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French Pages 276 [291] Year 2021
Contemporary StudieS in deSCriptive LinguiStiCS voL. 48 peter Lang
Syntaxe deS pRonoMS clitiqueS en aRabe
Étude coMpaRative
Mostafa Rechad
SYNTAXE DES PRONOMS CLITIQUES EN ARABE
CONTEMPORARY STUDIES IN DESCRIPTIVE LINGUISTICS VOL. 48 Edited by PROFESSOR GRAEME DAVIS & KARL A. BERNHARDT
PETER LANG Oxford • Bern • Berlin • Bruxelles • New York • Wien
Mostafa Rechad
SYNTAXE DES PRONOMS CLITIQUES EN ARABE
ÉTUDE COMPARATIVE
PETER LANG Oxford • Bern • Berlin • Bruxelles • New York • Wien
Bibliographic information published by Die Deutsche Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data is available on the Internet at http://dnb.d-nb.de. A catalogue record for this book is available from the British Library. A CIP catalog record for this book has been applied for at the Library of Congress. Library of Congress Cataloging-in-Publication Data Names: Rechad, Mostafa, 1960- author. Title: Syntaxe des pronoms clitiques en arabe : Étude comparative / Mostafa Rechad. Description: Oxford ; New York : Peter Lang, 2021. | Series: Contemporary studies in descriptive linguistics, 16609301 ; vol. 48 | Includes bibliographical references and index. Identifiers: LCCN 2020042429 (print) | LCCN 2020042430 (ebook) | ISBN 9781800790179 (paperback) | ISBN 9781800790186 (ebook) | ISBN 9781800790193 (epub) | ISBN 9781800790209 (mobi) Subjects: LCSH: Arabic language--Pronoun. | Arabic language--Clitics. | Arabic language--Syntax. | Grammar, Comparative and general--Clitics. Classification: LCC PJ6144.5 .R43 2020 (print) | LCC PJ6144.5 (ebook) | DDC 492.7/555--dc23 LC record available at https://lccn.loc.gov/2020042429 LC ebook record available at https://lccn.loc.gov/2020042430 Cover design by Peter Lang Ltd. ISSN 1660-9301 ISBN 978-1-80079-017-9 (print) • ISBN 978-1-80079-018-6 (ePDF) ISBN 978-1-80079-019-3 (ePub) • ISBN 978-1-80079-020-9 (mobi) Doi: 10.3726/b17622 © Peter Lang Group AG 2020 Published by Peter Lang Ltd, International Academic Publishers, 52 St Giles, Oxford, OX1 3LU, United Kingdom [email protected], www.peterlang.com Mostafa Rechad has asserted his right under the Copyright, Designs and Patents Act, 1988, to be identified as Author of this Work. All rights reserved. All parts of this publication are protected by copyright. Any utilisation outside the strict limits of the copyright law, without the permission of the publisher, is forbidden and liable to prosecution. This applies in particular to reproductions, translations, microfilming, and storage and processing in electronic retrieval systems. This publication has been peer reviewed.
Table des matières
Liste des abréviations vii Transcription phonétique xi Introduction 1 PARTIE I Typologie et identification 9 CHAPITRE I Typologie des pronoms en arabe 11 CHAPITRE II L'identité categorielle du pronom clitique 47 PARTIE II Ordre et structure 79 CHAPITRE I La structure de la phrase verbale 81 CHAPITRE II La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale 119 CHAPITRE III Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques 147
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Table des matières
PARTIE III Principes et parametres 193 CHAPITRE I L’incorporation en arabe 195 CHAPITRE II CLP, redoublement et pronom resomptif 225 Conclusions 253 Bibliographie 257 Index des concepts 267 Index des langues 269
Abréviations
ACC Accusatif Agr Accord Agrp
Syntagme d’accord
Agrsp
Syntagme d’accord sujet
Agrop
Syntagme d’accord objet
Acc Accusatif Asp Aspect C° (COMP)
Complémenteur
ClP
syntagme du clitique
Cop. Coplule Comp Complément CP
Syntagme du complémenteur
D Duel Dat. Datif DegP
Syntagme de degré
DP
Determinal Phrase (syntagme du déterminant
D-structure
Deep Structure (Structure profonde)
EC
Empty category (catégorie vide)
ECP
Empty Category Principle (principe des catégories vides)
Fut. Futur G. Genre GTA
Grammairiens traditionnels de l’arabe
Gén. Génitif
viii
Abréviations
HMC
Contrainte sur le mouvement des têtes
HHM
Mouvement tête à tête
LF
Forme logique
LocP
Syntagme locatif
Neg Négation N Nombre Nom. Nominatif OBL Oblique NP
Syntagme nominale
P Personne PP
Syntagme prépositionnel
Pass. Passé Préd. Prédicat pro
petit pro
PRO
Grand pro
PRON
Pronom indépendant dans le phrase nominal
PRS Présent PF
Forme phonétique
FOC Focus RHR
Right Hand Rule
SC
Small Clause (phrase réduite)
SHA
Accord spécificateur-tête (Spec Head Agreement)
Spec Spécifieur S-
Structure Structure de surface
T. Temps t. Trace TOP. Topique
ix
Abréviations TP
Syntagme de temps
θ-rôle
Rôle thématique /sémantique
V Verbe VP
Syntagme verbal
Wh
Elément Interrogatif
Transcription phonétique
Consonnes arabes
Transcription
ب ت ث ج ح خ د ذ ر ز س ش ص ض ط ظ ع غ ف ق ك ل م ن ه و ي
b t Θ j H x d θ r z s Ṩ S D T Z & r f q k l m n h w y
xii Les voyelles brèves Les voyelles longues
Transcription phonétique
a u i â û î
Introduction
Le phénomène des pronoms clitiques en arabe, comme dans d’autres langues, est complexe parce qu’il est transversal. Il est difficile d’analyser une de ses problématiques sans la confronter à d’autres phénomènes : la relative, l’interrogative, l’accord, la transitivité, la topicatisation, la focalisation, l’état construit, etc. Cette caractéristique exige une vérification transversale des faits de ces phénomènes et leurs analyses avancées. En d’autres termes, un problème qui touche le clitique touche nécessairement d’autres phénomènes et soulève d’autres questions inattendues. La raison principale en que le pronom clitique est partout dans la langue et se croise avec tous les phénomènes. Dans ce sens, l’étude syntaxique des clitiques d’une langue faire la lumière sur toute la syntaxe de cette langue. Le présent travail se situe dans un cadre théorique bien précis, la grammaire générative, particulièrement la théorie du gouvernement et du liage qui ne cesse de se développer depuis le début des années 80. L’apport de la grammaire générative ne consiste pas seulement à falsifier les théories behavioristes et la méthode empiriste ou encore distributionnelle, mais aussi à apporter une valeur ajoutée par l’explication cognitive du fonctionnement de la faculté du langage et par des analyses formelles et des concepts précis. Grâce à ses méthodes inspirées des sciences exactes, la grammaire générative a placé la linguistique parmi les disciplines les plus rigoureuses en sciences humaines. Par ses méthodes aussi, elle peut se comparer à la physique ou aux mathématiques. Il suffit de rappeler les critères de la scientificité avancés par Karl Popper pour les retrouver appliqués en syntaxe générative : la cohérence, la comparaison, la falsification, l’économie, entre autres. Même si cette comparaison semble à première vue surprenante, elle n’est certainement pas exagérée.
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Introduction
Le choix de ce cadre n’est certainement pas fortuit. Il est motivé par notre position vis à vis de l’analyse linguistique. Car nous considérons que la grammaire générative est un cadre théorique qui permet le développement scientifique de la linguistique comparée. En effet, ce cadre théorique permet de mieux comprendre non pas seulement la structure interne d’une langue particulière, comme l’arabe, mais aussi d’établir la relation entre cette langue et les autres dans un cadre comparatif et universel. Puisque les principes avancés par les analyses génératives visent le système linguistique dans sa globalité, ce qui n’implique pas forcément l’exclusion de l’analyse du système d’une langue particulière. L’inverse est aussi vrai, quand on avance une analyse appliquée à une langue particulière, ce qui demande d’aller au-delà de cette langue par le biais de la comparaison. Ce va et vient entre le particulier et l’universel rend l’analyse une tâche difficile, mais passionnante. Un principe universel où un paramètre est toujours le fruit d’une longue vérification des faits de langues à la recherche d’arguments. Au vu de ces derniers, on peut confirmer le principe en question, le modifier ou l’abandonner. Un contre-argument ou un contre-exemple signifie la réfutation de l’analyse et exige une alternative. Cela explique pourquoi concepts, principes universaux et paramètres sont en évolution constante et par conséquent sont difficiles à saisir. Le rythme de ce changement dépend de la valeur des contre-arguments. Cette difficulté réside aussi dans l’objet d’étude de la grammaire générative qui est l’ensemble des langues et non pas une langue particulière. Au fil de ce travail, rien n’est pris comme théoriquement évident tant qu’il n’est pas confirmé par les faits linguistiques. Raison pour laquelle, nous tenons à vérifier la théorie en faisant appel constamment aux données de l’arabe et d’autres langues. Rappelons qu’un des objectifs de la grammaire générative, c’est de faire avancer une grammaire de la faculté de langage chez l’Homme, quelle que soit la langue, la société ou le contexte. En d’autres termes, la grammaire générative vise les principes généraux et universaux qui expliquent les faits du langage ainsi que la compétence et la performance linguistiques chez le locuteur quelle que soit sa langue.
Introduction
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Même quand des divergences entre les langues étudiées sont observées, les paramètres sont utiles pour classifier les langues dans un cadre typologique. Prenons un exemple : la grammaire universelle suppose que tout NP doit être marqué casuellement. Les analyses linguistiques confirment ce principe, mais dans un type de langues donné comme l’allemand et les langues sémitiques où le cas est morphologiquement réalisé. En revanche, dans un autre type de langues, comme l’anglais ou les langues romanes, le cas est abstrait. Cependant, les travaux de recherche en syntaxe générative sont très souvent opaques et non accessibles au grand public parce que justement le chercheur s’adresse très souvent aux spécialistes. Pour comprendre une analyse en syntaxe générative, il faut comprendre son métalangage, les concepts utilisés. C’est un travail de décodage obligé. Dans cette mise au point méthodique, qui n’est pas un préliminaire théorique, nous tenons à souligner quelques principes fondamentaux dont nous nous servirons dans ce travail. Des principes, mais aussi des paramètres, tels qu’ils sont développés dans le cadre de la théorie pré-minimaliste, et en particulier la théorie du liage et du gouvernement, ainsi que la théorie des barrières. La théorie X-barre est un des piliers de la syntaxe générative qui permet une représentation structurelle et formelle et universelle de la phrase. Confrontée aux faits de langues, cette théorie a suscité des débats concernant la structure interne des projections maximales (XP), ainsi que le statut de spécificateur de la tête si elle obligatoire ou facultative, par exemple. Nous admettons que la structure interne des XP inclut deux positions, externe et interne, par rapport au domaine X´. Quant à la tête X°, elle est soit lexicale soit fonctionnelle. Nous considérons que la nature catégorielle de la tête ne change rien à sa structure interne. A priori, la tête fonctionnelle, comme la tête lexicale, a un spécificateur et un complément. Ces positions peuvent ne pas être projetées si elles ne jouent aucun rôle en syntaxe ou en forme logique (LF). La projection d’une position spécificateur, en tant que site d’arrivée a des conséquences directes sur la syntaxe de déplacement du sujet ou de l’objet. La position spécificateur, comme la position complément, peut être l’objet du θ-critère :
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Introduction
Tout NP doit avoir un θ-rôle et un seul et tout θ-rôle doit être assigné à un NP et un seul. Ce principe qui est un pilier de la théorie thématique exige un θ-rôle pour tout argument. L’θ-marquage est une opération qui exige une relation de sœurs entre une tête lexicale (X°) et une projection maximale (YP). Outre le verbe, la préposition et le nom sont aussi des marqueurs thématiques. Le prinicpe de θ-critère opère aussi bien en D-Structure qu’en S-Structure ou en LF. Le filtre sur le cas joue un rôle fondamental dans la grammaire, ce filtre exige un cas pour tout NP. Nous supposons que d’autres catégories en arabe telles que V et A peuvent avoir un cas aussi. Concernant l’assignation casuelle, nous distinguons entre trois stratégies. Ainsi, pour que α assigne un cas δ à un élément β, il faut satisfaire à une des trois conditions suivantes :
(a) α et β sont sœurs ou β est la tête de la projection sœur de α . (b) α et β sont en accord spécificateur-tête. (c) α et β sont incorporées l’une à l’autre.
Le cas accusatif est assigné sous la condition (a), α étant le verbe et β son complément. Le cas nominatif est assigné sous la condition (b) où α est la tête Temps et β son spécificateur (Spec.TP). Le cas verbal ou modal est assigné sous la condition (c) où V° est adjoint à COMP. Par ailleurs, l’existence d’une position comme spécificateur de l’accord (Spec.Agr P) permet d’expliquer la dérivation de l’ordre SVO à partir de l’ordre VSO. Le sujet de la phrase doit être engendré dans la position Spec.VP, quel que soit l’ordre de surface VSO ou SVO ou même pour d’autres ordres des mots. Dans la structure interne de XP, chaque X° est dominé immédiatement par un X´ qui est dominé à son tour par X2 (XP). Si X° est une tête lexicale (L), il est nécessaire qu’elle soit gouvernée par une tête fonctionnelle (F). Le rapport entre une tête L et une tête F est une condition nécessaire pour une identification morphosyntaxique. La première identifie la seconde et
Introduction
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vice-versa. Cette identification mutuelle se traduit par l’incorporation de l’un dans l’autre. Le mouvement en syntaxe n’est plus libre comme auparavant. Il obéit à des principes et des contraintes que le locuteur applique inconsciemment. Le principe des catégories vides (ECP) est un des piliers de la théorie du mouvement. Il consiste à dire que tout déplacement laisse une trace qui doit être proprement gouvernée. La montée d’une catégorie α, quelle que soit sa nature catégorielle, lexicale ou fonctionnelle, exige la satisfaction de ECP. La violation de ce dernier entraine forcément l’agrammaticalité de la phrase. Dans la même perspective, d’autres contraintes sont imposées sur le mouvement des têtes, nous citerons particulièrement la contrainte dite de mouvement tête à tête (HHM) et celle dite de mouvement des têtes (HMC). Notre analyse du phénomène du pronom clitique ainsi que celle de la structure de la phrase nous permettent de constater que (HMC) ou le mouvement tête à tête (HHM) n’entraine l’agrammaticalité de la phrase que si ECP est violé, d’où la nécessité de réduire ces deux contraintes à ECP. Il existe trois versions principales d’ECP ; la première dite convergente exigeant à la fois le gouvernement par la tête et par l’antécédent de la trace, alors que les deux autres sont divergentes: l’une exige le gouvernement par la tête et l’autre le gouvernement par l’antécédent. Nous optons pour cette dernière version étant donné que le gouvernement par tête ne suffit pas pour légitimer la trace. Cette dernière a toujours besoin d’une relation avec son antécédent. Force est de constater que la violation de la condition de la minimalité entraine toujours une violation de ECP, ce qui permet de réduire ce dernier principe à la condition de minimalité. Cette condition a été proposée dans plusieurs versions (cf. Chomsky (1986), (Rizzi 1990) et Baker et Hale (1990), entre autres. Ces versions convergent sur le point qu’une tête est capable de bloquer la relation de gouvernement entre une trace et son antécédent. Cela provoque, par conséquent, une violation d’ECP. Nous opterons pour la version de la minimalité proposée par Baker et Hale qui ne permet pas à toute tête intervenante de bloquer l’antécédentgouvernement. Cette version tient compte, dans cette relation, de l’identité catégorielle de la tête intervenante, pour savoir si elle est lexicale ou fonctionnelle, par rapport au site de départ du mouvement.
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Introduction
Dans le cadre de la théorie des barrières, une projection maximale XP est une barrière inhérente au mouvement si elle n’est pas gouvernée par une tête lexicale (L-marquée). Si cette condition est vraie pour une projection maximale, elle ne l’est pas, en revanche, pour sa tête X. Cela permet à X° de franchir la barrière pour L-marquer sa projection XP. Ainsi, cette projection maximale cesse de fonctionner comme barrière. Le mouvement des têtes, comme celui des projections maximales, connaît deux stratégies de mouvement différentes; la première par adjonction et la seconde par substitution. Cette dernière obéit à une version forte de la contrainte de préservation de la structure, à savoir qu’un XP peut monter vers le spécificateur de YP, mais jamais vers son complément. Seule une tête peut monter en position tête. De même pour l’adjonction, on n’adjoint un XP à YP que si cette dernière est une projection non argumentale, comme c’est le cas de VP. Le mouvement, par adjonction ou par substitution, d’une catégorie α vers une catégorie β, ne l’empêche pas de préserver son identité catégorielle. Cela lui permet de maintenir la relation avec son site de départ. C’est le cas du mouvement du pronom clitique vers le verbe, le nom ou la préposition. Nous commencerons par décrire les propriétés morphologiques et syntaxiques des trois formes pronominales : pronom clitique, pronom plein et enfin, pronom nul. En décrivant les différents contextes, nous nous nous interrogerons sur les propriétés communes et les propriétés distinctives entre les deux premières formes. Ensuite, nous poserons la question Suivante sur la nature catégorielle du clitique : est-elle lexicale ou fonctionnelle ? Le problème du statut de cet élément est aussi abordé : est-il un simple affixe, une matrice de trait d’accord ou un élément autonome qui a un rôle syntaxique plein ? La représentation structurelle pose aussi des problèmes : Est-il une tête morphologique faisant partie du mot ? Ou une tête syntaxique (X°) ? Ou une projection maximale (XP) ? La réponse à l’ensemble de ces questions permettra de savoir ce qu’est un pronom clitique. En liaison avec cette problématique d’identité, nous poserons aussi la question relative au mécanisme syntaxique qui permet la dérivation du clitique et celui qui la bloque.
Introduction
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Plusieurs problèmes relatifs aux pronoms clitiques passent par la phrase et sa structure syntaxique. En arabe, on distingue généralement entre deux types de phrases : verbale et nominale. Ce clivage hérité de la grammaire traditionnelle peut-il être révisé pour réduire les deux types de phases à une seule? La réponse affirmative aurait une conséquence linguistique directe, c’est simplifier la grammaire de la phrase. En analysant la structure de la prédication non verbale, nous nous intéresserons au rôle syntaxique du pronom indépendant (PRON) qui peut séparer les deux constituants de la phrase dite nominale. Après l’analyse de l’ordre des mots en arabe qui semble plus libre que dans d’autres langues (VSO, SVO, VOS, OVS), nous chercherons les principes syntaxiques qui gèrent cette liberté, particulièrement la gestion de déplacement d’une position à une autre. L’inversion de l’ordre des compléments objets, direct et indirect mérite d’être expliquée. Nous nous intéresserons spécialement à la dérivation des pronoms clitiques dans des structures à verbe doublement transitif. Le problème de ces structures devient plus complexe quand elles sont des structures à sujet nul, pro drop, le problème de l’ordre des pronoms clitiques et de l’accord riche (sujet) se pose aussi. En effet, l’inversion de l’ordre du sujet par rapport à l’objet pose une question relative à la nature du scrambling dans une langue comme l’arabe, Est-il stylistique ou syntaxique ? La syntaxe des clitiques est étroitement liée au phénomène d’incorporation du clitique. La raison pour laquelle, nous nous demandons si ce dernier s’incorpore à une tête lexicale ou fonctionnelle ? En distinguant entre les deux types de têtes, nous nous poserons une autre question plus large à savoir quelle tête peut, ou ne peut pas, s’incorporer à telle ou telle tête ? Cela nous intéresse directement puisque le clitique peut s’incorporer aux différentes têtes. Enfin, nous nous interrogerons sur deux phénomènes problématiques en syntaxe des clitiques : le redoublement clitique et le pronom clitique résomptif. Bien qu’ils soient deux phénomènes différents, nous essayerons de leur trouver un mécanisme commun permettant de résoudre certains problèmes posés.
PARTIE I
TYPOLOGIE ET IDENTIFICATION
CHAPITRE I
Typologie des pronoms en arabe
Avant de traiter la syntaxe des pronoms clitiques, il nous faut situer ces derniers dans le système général des pronoms, car ils font partie intégrante de la typologie des pronoms en général. Dans ce chapitre, nous allons essayer de présenter une esquisse descriptive de cette typologie, ce qui nous permettra de mieux comprendre le fonctionnement morphosyntaxique des pronoms en arabe. Dans cette typologie, on distingue plusieurs types de pronoms, en fonction de divers critères: la réalisation phonétique, le cas, la fonction syntaxique et la référence. Suivant la réalisation phonétique, il existe deux types de pronoms:
(A) Pronoms phonétiquement pleins. (B) Pronoms phonétiquement nuls ou vides.
Suivant la réalisation phonétique, nous distinguons, parmi les pronoms pleins, deux autres classes de pronoms: pronoms clitiques (attachés) dits [-forts] et pronoms indépendants dits [+forts]. En d’autres termes, si la distinction entre les deux formes pronominales dans (A) et (B) ci-dessus est phonétique, celle de (1) et (2) ci-dessous est morphologique1:
1. Pronoms clitiques [-fort] 2. Pronoms indépendants [+fort]
La première forme des pronoms cliticisés joue un rôle crucial dans la syntaxe de l’arabe, et notamment dans la détermination des fonctions 1
La distinction entre les formes pronominales (A) et (B) est aussi syntaxique, comme nous le verrons plus loin.
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Partie I, Chapitre I
grammaticales. Cette forme pronominale est plus courante que la deuxième. Contrairement au pronom clitique, le pronom indépendant en arabe ne peut pas être complément des têtes comme V, N, P ou C. Par ailleurs, dans le cadre de la typologie des pronoms clitiques, nous pouvons classer ces derniers suivant la marque casuelle abstraite qu’ils portent; ainsi nous obtiendrons les deux formes suivantes:
1–1 les pronoms sujets (nominatifs). 1–2 Les pronoms objets (accusatifs).
1- Pronom affixé 1-1 Pronom sujet La forme et la position de ce pronom que nous appellerons accord (Agr) dépendent, d’une part, du temps et de l’aspect auxquels le verbe est conjugué, et, d’autre part, du trait d’accord qu’il inclut: personne, nombre et genre. 1-1-1 Sujet de l’accompli Pour les verbes à l’accompli, le suffixe -tu est la marque d’accord sujet de la première personne du singulier des deux genres, tandis que -na est l’accord sujet du pluriel de la première personne des deux genres. Les formes pronominales du sujet de la deuxième personne sont -ta et -ti respectivement pour le masculin et le féminin singulier; -tumâ est employé pour le duel, alors que -tum et -tunna expriment respectivement le masculin et le féminin pluriels. Par ailleurs, la troisième personne du féminin singulier est exprimée par -at, alors que celle du masculin est marquée par la voyelle -a. La forme du duel de la troisième personne est toujours désignée par une voyelle longue â, alors que celle du pluriel est marquée par û au masculin
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Typologie des pronoms en arabe
et na au féminin. La caractéristique commune de ces formes pronominales avec un verbe à l’accompli, c’est leur statut d’enclitiques: Nombre
Personne
Genre masculin
Singulier Duel
Pluriel
1 2 3 1 2 3 1 2 3
Commun -tu
-ta -a
Féminin -ti -at
-nâ -â
-atâ -nâ
-um -û
-tunna -na
1-1-2 Sujet de l’inaccompli Contrairement au cas précédent, les pronoms sujets spécifiés pour le verbe à l’inaccompli ne prennent pas une forme unique. Ils prennent tantôt la forme d’un proclitique, comme dans a, b, c, et d ci-dessous, tantôt une forme discontinue, à la fois proclitique et enclitique, comme dans a’, b’, c’, d’ et e’ ci-dessous: a)?a pour la première personne du singulier, masculin et féminin: (i) ?aktub-u ʺJ’écrisʺ
b): na pour la première personne du pluriel et du duel: (ii) naktubu ʺNous écrivonsʺ
c): ta pour la deuxième personne du singulier masculin et féminin; le même préfixe désigne aussi la troisième personne du singulier, féminin: (iii) ya-ktubu ʺIl écritʺ
d): ya pour la troisième personne masculin du singulier, duel et pluriel.
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Partie I, Chapitre I
Les trois premiers préfixes dans (a-c) sont toujours en distribution complémentaire avec un syntagme nominal (SN) lexical sujet. Ils sont toujours redoublés soit par un pronom phonétiquement vide dit en syntaxe petit pro soit par un pronom phonétiquement plein. Contrairement au pronom, le SN lexical sujet qui est toujours à la 3° personne ne peut coexister avec aucun des préfixes en question. En revanche, le préfixe -ya s’accorde aussi bien avec un SN lexical, un pronom vide ou un pronom plein en position sujet. Pour la même raison, les formes pronominales discontinues (a’-d’) ne coexistent pas non plus avec un syntagme nominal en fonction sujet. (a’) ta ….î pour la deuxième personne, singulier, féminin: (i) ta-ktub-î-na ʺTu écrisʺ
(b’) ta … â) pour la deuxième personne de duel, masculin ou féminin: (ii) ta-ktub-âni Vous écrivez
(c’) ta … û pour la deuxième personne, pluriel, masculin: (iii) ta-ktub-û-na Vous écrivez
(d’) ta …. na pour la deuxième personne, pluriel, féminin: (iv) ta-ktub-â-ni Vous écrivez
(e’) ya …. na pour la troisième personne, pluriel, masculin: (v) ya-ktub-û-na ʺIls écrientʺ
(e’’) ta …. na pour la troisième personne, pluriel, féminin: (vi) ta-ktub-na ʺElles écrientʺ
L’ensemble des formes pronominales sujet d’un verbe à l’inaccompli se présente comme suit:
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Typologie des pronoms en arabe
Nombre
Personne
Singulier
1 2 3
Genre Masculin -t-a -ya
Duel Pluriel
2 1 2 3
Commun - ?a
-ta … ûna -ya … ûna
-ta … â na-
Féminin -ta … î -ta
-ta … na -ya … na
1-2 Pronom objet 1-2-1 complément du V Le pronom clitique, comme le nom, occupe une position complément d’objet direct ou indirect et même un deuxième objet si le verbe est doublement transitif2: (3) a. ?iltaqay-tu Sadîq-an rencontrer-Pass.1NS un ami-Acc. “J’ai rencontré un ‘ami” b. ?iltaqay-tu-hu rencontrer-Pass.1NS-CL.3MS.-Acc. “Je l’ai rencontré” (4) a. ?a&Tay-tu-ka l-hadiyyat-a donner-Pass.1NS-CL.Dat. le-cadeau-Acc. “Je t’ai donné le cadeau”
2
Nous reviendrons longuement sur la question de savoir si le clitique occupe la position objet ou s’il légitime seulement cette position.
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Partie I, Chapitre I
b. ?a&Tay-tu-ka-hu donner-Pass.1S-CL.2MS-DAT-CL.3MS-Acc. “Je te l’ai donné”.
1-2-2 complément de COMP (5)
?a&taqid-u anna-hu waSal-a croire-Pass-1S. que-CL.3MS-ACC. arriver-Pass-3MS. “Je crois qu’il est arrivé”
1-2-3 Complément de N: Comme avec V, le clitique peut être complément d’objet de N occupant le rôle sémantique patient, thème ou possesseur, en répondant à une question avec?ayy (quel), par exemple, comme le montre (6a) et (6b): 6) a.
?ayy-u kitâb-in ? quel-Nom. livre-Gén.? “Quel livre?”
b. kitâb-î livre-CL.1S.Gén. “Mon livre”
1-2-4 Complément de P: Le pronom se cliticise aux prépositions et aux particules, de la même façon qu’aux autres catégories lexicales, V et N. Le clitique complément de P a la même forme morphologique que le clitique complément de V ou de N: (7) a. ?iltaqay-ta bi-nâ rencontrer-Pass.1S avec-CL.1P.Obl. “Tu nous a rencontrés” b.
?iltaqay-tu bi-ka aller-1S avec-CL.2MS.Obl. “Je t’ai rencontré.”
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Typologie des pronoms en arabe
Rappelons que le pronom clitique dépend toujours de la catégorie qui le gouverne en D-S: accusatif, génitif et oblique quand il est gouverné respectivement par V ou C, D et P. Rappelons aussi qu’en arabe, contrairement aux noms, les clitiques n’ont pas de Cas morphologique: les clitiques portant le Cas génitif, accusatif ou oblique3 ont la même forme morpho-phonétique qui est différente de celle de l’accord spécifié par le Cas nominatif. Or, si la classification casuelle mentionnée ci-dessus est correcte, nous pourrons envisager une autre typologie des pronoms clitiques, dépendante des marques casuelles. Les clitiques marqués pour l’accusatif ou le génitif se présentent comme suit: Nombre
Personne
Singulier
1 2 3 1 2 3 1 2 3
Genre Masculin
Duel
Pluriel
Commun -î
-ka -hu
Féminin -ki -hâ
-nâ -kumâ -humâ nâ -kum -hum
-kunna -hunna
Comme dans d’autres langues, les clitiques de la première personne en arabe ne se distinguent qu’en nombre et en personne, mais pas en genre: î pour le singulier et nâ pour le pluriel. En revanche, outre le nombre et la personne, la distinction en genre à la deuxième personne est observée: ka (masculin) et -ki (féminin) au singulier, -kum et -kunna au pluriel. La forme du duel de cette personne commune est exprimée par -kunna. Par ailleurs, les clitiques -hu et -hâ expriment respectivement la troisième personne singulier du masculin et du féminin; alors que -hum 3
Les cas génitif et oblique en arabe sont morpho-phonologiquement non distincts.
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Partie I, Chapitre I
et -hunna désignent respectivement la forme au pluriel du masculin et du féminin. La forme identique observée sur le verbe d’une part et le nom et la préposition d’autre part connaît en effet une exception caractérisant la première personne du singulier : -î. Si cet affixe s’attache au nom et à la préposition sans aucun intermédiaire, avec le verbe il doit être obligatoirement séparé par la consonne -n4; cette consonne n’intervient pas entre le clitique et le nom ou la préposition. Cela explique la différence entre (9) et (10)5: (9) a. ?ax-î frère-CL.1S.Gén. “Mon frère” b. ma&-î avec-CL.1S.Obl. “avec moi” (10) a. ra?-â-n-î voir-Pass-3M/FS-CL.1S.Acc. “Il m’a vu”
b.* ra?â-î
En arabe, certaines particules, au sens traditionnel, telles que?inna (certes),?anna (que), lâkinna (mais), layta (plût à), etc. tendent à prendre une force verbale. Cette analogie catégorielle est reflétée au niveau pronominal comme au niveau casuel, et il est possible d’introduire la consonne -n- avant le clitique de la première personne. Cela donne aux particules les formes suivantes: lâkinna-nî, ka?anna-n-î, layta-n-î, etc. 4
5
A propos de cette consonne n, Fleisch (1968c :67) note que ni existe dans toutes les langues sémitiques anciennes, comme pronom de la première personne affixé au verbe. La règle d’insertion de n est appliquée dans d’autres langues chamito-sémitiques ; dans la langue tchadique, par exemple, n est inséré avant le second terme du génitif: N + N’ ----- N + n+N’ (gén) N + N’ ----- N + n+N’ + fém
L’application d’une telle règle n’est pas possible avec les noms en arabe. Il faut rappeler que la consonne -n- en question ne s’observe qu’à la première personne.
Typologie des pronoms en arabe
19
L’explication traditionnelle de ce phénomène est de nature phonologique: l’insertion de la consonne -n- a pour but d’empêcher la succession de deux voyelles. Alors qu’une explication syntaxique ou casuelle peut supposer que les clitiques présentés dans le tableau ci-dessus (cf. (8)) sont disponibles à la fois pour le Cas génitif et accusatif d’une façon peut être intrinsèque. Cela nous amène à répartir en deux catégories les pronoms clitiques, suivant leurs marques casuelles: les marques d’accord au nominatif d’une part, et aux accusatifs et génitifs d’autre part. Ainsi, nous pouvons supposer que les pronoms figurés dans le tableau ci-dessus marquent plutôt le cas génitif et que, grâce à cette consonne -n-, le clitique génitif (à la première personne) peut être légitimé en position accusative, complément du verbe6. Il faut remarquer que l’insertion de la consonne -n est liée à la catégories [+V] et n’apparaît jamais avec une catégorie [-V], comme le montre le paradigme (8). Cette propriété peut-être observée aussi avec des particules portant le trait [+V], telles que?anna,?inna, lâkinna, layta, etc. Mais des particules comme lâkinna, ka?anna, ou la&alla peuvent se passer de la consonne supplémentaire: (11) a. ka-?anna-n-î Hunâka comme-si-1NS. là-bas “comme si j’étais là-bas” b.
ka-?ann-î hunâka (comme (11,a))
(12) a. la&lla-n-î ?axTa?-tu peut-être-moi tromper-Pass-1S. “Peut être que je me suis trompé” b. la&all-î ?axTa?-tu (comme (12,a))
L’insertion obligatoire de la consonne -n- (9 et 10) et son apparition optionnelle avec certaines particules (11 et 12), à la première personne, 6
On peut traiter cette consonne comme une tête fonctionnelle qui transmet le Cas accusatif du verbe au clitique génitif. Cette tête F sera une tête “transmetteuse” et “intermédiaire” entre V et le clitique génitif. Une telle hypothèse peut expliquer pourquoi un clitique à la deuxième ou à la troisième personne reçoit le Cas accusatif du verbe sans avoir besoin d’une telle tête fonctionnelle intermédiaire.
20
Partie I, Chapitre I
montrent deux choses: (a) l’hypothèse purement phonologique ne peut pas expliquer que cette consonne puisse être optionnelle; (b) cette insertion paraît obligatoire uniquement avec une catégorie, en l’occurrence le verbe, alors qu’elle est optionnelle avec les particules qui n’ont pas cette force verbale. Une hypothèse purement syntaxique ne peut pas non plus expliquer cette distribution libre puisque le Cas n’est jamais facultatif. En plus, si cette hypothèse est correcte, on s’attendrait à ce que -n- soit toujours présent chaque fois que le Cas accusatif est assigné par V ce qui est incorrecte. Entre les deux hypothèses en présence, phonologique et syntaxique, nous laissons la question ouverte pour une troisième hypothèse plus appropriée. Par ailleurs, la typologie des pronoms clitiques distingue deux classes en fonction de la marque casuelle et de la fonction syntaxique. La constitution de ces sous-classes dépend du aspecto-temporel (accompli et inaccompli).
2- Pronoms indépendants 2-1 pronoms independants nominatifs Le pronom personnel indépendant (appelé aussi isolé) de forme [+forte] est soit simple, soit composé. La forme simple (cf. (13)) est plus fréquente, elle ne s’observe que pour le cas nominatif7:
7
D’après l’analyse traditionnelle, ce Cas nominatif est assigné intrinsèquement (cf. Sîbawayh : 383). En d’autres termes, les pronoms dans (13) sont toujours au nominatif. Une telle analyse ne peut pas expliquer, d’une façon cohérente, pourquoi un pronom indépendant peut apparaître comme modificateur ou appositif d’un autre élément accusatif, sachant que le modificateur et le modifié doivent avoir un Cas identique (cf. Rechad (1988)) :
(i) a. jâ?-a l-mad&uww-ûna jamî&u-hum
venir-Pass.3MS les invités-Nom. tous-Nom-CL.3MP. “Les invités sont tous venus”
b. jâ?-a l-mad&uww-ûna jamî&-u(*a)-(*i)-hum venir-PASS-3MS les invités-NOM tous-NOM/(*ACC)/-*GEN-CL(3MP)
21
Typologie des pronoms en arabe
Nombre
Personne
Singulier
1 2 3 1 2 3 1 2 3
Genre Masculin
Duel
Pluriel
Commun ?anâ
?anta huwa
Féminin ?anti hiya
naHnu ?antum hum
?antunna hunna naHnu
?antum hum
?antunna hunna
Certains contextes font appel aux pronoms indépendants: a) Pronom topique, pour attirer l’attention sur le sujet du verbe: (14) ?antum-â xaraj-tumâ vous-Nom. sortir-Pass-2MD. ʺVous vous êtes sortisʺ
(ii)
a.
ra?ay-tu-ka
?anta
voir-Pass.1S-CL.2MS. toi. “Toi, Je t’ai vu”
b. marar-tu bi-hi huwa
passer-Pass.1MS par-CL.3MS lui.
“Je suis passé par chez lui”
Si le Cas identique est une condition nécessaire dans une relation de modification ou d’apposition cf. (i), le pronom indépendant dans (ii) devrait porter le Cas accusatif et non pas le Cas nominatif. En outre, le pronom indépendant peut suivre une particule vocative telle que yâ qui assigne le Cas accusatif:
(iii) yâ ?anta
“Eh toi !”
Donc, contrairement à l’analyse de la GTA, les pronoms indépendants figurant dans (13) ne doivent pas être présentés comme des pronoms intrinsèquement nominatifs, étant donné qu’ils peuvent aussi occuper une position d’accusatif. Ces Cas dépendent du contexte structural et de la position que ce pronom occupe.
22
Partie I, Chapitre I
b) Comme mubtada? dans une phrase nominale interrogative ou simple8: (15)
man ?anta qui toi-Nom. “Qui es-tu”
(16)
huwa marîd-un il-Nom. malade-Nom. “Il est malade”
c) Comme élément disjonctif entre le sujet d’une phrase nominale déterminée: (17)
?inna l-lâh-a huwa l-qadîr-u Certes le dieu-Acc. lui-Nom. le-puissant-Nom. “Certes, Dieu est puissant”
d) Après la particule marquant la préférence (ou le choix) ?immâ: (18)
?immâ ?anta wa?immâ?anâ soit toi-Nom. soit moi-Nom. “Soit toi soit moi”
2-2 Les pronoms indépendants accusatifs L’autre classe de pronoms indépendants contient les pronoms accusatifs. Cette forme pronominale est une composition de la matrice?iyyâ et d’un pronom clitique. Une telle composition donne la forme pronominale?iyyâ+clitique, qui a une fonction syntaxique unique comme deuxième objet avec un verbe doublement transitif:
8 Le mubtada? est une fonction grammaticale définie par les grammairiens arabes traditionnels comme l’élément initial dans la phrase nominale. Pour nous, il est le sujet de cette phrase. Nous reviendrons à la phrase nominale dans le deuxième chapitre de la deuxième partie.
23
Typologie des pronoms en arabe
Nombre
Personne
Singulier
1 2 3 1 2 3 1 2 3
Genre Masculin
Duel
Pluriel
Commun ?iyyâ-ya
?iyyâ-ka ?iyyâ-hu
Féminin ?iyyâ-ki ?iyyâ-hâ
?iyyâ-nâ ?iyyâ-kumâ ?iyyâ-humâ ?iyya-nâ ?iyyâ-kum ?iyyâ-hum
?iyyâ-kunna ?iyyâ-hunna
Comme les pronoms clitiques, chaque type de pronom indépendant est utilisé dans des contextes précis: a) Deux pronoms entre lesquels est intercalé l a particule dite d’exception comme?illâ (sauf ): (20)
mâ sami&a-hu ?aHadun ?illa ?anta ne entendre-Pass-lui-Acc. personne-Nom. que toi “Il n’y a que toi qui l’ait entendu”
b) Pronom emphatique d’une position accusative: (21)
?inna?ar-rajul-a Sami&a-ka ?anta certes l’homme-Acc entendre-Pass-3MS.-CL.2MS. toi “Certes, l’homme t’a entendu toi”
c) Quand le pronom est vocatif: (22)
yâ ?anta “Eh, toi!”
d) Comme deuxième objet: (23)
&allam-tu-hu ?iyyâ-hu apprendre-Pass-1NS-CL.3MS-Acc. lui “Je le lui ai appris”
24
Partie I, Chapitre I
e) Pour donner plus de relief au complément direct, il se trouve en position préverbale comme topique: (24)
?iyyâ-ka na&budu toi-Acc implorer-Prés-1P. “C’est toi que nous adorons”
f ) Comme exclamation au sens de “prendre garde”: (25) ?iyyâ-ka wa l-kadib-a prendre garde et le-mensonge-Acc. “Attention au mensonge!”
g) Après la particule wa exprimant l’accompagnement: (26) sa-?usâfir-u wa ?iyyâ-kum voyager-Fut-1S. avec vous-Acc. “Je vais voyager avec vous”
h) Comme complément d’un maSdar9: (27) &ajib-tu min Darbi-ka ?iyyâ-hu étonner –Pass.1S. de frappe-toi-Gén. lui-Acc. “J’étais étonné que tu portes des coups à lui”
Dans certaines langues, sémitiques et slaves notamment, les pronoms indépendants s’emploient pour exprimer le verbe (ou l’auxiliaire) “être” du français et de langues indo-européennes en général. Ainsi, en arabe, les pronoms indépendants tels que?anâ,?anta, huwa sont équivalents à respectivement “je suis”, “tu es” et “il est”10. Ce contraste peut être présenté dans des exemples comme (28) et (29): (28)
a.
b.
?anâ muta?akkid-un je-Nom. sûr-Nom. “Je suis sûr” ya uverenla
(arabe standard)
(russe)
9 Le maSdar (le gérondif ) est une catégorie lexicale hybride ; verbo-nominale, c’est une catégorie qui a certaines propriétés syntaxique d’un verbe et certaines autres d’un nom. En d’autres termes, c’est une [+V], [+N]. 10 Dans la deuxième partie, nous allons revoir cette hypothèse en écartant toute propriété verbale du pronom.
25
Typologie des pronoms en arabe (29)
a. b. c.
Je suis sûr I am sure Ich bin sicher
(français) (anglais) (allemand)
2-3 relations dérivationnelles entre pronoms clitiques et indépendants Comparons maintenant les deux grandes classes pronominales présentées ci-dessus: les pronoms clitiques [-fort] et les pronoms indépendants [+fort]. Une comparaison entre les formes morphophonologiques de chaque classe nous amène à suggérer une relation dérivationnelle. En d’autres termes: est-il possible de supposer un processus morphophonologique ou morphosyntaxique qui puisse expliquer la relation entre les deux formes pronominales? Certains aspects lexicaux peuvent conduire à une réponse positive, mais les caractéristiques propres de chaque forme, notamment au niveau syntaxique, suggèrent le contraire. Deux hypothèses peuvent donc être avancées, chacune relative à une approche spécifique. La première suppose une relation dérivationnelle entre les deux formes pronominales: les deux formes, indépendantes et clitiques sont engendrées à partir d’une seule forme conjointe d’items lexicaux abstraits. Ces items seraient, plus tard, épelés différemment. Une telle réalisation serait, à son tour, la conséquence d’une application des règles morpho-phonologiques qui déterminent leur nature: clitique ou indépendante. Empiriquement, nous pouvons constater cet aspect dérivationnel à travers une simple comparaison entre certains pronoms de deux types. Les figures (8) et (13) (tableau (30)) et les figures (1) et (13) (tableau (31)) peuvent confirmer cette constatation:
26
Partie I, Chapitre I
Nombre
Personne
Singulier
1 2 3
Duel
1 2 3
Pluriel
1 2 3
Genre Pronom Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant
Masculin
Commun ?a ?ana
-ta ?anta -hu huwa
Féminin
-ti ?anti -hâ hiyya -nâ naHnu -tuma ?antumâ -humâ Humâ -nâ naHnu
-kum ?antum -hum Hum
-kunna ?antunna -hunna hunna
Nombre
Personne
Pronom
Singulier
1 1 1 1 1 1
Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant
Genre Masculin
Duel Pluriel
Commun -î ?anâ -nâ naHnu -nâ naHnu
Féminin
Par ailleurs, le tableau (32) ci-dessous montre le parallélisme qui reflète une relation dérivationnelle entre les deux formes pronominales: indépendants accusatifs d’une part et clitiques accusatifs/ génitifs d’autre part :
27
Typologie des pronoms en arabe
Personne
Pronom
Personne
Singulier
Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique Indépendant Clitique IIndépendant Clitique Indépendant
1 1 2 2 3 3 1 1 2 2 3 3 1 1 2 2
Clitique Indépendant
3 3
Genre Masculin
Duel
Pluriel
Commun ?î ?iyya-ya
-ka ?iyya-ka -hu ?iyyâ-hu
Féminin
-ki ?iyyâ-ki -hâ ?iyyâ-hâ -nâ ?iyya-na -kumâ ?iyyâ-kumâ -humâ -nâ ?iyyâ-nâ
-kum ?iyyâ-kum -hum ?iyyâ-hum
-kunna ?iyyâkunna -hunna ?iyyâ-hunna
La figure (32) conduit à deux hypothèses: la première consiste à dire que la forme des pronoms indépendants accusatifs est en fait un clitique avant l’insertion d’une matrice?iyyâ. La deuxième suppose que la forme des clitiques accusatifs/génitifs est identique à la forme indépendante accusative avant l’effacement de la matrice?iyyâ. L’insertion dans le premier cas et l’effacement dans le deuxième doivent être effectués au niveau phonologique ou morpho-phonologique. Les mêmes hypothèses peuvent être avancées à partir du tableau (30): la Matrice ?an sert dans la plupart des cas à supporter le pronom clitique pour lui donner la forme d’un pronom indépendant:?an-ta,?an-ti,?antumâ, etc; dans d’autres cas, la forme indépendante du pronom se réalise sans ce support?an comme le cas de humâ, hum, hunna, etc; pour sauver l’hypothèse dérivationnelle des les deux formes, on doit dire qu’un support comme?an peut être phonétiquement nul.
28
Partie I, Chapitre I
Cette hypothèse dérivationnelle n’est pour l’instant qu’une idée intuitive; sa valeur scientifique dépendra des arguments morpho-phonologiques forts qui viendront confirmer ou infirmer cette approche. Outre cette hypothèse dérivationnelle, nous pouvons avancer une approche non dérivationnelle (basique) où les deux formes pronominales [+forte] et [-forte] sont des items lexicaux distincts depuis la structure profonde: le lieu de l’insertion lexicale. Dans ce sens, chaque forme pronominale, clitique ou indépendante, serait distincte de l’autre. Une telle distinction peut s’appuyer sur une règle comme (33)11: (33) Un élément [-fort] n’est pas un mot phonologique
Un tel principe gouverne l’insertion des frontières (#) et implique qu’un élément [-fort], contrairement à [+fort], ne peut recevoir une interprétation phonologique que lorsqu’il est contenu dans un mot phonologique; d’où la différence entre (34) et (35): (34)
hâaðâ mâ taqSid-ûna-hu ?antum bi n-nahDat-i voilà que entendre-Prés.2MP-CL.3MS. vous de-la-renaissance-Obl. “Voici ce que vous entendez vous par la renaissance”
hâðâ mâ taqSid bi n-nahdat-i ûna
(35)*
La malformation de (34) face à (35) découle d’une violation de (33): en tant que morphème lié, le pronom clitique ne peut pas être réalisé sous une forme indépendante [+ forte]. En outre, l’aspect disjonctif des deux formes pronominales est observé non seulement au niveau phonologique, comme le montre (33), mais aussi et surtout, au niveau syntaxique; nous montrerons au long infra le rôle syntaxique de ces formes pronominales et des clitiques en particulier. A titre de comparaison, nous remarquons que chaque approche, dérivationnelle ou non dérivationnelle, trouve un appui à un niveau linguistique différent: la première se fonde sur des principes et des règles morpho-phonologiques, alors que la deuxième se fonde sur d’autres principes morphosyntaxiques.
11
cf. Vergnaud (1982).
Typologie des pronoms en arabe
29
En effet, une hypothèse dérivationnelle qui établit les relations morphophonologiques et morphosyntaxiques pourrait avoir une grande importance dans l’étude linguistique des pronoms en général, non seulement en arabe, mais aussi les autres langues sémitiques où existe le parallélisme observé ci-dessus. Sur les deux formes pronominales, nous opterons pour une relation morphosyntaxique.
3- Pronom implicite Contrairement aux pronoms pleins, les pronoms nuls sont dépourvus de réalisation phonétique, cela ne met pas en cause la présence syntaxique et interprétative. A l’opposé des pronoms phonétiquement pleins, les pronoms nuls peuvent occuper les deux positions syntaxiques, sujet ou objet. Ce pronom vide peut être interprété comme un pronom indépendant. C’est ce que montre le paradigme suivant12: (36) a. ?aktub-u (?anâ) écrire-Prés.1S (moi) “Moi J’écris” b. taktub-u (?anta) écrire-Prés.3S (toi) “Toi tu écris”_ c. katab-at (hiya) écrire-Pass.3FS (elle) “Elle elle a écrit”
Le pronom vide est fréquemment utilisé, en arabe standard et dialectal. Le sujet peut être vide ou phonétiquement réalisé, mais il est toujours 12 Al-?astarâdâ_î (T,II. pp 2–10) a considéré que le pronom implicite est la forme primitive des pronoms en général. La racine du verbe en arabe est à la forme fa&ala qui est préalablement conjuguée à la troisième personne du singulier et implique un sujet implicite dans le cas où un sujet explicite n’est pas réalisé.
30
Partie I, Chapitre I
obligatoire, en vertu d’un principe qui exige un sujet pour chaque prédicat, (PPE)13 : (37)
jâ?-a? alT-Tâlib-u musta&idd-an venir-PASS-3MS l’étudiant-Nom. prêt-Acc. “L’étudiant est venu prêt”
(38)
jâ?-a musta&idd-an venir-Pass-3MS prêt-Acc. “Il est venu prêt”
L’existence d’un pronom implicite est toujours corrélée à celle de l’antécédent qui l’identifie et le légitime en rendant la structure interprétative plus claire14. Par ailleurs, il existe des constructions où le pronom implicite coexiste avec le pronom explicite, comme dans l’exemple suivant: (39)
?a-nakidd-u naHnu wa ?antum &âbit-ûn? COMP-peiner-Prés.1P nous-Nom et vous-Nom amusant-Nom. “Nous peinons alors que vous vous amusez?”
S’agissant de ce type de construction, les grammairiens ont considéré que le sujet est le pronom implicite, tandis que le pronom indépendant naHnu joue le rôle du modificateur (emphatique) à fonction purement sémantique; mais si on admet cette explication, une question se pose : comment analyser l’exemple suivant?: (40)
13
14
mâ kadd-a ?illâ naHnu ne peiner-Pass. que nous-Nom. “Personne d’autre n’a peiné que nous”
Le principe de Projection Etendu est formulé ainsi: Tout prédicat doit avoir un sujet. L’idée d’un sujet vide existe depuis très longtemps chez les grammairiens arabes. Elle a été critiquée par les linguistes descriptifs qui se limitent à ce qui est visible en surface en renonçant à tout implicite, (cf: Abd errahman Ayoub (1957), Mohamed Mahdi el Maxzouni (1964) entre autres). Par suite, cette thèse descriptive a été vivement critiquée et falsifiée dès le premier modèle de la grammaire générative. Ce qui rejoint la thèse de départ des grammairiens arabes, par des voies différentes bien entendu. Nous expliquerons cette corrélation dans le premier chapitre de la deuxième partie en discutant la structure de la phrase et la position syntaxique du sujet.
Typologie des pronoms en arabe
31
Dans ce cas, les grammairiens ne considèrent plus naHnu comme élément emphatique, à cause de l’insertion d’un élément d’exception. Les arguments suivants montrent que le sujet grammatical devient naHnu et non pas le pronom implicite, comme dans le cas de (40): (A) Le pronom naHnu porte la marque casuelle du nominatif du sujet (B) Dans le cas du retranchement du pronom naHnu, la phrase devient incomplète et par suite agrammaticale: (41)*
mâ kadd-a ?illâ ne peiner-Pass-3MS que “Il n’a peiné que”
En ce qui concerne les contextes qui font appel au pronom_ implicite, on doit distinguer entre deux types: obligatoire et possible. 3-1 Pronom implicite obligatoire La nature obligatoire ou optionnelle du pronom vide dépend d’autres notions, comme le temps et l’aspect: un mode comme l’impératif exige l’absence d’un sujet plein (post-verbal) et la présence d’un pronom vide dans cette position comme dans (42)15: (42) ?u-xruj-û sorter-IMP-2MP “sortez”
15
La corrélation entre le mode impératif et l’absence d’un sujet lexical n’est pas un phénomène qui est observé seulement dans les langues dites pro drop (à sujet nul) comme l’arabe, il est observé aussi dans des langues non pro drop comme le français ou l’anglais: (i) a. Venez b.?? Vous venez c.* Venez-vous (ii) a. Come b.?? You come c.* Come you.
32
Partie I, Chapitre I
Les préfixes verbaux ci-dessous exigent nécessairement que le sujet soit un pronom implicite et coexiste avec les schèmes suivants16: (43) b. ?a- dans:?a-f&alu exprimant inaccompli, première personne du Singulier, (je fais) c. na- dans la forme: na-f&al-u exprimant l’inaccompli, première personne du pluriel, (nous faisons). d. ta- dans: ta-f&al-u pour l’inaccompli, deuxième personne du singulier et dans ta-f&alîna pour 2S féminin (tu fais).
3-2 Pronom implicite possible Le pronom implicite est postulé dans les contextes suivants: (44) a. fa&al-at passé, troisième personne, féminin ; b. ta-f&al-u inaccompli, troisième personne, féminin. c. fa&al-a passé, troisième personne, masculin d. ya-f&al-u pour l’inaccompli, troisième personne, masculin. f. le participe Présent: nabîl-un kâtib-un?ar-risâlat-a Nabîl-Nom. auteur-Nom. la lettre-Acc. “Nabîl qui écrit la lettre” g. le participe Passé: ?al-jundiyy-u maqtûl-un le soldat-Nom. tué-Nom. “Le soldat est tué”
4- les traits d’accord Les éléments pronominaux soulignés ci-dessus, qu’ils soient explicites ou implicites, indépendants ou clitiques, impliquent les traits complets d’accord: personne, nombre et genre. Vu l’importance de ces traits dans la détermination d’un élément pronominal, il est nécessaire dans cette 16
cf. Ibn ya&îṨ, ibid. T 3 p.109. Parmi les cas moins fréquents qui exigent un pronom implicite il y a aussi la forme ?af&ala, du superlatif ou de l’exclamation.
Typologie des pronoms en arabe
33
présentation descriptive de souligner brièvement les caractéristiques de chacun. 4-1 La personne Le concept de “personne” en arabe est le même que dans d’autres langues. La première personne est le sujet parlant (?al-mutakallim) ou le “je” parlant, la deuxième personne est celle qui reçoit le message (?almuxâTab), tandis que la troisième personne est l’absent, celui dont on parle (?al-Râ?ib). Dans les trois cas, le pronom se réfère à un antécédent oculaire pourvu, à son tour, d’un trait de personne correspondant. Nous verrons plus loin que le trait de personne n’a pas seulement une importance dans la formation de l’élément pronominal, mais qu’il a aussi des conséquences sur la morphosyntaxe de la phrase, notamment sa corrélation avec le temps et le mode lorsque ce trait est lié à la position sujet. Par ailleurs, grâce au trait de personne, nous pouvons distinguer deux classes pronominales: la première et la deuxième personne d’une part, et la troisième personne d’autre part. Cette distinction fondamentale est basée sur la nature référentielle de chacune de ces classes. Ainsi, le trait de personne est corrélé à la possibilité ou à l’impossibilité de la réalisation phonétique du sujet. Or la première classe, première et deuxième personne, exige un sujet phonétiquement vide: (46) a. ?a-ktub-u [e] 1-écrire-Prés.1MS. “J’écris”
a’. ?a-ktub-u ?anâ 1-écrire-Prés.1MS. moi.Nom. “Moi j’écris”
b. na-ktub-u [e] 1-écrire-Prés.3MP. “nous écrivons”
b’ na-ktub-u naHnu 1-écrire-Prés. Nous.Nom. “Nous nous écrivons”
34
Partie I, Chapitre I
Des constructions comme (46----> a’.) ou (46----> b’.) ne peuvent être interprétées que si le pronom indépendant fonctionne comme un élément emphatique et non pas comme un vrai sujet. Quant à la deuxième classe, (la troisième personne), elle offre les deux possibilités: la réalisation phonétique ou l’absence du sujet; cela dépend aussi du trait de nombre. 4-2 Le nombre Les traits de nombre du pronom sont les mêmes que ceux du nom, singulier et pluriel, mais l’arabe possède un trait de nombre supplémentaire ou intermédiaire: le duel. Ce dernier désigne deux et seulement deux personnes (ou choses), alors que dans d’autres langues ce nombre est considéré comme pluriel17. Du point de vue morphophonologique, le duel est plus proche du pluriel que du singulier. Quand le locuteur veut désigner deux personnes dont il fait partie, il emploie le pronom naHnu ou le clitique na utilisé aussi pour le pluriel, pour la première personne. La forme pronominale pour la première personne du duel et du pluriel est donc commune. En revanche la distinction entre le duel et le pluriel des pronoms à la deuxième et la troisième personne se manifeste par l’affixation d’une voyelle longue â qui s’ajoute à la forme du pluriel pour la modifier:?antumâ, humâ, etc. Cette remarque implique que la forme du duel est constituée à l’origine d’une forme au pluriel et d’un suffixe incorporé désignant le nombre. En d’autres termes, le duel est fait d’un pluriel restreint par la marque distinctive et spécifique â, comme le montre (47)18 : 17 Dans le cadre typologique des langues, plusieurs paramètres touchant les traits d’accord peuvent être observés. Nous aurons l’occasion d’en mentionner certains plus loin. Or, si une classe de langues sémitiques, dont l’arabe, choisit le duel, d’autres langues, comme l’allemand, choisissent un trait intermédiaire de genre dit neutre. 18 S.Pavel (1974) a présenté une série de règles morpho-phonologiques qui illustre la dérivation du pronom non seulement au duel, mais aussi au pluriel comme au singulier.
35
Typologie des pronoms en arabe (47)
a. b.
?antum ---hum
a’. ----b’.
?antum+â hum+â
L’hypothèse qui considère le duel comme un pluriel restreint a une conséquence sur l’identification du pluriel et du singulier. Il est donc possible de faire un découpage de la forme (47a) et (47b) (= (48a) et (48b)), en supposant que dans ces structures, la forme du pluriel résulte de l’incorporation du trait du pluriel au trait du singulier. On obtient les formes (48a’) et (48b’): (48)
a. b.
?ant+um h+um
----> a’. ----> b’.
?antum hum
Si le découpage dans (48) est correct, le pluriel devient le résultat d’une affixation à droite d’une forme de base,?an, ou h respectivement dans (48a) et (48b); tandis que la forme du duel se dérive en affixant le morphème du duel à droite de la forme au pluriel (cf.47). Ainsi le pronom indépendant peut être considéré comme un élément composé d’une forme de base (qui contient le trait de la personne) plus un morphème d’accord qui contient surtout le trait de nombre et de genre. (49)
a. b. c. d. e.
?an+ta h+wa h+ya h+um h+unna
--->a’. --->b’ --->c’ --->d’ --->e’
?anta huwa hiya hum hunna
La composition des pronoms indépendants s’observe plus clairement dans la dérivation des pronoms indépendants accusatifs, comme nous l’avons souligné plus haut (voir 32 plus haut). La composition est cette fois plus homogène, dans la mesure où il n’y a qu’une seule forme de base,?iayyâ, qui supporte les pronoms clitiques complément d’objet. La forme du pronom
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Partie I, Chapitre I
indépendant accusatif est donc dérivée aussi par une affixation du pronom clitique à droite de la particule?iyyâ qui le supporte. Nous pouvons donc en conclure que les pronoms indépendants peuvent être analysés comme des unités composées et dérivées les unes des autres plutôt que comme des unités lexicales dérivées de la base en S-Structure telles quelles. Comme avec le verbe, les traits de nombre, dont le duel, apparaissent aussi avec le nom et l’adjectif. L’analyse dérivationnelle précédente peut être appliquée sur les différentes formes de ces catégories en considérant la forme du pluriel et celle du duel comme des formes composées (voir 47) et (48)), ainsi que (49)19 pour le singulier. La relation dérivationnelle, qui est observée dans le système pronominal, touche aussi les autres catégories lexicales: le nom, le verbe et l’adjectif: (50) Nom: a. Singulier: walad “un garçon” b. Duel: walad-ân “deux garçons” c. Pluriel ?a-wl-â-d “des garçons” (51) Verbe: a. Singulier: fâz-a “il a gagné” b. Duel: fâz-â “ils ont gagné” c. Pluriel: fâz-û “ils ont gagné” (52) Adjectif: a. Singulier: mu?min. “un croyant” b. Duel mu?min-âni “deux croyants” c. Pluriel mu?min-ûna.“des croyants”
Les structures (b) dans (50)–(52) nous montrent que le duel est dérivé d’un morphème flexionnel par une affixation à droite des formes de base nominale, verbales ou adjectivales. La forme du singulier est une forme simple, tandis que la forme du duel est composée. En revanche, la formation du pluriel peut s’effectuer par affixation comme le montre (51c) et (52c) ce 19
Cette hypothèse ne concerne qu’une classe de noms et d’adjectifs sujets à la flexion morphologique, et ne dit rien sur l’autre classe de noms et d’adjectifs qui relève plutôt de la morphologie dérivationnelle ou lexicale sous l’angle de laquelle les phénomènes comme le pluriel brisé, l’infixation dans les formes verbales méritent être analysés d’avantage.
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qui ne peut être le cas dans (50c). Bref, une langue comme l’arabe a besoin à la fois de la morphologie flexionnelle et dérivationnelle. 4-3 Le genre Le trait de genre, comme celui de personne et de nombre, joue un rôle crucial dans l’élaboration d’une forme pronominale20. Les deux traits de genre, masculin et féminin, peuvent être communs dans le pronom de la première personne:?anâ pour la forme pronominale indépendante et -tu pour la forme clitique, tandis qu’à la deuxième et à la troisième personne, le pronom est marqué par un trait distinct de genre dans les deux formes pronominales: clitique et indépendante. En fonction des traits de genre, les pronoms peuvent donc être répartis en deux classes: la première personne d’une part, la deuxième et la troisième personne d’autre part. L’arabe standard, se distingue du français et d’autres langues par le genre du pronom de la deuxième personne qui est soit masculin?anta (tu),?antum (vous)) soit féminin?anti (tu),?antunna (vous)). Pour toutes les langues romanes, la distinction en genre n’est observée qu’à la troisième personne21. L’arabe marocain (AM) présente un cas intermédiaire où la distinction de genre n’est observée qu’au singulier, et plus précisément à la deuxième et à la troisième personne dans la forme pronominale indépendante (comme en AS): nta, nti (tu) d’une part et huwa (il) hiya (elle) d’autre part. En ce qui concerne la forme clitique, la distinction de genre, comme en français, ne s’observe qu’à la troisième personne: un morphème nul pour le masculin et -t (elle) pour le féminin: (53) a. huwa sâfαr “Il-Nom. voyager-Pass-3MS” b. hiya safrâ-t “Elle-Nom. voyager-Pass-3FS” 20 Nous y reviendrons plus loin pour montrer en détail le rôle précis de chacun de ces traits dans la formation du pronom, notamment en position sujet. 21 Fleish (1961) a présenté une analyse diachronique des pronoms indépendants et leurs rapports avec les pronoms clitiques en arabe standard et dans plusieurs dialectes arabes.
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Partie I, Chapitre I
Il s’agit là de la seule personne de la forme pronominale clitique, où la distinction des deux traits de genre est marquée; pour le reste, indépendamment de l’ordre SV ou VS22, le trait de genre n’est pas marqué comme le montrent (53) et (54)23: (54) a. l-wlâd sâfr-u Les-garçons-Nom. voyager-Pass.3MP “Les garçons ont voyagé”
(55)
b. l-bnât sâfr-u Les-filles voyager-Pass.3F. “Les filles ont voyagé” a.
sâfr-u lα-wlâd voyager-Pass.3NP les-garçons-Nom. (comme (54a))
b. sâfr-u lα-bnât voyager-Pass-3NP. Les-filles (comme (54b))
Contrairement au trait de personne qui a un rapport avec la présence ou l’absence phonétique du sujet, Et au trait de nombre qui détermine la position du sujet, le trait de genre ne joue pas un rôle déterminant dans la syntaxe de la phrase en AS et encore moins en AM.
22 Rappelons que l’ordre du sujet par rapport au verbe est libre, bien que l’ordre SV soit dominant. 23 Nous supposons que le trait du masculin dans (54) comme dans (53) est marqué par défaut, vu le manque de l’opposition entre les deux traits de genre. Or, chaque fois que l’opposition entre les deux traits manque, c’est le masculin qui se réalise: (i) hâd l-wald Ce le garçon. “Ce garçon”
(ii) hâd l-bent
Ce la fille “Cette fille”
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5- Pronom et pronominalisation 5-1 Grammairiens arabe traditionnels Le pronom dans le cadre de la tradition grammaticale arabe (TGA) est traité comme l’équivalent d’un nom24. Mais cette équivalence n’est pas complète à cause de certaines propriétés distinctives comme la notion de ?i&râb (la déclinaison). Les pronoms, contrairement aux noms, ne sont pas marqués pour un Cas morphologique, les pronoms obéissent à la notion de binâ? (indéclinabilité) qui est distincte de celle de?i&râb. Faute de cette dernière notion, les grammairiens traditionnels arabes ont reconnu implicitement que le pronom ne correspond pas tout-à-fait au nom; en d’autres termes, sa nature catégorielle est hybride: intermédiaire entre le nom et une autre catégorie qui est?al-Harf (la particule)25, la préposition notamment, au moins sous certains aspects26. 5-2 Approches de pronominalisation Par ailleurs, la distribution complémentaire entre le pronom et le nom ne suffit pas pour considérer le pronom comme nom. Comme il peut se substituer au nom, le clitique (l’accord) peut aussi se substituer au pronom indépendant, notamment celui de la première et la deuxième personne en position sujet: 24 La TGA distingue trois catégories constitutives de ce qu’ils ont appelé ?aqsamu ?alkalimi (les parties du discours): Nom, Verbe et Particule. Pour que cette division tripartite soit respectée, le pronom ne doit pas échapper à cet ensemble catégoriel. Cette classification, bien qu’elle semble inachevée, prend une portée universelle dans la tradition grammaticale. On lit chez Al-astarâbâdî : “Sache que le pronom est au nominatif, accusatif ou génitif parce qu’il prend (…) la place d’un (nom) explicite..”. cf. Al-astarâbdî T. II: 6.
2 5 cf. Ibn Ya&î$ p.84. 26 Cela nous semble tout à fait impossible, car les fonctions des pronoms et des prépositions sont disjonctives.
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Partie I, Chapitre I
(56) a. qara?-a ?alT-Tullâb-u ?al-kitâb-a lire-Pass.3MS les étudiants-Nom le livre-Acc “Les étudiants ont lu le livre” b. qara?-û ?al-kitâb-a lire-Pass-3MP. le livre-Acc. “Ils ont lu le livre” (57)
qara?-tu ?al-kitâb-a lire-Pass.1NS le livre-Acc. “J’ai lu le livre”
Le sujet lexical dans (56a) peut être remplacé par un accord (AGR) riche comme le montre (56b). Cependant, le sujet pronominal dans (57) ne peut pas être remplacé par un NP lexical. En fait, le nom ne peut être remplacé que par un pronom qui a les mêmes traits d’accord notamment de personne. A la suite de Chomsky (1973), Milner (1982) exprime cette distinction au moyen des notions de référence actuelle et de référence virtuelle: les pronoms de dialogue sont liés à l’énonciation, ils n’ont pas de référence virtuelle propre. “Ils sont cependant dotés d’une référence actuelle: la seule difficulté, c’est que par eux-mêmes, ils ne permettent nullement de déterminer à quelles conditions doit répondre un segment de la réalité pour constituer cette référence actuelle”27. Cette distinction peut être comprise dans une définition plus large du pronom, donnée par Al-astarâbâdî: Le pronom est tout ce qui désigne un locuteur, interlocuteur ou un absent, sachant que son antécédent doit être antéposé d’une façon phonique, significative ou (par) (le statut syntaxique) Hukman28.
Une telle définition souligne deux caractéristiques fondamentales du pronom:
1) Le pronom n’est pas une catégorie de forme homogène, les types pronominaux sont différents selon les traits référentiels désignant la présence ou l’absence.
2 7 28
cf. Milner.J.C. (1982: 31). cf. Al-starâbâdî. ibid. T1 p4.
Typologie des pronoms en arabe
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2) Qu’ils soient de dialogue, (1° et 2° personne), ou non (la 3° personne), les pronoms ont toujours besoin d’un référent identifiant leur contenu et ôtant toute ambiguïté. Ce référent peut être compris soit dans le lafðˤ (la phonation), le ma&nâ (le sens) ou le Hukm (le statut syntaxique).
A travers cette définition, les grammairiens traditionnels arabes ont posé une condition qui doit être satisfaite par toute structure pronominalisée: (59) Chaque pronom doit avoir un mufassir (explicitant).
La notion de mufassir est utilisée au sens de ‘antécédent’. Mais cet élément important qu’est l’antécédent du pronom n’est pas de nature homogène, comme nous le rappelle Al-astarâbâdî29: “… Le pronom du locuteur et celui de l’interlocuteur s’expliquent par la vue (?al-mu$âhada) et puisque le pronom de l’absent en est dépouillé, il a besoin d’un antécédent …”. Nous pouvons donc conclure que les pronoms de la première et de la deuxième personne ont un antécédent oculaire réalisé à l’extérieur du système de la phrase, compris à travers l’énonciation, comme dans les constructions suivantes: (60) a. ?anâ mut&ab-un Je fatigué-Nom. “Je suis fatigué”
b. ?iltaqay-tu-ka rencontrer-Pass-1NS-CL.2S.Acc. “Je t’ai rencontré”
En revanche, l’antécédent du pronom de la troisième personne se trouvant linéairement avant ce dernier, est compris syntaxiquement: (61) ?al-fikrat-u ?iltaqay-tu-hâ L’idée-Nom critiquer-Pass.1S-CL.3MS. “L’idée, je l’ai critiquée”
Il existe, par ailleurs, un pronom qui semble échapper à la condition relative à l’existence obligatoire d’un antécédent; si nous avons vu que le
29 cf. Al-astrâbâdî. ibid. T1 p. 227.
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pronom de la troisième personne a toujours besoin d’un antécédent, il, pronom dit de $a?n, ne répond pas à cette condition: (62) hiya ?ald-dunyâ xâ?inat-un elle-Nom. La vie-Nom. traîtresse-Nom. “La vie, ellevest traîtresse”
En ce qui concerne ce pronom, les écoles grammaticales arabes traditionnelles sont divisées. Les Koufites l’ont considéré comme tous les autres pronoms qui occupent une fonction grammaticale, alors que les Basrites ont nié tout rôle syntaxique à ce pronom, bien qu’ils aient affirmé son rôle sémantique. En effet, si ce pronom a une fonction principale, elle sera de nature stylistique plutôt que syntaxique. Il contribuera à insister sur la valeur de la personne ou de la chose qui le suit immédiatement. La preuve en est que la présence ou l’effacement de ce pronom n’a aucun effet sur la grammaticalité de la phrase: (63) ?ald-dunyâ xâ?inat-un la vie-Nom traîtresse-Nom. “La vie est traîtresse”
Comme le soulignent les grammairiens arabes, la particularité de ce pronom par rapport aux autres est qu’il se réalise en tête de phrase sans avoir besoin d’un antécédent. Les Basrites ont trouvé une explication à cette particularité: si ce pronom échappe à la condition de l’antériorité de l’antécédent, il n’est pas dépourvu d’antécédent: c’est la phrase nominale qui le suit immédiatement qui joue ce rôle conformément à (59). C’est la raison pour laquelle ils l’ont aussi appelé pronom de la phrase: Damîru l-jumla; ce qui confirme pour tout pronom la présence obligatoire d’un référent plutôt que d’un antécédent. Le phénomène de la pronominalisation a connu deux approches distinctes: l’une est transformationnelle où tout pronom est dérivé d’un nom; l’autre est non transformationnelle où le pronom n’est pas une forme transformée d’un nom. Le travail de Lees et Klima (L&K) (1963) a été la base d’une analyse transformationnelle des pronoms simples et réfléchis, dans le cadre de la théorie transformationnelle standard. L&K ont suggéré que l’origine des
Typologie des pronoms en arabe
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pronoms en structure profonde correspond à un syntagme nominal, et que des règles morphologiques transformationnelles d’effacement et de substitution changent le nom en forme pronominale ou réfléchie. Le paradigme (1a–d) est un des exemples de cette dérivation:
(64) a. John bought Mary a car for Mary to drive John around in. b. John bought Mary a car for Mary + (Pron) to drive John + (Pron) around in. c. John bought Mary a car for to drive him around in. d. John bought Mary a car to drive him around in.
Comme chaque opération transformationnelle avait sa propre règle, la pronominalisation ou la dérivation du pronom n’échappait pas à ce processus. Ainsi le pronom observé dans (1c) et (1d) selon L&K devrait être produit selon la règle suivante:
(65) La Règle de Pronominalisation X.Nom -Y-Nom’-2 -- X-Nom-Y-Nom’ + Pron + Z où Nom = Nom’, et où Nom est dans une matrice de phrase, lorsque Nom’ est un constituant d’une phrase enchâssée dans la phrase matrice.
La pronominalisation apparaissant dans (64d) relève de la règle (65) qui met en relation les deux noms Nom et Nom’. Cette relation n’est établie que sous les conditions suivantes: (66) a. Les deux noms doivent être identiques, ce qui est exprimé par le signe (=). b. Chaque nom doit occuper une position précise: le premier doit être dans la phrase matrice, alors que le deuxième (Nom’) doit être un constituant de la phrase enchâssée.
Cette analyse peut être considérée parmi les premiers travaux sérieux sur les pronoms parce qu’une règle comme (65) précise dans quelles conditions le pronom (Nom’) peut se mettre en relation avec son antécédent (Nom). Pourtant, l’analyse de L&K n’a été qu’un premier pas vers la solution du problème du rapport lexical et syntaxique entre le pronom et le nom. Toujours dans le cadre transformationnel, les travaux de Ross (1967), Lakoff (1968 b), Langacker (1969), Postal (1970b) entre autres, considèrent que les pronoms apparaissent en structure profonde comme des syntagmes
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Partie I, Chapitre I
nominaux non pronominalisés, et qu’ils deviennent des pronoms par suite d’une règle de nature transformationnelle (pronominalisation). Une telle dérivation entre le nom et le pronom a été vivement critiquée dans le cadre interprétatif (cf, Dougherty (1969), Bach (1970) et Jackendoff (1972)). Or, si le pronom était dérivé d’un nom, on attendrait toujours une équivalence entre la S-Structure et la D-Structure, ce qui n’est pas le cas des constructions en (67) et (68) ci-dessous30: (67)
The man who deserves it will get the prize he wants. l’homme qui mérite le aura le prix qu’il veut. “L’homme qui le mérite aura le prix qu’il veut.”
Les pronoms it et he dans (67) doivent avoir la structure profonde indéfinie suivante: (68) The man [who deserves the prize [which the man [who …]wants]] will get the prize [which the man] who deserves the prize [which …] wants]]. “L’homme [qui mérite le prix [que l’homme qui …] veut … aura le prix[que l’homme qui mérite [qui …] veut]”
Or, si la pronominalisation est une règle de transformation, pourquoi la récursivité n’est-elle pas prise en considération? En outre, l’approche dérivationnelle des pronoms ne peut pas rendre compte des items dont la référence n’est pas spécifiée, la D-Structure et la S-Structure n’étant pas toujours identiques: (69) a. b.
?ar-â ?al-ba&Da yalh-û vois-Prés.1NS certains s’amuser-Prés.3MS. “Je vois que certains s’amusent” ?ar-â-hum yalh-ûna voir-Prés.1S-CL.3MP) s’amuser-Prés.3MP “Je les vois, ils s’amusent”
Par ailleurs, l’approche dérivationnelle prédit pour tout NP une S-Structure automatiquement pronominalisée, ce qui est impossible avec certains items comme les éléments ayant un trait nominal: le maSdar,?ismu ?alfâ&il (participe actif ), les adverbes tels que:?âxar (autre), qalîl (peu) etc. 30 cf. Dougherty (1969) et Bach (1970).
Typologie des pronoms en arabe
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En revanche, la théorie interprétative fournit la solution de certains de ces problèmes. Si la référence des pronoms est déterminée par une règle interprétative, la structure profonde d’une construction comme 68) contiendra elle-même les pronoms, et il n’y aura aucune récursivité dans la mesure où la S-Structure reflète la D-Structure. Dans ce processus interprétatif, un pronom n’a pas besoin d’être remplacé par une copie exacte du NP auquel il est corrélèrent. Dans le même cadre interprétatif, Jackendoff (1972) suggère que les pronoms sont engendrés à partir de la base, plutôt que par transformation. Dans ce qui suit, nous confirmerons cette approche interprétative étant donné que le pronom a certaines caractéristiques morphologiques, syntaxiques et interprétatives qui le distinguent du nom ordinaire, et nécessitent donc pour le pronom, notamment clitique, une identification catégorielle différente de celle du nom.
Chapitre II
L’identité catégorielle du pronom clitique
1- La notion de tête Une des théories les plus importantes concernant les affixes est celle qui est élaborée dans Selkirk (1982), Williams (1981) et Di Sciullo et Williams (1987) et qui tente de distinguer entre tête morphologique et tête syntaxique1. Dans une étude morphosyntaxique, nous avons besoin des deux têtes, syntaxique et morphologique, sans confusion. Cette distinction entre les deux têtes nous permet de savoir si le pronom clitique est une tête syntaxique ou une tête morphologique. 1-1 Tête syntaxique Rappelons qu’en vertu de la théorie X’ (X-barre), une catégorie X est la tête syntaxique de sa projection maximale XP, la nature catégorielle de la tête est la même que celle de sa projection maximale. La théorie X’ présente les constituants syntaxiques dans un système hiérarchique où la tête X est dominée immédiatement par le nœud X’ dominé, à son tour, par XP. Outre ces trois positions, deux autres sont disponibles: la première est le spécificateur de XP (Spec XP), la seconde est le 1
Nous ne résumerons de cette théorie que ce qui est pertinent pour le problème de l’identification du pronom clitique. Pour le reste voir Di sciullo et Williams (1987), Selkirk (1982, 1986), Fabb (1984), entre autres.
48
Partie I, Chapitre II
complément de X°. Ces deux dernières positions sont des projections maximales. La présence obligatoire ou facultative de YP, complément de X, dépend de la nature de X et des relations de sélection qui existent entre les deux. Quant à la position Spec XP, sa présence dépend aussi de X et des choix paramétriques des langues2. Le chemin dans cette hiérarchie doit être non ambigu au sens de Kayne (1984): (1)
XP (Spec XP)
X' X
(YP)
La tête syntaxique X peut être une catégorie [+L], lexicale: verbe (V), nom (N), préposition (P) ou adjectif (A), comme elle peut aussi être une catégorie [-L], fonctionnelle, telle que le temps (T), l’aspect (Asp), l’accord (Agreement/(AGR), le complémenteur (C) ou le déterminant (D). Chacune de ces catégories peut être présentée sous (1) avec sa tête et sa projection maximale. La tête syntaxique X représente le point de repère dans toutes les relations structurales. Il faut noter que dans le système X’, on distingue deux types de langues suivant la position de la tête par rapport à son complément. On distingue ainsi entre les langues à “tête initiale” où la tête gouverne de gauche à droite comme le montre la structure (1) et les langues à tête finale où la tête gouverne son complément en sens inverse, de droite à gauche3. La distinction est donc liée à la position de la tête X, selon qu’elle se trouve avant ou après son complément. Quelle que soit la position de la tête, initiale 2 3
Les parenthèses dans (1) indiquent que Spec XP et YP ne sont pas toujours obligatoires, contrairement à la tête X et sa projection maximale XP. C’est le cas, en particulier, de certaines langues asiatiques. Dans ces langues, à tête finale, la structure syntagmatique abstraite est la suivante : XP Spec X’ YP
X’ X°
49
L’identité catégorielle du pronom clitique
ou finale, les relations syntaxiques, dans la grammaire modulaire, restent les mêmes4. Si la tête est une notion cruciale en syntaxe, elle l’est aussi en morphologie, et il nous faut donc préciser ce qu’est une tête morphologique. 1-2 Tête morphologique Pour analyser la structure interne du mot, Selkirk (1982) a proposé une extension de la notation X’ telle qu’elle est présentée dans (1). Ainsi la structure interne du mot, comme celle du syntagme contient une projection maximale, une tête et un complément, à l’instar du syntagme: (2)
Y° X°
Y°
Y dans (2) est une tête morphologique adjointe à droite d’une tête syntaxique X. Y, en tant que tête morphologique, doit être affixée à X° et rien ne peut intervenir entre les deux têtes. Nous constatons que les configurations (1) et (2) ci-dessus sont complémentaires, puisque la première présente le domaine syntaxique et la deuxième le domaine morphologique. Suivant ces configurations qui peuvent être unifiées dans (3), la tête morphologique (Y°), comme la tête syntaxique (X°), a une position structurale autonome: (3)
XP (Spec XP)
X’ X°
YP
4
La distinction entre ces langues est réduite au choix paramétrique de la position des têtes syntaxiques. Kayne (1993) a élaboré une théorie du branchement binaire qui minimise la différence entre la structure hiérarchique et la structure linéaire ou l’ordre des mots. Cette théorie implique que la configuration présentée dans (i) cidessus est universelle et que la tête ne suit son complément dans aucune langue, contrairement à ce qu’on a longtemps supposé pour les langues asiatiques.
50
Partie I, Chapitre II
La structure (3) représente à la fois la dépendance et l’indépendance qui existent entre la syntaxe et la morphologie : X° est la tête du syntagme qui est un domaine syntaxique, alors que Y est la tête du mot qui est un domaine morphologique, X identifie la nature catégorielle de XP alors que Y identifie la nature catégorielle de X. La relation entre les deux têtes est hiérarchique: les têtes syntaxiques sont représentées au niveau zéro, X°, alors que les têtes morphologiques sont en dessous X-1 au sens de la notation barre (cf. Selkirk (1982)5. Un NP comme construction contient une tête syntaxique construc et une tête morphologique plus [+ nominale] qui est le suffixe : -tion: (4)
NP SpecNP
N' N° N° construc
N-1 -tion
1-2-1 RHR A partir de cette théorie morphosyntaxique formelle de Selkirk (1982), Williams et Di Sciullo (1987) ont ajouté la règle dite de tête à droite (Right Hand Rule) définie comme suit6: 5
La théorie X’ permet de distinguer deux spécifications: la première concerne le niveau hiérarchique d’un élément, et la deuxième concerne les traits catégoriels Ti,Tj de cet élément. La combinaison des deux spécifications suivant Selkirk (1982:6) peut être représentée comme suit: (i){ n,{Ti, Tj,…}).
La structure (i) est valable pour le mot syntaxique comme pour le mot morphologique.
Les traits qui jouent un rôle dans la syntaxe du mot peuvent être distingués en deux classes:(i) les traits syntaxiques [+/-Nom], [+/-Verbe], etc. cf. Chomsky (1970), Jackendoff (1977), et (ii) les autres traits dits traits diacritiques de la morphologie flexionnelle ou dérivationnelle, tels que le trait de temps ou d’accord. Voir aussi Williams (1981a).
6
51
L’identité catégorielle du pronom clitique (5) RHR:
La tête morphologique d’un mot est le membre le plus à droite de ce mot. En vertu de RHR, la tête morphologique a toujours une forme affixale à droite du mot et elle détermine ou modifie la nature catégorielle du mot entier, qu’il soit simple ou composé. Cette détermination peut être présentée sous la configuration suivante: (6)
Y°(i) X
Z(i)
Le rôle principal de la tête morphologique Zi est la transmission de son trait morphologique à la tête syntaxique Y° par le biais de la coindexation entre les deux têtes. Les traits [+/-N] ou [+/-V] sont assignés à la tête syntaxique grâce à la tête morphologique, ces traits passent de l’élément qui se trouve à droite du mot pour identifier l’ensemble de ce mot. Ainsi, l’identité catégorielle de Y dépend de la nature lexicale du suffixe Z dans (6). Z dans ce sens, est un élément lexical7. Entre la tête morphologique et la tête syntaxique, il y a une relation de sous-catégorisation (sub-categorization frame). Ainsi, il y a des affixes nominaux, en anglais, tels que -er, -ing, -ance, -(a)tion, -ment, -al etc …, d’autres verbaux -en, -ing, -ent, -ive, -able, -ory d’autres adjectivaux ou adverbiaux: (7)
a. b. c.
X-ism ----> Nom X-ize ----> Verbe X-ish ----> Adjectif
Pour que la structure du mot soit bien formée, l’affixe et la catégorie dont il est en relation de soeur ne doivent pas être distincts en traits catégoriels, le même trait sera filtré et passé par percolation, de la tête 7
Pour les arguments pour et contre la nature lexicale de l’affixe voir Arnoff, Selkirk (1982) Spencer (1991) entre autres.
52
Partie I, Chapitre II
morphologique à la projection maximale, via la tête syntaxique. Par conséquent, la nature catégorielle de XP doit être non distincte de celle de la tête morphologique et jamais en conflit. L’affixe dans ce sens a une propriété lexicale et syntaxique. Par ailleurs, l’affixe a aussi une propriété sémantique dans la mesure où il modifie le contenu sémantique de la catégorie à laquelle il s’attache. L’exemple de l’affixe diminutif illustre cette propriété, maison par exemple, n’a pas le même contenu que maisonnette. Les traits de l’accord, du temps ou de l’aspect affixés au verbe portent eux aussi un contenu interprétatif8. Outre la relation d’identification catégorielle entre la tête morphologique et la tête syntaxique, il existe une relation d’assignation thématique. A l’instar de la tête syntaxique et de son complément, il existe une relation d’assignation thématique entre la tête morphologique (l’affixe) et son complément qui forment un prédicat dit complexe: (8)
a.
N A grav (Th)
N N -ité (R)
A complete (Th)
Ni -ness (Ri)
La tête morphologique peut aussi entrer en relation de contrôle avec l’argument externe ou l’argument interne du prédicat, ce qui explique la différence entre l’affixe -ee dans employee et -er dans employer9: (9)
8 9
a.
employ (A, Th)
b.
employ (A,Th)
-ee R) R contrôle l’argument interne du prédicat. -er (R) R contrôle l’argument externe du prédicat.
L’affixe a aussi une propriété phonologique concernant sa propre prononciation et celle du mot entier, cf. Selkirk (1982). Pour plus de détails cf. Di Sciullo et Williams op. cit.
53
L’identité catégorielle du pronom clitique
1-2-2 Certaines limites de RHR Le RHR a une valeur linguistique importante dans la mesure où c’est une grande contribution, simple, formelle et élégante qui tente d’expliquer la formation du mot et sa structure interne dans des langues à morphologie flexionnelle comme l’anglais ou le français. En revanche, l’arabe comme d’autres langues, l’application de RHR semble limitée. En effet, “l’identifieur catégoriel” n’est pas toujours un affixe qui se trouve toujours à droite de la tête syntaxique; ce peut être un préfixe et souvent un infixe sous forme de voyelles longues ou brèves10. (10)
a. b. c. d.
[kataba] [kitâb] [kâtib] [mukâtaba]
(Ecrire-Pass.) (Livre) (Ecrivain) (Correspondance)
Le cas du pluriel brisé est un bon contre-exemple qui illustre la limite de RHR. Contrairement au pluriel simple, la formation du pluriel brisé consiste à briser les composants du schème du mot au singulier: (11)
a. b.
kitâb (Un livre) madrasa (une école)
a’. b’.
kutub (Des livres) madâris (Des écoles)
10 En tagalog aussi le participe actif est dérivé du participe passé‚ par infixation, un contenu sémantique entre les deux formes est observé: (i)
a.
s–lat
(écriture)
b.
s-um—lat
(écrivain)
c.
s-in-–lat
(ce qui est écrit)
Par ailleurs, Le yoruba dérive les noms à partir des verbes en ajoutant le préfixe a- ou i-. cf. Bread (1988).
(ii)
a.
ko
(écrire)
b.
a-k•w‚
(crayon)
54
Partie I, Chapitre II
Des faits similaires sont aussi observés en allemand: (12)
a. b.
Der Topf (Le pot) Das Haus (La maison)
a’.
Die Töpfe (Les pots) b’. Die Hause (Les maisons)
Les exemples ci-dessus montrent que le pluriel, qu’il soit masculin ou féminin, ne se construit pas nécessairement par addition d’un simple affixe morphologique à droite. Pour défendre RHR, on pourrait penser que les exemples du genre (11) et (12) sont choisis dans des langues à morphologie non concaténative où le RHR n’est pas concerné et que, par conséquent, il n’y a que dans les langues à morphologie flexionnelle que cette règle peut être vérifiée. Analysons donc d’autres faits. En effet, une langue à morphologie flexionnelle comme l’anglais n’échappe pas à ces contre-exemples11: (13)
a. b.
[[Nsun]-[Vrise]N] [[Poff ]-[Ncolor]A]
Dans (13) le trait catégoriel de l’affixe à droite du mot composé est distinct de celui attribué au mot entier, la percolation du trait catégoriel de l’affixe prévue par RHR n’a pas eu lieu. Par ailleurs, Pesetsky (1982) a montré qu’en russe la terminaison flexionnelle doit apparaitre à l’intérieur de certains préfixes dérivationnels. Jaeggli (1980) a observé de son côté que l’affixe diminutif espagnol, bien qu’il s’attache toujours à droite du mot, ne change pas la nature catégorielle du mot dérivé: (14)
11
a. b. c.
Adjectif: Nom: Adverbe:
poca ----> chica ----> ahora ---->
Pour d’autres contre-exemples cf. Fabb (1984).
poquita chiquita ahorita
L’identité catégorielle du pronom clitique
55
En outre, il existe des mots composés qui ne sont apparemment pas soumis au RHR. Ces mots ont la forme V P qui donne un N (15a) en anglais, ou P V en allemand (15b): (15)
a. b.
[[worn [out]]] V P N [das [auf [stehen]]] P VN VN l’action de “se lever”
L’élément situé à droite ne transmet pas le trait catégoriel à l’ensemble du complexe ni dans (15a) ni dans (15b) comme le prévoit RHR. En vertu de RHR, on s’attendrait à ce que la structure (15 a) soit identifiée comme un complexe prépositionnel et (15b) comme un complexe verbal alors que les deux structures sont plutôt nominales. La structure (16) illustre un cas semblable, mais cette fois l’aspect verbal du complexe vient de la catégorie qui se trouve à gauche, et non du suffixe qui se trouve à droite contrairement à RHR: (16)
[[stehen [auf ]]] V P (se lever)
V
Outre la structure [V+P] dans (16), les structures suivantes ne respectent pas RHR: (17)
a.
[V+Adj]
b.
[Adv.]
sent-bon [V], pense-bête, etc. N couche-tard, lève-tôt, passe-partout, etc. N
Donc le paradigme (17a–b) représente un autre contre-exemple de RHR. Si les éléments affixés à droite des mots composés dans (17) sont considérés comme des têtes morphologiques, on s’attend à ce que la nature catégorielle de ces affixes soit transmise à l’ensemble du mot composé. Ce qui
56
Partie I, Chapitre II
n’est pas le cas, puisque le mot dans (17) ne reçoit ni la nature catégorielle de l’élément affixé respectivement adjectif, adverbe et préposition, ni la nature verbale du composant qui se trouve à gauche. Donc, contrairement à ce que RHR prédit, les suffixes dans (16) et (17) sont incapables d’identifier ou de modifier l’ensemble de ces mots composés. Devant ces contre- exemples, il paraît clair que le suffixe trouvé à droite du mot n’est pas systématiquement la tête morphologique du mot puisque cet affixe ne change pas toujours l’identité catégorielle du mot entier. A la suite de ces critiques sévères à l’encontre de la RHR, Di Sciullo et Williams (1987) ont proposé la notion de tête relativisée (relativized head). La notion de tête relativisée permet au mot d’avoir plus qu’une tête/ fonction, une tête de catégorie (head/category) comme le suffixe -ion dans “contribution” et une tête de trait (Head/Feature)12 désignant le pluriel par exemple13: N
(18) V
N
contribu(t)
-ion
-s
12
La définition de la tête/F:
La tête/F d’un mot c’est l’élément à droite du mot marqué par un trait F.
L’affixe du diminutif -ita dans poquita (très peu) par exemple n’est pas une tête/F parce qu’il ne porte pas les traits d’une catégorie majeure. Par conséquent, la catégorie située à gauche poco (peu) qui est considérée comme tête/ catégorie (head/category) qui est une tête par défaut, cf. Di Sciullo et Williams (1987:26), voir aussi Di Sciullo (1990). 13 (i) a. Fleurs b. N/+plur. N Fleur
+plur s
(ii) a. Blumen b. N/+plur. N Blume
+plur. n
57
L’identité catégorielle du pronom clitique
La tête/catégorie reste la vraie tête morphologique qui est capable de modifier la nature catégorielle du mot, contrairement à la tête/F (de trait) qui peut être partagée par plus d’une seule catégorie, N, A ou V. Les traits flexionnels comme le nombre, le genre (masculin/féminin) sont des traits observés aussi bien sur le nom que sur l’adjectif ou le verbe. Donc un mot peut avoir plus d’une tête, qu’il s’agisse d’un mot simple ou d’un mot composé14: (19)
a.
N A
N monster
b. N
A -ous
A N
A
V V hand
-ity
P out
-less
Résumons donc les propriétés essentielles d’une tête morphologique par rapport à une tête syntaxique:
a. Une tête morphologique n’a aucun rôle en syntaxe. b. Elle a, en revanche, un rôle dans le lexique, puisqu’elle transmet ses traits catégoriels à la catégorie mère. c. Il peut y avoir plus d’une tête morphologique par mot. d. Elle est présentée hiérarchiquement au-dessous du X° : (X-1).
14 Di sciullo et Williams considèrent qu’un mot peut avoir plus d’une seule tête suivant la nature des traits flexionnels: head/future, head/passive par exemple. En revanche, Selkirk (1982) suppose qu’il n’existe qu’une seule tête flexionnelle pour un mot et que les affixes flexionnels apparaissent dans la position de la tête morphologique : a.
Adj N
b. A
Adj/aff N N/aff
58
Partie I, Chapitre II
2- Le clitique, lexical, morphologique ou syntaxique? 2-1 Le clitique entre la syntaxe et la morphologie Le clitique est un élément affixé à droite d’une catégorie X tel que X est une des catégories lexicales: N, V, P et A ou fonctionnelle (C) comme le montre la structure abstraite dans (20) et le paradigme (21): (20)
X X
-Cl
(21)
a.
b.
c..
d.
e.
wajad-a-hu trouver-Pass-3MS-CL.3MS. “Il l’a trouvé” qara?-a kitâba-hu lire-Pass.3MS. livre-Acc-CL.3MS. “Il a lu son livre” &âd-a ?ilay-hi revenir-Pass-3MS à –CL.3MS. “Il lui est revenu” nabîl-un jamîl-u l-xuluq-i wa?axû-hu qabîHu-hu. Nabil-Nom bon-Nom le-comportement-Gén. et frère-Nom-CL.3MS.mauvais-CL.3MS. “Le comportement de Nabil est bon alors que celui de son frère est mauvais” ?arâ ?anna-hu sa-ya&ûdu voir-Prés.1S que-CL.3MS. Fut-revenir.3MS. “Je vois qu’il reviendra.
V-Cl
N-Cl
P-Cl
A-Cl
A la lumière des propriétés générales de chacune des deux têtes, syntaxique et morphologique, nous pouvons maintenant essayer de déterminer l’identité du pronom clitique.
59
L’identité catégorielle du pronom clitique
Supposons que le complexe (X-cl) dans (20) soit soumis à l’analyse de Williams (1981) et Williams et Di sciullo (1987). La position du clitique à droite de ce complexe, où il est toujours affixé, laisse supposer que le CL est une tête morphologique (tête/catégorie), et la catégorie X, à gauche du complexe, un non-head. Si cela est vrai, on s’attendrait à ce que le clitique, en tant que tête morphologique, soit capable de transmettre son trait catégoriel au complexe, et précisément à la catégorie mère. Or, l’affixation du clitique à la droite d’une catégorie X ne change pas la nature catégorielle de X. Les configurations dans (22) confirment cela: (22)
a.
V°i Vi
b. CL
c.
Ni
P°i
d.
P°i e.
N°i
CL
CL Ai
A°i
CL
C°i53 C°i
CL
Bien qu’elles supportent le même élément affixal, les catégories trouvées à gauche dans (22) sont différentes. Le clitique donc n’est pas une tête/ catégorie. Rappelons que dans un mot comme gravité cf. (8), il existe une assignation de θ-rôle, thème, au non-head: grav par la tête ité qui porte à son tour un θ-rôle R(éférence). En d’autres termes, la tête morphologique assigne le θ-rôle au non-head, ce qui n’est pas le cas du clitique, qu’elle que soit la catégorie à laquelle il est affixé. Le clitique ne remplit donc pas la condition d’assignation de θ-rôle exigée pour toute tête morphologique.
60
Partie I, Chapitre II
La notion de tête relativisée ne résout pas le problème puisque le clitique ne détermine pas le contenu flexionnel de la catégorie à laquelle il s’attache. Le clitique n’est donc pas une tête/F15. Nous devons donc faire un choix entre le RHR et le statut non morphologique du clitique. Comment peut-on opter pour le deuxième choix sans mettre en cause le RHR? Pour sauver cette règle, nous considérons que le clitique n’est pas sujet au RHR et par conséquent n’est pas une tête morphologique. Ainsi nous conserverons la validité de RHR, et la complétons par des stipulations informelles telles que (23) ou (24):
(23) Seules les têtes morphologiques sont capables de modifier la nature catégorielle du complexe. (24) Les têtes syntaxiques ne modifient pas la morphologie du complexe.
Les structures (22) ne se soumettent pas au RHR, puisque le suffixe de ces structures n’est pas une tête morphologique capable d’exercer une modification catégorielle sur la tête syntaxique à laquelle il s’attache. Une telle identification du clitique nous amène à poser la question suivante: pourquoi le clitique, en tant que tête syntaxique, ne peut-il pas être réalisé indépendamment de toute catégorie support? Pourquoi a-t-il nécessairement besoin d’un élément qui le supporte? Cette différence de comportement du clitique vis-à-vis de l’identité syntaxique, que nous voulons lui donner, peut être illustrée dans des paradigmes distributionnels, comme (25) face (26):
(25)
a. b. c.
mot - mot16 aff - mot mot - aff
(26)
a.* b.* c.*
cl - cl aff - cl cl - aff
15 Admettons pour l’instant que les pronoms clitiques s’attachent aux catégories lexicales, hypothèse que nous allons réviser plus bas. 16 Di Sciullo a remarqué que La tête/F est toujours … droite (rightmost element), alors que le clitique peut occuper une place post ou préverbale comme dans les langues romanes:
L’identité catégorielle du pronom clitique
61
Le contraste entre (25) et (26) montre une symétrie distributionnelle entre le clitique et l’affixe. Cela donne l’impression que le clitique est une unité morphologique qui se comporte comme tout affixe au sens général du terme. Ce ne peut être vrai que si l’on admet l’hypothèse selon laquelle le clitique est engendré tel qu’il est réalisé en surface: affixé au verbe ou à une autre catégorie lexicale. Ci-dessous, nous écarterons cette approche morpho-lexicale du clitique en faveur d’une analyse morphosyntaxique. 2-2 L’analyse morpho-lexicale du clitique et ses limites Par ailleurs, nous avons vu que le pronom clitique n’est pas un élément qui découle d’une simple conversion à partir d’un nom mais qu’il est plutôt engendré dans la base et traité comme un élément pronominal. Ce qui n’exclut pas une approche morpho-lexicale du clitique. Dans les langues romanes comme dans les langues sémitiques, le problème du clitique constitue un cas épineux; la question qui se pose est de savoir si l’unité [Cl-V] ou [V-Cl] est dérivée par un processus morphosyntaxique ou morpho-lexical. Plusieurs chercheurs se sont prononcés en faveur de la seconde hypothèse17. Cette théorie présente le clitique comme une matrice de traits
V cL
V Gli
V cl
V° V° cl V Legger gli
17
V legger
cl lo
On utilise “mot” au sens structural du terme, à savoir “l’unité de texte” inscrite entre deux blancs graphiques
62
Partie I, Chapitre II
d’accord: genre, nombre et personne, affixée à une catégorie lexicale avec laquelle il forme une unité morpho-lexicale X-Cl ou Cl-X: (27)
XP X' X-cl Cl-X
NP [e]
Le clitique dans (27) n’occupe pas une position syntaxique autonome, son rôle est d’identifier le contenu de la catégorie vide complément du verbe, cette catégorie vide qui est identifiée par un élément flexionnel (I-identifiée) est un pro et occupe une position argumentale18. Le verbe gouverne cette position syntaxique et, par conséquent, il lui assigne le Cas et le θ-rôle. Outre les traits d’accord, le clitique est marqué par le trait de Cas qu’il absorbe de la position occupée par pro puisque ce dernier n’est pas sujet au filtre sur le Cas19. Ainsi le clitique est une matrice de traits d’accord et de Cas. L’affixation du clitique se fait dans la base et le clitique n’est soumis à aucun déplacement indépendamment de la catégorie qui le supporte. Dans le cadre de cette analyse, le clitique n’est ni une tête ni une projection maximale, puisque ces dernières sont réservées aux catégories syntaxiques. Par contre, il forme avec une catégorie syntaxique, comme le verbe, une unité composée, et rien ne peut séparer les deux membres de cette unité. En d’autres termes, les deux membres partagent une seule position et aucun des deux n’est autonome par rapport à l’autre. En arabe, la bonne formation d’une construction comme (28–30) peut provisoirement confirmer cette analyse: (28) ?al-barqiyyat-u?arsal-a-hâ ?al-mu$takû–na le télégramme-Nom envoyer-Pass.3MS-CL.3FS les plaignants-Nom. “Le télégramme les plaignants l’ont envoyé”
(29)
taHaddaθ-a nabîl-u ?ilay-hâ parler-Pass.3MS Nabil-Nom à-CL.3FS. “Nabil lui a parlé”
1 8 19
cf. Aoun (1979), Chomsky (1981), Rizzi (1982), Borer (1984), entre autres. cf. Rouveret et Vergnaud (1980).
L’identité catégorielle du pronom clitique
63
(30) Haddaθ-a nabîl-u ?uxta-hu parler-Pass.3MS Nabil-Nom soeur-Acc-CL.3MS. “Nabil a parlé à sa soeur”
L’affixation du clitique au V, P ou N, par exemple, ne pose aucun problème pour l’analyse standard des clitiques. Cette analyse peut même être confirmée par l’agrammaticalité des structures (28’–30’) où il n’y a pas d’unité entre le clitique et la catégorie précitée: (28’)* ?al-barqiyat-a?arsala?al-mu$takûna hâ
(29’)* taHaddaθa nabîl-u?ilay hâ
(30’)* Haddaθ nabîl-u?uxta hu
Toutefois si le clitique est une partie intégrale de V, par exemple, on s’attendrait à ce qu’une construction comme (31) soit agrammaticale, ce qui n’est pas le cas: (31) ?arsalû–-hâ envoyer-Pass.3MP-CL.3FS. “Ils l’ont envoyée”
Dans (31), l’accord qui ne fait pas partie du complexe [V-Cl] sépare les membres de cette unité composée. Si le verbe, dans sa montée et son attachement à Agr doit impérativement être accompagné du clitique: [VCl], on s’attendrait à ce que (32) soit grammaticale ce qui n’est pas le cas non plus:
(32)
* ?arsal-hâ-û
En d’autres termes, l’hypothèse de l’unié‚ inséparable [V-Cl] n’exclut pas seulement une phrase grammaticale comme (31), qui a la S-Structure (33), mais elle autorise aussi une phrase agrammaticale comme (32) présentée dans (34): (33) [[V-Agr]-Cl
(34)
* [[V-Cl]-Agr]
(35)
a. b.*
Ce résultat indésirable de l’analyse standard du clitique est observé aussi en français où le verbe est affixé à l’auxiliaire et non au verbe qui gouverne la position complément d’objet: Je l’ai toujours cru J’ai toujours le cru
64
Partie I, Chapitre II
En outre, le clitique n’a pas une position fixe, il se trouve que dans une même langue, comme le portugais européen, le clitique est tantôt à gauche tantôt à droite du verbe20: (36) a.
Esse livro, a Maria deu-lhe ontem Ce livre Maria le lui a donné hier. “Ce livre, Maria le lui a donné hier”
b.
Que livro a Maria lhe deu ontem? “Quel livre Maria lui a-t-elle donné hier?”
En portugais brésilien, par exemple, l’analyse standard ne pose plus de difficultés puisqu’il existe des constructions où le choix est libre entre le proclitique et l’enclitique, sans aucune différence interprétative21: (37) a.
Lhe dei o livro “(je) lui ai donné le livre”
b.
dei lhe o livro (je) donner-PASS lui le livre. “Je lui ai donné le livre”
Cela montre que le clitique n’est pas dérivé dans le lexique comme partie intégrale de V, sinon les relations que cette dernière forme [Cl-V] seraient différentes de celles représentées par l’autre forme [V-Cl]. Pour éviter la dérivation des constructions agrammaticales comme (32), (34) et (35b), il faut admettre que le clitique a son autonomie structurale par rapport au verbe ou à toute autre catégorie, ce qui implique que le clitique et le verbe ne doivent pas être considérés comme une unité lexicale composée. Ainsi le clitique peut monter indépendamment du verbe, ce qui justifie la séparation des deux éléments par un autre comme dans (33).
2 0 cf. Rouveret (1988). 21 Bien que la construction (37b) soit refusée par la grammaire traditionnelle de cette langue, dans le langage parlé, elle est au même degré d’acceptabilité que (37a) à condition que le sujet soit nul.
65
L’identité catégorielle du pronom clitique
Par conséquent, le clitique, comme le verbe, doit avoir une position syntaxique indépendante. Il ne peut que consister en une matrice de traits d’accord affixée à une catégorie lexicale22. Ainsi nous abandonnons la théorie standard des clitiques présentée dans (27) en faveur de l’hypothèse morphosyntaxique ou autonomiste des clitiques23: (38)
X' X
YP CL°
La catégorie X dans (38) peut être un verbe comme elle peut être une autre tête syntaxique indépendante branchée sous une projection différente de celle du clitique (XP vs. YP). La différence formelle entre (27) et (38) a des implications considérables étant donné que le clitique n’occupe pas la même position dans les deux structures24. Ainsi le clitique peut être considéré comme une catégorie à part entière présentée sous la notation X’ malgré sa nature affixale. Kayne (1984) a proposé, pour certaines langues romanes, que le clitique soit accessible à une analyse syntaxique et occupe sa propre projection maximale NP. La question qui se pose maintenant est de savoir si YP dans (38) est un NP ou une projection différente.
22 La référence est, en général, une caractéristique des projections maximales: DP réfère aux objets, COMP réfère à une valeur de vérité et T(temps) sature une valeur temporelle, etc. Le contenu référentiel du pronom (référence pronominale) permet à celui-ci d’être présent‚ sous sa propre projection maximale. 23 cf. Kayne (1975), (1984), entre autres. 24 Dans une théorie formelle, comme celle de la grammaire générative, la position joue un rôle crucial, il est normal que chaque configuration différente implique une analyse différente.
66
Partie I, Chapitre II
3- L’identite categorielle du clitique 3.1 Clitique comme déterminant Nous connaissons déjà la nature des catégories pouvant occuper la position de X dans (38), la tête à laquelle le clitique s’attache, mais nous ne connaissons pas encore la nature catégorielle du clitique qui prend la place de Y dans la même configuration (38). Supposons que le clitique soit engendré sous un NP, ce qui lui donnerait une caractéristique nominale représentée de la façon suivante: (39)
XP58 X
NP N
Nous considérons que l’assimilation du clitique au nom donne des résultats contraires aux intuitions. Le clitique ne partage pas toutes les propriétés du nom25: (A) Il n’est jamais déterminé par un article défini -l : (40) a. muHâDarat-u l-?ustâð-i conférence-Nom le professeur-Gén. “La conférence du professeur” b. muHâDarat-u-hu conférence-NOM-CL(3MS). “Sa conférence” c.* muHâdarat-u l-hu
(B) Il ne connaît pas la “nounation” qui exprime l’indétermination26: 25 Il s’agit là des propriétés communes aux pronoms clitiques et aux pronoms indépendants que nous réviserons infra. 26 D’après les grammairiens arabes traditionnels (GAT), le pronom est un élément défini intrinsèquement; il est même le plus défini dans la hiérarchie des noms déterminés en arabe qui inclut respectivement le nom propre, le nom déterminé par un article défini, le nom déterminé par annexion (Etat construit). Le pronom
L’identité catégorielle du pronom clitique
67
(41) a. qara?-tu kitâb-a-n lire-Pass-1S livre-Acc-nounation. “J’ai lu un livre” b. qara?-tu-hu lire-Pass-1S-Nom-CL-Acc. “Je l’ai lu” c.* qara?-tu-hu-n lire-Pass.1S CL.3MS./*nounation.27
(C) Il ne prend ni complément ni spécificateur ni modifieur. Abney (1985) a cité des exemples qui confirment cette disjonction entre le nom et le pronom:
(42)
a. b.*
picture of Bill they of Bill.
(43)
a. b.*
big picture big they.
(44)
a. b.*
the pictures the they.
(D) Le pronom clitique ne permet pas la conjonction28: (45) a. b.*
e. f. g.
Jean mange les pommes et le gâteau Jean le et les mange (Borer, 1984) Il ne se soumet pas aux règles du diminutif. Il n’admet pas d’être vocatif. Contrairement aux pronoms, les noms sont dépourvus de traits de personne, notamment pour la première et la troisième personne.
En outre, les principes du liage (B) et (c) nous permettent d’établir une autre distinction entre le pronom et le nom, dans la mesure où le premier n’est libre que dans sa catégorie gouvernante, alors que le deuxième est totalement libre.
2 7 28
occupe la tête de cette hiérarchie. Cette caractéristique explique la propriété (C) du clitique. Pour une analyse du phénomène de la nounation, cf. Ayoub 1982 et Ayoub 1996. cf. Kayne (1984), Borer (1984).
68
Partie I, Chapitre II
Donc, le clitique n’est pas un nom et il n’est, de toute évidence, ni un verbe ni une préposition ni un adjectif: Ce n’est pas une catégorie lexicale, et il porte des traits non lexicaux ([-L]). En revanche, nous supposons que le pronom clitique peut être identifié comme une catégorie fonctionnelle ayant des traits fonctionnels (désormais [+F]). Abney (1986) a fait remarquer que les éléments [+F], sont généralement cliticisés, affixés ou phonologiquement nuls. Contrairement aux catégories lexicales, ils sont dépourvus de contenu descriptif (descriptive content)29; leurs contributions sémantiques sont, en effet, secondaires sachant qu’un mot n’a, en général, de contenu descriptif que s’il est lié au monde réel30. Guéron (1982) a illustré empiriquement ce contenu en donnant des définitions conceptuelles à certains mots: Mot lexical
(46)
a.
(maison): dénote une classe de constructions destinées à l’habitation humaine.
(46)
b.
(aller): se mouvoir, se transporter d’un lieu à un autre.
Mot grammatical
(47)
(que): sert à unir deux membres de phrase pour marquer que le second est subordonné au premier.
Selon Guéron les deux types de catégorie, s’opposent sur le plan sémantique: “Ainsi, un dictionnaire assigne une dénotation à chaque mot lexical, mais il ne désigne les mots grammaticaux qu’en termes de leur fonction par rapport aux catégories lexicales”.
29 Abney (1986, p. 224) définit la notion de “Descriptive Content” ainsi : “a phrase’s descriptive content is its link to the word”. 30 Cela est vrai si l’approche proposée par Higginbotham (1985) est correcte: “Infl binds the VP’s event place, in the same way that the determiner binds the open place in N”.
69
L’identité catégorielle du pronom clitique
Le rôle du complémenteur (COMP) est de marquer les traits qui indiquent qu’une phrase est interprétée comme une subordination, une question, etc. INFL précise à son tour le temps, l’aspect, etc., de L’action désignée par le VP, alors que Det peut jouer une fonction sémantique semblable en déterminant la référence d’un NP de manière différente31. En outre, les pronoms clitique, comme toutes les catégories fonctionnelles, forment une classe fermée, contrairement à la classe des catégories lexicales qui est ouverte. Par ailleurs, le pronom clitique n’a les propriétés ni de COMP ni de T ou de toute autre catégorie fonctionnelle, à l’exception peut-être de D. Supposons que l’identité catégorielle du clitique soit D32. Cela explique pourquoi le clitique ne coexiste jamais avec un article défini qui est aussi considéré comme D dans la mesure où il détermine N qui le suit. Cette non-coexistence entre un clitique et un article défini s’explique par le fait que les deux éléments sont des déterminants. 31
Comme nous l’avons déjà souligné, un pronom clitique ne peut jamais coexister avec le Déterminant (D°) comme l’article défini, alors que pour un pronom indépendant, cela est possible à condition que le nom d‚fini par l’article soit considéré comme apposition, avec une intonation forte indiquant que le pronom et l’article n’appartiennent pas au même domaine : (i) naHnu, l-lisâniyy-ûna Nous, les linguistes-ACC. We, the linguists
32
Par ailleurs, le pronom indépendant peut être exceptionnellement déterminé exprimant ainsi une notion psychologique:
(ii)
Ego /
?anâ / ?al-?anâ
(iii)
Id /
huwa /
?al-huwa
Le pronom indépendant déterminé par un article prend un sens psychologique et technique différent de celui des pronoms qui constituent l’objet de notre travail. ?al-?anâ, le moi, das Ich, respectivement en arabe, en français et en allemand, sont des termes qui désignent la personnalité dans son ensemble et qui n’ont pas les caractéristiques d’un pronom au sens large du terme. cf. Postal (1966), Abney (1986) entre autres.
70
Partie I, Chapitre II
Hudson (1987) a remarqué qu’un nom a l’équivalence distributionnelle de D+N. Ainsi un N comme boy, par exemple, prend l’équivalence de the boy, alors qu’une structure D+D est impossible. Par ailleurs, un nom a toujours besoin d’un D défini ou indéfini faute de quoi la construction est exclue:
(48)
a. The linguist likes ice cream b. A linguist likes ice cream c. * Linguist likes ice cream
(49)
a. Der student hat bestanden b. Ein Student hat bestanden c. * Student hat bestanden
(50)
a. L’étudiant a réussi b. Un étudiant a réussi c. * Etudiant a réussi
(51) a. b. c*
najaHa T-Tâlib-u “L’étudiant a réussi” najaHa Tâlib-un Un étudiant a réussi najaHa Tâlib-u33.
33 Cette distribution complémentaire entre les deux articles: défini, al dans (i) et indéfini n dans (ii) ci-dessous montre que les deux articles ont la même origine qui est la tête fonctionnelle D: (i) ?al
DP D
NP Spec N
(ii)
N’ N°
DP D N
NP Spec N
N’ N°
La tâte nominale dans les deux cas monte à D vu la nature affixale de ce dernier. Outre la différence touchant le contenu de D dans les deux cas (défini vs indéfini), l’adjonction de N à D se fait à la droite de ce dernier, dans (i) et à gauche dans (ii). Rappelons que l’adjonction en arabe se fait vers la droite, contrairement à l’adjonction dans la plupart des langues indo-européennes qui se fait vers la gauche.
71
L’identité catégorielle du pronom clitique
Par ces exemples, nous voulons distinguer le pronom clitique et le nom par le biais des articles, définis et indéfinis34. Guéron (1982) a proposé la même idée en supposant que “les pronoms et les articles réalisent une même Substance sémantique, la Spécificité, soit sous la forme d’un trait sémantique, soit sous celle d’un trait opérateur. Il s’ensuit que dans une langue où les pronoms clitiques et les articles ont la même forme phonologique, et où leur fonctionnement en LF est prédictible à partir du contexte, un pronom clitique correspond toujours à un article défini. Si les pronoms et les articles étaient des éléments distincts, de telles correspondances seraient accidentelles”35. Cette approche semble valable pour des langues comme le français et l’allemand où l’accord entre N et D en genre et de nombre est morphologiquement visible36: (52) (53)
a. b. a. b.
Le train La locomotive Der zug Die lokomotive
a’. b’. a. b’.
Les trains Les locomotives Die zuge Die lokomotiven
En fait si cet accord est obligatoire, cela nous amène à supposer avec Chomsky (1981) que l’article porte les traits flexionnels comme le pronom, ce qui légitime leur identification unifiée comme D, cf. Abney (1986). Cependant, il existe des langues comme l’arabe et l’anglais où l’article ne porte pas de traits d’accord (et où ils peuvent être invisibles). En d’autres termes, les articles Définis le, la, les en français, par exemple, sont réduits en al en arabe et the en anglais, exprimant ainsi un déterminant commun en genre et en nombre: 34 35 36
Par le même biais, Hudson (1987:123) suppose que l’article, en tant que D, a certains aspects du pronom. Guéron op.cit:197). Nous montrons ici que la correspondance phonologique entre l’article et le pronom est effectivement accidentelle. Cependant la distinction entre les deux éléments peut être justifiée. Le trait de genre au pluriel n’est pas marqué: les et die pour le masculin et le féminin respectivement en français et en allemand. La même chose pour l’article indéfini des en français de même pour die en allemand.
72
Partie I, Chapitre II (54)
a. b.
?al-walad-u Le garçon ?al-bint-u La fille-Nom.
a’.
?al-?awlâd-u Les garçons ?al-banât-u Les fille-Nom.
b’.
Le même phénomène peut être observé en anglais où l’article défini prend une forme invariable quel que soit le nombre (singulier ou pluriel) ou le genre (masculin ou féminin) du nom qui le suit : (55)
a. a.
The boy Le garçon The girl La fille
a’. b. b’
The boys Les garçons The girls Les filles
A titre de comparaison, Guéron (1982) suppose que le fait que l’article comprenne les traits d’un pronom en français mais pas en anglais permet d’expliquer au moins une différence entre les deux langues: (56) (57)
a. b.* a. b.*
Jean a levé la main John raised the hand Il avait le bras dans le plâtre He had the arm in the cast
Dans les exemples (56a) et (57a), les articles le/la peuvent avoir une interprétation pronominale au sens de (58) et (59): (58) (59)
Jean a levé sa main Il avait son bras dans le plâtre
Cette distribution complémentaire qui peut être vérifiée aussi sur les autres pronoms possessifs en français: notre, votre, etc., montre à nouveau l’aspect pronominal de l’article en français, ce qui n’est pas le cas de l’article en anglais, vu l’inacceptabilité de (56b) et (57b) au sens d’une interprétation pronominale de l’article.
L’identité catégorielle du pronom clitique
73
A l’instar de l’article dans (56a) et (57a), en arabe l’article peut avoir un emploi pronominal: (60)
rafa&-a ?al-baTal-u ?alr-ra?s-a lever-Pass.3MS le-champion-Nom la tête-Acc. “Le champion a levé la tête”
Cet emploi peut-être illustré par la distribution complémentaire entre l’article dans (60) et le pronom clitique dans (61): (61)
rafa&-a ?al-baTal-u ra?sa-hu leverPass.3MS le-champion-Nom. tête-Acc-CL.3MS. “Le champion a levé la/sa tête”
L’emploi pronominal de l’article est mis en évidence par la relation de paraphrase (60) et (61). Une telle relation est possible bien que l’article, en arabe comme en anglais, soit invariable dans le sens où il est dépourvu de marques d’accord visibles. Pour tenir compte de cette dernière relation, il faut supposer qu’à l’instar du clitique, l’article, dans une construction comme (60), porte des traits d’accord abstraits qui assurent l’interprétation pronominale. Il est possible d’expliquer cette dernière interprétation en supposant que l’article, en arabe comme en anglais, est engendré au départ avec un indice neutre vis-à-vis des traits d’accord. Cette neutralité serait modifiée juste après l’incorporation de N dans D en syntaxe. L’incorporation, ici, permet à N de transmettre son indice à D neutre. Ainsi une relation de coindexation entre l’article et le nom sera visible en LF même si elle n’est pas visible en S-Structure. On peut rendre compte des mêmes faits par un mécanisme de réassignation de l’article en LF en convertissant ses traits neutres (ou abstraits) en traits portés par N incorporé dans D37. 37 Le D en anglais, comme en arabe, n’est pas marqué en nombre ni en genre. Les marques sont visibles sur N mais pas sur D dans ces langues. L’article The comme al peut être considéré comme un élément neutre ou ambigu qui reçoit son identité d’accord de son complément par un accord tête-complément (Head-Complement Agreement) ou par incorporation pour un D affixal comme -al en arabe ou par percolation pour un D comme the. Ainsi le NP détermine le trait du nombre de DP.
74
Partie I, Chapitre II
Par ailleurs, l’emploi pronominal de l’article n’est possible que dans une construction à interprétation inaliénable comme dans (60) où ?alr-ra?sa (la tête) fait partie de ?al-baTalu (le champion)38. Cependant, en dehors
La notion de projection étendue, proposée par Grimshaw (1991) peut résoudre le problème puisqu’elle exige par définition l’accord entre les têtes qui forment cette projection, plus précisément entre D et son complément N suite de la transparence entre les deux domaines de la projection étendue.
Une telle analyse pose des problèmes dans des structures à état construit où le possesseur ne s’accorde pas forcément avec N: (i) [the boys] [‘s [ book]]]]
La relation entre le second NP ?alr-ra?s (tête) et le premier NP ra?sa (tête) est une relation d’apposition, dite badal selon les temes des grammaires arabes anciens. Ces derniers distinguent entre quatre types d’appositions, ou de substituts, en fonction de la relation interprétative entre le substitut, al-badal, et son antécédent ou l’élément substitué, ?al-mubdalu minhu. (cf. Ibn ya&î$, Tome III p 63, ?aSSuyûTî. Tome II p 125): 1) badalu ?al-kul Le substitut qui réfère à l’antécédent entièrement 38
ra?ay-tu nabîl-a ?axâ-hu voir-Pass-1S Nabil-Acc frère-Acc-CL.3MS. “Nabil, J’ai vu son frère”
2) badalu ?al-juz?i Le substitut qui réfère à une partie de son antécédent. Suivant cette relation interprétative, on distingue deux genres de substituts: 2–1 badalu l ?-i$timâl : le substitut réfère à une partie non substantielle de son substitué qui est l’antécédent : On parle d’une qualité, d’un comportement, d’une habitude etc. : (ii) ?abhara-nî nabîl-u ðakâ?-u-hu Ebluit-Pass.3MS-CL.1S Nabîl-Nom intelligence-Nom-CL.3MS. “Nabil, son intelligence m’a ébloui” 2–2 badalu l-juz?/ ou badal l-ba&D exprime une interprétation inaliénable entre le substituant et son antécédent, une partie de son corps par exemple : (iii) qaSaS-tu nabîl-a ?al$-$a&ra coiffer-Pass-1S Nabil-Acc les cheveux-Acc. Nabil, j’ai coiffé ses cheveux
4) badalu l-xaTa? : Exprime une correction d’une erreur ou un lapsus où l’interprétation implique qu’il s’agit bien du substituant et non pas du substitué : (iv)) ra?ay-tu kalb-an qiTan voir-Pass-1S un chien-Acc un chat-Acc J’ai vu un chien non, un chat
L’identité catégorielle du pronom clitique
75
de ces constructions, l’article ne dépasse pas son rôle “naturel” qui est de déterminer son complément39: (62) Fahim-a ?al-tilmðî-u ?al-ma&nâ comprendre-Pass.3MS l’élève-Nom le-sens-Acc. “L’élève a compris le sens” (63)
?al-Hadîd-u ?anfa&u mina?alð-ðahab-i Le-fer-Nom plus utile-Nom de l’or-Obl. “Le fer est plus utile que l’or”
Le déterminant (D°) dans (62) et (63) n’a pas d’interprétation pronominale, contrairement au pronom clitique. Cette distinction entre les deux éléments est observée même dans les langues où le pronom clitique et l’article ont la même forme phonologique. Cette dissimilitude reflète un comportement syntaxique: l’article, contrairement au pronom clitique, n’est pas sujet à la théorie du liage, sauf dans le cas exceptionnel de l’interprétation inaliénable. Il est clair donc que la distinction phonologique entre le clitique et D n’est pas accidentelle. Vu les propriétés distinctives du pronom clitique par rapport à D, nous concluons que ces éléments ne doivent pas être identifiés tous les deux sous la même étiquette : D. En d’autres termes, puisque le clitique ne partage pas les propriétés de D, il doit être présenté sous une étiquette autre que D. 3-2 Clitique comme tête (CL°) En écartant l’analyse du clitique comme un élément appartenant à la classe des catégories lexicales, notamment N, et, en toute évidence, V, P et A, et en l’écartant aussi de certaines catégories fonctionnelles comme D, C, T, etc, nous avons montré que le clitique a tout de même certaines
Parmi les conditions sur la bonne formation de ce genre de constructions, il faut que deux éléments en relation de substitution portent la même marque casuelle. L’ordre linéaire entre substitué et le substituant est strict : le premier doit précéder le second, comme dans toute relation de liage.
39 On peut penser à distinguer entre deux types de D, suivant leur capacité de liage ou pas: d’une part un D qui porte le trait [+pronominal] que nous pouvons appeler un D pronominal, d’autre part un D qui porte le trait [-pronominal] ou D non-pronominal.
76
Partie I, Chapitre II
propriétés des catégories fonctionnelles40. Si cela est vrai, nous pouvons proposer une nouvelle identification catégorielle du pronom clitique. Par ailleurs, nous avons argumenté en faveur de l’autonomie du clitique par rapport à la catégorie à laquelle il est adjoint en S-Structure (cf (38) vs (27)) en admettant que le clitique est une tête syntaxique. Si cela est vrai, nous désignons l’identité catégorielle du clitique sous l’étiquette CL qui aura sa propre projection maximale que nous appellerons : Clitic Phrase (CLP)41: (64)
a. X
XP
b. CLP
XP X-CL(i)
CL°
CLP t CL(i)
???
Donc le clitique est la tête de la projection (CLP) engendrée dans une position gouvernée par une tête lexicale qui la sélectionne morphologiquement. Malgré l’autonomie syntaxique de la projection, la tête CL, en tant que morphème lié, ne peut en aucun cas rester dans sa position d’origine. En d’autres termes, le clitique doit se déplacer pour s’adjoindre une autre tête pour les raisons morphosyntaxiques que nous évoquerons après. Le clitique occupe donc une fonction syntaxique à part entière et une position argumentale objet de V, N ou P. Cela implique que le clitique est un complément de la tête lexicale qui le gouverne. Par conséquent, le clitique est soumis aux mêmes mécanismes syntaxiques dans les différents modules de la grammaire. Cela ne met pas en cause son statut en tant que tête. Le clitique dans ce sens ne satisfait pas seulement les relations de souscatégorisation mais aussi le θ-critère et le filtre sur le Cas. Il reçoit donc 0 Voir supra. 4 41 Dans le premier chapitre de la deuxième partie, nous présenterons l’accord, et précisément l’accord en nombre (Num), dans une structure semblable à celle du clitique (cf. Rouveret (1991), mais les deux éléments ont deux identités catégorielles différentes. En d’autres termes, la similitude structurale entre les deux éléments ne réduit pas l’un à l’autre.
L’identité catégorielle du pronom clitique
77
son Cas structural et sous gouvernement, suivant la position initiale qu’il a occupée avant de monter pour regagner sa position de surface. Suivant le statut argumental du clitique, nous considérons que la théorie thématique joue un rôle important dans les constructions de la cliticisation. Un lien entre le clitique et le système de θ-marquage nous permettra de connaître le contexte structurel où on peut avoir un pronom clitique. Par cette analyse nous démontrerons que la cliticisation n’est pas une opération arbitraire mais qu’elle est soumise à des contraintes générales ainsi qu’à des principes syntaxiques.
PARTIE ii
ORDRE ET STRUCTURE
CHAPITRE i
La structure de la phrase verbale
L’ordre des mots dans la phrase est une question qui revêt une grande importance dans les grammaires en général et dans la grammaire générative en particulier. On distingue entre deux types d’ordres, l’un dit “de base” et l’autre dit “de surface”. Il existe donc un ordre sous-jacent déterminé en D-structure. L’application des règles de déplacement permet de dériver une structure transformée dite S-structure. L’une des questions qui se posent est celle de savoir si cet ordre de surface est produit par mouvement ou pas. Considérons le paradigme suivant: (1) a.
fâja?-a ?alwabâ?-u ?al-&âlam-a surprendre-Pass-3MS l’épidémie-Nom. le-mondeAcc. “L’épidémie a surpris le monde”
b.
fâja?-a ?al-&âlam-a ?alwabâ?-u surprendre-Pass-3MS le-monde-Acc. l’épidémie-Nom. “L’épidémie a surpris le monde”
c.
?alwabâ?-u fâja?-a ?al-&âlam-a L’épidémie-Nom. surprendre-Pass-3MS le-mondeAcc. “L’épidémie a surpris le monde”
d.
?al-&âlam-a fâja?-a ?alwabâ?-u le-monde-Acc surprendre-Pass-3MS L’épidémie-Nom. “Le monde, l’épidémie l’a surpris ”
f. ?al-&âlam-a ?alwabâ?-u fâja?-a le monde-Acc l’épidémie-Acc. surprendre-Pass-3MS “Le monde, L’épidémie a l’surprisʺ
82
Partie II, Chapitre I
Le paradigme (1), qui montre la liberté de l’ordre en arabe, peut être étendu si le verbe est doublement ou triplement transitif. Empiriquement parlant, l’ordre de (1a) où l’on trouve un verbe initial suivi du sujet et de l’objet (VSO) représente l’ordre dominant en arabe1, tandis que les constructions (1b–d): VOS, SVO, SOV, OVS, OSV respectivement sont des ordres relativement moins fréquents2. Il faut noter que dans le cadre typologique, les langues à ordre SVO n’offrent pas la possibilité d’avoir un ordre alternatif tel que VSO, alors que certaines langues VSO admettent des constructions à NP préverbal, de forme SVO par exemple. Toutefois on trouve dans les langues SVO quelques constructions marquées, comme l’inversion du sujet En français.
(2)
Etes-vous prêt?
S’il est vrai qu’un ordre SVO ne peut pas se convertir en ordre VSO, alors que l’inverse est possible, cela sera un test pour savoir si l’ordre dominant d’une langue L est SVO ou non. En vertu de ce test, l’arabe marocain, où les deux ordres en question sont possibles, doit être considéré comme une langue VSO et non pas SVO: (3) a.
1
l-wlâd jâw les-enfants -venir-Pass.3MP “Les enfants sont venus”
b. jâw l-wlâd venir-Pass.3MP les-enfants “Les enfants sont venus”
Il faut distinguer entre deux ordres, l’un est “dominant” et l’autre “de base”, le dernier est la base d’autres ordres différents, tandis que le premier est empiriquement le plus fréquent. 2 Cette diversification est observée notamment dans les langues à cas morphologique. Ce dernier devient l’indice de la fonction syntaxique sujet ou objet, indépendamment de l’ordre de surface. En revanche, cette diversification est restreinte dans les dialectes arabes, en arabe marocain, par exemple, où les ordres possibles sont VSO, VOS, SVO, alors que SOV, OSV, OVS sont impossibles.
La structure de la phrase verbale
83
Certes, la possibilité d’avoir un NP préverbal dans une langue à verbe initial comme l’arabe montre que cet ordre n’est pas exclusif3, même s’il est dominant4. 3
En effet, l’alternance des deux ordres est testée empiriquement. Considérons les exemples suivants: (i) a. $âhad-a ?a-l-jumhûr-u ?a-l-muqâbalat-a voir-Pass.3MS le-public le-match-Acc. “Le public a vu le match” b. ?al-jumhur-u $âhad-a ?a-l-muqâbalat-a le-public-Nom voir-Pass.3MS le-match-Acc. “Le public a vu le match” La conversion de chacune de ces phrases au passif donne deux autres constructions avec deux ordres: c. $ûhid-at-i l-muqâbalat-u vour-Passif.3MS. le-match-Nom. “Le match a été vu” d.
l-muqâbalat-u $ûhid-at Le match-Nom. voir-Passif.3FS. “Le match a été vu”
4
Contrairement à l’arabe standard ou dialectal où l’ordre VSO et SVO coexistent, d’autres langues telles que le gallois qui applique strictement l’ordre VSO. Nous allons discuter, dans ce travail, le lien syntaxique entre les deux ordres en considérant que l’un est dérivé de l’autre. Au point de vue descriptif, on peut dire que l’ordre SVO en arabe semble dérivé à partir de VSO. Considérons la paire suivante : (i)) a. waSal-a l-musâfir-ûna arriver-Pass.3MS les-voyageurs-Nom. “les voyageurs sont arrivés” b.
l-musâfir-ûna waSal-û les-voyageurs-Nom arriver-Pass.3MP. “Les voyageurs sont arrivés”
L’apparition de l’accord riche sur le verbe dans la construction à nom initial (i,b) face à son absence dans (i,a) à verbe initial. Ce contraste démontre l’aspect complexe de la première par rapport à la seconde qui semble plus simple. En outre, une relation de coindexation entre l’élément d’accord et le NP préverbal est obligatoire, faute de quoi la structure est inacceptable.
84
Partie II, Chapitre I
1- Pour une structure configurationnelle 1-1 Contre l’analyse à structure plate La structure des langues à verbe initial a été pendant longtemps représentée comme une structure plate non branchante où le verbe et ses arguments étaient dominés par la même projection maximale, à savoir le nœud S (sentence). Cette dernière englobait tous les éléments de la phrase, le sujet et l’objet étant considérés comme des arguments internes du verbe, ce qui est illustré‚ dans la figure suivante5:
(ii))
a.*
l-musâfir-û-na waSal-a
les-voyageurs-Nom arriver-Pass.3MS
Bref, la phrase à verbe initial (VSO), il y a moins de conditions d’accord qui sont imposées, tandis qu’avec la structure à NP initial l’accord complet (en genre, personne et surtout en nombre) est obligatoire. Par ailleurs, les grammairiens arabes traditionnels ont montré que la phrase à nom initial est soumise à une autre condition qui touche la d‚termination obligatoire de NP préverbal, sans laquelle la phrase est exclue. Par contre, dans une construction à verbe initial correspondante, le NP postverbal ne doit pas être nécessairement déterminé, comme le montre la bonne formation de la paire (iii,c) et (iii,d) ci-dessous : (iii) a-
?al-musâfir-u waSal-a le-voyageur-Nom arriver-Pass.3MS “Le voyageur est arrivé”
b-?? musâfir-un waSal-a Un voyageur-Nom. arriver-Pass.3MS c
waSal-a l-musafir-u (comme (iiia))
d
waSal-a musâfir-un “Un voyageur est arrivé”
5
cf. Ayoub (1981), Fassi Fehri (1982). Il faut signaler qu’au début des années quatrevingt, une telle structure était, théoriquement, tout à fait possible.
85
La structure de la phrase verbale (4)
S V
NPs NPo
Une structure comme (4) a été justifiée par le fait que le verbe et son complément sont séparés par le NP sujet et ne forment pas un seul constituant, ce qui implique l’absence d’un nœud VP dans les langues VSO comme l’arabe, contrairement à ce qu’on observe dans les langues SVO. Cela implique que chaque ordre a une structure syntaxique différente, ce qui va à l’encontre de la grammaire universelle. Dans une analyse basée sur une configuration plate comme (4), la D-Structure est non distincte de la S-Structure puisque l’ordre de surface et l’ordre profond de la phrase sont identiques. Par conséquent, la syntaxe comme la morphologie n’ont pas un rôle important dans la dérivation d’une telle structure. Une configuration plate telle que (4), qui présente le sujet et l’objet comme structurellement symétriques, n’est pas conforme aux contraintes générales sur la forme des représentations qui exigent que le branchement des nœuds ne soit pas ambigu. Considérons la structure plate suivante: (5)
D A
B
C
Dans (5), chacun des éléments A,B et C c-commande les deux autres, mais le chemin entre deux de ces éléments est toujours ambigu, i.e., le chemin de B à A (B-D-A) est ambigu à cause de la présence de C, le chemin de A à C est ambigu à cause de B, le chemin de C à B est ambigu à cause de A, etc. Afin d’éviter l’ambiguïté‚ en question, et pour des raisons aussi bien théoriques qu’empiriques, le branchement binaire est nécessaire dans toute représentation configurationnelle. Cette nécessité‚ peut être démontrée dans les différents modules de la grammaire. En ce qui concerne la théorie du cas, le sujet et l’objet, qui reçoivent deux cas différents, respectivement le nominatif et l’accusatif, ne peuvent pas être gouvernés par le même élément, le verbe. Si l’on admet qu’un gouverneur
86
Partie II, Chapitre I
ne peut pas assigner deux cas différents, les deux Cas en question ne peuvent pas avoir la même source, à savoir le verbe, étant donné que ce dernier ne peut pas assigner deux Cas à la fois, et surtout de nature différente. Théoriquement, l’assignation casuelle est un mécanisme structural où ni l’ambiguïté ni le conflit de Cas ne doivent être observés. Etant morphologiques, les deux Cas, nominatif et accusatif, sont différents et ne peuvent jamais être réalisés à la fois sur un même élément. Ce qui implique que les deux positions casuelles doivent être asymétriques, d’une part l’une par rapport à l’autre et d’autre part par rapport au verbe. La seule structure qui permet d’exprimer cela est celle du branchement binaire. Par ailleurs, la théorie du liage, notamment le principe (A), qui interdit toute symétrie structurelle entre l’anaphore et son antécédent, occupant respectivement la position objet et celle du sujet. En vertu de ce principe (A), une anaphore doit être liée dans sa catégorie gouvernante, contrairement à une expression référentielle qui doit être libre. Ce contraste peut être vérifié par c-commande qui est une condition nécessaire pour une relation de liage. En d’autres termes, l’anaphore et son antécédent ne doivent jamais se c-commander mutuellement, sinon l’un va lier l’autre ce qui provoquera une violation à la fois des principes (A) et (C) de la théorie du liage et entraînera l’agrammaticalité de (6b) par rapport à (6a): (6) a.
nâfas-a ?ar-riyâdiyyûna ?anfus-a-hum concurrener-Pass-3MS. les-sportifs-Nom. même-eux. “Les sportifs se sont concurrencés ”
nâfas-a ?anfus-a-hum ?alr-riyâdiyy-ûna concurrencer-PASS-3MS. même-Nom-eux les-sportif-Acc.
b.*
Rappelons qu’à cause de la relation de c-commande mutuelle observée dans la structure plate, une expression référentielle serait liée contrairement au principe (C) dérivant des constructions agrammaticales comme (7): (7) * 6
sami&-a Tifl-un(i) Tifl-an(i)6 entendre-Pass.3MS un-enfant-NOM un enfant-ACC “Un enfant(i) a entendu un enfant(i)”
L’indice (i) sur Tifl en position sujet et objet indique que le contenu référentiel du NP est identique dans la première et la seconde position, ce qui rend la phrase inacceptable à cause du principe C de la théorie du liage. En revanche, la phrase
La structure de la phrase verbale
87
A cause de c-commande mutuelle entre le sujet et l’objet, une structure plate comme (4) ne peut pas expliquer l’agrammaticalité des constructions comme (6) ou (7). En outre, la morphologie de la phrase ne peut pas être présentée d’une manière adéquate dans une structure plate comme celle de (4), étant donné que cette dernière ne prend pas en considération le rôle que les éléments flexionnels pourraient jouer, malgré leur importance en syntaxe et en morphologie, les affixes ne sont pas représentés structurellement par une structure de type (4). D’autant plus que, la configuration (4) qui comporte dans la base l’ordre VSO, ne peut pas être pertinente pour les langues où le verbe n’est pas dans une position initiale telle que (SVO/SOV/OVS/OSV). La logique de la structure (4), à savoir l’engendrement dans la base des constituants de la phrase, suppose une structure différente pour chaque type de langue mentionné‚ ci-dessus. Par conséquent, la structure plate ne peut être pertinente ni pour une langue particulière, étant donné qu’elle dérive des constructions agrammaticales comme (6) par exemple, ni pour l’ensemble des langues dans le cadre de la grammaire universelle (GU), étant donné qu’elle est en porte-à-faux avec plusieurs principes universels jugés pertinents dans d’autres langues. Par conséquent une structure plate est aussi ad hoc aussi bien au niveau théorique qu’au niveau empirique. Ce qui nous amène à faire appel à une structure différente qui pourrait répondre non seulement aux principes syntaxiques précités, mais qui serait aussi capable de rendre compte du rapport entre l’ordre VSO et les autres ordres, notamment SVO. Cette structure, conformément à la théorie X’, ne pourra être que binaire ce qui permettra d’éviter l’ambigüité structurale. En d’autres termes, une structure configurationnelle est nécessaire pour une langue VSO exactement comme pour les langues à ordres différents, afin qu’on puisse constituer une grammaire pour toutes les langues naturelles et non pas une grammaire pour chaque langue particulière ou chaque classe de langue. devient tout acceptable lorsque les contenus référentiels de l’un est disjoint de l’autre.
88
Partie II, Chapitre I
1-2 Pour une projection VP Nous adoptons l’hypothèse selon laquelle, toute projection syntaxique doit être présentée sous forme binaire. Cela implique l’existence d’un nœud VP en arabe qui serait constitué‚ du verbe, en tant que tête, et de son complément en vertu de la notation X’7. L’hypothèse de l’existence de VP permet donc de satisfaire le parallélisme avec les autres projections maximales dans le cadre de la théorie X’ d’une part et de généraliser cette projection (VP) indépendamment de la nature de l’ordre concerné‚ d’autre part. Dans le cadre de la représentation configurationnelle, le verbe est en relation directe avec son complément, argument interne du verbe. Dans ce sens, les deux éléments seront branchés directement sous V’, relation de sœur qui permet au verbe d’assigner le Cas accusatif à son objet. Le sujet, par contre, reste hors de cette projection minimale (V’) et fonctionne comme argument externe du verbe (et de V’). Supposons que cette position soit celle de Spec VP, la représentation globale montrant la relation de V avec ses arguments sera donc: (8)
VP SpecV
V' V
NP
La structure (8) ne représente pas la phrase entière, mais elle illustre l’asymétrie structurelle entre le sujet et l’objet. Cette asymétrie peut être vérifiée par la théorie thématique dans la mesure où l’objet, en tant qu’argument interne reçoit son rôle thématique directement alors que le sujet le reçoit indirectement. C’est la raison pour 7
A première vue, l’ordre linéaire de surface donne l’impression que VP n’existe que dans les langues SVO, étant donné que la position du sujet est préverbale et que l’objet est adjacent avec le verbe formant une projection maximale VP, tandis que dans les langues VSO, le sujet sépare le verbe et son complément, ce qui implique l’absence de VP en arabe, contrairement aux autres langues. Une telle conclusion basée sur l’observation externe contredit un des buts fondamentaux de la grammaire générative qui tente d’être universelle.
La structure de la phrase verbale
89
laquelle un verbe transitif inclut généralement une grande variété de sélection selon le choix de l’objet direct8. Suivant la structure argumentale du prédicat verbal (intransitif, transitif, doublement transitif, etc.), le verbe peut avoir un objet comme il peut ne pas en avoir; par contre, le sujet est obligatoire pour chaque prédicat, indépendamment de sa structure interne, en vertu du principe de projection étendue9. La relation entre ce prédicat et son sujet est une relation de prédication sans laquelle la structure ne pourrait être considérée comme une phrase, tandis que la relation entre le prédicat et l’objet est une relation de transitivité. L’accord entre le verbe et ses arguments est aussi un test qui illustre l’asymétrie entre le sujet et l’objet. Ainsi, le verbe, en arabe, s’accorde avec le NP sujet en genre et en personne seulement si le sujet est dans une position postverbale, mais en genre, en personne et en nombre si le sujet est dans une position préverbale. En revanche le verbe ne s’accorde jamais avec l’objet. L’asymétrie entre le sujet et l’objet est un argument fort en faveur de l’existence de VP comme projection maximale. En arabe, comme dans d’autres langues, des verbes transitifs permettent une variété considérable dans le choix de leur objet direct. Illustrons cette asymétrie en examinant le comportement du verbe Daraba, comme les exemples suivants10: (9) a.
&âlaj-a ?alT-Tabîbu marîDa-hu soigner-Pass.3MS le-médecin-Nom patient-Acc-CL.3MS. “Le médecin a soigné son patient”
b.
Daqq-a ?al-Hâlis-u ?al-jaras-a frapper-Pass.3MS le gardien-Nom-Acc la-cloche-Acc. “Le gardien a sonné la cloche”
8 9
Voir Marantz (1984) pour un argument semblable pour l’anglais. Principe de Projection Etendue: Tout prédicat doit avoir un sujet.
10 Ces exemples sont empruntés d’Abdel-Nour (1986). La diversité observée dans (9, a-g) n’est pas limitée à une langue particulière mais c’est plutôt un phénomène universel, à savoir que la relation du verbe avec l’objet est beaucoup plus étroite qu’avec le sujet.
90
Partie II, Chapitre I
c. ?aqam-a ?al- ?imâm-u S-Salât-a tenir-Pass-3MS l’imam-Nom la-prière-Acc. “L’imam a tenu la prière ”
d. faraD-a ?al-mas ?ûl-u Darîbat-an imposer-Pass.3MS le responsable-Nom un impôt-Acc. “Le responsable a imposé un impôt”
e. Darab-a ?al-junûd-u ?al-HiSâr-a &ala l-&aduww-i assièger-Pass.3MS les soldats-Nom. le-siège sur l’enemi-Obl. “Les soldats ont assiégé l’ennemi” f- Darab-a ?al-muwaZZaf-u &ala risâlat-in tamponner-Pass.3MS l’employé sur la-lettre-Obl. “L’employé a tamponné la lettre” g- Darab-a ?alr-ruHHal-u- xaymat-an dresser-Pass.3MS les nomades-Nom. une-tente-Acc.. “Les nomades ont dressé une tente”
Le paradigme ci-dessus, qui est loin d’être exhaustif, montre la grande variété des objets directs qui peuvent être choisis, suivant la nature du complément et la relation de sélection entre le prédicat et son complément direct ou indirect. En revanche le même paradigme nous montre que le choix du sujet par le même prédicat est très restreint. Cela appuie l’argument en faveur d’une relation d’adjacence entre le prédicat et son objet dominés par le même nœud branchant V’. Cette asymétrie est vérifiée aussi dans le cadre de la théorie du mouvement. Si le mouvement de l’objet à longue distance est possible, celui du sujet ne l’est pas : (10) a l-kitâb-a(j) ?i&taqad-a ?al-ustâð-u(i) ?anna ?alT-Tâliba (j) qara?-a [e](j) Le-livre-Acc. croire-Pass.3MS le-professeur-Nom que l’étudiantACC lire-Pass.3FS. “Le livre, Le professeur a cru que l’étudiant l’avait lu”
b* ?alT-Tâlib-a(j l?i&taqad-a?al-ustâð-u(i)?anna [e](j) qara?-a [e](j)
Malgré son aspect configurationnel, conformément à la notation X’, la structure (8) ci-dessus n’est pas suffisante, étant donné que des éléments morphosyntaxiques, comme le temps et l’aspect, ne sont pas pris en considération. Ces éléments flexionnels doivent être représentés en S-Structure en tant que catégories syntaxiques.
La structure de la phrase verbale
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1.3. Pour une projection IP Une représentation pertinente de la phrase doit être capable de tenir compte des catégories fonctionnelles en tant que catégories syntaxiques de la même façon que les catégories lexicales. En d’autres termes, les catégories non lexicales, qui n’ont pas de place dans une structure plate, doivent être représentées si elles ont un rôle syntaxique. Pour éviter l’ambiguïté structurelle et les autres conséquences de la structures plate que nous avons vues ci-dessus, nous devons adopter une représentation configurationnelle et binaire pour la phrase conformément à la notation X’ et qui tient compte du rôle des catégories non lexicales. Supposons qu’une projection lexicale (LP) ne soit légitimée que si elle est c-sélectionnée par une tête fonctionnelle qui porte le même trait catégoriel11:
(11) [FP [F’ F(i)][LP [L’L(i) ]]]]
La projection LP, comme VP, suivant (11), doit être dominée par une projection fonctionnelle (FP). Identifions cette projection comme IP ayant une tête I (flexionnelle)12. Il est important de signaler qu’une tête et son complément ne peuvent appartenir à la même projection étendue que s’ils partagent les mêmes traits catégoriels13, c’est le cas de I et VP, D et NP mais pas D et VP ni I et
11
12 1 3
En termes distincts de la sélection, nous pouvons renverser la relation entre les deux têtes en considérant que c’est la tête lexicale qui autorise une ou plusieurs têtes fonctionnelles à être projetée(s). Ces têtes portent le même trait soit [+V] soit [+N], suivant le trait de la tête lexicale, pour former une projection étendue. Pour cette notion et ses conséquences en syntaxe, cf. Grimsay (1991). En vertu de (11), IP sera la projection étendue de cinq positions au moins: I, I’, V, V’, VP. Il en va de même pour la projection étendue de DP qui aura, lui aussi, cinq positions: D, D’, N, N’, et NP. X est la tête étendue de Y, Y est la projection étendue de X si et seulement si : a. Y domine X. b. Y et X partagent les mêmes traits catégoriels. c. Tout nœud intervenant entre X et Y partage les mêmes traits catégoriels. d. La valeur de trait de Y est la même que la valeur de trait de X.
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DP. Ainsi DP ne doit pas appartenir à la même projection de V, même si ce DP est le complément d’objet direct de ce verbe. Par conséquent, le verbe ne peut donc plus être considéré‚ comme la tête la plus haute dans la phrase; il en va de même pour sa projection VP, étant donné que la légitimation de VP n’est assurée que si cette dernière projection est dominée par une projection fonctionnelle. Conformément à la notation X’, la catégorie I, en tant que tête de la phrase, doit être engendrée sous sa propre projection maximale, appelée IP, qui est la catégorie majeure de la phrase. Vu la relation étroite entre les éléments inclus dans I et le verbe, la projection maximale de ce dernier (VP) doit être gouvernée par I, sous une relation d’adjacence. La D-Structure de la phrase, dans le cadre de cette analyse, sera représentée comme suit : (12)
IP Spec IP
I' I
VP Spec VP NPsujet
V' V
NPobjet
La D-Structure de la phrase dans (12) ne présente pas l’ordre dominant, VSO, en arabe, puisque le sujet précède le verbe. En d’autres termes (12) ne présente pas la S-Structure d’une phrase à verbe initial. Pour des raisons syntaxiques et morphologiques, le déplacement du verbe est une opération nécessaire. 1-4 La montée du verbe Le déplacement du verbe à partir de sa position d’origine dans (12) est une opération nécessaire non seulement pour les langues de type VSO, mais aussi pour d’autres langues à ordre différent14; la montée du verbe en arabe peut être justifiée par des raisons morphologiques et syntaxiques. 14 Cependant l’anglais, par exemple n’observe pas le mouvement d’un verbe lexical bien que les auxiliaires (to be) et (to have) montent. Pour une analyse de la montée du verbe en anglais et en français (cf. Pollock (1989).
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La structure de la phrase verbale
Considérons d’abord les raisons morphologiques. Le verbe n’acquiert les traits d’accord et une valeur de temps que s’il monte et s’incorpore dans I, la tête où les traits morphologiques (flexionnels) sont insérés. Ces éléments flexionnels portent un trait verbal et sont sélectionnés par le verbe. Du fait qu’on a affaire à des affixes, le verbe doit se déplacer vers I pour servir de support à ces catégories flexionnelles. Concernant les raisons syntaxiques, cette montée est nécessaire pour que le verbe puisse L-marquer le VP15, ce qui est nécessaire pour que le VP cesse de fonctionner comme barrière pour les éléments qu’il domine, le sujet et l’objet16. L’existence d’un nœud comme I est justifiée, puisque sa présence, comme catégorie fonctionnelle accueillant le V, est obligatoire. La montée du verbe explique d’une part l’ordre de surface d’une langue comme l’arabe (VSO), et d’autre part le rapport entre les différents ordres notamment VSO et SVO17. Comme le montre la configuration (11), cette hypothèse consiste à dériver les deux ordres SVO et VSO à partir de la même D-Structure. A la suite de la montée du verbe par-dessus son sujet (Spec VP) qui laisse une trace dans sa position d’origine, la S-Structure (12) prend la forme VSO où le verbe dans I gouverne le VP, ce qui est illustré dans le schéma suivant: (13)
IP Spec IP
I'
V-I
VP Spec VP NPsujet
tv
V' NPobjet
15
α L-marque β si α est une catégorie lexicale qui θ-gouverne β. Α θ-gouverne β si : α est une catégorie de rang zéro qui θ-marque β, et α et β sont soeurs. Chomsky (1986b:15).
16 Par ailleurs, dans le cadre d’une grammaire universelle, les raisons de nature théorique justifiant la montée du verbe dans une langue VSO doivent être vérifiées aussi dans une langue à ordre SVO ou autre. 17 Voir Koopman (1984), Sproat (1985), entre autres.
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Partie II, Chapitre I
La montée dans (13) se fait d’une tête V vers une autre tête I. Les deux forment une tête complexe, [V-I]. A première vue, cette montée n’est pas possible; étant donné que I, en tant que catégorie fonctionnelle, ne L-marque pas le VP, ce dernier constitue donc une barrière pour le mouvement, et IP devrait être, par héritage, une barrière elle-aussi. Si cette analyse est correcte, la montée de V provoque une violation du principe des catégories vides (ECP)18, et on s’attend par conséquent à ce qu’une construction ayant la forme (13) soit mal formée19. Les systèmes permettant la montée de V dans I sont multiples. Cela dépend de la syntaxe des têtes et de la manière dont une tête peut monter. La façon la plus économique et la moins coûteuse consiste à établir une relation entre la montée des têtes et le L-marquage d’une part, et le franchissement d’une barrière d’autre part. Dans le cadre de cette hypothèse, le VP, comme toute projection maximale, est une barrière pour le mouvement. (cf. Chomsky (1986)). Le L-marquage est une condition nécessaire pour que cette barrière soit franchie. Pour cette raison, Chomsky suppose que la montée de V, comme celle des autres têtes, n’est jamais bloquée par des barrières. En d’autres termes leur montée est relativement libre par rapport à la montée des arguments. La montée de V dans I permet de L-marquer le VP, et par conséquent, cette dernière ne constitue plus une barrière. Le V après sa montée vers I peut lexicaliser cette dernière. La trace de V sera gouvernée par son antécédent, la tête complexe V-I. ECP sera par conséquent satisfait. 1 8 i) ECP: Toute trace doit être proprement gouvernée. (ii) Gouvernement propre: 19
Une trace est proprement gouvernée ssi elle est gouvernée par son antécédent.
On pourrait penser à une autre solution, l’abaissement au lieu de la montée. Cela consisterait à dire qu’au lieu que le verbe monte vers I, c’est I qui descend vers V. Une telle opération provoque une violation d’ECP puisqu’elle laisse une trace qui n’est pas gouvernée par son antécédent. Pour légitimer cette trace et satisfaire ECP, Chomsky (1989) propose une deuxième opération qui fait remonter le verbe dans I en forme logique. Suivant le principe d’économie qui reste à définir, l’abaissement est une opération coûteuse qui doit être écartée tant qu’une autre opération moins coûteuse, la montée, est possible. Cette analyse est sévèrement critiquée par Chomsky (1989), dans la mesure où il s’agit d’une opération coûteuse. Nous ne devons donc l’envisager que lorsque toute solution économique est impossible.
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Le verbe, comme toute catégorie de rang zéro, β, ne peut monter que vers une position α, où α θ-gouverne β20, ce qui est le cas de la relation entre I et VP. Cette dernière devient une projection franchissable pour les arguments de V. C’est grâce à cette montée que le V occupe la position initiale dans la phrase et que l’ordre VSO devient possible à partir d’une D-Structure SVO. Suivant Kuroda (1986), nous considérons que le sujet est engendré en D-Structure dans la position Spec VP où il reçoit son θ-rôle, mais aucun Cas ne lui est assigné dans cette position. Dans les langues SVO, le Cas nominatif (du sujet) ne peut être assigné ou vérifié que dans Spec IP par accord avec I, (Spec Head Agreement). En revanche, (le Cas du sujet) dans les langues VSO, le Cas nominatif, peut être assigné ou vérifié vers la droite, par une relation de gouvernement. Cela implique que la montée du sujet par-dessus le verbe est propre aux langues à ordre SVO, et qu’elle n’est pas nécessaire pour les langues VSO. Une telle analyse permet aux deux classes de langues, SVO et VSO, d’être traitées à partir de la même D-Structure, comme elle permet de justifier la distinction qui apparait en S-Structure à partir des principes de la grammaire universelle.
2- L’analyse étendue Dans une structure qui admet le nœud IP, I est une tête composée qui associe des catégories non lexicales telles que le temps, l’aspect, l’accord, ou même la négation. Malgré le rôle important et parfois déterminant de ces 20 La contrainte sur le mouvement des têtes (Head Movement Constraint) est définie comme suit: Le mouvement d’une catégorie de rang zéro β est restreint à la position d’une tête α qui gouverne la projection maximale δ de β, où α θ-gouverne ou L-marque δ; si α est différent de C. cf. Chomsky (1986:71). α θ-gouverne β si et seulement si : α est une catégorie de rang zéro qui θ-marque β, et α et β sont sœurs. Cf. Chomsky (ibid.: 9).
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morphèmes, ils sont considérés engendrés sous une seule tête composée qui est la flexion (I). Ces morphèmes composant I sont représentés dans une forme plate comme suit21: I
(14) Neg
Agr
Tns
Asp
Dans une structure comme (14), les éléments qui composent la tête I, ne devraient pas être soumis aux processus de mouvement suivant la condition de l’opacité des têtes que nous proposons ici: (15) La structure interne d’une catégorie X° est opaque à la règle déplacer α.
Par conséquent le seul déplacement possible dans ce cas est celui de la tête I entière. Cependant, les éléments qui composent I ne sont pas toujours ordonnés de la même manière, au contraire, il arrive qu’un élément intervienne pour séparer deux éléments flexionnels de I, ce qui montre que les catégories qui étaient des sous-titres de I dans (14) doivent être dissociées et être considérées comme des catégories autonomes, ce que nous allons démontrer ci-dessous22. 2.1 Pour une projection AspP Une langue morphologiquement “riche” comme l’arabe se contente souvent des affixes pour exprimer ce que d’autres langues expriment par des auxiliaires. Traditionnellement, on distingue deux classes de langues: des langues à tendance temporelle et d’autres langues à tendance aspectuelle. L’orientation aspectuelle de certaines langues comme l’arabe, l’hébreu, le grec, le latin, a amené des linguistes à considérer que « le système verbal dans cette classe de langues fonctionne sur des bases exclusivement ou particulièrement aspectuelles »23 (Cohen 1989 : 18). 2 1 22 23
cf. Chomsky (1981), entre autres. cf. Fassi Fehri (1989), Benmamoun (1990). L’idée remonte aux orientalistes du dix-neuvième et du début du vingtième siècles.
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La structure de la phrase verbale
Malgré la tendance aspectuelle de l’arabe, les formes verbales ne peuvent pas être réduites à l’aspect en niant l’existence du temps. Les adverbes temporels, les verbes auxiliaires qui localisent le temps de l’événement et modifient parfois le contenu de l’aspect, manifestent le rapport complexe, à la fois structurel et interprétatif entre l’accord, le temps et l’aspect24. Il est clair que les formes aspectuelles peuvent être interprétées sur le plan temporel. Dans ce cas, l’aspect inaccompli est corrélé au temps présent, alors que l’aspect accompli est corrélé au temps passé. Des observations de ce genre nous suggèrent de lier les deux notions, l’aspect et le temps, dans un système mixte qui intègre les deux éléments dans la forme verbale25; la question qui se pose alors est de savoir comment on peut représenter cette corrélation. Deux hypothèses peuvent être envisagées en réponse à cette question. La première hypothèse consiste à représenter le temps et l’aspect sous une seule projection maximale associée. L’identification de cette dernière sera une association des deux têtes dans une seule qu’on appellera TA (Temps/Aspect) et sa projection sera une TAP (TA.Projection). Dans le cadre de cette représentation, les deux éléments se définissent l’un par rapport à l’autre. Cette hypothèse est légitimée par le fait qu’il est impossible de parler du temps sans parler de l’aspect et vice versa:
(16) [TAP [VP …]]
Une représentation comme (16) peut être remplacée par d’autres représentations où l’aspect est adjoint dans la base à la tête T(emps) ou bien, c’est ce dernier qui est adjoint à la tête Asp(ect). Ces deux systèmes d’adjonction peuvent se présenter respectivement dans (17a) et (17b): (17)
a.
TP SpecTP
(17) T'
b.
AspP SpecAspP
T° Asp°
Asp' Asp°
T°
T°
Asp°
24 La relation entre l’aspect et le temps, en arabe comme dans d’autres langues, mérite une étude syntaxique indépendante et approfondie. 25 cf, Comrie (1976):94.
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Partie II, Chapitre I
Les têtes ayant leur propre projection maximale comme T° dans (17a) et Asp° dans (17b) sont des têtes fortes, tandis qu’elles sont faibles lorsqu’elles sont adjointes dans la base et projetées uniquement au niveau X° et non pas au niveau XP. La seconde hypothèse touchant la question posée ci-dessus consiste à dissocier les deux éléments en question; chacun aura sa propre projection maximale, TP et AspP. Dans le cadre de cette représentation, nous pouvons supposer une relation de sélection entre les deux têtes (Head to Head Selection). Cette représentation pourrait être comme suit (18):
(18)
[TP [AspP [VP]]]
La structure (18) pourrait être légitimée par les faits suivants: (19) a. yataHaddaθ-u ?almas?ûl-u ?al-?âna parler-Prés.3MS le-responsable-Nom maintenant. “Le responsable parle maintenant” b.
taHaddaθ-a ?al-mas ?ûl-u bi-l?amsi parler-Pass.3M le-responsable-Nom hier. “Le responsable a parlé hier”
En revanche, même si l’interprétation respective du verbe à l’inaccompli et à l’accompli par un présent et un passé est évidente, l’inverse, du moins en arabe, n’est pas exclu: (20)
Kân-a ?al-mas?ûl-u sa-yataHaddaθ-u Rad-an être-Pass.3MS le-responsable-Nom Fut-revenir.3MS demain. “Le responsable allait revenir demain”
Or, le temps du verbe enchâssé doit être coindexé au temps matriciel (ou à l’aspect matriciel) pour constituer une chaîne ayant une valeur temporelle et une seule. Cette relation du liage au sens large du terme exige que le verbe enchâssé porte la même valeur temporelle que le verbe matriciel. Les adverbes temporels pourront être considérés comme des modifieurs temporels précisant le temps de l’événement, morphologiquement indépendant de l’aspect. Le temps et l’aspect ne peuvent donc pas être unifiés dans un seul nœud en réduisant l’un à l’autre, comme il a été suggéré dans (17).
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De plus, la corrélation stricte entre un temps et un aspect n’est pas toujours vérifiée. L’aspect inaccompli peut, dans le cas général, impliquer le temps présent mais il peut aussi impliquer un passé. L’aspect en tant que tête morpho-phonologique est constitué d’un ensemble de voyelles formant ce qu’on appelle un schème ou une mélodie26. La forme aspectuelle du verbe est le résultat de l’incorporation de V (ensemble de consonnes) dans Asp (schème), tête de AspP27. Supposons que la structure verbale, en arabe soit engendrée d’abord dans V sous forme d’une racine28, puis qu’en vertu du principe du miroir29, le V s’adjoint à la tête Asp°, contenant la structure mélodique de l’aspect correspondant (inaccompli ou accompli). Ainsi nous obtenons à partir d’une racine comme [ktb] soit la forme [ktub] pour l’inaccompli soit la forme [katab] pour l’accompli. Nous remarquons que chacune de ces deux dernières formes est l’output de l’incorporation de V dans Asp avant toute incorporation dans T ou Agr. En d’autres termes, Asp est bel et bien une tête autonome hiérarchiquement inférieure à T et à Agr. Ainsi, l’hypothèse qui consiste à incorporer V dans T puis dans Agr30 ne prend pas en considèration le changement vocalique entre les deux formes [ktub] et [katab] à partir de la même racine verbale [ktb]. On en dira autant pour l’hypothèse qui consiste à incorporer V directement dans Agr et puis dans T31. Supposons 26 Le premier terme appartient à la phonologie dite lexicale alors que le second appartient à la phonologie dite auto-segmentale. 27 Les arguments qui ont été avancés en faveur de l’existence d’une projection maximale Agro, notamment l’accord entre le participe passé et l’objet, cf. Kayne (1989) et Chomsky (1989), ne sont pas tout à fait vérifiables en arabe, à mon sens. En revanche, il existe des arguments en faveur de AspP, comme nous l’avons démontré ci-dessus. Nous proposons donc AspP en arabe comme projection qui domine immédiatement VP à la place d’AgroP (projection d’accord de complément d’objet) proposée par Chomsky (1989) et Chomsky (1992) pour l’anglais ? et le français. Les langues donc peuvent se distinguer en fonction de ce choix paramétrique tout en gardant une structure unifiée et universelle pour la phrase. 28 Voir, Ouhalla (1988) pour le berbère( l’amazigh) , Fassi Fehri (1989) pour l’arabe et Pollock (1989) pour le français. 29 Les dérivations morphologiques doivent refléter directement les dérivations syntaxiques (et vice versa) Baker (1988: 13). 30 Fassi Fehri, ibid. 31 Demirdache (1989), Gonegai (1990).
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Partie II, Chapitre I
que la première hypothèse soit la plus appropriée pour dériver les structures verbales précitées. Cette hypothèse peut être présentée comme suit: (21)
AspP Spec AspP
Asp' Asp
VP SpecVP
V' V
DP
Considérons le paradigme suivant: (22)
kataba (écrire) sami&a (écouter)
Accompli katab-a *katib-a sami&-a *sama&-a
Inaccompli ya-ktub-u *ya-ktib-u ya-sma&-u *ya-smi&-u
Les contrastes dans (22) montrent que les deux verbes comme kataba et sami&a ne portent pas les mêmes voyelles aspectuelles même s’ils sont tous les deux à l’accompli. Il en va de même pour leur forme à l’inaccompli. Ce genre de faits nous amène à poser la question suivante: comment une racine verbale V en montant dans Asp prend-elle une forme vocalique bien déterminée telle que a-a ou a-i pour l’accompli a-u-u ou a-a-u pour l’inaccompli? Comme le montre (22), la racine verbale ktb choisit les voyelles a-a pour l’accompli et a-u-u pour l’inaccompli tout en excluant les autres voyelles aspectuelles. Qu’est ce qui explique la corrélation entre un verbe et une forme vocalique précise. Pour tenter de résoudre ce problème, nous supposons que lorsque le T° sélectionne un aspect, l’accompli par exemple, toutes les formes vocaliques pour cet aspect sont à priori possibles, chacune de ces formes vocaliques doit porter un indice. Pour que V soit saturé32, il doit monter 32
La saturation ici n’est pas au sens thématique, cf. Higgenbotham (1985), mais plutôt une opération qui permet à un élément d’être satisfait et complété à la suite de son incorporation à un autre élément qui porte le même indice.
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obligatoirement dans Asp pour vérifier son indice qui correspond à l’une des formes vocaliques aspectuelles; une fois cette vérification faite, les autres formes vocaliques seront écartées, ce qui peut expliquer les contrastes dans (22). Dans les formes verbales exclues dans (22), V n’a pas pu vérifier son trait aspectuel qui correspond à une forme vocalique bien définie dans Asp. Le processus morphosyntaxique se poursuit en adjoignant la forme verbale obtenue [Asp/V] au temps correspondant. 2.2 Pour une projection TP Dans plusieurs langues, la notion de temps est souvent représentée structurellement dans un système binaire. Suivant la présence ou l’absence de temps morphologique, le verbe est identifié‚ respectivement comme fléchi ou non fléchi, et la phrase, par conséquent, est dite à temps fini ou non fini. Dans le premier cas, le temps porte le trait [+T], et dans le second, il porte le trait [-T]. En revanche, le verbe en arabe ne comprend généralement qu’une seule valeur qui est [+T]. Cela implique que la présence du temps est obligatoire en arabe standard ou dialectal, et que le verbe, par conséquent, est toujours fléchi. L’élément temps en arabe est toujours marqué par le trait [+T], et plus précisément par le trait [+/-passé‚]. Gouvernant immédiatement AspP, le T est capable de modifier ou de préciser le trait [-accompli] ou [+accompli]. Supposons que le préfixe indique à la fois le temps présent et le trait de personne. Ceci implique trois hypothèses:
a) Soit le préfixe est uniquement un trait d’accord (de personne) alors que le temps ne contient aucune matière morphologique et dans ce cas T sera vide et le préfixe se trouve dans Agr. b) Soit le préfixe indique à la fois le temps présent et le trait de personne, dans ce cas, le préfixe sera inséré dans T; par conséquent, le trait de personne sera dans T et non pas dans Agr, et le temps aura une matière morphologique.
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Partie II, Chapitre I
c) Soit le préfixe n’indique que le temps présent puisque le trait de personne est redoublé comme suffixe dans l’inaccompli33. Une des conséquences de (c), c’est l’autonomie de T par rapport à Agr.
Dans le cadre d’une théorie qui tente de dériver la forme verbale par adjonction (cf. Baker 1988), l’hypothèse (a) est problématique étant donné que les marques d’accord dans l’inaccompli sont dissociées. Donc l’adjonction (l’agglutination) de V à T c’est-à-dire du trait de personne et aux autres traits est impossible. L’hypothèse (b) tente d’éviter ce résultat en insérant les traits de personne et de temps dans T. L’adjonction de V-T est possible. (b) peut être justifiée par le fait que le trait de personne est indispensable pour tout prédicat qui contient un temps, mais l’un ne peut pas être réduit à l’autre comme le fait (b). L’hypothèse (c) est plus appropriée puisqu’elle assure l’indépendance entre T et Agr. Le trait de personne sera dans Agr comme suffixe. Ce qui s’observe aussi pour l’accompli. Les deux formes verbales seront analysées dans (c) d’une manière unifiée sauf que le temps prend une matière morphologique dans l’inaccompli alors qu’il est vide dans l’accompli.
33
(i) ta-ktub-âni [t]est une marque morphologique plutôt du genre 2F- écrire-2D. “Elles écrivent”
(ii) ya-ktub-–na
3M-‚écrire-3FP. “Ils écrivent”
L’hypothèse (d) rejoint l’analyse des GAT qui considéraient le préfixe en question comme particule de l’inaccompli (Harfu l-muDaara&a). Pour autant, nous ne savons pas pourquoi le trait de personne apparaît sur le préfixe et le suffixe ?. Une des hypothèses qui vient à l’esprit c’est de dire que le trait de personne qui apparaît sur le préfixe est un trait qui est copié à la suite de la montée de V-T dans Agr.
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2.3 Pour une projection AgrP et la forme verbale Le phénomène de l’accord est étroitement lié au problème de l’ordre des mots, notamment celui de la position du sujet par rapport au verbe. Nous avons démontré au début de ce travail que l’ordre naturel, dominant et basique, en arabe est VSO; si c’est le cas, quel est donc le statut du NP préverbal dans les constructions où le verbe n’est pas dans une position initiale? Trois hypothèses sont plausibles, la première dite de dislocation, la deuxième de base et la troisième de mouvement. La première hypothèse consiste à déplacer le NP vers la position préverbale en laissant une copie pronominale qui remplit la même fonction que le NP déplacé. Le NP en question est dit disloqué34. La seconde hypothèse consiste à engendrer le NP préverbal dans la position qu’il occupe en S-Structure. Dans le cadre de cette hypothèse, la structure où le NP sujet en position préverbale n’a pas de relation avec celle où le NP en question est en position postverbale. La troisième hypothèse consiste à expliquer la dérivation du NP préverbal par mouvement à partir d’une position postverbale. Considérons une construction comme suit: (23) a. ?al-?ustâð-u ?alqâ muHâDarat-an le-professeur-Nom. donner-Pas.3MS conférence-Acc. “Le professeur a donné une-conférence” b. ?alq-â ?al-?ustâð-u muHâdarat-an donner-Pass.3MS le-professeur-Nom. conférence-Acc. “Le professeur a donné une conférence”
Dans le cadre de cette dernière hypothèse, le NP préverbal dans (23a) est bien engendré en D-Structure dans la position canonique du sujet (Spec VP), et il monte ensuite vers le Spec AgrP en passant par les positions échappatoires: Spec Asp et Spec TP dérivant ainsi une structure à sujet initial. L’avantage principal d’une telle analyse est de dériver deux structures souvent considérées comme complétement différentes à partir de la même structure. 34 cf. Emonds (1976), Chomsky (1977a), entre autres.
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Partie II, Chapitre I
Considérons maintenant le paradigme suivant: (24) a. tatabba&-a ?al-HâDirû-na ?al-&arD-a suivre-Pass-3MS les-présents-Nom. L’exposé-Acc. “Les présents ont assisté à l’exposé” b.* ?al-HâDirû-na tatabba&-a ?al-&arD-a les-présents-Nom. suivre-Pass.3MS l’exposé-Acc. “Les présents ont assisté à l’exposé” c. ?al-HâDirû-na tatabba&-û l-&arD-a les-présents-Nom. suivre-Pass.3MS l’exposé-Acc. “Les présents ont assisté à l’exposé”
Le contraste entre (24a) et (24b) montre que la nature de l’accord dépend de la position de NP sujet?al-HâDirû-na postverbale ou préverbale. 2-4 La dissociation de Agr Suivant l’analyse par mouvement, (24c) est dérivée de (24a). Ceci implique que le sujet est déplacé d’une position postverbale vers une position préverbale. La question qui se pose est de savoir pourquoi l’accord riche est obligatoire quand le sujet est déplacé en position préverbale35. Et si le sujet (24c) est dérivé de (24a) pourquoi (24b) est agrammaticale? En fait, les deux questions sont liées l’une à l’autre. La réponse à ces questions doit tenir compte de la corrélation entre l’accord riche et la montée du sujet d’une part et celle entre l’accord pauvre et le sujet postverbal. Une des réponses qui tient compte de ces corrélations, consiste à dire que la montée du sujet provoque automatiquement un accord riche. En d’autre termes, l’accord doit être déclenché du moment que le sujet monte à la position spécificateur de la projection d’accord (Spec AgrP). La relation entre les deux est une relation d’accord entre une tête et son spécificateur36. 35 36
L’apparition de l’accord riche est liée à l’ordre SVO, Tandis que celle de l’accord faible est liée l’ordre VSO. cf. Fassi Fehri (1989) Il faut souligner que cet accord n’est pas observé avec un sujet ayant le trait [- humain] :
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Il est possible aussi de supposer une autonomie syntaxique du trait de nombre par rapport aux autres traits d’accord. Ainsi l’accord en nombre est engendré sous sa propre projection maximale de nombre, NumP. L’argument essentiel en faveur de cette autonomie est la distribution complémentaire entre le trait de nombre et NP sujet postverbal: (25) a. jâ-?a ?lr-rijâl-u venir-Pass.3MS les hommes-Nom. “Les hommes sont venus” b. jâ-?û venir-Pass.3MP “Ils sont venus” c.* jâ-?û ?alr-rijâl-u venir-Pass.3MP les hommes d. ?lr-rijâl-u jâ-?û les hommes-Nom. venir-Pass.3MP “Les hommes sont venus”
Le contraste entre (25a) et (25b) d’une part et (25c) d’autre part était expliqué par le fait que le trait de nombre et le NP lexical ne peuvent pas coexister. En effet cela est vrai pour les langues strictement VSO comme le gallois où le sujet ne monte jamais en position préverbale mais moins pour une langue à ordre VSO et SVO comme l’arabe. Or, l’idée qui donne au trait de nombre le même statut qu’un NP lexical sujet pour expliquer la distribution complémentaire dans (25) n’est pas compatible avec l’hypothèse de la montée du sujet en position préverbale. Pour que cette hypothèse de l’autonomie du trait de nombre soit compatible avec l’hypothèse de la montée du sujet, nous proposons un Spécificateur obligatoire pour NumP: (26) [NumP [Spec [Num’Num°] NP]]
(i)
?al-kilâb-u tanbaH-u
(ii)
tanbaHu l-kilâbu
“Les chiens aboient.” “Les chiens aboient.”
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Partie II, Chapitre I
La structure (26) montre qu’en D-Structure, le NP sujet coexiste avec le trait de nombre et qu’ils ne sont pas en distribution complémentaire. Le morphème d’accord en tant qu’affixe morphologique, monte pour s’adjoindre dans Agr obligatoirement37. Mais l’affixation de Num tout seul laissant derrière son complément, fait que ce dernier ne doit pas être interprété comme un élément appositif mais sujet. Nous supposons que le déplacement de la tête Num exige le déplacement de son spécificateur dans Spec AgrP, autrement Num ne serait pas légitimé dans son site d’arrivée. La montée de NP sujet sera donc obligatoire pour assurer une relation d’accord Spec-tête suivant la CLG (la condition sur la légitimation généralisée)38: (27) [P]est une propriété quelconque: Une tête [+P] doit être en relation Spec-tête avec XP [+P] Un XP [+P] doit être en relation Spec-tête avec une tête [+P]
Ainsi le contraste entre (25c) et (25d) peut être expliqué par une condition comme (27). Si la tête Num° ne peut être légitimée que si le NP sujet est dans Spec Agr, comment peut-on donc expliquer la bonne formation de (25b) où le NP sujet n’est pas apparent?39. Au point de vue interprétatif, Agr, étant référentiel, a besoin d’être précédé par son antécédent, que ce dernier soit phonétiquement réalisé ou pas. 37 Suivant cette analyse, l’adjonction de Num dans Agr s’effectuera vers la droite de Agr et non pas vers sa gauche. Pourtant l’adjonction, selon Baker (1988), Kayne (1989) entre autres, doit être toujours vers la gauche. Nous avons donc le choix entre deux possibilités: Soit de dire que l’adjonction vers la droite est possible et par conséquent, il faut admettre que l’adjonction vers la gauche n’est pas universelle, soit de supposer que la tête Num monte dans Agr avant la montée de V, ainsi c’est le V qui sera adjoint à Agr et cette fois vers la gauche. Or, le domaine de TP qui contient NumP, théoriquement, ne peut pas être franchi avant la montée de V dans Agr, ce qui implique que la montée de V dans Agr doit précéder celle de Num dans Agr. Si cette analyse est correcte, ça sera contre l’adjonction à gauche et en faveur de l’adjonction à droite en arabe. 38 (cf. Rizzi (1990). 39 Il faut souligner que chez les grammairiens arabes traditionnels, une construction comme (30b) ne peut être acceptable que si l’on connaît, d’une façon ou d’une autre, l’antécédent de l’élément pronominal (Num). Pour (29,c) comme (30, c) ce sont des constructions marquées impliquant une interprétation d’emphase. Seule cette interprétation les permet acceptables.
La structure de la phrase verbale
107
Syntaxiquement parlant, et en vertu de la condition (27), nous supposons que la présence de Agr implique que la position de son spécificateur soit syntaxiquement occupée par le NP sujet, qu’il soit plein ou vide. Si le sujet n’est pas lexical, il sera vide, i.e., pro. Dans une construction comme (25b), le pro qui occupe la position Spec NumP se soumet, lui aussi, à la condition (26) en montant dans Spec AgrP. Le sujet, quel que soit son contenu lexical, plein ou vide, doit monter pour légitimer sa tête Num déplacée dans Agr. Ainsi les constructions comme (25b) et (25d) seront analysées de la même façon, sauf que dans la première c’est pro qui est dans Spec AgrP, alors que dans la seconde, c’est un NP lexical qui occupe cette position. La montée de pro dans Spec AgrP peut être justifiée davantage par la condition sur la légitimation de pro que nous présentons comme suit40: (28) pro doit être légitimé dans la configuration Spec-tête.
Dans une construction à sujet nul, pro monte à la fois pour légitimer Num et pour être légitimé. Comme les NP lexicaux et pro, un pronom plein peut être complément de NumP. Pour les mêmes raisons précitées, ce pronom doit suivre la montée de Num en se déplaçant dans Spec AgrP: (29) a.
?anâ sâfar-tu je voyager-Pass-1.M/F.S. “J’ai voyagé ”
b. [pro] ðahab-tu
c.?? sâfart-tu?ana41
(30) a.
?antum sâfart-tum vous voyager-Pass.2MP.
b. [pro] sâfar-tum
c. ?? sâfar-tum?antum
0 Voir Chomsky (1992). 4 41 Il faut bien noter que les jugements (29c) et (30c) dépendent de l’interprétation de NP post-verbal sujet ou appositif, le NP postverbal, lexical ou pronominal, peut parfaitement coexister avec l’accord mais dans la lecture marquée dans laquelle ce NP doit être interprété‚ comme appositif; dans ce cas la phrase est grammaticale. En revanche, si le NP en question est interprété comme sujet dans une lecture non marquée, la phrase sera agrammaticale.
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Partie II, Chapitre I
Suivant l’analyse esquissée ci-dessus, les deux ordres VSO et SVO en arabe dépendent de la nature de la position sujet postverbal. Si elle est un NumP ou un DP, avec la projection maximale, la tête monte obligatoirement dans Agr ce qui provoque la montée NP sujet dans Spec AgrP suivant (27). Par contre si le sujet postverbal est un NP, aucune raison ne justifie sa montée vers Spec AgrP42.
3- Le verbe peut-il avoir un Cas? La notion de?i&râb (la flexion casuelle) est un des piliers fondamentaux de l’analyse chez les grammairiens traditionnels arabes. Il est admis que la marque casuelle est une voyelle qui indique une fonction grammaticale. L’ensemble de ces marques casuelles peuvent être morphologiquement visibles u, pour le nominatif a, pour l’objectif et le datif, i pour le génitif et l’oblique43. D’après l’analyse des grammairiens arabes traditionnels (GAT), la notion d’?i&râb est liée à la notion de changement : taRyîr ou à la 42 Une langue comme l’arabe marocain est une langue où le Num est observé‚ quel que soit la position du sujet, postverbale ou préverbale :
(i)
jâ-w
l-wlâd
venir-Pass.3MP les enfants “Les enfants sont venus”
(ii)
l-wlâd
jâw
les garçons venir-PASS-3MP “Les garçon sont venus”
Dans (i) contrairement à (ii), le NP sujet s’accorde avec Num réalisé par le morphème w, mais pas dans une configuration Spec-tête. Nous supposons que si Num monte dans Agr, la montée du sujet dans Spec AgrP devient obligatoire en S-Structure en vertu de la condition (27) ci-dessus. 43 “… Il est un consensus de considérer que l-?i&râb affecte la dernière consonne du nom mutamakkin et du verbe à l’inaccompli. C’est cette dernière qui est le support de la voyelle qui constitue la marque casuelle”, cf. Zajjâji:72. ?al-?i&râb.
La structure de la phrase verbale
109
différentiation(l-?ixtilâf), cela dit, une marque casuelle est celle qui est variable selon le régissant44. En revanche, la marque invariable n’est pas une marque casuelle. La variation casuelle est un critère pour le marquage casuel. Le nom est la catégorie qui porte un Cas variant en fonction de sa position structurale, nominatif u, accusatif a et génitif (oblique) i: (31) a. jâ?-a ?alS-Sadîq-u venir-Pass.3MS l’ami-Nom. “L’ami est venu” b. ?iltaqay-tu S-Sadîq-a recontrer-Pass.1S l’ami-Acc. “J’ai rencontré l’ami” c. ?iltaqay-tu ?ax-a ?alS-Sadîq-i recontrer-Pass-1S frère-Acc. l’ami-Gén. “J’ai rencontré le frère de l’ami” d. ?iltaqay-tu S-Sadîq-a fi $-$âri&-i recontrer-Pass-1S l’ami-Acc. dans la rue “J’ai rencontré l’ami dans la rue”
Chacun des Cas observés dans (35) a une source différente, le nominatif est assigné par Agr, l’accusatif par V, le génitif par D et l’oblique par P45. Les GTA ont remarqué que le V à l’inaccompli se soumet au critère de la différentiation et change en fonction de son régissant. Ainsi la forme de l’inaccompli peut porter une des trois marques suivantes: le nominatif u comme dans (32), l’accusatif a ou l’apocopé qui a une forme phonétiquement vide comme dans (33): (32)
?al-waladu-u yatakallam-u Le-garçon-Nom parler-Prés.MS. “Le garçon parle”
4 cf. Sîbawayh ibid V1 :181–189. 4 45 Ce sont les assigneurs (marqueurs) casuels classiques. Dans une approche différente Chomsky (1992) le Cas accusatif comme le Cas nominatif sont assignés dans une configuration d’accord entre Agr et Spec AgrP. Nous pouvons supposer que le Cas ne peut être assigné que par ou dans une Catégorie fonctionnelle. Ainsi, en arabe, le Cas nominatif est assigné par accord entre T et son Spec tandis que l’accusatif est par accord entre Aspect et son Spec.
110
Partie II, Chapitre I
(33)
?arad-tu ?an yatakallam-a ?al-walad-u fa-lam yatakallam vouloir-Pass que parler-Prés.3MS. le-grarçon-Nom. et NEG parler-Prés.3MS. “Je voulais que le garçon parle mais il n’a pas parlé”
La différentiation casuelle est une caractéristique commune au nom et au verbe à l’inaccompli. Pour justifier cette caractéristique, les GAT ont considéré que l’inaccompli, contrairement aux autres formes verbales, ressemble au nom46 suivant les caractéristiques communes suivantes: a- le verbe à l’inaccompli peut toujours être remplacé par un nom d’agent47. (34) a. Hasib-tu ?al-walad-a yatakallam-u croire-Pass.1S le garçon parler-Prés.3MS. “J’ai cru que le garçon parle”
b
Hasib-tu?al-walad-a mutakallim-an “j’ai cru que le garçon parlait”
b- le nom comme la forme verbale de l’inaccompli sont tous les deux préfixés48. c- les marques u pour le nominatif raf& et a pour l’accusatif naSb, ces Cas sont valables pour le verbe comme pour le nom49. Admettons que le verbe à l’inaccompli, comme le nom, prend un Cas nominatif ou accusatif; il sera nécessaire d’identifier la source de ce Cas. Rappelons qu’il existe au moins deux voies pour qu’un Cas soit assigné, la première par gouvernement strict entre une tête et son complément, la seconde par accord entre une tête et son spécificateur50. 6 Cette ressemblance est admise sans contestation par tous les GAT depuis Sîbawahyi. 4 47 Les deux peuvent servir comme qualificatif à un NP. En fait, la possibilité de substituer la forme de l’inaccompli à une forme nominale est l’argument principal chez les GTA pour justifier le Cas de l’inaccompli. Pour une analyse morphophonologique de la relation entre la relation dérivationnelle, le verbe et les participe cf. Bohas (1981). 48 Dans ce sens le temps dans le domaine verbal est comparé à Det dans le domaine nominal. 49 Le Cas oblique assigné au nominatif est comparé au cas d’apocopée, jazm, assigné au verbe. 50 cf. Chomsky (1986b), entre autres. Rappelons que dans la théorie minimaliste de Chomsky (1992), l’assignation ou plutôt une vérification de Cas qui devient un mécanisme de SHA.
La structure de la phrase verbale
111
Le Cas observé sur le verbe n’est le résultat d’aucun de ces deux mécanismes. Un troisième mécanisme est donc nécessaire pour expliquer la source du Cas en question. Supposons que le Cas soit le résultat d’un mécanisme de légitimation. Cette hypothèse est valable pour le Cas assigné par SHA étant donné que le NP dans Spec XP est légitimé par la tête X. Quant au verbe, sa forme ne peut être légitimée qu’après son adjonction à Agr en passant par Asp et T51. Cette montée longue de V jusqu’à Agr est justifiée par le fait que V a besoin d’être légitimé par Agr52. Supposons que le Cas du verbe à l’inaccompli est le résultat de cette adjonction de V à Agr. En d’autres termes, V reçoit le Cas nominatif par adjonction à Agr. La question qui se pose est de savoir pourquoi la forme verbale de l’accompli ne manifeste pas la même marque nominative. (35) a. jâ?-a ?aT-Tâlib-u venir-Pass-3MS l’étudiant-Nom. “L’étudiant est venu”
b.
?? jâ?-û T-Tâlib-u
(36) a. jâ?-û venir-Pass.3MP “Il sont venus” b.* jâ?-ûna venir-Pass.3MP-CL.2P.
Le contraste entre l’inaccompli et l’accompli concernant la marque du Cas verbal montre que cette marque est liée non pas seulement à Agr mais aussi au temps et à l’aspect. En d’autres termes, l’adjonction du verbe à Asp° puis à T° et enfin Agr° créant une chaîne verbale. Le Cas verbal dépendra de la nature et du contenu de cette chaîne. Le contenu de la chaîne dans une forme verbale à l’accompli n’est pas le même que celui de la forme verbale à l’inaccompli. Dans les deux formes verbales, l’aspect, le
51 52
Il faut souligner que la montée du verbe en arabe est toujours longue (à Agr) et elle n’est jamais courte au sens de Pollock (1989). Peut-être que la légitimation est mutuelle parce qu’elle est nécessaire aussi pour Agr.
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Partie II, Chapitre I
temps et l’accord sont différents. Par conséquent, la marque casuelle, elle aussi, est différente53. Pour que le Cas verbal soit visible, il faut que le verbe soit légitimé en montant dans la tête fonctionnelle la plus haute. Dans une phrase affirmative, nous avons vu que le V monte dans Agr, position où il est légitimé et où il reçoit son Cas verbal par adjonction. Une montée de V encore plus haut que Agr est parfois nécessaire si Agr est dominé par une tête assigneur de Cas notamment COMP et Neg. Comme nous l’avons souligné plus haut, le Cas nominatif n’est pas le seul Cas qui marque le verbe à l’inaccompli. Ce dernier peut avoir un Cas accusatif ou à l’apocopée. Nous supposons que ces deux derniers Cas sont assignés, eux aussi, par adjonction du verbe qui est dans Agr à une autre tête plus haute. L’accusatif et l’apocopé sont des Cas liés directement au mode du verbe:?amr (ordre/impérarif ), nahy (interdiction), yaqîn (certitude), tamannî (souhait), etc. Ces propriétés verbales sont liées soit par COMP soit par NEG. Considerons le paradigme suivant: (37) a.
yasurr-u-nî ?an tanjaH-a réjouir-Prés-1S que réussir-Prés.2MS-ACC “ça me réjouit que tu réussisses”
b. lan ya-xîb-a ?alS-Sâbir-ûn Neg être déçu-Prés.3MS-Acc les-patients-Nom “Les patients ne seront pas déçus” c.
ji?-tu kay ?ata&allam-a min-kum venir-Prés.1S pour apprendre-Prés-1S-(ACC) de vous “Je suis venu pour apprendre de vous”
f.
ji?-tu li-?ata&allam-a venir-PASS-1S pour apprendre-PRS-1S-(ACC). “Je suis venu pour apprendre”54
53 Rappelons qu’il y a deux formes de Cas nominatif qui marquent la forme d’inaccompli: le u pour la forme verbale portant le trait du nombre singulier: yaktub-u, et le na pour la forme du pluriel ya-ktub-û-na. 54 li, dans (i), peut introduire facultativement un COMP : (i) HaDar-tu li-?an ?ata&allam-a venir-Pass.1S pour-que 1S.apprendre-Prés-Acc.. Je suis venu pour que j’apprenne.
La structure de la phrase verbale g.
113
sa?asîr-u Hattâ taRrub-a ? $-$ams-u marcher-FUT-1S jusqu’à se-coucher-PRS-3FS-(ACC) soleil-NOM. “Je marcherai jusqu’à ce que le soleil se couche”
La marque accusative du verbe dans (37) est due à la présence des particules en italique. Nous pouvons analyser ces particules comme des complémenteurs, (COMP),?an, kay,?iðan, fa, li et Hattâ55. Quant à lan c’est un amalgame entre COMP et Neg. Il faut souligner que le Cas verbal accusatif observé dans (37) est lié à la présence d’un des COMP précités et plus précisément à l’adjonction du verbe à COMP, ce qui explique l’agrammaticalité des constructions: (38) a.*
your-u-nî?an?anta tanjaH-a réjouir-Prés.1S que toi réussir-Prés.2S
b.* ji?-tu kay min-kum ?a-ta&allam-a venir-Prés.1S pour de vous apprendre-1S-Prés-a
c.* sa?asîr-u Hattâ $-$ams-u taRrub-a Fut.marcher.1S jusqu’au coucher-3F.Prés le soleil-Nom.
Avec ces COMP, le seul Cas verbal possible est l’accusatif: (39) a. ya-surru-nî ?an tanjaH-a/*u 3MS-réjouir-Prés. que réussir-Prés.1S?anta b. ji?-tu li-?a-ta&allam-a/*u venir-PASS-1S pour 1-apprendre-PRS-a c. ji?-tu li l-&ilm-i ?ata&allam-a/*u venir-Pass.1S pour apprendre-Prés.1S. “Je suis venu pour apprendre”
L’agrammaticalité des constructions dans (38) et (39) montre que le Cas verbal accusatif d’une part et l’adjacence entre le verbe et COMP d’autre part sont en corrélation nécessaire. Ce qui prouve l’hypothèse que 5 5
Rappelons que COMP en arabe assigne toujours le Cas accusatif ? au nom : (i) ?inna l-walad-a marîD-un
(ii)
COMP le-garçon malade “Certes le graçon est malade.”
?aZunn-u ?anna ?al-walad-a xaraj-a 1S-croire-Prés. COMP le-garçon sotir-Pass.3M. “Je crois que le garçon est sorti.”
114
Partie II, Chapitre I
nous avons avancée ci-dessus, à savoir que le Cas verbal est assigné par adjonction tête à tête. Considérons les constructions suivantes: (40) a. lam taSil hind-u Neg arriver-Prés.2FS Hind-Nom. “Hind n’est pas arrivée” b.
li ya-ðhab ?ila ?al-jaHîm-i que 3MS-partir-Prés au diable-Obl. “Qu’il aille au diable ”
En (40a), le verbe est adjacent à Neg alors qu’en en (40b) il est adjacent à COMP. Cette relation d’adjacence est le résultat d’une adjonction du verbe à Neg ou à COMP par mouvement tête à tête. C’est la raison pour laquelle une séparation entre les deux est impossible: (41) a.*
lam hind-u ta-Sil-u Neg Hind-NOM 2FS-arriver-Prés.
li ?ila ?al-jaHîmi ya-ðhabu que au diable 3MS-aller-Prés.
c.*
Le contraste entre (40) et (41) montre qu’un autre Cas verbal est assigné par adjonction de V à COMP. Il faut souligner que la tête qui accueille le verbe dans (40) ou (37) doit porter le même indice que celui de la chaîne verbale [V-T-Agr]. En d’autres termes, cette tête complexe [V-T-Agr] ne monte que si la tête COMP ou Neg porte le même indice. Cette montée est nécessaire pour que la tête verbale complexe vérifie le trait verbal dans C° ou dans Neg56. Par conséquent, chacune des deux têtes sera à la fois légitimée et saturée. Nous avons essayé d’établir une structure qui pourrait représenter la phrase simple en arabe moderne. Cette structure ne peut être que configurationnelle. Nous avons argumenté‚ en faveur d’un ensemble de projections maximales qui constituent cette structure, commençant par VP, dans la mesure où une structure plate ne répond pas à un ensemble de principes de la théorie syntaxique. Pour légitimer une projection lexicale
56
Pour la théorie de vérification, voir Chomsky (1992).
La structure de la phrase verbale
115
comme VP et pour rendre compte du rôle syntaxique des morphèmes flexionnels dans la phrase, nous avons admis provisoirement une projection fonctionnelle IP, une projection verbale étendue. ? Par ailleurs l’interaction entre la syntaxe et la morphologie nous amène à adopter une analyse d’éclatement de la catégorie I en plusieurs catégories fonctionnelles, telles que AspP, TP, et AgrP. L’ensemble de ces projections constitue une projection étendue. Nous avons vu comment la forme verbale est dérivée par l’adjonction de la tête verbale à Agr en passant pas Asp et T. Nous avons aussi tenté d’expliquer la distribution de l’ordre VSO et SVO en adoptant la présence d’une projection NumP dans la position sujet. En arabe, la montée de Num dans Agr exige la montée de NP dans Spec AgrP, quel que soit le contenu phonétique de NP plein ou vide; donc pro qui peut être observé dans Spec Agr n’est pas dérivé dans la base dans cette position et n’est pas non plus un explétif mais il est dérivé par mouvement exactement comme un NP lexical et doit être interprété comme un élément référentiel en combinaison avec Num qui monte dans Agr. Par ailleurs, d’autres catégories différentes de NP peuvent être casuellement marquées. Nous avons montré qu’une marque à la fin de la forme verbale peut être interprétée comme une marque casuelle vérifiée par l’adjonction de V° à Agr° ou à C°. Ainsi, le verbe en arabe peut monter dans C°, par la règle I to C57. Cela implique que la théorie du Cas qui ne concerne que les NP devrait être modifiée et étendue pour traiter d’autres catégories; une catégorie verbale, comme nous l’avons montré, peut être concernée aussi. Les faits d’une langue, morphologiquement riche, comme l’arabe montrent que les catégories nominales-verbales comme l’adjectif et le maSdar portent, elles aussi un Cas différent et par conséquent elles sont aussi concernées par la théorie du Cas. Cela implique que le marquage casuel n’est pas une propriété syntaxique des NP arguments seulement mais des prédicats aussi.
57 Nous allons montrer que la phrase dite nominale observe, elle aussi, la montée du verbe copulatif ?, tel que kâna (être), dans COMP. Voir infra.
116
Partie II, Chapitre I
4- Note sur la théorie de vérification L’une des conséquences de l’hypothèse de la projection étendue proposée par Grimshaw (1991) est que le mouvement des têtes est limité à l’intérieur de cette projection. En d’autres termes le mouvement se passe entre les éléments ou des positions portant le même trait catégoriel. Le fait que la montée des têtes est limitée à l’intérieur de leur propre projection étendue implique deux choses, la première c’est qu’une tête ne monte pas au-delà de sa propre projection étendue et la seconde est que la montée de cette tête est contrainte par l’accord qui existe entre les têtes de la projection étendue. La transparence qui existe entre les têtes d’une projection étendue peut être assurée par le phénomène de la migration de trait (feature migration), i.e., dans un domaine verbal, le trait de temps se trouve dans I comme dans V (et parfois dans C). De même, le trait de définitude est distribué sur tout le domaine nominal58. Le mouvement dans la théorie minimaliste de Chomsky (1992) est motivé par la vérification des traits verbaux et nominaux. Les premières concernent, par exemple, le verbe et les deuxièmes les arguments de ce verbe. Dans cette théorie, la syntaxe est étroitement liée à la forme morphologique. Le verbe se trouve dans V doté de sa forme flexionnelle entière, telle qu’elle apparaît en surface. Les catégories fonctionnelles Asp, T et Agr portent un trait verbal et doivent être liées à une catégorie lexicale (L-related) portant le même trait. En d’autres termes, ces catégories fonctionnelles doivent être V-liées (V-related)59. Cette relation permet à ces catégories fonctionnelles de vérifier les propriétés morphologiques de V si le trait verbal dans ces catégories est fort. Pour que ces propriétés soient vérifiées et validées, le verbe doit monter à la tête de chacune de ces catégories. Aucun trait ne doit rester 5 8 Voir Grimshaw, ibid. 59 Dans le cadre du programme minimaliste, toute catégorie non lexicale (fonctionnelle) doit être L-related; pour les conséquences de cette notion. cf. Chomsky (1992).
La structure de la phrase verbale
117
sans vérification, autrement la structure serait rejetée. Ainsi V° monte jusqu’à Agr° en passant par Asp° et T°. Par ailleurs, la montée des arguments de V est justifiée dans le programme minimaliste par la vérification des traits de NP. En d’autres termes, les catégories fonctionnelles peuvent avoir un trait nominal fort. Dans ce cas le NP argument de V doit monter vers le spécificateur de chacune de ces catégories pour vérifier son trait nominal dans ces positions. Dans le programme minimaliste, le verbe est engendré avec toute sa forme flexionnelle dans V. La montée du verbe ne reste obligatoire que pour vérifier les traits V et N dans les têtes fonctionnelles avec lesquelles il forme une projection étendue. Pour que ces traits puissent être vérifiés, l’argument interne du verbe monte vers une postion dotée du trait NP: Spec AspP. C’est dans cette position que le NP objet vérifie son trait nominal et son trait Casuel d’accusatif par accord entre Spec,AspP et Asp par (SHA)60. Comme Asp°, le T° a un trait NP fort, ce qui permet au sujet de monter vers Spec TP où il vérifie son trait nominal et son Cas nominatif par SHA. En fait, La montée des arguments NP du verbe dépend de la montée de V qui crée un domaine de vérification (cheking domain) pour le NP. En d’autres termes, la montée de V dans Asp° crée un domaine de vérification AspP qui inclut son Spec où l’objet se déplace. Ensuite, la montée de V dans T crée un nouveau domaine de vérification, qui inclut Spec TP où le sujet se déplace. Donc le trait V est fort dans toutes les têtes de la projection verbale tendue (AgrP), ce qui explique la montée obligatoire de V dans ces têtes. Par ailleurs, le trait nominal, dans cette projection ‚tendue, est fort dans Asp et T, ce qui nécessité la montée de l’objet dans Spec, AspP et le sujet dans Spec TP. Les déplacements effectués de V et des arguments, ne permettent de dériver, pour l’instant, que l’ordre VSO, puisque le V monte jusqu’à Agr et le sujet à Spec, TP. Comment l’ordre SVO est-il donc dérivé? 60 Rappelons que ce qui justifie l’accord entre [V-Asp] et son spec AspP en arabe, c’est la relation morpho-phonologique qui existe entre le verbe et son schème approprié.
118
Partie II, Chapitre I
Nous avons déterminé la valeur verbale de Agr comme forte, ce qui a nécessité la montée de V dans cette tête. En revanche, nous n’avons pas déterminé la valeur nominale du NP de cette catégorie. En effet, la montée du sujet dans Spec AgrP et par conséquent la dérivation de l’ordre SVO dépend du trait NP de Agr selon qu’il est fort ou faible. Il n’est pas question de stipuler que ce trait est à la fois faible et fort, et que la montée du sujet est libre, car une telle stipulation est arbitraire. En revanche nous supposons que les deux valeurs de NP dans Agr sont en distribution complémentaire. Le choix entre les deux valeurs se détermine avant toute opération syntaxique puisque le verbe est engendré dans ce niveau pré-syntaxique avec tous ses traits flexionnels. Ainsi, tous les morphèmes flexionnels, l’accord inclus, sont réalisés sur le verbe. Dans le cas où Agr est riche, cela implique que cette catégorie a un trait NP fort à vérifier dans Spec AgrP. En revanche si Agr est pauvre, son trait NP sera faible et par conséquent il n’aura pas un trait NP à vérifier dans Spec, AgrP. Si cette corrélation entre la nature riche de l’accord et le trait NP fort de Agr est correcte la montée de NP sujet jusqu’à Spec AgrP sera justifiée. De même la corrélation entre la nature pauvre de Agr et le trait NP faible de Agr explique pourquoi la montée du sujet est limitée à Spec TP. En d’autres termes, la distribution de l’ordre entre VSO et SVO dépend de la valeur de NP de Agr: faible ou fort, pauvre ou riche. La catégorie COMP est une catégorie qui fait partie de la projection verbale étendue, sa projection CP est une extension de VP. Cela implique que V peut avoir un rapport syntaxique avec COMP, parallèlement à ce que nous avons observé avec les autres catégories fonctionnelles verbales. Dans le programme minimaliste, la montée de V° dans C° (V-raising to C) est motivée, elle aussi, par la vérification de la morphologie du verbe. Dans le chapitre suivant, nous examinerons un autre de type de phrase où le prédicat verbal ne se manifeste pas, il s’agit de la phrase nominale. Nous présenterons une analyse qui réduit la différence traditionnelle entre les deux types de phrases. Cela nous amènera à identifier la nature catégorielle et syntaxique du pronom qui sépare les deux constituants principaux de la phrase nominale.
CHAPITRE II
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
1- Analyses antérieures La tradition grammaticale arabe distingue deux types de propositions, jumla fi&liyya “ phrase verbale” et jumla?ismiyya “ʺphrase nominale”. Appartient au premier type toute phrase commençant par un verbe1:
(1)
a. b.
V NPs NPo V NPo NPs.
Appartient au deuxième type toute phrase commençant par un nom, au nominatif, avec ou sans verbe2: (2)
1
2
a. b. c. d.
NP NP NP NP
VP VP AP PP
“La phrase nominale est celle qui commence par un nom et la phrase verbale celle qui commence par un verbe (…) ce qui est pris en compte, c’est le premier terme dans la représentation abstraite “SaDrun fi l-?aSli” cf. Ibn Hishâm, II pp. 420–421). Ayoub et Bohas (1981) ont montré‚ à partir des données et des textes des grammairiens que “ Ce ne sont donc pas les formes observables, prises telles quelles, qui permettent de déterminer directement le statut d’une phrase; c’est la représentation abstraite qui est prise en compte par les grammairiens arabes”. Nous avons vu que la phrase ayant un NP nominatif en tête peut être dérivée par mouvement du sujet vers Spec AgrP, en position préverbale. Donc, pour nous contrairement à l’analyse des GAT, une phrase ayant un NP en tête suivi par un verbe est une phrase verbale.
120
Partie II, Chapitre II
Notre but ici n’est pas de présenter une analyse complète de la phrase nominale avec ses diverses formes de prédication, mais seulement de souligner certaines de ses caractéristiques syntaxiques essentielles, notamment la présence et l’absence de la copule ?, l’ordre des constituants et le statut du pronom qui peut être inséré entre ces constituants. Rappelons que nous avons analysé‚ la structure (2a) comme une phrase verbale même si elle ne commence pas par un verbe. Ce qui implique qu’un énoncé‚ comme (3a) doit être écarté des formes de la phrase nominale. Il nous reste donc les trois dernières structures (2b-c–d) présentées respectivement dans (3b-c-d) ci-dessous: (3) a.
?al-bintu $aqrâ?-u Le-fille-Nom. blonde-Nom. “La fille est blonde”
b.
?albint-u Tâlibat-un le-fille-u Nom. étudiante-Nom. “La fille- est une étudiante”
c.
?alr-rjul-u fi- ?al-maqhâ l’homme-Nom. au Café “L’homme est au Café”
d. ?al-inTilâq-u Radan le-départ-Nom. demain-AD-Acc. “Le départ aura lieu demain” (4) a.
?ar-rajul-u ?alr-rassâm-u L’homme-u Nom. le-peintre-Nom. “L’homme est peintre”
b.
?alr-rjul-u ?allaðî yu-qliqu-nî l’homme-Nom. qui 3S-inquiète-Prs--moi “C’est l’homme qui m’inquiète”
Dans le paradigme (3) comme dans (4), la relation de prédication est établie entre deux syntagmes traditionnellement traités comme thème et rhème (ou sujet et prédicat). La relation exprimée dans le paradigme cidessus exige un accord entre le sujet et le prédicat, notamment en genre et en nombre.
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
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Une autre caractéristique commune, c’est la prédication sans copule, contrairement à ce qu’on observe dans d’autres langues, notamment indoeuropéennes par exemple. Parmi les analyses récentes qui ont été proposées pour ce phénomène, il en est une qui traite ces constructions comme une phrase réduite (Small Clause), cf. Mouchaweh (1986), Kayne (1984), Rapoport (1987), l’autre comme une petite phrase (iP) en analogie avec IP (Inflexional Phrase), cf. Fassi Fehri (1989), et une troisième qui traite (3) et (4) comme des phrases copulatives dont la copule a la forme d’un pronom indépendant à la troisième personne, cf. Eid (1983) Doron (1993, (1986), Moha Naji (1990), entre autres. Dans ce qui suit, nous discuterons ces analyses brièvement en montrant leurs limites, ce qui nous amènera à proposer une analyse alternative de la structure de la phrase nominale, afin de donner un autre statut au pronom indépendant qui peut séparer le sujet et le prédicat. 1-1 Analyse de phrase réduite (SC) Il s’agit d’une analyse qui consiste à traiter les différentes constructions de type (3) et (4) comme phrases réduites (Small clauses / SC), une projection d’un domaine de prédication non verbal3. Dans ce domaine, le prédicat nominal, adjectival ou prépositionnel prend un NP comme sujet4:
(5)
[SC [NP [XP]]]
Une des caractéristiques fondamentales des SC est la dépendance d’un verbe matrice, par conséquent la SC ne constitue pas un domaine indépendant, ce qui explique le contraste entre (6) et (7) (6)
She considers John foolish elle cosidère-PRS-3S John fou “Elle considère John comme fou”
(7)
John foolish
3
Pour une analyse de la phrase non verbale comme phrase réduite (Small Clause), voir Mouchaweh (1986). cf. Schein (1982), Stowel (1983), Williams (1983), entre autres.
4
*
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Partie II, Chapitre II
L’agrammaticalité‚ de (7) par rapport aux constructions (3) et (4) montre qu’on se trouve devant deux structures différentes, ce qui implique que les phrases dites nominales ne sont pas des phrases réduites. 1-2 PRON comme V Par ailleurs, l’équivalent des constructions (3) et (4), en français et dans beaucoup de langues exige la présence d’une copule être conjuguée et accordée avec le sujet:
(8)
a. b. c.
Jean est intelligent Nous sommes à l’université Jean et Marie sont des chercheurs
Afin de réduire la différence entre les constructions dans (3) et (4) d’une part et (8) d’autre part, certains linguistes ont analysé‚ le pronom qui peut séparer le sujet et le prédicat dans ces constructions comme un verbe copulatif. (9) a. hindu hiya ?alð-ðakiyyat-u Hind-Nom elle l’intelligente-Nom. “C’est Hind qui est intelligente” a’. hindu ?alð-ðakiyyat-u Hind-Nom l’intelligente-Nom. “Hind est qui est intelligente” b. nabîl-u huwa ?al-barî?-u Nabil-Nom est lui l’innocent-Nom. “C’est Nabil qui est l’innocent”
b’. Nabil-u ?al-barî?-u Nabil-Nom est l’innocent-Nom “Nabil qui est l’innocent”
Dans le cadre de cette analyse, le pronom huwa dans (9b) comme hiya dans (9a), désormais PRON5, est un verbe copulatif qui assure la relation de prédication entre les deux constituants, sujet et prédicat. En d’autres termes, 5
PRON, le terme est emprunté à Doron (1986).
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
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le PRON suivant cette analyse, correspond au verbe ‘être’ dans les phrases copulatives6. Malgré la forme pronominale incontestable de PRON, des arguments ont été présentés pour montrer que cet élément est un verbe qui correspond au verbe être dans d’autres langues. Nous présentons ci-dessous ces arguments en montrant leurs limites: 1- La phrase avec PRON exprime un temps au présent, ce qui est une caractéristique verbale: (10) a. ?anâ huwa?albarï?-u ?al-?âna Moi lui l’innocent-Nom maintenant “C’est moi l’innocent maintenant” b?? ?anâ huwa?al-barï?-u Radan moi lui l’innocent-Nom. demain
c* moi huwa?al-barî?-u ?amsi moi lui l’innocent-Nom. hier
Si le PRON exprime le temps présent comme le verbe, pourquoi donc le passé et le futur ne sont-ils pas exprimés par une forme pronominale aussi? Le PRON n’est observé‚ que dans les constructions d’identité‚ (ou équative) comme (4) alors qu’il est impossible dans une construction locative par exemple7. En d’autres termes, le PRON ne coexiste qu’avec les Pour une approche sémantico-logique de la prédication avec huwa considérée comme copule, cf. Taha (1979). 7 En arabe marocain comme en arabe standard, PRON n’est observé que dans les constructions équatives où le prédicat est défini (référentiel). En revanche, si le prédicat est indéfini (non référentiel) comme dans (i), PRON doit être accentué (marquée), car en l’absence d’accent (‘), la phrase est considérée exclue comme le montre le contraste suivant de l’arabe marocain : (i) Dris huwa’ l-muttaham 6
Driss lui’ l’accusé ʺC’est Driss qui est accuséʺ
(ii) ?? Dris huwa muttaham
Driss lui un accusé ʺC’est Driss est accuséʺ
L’exemple (ii) cité par Moha Naji est contestable, voire inacceptable. Pour moi, l’utilisation de PRON est contrainte par la nature définie du prédicat qu’il soit en
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Partie II, Chapitre II
prédicats définis et pas avec les prédicats indéfinis alors que le verbe ne fait pas cette distinction, ce qui explique les contrastes dans (11), et montre que le PRON n’a pas le même comportement qu’un verbe comme kâna: (11) a.
? hind-u hiya $aqrâ-u Hindu -Nom blonde-Nom.
a’
Hind-u kâna-t $aqrâ-a Hind-Nom être-Pass-3MS blonde-Acc. “Hind était blonde”
b. ? Omar-u huwa fi ?al-maqhâ Omar-Nom au café-Acc. b’. Omar kâna fi?al-maqhâ Omar-Nom être-Pass-3MS au café-Acc. “Omar était au Café”
Si PRON est une copule qui exprime un temps au présent, comment peut-on expliquer l’agrammaticalité‚ du paradigme (11a et (11b)? 2- Le PRON est en distribution complémentaire avec le verbe existentiel kâna qui se conjugue, i.e., kâna au passé‚ et sa-ya-kûnu au futur en arabe standard: (12) a.
Driss huwa?ustâð Driss lui professeur “Driss est professeur”
b. Driss kân ?ustâd Driss être-Pass.-3MS professeur “Driss était professeur”
L’hypothèse d’une distribution complémentaire est non fondée puisque précisément un verbe comme kâna (être) peut coexister parfaitement avec PRON et en arabe dialectal et en arabe standard: (13) a.
Driss kân huwa l-muttaham Driss être-Pass.3MS lui l’accusé “C’est Driss qui était l’accusé”
Arabe standard ou en Arabe marocain. Par ailleurs, nous continuerons à utiliser le terme de prédicat défini au sens de prédicat référentiel.
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale b.
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Driss Radi y-kun huwa ?al-muttaham Driss 3MS-être-Pass l’accusé “C’est Driss qui sera l’accusé”
(14) a. Idriss-u kâna huwa ?al-muttaham-a Idriss-Nom être-Pass-3MS lui l’accusé-Acc. “Idriss, lui, était l’accusé” b. Idriss-u sayakûnu huwa?al-muttaham-a Idriss-Nom Fut-être3MS lui l’accusé-Acc. “Idriss, lui, sera l’accusé”
Or, deux verbes copulatifs comme kâna (était) et la&alla (peut être) ne peuvent pas coexister dans la même phrase simple: (15) a. hid-u kân-at hiya ?alð-ðakiyyat-u Hind-Nom être-Pass.3FS elle l’intelligente-Nom. “Hind c’est elle l’intelligente”
b.* Hind kân-at ?aSbaHat ?alð-ðakiyyat-a Hind être-Pass-3FS devenir-Pass.3FS. l’intelligente-Acc.
Donc, le PRON n’a pas la distribution d’un verbe copulatif de type kâna. Ainsi la distribution complémentaire entre huwa et un verbe est plutôt un argument contre l’identification de PRON comme verbe. 3- Comme V, le PRON s’accorde uniquement en genre et en nombre mais pas en personne en arabe marocain: (16) a.
nta huwa l-kâtib toi-M lui l’auteur “c’est toi l’auteur”
b.
nti hiya l-kâtiba toi-F elle l’auteur “C’est toi l’auteur”
La présence ou l’absence de l’accord en personne n’est pas un argument fort pour identifier PRON comme verbe. Or, le verbe s’accorde généralement en personne en AM comme en AS8. 8 En AS, l’accord en personne est même obligatoire entre le verbe et le sujet: (i) a. waSal-a ?al-mas?ûl-u
arriver-PASS-3MS le responsables-NOM Le responsable est arrivé
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Partie II, Chapitre II
En outre, en AS le PRON s’accorde obligatoirement en genre, en nombre et en personne9 : (17) ?anta?anta?al-mas?ûl-u Tu toi le-responsable-Nom. “C’est toi le responsable”
4- PRON, comme un prédicat, peut s’attacher au morphème discontinu de la négation ma..$ en arabe marocain10: (18) a.
wâ$ Driss huwa Hmaq? est-ce que Driss lui fou “est ce que Driss est fou?”
b. wâ$ ma-Huww-â$ Hmaq? est-ce que ne-lui-pas fou “Est-ce qu’il n’est pas fou?”
Le fait que la tête de la négation, NEG, est cliticisée au PRON comme dans (18b), n’implique pas forcément que le PRON soit un verbe, puisque le morphème discontinu est observé aussi avec les adjectifs11: 9
a’.* waSal-at ?al-mas?ûl-atu b. waSala-ti l-mas?ûla-tu
arriver-PASS-3FS la responsable-NOM La responsable est arrivée
L’interférence entre l’AM et l’AS amène à croire que la structure dans (i) est grammaticale en AS ce qui est une erreur courante: (i)* ?anta huwa l-mas?–l-u
Toi lui le responsable Or, l’accord en genre, nombre et personne avec le sujet (thème) est une condition nécessaire pour la présence de PRON. cf. Abbas Hassan T.1 pp. 245–246.
En revanche, à cause de la même interférence entre les deux langues (AM et AS), certains locuteurs excluent à tort des phrases comme (ii) et (iii): (ii). huwa huwa ?al$-$ujâ&-u il lui le courageux-Nom. “C’est lui le courageux”
(ii) ?anta ?anta ?al$-$ujâ&-u
1 0 11
Toi toi le courageux-Nom. “C’est toi le courageux”
cf. Eid (1983) pour l’arabe égyptien et Moha Naji (1990) pour l’AM. En revanche cela implique que PRON est une tête. Nous exploiterons cette idée en faveur du statut que nous donnerons ci-dessous au PRON.
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale (19) a.
faTima lTîfa FaTima gentille “Fatima est gentille”
b.
faTima ma-lTifâ-$ Fatima ne gentille pas. “Fatima n’est pas gentille”
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5- Comme le verbe, PRON peut être placé en tête de la phrase: (20) a.
faTima hiya Tbiba Fatima elle médecin. “Fatima est médecin”
b.
hiya faTima Tbiba elle Fatima médecin. “Donc Fatima est médecin”
Il s’agit ici d’une confusion entre deux types de hiya. En AM, hiya apparaît dans deux contextes très différents, dans le premier, hiya est un pronom indépendant (de 3FS), et dans le deuxième, il est un élément qui exprime la conséquence, (par conséquent, donc, etc.) occupant souvent la tête de la phrase. Le premier varie suivant les traits de genre, nombre et personne alors que le second est figé. Contrairement au verbe copulatif, le PRON n’apparait pas en tête de la phrase: (21) a.
?allaðî ya-qûl-u hâðâ huwa kâðib-un qui dire-3MS-direPrés. Ça lui monteur-Nom. “Celui qui dit ça est un menteur”
huwa ?al-laði yaqûl-u hâðâ kâðib-un
b.*
c.
kâna ?allaðï yaql-u hâðâ Kâðib-an être-Pass.3MS qui dire-Prés.3M ça menteur-Acc. “Celui qui disait ça était menteur”
PRON peut être effacé ou invisible‚ comme le montre la bonne formation de (22b) ci-dessous, où PRON n’est pas visible. Un tel effacement est possible surtout dans une construction contrastive: (22)
Hmed huwa drayyef walâkin Driss qbiH Ahmed lui gentil mais Driss méchant “Ahmed est gentil mais Driss est méchant”
Hmed Drayyef walâkin Driss qbiH
(23)
128
Partie II, Chapitre II
L’effacement ou l’antéposition de PRON ne sont pas des opérations suffisantes pour assimiler ce dernier au verbe, puisque ces opérations sont possibles avec différentes catégories syntaxiques ou lexicales. Nous en concluons donc que PRON n’a pas les mêmes propriétés qu’un verbe copulatif, contrairement à ce qui a été suggéré par les auteurs cités ci-dessus. La question de l’identification de PRON a été posée aussi en hébreu dans des phrases nominales similaires12. 1-3 PRON comme accord En hébreu, l’existence de PRON est facultative quand le prédicat est un AP ou PP: (24)
Rina (hi) nexmad Rina FS belle-FS. “Rina est belle”
(25)
Rina (hi) al ha-gag Rina FS. sur le toit “Rina est sur le toit”
PRON est aussi facultatif lorsque le prédicat est nominal, à condition que ce prédicat soit une expression nominale indéfinie: (26)
Dani (hu) more Dani MS professeur Dani est professeur”
En revanche, lorsque le prédicat nominal est défini, la présence de PRON devient obligatoire: (27)
Dani hu Yosef Dani 3MS Yosef “Dani c’est Yosef ”
Une comparaison entre (24–27) d’une part et (3), (9)-(11) d’autre part, nous montre que PRON en arabe n’a pas tout à fait la même distribution 12
cf. Doron (1986), Rappaport (1987), Rothstein (1992), entre autres.
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
129
qu’en hébreu. En hébreu, PRON est obligatoire quand le prédicat nominal est défini alors qu’il est toujours facultatif quand le prédicat est indéfini. En revanche, PRON en arabe n’est jamais obligatoire, et n’est légitime que lorsque le prédicat est défini, tandis qu’il est exclu quand le prédicat est indéfini. Doron (1986) analyse hu en hébreu comme une matrice de traits d’accord de genre, de nombre et de personne générés dans la flexion, alors que les deux NP forment un domaine de prédication. D-Structure de (27) est schématisée en (28):
(28)
[IP [I 3SM [NP Dani [NP ha-more]]]]
PRON hu est la réalisation phonétique des marques d’accord dans I, une flexion qui n’est pas spécifiée pour le temps. PRON dans (28) est un trait‚ comme un pronom clitique qui redouble le NP sujet (Dani). Ainsi PRON absorbe le Cas nominatif de NP sujet, ce qui exige la montée de ce dernier dans une position casuellement marquée où il reçoit un Cas. Cette position est Spec IP, une A’-position selon Doron. La tête flexionnelle (I) sera donc capable d’assigner le Cas nominatif au sujet déplacé. Après la montée du sujet, S-Structure de (28) peut être présentée comme suit:
(29)
[IP[SpecIP Dani [I’[I hu [t(i) [NP ha-more]]]]]]
Doron suppose donc que le prédicat non référentiel, comme dans (24– 26), assigne toujours un Ө -rôle à son sujet avec ou sans PRON, i.e., le Ө-rôle assigné au sujet par le prédicat ne dépend pas de la présence de PRON13, c’est pourquoi ce dernier est facultatif. En revanche, un prédicat référentiel n’assigne pas le Ө-rôle au sujet, un autre Ө-marqueur est obligatoire, ce dernier sera PRON. C’est la raison pour laquelle ce dernier est toujours obligatoire avec un prédicat référentiel14. Pour PRON 13
L’assignation thématique n’est pas une condition obligatoire pour toute prédication. Rothstein (1992) fait remarquer que le phénomène pléonastique n’est pas Ө-marqué mais qu’il entre en relation de prédication avec I’: (i) It [ seems that Mary is going to win the race] En traitant PRON en hébreu, Rothstein (ibid) a écarté le Ө-marquage comme condition préalable pour la prédication en définissant cette dernière comme relation de saturation primitive entre un constituant ouvert et un constituant fermé. 14 Parmi les arguments présentés en faveur de cette hypothèse, on trouve le fait que PRON ne coexiste pas avec un verbe fléchi:
130
Partie II, Chapitre II
en hébreu, nous nous limitons ici aux questions suivantes auxquelles l’analyse de Doron s’intéresse. Si l’assignation thématique est une propriété lexicale, comment PRON peut-il assigner un Ө-rôle au sujet? Si PRON est responsable de l’assignation casuelle du sujet, comment peut-il absorber le Cas d’un côté et le marquer d’un autre. Or, la flexion (I) ne peut pas, en même temps, absorber et assigner le Cas. En outre, si PRON est une flexion, pourquoi cette dernière peut-elle être facultative?15. L’analyse de Doron doit répondre à toutes ces questions. Revenons à PRON en arabe pour souligner qu’il n’a pas la même distribution qu’en hébreu, dans la mesure où il n’est pas obligatoire avec le prédicat défini et où il ne doit pas exister quand le prédicat n’est pas défini. Toute identification de PRON en arabe doit tenir compte de ces propriétés. Pour déterminer le statut de PRON en arabe, il est nécessaire de présenter la structure syntaxique de la phrase nominale et l’ordre des constituants dans cette phrase.
2- Pour une analyse alternative Nous avons écarté l’hypothèse suivant laquelle PRON est un V ou une copule. Cela nous amène à poser la question sur la nature de la prédication dans ce type de construction. En d’autres termes, comment la prédication est-elle assurée dans ce type de construction sans copule? 15
(i))*
dani hu holex
Dani 3M va
Une des caractéristiques d’un pronom clitique est qu’il ne peut pas porter l’accent contrastif, alors qu’avec PRON la lecture contrastive n’est pas seulement possible mais elle est obligatoire soit explicitement (i) soit implicitement (ii): (i) Nabîl-u huwa ?al-ma&niy-u bi-l-?amr-i wa laysa ?axû-hu
(ii)
Nabil-Nom. lui concerné-Nom. du sujet-Obl. et pas C’est Nabil qui est concerné et non pas son frère
nabîl-u huwa l-ma&niy-u bi-l-?amr-i
frère-Nom-son
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
131
La phrase nominale a toujours été traitée comme une forme de proposition particulière, en opposition à la phrase verbale en arabe16. Nous allons tenter, dans ce qui suit, de revoir cette opposition en réduisant les deux types de phrases à une seule structure syntaxique malgré les divergences apparentes en surface. Comme toute structure prédicative, la phrase nominale a un sujet et un prédicat. Nous avons présenté les différentes formes de cette phrase dans (2b–d) et (3a–d) dont la structure abstraite peut être la suivante: (30)
NP XP tel que X= N, Adj, Adv ou P
En fait (30) ne présente aucune particularité‚ par rapport à la phrase copulative17, sauf l’absence de la copule entre le sujet et le prédicat. Supposons que la présence de la copule soit une condition nécessaire pour lier le sujet et le prédicat non verbal18. Supposons aussi que la présence de cette copule soit toujours observée en syntaxe même si elle n’est pas présente en PF. La deuxième hypothèse, qui est dérivée de la première, implique que dans une langue comme l’arabe, la copule existe en syntaxe malgré son absence en PF. Si cette hypothèse est correcte, il n’y aura plus de distinction entre les deux classes de langues, les unes avec copule et les autres sans copule étant donné que la copule est toujours supposée en syntaxe. La distinction relève uniquement de la forme phonétique (PF). Ainsi, nous pouvons présenter provisoirement la structure copulative comme suit:
1 6 17 18
C’est le point de vue de tous les grammairiens arabes de BaSra. Nous entendons par phrase copulative la phrase où la réalisation d’une copule (être) est obligatoire pour légitimer la relation entre le sujet et le prédicat. Cette absence n’est pas exclusive à l’arabe standard, mais elle caractérise toute une classe de langues parmi lesquelles tous les dialectes arabes, l’hébreu, le russe, entre autres.
132
Partie II, Chapitre II (31)
a.
[[NP] [cop] [XP]]
La structure (31) est la forme généralisée de (30) de sorte qu’elle est pertinente pour toutes les constructions copulatives. Le choix paramétrique n’intervient que dans la réalisation phonétique ou pas de cette copule. Nous pouvons donc distinguer deux formes de copules en arabe, l’une vide et l’autre pleine. Cette distinction semble liée au trait du temps [+/présent], i.e., la forme vide de la copule n’est observée que lorsque le temps est au présent tandis qu’elle est pleine quand ce temps est au passé ou au futur: au passé on a kâna (être), Zaala (rester),?aSbaHa (devenir), etc., et au futur on a respectivement sa-yak–nu, sa-yaZaalu, sa-yuSbiHu, etc. Quant au présent, la copule n’est jamais phonétiquement réalisée, c’est pourquoi nous conviendrons de l’appeler copule vide. Les constructions qui suivent illustrent les différentes formes de la copule: (32)
kâna ?al-muwaZZaf-u ?al-mas?ûl-a être-Pass.3MS le-fonctionnaire-Nom. le responsable-Acc. “Le fonctionnaire était responsable”
(33)
sa-yaku–nu ?al-muwaZZaf-u ?al-mas?û–l-a Fut-être-3MS. le-fonctionnaire-Nom le responsable-Acc. “Le fonctionnaire sera responsable”
(34)
?al-muwaZZaf-u ?al-mas?ûl-u le-fonctionnaire-Nom. le-responsable-Nom. “Le fonctionnaire est responsable”
La question qui se pose est de savoir quels sont la position et le rôle syntaxique de la copule. Supposons que la copule serve essentiellement à indiquer le temps. Cette hypothèse est basée sur le fait que cette copule coexiste avec un autre prédicat verbal dont le temps est déterminé par la copule: (35)
kâna ?al-muwaZZaf-u yataHammal-u ?al-mas?ûliyat-a être-Pass.3MS le-fonctionnaire-Nom Prés-assumer-3MS la-responsabilitéAcc. “Le fonctionnaire avait assumé la responsabilité”
kâna dans (35) peut être traité comme auxiliaire inséré dans T, alors que le verbe qui le suit a le trait du participe passé comme en français, par exemple:
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
(36)
133
Ils ont assumé la responsabilité
Cependant, il faut souligner que kâna se comporte morphologiquement comme un verbe, dans la mesure où il porte un accord, pauvre (35) ou riche (37), comme tout verbe ordinaire: (37)
kân-û ya-taHammalû-na l-mas?ûlyat-a Etre.Pass-3MP 3MS-assumer-Prés. La-responsabilité-Acc. “Ils avaient assumé la responsabilité”
Dans (37), le verbe qui coexiste avec kâna a gardé ses traits morphologiques d’accord par rapport aux sujets nuls, ce qui n’est pas le cas du verbe qui coexiste avec un vrai auxiliaire comme dans (36); dans ce cas le verbe devient un participe passé‚. Cela montre que la relation entre kâna et un verbe ordinaire (cf. (35)-(37)) n’est pas la même que celle entre un auxiliaire et le participe passé‚, ce qui implique que kâna n’est pas un auxiliaire au sens habituel du terme. Par ailleurs, l’analyse suivant laquelle kâna serait une copule insérée dans la tête Temps (T) et le verbe inséré dans la catégorie Aspect (Asp) devrait expliquer comment les deux formes verbales portent l’accord. Deux hypothèses peuvent être suggérées : la première est d’admettre que dans une construction comme (37), le verbe qui coexiste avec kâna reste dans Asp et ne monte pas dans la position T qui est occupée par kâna. Ainsi, on peut comprendre pourquoi l’événement est au passé‚ bien que le verbe porte la forme de l’inaccompli. Les éléments qui occupent T et Asp forment donc un prédicat complexe. Cependant le problème de l’accord qui marque à la fois kâna et le verbe reste en suspens. Une autre hypothèse serait possible en considérant que kâna est inséré‚ non pas dans T mais dans C, position qui contient le temps référentiel19. La source de l’accord visible sur kâna reste un problème20. Revenons aux constructions de la phrase nominale en (32). Nous avons supposé que ces constructions contiennent une copule qui peut être visible ou pas, selon le trait que porte le Temps, [+ / - présent], et ça dépend 1 9 cf. Guéron et Hoekstra (1988). 20 Si l’on considère que l’accord n’est visible que par la montée de V à Agr, on doit admettre qu’il existe aussi un Agr pour kâna comme pour le verbe ordinaire, i.e., un nœud Agr autonome pour chaque verbe.
134
Partie II, Chapitre II
aussi de l’accord (pauvre ou riche) qui est observé sur la copule quand cette dernière est visible sur un verbe de type kâna comme?aSbaHa et Zalla: (38)a.
?aSbaH-a ?al-Hurrâs-u mas?ûl-îna devenir-Pass-3M. les-gardiens-Nom. responsables-Acc. “Les gardiens sont devenus responsables”
?al-Hurrâs-u?aSbaH-u– mas?ûl-îna les gardiens-Nom. devenir-Pass.3M. responsables-Acc. Les gardiens sont devenus responsables
b.
(39)a.
Zalla ?al-Hurrâs-u mas?ûl-în rester-Pass.3MS. les-gardiens-Nom. responsables-Acc. “Les gardiens restaient responsables”
b.
?al-Hurrâs-u Zall-û mas?ûl-îna Les gardiens rester-Pass.-3MP responsables-Acc. “Les gardiens restaient responsables”
Comme kâna, les verbes qui appartiennent à sa classe, Zalla,?aSbaHa, etc., se comportent morphologiquement comme des verbes ordinaires. Supposons que les éléments de cette classe dans des constructions telles que (38) ou (39) soient des verbes, mais des verbes légers (Light Verbs). Ces verbes sont incapables d’assurer une relation de prédication sans coexister avec un autre prédicat : (40)
*Zalla/ kâna/?aSbaHa l-Hurrâs-u
Les constructions comme (40) sont agrammaticales puisqu’il n’y a pas d’autre prédicat combiné avec les verbes faibles; ce qui montre qu’une telle combinaison est nécessaire. Un verbe est appelé‚ faible parce qu’il assigne un Cas à l’objet qu’il sous-catégorise sans pouvoir assigner le θ-rôle21. Sa combinaison avec le prédicat qui lui assigne le Cas forme un prédicat complexe. C’est ce prédicat complexe qui pourrait assigner le θ-rôle externe au sujet. Dans ce sens un verbe de type kâna est transitif mais son complément n’est pas un argument. Par ailleurs, si on admet que dans la phrase nominale, la copule existe en syntaxe comme V et, par conséquent, comme tête verbale, cette tête 21
Voir Jesperson (1954), Cattell (1984) et Grimshaw (1988).
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
135
devrait projeter une projection VP, une projection dont l’argument externe est le sujet et l’argument interne est l’objet. Supposons que la phrase nominale dans une langue comme l’arabe soit présente en D-Structure comme suit: (41)
[VP [Spec NP [V’[V cop] [XP]]]]
La phrase nominale aura donc la même structure que la phrase copulative dans les langues indo-européennes. Selon cette hypothèse, le sujet de la phrase nominale, comme celui de la phrase verbale, sera engendré‚ dans SpecVP, alors que le prédicat se comporte comme le complément du verbe copulatif. Supposons maintenant que toute projection lexicale n’est légitimée que si elle est c-sélectionnée par une tête fonctionnelle qui porte le même trait catégoriel, sachant qu’une tête fonctionnelle peut aussi sélectionner une autre catégorie fonctionnelle: (42)
[FP [F’ F(i)][LP [L’L(i) ]]]]
En d’autres termes la structure copulative telle qu’elle est présentée dans (40) doit être dominée par une projection ou des projections fonctionnelles portant un trait verbal. La catégorie F dans (42) qui est la flexion peut être dissociée comme dans la structure syntaxique que nous avons adoptée pour la phrase verbale22:
(43)
[[Agr [T [Asp [V]]]]]
Supposons que la structure (43) soit pertinente non seulement pour les constructions du verbe de type kâna mais aussi pour les constructions dans lesquelles le verbe n’est pas réalisé lexicalement en surface comme dans (34). Rappelons que la différence entre les deux types de phrases nominales est dans le trait de temps [+/- présent]. Pour étendre la structure (43) aux constructions dépourvues de verbe, nous supposons qu’un verbe nul, tête
22 IP sera la projection étendue de cinq positions au moins: I, I’, V, V’, VP. Il en va de même pour la projection étendue de DP qui a, lui aussi, cinq positions étendues: D, D’, N, N’, et NP.
136
Partie II, Chapitre II
de VP, existe en syntaxe même s’il est lexicalement nul. S-Structure (43b) présente le domaine de VP d’une construction comme (43a): (44) a.
haða Sadîq-î Celui-là ami-mon-Gén. “Celui-là est mon ami”
[Spec [F [VP [Spec celui-là [V’[V [e]][Sadq-î]]]]
b.
Si (44a) et (44b) sont possibles, nous pourrons en tirer des conséquences considérables sur la syntaxe des propositions:
a) La phrase nominale est en fait une phrase verbale. b) la phrase nominale et la phrase verbale peuvent avoir la même structure syntaxique, le VP dans les deux types de propositions contient à la fois le sujet et le prédicat.
Rappelons qu’une tête et son complément ne peuvent pas constituer la même projection étendue, tous les deux partagent les mêmes traits suivants (42), c’est le cas de I avec VP et de D avec NP mais pas de D avec VP ni I avec DP. Ainsi DP ne doit pas appartenir à la même projection que V même si ce DP est le complément d’objet direct de ce verbe; (cf. Grimshaw (1991)). (i) ?ax-î fi ?ald-dâr-i ?al-âna /*Radan /*?amsi frère-mon dans le maison-OBL maintenant/*demain/*hier “Mon frère est à la maison maintenant/*demain/*hier”
Les contrastes dans (i) montrent que lorsque la copule (ou le verbe) est nulle, seuls les adverbes du présent sont possibles alors que les adverbes du passé et du futur sont exclus. Cela implique que le temps dans des constructions comme (i) est bien le présent et non pas le passé ni le futur. (ii) kâna ?ax-î fi ?ald-dâr-i ?amsi/*Radan/*l-?âna
(iii)
Etre-Pass-3MS frère-mon dans le maison-OBL “Mon frère était à la maison”
sa-yak–nu ?ax-î
fi
?ald-dâr-i Randan/*?amsi/*l-?âna
Etre-Fut-3MS frère-mon dans le maison-OBL “Mon frère sera dans la maison”
Les contrastes (ii) montrent qu’avec kâna le passé est le seul temps possible, alors que c’est le futur qui est introduit par le préfixe sa- dans sa-yaku–nu. Dans (i) les adverbes du futur ou du présent sont exclus alors que dans (ii) ce sont les adverbes du passé et du présent qui sont exclus.
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
137
c) La structure syntaxique de la phrase nominale dans des langues comme l’arabe et celle de la phrase copulative sont unifiées23. d) Dans la syntaxe des propositions, en arabe comme dans d’autres langues, le verbe est la seule catégorie capable d’assurer une relation de prédication. Par conséquent, les autres catégories non verbales DP, AP et PP ne sont pas vraiment des prédicats mais plutôt ce que nous pouvons appeler des prédicats compléments. Ces derniers montent d’une position Spec vers une autre Spec (Spec to Spec movement), alors que le verbe monte d’une tête vers une autre (Head to Head movement).
3- Marquage casuel du prédicat et du sujet Le marquage casuel est un argument fort en faveur de l’existence d’un VP dominé par une ou plusieurs catégories fonctionnelles dans la phrase dite nominale en arabe. Rappelons que le prédicat nominal ou adjectival a besoin d’un Cas. La nature de ce Cas dépend de la position que le prédicat occupe en S-Structure. Ainsi le prédicat peut porter soit le Cas nominatif, quand le verbe est lexicalement nul, soit le Cas accusatif, quand le verbe est lexicalement présent ou visible: (45) a. Suj. Nom. Préd. Nom. b. &umar-u ?al-mas?ûl-u Omar-Nom. responsable-Nom. ʺOmar est le responsableʺ (46) a. b.
23
Suj. Nom. Préd. Acc. kâna &umar-u ?al-mas?ûl-a était Omar-Nom le-responsable-Acc. ʺOmar était le responsableʺ
En français et en anglais, tout indique que la copule doit être analysée comme un verbe, cf. Moro (1991), entre autres. La même chose est vraie en gallois, cf. Rouveret (1993).
138
Partie II, Chapitre II
Les constructions (45) et (46) différent non seulement par la réalisation ou non réalisation du verbe, mais aussi par la nature des Cas des prédicats compléments. Si l’hypothèse du verbe, qui gouverne le prédicat complément, est appropriée pour les deux constructions, pourquoi le Cas du prédicat de l’une est-il différent de celui de l’autre24. En effet, c’est (45) qui nous pose un problème alors que (46) au contraire confirme notre analyse. Dans (46), il s’agit bien du Cas accusatif assigné par la chaîne qui inclut le verbe kâna, T et Agr. L’analyse de kâna comme verbe et non pas comme marqueur de T peut expliquer l’origine du Cas accusatif, autrement, la source de ce Cas resterait inconnue25. 24 Concernant le Cas nominatif (NOM), Cas du mubtada? (thème) et du xabar (rhème), Sibawayh et la majorité des grammairiens arabes ont supposé que le mubtada? reçoit son Cas nominatif par la notion de l-?ibtidâ? (commencement) (cf. Abbâs Hassan T1 p.47), Ralâyînî T.2 pp.254–262, entre autres, alors que le Cas nominatif du xabar est “assigné‚” par le mubtada?. En revanche certains grammairiens de Koufa adoptaient l’idée d’une assignation mutuelle entre le mubtada? et le xabar. 25 Moro (1991) cite des exemples du latin où le sujet et le prédicat d’une phrase copulative portent le même Cas morphologique: (i) Caesar dux est. Nom. Nom. dicunt Caesarem Acc. Acc.
ducemesse
Guéron (1992) cite le russe qui observe le même phénomène où le sujet et le prédicat prennent le même Cas: (ii) On student Nom. Nom. lui étudiant ʺLui est étudiantʺ
Guéron (ibid.) distingue entre le sujet et le prédicat en termes de Cas, le premier est marqué par un Cas structural et le deuxième par un trait du Cas: “ Le Cas structural est assigné à un SN en syntaxe par le marqueur de Cas qui le gouverne. Un trait de Cas est hérité sur la base de l’accord sujet-prédicat.” (Gueron ibid p. 7) Cette distinction est nécessaire pour une théorie du Cas, parce que le Cas n’est pas toujours assigné ou vérifié sous gouvernement mais il peut être hérité aussi notamment dans des phénomènes de modification ou d’apposition.
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
139
En revanche, le Cas nominatif ou neutre assigné au prédicat complément dans (45) reste problématique. Nous serons obligé de parler d’un Cas par défaut; or, l’opérateur nul en position de V, comme toute tête vide, n’a pas la capacité d’assigner le Cas. En d’autres termes, la copule ne serait capable d’assigner le Cas accusatif et par conséquent de remplir son rôle comme verbe que si elle a un contenu lexical. Dans le cadre de la théorie minimaliste de Chomsky (1992), le Cas est vérifié strictement par SHA, le prédicat qui monte dans Spec Asp ne peut pas s’accorder avec le verbe qui est nul. Par conséquent aucun Cas ne sera assigné. En d’autres termes, le prédicat ne peut pas vérifier son Cas dans Spec AspP étant donné qu’il n’y a pas d’accord entre le V nul qui monte dans Asp et le prédicat qui monte dans Spec AspP. Par conséquent, le prédicat complément est obligé de monter plus loin vers SpecTP, une position où seul le Cas nominatif peut être vérifié. C’est la raison pour laquelle le pédicat reçoit le Cas nominatif au lieu du Cas accusatif (cf. ex.46). Par ailleurs, si le sujet reçoit le nominatif indépendamment de la nature du verbe réalisé ou pas, il peut recevoir aussi l’accusatif par le complémenteur?inna: (47)
?inna &umar-a ?al-mas ?–l-u COMP Omar-Acc le responsable-Nom. “Certes Omar est le responsable”
La question qui se pose est de connaître la position dans laquelle le sujet dans une construction comme (47) reçoit le Cas accustif.
Cependant le prédicat dans la phrase copulative en arabe ne copie ou n’hérite pas toujours du Cas de l’argument. Il arrive souvent qu’il porte un Cas différent de celui du sujet. Ce qui permet d’écarter l’hypothèse du Cas par héritage. En effet, Guéron a rendu compte des phrases où le prédicat ne porte pas le même Cas que le sujet. Ce fait est observé en russe et en anglais:
(iii) On bil studentom (iv) The book is [PP on the table] Le cas du prédicat n’est plus un trait casuel hérité mais un Cas srutctural assigné par l’affixe instrumental OM en russe et la préposition on en anglais.
140
Partie II, Chapitre II
4- Focalisation dans la phrase verbale Par ailleurs, dans la phrase nominale, le prédicat complément peut précéder le sujet comme dans les constructions suivantes:
(48) a.
Préd. Nom. Suj. Nom.
b.
?al-mas?ûl-u &umar-u le-responsable-Nom. Omar-Nom. “Le responsable est Omar”
Préd. ACC Suj. NOM
(49) a.
b.
kâna?al-mas?ûl-a &umr-u était le-responsable-Acc. Omarr-Nom. “Omar était le responsable”
Préd. ACC Suj. NOM
(50) a.
b.
?inna ?al-mas?ûl-a &umar-u COMP le-responsable-Nom. Omar-Nom. “Certes le responsable est Omar”
Si le prédicat est déplacé, il est nécessaire de déterminer son site d’arrivée. Les positions candidates sont soit Spec AgrP soit une autre position au-dessus de AgrP. En tout cas, pas au-dessous d’Agr. Il est possible de supposer que dans les constructions (48–50), le prédicat monte dans Spec AgrP. Cette position serait disponible étant donné que le sujet reste dans Spec TP. Une telle inversion n’est pas exclusive à l’arabe puisqu’elle est observée aussi dans les langues indo-européennes.
(51)
a. b.
Jean est mon meilleur ami Mon meilleur ami est Jean
(52) a. b.
John is my best friend John est mon meilleur ami My best friend is John
Cet ordre inversé suivant Moro (1991), est dérivé par le mouvement soit du sujet soit du prédicat vers SpecIP26: 26 Cf. Ruwet (1975), Heggie (1988), Moro (1991).
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
141
(53) [IP [Spec IP Jean(i) [I’ [I est] [VP tV ] [SC [NP t(i) [NP mon meilleur ami ]]] (54) [IP [Spec IP Mon meilleur ami(i) [I’ [I est] [VP tV ] [SC [NP Jean [tNP(i) ]]]
Guéron (1992) avance un argument contre la possibilité de cette montée substitutionnelle du sujet et du prédicat dans la même position (SpecIP), puisque les deux éléments ont deux domaines syntaxiques différents l’un de l’autre, suivant la définition de la prédication et la règle de l’identification des fonctions interprétatives: (55) Prédication: Tout IP se compose d’un sujet et d’un prédicat; Le sujet est l’argument qui lie le morphème accord du prédicat en syntaxe.et qui lie une place dans le prédicat en LF.
(56) L’identification des fonctions interprétatives (IFI): XP est un argument s’il est Cas-marqué et XP est un prédicat s’il est T-marqué.
En supposant qu’une chaîne syntaxique doive être soit casuellement marquée soit T-marquée, suivant (56) (IFI), Guéron conclut qu’une chaîne qui contient à la fois un XP marqué pour le Cas qui la définit comme argument, et un XP porteur de marque de T, qui l’identifie en tant que prédicat, est incohérente en FL. En fait ce qu’on appelle habituellement prédicat dans la phrase copulative peut être un trait‚ comme prédicat complément, ainsi la prédication s’effectue entre le sujet et un prédicat complexe qui comporte à la fois le verbe léger (light verb) et le prédicat nominal, adjectival ou prépositionnel. Pourtant le prédicat complément est casuellement marqué comme nous l’avons souligné. En d’autres termes, le prédicat complément est casuellement marqué par le verbe avec lequel il forme un prédicat complexe. Dans l’esprit de cette analyse, rien n’empêche la montée du prédicat dans une autre position au-dessus, telle que Spec AgrP. Dans une telle position, le prédicat déplacé peut recevoir le Cas accusatif s’il est gouverné par C, comme dans (50), sinon il peut garder son Cas nominatif ou neutre. Par ailleurs, Rouveret (1993) a démontré qu’en gallois, le prédicat avec la copule yw (ou ydyw) qui est une forme bod (être) monte dans Spec CP alors que le sujet s’installe dans Spec AgrP. Le prédicat déplacé dans Spec CP, A’-position, est interprété comme focus de la phrase:
142
Partie II, Chapitre II
(57)
Un twp yw Siôn Quelqu’un stupide Siôn “Siôn est quelqu’un de stupide”
(58)
Meddyg yw Siôn docteur est Siôn “Siôn est docteur”
Dans la dérivation des constructions à prédicat initial, telles que (56) et (57), et pour légitimer la relation entre le prédicat nominal et le sujet en gallois, Rouveret suppose deux opérations de mouvement, la montée du prédicat dans CP et de la copule dans C. Ainsi les phrases copulatives admettent une dérivation similaire à celles des propositions à V second dans les langues germaniques. Le prédicat déplacé dans Spec CP et la copule dans C portent le trait [+Foc], l’accord est vérifié dans la configuration Spec-tête27. De même en arabe, l’interprétation des énoncés dans lesquels le prédicat complément précède le sujet, (48) et (50), contrairement à (45) et (47), sont des énoncés marqués, i.e., le déplacement du prédicat provoque une lecture de focalisation. Suivant cette lecture, le prédicat après son déplacement par-dessus le sujet serait affirmé ou focalisé. Cela implique que le site d’arrivée du prédicat doit convenir à cette interprétation qui est en fait une focalisation de l’élément déplacé. Supposons que le site d’arrivée soit une projection autonome qui n’existe que dans le cas de la focalisation d’un constituant, prédicat ou sujet et appelons cette projection FocP qui domine immédiatement AgrP28. Le prédicat pourrait donc être déplacé dans le spécificateur de cette projection (Spec FocP), alors que le verbe monte dans Foc, l’accord entre les éléments‚ étant obligatoire, l’output d’une telle opération est la construction suivante: (59) 2 7 28
?al-mas?ûl-a kân-a &umar-u le-responsable-Acc être-Pass.3MS Omar-Nom. “Le responsable était Omar”
cf. Brody (1990). FocP peut éventuellement être dominé par un CP.
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
143
Le verbe kâna peut monter plus loin dans C tout en gardant le prédicat dans Spec Foc, une telle opération permet de dériver la construction suivante: (60)
kân-a ?al-mas?ûl-a &umar-u être-Pass.3MS le-responsable-Acc Omar-Nom. “Le responsable était Omar”
Une projection FocP peut aussi intervenir entre AgrP et CP comme dans (57) où la position C est occupée par?inna et le verbe kâna reste dans la tête de Foc: (61)
?inna?al-mas?ûl-a kân-a &umar-u COMP le responsable être-Pass-3MS Omar-Nom “Certes le responsable était Omar”
Comme nous l’avons souligné ci-dessus, la présence de PRON est facultative. Cependant, l’interprétation de la phrase change selon sa présence ou son absence. Les deux cas sont différents et ne doivent pas être analysés de la même façon. En d’autres termes, la présence de PRON indique une focalisation du sujet ou du prédicat: (62) a.
hind-u hiya ?al-latî jâ?-at Hind-Nom elle qui venir-Pass.3FS “C’est Hind qui est venue”
?al-latî jâ?-at hiya hind “Celle qui est venue est Hind”
b.
Les constructions (59) et (60) présentent une focalisation, respectivement, du sujet et du prédicat. Dans les deux cas, l’élément focalisé, en tant que projection maximale, monte dans Spec FocP alors que PRON occupe la position de cette projection (FocP). Ces constructions de focalisation peuvent être dominées par la projection CP: (63) a.
?inna hind-a hiya?al-latî jâ?at COMP Hind-Nom elle qui venir-Pass.3FS “C’est Hind qui est venue”
?inna ?al-latî jâ?at hiya hind-u “Celle qui est venue est Hind”
b.
144
Partie II, Chapitre II
La paire (60) montre la nécessité d’une projection intermédiaire FocP entre AgrP et CP. Or, dans (60a) comme dans (60b), deux constituants séparent C de Agr. Le prédicat ou le sujet déplacé d’une part et PRON d’autre part, alors qu’entre les deux têtes une seule position (projection maximale) est disponible, Spec AgrP. En d’autres termes, dans une construction où le sujet ou le prédicat est focalisé, il faut prévoir deux positions syntaxiques, la première accueille le sujet ou le prédicat déplacé et la seconde accueille PRON, ce qui implique qu’entre CP et AgrP, il faut une troisième projection maximale que nous avons appelée FocP: (64) a. b.
nabîl-u ?al-?ustâð-u Nabil-Nom. le-professeur-Nom. “Nabil est professeur” nabîl huwa?al-?ustâð-u Nabîl lui le-professeur-Nom. “C’est Nabil qui est professeur”
Ainsi (61a) et (61b) n’ont pas la même structure syntaxique, i.e., la première construction doit être présentée sous AgrP alors que la seconde sous FocP. Nous avons montré que la phrase nominale peut avoir la même structure syntaxique que la phrase verbale. Le prédicat complément est gouverné par un verbe léger de type kâna. Un tel verbe qui assigne le Cas accusatif à son complément avec lequel il forme un prédicat complexe pour assigner le Ө-rôle au sujet. Nous avons montré aussi que le prédicat peut avoir un Cas et que le marquage casuel n’est pas limité aux arguments. Le prédicat dans la phrase nominale comme le verbe dans la phrase verbale a besoin d’un Cas. Dans le cadre de cette analyse, la différence entre la phrase nominale et la phrase verbale posée dans la grammaire traditionnelle ou héritée de cette grammaire, est considérablement réduite. En bref, la détermination de la structure syntaxique de la phrase nominale était nécessaire pour identifier la nature catégorielle de PRON. Nous avons montré que, contrairement aux analyses courantes, cet élément, PRON, n’est ni un verbe ni une flexion mais bel et bien un pronom qui redouble un focus. La phrase avec PRON est toujours une phrase marquée en AS comme en AM; sa présence dans Foc légitime le prédicat ou le sujet
La nature de PRON et l’ordre dans la phrase nominale
145
focalisé dans Spec FocP, dans une configuration d’accord entre tête et son spécificateur (Spec-Head Agreement). Cela implique l’existence d’une projection FocP qui domine AgrP et qui peut être dominée par CP. Le prédicat, comme le sujet doit avoir un Cas selon la position syntaxique qu’il occupe, nominatif dans Spec TP et accusatif dans Spec Agr. L’analyse avancée ci-dessus pour la phrase nominale n’est qu’un pas vers une syntaxe cohérente, générale et universelle de la phrase en arabe. La structure de la phrase, avancée dans les deux derniers chapitres, va nous servir pour résoudre des problèmes de l’ordre des clitiques objets. Ce dernier type d’ordre plus l’ordre entre un sujet et un clitique objet sont des problèmes étroitement liés à la structure de la phrase.
CHAPITRE III
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
Nous supposons d’ores et déjà que toute dérivation linguistique jugée grammaticale doit être économique. Les conditions d’économie linguistique interdisent toute opération inutile, qu’elle soit dans la dérivation ou dans la représentation. Dans ce chapitre, nous allons poser deux problèmes. Le premier concerne le rapport morphosyntaxique entre les trois formes de pronoms : pronom indépendant, pronom clitique et pronom implicite dit pro. Le second problème est de savoir comment ces formes pronominales peuvent entrer en distribution complémentaire, d’où la nécessité de préciser ce qui détermine le choix prioritaire de l’une de ces formes pronominales par rapport aux autres. En effet, le rapport morphosyntaxique et la distribution complémentaire entre les différentes formes pronominales peuvent être illustrés dans un système hiérarchique basé essentiellement sur la condition du moindre effort, au sens phonétique du terme. La syntaxe doit aussi jouer un rôle considérable dans l’élaboration de ce système. Ainsi, la dérivation et le choix de chaque forme pronominale n’est plus arbitraire, étant donné les hiérarchies qui gouvernent les occurrences de chacune des trois formes.
1- Éviter le pronom Chomsky (1981) a avancé un principe qui met en jeu le pronom vide et le pronom plein et qui privilégie la première forme par rapport à la deuxième. Ce principe est d’éviter le pronom, désormais désigné par PEP :
148
Partie II, Chapitre III
(1) Éviter le pronom
Le PEP est justifié par le fait que la réalisation phonétique d’un pronom (plein) est toujours couteuse par rapport au pronom vide (implicite); on devrait donc effectuer la dérivation la moins couteuse en évitant la forme pronominale couteuse1. En d’autres termes, l’occurrence du pronom plein doit toujours être évitée lorsqu’un pronom nul est possible2. Chomsky qualifie le PEP de principe universel, dans la mesure où ce principe exprime une propriété linguistique fondamentale dont toute langue a besoin. On peut distinguer deux interprétations du PEP en fonction de son degré d’application. La première considère que le choix de la forme pronominale nulle est préférable à celle du pronom plein ; mais un choix inverse n’est pas forcément exclu tant qu’il ne touche pas la grammaticalité de la phrase. Le PEP dans ce sens semble donner des lectures préférées plutôt que des jugements de grammaticalité. Or, ce qui détermine en premier lieu le choix de l’une ou l’autre des deux formes pronominales, selon cette interprétation, ce ne sont pas vraiment des facteurs syntaxiques, mais plutôt des facteurs pragmatiques. En d’autres termes, l’application d’un tel principe en syntaxe n’est pas obligatoire. La seconde interprétation exige l’application obligatoire du PEP : pour une raison syntaxique ou une autre, un pronom nul (pro ou PRO) est souvent préférable à un pronom plein3 :
(2)
1
A propos du terme pronom dans le principe (1) de Chomsky (ibid), il faut souligner deux choses, la première c’est que ce pronom est phonétiquement plein (full/ ouvertpronoun) vs. pronom implicite, phonétiquement vide, la seconde est que ce pronom phonétiquement plein a une forme morphologiquement indépendante vs. une forme clitique. Les deux formes de pronom ne se distinguent selon Chomsky qu’au niveau de surface et précisément par la réalisation phonétique, tandis qu’au niveau profond, elles ont des propriétés semblables puisqu’elles consistent toutes les deux en une matrice de traits d’accord : parsonne, nombre et genre. cf. Bouchard (1983) et Montalbetti (1984)
2
3
a.* b.
je veux que j’aille voir ce film. je veux [PRO] aller voir ce film
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques (3) a. b.
149
I want I go to the movie I want to go to the movie je vouloir-PRS aller au cinéma. (comme (2b)).
En effet, si on admet que PEP est un principe syntaxique, son application ne doit être ni pragmatique ni extralinguistique. En d’autres termes, la syntaxe formelle doit dire son mot dans le choix entre les deux formes pronominales plein et vide4 . Admettons que la seconde interprétation soit plus forte que la première; la question suivante se pose alors : existe-il des contraintes syntaxiques qui justifient PEP ? Dans ce sens Montalbetti (1984) abonde dans ce sens en proposant une contrainte sur le pronom plein CPP (Overt Pronoun Constaint) ainsi définie : (4) les pronoms pleins ne peuvent pas être liés par une variable si l’alternance pronom plein / pronom vide est obtenue.
La contrainte CPP qui est une des versions de PEP ne laisse pas le choix libre entre pro et pronom plein. Bien au contraire, elle exige pro en excluant le pronom plein chaque fois que l’alternance ou le choix entre les deux formes est observée: le pronom plein ne peut pas être lié par une variable comme pro peut le faire. Les paires (5) et (6) du catalan montrent le contraste entre le pronom elle et pro dans cette langue5 : (5) a. [Ningu´(i)] [t(i/*j)] no creu que [ell(j)]és intelligent “personne ne croit qu’il est intelligent ” b.
4
5
[Ningu´] [t]no creu que ésintelligent . “personne ne croit que pro est intelligent ”
En fait, il n’est pas facile d’expliquer le choix entre les deux formes pronominales en termes syntaxiques. En outre, la distribution entre les deux pronoms et plus compliquée qu’on imagine : contrairementà ce que laisse entendre le PEP, dans le choix en question, le pro n’est pas toujours la forme pronominale privilégiée, il arrive que l’inverse (pronom plein) soit même obligatoire, comme on verra plus bas. Pour vérifier CPP, Montalbetti (ibid) fait appel à plusieurs exemples de langues indo-européennes ou autres : l’espagnol, le portugais, le japonais et le chinois.
150
Partie II, Chapitre III
(6) a.
[qui] [t]creu que [elle] és intelligent. “qui croit qu’[il] est intelligent ”
b. [qui] [t] creuque és intelligent. “Qui croit que [pro] est intelligent ”
En fait, la distinction des deux formes pronominales suivant la CPP reste interprétative puisque c’est seulement l’interprétation du pronom plein comme élément lié à une variable qui est exclue (cf. (5a) et (6a)). Par ailleurs, l’interprétation forte de PEP peut trouver une motivation solide dans le phénomène de pro drop. Dans les langues à sujet nul, appelées aussi langues pro drop, la position sujet doit être impérativement ou préférablement occupé par un pronom phonétiquement nul au lieu d’un pronom plein. On peut distinguer deux classes de langues pro-drop suivant la possibilité ou non de réaliser un pronom plein à la place d’un pro. Dans les langues romanes pro drop comme l’espagnol ou le portugais, le pro est en distribution libre avec le pronom plein : la position sujet doit être occupée par un de ces éléments : (7) a.
tienen la suerte ont la chance “Elles/ ils ont de la chance ”
b.
Ellastienen la suerte. “Elles ont de la chance ”
(8) a. tem suerte ont chance “Ils/elles ont de la chance”
b.
Elas tem suerte “Elles ont de la chance”
En revanche, en arabe, le pronom plein ne peut en aucun occuper la position de pro : (9) a.
Haqqaq-na n-nasr-a remporterer-Pass-3FP la-victoire-Acc “Elles ont remporté la victoire”
b. *Haqqaq-a hunna ?aln-naSr-a “réaliser-3MS elles la-victoire-acc” “Elles ont remporté la victoire ”
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
151
Toutefois, un pronom indépendant comme hunna (elles) dans (9b) peut monter de la position Spec VP vers la position Spec AgrP; à la suite d’une telle montée, il y aura un déclenchement d’accord riche, le résultat en étant la construction (10) qui contraste avec (9b) : (10)
Hunna Haqqaq-na n-naSr-a Elles réaliser-Pass-3FP la-victoire-Acc. “Elles ont remporté la victoire”
On peut donc conclure que dans certaines langues pro drop comme l’espagnol, le portugais ou l’italien, le pronom indépendant, comme le NP lexical, peut remplacer un pro et vice-versa avec la même forme d’accord. Dans d’autres langues pro drop comme l’arabe, ce remplacement n’est pas possible sans que la forme d’accord soit changée. Le pro, dans toutes les langues pro drop, peut remplacer NP ou un pronom indépendant mais l’inverse n’est pas possible pour toutes ces langues : certaines, comme l’espagnol et le portugais, permettent ce remplacement, d’autres, comme l’arabe standard, ne le permettent pas. Ces propriétés distinctives au sein des langues pro drop dépendent surtout de la nature de l’accord dans les deux types de langues. Si dans certaines langues romanes, le même Agr semble légitimer un pronom nul (pro) comme un pronom plein ou un NP lexicale, en arabe Agr qui légitime pro ne légitime ni un pronom plein ni le NP lexical en position post-verbale. Il est possible de généraliser cette analyse aux langues romanes pro drop en les considérant comme des langues orientées vers le topique : ainsi le NP ou le pronom plein préverbal serait considéré comme topique alors que la position sujet syntaxique est occupée par un pro : (11)
No entiendolo que te preoccupa Ne comprends pas ce qui te préocupe “Je ne comprends pas ce qui te préocupe”
Yo no entiendolo que te preocupa (comme (11))
(12)
Par ailleurs, une analyse alternative peut réduire la différence entre une langue pro drop, comme l’arabe, et une autre comme l’espagnol. Suivant les langues, le sujet peut rester en position postverbale, ce qui donne l’ordre Verbe Sujet Objet (VSO), comme il peut monter par-dessus vers SpecAgr,
152
Partie II, Chapitre III
ce qui donne l’ordre SVO. Nous avons vu que l’arabe observe les deux stratégies, ce qui les distingue l’une de l’autre c’est la nature même de Agr. Cette nature n’est pas intrinsèque mais elle dépend plutôt de la position du sujet en S-Structure. En d’autre termes, le déclenchement de l’accord dit riche est lié à la montée du sujet vers specAgrP, par contre cette forme riche ne sera pas déclenchée si le sujet ne monte pas par-dessus Agr. Si les deux stratégies sont observées en arabe, une langue comme l’espagnol n’en observe qu’une seule puisque la montée du sujet vers SpecAgrP est obligatoire. La forme riche de AGR, par conséquent est, elle aussi, obligatoire. Ainsi la différence entre la nature de l’accord (Agr) dans les deux types de langues peut être expliquée syntaxiquement en dépendance avec la montée du sujet ou pas : dans les unes cette montée est obligatoire et dans les autres elle est facultative. Revenons maintenant au principe d’éviter le pronom présenté dans (4) ci-dessus. Ce principe, qui doit être un des éléments de la théorie de l’économie linguistique, restreint l’occurrence des pronoms pleins et favorise les pronoms nuls. Dans certaines langues où la forme pronominale clitique n’est pas disponible, l’anglais moderne par exemple, le choix se fait entre le pronom vide et le pronom indépendant. Par contre dans d’autres langues, ce choix est plus ouvert, du fait que le recours aux trois formes pronominales : vide, clitique et indépendante est possible. Les deux formes pronominales phonétiquement réalisées, clitique et indépendante, sont en distribution complémentaire. Chaque forme pronominale a son contexte structurel : aussi, le choix entre ces deux formes n’est-il jamais tout à fait libre, il existe même des contextes où seul le pronom clitique est possible, rendant impossible l’apparition du pronom indépendant. La syntaxe des pronoms doit expliquer pourquoi le pronom indépendant est toujours évitable dès que la réalisation du pronom clitique ou vide est possible. Supposons que le choix entre les deux formes pronominales vide et plein soit gouverné par une contrainte générale que nous formulons dans (13) et qui découle de la condition du moindre effort :
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
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(13) Entre α et β, le choix de β est écarté ssi α demande moins d’effort que β6.
Le champ d’application de (13) est très général puisqu’il peut s’appliquer à tous les niveaux linguistiques, notamment en phonologie, en morphologie et en syntaxe. En outre, (13) peut dépasser le cadre strict des pronoms et s’appliquer à d’autres phénomènes linguistiques. En d’autres termes, la portée empirique de la condition du moindre effort est très large. Néanmoins, nous en limiterons à la discussion du phénomène des pronoms en général et du pronom clitique en particulier. Au point de vue phonologique, la comparaison entre la forme des pronoms clitiques et celle des pronoms indépendants montre que la première forme a toujours la priorité par rapport à la seconde. Cette priorité est conçue en vertu de la condition (13) dans un système hiérarchique. Or, la structure phonologique du pronom indépendant exige plus d’effort que celle du pronom clitique. Cela parait clair au moins à deux niveaux : la structure syllabique et l’accentuation. Concernant la structure syllabique, le pronom clitique en arabe est soit monosyllabique (tumâ, tunna, etc.) alors que le pronom indépendant est soit bisyllabique soit trisyllabique ?ant-umâ/ ?ant-un-na ,etc). Donc, le pronom indépendant en arabe a toujours une syllabe de plus que le pronom clitique. De ce fait, la forme clitique est plus économique que la forme indépendante. Admettons donc une hiérarchie ou le pronom clitique est prioritaire par rapport au pronom indépendant et qu’on peut représenter comme suit : (14) Forme clitique ˃ forme indépendante.
Dès que la réalisation de la forme supérieure est possible, la seconde qui est inférieure n’est plus possible, d’où le contraste entre (15) et (16) : 6
Le mot effort est utilisé ici au sens phonétique du terme (cf. Martinet, 1960). Les exemples d’économie linguistique de nature phonétique sont multiples ; nous nous limitons ici à quelques-uns : La comparaison entre l’arabe standard (AS) et l’arabe marocain (AM) permet une bonne illustration de ce phénomène. Ainsi, un verbe comme kataba (écrire) ou maṨâ (aller) en AS se réduit respectivement à Ktab et mṨa en AM. Cela implique que ce dernier choisit une structure plus réduite que celle existant en AS, avec moins de voyelleset donc moins de syllabes.
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Partie II, Chapitre III
(15) a. wasal-ȗ fi ?al-maw&id-i arriver-Pass-3MP à l’heure-Obl. “Ils sont arrivés au rendez-vous” b.* wasal-a hum fi ?al-maw&id-i arriver-Pass-3MS. ils à l’heure-Obl. (16) a. ra ?ay-tu-ka voir-Pass-IS-CL.3S.Acc . “Je t’ai vu” b.*
ra ?ay-tu * ?iyyâ-ka /*?anta) voir-Pass-1S toi. “J’ai vu toi ”
Dans la position sujet (15b) comme dans la position objet (16b), la présence du pronom indépendant rend la structure agrammaticale puisqu’il peut être remplacé par un pronom clitique : comme dans (15a) et (16a). Ceci admis, nous pouvons proposer une généralisation qui met en jeu la complémentarité entre le pronom plein et le pronom clitique et qui donne la priorité à ce dernier : (17) Eviter α si β est possible : α étant un pronom indépendant et β un pronom clitique.
En revanche, les contrastes dans (15) et (16) n’illustrent qu’une partie des contextes où le clitique est gouverné par un verbe. En d’autres termes, nous considérons que la capacité générative de (17) est tellement forte qu’elle pourrait s’appliquer à tous les autres contextes où l’élément pronominal peut apparaître. Rappelons que le clitique en arabe peut être complément de N, P, A,V et de C. le paradigme ci-dessous montre que chaque fois qu’il y a un conflit exprimé dans (17) entre les deux formes pronominales, la forme clitique l’emporte : (18) a. ?i-ltaqay-tu ?axâ-hu rencontrer-Pass-IS frère-Acc-CL-Gén. “j’ai rencontré son frère lui” b.* ?i-ltaqay-tu ?ax-â huwa rencontrer-Pass-IS frère-Acc. lui. * “ j’ai rencontré frère lui”
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
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(19) a. ?iltaqay-tu bi-ka rencontrer-Pass-IS avec-CL(2S)-Obl. “j’ai t’ai rencontré” b. *?i-ltaqay-tu bi ?anta rencontrer-Pass-IS avec toi. * “j’ai rencontré avec toi” (20) a . ?a-&taqid-u ?anna-ni ?i-ltaqaytu-hu croire-Prés-IS que-moi rencontrer-Pass-IS-CL-Acc. “Je croix que je l’ai rencontré”
b. *?a-&taqidu ?anna ?anâ ?i-ltaqaytu-hu croire que moi rencontrer-Pass-IS-CL.3MS.
Nous avons donc besoin d’une contrainte comme (17) qui complète le principe d’éviter le pronom (PEP) présenté dans (1) ci-dessus. La combinaison des deux permet de mettre en jeu les trois formes pronominales vides, clitique et pronom indépendant, dans une hiérarchie plus étendue. L’usage des pronoms et le choix entre les types pronominaux précités n’est pas du tout arbitraire. Au contraire, il existe toute une hiérarchie qui détermine ce choix en arabe à l’aide d’une généralisation comme (17) ou d’un principe PEP. La condition du moindre effort est essentielle dans la formation de la hiérarchie pronominale. Une comparaison entre les éléments pronominaux impliqués dans cette hiérarchie nous indique que le pronom plein constitue un mot morphologiquement indépendant, alors que le pronom clitique est toujours affixé à un autre élément auquel il est nécessairement incorporé. Du point de vue phonétique, la réalisation du clitique demande moins d’effort que celle du pronom indépendant. En revanche un élément nul phonétiquement demande encore moins d’effort que les deux autres. Cela admis, nous pouvons avancer la généralisation suivante7 : (21) Eviter le pronom inférieure dans la hiérarchie suivante autant que possible : Pronom indépendant ˂pronom clitique˂ pronom nul. 7
En effet, une telle hiérarchie a été exprimée informellement par les grammairiens arabes anciens en avancant par la notion d’ ?ixtasâr (abréviation), cf. Al- ?astarâbâδi, T2,p.10, entre autres).
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Partie II, Chapitre III
(21) englobe (1) et (17) en mettant en jeu l’ensemble des formes pronominales. La hiérarchie (21) est donc plus générale, avec une capacité générative plus forte que celle de (1) ou de (17). Considérons le paradigme suivant : (22) a. Sâr-a [e] (*huwa) mut&ab-an devenir-Pass-3MS-[e] lui fatigué-Acc. “Il est devenu fatigué” b. ?alr-rajul-u karîm-un [e] (*huwa) l’homme-Nom généreux-Nom (*lui) “L’homme est généreux” (23) a. ?alr-rajul-a ?ukallimu [e] “A l’homme je parle” b. ?alr-rajula ?ukallim-u- (hu) l’homme-Acc parler-Pass-lS-(Cl) “L’homme je lui ai parlé” b’ * ?alr-rajul-a ?ukallim-u huwaa L’homme-Acc parler-Pass-IS lui * “L’homme, j’ai parlé lui”
Les paradigmes ci-dessus, (22) et (23), montrent qu’en vertu de (21), dès qu’un pronom vide est possible, on ne recourt pas au pronom clitique et surtout pas au pronom indépendant, sauf si ce dernier est un élément emphatique. En effet, donner la priorité au pronom nul devant le pronom clitique en laissant le pronom indépendant comme dernier choix, c’est utiliser moins d’effort pour dériver une structure moins couteuse, une dérivation minimale8.
8
Dans un sens syntaxique plus formel, chomsky (1989 :14) utilise ce terme comme une condition de la dérivation : “Notice That this approach tends to eliminate the possibility of optionality in derivationchoice points will be allowable only if the resulting derivations are all minimal in cost” .
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
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2- Hiérarchie des clitiques objets Par ailleurs, il existe une autre hiérarchie pronominale se rapportant à l’usage des pronoms clitiques objets d’un verbe doublement transitif et plus précisément leur ordre linéaire. Or, les arguments internes d’un verbe doublement transitif en arabe comme dans d’autres langues peuvent être réalisés sous la forme d’un NP lexical ou celle de pronoms clitiques. Mais il existe tout de même une asymétrie dans l’ordre linéaire des deux objets, selon leur nature catégorielle si elle est lexicale ou pronominale. Pour les objets lexicaux, l’ordre entre l’objet direct et l’objet indirect est libre comme dans (24) :
(24) a. nâwal-tu l-qahwat-a ?alD-Dayf-a servir-Pass-IS le café-Acc. l’invité-Dat. “j’ai servi le café à l’invité ”
b. nâwal-tu ?alDèDayf-a ?al-qahwat-a (comme (24a))
En revanche, cette liberté n’est pas autorisée quand les deux arguments internes (objets) du verbe sont des pronoms clitiques d’où le contraste entre (25a) et (25b) : (25) a. manah-tu-Ka-hum Octroyer-Pass-IS-CL(2S)-Dat-CL(3MP)-Acc. “Je te les ai octroyés”
b.
* manaH-tu-hum-ka * “Je les t’ai octroyés”
La question que nous nous posons ici est de savoir ce qui explique le contraste (25) ; en d’autres termes, pourquoi les deux compléments d’objet clitiques, dans (25), ne se comportent-ils pas comme les compléments d’objet lexicaux, dans (24) ? 2-1 L’ordre et les traits de personne Face à un contraste comme (25), la grammaire traditionnelle arabe avance une explication informelle en établissant la corrélation entre
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l’ordre des clitiques compléments d’objets et ce qu’elle appelle le degré de spécification9 . Cette spécification qui constitue la base d’une hiérarchie pronominale dépend du trait de la personne du pronom. Les traits de la première et de la deuxième personne sont plus spécifiés que celui de la troisième, étant donnée la présence (physique) obligatoire du locuteur et de l’interlocuteur, le premier étant considéré comme plus spécifié que le deuxième. En revanche, le pronom de la troisième personne est le moins spécifié parce qu’il se référe toujours à un “absent”. En fonction du trait de personne et du degré de spécification, les pronoms clitiques peuvent être classés hiérarchiquement de la manière suivante : (26) X et Y suivent strictement l’ordre suivant 1˙ personne ˂ 2˙ personne ˂ 3˙ personne si et seulement si X et Y sont deux pronoms clitiques occupant deux positions objets.
La hiérarchie (26) doit être respectée chaque fois que les arguments internes d’un verbe doublement transitif sont des pronoms clitiques. En d’autres termes, (26) donne la priorité linéaire au clitique supérieur qui doit précéder celui qui lui est immédiatement inférieur. La hiérarchie (26) détermine l’ordre structural des clitiques dans leur succession. Le contraste (25) ci-dessus peut être expliqué en fonction de la hiérarchie (26) puisque cette dernière est respectée dans (25a), ce qui n’est pas le cas dans (25b). Or, l’ordre de ka et hum, clitiques, de la deuxième et troisième personnes respectivement, ne doit pas être inversé en vertu de (26). Cette condition peut être vérifiée en arabe comme en français comme dans les contrastes suivants : (27) a. donner-Pass-IS-CL.2S.Dat.CL.3MS.-Acc. 2MS-3MS “je te l’ai donné”
9
AssuyuuTi, in ham&ul-hawâmi&i, p.219 parle de la notion de spécification ainsi : ʺ?at-taxsis est une notion plus énonciative que syntaxique , étant donné que la présence ou l’absence du locuteur et/ou de l’interlocuteur déterminent le degré de cette spécification.ʺ
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
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b. *?a&tay-tu-hu-ka *3MS-2MS. “je le t’ai donné” c. ?a&tay-tu-hu-ki *3MS-2FS. “je le t’ai donné” d. *?a&tay-tu-hu-kum * 3MS-2MP. “Je le vous ai donné” (28) a. ?a&tay-ta-nї-hâ donner-Pass-2S-CL.IS-CL.3MS. “Tu me l’as donnée”
b. * nâwal-ta-hâ-nȋ *3FS-IS. “Tu le m’a donné”
c * nâwal-ta-hu-nȋ *3MS-IS. “Tu la m’a donné”
d * nâwal-ta-hum-nȋ *3MP-IS. “Tu les m’a donné”
Les contrastes dans (27) et (28) montrent que la contrainte (26) tient compte uniquement des traits de personne indépendamment des deux autres traits d’accord, le nombre et le genre. Il suffit que la hiérarchie (26) soit appliquée pour que la construction à double objet clitique soit bien formée, quel que soit le trait de nombre et de genre de ces pronoms clitiques. On peut se demander pourquoi (26) ne concerne que les compléments d’objet clitiques, et pas les NP lexicaux. Ces derniers, contrairement aux pronoms en général, sont dépourvus de trait de personne. C’est pourquoi les NP lexicaux ne sont pas sujets à une hiérarchie comme (26) dont la base est les traits de personne. D’où le contraste entre (24b) et (25b) ci-dessus. Considérons maintenant les constructions suivantes : (29) a ?a&Tay-tu-Ka-hu Donner-Prés-IS-CL(2S)-CL.3MS. “je te l’ai donné”
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b.
?a&Tay-tu-hu la-ka donner-Pass-IS-CL(3MS) à-CL.2S. . “je l’ai donné à toi ”
(30) a. zawwaj-ta-nȋ-hâ Faire épouser-Prés-2S-CL (lP)-CL.3FS.. “Tu me l’as fait épouser” b.
zawwaj-ta-hâ l-ȋ faire épouser-Prés-2S-CL(3MS) à-CL.IS. “Tu l’as fait épouser à moi”
La structure de constructions comme (29) et (30) est différente de celle de (27) et (28). Cette différence touche le deuxième argument interne du verbe, qui reçoit la marque casuelle datif par l’intermédiaire d’une préposition dans (29) et (30), ce qui n’est pas le cas de (27) et (28). Dans ce cas, l’insertion de la préposition a une conséquence sur l’ordre des clitiques compléments d’objets. Cet ordre, avec la préposition dative, ne respecte plus la hiérarchie (26), comme le montrent (29b) et (30b) face à (27, b, c, d) et (28, b, c). En effet, ce contraste ne met pas la contrainte (23) en cause, car cette dernière n’intervient que dans le cas où les clitiques sont affixés entre eux. 1-2 Scrambling Considérons, maintenant la relation entre deux positions sujet et objet dans une structure de scrambling10 : (31) a. ?istaqbal-ȗ-nȋ bi-Harârat-in Accueillir-Pass-3MP-CL.Lp avec-crodialité-Obl. 3*- 1* “Ils m’ont cordialement accueilli”
b. * ?istaqbal-nȋ-ȗ bi harâratin *1˙-3˙.
10 On parle de scramblingquand il y une inversion d’ordre linéaire entre le sujet et l’objet. C’est l’ordre Verbe Objet Sujet dans une langue à ordre dominant Verbe Sujet Objet.
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
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(32) a. sallam-ta-nâ ?al-miftâHa Donner-Pass-2S-CL(1P)-Dat. la clé Acc. 2˙- 1˙ “Tu m’as donné la clé”
b. * sallam-nâ-ta 1˙-2˙.
On peut remarquer que l’ordre supposé dans (26) est enfreint dans les énoncés (3la) et (32a), et pourtant ils sont grammaticaux. En revanche, les énoncés (31b) et (32b) sont agrammaticaux, même s’ils respectent l’ordre indiqué dans (26). Nous observons que malgré ce contraste vis-à-vis de (26), cette contrainte en elle-même n’est pas touchée puisqu’il ne s’agit pas de deux clitiques compléments d’objet. En d’autres termes, (31) et (32) ne sont pas sujettes à la contrainte (26). Il reste donc à savoir la raison des contrastes dans (31) et (32)11. Dans ces constructions, les positions syntaxiques en jeu sont celles de sujet et d’objet. Quand on compare les structures (a) à celles de (b), on remarque que les deux positions syntaxiques sont inversées : l’objet précède l’accord du sujet, par contre, dans (3la) et (32a), l’ordre reste non marqué : sujet-objet. L’inversion d’ordre ou le scrambling entre l’accord (sujet) et le clitique objet est donc impossible, d’où les contrastes (a) et (b) dans ces constructions. Pourtant le scrambling entre sujet et objet lexicaux en arabe semble ne poser aucun problème : (33) a. &araf-a ?alT-Tifl-u ?al-Haqȋqat-a connaȋtre-Pass-IS. L’enfant-Nom. la-vérité-Acc. “L’enfant a connu la vérité” b. &araf-a l-Haqȋqat-a ?alTifl-u connaȋtre-Pass-IS. la-vérité-Acc. l’enfant-Nom. “L’enfant a connu la vérité”
1 1 Ce type de contraste est observé aussi en arabe marocain par ex. : (i) &rαf-nâ-hum connaȋtre-PASS-CL.1P-CL.3MP. “Nous les avons connus”
(ii) *&rαf-hum-nâ
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Partie II, Chapitre III
Contrairement à la paire (31b) et (32b), l’inversion des positions syntaxiques sujet et objet dans (33b) n’a pas affecté la grammaticalité de cette dernière. Si les contrastes dans (31) et (32) est vraiment lié à la nature pronominale des arguments dotés de trait de personne, on comprendra mieux pourquoi l’inversion des arguments dans (33) ne pose aucun problème. Parce que ces arguments sont des NP lexicaux, dépourvus de trait de personne. Dans le cadre de la typologie des langues, on distingue deux types de langues en fonction de la visibilité ou non de la marque casuelle. Dans le premier type, Il y les langues où les marques casuelles sont visibles morphophonologiquement, c’est le cas de certaines langues sémitiques, ainsi que le russe et l’allemand, entre autres. Dans le second, la marque casuelle est abstraite et non visible bien qu’il est syntaxiquement assigné, c’est le cas des langues romanes par exemple. En effet les marques casuelles en arabe standard sont morphologiquement visibles sur les NP lexicaux, ce qui n’est pas le cas des pronoms clitiques qui semblent invariables ; hu par exemple est pour l’accusatif, le datif ou le génétif, chose qui appuie l’hypothèse du cas abstrait pour les pronoms clitiques. En se fondant sur ces propriétés distinctives, il serait possible d’expliquer le contraste entre (31b) et (32b) en termes casuels: si lescrambling, dans (33b) est possible, c’est parce que les arguments du verbe peuvent être identifiés par les marques casuelles, indépendamment de l’ordre linéaire i.e. Le NP sujet peut être repéré par le cas nominatif u et le NP objet par le cas accusatif a, qui sont des cas visibles. En revanche, le scrambling n’est pas possible avec les pronoms clitiques comme dans (31) et (32) par manque de visibilité morphologique des cas. Donc, l’inversion de l’ordre ne crée aucune ambigüité dans une langue à cas morphologiquement visible comme l’arabe standard12 . En revanche, il existe certains syntagmes nominaux dont le cas n’est pas visible tel que ?al-?a&mâ (l’aveugle) ?al-marmâ (le champ de tir / 12
Il est possible que cette réalisation morphologique ou morpho-phonologique soit une des propriétés des langues où l’ordre des mots est plus libre que celui d’autres langues dont le cas est abstrait. En d’autres termes, la visibilité morphologique du cas permet plus de liberté dans l’ordre des mots, raison pour laquelle l’ordre en arabe est plus libre qu’en français qui a le cas abstrait.
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
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cible) , ?al-δasâ (le bâton), etc13. Ces NP sont tous terminés par une voyelle longue : (34) a. ?a-sra&-at ?al-bint-u ?al-xuTâ accélérer-Pass-3MS la-fille-Nom les-pas “La fille a forcé le pas”
b. ?a-sra&-a l-xuTâ ?al-bint-u accélérer-Pass-3MS les-pas la-fille-Nom “La fille a forcé le pas”
Une fois de plus, la marque casuelle phonétiquement réalisée montre que ?al-bin-u (la fille) occupe la position sujet dans (34a) comme dans (34b) bien que le cas du second NP ?al-xuTâ ne soit pas morphologiquement visible et que l’ordre linéaire soit inversé. La visibilité morphologique du cas semble donc un critère pertinent dans la distinction entre le sujet et l’objet dans le cas où l’ordre dominant VSO est inversé14. Il se trouve que dans une construction comme (35a) que le cas n’est visible sur aucun argument du verbe et pourtant le scrambling est possible comme le montre (35b)15 : (35) a.
sâ&ad-at munâ ?al-?a&mâ aider-Pass-3FS Muna l’aveugle “Munna a aidé l’aveugle”
b.
sâ&ad-at ?al-?a&m-â munâ aider-PASS-3MS l’aveugle Muna “Muna a aidé l’aveugle”
Quand le critère casuel ne permet pas de distinguer entre le sujet et l’objet à cause de l’invisibilité morphologique du cas comme dans (35), on 13
La propriété commune de ces NP c’est qu’ils se terminent par une voyelle longueâqui semble incompatible avec les différentes marques casuelles, phonétiquement réalisée, a ,u,i par exemple. Cette incompatibilité trouve certainement son explication en phonologie. 14 Dans un cadre interprétatif comme la sémantique générative, le sujet et l’objet pourront être identifiés suivant les relations de sélection établies entre le prédicat et ses arguments. Un verbe comme ?asra&-a (accélérer) sélectionne un NP sujet animé et NP objet inanimé. Parfois, des facteurs pragmatiques sont essentiels pour faire la distinction entre les deux fonctions. 1 5 cf. Bakir (1980), Fassi Fehri (1982).
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doit faire appel à un autre critère qui est l’accord entre le sujet et l’objet. Rappelons que le verbe en arabe doit s’accorder au moins en genre avec son argument externe (sujet), quel que soit l’ordre de surface, VSO ou SVO. Ce lien privilégié entre le sujet et le verbe ne concerne pas l’objet. En d’autres termes, le verbe s’accorde avec son argument externe mais pas avec son argument interne16. Dans (35, a et b), le verbe s’accorde avec un seul NP qui est Muna, ce dernier doit être le sujet, et par conséquent l’autre NP est l’objet. Ainsi la fonction syntaxique de chaque NP est identifiée malgré l’invisibilité du cas, dans (35a et b), et l’inversion de l’ordre (35b). Après la visibilité morphologique du cas, l’accord est donc un second critère qui permet de distinguer le sujet de l’objet. Par ailleurs, il existe des constructions où le cas est invisible et les deux arguments du verbe, sujet et objet, sont indistincts au niveau de l’accord. Dans (36), ni le cas ni l’accord ne sont capables de distinguer entre les deux arguments du verbe, interne et externe, et pourtant le scrambling est possible : (36) a. ra?-at lubnâ lailâ Voir-Pass-3FS Lubna Laila “Lubna a vu Laila” b. ra?-at lailâ lubnâ voir-Pass-3FS Laila Lubna “Laila a vu Lubna”
Dans une telle situation, un troisième critère intervient : c’est celui de l’ordre linéaire. En effet, cet ordre doit correspondre à l’ordre dominant VSO en arabe standard, plutôt que VOS. Ainsi, le sujet sera le NP qui suit immédiatement le verbe, Lubnâ dans (36a) et Lailâ dans (36b)17. 16 17
Cette asymétrie entre le sujet et l’objet concernant l’accord avec le verbe montre que la tête verbale s’accorde plutôt avec son spécifieur (Spec Head Agreement) qu’avec son complément (Complément Head Agreement). Cela est vrai pour des constructions à ordre VSO. Cependant, le problème se pose dans le cas des constructions où le V n’occupe pas la position préverbale : NP V NP, le cas est invisible et l’accord des NP vis-à-vis du verbe est indistinct. Dans ce cas, les deux interprétations (a et b) sont possibles :
(i)
Lailâ ra?-atlubnâ Laila voir-Pass.3FS Lubna
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Revenons aux constructions où les arguments du verbe sont des éléments pronominaux comme dans (31a) et (32). Aucune ambiguïté entre le sujet et l’objet n’est observée. Or, si c’est vrai que le pronom clitique objet n’est pas marqué par un cas morphologiquement visible, il n’a pas non plus la même forme morphologique que celle du sujet, ce qui fait une distinction morphologique entre les deux éléments. Cette distinction morphologique, des pronominaux sujet et objet, est plus proche du critère du cas visible pour les NP lexicaux ; ainsi nous n’avons besoin d’aucun critère supplémentaire tant qu’il n’y a pas d’ambigüité. Vu l’absence de cette ambigüité, on s’attendrait à ce que le scrambling soit tous à fait possible, de la même façon qu’avec les NP à cas visible. En effet, l’invisibilité du cas dans (31b) et (32b) est une raison insuffisante pour expliquer l’agrammaticalité de ces constructions. La question reste donc de savoir ce qui empêche le scrambling dans les constructions où l’accord pronominal sujet doit précéder le pronom clitique le pronom clitique objet. En d’autres termes, l’ordre entre l’accord sujet (Agr) et clitique (objet) doit correspondre à l’ordre dominant VSO mais pas VOS. Vérifions maintenant une troisième situation, intermédiaire, où une des deux fonctions syntaxiques, sujet ou objet, est occupée par un élément pronominal alors que l’autre par un NP lexical : (37) a. yuHibb-u ?al-fnnân-u lailâ aimeer-Prés-lMS L’artiste-Nom Laila “L’artiste aime laila” b. yuHibb-u-hâ ?al-fannân-u aimer-Prés-3MS-CL.3FS. l’artiste-Nom. “L’artiste l’aime”
c.* yu-Hibb-u ?al-fannân-u hâ
a. “Laila a vu Lubna” b. “ Lubna a vu Laila”
Le critère de l’ordre linéaire, comme dernier recours,indique que l’ordre SVO en arabe est de loin dominant par rapport à l’ordre OVS. Ainsi l’interprétation de (i,a) est prioritaire par rapport à celle de (i,b). Apres ces trois critères, il y en a un quatrième, dit de sélection selon lequel les arguments peuvent être distingués à partir des traits de sélection portés par le verbe.
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(38) a. yuHibb-u ?al-fannân-u wa ?al-muhandis-u lailâ aimer-Pass-3MS l’artiste-Nom et l’ingénieur-Nom Laila-Acc. “L’artiste et l’ingénieur aiment Laila” b. yu-Hibb-ȗ-na lailâ aimer-Prés-3MP Laila-Acc. “Ils aiment Laila” c. * yuHibb-u lailâ ȗna aimeer-Prés. Laila-Acc. 3MP *“Ils aim Laila ent ”
Dans (37a) comme dans (38a) les arguments du verbe sont les NP lexicaux, l’inversion de leur ordre ne doit poser aucun problème. Dans (37b), l’argument externe est pronominalisé, alors que dans (38b), c’est l’argument interne qui l’est, vu sa nature affixale. Le clitique, comme l’accord, doit s’attacher à son gouverneur, le verbe. Ce dernier monte à son tour à Agr, raison pour laquelle (37c) comme (38) est agrammaticale. Certes, la montée du clitique par-dessus le sujet est due à sa nature affixale, mais cela n’explique pas tout, parce que la montée du NP lexical objet par-dessus le sujet (sous forme d’accord) est aussi impossible (cf. (33b)-36b)). L’agrammaticalité de (38c) face à (37b) montre que le clitique objet peut intervenir entre V et le sujet lexical. La bonne formation de (37b) montre que le clitique objet peut intervenir entre V et le sujet lexical. Cela ne serait pas possible si le sujet n’était pas lexical (cf. (31b) et (32b)). Par ailleurs, le NP lexical objet peut intervenir entre le verbe et son sujet quand ce dernier est lui aussi un NP lexical cf. (33b)-(36b), mais ce n’est pas quand le sujet n’est pas lexical, d’où l’agrammaticalité de (38c). Donc l’opposition entre le scrambling des pronominaux et celui des NP lexicaux ne dépend pas de l’objet mais plutôt du sujet s’il est vide ou plein. En d’autres termes, le scrambling est lié plutôt à la nature catégorielle du sujet: lexicale ou pronominale. En effet, d’une manière générale, le scrambling, d’une manière générale, n’est possible en arabe standard que si le sujet est lexical, alors qu’il est impossible lorsque le sujet est pronominal/vide. Nous pouvons donc proposer les généralisations suivantes : (39) Dans une structure pro drop le scrambling est impossible
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(40) Scrambling est toujours possible en arabe standard lorsque le sujet est un NP lexical.
Grace à (39) et (40), le contraste dans (31) et (32), répétés ici dans (41) et (42), perd son mystère et se justifie quand on sait qu’il s’agit de structures pro drop : (41) a. ?i-staqbal-ȗ-nȋ bi-Harârat-in accueillir-Pass-3MP-1S. avec-une-cordialité-Obl. 3–1 “Ils m’ont cordialement accueilli” b.* ?i-staqbal-nȋ-ȗ bi-harârat-in l-3. (42) a. sallam-ta-nâ l-miftâH-a donner-PASS-2S-CL(lP) la clé-Acc. *2- 1. “ils m’ont cordialement accueilli” b.* ?i-staqbal-nȋ-ȗ bi-harârat-in *I-3
c. .* sallam-nâ-ta *1 - 2.
Des contrastes comme (41) et (42) trouvent un début d’explication dans la généralisation (39) au lieu de (26), étant donné que les éléments pronominaux n’ont pas la même fonction syntaxique objet. Néanmoins (39) comme (40) sont des généralisations qui ne dépassent pas la limite de la description étant donné qu’on ne tient pas compte du rapport existant entre scrambling et pro drop. Admettons que la condition de l’identification locale de pro soit une condition nécessaire pour toute structure pro drop; pour que cette identification soit réalisée, rien ne peut intervenir entre pro et son identifieur qui est Agr, si non la structure serait exclue. C’est exactement ce qui s’est passé dans (41b) et (42b) où le clitique objet intervient entre Agr et pro, la même intervention est faite par un NP lexical dans (38c). Ainsi ces structures sont exclues puisque l’identification de pro par Agr est bloquée. En effet Agr doit être considéré comme un élément inséparable du verbe; l’analyse que nous avons proposée pour la dérivation de la forme verbale est conforme à cette idée: par sa montée à T via Asp, V rejoint le
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Partie II, Chapitre III
trait de personne engendré sous T, puis l’ensemble sera incorporé à Agr qui inclut le trait de genre si l’ordre est VSO. Etant affixal, le clitique s’attache au verbe dans Agr, formant une tête composée, et le sujet syntaxique qui occupe une position post-verbale sera dans spec TP après avoir quitté sa position d’origine spec VP. En d’autres termes, avec un sujet post-verbal, le clitique objet incorporé dans Agr précède la position syntaxique du sujet18. Il semble donc que le clitique, complément d’objet, doit monter pardessus la position syntaxique du sujet, quelle que soit la forme de ce dernier, pleine ou vide: un NP lexical ou pro. Dans ce dernier cas, la stratégie de l’identification peut ne pas être mise en cause si on admet que chacun des éléments qui forment la tête complexe est capable d’identifier et de légitimer sa position d’origine19 suivant la GTC20. 18
Cette possibilité est observée aussi en français, par exemple, comme dans d’autres langues à pronoms clitiques : (i) a. Jean l’aime b.*
Jean aime la
La montée du clitique objet dérive l’ordre OS dans les langues SV comme le français. Si l’ordre dérivé par la montée du clitique dépend de l’ordre de base et notamment de celui du sujet par rapport au verbe, il dépend aussi de la direction de l’adjonction du clitique : après le verbe (en arabe) et avant le verbe (en français) 19 Si le manque de sujet lexical en position postverbale implique la réalisation de l’accord riche (acccord avec ses traits complets), cela implique qu’un déplacement du sujet a eu lieu de Spec VP vers SpecAgrp via SpecAsp et Spec TP. Par conséquent, ce qu’on a appelé pro peut être analysé comme trace du sujet déplacé : (i) [ei] ?intaqad-ȗ [ti] ra ?y-a ?al-kâtib-i
[ei] critiquer-PASS-3MP [ti] opinion l’écrivain-GEN. “Ils ont critiqué l’opinion de l’écrivain”
(ii) [ei] [ ?intaqad-ȗ-hu] (i/j) [ti] [tj] La réalisation morphologique de l’accord riche est un argument suffisant pour supposer la montée du sujet nul de la position postverbale Spec TP vers la position préverbale SpecAgrP. Le sujet lexical suit le même mouvement pour occuper la position préverbale SpecAgrP. Ainsi le sujet nul peut être analysé de la même façon qu’un sujet lexical. Par conséquent, ils obéissent tous les deux aux même contraintes sur le mouvement. 20 The GovernmentTransparencyCorollary (GTC) A lexical categorywhich has an item incorporatedintoitgovernseverythingwhich the incorporated item governed in its original structural position. cf. Baker (1988 :64)
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
169
Par ailleurs, l’affixation du clitique au verbe maintient l’ordre des deux morphèmes Agr et CL, cet ordre reflète l’ordre dominant de l’objet par rapport au sujet. Nous avons vu qu’un ordre inverse des morphèmes n’est pas acceptable comme le montre le contraste suivant : (43) a. T-V-Agr-cl_obj. b.* T-V-cl_obj-Agr
Baker (1985a, 1988) avance le principe dit du miroir21 qui pose que les dérivations morphologiques doivent directement refléter les dérivations syntaxiques (et vice versa)22. Cela suppose qu’il existe une corrélation forte entre l’ordre des fonctions syntaxiques d’une part et celui des affixes d’autre part ; entre les constituants morphologiques d’un prédicat et leurs positions syntaxiques sous-jacentes. En vertu du principe du miroir, le processus syntaxique qui attache V à Agr s’applique avant l’attachement du clitique objet à l’ensemble (V-Agr), ainsi on a l’ordre (41a) mais pas (41b). Par ailleurs, toute étude du scrambling doit expliquer le rapport qui existe entre le sujet et l’objet puisqu’ils sont les éléments directement concernés dans cette opération. Pour dériver l’ordre VOS en syntaxe, il existe à priori deux possibilités : soit par une montée de l’objet par-dessus le sujet, soit par abaissement du sujet par-dessous l’objet. Etudions maintenant les deux possibilités. La première possibilité, concernant la montée de l’objet, pose le problème de la position qui peut accueillir cet objet. Au premier lieu, l’objet monte dans Spec AspP mais cela ne suffit pas pour dériver l’ordre VOS puisque le sujet monte plus haut, de Spec VP vers Spec TP. cherchant son cas nominatif par T. 21
The Mirror Principle (MP): Morphologicalderivations must directlyreflectsyntacticderivation (and vice versa).
22 « … the observedparallelismbetweenmorphologicalderivation and syntacticderivationsis a trivial consequenceof the factthereisonly one derivationwithbothkinds of effect … to unifymorphologyand GF-rulesyntax and thusaccount for the mirrorprinciple, we must claim thatonly one component isinvolved. » cf.Baker (1988 :408)
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Partie II, Chapitre III
En revanche, si le sujet reçoit son cas nominatif dans sa position d’origine Spec VP, la dérivation de l’ordre OS serait possible, puisque la position Spec TP resterait disponible pour accueillir l’objet déplacé. Suivant cette analyse, l’ordre VOS pourrait être dérivé par la montée de l’objet dans Spec TP alors que V monte dans Agr et le sujet reste in situ dans sa position d’origine Spec VP. Cependant, cette analyse doit expliquer comment l’objet peut avoir son cas accusatif dans la position Spec TP spécifié au cas nominatif. Donc, l’analyse en question qui consiste à déplacer seulement l’objet pour avoir l’ordre OS résout un problème mais elle en crée un autre. Supposons que le srambling qui concerne aussi bien le sujet que l’objet soit le résultat du déplacement non seulement de l’objet mais aussi du sujet : le sujet se déplace dans Spec TP et l’objet monte dans SpecAgrP. Ainsi le sujet et l’objet reçoivent leur cas respectivement dans Spec TP et SpecAgrP. Cette dernière position est, elle aussi, spécifiée au cas nominatif, si on admet que Agr n’assigne que ce cas. Donc Comment l’objet déplacé dans cette position peut-il avoir le cas accusatif ? Rappelons que nous avons supposé la montée de V° dans C° de même que C° est une tête qui assigne le cas accusatif. La tête C° peut donc être la source du cas accusatif de l’objet déplacé dans SpecAgrP étant donné que cette dernière position est gouvernée par C°. Suivant cette analyse, le scrambling (VOS) implique le mouvement, à la fois du verbe, du sujet et de l’objet. Ce qui distingue VOS de VSO ce n’est pas la montée du verbe dans C°ni celle du sujet dans Spec TP mais plutôt la montée de l’objet dans SpecAgrP. Cette analyse semble appropriée quelle que soit la nature catégorielle du sujet et de l’objet, lexicale ou pronominale. Cependant, elle semble à première vue problématique pour le déplacement de l’anaphore lexicale objet par-dessus son sujet. Considérons le paradigme suivant : (44) Ṩajja&-a ?alṨ-Ṩâb-unafs-a-hu Encourager-Pass.3MS le-jeune-Nom. même-Acc-CL-.3MS. “Le jeune s’est encouragé” (45) Ṩajja&-a nafs-a-hu alṨ-Ṩâb-u Encourager-Pass.3MS même-Acc-CL.3MS. le-jeune-Nom (Comme(44)).
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La grammaticalité de (44) est tout à faire attendue puisque l’anaphore réfléchie est liée par son antécédent, ce qui satisfait le principe A de la théorie du liage23. En revanche dans (45) l’anaphore précède le sujet puisqu’elle monte dans SpecAgrP, alors que le sujet est dans Spec TP, ce qui peut provoquer la violation du principe A. En vertu de ce principe, on s’attendrait à ce que (44) et (45) soient contractives, ce qui n’est pas le cas. Comment peut-on donc expliquer la bonne formation de (45) dans le cadre de la théorie du liage ? Rappelons qu’un déplacement peut ne pas être visible en syntaxe, mais visible en LF: tel est le cas de la montée des quantifieurs ou de l’élément Wh in situ24. Supposons que ce genre de montée puisse toucher aussi les NP lexicaux: dans une construction ou l’ordre du sujet et de l’objet est inversé comme dans (45), la montée du sujet est effectuée seulement en LF pour lier l’anaphore lexicaleen position SpecAgrP. Cela implique que le principe Apeut fonctionner en LF sans fonctionner en S-structure. L’anaphore, suivant cette analyse, est liée en LF, ce qui implique que le principe (A) fonctionne en LF aussi. Si la théorie du liage peut opérer en LF, elle doit opérer aussi en S-structure suivant le principe de l’interprétation pleine (Full interprétation
23
Rappelons que la théorie du liage consiste dans les trois principes A, B et C définis dans (i) :
(i)
(ii)
(A) Une anaphore doit être liée dans sa catégorie gouvernante. (B) Un pronominal doit être libre dans sa catégorie gouvernante. (C) Une expression référentielle est libre.
une catégorie α est liée par une catégorie β si : (i) (ii)
α et β portent la même indice. β - c-commande α.
Sachons qu’une catégorie qui n’est pas liée est dite libre. (iii) α est une catégorie gouvernante pour β Si et seulement si : α est la catégorie minimale contenant β et le gouverneur de β, ou α=S´ ou NP.
24 cf. May (1985), entre autres.
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Partie II, Chapitre III
principale). Et pour que le principeA soit interprété en S-structure, il faut que l’anaphore soit c-commandée et liée à ce niveau. Supposons que pour que le sujet reçoive son cas nominatif, il doit se déplacer de sa position d’origine Spec VP vers une c-commander et lier l’anaphore afin de légitimer des constructions comme (45). Nous avons vu qu’une telle construction ne peut pas être légitimée par la montée du sujet vers Spec TP, bien que cette dernière soit justifiée par la nécessité d’assigner le cas nominatif. Supposons aussi que les constructions comme (45) où le scramblings’est effectué entre le sujet et l’anaphore lexicale soient dérivées par postposition du sujet qui s’adjoint à AgrP. (45) peut avoir une S-structure comme suit :
L’avantage de cette adjonction est que le sujet reçoit le cas nominatif de Agr, la tête de AgrP, par accord, et surtout qu’il peut c-commander et par conséquent lier l’anaphore lexicale, tous en gouvernant proprement sa trace. Ainsi le sujet, dans (46), lie l’anaphore syntaxiquement malgré l’ordre linéaire. En fait, cette adjonction ne sera nécessaireque dans le cas où le
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
173
scrambling concerne l’anaphore lexicale; c’est une sorte d’opération de dernier recours pour éviter la violation du principe (A) de la théorie du liage. Cependant, rien n’exige une telle adjonction quand le scramblingse fait entre deux NP référentiels comme dans (34b) par exemple, répété ici dans (47) ou la montée du sujet dans SpecTP ne pose aucun problème : (47) b.
?asra&-a ?a-l-xuTâ ?alT-Tifl-u accélérer-Pass-3MS les pas enfant-Nom. “L’enfant a forcé le pas”
Ainsi, l’ordre VOS peut être dérivé par une des deux stratégies, la montée ou la postposition du sujet. Le choix entre les deux dépend de la nature de l’objet, selon qu’il est une anaphore lexicale ou un NP référentiel. Pour conclure, nous pouvons dire que nous avons tenté de connaître la raison de l’asymétrie entre les arguments lexicaux et les arguments pronominaux vis-à-vis du scrambling. Cette asymétrie dépend, avant tout, de la stratégie d’identification locale exigée dans les structures à sujet nul. Cependant, dans les structures à sujet lexical, le contenu référentiel du sujet est identifié lexicalement; par conséquent, rien ne permet de faire appel à la stratégie d’identification locale. C’est suite à ces propriétés distinctives que le scrambling est possible dans les constructions pro drop, et possible aussi dans les constructions où le sujet est lexicalement réalisé. Par ailleurs, le scrambling est une opération syntaxique et non pas stylistique. Le liage exige que le sujet c-commande l’objet anaphorique dans l’ordre VOS comme dans VSO. Le premier ordre est lié à une stratégie de déplacement du sujet (montée vers Spec TP) tandi que le second est une adjonction à AgrP par postposition. Ainsi l’ordre VOS dans une construction comme(45) serait parallèle à l’ordre SVO, il s’agit dans les deux cas du déplacement du sujet: sa postposition dans VOS et son antéposition dans SVO. La distinction entre un élément pronominal et un élément lexical est liée au phénomène du sujet nul et du sujet plein. Le clitique complément d’objet doit monter par-dessus le sujet, qu’il soit lexical ou pronominal, et il ne doit jamais rester in situ; sa montée suit celle du verbe. En revanche le NP complément d’objet ne monte que si le sujet est un NP lexical.
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3- Contraintes sur l’ordre des clitiques 3-1 Contraintes sur les traits de personne Nous avons souligné qu’en arabe l’inversion de l’ordre des deux compléments d’objet est possible. Mais une telle possibilité dépend de la nature de l’objet, s’il est lexical ou pronominal. L’inversion de l’ordre entre les deux objets, direct et indirect, est libre en arabe quand ces compléments sont des NP lexicaux. Cependant cette inversion est restreinte quand les deux objets sont des pronoms clitiques : (48) a. ?a&Tay-tu-ka-hu Donner-Pass-IS-CL.2S-Dat-CL.3MS. “Je te l’ai donné” b. *?a&tay-tu-hu-ka “Je le t’ai donné” (49) a. nâwal-tu ?al-qahwat-a ?alD-Dayf-a Servir-Pass-IS le-café-Acc. l’invité-Dat. “j’ai servi le café à l’invité”
b. nâwal-tu ?alD-Dayfa ?al-qahwat-a “J’ai servi le café à l’invité”
Le contraste entre (48b) et (49) montre que les clitiques objets ne se comportent pas comme les NP objets. La syntaxe des pronoms clitiques doit expliquer cette asymétrie. Dans ce qui suit, nous reviendrons sur l’examen de la contrainte (26) en la comparant à une autre contrainte dite ‘*me lui’ avant de tenter de proposer une analyse syntaxique de l’ordre des clitiques qui intègre partiellement les deux contraintes. Rappelons que la grammaire arabe traditionnelle pose une contrainte générale sur l’ordre des clitiques objets en arabe. Cette contrainte est basée sur les traits de personne suivant lesquels ces clitiques sont hiérarchiquement classés, i.e. le pronom de la première est plus spécifié que celui de la deuxième et ce dernier est plus spécifié que le pronom de la troisième personne. Dans ce sens, la spécification dépend du degré de référence de ce pronom et
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175
notamment de la nature de l’occurrence de l’antécédent du pronom clitique. Nous avons traduit cette hiérarchie sous la forme de la contrainte(26) que nous reprenons dans(50) : (50) X et Y suivent strictement l’ordre suivant : 1˙ pers. > 2˙pers. >3˙ pers. si et seulement si X et Y sont deux clitiques, l’un étant OD et l’autre OI.
Les constructions qui manifestent la coexistence de deux clitiques objets obéissent à cette contrainte, comme nous l’avons montré cidessus. Cependant, une contrainte comme (50) ne dépasse pas le stade de l’observation puisqu’elle n’explique pas pourquoi les clitiques objets doivent suivre un tel ordre25. 3-2 La contrainte *me lui I II Par ailleurs, il semble très difficile de transposer la contrainte (50) dans d’autres langues telles que le français,l’espagnol, l’italien ou le grec, présentées respectivement dans les exemples suivant : (51) * Paul me lui présentera acc-dat (52) * Me le recomendaron l-ACC 3-DAT présenter-Pass-3P (53)
* Mi gli ha presentata Giovanni l-ACC 3-DAT avoir présenter-PASS Giovanni
* Oa tu se stilome FUT 3-GEN 2-ACC envoyer-P.
(54)
L’agrammaticalité de (51–54) montre que l’ordre des compléments d’objet clitiques dans ces langues n’obéit pas à une contrainte basée sur les traits de
25
A ma connaissance aucune réponse à cette question n’a jamais été proposée. Nous reviendrons à cette question pour voir si la syntaxe est capable d’expliquer le fonctionnement d’une contrainte comme (50).
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Partie II, Chapitre III
personne. Donc (50), malgré son importance, que nous avons démontré pour l’arabe, est une contrainte qui n’est pas universelle26. Supposons avec Bonet (1991) que le clitique de troisième personne emporte toujours la fonction d’objet direct quand il coexiste avec un clitique objet d’autres personnes27 :
(55) La contrainte *me lui/ I II : Dans une coexistence entre deux clitiques, l’un est objet direct et l’autre est objet indirect, si un des deux clitiques est au troisième personne, il doit occuper la fonction d’objet direct.
L’agrammaticalité du tour (51–54) peut être provoquée par (55) qui réserve la fonction d’objet indirect et le cas accusatif pour le clitique de la troisième personne, si ce dernier coexiste avec un clitique d’une autre personne (première ou deuxième personne). Si (51–54) est le résultat de (55), la contrainte sera beaucoup plus générale que (50), voire universelle. Les contrastes entre (56) et (57) confirment le contenu de (55) en français: (56) a. * je te lui montre Acc-Dat. b. * je lui te montre Dat-Acc. (57) a. je te le montre Dat-Acc.
b. Tu me le montres Dat-Acc.
L’agrammaticalité de (56a) et (56b) est due, à nouveau, à le contrainte dite de *me lui dans la mesure où le clitique de la troisième personne occupe la fonction d’objet indirect au lieu de celle d’objet direct, comme dans (57a) et (57b). En comparant les deux contraintes (55) à (50), on se rend compte que la première est, en effet, une contrainte sur l’ordre des clitiques objets alors que la seconde est une contrainte sur la cohabitation des clitiques objets. 26 Néanmoins (50) peut être qualifiée comme contrainte d’une langue spécifique (specific-language constrainte) puisqu’elle est respectée en arabe. 27 Voir Bonet (1991) : 176–217
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
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Malgré leur importance, les deux contraintes ne dépassent pas, à notre sens, le stade de l’observation. La contrainte(50) n’explique pas pourquoi l’ordre des clitiques en arabe doit être lié aux traits de personnes. La contrainte (55) n’explique pas non plus pourquoi le clitique de la troisième personne doit toujours assurer la fonction d’objet direct quand il coexiste avec un autre clitique de la première ou de la deuxième personne. Considérons la paire suivante : (58) a.* bi&-tu-hu-ka vendre-Pass-IS-cl-3MS-cl-2MS. “Je le t’ai vendu” b. bi&-tu-ka-hu vendre-Pass-1MS-cl-2MS-3MS. “Je le t’ai vendu”
Le contraste entre (58a) et (58b) confirme le contenu de la contrainte(50), comme nous l’avons souligné ci-dessus. Au contraire (58b), l’ordre des clitiques objets dans(58a) n’est pas conforme à celui exigé par (50). Le même contraste, observé entre (58a) vs (58b), ne pose pas de problème non plus pour la contrainte ((55). Dans (58b) le clitique de la troisième personne fonctionne comme objet direct alors qu’il est dans (58a) un objet indirect. Cela implique que la contrainte (55) est opérationnelle en arabe comme dans d’autres langues28. En arabe, une stratégie est possible, parfois obligatoire, chaque fois que la contrainte(50) est violée, il s’agit de l’insertion d’un pronom fort au lieu d’un pronom clitique. En d’autres termes, une construction agrammaticale comme (58) peut être validée par une stratégie d’insertion d’un pronom fort déterminé :?iyyâ-cl : (59)
?al-kitâb-u bi&-tu-ka ?iyyâ-hu Le live-Nom vendre-Pass-IS-CL (2S)-Dat lui “Le live, je l’ai vendu à to”
28 Le contenu de la contrainte *me lui dans (55) a été discuté par plusieurs linguistes et vérifié sur plusieurs langues, cf. Perlmutter (1971) pour l’espagnol ; Hale (1973) et Simpson et withgott (1986) pour le walbiri, Harris (1981) sur le georgien, Rosen (1990) pour le tiwa de sud .
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Partie II, Chapitre III
Une autre stratégie pour rendre (58a) grammaticale est possible, il s’agit cette fois d’insérer le pronom dans une préposition qui supporte le clitique datif : (60)
?a&Tay-tu-hu la-ka Donner-Pass-lMS-Nom-3MS-Acc à toi-Dat. “Je l’ai donné à toi”
Ces deux stratégies sont réduites à une seule dans les langues romanes, à savoir l’insertion d’un pronom fort comme dans (59), mais gouverné par une préposition comme dans (60). Après l’application d’une telles stratégie, des exemples français et espagnols, comme (51) et (52), deviennent grammaticaux dans (61) et (62)29 :
(61)
Paul me présenteras à lui
(62)
Me recomendarona él
Des constructions comme(60), (61) et (62) sont grammaticales même si elles ne respectent pas la contrainte (55), i.e. dans ces constructions, la fonction d’objet direct est occupée par le pronom qui n’est pas à la troisième personne (dit de dialogue). Cela implique que cette contrainte, comme celle en (50), n’est opérationnelle que dans les contextes syntaxiques où les deux objets, direct et indirect, sont des pronoms clitiques. 3-3 Filtrage en PF Considérons maintenant le paradigmesuivant : (63) a. *?a&Tay-ta-nȋ-nȋ * “Tu nous nous as donnés” b. *?a&Tay-ta-ka-ka * Tu te t’as donné”
c. *?a&Tav-ta-hu-hu * “Tu le l’as donné”
29 Nombreuses sont les langues qui ne permettent pas la succession de deux clitiques objets ; l’insertion d’une préposition est alors la seule stratégie possible pour ces langues, nous pouvons citer, à titre d’exemple, la plupart des dialectes arabes.
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
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Les clitiques objets dans des constructions telles que (63, a-c) sont non distincts dans la mesure où ils portent les mêmes traits d’accord et de cas. Ainsi, la distinction entre les deuxobjets clitiques, accusatif et datif,est impossible30. Cette distinction devient possible une fois que les deux clitiques en question sont phonétiquement et syntaxiquement différents. La succession de deux clitiques identiques provoque le même résultat en français31 :
(64)
* je te t’ai décrit
(65)
* Il me m’a décrit
L’agrammaticalité de (63), (64) ou (65) résulte de la succession de deux clitiques objets phonétiquement identiques laisse penser que le problème est de nature phonologique et qu’il peut être traité par OCP32. Ce principe donc peut opérer au niveau de la forme phonétique après la dérivation syntaxique. Par conséquent, des constructions telles que (63) et (65) sont filtrées en PF. Cela viole le principe d’interprétation pleine (Full Interpretation Principle)33. 3 0 Rappelons que les clitiques accusatif et datif ne sont pas distincts en arabe : (i) bi&-tu-hâ ?ilay-hâ vendre-Pass-IS-CL.3MF-ACC à-CL.3FS-Dat. “ je l’ai vendu à elle”
(ii) ?a&Tay-tu-hum ?ilay-him
31
donner-Pass-IS-CL.3MP/ à-CL.3MP. “ je les ai donnés à eux”
Comme en arabe, les clitiques de la première et la deuxième personne accusatifs et datifs sont non distincts. Il n’est pas surprenant que le même résultat, (63) et (65), soit observé dans les deux langues.
Cependant, l’accusatif et le datif de la troisième personne sont distincts, respectivement le/la, les vs lui, leur. C’est pourquoi le résultat en français est différent de l’arabe.
(i)* ?&Tay-tu-hum-hum
32
(iii) Je les leur ai donnés Obligatory Contour Principle (OCP) :
donner-Pass-IS-CL.3MP-CL.3MP.
Deux éléments identiques adjacents sur la même mélodie sont exclus. Mac Carthy (1986)
33
Cf. Chomsky (1989), entre autres.
180
Partie II, Chapitre III
Pour sauver des constructions comme (63) et (65), on doit avoir recours à un pronom indépendant qui doit se substituer à l’un des deux clitiques comme dans (66–68) (66) ?a&Tay-ta-nȋ ?iyyâ-ya donner-Pass-Agr-CL.lS. moi “ Tu m’as donné à moi” (67)
?a&Tay-tu-ka ?iyyâ-ka Donner-Pass-IS-CL.2MS. toi “Je t’ai donné à toi”
(68)
?a&Tay-tu-hu ?iyyâ-hu donner-Pass-IS-CL.3MS-Dat. lui “ Je l’ai donné à lui”
En effet, le recours à la stratégie de l’insertion du pronom indépendant est nécessaire chaque fois que la contrainte (50) ne peut pas s’appliquer. En d’autres termes, l’insertion du pronom indépendant est une stratégie qui peut se substituer à la contrainte (50). En revanche, elle ne peut pas se substituer à la contrainte (55),*me lui, puisque l’insertion d’un pronom fort, comme dans (65a) est obligatoire bien qu’elle ne viole pas cette contrainte (55) : 3-4 Filtrage en LF L’identification des fonctions syntaxiques est une condition nécessaire sur l’interprétation de la phrase ; par suite l’identification des fonctions des clitiques objets, direct et indirect, est aussi nécessaire. Considérons la structure suivante: (69) ??
hâðâ ?a&Tay-tu-hu ?iyyâ-hu Celui-ci-Nom. donner-Pass.lS-CL.3MS ?iyya-CL.3MS.
Une construction comme (69) pose un problème d’ambiguïté entre l’objet direct et l’objet indirect quand les deux objets du verbe ?a&Tâ (donner) ont le même trait sélectionnel [+animé]34. L’énoncé en question, (69), peut donc être filtré en LF. 34 Pour des constructions comme (69), cf. Ibn δaqȋl T1 : 106–107.
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
181
Cependant, dans une construction comme (70) où l’antécédent du pronom de la troisièmepersonne est inanimé, aucune ambigüité n’est observée : (70) ?al-kitâb-u ?a&Tay-tu-hu ?iyyâ-ka Le livre-Nom. donner-Pass-IS-3MS ?iyya-CL.2MS. “Le livre je te l’ai donné”
L’ordre entre le clitique et le pronom indépendant ?iyyâ-cl devient libre. Par conséquent, la construction (71) peut être équivalente à (70) : (71) ?al-kitâb-u ?a&Taytu-ka ?iyyâ-hu Le livre-Nom. donner-Pass.2MS ?iyyâ-CL.3MS. (Comme(67))
A partir du contraste entre (69) et (70), nous pouvons remarquer qu’un des deux objets du verbe de type?a&Tâ (donner) doit avoir le trait [- animé]35. En fait, l’ordre des clitiques est un problème vaste et compliqué. La plupart des travaux sur cette question se sont contentés de la décrire et, dans les meilleurs des cas, d’avancer des contraintes descriptives parfois générales et importantes telles que (50) et (55); néanmoins, on se demande si cet ordre des clitiques peut avoir une explication syntaxique. Nous supposons que le mouvement syntaxique joue un rôle important dans la dérivation d’un ordre quelconque des clitiques objets. Ainsi nous montrerons que la syntaxe peut résoudre une bonne partie du problème.
35 Cette inversion est toujours possible tant que le contenu référentiel des deux pronoms objets et distinct : (i) ?al-mâl-un ?a&Tay-ta-nȋ ?iyyâ-hu l’argent-Nom, donner-Pass.-2S-CL(lS) ?iyya-CL.Acc. ʺTu me l’as donné de l’argentʺ
(ii) ?al-mâl-u ?a&Tay-ta-hu ?iyyâ-ya
(iii) ?al-mâl-u ?a&Tay-ta-hu- ?iyyâ-hu
ʺ L’argent, tu me l’as donnéʺ
ʺL’argent tu le lui as donné ʺ
Dans toutes ces structures, il n’y a pas d’ambigüité puisque la distinction entre l’accusatif et le datif est possible ; cf. (AL) Ralâyȋnȋ T1 p.106–107.
182
Partie II, Chapitre III
L’analyse que nous proposerons ne concerne pas seulement l’ordre des clitiques objets en arabe mais aussi l’ordre des NP lexicaux objets36. Pour cela, il est nécessaire de préciser la structure syntaxique des constructions à verbe doublement transitif, et de la relation syntaxique entre les objets d’une part et le verbe d’autre part.
4- Structure interne de VP 4-1 Structure de VP Le phénomène de la transitivité a été traité pendant longtemps comme une structure plate ou les deux objets sont symétriques par rapport au verbe.37 : (72) [VPV NP1 NP2]
Dans une analyse basée sur la configuration(72), le verbe a deux arguments internes qui se c-commandent mutuellement. Une telle analyse pose des problèmes théoriques et empiriques dont on peut citer certains ci-dessous :
(73)
I showed John
himself
(74)
* I showed himself John
Une structure non binaire comme (72) ne va pas seulement à l’encontre de la notation X´ mais elle permet de dériver une construction agrammaticale comme (74). Dans cette dernière, l’anaphore et son antécédent se lient et se commandent mutuellement, ce qui viole le principe C de la théorie du liage.
36 Une telle analyse sera conforme au statut autonome que nous avons donné aux pronoms clitiques. 37 Suivant Oehrle (1976), entre autres, les différents ordres des compléments objets sont dérivés du lexique et pas de la syntaxe.
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
183
Dans le cadre de la théorie du liage aussi, un quantificateur doit être c-commandé par son antécédent en S-structure; le contraste entre (75,a) et (75,b) ci-dessous montre bien que le deuxième objet doit être dans le domaine du premier mais pas l’inverse38. (75) a. ?a&Tâ ?alr-rajul-u kull-a &âmil-in ?ajr-a-hu donner-Pass.3MS l’homme-Nom. tous-Acc. ouvrier-Gén. salaire-Acc-CL.3MS. “L’homme a donné son salaire à chaque ouvrier ” b.
*?a&Tâ ?alr-rajula ?ajra-hu(i) kull-a &âmil-in(i) donner-Pass-3MS l’homme-Nom salaire-Acc-CL.3MS chaque-Acc. ouvrier-Gén. “L’homme a donné à chaque ouvrier son salaire”
En outre, une analyse basée sur l’ordre linéaire ne peut pas expliquer le contraste posé dans (76) et (77) : (76) a. ?a&Tay-tu ?alT-Tâliba kitâb-a l-lisâniyyât-i donner-Pass-IS étudiant-Dat. livre-Acc La linguistique-Gén. “ J’ai donné à l’étudiant le livre de linguistique” b.
li-man ?a&Tay-ta ?ayy-a kitâb-in ? à qui donner-Pass-2S quel-Acc livre-Gén. “A qui tu as donné un livre et lequel ?”
c. ???ayy-akitâab-in?a&Tay-tali-man quel-Acc livre-Gén donner-Pass-IS à qui “Quel livre as-tu donné et à qui ?”
(77)
a. b. c.
You give a book to Mary Whom do you give which book to ? * Which book do you give to whom ?
Si l’agrammaticalité de (76c) et (77c) découle de la condition de supériorité, i.e, le premier objet doit être supérieur au second, les deux compléments d’objet doivent être asymétriques ce qui exclut la représentation (72) ci-dessus39. 3 8 Voir Barss et Lasnik (1986) 39 Nous avons démontré en ce qui concerne la phrase et notamment la relation asymétrique entre le sujet et l’objet qu’une structure plate doit être éliminée de la syntaxe à cause des principes qu’elle viole.
184
Partie II, Chapitre III
Kayne (1981a, 1984) propose une structure où les deux objets forment une phrase réduite (Small Clause/ SC) et par suite un domaine indépendant (78) [VPV [SC NP1 NP2]]
Dans le domaine de la phrase réduite sous-catégorisée par le verbe, l’objet direct fonctionne comme sujet de la SC et l’objet indirect comme objet de SC. Cette projection maximale constituerait un domaine syntaxique opaque, i.e. l’objet de SC doit être en relation syntaxique avec le sujet de SC plutôt que le sujet de la phrase matrice. Le contraste dans entre (73) et (74) ci-dessus montre que si l’objet de SC est une anaphore lexicale, il doit être lié au sujet de ce domaine minimal40.En effet, certains compléments d’objet peuvent former une relation prédicative indépendante du verbe, et par suite une phrase réduite. C’est le cas des constructions comme (79), (80) et (81) : (79)
?aZunn-u ?al-mas?ûl-amusâfir-an Croire-Prés-IS le-responsable-Acc. voyageur-Acc. “Je crois que le responsable est en voyage”
(80)
?alfay-tu qawl-a-ka sawâb-an trouver-Pass.IS parole-Acc-ta-Gén. raison-Acc. “J’ai trouvé juste tes dires”
(81)
?anba ?-tu ?al-mas?ûl-a ?al-xabar-a wâqi&-an Informer-Pass.lM. le-responsable-Acc. l’information-Acc. réalisé-Acc. “J’ai informé le responsable que l’information est exacte”
Les phrases réduites compléments du verbe dans (79)-(81) peuvent être isolées et devenir des phrases autonomes : (82)
?al-xabar-u muzayyaf-un la nouvelle-Nom.est fausse-Nom. “ La nouvelle est fausse ”
(83)
qawlu-ka Sawâb-un Parole-Nom.M-ta-Gén juste-Nom. “Tes dires sont justes”
40 Voir Kayne (1984) et Mouchaweh (1986).
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques (84)
185
?al-xabar-u wâqi&-un La nouvelle-Nom. réelle-Nom. “La nouvelle est vraie”
Cependant, cette formation prédicative des deux objets n’est pas généralisable, puisqu’il n’y a que certaines classes de verbes qui se soumettent à cette relation, tels que les verbes psychologiques et certains verbes de mouvement. Par ailleurs, la relation d’asymétrie entre le sujet et l’objet suppose une relation de supériorité entre les deux positions dans le domaine de VP. Dans ce sens, nous adoptons la structure proposée par Larson(1988) sur les constructions à double objet. 4-2 Structure étendue de VP Cette asymétrie nous amène à supposer que les deux objets d’un verbe doublement transitif sont dans une relation similaire à celle qui existe entre le sujet et l’objet. Or, d’après les grammairiens arabes traditionnels, GTA, l’objet indirect d’un verbe doublement transitif correspond le sujet d’un verbe simple alors que l’objet direct du premier correspond celui du second41: (85) a. ?a&Tay-tu Tâlib-an kitâb-an donner-PASS-lMS. étudiant-Dat. un livre-Acc. “J’ai donné à un étudiant un livre” b.
?aDâ&-a Tâlib-un kitâb-an perdre-Pass-3MS étudiant-Nom. un livre-Acc. “Un étudiant a perdu un livre”
Pour établir une structure hiérarchique des constructions à double objet, Larson (1988) propose l’hypothèse du complément unique (Single ComplementHypothesis/SCH) selon laquelle, toute tête doit avoir un et un seul complément42. Le but essentiel de cette hypothèse est d’éliminer l’asymétrie numérique entre le sujet et le complément, i.e. comme il n’y a 1 Ibn δaqîl T2 P. 541–542. 4 42 cf. Vergnaud (1985) et Kayne (1984a).
186
Partie II, Chapitre III
pour une projection maximale qu’un seul sujet, il n’y a également qu’un seul complément. Une des conséquences de SCH, c’est la nécessité d’avoir deux têtes verbales quand il y a deux compléments d’objet, ce qui implique que dans une construction à double objets, il doit y avoir deux VP comme le montre (86). Contrairement à la tête de VP2, la tête de VP1 est vide [e] : (86) a. [VP1 Spec[V’ [V [VP2Spec[V’ V [PP]]]]]] b. [VP1 John[V’ [e [VP2 a letter [V’ V to Mary]]]]]]
La forme de surface sera construite par la montée du verbe dans la position verbale vide [e], quant aux arguments internes de VP, le premier, le complément direct, est engendré dans Spec VP2 et analysé comme sujet de ce domaine alors que le second, le complément indirect, est son objet. En d’autres termes, la structure interne de VP dans (86) constitue un domaine prédicatif différent de celui de Kayne (1984), puisque la structure sous-jacente de VP1 forme « une prédication réduite ». Quant aux têtes de VP1 et VP2, elles sont liées par un mouvement obligatoire de V2 versV143 : (87) [VP1 John [V’ [Vsent(i) [VP2 a letter [V’ [V t(i) to Mary ] ]]]]]
4-3 Similitude entre le datif et le passif Rappelons que l’ordre des objets dans une construction doublement transitive n’est pas strict dans la mesure où le deuxième objet peut précéder le premier, l’inverse étant possible également. Rappelons aussi que, suivant l’hypothèse du complément unique, le premier objet se comporte comme argument externe, i.e. sujet et le deuxième comme argument interne, i.e. objet de V. l’inversion de l’ordre des deux objets est connue sous le nom de phénomène du datif shift. Par ailleurs, l’inversion entre le sujet et l’objet est aussi habituellement observée dans des constructions à la voix passive.
43 Une des conséquences de SCH est que le nombre de VP doit correspondre au nombre des compléments d’objet. Or avec un verbe à trois compléments d’objet, comme (i) ci-dessous, la structure sera étendue pour avoir trois VP, au lieu de deux : (i) John write a letter to Mary in the morning
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
187
Une des caractéristiques communes des deux phénomènes, le datif shift et le passif, est l’inversion de l’ordre entre le sujet et l’objet dans VP. Rappelons qu’en arabe, l’inversion de l’ordre des deux objets de certains verbes transitifs est possible. Considérons les constructions suivantes : (88) a. ?a&ar-tu?al-kitâb-a li-Sadîq-î prêter-Pass-1MS.le livre-Acc. à ami-mon-Obl. “j’ai prêté le livre à mon ami” b.
?a&ar-tu Sadîq-î ?al-kitâb-a prêter-Pass-1MS. ami-mon le livre-Acc. “J’ai prêté le livre à mon ami”
Admettons avec Larson (1988) qu’il existe un parallélisme entre le datifet le passif et qu’une construction comme(88) se dérive selon les mêmes opérations qui dérivent la construction au passif. Admettons aussi que le passif est dérivé par le déplacement de l’argument interne vers la position de l’argument externe. Ce déplacement est justifié d’une part par l’absorption casuelle de l’argument interne et d’autre part par le manque θ-rôle pour l’argument interne du verbe passif. La position non θ-marquée reste vide puisque le sujet est adjoint à droite de V´grâce à quoi il devient θ-marqué suivant la règle de rétrogradation de l’argument (Argument Demotion)44. A cause de l’absorption du cas accusatif du complément objet, ce dernier est forcé de se déplacer vers une position casuellement marquée afin de satisfaire au filtre sur le cas. Ainsi, le déplacement de l’objet se fait vers la position SpecVP,où il reçoit le cas nominatif. La formation syntaxique d’une construction passive comme (89a) peut être présentée dans une configuration comme (89b)45 :
44 Rétrogradation de l’argument (Argument Demotion)
If α is a θ-rôle assigned by X ͥᴵ, α can be assigned up to optionality to an adjunct of Xᴵ. cf. Larson (1988 :352).
45 Contrairement aux langues indo-européennes, le passif en arabe est formé par une opération d’infixation. La forme passive de l’accompli est toujours différente de celle de l’inaccompli ; ce lien serait une justification et une conséquence de la montée de V vers Asp.
188
Partie II, Chapitre III
(89) a.
quri ?-a ?al-kitâb-u lire-PASSIVE-3MS le livre-Nom “Le livre a été lu”46
b. [AspP Spec [Asp° quri ?a(i) [VP1 Spec ?alkitâb-u(j)[V’ [V tv(i)[VP2Spec [V’ V [t (j)]]]]]]
Par ailleurs, la forme morphologique du passif dépend aussi de la nature de la catégorie mise au passif, (i) verbe, (ii) adjectif ou (iii) masdar, cf. Fassi Fehri (1989) : (i) quTi&-a ?al-Habl-u
couper-V.PASSIF-3MS le fil-Nom. “Le fil a été coupé”
(ii) ?al-Habl-u maqTȗ&-un
le fil-NOM coupé-A..PASSIF-NOM “Le fil est coupé”
(iii) ?aqlaqan-ȋ qaT&-u ?al-Habli
Enerver-PASS-1S coupure-Nom. lefil-Gén “La coupure du fil m’a énervée”
Dans (89b), la projection XP, by phrase, adjointe à VP peut être un PP comme cela peut être un IP en classique ou moderne. Quant à l’arabe dialectal, marocain en particulier, le XP adjoint n’est jamais réalisé : tαqr-a l-ktâb *(mαn Taraf n-nâqid) lire-PASSIF-3MS le livre *(par le critique) “Le livre a été lu”
46 Puisque l’assignation de θ-rôle au syntagme adjoint est facultative selon le principe de rétrogradation de l’argument (argument Demotion), la réalisation de cet adjoint est aussi facultative. Concernant la possibilité de la réalisation de cet adjoint ou non, l’arabe classique se distingue de l’arabe moderne ; l’arabe moderne permet la réalisation de cet adjoint sous forme d’un PP : (i) Quri ?-a ?al-kitâb-u (min Tarafi ?aln-nâqid-i) lire-PASSIF-3MS le livre-NOM “Le livre a été lu (par le critique)”
(par le critique-OBL)
En revanche, l’arabe classique ne permet pas la réalisation d’un PP adjoint mais plutôt d’un IP avec un verbe à la voix active et un sujet explicite qui renvoie à l’argument rétrogradé : (ii) Quri ?-a ?al-kitâb-u, qara ?-a-hu ?aln-nâqid-u Lire-PASS-3MS le livre-NOM lire-PASS-3MS-CL(3MS) Le critique-NOM. “Le livre a été lu, le critique l’a lu”
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
189
Ce phénomène syntaxique consiste à inverser l’ordre des deux objets du verbe transitif. Comme au passif, la dérivation du datif shift consiste en deux opérations syntaxiques, l’une thématique et l’autre casuelle. Concernant la première, la position de l’objet direct, Spec VP2, est non thématique puisque V´ n’assigne pas de θ-rôle externe. Le θ-rôle agent sera assigné, facultativement, à la position adjointe à V´suivant la rétrogradation de l’argument47.Ainsi, l’objet direct est réalisé comme adjoint à droite de V´. La seconde opération qui est casuelle consiste en l’absorption de la préposition topar le verbe. Après une telle opération, cette préposition ne peut plus jouer assigner le cas datif. Pour avoir un cas, l’objet indirect doitdonc monter vers Spec VP où il reçoit le cas accusatif du verbe déplacé. Les deux configurations suivantes illustrent la dérivation d’une construction comme (88b). La structure (90) se distingue de (86) par l’absorption de la préposition et l’adjonction de l’objet direct à V´, tandis que (91) présente la montée du verbe dans la position verbale vide [e], et la montée de l’objet indirect vers la position objet de VP1, Spec VP : (90) [VP1 Spec [V’ [V e [V2 Spec ?alT-Tâlib-a [V’ [V t(i) [VP2Spec[V’ [V ?a&âr-tu [NP ?al-kitâbab-a ]]]]]] (91) [VP1 Spec [V’ [V ?a&ar-tu(i) [V2 Spec (j)[V’ [V t(i) [VP2Spec[V’ [V t(i) [ ?al-kitâba ]]]]]] ?alT-Tâlibaba(j)]
Le datif shift est donc dérivé par mouvement de NP objet indirect vers SpecVP (sujet de VP) qui est l’objet direct de V. La mêmeopération est effectuée pour dériver le passif. Toutefois au passif, l’objet monte vers la spécificateur de VP1 (sujet de la phrase) et non pas spec VP2, l’objet datif. 4-4 L’inversion de l’ordre des clitiques Nous savons maintenant comment une construction à double objet est dérivée, cf. (87), et comment l’ordre des deux NP lexicaux objets peut être inversé (cf.(91)). Considérons maintenant le cas où un des deux compléments d’objets sont pronominaux : 47 Voir la définition dans la note (44) ci-dessus.
190 (92) a.
Partie II, Chapitre III ?a&Tay-tu-ka ?al-kitâb-a donner-Pass-moi-toi le livre-Acc “Je t’ai donné le livre”
b. ?a&Tay-tu-ka-hu donner-PASS-moi-toi-lui “Je te l’ai donné ”
La structure (92a) est un exemple de datif shift. Le pronom clitique datif est cliticisé au verbe, après être passé par Spec VP2, alors que le NP objet direct est adjoint à V´ pour les raisons déjà citées. En d’autres termes, à l’exception de la cliticisation, la dérivation de (92a) ne se distingue pas de celle de (88b) représentée dans (91). Par ailleurs, la construction (92b) ne se distingue de (92a) que par la cliticisation de l’objet direct. Cette dernière a précédé celle du clitique datif. Ainsi, l’ordre des compléments objets DAT-OBJ est établi syntaxiquement, que ce soit avec les NP lexicaux ou avec les pronoms clitiques. La paire dans(92) montre un comportement symétrique entre le pronom datif et le NP lexical, objet direct. Néanmoins, cette symétrie ne peut pas être généralisée comme on va le démontrer ci-dessous : Considérons maintenant (93) où l’ordre des clitiques est l’inverse de ce qu’il est dans (92b): (93)* ?a&Tay-tu-hu-ka donner-Pass.1S-CL.3MS.Dat-CL.2MS.Acc.
Certes, l’agrammaticalité de (93) est dueà l’ordre des clitiques, mais elle est due surtout à une opération syntaxique illicite que nous présentons ci-dessous. Le datif shift dans (92a) et (92b) exige d’abord la montée du clitique datif. Une fois que le clitique est incorporé dans V, les deux éléments constituent une tête complexe et rien ne peut intervenir entre eux. C’est exactement l’inverse qui est observé dans (93), i.e. le clitique object est inséré (infixé) entre V et le clitique datif, ce qui explique l’agrammaticalité de la construction en question. Sans cette « infixation », la phrase serait bien formée:
Ordre et hiérarchie des pronoms clitiques
191
(94) ?a&Tay-tu-ka-hu donner-Pass-1S-CL.2MS.Acc-CL.3MS.Dat. Je t’ai donné le livre
Supposons que la montée de V puisse être effectuée séparément de celle du clitique. Le clitique accusatif serait adjoint au clitique datif avant que le tous s’adjoigne à V dans Agr. Ainsi la dérivation syntaxique des deux objets d’un verbe transitif est la même, quelle que soit la nature des deux objets, NP lexicaux ou clitique. Cependant quand les deux objets sont des pronoms clitiques, des contraintes supplémentaires sont imposées sur la dérivation de la structure, i.e. Les clitiques obéissent à des contraintes morphologiques, notamment la sous-catégorisation morphologique, qui exigel’affixation du clitique, ce qui n’est pas le cas pour les NP lexicaux. Comme en arabe, le clitique datif en français doit précéder celui du pronom object en français :
(95)
a. b.
Tu le lui donnes * Tu lui le donnes
Une fois la dérivation de l’ordre strict des clitiques est expliquée en syntaxe, l’agrammaticalité de (93) et (95b) n’est plus problématique, et surtout elle n’a plus besoin d’être expliqué en termes énonciatifs suivant les traits des personnes. Une autre asymétrie entre le NP lexical et le pronom clitique concerne le phénomène de Heavy objet shift. Considérons le contraste suivant : (96) a. ?a&ar-tu?al-kitâb-a li- ?alT-Tâlibi prêter-Pass-1S le livre-Acc. à l’étudiant-Dat. “J’ai prêté le livre à l’étudiant” b.
?a&ar-tu li-TTâlibi?al- kitâb-a preter-PASS-1S à l’étudiant-Dat le livre-Acc. “J’ai prêté à zayd le livre”
Ce genre d’exemple est analysé comme une construction dérivée par la règle Heavy NP Shift qui consiste à déplacer l’objet vers la droite.
192
Partie II, Chapitre III
Conformement aux principes syntaxiques, notamment ECP, le mouvement vers la droite doit être toujours écarté tant qu’un mouvement à gauche est possible. Aussi nous pouvons dopter la proposition de Larson(1988), une structure comme (96b) peut être dérivée par une réanalyse de V´ (V´ Reanalysis)48. La montée du prédication, qui forme un domaine prédicatif, peut être réanalysée sous forme d’un V* par la règle light predicate Raising.
48 V´ Reanalysis :
Let α be phrase [V´…] whose θ-grid contrains one undischargedinternal Ɵ-role .Then α maybereanalysed as [V …]. cf.Larson (1988 :348)
PARTIE III
PRINCIPES ET PARAMETRES
CHAPITRE I
L’incorporation en arabe
1- L’incorporation Au cours du développement récent de la théorie de la grammaire générative, la morphologie motive de plus en plus des opérations syntaxiques et vice versa. Une interaction entre les deux niveaux est souvent nécessaire, notamment en ce qui concerne certains phénomènes tels que l’incorporation. En effet, la syntaxe des têtes (au sens de la théorie X-barre) est un des sujets où apparaît clairement l’interface entre syntaxe et morphologie et où la théorie a beaucoup avancé dans l’explication de nombreux problèmes. Un des buts essentiels des contraintes morphologiques est de permettre ou d’exclure une incorporation donnée et de déterminer si une structure dominée par un X° est bien formée ou pas. La règle (1) ci-dessous est une des règles importantes qui filtre toute incorporation: (1) * [Xn-Y°] Tel que n est supérieur à o.
Dans le cadre de l’interaction entre la syntaxe et la morphologie, Baker (1985, 1988) a avancé le principe dit du miroir (PM). Suivant ce principe, les dérivations morphologiques doivent refléter directement les dérivations syntaxiques (et vice versa)1. Cela suppose qu’il existe une corrélation forte entre l’ordre des positions et les fonctions syntaxiques
1 “… The observed parallelism between morphological derivation and syntactic derivation is a trivial consequence of the fact that there is only one derivation with both kinds of effect (…) to unify morphology and GF-rule syntaxe and thus account
196
Partie III, Chapitre I
d’une part et l’ordre des affixes d’autre part. L’affixation dans le cadre du principe du miroir est le résultat d’un processus syntaxique tel qu’il est présenté par Baker (1988)2:
(2)
affixation processus syntaxique (Grammatical fonction changing)
Nous admettons qu’en D-Structure, les morphèmes ne sont pas unis. C’est par l’incorporation des uns dans les autres que le mot prend sa forme de surface. Le mot devrait être le résultat d’un processus morphosyntaxique où un certain nombre de contraintes et de principes doivent être respectés, notamment ceux qui concernent le mouvement. Considérons les structures abstraites suivantes: (3) a. [XP X° [YP Y°] [ZP Z°]]]
b. [XP X°-Y° [YP Y°-tY°] [ZP Z°]]]
c. [XP X°-Y°-Z° [YP tY°Z°] [ZP tZ°]]]
Dans (3), il y a une structure de départ (3a), une structure intermédiaire, (3b), et enfin une structure finale, (3c). En ce qui concerne le passage de (3a) à (3c), nous rappelons qu’au moins trois analyses différentes ont été proposées. La première consiste à déplacer Z d’abord dans Y comme une tête intermédiaire, puis le tout se déplace dans X. C’est un mouvement qui respecte à la fois HHM (mouvement tête à tête) et HMC (contrainte sur le mouvement des têtes)3. La deuxième analyse consiste à déplacer la tête Z librement et directement, tant que cela ne viole aucun des principes qui régissent le mouvement, et notamment ECP. La montée directe de Z dans X peut être suivie par celle de Y dans X4. Enfin la troisième hypothèse consiste à déplacer Z dans X via les positions Spec comme positions échappatoires. Pour que la tête Z soit incorporée dans X, il faut qu’elle passe par Spec YP avant de s’affixer à
2 3 4
for the mirror principle, we must claim that only one component is involved”, (cf. Baker (1985:408)). cf. Baker (1988). cf. Travis (1984), Chomsky (1986), entre autres. cf. Ouhalla (1988).
L’incorporation en arabe
197
X. Dans le cadre de cette hypothèse, la tête monte d’abord comme une projection maximale (ZP) à travers Spec YP, puis elle se convertit pour monter comme tête, dans une étape finale du mouvement, afin de s’attacher à la tête X. Le résultat des deux dernières analyses est différent de celui de la première. Dans les deux dernières, la tête Z monte dans X sans passer par Y. La montée de cette dernière peut être effectuée ensuite. Nous avons alors Z-X en premier lieu et Y-Z-X en deuxième lieu. Cependant, la première analyse exige le déplacement de Z dans la tête intermédiaire Y avant tout déplacement vers X. Le résultat est la formation du segment Y-Z puis de X-Y-Z. Si ces analyses peuvent avoir des résultats différents, elles sont toutes contraintes de respecter un principe fondamental, ECP, même si elles ne respectent pas toutes HMC ou HHM. La violation de HMC n’aura pas de conséquences si ECP est respecté. La satisfaction de ce dernier suffit pour que l’incorporation, ou le mouvement en général, soit possible indépendamment de HMC, qu’il soit satisfait ou pas. Cela implique que HMC peut être réduit à ECP5. Ainsi, l’incorporation est conçue comme une opération de fusion entre deux têtes au moins. En aucun cas, la tête incorporée ne peut se séparer de la tête qui la supporte, puisque les deux têtes en question deviennent non distinctes et prennent une nouvelle forme et une nouvelle identité. Une fois qu’une tête X est incorporée dans une autre, aucune des deux têtes ne peut se séparer de l’autre. Le principe de “prohibition” de Baker (1988) exige cette fusion entre les deux têtes en incorporation. Si ce principe est correct, l’exporation doit être exclue de la grammaire6. La tête composée par incorporation conserve en partie la forme et l’identité des deux têtes en composition. Cette conservation est traduite sur le niveau structurel, la tête composée par incorporation doit gouverner les positions d’origine des têtes qu’elle inclut. C’est la condition du gouvernement de transparence corollaire (The Governement Transparency Corollary) 5 6
cf. Chomsky (ibid), entre autres. L’exporation, à l’opposé de l’incorporation, consiste à dissocier deux éléments qui formaient une unité morphologique.
198
Partie III, Chapitre I
proposée par Baker (1988). Cette condition, comme HMC, peut être réduite aussi à ECP. Outre la sous-catégorisation morphologique que nous avons évoquée, nous supposons qu’il y a un autre facteur qui motive l’incorporation d’une tête dans une autre: le principe de l’identification morphologique que nous proposons dans (6): (5)
Y° est incorporé dans X° ssi Y° peut identifier morphologiquement X°.
(6)
X° identifie morphologiquement Y° ssi a- X° sous-catégorise morphologiquement Y° et b- X° ou Y° est un morphème lié.
Le principe d’indentification morphologique peut être conçu comme une des conditions qui motivent non seulement l’incorporation, mais qui permettent aussi de déterminer, en termes d’indentification, quelles sont les têtes qui peuvent être incorporées les unes dans autres. Par ailleurs, nous pouvons distinguer des langues qui octroient plus de liberté pour incorporer une catégorie donnée dans une autre, et des langues où cette liberté est restreinte. Les langues se distinguent aussi suivant la nature des catégories qui peuvent être incorporées dans les unes mais pas dans les autres. Les traits morphologiques ou lexicaux de chaque catégorie jouent un rôle important dans la possibilité de toute incorporation. Cette hypothèse doit être liée au principe d’identification morphologique tel qu’il a été présenté dans (6) ci-dessus. Baker et Hale (1990) ont proposé une approche dans ce sens, en proposant une version de la condition de minimalité qui révise celle définie par Rizzi (1990). Cette nouvelle version consiste à tenir compte non seulement de la nature syntaxique des deux sites de mouvement -départ et arrivée-, mais aussi de la nature des catégories qui occupent ces sites: lexicale (désormais L) ou fonctionnelle (désormais F). Nous vérifierons cette approche sur les différentes catégories de l’arabe afin de savoir laquelle peut ou ne peut pas être incorporée dans telle catégorie. Nous montrerons que la nature d’une catégorie nominale ou verbale crée un domaine privilégié pour le mouvement des têtes.
L’incorporation en arabe
199
Si deux têtes X et Y peuvent être incorporées de la même façon ou dans la même catégorie, ces têtes sont alors symétriques, sinon, elles sont symétriques.
2- Incorporation et anti-incorporation 2-1 Incorporation asymétrique Postal (1962), Williams (1976), Sadock (1980) ont démontré respectivement en mohawk, en iroquois et en esquimau que l’incorporation du nom complément d’objet dans le verbe est possible, ce qui n’est pas le cas du nom sujet. Ce dernier ne peut pas être incorporé dans V comme le montre le contraste suivant du mohawk: (7) a.
yao-wir-a?a ye-nuhwe? ne ka-nuhs-a? PRE-bébé-SUF 3FS/3N-aimer-Asp la-maison-SUF “Le bébé aime la maison”.
b)
yao-wir-a?a ye-nuhs-nuhwe?-s PRE-bébé-SUF 3FS/3N-maison-aime-Asp “Le bébé aime la maison”
c)* ye-wir-nuhwe?-s ne ka-nuhs-a? 3FS/3N-bébé-aime PRE-maison-SUF (mohawk; Baker (1990))
Le contraste ci-dessus montre que N objet (7b), contrairement à N sujet (7c), peut être incorporé dans V. Un tel contraste nous ramène au phénomène de l’asymétrie qui existe généralement entre le sujet et l’objet. Cette asymétrie d’ailleurs peut être expliquée par ECP7. Or, l’explication du contraste en question est liée à la nature syntaxique du site de départ à partir duquel le mouvement est effectué8, i.e. dans (7b) 7 8
cf. Baker (1988), Huang (1982), Lasnik et Saïto (1984). Rappelons que le mohawk est une langue à sujet initial, i.e il précéde le verbe et occupe la position Spéc IP d’après Baker, ibid.
200
Partie III, Chapitre I
le déplacement de l’objet est effectué par montée alors que dans (7c) le mouvement est effectué de la position sujet par abaissement (lowering). Dans (7b), N incorporé dans V c-commande et antécédent-gouverne sa trace, ce qui satisfait ECP. En revanche, dans (7c), la trace du sujet incorporé dans V forme une chaîne impropre où la trace n’est pas c-commandée par son antécédent: (ti …. Xi), ce qui viole ECP. Cependant, l’incorporation à partir de la position sujet peut être possible dans certaines langues telles que l’iroquois ou le tiwa du sud respectivement présentés en (8) et (9)9: (8) a.
ka-hi-hw-i ne?o-hsahe?t-a? 2N-vendre-Cons-Asp la mèche-SUF. “Tu vends la mèche”
b. ka-hsahé’t-ahi-hw-i 3N-mèche-vendre-CAUS-Asp “La mèche est vendue” (9) a. I-k’uru-k’ euwe-m louche-vieille-PRES “La louche est vieille” b. we-fan-Lur-mi NEG-neige-chute-PRES/NEG “Il ne neige pas”
Les noms mèche et neige sont incorporés respectivement dans le verbe (8b) et (9b) bien que ces noms occupent la position sujet dans les deux constructions. La bonne formation de (8b) et (9b) par rapport à (7c) peut nous amener à falsifier la généralisation qui prévoit l’impossibilité de toute incorporation à partir de la position sujet. Néanmoins, cette généralisation pourrait rester pertinente; si l’on suit l’analyse de Baker (1988), les deux constructions (8b) et (9b) doivent être traitées différemment de celle de (7c). Cette différence est due à la nature des prédicats dans les deux types de constructions. En d’autres termes, si le verbe dans (7c) est accusatif, les prédicats dans (8b) et (9b) sont “inaccusatifs”
9
cf. Baker ibid.
L’incorporation en arabe
201
et précisément “ergatifs”. Rappelons qu’en D-Structure, l’argument interne de tel type de prédicats est en fait un argument externe (patient/thème)10. En d’autres termes, le NP qui apparaît avec un verbe ergatif est en fait un argument interne et non pas externe. Si c’est le cas, le N incorporé dans V sera l’argument externe et non l’argument interne. L’incorporation depuis une telle position ne provoque aucune violation de ECP, cf.(7a). Encore une fois, seuls les arguments occupant la position objet, soit en S-Structure (7b) ou D-Structure (8b) et (9b) sont capables de s’incorporer dans leurs prédicat, tandis qu’un sujet, occupant en D-Structure une position externe de VP, ne peut jamais s’incorporer à VP sinon ECP sera violé, c’est ce que montre le contraste suivant: (10) a.
khwien-ideo ø-teurawe-we dog-SUF A-run-PRES “Le chien est en train de courir”
b.* ø-khwien-teurawe-we A-dog-run-PRES “Un chien court”
Or, bien que le prédicat dans (10) soit un verbe inaccusatif, son sujet peut ne pas s’incorporer, étant donné qu’il s’agit d’un vrai sujet engendré en D-Structure en position externe de VP. L’exclusion de (10b) découle donc, encore une fois, d’ECP11.
1 0 11
cf. Burzio (1986). Se fondant sur des faits du chichewa (cf Bresnan et Mchombo (1987), Baker et Hale (1990), montrent que si l’incorporation du nom à partir de la position sujet est parfaitement possible, elle n’est pas toujours évidente lorsqu’il s’agit du pronom. (i) a. Amayi a-ku-umb-ir-a mwana mtsuko
La femme Prés-préparer-IND l’enfant biberon. “La femme est en train de préparer le biberon pour l’enfant”
femme Prés-préparer-Asp.-biberon. “La femme prépare le biberon pour lui”
est femme-donner-Pass- bébé-SUF. “j’ai donné le bébé à la femme”
b.
(ii)
*
Amayi a-ku-mu-umb-ir-a-mtsuko
ta-hliawra-wia-ban- ( ?u’u-de )
202
Partie III, Chapitre I
2-2 VP et P-stranding Le P-stranding (P-orpheline) est un phénomène syntaxique qui consiste en un déplacement du complément de P hors de son domaine prépositionnel:
(11)
a. b.
Whom will Mary give the money to? Which folder does Maigret keep the letters in?
Suivant l’existence ou pas de ce phénomène, on distingue des langues qui l’acceptent, telles que l’anglais (cf.11) et celles qui ne l’acceptent pas telles que le français, l’italien ou l’arabe comme on le constate respectivement dans (12), (13) et (14)12: 12 Kayne (1984) et Larson (1988,a) proposent une généralisation qui consiste à corréler le P-stranding au phénomène de datif shift en supposant que les langues qui ne permettent pas le P orpheline ne permettent pas non plus le datif shift. Nous remarquons toutefois qu’une telle corrélation n’est pas systématique. Nous avons montré que le datif shift s’observe en arabe mais pas le P-stranding: (i) a. ?a&Tay-tu ?al-faqîr-a ?al mâl-a
donner-Pass-1M le pauvre-Dat. l’argent-Acc “J’ai donné au pauvre de l’argent”
donner-Pass.1M l’argent-Acc au-pauvre-Obl. “J’ai donné de l’argent au pauvre”
La même conclusion est tirée par Shi Zhang (1990) pour le chinois:
Je prêter-PASS Asp lui un crayon “Je lui ai prêté un crayon”
“Lisii, je donne un livre à [e]i”
John donne Mary livre “John donne à Mary un livre”
qui Focus John donne livre à
b. ?a&Tay-tu mâl-an li-lfaqîr-i
c.*
a.
(ii)
b.*
?al-faqîr-a ?a&Tay-tu mâl-an ?ilâ Wo jie le ta yi zhi be
Lisii, wo song le yi ben Shu gei [e]i
Des contrastes équivalents sont observés aussi en allemand et en indonésien, comme il l’a souligné Shi Zhang (ibid): (iii) a. John memberikan Mary buku
b.*
Seiapa yang John berikan buku kepada?
L’incorporation en arabe
(12)
a.* b.
203
Qui as-tu parlé de? De qui as-tu parlé?
(13) a.* b.
Cui hai parlato di qui AUX parler-PASS-3S de Di cui hai parlato De quel sujet parles-tu?
(14) a.*
mawDû&-in taHaddaÕ-a qalâl-an &an Sujet-Obl. Parler-PASS-3S peu-ACC de
b.
&an?ayyi mawDû&-in taHaddaθ-a kaθîr-an? De quel sujet-Gén. parler-Pass.3S peu-Acc. “De quel sujet il parlé peu”
Au sujet de l’agrammaticalité des phrases ci-dessus, on peut se poser la question suivante: “qu’est ce qui empêche l’extraction depuis la position complément de P?”, la réponse à cette question nous amènera à expliquer pourquoi le clitique complément de P ne peut pas non plus monter pardessus une préposition. Rappelons que lorsque l’on remplace un NP par un clitique, ce dernier peut être un complément de P. Le domaine de PP est donc un domaine opaque pour l’extraction aussi bien pour CL que pour N. Dans le domaine de PP, N et CL sont symétriques puisque leur incorporation par dessus P est impossible. Par ailleurs, la différence entre (11b) d’une part, (12b) et (13b) d’autre part montre que P a deux comportements syntaxiques distincts. Cette différence s’explique plus précisément par la relation qui existe entre P et son complément. La distinction principale concerne la relation argumentale entre chacune de ces prépositions et leur complément d’une part, et avec le verbe d’autre part.
(iv)
a.
Ich gebe dem Mann ein Buch
Je donne l’homme un livre “Je donne à l’homme le livre”
b.*
Wem kommst du nach? Qui tu viens après
Une corrélation, stricte et générale, entre le phénomène de P-orpheline (P-Stranding) et datif shift semble empiriquement loin d’être universelle.
204
Partie III, Chapitre I
La préposition qui permet l’extraction de son complément est en relation privilégiée avec le verbe par rapport aux autres prépositions. A la suite d’une réanalyse entre P et V, ces deux têtes peuvent être conçues comme un seul item discontinu portant un indice catégoriel unique (k)13: (15) [VP V [PP P] [NPi (k,i) ]]
Pour composer les deux têtes ensemble, P et V, deux types d’analyses ont été proposées, le premier est lexical alors que le deuxième est syntaxique14. La différence entre les deux réanalyses dépend du niveau de représentation où l’incorporation de P dans V est effectuée. Pour la première, l’incorporation est faite au niveau du lexique alors que pour la deuxième elle est faite en syntaxe. Si la contiguïté est une condition nécessaire pour tout élément en incorporation, il semble que cette condition n’est pas toujours respectée. L’anglais et le norvégien, présentés respectivement dans le paradigme (16), montrent qu’il est parfaitement possible d’insérer un adverbe ou un NP entre les têtes ré analysées: (16) a.
WhoI did John talk to Mary about tI Qui Aux.Pass. John parler à Mary de “De qui John a parlé à Marie”
b.
Bokani blé beat to gagner for ti Le livre être-Pass. payer deux fois pour “Le livre a été payé deux fois” Norvégien (cf. Christensen (1986))
13
Manzini (1992) qui a traduit cette idée en termes d’indices et d’adresses distingue deux types d’indices, un pour la catégorie et l’autre pour la position. Le premier, dit indice catégoriel indiquant le contenu et l’identification d’une tête lexicale: (i) Un indice (i) est légitimé comme indice catégoriel de α (ii) Si et seulement si α est lexical. Le second indice est celui d’une position gouvernée Casuellement (K-gouvernée): (ii) Une paire d’indices (j,i) est légitimée comme l’adresse de
14
Koopman (1984) sur les langues kru, Baker (1988) sur le chichewa.
 ssi il y a ß= ß(j) qui K-gouverne α=α(i).
L’incorporation en arabe
205
La grammaticalité des constructions telles que (16a et 16b) est problématique pour les deux types de réanalyse. Rappelons le principe de prohibition qui interdit toute sorte d’exporation ? entre deux têtes une fois qu’elles sont incorporées. Suivant ce principe, on s’attendrait à ce que les deux têtes en question P et V soient inséparables et que par conséquent, les constructions telles que (16) soient agrammaticales, ce qui est un résultat incorrect ? Néanmoins, nous constatons que le but commun des deux réanalyses est de priver la tête P de son rôle syntaxique, notamment vis-à-vis de son complément, afin que V puisse avoir accès au NP complément et par suite le gouverner. Cela permet à V de légitimer la trace du complément déplacé et de satisfaire ECP15: (17) a. *Whi …[VP V° [PP P° ti]] b. Whi …[VP V°-P° ti]
L’extraction de Wh de NP dans (17b) est la même que celle de DP objet direct de V vis-à-vis de ECP, i.e. la tête composée V-P dans (17b) gouverne proprement la trace de NP, exactement comme une tête simple telle que V dans (18): (18) Whi …[VP V° ti]
En revanche, (17a) est exclue par ECP étant donné que P° n’est pas un gouverneur propre, capable de légitimer la trace de son objet. V° ne peut pas non plus gouverner la trace de NP complément de P° suivant la minimalité relativisée (cf. Rizzi (1990:7)). Une des conséquences importantes de la corrélation entre le P-stranding et la réanalyse est que dans les langues où le phénomène de P-stranding n’est pas observé, l’incorporation de P dans V, en tant que deux catégories L, n’est pas possible non plus. Rappelons que l’arabe est une langue qui ne connaît pas le P-stranding et, par conséquent, ne connaît pas l’incorporation de P dans V.
15
cf. Stowell (1981), entre autres.
206
Partie III, Chapitre I
2-3 NP-stranding L’arabe est une des nombreuses langues qui ne permettent pas l’extraction de l’intérieur de DP. Comme PP, le DP constitue un domaine opaque pour l’extraction, à savoir qu’aucune extraction ne peut être effectuée par-dessus DP: (19) a. yahumm-u-nî kaθîr-an fikr-u ?al-muHâDir-i interesser-PRS.3MS-CL.1S beaucoup-Acc la pensée conférence-Gén. “La pensée du conférencier m’intéresse beaucoup” b.*
?al-muHâDir-i yahummunî kaθîr-an fikr-u la conférence-Gén. interesser-Prés.3FS-CL.1S. beaucoup-Acc. pensée-Nom.
c.* mâð yahummu-nî kaθîr-an ?al-muHâDir-i quoi intéresser-Prés.3FS-CL.1S. beaucoup-Acc livre-Nom.
Le même phénomène s’observe aussi si le complément de N est un pronom clitique: (20) a. yahumm-u-nî kaθîr-an kitâb-u-hu interesser-Prés.1S-CL.1S. beaucoup-Acc livre-Nom.CL.3MS. “Son livre m’interesse beaucoup”
b.*
tahumm-u-nî-hu kaθîr-an kitâb-u
c.*
man tahumm-u-nî-hu kaθîr-an kitâb-u
Outre DP et PP, une autre projection maximale opaque peut encore s’ajouter: il s’agit de la projection maximale de la tête VN maSdar. Or, les arguments de la tête VN ne peuvent pas non plus monter par-dessus cette dernière: (21) a. ?arad-tu samâ&-a ?al-xabar-i vouloir-Pass-1S entrendre-Pass-MS la nouvelle-Gén. “J’ai voulu entendre la nouvelle” b.* mâðâ?arad-ta samâ&-a? quoi vouloir-Pass-2S entendre-Acc.
c.* ?al-xabar-a ?arad-tu samâ&-a la nouvelle-Acc. vouloir-1S entendre-Acc..
L’incorporation en arabe
207
Le même phénomène est observé quand le complément de VN est un clitique, i.e. le clitique ne peut pas passer par-dessus la tête VN comme le montre l’exemple suivant16: (22) a.
?arad-tu samâ&-a-hu vouloir-Pass-1S entrendre-Acc-CL-Gén. “J’ai voulu l’entendre”
?arad-tu-hu samâ&-a
b.*
A partir de différences telles que (19–22), et celui repéré dans (14), nous pouvons tirer au moins deux conclusions générales: la première est l’opacité des trois projections maximales PP, DP et VN. Ces trois domaines sont symétriques en ce qui concerne l’extraction de leur complément. La seconde conclusion est la symétrie entre le clitique et le NP par rapport à l’extraction de l’intérieur des trois domaines considérés. La question qui se pose est de savoir comment la théorie du mouvement rend compte de l’opacité et bloque l’extraction de l’intérieur de ces projections maximales. Rappelons que Chomsky (1986b) distingue deux notions de barrière, la première pour le gouvernement et la deuxième pour le mouvement: la première est une barrière par minimalité définie ainsi: (23) Dans la configuration … α …[γ … ß …], γ est barrière pour ß si γ est la projection immédiate de ß qui n’est pas une catégorie de rang zéro.
Selon (23), γ empêche α de gouverner ß, bien que γ ne soit pas une projection maximale. Dans ce sens γ est une barrière pour le gouvernement. Par ailleurs, la deuxième notion de barrière qui est pertinente pour le mouvement est celle définie en termes de L-marquage, à savoir que toute projection maximale qui n’est pas L-marquée est une barrière pour 16 Si la corrélation entre l’extraction par-dessus P et la réanalyse de P dans V est correcte, la réanalyse de N et VP dans VN est aussi impossible puisque l’extraction depuis le complément de ces têtes est impossible dans plusieurs langues dont l’arabe. Le problème de la réanalyse de P dans V est que l’on ne sait pas exactement quand la réanalyse peut être possible et quand il ne peut pas. Sans une réponse à cette question, cela reste une simple stipulation.
208
Partie III, Chapitre I
le mouvement, sachant que le L-marquage est défini, lui aussi, en termes de θ-marquage17. Par ailleurs, rappelons que pour l’extraction à partir du complément, il existe une asymétrie entre deux domaines, d’une part VP et d’autre part PP, NP et VN. Alors que l’extraction est possible à partir de VP, mais elle est impossible depuis PP, NP et VN, cela malgré le fait que ces dernières projections sont gouvernées par le verbe :
(24)
[V [XP [X’ X YP ]]] où X est un N, P ou VN et Y est N ou CL
Grâce au L-marquage par V, XP entier, incluant le complément de X, peut être extrait. En revanche YP ne peut pas être extrait indépendamment de X. Si V L-marque son complément et permet sa montée pourquoi les autres têtes ne le font-elles pas? Deux hypothèses viennent immédiatement à l’esprit. La première consiste à dire que les autres têtes, P, N et VN, mise à part la tête verbale, n’ont pas la capacité de L-marquer leur complément. Par conséquent, les projections de ces têtes sont des barrières par L-marquage18. La deuxième explique cette opacité autrement.
17
L-marquage : α L-marque ß ssi α est une catégorie lexicale qui θ-gouverne ß.
θ-gouvernement : α θ-gouverne ß ssi α est une catégorie X° qui θ-marque ß, et α et ß sont soeurs.
18 Plusieurs chercheurs ont adopté l’hypothèse suivant laquelle N et VN ne L-marquent pas leur complément et les projections de ces têtes sont des barrières par L-marquage. Pourtant ces deux têtes sont lexicales, et rien n’empêche de dire qu’elles θ-marquent. Si cela est possible, ces têtes sont capables de L-marquer. En outre, l’hypothèse qui nie le L-marquage pour N et VN doit le nier aussi pour P puisque le PP est également une projection opaque pour ses compléments. Aucun argument ne soutient une telle hypothèse, notamment dans une langue comme l’arabe où il n’y a pas de Dummy Preposition qui ne sert qu’à assigner le cas, cf. Kayne (1984, entre autres).
L’incorporation en arabe
209
Nous avons opté pour le θ-marquage par N et P comme par V pour justifier la possibilité de cliticisation en arabe sur ces têtes; en conséquence, ces dernières têtes peuvent avoir la capacité de L-marquer leur complément. A partir d’une telle hypothèse, nous pouvons tirer deux conclusions. La première est que le L-marquage n’est pas suffisant pour supprimer la barrière et garantir la transparence des catégories XP, même s’il est une condition nécessaire pour l’autorisation de tout mouvement. La deuxième, qui est liée à la première, consiste à dire que les domaines NP, PP et NP sont des domaines opaques. Ces deux conclusions impliquent que le gouvernement par tête n’est pas suffisant pour légitimer la trace. En d’autres termes, la trace du complément de P, N ou VN peut être gouvernée par une de ces dernières têtes, mais cela n’est pas suffisant ou n’est pas indispensable pour légitimer la trace en question. En effet, cette trace ne peut être légitimée que si elle est gouvernée par son antécédent déplacé. Par ailleurs, étant appropriée pour le gouvernement, la définition (23) l’est aussi pour le mouvement. La notion de barrière par minimalité telle qu’elle est définie dans (23) peut expliquer pourquoi l’extraction du complément de P, N ou VN est impossible. Les têtes interviennent pour bloquer le gouvernement entre la trace du complément et son antécédent, ce qui est une relation que nous considérons indispensable pour satisfaire ECP. Dans ce sens les têtes intervenantes sont des gouverneurs potentiels qui gouvernent et empêchent leurs compléments d’être gouvernés par leurs antécédents. Si cette analyse est correcte, on s’attendrait à ce que la tête V, elle aussi, soit capable d’empêcher la montée de son complément, quelle que soit sa nature, pronominale ou nominale. Une telle prédiction n’est pas attestée empiriquement puisque le complément de V, qu’il soit un NP ou un pronom clitique, peut franchir le domaine VP sans que sa trace soit bloquée par la tête V: (25) a. ?aHabb-a ?alṨ-Ṩâ&ir-u hind-a aimer-Pass.3MS le poète-Nom Hind-Acc. “Le poète a aimé Hind”
210
Partie III, Chapitre I
b. ?aHabba-hâ ?alṨ-Ṩâ&ir-u aimer-Pass-3FS le poète-Nom. “Le poète l’a aimée” c.
man ?aHabb-a ?alṨ-Ṩâ&ir-u? qui aimer-Pass-3MS le poète-Nom. “Le poète a aimé qui?”
d.
Hind-an ?aHabb-a ?alṨ-Ṩâ&ir-u Haind-Acc. aimer-Pass-3MS le poète-Nom. “Hind, le poète l’a aimée”
La montée du clitique objet dans (25b) n’est pas seulement possible mais elle est obligatoire. L’extraction de l’élément interrogatif (Wh) de NP ou sa topicalisation, dans respectivement (25c) et (25d), sont parfaitement possibles. Comme dans toutes les constructions à clitique objet, le clitique doit se trouver en S-Structure dans Agr incorporé dans le verbe. La distance que le clitique traverse dans sa montée doit être équivalente à la distance traversée par la tête qui gouverne immédiatement le clitique. Il existe donc une corrélation entre la montée du clitique et celle de la tête L à laquelle le clitique est affixé. N et V montent respectivement dans Agr et D, des têtes F où le clitique se trouve également en S-Structure. La montée de la tête L exige celle du clitique, l’inverse n’est pas obligatoire; i.e. le clitique peut monter même si le verbe, pour d’autres raisons, ne monte pas. L’hypothèse qui lie la montée du clitique systématiquement à celle du verbe ne peut pas expliquer la bonne formation de l’énoncé (26) ci-dessous. Dans cet énoncé tiré de l’italien, le verbe à l’infinitif vedere (voir) reste dans sa position d’origine (V), mais le clitique s’adjoint au verbe conjugué vuole (vouloir), verbe qui le sélectionne: (26)
Gianni li vuole vedere Gianni le veut voir “Gianni veut le voir”
En revanche, chaque fois que la montée de la tête lexicale est observée, la montée du clitique, complément de V, l’est également. Or, la corrélation entre la montée des deux têtes exige une montée locale du clitique, mais ce dernier ne doit pas dépasser le domaine propre
L’incorporation en arabe
211
“privilégié” de la tête L qui le i-gouverne, que ce domaine soit verbal (AgrP), nominal (NP), ou prépositionnel (PP). Les traits catégoriels, verbal et nominal, semblent avoir un rôle important dans la distinction de ces domaines et leur opacité. Pour expliquer la montée locale du clitique et du complément de chaque tête L, nous opterons pour une approche qui distingue différentes projections étendues selon les traits catégoriels de chaque domaine.
3- La minimalité relativisée révisée 3-1 Définition Rizzi (1990) élabore la théorie de la minimalité relativisée qui présente une contribution incontournable dans la syntaxe du mouvement, de la localité et du gouvernement: (27) X α-gouverne Y si et seulement si il n’y a pas un Z tel que: a. Z est un α-gouverneur potentiel typique pour Y. b. Z c-commande Y et Y ne c-commande pas X.
La notion de α-gouverneur est définie selon le contenu de  s’il est tête (head-government) ou antécédent (antécédent-government): (28) Z est une tête-gouverneur potentielle pour Y= Z une tête qui m-commande Y. (29) a. Z est un antécédent-gouverneur potentiel pour Y si: Y est une catégorie X° et Z est une catégorie X° qui m-cammande Y, ou b. Y est une catégorie XP dans une A-chaîne et Z est A-Spec qui m-commande Y, ou c. Y est une catégorie XP qui est dans une A’-chaîne qui m-commande Y.
Pour présenter (27)-(29) en termes simples, considérons la structure abstraite suivante: (30 [… X … Z … Y …]
212
Partie III, Chapitre I
La théorie de la minimalité relativisée suppose que toute relation de gouvernement de Y par X est bloquée si Z était du même type que X. La tête Z dans (30) est un gouverneur potentiel qui empêche la trace (X) d’être gouvernée par son antécédent (Y), ce qui viole ECP. Ainsi le gouvernement par antécédent est indispensable pour légitimer la trace d’un élément déplacé qu’il soit X° ou XP. Pour qu’une tête soit un gouverneur potentiel, il ne suffit pas qu’elle intervienne entre une tête et sa trace, il faut aussi que la nature catégorielle de Z et celle de Y, trace de X, soient non distinctes, L ou F. En d’autres termes, la condition de la minimalité relativisée doit être sensible à la différence entre les catégories L et les catégories F, cf. Baker et Hale (1990)19: (31) Z est un antécédent gouverneur pour Y si: a. Y est une tête lexicale et Z une tête lexicale qui m-commande Y, ou b. Y est une tête fonctionnelle et Z est une autre tête qui m-commande Y.
La définition de Z comme antécédent-gouverneur potentiel telle qu’elle est formulée dans (31) est plus précise mais moins restreinte que la version de Rizzi (1990). Nous adopterons cette version de la condition de minimalité pour développer, en termes de traits F et L, les combinaisons des catégories qui peuvent s’incorporer les unes aux autres en arabe. Pour établir la pertinence de cette révision, Baker et Hale (1990) ont souligné le contraste entre (32) et (33), de la langue niuean (une langue océanique). Ce contraste montre que N ne peut pas passer par-dessus P. P, en tant que tête L, empêche la trace de N d’être gouvernée par son antécédent:
19
(32) Ne tutala a au ke he tau tagata. PASS-parler abs-I à P-personne “J’ai parlé à des personnes”
Roberts (1993) a proposé la même définition en termes différents: Si X est non distinct de Y, X ne peut fonctionner comme tête intervenante pour la formation de la chaîne entre Y et Z. La non distinction est définie comme suit: (i) A est une position non dinstincte de B si et seulement si A et B sont de même catégorie et sont dans la même projection étendue d’une catégorie lexicale. (ii) Autrement A est distinct de B.
L’incorporation en arabe
(33)
213
*Ne tutala tagatai a au [PP ke he [NP tN’]]. PASS-parler-personne abs-I à
Cela permet d’expliquer pourquoi P-stranding peut ne pas exister dans plusieurs langues. En revanche, dans une langue comme le tiwa du sud, N qui appartient à la projection DP, peut s’incorporer directement dans V en passant pardessus D, même si elle intervient entre N et sa trace. La tête D, en tant que tête F, n’empêche pas l’antécédent N de gouverner sa trace (4,b)20: (34) a.
[Yede seuan-ide] a-mu-ban. Cet homme-suf 2S/voir-PASS “Tu as vu cet homme”
b.
[DP Yede [NP [N’ t]] a-seuani-mu-ban. Cet 2S/homme-voir-PASS “Tu as vu cet homme”
Il existe donc une différence entre P et D vis-à-vis de la minimalité. L’incorporation de N dans V par-dessus P n’est pas possible (cf.33b) parce que P est une tête L, alors que l’incorporation de N dans V par-dessus D est possible (cf. 34b), parce que D est une tête F. Les deux têtes P et D n’ont pas les mêmes effets vis-à-vis de la minimalité. Elles sont asymétriques. L’asymétrie entre une tête L et une tête F est observée non seulement en tant que têtes intervenantes, mais aussi en tant que têtes déplacées. En d’autres termes, le déplacement d’une tête X peut être effectué ou pas suivant qu’elle est L ou F. L’asymétrie entre les deux têtes L et F a une double face, la première concerne la tête intervenante et la deuxième la tête déplacée. Baker et Hale démontrent que la distribution complémentaire entre le nom (N) et le pronom (D) n’implique pas un comportement identique concernant l’incorporation. Le complément datif dans une langue comme le chichewa peut être incorporé quand il est un pronom, mais pas quand il est un nom: (35)* Ta-hliawra-wia-bon 1S/la femme-donner-PAS-enfant-SUF “J’ai donné le bébé à la femme”
20 L’exemple est de Allen, Gardiner, et Frantz (1984), cité par Hale et Baker (1990).
214
Partie III, Chapitre I
Encore une fois, la tête L comme P (phonétiquement nulle) empêche le NP datif de s’incorporer dans le verbe mais elle n’empêche pas l’incorporation du pronom. P n’est pas un antécédent gouverneur potentiel pour la trace du pronom, en tant que catégorie F (D). Une des conséquences de cette approche est l’asymétrie entre le nom et le pronom en termes d’incorporation et plus généralement, l’asymétrie entre les catégories L et les catégories F. Si P est une tête L, cela peut expliquer le manque de P-stranding: P intervient entre la trace de la tête L (N) et son antécédent, ce qui bloque l’antécédent-gouverneur entre ces deux derniers éléments:
(36)
* N [PP[P’P [NP [N ti]]]]
De même, la montée du complément adnominal par-dessus une tête N sera bloquée pour la même raison. N, en tant que tête nominale, empêche la trace du NP déplacé d’être gouvernée par son antécédent comme dans (37) présenté empiriquement dans (38b) et (38c):
(37)
* N [DP[D’D [NP N [ti]]]]
Suivant l’approche de Baker et Hale, on s’attendrait à ce que le pronom en tant que catégorie F ne bloque pas la montée du pronom clitique dans une tête par-dessus N.
4- Pour un PP étendu Considérons le contraste suivant: (38) a. qara?-tu kitâb-a-hu lire-Pass-1MS livre-Acc-CL.3MS. “J’ai lu son livre”
b.
*qara?-tu-hu kitâb-a
L’agrammaticalité de (38b) est due à la montée du clitique, complément de N, jusqu’à V en franchissant DP. En vertu de (31), le gouvernement de la trace du clitique déplacé n’est pas bloqué par N mais par D, étant
L’incorporation en arabe
215
donné que seule une tête F intervenante peut bloquer la relation de gouvernement entre la trace d’une autre catégorie F, tels que le pronom clitique et son antécédent. Cependant, le problème se pose dans le domaine prépositionnel, et précisément quand le complément de P est un pronom clitique. Considérons les exemples suivants: (39) a. ?iltaqay-tu bi-lbâHit-i rencontrer-Pass-1S avec-chercheur-OBL ʺJ’ai rencontré le chercheurʺ
b.*
?lbâHit-i ?iltaqay-tu bi
(40) a. ?iltaqay-tu bi-hi rencontrer-Pass.1S avec-CL.1MS. Je l’ai rencontré
b.*
?al-bâHit i?iltaqay-tu bi
A la lumière de (31), le contraste (39) peut parfaitement être expliqué: la tête P qui intervient entre N et sa trace opère comme un gouverneur potentiel. Par conséquent, la trace de N n’est pas gouvernée par son antécédent, ce qui viole ECP. D’où l’agrammaticalité de (39b). Cependant, l’agrammaticalité de (40b) ne peut pas avoir la même explication. En d’autres termes, P, suivant (31), ne peut pas être un gouverneur potentiel pour une tête F comme le pronom clitique, ce qui permet la montée du clitique par dessus P. Un tel résultat n’est pas attesté dans les langues qui ne permettent jamais le P-stranding ni avec N ni avec CL. L’agrammaticalité d’une construction comme (40b) semble problématique pour l’approche de Baker et Hale (1990). Pour sauver cette approche et expliquer l’agrammaticalité de (40b), nous proposons une structure étendue pour PP. Supposons que la projection maximale de P, tout comme celle N et de V, doit être dominée immédiatement par une catégorie F. L’existence d’une catégorie F dans le domaine prépositionnel est nécessaire pour satisfaire le principe d’identification morphologique suivant lequel toute catégorie L doit être en accord avec une catégorie F via l’incorporation de l’une dans l’autre. Cela permet aussi d’intégrer PP dans un système syntagmatique général et de rapprocher PP de NP et de VP du point de vue formel.
216
Partie III, Chapitre I
Appelons cette catégorie F Locatif. Obéissant au système X’, cette catégorie aura sa propre projection maximale (LocP) et sa tête (Loc) qui a comme complément PP21:
(41)
[LocP [Loc’ Loc [PP [P’ P ]]]]
Revenons au problème posé par l’agrammaticalité de (40b). Il est clair que l’approche de Baker et Hale ne peut pas expliquer l’agrammaticalité de (40b) sans étendre la structure syntagmatique classique de PP. Ainsi, la présence de Loc telle que dans (41) est nécessaire. Le clitique, complément de P, peut passer par-dessus une tête L telle que P, mais il ne peut pas passer par-dessus Loc, en tant que catégorie F qui doit être, suivant (31), une tête gouverneur potentielle pour la trace du clitique. Par ailleurs, la catégorie Loc sert essentiellement à accueillir la tête L comme P, pour que les deux têtes s’identifient. Loc est souvent une tête phonétiquement vide où la préposition doit être substituée dérivant la S-Structure suivante:
(42)
[LocP [Loc’ Pi-Loc [PP [P’ ti ]]]]
Cependant Loc peut être aussi occupée par une deuxième préposition ou un adverbe de lieu tel que fawqa, &alâ (au-dessus), taHta (au-dessous), waaTa (au-milieu), dâxila (à l’interieur), etc. Ces adverbes peuvent être engendrés dans Loc avant que P y soit adjoint: (43) a.
min &ala l-minbar-i de dessus de l’estrade-Obl. “Par-dessus l’estrade”
b.
?ilâ xârij-i l-binâyat-i à l’extérieur-OBL du bâtiment-Gén. “A l’extérieur du bâtiment”
c.
min dâxil-i l-binâyat-i de intérieur-Obl. le bâtiment-Gén. “De l’intérieur du bâtiment”
21
Rouveret (1991) propose pour les prépositions conjuguées en gallois, une structure dans laquelle PP, à l’instar de VP, est domminé par un AgrP.
217
L’incorporation en arabe
L’existence de la tête Loc est nécessaire aussi bien pour les PP simples que pour les PP dits complexes. Tous les deux peuvent trouver une analyse unifiée dans le cadre de la structure (42). Une des conséquences conceptuelles de (42) est d’introduire PP dans le même système des autres projections lexicales notamment NP et VP: la tête P est dominée immédiatement, comme toute tête L, par une projection fonctionnelle. Comme toute tête L aussi, P monte dans une tête F (Loc). Dans la syntaxe de l’incorporation, il est important de savoir quelle catégorie peut être incorporée dans quelle catégorie. Or, le fait de déterminer la nature catégorielle des sites de départ et d’arrivée, permet de mieux comprendre la syntaxe du phénomène qu’est l’incorporation. Dans cette perspective, nous supposons qu’une tête lexicale, du moins en arabe, ne peut jamais être un site d’arrivée pour une autre tête lexicale. L’analyse proposée ci-dessus à propos de la préposition peut être inscrite dans le cadre de cette hypothèse. Or, pour dériver un PP dit complexe, P ne monte pas dans une tête L (P) mais plutôt dans une tête F (Loc). Les combinaisons qui prouvent la validité de cette hypothèse sont multiples. Nous les résumons dans (44) où l’astérisque (*) signifie que l’incorporation entre les deux têtes lexicales en question est impossible: (44) Dans V --->
N
P
A
NV
V N P NV
NON NON NON NON
NON NON NON NON
NON NON NON NON
NON NON NON NON
NON NON NON NON
De (44) nous pouvons tirer la conclusion que toute incorporation syntaxique entre deux têtes lexicales est exclue. Une telle généralisation peut être présentée comme suit: (45) Généralisation I *[X°-Y°] si X° et Y° sont deux têtes lexicales.
218
Partie III, Chapitre I
En revanche, nous avons montré à plusieurs reprises qu’une tête L peut ou doit être incorporée dans une tête F pour des raisons syntaxiques ou morphologiques. C’est sur la base de ce type d’incorporation que différents syntagmes sont dérivés: (46)
a. b. c.
DP DegP AspP
L’incorporation de N dans L’incorporation de A dans L’incorporation de V dans
D Deg22 Asp
Ainsi V doit être incorporé dans les différentes catégories F, Asp, T, Agr et parfois C. Une telle opération est obligatoire pour la construction de la forme verbale. De même pour N qui doit être incorporé dans D, l’adjectif dans Deg et VN maSdar dans N. Le tableau (44) qui présente la combinaison entre différentes têtes lexicales peut être formulée dans la généralisation suivante: Généralisation II (47)
X° peut être incorporé dans Y° si Y° est une tête F et Y une tête L.
La combinaison des deux généralisations (45) et (47) est représentée par le tableau (48) où F est une tête fonctionnelle et L une tête lexicale, alors que O (OK) et N (Non) indiquent respectivement si l’incorporation est possible ou non: (48) Dans L
F OUI
L NON
22 Pour distinguer l’adjectif du nom, il est nécessaire que les catégories F de ces têtes L soient différentes. Si la tête F est un D, celle de l’adjectif doit être identifiée autrement. Etant une catégorie qui définit toujours le degré de quelque chose, l’adjectif doit avoir une tête F que nous appelons après Grimshaw (1991) DegP (Degree Phrase). Ainsi, le syntagme adjectival serait présenté comme suit: (i) [DegP [Deg’ Deg [AP [A’ A ]]]]
L’incorporation en arabe
219
Poussons maintenant ces généralisations encore plus loin pour connaître le reste des combinaisons qui existent entre les catégories F et L selon le site de départ ou d’arrivée de l’incorporation de catégories. En vertu de (47), une tête F peut être un site d’arrivée pour une tête L, mais est ce que la tête F peut être un site d’arrivée pour une tête F? Nous considérons que la réponse à cette question est positive. Rappelons que Agr qui est une tête F accueille d’autres têtes F notamment Asp, T. Rappelons aussi que Num, en position sujet postverbal, doit être également incorporé dans Agr. Nous pouvons donc étendre la généralisation II à III: Généralisation III (49) X° peut être incorporé dans Y° ssi X° est une tête F et Y° est soit L soit F.
La seule combinaison qui reste à vérifier maintenant est F dans L. Supposons qu’une telle incorporation ne soit pas possible. Cette hypothèse aura des conséquences sur la syntaxe des clitiques, précisément en ce qui concerne la direction de leur adjonction, à droite ou à gauche comme nous le verrons ci-dessous. Nous avançons donc la quatrième généralisation qui écarte la possiblité d’incorporer une tête F dans une tête L : Généralisation IV (50)
X° ne peut pas être incorporé dans Y° si Y° est une tête L et X une tête F.
Les deux dernières généralisations (44) et (50) permettent de compléter la figure partiellement dans (48) de la façon suivante: (51) Dans L F
F OK OK
L NON NON
En observant (51) qui résume les quatre généralisations ci-dessus, nous pouvons formuler les remarques suivantes:
220
Partie III, Chapitre I
a. Une tête L ne peut être un site d’arrivée ni pour une tête F ni pour une tête L. b. Une tête L peut être un site de départ d’une incorporation dans une tête F mais pas dans une autre tête L. c. Une tête F peut être un site d’arrivée pour une autre tête qu’elle soit F ou L. d. Une tête F peut être un site de départ d’une incorporation dans une tête F mais pas dans une tête L.
Grâce aux quatre généralisations ci-dessus, nous savons maintenant quelle tête peut ou ne peut être incorporée dans telle autre tête en arabe. De telles généralisations peuvent être appropriées aussi à d’autres langues.
5- La dérivation de la forme enclitique en arabe Les langues peuvent être classifiées selon la position du clitique par rapport à la tête lexicale X en S-Structure. Il y a des langues où le clitique s’adjoint à gauche “proclitique” CL-V, il y en a d’autres où le clitique est adjoint à droite “enclitique”: V-CL. Or, en arabe, standard et dialectal, en hébreu, en persan, etc. seule la forme enclitique est possible, contrairement à d’autres langues comme le français et l’italien. Dans ces dernières langues, le proclitique est la forme courante et générale qui cohabite tout de même avec la forme enclitique. D’autres langues permettent les deux structures du clitique telles que le portugais, l’espagnol, le chamouro, entre autres. Nous considérons que les deux types de clitiques sont de même nature morphologique et peut être syntaxique, i.e., il n’y a aucune raison de croire que le proclitique est un vrai clitique syntaxique alors que l’enclitique n’est qu’un simple affixe engendré dans V depuis lexique ?. La question que nous posons vise la dérivation de la structure enclitique dans une langue comme l’arabe. Rappelons que le clitique en arabe a toujours
221
L’incorporation en arabe
la forme enclitique et qu’aucune autre structure proclitique n’est possible comme le montrent les exemples suivants: (52)
a. b. c.
V-CL N-CL P-CL
a’. b’. c’.
*CL-V *CL-N *CL-P
L’adjonction du clitique à droite en arabe ne dépend ni du temps ni de la nature lexicale de la tête qui le supporte. La question qui se pose est de savoir comment les structures enclitique dans (52a–c) sont dérivées. A première vue, la seule réponse qui semble possible pour dériver les structures (52a–c), c’est l’adjonction du clitique à droite de la tête lexicale X, tel que X est un V, N, P ou VN. Cette incorporation à droite peut être illustrée dans le schéma suivant: (53) a. [XP X° [YP CL ]] b. [XP X°-CL(i) [YP t(i) ]]
La conséquence de cette hypothèse est qu’il existe deux stratégies d’adjonction du clitique, l’une à gauche qui est courante dans plusieurs langues et l’autre à droite qui est moins courante ou exceptionnelle. Les structures (53a) et (53b) impliquent aussi que le clitique, en tant que tête fonctionnelle, soit incorporé dans une tête lexicale. Une telle incorporation a été écartée par la généralisation IV dans (50). Or une tête F ne peut être incorporée que dans une autre tête F suivant les généralisations II et III, respectivement dans (47) et (49). Une des conséquences de ces généralisations est que la tête CL ne doit pas être adjointe à une tête lexicale comme dans (51). Par ailleurs, le clitique peut monter directement dans la tête F la plus proche qui gouverne immédiatement la tête L. Par cette montée, le clitique, en tant que tête F, passe par dessus la tête L qui le gouverne sans violer la minimalité révisée de Baker et Hale. Cette montée peut être présentée dans les configurations abstraites suivantes où (54b) est dérivée de (54a)
222
Partie III, Chapitre I
(54) a. [FP F° [LP L°] [CLP CL] ] b. [FP CL-F°(i) [LP L°] [CLP t(i)] ]
Dans (54), la montée du clitique précède celle de la tête. Ensuite, cette dernière monte pour s’adjoindre à gauche du clitique dans la tête F: c. [FP L(j)-CL(i)-F [LP CLP(i)] ]
Suivant cette analyse, c’est la tête lexicale qui s’adjoint au clitique et non pas l’inverse. Ainsi la structure enclitique [X-CL] en arabe serait dérivée tout en maintenant l’hypothèse selon laquelle l’adjonction doit être toujours effectuée à gauche. Si la structure (54a–c) est appropriée pour la forme [V-CL], rien ne l’empêche de l’être pour les autres formes notamment N-CL et P-CL. Suivant la même opération morpho-syntaxique, le clitique dans le domaine nominal et prépositionnel monte directement dans la tête F la plus proche en passant par-dessus la tête L sans affecter la minimalité révisée. Ainsi le clitique s’adjoint directement à la tête D dans le syntagme nominal (DP) et à Loc dans le syntagme prépositionnel (LocP). Ensuite, les têtes lexicales N et P, chacune dans son domaine, s’adjoignent à leur tour à D et à Loc de la même façon que V dans Asp. Prenons un exemple pour chaque domaine et montrons comment la structure enclitique peut être dérivée par le même mécanisme: (55) a. kitâb-u-hâ livre-Nom-CL.3FS. “Son livre” b. [DP [D’ D [NP [N’ Li [CLP [CL’ CLj ] ]]]]] c. [DP [D’ CLj-D [NP [N’ ti [CLP [CL’ tj ] ]]]]] d. [DP [D’ Ni-CLj-D [NP [N’ ti [CLP [CL’ tj ] ]]]]] (56) a. ?ilay-hi à-CL.3MS. A elle b. [LocP [Loc’ Loc [PP [P’ Pi [CLP [CL’ CLj ] ]]]]] c. [LocP [Loc’ CLj-Loc [PP [P’ Pi [CLP [CL’ tj ] ]]]]] d. [LocP [Loc’ PiCLj-Loc [PP [P’ ti [CLP [CL’ tj ] ]]]]] (57) a. ra?â-hu voir-Pass.3MS-CL.3MS. Il l’a vu b. [AspP [Asp’ Asp] [VP [V’ Vi][CLP [CL’ CLj]]]] c. [AspP [Asp’ CL-Asp][VP [V’ Vi][CLP [CL’ tj]]]] d. [AspP [Asp’ Vi-CLj-Asp] [VP [V’ ti][CLP [CL’ tj]]]]
L’incorporation en arabe
223
Face à cette analyse, deux problèmes liés à l’ordre des morphèmes se posent: le premier concerne l’ordre V-CL-Asp dans (57d) par rapport aux autres têtes, notamment T et Agr. Si l’ordre des morphèmes doit être toujours dérivé par mouvement syntaxique tête à tête et respecte le principe de miroir, on s’attendrait à ce que le clitique soit avant Agr dans (57) puisqu’il s’adjoint à Asp et à T avant. La structure attendue est la suivante: V-CLAsp-T-Agr. Cette forme n’est pas celle observée dans (57a). En S-Structure, le clitique doit toujours suivre Agr et non pas l’inverse. Le second problème concerne l’ordre du clitique par rapport à COMP. Avec COMP, le clitique a la forme enclitique de la même façon qu’avec les autres têtes: (58)
?aZunn-u?anna-hum jâ?-û venir-Prés.1S que-CL.3MP. “Je crois qu’ils sont venus”
(59)
qâla?inna-hâ jâ?-at venir-Pass-3S que-CL.3FS. “Il a dit qu’elle était venue”
Si on considère que le clitique dans (58) et (59) est engendré dans Spec AgrP avant qu’il monte dans COMP, l’adjonction à droite paraît la seule possiblité pour avoir la forme enclitique COMP-CL. Deux autres analyses, entre autres, semblent capables de résoudre les deux problèmes ci-dessus. La première consiste à engendrer le clitique au-dessus de la tête qui le supporte en S-Structure, cf. Rouveret (1993). Ainsi, pour dériver la forme enclitique V-CL par exemple, le V monte dans Agr dans CL que Rouveret (1993) appelle WP. Dans le cadre de cette analyse, le clitique doit dominer en D-Structure non seulement V mais COMP, D et Loc. La seconde analyse est celle de Chomsky (1992) dite minimaliste. Dans le cadre de cette analyse, le clitique est inséré comme affixe dans la tête lexicale qui le supporte et fait partie de cette tête. Le clitique dans le cadre de cette analyse ne monte qu’en LF, à l’instar de la tête lexicale auquel il est affixé.
CHAPITRE II
CLP, redoublement et pronom résomptif
1- Pronom resomptif Selon la définition courante, le pronom résomptif (désormais PR) est un pronom lié à une position périphérique de la phrase A’-position. En ce sens qu’un PR est interprété‚ comme variable syntaxique phonétiquement réalisée. Pourtant le PR n’a pas une forme phonétique particulière par rapport aux autres pronoms clitiques. A l’encontre de cette définition habituelle, nous donnons au PR un statut très différent dans la mesure où le clitique peut être une variable logique mais jamais syntaxique. Le phénomène du PR est souvent observé dans des constructions topicalisées, relatives et interrogatives présentées respectivement dans le paradigme cité ci-dessous où le pronom doit être en coréférence avec son antécédent: (1)
?al-qamar-a(i) ra?ay-tu-hu (i)/(*j) La-lune-Acc voir-Pass-1S-lui “La lune, je l’ai vu.”
?iltaqay-tu ?alr-rajula(i) ?al-laðî ra ?ay-ta-hu(i)/ (*j) ?al-bâriHata rencontrer-Prés.1S l’homme-Acc qui voir-Pass.2S-CL.3MS. hier “J’ai rencontré l’homme que tu as vu hier.”
(3)
?ayy-a/(u) taxaSuS-in(i) ?ixtar-ta-hu(i)/(*j) quelle-Acc/(Nom) spécialité(i) choisir-Pass.3MS-PR(i) “Quelle spécialité as-tu choisie ?”
(2)
226
Partie III, Chapitre II
Les langues naturelles se distinguent selon qu’elles acceptent ou non des structures à PR. Ainsi, des langues comme l’anglais, le français ou l’italien sont des langues dites [-PR] étant donné qu’elles n’admettent les structures à PR que marginalement1. En revanche, d’autres langues comme l’arabe, l’hébreu, le suédois sont des langues [+PR]. Dans ces dernières le PR est obligatoire dans certaines constructions et facultatif dans d’autres. Le caractère obligatoire du PR dans une langue donnée dépend de conditions syntaxiques, notamment de la localité ainsi que de la position syntaxique et de la tête lexicale à laquelle le PR est rattaché. Les études qui ont abordé le phénomène du PR ont insisté surtout sur le caractère obligatoire, et ont ignoré les cas où il est facultatif. Pourtant cette donnée est importante pour déterminer la nature de PR. Dans les langues [+PR], des domaines bien définis ne permettent pas la distribution complémentaire entre PR et catégorie vide. Il s’agit, précisément du domaine NP et du domaine PP. En revanche, PR, dans ces langues, peut être facultatif quand il s’agit du complément d’objet direct du verbe. Dans ce qui suit, nous tenterons de savoir ce qui détermine la présence obligatoire ou facultative de PR et quelles sont les raisons qui exigent le recours à la stratégie présomptive. Considérons d’abord les cas où PR est obligatoire et où son absence produit des structures agrammaticales telles que (4b–d) et (5b–d): (4) a.
1
$arib-ta min hâða l-ka?s-i boire-PASS-2MS dans ce verre-Gén. “Tu as bu dans ce verre.”
cf. Choe et Sells (1983). Rizzi (1982) montrent que l’italien n’admet PR que lorsqu’il peut avoir l’interprétation d’un pronom E-type, au sens de Evans (1980), mais pas l’interprétation d’une variable liée, d’où le contraste entre (i) et (ii): (i). Vorrei comprare il libro che Maria non si ricordava se -/l’aveva gi … letto. ( Je) voudrais acheter le livre que Maria ne se souvenaitpas si-/l’avait d‚j … lu “Je voudrais acheter le livre que Maria ne se souvient pas d’avoir déjà lu”
(ii). Vorrei comprare ogni libro che Maria non si ricordavase -/*l’aveva gi … letto. ( Je) voudrais acheter chaque livre que Maria ne se souvenait pas si (elle)/*l’avait déjà … lu.
CLP, redoublement et pronom résomptif b.*
227
?al-ka?s-*i/*u/*a $arib-tu min le verre-*Obl./*Nom./*Acc. boire-PASS-1MS de.
c.* ?ayy-u ka?sin $arib-ta min? quel-NOM verre boire-Pass.2MS de (5) a.
?iltaqay-tu ?ax-â nabîl-i rencontrer-Pass.1MS frère-Acc-Nabil-Gén. “j’ai rencontré le frère de Nabîl”
b.*
nabîl-in/*un/*in ?iltaqay-tu ?ax-â Nabil-Gén./*Nom./*Acc. rencontrer-Pass.1MS frère-Acc.
man?iltaqay-ta ?ax-â? qui rencontrer-Pass.1MS frère-Acc.
c.*
Les contrastes ci-dessus montrent qu’en arabe, comme dans d’autres langues, la position du complément, respectivement P et N, ne peut être occupée que par un NP lexical ou un pronom, jamais par une catégorie vide2. La présence d’un pronom clitique est nécessaire pour garder la bonne formation de l’énoncé: (4’) b. ?al-ka?s-u $arib-tu min-hu Le-verre-Nom boire-Pass.1MS de-CL.3MS. “Le verre, j’ai bu dedans ” c. ?ayy-u ka?s-in $arib-ta min-hu de quel-Nom verre boire-Pass.2MS de-CL.3MS. “De quel verre as-tu bu?” (5’) b. nabî-lu ?iltaqay-tu ?ax-â-hu Nabil-Nom rencontrer-Pass.1MS frère-Acc-CL.3MS. “Nabil, j’ai rencontré son frère.” c. man?iltaqay-ta ?axâ-hu qui rencontrer-Pass.1MS frère-Acc-CL.3MS. “De qui as-tu rencontré le frère.”
2
Dans le cadre de la typologie des catégories vides, cette catégorie vide ne peut pas être PRO étant donné que le contenu de ce dernier n’est pas identifié localement, cf. Rouveret et Vergnaud (1980), Chomsky (1981). L’hypothèse de PRO est exclue aussi puisqu’il s’agit d’une position gouvernée : l’agrammaticalité de (4b) et (5b) montre que cette catégorie vide ne peut pas non plus être une trace à cause de ECP.
228
Partie III, Chapitre II
Ce qui fait la différence entre (4b,c) et (5b,c), d’une part, et (4’b,c) et (5’b,c), d’autre part, c’est la présence du pronom clitique dans les dernières constructions. Cette différence donne l’impression que c’est le pronom clitique qui a rendu les constructions grammaticales. Une des conséquences de cette analyse de la syntaxe du clitique est que ce dernier est un élément inséré au cours de la dérivation syntaxique et que son insertion en S-Structure est essentielle pour la grammaticalité de certaines constructions. Dans ce sens, les clitiques en général, et PR en particulier, sont le résultat d’une stratégie de dernier recours nécessaire pour la grammaticalité de la phrase en question. Nous ne pouvons pas accepter de telles solutions étant donné que nous avons opté pour une analyse des clitiques radicalement différente. Ainsi nous montrerons que PR n’est pas le résultat d’une opération de dernier recours mais qu’il est étroitement lié à la structure du syntagme du clitique que nous proposerons. Mais auparavant, considérons l’analyse qui consiste à traiter PR comme une stratégie de dernier recours et ce que cela implique. Le dernier recours (Last Resort) est une règle syntaxique qui intervient lorsqu’un des principes universaux ne peut pas s’appliquer ou lorsqu’il est violé. Cela permet à la fois la grammaticalité de la phrase et le respect du principe en question. Etant une opération de dernier recours, la stratégie présomptive est considérée comme une règle appartenant à une langue particulière.
2- Dernier recours 2-1 Un exemple de l’opération Le dernier recours est l’amalgame entre V et I3. Pour dériver la forme verbale, l’opération la plus simple est la montée de V vers I, satisfaisant
3
cf. Chomsky (1989).
CLP, redoublement et pronom résomptif
229
ainsi ECP. Une telle opération fait partie des règles de la grammaire universelle. Pourtant, cette montée de V dans I n’est pas toujours possible. L’anglais, par exemple, ne permet cette montée qu’en LF et pas en S-Structure4:
(6)*
Bill speaks(i) often [t (i)] French. Bill parler-PRS-3MS souvent français.
Cependant, l’abaissement de I laisse une trace qui n’est pas gouvernée par son antécédent. Par conséquent, ECP est violé tandis que la phrase est grammaticale5:
(7)
Bill often [I t](i) speak-s(i) French. “Bill parle souvent français.”
Pour expliquer la grammaticalité de (7) vis-à-vis de ECP, une opération de dernier recours est nécessaire, c’est la montée de la tête composée I-V dans I en forme logique après un effacement en LF de la trace de I qui était descendue. La montée de I en LF est une opération de dernier recours qui a pour but à la fois de sauver la grammaticalité et de satisfaire un principe universel qui est ECP. Cependant, il existe des contextes syntaxiques où la montée de V vers I, qu’elle soit en S-Structure ou en LF, ne suffit pas pour dériver une construction bien formée:
(8)*
Bill [t(i)] not speak-s(i) French. Bill NEG parler-PRS - français.
L’agrammaticalité des structures comme (8) montre que ni la montée de V vers I, ni l’abaissement de I vers V ne sont capables d’assurer la bonne formation de (8). C’est pourquoi une opération de dernier recours est indispensable. Cette opération consiste à insérer le verbe auxiliaire do vers I pour supporter l’affixe flexionnel (es)6: (9) 4 5 6
Bill does not speak French. Bill NEG parler-PRS - français. “Bill ne parle pas français.”
Sauf les verbes non lexicaux : être et avoir. cf. Pollock (1989). Chomsky (1986), (1989); Pollock (ibid) et Pesetsky (1989).
230
Partie III, Chapitre II
Ainsi une règle particulière et spécifique devient légitime lorsque la règle générale ne peut pas s’appliquer. Pour Pesetsky (1989), l’insertion de do, comme processus d’une langue particulière, n’est pas une règle de type spécial ou isolé, mais plutôt une règle qui s’applique à un niveau de représentation. Pesetsky appelle ce niveau où toutes les règles particulières s’appliquent, LP-Structure (LanguageParticular Structure). La position de ce niveau dans la grammaire est après la S-Structure, et peut être selon lui dans une position où Chomsky et Lasnik (1977) proposent la Forme Phonétique7. L’insertion de PR, en tant qu’opération de dernier recours, est une règle dans une langue spécifique. Cela implique que l’insertion de PR n’est pas une stratégie grammaticale libre étant donné qu’elle ne s’applique que si c’est nécessaire, précisément quand le mouvement est impossible. Cependant, en vertu du principe d’économie, quand le mouvement est possible, la structure se contente d’une catégorie vide. La question qui se pose est de savoir quel est le principe dont la violation potentielle exige le recours à la stratégie présomptive comme dans (4) et (5). Nous vérifions deux hypothèses, la première consiste à lier cette stratégie au filtre sur le Cas et la seconde au principe des catégories vides (ECP).
7
Concernant l’application des principes d’économies notamment le moindre effort et le dernier recours, Pesetsky avance un principe qu’il appelle Earliness Principle (Principe de précocité): (i) Satisfaire les filtres le plus tôt possible suivant la hiérarchie des niveaux: D-S > S-S > LF > LP. La différence entre le principe de Pesetsky (i) et celui de Chomsky (Economic Principle) est que le premier suppose que seule la dérivation qui satisfait le filtre doit être permise, alors que le second prédit des statuts égaux pour les deux dérivations. Les deux principes, principe d’économie et Earliness Principle mènent à une prédiction essentielle, à savoir que l’application d’une règle particulière est une opération de dernier recours (Last Resort). Cette dernière n’opère jamais quand l’application d’un principe universel est possible.
CLP, redoublement et pronom résomptif
231
2-2 Le Cas et le dernier recours Aoun (1979) a justifié la présence du pronom clitique en général en termes de Cas. Selon cette analyse, le clitique existe pour absorber le Cas de pro en position d’objet et pour satisfaire par conséquent le filtre sur le Cas, étant donné que la catégorie vide redoublée par le clitique n’est pas concernée par ce filtre. Cette approche peut même être complétée par l’hypothèse de déchargement casuel, cf. Higgenbotham (1985). Suivant cette hypothèse, un marqueur de Cas doit nécessairement décharger son Cas sur un autre élément capable d’être casuellement marqué. Une telle condition peut expliquer pourquoi un verbe transitif, par exemple, a besoin d’un complément: (10) a.
?arsal-a ?al-muṨtakî ?alr-risâlat-a envoyer-Pass.3MS le-plaignant-Nom la lettre-ACC. “Le plaignant a envoyé la lettre.”
b.*
?arsal-a ?al-muṨtakî “envoyer-Pass-3MS le-plaignant-Nom.
c. ?arsal-a-hâ ?al-muṨtakî envoyer-Pass.3MS-CL.3FS. le-plaignant-Nom. “Le plaignant l’a envoyée.”
D’autres contrastes, de même nature, peuvent être observés avec d’autres têtes syntaxiques, P de N ou de C présentés respectivement dans les structures abstraites (11)-(13): (11)
* a. […[PP P [e]]] b. […[PP P NP]]
(12)
* a. […[NP N [e]]] b. […[NP N NP]]
* a. […[C?anna [e] b. […[C?anna NP]]
(13)
Le complément de chacune de ces têtes, comme celui de V, doit être capable de porter un Cas, autrement le filtre sur le Cas risque d’être violé et le Cas de la tête ne serait pas alors déchargé.
232
Partie III, Chapitre II
Pour éviter de telles conséquences, et pour sauver les structures agrammaticales ci-dessus, l’insertion d’un pronom clitique sera nécessaire et inévitable. Ainsi l’existence du pronom clitique, y compris PR, pourrait être conçue comme une opération syntaxique de dernier recours8. Si on se fiait à cette analyse, on s’attendrait à ce que la présence de PR, en l’absence de NP lexical, soit toujours obligatoire et jamais facultative puisque ce pronom n’intervient que s’il est vraiment indispensable afin de sauver la structure. Cette conséquence n’est vérifiée ni en arabe ni en d’autres langues où l’apparition du PR est facultative, notamment en position de complément d’objet direct: (14) a.
man ra?ay-ta? qui voir-Pass.1S. “Qui as-tu vu?”
b.
man ra?ayta-hu? qui voir-Pass-1S-CL.3MS. (comme 14a)
(15) a. ?al-muṨtakî?iltaqay-tu Le plaignant-Acc rencontrer-Pass-1S. “Le plaignant, je l’ai rencontré”
b. ?al-muṨtakî?iltaqay-tu-hu (comme (7a)).
En fait, des constructions comme (14a) et (15b) ne posent pas de problème pour l’analyse étant donné que la position objet forme une chaîne avec respectivement l’élément Wh et le topique. Cependant, une construction à objet nul telle que (16) ne forme pas une chaîne avec aucun autre élément: (16)
8
?akal-a wa $arib-a fa-tâba&-a ?alT-Tarîq-a manger-Pass.3MS et boire-Pass.3MS puis poursuivre-Pass.3MS. le chemin-Acc. “Il a mangé et bu et puis il a poursuivi son chemin”
Une analyse semblable en termes de θ-critère est aussi possible, dans la mesure où un θ-rôle a toujours besoin d’une expression référentielle.
CLP, redoublement et pronom résomptif
233
La position objet de?akala (manger) et $ariba (boire) n’est occupée ni par un NP lexical ni par un pronom clitique. Le Cas de ces verbes n’est pas déchargé, pourtant (16) est tout à fait grammatical. Si l’insertion d’un pronom clitique n’est pas nécessaire dans une construction comme (16), l’existence du clitique en général et de PR en particulier, ne peut être réduite à une raison casuelle. 2-3 ECP et le dernier recours ECP est la raison principale qui est avancée pour justifier le recours à la stratégie présomptive. Or, un déplacement peut laisser une trace non gouvernée par son antécédent, ce qui viole ECP et entraîne une construction agrammaticale. Pour que la trace soit légitimée et ECP satisfait, l’insertion du PR est nécessaire. En langue vata, selon Koopman et Sportiche (1986), si l’extraction est effectuée depuis la position objet (direct, indirect ou un PP sous-catégorisé), elle laisse une trace, comme dans (17b). En revanche, si le site de l’extraction est la position sujet, l’existence de PR sera obligatoire comme dans (17a)9: (17) a. Wh …[*[e]/PR] b. Wh …[NP …[VP …[e]/*PR]]
La distribution entre PR et la trace implique que le PR est permis dans le cas où le site de l’extraction n’est pas lexicalement gouverné, i.e. une trace de la position sujet viole ECP étant donné qu’elle n’est pas lexicalement gouvernée. Le PR, par conséquent, intervient pour racheter cette violation potentielle. Par ailleurs, lorsqu’un adjoint de manière ou de cause est extrait par mouvement Wh ou par topicalisation, le verbe porte un suffixe particulier 9
La conclusion de l’analyse de Koopmane &Sportiche (ibid) appliquée au vata est que l’extraction à longue distance des adjoints (non PP), adverbes ou sujet, n’est pas possible à cause de la localité imposée à ces éléments. En revanche, l’objet de la phrase et les PP sous-catégorisés peuvent monter à longue distance parce qu’ils occupent une θ-position: (iv) X est un site d’une longue extraction si et seulement si X est une θ-position.
234
Partie III, Chapitre II
(#CV) qui permet à la trace de l’adjoint de satisfaire ECP. Cela exige l’insertion d’un élément morphologique (M) sur le verbe [V+M] qui assure le gouvernement par antécédent : (18)
[V+M] max tadj
Vmax+M V+M
En revanche, la réalisation d’un tel élément morphologique est exclue dans le cas de l’extraction Wh à partir de la position de l’objet, parce que la trace laissée par une telle extraction est localement A’-liée, sous-jacente à son antécédent et lexicalement gouvernée. Par conséquent ECP est satisfait. Dans ce cas, rien ne justifie l’existence de l’affixe morphologique, comme le montre l’exemple suivant10: (19) a.
yI gbú ňkȃ sûȍ dἱ/*dἱdὁ quelle raison je FUT-A arbre-Det couper/*couper-M “Pourquoi allez-vous couper l’arbre?”
La corrélation entre le mouvement du sujet et l’existence obligatoire d’une marque d’accord nous rappelle le phénomène de l’accord riche et de l’accord pauvre par rapport à la position du sujet dans une langue comme l’arabe. 3-2-1 Position sujet Nous avons vu qu’en arabe, un accord morphologiquement riche est obligatoire pour la bonne formation de la phrase à sujet initial quand le sujet est déplacé dans Spec AgrP: (20) a.
mâta ?al-jund-u mourir-Pass.3MS les soldats-Nom.
b.*
?a l-jund-u les-soldats
10
mât-a mourir-Pass.3MS.
Koopman et Sportiche (Ibid: 366))
CLP, redoublement et pronom résomptif c.
235
?al l-junûd-u mât-û Les soldats mourir-Pass.3MP. “Les soldats sont morts.”
Dans les analyses antérieures, la différence entre (20b) et (20c) était un argument empirique contre la montée du sujet en arabe. Dans le cadre de cette analyse, le NP préverbal dans ((20c) est engendré dans la base comme topique alors que la position postverbale du sujet est occupée par pro. Pour Ayoub (1981), la présence obligatoire de l’accord riche implique que le sujet est en position postverbale et puisque la position sujet ne peut pas être doublement remplie, le NP préverbal ne serait pas dérivé par mouvement. L’analyse de Koopman et Sportiche (1986) prévoit le même résultat, à savoir que l’accord riche, et précisément le trait de nombre, serait inséré pour légitimer la trace du sujet déplacé dans Spec AgrP. Dans le même sens, Amine (1990) considère que la trace du sujet n’est pas gouvernée par son antécédent à cause du gouverneur minimal potentiel qui est : I. Par conséquent I’ est une barrière par minimalité. Rappelons que nous avons opté pour une analyse radicalement différente pour l’arabe, à savoir la possibilité de la montée du sujet, comme celle de l’objet vers la tête de la phrase. Quant à la question de savoir pourquoi l’accord riche est obligatoire, l’hypothèse NumP peut résoudre le problème de la cooccurrence entre le sujet préverbal et l’accord en nombre. Rappelons que cette projection qui occupe une position de sujet inclut un NP comme spécificateur:
(21)
[NumP [Spec.Num DP [Num’ Num]]]
La montée de ce dernier en position préverbale (Spec AgrP) est la conséquence de la montée de Num dans Agr. En d’autres termes, la montée de Num dans Agr implique la montée de NP dans Spec AgrP. Concernant la minimalité, une tête fonctionnelle comme I (Agr) n’empêche pas la trace d’une catégorie fonctionnelle d’être gouvernée par son antécédent. En d’autres termes, suivant la minimalité relativisée, révisée par Baker et Hale (1990), une tête fonctionnelle ne peut pas être un antécédent potentiel pour une catégorie lexicale. Par conséquent, le NP lexical sujet peut passer par-dessus I (Agr) sans violer ni la minimalité ni ECP.
236
Partie III, Chapitre II
Si cette analyse est correcte, l’existence d’un accord riche ne serait plus un argument contre la montée du sujet. Au contraire, elle sera un argument en faveur de cette montée. L’accord ne serait pas non plus seulement une marque morphologique insérée au cours de la dérivation pour légitimer la trace du sujet déplacé. La trace du sujet, en revanche, est déjà légitimée par son antécédent, étant donné qu’une tête intervenante (fonctionnelle) n’est pas capable d’empêcher cette relation. Ainsi, supposer un autre élément supplémentaire pour légitimer la trace serait redondant. Num n’est donc pas inséré à la suite d’une opération de dernier recours étant donné qu’aucun principe tel que ECP n’est violé. 2-3-2 Position objet Plusieurs langues considérées comme [+PR], permettent la présence facultative de PR en position relative ou interrogative. Considérons les exemples suivants: (22)
ra?y-tu ?alr-rajul-a ?al-laðî ta&rif-u-(hu) voir-Pass.1MS l’homme-Acc que connaîs-Prés-2S-.CL-3MS. “J’ai vu l’homme que tu connais.”
(23)
$rît lα-ktâb lli qrîtî-(h) acheter-Pass.1S le livre que acheter-Pass.2S-CL.3MS. “J’ai acheté le livre que tu as lu.”
Les constructions (22)–(23), respectivement en arabe standard et marocain, montrent la nature facultative de PR en position objet dans les phrases relatives11. Si l’existence de PR dépendait de la violation de ECP, la nature facultative du PR poserait le problème du choix entre la présence et l’absence de ce PR. En d’autres termes, la nature facultative de PR semble n’être pas conforme à l’hypothèse de dernier recours étant donné que cette dernière implique que le choix entre PR et une catégorie vide n’est pas libre.
11
Des faits équivalents sont observés aussi en hébreu, irlandais, suédois, entre autres. cf. Sells (1984).
CLP, redoublement et pronom résomptif
237
Au point de vue interprétatif, les constructions avec et sans PR sont équivalentes en arabe. La présence de PR ou d’une catégorie vide n’a aucune incidence sur l’interprétation de la phrase dans cette langue. Cela implique que PR et la catégorie vide dans (22) et (23) sont de même nature, et que la différence entre les deux éléments ne s’observe qu’au niveau phonétique ou bien PR est une catégorie vide (variable) phonétiquement pleine, ou bien la catégorie vide est un PR phonétiquement nul, un PR silencieux en LF. Suivant cette dernière hypothèse, PR peut être effacé en PF en vertu du principe éviter le pronom12. Ainsi, la distinction entre PR plein et PR vide serait purement phonologique mais pas syntaxique ou interprétative. Cependant, nous supposerons que les constructions en question, (22) et (23), sont aussi syntaxiquement distinctes. En d’autres termes, le processus syntaxique qui permet l’existence de PR n’est pas le même que celui qui permet à une catégorie vide d’être en position objet du verbe. Comment la syntaxe peut-elle rendre compte de cette distribution complémentaire? Dans cette perspective, Shlonsky (1990) analyse des faits de l’hébreu et de l’irlandais où le PR est également facultatif en position objet relativisée. En irlandais, la distribution complémentaire entre PR et une trace dans la position relativisée (objet direct) est liée à une distribution complémentaire entre deux COMP morphologiquement différents13. La première forme est dite aN et la seconde aL. Chaque forme identifie la position Spec C différemment de l’autre ; aN est le complémenteur qui identifie une position de Spec argumentale, A-Spec, alors que aL identifie 12
13
Lasnik et Saito (1984) ont discuté le rôle de that. En anglais son rôle est minimal: il peut disparaître sans changer le sens de la phrase. Lasnik et Saito proposent qu’en LF la présence de that n’est pas pertinente puisqu’il ne contribue pas à la sémantique de la phrase, ainsi il peut être effacé sans affecter l’interprétation de la phrase. Mais lorsque that est présent en surface, il doit être présent en PF et, par conséquent, en S-Structure Lasnik et Saito proposent un processus général d’effacement en LF: un élément qui ne contribue pas à la représentation logico-sémantique peut être effacé en LF à la suite de l’opération effacer α (delet-α) à l’instar de déplacer α (move-α). Comme son existence est facultative et ne change pas la structure logico-sémantique, PR peut être considéré comme un élément effacé en LF. cf. Mac Closkey (1979), Sells ibid.
238
Partie III, Chapitre II
une position non argumentale, A’-Spec. La présence ou l’absence de PR semble liée à la forme de ces deux COMP:
(24)
a. b.
[NP NP [CP aN [IP … PR …]]] [NP NP [CP aL [IP … t …]]]
Dans une langue comme l’hébreu où la distinction morpho-phonologique entre les deux complémenteurs n’est pas observée, le COMP a une forme unique: $e: (25)
ha-?i$ $e- ra?iti (?oto). L’homme que (je) voir-PASS lui. “L’homme que j’ai vu.”
Malgré cette forme unique, Shlonsky fait une distinction abstraite entre deux A-COMP et A’-COMP en l’occurrence respectivement A-$e et A’-$e, le premier définit la position de son spécificateur comme argumentale, A-Spec, alors que le second la définit comme non argumentale, A’-Spec. L’occurrence de PR dépend de la nature argumentale de COMP et de celle de son spécificateur. A-COMP bloque le mouvement de l’objet vers A-Spec, tandis que A’-COMP ne bloque pas un tel mouvement14. Les traits d’accord qui servent à identifier un Spécificateur argumental (A-Spec), en irlandais comme en hébreu, sont des traits abstraits. L’accord entre COMP et son Spec donne la capacité à ce dernier d’avoir le statut d’un A-Spec. Le mouvement vers A-Spec implique un A-mouvement contraint par la Condition de Sujet Spécifié (ou la minimalité de Rizzi (1990) liée à A-chaîne). Ainsi le mouvement de NP/PP ne peut pas passer par-dessus le sujet de la phrase et PR doit apparaître afin de sauver la structure. Par ailleurs, le palestinien est une langue où PR est obligatoire aussi bien en position objet de V qu’en position objet de N ou de P15 : (26)
1 4 15
l-bint ?illi fakkarti ?inno *(hiy) râyHa &a-l-bit. la fille dont (tu-F) penser-Pass que *(elle) partir-Prés-3FS à-la maison. “La fille que tu as cru qu’elle était partie à la maison.”
Pour plus de détail sur la distinction entre A-COMP et A’-COMP, cf. Rizzi (1990). cf. Shlonsky (ibid).
CLP, redoublement et pronom résomptif
239
En vertu de la corrélation entre la nature argumentale de Spec et la présence de PR, le complémenteur :?illi en palestinien serait un A-COMP et par conséquent son spécificateur serait un A-Spec. Une telle identification serait déterminée par un accord abstrait entre la tête COMP et son spécificateur16. Le complémenteur?illi en palestinien qui exige toujours la présence de PR a un statut argumental non-ambigu, il est un A-COMP qui définit son Spec comme A-Spec. En revanche, en hébreu, le complémenteur $e est un COMP ambigu, la même forme morphologique peut avoir soit un statut argumental, A-COMP, soit un statut non argumental A’-COMP, ce qui explique, selon Shlonsky, la distribution complémentaire entre PR et une catégorie vide. Par ailleurs, le complémenteur That en anglais, qui en français,?illi en palestinien, lli en arabe marocain, $e en hébreu, sont tous des COMP qui ne manifestent pas un accord morphologiquement visible avec son Spec. Si l’accord est nécessaire pour identifier son Spec comme un élément argumental, l’accord dans les complémenteurs précités serait abstrait17. Il faut remarquer que dans le cadre de cette analyse, le clitique ne peut pas être une tête syntaxique. En d’autres termes, l’analyse en question 1 6 cf. Rizzi (ibid) et Shlonsky (ibid). 17 L’accord entre COMP et son Spec laisse supposer que la tête COMP peut être dissociée à l’instar de I°et D°. Dans le cadre de cette hypothèse, COMP dominerait immédiatement une projection d’accord C (Agr CP) dont la tête pourrait être phonétiquement nulle; dans ce cas, l’accord serait abstrait. La structure de l’accord dans C peut être présentée comme suit: (i) [CP [C’ C [AgrCP [AgrC’ AgrCP [IP …]]]]
AgrC serait incorporé dans C en S-Structure ce qui permettrait la transmission de l’accord à C et par suite à Spec CP via un accord spécificateur-tête (SHA). llaðî en arabe standard illustre bien cette décomposition de C puisqu’il porte les différents traits en accord avec la tête de la relative.
(ii) lla-ð-î COMP-M-S)
lla-t-î (COMP-F-S) llað-âni COMP-M-Duel) lla-t-âni (COMP-F-Duel) lla-ð–îna (COMP-M-P) lla-wâti/llâ?î (COMP-FP)
240
Partie III, Chapitre II
implique que le clitique est un affixe du verbe et n’a pas une autonomie syntaxique. Selon cette analyse le site de l’extraction est la position complément du verbe, alors que PR est inséré au cours de la dérivation, là où il est nécessaire18. Rappelons que nous avons adopté une analyse différente pour le clitique, à savoir qu’il est une tête avec sa propre projection maximale. La question qui se pose est de savoir comment on peut rendre compte de la distribution complémentaire entre PR et une catégorie vide dans le cadre de l’hypothèse où le clitique est syntaxiquement autonome. Nous lierons cette question à une nouvelle structure interne du clitique que nous proposerons à partir de cette structure. Ainsi PR sera un pronom clitique comme les autres.
3- Pour une nouvelle structure des pronoms clitiques 3-1 Structure Deux questions cruciales se rapportent directement à la syntaxe des clitiques:
1 Le clitique redouble-t-il une autre position ou pas? 2 Si oui, quel serait le rapport entre le clitique et cette position?
Pour la première question nous avons distingué deux analyses radicalement différentes. Dans l’une, la réponse à cette question est positive tandis que pour l’autre la réponse est négative. Dans la seconde analyse, le clitique est une tête en A-position et en θposition. L’élément qu’il redouble est sa propre trace qu’il laisse derrière à la suite de sa montée. Le clitique dans ce sens est équivalent à un NP lexical. Nous avons argumenté en faveur de cette approche, à savoir que le pronom clitique est la tête CL de sa propre projection maximale CLP: 18
cf. Chomsky (1981), entre autres.
CLP, redoublement et pronom résomptif
(27)
241
[CL.P [CL’ CL]]
Cependant, nous avons écarté la première analyse morpho-lexicale suivant laquelle le clitique est une matrice d’accord accolée à la tête lexicale. Pour cette analyse, le clitique ne redouble pas sa trace, étant donné qu’il n’a pas d’autonomie par rapport à la tête lexicale. En revanche, il redouble une position argumentale, mais phonétiquement vide: (28) CL-X [pro] (i) (i)
Le clitique dans (27) sert à identifier le contenu de la position complément de la tête lexicale19. Les structures (27) et (28) sont très différentes. Nous proposons une troisième structure intermédiaire qui concilie les deux analyses ci-dessus.
19 Jaeggli (1982) étend le mécanisme d’absorbtion de cas et de gouvernement en considérant que si le clitique est capable d’absorber le cas, il est aussi capable d’absorber le gouvernement, à la suite de quoi la catégorie vide en question n’est plus gouvernée. Cela implique que la catégorie vide redoublée est un pro. (i) V-cl(i)
Vj NP Pro(i)
Deux arguments contre l’hypothèse de Jaeggli sont avancés par Rouveret (1987b) à partir des faits du gallois; ceux-ci exigent la réalisation lexicale d’un pronom plein dans la position complément. Or, si le clitique absorbe effectivement le gouvernement, il absorbe subséquemment le cas; le pronom lexical est donc dépourvu de cas, ce qui viole le filtre sur le cas. (ii) y dyn y siaradasoch chwi ag ef
(iii)
l’homme que vous parlez avec lui “L’homme avec qui vous avez parlé”
J dyn y prunais ei dy
l’homme que j’ai acheté sa maison “L’homme dont j’ai acheté la maison”
Les faits du gallois montrent la capacité du clitique d’identifier un des éléments pronom plein ou catégorie vide.
242
Partie III, Chapitre II
En effet, le clitique est une tête syntaxique comme dans (27), et il doit être redoublé comme dans (28). Ces deux propriétés sont indispensables dans une structure interne du clitique, mais aucune des deux structures ci-dessus ne présente ces propriétés en même temps ; (27) et (28) sont complémentaires20. La structure interne du clitique que nous proposons consiste à présenter les deux propriétés précitées du clitique, à savoir qu’il est non seulement une tête, mais aussi une tête redoublée. Supposons que la structure interne du clitique puisse être présentée comme suit: (29)
CLP Spec.CL
CL' CL
[α]
Dans la structure (29), la relation entre le clitique et son antécédent (identifieur) est une relation d’accord entre une tête et son complément (Spec-Comp Agreement). L’élément α, dans (29) est l’élément qui redouble le clitique. Il est possible de penser à une autre structure interne légèrement différente de celle de (29). Cette structure consiste à engendrer α dans son Spec tel que dans (30). Dans cette structure, la relation entre les deux éléments n’est pas une relation complément-tête (CHC) mais plutôt une relation spécificateur-tête (SHA)21: 20 D’habitude, c’est le clitique qui redouble un autre élément. Nous considérons une relation inverse à savoir que c’est le clitique qui est redoublé. Ce type de relation est compatible avec le statut et la structure que nous donnons au clitique. 21 Une troisième configuration peut concilier les deux précédentes: CLP Spec
CL’ CL
[e]
243
CLP, redoublement et pronom résomptif (30)
CLP Spec.CL [α]
CL' CL
La structure (30) inclut les deux propriétés nécessaires du clitique, à savoir le redoublement du clitique et le statut de ce dernier comme tête syntaxique. En d’autres termes, (30) inclut à la fois (27) et (28). Nous déduisons donc que toutes les langues qui étaient analysées en fonction de deux structures différentes, (27) et (28), peuvent, grâce à (30) être objet d’une analyse unifiée. 3-2 Redoublement comme phénomène universel Dans les constructions où le clitique n’est redoublé par aucun élément lexical, le (SpecCL) est considéré comme une catégorie vide : pro: (31)
CLP SpecCL
CL'
pro
CL°
Dans les langues où le clitique ne coexiste jamais avec un autre élément lexical, seule la configuration (31) est possible.
Dans tous les cas, une position Spécificateur est nécessaire pour satisfaire l’accord avec la tête CL. Par le biais de cet accord, ce n’est pas seulement PRO qui sera légitimé mais le clitique aussi, i.e. la relation entre le clitique et son spécificateur est une relation de légitimation mutuelle. Etant donné la nature référentielle virtuelle du clitique, ce dernier a toujours besoin d’un autre élément qui le redouble et qui permet d’éclairer son contenu. Grâce à ce rapport avec son double dans Spec CLP, le contenu référentiel du clitique peut devenir actuel.
244
Partie III, Chapitre II
L’arabe est une langue où le clitique n’est redoublé par aucun élément lexical. Cette propriété est générale, qu’elle que soit la tête lexicale qui gouverne le clitique en question, V, N, P ou C. En revanche, dans certaines constructions marquées en arabe, le clitique complément d’objet du verbe peut être redoublé par un pronom ou un NP lexical comme le montrent respectivement (32) et (33): (32)
?iltaqay-tu-hu ?iyyâhu recontrer-Pass.1S-CL.3MS lui “Lui, je l’ai rencontré”
(33)
?iltaqay-tu-hu ?al-?ustâð-a recontrer-Pass.1S-CL.3MS. professeur-Acc. “Le professeur, je l’ai rencontré”
(32) et (33) sont des constructions appositives où l’élément lexical qui redouble le clitique est appositif22.
22 Nous avons déjà résumé le classement de l’apposition en arabe standard suivant la relation coréférentielle entre l’élément en apposition et son antécédent, voir la note (39) de la partie relative à l’identification catégorielle du pronom clitique.
Il existe en outre une autre typologie de l’apposition en arabe standard selon que l’un des deux éléments en apposition est expilcitement nominal : N (muZhar) ou pronominal : P (muZmar) :
1
2
3
4
Apposition Nom - Nom badal l-muZahar mina l-muZahar ra?ay-tu nabîl-a?axâ-hu voir-1S Nabil-Acc frère-CL.3MS. Nabil j’ai vu son frère
Apposition badal Pronom - Pronom badall-muDmar mina l-muDmar: ra?ay-tu-hu?iyyâhu Je l’ai vu lui
Apposition Pronom - Nom badal l-muZahar mina l-muDhar: ra?ay-tu-hu Sadîq-î Je l’ai vu mon ami ʺJe l’ai vu, mon amiʺ
Apposition Nom - Pronom badal l-muDmar mina l- muZahar: ra?ay-tu ?alr-rajula?iyyâ-hu L’homme, Je l’ai vu Voir Ralâyînî T3, pp.235–236, Ibn ya&î$, T3, p 70.
245
CLP, redoublement et pronom résomptif
La structure (31) peut rendre compte de ces faits si l’on suppose que la position Spec CLP peut être occupée par un autre élément que pro, à savoir un pronom indépendant ou un NP lexical. Tel est le cas de CLP dans (32) et (33) ci-dessus présentés respectivement comme suit: (34)
CL.P
Spec CL Pronom indépendant
CL' CL°
(35)
CL.P Spec NP lexical
CL' CL°
Après la montée obligatoire du clitique, ce dernier précède son double, ce qui donne l’ordre observé dans les constructions (32) et (33). La position Spec CLP en arabe est occupée généralement par pro, sauf dans les constructions appositives dans lesquelles cette position peut être remplie par un élément lexical, NP ou pronom. Le contenu de Spec CLP, vide ou plein, varie selon les langues. Suivant Rouveret (1987b), le clitique en gallois est obligatoire dans des contextes où la position argumentale contient un pronom lexical, i.e. lorsque cette position argumentale est occupée par un pronom lexical, la présence du clitique est également obligatoire. Cette corrélation générale explique les contrastes ci-dessous23: (36) a.
CL N Prynais i ei dy ef acheter-Pass. je Cl(3MS) maison lui “J’ai acheté sa maison.”
Prynais i dy ef
23
b.*
cf. Rouveret (ibid).
246
Partie III, Chapitre II
(37) a.
Cl P Soniais i amdano ef parler-Pass. je au sujet de-Cl (3MS) lui “J’ai parlé de lui.”
Soniais i am ef
b.*
(38) Cl VN a. Y mae Wyn wedi ei weld ef
PRT est Wyn PERF Cl(3MS voir-PASS lui “Wyn l’a vu.” b.* Y mae Wyn wedi weld ef
Ce paradigme montre que l’existence du pronom lexical exige la présence du clitique. En d’autres termes, l’existence de Spec CLP exige celle de la tête CL. Dans les constructions ci-dessus, le pronom lexical occupe la même position que celle de pro dans d’autres constructions. La position Spec CL peut être occupée par un pronom lexical comme elle peut être occupée par une catégorie vide. Rouveret a tiré de cette distribution complémentaire en gallois la généralisation suivante: (39) Un clitique de redoublement est obligatoire dans les contextes : X [N” β]i, X= N, P, VN., tel que β est catégorie vide ou pronom.
Par ailleurs, le phénomène du redoublement clitique était considéré comme un argument contre l’analyse de l’autonomie du clitique24. Suivant cet argument, le fait que, dans certaines langues, un élément lexical peut redoubler le clitique montre que ce dernier n’occupe pas une position argumentale25. La solution qui était proposée pour ce problème consiste à insérer le clitique comme affixe de V, par exemple, alors que le NP qui le redouble occupe la position argumentale, cf. (28). 2 4 cf. Travis (1977), Jaeglli (1982), Borer (1984), entre autres. 25 Dans le cadre de cette analyse antérieure du clitique, Aoun (1981a, 1985) a proposé une analyse typologique où l’existence ou l’absence du phénomène du redoublement est lié à l’absorption du Cas ou de θ-rôle. Selon Aoun (1981), le clitique peut ou ne peut pas absorber le Cas, et il peut ou ne peut pas absorber un θ-rôle. Cela implique une classification des langues naturelles en quatre classes:
a. b.
- θ-rôle, + Cas--> le clitique datif en espagnol ou en roumain. + θ-rôle, + Cas--> le clitique en français.
CLP, redoublement et pronom résomptif
247
En adoptant la structure (30), cet argument n’est plus valable étant donné que cette structure réserve une position syntaxique pour l’élément qui redouble le clitique. Ainsi le clitique préserve son autonomie syntaxique comme tête, tout en coexistant avec l’élément qui le redouble. Considérons le paradigme suivant: (40)
Manolo la ofrece una flor a Maria Manolo la offre une fleur PREP Marie “Manolo offre une fleur à Marie.” (espagnol)
(41)
Vimo-lo a ele voir-PRS-CL(3MS) PREP lui “Nous le voyons.” (portugais)26
(42) I-am v … zut pe b … iat (je) l’ai vu PREP garçon “Je l’ai vu.” (roumain) Dobrovie-Sorin (1987) (43) a. $ift-a la Hind voir-Pass.1S CL.3FS.(i) PREP Hindi “J’ai vu Hind” (arabe libanais) cf. Aoun (1981) b. rkibit fî-ha la s-sayâra monter-Pass.1S dans-CL.3tfS.(i) la voiture(i) “Je suis monté dans la voiture.” (arabe syrien) cf. Mouchaweh (1986)
c. d.
- θ-rôle, - Cas--> le clitique en warlpiri. +θ-rôle, - Cas--> le clitique en grec.
Le phénomène du redoublement clitique standard est celui présent‚ dans (a) observé en espagnol, en roumain ou encore en portugais, en arabe libanais et en syrien. Le clitique absorbe le Cas ce qui explique la présence obligatoire d’une préposition qui assigne un Cas au NP qui redouble le clitique. En revanche, il n’absorbe pas le θ -rôle, puisque l’expression référentielle doit avoir un θ-rôle. Voir aussi Chomsky (1980), Jaeggli (1982). 26 Le NP qui redouble le clitique en portugais obéit à trois conditions, il doit être défini, humain ou animé et enfin une expression référentielle cf. Matos et Duarte (1984). (i)* Vimo-lo ao accident
(ii)*
voir-PRS-CL(3MS) à+un accident
Vimo-lo a Juan
248
Partie III, Chapitre II
Les constructions (36)–(39) sont des exemples typiques du phénomène de redoublement du clitique. Le clitique dans le paradigme ci-dessus est redoublé par un PP, a en espagnol et en portugais et pe en roumain et la en arabe libanais et en syrien. Une des caractéristiques de ce phénomène est l’insertion obligatoire d’une préposition, comme marqueur casuel, devant le NP qui redouble le clitique. Cela afin d’éviter une violation du filtre sur le Cas. Cette insertion obligatoire de la préposition est considérée comme la propriété distinctive et essentielle des constructions à redoublement clitique. Ce qui permet de distinguer, selon cette propriété, les langues à redoublement clitique et les langues sans redoublement clitique. Ainsi, cette propriété n’est observée ni en arabe standard ni dans plusieurs langues où le clitique est redoublé par un pronom vide ou plein. La question qui se pose est de savoir comment rendre compte de cette propriété de redoublement eu égard aux faits dont nous avons discuté plus haut. La distinction tient compte de la nature de l’élément qui redouble le clitique et précisément la position qu’il occupe dans CLP. Dans ce syntagme, deux positions syntaxiques sont disponibles, d’une part Spec CLP et d’autre part complément de CL, cf. (29). Rappelons que, dans le système où le Cas est assigné sous gouvernement strict, une catégorie qui gouverne XP gouverne à la fois la tête X et son spécificateur. Par conséquent, un assigneur casuel comme V, qui gouverne CLP, peut assigner le Cas au CL et à son spécificateur. En revanche, il ne peut pas avoir accès à la position complément du CL: (44)
V' V
CLP SpecCLP
CL' CL
[e]
Si V ne peut pas assigner le Cas au complément du CL, cela signifie que le NP qui occupe cette position n’est pas casuellement marqué, ce qui viole le filtre sur le Cas. Pour éviter une telle situation, l’insertion d’une
CLP, redoublement et pronom résomptif
249
préposition devient nécessaire. La présence de P dans des constructions comme (36–39) tient à une raison purement Casuelle. Le PP qui redouble le clitique dans ces constructions est dans la position complément de la tête CL. Par conséquent, la présence d’aucun autre assigneur casuel, tel que P, n’est plus justifié. En revanche, dans les langues où le clitique est redoublé par un pronom, vide ou plein, l’élément redoublant se trouve dans Spec CLP, position casuellement marquée. Etant phonétiquement vide, pro qui redouble le clitique n’a pas besoin d’un Cas, ce qui lui permet d’occuper la position complément du clitique. En d’autres termes, si nous supposons que pro redouble CL dans Spec CLP, rien ne l’empêche d’occuper la position complément de CL. En revanche, un élément lexical qui redouble le clitique a besoin d’un Cas, soit assigné par une préposition dans la position complément de CL, soit directement dans Spec CLP. Cette dernière position est occupée par tout NP ou pronom lexical qui redouble le clitique et s’accorde casuellement avec lui27. Nous pouvons donc conclure que dans le cadre d’une structure comme (29), le phénomène du redoublement du clitique ne devrait plus être considéré comme un phénomène isolé ou particulier. Grâce à l’analyse que nous avons présentée ci-dessus, le phénomène du redoublement clitique peut être généralisé de sorte qu’on ne distingue plus les langues à redoublement clitique et des autres. 3-3 Retour au Pronom résomptif Revenons au problème de la nature facultative de PR en position objet du verbe. Rappelons la distribution complémentaire entre un pronom présomptif et une catégorie vide qui semble libre, notamment dans les constructions relatives, interrogatives, ou topicalisées.
27 C’est exactement ce qui peut être observé dans les constructions appositives en arabe standard, voir (33) et (33) et la note (22) ci-dessus.
250
Partie III, Chapitre II
Supposons que cette distribution complémentaire entre un clitique dit présomptif et une trace variable dépend du site de départ de l’extraction et qu’il existe deux sites différents, l’un permet la présence du clitique et l’autre ne le permet pas. Il reste maintenant à identifier ces deux sites. Considérons les constructions suivantes: (45) man?intaqad-ta qui critiquer-Pass.2MS “Qui as-tu critiqué” (46)
?al-kâtiba ?intaqad-tu L’auteur-Acc critiquer-Pass.1S. “L’auteur, je l’ai critiqué”
(47)
?a&rif-u ?al-kâtib-a ?al-laðî ?intaqad-ta connaitre.Prés-1MS l’écrivain-Acc qui critiquer-Pass.2MS. “Je connais l’auteur que tu as critiqué”
Certes, le site de l’extraction dans ces énoncés est le complément de l’objet du verbe. Rien n’indique que l’origine de cette extraction est un CLP étant donné que le clitique n’est pas observé. Il est plus simple de considérer ce site comme un NP ordinaire:
(48)
Whi … [NP ti]
En revanche, le clitique peut exister dans les mêmes constructions citées en (45–47): (49)
man ?intaqad-ta-hu qui critiquer-Pass.2MS-CL.3MS. “Qui as-tu critiqué ? ”
(50) ?al-kâtib-a?intaqad-tu-hu l’auteur-Acc critiquer-Pass-1S-CL.3MS. “L’auteur, je l’ai critiqué” (51)
?a-&rif-u ?al-kâtiba ? llaðî?intaqad-ta-hu 1S-connaitre-Prés. l’auteur-Acc qui critiquer-Pass.2MS-CL.3MS. “Je connais l’auteur que tu as critiqué”
CLP, redoublement et pronom résomptif
251
L’existence du clitique dans le paradigme (49–51) ne change pas la structure interprétative par rapport aux énoncés sans clitique (45–47). En revanche, nous supposons que la structure syntaxique des deux types d’énoncés en question n’est pas la même. En d’autres termes, la présence du clitique doit être justifiée, même si elle ne modifie pas la structure interprétative. La structure interne du clitique proposée ci-dessus peut parfaitement expliquer la dérivation des constructions comme (49–51), ci-dessus, ainsi, nous supposons que le NP à la tête de la phrase dans ces constructions soit dérivé par mouvement depuis la position Spec CLP. En revanche, les constructions (45–47) ne peuvent pas être dérivées ni par la même stratégie ni par la même structure. Le site d’extraction dans telles constructions n’est pas un CLP mais un NP. Ainsi, la différence syntaxique entre (45–47) d’une part et (49–51) d’autre part est une différence entre NP et CLP qui sont en distribution complémentaire.
Conclusions
Nous avons consacré la première partie à une description globale du système pronominal en arabe standard. Une classification selon leurs formes morpho-phonologiques subdivise ce système en trois catégories : pronoms faibles, morphologiquement liés ou affixés, pronoms forts, pronoms morphologiquement indépendants, et pronoms implicites, phonologiquement vides. Nous avons remarqué qu’il existe une relation morpho-phonologique entre les formes pronominales : clitiques et indépendantes. La comparaison entre les deux formes laisse penser qu’il existerait une dérivation diachronique l’une de l’autre En écartant le pronom clitique de la classe des catégories lexicales, notamment le nom, nous avons montré qu’il a tout de même certaines propriétés des catégories fonctionnelles. Ces propriétés lui permettent d’avoir une identité catégorielle propre que nous représenterons par CL. Nous avons détaillé l’hypothèse selon laquelle le clitique n’est pas une tête morphologique dans la mesure où il n’est pas sujet à RHR, le CL n’est pas non plus une simple matrice de traits et de cas affixée à une tête lexicale, mais bel et bien une tête syntaxique avec sa projection maximale autonome CLP. A la question relative au mécanisme qui permet au locuteur de réaliser ou non un clitique pronominal (C.P.), la réponse est formelle : le clitique pronominal n’est ni substitution automatique d’un NP ni une opération arbitraire, mais bel et bien une dérivation syntaxique liée au θ-gouvernement. Pour mieux comprendre la syntaxe des pronoms clitiques arabes, nous avons jugé utile d’analyser la structure interne de la phrase dans cette langue. Nous avons maintenu la distinction entre deux types de phrases, verbale et non verbale, selon que le prédicat est verbal ou non- verbal. Ainsi nous avons opté pour une structure syntaxique binaire de la phrase en arabe, structure capable de tenir compte des différents ordres possibles: VSO, VOS, SVO, OVS. Et nous avons présenté des arguments en faveur d’un ensemble de projections maximales qui constituent cette
254
Conclusions
structure commençant par VP et IP. Ensuite, l’interaction entre la syntaxe et la morphologie nous a amené à adopter une analyse d’éclatement de la catégorie I° en plusieurs têtes fonctionnelles : Temps, Aspect et Accord. Le trait du nombre peut être dissocié de l’accord (Agr) et avoir sa propre projection maximale. Ainsi Num P peut résoudre le problème de la coexistence entre le sujet préverbal et l’accord riche dans l’ordre SVO. Par ailleurs, nous considérons que le cas n’est pas une propriété particulière des arguments (ou des NP), les prédicats, en arabe standard et classique, ont aussi besoin d’un cas. Si l’adjectif en est une évidence, le verbe l’est moins. L’adjonction de la tête verbale à C° lui permet d’avoir un cas dit modal. En s’attachant à une tête, le pronom clitique reçoit aussi son cas par la même stratégie qui est l’adjonction tête à tête. Si le prédicat verbal, comme le prédicat adjectival, a besoin d’un cas, il serait nécessaire d’étendre le domaine de la théorie des cas limité jusqu’à maintenant aux catégories nominales. Quant à l’analyse de la structure syntaxique de la phrase dite non verbale, nous nous sommes focalisé sur la nature du pronom fort huwa, appelé PRON, n’est ni un prédicat verbal ni une flexion ou un clitique mais une marque de focalisation (Foc), tête d’une projection maximale Foc.P. Pour une structure syntaxique de ce genre de phrase, nous avons proposé une analyse qui réduit la distinction entre phrase non verbale et phrase verbale. Les deux types de propositions étant projetés comme Agr.P, sauf que pour la phrase à prédicat non verbal, ce prédicat est supposé implicite. L’ordre des constituants de la phrase en arabe, comme dans d’autres langues, a toujours présenté un défi pour les syntacticiens. Nous avons proposé des hypothèses selon lesquelles les différents ordres, particulièrement : VSO, SVO, et VOS, trouvent leur explication en syntaxe. Ainsi scrambling est une opération d’inversion syntaxique et non pas stylistique, comme on croyait. L’ordre VOS est dérivé de VSO par l’adjonction du NP sujet à droite de Agr P laissant derrière le verbe et l’objet. De même pour les clitiques de compléments d’objet, nous avons montré que l’inversion de l’ordre entre accusatif et datif peut être dérivée aussi par un mouvement de datif shift qui est similaire à celui du passif. Cette analyse permet d’expliquer certainement l’ordre des clitiques COI et COD en termes syntaxiques.
255
Conclusions
Nous avons proposé un système général d’incorporation des têtes en arabe. En comparant le fonctionnement des catégories lexicales (L) par rapport à celui des catégories fonctionnelles (F). Nous en avons conclu que seule une tête fonctionnelle peut être un site d’arrivée pour un mouvement donné. Par conséquent, aucune tête lexicale ne peut abriter une tête X°, que cette dernière soit (L) ou (F). Ces généralisations ont une conséquence directe sur le phénomène d’enclise en arabe (X°-CL). Etant une tête (F), le pronom clitique monte dans une autre tête F avant que la tête lexicale ne la rejoigne par adjonction à gauche. Nous en déduisons que les deux formes, l’enclise comme la proclise, sont dérivées toutes les deux par adjonction à gauche. Notre objectif est d’expliquer le fonctionnement syntaxique du pronom clitique dit résomptif Ce dernier a été l’objet de plusieurs analyses que nous avons discutées, particulièrement celle qui engendre ce clitique à la suite d’une opération de dernier recours pour préserver une structure jugée agrammaticale sans ce pronom. Malgré ses avantages, cette dernière explication reste limitée. L’existence du pronom résomptif serait liée à la projection du clitique que nous proposons : Cl.P. Cette projection ne contient pas seulement le clitique comme tête (CL°) mais un spécificateur le redouble: (i)
[CLPα[CL´ CL°]]]
Nous tentons de traduire cette structure dans un cadre typologique en considérant que les langues ne se distinguent que par le choix du contenu de α dans Spec ClP. Selon les langues, l’élément α peut être pro, un pronom fort ou un PP/NP lexical. Cette typologie peut être présentée ainsi :
(ii)
a. b. c.
[CLP pro [CL´ CL]]] [CLP pronom lexical [CL´ CL]]] [CLP PP [CL´ CL]]]
Une des conséquences de la structure proposée est que tout clitique est redoublé et que toute langue dispose du redoublement clitique. Corrélativement au pronom résomptif, nous avons déduit que l’existence du clitique en position de complément d’objet du verbe dans les constructions relatives, interrogatives ou topicalisées, implique une extraction α depuis la position Spec CLP.
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Index des concepts
Affixe 75–76, 112, 117–118, 126, 155, 208–209, 214, 220, 253–254. Agr Accod. 131–134, 157, 161, 109, 113, 115, 118, 133, 134, 149, 154, 156, 160, 169, 170, 185, 209, 237, 241, 274. Anaphore 189–191. Asp Aspect 112–113, 115, 125, 155, 236–237, 241. C° (COMP) Complémenteur. 128–129, 132, 134, 241, 149, 251, 257–259. Cas 78, 92, 98, 102, 111, 120, 123–127, 129–130, 145, 150, 153, 155, 157, 250–253, 266–268. Cop. Coplule. 141, 146, 148–151. DAT Datif. 205, 208–209, 220 DP Syntagme du déterminant. 85–86, 89, 91, 108, 125, 152, 231–232, 236, 240–241, 250. Dislocation 119–120 D-structure Deep Structure (Structure profonde). 20, 60–61, 97, 108, 111, 145, 219–220. ECP Empty Category Principle (principe des catégories vides). 21, 22, 110, 214–215, 217–219, 227, 230, 233, 247, 249, 250, 253–256. GTA Grammairiens traditionnels arabes. 82, 90, 203, 264, 118, 124–126, 135, 147, 154. HHM Head to head movement. 21, 22.
HMC Head Movement Constraint. 21, 153, 214. Incorporation 215–219. Infl Flexion. 85, 151. Last Resort (Dernier recours. 248, 250, 253. LF Forme logique. 19–20, 189, 199, 241, 249–250. LEC Least effort condition 170. Light verb Verbe léger. 150. MP Mirror Principle (Principe de miroir). 187 Neg Négation. 128–129, 142 NOM Nominatif. 20, 101, 111. Num Nombre. 121, 122, 274 OPP Overt Pronoun Constraint. 167–168. OVS ordre des mots. 183, 273. Passif 208–209, 214. PF Forme Phonétique. 147, 250, 257. Phrase nominale. 135, 146, 150, 152–153. Préd. Prédicat. 105, 140, 147, 153–155, 157–158. PEP Principe d’Eviter le Pronom. 165– 168, 172–173. PPE Principe de projection étendu 46. PR Pronom résomptif. 245–248, 252–253, 256–258, 260, 263, 268. Pro petit pro. 123, 166–169, 184, 185.
268 pro drop 184, 185. PRO Grand pro. 166, 247. PRON Pronom indépendant dans la phrase nominale. 138–146, 159 PF Forme phonétique. 147 RHR Right Hand Rule. 66, 70–71, 75–76, 273 Small Clause (phrase réduite). 137, 202. Scrambling 178–180, 182–186, 187 SHA Accord spécificateur-tête (Spec Head Agreement). 259, 262 S-Structure Structure de surface. 60–61, 79, 92, 97, 101, 111, 119, 155, 170, 201, 228, 250. SOV Sujet Objet Verbe. 178, 188. SVO Verbe Sujet Objet. 20, 23, 109, 111, 124, 133, 178, 182–183, 188–190, 273–274.
Index des concepts T. Temps. 113–115, 117–118, 125, 133, 141, 149, 154, 190, 274, 237. t. Trace. 230. Tête 74–75, 89, 92, 107, 110, 112–114, 131–132, 237–238, 267. Tête morphologique. 63–73. X’-Theory Théorie X-barre. 19, 63–66, 200, 213. TOP. Topique. 252, 253, 270. TP Syntagme de temps. 113, 131, 133, 155–156, 161, 187. θ-critère 19–20, 92. θ-rôle 75, 78, 145, 150, 160, 205–210, 251–253, 266–267. VSO Verbe Sujet Objet. 20, 23, 103–104, 120–121, 108–109, 111, 119, 121, 124, 131–134, 169–170, 178, 181–182, 186, 188, 190. Wh Elément Interrogatif. 252–254, 270.
Index des langues
Les langues, citées ou étudiées, autre que l’arabe standard Allemand 70–73, 83, 85–87, 221. Anglais 59–60, 70, 73, 86–87, 108, 137–138, 153, 155, 167, 180, 200, 203–204, 249. Arabe libanais 267. Arabe marocain 124, 141–143, 160, 171, 179, 196–197. Arabe palestinien 196, 258. Arabe syrien 196, 267. Catalan 167. Chinois 168. Chichewa 219. Espagnol 70, 168–169, 193, 195–196, 231, 267. Français 66, 68, 71–72, 83–84, 86–87, 148, 153, 156, 166, 186, 193–194, 196–197, 220, 266. Gallois 157–158, 234, 261, 266. Georgien 195. Grec 112. Hébreu 112, 144–146, 258. Indonésien 220.
Iroquois 218. Italien 220, 228, 246. Japonais 168. Langues romanes 180, 196. Langues sémitiques 180. Latin 112, 154. Mohawk 217. Niuen 230. Portugais enropéen 80, 168, 267. Portugais brésilien 80. Roumain 115, 180, 267. Russe 155, 180. Tagalog 69. Tiwa du Sud 195, 218, 231. Yoruba 69. Vata 253–254. Walpiri 195.
CONTEMPORARY STUDIES IN DESCRIPTIVE LINGUISTICS Edited by PROFESSOR GRAEME DAVIS, School of Humanities, University of Buckingham. KARL A. BERNHARDT, Research Fellow in the Department of English, University of Buckingham, UK, and English Language Consultant with Trinity College, London. This series provides an outlet for academic monographs which offer a recent and original contribution to linguistics and which are within the descriptive tradition. While the monographs demonstrate their debt to contemporary linguistic thought, the series does not impose limitations in terms of methodology or genre, and does not support a particular linguistic school. Rather the series welcomes new and innovative research that contributes to furthering the understanding of the description of language. The topics of the monographs are scholarly and represent the cutting edge for their particular fields, but are also accessible to researchers outside the specific disciplines. Contemporary Studies in Descriptive Linguistics is based at the Department of English, University of Buckingham.
Vol. 1
Mark Garner: Language: An Ecological View. 260 pages, 2004. ISBN 3-03910-054-8 / US-ISBN 0-8204-6295-0
Vol. 2
T. Nyan: Meanings at the Text Level: A Co-Evolutionary Approach. 194 pages, 2004. ISBN 3-03910-250-8 / US-ISBN 0-8204-7179-8
Vol. 3
Breffni O’Rourke and Lorna Carson (eds): Language Learner Autonomy: Policy, Curriculum, Classroom. 439 pages, 2010. ISBN 978-3-03911-980-6
Vol. 4
Dimitra Koutsantoni: Developing Academic Literacies: Understanding Disciplinary Communities’ Culture and Rhetoric. 302 pages, 2007. ISBN 978-3-03910-575-5
Vol. 5 Vol. 6 Vol. 7 Vol. 8 Vol. 9
Emmanuelle Labeau: Beyond the Aspect Hypothesis: Tense-Aspect Development in Advanced L2 French. 259 pages, 2005. ISBN 3-03910-281-8 / US-ISBN 0-8204-7208-5 Maria Stambolieva: Building Up Aspect. A Study of Aspect and Related Categories in Bulgarian, with Parallels in English and French. 243 pages, 2008. ISBN 978-3-03910-558-8 Stavroula Varella: Language Contact and the Lexicon in the History of Cypriot Greek. 283 pages, 2006. ISBN 3-03910-526-4 / US-ISBN 0-8204-7531-9 Alan J. E. Wolf: Subjectivity in a Second Language: Conveying the Expression of Self. 246 pages. 2006. ISBN 3-03910-518-3 / US-ISBN 0-8204-7524-6 Bettina Braun: Production and Perception of Thematic Contrast in German. 280 pages, 2005. ISBN 3-03910-566-3 / US-ISBN 0-8204-7593-9
Vol. 10 Jean-Paul Kouega: A Dictionary of Cameroon English Usage. 202 pages, 2007. ISBN 978-3-03911-027-8 Vol. 11 Sebastian M. Rasinger: Bengali-English in East London. A Study in Urban Multilingualism. 270 pages, 2007. ISBN 978-3-03911-036-0
Vol.12 Emmanuelle Labeau and Florence Myles (eds): The Advanced Learner Variety: The Case of French. 298 pages, 2009. ISBN 978-3-03911-072-8 Vol.13 Miyoko Kobayashi: Hitting the Mark: How Can Text Organisation and Response Format Affect Reading Test Performance? 322 pages, 2009. ISBN 978-3-03911-083-4 Vol.14 Dingfang Shu and Ken Turner (eds): Contrasting Meaning in Languages of the East and West. 634 pages, 2010. ISBN 978-3-03911-886-1 Vol.15 Ana Rojo: Step by Step: A Course in Contrastive Linguistics and Translation. 418 pages, 2009. ISBN 978-3-03911-133-6 Vol.16 Jinan Fedhil Al-Hajaj and Graeme Davis (eds): University of Basrah Studies in English. 304 pages, 2008. ISBN 978-3-03911-325-5 Vol.17 Paolo Coluzzi: Minority Language Planning and Micronationalism in Italy. 348 pages, 2007. ISBN 978-3-03911-041-4 Vol.18 Iwan Wmffre: Breton Orthographies and Dialects: The TwentiethCentury Orthography War in Brittany. Vol 1. 499 pages, 2007. ISBN 978-3-03911-364-4 Vol.19 Iwan Wmffre: Breton Orthographies and Dialects: The TwentiethCentury Orthography War in Brittany. Vol 2. 281 pages, 2007. ISBN 978-3-03911-365-1 Vol.20 Fanny Forsberg: Le langage préfabriqué: Formes, fonctions et fréquences en français parlé L2 et L1. 293 pages, 2008. ISBN 978-3-03911-369-9
Vol.21 Kathy Pitt: Sourcing the Self: Debating the Relations between Language and Consciousness. 220 pages, 2008. ISBN 978-3-03911-398-9 Vol.22 Peiling Xing: Chinese Learners and the Lexis Learning Rainbow. 273 pages, 2009. ISBN 978-3-03911-407-8 Vol.23 Yufang Qian: Discursive Constructions around Terrorism in the People’s Daily (China) and The Sun (UK) Before and After 9.11: A Corpus-based Contrastive Critical Discourse Analysis. 284 pages, 2010. ISBN 978-3-0343-0186-2 Vol.24 Ian Walkinshaw: Learning Politeness: Disagreement in a Second Language. 297 pages, 2009. ISBN 978-3-03911-527-3 Vol.25 Stephen Bax: Researching Intertextual Reading. 371 pages, 2013. ISBN 978-3-0343-0769-7 Vol.26 Shahela Hamid: Language Use and Identity: The Sylheti Bangladeshis in Leeds. 225 pages, 2011. ISBN 978-3-03911-559-4 Vol.27 Magdalena Karolak: The Past Tense in Polish and French: A Semantic Approach to Translation. 217 pages, 2013. ISBN 978-3-0343-0968-4 Vol.28 Iwan Wmffre: Dynamic Linguistics: Labov, Martinet, Jakobson and Other Precursors of the Dynamic Approach to Language Description. 615 pages, 2013. ISBN 978-3-0343-1705-4 Vol.29 Razaul Karim Faquire: Modality and Its Learner Variety in Japanese. 237 pages, 2012. ISBN 978-3-0343-0103-9
Vol.30 Francisca Suau-Jiménez and Barry Pennock-Speck (eds): Interdisciplinarity and Languages: Current Issues in Research, Teaching, Professional Applications and ICT. 234 pages, 2011. ISBN 978-3-0343-0283-8 Vol.31 Ahmad Al-Issa and Laila S. Dahan (eds): Global English and Arabic: Issues of Language, Culture, and Identity. 379 pages, 2011. ISBN 978-3-0343-0293-7 Vol. 32 Xosé Rosales Sequeiros: Linguistic Meaning and Non-Truth-Conditionality. 266 pages, 2012. ISBN 978-3-0343-0705-5 Vol.33 Yu Hou: A Corpus-Based Study of Nominalization in Translations of Chinese Literary Prose: Three Versions of Dream of the Red Chamber. 230 pages. 2014. ISBN 978-3-0343-1815-0 Vol.34 Christopher Beedham, Warwick Danks and Ether Soselia (eds): Rules and Exceptions: Using Exceptions for Empirical Research in Theoretical Linguistics. 289 pages, 2014. ISBN 978-3-0343-0782-6 Vol.35 Bettina Beinhoff: Perceiving Identity through Accent: Attitudes towards Non-Native Speakers and their Accents in English. 292 pages, 2013. ISBN 978-3-0343-0819-9 Vol.36 Tahir Wood: Elements of Hermeneutic Pragmatics: Agency and Interpretation. 219 pages, 2015. ISBN 978-3-0343-1883-9 Vol.37 Stephen Pax Leonard: Some Ethnolinguistic Notes on Polar Eskimo. 292 pages, 2015. ISBN 978-3-0343-1947-8
Vol.38 Chiara Semplicini: One Word, Two Genders: Categorization and Agreement in Dutch Double Gender Nouns. 409 pages, 2016. ISBN 978-3-0343-0927-1 Vol.39 Raffaella Antinucci and Maria Giovanna Petrillo (eds): Navigating Maritime Languages and Narratives: New Perspectives in English and French. 320 pages, 2017. ISBN 978-1-78707-387-6 Vol.40 Ali Almanna: Semantics for Translation Students: Arabic–English–Arabic. 226 pages, 2016. ISBN 978-1-906165-58-1 Vol.41 Pablo Kirtchuk: A Unified and Integrative Theory of Language. 262 pages, 2016. ISBN 978-3-0343-2250-8 Vol.42 Prafulla Basumatary: Verbal Semantics in a Tibeto-Burman Language: The Bodo Verb. 290 pages, 2017. ISBN 978-1-78707-339-5 Vol.43 Claudio Grimaldi: Discours et terminologie dans la presse scientifique française (1699–1740). 234 pages, 2017. ISBN 978-1-78707-925-0 Vol.44 Wojciech Wachowski: Towards a Better Understanding of Metonymy. 196 pages, 2019. ISBN 978-1-78874-345-7 Vol.45 Martin Travers: The Writing of Aletheia: Martin Heidegger. In Language 252 pages, 2019. ISBN 978-1-78874-671-7 Vol.46 Rod E. Case, Gwendolyn M. Williams and Peter Cobin: Cognitive Linguistic Explorations of Writing in the Classroom. 182 pages, 2019. ISBN 978-1-78707-344-9 Vol.47 Sender Dovchin (ed.): Digital Communication, Linguistic Diversity and Education. 224 pages, 2020. ISBN 978-1-78997-454-6
Vol.48 Mostafa Rechad: Syntaxe des pronoms clitiques en arabe : étude comparative. 288 pages, 2020. ISBN 978-1-80079-017-9
ce livre traite des problématiques liées au fonctionnement des pronoms clitiques (affixes pronominaux) en arabe en comparaison avec plusieurs autres langues afro-asiatiques et indo-européennes. de surcroit, il soulève de nombreuses questions concernant la structure syntaxique de la phrase comme celle du mot, en mettant en relief l’interface syntaxe-morphologie. de nombreuses problématiques y sont analysées, comme l’ordre des mots, la structure de la phrase – à prédicat verbal ou non verbal –, l’incorporation, l’identité catégorielle du pronom clitique et sa projection syntaxique, les traits d’accord, le pronom dit résomptif et l’économie morphosyntaxique. par son approche, l’ouvrage offre un juste équilibre entre description linguistique des faits et explication syntaxique et formelle des problématiques soulevées. le cadre choisi, celui de la grammaire générative permet, non seulement de comparer l’arabe standard et dialectal à un grand nombre de faits de langues, mais aussi de proposer un système morphosyntaxique fondé sur des principes universaux, des généralisations, des paramètres et des micro-paramètres.
MoStafa Rechad est titulaire d’un doctorat en Sciences du langage de l’université paris 8 Saint denis où il a enseigné plusieurs années. actuellement, Mostafa Rechad est professeur d’enseignement Supérieur à l'université hassan ii de casablanca. chercheur confirmé en syntaxe et typologie des langues, il a participé à des colloques internationaux en donnant des conférences en europe, particulièrement au collège de france sur les langues sémitiques, aux etats unis et aux Émirats a.u. outre son profil de linguiste, il est consultant en communication.
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