

travailleurs

(pii

s’en étaient enfuis.

Pour comjirendre

règlements de culture » i)uhliés par Toussaint, il imi)orte donc de retenir d’une ])art les besoins essentiels de Saint-Domingue, tels (pi’il les évaluait en 1801, d’autre part sa conceiUion de l’organisation agricole. Son Code rural en effet reflète sa méfiance de la iietile iirojiriété et des cultures de subsistance. lùi favorisant ainsi l’accpiisition des domaines par les officiers sipiérieurs de son armée, en stijiiilant (pie les terres ne seraient pas morcelées au-dessous de ciiupiante carreaux (environ 57 hectares), il allait mettre devant la masse des nouveaux libres une barrière les

«

j)res(pie infranchissable.

Un

travail agricole salarié (pii était tout ce (pie

les

réformateurs de Saint-Domingue avaient envisagé pour les travailleurs ne faisait pas l’affaire des « citoyens » de la base. Imaginer aujourd’hui le moyen (pii eût jiermis alors, en cas de morcellement, de concilier les exigences contradictoires de l’Ktat et des masses, c’est évo(fuer les coopératives que les pbysiocrates eux-mémes n’avaient j)as entrevues, ou la « ])roi)riété d’Ktat » dont on était encore à jilus d’un siècle. Harmoniser les nécessités de la production et les besoins des salariés étant impossible, la loi fut imposée

TOUSSAINT LOUVERTURE

200

On

a reproché à Toussaint les dispositions toutes militaires de son organisation rurale. Sous les cultivateurs le caporalisme sévère établi par lui, étaient forcés de regagner leurs anciennes habitations où

par

ils

l’autorité.

étaient contraints à

un

travail

donné sous

le

contrôle

d’inspecteurs de la culture, miliciens qui rééditaient la dureté des anciens commandeurs. Les libres déplacements d’une section rurale à l’autre étaient interdits et les loisirs

réglementés

Ainsi une vue superficielle des choses laisserait-elle penser que Toussaint Louverture retardait sur Sontho-

nax qui en libérant les esclaves leur avait annoncé la fin du travail forcé sous toutes ses formes mais les restrictions apportées par l’Etat au plein exercice de la liberté individuelle remontent à Sonthonax lui-même et à Polvérel. Elles devaient être reprises ensuite par tous les ;

législateurs

Rigaiid,

:

Julien

Raymond, Bauvais,

codifièrent

lorsqu’ils

la

Hédouville,

production. Certes,

le

parrainage illustre des erreurs ne les excuse pas, mais la constance des dispositions restrictives à l’égard des campagnes ne signifie-t-elle pas que l’austérité était la condition indispensable de toute planification ? Les sociétés révolutionnaires du vingtième siècle ne semblent pas I)lus que Toussaint Louverture considérer la démocratie comme le droit à la paresse ou au choix anarchique du temps et du rythme des activités. Une certaine contrainte n’est-elle pas la loi de la production collective ? Il ne faut pas aborder l’étude du régime institué par Toussaint en pensant à la liberté individuelle, mais plutôt aux nécessités de la liberté générale. Il est évident que si on avait laissé au paysan la possibilité de décider de la nature des cultures et du choix des méthodes la production aurait inévitablement baissé. En réalité, même le caporalisme établi pour parer au relâchement général ne semble pas avoir donné des résultats très brillants « Que peut en effet l’autoritarisme :

:

TOUSSAINT AU PINACLE

201

du général en chef

-

gouverneur contre

tion croissante de l’économie nationale

demeure en

?

la

désorganisa-

Le

travail agri-

Les cultivateurs se dérobent par tous les moyens à la discipline de l’atelier. Sur ce point, les témoignages ne maiKjuent pas nous remarquâmes qu’ils (les cultivateurs) avaient tous dis])osé d’une étendue plus ou moins considérable de terrain ])Our leur jardinage aiujuel ils donnaient tout leur temps, malgré les défenses faites à ce sujet par les règlements j)récis du général en chef Toussaint Louverture. Les cultivateurs les plus dociles demeurent ” cbacun sur son terrain respectif, ne cultivant (|ue leurs vivres. ” Ils en font si i)eu ejue les malbeureux l)lancs sont obligés de s’indus» trier ])our avoir de (juoi vivre Ainsi, malgré le refus de Toussaint d’accorder de l)etites concessions, les cultures de subsistance n’en apj)araissaient pas moins à l’intérieur des zones de monocidture. C’était pour chaque famille l’occasion de soigner un coin à elle au sein de la grande i)ro])riété anonyme. Toussaint semblait donc aller à contre-courant lorsqu’il ignorait cette réîdité qu’à défaut d’abondance et de loicole

pleine décadence.

:

sirs,

seule

la

i)ropriété individuelle

i)ouvait

donner un que c’était

sens à la liberté des hommes nouveaux, j)arce un signe tangible de l’égalité de tous. Chef des hommes nouveaux, Toussaint en était ])resque arrivé à organiser l’Etat contre eux au nom de leur

main domestication des paysans qui ne touchaient que le survie. Les militaires-inspecteurs prêtaient la

des l)énéfices.

gence

;

ils

Ils

ne toléraient

interdisaient

les

saient les autels coutumiers

^3.

ni

indolence

loisirs

Comme

ni

à

(piart

négli-

traditionnels, il

était

une

bri-

défendu de

changer de profession, (juiconque n’était pas domesti(|ue ou artisan avant la Révolution ne pouvait prétendre l’être devenu. II n’y avait de moyen d’échapper à la plantation que j)ar le marronnage, ou le « vagabondage » comme on disait maintenant.

TOUSSAINT LOUVERTURE

202

L’Etat n’était pas contre l’individu par haine de la liberté. Au contraire, il prétendait en faire un bien commun. Mais dans la pratique ce beau programme devait faire appel à la contrainte et le nouveau citoyen ne le voyait pas d’un meilleur œil que les servitudes passées. Cependant l’Etat s’attachait fermement, avec une compétence assez sûre d’elle-même, à mettre en place des structures nouvelles qui prendraient la relève des soutiens légaux et coutumiers de l’Ancien Régime. Il réorganisait

dans un souci d’égalité. Il I)ensait aux écoles, creusets de l’avenir. Mais pour ce qui est de l’agriculture, il s’était fait un système, presque une doctrine des mauvaises habitudes héritées du passé. Pour qui voudrait juger du rendement obtenu pendant l’administration de Toussaint, entre les éloges de ses admirateurs et les critiques de ses détracteurs, la comparaison des statistiques serait assez favorable à la gestion du général en chef « On n’a qu’à comparer l’état économique de Saint-Domingue aux trois époques de 1789, 1794-96 et 1800-1801, dont nous pouvons trouver les indices dans les exportations de la colonie à ces la justice, l’organisait plutôt,

:

différentes périodes.

Pour

seule année 1789, où

colonie avait acquis son maximum de prospérité, les denrées exportées accusaient le poids de 226 046 000 livres, comprenant, etc. « Pour la période de juillet 1794 à septembre 1796 «

la

la

mois) le poids de l’exportation ne montait qu’à 9 072 401 livres, se répartissant comme suit, etc. « Pour l’année 1801 où Toussaint Louverture n’avait pu remonter ou reconstruire toutes les usines saccagées ou détruites, ni rétablir ou réorganiser les grandes plantations, Saint-Domingue ne recevant plus les immenses capitaux qu’y déversait la métropole en abondance, le j)oids de l’exportation avait pourtant atteint, suivant Pamphile de Lacroix, à 71 830 612 livres ainsi détail(vingt-sei)t

lées

etc. »

TOUSSAINT AU PINACLE

203

Kncorc

une analyse de ces statisli(lues et inter])réter les mouvements sociaux pour exi)liquer, j)ar exem])lc, la montée en flèche du café, denrée de montagnes et de petites plantations et la chute du sucre, produit industriel obtenu à j)artir des vastes faudrait-il

faire

exploitations de plaine.

On

accepte volontiers les conclusions de Firmin que le général en chef « tout en faisant la guerre, avait su organiser une nouvelle administration de la colonie ». D’un autre côté, Madiou ])rétend, sans grande sympathie, que Toussaint, en vue de réunir des fonds i)our la guerre qu’il ]>révoyait inévitable contre Bonaparte, aurait donné des chiffres faux j)our les recettes et les déj)enses et faussé l’importance des effectifs des demibrigades. La moitié des revenus réels serait ainsi passée dans le trésor de la guerre. C’est i)Our avoir vu à travers les triHiuages les chiffres réels que Madiou a cru pouvoir ramener l’armée de Toussaint à 18 183, alors que le chiffre officiel était de 22 500 hommes. Pour notre part, nous voulons bien (pie, dans ces circonstances, et la fin justifiant les moyens, le général en chef se soit peu soucié d’étre un administrateur scriqiuleux des inté:

rêts de la métro})ole.

Sa

fidélité allait jilutôt à

une

cer-

taine idée de la collectivité saint-dominguoise dont les intérêts allaient à l’encontre de ceux de la

«mère patrie



».

Nous administrative et sociale. avons ojiposé jilus haut la sévère réglementation agricole du général en chef aux préoccupations sociales libérales du nouvel Etat. Voici, par exemjile, en matière de justice, des dispositions, absolument nouvelles à Saint« Art. Domingue, en faveur du pauvre et du bâtard II sera établi près du 50 (loi du 23 juillet 1801). Tribunal de 1" instance séant au Cap, six défenseurs publics, cinq au Port-Réi)uhlicain, (piatre aux Gonaïves, quatre à Santo-Domingo, quatre à Saint-Yague, quatre I/organisation



:

TOUSSAINT LOUVERTURE

204

près des autres tribunaux, et six près du tribunal d’Appel séant à Saint-Marc. « Art. 99. Les exhérédations par testaments des pères et des mères sont prohibées. (Cet article fondait sans recours le droit de saisine des métis sur les proprié-



tés paternelles.)

La

du

même que

enfants nés hors mariage d’un père qui décéderait sans avoir été marié, ou veuf et sans enfant légitime, auraient la moitié des biens de la succession. C’était établir, contre toute autre loi, les droits du bâtard saint-dominguois. Cette législation qui reflétait l’orientation sociale de Saint-Domingue ne pouvait être que parfaitement inadmissible pour la métropole et en particulier pour les vieux propriétaires. Ce qu’il importe de retenir, c’est que Toussaint, loin de se contenter d’être à la tête d’une société anarchique, entendait au contraire lui donner des structures qui lui soient propres, et non plus copiées sur celles de la métropole. La loi sur la réorganisation de la justice, mentionnée plus haut, prenait sa place dans un ensemble mis sur pied par les « constituants » de Toussaint, et qui organisait par exemple les provinces territoriales, les municipalités, les ressorts ecclésiastiques et l’exercice des cultes, le service civique des citoyens, l’assiette financière rassemblant ce qui n’avait été que des lois d’occasion d’ailleurs récentes sur les patentes, les droits de passage d’animaux, les enregistrements loi

18 juillet prévoyait



les



divers.

faut signaler également les préoccupations de Toussaint pour l’instruction des masses d’autant plus que, la matière étant de celles qui se prêtent peu à l’improviIl

sation,

ces

n’avait guère de chances, dans les circonstan-

du moment,

chard «

il

écrit

:

« Il

d’établir

une organisation valable. Fou-

ordonne aussi de répandre

inspecte les écoles, porte

un soin

le syllabaire,

spécial à leur orga-

TOUSSAINT AU PINACLE

205 «

nisalion et à leur multiplication... L’instruction publi-

un système le système Lou« verture. Le syballaire est porté dans les campagnes... Il « recommande de créer des écoles dans les ateliers et « d’y édiKiuer les enfants... Au Cap, il crée un lycée et « des écoles dans les principales villes ^5. Edner Brutus admet que le souci dominant de Toussaint est la production, mais il n’en rend pas moins «

que

est organisée selon

:

j>

justice à ses efforts en faveur de l’éducation nationale

Pour reconstruire

:

«

de l’argent. Le besoin qu’il en avait lui dicta des règlements de culture implacablés. Ce qu’on en dit, soit pour les blâmer, soit pour les louer, reste de la littérature, si l’on oublie que Toussaint n’aurait pas été le i)récurseur, si, d’abord il n’avait restauré les finances de Saint-Domingue, et si, en attendant le moment de les subjuguer, il ne s’étail apj)uyé sur les grands fermiers, les gros propriétaires. Ces derniers raj)j)uyaient à Paris et, en chantant ses louanges, faisaient de lui le gouverneur irremplaçable. Ce sont impératifs coutumiers et jeux banals de la politique... Toussaint avait des princii)es

«

d’éducation,

«

« «

«

« « « « «

« «

«

« « «

« «

fallait

il

sont teints d’utilitarisme. Au nom du labeur agricole, il combat la domesticité des enfants, tracpie i)rostituées et dévergondées... L’article 68 de la ils

Constitution de 1801 laisse à chacun la faculté de ”former des établissement i)articuliers d’éducation et d’instriiction i)our la jeunesse, sous l’autorisation et la surveillance des administrations municipales... ” Il est

«

certain qu’il i)cnsa à introduire l’école primaire dans les paroisses, dans les ateliers, sur les plantations et

«

même

«

qu’il

commença

l’exécution de ce dessein sui-

«

vaut un plan, d’apres un système. Lacoste api>rend qu’il visitait les écoles dans les villes, dans les paroiscar si l’instruction ses et meme sur les ateliers

«

n’était pas

«

beaucoiq)

« «

;

tout

dans

à

fait

son

obligatoire,

programme

;

elle il

entrait

distribuait

pour des

TOUSSAINT LOUVERTURE

206

«

récompenses aux enfants qui

«

laborieux et les plus instruits... Il est malheureux que les contingences de Saint-Domingue n’aient pas donné à Louverture de systématiser l’éducation comme » n en eut la volonté

« «

«

lui

paraissaient les plus

moine-solSannon dit de Toussaint qu’il était un « Toussaint est profondément dat ». Fouchard écrit «k

:

«

pratiques superstitieuses et souvent pour s’adresser à son peuple il allait à l’église, et de la chaire sacrée prenait Dieu à témoin de ses efforts. Ce catéchisme qui fut naguère caché aux nègres de Saint-Domingue, c’est Toussaint qui l’enseigne et l’applique en ordonnant les mariages, l’union des familles, l’éducation des enfants, la lutte contre le

«

libertinage, le luxe, la paresse, le vol. »

« «

« « «

«

chrétien.

Il

bannit

les

Et Brutus ajoute

:

«

pères et mères qui, de leurs enfants, au lieu d’exiger le respect et l’obéissance qui leur sont dus, de leur donner des idées conformes à leur état, de

«

leur apprendre à aimer

« Il

«

tance

les

le

travail,

les

laissent

dans

«

dans l’ignorance de leurs premiers devoirs. Il frappe ceux dont on voit les enfants avec des bijoux et des pendants d’oreilles, couverts de haillons, salement tenus, blesser par leur nudité les yeux de la décence et qui arrivent à l’âge de douze ans sans prin-

«

cipes de morale, sans métier, avec

«

de

« «

« «

l’oisiveté et

Il

la

paroisse pour toute éducation

n’admettait pas

la

le

goût du luxe

et

^7. »

licence, et voulait

donner aux

nouveaux libres une force morale en rapport avec la discipline du travail. On doit cependant admirer que, malgré son approche très orthodoxe de la question religieuse, il eût pensé à subordonner l’autorité spirituelle à l’autorité de l’Etat « L’Assemblée rendit une loi concernant la religion catholique, apostolique et romaine portant qu’aucun ordre, décret ecclésiastique, quoiqu’en :

TOUSSAINT AU PINACLE

207

matière spirituelle, ne pourrait être exécuté dans la colonie sans le consentement du gouverneur, que les ministres du culte, sur la présentation du préfet apostolique, seraient nommés par le gouverneur qui leur assignerait l’étendue de leur administration spirituelle. » Toussaint a hérité d’une société féodale. Il n’a pas été maître de changer d’esprit de caste des anciens libres, mais ceux-ci, en tant que classe menant une politique active aux objectifs précis, ont disparu de la scène de Saint-Domingue en août 1800. Les antagonismes avaient été violents, jusqu’à la guerre et au massacre, mais il est remarquable qu’au moment où elle s’épanouit, trop brièvement hélas, l’espace d’une année sans contrainte, sinon sans menaces, la République de Louverture apparaisse singulièrement purgée de tous préjugés de classe et de couleur. Dès 1799, en pleine lutte contre Rigaud, le général en « Jetez les yeux sur les chef pouvait écrire à Roume « personnes de ma suite, vous verrez à mes côtés des « officiers de couleur à qui je ne crains pas de confier « mes jours, puisque les uns sont mes guides, mes aides « de camp, les autres chefs de mes guides. « D’un autre côté, reportez-vous sur les quartiers que « des complots récents ont exposés à un péril imminent, « vous verrez Vernet commander l’arrondissement des « Gonaïves, Laraque le quartier de l’Arcahaie, Desruis« seaux la Croix-des-Bouquets, Clerveaux l’armée en « marche contre le Môle, Robert le Fort-Liberté, Rouanez Laxavon, Dominique Garnier Lacahobas, et mille « autres qui sont en grade dans les différents corps qui « composent l’armée sous mes ordres. « Certes la confiance que je conserve à ces officiers « ne prouve pas, comme veulent le prouver mes enne« mis, que j’ai juré une haine éternelle aux hommes de « couleur... Combien qui par leur complicité avec les « conspirateurs du Nord et de l’Ouest eussent mérité :

3>

ge

TOUSSAINT LOUVERTUEE

208

bonté de mon cœur a assuré « une impunité peut-être dangereuse. « J’ai pardonné aux moins coupables, comme je vou« drais que Dieu me pardonnât et malgré la pratique « que je fais du précepte divin, on me déclare le bour« reau de la classe intermédiaire de Saint-Domingue. « Outrés de ce que, dans une amnistie généreuse, je « pardonnais aux noirs et aux hommes de couleur que « des circonstances malheureuses avaient séparés de la « grande famille, ils travaillent i)ar-dessous à fomenter « des troubles, et ces organisateurs étaient des hommes « de couleur... C’est parce (pie j’ai dû alors déjouer les « conspirateurs, c’est parce cpie je m’étais élevé contre « leurs injustices, paree (pie, vrai philanthrope, j’avais « favorisé également les trois couleurs différentes, que « celle (pii a juré d’être la dominatrice conspira contre « moi, contre la tran(juillité publi([ue » Pauvre grand Toussaint Louverture En 1801, il a comi)osé son monde de tous les morceaux disparates, amalgamant blancs, mulâtres et noirs. C’était faire trop ou pas assez. Cet ensemble ne pouvait vivre dans un certain équilibre (pie sur le dos de l’esclave redevenu esclave, sous (piehiue nouveau nom (pie ce fût. La moindre liberté, les droits les plus insignifiants consentis à l’individu rendaient le mélange explosif, entravant la libre circulation des profits de la base au sommet. Mais comment aurait-il pu savoir cpi’il vivait un rêve déjà condamné ? D’anciens colons venaient reprendre leurs biens les nouveaux se serraient pour leur faire jilace des absentéistes influents pleins de morgue, exerçant une sorte de chantage, se voyaient payer les revenus de leurs terres les brillants uniformes des officiers sillonnaient ils sortaient des habitations villes, bourgs et campagnes (pi’ils géraient comme des casernes pour parcourir les sections rurales comme des terres ennemies où il fallait «

punition et auxquels

la

!

;

;

;

;

209

.

aux

l)Oui‘siiivre, réi)éc

.

TOUSSAINT AU PINACLE

reins, la paresse et les loisirs

;

le

devenu clandestin, s’évanouissait dans le paysage ou gagnait les montagnes. Ce n’était une société ni satisfaite ni dynamique. Toussaint la rêvait selon un certain l>aysan,

modèle, qui n’était pas encore réalisé. Fruit d’une succession d’atTrontements désordonnés, la Saint-Domingue de Toussaint était au centre de tendances contradictoires, dont la plus menaçante, sans contredit, était la Réaction. Installée en France depuis le

Directoire,

allait

elle

i)ousser

les

colonies vers

un

retour aux normes anciennes. Mais la mesure de sa faiblesse sociale sera donnée, non par les ralliés blancs ou mulâtres qui nous ont j)réparé à toutes les volte-face, leur présence à côté de Toussaint ayant toujours semblé

ou opi)ortuniste, mais par du mécontentement de sa clientèle naturelle. forcée, artificielle,

la

violence



Quelle (jue fût l’opposition que Vaffnire Moijse. Toussaint devait finalement rencontrer chez ses amis blancs ou chez les anciens libres, on se serait attendu à ce que son autorité sur les nouveaux libres fût incontestée. Or, Moyse, tpii allait prendre la tête d’une révolte armée contre lui, n’était j)as seulement un des capitaines des hommes nouveaux, il était le i)roi)re « neveu » de Toussaint. C’est en s’atta([uant à lui (|u’Hcdouville avait j)erdu sa dernière carte. « Un homme de cœur, dit Madiou, mais d’intelligence sans culture, va bientôt rompre l’harmonie qui existait déjà entre toutes les classes de la société. Alors, aucune insurrection n’eût pu résister à la puissance du gouverneur. Dans le département du Nord, l’agriculture, sous la direction du général Moyse, n’était pas aussi tlorissante que dans l’Ouest et le Sud, sous la direction de Dessalines.

Moyse

se refusait à

pour contraindre qu’il

n’était

pas

les le

employer

les

cultivateurs au

moyens travail.

bourreau des siens, que

violents Il

disait

les

noirs

TOUSSAINT LOUVERTURE

210

n’avaient pas conquis leur liberté pour exploiter encore sous les verges et le bâton les propriétés des blancs. Il

demandait que le gouverneur, son oncle, vendît les terres de l’Etat aux officiers subalternes et même aux soldats. Toussaint au contraire ne voulait pas du morcellement des terres et continuait le système des grandes habitations.

Il

avait, prétendait-on, le projet de se faire

proclamer roi de Saint-Domingue, et les trésors qu’il amassait devaient être employés à l’exécution de son plan. Déjà on l’entendait se vanter de son grand-père Gaou Guinou, qui avait été en Afrique un des rois guerriers des Aradas. Moyse protégeait les cultivateurs contre vexations des blancs, et faisait distribuer rigoureusement aux premiers le quart qui leur revenait dans les

les

produits.

Aussi

de toutes sortes de plaintes on l’accusait de négliger ses devoirs et de souffrir que le désordre régnât dans les campagnes. Quand il recevait ” Je ne maltraides reproches du gouverneur, il disait terai jamais les miens le gouverneur me parle toujours des intérêts de la France, mais ces intérêts sont ceux des colons blancs. ” Il ne sympathisait pas avec le système en vigueur qui éloignait des fonctions publiques les hommes de couleur éclairés. Il avait cru découvrir que le but de son oncle était de rétablir l’esclavage dans les campagnes et de créer une aristocratie noire et blanche. Cette disposition de la Constitution par laquelle les Africains pouvaient être transportés à Saint-Domingue comme cultivateurs le confirmait dans cette opinion c’était une masse nouvelle qui n’ayant pas connu la liberté l’aurait éteinte. Le système de Moyse par lequel les grandes habitations devraient être morcelées inquiétait d’autant plus Toussaint qu’il pouvait renverser le sien en séduisant les masses. Ce système alors nouveau qui détruisait radicalement le régime colonial était à époque considéré comme désorganisateur et cette «

était-il

l’objet

:

:

;

;

TOUSSAINT AU PINACLE

211

contraire à toute i)rospérité af^ricole. Toussaint voulait devenir indépendant par l’union du noir avec le colon blanc, tandis que Moyse s’efforçait de le devenir par l’union du noir avec le jaune. En 1803, Dessalines ne

pays du joug de l’étranger (pi’en réunissant contre les Français le noir et le mulâtre... Les plaintes eontre Moyse se renouvelaient sans cesse. En même temps, le gouverneur ai)i)rit avec indignation qu’il avait demandé vingt mille piastres par an à une compagnie de négociants qui lui avaient offert d’exploiter ses terres dans le Nord. Cette circonstance acheva d’irriter Toussaint qui le menaça de sa disgrâce s’il laissait à d’autres (pi’â lui le soin de gérer les propriétés qu’il possédait à titre de fermier. Le gouverneur regardait comme un mauvais exemple qu’un inspecteur de cultures ne se livrât pas lui-même à l’exi)loitation de ses biens. Moyse, obsédé de menaces, contrarié dans toutes ses idées et ses entreprises, résolut de s’armer contre le gouverneur... Dans le courant de vendémiaire an X (octobre 1801) il se trama au Cap une conspiration dont les rayons se prolongeaient au Port-Margot, à la Marmelade, au Dondon, enfin dans toute la ])rovince du Nord. Par une matinée du 25 vendémiaire (17 octobre), le général Moyse sortit du Caj), réunit plusieurs centaines de cavaliers, et parcourut la plaine du Nord organisant l’insurrection qui devait éclater le 29 vendémiaire. En effet, dans la nuit du 29 au 30 du même mois, des mouvements insurrectionnels se manifestèrent dans i)res(iue tout le département du Nord. Deux cent cin(|uanle blancs furent massacrés tant dans les plaines (jue dans les mornes. Le signal de la révolte était donné dans un moment où la tranciuillité rétablie par la terreur régnait de toutes parts. Moyse entreprenait une guerre dont le but était délivrera

le

des blancs, l’union des noirs et des jaunes et l’indépendance de son pays. L’on disait dans les campagnes du Nord (jue Dessalines et Christophe l’extermination

TOUSSAINT LOUVERTURE

212

avaient consenti au projet de rétablissement de l’escla-

vage par le gouvernement », etc. Ce texte tout subjectif qu’il soit, présente faits, commentaires et impressions dans un ensemble confus mais assez solide pour permettre un examen valable de l’« affaire Moyse ». Ce général de brigade était un neveu de Toussaint. Gironnet nous a dit (p. 143) qu’il était impétueux, ingouvernable la suite de l’Histoire devait nous le montrer également présomptueux. C’était un militaire courageux on l’a vu à l’œuvre contre les Anglais et au cours de la guerre du Sud, mais il n’a jamais été placé dans la position de Dessalines appelé à prendre des décisions d’ordre stratégique. (S’il est possible de douter que la grande décision stratégique de la guerre du Sud « Jacmel d’abord » au lieu de l’ennemi principal Rigaud ait été prise par Dessalines, toutes les opérations subséquentes au siège ont été décidées et conduites ;

:



:



:

j)ar lui).

Le général Moyse n’était peut-être pas très intelli« D’une intelligence sans culture », dit Madiou, gent mais il avait bon cœur. Il s’apitoyait sur le sort des hommes nouveaux, mal libérés de l’antique servage, caporalisés par les règlements de culture du général en chef. Son amour pour sa classe, fermé aux idées, reste peu sensible aux nécessités qu’invoque Toussaint, aux impératifs de ses plans. Inspecteur de la culture, il ne persécute pas ses administrés il n’a pas la religion du rendement, à laquelle se consacrent Christophe et Dessalines dont la sévérité paraît souvent choquante. Pouvant prendre avec son oncle des libertés que celui-ci n’aurait pas tolérées d’un autre, quand il ne comprend pas, il désobéit. Son néant idéologique, nourri de quelques ressentiments d’ordre personnel, lui suggère d’accueillir sans analyse les fables que colportent les ennemis de Toussaint et qu’accrédite auprès des masses l’isolement dans lequel vit le gouverneur. Il réagit donc émotionnellement :

;

TOUSSAINT AU PINACLE

213

avec elles au lieu de soumettre à un

examen

critique

expriment naïvement et qui passent d’un atelier à l’autre, grossies chaque fois davantage, d’un rétablissement de l’esclavage. Il recueille également les doléances des hommes de couleur écartés de l’admiles craintes, qu’elles

nistration et de la distribution des

baux à ferme.

Pour résumer l’homme, voici donc un militaire courageux, probablement plus brillant qu’intelligent, un homme de classe et un « unitaire », plus sensible que dialecticien, à qui sa position privilégiée a inspiré une ambition sans rapport avec ses capacités ou ses possibilités. Sympathique, on l’imagine volontiers paradant en bel uniforme, ou à la caserne, « bavardant » avec les hommes, écoutant leurs doléances, y allant de sa poche. Mais s’il est aimé de ses troupes, leur tenue laisse à désirer. Ses officiers subalternes, qui le traitent en ami, témoin, l’affaire Zamor, sous ne lui obéissent pas :

Hédouville.

doléances des masses qui furent la cause, ou le prétexte, de la révolte de Moyse rappellent les revendications qui avaient été jetées à la face de Roume, lors de l’insurrection organisée par Toussaint, l’année I>récédente, afin de plier l’agent à sa volonté d’envahir l’Est. En cette occurrence, les émeutiers avaient réclamé à grands cris « en toute propriété la moitié des grandes habitations, déclarant qu’ils ne voulaient plus travailler » Toussaint, le ])artisan n" 1 comme mercenaires des vertus du latifundium, ne leur avait certes pas mis

Mais

dans

la

les

bouche de

telles

revendications.

Il

avait

même

comme une chose absolument quand Roume lui en avait parlé.

traité cela très légèrement,

dénuée de fondement, L’effervescence cependant avait été l’occasion pour le nouveau prolétariat de faire connaître les revendications estimait essentielles, mais Toussaint n’avait ni (lu’il

mesuré l’importance de

cet incident ni

d’une façon plus

TOUSSAINT LOUYERTURE

214

générale compris l’étendue ou la gravité du mécontentement des masses contre sa politique agraire. On aura été frai)pé, en 1799, de trouver des noirs du Nord-Ouest et de l’Ouest contre lui. L’affaire Moyse ne faisait qu’exprimer à nouveau, deux ans plus tard, une irritation qui s’était étendue à toute la plaine du Nord. La valeur symbolique de la petite propriété semble lui avoir totalement échappé. Ou, s’il en était conscient, le technocrate chez lui, persuadé d’avoir la raison de son côté, faisait taire les réactions affectives de l’homme. « Jefferson, écrit Fernando Ferrari, attribue à la « liberté un sens éminemment rural... La liberté des « champs, avec sa forme tellurique, devrait être présente « dans n’importe quel programme de structuration des « régimes dits démocratiques. » Le régime louverturien n’était évidemment pas démocratique. Il est vrai qu’un régime d’autorité peut se comprendre dans certaines circonstances, et que la Saint-Domingue de Toussaint semble l’avoir justifié, mais on redoute pour le chef autoritaire l’isolement qui le prive de la connaissance des désirs et des revendications de la base. Il est évident que Toussaint en était arrivé à « imaginer » ce qui était bon pour le peuple, alors que celui-ci avait déjà d’autres besoins.

frappant que dans

masse des noirs ait pu se trouver un seul homme pour croire que le général en chef désirait le retour à l’esclavage. La propagande n’était certes pas nouvelle, et Rigaud en avait déjà usé au cours de la « guerre de plume ». Mais que dans la masse des nouveaux libres on ait pu y prêter l’oreille montre bien que leur nouvel état ne différait pas beaucoup de leur ancienne condition. On leur avait donné à chérir le mot de « liberté », mais ils n’en voyaient pas suffisamment les effets. Le quart des revenus qu’on leur consentait était insuffisant pour mener une vie décente. Il

On

est

l’a

déjà dit plus haut

:

la

en l’absence de richesses

et

TOUSSAINT AU PINACLE

215

dans cette société encore primitive, le seul signe acceptal)le de la révolution, du retournement social, de

loisirs,

était la propriété.

I^^ssentiellement, l’affaire

fond divorce entre

Moyse

révélait

donc un pro-

conceptions de Toussaint et les aspirations populaires, un grave clivage entre le chef et ses masses. Toussaint en fut choqué. Sa réaction fut celle qu’on pouvait attendre. Il ne se mit pas à réfléchir, il frappa, exigeant du Conseil de guerre qui à méditer jugea son neveu la peine capitale, puis désolant le Nord par cette lamentable répression à laquelle l’Histoire a laissé le nom de « guerre-couteaux », qui indique que c’est à l’arme blanche, sans bruit, sans jugement, sans statistiques (pie les suivants de Moyse furent exécutés. La révolte conduite par Moyse était, semble-t-il, inévitable, puiscpie provocpiée par l’organisation du gouverneur. S’il est vrai (jiie l’on est toujours responsable de la désaffection des siens, Toussaint, plus que personne, a travaillé à dresser contre lui sa clientèle naturelle. Inconsciemment sans doute, jiarce qu’il la croyait acquise. Or l’appui du peuple n’est jamais définitif il faut le mériter chaque jour, continûment. L’affaire Moyse, en portant en avant la cpiestion agraire, y aura egalement assimilé, comme facteur de mécontentement des masses, la politique du général en chef vis-à-vis des colons. C’était, encore après tant d’années, la (pierelle de Saint-Domingue avec les « émigrés » de Toussaint, querelle tour à tour soutenue par les agents Sonthonax, Hédouville, Koume, par les chefs métis et maintenant par les Africains. Les uns et les autres auraient voulu voir Toussaint se défaire de cette caste réactionnaire et accapareuse. Mais ils étaient les fidèles du général en chef, certains d’entre eux depuis l’Espagne où Toussaint avait été avec eux un rebelle contre la les

:

:

France d’alors. Le révolutionnaire authentique apprend à se défaire

TOUSSAINT LOUVERTURE

216

c’est le des amitiés pesantes, des alliés embarrassants principe du « bout de chemin » que l’on fait ensemble jusqu’à ce que les intérêts de classe séparent les alliés provisoires. Mais Toussaint, qui manquait de gens compétents autour de lui, croyait avoir besoin des colons. Or, la vérité force à dire qu’ils s’étaient assouplis au contact des événements. La Constitution de 1801 fut ;

nous en verrons les limites, mais nous verrons aussi que, par rapport à l’ordre ancien, elle leur

œuvre

;

ordonnait un progrès social certain. Pourtant, la part qu’ils se taillaient à Saint-Domingue paraissait trop importante au regard de ce qui revenait aux autres classes. Si, de plus, on considère qu’ils avaient pour eux, outre des terres, les relations avec l’extérieur, les crédits et l’habitude du commandement, on en conclura que cette part était décidément trop belle. Sans doute payaient-ils de retour le général en chef en chantant ses louanges à l’extérieur, mais quelle était leur influence vraie si Toussaint était encore obligé de verser des bénéfices à des absentéistes bien assis en métropole ? Pendant ce temps, s’inscrivait en contrepartie la désaffectation des masses. Tout ce qu’apportait de positif la présence des émigrés compensait-il ce désastreux clivage et le fait qu’avaient été affaiblies la tension interne du général, sa méfiance légendaire et sa lucidité. Considérons le chef noir au milieu de la « cour » d’Européens qu’ont décrite quelques auteurs. Bien sûr, ce n’est pas Versailles, mais ce n’est pas loin d’être le cercle d’un Barras. Il n’y manque ni flatteurs ni jolies femmes. On y chercherait en vain l’humble M'"* Toussaint. Certes, Toussaint ne nous paraît pas autrement grisé. Esclave domestique, il a l’habitude des salons, et cette ambiance ne lui monte pas à la tête comme un coup d’alcool, mais sa sensibilité n’en est pas moins obnubilée. Il a perdu le contact du peuple. Or les révo-

TOUSSAINT AU PINACLE

217

pour l’ordre social une époque masses peuvent être emportées

lutions, qui sont toujours

de déséquilibre où les par des mots d’ordre contradictoires aussi bien (jue par des émotions spontanées, exigent que le chef reste en rapport dialectique constant avec la base. Si on hésite à se fier à sa sensibilité, devant la nécessité de jouer une partie dangereuse avec la tête froide, seule une intelligence attentive peut suppléer à l’instinct. Mais n’y avait-il pas déjà trop de tresses blondes et de petits billets parfumés dans les tiroirs du général en chef pour que son intelligence fût sans cesse attentive ou son attention sans cesse intelligente ? C’est en cela que les émigrés de Toussaint ont été dangereux })our lui et pour Saint-Domingue. Sans doute ne l’ont-ils pas empêché de marcher vers l’autonomie dont ils rêvaient, sans doute la Constitution de 1801 a-t-elle été leur œuvre, mais ils ont été un obstacle à la cohésion de la communauté indigène au moment où elle était le plus menacée. Quant aux prêtres, qui, parmi les émigrés, figurent en assez bonne place par leur nombre et leur impor-

que poursuivaient-ils à Saint-Domingue ? On les place à l’origine de l’insurrection de 1791, au cœur donc de cette conspiration royaliste du Nord contre SaintMarc qui aurait joué dans les événements du mois d’août le rôle de l’apprenti sorcier. « Le Moniteur général de la partie française, dans son édition d’octobre 1798, accuse tance,

l’abbé de la Haye, l’auteur de la Florindie, le curé de Saint-Martin-du-Dondon de s’être mêlé à l’insurrection

des esclaves de la plaine du Nord. Les Soirées bernmdiennes de Félix Carteaii et d’autres témoignages de l’époque inculpent à leur tour le père Boucher, curé de Terrier-Rouge, l’abbé d’Osmond, curé de Ouanaminthe, le père Bienvenu, curé de la Marmelade, le père Sulpice, curé de Saint-Jean-le-Trou, d’une participation active à l’insurrection du 14 août 179172.» i^e nombre des prê-

TOUSSAINT LOUVERTURE

218

diversité géographique

des diocèses cités tendraient à prouver qu’il s’agissait d’une vraie conspiration et non d’une participation accidentelle. Mais tout cela est à établir fermement et à interpréter. Les mêmes raisons qui, en 1791, faisaient de Toussaint un « royaliste » au service de l’Espagne animaient c’était la haine de la Répuà ce moment-là les curés elle blique. Elle avait refusé à Toussaint sa liberté acculait les prêtres à toutes sortes de « Vendée ». Au service de l’insurrection des esclaves contre la Révolution « sans Dieu » ? Pourquoi pas ? Mais on suit mal cette logique soupçonneuse qui voudrait que, ayant utilisé Toussaint comme tremplin en 1791, ils l’aient ensuite dirigé, gouverné à travers les avatars de sa carrière, inspirant ses coups d’Etat, le poussant au pouvoir suprême et l’armant moralement pour l’autonomie, jusqu’à ce que le Concordat Bonaj)arte de juillet 1801 leur eût permis de retrouver leur fidélité envers la mère patrie. Toussaint était-il pieux, d’une piété choquante pour les républicains bon teint comme Sonthonax ou Rigaud ? très,

la

:

;

Ce

n’était pas

nouveau. C’est un domestique depuis long-

temps baptisé, marié, catéchisé et volontiers catéchisant qui était entré dans la révolution de 1791. On lui en voudra sans doute, à une époque de « lumière », de «

[)rogrès », de

«

raison

»,

d’organiser

la religion

comme

un soutien de la discipline sociale, spécialement de la discipline du travail. L’Europe du xx® siècle n’offre-t-elle pas de persistants exemples de cette politique, cent cinquante

ans après Toussaint ? Et en 1801, était-il si évident que son catholicisme socio-politique marquât un recul sur l’état antérieur de la société qu’il était appelé à organiser ? Saint-Domingue n’était pas une réunion de philosophes libertaires, mais bien plutôt une communauté d’esclaves animistes. Non seulement Toussaint, mais après lui Dessalines, Christophe renonceront au Vaudou comme élément de

TOUSSAINT AU PINACLE

219

l’organisation sociale, bien que ses mots d’ordre eussent

joué le rôle de catalyseur dans l’insurrection. Avaientils pensé que, j)Our combattre l’Occident d’abord, pour maintenir ensuite la nouvelle République de SaintDomingue au sein d’un monde hostile, ils devaient adopter les modes de la culture occidentale ? En tout cas, il est évident (jifà une épociue où dominait le christianisme, la christianisation des institutions et de la culture semblait inévitable. Néanmoins, ne peut-on point penser qu’en l’année 1801, Louverture avait trop rapidement oublié les leçons de 1791 ? C’est le Vaudou qui avait permis aux nègres de se dilTérencier de l’ensemble coalisé des maîtres et leur avait inspiré le courage de mourir. En 1801, le cette première général en chef pensait Constitution période devait lui sembler dépassée, or, les mêmes mots d’ordre demeuraient actifs dans les masses, et le chef se cou])ait encore d’elles sous ce raj)port. Non, certes, qu’on eût voulu voir Tousaint Louverture, maître de SaintDomingue, éi)ouser sous sa forme instinctive et émotionnelle la culture sans doute régressive des bases. Comment être un chef évolué et progressiste en se constituant j)risonnier des traditions ? Mais aussi comment être un chef intelligent et sensible si on en a tout oublié ? Problème important, périlleux, des sociétés nouvelles aux portes du progrès. L’âge moderne devait en offrir de multiples exemples après la Saint-Domingue de Tousmais si, en 1801, elle n’était ni la première ni la saint seule à affronter l’urgence ou la violence des choix elle était l’unique témoin la France, témoin l’Europe communauté appelée à se diriger dans des ténèbres aussi profondes au milieu de tant d’hostilités avouées ou ;



;



,

sournoises. C’est en plein

dans

le

tumulte

et les

inquiétudes de

année du pinacle, alors qu’il s’attardait, dans l’Est, â donner corps à une pensée politicjue et administrative

cette

TOUSSAINT LOUVERTURE

220

menacée, que Toussaint donna ses ordres pour une réunion de constituants. « Les municiqu’il

savait

déjà

palités élirent des candidats de sa

Nord Etienne Viard Lacour et Borgella l’Ouest

pour

le

:

et

confiance. C’étaient

Julien

Raymond

;

pour

pour le Sud Collet et Gaston Nogérée l’Engano Jean Mancébo et François Morillas Carlos Roxas et André et pour le Samana :

;

:

;

:

:

;

Ces hommes éclairés, solidaires du général en chef en la personne duquel ils allaient désigner leur gouverneur à vie et à (jui ils allaient reconnaître les droits étendus d’un dictateur, partageaient ses inquiétudes, et leur Constitution, en articulant une législation quasi souveraine, n’était que l’expression de leur commune angoisse et une espèce de défi à Bonaparte. C’est que la Constitution de l’An VIII, qui établissait le Consulat, avait délibérément choisi de rester muette sur le régime interne des colonies qui se trouvait renvoyé à des lois particulières. C’était la réédition de la situation de 1789-1790, redoutable alors pour les hommes de couleur quand la métropole révolutionnaire refusait de les assimiler à son régime de liberté. Depuis, on avait fait des progrès. Etait venue la proclamation de la liberté générale en août 1793, suivie du décret d’abolition voté par la Convention en février 1794. Le temps des tergiversations étant passé, la Constitution de l’An III établissant le Directoire avait i)u, en une phrase, assimiler métroj)ole et colonies dans une même législation. La nouvelle Constitution remettait tout en question par son silence. La masse des nouveaux libres était directement menacée dans ses libertés essentielles, mais les maîtres blancs, métis et noirs de la nouvelle économie l’étaient autant dans leurs raisons de vivre, dans leur prospérité. D’où la conspiration autonomiste, dont Toussaint, maître des masses, apparaissaît comme le garant, la clef de voûte. Les constituants de Saint-Domingue se fondaient sur le silence de la Constitution de l’An VIII, feignant d’y

Munoz 73.

»

TOUSSAINT AU PINACLE

221

trouver l’autorisation de légiférer c’était là finesse et arguties qui, déclarer rebelle, offraient encore les laboration. Mais appliquer, même Constitution sans le consentement

mère

eux-mêmes. En

fait,

à se possibilités d’une colsi

l’on hésitait

jirovisoirement, cette

de la France mettait accompli qu’elle était

devant un fait invitée à méditer. « L’Assemblée générale, écrivait Tous« saint, m’ayant requis, vu l’absence des lois et la nécescité de faire succéder leur empire à celui de l’anarcbie, de faire exécuter provisoirement cette Constitu» tion... je me suis rendu à ses désirs Ce n’était jias qu’en 1801, la Saint-Domingue de Toussaint fût plus menacée d’anarchie (jue celle de 1799, mais c’est qu’était venu le temps, dix-huit mois et plus après la Constitution de l’An VllI, de j)rendre Bona])arte de vitesse. Toussaint et les colons, (fuelle que fût la précision des renseignements (ju’ils recevaient de France, ne savaient ni quelle forme prendrait l’intervention de Bonaparte ni jus((u’oû celui-ci comj)tait aller dans la réaction. Mais îilertés j)ar les bruits de paix entre la France et l’Angleterre, ils étaient sûrs de figurer bientôt au centre des j)réoccuj)ations de la métroj)ole. On sait que Toussaint et ses associés avaient vu juste. Bonaparte, en j)renant soin d’organiser le vide constitutionnel autour des colonies, s’était proposé, aussitôt la j)aix revenue, de ramener ces territoires à l’ancien régime esclavage et Pacte Colonial. L’exilé de Sainte-Hélène accusera avec d’autant j)lus d’amertume l’api)étit des colons d’avoir prévalu contre son l)on sens que, dans les j)remiers mois de 1891, il avait préparé lettres et brevets faisant de Toussaint le capitaine général de l’île. Excuses, exj)lications et regrets ne font malheureusement que confirmer que le futur empereur s’était fait le serviteur de la réaction. la

patrie

:

Les maîtres de la nouvelle Saint-Domingue avaient donc raison de se j)rémiinir contre la France de Bona-

TOUSSAINT LOUYERTURE

222

Le reproche qu’on leur adressera est moins d’avoir fait une Constitution que de ne pas s’être préparés assez solidement à défendre par les armes les libertés et les biens que cette Constitution entendait préserver.

parte.

Or

leur Constitution, qui formait avec ses lois orga-

niques un ensemble législatif remarquable, était déjà en retard sur la conscience des masses saint-dominguoises, exprimant plutôt les préoccupations des grands propriétaires de toutes couleurs mais, étant donné que, par rapport à l’ancien régime et à celui que préparait Bonaparte, c’était tout de même un indéniable progrès, on reprochera moins à cette Constitution son contenu que son principe. A un moment particulièrement dangereux pour l’œuvre de sa vie, Toussaint se laissait ligoter par une légalité créée par lui seul. Or même sans les ultimes confirmations qui les eussent rendus probants, il courait déjà des bruits de guerre et d’expédition, et le général en chef aurait dû se soucier de donner aux masses des mots d’ordre belliqueux. Loin d’être un acte hardi, comme on l’admet généralement, la Constitution marquait bien plutôt un recul sur les positions révolutionnaires que le général Loiiverture exprimait au Directoire, en 1797, de la manière suivante « L’impolitique et incendiaire dis« cours de Vaublanc a bien moins affligé les noirs que « la certitude des projets que méditent les propriétaires « de Saint-Domingue... Déjà des émissaires perfides se « sont glissés parmi nous pour y faire fomenter le levain « destructeur préparé par des mains liherticides. Mais ils « ne réussiront pas, j’en jure par ce que la liberté a de « plus sacré. Mon attachement à la France, la reconnais« sance de tous les noirs me font un devoir de ne pas « vous laisser ignorer ni les attentats qu’on médite ni le ;

:

«

« «

SERMENT QUE NOUS RENOUVELONS DE NOUS ENSEVELIR SOUS LES RUINES D’UN PAYS RAVIVE PAR LA LIBERTE PLUTOT QUE D’Y SOUFFRIR LE

TOUSSAINT AU PINACLE

223

RETOUR DE

L’ESCLAVAGE... Je vous remets par

présente une déclaration qui vous fera reconnaître l’accord qui existe entre les j)ropriétaires de SaintDomingue qui sont en France, aux Etats-Unis et ceux qui servent sous la bannière anglaise. Vous y verrez une résolution positive et bien concertée de ramener l’esclavage... Aveugles qu’ils sont Ils ne songent pas que cette conduite odieuse de leur part PEUT DEVEla

« «

« « « « « « « «

« «

« « « «

« «

« «

!

NOUVEAUX DESASTRES ET DES MALHEURS IRREPARABLES ET QUE LOIN DE LEUR FAIRE REGAGNER CE QU’A LEURS YEUX LA LIBERTE GENERALE LEUR A FAIT PERDRE ILS S’EXPOSENT, EUX, A UNE RUINE TOTALE ET LA COLONIE A UNE PERTE INEVITABLE. PENSENT-ILS QUE DES HOMMES QUI ONT PU JOUIR DU BIENFAIT DE LA LIBERTE PUISSENT DE SANG-FROID SE LA VOIR ARRACHER ? ILS ONT SUPPORTE LEURS FERS TANT QU’ILS N’ONT PAS CONNU D’ETAT PLUS HEUREUX... S’ILS AVAIENT MILLE VIES ILS LES SACRIFIERAIENT PLUTOT QUE D’ETRE CONTRAINTS D’Y RENTRER... Je vous NIR LE SIGNAL DE

NOUS AVONS SU AFFRONTER LES DANGERS POUR OirrENIR NOTRE LIBERTE NOUS SAURONS BRAVER LA MORT POUR LA CONSERVER. » déclare

(|ue

ce

serait

tenter

rimj)ossible

:

pas qu’il eût servi à Toussaint d’écrire dans ce style à Bonaj)arte. Celui-ci ne lisait pas ses lettres. « On m’a mis sous les yeux les dlITérentes lettres que

Ce

n’est

vous m’avez écrites... » écrivait-il le 4 mars 1801 dans une lettre (fui ne fut d’ailleurs jamais expédiée au général en chef et (|ui devait accompagner le brevet de caj)itaine général resté dans ses tiroirs. Toute lettre aurait été inutile. Ce qu’il fallait, c’était mobiliser SaintDomingue dans l’es})rit de 1797. Mais en 1797 les buts de classe étaient simples, limpides, dépouillés, et le chef tout d’une pièce, comme

rOUSSAINT LOUVERTURE une lame. En 1801,

224

d’une société multi-raciale, multi-sociale inévitablement fondée sur des compromis. La guerre à mort n’était pas l’intérêt de tous. D’où la Constitution. 11 est juste aussi de signaler que la guerre pouvait paraître d’autant plus improbable à Saint-Domingue qu’en onze ans la métropole n’avait pu monter d’expéditions punitives ni contre les sécessionnistes, ni contre les Anglais, ni contre les anciens libres, ni contre Toussaint lui-même, si souvent indiscipliné. Voyons, par exemple, sur quel ton léger Toussaint annonce à Bonaparte le renvoi de Roume, jusqu’alors prisonnier au Dondon « Je vous marcjuais que j’atten« dais vos ordres pour vous envoyer le citoyen Roume, « agent du gouvernement français en cette colonie. Mais « s’étant écoulé depuis cette époque un temps fort long « sans que j’aye reçu d’ordre de vous à cet égard, vou« lant prévenir les calomnies que l’on ne manquerait « pas de débiter si cet agent venait, dans cette circons« tance, à payer à la nature la dette que nous lui devons « tous, et auquel il est plus particulièrement exposé « par son grand âge et la faiblesse naturelle de son « tempérament, je vous instruis que je lui laisse la « faculté de s’embarquer pour les Etats-Unis ”^5 » Une telle euphorie ne pouvait être née que de l’interprétation de la Constitution comme un acte valable, et peut-être suffisant, d’autonomie. Cette satisfaction de soi n’allait pas tout à fait sans inquiétudes, comme en témoigne la mission confiée à Nogérée un des constituants qui, sur les pas du colonel Vincent, porteur de la Constitution, est chargé par Toussaint d’une nouvelle lettre pour Paris et reçoit la mission d’expliquer au Premier consul les « pourquoi » et les « comment » de l’acte constitutionnel. Mais, tout mis ensemble, Toussaint ne nous semble pas plus préoccupé qu’après chacun de ses coups d’Etat précédents. il

était déjà à la tête

:





TOUSSAINT AU PINACLE

225

Toute

apparaît d’ailleurs confuse, et j)leine de surprises (juand on met en parallèle les événements de Saint-Domingue et ceux de la métropole. Il est alors manifeste (pie deux courants appelés à faire explosion en se rencontrant jiersistaient à s’ignorer dans une redoutable indifférence. cette

Au mois

})ériode

Constitution de Toussaint est armée de toutes ses lois organicpies, elle est appliquée « provisoirement », consacrant le général en chef gouverneur. Le 24 août, Bonajiarte nommait son beau-frère,

de

juillet,

la

général Leclerc, capitaine général et gouverneur de Saint-Domingue. Quand Toussaint renvoyait Roume à ses maîtres, raccomjiagnant de ses vœux irrespectueux, le

nommé

Saint-Domingue l’ignorait. Vincent, jiorteur de la Constitution, et Nogerée arrivaient à Paris dans les premiers jours d’octobre. Cependant, le 7 octobre, Bonajiarte écrivait déjà au ministre trc de la Marine « Quant à Saint-Domingue, l’amiral Villaret-.Ioyeuse partira de Brest avec douze vaisseaux Leclerc était déjà

et

:

de ligne

Mais

», etc.

c’était

aussi à Saint-Domingue l’époque de la

révolte de Moyse. Sans qu’on l’ait encore liée à l’entreprise de rétablissement de l’ancien régime, il n’est pas

impossible que sa tentative de débarrasser Saint-Dominet du gouverpar le massacre gue de ses blancs réj)ondît par un couj) d’Etat neur jugé troj) modéré à des i)réoccupations stratégiques autant que sociales. En France, les « libéraux » du tyj>e Vincent, Sonthonax, qu’on essayait de leurrer par de bonnes paroles et des entrefilets lénifiants du Journal officient, ne s’y trompaient pas, mais se voyaient forcés de ravaler leurs protestations impuissantes contre une expédition qui









prenait énergiquement forme. C’est déjà novembre. Bonaparte fait rassurer les Anglais sur ses intentions qui ne visent qu’à empêcher « le sceptre du nouveau monde » de passer aux mains des noirs. Les Anglais à leur tour

TOUSSAINT LOUVERTURE

226

rassurent le gouvernement américain, qui rappelle son agent consulaire. Toussaint est désormais renseigné non seulement sur les intentions de Bonaparte, mais aussi sur la fragilité de l’amitié anglo-saxonne. Il ne lui reste qu’à rejoindre les positions de Moyse qu’il vient de faire fusiller. Il s’éloigne de « ses » colons, fait de vaines tentatives de rapprochement avec les hommes de couleur, et s’emploie enfin sans désemparer à mettre Saint-

Domingue sur pied de Des dépôts d’armes

guerre.

de munitions furent enfouis en divers endroits, loin des villes, et les chemins conduisant aux montagnes aménagés de manière à faciliter le passage de l’artillerie. Partout les cultivateurs reçurent l’ordre de planter des vivres, et pour s’assurer de l’exécution de cet ordre, des commissaires inspecteurs parcouraient l’intérieur du pays. Il y régnait une activité inconnue à Saint-Domingue depuis la révolution ^7. » « Il donna des ordres pour réparer les fortifications et les mettre en état de défense, et prescrivit de porter à mille cinq cents hommes chaque demi-brigade. Il réorganisa sa garde d’honneur qu’il porta à mille cinq cents fantassins et huit cents cavaliers. Un recrutement général se fit en conséquence dans la colonie, et l’on incorpora tous les jeunes gens en état de porter les armes. Le gouverneur passa des ordres écrits aux commandants militaires de s’opposer à toute force navale qui se présenterait devant les ports de l’île, jusqu’à ce que, en ayant été instruit, il donnât de nouveau, s’il en était besoin, de nouveaux ordres » Ces lettres font état de la mobilisation de SaintDomingue à la fin d’année 1801. C’était tard. Ce n’eût pas été trop tard si la mobilisation psychologique avait été convenablement faite. Madiou rend témoignage d’un effort dans ce sens du général en chef « Toussaint continuait à appeler auprès de lui les hommes de coupeu accouraient à sa voix, tant sa dissimulation leur «

et

:

;

TOUSSAINT AU PINACLE

227 excitait leur méfiance.

Il

partit

homme

du Port-Républicain où

de couleur, commandant de la troisième coloniale, avec ordre de surveiller le général Agé, commandant de l’arrondissement, et le colonel Dalban, commandant de la place, tous les deux blancs français. Partout où il passa, il ordonna à ses lieutenants de massacrer les blancs, de brûler les villes et d’exciter les hommes de couleur à s’armer en sa » Mais faveur si les Français attaquaient la colonie il n’était plus temps.

il

laissa Lainartinière,

CHAPITRE

VI

1802

Bonaparte n’était pas homme à revenir sur ses décisions. Le feu vert qu’il demanda au Conseil des ministres n’était qu’une démarche de pure forme. « Cependant, Bonaparte réunit son conseil privé, le Conseil d’Etat la plupart de ceux qui l’entouraient et les consulta sur l’expédition. Le ministre Forfait, Bernadotte, Dumas, Lucien Bonaparte, Fouché, s’appuyant sur l’exposé de l’Etat de la République en date du 23 novemlire 1801 portant qu’à Saint-Domingue et à la Guadeloupe il n’existerait plus d’esclaves, que tout y était libre et resterait libre, s’elTorcèrent de détourner le Premier consul de ce projet 80... » mais sans succès. Quant à Sonthonax et Vincent, pour avoir essayé eux aussi de donner leur avis contraire à celui du chef suprême, ils furent assignés à résidence hors de Paris. Le parti des colons triomphait donc, jusqu’au rétablissement de l’esclavage. Il apparaîtrait, à consulter

que l’expédition fut préparée avec une minutie extrême et sa stratégie mise au point avec le plus grand soin, mais comment expliquer alors la présence

les textes,

229

1802

de Pauline Bonaparte, accompagnée d’une suite frivole, si ne flottait sur l’entreprise un certain esprit de vacances. Bonaparte n’était peut-être pas tout à fait convaincu que l’on oserait lui résister. Leclerc, avec une très grande légèreté, s’adresse en ces termes au colonel Malenfant « Tous les nègres, lorsqu’ils vont voir une armée, vont mettre bas les armes ils seront trop heureux qu’on :

;

leur pardonne.

— On vous a induit en erreur, mon général. — Comment Un brave me parle ainsi — C’est que suis vrai intrigant. — Mais y a cependant un colon qui m’a !

!



je

et

j)as

ici

il

offert

d’arrêter Toussaint dans l’intérieur de la colonie avec

soixante grenadiers.



Je sais qu’il y a des fanfarons partout. Il est plus hardi que moi, car je ne m’en chargerais pas avec soixante mille hommes. » L’esclavagiste Lapointe, ancien traître de l’Arcahaie résidant en Angleterre, appelé par l’état-major de l’expédition à fournir les cartes militaires qu’il détenait, et sollicité de donner son avis, évalua à cent mille hommes l’armée qu’il faudrait réunir pour la conquête de l’île. On le chassa en le traitant de fou.

La première vague

offensive devait cependant

être

vingt-deux mille hommes de troupes importante régulières, parfaitement organisés et commandés, augmentés d’une Légion de volontaires, blancs et métis de Saint-Domingue. Six cents cavaliers et neuf cents artilleurs comi)létaient l’armée de terre. Mais on ne comptera pas non plus pour rien la puissance de feu de trente-cinq vaisseaux de ligne, quinze corvetla flotte tes, vingt-six frégates, des avisos, des transports. L’Espagne contribuait à Fopération avec quatre vaisseaux de les Pays-Bas étaient ligne, une frégate et un brick présents avec trois vaisseaux de ligne et une frégate. On comprend l’émotion de Toussaint quand, au cours très

:

:

;

TOU SS AI XT LOUVEHrURE

230

d’une reconnaissance, il vit cette flotte étalée dans la haie de Samana. Il dit aux officiers qui raccompagnaient:

France entière vient ici pour se venger et asservir les noirs. » Mais rhomme avait donné sa mesure confronté pour la première fois à un déploie« Il

faut périr

;

la

;

ment de forces difficilement imaginable, il n’ayait point fléchi. Le sentiment de l’infériorité de ses forces ne l’en pas moins. Il avait en tout dix-huit mille hommes dispersés en vingt postes. C’était là sa première faiblesse sensible l’insuffisance et la dispersion des troupes régulières. Une deuxième faiblesse se manifesta dès les premières opérations le Sud se laissa cueillir comme une fleur, prenant sa revanche de la guerre civile avec une joie qui rappelle les transports d’allégresse avec lesquels la population de Jérémie avait accueilli les Anglais en 1793. Laplume, aux Cayes, fut obligé de céder à la population qui, réunie sur la place d’armes, criait qu’elle voulait être française Dommage dut, dans des circonstances analogues, rendre la ville de Jérémie certains chefs, comme Nérette à Saint-Louis, volontaires pour la reddition, se retrouveront au service de l’invasion. Le Sud ouvrait donc une brèche monumentale dans la stratégie de Toussaint qui, à cette première phase des opérations, avait prescrit de retarder le débarquement en résistant de toutes ses forces dans les positions attaquées, en défendant les forts et les ouvrages fortifiés qui protégeaient l’accès des rades, en contre-attaquant au besoin. S’il devenait nécessaire de céder, ordre était donné d’incendier les villes avant de se replier vers l’intérieur sur les positions tenues par les paysans armés la lutte prendrait alors sa vraie physionomie une guerre de guérillas. Mais le Sud n’était pas le seul à blâmer. Les officiers blancs trahirent. Toussaint se méfiait d’Agé et de Dalban, à Port-au-Prince, mais il les avait laissés à leur poste. taraudait

:

:

;

;

;

:

231

1802

mollement, démoralisant les troupes, suscitant dans la ville où vivaient beaucoup d’Européens un désir de reddition. Malgré l’héroHjue résistance de Lamartinière et de Magny au fort dit de Léogâne contre les troupes françaises débarquées à Bizoton, la ville tomba, ouvrant accès au Cul-de-Sac. Cbristopbe, au Cap pour des raisons mal expliquées, probablement parce qu’une j)artie de la population, travaillée j)ar le maire francisant, Télémaque, était peu sûre, incendia trop tôt la ville, sans avoir fait aux forces expéditionnaires ancrées dans la rade tout le mal que sa position lui permettait. Paul Louverture, incertain, tromj)é par une manœuvre (|ui lui avait fait croire que Toussaint ordonnait de se rendre, faisait sa soumission sans se battre. Le j)lan de Toussaint était disloqué. Les seules villes où il fut exécuté furent les Gonaïves, placées sous le commandement de Vernet, et Saint-Marc où Dessalines était rentré après avoir mis le feu à Léogâne et essayé en vain de tenir sur les arrières de Port-au-Prince. Maiirej)as, à Port-de-Paix, résista d’abord héroïquement. Il fit mordre la i)oussière aux généraux Humbert et Debelle, j)uis isolé, surestimant les défaites du Nord et de l’Ouest d’aj)rès les rumeurs alarmistes qui lui en étaient parvenues, il finit j)ar se rendre sans mettre le feu à la ville comme il en avait reçu l’ordre. Toussaint lui-même et Vernet faillirent être victimes d’une stratégie d’ensemble ([ui ne se justifiait plus dès tombés, intacts ou lors (pie tant de ports étaient jiresque, aux mains des assaillants, ouvrant la porte à la guerre de mouvement. Toussaint se portait des Gonaïves vers le Nord quand, à la hauteur d’Enncry, il rencontra les avant-gardes françaises. Il se replia aussitôt sur les Gonaïves dont il ordonna à Vernet la destruction et l’évacuation. Il fut rejoint à la Ravine-à-Couleuvres par les forces de Rochambeaii, et y livra une Ils

se

battirent

d’abord

TOUSSAINT LOUVEUTURE

232

dure bataille, à l’issue incertaine, dont l’avantage a été revendiqué par les deux adversaires. Quoi qu’il en soit, il i)ut au moins dégager la plus grande partie de ses forces. Si

Boudet, qui avait déjà laissé Port-au-Prince pour



en apj)renant que Dessalines menaçait la ville, Toussaint était alors cerné. Dessalines, en effet, exécutant les ordres de Toussaint, avait incendié Léogâne, et essayait d’entrer à Port-au-Prince pour y mettre également le feu. La ville était en partie dégarnie, et il allait réussir quand les chefs de bandes Lafortune et Lamour Dérance, des hommes de Rigaud, tombèrent sur ses arrières, détruisant la S*" demi-brigade postée en couverture. Ceux qui ne furent pas tués furent faits prisonniers. Voilà donc la troisième faiblesse du système défensif de Toussaint les bandes de marrons qu’il n’avait pas su rallier. Le cas de Lamour Dérance et de Lafortune se diriger vers l’Artibonite, n’avait

faire volte-face

:

des hommes du Sud, des amis de Rigaud, et sans doute leur attachement au chef métis signifiait-il que, dès les premiers jours, Rigaud avait soutenu leur liberté. Ils avaient lutté pour lui contre Toussaint en 1800, et cela n’était point oublié. L’expédition française arrivant avec Rigaud, ils l’avaient ralliée en hommes du Sud pour des raisons affectives. Ajoutons que, aussitôt Rigaud déporté par Leclerc, comme nous le verrons plus loin, Lamour Dérance se retirera dans scs montagnes et ne prendra point part aux luttes pour l’indépendance. Or, ce comportement irrationnel qui réédite chez les Africains l’attitude divisionniste, l’esprit anti-nation des blancs ou des métis, est trop caractéristique d’un climat géographique et psychologique donné pour que l’on puisse ici généraliser. Mais d’autres bandes aussi auront posé un problème très particulier aux dirigeants successifs de Saint-Domingue depuis 1791. Les groupes de marrons qui n’avaient était

particulier certes. C’étaient

233

1802

jamais cessé, depuis les j)remiers jours de la traite, de tenir les montagnes, s’étaient multipliés. Certains d’entre eux étaient composés d’Africains qui avaient à peine passé dans les ateliers et continuaient d’utiliser leurs dialectes d’origine, ignorant le

«

créole

s>,

ce patois fran-

dans les plaines. Sonthonax déjà, avait fait appel aux bandes du Nord contre Galbaud. Quelques-unes d’entre elles avaient répondu à son appel, purgeant le Cap de sa rébellion toutefois, malgré l’octroi de la liberté, la plupart avaient regagné les bois, et ce n’est j)as le caporalisme pratiqué, cisé utilisé

;

après la liberté générale, par les chefs de la colonie, Toussaint compris, qui j)Ouvait les convertir à la vie d’ouvriers agricoles.

Leur existence dans les montagnes n’était des camps militaires. Jamais bien loin de leurs

j)as

celle

fusils ni

de leurs piques, prêts à répondre à l’appel des chefs, mis, par la force des circonstances, aux ils s’étaient cultures vivrières. Ainsi s’établirent dans les montagnes des habitudes qui devaient se révéler désastreuses pour la conservation des sols. Vivant tant bien (|ue mal, jalouses de leur indépendance, ces bandes étaient mobilisables au besoin pour des coups de main, mais on ne les enrégimentait j)as. On conçoit que, pour en faire une armée unie et obéissante, il aurait fallu leur proposer, au-delà de la liberté, des buts j)récis et convaincants. Le monde composite de Toussaint j)ouvait-il les leur offrir ? Se définissait-il

comme

leur

Peu

?

d’entre

eux

rejoignirent

l’armée

régulière.

Michel et Mamzelle, dans le Nord, aj)rès l’affaire Galbaud, et dans l’Ouest Lai)lume a])rès qu’il se fut défait de son chef Dieudonné. Ils servirent Toussaint, Laplume comme subordonné, les autres comme alliés. Pierre Michel lui resta fidèle jusqu’à ce qu’il disparût, après l’affaire Moyse, au cours de la Il

y eut

Pierre

TOUSSAINT LOUVERTURE

234

D’autres l’aideront, de loin en loin, accourant à son appel. Ce fut le cas de Sylla, de Sans-Souci, de Macaya, de Petit Noël Prieur, mais leur intégration n’était possible que dans un monde qui eût été dynamiquement celui des nouveaux libres, non point un monde qui eût fait disparaître blancs et anciens libres, mais qui les eût soumis aux buts de classe des hommes nouveaux, en particulier à la distribution démocratique de la terre. N’ayant pas été intégrés, ils allaient prolonger jusqu’à la fin une espèce de dissidence que Dessalines, au moment de préparer la phase ultime de la guerre dei libération, sera obligé de réduire par la violence, disant lui-même avec une grande lucidité que ces hommes étaient devenus « des obstacles à la liberté ». Ce sera l’un des épisodes les plus navrants d’une époque fertile en contradictions que cette destruction des protagonistes de la révolution permanente, des insoumis qui tenaient la flamme, par des chefs de leur propre race, de leur propre classe. Qu’on se rappelle le requiem de Madiou « On déplore le sort de ces infortunés qui avaient fait des efforts si héroïques en combattant pour la liberté mais ils retardaient le triomphe de l’indépendance en » s’isolant de l’unité nationale Renvoyons à Rouzier 82 ceux que pourra intéresser le sort de ce qui resta des bandes après l’indépendance. Ce qu’il faut constater ici, c’est que l’impuissance de Toussaint à pleinement contrôler et mobiliser cette importante partie de sa clientèle naturelle fut l’une de répression

«

au couteau

».

:

;

ses grandes faiblesses.

Ainsi donc, contrairement aux prévisions du général en chef, quelques jours avaient suffi aux forces expéditionnaires pour être maîtresses des côtes. Port-auPrince tombée, la dernière des villes côtières, les forces de Leclerc se trouvaient libérées en totalité pour tenter un mouvement d’encerclement. C’était une manœuvre

235

1802

logique, claire,

défaut,

celui

cl

(|ui

d’être

devait réussir. Elle u’avait qu’un

justeiuent

la

Même

le

saient les circonstances.

manœuvre qu’impo-

périmètre géographi(|ue sur lequel devait se réaliser l’encerclement se trouvait délimité par la configuration du terrain c’était l’Artihonite, l’ancien territoire du cordon de l’Ouest, connu du général en chef dans ses moindres défilés, dans tous ses culs-de-sac. La tactique conçue par Toussaint pour contrer la manœuvre française d’encerclement était d’immobiliser, face à un point fortifié donné, une partie des troupes engagées dans le mouvement concentrique, provoquant l’arrêt de toute la manœuvre, puis le glissement latéral de renforts vers le ])oint d’arrêt, et, à la faveur de ce moment d’incertitude, de porter la guerre sur les arrières de l’ennemi, vers les ports qu’ils avaient dégarnis, les forçant à retourner sur leurs pas, disloquant tout le dispositif d’attaque. Privé d’informations, il croyait que Port-de-Paix tenait encore, son idée était de rallier ^faurepas pour les suites tactiques que permettrait la situation. L’important, dans l’instant, était d’arrêter, puis :

de rompre l’encerclement. Le point fortifié choisi pour la résistance à outrance était le fortin de la Crête-àPierrot.

La manœuvre de Toussaint

réussit,

bien qu’elle ne

dût pas déboucher sur une situation stratégiquement avantageuse, puisque Port-de-Paix était déjà tombé, et que la Crête-à-Pierrot ne pouvait pas tenir indéfiniment. Pendant que Dessalines s’y maintenait cependant, relayé ensuite par Laniartinière et Magny, Toussaint fonçait vers le Nord, enlevant coup sur coup les bourgs de Saint-Michel, Saint-Raphaël, Dondon, Marmelade, menaçant le Cap. Alors seulement il apprit la reddition de Maiirepas, en se heurtant aux éclaireurs d’un détachement lancé contre lui, des hommes de la 9* demibrigade.

.

TOUSSAINT LOUVERTURE

23G

grandes étapes, l’immobilisation des Français devant la Crête-à-Pierrot devant lui permettre de faire de nouveaux plans. Mais le fortin, après avoir tenu un certain temps, provoquant la perte de centaines de soldats français et un grand mouvement de renforts, avait dû, à bout de munitions et de provisions être évacué. La garnison s’était frayé un cheIl

se replia sur l’Artibonite à

min à la baïonnette à travers le cercle des assiégeants. La deuxième phase de la campagne s’achevait sans Français, maîtres des côtes, avaient vu déjouer leur projet d’écraser les forces indigènes Toussaint, de son côté, ayant échappé à l’encerclement, n’avait pu garder aucune ville, aucune ligne fortifiée la guerre de guérillas s’annonçait, avec le concours des résultats décisifs

:

les

;

:

bandes » Les Français n’osaient pénétrer dans l’Artibonite. Outre les difficultés logistiques ils se heurtaient à un problème tant moral que physique il était indispensable de laisser l’armée récupérer. Les soldats étaient, en effet, déconcertés par cette guerre farouche, héroïque, révolutionnaire menée par les nègres contre une invasion dont les républicains qui y participaient commen«

:

çaient à entrevoir

le

La guerre de

détestable but

^3.

imposée jiar Toussaint à Leclerc et qui démoralisait peu à peu les forces françaises, ne peut être mieux évoquée que par ce témoignage « Toussaint ne disparaît devant eux que pour les étonner par sa vitesse, les tromper par des marches tortueuses, les guérillas

:

harceler sur les derrières, les accabler de fatigue... Tantôt, il couvre sa fuite de déserts et de flammes pour leur

rendre la victoire plus funeste que la défaite tantôt il attend dans un défilé sa proie qu’il égorge, mettant ainsi par son génie la guerre au-delà de toutes les règles. Christophe dans le Nord, Dessalines dans l’Ouest secondent sa vitesse, ses ruses et ses mouvements. Il disparaît ;

et reparaît,

comme

s’il

était

partout invisible

et

partout

237

1802

présent...

On ne

comment

elle

sait



est

son armée,

comment

elle vit,

dans quelles montagnes sont son trésor, tandis qu’il est informé

se recrute,

cachées ses armes et de tout ce qui se passe chez l’ennemi... Les différents corps de l’armée française qui le croient perdu le revoient de tous côtés avec la mine du vainqueur. Il les inquiète, les bat et les harcèle dans leurs

communica-

dans leur attaque, dans leur marche, dans leur retraite... Dans cette guerre... toujours il échappait pour tions,

reparaître toujours,

faisant éclore

les

soldats sous

les

pas de son armée. Il semblait que les montagnes les enfantaient ^4. » Les montagnes, en effet, les enfantaient, car ce qui nous a été décrit ici, c’est le type même de la guerre révolutionnaire où le peuple et l’armée ne font qu’un, la paysannerie assumant ici toutes les tâches. Cette guérilla ne venait j)as trop tard, mais elle commençait peut-être trop loin à l’intérieur des terres, .alors que l’ennemi avait réussi à s’établir non seulement sur les côtes, mais encore dans les plaines où l’on réorganisait tant bien que mal les ateliers avec les ouvriers qui n’avaient pas marronné. Cependant, les troupes françaises étaient fatiguées Leclerc demandait à Bonaparte encore vingt-cinq mille hommes. Elles étaient inquiètes aussi, et ce n’était pas seulement à cause de la tactique peu orthodoxe de leurs ennemis, mais de certains traits déroutants de la guerre « Dans cette guerre, on vivait à côté révolutionnaire de son ennemi, on couchait sous le même toit, on mangeait à la même table sans se connaître, car il y avait des noirs pour le Consul et des blancs pour Tous-* :

:

saint

:s>

guerre de guérillas décrite par Métrai, Toussaint était puissamment secondé par les chefs marrons Sylla, Sans-Souci, Macaya, Petit Noël Prieur, et il n’avait nullement l’intention de reprendre en rase campagne

Dans

la

TOUSSAINT LOUYERTURE

238

une forme de lutte qui lui avait trop coûté, qu’en fait mener, mais qui lui il n’avait jamais eu l’intention de avait été imposée, soit à lui-même à la Ravine-à-Couleuvres, soit à Dessalines dans la plaine du Cul-de-Sac, ou à Christophe dans le Nord, par l’effondrement de ses plans antérieurs. Le général en chef était donc témoin du succès des opérations de guérilla conformes à sa stratégie de toujours. Il n’avait pas de problèmes de ravitaillement, ayant pris la précaution de faire planter l’intérieur et de s’aménager des cachettes pour les armes et les munitions. Il désirait consolider ses positions à l’intérieur de la redoute artibonitienne, et y attendre les pluies de mai. Isaac Louverture expose ce projet en ces termes « Le nouveau plan de campagne du gouverneur tendait à isoler Leclerc dans le Nord en lui coupant toutes les communications par terre avec l’Ouest et le Sud. Pour y parvenir, il lui fallait contraindre les Français à abandonner la rive droite de l’Artibonite, les Gonaïves, Plaisance et Limbé. Dessalines devait en conséquence enlever le camp Castera, attaquer et reprendre la Crête-à-Pierrot, qui, par suite de l’occupation de Marchand d’un côté, et du Calvaire et de Plessac, de l’autre, n’aurait pu résister à une forte attaque à laquelle participerait Charles Belair. Vernet marcherait sur les Gonaïves, tandis que le gouverneur se porterait en personne contre Plaisance et le Limbé. Pour l’exécution et le succès de ces plans, il avait noué des intelligences dans toutes les régions où les opérations devaient avoir lieu il comptait sur l’ardeur, le courage de ses soldats et de ses milices autant que sur l’affaiblissement des troupes européennes déjà accablées par les maladies et le climat ^6. » Texte capital qui dresse devant nous un homme qui n’a rien perdu de ses facultés ni de ses moyens. Et c’est dans ce climat de détermination et de lutte sans relâche qu’éclate le coup de théâtre de la capitula:

;

239

1802

que rien dans l’examen des faits ne permet d’expliquer. Toussaint avait repoussé ses fils et leur précepteur, méprisé une lettre de Bonaparte, les tion, le lâcher tout,

appels de Leclerc il s’était fermé, dirait-on, définitivement à toutes sollicitations émollientes, quand, sur une lettre du général Boudet, imposture du genre « de soldat à soldat 2 dont est pavé l’enfer des innocents, il se laisse gagner par la tentation de la paix. ;

>

Du

que Leclerc, désobéissant aux instructions reçues, accorda à Touscôté français, la surprise fut

saint des conditions honorables

si

totale

pouvait se retirer sur une terre de son choix, ses officiers conservaient leur grade et continuaient de servir dans l’armée indigène, toutes concessions qui ne cadraient guère avec les buts d’une expédition qu’on se fût bien épargnée si c’était pour garder des généraux nègres. C’est qu’il

:

il

y avait à Saint-Domingue une réalité qui malheureusement Bonaparte y était lois

imposait ses imj)erméahle. Les lettres de Leclerc changeaient de ton jusqu’à attester que jamais il n’avait combattu d’hommes plus braves. Peut-être même le général tenta-t-il de lui faire comprendre que les plans des vieux colons étaient voués d’avance à l’échec, mais le futur empereur ne prêtait attention qu’à ses chimères. ;

« Dès l’instant Le 16 mars, il écrivait à Leclerc « où vous serez défait de Toussaint, de Christophe, de « Dessalines et des principaux brigands et que la masse « sera désarmée, renvoyez sur le continent tous les noirs « et hommes de couleur qui auront joué un rôle dans « les troubles civils. » Le 27 avril, il écrivait au consul Cambacérès ses idées sur un sénatus-consulte régissant « Tous les individus noirs, non compris les colonies « dans les listes mentionnées à l’article premier, seront « assujettis aux lois et règlements qui, en 1789, compo1®*^ juillet, il « saient le ” Code Noir des colonies ”. Le :

:

TOUSSAINT LOUVERTURE enjoignait à

240

Leclerc de se défaire

«

de

ces

Africains

dorés 87 ». Cependant, Couverture n’avait cédé qu’à une armée « Leclerc, écrit le coloexpéditionnaire à demi vaincue « nel Hugo, membre de l’expédition, pouvait, d’après ses « pertes progressives, à part les chances du prochain « hivernage, calculer à peu }>rès l’instant de la dis« solution de son armée si mécontente d’une pareille « expédition. 11 serait plus difficile d’établir les raisons « qui décidèrent les chefs noirs à une paix qui devait « être moins avantageuse pour eux que pour leur adver:

«

saire S’il

88. »

n’est pas possible

d’imputer

la

capitulation au

rapport des forces en présence, si la capacité qu’avait le chef noir de résister militairement n’a donc pas été soumise à une épreuve trop forte pour elle, il faut attribuer cet abandon à un fléchissement de sa volonté. Il faut écarter ici quelques hypothèses encore assez 1° Que la capitulation n’aurait été qu’une courantes ruse de guerre dans l’attente de la saison humide. Toussaint aurait pu attendre les pluies dans de bien meilleures conditions en s’en tenant au plan révélé par Isaac Louverture. La capitulation intervint d’ailleurs à l’entrée de la saison pluvieuse, dans les premiers jours de mai. 2 ° Que Toussaint aurait été mal informé du délabrement des forces françaises. Isaac Louverture lève tout doute à cet égard. Métrai lui-même écrit « Il est informé de tout ce qui se passe chez l’ennemi » à preuve les embuscades dont il pouvait semer le parcours des troupes françaises. 3“ Que la trahison de ses officiers a provoqué sa soumission. La reddition de Maurepas ne l’a pas empêché de conduire énergiquement la troisième étape de la guerre ni de faire des plans cohérents pour une quatrième phase. Quand Christophe s’est soumis, Toussaint n’ignorait pas qu’il négociait avec l’ennemi, ayant même approuvé le principe de ces négo:

:

;

241

1802

en un sens, annonçaient son proj)re lléchisseinent. Il contraignit lui-niêine Dessalines et Belair à se rendre. Les marrons, eux, ne se soumirent jamais. Aucun fait j>articulier de trahison n’a certainement ])oussé le général en chef à la capitulation. Cependant, d’un coup, sa volonté de se battre s’évanouit il annonce sa soumission, passe en revue sa garde et la licencie, se retire sur ses terres. Tout se passe ou comme s’il avait renoncé au but de sa vie, ou comme si la lettre de Boudet l’avait enfin persuadé que ce but était atteint. Mais quel était donc ce but ? Il nous faut maintenant le dépister sous les faux-semblants et à travers les avatars des situations successives où Toussaint se ciations

(jui,

;

vit

impliqué

:

Voici la révolte de 1791, le secrétariat chez Biassou, le semi-marronnage sans buts stratégiques, les vaines négociations avec l’Assemblée coloniale, sous la première commission civile, pour l’octroi d’un certain nom-

bre de libertés

;

passage au service de l’Espagne quand Sa Majesté catholique a offert aux insurgés la liberté et leur j)araît la seule autorité caj)able de la garantir Puis, c’est

le

contre leurs ennemis C’est l’appel du 29 août 1793 ;

:

Je veux que

la liberté

régnent à Saint-Domingue C’est le }>assage au service de la France après le décret de pluviôse de la Convention confirmant la liberté générale C’est l’ascension, puis les luttes tenaces contre l’autorité métroj)olilaine, le témoignage de ceux qui l’ont apj)rocbé pendant celle ])ériode sur son amour idolâtre et l’égalité

;

;

de

la liberté

;

Enfin, la jiréparation à une lulle acharnée dans l’intérieur plutôt que sur les côtes.

La

vie entière de Toussaint

Louverlure semble

tisser

TOUSSAINT LOUVEJRTURE

242

liberté. Qu’à certains son dessin autour d’un mot moments le mot parût lui suffire, sans plus de substance sociale que le trésor de l’avare, indiquerait ses limites sans cesser de le désigner comme l’homme d’une idée, le défenseur acharné d’un principe qui allait l’amener, face à Leclerc, sur les champs de bataille de 1802. Mais Boudet lui assure, après trois mois de luttes, que la liberté générale n’est pas en péril. Et n’étaient-ce pas aussi les propos de Bonaparte dans la lettre que lui apportaient ses fils. Ne sont-ce pas les promesses affichées sur tous les murs, répétées en des milliers de feuillets, de papillons bilingues semant villes et campagnes ? S’il n’a pas renoncé au but, Toussaint s’est trompé sur le choix des moyens, il s’est laissé prendre au piège. En d’autres termes, convaincu qu’elle ne serait pas remise en jeu, il n’a pas renoncé à la liberté mais à l’indépendance qui seule pouvait la garantir. Et pourtant, c’est bien parce qu’il avait conscience, même obscurément, que la liberté passait d’abord par l’indépendance que Toussaint se dressa contre Hédouville, contre Roume, se plaçant dans un contexte de résistance face à une métropole dont il redoutait les :

intentions.

faudrait relire la lettre au Directoire de 1797 Loin de leur faire regagner ce qu’à leurs yeux la liberté générale leur a fait perdre, ils s’exposent, eux, Il

«

« « «

:

à une ruine totale, et la colonie à une perte inévitable. » La menace ne pouvait pas être plus claire.

une conscience affermie

contre la Constitution française de l’An VIII, a conçu la Constitution de 1801 comme instrument d’une administration autonome, garante des libertés coloniales essentielles. C’est cette même conscience, enfin, que l’indépendance était l’instrument indispensable, sinon unique, de la liberté qui l’a engagé malgré son émotion, dans la C’est

et

lucide qui,

243

1802

de 1802. Le colonel

Vincent, officier de Bonaparte, écrivait aj)rcs les événements à Isaac Louverture « Mais il aimait bien davantage (que la France) et avec « })liis de raison sa liberté et celle de ses frères je i^iicrre

:

:

«

«

« « « « «

pense donc (jne vous ne serviriez nullement sa mémoire en cherebant à j)rouver, si telle était votre intention, qu’il n’a songé à aucun moyen de défense pour le })ays qu’il gouvernait, lors(ju’il a été sûrement informé que l’on y envoyait une })uissanle armée dont l’objet inconnu j)ouvait bien amener des mesures hostiles contre la liberté. Ne lui faites pas le tort de croire n’a })as tout sacrifié juseju’au dernier

«

(ju’il

«

la

«

faire j)révaloir

sublime cause que ^9,

lui

seul

moment

à

au monde avait pu

»

Ce colonel français mettait en garde Isaac Louverture cjui ris(}uait de faire appel à de mauvais arguments pour j)laider la cause de son j)ère. Lui qui, comme envoyé de Bonaparte, avait vécu auprès du chef de Saint-Domingue la grande année du pinacle (août 1800-juillet 1801), tenait à l’honneur de Toussaint qu’il fût un insurgé de la défense de son pays contre la liberté préparant l’armée de la métroj)ole. Mais les assurances répétées avaient rongé la méfiance du vieux lutteur. Il ne peut y avoir aucun doute que sa capitulation ait été réelle. On ne voit se dessiner autour de lui aucun réseau secret de protection, aucune les chefs de bandes n’ont organisation clandestine maintenu dans son voisinage aucun appareil de surveil;

lance.

Français l’ont-ils accusé de s’être ? Il ne s’agissait pas, à la vérité, de rultime sursaut d’un homme C’était conspiration. abreuvé de vexations pour renouer les fils (pi’il avait lui-même cassés dans un moment de découragement. « Vous ne me donnez ])as de nouvelles, citoyen, écri” à son affidé Fontaine « vait ce ” chef conspirateur

Pourquoi alors remis h cons])irer

les

;

TOUSSAINT LOUVERTURE « « « « « « «

244

tâchez de rester au Cap le plus longtemps que vous pourrez. On dit la santé du général Leclerc mauvaise à La Tortue, dont il faut avoir grand soin de m’instruire... Quant à la farine, dont il nous en faudrait comme de cette dernière on ne l’enverrait pas sans avoir passé à la Saona, pour connaître, le point où on pourrait en sûreté le mettre... On voudrait faire tra-

«

à Héricourt, dont le gérant ne doit pas le faire... Je vous demande si l’on peut gagner quelqu’un près du général en chef afin de rendre D... (le général Dommage) libre. Il me serait bien utile par son crédit à la Nouvelle et ailleurs. Faites dire à Gingembre qu’il ne doit pas quitter le Borgne, où il ne faut pas

«

que

« « «

« «

vailler

les cultivateurs travaillent. »

On comprend

bien

préoccupations de l’ancien berger pour le troupeau passé aux mains du loup. Il essaie de se renseigner, il voudrait bien organiser quelque chose, mais peut-on conspirer à partir d’une humble clandestinité quand on a été le chef suprême ? Louverture, à cette heure, nous convaincrait bien plus si nous le voyions marron à côté des marrons. Désormais, il subit et il est condamné à subir jusqu’au cachot et à la mort ignominieuse les conséquences de ce moment de vacillation où il cessa d’ajuster le moyen au but, où il

abandonna

le

moyen

étant nécessaire

et

les

lui-même défini comme seul suffisant pour assurer la

qu’il avait le

liberté générale.

C’est le but qui inspire les

moyens

et

fait la

preuve

de leur efficacité. La capitulation de Toussaint indiquait au contraire un double recul sur le plan insurrectionnel la révolution étant abandonnée, sur le plan institutionnel, la Constitution de 1801 étant désormais lettre morte, Toussaint se retrouvait au même point que le jour où, lassé par les tracasseries d’Hédouville, il avait demandé :

sa retraite. Il

n’allait

pas vivre longtemps sur ses terres d’Ennery.

215

La

1802 caj)itulation date

du

6

mai

;

son embarquement pour

France, chargé de fers, aura lieu le 15 juin. Mais pour qu’un individu, pour qu’un chef cède à une telle tentation, pour que dans une vie de courage et d’astuce comme celle de Toussaint Louverture il y ait une telle et si fatale défaillance, ne faut-il pas conclure qu’il y avait chez lui un conditionnement à l’abandon ? L’ancien domestique avait peut-être plus tendance à se fier à la parole donnée que le rude esclave des ateliers. Devenu le chef d’une société qu’il avait lui-même voulue, patronnée, faite à partir de plusieurs races, il était sans doute plus naturellement porté à faire confiance aux hommes que le pauvre nègre rétif et replié sur soi. Par ailleurs, dans la mesure où le chef doit se prémunir contre ses propres défaillances en organisant le parti, la défaillance de l’autocrate abandonné à ses seules décisions est une leçon aussi importante que ses plus il dut contraindre à se soubelles années. On le répète Dessalines et mettre les plus hauts gradés de l’armée les marrons qui avaient été l’âme de la guerre Helair de guérillas, ne se soumirent jamais. Il ne faut ])as oublier non j)lus, à côté de la résistance à outrance des « mornes », la défaillance de la plaine. Elle a pu influencer Toussaint. Il n’a pas senti derrière lui la pression populaire puissante d’une SaintDomingue organisée autour des hommes nouveaux. Ce qui ne cédait pas c’était la partie la j)lus sauvage de la

:

:

;

Saint-Domingue

;

tout

ce qui

était

organisé,

articulé,

se rendait, parce (|u’aucun esprit nouveau, aucune aspiration durable ne cimentaient cette société. Il n’y avait

ou moins j)rospères qui ne pût espérer s’accommoder de compromis. Seuls les chefs noirs qui y avaient été propriétaires ou gérants étaient partis après avoir incendié leurs maisons et détruit leurs récoltes. Ce levain une fois retiré, la pâte était devenue inconsistante. Les paysans de plaines rien

dans toutes

les

zones

j)lus

TOUSSAIM LOVVERTVRE

246

eux-mêmes, portionnaires des blancs ou des généraux, s’étaient tranquillement résignés à la vie d’atelier, une quart des bénéfices garanti par Leclerc, qui n’était pas encore assez fort pour revenir aux statuts de 1789. Si cette masse des ateliers avait été, elle aussi, prise au piège de la propagande de Leclerc, c’est que son conditionnement psychologique était insuffisant, Toussaint ne lui avait pas appris à identifier l’Européen avec fois le

l’esclavage.

Même

à

l’instant



les

masses

s’étaient

trouvées le plus violemment portées contre planteurs et fonctionnaires, le général en chef leur avait prêché l’intégration. Il refusait d’épouser les émotions de la masse dans ce qu’elles comportaient de rétrograde, mais il n’avait pas pour autant suivi leur pensée et leurs revendications dans ce qu’elles avaient de légitime. S’il leur avait donné la terre, Charlier l’a très bien vu, les mots d’ordre de Leclerc n’auraient pas pu se confondre avec les siens la différenciation était d’emblée établie, et l’armement moral de la paysannerie des plaines devenait ;

invincible.

A

du moment où il avait cru devoir se prémunir contre la menace que faisait planer sur le statut des nouveaux libres le silence de la Constitution de l’An VIII, Toussaint aurait dû cesser de se prétendre un commis de la métropole. La liberté menacée devait être garantie, non par un bout de papier dénommé Constitution, mais par les masses elles-mêmes. En d’autres termes, une fois arrêtés les moyens qui partir

devaient conduire à l’indépendance, garante indispensable de la liberté, le chef de Saint-Domingue n’aurait pas dû se tourner vers la légalité, mais vers l’insurrection. Il pouvait alors dénoncer violemment la Constitution de l’An VIII, au lieu de faire lui-même une Constitution, préparer la guerre, chasser les fonctionnaires blancs et les prêtres, épurer l’armée de tous les officiers suspects, redistribuer le commandement en plaçant entre

247

1802

des mains énergiques les postes les plus délicats, préparer la mobilisation systématique de la paj^sannerie armée, en bref, mettre la colonie tout entière sur pied de guerre, dès la conclusion de la campagne du Sud. Deux moyens avaient déjà servi pour assurer la cohésion de l’ensemble nègre contre la France le Vaudou et la question de race. Devait-il donc se servir de moyens rétrogrades ? A l’instant ils préservent la conscience nationale, tous les mots d’ordre dits réactionnaires peuvent et doivent servir l’orientation sociale les charge d’un contenu positif en les mettant provisoirement au service du progrès. Il est certain, en effet, que le parti des bien-pensants, latifundiaires et légalistes, n’aurait pas mis les pieds sur un tel terrain. La révolution de Saint-Domingue aurait alors été débarrassée plus tôt de leur influence négative. Par la loi, ou par la force du fait, les terres seraient passées aux mains des nouveaux libres, les marrons se seraient établis, j)eut-être se seraient-ils convertis à l’unité entraînant avec eux jusqu’à Lamour Dérance et l’expédition Leclerc aurait j)u être brisée sur les plages, et par Toussaint :

:

lui-même.

Une

en chef hors de jeu,

Leclerc aurait bien exécuté les instructions du Premier consul en déportant de l’île tous les indigènes porteurs d’épaulettes, mais il se rendit compte qu’il ne pouvait rien sans eux, ])arce que dans une guerre qui avait été, en fin de compte, l’œuvre des maquis, la reddition du chef fois

le

général

des armées régulières ne garantissait pas la paix. Entre les métis éclairés qui avaient accompagné son expédition, et les noirs (|ui avaient été les chefs de la guerre civile, Leclerc choisit de s’appuyer sur ses anciens adversaires, et il commença à déporter les métis ])ar l’exil de Rigaiid lui-même, j)rovoquant la fuite vers les niac[uis des officiers métis (jui devenaient ainsi

parmi

les

marrons.

marrons

TOUSSAINT LOUVERTURE

248

de dérouter ses maîDessalines, Belair, Christotres par ses contradictions phe servaient Leclerc « dans leurs grades » au moment où les chefs métis rejoignaient les forces de la révolution permanente. Et ce n’est certes pas l’aspect le plus convaincant de la reddition de Toussaint Louverture que d’avoir prétendu achever une guerre révolutionnaire dans la duperie de «l’honneur». Les généraux nègres ne pouvaient être utilisés qu’humiliés et démonétisés contre leur propre révolution. Ici on entre dans la légende que ne cesse d’entretenir la piété populaire. Christophe et surtout Dessalines auraient, dès le premier jour et en pleine connaissance de leurs buts éloignés, entrepris de tromper Leclerc, et cela avec un succès tel que celui-ci les chargea de veiller au désarmement général, tâche qui ne pouvait être confiée qu’à des fidèles. Dessalines, avec une prescience infaillible des exigences de l’unité, se serait acquitté de cette tâche avec une intelligente duplicité, frappant les irréguliers voués sans retour à la dissidence, mais donnant aux groupes aptes à être disciplinés pour le combat final des armes en bon état. Dans quelle mesure les chefs noirs, sachant bien qu’ils étaient engagés dans un mauvais contrat, d’ailleurs

Saint-Domingue n’avait pas

fini

:

tout provisoire, se crurent-ils obligés de donner des gages à l’ennemi par leur zèle ? C’est

ment

un procès

particulier qui se perd dans

global de l’Histoire. Mais c’est tout de

le

juge-

même un

procès que l’Histoire faillit être mise en demeure d’instruire. Les premières démarches d’unification que tenta Dessalines auprès des marrons, dès qu’il eut abandonné les Français, se heurtèrent, en effet, à la haine tenace de certains secteurs qui n’oubliaient pas les sombres saignées des derniers mois. Il faillit même y perdre la vie une fois au moins le métis Pétion, lui servant de garant, s’interposa entre le général noir et les paysans furieux. :

249

1H02

En

politique

n’est point de hasard, et

en Histoire pas d’ironie. Ce n’est j)oint une ironie du sort mais une conséquence logique de toute l’histoire de la rébellion si, au moment même où la liberté semblait prisonnière, avec son prophète, au fort de Joux, surgit à Saint-Domingue la grande alliance qui allait imposer l’indépendance. La propagande « libérale » de Leclerc n’était (lu’un mensonge masquant les buts réels que les alliés coloniaux de Bonaparte le pressaient de réaliser. Et il allait bientôt apparaître aux deux fractions indigènes que les buts qu’elles poursuivaient ne pouvaient être garantis que par un moyen, et un seul l’indépendance. Et la première condition de l’indépendance était l’union. Ce n’est pas que les deux classes indigènes, si longtemps ennemies, aient obéi à une logique du sentiment. Ce n’est pas qu’elles aient découvert qu’elles s’aimaient. Elles aboutissaient, j)ar nécessité, à la solidarité. Sur cette base, et dans l’identité de leur but qui était de vivre, elles allaient pouvoir fonder une patrie en se levant ensemble contre Bonaparte l’assassin. il

:



LE PRECUBSEUB.

Au

cours de onze années d’entêtement et de rébellion, Toussaint avait mis au monde une œuvre plus grande que lui, dont la dynamique transcendait ses propres défaillances. Intraitable, multipliant les adresses, les proclamations, il avait répandu sur tout Saint-Domingue un esprit de liberté que traduit ce défi jeté ù Bonaparte, du maquis d’Ennerj^

:

DE MA

«

JE SAISIS LES ARMES POUR LA LIBF>RTE COULEUR QUE LA FRANCE SEULE A PRO-

CLAMEE, ELLE N’A PLUS LE DROIT DE NOUS NOTRE LIBERTE NE LUI RENDRE ESCLAVES :

APPARTIENT Si

PAS. » Toussaint demeure grand,

c’est

que l’exigence de

liberté qu’il avait éveillée chez ses concitoyens survivait à sa défaite. Le sentiment populaire a raison d’assimi-

TOUSSAINT LOUXERTURE

250

Toussaint à l’indépendance, il ne la conçoit pas sans lui Toussaint était déjà indépendant. A l’heure décisive où le peuple, derrière Dessalines, saisit les armes pour la bataille finale, et à l’aurore glorieuse de janvier, ce n’est pas seulement la piété, c’est aussi la justice, ce cœur puissant de la raison, qui, pour tous et d’instinct, place en tête du cortège et à l’ombre du drapeau TOUSSAINT LE PRECURSEUR. 1er

:

:

San José de Costa Rica, 1960. Dakar, 1963.

NOTES

n

A

.

NOTES DU LIVRE

Turnier, Alain Washington, 1955. 1.

2.

Dedien, g.

Le mot

:

:

Un

Les Etats-Unis

I

et

le

haïtien,

colon sur sa plantation, Dakar, 1959.

de Toussaint Louverture une suite de cette liberté. » V. pp. 97, 98. 3.

marché

est

:

« L’égalité

est



L’esclave était désigné dans les inventaires et bientôt dans les débats d’Assemblées sous le vocable de « biens mobiliers » 4.

5.



Vaissière, Lierre

:

Saint-Doininque, Ed. Perrin

et

Cie,

1909.

A

longue, au-dessous de ce prolétariat plus ou moins actif, se forma dans les grands ])orts, Caj) et Port-au-Prince, une classe de vauriens qu’alimentaient les écbap])és clandestins des villes maritimes d’iuirope et les éléments indisciplinés abandonnés par les navires. 6.

la

La corresj)ondance du métbodi(|ue administrateur Lambert (Tramond, Saint-Domingue) couvrant les années 1750 et 1757 ne fait nulle j)art mention d’engagés. 7.

8.

Vaissière,

ib.,

cbap.

2.

forme des comités... des assemblées tumultueuses où la raison ne préside pas... mais comme l’intérêt général (Lettre du planteur de est de maintenir les esclaves... » Debien, G., ib., j). 128. La Barre, 20 novembre 1789) 9.

« Il se

:

Les libres de couleur sont inditleremment désignés dans le récit des luttes de Saint-Domingue par les mots € affranchis > et « hommes de couleur », jusqu’au mois d’août 10.

TOUSSAINT LOUYERTURE

254

1793 où, avec la liberté générale, et les mots « anciens libres »

il

«

devient possible d’utiliser

nouveaux

libres ».

Nous

nous conformons à

la tradition, bien que s’appliquant à la libres » classe des « de 1789 à 1793, les expressions « affranchis » et « hommes de couleur » ne soient ni l’une ni l’autre exactes. En effet, tous les libres n’étaient pas des « affran-

chis », leur classe comportant une proportion d’ «ingénus», c’est-à-dire de métis nés libres d’autre part, l’expression «hommes de couleur», généralisation exacte en soi ne peut qu’en en forçant le sens désigner des « libres » par opposition aux même catégories encore astreintes à la servitude quand l’expression est appliquée aux métis à l’exclusion des noirs libres, elle induit en erreur puisqu’il y avait des nonmétissés parmi les anciens libres. ;

;

11.

L’homme de couleur

pas à la la main,

même

même

riche, ne mangeait le blanc, lui parlait le chapeau à

table que

libre,

etc.

12.

Vaissière, Pierre

13.

Debien, g.

:

;

ib.,

pp. 22

et

suivantes.

p. 106.

ih.,

pp. 118, 122, 125 Lettres du colon de La Barre, 12 octobre, 30 octobre, 10 novembre 1789. 14. 15 et 16.

17.

Debien,

Debien, G.

:

G.,

ib.,

p.

;

152.

de l’affaire Desmares que rejoignent dans la chronique bien connue de ces temps de violence les affaires Lacombe, Labadie, Ferrand de Baudière, etc. 18. C’était à la suite

19.

Debien, G.

:

ib.,

p.

175.

Sa'Nnon, Pauleus Histoire de Toussaint Loiwertiire, trois volumes Paup 1932, 33, 38 pp. 58 et suivantes citant Dalmas ; Histoire de la Révolution de Saint-Domingue. 20.

:

;

Le récit de

:

grossièreté de quelques-unes des séances où fut débattu le statut des colonies est à peine croyable, comme en ce jour d’octobre 1789 où le rapporteur d’une commission « ad hoc » qui avait étudié le cahier de charges présenté par Ogé et Julien Baymond fut empêché de prendre 21.

la

parole par les hurlements que poussaient les délégués coloniaux et leurs alliés, s’accompagnant du bruit des pupitres, des coups frappés sur les bancs et sur le parquet, le rajiport étant favorable aux hommes de couleur. la

22.

Jérôme Pétion,

lionnel, girondin.

dit

de Villeneuve, plus tard conven-

NOTES

255 Lanjuinais,

23.

Jean-Denis,

comte,

plus

tard

conven-

tionnel.

pour

21. Destin ironique

devenu celui de

nom

le

de ce physiocrate d’être

du Nouveau Monde.

trusts agro-industriels

CÉSAiRE, Aimé Toussaint Loiwerture : la Révolution française et le problème colonial, Paris, Club du Livre, 25.

:

1960, p. 26.

95.

Debien, g.

130.

ib., p.

:

Les options de Raymond celles d’Ogé l’impétueux. 27.

28.

Sannon, Pauleus. Tome

I,

timide complètent bien

le

page

91.

Le conquérant en uniforme disait hier presque dans mêmes termes ses préoccupations « humanitaires pour

29. les

s>

appelait son fardeau. A l’entendre, l’Algérie libre serait la ruine et ferait le malheur des troupeaux sans bergers. Est-il possible que dans cent soixante ans, l’Histoire ait encore à poser son œil ironique sur un autre planteur ou un autre centurion. le

fellah

algérien qu’il

Laurent, Mentor

Erreurs ch. (T Haiti, Telhomme Paup., 1945 30.

:

et

;

31.

Sannon, Pauleus

:

32.

Sannon,

j)p.

33.

il).,

p.

P.

:

ib.,

ib.,

vérités dans VHistoire

1.

p. 60.

101, 102.

;

ib., p.

111.

111.

d’Esi)agne, Jean François devait mourir, fastueux et respecté, sur le continent qu’il gagna après la signature du Traité de Rfde (1795)) faisant remise à la France de la ])artie espagnole de Saint-Domingue. Sur le sort final des troui)es noires autres que celles de Toussaint, après le Traité de Bâle, un article de Jaccpies Houdaille dans Revista de Historia de América n“ 44 (1957) cité j)ar G. Debien, 34.

Devenu Grand

dans Antillas francesas (Anuario de Estudios 1961) informe de leur passage à Cuba, puis de sion en Amérique centrale où les gouvernements sans redouter ces « negros rei)ublicanos » mais lations admiraient leurs manières courtoises. ,

Americanos, leur dispern’étaient pas



les

popu-

qu’un vocabulaire scientifique soit désormais utilisé pour désigner les privilèges et monopoles que s’octroient encore les mères patries dans leurs colonies et néocolonies, les mots PACTF: COLONIAL reviennent encore quel35.

Bien

TOUSSAIXT LOVVERTURE

25G

quefois dans le vocabulaire des «anciens», les entendre, sait à quoi ils se réfèrent.

CÉSAiRE,

36.

En

Aimé

ib.,

:

p.

et

chacun, à

169.

en plus navrant, l’histoire des Suisses n’est pas sans rappeler l’odyssée des « negros republicanos » de Jean François (voir note 34). Pourquoi a-t-on appelé Suisses ces esclaves qui avaient combattu dans les rangs des hommes de couleur à Pernier ? Et qui étaient-ils ? Certainement pas des marrons «professionnels», la suite Peut-être étaient-ils les domestiques de ces le montrera. «libres», des membres de leurs ateliers. Quelle que fût leur origine, les blancs, au moment de la signature des Concordats de 1791, demandèrent leur mise à mort. Puis, devant les protestations des « libres » ils exigèrent seulement leur exil. Pendant qu’on se livrait aux grandes manifestations 37.

plus

tragique,

qui scellaient la réconciliation, les « Suisses » furent dirigés, munis de quelques instruments aratoires pour tout viatique, vers les côtes de l’Amérique centrale. Mais aucun pays ne voulut recevoir ces nègres qui avaient porté les armes, et ils achevèrent leur course en rade de Port-au-Prince où retenus prisonniers, ils furent finalement assassinés jusqu’au dernier par les Français...

Semexant

Dictionnaire géographique et administratif universel d’Haiti, quatre volumes. Paris 1892, T. 1, p. 130. 1894, Paup. 1927, 1928

Rouzier,

38.

:

;

Le colon inchangé après cent soixante ans, on a entendu les mêmes protestations indignées sur le Forum et dans Bab-el-Oued « Nos bourreaux, nos assassins » et c’était encore le colon dénonçant le serf en lutte 39.

:

encore

:

contre l’oppression. 40.

de

la

10 août 1792, insurrection à Paris entraînant royauté.

NOTES DU LIVRE 1.

Sannon, Pauleus

:

ib.,

T.

3,

p.

:

chute

II

42.

Charrier, Etienne Aperçu sur que de la nation haïtienne, Paup. 1948, 2.

la

la

formation histori-

p. 71.

NOTES

257 3.

p.

James, P.I.R.

Les Jacobins

:

lioirs,

NRF

Paris 1949,

124. 4.

Sannon, Paiileus

5.

Il

6.

Sannon, Paulcus

ne

pas

s’agit

ib., p.

:

de Donatien,

ici

ib.,

:

123. dit

« le

cruel >.

129.

p.

Jean-Baptiste, Saint-Victor Haiti, sa lutte pour l’émancipation, deux concepts, etc., Paris, 1957, p. 149. 7.

8.

:

Debien, g.

:

op.

cit.,

p. 171.

Laurent, Gérard Toussaint Loiwerture à travers sa correspondance, Paiip. 1953, p. 104. 10. L’esclave n’avait qu’un prénom, il portait le nom de son maître ou de son habitation, d’où Toussaint Bréda. Le nom de Louverturc est un sujet de spéculations et de récits plus pieux sans doute que véridiques. Il demeure que Tous9.

:

saint a fait sa rentrée victorieuse en zone française portant ce nom à la fois suggestif, symbolique et prophétique.

société primitive, sont personnelles et quasiment religieuses. Elles forment le clan sur des bases étroites et en fermant aussitôt les frontières. Boukman avait suscité une armée de clans et non commandé une troupe. Jean François, Biassoii annonçaient déjà une discipline plus étendue, mais c’est Toussaint qui le premier aura tranché, à travers les frontières des clans, pour tenir une armée unifiée de quatre mille hommes et administrer en chef d’Etat une mosaïque d’ethnies. 11.

Les

en

allégeances,

Des recherches récentes ont révélé que la tradition s’est conservée chez les Alladas du Dahomey du fils de l’un de leurs rois emmené en esclavage. Il s’appelait Déguénou, son titre était « Gaou », général d’armée ou chef suprême. Or, il a toujours été enseigné en Haïti que l’ancêtre royal 12.

de Toussaint s’appelait Gaou Guinou. 13.

Sannon,

14.

Laurent, G.

15.

Alexis, Stéphen

16.

James, P.I.R.

P.

op.

:

cit.,

op.

:

:

:

cit.,

183.

j).

p.

109.

Black Liberator

op.

cit.,

p.

;

N. Y., 1949, p. 57.

133.

Rigaud tenta le rapprochement que lui avait recommandé Sonthonax, mais il échoua. Il fit alors appel à Toussaint qui intervint auprès de Dieudonné, chef des dites bandes. Ce marron méfiant hésitait à prendre la main qu’on 17.

TOUSSAINT LOUVEBTURE

258

tendait, Toussaint travailla alors ses lieutenants qui se défirent de leur chef, et rallièrent Toussaint sous le com-

lui

mandement de Laplume. Laplume

devenir un officier de l’armée régulière et accéder au grade de général. Il restera jusqu’à la fin un homme de Toussaint, mais sera forcé en 1802 de livrer la ville de Cayes, sous la pression de la population.

manière peu orthodoxe dont

18. C’était faire allusion à la

Toussaint avait pris congé jusqu’à la dernière minute, sans crainte il en supprit appréciable dont il fit une

de ses hôtes espagnols, restés sinon sans méfiance, du moins dans son voisinage un nombre «justice sévère».

;

19.

Charlier, Etienne

20.

James, P.I.R.

21.

Laurent,

G.

op.

:

op.

;

op.

:

allait

pp. 88

cit.,

et suivantes.

pp. 152-153.

cit.,

p. 356.

cit.,

22. ib. ib.

23.

Chute de Robespierre,

24. James,

P.I.R.

25. ib.,

166.

p.

:

op.

fin

cit.,

de

p.

la

Terreur

:

Thermidor.

165.

NOTES DU LIVRE

III

1.

Rigaud

2. 3.

Rigaud à Toussaint ib., p. 133. Voir Byrd, M.A. : L’Homme noir, Londres, 1876,

4.

James, P.I.R.

5.

Sannon,

6.

Michel, Antoine

7.

Sannon, P.

8.

Coll. Dr.

Hédouville Michel, Antoine Mission du général Hédouville en Haiti, Paup., 1929, p. 156. à

:

:

:

p.

:

op.

op.

:

op.

:

cit.,

T.

cit., :

op.

cit.,

pp. 209-210. 2,

cit.,

pp. 54-55. p.

ib.,

10. ib.,

Price-Mars cité par Michel Antoine

p. 141. p.

191.

11. ib., p. 211. 12.

189.

p. 86, T. 2.

p. 85. 9.

Sannon,

P.

:

op.

p. 38.

cit.,

p. 126.

:

op.

cit.,

NOTES

259 13.

Michel, Antoine

14.

James, P.I.R.

15.

Un

16.

Les

op.

:

op.

:

cit.,

cit.,

p. 145.

p. 200.

colonel Zamor, s’était à l’occasion d’une querelle d’ordre privé, rendu coupable de désobéissance aux ordres et de rixe avec un autre officier, d’où coups de feu et meurtre, au grand émoi de la garnison où les soldats prirent parti pour les antagonistes, chacun selon scs préférences. officier de

justification

mots dans

portés

121)

(p.

Moyse,

le

conditionnel » trouvent ici leur les mots de Rigaud précédemment rapqui semblent refuser aux nouveaux libres soutien

«

l’égalité.

Allusion au projet Sonthonax des métis, etc. 17.

18.

Alexis, Stéphen

25.

Turnier, Alain

19.

:

op.

op.

:

cit.,

cit.,

:

massacre des blancs

et

p. 131.

p. 42.

26. 20. ib., p. 43. 21. ib., p. 41.

T. 3, p. 144.

22.

Sannon,

23.

Turnier, Alain

24.

Proclamation de Toussaint, 10 novembre 1799.

p.

op.

:

cit., :

op.

cit.,

p. 46.

Voir note 17 du Livre IL 29.

Considérons les décorations pour indigènes créées par le comte d’Eslaing sous les noms de Prix de Valeur et Prix de la Vertu. Pour un même grade, la couleur différait, selon le récipiendaire était mulâtre ou noir. Par exemple que 30. nègres, Prix de la Valeur, ruban mi-partie blanc et bleu Les Décorations etc. Voir Etienne, Francis Major AdH :

:

:

haïtiennes à travers l’Histoire, Paup., 1954. Plantations Derien, g. gue, Dakar, 1962, p. 158. 27.

28.

:

Sannon,

P.

:

op.

cit.,

et

esclaves à Saint-Domin-

T. 3, p. 178.

siège de Jacniel, il fit accueillir, nourrir et convoyer vers Port-au-Prince les femmes et les enfants que, sortir de la à bout de ressources, les assiégés avaient fait

Au

ville,

les

remettant à sa merci.

Les anecdotes sont nombreuses sur l’admiration qu’il « Si j’avais professait pour la Légion de l’Egalité de l’Ouest :

TOUSSAINT LOUVERTURE

260

de tels soldats», etc. Plusieurs fois il intervint pour sauver de la colère de ses soldats des ennemis qui avaient été particulièrement courageux. langage d’un paranoïaque exacerbé par une crise qui se prolonge. Il s’est identifié non seulement avec la bataille mais avec les fins poursuivies de sorte que sa défaite est un « crépuscule des dieux » qui appelle l’écroulement des temples et des montagnes, une sorte de veuvage universel avec de longs cris de douleur. Une telle vision du 31. C’est le

monde

est

complètement

irréelle.

Voir note 31. L’effondrement diptyque chez le paranoïaque. 32.

est

l’autre

volet

du

Bonaparte voyait plus loin que le Directoire qui vouconquérir la Jamaïque. Les vues de la France consu-

33. lait

laire se portaient vers le continent américain.

Price-Mars, Docteur La République d'Haïti République dominicaine, Paup., 1953, p. 25. 34.

:

et

la

35. ib., p. 60.

36. 37.

Laurent, G. Madiou, Th.

1923, T. 38.

I,

41. 42.

cz7.,

pp. 282-283.

:

Histoire d'Haïti, trois volumes, Paup.,

:

op.

27.

Charlier, E.

39. Alexis, St 40.

op.

:

op.

:

cit.,

cit.,

p. 153.

p. 154.

Sannon, p. op. cit., T. 2, p. 205. Madiou, Th. op. cit., T. I, p. 28. Enfermé, dit-on, non dans une prison, :

:

mais dans

un poulailler. 43.

Fouchard, Jean

:

Les Marrons du syllabaire, Paup.,

1953, p. 110. 44. Alexis, St. 45.

Madiou, Th.

46.

On peut

47.

Sannon,

pp. 161-162. op. cit., T. 2, p. 81.

op.

:

:

cit.,

discuter de

sagesse d’une mesure, née comme toutes les préoccupations de Toussaint, d’une « religion » de la production, mais il ne semble pas discutable que, aussitôt arrivés dans l’île, les nègres importés eussent été spontanément affranchis. Rien dans la pensée ou la conduite de Toussaint ne permet d’en douter. P.

:

op.

cit.,

la

T. 2, p. 126.

Les Anglo-Américains, poursuivant leurs propres fins nationales, avaient aidé Toussaint contre Rigaud en organi48.

NOTES

261

pendant la guerre civile, le blocus des ports par où Sud aurait pu être ravitaillé par la métropole. 49. Madiou, Th. op. cit., T. 2, pp. 82-83.

sant, le

:

50. Alexis, St.

51. 52.

53. 54.

op.

:

Moral, Paul Sannon, p. Madiou, Th. Laurent, G.

p. 148.

cit.,

Le Paysan

:

op.

:

:

cit.

T.

op.

cit.,

op.

cit.,

:

haïtien, Paris, 1961, p. 12. 3,

p. 3.

T. 2, pp. 84-85. p.

126.

55. ib., p. 236. 56. 57. 58.

Madiou, Th. op. cit., T. 2., p. 102. Laurent, G. op. cit., p. 139. Fouchard, Jean Plaisirs de Saint-Domingue, Paup., :

:

:

1955, pp.

30-31.

Fouchard, G. op. cit., pp. 30, 60. Laurent, G. op. cit., p. 122. 61. Les réunions à danser du type religieuses accompagnées de chants 59.

:

31.

:

« pignitte

:î>,

les

tenues

de danses liturgiques, les réunions sportives comme les < combats de coq étaient interdites, sans une autorisation qui devait être renouvelée pour chaque cas. Ces mesures caporalistes n’ont pas été sans influencer toutes les législations rurales haïtiennes jusqu’à ce jour, il reste à déterminer si l’existence même d’un code rural par où la ville entend réglementer à son propre profit les conditions de vie du paysan n’est pas une entreprise « de caste » abusive. et

i>

62.

Moral, Paul

op.

:

cit.,

p.

19.

petite histoire de cette époque a retenu des scènes de violence contre le culte Vaudou qu’explique mal la simple il discipline du travail y avait là certainement la peur d’une conspiration subversive à laquelle le Vaudou ne se fût que trop bien prêté. C’était de la part de l’élite des nouveaux libres avouer qu’elle était coupée de ses bases, 63.

La

;

formuler

puisque celles-ci pouvaient d’elle et peut-être

contre

des

buts

dehors

elle.

Roosevelt et Haïti, Firmin. Anténor Marrons, p. 111. Fouchard, J. pp. 269-270 Marrons, p. 111. 65. Fouchard, J. 64.

en

:

Paris,

1905,

:

;

:

66.

Brutus, Edner

1948, pp.

23-25.

:

Instruction publique en Haïti, Paup.

TOUSSAINT LOUVERTURE

262

67. ib., p. 23. 68. 69. 70.

Madiou, Th. op. cit., T. 2, p. 28. Sannon, p. op. cit., T. 2, pp. 163-165. Madiou, Th. op. cit., T. 2, p. 28. :

:

:

71. ib., 72.

ib.

Jean-Baptiste, Saint-Victor

:

op.

Préface Clément

cit..

Lanier, p. 10. 73. ib., p. 221.

74.

Sannon,

75. ib.

P.

;

op.

cit.,

T.

3, p. 20.

23.

p.

paru au Moniteur « Le citoyen Vincent, chef de brigade, directeur du génie à Saint-Domingue, est Toussaint arrivé à Paris il a apporté plusieurs lettres de Louverture, et officiellement la Constitution que l’on présente à l’approbation de la métropole. Ce projet va sous peu de jours être soumis à la discussion du Conseil d’Etat. Le citoyen Vincent donne les renseignements les plus satisfai76. Entrefilet

:

;

sants sur la culture de la colonie. Toussaint Louverture, presque sans communication avec le gouvernement, n’étant pas bien à même de connaître son intention, a pu se tromper quelquefois, mais il a constamment rendu de grands services. La guerre civile a enfin cessé la colonie est tranquille, et le peuple français ne peut oublier que c’est en partie à lui qu’il doit la conservation de cette belle et importante colonie. » Sannon, P. op. cit., T. 3, pp. 23-24. ;

:

77. Lettre

Sannon,

P.

:

du

nommé

op.

cit.,

ib.

79.

Madiou, Th.

:

Roume,

15 janvier 1802

:

T. 3, p. 43.

nommé

Lettre du

78.

Guillet à

op.

cit.,

Allier, 7

T.

2, p.

février 1802. 120.

80. ib. ib.

81. ib., p. 82.

384.

Rouzier,

s.

:

op.

cit.,

T.

Le

I,

p.

66.

colonel Hugo écrit « L’armée si mécontente d’une pareille expédition. » On ne peut sous-estimer l’esprit républicain de l’armée française qui fut par la suite confisqué et dévoyé par la réaction bonapartiste. Même aux grandes années de cette réaction, quand l’armée fut devenue un instrument personnel de Napoléon, l’esprit missionnaire n’en était pas complètement sorti Tarmée de l’Empereur était d’ailleurs considérée en Europe comme une armée républi83.

:

;

NOTES

263

subversive. Dans Enfance, de Gorki, Napoléon vu par le paysan russe voulait conquérir le monde, faire régner l’égalité, il ne voulait plus ni seigneurs ni fonctionnaires, plus de classes, et son armée parcourait le monde

caine

pour

et

ce

à

titre

cela. »

Charlier, E.

84.

:

op.

cit.,

p.

T.

3,

210.

85. ib., 210-211.

Sannon,

86.

P.

:

op.

cit.,

pp. 93-94.

Jean-Baptiste, Saint-Victor op. cit., p. 231, note Du sort des indigènes « Voir Benito Sylvain dans son livre dans les colonies d’ exploitation, p. 129. Le même auteur a rapporté aussi que Bonaparte aurait dit à l’un de ses familiers « Je ne laisserai jamais une épaulette sur l’épaule (d’après les observations du général Vincent). » d’un nègre 87.

:

:

:

:

!

88. 89.

ï>

op. cit., p. 212. Charlier, E. op. cit., T. 3, pp. 83-84. Sannon, P. :

:

INDEX —

ADAMS,

John. Etats-Unis

des



AILHAUD.

166.

Délégué de la Convenmembre de la deuxième Com-

tion,

mission civile



AGE.

Deuxième président

:

Toussaint

ARDOUIN, haïtien

à

rallié

230. Historien

227,

197,



Beaubrun. 112.

;

DE

BARBE

français

182,

:

MARBOIS,

François Intendant de SaintDomingue, puis président du Conseil 24-25, 26, 81, 124. des Anciens Membre de la BARNAVE, Joseph. Constituante 32, 44, 48, 66, 67,



(marquis de).

:



:

73.

BARRAS, 89.

55,

174,



BELAI R,

134-136, 175, 200.

Lieutenant

Charles. Toussaint 94, 111, 248.

BELLEGARDE, métis

BERNADOTTE, France 85,



94,

BIENVENU, :

42,

Chef noir 95,

226, 249.

139,

de 241,

96,

père.



59,

160,

Rouge

161,

228-229,

père. 217.

;

BOUDET

:

-

237,

63, 187,

Curé de Mar-



85,

18,

180,



:

:



BOUKMAN.

tien

86,

124,

Gouver:

19,

37,

:



73-77, 81.



Edner.

Historien



Délégué de Toussaint aux

Etats-Unis

:

166.

— Historien de Domingue d’Haïti 183. CAMBACERES. — 239. CANDY. — Chef métis — CARADEUX (Marquis CABON,

père.

Saint-

:

:

102.

90,

commandant de

puis nationale teur

:

CARTEAU,

Plan-

43,

:

54,

129,

tres



108.

et

historien

CHAM. — 21. CHANLATTE. — 97,

76.



Félix.

130,

Garde

la

217.

Gouverneur de la espagnole de Saint-Domin-

partie

gue

haï-

205, 206.

181,

102,

— ;

Homme

de

let-

50.

Chef métis

182,

CHARLES MARTEL.

87.

218, 220242-243, 239,

185,

Curé de Terrier-

(Général). Officier de Leclerc 232, 239-242. Chef noir 59-62. Jacques, Pierre. Conven-

l’armée

tionnel

:



BOUCHER,

CESAIRE, Aimé.

de.

76,

75,

62,

131,

99,

97,

Com-

la

mission chargée par Toussaint d’élaborer la Constitution de 1801 220.

et

Officier

61,

:

217.

BONAPARTE. 157,

54,

Maréchal de

Saint- Domingue

de 51,

.

CASA-CALVO.

BLANCHELANDE, neur



Jean.

241.

melade

:

228.

:

BIASSOU. 74,

124,

74-76,

de).



Louis.

173.

172,

:

238,

196,

:

245,

51,

:

102,

101,

170,

164,

-

de 112.

:

:

BRISSOT,

Chef de bande

Chef métis

87,

62,

149,

— Historien haïtien — Planteur blanc 86 88 BORGELIA. — Membre de BOREL.

BUNEL.



229.

Lieutenant

196.

:

BRUTUS,



BARTHELEMY. BAUVAIS.



(vicomte de).

Paul

216.

Toussaint

228.

BONNET.

85.

84,

81,

:

Général

— —

BONAPARTE, Lucien. BONAPARTE, Pauline. BONAVENTURE. —

CHARLIER,

:

51, 68,

183.



11.



Historien Etienne. 246. haïtien 104, ComCHAVANNES, Jean-Baptiste. :

pagnon d’Ogé



:

40.

TOUSSAINT LOUVERTUBE CHILLEAU



(du).

Saint-Domingue

CHRISTOPHE, Toussaint 212, 248.

172,

173,

COCHEREL.

240,

196,

Saint-Domingue à

Constituante

la

32.

COLLARD,

Chef métis

rer

Membre de

Commis-

la

par Toussaint d’élabo-

chargée

sion

173,

172,

:



COLLET.

de 1801 Colonel français

Constitution

la



DALBAN. Toussaint

197, 227, (Général). 149-150. HédouvUIe :



D ALTON

220.

:

à

rallié

230. Officier

l’armée



29,

:

sième Commission



DESRAVINES. saint

:

(Général).

au service de

français

civile

:

Officier

:

— Toussaint 195-196. DESRUISSEAUX. —

de Tous-

Officier

de



195,

196,

209,

211, 212, 218, 231, 232, 238-241, 245, 248, 250.

234-

192,



:

Chef de bande

:

233.

Toussaint

(Général). :



:

de

196, 230, 244.

196.

DUMONTELIER. çais

:

75.

DUPLESSIS. près



94,

173.

gouverneur de Saint-Domin88-90, 97, la Convention

gue

par

110,

233.

:

GARCIA.



Gouverneur de la partie Saint-Domingue 98. Dominique. Officier de de

Toussaint



Administrateur

à Saint-Domingue



douville

:

fran-



:

de

Hé-

194.

GINGEMBRE. — 244. GIRAUD. — Délégué de

la

Conven-

tion à Saint-Domingue, membre de la Troisième Commission civile :

115,

132.



GIRONNET.

Colon

français,



GREGOIRE, membre de Noirs

Constituant, abbé. Société des Amis des

29,

:

44,

32,

210, 257

GUYBRE. saint

:

(note



76.

45,

de (dit Ancêtre de



cor-

143, 212.

:

la

GUENOU, Gaou

GAOU

:

12).

Secrétaire 155.

154,

GUI-

Toussaint

HANUS DE JUMECOURT. :

de



TousPlan-

54, 93.

— Officier anglais HARDIVILLIERS. — Gérant des habiHARCOURT 149,

Délégué des noirs aude l’Assemblée coloniale 71.

fiscal

116.

Correspondant

169,

:

:



207.

:

teur français

Planteur

:

196.

195,

NOU). Officier

DUMAS, Alexandre (Général). — 228. DUMESNIL. — Lieutenant de Toussaint

:

respondant de Hédouville

Planteur français passé aux Anglais comme chef d’un corps de volontaires 195.

DOMMAGE

Historien et 203. de Toussaint :

Officier

GERBIER.

173,





197,

:

GARNIER,

:

DIEUDONNE.

Ecrivain

:

120.

117,

172,

DESSOURCES.



— FONTAINE. — 243. FORFAIT. — Ministre de Bonaparte 228. FOUACHE. — Planteur FOUCHARD, Jean. — Historien haï198, 204, 206. 228. FOUCHE, Joseph. — de Toussaint G AB A RT. — GALBAUD, François. — Planteur

espagnole

Jean-Jacques. Officier de Toussaint, puis général en chef 94, 111, 129 . 136, 140, 157,

236,

95.

:

110.

106,

Offi-

de

207.

178,

de

Sobriquet

Bréda

214.

:

Antenor.

Troi-

Officier

DESSALINES,

176,



homme d’Etat haïtien Officier FLAVILLE,



:

:

FIRMIN,

GAVANNON.

DESROULEAUX.

157.

86,

Fernando.

la

196.

Toussaint

FERRARI,

nommé de Moyse

190. cier

46.

:

123,



(Général). Officier de Leclerc 231. Historien de SaintG.

DESFOURNEAUX

85,

:

Toussaint esclave à

tien

— Domingue. DELATTE. — Secrétaire DEBIEN

civile)

:

de

:

DANTON. DEBELLE

sion

FATRAS-BATON. latino-américain

:



GOLARD).

Lubin (ou

d’).

neur intérimaire de Saint-Domingue sous Sonthonax (Deuxième Commis-

211,

— Officier de Toussaint: 207. 195, — Planteur, député de

CLERVAUX. 94,

ESPARBES (Comte

de

Officier

189, 195, 196, 236, 238, 239,

231,

— Membre — Gouver-

de l’Assemblée Constituante



Henri. 94,

:

218,

DUPONT DE NEMOURS.

Gouverneur de

25.

:

266

(d’).

:

167.

tations

Fouache

:

173.

INDEX

267

HAYE



(Abbé

LANJUINAIS,

de la). Curé de Saint-Martin-du-Dondon 217. Théodore, Marie, HEDOUVILLE, Délégué du Joseph (Comte d’). Directoire à Saint-Domingue 131,



:

46, 49.



137,

159,

161-164,

189, 244.

190,

HUGO. HUIN.

174,

213,

200,

96.

146,

157,

178,

188,

215,

242,

LAPLUME.

Officier français

— Chef métis 229. LARAQUE. — Officier de Toussaint 207. LAURENT, Mentor. — Historien haïLAVAUX (Général). — Ck)mmandant

:

:



— IDLINGER. — Saint-Domingue JAMES, P.I.R. — Domingue

tien

:

116,

:

en chef des troupes coloniales, deve-

à

117.

Historien de Saint-

151.

:

— Officier de 194. Toussaint JEAN-FRANÇOIS. — Chef noir 61, 95, 97, 187, 198. 62, 63, 74, JEFFERSON, Thomas. — Troisième 194. président des Etats-Unis — ordonnateur Commissaire JOVIN. 26. des Finances JUPITER. — JUSTIN, Placide. — Historien haï192. KERVERSEAU. — Général français 144, 168, 169, 181, 189. LABUISSONIERE. — Chef métis 90, 102. LACOSTE. — 205. CommisLACOUR. — Membre de

JEAN-BAPTISTE. :

:

85,

:

:

71.

tien

:

:

:

la

par Toussaint d’élabo220. rer la Constitution de 1801 Chef de bande LAFORTUNE. sion

chargée

:



:

LAFRANCE,

— Chef de bande — Officier de

Paul.

;

89.

LAMARTINIERE. Toussaint

:

226, 231,



LAMBERT. LAMETH, Charles la

LAMONTAGNE. Saint-Domingue

de.

:

— :

fidèle

à



:

62.

54,

Député

à

179,

195,

121,

123,

Administrateur à 117.

Chef :

116,

de 232,

100-

92,

154-155,

Délégué de

la

Conven-

à Saint-Domingue, membre de la troisième Commission civile 115,

tion

:

133.



LEBORGNE.

Délégué de la civile dans

troisiè-

me Commission Sud

vince du

pro-

la

119.

;



LECLERC,

Charles. Beau-frère de général commandant l’expédition française de 1802 177, 194, 225, 229, 232, 234, 236, 237, 238-240, 242, 244, 246-249.

Bonaparte,

:



LEFRANC. 117-118,

LESPINASSE,

Planteur, officier françaises

LEVEILLE, latte

r

110.

LIBERTAT. anciens



commandant

les

:

Pierre.

54.





maîtres

LOUVERTURE, Toussaint

Colonies

(de



234,

237.

MACKANDAL. en

1758

:

11.

117.

13.

240,

Paul.

185,

sous



Isaac.

238,

:

Vil-

:



;

contre

Famille de colons, de Toussaint 58,

LINCOLN, Abraham. LOUIS XVI. 12,

LOUVERTURE,

du

Officier

Toussaint

rejoint

:

de.

Jean-Baptiste

milices

Cap,

Rigaud

de

Officier

120.

MACAYA.



Rigaud

:

150,

198.



LEBLANC.

LUZERNE

44.

LAMOUR-DERANCE. 247.

117,

Toussaint

235.

Chef métis

Constituante

bande

112,

95.

232.

102,

90,

61.

59,

;

nu gouverneur intérimaire

:

Administrateur

:

160,

:

149. d’armistice avec les Anglais Officier de (Général). 231. l’armée Leclerc Chef noir HYACINTHE. 72, 74.

HUMBERT

95,

:

233.

230,

196,

LAPOINTE.

;

240. représenpourparlers

aux

français

:

français,

Toussaint

Colon

Chef de bande, puis de l’armée régulière, homme de Toussaint 136, 139, 149, 170,

136,

français

:

officier

174,



(d’).

— Colonel — Général de

tant

144,

168,

194,

HENISDAL 85.

140,

138,

Jean-Denis (Comte de). la Constituante 45,

— —

LAPLACE.

:

135,

Délégué à

— — Frère Fils

196-197,



de

243.

de

231.

Ministre des 24. Louis XVI bande 89, Chef de la).

:

:



Chef de rébellion

TOUSSAINT LOUVERTURE MADIOU,



Thomas.

tien

:

212,

226,

181,

180,

MAGNY.

Historien

195,

234. Officier

268

haï-

203, 209,

196,

de Toussaint

:

235.

231,

— Général anglais 136, 146, 148-149, MALENFANT. — Colonel français 229. MAMZELLE. — Chef de bande 233. MANCEBO, Jean. — Membre de MAITLAND. 138,

;

145,

167.

162,

:

:

196,

la

Commission

par

chargée

Toussaint d’élaborer la Constitution de 1801 ; 220 IG AT. Maire de Fort-Liberté .



MAN

192.

MAUDUIT

:



(de).

Chef d’état-major

du gouverneur De Peinier 40-43,

51,

34-35,

:

87.

68,

MAUREPAS. — Officier de Toussaint: 195, 196, 231, 235, 240. MAURY (Abbé). — Député à 48-50. Constituante MAYER. — Consul des Etats-Unis 166. METRAL. — Historien de Saint-Domingue d’Haïti 237, 240. MICHAUD. — Officier de Toussaint 140. MICHEL (Général). — Envoyé de Bonaparte à Saint-Domingue 176. MICHEL, Pierre. — Chef de bande la

:

:

et

:

:

:

passé à l’armée régulière

:

89,

110,

à

Commission 102

civile



69, 72.

:

Thomas.

198.

MONNERON.



métis

Chef noir français

46.

MONVILLE, cal

Duval.

(de).

116.

:

MOREAU DE SAINT-MERY.

:

:





fis-

Dé-

Constituante 49. François. Membre de la Commission constituante de Toussaint en 1801 220. MORNET, Christophe. Officier de Toussaint : 136, 140. puté

à

la



MORILLAS,

:

195,

196,



Membre de

en

saint



:

la

Tous-

de

constituante 1801 220. :

NECKER. — NERETTE. —

12.

Chef métis

196,

136,

:

197, 230.



NOE.

21.

NOGEREE, la

saint en

1801 Vincent.

OGE, 53,

Membre

de

61,

54,

en 1679

Chef métis

74,

84,

(Abbé

d’).



Curé de Oua-



Chef

11.

de



(Général).

rébellion

Commandant

province du Nord

la





PEINIER



(de).

Saint-Domingue



PERROUD.

202.

Secrétaire de Toussaint

189.

188,

108.

105,

:

PAMPHILE DE LACROIX. PASCAL.

38-43,

:

115.

217.

:

:

PAGEOT

220, 224, 225.

:



PADREJEAN. de



Gaston.

Commission constituante de Tous-

Domingue

Gouverneur 33,

19,

:

:

de

37.

35,

Administrateur à Saint104-107.

:



PETION,

Jérôme. Député à la Constituante : 45, 102. PETION, Alexandre. Officier de Toussaint, puis de Rigaud, plus tard allié de Dessalines 51, 67, 91, 136,



:

176, 248.

:

234,

PICKERING. américain

:



Chef de

237.



Secrétaire

d’Etat

166.

PIERROT. — Chef noir 89. PINCHINAT. — Chef intellectuel mé:

51,

52,

172.

vention, 100,

101,

tillerie

:

62,



91,

102,

116,

Délégué de la Conde la troisième

civile

80,

;

84,

85,

90,

115.



Maltais, capitaine d’ar-

43, 54, 72, 76, 86.



PRICE-MARS. Historien me d’Etat haïtien 178.

QUINCARNON. passé

115,

membre

Commission

PRALOTO. Contrôleur

Saint-Domingue

à

:

85.



190,

André.

POLVEREL. Planteur

;

189,

Commission

tis



MONTESQUIOU-FEZENZAC français

142,

:

Propriétaire

.

MONDION,

Officier

MUNOZ,

bande

67.

de la ConsSaint-Domingue, première

MOMBRUN.

140,

PETIT NOËL PRIEUR.

233.

MIRABEAU. — 26, 29, MIRBECK. — Délégué tituante

136,

209-215, 225, 226, 233.

naminthe

119.

68,

et

94,

:

173,

156,

Toussaint

de

Officier

neveu »

«

OSMOND



MARAT.

son 144,





MOYSE.



aux Anglais

RAYMOND,

et

hom-

:

Officier :



français

195.

Julien. Quarteron de Saint-Domingue, compagnon d’Ogé, puis membre de la troisième Commission civile, plus tard délégué de

INDEX

269 Bonaparte 132,

138,

11,

;

144,



RAYNAL.

39,

38,

76,

52,

115,

193, 200, 220.

176,

:

Sud

120.

:

André. commandant de

41,

51,

108,

62,

207,

82,

133-139, 142, 144, 157, 159-165, 168-177,

155,

182,

188,

212,

RIGAUD, cédent

76,

74,

101-103,

115-122,

110,

149-153, 180,

68,

Général métis, province du Sud:

la

214,

189,

218,

Augustin.



192,

200,

Frère du pré-

de Toussaint

:

207.

— 29, 45-47, 49, 67, 81, 86, 101. ROCHAMBEAU (Général). — GouROBESPIERRE,

Maximilien.

50,

verneur intérimaire de Saint-Domingue (1796), commandant en chef après Leclerc (1803) 86, 194, 231. Aide de camp de Lavaux : ROGER. :



108.

— Officier — Délégué

ROUANEZ. 207.

ROUME.

de Toussaint

:

Consulat 134, 169,

215,

69-72,

:

144,

136,

75,

145,

76,

115,

150,

163,

170, 174, 180-182, 189, 207, 213, 224, 225, 242.

ROUZIER, haïtien



Semexant. 234.

:

Historien



Membre Carlos. Commission constituante de saint en 1801 220. :

SAINT-LEGER. constituante,

Commission



Délégué

membre de civile

:

169.

(de

— Historien — Officier

la).

mingue

:

civiles

de la première



109,

114,

135,

139,

141, 142, 147, 150, 152, 155, 163, 172,

188,

193, 233.

229,

STUART.

200,



SULPICE,

SYLLA.

218,

215,

Colonel



Père.

anglais

228, 149,

:

Curé de

Saint-

217.

:



225,

Chef de bande 234, 237. TELEMAQUE. Maire du Cap 231. TOUSSAINT (Mme). 232. :





TOUSSAINT BREDA. l’esclave

Toussaint

Bréda

94.

:

:



sur

Nom



TOUSSAINT LOUVERTURE. 61-64,

91-112, 114, 142-144, 146-153, 198-225, 229-233, 247-250.

129-140,

160-196, 239-245,



de

Officier

136.

Histo-

haïtien

:

155-158,

235-2J7,

Toussaint

Pauléus.

Historien

Pierre. Historien de Saint-Domingue 15. VAUBLANC, Vincent-Marie (Comte Propriétaire à Saint-Dominde). :



à la Constituante

gue, délégué

222

.



VERNET.

Officier



VILLARET-JOYEUSE français

:

(de).





V ILLATTE. 102,

155,

193.

VINCENT.

:

de la Tous-

Amiral

225.

:

101,

82,

de Toussaint

231, 238. VIARD, Etienne. Membre Commission constituante de 220. saint en 1801 207,

195,

Chef métis, commanville du Cap

104-106,

108-112,

:

124,

115,



Colonel français, envoyé Bonaparte 176, 189, 192, 224,

225,

:

228,

ZAMOR.



243.

Officier de Moyse page 259, note 15). ZEPHYRIN. Chef de bande (aussi

et

:



VAISSIERE,

de français,

59,

120-125,

85,

82,

de

l’habitation

dant militaire de la

de Saint-Do-



59, 61, 63, 81-

:

98-100, 103, 125, 129-131,

96,

121-124,

115,

:



:

intérimaire 85-87.

gouverneur

SANNON,

de.

de la Tous-

Saint-Domingue.

SAINT-REMY.

SALLE

la

69-72.

SAINT-MERY, Moreau de

85-89,

83,

94,

ROXAS,

rien

132, 165-

Chef de bande

Léger, Félicité. des deuxième et troisième

Président

ULYSSE.

de la Constituante puis de la Convention, plus tard représentant du Directoire et du

119,

99,

63,

SONTHONAX,

Jean-le-Trou

Officier

:

234, 237.

150.

247.

232,



195,

118.

117,

:

ROBERT.



SANS SOUCI.

Commissions



RIGAUD,

d’Etat haïtien

174, 206.

Délégué des noirs auprès de l’Assemblée coloniale 71. REY. Délégué de la troisième Commission civile dans la province du



homme



213

:

:

89.



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IMPRIMÉ AU CANADA

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Toussaint Louverture La brève histoire qui est ici retracée, de 1789 à 1802, dépasse de beaucoup l’aventure personnelle de cet homme sur qui l’auteur a choisi de la centrer (de façon pourtant fort significative). C’est en effet l’histoire des rapports entre



deux Révolutions, celle de Saint-Domingue et celle dite de 89, «la nôtre» qui ne commença guère qu’une année plus tôt, mais qui allait déboucher pour nous sur l’Empire en cette même année 1804 où sa soeur presque jumelle accédait à l’indépendance. À la lire aujourd’hui, on ne peut que se sentir très profondément concerné, et assez diversement troublé. Il y a cet exemplaire cheminement, depuis la révolte des colons français contre l’autorité française (pour des raisons d’intérêt commercial) jusqu’à la rupture définitive avec la métropole, en passant par les foulèvementt successifs des petits blancs, des prop^taires autochtones et enfin des esclaves eux-mimes. Il y a cette étonnante dMectique entre les contradictions sociides dont souffrait è $aint4>ORilngue la vokMité de libération et ceNes qui déterminaient en France, au même moments, les temps forts et les temps faltees de la dynamique révolutionnaire. Il y a ce phénomène de racHcaNsatioii selon lequel les esclaves (tes «nouveaux Hbres») s’emplirent

du pouv^-dessux tou|^fe ‘

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